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LES CONFLITS IDENTITAIRES OU ETHNOPOLITIQUES AFRICAINS AU

XXE SIÈCLE : CARACTÉRISTIQUES ET MANIFESTATIONS

Antoine-Denis N’Dimina-Mougala

Presses Universitaires de France | « Guerres mondiales et conflits contemporains »

2012/4 n° 248 | pages 97 à 119


ISSN 0984-2292
ISBN 9782130593577
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contemporains-2012-4-page-97.htm
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LES CONFLITS IDENTITAIRES


OU ETHNOPOLITIQUES
AFRICAINS AU XXe SIÈCLE :
CARACTÉRISTIQUES
ET MANIFESTATIONS

INTRODUCTION

Cet article n’a aucunement l’ambition d’épuiser, même sous forme


de synthèse de haute altitude, la problématique des conflits identitaires ou
ethnopolitiques africains qui est au demeurant éminemment complexe. Il
n’est donc qu’une modeste contribution, susceptible sans doute de nom-
breux autres développements. Berceau de l’humanité, l’Afrique connaît
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actuellement de nombreux conflits infra-étatiques. Sans doute afro pes-
simiste, Robert Kaplan en 1994 évoquait et prédisait l’implosion1 du
continent. Michel Adam abonde dans le même sens et confirme d’une
certaine façon, cette assertion puisqu’il estime que l’Afrique intertropicale
est la région du monde où, sous diverses formes : guerres civiles ou inter-
ethniques, guerres internationales, se rencontre depuis trente ans le plus
grand nombre de conflits armés2. C’est vrai que la récurrence des conflits
dans cet espace géopolitique souligne, à juste titre, l’ampleur de la tragédie
que vit l’Afrique. Nous avons déjà publié, il y a quelque temps, plus exac-
tement en mars 2007, un article sur la conflictualité africaine au xxe siècle.
Dans cette première analyse nous avons orienté notre réflexion dans une
perspective typologique3. Pour compléter cette première étude, et pour
continuer à analyser les conflits sévissant en Afrique, nous allons, dans
cette seconde réflexion nous intéresser aux conflits identitaires4, ethno-
politiques ou encore communautaires.

1.  Robert Kaplan, « The coming anarchy », The Atlantic Monthly, February, 1994, pp. 44-76.
2.  Michel Adam, « Guerres africaines. De la compétition ethnique à l’anomie sociale », Études
rurales, n° 163-164, p. 167.
3.  Pour en savoir plus sur cette publication lire Antoine-Denis N’dimina-Mougala. « Les conflits afri-
cains au xxe siècle. Essai de typologie », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 225, 2007, pp. 123-131.
4.  Nous empruntons ce concept à François Thual. Les Conflits identitaires. Paris, Ellipses, 1995
et dans Méthodes de la géopolitique, Paris, Ellipses, 1996. Cet auteur fait partie des intellectuels français
qualifiés de refondateurs de la géopolitique avec les professeurs Yves Lacoste, Michel Foucher, Hervé
Couteau-Bégarie, et le conseiller des Affaires étrangères et chargé de missions auprès du directeur de
l’Institut français des Relations internationales Philippe Moreau-Defarges.
Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 248/2012
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Pourquoi aborder cet aspect de la réalité africaine qui apparaît à


première vue comme relevant plus de l’imbroglio ? Répondre à cette
interrogation revient, d’une certaine façon, à arguer que la complexité
des convulsions consubstantielles à l’identitarisme ou crise identitaire
mérite un petit détour réflexif. Par ailleurs, pour tenter de comprendre
l’Afrique d’aujourd’hui, on ne peut occulter l’impact négatif des conflits
presque chroniques5 sur l’avenir de ce continent. Par conséquent, il
importe de cerner les tenants et les aboutissants de ces convulsions qui
se prolongent pendant des décennies, presque sans fin, et parfois sans
issue prévisible6. Le but de la présente publication est précisément de
répondre aux interrogations suivantes : quelles sont les caractéristiques
et les manifestations des conflits identitaires africains ? Et comment
essayer de les prévenir ?

LES CARACTÉRISTIQUES ET LES MANIFESTATIONS


DES CONFLITS IDENTITAIRES OU ETHNOPOLITIQUES AFRICAINS

Au xxe siècle, comme actuellement, l’Afrique a été et est toujours le


théâtre douloureux et macabre des conflits identitaires ou ethnopolitiques.
Tentons de démêler les fils de l’écheveau.
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Caractéristiques

Les conflits identitaires portent sur des « différends culturels, écono-


miques, juridiques, politiques ou territoriaux entre deux exemples ou
plusieurs groupes aux origines différentes7 ». Il y a conflit de ce type lors-
qu’un groupe se persuade, à tort ou à raison, qu’il est menacé de dispa-
raître soit sur le plan physique, soit sur le plan politique, par la domination
exclusive d’un autre groupe qui lui est insupportable. En d’autres termes,
on parle de ce genre de conflit lorsque « la survie réelle ou fantasmatique
du groupe est en jeu, quand celui-ci se sent dépossédé non seulement
d’un territoire ou de son territoire, mais plus gravement lorsqu’il se sent
dépossédé de son devoir de vivre, de son identité et de sa spécificité8 ». Le
conflit identitaire résulte de crises d’identité et de discrimination. Lorsque
celles-ci se manifestent, les normes de comportement sont sujettes à de
profondes remises en questions et à des attaques destinées à les modifier
radicalement. La construction de menaces et un processus de victimisa-
tion servant particulièrement à redéfinir les identités, pour éventuellement

5.  Michel Adam, op. cit., p. 171.


6.  Ibid., p. 171.
7.  Witold Rackza, « Le conflit ethnique : sa nature et les moyens de sa prévention par la commu-
nauté internationale », Relations internationales, n° 88, 1996, p. 397.
8.  François Thual(a), Les conflits identitaires, Paris, Ellipses, 1995, p. 6, et « Du national à l’identi-
taire. Une nouvelle race de conflits » (b), Le débat, n° 88, 1996, pp. 162-170.
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modifier l’équilibre ethnique, par la force. Ils visent à satisfaire des indi-
vidus, des leaders ou des collectivités aspirent à canaliser le changement
identitaire pour des fins de légitimité de groupe, d’affirmation d’autorité
ou de chauvinisme nationaliste9. Un conflit identitaire n’est pas seulement
un conflit de domination ou de conquête, c’est un conflit qui est vécu par
ses protagonistes comme défensif10.
Dans la perspective constructiviste, le conflit identitaire repose sur
une dynamique psychologique puisque les conflits identitaires semblent
être le produit de blessures narcissiques à l’identité des groupes ; en vérité
ces blessures et la volonté de les guérir par le recours à la violence sont
surtout construites par des leaders ethniques et politiques. Ces crises ne
sont pas nécessairement ancestrales ou inévitables ; elles correspondent à
des déséquilibres cognitifs provoqués et alimentés par une peur chez le
groupe de disparaître ou d’être diminué11. Dans la même optique, on ne
peut comprendre les « dynamiques nationalitaires » qu’en les analysant
en termes de stratégies d’acteurs, ou des entrepreneurs politiques mobi-
lisent des groupes fabriquant, à partir des significations imaginaires sociales
majeures de la société, de nouveaux arrangements entre concepts tirés du
« stock cognitif » de la société donnée12. Les identités sociales à caractère
agressif, dans cette perspective, sont « construites socialement par le biais
d’un ensemble de processus complémentaires où interviennent à nouveau
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les élites politiques qui se servent des vieilles mythologies politiques pour
nourrir les peurs collectives qu’inspire l’avenir13 ». Dans ce contexte, si l’on
se place du point de vue de David Lake et de Donald Rothschild les grou-
pes qui craignent pour leur survie, misent sur la violence et se préparent
en conséquence, en créant les conditions propices à son déchaînement14.
Dans la même veine, selon les constructivistes la violence n’est pas inhé-
rente mais conditionnée par les attitudes et l’apprentissage individuel et
collectif de la nature, socialement construite, de l’ethnicité15. Au fond, les
conflits identitaires mobilisent à partir d’une « solidarité géoculturelle pour
négocier en position de force les partages des revenus de l’État central avec
les représentants des autres groupes équivalents16 ». Ils visent aussi l’absorp-
tion pour leur profit singulier communautaire des ressources générales de

9.  Beverly Crawford & Ronnie Lipschutz, « Discours of war : security and the case of
Yugoslavia », Keith Krause & Michaël C. Williams, Critical Security Studies, University of Minnesota
Press, Minneapolis, 1997, pp. 149-186.
10.  François Thual (a), op. cit., p. 163.
11.  Ibid., p. 45.
12.  Didier Bigo, « Les conflits postbipolaires. Dynamiques et caractéristiques », Cultures et conflits,
n° 8, 1992-1993, pp. 3-14.
13.  Michel Fortman, « À l’ouest rien de nouveau ? Les théories sur l’avenir de la guerre au seuil
du xxe siècle », Études internationales, vol, XXXI, n° 1, 2000, pp. 57-90.
14.  David Lake et Donald Rothschild, « Containing fears: the origins and Managment of Ethnic
Conflict », International Security, 21 (2), pp. 41-75.
15.  Jack David Eller, Charles Philippe David, La Guerre et la Paix. Approches contemporaines de la
sécurité et de la stratégie, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2006, p. 159.
16.  Jean-Pierre Chrétien (a), « Les racines de la violence contemporaine en Afrique », Politique
africaine, n°, 42, pp. 15-27.
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l’État-providence17. À vrai dire, les conflits identitaires voient s’affronter


des narcissismes collectifs en ce sens qu’ils touchent à la fois l’individu et au
groupe auquel l’individu appartient et par lequel il existe. Face aux acides
déstructurant de la modernité, face à la misère économique, à la désin-
tégration politique, l’identité collective d’un groupe humain redevient le
seul point stable. L’identitaire devient pour la communauté et pour l’indi-
vidu un des seuls repères structurants18.
Les conflits identitaires résultent aussi du mauvais fonctionnement des
quatre dimensions de la paix civile, à savoir la paix politique, la paix éco-
nomique, la paix sociale et la paix culturelle, qui correspondent aux quatre
espaces de citoyenneté, indispensables à la volonté de vivre ensemble19. Les
conflits identitaires ont une autre caractéristique, car ils tournent autour de
la « libido dominandi », c’est-à-dire la volonté de dominer, de comman-
der et la quête de pouvoir de l’homme. Ici, comme dans d’autres types
de conflits, l’homme veut réaliser un dessein politique qui débouche sur
un pouvoir20. Les conflits identitaires africains se sont manifestés à la fois
en Afrique de l’ouest, en l’Afrique centrale et Afrique orientale. Voyons
comment.

Manifestations
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains ont eu lieu dans
les États de l’Afrique occidentale, centrale et orientale. Les exemples du
conflit du Libéria, des guerres touarègues et maures, des guerres du Kivu
et de l’Ituri, du conflit du Darfour, de la guerre rwandaise, et du conflit
burundais l’attestent.

a) La guerre du Libéria
La guerre du Libéria est identitaire. Elle a opposé les groupes ethni-
ques Krahn et Mandingue aux Gio et Mano. En réalité, « les stratégies
d’ethnicisation des cercles du pouvoir menées par le régime américo-
libérien que par celui de Samuel Doe ont conféré au discours identi-
taire un important pouvoir de mobilisation21 ». Par ailleurs, « l’exclusion
sélective de certains groupes de “natifs” jusqu’en 1980, puis la mono-
polisation des ressources politiques et économiques par les Krahn et les
Mandingue après le coup d’État de Samuel Doe ont assigné une pertinence

17.  Fidèle Nzé Nguema, « L’intégration régionale en quête d’identité et différences culturelles »,
Actes de la Table Ronde du CERGEP sur « L’intégration régionale en Afrique centrale : une mise en perspective »,
Université Omar Bongo, 13-15 octobre 1993, pp. 55-62.
18.  21 François Thual, op. cit., pp. 171-172.
19.  Mwayila Tshiyembé : « Les principaux déterminants de la conflictualité », in Paul Ango Ela, La
Prévention des conflits en Afrique centrale. Prospective pour une culture de paix. Paris, Karthala, 2001, p. 25.
20.  Antoine-Denis N’dimina-Mougal, op. cit., p. 131.
21.  Fabrice Weissman, « Libéria : derrière le chaos, crises et interventions internationales »,
Relations internationales & Stratégiques, n° 23, pp. 86-87.
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politico-économique à l’appartenance tribale. La répression conduite


contre les Gio et les Mano22 avant et après le déclenchement des hosti-
lités, et les représailles menées en retour par ces derniers à l’encontre des
groupes associés à l’ancien régime ont renforcé la cristallisation de la lutte
pour le contrôle des ressources étatiques sur des enjeux identitaires23 ».
Promettant revanche et accès privilégié au pouvoir en cas de victoire, les
leaders des factions ont sans difficulté gagné l’allégeance des combattants,
mobilisant une solidarité permettant de négocier en position de force les
partages des revenus de l’État central24.
Si l’on en croit Weissman25, au Libéria, cette mobilisation identitaire
a été favorisée par la crise de la jeunesse au sein de laquelle les factions
recrutent l’essentiel de leurs combattants. En effet, dans les villes, une
partie importante de la population juvénile, vit une situation de mar-
ginalisation. D’un côté, elle refuse le travail de la terre et le système
de domination traditionnel, particulièrement pesant pour les cadets
sociaux que sont les femmes et les adolescents. De l’autre, elle n’arrive
pas à s’insérer dans le tissu urbain. Dépourvus de bagage éducatif, qui
leur permettrait de trouver un emploi, avant guerre, seuls 34 % enfants
dépassaient l’école primaire, confrontée à un taux de chômage extrê-
mement élevé et souvent exclue des réseaux factionnels qui ont mono-
polisé l’appareil d’État et les secteurs rentables de l’économie, la jeunesse
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désireuse de quitter les campagnes s’est trouvée rejetée par les villes ou
marginalisée en leur sein. En rejoignant une faction, les jeunes accèdent
à une « profession », celle de combattant qui les sort de cette impasse. La
nourriture taxée sur les paysans et les organismes d’aide leur permet de
gagner une sécurité alimentaire qui ne passe ni par le travail de la terre
et la soumission à l’ordre traditionnel, ni par l’insertion dans l’économie
urbaine26.
En réalité, cet avantage a d’autant plus de valeur que la guerre a créé
une situation de pénurie faisant de l’accès à la nourriture un privilège. De
même, le pillage, des villes et des moyens d’intervention des organisations
humanitaires, pratique récurrente tout au long du conflit, permet aux
combattants d’atteindre les biens de consommation (radios, lampes, voi-
tures, etc.), qu’ils pensaient se procurer dans les centres urbains. Au-delà de
ces aspects matériels, les jeunes combattants accèdent à un statut et à une
identité, comme le prouvent les scarifications qu’ils portent sur leur corps
et qui signent leur appartenance à un bataillon particulier. Par ailleurs,
l’intensité des pillages et des destructions renvoie au degré de frustration
socio-économique enduré par les jeunes combattants. Celle des massacres
et des exactions s’explique par la construction identitaire de l’affrontement27.

22.  En Côte-d’Ivoire, les Gio et les Mano sont connus sous l’appellation de Yacouba.
23.  Fabrice Weissman, op. cit., p. 87.
24.  Jean-Pierre Chrétien (a), op. cit., p. 15.
25.  Ibid., p. 87.
26.  Ibid., p. 87.
27.  Ibid., pp. 88-89.
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Au-delà des rétributions matérielles, les jeunes combattants accèdent à un


statut et à une identité, comme le montrent les scarifications qu’ils portent
sur leurs corps et qui signent leur appartenance à un bataillon particulier.
Les factions ont fait jouer des répertoires historico-culturels valorisant les
activités guerrières. Le NPFL28 a sollicité la figure mythique du guerrier
yacouba qui occupe une place légendaire dans l’imaginaire dan. La résis-
tance des populations de l’Hinterland à la « colonisation » noire américaine
au xixe siècle a aussi servi de modèle. Cette continuité est perceptible dans
l’utilisation des noms guerriers tels que : « General Total Bone », « General
Dragon », « General Death », « General 24 hours », « Major Blood »,
« Destroyer », etc., comparables à ceux utilisés par les héros populaires qui
avaient mené la lutte contre la domination Congo « Jack Savage », « Bottle
of Beer », « Black Will »29... Les factions ont aussi puisé dans l’imaginaire
occidental : « Rambo », « Chuk Norris », etc. Au fond, l’identification aux
héros mythiques traditionnels et occidentaux a constitué une importante
ressource symbolique permettant d’enrôler les jeunes adolescents margina-
lisés30. À l’instar des Libériens, les Touarègues et les Maures se sont aussi
mobilisés et révoltés au Mali et au Niger sur le plan identitaire. Voyons
comment.

b) Les guerres touarègues et maures


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Les guerres touarègues et maures sont du même type. L’espace occupé
par les Touaregs et les Maures nomades s’étend sur le Sud de l’Algérie, le
Nord du Mali, du Niger et du Burkina-Faso, la Mauritanie et le Sahara
occidental. Mais, c’est principalement dans les régions septentrionales du
Mali et du Niger que les Touaregs et les Maures se sont révoltés contre
les pouvoirs centraux, l’Algérie et le Burkina-Faso ayant surtout joué le
rôle de sanctuaires ou de bases arrières pour les combattants, ainsi que de
zones d’accueil pour les réfugiés, à l’instar de la Mauritanie. Dans les deux
États concernés, la trame des événements, malgré les différences de sens
qu’elle recouvre, a été sensiblement la même : une révolte, une réaction
violente de l’armée qui n’arrive pas à étouffer les rebelles, la constitution
de mouvements nomades politico-militaires dans les zones montagneuses
ou désertiques difficiles d’accès, menant des raids rapides sur les convois et
les postes, et, malgré la division de ces mouvements, la signature d’accords
difficilement appliqués avec le pouvoir central31.
C’est en 1989 au Niger et en 1990 au Mali que commencèrent les
guerres touarègues et maures. Mais ce fut d’abord au Mali que les rebelles
réussirent à s’ancrer. Aguerris, mobiles, les combattants surprirent l’armée,

28.  Ce sigle signifie National Patriotic Front of Liberia ou Front patriotique national du Libéria.
29.  Michel Galy, « Massacres et fantasmes : une archéologie de la violence politique au Libéria »,
Université de Toulouse, Weissman, op. cit., pp. 87-88.
30.  Fabrice Weissman, op. cit., p. 88.
31.  Pierre Boiley, « Aux origines des conflits dans les zones touarègues et maures », Relations inter-
nationales & Stratégiques, n° 23, p. 100.
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et cette dernière, impuissante à les contenir et à les réduire militairement, ne


réussit, par une répression brutale essentiellement exercée contre les civils,
qu’à souder la population derrière la rébellion. C’est dans ce contexte que
furent signés les accords de Tamanarest, en janvier 1991, qui accordaient,
sur le papier, une autonomie importante aux régions du Nord. Trop rapi-
dement signés et sans consistance, les accords précités n’aboutirent à rien
et furent rejetés par une partie des rebelles du PPLA32. Les négociations
reprirent assez rapidement et aboutirent à la signature le 11 avril 1992 du
pacte national33. Au Niger, la situation prit un tour identique. Une pre-
mière trêve, entrée en vigueur le 15 mai 1992 fit long feu. Il fallut attendre
mars  1993 pour qu’un deuxième cessez-le-feu permette au Niger et à
la rébellion divisée en plusieurs factions, de commencer à négocier. Un
accord de paix fut finalement signé le 24 avril 1995 entre le gouvernement
nigérien et les rebelles après de nombreux atermoiements et de longues
tractations34.
Pour sa part, l’ex-Zaïre, c’est-à-dire l’actuelle République Démocratique
du Congo, a connu trois conflits identitaires : deux dans le Kivu, le pre-
mier de 1990 à 1994, et le second de 1999 à 2004. Le troisième et dernier
conflit, dans ce vaste pays de l’Afrique, a eu pour théâtre d’opération l’Ituri,
dans la même période que le second conflit du Kivu. Pour les besoins de
notre étude nous les appelons conflits identitaires congolais.
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Les guerres identitaires congolaises

a) Les guerres du Kivu


Le Kivu, désigne l’une des neuf régions naturelles de la République
Démocratique du Congo qui couvre des zones appartenant à deux provinces
administratives : le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Le Nord Kivu comprend la
ville de Goma et six zones rurales. Elle a une superficie de 59 483 km2. La
région de Masisi qui a été l’épicentre et le point de départ d’affrontements
interethniques violents couvre une superficie de 4 737  km2. Sa compo-
sition ethnique comprend les Nande et assimilés, les Hunde et apparentés,
et les Nyanga, les Pere, les Kumu et les Banyarwanda. De son côté, le Sud-
Kivu comprend la ville de Bukavu et huit zones rurales35.
Les différentes guerres du Nord-Kivu dont le but était pour les
belligérants l’exclusion ou la destruction de l’autre groupe36 sont aussi

32.  Front populaire de libération de l’Azawad.


33.  Pierre Boiley, op. cit., pp. 100-101.
34.  Ibid., p. 101.
35.  Paul Mathieu, A. Mafikiri Tsongo, « Enjeux fonciers, déplacements de population et escalades
conflictuelles (1930-1995) », Paul Mathieu & Jean-Claude Willame (dir), « Conflits et guerres au Kivu
et dans la région des Grands Lacs », Cahiers Africains et & Africa Studies, n° 39-40, 1999, p. 21.
36.  Paul Mathieu, Pierre-Joseph Laurent, A.  Mafikiri Tsongo, S.  Mugangu « Cohabitations
imposées et tensions politiques et guerres au Kivu et dans les régions des Grands Lacs », in P. Mathieu,
et J. C Willame (dir), « Conflits et guerres au Kivu et dans la région des Grands Lacs », Cahiers africains
et Afrika studies, n° 39-40, 1999, p. 15.
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i­dentitaires. Depuis 1991 et surtout en 1993, une grande partie de cette


région du Nord-Kivu, autour de la zone de Masisi au nord de Goma, a
été le théâtre d’affrontements meurtriers entre groupes locaux ancien-
nement implantés à savoir les Hunde, Nyanga, Tembo et membres de
divers groupes « banyarwanda37 ». Le résultat des affrontements de la
période 1990-1994 est le clivage violent entre les populations autoch-
tones Hunde, Nyanga, Tembo, ainsi que plus au nord les Nande, dans la
zone de Lubero d’une part, et une constellation hétérogène de « popula-
tions banyarwanda38 », d’autre part. D’autres affrontements liés à la même
logique identitaire ont eu lieu entre 1990 et 1996. Dans cette situation
de crise, les Zaïrois (désormais Congolais) autochtones et migrants d’ori-
gine vivaient dans la peur réciproque de l’autre. Cette cristallisation de
l’angoisse sur l’autre a été accrue et manipulée par les intellectuels et
les hommes politiques des deux bords. En 1993, ce sont des groupes de
jeunes hunde, nyanga et tembo qui déclenchent le 20 mars les premiers
massacres de paysans banyarwanda (hutu) sur le marché de Ntoto, puis
dans les villages environnants. En signe de représailles et de réponse du
berger à la bergère, des groupes similaires constitués de hutu du Masisi
ont utilisé les mêmes moyens violents. Ces violences réciproques, attaques
et massacres de civils par les milices ethniques des deux bords auraient
provoqué entre 14 000  et 30 000  morts et le déplacement de plus de
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200 000 personnes. À la fin de l’année 1996, le nombre des réfugiés était
de 800 000 personnes qui ont regagné le Rwanda et 500 000 personnes
déplacées fuyant les combats vers l’ouest et le Nord-ouest du Zaïre39. En
réalité, en 1996, les Zaïrois, exaspérés par les camps de réfugiés, l’indiffé-
rence de la communauté internationale à leur situation de misère, la des-
truction de leur environnement, ont décidé de bouter hors du pays tous
les étrangers, même les Banyarwandais vivant depuis toujours avec eux.
Les Hunde, avec arcs, flèches, lances et gris-gris, ont formé des milices et
attaqué les Rwandais. Les pasteurs tutsi (zaïrois) se sont enfuis. Les Hutu
(zaïrois et nouveaux réfugiés) ont fait bloc, renforcés par les milices des
camps40 ». Les guerres identitaires du Nord-Kivu ne résultent pas d’un
facteur unique, mais plutôt d’une histoire qui met en scène des acteurs
dont les stratégies et les alliances ont évolué autour d’enjeux cruciaux
que constituent la migration et la problématique consubstantielle à la
nationalité, l’appropriation de la terre et la démocratisation de l’État41.
Une autre zone de la République Démocratique du Congo a connu
également un conflit identitaire, il s’agit de l’Ituri.

37.  Ce terme veut dire les originaires du Rwanda.


38.  Paul Mathieu et Mafikiri Tsongo : « Enjeux fonciers, déplacements de populations et escalades
conflictuelles (1930-1995), », Paul Mathieu, et Jean-Claude Willame, op. cit., pp 21-23.
39.  Paul Mathieu, Pierre-Joseph Laurent, A. Mafikiri Tsongo, S. Mugangu, op. cit., pp. 19-20.
40.  Colette Braekman, Le génocide se prolonge au Zaïre, Pierre-Joseph Laurent, « Déstabilisation
des paysanneries du Nord-Kivu : migrations, démocratisation et tenures », Paul Mathieu, & Jean-
Claude Willame, op. cit., p. 82.
41.  Pierre-Joseph Laurent, op. cit., p. 83.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 105

b) Le contexte historique justifiant la guerre de l’Ituri


L’Ituri est une zone où plusieurs couches de conflictualité se sont
déposées au fil de l’histoire et qui interagissent entre elles. S’inscrivant
dans un antagonisme de longue durée, les tentatives d’accaparement fon-
cier des propriétaires hema des années 1990 et leur enrichissement en
bétail grâce au développement de l’élevage soutenu par des coopérations
étrangères dans les années 1980-1990 ont été l’étincelle qui a provoqué
l’explosion42. À en croire Thierry Vircoulon43, conforté d’une certaine
manière par Roland Pourtier44, le problème foncier, du territoire de
Djugu, n’est que l’expression de la coexistence historiquement difficile
entre Lendu45 et Héma46. Ce qui transparaît à travers le conflit domanial
de Djugu, est la longue histoire d’inégalités socio-économiques entre
des Lendu peu scolarisés, généralement paysans, ou chercheurs d’or
dans les carrières et des Hema qui avaient fréquenté l’école des mission-
naires belges47, monopolisaient l’administration locale et le commerce
et avaient bénéficié de la zaïrianisation des exploitations agricoles des
colonisateurs. À vrai dire, les mémoires locales dépeignent une relation
inégalitaire dès ses débuts au xviiie siècle entre les pasteurs hema et les
agriculteurs lendu, mais cette inégalité était tempérée par un système
d’échanges réciproquement bénéfiques. Si les Hema qui avaient des
« rois » ont plus moins subjugué les Lendu sans chefferie centralisée, ils
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dépendaient d’eux pour une bonne partie de leur approvisionnement et
des traces d’acculturation dans les deux groupes témoignent de l’intensité
des échanges. La coexistence des deux groupes aux territoires étroite-
ment imbriqués s’était traduite, dans le passé, par une série d’affron-
tements en 1911, 1921, 1969, 1971, 1981 et 1992-1993. Ces périodes
de tension avaient donné lieu à des tueries de part et d’autre, massacres
qui hantent encore la mémoire collective des deux communautés. Ces
affrontements ponctuels ne s’étaient arrêtés qu’avec l’intervention du
pouvoir central. En 1911, quand les Lendu avaient tué le chef hema
Bomere dans l’actuel territoire d’Irumu, les activités coloniales belges
avaient séparé les belligérants en définissant des territoires respectifs et en
libérant ainsi les Lendu du sud de la tutelle hema. Dans l’histoire locale,
ce meurtre d’un chef hema représente le « crime primordial », celui d’où
tout découle : c’est le moment de la rupture de la coexistence pacifique
et le début d’une séparation contestée des deux groupes en collectivités­

42.  Thierry Vircoulon, « L’Ituri ou la guerre au pluriel », Afrique contemporaine, n° 215, 2005, p. 6.
43.  Ibid., p. 6.
44.  Roland Pourtier (a), « L’Afrique centrale dans la tourmente. Les enjeux de la guerre et de la paix
au Congo et alentour », En ligne, http://www. Cairn. info/article_p. php ?ID_ARTICLE=Her_111
0011, pp. 17-18, site consulté le 25 avril 2008.
45.  Habitants de l’Ituri, les Lendu sont des paysans qui étaient organisés en chefferies jusqu’au
début du xxe siècle
46.  Les Hema sont des éleveurs assimilés aux peuples nilotiques. Ils se seraient installés près du lac
Albert dans le district de l’Ituri circa le xviie siècle.
47.  Roland Pourtier (a), op. cit., pp. 17-18.
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106 Antoine-Denis N’Dimina-Mougal

administratives hema et lendu. Par ailleurs, l’histoire prend la forme de


l’engrenage de la vengeance et les heurts s’enchaînent48. C’est sans doute
ce contexte de ressentiments ethniques réciproques aussi forts qui expli-
que la guerre de l’Ituri.

c) La guerre de l’Ituri
De 1999 à 2004, le district d’Ituri, à l’Est de la République
Démocratique du Congo, et bordant les frontières ougandaise et souda-
naise a connu aussi une guerre identitaire. Le district de l’Ituri qui compte
entre 3, 5 et 5, 5 millions d’habitants ne s’est pas embrasé progressive-
ment. Tout a commencé par un conflit local, dans un des cinq territoires
du district. Le territoire de Djugu était au plan agricole, le plus riche du
district et au plan ethnique, le plus complexe. La géo-ethnie des Hema et
des Lendu était tellement imbriquée qu’il était quasiment impossible de
différencier leurs territoires : collectivités hema comportaient des popu-
lations lendu et vice-versa. À l’époque coloniale, les Belges avaient créé,
dans cette zone d’altitude et arrosée, de nombreuses fermes ainsi que
la plus grande des missions catholiques, la mission de Fataki. Lors de la
« zaïrianisation » de l’économie, les propriétaires belges conservant des
intérêts dans l’ancien Congo devenu Zaïre ont confié leurs exploitations
agricoles à des gérants hema dans l’espoir d’en reprendre possession à
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la fin de cette politique économique mobutiste. Or, celle-ci a duré et
les Hema ont fait enregistrer ces propriétés, dont les ouvriers étaient le
plus souvent des Lendu, sous leur nom. Les concessionnaires hema ont
mené une politique d’accaparement des terres en soudoyant les auto-
rités locales. Selon la législation congolaise, un titre de propriété non
contestée pendant deux ans devient incontestable. Le service du cadastre
et le tribunal de Bunia étant au service du mieux offrant, de nombreuses
malversations foncières ont eu lieu circa 1990, permettant aux conces-
sionnaires hema d’agrandir leurs propriétés aux dépens des Lendu du
territoire de Djugu49.
Cet accaparement était, du reste, facilité par le fait que la plupart
des paysans lendu étaient illettrés et n’avaient pas les moyens financier
et intellectuel de contester les titres fonciers qui leur étaient opposés.
La police et le reste de l’administration dominés par les Hema n’ont pas
joué le rôle impartial qui aurait dû être le leur et les quelques contesta-
tions foncières parvenues devant le tribunal local ont tourné à l’avantage
des propriétaires. Structurelles en République Démocratique du Congo,
la corruption de l’administration et de la justice locales a permis aux
tensions entre ces deux ethnies de s’accentuer au point d’aboutir à un
conflit ouvert (dans la mémoire locale, le premier fait de guerre fut le
massacre d’un groupe de Hema se rendant à un mariage). Épicentre de

48.  Thierry Vircoulon, op. cit., pp. 6-7.


49.  Ibid., p. 2.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 107

la guerre identitaire, le conflit foncier du territoire de Duju a vite révélé


son potentiel de contagion en gagnant la zone d’Irumu où vivaient des
Hema et Lendu méridionaux. Dans ce territoire, les zones hema et lendu
sont plus homogènes que dans le Djugu, au point qu’il est difficile de
distinguer de véritables « blocs géo-ethniques ». L’arrivée de réfugiés et
leurs récits de combats ont ravivé les anciennes plaies et conduit les deux
groupes à épouser les causes de leurs cousins du nord. Quatre milices
identitaires se sont structurées en fonction des affiliations claniques tra-
ditionnelles : l’UPC50 pour les Hema septentrionaux et le PUSIC (Parti
pour l’unité et la sauvegarde de l’intégrité du Congo) pour les hema
méridionaux, le FNI ou Front des nationalistes intégrationnistes pour les
Lendu du nord et le FRPI51 pour les Lendu du sud52. Ces affrontements
entre Lendu et Hema ont fait des victimes collatérales : les membres des
autres ethnies de l’Ituri qui compte 18 groupes ethniques. La guerre de
l’Iturie a fait environ 50 000 morts et environ dix fois plus de dépla-
cés53 et s’explique également en toute vraisemblance par des considé-
rations foncière, commerciale et politique54. Cette assertion est partagée
par Roland Pourtier qui estime d’une certaine façon que le conflit de
l’Ituri est enraciné dans les rivalités entre pasteurs Lendu, accrues par
le contexte de raréfaction des terres. En fait, pour le géographe fran-
çais, préséance sociale et contrôle foncier toujours étroitement imbriqués
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constituent la toile de fond d’enjeux politiques55. De plus, l’établissement
des frontières linéaires a imposé des césures, brisé des continuités et des
complémentarités spatiales, entravé la mobilité des hommes et rigidifié
les territoires56.
Au Soudan, la région montagneuse de ce pays, à savoir le Darfour a
connu également un conflit identitaire. Qu’en est-il concrètement ?

d) Le conflit du Darfour
Le conflit du Darfour a des relents identitaires. Face aux succès de la
rébellion des ethnies Fur, Massalit et Zaghawa les autorités de Khartoum
ont armé des milices arabes appelées djanjawids qui razzient, incendient les
villages et pratiquent le nettoyage ethnique. En dépit d’un bilan épouvan-
table, qui tourne autour de 200 000 morts, 200 000 réfugiés au Tchad et
plus de 2 millions de déplacés (un tiers de la population) dans des camps
de fortune au Darfour même et une intervention humanitaire massive, en
2004, la guerre se poursuit. L’Organisation des Nations Unies a délégué la

50.  Cet acronyme signifie Union des patriotes congolais.


51.  Cette abréviation veut dire Front de résistance patriotique de l’Ituri
52.  Thierry Vircoulon, op. cit., p. 2.
53.  Ibid., p. 2.
54.  Ibid., p. 9.
55.  Roland Pourtier (b), « Introduction thématique », Afrique contemporaine, n°  205, En ligne,
file ://E:Introduction% 20 th C3% A9matique% 20_%20Cairn_info.htm, p. 3, consultée le 16 décem-
bre 2010
56.  Ibid., p. 3.
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108 Antoine-Denis N’Dimina-Mougal

gestion de la crise à l’Union africaine qui a envoyé sur place 6 000 soldats


sans mandat pour combattre57. Si l’on en croit Jean-Philippe Remy58, sept
ans après l’éclatement de ce conflit dans l’ouest du Soudan, les offensives
menées par l’armée soudanaise et ses supplétifs, les djanjawids, ont presque
cessé, remplacées par l’ordinaire des violences subies au quotidien par la
population. Les grandes vagues de destruction ont diminué, puisqu’il ne
reste plus de villages à brûler, mais sur le terrain, rien n’est réglé. Les effets
du conflit se mesurent à l’étendue des pertes : environ 300 000 morts,
imputables à 80 % aux conditions d’existence après les destructions menées
par le pouvoir, et la destruction menée à grande échelle de villages et
champs. Plusieurs groupes rebelles sont toujours en activité, notamment le
Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) du Dr Khalil Ibrahim, et la
faction de l’Armée de libération du Soudan (SLA) dirigée par Abdelwahid
Al-Nur. Ils bénéficient chacun d’alliances à l’intérieur du Soudan et de
soutiens à l’extérieur59.

e) Le conflit intra-rwandais
Le conflit rwandais est aussi identitaire. Menacé par la guérilla du Front
Patriotique Rwandais (FPR) depuis octobre 1990 et par l’affirmation d’une
opposition intérieure, le régime du président Juvénal Habyarimana privilé-
gie deux stratégies : l’extraversion60 et l’ethnicisation de la scène politique.
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Cette mobilisation identitaire, qui intègre un clivage hutu-tutsi préexistant
tout en le remodelant, est porteuse de violence. Elle est incompatible avec
le maintien des soutiens occidentaux. En contrepartie de ces appuis, le
régime est incité à se démocratiser, donc à ouvrir la compétition politique,
alors que l’ethnicisation vise à exclure politiquement, puis à éliminer phy-
siquement, toute une partie de la population. La mobilisation identitaire
procure une victoire incertaine : alors que le FPR renforce ses positions, la
dynamique de violence qu’elle enclenche vient remettre en cause les sou-
tiens extérieurs. Ruinant l’image d’un Rwanda modèle, elle transforme
les enjeux du conflit et réduit considérablement l’intérêt du pays pour les
organismes de coopération61. La lenteur de la mise en place de la transition
reste acceptable pour les partenaires du Rwanda. Cependant, la multipli-
cation des blocages au sein du gouvernement de coalition paralyse de plus
en plus le fonctionnement de l’État. L’îlot de stabilité bien géré semble
sombrer dans une anarchie. Conséquence du succès relatif de l’ethnicisa-
tion, la montée de la violence rend de plus en plus délicat le maintien d’un
soutien qui ne peut plus procurer les mêmes contreparties. La ­diminution

57.  Alain Gresh et al : « Le Darfour, paradigme des drames de la Corne », L’Atlas du monde
diplomatique, 2006, p. 150.
58.  Jean-Philippe Rémy, « Soudan : l’année de tous les dangers », Le Monde, hors série, bilan
­géostratégique 2010, p. 116.
59.  Ibid., p. 116.
60.  De 1990 à 1993, le régime rwandais s’est appuyé sur ses nombreux appuis étrangers.
61.  Antoine Jouan, « Rwanda, octobre  1990-avril 1994 : Les errances de la gestion d’un
conflit », Relations internationales et stratégiques, n° 23, pp. 132-151.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 109

des dons est perceptible dès 1992, même si elle est compensée par l’aug-
mentation de l’aide humanitaire. Récurrente depuis le début du conflit,
la violence se développe considérablement dans les derniers mois de 1993
avec la perspective de la mise en place du « Gouvernement de transition à
base élargie » (GTBE)62, libérant cette « violence quotidienne des rapports
sociaux dans un contexte acharné de lutte pour la survie63 » antérieure à
la crise.
Tout d’abord cantonnées aux zones rurales ou à la proximité du front,
les exactions et les violences vont de plus en plus toucher les villes. Les
attentats et les assassinats politiques se multiplient : explosions de grenade à
la gare routière de Kigali, à la poste, sur certains marchés ; le 18 mai 1993,
un leader de l’ancien Mouvement Démocratique Républicain ou MDR
est assassiné ; en février 1994, Félicien Gatabazi, leader du PSD ou Parti
Social Démocrate et ministre en exercice, est tué. L’annonce de ce meurtre
est suivie d’émeutes à Butaré. L’insécurité s’accroît à Kigali mais aussi à
travers le pays. Coups de feu nocturnes, explosions de grenades, jouets
piégés, et incertitudes politiques enclenchent une véritable psychose. Ce
sentiment de violence est accentué par la rumeur sur son origine incer-
taine : parfois attribuée aux escadrons de la mort64. La finalité du recours à
la violence est dès lors transformée. Le contexte de violence physique et
d’ethnicisation « discrédite l’ennemi dans les catégories morales et autres
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pour en faire un monstre inhumain, qu’il ne suffit pas de repousser mais
qui doit être anéanti définitivement au lieu d’être simplement cet ennemi
qu’il faut remettre à sa place65. Stigmatisés politiquement et socialement, les
Tutsi ne seraient somme toute que des étrangers dans une région bantoue.
Puisque « leur pays, c’est l’Éthiopie », ils doivent être chassés. La disquali-
fication se focalise particulièrement sur le FPR.
Les combattants de ce mouvement se voient accoler un qualificatif ani-
malier : « Il ne faut plus les appeler Inkotanyi. Ce sont des Inyenzi (cancre-
lats), sortant la nuit et se cachant le jour. La violence du discours conduit
ainsi à développer une argumentation niant l’humanité de l’adversaire66. »
Justifiée et encouragée, la violence est d’autant plus essentielle dans la
lutte pour le pouvoir que les moyens engagés s’amenuisent. La guerre
asphyxie l’économie rwandaise. Meurtres, émeutes et prétextes divers
de la Présidence retardent l’installation du Gouvernement de transition à
base élargie. Ce vide institutionnel se fait ressentir. Les caisses étant vides,
l’argent ne permet plus de contrôler et d’encadrer les milices et l’armée.
Les discours identitaires deviennent ainsi l’instrument principal de mobili-
sation. La capacité à contrôler leur teneur et à utiliser la violence devient

62.  Ibid., pp. 151-154.


63.  André Guichaoua, Les Crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994). Paris, Karthala,
1995, p. 36
64.  Antoine Jouan, op. cit., p. 154.
65.  Carl Schmitt, La Notion de politique, Paris, Flammarion, 1992, p. 75.
66.  Antoine Jouan, op. cit., p. 135.
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110 Antoine-Denis N’Dimina-Mougal

fondamentale dans l’évolution des rapports de force au sein des groupes


dirigeants ou le président Habyarimana semble marginalisé67.
Filip Reyntjens distingue trois groupes recourant à la stratégie de tension
et de déstabilisation : l’entourage présidentiel, le pôle CDR-Kangura, et le
MNRD et ses milices. Il pense que les intérêts des trois composantes ne
sont pas forcément les mêmes, mais à des moments précis, les enjeux finan-
ciers, idéologiques et politiques convergent dans une coalition objective face
aux forces démocratiques de l’intérieur et du FPR68. Les liens entre ces trois
cercles sont cependant importants. Jean Pierre69 Chrétien argue qu’il existe
des liens, notamment financiers, entre Kangura et l’entourage présidentiel.
De plus, certains membres de l’akazu exercent une influence certaine, si ce
n’est un contrôle sur les milices, notamment le colonel Bagosora, le colonel
Serubuga, Joseph Nzirorera ou Mathieu Ngirumpatse, Secrétaire général du
MNRD. La perspective d’une pacification de la scène politique menace ce
pôle extrémiste hétérogène, où se fondent la tendance hutu power, la CDR
et les réseaux extrémistes, de l’armée. Responsable et commanditaire de
nombre d’exactions, une partie, si ce n’est l’ensemble de l’entourage prési-
dentiel risque d’être marginalisée en cas d’application des accords de paix ; la
volonté d’identifier les responsables des « troubles » ne fait qu’amplifier cette
perspective. Ils passent dès lors d’une lutte pour le pouvoir à une logique de
survie. Déliquescence économique, paralysie de l’administration, atrophie
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politique de l’Église, indiscipline dans l’armée : les relais habituels du pouvoir
subissent le contrecoup de la stratégie développée par les cercles dirigeants,
laissant la violence sans entrave.
L’affaiblissement des contraintes extérieures, l’imprégnation de violence
et les tensions au sein de l’entourage présidentiel vont accélérer le recours
à la violence programmée, perçue comme la meilleure réponse à la crainte
d’une perte du pouvoir. Lorsque le génocide débute, le 6 avril 1994, les
gouvernements belge et français réagissent par l’envoi de troupes char-
gées d’évacuer leurs compatriotes ; le 14 avril, ils quittent le pays, suivis le
22 avril par l’essentiel des Casques bleus de la Mission des Nations Unies
au Rwanda ou MINUAR70, dont la mission a été un échec71. Alors que les
massacres ne cessent de s’amplifier, il faut attendre le 16 mai pour que le
terme de « génocide » soit officiellement employé, par le ministre français
des Affaires étrangères. Durant un mois alors que périssent des centaines
de milliers de personnes, il n’aura été question que d’« affrontements inter-
ethniques », de « massacres tribaux », qui occultent la dimension génoci-
daire des tueries72.

67.  Gérard Prunier, The Rwanda Crisis, Londres, Hurst, 1995, p. 203.
68.  Filip Reyntjens, L’Afrique des Grands Lacs en crise, Karthala, Paris, 1994, p. 391.
69.  Cité par Antoine Jouan, op. cit., p. 156.
70.  Mission d’Assistance des Nations Unies au Rwanda.
71.  À ce propos, lire notre article : Antoine-Denis N’dimina-Mougala, « Les opérations de
maintien de la paix des Nations unies en Afrique centrale, 1960-2000 », Guerres mondiales et conflits
contemporains, n° 236, 2009, pp. 121-133.
72.  Antoine Jouan, op. cit., p. 156.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 111

f) Le conflit intra burundais


Au Burundi, de 1969 à 1972, l’ethnisme devient la référence, la grille
de lecture, l’argumentaire officieux et le moyen d’action de toute faction
aspirant au pouvoir. C’est dans ce contexte identitaire qu’éclate à la fin
du mois d’avril  1972 la tragédie que les Burundais ont dénommée « le
fléau ». Dans la soirée du 29 avril, des groupes armés, dont certains étaient
venus de Tanzanie, attaquent les bourgades du sud du pays, massacrent
systématiquement les fonctionnaires tutsi et leurs familles, s’en prenant
aussi aux Hutu qui refusent de les suivre. Ces bandes vont ensuite opérer
dans les campagnes environnantes, pendant que des actions sont tentées
aussi à Bujumbura et Gitega73. À en croire Jean-Pierre Chrétien, le récit
des atrocités a créé la panique en milieu tutsi. Le pouvoir qui fonctionne
à côté du président Micombero durant cette période, lance aussitôt des
représailles contre tous les ressortissants de cette « ethnie » qui semblaient
réussir socialement. Sont visés aussi bien les fonctionnaires, et les militaires
que les commerçants, les étudiants et même des élèves du secondaire. Les
autorités administratives et judiciaires mènent cette chasse aux sorcières qui
se solde par des exécutions massives sans jugements. Le nombre total des
victimes s’élève à environ 100 000. Roland Pourtier a d’autres chiffres et
indique que les estimations des massacres de 1972 oscillent entre 100 000 et
200 000 morts74. Durant les mois de mai et juin  1972, la « répression »
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a tourné au génocide des élites hutu qui furent décimées75. Durant une
dizaine d’années les parents hutu n’oseront plus envoyer leurs enfants dans
les écoles de l’État76. La disparition brutale, en octobre 1993 et avril 1994,
des deux premiers ministres hutu, le premier suite à un putsch militaire,
le second au moment de l’assassinat du président rwandais a rallumé la
guerre civile au Burundi, où la majorité hutu combat la minorité tsutsie
alors au pouvoir77. En effet, le 21  octobre 1993, un putsch est mené à
Bujumbura par un groupe de militaires tsutsi de l’aile sudiste : le président
Melchior Ndadaye et quatre haut-personnages de l’État sont assassinés.
Dès le lendemain, des massacres éclatent dans toute la moitié nord du
pays : des bandes de jeunes, encadrés le plus souvent par des cadres admi-
nistratifs ou des militants du Frodebu78, attaquent les familles tsutsi et les
Hutu de l’Uprona79, considérés comme des traîtres. Des écoles font l’objet
de cruelles épurations ethniques, des dizaines d’élèves sont brûlés vifs. La
Croix Rouge estime les victimes à 100 00080.

73.  Jean-Pierre Chrétien, « Ethnicité et politique : les crises du Rwanda et du Burundi depuis
l’indépendance », Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 181, 1996, pp. 118-119.
74.  Roland Pourtier (a), op. cit., p. 8.
75.  Ibid., p. 8.
76.  Jean Pierre Chrétien (b), op. cit., p. 119.
77.  Dario Battistella, « Guerres et conflits dans l’après-guerre froide : annexe : les conflits armés
majeurs depuis 1989 », Problèmes politiques et sociaux, n° 799-800,1993, p. 115.
78.  Cette abréviation veut dire Front pour la démocratie au Burundi.
79.  Union pour le Progrès National.
80.  Jean-Pierre Chrétien (b), op. cit., p. 123.
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112 Antoine-Denis N’Dimina-Mougal

Au regard de ce qui précède, plusieurs constats s’imposent. Le pre-


mier, c’est que ces conflits identitaires ou ethnopolitiques analysés supra,
sont âpres et relativement meurtriers. Ils ont fait beaucoup de victimes
dans l’Ituri, en République Démocratique du Congo, au Rwanda, et
au Burundi. La deuxième observation, c’est que ces guerres ont eu lieu
dans presque toute l’Afrique subsaharienne. L’Afrique de l’Ouest avec le
Libéria, le Mali, le Niger a été touchée durement. À son tour, l’Afrique
centrale avec les conflits de la République Démocratique du Congo, du
Burundi et du Rwanda n’a pas été épargnée et a payé un lourd tribut.
De son côté, l’Afrique orientale avec un conflit, celui du Darfour a été
moins affectée. Le troisième constat, c’est que ces guerres ont des causes
multiples : les contextes historiques locaux, les problèmes fonciers, et les
problèmes économiques et politiques. La dernière observation, c’est que,
comme toute guerre, les conflits identitaires laissent des traces durables
dans les comportements. Ce qui signifie qu’il faut du temps aux popula-
tions africaines ayant subi et échappé à ces violences, pour qu’elles arrivent
à faire table rase de ces conflits dans leur mémoire collective, car elles ont
vécu cette violence qui sévit depuis fort longtemps en Afrique subsaha-
rienne. Pour tenter de limiter la portée meurtrière de ces convulsions, il
convient d’essayer de les prévenir, même si la prévention des conflits n’est
pas une entreprise aisée.
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LA PROBLÉMATIQUE DE PRÉVENTION DES CONFLITS

Avant d’entrer dans le vif du sujet, pour des raisons de commodité


d’analyse, il est judicieux de présenter succinctement la problématique de
la prévention des conflits, telle qu’elle est envisagée par certains auteurs,
qui ont réfléchi sur cette thématique.

État de la question

S’intéresser un tant soi peu à la problématique de la prévention des


conflits revient, d’une certaine façon, à s’approprier de manière critique
les enjeux qui sous-tendent ce débat qui confine au challenge eu égard
aux difficultés cognitives de l’entreprise. Si l’on se place du point de vue
de Charles-Philippe David, le véritable défi est désormais la prévention
et la résolution des guerres de nature intra-étatique. Autrement dit, les
conflits d’aujourd’hui sont d’un type nouveau : alors que les États se
combattaient entre eux, désormais, des groupes, des clans, des ethnies,
des factions, se disputent ou contestent l’État lui-même. Les guerres
interétatiques font place aux guerres ethno-politiques81. Pour sa part,

81.  Charles-Philippe David, La Guerre et la Paix. Approches contemporaines de la sécurité et de la stra-


tégie. Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2006, p. 132.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 113

Sophia Clément estime que la prévention des conflits « consiste en une


action concertée ayant pour objectif la dissuasion, la résolution et ou
l’arrêt des conflits avant leur éclatement, c’est-à-dire, avant une escalade
de la violence, interne ou externe82 ». Pour Éric de La Maisonneuve83, le
concept de prévention inclut l’ensemble des méthodes et des dispositions
de toute nature et de toutes origines qui vise à fournir les indices et à
procurer les délais nécessaires et suffisants à un acteur stratégique pour lui
permettre d’enrayer un engrenage conflictuel. En réalité, la prévention
est la première ligne de défense pour enrayer les risques d’un conflit.
Elle n’est pas à confondre avec la stratégie de gestion des conflits, utilisée
durant les conflits armés. Carment et Schnabel associent la prévention
des conflits à une stratégie à long terme, menée par divers acteurs, et
destinée à créer les conditions favorables à un environnement sécuritaire
stable et plus prévisible84.
Pour donner sa pleine mesure, la stratégie de la prévention mise sur plu-
sieurs axes. La prévention peut s’effectuer très tôt, en amont d’un conflit,
dès que les premiers signes de détérioration d’une situation apparaissent.
On se réfère alors à la prévention structurelle. Quand celle-ci traite des
causes sous-jacentes au conflit. Ce type de stratégie est particulièrement
privilégié dans le cadre des conflits identitaires ou ethno-politiques85, objet
de notre analyse. Il est indéniable que la prévention est possible et souhai-
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table mais il s’agit de savoir quand et comment elle est efficace. Il faut tenir
compte de certaines variables qui sont indispensables à sa réussite notam-
ment, l’intérêt des grandes puissances, des ONG, des OIG, pour initier
des mesures de prévention ; la rapidité de l’initiative ; les conditions du
terrain où elle est entreprise ; la présence d’un consensus et d’une grande
cohérence entre les intervenants ; une planification et une mobilisation
des ressources nécessaires à une action efficace. Dans le domaine de la pré-
vention des conflits, des opportunités ont été certes saisies, mais d’autres
ont été délaissées comme ce fut le cas au Rwanda en 1994 et au Soudan
en 200386.
Une chose est sûre, c’est que la prévention des conflits n’est pas facile.
En réalité, c’est une opération complexe, dans le sens où la volonté de
prévenir les conflits se heurte à une première difficulté : repérer les guer-
res en gestation. Car la guerre n’existe qu’à partir du moment où elle a
lieu et le concept d’avant-guerre, que pendant et après la guerre. Aussi
faudrait-il, pour prévenir la guerre, se concentrer sur ce qui la précède
et lui succède, c’est-à-dire la paix. En outre, la paix a-t-elle des fon-
dements propres ? Peut-elle être viable, fiable, si elle est imposée par les
vainqueurs, durable si elle tient au seul équilibre entre les protagonistes,

82.  Sophia Clément, « La prévention des conflits dans les Balkans », Cahiers de Chaillot, n° 30, p. 7.
83.  Éric de la Maisonneuve, La Violence qui vient, Paris, Arléa, 1997, p. 230.
84.  David Carment et Albrecht Schnabel, Conflict Prevention. Path to Peace or Grand Illusion ? Tokyo,
United Nations University Press, 2003, p. 11.
85.  Charles-Philippe David, op. cit., p. 284.
86.  Ibid., p. 285.
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114 Antoine-Denis N’Dimina-Mougal

équitable si elle procède de logiques victimaires ? Existe-il des systèmes


d’alliance ou d’interdépendance qui rendent la paix obligatoire, du
moins la guerre impossible ? Visiblement, la prévention des conflits est
une chose éminemment compliquée, même si cette locution, aujour-
d’hui à la mode, se traduit pour l’essentiel par les efforts de la diplomatie
préventive et de l’action sur les situations préconflictuelles. En toute
logique, l’idéal serait de pouvoir extirper la tumeur avant qu’elle ne se
développe, ce qui implique un diagnostic précoce. Toutefois, le cynisme
du constat ne doit pas interdire de se lancer sérieusement dans l’exercice.
Car s’il manque de sincérité, le projet n’en est pas forcément vain pour
autant87.
En réalité, la prévention des conflits est un sujet à la fois multidimen-
sionnel et complexe. En ce sens qu’il est difficile d’arrêter le cours de l’his-
toire, puisque la guerre est indissociable de l’évolution humaine. Aucune
période, aucune civilisation n’ont été épargnées. La guerre est donc une
constante de l’histoire88. Par ailleurs, c’est par la violence que se sont cons-
truits les États89. De plus, l’homme peut être considéré comme un animal
conflictuel. Plus se développent les contacts, les échanges et les relations
entre les hommes, plus les motifs de conflits légers ou graves augmentent.
En règle générale, la masse des conflits croit avec la civilisation90. Au fond,
le nombre croissant de conflits identitaires ou ethno-politiques en Afrique
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subsaharienne constitue un défi important pour les partisans de la diplo-
matie préventive, notamment la société internationale qui, bien que cons-
ciente de l’enjeu, a du mal à établir les règles du nouvel ordre international.
Dès lors, il est difficile de prévenir un conflit dans la mesure où il y a une
violence structurelle et interstitielle dans toute société, car il n’existe pas de
pays où l’injustice et l’inégalité créatrice de frustrations consubstantielles
ont disparu. Or ces deux concepts sont souvent sources de guerres. Certes,
on peut toujours « calmer les impatiences », comme le dit Lao Tseu. Mais
jusqu’à quand ?
En vérité, la prévention des conflits est laborieuse dans la mesure
où la guerre en Afrique apparaît d’une certaine façon, si l’on se place
du point de vue de Bayart, comme un véritable « régime qui organise
l’alternance au pouvoir, l’accès aux richesses, la mobilisation politique de
la jeunesse, la légitimation des autorités91 ». Qu’à cela ne tienne, soyons
proches de l’optimisme car le pessimisme est le père de l’inertie92. Une
chose est certaine, la prédiction nietzschéenne, à savoir « le xxe siècle

87.  Virginie Raisson, « Le défi de la prévention des conflits », Le Monde diplomatique, n°  527,
1998, p. 3.
88.  André Champagne, Les Grands conflits du xxe siècle, Lille-Paris, Septentrion-Denoël-Gonthier,
1996, p. 9.
89.  Maurice Bertrand, « Vers une stratégie de prévention des conflits », Politique étrangère, n° 1,
p. 111.
90.  Gaston Bouthoul, Essais de polémologie. Guerre ou paix ? Paris, Denoël-Gonthier, p. 8.
91.  Voir à ce sujet les travaux de Jean-François Bayart, et notamment L’Illusion identitaire, Paris,
Fayard, coll. « L’Espace du politique », 1997, 306 p.
92.  Ibid., p. 164.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 115

serait conflictuel » s’est réalisée. Ce qui nous éloigne du projet kantien


de la paix perpétuelle, laquelle interviendrait le jour ou trois conditions
seraient remplies : la disparition du territoire en tant que symbole per-
tinent de la puissance des États ; la mondialisation, la convergence des
systèmes politiques93. Si la mondialisation est en bonne voie, les deux
autres conditions sont loin de se réaliser. Malaisés à prévenir, à cause des
difficultés cognitives94 susdites, les conflits identitaires comme les autres
types de conflits ont une finalité commune, un lien dominant entre eux.
Ils tournent autour de la « libido dominandi », c’est-à-dire la volonté,
le désir de dominer, de commander, et la quête de pouvoir95. D’un
autre côté, les conflits identitaires ou ethno-politiques sont-ils exclusifs
à l’Afrique ? Il est permis d’en douter car l’Europe a connu les affres des
conflits similaires notamment en 1998 au Kosovo entre les Albanais et
les forces serbes. C’est aussi le cas en Asie par le biais du Sri-Lanka où
les forces régulières ont combattu dès 1976 les combattants séparatistes
tamouls.

Quelques propositions de prévention

Depuis la fin de la Guerre Froide, du Moyen-Orient à l’Afrique, de


l’Asie à l’Amérique centrale, les efforts de prévention et de résolution des
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conflits se multiplient tant les besoins sont grands et les médiateurs spé-
cialisés dans ce domaine d’action sont nombreux96. En réalité, le socle de
la conflictualité africaine est politique97. De plus, le pouvoir politique, sa
finalité, ses modes de légitimation et d’organisation, ses modes de gouver-
nement et de production du droit sont belligènes98. En fait, le pouvoir
politique est le régulateur primordial de la paix civile et de la guerre civile,
deux phénomènes qui participent soit à la consolidation, soit à la destruc-
tion de l’ordre social99. À partir de ce constat, on peut admettre que pour
prévenir les conflits identitaires ou ethno-politiques qui déchirent leurs
pay, les Africains peuvent essayer d’explorer les quelques pistes préventives
suivantes :
– Méditer l’Acte constitutif de l’Organisation des Nations Unies pour
l’Éducation, la Science et la Culture ou United Nations Educational,
Scientific and Cultural Organization (Unesco) qui stipule : « Les guerres
(et les conflits) prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans
l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. »

93.  Armelle Le Bra-Chopard, La Guerre. Théories et idéologies. Paris, Monchrestien, 1994.


94.  Jean-Pierre Derriennic, Les Guerres civiles. Paris, Presses de Sciences Po, 2001, p. 230.
95.  Antoine-Denis N’dimina-Mougala, « Les conflits africains au xxe siècle. Essai de typologie »,
Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 225, pp. 130-131.
96.  Charles-Philippe David, op. cit., p. 336.
97.  Voir supra, p. 4.
98.  Mwayila Tschiyembé, op. cit., p. 23.
99.  Ibid., p. 24.
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116 Antoine-Denis N’Dimina-Mougal

– Débusquer les causes profondes des problèmes générateurs de


conflits et s’efforcer, en agissant avec imagination et persévérance,
d’étouffer les conflits à la racine ou de les prévenir. En réalité, savoir
pour prévoir : prévoir pour prévenir100. Il s’agit, pour les différents
États africains d’identifier et de répertorier les différents griefs,
sources de conflits, se les approprier, les analyser, et les réparer101
durablement.
- Instaurer autant que faire se peut le principe démocratique cou-
tumier de gagnant/gagnant contre celui occidental de gagnant/per-
dant102. Il va de soi que ce principe n’est pas la panacée. Certes, mais
il convient de le contextualiser avec pragmatisme et au cas par cas.
- Proportionnaliser le partage de tous les pouvoirs de l’État dans le but
d’éloigner le spectre de la peur de l’extermination qui hante chaque
ethnie ou groupe identitaire en cas d’alternance qui conduit au chan-
gement de leadership103 dans un pays africain.
- Enraciner la démocratie en Afrique en organisant des élections cré-
dibles, transparentes et honnêtes, pour sortir des coups d’État et autres
hold-up électoraux, sources de repli identitaire qui est un péril poten-
tiellement explosif, en vue de permettre l’alternance pacifique au pou-
voir d’État, afin d’éviter sa monopolisation et sa confiscation par les
mêmes groupes identitaires.
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- Favoriser la reconnaissance de l’égalité des droits et des chances entre
les hommes et les femmes, la reconnaissance du droit de l’individu à la
liberté d’expression, d’opinion et d’information104.
- Eradiquer autant que faire se peut la pauvreté, qui est en puissance
amplificatrice de frustrations et de conflits, et par conséquent poten-
tiellement belligène dans la mesure où l’inéquitable répartition des res-
sources conduit en général à la violence.
- Redynamiser l’Éducation à la citoyenneté dans les curricula scolaires
en vue de favoriser les valeurs citoyennes et républicaines d’égalité,
de justice, d’unité, de patriotisme et d’altérité. Ceci est susceptible
de favoriser une culture pacifique dans la psychologie individuelle
et collective, car historiquement la violence s’explique par le ressen-
timent105, lui-même alimenté par les frustrations et les espoirs déçus.
Par ailleurs, il convient d’approfondir et de diffuser systématiquement
en milieu scolaire le savoir être pacifique et citoyen. Mieux, il y a lieu
aussi de désarmer l’histoire et la littérature en les expurgeant, autant
que faire se peut, de tout ce qui suscite la haine de l’autre ou son

100.  William Aurélien Eteki Mboumoua, « Éléments d’une culture de la paix en Afrique centrale »,
Paul Ango Ela, La Prévention des conflits en Afrique centrale, Paris, Karthala, 2001, p. 190.
101.  Witold Racczka, op. cit., p. 401.
102.  Mwayila Tschiyembé, op. cit., p. 33.
103.  Ibid. p. 33.
104.  William Aurélien Eteki Mboumoua, op. cit., p. 190.
105.  Pour en savoir davantage sur cette question, se référer utilement à Marc Ferro. Le ressentiment
dans l’histoire. Comprendre notre temps. Paris, Odile Jacob, 2007.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 117

exclusion au profit des convergences, des rencontres et trajectoires


communes dans l’histoire106.
- Rendre à l’État ce qui lui appartient : le contrôle de sa souveraineté et
de son autorité. Le défi, ici, consiste à extirper les sociétés implosées de
leur situation avec l’aide de l’ingérence internationale dont la mission
tourne autour du triple modèle libéral de la paix démocratique, éco-
nomique et institutionnelle107. Par ailleurs, l’État doit être le faiseur de
paix à l’intérieur de ses frontières. Dans cette optique, le pouvoir poli-
tique est une capacité collectivement rassemblée par les citoyens et les
nations, à un moment historique donné de leur évolution, pour faire
face aux enjeux et aux défis qui touchent leur destin commun108. De
plus, l’État doit garantir les droits de chaque citoyen en consolidant la
démocratie et en faisant appliquer scrupuleusement la loi109.
- Favoriser la bonne gouvernance qui, envisagée comme exercice démo-
cratique et responsable du pouvoir en matière de politique publique,
est essentielle à la viabilité de l’État. De ce point de vue, la bonne gou-
vernance est fondée sur la mise en pratique d’un ensemble de principes
comprenant le respect du droit, la participation politique, l’équité110 et
la tolérance ainsi que la probité et l’efficacité de la fonction publique.
La bonne gouvernance est seule susceptible de sortir les pays africains
de la « kleptocratie » et du « néomédiévalisme », sources entre autres
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des conflits ethno-politiques. Plus un État se désintègre, plus le risque
qu’un conflit ethnique s’envenime et se répande augmente111. De plus,
la bonne gouvernance implique une série d’actions orientées vers une
approche participative au niveau de la formulation et de la mise en
œuvre des politiques, ainsi que la promotion de la redistribution et de
la transparence dans la vie publique112.
- Assurer le développement global des pays africains, susceptible de hâter
la démocratie, car le « développement n’est pas seulement une question
de ressources et de capital mais une transformation de la société113 ». Par
ailleurs, l’Afrique doit mettre l’accent sur le développement humain
en y consacrant le plus de ressources et d’efforts, pour que les choses
changent114 réellement et durablement.
- Favoriser l’esprit de tolérance, de compréhension mutuelle et de
recherche de ce qui est commun entre les communautés.

106.  Pierre Kipré, « De la guerre et de la paix en Afrique », Afrique contemporaine, n° 207, 2003,
p. 144.
107.  Charles Philippe David, op. cit., p. 449.
108.  Mwayila Tschiyembé, op. cit., p. 24.
109.  Jacques Bonjawo, L’Afrique du xxie siècle. L’Afrique de nos volontés, Paris, Karthala, p. 143.
110.  À ce propos, les membres des gouvernants africains doivent utiliser les budgets de leur
département ministériel de façon équitable, en oubliant de favoriser systématiquement les membres de
leur clan, comme c’est souvent le cas dans beaucoup de gouvernements du continent.
111.  Michel Fortman, op. cit., pp. 86-87.
112.  Jacques Bonjawo, op. cit., p. 143.
113.  Joseph E. Stiglitz, Globalization and its Discontents, W. W. Norton, 2002.
114.  Jacques Bonjawo, op. cit., p. 81.
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118 Antoine-Denis N’Dimina-Mougal

- Promouvoir une société solidaire qui protège les droits des faibles dans
le cadre d’une action de longue haleine, au service d’un développement
centré sur l’homme et fondé sur le soutien mutuel115.

CONCLUSION

Les conflits identitaires ou ethno-politiques africains par leur âpreté


constituent un véritable danger, un vrai « tsunami », pour les fragiles États-
Nations africains menacés potentiellement d’implosion. En effet, si l’on se
place du point de vue de la posture constructiviste, ces conflits sont le résultat
d’une manipulation des identités par les entrepreneurs ou décideurs poli-
tiques116. C’est pourquoi il importe de les prévenir durablement. Certes,
la prévention n’est pas aisée. En effet, la cohabitation entre groupes identi-
taires comporte un grand nombre d’occasions de conflits. Un groupe peut
exiger de ses voisins le respect de ses propres symboles religieux, tout en
revendiquant le droit de mépriser les symboles des autres117. De plus, les
guerres identitaires ont plus de mal à prendre fin118. Qu’à cela ne tienne, il
convient d’orienter l’agir africain dans le sens de la prévention pour éviter à
l’Afrique des lendemains sombres. Cela est possible si on donne aux citoyens
la capacité matérielle et intellectuelle de mener des vies valorisantes119 et non
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frustrantes. Par ailleurs, d’un point de vue général, il n’est pas impossible que
les humains soient capables de faire reculer les guerres civiles comme ils l’ont
fait depuis assez longtemps pour l’esclavage et récemment pour les guerres
interétatiques. Certes, le progrès n’est jamais une certitude, mais il est une
possibilité, donc une ambition raisonnable120.
Les conflits identitaires dont la géographie est mondiale, vont-elles
conduire l’Afrique et le reste du monde vers une retribalisation de l’huma-
nité, où chaque groupe humain serait enfermé dans un narcissisme collectif
plus ou moins paroxystique et agressif vis-à-vis des autres121 ? Par ailleurs, les
conflits identitaires sont-ils une résurgence des messianismes et nationalis-
mes122 africains du début du xxe siècle ? Une chose est sûre, cette patholo-
gie identitaire123 n’est pas prête de disparaître et elle va sans doute poser des
défis complexes à notre continent dans la mesure où les conflits identitaires

115.  Wimmiam Aurélien Eteki Mboumoua, op. cit., p. 191.


116.  Michel Fortman, op. cit., p. 129.
117.  Jean-Pierre Derriennic, op. cit., p. 88.
118.  Ibid., p. 94.
119.  Martha Nussbaum : « Une avocate de l’humanité », Le Nouvel observateur, n° 57, 2004-2005,
p. 70.
120.  Jean-Pierre Derriennic, op. cit., pp. 267-270.
121.  François Thual. Méthodes de la géopolitique, op cit., p. 75.
122.  Pour en savoir plus sur cette problématique, lire utilement Georges Balandier, « Messianismes
et Nationalisme en Afrique noire, Cahiers internationaux de Sociologie, n° 14, 1953, pp. 40-65 et Martial
Sinda, Le messianisme congolais et ses incidences politiques. Kimbanguisme, Matsouanisme, Autres mouvements.
Paris, Payot, 1972.
123.  François Thual, op. cit., p. 75.
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Les conflits identitaires ou ethnopolitiques africains au xxe siècle 119

sont rarement unidimensionnels. En général, ils sont le produit de plu-


sieurs contentieux, animosités et compétitions qui ont leur propre histoire,
leur propre logique et leurs propres contradictions. Le décryptage du dis-
cours de la guerre, met en évidence des causes dissimulées consciemment
ou non et ces causes sont multiples124.

Antoine-Denis N’Dimina-Mougala
Maître de conférences en histoire
GRESHS, École Normale Supérieure
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124.  Thierry Vircoulon, op. cit., p. 8.

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