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Jean-François RICHARD 1
1. Ingénieur agronome, École nationale supérieure d’agronomie de Nancy. Au sein de l’Agence Française de Développe-
ment, chercheur en Afrique de l’Ouest de 1968 à 1976 et en charge des projets agricoles à Tunis de 2001, actuellement
ingénieur agronome dans le Département rural, environnement et ressources naturelles.
2. Le taux d’accroissement démographique annuel est passé de 3,1 % en 1966 à 1,1 % en 2001, l’espérance de vie passait
de 51 à 73 ans pendant la même période, et le taux de mortalité de 1,5 % à 0,55 %. La population est passée de 4,6 millions
d’habitants en 1966 à près de 10 millions d’habitants en 2005.
3. En juillet 1995, la Tunisie est devenue le premier pays de la région à signer l’Accord d’Association (AA) avec l’Union
européenne. Il prévoit d’ici 2010 la création d’une zone de libre-échange entre l’Union européenne et la Tunisie, de biens, de
services et de capitaux, en conformité avec les accords de l’OMC.
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4. Country Assistance Strategy 2005-2008 (juin 2004), document stratégique de la Banque mondiale.
5. Le taux de pauvreté a été estimé à 4 % de la population en 2000.
6. La part du secteur dans l’emploi national a chuté de 46 % en 1960 à 23 % en 1995-2000 et à 16 % actuellement.
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■ Le devenir de l’agriculture tunisienne face à la libéralisation des échanges ■
principalement des céréales (1,5 million d’hectares, avec une majorité de blé
dur, de l’orge et du blé tendre), des légumineuses et fourrages (0,3 million
d’hectares), et des cultures maraîchères (0,15 million d’hectares de pommes
de terre, tomates, légumes méditerranéens). Les jachères couvrent 0,8 million
d’hectares et les parcours 0,5 million d’hectares.
La SAU et les superficies irriguées ne devraient plus beaucoup évoluer au
vu des contraintes de mise en valeur. Les terres labourables se sont étendues
au détriment des parcours, et les terres exploitées ont fortement réduit la fré-
quence des jachères, qui sont passées d’une année sur trois il y a quarante ans
à moins d’une année sur cinq. L’intensité d’utilisation des terres irriguées est
encore limitée.
Malgré les actions importantes de conservation des terres agricoles, la pres-
sion exercée sur le foncier et des pratiques culturales destructrices se tradui-
sent par une érosion importante qui affecte trois millions d’hectares et génère
un envasement important des barrages. Les zones arides connaissent des pro-
blèmes de salinité, et les zones forestières et les parcours une surexploitation
des ressources.
Les tendances récentes des productions agricoles sont une baisse absolue
et relative des superficies en céréales (avec de très fortes variations interan-
nuelles), une croissance importante des fourrages, la stagnation des légumi-
neuses à un niveau bas et la très grande croissance des cultures maraîchères
et de l’arboriculture. L’élevage détient la part la plus importante dans la struc-
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■ Le devenir de l’agriculture tunisienne face à la libéralisation des échanges ■
8. Cependant, les titres fonciers restent rares ; l’Agence foncière agricole les consolide au rythme de 12 000 à 14 000 hec-
tares par an, surtout sur les terres irriguées.
9. La main-d’œuvre journalière féminine des zones rurales acceptait en 2005 de travailler pour 4 dinars tunisiens par jour,
alors que les hommes demandent 6 DT/jour, préférant chômer ou migrer s’ils ne les obtiennent pas.
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■ Afrique contemporaine ■
certains circuits contrôlés par l’État à travers des monopoles (céréales, huile
d’olive) ou des contrôles ou incitations à l’import et à l’export des produits
alimentaires.
Parallèlement l’État poursuivait son désengagement du secteur productif
en permettant au secteur privé de signer des baux à long terme pour la ges-
tion de terres relevant du domaine de l’État (anciennes coopératives et fer-
mes d’État installées sur les terres nationalisées au départ des colons), avec
création de Sociétés de Mise en Valeur et de Développement Agricole. Bien
que la majeure partie d’entre elles aient été ainsi transformées, il reste des
coopératives de production et des fermes d’État (l’Office des Terres Doma-
niales – OTD – continue à gérer 200 000 hectares), mais elles ne reçoivent
plus guère de soutiens publics.
Le code unique d’incitation à l’investissement offre depuis 1993 un grand
nombre d’avantages : des incitations communes 11 et des incitations spécifi-
ques pour les entreprises exportatrices 12, le Développement régional, le Dé-
veloppement agricole, la Protection de l’environnement, la Promotion de la
technologie et de la recherche-développement et les investissements de sou-
10. Les subventions à l’équipement, qui peuvent atteindre 50 % du coût d’investissement, ont permis d’équiper 70 % des
superficies irriguées en matériels d’irrigation économes (goutte à goutte, micro-jets…).
11. Avec : 1) dégrèvement des revenus ou bénéfices réinvestis ; 2) des exonérations de droits de douane sur les biens
d’équipement n’ayant pas de similaires fabriqués localement ; 3) une limitation à 10 % de TVA à l’importation des biens
d’équipement ; 4) la possibilité de choix du régime de l’amortissement dégressif au titre du matériel et des équipements
de production dont la durée d’utilisation dépasse sept ans.
12. Exonération totale de l’impôt sur les bénéfices provenant de l’exportation. Les entreprises totalement exportatrices bé-
néficient en plus de l’exonération totale des bénéfices et revenus réinvestis, de la franchise totale des droits et taxes pour
les biens d’équipement, les matières premières, les semi-produits et services nécessaires à l’activité, de la possibilité de
mise en vente sur le marché local de 20 % de leur production, aux conditions de droits et taxes en vigueur.
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■ Le devenir de l’agriculture tunisienne face à la libéralisation des échanges ■
agricole 13.
Les projets publics ou les investissements de l’administration sont finan-
cés essentiellement par le Trésor et les prêts extérieurs, les entreprises privées
puisant l’essentiel des ressources sur leurs fonds propres. La diminution du re-
cours des promoteurs privés aux crédits bancaires et l’accroissement des fonds
propres à partir du IXe Plan sont une conséquence de l’application du nou-
veau code unique. La part des fonds propres s’est fortement accrue depuis
dix ans 14, ainsi que les subventions de l’État, tandis que le recours au crédit
se réduisait fortement 15.
Ces crédits sont principalement fournis par la Banque Nationale Agricole
(BNA), banque publique pour laquelle les procédures d’octroi sont longues
et dont le taux de remboursement est trop faible (50 %). Le recours au reve-
nu agricole et extra-agricole de l’agriculteur est prépondérant et le crédit
fournisseur, bien qu’en augmentation, n’intéresse qu’une très faible propor-
tion d’investisseurs (3 %). Les agriculteurs qui bénéficient des subventions
de l’État sans recourir au crédit bancaire sont en augmentation, traduisant
la difficulté des petits et moyens agriculteurs d’accéder au crédit bancaire,
et le taux de satisfaction de la demande de crédit exprimée enregistre une
13. La part de l’investissement privé dans le secteur agricole est passée de moins de 40 % à plus de 50 % entre 1987 et 2004.
14. Le financement de projets dont le montant de l’investissement est supérieur à 40 000 dinars tunisiens (projets B et C
de l’APIA), qui représentent environ 80 % du volume total des investissements bénéficiant des avantages du code, est as-
suré à concurrence de 73 % par des fonds propres (contre 55 % en 1994), et le recours aux crédits s’est amenuisé, passant
de 34 % à 10 % seulement, le solde étant couvert par les aides de l’État (subvention et dotation), passées de 11 % à 17 %
durant le même temps.
15. 10,9 % des agriculteurs qui ont investi déclarent avoir recouru au crédit institutionnel de 1990 à 1994, et ils n’étaient
plus que 7,8 % de 2000 à 2004.
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forte baisse 16. Des financements peuvent aussi être assurés par la Banque
Tunisienne de Solidarité (BTS) depuis fin 1997 ou par les associations de mi-
crocrédit depuis 1999, ces structures ayant été créées pour financer la couche
sociale la plus démunie et qui jusque-là était exclue du système bancaire 17,
mais la contribution de la BTS au secteur rural reste marginale 18.
Dans ce contexte l’agriculture a progressé au même rythme que la crois-
sance économique de la Tunisie dans son ensemble, et la contribution du
secteur agricole au PIB s’est maintenue depuis une vingtaine d’années, avec
une moyenne de 13,4 %. La croissance agricole a montré des fluctuations
importantes en raison des variations de pluviométrie, mais globalement les
rendements se sont accrus et la productivité de la terre s’est améliorée grâce
à un plus grand usage des intrants (engrais et semences sélectionnées) et de
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■ Le devenir de l’agriculture tunisienne face à la libéralisation des échanges ■
22. L’identification du potentiel agricole de la Tunisie a été réalisée en utilisant les données de la carte agricole du ministère
de l’Agriculture et des ressources hydrauliques pour comparer les coûts de la production économique (« coût des ressources
domestiques ») avec les prix à la frontière. Si le coût économique est plus élevé que le prix à la frontière, cela signifie que
la Tunisie ne serait pas un exportateur compétitif et économiserait des ressources en important ce produit. Si le prix à la
frontière est plus élevé que le coût économique, la Tunisie est potentiellement un exportateur compétitif.
23. Pour les légumes, le coût en Tunisie varie de 10 à 55 % du prix à la frontière, et pour l’arboriculture de 30 à 85 %.
24. Le lait a des coûts économiques de 125 % des coûts à la frontière, et la viande bovine de 175 à 260 %.
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La Tunisie est le quatrième producteur mondial d’huile d’olive derrière l’Espagne, l’Italie
et la Grèce, et elle exporte plus de 70 % de sa production. L’huile d’olive tunisienne est
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 207.241.229.243 - 07/12/2015 09h51. © De Boeck Supérieur
à 60 % de la qualité « lampante », la plus basse qualité du marché, alors que l’huile d’olive
vierge, qualité la plus élevée, représente 70 % du marché international, mais seulement
25 à 30 % des productions tunisiennes contre 70 à 86 % chez les concurrents européens.
Ce faible taux résulte de divers facteurs tels que : 1) des méthodes de récolte, de stockage
et de transport inadéquates ; 2) un long cycle de récolte et de stockage ; 3) un équipe-
ment d’extraction périmé, qui représente 42 % de la capacité (contre 20 à 30 % chez les
concurrents européens). Il en ressort que 97 % de l’huile d’olive tunisienne est encore
commercialisée en vrac sans marque commerciale ni label de qualité.
Les trois laboratoires d’analyse de la qualité relèvent de l’Office national des huiles (ONH),
qui est public, et très peu de triturateurs ont accès au contrôle de la qualité.
La Tunisie bénéficie d’un quota de 56 000 tonnes sur l’Union européenne. L’ONH en al-
loue une partie à des opérateurs privés selon des procédures non publiques, et conserve
le reste, traitant 50 % des exportations d’huile directement, et les profits subventionnent
d’autres activités.
Les recommandations faites pour améliorer la qualité et la rentabilité de l’huile d’olive
tunisienne portent sur : 1) la recherche appliquée et la vulgarisation de techniques ap-
propriées concernant la récolte, le stockage et le transport des olives ; 2) la réduction des
interventions de l’Administration, qui créent des distorsions sur le marché, et la transpa-
rence des procédures dans l’allocation des quotas ; 3) l’arrêt de subventions croisées avec
d’autres activités ; 4) un accès plus facile aux laboratoires d’analyse et de contrôle pour le
secteur privé ; 5) le rôle d’interprofessions privées pour la sensibilisation technique, le déve-
loppement de marques et de nouveaux produits, éventuellement d’appellations d’origine.
29. La Tunisie n’utilise que 55 % de son quota d’exportation d’agrumes. Les exportations d’abricot ont culminé à 338 ton-
nes en 1998 pour un quota UE de 2 240 tonnes. Le quota de 4 000 tonnes de concentré de tomates n’est utilisé qu’à
hauteur de 1 000 tonnes, mais le prix des tomates fraîches livrées à l’usine est plus élevé que dans les pays méditerra-
néens de l’UE et qu’en Turquie. Le quota d’amandes fraîches de 1 120 tonnes n’est pas utilisé, et celui d’huile d’olive est
utilisé à 79 %.
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CONCLUSION
Quel que soit le choix politique de la Tunisie vis-à-vis de la libéralisation
proposée, l’enjeu d’avenir est la capacité nationale à mettre sur le marché et
à commercialiser des produits agricoles de qualité, gage de compétitivité et
de mise à niveau du secteur agricole ainsi que de l’expression de son poten-
tiel commercial, sur le marché intérieur comme à l’export. Cet enjeu aura
d’autant plus d’importance que la libéralisation des échanges sera effective.
Il implique une redéfinition du rôle de l’État vis-à-vis du secteur privé, et
l’impulsion que l’État saura donner sera d’autant plus durable qu’elle sera
relayée par l’expression des capacités et des intérêts de la profession et du sec-
teur privé, sans s’y substituer. La grande distribution 30 a un rôle à y jouer,
avec son volume de transaction élevé, son système d’achat centralisé qui
l’amène à rechercher des fournisseurs fiables et ponctuels livrant des volu-
mes élevés de haute qualité. La rémunération des producteurs qui peuvent
pénétrer ce marché est élevée, mais elle implique du capital, de bonnes com-
pétences organisationnelles et de commercialisation, et une compréhension
pointue des besoins des clients. Au fur et à mesure que les supermarchés et
les marchés d’exportation se développeront en Tunisie, la rémunération de
l’excellence augmentera ainsi que le coût de la médiocrité.
30. 70 à 90 % des ventes alimentaires dans l’Union européenne passent par la grande distribution, qui est encore jeune en
Tunisie.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BANQUE MONDIALE (2006), « Examen de la politique agricole », Projet de document
de décision, Rapport n° 35239-TN du 30 mars 2006, Tunisie.
BANQUE MONDIALE (2004), “Tunisia Country Assistance Strategy”, Report n° 28791-
TUN, Tunisie.
CNEA (2005), « Étude de la filière céréales », non publié.
CNEA (2005), « Étude de la filière fruits et légumes », non publié.
CNEA (2006), « Étude du financement du secteur agricole », non publié.
IDEACONSULT (2005), « Actualisation de l’étude sur la compétitivité du secteur
agricole », non publié.
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