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INTRODUCTION : LES PARADOXES DE LA MÉDIATION

ENVIRONNEMENTALE

Susan Kovacs

NecPlus | « Communication & langages »

2012/2 N° 172 | pages 21 à 26


ISSN 0336-1500
DOI 10.4074/S0336150012002025
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2012-2-page-21.htm
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DOSSIER
Introduction : Les
paradoxes de la
médiation
environnementale SUSAN KOVACS

« Réchauffement », « dérèglement », « risque », « menace », « prévention »,


« adaptation », « crise », « abîme » : les termes et les discours utilisés
par les médias, les institutions et les entreprises pour communiquer
sur les phénomènes climatiques participent à la construction, chez les
individus, de savoirs scientifiques en même temps que de sentiments divers,
troublants, contradictoires. Entre catastrophe et fatalité, les discours sur le
climat cherchent souvent la sensation, mobilisent des images inquiétantes,
offrant une vision ambigüe de l’avenir de la planète. Pourtant, le diagnostic
alarmant débouche souvent sur des propos rassurants, des recettes et
des bons gestes à faire, et une perspective de la science triomphante qui
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permettra un retour à l’équilibre, comme la catharsis suivie de la sortie de
crise. À qui s’adresse ce « méta-récit environnemental »1 ? En parallèle de la
multiplication des supports de sensibilisation et d’information, les profils
des destinataires de la communication environnementale se diversifient
et s’affinent ; l’accent est mis sur l’individu dans ses différents rôles
sociaux : on prend à part consommateurs, citoyens, touristes, habitants, etc.,
dans des tentatives d’inciter à des pratiques et à des démarches durables
face aux dangers et aux effets néfastes sur l’atmosphère et le climat de
l’industrialisation et de la surconsommation énergétique. Depuis les années
1990, quand le changement climatique s’érige en controverse publique,
une rhétorique de la responsabilité individuelle se développe ; instituée
par les acteurs gouvernementaux face à la difficulté de fédérer ou de

1. Béatrice Jalenques-Vigouroux, Dire l’environnement : le méta-récit environnemental en question,


Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, CELSA, université
Paris-Sorbonne, 2006 ; Andrea Catellani, « La communication environnementale interne d’entreprise
aujourd’hui : dissémination d’un nouveau “grand récit” », Communication et organisation, 36, 2010,
pp. 179-219.

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mobiliser efficacement les industriels, une politique communicationnelle


consensuelle cherche à promouvoir l’engagement des individus censés
adhérer aux principes de l’éco-citoyenneté à travers des comportements
vertueux2 .
Dans ce contexte, comment penser la transmission des connaissances sur
le climat à des jeunes ? La communication scientifique envers les enfants
et adolescents s’apparente-t-elle à de la communication engageante3 ?
Éducateurs, professionnels de la communication et éditeurs pour la
jeunesse se posent en effet la question de la stratégie communicationnelle
à privilégier au sujet des questions climatiques, afin soit d’améliorer
l’efficacité des campagnes de sensibilisation, soit d’informer sans trop
effrayer le jeune, sans trop imposer une vision militante ou culpabilisante,
sans le surcharger d’informations scientifiques difficiles à transposer dans
un langage concret4 . Une littérature « écologiste » qui cible les enfants
existe depuis longtemps, dans l’idée, surtout, de toucher les parents5 . La
figure de l’enfant est en effet un puissant symbole de la responsabilité des
générations actuelles envers le futur. L’enfant-médiateur, encore éducable,
permet de représenter la naïveté et l’enthousiasme perdus de l’adulte ;
c’est à travers la figure du jeune que les concepteurs de documents de
vulgarisation ou de sensibilisation véhiculent l’amour de la nature et des
animaux, les sentiments de dégoût et de peur face à la dégradation de
l’environnement et un esprit de révolte et d’opposition dirigé contre la
société de consommation. Pourtant, le jeune en tant que destinataire
des messages environnementaux est paradoxalement une figure neutre et
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ambiguë ; n’ayant encore rien fait, n’ayant pas encore assumé une posture
politique, l’enfant destinataire permet d’envisager l’engagement en tant
qu’hypothèse et permet aussi de jouer avec des temporalités floues qui
caractérisent les messages sur le climat, situés entre l’urgence et la crise à
venir, entre la prise de conscience des générations actuelles et les bonnes
résolutions ou trouvailles technologiques attendues, entre le maintenant
et l’action future. En même temps, depuis 2005 et l’instauration d’une
éducation à l’environnement pour le développement durable à l’école en

2. Jean-Baptiste Comby, « La contribution de l’État à la définition dominante du problème climatique »,


Les Enjeux de l’information et de la communication, 1, 2009, pp. 17-29.
3. Françoise Bernard, « Communication engageante, environnement et écocitoyenneté : un exemple
des “migrations conceptuelles” entre SIC et psychologie sociale », Communication et organisation, 3,
2007, mis en ligne le 1er juillet 2010. URL : http://communicationorganisation.revues.org/94
4. Témoignages des acteurs de la communication pour jeunes (enseignants, chargés de communication)
recueillis dans le cadre du projet « Quel climat à l’école », GICC ; voir note 6.
5. Claudie Guérin, « Lectures d’écologistes en herbe », La Revue des livres pour enfants, 147 (automne),
1992, pp. 72-75.

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France, des dispositifs de médiation se mettent progressivement en place,


au sein des établissements scolaires, dans une optique de sensibilisation de
l’élève-acteur, qui n’est plus seulement considéré comme relais mais comme
citoyen et décideur. Quel est l’impact de ce programme éducatif sur les
discours environnementaux à l’attention du jeune public ?
Les contributions réunies dans ce dossier proposent une analyse
des supports de communication au sujet du climat conçus pour de
jeunes publics ou pour un grand public, dont les pré-adolescents et
adolescents6 . Comment différents médias, et à travers eux, les acteurs
socio-institutionnels des domaines éducatifs, politiques et médiatiques
contribuent-ils à créer un imaginaire des phénomènes climatiques chez
les jeunes ? Tout en considérant une variété de médias – périodiques
de vulgarisation, émissions télévisuelles, fictions pour jeunes, ouvrages
documentaires – notre questionnement reste transversal. L’approche
méthodologique poursuivie, qui permet de croiser des analyses socio-
sémiotiques et discursives, vise à cerner la construction de la controverse
climatique à travers des matérialisations textuelles, graphiques et visuelles.
Y a-t-il un langage « prêt à penser », sur le changement climatique en
direction des jeunes ? Quelles en sont les caractéristiques ? Peut-on toujours
parler de « vulgarisation scientifique » face aux discours hybrides mêlant
modélisations climatologiques, récits du passé assortis de projections vers
un futur imaginaire, explications du fonctionnement du climat, de l’histoire
de l’industrialisation et images de synthèse et infographies fantaisistes ?
Plusieurs constats ressortent de la lecture de ces cinq contributions. En
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premier lieu, un problème de cadrage : où se trouve le point d’entrée de
cette controverse socio-scientifique et quels sont les contours qui en sont
donnés ? L’analyse de Béatrice Micheau montre pour trois périodiques
qui ciblent en particulier des collégiens ou lycéens que, s’il y a des
variations de traitement des sujets scientifiques dues à la spécificité des
lignes éditoriales de chaque revue, on retrouve pourtant une trajectoire
commune, binaire, qui met en scène la défense de l’environnement
pour ensuite proposer les solutions technologiques et individuelles aux
problèmes climatiques. Les explications scientifiques, notamment de l’effet
de serre, restent au service d’une vision catastrophiste, et la focale ainsi que

6. Ce travail de réflexion a été mené dans le cadre du projet de recherche sur le climat et les jeunes « Quel
climat à l’école ? », programme de recherche GICC « Gestion et impacts du changement climatique »,
3e appel à proposition de 2008 : « Atténuation, adaptation et régionalisation », 2009-2011, financement
Ademe. Ce projet avait pour objectif d’analyser la nature des messages sur le climat qui circulent
au sein de l’école et dans des contextes extra-scolaires en fonction des politiques environnementales
territoriales, et ainsi de constituer un outil de réflexion pour améliorer la communication sur le
changement climatique auprès des jeunes publics.

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la structuration d’ensemble des documents dirigent toujours le lecteur vers


les possibilités de gestion rationnelle des ressources, des comportements
et des techniques. Le domaine de la politique est parfois évoqué, et
l’agenda politique du climat sert parfois de prétexte pour les choix
de sujets, mais la dimension socio-politique du changement climatique
reste minorée. Cette structuration binaire se retrouve également dans le
corpus d’ouvrages documentaires étudié par Susan Kovacs, ainsi que dans
les émissions télévisuelles analysées par Laure Bolka-Tabary, qui montre
que par les effets de montage, la présence d’expériences scientifiques
contribue paradoxalement à renforcer une atmosphère générale de la
peur. Les difficultés liées à la représentation de phénomènes scientifiques
complexes et des échelles de temps hypothétiques conduisent à des choix
structurels qui font côtoyer dans ces documents explications didactiques et
récits ou scènes imaginaires, futuristes ou cataclysmiques. Les projections
temporelles des articles de périodiques, des émissions et des ouvrages
ressemblent effectivement à l’univers imaginaire du monde de la fiction
écologiste étudié par Ferenc Fodor. La frontière entre vulgarisation et
science-fiction semble donc moins opérationnelle quand il s’agit du thème
du changement climatique que pour d’autres sujets scientifiques ; le recours
au récit et à l’imaginaire fournit une solution efficace mais déroutante à ce
défi représentationnel : comment décrire un phénomène qui se situe dans le
présent mais qui renvoie à un avenir dont on ne peut prédire avec certitude
le déroulement ?
Cette ambiguïté entre le proche et le lointain se retrouve dans les
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représentations iconiques du phénomène du réchauffement climatique
analysées par les auteurs. À défaut d’une représentation visuelle satisfaisante
des phénomènes de changement progressive, des images iconiques forment
un répertoire culturel et offrent une série de rébus pour connoter les liens
de causalité entre la dégradation de la planète et l’avenir cataclysmique qui
est censé en découler. Laure Bolka-Tabary met en avant la recherche d’une
proximité avec le lecteur par le choix d’images récurrentes, reconnaissables,
tirées de la vie quotidienne (cheminées de fumée) et, au contraire, la
tendance à privilégier des lieux et des scènes éloignés dans l’espace (ours
polaires, montée des eaux dans les îles de Polynésie) ; cette double tendance,
présente également dans les périodiques analysés par Béatrice Micheau,
semble correspondre à l’objectif de toucher le lecteur et de le rassurer en
même temps, par des images de lieux exotiques qui montrent la souffrance
de l’autre. Comme le montre Ferenc Fodor dans ses analyses des récits
fictifs, l’avenir sombre imaginé par les auteurs ne nous éloigne pas trop
de notre présent ; la catastrophe ultime et apocalyptique se trouve encore

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repoussée vers un avenir inconnu, mais la dégradation de l’environnement


telle que nous la vivons déjà aujourd’hui se poursuit, inéluctable. Dans
sa fonction sociale d’exutoire, le récit fictif permet aux jeunes de saisir
et de vivre les conséquences potentiellement désastreuses de l’action de
l’homme sur l’environnement, à travers notamment des images de la mer
qui engloutit progressivement la terre, mais, comme dans les autres formes
de médiation étudiées dans le dossier, la complexité des phénomènes et
l’interrelation des considérations sociales, politiques et scientifiques sont
écartées de l’univers fictif.
Les schémas énonciatifs étudiés dans ces contributions témoignent des
différentes façons de représenter la responsabilité des individus dans les
problèmes environnementaux et climatiques. Comme le montre Laure
Bolka-Tabary à propos des émissions télévisuelles, le jeune lecteur est pris
à partie, investi d’un rôle social que les générations du passé n’ont pas pu
ou voulu endosser, celui d’une nouvelle conscience écologiste et de sauveur
potentiel de la planète. Les injonctions données aux jeunes et à leurs familles
se retrouvent parfois nuancées, dans les documentaires étudiés par Susan
Kovacs, par une vision qui se veut neutre et diplomate ; à travers un langage
qui évite la subjectivité et le dialogue avec le lecteur, certains ouvrages
documentaires cherchent à suggérer une responsabilisation élargie – mais
vaguement attribuée – à tous les acteurs sociaux, politiques, industriels de
notre société contemporaine. Cette vision d’une responsabilité partagée sert
à évacuer la question de la culpabilité des acteurs pour mettre l’accent sur
l’action possible, efficace, et sans obstacle apparent, pour protéger la nature
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et l’environnement. Dans les deux cas, l’implication directe du jeune et la
responsabilisation atténuée et diffuse, nous remarquons l’importance d’une
éthique de la participation et du travail (réduction de la consommation ;
économies d’énergie ; tri ; déplacements en vélo ; etc.) qui réduit les enjeux
du changement climatique et du développement durable à un ensemble
de bonnes résolutions. Au-delà de l’image du destinataire jeune et de la
posture qui lui est attribuée dans les documents étudiés, la contribution
de Susan Kovacs propose également les résultats d’un ensemble d’entretiens
effectués auprès d’une centaine de collégiens, afin d’évaluer l’impact des
messages qui circulent dans et en dehors du cadre scolaire. Interrogés sur
leurs connaissances, leurs avis et leur intérêt pour les questions liées à
l’environnement, les jeunes collégiens se montrent sensibles à – et attirés
par – l’effet choc des images catastrophistes auxquelles ils sont exposés, mais
sont capables de prendre un recul critique et de reconnaître la place et la
valeur des discours apocalyptiques. Pourtant, s’ils ont pris connaissance des
enjeux de l’environnement et du développement durable, c’est souvent en

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tant que destinataires de messages d’inculcation des bons gestes dont ils
ne voient pas toujours la signification. Cette observation semble traduire
un effet de saturation ressentie face à la promotion de l’action individuelle
efficace qui, ainsi que les analyses du dossier le montrent, est présentée
comme une évidence, sans que cette démarche soit reliée à l’explication
approfondie des causes et des contextes du problème à résoudre.
Les corpus réunis et analysés dans ce dossier sont loin d’être exhaustifs ;
notre ambition était d’identifier et de décrypter quelques-unes des
tendances dans la représentation discursive des phénomènes environ-
nementaux, et de relier ces tendances aux contextes et aux contraintes qui
font émerger une façon de dire l’environnement aux jeunes aujourd’hui.
Finalement, et malgré la diversité des supports et des dispositifs examinés,
on retrouve sur le sujet du changement climatique un évitement certain
de la controverse et de la complexité, auxquelles est substitué un recours
à l’ellipse, à l’isolement des phénomènes et à un imaginaire social qui met
l’accent sur les individualités dont l’action en faveur de l’environnement,
conçue comme une nouvelle envie ou impulsion, ressemble à une simple
transposition des attitudes consuméristes.

SUSAN KOVACS
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