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Du langage oral

à la compréhension de l’écrit
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du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses
et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation
ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses
ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre-
façon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

Conception graphique de la couverture : Corinne Tourasse

© Presses universitaires de Grenoble, octobre 2015


5, place Robert-Schuman
BP 1549 – 38025 Grenoble cedex 1
pug@pug.fr / www.pug.fr

ISBN 978-2-7061-2492-1 (E-book PDF)


L’ouvrage papier est paru sous la référence 978-2-7061-2433-4
Maryse Bianco

Du langage oral
à la compréhension de l’écrit

Presses universitaires de Grenoble


La collection « Regards sur l’éducation »
est dirigée par Pascal Bressoux.

Comité éditorial :
Xavier Dumay (université Catholique de Louvain-La-Neuve)
Céline Darnon (université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand)
Dominique Lafontaine (université de Liège)

DANS LA MÊME COLLECTION


Marie-Laure Viaud, Les innovateurs silencieux. Histoire des pratiques d’ensei-
gnement à l’université, des années 1950 à 2010, 2015
Michel Grangeat (dir.), Les enseignants de sciences face aux démarches d’inves-
tigation. Des formations et des pratiques de classe, 2013
Alain Fernex & Laurent Lima (eds), To be a student within the Bologna
process. New insights in process and studies outcomes, 2012
Laurent Cosnefroy, L’Apprentissage autorégulé : entre cognition et motivation.
Déontologie et identité, 2011
Daniel Bloch, École et démocratie. Pour remettre en route l’ascenseur écono-
mique et social, 2010
Laurence Filisetti, La Politesse à l’école. Une compétence sociale pour réussir ?,
2009
À Esther, Sophie et Jean-Pierre.
Introduction

L es questions du développement, de l’apprentissage et de l’enseignement


de la compréhension en lecture se posent aujourd’hui avec une acuité
particulière, tant les enquêtes relatives aux performances des systèmes édu-
catifs ont révélé la difficulté de nombreux élèves à acquérir une maîtrise
suffisante de cette activité cognitive complexe. Ainsi, 19 % des élèves français
de quinze ans ne parviennent pas à un niveau de compréhension en lecture
qui « leur permette de participer de manière efficace et productive à la vie
de la société (PISA, 2012) ». L’immense majorité d’entre eux sait pourtant
lire. Il ne suffit donc pas de savoir lire un texte pour le comprendre car la
7
compréhension en lecture ne découle pas systématiquement de la capacité
à identifier les mots écrits.
Chaque lecteur, aussi expert soit-il, en a d’ailleurs fait l’expérience ; combien
de fois, en effet, avez-vous ouvert un livre et commencé à lire ce qui y était
imprimé pour faire, au bout de quelques lignes, ce constat étrange : vous avez
identifié tous les mots imprimés mais vous n’avez aucune idée du message
qu’ils délivrent. Quelles sont les raisons de cet échec à comprendre alors
que vous êtes un(e) lecteur (lectrice) averti(e), maîtrisant parfaitement votre
langue maternelle et les mécanismes de la lecture ? Avez-vous été distrait(e) ?
Étiez-vous fatigué(e) ? Le texte traitait-il d’un sujet inconnu ? Ignoriez-vous
le sens de la plupart des mots employés par l’auteur ? Le texte était-il mal
rédigé ? Il n’y a pas de raison unique à un échec de compréhension mais
un ensemble de raisons qui dépendent à la fois de l’individu concerné, du
texte et de l’interaction qui se produit entre eux au moment de la lecture.
Pour que la compréhension soit effective, de multiples mécanismes et
niveaux d’analyse doivent être maîtrisés. Comprendre un texte demande
de réaliser dans un temps bref, un ensemble d’opérations qui vont de la
reconnaissance des mots – lus ou entendus – à la construction d’une repré-
sentation cohérente de la situation décrite en passant par l’analyse syntaxique
et la mise en relation des idées énoncées dans les phrases successives. Nous
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

disposons aujourd’hui de connaissances étendues et consensuelles pour


décrire la compréhension, son développement et son apprentissage et les
travaux actuels mettent l’accent sur le rôle fondateur du langage oral dans
ce développement. De leur côté, les recherches en éducation ont exploré les
questions soulevées par l’enseignement de cette habileté cognitive complexe
et les propriétés des situations d’enseignement qui permettent de caractériser
les paramètres essentiels définissant un enseignement efficace.
Ce livre propose une synthèse des connaissances accumulées depuis une
quarantaine d’années en psychologie et en éducation ; il ouvre ainsi des
pistes de réflexion pour fonder un enseignement de la compréhension des
textes afin de favoriser les apprentissages de tous les élèves.
Le premier chapitre introduit la notion de compréhension de textes et situe
la place des recherches dans ce domaine par rapport aux travaux sur la lecture
et son apprentissage proprement dits. Il expose les liens étroits qui unissent
les modélisations de cette activité à l’évolution des conceptions théoriques
dans le champ des sciences cognitives. Les mécanismes de la lecture et de
la compréhension experte y sont détaillés ainsi que les principaux modèles
théoriques – des modèles symboliques à la cognition incarnée – qui éclairent
8 les diverses facettes de la compréhension.
Le deuxième chapitre interroge les continuités et les ruptures existant entre
l’acquisition du langage au cours des premières années de vie et l’appren-
tissage de la lecture tout au long de l’école primaire. La première partie du
chapitre expose les conséquences des retards ou des perturbations du déve-
loppement du langage oral précoce sur les acquisitions scolaires ultérieures
et passe en revue les travaux qui ont tenté d’établir les facteurs responsables
de ce développement. La seconde partie insiste sur les conséquences du
développement langagier sur l’adaptation scolaire ultérieure et montre que
les difficultés liées à l’origine socioéconomique ne sont pas une fatalité et
peuvent être prévenues par une prise en charge éducative précoce et inten-
sive. Un bilan des connaissances actuelles et des zones d’ombre restant à
éclaircir clôture ce chapitre.
Le troisième chapitre examine le rôle joué par les connaissances langa-
gières – le vocabulaire, la syntaxe, les structures textuelles – mais aussi les
connaissances thématiques plus larges (ou connaissances expertes) dans les
performances de compréhension au cours du développement. L’ensemble des
travaux convergent vers les conclusions suivantes : les connaissances jouent
un rôle fondamental et précoce dans la compréhension mais loin d’être
une dimension purement causale de la performance de compréhension,
Introduction

connaissances et compréhension entretiennent des liens de réciprocité ; les


connaissances langagières et générales sont tout autant une cause qu’une
conséquence de la compréhension des textes.
Le quatrième chapitre est consacré à l’examen du développement des
mécanismes propres aux traitements du niveau textuel qui sous-tendent
l’élaboration de cohérence : les inférences et les stratégies d’autoévaluation
(ou de contrôle) et de régulation. Leur différenciation peut déjà être mise
en évidence à l’oral entre trois et cinq ans et leur développement s’inscrit
dans un mouvement continu fait d’associations réciproques avec la compré-
hension des textes. Ce chapitre rend compte des résultats actuels et envisage
les problèmes posés par l’évaluation de la compréhension en lecture à partir
des connaissances synthétisées dans l’ensemble des chapitres précédents.
Le cinquième et dernier chapitre interroge les questions d’enseignement.
Depuis quarante ans en effet, les recherches ont montré que la compréhension
en lecture relève d’un enseignement distinct et complémentaire de l’ensei-
gnement de la lecture dans sa dimension de construction des mécanismes
d’identification des mots. Cet enseignement permet d’améliorer les perfor-
mances des élèves les plus faibles, sous réserve qu’il soit explicite, structuré et
multimodal. Ce chapitre détaille les recherches qui permettent de parvenir
à cette conclusion et évoque les questions soulevées par l’enseignement de
la compréhension de l’école maternelle au lycée. Il aborde en particulier les
relations existant entre la pédagogie directe (ou explicite) et les principaux
mécanismes cognitifs de l’apprentissage et du traitement de l’information,
d’une part et les approches pédagogiques concurrentes d’autre part.
Chapitre 1

Lire, comprendre et apprendre

L a lecture est une activité cognitive extraordinaire. Extraordinaire par sa


complexité et par le niveau d’intégration et de maîtrise auquel parviennent
pourtant les lecteurs experts. L’aisance habituelle et apparente avec laquelle
les lecteurs analysent le code graphique, le comprennent et en extraient
les informations pertinentes pour leur activité masque en effet le nombre
impressionnant de niveaux d’analyse et de mécanismes qui doivent être
maîtrisés pour y parvenir. Comprendre un texte en le lisant demande au
lecteur de réaliser dans un temps très bref tout un ensemble d’opérations qui 11
vont de la reconnaissance du mot écrit à la construction d’une représentation
cohérente de la situation décrite, en passant par l’analyse syntaxique et la
mise en relation des référents et idées énoncés dans les phrases successives.
Le modèle « simple » et désormais célèbre de la lecture, proposé par Gough
et Tumner en 1986, scinde la lecture en deux composantes majeures ; la
première renvoie aux mécanismes et processus permettant d’identifier les
mots imprimés et la seconde regroupe l’ensemble des activités conduisant à
la compréhension. Lire, c’est donc identifier les mots et comprendre ce qui a
été identifié. La distinction opérée dans ce modèle s’est révélée féconde. Elle
s’est en effet accompagnée d’un essor de recherches en psychologie clairement
définies et explicitement centrées sur l’une ou l’autre des composantes de
la lecture. Une multitude de travaux se sont attachés à décrire précisément
l’identification des mots et son apprentissage et ont permis d’avoir une
idée relativement claire et consensuelle des mécanismes qui gouvernent
cette dimension de la lecture. Considérant d’ailleurs que le décodage et la
reconnaissance des mots écrits représentent la spécificité de la lecture, les
mécanismes de la compréhension relevant du fonctionnement langagier et
cognitif général, le terme « lecture » désigne désormais pour la plupart des
psychologues l’ensemble des mécanismes cognitifs qui permettent l’accès au
code écrit. À côté de cela, un autre champ très dynamique et indépendant
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

s’est attaché à décrire et modéliser la compréhension du langage en utilisant,


le plus souvent, le texte écrit. Il s’ensuit que les modèles de compréhension
du langage sont pour la plupart des modèles de compréhension des textes
écrits, construits à partir de données recueillies avec des individus sachant
lire, adultes la plupart du temps. Paradoxalement donc, le développement
des recherches depuis une quarantaine d’années a conduit à distinguer très
nettement – à séparer même – sur le plan académique, l’identification des
mots de la compréhension en lecture. Pour ajouter encore à la confusion,
les modèles de compréhension du langage actuels sont des modèles de
compréhension de textes lus et les modèles de lecture sont des modèles
d’identification et de décodage. Nous adopterons néanmoins dans ce chapitre
et dans l’ensemble de ce livre, la terminologie adoptée par les psychologues,
tant sur le plan national qu’international ; les expressions, « lire » et « apprendre
à lire », renverront donc à la maîtrise du code, autrement dit à l’ensemble
des mécanismes, processus et conditions qui conduisent à l’identification
des mots écrits, et « comprendre » et « apprendre à comprendre » renverront
à l’ensemble des habiletés et structures cognitives mises en jeu une fois les
mots identifiés dans leurs dimensions graphiques et sonores.

12 Ce parti-pris ne vise pas à entretenir encore la « guerre de la lecture » et de


ses méthodes mais bien au contraire à tenter de la dépasser, en apportant un
ensemble de données et connaissances empiriques accumulées depuis une
quarantaine d’années dans le domaine de la compréhension et de l’acquisi-
tion de connaissances lors de la lecture. Ces deux dimensions ne découlent
pas directement de la maîtrise du code mais possèdent des propriétés et
spécificités qu’il convient d’analyser. Ce faisant, il deviendra évident que
la distinction code-sens ne conduit pas à opposer les deux dimensions mais
à renforcer leur complémentarité, dans la description scientifique et bien
plus encore, dans les retombées sociales que les connaissances apportées
par la recherche sont susceptibles de susciter. Les résultats les plus récents
soulignent en effet deux points très importants :
1. La compréhension en lecture ne résulte pas systématiquement de l’inté-
gration des mécanismes de la lecture ;
2. Le développement du langage oral dans la petite enfance joue un rôle
fondateur dans l’apprentissage et le développement des deux dimensions
de la lecture.
Dans une perspective éducative, ces avancées sont susceptibles de transfor-
mer les conceptions en soulignant la nécessité d’envisager une continuité et
une complémentarité dans l’enseignement entre la langue orale et la langue
Lire, comprendre et apprendre

écrite, l’importance de l’enseignement précoce et la nécessité de porter une


attention comparable, dès le début de l’apprentissage, à la mécanique de la
lecture mais aussi à ses objectifs.
Avant de passer en revue les travaux qui mèneront à la discussion des points
évoqués ci-dessus, ce premier chapitre est consacré à la description de la
lecture et de la compréhension du langage telles que ces deux activités
peuvent être aujourd’hui décrites.

Lire et comprendre
Il vous est sans doute arrivé, lors d’une promenade ou d’un parcours
automobile, de passer devant un panneau publicitaire auquel vous n’avez
pas prêté attention, soit parce que vous étiez occupés à suivre le flux de la
circulation, soit parce que vous étiez absorbé par une discussion avec votre
passager ; et il vous est aussi probablement arrivé de vous apercevoir, quelques
centaines de mètres plus loin, que vous avez retenu quelques mots, voire la
totalité du message inscrit sur le panneau. Que s’est-il passé ? La perception
visuelle de l’inscription graphique a été analysée en une chaîne de caractères
signifiante sans que vous en ayez conscience. Pour un lecteur expert en effet,
l’identification d’un mot écrit est un réflexe (Sprenger-Charolles, Colé et 13
Serniclaes, 2006). Les mécanismes cognitifs qui permettent cette identifi-
cation sont si entraînés qu’ils sont devenus des automatismes, autrement
dit des mécanismes qui s’exercent hors du champ de notre attention et qui
sont mis en œuvre chaque fois que nous percevons un mot écrit sans que
nous ayons à faire d’effort conscient. De nombreuses recherches ont permis
de caractériser cette activité de lecture experte. L’identification d’un mot
écrit est tout d’abord très rapide et automatique : un lecteur adulte identifie
quatre à cinq mots par seconde ; cette reconnaissance est irrépressible et ne
suscite pas les ressources attentionnelles du lecteur, comme l’illustre l’exemple
ci-dessus. Du fait de ce haut niveau d’intégration cognitive, le contexte dans
lequel un mot est lu a très peu d’incidence sur son identification ; un lecteur
entraîné identifie avec la même aisance un mot isolé et un mot écrit dans
un texte. Contrairement donc à une idée très répandue, les lecteurs experts
ont très peu recours au contexte et ce sont, au contraire, les plus faibles et/
ou les plus jeunes lecteurs qui s’appuient sur le contexte pour identifier un
mot (West et Stanovich, 1978 ; Perfetti, Goldman et Hogaboam, 1979 ;
Perfetti et Roth, 1981 ; voir aussi Sprenger-Charolles, Colé et Serniclaes,
2006 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2013). De plus, si la mise en place de ces
automatismes demande généralement plusieurs années, on observe que, dès
le CE2, le contexte intervient moins dans l’identification des mots pour les
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

meilleurs lecteurs (Perfetti, 1985) et que ceux-ci activent automatiquement


les codes orthographiques et phonologiques indispensables à l’identification
des mots (Booth, Perfetti et Mac Whinney, 1999). Quels sont donc les
mécanismes cognitifs sous-jacents à cette identification « réflexe » des mots
chez le lecteur expert ?

Les mécanismes de la lecture experte


L’évidence de la lecture peut laisser penser que celle-ci repose sur une activité
de reconnaissance « globale » ; il n’en est cependant rien. La lecture d’un mot
dépend d’un ensemble d’analyses très précises des caractères graphiques
(voir Dehaene, 2007). Incontestablement, le modèle de lecture le plus
largement admis actuellement, étayé par de nombreuses données empiriques
mais aussi par des données récentes issues de travaux en imagerie cérébrale
(Jobard, Crivello, Tzourio-Mazoyer, 2003) est celui de la double voie. Ce
modèle proposé il y a plus de 30 ans (Morton, 1983, Ellis, 1989) a inspiré
une foule de travaux et subi de nombreux amendements (Coltheart, Rasle,
Perry, Langton et Ziegler, 2001 ; Seymour, 1997) mais le cœur de ce modèle
postule que deux voies distinctes conduisent à l’identification des mots :

14
– une voie sublexicale (ou voie indirecte ou graphophonologique) qui permet
de reconstruire la forme sonore du mot à partir de l’analyse des corres-
pondances graphophonologiques. Cette voie permet de lire les mots rares
ou inconnus pour lesquels aucune représentation lexicale n’existe. Ainsi,
à moins d’être chimiste ou professionnel de la santé, le mot « butylacety-
laminopropionate » ressemble à une suite de caractères peu signifiante que
nous parvenons cependant à déchiffrer pour obtenir une forme sonore
prononçable. Seule, cependant, cette voie n’est pas suffisante pour permettre
une lecture précise. Elle conduit à des prononciations erronées des mots
irréguliers tels que « second » ou « femme » qui seront régularisés en / skõ/
e
et /fεm/ et l’assemblage graphophonologique produit aussi le même code
sonore /ƒã/ pour les deux homonymes « chant » et « champs » de sorte que
ces deux mots deviennent sémantiquement non discernables ;
– une voie lexicale (encore appelée voie directe ou orthographique) qui
permet d’accéder directement au code orthographique du mot stocké
dans le lexique mental et de là au code sémantique, autrement dit à sa
signification. Cette voie permet de lire correctement les mots irréguliers et
permet de ne pas confondre les homonymes. Elle ne nous est en revanche
d’aucun secours pour aborder la lecture des mots inconnus.
Les récents travaux d’imagerie cérébrale sont très compatibles avec cette
conception. La méta-analyse réalisée par Jobard et ses collaborateurs (2003)
Lire, comprendre et apprendre

montre qu’à partir de l’analyse visuelle des mots dans la région occipitale
gauche, la région temporo-occipitale ventrale, spécialisée dans le traitement
de la forme visuelle des mots est activée. À partir de là, deux voies céré-
brales sont discernables : la première, ventrale, correspond aux structures
impliquées dans la voie lexicale et la seconde, dorsale, correspond à l’accès
aux représentations phonologiques, autrement dit à la voie sublexicale. La
figure 1.1 illustre ce parallélisme, observé entre les hypothèses issues de la
psychologie cognitive et les résultats de l’observation de l’activité cérébrale
au cours de la lecture.

Figure 1.1 : Modèle de la double voie et structures cérébrales impliquées


(d’après Jobard, Crivello et Tzourio-Mazoyer, 2003).

Mot Mot

Analyse visuelle primaire Aire visuelle occipitale

Système de reconnaissance visuelle Région temporo-occipitale


des mots (traitement pré-lexical)
15
Voie dorsale
Voie ventrale
Circonvolution temporale
Système de Circonvolution
Système sémantique supérieure
conversion grapho- temporale moyenne
Circonvolution temporale
phonologique moyenne
Région temporale
Circonvolution temporale
basale
supérieure postérieure
Circonvolution frontale
Circonvolution supra
inférieure
marginale
Lexique phonologique de sortie Circonvolution frontale
inférieure

L’existence de ces deux voies ne signifie pas pour autant que le lecteur utilise
l’une ou l’autre de manière indépendante ; les données actuelles montrent
plutôt que les deux voies fonctionnent en parallèle et sont massivement
interconnectées sur le plan cérébral (Dehaene, 2007). En fait, l’identification
des mots écrits nécessite l’activation de trois types d’informations essentielles :
le code orthographique qui spécifie la séquence exacte des lettres composant
un mot, le code phonologique qui spécifie la succession des phonèmes et
le code sémantique qui caractérise la signification des mots. Au cours de la
lecture experte, l’activation de ces codes est extrêmement rapide (de l’ordre
de quelques dizaines de millisecondes) et Ferrand et Grainger (1993) ont
montré que le code orthographique est le premier à être activé, suivi par le
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

code phonologique et enfin par la récupération du sens. Ces résultats sont


par ailleurs corroborés par des données neurophysiologiques : l’enregistre-
ment de l’activité électrique du cerveau en réponse à une tâche particulière
(le potentiel évoqué), montre que l’activation des structures cérébrales
correspondant aux aires de représentation de l’information orthographique
(gyrus fusiforme antérieur) survient environ 200 millisecondes après la
présentation visuelle d’un mot, alors que l’activation des aires « phonolo-
giques » (régions temporales supérieures) demande 300 millisecondes et que
celle des zones temporo-pariétales correspondant aux aires de représentation
sémantique est effective après 400 millisecondes (voir Sprenger-Charolles
et collaborateurs, 2006).
Il faut évidemment savoir lire pour comprendre mais il ne suffit pas, dans
bien des cas, de lire pour comprendre. Comprendre un texte suppose en plus
que nous disposions d’une mémoire efficace et de mécanismes d’analyse et
d’interprétation plus ou moins automatiques et également efficaces. Qu’est-ce
donc que comprendre un texte et comment concevoir cette activité ? Avant
de dresser un bilan des connaissances accumulées, il convient de situer la
place de la compréhension par rapport au langage et à la lecture au sein des
16
sciences cognitives.

Le langage et sa compréhension dans les sciences cognitives


S’il est aisé de circonscrire les contours de la lecture, et partant son champ
d’étude – l’ensemble des mécanismes et contraintes internes et environne-
mentales qui conduisent à l’identification d’une unité graphique – il n’en va
pas de même de l’activité de compréhension. Plus encore que sa complexité,
son statut ambigu, au sein même des disciplines qui accueillent son étude,
est certainement un élément majeur de la difficulté de sa définition. En
effet, depuis l’avènement des sciences cognitives il y a une cinquantaine
d’années, les recherches sur la compréhension du langage – des textes écrits
notamment – n’ont pas cessé de susciter l’intérêt des chercheurs. Si l’on ne
dispose pas, à l’heure actuelle, de véritable théorie de la compréhension du
langage, on dispose en revanche d’un ensemble de modèles qui, considérés
dans leur ensemble, permettent de se faire une idée assez précise de ce en
quoi consiste cette activité cognitive complexe. De manière paradoxale
cependant, les études sur la compréhension ont peiné à trouver une légitimité
scientifique. Cette situation est probablement un facteur décisif expliquant
l’incapacité des scientifiques et des pédagogues à répondre à la demande
sociale, pourtant très forte et récurrente, qui consiste à demander à l’école
de former des lecteurs capables de comprendre et d’apprendre en lisant.
Lire, comprendre et apprendre

Il est hors du champ de cet ouvrage de s’interroger sur l’évolution épisté-


mologique de ce concept mais en nous plaçant simplement du point de
vue des sciences cognitives et de leur émergence au cours du siècle dernier,
quelques observations permettront d’éclairer cette situation et de situer les
perspectives théoriques dans lesquelles s’insère – ou s’est insérée – son étude.

Le langage et la modularité du système cognitif


Rappelons tout d’abord que le sens commun assimile la notion de « compré-
hension » à celle d’« intelligence ». D’un point de vue étymologique, le terme
latin « intelligentia » désignait la faculté de comprendre, de connaître, et les
définitions des deux termes, telles qu’on les trouve dans les dictionnaires,
les renvoient l’un à l’autre. La compréhension n’est donc rien d’autre – et
rien de moins ! – que l’intelligence et la compréhension du langage, un
sous-ensemble de celle-ci. La compréhension représente donc cette faculté
adaptative générale qui permet à un organisme, humain, animal ou artificiel,
de prendre connaissance du monde qui l’entoure, d’en construire des repré-
sentations et de les utiliser pour produire des comportements adaptés à son
environnement. L’évolution des concepts-clés qui ont sous-tendu les études
en psychologie montre que l’intelligence, c’est-à-dire l’étude de la pensée, a
17
fédéré les travaux de la psychologie scientifique naissante du XIXe siècle pour
céder la place à la notion d’apprentissage pendant la première moitié du
XXe siècle, dominée par le courant behavioriste (Richard, 1992). L’émergence
de la psychologie cognitive, et plus généralement des sciences cognitives à
partir de 1956, voit réapparaître l’intelligence, la problématique cognitive
étant tout entière une problématique de l’intelligence (Laks, 1996). Le projet
de « l’intelligence artificielle » des vingt premières années (1960-1980) en est
une illustration emblématique. Dès leur origine en effet, les sciences cognitives
ont pour ambition de décrire les processus impliqués dans les comportements
intelligents, autrement dit de comprendre le fonctionnement du système
cognitif humain (Rumelhart, 1975) ; comme le rappelle encore D. Andler
(2006), les cogniticiens des premiers temps (1950-1960) considèrent que
les « briques élémentaires » de la cognition qu’il s’agit de comprendre sont
des capacités générales, indépendantes du domaine auquel elles s’appliquent
telles que « mémoire, apprentissage, raisonnement, résolution de problème,
décision, reconnaissance d’analogies… ».
La compréhension n’est pas mentionnée car, s’il s’agit bien d’une capa-
cité générale indépendante du domaine considéré, son exercice découle
sans aucun doute de l’usage intégré des dispositions et capacités citées. La
compréhension est donc un processus central ou « horizontal » de « fixation
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

des croyances » que Fodor (1983) oppose aux systèmes périphériques,


chargés de traduire les percepts en informations appréhendables par les
systèmes centraux, autrement dit en « langage mental ». Très succinctement,
les systèmes périphériques (ou modules) renvoient à des fonctions élémen-
taires (la perception dans chacune de ces modalités en particulier) et sont
circonscrits ; les informations qu’ils traitent et les mécanismes (ou calculs)
qu’ils mettent en œuvre sont suffisamment spécifiques pour pouvoir être
appréhendés par l’investigation scientifique. Par opposition, les processus
centraux renvoient aux fonctions supérieures, et ne présentent pas les mêmes
propriétés de cloisonnement puisque par définition ils utilisent l’ensemble
des informations issues des systèmes périphériques pour « fixer la croyance »
(ou les connaissances) des individus. Ils sont donc, toujours selon Fodor, non
accessibles à l’investigation scientifique pour des raisons épistémologiques
ainsi résumées dans la conclusion de son ouvrage de 1983 : « À mon avis,
il n’existe pas de psychologie scientifique sérieuse des processus centraux
pour la même raison qu’il n’existe pas de théorie philosophique sérieuse
de la confirmation scientifique. La psychologie des processus centraux et
la théorie de la confirmation sont deux cas où les facteurs globaux jouent
un rôle capital et personne n’a la moindre idée quant à la façon dont ces
18 facteurs interviennent. […] Je suppose que la morale de tout ceci est qu’il
faut espérer que Gall avait en partie raison et qu’au moins certains systèmes
cognitifs sont suffisamment modulaires – donc suffisamment locaux d’un
point de vue computationnel – pour pouvoir être étudiés sans qu’on ait
besoin d’une théorie de la fixation de la croyance. Le fait que les sciences
cognitives aient pu progresser ne serait-ce qu’un petit peu, laisse penser qu’il
n’est peut-être pas inutile d’espérer » (p. 166).
Si l’on en croit Fodor, l’étude de la compréhension et/ou de l’intelligence
est un pari perdu d’avance, si ce n’est le pari tout entier des sciences cogni-
tives ! Pourtant, et bien que son utilité soit périodiquement remise en
cause, la notion d’intelligence résiste étonnamment aux critiques (Lautrey
et Richard, 2005).
Que la compréhension soit une faculté intellectuelle générale, c’est ce
qu’admettent de nombreux auteurs à l’appui de résultats empiriques assez
nombreux, montrant le caractère amodal de l’activité. On sait depuis long-
temps que les performances en compréhension ne dépendent pas – ou très
peu – de la modalité d’encodage (orale ou écrite) chez l’adulte comme chez
l’enfant, dès l’âge de quatre ans (Carpenter et Just, 1986 ; Dixon, Lefevre
et Twilley 1988 ; Kendeou et al., 2008 ; Perfetti, 1985). Autrement dit,
comprendre à l’écrit n’implique pas des mécanismes fondamentalement
Lire, comprendre et apprendre

différents de ceux impliqués à l’oral, ni même lors de la compréhension


picturale. Par exemple, Gernsbacher, Varner et Faust (1990) ont comparé
les performances d’adultes cultivés (étudiants en psychologie) engagés dans
la compréhension de narrations présentées à l’écrit, oralement ou encore de
manière imagée. Ils ont observé que les performances sont très fortement
corrélées quelle que soit la modalité de présentation : la corrélation s’élève
à .92 lorsqu’on compare la compréhension orale et écrite, elle atteint .82
entre écrit et image et .72 entre oral et image. De plus, les auteurs observent
que les trois mesures corrèlent de manière significative avec les scores obte-
nus par les étudiants à un test d’intelligence verbale (.47 pour les histoires
imagées, .57 pour l’oral et .64 pour l’écrit) laissant supposer que, dans
chaque condition, une part importante de la performance est expliquée
par une capacité générale. Cette conclusion se trouve encore étayée par des
données d’imagerie fonctionnelle (fMRI) montrant que l’activité cérébrale
observée pendant la compréhension des narrations simples utilisées par
Gernsbacher et ses collaborateurs (1990) est remarquablement semblable,
que la modalité de présentation soit écrite, orale ou imagée. Les mêmes
régions corticales semblent donc impliquées dans les trois cas (Gernsbacher
et Robertson, 2004).
19
Les conceptions de Fodor, comme celles des sciences cognitives à leur début,
reposent sur le postulat cartésien de la dissociation corps/esprit. Ce postulat,
associé à la métaphore informatique des débuts de la psychologie cognitive a
ouvert la voie à une description fonctionnelle des activités psychiques, indé-
pendante du substrat physique de leur réalisation. Ce parti-pris fonctionnaliste
a massivement orienté les recherches vers l’analyse et l’explication des systèmes
verticaux ou périphériques et vers l’analyse des processus élémentaires et de
relativement bas-niveau de l’activité cognitive (par exemple, la perception
visuelle, l’analyse de la parole ou encore, la lecture). L’intelligence en tant
que concept général a presque disparu du vocabulaire des psychologues
cognitivistes et elle est devenue essentiellement un ensemble de facultés
parcellisées (intelligence sociale, émotionnelle, verbale, numérique, etc.).
Le concept s’est aussi trouvé rebaptisé dans les études sur le raisonnement,
la résolution de problèmes ou encore la compréhension du langage lorsque
les chercheurs s’intéressent aux plus hauts niveaux de la cognition. Au sein
du projet modulariste, les processus centraux sont d’ailleurs conçus comme
des capacités spécifiques à un domaine, sous-tendues par des processus égale-
ment spécifiques (Karmiloff-Smith, 1992, 2009). Dans ce cadre, le langage
occupe une position tout à fait originale. Il est une disposition humaine
spécifique et innée, inscrite dans l’appareil cérébral humain (Chomsky,
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

1981 ; Pinker, 1994). Il s’agit d’une authentique faculté verticale composée


d’un ensemble de niveaux d’analyses autonomes (ou quasi-autonomes) et
formellement analysables (Fodor, 1983). Autrement dit, le langage humain
est un code symbolique universel qui fournit des informations pour la
pensée, au même titre que la perception ou l’action. S’il permet d’encoder
certains contenus de pensée, il ne peut pas influencer ceux-ci au-delà de
l’activité langagière elle-même. Cette conception évacue de son champ
d’investigation deux fonctions essentielles du langage, la compréhension
et la communication qui, par essence, sont horizontales ou centrales parce
qu’intimement liées à l’utilisation d’autres sources d’information que le
langage lui-même (par exemple, les connaissances en mémoire, la situation
sociale et la teneur émotionnelle de l’interlocution). À titre d’illustration,
considérons le dialogue suivant :
Pierre : « Peux-tu me dire où se trouve la cafétéria ? »
Marie : « Elle est fermée en ce moment. »

De toute évidence, la réponse de Marie ne répond pas, sur le plan littéral,


à la question de Pierre. Que cette réponse soit cependant acceptable ne
fait pas de doute, si l’on prend en considération le contexte pragmatique
20 probable de cette interlocution et les connaissances associées à ce dernier
qui ont conduit Marie à répondre de la sorte.
Le langage recèle donc cette caractéristique particulière d’avoir « d’un côté,
une nature suffisamment organisée pour se laisser prendre aux filets de
la science, visiblement régie par l’évolution, inscrite dans le patrimoine
génétique ; de l’autre, un magma insaisissable, quoique sans doute inclus
dans l’ordre naturel, mais trop désordonné pour faire l’objet d’une science »
(Andler, 2004). Les recherches issues de cette époque ont décrit l’activité de
compréhension des textes comme une activité de résolution de problème
et les modèles proposent un ensemble de règles formelles et explicites (ou
stratégies) qui, appliquées au texte permettent d’en fournir une interpréta-
tion, ce qui sera illustré au prochain paragraphe.
Au milieu des années 1980, l’approche symbolique de la cognition telle
qu’elle vient d’être esquissée s’est trouvée contestée par le développement
d’un nouveau paradigme, le connexionnisme. Ce dernier propose que la
cognition émerge de l’activité sub-symbolique de l’organisation neuronale.
Toutefois, comme le note encore D. Andler (2006), l’opposition entre
cognitivisme et connexionnisme n’est pas épistémologique mais réside dans
les niveaux d’analyse de la cognition. Le projet connexionniste reste un
projet fonctionnaliste mais propose une analyse de la cognition fondée sur la
Lire, comprendre et apprendre

perception et l’association alors que le cognitivisme classique en propose une


analyse formelle et inférentielle. Dans ce nouveau cadre, la compréhension
du langage devient, comme toute autre activité cognitive, une propriété
émergente de l’activité élémentaire et simultanée des unités de base de la
cognition (les neurones formels). La compréhension des textes est alors
essentiellement assimilable à une activité de perception et de mémorisation ;
le modèle de « Construction-Intégration » élaboré par Kintsch (1988-1998)
représente de manière emblématique cette approche.

L’option culturaliste : le langage et la pensée


Pour le cognitivisme classique donc, le langage humain représente une
faculté spécifique, qui bien que fournissant des « symboles » pour la pensée
s’en distingue nettement. Or, le langage est par essence un outil de repré-
sentation des significations. Il est, chez l’homme, l’un des principaux et sans
doute le plus puissant vecteur de la connaissance. Le psychologue, et plus
généralement le cogniticien, qui étudie le langage ne peut faire l’économie
du sens dès lors qu’il dépasse la simple analyse des mécanismes d’apprentis-
sage et de reconnaissance des formes. Langage et pensée sont si intimement
liés que leurs rapports sont discutés en philosophie depuis l’antiquité et
21
continuent d’alimenter les débats (voir par exemple Changeux et Ricoeur,
1998 ; Gentner et Goldin-Meadow, 2003). Les termes modernes de ce débat
peuvent être énoncés de la manière suivante : notre appareil conceptuel est-il
indépendant du langage qui nous permet d’en nommer quelques aspects
ou bien alors, le langage détermine-t-il en partie au moins, la manière dont
nous percevons et catégorisons le monde ? Autrement dit, le langage est-il
intrinsèquement lié à notre structure conceptuelle ? La conséquence ultime
de la deuxième proposition consiste à admettre que le langage est cette
faculté propre qui rend l’animal humain si uniquement intelligent dans
l’ordre phylogénétique (Spelke, 2003).
Que le langage et la pensée ne soient pas superposables, tout le monde en
convient mais que la puissance symbolique apportée par le langage humain
puisse influencer nos conceptions et nos capacités de conceptualisation, cela
est également peu contestable. L’exemple analogique proposé par Tomasello
(2003) est tout à fait parlant et dispense de longs discours. Il est difficile,
selon cet auteur, de trouver une bonne analogie pour parler du rapport entre
le langage et la pensée mais la plus satisfaisante pourrait être celle qui lie la
monnaie à l’économie. En effet, « les activités économiques – prises dans leur
acception large d’échange de biens et de services entre individus – précèdent
l’invention de la monnaie de plusieurs millénaires, et l’argent n’est pas une
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

condition nécessaire des activités économiques. Mais l’invention de l’argent


comme symbole d’échange […] est clairement responsable de certaines
formes nouvelles de l’activité économique. Les économies modernes ne
pourraient certainement pas exister dans leur forme actuelle sans quelque
chose qui ressemblerait aux systèmes monétaires symboliques aujourd’hui
en usage » (p. 48).
Le langage agirait donc à la fois à la manière d’un système optique induisant
un point de vue susceptible d’influencer notre perception et notre concep-
tualisation du monde, mais aussi comme un outil capable d’augmenter
nos capacités de représentation et de raisonnement. Quelques résultats
empiriques issus de l’analyse des conséquences cognitives de la variation
linguistique permettent d’éclairer cette position. Les langues du monde ont
des structures différentes tant sur le plan du lexique et de la sémantique
que sur celui de la morphosyntaxe. Le langage humain est le seul système
de communication connu à posséder cette variabilité d’actualisation
interne à une espèce, à travers les différentes langues parlées dans le monde.
Considérons par exemple l’encodage linguistique du genre grammatical.
Certaines langues (par exemple le français ou l’espagnol) possèdent deux
genres grammaticaux et tous les noms, animés ou inanimés sont marqués
22
en genre. D’autres langues disposent en plus d’un neutre (l’allemand ou
l’anglais), le neutre servant parfois à la distinction humain/non humain (en
anglais, par exemple). Ainsi, le mot « pont » est masculin en français et en
espagnol mais le terme est féminin en allemand et neutre en anglais. Boro-
ditsky, Schmidt et Philips (2003) ont demandé à un groupe de locuteurs
espagnols et un groupe de locuteurs allemands de donner les trois premiers
adjectifs leur venant à l’esprit pour caractériser des objets représentés sur des
images, les objets étant choisis pour être de genre différent dans chacune
des langues. Ils ont observé que les adjectifs énoncés par les individus pour
un même objet suivent rigoureusement les stéréotypes sociaux associés au
genre et induit par le déterminant grammatical. Ainsi, un « pont » est décrit
par les Espagnols comme étant « grand, dangereux, long, fort » alors que
les Allemands caractérisent le même objet comme étant « beau, élégant,
pacifique et fragile ! »
Pour donner un autre exemple, Levinson et ses collaborateurs (Levinson,
2003) ont étudié les conséquences cognitives de l’encodage des relations
spatiales par le langage. Sommairement, certaines langues privilégient un
encodage relatif (egocentré). La position des objets est dénotée par une
projection à partir d’un point de vue, celui de l’individu et/ou de l’objet ;
les termes spatiaux correspondants étant « droite, gauche, à côté de, dessus,
Lire, comprendre et apprendre

etc. ». D’autres langues préfèrent un encodage absolu (exocentré) et réfèrent


la position à un système cardinal (nord, sud, etc.). Cette équipe de chercheurs
a examiné comment des locuteurs de chacune de ces catégories de langue
résolvaient une tâche spatiale non verbale. La tâche consistait à reproduire
l’orientation d’un objet précédemment observé (une flèche pointant vers leur
gauche, ou vers le sud selon les codes linguistiques considérés) après que les
participants ont modifié leur propre orientation de 180°. Si les participants
pointent à nouveau vers leur gauche, c’est qu’ils pensent les relations spatiales
de manière égocentrée alors que s’ils pointent vers leur droite, c’est qu’ils
les pensent de manière exocentrée. Les auteurs observent que les individus
dont le langage encode les positions relatives placent la flèche de telle sorte
qu’elle pointe à nouveau vers leur gauche alors que les individus dont le
langage code les positions absolues placent la flèche de sorte qu’elle pointe
vers le sud, c’est-à-dire à leur droite. Les individus s’appuient donc très
fortement sur la manière dont leur langage code les relations spatiales pour
résoudre des tâches non langagières, ce qui tend à montrer que le langage
contraint notre organisation et notre fonctionnement cognitif.
La tension épistémologique esquissée ci-dessus éclaire d’un jour tout à fait
singulier et paradoxal le positionnement des recherches sur la compréhension
23
des textes : à l’extrême, ces recherches sont épistémologiquement infondées.
D’un côté, le cognitivisme classique – mais aussi le connexionnisme – consi-
dère que les processus universels d’analyse de la parole, de la syntaxe et de
la sémantique permettent de décrypter notre faculté de langage mais la
représentation du monde qui découle de la compréhension des énoncés est
externe au langage. D’un autre côté et très schématiquement, le langage est
un produit culturel, intrinsèquement lié à la cognition, elle-même façonnée
par l’expérience : les cultures ont produit des langues diverses parce que les
expériences humaines étaient elles-mêmes différentes. En allant au bout
du raisonnement de cette option culturaliste, la compréhension des textes,
produit d’une culture, dépend strictement de l’expérience individuelle ;
son produit sera donc aussi unique que le sont les individus. Son étude
scientifique est donc là encore un pari impossible.
On comprend alors mieux pourquoi les réponses qui peuvent être appor-
tées à la demande sociale qui attend du système scolaire qu’il forme des
lecteurs qui comprennent ce qu’ils lisent, ne peuvent être que partielles,
sinon partiales. Comment en effet répondre à cette demande si les options
épistémologiques questionnent a priori la possibilité d’une étude scientifique
de cette activité cognitive ?
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Les neurosciences et la cognition incarnée


Il reste à mentionner que s’est dessiné depuis une quinzaine d’années
un renouvellement de la problématique cognitive à travers l’essor des
neurosciences, lui-même permit par le développement impressionnant des
techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale. On assiste, toujours
selon Andler (2004), à un changement du centre de gravité des sciences
cognitives. Le modèle dominant devient celui de l’activité cérébrale et le
dualisme cartésien se trouve concurrencé par une conception radicalement
matérialiste : la pensée n’est plus extracorporelle mais entièrement inscrite
dans le corps – la pensée s’incarne dans notre appareil cognitif, autrement
dit dans le cerveau. Les théories de la cognition incarnée (voir encadré 1.1)
acquièrent actuellement une position centrale et renouvellent fondamen-
talement les perspectives. S’il convient de conserver à l’esprit, les limites
d’un naturalisme radical qui consisterait à réduire toute cognition à l’activité
neuronale, la cognition incarnée incite cependant à une reconsidération de
ce qu’est précisément la cognition. Celle-ci est désormais la manifestation de
l’inscription corporelle de nos expériences et ses déterminants symboliques,
tout autant qu’émotionnels et sociaux, doivent être pris en considération
dans la modélisation des connaissances, leur acquisition et leur utilisation.
24
Les clivages disciplinaires, en psychologie notamment, pourraient trouver
là une occasion d’atténuation, sinon de disparition. Corps et esprit étant
réunifiés, les fonctions cognitives peuvent être pensées dans une continuité
ce qui ouvre la porte à un regain d’intérêt pour les recherches en psychologie
de l’évolution comme en psychologie du développement et en psychologie
sociale. Le langage occupe dans ce nouveau champ une place originale :
par son interaction avec les systèmes sensoriels, moteurs et émotionnels, il
confère au système cognitif humain sa puissance symbolique. Il augmente
en effet ses capacités, entre autres parce qu’il permet de représenter les
événements ou situations en leur absence et de référencer les états internes.
Par-là, le langage permet la formation des concepts abstraits et l’émergence
de la métacognition (Barsalou, 2008a).
Concernant l’acquisition du langage et de la langue écrite, les perspectives
ouvertes par la cognition incarnée nous semblent décisives et cela à plusieurs
niveaux ; outre qu’elles réactivent et renouvellent les réflexions autour du
rapport « langage et pensée », elles ancrent les fonctions cognitives supé-
rieures, la conscience, la décision, la compréhension dans la cognition ; la
compréhension accède du coup au statut d’objet d’étude pour la science
cognitive. Gageons que notre compréhension du phénomène y gagnera. De
plus, et de manière centrale pour le présent propos, ces nouvelles perspectives
Lire, comprendre et apprendre

enracinent la langue écrite dans l’expérience langagière tout entière, ce qui


permet d’appréhender l’apprentissage de la littératie, non plus en termes
de rupture cognitive, mais en termes de continuité.

Encadré 1.1 : Cognition symbolique et cognition incarnée


(ou à fondation incarnée) (Barsalou, 1999, 2008a-b ; Gibbs,
2006 ; Varela, 1989 ; Varela, Thompson et Rosch, 1993).
Les théories de la cognition incarnée s’opposent aux conceptions clas-
siques développées dans la seconde moitié du XXe siècle en sciences
cognitives, imprégnées des postulats associationnistes du début du XXe
siècle et inspirés par la logique et la « métaphore informatique ». Rappelons
que ces modèles classiques reposent sur l’idée que la cognition implique
la construction de symboles abstraits et amodaux. Les expériences
sensorielles ou motrices sont traduites dans un langage cognitif constitutif
de la mémoire conceptuelle. Par exemple, lorsque nous rencontrons un
animal, un chat par exemple, nous faisons une expérience visuelle (cet
animal possède une forme, une couleur, etc.) mais aussi auditive et/ou
langagière (son nom et/ou son miaulement), kinesthésique et motrice (la
douceur de la fourrure, les gestes que nous faisons à son contact, etc.) 25
affective enfin (ce que nous ressentons et pensons face à cet animal). À
partir de ces données, notre système cognitif abstrait un concept composé
d’un ensemble de symboles indépendants de l’expérience sensible (chat :
fourrure, pattes, oreilles, miauler, doux, etc.). Une fois abstraits, ces
symboles deviennent autonomes et constituent un système entièrement
nouveau, reposant sur un code et une logique propres et n’entretenant
plus que des relations arbitraires avec les perceptions, les actions et les
pensées qui les ont produites.
La cognition incarnée au contraire, considère que cognition, perception
et action partagent le même système cérébral. La cognition ne consiste
plus en l’abstraction et l’utilisation de symboles amodaux mais se conçoit
comme une simulation d’expériences passées. Une simulation est une
réactivation d’états perceptifs, moteurs et/ou introspectifs mémorisés.
Lorsque nous sommes confrontés à un événement, nous mémorisons les
états perceptifs et introspectifs suscités par ce dernier dans les systèmes
modaux. Les propriétés associatives du cerveau permettent la création
d’associations intermodales d’ordre supérieur intégrant les traces dans
une représentation multimodale, distribuée. Celle-ci, dénommée « simula-
teur » dans la théorie des « Perceptual Symbol Systems » (Barsalou, 1999)

…/…
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

représente les concepts et se développe au cours de l’apprentissage sous


l’effet de la répétition des expériences et de la centration de l’attention.
Lorsqu’une connaissance est activée, les représentations multimodales le
sont aussi et simulent les perceptions, actions et introspections associées.
La réactivation des états modaux est dans la quasi-totalité des cas partielle
car elle dépend du contexte dans lequel cette activation prend place.
La fonction symbolique de la cognition est assurée par ces simulations
de sorte que les activités cognitives sont enracinées dans un système
représentationnel commun à l’action et à la perception et s’appuient sur
un mécanisme computationnel fondamental : la simulation.
De nombreuses données ont été accumulées en faveur de cette conception.
Par exemple, la tâche de « vérification de propriété » est une tâche expéri-
mentale très répandue pour étudier le fonctionnement et l’organisation de
la mémoire sémantique. Cette tâche consiste à demander aux individus
si telle ou telle propriété entre ou non dans la définition d’un concept (un
éléphant est-il violet ? une banane jaune ? une balle peut-elle être lancée ?,
etc.). Deux résultats saillants indiquent que la représentation conceptuelle
est engrammée dans les systèmes modaux :
1. Lorsque la modalité de la propriété à vérifier change d’un essai à l’autre,
26 le temps de vérification augmente. Autrement dit, il est plus long de vérifier
qu’une balle peut être lancée si cet item succède à l’item « une banane
est-elle jaune ? » que s’il suit l’item « une chaise peut-elle être soulevée ? »
(Pecher, Zeelenberg et Barsalou, 2003).
2. Les données neurophysiologiques (Kellenbach, Brett et Paterson, 2001 ;
Kan, Barsalou, Solomon, Minor et Thompson-Schill, 2003) montrent que
la vérification des propriétés visuelles activent les aires de traitement
visuel (le gyrus fusiforme), les propriétés sonores activent les aires de
traitement auditif (le gyrus temporal supérieur) alors que les propriétés
liées au mouvement activent les aires associées à la vision du mouvement
(medial temporal) et que les propriétés liées à la forme des objets activent
les régions pariétales impliquées dans le traitement de l’espace.

La compréhension des textes : des modèles symboliques


à la cognition incarnée
Les modèles de la compréhension du langage (ou du discours) ont suivi
l’évolution générale des conceptions de la cognition. Les modèles actuels
se distinguent essentiellement selon qu’ils privilégient la dimension straté-
gique, délibérée de l’activité de compréhension ou selon qu’ils privilégient
Lire, comprendre et apprendre

une description en termes d’automatismes faisant essentiellement appel aux


composantes perceptives et mnésiques. Sous l’impulsion des neurosciences et
des idées apportées par la cognition incarnée, quelques hypothèses récentes
mettent l’accent sur l’importance de l’expérience sensible et proposent
de nouvelles explications du fonctionnement et du mode d’action des
connaissances individuelles dans la compréhension du discours. Chacun de
ces modèles éclaire un aspect particulier de cette activité cognitive singu-
lière qu’est la compréhension des textes et c’est, à notre avis, la prise en
considération de chacune de ces perspectives qui permet d’en élaborer une
représentation générale suffisamment précise. Avant d’envisager quelques-
uns des modèles proposés depuis une quarantaine d’années, nous décrirons
d’abord la compréhension des textes à partir d’une schématisation et de
quelques exemples.

Qu’est-ce que comprendre un texte ?


Comme cela a déjà été évoqué, la compréhension des textes est une activité
cognitive complexe qui implique à la fois des structures et mécanismes
cognitifs propres au traitement du langage et des structures et mécanismes
plus généraux (figure 1.2). L’activité de compréhension démarre à partir
du moment où les mots, entendus ou imprimés, sont identifiés et leurs 27
significations activées dans notre mémoire lexicale. Nos connaissances sur
le langage nous permettent alors de procéder aux analyses morphologiques
et syntaxiques qui établissent les relations entre les mots à l’intérieur d’une
phrase. Les phrases dans un texte ne sont pas indépendantes mais sont au
contraire liées les unes aux autres. Autrement dit, les significations tran-
sitent d’une phrase à l’autre et doivent être elles aussi extraites du matériau
linguistique afin de former une représentation cohérente des informations
apportées par le texte ; il faut donc repérer le (ou les) thème(s) du discours,
suivre leur progression et les ruptures éventuelles. Toutes les relations
interphrastiques ne sont pas explicitées dans un texte ; si certaines unités
linguistiques, telles que les connecteurs ou les anaphores signalent la néces-
sité d’établir ces relations, celles-ci sont parfois implicites au sens où aucun
élément linguistique ne les signale. Il est, dans tous les cas, nécessaire de les
reconnaître et de mettre en œuvre des mécanismes d’inférences plus ou moins
sophistiqués dont la vocation est d’expliciter les relations de sorte à relier entre
elles les informations données dans les énoncés successifs. Ces mécanismes
permettent d’élaborer une représentation localement et globalement cohé-
rente. La cohérence locale désigne la gestion des relations entre les phrases
alors que la cohérence globale renvoie à l’unité thématique. L’ensemble de
ces traitements suppose en outre que le lecteur ou le « compreneur » exerce
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

une veille attentive sur ce qu’il comprend ou ne comprend pas au fur et à


mesure de sa lecture. Il doit, autrement dit, contrôler sa compréhension et
initier, le cas échéant, des régulations au moyen des stratégies cognitives et
des connaissances sur le monde dont il dispose.

Figure 1.2 : Structures et mécanismes impliqués


dans la compréhension des textes.

28

La mise en œuvre dynamique, souple et souvent simultanée de ces traite-


ments en fonction des besoins de l’interprétation conduit à l’élaboration
d’une représentation unifiée et cohérente, le modèle de situation (Van Dijk
et Kintsch, 1983). Les modèles de situation, dont on s’accorde à penser
qu’ils représentent l’aboutissement d’une activité de compréhension réus-
sie et approfondie des textes, intègrent les informations délivrées dans le
texte mais aussi les inférences effectuées et les connaissances d’arrière-plan
récupérées en mémoire et utilisées pour l’interprétation.
Les deux exemples ci-dessous fournissent une illustration des différents
mécanismes en jeu. Considérons tout d’abord l’extrait suivant :
« Ce jour-là, partis chasser le cerf, ils s’étaient arrêtés pour se désaltérer et
manger leurs sandwichs. “Le printemps, avait brusquement dit son père en
contemplant la cime des arbres, est la saison des femmes et de la naissance.
L’automne est la saison des hommes et de la chasse”. Ernie, alors âgé de
16 ans, n’avait pas pensé à lui demander des éclaircissements, mais ces
paroles étaient suffisamment singulières pour être restées gravées dans sa
mémoire » (Wisconsin, Ellis, 2004).
Lire, comprendre et apprendre

Laissons de côté les aspects lexicaux et syntaxiques pour nous centrer sur la
gestion de la cohérence et la construction d’une représentation de la situation
décrite. La première phrase établit une situation (ou cadre) : une partie de
chasse et un moment précis de celle-ci, la pause « déjeuner ». Certains éléments
de cette phrase ne sont cependant pas directement interprétables. En effet,
trois unités référentielles sont énoncées : l’élision de la référence devant le
participe passé « partis », et les deux pronoms, « ils » et « leurs ». Ces trois
unités manifestent une référence à des entités – ici des personnages – déjà
connus, tout au moins du narrateur et que le lecteur va devoir identifier. À
ce moment de la lecture, nous pouvons seulement établir que les trois unités
renvoient au même groupe de personnes, qui elles, restent inconnues. La
seconde phrase rapporte les paroles de l’un des personnages ; nous pouvons
alors inférer que le groupe des chasseurs est au moins composé d’un père et
de son enfant, ce qui contribue à asseoir la cohérence locale en autorisant
une mise en relation des deux énoncés. Dans cette même phrase, le père
exprime par une métaphore sa conception du genre humain ; là encore,
la signification de ces paroles n’est pas directement accessible, en quoi le
printemps représente-t-il la féminité et l’automne, la virilité ? L’appel à nos
connaissances générales sur le monde est ici nécessaire ; si la relation entre
la féminité et le printemps peut être assez facilement comprise via l’idée de 29
naissance qui leur est explicitement associée, le triptyque « automne, homme,
chasse » est beaucoup moins évident ; les mâles auraient-ils pour vocation
de tuer ce que les femelles mettent au monde ? Mais on peut aussi, en liant
chasse et nourriture, supposer que le rôle des hommes est de chasser pour
nourrir leur famille. Ce sont là des inférences possibles, mais non certaines,
que l’on peut effectuer en se fondant sur nos connaissances relatives à la
chasse d’une part et aux attributs généralement et culturellement associés à
la virilité d’autre part. Certains porteront aussi un jugement sur la person-
nalité du père, le campant dans un rôle traditionaliste et machiste. Enfin, la
troisième phrase nous apprend que la scène de chasse appartient au passé.
Le modèle de situation intégré et l’interprétation globalement cohérente
qui résulte de la lecture de ces trois phrases n’est donc pas une simple scène
de chasse mais une scène dans laquelle « Ernie », qui n’a probablement plus
16 ans, se souvient d’une partie de chasse et des paroles de son père.
Au-delà de la nécessaire maîtrise du code linguistique, ce premier exemple
montre clairement que la compréhension d’un texte implique une analyse
qui va bien au-delà de ce qui est strictement énoncé et mobilise des
connaissances encyclopédiques variées. En d’autres termes, l’activité de
compréhension consiste souvent à interpréter l’implicite et fait toujours
appel à notre mémoire.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

L’exemple suivant (encadré 1.2), extrait d’un roman de Luis Sepúlveda


(1994), permet d’illustrer l’activité stratégique du lecteur qui contrôle et
régule sa compréhension en faisant appel à diverses stratégies.

Encadré 1.2 : Extrait du roman Le vieux qui lisait


des romans d’amour, Luis Sepúlveda (1994).
« Après avoir mangé les crabes délicieux, le vieux [….] débarrassa la table,
jeta les restes par la fenêtre, ouvrit une bouteille de Frontera et choisit un
roman. La pluie qui l’entourait de toutes parts lui ménageait une intimité
sans pareille. Le roman commençait bien.
“Paul lui donna un baiser ardent pendant que le gondolier, complice des
aventures de son ami, faisait semblant de regarder ailleurs et que la gondole,
garnie de coussins moelleux, glissait paisiblement sur les canaux vénitiens”.
Il lut la phrase à haute voix et plusieurs fois.
– Qu’est-ce que ça peut bien être, des gondoles ? Ça glissait sur des
canaux. Il devait s’agir de barques ou de pirogues. Quant à Paul, il était
clair que ce n’était pas un individu recommandable, puisqu’il donnait un
“baiser ardent” à la jeune fille en présence d’un ami, complice de surcroît.
30
Ce début lui plaisait.
Il était reconnaissant à l’auteur de désigner les méchants dès le départ. De
cette manière, on évitait les malentendus et les sympathies non méritées.
Restait le baiser – quoi déjà – “ardent”. Comment est-ce qu’on pouvait
faire ça ?
Il se souvenait des rares fois où il avait donné un baiser à Dolores Encar-
naciòn del Santíssimo Sacramento Estupiňán Otavalo. Peut-être, sans
qu’il s’en rende compte, l’un de ces baisers avait-il été ardent, comme
celui de Paul, dans le roman.
[…]
Quand arriva l’heure de la sieste, il avait lu environ quatre pages et réfléchi
à leur propos, et il était préoccupé de ne pouvoir imaginer Venise en lui
prêtant les caractères qu’il avait attribué à d’autres villes, également
découvertes dans les romans.
À Venise, apparemment, les rues étaient inondées et les gens étaient
obligés de se déplacer en gondoles.
Les gondoles. Le mot avait fini par le séduire et il pensa qu’il serait bien
d’appeler ainsi sa pirogue. La Gondole du Nangaritza.

…/…
Lire, comprendre et apprendre

Il en était là de ses pensées quand la torpeur de la mi-journée l’envahit, et


il s’étendit sur le hamac avec un sourire amusé à l’idée de ces gens qui
risquaient de tomber directement dans la rivière dès qu’ils franchissaient
le seuil de leur maison. »

Dans ce texte, le vieil homme, qui n’est pas un lecteur expert, lit à haute
voix et à plusieurs reprises la même phrase afin de former une représen-
tation purement langagière (ou de surface) suffisamment fluide pour en
permettre l’analyse sémantique. Il peut alors contrôler ce qu’il a ou n’a pas
compris et mettre en œuvre un ensemble de régulations et d’inférences
afin de s’approprier les informations qu’il a lues et construire un modèle
de situation intégré à ses connaissances. Il s’interroge ainsi sur le sens des
mots qui lui sont inconnus et en déduit la signification probable à partir des
informations contextuelles et de sa propre expérience du monde (gondole et
baiser ardent). Il infère également les intentions de l’auteur (désignation des
rôles et caractères des personnages) et est attentif aux émotions que suscite
en lui ce texte (reconnaissance envers l’auteur, sympathies et antipathies
envers les personnages, amusement du mode de vie imaginé des Vénitiens). 31
Il constate enfin sa frustration face à l’incapacité dans laquelle il se trouve
de se représenter à quoi ressemble la ville de Venise, étrangère à son expé-
rience, et pour laquelle trop peu d’informations sont données dans le texte.
Cet extrait montre à quel point la construction d’un modèle de situation
dépend des connaissances du lecteur mais il montre aussi comment l’attitude
active et réflexive au cours de la lecture permet de pallier dans une certaine
mesure un défaut de connaissances et d’en acquérir de nouvelles – plus ou
moins élaborées selon la difficulté et la distance à combler entre ce que le
lecteur sait et ce qui est dit. Ici, par exemple, le vieil homme a enrichi son
vocabulaire du mot « gondole » qu’il décide d’utiliser pour baptiser sa pirogue.
Ces deux exemples permettent de souligner les caractéristiques principales
de la compréhension des textes, largement inspirées de la modélisation
élaborée entre 1978 et 1983 par Van Dijk et Kintsch ; ce modèle a très
fortement influencé les recherches ultérieures et reste à l’heure actuelle une
référence au sens où les concepts forgés lors de son élaboration sont deve-
nus des points d’ancrage pour la description de la compréhension, comme
pour les modélisations ultérieures (pour des présentations en français de ce
modèle, voir Bianco, 2010 ; Blanc et Brouillet, 2003 ; Denhière, 1984 ; Fayol
et Gaonac’h, 2003). Quelles en sont donc les principales caractéristiques ?
Tout d’abord, la compréhension d’un texte est une activité séquentielle et
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

cyclique. Les capacités limitées de notre système cognitif ne nous autorisent


pas à analyser en une seule fois l’ensemble des informations dès lors que
l’énoncé comprend plus d’une phrase ou plus de quelques propositions.
L’extraction de la signification se fait donc petit à petit, au cours de cycles
successifs. À l’issue de chacun d’eux, la mémoire de travail doit être rafraîchie
afin de permettre l’intégration des informations suivantes tout en conservant
suffisamment d’informations anciennes pour établir les connexions inter-
phrastiques ou interpropositionnelles. La compréhension de textes comprend
ensuite l’élaboration de structures conceptuelles qui représentent différents
niveaux d’intégration de l’information ; le premier niveau (représentation
de surface) permet l’extraction de la structure syntaxico-sémantique des
phrases isolées et fournit donc une analyse morcelée et partielle du texte ;
ce premier niveau représente la fondation à partir de laquelle les relations
interpropositionnelles peuvent être établies ; la structure qui en résulte est
communément appelée « base de texte » et sert elle-même de fondation à
l’extraction de la structure thématique, autrement dit de l’essentiel de ce qui
est dit. Cette structure thématique (ou macrostructure) représente un niveau
d’élaboration de la signification intratextuel globalement cohérent. Enfin,
l’aboutissement des traitements consiste à intégrer les niveaux d’analyse
32 précédents dans un modèle de situation qui lie les informations textuelles
aux connaissances générales du lecteur et garantit, le cas échéant, l’acquisition
de nouvelles connaissances. La construction de ces structures s’effectue bien
entendu au fur et à mesure de la lecture et de manière parallèle.
La compréhension, et c’est là une autre de ses caractéristiques, n’est pas un
phénomène unitaire. Le degré d’élaboration finale mais aussi la qualité des
représentations construites à chaque étape, dépendent à la fois des proprié-
tés linguistiques des textes et des objectifs et connaissances du lecteur. En
fonction des buts qu’il poursuit, le lecteur peut s’engager dans l’analyse plus
ou moins approfondie des informations énoncées. Nous savons aujourd’hui
que des textes fortement structurés et cohérents favorisent la compréhension
et l’acquisition de nouvelles connaissances lorsque les lecteurs ont peu de
connaissances relatives au thème traité alors que de tels textes n’incitent pas
les lecteurs ayant déjà des connaissances approfondies à aller au-delà de ce
qu’ils savent déjà (McNamara, Kintsch, Butler Songer et Kintsch, 1996 ;
Schnotz, 1984, 1985). Autrement dit, l’auteur et le lecteur sont engagés
dans un contrat de communication (Grice, 1975, 1978). L’auteur a une idée
implicite et plus ou moins précise de l’auditoire auquel il s’adresse et rédige
son texte en fonction de cette idée ; il prend garde par exemple à donner les
éléments d’informations qu’il juge utiles pour l’auditeur (ou lecteur) potentiel
Lire, comprendre et apprendre

et évite d’expliciter ce qui lui semble relever d’une connaissance partagée


qui alourdirait le texte et le rendrait peu motivant et peu intéressant. Le
lecteur, pour sa part, adhère à ce contrat en mettant en œuvre les traitements
qui lui permettront de reconstruire les significations que l’auteur a cherché
à lui transmettre. Toute rupture de ce contrat tacite, à l’un ou l’autre des
niveaux de l’analyse, peut rendre l’interprétation finale moins complète et
aboutie, ce qu’illustre parfaitement l’extrait de L. Sepúlveda.
Quelques modèles et travaux empiriques illustreront comment les cher-
cheurs en psychologie cognitive ont appréhendé les multiples facettes de la
compréhension des textes.

Des stratégies pour comprendre : le modèle de construction


Le modèle de construction proposé par Graesser et ses collaborateurs (Graesser,
Singer et Trabasso, 1994 ; Graesser, Swamer, Bagett et Sell, 1996 ; voir aussi
Graesser, 2007) est tout à fait illustratif d’une classe de modèles cherchant à
décrire l’activité délibérée de l’individu engagé dans la compréhension d’un
texte. Son objectif est de proposer un cadre explicatif de l’intervention des
stratégies mises en œuvre par le lecteur qui cherche à établir la signification
de ce qu’il lit (« search after meaning principle », Bartlett, 1932) en tentant 33
de construire une représentation cohérente. Trois hypothèses principales
organisent les stratégies :
1. L’hypothèse des buts de lecture : elle rend compte du fait que l’on aborde
différemment le contenu d’un texte en fonction des objectifs que l’on pour-
suit et du point de vue que l’on adopte. Quelques recherches anciennes
ont montré que lorsqu’on induit, à l’aide d’une consigne, une perspective
de lecture précise, le rappel des informations s’en trouve affecté. Pichert et
Anderson (1977, 1978) avaient par exemple fait lire des textes décrivant une
maison et demandé aux participants à l’expérience de lire dans la perspective
de l’achat ou dans celle du cambriolage de la maison. Le texte contenait des
informations importantes au regard de chacune des perspectives (éléments
de confort, richesse des occupants actuels, emplacement des ouvertures,
etc.). À l’issue de la lecture, les participants devaient se rappeler du texte ;
les informations compatibles avec la perspective induite représentaient en
moyenne 64 % de l’ensemble des informations rappelées. Le point de vue
que l’on adopte en lisant, de même que les buts que l’on poursuit, déter-
minent donc assez fortement les informations que l’on mémorise (Pichert et
Anderson, 1977 ; Anderson et Pichert, 1978 ; Coirier, Gaonac’h et Passerault,
1996) mais aussi l’attention qu’on y porte. Plusieurs recherches ont aussi
montré que la vitesse de lecture est modulée en fonction des perspectives
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

induites (Goetz, Shallert, Reynolds et Radin, 1983) et des objectifs assignés


au lecteur (Birkmire, 1985). Plus récemment, Linderholm et Van den Broek
(2002) ont montré que les stratégies utilisées diffèrent selon que l’on assigne
un objectif de loisir ou un objectif d’acquisition de connaissance à des
étudiants. Les protocoles verbaux enregistrés pendant la lecture indiquent
que les étudiants font plus d’inférences, de paraphrases et de commentaires
métacognitifs lorsque le but poursuivi est l’étude.
2. L’hypothèse de cohérence : elle consiste à admettre que tout lecteur cherche
à construire une représentation localement et globalement cohérente de
ce qu’il lit. Il s’ensuit que toute rupture de cohérence le stimule à penser
activement au contenu textuel, à faire des inférences et à réinterpréter le
texte afin de combler les lacunes, à réguler et résoudre les difficultés ou au
moins à prendre note des incohérences.
3. L’hypothèse d’explication : elle renvoie à l’idée selon laquelle les bons
compreneurs cherchent à comprendre les raisons de tel ou tel état ou événe-
ment décrit dans un texte. Autrement dit, le compreneur compétent cherche
à établir les relations de causalité et la justification des informations énoncées.
Le modèle de construction est donc spécifiquement destiné à décrire les
34
processus de haut niveau impliqués dans la construction des modèles de
situation et fait largement appel aux connaissances préalables du lecteur.
Les trois hypothèses ci-dessus permettent de rendre compte des inférences
normalement effectuées pour élaborer la cohérence des représentations.
Graesser et ses collaborateurs (1994) répertorient 13 types d’inférences
susceptibles d’être réalisées et intégrées au modèle de situation final. Parmi
celles-ci, six ne sont pas optionnelles et sont systématiquement effectuées
pour satisfaire aux trois hypothèses :
1. Le traitement des références et l’attribution des rôles sémantiques per-
mettent d’établir la cohérence locale ;
2. Les inférences causales qui définissent les raisons des actions, événements
ou états décrits sont impliquées dans l’établissement de la cohérence aux
niveaux local et global ;
3. Les inférences de but qui explicitent les motivations des personnages
dans une narration et la reconnaissance du thème général et des réac-
tions émotionnelles des personnages sont des dimensions nécessaires à
la cohérence globale.
Les autres catégories d’inférences consistent en des élaborations, de nature
explicative ou pragmatique, qui peuvent enrichir le modèle de situation mais
Lire, comprendre et apprendre

restent optionnelles (l’exemple concernant les inférences qu’il est possible de


faire pour comprendre la relation entre la chasse, les hommes et l’automne,
illustre cette catégorie d’inférence). Les stratégies qui conduisent à la réali-
sation des inférences sont formalisées par des règles de production (règles
en « SI condition ALORS action », voir tableau 1.1). Le lecteur dispose
donc d’un ensemble de règles d’actions, formelles et explicites qu’il peut
solliciter de manière plus ou moins automatique dans sa recherche active
de construction de la cohérence.

Tableau 1.1 : Quelques règles de production modélisant


les hypothèses d’explication et de cohérence globale
(d’après Graesser, Singer et Trabasso, 1994).

Règle Action (ALORS) : processus cognitif


Condition (SI)
de production mis en œuvre
Expliquer Pourquoi le personnage fait
cette action, poursuit ce but ou pourquoi
cet événement est survenu : Rechercher
des informations en mémoire de travail ou
mémoire à long terme, représentant une
Un énoncé exprime une action
cause plausible pour A, B ou E.
Règle 1 intentionnelle (A) ou un but (B) 35
Augmenter l’activation de ces informations
ou un événement (E).
causales en mémoire de travail dans la
mesure où 1. elles proviennent de diverses
sources et 2. elles sont compatibles avec
les autres informations présentes en
mémoire de travail.
Créer une structure globale :
La mémoire de travail contient
Rechercher en mémoire des sources
une configuration (C) de buts,
d’informations qui s’apparient avec C.
Règle 2 d’actions, d’événements,
Augmenter l’activation des informations
d’émotions et/ou d’états qui
récupérées si elles sont compatibles avec
atteignent le seuil d’activation.
le contenu de la mémoire de travail.
Établir les inférences actives en mémoire
Une structure ou expression
de travail.
Règle 3 implicite en mémoire de travail
La structure ou l’expression implicite est
atteint le seuil d’activation.
intégrée au modèle de situation.

De très nombreuses recherches ont démontré la validité du concept d’infé-


rence pour rendre compte de la construction de la signification d’un texte.
L’examen de quelques-unes permettra d’illustrer l’application des trois règles
présentées dans le tableau 1.1.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Le traitement des références


Le traitement des références a très fortement retenu l’attention car les unités
référentielles (ou anaphoriques) expriment la continuité thématique ; elles
consistent donc en la répétition d’éléments qui assurent la perception de
l’unité sémantique d’un énoncé à l’autre. En ce sens, l’organisation réfé-
rentielle assure une part importante de la cohérence textuelle (Garnham,
Oakhill et Jonshon-Laird, 1982) et elle conditionne dans une large mesure
l’intégration des informations, chez les adultes comme chez les enfants (Dell,
McKoon et Ratcliff, 1983 ; Erlich et Rémond, 1997 ; Garrod et Sanford,
1994, 1999 ; Gernsbacher, 1990 ; Sanford et Garrod, 1981,1994 ; Van Dijk
et Kintsch, 1983 ; Yuill et Oakhill, 1991). Certains aspects de ce traitement
permettront d’illustrer concrètement la troisième règle du tableau 1.1.
La compréhension des références est soumise à un ensemble de contraintes
morphosyntaxiques, sémantiques et pragmatiques qui nécessitent parfois
des procédures de traitement relativement complexes (Bianco, 1996, 2003 ;
Bianco et Schnedecker, 1995, 2000 ; Fayol, David, Dubois et Rémond,
2000). Une recherche de Garrod, Freundenthal et Boyle (1994) illustre ces
phénomènes. Ces chercheurs ont donné à lire des petits textes décrivant
36 une situation familière telle que :
« Un incident dangereux à la piscine.
Élisabeth n’était pas une bonne nageuse et ne se serait pas baignée si le maître-
nageur n’avait pas été au bord du bassin. Mais dès qu’elle n’eut plus pied, elle
commença à paniquer et agita les mains avec affolement. »

Ce paragraphe était suivi de l’une des deux phrases suivantes : « Au bout


de quelques secondes, elle coula/sauta dans le bassin » ou « Au bout de
quelques secondes, il sauta/coula dans le bassin ». Le remplacement du verbe
« couler » par le verbe « sauter » dans la première phrase, comme celui du verbe
« sauter » par « couler » dans la seconde phrase introduit une incohérence
par rapport à la situation décrite dans le contexte. De même, le remplace-
ment de « Élisabeth » par « Alexandre » dans le texte et consécutivement de
« elle » par « il » dans la phrase cible introduit une ambiguïté morphologique
quant au référent pronominal. En enregistrant les mouvements oculaires
pendant la lecture de la phrase cible et en comparant les diverses conditions
expérimentales, les auteurs ont pu observer que les individus détectent
immédiatement l’incohérence (les temps de fixations sont plus longs sur
les verbes (sauter/couler) lorsque le pronom est non ambigu (textes dans
lesquels les personnages sont de sexe opposé) et qu’il renvoie au personnage
focal, c’est-à-dire au personnage dont on décrit les actions (Élisabeth dans
Lire, comprendre et apprendre

le texte ci-dessus)). Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, les inconsis-
tances sont également détectées mais plus tard dans la phrase. Ces résultats
montrent que les lecteurs suivent les références énoncées et cherchent à
établir leur cohérence. Ils montrent en outre que l’attribution des références
dépend d’un ensemble de paramètres dont la combinaison peut rendre le
processus plus ou moins aisé.
Par ailleurs et sous certaines conditions contextuelles, l’explicitation du
référent n’est pas toujours nécessaire à l’interprétation d’une expression
anaphorique, l’antécédent pouvant être facilement inféré à partir du contexte.
Les trois exemples suivants illustrent ce phénomène ainsi que la règle 3 du
tableau 1.1.
Considérons les trois paragraphes suivants :
1. « Élisabeth ne se serait pas baignée si sa sœur n’avait pas été au bord du
bassin. Mais dès qu’elle perdit pied, elle commença à paniquer et agita les
mains avec affolement. Au bout de quelques secondes, le maître-nageur
sauta dans le bassin » (Garrod et Sanford, 1999).
2. « J’ai besoin d’une assiette. Où les ranges-tu ? » (Gernsbacher, 1991).
3. « Prenez des œufs, cassez-les dans un récipient, assaisonnez-les et battez-
37
les vigoureusement. Versez l’omelette dans une poêle… »
Dans aucun de ces énoncés, nous n’éprouvons de difficulté à comprendre les
expressions définies « le maître-nageur ; l’omelette » pas plus que le pronom
objet « les », du second exemple, alors que les référents de ces termes ne sont
pas exprimés. Les situations décrites permettent d’activer en mémoire les
concepts qui leur sont associés. Lorsque leur activation est suffisamment
élevée (elle dépasse un certain seuil), ces concepts peuvent être insérés dans le
modèle de situation et sont disponibles pour l’intégration des informations
textuelles entrantes (règle 3).

Le traitement des intentions et des relations causales


De même que le suivi des références permet de savoir de qui et de quoi
l’on parle au fur et à mesure que le texte progresse, les relations de causalité
organisent la trame narrative d’un récit et aident à comprendre l’enchaîne-
ment des actions et événements qui concourent à la réalisation des buts des
personnages. Dans un texte scientifique également, la compréhension d’une
démonstration ou d’une thèse suppose la compréhension de l’enchaînement
et des liens causaux entre les arguments. Dans le cas des récits, Trabasso
et Sperry (1985) ont proposé que les actions, événements et épisodes sont
reliés les uns aux autres par l’établissement de relations causales à partir de
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

nos conceptions « naïves » de la causalité ; celles-ci permettent de décider si


« un événement B aurait pu se dérouler si les événements X ou Y n’avaient
pas établi les conditions nécessaires à sa réalisation dans le contexte, réel ou
imaginaire, du texte » et d’établir les relations de dépendance conceptuelle
entre B, X et Y (Langston et Trabasso, 1999, Trabasso et Sperry, 1985 ; voir
aussi Fayol, 2000 et Blanc, 2009). Ceci est une autre façon d’exprimer la
règle 1 du tableau 1.1. De très nombreux travaux ont établi l’importance
des relations de causalité dans le traitement des textes, chez les adultes,
comme chez les enfants. La force de la relation causale qui lie un événe-
ment à son contexte détermine très fortement les jugements de cohérence
et de lisibilité, le rappel des histoires et la vitesse de lecture (voir Langston
et Trabasso, 1999 pour une synthèse). En d’autres termes, l’interprétation
des relations de causalités (explicites ou implicites) et leur intégration dans
le modèle de situation assure une meilleure compréhension et une meilleure
mémorisation du texte.
Pour terminer, les inférences qui consistent à attribuer des états émotion-
nels aux personnages d’un récit ancrent l’enchaînement des actions dans
la motivation des personnages et permettent de comprendre la structure
38 des buts qui organisent les événements. Ces inférences semblent elles aussi
réalisées systématiquement et relativement automatiquement au cours de la
lecture ; c’est ce qu’ont montré Gernsbacher et ses collaborateurs (Gernsba-
cher, Goldsmith et Roberston, 1992 ; Gernsbacher, Hallado et Robertson,
1998) dans une série d’expériences au cours desquelles on montrait de courts
textes décrivant une situation induisant un état émotionnel particulier, sans
jamais le mentionner. Voici un exemple :
« Paul avait toujours souhaité que son frère Luc soit un as du baseball. Paul
avait donc entraîné Luc après l’école pendant presque deux ans. Au début,
Luc n’était pas très doué mais avec le temps, et après des heures et des heures
d’entraînement, Paul constata de grands progrès. En fait, les progrès avaient
été tels que le jour de la fête du club, Luc fut appelé pour recevoir le prix du
meilleur joueur » (d’après Gernsbacher et al., 1992).

Les textes étaient suivis d’une phrase mentionnant l’état émotionnel de Paul.
Ce dernier était soit compatible avec l’émotion induite par le texte, soit non
compatible. Pour le texte précédent, les phrases cibles étaient :
1. « En entendant le nom de son frère, Paul fut très fier » (émotion compa-
tible) ou ;
2. « En entendant le nom de son frère, Paul se sentit coupable » (émotion
non compatible).
Lire, comprendre et apprendre

Les résultats de ces expériences montrent que les individus lisent plus rapi-
dement la phrase 1 que la phrase 2 et qu’ils sont aussi plus rapides dans une
tâche de dénomination pour prononcer le mot « fier » plutôt que « coupable »,
lorsque les deux mots sont présentés seuls à la place des phrases cibles. Ces
résultats illustrent l’application de la règle 2 du tableau 1.1, proposant
qu’une configuration d’événements cohérents en mémoire de travail conduit
à la création d’une structure globale à laquelle sont ajoutées les inférences
effectuées à partir de nos connaissances générales (ici le sentiment de fierté
de Paul). En outre, la réplication de ces résultats dans des situations de
double tâche suggère que l’activation de ces connaissances est automatique
et permet d’attribuer des émotions aux personnages, même si celles-ci ne
sont pas explicitement mentionnées.

Activer et mémoriser des connaissances :


l’inspiration connexionniste
Les modèles fondés sur les stratégies ont mis l’accent sur les aspects explicites
de la compréhension ; largement inspirés par le cognitivisme classique, ils se
sont attachés à expliciter les règles mentales qui sous-tendent la compréhen-
sion et ils donnent l’image d’un compreneur actif qui applique de manière
39
concertée et délibérée des procédures (ou règles d’action) pour extraire la
signification des énoncés. Cette activité est toutefois coûteuse d’un point de
vue attentionnel et si toute l’activité de compréhension devait être décrite
en ces termes, la charge mentale qu’elle implique rendrait le processus
très difficilement appréhendable pour le système cognitif humain. Une
grande partie de l’activité est en effet prise en charge par des automatismes
et des mécanismes élémentaires qui rendent mieux compte de l’apparente
facilité et du sentiment d’évidence dont nous faisons l’expérience lorsque
nous comprenons un texte. À partir de 1986, des modèles d’inspiration
connexionniste se sont attachés à modéliser ces mécanismes élémentaires de
la compréhension. Les modèles de « construction de structures » (Structure
Building framework, Gernsbacher, 1990), de « construction-intégration »
(Kintsch, 1988-1998) et celui du « landscape » (Van den Broek, Ridsen,
Flechter et Thurlow, 1996 ; Van den Broek, Young, Tzeng et Linderhom,
1999) en sont les représentants les plus connus et plusieurs descriptions de
ces modèles sont disponibles en français (Bianco, 2010 ; Blanc et Brouil-
let, 2003 ; Rossi, 2008). Nous donnerons ici les principes généraux de ces
approches ainsi que quelques illustrations empiriques de leurs fondements.
Le postulat essentiel consiste à penser que la compréhension, comme toute
autre activité cognitive, est une propriété émergente du fonctionnement
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

cognitif et qu’elle est, de ce fait, régie par les mêmes mécanismes élémen-
taires que l’ensemble des autres activités. Ces mécanismes – analogues des
lois d’activation des corps cellulaires neuronaux et de la diffusion de l’influx
nerveux dans le système cérébral – reposent sur les principes de l’activation
et de sa diffusion dans un système cognitif, conçu comme un réseau d’unités
interconnectées, formelles et abstraites, et formant en première approximation
un réseau sémantique. La compréhension des textes est donc prise en charge
par des processus d’activation et d’inhibition qui exploitent les propriétés
associatives de la mémoire. La représentation du texte émerge de la mise
en œuvre de ces mécanismes élémentaires qui suffisent normalement à la
compréhension. Kintsch (1998) considère que la compréhension des textes
est plus comparable à la perception qu’à la résolution de problème. C’est
seulement lorsque les mécanismes élémentaires conduisent à une impasse
(la compréhension échoue) qu’une activité de résolution de problème – ou
stratégique – peut être nécessaire. Schématiquement, les mots lus activent
les concepts correspondants en mémoire et par résonnance les connaissances
d’arrière-plan qui leur sont associées ; chaque fois qu’un concept est activé, une
relation est établie entre celui-ci et les autres concepts activés en même temps
que lui, quelle que soit l’origine de cette co-activation : co-occurrence dans
40 le texte, concepts traités lors du cycle précédent, réactivation d’informations
provenant de la représentation épisodique ou des connaissances d’arrière-plan.
La signification du texte émerge donc et se transforme progressivement au
fur et à mesure du traitement des énoncés, en fonction de l’évolution des
niveaux d’activation et d’inhibition des concepts. À l’inverse des conceptions
stratégiques, les modèles inspirés du connexionnisme donnent une image
d’une activité de compréhension entièrement automatique et autonome,
régie par des mécanismes ascendants, associatifs et passifs. Kintsch (1998) les
qualifie de processus idiots (« dumb processes »). À titre d’exemple, la figure 1.3
représente la construction d’un paysage sémantique (ou landscape) à partir de
quelques règles simples d’activation et d’inhibition (Van den Broek, Risden,
Fletcher et Thurlow, 1996). On remarquera que l’activation de chacun des
concepts fluctue à chaque cycle de traitement, en fonction des conditions
contextuelles et des règles d’activation qui y sont associées. La représentation
(ou paysage) qui en résulte contient des concepts très actifs tout au long de
l’analyse alors que d’autres sont activés de manière transitoire, distinguant
ainsi les informations saillantes et essentielles de celles qui le sont moins et
dont l’oubli ne nuit pas à la cohérence de la représentation de la situation.
Lire, comprendre et apprendre

Admettons (1) que les propositions suivantes participent chacune à un cycle


de traitement et (2) que les concepts extraits à chacun des cycles soient ceux
notés dans la colonne de droite ci-dessous :

Énoncé (d’après une nouvelle


Cycle Concepts
de Jacques Prévert)
1 À la fin, le jeune dromadaire en eut assez Jeune, dromadaire, avoir assez
et, se précipitant sur l’estrade,
2 il mordit le conférencier. Dromadaire, se précipiter, estrade
3 « Chameau », dit le conférencier furieux. Dromadaire, conférencier, mordre
4 Et tout le monde, dans la salle, criait Chameau, dire, conférencier, furieux
5 « Chameau, sale chameau, sale Monde, salle, crier
6 chameau ! » Chameau, sale
7 Pourtant c’était un dromadaire Dromadaire
8 Et il était propre. Dromadaire, propre

Admettons ensuite les règles d’activation suivantes proposées par Van den
Broek, Risden, Fletcher et Thurlow (1996). On obtient alors le paysage
ci-dessous.

Règle 1 : un concept activé explicitement reçoit une valeur d’activation = 5.


41
Règle 2 : un concept impliqué par une anaphore reçoit une valeur d’activation = 4.
Règle 3 : un concept représentant une condition nécessaire et suffisante pour la
réalisation d’un événement reçoit une valeur d’activation = 4.
Règle 4 : un concept représentant une condition nécessaire mais non suffisante
pour la réalisation d’un événement reçoit une valeur d’activation = 3.
Règle 5 : un concept représentant une élaboration reçoit une valeur d’activation
= 2.
Règle 6 : l’activation d’un concept est divisée par deux par rapport à sa valeur
au cycle précédent, s’il n’est plus activé.
Règle 7 : l’activation revient à la valeur zéro si un concept n’est plus activé
pendant deux cycles successifs.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Figure 1.3 : l’émergence d’un paysage sémantique (d’après Bianco, 2010).

L’implication de ces processus mnésiques élémentaires a été confortée par


de nombreuses recherches qui ont étudié la part des automatismes dans
la compréhension des textes. Mc Koon et Ratcliff (1992) par exemple,
42 ont souligné que la plupart du temps, les lecteurs n’ont pas de but précis
lorsqu’ils lisent. Ils n’adoptent donc pas systématiquement une attitude
stratégique visant à élaborer une représentation entièrement cohérente et
intégrée à leurs connaissances préalables. Dans les conditions quotidiennes
de lecture, les seules inférences effectivement réalisées sont celles qui sont
strictement nécessaires à la cohésion (ou cohérence locale) et/ou celles qui
proviennent des associations résultant de la dynamique de l’activation des
concepts en mémoire. Les inférences liées à la cohérence globale notamment
ne sont pas encodées lorsqu’il n’y a pas de rupture de cohésion et que nous
lisons sans objectif particulier. Cette hypothèse « minimaliste » suggère en
outre que les inférences régulièrement faites dépendent du niveau d’activa-
tion des connaissances à un instant donné. La réalisation d’une inférence
n’est donc pas un phénomène en tout ou rien mais relève d’un processus
graduel : une inférence peut être encodée à des degrés divers, autrement
dit, sa saillance peut être plus ou moins prononcée dans la représentation
finale du texte mais aussi aux différents moments de l’interprétation. En
utilisant un paradigme de reconnaissance de cible, qui consiste à décider
si un mot présenté après la lecture d’un paragraphe était ou non exprimé
dans celui-ci, McKoon et Ratcliff (1992) ont montré que les inférences
causales nécessaires à l’établissement de la cohérence locale sont effective-
ment réalisées mais pas celles relevant de la cohérence globale. En d’autres
Lire, comprendre et apprendre

termes, les concepts correspondant aux relations de causalité locale sont


actifs et rapidement reconnus alors que ceux correspondant aux buts suror-
donnés sont moins actifs et reconnus plus lentement quand ils ne sont pas
nécessaires à la gestion de la cohésion. Dans une de leurs expériences par
exemple, les auteurs ont comparé deux types de textes ; les premiers étaient
localement cohérents mais une des informations empêchait la réalisation
du but général de l’histoire (il y avait donc une rupture dans la cohérence
globale qui organise l’ensemble des buts et sous-buts d’une histoire). Le
deuxième type de textes était construit de telle sorte qu’il y avait une
rupture de la cohérence locale (expression de deux sous-buts causalement
non liés). Celle-ci pouvait cependant être rétablie en considérant le but
général. Dans le premier cas, la contradiction entre l’information locale et
le but général n’a aucun effet sur la reconnaissance du mot cible, indiquant
que les participants ne font pas appel aux informations du niveau global
pour établir la cohésion. Dans le deuxième cas en revanche, l’information
relative au but général est activée et utilisée pour résoudre la difficulté
générée par l’incohérence locale, les mots cibles correspondant à cette
information étant alors plus vite reconnus. Dans une situation de lecture
non contrainte donc, les lecteurs semblent traiter le texte au niveau local,
sans stratégie particulière, et les mécanismes à l’œuvre sont des mécanismes 43
élémentaires d’activation/inhibition.
Ces mécanismes sont particulièrement adaptés pour rendre compte des
erreurs d’interprétation qu’on observe parfois. Par exemple, certains énoncés
de problèmes arithmétiques sont formulés de telle sorte qu’ils suscitent des
erreurs de résolution alors même que les individus (adultes et/ou enfants)
connaissent parfaitement les procédures de calcul. Considérons les énon-
cés utilisés par Kintsch et Lewis (1993) et reproduits au tableau 1.2. Ces
problèmes simples peuvent être résolus par des enfants de huit ou neuf ans,
dès lors qu’ils ont acquis les procédures arithmétiques de l’addition et de
la soustraction. Or, bien qu’étant formellement isomorphes, les énoncés
« non consistants » donnent en général lieu à plus d’erreurs de résolution.
En effet, les expressions « de moins » dans le problème additif et « de plus »
dans le problème « soustractif » induisent l’activation du schéma opératoire
habituellement associé aux notions sémantiques d’ajout ou de retrait. Une
lecture superficielle conduit souvent dans ce cas à réaliser l’opération induite
par les mots de l’énoncé plutôt que celle logiquement attendue.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 1.2 : Habillage verbal des énoncés et formation des hypothèses


arithmétiques (d’après Kintsch et Lewis, 1993).

Habillage consistant Habillage non consistant


Addition Tom mesure 175 cm. Tom mesure 175 cm.
Jeff mesure 12 cm de plus que Tom. Il mesure 12 cm de moins que Jeff.
Quelle est la taille de Jeff ? Quelle est la taille de Jeff ?

Soustraction Tom mesure 175 cm Tom mesure 175 cm


Jeff mesure 12 cm de moins que Tom. Il mesure 12 cm de plus que Tom.
Quelle est la taille de Jeff ? Quelle est la taille de Jeff ?

En demandant à des étudiants de prédire l’opération qu’ils devront effectuer,


à la fin de la lecture de chacune des phrases de ce type d’énoncés, Kintsch
et Lewis (1993) ont montré que la simple présence des locutions « de plus »
ou « de moins » a une incidence sur la nature de l’opération prédite. Après la
lecture de la seconde phrase, alors que tous les éléments sont logiquement
réunis pour déterminer l’opération à effectuer, les prédictions correctes sont
voisines de 80 % dans la version consistante mais ne dépassent pas 60 %
dans la condition non consistante. De plus, les prédictions fausses ne sont
pas toujours corrigées à la lecture de la troisième phrase ; les prédictions
44
correctes augmentent mais restent inférieures à 80 % pour les énoncés non
consistants. La lecture de certains mots-clés a donc pour effet d’activer
automatiquement les schémas arithmétiques qui leur sont typiquement
associés, ce qui interfère avec l’élaboration d’un modèle de situation cohérent
et, dans le cas présent, logiquement valide.
En définitive, les modèles de construction (ou stratégiques) et les modèles
fondés sur les processus mnésiques mettent en perspective des aspects
distincts de l’activité de compréhension et il ne fait plus aucun doute
aujourd’hui que l’ensemble des mécanismes décrits – mécanismes élémen-
taires d’activation/inhibition d’une part, stratégies délibérées de résolution
de problèmes d’autre part – concourent ensemble à la réussite de l’activité.
Il convient de noter ici que les connaissances inscrites dans la mémoire
du lecteur sont invoquées très largement dans chacune des modélisations ;
celles-ci ont en outre pour point commun de concevoir les connaissances
comme des entités symboliques abstraites, indépendantes des expériences
ayant permis leur abstraction. La mémoire reste donc conçue comme un
système symbolique ou sub-symbolique qui rend difficilement compte
des expériences sensorielles, motrices et émotionnelles, elles aussi souvent
convoquées lors de la compréhension fine des textes. Les travaux décrits
aux paragraphes suivants, inspirés par le courant de la cognition incarnée,
Lire, comprendre et apprendre

apportent un éclairage nouveau concernant les rapports entre le sensible et


le symbolique dans l’organisation de nos connaissances et leur implication
dans la compréhension des textes.

L’hypothèse d’indexation : la mémoire inscrite


dans l’expérience sensible
L’hypothèse d’indexation, proposée par Glenberg et ses collaborateurs (1999-
2008) n’est pas à proprement parler un modèle abouti de la compréhension.
Elle représente cependant une approche illustrative de l’essor du champ de
la cognition incarnée, dont l’hypothèse centrale, rappelons-le, consiste à
penser que la cognition ne repose pas sur l’extraction de symboles abstraits,
amodaux et autonomes. Les représentations abstraites partagent au contraire
le même système cérébral que les expériences sensibles dont elles sont issues
et sont intriquées dans les systèmes moteurs et sensoriels à l’origine de
leur construction (voir encadré 1.1). Dans ce cadre, le langage occupe une
place originale puisqu’il confère au système cognitif humain, sa puissance
symbolique. C’est, en effet, son interaction avec les expériences sensorielles
et motrices qui nous donne la capacité de représenter des événements en
leur absence, de référencer des états internes et donc d’abstraire et d’accéder
à la métacognition. En suivant cette logique, la signification d’un texte ne 45
consiste plus seulement en la manipulation de symboles abstraits mais elle
est enracinée dans nos perceptions et nos actions.
L’hypothèse d’indexation s’appuie également sur quelques idées fondamen-
tales de la psychologie évolutionniste : la première renvoie à l’hypothèse du
« recyclage neuronal » (voir aussi Dehaene, 2007), selon laquelle les fonctions
nouvelles apparaissant au cours de l’évolution exploitent les systèmes cérébraux
déjà existants. La seconde idée consiste à considérer que le développement
cérébral et/ou cognitif des organismes a eu pour fonction de permettre à
ces derniers de se comporter de manière adaptée dans leur environnement.
La fonction première de la cognition est donc l’action. Il s’ensuit que la
signification d’un événement, langagier ou réel, dérive de la signification
des actions concrètement expérimentées. La compréhension d’un énoncé
consiste alors à simuler mentalement les actions et objets décrits.
Trois processus permettent de rendre compte de la transformation des
mots et phrases lues ou entendues en une signification intégrée, incorporée
et fondée sur l’action. Ces trois processus sont l’indexation, la dérivation
d’affordances (autrement dit, de possibilités) et le tissage (ou meshing)
à partir des analyses grammaticales. L’indexation permet d’apparier les
mots et expressions aux objets de l’environnement et/ou à des symboles
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

perceptifs. Considérons par exemple la phrase suivante : « Thomas s’est assis


sur une chaise ». L’indexation permet d’apparier les mots et expressions à des
objets physiques et/ou à leur représentation en mémoire. L’affordance rend
compte d’une interaction entre les caractéristiques d’un individu et celles
de son environnement. La dérivation d’affordance provient des expériences
perceptives et motrices dont chacun dispose relativement aux objets dénotés
par les mots. Ainsi, pour reprendre l’exemple donné par Glenberg et ses
collaborateurs (2007), la lecture du mot « chaise » active des représentations
d’actions différentes selon les expériences et la conformation corporelle des
individus. Pour un adulte, plusieurs types d’interactions sont possibles avec
l’objet en question ; il peut bien sûr s’asseoir dessus – ce qui est l’interaction la
plus fréquente et naturelle avec cet objet – mais aussi la soulever, la déplacer
ou encore s’en servir comme d’un escabeau pour atteindre un objet placé
en hauteur. Il pourra plus difficilement en revanche ramper dessous sans la
renverser. Pour un tout petit enfant au contraire, une chaise est souvent trop
haute pour qu’il s’y assoie seul, et beaucoup trop lourde pour qu’il la soulève.
Il peut cependant sans difficulté ramper au-dessous et s’en servir de cachette.
Le tissage permet de combiner les affordances pour former une représentation
ou simulation à partir de l’analyse grammaticale des énoncés. La compréhen-
46
sion est donc conditionnée par la possibilité de dériver une représentation
cohérente à partir de la combinaison des affordances. Ainsi, les affordances
dérivées de la phrase « Pierre s’est assis sur une chaise » conduiront à une
représentation cohérente seulement si nous avons indexé Pierre comme
étant un personnage suffisamment grand et autonome pour pouvoir réaliser
l’action. Si Pierre a été indexé comme représentant un nourrisson de moins
d’un an, il est probable que l’interprétation aboutisse à une représentation
non cohérente.
L’hypothèse d’indexation et plus largement les idées défendues par les théo-
ries de la cognition incarnée semblent tout à fait aptes à rendre compte des
propriétés des modèles de situation. En effet, les modèles classiques postulent
sans exception que les modèles de situation ne sont pas exclusivement compo-
sés de contenus verbaux (ou propositionnels) mais intègrent toutes sortes
d’informations, de format imagé et/ou spatial notamment, ancrées dans
l’expérience sensible du lecteur (Kaup, Zwaan et Lüdtke, 2007 ; Morrow et
al., 1987, 1989 ; Tapeiro, 2007). Les modèles symboliques n’ont cependant
pas – par nature – de moyen simple d’intégrer ces informations alors que de
nombreux travaux récents mettent l’accent sur le rôle incontestable que jouent
ces éléments dans l’élaboration des modèles de situation et plus largement
dans la compréhension. Nous en donnons quelques exemples ci-dessous.
Lire, comprendre et apprendre

Zwaan, Stanfield et Yaxley (2002) ont demandé à des adultes de dire aussi
vite que possible si l’objet représenté sur une image avait été mentionné
dans une phrase entendue juste avant. Les images représentaient l’objet sous
deux conditions : dans la première, la forme de l’objet était conforme à la
forme impliquée dans l’énoncé et dans la seconde, elle n’était pas conforme.
Par exemple, la phrase « le soldat a vu un aigle dans le ciel » implique que
l’aigle est en vol et qu’il a donc les ailes déployées alors que la phrase « le
soldat a vu un aigle dans son nid » induit la représentation d’un aigle les
ailes repliées. Après l’audition de l’une de ces phrases, on présentait soit
l’image d’un aigle en vol, soit l’image d’un aigle au repos. Les auteurs ont
observé que les individus décident beaucoup plus vite de la pertinence du
dessin si celui-ci respecte la forme de l’objet impliqué dans l’énoncé (aigle
en vol pour la première phrase et aigle au repos pour la seconde phrase). Ce
résultat confirme qu’en interprétant les énoncés, les individus n’activent pas
seulement des concepts génériques abstraits ; ils se représentent aussi la forme
des objets telle qu’elle est expérimentée dans les situations réelles. En d’autres
termes, la représentation de la situation décrite par un discours implique
une simulation « fondée sur l’expérience » et ancrée dans nos perceptions.
Glenberg et ses collaborateurs (2008) rapportent quant à eux quelques 47
résultats qui montrent l’implication des systèmes moteurs dans la compré-
hension d’énoncés désignant des actions concrètes telles que « Max te tend
le cahier » ou « Tu tends le cahier à Max ». L’action décrite dans ces phrases
suppose un mouvement dont la direction est soit centrifuge, soit centripète
par rapport à l’individu. Lors d’une tâche de jugement grammatical, les
participants devaient donner leur réponse en appuyant sur un bouton qui
nécessitait de déplacer la main vers soi ou au contraire à l’éloigner de soi ;
les latences de réponse sont plus courtes si le mouvement à réaliser avec la
main est orienté de la même manière que le mouvement à comprendre et
elles augmentent au contraire lorsque les deux mouvements ont des sens
opposés. On observe par ailleurs les mêmes résultats lorsque les actions décrites
sont abstraites et impliquent non plus des transferts d’objets concrets mais
des transferts d’information comme dans « Lise te raconte une histoire » ou
« tu racontes une histoire à Lise ». Ces résultats montrent selon Glenberg
(2008) que ce sont les mêmes systèmes moteurs qui sont sollicités dans la
compréhension des verbes d’action et dans l’exécution motrice effective de
l’action. Cette hypothèse est tout à fait compatible avec d’autres données
utilisant les techniques d’imagerie cérébrale qui montrent que les aires
motrices et prémotrices activées lors de la réalisation effective d’une action
le sont aussi lors de la compréhension d’énoncés les décrivant. Ainsi, par
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

exemple, les phrases « le garçon shoote dans le ballon » et « l’homme écrit


une lettre » activent différentiellement les aires somatotopiques responsables
du contrôle du mouvement des membres inférieurs et de la main ; de plus,
l’activation des aires motrices pendant la compréhension des actions a pu
être observée lors de la lecture mais aussi lors de l’observation de scènes
imagées (Jeannerod et Frak, 1999 ; Buccino et al., 2001) ; elle est en outre
rapide, relativement automatique et est incontestablement liée à l’accès
sémantique (Pulvermüller, 2008).
Enfin, l’expérience suivante illustre la simulation des états émotionnels lors
de la compréhension ; Havas, Glenberg et Rinck (2007) ont demandé à des
participants de tenir un crayon dans leur bouche, soit en utilisant seule-
ment leurs dents, soit en le pinçant avec leurs lèvres. Cette manipulation
induit une expression faciale caractéristique (sourire lorsque le crayon est
tenu entre les dents et expression de tristesse ou de mécontentement quand
il est tenu entre les lèvres). L’hypothèse faite par les auteurs est que cette
expression faciale active par rétroaction l’état émotionnel correspondant ;
par conséquent, si la compréhension d’énoncés décrivant des émotions
suscite la simulation des expériences émotionnelles, on devrait observer
48
une facilitation lorsque l’émotion décrite dans une phrase est compatible
avec l’émotion induite par la tenue du crayon. C’est exactement ce que
montrent les données empiriques : les individus comprennent et donnent
des jugements de grammaticalité (expérience 1) ou de compréhensibilité
(expérience 2) plus rapides pour la phrase « Votre chef a grimacé en vous
tendant l’enveloppe » s’ils tiennent le crayon entre leurs lèvres que s’ils le
tiennent entre leurs dents ; et on observe inversement que les phrases dénotant
des émotions positives « Vous embrassez votre amoureux après une longue
séparation » sont lues plus rapidement quand les participants tiennent le
crayon entre leurs dents !

Quelques données d’imagerie cérébrale


Les « neurosciences » de la compréhension des textes en sont encore à
leurs débuts ; les connaissances sont par conséquent encore partielles et ne
permettent pas le même degré de précision et d’élaboration que ce que l’on
peut dire aujourd’hui des « circuits neuronaux de la lecture ». Les données
actuelles confirment cependant les analyses psychologiques en distinguant
les aires cérébrales spécialisées dans le traitement du code linguistique,
situées dans les régions temporales et préfrontales gauches et des régions
cérébrales, plus diffuses et réparties sur les deux hémisphères, qui sont
sollicitées dans les traitements de plus haut niveau concernant l’intégration
Lire, comprendre et apprendre

textuelle (ces régions empruntent à deux autres réseaux, le réseau exécutif


et le réseau par défaut (Bruckner et al., 2008)). Le traitement contextualisé
du langage suppose incontestablement une interaction complexe entre les
processus langagiers et les processus cognitifs généraux. Ferstl et ses colla-
borateurs (2008) estiment qu’il est nécessaire de considérer un ensemble de
structures cérébrales qui forment un « réseau langagier étendu » pour rendre
compte des résultats de neuro-imagerie relatifs à deux aspects essentiels de
la construction de la cohérence des textes : les processus d’inférences d’une
part et à la mise en œuvre de stratégies de compréhension d’autre part. Les
recherches soulignent en outre que le traitement du discours continu n’est
pas l’apanage de l’hémisphère gauche et que les deux hémisphères sont
sollicités même si le rôle et les fonctions de l’hémisphère droit restent encore
largement mystérieux et controversés (Ferstl, 2007 ; Perfetti et Frishhoff,
2008 ; Vigneau et al., 2006, 2011).

La contribution de l’hémisphère droit


Historiquement, l’observation de patients cérébrolésés a conduit à émettre
l’hypothèse selon laquelle l’hémisphère droit serait responsable de l’intégration
textuelle. Les lésions de d’hémisphère droit sont associées à des difficultés
de compréhension touchant la réalisation des inférences, l’extraction du 49
thème du discours, le contrôle et la régulation. Les hypothèses avancées pour
expliquer ces déficits et, partant, le rôle de l’hémisphère droit sont de nature
diverses. Pour certains auteurs, l’hémisphère droit pourrait être impliqué
dans la synthèse des informations langagières et donc dans la construction
des modèles de situation (McDonald, 2000). Pour d’autres, il serait engagé
dans le contrôle de l’activité et son intervention serait d’autant plus impor-
tante que le texte et/ou la tâche est complexe et nécessite des traitements
attentionnels importants (Ferstl, 2007). D’autres encore considèrent que
ce sont les fonctions sociales, émotionnelles et pragmatiques de la commu-
nication qui sont atteintes par les lésions droites. Enfin, certains résultats
suggèrent que l’hémisphère droit joue un rôle spécifique dans l’activation
des champs sémantiques peu structurés qui permettent la réalisation d’infé-
rences prédictives et le traitement des significations nouvelles, nécessaires
à l’interprétation des métaphores, par exemple (Beeman, 1993 ; Beeman,
Bowlen et Gernsbacher, 2000). Les travaux en imagerie cérébrale apportent
pour l’instant des réponses ambiguës à ces hypothèses. Certaines recherches
montrent une activation dominante droite au cours de la compréhension,
d’autres ne trouvent qu’une activation gauche et d’autres enfin, mettent
en évidence des activations bilatérales. La relative incohérence des résul-
tats est certainement due, selon Ferstl (2007) à des difficultés aussi bien
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

méthodologiques que théoriques. En effet, des processus qualitativement


très différents – traitement d’inférences diverses, de métaphores, autoéva-
luation et régulation – sont examinés dans les recherches explorant l’activité
cérébrale induite par un texte. Ce qui apparaît cependant peu contestable,
c’est que l’hémisphère droit et des territoires cérébraux non spécifiques au
traitement du code linguistique sont sollicités au cours de la compréhen-
sion des textes (Horowitz-Kraus, Wang, Plante et Holland, 2014 ; Jouen,
Ellmore, Madden et al., 2015). Une expérience conduite par Robertson,
Gernsbacher et al. (2000) illustre très précisément ce point. Ces auteurs ont
examiné les conséquences sur l’activité cérébrale, de l’introduction d’une
expression référentielle dans une phrase courte. Ils ont pour ce faire enre-
gistré les données IRMf de huit individus droitiers pendant qu’ils lisaient
trois sortes d’énoncés :
1. Une suite de signes sans signification respectant seulement les césures
intermots (et # {[{#\ @)}#~) servant de condition témoin ;
2. Une série de phrases indépendantes comportant chacune une expression
indéfinie (une grand-mère est assise à une table. Un enfant joue dans la cour.
Une mère parle au téléphone, etc.) ;
50 3. La même série de phrases dans laquelle les déterminants indéfinis ont été
remplacés par des déterminants définis, donnant une dimension textuelle
en signalant une relation probable entre les énoncés (La grand-mère est assise
à une table. L’enfant joue dans la cour. La mère parle au téléphone, etc.).
Les enregistrements IRMf mettent en évidence une différence très nette
entre les trois conditions ; tout d’abord, la comparaison entre la série de
phrases « indéfinies » et la condition non verbale montre que la lecture des
phrases active massivement les régions temporales gauches traditionnelle-
ment associées au traitement du langage ainsi qu’une activation symétrique
mais plus faible à droite. La comparaison des conditions 2. et 3. montre que
concernant l’hémisphère gauche, les expressions définies génèrent exacte-
ment le même patron d’activité que les expressions indéfinies. En revanche,
une activité différentielle très nette est observée dans l’hémisphère droit :
les expressions définies activent aussi les régions frontales droites (gyrus
supérieur et médian). L’intégration des informations au-delà des frontières
phrastiques requiert donc plus que la seule activité des aires strictement
spécifiées pour le traitement du code linguistique ; ici, l’introduction d’une
expression définie indiquant des relations de cohésion interphrastique
implique l’intervention de structures cérébrales responsables de la centration
de l’attention (figure 1.4).
Lire, comprendre et apprendre

Figure 1.4. Activation comparée de sept régions cérébrales gauche


et droite pour les phrases contenant un article défini versus indéfini
(d’après Robertson, Gernsbacher et al., 2000).

D’après Robertson et al., 2000

Inférences et Stratégies : un réseau langagier étendu 51


(Ferstl et al., 2008)
Les régions corticales mises en jeu varient en fonction des inférences à
effectuer et des stratégies de traitement utilisées ; elles ne sont en outre pas
spécifiques à l’inférence textuelle ce qui suggère que la fonction inférentielle
est partagée avec d’autres fonctions. Ainsi, les régions frontales, dont la
fonction traditionnelle renvoie à la planification des activités, sont activées
lors de la réalisation d’inférences nécessitant des ressources attentionnelles et
la mise en œuvre de stratégies (Ferstl, 2007 ; Moss et al., 2011). Une autre
partie de cette région frontale (l’aire dorso médiane) est impliquée dans
le traitement des intentions, des croyances et des motivations d’autrui et
semble jouer une place prépondérante dans les mécanismes de la « théorie de
l’esprit ». Cette région est aussi impliquée dans la réalisation des inférences
textuelles mais n’est activée que dans la mesure où la tâche prescrite laisse
le temps à la formation d’hypothèses, que la réponse à donner est de nature
idiosyncrasique et qu’elle nécessite la prise en considération simultanée du
contexte et des connaissances antérieures des individus. Cette structure
anatomique est par ailleurs très fortement connectée à la région pariétale
médiane dont on considère qu’elle est impliquée dans la mise à jour des
modèles de situation (Maguire et al., 1999). Ces deux régions (frontale
et pariétale médiane) pourraient donc être responsables des habiletés qui
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

permettent l’intégration « des stimuli externes au monde interne » (Ferstl,


2007, p. 88), que cette intégration soit réalisée au cours de la compréhen-
sion de texte ou au cours d’autres activités cognitives (Jouen et al., 2015).
L’implication du réseau exécutif dans la compréhension est bien illustrée
par une recherche dans laquelle l’activité cérébrale de 22 jeunes adultes a
été enregistrée alors qu’ils étaient engagés dans des tâches de verbalisation
(Moss et al., 2011). Les participants avaient pour consigne d’utiliser, pendant
leur verbalisation, l’une des trois stratégies suivantes : relecture, paraphrase,
autoexplication. Les résultats montrent en premier lieu que les deux stratégies
nécessitant un effort attentionnel coûteux (paraphrase et autoexplication)
activent plus fortement que la simple stratégie de relecture les aires corti-
cales impliquées dans les fonctions exécutives (en réalité, 9 des 12 régions
corticales composant le « réseau exécutif (domain-general control network) »).
Deuxièmement, on observe des activations bilatérales du cortex préfrontal
(régions ventro-médiales et dorso-médiales) et du cortex pariétal (précunéus
bilatéral et postérieur gauche), régions traditionnellement impliquées dans
la construction de la cohérence et des modèles situationnels. Nombre de
ces régions appartiennent au réseau par défaut, réseau impliqué dans la
pensée autonome et le « mind wandering » (Bruckner et al., 2008). Moss et
52 ses collaborateurs (2011) font l’hypothèse que ces régions corticales assurent
des fonctions similaires au cours de la compréhension et dans les activités
de « repos » (récupération en mémoire, simulation mentale et intégration)
et que la co-activation du « réseau exécutif » et des régions responsables de
la manipulation des représentations internes est une caractéristique des
stratégies de compréhension les plus efficaces (voir chapitre 4). À côté de
ces structures, d’autres régions, telles que les aires temporales antérieures
sont activées bilatéralement lorsque les individus doivent effectuer des
inférences reposant sur des associations sémantiques ; le lobe temporal droit
serait en particulier sollicité dans l’extraction des significations mettant en
jeu des champs sémantiques distants, dans le traitement des métaphores et
des inférences prédictives notamment. À l’inverse, le lobe temporal gauche
serait plus fortement sollicité dans les inférences permettant d’établir la
cohérence (Beeman et al., 2000).
Les résultats précédents sont en parfait accord avec les conclusions de
Ferstl et de ses collaborateurs (2008) à l’issue d’une méta-analyse des
travaux disponibles jusqu’en 2008 : le traitement des textes sollicite un
réseau cérébral étendu, – un « réseau langagier étendu » (extended language
network) – impliquant, outre les « aires du langage » (structures temporales
supérieures et médianes et préfrontales gauches), les lobes temporaux
Lire, comprendre et apprendre

antérieurs (aTL) bilatéralement et de nombreuses structures appartenant les


unes au réseau exécutif et les autres au réseau par défaut. Le cortex préfontal
dorso-médian (dmPFC) et le cortex cingulaire postérieur sont en particulier
significativement impliqués dans les activités de construction de la cohé-
rence. L’un des résultats le plus important de cette méta-analyse concerne
la robustesse de l’activation bilatérale des régions temporales antérieures ;
celle-ci est manifeste quelle que soit la condition témoin (quatre types de
contrastes ont été observés : « repos », stimuli perceptifs non langagiers,
stimuli langagiers non cohérents (liste de mots, phrases non reliées), langage
cohérent (contrastes de conditions particulières, par exemple, littéral vs méta-
phore)). Il est probable que ces régions soient responsables de l’intégration
des informations syntaxiques, sémantiques et épisodiques, autrement dit
de la transformation de l’input langagier en unités de sens ; elles seraient
responsables de la « propositionalisation » du discours au sens de Kintsch
(1998). Les autres résultats saillants concernent le rôle de l’hémisphère droit
et celui du cortex préfontral dorso-médian. Si des activations droites sont
relevées dans toutes les analyses effectuées, elles ne semblent cependant
pas spécifiques aux conditions requérant la réalisation d’inférences, ce qui
apporte peu de confirmation à cette hypothèse classique. En revanche, les
analyses confirment le rôle spécifique, joué par les régions médianes, fron- 53
tales et pariétales dans la réalisation des inférences et dans le traitement de
la cohérence du discours.
Cette idée de réseau langagier étendu nécessaire à la compréhension d’un
texte est bien illustrée par les observations de Speer et de ses collaborateurs
(Speer, Reynolds, Swallow et Zacks, 2009). Dans cette recherche, l’activité
cérébrale de 28 jeunes adultes a été enregistrée par IRMf, alors qu’ils étaient
engagés dans la lecture d’histoires simples issues de la littérature enfantine.
L’enjeu était d’observer si les processus cognitifs spécifiques à la construc-
tion des modèles de situation et à leur mise à jour au fur et à mesure de
la lecture se traduisaient par des activations cérébrales différentielles. Les
participants ont lu mot à mot quatre histoires simples. Les changements
situationnels impliqués dans chaque proposition syntaxique ont été préa-
lablement codés selon six dimensions : changement spatial, changement
dans l’interaction entre le personnage et un objet, changement dans la
focalisation des personnages, rupture dans la chaîne causale, changement
de référence temporelle, changement de but (voir tableau 1.3a). Chacun de
ces changements de perspective représente l’indication d’une nécessité de
mise à jour du modèle de situation en construction. Plus nombreux sont
les changements indiqués dans une proposition, plus l’indication est forte
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

qu’une mise à jour du modèle de situation est nécessaire. Les données IRMf
ont été analysées par des régressions linéaires hiérarchiques, afin d’estimer
la variation nette de l’activité cérébrale en fonction des changements de
situation dénotés dans les énoncés. Le tableau 1.3b résume les régions
dont les changements d’activité sont les plus significatifs en fonction des
changements situationnels exprimés dans les énoncés. Sans entrer dans les
détails, de nombreuses régions cérébrales, souvent bilatérales, sont impli-
quées dans la gestion des changements situationnels survenant dans une
histoire. Certaines régions semblent impliquées dans la compréhension de
changements spécifiques et celles-ci recouvrent largement les régions activées
lorsque les individus effectuent ou font l’expérience concrète des mêmes
situations dans la vie courante. Par exemple, les énoncés d’interaction avec
des objets activent les aires sensorielles et prémotrices. Il est intéressant de
noter également que toutes les régions répondant à un changement dans
la chaîne causale répondent aussi aux autres changements situationnels, ce
qui peut probablement être compris comme une indication du caractère
primordial, et non spécifique à un type particulier de changement, des rela-
tions causales dans la structuration des narrations. Il est enfin remarquable
de noter que lorsque des changements multiples manifestent la nécessité de
54 mettre à jour le modèle de situation, les régions cérébrales spécifiquement
convoquées sont celles dont la fonction traditionnelle renvoie au contrôle
et à la planification de l’activité d’une part et à la mémorisation d’autre
part. En définitive, les résultats de cette recherche montrent clairement
que les activations cérébrales enregistrées lors de la lecture sont analogues
à celles qui sont observées lors de la réalisation effective des activités ; les
propriétés perceptives, motrices et conceptuelles des entités discursives sont
convoquées lors de la lecture, tout comme les dimensions qui renvoient à la
gestion des buts. Conformément aux idées développées par Barsalou (1999),
les lecteurs construisent « des simulations des situations lors de la lecture
d’un texte et ce processus de simulation est similaire à celui du rappel de
situations antérieurement vécues ou à l’imagination de situation nouvelles »
(Speer et al., 2009, p. 997). Ce processus observé lors de la compréhension
des histoires pourrait même être considéré, selon Speer et ses collaborateurs,
comme un principe fondamental de la fonction cognitive que les mécanismes
neuronaux ancrent dans l’expérience du monde.
Lire, comprendre et apprendre

Tableau 1.3 : Codage des changements situationnels impliqués


dans les propositions et activité cérébrale associée
(d’après Speer et al., 2009).

A. Codage.

Proposition Cause Personnage But Objet Espace Temps


Dès que Madame Logan eut ▲ ▲
corrigé son exercice
Raymond se dépêcha de retourner ▲ ▲ ▲
à sa place
En arrivant à sa table ▲ ▲ ▲
Il froissa son cahier sans
laisser paraître d’anxiété ou de
découragement.

Il prit son livre de français ▲

B. Résumé des régions impliquées en fonction des changements situationnels

Type de changement Principales régions impliquées

Cortex temporal postérieur supérieur bi-latéral


Personnages et buts
Cortex pré-frontal
55

Scissure précentrale et postcentral gauche (aire


Interaction avec les objets
prémotrices et somato-sensorielles) 
Régions frontales supérieures bilatérales (champ visuel
Espace frontal)
Cortex para-hyppocampique bi-latéral
Gyrus frontal inférieur, cortex postérieur médian, gyrus
Temps
cingulaire antérieur
Cortex préfrontal dorso-latéral, hippocampe bi-latéral,
Changements multiples
cortex cingulaire postérieur

Signalons pour terminer que l’on sait encore moins de choses à l’heure actuelle
de l’évolution des structures cérébrales qui accompagne le développement de
la compréhension des textes. Deux séries de recherches permettent de penser
que deux changements neurofonctionnels majeurs surviennent au cours du
développement : une spécialisation et une latéralisation gauche progressi-
vement plus marquée, accompagnée du développement de l’intervention
des structures corticales liées au contrôle de l’activité et à la construction
de la cohérence des modèles de situations d’une part et le renforcement
de la connectivité entre les différentes aires d’autre part (Berl et al., 2010 ;
Karunanayaka, Holland, Schmithorst et al., 2007, Schmithorst, Holland
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

et Plante, 2006, 2007). C’est ce qu’ont observé Schmithorst et ses collabo-


rateurs (2006 ; 2007) dans une recherche longitudinale conduite auprès de
313 enfants âgés de 5 à 18 ans et engagé dans l’écoute d’histoires simples et
courtes (100 mots environ). Les enregistrements IRMf montrent que chez
les enfants comme chez les adultes, l’activité de compréhension d’histoire
implique l’activation bilatérale de nombreuses aires corticales : le cortex
auditif primaire, les aires temporales médianes et supérieures, bien entendu,
mais aussi l’hippocampe, le gyrus angulaire et le lobe pariétal médian. De
plus, les auteurs observent qu’avec l’âge, la latéralisation gauche des aires
frontales inférieures (aires de Broca), du lobe pariétal inférieur et du gyrus
temporal moyen augmente. Plus intéressant encore, cette recherche montre
l’existence d’une connectivité bidirectionnelle entre les aires temporales
supérieures droites et gauches et les aires frontales inférieures et supérieures.
La force des liaisons dans le sens des aires frontales aux gyrus temporaux se
renforce avec l’âge, et peut être interprétée comme le signe du développe-
ment des contrôles descendants sur le traitement des informations verbales.
Autrement dit, l’intégration syntaxique et sémantique réalisée pendant le
traitement du discours exerce un feed-back qui module l’activité des aires
auditives du langage.
56

Conclusion
Les recherches discutées dans ce chapitre attestent que la compréhension
experte des textes n’est que partiellement localisée dans le texte lui-même.
Elle résulte toujours d’une interaction entre ce qui est dit et la manière
dont l’individu y réagit. La construction d’une représentation cohérente et
unifiée de la situation décrite (modèle de situation) est réalisée de manière
progressive et dynamique au fur et à mesure de la saisie du texte. Elle sollicite
dans un temps bref et souvent simultanément des mécanismes nombreux
et de natures différentes, relevant d’automatismes cognitifs pour certains et
d’une activité délibérée ou métacognitive pour d’autres. Les récents résul-
tats obtenus dans le champ de la cognition incarnée et des neurosciences
confirment bien les analyses psychologiques et les modèles de la compré-
hension de textes qui en sont issus. Cette activité complexe s’appuie bien
entendu sur le traitement formel du code linguistique mais ne peut pas
être réduite à ce dernier. Le langage, comme sa compréhension, doivent
être envisagés comme des fonctions générales de la cognition humaine. En
cela, les tensions épistémologiques évoquées au paragraphe « Le langage
et sa compréhension dans les sciences cognitives » et le statut ambigu des
recherches sur la compréhension au sein des sciences cognitives à leur
Lire, comprendre et apprendre

début, trouvent ici leur justification. Cette activité complexe ne peut être
réduite au fonctionnement d’un module défini – ni même d’un ensemble
de modules – mais doit être comprise comme découlant de l’orchestration
fine de systèmes en interaction. Ces résultats donnent donc partiellement
raison aux analyses de Fodor (1983) tout en assurant incontestablement un
statut scientifique aux études relatives à la compréhension des textes. Les
travaux d’imagerie cérébrale révèlent à quel point l’activité de compréhen-
sion est imbriquée dans le fonctionnement cognitif général. Par exemple,
le rôle crucial joué par les connaissances antérieures et la mémoire trouve
dans les données d’imagerie une forme d’objectivation en ce que celles-ci
montrent que différentes structures cérébrales sont activées en fonction
du type de connaissance sollicitée. La compréhension langage et des textes
résulte donc de l’interaction d’un ensemble de structures cérébrales et de
fonctions cognitives qui forment ensemble, le « réseau langagier étendu ».
Rappelons que ces caractéristiques de la compréhension du langage et des
textes font de cette activité une activité supramodale, autrement dit indé-
pendante de la modalité de saisie de l’information. Comprendre à l’écrit
mobilise essentiellement les mêmes mécanismes que ceux qui sont mis en
œuvre lors de la compréhension d’un discours oral ou d’une scène imagée,
comme l’ont montré les travaux issus de différents champs théoriques. Seules
les procédures d’identification des mots impliquent des processus spécifiques
au média. Du point de vue du développement et des apprentissages, cette
caractéristique permet d’envisager une continuité forte entre le développe-
ment du langage oral et sa maîtrise progressive pendant l’enfance et celui
de la compréhension des textes écrits. Le chapitre suivant est consacré à la
discussion des recherches qui ont examiné et décrit les relations primordiales
qu’entretiennent l’oral et l’écrit au cours du développement. Elles permet-
tront de situer le rôle fondateur du développement précoce du langage oral
dans l’apprentissage de la lecture, dans ces deux dimensions de maîtrise du
code écrit et d’accès à la compréhension de ce qui est lu.
Chapitre 2

L’acquisition du langage
et l’apprentissage de l’écrit :
un processus continu ?

L ’entrée dans la littératie démarre bien avant l’apprentissage formel de


la lecture et s’ancre dans les habiletés langagières développées par les
enfants avant et pendant leur scolarité maternelle. Cette idée est étayée par
de nombreuses études longitudinales issues de champs de recherches com- 59
plémentaires. Tout d’abord, les études épidémiologiques montrent que des
troubles ou un retard dans l’acquisition du langage sont presque toujours
associés à des difficultés en lecture quelques années plus tard. Les travaux
relatifs à l’estimation de l’efficacité des politiques et des environnements
éducatifs ensuite, apportent des arguments indirects qui signalent le poids
du développement langagier précoce dans la réussite scolaire ultérieure.
Enfin, des recherches en psychologie ont analysé les relations existant entre
le langage oral et l’apprentissage de la lecture et de la compréhension. Avant
de passer en revue ces recherches, quelques précisions terminologiques
sont nécessaires. Comme cela a été dit dans le premier chapitre, les termes
« lecture » et « apprentissage de la lecture » seront utilisés pour désigner les
mécanismes qui permettent la compréhension et l’acquisition du principe
alphabétique (comprendre que les unités graphiques – les lettres et les gra-
phèmes – codent à l’écrit des unités sonores abstraites, les phonèmes) et la
construction des deux voies de la lecture. Les termes « compréhension » et
« compréhension en lecture » désigneront l’ensemble des connaissances et
mécanismes qui permettent l’élaboration du sens des messages lus. De la
même manière, on distinguera dans l’acquisition et le développement du
langage ce qui relève de l’analyse de la structure sonore de la langue orale
de ce qui relève de ses aspects signifiants. Les termes « structure sonore
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

de la langue » ou « code oral » désigneront les habiletés qui permettent de


distinguer et de produire les unités sonores (les rimes, les syllabes et les
phonèmes) de la sensibilité phonologique du nourrisson qui le conduit à
sélectionner les phonèmes qui composent sa langue maternelle au cours
de sa première année de vie, à la prise de conscience et à la manipulation
intentionnelle de ces unités par le jeune enfant (conscience phonologique,
voir encadré 2.2). Le terme « langage oral » sera utilisé pour faire référence
aux autres habiletés langagières généralement regroupées sur ce terme dans
la littérature : le vocabulaire, la compréhension et la production syntaxique
et textuelle essentiellement.

Perturbations dans le développement du langage


et difficultés d’apprentissage de la lecture
Les troubles précoces du développement du langage, qu’il s’agisse de simples
retards ou de troubles persistants, ont des conséquences importantes sur le
développement psychosocial des enfants et leur adaptation scolaire. Il est
hors du champ de cet ouvrage de décrire en détail les caractéristiques et
l’étiologie de ces troubles. Nous poserons ici simplement quelques jalons
60 nécessaires à notre propos. On distingue classiquement les troubles du déve-
loppement langagier selon qu’ils concernent le langage écrit ou le langage
oral. Les premiers concernent les difficultés spécifiques d’apprentissage
de la lecture (la dyslexie) alors que les seconds désignent des difficultés de
développement du langage oral, en expression comme en compréhension
(troubles spécifiques du langage). Les troubles spécifiques du langage oral
sont définis par l’aspect spécifique des difficultés qui touchent le langage
en l’absence de tout autre déficit, cognitif, affectif ou social (DSM V,
2013). Un diagnostic de trouble spécifique du langage peut donc être
posé lorsque le développement langagier d’un enfant est très inférieur à ses
performances intellectuelles générales et en l’absence d’autres pathologies
telles qu’un déficit de l’audition, une atteinte neurologique ou encore un
désordre autistique. De la même manière, un diagnostic de dyslexie peut
être établi lorsqu’un enfant présente un retard conséquent dans l’acquisition
des procédures d’identification des mots (on admet en général un retard de
18 mois d’âge lexique) malgré des performances intellectuelles et des condi-
tions d’apprentissage normales et l’absence d’autres pathologies (audition,
atteinte neurologique ou désordre autistique). Selon les estimations, 3 % à
10 % des enfants d’une classe d’âge sont concernés par l’une ou l’autre de
ces pathologies du langage (Tomblin, Records, Buckwalter, Xuyang, Smith
et O’Brien, 1997 ; Bishop et Snowling, 2004). L’apparente simplicité de ces
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

définitions masque en réalité les difficultés du diagnostic – ce dont témoigne


la relative étendue des estimations de prévalence données ci-dessus – et la
complexité de ces troubles. Celles-ci sont en effet liées à la complexité du
langage ainsi qu’à la non-indépendance des troubles du langage oral et écrit.
En effet, les enfants dyslexiques ont aussi, dans leur très grande majorité,
des difficultés dans le traitement phonologique à l’oral, difficultés qui sont
présentes avant l’apprentissage de la lecture. De même, la majorité des
enfants présentant des troubles spécifiques du langage oral connaissent des
difficultés en lecture, qu’il s’agisse du décodage ou plus fréquemment de
la compréhension des textes. Le langage oral et la lecture sont étroitement
liés, à tel point que certains auteurs considèrent aujourd’hui que la diffé-
rence entre la dyslexie et les troubles spécifiques du langage oral n’est pas
une différence de nature mais de quantité. Les deux affections sont alors
fondamentalement liées à une perturbation du développement du langage
et c’est la gravité de celle-ci et l’âge auquel les difficultés sont constatées qui
déterminent le diagnostic (voir Bishop et Snowling, 2004 ; Byrne, Olson et
al., 2006). Par ailleurs, les difficultés regroupées sous une même étiquette
sont multiples et ne présentent pas toutes le même degré de sévérité. Les
enfants atteints de troubles du développement du langage oral, par exemple,
peuvent avoir des difficultés relatives au traitement du code oral (difficultés 61
phonologiques et difficultés de prononciation associées) ; ils peuvent aussi
présenter des troubles du développement syntaxique, en compréhension
comme en production, du développement sémantique (vocabulaire) mais
aussi de la maîtrise des habiletés discursives (difficultés dans l’organisation
d’un discours ou d’un texte cohérent). Chez un même individu, c’est l’un
ou l’autre de ces secteurs qui peut être touché ou encore une conjonction
de plusieurs d’entre eux. Les troubles développementaux du langage doivent
donc être pensés de manière multidimensionnelle (Bishop et Snowling, 2004).
Enfin, la prévalence des troubles du langage dans une population dépend
des épreuves utilisées et des seuils fixés pour leur diagnostic. L’exemple
apporté par Bishop, North et Donlan (1995) illustre parfaitement ce point.
Ces chercheurs avaient pour but d’étudier les possibles bases génétiques
des perturbations du développement langagier à partir de la méthode des
jumeaux (voir encadré 2.1).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Encadré 2.1 : La méthode des jumeaux.


La méthode des jumeaux permet d’estimer la contribution des trois facteurs
susceptibles d’expliquer les différences interindividuelles : le bagage géné-
tique, l’environnement partagé par les individus – sous l’hypothèse que
l’environnement partagé par les paires de jumeaux monozygotes (MZ) et
les paires de jumeaux dizygotes (DZ) est équivalent – et l’environnement
spécifique à chacun des individus (ou non partagé). La méthode repose
sur l’analyse des corrélations entre les performances observées à une
même tâche pour chaque jumeau. La comparaison des corrélations pour
les paires de jumeaux MZ et DZ permet d’estimer l’influence des facteurs
génétiques et environnementaux dans les performances selon la logique
illustrée ci-dessous :
– Si toute la différence interindividuelle est attribuable à la génétique,
la corrélation des performances des jumeaux MZ doit être = 1 (bagage
génétique identique) et la corrélation doit être de .50 pour les jumeaux DZ
(bagage génétique partagé à 50 %). Le poids du facteur génétique peut
être estimé en comparant les corrélations entre les performances des
jumeaux MZ et celles des jumeaux DZ.

62 – L’environnement non partagé peut être estimé par la différence à 1 de


la corrélation observée chez les MZ.
– Si toute la différence interindividuelle est attribuable à la génétique et
à l’environnement partagé par les jumeaux, la corrélation des jumeaux
MZ doit toujours être de 1 (bagage génétique et environnement partagé
identique), celle des DZ doit être de .75, (à mi-chemin d’une corrélation
de .50 attendue pour une influence génétique stricte et de 1 attendue
dans le cas d’une influence environnementale partagée stricte) et sous
l’hypothèse d’une absence d’influence de l’environnement non partagé. Le
poids de l’environnement partagé est estimé en retranchant de 1 le poids
du facteur génétique et celui de l’environnement non partagé.

En adoptant un critère de classification strict, consistant à classer un


individu dans la catégorie des troubles spécifiques du langage oral si la
différence entre son score standardisé à une épreuve de langage était de
20 points inférieure à son score à un test de niveau intellectuel, Bishop
et ses collaborateurs ont trouvé que le taux de concordance des troubles
était de 70 % pour les jumeaux monozygotes et de 46 % pour les jumeaux
dizygotes. En considérant cependant plus attentivement les performances
langagières des jumeaux des paires discordantes (composées d’un jumeau
affecté de troubles spécifiques du langage et d’un jumeau non affecté),
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

les auteurs observent que le jumeau « sain » selon le critère de classification


adopté présentait très souvent un retard de langage et/ou avait connu un
épisode de difficulté ayant nécessité un suivi thérapeutique, ou encore un
retard général de développement. En tenant compte de ces données, le
taux de concordance des troubles s’élevait alors à 92 % chez les jumeaux
monozygotes et à 62 % chez les jumeaux dizygotes. Les résultats illustrent
à quel point les perturbations du développement du langage ne peuvent
être conçues de manière dichotomique mais doivent plutôt être considérées
comme un continuum. Du trouble avéré au simple retard, passager ou
persistant, la limite est floue et il est certain que des difficultés précoces
dans le développement du langage, même localisées et transitoires, peuvent
avoir des répercussions sur le développement général et sur l’apprentissage
et la maîtrise du langage écrit, ce que reconnaissent un nombre croissant
d’auteurs (Bishop et Snowling, 2004 ; Catts et al., 1999, 2005, 2006 ;
Dickinson, McCabe et al., 2003 ; Eason et Cutting, 2009 ; Elwer, Keeanan
et al., 2013 ; Hayou-Thomas et al, 2010 ; Nichd, 2005).

Le développement précoce du langage


et l’apprentissage ultérieur de la lecture
Le modèle simple de la lecture (Gough et Tumner, 1986), les nombreuses 63
études qui ont montré la relative indépendance entre les capacités de
décodage et la compréhension orale, tout comme le contexte scientifique
décrit dans le premier chapitre ont focalisé les recherches sur la composante
« identification » de la lecture et les troubles spécifiques qui y sont associés.
Le résultat majeur des travaux conduits depuis une quarantaine d’années
a été de montrer la relation très forte qu’entretiennent les habiletés d’ana-
lyse des propriétés sonores de la langue (représentations phonologiques et
conscience phonologique) et l’acquisition de la lecture dans un système
alphabétique. En général, l’aisance de l’acquisition de la lecture au cours
préparatoire est corrélée aux capacités phonologiques et métaphonologiques
mesurées à quatre ou cinq ans. De plus, comme nous l’avons rappelé au
paragraphe précédent, les troubles spécifiques de la lecture (ou dyslexie)
sont associés à un trouble du développement phonologique dans la majo-
rité des cas. Cette hypothèse « phonologique » de la lecture, actuellement
dominante, ne doit pas masquer que, plus largement, c’est le développement
du langage dans son ensemble qui est impliqué dans l’apprentissage et que
la maîtrise de la lecture doit conduire à la compréhension. De nombreuses
études épidémiologiques ou longitudinales montrent en effet que tous les
secteurs du développement langagier avant l’entrée à l’école primaire sont
des précurseurs importants de la réussite en lecture. La recherche conduite
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

par Catts et ses collaborateurs (Catts, Fey, Zhang et Tomblin, 1999 ;


Catts, Hogan et Adolf, 2005 ; Catts, Adolf et Weismer, 2006) en est un
exemple. En 1995, ces auteurs ont examiné les habiletés de langage oral
de plus de 7 000 enfants de grande section de maternelle (kindergarten).
Les évaluations portaient sur le développement phonologique (conscience
phonologique et dénomination rapide) et sur le développement du langage
oral (vocabulaire, compréhension syntaxique (compréhension de phases)
et textuelle (rappel d’histoires)). 604 de ces enfants ont été ensuite suivis
jusqu’en quatrième (grade 8). Parmi eux, 328 présentaient des troubles du
développement langagier et/ou non verbal en grande section et 276 présen-
taient un développement normal. Le développement cognitif et langagier,
comme les progrès en lecture (identification des mots et compréhension
de textes en lecture) de ces enfants ont été estimés ensuite périodiquement
(en CE1, CM1 et en quatrième). Catts et ses collaborateurs ont obtenu
plusieurs résultats saillants. Le premier concerne les relations observées entre
les troubles ou retards du langage oral en grande section et l’acquisition
de la lecture au CE1 ; les auteurs rapportent que 72 % des élèves faibles
lecteurs de CE1 avaient connu un retard de langage en fin d’école mater-
nelle. Les troubles observés portaient aussi bien sur des difficultés liées aux
64 traitements phonologiques (14,3 %) que sur des difficultés langagières de
plus haut niveau (21,9 %), les deux types de difficultés étant associés dans
37.2 % des cas. Les auteurs notent qu’a contrario, parmi les élèves normo-
lecteurs en CE1, seuls 10 % d’entre eux avaient fait l’expérience d’une
difficulté en langage oral au cours de leur développement. Un très grand
intérêt de cette recherche a été de montrer que la prévalence des troubles du
développement langagier oral (en compréhension comme en production)
était aussi importante que celle des troubles strictement phonologiques
dans l’apparition de difficultés en lecture, comme le montre la figure 2.1.
De plus, des régressions hiérarchiques multiples ont indiqué que les
performances en langage oral à l’école maternelle expliquent environ 14 %
de la variance en compréhension en lecture une fois les capacités méta-
phonologiques contrôlées mais elles expliquent aussi 5 % de la variance en
identification des mots (ou décodage). Ainsi, bien que les habiletés précoces
de langage oral soient plus liées à la compréhension en lecture, elles contri-
buent également pour une part significative au développement de la lecture
dans sa dimension de décodage. Le développement harmonieux et précoce
du langage semble donc une condition essentielle de l’apprentissage de la
lecture, ce que soutiennent un nombre croissant de recherches qui seront
détaillées dans la dernière partie de ce chapitre.
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

Figure 2.1 : Prévalence (pourcentage) des troubles du développement


langagier en grande section (Kindergarten) en fonction du niveau de lecture
au CE1 (d’après Catts, Fey, Zhang et Tomblin, 1999).
(C. Ph = conscience phonologique, D. R = dénomination rapide, C.O. = compréhension orale,
E.O. = expression orale).

Le second résultat concerne le poids relatif du décodage et de la compré-


hension orale dans l’explication des performances de compréhension en 65
lecture au CE1, CM1 et en quatrième. Tout d’abord, et conformément
à ce qu’avaient déjà montré Hoover et Gough (1990), les deux facteurs
expliquent ensemble une part très significative de la variabilité interindi-
viduelle des performances de compréhension en lecture aux trois niveaux
scolaires considérés. Cependant, si le décodage explique à lui seul 27 %
de cette variabilité au CE1, il n’explique plus que 13 % de la variance au
CM1 et seulement 2 % en quatrième. L’effet est exactement inversé pour
la compréhension orale qui explique 9 % des performances en CE1 mais
21 % des performances en CM1 et 36 % en quatrième. Cela confirme l’idée
largement admise aujourd’hui selon laquelle les habilités d’identification
des mots écrits représentent un élément majeur de la réussite en lecture
au cours des premières années de l’apprentissage de la lecture. Toutefois,
lorsque ces habiletés sont maîtrisées et que les textes à lire deviennent plus
complexes, tant sur le plan linguistique que sur celui des contenus, les
habiletés de compréhension se révèlent prépondérantes dans l’explication
des différences interindividuelles. Cela permet de mieux comprendre
pourquoi certains enfants en difficulté de lecture ne sont détectés que
tardivement au cours de leur scolarité. Il s’agit pour la plupart, d’enfants
« faibles compreneurs », c’est-à-dire d’enfants ayant des difficultés à
comprendre ce qu’ils lisent, malgré des capacités de décodage comparables
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

à celles des lecteurs de leur âge (voir par exemple Hulme et Snowling,
2011). La majorité de ces faibles lecteurs tardifs ne peut pas être repérée
par les mesures classiques d’acquisition de la lecture au cours des premières
années de l’école primaire, du fait que ces mesures évaluent de manière
prépondérante les habiletés de décodage (Keenan et al., 2008 ; Keenan,
Olson et Betjmann, 2009). Comme le notent Catts et ses collaborateurs
(2005), la plupart des faibles lecteurs tardifs de leur échantillon (repérés en
CM1) n’était pas classée comme des lecteurs faibles en CE1. Cependant,
et c’est le troisième résultat saillant, lorsque l’on distingue au niveau de
la quatrième les faibles compreneurs des faibles décodeurs (enfants qui,
contrairement aux précédents ont des capacités de compréhension moyenne
mais des difficultés d’identification des mots), on observe que les faibles
décodeurs avaient déjà des performances déficitaires dans les épreuves de
traitement phonologique et des performances comparables aux normo-
lecteurs en compréhension orale ; à l’inverse, les faibles compreneurs avaient
des performances plus faibles aux épreuves de compréhension orale et des
performances normales dans les traitements phonologiques ; les mesures
précoces de développement du langage se révèlent donc très prédictives
des performances ultérieures en lecture et en compréhension (Catts et al.,
66
2005). De plus, les différences précoces ne s’atténuent pas avec le temps,
comme l’illustre la figure 2.2. On y observe que les faibles compreneurs
de CM1 se caractérisaient par des difficultés de compréhension orale en
grande section qui persistent et ont même tendance à s’accentuer en CE1
et CM1 (Catts et al., 2006).
La relation entre le développement du langage oral dans son ensemble
et l’acquisition de la lecture et sa maîtrise est donc très étroite. La
figure 2.2 indique aussi que le développement des habiletés sémantiques
et syntaxiques est très fortement corrélé à la compréhension en lecture.
Avant d’examiner plus en détail cette relation, il convient de se pencher
sur les conditions qui favorisent ou entravent très précocement le déve-
loppement du langage.
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

Figure 2.2 : Écarts-moyens de performances des groupes de lecteurs


par rapport à la moyenne de l’échantillon en fonction du niveau scolaire
et pour trois secteurs du développement langagier
(d’après Catts, Adolf et Weismer, 2006).

Génétique, environnement et développement du langage 67


La modélisation du développement du langage chez le très jeune enfant
est un terrain privilégié de l’expression du débat « nature/culture » omni-
présent dans les sciences humaines. Les modèles proposés s’inscrivent
sur un continuum allant de l’innéisme radical (Chomsky, 1965, 1981 ;
Pinker, 1994) à des théories interactionnistes, situant le développement
du langage dans l’interaction sociale exclusivement (Bruner, 1975 ;
Searle, 1972 ; voir Kail et Fayol, 2000 ; Karmilloff et Karmilloff-Smith,
2003 pour des revues). Les modèles actuels sont pour la plupart des
modèles mixtes qui reconnaissent l’intervention des deux catégories de
paramètres et les interactions complexes qu’ils entretiennent (Khul et al.,
2008 ; Tomasello, 2003 par exemple). Les travaux relatifs à l’étiologie
des troubles du développement langagier cherchent depuis longtemps à
distinguer le rôle de l’héritage génétique et celui de l’environnement et
à comprendre leurs interactions. Ces recherches montrent tout d’abord
que l’héritage génétique et les conditions environnementales ont chacun
une part explicative dans l’expression de ces troubles et que l’expression
phénotypique d’un déficit dépend très souvent de la co-occurrence d’un
ensemble de facteurs (Bishop, 2006). Autrement dit, une perturbation
du développement langagier sera plus susceptible d’apparaître lorsque
plusieurs facteurs sous-jacents sont présents ensemble ; par exemple,
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

les troubles phonologiques sont génétiquement distincts des troubles


du développement syntaxiques et sont souvent dissociés. Toutefois,
lorsqu’ils sont associés, le déficit langagier qui en résultera sera d’autant
plus sévère. En d’autres termes, « le développement du langage résiste
souvent à la présence d’un déficit cognitif spécifique et isolé, mais, lorsque
deux ou plusieurs de ces déficits sont associés, leurs effets s’additionnent
et les chances augmentent de voir l’acquisition du langage compromis »
(Bishop, 2006, p. 1165). Des recherches longitudinales en génétique
comportementale fondées sur le suivi de grandes cohortes de jumeaux
(voir encadré 2.1), se sont développées depuis 20 ans aux États-Unis,
en Grande-Bretagne, en Australie et en Scandinavie et ont permis des
comparaisons et des coopérations internationales très instructives. Une
synthèse récente de ces travaux (Olson, Keenan, Byrne et Samuelson,
2014) met en évidence des résultats très convergents. Le premier d’entre
eux indique que le poids des facteurs environnementaux et génétiques dans
l’apprentissage de la lecture change avec l’âge et les habiletés considérées.
Avant l’apprentissage formel de la lecture, les différences interindividuelles
dans les compétences de prélecture (connaissance des lettres, conscience
phonologique) observées chez les enfants de quatre à cinq ans sont prin-
68
cipalement dues à l’environnement partagé (essentiellement familial) par
les jumeaux. L’environnement partagé explique alors de 62 % à 74 % des
différences interindividuelles en fonction des pays d’origine alors que le
poids des facteurs génétiques est de l’ordre de 20 % à 26 %. Après une
année d’enseignement de la lecture, la valeur explicative des deux types de
facteurs s’inverse ; le facteur génétique explique alors de 79 % à 83 % des
performances en lecture, l’environnement partagé n’expliquant plus que
2 % à 7 % des différences. Les influences génétiques et environnementales
interagissent donc constamment dans l’acquisition du langage et de la
lecture et dans l’explication des difficultés d’apprentissage. Ainsi, Friend,
DeFries et Olson (2008) ont observé que le facteur génétique explique
plus fortement les performances que l’environnement partagé chez les
enfants présentant des troubles de l’apprentissage de la lecture et ayant
des parents culturellement favorisés (estimé par le niveau de diplôme). Au
contraire, les facteurs génétiques et l’environnement partagé ont un poids
équivalent dans l’explication des difficultés en lecture chez les enfants issus
de milieux culturellement moins favorisés. De la même manière, Taylor et
Schatschneider (2010) ont observé que la part de variance expliquée par les
facteurs génétiques et environnementaux sur les performances en fluidité
de lecture orale en début d’école primaire varie en fonction du milieu
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

socioéconomique des familles. C’est pour les élèves issus des familles les
moins favorisées que la prévalence de l’environnement partagé est la plus
forte. On peut certainement interpréter ces résultats en considérant que
lorsque le milieu d’origine propose des conditions optimales d’apprentissage,
les contraintes génétiques deviennent prépondérantes pour expliquer les
différences de performances entre les individus. C’est probablement une
explication similaire qui permet de comprendre l’inversion de la prévalence
observée pour les deux types de facteurs entre la fin de l’école maternelle
et le cours préparatoire, de même que les résultats d’autres travaux qui
indiquent que les facteurs génétiques restent significatifs pour expliquer
les performances en lecture plus tard dans la scolarité alors que l’influence
de l’environnement partagé tend à diminuer et à devenir non significative
dans certaines recherches (Harlaar et al., 2010 ; Olson et al., 2014).
Le deuxième résultat important des recherches de génétique comportemen-
tale a été de mettre en évidence que le facteur génétique a toujours un poids
substantiel et relativement stable dans le temps, ce qu’illustrent les données
rapportées par Petrill et ses collaborateurs (2007) obtenues par le suivi de
350 paires de jumeaux américains pendant deux années. La première année,
les enfants étaient âgés en moyenne de 6 ans (de 4 ; 9 ans à 7 ; 9 ans) et 69
étaient scolarisés en grande section de maternelle ou au cours préparatoire.
La deuxième année, les enfants étaient âgés de 7 ans en moyenne (de 6 ans
à 8 ; 8 ans) et suivaient un CP ou un CE1. Les auteurs ont cherché à esti-
mer, sur cette période qui correspond à l’apprentissage formel de la lecture,
quelle était la stabilité – ou au contraire l’instabilité – des facteurs génétiques
et environnementaux dans l’explication des performances de langage oral
et de lecture. Les résultats présentés dans le tableau 2.1 montrent la part
de variance expliquée par les facteurs génétiques et environnementaux
en fonction des habiletés langagières et de lecture évaluées, leur degré de
recouvrement et leur spécificité.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 2.1 : Part de la variance expliquée par les facteurs génétiques


et environnementaux dans les habiletés de lecture et de langage,
leur recouvrement (temps 1) et leur spécificité (temps 2)
(d’après Petrill et al., 2007).

Variance
Variance totale Variance
additionnelle
expliquée partagée avec
expliquée
au temps 2 le temps 1
au temps 2
Environnement partagé

Connaissance des lettres .52 * .20 * .32 *


Identification des mots .33 * .08 .25 *
Conscience phonologique .47 * .47 * .00
Dénomination rapide .20 .20 .00
Vocabulaire expressif .40 * .38 * .02
Décodage grapho-phonologique .21 .06 .15
Facteur génétique

Connaissance des lettres .27 ** .27 * .00


Identification des mots .58 ** .31 * .27 *
Conscience phonologique .14 * .14 * .00
Dénomination rapide .43 ** .08 .35 *
70 Vocabulaire expressif .47 ** .47 * .00
Décodage grapho-phonologique .51 ** .26 * .25

valeurs significatives : * : p<.05 ; ** : p<.01.

Il apparaît très clairement dans ce tableau que les facteurs environnementaux


et génétiques expliquent chacun indépendamment une part des perfor-
mances des jeunes enfants et que leur poids respectif dépend de l’habileté
considérée. De manière frappante et compatible avec les résultats synthétisés
par Olson et al., (2014), le poids du facteur génétique est particulièrement
important dans l’explication des différences en lecture (identification de
mots et décodage) alors que les facteurs environnementaux expliquent
plus fortement les performances en prélecture (connaissance des lettres et
conscience phonologique) et en vocabulaire (voir aussi Byrne, Wadworth,
Corley et al., 2005 ; Byrne, Olson, Samuelson et al., 2006). Par ailleurs, le
poids des deux catégories de facteurs se révèle très stable, la part de variance
spécifique attribuable au temps 2 étant la plupart du temps très faible et non
significative (à l’exception de la connaissance des lettres et l’identification
des mots pour l’environnement partagé, et l’identification des mots et la
dénomination rapide pour le facteur génétique).
Enfin, un dernier résultat très important de ces travaux apporte une nouvelle
confirmation du modèle simple. Keenan et ses collaborateurs (2006) ont
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

montré que les performances en lecture de mots et en compréhension orale


peuvent être attribuées à deux facteurs génétiques indépendants ; ceux-ci
expliquent ensemble toute la part attribuable au facteur génétique dans
l’explication des performances de compréhension en lecture chez les enfants
de dix ans et plus, indépendamment de leur niveau intellectuel général. Par
ailleurs, le poids du facteur génétique s’avère prépondérant dans l’explication
des performances de compréhension en lecture (.51). L’environnement
partagé ne semble plus un facteur explicatif en fin d’école primaire alors que
l’environnement non partagé explique une part moindre mais significative
des performances de compréhension (.30). L’intérêt porté à l’analyse des
facteurs explicatifs de la compréhension en lecture dans cette perspective de
recherche est récent mais depuis le travail fondateur de Keenan, plusieurs
auteurs ont rapporté des données qui confirment ses observations (Byrne
et al., 2013 ; Harlaar et al, 2010 ; Olson et al., 2011).
Olson et ses collaborateurs (2014) concluent leur synthèse en proposant
qu’après la première année d’apprentissage formel, les facteurs génétiques
expliquent l’essentiel des différences interindividuelles du développement
de la lecture. Cette position est a priori en désaccord fondamental avec les
conceptions plus classiques qui attribuent un poids causal primordial à
l’environnement, à travers la mise en évidence des effets du contexte dont 71
bénéficie l’enfant – son exposition à l’écrit, la qualité de l’enseignement
qu’il reçoit et des influences familiales – souvent lié à l’origine culturelle
et sociale des familles. Ces influences sont incontestables, comme nous le
verrons par la suite. L’opposition n’est cependant qu’apparente car, comme
le rappellent les auteurs, les gènes s’expriment à travers l’environnement et
plus les populations étudiées appartiennent à un milieu homogène, plus le
facteur génétique est susceptible d’expliquer les différences entre les indivi-
dus ; à l’inverse, les facteurs environnementaux prendront plus d’importance
lorsque les populations étudiées appartiennent à des milieux hétérogènes. Par
ailleurs, les recherches de génétique comportementale estiment les sources de
variation entre les individus composant un échantillon et non pas celles qui
affectent les performances moyennes de l’échantillon. En d’autres termes,
des facteurs environnementaux peuvent rendre complètement compte des
différences de performances moyennes entre deux ou plusieurs échantil-
lons même si des influences génétiques expliquent les différences entre les
individus de chacun de ces groupes. Les différences sociales, économiques
et culturelles sont reconnues depuis longtemps comme un facteur envi-
ronnemental explicatif des différences de réussite dans les apprentissages
scolaires entre les groupes sociaux, ce que nous allons décrire maintenant.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Les différences sociales, économiques et culturelles :


un facteur environnemental important
L’influence des paramètres sociaux et culturels éclaire d’un jour particulier
et fondamental pour l’enseignement et l’éducation certaines différences
interindividuelles. En effet, plusieurs recherches, en France comme ailleurs,
ont constaté que les difficultés d’apprentissage et de maîtrise de la lecture
sont plus fréquentes chez les enfants issus de milieux peu favorisés (par
exemple, Bara, Colé et Gentaz, 2008 ; Billard et al., 2009). Si – comme nous
venons de le voir – l’environnement social ne peut pas expliquer à lui seul
les troubles du développement langagier et de la lecture, il est en revanche
susceptible d’avoir une influence majeure sur la qualité de ce développe-
ment ; il peut se révéler un déterminant essentiel de certains retards qui,
s’ils paraissent bénins chez les très jeunes enfants, ont des effets cumulatifs
capables de devenir handicapants à mesure que ces enfants grandissent et
que les exigences scolaires et sociales s’intensifient. Hart et Risley (1999,
2003) ont certainement conduit l’une des études les plus marquantes
dans ce domaine. Celle-ci a apporté des éléments susceptibles d’expliquer
comment s’organise l’influence des paramètres sociaux et culturels dans le
développement du langage. Hart et Risley ont enregistré des interactions
72 entre des parents et leurs enfants au sein de 42 familles américaines pendant
deux ans et demi et à raison d’une heure par mois. 13 de ces familles étaient
de statut socioéconomique favorisé, 10 de statut SE moyen, 13 de statut SE
faible et enfin, 6 familles étaient très défavorisées. Les familles ont été suivies
alors que leurs enfants étaient âgés de sept mois à trois ans. Leurs analyses
ont montré une relation extrêmement forte entre le langage utilisé par les
parents et leur appartenance socioéconomique d’une part et le développe-
ment langagier de leur enfant d’autre part. D’un point de vue quantitatif
tout d’abord, les enregistrements effectués alors que les enfants étaient âgés
de 13 et 36 mois indiquent que les parents de milieu favorisé ont prononcé
en moyenne 2 153 mots et 487 énoncés différents et qu’ils ont utilisé,
toujours en moyenne, 382 mots différents par heure d’interaction avec leur
enfant. Entre 33 et 36 mois, leurs enfants ont utilisé 1 116 mots différents
et ont en moyenne prononcé 310 énoncés et 297 mots différents par heure
d’enregistrement. En comparaison, les parents composant les familles très
défavorisées ont prononcé en moyenne 974 mots et 176 énoncés et ils ont
utilisé 167 mots différents par heure d’interaction. Leurs enfants ont utilisé
525 mots différents, prononcé 168 énoncés et 149 mots différents en moyenne
par heure d’enregistrement. Les résultats pour les familles moyennement
et peu favorisées se situent entre ces deux extrêmes. La richesse du langage
utilisé par les parents semble donc bien avoir une incidence directe sur le
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

développement langagier des enfants. Plus les enfants sont exposés à un


langage riche et abondant, meilleur est leur propre langage. En considérant
seulement le vocabulaire, les auteurs estiment qu’à quatre ans, les enfants
des milieux favorisés ont entendu 45 millions de mots alors que les enfants
des familles défavorisées en ont entendu seulement 13 millions ! Cet aspect
quantitatif de l’exposition au langage s’accompagne aussi d’un aspect quali-
tatif : les parents de milieux favorisés prononcent très peu d’énoncés relatifs
à des interdits et la plupart de leurs interactions verbales sont composées
d’énoncés affirmatifs et d’encouragements (six encouragements pour un
interdit en moyenne). Autrement dit, un accent positif est mis sur le langage
et les enfants sont d’emblée placés dans une position d’interlocuteur les
encourageant à construire les deux fonctions essentielles de cet instrument :
la représentation et la communication. À l’inverse, les enfants de milieux
très défavorisés entendent surtout des énoncés exprimant des interdits
(deux interdits pour un encouragement). En plus de disposer d’un langage
moins bien développé à trois ans, les enfants issus de milieux défavorisés
acquièrent aussi plus lentement du vocabulaire nouveau, ce qui contribue
à augmenter les écarts à mesure qu’ils grandissent. Le suivi des enfants sur
un plus long terme montre une très forte relation entre le développement
langagier précoce et le niveau de langage observé quelques années plus 73
tard. Les mesures de langage et de vocabulaire recueillies pour la moitié
des enfants à neuf ans alors qu’ils étaient en CE2 révèlent des corrélations
fortes et significatives entre leurs performances langagières à trois ans et les
scores qu’ils obtiennent en vocabulaire (r = .58) d’une part et en langage
oral (r = .74) à neuf ans. Il s’agit bien entendu de résultats moyens mais la
quantité et la qualité des expériences langagières précoces dans le milieu
familial sont toujours associées au niveau de langage des enfants, à milieu
social contrôlé (Tamis-LeMonda, Baumwell et Cristofaro, 2012).
L’influence des facteurs socioéconomiques peut encore être illustrée par
une étude française dans laquelle la production verbale d’enfants de deux
à quatre ans a été enregistrée (Le Normand, Parisse et Cohen, 2008).
Les enfants sélectionnés étaient tous de langue maternelle française et ne
présentaient aucun déficit auditif ou intellectuel ; leurs productions verbales
ont été enregistrées au cours de séance de jeux interactifs avec un adulte
familier (parent ou enseignant). Les enfants appartenant à des milieux
sociaux favorisés obtiennent des scores supérieurs à ceux des enfants de
milieux moins favorisés (tableau 2.2) sur toutes les variables étudiées (taille
du vocabulaire et diversité des productions lexicales, longueur et structure
morphosyntaxique des énoncés). Leur développement langagier est en outre
plus précoce et plus rapide et contrairement à d’autres facteurs, tels que le
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

sexe des enfants, l’influence du milieu social ne diminue pas avec le temps.
On observe nettement qu’à 24 mois, les enfants issus de milieux défavorisés
ont un langage moins riche et diversifié que les enfants de milieux favorisés.
À 48 mois, les écarts ne s’estompent pas mais ils ont, au contraire, tendance
à s’amplifier. Selon les auteurs, les productions observées à quatre ans chez
les enfants issus de familles défavorisées correspondent à la performance
moyenne des enfants favorisés âgés de 27 à 33 mois. Ces résultats confir-
ment ce qui a été exposé jusque-là, en particulier la difficulté de combler les
retards de langage acquis dans les premières années de la vie, quelle qu’en
soit l’étiologie, en dehors d’une intervention spécifique.

Tableau 2.2 : Production verbale moyenne des enfants en fonction


de leur milieu d’origine (d’après Le Normand, Parisse et Cohen, 2008).

Familles favorisées Familles défavorisées


Moyenne/
24 mois 48 mois 24 mois 48 mois
enregistrement
Longueur moyenne
1,66 4,52 1,28 3,64
des énoncés

74 Nombre de mots 129 613 84 292


Nombre de mots
25 227 9 108
grammaticaux

Programmes scolaires précoces renforcés


et adaptation scolaire des élèves
L’origine sociale n’influence pas seulement le développement initial du
langage. Elle a aussi des répercussions sur l’ensemble du développement
social et cognitif et sur l’adaptation scolaire et professionnelle ultérieure
des enfants. Son rôle dans l’acquisition de la lecture au cours préparatoire
a souvent aussi été signalé. Par exemple, Billard et ses collaborateurs (2009)
ont observé qu’en CE1, on trouve seulement 3,3 % d’enfants en difficulté
de lecture dans les secteurs scolaires recevant majoritairement des élèves de
milieu favorisé alors qu’on en trouve 20,5 % dans les secteurs scolaires rece-
vant majoritairement des élèves de familles pauvres. La pauvreté est depuis
longtemps reconnue comme un facteur de risque de l’inadaptation scolaire
d’abord et sociale ensuite. Les enfants élevés dans des familles pauvres sont
plus souvent en échec scolaire, redoublent plus que les autres et sortent plus
tôt du système éducatif. Ils sont aussi plus souvent en danger de délinquance
et ont une plus forte probabilité de connaître le chômage. De plus, si les
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

enfants issus de milieux défavorisés ont tendance à avoir des performances


cognitives comparables à celles des enfants issus de milieux plus favorisés
dans la petite enfance, leurs performances intellectuelles déclinent ensuite de
manière disproportionnée par rapport à la population générale (Campbell
et Ramey, 1994, 2007). Face à ce constat, et faisant l’hypothèse que cet état
de fait n’est pas dû à une sorte d’héritage biologique mais à des sollicitations
sensorielles, sociales et cognitives moins adaptées au développement de
l’enfant, de nombreux programmes de prise en charge précoce (entre trois et
cinq ans) des enfants issus de populations « à risque » ont été mis en place et
évalués depuis plus de 50 ans, aux États-Unis notamment. Ces programmes
sont divers, impliquent des enfants d’âge différent et l’évaluation de leur
impact a été conduite à plus ou moins long terme. En règle générale, les
résultats montrent que les effets à court terme sont très positifs en ce qu’ils
améliorent fortement la réussite scolaire initiale des enfants. En revanche les
effets à plus long terme sont plus difficiles à observer. Ils dépendent du type
de programme, c’est-à-dire de sa durée, de son intensité et d’autres variables
contextuelles, comme les écoles fréquentées par les enfants après l’arrêt des
programmes (Bressoux et Bianco, 2004). Or, la prise en considération de
ces variables nécessite des protocoles d’observation et des méthodes d’analyse
statistique sophistiqués et très peu d’expérimentations satisfont à ces critères. 75
Quoi qu’il en soit, nombre de ces programmes consistaient en une prise en
charge relativement limitée dans le temps (une ou deux années scolaires)
et s’ils ont tous été suivis d’effets positifs à court terme, ces effets ont en
général décliné après l’arrêt des programmes et ne se faisaient plus guère
sentir au-delà de deux années ou trois années (Barnett, 1998 ; 2008 ; Lee
et Loeb, 1995). Les connaissances dont nous disposons à l’heure actuelle
sur les effets à long terme des programmes de prévention proviennent de
trois programmes américains d’envergure (le Chicago Child-Parents Centers
(Reynolds et al., 2003), le High Scope/Perry Preschool Projet (Schweinhart
et Weikart, 1997 ; Schweinhart, Montie, Ziang, Barnett, Belfield et Nores,
2005) et le Abecedarian Project, (Barnett, 1995 ; Barnett et Masse, 2007 ;
Campbell, Pungello et Ramey, 2001 ; Campbell et Ramey, 2007)). Ceux-ci
ont apporté des données montrant que les difficultés liées à la pauvreté
peuvent être prévenues, moyennant une prise en charge massive, régulière,
précoce et suffisamment longue des enfants « à risque ». Ces trois projets
ont mis en place des protocoles d’intervention sur plusieurs années et une
méthodologie d’évaluation rigoureuse à très long terme, puisque le suivi
a été organisé sur plus de 20 ans. Plusieurs résultats notables doivent être
soulignés :
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

1. On observe des effets directs et significatifs plus forts sur le développement


cognitif général que sur d’autres dimensions et mécanismes tels que la
motivation (Barnett, Young et Schweinhart (1998)) ;
2. Les enfants qui ont bénéficié de ces programmes redoublent moins et
sont également moins nombreux à fréquenter l’enseignement spécialisé ;
3. Ils ont une meilleure maîtrise de la langue écrite ;
4. Ils atteignent en général un niveau d’études secondaires plus élevé ;
5. On observe moins de délinquance juvénile dans ces groupes.
Par exemple, dans une analyse à très long terme (après 20 ans) des résultats
du programme de Chicago (Chicago Child-Parents Centers), Reynolds et
ses collaborateurs (2003) ont pu calculer que pour chaque dollar dépensé
pour ce programme, la société a fait un bénéfice de 7,14 dollars grâce aux
économies réalisées par la réduction des coûts sociaux liés aux difficultés
scolaires et à la délinquance ! De même, le retour sur investissement généré
par la réduction des coûts sociaux engendrée par les programmes Perry et
Abecederian est estimé dans une fourchette positive allant de 3 à 9 % (Barnett
et Masse, 2007 ; Schweinhart, 2003). Au-delà de ces données générales, les
effets de ces programmes sur l’adaptation scolaire des élèves issus de familles
76
pauvres peuvent être illustrés par les résultats de deux programmes, l’un
américain et l’autre français.

Le programme ABECEDARIAN
Deux des programmes évoqués ci-dessus (Chicago Child-Parents Centers et
High Scope/Perry Preschool Projet) étaient destinés à des enfants de trois et
quatre ans. Le programme Abecedarian mérite une attention toute particulière
car dans ce projet, la prise en charge des enfants avec leur famille a débuté
dès l’âge de quatre mois et s’est poursuivie dans les cinq années suivantes.
Débuté en 1972, le projet a permis de suivre quatre cohortes successives
de 28 enfants issus de classes sociales très défavorisées et de proposer à la
moitié des familles (choisies aléatoirement) un programme éducatif intensif
de cinq années à partir du quatrième mois de leur enfant jusqu’à son entrée
à l’école américaine à cinq ans. Au total, 111 enfants ont été impliqués dans
ce programme. L’action éducative se déroulait dans les maisons de l’enfance
(child care centers) où les enfants étaient reçus huit heures par jour, cinq jours
par semaine et 50 semaines par an. Destiné à favoriser le développement
cognitif général comme le développement social des enfants, le programme
consistait tout d’abord à créer un environnement propice aux apprentis-
sages. Des adultes spécialement formés étaient chargés de s’occuper d’un
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

très petit nombre d’enfants (trois enfants pour un adulte jusqu’à un an et


jusqu’à six enfants pour un adulte à cinq ans). Une attention particulière
était apportée à la santé et à la nutrition et le programme éducatif proposait
un ensemble de ressources structurées aux objectifs clairement définis et
adaptés à l’âge des enfants (Ramey, Sparling et Landesman-Ramey, 2012).
Les activités proposées couvraient les principaux domaines du développe-
ment de l’enfant : développement social et émotionnel, cognitif, perceptif,
moteur et langagier. On peut noter que le développement du langage faisait
l’objet d’une attention particulière : dès les tout premiers mois, des activités
centrées sur le langage étaient proposées ; elles étaient orientées aussi bien
sur le développement des habiletés d’analyse de la structure sonore de la
langue que sur celui des habiletés de compréhension et de production orales.
En outre et à mesure que les enfants grandissaient, entre trois et cinq ans
notamment, l’accent était particulièrement mis sur les activités langagières
liées à l’acquisition du code écrit.
Le développement intellectuel des enfants a été mesuré régulièrement de 3 mois
à 21 ans, et les performances académiques en lecture et mathématiques ont
été évaluées quatre fois entre 8 et 21 ans (à 8, 12, 15 et 21 ans). Les résultats à
court terme montrent que dès l’âge de 18 mois, les enfants impliqués dans le
77
programme Abecederian obtiennent de meilleurs résultats que les enfants du
groupe témoin et maintiennent leur avantage durant toute la période présco-
laire. Les effets à long terme sont illustrés dans la figure 2.3 et confirment les
effets très positifs du programme. S’ils sont plus forts pendant l’intervention
et immédiatement après en ce qui concerne les performances intellectuelles
et s’ils diminuent avec le temps (QI et mathématiques) les gains obtenus
restent significatifs encore à 21 ans, tant sur le plan des mesures d’efficience
intellectuelle générale que sur celui des acquisitions scolaires (en lecture et
mathématiques). De plus, les performances en lecture au cours des trois
premières années d’école primaire sont bien meilleures pour les enfants qui ont
suivi le programme et dépendent directement du nombre d’années pendant
lesquelles les enfants en ont bénéficié. Enfin, les mesures d’adaptation scolaire
et sociale indiquent qu’à 15 ans, les taux de redoublements et de recours à
des aides spécialisées étaient beaucoup plus faibles. À 21 ans, la probabilité
pour que les individus aient atteint un niveau d’études universitaires est plus
de deux fois supérieure, pour les enfants du groupe expérimental (35 %) par
rapport à ceux du groupe témoin (15 %) et ces derniers occupent en général
des emplois moins qualifiés (Campbell, Pungello Miller-Johnson, Burchinal
et Ramey, 2001 ; Campbell et Ramey, 2007).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Figure 2.3 : Évolution des performances (1. intellectuelles,


2. en mathématiques et 3. en lecture) entre 3 et 21 ans pour les enfants
impliqués dans le projet Abecedarian comparés aux enfants témoins
(d’après Campbell, Pungello Miller-Johnson, Burchinal et Ramey, 2001).

110110
105 105 96 96
témoin
témoin témoin témoin
105 expérimental 94 94
105 expérimental 100 100 expérimental
expérimental
92 92
100
100 95 95 90 90
9595 90 90 88 88
90 86 86
90 85 85
84 84
85 80
85 80 82 82
80 75
80 75 80 80
3 6 9 12 15 18 21 8 12
3 6 9 12 15 18 21 8 12 14 14 16 16 20 20 8 812 14
12

!"!"1 $"
2
$" #"
105 96
témoin
94
100 expérimental
92
95
90

90 88

85 78 86

84 témoin
80
82 expérimental

75 80
8 12 14 16 20 8 12 14 16 20

$" #"
3

L’exemple du programme Abecedarian montre que d’un point de vue éduca-


tif, les handicaps liés au milieu socioéconomique ne sont pas une fatalité
et peuvent être prévenus par des prises en charge précoces et intensives. Ils
soulignent aussi le poids fondamental du développement cognitif des très
jeunes enfants pour l’adaptation scolaire ultérieure. En améliorant sensible-
ment leurs habiletés cognitives, ces actions éducatives précoces permettent
aux enfants d’être mieux armés pour aborder les exigences académiques
de l’école. Cette meilleure préparation augmente leurs chances de réussite
lorsqu’ils entrent à l’école, ce qui augmente aussi ipso facto leur motivation
et leurs chances de réussite ultérieure, tant à l’école que sur le plan de
l’intégration sociale (Campbell et Ramey, 1994 ; Campbell et al., 2001 ;
Schweinhart, 2003).
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

Les programmes ci-dessus sont des programmes éducatifs généraux. Les


activités incluses dans les curricula sont destinées à favoriser l’ensemble
du développement de l’enfant tant cognitif que social et émotionnel.
Cependant, une de leurs constantes est de considérer que l’acquisition du
langage est une clé fondamentale du développement ; l’attention est donc
systématiquement portée sur cette dimension et les activités centrées sur
le langage sont largement représentées dans les programmes. Un de leurs
effets constants est de favoriser l’apprentissage de la littératie. Ils apportent
donc des informations indirectes mais très consistantes quant aux relations
qu’entretiennent le développement précoce du langage et l’apprentissage
ultérieur de la lecture.

Le programme PARLER : Parler Apprendre Réfléchir Lire


Ensemble pour Réussir (Zorman, Bressoux et al., à paraître)
Un programme français récent de prévention des difficultés d’adaptation
scolaire apporte des données qui montrent plus directement les bénéfices
d’un entraînement langagier précoce réalisé en milieu scolaire et périscolaire
sur l’apprentissage de la lecture. Ce programme, intitulé PARLER (« Parler,
Apprendre, Réfléchir, Lire Ensemble pour Réussir ») s’est déroulé pendant
trois années scolaires, de la grande section maternelle au CE1, dans 12 79
écoles de l’agglomération grenobloise (cinq écoles expérimentales et sept
écoles témoins désignées aléatoirement). Ces écoles ont été choisies parce
qu’elles accueillent une proportion très importante de familles pauvres et
obtiennent régulièrement des performances très inférieures à la moyenne
aux évaluations nationales réalisées jusqu’en 2006 à l’entrée du CE2. Ce
programme a mis l’accent sur l’enseignement explicite et systématique des
habiletés liées à l’acquisition du code écrit (conscience phonologique, prin-
cipe alphabétique et fluidité de lecture en contexte au CE1) et des habiletés
liées à la compréhension pratiquée à l’oral (vocabulaire, entraînement expli-
cite à l’appropriation de stratégies de compréhension, lectures partagées).
Le programme scolaire était en outre relayé par des activités périscolaires
bihebdomadaires également consacrées à des activités langagières. Les
activités scolaires proposées étaient réalisées en petits groupes et le temps
d’entraînement était individualisé dès la grande section, en fonction des
besoins spécifiques des enfants. Par exemple, les élèves les plus en difficulté
dans l’acquisition du principe alphabétique ont participé à deux séances par
semaine de renforcement au sein de petits groupes de quatre ou cinq élèves
tout au long de l’année alors que les meilleurs travaillaient dans des groupes
plus nombreux (sept à huit élèves) à raison d’une séance par semaine au
cours du premier trimestre seulement.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Les performances des enfants qui ont participé à ce programme montrent


qu’en fin de CE1, leur niveau scolaire dépasse largement celui des élèves du
groupe témoin ; les deux résultats les plus notables sont tout d’abord qu’en
lecture et compréhension en lecture, les élèves ayant bénéficié du programme
obtiennent des performances comparables à celles de l’ensemble des élèves
français (évaluations nationales de CE2) alors que les élèves témoins restent
plus faibles. Le second résultat majeur concerne la réduction tout à fait
significative de la proportion d’élèves en grande difficulté scolaire ; si l’on
considère par exemple les résultats en compréhension de l’écrit (figure 2.4
A) on constate qu’en fin de CE1, 25 % des élèves témoins se trouvent dans
cette situation alors qu’ils ne sont plus que 12 % dans le groupe expérimen-
tal. En fluidité de lecture (figure 2.4 B), on observe le même phénomène :
Près de 40 % des élèves témoins sont en grande difficulté contre 15 % dans
le groupe expérimental.

Figure 2.4 : Comparaison des résultats du groupe PARLER et du groupe


témoin par rapport à l’échantillon national (A. compréhension en lecture)
et par rapport à des normes standardisées (B. fluidité de lecture en contexte).

80
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

En s’inspirant des principes du programme PARLER, le ministère des


Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative a
soutenu un projet d’envergure – le projet lecture – dans les écoles françaises. 81
Environ 6 000 élèves de grande section en 2011-2012, et 4 000 élèves de CP
en 2012-2013 ont été impliqués dans ce projet (FEJ, 2014). Parmi ceux-ci,
environ 3 000 enfants de grande-section et 1 113 CP ont été concernés par
une action pédagogique reprenant les principes décrits ci-dessus, les autres
élèves composant un groupe témoin. Les résultats des évaluations réalisées
aux cours des deux années montrent une progression moyenne très signi-
ficative des élèves des groupes expérimentaux en phonologie (+51 %) et en
lecture alphabétique (+ 48 %), les effets étant les plus importants pour les
élèves les plus faibles au départ.
En plus de mettre l’accent sur les relations entre le langage oral et l’entrée
dans la lecture, les évaluations de ces programmes d’intervention précoce
montrent qu’il est possible de conduire des actions pédagogiques ciblées
en milieu scolaire afin de prévenir les difficultés d’adaptation scolaire et
d’apprentissage de la lecture, question sur laquelle nous reviendrons (voir
chapitre 5).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Le développement du langage entre trois et cinq ans


et les performances en lecture et en compréhension
entre six et dix ans
Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses recherches longitudinales ont
été conduites avec l’objectif de modéliser les relations existant entre le déve-
loppement du langage et l’apprentissage de la lecture. Leurs auteurs se sont
efforcés d’apporter des éléments de réponse à quatre questions essentielles :
1. Les habiletés langagières liées au code et celles liées à la compréhension
émergent-elles à partir d’une même habileté langagière, générale et fon-
damentale ?
2. Peut-on repérer des habiletés langagières précoces qui représentent des
précurseurs directs ou indirects des performances ultérieures en lecture
et en compréhension en fonction du niveau des élèves, autrement dit,
aux différents moments de la scolarité ?
3. Existe-t-il des continuités et/ou des discontinuités entre certaines habiletés
orales précoces et l’acquisition des mécanismes de la lecture d’une part
et les mécanismes de compréhension de texte d’autre part ?
82 4. Peut-on établir fermement que les capacités de décodage expliquent la
plus grande part de la performance en lecture – en compréhension y
compris – au début de son apprentissage et que les habiletés de com-
préhension acquièrent un poids de plus en plus important à mesure que
l’apprentissage progresse, comme le prévoit le modèle simple de la lecture
(Gough et Tumner, 1986 ; Gough, Hoover et Peterson, 1996) ?
Répondre à la première question supposerait d’examiner la construction des
habiletés langagières à partir des toutes premières acquisitions du nourrisson
jusqu’à leur maîtrise par les enfants d’âge préscolaire et scolaire. De telles
recherches commencent à apparaître (Espy, Molfese et al., 2004 ; March-
man et Fernald, 2008) mais, à notre connaissance, aucune n’a abordé la
question spécifique posée ci-dessus. La majorité des recherches examinent
cette question en commençant leurs observations avec des enfants de
trois ans (NICHD, 2005) et le plus souvent à partir de quatre ans. Les
corrélations observées montrent que les différentes habiletés langagières sont
fortement et significativement corrélées à la fois sur le plan synchronique
et diachronique. À trois ou quatre ans, on observe toujours que les habi-
letés langagières liées au code et celles liées au langage oral sont fortement
reliées même si les relations intradomaines sont plus fortes que les relations
interdomaines. Par exemple, les corrélations observées entre les habiletés
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

de compréhension orale, de vocabulaire et de conscience phonologique sur


un échantillon de plus de 1 000 enfants français de quatre ans sont fortes
et très significatives. La corrélation s’élève à .60 entre la compréhension et
la conscience phonologique ; elle est de .57 entre la compréhension et le
vocabulaire et de .42 entre le vocabulaire et la conscience phonologique
(Bianco et al., 2010). Ces corrélations indiquent à la fois que les trois
habiletés peuvent être nettement distinguées à quatre ans mais qu’elles
semblent aussi se différencier progressivement au cours du développement
à partir d’un système unitaire (Kendeou, Van den Broek, White et Lynch,
2009 ; Storch et Whitehurst, 2002 ; Whitehurst et Lonigan, 1998). Elles
confirment par ailleurs de nombreuses données anglophones, par exemple
celles de Storch et Whitehurst (2002) montrant que les habiletés de langage
oral prédisent 48 % des capacités d’analyse du code oral à quatre ans alors
qu’elles ne prédisent plus que 10 % des mêmes habiletés vers six ans. Cette
conception est par ailleurs en accord avec les résultats des recherches rela-
tives au développement langagier très précoce qui indiquent que le langage
se développe à partir d’un système hautement interactif et multidéterminé
dans lequel les progrès à chacun des niveaux langagiers influencent les
progrès dans les autres niveaux, induisant des transformations simultanées
dans l’ensemble du système (Dixon et Marchman, 2007 ; Kuhl et Rivera- 83
Gaxiola, 2008). Ainsi, Dixon et Marchman (2007) ont montré que le
vocabulaire et la syntaxe émergent et se développent simultanément avant
deux ans, contrairement à ce que les théories classiques laissaient penser en
proposant que les principes grammaticaux ne pouvaient pas être construits
tant que les enfants n’avaient pas accumulé un bagage lexical suffisant
pour soutenir l’abstraction des constructions grammaticales (Bates et
Goodman, 1999). De même, on observe des influences réciproques entre
le resserrement de la perception des contrastes phonémiques propres à la
langue maternelle et le développement du vocabulaire entre 14 et 30 mois.
Les bébés qui discriminent le mieux vers six ou sept mois les contrastes de
leur langue maternelle présentent un meilleur développement langagier.
Leur vocabulaire, de même que leur développement syntaxique, entre 24
et 30 mois est supérieur à celui des enfants qui, à sept mois, continuaient
à discriminer aussi bien les contrastes en langue maternelle et étrangère.
Autrement dit, la discrimination phonémique mesurée à six ou sept mois
prédit le développement du vocabulaire et de la syntaxe au cours des deux
années suivantes (Kuhl et Rivera-Gaxiola, 2008 ; Conboy, Rivera-Gaxiola,
Sylva-Pereyra et Khul, 2008 ; Kuhl, Conboy, Coffey-Corina, Padden,
Rivera-Gaxola et Nelson, 2008). En retour, Sheehan et Mills (2008) ont
observé que les nourrissons de six mois réagissent aux mots qui leur sont
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

familiers. Même si on peut considérer qu’à cet âge, les enfants réagissent à la
forme lexicale du mot plutôt qu’à sa signification, cette observation montre
néanmoins que la compréhension du langage démarre très tôt, bien avant
la fin de la première année comme cela est généralement admis. Ces formes
familières seraient par ailleurs utilisées par les bébés comme des indices de
segmentation de la parole (Bortfeld et al., 2005). Enfin, si une meilleure
capacité d’analyse phonétique précoce est un prédicteur du développement
lexical, le développement du vocabulaire renforce en retour la précision
de la spécification phonologique des mots. En effet, l’augmentation de la
taille du lexique pousse l’enfant à se centrer sur les unités phonologiques
qui permettent de distinguer les mots les uns des autres, « tien, rien, mien,
lien, bien » par exemple (Swingley et Aslin 2007).
Les réponses aux trois autres questions sont liées et on dispose aujourd’hui
de données qui apportent des arguments convergents et consensuels donnant
une assise empirique forte au modèle simple de la lecture mais pointent
aussi vers d’importantes questions non résolues. Le consensus s’établit
sur deux points majeurs. Le premier met l’accent sur le rôle fondateur du
développement des habiletés liées à l’analyse du code oral dans l’acquisition
du code écrit. Il renvoie à des hypothèses largement développées dans les
84
modèles d’apprentissage de la lecture soulignant l’importance des habiletés
phonologiques et métaphonologiques (Castles et Colheart, 2004 ; Ecalle et
Magan, 2002 ; Dickinson et al., 2003, Goswami et Bryant, 1990 ; ONL.,
1998 ; Sprenger-Charolles et Colé, 2013). Le second point de convergence
insiste sur le fait que les habiletés de langage oral, telles que le développe-
ment précoce des connaissances sémantiques (vocabulaire et connaissances
générales), la maîtrise de la syntaxe, des habiletés discursives et les compé-
tences communicatives influencent directement la compréhension en lecture
lorsque la question du code devient moins prégnante, autrement dit, lorsque
les enfants passent d’une lecture-décodage à une lecture pour comprendre
et acquérir des connaissances (De Jong, Van der Leij, 2002 ; Muter et al.,
2004 ; Storch et Whitehurst, 2002 ; Vellutino, Tumner, Jacard et Chen,
2007). Les questions non résolues concernent précisément la contribution
possible des habiletés de langage oral dans l’acquisition de la lecture elle-
même et leur intervention dans les performances de compréhension dès le
début de l’apprentissage de la lecture.
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

Les habiletés d’analyse du code oral et l’apprentissage


de la lecture
Une multitude de recherches ont montré que le développement des habiletés
phonologiques (encadré 2.2.), mais aussi les connaissances rudimentaires
relatives au code écrit, construites entre trois et cinq ans, prédisent forte-
ment et constamment la facilité avec laquelle les enfants apprennent à lire
au cours préparatoire.

Encadré 2.2. : Habiletés phonologiques


et conscience phonologique.
Les habiletés phonologiques désignent la capacité à détecter, stocker et
retrouver les unités sonores infralexicales du langage oral : les syllabes,
les rimes et les phonèmes. Leur développement s’organise sur un conti-
nuum qui va de la sensibilité phonologique du nourrisson à la conscience
phonologique. On distingue en général les habiletés phonologiques selon le
niveau d’abstraction et les mécanismes cognitifs implicites ou au contraire
délibérés qu’elles impliquent :
Les habiletés implicites (ou épiphonologiques) liées à la représentation
phonologique des mots dans la mémoire lexicale permettent par exemple de 85
distinguer deux mots phonologiquement proches (« château et chapeau »).
Les habiletés phonologiques implicites sont estimées essentiellement
à travers deux tâches : la répétition de pseudo-mots dont l’efficacité
dépend à la fois des capacités de la mémoire de travail et de la précision
des représentations lexicales (Metsala et al., 2009) et la dénomination
rapide qui renvoie à la vitesse avec laquelle un individu peut nommer un
ensemble de lettres, chiffres ou mots. Cette vitesse dépend des capacités
à activer les codes phonologiques associées aux représentations visuelles
ou orthographiques et à activer les codes articulatoires correspondants.
Les habiletés explicites (ou métaphonologiques) renvoient à la conscience
phonologique proprement dite, traditionnellement définie comme la capacité
de percevoir, de segmenter et de manipuler intentionnellement les unités
sonores composant les mots (les syllabes, les rimes et les phonèmes). Les
tâches utilisées pour mesurer la conscience phonologique sont multiples et
présentent un degré de difficulté différent selon l’unité ciblée (syllabe, rime,
phonème), le processus impliqué (synthèse ou segmentation) et le degré
de conscience qu’elles nécessitent (décider si deux mots riment ou non
versus supprimer ou inverser l’ordre d’un ou plusieurs phonèmes). Enfin,
les habiletés liées à la manipulation spécifique des phonèmes représentent
le degré d’analyse le plus fin de la structure sonore de la langue et sont
désignées sous le terme de conscience phonémique.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Les habiletés phonologiques sont impliquées dans les activités de dénomina-


tion et de mémoire verbale (Manis, Seidenberg et Doi, 1999 ; Kirby, Parrila
et Pfeiffer, 2003 ; Mann et Liberman, 1984 ; McDougall, Hulme, Ellis et
Monk, 1994 ; Metsala, Stavrinos et Walley, 2009 ; Pennington et Bishop,
2009) et bien entendu dans les tâches de conscience phonologique. La rela-
tion entre la conscience phonologique et les débuts de la lecture peut être
résumée de la manière suivante : mesurée à l’école maternelle, la conscience
phonologique prédit fortement et de manière stable l’acquisition du principe
alphabétique en lecture comme en écriture. Les enfants les plus habiles dans
la segmentation des unités sonores de l’oral apprennent plus facilement à lire
toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire une fois contrôlés, leur niveau
intellectuel, leurs capacités mnésiques et leur vocabulaire (Bradley et Bryant,
1983 ; Wagner et al., 1994 ; voir aussi Bus et Van Ijzendoorn, 1999 ; Castles
et Coltheart, 2004 ; Ehri et al., 2001 ; Elbro et Scarborough, 2004 pour des
revues et méta-analyses). Deux domaines de recherche ont contribué à établir
la force de cette relation. Tout d’abord, comme nous l’avons vu au début de
ce chapitre, les enfants présentant un retard de lecture, comme les enfants
souffrant de dyslexie, ont dans la quasi-totalité des cas de sérieuses difficultés
dans l’acquisition des habiletés phonologiques et métaphonologiques par
86 rapport aux enfants normo-lecteurs (Sprenger-Charolles et Colé, 2013 ;
Sprenger-Charolles et al., 2003 ; Vellutino et al., 2004, 1995 ; Wagner et
Torgesen, 1987). Ensuite, les entraînements à la conscience phonologique,
et surtout à la conscience phonémique, à l’école maternelle améliorent non
seulement cette capacité, mais aussi les performances en lecture et en écriture
au cours préparatoire (Ball et Blackman, 1991 ; Bradley et Bryant, 1983 ;
Byrne et al., 2000 ; Foorman et al., 1998 ; Treiman et al., 1998 ; Vellutino
et al., 1996 ; Torgesen et al., 2001). En d’autres termes, l’apprentissage de
la lecture est facilité par le développement de la conscience phonologique.
Les résultats ci-dessus proviennent de recherches en langue anglaise mais
ils valent aussi pour le français. Nous avons en effet proposé à des enfants
d’école maternelle un entraînement progressif, régulier et explicite à la
conscience phonologique pendant deux semestres scolaires (un semestre en
moyenne section et un autre en grande section). Les enfants ont participé à
ces entraînements en petits groupes de niveau homogène, à raison de deux
séances de 20 minutes par semaine pendant 12 semaines consécutives, soit
8 heures d’entraînement par an. Les entraînements étaient réalisés par les
enseignants et étaient donc entièrement intégrés à l’activité pédagogique de
la classe. Les enfants entraînés dans ces conditions ont nettement amélioré
leur niveau de conscience phonologique en fin de grande section par rapport
aux élèves appartenant à un groupe témoin d’une part et à d’autres groupes
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

ayant suivi des séances d’entraînement à la compréhension d’autre part


(Bianco, Bressoux et al., 2010, voir chapitre 5 pour plus de détails). Des effets
positifs directs ont aussi été observés sur les capacités de décodage mesurées
au deuxième trimestre du cours préparatoire et c’est pour les élèves les plus
faibles en début de moyenne section que les entraînements se sont révélés
les plus bénéfiques (Bianco, Pellenq et al., 2012). D’une manière générale,
les entraînements à la conscience phonologique représentent probablement
une « fondation efficace » pour apprendre à lire parce qu’ils renforcent la
sensibilité aux sons composant les mots ; par-là, ils préparent les enfants à
saisir le principe alphabétique au tout début de l’apprentissage de la lecture
(Hatcher, Hulme et Snowling, 2004).
Du côté des premières connaissances relatives au code écrit, deux types
d’habiletés semblent aussi particulièrement favorables à l’entrée dans la
lecture : les connaissances rudimentaires en écriture (écritures inventées, Ehri
et Wilce, 1987 ; Frith, 1985 ; Craig, 2006 ; Leppänen et al., 2006 ; Sénéchal
et Ouellette, 2012) et quelques connaissances alphabétiques (connaissances
du nom et du son des lettres, Leppänen et al., 2006 ; Lonigan et al., 2000 ;
Muter et al., 1998). En effet, les entraînements à la conscience phonologique/
phonémique permettent des progrès bien plus importants quand ils sont
87
associés à un apprentissage des premières correspondances lettre/son (Erhi
et al., 2001 ; Hatcher et al., 2004, Hatcher, Goetz et al., 2006). Par ailleurs
un entraînement à l’écriture inventée en fin d’école maternelle, consistant à
encourager les enfants à utiliser leurs premières connaissances alphabétiques
pour transcrire les phonèmes qu’ils entendent dans un ensemble de mots
ciblés améliore leur conscience phonologique mais aussi leur capacité de
lecture, au contraire d’un entraînement phonémique qui produit des effets
sur cette habileté uniquement (Sénéchal, Ouellette et al., 2012). Les capacités
d’analyse du code, oral et écrit sont donc, sans ambiguïté, des prédicteurs
essentiels de l’apprentissage de la lecture. À titre d’illustration, le tableau 2.3
résume les résultats obtenus par Schatschneider et ses collaborateurs (2004)
grâce à un suivi de 540 enfants de la grande section de maternelle jusqu’au
CE1. On y observe que les performances aux épreuves de conscience phono-
logique, de connaissance du nom et du son des lettres et de dénomination
rapide prédisent ensemble de 30 à 49 % de variance observée en lecture en
fonction de la manière dont elle est évaluée et du niveau scolaire.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 2.3 : Pourcentage de variance expliquée sur les performances


de lecture en CP et CE1 par l’ensemble de quatre prédicteurs
(conscience phonologique, connaissances du nom et du son des lettres
et dénomination rapide des lettres) évalués en grande section de maternelle
(d’après Schatschneider et al., 2004).

Identification des mots Vitesse d’identification Compréhension


(exactitude) des mots de phrases
CP 37 49 30
CE1 32 34 20

Les données présentées dans le tableau 2.3 confirment l’importance du déve-


loppement précoce des habiletés liées au code oral dans les premières années de
l’apprentissage de la lecture. Ils appellent cependant quelques commentaires.
Tout d’abord, la valeur prédictive et explicative de ces habiletés diminue du
CP au CE1, à mesure que les enfants progressent dans l’apprentissage de
la lecture. D’autre part, les quatre variables considérées expliquent mieux
les performances en identification – et tout particulièrement la rapidité de
88
décodage – que les performances de compréhension. Enfin, elles sont loin
d’expliquer à elles seules toute la variabilité interindividuelle, ce qui laisse
supposer que d’autres facteurs linguistiques et cognitifs interviennent aussi
dès le début de l’apprentissage de la lecture, ce que nous aborderons au
paragraphe 3.3.

Le langage oral et la compréhension en lecture


Les autres habiletés langagières précoces regroupées sur le terme générique
de « langage oral » jouent elles aussi un rôle important dans l’acquisition de la
littératie. Comme cela a déjà été dit, les connaissances et habiletés regroupées
sous cette expression sont de nature et de complexité très variable puisqu’elles
concernent à la fois la compréhension et la production du langage et les
dimensions sémantique, syntaxique et discursive. Cette complexité, mais
aussi le fait que l’attention portée par les chercheurs au développement de
la compréhension orale et à ses relations avec la lecture soit un phénomène
relativement récent expliquent certainement en partie que l’on connaisse
moins bien ses relations. Les chercheurs estiment la plupart du temps le
langage oral en mesurant le vocabulaire et/ou la syntaxe, plus rarement la
compréhension et la production des textes. On dispose en effet d’épreuves
étalonnées pour évaluer le développement précoce du vocabulaire et de la
syntaxe mais il en va tout autrement des habiletés discursives et textuelles.
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

Les mesures utilisées sont aussi souvent différentes d’une recherche à l’autre.
En dépit de ces difficultés méthodologiques, les recherches montrent une
continuité très forte dans le développement du langage oral de quatre ans
jusqu’à la fin de l’école primaire (Catts et al., 1999-2006). Elles ont aussi
mis en évidence que les habiletés orales, mesurées à quatre ou cinq ans
prédisent les performances de compréhension en lecture, indépendamment
des capacités de décodage et des performances cognitives générales (mémoire
de travail, niveau intellectuel). Leurs valeurs prédictives s’accentuent en
outre à mesure que les enfants grandissent et que les difficultés liées au
décodage sont surmontées (De Jong, Van der Leij, 2002 ; Elwer, Keenan
et al., 2013 ; Kendeou, Van den Broek et al., 2009 ; Muter, Hulme et al.,
2004 ; NICHD, 2005 ; Storch et Whitehurst, 2002 ; Vellutino et al., 2007).
En résumé, les résultats des études longitudinales montrent que toutes les
habiletés développées précocement à l’oral sont sollicitées dans l’acquisition
de la lecture, bien qu’à des moments différents en fonction des mécanismes
au centre de l’apprentissage scolaire (construction des mécanismes d’identi-
fication des mots ou compréhension en lecture). Cette convergence entre le
langage oral et l’apprentissage de l’écrit est illustrée sous forme de graphique
à la figure 2.5 ; celle-ci donne une image du consensus actuel : à partir des
89
habiletés langagières construites avant trois ans, les deux grands domaines
du langage se différencient et deviennent relativement indépendants. À
partir de cinq ans, les habiletés d’analyse de la structure sonore de la langue
et les premières connaissances alphabétiques sont des précurseurs directs
et essentiels de l’acquisition de la lecture. Les habiletés précoces de langage
oral quant à elles, prédisent le développement de ces mêmes habiletés tout
au long de l’enfance et représentent également un déterminant majeur de
la compréhension en lecture. Enfin, les habiletés de lecture (décodage et
identification des mots) et les habiletés de langage oral déterminent ensemble
mais indépendamment la compréhension en lecture, le poids de chacune des
deux dimensions évoluant au fil du temps. Le décodage et l’identification des
mots ont généralement un pouvoir explicatif plus fort sur les performances
de compréhension en lecture au CP mais la relation s’inverse à partir du
cycle 3 de l’école primaire. Les habiletés fondamentales du langage acquises
au cours de la petite enfance contribuent donc ensemble à la construction
de la compétence du lecteur expert qui sait déchiffrer ce qui est écrit et qui
comprend ce qu’il a déchiffré.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Figure 2.5 : Du langage oral à la lecture.

Questions en débat
Au-delà des convergences, de nombreuses questions non résolues entre-
tiennent les interrogations et les débats. Les enjeux actuels concernent le
degré de spécification du modèle simple et notamment de sa capacité à rendre
90
compte de la compréhension en lecture, le rôle joué par le langage oral au
tout début de l’apprentissage de la lecture et bien entendu, la description
du développement de la compréhension orale qui doit permettre de donner
une vue intégrée de la manière dont se construisent, s’individualisent et
interagissent les habiletés et dimensions qui la constituent.
La question de la spécification du modèle simple consiste à se demander s’il
est suffisant, à lui seul pour rendre compte de la compréhension en lecture
et de son apprentissage (Cutting et Scarborough, 2012 ; Kirby et Savage,
2008). Sans remettre en cause les fondements du modèle, quelques recherches
indiquent que son niveau actuel de spécification est encore insuffisant. Par
exemple, Tilstra et al., (2009) ont administré à des enfants de fin d’école
primaire et de collège (10 ans (CM1), 13 ans (cinquième) et 15 ans (troi-
sième), environ 90 enfants à chaque âge) une série d’épreuves afin d’estimer la
contribution d’un ensemble de variables à l’explication des performances de
compréhension en lecture aux âges considérés. En plus de la compréhension
orale et des capacités de décodage, les auteurs ont évalué l’efficience verbale
(capacité à définir oralement des mots) et la fluidité de lecture en contexte,
définie comme la capacité à lire à haute voix au rythme de la conversation et
avec la prosodie appropriée un texte continu. Leurs résultats, reproduits à la
figure 2.6 montrent tout d’abord que le modèle simple est plus explicatif des
performances des élèves de CM1 qu’il ne l’est des performances des élèves
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

de collège. En effet, la compréhension orale et les capacités de décodage


expliquent ensemble 61 % des différences interindividuelles de compréhen-
sion en lecture au CM1. Ces deux paramètres n’expliquent plus que 48 %
des mêmes performances en cinquième et seulement 38 % en troisième. En
d’autres termes, plus les enfants grandissent et avancent dans leur scolarité,
moins le modèle simple rend compte de manière adéquate de leurs capacités
de compréhension. De plus et confirmant en cela les travaux antérieurs, le
poids relatif des habiletés d’identification et de compréhension orale diffère
en fonction de l’âge, le décodage expliquant 42 % de la variance à dix ans
et seulement 13 % et 17 % des performances de compréhension à l’écrit à
13 et 15 ans. Au contraire, la compréhension orale explique 19 %, 35 % et
21 % des différences interindividuelles à 10, 13 et 15 ans respectivement.
Le modèle simple capture à l’évidence deux habiletés fondamentales de la
compréhension en lecture dont le pourvoir explicatif reste important encore
à 15 ans. Il n’épuise cependant pas toute la variance observée et ne peut
donc, en l’état, rendre compte de l’ensemble des paramètres impliqués dans
la compréhension. L’incomplétude du modèle est d’ailleurs déjà manifeste
dans les deux premières années d’école élémentaire ; en effet, Megherbi,
Seigneuric et Erhlich (2006) ont trouvé que le modèle simple explique 56 %
des performances de compréhension en lecture au CP et 52 % des mêmes 91
performances au CE1 avec un échantillon d’enfants français.

Figure 2.6 : Prédiction de la compréhension en lecture en fonction de l’âge


(d’après Tilstra et al., 2009).
% variance expliquée
100
90
80
70
60
50
40 efficience verbale
30 fluence
compréhension orale
20
décodage
10
0
10 ans 13 ans 15 ans

La recherche de Tilsta et al. (2009) met en évidence l’intervention d’autres


variables explicatives telles que l’efficience verbale et la fluidité de lecture en
contexte, la valeur prédictive de chacune d’elles variant en fonction de l’âge
et du niveau scolaire. L’influence de la compréhension orale par exemple, est
plus forte chez les adolescents que chez les enfants. Cette évolution pourrait
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

être due au fait qu’avec l’âge, les relations entre la compréhension orale et
écrite deviennent plus fortement réciproques, l’écrit offrant progressive-
ment de plus nombreuses occasions de progression par la réflexion qu’est
susceptible de susciter l’augmentation de la complexité linguistique et celle
des contenus textuels (De Jong, Van der Leij, 2002 ; Diakidoy et al., 2005 ;
Tilstra et al. 2009). Notons enfin que les valeurs prédictives des différentes
habiletés dépendent aussi des outils de mesure utilisés. Par exemple, chez
des adolescents dyslexiques de 13 à 16 ans, le poids explicatif de la compré-
hension orale est plus fort que l’efficience verbale lorsque l’identification
est estimée par le décodage (lecture de pseudo-mots et de mots réguliers
rares) ; la relation est inversée lorsque la composante « identification » est
estimée par la capacité à identifier correctement des mots dans un texte
continu (Savage, 2006). Ces phénomènes suggèrent évidemment que bien
que la compréhension orale et l’efficience verbale puissent être caractérisées
comme des dimensions distinctes, elles n’en partagent pas moins quelques
fondements communs, dont le poids pourrait bien se révéler plus ou moins
important selon le niveau des lecteurs.
La deuxième question actuellement sensible s’adresse au rôle joué par le
langage oral au tout début de l’apprentissage de la lecture. En effet, si
92
personne ne conteste le rôle de la conscience phonologique et des habi-
letés associées, l’hypothèse phonologique (ou du « tout » phonologique)
s’accommode assez mal avec un nombre croissant de résultats qui attestent
de l’intervention d’autres habiletés langagières dans la construction des
mécanismes d’identification des mots dès le début de l’apprentissage de la
lecture (Scarborough, 2005). Les données disponibles sont encore souvent
contradictoires mais quelques faits empiriques résistants méritent que l’on
y prête attention.
Tout d’abord, si la conscience phonologique est une habileté facilitatrice et
représente une condition nécessaire à l’apprentissage de la lecture, on sait
qu’elle n’en est pas une condition suffisante. En effet, les deux habiletés
s’influencent mutuellement et si un certain niveau de conscience phono-
logique préalable à l’apprentissage est un facteur favorisant, les progrès
dans le décodage renforcent en retour les habiletés phonologiques (Ehri,
1989 ; Lecocq, 1992 ; Morais, 1994 ; Morais, Alegria et Content, 1987).
De plus, de nombreuses recherches interlangues ont montré que le poids
de la conscience phonologique dans l’apprentissage de la lecture dépend de
la régularité du système orthographique. La relation est plus forte et s’étend
sur une période plus longue lorsque les enfants apprennent à lire dans un
système alphabétique irrégulier (comme l’anglais ou le français) plutôt que
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

dans un système alphabétique régulier comme l’allemand, l’italien ou le


néerlandais (De Jong et Van der Leij, 2002 ; Mann et Wimmer, 2002 ;
Wimmer, Landerl et al., 1991 ; Ziegler et al., 2010).
Ensuite, les recherches longitudinales récentes montrent que les mesures
de conscience phonologique relevées entre cinq et six ans ne sont pas
les seuls prédicteurs, ni toujours les plus forts et les plus consistants des
performances des lecteurs débutants (Scarborough, 2005). Les premières
connaissances alphabétiques mais aussi les capacités lexicales et syntaxiques
ainsi que la compréhension des récits des jeunes enfants prédisent aussi
très significativement la réussite dans l’apprentissage des mécanismes de
l’identification des mots, dès le CP et indépendamment du développement
phonologique (Bianco, Pellenq et al., 2012 ; Catts, Fey, Zang et Tomblin,
1999 ; Dickinson et McCabe, 2003 ; Scarborough, 1998). Le vocabulaire
et la compréhension des histoires entendues ont particulièrement retenu
l’attention des chercheurs au cours des 15 dernières années. Deux recherches
récentes ont étudié plus particulièrement l’influence de la compréhension
orale – des phrases et des textes – en maternelle sur les performances de
lecture et de compréhension en lecture au cours préparatoire. La première
a permis de suivre 1 137 enfants américains de trois ans jusqu’à huit ans
(NICHD, 2005). Les résultats longitudinaux confirment l’essentiel des 93
données décrites dans les deux paragraphes précédents mais ils ont aussi mis
en évidence pour la première fois une influence directe du niveau de langage
oral mesuré à cinq ans sur les capacités des mêmes enfants à identifier les
mots écrits au CP, indépendamment de leurs habiletés phonologiques et de
décodage. Nous avons nous-mêmes étendu ce résultat dans une recherche
au cours de laquelle 682 enfants français ont été suivis de la moyenne
section de maternelle jusqu’au cours préparatoire. Nous avons observé
que les performances en conscience phonologique et en compréhension
orale mesurées à quatre ans prédisent chacune une part indépendante et
significative de compréhension en lecture mais aussi de décodage au cours
préparatoire. En effet, à niveau de lecture équivalent, les performances de
compréhension orale estimées à quatre ans expliquent environ 15 % des
différences de compréhension en lecture au cours préparatoire, les scores en
conscience phonologique expliquant environ 7 % des différences. Les deux
facteurs prédisent aussi les performances de décodage au cours préparatoire
mais leur effet est inversé : la conscience phonologique explique environ
37 % des différences entre les élèves et la compréhension orale en explique
environ 15 % (Bianco, Pellenq et al., 2012). Ces résultats apportent deux
informations très importantes : premièrement, les habiletés langagières
estimées deux ans avant l’apprentissage formel de la lecture influencent
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

significativement cet apprentissage et, si les habiletés phonologiques restent


le prédicteur le plus important de l’acquisition des mécanismes d’identifi-
cation des mots, les habiletés de compréhension orale interviennent aussi
directement dans cet apprentissage. Deuxièmement, la compréhension
orale est directement impliquée dans la capacité des enfants à comprendre
ce qu’ils lisent, dès le cours préparatoire. Contrairement à la conception
classique décrite au paragraphe précédent, il n’est donc pas besoin d’attendre
que les mécanismes de la lecture soient suffisamment maîtrisés au cours
élémentaire pour envisager l’intervention des capacités de compréhension
au service de la lecture. Dès le cours préparatoire, les enfants les utilisent
pour lire et comprendre ce qu’ils lisent. Ces données ne sont bien entendu
pas sans incidence dans la manière d’envisager la construction de l’expertise
en lecture et donc les programmes d’enseignement à mettre en œuvre pour
aider les élèves à parvenir à cette maîtrise, ce que nous discuterons dans le
dernier chapitre de cet ouvrage.
Ces résultats font écho à un nombre croissant de recherches qui cherchent à
décrire l’influence du vocabulaire dans l’apprentissage de la lecture (Casalis
et Cole, 2009 ; Nation, 2008 ; Nation et Cocksey, 2009 ; NICHD, 2005 ;
Snowling, 2005). Le vocabulaire est une dimension essentielle du langage et
94 il représente le point de jonction majeur entre les mécanismes d’identifica-
tion des mots et ceux de la compréhension. En effet, identifier rapidement
des mots suppose des représentations orthographiques et phonologiques
précises. Cette identification formelle permet l’accès aux significations
qui elles-mêmes sont le point d’entrée (ou le matériau de base) sur lequel
s’appuient les mécanismes d’intégration qui conduisent à l’élaboration des
modèles de situation (Perfetti et Stafura, 2014). En d’autres termes, les
représentations lexicales contiennent des informations de nature formelle
(orthographe, phonologie) et de nature sémantique qui définissent ensemble
la qualité de la représentation lexicale (Perfetti, 2007, voir chapitre 3).
Ces deux catégories d’informations (la forme et le sens) sont susceptibles
d’influencer l’identification. Il existe de nombreuses indications suggérant
que la connaissance de la signification des mots influence la lecture experte
(Nation, 2008). L’idée que le développement lexical puisse aussi jouer
un rôle dès les toutes premières étapes de l’apprentissage de la lecture est
défendue par un nombre grandissant de chercheurs. Tout d’abord, il ne fait
aucun doute que le développement du vocabulaire et celui de la conscience
phonologique entretiennent des relations réciproques, les premières habiletés
phonologiques favorisant le développement du lexique (Kuhl et al., 2008a,
b) et des représentations lexicales phonologiquement bien spécifiées étant un
facteur de développement de la conscience phonologique (Metsala, Stavrinos
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

et Walley, 2009). Le vocabulaire est donc indirectement impliqué dans la


lecture via la conscience phonologique. Les résultats empiriques concernant
sa contribution directe dans l’apprentissage des mécanismes d’identification
des mots sont cependant encore contradictoires, certaines recherches ayant
mis en évidence un lien direct entre les deux variables (De Jong et Van der
Leij, 2002 ; Dickinson et Mc Cabe, 2003 ; Kim et al., 2013 ; Oakhill et Cain,
2012 ; Vellutino et al., 2007 ; Verhoeven, Leuwe et Vermeer, 2011), d’autres
n’ayant pas trouvé cette relation (Bianco, Pellenq et al., 2012 ; Muter et al.,
2004 ; NICHD, 2005). La relation entre le vocabulaire et l’identification
des mots pourrait dépendre de leur régularité orthographique (Nation et
Snowling, 2004, Nation et Coskey, 2009 ; Ouellette, 2006 ; Ouellette et
Beers, 2010 ; Ricketts et al., 2007). En effet, Nation et Snowling (2004) ont
observé que les performances en vocabulaire mesurées à 8 ; 6 ans expliquent
une part significative et indépendante de la variance en compréhension écrite
comme en identification de mots au même âge, mais aussi quatre ans plus tard,
à 13 ans. De plus, le vocabulaire explique plus fortement les performances
en lecture de mots irréguliers que celles des mots réguliers. Cet effet de la
régularité orthographique est présent dès la première année d’apprentissage
de la lecture (Ouellette et Beers, 2010 ; Nation et Coskey, 2009a). Par
exemple, Nation et Cocksey (2009a) ont fait lire à haute voix à des enfants 95
de sept ans des mots réguliers (foule) et des mots irréguliers (clown) ; elles
ont ensuite vérifié que ces mots faisaient partie du vocabulaire des enfants
au moyen d’une tâche de décision lexicale orale et qu’ils en connaissaient
aussi la signification (tâche de définition). Un des résultats importants de
cette recherche est de montrer que le vocabulaire n’a pas d’incidence sur la
lecture des mots réguliers alors que les mots irréguliers sont mieux lus si les
enfants les reconnaissent (en décision lexicale orale) et/ou en connaissent la
signification (définition). Ce résultat ne permet pas a priori de distinguer le
poids des propriétés sémantiques de la simple familiarité dans les premières
étapes de la lecture mais il indique incontestablement que le développement
des connaissances lexicales intervient très tôt dans cet apprentissage. Faisant
écho à ses résultats, l’intervention du vocabulaire dans la construction des
mécanismes d’identification des mots semble dépendre de la régularité des
systèmes d’écriture : moins le système est transparent (comme l’anglais)
et plus le vocabulaire expliquerait une part importante des performances
en lecture (Verhoeven et al., 2011). Cet effet de régularité souligne aussi
l’importance de la forme écrite du mot (autrement dit, de son orthographe)
dans la relation entre le vocabulaire et l’apprentissage de la lecture. La prise
en considération de l’orthographe est essentielle à la construction de la voie
directe de la lecture (ou voie orthographique) dont on sait maintenant qu’elle
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

s’élabore parallèlement à la voie indirecte (ou sublexicale) dès les premiers


mois de l’apprentissage de la lecture. En effet, dès le mois de janvier de l’année
de cours préparatoire, les enfants orthographient mieux les mots irréguliers
(sirop, par exemple) qu’ils ont lus fréquemment dans leur manuel de lecture
que les mots irréguliers rarement rencontrés (loup, par exemple) ; ils écrivent
plus souvent le graphème irrégulier « p » quand ils doivent écrire « sirop » ou
un pseudo-mot dérivé du mot irrégulier fréquent restant phonologiquement
très proche (/diro/ par exemple) (Martinet, Valdois et Fayol, 2004). Les
enfants utilisent donc d’emblée des connaissances orthographiques acquises
implicitement – par le contact et l’attention portée à l’écrit sans qu’ils soient
conscients d’avoir acquis ces connaissances (voir chapitre 5) – pour ortho-
graphier par analogie des mots proches mais inconnus. Ces connaissances
orthographiques précoces activent aussi les informations sémantiques qui
leur sont associées et exercent très tôt une influence dans l’identification des
mots. Par exemple, Nation et Coskey (2009b) ont présenté à des enfants de
sept ans des mots qui avaient la particularité d’en inclure un autre dans leur
orthographe, par exemple « poussin, chouette, pieuvre, mainate ». Les mots
inclus « pou, chou, pie, main » pouvaient appartenir ou non à la même caté-
gorie sémantique que le mot incluant (poussin vs chouette) et conserver ou
96 non leur prononciation (chouette vs mainate). En demandant aux enfants de
décider le plus rapidement possible si les mots appartenaient à une catégorie
sémantique donnée (Chouette, est-ce un animal ? Mainate, est-ce une partie
du corps ?), on observe que les temps de réponse sont plus longs et l’exactitude
de la catégorisation moins bonne quand les mots inclus n’appartiennent pas
à la même catégorie sémantique que le mot à juger, indépendamment de
la prononciation, préservée ou non du mot inclus. Cet effet d’interférence
sémantique indique que des codes orthographiques infralexicaux sont formés
très tôt et sont suffisamment robustes pour activer les informations séman-
tiques correspondantes indépendamment de la phonologie.
Ces résultats sont compatibles avec les modèles connexionnistes de la lecture
qui prévoient un lien direct entre connaissances orthographiques et lecture,
la lecture par la procédure directe (par adressage) nécessitant toujours la mise
en place d’un ensemble de connaissances orthographiques (Ans, Carbonnel
et Valdois, 1998 ; Perry et al., 2007 ; Seidenberg et McClelland, 1989).
Parmi ceux-ci, le modèle triangulaire (Seidenberg et McClelland, 1989 ;
Seidenberg, 2007) est l’un des plus souvent donnés en référence. Ce modèle
permet en effet de penser l’apprentissage de la lecture à partir d’un système
interactif dont le principe essentiel repose sur la création d’associations entre
les représentations visuelles des mots (leur orthographe) et leurs représen-
tations phonologiques et sémantiques déjà construites à l’oral. Deux voix
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

permettent la construction de ces associations : la voix phonologique (ou


sublexicale) qui assure l’appariement direct entre les lettres et les sons (mise
en relation de l’orthographe avec la phonologie) et la voix sémantique qui
assure un appariement indirect de l’orthographe avec la phonologie via la
sémantique : l’orthographe active la signification du mot qui active elle-même
sa structure phonologique. Au cours de l’apprentissage, les deux voies de
lecture se construisent simultanément, la voie phonologique étant privilégiée
au commencement du processus dans les systèmes d’écriture alphabétique.
La voie sémantique est cependant sollicitée très tôt pour l’acquisition des
mots irréguliers. Le terme de l’apprentissage conduit à une « division du
travail », la voie sémantique permettant de lire les mots connus, surtout s’ils
sont irréguliers, la voir phonologique se spécialisant dans le décodage des
mots nouveaux (Seidenberg, 2011).
En définitive, les recherches actuelles confirment que la construction des
deux voies de la lecture passe par l’acquisition du principe alphabétique au
tout début de l’apprentissage et que le développement de la voie sublexi-
cale joue un rôle probable d’amorçage dans celui de la voie lexicale (ou
sémantique) (Leybart et Content, 1995 ; Sprenger-Charolles et al., 1998 ;
Sprenger-Charolles et al., 2003). En effet, la voie indirecte reste le mode de
lecture majoritairement utilisé au tout début de l’apprentissage, du fait de 97
son caractère hautement génératif et du temps nécessaire à l’élaboration des
représentations lexicales. On sait cependant aujourd’hui que les procédures
lexicales de la lecture se développent simultanément et en interaction avec
les procédures de décodage, dès les premiers mois de l’apprentissage. La
construction de la voie lexicale sollicite les connaissances sur le vocabulaire
et d’autres aspects du langage oral. La capacité à analyser la morphologie des
mots (ou conscience morphologique) notamment, est liée au développement
du vocabulaire et est également impliquée dans la construction de la voie
lexicale (Carlisle et Nomanbhoy, 1993 ; Casalis et Louis-Alexandre, 2000 ;
Deacon, 2012 ; Marec-Breton et al., 2005). Les morphèmes étant les plus
petites unités de sens de la langue, leur identification procède à la fois d’une
analyse formelle et d’une analyse sémantique. L’analyse morphologique à
l’oral permet de segmenter le mot en unités de sens et de comprendre et
produire des mots nouveaux à partir de la combinaison de ces unités. Au
moment de l’apprentissage de la lecture, la conscience morphologique
contribue à l’association des formes orthographiques à leurs significations.
La reconnaissance de ces formes peut d’ailleurs provenir de l’application des
procédures de décodage mais aussi de la reconnaissance implicite d’analo-
gies entre une série de mots déjà connus (Ehri, 2005, 2014). Notons que
ces mêmes mécanismes implicites sous-tendent l’extraction des séquences
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

graphiques telles que « -oin » ou des graphèmes irréguliers « op » par exemple,


qui se prononcent toujours de la même façon. Ces différents grains d’analyse
des mots et de leurs orthographes – qui semblent inscrits dans l’architec-
ture de notre système visuel (Dehaene, 2007) – contribuent ensemble à la
construction des deux voies expertes de la lecture.
La dernière question à laquelle il est nécessaire de répondre aujourd’hui
concerne précisément le développement de la compréhension jusque dans sa
dimension textuelle. L’attention portée au développement de la compréhension
orale et à ses relations avec la compréhension en lecture est un phénomène
relativement récent. Ce fait, associé à la complexité de l’activité conduit
à une certaine confusion dans la manière dont les chercheurs évaluent la
compréhension orale (Bianco et al., 2012). Il résulte que l’on sait moins bien
décrire, que l’on ne sait décrire l’apprentissage de la lecture, le développement
de la compréhension et la manière dont se construisent, s’individualisent et
interagissent les habiletés et dimensions qui la constituent. Nous verrons
cependant dans les deux chapitres suivants que la synthèse des nombreuses
recherches réalisées permet de s’en faire une représentation assez précise.

98 Conclusion
Les résultats accumulés depuis 30 ans apportent des réponses convergentes
à la question des relations qu’entretiennent le développement précoce du
langage oral et l’apprentissage de la lecture à l’entrée à l’école primaire, tout
en pointant des zones d’ombre encore importantes.
On peut aujourd’hui accorder un niveau de confiance élevé à l’idée majeure
du modèle simple de la lecture ; ce sont les capacités de décodage et d’identi-
fication directe des mots qui expliquent la plus grande part de la performance
en lecture et en compréhension au début de l’apprentissage formel et les
habiletés de compréhension acquièrent un poids de plus en plus important
à mesure que l’apprentissage progresse.
On peut également apporter une réponse positive, bien qu’encore partielle, à
la question de savoir si l’on peut repérer des habiletés langagières précoces qui
représentent des précurseurs directs ou indirects des performances ultérieures
en lecture en fonction du niveau d’apprentissage des élèves, autrement dit,
aux différents moments de la scolarité. Les résultats actuellement disponibles
indiquent très clairement que les habiletés liées à l’analyse de la structure
sonore de la langue sont des précurseurs directs de l’acquisition de la lecture
dans sa dimension décodage, le développement du langage oral intervenant
dans l’acquisition de la lecture experte, c’est-à-dire dans l’intégration des
L’acquisition du langage et l’apprentissage de l’écrit : un processus continu ?

mécanismes d’identification et dans la compréhension de ce qui est lu. La


nuance à apporter provient de la relative difficulté à isoler les dimensions du
langage oral et donc, de savoir mesurer précisément les différentes facettes
de son acquisition. Les efforts actuels et futurs devront s’engager dans cette
voie afin de préciser le mode d’intervention, spécifique et distinct de l’effi-
cience cognitive des individus, de chacune des habiletés regroupées sous ce
terme. Les progrès dans ce domaine sont rapides et feront très certainement
apparaître de nouvelles continuités et ruptures.
Enfin, à la question des continuités et/ou des discontinuités entre certaines
habiletés orales précoces et l’acquisition des mécanismes de la lecture, l’en-
semble des recherches mettent l’accent sur la continuité des apprentissages.
Les travaux de la dernière décennie tout particulièrement, en commençant à
explorer la contribution des habiletés de plus haut niveau (langage oral) dans
l’apprentissage de la lecture d’une part et dans celui de la compréhension en
lecture dès le début de l’apprentissage d’autre part, montrent à l’évidence
que les habiletés langagières participent toutes ensemble à la construction de
l’expertise en lecture. Un des résultats fondamentaux de ces dernières années
est d’avoir montré que les effets du développement précoce du langage oral
se font encore sentir plusieurs années plus tard dans les performances des
enfants, indépendamment de leurs performances intermédiaires en lecture.
Ce type de résultat indique de toute évidence que l’apprentissage de la lecture
– du décodage jusqu’à la compréhension et l’acquisition de connaissances
par la lecture – doit être pensé en termes de continuité plutôt qu’en termes
de rupture. Parce qu’il est acquisition d’un code nouveau et culturel qui ne
s’acquiert qu’en passant par un enseignement explicite, cet apprentissage a
souvent été considéré et conçu en termes de rupture. La rupture majeure
que représente l’apprentissage de la lecture consiste certainement dans
l’effort soutenu que doivent faire les enfants pour « recycler » en quelques
mois les aires visuelles de reconnaissance des formes pour les adapter à ces
objets particuliers que sont les lettres et les mots (Dehaene, 2007), et à les
connecter aux circuits langagiers construits au cours des premières années
de la vie. Au-delà de l’acquisition particulière de ce code écrit, l’apprentis-
sage de la lecture et tout particulièrement le développement de l’expertise
en lecture doit être pensé en termes de continuité et d’interaction. Il ne fait
aucun doute que l’apprentissage et le développement des comportements de
lecture s’ancrent, dès leur origine, dans les habiletés de langage construites
au cours de la petite enfance. En retour évidemment, l’exercice de la lecture
donne accès à des données culturelles beaucoup plus vastes que ne le permet
l’oral, ce qui n’est certainement pas sans incidence sur le développement des
structures langagières et conceptuelles de chacun d’entre nous.
Chapitre 3

Le développement de la compréhension :
le rôle des connaissances

Q ue sait-on aujourd’hui du développement de la compréhension des


textes et de l’ensemble des paramètres qui y conduisent ? Au-delà des
options théoriques recensées au premier chapitre, tous les auteurs recon-
naissent l’importance des connaissances linguistiques (de la phonologie aux
structures textuelles) mais aussi des connaissances générales sur le monde.
Tous s’accordent aussi sur l’idée que l’activité d’intégration de l’information 101
qui conduit à la construction d’un modèle de situation cohérent dépend
de mécanismes de traitement propres au texte : les habiletés d’inférences
et d’autorégulation (ou contrôle) notamment (voir chapitre 1, figure 1.2).
Ces habiletés peuvent être isolées empiriquement dès l’âge de sept ou
huit ans, chacune expliquant une part unique et significative des différences
interindividuelles observées en compréhension, indépendamment des capa-
cités cognitives de l’individu, de son vocabulaire et de ses connaissances
syntaxiques (Oakhill, Cain et Bryant, 2003). Le quatrième chapitre sera
consacré à la description de ce développement. Le présent chapitre examine
plus en détail l’intervention des connaissances, c’est-à-dire le rôle joué par le
vocabulaire, la syntaxe, les structures textuelles mais aussi les connaissances
thématiques plus larges dans les performances de compréhension au cours
du développement.

Le vocabulaire et la compréhension

L’hypothèse de qualité lexicale (Perfetti, 2007)


La position du vocabulaire, à l’interface de l’identification des mots et
de l’accès à leurs significations lui confère une fonction centrale dans la
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

compréhension, y compris chez l’adulte (Landi, 2010). Perfetti a depuis


longtemps mis l’accent sur le rôle des connaissances lexicales dans l’acquisi-
tion d’une lecture experte (hypothèse d’efficience verbale, 1985) et dans la
compréhension (Perfetti, 2007 ; Perfetti et Stafura, 2014). Pour ce chercheur,
la relation entre la compréhension et le vocabulaire trouve son origine dans
la qualité des représentations lexicales des individus (Hypothèse de la qualité
lexicale, ou « LQH », Perfetti, 2007). La qualité des représentations (ou
connaissances) lexicales est une condition déterminante de l’efficacité des
mécanismes d’identification des mots d’une part et d’accession à leur sens
d’autre part. Une représentation lexicale de qualité est une représentation
qui spécifie à la fois la forme du mot (sa phonologie, sa morphologie, son
orthographe) et sa (ou ses) significations(s) de manière précise et flexible.
La précision de la représentation orthographique est nécessaire pour distin-
guer et ne pas confondre les homonymes, tels que « cours » et « court » par
exemple. La flexibilité, quant à elle, permet de comprendre aisément qu’une
même unité lexicale peut avoir des sens différents selon les contextes, du
fait de sa polysémie et/ou des fonctions grammaticales qu’elle occupe, par
exemple « Pierre connait un avocat » et « Pierre mange un avocat » ou encore,
« Marie ouvre la porte » et « Marie porte un manteau rouge ». La flexibilité
102 conditionne la sélection de la signification pertinente dans un contexte
donné et parallèlement la suppression (ou l’inhibition) des significations
non pertinentes (Gernsbacher et Faust, 1991). Elle permet également de
comprendre qu’un mot (« Léa souligne le titre ») et une paraphrase (« Léa
trace un trait sous le titre ») peuvent être synonymes. Cinq propriétés déter-
minent la qualité d’une représentation lexicale :
1. La connaissance précise de l’orthographe du mot ;
2. La connaissance de sa forme phonologique et des correspondances gra-
phèmes/phonèmes qui lui sont spécifiques ;
3. La connaissance des catégories grammaticales auxquelles il appartient
ainsi que ses possibles inflexions morphosyntaxiques ;
4. La connaissance de ses différentes significations et des dimensions séman-
tiques qui permettent de distinguer le sens du mot par rapport aux autres
mots appartenant au même champ sémantique ;
5. Ces quatre constituants, orthographe, phonologie, grammaire et séman-
tique doivent être reliés entre eux.
Lorsqu’une représentation lexicale satisfait ces cinq critères, elle acquiert
une forte stabilité en mémoire, ce qui permet la récupération efficace et
simultanée de l’ensemble des constituants à partir de la perception orale
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

ou écrite du mot. De cela découle la possibilité d’intégrer la signification


pertinente du mot, dans le contexte textuel ou phrastique dans lequel il
s’insère et donc de construire la signification d’ensemble d’un énoncé. À
l’inverse, une représentation de faible qualité sera moins précise sur le plan
orthographique et phonologique laissant la place à des variations orthogra-
phiques aussi bien que phonologiques en lecture comme en écriture (par
exemple le mot /ceriz/ s’écrit-il « cerise, serise, cerize, etc. », le mot « chœur »
se prononce-t-il /kœr/ ou /∫œr/ ?). Elle sera aussi moins riche et stable sur
le plan de ses propriétés grammaticales et sémantiques et surtout moins
fortement intégrée ; le mot « timbre » par exemple, est un nom masculin
singulier mais aussi l’une des formes fléchie du verbe « timbrer » ; lorsqu’il
est un substantif, ce mot peut signifier un son (le timbre d’une voix), une
marque, un cachet ou une vignette (un timbre-poste, un timbre-amende,
etc.). Dans une représentation de faible qualité, les relations entre les
différents constituants sont plus lâches, voire non établies. Bien entendu,
l’hypothèse de la qualité des représentations lexicales n’est pas une hypothèse
en « tout ou rien ». La qualité des représentations varie d’un individu à l’autre
mais aussi chez un même individu en fonction de la familiarité des mots.
Chacun d’entre nous est donc susceptible d’avoir construit des représenta-
tions de qualité pour les mots qui lui sont familiers et d’avoir au contraire, 103
des représentations imprécises et mal intégrées pour les mots rares et/ou
qu’il rencontre et utilise peu fréquemment. L’analyse de Perfetti souligne
qu’au-delà de l’aspect quantitatif généralement estimé dans les épreuves
de vocabulaire, c’est la qualité des représentations élaborées qui sont très
certainement impliquées dans l’activité de compréhension.
Chez l’adulte, l’intégration des divers composants se traduit par une repré-
sentation à deux dimensions, l’une formelle dans laquelle sont intimement
liés les aspects orthographiques, morphologiques et phonologiques des mots,
l’autre sémantique qui intègre les significations et les aspects grammaticaux,
les deux composantes étant empiriquement dissociables mais fortement
liées. Plusieurs expérimentations, comparant les performances de lecteurs
adultes bons ou faibles compreneurs confirment la relation existant entre
la qualité des représentations lexicales et la compréhension. La synthèse de
ces travaux indique que :
1. Confrontés à des tâches d’association dans lesquelles il s’agit de décider si
deux mots d’une paire sont ou non reliés, soit sur le plan sémantique, soit
sur le plan phonologique – par exemple : « chant » et « champ » sont deux
mots homophones mais « chant » et « clan » sont non-homophones, « chien »
et « tigre » sont des associés sémantiques mais « chien » et « champ » ne le
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

sont pas – tous les adultes ont des performances comparables en termes de
réponses exactes mais les bons compreneurs sont systématiquement plus
rapides dans leurs décisions. De plus, les réponses éléctro-encéphalogra-
phiques (EEG) obtenues pour deux types d’associations sémantiques,
une association par catégorie (chien/tigre) et une association double par
catégorie et par co-occurrence (chien/chat), montrent que l’onde de néga-
tivité N400, dont l’amplitude est traditionnellement interprétée comme
une fonction de la difficulté du traitement et de l’intégration sémantique
est d’intensité légèrement plus faible chez les bons compreneurs. De plus,
l’amplitude diminue pour les paires associées par co-occurrence chez
les bons compreneurs seulement. Les bons compreneurs se distinguent
donc des plus faibles par des représentations lexicales mieux intégrées
et l’intégration des relations de co-occurrence entre les concepts semble
distinguer plus fortement les deux catégories de lecteurs adultes (Landi
et Perfetti, 2007).
2. Les bons compreneurs sont moins sensibles aux effets d’homonymie que les
compreneurs faibles. Ils jugent plus rapidement l’association sémantique
existant entre deux mots et font moins d’erreurs en présence d’homonymes.
Par exemple, si vous devez décider si « reine et chamois » ou si « gène et
104
ennui » sont des mots appartenant à la même catégorie sémantique, et
si vous êtes un faible compreneur, vous accepterez plus souvent que les
mots de chacune de ces paires sont des associés sémantiques.
3. Les bons compreneurs apprennent plus rapidement et plus précisé-
ment la signification de mots rares et la représentation orthographique
qu’ils en forment est plus stable. En effet, ils confondent moins que les
compreneurs faibles une forme orthographique déviante avec la forme
orthographique véritable de mots rares qu’ils viennent d’apprendre (par
exemple, « périptère » écrit « péruptère » ou « périptaire »).
4. Enfin, l’intégration au cours de la lecture de la signification d’un mot à
la représentation textuelle en construction diffère en fonction du niveau
de compréhension des lecteurs. Par exemple, Perfetti, Yang et Schmal-
hofer (2008) ont réalisé une expérience au cours de laquelle l’activité
electro-encéphalographique de bons et de moins bons compreneurs a
été enregistrée alors qu’ils lisaient des énoncés tels que ceux traduits
dans le tableau 3.1. Chacun de ces énoncés représente une gradation de
la difficulté à intégrer un mot (« hôpital » dans l’exemple) au texte. La
condition explicite représente la situation la plus simple, le mot cible
ayant été énoncé dans la phrase précédente ; la mise en relation des deux
énoncés, autrement dit ici, le traitement de la coréférence peut se faire
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

par appariement direct. Dans la condition paraphrase, le mot cible a été


pré-activé par une expression sémantiquement associée (« les urgences »).
La condition inférence représente une plus grande difficulté dans la
mesure où le terme cible est induit par le contexte mais la relation entre
le contexte et le mot-cible doit être établie par inférence. La condition
témoin est la plus complexe car l’idée d’hôpital n’étant pas induite dans
la première phrase, l’intégration des informations contenues dans les deux
phrases nécessite l’élaboration d’une inférence de relai (voir chapitre 4).

Tableau 3.1 : Exemple d’énoncés utilisés par Perfetti, Yang et Schmalhofer


(2008) pour mesurer l’intégration des mots à la signification du texte
(intégration « mot-texte »).

Condition Enoncé
Explicite Le bébé d’Alain était très malade. Alain mit son bébé dans la voiture et se
précipita à l’hôpital. Il y avait déjà une longue file d’attente à l’hôpital.

Paraphrase Le bébé d’Alain était très malade. Alain mit son bébé dans la voiture et se
précipita aux urgences. Il y avait déjà une longue file d’attente à l’hôpital.

Inférence Le bébé d’Alain était très malade. Alain mit son bébé dans la voiture et
démarra précipitamment. Il y avait déjà une longue file d’attente à l’hôpital.
105

Témoin Alain se précipita à son travail dès que sa femme se sentit moins malade.
L’hôpital où elle se rendit finalement était bondé.

Ces énoncés étaient présentés mot à mot, ce qui permettait d’enregistrer


l’activité EEG pour chacun des mots lus. Les analyses ont bien entendu porté
sur le mot cible (« hôpital » dans l’exemple). Les résultats montrent que les
potentiels évoqués sont sensiblement différents en fonction des conditions
expérimentales et du niveau de compréhension des individus. Pour les bons
compreneurs, on observe tout d’abord que l’onde de négativité N400 est
plus forte dans la condition témoin qui représente la condition d’intégration
la plus difficile. On observe une amplitude comparable pour la condition
inférence alors que les deux autres conditions produisent une onde N400
d’amplitude significativement plus faible, indiquant que l’intégration du mot
cible à la représentation textuelle en construction est plus facile lorsque les
références interphrastiques sont explicitées. Cette idée est renforcée par une
autre observation qui montre que dans la condition paraphrase, le mot cible
semble directement intégré au modèle de situation (observation dans cette
condition d’une onde de positivité précoce, P300, généralement interprétée
comme manifestant la connexion de deux mots sémantiquement reliés en
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

mémoire). Pour les moins bons compreneurs, l’allure générale des potentiels
évoqués est comparable à celle des bons compreneurs mais on note deux
différences importantes : d’une part, les traitements sémantiques sont plus
lents (l’onde N400 apparaît environ 50 millisecondes après) ; d’autre part,
les conditions expérimentales se distinguent moins fortement : l’amplitude
de l’onde N400 n’est pas réduite pour les deux conditions d’explicitation
et de paraphrase par rapport à la condition témoin et l’effet est plus tardif
dans la condition inférence.
L’ensemble de ces résultats conduit très certainement à la conclusion que
l’intégration de la signification des mots lus au modèle de situation est
effectuée en temps réel par les lecteurs adultes et succède immédiatement
à l’identification du mot. Ils montrent aussi que les processus lexicaux qui
conduisent à l’extraction du sens d’un mot en contexte sont plus lents et
moins efficaces chez les adultes faibles compreneurs. Sans aucun doute,
l’hypothèse de la qualité des représentations lexicales est compatible avec ces
résultats ; la précision formelle à l’origine de la stabilité des représentations
lexicales et la richesse des significations associées favorisent l’identification
des mots et leur intégration rapide au modèle de situation. Ce processus
est en outre récurrent au cours de la lecture, chaque mot étant rapidement
106 intégré au modèle de situation qui est ainsi mis à jour en continu.

Le rôle du vocabulaire dans la compréhension


en développement
Comme cela a été dit au chapitre précédent, le vocabulaire est impliqué
très tôt dans l’identification des mots, notamment dans l’identification des
mots irréguliers, mais il est aussi évidemment un maillon fondamental de
la compréhension (Muter et al., 2004 ; Nation et Snowling, 2004 ; Ouel-
lette et Beers, 2010 ; Ricketts, Nation et Bishop, 2007 ; Richter, Isberner
et al., 2013). Son étendue (la quantité de mots dont on peut reconnaître
la signification) et la qualité des représentations lexicales explique une part
significative et importante des performances de compréhension (de 10 %
à 20 % de la variance environ en fonction de l’âge et des recherches), au
moins à partir de huit ou neuf ans, (Ouellette, 2006 ; Poulsen et Elbro,
2013 ; Ricketts, Nation et Bishop, 2007 ; Verhoeven et Van Leeuwe, 2008).
L’état actuel des connaissances reconnaît le rôle fondamental que joue le
vocabulaire mais souligne aussi que son bon développement ne garantit pas
l’accès à la compréhension des textes – il est autrement dit une condition
nécessaire mais non suffisante de la compréhension. Les relations que le
vocabulaire entretient avec la compréhension doivent être pensées entre
termes de réciprocité plutôt que dans les termes d’une linéarité causale stricte.
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Le vocabulaire, un prédicteur essentiel de la compréhension


Le poids des représentations lexicales dans la compréhension avait déjà été
souligné par Nation et Snowling (1998, 1999) qui avaient proposé qu’une
des sources de difficultés des enfants faibles compreneurs résidait dans le fait
que leurs connaissances sémantiques sont moins bien organisées que celles des
enfants bons compreneurs. Cette hypothèse, dite du déficit sémantique, est
proche de l’hypothèse de la qualité des représentations lexicales et a été testée
dans une série d’expériences réalisées auprès d’enfants de neuf ans, de niveaux
logique et de décodage équivalents. Nation et Snowling (1998) ont ainsi pu
montrer que les enfants faibles compreneurs obtenaient les mêmes perfor-
mances que les bons compreneurs dans des tâches de jugement phonologique
mais étaient systématiquement plus faibles dans des tâches de jugement et de
fluence sémantique, ce que montre le tableau 3.2 : lorsqu’il s’agit de décider
si deux mots sont synonymes, les faibles compreneurs font plus d’erreurs et
leurs décisions sont plus lentes ; ils produisent aussi presque deux fois moins
d’associées sémantiques que les bons compreneurs dans la tâche de fluence.

Tableau 3.2 : Performances obtenues à des tâches sémantiques


et phonologiques par des bons et faibles compreneurs de neuf ans
(d’après Nation et Snowling, 1998). 107

Tâches sémantiques :
Jugement de synonymie : « ces mots ont-ils le même sens ? »
bateau/navire ; calme/tranquille ; livre/laine ?
Fluence sémantique : dire autant de mots associés à une catégorie que possible en
60 secondes : Animal ? vêtement ? …
Tâches phonologiques :
Jugement de rimes : « ces mots riment-ils ? »
bateau/drapeau ; tranquille/facile ; chapeau/lunettes ?
Fluence phonologique : dire autant de mots rimant avec le mot donné que possible en
60 secondes : rose ? ballon ? …
Résultats Faibles compreneurs Bons compreneurs
Synonymes
Nombre moyen d’erreurs 1.42 (1.36) 0.65 (0.77)
Temps moyen de réponse (ms) 939.94 (460.93) 682.36 (212.87)
Fluence sémantique
Nombre moyen de mots produits 28.19 (7.5) 42.25 (7.14)
Rimes
Nombre moyen d’erreurs 0.26 (0.61) 0.39 (0.61)
Temps moyen de réponse (ms) 629.9 (278.5) 583.9 (219.6)
Fluence phonologique
Nombre moyen de mots produits 27.19 (8.83) 28.25 (9.14)
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Plus récemment, l’hypothèse de qualité lexicale a été examinée avec des


enfants de langue allemande scolarisés de la première à la quatrième année
d’école primaire (Richter, Isberner et al., 2013). L’exactitude et la rapidité
d’accès aux aspects phonologiques, orthographiques et sémantiques des mots
ont été évaluées à chacun des niveaux scolaires avec un groupe indépendant
d’élèves et la relation entre les performances lexicales et la compréhension en
lecture a été analysée. Bien entendu, l’exactitude et la rapidité avec laquelle
les enfants accèdent à chacune des composantes de la représentation lexicale
augmentent avec le niveau scolaire, celui-ci expliquant 20 % des différences
de performance en compréhension. Cependant, les indicateurs de qualité
lexicale rendent entièrement compte de cet effet et expliquent ensemble
environ 60 % de la variabilité des performances. Les relations entre les
trois indicateurs et la compréhension se révèlent en outre stables aux quatre
niveaux scolaires. Une modélisation structurale tenant compte de l’exactitude
et de la rapidité de l’accès aux représentations montre que la composante
sémantique médiatise partiellement l’influence des aspects orthographiques
et phonologiques sur la compréhension des textes (figure 3.1). L’exactitude
et la rapidité de l’accès aux significations sont deux aspects complémentaires
de l’efficience verbale (Perfetti, 1985) et chacun d’eux prédit une part signi-
108 ficative et indépendante de la compréhension, les effets de l’exactitude étant
cependant beaucoup plus importants. La rapidité d’accès aux significations
médiatise entièrement la rapidité d’accès aux composants phonologiques
et orthographiques. En revanche, l’exactitude de l’accès aux significations
médiatise fortement mais partiellement les effets de l’exactitude des trai-
tements phonologiques et orthographiques. La relation directe observée
entre la compréhension et la précision des traitements phonologiques et
orthographiques est par ailleurs tout à fait compatible avec l’hypothèse de
qualité lexicale, ces aspects non sémantiques de la représentation pouvant
être impliqués dans les aspects formels, syntaxiques notamment, du traite-
ment des énoncés.
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Figure 3.1 : Relations structurales entre la vitesse (RT) et l’exactitude (E)


de l’accès aux composants des représentations lexicales
et la compréhension des textes (d’après Richter, Isberner et al., 2013).

Ces résultats confirment que des représentations sémantiques de qualité


sont essentielles à la compréhension. Le caractère médiateur du composant
sémantique apporte également un élément d’explication aux raisons pour
lesquelles les difficultés de compréhension peuvent être liées à un déficit
sémantique sans pour autant que des difficultés puissent être observées dans 109
le traitement des aspects formels des mots, comme l’avaient mis en évidence
Nation et Snowling (1998). Par ailleurs, des représentations sémantiques mal
différenciées pourraient être à l’origine de certaines difficultés d’inhibition
des significations inappropriées à la situation, souvent constatées chez les
faibles compreneurs adultes mais aussi chez les jeunes enfants de cinq ans
(Huang et Snedeker, 2011 ; Gernsbacher, Varner et Faust, 1990). L’une
des hypothèses serait que les faibles compreneurs ont plus de difficultés à
activer les significations, et ce défaut d’activation expliquerait pourquoi des
significations hautement accessibles mais non adaptées au contexte pour-
raient n’être pas inhibées par les faibles compreneurs (Henderson, Snowling
et Clarke, 2013). Cette hypothèse repose sur l’observation de difficultés
spécifiques des enfants faibles compreneurs âgés d’une dizaine d’années à
activer rapidement la signification subordonnée d’un mot polysémique (la
signification « modèle » du mot patron dans la phrase « la couturière prépare
le patron d’une nouvelle robe » par exemple) et par voie de conséquence à
inhiber la signification surordonnée qui reste plus directement accessible,
même lorsque le contexte contredit sa sélection.
Malgré l’attention particulière portée au vocabulaire, son influence dans la
compréhension au tout début de l’apprentissage de la lecture reste encore
mal comprise. Si certains travaux trouvent que le vocabulaire oral prédit
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

significativement les habiletés de compréhension en lecture (Dickinson et al.,


2003 ; Muter et al., 2004 ; Richter et al., 2013 ; Schatschneider et al., 2004 ;
Vadasy et al., 2008 ; Verhoeven et al., 2011), ces recherches ont aussi la parti-
cularité d’avoir estimé les habiletés de langage oral à partir de la seule mesure
de l’étendue du vocabulaire des enfants. Parmi les recherches qui ont évalué
le langage oral avec des indicateurs supplémentaires, plusieurs ont échoué à
mettre en évidence un effet du vocabulaire, indépendamment de celui de la
compréhension orale d’histoire chez les enfants de cours préparatoire (Bianco,
Pellenq et al., 2012 ; NICHD, 2005 ; Ouellette et Beers, 2010 ; Ricketts,
Nation et Bishop, 2007 ; Verhoven et van Leeuwe, 2008). Le travail présenté
par Ouellette et Beers (2010) illustre bien ce problème et montre aussi les
changements qui surviennent dans la contribution des différentes habiletés
langagières au cours du développement. Ces auteurs ont évalué les perfor-
mances d’enfants de cours préparatoire (âge moyen, six ans et sept mois) et
de sixième (âge moyen, onze ans et neuf mois) sur un nombre important de
précurseurs de la lecture et de la compréhension : la conscience phonologique,
les capacités de décodage, la lecture de mots irréguliers, la compréhension
orale d’histoires, la compréhension en lecture de courts paragraphes et le
vocabulaire. Deux mesures de vocabulaire ont permis d’estimer son étendue
110 à travers un test classique de reconnaissance (choisir parmi quatre images,
celle qui correspond au mot énoncé par l’expérimentateur) et sa profondeur
à partir d’un exercice de définition. Cette dimension de profondeur peut être
considérée comme une caractérisation de la qualité de la représentation. Les
résultats analysés par des régressions hiérarchiques (voir tableau 3.3) permettent
d’observer la contribution de chacune des habiletés à la compréhension en
lecture en fonction du niveau scolaire des enfants.
Conformément à ce qui a déjà été dit, les habiletés liées au code expliquent
la plus grande part des différences interindividuelles de compréhension en
lecture au cours préparatoire. Parmi les autres habiletés, seule la compré-
hension orale d’histoire prédit significativement, bien que plus faiblement,
les performances. Aucune des deux mesures de vocabulaire n’explique la
compréhension au CP. En sixième, l’image est tout à fait différente puisque
le décodage n’est plus une capacité prédictive de la compréhension, une fois
la contribution de la conscience phonologique contrôlée. La valeur prédic-
tive de la compréhension orale est deux fois plus importante qu’au cours
préparatoire ; la lecture des mots irréguliers, c’est-à-dire les connaissances
orthographiques et l’étendue du vocabulaire deviennent des prédicteurs
décisifs en début de collège, montrant bien l’importance grandissante des
représentations lexicales dans la compréhension.
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Tableau 3.3 : Contribution des habiletés de lecture, du vocabulaire


et de la compréhension orale aux performances de compréhension en lecture
(d’après Ouellette et Beers, 2010).

Variance
expliquée ∆R² β
(R²)
CP
Conscience phonologique .454 .454*** .171
Décodage .658 .204*** .372**
Mots irréguliers .712 .054*** .326**
Compréhension orale .737 .025* .123
Vocabulaire (étendue) .748 .011 .170
Vocabulaire (profondeur) .750 .002 -.062
Sixième
Conscience phonologique .176 .176*** .343***
Décodage .215 .039 .077
Mots irréguliers .341 .126** .099
Compréhension orale .399 .058* .045
Vocabulaire (étendue) .552 .153*** .487***
Vocabulaire (profondeur) .561 .009 .127

* p<.05 ; ** p<.01 ; *** p<.001


111

Le vocabulaire, un composant essentiel mais non suffisant


Les recherches corrélationnelles ont mis en évidence des relations toujours
positives et significatives entre la compréhension et les compétences en
vocabulaire mais l’ampleur varie fortement en fonction des études et de l’âge
des enfants, les corrélations augmentant en général avec l’âge (entre .30 et
.80 selon Tannenbaum, Torgesen et Wagner, 2006 ; Torgesen, Wagner,
Rashotte et al., 1997). Comme cela a été mentionné plus haut, le vocabulaire
explique par ailleurs 10 % à 20 % des performances en compréhension, ce
qui laisse penser que d’autres connaissances et mécanismes doivent être pris
en considération, ce que confirment les recherches relatives aux difficultés
spécifiques des faibles compreneurs.
Quelques chercheurs ont mis au point des dispositifs expérimentaux afin
d’étudier comment les enfants d’école primaire, bons ou moins bons
compreneurs, apprennent des mots nouveaux (Cain, Oakhill et Lemmon,
2004 ; Ricketts, Bishop et Nation, 2008, 2009 ; Nation, 2009). La plupart
de ces études ont impliqué des enfants de huit à dix ans et deux dispo-
sitifs principaux ont été utilisés ; le premier, le plus classique, consiste à
réaliser un apprentissage associatif entre la forme phonologique et/ou
orthographique d’une liste de mots très rares (ou plus souvent une liste de
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

pseudo-mots) et sa signification. Le second dispositif consiste à insérer le


mot inconnu ou le pseudo-mot, dans un paragraphe et à examiner la capacité
des enfants à inférer son sens à partir du contexte. Les résultats obtenus à
partir du premier dispositif montrent qu’à niveau de décodage équivalent,
les compreneurs faibles apprennent aussi bien que les bons compreneurs
à associer la forme phonologique à la forme orthographique d’un mot
nouveau (Ricketts et al., 2008). En revanche, les faibles compreneurs ont
des difficultés à inférer le sens d’un mot nouveau à partir du contexte et à
mémoriser les significations inférées sur le long terme (Cain et al., 2004 ;
Ricketts et al., 2008). Par exemple, Cain et ses collaborateurs (2004) ont
confronté à deux tâches, trois groupes d’enfants : bons compreneurs (BC),
compreneurs faibles sans difficulté en vocabulaire (CFV+) et compreneurs
faibles avec difficulté en vocabulaire (CFV-). La première tâche consistait
à apprendre directement la signification d’un pseudo-mot (par exemple,
« sur la planète Y, une petite balle s’appelle une “wut” »). Une mesure de la
facilité avec laquelle les enfants apprenaient les mots nouveaux était estimée
en enregistrant le nombre d’essais nécessaires pour retenir parfaitement leur
signification. La seconde tâche consistait à introduire un pseudo-mot dans
un paragraphe et à demander aux enfants d’en dériver le sens probable. La
112 distance qui sépare le mot à comprendre des informations contextuelles
pertinentes pour inférer sa signification était manipulée, comme cela est
illustré dans le tableau 3.4.

Tableau 3.4 : Exemple d’un texte utilisé pour inférer le sens d’un mot
à partir du contexte (Cain et al., 2004).

Introduction Lucie se préparait à sortir son chien Ben dans le parc. Il fallait
d’abord qu’elle trouve la « wut » de Ben.*

Contexte donnant les Son père lui suggéra de prendre un ballon de football mais cela
informations permet- n’allait pas. Leur ballon était beaucoup trop gros pour Ben. De plus,
tant de dériver le sens il était abimé et ne rebondissait plus.

Texte interférent (placé Elle chercha dans toute la maison, même dans la cuisine. Elle
au niveau de *, dans la trouva toutes sortes de choses : son bandeau pour les cheveux
condition « éloignée » perdu depuis un mois, un livre à rendre à la bibliothèque et même
les lunettes de sa grand-mère !

Conclusion Lucie pensa qu’elle devait être plus ordonnée désormais.

Question « À ton avis, que signifie “wut ?” La question est posée deux fois :
à la fin de la première phrase et à la fin du texte.
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Dans la tâche d’apprentissage direct, seul le groupe CFV- a besoin de


plus d’essais pour mémoriser la relation entre la forme phonologique et la
signification du mot inconnu. Les deux autres groupes ayant un niveau de
vocabulaire comparable (CFV+ et BC) apprennent cette association avec
la même facilité. Dans la tâche d’inférence en revanche, les deux groupes
de faibles compreneurs (CFV+ et CFV-) obtiennent des performances plus
faibles que le groupe de bons compreneurs. De plus, la distance qui sépare
le mot à comprendre des informations pertinentes n’a pas d’incidence
sur la capacité des enfants du groupe BC à inférer la signification du mot
inconnu ; ils dérivent avec autant de facilité sa signification dans les deux
conditions contextuelles, « proche » et « éloigné ». Il n’en va pas de même
pour les faibles compreneurs qui infèrent près de deux fois moins souvent la
signification du mot nouveau dans la condition « éloignée ». En conclusion,
cette recherche montre que les deux groupes de faibles compreneurs ont des
difficultés comparables à utiliser les informations textuelles pour inférer le
sens d’un mot inconnu, mais que seul le groupe ayant un vocabulaire faible
(CFV-) a des difficultés d’apprentissage explicite d’un vocabulaire nouveau.
Il existe donc une relative indépendance entre les connaissances en vocabu-
laire et les habiletés de compréhension, ce que confirment des analyses de 113
régression hiérarchiques : celles-ci montrent que seul le niveau de vocabulaire
explique l’aisance avec laquelle les enfants apprennent explicitement des
mots nouveaux alors que les performances en compréhension représentent
le prédicteur principal de la capacité à inférer des significations en contexte,
notamment dans la condition « éloignée ».

Vocabulaire et compréhension : un développement réciproque


Les recherches exposées jusqu’ici montrent que le vocabulaire est incontesta-
blement une dimension essentielle mais non suffisante de la compréhension
des textes. Les résultats de l’expérimentation de Cain et de ses collaborateurs
en particulier font écho à un constat que tout compreneur expert a pu faire
au fil de ses lectures : lorsqu’il est confronté à des textes qui contiennent
un nombre relativement important de mots inconnus ou mal connus, un
compreneur expert est néanmoins capable de construire une représentation
partielle des idées énoncées, et cette représentation, même sommaire, four-
nit un contexte lui permettant d’inférer la signification de certains mots
inconnus, ce que l’on peut sans aucun doute faire à partir de cet extrait :
« En cestui temps, qui fut la saison des vendanges au commencement
d’automne, les bergers de la contrée étaient à garder les vignes, et empêcher
que les étourneaux ne mangeassent les raisins. Auquel temps, les fouaciers
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

de Lerné passaient le grand carroi, menant dix ou douze charges de fouaces


à la ville. Lesdits bergers les requirent courtoisement leur en bailler pour
leur argent, au prix du marché. Car notez que c’est viande céleste manger à
déjeuner raisins avec fouace fraîche, mêmement des pineaux, des fiers, des
muscadeaux, de la bicane. À leur requête ne furent aucunement enclinés
les fouaciers, mais qui pis est, les outragèrent grandement, les appelant trop
d’iteux, brèche-dents, plaisants rousseaux, galliers, averlans, limes sourdes,
fainéants, friandeaux, bustarins, talvassiers, rien-ne-vaut, rustres, chalands,
happe-lopins, traîne-gaines, gentils tézés, gaubregeux, goguelus, claquedents
et autres tels épithètes diffamatoires…. » (F. Rabelais, Gargantua, livre XXVI).
Le vocabulaire et les connaissances sémantiques associées entretiennent
donc des liens de réciprocité complexes avec la compréhension en lecture,
le vocabulaire pouvant être, tour à tour et tout autant une cause et une
conséquence de la compréhension des textes (Nation, 2009 ; Cain et Oakhill,
2012 ; Oakhill, Cain et al., 2013). On sait depuis longtemps que la pratique
intensive de la lecture est un vecteur majeur du développement des connais-
sances lexicales (Nagy, Anderson et Herman, 1987 ; Stanovich, 1986) grâce
aux mécanismes d’apprentissage implicite (ou d’autoapprentissage) qu’elle
suscite (voir chapitre 5). Par exemple, l’apprentissage de la signification de
114 mots nouveaux rencontrés de manière répétée dans des textes lus par des
enfants de huit ans dépend à la fois des performances qu’ils ont obtenues
à un test de vocabulaire oral et à une épreuve de compréhension en lecture
(Ricketts, Bishop, Pimperton et Nation, 2011). En suivant 2 790 enfants
néerlandais du cours préparatoire jusqu’en sixième, Verhoeven, Van Leeuwe
et Vermeer (2011) ont apporté une confirmation de ces relations fortes
et réciproques. Dans cette recherche, l’évolution des capacités de lecture
et de vocabulaire a été évaluée périodiquement à deux reprises durant les
deux premières années de primaire (à l’automne et au printemps) puis une
fois par an (printemps) les années suivantes. La compréhension en lecture
a été évaluée une fois par an (au printemps) à partir de la deuxième année
(CE1). Les relations observées entre les trois variables confirment le rôle
central du vocabulaire et mettent en évidence des influences croisées entre
le vocabulaire et l’apprentissage de la lecture d’une part et le développement
de la compréhension d’autre part. On observe, en début d’apprentissage
notamment, un effet prédictif du vocabulaire sur le décodage, puis entre
le CE1 et le CE2, des relations réciproques, le niveau de vocabulaire en
début de CE1 prédisant le décodage en fin d’année qui lui-même prédit le
vocabulaire en CE2. Toutefois et bien que significatives, ces relations sont
d’amplitude faible. En revanche, les associations entre le vocabulaire et la
compréhension sont beaucoup plus fortes et le vocabulaire en début de CE1
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

prédit la compréhension en lecture en fin d’année qui elle-même prédit le


vocabulaire en CE2, lui-même prédisant la compréhension en CM1. En
fin d’école primaire, le vocabulaire estimé en cinquième année prédit la
compréhension en sixième.
Ces liens de réciprocité entre les représentations lexicales et la compréhension
ressemblent à s’y méprendre à ceux qui unissent la conscience phonologique
et le décodage au tout début de l’apprentissage de la lecture. Ils incitent
à considérer que l’apprentissage de la compréhension tout au long de la
scolarité primaire doit être pensé en interaction avec le développement du
langage oral (voir chapitre 5). Les recherches qui viennent d’être discu-
tées soulignent que le vocabulaire occupe une place fondamentale dans
l’explication des performances en compréhension des textes mais qu’il ne
représente cependant qu’un aspect des habiletés de langage oral impliquées,
les compreneurs faibles ne présentant pas tous un déficit en vocabulaire.

Les connaissances morphologiques et syntaxiques


et la compréhension des phrases isolées
La compréhension des phrases isolées est très souvent utilisée comme un
indicateur du niveau syntaxique du traitement du langage. Les recherches 115
en psychologie, et notamment celles qui tentent de décrire la contribution
des différents niveaux d’analyse linguistique à la compréhension des textes
utilisent des épreuves de compréhension de phrases isolées manipulant la
complexité des structures syntaxiques afin d’estimer la contribution de
la syntaxe à la compréhension des textes. L’analyse syntaxique représente
évidemment un premier niveau d’intégration des informations lues ou
entendues, en ce qu’elle permet de lier entre eux les mots à l’intérieur de
la phrase et de déterminer certains contenus sémantiques (les temps, les
modes et les voies du discours, la reconnaissance des fonctions syntaxiques
et des rôles sémantiques qu’elles portent). Toutefois, si l’on considère
que le niveau syntaxique du langage concerne exclusivement les règles de
combinaison des unités lexicales, la compréhension des phrases isolées ne
représente qu’une approximation des traitements syntaxiques sous-jacents.
Comprendre une phrase repose bien entendu sur la prise en considération
d’indices purement syntaxiques tels que l’ordre des mots et la connaissance
de leurs agencements licites – en français par exemple, le sujet syntaxique
est toujours exprimé sauf dans le cas particulier de l’impératif – mais repose
aussi sur le traitement d’indices de niveaux morphologiques, sémantiques et
pragmatiques. La morphologie notamment, que la linguistique traditionnelle
associe à la syntaxe pour former la grammaire d’une langue (Fuchs, 2015),
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

est intimement liée aux connaissances lexicales d’une part et à la syntaxe


d’autre part. En effet, les morphèmes lient la forme des mots à leur sens, à
leur nature et à certaines de leurs fonctions ; ainsi, le suffixe « -eur » marque
un substantif masculin qui en tant que tel peut occuper une fonction de
sujet ou de complément et être associé à un rôle sémantique d’agent ou
d’objet. En revanche, un tel mot ne peut pas prétendre à une fonction
verbale. À l’inverse, « -nt, -ait, -rai » en fin de mot sont des marques de
flexion propres aux verbes qui donnent un certain nombre d’indications
sur les temps et les modes du discours et permettent d’assigner une
nature et une fonction à l’unité lexicale qui les porte. Les connaissances
morphologiques et syntaxiques sont donc imbriquées dans le traitement
des phrases et il est probablement plus exact de parler de morphosyntaxe
que de syntaxe lorsque l’on fait référence à la compréhension de phrases
isolées. En outre, si l’on accepte l’hypothèse de qualité lexicale, il est tout
aussi probable que le développement des connaissances syntaxiques soit
lié à celui du vocabulaire et de la morphologie. Cette évidente interdé-
pendance entre les niveaux morphologique et syntaxique explique en
partie que l’on sache encore très mal comment les enfants prennent en
considération l’ensemble des indices morphosyntaxiques et les intègrent à
116 leur activité de compréhension au cours du développement et que l’on ne
sache pas non plus si, et comment les traitements syntaxiques contribuent
indépendamment des autres traitements linguistiques à la compréhension
des phrases et des textes. Une seconde raison à cette méconnaissance est
certainement à chercher du côté de l’école chomskyienne qui a marqué les
études en syntaxe depuis un demi-siècle, comme nous le verrons plus loin.

Connaissances morphosyntaxiques, compréhension de phrases


et compréhension de textes
Des recherches anciennes avaient mis en évidence que les enfants jeunes
et/ou faibles lecteurs éprouvaient des difficultés avec certains traitements
morphosyntaxiques complexes et que la maîtrise des aspects syntaxiques et
métasyntaxiques du langage n’était pas achevée avant l’adolescence (Bronckart
et al., 1983 ; Gombert, 1990 ; Lecocq, Casalis et al., 1996). Les difficultés
étaient tout particulièrement apparentes dans le traitement des structures
complexes telles que les constructions relatives et/ou passives mais aussi dans
celui des marques flexionnelles, écrites notamment (Crain et Shankweiler,
1988 ; Fayol, 2014). Les recherches ultérieures qui ont comparé les perfor-
mances des bons et moins bons compreneurs sont arrivées à des conclusions
contradictoires ; certains résultats suggèrent que les faibles compreneurs
pourraient avoir des capacités de traitement morphosyntaxique préservées,
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

qu’il s’agisse d’enfants (Yuill et Oakhill, 1991 ; Cain et al., 2005) ou de


jeunes adultes (Long et al., 1997) ; à l’inverse, d’autres travaux ont trouvé
que les faibles compreneurs avaient des performances plus faibles que les
bons compreneurs, à huit ans (Catts et al., 1999 ; Nation, Clarke, Marshall
et Durand, 2004) comme à 14 ans (Catts et al., 2006). Les résultats des
recherches longitudinales revues au chapitre précédent sont eux aussi ambi-
gus. Certains indiquent que contrairement au vocabulaire, la compréhension
de phrases isolées ne joue pas de rôle spécifique dans la compréhension de
textes présentés à l’oral chez les enfants de cinq ans (Florit et al., 2013).
Les compétences morphosyntaxiques précoces ne prédisent pas non plus
la compréhension en lecture à sept ans et demi, une fois le vocabulaire et
les performances intellectuelles générales contrôlés mais elles deviennent
explicatives de la compréhension à 8 ; 6 ans (Oakhill et al., 2003).
D’autres études ont mesuré le développement métasyntaxique en propo-
sant aux enfants des tâches de jugement et de correction grammaticale. Là
encore les résultats sont contradictoires. Demont et Gombert (1996) par
exemple, ont trouvé que les performances métasyntaxiques prédisent plus
fortement les performances en compréhension en lecture que les capacités
de décodage d’un groupe d’enfants français suivis de 5 ; 7 ans à 8 ; 8 ans.
117
Muter et ses collaborateurs (2004) ont obtenu des résultats comparables
avec des enfants anglais de six ans. Toutefois, d’autres recherches n’ont
pas montré de contribution directe et spécifique des performances méta-
syntaxiques à la compréhension en lecture chez des enfants de deuxième
et troisième année d’école primaire et de début de collège, une fois les
habiletés sémantiques (vocabulaire) et les habiletés phonologiques contrô-
lées (Blackmore et Pratt, 1997 ; Bowey et Patel, 1988 ; Gottardo et al.,
1996, Vellutino et al., 2007). Enfin, certains mettent en évidence un effet
localisé à un moment donné de l’acquisition de la lecture. Par exemple,
Ecalle, Magnan et Bouchafa (2009) ont observé que les connaissances
métasyntaxiques expliquent une part significative de la compréhension
en lecture au CE1 et au CE2 mais ne sont plus une dimension explicative
des performances au cours moyen.
S’il semble a priori évident que l’analyse morphosyntaxique constitue une
dimension importante de l’activité de compréhension du langage, il est tout
aussi évident de ce qui précède qu’on ne sait pas bien décrire les relations
qu’entretiennent le développement de ces connaissances et la compréhen-
sion en lecture.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

L’influence de Chomsky et les recherches


sur le développement syntaxique
L’immense influence qu’ont exercé les conceptions de Chomsky (1969,
1981) dans ce domaine n’est certainement pas étrangère à l’état des lieux
résumé ci-dessus. En effet, les recherches sur le niveau syntaxique ont été
marquées, plus encore que les autres niveaux langagiers par les positions
modularistes et innéistes. En d’autres termes, la compétence grammaticale
émergeant selon Chomsky, de dispositions biologiques innées, elle est
acquise naturellement pendant la petite enfance lorsque l’enfant apprend à
parler sa langue maternelle ; elle serait donc tout aussi naturellement mise au
service de la compréhension en lecture une fois les difficultés de décodage
surmontées. En outre, l’hypothèse d’une autonomie de la syntaxe par rapport
aux autres niveaux du traitement langagier a longtemps été défendue. Cette
position est illustrée par l’hypothèse du « Garden-path » (Frazier et Rayner,
1982 ; Frazier, 1987) selon laquelle les individus procèdent à l’analyse
syntaxique des énoncés au fur et à mesure de la lecture ou de l’audition
d’une phrase, en dérivant sa structure selon les principes de « l’attachement
minimal ». Autrement dit, les phrases sont d’emblée analysées conformément
au patron syntaxique prototypique « sujet-verbe-objet » et/ou rattachées à
118
l’arbre syntaxique qui permet la construction la plus simple (ou qui nécessite
l’insertion d’un nombre minimum de liaisons). Cette hypothèse a été testée
en examinant le comportement des individus confrontés à la compréhension
d’énoncés syntaxiquement ambigus. Par exemple, en français et à l’oral, « /l e
pilot syrpri/ » est syntaxiquement ambigu, /syrpri/ pouvant être à la fois le
participe passé ou la forme fléchie du passé simple du verbe « surprendre ».
On a généralement observé que l’énoncé « /l pilot syrpri l kopilot/ (le
e e
pilote surprit le copilote) » est plus facilement compris que l’énoncé « /l e
pilot syrpri par l kopilot/ (le pilote surpris par le copilote) », ce qui a été
e
interprété comme la manifestation d’une analyse syntaxique immédiate et
compatible avec la structure canonique « SVO », conduisant à l’interprétation
du mot « /syrpri/ » dans sa fonction verbale. De la même manière, la phrase
« le pilote surprit le copilote avec une arme » est plus difficile à comprendre
que la phrase « le pilote surprit le copilote armé ».
Dans une revue des recherches chez l’adulte, Pickering et Van Gompel
(2006) concluent plus généralement que la majorité des travaux sont restés
centrés sur des questions relativement classiques, cherchant à déterminer
les paramètres qui influencent le traitement syntaxique, le débat sous-
jacent renvoyant toujours à la question de l’autonomie et du caractère
spécifique et abstrait de la syntaxe par rapport aux autres dimensions du
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

langage. Les mêmes auteurs concluent aussi que les données actuelles
permettent d’affirmer que les explications exclusivement modularistes des
traitements syntaxiques ne sont pas correctes et que nous nous appuyons,
dès l’initialisation du traitement, sur des données multiples provenant de
sources différentes (lexicales, sémantiques, pragmatiques, etc.). Pour autant,
les recherches montrent aussi que des connaissances abstraites relatives à
la structure syntaxique jouent un rôle spécifique dans la compréhension
et la production des phrases. Les auteurs concluent que la syntaxe n’est
donc pas réductible à un ensemble de contraintes corrélées telles que la
fréquence des constructions syntaxiques ou des fonctions syntaxiques des
mots (« ferme » est plus fréquemment employé comme une forme verbale
que comme un substantif), la plausibilité sémantique « /l dosje parkury/
e
(le dossier parcouru…) » induit une analyse syntaxique différente de celle
qui sera privilégiée par l’expression « /l polisje parkury…/ (le policier
e
parcourut…) » ou le contexte discursif (la phrase « la petite brise la glace »
répond à une structure syntaxique et à une signification différente en fonc-
tion du contexte dans lequel elle est énoncée). En effet, on a pu mettre en
évidence, chez les adultes, des effets d’amorçage syntaxique indépendants
des traitements sémantiques en enregistrant les mouvements oculaires
(Thothathiri et Snedeker, 2008) et l’activité électro-encéphalographique 119
(Ledoux, Traxler et Swaab, 2007) d’individus engagés dans l’interprétation
d’une phrase. Ces effets d’amorçage sont par ailleurs très comparables à
ceux qui sont observés chez les jeunes enfants, comme nous allons le voir
maintenant.
Le même débat parcourt depuis plusieurs décennies les recherches sur le
développement (Kail et Fayol, 2000 ; Karmiloff et Karmiloff-Smith, 2003).
On assiste toujours à des controverses entre les tenants de l’approche
syntaxique, modulaire et innée de l’acquisition du langage (Lidz, Waxman
et Freedman, 2003 ; Lidz et Gleitman, 2004) et les tenants d’une explication
constructiviste, ancrée dans l’expérience et l’usage (Bybee, 1995 ; Kuhl et
al., 2008b, Langacker, 1987 ; Tomasello, 2003b). L’une des conséquences
de ce débat a été de susciter de très nombreuses recherches centrées sur
le développement syntaxique précoce (de un à trois ans) mais un relatif
désintérêt pour le développement plus tardif et l’étude des relations entre ce
développement et l’apprentissage formel de la langue écrite. Les recherches
récentes dans le domaine du développement précoce apportent toutefois
des résultats qui mettent l’accent sur le caractère hautement interactif du
système langagier et qui méritent d’être illustrés rapidement. En utilisant des
techniques de recueil de données comportementales, mais aussi neuropsy-
chologiques, ils indiquent tout à la fois que les enfants répondent très jeunes
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

à des structures syntaxiques relativement abstraites mais que ces structures


ne sont probablement pas, à leur origine, indépendantes du développement
langagier général et du vocabulaire en particulier (Bates, 1998).
Les travaux de Tomasello et de son équipe sont emblématiques de cette
conception. Une de leurs expérimentations a consisté à utiliser une technique
d’amorçage afin d’étudier l’autonomie des représentations syntaxiques et des
représentations lexicales (Savage, Lieven, Theakston et Tomasello, 2003).
La tâche consistait à faire entendre une phrase amorce à des enfants de trois,
quatre et six ans qui devaient la répéter en même temps qu’ils regardaient
une image illustrant l’action (par exemple : un ballon retenu dans un filet de
basketball) ; on leur présentait ensuite une autre image et les enfants devaient
exprimer par une phrase l’action illustrée (par exemple, image d’un vase cassé
par un marteau). La structure syntaxique et le recouvrement lexical entre la
phrase amorce et la phrase cible attendue étaient manipulés. Les amorces
étaient soit actives (le filet a retenu le ballon), soit passives (le ballon a été
retenu par le filet) ; dans l’exemple ci-dessus, le recouvrement lexical est
faible au sens où les noms des objets et le verbe énoncé dans l’amorce sont
différents de ceux qui sont attendus dans la phrase cible (le marteau a cassé
120 le vase/le vase a été cassé par le marteau). Le recouvrement lexical était plus
fort lorsque les deux noms de l’amorce étaient pronominalisés (il l’a retenu/
il a été retenu par ceci). Les auteurs observent qu’à tous les âges les enfants
produisent plus de formes actives que de formes passives ce qui est un résultat
attendu, les constructions passives n’étant maîtrisées que tardivement au
cours du développement (Berman, 2004 ; Scott, 1988 ; 2004). Toutefois, les
effets d’amorçage sont différents en fonction de l’âge : les enfants de trois et
quatre ans produisent des phrases dont la structure syntaxique est comparable
à celle de la phrase amorce, seulement si le recouvrement lexical de l’amorce
est élevé ; en d’autres termes, les enfants produisent plus de constructions
actives si l’amorce est active et pronominalisée et ils produisent plus de
phrases passives si l’amorce est passive et pronominalisée. L’effet d’amorçage
chez les jeunes enfants est donc directement lié au recouvrement lexical
entre l’amorce et la cible attendue et non pas à la structure syntaxique de
l’amorce. À six ans, en revanche, l’effet d’amorçage est clairement syntaxique
et les enfants produisent des énoncés de structure syntaxique conforme à
celle de l’amorce quel que soit le recouvrement lexical. Pour Savage et al.,
(2003), ces résultats indiquent qu’entre trois et quatre ans, les représenta-
tions syntaxiques sont encore en construction et qu’elles sont très liées au
lexique. Les enfants de six ans ont quant à eux des représentations syntaxiques
plus abstraites qui peuvent être activées indépendamment des propriétés
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

lexicales de l’énoncé. Le développement syntaxique est donc progressif et


l’abstraction graduelle. Les représentations syntaxiques dont disposent les
enfants à un âge donné possèdent très certainement un degré d’abstraction
variable, qui dépend à la fois de la complexité de la structure syntaxique en
question mais aussi de leur expérience ou de leur familiarité avec telle ou
telle construction. L’acquisition de chacune des multiples formes syntaxiques
d’une langue n’est donc pas homogène. Au contraire, chaque structure est
plus probablement acquise à travers un processus récurrent, conduisant à
la cohabitation de formes de niveaux d’abstraction différents à un moment
donné et pour un individu donné (Karmiloff-Smith, 1992). Autrement dit,
la sensibilité aux contraintes syntaxiques dépend de l’âge mais aussi du type
de structure étudiée. Les indicateurs recueillis ont également leur importance
en ce que les capacités syntaxiques observées chez les très jeunes enfants
dépendent aussi de la mesure utilisée. En effet, des traitements syntaxiques
relativement abstraits peuvent être mis en évidence très précocement,
comme l’illustrent les deux exemples suivants. Tout d’abord, Thothathiri
et Snedecker (2008) ont repris, avec quelques aménagements, le paradigme
d’amorçage utilisé par Savage et al. (2003) : la structure syntaxique testée
concerne la structuration du datif qui en anglais peut prendre deux formes :
1. la forme « Verbe, XY », « x » et « y » représentant les arguments du verbe, 121
par exemple, « give the dog the bone » et 2. la forme « Verbe, X to Y » par
exemple, « give the bone to the dog ». Il s’ensuit que les structures datives en
anglais sont localement ambiguës. Ainsi, « give the dog… » est localement
ambigu, « the dog » pouvant être interprété temporairement comme l’objet
ou comme le destinataire de l’action. Des enfants, âgés de trois et quatre ans
devaient comprendre les phrases cibles et mimer les actions. De plus, pendant
l’audition de la phrase, les enfants regardaient un ensemble de quatre dessins
parmi lesquels se trouvaient l’objet et le destinataire de l’action. Leurs
mouvements oculaires étaient enregistrés. Les auteurs faisaient l’hypothèse
suivante : si la phrase amorce active une représentation syntaxique abstraite,
les enfants devraient regarder plus fréquemment l’objet (the bone) que le
destinataire (the dog), lorsque l’amorce a une structure prépositionnelle. En
outre, ce comportement ne devrait pas dépendre du verbe utilisé dans la
phrase amorce et dans la phrase cible.
Dans une première expérience, le verbe de l’amorce et de la cible était le
même (give) et dans une seconde expérience les verbes étaient différents
(give et show par exemple). Leurs résultats montrent que dès trois ans, les
enfants regardent plus fréquemment l’objet lorsque la phrase amorce est
prépositionnelle, que le verbe soit ou non commun à l’amorce et à la cible.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Ceci indique que cet effet d’amorçage n’est pas lié à une représentation
grammaticale spécifique au verbe mais probablement à une représentation
syntaxique plus abstraite.
Le second exemple provient d’une recherche de Silva-Pereyra, Rivera-Gaxiola
et Khul (2005) qui montrent que dès trois ans, les enfants sont sensibles aux
anomalies morphosyntaxiques et qu’ils les traitent différemment des anoma-
lies sémantiques insérées dans des phrases. En effet, on observe des réponses
EEG de nature et de distribution distinctes selon le type d’anomalie, de
même qu’un changement développemental très net entre trois et quatre ans.
Plus précisément, Silva-Pereyra et ses collaborateurs ont enregistré l’activité
électro-encéphalographique de 16 enfants de 3 ans et de 19 enfants de 4 ans
pendant qu’ils écoutaient trois types de phrases : des phrases grammaticale-
ment et sémantiquement correctes « Léo a regardé le film », des phrases qui
contenaient une anomalie morphosyntaxique « Léo a regarda le film » et des
phrases qui contenaient une anomalie sémantique « Léo a soufflé le film ». Les
données EEG montrent que les anomalies morphosyntaxiques provoquent
deux changements caractéristiques dans la réponse EEG : une onde positive
dans l’intervalle 400-600 millisecondes (P400) après l’audition de l’ano-
malie et une seconde dans l’intervalle 600-1 000 millisecondes (P800). La
122 première onde est plus forte chez les enfants de quatre ans et est enregistrée
dans les régions frontales. La seconde est distribuée sur l’ensemble du scalp
chez les enfants de trois ans mais devient cantonnée aux régions antérieures
à quatre ans. Les anomalies sémantiques, quant à elles, provoquent des ondes
négatives comparables aux deux âges considérés. La première est l’observation
d’une onde antérieure classique (N400) plus forte à droite. La seconde est
également une onde négative (N600) plus forte dans les régions droites à
trois ans et répartie sur l’ensemble du scalp à quatre ans. Ces données élec-
tro-encephalographiques indiquent très clairement que les enfants analysent
très tôt les caractéristiques grammaticales des énoncés qu’ils entendent et
que ces traitements peuvent être distingués des traitements sémantiques. En
comparant ces résultats à ce que l’on sait des corrélats neurophysiologiques
des traitements syntaxiques et sémantiques chez l’adulte, Silva-Perreyra et
al., (2005) observent que deux caractéristiques essentielles distinguent les
jeunes enfants des adultes : des pics d’activation comparables (P600 et N400
notamment) mais d’amplitude différente et différés dans le temps chez les
enfants jeunes et des réponses moins localisées chez les enfants. Ces différences
peuvent probablement être attribuées à une moindre différenciation et une
moindre intégration des traitements chez les enfants.
Le développement syntaxique et morphosyntaxique est donc une compétence
langagière dont on situe généralement l’émergence au cours de la seconde
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

année de vie mais qui se poursuit tout au long de l’enfance et ne parvient à


un mode de fonctionnement achevé qu’au milieu de l’adolescence (Berman,
2004 ; Bronckart, Kail et Noizet, 1983 ; Gombert, 1990 ; Hickmann, 2003 ;
Jisa et Kern, 1998 ; Ravid, 2004 ; Scott 1988, 2004). Il s’agit donc sans
aucun doute d’un aspect du développement langagier sensible aux différences
interindividuelles et aux conditions environnementales susceptibles de le
faciliter ou de le freiner. Il ne fait pas de doute non plus que les capacités
syntaxiques et morphosyntaxiques qui doivent être mobilisées lors de la
compréhension sont de complexité et de nature différentes en fonction du
niveau scolaire. Comme pour le vocabulaire, les relations entre les compé-
tences morphosyntaxiques et la compréhension des textes, à l’oral comme
en lecture, sont plus certainement bidirectionnelles qu’unidirectionnelles.
Il est tout à fait probable qu’une maîtrise précoce des structures syntaxiques
les plus fréquentes à l’oral participe à la compréhension en lecture mais il est
tout aussi probable que le contact avec les textes écrits donne de nombreuses
occasions de confrontation avec des structures syntaxiques plus complexes
susceptibles de renforcer l’intégration des connaissances morphologiques
et syntaxiques ainsi que le développement métasyntaxique. Des différences
interindividuelles en la matière constituent donc une autre dimension
plausible des difficultés de compréhension, ce que tendent à confirmer 123
quelques travaux récents. Yeatman, Ben-Shachar et al., (2010) par exemple,
ont montré que l’activité cérébrale enregistrée alors que des enfants de 10 à
16 ans étaient engagés dans une activité de vérification de phrases dépend
de la complexité syntaxique de la phrase mais aussi de l’âge et du niveau
langagier des enfants. Ceux-ci ont d’abord répondu à un ensemble d’épreuves
qui ont permis d’estimer leur niveau intellectuel (Version abrégée du WISC
(WASI)), leur vocabulaire (PPVT-III), leur niveau de langage oral (CELF-
IV) et leur compréhension syntaxique (TROG-2). Leur activité cérébrale
a été enregistrée par IRMf, alors qu’ils écoutaient des phrases et devaient
estimer si l’image présentée immédiatement après l’audition de chacune
d’elles représentait de manière pertinente la situation décrite. Les phrases
étaient de complexité syntaxique et de longueur variables, composant quatre
conditions expérimentales : des phrases courtes et grammaticalement simples
(la tasse est dans la boîte, l’homme poursuit le chien), des phrases courtes et
grammaticalement complexes (le mouton est suivi par le garçon, la dame les
montre), des phrases longues et grammaticalement simples (le cheval regarde
la tasse et le livre, l’homme qui mange regarde le chat) et enfin des phrases
longues et grammaticalement complexes (l’homme voit que le garçon le montre
du doigt/la nappe sur laquelle est le livre est bleue). Bien que portant sur un
nombre restreint d’individus (14 enfants), les résultats de cette recherche
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

apportent des données intéressantes, compatibles à ce que l’on sait des corrélats
neuronaux du traitement syntaxique chez l’adulte. Ils montrent tout d’abord
que l’activation des réseaux neuronaux change de manière dynamique en
fonction de la difficulté des énoncés. L’augmentation de la longueur des
phrases est associée à une augmentation bilatérale de l’activité des régions
temporales alors que l’augmentation de la complexité syntaxique provoque
une augmentation de l’activité cérébrale dans plusieurs régions : la jonction
pariéto-temporale gauche et le gyrus temporal supérieur droit. De plus,
l’activation temporale gauche augmente plus fortement lorsque les phrases
sont complexes chez les enfants ayant un meilleur niveau de langage oral. Ces
résultats montrent que lorsque le matériel linguistique devient plus complexe,
les deux hémisphères sont convoqués pour son interprétation comme cela
a été souvent observé chez l’adulte (voir chapitre 1). Enfin, les différences
interindividuelles dans les performances aux tests standardisés de langage oral
sont associées à l’observation de différences dans l’activité cérébrale. Tout
d’abord, l’activation des régions frontales augmente aussi avec la difficulté
des phrases à traiter et cette augmentation est plus forte chez les enfants qui
obtiennent les meilleurs scores ; les enfants les plus compétents activent des
fonctions cérébrales de plus haut niveau lorsque la difficulté de l’exercice
124 augmente. Par ailleurs, les enfants les plus jeunes et les plus faibles ont tendance
à montrer des activations bilatérales plus fortes lorsque les phrases sont plus
complexes. Ce dernier résultat vient confirmer des observations antérieures
montrant que la latéralisation et la spécialisation des fonctions langagières
évoluent avec l’âge et le développement du langage oral (Holland, Vannest
et al., 2007 ; Simos et al., 2002 ; Shaywitz et Shaywitz, 2008).
En définitive et bien que de nombreuses recherches aient été consacrées à
la morphosyntaxe et à son acquisition, on dispose encore de très peu de
données qui permettraient de décrire précisément les relations entre les
compétences morphosyntaxiques et le développement de la compréhension
des textes, à l’oral comme en lecture. De nouvelles recherches sont donc
particulièrement nécessaires dans ce domaine, afin de mieux comprendre
ce développement, le degré d’autonomie de la syntaxe et de la morphologie
dans les traitements phrastiques et textuels et la manière dont les différents
indices sont pris en considération par les enfants en fonction de leur âge
et de leur expertise (Fayol, 2014). Mentionnons que des résultats récents
indiquent que les connaissances morphologiques contribuent significa-
tivement à la compréhension des textes à la fois de façon indirecte via la
lecture des mots et les capacités de compréhension de phrases à l’oral mais
également de façon directe chez des enfants de neuf à onze ans (Colé et al.,
2013 ; Deacon et al., 2014).
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Structuration des textes et connaissances générales


sur le monde
Les connaissances langagières fondamentales qui viennent d’être présentées
peuvent bien entendu être étudiées et décrites comme des niveaux autonomes
et spécifiques. Le langage est aussi organisé à un niveau d’ordre supérieur :
le discours. L’organisation discursive dépasse le plan de la concaténation
des mots et des phrases et représente incontestablement le point privilégié
de rencontre du linguistique et du cognitif. Les théories fonctionnelles
du langage ont depuis longtemps insisté sur la nécessité d’envisager les
productions langagières en tenant compte des discours (ou contextes) dans
lesquels elles s’insèrent (voir Hickmann, 2003, pour une synthèse). Très
succinctement, le langage ayant la double fonction de représenter et de
communiquer des significations, les contextes de production ou de réception
d’un énoncé ne sont pas neutres quant à la forme et/ou à la fonction qui
lui sera attribué. Ainsi, en fonction des contextes plus ou moins formels
de l’interlocution, des formes syntaxiques différentes peuvent être utilisées
pour transmettre les mêmes informations ; par exemple, « passe- moi le
pain », « peux-tu me passer le pain ? » ou encore « puis-je avoir du pain ? »
sont différentes réalisations formelles de la même demande. De la même
125
manière, la phrase « ta chambre est en désordre » peut, selon le contexte,
décrire une situation ou être une requête indirecte à l’adresse de l’interlocu-
teur. Enfin, les formes discursives répondent à des logiques d’organisation
de l’information non réductibles à la juxtaposition des mots et des phrases.
Notre propos étant centré sur cette forme particulière de discours qu’est
le texte, nous réduirons la discussion aux formes textuelles. Comme cela a
été dit dans le premier chapitre, tout texte véhicule un ensemble d’infor-
mations et décrit leurs relations et leur évolution au fil des énoncés ; les
significations transitent d’une phrase à l’autre pour s’organiser dans une
structure d’ensemble le modèle de situation. Deux plans fondamentaux
de cette organisation doivent être rappelés :
1. Celui de l’établissement de la cohésion autrement dit, des connexions
internes au texte par le jeu de la gestion de la continuité thématique
d’une part et de la progression thématique d’autre part. Nombre d’unités
linguistiques encodent ces phénomènes et seront abordées au chapitre
suivant (les anaphores, les connecteurs et les marques de ponctuations
par exemple) ;
2. Celui de l’établissement de la cohérence au niveau de la macrostructure,
autrement dit, celui de la hiérarchisation et de l’organisation logique des
idées.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Ces deux niveaux sont interdépendants ; la gestion au fur et à mesure de la


lecture des relations de cohésion participe à l’élaboration de la cohérence
et la reconnaissance des macrostructures favorise la gestion de la cohésion
(Bianco, 2003 ; Bianco et Tiberghien, 1991 ; Fayol, 1985 ; 1992 ; Garhnam
et Oakhill, 1982 ; Hickmann, 2003). Nos connaissances générales – ou
structures conceptuelles – jouent un rôle central dans la construction de la
cohérence et nous examinerons ici leur influence. Par structures conceptuelles,
nous entendons deux aspects distincts des connaissances convoquées lors
de la compréhension des textes, souvent conjointement et en interaction :
les structures textuelles et leur intériorisation progressive au cours du déve-
loppement d’une part et les connaissances générales sur le monde d’autre
part, c’est-à-dire les connaissances dont les individus disposent par rapport
au thème développé dans un texte.

La structure des textes : narrations et textes documentaires

Les narrations
Les textes répondent selon leur genre à des logiques spécifiques d’organisation
de l’information. Les narrations représentent incontestablement la forme
126 textuelle qui a été la plus étudiée par diverses disciplines (de la psychologie
à l’intelligence artificielle en passant par la linguistique et l’anthropologie) ;
ces recherches ont abouti à la formulation d’un ensemble de principes qui
caractérisent la structure canonique d’une histoire (ou schéma de récit). Une
synthèse de ces travaux réalisée par Fayol (1985) montre que les histoires
répondent à une structure schématique abstraite qui hiérarchise et ordonne
l’ensemble des éléments composant un récit. Au-delà des conceptualisations
particulières (Mandler et Johnson, 1977 ; Stein et Glenn, 1979), toute histoire
est construite autour d’un cadre qui établit l’environnement spatio-temporel
et les principaux protagonistes du récit, suivi d’un ensemble d’événements
ou épisodes qui composent ensemble la « trame événementielle » de l’histoire.
Cette trame organise la succession des événements conduisant à la résolution
d’un problème ou d’un but, comme l’illustre le tableau 3.5, inspiré de la
structure proposée par Stein et Glenn en 1979.
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Tableau 3.5 : Les catégories du récit selon Stein et Glenn (1979).

Cadre Il était une fois, un petit hérisson, Gaston, qui n’avait pas sommeil.

Premier épisode
Événement déclencheur Toute sa famille dormait depuis des mois
Réponse interne et il en avait assez.
Tentative Il se faufila à travers les branches et les feuilles mortes
Conséquence directe et soudain il fut dehors.
Réaction Que c’était étrange ! Tout était blanc !

Deuxième épisode
Événement déclencheur Gaston regarda autour de lui : personne !
Réponse interne Bien sûr, ils étaient tous endormis là-dessous.
Plan interne Gaston décida de réveiller son amie la marmotte.
Tentative Il alla frapper à sa porte. Un bâillement lui répondit : Qui est là ?
C’est moi, Gaston. Tu veux jouer avec moi ?
Conséquence directe Ah non ! Je veux dormir ! Reviens au printemps.
Réaction Gaston déçu, trottina jusque chez le loir.

Cette organisation interne au récit agit comme un cadre, une « structure


d’accueil » (Bartlett, 1932 ; Fayol et Monteil, 1988) qui fournit un guide pour
l’organisation de l’information en compréhension comme en production.
Les structures narratives sont maîtrisées progressivement par les enfants mais 127
leur développement émerge très précocement. On a généralement observé
un décalage dans le maniement des schémas d’histoire, selon les tâches
proposées aux enfants. Lorsqu’on cherche à accéder à cette connaissance
en demandant aux enfants de produire des histoires à partir d’images par
exemple, on observe un développement progressif qui s’étale sur plusieurs
années, les histoires répondant à la structure canonique n’apparaissant guère
avant cinq ou six ans et ne devenant majoritaires que vers neuf ans (Fayol,
1985). L’évolution de la production de récits entre trois et six ans, décrite
par Appelbee en 1978, fait toujours référence ; elle indique une série de
six étapes allant de l’énumération simple d’éléments ou d’événements à la
production de chaînes d’événements focalisés sur les actions effectuées ou
subies par le personnage principal, à la narration véritable dans laquelle le
cadre de l’histoire est clairement défini ainsi que les enchaînements liant les
buts et les événements orientés vers leur satisfaction (voir Fayol, 1985, pour
une présentation détaillée et Blanc, 2009, pour des données plus récentes et
convergentes). Malgré la maîtrise relativement tardive du schéma de récit
dans une situation de production délibérée, cette organisation conceptuelle
est néanmoins fonctionnelle beaucoup plus tôt dans l’activité de l’enfant.
C’est ce qu’ont montré de nombreuses autres recherches. Elles ont permis de
conclure que si les connaissances relatives à la structure des histoires évoluent
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

tout au long de l’enfance et ne sont parfaitement maîtrisées jusque dans


leur dimension métacognitive que vers 10 ou 11 ans, les schémas de récit
sont déjà relativement bien construits et fonctionnels dès quatre à cinq ans.
Quelques exemples permettront d’illustrer ceci. Le premier reste dans le
domaine de la production et montre que lorsque les conditions pragmatiques
de l’énonciation changent, les performances des enfants changent aussi. En
effet, lorsque l’on recueille les narrations à partir d’une annonce de l’enfant,
on obtient dès cinq ans, des récits biens formés (Fayol, 1985) ; par exemple
lorsque l’adulte répond « raconte » après une annonce de l’enfant : « J’ai vu
des éléphants… ».
Les autres exemples proviennent de recherches en compréhension. On sait
tout d’abord que la lecture est plus rapide lorsque les phrases sont organisées
dans un récit cohérent, les frontières d’épisode provoquant en général un
ralentissement de la lecture que l’on peut attribuer à des activités d’intégra-
tion de l’information de la part des lecteurs (Gernsbacher, 1990) ; cela est
vrai chez les adultes mais aussi chez les enfants lecteurs dès l’âge de 7 ; 6 ans
(Frochot, Zagar et Fayol, 1987 ; Mandler, 1984). Une série de travaux réali-
sés par Mandler et ses collaborateurs entre 1977 et 1985 a permis d’établir
quelques repères généraux relatifs à l’influence du schéma narratif dans la
128 compréhension des histoires par les jeunes enfants. D’une manière générale,
lorsqu’on fait entendre une histoire et que l’on demande ensuite un rappel, on
observe que les enfants, comme les adultes, mémorisent mieux l’information
si l’histoire présentée est bien formée. Les événements sont toujours rappelés
selon la séquence temporelle qui détermine la progression de l’histoire et
les proportions de rappel sont plus fortes sur les catégories d’informations
qui représentent le squelette ou l’essentiel de la trame narrative : le cadre, les
débuts d’épisodes, les tentatives et les résultats ; en revanche, les réactions,
simples ou complexes des personnages, les conclusions et les informations
de détail sont souvent omises. Ce patron de rappel est très stable et a été
observé avec des populations variées : des enfants dès quatre ans, des adultes,
des personnes lettrées comme illettrées, des personnes présentant certains
handicaps (surdité, dyslexie, etc.). Le poids des structures canoniques du
récit peut encore être illustré par les résultats de cette autre expérience dans
laquelle Mandler et Deforest (1979) ont présenté à des enfants de 8 et 11 ans
ainsi qu’à des étudiants, des histoires comprenant deux épisodes et dont la
structure répondait ou non à la structure canonique. Dans les histoires à
structure canonique, l’information était organisée en respectant la forme
« énoncé du cadre, description du premier épisode, description du deuxième
épisode ». Les histoires non canoniques restaient parfaitement compréhen-
sibles mais la description des deux épisodes était mêlée, aboutissant à une
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

structure narrative plus complexe, les phrases représentant le déroulement


de chaque épisode étant intercalées selon l’algorithme « phrase1-épisode1 ;
phrase1-épisode2, phrase2-épisode1 ; phrase2-épisode2, etc. ». Un exemple
est donné dans le tableau 3.6.

Tableau 3.6 : Organisation canonique et organisation enchâssée


de la même histoire (d’après Mandler, 1984).

La plage
Version canonique :
Un jour à la plage, une fille nommée Jenny construisait un château de sable pendant que
son amie Suzanne jouait avec un frisbee. Soudain, une grosse vague s’aplatit sur le bord du
château de Jenny. Jenny pensa que son château allait être détruit et voulu le sauver. Vite,
elle ramassa plus de sable et renforça le mur. Puis, elle creusa un fossé devant le château.
La vague suivante remplit le fossé mais n’atteint pas le château. Bientôt, la marée descendit
et le château fut sauvé. Pendant ce temps, une gros chien noir avait attrapé le frisbee de
Suzanne et commençait à le mordiller. Suzanne avait peur du chien mais elle voulait récu-
pérer son frisbee. Elle prit un sandwich dans son sac et le tendit au chien. Celui-ci lâcha
le frisbee et se sauva avec le sandwich. Suzanne n’avait plus de déjeuner mais elle était
heureuse d’avoir récupéré son frisbee.
Version enchâssée :
Un jour à la plage, une fille nommée Jenny construisait un château de sable pendant que
son amie Suzanne jouait avec un frisbee. Soudain, une grosse vague s’aplatit sur le bord 129
du château de Jenny. Pendant ce temps, une gros chien noir avait attrapé le frisbee de
Suzanne et commençait à le mordiller. Jenny pensa que son château allait être détruit et
voulu le sauver. Suzanne avait peur du chien mais elle voulait récupérer son frisbee. Vite,
Jenny ramassa plus de sable et renforça le mur. Puis, elle creusa un fossé devant le château.
Suzanne prit un sandwich dans son sac et le tendit au chien. La vague suivante remplit le
fossé mais n’atteint pas le château. Le chien lâcha le frisbee et se sauva avec le sandwich.
Bientôt, la marée descendit et le château fut sauvé. Suzanne n’avait plus de déjeuner mais
elle était heureuse d’avoir récupéré son frisbee.

L’analyse des rappels recueillis 24 heures après l’écoute des histoires montre
que les enfants, comme les adultes, ont tendance à réorganiser les informa-
tions de la version enchâssée de sorte à restituer la structure canonique. Plus
intéressant encore, cette tendance à la réorganisation est plus prononcée chez
les enfants les plus jeunes, ce qui démontre la forte dépendance des plus
petits aux structures conceptuelles leur permettant d’organiser l’informa-
tion qu’ils perçoivent. Un dernier résultat illustrera encore ce phénomène :
Denhière et Le Ny (1980) ont demandé à des enfants de 8 et 11 ans et à
des adultes de sélectionner dans une histoire les huit informations les plus
importantes. Ils ont ensuite demandé à d’autres enfants de 7, 8 et 11 ans
de fournir un rappel des mêmes histoires. Les auteurs ont observé que les
jugements d’importance sont déterminés par la position hiérarchique des
informations dans le récit à partir de 11 ans seulement. En effet, seuls les
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

enfants de 11 ans sélectionnent une majorité d’informations répondant à des


catégories macrostructurales et seuls les adultes sélectionnent exclusivement
ces catégories. Les choix des enfants de huit ans ne sont pas guidés par cette
organisation. En revanche, les informations rappelées correspondent dès
sept ans aux informations essentielles (ou macrostructurales) sélectionnées
par les enfants de 11 ans et les adultes. Autrement dit, les plus jeunes enfants
se rappellent des informations jugées importantes par les plus âgés et les
adultes et non de celles qu’ils ont eux-mêmes jugées comme telles.
Ces quelques résultats – extraits d’une littérature foisonnante publiée
entre 1975 et 1995 – montrent que dès quatre ou cinq ans, les enfants
disposent d’une connaissance implicite fonctionnelle de la structure canonique
d’une histoire et qu’ils l’utilisent pour comprendre, mémoriser et produire
des récits. Ces connaissances se développent toutefois pendant le temps
de la scolarité primaire, et ne deviennent parfaitement intégrées qu’entre
9 et 11 ans, âges auxquels l’utilisation explicite de ces connaissances dans
des tâches métacognitives de jugement ou de production devient effective
(voir par exemple Hickmann, 2003). Le développement progressif entre
5 et 11 ans de la capacité à manipuler explicitement les structures de récit
converge avec d’autres résultats relatifs au développement métacognitif qui
130
indiquent que ce développement est progressif tout au long de l’enfance ;
s’il émerge très tôt et porte d’abord sur des habiletés locales (la conscience
phonologique par exemple), il est aussi progressif et apparaît plus tardi-
vement à mesure que les habiletés considérées sont plus complexes. Les
traitements métacognitifs dépendent en effet simultanément du degré de
développement des structures du contrôle cognitif et de celui des habiletés
concernées (Karmiloff-Smith, 1992 ; Karmiloff-Smith, Grant, Sims et al.,
1996, Hickmann, 1995 ; 2003 ; Gombert, 1990). Les données neuropsy-
chologiques rapportées par Schmithorst et ses collaborateurs (2006 ; 2007 ;
voir chapitre 1, paragraphe 2.5) donne un autre éclairage de ce phéno-
mène ; Rappelons en effet, qu’un résultat essentiel de cette recherche a été
de montrer l’existence d’une connectivité bidirectionnelle entre les aires
temporales supérieures droite et gauche et les aires frontales inférieure (aire
de Broca) et supérieure, la force des liaisons dans le sens aires frontales – aires
temporales se renforçant avec l’âge. Comme nous l’avons dit plus haute,
le renforcement de ces connexions peut être interprété comme le signe du
développement des contrôles descendants (top-down) sur le traitement des
informations verbales, l’intégration syntaxique et sémantique réalisée pendant
le traitement du discours exerçant un feed-back qui module l’activité des
aires de réception du langage.
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Les textes documentaires


Si les structures narratives et leur impact sur la compréhension ont été
largement étudiés, il n’en va pas de même des autres types de textes et plus
spécialement des textes documentaires. Cette situation dans les recherches
en psychologie fait remarquablement écho à la situation que l’on peut
observer dans l’enseignement. En effet, les lectures proposées aux enfants
au cours des premières années de l’école primaire sont essentiellement des
narrations (Pearson et Duke, 2002) et certains considèrent que cet état
de fait représente l’une des causes des difficultés tardives de compréhen-
sion en lecture (Dymock, 2005), difficultés qu’on ne détecte qu’à partir
du moment où la demande institutionnelle change et où les enfants sont
confrontés à des textes documentaires complexes dont ils doivent extraire
les informations essentielles afin d’acquérir des connaissances nouvelles à
partir de leurs lectures.
Comparés au récit, les textes documentaires présentent des difficultés
particulières. Les idées exprimées tout d’abord sont souvent abstraites
et organisées logiquement en lieu et place des séquences d’événements
familiers représentés dans la plupart des récits. Ensuite, les textes docu-
mentaires ne répondent pas à une structure unique ; on peut au contraire 131
repérer différentes structures typiques de l’exposition et un texte docu-
mentaire authentique combine souvent plusieurs de ces structures. Meyer
et Poon (2001) en décrivent cinq que nous illustrons graphiquement à la
figure 3.2. Ces structures types s’accompagnent souvent mais pas toujours
de marqueurs linguistiques spécifiques. Ainsi, la description donne les
caractéristiques ou les attributs d’un concept ou d’une idée principale
(par exemple, « 1,50 mètre : c’est le diamètre de ces empreintes de dino-
saures, les plus grandes jamais mises en évidence ! On les a trouvées pas
très loin de Lyon… Les monstres qui ont laissé ces traces vivaient il y
a 150 millions d’années. Il s’agissait de Sauropodes, des herbivores au
long cou de 25 mètres de long, pesant 40 tonnes » (Sciences et vie Junior,
décembre 2009)) ; les connecteurs ou marqueurs associés sont du type « par
exemple, en particulier, tel que, les propriétés sont, etc. ». L’énumération
renvoie elle, au groupement d’un d’ensemble d’informations organisées
selon une séquence temporelle, par exemple, une recette de cuisine ou le
compte-rendu d’un événement historique. Les marqueurs associés sont la
plupart du temps des connecteurs temporels (tout d’abord, après, ensuite,
plus tard, etc.). La structure « comparaison/contraste » établit les similitudes
et différences entre deux concepts ou idées et les marqueurs associés sont
des comparatifs tels que « mais, au contraire, cependant, comme, bien
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

que, etc. », par exemple, « Deux physiciens anglais ont marqué l’histoire
de l’énergie : James WATT (1736-1819) et James JOULE (1818-1889).
James Watt a permis par ses travaux l’amélioration de la machine à vapeur
mais James Joule a montré que la chaleur est une forme d’énergie ». La
structure causale, comme son nom l’indique, présente les relations de cause
à effet entre différentes informations ou idées ; un exemple simple de ce
type de structure est représenté par les notices techniques ou procédurales,
par exemple, « pour prendre une bonne photo… » et les marqueurs asso-
ciés sont essentiellement des connecteurs de causalité « parce que, donc,
pour, en conséquence, pourquoi, etc. ». Enfin, la structure « problème/
solution » est la structure type de l’exposé scientifique et s’accompagne
souvent en surface d’expressions telles que « la question est, il est nécessaire
de, l’énigme est…, la réponse est… ».

Figure 3.2 : Principales structures organisant l’information


des textes documentaires.

132

Les résultats des recherches consacrées au traitement des textes docu-


mentaires apportent des données tout à fait convergentes par rapport à
celles obtenues avec les structures narratives. Tout d’abord, les textes bien
structurés dans lesquels les informations sont clairement et logiquement
présentées favorisent la compréhension (Coirier et al., 1996 ; Williams
et al., 2005), surtout lorsque le contenu du texte est difficile (structure
causale complexe et thème non familier (Linderholm et al., 2000)).
Quelle que soit ensuite la structure considérée, on observe que l’âge et le
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

niveau de lecture jouent un rôle important : les enfants plus âgés et/ou
meilleurs lecteurs comprennent mieux les textes documentaires que les
enfants plus jeunes et/ou faibles lecteurs (Williams et al., 2005). Le type
de structure entre aussi en jeu ; les enfants de fin d’école primaire et de
début de collège semblent comprendre plus aisément les textes énumératifs
que les structures « comparaison/contraste » (Englert et Thomas, 1987),
qui elles-mêmes semblent mieux maîtrisées que les structures causales
(Richgels et al., 1987).
Les textes documentaires ne se distinguent pas seulement par les contenus
et la structure de l’argumentation. Leur composition lexicale et morphosyn-
taxique est également différente. En analysant automatiquement un vaste
corpus couvrant les catégories de textes que sont susceptibles de rencontrer
les élèves aux différents niveaux de leur scolarité (de la deuxième année de
primaire à la seconde), McNamara, Graesser et Louwerse (2012) ont observé
que les narrations contiennent plus de mots familiers que les textes docu-
mentaires ; en contrepartie, leur syntaxe est plus complexe et les marques
de cohésion référentielle (présence de pronoms, expressions répétées, etc.)
sont moins fréquentes. Par ailleurs, les caractéristiques linguistiques des
textes documentaires varient selon qu’il s’agit de textes scientifiques ou de 133
textes de sciences sociales (histoire, géographie, etc.), les textes scientifiques
répondant le plus fortement aux distinctions faites ci-dessus. Les connec-
teurs exprimés sont aussi plus nombreux dans les narrations que dans les
documentaires et leur nature est différente ; on trouve plus de connecteurs
temporels et additifs (aussi, de plus, etc.) dans les narrations et plus de
connecteurs de causalité et d’argumentation dans les textes scientifiques,
les caractéristiques des textes de sciences sociales se situant à mi-chemin.
Enfin, les propriétés lexicales et morphosyntaxiques varient en fonction
de la difficulté des textes, la difficulté du vocabulaire et l’explicitation des
relations de cohésion augmentant avec la difficulté du texte.
Il va donc sans dire qu’en fonction des textes proposés, les différentes habiletés
de la compréhension risquent d’être sollicitées à des degrés divers et qu’un
même individu pourra atteindre des niveaux de compréhension différents
en fonction des textes qu’il doit traiter, même si chacun d’eux correspond
à son niveau scolaire et/ou de lecture (Best, Floyd, et McNamara, 2008 ;
Eason, Goldberg et al., 2012).
Comme pour les narrations, un enseignement spécifiquement centré sur la
reconnaissance des structures typiques des textes documentaires est donc
certainement nécessaire (voir chapitre 5). Pour l’instant, mentionnons
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

simplement qu’un tel enseignement s’est révélé bénéfique aux enfants


comme aux adultes (Meyer et Wijekumar, 2007 ; Paris, Cross et Lipson,
1984) ; il semble même que dès la seconde année d’école primaire, les
enfants tirent un bénéfice non négligeable d’un tel enseignement. Ainsi,
Williams et ses collaborateurs (2005) ont montré que des séquences d’ensei-
gnement centrées sur l’analyse des documentaires de type « comparaison/
contraste » améliorent la compréhension de ce type de texte dès le CE1 et
que la connaissance acquise est généralisable. En d’autres termes, à l’issue
de l’entraînement les enfants comprennent mieux de nouveaux textes utili-
sant la structure comparaison/contraste que ne le font les enfants de deux
groupes témoin, l’un ayant été entraîné à l’analyse du contenu des mêmes
textes, sans accent mis sur la structure de l’information, et l’autre n’ayant
reçu aucun enseignement spécifique. La question reste cependant posée de
savoir si l’organisation – ou les organisations – de l’information, propre
aux textes documentaires s’accompagne réellement de traitements cognitifs
spécifiques ou si les différences interindividuelles et interstructures observées
dans la littérature ne représentent pas simplement un effet de familiarité,
certaines structures étant plus fréquemment rencontrées que d’autres
(Fayol, 1991). Van den Broek et ses collaborateurs (2010) ont apporté
134 quelques éléments de réponse en enregistrant les mouvements oculaires
et les verbalisations d’étudiants de niveau licence, occupés à lire des textes
documentaires répondant à différentes structures (comparaison/contraste,
description et énumération). L’analyse des mouvements oculaires a montré
que les structures comparaison/contraste induisent les durées de fixations
initiales et les retours arrières intraphrastiques, comme interphrastiques, les
plus longs alors que les énumérations suscitent les durées de fixations les
plus courtes. Les sous-types de textes documentaires semblent donc bien
sous-tendre des activités cognitives qui reflètent, selon Van den Broek et
al., (2010), les processus d’intégration spécifiques à la compréhension de
chaque type de structure textuelle.
Pour terminer, et malgré la relative dissymétrie existant entre les connais-
sances relatives au développement des structures narratives et des structures
documentaires, l’ensemble des travaux ci-dessus font largement écho à
d’autres résultats qui désignent clairement la connaissance et la maîtrise des
structures textuelles comme un prédicteur important de la compréhension
des textes (Oakhill et Cain, 2012).
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Connaissances expertes et structures thématiques


Depuis les premiers travaux qui ont mis en évidence le caractère facilitateur
des connaissances thématiques lorsque le lecteur a la possibilité d’y recourir
(Brandford et Johnson, 1972 ; Foss et Ross, 1983 ; Garrod et Sanford, 1983),
l’étude de la contribution des connaissances préalables a été envisagée selon
deux angles. À partir du travail pionnier de Schank et Abelson (1977), la
première approche concerne des travaux qui se sont centrés sur l’examen des
connaissances usuelles et stéréotypées (ou scripts) et leur utilisation pendant de
la compréhension de récits ou de textes simples (voir Fayol et Monteil, 1988
pour une revue en français). La seconde approche concerne des recherches
réalisées auprès d’adultes essentiellement et a consisté à examiner les effets
de l’expertise au cours de la lecture de textes documentaires. Il s’agit en fait
de deux manières différentes mais complémentaires d’envisager l’expertise
et donc l’intervention des connaissances générales dans le processus de
compréhension. Les connaissances relatives aux situations sociales stéréoty-
pées représentent en quelque sorte l’expertise commune à une communauté
culturelle ; les connaissances expertes spécifiques à un thème donné repré-
sentent aussi une connaissance partagée, à ceci près qu’elle est partagée par
un plus petit nombre d’individus. Au demeurant, la connaissance experte 135
peut être décrite sous forme de schémas répondant aux mêmes principes
d’organisation causale et hiérarchique que les autres schémas conceptuels
et les deux lignes de recherches ont apporté des résultats comparables. En
effet, lorsqu’ils disposent des connaissances requises, les enfants comme
les adultes lisent plus facilement (plus rapidement) ; cela est vrai des bons
lecteurs comme des lecteurs plus faibles (Birkmire, 1985 ; Garrod et Sanford,
1994 ; Paris et Lindauer, 1977). Ils comprennent et retiennent également
plus d’informations (Chiesi et al., 1979 ; Long et al., 2008) et font aussi
plus d’inférences fondées sur leurs connaissances (Bianco et Tiberghien,
1991 ; Long et al., 2008 ; Yekovich et Walker, 1987). Les experts dans un
domaine ayant par ailleurs de faibles capacités verbales, comprennent mieux
et mémorisent plus d’informations après la lecture d’un texte que des novices
ayant de bonnes capacités verbales (Schneider, Korkel, et Weinert, 1989).
Ces différences quantitatives entre novices et experts s’accompagnent aussi
de différences qualitatives. Ainsi, si les experts lisent en général plus vite les
textes traitant de leur domaine d’expertise, ils les lisent aussi différemment.
Les experts modulent leur vitesse de lecture en fonction du niveau hiérar-
chique des informations dans la représentation conceptuelle sous-jacente ;
ils lisent plus rapidement les informations surordonnées (déjà connues) et
passent plus de temps sur les informations subordonnées, susceptibles de
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

venir enrichir leurs connaissances. Les novices, au contraire, lisent à une


vitesse comparable toutes les informations, quelle que soit leur importance
dans la hiérarchie conceptuelle (Birkmire, 1985). De plus, lorsqu’on
évalue la compréhension par le rappel ou par un questionnaire, on observe
que les experts et les novices ne se distinguent pas quant à leur capacité à
comprendre et retenir les informations de surface. En revanche, les experts
font systématiquement plus d’inférences que les novices ; autrement dit,
ils construisent des modèles de situation plus élaborés malgré une lecture
en moyenne plus rapide (Birkmire, 1985 ; Ehrlich et Tardieu, 1993). Le
développement des connaissances conceptuelles thématiques (ou spécifiques
à un domaine) représente donc un élément crucial de la compréhension
des textes. Il ne fait pas de doute que l’accumulation des expériences liée
à l’âge joue un rôle central. Il serait toutefois erroné de penser que les très
jeunes enfants ne peuvent pas développer des connaissances expertes et
s’en servir au cours de leur lecture. Les recherches fondatrices de Chi (Chi,
1978 ; Chi et Ress, 1983, Chi, Hutchinson et Robin, 1989) ont largement
démontré que des enfants d’une dizaine d’années, experts dans un domaine
(jeu d’échec, connaissances sur les dinosaures), comprennent et mémorisent
mieux les informations relatives à ce domaine que des adultes non experts.
136 On sait aussi que dès trois ou quatre ans, les enfants disposent de scripts
bien organisés et fonctionnels concernant les situations sociales qu’ils ont
eu l’occasion d’expérimenter fréquemment (Fivush et Slackmann, 1986 ;
Lucariello et Nelson, 1985 ; Nelson, 1986). Ces structures conceptuelles se
développent très précocement au cours de la deuxième année (O’Connell
et Gerard, 1983) et guident l’activité de l’enfant, dans le jeu d’abord,
puis dans l’expression et la compréhension orale et bien entendu, dans la
compréhension en lecture quelques années plus tard.

Interaction entre les structures textuelles


et les connaissances expertes
Il ne suffit cependant pas d’être expert dans un domaine pour comprendre
de manière approfondie un texte traitant de ce domaine, pas plus qu’il suffit
de présenter des textes parfaitement clairs et structurés pour que les lecteurs
comprennent et intègrent les informations lues à leurs connaissances. Le niveau
de compréhension atteint par un individu à l’issue d’une lecture dépend de
ses objectifs bien sûr, mais il est également déterminé par une interaction
entre ses connaissances préalables et la manière dont le texte est structuré
(Caillies et al., 1997 ; Schnotz, 1984 ; McNamara et al., 1996). Ce phénomène
a été observé chez les adultes (Schnotz, 1984) mais aussi avec des adolescents
(Caillès et al., 1997 ; McNamara et al., 1996). Schnotz (1984) tout d’abord,
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

avait montré que deux organisations différentes du même contenu avait une
incidence sur la quantité d’informations retenues par des étudiants ayant ou
non des connaissances préalables sur le thème traité. Le texte source utilisé
était un texte de psychologie présentant deux types de thérapies dont on
décrivait les différents aspects (fondements théoriques, nature des affections
psychopathologiques, principes de traitement…). Deux versions du même
texte avaient été écrites : la première version était organisée par « objet », ce
qui signifie que les aspects de la première approche thérapeutique étaient
entièrement exposés avant de passer à l’exposition de la seconde approche.
La seconde version était organisée par « aspect » : l’exposé des deux approches
thérapeutiques était croisé, les aspects de chacune d’elles étant envisagés en
parallèle (autrement dit, le texte exposait d’abord les fondements théoriques
de chaque thérapie, puis la nature des affections psychopathologiques sensibles
à chacune d’elle et ainsi de suite…). Schnotz (1984) a ainsi pu montrer
que l’effet de la structure du texte sur la quantité d’information retenue est
modulé par l’expertise des étudiants. Ceux qui disposaient au préalable de
bonnes connaissances en psychologie ont appris plus d’informations après
la lecture du texte organisé par aspect et ont retenu très peu de choses après
la lecture du texte organisé par objet. Les résultats étaient inversés pour les
participants qui avaient très peu de connaissances préalables.
137
Des résultats comparables ont été obtenus par McNamara et ses collabo-
rateurs (1996) avec des collégiens âgés de 10 à 15 ans. En s’inspirant du
modèle de construction-intégration de Kintsch (1988, 1998), les auteurs
ont manipulé la cohérence locale et globale d’un texte ayant pour thème « la
fonction cardiaque » et extrait d’une encyclopédie adaptée aux enfants de
cette tranche d’âge. Quatre versions ont ainsi été créées : la première version
est entièrement cohérente sur le plan local et global (version LG). Dans cette
version, la cohérence de la microstructure et la macrostructure du texte était
maximisée en signalant en surface les relations à établir entre les différentes
informations. La cohérence locale était renforcée en effectuant quatre types
de révisions :
1. Explicitation des relations de référence (ou anaphores) en remplaçant un
pronom ambigu par une expression définie (remplacement de « il » par
« le cœur » par exemple) ;
2. Ajout d’explications permettant de mettre en relation des concepts non
familiers avec des concepts familiers (« cette affection succède générale-
ment à une angine causée par une bactérie, le streptocoque. On appelle
souvent cette angine, angine streptococcique ») ;
3. En ajoutant des connecteurs spécifiant les relations entre les phrases ou
les idées (cependant, parce que, etc.) ;
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

4. En répétant les référents plutôt que d’utiliser des synonymes.


Une version à cohérence locale renforcée est donc une version très redon-
dante, l’hypothèse étant que cette redondance facilite la saisie des relations
microstructurelles. La cohérence globale était quant à elle augmentée par
deux manipulations : le rajout de titre et de sous-titres explicitant la macros-
tructure du texte et l’insertion de transitions entre les paragraphes (ou
macropropositions) explicitant les relations entre les paragraphes et entre
les paragraphes et le thème général (par exemple, « il existe plusieurs sortes
de maladies cardiaques ; certaines sont présentes à la naissance, certaines
sont acquises plus tard »). Le tableau 3.7 (A) donne un exemple du résultat
obtenu après révision du texte original selon ces principes.
À l’inverse, une version faiblement cohérente (lg) tant sur le plan local que
global a été construite en minimisant les indices explicites, autrement dit en
procédant à la manipulation inverse qui consistait à effacer dans l’énoncé les
signaux micro et macro structurels (voir également tableau 3.7 (A) pour un
exemple). Les deux autres versions représentaient des organisations médianes,
l’une étant fortement cohérente sur le plan local mais faiblement cohérente
sur le plan global (version Lg), l’autre étant à l’inverse faiblement cohérente
138 sur le plan local mais fortement cohérente sur le plan global (version lG).
Avant la lecture de l’une ou l’autre de ces versions, les enfants ont répondu
à un questionnaire de connaissance. Les résultats obtenus à ce questionnaire
ont permis de répartir les participants en deux groupes : un groupe ayant de
bonnes connaissances sur la fonction cardiaque (CF) et un groupe ayant peu
de connaissances (Cf). Les auteurs ont recueilli le temps global de lecture
du texte, le nombre de propositions rappelées et les réponses données à un
questionnaire. Les questions posées (voir tableau 3.7 (B)) étaient soit des
questions portant sur la surface du texte, soit des questions nécessitant la mise
en relation de différentes informations énoncées (questions inférences) soit
encore des questions nécessitant non seulement l’intégration des différentes
informations mais aussi leur réinvestissement dans une situation problème
(questions résolution de problème).
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

Tableau 3.7 : Cohérence des textes, connaissances préalables


des enfants et performances en compréhension
(d’après McNamara, Kintsch, Songer et Kintsch, 1996).

A – Extraits de la version fortement cohérente (LG) et de la version faiblement


cohérente (lg)
Version « LG »
Les portions en caractères gras représentent des ajouts destinés à augmenter la cohérence
locale et les portions soulignées représentent des ajouts destinés à augmenter la cohérence
globale.
Le cœur est l’organe du corps qui travaille le plus. On a besoin de lui en permanence pour
fournir au corps le sang dont il a besoin à chaque instant de chaque jour. Tout désordre
qui interrompt la fourniture du sang au corps par le cœur est une menace pour la vie. Les
maladies cardiaques représentent de tels désordres. Elles sont très fréquentes. Les
maladies cardiaques tuent chaque année plus de personnes que toute autre maladie.
Il existe plusieurs sortes de maladies cardiaques ; certaines sont présentes à la naissance,
certaines sont acquises plus tard.
1. Maladies cardiaques congénitales.
Une maladie cardiaque congénitale est un défaut avec lequel le bébé naît.

Version « lg »
Le cœur est l’organe qui travaille le plus. On a besoin d’une fourniture régulière de sang à
chaque instant de chaque jour. Tout désordre qui interrompt la fourniture du sang est une
menace pour la vie. Les maladies cardiaques sont très fréquentes. Elles tuent chaque année
139
plus de personnes que toute autre maladie.
Une maladie congénitale est une maladie avec laquelle une personne naît.

B – Types de questions posées après la lecture du texte


Questions de surface : l’information nécessaire à la réponse est explicitée dans les quatre
versions : Quelle est la fonction du cœur ?
Questions « inférences » : des informations appartenant à différentes phrases du texte doivent
être mise en relation : Pourquoi les maladies cardiaques sont-elles une menace pour la vie ?
Questions « résolution de problèmes » : mettre en relation des informations provenant
de différentes parties du texte et les appliquer à une situation nouvelle : « Bien qu’il ait
seulement 28 ans, KT a des troubles cardiaques consécutifs à une maladie qui détruit le
muscle cardiaque. Quel traitement pourrait aider ce patient ? Argumentez votre réponse ».

C – Performances en compréhension en fonction du type de question,


des connaissances préalables et de la version lue (« LG » (barres blanches)/
« lg »(barres noires))

surface inférences résolution de problèmes

0,7 0,8 0,8


0,6
0,5 0,6 0,6
0,4
0,4 0,4
0,3
0,2 0,2
0,2
0,1
0 0 0
CF Cf CF Cf CF Cf
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Plusieurs résultats obtenus par McNamara et ses collaborateurs méritent


d’être soulignés : Tout d’abord, la vitesse de lecture moyenne du texte dépend
de sa structure – notamment de sa cohérence globale – et des connaissances
préalables des enfants ; en effet, les enfants « CF » lisent plus rapidement
les versions à cohérence globale faible (versions « g ») ; ils sont donc gênés
dans leur lecture initiale par le signalement trop explicite et redondant de
la macrostructure. À l’inverse, les enfants « cf » lisent plus rapidement les
versions à cohérence globale forte (versions « G »). Ces enfants bénéficient
donc de l’explicitation de l’organisation macrostructurale des informa-
tions. Au rappel, on observe encore que les enfants « CF » mémorisent la
même quantité d’information quelle que soit la cohérence de la version
lue. Autrement dit, renforcer la cohérence d’un texte n’a aucune incidence
sur la quantité d’information qu’ils retiennent. Les enfants « cf » quant à
eux, mémorisent moins d’informations après la lecture de la version « lg ».
La quantité d’informations rappelée par les enfants « cf » était supérieure et
équivalente dans les trois autres versions. Le renforcement de la cohérence
locale et/ou globale du texte favorise donc la mémorisation des informations
lorsque les individus disposent de peu de connaissances relatives au thème
du texte. Le dernier résultat et probablement le plus intéressant, concerne les
140 performances observées au questionnaire (tableau 3.7 (C)). On observe en
effet que ce n’est pas seulement la quantité des informations mémorisées qui
est influencée par l’interaction entre la structure du texte et les connaissances
préalables, mais aussi la qualité des traitements effectués et consécutivement,
la qualité des connaissances acquises à l’issue de la lecture. Les graphiques
présentés au tableau 3.7 (C) montrent les performances obtenues aux trois
types de questions pour les deux versions extrêmes (« lg » et « LG ») en fonction
des connaissances préalables des enfants. On constate que la version « LG »
favorise l’exactitude des réponses pour tous les enfants seulement pour les
questions de surface. Pour les deux autres types de questions nécessitant
la mise en œuvre de traitements intégratifs, les enfants « cf » continuent à
bénéficier d’un texte très fortement cohérent. Le résultat inverse est observé
pour les enfants « CF » qui répondent mieux aux questions d’inférences et
de résolution de problèmes quand ils ont lu la version faiblement cohérente.
Autrement dit, expliciter toutes les relations de cohérence n’est pas toujours
propice à la compréhension et l’efficacité de l’explicitation est en lien direct
avec l’expertise des lecteurs. McNamara et ses collaborateurs (1996), tout
comme Schnotz (1984), interprètent leurs résultats en faisant l’hypothèse
qu’un texte explicite et très cohérent n’incite pas les experts d’un domaine
à s’engager dans une lecture active. Un texte trop explicite manque proba-
blement d’intérêt pour ces lecteurs et ne focalise pas leur attention sur les
Le développement de la compréhension : le rôle des connaissances

éléments d’informations qui permettraient d’enrichir leurs connaissances,


en d’autres termes d’élaborer un modèle de situation plus riche. Ils ont
donc tendance à faire une lecture superficielle du texte. Un texte moins
cohérent au contraire sollicite leur attention et les incite à une lecture plus
active et approfondie, leur permettant d’établir des liens importants entre
le déjà connu et les nouvelles informations potentiellement apportées par
un texte scientifique. À l’inverse évidemment, les novices dans un domaine
bénéficient d’un texte qui les aide à élaborer les cadres de connaissances
dont ils ne disposent pas.
Ces quelques résultats indiquent que l’organisation des structures textuelles
et l’expertise peuvent être envisagées comme des aspects distincts mais
interagissant de manière permanente dans l’activité de compréhension. Ils
confirment aussi que les connaissances conceptuelles représentent une dimen-
sion fondamentale et incontournable de l’explication de la compréhension
des textes et de son développement. Mais la compréhension ne se résume
pas à la disponibilité des connaissances conceptuelles. À notre avis, elles
jouent un rôle très comparable à celui décrit pour les connaissances lexicales
et les remarques énoncées pour le vocabulaire peuvent être transposées aux
connaissances générales sur le monde : lorsque nous sommes confrontés à
141
des textes qui traitent d’un thème qui nous est inconnu (ou peu connu),
nous sommes cependant capables de construire une représentation partielle
des idées énoncées et ces significations construites, même sommaires, nous
fournissent un cadre pour l’acquisition de nouvelles connaissances (elles
représentent ces nouvelles connaissances). Il ne fait donc pas de doute que
les connaissances en mémoire entretiennent des liens de réciprocité avec la
compréhension, les connaissances encyclopédiques, comme le vocabulaire,
pouvant être tour à tour, et tout autant une cause et une conséquence de
la compréhension des textes.
Les mécanismes qui sous-tendent la compréhension sont aussi partiellement
indépendants des connaissances disponibles en mémoire. Par exemple, la struc-
ture des textes, les connaissances préalables et les habiletés de compréhension
interagissent de manière complexe et parfois inattendue dans l’explication
de la performance d’étudiants engagés dans la lecture de textes informatifs
abstraits. La cohésion textuelle en particulier favorise la compréhension des
novices et celle des bons compreneurs ayant de bonnes connaissances du
domaine alors que seuls les moins bons compreneurs ayant des connaissances
approfondies du sujet bénéficient d’un texte de moindre cohésion (O’Reilly
et McNamara, 2007 ; Ozuru, Dempsey et McNamara, 2009).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Conclusion
Les recherches présentées dans ce chapitre ont fermement établi le rôle
fondamental que jouent les connaissances stockées en mémoire dans la
compréhension des textes. Nos connaissances du langage et du monde,
quand elles sont approfondies, permettent parfois de pallier des difficultés
de lecture et de compréhension, à tel point qu’on a pu considérer qu’elles
sont la source essentielle de l’explication des différences existant entre les
bons et les moins bons compreneurs. Les recherches indiquent cependant
aussi que les connaissances, qu’il s’agisse du vocabulaire ou des connais-
sances générales sur le monde, entretiennent des relations réciproques plutôt
qu’unidirectionnelles avec la compréhension (Verhoeven et al., 2011 ; Nation,
2009). Elles montrent que les connaissances à elles seules ne suffisent pas à
expliquer toutes les différences interindividuelles – rappelons par exemple,
que s’il est nécessaire de connaître la signification de la plupart des mots qui
composent un texte pour le comprendre, un bon niveau de vocabulaire ne
garantit pas à lui seul la compréhension (Cain et al., 2004b). De la même
manière, si des connaissances expertes favorisent la compréhension, il n’est
pas nécessaire d’être expert pour aborder un texte et construire une repré-
sentation suffisamment bonne des informations lues. L’expertise se construit
aussi par le biais de la lecture. Enfin, des données récentes indiquent que si
des différences liées au vocabulaire distinguent les faibles compreneurs des
compreneurs moyens au niveau du collège, ce sont des stratégies de lecture de
plus haut niveau qui distinguent les moyens des excellents compreneurs (Li
et Kirby, 2014). C’est à l’examen du développement des mécanismes propres
au traitement du discours continu que le prochain chapitre est consacré.
Chapitre 4

Le développement de la compréhension :
la construction de la cohérence

L ’élaboration de la cohérence dépend de la disponibilité des structures


de connaissances mais elle dépend également des mécanismes cognitifs
qui sous-tendent l’analyse des relations intratextuelles et l’établissement
des liens entre les connaissances et les informations lues. Les inférences et
les stratégies d’évaluation (ou de contrôle) et de régulation des difficultés
représentent ces mécanismes essentiels aux traitements de niveau textuel. 143
Leur différenciation peut déjà être mise en évidence à l’oral entre trois et
cinq ans (Florit et al., 2011, 2013 ; Kendeou et al., 2008 ; Tompkins et al.,
2013 ; Skarakis-Doyle, 2002). À l’image de ce qui a été observé au chapitre
précédent, leur développement s’inscrit dans un mouvement continu fait
d’associations réciproques avec la compréhension des textes. On commence
à peine à étudier ce développement précoce mais les résultats présentés à
la figure 4.1 en donnent une première illustration pour des enfants un peu
plus âgés. Ces résultats proviennent du suivi longitudinal d’une centaine
d’enfants, de leurs sept ans jusqu’à leur onzième année (Oakhill et Cain,
2007-2012). Ils montrent que le niveau général de compréhension, estimé
à sept-huit ans, prédit fortement les mêmes performances à neuf-dix ans
qui, elles-mêmes, prédisent la compréhension en lecture à dix-onze ans.
Une fois ce contrôle effectué, d’autres variables prédisent de manière indé-
pendante la compréhension en lecture à un âge donné. L’efficience verbale
(ou QI verbal), l’étendue du vocabulaire et la compréhension des trames
narratives mesurées à sept ans déterminent chacune une partie des perfor-
mances de compréhension à huit ans. Au-delà de ces paramètres discutés
précédemment, les capacités d’inférence et de contrôle (ou d’autoévaluation)
mesurées à huit ans prédisent directement et fortement les performances des
enfants de dix à onze ans. Par ailleurs, les pistes causales montrent que les
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

capacités d’inférences à huit ans dépendent de la compréhension générale


et du développement du vocabulaire observés un an plus tôt. Les habiletés
d’autoévaluation sont elles aussi prédites par la compréhension et par un
ensemble de facteurs distincts : les capacités d’évaluation et les habiletés de
raisonnement logique (QI non verbal) estimées à sept ans.
Nous exposerons dans ce qui suit ce que l’on sait à l’heure actuelle du
développement de ces mécanismes.

Figure 4.1 : Relations longitudinales entre les habiletés cognitives


impliquées dans la compréhension des textes ; d’après Oakhill et Cain (2012).

7-8 ans 8-9 ans 10-11 ans

QI verbal
.15

Compréhension en .49 Compréhension en .50 Compréhension en


lecture lecture lecture
.45
.15 .29
.19
Vocabulaire .28 .24
Inférences
144 Structure des .41
histoires
.20 Evaluation
Evaluation
.23
QI non verbal

Les inférences et leur développement


Comme nous l’avons vu au premier chapitre, il existe de multiples manières
de catégoriser les inférences. Celles-ci peuvent être envisagées selon leur
nature et le niveau textuel auquel elles s’appliquent. On établit ainsi une
distinction entre les inférences qui contribuent à la cohérence locale – ou
cohésion – (traitements anaphoriques et des relations de causalité proxi-
male) et les inférences de cohérence (gestion des structures de buts, des
intentions et émotions des personnages dans les histoires, mise en relation
des événements au thème général). On distingue aussi entre les inférences
effectuées au cours de la compréhension (inférences « en temps réel ») de
celles qui peuvent être effectuées a posteriori (« après coup »), celles qui sont
obligatoires ou nécessaires pour établir la cohérence de celles qui sont facul-
tatives (les élaborations). On distingue encore les inférences selon qu’elles
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

consistent à mettre en relation les données en cours de traitement avec


les informations énoncées avant (inférences rétrogrades) ou selon qu’elles
consistent à prédire ou anticiper ce qui va suivre (inférences antérogrades).
On les sépare encore en fonction du caractère plus ou moins certain de
l’information résultante : certaines inférences font appel à un raisonnement
logique et l’information qui en résulte peut être considérée comme logi-
quement fiable (les enfants ne sont pas tous dans la cour Q certains enfants
sont dans la cour) ; dans d’autres cas au contraire, le résultat est seulement
probable. C’est le cas notamment des inférences fondées sur les connais-
sances antérieures encore appelées des élaborations (Sophie traverse le pont
pour se rendre à son travail Q son chemin passe au-dessus d’une rivière). On
distingue enfin les inférences en fonction du degré d’automaticité de leur
mise en œuvre. Par exemple, Laura entendit un bruit sourd venir de l’étage ;
elle devint toute blanche Q Laura est effrayée est une inférence qui est réalisée
automatiquement par la plupart des adultes mais elle peut ne pas l’être si
l’association entre pâleur et frayeur n’est pas connue et/ou saillante. Au
demeurant, ces différentes dimensions ne sont pas mutuellement exclu-
sives et peuvent se recouvrir partiellement. Ainsi, nous avons vu dans le
premier chapitre de cet ouvrage que chez le lecteur adulte, les inférences
nécessaires au maintien de la cohérence locale et globale sont généralement 145
réalisées au cours de la compréhension (Graesser, Singer et Trabasso, 1994),
souvent de manière automatique, alors que les élaborations, quand elles
sont effectuées, ne le sont le plus souvent qu’après la lecture ; elles peuvent
cependant être réalisées pendant la compréhension lorsqu’elles prennent
appui sur des connaissances hautement accessibles et/ou des contraintes
contextuelles fortes (Fincher-Kieffer, 1996 ; Graesser et al., 1994 ; Kintsch,
1998 ; McKoon et Ratcliff, 1992).
Que sait-on donc aujourd’hui du développement des processus d’inférences ?
Des données déjà anciennes avaient montré que les enfants de primaire et
de collège se comportent de manière très comparable et répondent plus
rapidement et plus exactement à des questions posées après la lecture lorsque
celles-ci portent sur des inférences rétrogrades et nécessaires plutôt que sur
des inférences élaboratives. C’est la vitesse et l’exactitude des réponses dans
leur globalité qui augmentent entre 7 et 14 ans (Ackerman, 1986 ; Casteel
et Simpson, 1991 ; Casteel ; 1993 ; Paris et Lindauer, 1976). Dès l’âge de
sept ans donc, les enfants infèrent plus volontiers les éléments d’informations
nécessaires à l’établissement de la cohérence et c’est la capacité à effectuer
de manière plus automatique et plus systématique ces inférences qui se
développe avec l’âge.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

De nombreux autres travaux ont depuis confirmé ces résultats mais ont aussi
montré que les enfants sont bien plus tôt sensibles à la nécessité de faire
des inférences et qu’ils sont capables de réaliser celles qui sont nécessaires
à l’intégration des informations ; le degré auquel ils les font dépend d’un
ensemble de paramètres : leur âge, le type d’inférence sollicité, leur capacité
de compréhension, leurs connaissances et leurs capacités cognitives générales,
la mémoire de travail et l’attention en particulier. En somme, les habiletés
de compréhension des enfants sont remarquablement similaires et pour-
tant systématiquement différentes de celles des adultes et cela dès deux ou
trois ans. C’est ce que soulignent Van den Broek et ses collaborateurs (2005)
en affirmant que les très jeunes enfants « font des inférences et construisent
des réseaux représentationnels des événements dont ils font l’expérience.
Ils utilisent ces réseaux pour se rappeler ou répondre à des questions. Ces
réseaux sont cependant moins développés que ceux des enfants plus vieux
ou que ceux des adultes. Ils contiennent moins de relations et en particulier
moins de relations abstraites, distales ou intégrant plusieurs événements. À
mesure que les capacités de traitement, les connaissances et les habiletés de
compréhension se développent, les réseaux représentationnels s’enrichissent
et incorporent des relations, à la fois plus nombreuses et plus riches » (Van
146 den Broek et al., 2005, p. 118). Autrement dit, les très jeunes enfants sont
capables de réaliser des inférences pour comprendre le discours oral, en
particulier celles qui sont nécessaires à la cohérence, mais ils semblent le
faire moins systématiquement et moins spontanément que les enfants plus
vieux et les adultes.

Reconnaissance des structures de but, cohérence globale


et inférences précoces
Rappelons que l’identification des buts des personnages, de leurs intentions et
émotions comme des actions qu’ils planifient pour satisfaire ces motivations
organise les événements dans une structure de but ; celle-ci lie entre eux les
événements d’une histoire par des relations de causalité. Autrement dit, un
récit peut être conçu comme un réseau d’événements causalement reliés les
uns aux autres. Cette approche plus fonctionnelle de la structuration des
histoires a été développée par Trabasso et Van den Broek (Trabasso et Sperry,
1985 ; Trabasso et Van den Broek, 1984) et est illustrée à la figure 4.2 qui
reprend l’analyse de l’histoire de « Gaston, le hérisson ». Cette illustration
permet de mettre en parallèle l’approche structurale et l’approche causale
de l’organisation des histoires (voir chapitre 3, tableau 3.5).
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

Figure 4.2 : Réseau causal des événements d’une histoire


(> signale une relation de coordination entre deux éléments ou actions
et &signale une relation causale).

La capacité à effectuer des inférences liées à la structure causale est déjà


manifeste à quatre ans et elle prédit dès cet âge la compréhension des histoires 147
(Kendeou et al., 2008 ; Tompkins et al., 2013). L’équipe de Kendeou (2008),
par exemple, a raconté à des enfants de quatre, six et huit ans, des histoires
traditionnelles présentées oralement ou sous forme de séquences télévisées
(à quatre et six ans) ainsi qu’à l’écrit (à huit ans). Après avoir pris connais-
sance de chaque histoire, les enfants devaient en fournir un rappel oral et
répondre à une série de questions. À partir de ces données, les auteurs ont
calculé un score de compréhension (proportion d’informations rappelées,
sensibilité à la structure causale et proportion de réponses correctes aux
questions) et un score d’inférence (nombres d’inférences exprimées au rappel
et dans les réponses aux questions). Les inférences effectuées par les enfants
ont en outre été codées selon plusieurs catégories ; inférences concernant
les buts de l’histoire, la causalité des actions et des événements, les qualités
et les émotions des personnages. Les résultats montrent tout d’abord que
les capacités de compréhension et d’inférences corrèlent significativement à
tous les âges et que la force de la relation augmente à mesure que les enfants
grandissent. Les performances en compréhension, comme en inférence, sont
aussi positivement corrélées d’un média à l’autre, ce qui confirme que ces
habiletés sont indépendantes du canal de saisie de l’information et cela dès
quatre ans. Par ailleurs, les scores d’inférences prédisent les performances en
compréhension indépendamment des habiletés langagières fondamentales
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

(habiletés liées au code et vocabulaire) ; ils expliquent 11,6 % de la variance


totale en compréhension à quatre ans à vocabulaire et habiletés liées au code
contrôlés, ce qu’ont confirmé Tompkins et ses collaborateurs (2013) avec
un protocole un peu différent, dans lequel les capacités inférentielles sont
estimées par la production spontanée des enfants pendant qu’ils racontent
une histoire à partir d’un livre d’images, leur compréhension étant évaluée
de manière indépendante. Chez les enfants de six et huit ans, Kendeou et
al., observent que la valeur prédictive des habiletés d’inférences augmente,
expliquant en moyenne 25 % de la variance. Parallèlement, le type d’infé-
rences effectuées évolue avec l’âge : les inférences de buts sont les plus forts
prédicteurs de la compréhension à quatre ans et continuent de l’être à six
et huit ans ; les inférences causales deviennent des prédicteurs importants à
partir de six ans alors que la valeur prédictive des inférences émotionnelles
ne devient significative qu’à huit ans. Les enfants disposent donc très tôt
d’un répertoire inférentiel varié et comparable à celui des enfants plus âgés
et des adultes mais il existe aussi une hiérarchie de développement montrant
que les inférences liées à la structure de but, donc à la macrostructure des
histoires, sont maîtrisées ou se développent plus tôt que les inférences
causales ou émotionnelles. Ce parcours développemental corrobore des
données plus anciennes montrant que de quatre à dix ans, la sensibilité à la
148 structure causale se développe progressivement, les jeunes enfants repérant
plus volontiers les buts locaux et établissant des relations de causalité à
l’intérieur d’un épisode en prenant appui sur des actions concrètes. C’est à
mesure qu’ils grandissent qu’ils deviennent capables de repérer plus systé-
matiquement les liens entre les épisodes en s’appuyant sur des relations plus
abstraites telles que les intentions, les émotions des personnages et le thème
général (voir Blanc, 2009 ; Van den Broek, 1997).
Ce développement plus tardif de la reconnaissance des structures de but
et de la gestion de la cohérence peut être illustré par une autre recherche
réalisée auprès d’enfants de sept à onze ans (Pike, Barnes et Baron, 2010).
Celle-ci avait pour but d’étudier le développement d’un type particulier
d’inférence de cohérence, les inférences « de relais » (Haviland et Clark, 1974)
qui consistent à construire une relation entre deux informations explicites,
peu liées en surface et potentiellement incompatibles. Elle avait aussi pour
but d’examiner le rôle que jouent les illustrations qui accompagnent le
texte dans ce processus d’inférence. En effet, les illustrations sont souvent
considérées comme des indices contextuels qui contribuent à focaliser des
éléments d’informations ; elles peuvent donc contribuer à maintenir actives
des informations nécessaires à l’établissement des inférences (image consis-
tante) mais elles peuvent aussi, lorsqu’elles sont moins pertinentes, gêner
la suppression des informations non nécessaires à la cohérence (image non
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

consistante). 15 élèves de CE1, CE2, CM1 et CM2 et 13 élèves de sixième


ayant un niveau de lecture conforme à leur niveau scolaire ont lu une série
de 24 courts paragraphes (cinq phrases) dont un exemple est donné au
tableau 4.1. La première phrase était destinée à établir la situation. Elle
était suivie de deux phrases neutres (phrases 2 et 3 dans l’exemple), puis de
deux phrases qui apportaient des informations susceptibles de concurren-
cer le modèle de situation initial (phrases 4 et 5). Chaque paragraphe était
donc écrit de sorte à permettre l’élaboration de deux modèles de situation
concurrents, le second n’étant pas compatible avec le modèle initial. Après
la lecture de chacun d’eux, les enfants étaient invités à choisir, parmi trois
phrases, celle qui représentait la meilleure conclusion du texte ; il s’agissait
donc de choisir l’énoncé qui proposait une conclusion cohérente avec
l’ensemble du texte, autrement dit celle compatible avec le modèle de
situation initial et principal (phrase B dans l’exemple). Choisir cette phrase
nécessitait d’intégrer l’information avec le modèle initial et donc d’ignorer
ou supprimer le modèle de situation concurrent (phrase A).
Conformément aux résultats évoqués plus haut, Pike et ses collaborateurs
observent tout d’abord que les habiletés d’inférences, mesurées à partir de
leur épreuve expérimentale, expliquent à elles seules une part très signi-
ficative et indépendante de la variance observée (11 %) à une épreuve 149
standardisée de compréhension. Les résultats présentés dans le tableau 4.1
montrent ensuite que le nombre d’inférences correctement effectuées (i. e.
nombre moyen de choix corrects) dépend de l’âge des enfants mais aussi
des conditions de présentation de l’information. Si ce nombre augmente
avec le niveau scolaire, on observe aussi que les illustrations facilitent leur
réalisation lorsqu’elles représentent des informations saillantes et pertinentes
alors que les illustrations représentant des informations non pertinentes ou
conflictuelles gênent leur production. Ces effets diminuent toutefois de
manière notoire avec l’âge : l’effet d’interférence de l’image non pertinente
demeure significatif jusqu’au CM2 mais l’image pertinente a un effet faci-
litateur jusqu’au CM1 seulement ; en outre, seuls les enfants de CE1 ont
de meilleures performances lorsque le texte est présenté seul plutôt qu’avec
une image non consistante. On constate donc un développement net de
l’aptitude à ne pas tenir compte de l’image lorsque celle-ci n’est pas perti-
nente par rapport au texte, à mesure que les enfants grandissent.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 4.1 : Un paragraphe pour estimer la gestion de la cohérence


et les inférences de relai (d’après Pike, Barnes et Baron, 2010).

Texte
1. La semaine dernière, Yann s’est cassé la jambe en tombant de son skate.
2. Son ami Paul l’a invité chez lui pour le week-end.
3. Le premier jour il pleuvait et les garçons ont regardé des films.
4. Le lendemain, il faisait beau et Paul eut envie d’aller nager au lac.
5. Les garçons adoraient plonger.

Choix multiple :
A. Yann a plongé le premier et s’est beaucoup amusé à nager.
B. Yann a joué dans le sable et a regardé Paul plonger.
C. Les garçons ont décidé de rentrer tôt pour terminer leurs devoirs.

Images
Consistante Consistante Non consistante

150

Résultats : nombre moyen de choix corrects (maximum = 6).


Image non
Niveau scolaire Image consistante Texte seul
consistante
CE1 4.27 (1.16) 2.80 (1.08) 1.80 (0.68)
CE2 4.53 (1.25) 2. 87 (1.18) 2.33 (1.05)
CM1 5.53 (1.25) 4.27 (1.34) 3.53 (1.13)
CM2 5.40 (1.30) 4.67 (1.18) 4.07 (1.53)
6e 5.54 (0.88) 5.00 (1.47) 4.85 (0.99)
Image non
Niveau scolaire Image consistante Texte seul
consistante
CE1 4.27 (1.16) 2.80 (1.08) 1.80 (0.68)
CE2 4.53 (1.25) 2. 87 (1.18) 2.33 (1.05)
CM1 5.53 (1.25) 4.27 (1.34) 3.53 (1.13)
CM2 5.40 (1.30) 4.67 (1.18) 4.07 (1.53)
6e 5.54 (0.88) 5.00 (1.47) 4.85 (0.99)

Que nous apprennent ces résultats sur les facteurs qui influencent les
inférences et leur développement ? Pour effectuer l’inférence de relais
nécessaire à l’établissement d’un modèle de situation cohérent, les enfants
devaient être capables de mettre en relation les informations données dans
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

la première phrase (Yann s’est cassé une jambe) avec l’une des phrases-test
survenant après la lecture de quatre phrases interférentes. Choisir la réponse
pertinente (Yann a joué dans le sable et a regardé Paul nager) suppose d’avoir
maintenu active en mémoire de travail les informations lues au début du
texte. Il s’agit donc pour les enfants de sélectionner et de maintenir actives
les informations importantes ou centrales et d’inhiber ou supprimer les
informations interférentes qui pourraient gêner l’établissement de relation
causale (Gernsbacher, 1990). De toute évidence, une illustration appro-
priée aide à la focalisation de ces informations alors qu’une illustration
inappropriée contribue à focaliser et maintenir actives des informations non
pertinentes – voire à focaliser un modèle de situation concurrent – que les
plus jeunes enfants ne parviennent pas à inhiber. À côté des mécanismes
d’activation des connaissances, il semble donc que le développement des
mécanismes d’inhibition représente un paramètre essentiel de la capacité à
effectuer des inférences adaptées. Ces mécanismes permettent d’éviter que
la mémoire de travail ne soit surchargée par des informations superflues au
moment d’effectuer les inférences nécessaires, une surcharge ayant pour
conséquence de réduire l’accès aux éléments d’informations nécessaires.
La focalisation des informations en mémoire de travail dépend donc de ce
double jeu permanent de l’activation et de l’inhibition des connaissances qui 151
garantit la construction, mais aussi la mise à jour des modèles de situation
au fur et à mesure de la lecture.

Cohésion et cohérence
L’élaboration d’un modèle de situation cohérent dépend aussi de la présence
d’unités linguistiques spécifiques – les marques de cohésion – et de la capa-
cité des lecteurs à en tenir compte. La cohésion (ou cohérence locale) d’un
texte donne une mesure de son organisation sémantique interne (Riegel et
al., 1994 ; Graesser et McNamara, 2011). Les déterminants, les pronoms,
les connecteurs et la ponctuation composent cet ensemble d’unités qui
indiquent en surface les relations existant entre différentes parties d’un
énoncé ou entre différents énoncés. Les déterminants et les pronoms, et plus
généralement les expressions anaphoriques, ont une fonction référentielle
et assurent la continuité thématique dans l’enchaînement des énoncés. Les
connecteurs et les marques de ponctuation signent quant à eux la progression
thématique (Bianco, 2003 ; Fayol et al., 2000). En somme, les marques de
cohésion représentent des instructions indiquant au lecteur que des relations
sont à établir entre les énoncés ; elles peuvent donc faciliter la compréhen-
sion – et notamment la réalisation des inférences – à condition que leur
fonctionnement et leur signification soient maîtrisés. L’acquisition de ces
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

unités linguistiques par les enfants a été plus étudiée en production qu’en
compréhension mais quel que soit le domaine, les données suggèrent qu’il
en va de cet aspect du langage comme des autres aspects évoqués précé-
demment. On observe une émergence précoce de l’utilisation de ces unités
mais un développement progressif qui n’aboutit à une maîtrise complète
qu’à l’adolescence pour certaines.

Le développement du système anaphorique


Le système anaphorique permet de marquer dans le discours la relative
nouveauté des entités et personnages dont il est question. Dans une histoire
par exemple, un personnage est introduit au moyen d’une expression indéfinie
– ou parfois d’un nom propre (il était une fois, un petit hérisson…). Lorsque
l’on fait allusion à ce même personnage dans la suite du texte, des expressions
définies et/ou des reprises pronominales sont utilisées. Les expressions réfé-
rentielles sont donc l’un des moyens linguistiques qui permettent de signaler
et distinguer ce qui est déjà connu (le donné) et ce qui ne l’est pas encore
(le nouveau). Très tôt, les enfants repèrent cette propriété fondamentale
du discours et adaptent leurs expressions au caractère donné ou nouveau
des entités. C’est ce qu’ont montré Salomo, Lieven et Tomasello (2010)
152 en présentant à des enfants de deux ans de courtes vidéos mettant en scène
un personnage principal (un animal en l’occurrence) interagissant avec un
autre animal. Dans le déroulement de la séquence, la nouveauté portait soit
sur l’action effectuée par le personnage principal, soit sur le patient comme
le montre l’exemple suivant (tableau 4.2) :

Tableau 4.2 : exemple de saynètes utilisées


dans la recherche de Salomo et al., (2010).

Condition « action nouvelle » Condition « patient nouveau »


Scènes « contexte » La grenouille pousse le canard La grenouille lave la souris
La grenouille embrasse le canard La grenouille lave le cheval
Scènes « cible » La grenouille lave le canard La grenouille lave le canard

Question Que fait la grenouille maintenant ? Que fait la grenouille maintenant ?

Chaque vidéo était accompagnée du commentaire verbal correspondant. Les


enfants regardaient quatre vidéos différentes, deux par condition expérimen-
tale et devaient répondre à autant de questions. Les résultats montrent que
les enfants répondent en tenant compte du caractère connu ou nouveau de
l’action et du patient. Lorsque l’action est nouvelle, les enfants la citent dans
97 % des réponses (75 % de ces réponses contenant seulement l’action (lave)
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

et 22 % exprimant l’action et le patient (lave le canard). Lorsque le patient


est nouveau, les enfants citent celui-ci dans 91 % des cas (en ne citant que
le patient (31,3 %) ou l’action et le patient (59,4 %)). Dès deux ans donc,
les enfants savent tenir compte d’un contexte et adapter leur expression à
ces caractéristiques ; ils utilisent en outre des marques anaphoriques diffé-
rentes selon le marquage donné ou nouveau de l’information. Par exemple,
les enfants utilisent plus volontiers un pronom en réponse à une question
mentionnant le personnage principal, 1. « c’était la grenouille ! Que fait-elle ? »
(elle…) qu’en réponse à une question plus générale, 2. « Que se passe-t-il ? ».
Dans ce cas, ils utilisent plus fréquemment et à bon escient une expression
définie (la grenouille…). La prise en considération du caractère connu ou
non de l’information dans l’interlocution augmente très sensiblement entre
deux et trois ans ; à deux ans, les enfants nomment l’expression définie dans
90 % des cas lorsqu’on leur pose la deuxième question et dans seulement
70 % des cas lorsqu’on leur pose la première ; à trois ans, ils citent l’expres-
sion définie à près de 85 % en réponse à la deuxième question mais ne
l’utilisent plus que dans 45 % des cas en réponse à la première (Matthews
et al., 2006). Malgré cette émergence précoce, l’ancrage textuel des unités
anaphoriques et l’utilisation des formes conventionnelles en production
ne sont pas achevés à la fin de l’école primaire. En effet, si les enfants de 153
trois à quatre ans apprennent à distinguer entre le défini et l’indéfini, c’est
seulement à partir de huit ou neuf ans qu’ils réservent systématiquement
l’indéfini à l’introduction des référents. De la même manière, le maintien
de la référence par la sélection d’un pronom ou d’un nom défini évolue
entre quatre et dix ans, sans que les performances des enfants de dix ans
ne soient encore comparables à celle des adultes (French et Nelson, 1985 ;
Hickmann, 2003 ; Hickmann et Schneider, 1993, 2000). En français
notamment, la pronominalisation d’un référent dépend d’un ensemble de
paramètres syntaxiques, textuels et pragmatiques. Les reprises pronominales
sont réservées aux entités saillantes du discours. Autrement dit, la distance qui
sépare un pronom de son antécédent, le marquage syntaxique de ce dernier,
son rôle dans le texte (le personnage principal d’une histoire par exemple)
sont autant de paramètres qui déterminent la saillance du référent et donc
la validité d’une pronominalisation. Or, les enfants français ont tendance à
utiliser massivement le pronom pour exprimer une anaphore, cette tendance
s’accentuant entre sept et dix ans, alors que les adultes partagent leurs emplois
de formes pronominales et définies en fonction des contraintes textuelles
(Hickmann, 2003 ; figure 4.3).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Figure 4.3 : Utilisation des pronoms et des expressions définies


(en pourcentage) pour exprimer une reprise anaphorique,
en fonction de l’âge (d’après Hickmann, 2003, p. 210).

La compréhension des références – pronominales notamment – suit un


développement comparable à celui qui vient d’être décrit pour la production
et dépend du même ensemble de paramètres. Certains sont globaux, associés
au contenu du texte et d’autres sont plus locaux, liés aux contenus syntaxiques
154 et sémantiques des phrases adjacentes (Fayol et al., 2000) mais ils déter-
minent ensemble la disponibilité des référents en mémoire. L’interprétation
est donc rendue plus ou moins complexe par leur présence ou leur absence
dans l’énoncé et la manière dont ils sont combinés. Les recherches ont mis
en évidence au moins cinq caractéristiques de la compréhension des reprises
pronominales. Tout d’abord, si dès cinq ans, les enfants sont sensibles aux
contraintes de genre (Arnold et al., 2001), les indices morphologiques (de
genre et de nombre) ne sont pas considérés systématiquement avant l’âge de
sept ans à l’oral (Kail, 1983, Tyler, 1983 ; Zesiger et al., 2010) et avant dix ans
en lecture (Bianco, 1996 ; Lima et Bianco, 1999). Ensuite, les informations
sémantiques permettant d’inférer la référence d’un pronom morphologi-
quement ambigu sont encore mal exploitées en fin d’école primaire, par les
faibles lecteurs notamment (Bianco, 1996 ; Yuill et Oakhill, 1991 ; Lima et
Bianco, 1999). Troisièmement, lorsqu’ils sont confrontés à ces difficultés,
les enfants utilisent une stratégie de « récence », c’est-à-dire qu’ils préfèrent
interpréter le pronom en référence au dernier personnage mentionné. Cette
stratégie est attestée à l’oral chez les enfants de moins de cinq ans (Kail, 1983)
mais perdure en lecture jusqu’au cycle 3 (Lima et Bianco, 1999). Quatriè-
mement, la résolution des références dépend de la nature des expressions
anaphoriques. Les expressions définies sont généralement mieux comprises
que les formes pronominales moins explicites (Barnitz, 1986 ; Rémond,
1992). Parmi les pronoms, les pronoms sujets de troisième personne (il/elle)
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

sont mieux compris et plus tôt que les pronoms objets (Bianco, 1996 ; Ehrlich
et Rémond, 1997 ; Lima et Bianco, 1999 ; Zeisiger et al., 2010). Une série
de résultats obtenus par notre équipe illustrent ces caractéristiques. Nous
avons demandé à des enfants de CE2 (âge moyen 8 ; 9 ans) et de CM2 (âge
moyen 10 ; 9 ans) de choisir le référent d’un pronom après la lecture de courts
paragraphes permettant d’examiner la gestion des indices morphologiques,
de la thématisation du référent (personnage mentionné en premier ou en
second) et des informations sémantiques dans l’attribution d’une référence à
un pronom sujet de troisième personne ou à des pronoms objets, le pronom
« lui » en particulier. Des exemples de paragraphes et les résultats correspon-
dants sont donnés au tableau 4.3.

Tableau 4.3 : Pourcentage d’attribution correcte de la référence


en fonction de l’ordre de mention du référent dans la phrase contextuelle
(Bianco, 1996 ; Bianco et Lima 1999).

A. Référence déterminée par le genre.

Premier mentionné Second mentionné


Paragraphes
(P1) CE2 CM2 (P2) CE2 CM2
Dans la rue, Paul suit Marie. 155
Il/elle marche vite. Les réverbères 85 96 93 96
commencent à s’allumer.

B. Pronom ambigu, informations sémantiques

Premier mentionné Second mentionné


Paragraphes
(P1) CE2 CM2 (P2) CE2 CM2
Sur le stade, Thomas encourage
Julien. Il a très chaud. Il est assis
56 75 67 78
en plein soleil/il peine à terminer
sa course.

C. Pourcentage d’attribution de la référence au premier ou au second


personnage mentionné dans le cas d’une référence sous-déterminée.

Premier mentionné Second mentionné


Paragraphes
(P1) CE2 CM2 (P2) CE2 CM2
Dans la rue, Paul suit Pierre.
Il marche vite. Les réverbères 37 42 58 40
commencent à s’allumer.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

D. Pourcentage d’attribution correcte en fonction du pronom considéré.

CE2 CM2
Paragraphes
Il lui Il lui
Gérard appelle Jérôme
au téléphone. Il lui laisse 74 25 89 23
un message sur son répondeur.

On observe que même dans les cas les plus simples où un indice morpho-
logique est présent (4.3 A), les élèves de CE2 font encore des erreurs
d’attribution si le pronom sujet réfère au premier personnage mentionné ;
l’introduction d’une ambiguïté morphologique provoque une augmentation
des erreurs aux deux niveaux scolaires même lorsque des informations séman-
tiques autorisent une interprétation non équivoque (4.3 B). La tendance
des plus jeunes à attribuer la référence au dernier personnage mentionné
(effet de récence) est tout particulièrement nette quand les énoncés sont
sous-déterminés (4.3 C) ; la dernière partie du tableau (4.3 D) illustre les
difficultés qu’éprouvent les enfants jusqu’au terme de l’école primaire pour
interpréter explicitement les autres pronoms, le pronom « lui » en particulier.
156 Enfin, la distance qui sépare le pronom et son antécédent affecte aussi l’attri-
bution de la référence. L’augmentation de la distance physique diminue
la saillance de l’antécédent, du simple fait de l’augmentation du nombre
d’informations intercalées, mais aussi parfois en raison des changements de
cadre spatio-temporels que ces informations peuvent induire, rendant du
même coup l’emploi du pronom plus ou moins licite, comme dans l’exemple
suivant : « Les élèves de CE2 sont allés à la piscine. Ils s’entraînent à faire
des longueurs en brasse coulée. Soudain le téléphone sonne et le maître-
nageur va répondre. 15 minutes plus tard, il n’est pas encore revenu. Ils
en profitent pour jouer ». Les anaphores pronominales (ils dans l’exemple)
sont alors plus difficiles à comprendre et cela d’autant plus que les enfants
ont de faibles capacités de mémoire de travail. En utilisant des paragraphes
comparables à ceux présentés au tableau 4.3, mais en manipulant la distance
séparant le pronom et son antécédent (Au début des vacances, Isabelle a prêté
sa raquette à Vincent pour toute la durée de l’été. Il voulait apprendre à
jouer au tennis, l’expression en gras étant ou non exprimée en fonction des
conditions expérimentales), Seigneuric et Mergherbi (2008) ont observé que
des enfants de CM1 identifient moins bien le référent lorsque la distance
entre ce dernier et le pronom augmente ; de plus, ceux qui ont une faible
capacité de mémoire de travail répondent plus lentement que les enfants
à forte capacité.
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

En résumé, la diversité des paramètres qui entrent en jeu dans la compré-


hension des unités anaphoriques explique probablement leur maîtrise
complète relativement tardive. Il est cependant tout à fait remarquable de
constater que malgré cela, les enfants sont très tôt sensibles (dès l’âge de
deux ans) à nombre de ces paramètres ; c’est leur prise en considération
simultanée et adaptée à chaque configuration anaphorique qui est en jeu
dans le développement tardif.

Le développement de la gestion des connecteurs


Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les connecteurs sont inti-
mement liés à la structure argumentative et les enfants sont susceptibles
de rencontrer plus ou moins fréquemment les différentes catégories de
connecteurs en fonction des types de textes auxquels ils sont confrontés. Ceci
n’est probablement pas sans incidence sur la maîtrise de ces unités. En règle
générale, les connecteurs facilitent la compréhension quand ils sont exprimés
(Bianco, 2003 ; Costermans et Fayol, 1997) et les enfants de huit à dix ans les
interprètent de manière comparable aux adultes. En effet, Mouchon, Fayol
et Gaonac’h (1995) ont observé que lorsque les connecteurs sont familiers
(mais, soudain, après), les enfants français modulent leur vitesse de lecture
comme le font les adultes : ils lisent plus vite la proposition qui suit « mais 157
et soudain », et plus lentement celle qui suit « après ». Le développement
de la compréhension de ces marques linguistiques a reçu beaucoup moins
d’attention que celui des anaphores mais il semble qu’il soit parallèle à celui
des inférences et des procédés référentiels. Les enfants expriment très tôt des
connecteurs dans leur discours (French et Nelson, 1985) mais ne maîtrisent
l’utilisation et l’interprétation de l’ensemble de ces unités que tardivement.
Cain et Nash (2011) ont récemment apporté des résultats qui confirment et
étendent, avec des enfants anglais, les résultats de Mouchon et de ses colla-
borateurs. Cain et Nash ont utilisé trois types de connecteurs : temporels
(avant, après), causaux (parce que, donc) adversatifs (mais, bien que) et ont
comparé les performances d’enfants de huit et dix ans à celles d’un groupe
d’adultes dans deux tâches différentes. Dans une première expérience, les
enfants devaient choisir le connecteur approprié parmi un ensemble de trois
(par exemple, Jules boit un verre de jus de fruit (puis/parce que/et) il a soif).
Les résultats montrent que si les adultes donnent le choix attendu pour
les trois catégories de connecteurs dans plus de 92 % des cas, les enfants
de dix ans ont des performances plus faibles mais meilleures que celles des
enfants de huit ans pour les connecteurs temporaux et adversatifs (86 % et
88 % à dix ans contre 77 % et 78 % à huit ans) ; leurs performances sont par
ailleurs comparables à celles des enfants de huit ans pour les connecteurs de
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

causalité (80 % à dix ans et 78 % à huit ans). Même si les enfants font plus
d’erreurs, leurs performances sont globalement élevées dans cette situation
où la charge de traitement est minimale (compréhension d’une phrase sans
contrainte de temps pour effectuer les choix). Ils maîtrisent donc assez tôt et
assez bien la signification de ces connecteurs élémentaires, ce que confirme
une autre expérience dans laquelle la vitesse de lecture a été mesurée. Les
enregistrements montrent que dès huit ans, les enfants sont sensibles à la
présence des connecteurs et que ceux-ci facilitent la saisie des informations.
En contrastant une condition dans laquelle un connecteur indique en surface
la présence d’une relation sémantique, temporelle, causale ou adversative (par
exemple, Amélie a toujours aimé les chiens. Elle voulait en avoir un mais ses
parents ne le lui permirent pas. Leur maison était trop petite pour en accueillir
un) à une condition dans laquelle le connecteur est absent (Amélie a toujours
aimé les chiens. Elle voulait en avoir un ; ses parents ne le lui permirent pas.
Leur maison était trop petite pour en accueillir un), on observe qu’à huit ans
comme à dix ans, les enfants lisent plus rapidement la seconde phrase si le
connecteur est présent.
En définitive, les recherches concernant l’influence des marques de cohésion
et leur acquisition apportent des résultats très convergents, montrant une
158 émergence précoce de la connaissance de ces marques mais une connaissance
complète et explicite de leur rôle et de leurs significations relativement tardive,
puisqu’encore à dix ans, les performances des enfants ne sont pas identiques
à celles des adultes. L’examen du comportement d’enfants de cinq, sept et
dix ans confrontés à une anomalie d’introduction (expression définie ou
pronom) ou de reprise de référence (expression indéfinie) finira d’illustrer ce
phénomène. Hickmann et Schneider (1993) ont demandé à des enfants de
rappeler des énoncés entendus et dans une autre condition, de les répéter mot
à mot. Les auteures ont observé que les enfants corrigent spontanément les
introductions anormales dès cinq ans mais c’est seulement à partir de sept ans
qu’on observe 100 % de corrections. De la même manière, la proportion de
corrections des reprises inadaptées augmente régulièrement jusqu’à dix ans.
Lorsqu’on s’intéresse ensuite au repérage circonstancié des anomalies, on
observe que seuls les enfants de dix ans sont capables de justifier pourquoi
certaines anomalies d’introduction sont incorrectes. De plus, ces repérages
circonstanciés sont majoritaires seulement si l’introduction de référence est
très déviante (utilisation d’un pronom). Leur proportion chute de 40 %
lorsque les introductions sont des expressions définies. Enfin, les anomalies
de reprises restent difficiles à repérer et justifier pour les enfants de dix ans ;
très peu d’enfants de cet âge sont d’ailleurs capables d’un repérage, même
implicite, de ces anomalies.
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

Le développement de la compréhension des marques de cohésion suit donc


une trajectoire qui va d’une maîtrise comportementale et locale précoce à
une connaissance explicite et généralisée à l’ensemble des unités linguistiques
tardives. Autrement dit, le développement des capacités langagières, comme
celui du développement cognitif général, obéit à un principe qui conduit de
la maîtrise épilinguistique à une maîtrise métalinguistique des habiletés, ce
passage passant probablement une « redescription » progressive des connais-
sances élaborées d’abord implicitement et localement selon les termes de
Karmilloff-Smith (1992). Cette redescription permet l’intégration des habiletés
dans un système explicite et accessible à la manipulation verbale consciente
(Gombert, 1990 ; Karmiloff-Smith, 1992 (voir tableau 4.4 pages 160-161)).

Connaissances antérieures et inférences


La disponibilité des connaissances en mémoire et surtout leur accessibilité
constituent indéniablement des paramètres décisifs mais les mécanismes
d’inférences et leur développement ne peuvent être assimilés à une stricte
conséquence du développement des bases de connaissances. Quelques travaux
permettront d’éclairer ce que l’on peut dire aujourd’hui des rapports entre
les connaissances et la capacité à effectuer des inférences.
159
Nos connaissances du monde sont, bien entendu, fortement impliquées dans
la réalisation des inférences et représentent un paramètre explicatif impor-
tant des différences interindividuelles. En effet, pour inférer que « Laura est
effrayée » après avoir lu ou entendu l’énoncé « Laura entendit un bruit sourd
venir de l’étage ; elle devint toute blanche » (exemple donné page 145), il
faut nécessairement savoir qu’une pâleur soudaine est souvent associée au
sentiment de peur. Ce point de vue est étayé par de très nombreux travaux
effectués auprès d’adultes aussi bien que d’enfants et quelques exemples
permettront de décrire cette problématique. Bowyer-Crane et Snowling
(2010) tout d’abord, ont examiné si les connaissances impliquées dans les
récits avaient une incidence sur la nature et l’aisance des inférences réalisées
par des enfants de dix ans. Les histoires présentées étaient fondées sur des
faits réels ou sur des faits imaginaires (récits de fiction) comme illustré au
tableau 4.5. L’hypothèse qui sous-tend cette comparaison est très voisine de
celle examinée par Pike et ses collaborateurs (2010). En effet, les récits à base
de faits réels exposent des événements dont les raisons et les conséquences
sont compatibles avec notre connaissance quotidienne des situations ; si
on se réfère à l’exemple donné au tableau 4.5, la phrase « Jean a tué l’ours »
peut être considérée comme une conséquence probable et attendue du fait
qu’un personnage ait tiré sur l’animal et que ce dernier soit tombé à terre.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 4.4 : La Redescription des Représentation (RR),


d’après Karmiloff-Smith (1993).

La RR est « le processus par lequel l’information implicite dans l’esprit, devient une
connaissance explicite pour l’esprit, d’abord à l’intérieur d’un domaine puis parfois entre
les domaines ».
La redescription des représentations est un processus à trois phases :
Une situation exemple : le/un : distinction du défini et de l’indéfini.
Le mot « un » désigne en français à la fois un indéfini et un numérique.
Situation : Deux salles de jeux, l’une appartenant à une fille, l’autre à un garçon.

Fille Garçon
– 3 voitures – 1 voiture
– 1 livre – 1 crayon
– 1 balle – 3 balles

Expérimentateur produit des énoncés : Prête-moi une voiture/Prête-moi la voiture.


Tâche de l’enfant : deviner à qui s’adresse l’expérimentateur (à la fille ou au garçon).
Comportement des enfants
Phases de la RR : en réponse aux questions
de l’expérimentateur.
Phase 1 : apprentissage dirigé par les données Trois/quatre ans :
(data-driven). réussite parfaite – maîtrise
160 Les connaissances acquises sont implicites ; elles comportementale.
sont indépendantes, séquentielles et encapsulées Disposent de représentations
– Niveau I (implicite). formant des paires forme-
L’enfant se centre sur les données extérieures et fonction qui permettent
crée des nouvelles représentations, stockées de d’apparier « le » au singleton
manière indépendante. Il s’agit de procédures et « un » à un objet quelconque.
indépendantes. Elles s’ajoutent à ce qui existe déjà,
sans affecter les connaissances anciennes.
Phase qui conduit à la maîtrise comportementale
dans le champ d’application de la procédure.
Phase 2 : phase dirigée par les données internes Cinq ans : apparition d’erreurs
(internally driven). dans l’interprétation de « un ».
Centration sur les données internes, acquises à la Hésitation entre l’interprétation
phase précédente. L’état actuel des connaissances numérique et l’interprétation
internes domine au détriment des données externes, indéfinie ce qui conduit au choix
ce qui conduit éventuellement à des erreurs (par de la poupée (garçon) n’ayant
rapport à la phase précédente) et à la manifestation qu’une voiture en réponse
d’une certaine rigidité du système. à l’énoncé « prête-moi une
Les représentations sont explicites (E1) ; niveau voiture ».
explicite 1 (E1) : – Les enfants de cinq ans sont
Les E1 résultent de la RR des procédures du niveau sensibles à la dualité de fonction
précédent. Ce sont des abstractions et elles ne sont de « un » ce qui témoigne de la
plus encapsulées : RR qui lie la même forme « un »
à ses deux fonctions.
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

– leur contenu est accessible et peut être manipulé


pour établir des liens avec les autres connaissances
E1 intra ou inter domaine.
– les informations communes à différentes
procédures peuvent être repérées. Elles sont des
données pour le système cognitif, mais ne sont pas
accessibles à la conscience et à la verbalisation.
Phase 3 : équilibre entre contrôle interne et externe. Huit/neuf ans :
Réconciliation des données internes et externes. Les enfants ne font plus
Fonctionnement souple. d’erreurs (E2), savent expliquer
Les représentations sont accessibles à la leur choix en s’appuyant
conscience (E2) et à la verbalisation (E3) – Niveau sur les caractéristiques
explicite 2 et 3. des déterminants (E3).
E3 : les représentations ont été redécrites dans un
format général, commun à tous les domaines (cross-
système code) et suffisamment proches du langage
naturel pour être verbalisées.
W la redescription conduit à la coexistence de
différents niveaux de représentations pour la même
information.

Il en va autrement pour les récits de fiction pour lesquels la compréhension


et l’acceptation comme vraie de la phrase « la reine a transformé les garçons
161
en cygnes sauvages » requiert d’accepter que les actions décrites dans la fiction
puissent être fausses dans le monde réel et cependant vraies ou plausibles
dans les circonstances de la fiction. Les inférences effectuées dans le cadre
d’une fiction requièrent donc d’inhiber la connaissance des faits réels et
l’incrédulité qui en résulte pour accepter comme plausible l’enchaînement
des événements du monde fictionnel. Les résultats répliquent tout d’abord
le résultat classique concernant le type d’inférences réalisées de manière
privilégiée au cours de la lecture (Casteel et Simpson, 1991 ; Casteel, 1993).
Les enfants font plus systématiquement des inférences de nature causale que
des inférences d’élaboration pendant qu’ils lisent des récits (le pourcentage
de réponses correctes est supérieur à 90 % pour les phrases portant sur des
inférences causales et voisin de 60 % pour les phrases impliquant des élabo-
rations). Mais, si les deux catégories d’inférences (causales ou élaboratives)
sont effectuées au même degré dans les deux types d’histoires, elles sont
effectivement plus difficiles à établir dans le cadre des récits de fiction. En
d’autres termes, l’exactitude des réponses est comparable pour les deux
types d’histoires – qui représentent au demeurant des textes très simples
pour des enfants de dix ans – mais la latence des réponses est en moyenne
plus courte lors de la lecture des histoires à « faits réels » et plus longue lors
de la lecture des récits de fiction.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 4.5 : Exemple de textes et de questions inférentielles


utilisés par Bowyer-Crane et Snowling (2010).

Récit à base de faits réels Récit de fiction


Partie 1 Jean et Franck virent l’ours s’appro- Il était une fois un roi qui avait onze
cher des filles. L’ours grognait et fils et une fille. Le roi se maria avec
montrait ses crocs. Les filles étaient une méchante reine qui était jalouse
terrifiées et pétrifiées par la peur. des enfants. Elle chassa la petite fille
Une balle atteint l’oreille de l’ours et et demanda au roi de bannir ses fils
il se dressa sur ses pattes. Il poussa du royaume. Le jour où les garçons
un hurlement terrifiant. quittèrent le palace, la reine leur jeta
un sort. Au lieu de onze garçons,
onze cygnes sauvages s’envolèrent
par les portes du château.

Phrase test 1 L’ours avait des pattes énormes La reine a transformé


(élaboration) les garçons en cygnes
sauvages (inférence causale)
Partie 2 Cathie se mis à crier. L’ours dépla- Les princes cygnes se mirent à
çait lentement, s’approchant de plus la recherche de leur sœur. Quand
en plus près. Maintenant qu’il était ils l’eurent trouvée, elle promit de
blessé, il était encore plus dange- briser leur sort. Elle fabriqua onze
reux. Jean savait qu’il fallait agir chemises magiques. Dès qu’elle
vite. Il arma rapidement son fusil et mit les chemises sur les cygnes,
162 tira. L’ours tomba sur le sol et ne ils se transformèrent en onze princes
bougea plus. élégants. Cependant la fille n’avait
pas eu assez de tissu magique
pour terminer toutes les chemises.
Le plus jeune prince garda pour
toujours une aile de cygne à la place
d’un bras.

Phrase test 2 Jean a tué l’ours Son bras était recouvert de


(inférence causale) plumes blanches (élaboration)
Question de Où la balle a-t-elle touché l’ours ? Combien de fils avait le roi ?
compréhension

Afin de distinguer les effets des connaissances antérieures et des capacités à


effectuer des inférences, Barnes et ses collaboratrices (1996) ont imaginé une
situation expérimentale destinée à neutraliser les différences interindividuelles
liées aux connaissances. Elles ont appris à des enfants de 6 à 15 ans, 20 carac-
téristiques d’un monde imaginaire : la planète « GAN ». Sur cette planète,
par exemple, les tortues sont chaussées de patins à glace, les ours ont une
fourrure bleue, les arbres ont des feuilles roses, les chaussures des ailes, etc.
L’apprentissage de toutes les propriétés de la planète « GAN » a été conduit
jusqu’à ce que chaque enfant les connaisse parfaitement (la connaissance
était évaluée par une épreuve de reconnaissance d’images et une épreuve
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

de rappel ; toute image non reconnue ou toute propriété non rappelée était
réapprise jusqu’à ce que chacun se souvienne parfaitement de l’ensemble
des 20 propriétés). De plus, la rapidité des rappels était enregistrée, donnant
non seulement une mesure de la disponibilité de la base de connaissance
mais aussi une mesure de son accessibilité. À l’issue de l’apprentissage,
les 20 propriétés représentent donc une base de connaissance nouvelle et
équivalente pour chaque enfant, quel que soit son âge. Une histoire était
ensuite racontée ; elle décrivait les aventures de deux enfants vivant sur GAN
et était composée de dix épisodes qui étaient lus un par un, par exemple :
« Le temps devenait si froid que Dack et Tane sortirent leurs manteaux en
fourrure d’ours de leurs sacs et les enfilèrent. En un instant, le chemin devint
tout gelé et très glissant. Dack et Tane tombaient sans arrêt ; ils aperçurent
deux tortues, juste devant eux. “J’aimerais être une tortue”, soupira Dack.
Tane tomba à la renverse sur son sac à dos, écrasant toutes les mûres qu’elle
avait cueillies dans la journée… ». Après l’audition de chaque épisode, des
questions littérales (Qu’est-il arrivé quand Tane est tombée ?) des questions
suscitant une inférence causale (Que souhaite Dack ?) ou élaborative (Quelle
est la couleur du manteau de Dack et Tane ?) étaient posées. Les questions
inférentielles étaient formulées de telle sorte que seules des connaissances
relatives aux propriétés du monde « GAN » devaient être utilisées pour y 163
répondre. Les résultats de cette recherche confirment encore que quel que
soit leur âge, les enfants font plus d’inférence de cohérence que d’inférence
d’élaboration, cette tendance augmentant avec l’âge ; seuls les plus âgés font
des inférences causales de manière systématique. Les plus jeunes sont moins
habiles et donnent moins souvent une réponse inférentielle (par exemple, à
la question « Que souhaite Dack ? », ils répondent plus souvent littéralement
« être une tortue », plutôt que « avoir des patins à glace » ou « être une tortue
parce qu’elles ont des patins à glace »). De plus, en changeant la formulation
de la question pour mettre directement l’accent sur la causalité (« Pourquoi
Dack souhaite-t-il être une tortue ? »), le nombre de réponses inférentielles
augmente mais la différence liée à l’âge demeure.
La recherche de Barnes et ses collaborateurs (1996) conduit à la même
conclusion que celle de Cain et al., (2004b) présentée au chapitre précé-
dent : les connaissances dont nous disposons sont une condition facilitatrice,
voire nécessaire à la réalisation d’une inférence mais elles n’en sont pas
une condition suffisante. Encore faut-il que les individus accèdent à cette
connaissance et sachent effectuer les opérations indispensables à sa mise
en relation avec les informations textuelles. L’accessibilité, autrement dit
la vitesse avec laquelle les enfants récupèrent les connaissances en mémoire
semble effectivement très tôt liée au mécanisme inférentiel, comme le
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

montre la figure 4.4. On y observe que la probabilité d’effectuer une infé-


rence est conditionnée à la vitesse d’accès à l’information, estimée par la
rapidité du rappel des propriétés du monde « GAN ». Indépendamment de
l’âge, une connaissance très accessible a presque deux fois plus de chances
d’être intégrée au modèle de situation qu’une connaissance peu accessible.
En outre, la relation accessibilité de l’information-inférence change avec le
développement ; l’accessibilité conditionne les inférences causales chez les
jeunes enfants (six à neuf ans) mais n’explique plus cette capacité à partir
de 12 ans. Au contraire, l’accessibilité explique les inférences d’élaborations
effectuées par les enfants à partir de dix ans.

Figure 4.4 : Probabilité d’effectuer une inférence en fonction


de l’accessibilité des connaissances en mémoire et de l’âge des enfants
(d’après Barnes et al., 1996).

164

(Le rapport de chances accessibilité/inférence (odds ratio) traduit la probabilité d’effectuer une
inférence lorsque la connaissance correspondante est facilement accessible, rapporté à la proba-
bilité d’effectuer la même inférence lorsque la connaissance est plus difficilement accessible ; un
rapport supérieur à 1 indique que le premier cas est le plus probable).

Ces résultats confirment ce que nombre de travaux relatifs à l’influence des


schémas de connaissance dans la compréhension et la mémorisation des
récits avaient montré : la saillance (autrement dit l’accessibilté) des infor-
mations, dans les schémas de récit et dans les scripts, prédit les inférences
effectuées au cours de la lecture et leur rappel ultérieur, chez les adultes
(Abbott Black et al., 1985 ; Mac Koon et Ratcliff, 1992 ; Garrod Sanford,
1982 ; 1985 ; Graesser et Bower, 1990 ; Keenan, Baillet et Brown, 1984 ;
Yekovich et Walker, 1987) comme chez les enfants (Bianco et Tiberghien,
1991 ; Hudson et Nelson, 1983 ; Trabasso, Secco et Van den Broek, 1984 ;
Van den Broek, 1989).
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

Les habiletés d’inférences ne distinguent pas seulement les enfants en fonc-


tion de leur âge. Elles distinguent aussi les bons compreneurs des moins
bons compreneurs, adultes (Garhnam, Oakhill et Johnson-Laird, 1982 ;
Oakhill, 1983 ; Long et al., 1994), comme enfants (Cain et Oakhill, 1999,
2007 ; Oakhill, 1984 ; Oakhill et Yuill, 1991, 1996 ; Paris et Lindauer, 1976,
Omanson, Warren et Trabasso, 1978). Cain, Oakhill, Barnes et Bryant
(2001) ont répliqué l’expérience qui vient d’être décrite en comparant un
groupe de lecteurs âgés de sept à huit ans ayant des performances équiva-
lentes en lecture mais se distinguant par leur capacité de compréhension.
Leurs résultats sont sans ambiguïté : les plus faibles compreneurs font moins
d’inférences que les meilleurs compreneurs indépendamment de leurs
connaissances (qu’il s’agisse de la qualité des rappels des caractéristiques
du monde « GAN » ou encore de la capacité des enfants à retenir les infor-
mations littérales du texte (réponses aux questions de surface). Une analyse
des erreurs indique en outre que celles-ci se situent à différentes étapes du
processus inférentiel en fonction du niveau de compréhension des enfants :
elles surviennent au tout début du processus pour les faibles compreneurs
qui semblent avoir des difficultés à sélectionner l’information pertinente
dans le texte lui-même ; ils ne repèrent pas – ou mal – les endroits du texte
qui appellent la réalisation de l’inférence. Les erreurs des bons compreneurs 165
de sept à huit ans indiquent plutôt qu’ils échouent à intégrer l’information
textuelle à leurs connaissances.
En conclusion, nous pouvons retenir que la capacité à effectuer des inférences
émerge très tôt au cours du développement mais se développe graduellement
jusqu’à l’âge adulte. Son aspect multidimensionnel – tant par la diversité des
inférences qui peuvent être sollicitées que par les mécanismes sous-jacents
qui engagent des connaissances variées ainsi que les capacités de raisonne-
ment des individus – explique probablement la précocité de son émergence,
le long cours de son développement et les différences constantes observées
entre les meilleurs compreneurs et les faibles compreneurs. Il s’agit bien
d’une habileté spécifique au traitement des textes très fortement liée aux
connaissances des individus mais non assimilable à celles-ci.

Contrôle et régulation de la compréhension des textes :


l’acquisition de stratégies
La construction d’un modèle de situation requiert encore des lecteurs ou
auditeurs qu’ils puissent utiliser leurs connaissances et mettre en œuvre
l’ensemble des mécanismes décrits jusqu’ici chaque fois que la situation
le demande. Autrement dit, le lecteur expert est un lecteur stratège (voir
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

chapitre 1), capable de repérer ce qu’il comprend ou ne comprend pas


(activité de contrôle ou d’autoévaluation proprement dite) et de mettre en
œuvre des comportements de régulation pour résoudre les difficultés quand
elles surviennent (Baker, 1985 ; Bianco, 2003 ; Bianco, Lima et Sylvestre,
2004 ; McMamara, 2007 ; McNamara et O’Reilly, 2009 ; Ricketts, 2011).
Ce contrôle ou guidage s’exerce sur l’ensemble des dimensions textuelles.
Les enfants doivent donc acquérir les procédures et stratégies qui permettent
de reconnaître et de réguler les difficultés rencontrées aux niveaux du voca-
bulaire, de la syntaxe et de la structuration des informations sur les plans
local et global. Ces comportements stratégiques sont très liés aux capacités
métacognitives en ce qu’ils nécessitent une prise de conscience de sa propre
compréhension et une connaissance explicite des procédures à mettre en
œuvre lorsque l’on n’a pas, ou mal compris.

Le paradigme de détection d’erreurs pour étudier


les capacités d’autoévaluation
Le développement de ces capacités d’autoévaluation a traditionnellement
été étudié à partir d’une technique de détection d’erreurs qui consiste à
introduire des erreurs (ou inconsistances) dans un énoncé et à observer les
166 comportements des lecteurs qui y sont confrontés (voir tableau 4.6). En
demandant à des enfants de repérer les inconsistances et de les désigner
explicitement, les premiers travaux de Markman (1979) puis de Baker
(1985) ont montré un développement relativement tardif correspondant à
la période de l’école primaire. Baker notamment, a effectué une série d’expé-
riences avec des enfants âgés de cinq, sept et neuf ans au cours desquelles
elle présentait oralement de courts textes dans lesquels étaient insérées des
erreurs concernant différents niveaux de l’analyse linguistique : lexical,
syntaxique ou sémantique. Les erreurs sémantiques étaient de deux sortes,
internes au texte (des contradictions entre phrases par exemple, tableau 4.6)
ou externes à ce dernier, provenant alors d’inconsistances entre le texte et les
connaissances externes (l’eau bout à zéro degré). En donnant une consigne
explicite (le texte présente des erreurs), Baker a montré que dès cinq ans, les
enfants sont capables de détecter quelques erreurs. Les résultats montrent
aussi que les plus jeunes et les plus faibles lecteurs privilégient les critères
lexical et thématique (voir également Vosniadou et al., 1988) et que les
performances s’améliorent très fortement entre cinq et neuf ans ; parmi
l’ensemble des critères, le critère de consistance interne reste le plus difficile
à évaluer et à repérer encore à neuf ou dix ans.
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

Tableau 4.6 : Détecter des erreurs.

Détecter des contradictions (d’après Oakhill, Cain et Yuill, 1998).


Texte à lire :
Les gorilles sont des animaux intelligents qui vivent en groupes en Afrique.
Les gorilles dorment sur le sol sur un lit de feuilles et ils aiment manger différents types
de fruits.
*
Ils sont timides et gentils et ils se battent rarement entre eux.
Les gorilles ont le nez plat et un très mauvais odorat mais leur vue est très bonne.
Ils se déplacent sur le sol sur leurs mains et sur leurs pieds.
*Les gorilles dorment dans les arbres et ils construisent souvent un toit de feuilles pour
se protéger de la pluie.

La phrase cible, « les gorilles dorment… » est placée soit à la troisième ligne (condition
adjacente), soit à la fin du paragraphe (condition éloignée).

Questions :
Ce passage est sensé, il n’y a rien à changer.
Ce passage n’est pas sensé, quelque chose doit être changé.
Souligne ce qui doit être changé.
Score moyen de détection (sur un maximum de 6)
adjacent éloigné
bons compreneurs 5.2 5
compreneurs faibles 4.3 3.2 167

En reprenant ce paradigme, de nombreux auteurs ont confirmé ces premiers


résultats tout en les étendant selon deux directions :
– Oakhill et Cain (1996, 1998), comme Ehrlich et ses collaborateurs (1999)
ont montré que les faibles compreneurs de 9 à 15 ans sont moins habiles
que les bons compreneurs pour repérer les contradictions ou les incohé-
rences entre deux phrases, leurs difficultés étant plus prononcées lorsque
les éléments à comparer sont éloignés dans le texte (voir tableau 4.6).
– Les très jeunes enfants de 30 à 48 mois manifestent déjà des comporte-
ments de surprise, indiquant une forme d’autoévaluation lorsqu’on leur
raconte une histoire très familière et que l’on introduit des changements
dans la trame narrative, en substituant un acteur ou une action attendus
par un élément incongru ou encore en changeant de l’ordre de deux
actions (Skarakis-Doyle, 2002).
On trouve donc très précocement des traces d’une activité de guidage lors de
la compréhension, bien avant que les enfants ne soient capables d’exprimer
verbalement et systématiquement les difficultés détectées. L’enregistrement
des comportements oculomoteurs de jeunes lecteurs de 7 à 12 ans confirme
cette idée mais met aussi en évidence des différences systématiques dans la
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

gestion des difficultés pendant le temps réel de la lecture, entre les enfants
bons et faibles lecteurs d’une part (Connor, Radach et al., 2015), et entre les
enfants et les adultes d’autre part. Par exemple, en manipulant deux types de
difficultés – une incohérence réelle « le garçon utilisa un piano pour jouer
le mot difficile qu’il ne comprenait pas », et une information thématique-
ment peu plausible « le garçon utilisa une feuille de route pour trouver le
mot difficile qu’il ne comprenait pas » – Joseph et ses collaborateurs (2008)
ont montré que les durées de fixation sur la région cible « le mot difficile »
augmentent fortement en présence d’une incohérence par rapport aux
temps de fixation observés dans une condition contrôle (« le garçon utilisa
un dictionnaire pour trouver le mot difficile qu’il ne comprenait pas »),
chez les enfants comme chez les adultes. En revanche, et contrairement aux
adultes, les phrases contenant une information thématiquement peu plau-
sible ne produisent pas d’effet immédiat sur le comportement oculomoteur
des enfants mais induisent des ralentissements de la lecture plus tardifs et
moins focalisés. Les enfants semblent donc avoir plus de difficultés à repérer
et intégrer immédiatement ce type de problèmes à leur représentation de
la situation. Ces différences entre enfants et adultes paraissent robustes car
elles ont aussi été mises en évidence en observant le comportement oculo-
168 moteur au cours de la lecture d’histoires dans lesquelles aucune anomalie
n’est insérée. Ainsi, Bohn-Gettler et ses collaborateurs (2011) ont observé
que les enfants de 12 ans fixent plus longtemps les énoncés qui expriment
un changement situationnel seulement si celui-ci implique une causalité
alors que des adultes modulent leur vitesse de lecture à chaque changement
situationnel, qu’il s’agisse d’une causalité de changements spatiaux, temporels
ou encore de focalisation des personnages.

La pensée à haute voix pour étudier les stratégies


de compréhension
L’utilisation du paradigme de la détection des erreurs a permis de décrire le
développement de la capacité à repérer les possibles inconsistances ou diffi-
cultés présentes dans un texte mais le guidage effectif de la compréhension
nécessite la mise en œuvre de procédures de régulation afin de surmonter
ou résoudre les difficultés rencontrées. Ces procédures, désignées dans la
littérature sous le terme de stratégies d’autorégulation (ou stratégies de
compréhension) ont été très largement étudiées chez les adolescents et les
jeunes adultes par le recours de protocoles de « pensée à haute voix ». Cette
technique consiste à proposer une lecture segmentée de textes relativement
longs et de demander au lecteur d’exprimer à haute voix ce qu’il pense et
comprend à l’issue de chaque segment. Le lecteur est donc invité à expliciter la
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

manière dont il comprend le texte, au fur et à mesure de sa lecture. Autrement


dit, ce processus d’autoexplication rend explicite et visible la compréhension
et ses mécanismes. C’est en tout cas le pari qu’ont fait les chercheurs qui se
sont engagés dans cette voie de recherche (Chi et al., 1994 ; Graesser et al.,
1994 ; Graesser, 2007 ; Kendeou, Muis, et Fulton, 2011 ; McNamara, 2004 ;
McNamara et Magliano, 2009 ; Magliano et Millis, 2003 ; Millis, Magliano et
Todaro, 2006 ; Laing et Khami, 2002 ; Lynch et Van den Broek, 2007 ; Van
den Broek et al., 2009). Les résultats de ces travaux étendent les recherches
décrites tout au long du premier et du présent chapitre, en montrant que les
lecteurs avancés sont capables d’exprimer explicitement les aspects stratégiques
de leur compréhension. Les auteurs décrivent essentiellement quatre types
de stratégies (voir tableau 4.7 pour des exemples). La première d’entre elles
consiste à paraphraser ce qui vient d’être lu. Il s’agit de la plus sommaire
des stratégies mais elle est aussi une stratégie fondatrice qui permet d’asseoir
la « base de texte » à partir de laquelle les stratégies autoexplicatives de plus
haut niveau peuvent être élaborées. La paraphrase exprime ce que le lecteur a
compris du contenu explicite du texte. La seconde stratégie est une stratégie
de contrôle ou de guidage proprement dite ; elle rend compte de l’expression
par le lecteur de son sentiment d’avoir compris ou pas. La troisième straté-
gie concerne l’ensemble des inférences qui sont effectuées à partir du texte 169
(inférences fondées sur le texte) ; cette catégorie regroupe les inférences de
relai, les inférences anaphoriques, causales, de but et les généralisations qui
découlent du contexte. Enfin, la dernière catégorie comprend les inférences
qui mettent en relation une partie du texte avec les connaissances du lecteur ;
il s’agit essentiellement d’élaborations et de prédictions (inférences fondées
sur les connaissances).
Les recherches ont montré que la richesse des stratégies exprimées par
les lecteurs distingue systématiquement les compreneurs compétents des
moins compétents. Les lecteurs qui produisent des autoexplications plus
nombreuses et plus variées accèdent à une meilleure compréhension et une
meilleure mémorisation des textes (Chi et al., 1994 ; Magliano, Trabasso et
Graesser, 1999). Les moins bons compreneurs ont aussi tendance à para-
phraser plus fortement les dernières informations lues alors que les meilleurs
paraphrasent plus volontiers les informations liées à la structure causale et/
ou à la macrostructure (McNamara, 2004 ; Magliano et Millis, 2003). Les
effets de l’utilisation de stratégies complexes pour comprendre peuvent
être expliqués – au moins en partie – par une plus grande implication des
lecteurs dans l’activité, implication dont on a pu mettre en évidence les
traces neuronales (voir les résultats de Moss et de ses collaborateurs (2011),
évoqués au chapitre 1).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

La technique de l’autoexplication présente par ailleurs cet intérêt particulier


d’être en même temps un outil d’évaluation des stratégies de compréhen-
sion et un outil qui permet leur enseignement. Cette particularité a été très
largement exploitée par les chercheurs s’intéressant à l’éducation chez les
adolescents et les adultes (McNamara, 2004 ; McNamara, Ozuru, Best et
O’Reilly, 2007), comme chez les enfants d’école primaire (Lima, Sylvestre
et Bianco, 2006 ; Bianco et Bressoux, 2009 ; Rosenshine, 1997a, b). Ces
recherches seront présentées dans le chapitre suivant mais on peut d’ores et
déjà souligner que l’utilisation de cette technique s’est révélée fructueuse pour
améliorer la compréhension des lecteurs dès l’école primaire. On sait parado-
xalement encore assez peu de choses sur le développement de la capacité des
jeunes lecteurs à autoévaluer et réguler spontanément leur compréhension,
les recherches étant restées relativement rares.
Lynch et Van den Broek (2007) ont utilisé la technique de la pensée à haute
voix avec des enfants de six à huit ans pour étudier leur capacité à inférer
les buts des personnages qui sous-tendent et organisent la structure causale
des histoires. Les données qu’ils ont rapportées indiquent que dès six ans,
les enfants expriment des inférences de but dans leurs verbalisations, tout
autant d’ailleurs que les enfants de huit ans. De plus, la quantité d’inférences
170 de ce type exprimée par chaque enfant prédit la qualité des rappels produits.
Ces données confirment encore une fois la sensibilité très précoce des jeunes
compreneurs aux informations structurant la chaîne causale et l’importance
de ces informations dans la compréhension ; elles montrent aussi que la mise
en œuvre de ces mécanismes lors de la lecture est accessible à la verbalisation
chez de très jeunes enfants. La même équipe de chercheurs (Van den Broek,
White, Kendeou et Carlson, 2009) a ensuite conduit une recherche auprès
d’enfants de CM1, de cinquième et de troisième répartis en trois groupes
(bons, moyens et faibles compreneurs) à partir de leurs résultats à des
épreuves standardisées de compréhension. Les auteurs ont utilisé deux types
d’indicateurs afin d’étudier les comportements de contrôle et de régulation :
l’enregistrement des mouvements oculaires et les verbalisations d’autoexplica-
tion recueillies à des points prédéterminés. Les résultats mettent en évidence
des différences subtiles mais importantes entre les trois groupes de lecteurs.
En premier lieu, l’analyse des mouvements oculaires montre que quel que
soit le niveau scolaire, les trois catégories de lecteurs font le même nombre
de fixations oculaires et autant de retours en arrière (fixations régressives).
Les bons lecteurs fixent autant de mots et relisent autant d’informations que
les lecteurs moyens et faibles, ce qui indique que tous les enfants prennent la
même quantité d’information. Toutefois, les faibles compreneurs sont plus
lents et semble-t-il, moins stratégiques ; les temps moyens de fixation sont
plus longs que ceux observés pour les moyens et bons lecteurs et l’information
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

qu’ils relisent lors des retours en arrière est moins ciblée. Ainsi, alors que
les meilleurs lecteurs relisent des segments d’informations spécifiques, les
plus faibles relisent des paragraphes entiers et souvent des informations non
pertinentes pour interpréter le segment de texte qui a provoqué le retour en
arrière. Ce dernier résultat montre à l’évidence que les plus faibles compre-
neurs maîtrisent moins bien les opérations qui permettent de contrôler ou
guider l’intégration des informations pendant la lecture.
L’analyse des verbalisations révèle quant à elle deux sous-groupes de faibles
compreneurs : le premier a tendance à faire plus d’inférences d’élaboration,
autrement dit des inférences construites à partir des connaissances générales,
autant en fait que les meilleurs lecteurs. Cependant, alors que ces inférences
sont réalisées à bon escient par les bons compreneurs, les plus faibles produisent
plus souvent des élaborations non pertinentes par rapport au texte. Le second
sous-groupe de compreneurs faibles est représenté par des enfants qui font
peu d’inférences et se cantonnent à deux types de stratégies : la répétition mot
à mot de l’énoncé qu’ils viennent de lire ou la production de paraphrases.
Cette recherche montre très clairement qu’au-delà d’une caractérisation
quantitative des habiletés de compréhension (à l’issue de la lecture, les faibles
compreneurs ont de moins bons scores de compréhension), des différences
qualitatives existent au sein même de la catégorie des compreneurs faibles ; 171
certains privilégient le recours à leurs connaissances générales, d’autres se
cantonnent strictement à l’analyse intratextuelle et semble-t-il, à l’analyse
locale, en réalisant très peu d’inférences et donc de mises en relation entre les
énoncés. Ces résultats montrent aussi que les procédures de saisie et d’analyse
de l’information sont de même nature quelle que soit l’efficience des enfants
mais que les meilleurs compreneurs se distinguent des plus faibles par une
plus grande efficacité des mécanismes de saisie de l’information, un guidage
plus efficace et un répertoire de stratégies d’interprétation mieux différencié
et surtout, plus flexible.
Notre équipe a récemment étendu ces résultats à des élèves français de 8 à
11 ans (Bianco et Dessus, 2014 ; Bianco et al., 2013 ; Nardy et al., à paraître).
Nous avons pu observer que dès le début du cycle 3 (CE2), les enfants
disposent d’un répertoire étendu de stratégies ; celui-ci se développe tout au
long des trois dernières années de l’école primaire et distingue systématique-
ment les meilleurs compreneurs des plus faibles. Le tableau 4.7 (A) illustre
le protocole d’autoexplication utilisé avec les enfants, fournit des exemples
de verbalisations exprimées par des élèves de chaque niveau scolaire ainsi
que la manière dont celles-ci ont été codées en stratégies selon les quatre
catégories (paraphrases, inférences textuelles, inférences de connaissances
et autoexplications) décrites plus haut (4.7 (B)).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 4.7 : Autoexplications chez des enfants de cycle 3.

A : Protocole d’autoexplication au cours de la lecture.

À chaque point indiqué par l’icône, les enfants interrompent leur lecture et disent à
haute voix ce qu’ils ont compris du paragraphe lu.
Ce soir-là, la famille de Matilda dînait comme d’habitude devant la télévision, quand
ils entendirent une voix forte venant du salon dire : « salut, salut, salut ». La mère devint
toute blanche. Elle dit à son mari « il y a quelqu’un dans la maison ». Ils arrêtèrent tous de
manger. Ils étaient tous sur le qui-vive. La voix reprit « salut, salut, salut ». Le frère se mit
à crier « ça recommence ! ». Matilda se leva et alla éteindre la télévision.

La mère, paniquée, dit à son mari : « Henri, des voleurs, ils sont dans le salon, tu devrais y
aller ». Le père, raide sur sa chaise, ne bougea pas. Il n’avait pas envie de jouer au héros.
Sa femme lui dit : « Alors, tu te décides ? Ils doivent être en train de faucher l’argenterie ! »

B : Exemples de verbalisations recueillies.


172
Exemples
Stratégies Auto-explications correctes (caractères normaux),
erronées (caractères italiques).
Paraphrases [P1, CM1] Ben c’est euh Matilda et sa famille
Reprises mot à mot ou y mangeaient comme tous les soirs devant la
reformulations du texte télévision.
[P1, CM1] ben y…y le monsieur ‘fin ou la dame et
ben y redisent : « Salut, salut, salut ».
Inférences textuelles [P2, CE2] c’est sa femme qui lui dit : « tu te décides »
Mise en lien d’informations non // et… Il avait pas très envie d’y aller.
reliées explicitement dans le texte [P2, CE2] et en fait c’était pas des voleurs c’était un
jeu de héros un jeu.
Inférences de connaissances [P2, CM2] c’est une famille peut-être assez riche
Mise en lien d’informations du parce qu’il y a de l’argenterie.
texte avec ses connaissances sur [P1, CE2] Y a quelqu’un qui qui entre et qui qui dit
le monde salut salut salut.
Auto-évaluation [P1, CM2] la famille de Matilda ben i déjeunent
Tout ce qui exprime explicitement devant la télé pis ben y a quelqu’un qui est entré
le fait d’avoir compris ou non, de dans la maison mais je sais pas qui.
se poser une question
[P2, CE2] et la mère elle pensa que i zétaient en train
de voler… l’ar-gen-tine, et c’est quoi l’Argentine ?
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

La figure 4.5 illustre les résultats saillants de cette recherche. La première


figure (A) donne un aperçu synthétique du développement observé. Elle
indique tout d’abord que tout le répertoire des stratégies décrites chez les
adultes est présent dans les verbalisations enfantines dès l’âge de huit ans.
Deux stratégies dominent à tous les âges, la paraphrase et les inférences
textuelles mais on observe une tendance développementale très nette : alors
que les paraphrases dominent au CE2, paraphrases et inférences textuelles
exactes représentent, à parts égales, l’essentiel des verbalisations des élèves de
CM2 qui font significativement plus d’inférences textuelles que les élèves de
CE2. Parallèlement, les paraphrases erronées diminuent substantiellement
au cours du cycle 3 (18,3 % en moyenne au CE2, 13 % au CM1 et 11,6 %
au CM2), de même que la catégorie « autre » qui devient quasi inexistante
en CM2 indiquant une compréhension littérale de plus en plus précise et
fidèle à mesure que les enfants grandissent (la catégorie « autre » était destinée
à coder les verbalisations sans lien avec le texte ou incompréhensibles). Ce
résultat peut encore être précisé par un effet du niveau de compréhension
des élèves : à chaque niveau scolaire, bons et faibles compreneurs produisent
autant de paraphrases exactes mais les plus faibles compreneurs produisent
significativement plus de paraphrases erronées. À côté de cette évolution,
les autres formes d’autoexplications sont beaucoup moins fréquentes. Les 173
inférences de connaissances représentent au total 7 % à 10 % des verbalisa-
tions, et les expressions d’autoévaluation sont stables et oscillent autour de
5 %. Il est toutefois très intéressant de noter que même peu nombreuses, les
inférences fondées sur les connaissances effectuées à bon escient doublent
entre le CE2 et le CM2 ; cela apporte un nouvel argument en faveur de
l’idée que la capacité des enfants à mobiliser leurs connaissances sur le
monde pour effectuer des inférences élaboratives pendant le temps réel de
la compréhension dépend à la fois de leur âge et de leur expertise dans le
traitement des textes.
La seconde figure (4.5 (B)) montre les relations existant entre le type de
verbalisations produites par les enfants et leur niveau de compréhension. Il
est tout à fait remarquable de constater qu’aux âges considérés, la fréquence
des paraphrases erronées prédit très significativement et négativement la
compréhension en lecture. Autrement dit, plus les enfants éprouvent de
difficultés à redire avec leurs propres mots les informations qu’ils viennent
de lire, moins bonne est leur capacité à répondre à des questions de compré-
hension à l’issue de la lecture. Par ailleurs, cet effet est entièrement médiatisé
par le développement du langage oral estimé par une épreuve de raisonne-
ment verbal (similitudes du WISC-R). Moins bon, donc, est le niveau de
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

langage oral des enfants, plus il leur est difficile de redire avec leurs propres
mots ce qu’ils viennent de lire. Il est tout aussi remarquable de constater
que la fréquence des inférences textuelles correctes prédit significativement
mais positivement cette fois, les performances de compréhension. Cet effet
est également médiatisé par les capacités de raisonnement verbal mais la
médiatisation observée est partielle et modérée par l’âge ; autrement dit,
l’effet médiateur de la logique verbale diminue à mesure que les enfants
grandissent. Ces deux résultats confirment l’importance du développement
des capacités de langage oral dans la compréhension en lecture. Mais ils
montrent aussi que les habiletés d’inférences propres au traitement des textes
ne sont pas réductibles aux capacités de langage oral. Leur émergence est sans
aucun doute fortement liée aux capacités orales chez les plus jeunes enfants
mais ces habiletés d’inférences deviennent progressivement des habiletés
autonomes qui influencent directement la compréhension.
En résumé, ces données permettent de préciser quelques caractéristiques du
développement des stratégies pendant les trois dernières années de l’école
primaire. Ce sont principalement les mécanismes liés à la construction
d’une base de texte cohérente qui dominent et se développent : les para-
174 phrases et les inférences textuelles représentent clairement les stratégies
dominantes, la paraphrase étant la stratégie privilégiée par les plus jeunes
et les inférences textuelles devenant plus fréquentes en fin d’école primaire.
L’accent est donc progressivement mis sur la compréhension des relations
interpropositionnelles et sur la construction de la cohérence du modèle de
situation. Par ailleurs, les verbalisations deviennent de plus en plus précises,
ce dont témoigne la diminution progressive et constante des paraphrases
erronées et des verbalisations non pertinentes. Nos résultats mettent aussi
en évidence quelques propriétés différenciatrices des meilleurs et des moins
bons compreneurs entre 8 et 11 ans. Systématiquement les moins bons
compreneurs produisent des verbalisations moins adaptées : ils expriment
toujours plus de paraphrases et d’inférences de connaissances erronées. C’est
donc essentiellement au niveau de l’élaboration des relations de cohérence
locale que se distinguent les meilleurs compreneurs. Ces résultats sont
compatibles avec de nombreux travaux antérieurs (Ehrlich et al., 1999 ; Yuill
et Oakhill, 1991 par exemple) et offrent une image très convergente du
développement des inférences avec celui décrit à la lumière de travaux ayant
utilisé d’autres indicateurs (réponses à des questions après la lecture, épreuves
de mémorisation ou d’enregistrement en temps réel, vitesse de lecture et
mouvements oculomoteurs essentiellement). L’analyse des autoexplications
montre en effet que les verbalisations portant la trace d’inférences textuelles
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

sont beaucoup plus nombreuses que celles portant la trace d’inférences de


connaissances et que la production de ces deux catégories d’inférences se
développe très significativement au cours de la période étudiée ; ce résultat
est tout à fait comparable à ceux décrits dans les paragraphes précédents
(Barnes et al., 1996 ; Bowyer-Crane et Snowling, 2010 ; Pike et al., 2010
en particulier). Enfin, et dans une perspective appliquée, l’évidence de ce
développement métacognitif précoce montre que les enfants de l’école
primaire peuvent accéder à une interrogation explicite de leurs propres
habiletés de compréhension.

Figure 4.5 : Stratégies relevées dans les verbalisations


et relations avec la compréhension en lecture.

A. Évolution des types de stratégies utilisées dans les autoexplications


en fonction du niveau scolaire.

175

B. Relations entre les stratégies exprimées et les performances


en compréhension.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Le développement des habiletés de contrôle et de régulation suit donc un


cours temporel très semblable aux autres dimensions de la compréhension
des textes ; comme ce qui a été vu pour les structures textuelles et les habi-
lités d’inférences, on observe des activités d’autoévaluation et de régulation
très précoces (Skarakis-Doyle, 2002) et une évolution graduelle jusqu’à
l’âge adulte. Comme les autres dimensions textuelles, l’émergence et le
développement des habiletés de contrôle sont enracinés dans le dévelop-
pement langagier et cognitif général mais elles deviennent des dimensions
autonomes et spécifiques du traitement des textes dès le milieu de l’école
primaire. Comme les autres dimensions textuelles, la capacité à autoévaluer
et à réguler sa compréhension par des stratégies adaptées distingue constam-
ment les meilleurs compreneurs des plus faibles et cela jusque chez l’adulte.
Du fait de l’ancrage métacognitif des stratégies de guidage, leur acquisition
peut rester partielle même chez le lecteur entraîné mais cet ancrage les rend
particulièrement accessibles à un enseignement et un entraînement explicite,
comme nous le verrons au prochain chapitre.

Comment évaluer la compréhension des textes


176 L’analyse que nous venons de conduire montre que les obstacles à la compré-
hension peuvent se situer à des niveaux d’analyse différents et impliquer
des processus multiples. Se posent alors pour les praticiens de l’éducation
et de la santé, deux questions liées : comment caractériser les troubles de la
compréhension des textes et comment les évaluer ?

Qu’est-ce qu’un compreneur faible ?


La définition retenue jusqu’ici, consistant à penser qu’un lecteur peut être
considéré comme un « faible compreneur » quand il présente des difficultés
à comprendre ce qu’il lit, malgré des capacités d’identification des mots
écrits comparables à celles des lecteurs de son âge, est directement issue
du modèle simple. On a en effet pris l’habitude de classer les lecteurs en
quatre catégories en fonction de leur position relative sur les axes, supposés
orthogonaux, formés par les deux dimensions du modèle simple comme
l’illustre la figure 4.6.
Il y a donc deux manières de mal comprendre ce qu’on lit. La première
consiste à ne pas pouvoir déchiffrer suffisamment bien ce qui est écrit, que
l’on ait ou non des difficultés de compréhension ; c’est le cas des lecteurs
dyslexiques et des faibles lecteurs « mixtes ». La deuxième est de rencontrer des
difficultés spécifiques de compréhension ; on est alors un faible compreneur
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

et on estime à l’heure actuelle que 10 % environ des enfants de 9 à 12 ans


répondent à cette définition (Snowling, 2005 ; Cain et Oakhill, 2012).
Ces difficultés spécifiques de compréhension sont aussi très corrélées à des
difficultés de compréhension à l’oral (Catts et al., 2005 ; Catts et al., 2006 ;
Gernsbacher et al., 1990 ; Cain et al., 2004a). L’existence d’une telle disso-
ciation entre processus de lecture et processus de compréhension (Yuill et
Oakhill, 1991 ; Landi et Perfetti, 2007 ; Landi, 2010) permet d’admettre
en première instance qu’il ne suffit pas d’être un bon décodeur pour
comprendre en lisant. L’un des problèmes majeurs de la reconnaissance de
ces faibles compreneurs est qu’ils deviennent souvent des mauvais lecteurs
« tardifs », autrement dit, des lecteurs dont les difficultés n’apparaissent qu’à
partir du moment où les enjeux de la lecture ne sont plus l’identification
des mots mais la compréhension et l’acquisition de connaissances à partir
de la lecture. Ce sont des enfants dont les difficultés apparaissent vers la fin
du cycle primaire après un début de scolarité normal.

Figure 4.6 : Quatre catégories de lecteurs d’après le modèle simple.

Processus de Compréhension

+ 177
Faibles lecteurs
(Dyslexie) Normo-lecteurs

- !" +
lecture /
Identification des mots

Faibles lecteurs Faibles


mixtes compreneurs
-

Cette définition donne cependant une image indifférenciée de l’activité de


compréhension et de ses difficultés. Or, nous l’avons vu au fil des chapitres
précédents, les deux dimensions du modèle simple sont elles-mêmes
multidimensionnelles et il est nécessaire de décrire et comprendre en détail
chacune d’elles afin de caractériser les difficultés auxquelles ont à faire face
les élèves, qu’ils soient faibles lecteurs, faibles compreneurs ou les deux. Les
recherches analysées dans ce chapitre et dans le précédent confirment une
hypothèse déjà défendue par Perfetti, Folz et Marron en 1996 qui consistait
à considérer que deux types d’obstacles sont spécifiques à la compréhension :
les obstacles liés aux connaissances du lecteur-compreneur d’une part, et
les obstacles liés aux processus spécifiques à la compréhension des textes
d’autre part. Rappelons en guise de synthèse que la quantité et la qualité
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

des connaissances que l’on apporte au traitement d’un texte sont des para-
mètres importants. Les individus qui disposent d’un meilleur vocabulaire et
surtout de représentations lexicales de qualité, de connaissances thématiques
ou encyclopédiques approfondies et d’une bonne maîtrise des structures
– syntaxiques et textuelles – comprennent mieux ce qu’ils lisent que les
lecteurs moins outillés dans chacun de ces domaines. Mais les relations entre
connaissances et compréhension ne sont pas univoques. Le développement
des connaissances est tout autant une cause qu’une conséquence de l’enga-
gement du lecteur-compreneur dans l’activité de compréhension. En effet,
nous acquérons une part importante de nos connaissances grâce à la lecture
et si une quantité minimum de connaissances est nécessaire au traitement
des textes, ce paramètre ne peut pas expliquer à lui seul la compréhension
(Cain et Oakhill, 2012 ; Cunningham et Stanovich, 1997 ; Nation, 2009 ;
Stanovich, 1986 ; Verhoeven et al., 2011).
Du côté des mécanismes, les habiletés d’inférence et de guidage (ou contrôle)
apparaissent clairement comme des habiletés propres au traitement des textes
et leur maîtrise distingue de manière quasi constante les meilleurs compre-
neurs des plus faibles, enfants comme adultes. Ces mécanismes constituent
des paramètres déterminants, non réductibles à la disponibilité des bases de
178
connaissances et aux capacités cognitives générales (mémoire de travail et
raisonnement). Plus certainement, les mécanismes de focalisation de l’infor-
mation en mémoire (activation comme inhibition), les capacités à retenir
des informations de surface et à reconnaître les sites textuels sur lesquels
une inférence peut ou doit être établie, les aptitudes à repérer les difficultés
d’intégration et à mettre en œuvre des stratégies compensatoires sont autant
de paramètres qui distinguent les bons des moins bons compreneurs.
À côté de ces habiletés spécifiques, les performances cognitives générales
sont aussi souvent associées aux difficultés de compréhension ; des capacités
générales faibles (mesurées par des épreuves standardisées de niveau intellec-
tuel (QI)) vont très souvent de pair avec des difficultés de compréhension.
Cette relation a été rapportée pour l’intelligence verbale, mais aussi non
verbale et cette dernière association est encore assez mal comprise (Catts et
al., 2005 ; Nation et al., 2002 ; Nation et al., 2004 ; Ricketts, 2011 ; Stothard
et Hulme, 1992, 1996). On sait que les performances intellectuelles mesu-
rées à un âge donné (six ou huit ans par exemple) prédisent les progrès et
les performances en compréhension de textes quelques années plus tard
(Catts et al., 2005 ; Cain et Oakhill, 2006). Mais d’autres recherches ont
aussi montré qu’à âge équivalent, on trouve autant de faibles compreneurs
ayant aussi de faibles performances intellectuelles que de faibles compreneurs
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

ayant des performances intellectuelles dans la norme ; au sein d’un groupe


de compreneurs faibles, les performances en compréhension ne diffèrent
d’ailleurs pas en fonction du niveau intellectuel (Cain et Oakhill, 2006). Le
développement des habiletés de compréhension trouvant son ancrage dans
le développement précoce, langagier et cognitif général (voir chapitre 2),
les capacités cognitives constituent, sans aucun doute, le terreau sur lequel
les mécanismes spécifiques du traitement des textes peuvent se développer.
Nos résultats indiquant que la médiation de la relation entre les stratégies
inférentielles et la compréhension des textes par les capacités de raisonne-
ment verbal diminue avec l’âge et l’expertise des enfants illustre assez bien
cette idée.
La question des interactions et influences réciproques entre les habiletés
intellectuelles et le développement des mécanismes de la compréhension
reste cependant à préciser plus strictement. L’exemple de l’implication
de la mémoire de travail est caractéristique des problèmes qui se posent.
En effet, la capacité de la mémoire de travail est très souvent considérée
comme un facteur explicatif crucial des difficultés de compréhension. De
nombreuses recherches ont mis en évidence que des différences dans les
capacités de la mémoire de travail étaient associées à des différences dans les
performances de compréhension en lecture, chez les adultes (Daneman et 179
Carpenter, 1980 ; Duffy et Rayner, 1990 ; Just et Carpenter, 1992) et chez
les enfants (Cain et Oakhill, 2006 ; McDonald, 2008 ; Nation, Adams et
al., 1999 ; Oakhill, Cain et Bryant, 2003 ; Pike et al., 2010 ; Seigneuric et
Megherbi, 2008). Cependant, d’autres recherches ont échoué à mettre en
évidence cette relation, notamment lorsque la colinéarité existant entre les
mesures de capacité de la mémoire de travail et d’autres habilités cognitives
(les performances intellectuelles et le vocabulaire notamment) sont prises
en considération (Allen, Jackson, Snow et McNamara, 2014 ; Babayigit et
Stainthorp, 2013 ; Oakhill et Cain, 2012). Des questions théoriques non
résolues liées à la conceptualisation de la mémoire de travail pourraient, selon
certains chercheurs, conduire à la conclusion que l’association entre la capa-
cité de la mémoire de travail et la compréhension est une fausse association
(Van Dyke et Shankweiler, 2013 ; Van Dyke, Johns et Kukona, 2014). En
effet, la capacité de la mémoire de travail est traditionnellement considérée
comme une ressource attentionnelle générale, limitée et indépendante
du domaine considéré ; elle représente en quelque sorte une constante du
système cognitif et cette conception sous-tend les mesures de capacité utilisées
dans les recherches traditionnelles. Selon un certain nombre de chercheurs
cependant, cette modélisation est contestable et c’est plus probablement
l’efficacité des mécanismes mnésiques généraux (mémorisation à long terme,
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

activation, focalisation, inhibition, discrimination des informations) qui


sont associés à la compréhension des textes et qui se développe à mesure
que les enfants grandissent (Dixon et al., 1988 ; Garrod et Sanford, 1982 ;
Garrod et al., 1994 ; Pike et al., 2010 ; Van Dyke et al., 2014). Un récent
travail effectué auprès d’enfants de 11 ans, apporte des arguments allant
dans le même sens : Hua et Keenan (2014) ont observé que la capacité à
rappeler les informations lues dans un texte long explique le degré auquel
les enfants, bons comme faibles compreneurs, sont capables de répondre à
des questions inférentielles.
En définitive, un même individu peut bien entendu cumuler toutes les diffi-
cultés résumées ici mais chaque faible compreneur présente plus probablement
des difficultés spécifiques sur l’une ou l’autre ou sur un sous-ensemble des
dimensions de la compréhension. Il y a, autrement dit, de multiples façons
d’être un compreneur faible et les faibles compreneurs ont toutes les chances
de ne pas représenter un groupe homogène, les différences observées au
niveau des groupes masquant en réalité les difficultés particulières à chaque
individu (Cain et Oakhill, 2006 ; Cornoldi, de Beni, et Pazzaglia, 1996 ;
Nation et al., 2004 ; Nation et al., 2002).
180
Problèmes d’évaluation et de diagnostic
Ce qui précède montre clairement que des difficultés de compréhension
peuvent trouver leur origine dans un faisceau différent de difficultés langa-
gières et cognitives d’un individu à l’autre. Le problème du diagnostic se
trouve donc posé, celui-ci dépendant toujours des outils d’évaluation dispo-
nibles. Cette question est devenue depuis quelques années une question
vive, sur le plan théorique comme sur le plan des recherches appliquées à
l’éducation. En effet, malgré le caractère multidimensionnel de l’activité de
compréhension, la plupart des épreuves actuelles sont conçues de manière
unitaire et proposent un score d’efficience générale qui, certes, permet de
situer les individus d’un côté ou de l’autre de l’axe vertical de la figure 4.6
mais n’autorise aucune autre inférence quant aux difficultés précises que
rencontre un individu donné. De plus, les épreuves étalonnées existantes
se sont révélées peu fiables, leurs intercorrélations étant souvent moyennes
et s’échelonnant, selon les études, de .18 à .70 (Keenan et Betjemann,
2006 ; Keenan, Betjemann et Olson, 2008). Les performances d’un même
individu varient donc énormément en fonction de l’épreuve utilisée ;
certaines personnes, se classant parmi les faibles compreneurs sur une
épreuve, changent de catégorie et deviennent des compreneurs « normaux »
après avoir répondu à une autre épreuve (Cutting et Scarborough, 2006 ;
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

Papadopoulos, Kendeou et Shiakalli, 2014). Ceci laisse supposer que les


différents tests ne mesurent pas exactement les mêmes habiletés, ce qui
est effectivement le cas. La synthèse des travaux réalisés dans ce domaine
indique que la structure des tests, le choix des textes et des indicateurs
notamment, ont une incidence forte sur les habiletés qui sont sollicitées
et donc évaluées. De manière générale, on observe que les habiletés de
compréhension et les habiletés d’identification des mots contribuent de
manière différente à l’explication de la performance en fonction de l’épreuve
utilisée. Par exemple, les épreuves composées de textes très courts (une ou
deux phrases) accompagnés d’indicateurs de type « closure » ou de choix
multiples d’images, très fréquemment utilisés avec les enfants jeunes,
mesurent plus fortement le décodage que la compréhension ; à l’inverse,
les épreuves composées de textes plus longs et de questions ouvertes
mesurent plus la compréhension et moins le décodage (Bowyer-Crane et
Snowling, 2005 ; Cutting et Scarborough, 2006 ; Daneman et Hannon,
2001 ; Keenan et Betjemann, 2006 ; Keenan, Betjemann et Olson, 2008 ;
Magliano et al., 2007, Nation et Snowling, 1997). Ceci est illustré par
les données présentées dans le tableau 4.8 et la figure 4.7, extraites de la
recherche de Keenan et de ses collaborateurs (2008). Le tableau 4.8 décrit
les caractéristiques formelles de quatre épreuves anglophones très connues 181
et il apparaît très clairement que celles-ci ont peu de choses en commun,
tant du point de vue du mode de lecture proposé, que des textes et des
modes de questionnement utilisés. La figure 4.7 représente le poids des
habiletés de compréhension et des habiletés d’identification des mots,
estimées indépendamment, dans l’explication des différences interindi-
viduelles de performances pour chacune des épreuves. On y observe très
clairement que les deux tests utilisant des textes moyens ou longs et des
indicateurs de type questions à choix multiples ou à réponse ouverte (QRI
et PIAT) estiment mieux les habiletés de compréhension que les autres
tests qui mettent plus fortement à contribution des habiletés de lecture
des mots. Ce poids du décodage dans les tests utilisant des phrases ou des
paragraphes courts est par ailleurs plus fort chez les enfants jeunes et les
faibles lecteurs (Keenan et al., 2008).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Tableau 4.8 : Propriétés formelles de quatre épreuves d’évaluation


de la compréhension (d’après Keenan, Betjemann et Olson, 2008).

GORT QRI PIAT WJPC


Lecture haute voix + +
Lecture silencieuse + +
Matériel + +
Phrase isolée +
Paragraphe court
Paragraphe moyen +
Texte long +
Évaluation
Sélection d’image +
Ex. à trous (closure) +
QCM +
Q. Ouverte +
Rappel +

Figure 4.7 : Part de variance expliquée par le décodage


et la compréhension orale en fonction des épreuves
(d’après Keenan, Betjemann et Olson, 2008).
182

Signalons enfin que ces résultats ont été récemment étendus à la langue
grecque (Kendeou et al., 2012). Il n’existe pas de données comparables pour
les épreuves de compréhension disponibles en français mais celles-ci étant
construites sur les mêmes principes, on peut supposer sans grand risque
qu’elles sont susceptibles de produire des effets comparables. Les résultats
décrits ci-dessus montrent qu’il est essentiel d’élaborer des outils d’évaluation
diagnostique qui prennent en considération la nature multidimensionnelle
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

de l’activité de compréhension et qui permettent d’évaluer et de comprendre


les relations entre les habiletés élémentaires et les habiletés d’inférences,
d’intégration et d’autoévaluation. (Carlson, Seipel et McMaster, 2014 ;
Cutting et Scarborough, 2012 ; Eason et al., 2012 ; Francis et al., 2005 ;
Graesseret Hu, 2012 ; Keenan, 2012 ; Kintsch, 2012 ; Millis et Magliano,
2012 ; O’Reilly et Sabatini, 2013 ; Sheehan et O’Reilly, 2012 ; Van den
Broek et al., 2005).
Des données récentes obtenues en français grâce au soutien de l’Agence
Nationale pour la Recherche (voir Bianco et Dessus, 2014) montrent que
trois catégories d’habiletés, liées mais distinctes, sont des prédicteurs directs
des scores de compréhension obtenus après la lecture de textes relativement
longs par des enfants de 9 à 11 ans, scolarisés du CE2 au CM2 :
1. La capacité à faire des inférences textuelles (estimée par une épreuve de
traitement anaphorique) d’une part, et des inférences de connaissance
d’autre part ;
2. Le vocabulaire et les connaissances sémantiques ;
3. La fluidité de lecture orale (ou en contexte).
Le modèle structural présenté à la figure 4.8 donne une vision intégrée de
183
la manière dont s’organisent les compétences qui sous-tendent les perfor-
mances de compréhension en fin d’école primaire et met en évidence trois
caractéristiques importantes, les deux premières confirmant ce qui a été
décrit en détail jusqu’ici, la troisième pointant vers une habileté intégratrice
au statut théorique encore flou mais qui présente un intérêt essentiel pour
le diagnostic et l’enseignement :
Parmi les habiletés langagières et cognitives évaluées, les habiletés d’iden-
tification des mots, l’étendue du vocabulaire (voc), les capacités à extraire
des relations sémantiques (sim), la conscience morphologique (morpho),
la mémoire de travail (mt) et la logique non verbale (matrice), seules les
habiletés lexicales (« voc » et « sim ») prédisent directement les performances
en compréhension. Le rôle-pivot des connaissances lexicales dans la lecture
et la compréhension en lecture (Perfetti, 2007 ; Perfetti et Stafura, 2014) est
donc ici, une fois de plus, constaté. L’effet de l’ensemble des autres habiletés
élémentaires (ou précurseurs) est médiatisé par deux catégories d’habiletés
intégratrices que sont les capacités d’inférences et la fluidité de lecture orale.
Les habiletés inférentielles (fondées sur le texte et sur les connaissances) sont
des prédicteurs directs importants de la compréhension qui médiatisent
partiellement l’influence des connaissances lexicales et complètement celles
de la mémoire de travail et de la logique non verbale. On note aussi que les
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

traitements anaphoriques, fortement associés à l’élaboration d’une base de


texte cohérente, prédisent directement mais partiellement les performances ;
une part de leur influence est médiatisée par les habiletés d’inférence de
connaissances, plus impliquées dans la construction de la cohérence globale
des modèles de situation. Des analyses complémentaires indiquent que ce
résultat est très stable aux trois niveaux scolaires considérés mais que la
contribution directe des deux catégories d’inférences dépend du niveau de
compréhension : les traitements anaphoriques prédisent moins les scores
de compréhension des meilleurs compreneurs, leur influence étant très
largement médiatisée par celle des inférences de connaissance. À l’inverse,
les traitements anaphoriques prédisent mieux la compréhension que les
inférences de connaissances chez les faibles compreneurs.
La fluidité de lecture orale est un autre prédicteur direct de la compréhen-
sion en lecture. Cette habileté intégratrice est définie comme la capacité à
lire correctement un texte continu, au rythme de la conversation et avec la
prosodie appropriée. Des recherches récentes (Eason et al., 2012 ; Hudson et
al., 2009, 2012 ; Kim et al., 2010, 2011, 2012, 2014 ; Jenkins et al., 2003 ;
Silverman et al., 2012) ont montré que la fluidité de lecture est liée mais
distincte de la fluence de décodage et de lecture de mots isolés. Nos analyses
184 confirment cela pour les enfants français ; elles montrent que la fluidité de
lecture orale est un prédicteur direct des performances de compréhension
en lecture qui médiatise les effets du décodage et de l’identification des mots
dès le CE2. En outre, la construction de cette habileté distingue les meilleurs
compreneurs des plus faibles, la fluidité de lecture orale ne prédisant pas
directement les performances en compréhension pour les faibles compre-
neurs (qu’ils soient des lecteurs moyens ou faibles) à l’inverse des bons et
des moyens compreneurs. Sa contribution directe à la compréhension se
révèle donc être une caractéristique des meilleurs compreneurs, ce qui lui
confère une pertinence diagnostique et éducative indéniable. Les prédicteurs
changent en outre avec l’expertise : la fluidité de lecture orale est essentiel-
lement prédite par le décodage et l’identification des mots isolés chez les
plus faibles compreneurs mais elle intègre progressivement des habiletés de
compréhension du langage oral chez les meilleurs compreneurs. À partir
d’un certain niveau de maîtrise des mécanismes de la lecture, la capacité à
utiliser les procédures d’identification de manière fluide et combinée aux
processus d’extraction du sens devient essentielle à la construction de l’exper-
tise en lecture. La fluidité de lecture orale est encore très mal décrite sur le
plan théorique mais elle intègre les habiletés d’identification des mots et
certaines habiletés de compréhension – probablement les plus automatisées
d’entre elles – au fur et à mesure de l’installation de l’expertise du lecteur.
Le développement de la compréhension : la construction de la cohérence

Ces résultats mettent en évidence la nécessité d’évaluer cette habileté dans


une épreuve diagnostique et ouvrent aussi une réflexion intéressante quant
aux suggestions de remédiation qui peuvent être données aux enseignants et
aux rééducateurs confrontés à des élèves en difficulté de lecture après trois
ou quatre années d’apprentissage académique.

Figure 4.8 : Relations structurales entre les prédicteurs de la compréhension


des textes (d’après Bianco et al., 2014).

Fluence
Fluence .643 mots
Pseudo-mots .589
.136
.117 .234
.108
.062 Fluence
Vocabulaire
.088
.062 .047
.239
Logique .145
verbale .003
.229 Compréhension
.281
.100
Conscience .243
morphologique .163 Anaphores
.077
100
.403
Mémoire .164
.098 .205
de travail .081 .353
.074
Logique Inférences
.070
non verbale connaissances
185

Par ailleurs, le modèle de la figure 4.8 est très explicatif des différences
interindividuelles chez les enfants de cet âge ; il explique en effet 88 % de
la variance observée à l’épreuve de compréhension de textes sur l’ensemble
de l’échantillon ainsi que pour les enfants de CE2 et CM1 ; il explique
encore 82 % de cette même variance au CM2. De plus, et de manière très
intéressante, ce modèle explique mieux les performances et s’ajuste mieux
aux données empiriques qu’un modèle statistique répondant au modèle
simple, ne tenant pas compte des habiletés médiatrices, et autorisant des
relations directes entre chaque habileté externe (lecture et compréhension
orale) et la compréhension des textes (71 % de variance expliquée).
La multidimensionnalité et le caractère intégrateur de l’activité de compré-
hension de textes sont ici une fois encore clairement soulignés ; ils révèlent
aussi la nécessité de tenir compte d’habiletés intermédiaires et spécifiques au
traitement du discours continu, dans la modélisation comme dans l’évalua-
tion de la compréhension. Les trois catégories de prédicteurs directs mis en
évidence dans notre modèle structural représentent incontestablement des
composants indispensables de toute épreuve diagnostique de la compréhension
aux âges considérés. Ces dimensions représentent d’ailleurs les trois premières
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

des cinq dimensions que certains chercheurs estiment incontournables dans


l’évaluation de la compréhension en lecture, du début de l’école primaire
à la fin du lycée : la maîtrise de la lecture et des conventions de l’écrit, la
maîtrise du langage oral (structures grammaticales et vocabulaire), l’appren-
tissage et la maîtrise des structures discursives et des formes textuelles, la
capacité à modéliser et raisonner sur les contenus conceptuels et sociaux de
l’activité (Sabatini, O’Reilly et Deane, 2013 ; O’Reilly et Sabatini, 2013).
Bien entendu, le poids de chacune de ces dimensions n’est pas le même en
fonction de l’âge et de l’expertise des lecteurs, ce qu’indiquent aussi nos
résultats, les trois dimensions ci-dessus rendant compte de manière très
satisfaisante des performances des enfants les plus jeunes (9 et 10 ans) mais
moins bien des performances des plus âgés (11 ans). Pour les enfants en
dernière année d’école primaire, l’évaluation proposée devrait très proba-
blement être assortie de l’évaluation d’habiletés plus complexes (prise en
considération des habiletés de synthèse de l’information et des objectifs de
la lecture en particulier).

Conclusion
De l’ensemble des recherches citées dans ce chapitre ainsi que dans les deux
précédents, il est évident aujourd’hui que les habiletés de compréhension
se développent dès le début de l’acquisition du langage, parallèlement aux
habiletés liées à l’acquisition et à l’analyse du code oral. Le développement
de la compréhension des textes est donc un processus continu ancré dans
le développement précoce du langage oral. La compréhension en lecture
nécessite aussi la construction d’habiletés intégratrices liées au traitement
des textes ; celles-ci prennent appui sur les compétences de l’oral et il n’est
plus possible d’envisager que l’apprentissage de la lecture soit pensé en
étapes, l’enseignement de la compréhension des textes succédant à celui
de la lecture-identification. Il n’est plus possible non plus d’admettre que
comprendre un texte découle naturellement du déchiffrage de ce dernier.
Autrement dit, l’accent doit être porté dès le début du parcours scolaire, sur
le développement de la compréhension des textes autant que sur l’appren-
tissage de la lecture au sens strict. C’est à ce prix, pensons-nous, que l’école
pourra former des lecteurs compétents, capables de comprendre ce qu’ils
lisent et d’apprendre en lisant, sans laisser sur le bord du chemin les enfants
les plus fragiles. Les questions que pose cet enseignement, la manière de le
concevoir et d’estimer ses effets font l’objet du prochain chapitre.
Chapitre 5

Questions pour l’enseignement :


former des lecteurs compétents

D ès la troisième année de l’école élémentaire, l’activité de compréhension


est mobilisée dans toutes les disciplines, au service de la résolution de
problèmes et de l’acquisition de connaissances. La lecture, en tant qu’acqui-
sition des mécanismes d’identification des mots, n’est plus l’objet principal
de l’apprentissage mais devient l’instrument primordial de l’acquisition de
nouvelles connaissances. Tout au long de la scolarité secondaire, l’exercice 187
intensif de la lecture conditionne la réussite scolaire et de ce fait, une part
importante de l’insertion et de la position sociale ultérieure des indivi-
dus. Cette transition dans les objectifs de l’enseignement a souvent pour
conséquence l’abandon d’un enseignement spécifique de la lecture dans
les dernières classes de l’école primaire. En effet, le modèle simple (Gough
et Tumner, 1986) a conduit à une conception – souvent implicite – selon
laquelle l’enseignement de la lecture se réduit à la construction des méca-
nismes de l’identification des mots. Cette conception que Morais (1994)
résumait par la célèbre formule « lire n’est pas comprendre », a permis à juste
titre de distinguer clairement ce qui relève strictement de l’apprentissage des
mécanismes de la lecture. Mais une fois cet apprentissage réalisé, le modèle
simple induit aussi l’idée que la compréhension des textes découle automati-
quement de leur lecture, la compréhension de l’écrit reposant sur les mêmes
mécanismes que ceux qui sont à l’œuvre dans la compréhension de l’oral.
Or, rappelons-le, si « lire n’est pas comprendre », comprendre n’est pas lire !
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, la compréhension
ne découle pas simplement d’une bonne maîtrise du code écrit. Il est donc
important que les élèves puissent être accompagnés dans l’évolution des
objectifs et des exigences académiques qui vont de pair avec un changement
dans les représentations de la finalité de la lecture.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

La compréhension : cela s’apprend et s’enseigne…


vers un enseignement explicite
Un lecteur compétent est un lecteur fluide et stratège. Ces deux carac-
téristiques renvoient aux deux niveaux du fonctionnement cognitif qui
assurent ensemble notre adaptation au monde environnant : l’automaticité
et/ou l’automatisation de nos comportements d’une part et la réflexion,
l’explicitation, la métacognition d’autre part. La compréhension en lecture
n’échappe pas à cette organisation et ce qui suit montrera que cette activité
complexe peut et doit être instrumentée à l’école ; les recherches actuelles
convergent toutes vers la conclusion que cette instrumentation passe par
la construction des mécanismes de la compréhension dans le cadre d’un
enseignement explicite, structuré et différencié.

Les enseignements des enquêtes relatives


aux performances des systèmes éducatifs
À cet égard, les résultats des enquêtes nationales comme internationales
montrent que le système scolaire français rencontre quelques difficultés à
former des lecteurs/compreneurs compétents. Les enquêtes PISA successives
188 ont fait état d’une performance très stable de la France qui classe notre
système éducatif dans la moyenne des pays participants. Après avoir accusé
un recul entre 2000 et 2009, les résultats français de 2012 progressent à
nouveau, permettant aux élèves de 15 ans de retrouver des performances
comparables à celles qu’ils obtenaient 12 ans auparavant. Mais la dernière
évaluation confirme aussi des tendances inquiétantes, déjà constatées en
2009. On observe notamment un creusement des écarts qui se traduit par
une augmentation de 4 % environ des élèves situés à chaque extrémité de
l’échelle de performance. Autrement dit, le nombre d’élèves en très grande
difficulté a augmenté dans les mêmes proportions que celui des élèves très
performants. Ce constat s’accompagne de la mise en évidence du caractère très
inégalitaire de l’école française, les différences interindividuelles expliquant
plus fortement qu’ailleurs les différences de niveau. Ainsi, le sexe des élèves
a un poids plus fort que dans de nombreux autres pays. Les filles réussissent
mieux que les garçons en compréhension de l’écrit mais moins bien qu’eux
en mathématiques. Au-delà des écarts moyens, les différences entre filles et
garçons varient aussi en fonction du niveau de compétence considéré. Parmi
les élèves les plus compétents, on trouve plus de filles en compréhension de
l’écrit mais plus de garçons en mathématiques. À l’inverse, on trouve plus de
garçons en difficulté de compréhension en lecture et autant de filles que de
garçons éprouvant des difficultés en mathématiques. Plus encore, l’origine
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

sociale des élèves est un prédicteur des performances, plus important en


France que dans les autres pays de l’OCDE, et les différences se sont accrues
entre 2000 et 2009 : en 2000, on constatait un écart moyen de 83 points en
compréhension entre les élèves issus de familles favorisées et ceux issus de
familles défavorisées, écart comparable à l’écart moyen dans l’ensemble des
pays de l’OCDE. En 2009, cet écart s’élevait à 96 points, bien au-dessus de la
moyenne de l’OCDE. Comme le notent Daussin, Keskpaik et Rocher (2011),
l’augmentation de ces différences s’explique essentiellement par une baisse
significative des résultats des élèves issus de familles défavorisées (-14 points
en moyenne). Daussin et ses collaborateurs indiquent que la variation d’une
unité de l’indice économique, social et culturel était associée à un écart de
performance en compréhension de 51 points en France en 2009, contre
38 points en moyenne dans l’OCDE. Le rapport Pisa 2012 fait état d’une
évolution comparable en mathématiques : la variation d’une unité de l’indice
de statut économique, social et culturel entraîne en France une différence de
57 points du score de mathématiques contre un écart moyen de 39 points
dans les pays de l’OCDE. Cet écart est le plus important de tous les pays de
l’OCDE (la différence s’élevait en France à 43 points en 2003).
Ces données classent l’école française parmi l’une des plus inégalitaires de
189
l’OCDE, bien loin de son idéal républicain. Les observations effectuées
en fin de scolarité primaire (enquêtes PIRLS (CM1) et CEDRE (CM2)
notamment) indiquent les mêmes tendances générales (Daussin, Keskpaik
et Rocher, 2011). Avec un recul d’environ 10 ans, toutes les enquêtes
notent un niveau moyen des élèves français, stable et proche des moyennes
internationales, mais une aggravation des difficultés pour les plus fragiles
appartenant à des familles socialement peu favorisées et/ou scolarisés en
zones d’éducation prioritaire. La plupart du temps, les difficultés ne sont
pas liées à une maîtrise insuffisante des mécanismes de base de la lecture
mais à de faibles habiletés langagières et de compréhension des textes. Par
ailleurs, l’analyse des performances obtenues aux différentes épreuves PIRLS
indique que les élèves français de CM1 sont confrontés à deux difficultés
particulières : ils sont plus souvent en échec que leurs camarades européens
pour répondre aux questions portant sur des niveaux élaborés de la compré-
hension nécessitant l’intégration et l’évaluation des idées lues ; ils répondent
également moins souvent aux questions, si la réponse nécessite la production
d’une réponse écrite (Colman et Le Cam, 2012).
Les difficultés des élèves et les inégalités constatées ne sont pourtant pas une
fatalité. Les enquêtes internationales nous apprennent aussi que certains
pays réussissent mieux que la France à tenir compte de la diversité des
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

élèves et à réduire les écarts liés à l’origine sociale (le Mexique, la Turquie
et l’Allemagne par exemple, Pisa 2012). En France aussi, ces écarts peuvent
être réduits. Une enquête récente réalisée par une équipe de la direction
de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) à l’entrée
au cours préparatoire (Le Cam, Rocher et Verlet, 2013) montre que les
acquis des élèves ont fortement augmenté entre 1997 et 2011 et que les
inégalités liées au milieu socioéconomique d’origine ont été considérable-
ment atténuées. Afin de permettre la comparaison des acquis des élèves à
14 ans d’intervalle, cette enquête a consisté à administrer à un échantillon
de 15 000 écoliers entrant au cours préparatoire, les mêmes épreuves qui
avaient déjà été administrées à un panel comparable d’écoliers en 1997.
Les épreuves évaluaient différentes dimensions cognitives essentielles aux
apprentissages scolaires en début de scolarité primaire : la phonologie, les
premières acquisitions numériques, la prélecture (identification de mots et
de pseudo-mots, connaissance de l’alphabet et du son des lettres) l’écriture,
la compréhension orale, le repérage temporel et la reconnaissance de figures
géométriques. En s’intéressant d’abord aux résultats globaux, les auteurs
remarquent que les performances des jeunes élèves sont en hausse et moins
dispersées en 2011 qu’elles ne l’étaient 14 ans plus tôt. Comme le montre
190 la figure 5.1, les écoliers de 2011 sont moins nombreux à obtenir des scores
très faibles et plus nombreux à obtenir des scores élevés.

Figure 5.1 : Distribution des élèves en fonction de leurs performances


aux tests de début de CP en 1997 et 2011 (source DEPP, 2013).

La courbe gris clair correspond aux résultats des élèves de 1997 et la courbe gris foncé aux
résultats des élèves de 2011.
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

On observe par ailleurs une réduction des écarts de performance liés à


l’origine sociale sur deux dimensions très prédictives des performances
scolaires à l’école primaire : la prélecture et la numération. Les enfants
issus de familles peu favorisées ont plus progressé sur ces deux dimensions
que les enfants de milieux favorisés, cette évolution permettant de situer
les enfants moins favorisés en 2011 au même niveau de performance que
les enfants plus favorisés de 1997. Or, c’est dans ces deux domaines que
l’enseignement à l’école maternelle a le plus fondamentalement évolué au
cours de la dernière décennie, les activités de prélecture et d’initiation à la
numération étant devenues plus systématisées. Le dernier résultat impor-
tant pour notre propos est que les progrès diffèrent selon les dimensions
testées et c’est en compréhension orale que les progrès moyens sont les plus
faibles. Une raison probable de cette observation tient au fait que le langage
oral et sa compréhension ne sont pas – ou fort peu – enseignés à l’école
maternelle comme dans l’ensemble du cursus scolaire. D’ailleurs, les progrès
importants en prélecture au cours préparatoire ne se traduisent pas par une
meilleure compréhension en lecture en début de CE2 (Andreu, Le Cam et
Rocher, 2014). Ce constat peut étonner a priori. Il ne fait cependant que
renforcer l’idée que comprendre en lisant ne découle pas systématiquement
de l’acquisition du principe alphabétique et il confirme ce qu’ont établi les 191
enquêtes relatives au rendement des systèmes éducatifs : l’école française sait
enseigner à lire aux enfants mais sait mal les conduire vers la lecture experte.
En tout état de cause, l’enquête de la DEPP incite à penser que les diffi-
cultés liées à l’origine sociale peuvent être atténuées par un enseignement
adapté et fondé sur les connaissances scientifiques relatives à la lecture et son
apprentissage. Elle fait aussi écho aux résultats obtenus par les programmes
de prévention précoce des difficultés d’adaptation scolaire liées à la pauvreté,
évoquées au second chapitre.

Modèles cognitifs, conceptions de l’apprentissage


et principes pédagogiques
Tout comme les modèles de la compréhension (voir chapitre 1), les modèles de
l’apprentissage ont suivi l’évolution générale des conceptions de la cognition.
D’une manière générale, les apports et les questions que soulève la modéli-
sation cognitive et ses relations aux recherches appliquées à l’enseignement
font écho aux débats relatifs aux orientations pédagogiques interrogeant
la place de l’enseignant ou de l’élève dans la construction des savoirs et le
niveau d’analyse, plus ou moins formel et explicite, des connaissances à
acquérir. On observe en effet une forte parenté entre les modèles théoriques
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

de l’apprentissage et les conceptions pédagogiques qu’ils inspirent et/ou


auxquels ils répondent. Nous présenterons ici un aperçu des principes et
mécanismes de l’apprentissage décrits par les principaux courants théoriques
et leurs relations aux conceptions pédagogiques. Nous nous arrêterons un
peu plus longuement sur le débat opposant l’enseignement explicite et
l’enseignement (socio)-constructiviste qui, à l’heure actuelle, tient lieu de
doxa en France comme dans nombre de pays occidentaux (Crahay, Dutrevis
et Marcoux, 2010).

Aux origines de la psychologie scientifique


Les psychologues comportementalistes (ou behavioristes) de la première
moitié du XXe siècle ont étudié de manière très approfondie les lois régissant
les apprentissages associatifs élémentaires. Nous leur devons l’énoncé de
quelques lois fondamentales aujourd’hui non contestées et valables pour
tout apprentissage, élémentaire comme complexe. La première est la loi de
la répétition qui précise qu’une exposition fréquente aux mêmes situations
conditionne l’apprentissage. La seconde loi, dite « loi de l’effet », rappelle
que l’apprentissage dépend de ses effets perçus ou attendus pour l’individu.
En d’autres termes, la motivation est un second principe fondamental,
192 de même que la connaissance du résultat de nos actions, autrement dit
les rétroactions (ou feed-back) permettant d’estimer la distance entre nos
attentes et la portée de nos actions. Les comportementalistes considéraient
également que toute habileté complexe pouvait être décomposée en une série
d’apprentissages associatifs élémentaires. Ce principe ne peut plus être repris
strictement aujourd’hui mais la question de l’analyse des habiletés fonda-
mentales qui concourent à la maîtrise d’une habileté complexe, telle que la
compréhension en lecture par exemple, demeure une question importante
dans la description scientifique comme dans l’enseignement. Nous devons
aussi aux comportementalistes, les premières tentatives d’individualisation
de l’apprentissage par la conception de systèmes d’enseignement programmé
(Skinner, 1969) qui ont trouvé un champ d’application privilégié dans le
développement des premiers systèmes d’enseignement assistés par ordina-
teurs (Bruillard, 1997).

Apprentissage implicite et pédagogie de l’imprégnation


Les modèles de la cognition ont confirmé l’importance de la répétition, bien
que sa fonction ait été décrite de manière assez différente selon les formes
particulières d’apprentissage considérées. Ainsi, les chercheurs appartenant
au courant connexionniste ont étudié les phénomènes de l’apprentissage
implicite. Il s’agit d’une forme d’apprentissage élémentaire et très puissante,
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

qui survient sans intention d’apprendre de la part de l’individu, du simple fait


de l’attention qu’il porte à son environnement. Sous l’effet de l’attention et
de l’exposition répétée à une situation, les mécanismes associatifs d’activation
et d’inhibition constitutifs du système cognitif détectent les « régularités
statistiques », autrement dit les propriétés structurantes de la situation et
permettent la formation en mémoire d’unités de connaissances, sans qu’il
soit nécessaire de faire appel à un raisonnement explicite. L’apprentissage
implicite conduit donc à des comportements adaptés (on parle de maîtrise
comportementale) sans que l’individu ait conscience d’avoir appris, ni qu’il
soit capable d’exprimer verbalement le contenu de ces apprentissages.
Les apprentissages implicites interviennent dans les acquisitions scolaires
et non scolaires et interagissent avec les connaissances enseignées à l’école
qui, par définition, relèvent d’un apprentissage explicite. L’exemple de
l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe permet parfaitement de saisir
cette interaction. L’enseignement et l’apprentissage explicites du principe
alphabétique sont essentiels à l’acquisition de la lecture et de l’écriture au
cours préparatoire. Mais parallèlement et grâce à la pratique, les enfants
acquièrent nombre de connaissances implicites sur la structure orthographique
de leur langue qui concourent aussi à la construction de leur expertise. Par
exemple, après quelques mois seulement d’apprentissage de la lecture, les 193
enfants de cours préparatoire choisissent plus volontiers comme un mot
possible du français, un pseudo-mot contenant une consonne redoublée
en milieu de mots « nullor » que les séquences « nnulor » ou « nulorr » dans
lesquelles la place de la consonne redoublée n’est pas licite dans notre langue
(Fayol, 2010, 2014 ; Pacton et al., 2001). De même, et dès le CE1, les
enfants utilisent ces régularités pour transcrire plus fréquemment le son /o/,
« eau » à la fin d’un mot plutôt qu’à son début (Pacton, Fayol et Perruchet,
2005). Ces jugements et comportements témoignent de l’acquisition par
les enfants de la connaissance implicite des régularités graphotactiques du
français sous l’effet de l’exposition répétée à la forme écrite des mots. Ces
connaissances graphotactiques implicites sont utilisées par les scripteurs
pour reconstruire la forme orthographique des mots nouveaux lus dans
un texte. En insérant par exemple, des pseudo-mots tels que « guprane » ;
« gupprane » ou encore « guprrane » à 5 reprises dans la même histoire et en
demandant ensuite aux lecteurs d’orthographier ces mots sans pouvoir revenir
au texte, Pacton et ses collaborateurs ont observé que les enfants, comme les
adultes, ont tendance à réécrire la forme sans consonne double quelle que
soit la forme lue. Les individus transcrivent donc plus volontiers la forme
légale la plus fréquente en français. Mais lorsqu’ils écrivent une consonne
double, ils redoublent plus fréquemment le « p », le redoublement d’une
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

consonne avant une autre consonne étant licite en français. En revanche,


une consonne ne se redoublant jamais quand elle suit une autre consonne,
enfants comme adultes redoublent très rarement le « r » de « guprrane » et
font deux types d’erreurs : ils omettent le double « r » ou alors ils redoublent
le « p » à la place du « r » (Pacton, Sobaco, Fayol et Treiman, 2013 ; Pacton,
Borchardt, Treiman, Lété et Fayol, 2013).
La force des mécanismes de l’apprentissage implicite et l’importance de la
fréquence d’exposition aux situations dans leur mise en œuvre, n’est pas
cantonnée aux apprentissages langagiers formels de relativement bas niveau
que sont les mots et leur orthographe. Les recherches de Stanovich et de
ses collaborateurs (Cunningham et Stanovich, 1997 ; Stanovich, 1986 ;
Stanovich, West et Harrison, 1995), récemment confirmées par Sparks,
Patton et Murdoch (2013) et par Ecalle et Magnan (2008) pour le français,
ont montré que l’exposition à l’écrit, autrement dit la confrontation répétée
avec les textes, favorise le développement de la compréhension en lecture et
l’acquisition de connaissances. L’exposition à l’écrit définie comme la quantité
de textes lus spontanément (en dehors de la stricte obligation scolaire ou
professionnelle) par un individu au cours de sa carrière de lecteur explique
une part très significative des différences interindividuelles en matière de
194
capacité orthographique, mais aussi en matière de connaissances sémantiques
(vocabulaire et connaissances déclaratives) et, bien entendu, de compréhension
en lecture. L’incidence de l’exposition à l’écrit est très robuste puisqu’elle est
retrouvée chez des enfants d’âge scolaire (Stanovich et Cunningham, 1992,
1993, Ecalle et Magan, 2008) et chez les adultes dont on a contrôlé le niveau
d’étude, les capacités intellectuelles générales, le vocabulaire et l’efficacité
des procédures d’identification des mots (Stanovich, West et Harrison,
1995). « Toutes choses égales par ailleurs » donc, la pratique de la lecture
améliore par elle-même les connaissances et les mécanismes fondamentaux
qui permettent d’accéder à la compréhension des textes écrits.
Toutefois, des recherches longitudinales (Cunningham et Stanovich, 1997 ;
Sparks et al., 2013) ont aussi mis en évidence que l’exposition à l’écrit est
un facteur d’augmentation des différences (effet Matthieu) : les meilleurs
lecteurs ont naturellement tendance à lire plus et de ce fait, progressent plus
que les plus faibles. Ces derniers ont au contraire tendance à fuir l’activité
et lorsqu’ils y sont confrontés, ils en tirent moins de bénéfice, de sorte
que les écarts se creusent à mesure que les exigences scolaires augmentent.
Par exemple, en cherchant à répliquer l’étude initiale de Cunningham et
Stanovich avec un échantillon d’une cinquantaine d’élèves suivis de l’âge
de sept ans (cours préparatoire) jusqu’à 16 ans (fin de collège), Sparks et al.
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

(2013) ont observé que l’exposition à l’écrit prédit de manière très significa-
tive l’étendue des connaissances culturelles (50 % de la variance expliquée)
et des performances en compréhension (14 % de la variance expliquée) des
adolescents, à niveau de performances intellectuelles et de lecture équivalent
au cours préparatoire (voir figure 5.2).

Figure 5.2 : Variance expliquée par le quotient intellectuel


et la compréhension orale d’histoires courtes en cours préparatoire
et l’exposition à l’écrit à 16 ans sur les performances en compréhension
en lecture et en connaissances culturelles
(d’après Sparks, Patton et Murdoch, 2013).

80
70
60
50 14
QI (CP)
40 4 50 Compréhension orale
30 Exposition à l'écrit

20 37
10 6

0
8,5 195
Compréhension en lecture Connaissances culturelles

Les différences interindividuelles en matière d’exposition spontanée à l’écrit


ont non seulement des répercussions sur les performances des élèves parvenus
au terme de la scolarité obligatoire mais elles influencent les acquisitions
langagières et la lecture tout au long du parcours scolaire. La relation est, en
outre, réciproque puisque la tendance des individus à pratiquer intensive-
ment la lecture à 16 ans est prédite par leurs performances de lecture et de
compréhension orale mesurées au cours des trois premières années de l’école
primaire. Ces recherches indiquent bien que les enfants qui apprennent faci-
lement et rapidement à lire ont très vite tendance à lire plus ; cette tendance
installe des habitudes et attitudes face à l’écrit qui perdurent tout au long
de la vie. L’exposition à l’écrit développe en retour les habiletés fondamen-
tales de la lecture, de sorte que les meilleurs lecteurs s’améliorent encore.
À l’inverse, les enfants moins bons lecteurs ont tendance à réduire – voir à
éviter – cette situation. Ils diminuent de ce fait leurs chances d’acquérir les
connaissances et habiletés nécessaires à une lecture-compréhension accomplie
et l’écart se creuse continuellement entre les meilleurs et les plus faibles. Ce
constat entre en résonance avec des recherches en éducation qui ont évalué
les effets des pratiques d’enseignement de la compréhension en lecture sur
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

les progrès réalisés par les élèves (Connor et al., 2004 ; Connor et al., 2004 ;
Connor et al., 2006 ; Connor et al., 2007). Nous présenterons ces travaux
en détail dans la deuxième partie de ce chapitre. Signalons seulement ici que
Connor, Morrison et Petrella (2004) ont observé qu’une augmentation du
temps consacré à des activités d’imprégnation à l’écrit à travers des lectures
silencieuses a un effet négatif sur les performances des plus faibles élèves
de CE2 et n’a aucune incidence pour les élèves moyens. Seuls les déjà très
bons compreneurs en début d’année améliorent leurs performances à partir
de ce type d’activité.
Force est donc de conclure que les activités scolaires d’exposition à l’écrit qui
sollicitent incontestablement les mécanismes de l’apprentissage implicite,
pour efficaces qu’elles soient, présentent l’inconvénient de creuser les écarts
entre les lecteurs plus ou moins performants au moins à certains niveaux
scolaires.
En conclusion, les recherches sur l’apprentissage implicite et sur les effets de
l’exposition à l’écrit conduisent à retenir quelques points essentiels : l’appren-
tissage implicite représente un aspect fondamental de tout apprentissage,
196 qu’il s’agisse de l’acquisition d’habiletés élémentaires ou de compétences
très complexes telles que la compréhension en lecture ou l’acquisition et la
structuration de connaissances culturelles ; la répétition et l’attention portée
aux situations sont des composantes essentielles de ce type d’apprentissage.
Cependant, les mécanismes de l’apprentissage implicite ne peuvent pas à eux
seuls rendre compte de tous nos apprentissages. Des mécanismes explicites
faisant appel aux capacités réflexives de l’individu sont aussi en jeu. Cet aspect
réflexif et métacognitif de l’apprentissage a été élaboré par d’autres modèles
qui alimentent aujourd’hui le débat opposant les approches explicites et les
approches socioconstructivistes de l’enseignement.

Le débat enseignement explicite et enseignement constructiviste


(ou socioconstructiviste)
Le différend entre les pédagogies de la construction et les pédagogies de
l’explicitation traite de la manière (ou des manières) de proposer un envi-
ronnement d’enseignement optimal pour que les élèves puissent réaliser
les apprentissages fixés par les objectifs de l’école. Le débat concerne donc
en premier lieu les techniques d’enseignement favorisant l’apprentissage. Il
s’exprime depuis un demi-siècle autour de la question de la nécessité et de
l’efficacité de guider les élèves dans des apprentissages structurés. Dans leurs
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

versions fortes, les défenseurs des différentes approches ancrent aujourd’hui


leurs conceptions et trouvent leur justification dans des modèles de la
psychologie qu’ils opposent a priori.
D’un côté les approches constructivistes et socioconstructivistes que l’on
retrouve sous diverses appellations (apprentissage par la découverte, par
résolution de problèmes, par la démarche d’investigation, pédagogie du
guidage minimal) érigent en principe que l’on apprend mieux dans un
environnement naturel à partir duquel l’élève (souvent nommé l’apprenant)
découvre et construit progressivement et par lui-même les connaissances et
les principes essentiels qui structurent une discipline. Autrement dit, l’hypo-
thèse centrale consiste à penser que les apprentissages les plus efficaces sont
ceux pour lesquels l’apprenant construit lui-même ses propres solutions par
la résolution de problèmes authentiques. Le guidage par l’enseignant est dit
minimal au sens où ce dernier met à disposition, par l’environnement riche
qu’il propose, l’ensemble des informations nécessaires que l’élève peut choisir
ou non d’utiliser. Une autre hypothèse sous-jacente à cette école de pensée
est de considérer que la meilleure manière d’apprendre est d’être confronté à
des situations isomorphes à celles qui fondent les méthodes et les processus
d’une discipline. Les défenseurs de la pédagogie socioconstructiviste assi-
milent donc les principes et méthodes de la découverte scientifique dans 197
une discipline aux principes et méthodes d’apprentissage et d’enseignement
de ladite discipline (Kirschner, Sweller et Clark, 2006 ; Kirschner, 2009).
Ce faisant, ils font principalement appel à la théorie du développement
logique élaborée par Piaget de 1920 à 1980, tout en se référant aussi aux
idées défendues par les théories de l’apprentissage social et de la motivation
(Bandura, 1986 ; Bruner, 1961 ; Vigotsky, 1985, Doise et Mugny, 1981).
Quels sont ces principes du développement logique chez Piaget ?
Le projet piagétien était de théoriser le développement des structures logiques
de la pensée (ou de l’intelligence selon ses propres termes) et Piaget considérait
d’abord que les connaissances ne sont pas données par la nature (innéisme),
ni acquises par simple contact avec l’environnement (empirisme). Celles-ci
sont construites grâce aux interactions de l’individu avec son milieu, social
ou physique. Qui dit interaction, dit aussi que la place que prend l’enfant
dans cette interaction, l’activité qu’il y déploie est fondamentale. Par cette
activité, l’individu cherche à s’adapter à son milieu en auto-organisant ces
connaissances et opérations mentales dans des structures qui visent « à la fois
la cohérence interne du système cognitif et son adéquation à l’environne-
ment » (Crahay, Dutrévis et Marcoux 2010, p. 15). Autrement dit, l’individu
cherche en permanence à se trouver en équilibre avec son milieu et cette
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

recherche – le processus d’équilibration – constitue le moteur essentiel de


l’apprentissage. Il rend compte à la fois de la relative cohérence et stabilité
du système cognitif et de la création de nouvelles structures en fonction des
interactions avec l’environnement. En effet, la première forme d’équilibration
consiste à assimiler les informations (ou objets) provenant de l’environne-
ment à des structures de connaissances (ou schèmes) préexistantes. Lorsque
la distance entre les schèmes existants et les informations de l’environnement
est trop grande, l’individu est contraint d’accommoder les anciens schèmes,
de les transformer ou de coordonner des schèmes jusque-là indépendants et
potentiellement contradictoires dans une nouvelle structure conceptuelle (une
nouvelle organisation schématique), conduisant à la possibilité d’appréhender
des classes de problèmes plus complexes (Piaget, 1975). Le développement
de la notion d’invariance d’une quantité physique lorsqu’elle est affectée
de certaines transformations perceptives illustre bien ce processus. Quand
on remplit deux verres identiques d’une quantité d’eau identique puis que
l’on verse le contenu de l’un des deux verres dans un autre, plus étroit mais
plus haut que le premier, les jeunes enfants non-conservants centrent leur
attention sur l’une des dimensions perceptives pour décider par exemple,
qu’il y a plus d’eau dans le second verre parce qu’elle monte plus haut. Ils
198 assimilent ainsi les données de la situation à l’un de leurs schèmes préexistants
qui pourrait être exprimé par la relation « plus haut = plus de quantité ». Ce
schème entrera immanquablement en contradiction à un moment donné
avec d’autres schèmes centrant l’attention sur d’autres dimensions perceptives
« plus étroit – moins de quantité » par exemple, conduisant à la nécessité de
coordonner ceux-ci dans une nouvelle structure permettant de comprendre
que les variations induites par les deux dimensions ci-dessus se compensent
et ne changent rien à la quantité du liquide. Le moteur de l’apprentissage
repose donc sur la constatation d’un conflit (cognitif et/ou social) par
l’individu (ou l’élève) entre ce qu’il connaît et sait résoudre, les actions et
connaissances dont il dispose et les exigences de la tâche ou de la situation.
En s’appuyant sur ces principes, les pédagogies constructivistes font appel
aux capacités de réflexion et d’auto-organisation des élèves en faisant le pari
que la confrontation avec des situations problèmes complexes et authentiques
est un gage de l’engagement de l’élève dans une activité cognitive réflexive
– voire métacognitive – qui le conduira à la construction autonome de ces
connaissances. L’authenticité des situations censée susciter l’activité des élèves
est un gage de leur motivation à apprendre.
De l’autre côté, les défenseurs des pédagogies de l’explicitation (encore
appelées enseignement guidé et structuré) adoptent une position pragma-
tique de l’enseignement ; autant que faire se peut, l’enseignement se doit
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

d’être fondé sur des données empiriques probantes, autrement dit sur des
méthodes qui ont prouvé leur efficacité. Sur un plan épistémologique,
les avocats de l’enseignement explicite considèrent qu’il est nécessaire de
distinguer strictement les principes et méthodes de la découverte scienti-
fique des processus d’apprentissage et d’enseignement. Leur argumentation
repose d’abord sur la nécessité de prendre en considération qu’un élève
– au moins jusqu’à un niveau avancé de la scolarité – est novice dans les
disciplines auxquelles l’école le confronte et que le fonctionnement cogni-
tif d’un novice ne peut être assimilé à celui d’un expert – tout comme le
fonctionnement intellectuel d’un enfant ne peut être assimilé à celui d’un
adulte miniature. Leur argumentation repose ensuite sur les connaissances
apportées par la psychologie cognitive qui permettent de mieux comprendre
l’architecture cognitive et les contraintes qui pèsent sur les apprentissages
(Clark, 2009 ; Kirschner et al., 2006 ; Kirschner, 2009). Ces connaissances
peuvent être résumées en se référant au modèle de l’apprentissage élaboré
par J.-R. Anderson depuis 1983 (ACT-R, « adaptive control of thought-
rational »), certainement le plus abouti des modèles cognitivistes actuels de
l’apprentissage. En substance, l’architecture de notre système cognitif pose
le cadre et les contraintes pour les activités d’apprentissage. Ce système est
composé d’un ensemble de modules spécialisés mais qui interagissent en 199
permanence. Le premier d’entre eux, la mémoire à long terme, stocke nos
connaissances symboliques nécessaires à la compréhension et à la conduc-
tion des activités. Ces connaissances sont dites déclaratives – connaissance
des faits ou éléments qui structurent un concept – ou procédurales – nos
savoir-faire ou règles d’actions qui permettent l’utilisation des connaissances
déclaratives au service de la réalisation d’une activité (ou d’un problème).
Les procédures permettent donc la satisfaction du but qui préside à toute
activité, y compris cognitive. L’utilisation des connaissances stockées en
mémoire à long terme est conditionnée par leur existence bien sûr mais
aussi par la possibilité de les récupérer (ou de les activer) lorsque cela est
nécessaire. Elle dépend aussi des capacités du second module cognitif fonda-
mental : la mémoire de travail. Cette mémoire se distingue de la première
en ce qu’elle dispose d’une capacité limitée de traitement – en quantité et
en durée – tout en ayant la charge d’assurer l’interface entre la mémoire à
long terme et les perceptions qui nous arrivent de notre environnement.
C’est, en d’autres termes, à la mémoire de travail qu’échoit la responsabilité
de maintenir actives les données de l’environnement et le but de l’activité,
de récupérer en mémoire à long terme les connaissances déclaratives et
procédurales appropriées à l’activité et de transformer l’information pour
conduire l’activité à son terme. Les résultats obtenus pourront, le cas
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

échéant, conduire au stockage de nouvelles connaissances et/ou au constat


d’un conflit (ou d’une inadéquation) à dépasser entre l’activité produite et
le résultat attendu.
Ces contraintes étant posées, comment l’apprentissage procède-t-il ? Tout
apprentissage requiert un double mouvement : une activité explicite et
réfléchie permet tout d’abord de mémoriser et d’organiser les connaissances
conceptuelles, d’élaborer les procédures pertinentes pour leur utilisation ;
il requiert ensuite une activité d’intégration des connaissances pouvant
aller jusqu’à leur automatisation, c’est-à-dire la capacité à les mettre en
œuvre rapidement et sans en avoir conscience (sans recours à l’attention)
chaque fois que la situation le nécessite. L’apprentissage déclaratif résulte
donc de la mémorisation d’événements fournis par l’environnement
(les tables de multiplication, les explications données par un adulte, la
leçon, etc.) mais aussi de la mémorisation du résultat de nos actions et
raisonnements, autrement dit d’une construction active. L’apprentissage
procédural s’appuie quant à lui sur la capacité à repérer des analogies avec
des problèmes ou situations rencontrés auparavant afin de résoudre de
manière active un problème nouveau. Il s’agit à la fois d’un apprentissage
par l’action et d’un apprentissage par l’exemple. L’apprentissage procédural
200 nécessite d’abstraire le ou les principe(s) qui structurent une classe d’activité.
Une fois abstraits, ces principes pourront être utilisés pour l’ensemble des
situations y répondant. Cette abstraction renvoie donc très précisément
à la compréhension approfondie des propriétés structurant une activité
cognitive. Au-delà de la construction des connaissances, l’apprentissage
dépend donc pour Anderson d’aux moins deux autres paramètres fonda-
mentaux. Premièrement, nos connaissances sont en permanence mises à
jour, restructurées au fur et à mesure de nos expériences : la répétition (ou
l’entraînement) représente donc une condition nécessaire à l’intégration
qui conduira à l’automatisation de certaines au moins des connaissances
apprises. Deuxièmement, tout savoir complexe est composé d’un ensemble
de connaissances ou habiletés plus élémentaires qui doivent être apprises,
maîtrisées et pour certaines d’entre elles, automatisées. Cette hypothèse
forte conduit Anderson et Schunn (2000) à défendre l’idée qu’il « n’existe
pas de bulles magiques » autrement dit, de moments d’« insight » au cours
desquelles les structures cognitives sont réorganisées dans leur ensemble de
manière relativement rapide. Ces illusions d’« insight » sont pour Anderson
à mettre au compte de l’apprentissage progressif, sous l’effet de la répétition
de chacune des habiletés composant une compétence complexe. Anderson
et ses collaborateurs ont conduit des études expérimentales très nombreuses
montrant les effets positifs de l’acquisition de procédures élémentaires sur
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

l’apprentissage de connaissances complexes. Ils ont montré par exemple


que la maîtrise d’un système de simulation complexe, utilisé pour l’entrai-
nement des contrôleurs aériens, passe par l’automatisation des procédures
élémentaires qui prennent en charge les sous-buts nécessaires à la réussite de
l’activité. En particulier, l’automatisation des gestes permettant le repérage
rapide des caractéristiques de l’avion est une composante essentielle de la
première compétence à acquérir pour un contrôleur aérien : sa capacité à
identifier les avions qui se présentent dans son aire de contrôle (Anderson,
Bothell, Byrne, Douglass, Lebiere et Qin, 2004). L’expertise se caractérise
donc par la mise en œuvre permanente et flexible d’automatismes et de
guidages déclaratifs. Son développement permet d’accéder à cette flexibilité
cognitive qui provient d’un double mouvement : celui de la construction
et de la mémorisation de connaissances explicites d’une part et celui de la
répétition et de l’entrainement qui renforce l’intégration et l’utilisation
efficace des connaissances d’autre part. Cette dialectique du guidage et de
l’automatisation est bien illustrée par les procédures de l’accord sujet-verbe
en français décrites par Fayol et ses collaborateurs (Fayol et Largy, 1992 ;
Fayol, Hupet et Largy, 1999). Dans une série d’expériences, de jeunes adultes
devaient écrire sous dictée des phrases telles que « le père des enfants danse »
dans des conditions de fortes ou de faibles contraintes cognitives. Dans les 201
conditions de faibles contraintes, les adultes accordent correctement le verbe
alors que dans les conditions de fortes contraintes, ces mêmes adultes font
de nombreuses erreurs qui consistent toujours à rajouter -nt au verbe. Ces
erreurs illustrent la présence d’une procédure d’accord grammatical forte-
ment automatisée que seuls peuvent inhiber des mécanismes de contrôle
métacognitif consistant à récupérer les connaissances déclaratives – ici
syntaxiques – invalidant l’accord.
Prenant appui sur les apports de la psychologie cognitive, les défenseurs de
l’enseignement explicite et guidé font valoir les arguments suivants :
– Lorsqu’un expert analyse une situation, il dispose d’un très large ensemble
de connaissances qui en permettent une appréhension particulière ; de
nombreux aspects étant déjà connus, ceux-ci sont intégrés aux schémas de
connaissances et aux procédures automatisées ; ces paramètres ne sollicitent
donc pas ou très peu les capacités de la mémoire de travail. L’expert peut
alors centrer son attention sur les quelques aspects nouveaux ou saillants
qu’il n’a pas encore – ou rarement – rencontrés et qui le conduiront éven-
tuellement à une restructuration de ses connaissances anciennes et/ou à
la découverte scientifique (voir chapitre 4 pour les effets d’expertise). La
manière dont les experts résolvent des problèmes n’est pour une grande
part, pas accessible à leur conscience car elle s’appuie très largement sur
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

des mécanismes acquis lors d’une confrontation répétée aux mêmes


situations, qu’il s’agisse d’acquisitions implicites ou de l’automatisation
de procédures.
– Le cas d’un novice – élève, enfant ou adulte – est bien différent car il ne
dispose pas des connaissances préalables susceptibles de fournir un cadre
organisateur adapté à ce qu’il perçoit. Lorsque la situation est complexe
et nécessite l’extraction de nombreux paramètres, les capacités limitées
de la mémoire de travail exposent au risque d’une surcharge cognitive
entraînant une incapacité à en construire une représentation adaptée. Le
novice est donc exposé au risque de se perdre dans les méandres d’une
situation que son système cognitif ne peut appréhender ! Les difficultés
d’apprentissage de la lecture qui ont conduit au rejet des méthodes idéo-
visuelles en sont un exemple éloquent (O.N.L., 1998).
Cette brève présentation des arguments de la polémique et des modèles
théoriques invoqués suscite deux commentaires principaux :
Le premier est de rappeler qu’il fait peu de doute que la connaissance relève
d’une construction, pas plus qu’il ne fait de doute que l’objectif de tout
enseignement est de développer et de construire les connaissances déclaratives
202 et les procédures qui conduisent vers l’expertise. La question du guidage
et de son dosage pour aider à cette construction dépend de l’expertise de
l’individu (ou élève) auquel on s’adresse (Kintsch, 2009). Mais insister sur la
seule construction sans prendre en considération le nécessaire entraînement
revient à ne considérer que la face émergée du problème de l’apprentissage.
Apprendre c’est aussi s’entraîner à l’utilisation des connaissances construites
afin qu’elles s’intègrent à notre fonctionnement mental.
Le second commentaire est de constater que l’opposition entre les théories
constructivistes et les théories cognitivistes de l’apprentissage, érigée en
opposition épistémologique irréconciliable se révèle largement infondée. Si
l’école piagétienne est historiquement antérieure au mouvement cognitiviste
originaire d’Amérique du Nord, le projet Piagétien est fondamentalement
cognitiviste (ou mentaliste) comme le disait Piaget lui-même ; « …si je me
sens épistémologiste dans l’âme, je n’ai d’intérêt que pour certains chapitres
(tous cognitifs) de la psychologie (in Piaget, Mounoud et Bronckart, 1987,
préface, p. VII) ». Les deux courants se sont d’ailleurs, l’un et l’autre, opposés
à l’empirisme fondamental des behavioristes. Leur opposition plus essentielle
provient du poids plus important accordé à l’inné par certains cognitivistes
(Chomsky, 1975 ; Fodor, 1983) mais les deux courants partagent un ensemble
de présupposés et de notions théoriques pour rendre compte de l’apprentissage.
La notion de schème qui constitue une base fondamentale de l’explication
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

piagétienne, illustre parfaitement cela. Il s’agit d’une notion complexe, mais


nous pourrons retenir, en suivant Plaisance et Vergnaud (1993, p. 49) que
« le schème est une totalité dynamique et fonctionnelle, une organisation
invariante de la conduite pour une certaine classe de situation… il comporte
des buts et des attentes, des règles d’actions, des invariants opératoires
c’est-à-dire des connaissances pertinentes pour sélectionner l’information
et la traiter […] les possibilités d’inférence en situation font aussi partie
intégrante du schème ». Cette définition renvoie de manière presque trans-
parente aux notions de schémas cognitifs et de procédures développées par
la psychologie cognitive. Comme les schémas mentaux (voir chapitre 4) les
schèmes structurent des connaissances ou concepts, les buts et les attentes
relatifs à une classe de situations : ils guident la sélection des informations
pertinentes dans une situation donnée ainsi que les inférences qui peuvent
être effectuées. Comme les procédures, ils sont aussi des règles pour l’action
et le traitement des informations. En d’autres termes, le schème est la fois
une structure pour accueillir l’organisation conceptuelle (ou déclarative) et
une organisation procédurale autorisant leur mise en actes, ce que rappelle
de manière tout à fait explicite Inhelder en 1987 dans les propos rapportés
ci-dessous :
203
« Tout comportement cognitif a un ensemble de caractéristiques et de propriétés
que l’on qualifiera de bipolaires, c’est-à-dire qui sont antithétiques d’apparence,
mais en réalité interdépendantes. Les procédures et les structures (Inhelder et
Piaget, 1979) en sont un exemple typique. D’une part, utiliser ou inventer
des structures implique l’usage de procédures… D’autre part, tout problème
cognitif pratique implique l’usage de procédures qui font nécessairement appel
à des connaissances structurales qui sont soit disponibles, soit découvertes au
cours de la tâche. Procédures et structures forment ainsi un couple d’entités
distinctes mais complémentaires, correspondant à la distinction entre savoir
et savoir-faire – […] qui forment “l’ensemble des schèmes généraux et des
structures de connaissances que Piaget appelle “présentatifs” (c’est-à-dire les
concepts représentatifs ainsi que les schèmes sensori-moteurs) pour les distinguer
des schèmes qui sont dits procéduraux” parce que finalisés. Cette distinction
correspondrait au “déclaratif ” opposé au “procédural” dans le vocabulaire de
l’intelligence artificielle (pp. 671-673). »

Les deux courants s’accordent donc très largement sur l’idée selon laquelle
la connaissance relève d’une construction qui passe par l’abstraction de
connaissances et de règles d’action à partir de la confrontation avec l’envi-
ronnement qu’il soit physique, conceptuel ou social. Ce qui les distingue
plus certainement est la place donnée à l’explication et à la répétition.
L’explicitation peut dériver de l’application de procédures, mais elle est
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

aussi une source primordiale de l’apprentissage déclaratif chez Anderson.


Elle dérive toujours de la construction des schèmes et n’est qu’optionnelle
chez Piaget. Tous les schèmes construits ne deviennent pas explicites ni
explicitables et ceci n’est que très partiellement compatible avec l’accent mis
par les pédagogies constructivistes sur la métacognition. La répétition, nous
l’avons vu, est un paramètre fondamental de l’apprentissage. Elle est aussi
incontournable chez Piaget puisque c’est bien la confrontation répétée avec le
réel qui conduit au développement des structures cognitives. Si l’accent n’est
pas mis sur ce paramètre, c’est probablement parce que le projet piagétien
était de décrire et de théoriser l’épigénèse des structures de l’intelligence et
non pas d’étudier les phénomènes de l’apprentissage et encore moins les
processus d’enseignement. Il convient enfin de ne pas négliger la dimen-
sion historique : la théorie piagétienne comme les théories motivationnelles
auxquelles puisent les pédagogies constructivistes sont antérieures ou juste
contemporaines de l’émergence des sciences cognitives. Elles n’ont donc
pas pu intégrer les apports nouveaux des recherches relatives à l’architecture
du système cognitif et à son fonctionnement.
On peut sans grand risque affirmer à ce point que le débat pédagogique
« explicitation-construction » repose sur des approximations scientifiques
204 qui masquent des racines idéologiques et épistémologiques plus anciennes.
Le socioconstructivisme se réclame d’une filiation avec la philosophie des
lumières et notamment avec les conceptions préromantiques de l’éduca-
tion (Jean-Jacques Rousseau en France). Les principes de ce mouvement
ont donné naissance dans la première moitié du XXe siècle, au courant des
pédagogies nouvelles qui défendait un projet éducatif destiné à favoriser
l’épanouissement de l’individu par le développement et l’auto-organisa-
tion de ses capacités propres au contact de la « nature » et de ses pairs. Très
schématiquement, les pédagogies nouvelles se sont opposées un peu partout
en Europe à la pédagogie « traditionnelle » alors dominante et héritée des
conceptions humanistes et jésuitiques qui ont fondé le développement des
systèmes éducatifs occidentaux, puis la pédagogie dominante de l’école
républicaine au XIXe siècle en France (Gauthier et Tardiff, 2012 ; Tilman
et Grootaers, 2007). Curieusement, les pédagogies de l’explicitation sont
considérées par un double tour de passe-passe, comme les héritières directes
de cette pédagogie traditionnelle, tout d’abord par une assimilation pure
et simple des idées comportementalistes à l’éducation traditionnelle. En
considérant l’objectif d’élévation de l’enfant vers une « vérité », un « absolu »
extérieur à lui de la pédagogie traditionnelle (Tilman et Grootaers, 2007),
on peut bien entendu voir dans les principes de modelage du comporte-
ment décrits par les comportementalistes une manière pour l’enseignement
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

traditionnel de parvenir à ses fins. Mais l’idéal de l’éducation traditionnelle


va bien au-delà de ce que les principes de l’apprentissage associatif portent
en eux-mêmes. On a ensuite assisté à une mise en opposition des approches
socioconstructivistes de la connaissance avec les approches cognitivistes, en
laissant croire que les secondes sont des descendantes directes du courant
comportementaliste alors même qu’elles s’y sont farouchement opposées.
En résumé, les modèles de l’apprentissage brièvement décrits ci-dessus
montrent que tout apprentissage procède d’une combinaison complexe
d’apprentissages implicites et explicites, d’automatisation et de contrôle
métacognitif. Les apprentissages implicites peuvent servir d’ancrage aux
apprentissages explicites (abstraction réfléchissante, (Piaget, 1975), redes-
cription des représentations, (Karmiloff-Smith, 1992)) et les apprentissages
explicites sont susceptibles de renforcer l’exercice des premiers. Comme nous
l’avons vu plus haut, le fait d’apprendre à lire augmente les occasions de
lecture, permettant d’automatiser certains mécanismes mais aussi d’induire
des apprentissages implicites du vocabulaire et des connaissances de culture
générale. Tous ces apprentissages sont essentiels au développement d’une
expertise mais il est nécessaire de prendre en considération qu’ils doivent être
réalisés dans le cadre d’un système cognitif dont la capacité attentionnelle est
205
limitée. Ce qui peut être appréhendé d’une situation à un moment donné
conditionne ce qui peut être appris et cette capacité dépend elle-même de
l’expertise antérieurement acquise. De toute évidence, les apprentissages
scolaires sont trop complexes pour pouvoir être abordés à l’aune d’une seule
idéologie ni même d’une seule théorie (voir aussi Crahay et Dutrevis, 2010).
L’opposition pédagogie socioconstructiviste – pédagogie de l’explicitation
analysée ici procède donc d’une position idéologique relative à l’éducation :
à la position « romantique » de l’approche socioconstructiviste, l’approche
explicite oppose une position pragmatique ancrée dans la prise en consi-
dération de l’évolution des conceptions théoriques mais aussi et surtout
dans l’adhésion à la nécessité de fonder les pratiques d’enseignement sur
des données probantes issues de l’évaluation des effets des dispositifs sur les
apprentissages des élèves. En effet, « on ne juge pas du caractère progressiste
d’une mesure éducative […] par le discours qui l’a mis en place mais par
les effets qu’elle produit ultimement sur la réussite des élèves (Péladeau,
Forget et Gagné ; 2010, p. 62) ». Ironie de l’histoire, c’est précisément à
cette nécessité qu’appelait Jean Piaget, voilà 50 ans. Voici ce qu’il écrivait
en 1965, dans un article intitulé « Éducation et Instruction depuis 1935 » :
« …La première constatation qui s’impose après 30 ans d’intervalle, et qui
est surprenante, est l’ignorance dans laquelle nous sommes restés quant aux
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

résultats des techniques éducatives. […] Que les programmes et les méthodes
didactiques soient imposés par l’État ou laissés à l’initiative des enseignants,
il reste de toute évidence que l’on ne saurait rien dire de fondé quant à leur
rendement effectif, ni surtout quant aux multiples effets imprévus qu’ils
peuvent avoir sur la formation générale de l’individu, sans une étude systé-
matique disposant de tous les moyens si riches de contrôle qu’ont élaborés
la statistique moderne et les diverses recherches psychosociologiques (Piaget,
1969, pp. 13 et 34) ». C’est à cette conception que sera consacrée la suite de
ce chapitre, en examinant les résultats des recherches qui ont évalué les effets
des dispositifs d’enseignement pour l’apprentissage et le développement de
la compréhension en lecture.

Un enseignement de la compréhension
fondé sur des données probantes
Les recherches dans le domaine de l’enseignement de la compréhension
sont restées relativement rares jusqu’aux années 2000, si on les compare à
la profusion des travaux qui ont été consacrés à celui de l’apprentissage de
la lecture entre cinq et huit ans. On assiste cependant à une augmentation
206 massive des recherches depuis 15 ans, sous la double impulsion des préoc-
cupations des décideurs en charge des politiques éducatives, inquiets des
constats récurrents issus des évaluations des systèmes éducatifs d’une part
et d’autre part, des problèmes spécifiques soulevés par les faibles compre-
neurs à partir de la troisième année de primaire. Parallèlement, les travaux
cherchant à établir par des évaluations rigoureuses les effets des méthodes
ou procédures d’enseignement proviennent de deux traditions de recherche :
la première initiée aux États-Unis au cours des années 1960-70 a analysé
les effets-classes et les effets-maîtres dans le cadre du paradigme processus-
produits. La seconde, inspirée par la psychologie cognitive, s’est développée
à partir des années 1980 dans le cadre de travaux portant sur l’enseignement
de stratégies cognitives (Bianco et Bressoux, 2009 ; Rosenshine, 2009).

Les recherches processus-produits – l’enseignement direct


ou explicite
Les recherches processus-produits avaient pour but d’identifier les gestes
professionnels caractérisant les enseignants les plus efficaces, c’est-à-dire
les enseignants dont les élèves progressent le plus et de les comparer aux
caractéristiques des enseignants les moins efficaces. Ces recherches ont
d’abord consisté à mettre en relation des observations réalisées en classe
avec les progrès accomplis par les élèves entre le début et la fin d’une année
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

scolaire. Les résultats de ces observations ont ensuite été utilisés pour extraire
les attitudes et techniques professionnelles les plus efficaces et conduire des
expérimentations dans lesquelles des groupes d’enseignants étaient entraînés
à l’utilisation de ces techniques. Ces expériences ont montré que dans leur
majorité, les enseignants formés aux techniques les plus efficaces faisaient plus
progresser leurs élèves quand ils les utilisaient dans leur classe que les ensei-
gnants d’un groupe témoin (Bressoux, 1994 ; Gage et Needles, 1989 ; Good
et Grouws, 1979 ; Connor, Morrison et al., 2011). D’une manière générale,
les recherches processus-produits ont conclu à une plus grande efficacité des
enseignants qui mettent en œuvre un enseignement direct (encore nommé
enseignement explicite, systématique, structuré ou guidé) et il n’existe pas
depuis de recherches ayant invalidé ces résultats (Rosenshine, 2009).
Quelles sont donc les caractéristiques de l’enseignement explicite, mis en
œuvre par les enseignants les plus efficaces ? Rosenshine et Stevens (1986)
en recensent six, détaillées dans l’encadré 5.1. Cet ensemble de principes
aboutit à un enseignement très structuré dans lequel l’enseignant dirige
l’activité de l’élève au moment où il aborde une nouvelle notion pour trans-
férer progressivement la responsabilité de la gestion de l’activité à ce dernier.
En bref, l’enseignement explicite démarre toujours par la réactivation des
notions qui doivent être maîtrisées avant d’en aborder une nouvelle (révision 207
journalière). L’enseignant fixe ensuite clairement les objectifs de la leçon du
jour et démontre et explique la/les nouvelles notions à acquérir. Autrement
dit, il explicite la notion et montre la manière de l’utiliser. Ce faisant, il
segmente aussi les apprentissages complexes en une série d’apprentissages
plus simples, évitant ainsi de dépasser les capacités attentionnelles des élèves
et les risques associés de surcharge cognitive. Il guide ensuite l’apprentissage
en incitant les élèves à utiliser la nouvelle notion et à expliciter comment
ils s’y prennent. Par ses questions, il les incite à adopter une attitude active
et réflexive dans l’appropriation de la nouvelle notion, en provoquant des
discussions centrées sur la tâche à accomplir et en fournissant les correc-
tions et explications nécessaires. L’enseignant n’hésite pas, pendant cette
phase, à réexpliquer et à fournir des occasions répétées d’exercices réfléchis.
Cette phase de guidage s’est révélée très importante car les observations
ont montré que plus les enseignants passent de temps à ce guidage, plus
leurs élèves progressent et s’engagent activement dans la phase suivante de
pratique individuelle. Cette dernière phase permet l’intégration des nouvelles
connaissances et satisfait au caractère nécessaire de la répétition (i. e. de
l’entraînement) dans tout apprentissage. Enfin, des périodes de révision
permettent l’exercice intégré des notions et habiletés acquises au cours d’une
période et leur réinvestissement dans d’autres situations.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Encadré 5.1 : l’enseignement direct (ou explicite) :


les recherches processus-produits
(d’après Rosenshine et Stevens, 1986 ; Rosenshine, 2009).
Les six caractéristiques de l’enseignement direct :
1. Révision journalière : la leçon commence par une révision de cinq à huit
minutes des notions apprises précédemment. Elle permet à l’enseignant de :
– s’assurer que les élèves maîtrisent les habiletés et notions (la connais-
sance) nécessaire à la leçon du jour ;
– de réexpliquer et de réentraîner les habiletés, celles notamment qui
doivent être automatisées (ou sur-apprises).
2. Présentation du nouveau matériel : nouvelles notions, objectifs
de la leçon.
Les enseignants efficaces passent plus de temps que leurs collègues
moins efficaces à :
– présenter et expliquer les nouvelles notions ;
– donner de nombreux exemples ;
– poser des questions pour s’assurer de la bonne compréhension des
élèves ;
208 – réexpliquer.
Ils segmentent la présentation des notions nouvelles en étapes ; ils analysent
les notions complexes afin de les décomposer en un ensemble de sous
notions que les élèves peuvent plus facilement appréhender sans être
submergés par un ensemble de paramètres dépassant leurs capacités
cognitives.
3. Pratique guidée : les enseignants les plus efficaces guident et supervisent
la mise en œuvre initiale des nouvelles notions par les élèves. L’élément
majeur de ce guidage consiste à susciter la discussion entre le maître et les
élèves et entre les élèves. L’enseignant pose de nombreuses questions ; il
incite les élèves à autoexpliquer comment ils s’y prennent pour répondre
aux questions. Plus ce temps de guidage est important, meilleures sont
les réussites des élèves.
4. Feed back et corrections : les enseignants les plus efficaces corrigent
immédiatement les erreurs faites par les élèves et fournissent un étayage en
réexpliquant, en fournissant des indices pour parvenir à la réponse attendue
et en simplifiant les questions lorsque c’est nécessaire. Ils utilisent aussi la
pensée à haute voix (ou autoexplication) pour donner à voir les arguments
qui conduisent à la réponse (« c’est cette réponse parce que… »).

…/…
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

5. Travail individuel (ou pratique indépendante) : ce temps d’exercice


fournit l’occasion à l’élève de s’entraîner à utiliser la notion apprise afin
de l’intégrer à ses connaissances et de pouvoir l’utiliser de manière suffi-
samment fluide.
6. Révisions systématiques, hebdomadaires et mensuelles : ces
révisions systématiques et à intervalles réguliers permettent de réactiver
ce qui a été appris, de réentraîner afin d’augmenter l’intégration des
connaissances et l’automatisation de celles qui doivent l’être.

Dans le domaine de l’enseignement de la lecture, les recherches « processus-


produits » peuvent être illustrées par le travail déjà évoqué de Connor et de
ses collaborateurs (Connor, Morrison et Petrella, 2004 ; Connor, Morrison
et Katch, 2004 ; Connor, Morrison et Slominsky, 2006 ; Connor, Morrisson
et Underwood, 2007 ; Connor et al., 2011). Ce travail est consacré à l’exa-
men des relations existant entre les pratiques pédagogiques des enseignants,
les caractéristiques individuelles des élèves et leur réussite en lecture de la
grande section de maternelle jusqu’au CE2 (kindergarten au grade 3 de l’école
américaine). Il apporte des données tout à fait convergentes avec celles issues
des recherches antérieures pour le domaine spécifique de l’enseignement de 209
la lecture. Les activités pédagogiques observées ont été codées selon quatre
dimensions : le contenu de l’activité, le style pédagogique, la gestion de la
classe et le type d’enseignement ; elles sont décrites dans l’encadré 5.2.
Chaque activité scolaire peut donc être codée selon ces quatre descripteurs :
par exemple, un exercice au cours duquel un petit groupe d’élèves résume
collectivement un texte est une activité de groupe, explicite, centrée sur le
sens et dans laquelle les élèves sont responsables de la centration de leur
attention. Bien entendu, toutes les formes d’activités sont rencontrées dans
une même classe mais ce qui varie d’une classe à l’autre, c’est le dosage
de chacune d’elles que privilégient les enseignants. En analysant ainsi les
activités mises en place par 25 enseignants d’école maternelle (Connor et
al., 2006), 42 enseignants de cours préparatoire et de CE1 (Connor et al.,
2004, 2007) et 43 enseignants de CE2 (Connor et al., 2004), Connor et ses
collaborateurs ont confirmé, pour ces niveaux scolaires, le caractère fonda-
mental de l’explicitation et le rôle central de l’enseignant qui organise et
guide l’activité et négocie avec ses élèves la centration de leur attention. En
grande section par exemple, les progrès en prélecture, comme en vocabulaire,
dépendent du caractère explicite des enseignements et cela d’autant plus que
les élèves sont faibles au départ. Ainsi, à l’école maternelle et jusqu’au CE1,
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Encadré 5.2 : Dimensions caractérisant les activités


d’enseignement de la lecture
(d’après Connor et collaborateurs, 2011).
1. Contenu de l’enseignement : Sur quoi porte l’enseignement ?
Centré sur le code : Toute activité dont l’objectif est l’acquisition du
principe alphabétique, l’orthographe et la fluidité de lecture (décodage,
connaissances orthographiques, connaissances morphologiques, etc.).
Centré sur le sens : Toute activité dont l’objectif est de développer les
traitements langagiers de plus haut niveau (stratégies de compréhension,
c’est-à-dire clarifier un concept, vocabulaire, inférer : connecter des infor-
mations dans le texte, entre le texte et ses connaissances entre plusieurs
textes, autoévaluer, autoexpliquer, etc.).
2. Centration de l’attention : Qui est responsable de la centration de
l’attention de l’élève ? Place respective occupée par l’enseignant et les
élèves pendant les activités.
Dirigée par l’enseignant : l’enseignant dirige l’activité et la centration de
l’attention (leçon, exposé magistral).
210
Négociée : la centration de l’attention est négociée dans une interaction
active enfant-enseignant dans des activités de discussion (par exemple,
élèves et enseignant débattent pour réaliser la synthèse d’informations
contenues dans deux textes différents ; activité de comparaison-synthèse).
Dirigée par l’élève : l’élève est responsable de la centration de son attention
(exercice individuel ou activité réalisée avec des pairs).
3. Gestion de la classe
Collective : activité concernant l’ensemble de la classe.
Petits groupes : travail en groupes de quelques élèves (cinq à huit en
général) sur des activités qui peuvent être différentes dans chaque groupe.
Individuelle : chaque élève réalise un travail individuel.
4. Type d’enseignement
Explicite : toute activité visant clairement un aspect précis du langage et
de la lecture (enseigner une stratégie de compréhension, par exemple,
comment comprendre un mot inconnu ?)
Implicite : le langage ou la lecture ne sont pas l’objectif visé mais sont
« l’occasion de » pendant l’activité scolaire, par exemple, lire un énoncé
de problème, réaliser un montage technique.
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

les élèves progressent plus dans leur connaissance du code alphabétique et


donc en lecture, dans les classes où on passe plus de temps dans des activités
explicitement centrées sur le code. Au CE2, les auteurs se sont intéressés
à l’enseignement de la compréhension et ils ont estimé les effets du temps
moyen passé par les élèves à des activités d’imprégnation à l’écrit (lecture
silencieuse) ou à des activités explicites (apprentissage de stratégies) sur
leurs progrès en compréhension. Ils ont observé une interaction significa-
tive entre le niveau des élèves en début d’année et le style d’enseignement
qu’ils reçoivent : les élèves moyens ou faibles en début d’année scolaire
progressent plus dans les classes où l’enseignement de la compréhension
est réalisé de manière explicite (enseignement de stratégies) et est dirigé
par l’enseignant. Les activités autonomes dans lesquelles les élèves sont
responsables de la centration de leur attention, qu’elles soient réalisées seul
ou en petits groupes, ont un effet négatif sur l’évolution des performances
des élèves les plus faibles. Seuls les élèves déjà très bons « compreneurs » en
début d’année (se situant au-dessus du 90e centile) trouvent un bénéfice à
ces activités, tout comme aux activités implicites telle la lecture silencieuse.
Autrement dit, un enseignement explicite de stratégies réduit les écarts entre
les élèves quand des activités d’imprégnation les creusent.
211
Signalons enfin que des « méta » et « méga » analyses se sont multipliées ces
dernières années. Ces recherches ont pour vocation de synthétiser les résultats
de dizaines (voire de centaines) de recherches expérimentales afin de compa-
rer l’efficacité de différentes méthodes pédagogiques (Bissonnette, Richard,
Gauthier et Bouchard, 2010 ; Slavin, Lake, Chambers, Cheung et Davis,
2009). Toutes concluent qu’une approche explicite est plus favorable aux
progrès des élèves, pour les apprentissages fondamentaux de l’école primaire
notamment, et d’autant plus que l’on s’adresse à des enfants jeunes et/ou en
difficulté. La méga-analyse publiée par Bissonnette et ses collaborateurs (2010)
est à ce titre emblématique. Une méga-analyse est une synthèse des résultats
issus d’un ensemble de méta-analyses, synthétisant elles-mêmes les résultats
d’un ensemble de recherches expérimentales. Les méta-analyses regroupent
les résultats de plusieurs dizaines d’expérimentations présentant des qualités
méthodologiques suffisantes pour pouvoir extraire un indice statistique
(l’effet d’ampleur ou taille de l’effet) qui permet d’estimer l’importance de
l’impact d’une manipulation expérimentale (voir figure 5.3). Cela signifie
que les performances d’un groupe d’élèves impliqués dans un dispositif
pédagogique particulier sont comparées, a minima, aux performances d’un
groupe témoin ; l’effet d’ampleur donne une mesure standardisée du gain
relatif (ou de la perte) du groupe expérimental par rapport au groupe témoin.
La méga-analyse de Bissonnette synthétise les résultats de 11 méta-analyses
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

publiées entre 1963 et 2006 et ayant examiné 326 recherches, impliquant


en tout 30 000 élèves ; celles-ci portent sur des dispositifs d’enseignement de
la lecture (sept méta-analyses), des mathématiques (3 méta-analyses) et de
l’écriture (1 méta-analyse). Les auteurs ont focalisé leur analyse sur les effets
des méthodes d’enseignement sur les performances des élèves faibles de l’école
primaire. Comme le montre la figure 5.3, les dispositifs d’enseignement
explicite favorisent bien plus fortement les progrès des élèves que les deux
autres types de dispositifs étudiés dans les recherches, en lecture comme en
mathématiques (la seule méta-analyse concernant l’enseignement de l’écriture
va dans le même sens). La deuxième forme d’enseignement, l’enseignement
réciproque, apporte des résultats également positifs. Initialement proposé pour
enseigner des stratégies de compréhension des textes à des jeunes adolescents
en difficulté (Palincsar et Brown, 1984), ce dispositif repose sur l’appren-
tissage de stratégies explicites et concrètes – apprendre à poser (à se poser)
des questions, à résumer, à prédire et à clarifier des idées et des relations – à
partir d’un dispositif collaboratif dans lequel les élèves travaillent au sein de
petits groupes de discussion, de manière autonome ou en compagnie du
maître. Ils apprennent alors à s’interroger et à raisonner à propos d’un texte,
à négocier les interprétations et à s’aider mutuellement dans l’utilisation des
stratégies de compréhension. À tour de rôle, chaque élève et/ou l’enseignant
212
ont la charge de conduire le groupe et le dialogue, ce qui permet au maître de
« placer l’enseignement dans la zone proximale de développement » du groupe
d’élèves (Rémond, 2003) et d’apporter de la sorte l’étayage juste nécessaire
à l’acquisition des stratégies visées. L’enseignement réciproque a depuis été
étendu à d’autres domaines et d’autres âges avec des résultats généralement
positifs à partir de neuf ou dix ans, cette approche se révélant cependant
moins efficace pour les très jeunes enfants (Rosenshine et Meister, 1994).

Figure 5.3 : Effet d’ampleur moyen de différentes méthodes


d’enseignement sur les progrès d’élèves en difficultés à l’école primaire
(d’après Bissonnette, Richard, Gauthier et Bouchard, 2010).

1,5
Enseignement explicite
1,0 Enseignement réciproque
Enseignement constructiviste
0,5

0,0

–0,5
Lecture Mathématiques
–1,0
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

L’enseignement explicite de stratégies de compréhension


en lecture
Prenant acte de l’efficacité incontestable de l’enseignement explicite dans le
domaine des apprentissages fondamentaux (apprentissage de la lecture et des
habiletés numériques élémentaires), certains défenseurs de l’enseignement
constructiviste (Spiro et deSchryver, 2009, par exemple) soutiennent que
l’enseignement explicite n’est adapté qu’aux domaines d’enseignement
fortement structurés dont l’espace de problème est strictement défini mais
qu’il ne peut pas être transposé aux domaines faiblement structurés, telles la
compréhension des textes, l’activité rédactionnelle ou encore la résolution
de problèmes mathématiques. Or, si la compréhension est incontestable-
ment une activité cognitive complexe ne se laissant pas décomposer en un
algorithme de sous-tâches dont l’application conduirait infailliblement
au résultat attendu, nous avons vu dans les chapitres précédents que la
compréhension des textes peut être analysée en un ensemble complexe
d’habiletés. Celles-ci doivent être maîtrisées et peuvent être enseignées.
Pour ce faire, elles doivent être définies de manière précise et traduites dans
un ensemble de procédures qui consistent en des formes de raisonnement
que les élèves peuvent apprendre à identifier et à mobiliser lorsqu’ils sont 213
engagés dans la compréhension d’un texte complexe (Bianco, 2010 ; Bianco
et Bressoux, 2009). Cet enseignement prend la forme d’un enseignement
de stratégies cognitives et métacognitives, encore appelées stratégies de
lecture ou stratégies de compréhension. Le terme désigne dans la littéra-
ture deux types de processus différents bien que liés : une activité mentale
demandant un certain effort et une mise en œuvre consciente pour autoé-
valuer et surmonter un obstacle à la compréhension (relire, paraphraser,
prendre des notes, etc.) et des mécanismes mentaux utilisés de manière
dynamique pendant la lecture et requérant un effort minimal chez le lecteur
expert (Millis et Magliano, 2012). Toutefois, ces mécanismes hautement
intégrés à l’activité du lecteur expert font l’objet d’un développement qui
nécessite un apprentissage parfois difficile et un enseignement explicite
pour les enfants les plus faibles en particulier. Les stratégies de compré-
hension sont nombreuses et renvoient à différents niveaux de traitement
des textes. L’âge et le niveau des élèves conditionnent évidemment le type
et le degré de sophistication des stratégies qui peuvent être enseignées. On
dispose aujourd’hui d’un corpus très abondant de recherches empiriques
qui ont montré la possibilité et l’efficacité de ce type d’enseignement, dès
l’école maternelle. D’une manière générale, l’enseignement de stratégies
de compréhension améliore les performances des élèves à tous les niveaux
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

de la scolarité et ce type d’enseignement est plus particulièrement adapté


aux élèves les plus fragiles (Bianco, 2003 ; Bianco et al., 2004 ; Connor
et al., 2006 ; Edmonds et al., 2009 ; Lima et al., 2006 ; Solis et al., 2012 ;
Snowling et Hulme, 2010 ; Wanzek et al., 2013).
Les principes résumés dans l’encadré 5.3 (voir chapitre 4 également)
montrent aussi que l’enseignement de stratégies de compréhension est
un cas particulier de l’enseignement direct (Bianco et Bressoux, 2009 ;
Rosenshine, 2009). Bien qu’issus d’une tradition de recherche différente,
les résultats de ces recherches sont tout à fait convergents et renforcent
l’idée qu’un enseignement direct est une approche indispensable pour
garantir un enseignement efficace. Parmi les six méta-analyses relatives
à l’enseignement explicite de la lecture et synthétisées par Bissonnette et
al. (2010), quatre sont des recherches consacrées à l’enseignement de la
compréhension. L’enseignement des stratégies de lecture-compréhension
est d’ailleurs toujours qualifié d’enseignement explicite (ou direct) par les
chercheurs qui l’ont étudié (Andreassen et Bräten, 2010 ; Bianco, 2003 ;
Palincsar et Brown, 1984 ; Paris et Oka, 1986 ; Pressley, 2000 ; Pressley
et Wharton-McDonald, 1997 ; Pearson, 2009 ; Rosenshine et Meister,
1997 ; Trabasso et Bouchard, 2002). Dans ce qui suit, quelques recherches
214
permettront d’illustrer comment un enseignement direct et explicite de la
compréhension peut être mis en place aux différents niveaux de la scolarité.

Améliorer le langage oral et la compréhension en lecture


des élèves de l’école primaire et du collège
Le développement précoce du langage oral est une dimension fondamen-
tale de la compréhension en lecture (chapitre 2) et les mécanismes de la
compréhension sont amodaux. Autrement dit, ils sont les mêmes quelle que
soit la modalité de traitement du langage. Comme nous venons aussi de
le voir, l’enseignement de la compréhension passe par la manipulation de
l’oral, la discussion et la verbalisation des procédures et des raisonnements
qui représentent le cœur de l’enseignement des stratégies de lecture.
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

Encadré 5.3 : L’enseignement explicite de stratégies


(d’après Bianco et Bressoux, 2009 ; Lima et al., 2006 ;
McNamara et al., 2007 ; Rosenshine, 2009).
Les principes de l’enseignement de stratégies de lecture-
compréhension
– L’objectif et la procédure d’utilisation de la stratégie est expliquée
et montrée par l’enseignant. L’utilisation de la pensée à haute voix (ou
auto-explication), permet de rendre perceptible (visible) un raisonnement
habituellement inaccessible à la perception directe.
– L’enseignant fournit des étayages pour aider à la maîtrise progressive de
l’habileté. Ces étayages visent la prise de conscience et la réflexion déli-
bérée. Il peut s’agir d’aides techniques, tels que des supports graphiques,
des aides-mémoire, des mots signaux mais aussi d’aides directes : inci-
tation à auto-expliquer les raisonnements (par le maître et par les élèves),
à débattre et confronter les points de vue (enseignement réciproque et
transactionnel), segmentation de l’activité en unités maîtrisables en les
combinant progressivement pour parvenir à la maîtrise complète et inté-
grée de la procédure.
– Entraînement des élèves à l’utilisation de la stratégie à partir d’exercices
spécifiques puis à sa mise en œuvre autonome dans des textes longs. 215
Les principales stratégies de lecture-compréhension
Les stratégies de compréhension – et leur enseignement – ont pour voca-
tion de former des lecteurs actifs capables d’autoévaluer et d’autoréguler
leur compréhension. Autrement dit, un lecteur actif sait que comprendre
un texte consiste à en construire un modèle de situation cohérent et qu’il
doit exercer pour cela, une autoévaluation attentive au fur et à mesure de
sa lecture afin de détecter une difficulté éventuelle et de mettre en œuvre
une procédure de régulation adaptée si nécessaire (Bianco, 2003 ; Fayol
et Gaonac’h, 2003). Les stratégies de lecture peuvent être classées en
quatre grandes catégories en fonction du moment de lecture auquel elles
s’appliquent.
1. Stratégies de préparation à la lecture ; elles visent essentiellement
à la préparation d’une attitude de lecture active :
– identification des objectifs de lecture ;
– stratégies de pré-lecture : explorer les différentes parties du texte (structure),
se poser des questions sur ce qu’on va lire, ce qu’on cherche à savoir, à
quoi on pense que le texte va pouvoir répondre ;
– lecture guidée par les objectifs et les questions posées.
…/…
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

2. Stratégies d’interprétation des mots, des phrases et des idées


du texte ; centrées sur le texte, ces stratégies visent la construction d’une
base de texte cohérente.
– relire, paraphraser, découper le texte ou les phrases complexes pour
en comprendre la structure ;
– comprendre les mots difficiles ou inconnus ;
– annoter, prendre des notes ;
– faire des inférences ;
– utilisation de la connaissance de la structure des textes.
3. Stratégies pour aller au-delà du texte ; elles sont destinées à connec-
ter les informations lues aux connaissances générales et à l’expérience
du lecteur. Ces stratégies permettent à la fois de réaliser les inférences
de connaissances nécessaires pour comprendre l’implicite et de lier les
contenus apportés par le texte aux connaissances propres du lecteur :
– (se) poser des questions (Qui ? Quoi ? Quand ? Où ? Pourquoi ?
Comment ?…) ;

216 – autoexpliquer à haute voix ;


– visualiser et imaginer ;
– utiliser des ressources externes au texte (d’autres documents pour
éclairer des points obscurs).
4. Stratégies d’organisation, de restructuration et de synthèse ;
elles permettent d’organiser dans une structure cohérente (un schéma)
l’ensemble des informations lues. Ces stratégies sont souvent mises en
place après la lecture mais s’appuient sur les traitements mis en œuvre
pendant la lecture ; elles supposent souvent un retraitement des infor-
mations qui servent à consolider la compréhension et l’acquisition des
informations essentielles :
– Utilisation d’organisateurs graphiques et de guides de lecture ;
– Activité de résumé, de synthèse.
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

Le développement précoce du langage oral et l’enseignement


à l’école maternelle
La qualité des interactions langagières entre parents et enfants revêt une
importance primordiale dans le développement du langage enfantin
(chapitre 2). Ces interactions et pratiques familiales précoces jouent aussi
un rôle dans la préparation des enfants à l’apprentissage de la lecture. Les
recherches sur les pratiques familiales de lecture entre deux à cinq ans (home
literacy) ont montré que l’accent mis par les parents sur la lecture d’albums
(attention portée sur le sens) ou sur des activités de prélecture et d’écriture
(attention portée au code écrit) ont des effets spécifiques et indépendants sur
le développement du langage et la préparation à la lecture de leurs enfants :
les activités de prélecture développent la connaissance du code écrit et favo-
risent l’entrée dans le principe alphabétique au cours préparatoire alors que
la lecture d’album est associée à un meilleur développement du langage oral
et du vocabulaire favorisant la compréhension en lecture à l’école primaire
et le plaisir de lire exprimé par les enfants au cours moyen (Hood, Conlon
et Andrews, 2008 ; Sénéchal et Lefevre, 2002 ; Sénéchal, 2006). Au-delà de
la fréquence des lectures partagées dans le cadre familial, la qualité des inte-
ractions langagières initiées par les parents est décisive dans l’explication des
217
progrès langagiers des enfants. Par exemple, Hindman et Skibbe (2013) ont
analysé les interactions de 700 dyades mère-enfants de quatre ans engagées
dans la lecture du même album et ont observé que les mères utilisent une
palette d’interventions langagières, allant de l’explication du vocabulaire au
rappel ou résumé en fin de lecture, en passant par la centration de l’attention
sur les illustrations et leur commentaire, l’appel à l’expérience personnelle
des enfants, le mime des actions et l’élaboration au-delà du texte (acti-
vité d’inférence, de prédiction, de mise en relation avec d’autres histoires
connues, etc.). Les auteurs observent que le niveau de langage des enfants,
estimé par leur connaissance du vocabulaire est associé à une plus grande
diversité des interventions maternelles. Parmi celles-ci, celles qui font appel
à l’expérience propre des enfants semblent particulièrement favorables. La
diversité des interactions suscitées par les mères est par ailleurs associée à
leur niveau d’études. Les mères les plus diplômées utilisent un plus large
spectre de comportements langagiers et consacrent un temps plus long à la
lecture de l’album. Le niveau de diplôme est probablement un paramètre
important de l’explication des différences sociales souvent observées dans
les pratiques de lecture familiale (Hindman et al., 2013) en association avec
d’autres facteurs tels que les circonstances de la vie familiale plus ou moins
génératrices de stress (familles monoparentales et/ou familles nombreuses
par exemple, Phillips et Lonigan, 2009).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Les histoires lues et racontées sont un vecteur reconnu du développement du


langage oral chez les très jeunes enfants (Bus, Van IJzendoorn et Pellegrini,
1995 ; Dickinson et Tabors, 2001) et les résultats ci-dessus incitent à penser
que ces pratiques peuvent être transposées dans le milieu scolaire, à l’école
maternelle notamment. Les recommandations officielles insistent d’ailleurs
à juste titre sur la nécessité de proposer aux élèves de l’école maternelle un
environnement suffisamment riche leur permettant de multiples contacts
avec les textes écrits afin qu’ils puissent s’initier au langage propre aux textes
et au formalisme de l’écrit (CNDP, 2011). Un certain nombre de travaux,
nord-américains essentiellement, ont d’ailleurs tenté d’adapter la lecture
partagée d’albums à l’école maternelle, notamment dans les écoles recevant
des enfants issus de familles pauvres. Les résultats sont contradictoires et à
ce jour, un lien causal entre les lectures partagées et les habiletés langagières
des jeunes enfants n’est pas clairement établi (Lever et Sénéchal, 2011).
Cependant, lorsque des effets positifs sont observés, ils proviennent de
recherches ayant utilisé une forme particulière de lecture partagée : la lecture
en dialogue. Il s’agit d’une lecture très structurée dans laquelle les adultes
utilisent différentes formes d’étayage (ils posent des questions ouvertes en
« qui, quand, où, pourquoi », modélisent leurs raisonnements, répètent
et enrichissent les verbalisations des enfants), encouragent les enfants à
218 s’exprimer à partir de l’histoire et des illustrations et à raconter eux-mêmes
l’histoire. Les adultes adaptent également progressivement leur étayage en
commençant par des questions relativement simples et en prenant appui sur
les illustrations pour aller progressivement vers des interventions suscitant
des procédés inférentiels plus abstraits, fondés sur le texte et sur les connais-
sances. Sous ces conditions, les auteurs observent généralement des effets
positifs qui se traduisent notamment par une augmentation du vocabulaire
(Lever et Sénéchal, 2011 ; Lonigan et al., 2012 ; Lonigan et Whitehurst,
1998), bien que les progrès les plus sensibles aient été surtout relevés chez les
élèves disposant d’un vocabulaire étendu au départ (Robbins et Erhi, 1994).
La transposition des lectures familiales dans le milieu scolaire ne va donc
pas de soi et la pratique courante et intensive de la lecture d’albums dans les
écoles maternelles françaises ne produit pas systématiquement les effets qui
en sont attendus. Nous avons en effet conduit une recherche longitudinale
dans des écoles maternelles afin d’évaluer les effets de dispositifs d’ensei-
gnement du langage oral sur les acquisitions langagières des enfants ainsi
que leur incidence sur l’apprentissage de la lecture au cours préparatoire
(Bianco et al., 2010 ; 2012). Deux dispositifs destinés à l’enseignement
de la compréhension orale (centrés sur le sens) et un dispositif consacré
à l’enseignement des habilités de conscience phonologique (centré sur le
code) ont été élaborés et insérés dans le programme pédagogique des classes
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

concernées. Les programmes ont été mis en œuvre par les enseignants
eux-mêmes. Ils ne sont donc pas purement expérimentaux et peuvent
être aisément insérés dans un dispositif pédagogique régulier. Tous les
programmes ont été administrés par petits groupes de cinq à sept élèves de
niveau homogène afin de permettre la discussion et la confrontation des
points de vue pour l’élaboration d’une interprétation partagée des énoncés
soumis à la réflexion des enfants.
Le premier programme d’enseignement de la compréhension (CS) est inspiré
des principes de l’enseignement explicite (Bianco, Coda et Gourge, 2002,
2006). Il est destiné à attirer l’attention des jeunes enfants sur les difficultés
que peut susciter l’interprétation des énoncés du langage formel à partir de
leçons centrées sur les habiletés spécifiques de la compréhension. Chaque
leçon est conçue pour travailler une habileté particulière : détection d’incon-
sistances afin d’éveiller l’attention sur la nécessité d’exercer un contrôle de
sa propre compréhension, travail sur les inférences nécessaires (anaphores,
connecteurs et causalité) et sur les inférences logiques, travail enfin sur les
modèles de situation et la structure des histoires.
Le deuxième programme (LA) d’entraînement à la compréhension,
plus implicite et inspiré des travaux sur la littératie familiale, reposait
sur l’analyse approfondie d’albums (LA). On notera que cette approche 219
renforce une pratique courante de lecture d’albums à l’école maternelle ;
la différence essentielle résidait dans le fait que le travail était réalisé en
petits groupes et que les enseignants avaient pour objectif de travailler
les mêmes habiletés de compréhension que celles enseignées dans le
programme CS tout en suivant les difficultés rencontrées et les réactions
des élèves lors des discussions.
Le troisième programme était « centré sur le code » et consistait en un entraî-
nement à la conscience phonologique (PHO), autrement dit à l’analyse des
propriétés sonores de la langue orale.
Pendant les deux dernières années d’école maternelle, les élèves ont participé
à l’un des entraînements langagiers décrits ci-dessus. En outre, chaque groupe
expérimental était scindé en deux sous-groupes afin d’estimer l’impact de
la durée des enseignements. Certains élèves ont suivi l’entraînement dès la
première année de l’étude en moyenne section et l’ont poursuivi en grande
section (groupes CS1, LA1 et PHO1). Les autres élèves ont suivi l’entraîne-
ment seulement la deuxième année de l’étude, en grande section (groupes
CS2, LA2 et PHO2).
Une large cohorte d’élèves (1 170 au début de l’étude) a été suivie du
début de la moyenne section de maternelle (enfants âgés de quatre ans en
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

moyenne à la rentrée) jusqu’au deuxième trimestre du cours préparatoire. Les


performances en compréhension orale et en conscience phonologique ont
été évaluées à trois reprises en maternelle (début et fin de moyenne section,
fin de grande section). Les performances en compréhension orale et écrite
ainsi que leurs capacités à lire et à orthographier ont été également évaluées
au CP, neuf mois après la fin de tous les entraînements. L’efficacité de ces
programmes a été estimée en comparant les progrès des enfants en fonction
des programmes suivis et par rapport à un groupe témoin n’ayant reçu
aucun enseignement spécifique. Trois résultats saillants méritent mention :
Premièrement, les élèves qui ont suivi le programme « stratégies de compré-
hension » pendant deux semestres (CS1) répartis sur deux années scolaires
montrent un rythme de progrès et un niveau de compréhension en fin
d’école maternelle supérieurs aux élèves qui n’ont été entraînés qu’un seul
semestre (CS2). Par ailleurs, les effets de l’entraînement demeurent sensibles
à moyen terme, puisque le groupe CS1 continue de voir ses performances
s’améliorer durant l’année de CP, alors que les entraînements ont cessé depuis
neuf mois. De plus, seuls les deux groupes entrainés avec le programme CS
améliorent leurs performances. Les élèves qui ont bénéficié d’un entraî-
nement à l’analyse d’albums (LA) ne se distinguent à aucun moment du
220
groupe témoin (figure 5.4).

Figure 5.4 : Courbes de croissance des performances en compréhension


orale comme une fonction des groupes expérimentaux et contrôle
(les courbes représentent le taux de croissance pour un garçon né en juin
et appartenant à une catégorie sociale favorisée).

114
CS1
113
témoin
score de compréhension orale

112 CS1
CS2
111 LA1
LA2
110
CS2
109

108 témoin
LA1 & LA2
107

106
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27
Mois
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

Il est donc effectivement possible d’enseigner des stratégies de compréhen-


sion à de très jeunes enfants et l’approche explicite centrant la réflexion
des enfants sur des situations concrètes et relativement simplifiées se révèle
plus efficace que l’abord des mêmes habiletés directement à partir d’analyse
d’histoires plus complexes. Nos résultats ne confirment donc pas, pour
l’école maternelle française, certains résultats positifs concernant les effets
de lecture d’albums obtenus par d’autres chercheurs nord-américains (Lever
et Sénéchal, 2011 ; Lonigan, Shanahan et Cunningham, 2008). Toutefois,
et comme nous l’avons noté plus haut, les lectures en dialogue mises en
place dans ces recherches présentent des caractéristiques d’enseignement
très structurées qui les rapprochent plus des principes de l’enseignement
explicites que de la lecture partagée familiale ; elles se sont aussi essentiel-
lement adressées à la prévention des risques d’inadaptation scolaire et non
pas à un public tout venant à qui s’adressait notre étude. Par ailleurs, il
est possible de penser que la similarité du programme d’analyse d’album
(LA) avec les lectures quotidiennes pratiquées à l’école maternelle n’ait pas
conduit les enseignants en charge de ce programme à changer notablement
leurs pratiques et attitudes pédagogiques. À cet égard, les enseignants inves-
tis dans le programme d’enseignement explicite (CS) ont rapporté que ce
travail avait aussi contribué au développement de leurs connaissances rela- 221
tives aux enjeux de la compréhension orale et leur avait permis de mieux
comprendre et analyser la complexité de cette activité. Ceci n’a pas été le cas
des enseignants impliqués dans le programme LA et soulève par conséquent
la question de la formation des enseignants que nous évoquerons à la fin de
ce chapitre. Pour l’instant, ce premier résultat indique que deux conditions
doivent être réunies pour qu’un enseignement précoce permette d’améliorer
les habiletés de compréhension orale : il doit être explicite, conçu autour
d’exercices précis fournissant des outils pour travailler et renforcer chaque
habileté et il doit être conduit régulièrement et dans la durée.
Le deuxième résultat important confirme la relative indépendance du déve-
loppement des habilités langagières « liées au code » et de celles relevant de
la compréhension, relevée par les travaux concernant la littératie familiale
(Sénéchal, 2006). En effet, les entraînements explicites à la compréhension
ont permis d’améliorer les performances des élèves en compréhension orale
mais pas en phonologie ; à l’inverse, les entraînements phonologiques ont
permis des progrès très sensibles en phonologie mais pas en compréhension.
Ce résultat est également conforme à ce que montrent d’autres recherches
en milieu scolaire qui émergent actuellement (Bowyer-crane et al., 2008 ;
Lonigan et al., 2012).
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Enfin, le troisième résultat souligne encore l’importance du développement


du langage oral dans toutes ses dimensions pour l’apprentissage de la lecture
(voir chapitre 2). Les mesures effectuées au cours préparatoire montrent qu’à
niveau équivalent de décodage, les élèves qui ont bénéficié de l’enseignement
explicite comprennent mieux les histoires qu’ils entendent mais aussi ce
qu’ils lisent au cours préparatoire. La compréhension orale précoce est donc
impliquée dans la compréhension en lecture dès le début de l’apprentissage
et non pas après seulement que l’acquisition du code alphabétique ne soit
effective, contrairement à ce que les conceptions « centrées sur le code » de
l’apprentissage de la lecture ont soutenu jusque très récemment.

Dispositifs éducatifs à l’élémentaire et au collège


La longue tradition des travaux dans ce domaine et leurs résultats très
convergents (paragraphe 2.2. de ce chapitre) rendraient illusoire une revue
exhaustive (voir Lima et al., 2006 ; Trabasso et Bouchard, 2002). Nous
décrirons ici les principales approches expérimentées et les illustrerons
par quelques exemples afin de mettre en relief leurs caractéristiques, les
résultats les plus marquants et la complexité progressive des situations
proposées. Nous verrons qu’elles permettent d’envisager l’organisation
222
d’un enseignement de la compréhension et de sa remédiation tout au long
de la scolarité. On peut distinguer les recherches selon que leurs auteurs se
sont attachés à étudier la possibilité d’enseigner des stratégies spécifiques à
la maîtrise d’une habileté précise – liée aux traitements inférentiels ou au
développement des connaissances, du vocabulaire notamment – ou à mettre
en place des dispositifs pédagogiques intégrés visant le travail simultané
d’un ensemble de stratégies (enseignement réciproque (Palincsar et Brown,
1984) et enseignement transactionnel (Paris, Cross et Lipson, 1984 ; Paris
et Oka, 1986) notamment).

Enseigner des stratégies ciblées sur la compréhension


d’une habileté particulière
La place centrale qu’occupe la bonne compréhension des unités anaphoriques
dans la construction d’une base de texte cohérente a très vite suscité des
recherches appliquées à l’enseignement. Elles ont montré l’efficacité d’un
entraînement spécifique au traitement de ces marques linguistiques pour
améliorer la compréhension des plus faibles compreneurs en particulier
(Baumann, 1986 ; Yuill et Oakhill, 1988, 1991). Nous avons nous-même
étudié cette question auprès d’un échantillon d’élèves français de CE2
(Bianco, 1996 ; 2003). En suivant les principes de l’enseignement direct,
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

huit séances d’enseignement ont été élaborées. Leur contenu explicitait


progressivement les contraintes morphologiques et sémantiques à prendre en
considération pour interpréter les pronoms personnels de troisième personne
(il(s), elle(s)) d’abord et les autres formes de reprises anaphoriques ensuite
(pronoms objets, démonstratifs, possessifs, reprises nominales). Elles ont
été administrées à 62 élèves scolarisés dans cinq classes différentes à raison
d’une séance de 30 minutes environ par semaine sur une période de deux
mois (groupe anaphores). Les progrès des élèves ont été comparés à ceux
de deux groupes témoins de niveau de lecture et de compréhension équi-
valent au début de l’expérimentation. Le premier groupe témoin (groupe
lecture silencieuse, 56 élèves) s’est vu proposer des séances de lecture suivie
pour le même volume horaire et avec la même rythmicité que le groupe
« anaphores ». Le second groupe témoin (93 élèves) n’a reçu aucune interven-
tion particulière. Les résultats ont confirmé qu’un entraînement spécifique et
explicite au traitement des anaphores améliore les performances des enfants
de neuf ans à des épreuves directement destinées à évaluer le traitement des
pronoms mais aussi – et de manière plus intéressante – à une épreuve non
spécifique et standardisée de lecture silencieuse (Aubret et Blanchard, 1991),
ce qu’illustre la figure 5.5. Plus intéressant encore, cette intervention spéci-
223
fique et relativement limitée dans le temps a suscité des progrès significatifs
en compréhension pour les élèves les plus faibles au départ, autrement dit
chez ceux qui en avaient le plus besoin. La pratique de la lecture à travers des
lectures suivies et silencieuses n’a, quant à elle, été bénéfique qu’aux élèves
déjà bons compreneurs. Nous retrouvons là un résultat comparable à celui
observé par Connor et ses collaborateurs (2004). Ces données convergentes
ouvrent évidemment des pistes de réflexion pour une différenciation de
l’enseignement que nous évoquerons en conclusion de ce chapitre.
De nombreux autres travaux, ciblant d’autres habiletés d’inférences, infé-
rences de connaissances (Elbro et Buch-Iversen, 2013), compréhension de la
polysémie dans des énoncés humoristiques (Yuill, 2009) et le développement
du vocabulaire (Baumann, Carr Edwards, Font, Tereshinski, Kame’enui et
Olejnick, 2002 ; Bowers et Kurby, 2010 ; Cain, 2007 ; Kame’enui, Carnine
et Freschi, 1982 ; McKeown, Beck, Omanson et Perfetti, 1983 ; Spires et
Donley, 1998) sont arrivés à des conclusions comparables avec des enfants
de 9 à 12 ans.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Figure 5.5 : Progrès observés au test de lecture silencieuse


après un entraînement spécifique à la compréhension
des reprises anaphoriques chez des élèves de CE2.

Enseigner des stratégies pour développer le vocabulaire


L’enseignement du vocabulaire a retenu lui aussi beaucoup d’attention, du
224
fait de son caractère fondamental dans le développement du langage et de la
lecture. Les résultats des recherches sont souvent mitigés car le vocabulaire
est certainement l’une des dimensions du langage dont le développement
repose essentiellement sur l’apprentissage implicite. Le contact assidu avec les
textes est sans aucun doute un vecteur fondamental de l’acquisition du lexique
(Nagy, Anderson et Herman, 1987 ; Stahl et Nagy, 2006). Une méta-analyse
de recherches expérimentales relatives à l’acquisition de mots nouveaux dans
des conditions normales de lecture (Swanborn et de Glopper, 1999) a estimé
que la proportion moyenne de mots nouveaux appris incidemment varie de
5 à 15 %. Autrement dit, pour 100 mots inconnus rencontrés au cours des
lectures, le sens de 5 à 15 % d’entre eux seulement a des chances substantielles
d’être dérivé et appris spontanément. Cette faible proportion n’est cependant
pas surprenante car, comme tout apprentissage implicite, l’apprentissage
incident du vocabulaire suppose une exposition répétée à un même mot dans
des contextes variés. Par ailleurs, la probabilité d’apprentissage incident du
vocabulaire dépend de l’âge et du niveau de lecture : ce sont les enfants les
plus âgés et les meilleurs lecteurs qui apprennent plus de mots nouveaux en
lisant, ce qui nous ramène à une forme de creusement des écarts que nous
avons évoquée plus haut. D’autres chercheurs ont imaginé des dispositifs
pour enseigner et développer explicitement le vocabulaire. Deux approches
principales ont été explorées : la première consiste à enseigner aux élèves les
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

propriétés sémantiques et morphologiques des mots leur permettant d’inférer


le sens en référence à l’organisation du lexique et à la construction formelle
des unités lexicales (Baumann et al., 2003 ; Bowers et Kirby, 2010 ; Carlisle,
2007). La deuxième approche réside dans l’apprentissage de stratégies pour
utiliser le contexte afin d’inférer la signification à partir des indices donnés
par le texte et/ou en faisant appel à ses propres connaissances (Baumann et
al., 2003 ; Cain, 2007). Par exemple, le sens partiel du mot « holothurie »
peut être déduit de son contexte : « Voici une conserve d’holothuries… » et
peut-être encore précisé en considérant un contexte plus large : « La plupart
de ces mets vous sont inconnus, me dit-il. Cependant, vous pouvez en user
sans crainte. […] Depuis longtemps, j’ai renoncé aux aliments de la terre, et
je ne m’en porte pas plus mal. Mon équipage, qui est vigoureux, ne se nourrit
pas autrement que moi. Ainsi, dis-je, tous ces aliments sont des produits de
la mer ? […] Voici une conserve d’holothuries (d’après Jules Verne, Vingt
mille lieues sous les mers) ».
Les évaluations de ces dispositifs montrent en général des progrès immédiats
dans la connaissance des mots nouvellement appris (Elleman et al., 2009)
mais une faible mémorisation sur le long terme (Apthorp et al., 2012) si ce
vocabulaire n’est pas utilisé de manière suffisamment fréquente. On observe
aussi la plupart du temps un gain significatif sur la compréhension en lecture 225
lorsque l’évaluation est construite de telle sorte que les mots enseignés sont
réutilisés dans les textes à lire ; dans ce cas, les bénéfices sont plus nets pour
les faibles lecteurs. Toutefois, lorsque les évaluations utilisent des épreuves
standardisées, sans lien avec le vocabulaire enseigné, les bénéfices sont
beaucoup plus faibles et souvent non significatifs (Pressley et al., 2007 ;
Elleman et al., 2009).
Enfin, dans leur méta-analyse, Elleman et ses collaborateurs (2009) notent
que les progrès en vocabulaire sont modestement corrélés aux scores de
compréhension (r = .43), confirmant la discussion théorique développée
au chapitre 3 ; si la connaissance du vocabulaire utilisé dans un texte est un
paramètre important de sa compréhension, celle-ci n’est pas assimilable à la
compréhension du vocabulaire et n’en découle pas directement.
En résumé, enseigner le vocabulaire de manière isolée est probablement
insuffisant pour améliorer substantiellement la compréhension en lecture,
mais attendre que les élèves soient suffisamment bons lecteurs pour qu’ils
enrichissent par imprégnation leur vocabulaire grâce à leurs lectures n’est
pas non plus envisageable. Les résultats résumés ici indiquent tous que les
interventions, nécessairement limitées dans le temps du fait de leur nature
expérimentale, produisent des effets locaux significatifs (amélioration de
la connaissance du vocabulaire enseigné et de la compréhension des textes
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

contenant de ce vocabulaire) qui profitent avant tout aux plus faibles lecteurs.
On peut légitiment penser que l’enseignement des stratégies permettant aux
élèves d’analyser explicitement la structure formelle d’un mot, mais également
les indices contextuels permettant d’en inférer la signification, est susceptible
de les doter d’outils génératifs puissants leur permettant de surmonter un
défaut de connaissances pour peu que ces procédures soient pratiquées suffi-
samment longtemps et souvent pour être intégrées à leur bagage conceptuel.

Enseigner des stratégies multiples : la place de l’oral


Contrairement aux effets équivoques des enseignements centrés sur
l’acquisition du vocabulaire, les recherches sur l’enseignement de stratégies
multiples ont rapporté dans leur grande majorité des effets positifs. Ces
programmes proposent l’acquisition d’une sélection de stratégies parmi
celles répertoriées dans l’encadré 5.3. Les stratégies les plus efficaces pour
améliorer la compréhension sont celles qui proposent d’engager les élèves
vers une interprétation approfondie des textes – stratégies d’interprétation
des mots, des phrases et des idées, stratégies pour aller au-delà du texte
– et celles qui proposent des activités d’organisation et de synthèse de
l’information. Trabasso et Bouchard (2002) avaient répertorié plusieurs
226 démarches particulièrement efficaces pour enseigner et entraîner ces straté-
gies : l’autoévaluation et l’autorégulation de sa compréhension en utilisant
des techniques de pensée à haute voix, l’apprentissage collaboratif à partir
de séances d’enseignement réciproque (Palincsar et Brown, 1984) ou
d’enseignement transactionnel (Paris, Cross et Lipson, 1984 ; Paris et Oka,
1986), l’utilisation d’organisateurs graphiques pour enrichir le vocabulaire,
résumer/synthétiser et organiser les informations, comprendre et apprendre
les structures textuelles (narrations, documentaires, etc.), apprendre à poser
et à répondre à des questions. Toutes ces techniques ont en commun de faire
appel à la réflexion consciente de l’élève, autrement dit au développement de
ses capacités métacognitives (Baker, 2005 ; McNamara et Magliano, 2009 ;
Nagy, 2007). Elles ont aussi pour propriété d’utiliser la modalité orale pour
rendre visibles et donc perceptibles les mécanismes de la compréhension
experte qui sont autrement inaccessibles à la perception directe.
En tenant compte de ces principes et considérant que les mécanismes de la
compréhension des textes sont amodaux, une équipe de chercheurs anglais
a conduit une recherche montrant que l’on peut s’appuyer sur ces caracté-
ristiques pour améliorer la compréhension des enfants lecteurs mais faibles
compreneurs en fin d’école primaire (niveau CM1). Clarke, Snowling,
Truelove et Hulme, (2010) ont recruté 160 élèves faibles compreneurs
dans 20 écoles différentes de la région de York. Ces élèves ont été répartis
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

aléatoirement en quatre groupes de 40 élèves environ. Le premier groupe


servait de groupe témoin et n’a pas reçu d’enseignement spécifique. Les trois
autres groupes ont été affectés à l’un des trois programmes d’enseignement
de la compréhension mis au point par les chercheurs :
– le premier groupe (OL) a reçu un enseignement exclusivement oral.
Ce programme comprenait quatre blocs principaux : enseignement de
vocabulaire, travail sur la compréhension approfondie d’un texte par
enseignement réciproque, travail sur la compréhension du langage figu-
ratif (compréhension de métaphores, de plaisanteries, d’idiomes, etc.) et
apprentissage des structures narratives ;
– le deuxième groupe (TC) a reçu un enseignement comparable mais en
utilisant pour matériel d’entrée des énoncés et textes écrits et non pas
entendus, comme dans le précédent programme. Les élèves devaient
donc lire le matériel avant de s’engager dans des activités de réflexion et
de discussion. Ce programme comprenait deux blocs identiques au pro-
gramme OL (compréhension approfondie d’un texte par enseignement
réciproque et apprentissage des structures narratives) et deux blocs spéci-
fiques (apprentissages de stratégies métacognitives (relire, visualiser, penser
à haute voix pour autoexpliquer)) et un entraînement à la reconnaissance
et à la réalisation de deux types d’inférences (inférences fondées sur le texte 227
et inférences de connaissances) ;
– le troisième groupe (COM) était un entraînement mixant les deux précé-
dents. Les enfants ont passé la moitié du temps d’entraînement à travailler
à partir de l’oral et l’autre moitié à partir des textes écrits. Les activités
proposées étaient les mêmes que celles décrites pour les deux groupes
précédents.
Chaque enfant a participé à 30 heures d’enseignement réparties sur
20 semaines à raison d’une heure et demie par semaine. Chaque séance
durait environ 30 minutes et était administrée individuellement (1 séance
par semaine) ou en groupes de deux élèves (deux séances par semaine). Les
progrès des élèves, mesurés en écarts standardisés par rapport au groupe
témoin, ont été estimés à court terme, immédiatement après la fin de l’inter-
vention et à plus long terme, 11 mois après. Plusieurs points intéressants
ressortent des résultats (voir figure 5.6). Ceux-ci confirment tout d’abord
les données de la littérature discutées jusqu’ici : des enseignements structurés
et explicites améliorent très significativement la compréhension en lecture à
court comme à moyen terme mais il est en revanche plus difficile d’observer
des progrès en vocabulaire qui se maintiennent dans le temps. Les résultats
montrent ensuite l’importance du travail à l’oral ; le groupe qui a reçu un
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

enseignement exclusivement oral progresse plus que les deux autres groupes
et les bénéfices de l’enseignement sont encore plus sensibles sur le long
terme. Ce constat confirme que les difficultés de compréhension à l’écrit
sont dues, au moins en partie, à des difficultés de traitement du langage
oral et il entre en résonance avec les recherches longitudinales exposées au
second chapitre qui ont insisté sur la relation étroite qu’entretiennent le
développement du langage oral et la compréhension en lecture. Enfin, cette
recherche montre qu’un enseignement structuré et relativement intensif
permet aux enfants présentant des troubles de la compréhension en lecture
de surmonter leurs difficultés.

Figure 5.6 : Progrès des élèves en fonction de leur groupe d’entraînement


(OL, TC, COM) à une épreuve standardisée de vocabulaire (A)
et à une épreuve standardisée de compréhension (B), immédiatement
après l’entraînement (post1) et 11 mois après (post2).
D’après Clarke et al., (2010).

228

Un enseignement des stratégies de compréhension passe donc obliga-


toirement par l’oral et par la discussion. On notera cependant que les
dispositifs pédagogiques mettant la discussion ou le dialogue au centre
de l’enseignement et de la coconstruction du sens – des textes littéraires
notamment – sont très variés. II existe à l’heure actuelle très peu d’éva-
luations méthodologiquement valides de ces dispositifs (Wilkinson et
al., sous presse). II ressort cependant des études disponibles que tous
ne se traduisent pas par des progrès en compréhension. Au contraire, et
bien que la plupart d’entre eux augmentent le temps de parole des élèves
et réduisent du même coup celui du maître, seules les approches visant
explicitement la compréhension précise des textes étudiés et l’utilisation
de stratégies de compréhension ont un effet significatif et positif (Murphy,
Wilkinson, Soter et Hennessy, 2009). Pour être efficace et améliorer la
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

compréhension, la discussion doit posséder des caractéristiques précises.


Elle doit être centrée sur l’analyse des textes et sur l’objectif d’enseigne-
ment poursuivi (identifier les idées principales, intégrer et comparer des
informations, etc.). Elle doit comprendre des questions incitant les élèves
à réfléchir de manière approfondie au contenu du texte (Pourquoi ? Que
pensez-vous de ?, etc.) et à utiliser les stratégies de compréhension qu’ils
connaissent (Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? En relisant, est-ce qu’on
peut trouver une information qui nous aidera à résoudre ce problème (ou
désaccord…) ?, etc.) (Shanahan et al., 2010). C’est donc la qualité et le
contenu du dialogue engagé qui importent (Yuill, 2009).

Au-delà du texte unique et narratif, enseigner la compréhension


du collège à l’université
Comme à l’école primaire, l’enseignement de stratégies de compréhension
s’est révélé un vecteur d’amélioration des performances des adolescents en
difficulté (Edmonds et al., 2009 ; Solis et al., 2012). Si les progrès consta-
tés sont toujours supérieurs lorsque les évaluations sont élaborées par les
chercheurs, elles restent significatives avec des épreuves standardisées, l’effet
d’ampleur moyen étant alors de l’ordre de .40. À l’adolescence en outre, les
entraînements à l’utilisation de stratégies de compréhension améliorent bien 229
plus la compréhension en lecture des faibles lecteurs (taille d’effet moyen de
.89) que des entraînements au décodage et à l’identification des mots (taille
d’effet moyen = .34 ; Edmonds et al., 2009). On peut certainement faire
l’hypothèse qu’à partir d’un certain niveau de développement, l’acquisition
de stratégies permettant aux jeunes gens de mieux réguler leur compréhen-
sion peut aussi être une source de compensation de difficultés persistantes
avec l’identification des mots. La lecture académique de la fin du collège
à l’université implique par ailleurs bien plus que la compréhension d’un
texte isolé. Les habiletés élaborées pour comprendre et intégrer les infor-
mations d’un texte unique doivent être étendues et mises au service de la
compréhension et de la synthèse des informations provenant de multiples
textes. L’acquisition des connaissances dès le collège consiste pour une
grande part en la lecture d’écrits variés dans chacune des disciplines acadé-
miques ; il faut identifier les principaux arguments de chacun de ces textes,
les sources dont ils proviennent et en effectuer la synthèse, en repérant les
idées communes et/ou complémentaires ainsi que les éventuels désaccords
ou contradictions. De cette activité hautement stratégique doit résulter
un modèle mental intégré où sont représentées les informations issues de
chaque texte ainsi que les relations qu’elles entretiennent (Britt, Rouet et
Braasch, 2013 ; Goldman, Lawless et Manning, 2013). Ce domaine de
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

recherche est en plein développement et des travaux récents confirment que


les performances des lecteurs de 15 ans ou plus, engagés dans une tâche de
compréhension de textes multiples présentant des données contradictoires
sur un même thème, dépendent très fortement de leur comportement stra-
tégique de relecture et de comparaison des informations (Bräten, Ferguson,
Anmarkrud et Strømø, 2012) ainsi que de la nature des stratégies révélée
par leur prise de notes spontanée (Hagen, Braasch, et Bråten, 2014). Ceux
qui font plus d’inférences et moins de paraphrases comprennent mieux les
informations issues de textes multiples.
Actuellement, les dispositifs d’enseignement destinés aux adolescents et aux
étudiants qui entament un cursus universitaire exploitent les possibilités
offertes par les technologies informatiques pour proposer des environnements
d’apprentissage favorisant les comportements d’autorégulation et l’utili-
sation réfléchie de stratégies. Deux systèmes élaborés aux États-Unis sont
représentatifs de cette approche. Le premier « summary street » propose un
entraînement guidé à l’écriture de résumés de textes scientifiques (Caccamise
et al., 2007). Le guidage est réalisé grâce à des feedbacks immédiats et systé-
matiques fondés sur les productions de l’élève. Ils lui permettent d’observer
en temps réel l’adéquation de sa production en termes de longueur mais
230
aussi de qualité en donnant une visualisation des idées principales insérées
ou omises, les informations redondantes et/ou non pertinentes exprimées.
Ces feedbacks fournissent un guidage au fur et à mesure de l’élaboration
et de la révision des résumés. Les études de validation ont montré que les
étudiants entraînés avec ce logiciel améliorent significativement leur capa-
cité à résumer surtout s’ils étaient peu performants avant l’entraînement.
Lorsqu’on leur demande de verbaliser leurs pensées pendant qu’ils résument
un texte, les étudiants ayant utilisé le logiciel expriment aussi plus fréquem-
ment que des étudiants témoins l’utilisation de stratégies métacognitives de
planification (généralisation, suppression et construction d’informations),
d’autoévaluation et de régulation (consultation de notes, retour sur le texte,
correction du résumé). Un système comparable existe aussi pour le français
(Mandin, Dessus et al., 2005).
Le deuxième « iSTART » (McNamara, 2004 ; McNamara, O’Reilly et al.,
2007) est un logiciel d’apprentissage explicite des cinq stratégies essen-
tielles à la compréhension dynamique pendant le temps réel de la lecture,
(paraphraser, autoévaluer, effectuer des inférences fondées sur le texte et
sur les connaissances, prédire). Ce logiciel présente d’abord explicitement
chacune des stratégies, puis un tuteur démontre la manière de les mettre en
œuvre. Les étudiants sont ensuite conviés à les utiliser en autoexpliquant
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

phrase à phrase les textes proposés par le logiciel. Chaque verbalisation est
suivie d’un feedback donnant un retour sur la qualité de la production que
l’étudiant est éventuellement encouragé à améliorer. Là encore, les études
de validation montrent que l’utilisation de ce logiciel améliore la compré-
hension des lycéens et des étudiants. Cependant, les bénéfices dépendent à
la fois de la difficulté des textes proposés et du niveau initial des élèves : les
plus faibles améliorent surtout leur compréhension littérale alors que les
meilleurs améliorent leur capacité à effectuer des inférences.
En définitive, l’ensemble des recherches relatives à l’enseignement de la
compréhension convergent vers le même constat : les dispositifs efficaces visent
la prise de conscience progressive des mécanismes de la compréhension et
leur intégration à l’activité quotidienne de lecture. Ils cherchent à développer
la connaissance explicite (ou métacognitive) des stratégies qui permettent
au lecteur de savoir comment surmonter un défaut de compréhension. Ils
s’efforcent donc de développer des lecteurs actifs, capables d’autorégulation.
Pour parvenir à cet objectif, l’enseignement de stratégies de compréhension
s’est révélé efficace à tous les niveaux scolaires et tout particulièrement pour
les faibles compreneurs. Les travaux exposés ci-dessus montrent également
que les dispositifs peuvent être variés et adaptés à l’âge et aux habiletés 231
effectives des élèves. L’évolution des systèmes d’enseignement informatisés
permettant de proposer des environnements d’apprentissage interactifs et
adaptés aux niveaux des élèves ouvre de nouvelles possibilités pour concevoir
des dispositifs d’apprentissage autonomes et différenciés. D’abord destinés
aux élèves plus âgés, de nombreux outils pour les élèves de primaire voient
actuellement le jour et obtiennent des résultats prometteurs (De la Haye et
Bonneton, 2009 ; Glenberg et al., 2012 ; Johnson-Glenberg, 2007 ; Ponce
et al., 2012 ; Smith, 2012 ; Yuill et al., 2009 ; Yuill, 2009). Il reste que les
outils et dispositifs pédagogiques, aussi rigoureusement évalués soient-ils,
ne donnent souvent pas en eux-mêmes les gestes ou attitudes pédagogiques
qui accompagnent leur mise en œuvre et en conditionnent partiellement
les effets. C’est à l’examen de cette question que nous consacrerons la fin
de ce chapitre.

Des dispositifs expérimentaux à leur mise en œuvre


dans les classes
Les travaux recensés tout au long de cet ouvrage permettent d’affirmer
que, comme l’apprentissage du code écrit, la compréhension doit faire
l’objet d’un enseignement systématique et structuré, à l’oral d’abord et en
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

lecture ensuite. Cependant, les recherches destinées à évaluer l’efficacité des


nombreux instruments et manuels élaborés à travers le monde, quand ils sont
mis à la disposition des enseignants sans formation spécifique, parviennent
à une double conclusion : l’efficacité expérimentale des instruments ne se
transfère pas systématiquement à leur utilisation à grande échelle dans le
contexte scolaire traditionnel (James-Burdumy et al., 2012). Un même
programme peut être plus ou moins efficace selon les enseignants et les
équipes pédagogiques qui l’utilisent. Indépendamment du programme,
les caractéristiques des élèves, des enseignants et des écoles sont autant de
facteurs qui expliquent chacun une part indépendante des résultats obtenus
par les élèves (Connor, Morrisson et Katch, 2004 ; Foorman et al., 2006 ;
Moats et Foorman, 2008). Si donc, un programme d’enseignement fondé
sur des connaissances scientifiques solides est une condition importante
de son efficacité, d’autres paramètres interviennent et parmi ceux-ci, la
formation des enseignements.
La recherche conduite par Piasta, Connor, Fishman et Morrison (2009)
illustre l’influence des connaissances théoriques des enseignants sur l’efficacité
de leur enseignement. Les chercheurs ont estimé en début d’année scolaire,
les connaissances relatives à la lecture et son apprentissage de 42 enseignants
232 de cours préparatoire au moyen d’un questionnaire composé de 34 ques-
tions centrées sur la structure du code écrit, les habiletés langagières liées à
l’apprentissage du principe alphabétique, le développement et l’acquisition
de ces habiletés. La moitié de ces enseignants a ensuite été affectée aléatoire-
ment à un groupe participant à l’évaluation d’un programme d’enseignement
différencié de la lecture (le projet « ISI (Individualizing Student Instruction) »
mis au point par cette équipe de chercheurs (Connor, Piasta et al., 2009 ;
Connor, Morrison et al., 2011)) et l’autre moitié à un groupe témoin.
Pendant l’année scolaire, des observations en classe ont permis de caractériser
les pratiques effectives des enseignants à partir de la grille d’observation,
décrite dans la section 1 de ce chapitre (Connor et al., 2004, 2006, 2007,
2011). Les progrès en lecture, estimés en mesurant les performances des
élèves à l’automne et au printemps de la même année scolaire ont été mis
en relation avec le temps d’enseignement explicite du code écrit dont ont
bénéficié les enfants dans chaque classe d’une part et les connaissances
théoriques des enseignants d’autre part. Les auteurs constatent d’abord que
la connaissance des enseignants en matière de lecture est relativement peu
précise puisque sur l’ensemble du groupe, on observe en moyenne 52 %
de réponses correctes au questionnaire. Ni le niveau de diplôme, ni l’expé-
rience générale de l’enseignement n’a d’influence sur ces résultats. Seul le
nombre d’années d’enseignement au cours préparatoire est corrélé avec les
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

performances au questionnaire. Par ailleurs, et au-delà des effets positifs


observés de l’utilisation du programme « ISI », les résultats montrent que
les connaissances théoriques des enseignants entrent en interaction avec le
temps consacré à l’enseignement explicite du code écrit dans l’explication
des progrès en lecture : plus les enseignants ont des connaissances précises
sur la lecture et plus ils passent de temps à l’enseignement explicite du code,
meilleures sont les acquisitions de leurs élèves en milieu de cours prépara-
toire. Au contraire, lorsque les enseignants ont peu de connaissances mais
qu’ils passent néanmoins beaucoup de temps à l’enseignement explicite,
leurs élèves progressent moins. Cette interaction est illustrée à la figure 5.7.

Figure 5.7 : Effet du temps d’enseignement et des connaissances


des enseignants sur les progrès en lecture au cours préparatoire
(d’après Piasta et al., 2009).

460

455
233

450
CFT

CMT

CfT

445
0 3 9 15

CFT : enseignants ayant des connaissances théoriques fortes ; CMT : enseignants ayant des
connaissances théoriques moyennes ; CfT : enseignants ayant des connaissances théoriques faibles.

Ces résultats sont surprenants mais tout à fait instructifs. Ils sont surpre-
nants si l’on considère la multitude de travaux démontrant l’efficacité d’un
enseignement structuré et explicite de la lecture dans les acquisitions des
élèves de l’école primaire. L’enseignement explicite, s’il semble généralement
bénéfique ne garantit donc pas à lui seul un enseignement efficace. Pour
qu’il le devienne, encore faut-il que les enseignants choisissent les exercices
pertinents et donnent des réponses adaptées aux difficultés rencontrées par
les enfants. Or, ce qui détermine ces choix et ces réponses est bien la maîtrise
théorique des contenus à enseigner. Les observations de classe réalisées par
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

Piasta et ses collaborateurs indiquent en effet que les enseignants disposant


de peu de connaissances prennent des exemples moins bien adaptés à la
notion qu’ils expliquent, répondent et expliquent moins bien les erreurs
faites par les élèves et enseignent de manière plus rigide l’analyse du code :
ils se centrent par exemple exclusivement sur la procédure d’analyse des
correspondances graphophonologiques alors que les enseignants disposant
de connaissances importantes utilisent une palette plus large de procédures
(utilisation des analogies orthographiques, des segmentations syllabiques,
de la composition morphologique des mots, etc.). Les connaissances théo-
riques des enseignants représentent donc un vecteur puissant de la qualité
de l’enseignement dispensé, lequel influence directement les progrès des
élèves (McCutchen et al., 2009 ; Lane et al., 2009 ; Piasta et al., 2009). Des
observations comparables ont été rapportées par Carlisle et ses collaborateurs
(2011) à partir de l’observation de séances d’enseignement de la compré-
hension en lecture dans des classes de troisième année d’école primaire : les
enseignants qui disposent des meilleures connaissances théoriques sur le
langage et l’enseignement de la lecture et qui ont acquis une formation de
niveau master dans ce domaine dispensent un enseignement plus structuré,
dirigent l’activité et apportent plus de soutien aux élèves. Ils structurent leur
234 enseignement en donnant des objectifs clairs et en expliquant les intérêts pour
l’élève à réaliser l’apprentissage objet de la leçon ; ils énoncent des consignes
non ambigües et fournissent des résumés/bilans de ce qui a été appris. Ils
dirigent leur enseignement en expliquant et modélisant les procédures à
acquérir, en posant de nombreuses questions et en donnant des occasions
de pratique et de révision. Ils apportent enfin leur soutien en favorisant la
discussion avec et entre les élèves, ils les incitent à (se) poser des questions
et évaluent et fournissent des feedbacks fréquents. Ces caractéristiques
favorisent une fois encore les apprentissages des élèves les plus faibles.
La question de la formation des enseignants ainsi que de leur capacité
à s’approprier les outils pédagogiques mis à leur disposition est encore
pointée par James-Burdumy, Deke, Gersten et al., (2012), dans une étude
longitudinale qui a impliqué plus de 200 écoles et 10 000 élèves de cours
moyen. Les enseignants de ces écoles ont été conviés à utiliser un programme
d’enseignement de la compréhension parmi quatre programmes disponibles
sur le marché et fondés sur des principes théoriques et empiriques solides.
L’efficacité de l’un d’eux avait été vérifiée expérimentalement par les concep-
teurs. Chacun des quatre programmes était affecté aléatoirement aux écoles
participantes. Au terme de la première année, aucun des quatre programmes
n’a permis de constater de meilleures performances en compréhension pour
les élèves de ces écoles par rapport à celles des élèves d’un échantillon témoin.
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

On observe même un effet négatif pour l’un des programmes, celui-là même
dont l’utilisation requerrait de bonnes connaissances théoriques relatives à la
compréhension en lecture et à son enseignement (James-Burdumy, Mansfield,
Deke et al., 2009). Après deux années de pratique, l’un des programmes a
produit des effets positifs et significatifs dans les classes où les enseignants
l’utilisaient pour la deuxième année. Une formation, théorique et pratique,
est donc indispensable pour que les acquis de la recherche et les nouveaux
outils produisent les effets qui en sont attendus.
À ce propos, et si l’on excepte les recherches « processus-produit », la plupart
des travaux destinés à définir les caractéristiques d’un « enseignant efficace » se
sont intéressés pendant longtemps à des variables individuelles relativement
générales telles que le niveau de diplôme ou les années d’expérience. Leurs
résultats n’ont jamais réussi à faire émerger un profil fort et non ambigu de
l’enseignant efficace (Bressoux, 1994 ; Connor et al., 2005 ; Early, Maxwell,
Buchinal et al., 2007) bien que le niveau d’éducation des enseignants et
leur expertise disciplinaire (en mathématiques et pour les enseignants de
lycée) aient été repérés comme des paramètres positivement liés aux résul-
tats des élèves (Wayne et Youngs, 2003, Whitehurst, 2002). C’est sans
aucun doute le contenu de la formation et la définition des connaissances
théoriques indispensables à l’exercice du métier d’enseignant, à chacun des 235
niveaux de scolarité dans lesquels ils sont appelés à travailler qui sont en
cause ici, ce que notent explicitement de nombreux auteurs pour les États-
Unis (Connor et al., 2005 ; Early et al., 2007 ; Lane et al., 2009 ; Piasta et
al., 2009). La situation n’est pas meilleure en France si l’on en croit les
résultats des élèves aux différentes évaluations de notre système éducatif.
Withehurst (2002) suggérait qu’il conviendrait d’envisager la formation
des enseignants comme un analogue de la formation médicale, reposant
sur l’acquisition d’un savoir scientifique solide en même temps que sur un
apprentissage intensif de la pratique clinique. En 1966, Jean Piaget établis-
sait déjà ce parallèle et écrivait : « La vérité est que la profession d’éducateur
n’a pas encore reçu, dans nos sociétés, le statut normal auquel elle a droit
dans l’échelle des valeurs intellectuelles. […] Un médecin, même s’il ne
guérit pas toujours, représente une science consacrée, longue et difficile à
acquérir. […] Ce qui manque par contre au maître d’école c’est un pres-
tige intellectuel comparable et cela à cause d’un concours extraordinaire et
assez inquiétant de circonstances (p. 21) ». En analysant ces circonstances,
Piaget s’étonnait d’abord que la pédagogie, qui pour lui doit être considé-
rée comme une science, ne retire pas de ses disciplines mères que sont la
psychologie et la sociologie, les mêmes apports que ceux que la médecine
emprunte à la biologie et à la physiologie générale pour « édifier des disciplines
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

intermédiaires (physiologie humaine, pathologie, pharmacodynamique) »


(p. 23) qui constituent en propre, la science médicale. S’il pensait qu’une
des raisons résidait en 1966 dans l’état d’avancement encore insuffisant des
connaissances en psychologie et en sociologie, Piaget soulignait aussi que
la raison la plus fondamentale tenait dans la conception de la formation
des enseignants et de la hiérarchie instituée entre les maîtres du primaire et
du secondaire, injustifiée à ses yeux : « … La pédagogie expérimentale (est)
elle-même appelée à devenir la discipline par excellence des maîtres d’école,
dont l’activité spécifique atteindrait un caractère scientifique s’ils étaient
suffisamment formés : mais cette formation est indissociable d’une psycho-
logie et d’une sociologie de niveau élevé » (p. 172) et plus loin, « Au nom de
quel critère un enseignement élémentaire est-il jugé plus facile […] qu’un
enseignement secondaire ? La seule considération qui justifie cette hiérarchie
est, bien entendu, celle des matières à enseigner mais envisageable du seul
point de vue du niveau des connaissances elles-mêmes, indépendamment
de leur plus ou moins grande facilité d’assimilation par les élèves. […] Si
l’on se place du point de vue psychologique et même épistémologique plus
qu’à celui du sens commun administratif, plus l’écolier est jeune et plus
l’enseignement est difficile ainsi que gros de conséquences pour l’avenir »
236 (pp. 173-174). Piaget appelait de ses vœux une formation des enseignants
à l’université et au contact de la recherche en psychologie et en éducation.
Ces questions restent singulièrement d’actualité.
Dans le domaine de l’enseignement de la compréhension en lecture qui
nous occupe plus particulièrement ici, les recherches indiquent que les
connaissances des enseignants sont très pauvres, quand elles ne sont pas
erronées (Bos et al., 2001 ; Mather, Bos et Babur, 2001 ; McCutchen,
Abbott et al., 2002 ; Moats 1995, 2009). De plus, ceux-ci ont tendance à
surestimer leurs connaissances (Cunningham et al., 2004) et ne savent pas
nécessairement expliciter leur propre compétence d’adultes lettrés. Pourtant,
un savoir spécialisé de haut niveau, s’il ne peut pas, à lui seul, garantir un
enseignement efficace, représente incontestablement un préalable à cette
efficacité parce qu’il est la condition d’une pratique professionnelle éclairée.
Lui seul permettra aux enseignants l’abord réflexif nécessaire à la mise en
œuvre de l’enseignement et à l’analyse de ses effets sur les élèves.

Conclusion
Les connaissances actuelles apportent un fondement empirique et théorique
solide au projet d’aborder l’enseignement de la compréhension en suivant
les principes de l’enseignement explicite. Cette conception pédagogique
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

représente certainement aujourd’hui la voie la plus prometteuse pour aider


tous les élèves à parvenir à un niveau de maîtrise leur permettant de réussir
suffisamment bien leur scolarité et leur vie sociale adulte.
Loin d’être l’héritière des pédagogies traditionnelles de la transmission, la
pédagogie explicite réalise probablement aujourd’hui la meilleure synthèse
des acquis de la psychologie depuis plus d’un siècle en matière d’appren-
tissage et de construction des connaissances. En effet, rendre perceptibles
par l’explicitation et la modélisation les opérations mentales inaccessibles
à l’observation directe, proposer des moments de pratique guidée faisant
la part belle aux situations problèmes, à la discussion et à la collaboration
entre les élèves et le transfert progressif de la responsabilité de l’activité, du
maître vers l’élève, sont autant de principes qui sollicitent l’activité et la
réflexion consciente de l’élève, autrement dit, la construction progressive
d’un comportement d’autorégulation. Le projet est donc bien celui d’une
construction des connaissances permettant l’intériorisation et le passage
d’une activité soumise aux régulations externes de l’environnement à une
activité intériorisée et autorégulée, chère à Piaget et à Vygotsky (Legendre,
2012 ; Piaget, 1969) ainsi qu’aux chercheurs s’intéressant à la métacognition
(Gombert, 1990, pour une synthèse).
237
Proposer ensuite aux élèves des activités de complexité croissante en fonc-
tion de leur niveau et de leur âge, les confronter à des défis adaptés à leurs
capacités cognitives actuelles n’est pas sans rappeler les notions de déséqui-
libre piagétien et de zone proximale de développement. C’est également un
principe conforme à ce que l’on sait du fonctionnement de la mémoire et à
la construction de l’expertise. Le caractère analytique des méthodes explicites
est parfois interprété comme le signe d’une approche mécaniste de l’appren-
tissage « laissant à la charge de l’élève le soin de remobiliser en situation de
lecture autonome » les compétences travaillées de manière indépendantes
(Goigoux et Cèbe, 2013). Au contraire, les quelques exemples donnés dans
ce chapitre montrent à l’évidence qu’il n’en est rien et que le travail intégré
des habiletés est bien l’objectif visé. Que l’atteinte de cet objectif doive passer
par un entraînement isolé d’une ou de plusieurs habiletés ou stratégies ne
signifie pas que leur réutilisation dans des activités complexes soit oubliée,
encore moins mise à l’écart. Cela signifie au contraire qu’il est nécessaire de
proposer à ceux qui en ont besoin un accompagnement progressif et adapté
à leurs capacités actuelles. Le dosage de la complexité des situations dépend
donc toujours des capacités cognitives des élèves.
Enfin, proposer des occasions de répétition par l’exercice et la révision est
un élément incontournable de l’apprentissage. Rappelons-le, l’exposition
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

répétée aux situations représente la condition essentielle de l’apprentissage ;


elle garantit à la fois l’automatisation des connaissances apprises explicite-
ment et l’extraction de connaissances implicites.
Rappelons également que les caractéristiques de l’enseignement direct (ou
explicite) ont d’abord été décrites par l’observation de l’enseignement dispensé
par les maîtres obtenant les meilleurs résultats. Elles proviennent donc au
départ de l’objectivation d’un savoir empirique élaboré par le contact répété
de ces enseignants aux situations d’enseignement. Leur efficacité a ensuite
été confirmée par des dispositifs expérimentaux inspirés de la psychologie
cognitive. Que les éléments structurants de cet enseignement entrent en
résonance avec les découvertes de la psychologie cognitive est encourageant
et montre que la psychologie peut aider à conceptualiser les connaissances
procédurales et implicites issues de l’expérience. Nous retiendrons donc
que l’enseignement explicite est un état d’esprit qui n’exclut en rien
l’appel à la réflexion et à l’utilisation d’activités de résolution problème et/
ou de découverte, ni surtout la confrontation progressive à des situations
complexes. En proposant d’établir les fondations de l’expertise, l’ensei-
gnement explicite a précisément pour vocation de préparer le terrain de la
découverte et de la construction autonome des connaissances. De la même
238
manière que l’acquisition du principe alphabétique donne aux enfants de
cours préparatoire les procédures pour décoder de manière autonome des
mots encore jamais rencontrés, l’acquisition des procédures et stratégies
pour comprendre possède cette même fonction générative ; elle permet
à l’élève d’accéder à une interprétation autonome et réfléchie des textes.
Doter de ces habiletés, les élèves les plus faibles et notamment ceux issus
de milieux culturellement peu favorisés, leur ouvre certainement le chemin
vers une compréhension autonome des textes et l’acquisition de nouvelles
connaissances. Il s’agit donc d’une voie prometteuse pour tenter de réduire
la distance qui les sépare de leurs pairs plus aguerris. À tous les niveaux de
scolarité, ce sont d’ailleurs les élèves faibles qui profitent le plus fortement
de cette forme d’enseignement alors que les activités autonomes d’impré-
gnation, telles que la lecture silencieuse, sont favorables aux meilleurs. Un
tel résultat incite à penser une pédagogie différenciée fondée sur une analyse
précise des capacités de chaque élève (Connor et al., 2004 ; 2009 ; 2011).
Encore faut-il que les enseignants disposent des connaissances pertinentes
pour ce faire. Leur donner cette formation est sans aucun doute le levier
fondamental de l’amélioration des performances de notre système éducatif.
Au-delà de ces principes généraux, l’enseignement de la compréhension
présente en outre quelques spécificités. La complexité des mécanismes en
Questions pour l’enseignement : former des lecteurs compétents

jeu ainsi que la maîtrise du langage formel qu’implique la compréhension


des textes rendent tout d’abord nécessaire d’envisager cet enseignement dans
la durée. Les résultats de la D.E.P.P. (Andreu et al., 2014) montrant qu’une
meilleure préparation à la lecture en CP ne se traduit pas systématiquement
par une meilleure compréhension en début de CE2, confirment la nécessité
d’entreprendre très précocement et à l’oral un travail spécifique. Nos travaux
montrent que cela peut être fait grâce à un enseignement structuré. Ce travail
oral doit être continué pendant toute la durée de l’école primaire, car on
l’a vu, le passage par la parole est indispensable pour rendre accessibles à
la réflexion de l’élève des modes de raisonnement fondés sur un matériel
verbal et d’ordinaire inaccessible à sa perception. La compréhension n’étant
pas spécifique à une modalité perceptive, son enseignement est par essence
multimodal. Outre l’oralisation, il emprunte aussi à la visualisation et à la
simulation par l’action comme l’indiquent les nombreux outils cités dans
ce chapitre.
Conclusions et ouvertures

N ous disposons aujourd’hui de connaissances convergentes issues de


différents champs disciplinaires qui donnent une image complexe mais
hautement intégrée de l’activité de compréhension du langage et des textes et
de sa construction au cours du développement. Nous avons pu constater que
les différentes habiletés langagières mais aussi les capacités cognitives générales
(la mémoire, l’attention, les stratégies et les mécanismes de raisonnement)
concourent ensemble à la compréhension. Au-delà de l’analyse des compo-
sants cognitifs et de leur contribution respective à la performance générale,
quelques faits essentiels méritent d’être soulignés dans cette conclusion :
241
1. Les habiletés langagières liées au code et celles liées au sens se développent
simultanément lors de l’acquisition du langage ; l’apprentissage de la lecture
s’inscrit dans la continuité de ce développement.
Les travaux relatifs à l’acquisition précoce du langage ont mis l’accent sur
le développement parallèle de l’ensemble des habiletés langagières qui se
nourrissent les unes et les autres de leur développement respectif. Les études
longitudinales ont établi la continuité des apprentissages, tant à l’oral que
dans le passage de l’oral à l’écrit, et la simultanéité du développement des
capacités d’analyse du code linguistique et des significations qu’il véhicule
(chapitre 2). Le développement langagier précoce, comme les premiers
apprentissages de la lecture, entretiennent en outre des relations privilégiées
et réciproques avec le développement cognitif général (Davidse, De Jong et
Bus, 2014 ; Ferrer, Mc Ardle et al., 2007 ; Marchman et Fernald, 2008), ce
qui renforce l’idée de l’importance des actions éducatives précoces destinées
à prévenir et/ou pallier les difficultés.
2. Les mécanismes de la compréhension des textes sont amodaux et sollicitent des
habiletés cognitives complexes autres que strictement langagières.
Ces deux caractéristiques sont liées mais distinctes. La compréhension n’est
pas spécifique à une modalité perceptive et les enfants comme les adultes
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

comprennent de manière comparable des énoncés et/ou des textes présen-


tés à l’écrit, oralement ou encore de manière visuelle (chapitre 1 et 4). Les
mêmes représentations et mécanismes sont sollicités dans tous les cas. Cette
amodalité s’assortit d’une multi-modalité des traitements au sens où la
construction des modèles de situation consiste en une simulation mentale
qui sollicite des connaissances symboliques et abstraites autant que la réac-
tivation d’expériences associées aux différentes modalités sensori-motrices
comme aux connaissances émotionnelles et sociales (chapitre 1). Cette
incarnation des représentations est confortée par de nombreuses recherches
chez l’adulte et par des résultats qui s’accumulent rapidement chez l’enfant
(Engelen et al., 2011 ; Wellsby et Pexman, 2014). Les données apportées par
la neuropsychologie conduisent à des conclusions convergentes en mettant
l’accent sur l’aspect hautement interactif du fonctionnement cérébral lors
des activités de compréhension et sur l’implication de structures cérébrales
non spécifiques au traitement du langage. La question de la spécialisation
(ou de l’adaptation) de ces régions à répondre de manière spécifique au
traitement du langage et des textes reste aujourd’hui posée. Doit-on par
exemple considérer que les mécanismes de planification et de régulation
du comportement s’appliquent indifféremment au traitement des textes, au
242 raisonnement mathématique, à la réalisation d’un objet technique ou encore
à l’orientation spatiale et temporelle lors d’une randonnée pédestre ? Doit-
on au contraire considérer que bien que s’appuyant sur la même fonction
fondamentale, chaque domaine cognitif élabore ses propres mécanismes sous
l’effet du développement et de l’apprentissage ? En d’autres termes, doit-on
considérer que les mécanismes fondamentaux qui sous-tendent les fonctions
cognitives associées aux structures anatomiques sont des mécanismes géné-
raux mis en œuvre à l’identique quel que soit leur domaine d’application,
ou doit-on considérer que le développement et l’apprentissage conduisent
à des mécanismes différenciés pour chacun des domaines cognitifs ayant
recourt à ces fonctions ? La réponse à cette question revêt une importance
particulière pour l’enseignement. Des recherches en neuropsychologie sont
encore nécessaires mais une longue tradition de recherches comportementales
penche nettement en faveur de l’hypothèse d’une différenciation. En effet,
la construction des connaissances au cours du développement (Karmiloff-
Smith, 1992), l’acquisition d’une expertise et les difficultés d’observer
des transferts d’apprentissage d’un domaine à un autre (Péladeau et al.,
2010 ; Tricot et Sweller 2014) indiquent nettement que les connaissances
et processus issus d’un apprentissage sont très fortement spécifiés pour un
domaine particulier.
Conclusions et ouvertures

3. Les mécanismes de la compréhension émergent très tôt mais leur acquisition


est un processus au long cours qui se poursuit jusqu’à l’adolescence et parfois
même jusqu’à l’âge adulte.
La synthèse des travaux (chapitres 3 et 4) montre que l’acquisition des
connaissances et mécanismes nécessaires à la compréhension débute avec
l’apprentissage de la langue maternelle par le nourrisson mais que, sans
exception, parvenir à la maîtrise réfléchie des habiletés demande de longues
années. Pour rappeler deux exemples, les premières connaissances syntaxiques
sont acquises dès la deuxième année mais la maîtrise des structures les plus
complexes et les plus formelles – en production écrite notamment – ne sont
maîtrisées qu’à la fin de l’adolescence (Jisa, 2004). De la même manière,
on observe que les enfants de deux ou trois ans manifestent des compor-
tements de contrôle quand ils écoutent des histoires familières ; la maîtrise
des stratégies de compréhension est toutefois tardive et nécessite souvent
un enseignement spécifique. Les stratégies d’autoévaluation et de régulation
ne sont d’ailleurs pas toujours entièrement fonctionnelles chez les adultes si
l’on en croit les différences importantes qui sont encore observées chez les
étudiants de premier cycle universitaire (Graesser, 2007).
Dans une perspective d’application à l’enseignement, les trois points précé- 243
dents conduisent à souligner que la pédagogie du langage et de la lecture
doit s’inscrire dans la durée et être pensée de manière intégrée. Comme nous
l’avons vu au chapitre 5, la compréhension peut et doit être enseignée de
manière explicite et structurée à l’école. Cet enseignement doit également tirer
profit des relations qu’entretiennent le langage oral et celui de l’écrit d’une
part et de l’amodalité des mécanismes d’autre part pour tisser les liens entre
les différents modes d’appréhension du langage et pour engager un travail
oral, précoce et continu, dès les premières années de scolarisation. L’expé-
rience sensori-motrice comme les capacités de raisonnement, essentielles à la
construction des représentations des situations doivent aussi être sollicitées
et verbalisées afin qu’elles soient intégrées à l’activité de compréhension. Il
n’est plus possible de penser que l’enseignement de la compréhension des
textes écrits puisse être différé jusqu’à ce que l’apprentissage des mécanismes
d’identification des mots soit réalisé. Comme le code écrit, le texte et le
registre formel de langage qui l’accompagne sont des produits culturels liés
à l’histoire de l’humanité : tout comme notre cerveau n’a pas eu le temps
d’évoluer pour permettre un apprentissage spontané de la lecture et de
l’écriture (Dehaene, 2007), il est probable que la compréhension des textes
complexes ne soit pas programmée par la biologie. Cette activité cognitive
doit plus probablement être considérée comme une « connaissance biologique
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

secondaire » que l’école a pour mission d’enseigner, que l’on apprend grâce
à un effort soutenu et que l’enseignement explicite facilite. (Tricot et Swel-
ler, 2014). L’apparente spontanéité avec laquelle les meilleurs élèves, très
souvent issus de classes sociales culturellement favorisées, comprennent les
textes qu’ils lisent, masque sans aucun doute l’accompagnement constant
que leur prodiguent les familles dès la naissance et parfois jusqu’au lycée,
par l’accent et l’attention qu’elles portent à l’acquisition du registre formel
du langage et à son utilisation en réception comme en production. Former
le plus grand nombre d’élèves capables de comprendre suffisamment bien
pour apprendre au contact des textes qu’ils lisent, demande, nous l’avons
vu, que soient enseignées les procédures spécifiques de la compréhension.
Nous prenons le pari que doter les élèves – et surtout les plus fragiles d’entre
eux – de ces outils aura sur l’apprentissage de la compréhension de textes
le même pouvoir génératif, aujourd’hui largement reconnu et incontesté,
que l’enseignement du principe alphabétique possède sur l’apprentissage
des mécanismes de la lecture. Toutes les données actuelles montrent que
l’intégration des différents secteurs de l’acquisition de la langue, orale et
écrite, dans l’enseignement passe par un enseignement explicite et parti-
culier à chaque domaine afin de rendre accessible à la réflexion des modes
244 de raisonnement non directement perceptibles. La mise en œuvre d’un tel
enseignement suppose une connaissance approfondie de l’ensemble des
domaines qui fondent la maîtrise de la langue écrite ; à cet égard, l’informa-
tion des enseignants représente certainement l’un des enjeux actuels majeurs
encore insuffisamment souligné et intégré à leur formation.
On ne saurait conclure cet ouvrage sans évoquer deux questions encore très
peu explorées et pourtant essentielles pour l’enseignement comme pour le
développement de nos connaissances théoriques. Les recherches à venir
devront s’attacher à résoudre les problèmes que ces questions soulèvent.
La première concerne la description des relations existant entre la compré-
hension et la production du langage. Dans cet ouvrage, nous nous sommes
centrés presque exclusivement sur la réception du langage et sur les relations
de l’oral et de l’écrit selon cette perspective. Nul doute que l’expression
entretient des relations étroites avec la réception du langage et que les
deux aspects interagissent en permanence au cours de l’apprentissage,
même si les études dans chacun des secteurs sont constituées en champs
de recherche relativement cloisonnés. La théorie motrice de la perception
de la parole (Liberman et Mattingly, 1985) mettait déjà l’accent sur cette
relation production-réception que souligne et renforce les perspectives
actuelles de la cognition incarnée (Perfetti et Tan, 2013 ; Glenberg, 2008 ;
Conclusions et ouvertures

Pickering et Garrod, 2007). On observe également et de manière récurrente


des corrélations positives entre les résultats qu’obtiennent les individus à
des épreuves de production et de compréhension, à l’oral comme à l’écrit,
mais les recherches montrent également que les deux aspects du langage,
bien que liés, représentent des dimensions distinctes (Abbott, Berninger et
Fayol, 2010 ; Abbott et Berninger, 2010 ; Allen et al., 2014). Les habiletés
cognitives qui prédisent la compréhension et la production écrite chez les
jeunes adultes par exemple, sont à la fois semblables et différentes ; dans les
deux activités, le vocabulaire est un prédicteur important de la performance
alors que les habiletés d’inférences sont des prédicteurs plus importants
de la compréhension. Par ailleurs, Berninger et Abbott (2010) ont mis en
évidence des dissociations dans les performances d’enfants de 7 à 12 ans
à des épreuves d’expression et de compréhension orale et écrite et montré
que les quatre secteurs du langage peuvent être empiriquement distingués :
certains individus peuvent donc éprouver des difficultés (ou des facilités)
dans l’un des secteurs sans pour autant présenter les mêmes difficultés
(ou facilités) dans les autres. Les performances relatives sont d’ailleurs
susceptibles d’évolution chez un même individu. En outre, il existe des
relations longitudinales réciproques entre les dimensions orales et écrites
du langage, la compréhension orale par exemple, prédisant la compréhen- 245
sion en lecture qui prédit en retour la compréhension orale ultérieure. Ces
relations dépendent cependant aussi du niveau linguistique étudié ; entre
7 et 12 ans toujours, on observe des relations réciproques entre la capacité
orthographique des enfants et leurs habiletés de composition écrite, le sens
de l’influence dépendant des niveaux scolaires considérés. Les capacités
orthographiques et les habiletés d’identification des mots s’influencent
également mutuellement au cours de l’apprentissage de la langue écrite, de
même que la compréhension et la production des textes (Abbott, Berninger
et Fayol, 2010). Ces résultats longitudinaux récents confirment la thèse de la
continuité et de la parenté des mécanismes qui sous-tendent les traitements
et le développement du langage oral et écrit mais ils soulignent aussi que
les relations ne sont pas indifférenciées ; elles s’organisent au contraire en
fonction des niveaux linguistiques considérés et des modalités d’utilisation
du langage, réception et production, oral et écrit. Des recherches dans ce
domaine seront encore nécessaires afin de parvenir à une représentation
plus précise de ces interrelations, mais les données évoquées ici confirment
une fois de plus qu’une approche analytique du langage et de son ensei-
gnement dans l’ensemble de ses dimensions est une voie dans laquelle il
est indispensable de s’engager afin de conduire le plus grand nombre vers
la maîtrise effective de la langue écrite.
DU LANGAGE ORAL À LA COMPRÉHENSION DE L ’ ÉCRIT

La seconde question a trait aux relations entre les aspects cognitifs des appren-
tissages scolaires et les aspects dynamiques ou conatifs de la personnalité. La
motivation, et le sentiment de compétence qui y est associé, est très souvent
considérée comme le moteur déterminant des performances et des progrès
en compréhension en lecture (Guthrie, Laurel, Hoa, Wigfield et al., 2007).
Le débat a longtemps consisté à confronter deux hypothèses antagonistes, la
première consistant à penser que la motivation est la cause de la réussite dans
les apprentissages scolaires, la seconde soutenant au contraire une relation
causale inverse, la réussite dans les apprentissages provoquant une hausse
de la motivation, l’échec diminuant celle-ci. Il semble qu’à l’heure actuelle,
le modèle le plus largement retenu est un modèle d’influence réciproque,
un certain niveau de motivation favorisant les apprentissages, la réussite ou
l’échec dans ceux-ci modulant en conséquence la motivation (Retelsdorf,
Köller et Möller, 2014). Selon Retelsdorf et ses collaborateurs (2014), le
sentiment de compétence en lecture est considéré comme un déterminant
important des performances, un plus fort sentiment de compétence étant
supposé conduire à une plus forte appétence pour l’activité. Toutefois, les
recherches effectuées dans le domaine de la lecture apportent des résultats
contradictoires, plus souvent en faveur de l’hypothèse d’un renforcement
du sentiment de compétence par les progrès en lecture. Dans un suivi
246
longitudinal de 1 508 élèves allemands du CM2 à la quatrième, Retelsdorf
et al. (2014) apportent également des données qui bien que favorables à
l’hypothèse d’une influence réciproque des deux facteurs, montrent une
influence plus forte des performances en compréhension en lecture sur le
sentiment de compétence et non l’inverse. En effet, le sentiment de compé-
tence initial en CM2 a une influence directe sur les performances en lecture
en sixième mais aucune des mesures ultérieures n’influence directement les
performances en lecture-compréhension. En revanche, chaque mesure de
compréhension estimée l’année N influence positivement et directement le
sentiment de compétence de l’année N+1. Ces résultats rejoignent ceux de
quelques autres études montrant que l’enseignement direct réussit mieux
que des approches insistant sur la motivation et le développement affectif à
promouvoir les habiletés socioaffectives (Bissonnette, Gauthier et Richard,
2010). D’autres recherches longitudinales sont encore nécessaires pour
mieux comprendre la nature exacte de ces relations aux différents niveaux
de la scolarité et dans les différentes matières. On peut cependant proposer
que réussir dans ses apprentissages scolaires est une source primordiale de
motivation et de construction d’une image de soi positive. Sans risque de
beaucoup se tromper on peut effectivement soutenir que la motivation et
l’estime de soi ne s’améliorent pas en travaillant directement sur ces dimen-
sions mais bien par la réussite et le constat des progrès que l’on a réalisé.
Conclusions et ouvertures

De nombreuses recherches sont donc encore à conduire afin d’intégrer les


connaissances acquises sur l’apprentissage de la lecture et de la compré-
hension des textes à celui de l’écriture et de la production, pour mieux
comprendre aussi les liens qui lient la réussite scolaire et le développement
de la personnalité. Pour autant, nous disposons aujourd’hui de connaissances
suffisamment bien établies et validées pour envisager quelques recomman-
dations permettant de conduire le plus grand nombre d’enfants vers une
maîtrise satisfaisante de la langue écrite et rompre avec les signaux alarmants
qu’envoient régulièrement les enquêtes sur les performances des élèves
français. La voie est ouverte pour que chercheurs et enseignants s’engagent
dans la conception et la validation empirique d’outils pour l’enseignement
et la formation des maîtres. Seule en effet, l’estimation des progrès induits
par les outils et méthodes proposées permettront de nous engager dans la
voie de la réussite du plus grand nombre, objectif toujours rappelé sans que
jamais, depuis plusieurs décennies, le chemin à parcourir pour l’atteindre
ne semble se réduire.
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