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La politique de l'eau : de la concurrence à la coordination

SOCIÉTÉ CIVILE ET NOUVELLES FORMES DE PARTENARIAT POUR


L'ACCÈS À L'EAU DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

Catherine Baron

IRIS éditions | « Revue internationale et stratégique »

2007/2 N°66 | pages 79 à 92


ISSN 1287-1672
ISBN 9782247074105
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2007-2-page-79.htm
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RÉSUMÉ ABSTRACT q
/ Catherine Baron Laboratoire d’études et de recherches sur l’économie, les
politiques et les systèmes sociaux (LEREPS), Université de Toulouse-I

Société civile et nouvelles formes


de partenariat pour l’accès à l’eau
dans les pays en développement

Depuis les années 1990, les politiques du Civil Society and New Patterns of
développement dans le domaine de l’eau, Partnership for Access to Water in
s’inscrivent dans une logique ascendante Developing Countries
attribuant aux ONG une place de premier
plan. Néanmoins « la bonne gouvernan- Since the 1990s, water development policies
have been in keeping with a bottom-up logic,
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ce » de l’eau exige une articulation entre
les différents niveaux de décision. Or in which NGOs are very much in the fore-
celle-ci butte sur des décalages entre dis- ground. However, the “good governance” of
cours et pratiques : le dogme de l’empower- water requires that the different levels of
ment aboutit à ce que la dimension locale decision-making should be well-articulated.
reste confinée à l’opérationnalisation de But discrepancies between discourses and
règles définies au niveau global. Cette practices make this difficult to achieve : the
approche « idéalisée », fondée sur l’injonc- dogma of empowerment implies that the local
tion à la participation de la société civile, ne dimension remains limited to the application
tient pas compte des jeux de pouvoir entre of rules defined at a global level. This ideali-
les acteurs autour de la question de l’accès zed approach is built on the injunction to the
à l’eau. Une véritable participation participation of civil society, but it does not
requiert au contraire la coconstruction des take into account the political games at stake
règles et doit être continuellement négo- between the actors over the question of the
ciée, tant elle ne peut être simplement access to water. On the contrary, a real parti-
décrétée. cipation requires that rules should be co-
constructed, and it must be constantly nego-
tiated as it cannot simply be ordered.
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DOSSIER

LA POLITIQUE DE L’EAU : DE LA CONCURRENCE


À LA COORDINATION

Société civile et nouvelles formes de partenariat


pour l’accès à l’eau dans les pays en développement
/ Catherine Baron Laboratoire d’études et de recherches sur l’économie, les politiques
et les systèmes sociaux (LEREPS), Université de Toulouse-I

Il existe, depuis les années 1990, une convergence des discours des acteurs du développe-
ment pour conférer à la société civile, et aux ONG en particulier, une place centrale dans
les nouveaux dispositifs du développement et de l’aide. Cette évolution concerne divers
domaines, notamment celui de l’eau. Elle s’inscrit dans un contexte particulier caractérisé
par une exacerbation de la pauvreté et des inégalités dans les pays en développement qui
a suscité une vive critique des plans d’ajustement structurel à la fois par leurs initiateurs 1,
par d’autres organismes internationaux (Conférence des Nations unies pour le commerce
et le développement — CNUCED, et autres instances de l’ONU), mais aussi par de
nombreux acteurs de terrain (dont certaines ONG) et des mouvements altermondialistes.
Rapidement, ces institutions internationales vont procéder à la reformulation de leur dis-
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cours, notamment en affichant la volonté d’intégrer un volet social pour promouvoir un
« ajustement à visage humain » et en mettant en avant des concepts (ceux d’empowerment,
de participation, de « développement par le bas », de développement endogène, etc.) qui
relevaient plus jusqu’alors d’approches « alternatives » du développement.
Cette rupture, présentée comme un revirement tant au niveau de la doctrine que des
politiques, renvoie à une nouvelle manière de considérer la coordination entre des acteurs
aux logiques variées et parfois contradictoires. Alors qu’auparavant, le modèle de dévelop-
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pement, qualifié de « développement par le haut », s’inscrivait dans une vision hiérar-
chique des rapports de pouvoir entre autorités publiques centrales et acteurs locaux, la
volonté de conférer aux acteurs locaux le pouvoir de définir les objectifs socio-écono-
miques à atteindre suppose de forger de nouveaux modèles préconisant un « développe-
ment par le bas ». Ainsi, à une vision hiérarchique, pyramidale, du pouvoir succéderait
une approche horizontale en termes de réseau que la notion de « gouvernance » refléte-
rait. La gouvernance renvoie en effet à une interdépendance entre des acteurs, privés,
publics voire même associatifs (ONG) supposés se situer sur le même plan quant à leur

1. La remise en cause par J. E. Stiglitz, économiste reconnu au sein de la Banque mondiale, de la politique menée par
le FMI, a médiatisé cette rupture. J. E. Stiglitz, La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002.
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pouvoir de décision 1. Il en découle une nouvelle approche du pouvoir fondée sur le


dialogue et le consensus entre les différentes « parties prenantes » (stake holders).
Cependant, le décalage entre discours et pratiques est important. Afin de le montrer, nous
aborderons dans une première partie la difficile articulation entre niveaux, malgré les dis-
cours attestant du nécessaire emboîtement des échelles locales et globales. Puis, dans un
deuxième temps, nous montrerons les ambiguïtés du rôle de certains acteurs de la société
civile dans l’élaboration de nouvelles formes de partenariat dans le domaine de l’accès à l’eau.

La « bonne gouvernance de l’eau » ou la difficile articulation


des échelles globale et locale
La référence à la « bonne gouvernance » de l’eau vise à promouvoir un mode de gestion
des affaires publiques fondé sur la participation de la société civile et des acteurs écono-
miques privés, en insistant sur les interactions entre les dynamiques transnationales, les
logiques nationales et les initiatives locales, ce qui suppose un emboîtement des différentes
échelles. Ainsi, dans le domaine de l’eau, les règles élaborées au niveau global sont suppo-
sées être appropriées par les acteurs locaux, et appliquées suite à des consensus entre
acteurs représentant ces différents niveaux. Nous nous interrogerons, dans cette partie,
sur les décalages qui existent entre discours et pratiques dans ce domaine.

Des règles de « bonne gouvernance » de l’eau définies au niveau global


Pour ce qui concerne la question de l’accès à l’eau, on constate que les règles sont définies
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à l’échelle globale, le global renvoyant au niveau supranational dans la mesure où la plupart
des décisions émanent des institutions internationales. Le local est pris en compte a posteriori,
à travers la volonté de conférer du pouvoir aux acteurs locaux (collectivités locales, acteurs
de la société civile, ONG, etc.) dans la mise en application de ces règles. Ainsi, coordina-
tions horizontale et verticale se succèdent dans le temps plus qu’elles ne s’emboîtent.
Cette élaboration des règles à l’échelle internationale a même connu un renforcement
au cours de ces dernières années. Ainsi, les Nations unies ont défini des programmes
d’action dès 1977 (Conférence de Mar del Plata), avec une forte implication dans les
années 1980 lors de la mise en œuvre de la Décennie internationale de l’eau potable et
de l’assainissement (DIEPA, 1981-1990), qui proposait un accès généralisé à l’eau selon
des modalités conventionnelles (accès individualisé pour tous). Le revirement des années
1990 lors de la Conférence de New Delhi, qui constatait l’échec de ces propositions, n’a
pas remis en cause leur implication dans ce domaine. Dans la formulation des Objectifs du
millénaire pour le développement élaborés par l’ONU (septembre 2000), présentés comme le
cadre de toute politique de développement auquel se sont ralliées la plupart des institutions

1. C. Baron, « La gouvernance : Débats autour d’un concept polysémique », in Droit et Société, Paris, LGDJ, no 54,
juin 2003, p. 329-351.
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internationales, il est précisé dans l’objectif 7 1, cible 10 : « D’ici 2015, réduire de moitié
le pourcentage de la population qui n’a pas accès à l’eau potable et aux services d’assainisse-
ment ». Enfin, le dernier rapport du PNUD, intitulé « Au-delà de la pénurie : pouvoir,
pauvreté et crise mondiale de l’eau », atteste de la priorité donnée à cette problématique 2.
Si l’ONU a tracé les grandes orientations, ce sont les bailleurs de fonds (Banque mon-
diale, FMI) qui ont conçu les outils afin de financer ces propositions. Ainsi, de nom-
breuses institutions et de multiples rapports ont été élaborés au cours de ces dernières
années, accentuant la complexification et l’opacité des schémas institutionnels proposés.
Les orientations à suivre sont énoncées dans un document de politique générale sur
l’eau 3. Elles reposent sur une hypothèse non discutée : l’eau ne peut plus être considérée
comme un bien gratuit, elle a un coût économique et social qui doit être en partie
couvert par les usagers (Consultation de New Delhi, septembre 1990). La conférence de
Dublin (janvier 1992) entérine ce principe de l’eau comme bien économique, réaffirmé
à Rio en juin de la même année. Par ailleurs, l’opérationnalisation d’un service universel
passe par la création, à la fin de 2002, du Panel mondial sur le financement des infrastruc-
tures de l’eau, à l’initiative conjointe du Partenariat mondial pour l’eau, du Conseil
mondial de l’eau et du 3e Forum mondial de l’eau à Kyoto. Ce panel, présidé par l’ancien
président du FMI 4, a pour mandat de réfléchir à la mobilisation de moyens financiers
appropriés pour réaliser ces objectifs dans un contexte où l’aide publique au développe-
ment dans le domaine de l’eau a diminué.
L’ensemble de ces propositions converge vers une libéralisation des services publics tels
que le service de l’eau et préconise à cette fin le recours à des partenaires privés pour
mobiliser de nouvelles ressources financières. Connue sous le nom de partenariat public-
privé (PPP) 5, cette modalité s’est largement diffusée dans de nombreux PED au cours
de la décennie 1990, même si les pays africains sont moins engagés dans ces processus,
avec des résultats très diversifiés. Dans ce contexte de « crise », les entrepreneurs privés
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ont suscité « une modification des règles du jeu à leur profit dans le but de s’approprier
une série d’activités accomplies jusque-là par des acteurs publics » 6.
Cependant, depuis le début des années 2000, les résultats sont décevants. Certains
évoquent l’absence de régulation et de cadres institutionnels adéquats, d’autres justifient
le désengagement des opérateurs privés par le manque de bénéfices et la trop grande prise
de risques dans des environnements très incertains. Ainsi, les bailleurs de fonds insistent
sur la nécessité d’innover d’où un élargissement de la formule des PPP aux acteurs locaux,
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notamment ceux de la société civile et des ONG en particulier, qui sont désignées
comme les partenaires clés du développement.

1. L’objectif 7 est intitulé : « Assurer un développement durable ».


2. PNUD, « Au-delà de la pénurie : pouvoir, pauvreté et crise mondiale de l’eau », in Rapport mondial sur le développe-
ment humain 2006, New York, Éd. Economica, 2006.
3. World Bank, « Water resources management », Policy Paper, Washington, 1993.
4. J. Winpenny, « Financing Water for All », in M. Camdessus, Report of the World Panel on Financing Water Infrastruc-
ture, World Water Council, mars 2003.
5. F. Marty, S. Trosa, A. Voisin, Les partenariats public-privé, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2006.
6. J. P. Peemans, Crise de la modernisation et pratiques populaires au Zaïre et en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1997.
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Nature de l’articulation des échelles locales et globales


Cette définition hiérarchique des règles à l’échelle globale devrait être couplée, selon les
institutions internationales, avec une représentation horizontale de la gouvernance. Ainsi,
l’ensemble des dispositifs convergent vers la principale recommandation, à savoir la partici-
pation de la société civile, et notamment des ONG, dans la perspective de valorisation de
la dimension locale du développement, la notion d’empowerment étant utilisée pour en
rendre compte. En intégrant cette dimension participative, élément clé du processus de
démocratisation 1, les institutions internationales modifient en profondeur leur discours,
en dépassant les seules recommandations d’ordre économique (respect des grands équilibres
macroéconomiques). Un revirement s’opère aussi quant à la méthode ; dans la mesure où
elles affichent la volonté de se dégager de modèles « clé en main », elles vont fonctionner
au cas par cas, ou avec des objectifs intermédiaires, comme en témoignent les nouveaux
outils tels que les Documents stratégiques de réduction de la pauvreté (DSRP).
Ceux-ci sont supposés être élaborés de façon endogène par les gouvernements avec la
participation des populations elles-mêmes ; ils reposent donc sur la concertation 2. L’origi-
nalité de cet outil est pourtant contestée par certains 3 dans la mesure où les critères
restent soumis à des mesures de libéralisation, comme c’était le cas des plans d’ajustement
structurel. Ces documents sont d’ailleurs directement liés à des critères financiers car, en
contrepartie de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), les pays doivent les mettre
en œuvre sous l’égide du FMI et de la Banque mondiale. La construction de critères
quantitatifs permet le suivi et l’évaluation régulière des résultats attendus. La probléma-
tique de l’eau et de l’environnement représente un domaine privilégié, les gouvernements
s’engageant à améliorer le taux d’accès à l’eau potable grâce aux ressources issues de
l’initiative PPTE. Ainsi, le gouvernement sénégalais affiche par exemple une amélioration
nette des taux d’accès qui atteindraient 90 % en 2004, en milieu urbain, grâce aux pro-
grammes de branchements sociaux ainsi financés. Enfin, à la différence de la période
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précédente où l’on privilégiait une évaluation quantitative de l’accès à l’eau (taux de
couverture, financement), on met désormais l’accent sur une évaluation qualitative (expé-
rimentations innovantes, participation des financements locaux, etc.).
D’autres dispositifs institutionnels valorisent l’échelle locale. Dans de nombreux pays
africains, la décentralisation a été présentée comme la nouvelle modalité de mise en
œuvre des politiques publiques 4. Elle est fondée sur trois principes : l’appropriation des
politiques de développement par les différents acteurs ; la participation de l’ensemble des
acteurs (autorités publiques, société civile, communauté internationale, entreprises) et la
responsabilisation des acteurs locaux. Ces acteurs locaux désignent aussi bien les collecti-
vités publiques décentralisées que les acteurs de la société civile, sans que ces derniers ne

1. M. H. Bacqué, Y. Syntomer, Gestion de proximité et démocratie participative : les « nouveaux » paradigmes de l’action
publique, Paris, La Découverte, 2003.
2. J. P. Cling, M. Razafindrakoto et F. Roubaud (sous la dir.), Les nouvelles stratégies internationales de lutte contre la
pauvreté, Éd. DIAL et Economica, 2002.
3. Cette question émane d’instances internationales telles que la CNUCED qui titrait un récent rapport (2002) : Le dévelop-
pement économique en Afrique. De l’ajustement à la réduction de la pauvreté : qu’y a-t-il de nouveau ?.
4. M. Totté, T. Dahou, R. Billaz (sous la dir.), La décentralisation en Afrique de l’Ouest (Entre politique et développement),
Paris, Cota-Karthala-Enda-Graf, 2003.
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soient précisément définis, ni que leur légitimité ne soit discutée. La décentralisation va


avoir une incidence sur la manière de considérer le secteur de l’eau.
En effet, ces reconfigurations institutionnelles vont engendrer l’émergence de nou-
veaux acteurs clés dans ce secteur, mais aussi de nouvelles formes de coordination. L’État,
s’il se désengage, conserve néanmoins une légitimité juridique puisque c’est lui qui est
supposé élaborer une politique générale (code de l’eau...), assurer les investissements de
long terme dans les infrastructures et fixer, à travers différents types de contrats (de
concession, d’affermage, etc.), les conditions de participation des autres acteurs, notam-
ment des opérateurs privés. Cette idée de contractualisation est essentielle car, même si
elle est débattue et critiquée, elle constitue le fondement même du modèle de partenariat
public-privé, la forme contractuelle permettant « d’estimer des risques acceptables »
(Vivendi-Water) 1. L’État conserve par ailleurs certaines de ses missions de service public,
en tentant de respecter des objectifs de solidarité, par exemple à travers les branchements
sociaux ou des tarifications subventionnées (tarification sociale). De plus, les règles de
« bonne gouvernance » appliquées au secteur de l’eau supposent des transformations orga-
nisationnelles, de nouveaux modes de gestion (avec des règles de new public management,
une lutte contre la corruption), et une plus grande efficacité, notamment au niveau de la
gestion financière et de la lutte contre les gaspillages.
Cependant, dans la mesure où les efforts financiers de la communauté internationale
ne suffiront pas, les acteurs locaux (collectivités locales, mais aussi communautés locales,
organisations non gouvernementales) doivent s’impliquer de façon plus directe 2. Les
collectivités locales ont une reconnaissance légale et se voient attribuer des compétences
en matière de gestion de l’eau. Cependant, peu de pays disposent de véritables budgets
pour permettre à ces acteurs locaux d’assurer ces missions. Ainsi, dans la mesure où les
collectivités locales deviennent les nouveaux acteurs dépendant des financements exté-
rieurs des bailleurs de fonds pour les investissements dans les services de l’eau, la dimen-
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sion locale reste conditionnée par des règles définies au niveau global.
Le manque de moyens des acteurs institutionnels et la mise à disposition de nouveaux
outils d’aide vont renforcer la participation d’acteurs locaux tels que les ONG ou d’autres
acteurs de la société civile. Les mutations dans le domaine de la coopération en attestent.
On passe d’une conception de l’aide en termes de « coopération » vers des relations de
« partenariat ». De même, dans la mesure où l’aide publique au développement va
connaître une diminution significative (voir la politique de l’Agence française de dévelop-
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pement), de nouvelles modalités de financement des projets d’accès à l’eau potable sont
à initier 3. C’est dans ce sens que certaines lois vont être élaborées, notamment la loi
Oudin (janvier 2005) en France dont l’objectif est de rendre les nouvelles sources de
financement plus accessibles et plus facilement mobilisables dans le cadre de la coopéra-
tion décentralisée.

1. Propos recueillis lors de la Conférence mondiale de La Haye, novembre 2000, par Nicole Mari auprès de Robert
W. Pierce, directeur Afrique de Vivendi-Water.
2. PS-eau (Programme solidarité eau), Lettre, « Le rôle majeur des collectivités locales africaines face aux objectifs du
millénaire », no 52, octobre 2006.
3. Ministère des Affaires étrangères, Stratégie sectorielle : eau et assainissement, mai 2005.
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Ces évolutions récentes sont ambiguës dans leur manière d’aborder la participation des
acteurs locaux. On peut en effet se demander s’il s’agit d’une injonction à la participation
recommandée par les bailleurs de fonds, ou d’une participation endogène qui pourrait
aussi être considérée comme le désengagement des autorités publiques d’un domaine qui
relève pourtant de leur mission de service public ?

Gouvernance locale de l’eau et dynamiques participatives :


des approches renouvelées
Un certain nombre de difficultés rencontrées par la mise en place de ces nouvelles confi-
gurations institutionnelles réside dans des ambiguïtés inhérentes aux modalités retenues,
notamment celle relative à la participation des acteurs de la société civile. Nous proposons
de discuter certains aspects qui constituent, de notre point de vue, des facteurs explicatifs
aux blocages rencontrés sur le terrain pour assurer un accès équitable à l’eau.

Au-delà de la « bonne gouvernance » de l’eau : des principes refondés


Face à une porosité croissante des frontières entre sphères publique et privée, face à une
multiplication du nombre d’acteurs intervenant dans le domaine de l’eau, le terme de
gouvernance semble s’être imposé. Pourtant, ce concept flou a engendré de nombreuses
polémiques 1, certains recommandant d’en abandonner l’usage. Si la plupart des travaux
s’accordent à montrer la nécessité de fonder le pouvoir politique sur une concertation
entre les acteurs publics, le privé et la société civile (syndicats, ONG, associations, etc.),
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c’est sur les modalités de ces nouvelles formes de partenariat que les oppositions sont les
plus tranchées.
Pour les tenants de la « bonne gouvernance » de l’eau, l’approche reste de nature nor-
mative dans la mesure où il s’agit d’identifier les conditions de réalisation d’une meilleure
efficacité des politiques publiques fondée sur la contractualisation. On s’accorde désormais
à penser que l’économie de marché ne peut exister sans intervention de l’État, mais l’État
ne doit renforcer l’action du marché que lorsque ce dernier connaît des « défaillances »,
comme ce peut être le cas dans le domaine des infrastructures. Ces interventions doivent
d’ailleurs être orientées vers des populations cibles, par exemple vers les plus démunis.
On définit, ex ante, les structures de gouvernance les plus efficaces. Dans ce cas, le poli-
tique reste subordonné aux contraintes du marché et de l’économique.
D’autres visions de la gouvernance existent et prennent le contre-pied des précédentes,
au sens où elles ne définissent pas a priori des formes de gouvernance efficaces. Ces
approches sont multiples et elles abordent, à des niveaux différents, les interactions entre
État, marché et société civile 2. Tout d’abord, elles posent comme hypothèse l’existence

1. C. Baron, op. cit.


2. Ibid.
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Société civile et nouvelles formes de partenariat pour l’accès à l’eau... / Catherine Baron 85

de formes alternatives à la coordination marchande. Par ailleurs, elles intègrent la question


du conflit, dépassant une vision idéalisée, consensuelle et aplanie de la coordination. Si,
pour beaucoup d’auteurs, les dimensions contractuelle, institutionnelle et participative de
la gouvernance sont difficilement conciliables, il convient pourtant de repérer à quelles
conditions des compromis institutionnalisés ont pu être élaborés face à des conflits de
logiques, et d’identifier les facteurs pouvant conduire à leur pérennisation. On s’interroge
alors sur la nature des compromis entre des modes de coordination des actions indivi-
duelles sur un marché, et des formes de coordination de nature collective, qu’elles s’inscri-
vent dans le champ de la sphère publique (État, collectivités locales) ou civique (de nature
communautaire, etc.) 1. La gouvernance n’émerge donc pas spontanément ou de façon
naturelle, elle résulte d’un conflit entre différentes parties prenantes conduisant à une
architecture institutionnelle originale qui traduit le compromis institutionnalisé 2. Face à
une « approche exogène de l’origine du pouvoir qui domine dans la mesure où le contrat
serait par exemple “instrumentalisé” au service de la légitimation de l’action politique »,
on propose une vision endogène où le concept de gouvernance offrirait une « piste à la
re-fondation politique, en ce qu’il tire les conséquences du constat de désenchantement
engendré par le fonctionnement actuel de la démocratie en proposant des solutions prag-
matiques » 3. Ainsi, il n’est pas possible de penser l’unicité d’un modèle de gouvernance
de l’eau ; le choix d’un modèle parmi d’autres résultant d’un compromis de nature politi-
que 4. Cette définition de la gouvernance est par conséquent en opposition avec celle de
la « bonne gouvernance », la plus souvent retenue.

De « l’injonction à la participation » à une participation négociée


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Participation et jeux de pouvoir
Comme nous l’avons précédemment précisé, la participation de la population est préconi-
sée dans la plupart des dispositifs de développement, qu’ils soient sur l’initiative des
agences de développement (Banque mondiale, Union européenne, AFD, etc.) ou des
acteurs du développement local (collectivités locales, société civile, etc.). Le recours systé-
matique à la notion d’empowerment, difficilement traduisible en français, en atteste. Ce
La revue internationale et stratégique, n° 66, été 2007

terme, récurrent dans le domaine de l’eau, renvoie à des acceptions très diverses qui
« oscillent entre des aspirations à un changement social provoqué par l’intervention et
des dimensions strictement managériales qui visent à favoriser l’expression des populations

1. O. Petit, De la coordination des actions aux formes de l’action collective : une exploration des modes de gouvernance
des eaux souterraines, Thèse de doctorat en Sciences économiques, Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2002.
2. J. Ackerman, « Co-Governance for Accountability : Beyond “Exit” and “Voice” », World Development, vol. 32, no 3, 2003,
p. 447-463.
3. Compte-rendu de l’ouvrage de Arnaud Cabanes, Essai sur la gouvernance publique, Paris, Éditions Guarino, coll. « Fide
Citea »,2004, réalisé par Laurence Lemouzy, « Gouvernance : un constat sans concession, quelques solutions sans idéolo-
gie... », in Pouvoirs locaux, no 61, juin 2004.
4. C. Baron (sous la dir.), « Société civile et marchandisation de l’eau », Sciences de la Société, no 64, février 2005.
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pour faciliter une mise en œuvre consensuelle d’actions » 1. Ainsi, il est utilisé aussi bien
par les altermondialistes que par les bailleurs de fonds.
Or, de notre point de vue, la question de la participation des ONG, et plus générale-
ment de la société civile, dans la mise en œuvre de modalités adaptées pour un accès à
l’eau potable à destination des populations démunies ne peut faire l’impasse d’une analyse
du pouvoir et du conflit qui sous-tendent ces processus participatifs. En effet, dans de
nombreuses sociétés africaines, fortement hiérarchisées, « ne participe pas qui veut mais
celui qui a le statut qui le lui permet ou celui que les gens du pouvoir social autorisent...
D’où le questionnement sur la “représentativité” dans la participation » 2 qui est souvent
occulté. Ainsi, la légitimité est plus complexe qu’il n’y paraît a priori et dépasse les critères
énoncés par la Banque mondiale pour rendre effective la participation de la société civile
au niveau national 3, à savoir :
– la légitimité au sens où le groupe est habilité ou reconnu publiquement ;
– la représentativité dans la mesure où le groupe représente les intérêts et les besoins
d’un groupe de population ;
– la capacité car le groupe dispose des capacités organisationnelles et analytiques pour
remplir ses objectifs, énoncer ses demandes, défendre ses intérêts et pour participer au
dialogue national.
Il convient donc de passer d’une vision « idéalisée » de la participation des ONG et
des communautés locales qui évacue toute différenciation interne, vers une vision analy-
sant non seulement les conflits, mais surtout la diversité des compromis qui peuvent être
trouvés et pérennisés dans le cadre de dispositifs institutionnels locaux. Cette manière
d’aborder les processus participatifs relève d’une approche en termes de « gouvernance »
qui, comme nous l’avons précédemment souligné, intègre à part entière la question du
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pouvoir et ne dilue pas la question du conflit dans des dispositifs contractuels comme
cela transparaît par exemple dans les nouvelles modalités de partenariat public-privé asso-
ciant des ONG ou autres acteurs de la société civile dans l’accès à l’eau. Dans ce domaine,
une confusion est d’ailleurs souvent faite entre participation et partenariat. Si la participa-
tion repose sur le fait de vouloir attribuer formellement du pouvoir à des acteurs jus-
qu’alors marginalisés dans les prises de décision — telles que les ONG — alors le
partenariat, qui correspond à l’opérationnalisation de ce principe de participation, est
défini par la Banque mondiale comme le dialogue et la concertation des acteurs en
présence (État, société civile, communauté internationale, entreprises). Le partenariat
allant de pair avec des arrangements contractuels liant les parties à des formes de coopéra-
tion, on suppose souvent qu’il s’agit d’un consensus alors qu’il fait aussi intervenir des
enjeux de pouvoir rarement pris en considération. Ainsi, on évacue le conflit et les
relations de pouvoir asymétriques entre les acteurs qui ne disposent pas des mêmes infor-

1. Ph. Lavigne Delville et M. Mathieu, « Donner corps aux ambitions : le diagnostic participatif comme enjeu de pouvoir
et comme processus social », in Ph. Lavigne Delville, N. Sellamna et M. Mathieu (sous la dir.), Les enquêtes participatives
en débat : ambitions, pratiques, enjeux, Paris/Montpellier, Karthala/Gret/Icra, 2000, p. 497-536.
2. IRAM (Institut de recherches et d’applications des méthodes de développement), « De la participation à l’empower-
ment : entre la mise en condition et l’illusion de la prise de pouvoir ? », Journées d’étude IRAM, 5-6 septembre 2003.
3. Tikare et alii, 2001, cité dans IRAM, op.cit.
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Société civile et nouvelles formes de partenariat pour l’accès à l’eau... / Catherine Baron 87

mations, notamment lorsqu’il s’agit de conclure des contrats dans le domaine de la déléga-
tion de la gestion du service de l’eau.
Cette non-prise en compte de ces jeux de pouvoir masque parfois l’instrumentalisation
des acteurs de la société civile dans la mise en place de nouveaux dispositifs locaux d’accès
à l’eau. Cette instrumentalisation peut être du fait de différents types d’acteurs. Par exem-
ple, « les praticiens croient parfois créer de nouvelles institutions, alors qu’ils ne font en
fait que recombiner les rôles, les relations de pouvoir et de statuts existants. En réalité, les
institutions participatives ne sont jamais ni si nouvelles qu’elles apparaissent, ni une repro-
duction d’un passé idéalisé. Elles sont constituées, négociées, et contestées, dans le cadre des
structures de pouvoir existantes, qui peuvent elles-mêmes être en même temps appuyées et
contestées par des “médiateurs” de projets poursuivant leurs propres objectifs » 1.

Participation et contours flous de la société civile


La problématique de la participation nécessiterait aussi d’expliciter le terme de société
civile, et dans ce domaine, des ambiguïtés subsistent.
Si l’on considère les acteurs constituant la « société civile », de nombreux points de
vue se confrontent. Certains auteurs considèrent que, dans certaines sociétés, comme par
exemple en Afrique francophone, la société civile est composée d’acteurs hétérogènes
(organisations non gouvernementales, associations de quartier, acteurs informels, syndi-
cats, organisations professionnelles, etc.) qui fonctionnent selon des logiques parfois éloi-
gnées des principes de solidarité et de réciprocité qui caractérisaient les modes
d’organisation communautaire dans leur expression originale, notamment au niveau de
la gestion de l’accès à l’eau. Proposant une vision élargie de la société civile, d’autres
auteurs 2 suggèrent d’inclure aux côtés des « autorités coutumières », les nouveaux cour-
tiers du développement (liés à la coopération décentralisée), les groupes religieux, mais
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aussi les populations émigrées disposant de ressources liées à la migration internationale
et ayant une légitimité via la notabilité associative que leur a conférée, par exemple, la
construction d’infrastructures collectives au village. De plus, l’augmentation du nombre
d’associations villageoises de développement qui se veulent autonomes vis-à-vis des chef-
feries et des émigrés, atteste aussi d’un déplacement des limites de la société civile. Ces
associations locales participent, souvent en dehors de l’État et du marché, à la création
d’infrastructures communautaires, et s’inscrivent dans la volonté d’élaborer de nouvelles
La revue internationale et stratégique, n° 66, été 2007

règles pour participer aux affaires publiques du quartier ou du village.


Au-delà de la question des acteurs composant la « société civile », il convient de rendre
compte des débats qui portent sur la finalité de ces acteurs, notamment à travers la question
de leurs interactions avec le public et le privé. Dans une acception générale, la société
civile renvoie à un ensemble d’acteurs auto-organisés, indépendamment de l’État et du
marché. Une vision dichotomique est souvent privilégiée, opposant l’État comme garant

1. D. Mosse, « Local institutions and power : the history and practice of community management of tank irrigation systems
in South India », in N. Nelson et S. Wright (eds.), Power and participatory development ; theory and practice, London,
ITDG, 1995, p. 144-156.
2. IRAM, op.cit.
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88 DOSSIER / L’or bleu, nouvel enjeu géopolitique ?

d’une légitimité et la société civile présentée comme un contre-pouvoir. Or, la question


des liens entre État et société civile est complexe dans le cas des pays en développement, et
en Afrique en particulier. Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne de colonisation
française, la représentation de l’État nation a été pensée comme construction universaliste
fondée sur le rationnel et le formel/légal, censée dépasser les particularismes communau-
taires 1 et associée de ce fait à la modernité. Or, il existe diverses interprétations de ce
modèle. Ainsi, dans le domaine de l’eau, il convient de se dégager d’une représentation
« occidentale » de l’État comme seul garant de l’intérêt général, assurant aux couches
pauvres un accès aux services publics, et de s’interroger sur la place effective d’autres
acteurs dotés de moyens (humains, financiers, etc.) afin de remplir ces fonctions. L’analyse
de la manière dont la société civile s’est construite, de sa fonction sociale et de son rôle
dans le domaine de l’accès à l’eau potable pour les plus démunis, ne peut donc être
dissociée de la question de la construction des États, à la fois commune à de nombreux
pays africains, mais présentant des particularités dans ses évolutions en fonction des pays.
De même, l’opposition entre marché et société civile est devenue floue. Ceci transpa-
raît par exemple dans les discours de certaines institutions internationales qui ont une
utilisation « extensive » du terme de société civile, en en faisant un acteur de la sphère
privée comme cela ressort de la définition retenue parfois du partenariat public-privé. En
effet, la définition communément admise du partenariat public-privé est assez restrictive 2.
Cependant, dans le domaine des services de l’eau, lorsque la Banque mondiale évoque
un partenariat public-privé, le privé comprend non seulement les opérateurs privés, mais
aussi les associations, comités de quartiers et ONG, acteurs de la société civile. Ce glisse-
ment renvoie à une réalité : l’intégration de certaines ONG dans le cadre de logiques
marchandes qui caractérisent la sphère privée, bien que leurs fonctions et leurs finalités
les excluaient a priori de rationalités économiques.
Par conséquent, le sens conféré au terme de société civile a connu des glissements liés
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à un brouillage croissant entre les catégories d’analyse renvoyant au public, au privé et
au communautaire. Ceci a eu des répercussions dans le domaine de l’accès à l’eau.
Pour certains, l’implication de la société civile serait indissociable d’une « hybridation »
entre des principes relevant de l’État, du marché et de la solidarité. De nouveaux partena-
riats tripartites, instaurés dans le cadre du modèle de « partenariat trisectoriel » que l’on
pourrait dénommer les « 4P » (partenariat public-privé-participatif), rentreraient dans
cette configuration. Ce dispositif a été formalisé dans un document de référence, le
Business Partners for Development 3 ; il associe État, entreprises et ONG dans la mise en
place de certains modes de gestion de l’accès à l’eau.
On peut citer le cas de l’ONG Enda 4 (Enda Eau Populaire) qui, pour assurer l’accès
à l’eau à une grande partie des habitants des quartiers irréguliers de Dakar à partir des

1. J. F. Bayart, L’État en Afrique : La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989.


2. Dans sa définition la plus large, le terme « partenariat public-privé couvre toutes les formes d’association du secteur
public et du secteur privé destinées à mettre en œuvre tout ou partie d’un service public. Ces relations s’inscrivent dans
le cadre de contrats de long terme. » in Marty et alii, op.cit.
3. L. S. Prokopy, K. Komives, « Recouvrement des coûts dans les partenariats : résultats, attitudes, acquis et stratégies »,
Rapport, Business Partners for Development, 2000.
4. Enda Tiers Monde (Environnement et Développement du Tiers Monde) est une ONG internationale créée en 1972,
basée à Dakar (Sénégal) et initialement fondée comme un programme conjoint du Programme des Nations unies pour
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Société civile et nouvelles formes de partenariat pour l’accès à l’eau... / Catherine Baron 89

bornes fontaines, s’inscrit dans une démarche de formalisation de la relation tripartite


avec l’opérateur privé (SDE) et l’opérateur public (SONES) par le biais de la contractuali-
sation. Selon l’ONG, « la pérennisation de cette “initiative” passe nécessairement par une
plus grande formalisation (des contrats plus précis, avec un cahier des charges et des
indicateurs de performance) et une véritable institutionnalisation [...] » 1. D’autres moda-
lités de partenariat s’inscrivent dans le cadre de la coopération internationale et contri-
buent à une porosité croissante des frontières entre public, privé et associatif. C’est par
exemple le cas du Gret 2 qui se définit à la fois comme une « ONG professionnelle, un
bureau d’études associatif, un opérateur délégué de missions de service public, un lieu de
production et de diffusion de connaissances et de méthodes, une structure d’interface
entre acteurs du développement et de la coopération ». Dans le cadre de ses projets, il
analyse le positionnement institutionnel des ONG à la fois par rapport aux autorités
publiques locales, mais aussi par rapport aux opérateurs privés. Son action dans le domaine
de l’accès à l’eau potable est reconnue et, de par son inscription dans de nombreux
réseaux au Nord comme au Sud, cette organisation se trouve à l’interface de logiques
diverses relevant du public, du privé et de l’associatif. Ainsi, son action s’inscrit bien
dans ces nouveaux partenariats tripartites opérationnels dans la mesure où il apporte sa
« compétence en ingénierie sociale, [son] réseau de partenaires et [ses] implantations de
terrain ; les entreprises apportent des savoir-faire techniques et/ou un appui financier.
Le contexte de privatisation des entreprises publiques dans les pays du Sud, et le souci
d’internationalisation des PME, favorisent ce rapprochement entre les métiers de l’aide
au développement et le monde des entreprises ». Ce passage d’un rôle de contre-pouvoir
des ONG vers la construction de partenariats concerne cependant plus des ONG de
grande taille 3 qui ont une lisibilité à l’international et qui maîtrisent les dispositifs de
l’aide internationale, notamment dans le cadre de la coopération décentralisée 4.
Les ONG ou associations de petite taille, ancrées au sein de territoires, sont souvent
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utilisées comme un intermédiaire par les ONG de plus grande taille, notamment pour
véhiculer l’aide au niveau local. Mais là encore, de nouveaux dispositifs et de nouvelles
formes organisationnelles sont préconisés afin de formaliser, par le biais de la contractuali-
sation, les pratiques souvent de nature informelle ou afin de créer ex-nihilo de nouvelles
structures. Par exemple, des associations et des comités ad hoc ont été conçus sur de
nouvelles bases, devenant des intermédiaires incontournables entre l’État, les opérateurs
privés et les habitants, et se voyant conférer ainsi le statut d’acteurs de la société civile.
La revue internationale et stratégique, n° 66, été 2007

l’environnement (PNUE), de l’Institut africain de développement économique et de Planification (IDEP) et de l’Organisation


suédoise pour le développement international. En 1978, Enda Tiers Monde s’est constituée comme organisation internatio-
nale à caractère associatif.
1. S. Champetier, B. Collignon, E. H. Ly, M. Touré, Que les « sans pain » ne soient pas sans eau ! Partenariat
public-privé-ONG pour l’accès à l’eau potable des populations démunies, Dakar, Enda, coll. « Études et recherches »,
no 230, 2003.
2. Créé il y a une trentaine d’années, le Gret est « une association professionnelle de solidarité et de coopération interna-
tionale qui promeut un développement durable et solidaire au Nord et au Sud ». Son action se manifeste à la fois à travers
l’élaboration de projets de développement local, mais aussi à travers des missions d’expertise et de diffusion de travaux
de capitalisation et de recherche. Site Internet du Gret : http://www.gret.org
3. Th. Pech, M. O. Padis, Les multinationales du cœur. Les ONG, la politique et le marché, Paris, Seuil, coll. « La politique
des idées », 2004.
4. T. Bierschenk, J. P. Chauveau, J. P. Olivier de Sardan (sous dir.), Courtiers en développement. Les villages africains
en quête de projets, Paris, Karthala, 2000.
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90 DOSSIER / L’or bleu, nouvel enjeu géopolitique ?

De même, divers collectifs ont été créés, avec une reconnaissance juridique, comme c’est
le cas d’associations d’usagers, de coopératives ou de groupement d’intérêt économique
(GIE). Ces acteurs interviennent à différents niveaux du processus de gestion de l’eau,
du montage de projets dans un quartier, à la fourniture d’un service, la mise en place des
installations financées par l’État, etc. Or, faire des associations d’usagers les représentants
de la « société civile » prive ce concept de sa dimension politique, pour en faire une
notion économique renvoyant à l’usage (ou l’utilité) du service, voire du bien. De plus,
des gérants privés sous contrat assurent la gestion des bornes-fontaines dans des quartiers
n’étant pas raccordés au réseau selon des logiques qui sont éloignées des liens de solidari-
té ; le principe du bénévolat est remis en cause dans la mesure où des fontainiers assurent
la vente de l’eau. Cette évolution traduit un glissement sémantique quant à la définition
du terme de participation qui ne reflète plus des logiques endogènes, la participation
étant désormais impulsée par des logiques extérieures aux habitants d’où l’idée d’une
« injonction à la participation ».
Prenant le contre-pied de cette représentation, certaines ONG s’inscrivent plus dans
la recherche d’alternatives vis-à-vis de l’État ou du marché en insistant sur une nécessaire
(re)construction du politique. Leur démarche vise la constitution d’« espaces publics de
proximité » où peuvent s’élaborer de nouvelles régulations sociales, comme celle permet-
tant un accès équitable à l’eau. Ces ONG interviennent, souvent de façon « autonome »,
dans la mise en place de dispositifs locaux d’accès à l’eau en milieu rural et dans certains
quartiers irréguliers qui n’ont pas accès au réseau. Cependant, leurs marges de manœuvre
se restreignent dans un contexte où l’accès aux financements relève de compétences
nouvelles nécessitant apprentissage et moyens humains qui font défaut à ces ONG locales,
le plus souvent de petite taille. D’autres ONG, ayant un rayonnement à l’international
et dépassant la seule sphère locale, s’érigent en contre-pouvoir, notamment face aux
entreprises privées multinationales qui, dans le domaine de l’eau, imposent de nouvelles
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normes. Dans le cadre du « Contrat mondial de l’eau » 1, des associations et ONG (Fonda-
tion France Libertés, Comité international pour un Contrat mondial de l’eau, Public
Citizen, etc.) se sont organisées pour véhiculer une représentation alternative de l’accès à
l’eau en le posant comme droit de l’homme ne pouvant faire l’objet de régulation privée.
De même, selon ces approches alternatives, la notion de service public étant définie par
l’État dans la mesure où il s’agit une convention sociale, le service de l’eau ne doit pas
faire l’objet d’une définition au niveau global, d’où la remise en cause de règles élaborées
au niveau international.
La difficulté à cerner avec précisions le rôle de la « société civile » vient du fait qu’il
est instrumentalisé à la fois par les bailleurs de fonds qui mettent en exergue un compro-
mis entre État, marché et société civile — cette dernière se voyant conférer une certaine
légitimité à prendre en charge des « services publics » ; mais ce rôle peut aussi l’être par
des mouvements sociaux, notamment ceux portés par les altermondialistes, qui voient
dans la participation de certaines ONG une alternative, et véhiculent une perception
parfois « idéalisée » de ces processus participatifs.

1. R. Petrella, Le manifeste de l’eau : pour un contrat mondial, Groupe de Lisbonne et Fundaçao Mario Soares, 1998 ;
V. Shiva, La guerre de l’eau (Privatisation, pollution, profit), Paris, Éd. L’Aventurine, 2003.
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Société civile et nouvelles formes de partenariat pour l’accès à l’eau... / Catherine Baron 91

En conclusion, la participation des ONG et plus généralement de la société civile ne


se décrète pas. Elle requiert d’être cernée avec précision, la définition suivante, proposée
par l’IRAM 1, étant riche d’enseignements : « la participation suppose une connaissance
des enjeux que représente l’accès aux ressources (crédit, foncier, eau, projet, etc.), d’im-
portants moyens d’accompagnement — formation notamment — et la réalisation d’une
analyse fine, sans a priori, des pouvoirs, des « rapports de force » et de leurs différentes
formes, c’est-à-dire du jeu des acteurs autour de ces ressources et de ces enjeux ». Ainsi,
on se détache d’une vision « idéalisée » de la participation ou d’une approche fondée sur
l’injonction à la participation, pour tendre vers une conception de la participation qui
tienne compte des enjeux de pouvoir entre les différents protagonistes au sein même de
la « société civile », et qui analyse les compromis institutionnalisés ayant pu être élaborés
autour de cet enjeu stratégique et politique qu’est l’accès à l’eau.
La construction des règles d’accès à l’eau devrait donc résulter d’un compromis entre
les différentes sphères de décision, encastrées, et non pas autonomisées les unes par rapport
aux autres. Ainsi, la participation ne relève pas de la seule échelle locale, de proximité,
pas plus qu’elle ne serait naturelle. Si le niveau local est un point de départ à la construc-
tion des processus participatif, le local ne se décrète pas 2. La participation renvoie à la
coconstruction de règles, diffusées à l’ensemble des acteurs et en continuelle négociation
dans la mesure où, bien qu’institutionnalisées à certains moments, elles ne sont pas pour
autant immuables et figées. Or cette articulation des échelles, notamment entre le local,
le national et l’international, s’avère particulièrement délicate dans la mesure où il
convient de construire « des mécanismes de délégation, de représentation, d’intermédia-
tion et de légitimation, ce qui suppose de nouvelles formes institutionnelles adaptées » 3.
Cette conception originale permettrait de penser les droits d’accès à l’eau selon des moda-
lités qui conféreraient aux acteurs locaux un véritable pouvoir de décision, notamment
au niveau de l’élaboration des règles, en interaction permanente entre les niveaux locaux
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et le global. On se démarque ainsi d’une vision stratégique de la règle (comme dans le
cas de la « bonne gouvernance ») où la participation des acteurs locaux (qualifiée d’empo-
werment) signifie une participation à l’opérationnalisation des règles. Nous nous inscrivons
au contraire dans une vision qui conçoit la participation des acteurs locaux en amont, au
niveau même de la construction des règles. Cependant, afin de se démarquer d’une vision
« idéalisée » du local et de la participation, il s’agit de mettre en lumière les processus
rétroactifs entre les différents niveaux de décision. De plus, raisonner en termes d’enchâs-
sement des niveaux n’évacue pas pour autant les rapports hiérarchiques qui existent dans
La revue internationale et stratégique, n° 66, été 2007

la société et qui sont liés aux différents types de pouvoir, politique, religieux, écono-
mique. Ainsi, la reconnaissance de l’enchâssement des niveaux nécessite de reconsidérer
les contours du territoire pertinent, notamment pour penser la construction d’espaces
publics de proximité identifiés comme lieux d’enchâssement de l’économique, du poli-
tique, du social et du culturel.

1. IRAM, op.cit.
2. M. Leclerc-Olive (sous la dir.), Affaires locales. De l’espace social communautaire à l’espace public politique, Paris,
Karthala-Gemdev, 2006.
3. IRAM, op.cit.

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