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P résentation
Didactiques de l’écrit
et nouvelles pratiques d’écriture
ROBERT BOUCHARD
UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON 2, FRANCE
LATIFA K ADI
UNIVERSITÉ BADJI MOKHTAR D’ANNABA, ALGÉRIE
GÉRARD VIGNER
DENIS VIGIER
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É crire en FLE
Quel enseignement
pour quel apprentissage ?
1. Mais ne sommes-nous pas GÉRARD VIGNER
là en présence d’un jeu
d’apparences plus que
d’une réalité des pratiques
langagières ? Les travaux
conduits ces dernières années
en matière d’analyses
conversationnelles
L’enseignement de l’interaction et de la production écrites (compé-
(V. Traverso, 2004) ont bien
montré combien la mise tences qui dans les périodes précédentes, mais encore dans certains
en œuvre d’un échange oral programmes ou manuels, étaient désignées sous la mention d’expres-
en face à face mobilise sion écrite) a toujours été perçu, par les enseignants comme par les
d’éléments de compétence
tout aussi nombreux, selon
apprenants, comme un domaine de formation particulièrement délicat
des modes d’agencement à mettre en œuvre et dont l’articulation avec les autres domaines de
tout aussi complexes que compétence (maîtrise de la langue, maîtrise de l’interaction orale, etc.)
ceux engagés à l’écrit.
a toujours été problématique. Constat qui serait d’ailleurs largement
La différence réside
certainement, et elle est loin partagé par les professeurs de langue maternelle. La conduite d’écri-
d’être négligeable dans ture, plus que d’autres certainement, mobilise en effet des savoirs et
ses effets, dans la lenteur des savoir-faire particulièrement nombreux et diversifiés, selon une
de mise en œuvre à l’écrit
des processus de réalisation,
mise en relation particulièrement complexe1. À ceci s’ajoute qu’écrire
qui joue certainement un rôle en langue vivante étrangère (LVE), c’est-à-dire dans une langue dont
sur la gestion de la mémoire les automatismes langagiers sont loin d’être acquis, constitue une dif-
de travail, avec un effet sur ficulté supplémentaire. En même temps l’enjeu d’une maîtrise de l’écrit
la perte de ce que l’on appelle
ordinairement le fil du texte. en LVE ne saurait se comparer (sauf pour certains publics, nous y
2. On peut en effet considérer reviendrons plus loin) avec ce qu’il représente dans les LMS, l’écrit y
qu’une grande partie constituant le support de référence dans les apprentissages. Et ceci
des apprentissages d’autant plus qu’une grande partie des publics de FLE (il suffit à cet
de français concerne
des publics débutants pour égard de considérer les productions des éditeurs) se situent à un
lesquels les besoins niveau A1 ou A2 de compétence et que les pratiques d’écrit n’y occu-
en matière de compétence pent qu’une place limitée. L’échange oral y constitue le champ de
d’écriture sont relativement
compétence le plus et le mieux travaillé par rapport à un écrit dont les
limités. En revanche,
les besoins en matière d’écrit, conditions d’élaboration sont considérées comme trop difficiles2 pour
à un niveau plus avancé, être abordé à ce niveau.
de B2 à C2, ne concernent Constatons simplement que l’apprentissage des pratiques d’écriture,
qu’un public quantitativement
plus limité, plus spécialisé,
en FLE, n’a pas fait l’objet, au moins dans ces deux dernières décen-
étudiants allophones nies, d’investissements importants en matière de recherche et de
poursuivant des études développement pédagogiques. On peut à cet égard invoquer plu-
en France ou dans un pays
sieurs raisons :
francophone et en français,
publics de FOS et publics • le renouveau d’intérêt pour l’écrit, constaté dans le milieu des
de classes bilingues. années 1970 et se prolongeant jusque dans le milieu des années 1980,
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est certainement lié à l’émergence de ce que l’on a pu appeler à Écrire en FLE
l’époque les approches fonctionnelles du français dans un certain Quel enseignement pour
nombre de contextes spécialisés d’usage3. Ces approches ont eu pour quel apprentissage ?
effet d’introduire dans les activités d’apprentissage la notion de réfé-
rence du discours : il faut parler, écrire à propos de quelque chose et
cet objet de discours, dans sa complexité, appelle tout à la fois un
vocabulaire spécialisé, une organisation de ce lexique en réseaux
variés, l’intégration de ce lexique dans des formes et des genres de
discours, distincts de ceux propres à l’échange oral ordinaire. L’écrit (en
lecture comme en production) y retrouvait une place que les approches
du type SGAV lui avaient longtemps contestée4.
Mais la mise à l’écart progressive de ces approches, corrélative de
l’émergence des approches communicatives, a eu pour effet de margi-
naliser tout ce qui relevait de l’analyse du discours et de l’écrit. Le tra-
vail sur les interactions, fondé sur une linguistique des actes de parole
et de l’énonciation, a eu pour effet de placer la production du texte
dans une marge, à la fois didactique et pédagogique. Ce qui s’est
traduit par l’intégration pure et simple, d’activités parfaitement tradi-
3. Approches liées
tionnelles en matière de travaux d’écriture à l’intérieur d’un traitement à la maîtrise du français
communicatif des données de l’apprentissage. Éclectisme par défaut, scientifique ou technique,
si l’on peut dire5. du français en usage dans
un certain nombre de milieux
Quant aux travaux actuels portant sur la mise en place de répertoires
professionnels, ce qui s’était
plurilingues, comme les recherches consacrées à l’acquisition des lan- traduit par la réhabilitation
gues, ils ont pour effet de placer le français, dans le détail de ses de l’écrit (lecture, écriture)
apprentissages, dans une position de moindre visibilité, en le réinté- comme compétence
particulière. Voir par exemple
grant dans un traitement réflexif plus général, celui de l’apprentissage
Sophie Moirand (1979).
des langues étrangères. Le travail de production écrite n’en constitue 4. En ce qui nous concerne,
pas un point central de préoccupations6. nous avons ainsi tenté
Ce qui ne signifie pas que les pratiques d’écriture aient disparu des d’engager une organisation
apprentissages, mais qu’elles y figurent dans un traitement somme des apprentissages,
délibérément centrée sur
toute empirique, et donc très traditionnel, ou encore qu’elles y pren- la maîtrise des discours dans
nent place dans l’hypothèse, parfois naïve, selon laquelle une mise en des formes différentes, plus
situation communicative pertinente peut susciter chez l’élève un élaborées, plus complexes.
avec la méthode Perspectives,
besoin d’information linguistique et discursive et se traduire plus aisé-
chez Hachette en 1986.
ment par la mise en œuvre du comportement langagier adéquat. 5. Le numéro de la revue
Recherches et applications,
dirigé par Gisèle Kahn (1993),
quelque part marquait
une étape et une fin provisoire
dans la recherche et
DU SCRIPTEUR
ORGANISATION LECTURE
Choix lexicaux Ils permettent dans tous
Connaissance du thème Organisation syntaxique les cas d’aller au-delà
PRODUCTION
DE BUTS Organisation rhétorique
ÉDITION d’une simple comparaison
Connaissance du destinataire
des langues, terme à terme, et
Plans d'écriture déjà connus
de poser de nouvelles familles
d’objectifs. Voir par exemple
CONTRÔLE Y. Takagaki (2006),
M.O. Hidden (2008).
– les travaux conduits notamment dans les approches cognitivistes14 13. M.L. Barbier (2003) établit
ont bien insisté sur le caractère spécifique de la production de texte une très utile revue
des recherches consacrées
écrit qui requiert la maîtrise simultanée d’un très grand nombre d’opé- à la production écrite en L2.
rations et sur la nécessité d’intervenir à différents niveaux de traite- 14. M. Fayol, op. cit., mais
ment, micro-structuration graphique par exemple, faut-il un « p » ou aussi P. Coirier et alii (1996).
Quelques remarques :
– la nature et les formes d’écrit sont réparties en niveaux de compé-
tence (de A1 à C2)
– la notion de texte intervient à partir du niveau B1, au sens de texte
long, du moins en opposition aux textes plus courts décrits par le
moyen des termes « expressions, phrases »
– le niveau de réalisation souhaité (ce qui peut aussi être utile dans le cadre
d’un dispositif d’évaluation) est décrit cependant en termes très généraux
– la relation au destinataire comme facteur d’organisation de l’écrit,
on écrit toujours en direction d’un lecteur, réel ou virtuel, n’est men-
tionnée qu’à partir du niveau C.
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Un approche très globalisante qui permet de distribuer plus aisément Écrire en FLE
les formes d’activité selon les niveaux, ce qui constitue un progrès par Quel enseignement pour
rapport aux conceptions antérieures, mais peu d’éléments éclairants quel apprentissage ?
s’agissant des modes de traitement pédagogique susceptibles d’être
mis en œuvre (ce qui n’est peut-être pas dans le projet du CECR, même
si la notion d’approche actionnelle, qui fait couler beaucoup d’encre,
peut quelque part permettre d’aborder l’écrit dans une perspective
apparemment plus favorable à l’apprentissage) : une progression, dans
la complexité de la performance, plus nettement tracée, ce que l’on
doit apprécier positivement.
DELFA1
DELF C2
ÉCRIRE EN IMITANT
Un apprenant ne peut pas (ré) inventer par les seules ressources de
l’introspection l’ensemble des formes et manières d’écrire en jeu dans
un travail d’écriture. Écrire, c’est d’abord réécrire, s’imprégner de cer-
taines manières de faire, imiter, transposer, combiner des éléments
déjà disponibles dans une culture donnée, avant de pouvoir élaborer
un écrit plus original, différent de ceux avec lesquels on a été mis en
contact. Ceci vaut en LM, car la compétence d’écrit ne fait pas partie
des compétences acquises par la seule pratique sociale, comme le
permet l’échange oral, mais demande un minimum d’apprentissage
aux contacts de modèles, c’est-à-dire d’un composé de normes et de
conventions en vigueur dans une communauté discursive donnée, que
l’on va plus ou moins tenter d’imiter. Étape nécessaire de familiarisa-
tion avec des conduites complexes, indispensable à tout apprenant
ayant à faire l’expérience infiniment plus délicate d’écrire dans une
langue qui lui est étrangère. Passage donc de la copie pure et simple
à un répertoire de citations et de ce répertoire à un texte et de cette
24. Nous avons tenté d’établir
étape à un travail de transposition. Ou encore proposer des travaux de
un lien, pour d’autres
institutions et en d’autres réécriture à partir d’un texte de référence.
lieux, entre la gestion
du lexique, la nature
de l’information UN TRAITEMENT DIFFÉRENCIÉ DES OPÉRATIONS
à communiquer et De nombreux travaux ont mis en évidence, explicité, ce que les ensei-
d’une certaine manière
gnants constataient régulièrement, la difficulté des apprenants à coor-
avec les formes de texte
susceptibles de leur donner donner convenablement toutes les opérations en jeu dans la rédaction
place. G. Vigner, 1993a. d’un texte, mémoire de travail souvent saturée face à la difficulté de
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porter attention simultanément à des opérations qui font appel à des Écrire en FLE
connaissances de niveau et de nature très variés. Écrire est une Quel enseignement pour
conduite globale et il importe que les apprenants soient régulièrement quel apprentissage ?
mis en situation de devoir produire un texte dans sa globalité pour
affronter cette complexité. Mais ce type de traitement pédagogique
doit alterner avec des moments de systématisation et de focalisation
sur des composantes particulières de cette compétence. Autrement
dit, enchaîner des activités ponctuelles portant sur des performances
dissociées, d’ampleur limitée, avec des activités plus globalisées por-
tant sur l’élaboration d’un texte complet, sous la forme d’un composé
inédit d’éléments de compétence.
On observera ici que les activités proposées ne sont pas des activités
de « création » au sens ordinaire du terme, c’est-à-dire des activités
dans lesquelles l’apprenant doit élaborer seul un texte à toutes les
étapes de sa conception, mais des activités de familiarisation progres-
sive, par niveau de complexité, sur la base d’opérations de portée
restreinte. Approche qui à chaque fois permet de soulager la mémoire
de travail de l’apprenant26.
C onclusion
Nous sommes en 2012. Les connaissances se rapportant au processus
de production écrite se sont considérablement développées durant
ces trois dernières décennies et l’on peut considérer que l’on dispose
26. Sur cette dimension
aujourd’hui en ce domaine de suffisamment de données, au plan théo-
de l’apprentissage, voir
rique au moins, pour élaborer des propositions pédagogiques adap- par exemple nos propositions
tées aux différents niveaux de compétences recherchés, ainsi qu’aux dans G. Vigner (1993).