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LA GUERRE DE 1939-1940
La modernisation inachevée de l'aviation française
Philippe Garraud
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ISSN 0984-2292
ISBN 9782130527251
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1. P. Facon, L’armée de l’Air dans la tourmente. La bataille de France, 1939-1940, Paris, Economica,
1997.
2. Dans le domaine militaire, l’action de l’armée de l’Air a été sévèrement mise en cause par les
responsables de l’armée de Terre et sur le plan politique, c’est l’action successive des différents gou-
vernements de la IIIe République finissante et, tout particulièrement, des ministres de l’Air
depuis 1936 (Pierre Cot et Guy La Chambre), qui a été critiquée, lors du procès de Riom. Dans la
perspective de répondre à ces critiques, tous les responsables politiques et militaires de l’aviation fran-
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 207/2002
38 Philippe Garraud
ment cessé, même si elle a souvent pris un tour plus technique et scienti-
fique. Aujourd’hui, en raison de l’accumulation progressive de travaux,
on peut identifier et analyser de manière précise et non polémique les fai-
blesses et les contraintes de l’armée de l’Air.
À la déclaration de guerre, la situation de l’aviation française se carac-
térise par une infériorité numérique et qualitative globale et profonde sur
le plan des matériels. Cette infériorité est totale pour le bombardement et
la reconnaissance qui ne disposent au début du conflit d’aucun appareil
moderne3 ; beaucoup plus relative pour la chasse, privilégiée il est vrai,
pour des raisons doctrinales, mais également pour des considérations tech-
niques et industrielles. Entre la déclaration de guerre et l’engagement réel
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des opérations en mai 1940, un renouvellement sensible de l’armée de
l’Air s’opère. Il est essentiellement qualitatif et lié à la production et à la
livraison de nouveaux matériels beaucoup plus modernes, le nombre des
unités restant quant à lui relativement stable4.
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çaise se sont efforcés de se justifier, en s’appuyant tout particulièrement sur des données statistiques
émanant de leurs propres services. Se reporter en ce domaine à F. d’Astier de la Vigerie, Le ciel n’était
pas vide, Paris, Julliard, 1952 (l’auteur commandait la ZOAE - zone d’opérations aériennes Est) ;
T. Vivier, L’armée de l’Air et le problème du réarmement aérien au procès de Riom (1940-1942),
Revue historique des armées, no 2, 1990 ; C. d’Abzac-Epezy, L’armée de l’Air des années noires. Vichy,
1940-1944, Economica, 1998, p. 32-36.
3. Presque littéralement. En effet, le premier ne dispose en tout et pour tout que de cinq nou-
veaux bombardiers Lioré et Olivier LeO 45 en cours d’expérimentation opérationnelle. Voir les don-
nées précises et bien informées de R. Danel, L’armée de l’Air française à l’entrée de la guerre, Revue
d’histoire de la Deuxième guerre mondiale, no 73, janvier 1969, p. 111-116.
4. Quelques groupes de chasse sont certes créés mais le nombre des unités de bombardement ne
change pas. Le « groupe », qu’il soit de chasse, de bombardement ou de reconnaissance, constitue
l’unité organique de base de l’armée de l’Air. Composé de deux escadrilles, il compte en conditions
normales au moins 24 chasseurs, environ 16 bombardiers et le plus souvent sensiblement moins
d’appareils de reconnaissance. Les escadres, structures de l’armée de l’Air depuis sa création en 1934 et
composées de deux (bombardement) ou trois groupes (chasse), ont succédé aux anciens régiments,
mais ont été dissoutes en tant que telles à la déclaration de guerre au profit de « groupements » opéra-
tionnels moins contraignants et plus souples d’emploi. Par abréviation, on utilisera dorénavant les
sigles GC, GB et GR pour désigner ces différents types d’unités.
5. Voir, par exemple, dans cette perspective, mai-juin 1940. Défaite française, victoire alle-
mande sous l’œil des historiens étrangers (sous la dir. de M. Vaïsse), Autrement, no 62, mars 2000.
6. Et injuste d’un point de vue tant institutionnel qu’humain, compte tenu du prix particulière-
ment élevé payé par le personnel navigant de l’armée de l’Air dont les pertes furent proportionnelle-
ment très lourdes.
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LES CONTRAINTES STRUCTURELLES ET ORGANISATIONNELLES
DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE
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pas une activité essentiellement financière. Un important marché public
des prototypes et dérivés se constitue, financé sur fonds d’État, qui suffit
à occuper les constructeurs et à dégager des profits suffisants. Dans ce
cadre, on serait presque tenté de dire que la construction en série ne cons-
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9. En Allemagne, la production est essentiellement concentrée entre les mains de quatre grands
constructeurs : Messerschmitt, Junkers, Dornier, Heinkel.
10. En fait, on reste très largement dans une logique d’ingénieurs et de prototypes et les avions
ne sont pas conçus initialement et structurellement pour la fabrication en série rapide et à un moindre
coût. Il est vrai que la rationalisation industrielle des tâches qui se développe aux États-Unis avec le
taylorisme et le fordisme dès le début du siècle ne touche que tardivement la France. L’organisation
industrielle de la production constitue donc un enjeu essentiel mais aussi une variable explicative tout
à fait centrale.
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matique, et regroupent les différentes usines. Pour autant, les construc-
teurs privés ne disparaissent pas nécessairement purement et simplement
de la scène aéronautique. D’une part, tous ne sont pas nationalisés13 ;
d’autre part, les nationalisés conservent leurs propres bureaux d’études qui
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sont mis en concurrence avec ceux des sociétés nationales ; enfin, certains
constructeurs et non des moindres se trouvent placés à la tête de sociétés
nationalisées comme administrateurs-délégués : Henry Potez à la SNCAN
(Nord), Marcel Bloch à la SNCASO (Sud-Ouest) et Émile Dewoitine à la
SNCAM (Midi), qui ont été favorables aux nationalisations au sein de la
Chambre syndicale des constructeurs14.
À court terme cependant, comme le montrent clairement les indica-
teurs déjà cités, les nationalisations n’entraînent ni gains de productivité,
ni production plus importante, ni efficacité plus grande, bien au contraire.
Les sociétés nationales ne produiront en 1937 que 395 avions (de 21 types
différents...), contre 483 en 1936, et la production est désorganisée par
tout un ensemble de facteurs : redécoupage des activités et répartition des
usines entre sociétés, transfert des productions d’un site à l’autre, absence
11. Pour simplifier et accélérer la fabrication et diminuer le nombre d’heures nécessaire à celle-
ci, tous les constructeurs seront obligés de rationaliser la construction des avions (ainsi, par exemple, le
temps de fabrication du chasseur Morane-Saulnier 406 sera ramené de 13 000 à 8 000 heures de tra-
vail). Les avions français comportaient un nombre très important de pièces (20 000 pour le bombar-
dier LeO 45 et pas moins de 40 000 pour l’Amiot 351) qui nécessitaient autant d’outillages spécialisés
(6 000 pour les 7 000 pièces du MS 406), de gabarits et d’usinages avant le montage final. D’où un
temps de fabrication beaucoup plus long qu’en Allemagne où la fabrication du chasseur Mes-
serschmitt 109, par exemple, ne demandait que 6 000 heures de travail.
12. Nord, Ouest, Sud-Ouest, Sud-Est, Centre et Midi qui conditionneront l’appellation des
sociétés : SNCAN, SNCAO, SNCASO, SNCASE, SNCAC, SNCAM.
13. Six seulement échappent à la nationalisation : Morane-Saulnier, incapable de dépasser le
stade artisanal et de produire en nombre son chasseur MS 406 ; Caudron qui appartient à Renault mais
ne fabrique que des avions de liaison et de transport ; Amiot, qui fabrique pourtant un des principaux
types de nouveaux bombardiers ; Latécoère (construction d’hydravions pour la marine) et deux petits
constructeurs spécialisés (Levasseur et Gourdon).
14. Il faut souligner que certains d’entre eux furent poursuivis sous Vichy ou firent l’objet de
mesures administratives (internement et même déportation en Allemagne) pour des motifs tout à la
fois politiques, financiers (les constructeurs-administrateurs étaient intéressés financièrement à la pro-
duction des avions qu’ils avaient conçus, et il ne fait pas de doute que des profits substantiels furent
réalisés) et même « raciaux » : Marcel Bloch et Émile Dewoitine (dont la carrière fut définitivement
brisée) mais aussi Paul-Louis Weiller, président de la société de construction des moteurs Gnôme &
Rhône.
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être produits en série. Aussi, s’il ne fait pas de doute que dans le contexte
industriel de l’époque les nationalisations de 1936 ont constitué une phase
préalable et non suffisante en elle-même, mais nécessaire, de rationalisa-
tion des structures de production de l’industrie aéronautique17, cette déci-
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15. Selon E. Chadeau, op. cit., Marcel Bloch et Henry Potez seront ainsi contraints de « faire la
caisse » sur leurs deniers propres pour permettre à l’entreprise de continuer à fonctionner.
16. En ce domaine, il ne fait pas de doute que le « Plan I » de 1934-1935 fut une lourde erreur
initiale qui a été largement à l’origine du retard pris dans la modernisation de l’aviation française. Ses
commandes précipitées de modèles déjà anciens et totalement dépassés en 1940 (Potez 540,
Amiot 143, Bloch 200 et 210) conduisirent à l’asphyxie durable de l’industrie aéronautique, incapable
de faire face dans tous les domaines à une telle augmentation de la production. Les fabrications durè-
rent jusqu’au milieu de l’année 1938.
17. Voir dans cette perspective, la mise au point synthétique de R. Frank, Le Front populaire
a.t.il perdu la guerre ?, dans L’Histoire. Les années 1930 : de la crise à la guerre, Le Seuil, Points-Histoire,
1990 ; et, plus largement, sur le contexte économique et la fuite des capitaux R. Girault, La trahison
des possédants, dans L’Histoire, ibid. Il faut souligner que les nationalisations furent adoptées à la
Chambre des députés à une quasi-unanimité, seule l’extrême droite s’y opposant, et qu’au sein même
de la Chambre syndicale des constructeurs, elles reçurent le soutien de deux des plus dynamiques
d’entre eux, Henry Potez et Marcel Bloch, qui en saisirent bien l’opportunité industrielle. Se reporter à
D. Broussard, Un problème de défense nationale : l’aéronautique militaire au Parlement, 1928-1940, SHAA,
Vincennes, 1993 ; T. Vivier, La politique aéronautique militaire de la France. Janvier 1933 - septembre 1939,
L’Harmattan, 1997.
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lysé les usines à deux reprises en 1938. En avril 1938, le second et éphé-
mère gouvernement Blum porte néanmoins à 45 heures la durée du tra-
vail dans l’industrie aéronautique.
À l’issue de l’épreuve de force de novembre 1938, cette législation
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18. Se reporter à nouveau à R. Frank, Le Front populaire a-t-il perdu la guerre ?, art. cité, et
T. Vivier, op. cit.
19. Selon Chadeau, op. cit., près de 900 ouvriers ont été licenciés chez les avionneurs et
750 chez les motoristes.
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En ce domaine, nul n’est besoin de faire nécessairement appel à des
considérations ou des arrière-pensées politiques pour prétendre expliquer
la fréquence relative des malfaçons observées. Le réarmement massif et
précipité de 1938-1940 s’est heurté à des contraintes structurelles dans le
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20. J.-L. Crémieux-Brilhac, Les Français de l’an 40, t. II : Ouvriers et soldats, Gallimard, 1990, et
tout particulièrement la très riche partie consacrée au « front des usines » et, au sein de celle-ci, le cha-
pitre intitulé Le petit Rambaud ou le dossier des sabotages, p. 290 et s. Si l’on met de côté le cas très
particulier de la Société nationale de construction de moteurs d’Argenteuil (SNCM, ex-Lorraine,
nationalisée en 1937), petite entreprise en proie à un laisser-aller généralisé pendant plusieurs années
et fief communiste, dont la contribution à la politique de défense sera marginale mais qui ne relève
pas à proprement parler de la rubrique sabotages, les deux cas les plus importants sont constitués par la
mise hors d’état superficielle et provisoire, d’une part, de 16 moteurs de chars chez Renault (fils
d’alimentation électrique coupés) et, d’autre part, de 20 moteurs d’avions à la SNCAC ex-Farman
(coupure du frein d’écrou de l’alimentation d’essence qui aurait pu provoquer un incendie ; les trois
principaux responsables furent condamnés à mort et exécutés).
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LA COORDINATION INCERTAINE
D’UN ENSEMBLE D’ACTIVITÉS INTERDÉPENDANTES
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heurtés à une double dépendance génératrice de deux séries de problèmes
et de retards différents.
21. Et ce d’autant plus que, pour ses bimoteurs, l’armée de l’Air exigeait des constructeurs des
moteurs tournant en sens inverse, contrairement à toutes les autres aviations militaires, afin d’annuler
l’effet de couple et d’avoir un comportement plus stable et un pilotage plus facile. Ce qui obligeait
donc à avoir des moteurs gauche et droit différents pour chaque avion. Conjugué au nombre de types
différents d’avions et de moteurs, cette contrainte a entraîné une lourde servitude logistique pour
l’entretien des appareils.
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tion des unités. Ils doivent être entreposés car inutilisables immédiatement
d’un point de vue militaire. Si 850 appareils ont été pris en compte offi-
ciellement par l’armée de l’Air du 10 mai 1940 au 5 juin, date à laquelle
les statistiques officielles deviennent incertaines en raison de la désorgani-
sation qui se généralise, plus de 30 % d’entre eux n’ont pu être affectés
rapidement à des unités pour cette raison22.
En ce domaine, on ne peut pas exclure que de « petites causes » puis-
sent avoir eu des effets importants. En attendant leurs hélices tripales à pas
variable définitives, produites en nombre insuffisant, la plupart des
Potez 63 de reconnaissance et de renseignement, par exemple, devront
être équipés provisoirement pendant tout l’hiver 1939-1940 d’hélices
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bipales en bois à pas fixe. Sachant par ailleurs que l’avion standard de
reconnaissance de l’armée de l’Air (le Bloch 131) a dû être retiré des opé-
rations pour cause de vulnérabilité trop grande dès le début de la guerre,
et que le Bloch 174, beaucoup plus performant, n’était disponible qu’à
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22. Service historique de l’armée de l’Air (SHAA), Histoire de l’aviation militaire. L’armée de l’Air,
1928-1981, Paris-Limoges, Lavauzelle, 1981.
23. Même si cette question n’est pratiquement jamais abordée dans la pourtant très volumi-
neuse littérature consacrée à la campagne de France, il apparaît au regard des positions occupées par
les différentes armées de la mer du Nord à la Suisse incluse, derrière la ligne Maginot tout particu-
lièrement, et de la dispersion totale des forces sur l’ensemble du front, qu’aucune hypothèse n’était
exclue par le haut commandement, pas même une hypothèse suisse, que la « manœuvre Dyle »,
devant répondre à une invasion de la Belgique, ne constituait qu’une possibilité parmi d’autres, et
qu’en définitive, aussi surprenant que cela puisse sembler, le haut commandement français n’avait
pas la moindre information sur les intentions stratégiques allemandes avant le déclenchement de
l’offensive le 10 mai.
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l’armée de l’Air.
Alors que pendant la guerre de 1914-1918, la plupart des usines
d’aviation étaient concentrées dans la région parisienne, la mobilisation
industrielle des années 1938-1940 s’est accompagnée dans le domaine
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24. Voir dans cette perspective, le schéma précisant l’organisation de la production aéronautique
au 15 septembre 1938, figurant en annexes dans E. Chadeau, op. cit., p. 489.
25. D’où un taux de mobilisation de la population masculine nettement supérieur en France à
celui de l’Angleterre et de l’Allemagne.
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tionnés au 10 mai et 627 appareils livrés en mai-juin, soit un total
de 2 627 avions), de bombardement (564 appareils réceptionnés au
10 mai et 473 avions livrés pendant la campagne de France, soit un total
de 1 037 appareils) et de reconnaissance (1 063 réceptionnés au 10 mai et
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26. Pour des données détaillées, se reporter à J. Truelle, La production aéronautique militaire
française jusqu’en juin 1940, Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, no 73, janvier 1969,
p. 75-110 ; C.-J. Ehrengardt, mai-juin 1940 : autopsie d’une débâcle, Aéro-Journal. Histoire de
l’aviation, no 2, août-septembre 1998. Au nombre de ces appareils modernes, il faudrait ajouter celui
des appareils plus anciens mais encore utilisés de manière opérationnelle par l’armée de l’Air en 1940 :
bombardiers Bloch 210, Amiot 143 et quadrimoteurs Farman 222 essentiellement. Ces chiffres
incluent les appareils d’origine américaine qui étaient expédiés en caisses par voie maritime et montés
en AFN (bombardiers) ou à Bourges (chasseurs Curtiss).
27. Au 5 mai 1940, par exemple, 360 bombardiers LeO 45 sont sortis d’usine mais 108 seule-
ment ont été livrés aux armées. Les autres sont en attente ou en cours de réception par l’armée de
l’Air, en armement ou en stock à Châteaudun, en cours d’affectation ou de livraison aux unités
(J..L. Crémieux-Brilhac, op. cit., p. 208). La longueur de ces circuits administratifs et techniques est à
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commandés et 2 100 avant l’offensive de mai 1940, ainsi que des milliers
de moteurs et d’hélices de rechange. Au total, les commandes se sont éle-
vées à plus de 5 000 appareils, dont un grand nombre en étaient encore au
stade du prototype, voire même du projet, la prise de conscience de
l’infériorité de l’aviation française semblant avoir déclenché un mouve-
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l’origine de nombreuses approximations dans le décompte précis des avions, la courbe des avions pro-
duits et livrés à l’armée de l’Air étant constamment décalée par rapport à celle des avions acceptés par
le CRAS (centre de réception des avions de série), laquelle ne rend pas compte du nombre des avions
en dotation dans les unités opérationnelles.
28. P. Listemann, Pour le franc symbolique. La liquidation des contrats français, Aéro-Journal,
no 16, décembre 2000. Il n’en demeure pas moins que les commandes françaises puis franco-
britanniques furent à l’origine du développement rapide de l’industrie aéronautique américaine dans
des conditions particulièrement avantageuses pour les États-Unis, les avions étant payés cash et le
transport assuré par les destinataires, en fonction de la loi Cash and Carry de novembre 1939. De ce
fait, cette politique d’achat au prix fort se heurta aux réticences, voire à l’hostilité du ministère des
Finances et tout particulièrement de Paul Reynaud.
29. Après l’Armistice, 200 avions seront encore « récupérés », les bateaux assurant le transport
des appareils débarquant le matériel au Maroc où étaient installées les chaînes de montage des bom-
bardiers Glenn-Martin et Douglas. En ce domaine, on rencontre fréquemment de nombreuses
approximations, voire erreurs, qui faussent radicalement une juste appréciation de la réalité. Ainsi par
exemple, P.-M. de La Gorce, historien pourtant reconnu, qui écrit : « Quand à l’aviation [en AFN],
elle comprenait fin juin, 2 648 appareils... Mais le plus important était l’existence et surtout l’accrois-
sement d’une force aérienne qui était à coup sûr moderne : elle était constituée des appareils achetés
aux États-Unis et qui comptaient déjà 26 avions de chasse Curtiss, 26 bombardiers Glenn-Martin
venant d’arriver de Dakar (?), et les 78 appareils de l’Aéronautique navale du Maroc dont 32 autres
Glenn-Martin » (Poursuivre la guerre : un choix rationnel, Espoir, no 123, juin 2000). À cette date, ce
sont en réalité 1 200 avions de combat seulement qui sont stationnés en AFN et pour ce qui est du
nombre des avions d’origine américaine, comme on l’a vu, il est totalement fantaisiste.
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reconnaissance. Et deux appareils seulement, et pas des plus performants,
furent produits à un peu plus de 1 000 exemplaires : le chasseur Morane-
Saulnier 406, déjà surclassé pendant la « drôle de guerre » mais maintenu en
production faute d’appareils plus modernes construits en nombre suffisant,
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30. Ce qui constituait une des conditions essentielles d’une éventuelle poursuite de la guerre
depuis l’AFN, en dépit de la qualité très variable des matériels commandés. Voir, à ce propos, Ph. Gar-
raud, Une poursuite de la guerre était-elle envisageable en juin 1940 ? Le cas de l’armée de l’Air,
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 194, décembre 1999. Et de manière plus large, A. Mer-
glen, La France pouvait continuer la guerre en Afrique française du Nord en juin 1940, Guerres mon-
diales et conflits contemporains, no 168, octobre 1992.
Ces commandes furent transférées à l’Angleterre par le général Weygand dès le 17 juin à 9 heures
du matin, il faut le souligner. Voir, à ce propos, B. Destremau, Weygand, Perrin, 2001 (1re éd., 1989),
p. 568-573, qui présente cette décision comme un engagement en faveur de l’ex-allié anglais, interpré-
tation quelque peu simplificatrice. En effet, elle signifie contradictoirement que le gouvernement
Pétain se privait prématurément d’une ressource importante et qu’en définitive la décision d’accepter
l’armistice était clairement prise sans même que les conditions des Allemands soient connues. Dans ces
conditions, la demande du maréchal Pétain de « rechercher les moyens de mettre un terme aux hosti-
lités » (allocution radiophonique du 17 juin annonçant « qu’il faut cesser le combat... ») apparaît très lar-
gement comme une figure de rhétorique et une fiction, l’annulation immédiate des commandes améri-
caines signifiant que le gouvernement se privait de toute marge de manœuvre et que la non-acceptation
des conditions allemandes d’armistice n’était pas envisagée un seul instant.
31. Selon P. Martin, Invisibles vainqueurs. Exploits et sacrifices de l’armée de l’Air en 1939-1940,
Éditions Yves Michelet, 1990.
Les contraintes industrielles dans la préparation de la guerre de 1939-1940 51
trielle paraît très lourde en ce domaine et, dans cette perspective, la répar-
tition mensuelle des appareils pris en compte par l’armée de l’Air est tout
à fait éclairante : ce n’est qu’au mois de mars 1940, c’est-à-dire bien tard
(et trop tard en termes d’effets sur le déroulement du conflit), que les
livraisons d’avions modernes « décollent » véritablement – c’est le cas de le
dire – en doublant par rapport aux mois précédents et en franchissant
le seuil de cent pour chacune des trois catégories d’avions considérées,
c’est-à-dire tant pour les chasseurs, que pour les bombardiers et les appa-
reils de reconnaissance32. L’accumulation de contraintes de toutes sortes
ont considérablement freiné la modernisation et le renouvellement de
l’armée de l’Air qui auraient été effectifs dès la fin de l’année 1940.
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La prise de conscience tardive de la faiblesse de l’aviation française, le
temps nécessaire pour tenter d’essayer de rétablir l’équilibre quantitatif et
qualitatif des forces, les modalités tant industrielles que techniques (en ter-
mes de choix d’appareils commandés en série) mises en œuvre dans la ges-
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32. Voir les tableaux très parlants qui figurent dans Histoire de l’aviation militaire. L’armée de l’Air,
1928-1981, Paris-Limoges, Lavauzelle, 1981, p. 106-107.
33. Pour les Allemands : chasseurs Messerschmitt 109 et 110, bombardiers Dornier 17, Hein-
kel 111, Junkers 88 et 87 Stuka ; pour les Français : chasseurs MS 406, Bloch 152, Curtiss H 75,
Dewoitine 520, Caudron 714 et Potez 631 ; bombardiers Amiot 143, Bloch 210, Farman 222, Lioré-
et-Olivier LeO 45, Amiot 350, Douglas DB 7, Glenn-Martin 167, Potez 633 et Breguet 693 ; appa-
reils de reconnaissance Potez 63 et 637, Bloch 174.
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moins de 900 appareils du côté français à près de 2 900 avions allemands,
soit un rapport des forces défavorable de un à plus de trois34. L’infériorité
numérique est une variable particulièrement lourde, même si elle est com-
pensée pour partie par la participation de la RAF.
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34. SHAA, ibid. Il conviendrait bien évidemment d’ajouter à ce nombre celui des appareils de la
Royal Air Force qui corrige de manière sensible le déséquilibre constaté ici. Mais ceci est un autre débat
qu’on n’abordera pas ici. Voir, dans cette perspective, J. Lecuir et P. Fridenson, L’organisation de la coo-
pération aérienne franco-britannique (1935-mai 1940), Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale,
no 73, janvier 1969, p. 43-74 ; C. Christienne, La RAF dans la bataille de France, au travers des rapports
Vuillemin de juillet 1940, dans SHAA, Recueil d’articles et d’études, 1981-1983, Vincennes, 1987, p. 313-
333. Ce rapport des forces, déjà très déséquilibré, a été considérablement exagéré par les autorités mili-
taires françaises. « L’infériorité de notre matériel a été plus grande encore que celle de nos effectifs.
L’aviation française a livré à un contre six ses combats. (...) Trop peu d’enfants, trop peu d’armes, trop
peu d’alliés, voilà les causes de notre défaite », affirmait le maréchal Pétain dans son appel radiodiffusé du
20 juin 1940. Dans son ordre général no 118 du 26 juin 1940, rendant hommage à l’action de l’aviation,
le général Besson, commandant le groupe d’armées no 3, parlait d’une lutte « à un contre dix ».
35. En incluant trois groupes de bimoteurs de chasse Potez qui seront dissous en tant que tels
ultérieurement (autonomisation des escadrilles), mais sans compter les escadrilles régionales de chasse
qui constitueront la base sur laquelle seront constitués le plus souvent les nouveaux GC.
36. Au 10 mai, cependant, trois groupes d’aviation équipés de matériels modernes (un de chasse,
un de bombardement et un de reconnaissance) étaient stationnés au Levant et il avait été prévu d’y
envoyer quatre autres GB, équipés de bombardiers d’origine américaine Glenn-Martin et à l’entraî-
nement en AFN. La présence de cette force aérienne s’inscrivait dans le cadre de l’opération projetée
contre l’URSS, visant Bakou et ses installations pétrolières, excentrique au sens propre comme figuré.
Compte tenu de l’infériorité numérique de l’armée de l’Air et de la pénurie de matériel, le moins que
l’on puisse dire est que ces forces auraient pu trouver en France un autre emploi plus évident.
Les contraintes industrielles dans la préparation de la guerre de 1939-1940 53
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de chasse. Bien évidemment, son rendement opérationnel s’en est trouvé
globalement affecté, un nombre relativement limité d’unités en première
ligne devant faire face à de multiples missions. En définitive, ce sont donc
14 GC seulement qui ont eu à supporter l’intégralité du choc en mai-
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juin 194037.
Pour sa part, le nombre des unités de bombardement reste identique
de la déclaration de guerre au 10 mai : 33 groupes dont 29 seront effecti-
vement engagés dans les combats de mai-juin38. Le nombre des GB est
donc assez nettement supérieur à celui des GC (ce qui ne signifie pas, bien
sûr, que le nombre d’appareils soit supérieur, les GB comportant moins
d’appareils que les GC) et il n’est pas négligeable. Du 3 septembre 1939 au
20 juin 1940, l’armée de l’Air a officiellement « pris en compte », selon
l’expression consacrée, près de 1 500 chasseurs mais également 850 bom-
bardiers39. Le rééquipement des unités de reconnaissance est également
très large pour ne pas dire systématique. Les différents appareils en dota-
tion au début de la guerre ayant dû être très rapidement retirés des opéra-
tions en raison des pertes subies, c’est l’ensemble du matériel des GR qu’il
s’est avéré nécessaire de remplacer.
37. Auxquels il faudrait d’ajouter, pour être complet, les six escadrilles de chasse de nuit équi-
pées de bimoteurs-triplaces Potez 631, soit l’équivalent de trois GC supplémentaires dissous en tant
que tels entre la déclaration de guerre et l’offensive de mai 1940. Par ailleurs, il faut souligner le
nombre relativement faible de sorties quotidiennes des groupes de chasse qui est sans doute très révé-
lateur de problèmes internes d’organisation. Plusieurs groupes de chasse ont été réduits temporaire-
ment à l’inactivité du fait de chevauchements d’affectation, de changements de groupements ou de
zones. Et durant toute la campagne de mai-juin 1940, on ne compte que 3 jours seulement à plus de
400 sorties de chasse, la moyenne se situant entre 250 à 300 sorties quotidiennes sur l’ensemble de la
période, soit très sensiblement moins que les disponibilités. Les pilotes allemands effectuaient très fré-
quemment plusieurs missions par jour ; les pilotes français pas toujours une par jour.
38. Il faut, en effet, décompter un GB (I/39) stationné au Levant bien qu’équipé de Glenn-
Martin 167, et trois autres GB demeurés en AFN : le II/25 équipé d’antiques biplans-bimoteurs
LeO 257, ainsi que les I et II/32 en cours d’instruction sur Douglas DB-7.
39. Service historique de l’armée de l’Air (SHAA), Histoire de l’aviation militaire..., op. cit.
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modifications à certains appareils, ce qui a contribué à désorganiser un
peu plus les chaînes de production et à retarder les livraisons. Les
Bloch 151 de série, par exemple, n’auront pas les performances attendues
en raison d’un capot-moteur qui entraînait un mauvais refroidissement de
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40. Les Allemands qui s’en serviront ultérieurement comme appareil d’entraînement avancé à la
chasse à partir de 1943 auront également de nombreux accidents.
41. Cette affaire sera à l’origine du renvoi de Marcel Bloch et de ses principaux collaborateurs à
la direction de la SNCASO en février 1940 (ou servira de prétexte à celui-ci, dans la mesure où d’autres
griefs s’y ajoutaient : reproche d’une gestion financière peu rigoureuse, intéressement trop grand à la
production de ses propres avions, sous-traitance avec des entreprises dont il était également proprié-
taire, etc.). En fait, les relations entre les constructeurs et les autorités publiques ne seront jamais de
véritable collaboration et confiantes, les premiers étant perçus comme essentiellement intéressés par le
profit financier et l’attitude des secondes étant fortement marquée d’autoritarisme et de volonté de
contrôle.
42. Voir par exemple, dans cette perspective, J. Cuny et R. Danel, LeO 45, Amiot 350 et autres
B4, Docavia-Éditions Larivière, vol. 23, 1986 ; R. Danel et J. Cuny, Le Dewoitine 520, Docavia-
Éditions Larivière, vol. 4 (rééd. sans date) ; O. Ledermann, Le sacrifice. Les avions Breguet 693 de
l’aviation d’assaut dans la Bataille de France, IPMS-France, 1994.
Les contraintes industrielles dans la préparation de la guerre de 1939-1940 55
tant à l’entraînement qu’en mission : 300 avions au moins ont été perdus
de ce seul fait43.
Au 10 mai, un seul GC sur 24 est opérationnel sur Dewoitine 520 et
un autre a commencé sa transformation mais cinq autres seront rééquipés
de matériels divers pendant la campagne de France, au prix de leur retrait
temporaire des opérations. Dix GB seulement sont considérés comme dis-
ponibles et susceptibles d’intervenir rapidement sur le champ de bataille,
dont quatre uniquement équipés de matériels modernes44, alors que 21 GB
sur 31, soit les 2/3, étaient en cours de rééquipement et d’instruction sur
matériel moderne ; soit dans le Sud-Est de la France, dans le cadre du
GIABSE (Groupement d’instruction de l’aviation de bombardement du Sud-Est),
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pour les groupes rééquipés de matériel français ; soit en AFN pour la plu-
part des groupes rééquipés en matériel américain.
Ces groupes ne sont pas en mesure d’intervenir rapidement et massive-
ment sur le champ de bataille et seront progressivement engagés par « petits
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43. Elles sont difficiles à comptabiliser. Si les pertes au combat sont connues de manière extrê-
mement précise et détaillée, les pertes « annexes », mais dont l’importance cumulée est loin d’être
secondaire (accidents, mais aussi appareils détruits au sol par bombardement, ou endommagés pour
quelques raisons que ce soit mais non réparés et abandonnés lors du repli des unités, avions réformés
ultérieurement, dans les semaines ou les mois qui ont suivi l’armistice, etc.), ne sont pas officiellement
recensées. Toutes causes confondues et pour s’en tenir à un chiffre rond, on peut considérer
qu’environ 2 000 appareils de combat ont été perdus en 1939-1940. Voir, à ce sujet, C. J. Ehrengardt,
mai-juin 1940 : autopsie d’une débâcle, art. cité ; et Ph. Garraud, L’action de l’armée de l’Air
en 1939-1940 : facteurs structurels et conjoncturels d’une défaite, Guerres mondiales et conflits contempo-
rains, no 202-203, avril-septembre 2001.
44. Les six groupes de la 1re division aérienne de la ZOAN (zone d’opérations aériennes Nord), soit
deux de LeO 45, deux de Breguet d’assaut et deux d’Amiot 143 anciens ; auxquels on peut ajouter les
quatre groupes de la 3e division aérienne de la ZOAE (zone d’opérations aériennes Est), soit deux groupes
d’Amiot 143 et deux de Farman quadrimoteurs qui effectueront essentiellement des missions straté-
giques de nuit.
45. Ainsi par exemple, lors de leur première mission de guerre le 12 mai dans le secteur de Ton-
gres en Belgique, les GBA I et II/54 perdent au combat 10 appareils sur 18 engagés, et ne seront plus
en mesure d’intervenir les jours suivants.
46. Les GBA I et II/51 (Breguet) effectueront leur première mission de guerre le 20 mai ; les
GB II/19 (Douglas DB-7) et I/63 (Glenn-Martin) le 22 mai ; les GB II/62 et II/63 (Glenn-Martin) le
24 mai ; le GB I/62 (Glenn-Martin) le 26 mai ; le GB I/19 (Douglas DB-7) le 29 mai ; le I/11 le 26 ou
31 mai et le II/23 le 6 juin (LeO 45).
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tout à la fois doctrinales, culturelles, industrielles et techniques47. Ils ont
conduit à une dispersion, voire un saupoudrage des moyens et à une
absence de concentrations significatives des moyens dans le temps et dans
l’espace48.
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47. D’une part, contrairement à l’aviation de chasse qui a une vocation première défensive,
l’aviation de bombardement est destinée à des missions offensives peu compatibles avec la doctrine
résolument défensive de l’institution militaire durant cette période ; d’autre part, le poids et la valori-
sation de la chasse dans l’histoire et la culture de l’aviation militaire ; enfin, d’un point de vue tech-
nique et industriel, il est beaucoup plus facile de construire un chasseur monoplace-monomoteur
qu’un bombardier beaucoup plus complexe d’un point de vue structurel.
48. De manière générale, voir Ph. Garraud, L’aviation de bombardement française pendant
la campagne 1939-1940 : capacités et emploi, Revue historique des armées, no 3, septembre 2001,
p. 89-100.
49. C.-J. Ehrengardt, dans P. Martin, Ils étaient là... L’armée de l’Air, septembre 39 juin 1940,
Aéro-Éditions, 2001, p. 137.
50. Et ce d’autant plus que leur doctrine d’emploi n’était pas véritablement fixée et était ina-
daptée aux caractéristiques des appareils, issus initialement d’un programme d’avion de chasse lourde
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extrêmement difficiles, presque toujours improvisées. Mais elle réside
également en aval dans l’emploi du bombardement directement en pre-
mière ligne, à la demande quasi exclusive du commandement terrestre.
Pour tenter d’arrêter la progression des colonnes blindées allemandes,
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Conclusion
En définitive, si ce que l’on sait aujourd’hui du réarmement allemand
conduit à relativiser fortement l’évaluation de l’efficacité comparée des
politiques d’armement51, ce n’est pas totalement le cas de l’aviation qui a
été le principal point faible français. Le rééquipement et la modernisation
de l’armée de l’Air se sont heurtés à tout un ensemble de contraintes
industrielles et organisationnelles, très largement externes à elle, qui n’ont
commencé que très progressivement – et tardivement – à être résolues, et
ont étroitement conditionné ses capacités opérationnelles en mai-
juin 1940.
Si la perspective comparée conduit à avoir une vision beaucoup plus
relative des choses (« le “chaos” allemand oblige à considérer la pagaille
française d’un œil moins sévère et à ne pas sous-estimer l’effort accompli.
triplace, dont les moteurs donnaient leur pleine puissance à moyenne altitude alors que leur utilisation
comme avions d’assaut les ont conduit à opérer à basse altitude, ce qui par ailleurs aurait nécessité un
blindage particulier dont ils étaient dépourvus.
51. « Faut-il pourtant s’en tenir au catalogue des insuffisances ?, s’interroge Jean-Louis Cré-
mieux-Brilhac. Ont-elles d’ailleurs été déterminantes ? Deux postes du bilan sont à mettre en regard.
Tout d’abord, un fait que l’on n’a jamais soupçonné du côté français : les retards et la pagaille n’ont
pas été le propre de la France : l’Allemagne du Führerprinzip dont on a affirmé qu’elle vivait depuis des
années en économie de guerre, a eu son lot de ratages et, mis à part le domaine aérien, n’était pas tel-
lement mieux équipée pour la guerre. (...) Le réarmement sous l’égide de Goering, on le sait
aujourd’hui, a été “un chaos au pas cadencé”. L’opinion française “éclairée”, qui s’est toujours exa-
gérée la force militaire de l’Allemagne, a surestimé également la perfection du fonctionnement de son
industrie de guerre : elle cédait, ici encore, au complexe d’infériorité à l’égard du voisin nazi,
complexe fait d’autodépréciation, d’intoxication et de peur » (J.-L. Crémieux-Brilhac, op. cit.,
p. 347).
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complexe de production nécessitant une forte coordination, perturbations
dans l’affectation de la main-d’œuvre spécialisée du fait de la mobilisa-
tion, etc. Le rééquipement de l’armée de l’Air et donc le développement
de sa capacité opérationnelle ont été considérablement retardés par ces
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multiples problèmes54.
En amont, la modernisation et le rééquipement de l’armée de l’Air se
sont donc heurtés à tout un ensemble de contraintes très largement indé-
pendantes d’elle et qui expliquent de nombreuses carences. Ce qui ne
signifie pas pour autant qu’elle soit exempte de toutes responsabilités dans
la mesure où certaines faiblesses organisationnelles lui sont imputables :
perfectionnisme technique des services, pesanteurs administratives, com-
plexité des structures de commandement et des rattachements d’unités
entre zones d’opérations aériennes, états-majors pléthoriques, personnels
de toutes catégories, navigants (pilotes, radio, mitrailleurs, etc.) comme
non-navigants (mécaniciens, armuriers, personnel au sol) globalement en
nombre insuffisant, moyens de réparation limités des unités, pilotes-
convoyeurs peu nombreux et absence d’unités spécialisées, etc.
Ces contraintes liées à la production industrielle n’ont commencé que
très progressivement – et trop tardivement – à être résolues. Dans tous les
domaines, les effets de calendrier ont été dramatiques et tous ces différents
facteurs ont étroitement conditionné et limité sa capacité opérationnelle
en mai-juin 1940. Faute d’appareils adaptés en nombre suffisant, ils l’ont
conduite à une dispersion, voire un saupoudrage des moyens et à une
absence de concentrations significatives des moyens dans le temps et dans
l’espace.
Dans le domaine aéronautique, les Allemands ont eu l’avantage
considérable de partir d’une « page blanche », ce qui a supprimé les
contraintes par héritage, alors que les Français ont eu à gérer tout à la
fois des retards de commandes, un tissu industriel largement obsolète,
tant sur le plan de l’équipement (machines et usines) que des structures
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de production, et la modernisation nécessaire au réarmement. En défini-
tive, le facteur temps, celui de l’apprentissage et de la résolution progres-
sive des problèmes, a été décisif et il n’a manqué que de six mois à un an
pour que l’armée de l’Air rattrape son retard, achève son rééquipement
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et réussisse sa modernisation.
Dans cette dernière hypothèse, le sort de la campagne de France de
mai-juin 1940 en eût-il été différent ? Rien n’est moins sûr dans la
mesure où il aurait fallu que d’autres conditions soient réunies complé-
mentairement. En effet, une telle éventualité aurait présupposé d’autres
changements majeurs, à commencer par une triple « révolution doctri-
nale » au sein du haut commandement militaire français : l’abandon d’une
stratégie trop exclusivement défensive, un meilleur emploi des chars,
l’acceptation et la reconnaissance de l’autonomie de l’action de l’armée de
l’Air55. Mais ceci est, comme on le voit, un autre débat qui touche au
cœur de la doctrine militaire française de l’entre-deux-guerres.
Philippe GARRAUD,
directeur de recherche au CNRS,
Institut d’études politiques de Rennes.
55. En dépit de son autonomie institutionnelle formelle mais très récente, il ne fait pas de doute
que son efficacité opérationnelle a également été limitée en aval par sa dépendance et sa subordination
vis-à-vis de l’armée de Terre, qui ont été à l’origine de tensions et même de conflits ; certains respon-
sables de l’armée de l’Air étant de plus en plus réticents à disperser leurs faibles moyens pour répondre
aux demandes de l’armée de Terre dans le cadre de la doctrine de coopération avec les forces terres-
tres et pallier dans une large mesure leur incapacité stratégique à enrayer l’avance allemande,
l’empêchant de mener des actions autonomes moins coûteuses et plus conformes à son rôle. Voir, à ce
propos, L. Robineau, La conduite de la guerre aérienne contre l’Allemagne, de septembre 1939 à
juin 1940, Revue historique des armées, no 3, 1989, p. 102-112 ; A. D. Harvey, The French armée de
l’Air in may-june 1940 : A failure of conception, Journal of Contemporary History, no 25, 1990, p. 447-
465 ; P. Facon, L’armée de l’Air dans la tourmente. La bataille de France, 1939-1940, op. cit.