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L’évolution du droit de l’indivision
William Dross
Dans Droit et Ville 2014/1 (N° 77), pages 3 à 34
Éditions Institut des Études Juridiques de l'Urbanisme, de la Construction et de
l'Environnement
ISSN 0396-4841
ISBN 9782954085357
DOI 10.3917/dv.077.0003

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-droit-et-ville-2014-1-page-3.htm

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ANALYSES ET PERSPECTIVES
UN RÉGIME AMBIVALENT

Corte, le 29 novembre 2013


L’INDIVISION,

l’Université de Corse
COLLOQUE

organisé par
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L’évolution du droit de l’indivision
William DROSS
Professeur de droit privé à l’Université Jean Moulin (Lyon III)

1. Evolution quantitative. À l’origine -1804 1- était l’article 815.


Celui-ci disposait :
« Nul n’est contraint de demeurer dans l’indivision et le partage
peut toujours être provoqué, nonobstant prohibitions et conventions
contraires.
On peut cependant convenir de suspendre le partage pendant un
temps limité : cette convention ne peut être obligatoire au-delà de
cinq ans ; mais elle peut être renouvelée ».
Sa rédaction n’a pas changé ou presque. Ce qui change, c’est
évidemment la suite. Texte isolé à l’aube du Code civil, il est
aujourd’hui secondé par les articles 815-1 à 815-18 : la loi du 31
décembre 1976 lui a ajouté dix-huit articles2, celle du 12 mai 2009
deux supplémentaires et si l’on compte les dispositions consacrées
à la convention d’indivision 3, le total se montre à trente-huit.
Quantitativement, il y a donc trente-huit fois plus d’articles consacrés
à l’indivision en 2013 qu’il n’y en avait en 1804. Le législateur
moderne n’étant guère adepte de la concision, si c’est en mots
plutôt qu’en articles que l’on compte, le facteur multipliant s’élève
à soixante-cinq. Et cela sans tenir aucun compte du développement
des dispositions organisant le partage4 lesquelles, parce qu’il est
l’issue nécessaire de l’indivision, en sont le prolongement naturel.

2. Pragmatisme des réformes. L’évolution quantitative du droit


de l’indivision s’emprunte sur le fond d’un grand pragmatisme5.

1. Il n’entre pas dans notre propos, n’étant pas historien du droit, de brosser un portrait de
l’évolution de l’indivision depuis l’ancien droit romain.
2. Il faut compter depuis 2009 les articles 815-5-1 et 815-7-1.
3. Articles 1871-1 à 1873-18 du Code civil.
4. Etymologiquement, l’indivision est ce à quoi il manque la division.
5. Il s’agit avant tout de prévenir et de guérir les crises dans l’indivision : N. Leblond, « La
crise dans l’indivision », Defrénois 2010, art. 39171, p. 2173 sq.
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6 droit et ville

Il s’est avant tout agi, pour le législateur, de résoudre des difficultés


concrètes.
- A quelles conditions un acte de gestion ou de disposition d’un
indivisaire sur les biens indivis peut-il être considéré comme
valable6 ?
- A quelles conditions un indivisaire peut-il valablement disposer de
sa part dans les biens indivis7 ?
- Comment se règle la jouissance effective, concrète, des biens
indivis entre les indivisaires ?
- Comment appréhender les conséquences de cette jouissance sur
l’état du bien indivis, qu’il s’en trouve amélioré ou au contraire
dégradé8 ?
- Comment faire si un indivisaire ne peut exprimer sa volonté9 ou
comment vaincre son refus de passer l’acte que requiert pourtant
l’intérêt commun10 ?
- Quoi faire des fruits des biens indivis ? 11
- Comment trouver facilement et rapidement les fonds nécessaires
pour faire face aux dépenses conservatoires des biens indivis12 ?
- Quels sont les droits des créanciers des indivisaires, selon que
leur créance a ou non un rapport avec les biens indivis ?
- Comment articuler les droits des intéressés lorsqu’on est en pré-
sence d’une indivision complexe, c’est-à-dire lorsqu’un démembre-
ment du bien s’ajoute à la pluralité des propriétaires13 ?
- Comment décourager les demandes en partage que ne comman-
derait qu’un besoin de liquidités pressant chez l’un des indivi-
saires14 ?
- De quelle liberté exacte les indivisaires disposent-ils lors-qu’il
s’agit d’organiser sur une base contractuelle la gestion de l’indivi-
sion15 ?

6. Art. 815-3 et 815-5-1, depuis 2009, pour la vente du bien indivis autorisée judiciairement
à la demande des indivisaires représentant les deux-tiers des droits indivis.
7. Art. 815-14 et 815-15, organisant un droit de préemption au profit des coindivisaires en
cas de vente de gré à gré ou un droit de substitution en cas de licitation volontaire.
8. Art. 815-13.
9. Art. 815-4.
10. Art. 815-5.
11. Ils accroissent à l’indivision (art. 815-10) mais chaque indivisaire peut demander
annuellement sa part des bénéfices (art. 815-11).
12. Art. 815-2.
13. Art. 815-2, 815-5 al. 2, 815-18.
14. Partage annuel des bénéfices de l’indivision ou avance en capital (art. 815-11 al. 1 et 4).
15. Art. 1873-1 sq.
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3. Modèle de la réforme. Cette construction du droit de l’indivision,


P. Catala l’a voulue au miroir d’une institution éprouvée par une
longue et constante pratique et réformée de frais : la communauté
entre époux. Les règles qui, en 1976, sont venues donner un régime
à l’indivision ont été, pour une large part, directement empruntées
aux régimes matrimoniaux. Quoi de plus normal puisqu’on
considère ordinairement que les biens communs, pour appartenir
concurremment aux deux époux, sont par nature indivis entre
eux. On concède seulement qu’en raison de la communion de vie
et de lit unissant les époux, leur gestion doit connaître quelques
aménagements par rapport à celle de biens simplement indivis.

4. Divergence d’inspirations. Faire de la communauté des époux un


modèle pour l’indivision n’est pas innocent. On n’importe pas un corps
de règles techniques sans en même temps faire place à la philosophie
qui les inspire et les sous-tend. Les règles applicables aux biens
communs, que la loi du 13 juillet 1965 avait largement reconsidérées,
sont toutes entières orientées par l’idée de solidarité qui lie les époux.
Ceux-ci sont unis par un lien personnel intime qui imprime sa marque
au statut des biens dont ils sont ensemble propriétaires. Il est patent de
voir que l’évolution des rapports entre mari et femme dans la société
française, passant de la puissance maritale à l’égalité, a trouvé une
traduction technique dans la répartition des pouvoirs que la loi leur a
reconnu sur les biens communs.

Or, l’indivision s’inspire traditionnellement d’une philosophie toute


différente, celle de l’individualisme. Les indivisaires sont, à Rome
comme avec le Code civil, considérés comme étrangers les uns aux
autres. Conçus comme une simple situation de concurrence entre
plusieurs propriétaires sur une même chose, l’indivision, parce
qu’elle est modélisée sur la propriété de l’article 544, ne laisse de
place qu’à l’égoïsme. Chaque propriétaire doit pouvoir faire ce qu’il
veut de la chose qui lui appartient et, s’il s’avère que sa volonté
heurte celle de ses pairs, alors il n’y a pas d’autre choix que de
procéder au partage. C’est dire que chaque indivisaire tient la vie de
l’indivision entre ses mains et qu’il peut la condamner à mort sur un
mouvement d’humeur.

5. Conséquences. En puisant dans les régimes matrimoniaux


l’inspiration de solutions efficaces à des difficultés pratiques, le
législateur -et celui qui lui tînt la plume- ont fait bien davantage
qu’œuvre technique. Ils y ont pris cette idée fondamentale que les
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8 droit et ville

indivisaires ne peuvent être estimés étrangers les uns aux autres


et qu’ils forment au contraire un groupe que soude un intérêt
commun, peut-être moins intense que celui qui unit les époux,
mais suffisant à ce que l’individualisme marque le pas au profit du
collectif. L’emprunt d’une telle philosophie, qui heurte de front la
manière de penser l’indivision comme une concurrence de droits
de propriété exercés dans l’intérêt égoïste de leurs titulaires, est,
d’un point de vue sociologique et statistique, parfaitement légitime.
Dans l’immense majorité des cas, les indivisions ont une origine
successorale. Le Code civil n’en traite-il pas d’ailleurs, aujourd’hui
comme hier, au titre des successions et non du régime des biens ?
Or, les héritiers sont unis par le sang ou l’alliance. L’observation
vaut, même si c’est dans une mesure moindre, pour les indivisions
post-communautaires : même si le lien matrimonial est dissous, le
mariage a créé des liens personnels dont il serait faux de croire que
le prononcé du divorce les efface totalement. Il est donc utile que
le législateur, au travers des règles de l’indivision, les prenne en
considération. En d’autres termes, le caractère familial de la quasi-
totalité des indivisions donne de facto une assise solide à l’idée que
les indivisaires forment un groupe particulier. Hors la famille de
sang ou d’alliance, l’acquisition en commun est très généralement
le fait de concubins et le boni de liquidation, la propriété indivise
de ceux qui s’étaient sentis suffisamment proches pour participer
ensemble à l’aventure de la société se trouvant liquidée. Il y a donc,
sinon toujours, du moins dans une écrasante majorité des cas, cette
vérité sociologique que les indivisaires entretiennent ou, a minima,
ont entretenu, une relation privilégiée, dont il n’est pas concevable
que le régime de l’indivision l’ignore. C’est cela que manifeste
l’évolution de l’indivision depuis 1804 : l’abandon d’une logique
individualiste au profit d’une logique -risquons le mot- collectiviste.

Mais, une fois dans cette dynamique, il se pourrait bien que


la collectivité que forment les indivisaires soit si soudée qu’elle
accouche d’un être juridique unique. Bouclant la boucle, la logique
collectiviste pourrait bien, au bout du chemin, renouer avec
l’individualisme. L’organisation de l’indivision, telle qu’elle existe
aujourd’hui, pose ainsi la question de sa personnification (I).

Si l’on refuse une telle extrémité, il reste à s’interroger sur la nature


du groupe des indivisaires et l’alternative est alors la suivante : on
peut y voir une société véritable ou, plus modestement, une simple
communauté. Les conséquences ne sont pas identiques (II).
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droit et ville 9

I. LA PERSONNIFICATION DE L’INDIVISION ?

Peut-on soutenir sérieusement que les réformes législatives successives


ont, en organisant techniquement l’indivision, conféré incidemment
mais néanmoins nécessairement à celle-ci la personnalité morale ?
On peut être tenté d’appuyer une réponse positive sur deux séries
d’arguments, théoriques (A) et techniques (B).

A. La personnification à l’aune de la réalité de la personnalité


morale

6. Conditions de la personnification. Théoriquement parlant, le débat


qui fit rage sur la question de la nature de la personnalité morale,
entre réalité et fiction, fut tranché identiquement par Michoud16 et
par la Cour de cassation en faveur de l’idée de réalité technique.
Selon les hauts magistrats, la personnalité morale n’est pas une
fiction, autrement dit une manière commode de parler, mais une
réalité juridique. L’idée, parfaitement exacte, est que la personnalité
juridique ne saurait être confondue avec la personne humaine faite
de chair et de sang. Tandis que celle-ci est une réalité tangible, celle-
là est un concept qui confère à ses attributaires la possibilité d’agir
juridiquement et d’être titulaire de droits et d’obligations. Dans
son célèbre arrêt du 28 janvier 195417, la Cour de cassation affirme
que « la personnalité civile n’est pas une création de la loi ; elle
appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité
d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes, par
suite, d’être juridiquement reconnus et protégés » . La réunion de ces
deux éléments permet donc non à proprement parler d’attribuer, mais
de constater la personnalité juridique : l’existence d’un intérêt licite
d’abord, la possibilité de le faire valoir par des moyens d’expression
collective ensuite. C’est conséquemment au regard de ces deux critères
que la question de la personnification de l’indivision doit être posée.

7. Existence d’un intérêt commun ? Affirmation. Quant à l’existence


d’un intérêt commun distinct de la somme des intérêts égoïstes
des indivisaires, celle-ci semble acquise, du moins formellement.

16. La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, 2 vol., 3e éd.
par L. Trotabas, LGDJ 1932.
17. Cass. 2e civ., 28 janv. 1954 : n° 54-07081 ; Bull. civ. II n° 32 ; D. 1954 p. 217 note G.
Levasseur ; JCP G 1954, II, 7978 concl. M. Lemoine. – Cette jurisprudence a été réaffirmée
depuis : cf. infra n° 11 et les notes.
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10 droit et ville

Le législateur n’hésite pas en effet à s’y référer expressément. Le


premier alinéa de l’article 815-6 dispose ainsi que « le président
du tribunal de grande instance peut prescrire ou autoriser toutes
mesures urgentes que requiert l’intérêt commun ». Quant à l’article
815-5, il permet à un indivisaire d’être « autorisé par justice à passer
seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait
nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun ».
Mais il y a bien davantage que le simple emploi des mots « intérêt
commun » par le législateur.

Alors que l’unanimité avait régné en maître absolu sur la gestion et


a fortiori la disposition des biens indivis, elle marque depuis 2006
un recul considérable. Il est en effet permis aux indivisaires, voire
à l’indivisaire détenant au moins les deux tiers des droits indivis,
d’effectuer seuls les actes d’administration relatifs aux biens indivis,
de conclure ou renouveler les baux autres que commerciaux ou
ruraux, de conférer un mandat général d’administration des biens
indivis et même d’aliéner un meuble afin d’acquitter un passif de
l’indivision. De tels actes, dès l’instant qu’ils sont réguliers, sont
pleinement opposables aux indivisaires qui s’y seraient pourtant
montrés hostiles. Comment ne pas voir là la marque d’un intérêt
commun dépassant les intérêts égoïstes des indivisaires ? Le
changement de logique est profond par rapport à 1804 où rien ne
pouvait se faire des biens indivis sans que tous les indivisaires y
consentent, à tel point que certains auteurs n’ont pas hésité à écrire
qu’en « posant comme principe que la gestion des biens indivis se
fera à la majorité, la loi de 2006 a fait sauter le dernier verrou qui
s’opposait à la personnification »18.

8. Existence d’un intérêt commun ? Contestation. Les choses ne sont


pourtant peut-être pas aussi évidentes qu’elles paraissent. D’autres
auteurs ont contesté que l’intérêt des indivisaires puisse constituer
un intérêt suffisant à la personnification. Tout au plus s’agirait-il
de concessions réciproques nécessaires à permettre une gestion
convenable des biens indivis, mais sans qu’existe véritablement un
intérêt commun19. On peut se demander toutefois si cette objection

18. F. Zenati-Castaing, « La propriété collective existe-elle ? », Mél. Goubeaux, Dalloz-


Litec 2009 p. 589 sq. spéc. p. 595. – Adde. F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, Puf
3e éd. 2008 n° 351 et 358 sq.
19. J. Patarin, « La double face du régime de l’indivision », Mél. Holleaux, Litec 1990 p. 331
sq. spéc. p. 340 : « l’intérêt commun, s’il ne se confond pas avec une convergence totale des
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ne prospère sur l’assimilation implicite de l’intérêt commun avec


l’affectio societatis. Si l’origine de l’indivision, qui est fréquemment
involontaire (indivision successorale), interdit de considérer que les
indivisaires ont volontairement choisi leur situation et qu’ils ont la
volonté d’œuvrer ensemble à un projet commun, cela ne condamne
pas véritablement l’idée que l’intérêt commun puisse exister a
minima, comme étant celui d’une gestion la plus efficace possible
du bien appartenant à tous. En d’autres termes, il n’est pas sûr que
l’objection tirée de l’intensité de l’intérêt commun soit suffisante
à le discréditer pour servir de fondement à la personnification de
l’indivision.

Sur le plan théorique, on a soutenu que l’indivision devait s’analyser


non pas en une concurrence de droits de même nature sur un même
bien mais comme un droit unique sur un bien ou un ensemble de biens
identifiés dont seule la titularité serait partagée entre les indivisaires.
Le droit subjectif étant unique, et le droit subjectif étant -du moins
selon certains- un intérêt juridiquement protégé, alors il est normal
qu’un seul intérêt soit en cause. Mais précisément, l’unicité d’intérêt
dispenserait alors d’avoir recours à la personnification. Celle-ci
n’est en effet nécessaire qu’autant qu’il s’agit de fédérer des intérêts
par nature divergents : autrement dit, l’intérêt collectif suppose une
altérité d’intérêts originelle qui n’existerait pas ici20. Evidemment, la
force de l’argument est conditionnée par la représentation proposée
de l’indivision comme un droit unique dont la titularité est seule
partagée. On peut ne pas partager cette modélisation et s’en tenir
plus classiquement à un concours de droits réels de même nature sur
le même bien, ce qui relativise l’objection.

9. Existence d’un intérêt commun ? Réfutation. C’est sur deux


autres terrains que l’on peut sans doute plus utilement contester
l’existence d’un intérêt commun des indivisaires propre à justifier sa
personnification.

intérêts personnels des indivisaires, n’est pas pour autant un intérêt collectif distinct, mais
est synonyme de l’intérêt bien compris de chaque indivisaire en tant que tel compte tenu
des concessions et des facilités que les indivisaires doivent se consentir réciproquement et
raisonnablement pour permettre une gestion convenable des biens indivis ».
20. C’est l’argument défendu par N. Leblond, « Réflexions sur la personnification de
l’indivision », RLDC mai 2011 p. 74 sq., n° 4255, n° 4-10 : « or cette altérité est absente
entre les indivisaires puisque, partageant le même droit, il poursuivent ensemble dès le
départ le même intérêt » (n° 8).
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12 droit et ville

Le premier est le constat du maintien du droit au partage. Certes


celui-ci connaît des restrictions de plus en plus nombreuses21, mais
le principe demeure que chaque indivisaire peut demander à tout
moment la dissolution du groupe. Or, s’il appartient au caprice de
chacun de faire disparaître l’intérêt qu’ils partagent quant à une
saine gestion des biens qui leur appartiennent concurremment, c’est
nécessairement que l’intérêt commun est finalement entièrement
subordonné à l’intérêt égoïste de chacun 22. L’indivisaire pourra
l’exiger pour un motif purement personnel et il n’a, d’ailleurs, aucun
motif à produire. Une telle solution ne se retrouve pas en matière de
sociétés : un associé peut vendre ses parts, parfois se retirer, mais
il ne peut imposer aux autres la dissolution du groupe et donc tenir
le sort de l’intérêt commun entre ses mains : seul le juge pourrait
éventuellement en décider ainsi en cas de crise23.

Le second est que l’on aurait tort de considérer que l’expression


d’un intérêt par la règle de la majorité constitue un marqueur
nécessaire de la présence d’une personne morale. Il existe en
effet des groupements au sein desquels les décisions peuvent se
prendre à la majorité, sans pour autant que ceux-ci soient dotés de
la personnalité24. Ainsi l’article 1871-1 du Code civil prévoit-il que,
dans les rapports entre les associés d’une société en participation,
ce sont, faute de dispositions contraires des statuts25, les règles de la
société civile qui s’appliquent26. Cela induit qu’un certain nombre
de décisions relèvent de l’assemblée générale ordinaire et donc de la
règle de la majorité. Il y a donc ici un mécanisme de prise de décision
majoritaire sans personnification afférente. Cela pour dire que si la
règle de la majorité est sans doute propre à caractériser l’existence
d’un intérêt commun chez les indivisaires, elle n’implique nullement
par elle-même et à elle seule la personnification de celui-ci.

10. Possibilité d’expression. Le second critère exigé par la Cour


de cassation pour doter un groupement de la personnalité morale

21. Infra n° 34.


22. On a écrit que « cette faculté est inconciliable avec la stabilité nécessaire à la
reconnaissance d’une personne morale » : N. Leblond, op. cit. n° 10.
23. C. civ., art. 1844-7 5e.
24. V. B. Dondero, Les groupements dépourvus de personnalité juridique en
droit privé. Contribution à la théorie de la personnalité morale, PUAM 2006
n° 14 sq.
25. C. civ., art. 1871 al. 2.
26. Ou de la société en nom collectif si la société en participation a un objet commercial.
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est qu’il soit doté d’une possibilité d’expression. De ce point de


vue, il est loisible aux indivisaires de recourir à la technique du
mandat pour permettre à leur intérêt commun de se manifester de
manière univoque. L’officialisation par le législateur du recours
à cette technique en 197627 n’a en rien modifié la conception que
l’on pouvait avoir de la nature de l’indivision. En revanche, il faut
constater que les règles applicables à l’indivision n’ont pas abouti à la
mise en place d’organes investis de cette fonction particulière qui est
d’exprimer l’intérêt des indivisaires. Aucune assemblée générale, ni
ordinaire ni extraordinaire, n’est prévue, aucun gérant de l’indivision
n’est institué. L’indivisaire ou les indivisaires qui, représentant les
deux tiers des droits indivis, veulent prendre seuls une décision
d’administration le peuvent, sans qu’aucun vote n’ait lieu28. Certes
l’article 815-3 al. 6 leur impose d’informer les coïndivisaires
des mesures qu’ils auront prises sous peine d’inopposabilité de
l’acte. Mais une chose est l’information, autre chose est la prise
de décisions collectives à travers l’institution légale d’un organe
dédié. Il semble que la personnalité morale ne se conçoive pas sans
que soient dans le même temps créés les organes nécessaires à son
fonctionnement. Cela est vrai des sociétés mais aussi du syndicat
des copropriétaires29. Dans les cas où la Cour de cassation a dû se
prononcer sur la personnalité morale de certains groupements, ceux-
ci étaient organisés de la sorte par le législateur.

11. Rejet de la personnification de l’indivision. Vouloir personnifier


l’indivision sur l’idée de la réalité de la personnalité morale se heurte
à d’autres objections, plus fondamentales. Il faut d’abord remarquer
que, depuis 1978, la thèse n’a plus droit de cité, du moins dans le
domaine des sociétés. En cette matière, la personnalité morale n’est
plus attribuée que sous condition d’immatriculation : lorsque les
parties choisissent délibérément de s’abstenir d’une telle formalité,
la société n’a pas la personnalité morale et l’existence d’un intérêt
spécifique susceptible d’expression demeure indifférent30. On peut
certes objecter que ce n’est que dans le domaine des sociétés que

27. C. civ., art. 815-3 2° et al. final : « si un indivisaire prend en main la gestion des biens
indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu
un mandat tacite couvrant les actes d’administration mais non les actes de disposition ni la
conclusion ou le renouvellement des baux ».
28. V. N. Leblond, « Réflexions sur la personnification de l’indivision », préc. n° 9.
29. Les décisions ne sauraient être prises par simple consultation écrite des copropriétaires,
sans qu’ils ne soient réunis en assemblée.
30. P. Catala, « L’indivision », Defrénois 1979 p. 3 sq. n° 1 in fine.
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14 droit et ville

l’existence de la personnalité morale est tributaire d’une formalité


spécifique, l’immatriculation, et que l’indivision ne serait pas
assimilable à une société (infra). La Cour de cassation a d’ailleurs,
après 1978, reconnu à deux reprises que certains comités créés par le
Code du travail devaient, dans le silence de la loi, se voir reconnaître
la personnalité morale31.

Mais ces jurisprudences, conformément à la position prise dès


1954, se fondent sur la volonté implicite du législateur, lequel
demeure souverain pour décider de l’attribution ou du refus de
la personnalité morale 32 . Or, peut-on sérieusement soutenir
qu’en dotant l’indivision d’un régime juridique, le législateur a
entendu lui conférer implicitement la personnalité morale ? La
chose serait pour le moins paradoxale. Cela reviendrait en effet
à ce que l’indivision n’existe plus comme forme de propriété
plurale spécifique, puisque le bien appartiendrait alors à titre de
propriété exclusive à une personne morale nouvelle naissant de
la communauté des indivisaires. Personnifier l’indivision, c’est
la transformer en propriété exclusive. À comprendre les choses
ainsi, l’organisation de l’indivision serait non pas une manière de
la pérenniser mais bien au contraire de la faire disparaître. On peut
douter que tel ait été le souhait du législateur.

B. La personnification à l ’ aune de l ’ existence d ’ un patrimoine


indivis

12. Problématique. L’héritage d’Aubry et Rau est pesant. Il a


durablement et indissolublement lié personnalité juridique et
patrimoine. Le patrimoine étant une universalité au sein de laquelle
des biens identifiés répondent spécifiquement d’un passif particulier,
si l’on peut affirmer que, techniquement parlant, il existe un passif
identifié grevant spécifiquement les biens indivis, alors il faudra
convenir que l’on est en présence d’un patrimoine, patrimoine
auquel il faudra trouver un titulaire, lequel ne pourra guère qu’être
la personne morale que constituent entre eux les indivisaires. Il est

31. Cass. soc. 23 janv. 1990 : n° 86-14947 ; Bull. civ. V n° 20 ; JCP G II, 21529 note
M. Nèvrot. – Cass. soc., 17 avr. 1991 : n° 89-17993, 89-43767 et 89-43770 ; Bull. civ. V
n° 206 ; JCP G 1992, II, 21856 note H. Blaise.
32. V. aussi, Cass. 1re civ., 18 janv. 2005 : n° 01-17059 ; Bull. civ. I n° 28 ; Dr. sociétés
2005 n° 86 obs. F.-X. Lucas ; JCP E 2005 p. 1834 n° 10 obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et
G. Wicker à propos d’une Compagnie de commissaires priseurs créée par la loi.
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droit et ville 15

donc utile, sinon nécessaire, de se pencher sur la manière dont le


législateur a traité de la question du passif33.

De ce point de vue, l’article 815-17 du Code civil opère une


distinction fondamentale entre les créanciers de l’indivision et les
créanciers personnels des indivisaires. Seuls les premiers peuvent
saisir les biens indivis, les seconds n’ayant aucun droit sur ceux-ci.
Sous ce regard, les biens indivis n’étant le gage que d’une catégorie
identifiée de créanciers, la tentation de faire de l’indivision un
patrimoine est grande : l’expression, systématique de « créanciers
de l’indivision » serait révélatrice de la personnification de cette
dernière.

13. Créanciers personnels des indivisaires. Les créanciers personnels


des indivisaires sont ceux dont la créance n’entretient aucun lien
avec l’indivision. La loi ne leur reconnaît pour droit que celui de
solliciter le partage au nom et pour le compte de leur débiteur34,
ce qui n’est rien d’autre qu’une application de l’action oblique35.
Or, de l’avis commun, l’action oblique est un moyen de vaincre la
négligence de son débiteur afin de reconstituer son patrimoine dans
le but de rendre efficaces des procédures de saisie subséquentes.
Elle sert à faire rentrer dans le patrimoine du débiteur une valeur
à laquelle il a droit mais qui se trouve actuellement dans un autre
patrimoine, celui du débiteur de son débiteur et en cela, elle est une
mesure préalable à l’exercice du droit de gage général du créancier,
dont elle ne constitue pas elle-même la réalisation. A cette aune,
l’ouverture de l’action oblique accrédite l’idée que les biens indivis
ne se trouvent pas dans le patrimoine personnel de l’indivisaire et
qu’il faut les y faire rentrer par l’opération de partage.

33. La question de l’actif indivis pourrait être aussi mobilisée en faveur de l’idée de
patrimoine. L’article 815-10 prévoit que « sont de plein droit indivis, par l’effet d’une
subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des biens indivis, ainsi que
les biens acquis, avec le consentement de l’ensemble des indivisaires, en emploi ou en
remploi des biens indivis ». La doctrine classique cantonnait traditionnellement le jeu de la
subrogation réelle aux universalités de droit, ce qui excluait naturellement qu’elle puisse se
produire en matière d’indivision, la masse indivise ne constituant pas un patrimoine. Cette
analyse restrictive du champ de la subrogation n’a plus cours depuis le fameux arrêt Chollet/
Dumoulin de 1907 (Cass. ch. réun., 5 déc. 1907 : GAJC : Dalloz 2000, T. I n° 117 ; DP
1908, 1, p. 113 note A. Colin ; S. 1908, 1, p. 5 concl. Baudouin, note Lyon-Caen). L’article
815-10 du Code civil, issu de la réforme de 1976, n’a fait que confirmer cette jurisprudence
sans qu’il faille y voir un argument en faveur de la personnification de l’indivision.
34. C. civ., art. 815-17 al. 3.
35. C. civ., art. 1166.
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16 droit et ville

Mais le législateur va plus loin. Il interdit pareillement aux créanciers


personnels de saisir la quote-part indivise de leur débiteur. Or, la
quote-part indivise représente précisément, dans le patrimoine de
l’indivisaire, le droit idéal car non individualisé qu’il détient dans
les biens indivis36. La mise à distance des créanciers personnels des
biens indivis s’opère donc de manière extrêmement rigoureuse37.

14. Créanciers de l’indivision. Les créanciers de l’indivision


sont ceux, dixit la loi, « qui auraient pu agir sur les biens indivis
avant qu’il y eut indivision, et ceux dont la créance résulte de la
conservation ou de la gestion d’un bien indivis »38. Ils sont, poursuit
le texte, « payé par prélèvement sur l’actif avant le partage. Ils
peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis ».
En procédant ainsi, le législateur définit un passif dont les biens
indivis constituent le gage. Il s’agit d’abord du passif préexistant à
l’indivision et la loi vise évidemment ici les créanciers du défunt :
ceux-ci pouvaient, du vivant de leur débiteur, saisir les biens
composant l’actif de celui-ci et il ne faudrait pas que leur situation se
trouve affaiblie du seul fait du décès. Il s’agit ensuite des créanciers
qui ont permis la conservation ou la valorisation des biens indivis.

15. Cumul des qualités. Il faut toutefois se garder de tenir les


qualités de créancier personnel et de créancier de l’indivision
pour alternatives, l’une excluant nécessairement l’autre. Bien au
contraire, l’une ne va pas sans l’autre en ce sens qu’il n’y a pas
de créancier de l’indivision qui ne soit en même temps créancier
personnel d’un ou plusieurs indivisaires. Le tiers qui a effectué une

36. Planiol disait, dans une formule célèbre bien qu’un peu absconse, « la copropriété
indivise, c’est donc toujours la propriété individuelle, avec confusion matérielle des
parts » (M. Planiol et G. Ripert, Traité élémentaire de droit civil, T. III, LGDJ 11e éd. 1928,
n° 3005).
37. Cette seconde interdiction est peut-être moins, à y regarder de près, un argument en
faveur de la personnification de l’indivision qu’en sa défaveur. Dans le cadre d’une société
personnifiée, si l’actif social appartient à la société et demeure à l’abri des créanciers des
associés, les parts sociales constituent en revanche le gage de ces derniers. S’il en va autrement
en matière d’indivision, c’est précisément, peut-on penser, que l’absence de personnification
donne à l’indivisaire un droit direct sur les biens indivis, lequel rend inutile l’érection dans
son patrimoine d’une quote-part indivise, bien nouveau et incorporel à l’image de la part
sociale, qui pourrait être alors saisie de manière autonome par ses créanciers personnels.
Autrement dit, l’impossibilité de saisie de la quote-part pourrait n’être que la conséquence
logique de son inexistence au yeux du droit, seuls existant les biens indivis, que le législateur
décide alors de mettre à l’abri de toute saisie des créanciers personnels.
38. C. civ., art. 815-17 al. 1er.
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droit et ville 17

prestation conservatoire sur un bien indivis a agi à la demande d’un


indivisaire : a minima, celui-ci, en sa qualité de contractant, est
engagé personnellement à son égard. Cette double qualité voulant
qu’un créancier de l’indivision soit d’abord et nécessairement
créancier personnel d’un ou plusieurs indivisaires condamne-t-elle
l’idée que l’indivision serait un patrimoine ?

16. Le créancier de l’indivision, créancier personnel privilégié ?


La réponse est positive pour certains auteurs. Plutôt que de parler
improprement de « créanciers de l’indivision » on devrait lui préférer
celle de « créanciers des indivisaires qui ont le privilège de pouvoir
saisir les biens indivis ». Il est toutefois difficile de voir ici un simple
droit de préférence39. La préférence suppose en effet la mise en
place d’un ordre de paiement sur un actif déterminé. Ici, les biens
indivis ne sont pas saisis préférentiellement par les créanciers de
l’indivision car cela induirait qu’ils puissent l’être subsidiairement
par les créanciers personnels des indivisaires. Or, ceux-ci ne peuvent
jamais saisir les biens indivis : leur droit ne s’exerce qu’après
leur disparition, une fois retombés sous l’emprise d’une propriété
exclusive par la grâce du partage.

17. Le créancier de l’indivision : un créancier personnel de tous les


indivisaires ? Une autre explication est possible. Si les créanciers
personnels d’un indivisaire se voient privés de la possibilité de saisir
le droit de propriété concurrent que leur débiteur a dans la chose
indivise, c’est -peut-on gager- afin d’éviter l’intrusion d’un tiers
dans la communauté des indivisaires40. La saisie de la part indivise
débouchera en effet sur une adjudication et, faute pour un indivisaire
de se porter meilleur enchérisseur, un étranger au groupe initial
prendra la place du saisi. Mais lorsque le créancier l’est de tous les
indivisaires, ce risque n’existe plus. En saisissant le droit de propriété
concurrent de tous, il permet à l’adjudicataire de se porter acquéreur
de la totalité des droits s’exerçant sur le bien, autrement dit d’en
devenir propriétaire exclusif. Dès lors, l’adjudicataire ne rentrera pas
dans le cercle des indivisaires car il acquiert une propriété exclusive
et non pas seulement concurrente. La Cour de cassation en a déduit

39. En ce sens pourtant : H. Capitant, « De l’indivision successorale », Rev. crit. lég. jur.
1924 p. 19 sq., spéc. p. 25. – Y. Lequette, « Le privilège de séparation des patrimoines à
l’épreuve de l’article 815-17 du Code civil », Etudes Weill, Dalloz-Litec 1983 p. 371. –
N. Leblond, « Réflexions sur la personnification de l’indivision », préc. n° 13.
40. Infra n° 33.
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18 droit et ville

fort justement que celui qui, sans avoir la qualité de créancier de


l’indivision au sens de l’article 815-17, n’en est pas moins créancier
personnel de tous les indivisaires, est pareillement investi du droit de
saisir les biens indivis41.

Cette explication est séduisante. Elle recèle une grande part de


vérité. Ainsi, les créanciers du défunt deviennent, en raison de la
transmission universelle qui s’opère, les créanciers personnels de
tous les indivisaires, soit pour leur part et portion par application de
l’article 1220, soit pour le tout si la dette avait été stipulée indivisible.
On peut donc expliquer ainsi le droit que leur reconnaît l’article
815-17 sur les biens indivis. Le même raisonnement vaut lorsque la
créance de conservation ou d’amélioration du bien indivis a recueilli
l’accord unanime de tous les indivisaires, soit directement, soit par le
biais d’un mandat exprès ou tacite. Dans ce cas, tous les indivisaires
sont personnellement engagés à la dette. Ils en répondent sur leur
patrimoine personnel mais les biens indivis peuvent également être
saisis.

18. Critique. L’explication perd cependant sa force lorsque l’acte,


tout en étant régulier42, n’a pas recueilli l’accord de l’ensemble
des indivisaires. C’est le cas par exemple d’un acte conservatoire,
par principe valablement consenti par un seul 43, ou d’un acte
d’administration auquel se seraient opposés des indivisaires
représentant moins d’un tiers des droits indivis 44. Dans ce cas,
faute de consentement de certains indivisaires, le créancier ne peut
prétendre avoir aucun droit de créance à leur endroit. En revanche,
la saisie des biens indivis reste parfaitement possible car le droit du
créancier leur est opposable. Comment expliquer cette solution ?

On peut être tenté de dire que les indivisaires non personnellement


engagés profitent néanmoins directement de la dépense faite
puisqu’elle a servi à conserver ou améliorer le bien qui leur
appartient pour partie. Ils se trouvent donc enrichis et de ce fait
débiteurs de l’appauvri sur le fondement général de l’in rem verso et

41. Cass. 1re civ., 6 nov. 2001, n° 98-20518 ; Bull. civ. I n° 271 ; JCP G 2002, I, 176 n° 8
obs. H. Périnet-Marquet et I, 178 n° 4 obs. R. Le Guidec.
42. Car s’il ne l’est pas, il est inopposable aux autres indivisaires, ce qui implique qu’ils ne
soient pas tenus d’en supporter les conséquences et donc que la saisie des biens indivis en
paiement de la dette cesse d’être possible.
43. C. civ., art. 815-2.
44. C. civ., art. 815-3 1°.
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droit et ville 19

de manière plus précise par application de la théorie des impenses45.


L’explication n’est toutefois pas techniquement recevable. D’une
part l’in rem verso, dans ces cas de figure, n’autorise l’appauvri à agir
contre l’enrichi qu’à condition d’avoir fait la preuve de l’insolvabilité
de son débiteur contractuel. Il faudrait donc ici que le créancier
établisse que l’indivisaire avec qui il a contracté pour assurer la
conservation des biens indivis est insolvable pour prétendre être
créancier des autres indivisaires et pouvoir donc saisir les biens
indivis. Or, cette condition n’a jamais été exigée. D’autre part, le
montant de la créance s’en trouverait nécessairement affecté, car
c’est seulement l’enrichissement que retirent les coïndivisaires de la
prestation fournie qu’il pourrait leur réclamer et jamais le montant
contractuellement arrêté, solution qui n’est, là encore, pas celle du
droit positif. Il faut donc convenir que ces créanciers bénéficient
bien d’une situation particulière qui les rend à la fois créanciers
personnels d’un ou plusieurs indivisaires et d’une autre masse de
biens, les biens indivis.

19. Le créancier de l’indivision : un droit sur deux patrimoines


distincts. Ces deux explications, ramenant le créancier de l’indivision
l’une à un créancier personnel privilégié, l’autre à un créancier
de tous les indivisaires, s’avérant également non convaincantes,
il faut envisager l’autre voie, pour se demander en quoi ce cumul
de qualités pourrait constituer une objection technique à l’idée de
personnification de l’indivision. Dans les sociétés de personnes, on
sait que si les créanciers de la société ne peuvent ab initio saisir les
biens appartenant aux associés, ils peuvent néanmoins se retourner
contre eux après vaines poursuites 46. La règle est la même en
matière de fiducie puisque si le patrimoine fiducié ne suffit pas à
l’apurement des dettes, les créanciers pourront se retourner contre
le constituant47. Dans ces deux cas, la situation consiste à mettre en
place un système de garantie : le débiteur principal est le patrimoine
de la société ou le patrimoine fiducié et ce n’est qu’à titre subsidiaire
que le patrimoine des associés ou du constituant peut faire l’objet de
mesures d’exécution. En matière d’indivision, la différence provient
de ce que le créancier peut indifféremment choisir de saisir les biens

45. Rappr. N. Leblond, « Réflexions sur la personnification de l’indivision », préc. n° 13 :


« ce privilège s’expliquerait par le fait que le créancier a pour débiteur tous les indivisaires
parce qu’il a permis la mise en valeur de leur droit ».
46. C. civ., art. 1858.
47. C. civ., art. 2025 al. 2, l’insuffisance du patrimoine fiduciaire devant être établie.
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20 droit et ville

indivis ou d’exiger le paiement de l’indivisaire personnellement


engagé. L’absence de hiérarchie conduit à voir ici un mécanisme
apparenté à une garantie à première demande. L’idée de garantie ne
semble pas devoir être condamnée, car l’indivisaire qui, poursuivi
par le créancier de l’indivision, a payé sur ses deniers personnels,
obtiendra remboursement de sa créance sur les biens indivis soit
immédiatement, soit au jour de la liquidation par la méthode du
prélèvement. On peut donc raisonner ici sur cette idée que
l’indivisaire ne serait qu’un garant de la dette et qu’ayant agi en
représentation de la personne morale que l’indivision constituerait,
il ne serait engagé qu’à titre de garant à première demande.

20. Cas de l’indivisaire créancier de l’indivision. Les observations


qui précèdent trouvent un écho remarquable lorsque c’est un
indivisaire qui est créancier de l’indivision pour avoir exposé une
dépense conservatoire ou d’amélioration des biens indivis. On
considère, la loi ne distinguant pas, qu’il peut lui aussi saisir les
biens indivis pour se faire payer48. Il est difficile alors d’admettre que
l’on puisse saisir un bien qui se trouverait déjà dans le patrimoine du
créancier : si une telle saisie est possible, c’est nécessairement que ce
bien est situé dans un patrimoine tiers. On peut certes répondre que
ce que saisit l’indivisaire, ce sont les droits concurrents de ses pairs49.
Mais si tel est le cas, la condition préalable est que l’indivisaire
saisissant soit créancier de ses pairs, autrement dit que ces derniers
soient personnellement engagés à son endroit. Or, dans le cas par
exemple où un indivisaire paye une dépense de conservation de
ses deniers personnels, il n’est pas personnellement créancier des
autres indivisaires : la dépense leur est seulement opposable et l’idée
d’enrichissement sans cause ne rend pas compte, quant au montant
pouvant être recouvré, des solutions de droit positif.

21. Lien entre la personnalité et le patrimoine. Tout cela semble


converger sur l’idée que le passif indivis est un passif autonome
dont répondent les seuls biens indivis et dont la particularité serait
qu’il est garanti à première demande par les indivisaires qui sont
personnellement engagés à la dette. Techniquement en tous cas, il
semble que, du point de vue du passif, le changement de paradigme
-autrement dit le passage d’un passif personnel aux indivisaires

48. P. Catala, « L’indivision », Defrénois 1979 p. 1601 sq. n° 59.


49. N. Leblond, ibidem.
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droit et ville 21

assortit d’un privilège sur les biens indivis à un passif de l’indivision


assorti d’une garantie à première demande sur les patrimoines
personnels des indivisaires- se justifie.
Mais il faut prendre garde à ce que l’on avance. L’analyse technique
d’une règle particulière ne doit pas commander seule la nature d’une
institution : d’autres considérations entrent en jeu. Or, on l’a dit
précédemment, la personnification de l’indivision n’est rien d’autre
que sa négation car elle change une forme de propriété plurale en
propriété individuelle.

Plus précisément et plus fondamentalement, une autre objection peut


être faite à la personnification de l’indivision via la reconnaissance
d’un patrimoine. Elle tient précisément à ce que le lien entre
personnalité et patrimoine s’est aujourd’hui suffisamment distendu en
droit français pour que l’on puisse sans ciller envisager l’autonomie
patrimoniale indépendamment de la personne. De la même manière
que le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée
permet d’opérer une séparation des patrimoines professionnel et
personnel sans dédoublement de la personnalité, la fiducie permet
pareillement au fiduciaire d’être à la tête de son patrimoine propre et
du patrimoine fiducié. Si bien que, de la même façon, il ne paraît
nullement impossible de concevoir que chaque indivisaire est à la
tête de son patrimoine propre et que les biens qui lui appartiennent
concurremment avec d’autres figurent dans un patrimoine dont
il partage la titularité avec ses pairs. Autrement dit, les biens ne
seraient pas directement indivis, ils ne le seraient que médiatement,
via le patrimoine qui les contient. Ce changement d’échelle
permettrait donc de justifier des règles applicables au passif indivis,
sans qu’il soit pour autant nécessaire de voir dans l’indivision une
personne morale.

II. LES INDIVISAIRES, SOCIÉTÉ OU COMMUNAUTÉ ?

22. Société versus communauté. Si l’on écarte la personnification de


l’indivision, reste à dire ce que le régime actuel de l’indivision, tel
que les articles 815 et suivants du Code civil le constituent, révèle de
la manière dont le législateur appréhende le lien entre les indivisaires.
Deux mots s’en disputent la fonction : société et communauté.
On peut d’abord considérer que le régime de l’indivision rend
compte aujourd’hui de ce que les indivisaires formeraient une
véritable société (A).
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22 droit et ville

On peut, plus modestement et plus justement aussi sans doute, voir


dans les article 815 et suivants la marque de la communauté qu’ils
constituent (B).

A. L’indivision, une société ?

23. Problématique. Il est difficile de s’affranchir d’habitudes de


pensée dictées par la trop grande domination d’un modèle. Qui
dit société dit tout aussitôt personnalité morale. Les deux ne vont
pourtant pas nécessairement de pair. La société en participation
n’est pas personnifiée. A l’inverse, la personnalité morale n’est pas
l’apanage exclusif des sociétés50. Avant toute chose, la société est un
contrat, que le Code civil dote de règles particulières comme il le fait
pour n’importe quel autre contrat nommé, vente, bail, prêt ou autres.
Si l’on pose donc la question des liens qu’entretiennent indivision
et société abstraction faite de la problématique de la personnalité
morale, la réponse, de simple qu’elle était, est devenue épineuse.
A l’opposition très nette de la société et de l’indivision succède
aujourd’hui une confusion des genres dont la cause se trouve à la
fois dans le régime dont l’indivision a été dotée en 1976 et dans la
manière dont ont été modifiées en 1978 les règles applicables aux
sociétés non commerciales. La question de l’évolution de l’indivision
ne doit en effet pas être posée seulement d’un point de vue interne,
autrement dit en considération des règles qui ont vocation à la
régir, mais aussi d’un point de vue externe, en envisageant en quoi
l’évolution d’autres institutions modifie l’analyse que l’on peut en
avoir.

24. Insuffisance des critères objectifs de distinction. La doctrine


s’était traditionnellement plu à exacerber l’opposition de la société
et de l’indivision sur les critères suivants. Les auteurs soulignaient
que la société est un état choisi, organisé par un contrat, stable,
visant à la mise en commun de moyens (apports) afin de réaliser
des bénéfices grâce à une gestion dynamique opérée par un gérant
agissant dans l’intérêt commun. A l’opposé, l’indivision, conçue
par référence aux situations successorales, apparaissait comme
un état subi51 sans autre objectif que la conservation de la masse

50. Le syndicat des copropriétaires dispose ainsi de la personnalité juridique, sans


évidemment être une société (L. n° 65-557 du 10 juill. 1965, art. 14).
51. C’est le critère que met en avant Pothier (Traité du contrat de société, Du quasi contrat
de communauté, n° 182).
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droit et ville 23

indivise, affecté de précarité, inorganisé et à la merci des intérêts


égoïstes des indivisaires.

Les lois de 1976 sur l’indivision et de 1978 sur les sociétés ont
considérablement rapproché les deux institutions au point qu’elles
ne sauraient plus aujourd’hui être opposées sur aucune considération
d’ordre objectif. Il n’est d’évidence plus possible, depuis 1976, de
soutenir que l’indivision serait un état inorganisé à l’inverse de la
société : l’efficacité de la gestion des biens indivis a été l’un des
principaux soucis des réformateurs successifs. Son caractère précaire
est pareillement en net recul. Certes, le droit au partage demeure,
mais on ne compte plus les obstacles que le législateur a semé sur
sa route, convention d’indivision, sursis au partage, maintien dans
l’indivision, attribution éliminatoire 52. Quant à la question des
bénéfices, tandis que la loi de 1976 prévoyait que « chaque indivisaire
a droit aux bénéfices provenant des biens indivis et supporte les
pertes proportionnellement à ses droits dans l’indivision »53, la loi
de 1978, dans un mouvement inverse, élargissait le but des sociétés
à la simple réalisation d’économies54. Il devient alors impossible
d’opposer le dynamisme de l’une au statisme de l’autre.

25. Incertitude du critère subjectif : la volonté de s’associer. Reste


le principal critère permettant de distinguer nettement l’indivision
de la société, qui tient à leur nature même : tandis que la société
est un contrat et requiert comme tel un accord de volontés pour son
institution, un tel accord n’est nullement nécessaire à l’existence
d’une indivision55. Comme le soulignait la doctrine classique, pour
l’essentiel, les indivisions sont des états subis.

Pour l’essentiel seulement, car certaines indivisions sont choisies,


telles celles résultant de l’achat en commun d’un bien. Pour ces
cas particuliers, les difficultés de qualification en deviennent
nécessairement importantes : la figure juridique engendrée par
l’acquisition en commun est-elle une indivision régie par les articles

52. Infra n° 34.


53. C. civ., art. 815-10 al. 4.
54. C. civ., art. 1832 al. 1er.
55. Cela explique qu’on ait parfois voulu limiter l’attribution de la personnalité morale
aux seules indivisions conventionnelles, sur l’idée que la personnalité morale ne pourrait
découler que d’un contrat entre les indivisaires : N. Baruchel, La personnalité morale en
droit privé. Eléments pour une théorie, LGDJ 2004 n° 624-627 et n° 656-657.
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24 droit et ville

815 et suivants ou une société en participation obéissant aux articles


1872 et suivants du Code civil ? Certains auteurs proposent de se
focaliser sur la volonté des parties56, mais le critère n’est guère
opératoire puisque précisément, celle-ci est douteuse57. La tentation
est alors de reprendre les critères classiques et techniques de la
société pour trancher le problème, au premier rang desquels se
trouve l’affectio societatis et auquel s’ajoute une participation aux
bénéfices et aux pertes ainsi qu’à la gestion des biens. C’est ainsi que
le Conseil d’Etat, lorsqu’il est saisi de la question à des fins fiscales,
procède et c’est ainsi aussi que la Cour de cassation entend raisonner
lorsque des concubins acquièrent un bien en commun58. Certains
auteurs ont cependant montré de manière convaincante qu’aucun
de ces trois éléments n’est véritablement suffisant à discriminer
l’indivision de la société parce que, tout en étant traditionnellement
caractéristiques de cette dernière, aucun n’est pourtant étranger à
l’indivision59. Il faut donc convenir que la conjonction des évolutions
législatives en matière de société et d’indivision ont suscité des
problèmes de qualification importants lorsque les intéressés se
placent volontairement en situation d’indivision.

26. Articulation de la société et de l’indivision. Mais il y a plus. Alors


même qu’aucun accord de volontés n’aurait présidé à la naissance de
la situation d’indivision, celui-ci peut se manifester a posteriori.
Il est loisible aux parties de s’entendre pour organiser, au moyen
d’une convention d’indivision, la manière dont celle-ci sera régie.
Lorsque cet accord de volontés emprunte sagement le moule de la
convention d’indivision, telle que les articles 1873-1 et suivants
du Code civil l’organisent, il ne fait guère de doute que les parties
demeurent en indivision. Mais il peut aussi s’en affranchir. La liberté
que revendiquent les parties par rapport au modèle légal ne doit-
elle pas alors être interprétée comme opérant constitution entre eux
d’une société ?

56. C. Saint-Alary-Houin, « Les critères distinctifs de la société et de l’indivision depuis les


réformes récentes du Code civil », RTD com. 1979 p. 645 sq., n° 47-71.
57. F. Deboissy et G. Wicker, « La distinction de l’indivision et de la société et ses enjeux
fiscaux », RTD civ. 2000 p. 225 sq., n° 26.
58. L’intention de s’associer ne peut se déduire de la participation financière à la réalisation
d’un projet immobilier : Cass. com., 23 juin 2004 : n° 01-10106 ; Bull. civ. IV n° 135 ;
D. 2004 Somm. p. 2969 obs. D. Vigneau ; JCP G 2005, I, 116 obs. Y. Favier ; Dr et patr.
déc. 2004 p. 96 obs. D. Porrachia ; RTD civ. 2004 p. 487 obs. J. Hauser ; RTD com. 2004
p. 740 obs. Cl. Champaud et D. Danet ; Rev. sociétés 2005 p. 131 note F.-X. Lucas.
59. F. Deboissy et G. Wicker, op. cit. n° 13-22.
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droit et ville 25

Plus largement, rien n’interdit aux futurs associés d’apporter des


biens qui seraient d’ores et déjà indivis entre eux à une société
en participation. Cette volonté d’apport, les indivisaires peuvent
évidemment la formaliser dans un écrit et les règles de la société
en participation leur seront applicables. Mais le principe du
consensualisme demeure en droit français. Si l’écrit est requis
en matière de sociétés60, c’est seulement à des fins probatoires et
d’immatriculation, afin d’obtenir la personnalité morale. La société
en participation n’étant précisément pas soumise à immatriculation,
la volonté des associés peut rester verbale, voire tacite, dès l’instant
qu’elle est certaine61. Rien n’interdit donc de considérer que les
indivisaires se sont comportés de telle manière qu’ils ont tacitement
entendu former entre eux une société en participation à laquelle ils
ont chacun fait apport de leur droit concurrent sur la chose indivise.

Dans de telles hypothèses, si l’accord de volontés n’a pas présidé à


la naissance de l’indivision, il lui est néanmoins subséquent. Il ne
s’agit plus alors de qualifier ab initio une situation comme relevant
de l’indivision ou de la société mais de se demander comment vont
alors s’articuler l’indivision et la société, puisque la seconde vient se
greffer a posteriori sur la première.

27. Alternative. Deux approches de la difficulté sont possibles. La


première, longtemps dominante, considère société et indivision
comme des qualifications alternatives et incompatibles 62. Dès
lors, le constat d’une société ferait nécessairement disparaître
l’indivision qu’elle absorbe et détruit. Si cette manière de penser est
exacte lorsque la société a la personnalité morale, car la propriété
exclusive s’oppose à l’indivision, propriété concurrente, elle
cesse de l’être pour les sociétés sans personnalité. La société sans
personnalité apparaît alors, et c’est la seconde conception, comme
une simple technique d’organisation de l’indivision fondée sur la
volonté des indivisaires, au côté du mandat ou de la convention
d’indivision.

C’est en faveur de cette seconde conception que s’est nettement


prononcé le législateur en 1978 puisqu’il est expressément prévu

60. C. civ., art. 1835.


61. Sur cette idée que le doute profite à l’indivision, F. Deboissy et G. Wicker, op. cit. n° 32.
62. C’est notamment la position de J. Bonnecase, Supplément au traité de Baudry-
Lacantinerie, Sirey 1930, T. IV, n° 174.
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que, dans la société en participation, un certain nombre de biens


demeurent indivis entre les associés63 et qu’à l’égard des tiers, les
règles des articles 815 ou 1873-1 et suivants, selon que les associés
de la société en participation auront ou non conclu une convention
d’indivision, sont pleinement applicables64. L’adjonction d’un contrat
de société à l’indivision est susceptible de modifier en profondeur le
droit de l’indivision en lui conférant une souplesse dont les dispositions
qui lui sont en principe applicables ne la dotent pas.

28. Assouplissement de l’indivision par le contrat de société.


La souplesse que confère la technique sociétaire à l’indivision
s’observe sur des terrains variés. Lorsque la société a été conclue
pour une durée indéterminée, la dissolution est possible à tout
moment à la demande de tout associé, par simple notification à ses
pairs, étant observé qu’elle sera sans effet si la demande est faite
de mauvaise foi ou à contretemps65. Dans une telle situation, le
décalque avec les règles de la convention d’indivision est parfait66,
mais ce n’est finalement là que l’application ordinaire du droit des
contrats : la société n’a pas la personnalité morale, elle reste donc
soumise à cette logique contractuelle qui permet à tout contractant,
moyennant en principe un préavis, de dénoncer un contrat à durée
indéterminée.

Beaucoup plus intéressante est l’hypothèse de la constitution d’une


société en participation pour une durée déterminée. Dans ce cas,
l’apport du bien indivis va conférer à l’indivision une pérennité
qu’aucune autre technique n’est à même de lui donner. Des termes
de l’article 1873-3 al. 1er, le partage ne peut être écarté que pour une
durée de cinq ans maximum. Or, la société peut être conclue pour
une durée maximale de quatre-vingt-dix-neuf ans67 et l’article 1872-1
al. 2 prévoit expressément qu’« à moins qu’il n’en soit autrement
convenu, aucun associé ne peut demander le partage des biens
indivis (…) tant que la société n’est pas dissoute ». La dissolution
anticipée de la société ne sera possible qu’en cas d’accord unanime
ou plus largement, dans tous les cas prévus par l’article 1844-7, texte
général applicable à toute société, personnifiée ou non.

63. C. civ., art. 1872 al. 2.


64. C. civ., art. 1872-1 al. 4.
65. C. civ., art. 1872-2 al 1er.
66. C. civ., art. 1873-3 al. 2.
67. C. civ., art. 1838.
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droit et ville 27

Cette observation relative à la durée de l’indivision peut se décliner


dans bien d’autres domaines. Ainsi, quant à sa gestion, l’article
1871-1 du Code civil énonce que « les rapports entre associés sont
régis, en tant que de raison, soit par les dispositions applicables aux
sociétés civiles, si la société a un caractère civil, soit, si elle a un
caractère commercial, par celles applicables aux sociétés en nom
collectif », le tout « à moins d’une organisation différente ». Les
indivisaires, en créant entre eux une société, acquièrent la liberté
d’organiser comme ils le souhaitent la gestion des biens indivis, sous
la seule réserve du respect des dispositions d’ordre public visées
par l’article 1871, autrement dit de la possibilité pour tout associé
de participer aux décisions collectives68. C’est dire que les règles
rigides de l’indivision69 sont écartées mais que le sont aussi celles
propres à la convention d’indivision70.

Quant aux profits tirés des biens indivis, le principe d’un partage des
bénéfices et des pertes proportionnel aux droits dans l’indivision71
peut être librement rejeté, sauf l’interdiction des clauses léonines
par lesquelles un indivisaire supporterait la totalité des pertes ou
accaparerait la totalité des bénéfices72. La liberté est donc largement
accrue. Et l’on pourrait faire le même constat au sujet du droit
de préemption organisé par les articles 815-14 et 815-15 73 : les
indivisaires pourraient sans doute y faire obstacle en supprimant
l’agrément dans la société en participation74.

29. Conséquences. La libéralisation de l’indivision via la technique


sociétaire appelle trois remarques.

La première est que, lorsque des indivisaires s’entendent pour


déroger aux règles impératives de l’indivision, par exemple pour
interdire le partage de l’indivision pendant une durée supérieure
à cinq ans, cette convention ne devrait être sanctionnée ni par la
nullité ni même par la simple réduction de l’accord aux cinq années
légalement admises mais, sous réserve sans doute que d’autres
indices inclinent à conclure dans le même sens, au simple constat

68. C. civ., art. 1844.


69. C. civ., art. 815-2 et -3.
70. C. civ., art. 1873-6 sq.
71. C. civ., art. 815-10 al. 4.
72. C. civ., art. 1844-1 al. 2.
73. Lequel joue pareillement lorsqu’existe une convention d’indivision : art. 1873-12.
74. Celui-ci n’est nullement érigé en disposition impérative par l’article 1871.
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28 droit et ville

que les indivisaires se trouvent associés au sein d’une société en


participation75.

Le second est que l’influence ne se fait pas toujours à sens unique, les
règles de la société assouplissant celles de l’indivision. Le législateur
permet ainsi que le partage des biens indivis soit possible alors même
que la société n’est pas dissoute, à condition qu’une clause expresse
l’autorise76. C’est dire que la durée de la société ne conditionne pas
nécessairement celle de l’indivision, ce qui dote la seconde d’une
réelle autonomie, qui semble néanmoins problématique. En effet,
si le bien indivis dont le partage est demandé est le seul qui ait été
apporté par les indivisaires, il semblerait que l’apport, qui est une des
conditions d’existence de la société, disparaisse, ce qui doit entraîner
ipso facto la disparition de la société elle-même. Dans ce cas, ce
sont les règles de l’indivision qui conditionneraient la durée de la
société et non pas l’inverse. Il faudrait, pour qu’il en aille autrement,
considérer que le partage du bien indivis met fin à l’indivision mais
non à l’apport en ce sens que le lot attribué à chaque indivisaire doit
rester à la disposition de la société.

Le troisième est que, par effet réflexe, on peut s’interroger sur la


rigidité des règles présidant à l’organisation de l’indivision. Le
législateur raisonne ici avec, à l’esprit, deux dogmes, celui de la
liberté contractuelle pour la matière des sociétés et celui de l’ordre
public des biens77 pour l’indivision. A la liberté pleinement reconnue
aux associés 78 s’opposent les règles d’ordre public régissant
l’indivision, qu’il s’agisse de son régime de droit commun ou de
la convention susceptible de l’organiser, la liberté des indivisaires
ne pouvant s’épanouir que dans les strictes limites des prévisions
du législateur. Mais que vaut d’étayer des règles sur des principes
si différents s’il est loisible aux indivisaires de recouvrer la liberté
qui leur manque en greffant une société sur leur indivision ? Le
législateur de 1978 semble avoir voulu trouver une manière de
rationnaliser les choses en distinguant les relations entre les

75. En ce sens, Cass. com., 18 nov. 1997, n° 96-10999 ; RTD com. 1998 p. 710 obs. F.
Deboissy.
76. C. civ., art. 1872-2 al. 2.
77. Le projet de réforme du droit des biens présenté par l’association H. Capitant des amis
de la culture juridique française ne prévoyait-il pas, dans sa version initiale, l’insertion dans
le Code civil d’un article 516 inaugural énonçant que « les dispositions du présent livre sont
d’ordre public, sauf dispositions contraires » ?
78. C. civ., art. 1871 al. 2.
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droit et ville 29

indivisaires, auxquelles la société permettrait de donner une très


grande souplesse et les relations envers les tiers qui demeureraient
obéir au droit de l’indivision. Mais la distinction est d’une mise
en œuvre ardue car il est par nature délicat qu’un acte soit valable
entre certaines personne et non vis-à-vis d’autres, d’autant qu’on
peut penser de surcroit que si la société en participation est révélée
à l’égard des tiers, rien ne devrait interdire que les règles qui la
régissent leur soient pleinement opposables79.

B. L’indivision, une communauté

30. Indivision et propriété collective. L’indivision, dans le Code


civil de 1804 et dans l’esprit des auteurs, est une projection de la
propriété exclusive de l’article 544. Non seulement elle a vocation
à s’y réduire par le partage, mais sa modélisation intellectuelle
même s’est opérée sur l’image de la propriété exclusive.
L’indivision n’est rien d’autre qu’une situation de concours de
plusieurs droits de propriété sur un même objet. Cette manière
de raisonner est éminemment paradoxale car elle prétend saisir le
collectif par l’exclusif. Nulle surprise alors à ce qu’elle porte son
lot de difficultés théoriques et pratiques.

Elle n’est heureusement pas la seule. La propriété collective, même


si elle est beaucoup moins familière au juriste français80, offre une
tout autre approche de la problématique dont découle un régime
juridique profondément différent de celui de l’indivision.

Or, si l’on fait l’effort d’isoler les traits caractéristiques du régime


de la propriété collective pour les confronter à ceux de l’indivision,
l’évidence s’impose. Toutes les réformes opérées par le législateur
depuis 1976 en matière d’indivision puisent à une même source :
la propriété collective. Il en résulte que le régime de l’indivision,
tel qu’on le connaît aujourd’hui en droit français, participe d’un
savant équilibre entre la tradition romaine qui envisage la propriété

79. Sur l’idée que le critère de la révélation de la société en participation aux tiers est d’une
considération majeure : F. Dekeuwer-Defossez, op. cit. n° 9 sq.
80. Le droit positif en offre pourtant de multiples illustrations, soit jurisprudentielles
(statut des sépultures ou des souvenirs de famille) soit légales, dont la plus éclatante est le
statut des biens communs aux époux. Loin d’être une forme particulière d’indivision, la
communauté est -il faut ici faire confiance aux mots- une propriété commune, c’est-à-dire
collective.
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30 droit et ville

plurale sur le modèle de la propriété individuelle et exclusive et la


tradition coutumière qui fonde la propriété plurale sur la cohésion
d’un groupe social particulier.

31. Divergences quant à la gestion de la chose. Appréhender la


propriété plurale à travers le prisme de la propriété individuelle,
autrement dit raisonner comme on le fait en matière d’indivision,
implique de se référer à l’article 544 pour trancher la question
des pouvoirs des indivisaires sur la chose. Ce texte autorisant le
propriétaire à user librement de son bien, il est impropre à fournir
un principe de gestion efficient en cas de concours de plusieurs
propriétaires sur un même bien : leur conflit serait immédiat. L’astuce
consiste alors à dénouer la difficulté en retenant une approche
« négative » des pouvoirs que l’article 544 confère au propriétaire.
Si, positivement, il peut faire ce qu’il veut de la chose, négativement,
la règle implique que rien ne puisse être fait de sa chose sans qu’il ne
le veuille : l’article 544 impose le principe d’unanimité. La propriété
collective obéit à d’autres principes. La chose étant mise en commun
dans l’intérêt de tous, c’est l’intérêt commun qui doit présider à sa
gestion sans qu’aucun puisse s’opposer par caprice à un acte utile.
Le principe de majorité s’impose.

En faisant constamment reculer l’unanimité devant la majorité,


non seulement pour les actes d’administration courante des biens
indivis mais encore pour leur disposition même, cela qu’il s’agisse
de céder un meuble pour acquitter le passif81 ou, depuis 2009, un
immeuble sans autre considération que cette aliénation « ne porte
pas une atteinte excessive aux intérêts des autres indivisaires »82, le
législateur fait rentrer avec éclat la logique de la propriété collective
au sein de l’indivision.

32. Distinction quant à la disposition de son droit par le propriétaire.


L’indivisaire est avant tout un propriétaire. Comme tel, il peut
disposer librement du droit concurrent qu’il a sur la chose pour
le céder à titre gratuit ou à titre onéreux ou le transmettre à cause
de mort ; sous cette seule réserve que, ne pouvant disposer au
profit d’autrui de davantage de droits qu’il n’en a lui-même, le

81. C. civ., art. 815-3.


82. C. civ., art. 815-5-1.
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droit et ville 31

cessionnaire ne peut obtenir qu’un droit concurrent et non exclusif


sur la chose83.

La propriété collective conduit à des solutions très différentes.


Historiquement, la mise en commun de biens s’est opérée en
considération de l’appartenance de l’individu à une communauté,
villageoise ou professionnelle notamment, cette appartenance
conditionnant l’attribution d’un droit sur la chose commune. Ainsi,
l’accès à l’usage des biens communaux était subordonné à la qualité
de villageois. Raisonner ainsi rend la cession ou la transmission du
droit par son titulaire sans objet, car de deux choses l’une :
- ou bien le cessionnaire est membre de la communauté et il a alors
un accès personnel à la chose commune sans avoir nullement besoin
qu’on le lui cède,
- ou bien il ne l’a pas et il ne peut jamais prétendre à l’usage de cette
chose, cession ou pas.
Autrement dit, la perte et l’acquisition du droit collectif ne s’opère
pas selon la logique patrimoniale classique du droit individuel mais
selon un critère d’intuitu personae. La propriété collective a ceci de
singulier qu’elle se trouve dépouillée de toute valeur d’échange pour
être ramenée à sa seule valeur d’usage : c’est seulement à l’utilisation
de la chose commune que ses propriétaires peuvent prétendre.

33. Conséquences dans le régime de l’indivision. Il est évident


que, de ce point de vue, la logique de l’indivision romaine continue
d’imposer sa marque : l’indivisaire peut céder sa quote-part dans le
bien indivis, à titre gratuit ou onéreux, et celle-ci se transmet à ses
héritiers à cause de mort. Néanmoins, l’instauration d’un droit de
préemption au profit des coïndivisaires en cas de cession entre vifs
de la quote-part indivise est révélatrice de l’influence souterraine
qu’exerce l’esprit de la propriété collective sur les règles de droit
positif. Le législateur impose en effet à « l’indivisaire qui entend
céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l’indivision, tout
ou partie de ses droits dans les biens indivis (…) de notifier (…) aux
autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée

83. On observera que, pour mieux asseoir cette solution et la rattacher plus fermement
encore au modèle de la propriété individuelle, la doctrine a réussi ce tour de force de
restaurer la propriété exclusive au sein de l’indivision, au moyen d’un artifice conceptuel.
Puisque la chose indivise elle-même (le meuble, l’immeuble) est sujette à la concurrence de
plusieurs droits réels de propriété, la doctrine a créé ex-nihilo un objet spécifique incorporel,
la « quote-part », destiné à devenir l’objet de la propriété exclusive de l’indivisaire.
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(…) »84, ses pairs se voyant reconnaître un droit de préemption dans


le mois suivant la signification. Il est significatif que la loi impose,
outre la précision du prix et de la chose, la mention des nom, domicile
et profession du cessionnaire pressenti. Cette exigence lève le voile
sur le ressort profond de l’institution : il s’agit moins de faciliter la
gestion du bien indivis en réduisant le nombre des indivisaires que
de protéger le groupe contre l’irruption d’un étranger. La procédure
de préemption est en réalité une procédure d’agrément, telle qu’on
la connaît dans les sociétés de personnes85. Et l’on ajoutera que
l’intrusion d’un tiers au sein de la communauté des indivisaires étant
pareillement à craindre si l’on permet aux créanciers personnels des
indivisaires de faire saisir leur part indivise en vue de sa licitation, le
second alinéa de l’article 815-17 du Code civil l’interdit-il, le droit
de substitution ouvert par l’article 815-15 en cas d’adjudication
n’ayant pas été jugé suffisant à protéger la communauté86.

34. Divergence quant au partage de la chose. Le partage constitue


une pièce fondamentale du régime de l’indivision, car est indivis ce
à quoi il manque encore d’avoir été divisé. Dans la logique du Code
civil, le partage éteint la situation de concurrence de propriétaires
perçue comme pathologique en permettant le retour à la norme, la

84. C. civ., art. 815-14. Cette disposition est l’héritière du retrait lignager.
85. La protection de la communauté des indivisaires qui est au fondement de
l’institution justifie que, lorsqu’il est stipulé que le cessionnaire du droit
indivis aura la faculté de se substituer un tiers, une nouvelle signification aux
coïndivisaires soit exigée en cas de mise en œuvre de cette faculté, à peine de
nullité de la cession (Cass. 1re civ., 28 janv. 2009 : n° 07-18120 ; Bull. civ. I
n° 18 ; JCP G 2009, I, 127 n°8 obs. H. Périnet-Marquet ; D. 2009 p. 2310 obs. B.
Mallet-Bricout). On remarquera de surcroît que dans l’hypothèse d’indivisions
complexes, c’est-à-dire portant l’une sur l’usufruit, l’autre sur la nue-propriété,
d’un point de vue technique, le droit de préemption ne devrait pouvoir s’exercer
qu’au sein de chaque indivision : l’absence de toute indivision entre l’usufruit et
la nue-propriété devrait interdire qu’un nu-propriétaire puisse préempter un droit
d’usufruit indivis et réciproquement. Si l’article 815-18 al. 2 autorise néanmoins
une telle préemption (ou substitution) à titre subsidiaire, c’est parce qu’au-delà de
la stricte technique juridique, le législateur entend reconnaître qu’usufruitiers et
nus-propriétaires font partie d’une même communauté.
86. Il est néanmoins quelque peu paradoxal d’observer que le législateur préfère
prendre le risque que la communauté des indivisaires se désagrège suite à une
demande en partage plutôt que de permettre qu’elle perde sa cohérence initiale du
fait de l’irruption d’un tiers. Ce n’est que lorsque les indivisaires, par l’effet d’une
convention d’indivision, ont choisi d’écarter tout partage (C. civ., art. 1873-3), que
leurs créanciers personnels, faute alors de pouvoir demander le partage, recouvrent
la possibilité de saisir le droit indivis. Il n’était pas admissible que la valeur que
ce dernier représente soit mise durablement à l’abri de leur droit de gage général.
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propriété exclusive. Chaque indivisaire doit donc pouvoir l’exiger


à tout moment. A l’exact opposé, la propriété collective ne donne
presqu’aucune place au partage. C’est volontairement que la chose
est placée sous une maîtrise plurale car c’est ainsi qu’on espère
atteindre la maximisation de son utilité économique. Tenue en main
commune, la chose a vocation à y demeurer.

L’influence de la propriété collective au sein de l’indivision se


manifeste nettement au travers du recul du droit au partage. Si le
principe demeure que « nul ne peut être contraint de demeurer dans
l’indivision et le partage peut toujours être provoqué », cela ne vaut
qu’« à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention »87.
La possibilité de conclure une convention d’indivision interdisant
tout partage pour une durée de cinq années88, la technique du maintien
dans l’indivision89, le sursis au partage90 ou encore l’attribution
éliminatoire91 témoignent toutes de la volonté de pérenniser les
indivisions, au moins tant que la communauté qu’elles servent a
besoin de cette mise en commun des biens.

35. Passif de l’indivision. Enfin, la dimension communautaire de


l’indivision s’incarne nettement si l’on envisage le cas des créances et
des dettes nées à propos de l’indivision et obligeant non les tiers mais
les indivisaires eux-mêmes. En principe, de telles dettes ou créances
devraient se diviser entre tous les indivisaires par application de
l’article 1220 du Code civil et faire l’objet d’un paiement immédiat
par (ou à) chacun d’eux à hauteur de leur droit dans l’indivision.
Tenir que les indivisaires forment entre eux une communauté
d’intérêts inscrite dans la durée justifie une autre logique, laquelle
s’incarne dans le mécanisme du compte d’indivision. Parce que les
biens mis en commun ont vocation à être utilisés sur un temps long,
elle implique presqu’à coup sûr que les indivisaires deviendront

87. C. civ., art. 815.


88. C. civ., art. 1873-3.
89. L’article 821 du Code civil permet aux descendants mineurs du défunt ou à
son conjoint survivant de solliciter que toute entreprise dépendant de l’indivision
successorale qui était exploitée par le défunt ou son conjoint soit maintenue
indivise, pour cinq ans en principe, la mesure pouvant toutefois être renouvelée
jusqu’à la majorité du dernier des enfants ou jusqu’au décès du conjoint. L’article
821-1 prévoit une solution similaire pour le local à usage d’habitation ou
professionnel et aux objets mobiliers le garnissant qui, au jour du décès, étaient
effectivement affectés à cet usage par le défunt ou son conjoint.
90. C. civ., art. 820.
91. C. civ., art. 824.
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chacun, et tour à tour, débiteur et créancier de sommes diverses


relativement à leur gestion et à leur utilisation. Permettre à chacun
des membres de la communauté d’exiger le paiement immédiat de ce
qui lui est dû et lui imposer en retour qu’il paye sans retard ce qu’il
doit aux autres serait faire primer une logique individualiste. L’idée
communautaire justifie au contraire que l’ensemble de ces dettes
et créances soit seulement comptabilisé, sans pouvoir faire l’objet
d’un règlement immédiat. Ce n’est que lorsque la communauté
disparaîtra, ici par le partage de l’indivision, que le compte sera
arrêté, seul son solde donnant lieu à règlement92. Autrement dit, la
solidarité des membres du groupe justifie la paralysie du règlement
des dettes et des créances qui peuvent naître entre eux relativement
à leur intérêt commun et cela tant que perdure cet intérêt, ce qui
confère à ces dettes et créances un statut particulièrement original.

36. Conclusion. En définitive, la clé de l’évolution du droit


de l’indivision se découvre dans l’inflexion de la conception
individualiste qui la fonde par l’idée communautaire. Si cette idée
communautaire est très présente dans le contrat de société, ce n’est
pas pour autant qu’il faille aller jusqu’à dire que l’indivision se
confond nécessairement avec une société, encore moins qu’il faille
y voir une personne morale. Plus modestement, le régime actuel
de l’indivision rend aujourd’hui hommage à une autre forme de
communauté, celle qu’incarne un modèle méconnu de la propriété
plurale, la propriété collective.

92. C. civ., art. 867.

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