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Comment

enseigner l’oral
aux élèves ?
Claire Lavedrine

Pratiques pédagogiques
Comment
enseigner l’oral
aux élèves ?
Se former pour mieux
former à la prise de parole
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Illustrations : Fabien Del-Rox

© De Boeck Supérieur s.a., 2021


Rue du Bosquet, 7 – 1348 Louvain-la-Neuve

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment


par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans
une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de
quelque manière que ce soit.

Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris : avril 2021 ISSN 0778-0451
Bibliothèque Royale de Belgique, Bruxelles : 2021/13647/047 ISBN 978-2-8073-3269-0
« Une société qui ne propose pas
à tous ses membres les moyens d’être citoyens,
c’est-à-dire d’avoir une véritable compétence à prendre la parole,
est-elle vraiment démocratique ? »
Philippe Breton, L’argumentation dans la communication
Table des compléments numériques
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vous permettront de pousser plus loin encore votre expérience de l’oral. On vous pro-
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Les vidéos

L’orateur génial https://lienmini.fr/lavedrinev1 p. 43


La respiration diaphragmatique https://lienmini.fr/lavedrinev2 p. 51
Le petit Bouddha https://lienmini.fr/lavedrinev3 p. 53
Éliminer les tensions corporelles https://lienmini.fr/lavedrinev4 p. 61
Le souffle son https://lienmini.fr/lavedrinev5 p. 63
Le Haka de la voix https://lienmini.fr/lavedrinev6 p. 68
La bande son de mes états https://lienmini.fr/lavedrinev7 p. 104
Le diagnostic vocal https://lienmini.fr/lavedrinev8 p. 105
Trouver sa voix https://lienmini.fr/lavedrinev9 p. 122
Évaluer votre DISE https://lienmini.fr/lavedrinev10 p. 183
Synchronisation et influence https://lienmini.fr/lavedrinev11 p. 186
Échauffement et mise en condition https://lienmini.fr/lavedrinev12 p. 222
Le jeu du chef d’orchestre https://lienmini.fr/lavedrinev13 p. 244

Les documents à imprimer

Mon cours de prise de parole N° 1 https://lienmini.fr/LAVEDRINE1 p. 44


Mon cours de prise de parole N° 2 https://lienmini.fr/LAVEDRINE2 p. 73
Mon cours de prise de parole N° 3 https://lienmini.fr/LAVEDRINE3 p. 113
Mon cours de prise de parole N° 4 https://lienmini.fr/LAVEDRINE4 p. 149
Mon cours de prise de parole N° 5 https://lienmini.fr/LAVEDRINE5 p. 191
Mon cours de prise de parole N° 6 https://lienmini.fr/LAVEDRINE6 p. 233
Grille d’autoévaluation du formateur https://lienmini.fr/LAVEDRINE7 p. 262
Grille d’autoévaluation de l’élève https://lienmini.fr/LAVEDRINE8 p. 274
Sommaire

Avant-propos ................................................................................ 9

Introduction .................................................................................. 15

CHAPITRE 1
Engager une démarche d’apprentissage ..................................... 21

CHAPITRE 2
Oser être soi et s’exprimer .......................................................... 47

CHAPITRE 3
Mesurer la portée de sa communication ..................................... 77

CHAPITRE 4
Entrer en relation ......................................................................... 117

CHAPITRE 5
Exceller à l’oral : servir une intention ......................................... 153

CHAPITRE 6
Exceller à l’oral : l’art du discours............................................... 195

CHAPITRE 7
Animer des ateliers de prise de parole........................................ 237

En conclusion ................................................................................ 265


COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

ANNEXE
Les outils de l’enseignant-formateur ........................................... 271

Bibliographie ................................................................................ 281

Webographie ................................................................................. 284

Table des matières........................................................................ 285

— 8 —
Avant-propos

ENSEIGNER – FORMER
En préambule, il me semble intéressant de s’interroger sur la qualité et la pertinence
d’un enseignement à part entière de l’expression orale et de la prise de parole en
public au sein de notre cursus scolaire. Si la validité d’un tel enseignement n’est
pas contestable, les modalités de sa mise en place peuvent être questionnées, et en
particulier la problématique du décloisonnement. Car cette compétence n’est pas
nécessaire seulement lors d’un examen oral ou d’un entretien d’embauche, mais à
travers chaque discipline et au cours de notre vie tout entière.
Cet avant-propos s’adresse donc plus particulièrement aux enseignants-forma-
teurs de « prise de parole en public », et concerne davantage la posture et le ques-
tionnement induits autour de la notion d’apprentissage humain et en particulier
de l’expression de soi.
En effet, vous trouverez tout au long de ce livre une double lecture destinée à la
fois à celui qui voudrait approfondir sa propre pratique personnelle et dévelop-
per encore davantage ses compétences orales, mais aussi aux formateurs et aux
enseignants désireux d’accompagner et d’animer, au sein de leurs cours, des ate-
liers sur le sujet. Aussi, je laisse à chacun l’opportunité d’y puiser ce qui le nourrit.

LA FORMATION À LA PRISE DE PAROLE


DANS NOTRE CURSUS SCOLAIRE
J’entends souvent que l’on n’enseigne pas l’oral à l’école en France. Il s’agit là
d’un constat provenant souvent de formateurs extérieurs ou de personnes qui
ne travaillent pas véritablement au cœur des classes avec des élèves chaque jour.
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Et je pense que ce type de remarque doit faire bondir beaucoup d’entre nous qui
intervenons auprès d’un public scolaire. Car si vous demandez à bon nombre
d’enseignants, ils vous diront qu’ils font de l’oral en classe, et ce bien avant les
dernières consignes ministérielles.
Nombreux sont les professeurs de français à faire du théâtre avec leurs élèves.
Les professeurs de musique travaillent quant à eux sur le corps et la voix avec la
maîtrise du souffle, la gestion émotionnelle, le travail articulatoire ou la posture.
Quant aux professeurs d’EPS, ils s’activent chaque jour à transmettre les clés de
la gestion relationnelle, de la communication non violente, de l’écoute de l’autre,
de la collaboration et du respect, au-delà des compétences transmises sur le corps
et le geste. À travers de nombreuses disciplines, dont l’histoire-géographie par
exemple, les notions de structuration du discours, d’articulation des contenus,
d’argumentation ou d’esprit critique, indispensables à toute prise de parole, sont
abordées. Les professeurs de sciences explorent aussi ces notions sous l’éclairage
de la démarche scientifique. Et que dire des cours de langues, où la pratique orale
est au cœur des activités ? Dire qu’en France il n’y a pas, ou peu, d’apprentissage
de la communication orale est réducteur et mériterait d’être quelque peu nuancé.
La réalité est plus subtile que cela. La réalité est qu’il y a autant d’accompagne-
ment à la prise de parole en classe qu’il y a d’enseignants. La réalité est qu’il
n’existe pas encore de cours spécifiques sur le sujet et que chacun fait selon ses
connaissances, ses compétences et son histoire personnelle. Et sur ce plan, les
approches sont autant multiples que disparates.
Il me semble donc intéressant de proposer une aide et des outils concrets et
communs aux enseignants désireux de mettre en place des activités, au sein de
leurs cours, destinées à améliorer la prise de parole, que ce soit en classe, pour
un examen, ou plus tard lors d’un entretien d’embauche. Et ce, dès le collège, où
la parole commence très fortement à s’inhiber.

APPROCHE GLOBALE ET INTERDISCIPLINARITÉ


D’autre part, si les efforts sont faits depuis de nombreuses années concernant
l’interdisciplinarité, notre approche reste encore, culturellement, trop cloison-
née. Or former ou se former à la prise de parole implique d’avoir mis en lien et
intégré des outils appartenant à des disciplines aussi diverses que la technique
vocale, la rhétorique, la communication non verbale, le théâtre, la linguistique, la
sophrologie ou la gestion émotionnelle…
Et cette approche cloisonnée se retrouve aussi malheureusement au sein d’ou-
vrages sur la prise de parole et l’expression orale, qui proposent ainsi des exer-
cices décomposant la parole, visant au travail sur l’articulation d’un côté, sur la
gestuelle de l’autre, ou encore sur le souffle, puis sur le contenu de son discours ou
sur sa structure… C’est à mon sens, en plus d’une perte de temps considérable,
une insulte à notre potentiel immense. Car nous avons la capacité d’apprendre
en faisant appel simultanément à des aptitudes multiples, sans avoir le besoin

— 10 —
Avant-propos

de  nécessairement décomposer. Pourquoi mettre en place des exercices tech-


niques d’un côté alors que nous pourrions intégrer ceux-ci à une véritable prise de
parole, investie tant sur le plan de la forme que du fond, par exemple ?
Il est pertinent de se questionner sur notre connaissance de ces mécanismes natu-
rels entrant en jeu dans l’adaptation, la progression et l’apprentissage humain,
afin d’éviter une pratique dénaturée et réduite. Il est judicieux de prendre toute
la mesure de cette intelligence complexe et du potentiel inné, propre à chacun,
en termes d’acquisition de compétences orales. Car il est souhaitable enfin, de
s’interroger non sur l’utilité d’une pratique, mais sur son sens et sa nécessité.
Beaucoup d’exercices de prise de parole semblent utiles, peu sont complets et
incontournables. Le temps scolaire n’étant pas extensible, il s’agira davantage
d’être efficient, plutôt que d’être efficace.

AU CŒUR DES NEUROSCIENCES


Depuis de nombreuses années, nous tentons de comprendre la mécanique céré-
brale humaine. Il y a eu la célèbre approche, largement remise en question,
« cerveau droit – cerveau gauche » considérant le côté gauche du cerveau comme
étant le siège du rationnel (pensée analytique, construction logique) et la partie
droite correspondant à la partie intuitive et imaginaire. L’approche des trois cer-
veaux, quant à elle, développait l’idée d’une structure en couches retraçant notre
évolution. La couche la plus profonde correspondant à notre cerveau primaire,
le cerveau reptilien, en charge des réflexes de survie. La deuxième couche, le
cerveau limbique étant le siège de nos émotions. Et la dernière couche, la partie
la plus évoluée, le cerveau rationnel ou néocortex, étant le lieu de la pensée
construite.
Plus récemment la théorie des quatre cerveaux, affinant les théories précédentes,
nous invitait, dans notre apprentissage ou notre communication, à faire appel à
ces quatre parties distinctes :
– le cervelet, prenant en charge le mouvement, en posant des actions et en
expérimentant à travers nos repères sensoriels ;
– le cerveau médian, en apportant une dimension émotionnelle et affective
(favorisant ainsi l’implication et la mémorisation) ;
– le néocortex gauche, à l’origine de la pensée rationnelle, en fournissant
une structure logique et des liens de causalité ;
– et le néocortex droit, cerveau imaginaire, en utilisant des images mentales,
en visualisant le plus de détails possible faisant appel à nos sens.
Parallèlement, de nombreuses aires cérébrales ont été mises en lumière (aires du
langage, de la vision, du mouvement, de l’association sensorielle, etc.) et nous
parlons actuellement d’intelligences multiples : intelligence spatiale, intelligence
logico-mathématique, intelligence musicale, intelligence kinesthésique, interper-
sonnelle, linguistique…

— 11 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

La réalité est que la mécanique humaine est à la fois complexe et globale. Et


nombre de ces conceptions hiérarchisées et cloisonnées du cerveau ont été
remises en cause car elles sont forcément réductrices. Notre communication et
nos comportements ne sont pas déterminés de façon autonome par un territoire
délimité et particulier. Mais toutes les zones cérébrales sont interconnectées et
interagissent.
Nous ne sommes pas réduits à une pensée rationnelle d’un côté, une percep-
tion sensorielle de l’autre impliquant un corps avec des parties distinctes qui
fonctionnent, ou d’un autre côté encore, un être purement émotionnel capable
de sentiments et de ressentis. Mais nous sommes tout cela simultanément. Et
l’apprentissage le plus efficace et le plus naturel est celui qui respecte ce rapport
instinctif au monde.

GÉRER UNE MÉCANIQUE GLOBALE


(FAUT-IL DÉCOMPOSER POUR APPRENDRE ?)
Nous sommes ainsi programmés pour apprendre et évoluer, en mobilisant
simultanément des ressources cérébrales multiples impliquant notre corps dans
sa globalité. Aussi, un apprentissage de la prise de parole en public, décom-
posant un travail tour à tour corporel, verbal ou vocal, réduit à des techniques
ou à des astuces concernant des points isolés est un non-sens. Car une prise
de parole équilibrée fait appel à toutes ces ressources en même temps. Et c’est
cette mécanique simultanée qu’il convient d’apprendre à gérer et à dévelop-
per. Car on peut être en capacité de construire un discours pertinent sur un
bureau et ne plus trouver ses mots en situation relationnelle. C’est le cas, par
exemple, lorsque le stress vient déconnecter notre pensée rationnelle au profit
des réflexes de survie, le mode automatique du « cerveau reptilien » prenant
naturellement les commandes.
De la même manière, on peut savoir maîtriser sa respiration, sa gestuelle ou sa
voix dans un contexte et en être incapable dans un autre. Certains reproduisent
parfaitement les exercices de diction ou de projection vocale et perdent totale-
ment ces acquis au cours d’une conversation par exemple. Car le contexte et ses
enjeux, la fatigue ou le manque de disponibilité mentale, tout comme la gestion
émotionnelle sont autant de paramètres à prendre en compte.

QUELQUES EXEMPLES
En tant que professeur de chant, combien de fois ai-je vu des élèves maîtriser
un élément technique de façon isolée et être incapables de le réinvestir dans le
cadre d’un chant plus complexe, réclamant de gérer simultanément divers para-
mètres ? J’ai d’ailleurs personnellement abandonné cette pratique généralisée de
la vocalise isolée, différenciant la notion d’échauffement ou de travail technique

— 12 —
Avant-propos

de celui de l’apprentissage et de l’interprétation d’un chant. Je ne dis pas que


faire des vocalises n’est pas utile, mais qu’utiliser l’apprentissage d’un chant
comme support à une progression technique est bien plus cohérent et efficace.
Cette approche est aussi pertinente, non seulement dans le cadre de la prise
de parole en public, mais dans de nombreux domaines réclamant l’acquisition
de compétences pratiques. De grands compositeurs l’ont d’ailleurs compris en
faisant de leurs œuvres de véritables bijoux d’apprentissage technique (je pense
à Bach, notamment).
Notre manière d’aborder la polyphonie en France est aussi très représentative
de cette vision cloisonnée puisqu’elle consiste à isoler les différentes hauteurs
de voix en pupitres séparés, ce qui fait que les élèves finissent par se boucher
les oreilles pour ne pas être perturbés par des voix différentes de la leur au lieu
de s’appuyer sur elles comme sur n’importe quel accompagnement dans le but
d’avoir un soutien harmonique aidant à chanter juste au contraire. (Et mélanger
les pupitres a été pour mes élèves bien plus porteur.)
Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres, mais ils illustrent bien nos
approches courantes au sein d’une discipline et notre méconnaissance du fonc-
tionnement humain. Et le fait de cloisonner ou de décomposer une activité ne
devrait pas être la base même d’un apprentissage, mais n’intervenir qu’en cas de
difficulté ponctuelle. (Là encore je reste sceptique, car le simple fait de ralentir
permet souvent de dépasser la difficulté sans avoir besoin de décomposer. Il
me semble par conséquent plus judicieux de penser en termes de niveau et de
progression, dans le cadre d’une pratique globale, plutôt qu’en termes de cloi-
sonnement et de découpage.)

DU POINT DE VUE DES FORMATEURS


Ainsi, de trop nombreuses formations de prise de parole en public se concentrent
à isoler des éléments techniques. Or s’entraîner à la prise de parole à l’oral, ce
n’est pas uniquement user d’outils pour construire son discours, gérer son stress,
son corps ou sa voix, mais bien apprendre à gérer l’équilibre de tous les méca-
nismes cérébraux intervenant simultanément dans le cadre d’un fonctionnement
global. Il ne s’agit pas tant de performer que de parvenir à être Soi.
De plus, nous sommes programmés pour communiquer. Et ce programme se
met en place en vue d’un processus de survie, d’intégration ou d’adaptation : on
apprend parce que cela nous est utile. Aussi, vouloir engager un travail sur sa
prise de parole, sans appréhender nos besoins sociaux et déconnecté de toute
relation serait une aberration pédagogique.

Une approche de « l’expression orale » ne peut être


qu’holistique et systémique.

— 13 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

On retrouve les éléments d’une approche globale à travers les outils du théâtre.
Ce qui explique que de nombreux formateurs en prise de parole en public soient
issus de ce milieu. Cependant, à travers ces outils, l’analyse de la dimension rela-
tionnelle et du niveau rhétorique, tout comme le développement de la pensée
et de l’esprit critique, ne sont pas toujours suffisamment explorés. La connais-
sance avancée et l’utilisation de techniques vocales approfondies restent aussi
succinctes. (J’entends encore trop souvent qu’il faut respirer par le ventre et
chercher à le gonfler à l’inspiration.) Enfin, peu d’outils concrets permettant le
feed-back et l’auto-évaluation sont proposés. Ainsi, chaque formateur a dû être
conduit à développer lui-même ses propres connaissances et techniques dans
ces domaines, selon ses compétences d’origine. (Et cette acquisition morcelée
de techniques multiples peut aussi expliquer le cloisonnement que l’on retrouve
dans plusieurs formations sur le sujet.)
Et que dire des enseignants dont le cursus n’a pas favorisé ni l’interdisciplinarité
ni l’approche et l’acquisition de ces nombreux outils, indispensables à la mise en
place d’activités spécifiques sur l’expression orale ?
Comment alors installer des pratiques pertinentes, basées sur une progression
globale plutôt que sur le morcellement et la décomposition du geste oratoire ?
Comment parvenir à s’éloigner des trucs et astuces et des exercices remâchés sur
le corps ou la voix ? Et ce, au profit d’une approche holistique, enracinée dans
les fondements mêmes de ce qu’implique la prise de parole : la relation à l’autre,
la relation à soi.
Car enfin, comment penser l’expression orale comme une véritable prise de
position et comme l’affirmation de soi au sein d’un univers social de plus en plus
vaste ?
J’espère, à travers cet ouvrage, pouvoir offrir à tous et toutes les clés pour s’en-
gager sur cette voie, à travers une mutualisation et une interdisciplinarité essen-
tielle. Et ce, dans le but de questionner et d’enrichir les pratiques collectives au
profit d’une progression commune.

— 14 —
Introduction

UNE COMPÉTENCE INDISPENSABLE


Savoir s’exprimer à l’oral est de nos jours une force considérable. Cette compé-
tence interpersonnelle est une des plus valorisées au sein de l’entreprise. Et sur
un plan plus vaste, qui peut, aujourd’hui, se passer de prendre la parole ? Que
ce soit au cours de sa scolarité, en classe, lors d’un exposé ou pour un examen,
dans sa vie active, à l’occasion d’un entretien d’embauche, en réunion, lors d’une
conférence, ou avec ses collègues, sa famille, ses amis…
Savoir s’exprimer et prendre la parole est à l’origine de toutes nos interactions
et de la place que nous prenons dans le monde. Et s’exprimer à l’oral n’est pas
tout à fait prendre la parole.
Dans le premier cas, la question du soi est prioritaire, de son intériorité, de sa
pensée, de ses émotions, de ses sensations et de sa posture. Dans le second, la
parole apparaît plutôt comme un outil social, porteur d’une idée ou d’une convic-
tion, une parole qu’il faudrait construire, prendre et affirmer.
Dans le premier cas, il y a l’idée d’une individualité et d’un développement
personnel à cultiver et dans le second, celle d’une relation à créer, d’un désir
d’impacter l’autre et le monde.
Nous verrons que pour communiquer efficacement, il faut pouvoir développer
les deux. Car on ne s’exprime que pour se faire comprendre, se faire entendre
et prendre sa place au sein de la relation.
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

LES FREINS À LA PRISE DE PAROLE

Il y a donc un enjeu considérable à faire entendre sa voix : celui de se confronter


à l’autre. Il faut pouvoir s’assumer et se sentir en confiance pour oser être soi
face à autrui. Et si s’exprimer à l’oral devrait être naturel, nous ne sommes pour-
tant pas tous égaux sur ce plan et beaucoup ressentent d’énormes difficultés à le
faire. Le ventre noué, la gorge qui se serre, le souffle coupé et le cœur qui bat la
chamade… les blocages corporels, émotionnels ou psychologiques, sont autant
de freins à la parole qui rendent la communication difficile. La glossophobie
(terreur de parler en public) est ainsi l’une des peurs les plus répandues.
Alors, comment parvenir à dépasser ses blocages ? Comment se préparer à une
présentation qui nous paralyse ? Et comment oser s’affirmer ?
Nous ne sommes pas non plus tous égaux sur le plan des compétences orales.
Certains semblent avoir naturellement une voix claire et expressive, une pré-
sence forte et une gestuelle impactante. Ils savent instinctivement utiliser les bons
mots et articuler leur discours de manière convaincante. Quand d’autres ont des
difficultés à exprimer de façon synthétique leur pensée, à trouver instantanément
le vocabulaire approprié, à être présents et visibles, à intéresser et à faire porter
leur voix haut et fort. Ces inégalités laissent penser que le charisme constitue-
rait une compétence innée et que certains naîtraient compétents quand d’autres
seraient naturellement handicapés de la communication.
Pourtant, réussir à être à l’aise à l’oral se construit. Savoir s’exprimer de manière
fluide et percutante s’apprend. Et la richesse du langage et les références néces-
saires à toute forme d’échange s’acquièrent.

DÉVELOPPER SES COMPÉTENCES ORATOIRES

Alors, comment cultiver la confiance en soi ? Comment se faire entendre ?


Comment intéresser, convaincre ou persuader ? Comment afficher une posture
solide, digne des plus grands orateurs ?
Et plus largement, en cours ou en formation, comment pouvons-nous redonner
le goût de l’oral ? Car le petit enfant a naturellement le désir de s’exprimer. Alors,
comment susciter l’envie de prendre la parole et de s’affirmer ?
Comment initier à l’art rhétorique pour présenter ses idées avec force et convic-
tion, au sein même de notre système scolaire ? Comment aider à la construction
de l’esprit critique, de ses références ou de sa réactivité, indispensables à toute
prise de parole ? Et comment enseigner l’expression orale comme outil de déve-
loppement de soi, de sa voix, de sa pensée et de son rayonnement ?
Je veux partager ici les clés de ces compétences sociales déterminantes et vous
apporter les outils d’une pratique globale, faisant appel simultanément à nos
ressources innées multiples au profit de l’expression de soi.

— 16 —
Introduction

UN APPRENTISSAGE NATUREL ET GLOBAL


Car apprendre à parler, à s’exprimer pour se faire comprendre et pour entrer
en relation est un mécanisme naturel du développement humain. Et il ne fau-
drait pas tant décomposer le geste oratoire en apprenant à « singer » une prise
de parole désincarnée mais bien à développer réellement sa propre capacité à
s’exprimer avec aisance, à cultiver son sens de la répartie pour rebondir avec
élégance sur la parole d’autrui.
Développer ses compétences orales, ce n’est pas user de techniques tour à tour
verbales, corporelles ou vocales. Mais c’est élargir son propre langage et mettre
en place des automatismes afin d’être en capacité d’improviser et de rayonner
de manière spontanée et authentique.
Nous ne sommes pas un cerveau qui pense, avec un corps et des parties dis-
tinctes qui fonctionnent, et un cœur qui ressent. Mais nous sommes tout cela à
la fois. Et il y a problème dans notre communication lorsque l’une de ces parties
en court-circuite une autre. C’est le cas lorsque nous nous décentrons de notre
corps, parce que trop absorbés par le mental et le contenu de notre discours.
Ou inversement lorsque nous perdons le sens de ce que nous souhaitons dire
parce que nous sommes totalement obnubilés par la qualité de notre gestuelle,
de notre posture ou de notre voix. Ou parce que nous sommes trop préoccupés
par la relation et par ce que l’autre peut penser de nous. C’est le cas encore
lorsque le stress vient déconnecter notre cerveau rationnel et que nous perdons
totalement le fil de notre propos.
Apprendre à s’exprimer, ce n’est donc pas uniquement être capable d’enrichir sa
palette expressive et relationnelle, mais c’est apprendre à gérer simultanément
l’équilibre de tous les mécanismes qui interviennent dans le cadre d’un geste
global.

LA PR : UNE PRATIQUE GLOBALE


AU SERVICE D’UN OBJECTIF RELATIONNEL
C’est suite à ce constat qu’est née la Psycorpophonie Relationnelle ou PR.
Cette discipline, issue des neurosciences et de la technique vocale, s’inspire des
arts martiaux, de la sophrologie, de la psychologie, du yoga, de l’art oratoire,
du chant ou du théâtre, et combine ainsi simultanément des techniques à la fois
mentales, corporelles et vocales au service de la relation à l’autre. Car le but n’est
pas seulement de développer sa parole ou sa voix en lien avec le corps, l’émo-
tion ou le mental, mais d’appréhender la voix en tant qu’« outil social ». (Isoler la
technique de son but serait dénaturer la fonction oratoire.)
En effet, l’essence même de la parole est d’entrer en relation. Nous parlons
pour prendre place parmi les autres et les raisons d’engager un travail sur ses
compétences oratoires ne devraient pas être purement techniques. La question

— 17 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

n’est pas de savoir comment avoir une gestuelle fluide, comment améliorer la
puissance de sa voix ou comment enrichir son vocabulaire. Mais ce sont bien des
raisons relationnelles et émotionnelles qui doivent motiver et orienter le travail
technique.
Comment entrer en relation ? Comment créer du lien ? Comment se faire
comprendre ? Comment se faire accepter ? Comment être reconnu au milieu
des autres ? Comment écouter avec bienveillance ? Comment s’enrichir de la
relation ? Et comment faire en sorte que sa parole compte, qu’elle ait une valeur
sociale et le pouvoir de nous rendre existants ?
Entreprendre un travail en PR ce n’est donc pas seulement considérer le « Soi »
dans sa globalité, mais appréhender aussi le « Hors Soi ». Et sur ce plan, il est
aussi essentiel de mesurer chaque fois l’impact sensoriel, émotionnel et intel-
lectuel de ce que l’on communique à l’autre. Et qu’offre-t-on à voir, à sentir,
à entendre ? Qu’offre-t-on à ressentir ? Que donnons-nous à comprendre ou à
penser lorsque nous nous exprimons ?
Cette approche transparaît au fur et à mesure des différents chapitres. Et les
exercices proposés sollicitent autant notre imaginaire et notre capacité à visua-
liser que notre pensée analytique. Ils font conjointement appel à notre voix (et
à notre énergie), à notre corps dans sa globalité et à nos sensations, tout en
stimulant nos compétences émotionnelles et notre réactivité. Parce qu’une prise
de parole équilibrée fait appel à toutes ces ressources en même temps.

UN VÉRITABLE MANUEL DE COURS


Par ailleurs, il n’y a pas d’avancée possible sans avoir défini une direction et
des objectifs d’apprentissage d’une part, et la possibilité de se connaître et de
s’évaluer de l’autre. Ce cheminement est présent au fil des pages à travers une
progression intégrant démarche réflexive et outils pratiques.
L’ensemble du livre doit ainsi être appréhendé, non seulement comme une
réflexion sur la prise de parole, enrichie de connaissances et de ressources
techniques, mais aussi comme un véritable manuel pratique, dont la méthode
s’articule autour d’une démarche personnelle d’apprentissage. Cette démarche
comprend une phase de découverte et d’expérimentation, avec l’apport d’élé-
ments théoriques, puis une phase d’approfondissement marquée par l’apport
d’outils techniques, pour aller vers une phase d’appropriation.
Seules l’expérimentation et la répétition permettent l’apprentissage des compé-
tences oratoires. Ainsi, une même thématique peut être développée au sein de
différents chapitres sous l’éclairage de pratiques plus ou moins approfondies et
selon une progression technique cohérente. Cette approche implique donc de
nécessaires redondances au fil des pages, dont la lecture des chapitres peut ainsi
être autonome. Et dont la progression permet un cheminement d’apprentissage
personnel pertinent.

— 18 —
Introduction

Par ailleurs, les lecteurs qui souhaiteraient ne s’intéresser qu’à un chapitre par-
ticulier pourront, par l’intermédiaire de ces répétitions, resituer le thème du
chapitre dans la complexité de son contexte global, sans en avoir une vision
réductrice.
À chaque fin de chapitre, vous trouverez aussi un plan de cours avec un résumé
des objectifs et des exercices ainsi qu’une grille d’auto-évaluation, afin de mesu-
rer le chemin parcouru.
Enfin, une double lecture est proposée avec une annexe, un chapitre dédié et
des encarts tout au long du livre, destinés à chaque enseignant-formateur qui
souhaiterait non seulement se former lui-même mais aussi animer au sein de son
cours des ateliers de formation à l’expression orale.

UN VOYAGE, ENSEMBLE…
J’ai eu le plaisir et la possibilité, depuis vingt ans, à travers mes activités de pro-
fesseur de chant, d’enseignante dans le cadre scolaire, ou en tant que coach et
formatrice à l’expression orale, de perfectionner des pratiques efficaces autour
de la prise de parole. J’ai testé ce qui fonctionnait, ce qui ne fonctionnait pas.
Ce livre n’est donc pas le résultat de régurgitations théoriques mais propose une
démarche pratique, performante, à mettre en place pour soi, lors d’une prise de
parole quelconque en conférence ou en classe, ou pour accompagner celui qui
voudrait prendre sa place et s’exprimer face à l’autre.
Car enfin, prendre la parole n’est pas toujours chose facile. J’étais moi-même
une enfant atypique, avec un fort désir de parler, mais peu armée et aguerrie aux
règles impitoyables de la communication et de l’art de briller en public. J’ai tré-
buché, appris, inventé, expérimenté et fait de ce parcours particulier un métier.
Aujourd’hui, je souhaite réparer les inégalités en offrant à chacun les clés pour
communiquer efficacement sa valeur, soigner son image et prendre sa place au
sein d’un monde souvent dirigé, non par ceux qui sont les plus compétents, mais
par ceux qui communiquent le mieux.

— 19 —
CHAPITRE

1
Engager une démarche
d’apprentissage
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1. DÉVELOPPER SON CHARISME

1.1 Inné et acquis

Nous avons tendance à penser que les compétences relationnelles et le charisme


sont innés. Certains seraient doués pour prendre la parole et se faire entendre.
Ils auraient une aura naturelle, rayonneraient et d’autres non, sans que l’on y
puisse grand-chose. Le terme lui-même signifie don.

Mimétiser les attitudes charismatiques


Pourtant, l’aisance relationnelle et cette forme de rayonnement intérieur se
développent, se cultivent et s’acquièrent. Et ce, selon un processus naturel de
mimétisme propre à l’apprentissage humain. Comme nous avons acquis notre
langue maternelle, nous avons assimilé des comportements sociaux en imitant
l’attitude de nos parents et de notre entourage. Notre grammaire comportemen-
tale et relationnelle est donc en premier lieu calquée sur la leur.

Les neurosciences ont récemment mis en lumière ce mécanisme à travers le


fonctionnement des neurones miroirs, identifiés par l’équipe du professeur
Giacomo Rizzolatti dans les années 1990. Les études montrent ainsi que
les enfants ayant des parents timides sont enclins à le devenir aussi.

Nous avons appris à nous exprimer à l’oral en modélisant le langage de nos


aînés, leurs expressions, leur façon de parler, leur gestuelle, leur posture, leurs
attitudes… Une palette expressive restreinte n’est, par conséquent, ni plus ni
moins que le résultat d’une base de données restreinte et/ou d’une expérimen-
tation restreinte. Car un comportement s’acquiert aussi par la pratique.

UN EXEMPLE
Pour Françoise, institutrice, « il existe une telle différence dans l’aisance à
l’oral, la gestuelle ou le vocabulaire des enfants, selon le niveau d’expression
de leurs parents et leur niveau social. Si nous parvenions à gommer ces
inégalités par nos exemples et nos pratiques en classe… mais il est difficile
de rivaliser avec tout un environnement familial et un programme
d’apprentissages autres bien chargé ».

Ainsi nous ne sommes pas tous égaux sur ce plan. Certains n’ont pas eu la
chance de bénéficier dans leur enfance de modèles riches, d’orateurs à la gest-
uelle impactante, à la voix vibrante, au langage étendu et au sens de la répartie
unique. Mais il n’est jamais trop tard pour élargir sa palette « oratoire ».

— 22 —
Engager une démarche d’apprentissage

Se constituer une base de données


Car développer son charisme et ses compétences à l’oral n’est pas plus éloigné
que de développer son vocabulaire expressif et de s’employer ensuite à utiliser
ces nouveaux « mots ». Et il ne tient qu’à nous d’élargir nos propres références,
tout comme nous pouvons aider nos élèves à enrichir les leurs au-delà de leur
cercle familial ou amical.

En pratique : YouTube est mon ami


Je me constitue une base virtuelle de références en ligne. Sur YouTube,
je peux taper : discours ou conférence suivi du sujet qui m’intéresse (les
conférences TED sont à voir), concours d’éloquence, plaidoirie, concours
de pitch… Je sélectionne des orateurs charismatiques, qui inspirent
écoute et respect. (Je vous conseille Philippe Gabilliet.)
En les observant, en les écoutant, j’enrichis mes références comporte-
mentales. En analysant leur discours, je progresse sur le plan de l’argu-
mentation et de la rhétorique. En les imitant, je développe mes propres
compétences expressives.

J’enrichis ma palette comportementale

EXERCICE N° 1 : MA LANGUE ÉTRANGÈRE


Je choisis un modèle d’orateur qui
m’inspire par son charisme, son
langage et son attitude.
1. Phase d’imprégnation : J’observe
sa posture, ses gestes, ses regards,
la manière de poser sa voix, le
rythme de sa parole, ses silences, sa
diction, son langage, ses tournures
de phrases, son vocabulaire…
2. Phase d’imitation : Je m’entraîne
à mimétiser sa manière de com-
muniquer. Je peux m’inspirer du
speech shadowing, utilisé dans
l’apprentissage d’une langue étran-
gère, qui consiste à répéter, tel le
perroquet, des phrases parfaitement
prononcées.

— 23 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Attention, dans cet exercice le but n’est pas de singer les expressions et mim-
iques de l’orateur ou d’imiter le timbre de sa voix, mais de s’approprier un
langage, une gestuelle, une posture, un rythme intérieur ou un comportement
afin d’acquérir un vocabulaire expressif plus large.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment permettre aux élèves d’identifier la qualité des compétences
oratoires ? Comment les amener à acquérir une grille de jugement
objective et des critères de sélection fiables quant au choix du modèle
d’orateur ? Fournir des grilles d’évaluation est essentiel (plusieurs sont
proposées plus loin). Et développer le sens critique, la capacité à recon-
naître la qualité du langage, la justesse d’une approche et d’une pensée,
éléments du socle commun, peut être source d’un apprentissage trans-
disciplinaire pertinent.

Pratiquer régulièrement
Ensuite, avec l’entraînement, la répétition et la pratique fréquente, nous
ancrons ces nouveaux modes d’expression jusque dans nos gestes, nos attitudes,
nos inflexions vocales. Ainsi, nous faisons d’une simple expérience et approche
théorique, une véritable compétence.

UN EXEMPLE
Pour Pierre, acteur (et ancien timide), « on oublie souvent qu’il ne suffit pas
de connaître son texte pour être à l’aise dans sa performance. Il faut aussi
beaucoup s’entraîner pour maîtriser le moindre geste, la moindre inflexion
vocale ou la plus petite expression faciale. Cela demande beaucoup de travail.
Tout comme il ne suffit pas de savoir quoi dire pour être performant à l’oral. »

Cette phase pratique de consolidation est indispensable au développement de


notre prise de parole. Appliquer immédiatement et régulièrement ces apprentis-
sages permet de renforcer les chemins neuronaux impliqués dans l’expression
orale et d’ancrer ces acquis sur le long terme.

On ne naît pas compétent, on le devient

— 24 —
Engager une démarche d’apprentissage

1.2 Valoriser ses erreurs

En France, notre système éducatif accorde une place particulièrement anxiogène


à l’erreur. Celle-ci est diabolisée et crainte car notre modèle d’évaluation est
encore, malgré les recommandations, majoritairement basé sur une notation
chiffrée, elle-même assujettie à la faute : la moindre erreur pénalise ainsi le résul-
tat final d’une évaluation. L’erreur est alors perçue comme limitant la possibilité
de réussite. Ce qui fait que l’échec n’est plus considéré comme une étape nor-
male de l’apprentissage, mais apparaît comme un constat final de sa valeur et
de ses manques.

UN EXEMPLE
Parmi mes élèves, nombreux sont ceux qui pensent ainsi qu’ils ne sont pas
performants sur le plan oratoire, car toutes leurs expériences n’ont pas été
positives. Il y a même chez certains un véritable blocage parce qu’un jour,
ils ont échoué à l’oral.

Considérer l’échec comme un retour d’apprentissage


Ceux qui réussissent considèrent au contraire l’échec comme un retour d’in-
formation, un feed-back, une source d’apprentissage et d’expériences pour
leur progression personnelle. Car réussir implique de valoriser ses erreurs, de ne
pas les considérer comme le bilan définitif de ses propres capacités mais bien
comme une information sur ce qui ne fonctionne pas et qui doit être modifié.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment repenser l’évaluation non comme une succession de « sanc-
tions » ou de « récompenses » validant l’acquisition d’un savoir ou de
compétences au terme d’un apprentissage, mais comme un retour
d’information constructeur pour l’élève ? Concevoir l’évaluation comme
un indicateur, permettant un état des lieux instructif tout au long de son
parcours dans le cadre d’une progression continue, est essentiel.

L’échec est une étape indispensable de notre succès. Mais le considérer comme
une fin en soi rend la réussite impossible. Aussi il est intéressant de question-
ner cette vision et ce rapport aux différents échecs rencontrés, pour nos élèves
comme pour nous-mêmes.
• Alors, quelle posture adoptez-vous vis-à-vis des difficultés ?
• Comment ceux que vous accompagnez perçoivent-ils leurs erreurs ?

— 25 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

• Et comment vous comportez-vous vis-à-vis de vos propres échecs ? Ceux-ci


vous limitent-ils ou vous renforcent-ils ?

EXERCICE N° 2 : L’ÉCHELLE DE LA RÉUSSITE


Je remets mes échecs en pers-
pective considérant que l’échec
n’est qu’une étape de la réussite,
qu’une marche de plus sur l’échelle
de mon succès.
1. Je fais une liste des échecs
vécus sur le plan de l’expression
orale.
2. Je liste ce qu’ils m’ont permis
d’apprendre.
3. Si cet échec était une première
marche vers mon objectif, qu’y
aurait-il sur la seconde marche ?
Exemple : 1. Échec : mon public s’est totalement désintéressé de mon
propos / 2. Ce que j’ai appris : je ne maîtrise peut-être pas les outils d’une
communication attractive / 3. Marche n° 2 : Je trouve des stratégies pour rendre
mon contenu plus percutant et développer ma palette corporelle et vocale.

Comme l’affirmait Nelson Mandela :


« Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ».

Prendre en compte le feed-back sans se dévaloriser


Il s’agit donc d’utiliser le feed-back d’une situation pour apprendre à amélio-
rer nos capacités à communiquer efficacement. Et l’erreur serait de remettre
en cause sa valeur (je ne suis pas compétent) ou, à l’inverse, d’en attribuer la
responsabilité à son interlocuteur (il ne s’intéresse à rien), ce qui rendrait toute
évolution personnelle impossible.
C’est d’ailleurs une croyance largement partagée en milieu enseignant : les élèves
seraient peu curieux et auraient le niveau de concentration d’un poisson rouge.
Une seconde de moins paraît-il d’ailleurs selon une étude réalisée par Microsoft
au Canada. Et si le sujet vous intéresse, vous trouverez plusieurs de ces croyances
« scolaires » limitant notre progression et la richesse de nos pratiques éducatives
dans mon précédent livre : Assumer son autorité et motiver sa classe, tech-
niques verbales, corporelles et vocales, De Boeck Supérieur.

— 26 —
Engager une démarche d’apprentissage

Or reconnaître et considérer ainsi nos manques et nos erreurs comme un pro-


cessus normal d’évolution implique d’avoir confiance en notre propre capac-
ité d’apprentissage et de progression. Et l’on peut ainsi se questionner :
– Ai-je réellement conscience des limites de mes compétences personnelles
à l’oral ?
– Est-ce que je crois ma réussite possible ?
– Est-ce que je pense pouvoir devenir un orateur charismatique ?
– Est-ce que je me sens capable d’animer des groupes et d’exceller dans la
prise de parole en public ?
– Et est-ce que j’en ai suffisamment envie pour cultiver la persévérance ?

UN EXEMPLE
Pour Maryse, enseignante, « certains de nos élèves s’écroulent totalement
lorsqu’ils ne réussissent pas quand d’autres rebondissent pour s’améliorer.
Ce qui fait la différence, c’est le niveau de confiance en soi. Quand on se
croit capable, on se dit juste qu’on n’a pas pris le bon chemin et on essaie
autrement. Mais beaucoup ne se sentent pas à la hauteur. Cultiver cette
confiance est aussi une de nos missions pédagogiques. »

Cette capacité à apprendre de nos actes et à renaître sans cesse permet non
seulement la réussite mais c’est aussi le chemin nécessaire vers le développement
et la connaissance de Soi.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment conduire nos stagiaires ou nos élèves à prendre conscience
de leurs manques et à valoriser leurs « échecs » à l’oral comme un outil
nécessaire, constructeur de leur développement personnel ? Fournir des
critères objectifs d’évaluation et utiliser le feed-back comme indicateur
des exercices et des pratiques à proposer pour progresser initie une
démarche constructive d’apprentissage.

— 27 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

2. DÉFINIR SON PARCOURS ET SES OBJECTIFS

2.1 Sur le chemin de la connaissance de soi

Ainsi, utiliser l’échec comme un feed-back constructif implique lucidité, humilité


et bienveillance avec soi-même. Il faut être à même de changer parfois drasti-
quement de direction. Il faut pouvoir rebondir en mettant en place des actions
concrètes, ainsi que nous le faisons aussi pour nos élèves ou nos stagiaires. Cette
démarche peut être longue et réclame un certain niveau d’investissement. Or
comment s’engager pour sa propre pratique si l’on ne perçoit pas concrètement
la nécessité de le faire ?

Trouver du sens à développer ses compétences orales


Car pourquoi devrions-nous améliorer nos compétences oratoires si celles-ci nous
semblent déjà suffisantes pour ce qui n’est qu’un « métier » ? Pourquoi faudrait-il se
former à cette discipline quand notre investissement dans des domaines annexes
nous prend déjà tout notre temps ?
• Et pourquoi iriez-vous mettre en place des ateliers de prise de parole en
public alors que ce n’est pas votre spécialité ?
• Pourquoi les élèves eux-mêmes seraient-ils motivés à y participer ?
Pour vouloir s’impliquer et agir, dans n’importe quel projet personnel ou collec-
tif, il faut être porté par un objectif suffisamment fort et motivant qui nous pousse
à le faire. Il faut y trouver du sens. Il faut comprendre ce qui nous anime, ce
qui compte pour nous, ce qui nous engage. Et il faut non seulement pouvoir se
connaître d’une part mais aussi s’en sentir capable de l’autre.

UN EXEMPLE
Pour François, enseignant, « notre programme est tellement chargé que
c’est actuellement une véritable prouesse d’intégrer les compétences du socle
commun. L’accent doit être mis sur le développement de l’oral et la maîtrise
de la langue, mais je ne vois pas comment trouver le temps en dehors du
temps habituel de participation en classe. Et moi-même, je ne suis pas sûr
d’être bien qualifié pour cela. »

Il est probable que si vous avez ce livre entre les mains, c’est que le sujet de la
prise de parole vous intéresse et que vous ressentez déjà un intérêt pour cette
discipline. Mais pour parvenir à réellement s’engager dans un travail oratoire, il
faut pouvoir trouver des liens entre le développement de ces compétences au
sein de notre activité professionnelle et ce qui nous motive profondément.

— 28 —
Engager une démarche d’apprentissage

• Alors quelles sont vos valeurs ? Quels sont vos besoins profonds ?
• Et qu’est-ce qui donne envie à chacun de s’engager malgré les obstacles
et les difficultés ?

Identifier les besoins motivant l’expression orale


Il existe de grands besoins, communs à tous les êtres humains. On ne cite plus les
besoins primaires de sécurité ou de survie, par exemple, mis en lumière par
le célèbre psychologue Abraham Maslow. Il est en effet essentiel pour tous de
pouvoir se nourrir, dormir, vivre dans un lieu sécurisant ou préserver sa santé et
son intégrité physique. Il existe cependant des besoins plus secondaires tels que
nouer des relations, être reconnu, respecté, ou apprécié.
Sur le plan social, le modèle des professeurs Edward L. Deci et Richard M. Ryan
révèle trois besoins fondamentaux :
– le besoin d’appartenance, c’est-à-dire le besoin d’entrer en relation et
de créer du lien ;
– le besoin de compétence, c’est-à-dire le besoin de s’engager dans un
projet, de construire, de progresser, de se réaliser, d’être utile et efficace ;
– et le besoin d’autonomie, c’est-à-dire le besoin de liberté et d’in-
dépendance, d’autodétermination, à savoir être libre de choisir et d’agir
selon ses convictions.
Ces besoins, non limitatifs, sont source de motivation interne et permettent
de donner du sens à nos actions. Avant d’engager un premier travail sur l’ex-
pression orale, il peut donc être enrichissant de déterminer quels sont les besoins
qu’il nous tient à cœur de satisfaire dans ce domaine.
S’interroger sur les raisons qui nous poussent à améliorer nos compétences ora-
toires et conduire nos élèves vers ce même questionnement permettra de donner
du sens à cette activité.

Plus je me questionne sur mes besoins et mes valeurs,


plus je comprends qui je suis et où je souhaite aller.

En pratique : La liste de mes besoins


Sur le plan de la relation à l’autre, qu’est-ce qui est important pour moi ?
En termes de réalisation personnelle, qu’est-ce qui est important ? Que
m’apporte le sentiment de progresser ?
En quoi ai-je à cœur d’être libre et indépendant ?
Quel est le besoin qui me tient le plus à cœur aujourd’hui ?
De quoi ai-je besoin lorsque je prends la parole ? (De reconnaissance ?
D’écoute ? De partage ? De réalisation personnelle ?…)

— 29 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Pour Michèle, enseignante, « on s’imagine que les connaissances discipli-
naires et les compétences pédagogiques sont essentielles. Pourtant, savoir
communiquer, être en capacité d’intéresser, d’inspirer, de partager et de
créer du lien, est déterminant de ce que l’on va vivre au quotidien en classe.
Lorsque l’on maîtrise les techniques d’art oratoire, on enseigne avec plus de
plaisir et d’efficacité ».

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment comprendre ce qui motive la prise de parole chez nos élèves afin
de donner du sens à une véritable pratique autour de l’expression orale ?
Quelle démarche engager pour véritablement inspirer les participants ?
En vue de quels bénéfices et pour quel résultat ? Initier une première
réflexion autour des enjeux et des bénéfices de cette activité, à travers
des échanges, des débats et des témoignages, est primordial. Chaque
pratique doit faire sens pour chacun.

Se lancer des défis


Le manque de soi, de ce que l’on peut devenir, de la relation à l’autre ou de sa
réalisation personnelle génère le mécanisme d’effort, l’envie de progresser,
d’apprendre, de s’élever afin d’accéder à soi et de se réaliser. Aussi devrait-il
être capital, avant toute démarche d’apprentissage, de fixer non pas seulement
des objectifs, mais de véritables défis, stimulant notre propension naturelle au
dépassement de soi.
Le défi est un moteur et les difficultés ont une véritable dimension élévatrice à
condition de se sentir capable de les vaincre. L’épreuve surmontable est con-
structive et valorisante.
• Alors quels sont les défis que vous pouvez mettre en place dans le cadre
du travail de votre propre expression orale ?

— 30 —
Engager une démarche d’apprentissage

EXERCICE N° 3 : LA LISTE DE MES DÉFIS


En lien avec les besoins qui me tiennent le plus à cœur, je détermine mes défis (dont
la difficulté me semble surmontable
avec de l’investissement) en termes de
prise de parole. Il s’agit d’un défi s’il
présente une difficulté et un enjeu pour
soi. Et s’il répond à un pourquoi fort.
Par exemple : J’ai besoin d’être plus
charismatique et d’être entendu. Je me
lance le défi de réussir, dans un mois, à
intéresser mon auditoire sur un sujet par-
ticulier, avec affirmation, force et sourire.
Le défi doit être concret, mesurable,
accessible, défini dans le temps et
répondre aux questions suivantes : Quoi
exactement ? Combien ? Quand ?
Pourquoi ?

UN EXEMPLE
Je me lance le défi, dans dix jours (quand), d’avoir réussi à convaincre
trois de mes collègues à participer à la mise en place d’un « concours
d’éloquence » au lycée (quoi / combien), afin de répondre à mon besoin de
dépassement, de réalisation et de partage (pourquoi).

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment faire d’une difficulté un défi motivant ? Il y a une limite ténue,
inhérente à la notion de performance, entre l’émulation ou au contraire
le blocage. Comment tenir compte des représentations, des fragilités et
des personnalités de chacun de nos élèves pour stimuler sans freiner ?
Tester régulièrement le niveau des participants est indispensable afin de
proposer des exercices suffisamment difficiles et ambitieux tout en restant
accessibles pour eux.

Ainsi, toute progression personnelle, toute démarche d’apprentissage passe par


la mise en place d’objectifs. Et c’est parce que ceux-ci répondent à un enjeu
fort et qu’ils présentent une valeur sur le plan du développement de soi, qu’ils
sont porteurs de sens et de motivation.

— 31 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Aussi chaque étape du parcours pourrait être questionnée ainsi : Est-ce que cet
objectif me nourrit, me grandit ? En quoi m’enseigne-t-il des choses ? En quoi
me permet-il de renforcer mes compétences, de me dépasser, de m’épanouir ?
« Sans destination pas de destinée », affirmait l’abbé de Rancé.
• Alors quelle est votre destination ?

Je choisis la destination qui m’inspire.

2.2 État des lieux : d’où je pars et où je vais

Suivre une destination motivante, c’est bien. Mettre en place des actions
concrètes pour y parvenir, c’est mieux ! Car sans actes, nos objectifs ne restent
que de vagues projets. Sans actes, nous ne nous confrontons jamais au réel, à
la possibilité d’être remis en question et d’affiner notre démarche. Sans actes,
nous ne créons jamais l’occasion de nous dépasser, d’apprendre et de renforcer
notre maîtrise.

UN EXEMPLE
Pendant quelques années j’ai eu l’occasion d’accompagner en entreprise
des formateurs dont l’objectif était d’animer des ateliers de coaching vocal.
La maîtrise théorique était solide mais certains attendaient avant de se
lancer auprès des stagiaires et plus ils attendaient, moins ils se sentaient
capables d’assumer cette tâche. Ceux qui au contraire avaient testé et
expérimenté tout de suite ont pu confronter leur pratique, l’améliorer et
prendre confiance en leurs capacités.

Définir un plan d’action


Comme vous le savez, progresser n’implique pas seulement d’avoir conscience
d’où l’on se trouve et où l’on souhaite aller, mais aussi de mettre en place concrè-
tement les moyens d’y parvenir. Établir un plan d’action précis, le confronter au
réel et l’expérimenter pleinement est capital. Et ce, que vous souhaitiez amélio-
rer votre pratique personnelle ou accompagner des groupes. Ainsi, après avoir
déterminé le « Quoi », il est bon de s’interroger sur le « Comment ».
• Alors, quelles sont les étapes à franchir pour tendre vers votre objectif ?
• Quelles actions concrètes vous faut-il mettre en place ?
• Et quels sont vos atouts, vos forces, vos faiblesses et vos manques ?
Vous trouverez, au cours des chapitres suivants, de nombreux outils pour vous y
aider. Cependant, dans le cadre d’une première phase d’approche et d’expéri-
mentation, il est particulièrement porteur de chercher des moyens et des outils

— 32 —
Engager une démarche d’apprentissage

qui nous sont propres. Et ce, en conditionnant notre mental à trouver des solu-
tions plutôt qu’à relever des problèmes.
Au-delà du questionnement que cette démarche génère, elle implique une vérita-
ble gymnastique cérébrale qui nécessite observation, réceptivité et créativité, et
qui permet de saisir en chaque moment une opportunité pédagogique. Nous
pouvons trouver partout autour de nous l’occasion d’apprendre à mieux com-
muniquer et à nous exprimer. Comme le fait de choisir un modèle d’orateur peut
nous enseigner et nous montrer le chemin à suivre, chaque élément de notre envi-
ronnement peut être une ressource, un support ou une source d’apprentissage.

En pratique : L’objet pédagogique


Je laisse parler mon imagination. Un objet se trouve à ma portée ? Je me
demande comment il pourrait me servir à développer mon expression
orale. Je peux par exemple le décrire ou l’utiliser comme support à une
présentation.
Quelqu’un se trouve face à moi ? Comment peut-il m’aider à progresser
dans ma pratique personnelle ? Un mot pris au hasard dans le diction-
naire ? Que puis-je en faire pour servir mon objectif ?
Chaque personne, objet, action, lieu, est une opportunité de développer
mes propres compétences à l’oral.

EXERCICE N° 4 : LE PLAN DU VOYAGE


Sur une feuille, je réalise la carte men-
tale de mon parcours :
– En gros au centre : la bulle de mes
objectifs (par exemple : être à l’aise
à l’oral)
– Tout autour : les outils et compé-
tences nécessaires pour y parvenir
en indiquant dans une couleur les
atouts que je possède déjà, et d’une
autre couleur, ceux qu’il me reste à
acquérir
– En bas à droite : la liste des actions à mettre en place (par exemple : saisir toutes
les occasions de prendre la parole)
Je compléterai, modifierai ou affinerai cette carte « boussole » tout au long de mon
parcours.

— 33 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment mettre en place une progression collective respectant des
besoins et des compétences individuelles multiples et disparates ?
Différencier sa pédagogie en fixant des objectifs communs, mais des
moyens personnalisés et impliquer l’élève dans la propre construction
de ces moyens sont des pistes à explorer.

Faire un état des lieux


Se laisser guider ainsi par sa boussole intérieure, suivre une destination claire et
mettre en place les étapes de son parcours implique aussi de mesurer ses atouts
et ses aptitudes.
Cela requiert un état des lieux de ses compétences, de ses besoins, de ses
forces et de ses manques. Et pour cela, ainsi que nous l’avons vu, il faut pouvoir
poser un regard objectif sur soi-même, sur ses erreurs et ses fragilités ou sur
ses qualités. Le retour de l’interlocuteur (ou de la caméra de son smartphone)
peut aussi être un bon indicateur. Ce feed-back est non seulement capital pour
apprendre et progresser, mais il permet également de se connaître davantage.
• Alors quels sont vos points forts ?
• Et quels sont les axes de votre communication à améliorer ?

— 34 —
Engager une démarche d’apprentissage

Je sais où je vais,
Je détermine d’où je pars.
Il s’agit uniquement de raisonner en termes d’objectifs et d’étapes pour y parvenir.
Cette observation objective doit être dénuée de considérations personnelles.
Car nos compétences ne sont pas représentatives de notre valeur, elles sont juste
le reflet de notre parcours, de notre avancée à un instant T : « Aujourd’hui j’ai
telles compétences, tels acquis, j’ai appris ceci ou cela et demain j’apprendrai et
je maîtriserai telle chose… ».

En pratique : Le bilan de mes compétences


Sur le plan mental : Est-ce que je me sens à l’aise ? Ai-je confiance
en moi, en toute situation, lorsque je m’exprime ? Est-ce que je me sais
capable d’être un orateur performant et charismatique ? En ai-je envie ?
Est-ce que je me sens à la hauteur de mes objectifs et capable de réus-
sir ? Quand je dois prendre la parole face à un public, suis-je davantage
préoccupé par ce que l’on va penser de moi ou par ce que j’ai à dire ?
Est-ce que j’ai envie de m’exprimer ? Suis-je investi et inspiré par mon
propos ? Est-ce que je me sens légitime ?…
Sur le plan verbal : Ai-je la parole facile ou est-ce que je cherche parfois
mes mots ? Mon niveau de langage est-il adapté au contexte ? Est-il
parfois trop complexe ou trop théorique et peu imagé ? Mes phrases
sont-elles simples, spécifiques, compréhensibles par tous et illustrées par
des exemples ? Ai-je beaucoup de tics verbaux (heu… alors…) ? Est-ce
que je me perds dans des détails ou est-ce que je parviens à exprimer
mon message de manière claire et synthétique ?…
Sur le plan corporel : Quelle est ma posture ? Est-ce que je me tiens
droit ou voûté ? Suis-je calme et posé ou au contraire en train de gesticu-
ler ? Mon corps est-il rigide, figé ou souple ? À quoi sont occupées mes
mains ? Ai-je une gestuelle qui fait sens avec ce que je suis en train de
dire ? Où est dirigé mon regard ? Est-ce que je crée un contact visuel avec
chacun de mes interlocuteurs ? Où est-ce que je me place naturellement
quand je suis dans un échange oral ? Suis-je trop près ou bien trop loin
de mon interlocuteur ?…
Sur le plan vocal : Ma voix est-elle suffisamment audible ou au contraire
trop forte ? Ai-je un ton plutôt monocorde ou à l’inverse très expressif ?
Est-ce que mes inflexions vocales sont plutôt soporifiques ou dyna-
miques ? Mon débit est-il plutôt rapide, plutôt lent, plutôt varié ? Est-ce
que je marque des pauses ? Est-ce que j’articule suffisamment pour me
faire comprendre ? Est-ce qu’on me demande parfois de répéter ?…

— 35 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

La question n’est pas de mesurer sa grandeur, sa légitimité ou son mérite, mais


d’être concerné par un objectif au-delà de soi et des questions d’ego. De nom-
breux psychologues nous disent que la confiance en soi vient avec l’oubli de
soi ; non pas l’oubli de ses besoins ou de ses aspirations, mais l’oubli de sa valeur.

En posant un regard lucide sur mes difficultés,


en réalisant des actions concrètes pour réussir,
j’apprends à me connaître et à me faire confiance.

3. NOURRIR SA MOTIVATION

3.1 Neurosciences et motivation : Créer l’envie de…

Selon les difficultés de chacun, améliorer ses compétences oratoires peut


demander du temps et il faut parfois prévoir une progression sur plusieurs mois.
• Aussi, malgré un objectif inspirant, aussi porteur soit-il, comment parvenir
à rester motivé sur la durée ?
• Comment cultiver l’envie et l’enthousiasme tout au long du parcours ?

Mesurer l’impact du plaisir dans les mécanismes de la motivation


Sur ce plan, les mécanismes cérébraux à l’origine de la motivation ont largement
été explorés à travers de nombreuses recherches dans les domaines notamment
de la psychologie sociale. Si la satisfaction de nos besoins est un moteur,
nous sommes aussi impactés par notre système de la récompense, c’est-
à-dire par la recherche du plaisir d’un côté et l’évitement de la douleur de l’autre.
Les études montrent d’ailleurs que le plaisir, qu’il soit direct ou indirect, favorise
le développement cognitif, facilite les apprentissages et stimule et renforce les
aptitudes.

En effet, sur le plan neuro-cérébral, nos expériences de vie créent toute une
sécrétion d’hormones qui viennent conditionner notre état émotionnel.
Ainsi, la joie, le rire, le plaisir sont associés à la création de dopamine, de
noradrénaline, de sérotonine, d’endorphines… Encore appelées hormones
du plaisir ou hormones du bien-être, celles-ci agissent comme une véritable
drogue pour le cerveau qui cherchera à revivre encore et encore les situa-
tions générant cet état. La dopamine, par exemple, nous pousse à agir et
à avancer. Elle intervient donc tout particulièrement dans la motivation.

Cela explique que nous soyons particulièrement attirés par tout ce qui peut nous
faire rire, nous amuser, nous divertir ou nous procurer de la joie. Et injecter cette

— 36 —
Engager une démarche d’apprentissage

notion de plaisir dans les exercices choisis au fur et à mesure de son parcours
peut permettre de conserver enthousiasme et motivation. Alors, pourquoi ne
pas s’amuser ?

Je mets en place des exercices « amusants », qui


génèrent plaisir et satisfaction afin de rester motivé.
Le caractère ludique des activités mises en place est motivant, mais comment
faire d’un exercice laborieux un jeu ? Comment trouver du plaisir dans une pra-
tique qui semblerait au premier abord ardue et rébarbative ?

Développer l’aspect ludique des activités


Apprendre à développer sa voix, à utiliser son corps, à manier les mots et les
idées peut être très amusant. La parole est un jeu, même si les enjeux peuvent
parfois nous sembler anéantir tout caractère ludique. Et pour cela, il suffit de
respecter quelques règles.

Des pratiques variées


Tout d’abord il est important de mettre en place des activités pratiques et variées
dans le but d’éviter l’ennui, voire de cultiver l’effet de surprise et d’être main-
tenu en action. Lorsque l’on souhaite acquérir de nouvelles compétences, on est
toujours enthousiaste au départ. Puis la répétitivité nécessaire à toute progres-
sion peut finir par lasser les plus motivés. Changer parfois quelques éléments
inattendus dans des pratiques vivantes et interactives peut être suffisant
pour conserver un certain niveau d’intérêt.

UN EXEMPLE
Pierre, passionné de motos, nous affirme : « J’aime lire des articles sur le
sujet et me renseigner sur les aspects techniques. Mais si je n’avais pas la
possibilité de pratiquer, d’explorer de nouveaux lieux, de sentir le vent sur
ma peau et la vibration du moteur, je crois que je me lasserais très vite. »

Des objectifs adaptés


Ensuite, les exercices devront répondre à un objectif suffisamment ambitieux
pour être motivant, mais être particulièrement accessibles, pour favoriser le
lâcher-prise et « l’espoir de réussite ». En un mot : complexe mais pas compliqué.
J’ai pu voir de nombreuses personnes finir par se décourager car leurs objectifs
étaient totalement démesurés par rapport à leurs moyens, à leurs disponibil-
ités ou à leurs compétences du moment. Nous avons besoin de satisfactions
personnelles et de réussites pour poursuivre un apprentissage, quel qu’il soit.

— 37 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

(La réussite est d’ailleurs génératrice de plaisir.) Et inversement une tâche trop
accessible est peu stimulante.

Des obstacles et du challenge


Ainsi il est intéressant, enfin, de créer des pics de tension en injectant du chal-
lenge, avec la mise en place de défis par exemple, d’obstacles ou de problèmes
à résoudre. Nous aimons tous nous dépasser, chercher, solutionner des énigmes
ou répondre à des devinettes.

Stimuler la curiosité a d’ailleurs un impact fort sur le cerveau comme


l’ont révélé les chercheurs M.J. Gruber et C. Ranganath de l’Université
de Californie, dans leurs travaux en 2014. Le désir de comprendre et de
chercher améliore ainsi les compétences cognitives et génère un état d’ex-
citation très plaisant en activant la production de dopamine.

La problématique de l’enseignant-formateur
Favoriser l’autonomie dans la mise en place d’une progression personnelle
génère de la confiance en soi. Alors, comment parvenir à lâcher prise
sur le contrôle des apprentissages et à accorder sa confiance à l’élève
en lui laissant la place ? Questionner la posture de l’évaluateur, favoriser
l’auto-évaluation ou l’évaluation collective par les pairs, et permettre une
réflexion autonome autour des axes d’amélioration est essentiel.

Injecter une difficulté modérée dans une pratique ludique et active est donc très
porteur. Pourquoi ne pas utiliser un chronomètre, des dés, des cartes… ? Les
outils proposés dans les divers jeux de société existants peuvent être une
source d’inspiration pertinente. Et sur ce plan, apporter une dimension collective
en invitant plusieurs participants sera une source de sympathique compétition
et d’humour.

Faire preuve de créativité


Ainsi pourquoi ne pas essayer enfin d’imaginer notre propre jeu de société ? Un
jeu permettant de développer nos compétences personnelles à l’oral, comme
celles de nos enfants, de nos amis, de nos collègues, de nos stagiaires ou de nos
élèves… Un jeu permettant d’exercer sa gestuelle et sa voix, de cultiver sa pos-
ture, de développer son expressivité et sa force de persuasion ; un jeu offrant à
tous les moyens d’aiguiser et de confronter sa pensée, ses arguments, de cultiver
son sens de la répartie et son aisance verbale, indispensables à toute posture
citoyenne. Un jeu pédagogique essentiel !

— 38 —
Engager une démarche d’apprentissage

EXERCICE N° 5 : MON SERIOUS GAME

Pour ce « time’s up » de l’orateur, vous allez en amont préparer quelques cartes


que vous piocherez ensuite pour faire votre discours à chaque lancer de dé, dans
un but unique : conquérir l’Élysée.
Cartes à préparer : les cartes « Sujet » (inscrivez au préalable des sujets universels
pouvant être débattus par exemple : la peine de mort, l’importance de l’écologie, la
répartition des ressources, la légalisation de l’adoption pour tous, etc.) ; les cartes
« Objectif » (à savoir : 1-convaincre, 2-intéresser et sensibiliser à une cause, 3-infor-
mer, 4-pousser à l’action comme voter une loi par exemple).
Règles du jeu : Préparez un circuit de 30 cases alternant 2 noires puis 1 rouge,
l’arrivée représentant l’Élysée et votre élection à la présidence. À chaque lancer de
dé, vous vous déplacez sur le circuit. À chaque arrêt sur une case rouge, vous
devez tirer une carte de chaque catégorie et faire votre discours en 1 min devant
les autres participants, à l’issue duquel ceux-ci voteront. (+1 point par vote en
votre faveur, -1 pt contre). Par ailleurs, chaque participant qui aura trouvé votre
objectif gagnera 1 point et vous gagnerez autant de points qu’il y a de participants
ayant trouvé. Faites le total des points et avancez (ou reculez) du nombre de cases
correspondant. Attention, fair-play et éthique sont de mise dans votre vote, n’oubliez

— 39 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

pas que les orateurs sont votants au


prochain tour.
Si vous êtes nombreux, vous pou-
vez jouer en équipe et alterner les
orateurs.
Envie de pimenter le jeu ? Des cartes
« Défi » (mimer son discours, faire
son discours en ne formulant que les
voyelles, utiliser des vire-langues à
prononcer le plus vite possible sans
que sa langue ne fourche, etc.)

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment développer l’aspect ludique des activités proposées au profit
d’un objectif collectif tout en créant une progression avec des difficultés
croissantes pour chacun ? Le jeu collectif est particulièrement porteur. Et
intégrer la notion de jeu aux apprentissages, c’est repenser la dimension
même de nos pratiques pédagogiques. Ainsi, les cartes Sujets et Objectifs
du jeu précédant peuvent être exploitées en classe, en faisant piocher
tour à tour les élèves avant leur prise de parole.

En termes de récompense, le plaisir direct et le jeu ne sont pas les seules sources
de motivation. Le plaisir indirect, lié à la reconnaissance d’autrui, au dépas-
sement de soi, à la réussite, à la satisfaction personnelle ou à la connaissance
de qui l’on est, génère aussi l’envie d’agir et de s’investir. Tout comme l’évite-
ment de la douleur liée à l’échec, à la perte ou au rejet fait également partie
des moteurs qui conditionnent nos actions.

3.2 Bénéfices personnels

L’activation des circuits de la récompense et la satisfaction de nos besoins sont


donc nos principaux moteurs. Et nous n’agissons finalement qu’en termes de

— 40 —
Engager une démarche d’apprentissage

réponse à ces deux questions : « Est-ce que ça me plaît ou non ? » Et dans le cas
contraire : « À quoi cela va-t-il me servir ? »

Identifier les bénéfices liés au travail oratoire


C’est ce « Pourquoi ? » qui donne du sens à nos actions. Or un « Pourquoi » fort
n’est pas une réponse sociale : parce que c’est obligatoire, parce que c’est une
nécessité professionnelle (ou scolaire), parce qu’on nous le demande, parce
qu’on n’a pas le choix… Un « Pourquoi » fort répond à nos besoins.
• Alors, qu’est-ce qu’un travail sur votre expression orale peut vous apporter
concrètement ?
• Et sur un plan éducatif plus large, qu’est-ce qu’il peut apporter concrète-
ment aux élèves ?
C’est parce que nous trouvons un bénéfice personnel à agir que nous avons
envie de nous investir sur la durée. L’apprentissage répond à la nécessité de
s’adapter à son environnement afin de « survivre ». On apprend parce que ça
nous est utile. Dès lors, qu’est-ce qui concrètement dans cette activité va vous
permettre de vous adapter dans le milieu dans lequel vous vivez ? Il s’agit de rai-
sonner en termes de bénéfices personnels, concrets et utiles.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment, à travers les jeux, exercices ou défis proposés, mettre en
avant les bénéfices personnels, concrets et utiles dans le présent pour
chacun ? Explorer les besoins et le vécu quotidien des élèves, à travers
des échanges, questionnaires ou boîte à idées à disposition de tous,
permettra de créer des liens entre les objectifs théoriques d’un socle de
compétences et leur réalité d’apprenant.

Je cherche en quoi mon implication va m’enrichir


sur le plan personnel.

UN EXEMPLE
Pour Marie, enseignante, « c’est parce que j’avais des difficultés à m’imposer
et à me faire respecter en classe que j’ai suivi ma première formation de
prise de parole en public. C’est ensuite que j’ai réalisé à quel point savoir
s’affirmer à l’oral change complètement votre vie. »

— 41 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

En pratique : La liste de mes bénéfices


Sur le plan personnel : Qu’est-ce qu’un travail sur l’oral va m’apporter
personnellement ? En quoi va-t-il changer mon quotidien ? Qu’est-ce
que le fait d’avoir ces compétences va changer concrètement dans ma
vie chaque jour ?…
Des exemples de bénéfices personnels (Soi) : me sentir sûr de moi, être
plus à l’aise, réussir à m’exprimer de manière plus authentique, augmenter
mon sentiment de fierté et de satisfaction personnelle…
Sur le plan social : Qu’est-ce que ce travail va changer dans mon rap-
port aux autres ? En quoi acquérir cette compétence va modifier mes
interactions ?
Des exemples de bénéfices sociaux (Hors Soi) : être davantage écouté,
apprécié, reconnu, avoir plus d’impact ou de succès social, être visible,
savoir répondre aux critiques, avoir plus de répartie…

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment notre expérience liée à notre propre quête de sens peut-elle
être exploitée au profit de cette même problématique présente chez nos
stagiaires ou nos élèves ? S’exprimer et prendre sa place est une question
universelle. À travers les échanges, le partage et les retours d’expérience,
les parcours du stagiaire, de l’élève et du professeur peuvent s’enrichir
mutuellement.

Visualiser et expérimenter ces bénéfices


Comme je le répète souvent, nous sommes des êtres complets et la seule percep-
tion intellectuelle des avantages à développer ses compétences orales ne suffit
pas. Il faut aussi pleinement en ressentir les bénéfices. Créer une motivation
profonde, c’est donc ancrer intensément en soi, sur un plan à la fois intellectuel,
sensoriel et émotionnel, le plaisir et la satisfaction liés au fait d’être un bon ora-
teur. Et pour cela, il existe une technique très puissante : la visualisation.

Toutes les études en neurosciences montrent que le cerveau émotionnel


ne fait pas la différence entre la projection mentale et la réalité. Le sim-
ple fait d’imaginer assez précisément une scène, de s’y projeter en pensée,
nous permet de la vivre, comme si nous y étions réellement.

— 42 —
Engager une démarche d’apprentissage

DES EXEMPLES
Pensez à un citron, à son acidité, et vous voilà déjà en train de saliver.
Tout comme il suffit de voir une scène triste sur un écran de cinéma pour
sentir en soi les larmes monter. De la même manière, nous ressentons la
peur à l’écoute d’une histoire terrifiante. Et ce, même si nous sommes
confortablement assis au fond de notre canapé, entourés par nos proches.

La visualisation consiste ainsi à imaginer une scène et les émotions associées, et


à « faire comme si » celle-ci se déroulait réellement. Et visualiser un oral réussi
va non seulement générer des ressentis positifs à même de motiver sur le long
terme, mais cela va de plus créer une habituation à la prise de parole, ren-
forçant ainsi la confiance en soi.

EXERCICE N° 6 : L’ORATEUR GÉNIAL


Je m’imagine en train de réaliser
mon objectif (par exemple : réussir
ma prise de parole devant un
groupe). Je visualise le résultat et
les bénéfices concrets que cela
va m’apporter (par exemple : je suis
un orateur hors pair, tout le monde
est captivé par mon propos, je me
sens épanoui, etc.).
Et il s’agit de rendre cette « vision »
la plus réelle pos-
sible, de visualiser
le tableau le plus précis et imagé de mon succès à l’oral en apportant
de nombreux détails : visualisation précise du lieu, des sensations,
des sons, des odeurs… Qu’est-ce que je ressens ? Qu’est-ce que je
vois ? Qu’est-ce que j’entends ?… https://lienmini.fr/
lavedrinev1

— 43 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

MON COURS DE PRISE DE PAROLE N°1


https://lienmini.fr/ (SEMAINE 1 À 2)
LAVEDRINE1

Problématique : Comment trouver du sens et l’envie de travailler à développer


son expression orale ? Comment mettre en place une progression vers la réussite et
trouver en soi l’envie de s’exprimer ? Comment développer un état d’esprit positif ?

OBJECTIFS

• Je trouve un objectif inspirant lié à l’expression orale. Je nourris l’envie


de prendre la parole.
• Je développe un mental fort et entretiens ma motivation tout au long
de mon parcours.
• Je prends conscience de mes forces et des points perfectibles.

Parcours et progression
Les étapes de mon succès
1. Trouver l’inspiration et un objectif motivant
2. Mettre en place un plan d’action avec des pratiques ludiques et
stimulantes
3. M’évaluer tout au long de mon parcours et raisonner en termes
de progression dont l’échec est une étape

Outils

Exercice n°1 : Ma langue étrangère


En pratique : YouTube est mon ami
Exercice n°2 : L’Échelle de la Réussite
Exercice n°3 : La liste de mes défis
En pratique : La liste de mes besoins
Exercice n°4 : Le plan du voyage
En pratique : L’objet pédagogique
En pratique : Mon bilan de compétences
Exercice n°5 : Mon Serious Game
En pratique : La liste des bénéfices
Exercice n°6 : L’orateur génial

— 44 —
Auto-évaluation et Feed-back : Un premier bilan

AUTO-ÉVALUATION ET FEED-BACK :
UN PREMIER BILAN

Partiellement
d’acquisition
Non acquis

En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Je sais que je vais devenir un orateur
charismatique.

Je sais identifier les apprentissages derrière


mes échecs.
M
E J’ai un état d’esprit fort et je ne me laisse pas
N facilement décourager.
T J’ai envie de m’exprimer et je me sens
A motivé.
L
Je mesure les bénéfices que ce travail va
m’apporter.

Je sais établir un plan d’action et je suis


créatif pour ma propre formation.

Je sais exprimer mes idées et me faire


comprendre.
V
E Je sais trouver mes mots avec aisance.
R
B Je sais aller à l’essentiel et structurer
A ma prise de parole.
L
Je sais développer mes connaissances
et ma réflexion autour d’un sujet donné.

Je suis calme et détendu, mon corps est


souple et ouvert.
C
O Je me tiens droit sans gesticuler, les pieds
R ancrés dans le sol.
P
Je sais occuper mes mains avec une gestuelle
O
qui fait sens.
R
E Je crée une connexion visuelle et dirige
L mon regard vers mes interlocuteurs.

J’ai un visage ouvert et souriant.

— 45 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Partiellement
d’acquisition
Non acquis

En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Mon articulation est claire et distincte.

On m’entend suffisamment mais je n’agresse


V pas mon interlocuteur par un volume trop
O fort.
C
A Ma voix est expressive, je ne reste pas sur un
L ton monocorde.

Mon débit n’est ni trop rapide ni trop lent


et je sais marquer des pauses.

Mon bilan / synthèse


Mes atouts :
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..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Mes axes d’amélioration :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Les exercices et pratiques à approfondir (après une première expérimentation


autonome, je pourrai puiser dans les chapitres suivants de nombreuses pistes
de travail) :
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

— 46 —
CHAPITRE

2
Oser être soi et s’exprimer
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1. VAINCRE LA PEUR

1.1 Les obstacles à la prise de parole

Faire entendre sa voix et s’exprimer est la base même de nos interactions.


« L’homme est un animal social », affirmait Aristote. Et les véritables motivations
qui poussent l’être humain à prendre la parole révèlent des besoins sociaux
fondamentaux : le besoin d’échange, d’intégration, d’acceptation, d’apprécia-
tion, de sécurité et de préservation… des besoins qui répondent en réalité à la
nécessité de survie.
Dès la naissance, c’est par le cri que le tout petit attire l’attention de ses parents
en vue d’obtenir nourriture, attention et sécurité. Et il fut un temps où la solitude
et l’exclusion de la tribu conduisait à une mort certaine (l’intégration au groupe
représentant la protection, l’entraide, l’association des forces pour la chasse…).
Aujourd’hui, si les enjeux relationnels semblent moins radicaux, ils n’en sont pas
moins essentiels à notre vie. C’est par la parole que nous prenons place parmi
les autres. Et nous sommes tous motivés par le désir d’être intégrés, acceptés,
reconnus et aimés.

Identifier ses peurs et ses blocages


Prendre la parole, c’est donc prendre un risque : celui de déplaire, d’être jugé,
moqué, méprisé, isolé… Et notre expression est par conséquent parasitée par
les peurs et les blocages liés à ces enjeux. Pour certains, il s’agit même d’une
véritable phobie. Pour les autres, quoi qu’ils en disent, il y a toujours une cer-
taine appréhension à faire entendre sa voix : que va-t-on penser de moi ? Est-ce
que l’on va me respecter ? Est-ce que l’on va me suivre ? Est-ce que l’on va
m’apprécier ?…
Même les plus grands orateurs ressentent toujours une certaine pression avant de
s’adresser à un public. Même les enseignants les plus aguerris en classe peuvent
être déstabilisés dès lors qu’ils sont dans un contexte moins habituel comme
devoir faire une présentation publique ou animer une conférence. Et quel jeune
enseignant n’a-t-il pas ressenti de stress avant de prendre la parole devant sa
classe ? Seule l’habituation fait que cela devient familier. Et nous finissons parfois
même par oublier combien « s’exprimer » peut être anxiogène.
Prendre la parole n’est jamais serein ou anodin. Et la peur de mal dire, d’être
incompris ou rejeté, est une crainte répandue et légitime. De plus, la plu-
part des messages reçus dans l’enfance contribuent à limiter et à amoindrir
notre envie de dire. Qui n’a pas entendu enfant  : « tais-toi », « parle moins
fort », « reste à ta place », « arrête-toi »… ? Certaines de nos inhibitions sont
ainsi transmises par notre éducation. Et notre parole est sans cesse stimulée
par notre désir d’intégration d’une part, et elle est parasitée, de l’autre, par
notre peur du rejet.

— 48 —
Oser être soi et s’exprimer

Je sais que le trac lié à la prise de parole


est légitime. Chacun ressent du stress à l’idée
de « mal dire » ou d’être jugé.
Nombreux sont les étudiants ou les élèves à ressentir un stress considérable à
prendre la parole. Et comment oser s’exprimer lorsque notre cœur s’emballe,
que notre tête s’agite et que notre souffle se coupe ? Comment garder ses idées
claires quand son corps tout entier vacille ou se fige ? Comment faire entendre
sa voix, quand celle-ci tremble, s’étouffe et que notre gorge se serre ? Comment
finalement gérer son stress et dépasser ces peurs et ces blocages physiques ?
Car il s’agit bien d’intervenir sur plusieurs niveaux : le niveau mental, le niveau
corporel et le niveau émotionnel.

Contrôler ses pensées


Sur le plan cérébral, nous sommes constamment envahis par un flot de pensées.
Et lorsque nous devons prendre la parole, ce flot mental peut devenir particuliè-
rement anxiogène. Et si j’oubliais ce que je dois dire ? Et si je n’étais pas intéres-
sant ? Et si je perdais mes moyens ? Et si j’avais l’air peu crédible ou ridicule ? Et
si je n’étais pas à la hauteur ?…
Nous alimentons ainsi nous-mêmes notre propre peur. Or plus on se focalise sur
elle, plus on lui donne de l’importance et plus on en fait une réalité, telle une
prophétie autoréalisatrice. Revivre la peur accentue ainsi l’échelle de la peur.
Et plus celle-ci vient alors limiter la parole.

En effet, en situation de stress, le cerveau passe en mode « protection » et


vient « débrancher » le néocortex, siège de la réflexion et du langage, au
profit du cerveau reptilien, siège des réflexes de survie. C’est ainsi que nous
perdons nos mots, le fil de notre propos, notre pensée logique et tout sens
de la répartie. Et ne vous est-il jamais arrivé, suite à un échange tendu, de
penser « Mince, j’aurais dû dire ça » ? Sauf qu’en situation de malaise, le
stress a complètement paralysé votre capacité à intellectualiser et à faire
preuve de créativité, comme vous pourriez le faire dans un contexte plus
serein. Face à la peur, certains se figent, d’autres s’agitent et cherchent à
s’en aller, d’autres encore deviennent particulièrement vindicatifs et sont en
réaction ; mais jamais la parole à ce moment n’est juste, claire et réceptive.
Car nos réflexes de survie ne sont pas programmés pour d’autres modes
que « faire le mort », « fuir » ou « attaquer ». Et conserver le contrôle de
sa parole, c’est conserver le pouvoir sur la peur. (Nous savons que notre
cerveau émotionnel ne fait pas la différence entre un danger vital réel
et une projection mentale.)

Il est donc important de renverser tout flot intérieur qui pourrait nous limiter
et de s’interdire tout sabotage. Mais encore faut-il en avoir conscience, avoir

— 49 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

conscience de notre mental en situation, conscience de nos sensations physiques


et physiologiques et conscience de nos émotions.
• Aussi que ressentez-vous lorsque vous devez vous exprimer ?
• Quelles sont vos sensations ? Quelles sont les pensées qui vous envahissent ?
• Quelles croyances viennent parasiter votre prise de parole ?
• Sont-elles limitantes ou au contraire aidantes ?
• Quels sentiments et quelle vision de vous-même viennent-elles alimenter ?
Nous devrions être bienveillants pour nous-mêmes en nous interdisant tout juge-
ment et critiques négatives qui peuvent parfois affluer lorsque nous sommes en
« situation relationnelle difficile ». Ce qui ne signifie pas nier la réalité et faire comme
si tout allait bien ; mais cela implique, au contraire, de nous focaliser sur ce qui nous
nourrit et ce qui nous renforce. Et sur ce plan, nous concentrer sur l’intérêt que
nous portons à notre sujet, à notre discipline ou nous recentrer sur notre corps et
nos sensations peut être une manière de renverser ce flot de pensées négatives.

Plus je me focalise sur ma peur, plus je l’alimente.


Plus je me concentre sur mon sujet ou ma respiration,
plus je m’apaise.
Contrôler sa respiration
De nombreuses spiritualités venues d’Orient sont basées sur la respiration pour
apaiser le mental. En effet, le complexe cœur-poumons fonctionne en interac-
tion via notre système nerveux. Ainsi, ralentir le rythme de notre respiration
permet aussi de ralentir nos battements cardiaques, ce qui a pour effet de nous
apaiser.

En pratique : Détente et Cohérence cardiaque


La cohérence cardiaque, issue des recherches en neuro-cardiologie,
consiste à adopter un rythme cardiaque harmonieux et régulier, afin
de générer un état de bien-être et de détente.
Elle correspond, en effet, à une variabilité cardiaque, présente naturel-
lement lors d’émotions positives, où l’activité des systèmes nerveux
sympathique et parasympathique se synchronise. Et en régulant sa
respiration sur un rythme précis (environ 5 secondes), il est ainsi possible
de créer artificiellement cet état de cohérence.
Pour cela, j’inspire sur 5  secondes puis j’expire sur 5  secondes
pendant 3  minutes. Il ne s’agit pas d’inspirer sur une seconde puis
d’attendre les quatre secondes restantes avant d’expirer mais de répartir
son flux d’air de façon uniforme et régulière sur toute la durée des cinq
secondes. (Une minute suffit pour ressentir des résultats.)

— 50 —
Oser être soi et s’exprimer

Cette pratique présente de nombreux bienfaits tels que le renforcement


du système immunitaire ou la diminution des risques cardiovasculaires…
(Et vous trouverez de nombreuses ressources pratiques et applications
en ligne pour vous entraîner.)

Par ailleurs notre manière de respirer a aussi son importance. Lorsque nous
sommes stressés, nous avons tendance à bloquer l’air dans le haut de nos pou-
mons, en parasitant toute une partie de notre mécanique respiratoire. Lorsque
nous remplissons au contraire nos poumons par la partie basse, nous aug-
mentons notre réserve d’air, activons notre système nerveux et détendons notre
diaphragme. On parle alors de respiration diaphragmatique.
• Alors, comment respirez-vous ?
• Votre ventre se creuse ou se gonfle à l’inspiration ?
Lorsque le ventre se creuse à l’inspiration, il s’agit d’une respiration haute, dite
thoracique. La respiration diaphragmatique, quant à elle, provoque un abaisse-
ment du diaphragme et un léger relâchement du ventre à l’inspiration.

En pratique : La Respiration diaphragmatique


Étape n° 1 : Je relâche les épaules et expulse totalement l’air de mes
poumons en creusant le ventre. Je reste ainsi quelques instants, jusqu’à
ce que le besoin d’air se fasse pressant.
Étape n° 2 : Je laisse l’air pénétrer à l’intérieur de mes poumons de façon
naturelle, en gardant les épaules basses. Je ne cherche pas à gonfler le
ventre, mais laisse le relâchement naturel du ventre se faire afin de créer
un appel d’air. C’est alors le bas de mon dos qui s’élargit ainsi que mes
côtes flottantes qui s’écartent et mon diaphragme qui redescend.
Étape n° 3 : Je fais ainsi quelques respirations en me concentrant sur
ma nuque à l’inspiration et l’élargissement du bas de mon
dos, ainsi que la sensation d’ouverture sur les côtés. (Je
veille à décoller les coudes.)
Remarque : La position allongée facilite cette respiration,
tout comme la visualisation d’un ballon qui se gonfle au
https://lienmini.fr/
creux de son abdomen pendant l’inspiration. lavedrinev2

C’est une respiration que nous avons normalement lorsque nous sommes
détendus, en dormant par exemple. Et non, il ne s’agit pas de respirer avec
le ventre comme on l’entend encore trop souvent. Si vous cherchez à gonfler
de manière volontaire votre ventre à l’inspiration, vous allez perdre toute sen-
sation naturelle propre à une respiration que vous maîtrisez déjà, de façon
instinctive.

— 51 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

La respiration diaphragmatique apporte une meilleure oxygénation des cel-


lules, une détente musculaire plus importante et un sentiment de calme inté-
rieur. Se concentrer sur son corps, ses sensations et son souffle permet ainsi
de calmer son stress. Tout comme le fait de visualiser une situation positive et
agréable va stimuler la sécrétion d’endorphines et générer un état de bien-être.

Expérimenter la pleine conscience


Enfin, remplacer ses pensées toxiques par une vision bienveillante et sereine
réclame une attention à ce qui se passe en soi à chaque instant, attention qua-
lifiée de pleine conscience. Et il peut s’agir, dans certains cas, d’un véritable
travail de reprogrammation mentale et émotionnelle.

UN EXEMPLE
Lors de ses premières années en tant que professeur à l’université, Charles
était extrêmement anxieux avant d’entrer dans l’amphithéâtre. Pour évacuer
son anxiété, il avait l’habitude de se focaliser uniquement sur ses contenus,
coupé de ses sensations et sans mesurer réellement toute la portée de sa
communication. Il parvenait ainsi à faire cours, mais sans réel plaisir.
Et puis, il a choisi de reprogrammer positivement son cerveau, non
pas en niant son état, mais en l’observant et en se préparant. Avant ses
cours, il se concentrait sur son corps, ses sensations et sa respiration et se
visualisait à l’aise, heureux et serein face aux élèves. Au fur et à mesure,
cela a métamorphosé non seulement ses ressentis mais aussi sa manière
de faire cours.

EXERCICE N° 1 : LE PETIT BOUDDHA


Pour cette méditation dite de pleine conscience, je m’installe confortablement et
je ferme les yeux.
Étape 1 : Sur une respiration diaphragma-
tique lente (5 secondes), je me concentre
sur mon corps et mes sensations. Si des
pensées me viennent à l’esprit, je les laisse
passer sans m’y attarder et me concentre à
nouveau sur mon corps : ma respiration, mes
pieds, mes jambes, mon bassin, mon ventre,
mes mains, mes bras, mon buste tout entier,
ma gorge, ma tête… Puis je sens ce qui est
autour de moi : la douceur de l’air sur ma
peau, les odeurs, les bruits environnants…
Étape 2 : Je visualise un lieu agréable, et je me sens serein. Sur chaque expiration,
je produis le son O ou Om (toujours sur 5 sec.). Je sens la vibration de ma voix dans

— 52 —
Oser être soi et s’exprimer

mon corps et au-delà de moi. Et, dans ce lieu apaisant, je répète


mentalement des pensées positives  : je suis en paix, je sens la
vie en moi, je me libère des tensions, je m’exprime, ma parole a
de la valeur… (les pensées seront adaptées selon le stress vécu).
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lavedrinev3

Ma parole est légitime, j’ai des choses à dire.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment accompagner et prendre en compte les blocages de nos élèves
ou de nos stagiaires à prendre la parole ? Valoriser notre propre expérience
à vivre et à gérer le stress nous permet de comprendre et de guider la leur.
Il est intéressant de sortir de la relation hiérarchique professeur-élève afin de
décharger les tensions et limites induites par notre position d’évaluateur. Et
apparaître davantage comme un soutien et comme un guide est une piste
à expérimenter lorsque l’on forme à la prise de parole en public.

1.2 Vaincre la peur

Pour surmonter la peur de s’exprimer à l’oral, il existe ainsi diverses techniques


basées principalement sur deux grands axes.
Le premier consiste à augmenter la sensation de sécurité et d’assurance,
ainsi que nous l’avons vu, avec des techniques de respiration, de pensée positive
et de visualisation.
Le second axe consiste non plus à agir sur le renforcement de la confiance mais
sur la diminution de la peur. Et sur ce plan, le domaine des sciences cognitives
nous apporte de nombreuses pistes.

Augmenter son sentiment de contrôle


Tout d’abord, toutes les expériences démontrent que plus il y a d’autonomie,
moins il y a de stress. Plus on a la possibilité de maîtriser les différents para-
mètres qui interviennent dans sa prise de parole, plus on se sent en confiance.
La préparation de son intervention est donc capitale afin de renforcer ce senti-
ment de contrôle. Il s’agit évidemment de maîtriser non seulement son sujet,
en confrontant ses choix et sa position en amont, mais il s’agit aussi d’être à
l’aise avec ses propres compétences d’orateur. Et cela se travaille.

— 53 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

En s’entraînant régulièrement, on acquiert une meilleure gestion corporelle


et vocale, on élargit son « vocabulaire relationnel » et son aisance verbale. En
prenant l’habitude d’échanger sur son sujet, on affine sa parole et on déve-
loppe ses exemples ou ses arguments, afin d’améliorer l’impact de son discours.
(Aujourd’hui, la parole de l’enseignant n’est d’ailleurs plus légitime de fait
pour certains et elle doit se justifier et démontrer son intérêt.)

Plus je maîtrise mon contenu


et développe mes compétences d’orateur,
et plus je me sens à l’aise à l’oral.
Enfin, en visualisant le contexte et le lieu de l’intervention, les éventuels inter-
locuteurs ou les divers participants, on se familiarise avec une prise de parole qui
peut parfois être angoissante. Car on ne combat pas son stress en refoulant sa
peur, en l’ignorant ou en la minimisant, mais en lui faisant face. On combat la
peur par l’habituation.

Mettre en place des stratégies d’habituation


Les thérapies comportementales, traitant efficacement les phobies, vont
ainsi confronter le patient de manière régulière et progressive à l’objet de sa
peur. Et de la même manière, nous pouvons nous habituer progressivement à
l’idée de prendre la parole en public.

UN EXEMPLE
Lorsque je dois animer une conférence, j’imagine mon intervention en
essayant de vivre la situation en pensée. Je visualise le lieu, l’environnement
sonore et visuel, le léger brouhaha dans la salle, les regards posés sur moi,
j’observe ma posture et mes sensations… Puis je mesure mon niveau de
stress sur une échelle de 1 à 10. Si je renouvelle plusieurs fois l’exercice,
ce niveau diminue. Je continue donc jusqu’à ce que le niveau de stress
descende jusqu’à 5.

Plus nous nous projetons dans une scène anxiogène, plus nous nous habi-
tuons à la situation et plus notre stress va diminuer. Cependant, il est
important de  ne pas se laisser aller à imaginer les pires scénarios. Il s’agit
uniquement de se connecter sensoriellement et émotionnellement à la scène
angoissante et de constater que tout va bien, que nous sommes toujours là,
vivants. On s’habitue ainsi au contexte, aux images, aux sensations, à sa
parole… On s’habitue ainsi à sa peur. Il peut être nécessaire de reproduire
l’expérience plusieurs fois pour qu’elle soit pleinement efficace (même si ce
n’est pas toujours très agréable).

— 54 —
Oser être soi et s’exprimer

Plus je me confronte à ma peur, plus je


m’habitue à elle et moins elle a d’impact sur moi.
L’être humain est avant tout effrayé par ce qui est nouveau. Or la peur de ce qui
nous échappe, de ce que nous ne maîtrisons pas et de ce qui nous est inconnu
est facilement renversable par l’entraînement et l’habituation. Un jeune ensei-
gnant peut être facilement impressionné le jour de la rentrée, lorsqu’il prend la
parole face aux élèves. Puis, au fur et à mesure des classes rencontrées et des
jours qui défilent, l’exercice devient plus naturel. Il en est de même pour nos
élèves, qui n’ont souvent que trop peu l’occasion de s’exprimer. Plus la pratique
est fréquente, moins elle est anxiogène.

EXERCICE N° 2 : MA THÉRAPIE COMPORTEMENTALE


Mon objectif : me confronter régulièrement à
une prise de parole affirmée.
Je m’entraîne à être à l’aise à l’oral sur un sujet
choisi dès que j’en ai l’occasion. D’abord en
pensée, en visualisant la scène, puis seul, en
m’exprimant face à une webcam par exemple
ou face à des amis, des collègues, puis face
à un groupe difficile…
J’augmente progressivement le niveau de
contraintes du contexte. Je dépasse ainsi pro-
gressivement mes limites et je me familiarise
chaque jour à une prise de parole efficace.
Un jeune enseignant pourrait par exemple s’imaginer faire son cours, puis s’entraîner
seul à le donner devant une classe imaginaire. Il pourrait ensuite expliciter ce cours à
des collègues de sa discipline, pour enfin le présenter face aux élèves.

La problématique de l’enseignant-formateur
Quelles stratégies d’habituation puis-je mettre en place dans mon accom-
pagnement des élèves ? Certaines pistes sont à explorer, telles qu’engager
la répétition en multipliant les occasions de prise de parole à l’oral, ou
mettre en place un contexte qui sera anxiogène de façon graduée et
progressive (présenter seul à la maison, puis au sein de groupes isolés,
puis au sein de la classe, puis dans le cadre d’une évaluation…), etc.

— 55 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Construire la confiance en soi


La première étape vers une prise de parole affirmée et sereine en public consiste
ainsi à oser sortir progressivement de sa zone de confort en se lançant
des  défis. C’est ainsi que se construit la confiance en Soi. Certains attendent
d’avoir confiance en eux pour oser prendre la parole et c’est d’ailleurs le cas de
bon nombre d’élèves. Ils risquent malheureusement d’attendre longtemps car
la confiance vient avec la pratique. Plus l’on s’entraîne, plus on se confronte
à l’épreuve et plus on prend de l’assurance.

Plus je deviens compétent


et plus je prends confiance en moi.
Enfin, si la notion de progression est inhérente à tout apprentissage, l’idée que
sa prise de parole doit être améliorée, qu’elle n’est pas « ce qu’il faut » et doit se
construire et s’enrichir de techniques et d’outils spécifiques, peut être très limitante.
En effet, cette approche ne valorise pas notre compétence innée à prendre la
parole, à nous exprimer et à enrichir de manière naturelle notre grammaire rela-
tionnelle, expressive, verbale ou comportementale. Il s’agit là d’un cheminement
normal de socialisation. Et cette vision du « manque » peut nuire à notre estime
personnelle et à la véritable expression de soi, qui se manifeste par une parole
déliée et claire, portée par un objectif inspirant.

S’autoriser à être
Aussi, en priorité, il s’agira davantage d’éliminer tout ce qui viendrait parasiter
le langage, afin de trouver son essence et l’envie de s’exprimer, plutôt que de
tenter d’acquérir de nouvelles techniques et outils de communication.
L’objectif n’est pas d’apprendre à paraître mais bien de s’autoriser à être et
d’oser être présent, d’oser s’affirmer face à l’autre, ou devant un public qui en
contexte scolaire n’est pas forcément toujours « acquis » ou bienveillant. Ce que
certains qualifieraient d’autorité naturelle n’est qu’un sentiment fort de légiti-
mité et d’alignement entre ses convictions, ses actes, ses valeurs et sa parole.
Croire en ce que l’on fait, croire en ce que l’on dit : l’essence même du langage
et de la parole investie qui fait sens pour soi comme pour l’autre, font autorité.
Il ne s‘agit donc pas tant de jouer un rôle, telle une cuirasse qui viendrait proté-
ger notre intégrité, mais d’oser être soi face à autrui. Et c’est bien ce Soi qu’il
faut nourrir : nourrir sa confiance, nourrir sa présence et sa force, nourrir son
esprit, sa culture, sa pensée et sa réflexion… La question du contenu devient
alors capitale. Bon nombre de formations de prise de parole en public laissent
cet aspect-là de côté pour se concentrer essentiellement sur des techniques cor-
porelles, vocales ou verbales. Mais c’est bien la substance du propos lui-même
qui donne sens à la prise de parole. Avant même d’ouvrir la bouche se pose
la question de la légitimité de ce que l’on souhaite transmettre. Car comment
pourrait-on véritablement prendre la parole sur un sujet qui ne nous inspire rien ?

— 56 —
Oser être soi et s’exprimer

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment, à partir d’un programme scolaire établi, parvenir à nourrir
une parole authentique et investie chez les stagiaires ou les élèves ? Et
comment répondre à ce questionnement anxiogène présent chez bon
nombre d’entre eux : « Et si je n’avais rien d’intéressant à dire ?… » Le
développement de la culture, de la réflexion et de l’engagement personnel
à travers l’exploration particulière et individuelle d’un contenu doit être
initié (recherches personnelles, pistes de lectures et supports de cours,
réflexion collective…).

Et si ma parole tombait à plat…

2. NOURRIR SA PAROLE

2.1 Nourrir sa pensée et ce qu’il y a en soi

Pour prendre la parole, il faut être suffisamment habité et concerné par son
sujet. S’exprimer vient du latin ex-premere qui signifie « presser hors ». Comme
si une force intérieure poussait notre pensée et notre désir hors de nous, en
direction de l’autre.
Pour prendre la parole, il faut de l’énergie. Il faut avoir non seulement des choses
à dire, mais aussi la force et l’envie de les dire. Il faut vouloir transmettre un mes-
sage qui nous porte. Et nous sommes toujours plus performants à l’oral dès lors
que nous parlons d’un sujet qui nous intéresse.

Être porté par une cause


Jean Jacques Rousseau affirmait que « ce sont les grandes occasions qui font les
grands hommes ». Et nombre d’orateurs charismatiques le sont devenus car ils
défendaient une cause plus importante que leur propre personne.

QUELQUES EXEMPLES
Gandhi se qualifiait lui-même de « trop timide et trop sensible » pour
plaider en Inde à la suite de ses études d’avocat. Il est pourtant devenu
le grand Mahatma, chef charismatique dont la parole est encore portée
aujourd’hui. On se souvient aussi du discours fort et impactant de Martin

— 57 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Luther King « I have a dream »… Des hommes simples, qui n’avaient pas de
prédispositions à l’art oratoire, mais qui ont fait des discours inoubliables
parce que les circonstances les y ont poussés. Ils ne se posaient pas
la question de savoir s’ils étaient admirables ou ce que l’on pouvait bien
penser d’eux. Ils cherchaient juste à transmettre et à défendre une cause
qui les animait profondément.

L’orateur porte le message, mais c’est bien le message lui-même qui peut trans-
cender l’orateur. Alors qu’avons-nous à transmettre ? Car si pour prendre la
parole il faut être passionné, sachez que cette passion se cultive.
Certaines personnes n’osent pas s’exprimer ou sont peu charismatiques car elles
n’ont tout simplement pas plus que cela à dire. D’autres, à force de répéter tou-
jours les mêmes choses en contexte professionnel, finissent par s’user et ne plus
incarner vraiment leur prise de parole.
Or il ne tient qu’à nous de cultiver notre énergie et d’entretenir notre curio-
sité. C’est nous-mêmes qui alimentons notre passion et enrichissons nos réfé-
rences. C’est nous encore qui construisons notre parole. Et nourrir et construire
sa parole, c’est être à même de donner du sens au sujet dont on parle. Et ce, bien
au-delà des références universitaires dont nous avons été nourris, mais en lien
avec nos valeurs, notre environnement quotidien et l’actualité.
• Alors, dans quelle mesure vos contenus se renouvellent-ils ?
• Dans quelle mesure sont-ils en lien avec ce qui vous anime ?

Enrichir ses références et nourrir son contenu


Nourrir une parole présente et affirmée implique d’élargir nos sources, d’enrichir
notre exposé tout au long de notre parcours et d’avoir des modèles inspirants
qui renforcent notre engagement.

UN EXEMPLE
Pierre, enseignant passionné, a toujours gardé en mémoire le modèle de
son instituteur qui lui a transmis sa passion pour l’histoire. Et le propre
même de l’enseignant ou du formateur est d’avoir matière à dire. Pourtant,
certains sont dans le trop-plein d’énumérations théoriques et de références
universitaires, déconnectés de toute vie et d’exaltation. (Sommes-nous
toujours passionnés nous-mêmes par chaque idée que nous transmettons ?)
Pour Sophie, professeur de musique, enrichir chaque année ses contenus
de nouvelles œuvres en lien avec l’actualité, le quotidien des élèves et ses
goûts personnels lui permet d’alimenter son engouement.

— 58 —
Oser être soi et s’exprimer

En pratique : La liste de ce qui m’inspire


Sur un carnet que je conserve précieusement, je note les sujets qui
m’intéressent avec les connaissances qui y sont associées. J’enrichis
mon carnet de références, de citations, d’événements marquants et
de valeurs qui me tiennent à cœur. Je reste ouvert à mon environnement
et à l’actualité. Je peux même noter certaines phrases inspirantes que
je pourrais réintroduire dans mes propos.
Par exemple, Françoise, qui est végétarienne, pourrait dire à qui veut
l’entendre : « Je suis comme Simone de Beauvoir, je ne digère pas l’ago-
nie », en référence à sa célèbre citation.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment cultiver le goût du savoir ? Sachant que ce savoir ne peut alors
être qu’individualisé car il répond aux besoins et aspirations de chacun, il
est intéressant de s’interroger sur la manière dont on peut fournir un cadre
ouvert aux contenus et par conséquent à la parole. Poser des questions
ouvertes, proposer plusieurs sujets, engager la recherche personnelle à
travers les outils numériques et se laisser la possibilité d’être surpris…

Pour oser s’exprimer, il faut donc être animé par un sujet qui nous inspire. Sans
engagement, il sera difficile de porter et de projeter sa parole. Or nous n’avons
pas toujours le choix du sujet. Cependant, nous pouvons choisir de nous y inté-
resser, d’enrichir et de cultiver une parole forte et investie, quel qu’en soit l’objet.
Et ce, en identifiant les valeurs qui nous touchent personnellement.

Relier son sujet aux valeurs qui nous animent


Tous les êtres humains sont portés par des valeurs communes  : le besoin
de justice, le besoin d’équité, le besoin de partage, le besoin de solidarité et de
loyauté, le besoin de liberté et d’autonomie, le besoin de protéger et de prendre
soin… À travers toutes les réalisations ou actions humaines transparaissent
certaines de ces valeurs. Axez votre discours sur celles qui vous tiennent le plus à
cœur et qui ont un sens pour vous.
La question n’est pas « Est-ce que ce sujet m’intéresse ou non ? » mais « Comment
puis-je faire pour rendre ce sujet véritablement intéressant pour moi ? ». (Et par
extension « Comment puis-je faire pour rendre ce sujet véritablement intéres-
sant pour l’autre ? ») Plus j’élargis mon champ de recherche et de connaissances
et plus je trouve de réponses à ces questions.

— 59 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Plus j’élargis mes références et plus je nourris ma pensée,


et plus alors je trouve de sens à prendre la parole
et à m’engager.

EXERCICE N° 3 : LE CŒUR EXALTÉ


Après avoir enrichi mes références et mon
opinion sur un sujet qui m’anime, je prends
la parole avec passion. J’exprime les valeurs
qui me sont chères avec enthousiasme et
investissement. Je me laisse porter par
mes convictions. Je suis émotionnellement
engagé et je libère ma voix et ma gestuelle.
Mon corps tout entier s’exprime. Je me laisse
porter par mon sujet.
Je confronte ma parole à l’autre en multipliant
les occasions de présenter ma position et ma
vision du sujet.

Nous prenons souvent la parole, mais à quel moment nous exprimons-nous vrai-
ment ? Nous expliquons, transmettons des informations et remplissons l’espace
sonore, mais à quels moments sommes-nous engagés, transportés et authen-
tiques ? À quel moment transmettons-nous une vision ? À quel moment sommes-
nous inspirés et inspirons-nous en retour ?

2.2 Nourrir son énergie et sa force intérieure

Nous savons que les émotions positives telles que l’insouciance, la joie ou la passion
nourrissent notre énergie. Et si le mental prend une large part dans la construction
de notre force intérieure, le corps n’en est pas moins un puissant déterminant.

Soigner son hygiène de vie et son alimentation


Et sur ce plan, cela tombe sous le sens, mais rappelons que le fait de bien
dormir et de favoriser une alimentation saine sont la base de notre force vitale.
Certains aliments sont même de véritables anti-stress. C’est le cas du magné-
sium qui « calme » le système nerveux. Nous en trouvons dans les légumes secs,
les céréales complètes, les fruits secs, le chocolat, les fruits de mer…
De la même manière, les aliments contenant de la vitamine B6 favorisent la
bonne humeur en permettant la synthèse de dopamine (hormone du bonheur).
C’est le cas des lentilles, du chou, du saumon, des noix, du germe de blé, de la
levure alimentaire…

— 60 —
Oser être soi et s’exprimer

À l’inverse, l’excès de sucre blanc contribue à créer un véritable stress alimen-


taire en favorisant la présence d’adrénaline (hormone du stress) dans le sang. Et
dans les cas les plus atteints, cela génère de l’angoisse, un manque d’attention, de
la fatigue et des insomnies, voire même de la dépression. Notre alimentation n’agit
donc pas seulement sur notre niveau de vitalité mais aussi sur nos états internes.

Se détendre et dénouer son corps


Parallèlement, nous dépensons beaucoup d’énergie à entretenir nos nœuds cor-
porels et nos tensions. Nous adoptons parfois des positions totalement incon-
fortables, sans même y prêter attention, et maltraitons notre corps. Certains
de nos muscles sont contractés en permanence et cela représente une fatigue
considérable pour notre organisme.
Si vous observez les animaux, vous constaterez qu’ils prennent le temps de s’éti-
rer à chaque changement de position. Quand nous, êtres humains, sommes trop
préoccupés par ce qui se passe dans notre tête pour accorder la moindre atten-
tion à notre corps. Aussi devrions-nous prendre le temps, plusieurs fois dans la
journée, de nous détendre, de dénouer nos tensions, de nous étirer et d’éliminer
nos blocages corporels.

En pratique : Éliminer les tensions corporelles


Je détends ma nuque en faisant de lentes et amples rotations de la
tête. Je colle ensuite mon oreille droite contre mon épaule (en baissant
la tête et non en remontant l’épaule) et je viens baisser l’épaule opposée
le plus bas possible. (Si cela tire, c’est parce que nous avons des contrac-
tures, et par conséquent bien besoin de faire ces exercices). Je refais la
même chose de l’autre côté.
Je projette ensuite mes bras le plus loin possible devant moi en étirant
mon dos, puis derrière moi en ouvrant ma cage thoracique. Enfin, je
masse les muscles que je sens tendus au niveau de mon cou, de ma
nuque, de mes épaules.
Pour aller plus loin : la routine EEMB
Une routine rapide en vidéo à réaliser avant une prise de
parole. Elle consiste à s’Échauffer, s’Étirer, se Masser et
Bâiller ! https://lienmini.fr/
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Bouger et soigner sa posture


Et enfin, n’oubliez pas de bouger. Le mouvement est une source d’énergie consi-
dérable pour le corps. De nombreuses disciplines, telles que le yoga ou le Qi
Gong, permettent même de développer sa force intérieure et son énergie en
réalisant certains mouvements et en adoptant certaines postures. Ces  pra-
tiques nous aident à gérer nos émotions et notre stress, à activer notre puissance

— 61 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

et notre vitalité, et à renforcer notre solidité intérieure et notre confiance. Ce


sont des outils indispensables à l’expression orale, en plus de participer au déve-
loppement de la dimension non verbale de la parole.

Je nourris mon énergie en bougeant, en m’étirant,


en respirant, en prenant soin de mon corps,
de mon sommeil et de mon alimentation.

En pratique : La posture de l’Arbre


– épaules basses, dos droit et tête suspendue
– légère bascule du bassin vers l’avant et genoux légère-
ment fléchis, pieds parallèles et espacés
– bras ouverts, coudes décollés et vers le bas, ouverture
des mains
Remarque : Je peux balancer légèrement le bassin avant
de me stabiliser.
Dans le Qi Gong, cette posture permet de se recentrer, de
s’apaiser, de nourrir son énergie vitale tout en favorisant
un renforcement musculaire profond.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment puis-je utiliser la suggestion et la visualisation au profit de
l’expression et de l’affirmation de soi pendant le travail corporel et vocal ?
Je cherche des visualisations et formulations constructives à même d’aider
l’élève à se dépasser et à s’affirmer selon les difficultés qu’il rencontre :
visualiser sa détente, visualiser sa confiance, visualiser sa force, visualiser
son énergie, visualiser sa passion, visualiser son charisme…

Activer son énergie et projeter sa voix


Dans la culture sino-japonaise, le Qi symbolise la vie, le flux circulant dans l’uni-
vers, reliant les êtres et les choses. C’est le souffle vital, que l’on qualifierait
d’énergie dans nos sociétés occidentales. Il provient d’une respiration basse (dite
respiration diaphragmatique comme nous l’avons vu) et fait le lien entre le corps
et la conscience.
Or le souffle est l’essence même du son. Il porte notre voix, notre intention,
notre pensée et notre parole vers l’autre. Il est le symbole même de la vibration
de notre être et de notre force intérieure. Il relie la parole au corps et symbolise
ainsi la matérialisation de l’idée dans la matière. Et nous verrons plus loin que

— 62 —
Oser être soi et s’exprimer

cette énergie est perçue de manière sensorielle et émotionnelle par notre inter-
locuteur. Il convient donc d’y prêter attention.

En prenant soin de mon état physique,


mental et émotionnel, je cultive l’estime
et la force nécessaire à l’expression de soi.

EXERCICE N° 4 PR : LE SOUFFLE SON


Cette pratique de PR travaille sur l’énergie et la force vitale
Phase 1 : Le Soi
Dans la posture de l’arbre, je sens ma
présence et je respire lentement et profon-
dément (respiration diaphragmatique sur
5 sec.) en répétant mentalement les phrases
suivantes :
• sur l’inspiration : je me déploie et je me
remplis d’énergie (sentir le déploiement
de sa cage thoracique)
• sur l’expiration : je me détends et je me
libère des tensions

Phase 2 : Le Hors Soi


Étape 1 : Du souffle au son : Ensuite, je
conserve cette même inspiration et sur l’expi-
ration je produis un S qui va progressivement
devenir sonore avec l’ajout d’un Z (SZZZZ)
que je tiens quelques instants. Avant d’arriver
à la limite de ma réserve d’air, je projette
avec énergie un HÉ sonore (en marquant
bien le H) comme si j’interpellais quelqu’un
à l’autre bout de la pièce (SZZ… HÉ !). Pour
cette étape, mes bras sont ouverts et mes
paumes dirigées vers le ciel.
Étape 2  : Enfin je me redresse et projette ma voix en répétant
plusieurs fois « Je me lève pour… » (des valeurs ou des causes qui
me sont chères). Par exemple : Je me lève pour la justice. Je me lève
pour l’égalité. Je me lève pour le droit pour tous à recevoir soins et
éducation. Je me lève pour le droit de chaque humain à être nourri
dans un monde qui produit tant et tant, je me lève pour affirmer ma https://lienmini.fr/
pensée haut et clair… lavedrinev5

— 63 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Cet exercice de psycorpophonie relationnelle permet de nourrir son énergie,


d’améliorer son placement vocal, de gérer son flux d’air, de renforcer sa posture
tout en stimulant la parole et l’improvisation (rien que ça). Ainsi, il permet de
faire le lien entre le corps, le souffle, la parole et l’intention. De plus, la rythmique
régulière induite par les suggestions mentales permet d’atteindre cet état de
cohérence cardiaque, dont nous avons parlé précédemment.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment prendre en compte les plus timides à travers les pratiques ?
La notion d’unité de groupe et de pratique collective, où l’individu ne
se démarque pas, est à explorer dans un premier temps. Il peut être
intéressant d’utiliser cet exercice de PR en ce sens : passer d’une pra-
tique collective, pour le début de l’exercice, à une pratique individuelle
seulement sur la dernière partie (Phase 2, étape 2 : « je me lève pour »,
chacun affirmant à tour de rôle la valeur qui lui est chère). Ce qui permet
une première phase de mise en confiance, où tous sont au même niveau.

3. ÊTRE SOI ET S’AFFIRMER

3.1 Présence et ancrage

Ainsi, par des étirements et des exercices de respiration adaptés, nous nous
apaisons et prenons place en nous-mêmes. En décuplant notre énergie, en nour-
rissant notre pensée et en projetant notre voix, nous libérons progressivement
notre parole. Car pour oser s’affirmer face à l’autre, il faut être présent à soi-
même, en soi-même. Et notre posture est sur ce plan capitale.

En pratique : Le chêne et le roseau


Tout d’abord pour prendre place en soi et être présent face à l’autre, il
faut un bon enracinement.
Pour cela : mon dos doit être bien droit, mon bassin opère une très légère
bascule vers l’avant (pour éviter d’être trop cambré), ma tête est comme
suspendue par un fil relié par le haut arrière du crâne, mon menton non
relevé mais parallèle au sol, la nuque détendue, les épaules sont basses
et mes bras, détendus le long du corps, mon buste est ouvert et large,
mes pieds sont très légèrement espacés, à plat et le poids de mon corps
est réparti de façon équilibrée sur chaque jambe.

— 64 —
Oser être soi et s’exprimer

Ensuite, dans cette position, je fais de légers cercles, souples et lents


autour de mon centre de gravité, tel le roseau qui ondule et qui plie
sous l’effet du vent, mais ne rompt pas. Je diminue progressivement
l’amplitude des cercles jusqu’à trouver ce point d’équilibre où je me
sens totalement stable, immobile. Je visualise l’énergie qui remonte du
sol à travers la plante de mes pieds jusqu’à mon bassin, ma poitrine, puis
ma tête. Je suis présent, souple et solide. Voilà mon ancrage.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment mesurer et contrôler l’impact de la posture de nos élèves ou
de nos stagiaires sur leur physiologie ? C’est-à-dire non seulement dans
la projection de leur parole, mais aussi dans le cadre de leurs ressentis
internes, en corrélation avec ce sentiment d’assurance propice à toute
expression orale. Apprendre à regarder, à analyser et à accompagner le
« corps » dans les pratiques est essentiel. (Des grilles d’observations sont
fournies en ce sens au dernier chapitre.)

Travailler son ancrage


Car notre manière de nous tenir donne non seulement une image de nous, mais
elle influe sur nos perceptions internes. Avez-vous déjà pu expérimenter com-
ment la manière de nous tenir, ou même de nous habiller, peut influer sur notre
confiance ? Et certains enseignants ne sont pas présents physiquement, ils ont
par conséquent du mal à s’affirmer verbalement.

Les travaux de la psychologue sociale Amy Cuddy révèlent que les postures
corporelles que nous prenons modifient la chimie de notre sang. Ainsi,
adopter une position d’ouverture et de puissance (comme tendre les bras,
bomber le torse et étendre ses jambes) pendant deux minutes, permettrait
de diminuer son taux de cortisol (hormone du stress) et d’augmenter son
taux de testostérone (hormone de virilité et de puissance). Tandis qu’une
posture de fermeture et de protection (corps recroquevillé, tête baissée, bras
croisés…) produirait l’effet inverse.

Si ces travaux ont pu être controversés, ils révèlent néanmoins la place de notre
posture dans nos ressentis intérieurs. Et de nombreuses expériences révèlent à
quel point le fait de nous tenir droit, bien ancré dans le sol, souple et ouvert,
permet non seulement de nous sentir présents et plus à l’aise, mais aussi de
manifester une plus grande assurance.
Ceux qui pratiquent le yoga, le Qi Gong ou n’importe quel art martial ont un res-
senti assez précis de ce qu’est cet ancrage. Pour ma part, j’aime particulièrement

— 65 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

le terme d’enracinement car il véhicule l’idée d’être relié à la terre, d’être là,
solide et affirmé.

Je prends place en moi et autour de moi.


Construire son ancrage ne consiste pas seulement à se connecter à son corps,
à sentir ses appuis dans le sol ou à se tenir droit en relâchant les épaules juste
avant une prise de parole. Mais c’est un état général que l’on cultive tout au long
de la journée, une présence à soi-même constante. Et notre posture n’est donc
pas qu’une simple position dans l’espace, mais une véritable posture mentale,
un état d’esprit, une conscience de ce qui se passe en soi et une volonté d’être là.
Notre être se manifeste complètement dans chacun de nos mouvements, dans la
moindre pensée, le moindre souffle ou la plus petite émotion. Voilà ce qu’est la
posture. Et relâcher régulièrement les tensions mentales, physiques ou émotion-
nelles réclame une attention de chaque instant.

Éliminer ses blocages corporels et vocaux


Parfois la parole est bloquée, car le corps l’est aussi. La plupart des blocages
vocaux viennent ainsi du fait que l’on utilise une « mécanique corporelle » à la
place d’une autre. Lorsque la posture est fermée, comprimée, il est très difficile
de solliciter correctement son diaphragme pour projeter sa voix. Et lorsque la
mâchoire est serrée, comment utiliser sa cavité buccale pour amplifier le son
et lui donner rondeur et force ? Nous n’avons alors pas d’autre possibilité que
de tenter d’avancer le menton ou la tête, de forcer sur nos cordes vocales et de
finir par nous épuiser à essayer d’affirmer et de déployer une parole étouffée
et contrainte.
(Si la question de la physiologie vocale vous intéresse, vous en trouverez une
exploration plus approfondie dans mon livre précédent : Assumer son auto-
rité et motiver sa classe, De Boeck Supérieur.)
• Mais comment être présent sans se laisser déstabiliser par l’échange ?
• Comment oser être soi et s’affirmer véritablement ?
• Comment se sentir solide face à l’autre ?
C’est bien la posture, postulat indispensable d’une mécanique vocale saine et
« percutante », facteur d’un état interne spécifique, qu’il convient donc de cultiver.
Par ailleurs le passage à la verticalité a constitué une étape fondamentale du
développement humain. Se tenir debout a participé à l’élaboration de notre intel-
ligence et de notre rapport au monde, libérant les mains, le geste, et permettant
une communication gestuelle plus fine et la réalisation de tâches inconcevables
auparavant. Un quart du cortex moteur gère ainsi les muscles de la main
et il y a un lien très fort entre notre alignement corporel, notre conscience et
notre communication. Travailler sur son ancrage, son enracinement, c’est donc
se reconnecter à soi, à sa parole, à sa présence et à son intention. Et cela
implique une préparation en amont stimulant toutes les dimensions de notre

— 66 —
Oser être soi et s’exprimer

être, c’est-à-dire à travers des pratiques globales, seul moyen d’éliminer ses
différents niveaux de blocages dans le but de s’exprimer avec force.

Soigner sa présence et la force de sa parole

EXERCICE N° 5 PR : LE HAKA DE LA VOIX


Le Haka est une danse chantée Maori qui
symbolise la force des peuples et leur iden-
tité. C’est dans cet esprit que se pratique
cet exercice de PR.
Phase 1 : Le Soi
Pour commencer, je m’étire dans la posi-
tion du vainqueur : les bras en l’air, ouverts
et tendus, les poings serrés, les pieds
ancrés dans le sol. Je ressens cet état d’as-
surance et de force. Puis, dans la posture
de l’archet, en position de fente, les doigts
repliés comme des griffes, je tends un arc
imaginaire. Au moment de bander l’arc, je
projette un « PFVVVV » sonore. J’avance
en alternant le mouvement à droite puis à
gauche, le bras projeté parallèle au genou
plié, le souffle fort, la voix affirmée et le
regard conquérant.
Ce mouvement apporte vigueur et force.
Phase 2 : Le Hors Soi
Étape 1 : Ancré au sol, en frappant tour à tour mon biceps gauche de ma main
droite et inversement, je projette ma voix avec énergie en imaginant repousser un
mur avec mon souffle sur : 1-HA, 2-HÉ, 3-HO, 4-HÉ.
Étape 2 : J’avance lentement dans la posture de l’arbre, en direction d’un interlo-
cuteur imaginaire, et je frappe vigoureusement mes cuisses en projetant ma voix
avec énergie et de plus en plus fort :
Devant : ma voix Ò, Dedans : ma foi Ò, Devant : ma force Ò,
Dedans : Faire – Dire – Pouvoir
(J’accentue les syllabes soulignées.)
Sur les derniers mots : Power – Power – Punch, je projette les poings
face à moi, tel un boxeur, souple et puissant. https://lienmini.fr/
lavedrinev6

Parvenir à réaliser cette pratique réclame une certaine capacité à oser « sortir de
soi » et à se débarrasser de ses inhibitions. En plus de nourrir votre force inté-
rieure, cet exercice va donc renforcer votre aptitude à vous affirmer et à projeter
votre voix et votre intention.

— 67 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment prendre en compte et dépasser les inhibitions de chacun ?
Oser se projeter en groupe, mettre en scène son corps, sa voix, son
intériorité réclame une certaine désinhibition qui ne peut s’acquérir que par
« habituation » à une pratique régulière et par l’augmentation progressive
du degré d’inhibition.

3.2 Argumentation et capacité à porter son opinion

Ainsi, toute prise de parole se prépare. Non pas seulement en s’entraînant


devant son miroir et en usant de techniques diverses pour gérer son stress, son
corps, sa voix, sa gestuelle, ou en enrichissant son vocabulaire et ses effets de
style… Mais en nourrissant l’envie de dire et la qualité de sa parole. Ainsi que
nous l’avons vu, il s’agit de développer une curiosité et une vision large, honnête
et inspirée autour de notre thème afin d’être à même de le porter, d’être trans-
cendé par un message plus grand que soi.
Lorsque l’objet de notre prise de parole devient plus important que le sujet que
nous sommes, on ne se préoccupe plus alors de l’image que l’on renvoie. On ne
se préoccupe plus du fait d’être apprécié ou non, d’être légitime ou performant,
mais l’on est davantage concerné par ce que l’on souhaite transmettre. Comme
dit précédemment, la confiance en soi vient avec l’oubli de soi, lorsque le mes-
sage devient plus important que le messager.

Oser la contestation et l’affirmation de soi


Certains hommes sont prêts à mourir pour leurs idées. Ils sont habités par une
passion et un engagement profond. Pour d’autres, la parole est avant tout fonc-
tionnelle. Et leur prise de parole est rarement animée. Or s’affirmer, c’est se
confronter à autrui, c’est confronter ses idées et son savoir. C’est s’engager
sur un sujet et être à même d’argumenter et de répondre aux objections.
S’affirmer, c’est oser la contestation.
Et n’est-il pas naturel de vouloir questionner et remettre en question le savoir ?
N’est-il pas sain que la parole enseignante elle-même soit remise en cause ? On
ne peut désirer le développement de l’esprit critique chez les jeunes, les inciter
à un regard distancié et leur demander par ailleurs d’accepter ce qu’on leur pro-
pose sans remise en question aucune. Comprendre le monde et prendre position
implique nécessairement une pensée réflexive et sceptique, voire contestataire.
Cette démarche nous invite à nous remettre en question, à sortir du subjectif.
Et soumettre sa parole à l’autre, c’est aussi la parfaire en termes de justesse, de
vérité, d’intérêt et d’éthique.

— 68 —
Oser être soi et s’exprimer

Ainsi, on ne peut s’affirmer si l’on n’est pas investi, sûr de soi et de ce que l’on
transmet. Porter un avis solide implique de construire un avis solide. Car
l’on s’affirme par le langage et la force des idées.
• Alors, comment construire cette parole impeccable et assurée ?
• Et comment présenter ses idées avec force et détermination ?

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment puis-je permettre à l’élève d’acquérir la capacité de juger par
lui-même tout en l’incitant à participer activement à l’amélioration des
enjeux de notre société ? Organiser des débats, porter un projet au sein
de l’établissement et montrer que la parole est une force et qu’elle contri-
bue à construire notre place dans le monde est une façon de redonner
du sens à une approche argumentative. C’est là le principe même de
toute démocratie.

Savoir argumenter
L’art de penser et de parler passe par notre capacité à argumenter, à expliciter
et à justifier notre avis ou notre position de façon rationnelle et morale. Il faut
être en mesure de prouver le bien-fondé de nos propos, non seulement vis-à-vis
de l’autre, mais avant tout pour nous-mêmes, par pure conscience morale. Car
s’exprimer, c’est porter des valeurs qui nous sont chères. C’est confronter sa
pensée et son expérience. Et c’est assumer sa responsabilité pour prendre place
dans la société. (Cela se manifeste de façon encore plus intense et significative
lorsque l’on a des ambitions éducatives.) S’exprimer relève d’une véritable pos-
ture citoyenne.
Ainsi, notre cursus éducatif français accorde une large part à l’argumentation
dans le cadre de la formation de la personne et du citoyen. Parmi les compé-
tences du socle commun, l’élève doit ainsi pouvoir « fonder et défendre ses juge-
ments en s’appuyant sur sa réflexion et sur sa maîtrise de l’argumentation », « il
apprend à justifier ses choix et à confronter ses propres jugements avec ceux des
autres ; il sait les remettre en cause après un débat argumenté »…

Sur ce plan, la rhétorique, qualifiée d’ars bene dicendi (art du bien parler) par
Quintilien, nous offre de nombreux outils. Apparu dès le Ve siècle av. J.-C.,
suite au soulèvement démocratique du peuple de Syracuse et aux nombreux
procès associés, cet art de débattre et de persuader s’est révélé comme un
outil politique majeur de la démocratie athénienne, où la parole du peuple
était constitutive de la vie de la cité. Ainsi, l’art rhétorique, dont Aristote
observait la complémentarité entre l’exposition des faits et la démonstration,
tire véritablement son essence de l’argumentation.

— 69 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

En pratique : Une argumentation réussie


Une parole sûre est une parole construite et argumentée. Aussi, pour
chaque idée ou thèse avancée, je me demande : Pourquoi ? Et quelles
sont les preuves de ce que j’avance ?
Mes arguments sont le résultat d’une explication logique et rationnelle
ou reposent sur des valeurs ou des postulats communément admis.
Ils peuvent ainsi s’accompagner d’exemples issus de l’expérience vécue
(la nôtre ou tirés de l’histoire, de la littérature…), de la parole d’experts
ou d’exemples scientifiques (statistiques, résultats d’études, données
chiffrées…). Et ils peuvent être illustrés par des anecdotes, des images
ou des comparaisons…
Être en mesure de justifier son propos, c’est donc pouvoir :
1. Démontrer les origines et les causes de ce que j’avance.
2. En décrire l’impact et les conséquences.
Les techniques d’argumentation et de rhétorique seront approfondies
tout au long de ce livre.

Savoir argumenter me permet de confronter


mon point de vue, de lui donner sens et de crédibiliser
ainsi ma position ou ma discipline.

EXERCICE N° 6 : L’AVOCAT
Je suis l’avocat d’une cause qui me tient à
cœur (à choisir et à préparer brièvement).
Face aux jurés, influencés et convaincus par
le point de vue de mes détracteurs, j’impro-
vise une plaidoirie :
– engagée : j’adhère aux valeurs qui
m’animent et que je défends (identifiées
dans la partie 2.1 « Nourrir sa pensée et ce
qu’il y a en soi »).
– affirmée : mon cœur, mon corps et ma voix
sont au service de mon message. Je me
tiens solide et ancré (parties 2.2 et 3.1).
– et argumentée : à l’aide de l’exercice pratique précédent, je mets en avant deux
arguments qui justifient les causes et les conséquences de ce que j’avance.
(J’expérimente une pratique argumentative qui sera approfondie dans les chapitres
suivants.) Entre 2 et 4 min

— 70 —
Oser être soi et s’exprimer

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment aborder la prise de parole improvisée ? On ne peut exprimer
que ce que l’on a en soi. La notion d’improvisation est toujours relative.
Car improviser, c’est « recombiner » à partir de ce que l’on possède déjà.
Permettre aux élèves de mesurer l’importance des connaissances per-
sonnelles et d’une réflexion solide en amont est une piste à explorer à
travers la mise en place de débats préparés et non préparés par exemple,
ou à travers l’analyse de débats politiques ou de joutes présentes sur les
réseaux sociaux, de leur pertinence et de leur impact.

Assumer l’éloquence
La question de l’outil rhétorique et de son utilisation soulève encore le débat
aujourd’hui quant à nos préoccupations éthiques. Il y aurait la « mauvaise rhéto-
rique », fallacieuse et manipulatoire, au service des politiques ou de la publicité, et
une rhétorique « acceptable », celle du cœur et de l’esprit, celle de la philosophie
au service d’un humanisme éclairé. Et la limite peut sembler ténue entre la vision
négative du beau parleur, dont la parole s’appuie sur la figure de style et le vraisem-
blable, et l’exigence dialectique platonicienne en quête du juste, du bien et du vrai.
Il y a ainsi dans l’inconscient collectif français une suspicion très forte liée à l’art
du discours. Et oser s’affirmer revient aussi à assumer l’éloquence, à assumer le
« bien parler » face aux représentations négatives fortement ancrées vis-à-vis
de l’art de « manier le langage ». Il faut pouvoir oser se mettre en avant et s’affir-
mer à l’oral sans craindre de paraître arrogant ou prétentieux. Il faut pouvoir
assumer de briller en public.

UN EXEMPLE
Sarah, une de mes stagiaires, me disait : « Chaque fois que je demande la
parole en assemblée et que les regards et l’attention se tournent vers moi,
je me sens mal à l’aise. Comme si je m’imposais aux autres et que j’avais un
culot énorme à me démarquer ainsi, considérant que mes opinions doivent
être entendues. Et plus mes arguments sont forts, plus j’ai peur que l’on me
trouve arrogante. »

Pour le sociologue Philippe Breton, savoir argumenter n’est pas un luxe,


mais une nécessité, car ne pas réussir à affirmer sa parole et ne pas savoir
convaincre est source d’inégalité et d’exclusion. Prendre sa place aujourd’hui
dans notre société implique donc d’être en mesure de faire entendre sa voix et
d’oser être soi.

— 71 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Or acquérir cette capacité à penser par soi-même, à vouloir contribuer et à


oser s’exprimer relève de l’expérience, de la pratique et de la confiance. Et
certains manquent de confiance parce qu’ils ne se sentent aucune légitimité à
dire, à être et à prendre place. (La confiance venant avec l’expérience, la boucle
semble sans fin.) Pourtant, il s’agit là du cheminement naturel de développement
propre à l’humanité. Par notre simple existence, nous sommes légitimes. Le fait
même de « prendre place » est légitime. Nous ne devrions pas avoir à construire
une quelconque légitimité pour nous sentir crédibles et oser nous exprimer. La
démarche citoyenne est légitime de fait, par simple condition humaine.
Quant à la posture de l’enseignant face à sa classe, elle relève elle, de plus, d’une
légitimité institutionnelle de par sa fonction d’état. C’est un sentiment que l’on
doit pouvoir cultiver en amont de toute prise de parole. Car comment asseoir sa
légitimité si l’on ne s’en sent pas investi soi-même ?

En conclusion : Vivre le stress positivement


Enfin, si l’engouement à porter sa parole relève de la capacité à se confronter à
l’autre, il est par conséquent générateur de stress. Mais ce stress peut aussi être
constructeur de notre propre progression. Lorsque nous ressentons l’angoisse
de ne pas être écoutés, respectés ou reconnus, nous devenons, sous l’effet de
l’adrénaline, beaucoup plus attentifs et réactifs aux petits signes de désintérêt,
de rejet ou de lassitude chez notre interlocuteur. Et nous y réagissons instinctive-
ment, viscéralement, en ajustant instantanément notre propos et notre manière
de dire afin de « survivre » en contexte social.
Ainsi, pour un enseignant, le signe d’ennui de sa classe est une opportunité ;
l’opportunité de remettre en question ses pratiques et sa communication,
l’opportunité de réagir, l’opportunité de générer force, énergie et concentra-
tion. Le stress n’est pas nécessairement limitant dans la prise de parole. Il peut
être un véritable moteur, à partir du moment où nous le plaçons au service de
la relation à l’autre.

— 72 —
Objectifs

MON COURS DE PRISE DE PAROLE N° 2


https://lienmini.fr/ (SEMAINE 2 À 3)
LAVEDRINE2

Problématique : Comment surmonter ses blocages et oser prendre la parole ?

OBJECTIFS

• J’apprends à surmonter mon stress et à gérer mes émotions.


• J’apprends à m’ancrer dans mon corps et à apaiser ma respiration.
• J’apprends à projeter ma voix et à m’affirmer.
• J’apprends à construire ma confiance en moi.
• J’apprends à développer mes références, mes arguments et ma réflexion afin
de nourrir ma parole.

Parcours et progression :
De la peur à l’envie
1. Identifier ses peurs et les obstacles à sa prise de parole
2. Nourrir sa pensée, sa parole, son énergie et l‘envie de s’exprimer
3. Dépasser ses blocages et s’affirmer

Outils

Exercice n° 1 : Le Petit Bouddha


En pratique : Cohérence cardiaque
En pratique : Respiration diaphragmatique
Exercice n° 2 : Ma thérapie comportementale
Exercice n° 3 : Le Cœur exalté
En pratique : La liste de ce qui m’inspire
Exercice n° 4 – PR : Le Souffle-Son
En pratique : Éliminer les tensions corporelles / La posture de l’Arbre
Exercice n° 5 – PR : Le Haka de la Voix
En pratique : Le chêne et le roseau
Exercice n° 6 : L’Avocat
En pratique : Une argumentation réussie

— 73 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

AUTO-ÉVALUATION ET FEED-BACK :
LE BILAN DE MES COMPÉTENCES

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Je sais identifier ce qui limite ma prise de parole.

Je sais calmer mon mental et gérer mes émotions


en situation critique.
M
E J’ai un état d’esprit fort, positif et je ne me critique
N pas intérieurement.
T
A Je me sens légitime.
L
J’ai envie de m’exprimer et je suis concerné
par mon sujet.

Je cultive ma curiosité.

Je peux nommer des événements inspirants,


des anecdotes intéressantes, des citations
et des arguments autour de mon sujet.
V
E À travers ma prise de parole, je porte des valeurs
R qui me sont chères (justice, liberté, égalité, solida-
B rité, entraide…).
A
L Régulièrement, j’enrichis mes références
et me questionne sur mon sujet.

Je peux argumenter autour de ma position.

Je sais calmer ma respiration en situation de stress.

C Je sais m’ancrer corporellement et me sentir fort


O et présent.
R
Chaque jour, je prends 3 minutes pour me tenir
P
droit, m’ancrer et me sentir présent pendant
O
une conversation.
R
E Je sais détendre mes tensions musculaires et faire
L preuve de souplesse corporelle et d’ouverture.

J’ai une respiration basse, diaphragmatique.

— 74 —
Auto-évaluation et Feed-back : Le bilan de mes compétences

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Je sais soutenir et projeter ma voix.
V Mon articulation est claire et distincte.
O
C Mon volume est affirmé et ne s’affaisse pas en fin
A de phrase.
L
Mon débit n’est ni trop rapide, ni trop lent
et je sais marquer des pauses.

Mon bilan / synthèse


Mes atouts :
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..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Mes axes d’amélioration :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Les exercices et pratiques à approfondir :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
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— 75 —
CHAPITRE

3
Mesurer la portée
de sa communication
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1. ÉVALUER SON LANGAGE VERBAL

1.1 La portée des mots

Chacun comprend selon son vécu, son histoire, sa personnalité et ses réfé-
rences propres. On entend souvent qu’entre ce que l’on souhaite dire, ce
que l’on croit dire, ce que l’on dit vraiment, ce que l’autre entend, ce qu’il
veut entendre et ce qu’il comprend, il existe de nombreuses occasions de ne
pas se comprendre. Et communiquer est une affaire complexe, tout d’abord
parce qu’il n’est pas toujours facile d’exprimer sa pensée de manière claire et
aussi parce que nous avons des difficultés à écouter, à vraiment écouter,
sans filtres.

Mesurer les filtres de la communication


Et ce, parce que le filtrage de l’information est un processus de fonctionnement
normal du cerveau humain. Ainsi, nous interprétons sans cesse en omettant
certains détails, en déformant les choses ou en généralisant afin d’éviter la
surcharge mentale. Par exemple, lorsque nous nous sommes brûlés une fois,
nous intégrons que tout ce qui ressemble de près ou de loin à une flamme brûle,
par principe d’économie. (Imaginez l’énergie dépensée par le cerveau s’il
devait tester toutes les hypothèses ou classer toutes les nuances ou les contextes
liés à la possibilité d’être brûlé.)
Penser en termes de « généralités », classer, interpréter ou ne se focaliser que
sur une partie de la réalité (celle qui nous intéresse) rend l’apprentissage moins
coûteux en énergie. Le cerveau humain est ainsi fait qu’il va au plus efficient.
Et ce, même si cela peut nous jouer quelquefois des tours lors de nos échanges.

UN EXEMPLE
Pour Mathias, professeur de mathématiques, les élèves sont inattentifs et
oublient toujours leur matériel. Un jour, exaspéré, il prend le carnet d’un
élève et inscrit : « Adam fait ses calculs sans sa calculatrice. »
La mère de l’enfant se dit alors qu’elle devrait faire tester son fils, car
aujourd’hui presque tous les enfants sont surdoués. Fière, elle s’empresse
de répondre : « Je vous remercie. Je vais le féliciter. »

Ainsi, on ne mesure pas toujours l’impact du langage que nous utilisons ou la


portée de nos mots. D’où l’importance de clarifier son discours d’une part et
d’en vérifier, de l’autre, la portée et la bonne compréhension auprès de notre
auditoire.

— 78 —
Mesurer la portée de sa communication

Clarifier son discours


À l’oral, les phrases à rallonges, avec multitudes de subordonnées, perturbent
la compréhension logique. Des phrases courtes et illustrées par des exemples
concrets et pratiques seront davantage compréhensibles. Car la syntaxe a un
impact fort sur la dimension intellectuelle de notre langage.

En pratique : La règle des 3 C et la Reformulation


Une règle à respecter pour être mieux compris ? La règle des 3 C  :
Concret, Court, Compréhensible par tous. C’est-à-dire un propos à
la fois spécifique et formulé de façon directe et claire. Un sujet, un verbe,
un complément et des mots simples permettent de rendre la parole la
plus accessible à tous.
Par exemple : « Mais s’il est parfois malaisé d’oublier ce qui est dit, combien
plus difficile est d’oublier ce qu’on espérait voir dit, et qui reste à jamais non
dit » devient « On peut regretter d’avoir dit ce que l’on pensait à un ami. Mais
on regrette davantage de ne pas lui avoir dit ce qui nous tenait à cœur. »
(La réécriture et l’adaptation de ce livre à destination des élèves « L’oral ?
J’excelle ! », De Boeck Supérieur, est une parfaite illustration de cet
exercice.)
La reformulation permet aussi de s’assurer d’une bonne compréhension
pour tous en répétant son propos de façon différente, par l’utilisation de
synonymes ou de descriptions. Par exemple  : « ce doit être concret »
devient « ce doit être spécifique », puis « illustré avec des exemples pra-
tiques », ou « en lien avec une situation précise »…

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment sensibiliser nos élèves à prendre en compte les représentations
multiples du réel propres à chacun ? Permettre un entraînement régulier,
sans dénigrer les expressions maladroites ou les termes erronés, favoriser
l’écoute mutuelle et le développement d’un vocabulaire riche et varié, instal-
ler des exercices de reformulation ou retranscrire à tour de rôle le discours
d’un camarade ou d’un orateur quelconque, avec son propre langage,
permettent à chacun de confronter sa vision et d’enrichir ses outils verbaux.

Mesurer la portée intellectuelle de la parole


De plus, en suscitant le retour de notre interlocuteur, nous pouvons mesurer l’intel-
ligibilité du message que nous transmettons. Et dans la mesure où nous extrapolons
et interprétons constamment, nous devrions nous aussi lui soumettre notre propre
interprétation et compréhension de ses propos afin d’en vérifier la justesse.

— 79 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

En pratique : Feed-back et Écoute active


On ne peut mesurer l’impact de sa parole sans feed-back. Aussi, je
n’hésite pas à interroger mon interlocuteur sur ce qu’il a perçu  :
« Qu’as-tu compris ? Qu’en penses-tu ? Que retiens-tu de mon propos ?
Qu’est-ce que cette idée représente pour toi ? Quel est ton avis sur ma
position ? »
Ensuite, l’écoute active est une écoute qui me permet non seulement de
reconnaître et de valoriser mon interlocuteur, mais de vérifier aussi ma propre
compréhension de sa parole en reformulant et en questionnant. Pour
cela, il me suffit, soit de répéter sous forme de question son message, afin
d’obtenir plus de précisions, soit de reprendre son message en l’exprimant
avec mes propres mots, par exemple « En résumé tu me dis que … »
Pour s’entraîner : J’ai beaucoup de mal à reformuler quand je suis avec
des gens qui me mettent mal à l’aise Ò 1 – C’est-à-dire ? Tu as besoin
de te sentir à l’aise pour réussir à reformuler ? ; Ò 2  – En résumé, tu
m’expliques que tu as besoin de sécurité, de lien, pour parvenir à poser
des questions ou dire ce que tu as compris. C’est cela ?

Appréhender la dimension sensorielle et émotionnelle du langage


Par ailleurs, le langage verbal peut revêtir de multiples dimensions. Ainsi, un
même mot ou un même concept peut suggérer des images, des émotions ou
des pensées totalement différentes selon les individus. Le mot « hiver » peut évo-
quer la magie de Noël pour certains ou encore les pistes montagneuses ennei-
gées pour d’autres, les arbres dénudés et le froid, ou bien encore le silence ou les
rires en famille autour d’un feu de cheminée.
Ces images mentales sont propres à la sensibilité, au vécu et à la réceptivité
sensorielle de chacun. Et sur ce plan, certains mots éveilleront, plus particulière-
ment, des sons, d’autres des sensations, d’autres encore des images…

En pratique : Le VAKOG
Acronyme de Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif, cet outil
issu de la PNL invite à identifier les canaux sensoriels préférentiels de son
interlocuteur à travers son langage, afin de lui parler la « même langue ».
Si cette vision est particulièrement restrictive (voire erronée car nous
percevons via tous nos sens), nous pouvons cependant utiliser cet outil
pour élargir notre vocabulaire sensoriel afin de toucher plus largement.
Ainsi, les mots stimulant le canal visuel seront  : regarde, montre-moi,
bleu, flou, obscur…
Les mots du canal auditif, quant à eux, peuvent être : écoute, dis-moi,
cliquetis, bruyant…

— 80 —
Mesurer la portée de sa communication

Les mots stimulant le canal kinesthésique seront : je ressens, ça lui hérisse


le poil, lourd, toucher, doux, lisse…
Pour les profils plus secondaires, le vocabulaire du canal olfactif sera : ça
sent mauvais, je l’ai dans le pif, embaumer, patchouli…
Et les « gustatifs » : j’ai le goût de, amer, la saveur de…
Pour s’amuser : 1 Ò Je m’entraîne à identifier le ou les « profils » sensoriels
du vocabulaire des personnes autour de moi.
2 Ò Je m’entraîne à raconter une anecdote en utilisant un vocabulaire
sensoriel lié aux cinq sens, afin de toucher plus largement.

De la même manière, le vocabulaire associé au champ lexical des émotions ou des


sensations est propre à créer en retour une dimension affective. Et cette dimen-
sion émotionnelle est propre, là aussi, à chaque sensibilité et à chaque histoire.

Mesurer l’impact suggestif et inconscient des mots


À travers les mots que nous utilisons, à travers notre gestuelle, notre voix et nos
intonations, nous transmettons une infinité de messages perçus à des niveaux
multiples par le cerveau de notre interlocuteur.
En effet, nous recevons les informations via notre système sensoriel et c’est
ensuite seulement qu’elles sont traitées par notre système cognitif. On fera
ainsi la distinction entre la perception inconsciente du monde qui nous envi-
ronne, riche de milliards d’informations à la seconde, et la conscience, résultat
du filtrage et du traitement de ces informations par l’intellect.

La psychanalyse a largement exploré les messages inconscients transmis par


le langage (à travers l’hypnose notamment). Ces messages ont un impact sur
nos idées, nos ressentis ou nos comportements. C’est ce que l’on appelle
la suggestion, car le langage suggère bien au-delà du message intelligible
et conscient transmis

Notre appréhension du monde est d’abord perceptive. Et que nous en ayons


conscience ou non, nous envoyons en permanence des suggestions à notre
interlocuteur, et nous recevons aussi les siennes. Ce mécanisme suggestif est
grossièrement vulgarisé avec la PNL (programmation neurolinguistique), qui
affirme que le cerveau ne perçoit pas la négation. Ainsi, si je vous dis de ne
pas penser à un éléphant bleu, vous aurez reçu l’image mentale de « l’éléphant
bleu » avant d’avoir analysé le sens de la phrase qui était de ne pas y penser.

UN EXEMPLE
Dire à une personne terrorisée par les chiens, « ne vous inquiétez pas, mon
chien n’est pas méchant », n’aura pas du tout le même impact inconscient
que « rassurez-vous, mon chien est gentil », même si le sens est finalement

— 81 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

le même. Tout comme un enseignant ne suscitera pas les mêmes réactions


s’il lance à sa classe « ne vous inquiétez pas, cela n’est pas difficile », plutôt
que « rassurez-vous, c’est assez simple », car le cerveau inconscient ne
reçoit pas le même message. Dans le premier cas, il perçoit « inquiétez-
difficile », dans le second « rassurez-simple ».

Je mesure l’impact conscient et inconscient


du langage que j’utilise.
Paul Watzlawick affirmait que l’« on ne peut pas ne pas communiquer ». De la
même manière, on ne peut pas ne pas suggérer, car le cerveau reçoit et inter-
prète en permanence. Pour chaque phrase prononcée, au-delà de la dimension
intellectuelle, il y a donc une dimension à la fois sensorielle et émotionnelle véhi-
culée par les images mentales que nous créons.
• Comment parvenir alors à mesurer toute l’étendue des mots que nous
employons ?
• Et comment parvenir à s’adresser, de la manière la plus efficace qui soit,
à une multitude de « cerveaux » ?

Satisfaire tous les « cerveaux »


Plus nous utilisons de mots suggérant des images mentales et plus l’impact émo-
tionnel et sensoriel est fort. Alors, notre discours devient plus « attractif ».

Sur le plan de la pédagogie, le précurseur Antoine de La Garanderie a


montré la force de l’imagerie mentale, non seulement du point de vue de
l’intérêt et de la mémorisation, mais aussi sur le plan de la compréhen-
sion. Des études plus récentes (A. Seitz, R. Kim et L. Shams en 2006 ou
A. Hillairet de Boisferon et E. Gentaz en 2009) soulignent l’importance,
dans l’apprentissage et le traitement cérébral, d’une approche multisen-
sorielle. Ainsi, montrer une carte en expliquant que si l’on couvrait d’un
grand voile blanc les États-Unis, celui-ci mesurerait quinze fois la surface
de la France, est infiniment plus porteur que de lire la simple phrase « Les
États-Unis ont une superficie de 9 631 419 km2 », pauvre en stimulations
sensorielles et peu évocatrice en termes d’imagerie mentale et de sugges-
tion. (Si le sujet vous intéresse, vous en trouverez des exemples détaillés
dans « Assumer son autorité et motiver sa classe », De Boeck Supérieur.)

Dans la mesure où la perception cérébrale est multiple, élargir son vocabulaire


aux cinq sens permet de toucher chacun davantage.

— 82 —
Mesurer la portée de sa communication

UN EXEMPLE
Dire que le ciel est d’un bleu éclatant et que le soleil se reflète sur la mer
sera évocateur sur un plan visuel, mais bien moins stimulant que de parler
aussi, simultanément, du bruissement des vagues, du sifflement du vent, de
la moiteur du jour ou de la fraîcheur de l’eau.

Ainsi, utiliser des images et des exemples à la fois visuels, auditifs, kinesthé-
siques, olfactifs, gustatifs, tout en ayant recours à une explication la plus claire,
la plus logique et la plus simple possible permet de satisfaire tous les « cerveaux ».

EXERCICE N° 1 : LES MOTS BLEUS


Sur le sujet de mon choix, je m’exprime en
utilisant des images mentales faisant réfé-
rence aux différents canaux de perception
sensorielle (VAKOG).
Je fais des phrases courtes et compréhen-
sibles par tous. Et je choisis de placer au
moins 2 suggestions positives à l’aide de la
négation, par exemple : « Je ne vous propose
pas une solution totalement facile.» (Pour une
solution un peu ardue.)
Remarque : J’identifie la portée des mots que
j’utilise sur un plan intellectuel, sensoriel
et émotionnel (intelligibilité du discours,
images, sensations et émotions suggérées).

Il est donc intéressant, à travers notre langage verbal, de mesurer chaque fois
ce que nous donnons à voir, à entendre, à sentir et à ressentir, et ce que nous
suggérons tout autant que ce que nous donnons à comprendre. (Et d’autres
outils techniques seront fournis en ce sens, un peu plus loin.)

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment sensibiliser nos élèves ou nos stagiaires à la dimension senso-
rielle, intellectuelle et émotionnelle des mots et à leur impact ? Proposer
une grille d’écoute et d’analyse telle que la DISE (fournie en chapitre 5),
engager la création d’images mentales corrélées au système sensoriel à
travers des ateliers d’écriture, ou travailler sur l’analyse de suggestions
et l’enrichissement du vocabulaire, participent au développement de
l’intelligence verbale.

— 83 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1.2 Langage et transactions

Vos mots ont donc un pouvoir suggestif très fort et un impact différent selon
l’interlocuteur, mais ils révèlent également la valeur que vous vous attribuez par
rapport à l’autre. Si vous vous sentez inférieur et peu sûr de vous, cela se traduira
aussi dans votre langage, par exemple à travers des excuses ou des justifications
permanentes, ou pire : des critiques à l’encontre de votre propre valeur.

Évaluer sa posture relationnelle


Les mots que nous prononçons traduisent ainsi la place que nous prenons dans
la relation. Et, dans la vie quotidienne, une posture relationnelle « équilibrée »
et symétrique est une posture égalitaire, c’est-à-dire une posture où l’on ne se
sent pas au-dessus des autres (je suis trop fort, je suis génial, j’en sais plus que
tout le monde…) ni, à l’inverse, où l’on se sent inférieur (je suis nul, ce que je vais
dire n’a pas d’intérêt, je ne vois pas pourquoi on aurait envie de m’écouter…).
(Nous remarquerons que la posture enseignante est par nature asymétrique et
non égalitaire. Et qu’elle trouve son équilibre dans cette hiérarchie.)

Sur ce plan, l’analyse transactionnelle propose une grille pertinente d’étude


de notre langage et de notre positionnement vis-à-vis d’autrui en étudiant
trois composantes principales de notre personnalité : les états du moi.
Ceux-ci correspondent tour à tour à la posture de l’Adulte, du Parent ou
de l’Enfant. La transaction est ainsi égalitaire dans le cadre d’un échange
d’adulte à adulte. Mais elle est asymétrique lorsque nous nous positionnons
en tant que parent vis-à-vis de notre interlocuteur (nous prenons le pouvoir
sur lui) ou à l’inverse lorsque nous réagissons comme un enfant (nous cédons
le pouvoir à l’autre).

Ces postures relationnelles sont motivées d’une part par le contexte ou par notre
interlocuteur, qui peut nous placer en situation de réaction ou de défense par
exemple, et d’autre part en fonction de notre personnalité, qui est elle-même
façonnée selon ce que nous avons reçu de nos parents, de notre environnement,
de l’école,  etc. S’entendre ainsi répéter régulièrement dans l’enfance  : « mais
applique-toi, dépêche-toi, sois gentil, ne pleure pas, cesse de te plaindre, fais-
moi plaisir, fais des efforts, comporte-toi bien… » a un impact sur notre compor-
tement et notre manière de nous exprimer. Lorsque nous prenons la parole,
notre langage reflète aussi cette posture.

DES EXEMPLES
Lorsque nous critiquons ou moralisons : « Il faut que je sois plus éloquent,
il y a des règles à respecter… », ou que nous ordonnons : « Tu dois dire ceci,
les choses ne se font pas comme cela », nous nous jugeons durement dans
le premier cas et infantilisons notre interlocuteur dans le second, c’est le
Moi Parent qui s’exprime. Inversement lorsque nous perdons nos moyens,

— 84 —
Mesurer la portée de sa communication

que nous nous effaçons ou à l’inverse que nous sur-réagissons « Je n’ai pas
envie de prendre la parole mais bon je n’ai pas le choix » ou « De toute façon
ces gens ne m’apprécient pas… », nous adoptons l’attitude du Moi Enfant.

Évaluer ses drivers


Le psychologue Taibi Kalher a ainsi révélé certains des messages reçus dans
l’enfance et qui ont conditionné notre communication et notre rapport au monde.
Ces messages, appelés « drivers », sont au nombre de cinq et transparaissent à
travers nos qualités d’orateur. Il peut être intéressant de les déceler dans le but
d’améliorer notre prise de parole et son impact.

Test : Quel orateur suis-je ?


J’évalue de 1 à 5 le niveau de véracité de l’affirmation (1 signifiant totalement faux et
5 complètement vrai.)

Lorsque je prends la parole ou que je veux mettre


1 2 3 4 5
en place une activité :

J’ai peur de ne pas avoir le temps de finir ou de dire


tout ce que je souhaitais. J’essaie d’aller le plus vite
p possible au risque de bâcler, j’ai l’impression d’être
sous pression.

J’ai peur de montrer mes émotions et que l’on pense


que je suis faible. J’essaie d’être toujours à la hauteur
t et pense qu’il est important que l’on puisse compter
sur moi. Je ne montre jamais mes faiblesses et j’évite
de me plaindre.

J’ai peur de faire de la peine aux gens ou d’être rejeté.


Je suis serviable et gentil. Quand je prends la parole,
l je cherche à divertir ou à faire plaisir car j’ai besoin
d’être reconnu et aimé. Je fuis les situations de conflit.

J’ai peur de ne pas tout savoir ou de me tromper. J’ai


besoin de maîtriser totalement un sujet pour prendre
n la parole. Je dois pouvoir justifier chacun de mes pro-
pos et je peux être agacé quand mon interlocuteur ne
fait pas preuve d’autant de rigueur.

J’ai peur de ne pas avoir suffisamment préparé. En


amont, j’étudie longtemps mon sujet, mon travail est
intense et fastidieux, et je me perds un peu dans les
« détails le jour J. Quand je prends la parole, je suis très
concentré et j’essaie de me souvenir de tout ce que je
dois dire.

— 85 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Résultats :
p entre 4 et 5 : L’orateur « Pile électrique »
Mon driver est « Dépêche-toi ». J’ai tendance à perdre mon interlocuteur avec
une structure de discours souvent peu claire et un enchaînement rapide des
idées, parfois au détriment du sens. Je ne prends pas toujours le temps de
bien comprendre ce qu’attend mon interlocuteur, étant trop préoccupé par
le désir d’en dire le plus possible. Je parle vite, marque peu de pauses et j’ai
une tendance à l’agitation et à la nervosité.

t entre 4 et 5 : L’orateur « Superman »


Mon driver est « Sois fort ». Je m’exprime avec énergie et conviction. Je parle
fort mais sur un ton souvent peu expressif et je fais en sorte que ma voix
n’aille pas trop dans les aigus. Je veux garder une certaine prestance et ne
manifeste pas d’émotions négatives telles que la tristesse ou la peur. Je me
tiens droit et mon regard est franc, je fais toujours « bonne figure ». Mon dis-
cours est souvent factuel et je me méfie des points de vue subjectifs.

l entre 4 et 5 : L’orateur « Bisounours »


Mon driver est « Sois gentil ». J’ai une tendance à ne pas entrer dans le débat
et à me focaliser sur un discours positif, lisse, souvent rempli de lieux com-
muns. J’évite de froisser les susceptibilités ou de dire des choses qui fâchent.
Mon discours est consensuel et je suis d’accord avec mon interlocuteur. Ma
parole manque souvent d’authenticité et d’engagement. Je suis souriant et
très sensible aux petits signes d’ennui ou de contrariété de mon interlocu-
teur que je perçois comme du rejet. Je marque souvent des pauses, attendant
l’approbation du public.

n entre 4 et 5 : L’orateur « Monsieur Propre »


Mon driver est « Sois parfait ». Mon discours est riche et bien référencé. Je
sais tout sur tout et je ressens le besoin de justifier chacune de mes affirma-
tions. Je parle vite et fais de nombreux liens de causalité. Je m’appuie sur
des exemples ou des statistiques et sur la parole d’experts mais mon discours
peut souvent manquer de simplicité, d’authenticité et de « romanesque ». Il
est peu imagé et je donne parfois le sentiment de « faire la morale ».

«entre 4 et 5 : L’orateur « Galérien »


Mon driver est « Fais des efforts ». Ma prise de parole est poussive et manque
souvent de naturel. Je suis rigide et concentré et j’en oublie quelquefois de
sourire. Je fais preuve de rigueur et, même si je maîtrise mon sujet, mon dis-
cours laisse peu de place à l’humour et à la fantaisie. J’ai tendance à penser
que prendre la parole est compliqué et qu’il faut énormément se préparer,
quitte à apprendre un discours par cœur. Je prends peu de plaisir à un exer-
cice et je peux me décourager.

— 86 —
Mesurer la portée de sa communication

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment utiliser l’identification de ces drivers chez nos élèves pour
mettre en place des exercices adaptés et les aider à devenir des orateurs
plus accomplis ? À travers l’observation et le questionnement autour des
résultats de ce test, ainsi que le jeu de rôle ou la mise en scène, nous
favorisons à la fois la prise de conscience et l’amélioration de ses « fai-
blesses naturelles » à l’oral.

J’apprends à identifier les mécanismes inconscients


qui parasitent mon langage quand je m’exprime.

UN EXEMPLE
Pour François, professeur de français, le test des drivers a été très révélateur :
« J’ai réalisé qu’en classe, j’avais souvent tendance à parler très vite, à presser
les élèves par peur de ne pas finir le programme. Le résultat est qu’une fois
arrivé au point que je m’étais fixé, la plupart d’entre eux n’avaient même pas
retenu la moitié du cours. Je me sentais aussi en difficulté lorsqu’ils avaient
une question à laquelle je n’avais pas de réponse. Aujourd’hui, j’ai pris
conscience que de répondre “je ne sais pas” ne fait pas de moi un ignorant et
ne nuit pas à ma crédibilité. Personne n’est parfait ! »

Contrôler les mécanismes inconscients


qui conditionnent sa prise de parole

EXERCICE N° 2 : LA POSTURE INVERSE


Après avoir identifié mes drivers, j’adopte l’attitude oratoire opposée à ma ten-
dance naturelle.
Mon sujet : je raconte mon expérience
suite à la pratique d’une passion (pratique
sportive, artistique, musicale, hobbies
personnels, etc.)
Mon driver est « dépêche-toi » : Je prends
le temps de respirer, de marquer des pauses
et de suivre un plan préalablement établi.
Je détends mes muscles, fais des gestes

— 87 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

amples et souples et ralentis mon débit. Je me concentre sur mon interlocuteur et


reste réceptif à ses questionnements.
Mon driver est « sois fort » : J’exprime mes difficultés et mes faiblesses avec légèreté
et humilité. J’exprime mes émotions et je ne cherche pas à m’imposer ou à prouver
quoi que ce soit. Je varie mes intonations et j’ai une voix expressive. Je diminue le
volume et fais des gestes souples mais discrets et mesurés.
Mon driver est « sois gentil » : J’exprime
un point de vue tranché, volontairement
subversif. Je n’hésite pas à affirmer un
avis contraire à l’opinion collective. Je
souris le moins possible et soutiens le
volume de ma voix tout au long de mon
intervention. Je me soucie davantage de
l’argumentation de mon discours que de
la réaction de mon public.
Mon driver est « sois parfait » : Je parle de mes erreurs, de mes incompréhensions
et de mes manques. Je ne cherche pas à prouver ma valeur et ne me justifie pas.
Je ne présente aucune connaissance générale mais parle « vrai ». Je lâche prise et
m’exprime simplement, naturellement sans contrôler mon apparence, mon attitude,
ma gestuelle ou ma voix.
Mon driver est « fais des efforts »  : Je
prends plaisir à m’exprimer, je raconte des
anecdotes amusantes qui m’ont rendu heu-
reux. Je souris et me concentre davantage
sur la relation que sur l’exercice. Je vais au
plus simple sans chercher à complexifier
ma prise de parole par une préparation
longue et fastidieuse.

Ainsi, nos expressions, nos mots, nos formulations ont un impact fort sur notre
interlocuteur. À travers le langage que nous employons, nous créons non seu-
lement des suggestions mentales particulières et influençons l’état de l’auditeur,
mais nous communiquons aussi ce que nous sommes, ce que nous pensons
et la place que nous prenons dans la relation. Et ce, de façon bien souvent
inconsciente.
Mesurer et maîtriser la portée de ce langage, c’est donc passer de l’inconscient
au conscient, en observant les mots et l’attitude que nous adoptons et en en
choisissant de plus appropriés.

— 88 —
Mesurer la portée de sa communication

2. ÉVALUER SON LANGAGE CORPOREL

2.1 États internes et communication

Les mots ont donc un pouvoir considérable dans notre communication. Pour
autant, on ne saurait limiter celle-ci au seul langage verbal. Nos gestes, notre
posture, les expressions de notre visage ou encore nos intonations vocales ont
aussi un impact essentiel sur notre interlocuteur.

Évaluer la dimension non verbale


et paraverbale de sa communication
Car lorsque nous nous adressons à une personne, nous nous adressons à un être
multiple et complexe qui reçoit notre message à des niveaux différents, à la fois
sensoriel, intellectuel et émotionnel. Si le verbal est capital dans l’impact
cognitif et intellectuel de notre communication, sur un plan affectif et relationnel,
notre langage corporel et notre voix sont quant à eux essentiels. Ils sont les pre-
miers vecteurs de notre sensibilité et de notre intention.

On cite souvent les études du professeur Albert Mehrabian qui révèlent,


dans le cadre de la vente ou des relations amicales, que l’impact de notre
communication, et plus précisément notre « capital sympathie », est dû pour
7 % à nos mots (verbal), 38 % à notre voix (para verbal) et 55 % à notre
langage corporel (non verbal).
Attention cependant à la vision réductrice de cette étude, souvent véhicu-
lée par certaines formations à la prise de parole en public, qui consiste à
penser que notre manière de dire est plus importante que notre contenu.
Ce qui est faux. Dans le cadre d’une conférence à but informatif dans le
domaine des sciences par exemple, le contenu du propos sera prioritaire.
Mais s’il est malmené par une voix inaudible ou une attitude contradictoire,
il perdra alors de son impact et de sa sincérité.

En effet, notre gestuelle, notre expression ou notre posture sont perçues en


priorité de manière directe et sensorielle par le cerveau de notre interlocuteur,
bien avant l’analyse cognitive et la compréhension du sens de notre discours.
Il semble donc logique qu’ils aient un impact fort sur le plan inconscient et
émotionnel. Et lorsqu’il y a désaccord entre les différents messages véhiculés
par le corps, les mots ou la voix, on parle alors de signes d’incongruence.
Cette dissonance crée chez l’interlocuteur un sentiment de malaise et de
méfiance.

— 89 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Imaginez un homme déclarant sa flamme avec un visage renfrogné, une
gestuelle fermée, le regard fuyant et le corps orienté vers la sortie. Il enverrait
ainsi des signaux corporels contradictoires venant remettre en cause la
crédibilité de son propos. Que pourrait alors penser son interlocutrice ? Qu’il
est peu honnête, peu aimable et peu sympathique.

Mesurer l’impact de son langage corporel


Nous savons, par ailleurs, que la communication était à l’origine essentiellement
non verbale. Et l’imagerie cérébrale a permis de révéler que les zones en charge
du langage verbal ou non verbal seraient identiques.

Les études de Susan Goldin-Meadow et de Jana Iverson, de l’Université


d’Indiana en 1998, montrent même que les aveugles de naissance utilisent,
de façon totalement identique aux voyants, des gestes particuliers associés
aux mots, ce qui viendrait corroborer l’idée, au niveau cérébral, d’un « pro-
gramme » de communication non verbale.

Notre posture, nos expressions, notre gestuelle représentent donc une part
essentielle de notre communication. Or quelle conscience avons-nous de notre
propre corps et de ce qu’il communique ?
En contexte scolaire, nous sommes souvent préoccupés par le contenu de notre
propos, de façon parfois exclusive, mais nous ne sommes pas toujours attentifs à
tous les petits signaux non verbaux que nous transmettons. Et de façon géné-
rale, nous accordons souvent plus d’attention à notre mental qu’à notre corps,
trop préoccupés par le flot de pensées constantes qui nous submergent.
• Vous-même, à chaque moment de la journée, avez-vous conscience de ce
qui se passe dans votre corps ?
• Mesurez-vous votre état, vos mouvements et l’impact de votre physiologie ?
• Écoutez-vous vos sensations autant que vos pensées ?
Il y a, de façon culturelle, une tendance à valoriser davantage les activités intel-
lectuelles que les activités manuelles. Le corps serait le témoin direct de notre
animalité quand le mental refléterait ce qui « élève » et fonde notre humanité.
Même si les mentalités sont en train d’évoluer considérablement à ce sujet, il y a
encore du chemin à faire. Et, contrairement aux cultures asiatiques notamment,
en dehors des pratiques d’hygiène de base et du sport hebdomadaire, il existe un
rapport quotidien au corps peu investi et peu conscientisé.

Le neurologue Wilder Penfield a dessiné la perception que nous avons de


notre corps, selon la répartition des zones cérébrales responsables du mou-
vement. Il l’a nommée Homonculus, un être avec un buste et des jambes
ridiculement petits, tandis que la tête, la bouche et les mains sont démesurées.

— 90 —
Mesurer la portée de sa communication

En pratique : Le jeu du miroir


Je prends conscience de ma posture et de ma gestuelle : je me place
face à un miroir, les yeux fermés, je bouge certaines parties de mon
corps, et je visualise l’image en face de moi dans le miroir. J’ouvre alors
les yeux et je compare cette représentation avec la réalité. Je fais ensuite
la même chose de profil.

Si nous pouvons facilement contrôler notre langage verbal, ce n’est pas tou-
jours le cas concernant notre langage corporel. Et ce, parce que notre corps
est le siège d’un ensemble de manifestations physiologiques pas toujours
maîtrisables. C’est le cas lorsque l’on rougit sous l’effet de la honte ou lorsque
nos pupilles se dilatent sous l’effet du désir. Notre corps révèle ainsi ce que nous
vivons intérieurement, ce que nous ressentons et ce que nous pensons. Et ce
langage est perçu par notre interlocuteur.

Je mesure à quel point mon langage corporel influence


l’état d’esprit et la perception de mon interlocuteur.
En effet, notre corps révèle non seulement notre état, que nous soyons calmes
ou agités, mais il communique cet état selon un phénomène bien connu  : la
synchronisation.

Identifier les phénomènes de synchronisation


L’être humain est ainsi programmé pour se synchroniser sur son environne-
ment, c’est-à-dire qu’il cale ses états internes selon le milieu dans lequel il évolue.
Les rythmes biologiques en sont un parfait exemple, avec le rythme circadien
notamment et l’alternance « jour-nuit ». Nous sommes ainsi « synchronisés » sur les
mouvements du monde et notre état subit l’influence de ces différents cycles, tout
comme chaque être vivant s’accorde au rythme des saisons.
De la même manière, nous nous synchronisons naturellement sur l’état inté-
rieur de notre interlocuteur lors d’un échange, à condition qu’il y ait un lien.
En effet, lorsque nous écoutons quelqu’un parler, si nous sommes en sympathie,
nous nous mettons à respirer au rythme de ses mouvements et de sa parole et
cela va contribuer à accélérer ou inversement ralentir nos battements cardiaques.
Nous avons donc le pouvoir, par la rythmique de notre communication, d’influer
sur l’état interne de notre interlocuteur.

UN EXEMPLE
Beaucoup d’enseignants ont pu en faire l’expérience et constater qu’ils
pouvaient « fatiguer » leur classe ou générer une certaine agitation par un
débit de parole trop rapide ou une gestuelle particulièrement énergique.
Inversement, un rythme trop lent conduit à « endormir » les élèves.

— 91 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Parallèlement, outre le fait d’être particulièrement sensible au rythme (et la


musicothérapie exploite cette inclination), l’être humain est très réceptif à tous
les signes de menace potentielle présents dans l’environnement. Notre cer-
veau « reptilien » est ainsi constamment en alerte, conditionné par des réflexes
archaïques de survie.
Or adopter une posture de protection, avec un corps rigide, ou montrant des
signes de tensions corporelles et une gestuelle saccadée, témoins de notre ten-
sion interne ou de notre stress, laisse percevoir à notre interlocuteur qu’il y
aurait un danger possible. Celui-ci va alors se sentir tendu en retour et réagir,
sans avoir conscience de tout ce qui se joue intérieurement en lui.

UN EXEMPLE
Pour Élodie, en jury d’examen, c’est chaque fois le même scénario  :
« Lorsque je vois les candidats s’avancer stressés, crispés, avec le souffle
coupé, je commence à me sentir tendue. Je suis un vrai buvard. »

Mesurer l’impact de notre physiologie dans la communication


Notre corps, nos mouvements, notre gestuelle ou notre posture sont la consé-
quence directe de notre état intérieur, physiologique comme émotionnel. Toutes
les émotions passent par le corps et par les expressions faciales et sont per-
çues par l’autre. Il y a une perception évidente comme celle d’un sourire sur un
visage ou d’une larme qui roulerait sur la joue, et une perception plus subtile
comme celle qui passe à travers le souffle, le rythme du mouvement ou encore
les micro-expressions.
Toutes ces mimiques fugaces, incontrôlables et à peine perceptibles ont été lon-
guement étudiées par le psychologue Paul Ekman et utilisées ensuite par le FBI
dans la détection du mensonge, le visage révélant ce que la parole ne dit pas.
Et si les résultats d’Ekman à ce sujet ont pu être controversés, il n’en reste pas
moins que notre communication non verbale est porteuse de sens.
• Alors, à quel point mesurez-vous toute la portée de votre langage corporel
lorsque vous vous exprimez ? Que transmet votre gestuelle ?
• Avez-vous conscience du niveau de tension ou de détente que vous pré-
sentez à l’autre ?
• Et quelles sont les expressions de votre visage lorsque vous prenez la parole ?

En pratique : Non verbal et Feed-back


Je m’amuse à modifier la rythmique et le dynamisme de mon langage
corporel lorsque je prends la parole :
– État n° 1 : Gestuelle lente, souple et détendue, corps relâché, peu
de mouvements

— 92 —
Mesurer la portée de sa communication

– État n° 2 : Gestuelle rapide et dynamique, corps tonique, mouvements


variés
Feed-back : Je prends conscience de ce que cela imprime en moi. Je
mesure l’impact de ce que cela produit chez l’autre.

Tous les signaux que nous envoyons constamment sont reçus et interprétés par
notre « public » parfois consciemment, parfois de façon inconsciente, mais ils ont
toujours un impact.
Tout comme le sourire appelle le sourire, sous l’action des neurones miroirs,
nous pouvons adopter jusqu’aux émotions de la personne face à nous. On parle
alors dans certains cas de véritable contagion émotionnelle.

Comme le montrent les études du professeur Jacques Cosnier, la repro-


duction physique et physiologique d’un état conduit à un état identique.
Ce mécanisme d’identification et de mimétisme est appelé échoïsation
corporelle.

Je prends conscience de mes états internes,


de ce qui se passe en moi
et de ce que j’imprime en l’autre.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment aider nos élèves ou nos stagiaires à prendre consciemment
place dans leur corps et à mesurer, à chaque instant, l’impact de leur
communication non verbale ? L’observation par les pairs, les exercices
de pleine conscience, l’utilisation du miroir, d’une caméra ou la mise en
place de feed-back collectif sont à installer de façon écologique et cadrée,
afin de respecter chaque sensibilité.

2.2 Posture et gestuelle

Notre corps a son propre langage. Nos gestes, par exemple, font sens et peuvent
servir ou desservir le contenu de notre propos. On parlera de gestes illustra-
teurs et ponctuateurs dans le premier cas, ou à l’inverse de gestes parasites,
dans le second.

Mesurer l’impact de sa gestuelle


Tous les gestes de réassurance, comme se toucher les cheveux, tripoter un
stylo, ou les gestes barrages qui font obstacle au contact avec l’autre comme le
fait de croiser les bras, sont des gestes parasites.

— 93 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Les gestes ponctuateurs, quant à eux, viennent ponctuer ou compléter nos


propos. Ils appuient et renforcent nos mots tout comme les gestes illustrateurs,
lorsque nous illustrons une énumération verbale (premièrement, deuxième-
ment…) avec nos doigts par exemple.
Certains gestes sont plus ou moins conscients et liés à la parole, quand d’autres
sont « machinaux » et révèlent notre état intérieur. C’est le cas lorsque nous nous
grattons, que nous tremblons ou que nous bâillons.
Ainsi, dans un état d’anxiété, nous avons tendance à nous toucher énormément
pour nous rassurer ou nous protéger. Ces gestes autocentrés traduisent non
seulement notre malaise mais peuvent aussi être mal perçus dans le cadre d’un
échange, où le geste mériterait d’être orienté vers l’autre, au service du discours
et non en direction de soi. Et la gestuelle traduit non seulement le fait que nous
soyons ou non investis et en accord avec ce que l’on dit, mais elle révèle aussi le
fait que l’on soit ou non présent dans la relation.
• Alors, dans quelle mesure vos gestes sont-ils ou non au service de votre
discours ?
• Et dans quelle mesure vous desservent-ils ?

En pratique : L’identification des gestes


À travers ma gestuelle (en me filmant par exemple) ou à travers celle de
mon interlocuteur, je m’amuse à classer les différentes catégories de
gestes selon le modèle d’Argentin.
Le chercheur G.  Argentin a proposé une des classifications les plus
valides et utilisées (1984) :
– Gestes métaphoriques  : ces gestes illustrent directement le mot,
comme ouvrir largement les bras en prononçant le mot « grand ». Il
s’agit donc de gestes illustrateurs.
– Gestes ponctuateurs : ils scandent le propos, comme lancer la main
vers l’avant pour appuyer son propos.
– Gestes adaptateurs : ils n’ont aucun rapport avec le propos comme
les gestes d’autocontact ou de réassurance, ou les gestes de mani-
pulation d’objets quelconques.
J’identifie la proportion de chacune de ces catégories de gestes dans
ma communication. (Remarque : plus il y a de gestes métaphoriques et
ponctuateurs, moins il y a de gestes adaptateurs et plus ma communi-
cation est efficace.)

J’identifie le type de gestes utilisés dans la communication


et j’en mesure leur portée.

— 94 —
Mesurer la portée de sa communication

Le geste est donc porteur de multiples informations mais attention cependant


aux interprétations plus ou moins subjectives, parfois hasardeuses, parfois tota-
lement farfelues.

UN EXEMPLE
Durant mon cursus universitaire, j’avais lu dans un ouvrage de ce que
l’on nomme aujourd’hui la synergologie, que porter sa bague à l’index
était le signe, chez une femme, d’une personnalité castratrice. Voilà que
je me découvrais ce « talent » à travers une analyse aussi simpliste que
contestable. Personnellement, j’ai de très petits doigts et parfois je n’ai pas
d’autre choix que l’index pour porter une bague qui me plaît.

Nous devrions toujours faire preuve de prudence, lorsque l’on souhaite aborder
ces notions et comprendre que notre corps et nos mouvements sont la consé-
quence d’un état interne, lui-même conditionné par nos pensées, nos émotions
et des mécanismes physiologiques multiples.
Aussi, il n’est guère pertinent d’analyser un geste isolé, mais l’on doit approcher
l’analyse non verbale sous forme de Cluster, c’est-à-dire un ensemble de gestes
dans le cadre d’une posture globale. Tout comme il ne sera pas pertinent
d’apprendre divers gestes à singer lors de sa prise de parole, mais il conviendra
plutôt de créer cet état « corporel intérieur » propice.

Évaluer un état intérieur global


Il convient ainsi de s’attacher à des paramètres physiques plus généraux tels
que : le niveau de souplesse, le niveau d’ouverture, le mouvement dans sa
globalité et la posture, en lien avec nos états internes et les manifestations
corporelles qui en découlent.

DES EXEMPLES
Lorsque nous sommes agités, notre gestuelle est plus vive, notre respiration
plus rapide et nous avons tendance à faire plus de mouvements. Lorsque
nous sommes calmes et détendus, notre gestuelle est inversement plus
« molle », notre respiration plus lente et nous faisons moins de gestes.
Cette simple observation, qui relève avant tout du bon sens, est perçue par
l’interlocuteur. Il est probable que notre propre expérience de nos vécus et
ressentis corporels nous permette de les identifier chez les autres.

Le mouvement, manifestation directe du vivant, révèle et suggère. Il est natu-


rel et lié au fonctionnement normal du corps. Un état dynamique est un état
naturel d’énergie, de vie et d’humanité. Inversement, une position statique et
figée et une gestuelle inexistante ou restreinte sembleront froides, artificielles

— 95 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

et sans vie. La plupart des gens se sentent mal à l’aise, voire anxieux, face à un
langage corporel éteint et « dévitalisé ».

Je mesure l’impact de mes états internes


sur ma communication non verbale.
Ainsi les tensions intérieures se perçoivent et notre niveau de détente musculaire
en est un parfait indicateur. Mais, si la rythmique et la souplesse de nos mouve-
ments sont en lien direct avec nos émotions, notre manière de nous tenir et
de nous placer face à l’autre n’en sont pas moins la conséquence d’une posture
mentale et émotionnelle intérieure.

Mesurer l’impact de sa posture


En effet, au cours d’un échange, notre posture présente directement une image
de qui nous sommes et de notre façon d’aborder la relation. Adopter une posture
ouverte ou fermée traduira nos dispositions vis-à-vis d’autrui telles que notre sen-
timent d’accueil ou à l’inverse de rejet. Tout comme une posture de repli révélera
notre insécurité intérieure, (la présence physique manifestant toute l’étendue de
la présence mentale et émotionnelle).
Ainsi, une posture de confiance est une posture droite, souple, ouverte et ali-
gnée. Et par notre attitude corporelle, comme c’est le cas pour le règne animal,
nous établissons une hiérarchie. L’état de détente corporelle du lion révèle
par exemple sa force et sa domination. Le mâle alpha montre de l’assurance, à
travers des gestes lents, souples et peu nombreux. Il ne fournit pas d’efforts
inutiles, ne s’agite pas, ne présente pas de tensions corporelles car il ne craint
pas les attaques.
La manière dont il occupe l’espace est aussi un signe de sa supériorité hiérar-
chique. Et de la même façon chez l’être humain, toutes les postures d’expan-
sion comme ouvrir les bras, avoir les pieds écartés ou les jambes étendues en
position assise, viennent augmenter la place que nous prenons et de manière
tacite le territoire que nous occupons. Il s’agit de postures de force et d’affirmation.

Évaluer sa position et les rapports hiérarchiques


La hauteur est elle aussi révélatrice des relations hiérarchiques. Et on observe
ainsi de nombreux animaux tenter d’affirmer leur domination en se plaçant
au-dessus des autres, en essayant soit de grandir leur taille, soit de grimper
sur une branche ou de chercher à occuper la place la plus haute. De la même
manière, nous associons la hauteur à la « supériorité ».
Ainsi on est amené à s’abaisser ou à s’élever, on parle de supérieur ou de
sous-fifre. Et plusieurs études révèlent que les personnes de plus grande taille
occupent des postes mieux rémunérés. On se souviendra des résultats rapportés
par Feldman à Pittsburgh montrant que les étudiants les plus grands débutaient
leur carrière professionnelle avec un salaire de 12,4 % supérieur à ceux mesu-
rant moins de 1 m 80.

— 96 —
Mesurer la portée de sa communication

UN EXEMPLE
Caroline est une jeune enseignante et vit parfois sa petite taille comme
un handicap dans sa posture d’autorité  : « Autrefois, nous avions des
estrades pour nous élever hiérarchiquement face au groupe d’élèves. Avec
les nouvelles pédagogies, il faut s’affirmer différemment. Et comme je
suis minuscule, je dois compenser par mes mouvements, ma gestuelle, ma
présence vocale et mon attention au groupe. »

En analyse transactionnelle, on utilise ainsi les termes de position haute, affir-


mant notre supériorité, et de position basse, révélant notre subordination.
D’une manière générale, la position que nous adoptons détermine la « place
sociale » que nous occupons.
Ce positionnement constant des individus se révèle aussi à travers nos mots  :
être derrière quelqu’un, être sur son dos, passer devant, se croire au-dessus,
être sur un pied d’égalité…

La distance proxémique, écart physique entre les personnes, est d’ailleurs


symbolique de notre espace vital et de notre intégrité. Au-delà de 1 m 20,
nous sommes dans la sphère sociale, en dessous de 40 cm, nous sommes
dans l’espace intime. S’approcher ou s’éloigner physiquement d’une
personne prend aussi tout son sens sur le plan symbolique.

Dès 1936, l’anthropologue Ralph Linton décrira ces « rapports de place » où la


place que l’on prend dans l’échange est révélatrice de la position statutaire
des individus. Et notre positionnement physique est ainsi lui aussi un vecteur de
notre communication.

Apprendre à faire un diagnostic corporel


Ainsi, non seulement notre corps et notre gestuelle peuvent servir, ou desservir,
le contenu de notre propos, mais ils vont donner une image de qui nous sommes,
de ce que nous ressentons et de la place que nous prenons dans la relation.
Il n’est pas facile d’appréhender sa propre gestuelle et de mesurer l’impact des
signaux non verbaux que nous envoyons constamment. Aussi, apprendre à
identifier ces paramètres chez l’autre est une manière de les reconnaître et de les
conscientiser chez soi.

J’apprends à repérer l’impact de la posture,


de la gestuelle et des différents signaux corporels
dans la communication.

— 97 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

En pratique : Le diagnostic corporel


Je m’entraîne à identifier les différents paramètres gestuels et cor-
porels des personnes autour de moi (amis, collègues, interlocuteurs
divers…). (Je peux aussi m’amuser à repérer ces paramètres en regardant
un film ou une émission sans le son.)
Niveau rythmique : Quel est le rythme de la respiration ? Les mouve-
ments du corps sont-ils lents, rapides ?
Niveau de souplesse : Le corps est-il figé ou en mouvement ? Présente-
t-il une forme de rigidité ou les mouvements sont-ils souples ?
Posture : Quelle est la position du corps dans l’espace ? Est-il bien droit
et redressé ? Est-il voûté ? À quelle distance se place-t-il de l’interlocu-
teur ? Est-il au-dessus, au-dessous, à côté, devant, derrière ? Quelle est
la distance proxémique ?
Gestuelle : Quels gestes viennent ponctuer la communication ? Sont-ce
des gestes parasites ou au service du langage ? Y a-t-il des gestes de
réassurance ? Lesquels ? La gestuelle est-elle plutôt ouverte ou fermée ?
Niveau de congruence : Quelles informations apporte la gestuelle en
plus des mots utilisés ? Ces informations sont-elles complémentaires ?
Sont-elles contradictoires ?

Mesurer ce que le regard ou les expressions transmettent


Enfin le visage, que Cicéron qualifiait de miroir de l’âme, est sans doute le
lieu des manifestations physiques les plus directes, visibles et expressives de nos
émotions et de nos pensées. Chacun, à moins de troubles autistiques pronon-
cés, reconnaîtra, à travers un sourire ou une expression de la bouche ou des
yeux, la joie, la peur, la tristesse ou la colère…
Quant au regard, il manifeste la considération et l’intérêt que l’on porte à
l’autre. Pour reprendre une formule largement employée, le regard porte où
la pensée se pose. Et dans le cadre d’un échange, c’est vers l’autre que devrait
s’orienter notre intention. Il est par conséquent très mal perçu de s’adresser à un
groupe et de ne regarder que quelques personnes ou de parler à quelqu’un et de
regarder en même temps ses notes, son téléphone, ou par-dessus son épaule.
Or combien de maîtres de conférences s’adressent-ils à leur public les yeux rivés
sur leur « powerpoint » ?

— 98 —
Mesurer la portée de sa communication

DES EXEMPLES
Nicolas, jeune professeur des écoles, rapporte qu’on lui reproche souvent
son visage renfrogné : « Je suis tellement pris par mon contenu, ou par les
impératifs logistiques ou disciplinaires, que j’oublie de sourire, de regarder
et d’être ouvert à chacun. » En situation d’enseignement, face à un groupe
conséquent, nous avons d’ailleurs tendance à porter notre attention sur les
plus investis, oubliant quelquefois les plus discrets.

Mesurer l’impact de sa communication, c’est aussi prendre conscience de ce que


nos mimiques ou nos regards suggèrent. Ainsi, lorsque vous prenez la parole,
qu’exprime votre visage ?
• Est-il souriant, ouvert, détendu, ou à l’inverse renfrogné, concentré ou
inexpressif ?
• Regardez-vous votre interlocuteur dans les yeux ? Où se dirige votre regard ?
Lors d’un échange, nous avons, grâce à notre interlocuteur, un retour direct
de notre propre communication. Alors, quel est le retour des personnes face à
vous ?

En pratique : Un visage expressif


J’essaie d’exprimer différentes émotions : la joie, la lassitude, la colère, la
tristesse, la bienveillance, l’insatisfaction, la compréhension…
Et j’observe mon visage dans le miroir :
Est-il en phase avec mes ressentis intérieurs ? Quel est mon niveau
d’expressivité ? (Je peux aussi utiliser l’appareil photo de mon
smartphone.)

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment permettre à nos élèves ou à nos stagiaires de conscientiser
et de maîtriser leurs mimiques et expressions ? Une mise en place des
jeux de mime et d’activités de feed-back collectif doit s’organiser sans
heurter la pudeur des plus timides ou des plus inhibés.

— 99 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

EXERCICE N° 3 : LE MIME
À l’aide de mon corps, de ma posture, de mon visage et de mes gestes, je mime la
métamorphose suivante : Je me réveille le matin
et je suis un gnome aigri et renfrogné. Je me lave,
je prends mon petit déjeuner et avale une pilule
magique. Celle-ci agit sur moi et me transforme
progressivement en géant, joyeux et fort. Je mime
les situations et aventures de ma journée au fur
et à mesure de ma métamorphose.
Je fais preuve d’imagination et de créativité. Mes
gestes et mes mouvements racontent l’histoire.
Mon corps et mon visage expriment les émo-
tions. Et ma posture décrit la métamorphose.
Le langage verbal est proscrit.
Le retour de mon public (ou de mon smartphone)
me permet de mesurer le niveau d’expressivité et
de clarté de mon langage corporel. Cet exercice
développe aussi ma créativité.

3. MESURER LA PORTÉE DE SA VOIX

3.1 États internes et inflexions vocales


La voix est une conséquence du corps (plus de 300  muscles entrent en
action) et il semble logique que ce que le corps exprime, la voix l’exprime aussi.
Car chacun des paramètres vocaux est la conséquence d’une mécanique particu-
lière influant sur la qualité et la nature du son.

Comprendre les interactions entre le corps et les inflexions vocales

La soufflerie, mécanique respiratoire responsable de l’alimentation du


son, sera à l’origine de la puissance de la voix, de son soutien et de son
« énergie ». Elle fait intervenir le diaphragme, le buste, le dos, le bassin, les
épaules, la posture…
L’émetteur, ou encore la source de la voix elle-même, provient de  la
vibration des cordes vocales dans le larynx. La taille et l’épaisseur de celles-ci
déterminent la hauteur du son et par conséquent notre registre vocal : grave,
médium ou aigu. (Elles peuvent influer sur la sonorité de la voix, lorsqu’il
y a des altérations comme des nodules par exemple, ce qui produit un
timbre éraillé.)

— 100 —
Mesurer la portée de sa communication

L’amplificateur du son détermine le timbre de la voix et dépend essen-


tiellement des résonateurs : les lieux de résonance où le son est projeté. Il
est constitué par la bouche, le pharynx, les zones du visage… (Nous avons
tous des voix différentes car nous avons des visages différents et selon
les zones de résonance, la voix sera différemment colorée.)
Ainsi une posture comprimée, inadaptée, où le croisement des bras limite l’ou-
verture des côtes flottantes, aura pour effet de contraindre la respiration et la
projection du son. La voix est alors étouffée, peu vibrante et l’orateur aura des
difficultés à gérer son souffle sur des phrases longues. (Et les compensations
mécaniques adoptées pour « faire sortir le son » peuvent de plus contribuer à
des problèmes vocaux.) L’image d’une personne en retrait et en fermeture sur
le plan physique se perçoit donc aussi sur le plan vocal. Et les états corporels
s’entendent.

UN EXEMPLE
Sous l’effet de la colère et de la pression forte de l’air arrivant sur les cordes
vocales, la voix « part » dans les aigus, en plus d’une nette augmentation de
l’intensité (décrédibilisant au passage la personne qui perd ses moyens).
Et lorsque l’on a la gorge serrée, ou des contraintes diverses au niveau du
larynx, il est difficile de moduler la hauteur de sa voix.

En pratique : Le corps et le son


Pour en faire l’expérience, j’émets un son, puis tout en le projetant, je
relève la langue pour envoyer la vibration dans la gorge… Ça y est, le
timbre de ma voix a été modifié.
Je peux aussi produire une note et la maintenir en balançant ma tête de
l’avant vers l’arrière. Ainsi, je sens les zones de résonance se déplacer
et modifier le son de ma voix.

Je mesure l’impact de mon corps et de ma physiologie


sur mes inflexions vocales.
L’ouverture de la bouche, le placement de la langue, les tensions du visage, la
posture, la position de vos épaules, de votre bassin ou encore votre mécanique
respiratoire vont ainsi agir sur le son. Il y a donc un lien très étroit entre vos res-
sentis et votre physiologie ou vos émotions, prenant racine dans le corps et se
manifestant dans votre voix.

Évaluer l’impact des émotions sur la voix


Lorsque nous sourions, notre voix est plus « ouverte », plus sonore. Inversement,
lorsque nous avons la nuque tendue, la mâchoire serrée, le visage contracté

— 101 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

et la bouche à peine ouverte, le son est alors « éteint », sourd et peu coloré. La
voix traduit ainsi non seulement les expressions de notre visage, mais il existe
même une dimension universelle du langage liée aux inflexions vocales,
vecteurs directs de nos émotions et de notre état.
Les expériences de la psycholinguiste Disa Sauter ont par exemple révélé que
des émotions primaires étaient perceptibles et intelligibles à travers la voix,
quels que soient le peuple, la langue et la culture. Car nous ressentons tous la
peur, la colère, la tristesse ou la joie de façon identique sur un plan physiolo-
gique. Il est logique que la manifestation vocale qui en résulte soit, par consé-
quent, identique et universellement identifiable.

UN EXEMPLE
Maxime affirme que, lorsqu’il est au téléphone, il sait instantanément
comment se tient la personne au bout du fil et quelle est son humeur. Et il
ajoute « si c’est quelqu’un que je connais, alors je peux dire au son de sa voix
s’il y a quelque chose qui cloche ».

Nous percevons non seulement les émotions ou l’état d’une personne à travers
ses inflexions vocales, mais nous identifions aussi sa posture et tous les signes de
rigidité et de fermeture. Par exemple lorsque la voix est étouffée, peu sonore,
avec un son « pincé », sec et dur, résultant de « serrage » et de contractions. Or ces
paramètres sont associés à un manque d’affirmation, de présence et de crédibi-
lité. Ils ont de plus un impact anxiogène sur l’interlocuteur, comme c’est le cas
aussi pour le langage corporel. (Bien que le simple stress ne soit pas lié nécessai-
rement à un danger de vie ou de mort, il est toutefois appréhendé comme tel et
traqué aussi dans nos inflexions vocales.)

L’étude réalisée en 2014, par le psychologue Pascal Belin à Glasgow,


révèle que le cerveau est en mesure d’associer presque instantanément
les critères de confiance, d’autorité ou de crédibilité d’une personne à la
simple prononciation du mot « Hello ». Nous mettons ainsi moins d’une
seconde à nous faire une idée assez précise d’une personnalité à la simple
écoute de sa voix.
Dans une autre étude de 2014, le neuropsychologue Kevin Ochsner de
l’université de Columbia, rapporte que le cerveau humain, motivé par son
instinct de survie, recherche l’association avec les personnalités « domi-
nantes » et charismatiques, qu’il est capable de repérer rapidement à travers
des signes aussi ténus que les intonations vocales.

Identifier l’impact de la rythmique interne sur la voix


Enfin, nous avons vu l’importance des notions de synchronisation et de ryth-
mique. Or la voix est le révélateur immédiat de notre rythmique interne. En effet,

— 102 —
Mesurer la portée de sa communication

il y a une interaction subtile entre le cœur et les poumons, intrinsèquement


liés de manière mécanique. Toute action au niveau respiratoire influe sur le
fonctionnement cardiaque, tout comme les battements du cœur modifient le
volume et la pression dans la cage thoracique et se répercutent sur la respiration.
Votre souffle, et par extension votre voix, se déploient au rythme de votre cœur
et de vos émotions.

UN EXEMPLE
Sous l’effet de la peur, le cœur s’accélère, la pression de l’air devient plus
forte. Ainsi le volume augmente et le rythme de la parole s’accélère. De
la même manière, l’agitation est marquée par une rythmique saccadée et
une diction rapide. Inversement, lorsque nous sommes calmes et détendus,
notre débit est plus lent et notre voix plus posée.

Ainsi, le mécanisme de synchronisation, de la même façon qu’il se met en


place à un niveau corporel, s’opère aussi sur un plan vocal (à condition qu’il
s’agisse d’une relation de confiance et d’intérêt). Lorsque nous avons établi un
lien avec notre « public », alors celui-ci aura tendance à caler sa respiration sur la
nôtre et sur notre rythmique interne. (Nous approfondirons ces techniques au
cours des chapitres suivants.)

DES EXEMPLES
Qui n’a pas souvenir, lors de son cursus scolaire, d’un professeur à la voix
monocorde et au débit particulièrement lent qui finissait par endormir toute
la classe ?
Et lorsqu’on a un caractère énergique et vif, écouter un débit lent avec une
voix douce et posée, à défaut de nous endormir, peut agacer et apparaître
comme de la mollesse ou de la mièvrerie.

Car la façon dont nos inflexions vocales sont perçues dépend aussi de l’état
et de la « personnalité vocale » de l’individu face à soi. Imaginons que l’on soit
particulièrement dynamique, avec une diction très rapide et une voix tonique.
Si la personne à qui nous nous adressons est sur un mode beaucoup plus lent
et calme, elle va alors se sentir heurtée par notre expression qu’elle jugera trop
« agitée » ou « fatigante ».
• Or quelle conscience avez-vous de ces interactions ?
• Quels sont ces changements subtils qui s’opèrent dans votre voix, selon
votre posture, vos émotions ou vos expressions ?
• Avez-vous connaissance de ce qui transparaît dans chaque inflexion vocale ?
• Et mesurez-vous réellement la portée de ce que votre propre voix
communique ?

— 103 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

EXERCICE N° 4 : LA BANDE-SON DE MES ÉTATS


J’enregistre ma voix en adoptant des postures et des états différents :
État n° 1 : Sur le plan mental et émotionnel :
je pense et visualise un moment où je me
sentais renfermé, contrarié, déprimé ou en
colère. Sur le plan corporel et vocal : j’ai la
mâchoire serrée, les bras totalement repliés,
le visage sombre, fermé, dépité…
État n° 2 : Sur le plan mental et émotionnel :
je pense et visualise un moment où je me
sentais calme, détendu, joyeux ou rempli
d’énergie. Sur le plan corporel et vocal : j’ai la
mâchoire ouverte, le visage
souriant, le corps souple
détendu, les bras ouverts…
Feed-back : J’écoute l’enregistrement et mesure l’impact de mon
état, de ma posture et de mes tensions corporelles sur ma voix et
ma communication. https://lienmini.fr/
lavedrinev7

Je mesure l’impact de mes inflexions vocales


sur mon interlocuteur et sur ma communication.
Évaluer les différents paramètres vocaux
En développant nos capacités d’écoute et d’analyse, nous développons aussi
nos compétences vocales. Car l’on ne peut reproduire que ce que l’on identifie
bien, raison pour laquelle les sourds sont aussi muets. Il est donc capital, pour sa
propre progression de prendre conscience et de s’entraîner à évaluer les diffé-
rents paramètres des voix autour de nous. Parmi ces paramètres, nous pouvons
citer le registre (hauteur), l’intensité (volume), le timbre (sonorité), la rythmique
du débit et l’articulation.

En pratique : Le diagnostic vocal


Je m’entraîne à identifier les différents paramètres des voix autour de moi
(amis, collègues, interlocuteurs divers…).
Volume de la voix  : Est-il trop faible ou trop fort ? Est-il adapté au
contexte ? Est-il varié ?
Hauteur et intonations  : Le registre de la voix est-il plutôt grave ou
plutôt aigu ? La voix est-elle monocorde ou à l’inverse les intonations
sont-elles variées ?

— 104 —
Mesurer la portée de sa communication

Débit et rythmique : Le débit est-il plutôt lent ou rapide ? Le rythme de la


parole est-il régulier ou y a-t-il des accélérations ou des ralentissements ?
Diction, articulation : La diction est-elle claire ? Les mots clés sont-ils
marqués ? Ou alors, la voix est-elle « molle », peu articulée, ou au contraire
avec une articulation trop appuyée, exagérée ?
Timbre et expressions faciales : Le visage est-il fermé
et peu expressif avec un timbre de voix plat et sans relief ?
Le visage est-il dur avec des expressions tendues et mar-
quées et une sonorité vocale stridente ? Le visage est-il
souriant et ouvert avec un timbre de voix chaleureux ?
Image véhiculée  : La voix traduit-elle une personnalité https://lienmini.fr/
lavedrinev8
effacée ou à l’opposé exubérante ou intrusive ? Est-elle au
service du discours et donne-t-elle le sentiment d’une personne présente
et crédible ? Quelle image renvoie-t-elle ?

Plus je développe mon écoute et mon analyse


de la portée des voix qui m’entourent,
plus j’enrichis ma propre palette vocale.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment gérer la pratique individuelle au sein du collectif ? Il est capital
d’intégrer chaque fois tous les participants et l’on peut s’interroger sur les
moyens à mettre en œuvre pour développer les compétences d’écoute et
d’analyse de ceux qui observent : fournir des grilles d’évaluation, aider au
diagnostic collectif, initier aux notions théoriques des paramètres vocaux
et de leur impact…

3.2 Petit précis de grammaire vocale

La voix est ainsi une projection de soi, de sa pensée, de sa parole, de son état et
de ses émotions. Elle renvoie une image assez précise de qui nous sommes, de
nos dispositions et possède son propre langage.

Identifier l’impact du volume


Le volume par exemple – on parle aussi d’intensité – dépend directement de notre
souffle et de notre énergie. Il symbolise donc notre puissance (on parle d’ailleurs
de la puissance du son). Et il traduit la place que l’on prend dans la relation.

— 105 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

DES EXEMPLES
Une personne timide, n’osant affirmer sa parole face à l’autre aura une voix
en retrait avec un volume faible. Inversement, une voix bien présente avec
un volume assez fort est la marque d’une personnalité affirmée et sûre d’elle.
Et une personne cherchant à exister au sein de la relation, désirant se faire
entendre ou qu’on la remarque, aura tendance ainsi à augmenter le volume.

Or réquisitionner l’espace sonore avec un volume trop fort, que j’aurais tendance
à qualifier de totalitarisme vocal, peut marquer une prise de pouvoir. On se
sent rapidement agressé par des voix trop puissantes perçues comme autori-
taires. En coaching, il m’arrive fréquemment d’accompagner des personnes à
qui l’on reproche d’être agressives alors qu’elles ont juste des difficultés à adapter
le volume de leur voix. Les cordonniers étant les plus mal chaussés, la phrase
fétiche de mon père est d’ailleurs « je ne crie pas, je parle avec passion » !
Cependant, le volume est aussi dépendant du type d’échange et du contexte. Un
volume faible, impliquant un certain rapprochement, témoigne aussi du niveau
d’intimité. Parler doucement n’est donc pas nécessairement signe de retrait ou
de timidité mais peut être aussi une marque de proximité. Tout comme il semble
logique de parler plus fort lorsqu’il y a du monde et que l’espace est grand, sans
pour autant faire preuve d’autoritarisme vocal.
Enfin, comme le volume symbolise notre présence, il manifeste aussi ce à quoi
nous accordons de l’importance. Lorsqu’un mot est plus fort par exemple, cela
souligne le fait que nous mettons notre intention sur ce mot-là plutôt qu’un autre
et cela fait sens.

À travers notre volume,


nous affirmons notre place et notre parole.

Identifier l’impact de la hauteur


Ensuite la hauteur de la voix, que l’on qualifie de registre, peut être grave,
médium ou aiguë. Elle est le vecteur direct de nos émotions. Et une voix expres-
sive présentera ainsi de nombreuses variations « mélodiques », à l’inverse d’une
voix monocorde et inanimée. Nous avons d’ailleurs toujours tendance à parler
dans un registre plus aigu, avec de nombreuses intonations lorsque nous sommes
dans une relation affective, tandis que notre voix se déploiera dans les graves,
sur un ton plus neutre lors d’un rapport hiérarchique par exemple.

Les travaux de recherches du docteur en linguistique Rosario Signorello


montrent qu’un leader souhaitant soumettre et affirmer sa dominance utili-
sera une fréquence fondamentale basse. Alors que s’il souhaite apparaître
comme sincère, bienveillant, calme et rassurant, il adoptera une fréquence
plus haute.

— 106 —
Mesurer la portée de sa communication

Considérant les différences anatomiques du larynx (déterminant de la hauteur)


entre les hommes et les femmes et un contexte culturel longtemps patriarcal,
il est logique que les graves, associés au masculin, fassent figure d’autorité, de
pouvoir et de prestance. Tandis qu’un registre plus aigu, associé au féminin, sera
davantage porteur de sensibilité et d’affect.

DES EXEMPLES
À travers le chant, dans les livrets d’opéra, le personnage le plus âgé, faisant
preuve de sagesse et de modération, ou détenteur du pouvoir, aura toujours
un registre de basse. Tandis que la jeunesse et l’impétuosité, ou la passion
et la fougue d’un personnage masculin, seront associées au registre de
ténor (registre aigu d’homme).
Musicalement, il y a même cette notion de « poids » symbolique attribué à
la hauteur en lien avec le poids réel du personnage ou de l’objet. L’éléphant
sera représenté par une figure mélodique grave, la souris par des notes
aiguës. (Les instruments les plus gros produisent d’ailleurs les fréquences
les plus basses.) Ampleur, taille, « aura », prestance, épaisseur, poids, force
et densité sont véhiculés par la hauteur de la vibration émise.

Le registre de voix utilisé est donc non seulement révélateur de la dimension


émotionnelle de la parole, mais il est aussi associé inconsciemment au leader-
ship des individus.
Et si une voix présentant peu de variations d’intonations semble dépourvue d’af-
fect, elle n’en est pas moins adaptée à un certain type d’échanges. Il est donc
important de ne pas analyser ce paramètre de façon absolue mais relative à un
contexte relationnel. Il semble plutôt déplacé d’arborer une voix plutôt haut per-
chée et mélodieuse, aux inflexions variées et chantantes, au cours d’un rapport
hiérarchique, tout comme utiliser un registre grave ou médium sans variations
pourra sembler froid lors d’un échange émotionnel.
Enfin, notre registre vocal est aussi porteur de sens et d’intention. Une phrase
dont la ligne mélodique est ascendante induira un questionnement. Tandis qu’une
phrase « retombant » dans les graves peut indiquer un ordre ou marquer la fin d’un
propos. Nos intonations font donc sens et peuvent transmettre parfois bien au-delà
des mots. Ainsi, la simple phrase « tu viens manger » peut exprimer un ordre, une
invitation, un questionnement, de l’intérêt, de l’agacement ou de la bienveillance
selon qu’elle soit prononcée avec un ton énergique, vindicatif, doux ou interrogatif.

Nos intonations font sens et sont liées


à la dimension émotionnelle de la parole.
Identifier l’impact de la diction
La diction, ensuite, est elle aussi porteuse de sens. Elle facilite la compréhen-
sion. Elle est liée à la manière de prononcer les mots, à votre articulation et peut

— 107 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

se teinter d’accents divers. Et elle influe par conséquent sur la sonorité de la voix,
car selon la position de la langue, des lèvres ou de la mâchoire, le son sera pro-
jeté dans des zones différentes.

DES EXEMPLES
Les « M » ou les « N » résonneront ainsi dans le nez, les « K » et les « R » dans
l’arrière-gorge ou encore les « D » ou les « T » seront projetés vers l’avant
de la bouche. Les différentes consonnes vont ainsi structurer et apporter
du relief à la voix en lui conférant une certaine scansion et un aspect quasi
percussif. Essayez de prononcer en chuchotant « P K T CS K T TS », et vous
mesurerez à quel point l’articulation contribue à la rythmique d’une voix. Et
lorsque les voyelles sont ouvertes et marquées, le son est alors plus rond,
plus doux et plus mélodieux.

Ainsi, selon la langue et la région, la voix ne « sonne » pas de la même manière


et l’impact sur l’auditeur est différent. Certaines langues comme l’allemand,
dont les consonnes sont très marquées véhiculeront ainsi une image plus dure
et « rugueuse ». L’italien, qui à l’inverse a des voyelles très ouvertes et appuyées,
est une langue beaucoup plus chantante et suave. Le niveau de « sensualité »
véhiculé est ainsi directement lié à votre manière de marquer les voyelles ou les
consonnes. Et les accents régionaux ont aussi un impact. Ils sont rapidement
identifiés et catégorisent instantanément les individus.

Une étude récente des linguistes Jean-Michel Géa et Médéric Gasquet-Cyrus


montre que sous l’influence de l’arrivée massive d’une population plus aisée
et plus diplômée, l’accent marseillais chantant et « populaire » du vieux port
est en train de se modifier. Le niveau social et culturel des individus est
aussi transmis par la prononciation.

Enfin la diction révèle aussi le tonus et le niveau d’énergie, en plus de témoi-


gner de la considération que l’on porte à son interlocuteur. Moins la parole
est articulée, plus la personne semble molle et « fainéante » lorsque le débit est
lent, ou alors totalement irrespectueuse de l’auditeur si le débit est rapide. Une
voix qui articule est une voix tonique et présente, qui tient compte d’autrui. Mais
attention, trop articuler peut être mal perçu. Car faciliter exagérément la com-
préhension de l’autre en décomposant ses mots avec outrance laisse planer le
doute quant à la valeur qu’on accorde à son intelligence.
Généralement l’articulation est exagérée uniquement avec les petits enfants ou
les très vieilles personnes (qui n’ont plus toute leur tête, ou toutes leurs « oreilles »,
ou bien les deux.) En d’autres contextes, soigner excessivement sa prononciation
peut donner le sentiment que l’on prend l’autre de haut. Et ce que l’articulation
suggère dépendra là encore du contexte et de l’interlocuteur, de son niveau de
fatigue et de compréhension, ou de son propre accent.

— 108 —
Mesurer la portée de sa communication

Par notre diction, nous facilitons l’écoute et véhiculons


notre personnalité et notre niveau culturel et social.

Identifier la rythmique et le débit


Ensuite, à la diction s’ajoute la notion de phrasé, manière de rythmer et de ponc-
tuer sa parole. Il y a, d’un côté, la notion de débit, qui peut être lent, modéré ou
rapide. Et de l’autre, la notion de rythmique qui induit les variations de débit et
les pauses que l’on peut marquer lors de sa prise de parole. Une rythmique mono-
tone, sans pauses, sans variations peut donner ainsi le sentiment de quelque chose
de « mort » ou d’inanimé. Cela véhicule l’image d’une personne ennuyeuse, terne
et sans surprise. Plus les silences sont placés judicieusement au contraire, plus il y
a de variations rythmiques et plus vous suscitez l’intérêt et la curiosité.
Le mouvement est la manifestation du vivant et de l’énergie. Plus il y a de mou-
vement rythmique, plus vous apparaissez comme une personne présente et
animée.
La vitesse du débit, comme nous l’avons abordé précédemment, traduit ainsi vos
états internes. Un débit lent donnera de vous l’image d’une personne calme et
posée, voire molle et apathique selon l’interlocuteur. Tandis qu’une parole rapide
révélera votre niveau d’énergie, voire d’agitation intérieure car, tout comme les
paramètres précédents, la dimension de ce qui est transmis dépend de la situa-
tion relationnelle et de la personne face à vous, de ses propres états internes.

À travers le rythme de la parole, nous influons


directement sur l’aspect sensoriel du langage,
sur ce que l’on donne à sentir et à percevoir.

Identifier la portée du timbre


Enfin le timbre, c’est-à-dire la coloration de la voix, sa sonorité, est sans doute
le paramètre le plus subtil. Probablement parce qu’il est unique et propre à
chacun. Il représente véritablement qui vous êtes, il est votre « carte de visite ».
Il traduit toutes les expressions de votre visage (intervenant dans la résonance)
et exprime ainsi directement vos émotions. Certains timbres sont chaleureux,
accueillants, lorsque la bouche est ouverte par exemple. D’autres sont pincés,
durs, sévères, parce que la mâchoire est serrée.
Combiné lui aussi à la prononciation, il peut être plus ou moins nasal ou guttural.
Ainsi, le simple fait de parler dans une autre langue modifie la résonance de
notre voix. L’anglais ou l’espagnol sont, par exemple, des langues particulière-
ment timbrées. Quant aux langues asiatiques, elles sont souvent très nasales.
Et ce qui semble habituel pour certaines cultures peut être très désagréable pour
d’autres. Pour un Européen, la nasalité d’une voix peut ainsi apparaître comme
irritante (voire même sarcastique d’après le docteur Jean Abitbol.) Car, comme

— 109 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

le souligne le phoniatre Guy Cornut, nos critères d’appréciation sont dépen-


dants de codes culturels ou sociaux.

Le docteur Christophe Haag constate l’aspect fatigant et désagréable des


voix stridentes et haut perchées car elles contiennent davantage d’« ondes
sonores » activant les zones cérébrales en charge du traitement des bruits
complexes, réclamant ainsi plus d’efforts à l’auditeur. Par ailleurs, elles
résultent d’une difficulté à gérer son larynx sous la forte pression de l’air et
sont ainsi mal vues, car perçues comme le résultat d’une attitude hystérique
ou manquant de contrôle.

Il existe donc une multitude de voix plus ou moins charismatiques et appréciées.


Certaines sont rocailleuses, chaudes, épaisses et charismatiques, quand d’autres
sont fluettes, nasillardes, ou perçantes. Et si l’on ne peut modifier certains para-
mètres physiques innés responsables de notre timbre, nous pouvons cependant
agir sur celui-ci en contrôlant nos résonateurs, à l’aide des muscles de notre
visage, de notre langue, de notre bouche… Et le timbre est ainsi modifié, dans
une certaine mesure, par nos mouvements, notre diction et nos émotions.

Le timbre, véritable « visage » vocal, contribue


pour une large part au capital séduction de notre voix.

Observer l’ensemble des paramètres


Par ailleurs, tout comme dans l’analyse du langage corporel, on ne saurait
réduire l’analyse d’une voix à des paramètres isolés, mais on doit s’intéresser à
un véritable cluster vocal, c’est-à-dire incluant l’ensemble des paramètres en
lien avec la physiologie et la personnalité de l’orateur. Il s’agit d’une approche
holistique observant la personne dans sa globalité.

Le docteur Christophe Haag, par exemple, constate que les patients dépres-
sifs ont un débit ralenti, une voix inexpressive aux intonations peu variées et
une élocution peu précise. Pour le chercheur Michael Argyle, les personnes
extraverties auraient un volume plus fort avec un ton plus aigu et un débit
plus rapide. Je rajouterai une grande variation dans les intonations vocales
et lorsque l’on comprend comment fonctionne la physiologie vocale, ces
résultats relèvent du bon sens.
Ainsi, il précise que les jeunes ont une plus grande vélocité et une intensité
plus forte que les personnes âgées, et que la voix véhicule davantage l’émotion
que le visage. Notons cependant que la sonorité vocale est une conséquence
des expressions faciales. Mais nous pouvons plus facilement contrôler nos
mimiques que nos états internes. Il est donc logique qu’il soit ardu de maîtriser
parfaitement ses inflexions vocales, à l’inverse de son apparence.

Enfin, on ne peut analyser la portée d’une voix que dans le cadre d’une situation
relationnelle précise.

— 110 —
Mesurer la portée de sa communication

Mesurer l’impact de sa voix dans la relation


• Alors, quel est le contexte dans lequel vous vous trouvez ? Êtes-vous dans
une petite pièce, dans un hall d’amphithéâtre, sur la place publique ? Vous
adressez-vous à une seule personne, à un groupe ?
• Et quelle est votre intention relationnelle ? Devez-vous capter l’attention,
toucher, rassurer, inspirer, informer, convaincre ?
Selon le contexte, les paramètres vocaux n’auront pas tous le même impact. La
fonction intellectuelle de la voix (ce que l’on donne à comprendre) sera ainsi
davantage sollicitée si l’on souhaite informer ou convaincre. Les paramètres
vocaux les plus significatifs seront ainsi la diction, l’intensité sur la mise en valeur
des mots clés, le phrasé et les intonations.
La fonction émotionnelle de la voix, c’est-à-dire ce que celle-ci donne à res-
sentir, sera capitale si l’on souhaite transmettre une émotion ou toucher son
interlocuteur. Elle est liée principalement à l’expressivité vocale, aux variations de
hauteur, à la notion de mélodie vocale et à la sonorité de la voix.
Enfin la fonction sensorielle, c’est-à-dire ce que l’on donne à voir, à entendre,
à sentir, sera significative si l’on souhaite influencer l’état et la « disposition » de
son interlocuteur. Les notions de timbre, de rythmique interne et par conséquent
de débit ainsi que l’ensemble des « vibrations » que l’ont émet auront un impact.

En pratique : Je détermine mon profil vocal


Niveau de présence et d’affirmation  : Effacé / Présent / Autoritaire
Mon volume est-il trop faible, trop fort ou adapté au contexte ?
Niveau émotionnel / Capital sympathie : Froid et distant / Sympathique /
Hystérique
Ma voix est-elle monocorde, expressive ou « surjouée » et trop
« chantante » ?
Mon registre est-il trop grave, trop aigu ou adapté à la situation ?
Mon timbre est-il sourd et terne, rond et agréable ou criard et nasillard ?
Niveau d’intelligibilité du discours / Crédibilité  : Incompréhensible /
Intelligible / Simplificateur ; Crédible / peu crédible
Ma voix est-elle non articulée, articulée ou trop articulée ?
Mes intonations sont-elles inexistantes, au service de mon propos
ou exagérées ?
L’intensité de ma voix est-elle adaptée au sens de mon propos avec
une mise en valeur des mots clés ?
Mon débit est-il trop lent, trop rapide ou adapté ? La rythmique de ma
voix est-elle variée ou monotone ? Y a-t-il des pauses dans ma prise
de parole et sont-elles adaptées à mon propos ?
Mes inflexions vocales sont-elles en accord avec mon propos, suis-je
congruent ?

— 111 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

La problématique de l’enseignant-formateur
Je m’interroge sur mes propres compétences de formateur à l’expres-
sion vocale et sur ma capacité à « écouter » et à identifier les différentes
inflexions de la voix. Je m’entraîne à écouter et à analyser les voix autour
de moi selon leurs différents paramètres : volume, hauteur, timbre, débit,
rythmique.

EXERCICE N° 5 : L’ÉMISSION RADIO


1 – Expérimenter : Je participe à une émission
radio et, sur le texte de mon choix, je lis avec
un ton et une attitude adaptés selon le contexte
et le rôle que j’endosse :
– Le journaliste avec le ton de l’information
– Le comédien avec le ton de la narration
– L’homme politique avec le ton de la
persuasion
J’adapte mes inflexions vocales, ma posture
corporelle, ma position relationnelle selon mon
interlocuteur et mon objectif.
2 –  Analyser  : À l’aide de ma webcam, je
filme ma prestation et mesure l’impact des
paramètres vocaux et corporels dans l’image
que je projette et ce que je communique, lors
de ces trois intentions.

La richesse de notre palette vocale est donc un élément de notre langage à part
entière. Elle donne une image de notre personnalité et traduit notre état et
nos émotions. D’où l’importance de créer un état de cohérence interne entre
notre pensée, notre discours, nos ressentis et notre personnalité, générateur de
postures et d’inflexions vocales spécifiques. Car choisir de contrôler sciemment
chacun des éléments techniques et paramètres corporels ou vocaux relève non
seulement de l’exploit mais finit par parasiter l’authenticité de notre prise de
parole.
Et c’est bien cette authenticité qu’il convient de préserver afin d’être congruent.
Car tous les signaux présentant un désaccord entre la gestuelle, la voix et le
langage verbal parasitent totalement la communication et ont un impact très
négatif.

— 112 —
Objectifs

MON COURS DE PRISE DE PAROLE N° 3


https://lienmini.fr/ (SEMAINE 3 À 4)
LAVEDRINE3

Problématique  : Comment percevoir et mesurer l’impact de ce que je


communique ?

OBJECTIFS

• J’apprends à affiner ma capacité d’écoute, j’apprends à développer mon attention


en situation relationnelle.
• J’apprends à observer et à mesurer l’impact de la voix, du langage corporel et des
mots (j’apprends à formuler un message clair et congruent).
• J’apprends à analyser et à prendre en compte le feed-back que je reçois, j’apprends
à m’auto-évaluer.

Parcours et progression
Les étapes de mon succès
1. Prendre conscience des différents vecteurs de la communication
(Écoute)
2. Mesurer et contrôler la portée de ces vecteurs (Outils)
3. Apprendre à analyser ces vecteurs au sein de ma communication et
de celle de mon interlocuteur (Feed-back)

Outils

Exercice n° 1 : Les mots bleus


En pratique : Règle des 3C et Reformulation, Feed-back et Écoute active,
Le Vakog
Exercice n° 2 : La posture inverse
En pratique : Test « quel orateur suis-je ? »
Exercice n° 3 : Le mime
En pratique : Le jeu du miroir, Non verbal et Feed-back, Identification des
gestes, Le diagnostic corporel, Un visage expressif
Exercice n° 4 : La bande-son de mes états
En pratique : Le corps et le son
Exercice n° 5 : L’émission radio
En pratique : Le diagnostic vocal, Je détermine mon profil vocal

— 113 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

AUTO-ÉVALUATION ET FEED-BACK :
UN PREMIER BILAN

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
J’ai conscience de mes mécanismes cérébraux
et des filtres qui parasitent ma vision du monde.

J’ai conscience que je peux me tromper et fais


preuve d’humilité.
M
E Je sais que mon écoute n’est pas parfaite
N et je reste ouvert à mon interlocuteur.
T Je mesure l’impact des messages inconscients
A en moi sur ma communication.
L
J’ai conscience de l’impact de mes pensées
et de mes émotions sur mes états internes.

Je me sens détendu et en confiance


quand je prends la parole.

Je sais reformuler de manière naturelle


les propos de mon interlocuteur et je n’hésite pas
à questionner.

Je sais présenter une idée de façon claire


V et succincte.
E
R J’ai un vocabulaire riche.
B Je sais utiliser un vocabulaire sensoriel.
A
L Je sais créer des suggestions de façon consciente
et identifier celles de mon interlocuteur à travers
les mots.

Je sais identifier les jeux relationnels


et les rapports de force à travers le langage.

— 114 —
Auto-évaluation et Feed-back : Un premier bilan

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
En situation j’ai conscience et je mesure l’impact
de ma posture sur mon interlocuteur.

Je mesure la distance proxémique et son impact


dans un échange.

Je mesure l’impact de ma gestuelle


C sur mon interlocuteur.
O
R Je mesure l’impact de ma respiration,
P de mon niveau de souplesse et de mes états
O internes sur mon interlocuteur.
R
E Je suis attentif à la posture et à la gestuelle
L des gens autour de moi et à ce qu’ils impriment
en moi.

J’ai conscience des expressions de mon visage


et de ce qu’elles suggèrent.

Au cours d’un échange, j’ai conscience


de mon regard et de ce qu’il véhicule.

J’ai conscience de ma voix et de ses inflexions.

Je mesure l’impact de mon volume sur mon


interlocuteur.

Je mesure l’impact de mes intonations


et de mon registre vocal sur mon interlocuteur.

V Je mesure l’impact de mon articulation


O sur mon interlocuteur.
C Je mesure l’impact de mon débit
A sur mon interlocuteur.
L
Je mesure l’effet de mes émotions sur mon
timbre et l’impact sur mon interlocuteur.

Je suis attentif aux voix des personnes qui


m’entourent et à ce qu’elles impriment en moi.

Je sais identifier les différents paramètres


des voix autour de moi.

— 115 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Mon bilan / synthèse


Mes atouts :
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..................................................................................................................
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Mes axes d’amélioration :


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Les exercices et pratiques à approfondir :


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— 116 —
CHAPITRE

4
Entrer en relation
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1. ÊTRE FACE À L’AUTRE

1.1 Être Soi : Parler vrai parler juste

Prendre la parole c’est faire entendre sa voix. C’est prendre position lors d’un dis-
cours et affirmer son point de vue. C’est soumettre sa pensée à autrui. C’est ren-
contrer l’autre et partager. C’est prendre sa place et se confronter au monde.
Et il y a une grande différence entre se mettre en scène et livrer sa parole.
Réduire un échange à des trucs et astuces gestuelles, corporelles, vocales, ou à
des outils rhétoriques reviendrait à dénaturer la parole. Aucune congruence n’est
possible sans sentiment d’adhérence et de cohérence interne.

Être Soi
Pour autant, la problématique existentielle du « Qui suis-je ? » et « Quelle est ma
place dans cette relation ? » ne saurait être résolue ici. Le conseil généraliste le
plus cliché en prise de parole en public, le plus déstabilisant et le moins construc-
tif étant sans doute  : « Soyez vous-même ! ». Ce qui impliquerait une certaine
connaissance de Soi, celle-là même qui par essence naît de l’expérience, d’un
cheminement continu et d’un apprentissage constant. Alors, on pourrait être
tenté de se demander « que faire en attendant ? ». Et peut-on véritablement être
autre chose que soi-même ?
Par ailleurs, être soi-même lorsque l’on est naturellement peu à l’aise à l’oral, gros-
sier ou perpétuellement en conflit et vindicatif, n’est pas l’un des meilleurs conseils
qui soit. Les notions de progression personnelle, d’amélioration, d’apprentis-
sage et pire, d’adaptation à l’autre et au contexte semblent évincées. Comme
ces personnes qui, sous prétexte d’honnêteté, disent tout ce qu’elles pensent
alors qu’elles devraient uniquement se contenter de penser ce qu’elles disent pour
paraphraser Hypolite de Livry. Et livrer sa parole sans tenir compte du contexte
relationnel et de la personne face à soi, est-ce véritablement communiquer ?

Étymologiquement, communicare signifie « être en relation avec ». Il y a


tout d’abord la notion du Soi et de l’Être à appréhender et il y a la prise en
compte de l’autre et de la relation. Le terme « avec » impliquant un lien et
une collaboration. C’est ensemble, l’un avec l’autre, et non l’un face à
l’autre ou l’un contre l’autre que nous communiquons.

Être Soi avec l’autre


Or la relation est un système complexe. Elle est régie par des phénomènes de
causes à effets. Car nous sommes tous en interaction et par conséquent en
réaction à la communication de l’autre. Que l’on prenne ou que l’on cède la
parole, nous rebondissons selon l’attitude et les réactions de notre interlocuteur.

— 118 —
Entrer en relation

Et il en est de même pour lui. Son comportement est une réponse au nôtre. (Les
jeux relationnels, de manipulation ou de rapports de force, qui peuvent d’ailleurs
se jouer au sein d’un échange n’ont d’existence que si les différents protagonistes
y participent.) On peut parler d’une véritable dimension systémique de la
communication, impliquant le Soi, l’autre et la relation.
Être Soi se conçoit donc au sein d’une dynamique relationnelle. Il s’agit d’un
positionnement. Et nous avons précédemment abordé la question sensible du
Soi face à l’autre et de la nécessité de trouver une parole juste, assurée, qui nous
inspire avant tout. Et ce, dans un but d’alignement personnel et d’authenticité.
Car c’est bien d’authenticité qu’il s’agit, d’être en accord avec ses valeurs, d’être
à l’écoute de ses besoins et de ses ressentis tout en considérant son interlocuteur.
Cette même authenticité qui réclame à la fois humilité et capacité à poser un
regard honnête sur ses propres croyances et opinions, où tester la validité de son
propos, nous l’avons vu, relève d’une véritable exigence citoyenne. (Cette pos-
ture a été abordée précédemment et je vous propose à présent de l’approfondir.)

En pratique : Valeurs et congruence


Il est capital lors de sa prise de parole de questionner son positionnement,
ses références et sa pensée. Aussi, lorsque je construis mon sujet, je me
demande :
Suis-je en accord avec cela ? Est-ce que je suis convaincu ? Est-ce que
je partage cette position ? En quoi suis-je ou pourrais-je être concerné ?
Quelles sont mes valeurs ? Qu’est-ce qui m’anime personnellement ?
Qu’est-ce qui peut être sensible pour moi concernant ce sujet ?
Je dois être moi-même convaincu de la véracité et de la justesse de mon
propos d’une part et je dois trouver « ma parole » celle qui fait sens pour
moi, qui porte mes valeurs et mes convictions, de l’autre. Et ce, afin d’être
authentique et congruent.

Ma parole est authentique. En construisant une parole


juste, en accord avec mes valeurs profondes,
je suis congruent et prends place face à l’autre.
Cette recherche du Soi et de la parole authentique prend toute son essence à
travers le travail vocal, et en particulier dans le fait de trouver sa voix.

Trouver sa voix
La voix représente l’essence, la vibration de l’être et l’incarnation de sa pensée
dans la matière. Or beaucoup s’expriment avec une voix contrainte et retenue,
sous l’influence des nombreuses injonctions sociales ; ou alors « travestie », modi-
fiée pour correspondre davantage au contexte.

— 119 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Certaines femmes tentent de baisser le registre de leur voix parce qu’elles
évoluent dans un milieu d’hommes. On se souviendra de Margaret
Thatcher prenant des cours au Royal National Theater de Londres dans
le but d’abaisser son registre et d’augmenter l’amplitude de sa voix afin
de présenter une image plus crédible, plus « dominante » et charismatique,
digne d’un chef d’État.

Les personnalités politiques ne sont pas les seules à avoir recours à ce type de
« rééducation », même si tous ne se font pas nécessairement accompagner. Qui
d’ailleurs n’a pas cherché, à un moment de sa vie, selon le « public » et l’envi-
ronnement, à avoir une voix plus solide, plus séduisante, plus impactante, plus
chaude, plus ample, plus « belle » ?…

En pratique : Le coquillage
Nous entendons notre voix plus grave, plus chaude et plus sourde que ce
qu’elle n’est réellement, puisque filtrée par nos tissus et notre ossature.
Et certains sont très déstabilisés par l’écoute de leur voix « réelle », très
différente de cette perception interne. Or, pour présenter sa voix à l’autre,
il faut pouvoir l’assumer. Se familiariser régulièrement avec son propre
son est une manière de l’accepter.
Je place mes deux mains en quinconce pour orienter le son de ma
bouche à mon oreille afin d’avoir une écoute plus extérieure de ma voix.
Je m’habitue et prends plaisir à écouter régulièrement ce son, la vibration
de mon timbre.

Notre voix est la chair de notre identité. Elle laisse entrevoir ce qui se passe
en nous, notre intériorité et relève de l’intime. On peut véritablement parler
d’image vocale. Et la recherche d’une « apparence sociale » idéale, adaptée à
une profession ou à un contexte relationnel particulier (désir de reconnaissance
ou de séduction), se révélant particulièrement à travers notre apparence phy-
sique et notre style vestimentaire, se manifeste donc aussi dans notre voix.
Toute la difficulté étant de trouver un équilibre satisfaisant entre cette image
sociale et une expression libérée et authentique. On utilise d’ailleurs le terme
de « voix naturelle ». Car si les questions de l’autre, du contexte et de la relation
sont nécessairement prises en compte dans le cadre de l’expression de Soi, on
peut se demander jusqu’à quel point nous devons nous adapter. Et jusqu’à quel
point sommes-nous encore naturels et authentiques ?
Sur le plan vocal, la réponse est simple  : la voix est naturelle jusqu’à ce que
l’on mette en place des mécanismes non naturels, qui nuisent à notre santé
vocale. (Sachant qu’il est plus facile d’identifier ce qui ne nous convient pas

— 120 —
Entrer en relation

que de rechercher ce qui pourrait nous correspondre.) Respecter sa « nature »,


ses valeurs, ses besoins ou ses limites physiques est la base d’une expression
authentique.
• Alors votre voix est-elle contrainte ? Jusqu’où votre « son » est-il travesti ?
• Et quelle est votre voix naturelle ?

DES EXEMPLES
Pour Mathilde, enseignante en lycée professionnel, les journées sont parfois
si éprouvantes qu’elle finit par perdre sa voix. « J’essaie toute la journée
de m’imposer vocalement, de faire en sorte que l’on m’entende et que l’on
me respecte en adoptant une voix grave et forte. L’année dernière, j’ai été
aphone pendant une semaine. »
Maryline, institutrice, quant à elle, tente de modifier son registre, trouvant
sa voix trop grave et manquant de douceur et de féminité  : « Le fait de
parler plus doucement et dans les aigus rassure davantage les petits, mais
j’ai souvent la voix fatiguée ou cassée. »

Et trouver sa voix n’est pas si éloigné symboliquement du fait de trouver sa voie.


Si tant est qu’il y ait quelque chose à trouver. Car il s’agit davantage de « laisser
être ». Il n’y a pas quelque chose à construire. Tout est déjà là, conçu pour fonc-
tionner. La mécanique vocale ne s’enraie que sous la contrainte d’entraves
physiques, mentales ou émotionnelles.

Libérer sa mécanique vocale


Aussi, c’est en dénouant certains blocages, par des étirements physiques, en
adoptant une posture enracinée et alignée et une respiration bien placée, ou en
gérant ses émotions ou son mental, comme nous l’avons abordé, que l’on peut
parvenir à libérer la voix, la parole et l’être.

Trouver sa voix n’est ni plus ni moins que libérer


sa mécanique vocale de toute entrave,
dans le but d’une expression authentique.
Et les différentes tentatives pour modifier artificiellement sa voix peuvent être
entravantes. Il est, par exemple, important de respecter son registre naturel
au risque de fatigue vocale et de blessures. Cela permet d’une part une expres-
sivité plus large. Car choisir de parler uniquement dans un registre grave, ou
inversement aigu, laisse une amplitude très limitée quant à la possibilité de varier
ses intonations.

— 121 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

D’autre part, c’est davantage la résonance de la voix et la richesse des har-


moniques qui constituent le son, qui sont responsables de la « beauté » ou de la
chaleur d’une voix. (Un registre aigu avec des harmoniques graves semblera plus
grave qu’un registre un peu plus bas mais teinté d’harmoniques aigus.) Et une
voix libérée est une voix projetée, qui n’est contrainte en rien et qui peut réson-
ner dans la totalité de notre corps, vibrante et riche en harmoniques.
Il s’agira donc davantage de libérer sa voix (résultant d’une hygiène vocale saine)
que de tenter de la contrôler, de la forcer ou de la modifier.

En pratique : « Trouver » sa voix


Étape 1 : Registre naturel et voix libérée
Je me place dans un état de détente émotionnelle, corporelle et mentale
(exercices du chapitre 2). J’adopte une posture droite, alignée et enracinée
(ancrage). Après quelques bâillements sonores (permettant de détendre
et d’ouvrir la gorge, la mâchoire, le cou, le visage…), sur une respiration
diaphragmatique, je produis le son « Oui » en glissant d’une note médium
(1) jusqu’à mon registre grave (2) puis en remontant jusqu’aux aigus
(3) pour enfin revenir au médium (4).
La différence entre le son (1) et (2) est restreinte : il est probable que la
voix parlée soit trop basse par rapport au registre naturel.
La différence entre le son (1) et le son (3) est restreinte : il est probable
que la voix parlée soit trop aiguë par rapport au registre naturel.
Refaire cet exercice permet de trouver réellement le registre medium de
sa voix (son 4).
Notre registre naturel se situe ainsi à mi-chemin entre nos graves et nos
aigus afin d’avoir une amplitude suffisante nous permettant de moduler
notre voix sans nous sentir limités.
Étape 2 : Une résonance riche
Je produis successivement les sons « A-È-E-I-U-O-OU-
IN-ON » et je cherche à les faire résonner dans différentes
parties de mon visage, en modifiant la position de ma
langue, de mes lèvres, de mes joues, en modifiant l’espace
dans ma bouche et mes expressions… Je cherche le
« beau son ». https://lienmini.fr/
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J’essaie d’expérimenter ces sensations vibratoires sur des phrases
entières, en respectant mon registre naturel.

— 122 —
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EXERCICE N° 1 PR : PARLER VRAI, PARLER JUSTE


Étape 1 (Soi) : Présence et congruence
Enraciné, souple et détendu, j’alterne plusieurs fois les mots « oui » et « non » sur
des glissades balayant l’ensemble de mon registre (médium, grave, aigu, médium
– Respiration diaphragmatique).
Sur le « oui » : pieds à plat, ouverture
des bras qui accompagnent le son,
visage souriant et ouvert, ton expressif,
résonance et recherche du « beau son ».
Sur le « non » : j’avance d’un pas,
la main à plat tendue face à moi,
expression ferme, ton neutre et réso-
nance grave.
Étape 2 (Hors Soi) : Je prends la parole
En lien avec le sujet que je dois traiter, je défends une cause qui me tient à cœur.
J’exprime les valeurs qui me sont chères et porte une parole convaincue. Je suis
authentique et engagé. (Le travail de
documentation aura été préparé en
amont.)
Sur le plan corporel et vocal, je fais
preuve de congruence. Je libère ma
gestuelle et ma voix. Je suis souple,
détendu et expressif. Je parle dans
mon registre naturel et recherche le
« beau son ».

Cet exercice de PR permet de libérer sa voix et de mettre en lien la gestuelle et


l’intention dans le but d’une expression authentique. Parallèlement, il stimule la
parole et développe la créativité en conduisant à improviser en reliant un sujet pré-
alablement documenté avec un engagement et une prise de position personnelle.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment laisser émerger chez les participants une parole sincère et
vraie, sans besoin de jouer un rôle ou d’être dans la performance ? Il
est indispensable de créer un environnement bienveillant et accueillant
pour libérer la parole : convenir d’une charte des échanges, interdire les
jugements de valeur, différencier le « faire » de « l’être »…

— 123 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1.2 Prendre position

Nos mots, nos phrases, notre corps, notre voix portent notre pensée. Ainsi, être
congruent et aligné avec sa parole implique, d’une part, de libérer son expres-
sion et, de l’autre, de nourrir cette conviction intérieure en affinant, en question-
nant et en validant sa pensée.

Questionner et nuancer son point de vue


Or une pensée large, référencée et riche est nécessairement nuancée. Tomber
dans le piège de la pensée binaire (c’est blanc ou c’est noir, c’est bien ou c’est
mal), empreint de raccourcis et de généralisations, contribue à nous éloigner
d’une parole objective. L’on ne peut être sûr de la justesse, de la légitimité ou
de la vérité de son propos, sans jamais le confronter.
À partir du moment où l’on entame un échange, la parole devient sujet à
réaction, à discussion, voire à contestation. Et être Soi face à l’autre, c’est
être en mesure de prendre position, selon son parcours, ses références et son
expérience personnelle. Être aligné avec sa parole c’est pouvoir la défendre et la
justifier au cours d’une discussion.
Or nous savons à quel point notre perception peut être subjective, soumise à
des filtres mentaux tels que les généralisations, les interprétations et distorsions
diverses, ou les nombreux raccourcis, comme nous l’avons vu.
Prendre position face à l’autre avec grandeur et authenticité, c’est donc pouvoir,
d’une part, faire le lien entre notre propos et nos valeurs et, de l’autre, c’est
porter la parole la plus juste et la plus objective possible en évitant tout ce qui
viendrait parasiter le bien-fondé, la précision ou la vérité.

En pratique : Métamodèle et esprit critique


Lorsque je construis mon sujet, Je me demande :
Est-ce vrai ? Est-ce juste ? Est-ce toujours le cas ? Est-ce le cas pour tous ?
La pensée inverse peut-elle aussi être vraie ? L’action inverse peut-elle
aussi être juste ? Quels sont les avis qui s’opposent sur ce sujet ? Quelle
est l’éthique et quelle est la crédibilité des gens qui s’opposent sur ce
sujet ? Quelles sont les valeurs véhiculées par ce sujet ? En quoi suis-je ou
pourrais-je être concerné ? Qu’est-ce qui peut être sensible pour l’autre
concernant ce sujet ?

On retrouvera ici les notions de pathos, d’ethos et de logos, chères à la rhé-


torique d’Aristote. Respecter son éthique et ses valeurs morales, prenant en
compte les affects des individus, tout en conservant une pensée critique.
Car présenter son point de vue à l’autre, c’est entrer dans un échange à la fois
intellectuel et affectif. Il y a le Soi, au cœur de la relation, légitime et vertueux,

— 124 —
Entrer en relation

avec une éthique propre, à même ou non d’inspirer confiance et respect (ethos).
Il y a le contenu du message, fruit d’une expérience ou d’un raisonnement
logique et référencé, nourri de preuves et d’arguments, révélant une position cré-
dible, ou non (logos). Et il y a la relation, un échange humain, sensible et rempli
d’affect, à la recherche de sens et de reconnaissance, à même de créer du lien
et d’inciter à agir ou non (pathos), où le cœur a ses raisons que la raison ignore.

S’enrichir du point de vue adverse


L’autre nous conduit à évaluer une position intellectuelle extérieure à notre
compréhension du monde et à nos références. Il nous amène à considérer
d’autres arguments, à nous positionner à la fois intellectuellement mais aussi
émotionnellement et affectivement et à prendre en compte un vécu, une sensibi-
lité et une expérience différente de la nôtre.
Et plus on confronte sa pensée, plus on mesure alors la nécessité de nuancer sa
position, plus on développe son esprit critique. Plus on s’ouvre à l’échange et
plus on comprend les affects et les émotions des uns et des autres, plus on réalise
alors l’importance d’une parole mesurée et respectueuse. Plus on soumet
son point de vue et plus on se confronte à l’exigence et à l’éthique nécessaires
qu’implique la prise de parole.
C’est ainsi que naît le discours. Car il ne s’agit pas d’élaborer une parfaite allocu-
tion que l’on va ensuite soumettre à son public, mais l’exposé se construit dans
la confrontation à l’autre. Et une parole juste est aussi une parole qui rassemble.
• Dans quelle mesure tenez-vous compte du point de vue adverse ?
• En quoi vient-il vous enrichir ?

EXERCICE N° 2 : NI POUR NI CONTRE, BIEN AU CONTRAIRE


Pour cet exercice je m’appuie sur la démarche réflexive engagée
au cours de la pratique Métamodèle et Esprit critique.
Sur un sujet polémique (par exemple « pour ou contre la peine
de mort » ou « pour ou contre l’avortement »), je prends la parole
en respectant les points suivants :
– Plan verbal : Je renverse les lieux communs et j’affine ma
vision en adoptant une position nuancée qui tienne compte,
si cela est possible, de l’ensemble des arguments (pour et
contre).
– Plan corporel et vocal : Je fais preuve de congruence (posture
droite et affirmée, gestes illustrateurs au service du discours,
visage expressif, pauses vocales et volume suffisamment
audible et affirmé, voix projetée et registre naturel, articulation
claire et intonations variées).

— 125 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Une vision manichéenne est nécessairement simpliste et divise profondément les


foules. Il est beaucoup plus difficile, mais aussi beaucoup plus noble, de sortir
des positions tranchées et extrêmes (dont le but est souvent de faire dans le
« buzz » et la provocation en alimentant des débats « spectacles »). Plus on affine
sa pensée et plus on nuance sa position. Plus on enrichit ses références et sa
réflexion et plus on s’approche d’une forme de neutralité.

UN EXEMPLE
Pour ou contre l’obligation du port du masque ? Un sujet qui semble
faire polémique en pleine crise de coronavirus, où les détracteurs
soulignent la dictature et le mépris de nos libertés individuelles et où les
partisans critiquent l’irrespect et l’indiscipline des citoyens qui mettent
en danger la vie d’autrui. Une vision nuancée questionnerait la notion
de liberté et ses limites (espace privé, public…), la notion de respect
et la mesure réelle du danger pour autrui, pour soi. Elle questionnerait
l’évaluation des risques et définirait des contextes « pour » et « contre »,
sans généraliser.

Il ne s’agit pas d’être consensuel ou politiquement correct, en niant les problèmes


et ce qui divise. Mais plutôt de souligner les contradictions dans le but d’élaborer
une solution collective, au profit d’un discours qui rassemble.

Je prends position de manière éclairée,


en cherchant une solution qui reconnaît les arguments
des adeptes comme des détracteurs

Apprendre à débattre et à défendre sa position


Savoir prendre position et débattre, c’est être en capacité d’entrer dans un dia-
logue constructif orienté vers une vision commune plutôt que vers la discorde et
la confrontation. Car l’art d’échanger et plus particulièrement l’art du débat n’est
pas l’affrontement mais bien un processus qui tend à affiner son point de vue
en le soumettant à la vision et aux arguments de l’autre. Et si la confrontation des
valeurs et des ego divise, la confrontation des idées, elle, ensemence la pensée
et nourrit la relation.

UN EXEMPLE
Pour Mélanie, qui anime souvent des débats au cours de ses ateliers, « le
plus difficile, c’est de faire comprendre aux élèves que l’objectif n’est pas
de prouver que l’autre a tort mais d’être à l’écoute de ce qu’il défend pour
enrichir et améliorer ses propres propositions ».

— 126 —
Entrer en relation

Les vécus et les parcours différents des personnes impliquent nécessairement des
expériences différentes, des visions du monde multiples et des points de vue aussi
éloignés qu’ils sont féconds. Et cela ne saurait remettre en question la valeur
des individus. Alors, pourquoi devrait-on se sentir remis en cause car l’opinion
adverse est différente ?
• Que ressentez-vous lorsque l’on vous contredit ?
• Et quelle est votre attitude ?

UN EXEMPLE
Sébastien se sent souvent déstabilisé lorsque l’on remet en question son
point de vue, « j’ai beau savoir que ce n’est pas une attaque directe contre
moi, ma première réaction est de me sentir bafoué et non reconnu, alors
qu’il me suffit bien souvent d’écouter l’autre et de prendre en compte ses
arguments pour qu’il soit plus réceptif aux miens ».

Comme nous l’avons vu, la confiance en soi vient avec l’oubli de soi. Oublier ses
considérations personnelles au profit de la compréhension de l’autre est un pas vers
l’échange et la sécurité intérieure. Oublier sa valeur au profit de l’enrichissement
lié au contact d’un point de vue adverse est un pas vers l’épanouissement. Laisser
de côté les implications émotionnelles déplacées pour se recentrer sur ce qui
n’est qu’un débat d’idées, une piste foisonnante d’informations, est un pas vers
l’enthousiasme et le désir d’échanger. Et passer du Soi à la Relation, est non seu-
lement le chemin vers la confiance, mais c’est aussi l’unique condition de la Paix.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment cultiver l’art du débat au regard des notions de respect, de
coopération, d’écoute de l’autre, d’empathie et de tolérance ? Et comment
développer « l’esprit de contestation » comme prétexte à l’expression
des valeurs citoyennes ? S’appuyer sur l’enseignement moral et civique,
développer l’écoute, le doute et le questionnement, comparer des points
de vue contraires et identifier les valeurs sous-jacentes sont des pistes
à explorer.

Ainsi, de la confrontation à l’autre naît la confrontation à soi. La parole évolue,


s’élargit et s’enrichit de l’échange. Elle n’est pas seulement le prolongement de soi
et de sa pensée, elle est aussi le résultat d’une avancée commune et collective.
Parallèlement, on ne peut prédéfinir une parole figée sans connaître au préalable
son interlocuteur. Car à la base du discours il y a l’autre, ce qu’il reçoit, ce qu’il

— 127 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

comprend et il faut pouvoir rebondir et adapter son message en fonction. Il ne


s’agira donc pas seulement de confronter sa pensée et de nourrir sa parole en
amont. Mais, une fois en face à face, il est essentiel de créer la relation, puisque
c’est de cette même relation que naît la parole. La parole est objet relationnel
et prendre la parole c’est aussi privilégier la rencontre et l’échange.

2. LA RELATION D’ÉCHANGE

2.1 Connaissance et reconnaissance de l’autre

Ainsi, la communication, par son aspect systémique et multidimensionnel,


implique des interactions à la fois intellectuelles, sensorielles et émotionnelles.
Prendre la parole n’a de sens que si elle est reçue par l’autre. Et nous ne pouvons
réellement communiquer sans mesurer qui est la personne face à soi et sans
appréhender les enjeux de la relation.
• Or, dans quelle mesure prenez-vous réellement en compte votre interlocu-
teur dans toute sa dimension humaine ?
De l’enfant qui lève la main en classe, au voisin qui demande conseil, jusqu’au
conférencier qui présente ses travaux, la prise de parole est toujours influencée
par le regard du public d’une part. Et de l’autre, elle est toujours reçue selon le
vécu, les dispositions et les références du récepteur. On ne s’adresse pas de la
même manière à un confrère qu’à un néophyte, à un adulte qu’à un enfant, ou
à un étranger qu’à un membre de sa famille.

En pratique : Connaître son interlocuteur


J’observe et j’écoute. Je cherche à connaître mon interlocuteur.
Sur un plan intellectuel  : Quelles sont ses valeurs, ses croyances ?
Quel est son parcours ? Quelles sont ses références ? Son niveau de
compréhension ?
Sur un plan émotionnel : Quels sont ses sentiments ? Quelles sont ses
attentes profondes, ses ressentis et sa sensibilité ?
Sur un plan corporel et sensoriel : Quel est son état physiologique, son
niveau de fatigue, de calme ou de tension ? Quelle est son écoute et
quelles sont ses dispositions ?

Soigner la dimension affective


Nous avons vu que le désir d’entrer en relation et de créer du lien est un moteur
de la parole, humain et naturel. Chacun recherche la reconnaissance, l’attention

— 128 —
Entrer en relation

ou l’approbation, les enfants encore davantage et l’on ne saurait ignorer toute


la teneur de cette dimension affective lorsque l’on prend la parole. Car l’on ne
s’adresse jamais uniquement à un être pensant mais à un corps qui ressent et à
un « cœur qui bat ». Et prendre en compte son interlocuteur implique de respec-
ter autant son intelligence que sa sensibilité ou son état.

Les conséquences de l’hospitalisme, décrites par le psychiatre René Spitz,


montrent à quel point les carences affectives peuvent générer des altérations
mentales et physiques lourdes chez le nourrisson : phases d’amaigrissement,
arrêt du développement, dépression, troubles de coordination oculaire,
immobilisme… Le besoin d’affection, d’attachement ou de reconnaissance
sont des besoins primaires essentiels qu’il n’est pas possible d’ignorer chaque
fois que l’on s’adresse à l’autre.

Je m’interroge sur la manière de prendre en compte


la vision, l’état et les émotions de mon interlocuteur
dans ma prise de parole.

En pratique : Le langage de la reconnaissance


En analyse transactionnelle, le psychiatre Erick Berne définit les marques
de reconnaissance, appelées strokes, comme le moteur même de toute
communication.
Parmi les strokes verbaux figurent : les compliments, les formules d’accueil
et d’appréciation (« Bonjour, je suis content de… »), le fait d’utiliser le prénom ou
le nom de la personne, le fait d’employer plus souvent le « nous » ou le « vous »
plutôt que le « je », et d’une manière générale toutes les formulations témoi-
gnant de l’écoute et de l’acceptation de l’autre et de son point de vue. Ainsi,
les techniques d’écoute active et de reformulation précédemment abordées
font partie des strokes verbaux, tout comme l’utilisation d’un langage ouvert
à différentes positions. Par exemple, au lieu du « oui, mais » lors d’un débat, la
formule « oui, je comprends que… et en même temps peut-on aussi… ? » est
beaucoup plus respectueuse des différences de point de vue.
Parmi les strokes physiques figurent : le sourire, les gestes d’ouverture,
les marques d’affection (un contact comme la main au niveau de l’avant-
bras ou du dos par exemple), l’acquiescement de la tête, le regard qui
suit, la posture orientée vers l’autre…

S’adapter à son interlocuteur, c’est aussi s’adapter à son niveau de langage. Si


celui-ci est soutenu, alors on évitera un langage familier et inversement. Il est
aussi impoli de faire preuve de sophistication et « d’usages » avec des gens simples
que de manquer de raffinement avec des gens distingués. La grossièreté ne se

— 129 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

situe pas toujours là où on l’imagine. Le respect et la considération de l’autre


passent aussi par le respect de ses codes et de ses valeurs.

UN EXEMPLE
Franck, professeur d’histoire-géographie, a dû fortement revoir son
langage face aux élèves : « Au début, je me disais qu’ils allaient enrichir leur
vocabulaire à mon écoute et puis j’ai réalisé que les trois quarts de ma classe
ne me comprenaient pas et qu’un fossé se creusait. Aujourd’hui, je les prends
en compte en simplifiant mon langage. Et pour ce qui est du vocabulaire, j’ai
mis en place des activités dédiées. »

Avant toute intervention orale, il est donc aussi nécessaire d’écouter et d’observer
afin d’adapter sa prise de parole au contexte, à la relation et aux personnes face
à soi. Certains perçoivent intuitivement le décalage entre leurs propres codes et
ceux de l’interlocuteur et finissent par ne plus savoir « comment » dire. Il y a donc
aussi un langage à développer sur ce plan.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment conduire ses élèves ou ses stagiaires à acquérir un langage
et des « codes » plus élargis afin d’être en mesure d’adapter leur prise
de parole selon le contexte et l’auditeur ? Et comment, à travers ceux-ci,
favoriser ce sentiment de reconnaissance et d’acceptation ? Enseigner
l’écoute active et la bienveillance, favoriser les jeux d’imitation ou de rôle
en identifiant différents contextes, développer le vocabulaire, la syntaxe
et enrichir la culture littéraire des élèves sont des pistes à explorer.

Manifester son empathie


Les strokes physiques et verbaux ne sont pas qu’une simple marque de politesse,
ils permettent aussi de faire sentir à l’autre qu’il est écouté, entendu et accueilli
au sein de l’échange. Et accueillir l’autre, c’est aussi accueillir son « état ». Sur ce
plan, la synchronisation, précédemment abordée, mécanisme naturel de mimé-
tisation, est une manière d’être en « harmonie » et de manifester son empathie.

En pratique : Empathie corporelle et vocale


En adoptant la posture, la rythmique et les expressions de mon interlocu-
teur je perçois ses états internes et sa vision du monde. J’acquiers une
plus grande compréhension.

— 130 —
Entrer en relation

Sur un plan corporel :


1. J’identifie le rythme intérieur, la respiration, la vitesse de la ges-
tuelle, la posture, les mouvements et expressions du visage de mon
interlocuteur.
2. J’adapte ma communication à la sienne en me synchronisant sur ces
4 niveaux : Gestuelle – Posture – Respiration – Expressions du visage.
La personne fait-elle de nombreux gestes ? Quels types de gestes
(illustrateurs, réassurance…) ? Ceux-ci sont-ils souples ? Sont-ils rapides
ou lents ? Quelle est sa posture ? Plutôt alignée, courbée, ouverte,
fermée… ? Quelle est sa rythmique interne ? Sa respiration est-elle
rapide, lente ? Son visage est-il expressif ? Quelles sont les émotions
manifestées ?
Ainsi, sur un plan corporel, il ne s’agit pas d’imiter chacun de ses
mouvements mais de se caler sur la physiologie et l’attitude générale
correspondante.
Sur un plan vocal :
1. J’identifie la respiration, le débit, la rythmique, le volume, le registre
et les variations vocales de mon interlocuteur.
2. J’adapte mon expression vocale en me synchronisant sur la rythmique
du débit, le volume et le registre de la voix.
La personne parle-t-elle rapidement, lentement ? Son volume est-il plutôt
fort, plutôt faible ? Son registre vocal est-il plutôt grave, plutôt aigu ? Est-il
plutôt neutre ou expressif ?…
Là encore, il ne s’agit pas d’imiter les inflexions vocales mais de respecter
l’état et le mode d’expression de l’interlocuteur. On n’irait pas hurler parce
que la personne face à soi est en colère et crie, sous prétexte d’empathie.
Mais adopter un volume particulièrement faible, au motif de la calmer,
risque plutôt de l’agacer.
(Parallèlement, sur un plan verbal, j’identifie le vocabulaire, la tournure et
la structure des phrases, les expressions et le niveau de langage de mon
interlocuteur afin d’adapter mon registre verbal au sien.)

Attention, se synchroniser sur les émotions et l’état de son interlocuteur ne signi-


fie pas qu’il faille l’imiter littéralement ou se laisser envahir par ses états émo-
tionnels, mais cela implique d’être en accord avec ceux-ci. Ainsi, sur un plan
corporel et vocal, par exemple, il conviendra d’être sur le même registre. En
présentant une attitude, un langage, une gestuelle ou des inflexions vocales sem-
blables aux siennes, nous montrons notre reconnaissance, notre appartenance
et créons du lien.

— 131 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

DES EXEMPLES
Avoir une voix expressive et enjouée en réponse à l’annonce d’un décès
risque de ne pas être très bien perçu par exemple.
Inversement, Maxime, d’un naturel peu démonstratif, reconnaît  : « Je me
rends bien compte que le fait d’adopter une expression contenue face à un
interlocuteur enthousiaste et démonstratif peut freiner ses élans, mais j’ai
parfois du mal à m’adapter. »

Grâce aux techniques de synchronisation,


je manifeste empathie et compréhension.

Se positionner face au groupe


Ensuite, respecter et considérer l’autre, c’est aussi respecter son espace intime.
Comme observé précédemment avec l’espace proxémique, chaque individu pos-
sède une distance relationnelle qui lui est propre selon la nature de l’échange.
Être physiquement trop éloigné, c’est créer une certaine distance. Trop s’appro-
cher, c’est prendre le risque de heurter et d’être intrusif. Il convient donc de tester
et d’observer la distance physique la plus propice à l’échange.

UN EXEMPLE
Pour Camille, enseignante au lycée, se rapprocher physiquement des élèves
permet d’échanger de façon plus humaine  : « Au début de ma carrière, je
restais beaucoup derrière mon bureau, ce qui créait une distance avec ma
classe. Puis, j’ai découvert l’importance de se déplacer, de venir vers les uns et
les autres. J’essaie d’englober tout le groupe classe par ma présence. Les élèves
ont d’ailleurs tendance à venir plus vers moi, cela crée une vraie complicité. »

Si les strokes physiques sont assez naturels dans le cadre d’une conversa-
tion amicale, il est beaucoup plus difficile d’y avoir recours, lors d’une prise de
parole en public, face à un groupe. Sur ce plan, un regard, un sourire, un geste,
adressés à chacun, non pas en balayant la salle, comme j’ai pu l’entendre à de
nombreuses reprises, mais en prenant le temps de se poser sur, ou plutôt avec,
chacun. De la même manière, trouver des liens entre son sujet et l’expérience
de l’auditeur et utiliser un langage « multiple » (faisant autant appel aux images
sensorielles qu’aux émotions et à la pensée logique), apte à être reçu par tous,
est un des piliers de la prise de parole en public.

— 132 —
Entrer en relation

UN EXEMPLE
Certains oublient, lorsqu’ils sont devant trente personnes, qu’ils ne sont pas
en train de « performer » comme l’acteur face à son public, mais qu’ils sont
face à trente fois une personne, avec des ressentis propres, une perception
particulière, une compréhension et des dispositions uniques à un instant
précis. On ne fait jamais un discours ou un cours « en général » mais on
s’adresse toujours à des individus en particulier.

EXERCICE N° 3 : CRÉER DU LIEN


Je profite des conversations pour développer ma
capacité à créer du lien et à entrer en relation. Pour
cela, j’utilise différents strokes pour témoigner mon
attention, mon écoute et ma bienveillance.
Je pratique le langage de la reconnaissance et me
tiens à une distance adaptée. Je fais des liens
entre ce que je dis et le vécu de l’interlocuteur.
Pendant l’écoute : je pratique l’écoute active, la
reformulation et la synchronisation corporelle.
Pendant ma prise de parole  : j’ai une posture
ouverte, je fais preuve d’empathie et de synchronisa-
tion corporelle et vocale. J’utilise un langage adapté
aux références et aux préférences « cérébrales »
de mon interlocuteur (selon qu’il utilise plutôt un
discours informatif et logique ou au contraire plus
divertissant et descriptif, s’il est sur un registre intellectuel ou plus émotionnel, s’il
adopte un langage soutenu ou familier…).

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment repenser les échanges en classe hors de la relation unilatérale
élève-professeur afin d’intégrer une dimension relationnelle plus large ?
Varier les schémas de communication (interactions entre participants, etc.)
et créer des situations de parole variées (débats collectifs, participa-
tion, expression orale en continu,  etc.) offrent à chacun l’occasion de
s’exprimer.

— 133 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Solliciter l’échange
Lors d’une prise de parole en public, beaucoup ont tendance à privilégier le
contenu du message et à en oublier la relation à l’autre. L’enseignant face à sa
classe est d’ailleurs particulièrement attentif à la transmission et à la compréhen-
sion du contenu qui priment sur la dimension affective. Or, lorsque l’on mesure
à quel point les enjeux affectifs sont des moteurs de la compréhension et de
l’apprentissage, cela peut faire réfléchir.
De la même manière, lors d’une prise de parole, à trop se concentrer sur sa pres-
tation ou l’objectif de sa présentation, l’erreur serait de perdre de vue le naturel
et la substance de l’échange. Il est pourtant capital d’inclure son « public » et
d’installer la relation dès le début. Et certaines techniques familières aux ensei-
gnants permettent de faire participer l’auditeur, que ce soit lors d’une conférence
ou d’une présentation orale.

En pratique : Rompre le rapport unilatéral orateur-public


Débuter par une question ou un sondage en rapport avec le sujet est incluant,
par exemple « Quels sont ceux qui ont déjà… ? » ou « Combien d’entre vous
connaissent… ? ». Cela permettra non seulement une entrée en matière qui
déplacera le flux du monologue vers l’échange mais cela impliquera aussi
l’auditoire tout en apportant plus de poids et d’intérêt au propos.
Il est possible de demander d’effectuer une action précise comme
se lever, applaudir, prendre des notes ou regarder dans une direction
particulière. On peut aussi demander de reformuler ou de participer en
proposant de fournir des exemples ou de partager son expérience.

D’une manière générale, la prise de parole ne devrait jamais totalement être,


d’une part, à sens unique et, de l’autre, déconnectée de toute dimension affec-
tive, y compris lors d’une conférence. Le partage et l’échange sont les premières
fondations de tout discours.

2.2 Réactivité et échange

À partir du moment où l’autre interagit et co-construit notre parole, il peut aussi


déstabiliser notre argumentaire, notre vision des choses et notre position.

Désamorcer les conflits


• Comment alors rester ouvert et accueillant face aux enjeux relationnels ?
• Comment désamorcer les conflits de valeurs liés à des codes sociaux
multiples ?
• Et comment cultiver l’art de la répartie indispensable à toute prise de
position sans pour autant entrer dans l’affrontement et la justification ?

— 134 —
Entrer en relation

Il y a conflit, non pas lorsque des idées s’opposent, mais lorsque les valeurs
derrière ces idées sont niées. (Je fais volontairement abstraction du biais affectif
consistant à confondre « je ne suis pas d’accord avec toi » avec « je ne t’aime pas ».)
Être en capacité d’entrer dans un échange de positions contradictoires sans alter-
cation, c’est donc pouvoir comprendre quelles sont les valeurs sous-tendues par
les arguments avancés.

DES EXEMPLES
Ainsi, une personne peut être pour la peine de mort parce qu’elle considère
que la sécurité collective est prioritaire et qu’il y a une injustice terrible à
participer financièrement à la survie de personnes qui nuisent à la société.
Une autre peut être farouchement opposée au fait de tuer un être humain,
quel que soit le motif parce que le respect de la vie humaine est précieux
et que celui qui commet un tel acte s’abaisse au même rang que le criminel
lui-même. Si les deux positions s’opposent, les valeurs de justice pour l’un,
ou de respect de la vie pour l’autre, ne sont en rien contradictoires.

J’identifie les valeurs sous-jacentes derrière


les arguments pour ne pas entrer en conflit.
Être capable de reconnaître et de recevoir les valeurs de l’autre avec bienveillance
est une condition sine qua non d’un échange véritable et constructif. Cela ne
signifie pas que l’on partage la vision, la conclusion ou les arguments de l’autre,
mais que l’on comprend sa position et que l’on respecte les valeurs qui l’animent.

En pratique : Pratiquer la distanciation


Pour contredire mon interlocuteur sans le froisser, je peux présenter l’idée
contradictoire de manière distanciée, sans être en opposition directe. C’est
une façon d’éviter le rapport de force et les confrontations personnelles.
Par exemple : Au lieu de « je pense que », je peux dire « certains disent
que… qu’en pensez-vous ? ».
(Par ailleurs, et nous l’avons vu, faire preuve d’esprit critique et d’objectivité
implique nécessairement une certaine nuance dans l’affirmation d’un propos.)

Parallèlement tous les interlocuteurs ne font pas toujours preuve d’autant d’égards
en retour. L’objection directe de nos propos et la confrontation doivent donc
aussi pouvoir être gérées. Et cultiver l’art de la répartie, inhérent à toute forme
d’échange, de débat ou de prise de parole en public, est par conséquent salvateur.
• Alors, comment pouvez-vous passer de l’argumentation simple au traite-
ment efficace de l’objection ?

— 135 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Cultiver l’art de la répartie


Tout comme une prise de parole se prépare en fournissant un travail préalable
de recherche et de réflexion, l’art de la répartie se cultive en anticipant les
objections. Car il faut pouvoir s’attendre à la remise en question de son propos
pour être prêt et réactif.
Ainsi, pour chaque idée énoncée, pour chaque prise de position, nous devrions
être capables de proposer des arguments contradictoires. Pour chaque ques-
tion que l’on se pose et à laquelle nous tentons de répondre, nous devrions aussi
nous poser la question inverse. Car le meilleur moyen de ne pas être déstabilisé
par les objections est de connaître ce que l’on peut nous reprocher. (Et c’est ainsi
que se cultive l’esprit critique.)

En pratique : Cultiver l’esprit de contestation


Je cultive l’art du débat intérieur et l’esprit de contestation en m’entraînant
au doute permanent et au questionnement. Je suis le premier à remettre
systématiquement en question mon point de vue. Pour cela :
– pour chacune de mes affirmations, je liste les objections et les argu-
ments inverses ;
– pour chacune de mes affirmations, je traque les généralisations, les
distorsions et les raccourcis à l’aide du métamodèle vu précédem-
ment : Est-ce toujours le cas ? Est-ce toujours exact ? Est-ce le cas
pour tous ? Etc.
– pour chaque affirmation, je recadre et recontextualise pour élargir et
ouvrir le débat : Si cette affirmation est vraie dans ce contexte, l’est-elle
aussi dans un autre contexte ? Y a-t-il des contextes où l’on pourrait
exprimer l’inverse ? Quelles sont les conséquences ou les implications
si l’inverse d’une situation est vrai ou si l’inverse se produit ? Etc.
Prenons l’exemple de l’affirmation « il faut travailler à l’école pour réussir
dans la vie ». On pourrait ainsi s’interroger sur les cas qui contredisent
ce postulat, sur les contextes précis où cela ne se vérifie pas, sur la
pertinence d’affirmations inverses : « il ne faut pas travailler à l’école pour
réussir dans la vie » ou « on peut avoir travaillé à l’école et échouer dans
la vie » ou « l’école n’aide pas à réussir », etc.

UN EXEMPLE
Dans l’Antiquité, afin d’élargir sa vision et de développer ses références, il
existait un exercice de rhétorique : la chrie. Les élèves devaient défendre
une position tranchée d’un auteur quelconque, en développant d’abord
des arguments prenant en compte et réfutant la thèse opposée, puis en

— 136 —
Entrer en relation

présentant ensuite un exemple illustrant leur thèse et en s’appuyant enfin


sur la référence d’une autorité (le certificat.) Ce même exercice pouvait
être reproduit pour la thèse inverse, conduisant les élèves à développer leur
capacité à défendre n’importe quel point de vue, quelles que soient leurs
opinions.

Ce type d’exercice permet de prendre de la distance avec sa vision et ses propres


implications émotionnelles, mais il impose aussi de prendre quelquefois de la
distance avec la quête du juste et du vrai. Or l’objectif n’est pas d’apprendre à
défendre « tout et son contraire » mais bien d’envisager « tout et son contraire »,
avec éthique.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment stimuler l’esprit critique chez nos élèves et les amener à faire
la part entre l’objectif et le subjectif ? La quête du savoir, de la justesse
et de la vérité, conduit au doute permanent quant à la signification et au
fondement de nos croyances, de nos intuitions ou de nos observations.
Engager une démarche analytique est alors essentiel.

Engager une démarche analytique

Selon le psychologue Daniel Kahneman, nos modes de pensée suivent


globalement deux cheminements.

Le « système 1 », système rapide de la pensée, fait essentiellement appel à


l’intuitif pour se construire un avis et demande peu de ressources intellec-
tuelles. Il privilégie ainsi la parole d’experts (sans la vérifier), les exemples
semblant faire foi, la possibilité ou la probabilité, le bon sens, la logique, afin
de maximiser les chances d’être dans le vrai pour un minimum d’efforts.
Mais il reste subjectif.
Le « système 2 », est un mode analytique beaucoup plus lent qui s’atta-
chera davantage à étudier le sujet en profondeur, à remonter aux sources, à
questionner les données et les preuves et à vérifier la fiabilité des arguments.
Cette démarche, plus longue, réclame plus d’efforts, mais est aussi plus
constructive d’une parole juste et solide face à la critique et à la contradiction.

Dans le cadre d’une conférence ou d’un examen, l’approche analytique est la


plus porteuse. Même si le jury, comme le public, sont souvent bienveillants et que
le questionnement prime sur la contestation. Anticiper l’un comme l’autre fait
partie de l’apprentissage de la prise de parole.

— 137 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Pour Michel, une préparation approfondie est la clé d’une parole solide  :
« À chaque fois que j’ai eu à prendre la parole sur un sujet particulier, j’ai
toujours vérifié la moindre information, de telle sorte que je savais toujours
quoi répondre aux petits malins qui cherchaient la petite bête. »

J’anticipe les objections en construisant une parole solide


privilégiant le mode analytique au mode intuitif.
Répondre aux questions embarrassantes
Selon le contexte, les questions peuvent parfois être déstabilisantes. Aussi, avant
de répondre, demander des précisions sur le quoi, le pourquoi, le quand ou
le comment est une manière de stimuler ses ressources internes et de gagner
du temps pour élaborer sa réponse  : Souhaitez-vous que je vous parle du
contexte ? Est-ce que vous voulez que j’en expose les raisons ? Sur quelle
partie exactement souhaitez-vous m’entendre développer ?… Tout comme la
reformulation, cela permet aussi de s’assurer d’une bonne compréhension.
Pourtant, certaines formations invitent, lors des débats tendus, à se « tirer d’affaire »
en passant au niveau métalinguistique. C’est-à-dire en se détachant du fond et
du contenu pour ne s’attacher qu’à la forme du discours, par exemple : en
voilà des mots savants, parlez plus fort, on vous entend difficilement, quelle
analogie douteuse, est-ce vraiment une question, pourquoi nous faire ainsi un
cours magistral, je relève votre ton péremptoire… Mais ce qui peut se pratiquer
sur une scène politique ou lors d’une conversation houleuse est-il bien digne des
exigences éthiques liées à la prise de parole et à l’enseignement citoyen ?

UN EXEMPLE
Hugo, jury d’examen, regrette la culture ambiante de la langue de bois
véhiculée par les médias : « Je suis fatigué de ces candidats qui éludent les
questions en rebondissant sur un autre sujet, avec force détails qui n’ont
aucun rapport, dans le seul but de brouiller les pistes. Cela me rappelle le
sophisme du “hareng fumé” qui consiste à détourner le sujet initial avec un
objet qui attire l’attention. C’est une pratique courante dans la communication
actuelle, qui se retrouve malheureusement jusque dans la salle d’examen. »

Plutôt qu’éviter les questions embarrassantes, il est plus judicieux d’initier soi-même
cette démarche « réflexive ». Ainsi, poser différentes problématiques ou s’interroger
ponctuellement sur certains points tout au long de sa prise de parole et y répondre
est non seulement une manière de « court-circuiter » la question, mais cela véhicule,

— 138 —
Entrer en relation

de plus, une certaine exigence intellectuelle. Tout comme le fait d’admettre que
l’on ne sait pas répondre et de reconnaître les limites de nos références et de nos
arguments, de savoir lorsque nous ne sommes pas dans l’analytique mais dans
l’intuitif, ne disposant pas toujours du temps et des ressources nécessaires aux
multiples recherches.

EXERCICE N° 4 : RÉPONDRE AUX CLASHS


Après avoir approfondi mon sujet et
listé, sur petits papiers individuels, des
objections à mon discours, je tire au
sort une objection/clash et j’y réponds
le plus rapidement possible.
Plan verbal et contenu : il s’agira
de questionner la validité de l’objec-
tion (à l’aide du métamodèle et des
consignes ci-dessus), d’élargir le
débat et de re-contextualiser. Et enfin,
d’argumenter sur sa position.
Plan corporel et vocal : garder une
respiration lente, une voix calme, claire
et posée, une gestuelle souple, une posture droite et gérer l’émotion et le stress
associés à une éventuelle remise en question de son point de vue.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment permettre aux élèves de saisir la nécessité de rechercher, d’ex-
plorer, d’approfondir et de tester leurs arguments en amont ? Expérimenter
la différence entre un débat non documenté et non préparé et un débat
dont les ressources et les arguments ont été approfondis au préalable
permet de mesurer l’impact positif de cette démarche.

Il est nécessaire de passer du subjectif à l’objectif. Tout n’est qu’une question de


point de vue. Et nous ne devrions jamais prendre une critique de notre message ou
de nos idées pour une critique personnelle de notre valeur. (Et s’il vous arrive d’être
attaqué personnellement, recentrez toujours le débat autour d’idées et de faits.)

Être ouvert au débat et à l’échange


Car enfin n’oublions pas que l’essence même de la prise de parole est l’échange.
Il est donc important de rester ouvert aux propositions de l’autre, à sa pensée,
à son retour sans se focaliser uniquement sur ce que l’on souhaite dire. Cela
implique de se faire suffisamment confiance pour ne pas entrer dans un mode

— 139 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

défensif ou ne pas systématiquement chercher à prouver ses connaissances,


ses dires ou ses compétences mais d’être réellement ouvert au débat et à la
discussion.
C’est de cette manière aussi que l’on renverse la mauvaise foi et les objections
provenant d’une certaine malhonnêteté intellectuelle. C’est de cette manière que
l’on sort des débats stériles et des guerres d’ego, où chacun cherche à prou-
ver sa valeur à coup de « qui a tort ou raison ». C’est de cette manière qu’on
laisse la porte ouverte à des opportunités et à des échanges que l’on n’attendait
pas. C’est ainsi que l’on favorise la collaboration, la confidence et la relation de
confiance. Car c’est de cette manière, enfin, que l’on ouvre son cœur et son
esprit au véritable échange.

3. DÉFINIR UN OBJECTIF RELATIONNEL

3.1 Situations de communication et objectif relationnel

L’objet d’une prise de parole réussie n’est donc pas lié aux seules compétences
oratoires mais à notre capacité à entrer en relation. La parole a naturellement
un objectif relationnel.
• Alors, quelle est votre intention ?
• Qu’est-ce que vous aimeriez que votre interlocuteur ressente, pense, sache,
fasse ?…

Quand je prends la parole, je m’interroge sur


ce que je souhaite faire naître chez mon interlocuteur.

Définir un objectif relationnel


En P.R., il existe quatre types d’objectifs relationnels :
– des objectifs d’action ou pragmatiques (on souhaite que l’interlocuteur
fasse quelque chose de particulier) ;
– des objectifs de compréhension ou cognitifs (on souhaite que l’inter-
locuteur pense ou comprenne une chose particulière) ;
– des objectifs d’affection ou émotionnels (on souhaite que l’interlocuteur
ressente une chose particulière) ;
– des objectifs de divertissement ou neutres (il n’y a pas d’autre attente
de la relation que celle de combler l’ennui).
Si les trois premières postures sont plutôt actives et liées au désir d’impacter
l’autre, la dernière est une posture plus passive et liée au désir d’être « impacté »
par l’autre.

— 140 —
Entrer en relation

Ces différents objectifs ne sont pas nécessairement conscients, mais ils sous-
tendent nos échanges parce qu’ils répondent à nos besoins divers. Et selon le
contexte, les attentes et les besoins sont différents.

Si la théorie des actes de langage initiée par le philosophe John L. Austin


relève l’aspect fonctionnel de la parole en tant que moyen pour agir sur
son environnement, il me semble pertinent d’intégrer les notions d’objec-
tifs relationnels reliés aux besoins humains, besoins redéfinis notamment
par le professeur Manfred Max-Neef. (Je fais ici abstraction des besoins
de création (inventer, créer), d’identité (se connaître, se développer) et
de liberté (choisir, agir en conscience) car ils n’impliquent pas nécessai-
rement l’autre et par conséquent d’objectif relationnel.)

DES EXEMPLES
Les besoins de subsistance ou de protection peuvent ainsi conduire à
désirer un environnement sécurisant et nourrissant. Dans ce cas, on peut
tenter d’ordonner, de demander, de convaincre ou d’émouvoir dans le but
d’obtenir une action précise de l’autre (objectif d’action). Quand Charles,
lors d’un conflit, exhorte son interlocuteur à rester à sa place, il tente de
satisfaire son besoin de sécurité.

Tout comme les besoins de reconnaissance ou de lien affectif peuvent


conduire à une relation de « séduction ». On peut alors chercher à captiver,
rassurer, séduire, conseiller, émouvoir, toucher ou divertir dans le but de
créer une réaction émotionnelle (objectif d’affection). Mathias, humoriste,
reconnaît « j’ai choisi de faire rire les gens parce qu’au fond je cherchais à
être apprécié ».

Parfois les échanges sont purement intellectuels et l’on cherche juste


à débattre, à convaincre, à discuter, à réfuter, à objecter, à rectifier, à
comprendre ou à s’informer, il s’agit là d’un objectif de compréhension.
Pour Margaux, la quête de sens sous-tend tous ses échanges, « la seule
chose qui m’intéresse dans une conversation c’est d’apprendre quelque
chose. J’ai toujours plein de questions ».

Enfin, dans le cas d’un objectif neutre de divertissement la posture


d’écoute est prioritaire et l’on essayera davantage d’observer, de relancer,
de s’informer, de questionner, d’écouter…

Ces objectifs relationnels ne sont pas exclusifs et peuvent même être la plupart
du temps interconnectés. On peut souhaiter simultanément que notre inter-
locuteur fasse une chose précise, tout en adoptant un point de vue particulier,

— 141 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

et qu’il ressente certaines émotions à notre égard. L’être humain entre d’ailleurs
en relation à ces multiples niveaux. Et définir un objectif principal permettra
d’orienter efficacement la communication.

En pratique : Définir un objectif relationnel


1. Qu’est-ce que je souhaite susciter ?
Est-ce que j’attends une action précise de l’autre ? Est-ce que j’attends
d’avoir un impact sur sa pensée et son point de vue ? Est-ce que je
cherche un échange émotionnel ou de la reconnaissance ? Est-ce que
je n’ai pas d’attentes particulières et souhaite juste « bavarder » ?
Je détermine ainsi mon objectif relationnel prioritaire : objectif d’action /
objectif de compréhension / objectif d’affection / objectif neutre de
divertissement.
2. Selon le type d’objectif, que dois-je faire exactement ?
Est-ce que je dois convaincre ? Est-ce que je dois capter l’attention ?
Est-ce que je dois informer, expliquer, demander, raconter, rassurer,
promettre etc. ?
Je définis les moyens à mettre en place pour atteindre mon objectif
relationnel. Si l’objectif relationnel répond à la question « Quoi ? », les
moyens à mettre en place répondent à la question « Comment ? ». (Ils
seront approfondis au cours des prochains chapitres.)

Il y a parfois confusion entre l’objectif relationnel (ce que j’attends de l’autre) et le


besoin (ce que cela satisfait en moi) ou entre l’objectif relationnel et les moyens
à mettre en place.

DES EXEMPLES
Pour Frédéric, jeune professeur, « on a souvent de belles aspirations mais
on comprend très vite quand on fait cours que l’objectif prioritaire est de
capter l’attention ». Pourtant, ce n’est qu’un moyen pour atteindre l’objectif
réel qui peut être par exemple que l’élève comprenne ou retienne une
chose particulière (objectif de compréhension) et qui satisfait le besoin de
nombreux enseignants de partager et de transmettre.

Pour Sarah, il est important d’aider ses stagiaires à définir le but réel d’une
prise de parole : « Les amener à répondre à la question “pourquoi” les aide
à affiner leur véritable objectif et les besoins associés. Cet exercice mène
d’ailleurs souvent au besoin d’affection ou de reconnaissance. »

— 142 —
Entrer en relation

Choisir la forme du discours selon son objectif et son interlocuteur


Définir les moyens à mettre en place pour tendre vers son objectif implique aussi
de mesurer l’impact de sa prise de parole sur son interlocuteur. Un discours argu-
mentatif n’a par exemple ni les mêmes dessins ni les mêmes effets qu’un discours
narratif. Dans le premier cas, il s’adresse principalement à l’intellect, dans le
second, l’imaginaire et la dimension affective seront davantage stimulés.
Ainsi, selon le but poursuivi, les éléments rhétoriques et la forme du discours
seront très différents.
• Alors, quel langage est-il le plus adapté à votre objectif ?
• Vaut-il mieux raconter, informer, expliquer, décrire ou argumenter ?
• Et pour quel impact ? Apaiser, interpeller, divertir, toucher, susciter une
émotion, dissuader, convaincre, pousser à l’action ?

En pratique : Les fonctions de la parole


Je fais le lien entre la forme du langage que j’emploie et ses diverses
fonctions, en rapport avec un contexte ou un objectif relationnel.
Ò Fonction intellectuelle : C’est ce que l’on donne à comprendre.
Elle est liée au contenu du discours. Elle intervient lorsque l’on souhaite
transmettre un message ou convaincre son interlocuteur.
Lorsque je souhaite me faire comprendre, je privilégie  : le sens de
mon message, mon vocabulaire et la structure de mon discours, ma
diction, la mise en valeur des mots clés, mon phrasé, mes intonations,
j’illustre mes mots par ma gestuelle…
Ò Fonction émotionnelle : C’est ce que l’on donne à ressentir. Elle
est liée à l’expressivité corporelle et vocale et à la dimension émo-
tionnelle du message. Elle intervient lorsque l’on souhaite transmettre
une émotion et toucher son interlocuteur.
Lorsque je souhaite susciter une émotion, je privilégie : l’aspect mélo-
dieux de ma voix, les variations d’intonations, je soigne mon timbre et
les expressions de mon visage, ma rythmique interne, ma gestuelle,
je raconte des histoires ou des anecdotes…
Ò Fonction sensorielle : C’est ce que l’on donne à voir, à entendre,
à sentir. Elle est liée au son et à « l’image » que l’on projette ou aux
images que l’on suggère. Elle intervient lorsque l’on souhaite trans-
mettre une sensation, un état et influencer son interlocuteur.
Lorsque je souhaite impacter sensoriellement ou capter l’attention,
je privilégie : un vocabulaire sensoriel, l’utilisation d’images mentales,
la rythmique de mon discours, ma posture, les expressions de mon
visage, la variété de mes gestes, la rythmique de ma respiration,
mon volume et mes variations vocales…

— 143 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Pour Françoise, institutrice à la retraite, être expressif est essentiel avec les
enfants : « Plus mon langage était imagé, plus mes intonations étaient variées
et ma gestuelle vivante et plus cela créait du lien avec eux. Aujourd’hui,
j’imagine qu’il doit falloir en faire beaucoup pour capter leur attention. »

Le point de vue de l’enseignant


Sur un plan verbal, comment permettre aux élèves d’établir des ponts entre
les différentes formes du langage et un objectif relationnel ? Et comment
leur permettre de mesurer les liens entre ces formes du langage et leur
impact intellectuel, sensoriel et émotionnel sur l’interlocuteur ? Connaître
et expérimenter les différents types de discours et leur fonction est un
travail à initier.

Maîtriser les différents types de discours et leur impact


Il existe ainsi plusieurs types de discours, Et l’utilisation de l’un ou de l’autre sera
plus ou moins adaptée selon l’objectif et l’interlocuteur.

Parmi les plus significatifs, nous retiendrons le discours narratif qui raconte,
le discours descriptif qui illustre et donne à « voir », le discours explicatif qui
transmet et développe une information, le discours argumentatif qui prouve
par des exemples et expose des arguments, ou le discours injonctif qui
ordonne ou énonce des règles ou des consignes.

Toutefois, une prise de parole ne se résume pas à l’emploi d’un seul type de
discours. Ainsi, lors d’un débat, si le discours argumentatif permet d’apporter du
poids et de la crédibilité au propos, il implique aussi une contre-argumentation.
Lorsque l’on souhaite rassembler, alors montrer plutôt que démontrer, en uti-
lisant un discours à la fois descriptif et narratif peut être beaucoup plus porteur.
On peut ainsi faire le récit d’un événement illustrant les valeurs que l’on souhaite
transmettre par exemple.

UN EXEMPLE
Jean-Paul, conseiller à la mairie, affirme : « Quand je veux faire passer certaines
idées, plutôt que de chercher à prouver ce que j’avance, je raconte toujours une
anecdote qui va donner du sens, qui va inspirer et toucher mon auditoire. C’est
beaucoup plus efficace que de rentrer dans un débat souvent conflictuel et stérile. »

— 144 —
Entrer en relation

De la même manière, l’utilisation seule d’un discours explicatif lorsque l’on sou-
haite instruire ou informer n’est pas suffisante. Dans ce monde d’hyperstimula-
tion, capter l’attention est un prérequis indispensable à toute prise de parole.
Combien d’enseignants, malgré un contenu de qualité ne parviennent pas à
intéresser ? Captiver en faisant appel en parallèle aux dimensions sensorielles
et émotionnelles du langage, avec l’utilisation d’un discours à la fois narratif et
descriptif, pourra être efficace.
L’ensemble de ces techniques seront mises en pratique et approfondies au
cours des chapitres suivants. Et vous trouverez parallèlement plusieurs outils
destinés aux enseignants à ce sujet dans mon livre précédent Assumer son
autorité et motiver sa classe, De Boeck Supérieur.

Selon mon objectif relationnel, je choisis un langage


qui privilégie la dimension sensorielle,
émotionnelle ou intellectuelle.
La forme du discours dépend donc non seulement du contexte et de l’objectif
poursuivi mais aussi de l’interlocuteur.

3.2 Structurer sa prise de parole

On apprend à l’école à structurer sa prise de parole selon un plan défini afin


de faire une présentation construite de sa pensée ou de la restitution de ses
connaissances. L’introduction par exemple est une présentation du sujet que
l’on va traiter avec la mise en place d’une éventuelle problématique, amenant
un questionnement autour de ce sujet, voire un débat sous la forme Thèse-
Antithèse-Synthèse. Et ce, dans le but de développer une pensée argumen-
tative, construite et référencée par exemple. Cette approche, principalement
intellectuelle, prend rarement en compte l’interlocuteur.

Structurer son discours selon l’objectif et l’interlocuteur


Pourtant, nous l’avons vu, prendre la parole implique un auditoire et par consé-
quent un objectif relationnel. C’est cet objectif qui devrait sous-tendre la structure
même de notre prise de parole.

Dès le premier siècle, le célèbre rhéteur Quintilien invitait déjà l’orateur,


dès ses premières paroles, à éveiller la bienveillance de l’auditoire à travers
l’exorde (introduction), dans le cadre du discours judiciaire par exemple.
Ensuite seulement, il venait informer avant de démontrer ou  réfuter les
arguments avancés. Enfin, dans la péroraison (conclusion), le public était
encore pris en compte. Après avoir présenté l’ensemble des arguments,
il s’agissait alors de tenter de l’émouvoir et de faire appel à ses émotions.

— 145 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Si le recours aux affects a longtemps été décrié (l’argument intellectuel ayant


davantage de valeur et apparaissant comme plus éthique), on ne saurait pour-
tant nier les enjeux affectifs de la relation et l’impact émotionnel du langage. Et
prendre en considération le monde des idées et du savoir, tout en tenant compte
de la dimension humaine et émotionnelle de la relation, n’est-il pas la seule façon
de concevoir un discours percutant, de prendre place et de faire entendre sa
voix ? La prise de parole devrait toujours être connectée et structurée selon une
intention, impliquant des enjeux humains et relationnels.

C’est mon objectif relationnel qui détermine le genre


de mon discours et la structure à adopter.
• Or, suivant votre objectif, quand est-il préférable d’argumenter ou de décrire ?
• À quel moment capter l’attention, susciter une émotion ou conduire à l’action ?
• Et quand privilégier la dimension émotionnelle, sensorielle, ou intellectuelle ?

S’inspirer du discours rhétorique


La rhétorique définit trois genres majeurs du discours selon la situation de com-
munication dans laquelle se trouve l’orateur.

Le genre démonstratif (ou épidictique) est adopté lorsque l’on souhaite


instruire ou informer. Il consiste à montrer ou à démontrer à travers un dis-
cours descriptif et narratif. Mais cette description n’est jamais neutre. Outre le
fait de chercher à capter l’attention du public, l’objectif est de transmettre la
vision critique de l’orateur à travers le blâme ou l’éloge d’une situation, d’une
personne, d’un objet ou d’une idée dans le but de critiquer ou de promouvoir.
Le genre délibératif est utilisé si l’on souhaite persuader ou dissuader celui
qui doit faire un choix ou réaliser une action. Il est principalement basé sur
l’argumentation et son objectif est d’amener à agir. Il était donc particulière-
ment adapté à la prise de décision lors des discours politiques dont Aristote
soulignait l’importance, dans son approche, de rechercher l’« utile », le « moral »
ou le « beau ». C’est le genre du débat par excellence.
Enfin, le genre judiciaire est celui qui permet d’accuser ou de défendre une
cause, une idée ou une personne. C’est le genre qui était employé essen-
tiellement dans les tribunaux où se jugeaient les affaires courantes. Il est par
conséquent lui aussi basé sur l’argumentation, avec le développement de
preuves factuelles et vérifiables. L’objectif du discours étant de convaincre,
il s’appuie sur les notions de « vrai » et de « faux », de « juste » et d’« injuste ».
Ces trois genres, à l’origine adaptés aux discours antiques, sont encore utilisés
aujourd’hui. Le genre épidictique par exemple est très employé dans la presse ou
la communication commerciale. (Nous l’expérimenterons de façon plus appro-
fondie dans les chapitres suivants.) Et ils impliquent non seulement un langage et

— 146 —
Entrer en relation

un positionnement de l’orateur différents mais ils respectent aussi une structure


particulière.

En pratique : La forme de la parole


Lors de mes prises de parole, je m’entraîne à suivre un plan rhétorique, dont
les différentes parties seront plus ou moins développées selon mon objectif.
Le plan rhétorique le plus fréquent présente quatre parties :
1. L’exorde introduit le sujet (et peut annoncer un plan succinct.) Il doit
attirer la sympathie de l’auditoire et faire valoir l’éthique et la compé-
tence de l’orateur.
2. La narration expose ensuite les faits sous forme de récit (dimension
sensorielle et émotionnelle).
3. La confirmation présente les arguments confirmant la narration
(dimension intellectuelle).
4. La péroraison enfin conclut sur la synthèse des arguments tout en
faisant appel au pathos (dimension intellectuelle et émotionnelle).
Cette structure est évolutive selon le genre et l’objectif du discours :
– Pour le genre délibératif, la confirmation est plus développée avec deux
parties comprenant la réfutation (anticipation d’une contre-argumentation)
avant la confirmation (argumentation sur la position de l’orateur). Quant
à la péroraison, elle appelle à une action particulière du public.
– Pour le genre judiciaire, la narration est particulièrement importante
avec la présentation des faits à la lumière de l’objectif (défendre ou accu-
ser) et les différentes parties s’enchaînent en suivant un raisonnement
logique et déductif. (Les transitions suivent des rapports de causalité.)
– Pour le genre démonstratif, la narration est aussi particulièrement
développée avec l’utilisation de récits et de descriptions. La confirmation
présente aussi de nombreuses descriptions (faisant souvent recours à
l’exagération ou à l’amplification) et des exemples servant à illustrer le
propos. Enfin, la péroraison appelle à une émotion particulière du public.

UN EXEMPLE
Dans le genre démonstratif, un professeur pourrait dire  : 1 –  Exorde  :
« Aujourd’hui, découvrons le célèbre Thalès et son théorème (sujet) »,
2 – Narration : « Certains rapportent qu’un jour où il souhaitait mesurer la
grande pyramide de Kéops, l’illustre philosophe eut l’idée… (faits illustrant
sujet ) », 3 – Confirmation : « En effet, selon les lois de la proportionnalité…
et… (arguments) », 4 – Péroraison : « Les maths, chaque jour dans votre vie
permettent donc…, et on retiendra… (conclusion et émotions). »

— 147 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment introduire un objectif relationnel et une intention à travers
la structuration du discours ? Permettre aux élèves de s’approprier et
d’expérimenter ces différentes structures est essentiel. Et repenser la
notion de plan, c’est être à même de passer d’un simple exposé oral à
un exercice rhétorique.

Structurer son discours aide à structurer sa pensée et oblige à se question-


ner sur l’objectif de sa parole. Cela fait partie d’un travail de recherche et de
construction de son sujet en amont. De plus, le jour de l’intervention, une prise
de parole structurée facilite non seulement la compréhension et la mémorisa-
tion des idées énoncées, mais elle est aussi plus crédible. Car plus un discours
semble construit, plus il apparaît comme abouti et sérieux.

EXERCICE N° 5 : LA CIBLE ET LA FLÈCHE


Sur une même thématique, préalablement
préparée, par exemple l’écologie, je struc-
ture ma prise de parole selon des objectifs
relationnels différents :
– informer sur le bien-fondé de l’écologie
(genre démonstratif) ;
– défendre des actions écologiques (genre
judiciaire) ;
– ou convaincre le public de s’engager à
agir (genre délibératif).
J’adopte la structure : 1  – Exorde, 2  –
Narration, 3 – Confirmation, 4 – Péroraison
Mon corps et ma voix sont au service de mon intention.

UN EXEMPLE
Dans le genre délibératif  : 1 –  Le réchauffement climatique n’est pas un
mythe. J’ai longuement étudié… (Exorde avec crédibilisation de l’orateur),
2 –  L’année dernière, alors que… (Narration avec appel à l’émotionnel),
3 – Les études prouvent… (Confirmation avec appel à l’intellectuel), 4 – Alors
je vous demande de ne plus… (Péroraison avec appel à l’action).

— 148 —
Objectifs

Cette phase initiale de travail autour du discours, engagée à travers l’en-


semble de ce chapitre, permet une première expérimentation des notions
d’argumentation, de narration, d’intention et de structure, au service d’un
objectif relationnel. (Ces thématiques seront approfondies lors des chapitres
suivants afin d’en permettre l’appropriation.)

MON COURS DE PRISE DE PAROLE N° 4


https://lienmini.fr/ (SEMAINE 4 À 5)
LAVEDRINE4

Problématique : Comment ne pas entrer dans un monologue et l’étalement de mes


connaissances, mais bien dans un véritable échange ? Comment définir un objectif
relationnel ? Comment manifester bienveillance, attention et empathie ? Comment
prendre en compte mon interlocuteur et développer mon sens de la répartie ?
Comment enrichir ma pensée à travers l’échange et la confrontation à l’autre ?

OBJECTIFS

• J’apprends à poser un regard bienveillant et à entrer en relation.


• J’apprends à écouter l’autre et à confronter mon discours au point de vue adverse.
• J’apprends à formuler des objections et à y répondre.
• J’apprends à définir un objectif relationnel.
• J’apprends à adapter la forme et la structure de mon langage selon mon objectif et
mon interlocuteur.

Parcours et progression
Intégrer l’aspect systémique de la relation
1. Soi
Trouver sa parole et se positionner face à l’autre
2. L’autre
Reconnaître, prendre en compte son interlocuteur et entrer en
interaction
3. La relation
Définir un objectif relationnel qui sous-tend la structure et la forme
de la parole

— 149 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Outils

Exercice n° 1 : PR : Parler vrai, parler juste


En pratique : Valeurs et congruence, Le coquillage, Trouver sa voix
Exercice n° 2 : Ni pour ni contre, bien au contraire
En pratique : Métamodèle et esprit critique
Exercice n° 3 : Créer du lien
En pratique : Connaître son interlocuteur, Langage de la reconnaissance,
Empathie corporelle et vocale
Exercice n° 4 : Répondre au clash
En pratique  : Rompre le rapport unilatéral orateur-public, Pratiquer la
distanciation, Cultiver l’esprit de contestation
Exercice n° 5 : La cible et la flèche
En pratique : Définir un objectif relationnel, Les fonctions de la parole, La
forme de la parole

AUTO-ÉVALUATION ET FEED-BACK :
LE BILAN DE MES COMPÉTENCES
Partiellement
d’acquisition
Non acquis

En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur
Acquis
acquis

Je suis ouvert aux autres et bienveillant.

J’ai des valeurs qui me tiennent à cœur.


M
E J’ai conscience du mode intuitif naturel
N qui m’habite. Je fais preuve d’esprit critique
T et me remets en question.
A J’ai connaissance des arguments qui
L viendraient contredire mon point de vue.
Je m’intéresse au point de vue de l’autre,
qui me nourrit.

— 150 —
Auto-évaluation et Feed-back : Le bilan de mes compétences

Partiellement
d’acquisition
Non acquis

En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Je ne me sens pas attaqué personnellement
M
par les remises en cause de mon avis.
E
N J’ai un objectif relationnel bien défini.
T
J’ai conscience de la nature systémique
A
des échanges et de leur dimension sensorielle,
L intellectuelle et émotionnelle.
Je sais adapter mon vocabulaire et mon niveau
de langage à mon interlocuteur.

V J’utilise le langage de la reconnaissance.


E
Je sais formuler une objection de façon douce,
R
qui n’entre pas en conflit avec l’ego de mon
B interlocuteur.
A
L Je sais argumenter et répondre aux objections.

Je sais prendre la parole de manière structu-


rée, selon mon objectif et mon interlocuteur.

Je suis calme et détendu, mon corps est aligné.


J’ai une gestuelle ample et ouverte, signe
C d’acceptation.
O
Mon visage est ouvert et souriant.
R
P Je crée une connexion visuelle et dirige
O mon regard vers mes interlocuteurs.
R
Je respecte l’espace proxémique
E
de mon interlocuteur.
L
Je sais me synchroniser corporellement
sur mon interlocuteur.

Je sais adapter mon langage corporel,


V selon le contexte et la situation relationnelle.
O
C Mon articulation est claire et distincte.
A
Je sais m’exprimer dans mon registre vocal
L
naturel.

— 151 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Partiellement
d’acquisition
Non acquis

En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Je sais adapter mon volume et mon débit
à mon interlocuteur et à la situation.

Ma voix est expressive, je ne reste pas


sur un ton monocorde.
V
O Je sais marquer des pauses, contrôler mon
C volume et mes intonations en fin de phrases,
A afin de gérer une bonne répartition de la
L parole avec mon interlocuteur.

Je sais me synchroniser vocalement.

Je sais adapter ma voix selon le contexte


et la situation relationnelle.

Mon bilan / synthèse


Mes atouts :
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Mes axes d’amélioration :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Les exercices et pratiques à approfondir :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

— 152 —
CHAPITRE

5
Exceller à l’oral :
servir une intention
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1. CAPTER L’ATTENTION ET INTÉRESSER

1.1 Plan verbal

Si l’on ne parvient pas à capter l’attention de son auditoire, alors aucune prise de
parole ne peut véritablement avoir d’effet. Mais comment parvenir à intéresser
voire à captiver son public ?

Sur le plan des neurosciences, nous avons observé qu’il existe, à travers
les mécanismes cérébraux, une merveilleuse combinaison et de multiples
interactions entre réception sensorielle, processus cognitif et système
émotionnel.

Ainsi, le cerveau est d’abord perceptif, nous sommes naturellement attirés par
tout ce qui stimule nos sens. Parallèlement, le besoin de sens et de compré-
hension de notre système cognitif est un moteur de notre attention et de
notre intérêt et les enjeux affectifs impactent l’ensemble du système cérébral.

Capter l’attention revient donc à s’adresser à chaque parcelle du cerveau humain.


Une parole plate, sans relief, ne présentant aucune image, aucune perception,
sera difficilement « attractive ». Ainsi, « la peine doit être égale au crime », trop
« théorique », aura toujours moins de force et d’impact que « œil pour œil, dent
pour dent ». Tout comme un discours dénué d’émotion ou ne faisant pas sens
pour l’auditeur présentera peu d’intérêt.

Faire appel aux sens et aux émotions

UN EXEMPLE
Dans la préface d’Art poétique, Roger Caillois rapporte qu’un inconnu avait
soudain fait rapporter beaucoup d’argent à un mendiant en changeant
uniquement l’inscription indiquée sur sa pancarte. Cette anecdote montre ainsi
l’impact du langage sur nos dispositions et nos actions. Or quelle était cette
inscription ? Il avait simplement remplacé « Aveugle de naissance » par « Le
printemps va venir, je ne le verrai pas ». Il avait transformé un langage purement
informatif par un langage rempli d’affect et suggérant des images mentales.

Stimuler le cerveau sensoriel permet de rendre, nous l’avons vu, un contenu


attractif, tout comme stimuler le cerveau émotionnel est une manière de tou-
cher et d’engager l’auditoire. Il est donc intéressant sur un plan verbal, avec
l’utilisation d’un vocabulaire sensoriel et la création d’images mentales déjà abor-
dées, d’utiliser la narration et la description afin de rendre le discours réaliste,
vivant, palpable, humain.

— 154 —
Exceller à l’oral : servir une intention

La plupart des enseignants ou des formateurs ont d’ailleurs déjà pu en faire l’expé-
rience en observant que les élèves ou les stagiaires retiennent toujours les exemples
imagés ou les anecdotes, bien davantage que les énoncés formels et théoriques. Et
tout ce qui sera « stimulant » sur un plan sensoriel permettra donc non seulement de
capter l’attention, mais s’ancrera aussi davantage dans la mémoire.

En pratique : le romancier
À partir d’objets autour de moi ou de photos prises au hasard, je raconte
une brève histoire en incluant des dialogues, de la description, des
images sensorielles, des analogies, des comparaisons et des exemples.
Tel le romancier, l’endroit où je pose mon regard est prétexte à raconter.
Tel le poète, j’utilise des formules évocatrices et imagées. Ainsi, je stimule
ma créativité, je me familiarise avec les éléments et les formes du langage
et je développe ma prise de parole.

La problématique de l’enseignant-formateur
Il est intéressant de s’interroger sur la place de la lecture (et de la culture)
dans la maîtrise des outils et des formes du langage, et par conséquent
dans l’enseignement de l’oral. À travers la pratique de la lecture en classe,
nous pouvons intégrer les enjeux de la prise de parole : lire à voix haute
pour améliorer sa voix, sa posture et sa présence, lire pour enrichir ses
références et penser, lire pour enrichir son langage et parler…

Pour capter l’attention et intéresser,


j’utilise un langage « vivant », narratif, descriptif
et imagé, à la fois sensoriel et émotionnel.

Soigner ses effets et susciter la curiosité


Aussi, nous devrions toujours apporter de la « sensation », du mouvement et de
l’éclat à notre parole. Voici quelques pistes pour cela (plusieurs sont approfon-
dies dans mon livre Assumer son autorité et motiver sa classe, De Boeck
Supérieur).
– L’effet de contraste : il s’agit de placer côte à côte deux mots opposés ou
deux idées contradictoires, ou de mettre en parallèle « l’avant » et « l’après »
d’une situation ou ce qui est et ce qui aurait pu être, ou encore de juxta-
poser le sens habituel d’un mot et un sens différent. Ce contraste va créer
un décalage, rompre la monotonie et apporter du relief et de la brillance.

— 155 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

– L’effet de surprise : être là où l’on ne nous attend pas suscite l’intérêt


car le cerveau est particulièrement vigilant à ce qui est inhabituel. En créant
la surprise, nous pouvons capter ou relancer l’attention.
– L’appel à la curiosité  : qui n’aime pas chercher, trouver, découvrir,
résoudre ? La question est beaucoup plus engageante et mobilisatrice que
l’affirmation. Éveiller la curiosité est stimulant sur un plan cognitif. Et un
discours devrait toujours débuter par une phrase conduisant à la question :
Qui ? Quand ? Quoi ? Comment ? Où ? Pourquoi ? Que va-t-il se passer ?

UN EXEMPLE
Au lieu de dire « elle le retrouvera à 20 h 35 », il sera plus captivant de
demander : « Et voulez-vous savoir à quelle heure, ils se retrouveront ? Je
vous donne un indice… C’est à l’heure exacte où le soleil se couche. Alors ?
(L’heure exacte arrivant ensuite) », faisant appel à l’imagerie mentale et à la
curiosité.

Les recherches de la psychologue Bluma Zeigarnik en 1927 révèlent


l’impact de la tension créée par l’inachèvement d’une tâche sur les méca-
nismes cérébraux. Il existe une motivation de résolution, d’achèvement,
et plus ce désir est fort, plus la mémorisation est grande. Une prise de
parole qui parvient à cultiver le suspense, à maintenir en haleine, est donc
aussi plus mémorable.

Or tout l’art d’un discours captivant est de réussir à conserver cet intérêt sur la
durée. Aussi, amener son sujet de façon détournée ou s’appuyer sur une pro-
blématique et en retarder le dénouement maintiendra l’engagement du « public ».

UN EXEMPLE
Ludovic, conférencier, s’inspire de certains romanciers et des publicitaires
devenus maîtres dans cet art du teasing  : « Pour chaque phrase lancée,
j’essaie d’induire la question “Et alors ?” ou bien “Et puis ? Que va-t-il se
passer ?”, de telle sorte que chacun soit suspendu à mes lèvres. »

Structurer son discours autour d’une question


S’il est bienvenu de débuter sa prise de parole par une question, l’entière struc-
ture d’un discours peut même participer à sa résolution finale. Et au-delà du
vocabulaire, des effets de style et de la forme du langage choisi, un plan bien
pensé participera au niveau d’intérêt et d’attractivité d’un discours.

— 156 —
Exceller à l’oral : servir une intention

En pratique : Le chercheur (plan n° 1)


J’utilise ce plan, bien connu des enseignants, qui résulte d’une démarche
scientifique consistant à partir d’une observation ou d’une intuition pour
poser des hypothèses et les vérifier. Le doute est au cœur de cette
démarche de recherches.
1. Je présente mes observations/intuitions.
2. Je formule des hypothèses.
3. Je recherche les sources ou expériences mises en place pour vérifier
ces hypothèses.
4. Je conclus et valide mon hypothèse.
Exemple : 1. J’ai remarqué que lorsque… 2. Peut-on en déduire que… ?
3. Or j’ai lu que…, trouvé telles études…, et fait tel test… 4. Je suis donc
en mesure d’affirmer que…

Sur un plan formel ou structurel, tout ce qui participera à la « mise en scène » et


à la théâtralité du discours contribuera à capter l’attention. Et parallèlement, le
sujet abordé et le sens de vos propos sont aussi déterminants du niveau d’intérêt
de votre public. Or qu’est-ce qui intéresse les gens de manière générale ?

Donner du sens et satisfaire un besoin

UN EXEMPLE
Imaginons une conférence sur la fabrication du couteau. L’orateur explique
alors les différentes étapes et processus de fabrication et de production. Il
est probable, à moins d’être passionné par le sujet, que la moitié du public
finisse par décrocher. Imaginons à présent qu’il commence à interroger
une personne, puis une autre sur les couteaux qu’elle possède, sur la
manière dont elle les utilise ou dont elle les aiguise… Alors subitement,
les oreilles se dressent. Subitement le public se sent concerné. Parce que,
subitement, l’orateur fait des liens entre son sujet et la vie quotidienne de
son audience.

Les meilleurs orateurs ne sont pas dans l’énumération de faits et d’informations


mais ils sont dans l’échange et la relation. Il ne s’agit pas de parler d’un sujet qui
nous intéresse, mais de partager. Pourquoi sommes-nous là ? Qu’avons-nous à
apporter à l’autre ? En quoi notre propos concerne-t-il l’auditoire ?
Les gens s’intéressent à ce qui fait sens pour eux et les touche personnellement.
Capter l’attention, ce n’est ni plus ni moins qu’entrer en relation. Le message
doit donc être en rapport avec le vécu et les centres d’intérêt de l’auditeur
grâce, notamment, à l’utilisation d’exemples bien choisis. Et si nous parvenons,

— 157 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

de plus, à résoudre un problème en lien avec ses besoins, alors nous conser-
vons son attention et son implication.
• Alors, quel est le problème de votre auditoire ?
• Quels bénéfices retire-t-il à vous écouter ?
• Et quelles sont les valeurs qui lui sont chères ?
Certes, connaître son public n’est pas toujours facile, mais nous savons qu’il existe
de grands besoins communs à tous : les besoins de subsistance et de protection,
les besoins d’affection, de lien, de reconnaissance, le besoin de loisirs et de jeu, le
besoin de créer et d’inventer, le besoin de participer, de coopérer, de s’engager,
d’exister, de choisir, d’être libre… Et débuter sa prise de parole en soulevant une
problématique en lien avec ces besoins ou poser une question en rapport avec un
bénéfice personnel va ainsi intriguer, susciter la curiosité et l’intérêt.

UN EXEMPLE
Charlotte, formatrice en entreprise, débute toujours son intervention par un
tour de table : « Tous se présentent et me parlent de leurs attentes, cela me
permet de mieux les connaître et de pouvoir ensuite faire des liens avec ce
qu’ils recherchent précisément. »

Je cultive l’aspect théâtral de mon discours afin


de capter l’attention. Et je fais des liens avec
le quotidien de mon public afin de conserver l’intérêt.

EXERCICE N° 1 : SUSCITER L’INTÉRÊT


Je m’entraîne à identifier les centres d’in-
térêt de mon interlocuteur et je soulève
une problématique autour d’un sujet qui
le concerne. J’articule ma prise de parole
suivant la structure vue précédemment
« Le chercheur » en lien avec les centres
d’intérêt de mon interlocuteur :
1.  Avez-vous déjà… ? (Observations
autour d’un problème personnel)
2.  Quelles en sont les raisons ?
(Hypothèses)
3. Les études montrent que…, j’ai moi-
même fait le test de…

— 158 —
Exceller à l’oral : servir une intention

4. On peut donc affirmer que…


Plan verbal : J’utilise un vocabulaire sensoriel et un langage imagé. Je n’hésite pas
à illustrer par des exemples en utilisant la description, la narration, le contraste…
Plan corporel et vocal : Je soigne ma posture, je fais preuve de souplesse. Je
libère ma gestuelle. Je projette ma voix. Et je suis expressif (Exercices du chapitre 2).
Plan mental et émotionnel : Je vis ce que je raconte. Je suis présent (Chapitre 2).

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment permettre aux élèves ou aux stagiaires de trouver des pas-
serelles entre leur sujet et les besoins de l’auditoire ? Mettre en place
un questionnement autour du profil de l’auditeur et de ses attentes, et
favoriser la connaissance de l’humain et de ses besoins fondamentaux
sont des activités à initier.

1.2 Plan corporel et vocal

Sur le plan corporel et vocal, nous avons abordé l’importance de la congruence,


résultant d’une cohérence entre les messages verbaux, non verbaux et paraver-
baux. Ainsi, le corps et la voix suivront les mêmes objectifs que le langage verbal.
C’est-à-dire : stimuler le cognitif, le sensoriel et l’émotionnel, en apportant tour à
tour du sens et un questionnement, du relief et de la théâtralité, et en créant du
lien et une dimension émotionnelle.

Apporter du mystère et du relief


Le visage est un des premiers vecteurs expressifs et les effets de surprise et
d’attente de résolution peuvent être véhiculés par ce biais. Relever les sourcils ou
avoir subitement un air énigmatique, mystérieux, mais aussi marquer des pauses
sur le plan vocal, ou finir ses phrases en remontant vers l’aigu (ton interrogatif)
sont une manière d’entretenir le suspense.
D’une manière générale, varier les expressions de son visage, ses inflexions
vocales ou sa gestuelle permettra non seulement de « colorer » son discours, mais
aussi de rompre la monotonie. Les maîtres-mots sont donc « expressivité » et
« ruptures ».

— 159 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Pour Maryse, professeur, jouer avec le volume de sa voix permet d’apporter
du relief et du « piquant » sur le plan sensoriel : « Lorsque je sens qu’ils sont
moins attentifs, je diminue soudainement l’intensité. Ou alors je vais parler
plus fort, afin de créer une rupture qui va attirer leur attention. L’important,
c’est d’éviter le ton monocorde qui les perd à coup sûr. »

En pratique : L’Expressivité vocale


Elle se traduit par une variété à la fois des intonations, de la rythmique
et du volume.
Ainsi, je peux accélérer puis ralentir en fonction de ce que je décris ou de
ce que je raconte, marquer des pauses et créer des ruptures, modifier
mes intonations et mon registre, utiliser les dialogues pour « jouer » les
différents personnages de l’histoire afin d’apporter encore davantage de
relief, ou jouer avec le volume, dans le but de relancer l’attention.

Attention toutefois au totalitarisme vocal, déjà abordé, qui consisterait à systéma-


tiquement parler fort pour s’imposer et être plus écouté. On ne réquisitionne pas
l’attention par une présence vocale trop forte mais par la qualité de son discours.
Par ailleurs, le silence est aussi un outil puissant pour apporter du relief et du
mystère.

Les études de la psycholinguiste Frieda Goldman-Eisler en pausologie


révèlent que le silence crée une rupture permettant d’annoncer qu’il va
se « passer quelque chose » ou qu’il s’est « passé quelque chose » selon qu’il
est placé avant ou après une locution. Amener un questionnement puis
marquer une courte pause accentuera ainsi l’effet de surprise et l’attente de
la résolution. Tout comme un silence placé après une comparaison ou un
vocabulaire imagé permettra de laisser un temps propice à l’imagination et
à la rêverie, nécessaire à la création d’images mentales.

Susciter l’émotion à travers ses inflexions vocales


Parallèlement, la voix est le vecteur de l’émotion. Par nos inflexions et nos varia-
tions vocales, nous apportons non seulement du relief, de la couleur et de l’inté-
rêt au propos, mais nous révélons et suggérons de plus une dimension affective
forte. Les interactions entre le son et les émotions ont d’ailleurs souvent été
l’objet d’études diverses.

Le professeur de psychologie cognitive Emmanuel Bigand explique à quel


point les sons musicaux impactent l’ensemble du cerveau et modifient ses

— 160 —
Exceller à l’oral : servir une intention

mécanismes biochimiques. Seulement deux cent cinquante millièmes de


secondes lui suffisent pour se synchroniser sur un stimuli sonore et pas moins
de huit mécanismes de traitements cérébraux, dont le traitement sensoriel et
perceptif, sont impliqués, activant un grand nombre de neurotransmetteurs
responsables de notre humeur.

Le succès récent de l’ASMR (« réponse sensorielle autonome culminante ») sur les


réseaux sociaux, mêlant sons chuchotés et bruit divers, ainsi que les nombreux
témoignages des adeptes montrent à quel point nous pouvons être particulière-
ment sensibles au son sur un plan sensoriel et émotionnel.

UN EXEMPLE
Pour Vanessa, le chuchotement est une véritable extase : « J’adore ces bruits
de bouche, les chuchotis ou le son de la respiration. Comme avec le clapotis
de la pluie, ça me procure un bien-être profond et des frissons tout le long
du crâne. »

En variant l’intensité, les inflexions, la rythmique


et les intonations de ma voix, je capte l’attention
et suscite intérêt et émotions.

En pratique : Le chant des sirènes


Comment parvenir à incarner et à donner un côté attractif à un discours
aussi creux qu’une notice d’utilisation d’un portique ? (Je prône habituel-
lement la valeur du verbe, mais une fois n’est pas coutume, voici une
lecture particulière.)
Je lis le texte suivant en respectant la légende indiquée. Je crée des
ruptures, de la variation et du relief et soigne mon expressivité. J’adopte
une respiration diaphragmatique, une posture souple et alignée, et des
expressions du visage variées.

— 161 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Registre – Hauteur : Grave : ; Médium : ; Aigu : ;


Ligne mélodique :
Débit – Rythmique : Rapide : + ; Lent : – ; Modéré : o ; Pauses : /
Volume – Intensité : Fort : F ; Doux : P ; Moyen : M
Astuce : Sur les phrases ascendantes, avant une pause, je pense « Tiens
il se passe quelque chose ».

Soigner son expressivité non verbale


Parallèlement le langage corporel a aussi un impact fort. Par nos mouve-
ments, nous donnons à voir, à sentir. Par notre gestuelle nous don-
nons à comprendre, à imaginer. Par notre expressivité, nous donnons
à ressentir.
Et capter l’attention, c’est avant tout être présent et visible. Aussi il est impor-
tant d’occuper l’espace et de soigner sa posture. Une attitude fermée, cour-
bée et qui donne l’impression de s’effacer a peu de chance d’être « captivante ».
Inversement, plus notre gestuelle est riche et variée, plus notre corps s’anime, et
plus notre communication non verbale est vivante et notre discours intéressant.
Le mouvement et les déplacements divers sont donc une clé efficace pour attirer
et relancer l’attention, à condition de ne pas s’agiter en tout sens telle une poule
cocaïnomane.

En pratique : L’expressivité corporelle


– L’ouverture, l’orientation du buste et la souplesse permettent d’apporter
une dimension plus large à l’échange en impliquant, ou non, l’inter-
locuteur. Par exemple, je peux me tourner vers l’un des participants
afin de l’engager.
– Faire preuve de souplesse et d’ouverture libère la gestuelle et c’est
une manière d’accueillir son interlocuteur. Je garde, par exemple, les
bras décollés du buste, les jambes légèrement espacées, les épaules
basses et j’ai des gestes d’ouverture.
– Les gestes ponctuateurs et illustrateurs colorent le discours et favorisent
attention et compréhension. Je peux mimer certains mots ou verbes
d’action (stopper, barrer, effacer, entrer…), et illustrer les chiffres (trois,
sept…) par exemple.

— 162 —
Exceller à l’oral : servir une intention

UN EXEMPLE
Pour Marc, coach sportif : « Les stagiaires ne sont jamais autant intéressés
et attentifs que lorsque je m’anime et me mets en scène pour montrer
l’exercice parce que si je leur explique de façon théorique, la plupart vont
décrocher. Bien sûr, ma discipline s’y prête, mais je crois que, dans n’importe
quel domaine, le corps devrait toujours illustrer le propos. »

La problématique de l’enseignant-formateur
Les jeux théâtraux peuvent apporter de nombreuses ressources, à la fois
ludiques et engageantes, dans nos pratiques scolaires. Mais comment parvenir
à faire le lien entre deux objets apparemment aussi antagonistes que sont les
outils de l’acteur d’un côté et l’expression véritable, sincère et spontanée de
sa propre parole, de l’autre ? Comment ne pas perdre de vue son authenticité
et l’essence même de ce qu’est l’expression orale : le déploiement du soi ?
Laisser un cadre ouvert à l’improvisation et à la parole de l’élève, à travers des
échanges collectifs ou des ateliers d’écriture, est indispensable.

Ma parole est sincère et incarnée,


car il ne s’agit pas tant de jouer mais d’être.

EXERCICE N° 2 PR : LE CONTEUR
Cet exercice de PR permet de
cultiver l’aspect expressif et
émotionnel de votre expression
au profit d’un véritable échange.
Phase 1 : le Soi
Plusieurs fois, avec mes mains,
les bras tendus, je définis autour
de moi le contour d’une bulle
qui m’englobe le plus largement
possible en partant du centre
vers le haut. Tout en me relevant
sur la pointe des pieds, solide,
je prononce un Mmm vibrant et
sonore, bouche fermée, jusqu’à
prononcer « MOT » en ouvrant

— 163 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

la bouche et en glissant des


graves aux aigus et inversement.
J’écoute ma voix, je laisse le son
durer et redescends sur le sol.
Phase 2 : le Hors Soi
Puis, tel le griot, célèbre conteur
africain, je raconte une anecdote
banale de ma vie quotidienne,
de telle sorte qu’elle semble
extraordinaire.
Plan verbal : utiliser un lan-
gage imagé faisant appel aux
sens et aux émotions, utiliser
la narration, la description, la
métaphore, la comparaison…
Plan corporel et vocal : visage expressif souplesse et ouverture corporelle, gestes
illustrateurs, voix expressive dont le volume, le rythme et les intonations varient…
Il s’agit de vivre et d’incarner réellement ce dont on parle, de le ressentir à la fois
corporellement et émotionnellement.

Si l’approche peut vous sembler étrange, il faut toutefois concevoir la première


partie de cet exercice comme un véritable kata ou un mouvement de Qi Gong,
c’est-à-dire dans la conscience et la présence à soi-même. Il faut aussi être investi
sur le plan émotionnel et ressentir toute l’émotion et l’intensité présente dans sa
voix et dans sa gestuelle.
Ainsi, cette pratique de psycorpophonie relationnelle vous aidera, entre autres,
à développer votre expressivité et à oser dire face à l’autre. Elle mobilise votre
énergie pour renforcer votre ancrage, votre souplesse gestuelle et améliorer
votre « son » et vos résonances vocales. Elle développe votre créativité et vos
compétences verbales sur le plan narratif. Enfin, elle vous permet de prendre
conscience de la dimension vocale, physique et émotionnelle de votre commu-
nication. (Pendant la pratique, il est important d’imaginer votre interlocuteur.)

2. CONVAINCRE

2.1 Plan verbal

Si les aspects sensoriel et émotionnel sont essentiels lorsque l’on souhaite capter
l’attention, lorsque l’on veut convaincre, il faut s’adresser davantage au cognitif

— 164 —
Exceller à l’oral : servir une intention

et à la pensée rationnelle en démontrant, en argumentant ou en « prouvant ». Car


convaincre, c’est amener l’autre à croire, à adopter ou à reconnaître la validité
ou la nécessité d’un propos ou d’un fait.

Favoriser l’argument logique


Or, sur un plan cérébral, lorsque nous devons porter un jugement ou faire un
choix, le mode prioritaire, parce que moins coûteux en énergie, est le mode
intuitif (système  1 de la pensée précédemment abordé). Ainsi, le cerveau pri-
vilégiera au premier abord le bon sens et le possible, la logique, les exemples
plausibles et la parole d’experts, apparaissant comme des arguments crédibles,
même s’ils ne sont pas toujours objectifs.
Le cerveau cognitif sera donc particulièrement sensible aux arguments témoi-
gnant d’un raisonnement logique. Pour cela, nous pouvons :
– Hiérarchiser et structurer  : Tout ce qui contribuera à apporter une
structuration logique au langage, comme le fait de hiérarchiser les parties,
semblera fiable et convaincant  : tout d’abord, ensuite, premièrement,
deuxièmement, d’une part, de l’autre, puis, enfin, en dernier lieu,
pour conclure…
– Faire des rapports de causalité : De la même manière un vocabulaire
traduisant un rapport de causalité, identifiant des causes et des conséquences
dans le but de prouver, sera particulièrement porteur : car, étant donné
que, puisque, en raison de, il en résulte que, par conséquent, c’est
pourquoi, c’est la raison pour laquelle…
– Illustrer ses arguments par des exemples : On peut aussi prouver
en illustrant avec des comparaisons, des analogies et des exemples, ce
qui aura pour effet de crédibiliser encore davantage le propos : de même
que, c’est le cas avec, pareil à, par exemple, de la même manière que,
comme, semblable à, citons…
Le simple fait d’utiliser des exemples permet non seulement de renforcer l’argu-
ment mais aussi de le répéter de façon subtile et d’inscrire plus profondément le
message dans l’esprit de l’interlocuteur.

UN EXEMPLE
D’ailleurs, juxtaposer plusieurs arguments, plus ou moins bancals et sans
véritable rapport est une technique manipulatoire, nommée le mille-feuille
argumentatif par le sociologue Gérald Bronner. Elle est fréquemment
utilisée par les complotistes en tout genre comme outil de persuasion  :
« Le congrès international de la “terre plate” fait salle comble, de plus les
médias et les pouvoirs politiques nous manipulent ; par ailleurs, Aristote
affirmait que si la terre était en mouvement, un objet lancé à la verticale
ne retomberait pas au même endroit et on peut apercevoir les gratte-ciels
de Chicago à plus de 80 km quand le ciel est dégagé. C’est bien la preuve
que la terre est plate. »

— 165 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

– Développer son argumentation : Présenter plusieurs arguments aura


donc aussi plus d’impact que si l’on n’en présente qu’un seul, tout comme
le fait de développer son argumentation : de plus, mais aussi, non seule-
ment, mais encore, par ailleurs, sans compter, on peut ajouter, d’autant
plus que, ensuite, de surcroît…
– S’appuyer sur l’expérience : Parallèlement, parler des conséquences
obtenues par une personne qui a fait la même chose, ou qui a suivi la
même approche dans un autre domaine, tend à prouver la validité de
l’argument, tout comme faire part de sa propre expérience. La compa-
raison ou l’analogie avec l’expérience d’autrui peuvent aussi apparaître
comme preuve sociale, « c’est vrai parce qu’untel a fait… ou a dit… »,
l’expérience ayant valeur d’argument, même si celle-ci est totalement
subjective et liée à un contexte bien précis. Sur ce plan, la référence à
l’autorité aura donc encore davantage de valeur, la parole d’un expert
apparaissant plus crédible.

Pour convaincre, j’utilise des arguments logiques,


des exemples, des preuves relevant du bon sens
ou des témoignages d’experts.
L’ensemble de ces arguments fait partie des preuves techniques, c’est-à-
dire qui font appel à la logique, à l’intuition, aux valeurs des personnes ou aux
émotions. Mais ce ne sont pas des faits objectifs (les preuves extra-tech-
niques), et la limite est parfois ténue entre la preuve véritable et l’argument
fallacieux.

Se méfier des raisonnements biaisés


Aussi il est capital de vérifier la validité de ses arguments tant il est facile de
tomber dans le paralogisme, raisonnement biaisé mais de bonne foi, ou le
sophisme, fait d’arguments n’ayant de la validité ou de la vérité que l’apparence
et utilisés dans le but de « faire illusion ».

DES EXEMPLES
Affirmer « tel scientifique a dit que… » peut être légitimement contestable. Car
qui est ce scientifique exactement ? Est-il bien qualifié pour juger de cela ?
Quelles sont les expériences qui confirment son propos ? Ses recherches
sont-elles récentes ? N’y a-t-il pas conflit d’intérêt ?… Tout comme le fait
que le jardinier reconnu du village ait cassé sa tondeuse de la marque  X
n’est pas une preuve du manque de solidité de cette marque.

Nous parlerons ici d’argument d’autorité, la parole de « l’expert » ayant valeur de


preuve. Et parmi les raisonnements biaisés figurent aussi :

— 166 —
Exceller à l’oral : servir une intention

– L’argumentum ad populum, le sophisme de l’appel au peuple où


la parole du « plus grand nombre » fait autorité et a valeur d’argument :
« Si  autant de gens consomment des produits raffinés, c’est bien la
preuve que ce n’est pas mauvais pour la santé. »
– Les analogies douteuses, lorsque l’on sous-entend un lien ou un rapport
de causalité là où il n’y en a pas, tel que dire : « Vous affirmez que je me
trompe, pourtant Galilée a aussi été condamné alors qu’il avait raison. »
– La preuve pathétique, utilisant le pathos pour altérer le jugement, est
aussi un ressort très utile pour convaincre mais néanmoins contestable.
C’est la fameuse « circonstance atténuante » de notre Code pénal, identifiée
dès l’antiquité sous le nom d’argumentum ad misericordiam : « Lorsque
l’on remarque à quel point il a été persécuté, il est compréhensible
qu’il se soit conduit ainsi. »
– Le raisonnement panglossien, qui consiste à raisonner à l’envers
en adoptant une cause possible comme une conclusion évidente, pour
reprendre le célèbre exemple de Pangloss affirmant : « Remarquez bien
que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des
lunettes. »
– Le Non sequitur, où l’on tire une conclusion sans suivre les prémices
de façon logique, par exemple  : « Ces outils rhétoriques sont utilisés
pour manipuler. Elle utilise ces outils rhétoriques, c’est donc qu’elle
veut manipuler. » L’aspect fallacieux de l’argument ne saute pas tant aux
yeux dès lors qu’il s’appuie sur des pensées communément adoptées par
tous, cependant dès que l’on change de références, on réalise à quel point
la logique ne tient pas : « Il y a des gens qui prennent leur voiture et se
tuent. Il prend sa voiture, c’est donc qu’il veut se tuer. »

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment développer l’esprit critique et l’art de l’argumentation chez
nos élèves ? Et comment les amener à différencier l’argument solide du
sophisme fallacieux ? La connaissance et l’identification des sophismes,
tout comme l’exploration des différents types d’arguments, doivent être
mis en place à travers des activités d’observation et d’analyse, puis de
recherche et de production, en fournissant les moyens d’acquérir des
sources fiables et objectives.

Engager une démarche analytique


Faire preuve de sens critique, c’est savoir quand sortir de ce système intuitif
« réflexe » de la pensée pour adopter un mode analytique, plus coûteux mais aussi
plus fiable. Ainsi, s’appuyer sur des chiffres précis, sur les résultats d’études (et

— 167 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

non sur la parole de scientifiques), vérifier ses sources ou confronter la perti-


nence de son raisonnement est une démarche nécessaire à l’élaboration d’argu-
ments solides, de preuves extra-techniques. Et lorsque nous n’avons pas le temps
et les ressources suffisantes pour une telle démarche, il est judicieux de laisser
place au doute.
De manière générale, on peut se permettre de douter lorsque l’argument semble un
peu « racoleur » ou « sensationnel », lorsqu’il repose sur un cliché, sur des raccourcis
et des généralisations, ou lorsqu’il s’apparente aux arguments fallacieux classiques.

DES EXEMPLES
Parmi les sophismes les plus utilisés dans notre société, on relèvera
l’appel à l’exotisme (la médecine indienne l’utilise c’est donc que c’est
efficace), l’appel à la nature (si c’est naturel, c’est forcément bon), l’appel
à l’ancienneté (mon lave-linge a plus de 15  ans, à cette époque on
fabriquait des appareils solides), l’appel à la tradition (on fait ainsi depuis
des générations, c’est donc que c’est la meilleure façon de faire), l’appel
à la popularité (tout le monde a une télévision, c’est donc bien un objet
indispensable), etc.

Je teste la justesse, la validité, la faisabilité, l’utilité,


l’efficacité, la fiabilité et l’éthique de mes arguments.
Une approche analytique consistera donc à soumettre ses arguments à deux
questions : la question de la vérité, en confrontant ses déclarations au réel
(est-ce que mon postulat de départ est vrai et s’appuie sur des faits objectivement
vérifiables ?) et la question de la validité (si ces éléments soutiennent le dis-
cours, sont-ils suffisants pour corroborer la conclusion ?).

En pratique : Preuves et types d’arguments


Je m’entraîne à construire des preuves techniques et extra-techniques
dans le but de démontrer et d’argumenter. Puis je vérifie la solidité de
mes arguments.
La démonstration s’appuie sur des arguments vérifiables, des preuves
extra-techniques dans le but de démontrer une vérité. L’argumentation,
elle, a recours à des preuves techniques (logos, ethos, pathos), dans le
but de révéler la validité d’un propos (non la vérité).
Parmi les preuves techniques, j’utilise :
– la preuve éthique (ethos) : elle s’appuie sur des valeurs ou sur les qualités
d’un orateur (son niveau de compétence, de bienveillance et de vertu).

— 168 —
Exceller à l’oral : servir une intention

Plus l’orateur construira une image crédible, plus il fera autorité et plus sa
parole aura de poids. (L’argument d’autorité consiste d’ailleurs à citer
des experts. Inversement, lorsque l’on veut discréditer une personne, on
utilisera l’argument ad hominem, en s’attaquant à sa personne pour
décrédibiliser sa parole : « Rousseau est-il bien placé pour nous parler
d’éducation alors qu’il a abandonné ses cinq enfants ? »)
Parmi les arguments de valeurs ou de principes universels, on trouve :
la vérité, la justice, l’équité, la sincérité, le courage, l’honneur, la patrie,
le respect… Par exemple : « Fumer n’est pas seulement dangereux pour
soi mais cela l’est aussi pour l’entourage, intoxiqué de manière passive.
S’abstenir de fumer en public c’est donc faire preuve de respect, de
bienveillance et de civisme. »
– la preuve logique (logos) : elle est issue d’un raisonnement logique
(hypothèse-conséquence) qui peut être inductif (énoncer une loi à partir
de cas particuliers), déductif (qui déduit une conséquence particulière
à partir d’une loi générale), dialectique (qui consiste à peser le pour et
le contre, thèse/anti-thèse/synthèse), ou par analogie (qui utilisera une
comparaison pour en tirer une conclusion)…
Parmi les arguments logiques, on trouve donc le syllogisme (si A implique
B et que B implique C alors A implique C), l’argument d’expérience
(l’expérience a révélé que telle cause produisait telle conséquence),
l’argument a fortiori, par exemple « si la violence faite aux femmes est
pénalisée, elle le sera d’autant plus pour un enfant », l’argument d’ana-
logie avec le célèbre exemple d’Aristote : « les magistrats ne doivent pas
être tirés au sort, c’est comme si on choisissait les athlètes par hasard et
non parce qu’ils ont les aptitudes physiques pour concourir », l’argument
de réciprocité : « si l’on condamne le meurtre, alors il faut s’interdire de
tuer le criminel », ou l’argument du bon sens…
– la preuve pathétique (pathos)  : elle s’appuie sur l’émotion pour
convaincre, ce peut être la pitié, la compassion, la haine, la crainte,
la colère… De nombreux arguments peuvent servir le pathos tels que
l’argument de propagation, par exemple : « Le réchauffement clima-
tique entraîne la fonte du permafrost qui aurait provoqué l’effondrement
d’un réservoir de diesel en Russie, polluant encore davantage les sols
et les rivières. Plusieurs réservoirs sont encore fixés dans le permafrost
et la fonte des glaces va encore créer de nombreuses catastrophes
naturelles. Ne pensez-vous pas qu’il est temps d’agir ? », l’argument
d’expérience : « Tous ces enfants battus sont devenus des parents
maltraitants. Et lui a reçu des coups durant toute son enfance »…
Parmi les preuves extra-techniques, j’utilise :
– les arguments factuels : ce sont les faits objectifs qui viennent prou-
ver un élément de vérité par exemple : « Vous dites que vous étiez à

— 169 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Paris mais sur cette caméra placée dans le centre-ville de Marseille,


on vous reconnaît très distinctement. Il y a aussi un retrait qui a été
fait avec votre carte bleue à ce même endroit. » Parmi les arguments
factuels figurent les témoignages « on vous a vu tel jour à telle heure »,
les preuves légales (photos, empreintes, traces d’ADN, etc.), les obser-
vations scientifiques…
– les résultats de travaux et d’études : ce sont les résultats chiffrés
concrets qui viennent prouver la thèse (analyses statistiques, données
chiffrées, sources, résultats d’études…).
– l’argument scientifique : il se réfère à des lois scientifiques avérées,
démontrées et reproductibles, par exemple : « Selon la loi de Galilée, la
vitesse de la chute libre dépend de la hauteur. Il n’est donc pas tombé
plus vite parce qu’il était plus lourd. » (Remarque : l’ensemble de ces
arguments est bien sûr non exhaustif).
Enfin, pour construire de bons arguments, je teste la solidité de
mon postulat de départ (la prémisse) et sa conclusion :
– concernant la prémisse : Est-ce vrai ? Ou est-ce toujours vrai ?
– concernant la conclusion : Est-ce faisable ? Est-ce la manière la plus
adaptée ? Est-ce vraiment utile ? (La question d’utilité est corrélée à des
arguments pragmatiques qui peuvent montrer les conséquences posi-
tives ou négatives de l’action ou de l’inaction.) Est-ce bien la manière la
plus efficace d’arriver à cette conclusion ? Est-ce juste ? Est-ce bien ?
Est-ce en accord avec les valeurs éthiques que je souhaite défendre ?

Déjouer les pièges de la pensée


Autant il est facile d’appliquer une méthode analytique à des faits dans le but
d’obtenir un résultat reproductible et vérifiable, autant lorsque les questions sont
d’ordre moral l’approche est beaucoup plus délicate. L’esprit critique implique
donc, dans un premier temps, de faire la distinction entre ce qui est de l’ordre
de la connaissance réelle et ce qui est de l’ordre de la conscience morale ou poli-
tique et, dans un second temps, de se positionner en fonction.
Parallèlement, il est important d’avoir conscience de nos propres biais de
confirmation. En effet, ainsi que nous l’avons abordé au premier chapitre,
notre cerveau a tendance à relever les informations qui valident le système de
pensée déjà établi. Ainsi, on adoptera naturellement un raisonnement bayé-
sien, c’est-à-dire qui consiste à établir des probabilités concernant la véracité
d’une information, en se référant à nos croyances, à nos connaissances, à notre
expérience et à notre mémoire. Nous relevons donc et renforçons ce que nous
« pensons » déjà, en fonction de la subjectivité de nos souvenirs et de nos préjugés.

— 170 —
Exceller à l’oral : servir une intention

Et c’est particulièrement handicapant lorsque l’on souhaite acquérir une vision


juste et développer son esprit critique. Car si nous avons naturellement ten-
dance à vérifier des arguments qui viendraient contredire notre système de
pensée, lorsqu’ils corroborent nos croyances, nous sommes alors beaucoup
moins exigeants. Or c’est justement parce qu’un argument nous semble évident
que nous devrions être vigilants et systématiquement le vérifier ou laisser place
au doute.

UN EXEMPLE
Laurent souligne les dérives des recherches sur internet : « Il y a tellement
de contenus que finalement il suffit de chercher des preuves de ce que l’on
avance pour en trouver. J’ai un ami, preuves à l’appui, qui est convaincu
que les taureaux sont excités par le rouge. Alors que le meilleur moyen de
prouver une croyance serait plutôt de chercher la preuve du contraire. »

Structurer son argumentation


Enfin, pour convaincre, si le choix des arguments est capital, la structure de l’ar-
gumentation ou de la démonstration n’en est pas moins essentielle. Le modèle
dialectique « thèse / antithèse / synthèse » largement utilisé au cours de notre
cursus éducatif, s’il est porteur à l’écrit, n’est pas des plus pertinent à l’oral.
Particulièrement lorsque l’on souhaite convaincre.
En effet, ce plan dialectique invite à une réflexion et à une confrontation d’opi-
nions. Il passe en revue les points de vue et arguments des uns et des autres pour
parvenir à une solution plus ouverte et nuancée. À condition de ne pas entrer
dans une vision simpliste « oui / non / oui et non » mais « oui / cependant / oui et
en plus », cette démarche réflexive a l’avantage d’être posée et modérée. Mais
à l’oral, cette « modération » peut manquer de punch et l’aspect catalogue (« cer-
tains pensent que…, d’autres disent que… ») est particulièrement lourd.
Un discours percutant prend position avec force, conviction et concision. Une
prise de parole convaincante est engagée. Et si l’on souhaite impacter son audi-
toire, alors il ne s’agira pas seulement de réfuter une thèse ou d’en prouver une
autre. Mais il s’agira de se positionner et de défendre une cause avec cœur,
faisant appel à la moralité, à la logique et aux affects des individus. Et pour
cela, il est plus utile de concentrer son énergie à développer ses arguments ; des
arguments forts, judicieusement choisis parce qu’ils tiennent déjà compte des
objections éventuelles.

Pour convaincre, je soigne la pertinence


de mes arguments et la structure de ma prise de parole.
J’adopte un plan efficace.
— 171 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

En pratique : Le politicien (Plan n° 2)


Pour défendre une cause, je démontre ma position et mon point de vue
par l’utilisation d’un discours argumentatif.
1. Introduction : Problématique suivie d’une brève annonce des 2 ou
3 arguments principaux : Pourquoi… ? Parce que premièrement X,
deuxièmement Y et troisièmement Z.
2. Développement : Une partie par argument principal contenant des
arguments secondaires venant les renforcer (utilisation des preuves
techniques et extra-techniques). Il s’agit à la fois d’incarner l’opinion
par l’expérience personnelle, l’anecdote, le bon sens ou le vécu (argu-
ments qualitatifs) et de la défendre en s’appuyant sur des sources
référencées, des données objectives, des chiffres, des études…
(arguments quantitatifs).
3. Conclusion : Conclure sur la validité du postulat (point de vue).

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment amener nos élèves ou nos stagiaires à percevoir les liens entre
la structure du discours, le rythme et l’impact de la parole ? Expérimenter
différentes structures à l’oral autour d’un même sujet permet d’en saisir
tout l’impact et la pertinence.

2.2 Plan corporel et vocal

Parallèlement, le corps et la voix sont aussi porteurs de sens et ont un fort impact
intellectuel. Le célèbre exemple « on mange les enfants » peut ainsi être un appel
affectueux ou pencher sérieusement du côté du cannibalisme, selon les pauses et
les intonations vocales adoptées.

UN EXEMPLE
Dans la Vie de Démosthène, Plutarque rapporte que ce dernier avait affirmé
à un homme, victime d’une attaque violente, qu’il ne le croyait pas. L’homme
s’était alors mis à hurler et Démosthène avait lancé : « Maintenant j’entends
la voix d’une victime. »

— 172 —
Exceller à l’oral : servir une intention

Or nous avons vu combien l’incongruence entre les messages verbaux, corpo-


rels et vocaux peut nuire à notre crédibilité. Pour être convaincant, il faut donc
commencer par être convaincu et impliqué dans sa prise de parole.

Cultiver une voix convaincante


Et sur un plan vocal, le volume est particulièrement significatif. Le niveau d’af-
firmation et d’implication de l’orateur est directement traduit par l’intensité de
la voix. Pourtant, nous avons appris en fin de phrase à laisser la voix retomber (le
registre devient plus grave et le volume diminue). Or, lorsque la voix s’efface, c’est
l’intention qui semble s’effacer. Soutenir sa voix jusqu’à la fin de sa phrase,
voire augmenter légèrement le volume en fin de phrase est une manière de sou-
tenir aussi son intention et sa parole. Le discours en est d’autant plus percutant.
Et non seulement l’intensité sonore sert la force du propos, (à condition de ne
pas réquisitionner l’espace sonore avec autoritarisme vocal), mais elle permet
aussi de mettre l’accent sur une partie du discours.

DES EXEMPLES
Lorsque j’affirme « il a la chance d’avoir un emploi bien payé mais il souffre
d’être déshumanisé » en augmentant le volume sur « chance », « avoir un
emploi » et « bien payé » et en marquant des pauses, je mets l’accent sur
ces avantages, leur nombre et suggère qu’ils ont de la valeur, insinuant par
conséquent une certaine ingratitude ou une attitude de victimisation de la
personne. L’argument devient « à charge » pour celle-ci. (Sous-entendu : il a
la chance d’avoir ces bénéfices extraordinaires et pourtant il se plaint. Que
doit-on penser de son état d’esprit ?)
Si à présent je mets l’accent sur les mots « souffre » et « déshumanisé », avec
des appuis vocaux, un volume plus fort et un ralentissement sur ces notions,
le message n’est alors plus du tout le même. Je mets en valeur sa souffrance
et attire compassion et compréhension pour sa cause. L’argument sert
sa « défense ». (Sous-entendu  : tout l’argent du monde ne justifie pas de
telles conditions inhumaines. Comment peut-on accepter l’injustice ?) Les
variations de volume ont apporté force et sens aux arguments.

• Alors, quels sont les mots clés et les arguments à mettre en avant sur le
plan vocal ?
• À quel moment est-il judicieux de marquer des pauses afin de laisser un
temps d’imprégnation de votre propos ? Et à quel moment est-il judicieux
d’enchaîner et d’accumuler les arguments en vue d’en augmenter l’impact ?

— 173 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment conduire nos élèves ou nos stagiaires à percevoir et à expéri-
menter l’impact des différentes inflexions vocales sur le sens et la portée
d’un argument ? Comment les amener à mesurer la dimension cognitive
de ce que la voix peut induire chez l’interlocuteur ? Mettre en place des
pratiques faisant le lien entre le volume, le débit et le sens du propos, et
en permettre le feed-back (collectif, smartphone…) est essentiel.

En marquant des pauses judicieuses, en soutenant


le volume de ma voix et en marquant des appuis sur
les idées clés, j’augmente l’impact de mes arguments.

En pratique : Jeux vocaux et sens du discours


Sur le texte suivant, je place judicieusement les appuis et les pauses
selon l’effet que je souhaite produire et ce que je souhaite transmettre.
Par exemple  : il a tout / certains n’ont rien ! (appel à la critique)
ou bien  : il a tout / certains n’ont rien ! (appel à la compassion)
Appuis : ____ , Pauses : /
Texte : Travailler est essentiel. Le travail vous apporte un revenu qui vous
permet confort et survie. Il remplit vos journées et vous évite l’ennui. Il vous
donne une place dans la société et vous valorise. Et finalement il permet
à chacun de se sentir utile. Pourtant, certains refusent leur travail. Parce
qu’ils le trouvent épuisant. Ils ont le sentiment de perdre leur temps. Ils
ne perçoivent pas l’utilité de la tâche qu’on leur demande… et pire, ils se
disent exploités et déshumanisés.
Je soigne mes intonations et mon articulation ! Je fais le lien entre mon
interprétation (appuis, pauses, variation de volume et de vitesse) et ce
que je suggère : la valorisation, ou inversement, la critique du travail.

Enfin, soigner l’aspect convaincant de son discours, c’est aussi en favoriser la


compréhension, à l’aide d’une parole claire et articulée. Tout comme il convien-
dra d’éviter une voix trop monocorde afin d’être plus percutant.

Les études réalisées par le professeur David W. Addington en 1971 montrent


d’ailleurs qu’une bonne articulation améliore le niveau de crédibilité, d’hon-
nêteté et d’empathie perçu par l’interlocuteur. De même qu’une parole
présentant des intonations variées semblera plus vivante et plus incarnée.

— 174 —
Exceller à l’oral : servir une intention

Adopter une gestuelle convaincante


Sur un plan corporel, au-delà des informations émotionnelles transmises par les
expressions du visage, la gestuelle est particulièrement significative lorsque l’on
souhaite convaincre.

Les études des chercheurs en psychologie sociale Gabriel Argentin, Rodolphe


Ghiglione et Alexandre Dorna montrent qu’un orateur est d’autant plus persuasif
s’il limite ses gestes adaptateurs (gestes parasites, de réassurance, barrières…)
au profit de gestes illustrateurs et ponctuateurs et s’il diminue globalement
sa quantité de gestes. Ainsi, appuyer son énumération verbale par une énumé-
ration gestuelle par exemple augmentera la crédibilité et l’impact du propos.

Certains gestes permettent même d’augmenter sa force de conviction. Largement


utilisés par les hommes politiques et certains intellectuels, vous en trouverez
de nombreux exemples à travers les médias et lors des différentes allocutions
présidentielles.

En pratique : Des gestes pour convaincre


Le steeple : Les mains sont jointes par l’extrémité des
doigts. Ce geste manifeste l’assurance, la clarté, la
planification. Il est la marque d’une pensée analytique.
Le doigt en l’air  : Lever le doigt vers le haut pour
appuyer un mot ou une idée lui donnera plus de force
(mais attention à ne pas l’orienter vers l’interlocuteur,
le geste deviendrait alors menaçant).
Tenir le ballon : Ce geste apporte de l’emphase au
propos. Il donne le sentiment que l’on « tient » littéra-
lement son propos, par conséquent que l’on maîtrise
son sujet.
Le pointé du politicien  : Le pouce et l’index se
touchent formant une sorte de petite pince et viennent
pointer certains éléments du discours, illustrant la pré-
cision et l’exigence. Il témoigne d’une certaine rigueur
et s’oppose à l’approximation des grands gestes qui
viendront plutôt servir la référence à des valeurs collectives ou témoigner
de sentiments plus généraux tels que l’accueil ou l’ouverture.
Les gestes d’ouverture sont aussi particulièrement positifs. Et si vos bras
ou vos paumes se dirigent vers le haut, vous manifesterez d’autant plus
votre optimisme.

— 175 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Cependant, comme le souligne Gabriel Argentin, le geste est « indissociable du


contexte non verbal, c’est-à-dire des autres informations fournies par les autres
éléments non verbaux ». Tout comme nous l’avons abordé pour la voix, le mes-
sage transmis par le corps n’a d’impact précis que dans le cadre d’un cluster,
c’est-à-dire d’un ensemble d’éléments, gestes, posture, expressions du visage.
Et c’est la cohérence de tous ces éléments qui contribuera à renforcer ou non
notre crédibilité et l’impact de notre prise de parole. Une parole convaincante est
une parole assurée, portée et soutenue par l’attitude tout entière.

UN EXEMPLE
Pour Marc, le regard, témoin d’une attitude générale, est capital  : « Un
regard fuyant montre un désengagement, un relâchement, comme lorsque
le corps se referme ou que la voix retombe et diminue. J’ai du mal à accorder
ma confiance à celui qui n’a pas un regard soutenu et franc. »

Nous avons souligné précédemment l’importance de la posture dans l’image


que nous projetons à l’autre. Et un orateur persuasif et crédible est un orateur
droit, aligné, qui occupe l’espace avec une posture d’expansion et une gestuelle
ouverte. Mais il n’adopte pas nécessairement une position haute.
Celui qui est sûr de lui n’est pas constamment préoccupé par l’idée d’affirmer
sa force et sa valeur. Et les véritables leaders manifestent souvent au contraire
une posture égalitaire. Convaincre, ce n’est pas chercher à soumettre
mais à rassembler, à entraîner. Et sur ce plan, il ne suffit pas d’inspirer
confiance et de paraître crédible, mais il faut aussi parvenir à attirer la sympathie.

Soigner son capital sympathie


On remporte d’autant plus facilement l’adhésion lorsque l’on est parvenu à éta-
blir un contact chaleureux avec son audience. Et tous les enseignants peuvent
d’ailleurs l’expérimenter chaque jour en classe.
De nombreuses études, dont celles, plus récentes, du professeur en psy-
chologie sociale Nicolas Guéguen, révèlent notamment l’impact du toucher
dans notre capacité à accepter une sollicitation ou à répondre favorablement
à une requête. On convainc plus facilement une personne lorsque l’on
accompagne notre demande d’un bref contact sur l’avant-bras par exemple.

Et, de manière plus générale, nous nous laissons davantage convaincre lorsqu’il
y a un enjeu émotionnel ajouté aux seuls arguments logiques. Les politiciens
ont d’ailleurs bien saisi l’importance du capital sympathie dans leur capacité à
influencer et à rassembler l’opinion. Ainsi, ils évitent toute posture, gestuelle ou
expression qui pourrait sembler menaçante au profit de marques d’affection
ou de signes d’apaisement tels que la poignée de main et n’importe quel
geste de contact bienveillant, les attitudes chaleureuses, le sourire, ou pencher

— 176 —
Exceller à l’oral : servir une intention

légèrement la tête sur le côté et montrer « son flanc » (qui sont pourtant des
marques de soumission dans le règne animal).

EXERCICE N° 3 : LE POLITICIEN
Sur le sujet de mon choix, je fais un dis-
cours argumentatif en suivant la structure
proposée précédemment (plan  : le politi-
cien). Je soigne mon langage verbal, non
verbal et paraverbal !
Plan verbal : Liens de causalité, mots de
liaison, structuration logique, arguments
pertinents…
Plan vocal : Mise en valeur des mots clés,
silences, articulation soignée, voix soutenue
en fin de phrase…
Plan corporel : gestes ponctuateurs et illus-
trateurs, ancrage, souplesse et ouverture…

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment permettre aux stagiaires ou aux élèves de mesurer et de
contrôler l’impact de leur attitude et de leur gestuelle au cours d’un
discours argumentatif, sans pour autant se laisser parasiter par ces élé-
ments ? Parvenir à gérer les multiples paramètres verbaux, non verbaux
ou paraverbaux entrant en jeu dans la prise de parole sans perdre son
« naturel » nécessite un entraînement global, fréquent et régulier dans un
contexte sécurisant.

J’adopte une gestuelle « argumentative » qui renforce


l’impact de mes arguments. J’ai une posture souple,
droite et une attitude ouverte et affirmée.

— 177 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

3. NEUROSCIENCES ET CAPITAL SYMPATHIE

3.1 Neurosciences et portée du discours

Ainsi, les mots que nous utilisons, mais aussi ce que nous donnons à voir et à
entendre, ont un impact multiple sur le cerveau. Sur le plan verbal par exemple,
la partie cognitive et logique du cerveau sera davantage stimulée et attentive à la
structure des phrases, aux mots de liaison, aux verbes d’action. Tandis que le cer-
veau émotionnel et notre potentiel imaginaire seront stimulés par un vocabulaire
sensoriel, par l’utilisation d’adjectifs descriptifs ou par la narration.

Comprendre l’impact cérébral multiple du discours


Une prise de parole idéale serait celle qui stimulerait toutes ces parcelles du
cerveau humain. Et nous sommes particulièrement sensibles à la dimension
sensorielle (le fonctionnement cérébral étant perceptif avant d’être cognitif).
Cependant, un discours trop axé sur l’histoire, la narration, les images, s’il se
retient davantage et semble plus intéressant, peut aussi paraître peu sérieux et par
conséquent moins « respectable ». (Une parole utilisant l’image, l’exemple simple
et concret et favorisant l’émotion est d’ailleurs souvent taxée de « démagogie ».)

UN EXEMPLE
D’après Xavier, chercheur et conférencier, « le risque avec les anecdotes
amusantes ou touchantes, c’est que l’on peut vite tomber dans le “discours
spectacle” très à la mode aujourd’hui. Et dans mon domaine, cela peut être
plutôt décrédibilisant ».

Inversement, un discours plus orienté sur des arguments logiques, des faits, des
chiffres, s’il apparaît plus crédible et vrai, est aussi peu attractif, voire ennuyeux.
Le mieux est donc d’alterner entre les deux modes de discours abordés dans le
chapitre précédent : un discours à la fois épidictique ou démonstratif, qui décrit,
illustre et convainc par l’exemple et l’image, et un discours argumentatif, qui
prouve et s’adresse à la raison. Et ce, dans le but de susciter crédibilité et intérêt.

UN EXEMPLE
Marie, enseignante, souligne l’importance d’utiliser des modes de discours
multiples en classe : « Si je ne me contente que d’informations théoriques, je
sais que je vais les perdre. Il est indispensable aussi d’apporter de l’émotion,
d’illustrer et de raconter. »

— 178 —
Exceller à l’oral : servir une intention

• Dans quelle mesure maîtrisez-vous ces différents « genres » du discours ?


• Et à quel moment adopter l’un plutôt que l’autre et pour quel impact ?

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment, à travers un enseignement littéraire inscrit dans le cursus édu-
catif des élèves (et dans notre propre formation), parvenir à faire le lien entre
arts oratoires et discours littéraire sans confusion ni raccourci ? Permettre
d’identifier les différences existantes entre les deux, malgré un vocabulaire
souvent identique, ou comparer les structures ou les techniques de ces
deux disciplines est essentiel. (Les nombreuses interventions du linguiste
Dominique Maingueneau à ce sujet sont des pistes fertiles de réflexion.)

En pratique : Discours et dimension cérébrale


Je développe ma connaissance et ma maîtrise des différents procédés
du discours :
– Procédé épidictique : procédé du genre épidictique, genre de dis-
cours « d’influence » qui montre et décrit une situation ou une personne
dans le but de convaincre ou d’informer le public d’une chose particu-
lière (il peut utiliser le blâme ou l’éloge.) Ce genre rhétorique défini par
Aristote est très répandu aujourd’hui à travers la presse ou la publicité.
Impact sensoriel : langage descriptif et utilisation de mots « image »,
vocabulaire sensoriel, nombreux adjectifs, effets de contraste, méta-
phores, comparaisons, analogies, accumulations, énumérations, utili-
sation du dialogue pour « colorer » le discours, rythme et syntaxe qui
créent une certaine « synchronisation », exemples à même d’illustrer
une scène vivante…
Impact émotionnel : utilisation de l’amplification ou de l’atténuation pour
susciter une réaction émotionnelle (envie, peur, dégoût, enthousiasme…),
description et narration (histoire propre à créer une émotion), référence
aux valeurs des individus (valeurs morales telles que la justice, l’honnêteté,
le courage…, valeurs pratiques telles que l’utilité, le coût, la praticité…,
ou valeurs esthétiques telles que la beauté, l’équilibre, le charme, l’élé-
gance…), appel aux affects (les émotions positives sont utilisées pour
inspirer, les émotions négatives conduisent à refuser, rejeter, réagir…).
– Procédé logico-argumentatif : procédé du discours « d’influence »
qui prouve et argumente dans le but de convaincre le public d’adopter
une certaine opinion ou une vérité.

— 179 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Impact intellectuel : mots de liaison et structuration logique, utilisation


de chiffres, de références scientifiques, d’arguments, de définitions, de
citations d’experts, d’exemples, langage factuel, vocabulaire précis et
univoque, ton didactique, réfutation, démonstration scientifique, addi-
tion, mise en parallèle, comparaisons, mise en avant du raisonnement
déductif…
L’élargissement récent de la notion de genre du discours à l’ensemble
des activités verbales (domaines littéraire, rhétorique, conversationnel,
publicitaire…) laisse planer une certaine confusion quant aux termes
employés. Raison pour laquelle, j’ai volontairement choisi d’adopter ici
le terme de « procédé ».

S’adresser à l’humain, dans sa dimension sensorielle,


intellectuelle et émotionnelle
Dès l’Antiquité, la rhétorique accorde une place privilégiée à l’émotion et aux
affects. Et le débat opposant Platon aux Sophistes souligne la dualité caricatu-
rale, encore persistante aujourd’hui, entre l’utilisation des passions et celle de la
raison, entre une rhétorique qui serait art de la persuasion et de la manipulation
des affects et une rhétorique qui serait art de la démonstration et de la preuve,
entre le beau-parler mensonger et la vérité philosophique.
Aristote relevait déjà l’importance de s’adresser autant au cœur qu’à la raison. Il
soulignait le rôle décisif des émotions dans nos interactions sociales et politiques,
certaines émotions permettant d’inspirer, d’engager pour le bien et de renforcer
les liens entre les individus. Le célèbre fondateur de la « nouvelle rhétorique »
Chaïm Perelman présente aussi l’émotion comme une fonction fondamentale
pour instituer et maintenir la communauté.
Et notre jugement, particulièrement lorsqu’il doit être posé rapidement, est
influencé par nos « sentiments », positifs ou négatifs. Ce processus de « raison-
nement », largement exploré à travers les études récentes, est qualifié d’heuris-
tique d’affect. Il permet de prendre des décisions très rapides sous l’effet d’un
stimulus émotionnel. Une émotion comme la peur, par exemple, conduira à
exagérer les risques et à minimiser les bénéfices d’une situation dans nos déci-
sions d’agir ou non. Tout comme l’envie et l’enthousiasme provoquent inverse-
ment un excès de confiance. La justesse de nos représentations mentales est par
conséquent parasitée par nos biais affectifs.

Je prends conscience et mesure l’impact des biais


perceptifs, affectifs ou cognitifs dans la communication.

— 180 —
Exceller à l’oral : servir une intention

UN EXEMPLE
Le biais de « l’humeur », observé par les chercheurs en finance
comportementale, révèle l’impact de « l’humeur » sur les comportements des
agents de la finance. Ainsi, le vendredi soir, avant la perspective réjouissante
du week-end, les rendements des actions réalisées par les traders sont plus
importants que ceux du lundi matin, en raison d’une humeur plus négative
liée à la reprise du travail. Ils ont constaté également que les jours de beau
temps les achats étaient plus importants (ce qu’ils qualifient d’anomalie
météorologique.)

Il est intéressant d’observer à quel point, dans un milieu aussi cartésien et analy-
tique que la finance, les prises de décisions peuvent être si peu rationnelles. Car
finalement on peut s’interroger sur la notion même de rationalité. Et ce que
nous considérions jusqu’alors comme rationnel ne s’est-il pas déplacé ?
Il n’y a en effet rien d’irrationnel ou de déraisonnable à subir l’influence de
nos émotions dans nos jugements ou nos actions. Ce qui l’est, c’est que nous
n’en prenions ni conscience ni acte. C’est d’ailleurs notre méconnaissance de
ces mécanismes qui nous rend manipulables, profitant aux stratèges divers de la
politique, de l’économie ou de la communication qui savent en tirer avantage.
Et lorsque nous prenons la parole, nous devrions mesurer chaque instant la
portée de ces éléments qui entrent en compte dans nos perceptions et nos juge-
ments. C’est la prise de conscience de ces mécanismes cérébraux qui rend pos-
sible l’objectivité et l’esprit critique. Une parole efficace est une parole éclairée,
produit d’une conscience aiguisée des enjeux à la fois rationnels et affectifs,
à mi-chemin entre corps, cœur et esprit.

Le neuroscientifique Antonio Damasio a montré le caractère essentiel de


nos émotions dans la prise de décisions, le circuit rationnel étant limité dans
sa capacité à évaluer la multitude de combinaisons probables conséquentes
à une décision. Nos choix seraient ainsi orientés par ce qu’il nomme nos
marqueurs somatiques, réactions physiologiques liées à notre « mémoire
affective » et impulsées par le système nerveux autonome sous une forme
positive ou négative.

Car, au risque de me répéter, on ne s’adresse pas seulement à un cerveau qui


pense, à un cœur qui ressent, ou encore à un corps qui fonctionne, mais bien
simultanément à toutes ces dimensions de l’être humain. Et parallèlement aux
outils rhétoriques, une gestuelle permettant de marquer les mots clés, les idées
fortes et la structure du discours ainsi que des inflexions vocales variées et un
visage expressif, contribueront à renforcer cette dimension « humaine ».

— 181 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

EXERCICE N° 4 : UNE PAROLE ÉQUILIBRÉE


Je profite de chaque sujet de discus-
sion impliquant de convaincre mon
interlocuteur pour alterner entre les
deux modes de discours vus précé-
demment : procédé épidictique et
argumentatif. Et ce, afin de susciter
l’intérêt et d’être crédible.
(Synthèse des exercices des cha-
pitres 4 et 5.)
Plan verbal : alternance subtile entre
une argumentation logique (réfé-
rences et preuves scientifiques) et le
langage illustré et narratif (exemples
vivants et comparaisons).
Plan corporel et vocal : gestuelle et inflexions vocales au service du discours.
Marquer des pauses et ralentir permettra de favoriser la création d’images mentales
lors de la description.Tout comme le fait d’accélérer et d’augmenter le volume sur les
mots clés lors d’un enchaînement d’arguments apportera plus d’impact.

UN EXEMPLE
Pour susciter l’intérêt et convaincre, je pourrais dire : « Ce petit coker a un
pelage flamboyant et des yeux vifs. Ne trouves-tu pas ? Il est prouvé que les
gens qui ont un chien ont davantage d’activité physique et sont en meilleure
santé. » (Description et argumentation)

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment ajuster notre enseignement de l’oral en fonction de la diver-
sité des niveaux de langage, de compétence et de référence de chaque
élève ? Multiplier les activités permettant à tous, chacun à sa mesure,
d’alterner avec aisance ces deux modes de discours et mettre en place
des jeux d’écriture permettant de développer son champ sémantique,
son vocabulaire, son sens de la description et sa créativité sont essentiels
dans cet apprentissage. (Des outils complémentaires sont présents dans
L’oral ? J’excelle !, De Boeck Supérieur. Et la recherche en ligne d’outils
autour des ateliers d’écriture est très fertile.)

— 182 —
Exceller à l’oral : servir une intention

Adapter sa prise de parole aux mécanismes cognitifs


Enfin, l’ensemble des techniques vues au cours de ce chapitre peuvent être syn-
thétisées à travers un seul outil : la D.I.S.E. (Dimension Intellectuelle, Sensorielle
et Émotionnelle.) J’ai ainsi créé pour vous une petite grille rapide d’analyse de
votre prise de parole en vue d’en mesurer l’impact, selon l’objectif poursuivi.
Parce que, quoi que l’on DISE, justement, il y a toujours un effet sur l’interlocu-
teur. On ne peut pas ne pas suggérer et nos mots, nos inflexions vocales et notre
gestuelle ont chaque fois un impact, qu’il soit conscient ou inconscient.

En pratique : Évaluez votre D.I.S.E.


Voici 4 questions rapides pour mesurer la portée de ma communication
et ce qu’elle implique : (Je liste mes réponses pour chaque catégorie en
vue d’une grille de lecture claire.)
1. Dans ma prise de parole, quelle Dimension doit être valorisée ? (Est-ce
que je souhaite m’adresser davantage à la partie intellectuelle, sen-
sorielle ou émotionnelle du cerveau ?) Cela dépendra, comme nous
l’avons vu, de l’objectif relationnel poursuivi.
2. Sur le plan Intellectuel, quels sont mes arguments, les preuves, la
logique et les références de ce que j’avance ? Ma voix et ma gestuelle
sont-elles au service de mon propos ? Si l’on souhaite convaincre, ce
sera la dimension à privilégier.
3. Sur le plan Sensoriel, qu’est-ce que je donne à voir, à entendre, à
sentir ? L’utilisation d’images mentales avec un vocabulaire sensoriel
par exemple, ou la gestuelle, les mouvements et les inflexions vocales
permettront de stimuler cette partie du cerveau. Cette dimension est à
prendre en compte lorsque l’on souhaite intéresser, capter l’attention.
4. Enfin, sur le plan Émotionnel, quel est mon objectif ?
Créer du lien ? Susciter une émotion particulière ? Si
l’on souhaite persuader, inciter à agir et engager son
auditoire, c’est cette dimension qu’il faut privilégier.
Une prise de parole efficace prend en compte tous ces
https://lienmini.fr/
aspects de la communication. lavedrinev10

UN EXEMPLE
Patrick, professeur d’histoire-géographie, souligne l’impact de la stimulation
sensorielle dans les apprentissages : « En classe, je m’appuie beaucoup sur
l’image et le son quand je prends la parole, j’illustre avec des photos, des

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COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

enregistrements, parfois je lis des dialogues et j’essaie d’être moi-même très


expressif. C’est plus intéressant et les élèves comprennent et retiennent bien
davantage le cours. »

Ainsi notre communication est perçue à différents niveaux. Et lorsque nous nous
adressons réellement à une personne, complète et entière, en tenant compte de
sa raison, de ses sensations et de ses affects, nous ne sommes plus seulement
dans l’art du discours mais bien dans l’art de la relation.

3.2 Biais perceptifs et capital sympathie

Nous savons aujourd’hui à quel point le processus de décision est subjectif et lié
à nos affects. Les images mentales que nous suggérons à travers notre langage
et les émotions que nous générons agissent sur la perception, la prédisposition
et l’opinion de notre interlocuteur. Ce modèle d’influence n’exige d’ailleurs pas
nécessairement que le « sentiment » soit vécu consciemment.

Les chercheurs Piotr Winkielman, Robert Zajonc et Norbert Schwarz ont


révélé l’impact des états affectifs générés par la vision d’images subliminales,
donc non conscientes, sur le jugement. Lors d’une étude en 1997, les diffé-
rents sujets devaient ainsi fournir un avis sur des idéogrammes chinois qu’ils
jugeaient « plaisants » ou « déplaisants ». Or ces avis ont été très nettement
corrélés au fait qu’ils avaient perçu préalablement durant une fraction de
seconde un visage souriant ou en colère.

UN EXEMPLE
Maryse se rappelle son cursus scolaire : « Je n’ai jamais eu de matière favorite.
En réalité, quand j’aimais le prof, je trouvais la discipline passionnante. Je
pouvais adorer les maths une année et les détester l’année d’après, juste
parce que l’enseignant ne me plaisait pas. »

Et les études actuelles n’ont fait ni plus ni moins que confirmer ce qu’Aristote
énonçait déjà dans l’Antiquité  : « On ne rend pas les jugements de la même
façon selon que l’on ressent peine ou plaisir, amitié ou haine. » La personna-
lité de l’orateur et la forme du langage employé ont un rôle prépondérant dans
l’impact du discours.

Soigner son capital sympathie


Ainsi, la rhétorique invitait déjà à l’utilisation des affects ou au recours aux argu-
ments ad hominem ou ad personam précédemment abordés, s’appuyant sur la

— 184 —
Exceller à l’oral : servir une intention

personnalité, les compétences ou les valeurs d’un individu pour convaincre. Et


de nombreuses expériences révèlent aujourd’hui à quel point le capital sympathie
d’une personne peut interférer dans nos jugements.

UN EXEMPLE
En 2015, le Huffington Post a organisé un sondage auprès de républicains
et de démocrates concernant le système de santé américain. Ces derniers,
ayant pourtant une opinion sur le sujet, n’ont pas hésité à revoir leur position
dès lors qu’on leur annonçait celle tenue par leurs leaders respectifs, Trump
ou Obama. Leurs choix étant très fortement influencés par leur attachement
et leurs prédispositions vis-à-vis de ces personnalités politiques.

La capacité d’« influence » d’un discours est directement corrélée à l’orateur et à la


nature du lien affectif ou émotionnel. Et plus les enjeux affectifs sont forts, plus l’im-
pact est important. Il est d’ailleurs intéressant d’observer les contextes où se jouent
les mécanismes de synchronisation. S’il n’y a pas d’intérêt pour la personne face à
soi, s’il y a absence de lien émotionnel, ces mécanismes ne se mettent pas en place.
Il y a synchronisation, et nous l’avons vu, lorsqu’il y a sympathie ou empathie.
Ainsi, pour conduire son interlocuteur vers un état, une pensée ou une action
particulière, il conviendra d’abord d’établir ce lien. Le psychologue Robert
Cialdini, célèbre pour ses travaux sur la persuasion et le marketing, relève à quel
point le niveau de sympathie d’une personne est capital lorsque l’on souhaite
générer une action ou une réaction.

DES EXEMPLES
Cialdini rapporte ainsi l’histoire de la marque Tupperware qui, vendue par des
anonymes en boutique, avait peu de succès et qui a ensuite explosé dans
un contexte privé, entre amis à la maison. Il souligne que la relation d’amitié
implique les notions de plaisir, de chaleur, de sécurité mais aussi d’obligation,
car il est bien plus difficile de refuser quelque chose à un ami qu’à un vendeur.

Il cite aussi les résultats exceptionnels du vendeur Joe Girard, figurant dans le
livre des records et liés à son fort capital sympathie. Celui-ci savait présenter
une image joviale et créer du lien en manifestant écoute et bienveillance,
compliments, encouragements, gestes de contact chaleureux…

Ce capital sympathie est ainsi inhérent à l’ensemble des strokes positifs témoi-
gnés, mais aussi à un certain effet « miroir ». Car nous nous sentons compris et à
l’aise avec les personnes qui ont les mêmes modes de communication, on
se sent d’ailleurs être sur la même « longueur d’onde ». Et c’est ce mécanisme de
synchronisation qui permet en retour à notre interlocuteur de se synchroniser
lui aussi sur nos propres états. À travers la relation de sympathie nous pouvons,

— 185 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

au-delà du message et de l’intention transmise, impacter l’état physiologique


et émotionnel de la personne face à nous.

Maîtriser les techniques de synchronisation


À travers notre gestuelle ou nos inflexions vocales, nous influençons les états internes
de notre interlocuteur. Ce mécanisme opère de façon inconsciente et naturelle, mais
en observant comment il se manifeste dans nos interactions, nous pouvons en maî-
triser les processus afin de rassurer, d’apaiser, de dynamiser ou de pousser à l’action.

En pratique : Synchronisation et influence


Nous avons abordé précédemment la manière de se
synchroniser sur son interlocuteur. Mais comment faire
en sorte qu’il se synchronise sur nous dans le but de
générer un état particulier ? La réponse en trois étapes : https://lienmini.fr/
lavedrinev11
Étape 1 : J’identifie l’état de mon interlocuteur. J’entre en synchronisation.
Étape 2 : Une fois la synchronisation établie, je vérifie que mon interlo-
cuteur se synchronise bien en retour.
Étape 3 : Je conduis mon interlocuteur vers un nouvel état.

EXEMPLE 1 :
Rassurer et apaiser (état 2) une personne agitée et anxieuse (état 1)
Étape 1 : J’entre en synchronisation en m’approchant de l’état 1.
Plan corporel et vocal : débit rapide, volume fort, gestuelle rapide, repli corporel…
Étape 2 : Je vérifie l’état de synchronisation de mon interlocuteur.
Plan corporel et vocal : je commence à ralentir légèrement le débit, à diminuer
progressivement le volume, à ralentir et à assouplir ma gestuelle, à ouvrir ma
posture en contrôlant que mon interlocuteur me « suit ».
Étape 3 : J’adopte progressivement l’état 2.
Plan corporel et vocal : débit lent, volume moyen, gestuelle ample, souple et
posée, ouverture corporelle…

EXEMPLE 2 :
Énergiser et dynamiser (état  2) une personne apathique et sur la
réserve (état 1)
Étape 1 : débit lent, articulation molle, volume doux, ton monocorde, gestuelle
réduite, posture relâchée…
Étape 2 : accélérer progressivement le débit, articuler, augmenter légèrement
le volume, varier un peu le ton, enrichir la gestuelle, se redresser…
Étape 3 : débit rapide, articulation soignée, volume moyen à fort, ton expressif,
gestuelle dynamique, posture droite et mouvements du buste…

— 186 —
Exceller à l’oral : servir une intention

J’exprime des strokes positifs, je crée du lien


et facilite la synchronisation afin de décupler
l’impact de ma parole.
Lorsque l’on comprend les rouages psychologiques à l’origine de nos interac-
tions, nous sommes plus à même de servir efficacement une intention et un objectif
relationnel. Que nous souhaitions capter l’attention, susciter l’intérêt ou convaincre,
il est utile d’explorer ces ressorts et notamment certains biais cognitifs.

Prendre en compte les biais cognitifs dans sa prise de parole

Le biais de confirmation
Tout d’abord les principes de cohérence et de renforcement (le cerveau tend
à valider les croyances et comportements déjà acquis) conduisent par exemple
l’auditeur à conserver sa position et son point de vue, ou celui de la personne
qui a son « allégeance » (je vote pour tel parti, j’adopte donc les positions de ce
parti). Il s’agit du biais de confirmation, déjà abordé. C’est la raison pour laquelle
il est particulièrement difficile de modifier la vision de quelqu’un. Cela reviendrait
à créer une dissonance cognitive particulièrement déstabilisante pour le sys-
tème cérébral. Ce système est donc figé et il convient davantage de le contour-
ner plutôt que de chercher à le renverser.
En psychologie sociale, ces techniques sont largement explorées à travers la
communication d’influence par exemple. Contourner ce système de croyances
pour s’appuyer sur un exemple, une émotion, une valeur chère à son interlocu-
teur sera ainsi bien plus porteur.

UN EXEMPLE
Pour Ève, « lors d’un débat, je ne m’attarde jamais sur un désaccord. Lorsqu’une
personne a une opinion bien tranchée, il est impossible de lui faire changer
d’avis. Je préfère me concentrer sur ce qui nous rassemble et m’appuyer sur
des éléments illustrant des valeurs communes pour la convaincre. »

L’effet de focus
De la même manière, le cerveau ne peut gérer un trop grand nombre d’informa-
tions et se trouve vite face au paradoxe de choix. Il va par conséquent réduire
et sélectionner le nombre de paramètres à prendre en compte. Ce biais, mis en
lumière par David A. Schkade et Daniel Kahneman, est l’effet de focus. Dans
une présentation, il est donc capital de ne pas chercher à en dire un maximum
mais de bien sélectionner ses arguments et de choisir les propos les plus perti-
nents selon son objectif.

— 187 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Le biais de position en série


Parallèlement, face à une liste, nous retenons davantage le premier et le dernier
élément. La place de nos arguments a donc aussi son importance. Et c’est
probablement la raison pour laquelle on entend si souvent qu’il faut soigner en
priorité son introduction et sa conclusion.

UN EXEMPLE
Pour Mohamed, enseignant : « Au début de ma carrière, j’avais tendance à
essayer de présenter le plus d’éléments possible pour permettre une meilleure
compréhension de la notion. J’ai vite compris que cela les embrouillait et qu’il
était plus efficace de me concentrer sur un exemple pertinent et de leur
laisser le temps de comprendre et d’assimiler. Moins mais mieux. »

L’effet de bizarrerie et l’effet d’isolation


Nous avons aussi tendance à retenir et à porter notre attention sur l’inhabituel.
Le décalage, l’humour, l’effet de bizarrerie, tout comme l’utilisation soudaine
d’une pancarte, d’une affiche, d’un élément projeté qui ressorte de l’ensemble,
ou la mise en valeur d’un mot ou d’une idée inattendue à travers son langage
gestuel ou sa voix, permettront d’attirer l’attention. La psychiatre Hedwig von
Restorff a révélé dans les années 1930 que l’on mémorisait plus facilement l’élé-
ment qui ressortait au sein d’une liste, par l’utilisation d’un code visuel différent
par exemple. Car l’œil et le cerveau sont à l’affût de ce qu’elle nomme des « inter-
ruptions d’habitude ». On parle ainsi d’effet d’isolation ou d’effet von Restorff.

L’effet de simple exposition


Ensuite, concernant la mémoire, tous les formateurs et enseignants savent que
la répétition est une des clés essentielles de la mémorisation. Ce que l’on sait
moins, c’est que le fait de confronter régulièrement une personne à une idée, un
objet ou un individu va créer une forme de familiarité. Le psychologue Robert
Zajonc explique que ce biais de simple exposition se caractérise par la création
d’un sentiment positif envers une personne ou un objet proportionnellement à
la fréquence d’exposition. Pour résumer, plus un élément nous devient familier,
plus il nous semble positif. Ainsi, répéter régulièrement une idée, à l’aide de syno-
nymes, de paraphrases, d’exemples…, rend cette idée plus attractive. Tout comme
le fait d’être présent et fréquemment visible nous rendra plus sympathique.
Cet effet d’exposition a même été observé dans le cas d’une idée mensongère
qui, à force d’exposition, finit par sembler plausible. Et nombreux parmi ces
biais cognitifs sont ceux à être ainsi utilisés par les médias et la publicité à des
fins contestables, tout comme ils ont largement été explorés par la propagande
de régimes totalitaires, ce qui explique leur forte connotation négative dans les
domaines de la communication.

— 188 —
Exceller à l’oral : servir une intention

En pratique : Je respecte le C.O.R.P.S. de mon discours


Je tiens compte des biais cognitifs dans ma prise de parole.
Confirmer : je m’appuie sur ce qui nous rassemble, sur des valeurs et des
croyances communes pour convaincre (biais de confirmation).
Orienter  : je m’oriente vers l’essentiel et sélectionne mes arguments.
Je mets l’accent sur trois idées maximum, l’interlocuteur ne pouvant en
gérer plus (effet focus).
Répéter  : je répète les idées essentielles à l’aide de synonymes,
d’illustrations, d’exemples différents pour en permettre l’intégration et
l’acceptation.
Placer : je place mes arguments selon leur importance (au début et à la
fin) (effet de position en série).
Surprendre  : je n’ai pas peur de surprendre en utilisant des éléments
insolites, je fais en sorte que mes idées essentielles se distinguent (effet
de bizarrerie).

Je limite mon discours aux idées essentielles,


je soigne mon introduction et ma conclusion.
Je mets en valeur les arguments clés
et n’ai pas peur de répéter.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment faire percevoir la notion d’influence en termes de biais cognitifs
tout en sensibilisant aux notions de manipulation ? Développer la connais-
sance des élèves en neurosciences, leur permettre de comprendre que
la communication est nécessairement une communication d’influence
et que la notion d’intention est corrélée aux questions d’éthique et de
relation, sont un prérequis.

— 189 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

EXERCICE N° 5 : LE CHARMEUR DE SERPENT


J’expérimente les tech-
niques de sympathie et de
synchronisation vues pré-
cédemment lors d’une prise
de parole face à un public
plus large. Je suis souriant,
à l’écoute et ouvert. Selon
mon public et mon objec-
tif relationnel, je choisis
une intention (Intention  1
Ò apaiser ; Intention  2
Ò  dynamiser).
Plan verbal : j’utilise les
biais cognitifs vus ci-dessus
dans mon discours.
Plan corporel et vocal :
Étape 1 : Capital sympathie (écoute, strokes positifs, sourire et bienveillance, attitude
miroir avec « l’ambiance générale »).
Étape 2 : j’amène mon public à se synchroniser sur ma communication (corporelle
et vocale) selon l’intention choisie.

UN EXEMPLE
Pour apaiser celui qui craint de prendre l’avion, en passant d’un état de
tension à un état de souplesse et d’ouverture, le visage souriant, on peut
dire, avec une voix douce, posée, et une respiration lente : « Dans les airs, on
peut contempler la magie du monde : le vert de la plaine et les couleurs de la
ville qui s’entremêlent, les lumières qui scintillent et les voitures comme des
points qui avancent, les étendues d’eau en dessous et l’aspect cotonneux
des nuages qui nous englobent… les êtres si petits et le monde si vaste…
c’est une expérience sensorielle et spirituelle fascinante. » On ne cherche
pas à contrer la croyance initiale, mais à renforcer des valeurs universelles
(biais de confirmation), les éléments clés se situant à la première et à la
dernière place (biais de position en série). Et l’on utilise la synchronisation
pour conduire vers un état de calme.

On ne peut donc envisager la prise de parole comme « acte » interactif sans mesu-
rer l’impact des biais cognitifs, affectifs ou instinctifs intervenant dans nos percep-
tions, dans notre compréhension et nos décisions. Servir une intention implique
nécessairement la connaissance et la prise en compte de la psychologie humaine.

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Objectifs

MON COURS DE PRISE DE PAROLE N° 5


https://lienmini.fr/ (SEMAINE 5 À 7)
LAVEDRINE5

Problématique : Comment servir un objectif relationnel bien défini ? Comment


utiliser mon corps, ma voix, mon langage et comment articuler mon discours au
profit de cette intention ?

OBJECTIFS

• J’apprends à développer ma capacité à raconter, à créer des images et à soulever


des problématiques pour intéresser.
• J’apprends à argumenter pour convaincre.
• J’apprends à mesurer la dimension sensorielle, émotionnelle ou intellectuelle
de mon langage au profit d’un objectif relationnel.
• J’apprends à gérer l’impact sensoriel, émotionnel ou intellectuel de mon langage
corporel ou de ma voix.

Parcours et progression
Explorer les liens entre neurosciences et langage
1. Maîtriser l’aspect sensoriel et émotionnel de sa communication pour
intéresser
2. Maîtriser l’aspect cognitif et intellectuel de sa communication pour
convaincre
3.  Comprendre et mesurer l’impact sensoriel, intellectuel et émotionnel
du langage et être à même de stimuler l’ensemble de ces mécanismes
cérébraux au service d’un objectif de communication

Outils

Exercice n° 1 : Susciter l’intérêt


En pratique : Le romancier, Le chercheur (Plan n° 1)
Exercice n° 2 – PR : Le conteur
En pratique : L’expressivité vocale, Le chant des sirènes, L’expressivité
corporelle
Exercice n° 3 : Le politicien
En pratique : Preuves et types d’arguments, Le politicien (Plan n° 2), Jeux
vocaux et sens du discours, Des gestes pour convaincre

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COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Exercice n° 4 : Une parole équilibrée


En pratique : Discours et dimension cérébrale, Évaluez votre D.I.S.E.
Exercice n° 5 : Le charmeur de serpent
En pratique : Synchronisation et influence, Le C.O.R.P.S. de mon discours

AUTO-ÉVALUATION ET FEED-BACK :
LE BILAN DE MES COMPÉTENCES

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
J’ai conscience et connaissance des biais affectifs,
M sensoriels et cognitifs qui entrent en compte dans
E la communication.
J’ai conscience de mes propres mécanismes
N
cognitifs.
T Je sais quand il est judicieux de raconter
A ou d’argumenter.
Je développe ma culture et mes références.
L
Je fais preuve d’éthique et d’intégrité.
Je sais utiliser un langage descriptif et narratif
et créer des images mentales.
Je sais utiliser un langage qui suscite des émotions.
Je sais trouver des problématiques en lien avec
les centres d’intérêt de mon public.
Je sais maintenir le suspens par la structure
V de ma prise de parole.
E Je sais utiliser à bon escient les preuves techniques et
extra-techniques en vue d’une argumentation réussie.
R Je sais différencier l’argument valable du sophisme
B fallacieux.
A Je sais utiliser des exemples illustrant
intelligemment ma problématique et en lien
L avec le vécu de mon interlocuteur.
Je sais structurer une prise de parole argumentée.
Je sais utiliser tour à tour un procédé épidictique
ou argumentatif selon le contexte.
Je sais analyser la dimension intellectuelle,
sensorielle et émotionnelle du langage.

— 192 —
Auto-évaluation et Feed-back : Le bilan de mes compétences

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Je sais occuper l’espace et être présent
par ma posture et ma gestuelle.
C Je sais utiliser des gestes ponctuateurs
O et illustrateurs au service de mon discours
et je maîtrise des gestes d’influence.
R
Mon visage est expressif et mon corps animé.
P
Je cultive mon capital sympathie avec un visage
O
ouvert et souriant et une gestuelle et une attitude
R avenante.
E Je sais amener mon interlocuteur à se
L synchroniser sur ma communication non verbale.
Je sais mesurer la portée intellectuelle, sensorielle
et émotionnelle de mon langage corporel.
Je sais varier mes intonations, mon volume
et la rythmique de mon débit pour apporter
du relief et susciter l’intérêt.
Je sais marquer des pauses judicieusement,
pour créer du mystère ou mettre en valeur
mon discours.
V
O Je sais placer des appuis sur les mots clés,
selon l’intention et le sens de ma prise de parole
C et l’objectif relationnel.
A Je sais, à l’aide d’un visage ouvert et souriant
L et d’une bonne respiration, avoir une voix
chaleureuse et agréable.
Je sais amener mon interlocuteur
à se synchroniser sur ma voix.
Je sais mesurer la portée intellectuelle, sensorielle
et émotionnelle de ma voix.

— 193 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Mon bilan / synthèse


Mes atouts :
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..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Mes axes d’amélioration :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Les exercices et pratiques à approfondir :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
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— 194 —
CHAPITRE

6
Exceller à l’oral :
l’art du discours
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1. TOUCHER ET INSPIRER

1.1 Le storytelling

À travers les différentes époques et cultures, la tradition orale du conte a toujours


accompagné le développement psycho-affectif de l’humain et la transmission des
valeurs de la civilisation. Raconter une histoire permet non seulement de capter
l’attention, mais contribue aussi à faciliter la compréhension, la mémorisation,
l’investissement affectif et par conséquent l’engagement.

Mesurer l’utilité du storytelling


Un langage qui illustre, qui décrit, qui raconte est ainsi particulièrement attractif
parce qu’il stimule différentes zones du cerveau. L’utilisation d’une histoire ou
d’une anecdote, parce qu’elle permet l’expérience sensorielle et l’appréhension
d’idées abstraites, est ainsi l’outil privilégié des orateurs.

UN EXEMPLE
Lorsqu’Albert Einstein nous dit « Placez votre main sur un poêle une minute
et ça vous semble durer une heure. Asseyez-vous auprès d’une jolie fille
une heure et ça vous semble durer une minute. C’est ça la relativité », il
suscite non seulement l’intérêt, mais nous aide à mieux comprendre et à
retenir ce concept que s’il s’était étalé en explications théoriques dans un
langage purement informatif.

Avec l’utilisation d’images, de symboles, de métaphores, largement explorée


par les psychiatres dans le cadre de l’hypnose, nous pouvons suggérer certaines
idées, certains états et certaines émotions. Ce langage, propice à la rêverie et
à la création d’images mentales, vise à faire émerger plutôt qu’à directement
informer. En ce sens, il a un fort pouvoir d’influence et est devenu l’outil des
publicitaires d’abord, puis des politiciens et des conseillers en communication
ensuite. Ce qui explique peut-être que ces techniques soient parfois sujet à polé-
mique, la question de l’émotion comme vecteur de décision et d’action étant
depuis l’Antiquité largement débattue.
Ainsi, l’art de raconter, nommé Storytelling et qualifié de « machine à fabri-
quer des histoires et à formater les esprits » par l’écrivain Christian Salmon,
passerait pour une forme de propagande jouant sur les émotions du public et
manipulant l’opinion de façon inconsciente, sophisme des temps modernes.
Pourtant, tous nos jugements, malgré l’apparente rationalité de nos justifica-
tions, ne passent-ils pas par nos filtres sensoriels et affectifs ? En quoi la lucidité
des auditeurs serait-elle annihilée parce que l’on ne serait plus dans la logique
pure ? Ne sont-ce pas les images et les histoires au contraire qui permettent

— 196 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

d’appréhender l’abstraction ou le symbole ? Et ne sont-ce pas les histoires aussi,


fruits des croyances et de l’imaginaire collectif, qui sont au cœur de l’action des
peuples ?

UN EXEMPLE
Pour Philippe, journaliste, le storytelling est une technique de communication
essentielle mais qui ne doit pas devenir une finalité  : « Notre rôle est
d’humaniser l’information. Ce sont les histoires de vie qui donnent du sens aux
chiffres, qui touchent et permettent une meilleure compréhension. Mais il y
a problème quand la priorité devient l’émotion à tout prix, le spectaculaire au
détriment de la précision et de la justesse de l’information. Et avec des formats
de plus en plus courts, l’histoire qui devrait être au service de la complexité,
devient le fruit d’une pensée simplificatrice. C’est ce que l’on peut déplorer. »

On ne peut nier, d’une part, la nécessité de prendre en compte l’être humain


dans sa dimension sensorielle et affective, cette dimension étant aussi une part
essentielle de l’intelligence humaine qui, nous le savons à présent, ne peut être
réduite au cognitif et au rationnel.
Et de l’autre, il ne s’agirait pas de confondre l’outil et sa finalité. Le storytelling
est un outil d’influence particulièrement efficace, la question éthique, elle, se situe
à un autre niveau  : celui de l’intention relationnelle et des valeurs qu’elle
sous-tend. Et il serait dommage de se passer de ces techniques à l’oral au pré-
texte qu’elles ne sont pas toujours utilisées de manière « honorable ».
• Alors, quel est votre objectif et en quoi celui-ci est-il en accord avec vos
valeurs et votre éthique ?
• Et comment maîtriser l’art du storytelling pour des prises de parole impac-
tantes et mémorables ?

Raconter une histoire qui fait sens


Tout d’abord, il convient de se demander dans quel contexte et à quel moment
utiliser cet outil. Une prise de parole qui ne serait qu’une énumération d’his-
toires peut rapidement perdre en sens, en authenticité et en efficacité. Nous
retiendrons trois manières pertinentes d’utiliser l’histoire : au tout début de
l’intervention, pour engager l’audience et introduire le sujet, ou alors au cours
de son développement pour apporter plus de force à l’idée qui nous semble
la plus essentielle, ou enfin, dans la conclusion pour marquer les esprits et
inciter à l’action. L’histoire n’a de sens que si elle sert l’essence même de
notre propos.
• Aussi que souhaitez-vous que le public retienne ?
• Et quel message votre histoire doit-elle faire passer ?

— 197 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Annoncer par exemple « je vais vous enseigner des techniques orales efficaces
pour vous affirmer » sera toujours moins percutant que de raconter son parcours,
sa propre histoire et ses difficultés. Et si nous faisons appel à des valeurs univer-
selles telles que la justice, l’équité, l’élévation, l’entraide, la liberté, l’amour…,
notre parole n’en sera que plus efficace.

UN EXEMPLE
« Je ne sais pas si vous avez déjà vécu cette situation où vous êtes face à
un groupe en train de parler et vous percevez très nettement que vous
n’intéressez personne. C’est comme si vous n’existiez pas. Enfant, j’avais
souvent cette impression. J’étais la petite fille assise au fond de la cour, les
mains moites et le genou écorché, avec le sentiment d’être transparente.
Pourtant j’adorais parler. Je pouvais énumérer des listes et détailler des
informations multiples pendant des heures. L’aspect technique et mécanique
du monde me passionnait. Mais voilà, cela ne semblait passionner que moi.
J’avais même l’air d’une sorte d’animal étrange aux yeux des autres, en
constant décalage. Je voyais Alex, le petit caïd de l’école, attirer tous les
regards lorsqu’il se mettait en scène alors que son propos était d’un creux
abyssal et cela me semblait tellement injuste. Pire, je me sentais très seule.
Et puis un jour, sans que je ne m’y attende vraiment, tout a changé. Alors que je
le regardais déblatérer ses platitudes, j’ai pensé « quelle compétence a-t-il que
moi je n’ai pas ? ». Et je ne saurais pas expliquer pourquoi mais ce jour-là
j’ai décidé que j’allais observer et apprendre d’Alex. Comment il bougeait
son corps, comment il grimpait sur le banc et agitait ses bras, comment il
écarquillait les yeux et ouvrait grand la bouche, comment il marquait des
pauses, comment il variait sa voix, comment il prenait chacun à partie et
avait toujours une histoire à raconter… Puis je me suis lancée moi aussi et je
l’ai imité. Je n’ai pas toujours eu les résultats escomptés mais j’ai testé, je me
suis mise en action, je me suis observée et j’ai appris. J’ai appris que la forme
pouvait parfois primer sur le fond. J’ai appris que ce ne sont pas toujours les
plus compétents ou les plus intelligents qui sont sur le devant de la scène, mais
ceux qui communiquent le mieux. Et surtout… jamais je n’aurais imaginé
que des années plus tard je serais là face à vous, devenue experte d’un sujet
si peu naturel pour moi et que j’enseigne pourtant aujourd’hui. »

L’histoire peut ainsi mettre en scène un personnage ou votre propre expérience.


Et comme dans un roman, le héros ne s’élève et ne se révèle que parce qu’il est

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Exceller à l’oral : l’art du discours

confronté à l’obstacle, au défi, au challenge ou à la quête. La difficulté est éléva-


trice. En ce sens l’histoire a vocation à inspirer les foules, car on peut en tirer un
apprentissage, une sagesse.
(De nombreux exemples de storytelling sont détaillés dans Assumer son
autorité et motiver sa classe, éditons De Boeck Supérieur.)

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment aider nos élèves ou nos stagiaires à construire et à choisir une
histoire pertinente à même non seulement d’illustrer leur propos mais
de convaincre et d’inspirer ? Et ce, avec authenticité, sans se perdre
dans une pratique artificielle de la narration pour la narration ? Mettre en
avant l’honnêteté, la véracité et la rigueur dans la sélection de l’histoire,
déterminer les émotions porteuses à véhiculer, définir le message le plus
important sur lequel axer son histoire et choisir une structure pertinente
sont des phases essentielles du travail.

Structurer sa narration autour d’éléments clés

Le climax
Une bonne histoire doit éveiller la curiosité en questionnant, en apportant du
mystère, en ménageant le suspense, la résolution n’arrivant que dans un second
temps. Sa structure même doit suivre une progression qui maintient une cer-
taine tension jusqu’à un climax, point culminant de l’action. Et cette tension est
non seulement corrélée à l’action mais aussi à l’empêchement de l’action. Ainsi,
un élément perturbateur qui viendrait bouleverser l’état initial, créer une difficulté
ou un conflit avant de trouver une résolution en un rebondissement inattendu,
permettra de cultiver l’espoir et de donner du sens.

DES EXEMPLES
Certaines formules sont particulièrement efficaces pour tenir en haleine  :
subitement, soudain, d’un seul coup, et alors, contre toute attente, mais
ce n’est pas tout, et pourtant, vous vous demandez peut-être, savez-
vous ?, qui ?… je vais vous le dire, comment ?… eh bien c’est très simple,
pourquoi ?… peut-être le devinerez-vous, et savez-vous ce qui est le plus
surprenant ?…

L’emphase est aussi très porteuse, avec des adjectifs tels que : extraordinaire,
fantastique, incroyable, exceptionnel, fabuleux, effroyable, stupéfiant,
effrayant, bouleversant, inexprimable, extravagant, phénoménal… Mais

— 199 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

attention cependant à ne pas se complaire dans le sensationnalisme à outrance


ou le vulgaire racoleur. Et sur un plan éthique, le rire, la passion, l’espoir, l’en-
thousiasme sont des émotions et des motivations bien plus inspirantes que la
peur, le dégoût ou le voyeurisme malsain. (Même si la majorité de l’information
qui nous entoure aujourd’hui joue malheureusement sur ce second tableau.)

La précision des détails


Un vocabulaire coloré, spécifique, stimulant l’imagination et la mémoire sen-
sorielle, est ainsi indispensable. Il s’agit de dépeindre, de décrire le plus pré-
cisément possible les détails, comme si l’on devait permettre à un non-voyant
de visualiser les images du film tiré de notre histoire. Plus la description sera
sensoriellement et émotionnellement riche, plus l’implication affective sera forte,
sachant que le cerveau émotionnel ne fait pas la distinction entre l’imaginaire et
l’événement réellement vécu.

UN EXEMPLE
Observez comment la description d’un petit persan gris au pelage cotonneux
et aux yeux bleu marine semble plus intense, plus intéressante et plus réelle
que la simple évocation d’un petit chat.

Cependant, le but n’est pas de se perdre dans des détails dont nous n’avons que
faire et qui diluent l’action, mais de rendre le discours le plus vivant et le plus
réaliste possible. Interpeller ou introduire des dialogues contribuera ainsi à ren-
forcer cet aspect, tout comme le fait de vivre soi-même réellement la situation.

L’authenticité de la communication
En s’impliquant et en se projetant dans l’histoire, nous laissons transparaître nos
émotions. À travers notre corps, notre voix, nous insufflons notre conviction et
notre énergie, nous colorons notre discours et nous apportons du relief et une
dimension affective forte. Car pour susciter les passions, il faut commencer par
être animé et passionné. Quintilien affirmait que le grand secret pour émouvoir
les autres, c’était d’être ému soi-même. Et la mise en scène de la parole, tout
comme l’histoire elle-même, est capitale pour transporter l’auditoire.

UN EXEMPLE
Pour Dominique, conteuse, la manière de raconter a autant d’importance
que l’histoire elle-même : « Le secret d’une bonne histoire, c’est de raconter
avec tout son corps  : mimer les situations, transformer sa voix sur les
dialogues, ou porter l’émotion sur son visage. »

— 200 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

La structure narrative

En pratique : La structure d’un bon storytelling


J’adopte une structure efficace :
1. Situation initiale
Il s’agit de présenter le contexte, le héros et une mission à accomplir. Cette
situation doit permettre l’identification en faisant des liens avec le vécu du
public. Pour être intéressante, elle doit aussi présenter un objectif avec
une action à réaliser ou une problématique à résoudre. Cette première
étape permet de capter l’attention et d’impliquer l’auditeur.
2. Obstacle / problème
Il s’agit de maintenir une certaine tension en introduisant un conflit, un
obstacle, des ennemis, des opposants, une lutte jusqu’à un point de
rupture  : le climax. Cette deuxième étape implique émotionnellement
l’auditeur, entre challenge et espoir.
3. Résolution et morale
Enfin seulement, la tension se résout et le dénouement apparaît. Une
« morale » ou une maxime se dessinent dans le but d’interpeller, d’ensei-
gner ou d’éclairer. Cette partie a pour objectif d’inspirer, de permettre un
apprentissage, une prise de conscience voire un véritable engagement.
Elle marque les esprits et incite à l’action.

EXERCICE N° 1 : LE CORBEAU ET LE RENARD


Pour cet exercice oratoire sur le storytelling, je détermine le message que je souhaite
transmettre, puis je choisis l’histoire (et sa morale) la plus adaptée à mon objectif.
Plan verbal : je raconte, à l’aide des
techniques vues ci-dessus, en suivant la
structure d’un bon storytelling.
Plan corporel : je suis en mouvement et
expressif, ma gestuelle illustre mon propos,
j’occupe l’espace et je vis et m’implique
physiquement dans ce que j’exprime.
Plan vocal : j’ai une voix expressive, je
crée des ruptures, je marque des pauses
et varie mes intonations, j’apporte du relief,
du contraste en accentuant certains mots,
en variant mon débit…

— 201 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

J’apprends à raconter des histoires inspirantes,


avec un vocabulaire coloré, des effets de surprise,
du mystère et des émotions afin d’éclairer,
de convaincre ou d’engager.

En pratique : Mon carnet d’anecdotes


Il n’est pas toujours évident de trouver des histoires pertinentes à même
de transcender nos propos. Aussi peut-il être utile en amont de tenir un
petit carnet d’anecdotes :
Je collecte chaque jour dans l’actualité, sur internet, à travers mes expé-
riences ou dans l’Histoire elle-même, des exemples, des analogies, des
métaphores et des anecdotes à même d’enrichir ma prise de parole.
Tout bon orateur devrait avoir à sa disposition une telle banque de données
permettant de servir ses idées et la force de son discours.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment permettre à nos élèves ou à nos stagiaires de mesurer les liens
entre l’étendue de leur culture et de leurs références et leur capacité à
intéresser à l’oral et à donner du sens ? Analyser l’impact des histoires et
des exemples vivants dans une prise de parole ou comparer la différence
entre un discours illustré et non illustré tant dans la pratique que dans
l’écoute, sont des pistes à explorer.

1.2 L’Art de la rhétorique

La rhétorique, outre les structures oratoires qu’elle propose, nous offre aussi
toute une palette d’éléments techniques, dont les figures de style, qui
apportent davantage d’éclat et de profondeur à nos mots. Ainsi, comme nous
l’avons abordé, grâce aux images, aux métaphores ou aux comparaisons,
nous créons une dimension sensorielle et émotionnelle forte. Mais ce ne sont
pas les seules figures permettant de marquer les esprits et de renforcer nos
propos.
• Alors, quelle est votre connaissance des figures de style ?
• Et dans quelle mesure les utilisez-vous dans vos prises de parole ?

— 202 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

Utiliser des figures de style


L’utilisation de la répétition, par exemple, rend une idée plus frappante. Elle
donne de la crédibilité et de la valeur à ce que l’on affirme et elle apporte un
certain rythme à même de dynamiser et d’engager l’auditoire.

L’anadiplose
Maître Yoda par exemple, génération après génération, n’a pas fini d’être cité
avec sa célèbre formule : « La peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la
haine mène à la souffrance. » Ce procédé, qui reprend ainsi le dernier mot d’une
proposition au début de la proposition suivante, est appelé anadiplose. Et un
discours véritablement mémorable ne devrait jamais se passer de figures de style.

La symploque, l’épiphore et l’anaphore


Parmi les figures basées sur la répétition, on peut aussi citer la symploque, qui
consiste à répéter un ensemble de phrases débutant et terminant par les mêmes
mots. Il s’agit d’une combinaison simultanée de l’épiphore (répétition d’un
groupe de mots identiques en fin de phrase) et de l’anaphore (répétition d’un
groupe de mots identiques en début de phrase).

UN EXEMPLE
On se rappellera de la célèbre symploque de Manuel Valls en 2016 (reprise
généreusement dans la presse) : « On nous dit que… rien n’est écrit ! On nous
dit que… rien n’est écrit ! On nous dit que… rien n’est écrit ! »

Et si la répétition a un fort pouvoir attractif et persuasif, attention cependant à


ne pas trop en faire non plus. Car l’effet peut vite être maladroit ou grossier. Et
parfois « trop de style tue le style ». Ainsi, on se souviendra de l’anaphore célèbre
de François Hollande, procédé certes percutant, mais qui avait pris une tournure
caricaturale (et quelque peu critiquée) en 2012. Nous avions eu droit alors à plus
de trois minutes de « Moi, président de la République, je… Moi, président de
la République, je… Moi, président de la République, je… Moi, président de la
République, je… »…

L’accumulation
L’accumulation pourtant permet d’apporter de la force et de la grandeur à une
idée. Elle a, en ce sens, un grand pouvoir persuasif. Mais ce procédé d’amplifi-
cation n’est pas lourd dans le sens où la répétition est subtile et utilise des syno-
nymes ou un même champ sémantique. L’accumulation juxtapose ainsi un grand
nombre de mots de même nature, de même catégorie ou de même sonorité,
afin de créer des associations d’idées, des images expressives qui vont élargir
ou renforcer le propos : la nuit était sombre, obscure, noire et dense sous son
manteau de brume, troublante et lugubre.

— 203 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Les triades et la rime


Par ailleurs, le retour régulier d’éléments apporte du mouvement et une ryth-
mique à même d’envoûter le public. Sur ce plan, nous aimons particulièrement
les triades, l’aspect ternaire du rythme apportant un certain balancement  :
liberté, égalité, fraternité ! La rime contribue aussi à cet aspect envoûtant et
musical  : le cœur assombri, affaibli, alourdit, meurtri, anéanti. Et lors d’une
narration, l’accumulation, souvent utilisée pour condenser l’action, va ainsi en
accélérer le rythme et lui apporter plus de mouvement, d’ampleur et de style.

L’oxymore et l’antithèse
Outre les effets de répétition, les effets de contraste sont aussi particulièrement
percutants et peuvent marquer durablement les esprits. Ainsi, opposer des mots
contraires permet d’attirer l’attention en créant du relief ou en suscitant la sur-
prise. Lorsqu’Honoré de Balzac nous parle de sublime horreur ou que François
Mitterrand se qualifie de « force tranquille », ils interpellent et créent un large
spectre d’images mentales. Ce procédé célèbre est appelé oxymore. Et lorsque
l’on ne juxtapose plus seulement deux mots contraires mais que l’on rapproche
deux idées opposées au sein d’une phrase plus large, on parle alors d’antithèse.

DES EXEMPLES
Quand Jean-Paul Sartre titre son livre L’être et le néant, il ne surprend
pas seulement mais pousse véritablement à la réflexion. Pour Vincent,
professeur de lettres, « l’antithèse n’est pas qu’un effet de style ou un procédé
lyrique mais elle permet de questionner et d’explorer de véritables concepts
métaphysiques tels que la vie et la mort, la lumière et l’obscurité, le vrai et le
faux, l’intelligible et l’absurde… ».
Parfois, l’antithèse va même jusqu’à exprimer une idée qui heurte le bon
sens, ce qui pousse non seulement à la réflexion mais génère un besoin
naturel de résolution. En écrivant « Paris est tout petit, c’est là sa vraie
grandeur », Jacques Prévert nous suggère une véritable énigme que l’on
s’empresse de vouloir comprendre.

J’utilise des figures de style basées sur la répétition,


le contraste, la rythmique
ou la rime, afin d’apporter du relief
et de l’épaisseur à ma parole.

— 204 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

UN EXEMPLE
Pour Amel, professeur de français, « on néglige trop souvent la place de la
culture littéraire dans le développement de la parole. J’oriente souvent le
sujet d’une rédaction autour de thèmes dont ils peuvent débattre dans la
cour ou en famille. Et je leur demande d’apprendre des textes utilisables
ensuite à l’oral. Pour parler avec aisance, il faut disposer d’une banque de
données. »

En pratique : Le poème de l’orateur grec


Je récite ce poème constitué uniquement de figures de style célèbres,
de façon engagée et convaincue :
« Au ciel, aux vents, aux rocs, à la nuit, à la brume,
Le sinistre océan jette son noir sanglot. »
Cette accumulation des mots forts sous la plume
A donné tant de style au grand Victor Hugo.
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »,
C’est l’allitération de Racine, le poète.
Dans L’Odyssée d’Homère, c’est la comparaison
Et la polysyndète qui nous donnent le ton :
« Et cette terre était proche, et elle lui apparaissait comme un bouclier
sur la mer sombre. »
La prose est poétique, peu importe le nombre.
« Être ou ne pas être », l’antithèse de Shakespeare,
À moins que Guerre et Paix de Tolstoï ne t’inspire.
Quant à la périphrase, elle trouve grâce à mes yeux :
« Tant pour le Roi soleil qu’en la terre des Dieux ».
Et même l’homme politique a le verbe stylé :
« Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! »
L’anaphore de De Gaule nous a tant inspirés !
À ton tour, si tu l’ose, prends la figure de style,
Elle enchante la prose de l’orateur habile…
Figures de style, C. L.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment créer des supports de travail pour l’expression orale à même
d’enrichir le langage et les ressources de nos élèves ? Quand l’appren-
tissage de la poésie devient source de culture et d’outils en termes de

— 205 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

prise de parole, nous entrons alors dans la compétence pratique avec une
démarche éducative plus large. La pratique du théâtre et l’apprentissage
de dialogues permettent aussi d’enrichir cette culture.

Cultiver son style


Enfin, avoir du style, ce n’est pas seulement posséder un sens littéraire ou poétique
et maîtriser les effets de langage mais c’est être capable de présenter sa pensée
selon sa propre personnalité, selon ses valeurs, ses principes et sa conscience. Car
ce qui nous distingue à l’oral ne se situe pas tant au niveau des idées, pour la plu-
part généralement déjà exprimées par d’autres, mais provient de notre identité en
tant qu’orateur. Alors quelles sont vos valeurs ? Que doit-il ressortir de vos mots ?
Êtes-vous plutôt romantique, poète, cartésien, réaliste, pragmatique, idéaliste ?…

En pratique : Je cultive mon style


Lorsque j’étais au collège, ma professeure d’arts plastiques nous avait
demandé de réaliser un tableau intégrant la carte postale de notre choix
au sein d’une fresque plus vaste, de telle sorte qu’on ne perçoive pas
la limite entre la carte, ses couleurs, son style et notre propre peinture.
Je vous invite à faire exactement le même exercice en utilisant le verbe.
Ò Je poursuis un discours ou un texte littéraire existant en respectant
le style employé : tournures et longueur de phrases, vocabulaire utilisé,
rythme et procédés stylistiques…
(À travers cet exercice, j’apprends aussi à renforcer ma parole, mon
langage, mon style et mes références.)

La problématique de l’enseignant-formateur
Il est intéressant de s’interroger sur la place de l’écrit dans la maîtrise du
langage et par conséquent dans l’enseignement de l’oral. Comment, à
travers la pratique de l’écrit en classe, intégrer les enjeux liés à la prise
de parole ? Écrire afin de mieux parler ou parler de ce que l’on écrit sont
des pistes à explorer.

— 206 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

EXERCICE N° 2 : LE STYLE DE MOLIÈRE


Défi du jour : Au cours de ma journée, lors de mes
diverses prises de parole, je cherche à placer au
moins trois figures de style : rimes, langage imagé,
métaphores et comparaison, anaphore, périphrase,
oxymore…
Et je laisse transparaître chaque fois des valeurs qui
me sont chères. Je soigne mon langage dans toutes
ses dimensions.
Plan corporel : gestes ponctuateurs, gestes illustra-
teurs, posture ancrée, regard expressif et dirigé vers
l’autre…
Plan vocal : musicalité de la voix, variations de l’inten-
sité, du rythme et des intonations, gestion des temps de
silence et mise en valeur des mots clés…

Introduire et conclure avec style


L’utilisation des figures de style est ainsi particulièrement efficace pour capter
l’attention et intéresser. Aussi, sur un plan structurel, il est judicieux de placer ses
effets rhétoriques au cours de l’introduction :
– La métaphore : On peut ainsi démarrer son discours par une métaphore.
Par exemple : La terre, orange bleue dans l’espace, inspirant les poètes
et les astrophysiciens. La terre, cœur palpitant au sein d’un espace
infini. La terre est-elle la seule planète vivante ?
– La citation : Introduire son sujet à l’aide d’une citation qui annonce la
problématique est aussi très efficace. Par exemple  : Cicéron affirmait
« les orateurs élèvent la voix quand ils manquent d’arguments ». Alors
(problématique) crier sur un enfant n’est-il pas le constat d’une autorité
et d’une crédibilité défaillante ?
– Le storytelling : Nous avons vu l’impact du storytelling et débuter son
discours par une histoire, personnelle ou non, qui illustre son sujet apportera
aussi de l’intérêt et de la grandeur à votre prise de parole. Par exemple :
L’année dernière, alors que je tentais de prendre le bus… (histoire
illustrant la problématique).
– Le fait touchant : L’émotion est un élément clé du discours. Qui pourrait
oublier la prise de parole poignante de l’Abbé Pierre, en février 1954, sur
les ondes de radio Luxembourg ? Il débutait sa prise de parole ainsi : « Mes
amis, au secours… Cette nuit une femme est morte gelée à trois heures
du matin… » Utiliser ainsi un fait marquant de l’actualité qui vient faire
réagir l’auditoire est une manière de rendre votre introduction percutante.

— 207 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Par  exemple  : « Chaque jour… (fait marquant illustrant la probléma-


tique)… dans le monde. »
– L’introduction engagée : On peut aussi facilement s’inspirer des plus
grands qui se sont engagés à travers leurs prises de parole, qui ont su
s’impliquer et impliquer leur auditoire. Nelson Mandela, après vingt-sept
années de détention, débutait son discours ainsi : « Je suis venu devant vous
non pas comme un prophète mais comme un humble serviteur. » Alors,
imaginons un instant un élève qui ne débuterait pas son exposé oral en
annonçant simplement « je vais aborder la question de… », de façon scolaire
et conventionnelle, mais qui lancerait : « Bonjour, je suis aujourd’hui devant
vous, non pas seulement comme un élève mais comme le porte-parole
d’une cause qui nous tient tous à cœur : (problématique)… »
L’art rhétorique est l’art de bien dire, l’art de sublimer le langage et les idées, l’art
de la mise en scène. Et cette mise en scène pourrait même aller jusqu’au fait
d’apporter un objet insolite le jour de son intervention orale, point de départ du
discours et de la démonstration.

Par des effets de style en introduction, je capte l’attention


et apporte une dimension théâtrale à ma parole.

En pratique : L’art de conclure avec classe et panache


Les effets rhétoriques sont aussi pertinents en conclusion d’un discours
afin de marquer les esprits et d’apporter du « panache » à la prise de
parole.
Ò Je m’entraîne à conclure en utilisant des figures de style. Anadiplose,
anaphore, symploque… je varie mes effets et choisis la figure la plus
appropriée.
Une autre manière de conclure : utiliser une citation en conclusion est
aussi percutant à condition de bien la choisir. Par exemple : « Et pour
conclure, je citerai René Char dans Rougeur des matinaux, en affirmant
à chacun : “Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque.
À te regarder, ils s’habitueront”. »
De la même manière, conclure sur un exemple percutant, concret et
illustrant la problématique, a de grandes chances de marquer les esprits.
Par exemple : « Ainsi, pour finir, imaginez ce que serait un monde sans… »

Ainsi, imaginez ce que serait une prise de parole dont l’introduction déclenche-
rait intérêt et attention, dont la force du contenu transporterait les cœurs comme
les esprits et dont la conclusion laisserait à chacun le souvenir brûlant de votre
passage.

— 208 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

2. PERSUADER

2.1 L’art de la persuasion : cognitif et émotionnel

Nous l’avons vu, pour convaincre son interlocuteur, il convient de s’adresser à


son esprit rationnel en développant d’une part une argumentation pertinente et
en adoptant d’autre part une posture crédible et impactante.
Cependant, si l’on veut exceller dans l’art oratoire, convaincre n’est pas suffisant.
Tout le monde est convaincu du bien-fondé de l’écologie, mais qui agit vraiment ?
Si l’on veut exceller dans l’art oratoire, il faut conduire son interlocuteur à l’ac-
tion. Il faut le transporter, l’impacter profondément, le faire vibrer et l’amener à
s’engager et à agir.
Si l’on veut exceller dans l’art oratoire, il faut devenir un maître de la persuasion.
(Vous remarquerez au passage la magnifique anaphore illustrée précédemment.)

Persuader et pousser à l’action


La littérature, comme la rhétorique, font la distinction entre convaincre et per-
suader, entre une argumentation logique d’un côté et la référence à l’opinion et
au pathos de l’autre, entre le point de vue scientifique et les techniques littéraires
liées à l’imagination, à la sensation ou aux affects. Et persuader, c’est conduire
l’interlocuteur vers un véritable changement d’attitude ou de comportement.
Cela implique, d’un côté, de déterminer une action concrète attendue de sa part
et, de l’autre, de comprendre ce qui pousse l’être humain à agir.

Depuis Platon, puis Descartes, on adhérait au fait que la logique purement


rationnelle et scientifique nous permettait de trouver des solutions et de faire
des choix. Ce n’est qu’en 1994, avec Antonio Damasio et sa théorie des
marqueurs somatiques, que nous avons découvert que les émotions étaient
nécessaires à la prise de décision. Depuis, plusieurs études en psycholo-
gie sociale valident cette idée, dont les plus célèbres sont celles de Daniel
Kahneman et d’Amos Tversky.
Et les nombreuses recherches en neurosciences montrent que les neurones
associés au fonctionnement cognitif sont entrelacés aux neurones liés à
nos ressentis et à nos affects, la pensée affective étant indissociable de la
pensée cognitive.

Nos perceptions sont modulées par nos expériences ou nos sentiments, ainsi que
nous l’avons abordé. Et le raisonnement logique ne serait pas à l’origine de nos
choix mais il nous permettrait de les justifier dans notre environnement social.
C’est ce qu’avancent les chercheurs en sciences cognitives Hugo Mercier et Dan
Sperber.

— 209 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Les gens achètent pour des raisons émotionnelles puis justifient leur choix
de façon rationnelle. Le marketing identifie donc aujourd’hui les différents
profils émotionnels en vue d’un ciblage efficace. On parle de marketing
émotionnel ou sensoriel, jouant sur les émotions des gens pour favoriser
l’acte d’achat, l’attachement à un produit, ou pour améliorer la mémorisation
du message publicitaire.

Car l’émotion a un impact fort sur nos mécanismes cognitifs. Et parallèlement,


avec l’émergence des neuro-pédagogies, l’émotion est aussi au cœur du pro-
cessus d’apprentissage, les compétences relationnelles et émotionnelles
étant directement liées à la réussite scolaire, comme le révèlent les travaux
récents du docteur Eva Oberlé, ou une étude du professeur Elena Commodari
en  2013 qui montre que les enfants présentant un attachement sécurisé avec
leur enseignant ont un développement cognitif et social plus important.

UN EXEMPLE
François, enseignant, souligne l’impact des enjeux affectifs en classe  :
« Tout le monde sait que les élèves travaillent davantage quand ils aiment le
prof et pourtant, la plupart des collègues vous diront que nous ne sommes
pas là pour nous faire aimer. »

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment prendre en considération la dimension émotionnelle dans nos
propres échanges en tant qu’enseignant ou formateur ? Au-delà d’une
communication expressive, le langage de la reconnaissance ou l’utilisation
de strokes, abordés au chapitre 3, sont à explorer.

Persuader sans manipuler

Choisir des émotions inspirantes


L’émotion engage, l’émotion met en mouvement et certaines émotions sont
plus porteuses que d’autres. Si la colère, le mépris, la tristesse ou l’indigna-
tion rassemblent, le dégoût, la stupéfaction, l’envie et l’admiration interpellent.
Quant à la peur, elle conduit véritablement à agir. Mais ce qui se pratique chaque
jour au cœur des médias ou de la publicité est-il vraiment digne d’une prise de
parole éthique et responsable ? Aux instincts les plus primaires et aux émotions

— 210 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

négatives il est possible d’opposer toute une palette émotionnelle qui inspire et
qui engage de façon positive. On peut ainsi citer l’utopie, la satisfaction, l’eupho-
rie, l’espoir, la fierté…
• Alors, quelles émotions allez-vous mettre en avant à travers vos prises de
parole ?

Je ne me contente pas de convaincre à l’aide d’arguments


logiques, mais j’utilise des émotions positives
pour persuader et pousser à l’action.
La question d’éthique entre en compte dès lors que l’on touche à l’émotionnel et
au comportement de l’être humain, cet être de raison, d’affects et de caractère.
Et il est important de ne pas franchir la limite entre persuasion et manipulation.
Il y a manipulation lorsque les valeurs et l’intelligence de son interlocuteur ne sont
pas respectées. Persuader sans écouter, sans considérer et sans convaincre
véritablement l’autre, n’est ni plus ni moins que manipuler.

Structurer son discours autour d’un besoin et d’arguments pertinents


Le pathos, déjà considéré par Quintilien comme « l’âme et la vie » de l’art ora-
toire, n’est donc pas le seul élément à prendre en compte. Le logos et l’ethos
sont aussi indispensables à la persuasion. La structure d’une prise de parole
persuasive a d’ailleurs largement été explorée dans l’Antiquité, ainsi que nous
l’avons vu avec la prise en compte de ces notions, puis plus récemment dans le
cadre de la vente.

En pratique : Le Vendeur
Pour persuader, je suis le Plan n° 3 : Discours persuasif / Résolution
de problème
1. Quoi ? : mettre l’accent sur un problème qui concerne l’interlocuteur
(montrer, illustrer, à l’aide exemples, à quel point le problème est impor-
tant, grave, sérieux) Ò dimension émotionnelle
2. Pourquoi ?  : poser un diagnostique en présentant une expertise
(chiffres, témoignages, études,  etc.) et donner un avis personnel
Ò dimension analytique
3. Comment ? : apporter une solution (conserver le ton de l’expertise)
et la justifier (pourquoi est-elle valable, pourquoi est-ce la meilleure ?)
4. Conclure sur la dimension émotionnelle afin de susciter l’action. On
peut décrire une utopie et les changements qui interviendraient suite
à la mise en œuvre de la solution afin de susciter l’enthousiasme du
public et demander une action précise.

— 211 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Exemple : 1. Dans le monde nous sommes confrontés à… et cela a pour


conséquence de… 2. D’après les experts, les raisons de ce problème
sont… et je pense que… 3. Aussi, si l’on mettait en place… nous pour-
rions résoudre… 4. Imaginez l’impact de… aussi je vous demande de…

Ainsi, pour persuader, il faut non seulement faire le lien entre arguments logiques
et émotionnels mais il faut de plus déterminer quelles sont les actions concrètes
à mettre en place pour résoudre un problème en rapport avec les besoins de
l’interlocuteur. Il s’agit de considérer l’autre, de considérer ses attentes, ses émo-
tions, ses difficultés et ses aspirations, et de trouver des ponts avec son vécu.
Car aucune persuasion n’est possible sans reconnaissance. Aussi, être à même
d’appliquer ce type de structure oratoire implique de comprendre réellement ce
qui compte pour son public.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment aider l’élève ou le stagiaire à reconnaître et à appréhender
son public afin de faire le lien entre le sujet traité et les besoins ou les
problèmes de l’auditoire ? Au-delà des pistes fournies précédemment,
raisonner en termes de bénéfices personnels et de besoins de l’auditeur,
permet d’explorer son sujet différemment.

Enfin, et nous l’avons précédemment abordé, un discours doit avoir un objectif


et l’objectif d’un discours persuasif est l’engagement et l’action. Les prises de
parole les plus percutantes ne se contentent pas d’informer ou de convaincre,
elles engagent véritablement l’auditoire.
• Alors, quelles actions attendez-vous de votre interlocuteur ?
• Qu’il se lève, qu’il se révolte, qu’il vous suive, qu’il modifie son
comportement ?…
La parole porte en elle les germes du changement, le pouvoir de mobiliser et
d’engager, le pouvoir d’impacter l’autre et le monde. Nous avons le pouvoir
d’exister et d’agir par le verbe et la voix.
Et nous avons souligné l’importance de la relation et par conséquent de l’ora-
teur dans la force de persuasion d’un discours, dans la capacité du langage à
convaincre ou non. Pour reprendre les idées du sociologue Pierre Bourdieu, le
pouvoir des mots ne se situe pas dans les mots mais bien dans le statut du locu-
teur, dans sa personnalité et son niveau de crédibilité et d’autorité ; ces mêmes
mots qui ne sont jamais perçus de façon identique selon l’individu et son envi-
ronnement social.

— 212 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

2.2 Discours d’influence et techniques marketing

Que l’on en prenne conscience ou non, les relations sont des relations d’in-
fluence. Comme l’expliquait le psychologue Paul Watzlawick, on ne peut pas
ne pas influencer. Déjà, et nous l’avons vu, parce que nos mots, notre gestuelle
ou nos inflexions vocales ont un impact sur l’interlocuteur. Et ensuite parce que
le fait même d’entrer en relation implique des attentes, des enjeux et des jeux
relationnels, que ce soient des tentatives de séduction, des jeux de pouvoir, des
efforts de persuasion ou des recherches d’attention. Qui n’a pas envie d’exister
face à l’autre ? Qui n’a pas envie d’être apprécié ? Qui n’a pas envie d’être en
sécurité ?

Comprendre la portée des relations d’influence


Les tentatives d’influence, les ruses, les leurres, les artifices font partie du vivant.
De la plante carnivore, qui imite la fleur pour attirer l’insecte, à la parade nuptiale
du paon pour séduire sa femelle, jusqu’aux multiples tentatives de l’être humain
pour agir sur son environnement et sur ses congénères, le monde est régi par
des transactions d’influence et de manipulation.
Pour reprendre les termes du psychanalyste François Roustang, il n’y a pas de
relation sans « manipulation réciproque ». Car la communication a un aspect
systémique dont la base même est l’interaction. Les tentatives de manipulations
ou de rapports de force n’existent donc que si l’autre y participe aussi.
Et si l’action de nuire à autrui est largement contestable, est-ce toujours le cas
de la manipulation ? Ainsi, Paul Watzlawick nous invite à « décider pour nous-
même de quelle manière cette loi fondamentale de la communication humaine
(la manipulation) peut être suivie le plus humainement, le plus honnêtement et le
plus efficacement possible ».
La question éthique ne se situerait donc non pas dans la technique employée et
les outils du langage mais au niveau des motivations et des buts poursuivis.
Car, ainsi que l’écrit l’essayiste Tzvetan Todorov : « En quoi la manipulation est-
elle différente de l’instruction ? de la persuasion ? de l’incitation ? […] la raison
du mal serait-elle dans la nature des buts visés plutôt que dans la technique
employée ? Mais alors, ce qui est manipulation pour l’un serait, pour l’autre, une
noble action qui consiste à éclairer les esprits… »

UN EXEMPLE
Pour Sarah, « en milieu éducatif, dès que l’on parle de persuasion, on passe
pour un manipulateur sans vergogne, alors que nous pourrions tout aussi
bien utiliser les termes de motivation au travail, d’engagement, de quête de
sens et d’inspiration ».

— 213 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Je m’interroge sur la place de la manipulation


au cœur des échanges humains, sur ses procédés
et sur ses objectifs.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment parvenir à réconcilier les questions d’éthique et d’influence ?
Comment sensibiliser nos élèves ou nos stagiaires aux notions de mani-
pulation et de liberté, aux notions de manipulation et de respect, ou aux
notions de manipulation et de culture ? Une réflexion, une connaissance
et un travail autour des techniques de communication sociale peuvent
être initiés.

En réalité, ce sont bien les finalités liées à la communication d’influence qui sont
souvent contestées d’une part. Et de l’autre, c’est l’aspect inconscient et non
avoué de ces mécanismes qui les rend détestables. Pourtant, si la manipula-
tion n’était pas tant diabolisée, nous serions moins manipulables. Si nous avions
chaque fois conscience des jeux tacites qui se jouent au cœur des échanges et
de la communication, nous serions plus à même de nous positionner. Si nous
apprenions à maîtriser ces outils, nous serions non seulement capables d’avoir
une vision plus claire des rouages qui actionnent nos comportements et nos
relations, mais nous aurions, de plus, les moyens de réaliser et d’assumer
consciemment nos objectifs d’interaction.
L’art de l’influence et de la persuasion, que nous pratiquons par nature, la plupart
du temps de façon inconsciente et maladroite, est une discipline à explorer (en
particulier à travers la connaissance de nos différents biais cognitifs, affectifs ou
comportementaux.) En cela, nous pouvons nous inspirer de ceux qui dépensent
des fortunes pour étudier la psychologie sociale et tester les moyens efficaces de
la persuasion, à savoir : les maîtres du marketing.

S’inspirer du copywriting
Ainsi le copywriting, art d’écrire pour vendre, promouvoir ou persuader, nous
offre de nombreux outils très efficaces en termes de prise de parole. Il condense
les avancées en neuroscience et en psychologie utilisant par exemple la tech-
nique du saupoudrage, héritée de l’hypnose, consistant à répéter de façon
subtile la même information afin de la rendre familière et de la faire accepter
(biais de simple exposition). Les nombreuses répétitions utilisées vont aussi
ancrer le message dans notre mémoire.
Parallèlement, l’utilisation d’un langage imagé et de nombreux liens de causa-
lité est au cœur de cette technique, présentant de multiples similitudes avec la

— 214 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

rhétorique. Ainsi, toute la palette argumentative, comprenant les preuves


techniques et extra-techniques, est largement explorée : la preuve sociale, l’ar-
gument d’autorité, l’exemple vivant, le bon sens et la logique, l’appel aux
valeurs, l’expérience personnelle, les témoignages, la parole d’expert, les
résultats d’études… Et l’utilisation de statistiques ou de données chiffrées per-
met d’apporter une plus grande crédibilité au discours.

DES EXEMPLES
Les « 3 clés de… », les « 7 façons de… », les « 10 techniques pour… » sont
dans tous les magazines ou articles en ligne « attractifs ». Ces chiffres sont
régulièrement testés par les « marketeurs », les plus efficaces étant : 3, 5, 7,
9, 10, 14, 17.

Résoudre un problème
Mais ce qui fait l’intérêt et la spécificité du copywriting, c’est sans doute la mise en
avant du bénéfice personnel. Les besoins du client (et pour ce qui nous concerne
de l’auditeur) sont l’axe central du discours. Ainsi, le texte de vente débute toujours
par ce que l’on nomme l’accroche, petite phrase accrocheuse justement, mettant
en avant un avantage, le plus souvent à l’aide d’une question : « Aimeriez-vous ?
Et si vous pouviez ? Comment serait… si… ? Imaginez que… ».
Cette accroche « Promesse » fait ainsi miroiter la promesse d’un accomplis-
sement, d’un intérêt. Elle est propice au rêve, à la projection. Elle fait appel au
besoin de réalisation et stimule le désir.
Lorsque le bénéfice est présenté comme une solution à une difficulté rencontrée
et mise en avant, on parle alors d’accroche « Problème / Solution » : « Faites-
vous cette erreur lorsque… Combien de temps perdez-vous chaque jour
parce que… ».
Pourtant, si elle suggère une solution, cette accroche joue cependant sur les
peurs et les obstacles. Aussi la version moins négative serait l’accroche
« Formule / Méthode », qui ne se concentre que sur les solutions en présentant
les moyens de parvenir à un résultat : « Découvrez les 5 moyens de… Si vous
souhaitez… alors… Voici 3 techniques pour… 10 solutions qui… ».
Mais, d’une manière générale, plus le problème est grand, plus les complications
ont un impact, plus il y a de danger ou de risque et plus l’accroche présentant
une issue engage et active le public.
D’autres types d’accroches permettent aussi de capter l’attention et d’impliquer.
C’est le cas de l’accroche « Mystère / Découverte », qui consiste à questionner
et à éveiller la curiosité  : « Savez-vous combien… ? Savez-vous comment… ?
Savez-vous pourquoi… ? ».
Toutes ces accroches jouent sur les ressorts des comportements humains parce
qu’elles proposent de répondre à un besoin tout en s’appuyant sur les divers
biais cognitifs  : notre tendance naturelle à relever le surprenant, le bizarre,

— 215 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

notre  attirance pour la simplicité ou l’immédiateté, notre appétence pour les


chiffres et les énumérations, notre propension à nous identifier, notre inclina-
tion à favoriser le connu, le familier, notre attirance pour la pensée de groupe,
notre recherche de sens… (Une exploration des biais cognitifs est fournie en
annexe.)

DES EXEMPLES
« Découvrez une astuce surprenante qui… », « la méthode rapide et efficace
pour… », « 3 outils qui vont… » ou « ce que veulent réellement… » sont des
accroches très utilisées en marketing.

L’accroche sociale, qui se base sur le besoin d’appartenir ou de s’identifier à


un groupe ou à une personne, rencontre aussi d’excellents résultats  : « Faites
comme… Faites-vous partie de ceux qui… ? Qui d’autres souhaite… ? X %
des gens font… Et vous ? » (60 % des gens au cours de l’année 2020 seront au
contact du coronavirus. En ferez-vous partie ?) En questionnant, en présentant
un avantage ou une promesse ou en jouant sur les obstacles ou les craintes, elle
s’appuie sur l’identification au groupe pour impliquer le public.

Conclure avec un appel à l’action


Mais l’accroche n’est pas la seule clé du copywriting et l’appel à l’action est aussi
un élément essentiel du discours persuasif. Il s’agit cette fois-ci d’une phrase finale
dont l’objectif est d’induire une action immédiate en faisant une demande
courte et spécifique. Plus l’appel est clair, direct et précis, plus l’incitation à
agir est forte. « Signez la pétition » sera toujours plus efficace que « Si vous le sou-
haitez, vous pouvez vous engager en laissant votre signature en bas de la feuille ».
Comme son nom le suggère, l’appel à l’action utilise ainsi des verbes d’action :
envoyez, remplissez, prenez, inscrivez-vous, venez…

Je construis mon discours en préparant une accroche


percutante et un appel à l’action judicieux.
D’une façon générale, un discours qui « vend », selon les règles du copywriting,
commence par accrocher le public avec une promesse. Il intéresse avec une
histoire et centre le propos sur les bénéfices et le quotidien de l’interlocuteur. Il
apporte de la valeur à son sujet en donnant des preuves et des arguments. Enfin,
il incite à agir avec un appel à l’action.

UN EXEMPLE
Avec la marque innocent :
Envie de boissons délicieuses, 100 % naturelles ? (Accroche)

— 216 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

Tout a commencé lors d’un festival de musique. Alors que trois garçons
élaborent leurs premiers smoothies, ils inscrivent sur un panneau : « Devons-
nous quitter nos jobs pour lancer des boissons saines ? ». Ils installent
deux poubelles : OUI et NON. A la fin du festival, le public était conquis :
la poubelle OUI était pleine ! Ainsi naissait la marque innocent : des fruits
mixés ou pressés et rien d’autre... Jamais ! (Histoire, promesse, arguments)
Envie de goûter ? (Appel à l’action)

Structurer son discours selon les règles du marketing

En pratique : Les 4P de la lettre de vente


Théorisées par l’ingénieur Henry Hoke, « Peindre-Promettre-Prouver-
Pousser » sont quatre étapes de la structure d’une lettre de vente. Elles
font la synthèse des procédés épidictiques et argumentatifs au profit d’un
seul objectif : susciter l’action (en général un acte d’achat) pour résoudre
le problème de la personne ou lui procurer un avantage.
1.  Peindre  : Illustrer le problème de l’interlocuteur ou à l’inverse une
situation idéale de façon sensorielle et spécifique (Imaginez… Vous
arrive-t-il de… ? N’avez-vous jamais ressenti… ?). Le but est de l’impli-
quer émotionnellement en faisant le lien entre son vécu et le problème ou
l’avantage, à travers un discours descriptif et narratif. (Cette partie utilise
très souvent le storytelling.)
2. Promettre : Présenter les bénéfices, les solutions ou les avantages
sous forme de promesse. (Comment… Les moyens pour… Développez…
Maîtrisez… Soyez… Améliorez… Gagnez… Évitez… Vous pourrez… Vous
aurez…) Le but est de susciter l’espoir, l’envie. Nous sommes là encore
dans le sensoriel et l’émotionnel avec un langage descriptif et imagé.
(Cette partie s’appuie sur la connaissance du public et de ses besoins.)
3. Prouver : Il s’agit de démontrer la fiabilité de la promesse avancée
à l’aide de preuves et d’arguments (parole d’experts, témoignages,
exemples précis, résultats d’études…). Cette partie argumentative a pour
objectif de convaincre en s’adressant au cognitif.
4.  Pousser  : Inciter à agir à l’aide d’un appel à l’action et de leviers
d’action divers : un avantage limité dans le temps ou en nombre, une offre
réservée, un prix attractif, des garanties, un cadeau… et des avis clients
(Commandez… Téléchargez… Abonnez-vous… Cliquez…). Le discours
est factuel, clair et direct. S’il s’adresse à l’esprit logique, il s’appuie aussi
sur des ressorts émotionnels.

— 217 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Cette structure est très proche du plan précédent auquel elle ajoute une partie
finale utilisant la preuve sociale et des garanties pour finir de persuader. Elle a
pour objectif de déclencher une émotion dans le but de pousser à l’action.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment permettre de faire le lien entre la culture « marketing » qui nous
environne chaque jour et les moyens d’une prise de parole efficace et
éthique, sans tomber dans le cliché et la vulgarisation ? Apprendre à
identifier les ressorts psychologiques sous-jacents et les techniques uti-
lisées tout en s’imposant une approche analytique rigoureuse et morale
est essentiel.

Inspirer avec éthique plutôt que faire pression


Et ce qui est souvent contestable dans l’approche « marketing », outre le fait
de chercher à nous vendre des choses dont on n’a absolument pas besoin,
c’est qu’elle joue souvent sur la peur et la culpabilité. Elle montre les risques,
les obstacles, les dangers et les craintes associées  : « Attention si vous ne
faîtes pas ceci, il se passera cela ! » Ou encore  : « Si vous ne vous décidez
pas tout de suite, il n’y en aura plus. » Or la menace et la pression donnent
rarement le beau rôle à l’orateur. De plus, elle place l’auditeur dans une situa-
tion inconfortable en parasitant ses choix avec des ressorts manipulatoires
contestables.
À l’inverse, défendre une cause et en présenter les avantages, chercher à susciter
le désir et l’envie au profit d’une solution est beaucoup plus noble. Que ce soit
le sentiment d’accomplissement, de joie, de satisfaction ou à l’inverse le
sentiment de révolte, ces émotions mettent en mouvement. Elles activent
le système hormonal de l’action et de la récompense et répondent au besoin de
croissance, de justice, d’équité ou de réalisation personnelle. En ce sens, elles
galvanisent l’interlocuteur et le valorisent.

Pour susciter l’action, je fais appel à des émotions


qui élèvent et qui motivent. Je ne cherche pas
à manipuler par la pression ou par la peur.
Enfin, n’oublions pas l’importance de l’orateur dans la portée du discours, sa
présence, son autorité, son charisme et sa nécessaire congruence. La question
d’éthique liée aux techniques d’influence employées ici se pose aussi car une
prise de parole véritablement persuasive est forcément authentique. Sans impli-
cation émotionnelle et intellectuelle sincère de l’orateur, la parole d’influence se
réduit alors à de vaines et grossières tentatives de manipulation.

— 218 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

En pratique : Soigner son S C I


S pour Sympathie : C’est la capacité à se faire apprécier par l’autre et à
véhiculer une image positive et avenante.
C pour Crédibilité : C’est la capacité à inspirer confiance et à projeter
une image crédible.
I pour Influence : C’est la capacité à convaincre, à inspirer et à engager
son interlocuteur à agir.

Un orateur influent fait donc preuve de sympathie, d’écoute, de compréhen-


sion et de bienveillance vis-à-vis de l’auditeur. Il fait autorité et sait présenter ses
arguments de manière crédible. Enfin, il a la capacité à inspirer et à toucher son
public afin de l’engager.

EXERCICE N° 3 : LE VENDEUR
À l’aide des plans vus précédemment (le vendeur et les 4P), je fais un discours
persuasif dont l’objectif est d’obtenir l’adhésion à une cause inspirante, en lien avec
le sujet de mon choix.
Plan verbal : je soigne mon accroche
et mon appel à l’action, j’alterne entre
procédé épidictique et argumentatif…
Ò Je soigne mon SCI :
Plan mental : je suis engagé et convaincu.
Plan corporel : gestes ponctuateurs,
gestes illustrateurs, posture souple et
ancrée, regard expressif et dirigé vers
l’autre…
Plan vocal : musicalité de la voix, varia-
tions de l’intensité, du rythme et des
intonations, gestion des temps de silence
et mise en valeur des mots clés…

UN EXEMPLE
1. N’avez-vous jamais ressenti un manque d’endurance avec la sensation
que votre coeur s’emballe, une sensation de fatigue en pleine journée,
de tension ou un sommeil difficile ? La raison ? Un excès de glucose.
Selon l’OMS nous consommons quatre fois plus de sucre que la quantité
journalière recommandée, ce qui crée une oxydation intense de l’organisme.
(Peindre / Quoi / Pourquoi)

— 219 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

2. Et imaginez retrouver un sommeil profond, vous sentir débordant d’énergie


et être en pleine forme chaque jour ? Limiter son apport en sucre pendant
10 jours seulement permet d’améliorer considérablement son humeur et sa
santé. (Promettre / Comment)
3.  L’étude du Journal of Clinical Nutrition en 2015 montre que l’arrêt du
sucre permet une augmentation de la concentration et une diminution de
la dépression. De son côté, le Dr Anthony Youn rapporte que la réduction
du sucre diminue l’inflammation chronique liée au vieillissement. Par ailleurs,
la culture de la canne à sucre contribue à la déforestation, à l’érosion du sol
et demande 8 litres d’eau pour un seul petit cube. (Prouver)
4. Aussi, dès aujourd’hui, je vous demande à tous de remplacer le sucre par
du miel et de diviser votre consommation par deux. (Pousser)

3. EXCELLER À L’ORAL

3.1 Une maîtrise parfaite

L‘art d’un discours fort et influent fait ainsi appel à de nombreuses techniques
et compétences, qu’elles soient verbales, corporelles ou vocales. Et une prise
de parole efficace est une prise de parole naturelle, non parasitée par l’obser-
vation constante de sa gestuelle ou de sa voix, ou par des efforts continus de
mémoire, d’analyse et de maîtrise, liés à son sujet. Il ne s’agit pas, en situation,
de faire appel à ses souvenirs ou à sa conscience, mais bien d’acquérir tout
un langage, large et diversifié. Il convient d’assimiler de nouvelles connais-
sances et compétences, comme l’on s’enrichirait d’un vocabulaire plus nuancé
et étendu, afin d’être disponible pour l’autre et pour l’échange. D’où l’impor-
tance de s’entraîner régulièrement en amont et d’intégrer sa pratique à ses
échanges quotidiens.

Multiplier les occasions de pratiquer


Car les compétences à l’oral s’acquièrent avec le temps et l’entraînement, en
multipliant les occasions de discuter, d’échanger, de débattre ou de prononcer
des discours, en développant chaque fois une gestuelle et une voix expressive, en
soignant sa posture, en améliorant petit à petit sa rhétorique, ses descriptions,
ses suggestions, son langage et son argumentation. Il faut pouvoir être non seu-
lement à l’aise sur un plan corporel et vocal, mais aussi maîtriser ses contenus et
les techniques verbales associées.
Cela implique d’entraîner son corps, d’entraîner sa voix et de s’entraîner à porter
un sujet selon des objectifs relationnels différents. Et dans le cadre de la prépa-
ration d’un oral, d’une conférence ou d’une audition quelconque, répéter sa

— 220 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

présentation dans des contextes multiples, face à des personnes différentes,


est très formateur. À condition de ne pas chercher à réciter toujours le même
contenu, mais d’adapter chaque fois son message.

UN EXEMPLE
Alice s’est beaucoup entraînée pour ses différents entretiens d’embauche :
« Ce n’est pas facile de parler de soi. Dès que j’en avais l’occasion, je me
présentais à des amis, à ma famille, à de nouvelles personnes, en essayant
d’être la plus authentique et la plus naturelle possible. Ensuite à chaque
nouvel entretien, je mettais en avant des qualités différentes selon le poste.
Si je devais être face aux clients, je parlais de ma patience et de mes qualités
d’écoute. S’il me fallait gérer une équipe, alors je mettais en avant mon sens
de l’organisation et mon bon relationnel. On ne peut pas tout dire, il faut
sélectionner le plus pertinent selon le contexte et l’interlocuteur. »

Une prise de parole en public, quelle qu’elle soit, ne s’improvise pas. (L’improvisation
elle-même ne s’improvise pas.) Elle demande non seulement une préparation au
niveau des contenus mais aussi une mise en condition mentale, corporelle et
vocale. La question étant alors : comment se préparer concrètement ?

Se mettre en condition
Il ne viendrait pas à l’idée d’un sportif d’entamer un marathon sans entraînement
régulier en amont, ni sans échauffement le jour J. Il en est de même pour le
corps et la voix lors d’une prise de parole, car celle-ci réclame une technique par-
ticulière et une énergie considérable. Un professeur de chant vous dirait qu’une
heure de chant équivaut à une dépense physique de six heures de footing. Ceux
qui ont eu l’occasion de faire des conférences savent à quel point cet exercice
est énergivore. Et un échauffement complet et efficace n’est pas nécessairement
long, mais il mobilise l’être dans sa totalité.

Avant de prendre la parole, je m’échauffe


et me mets en condition.

En pratique : PR – Échauffement et mise en condition


En psycorpophonie relationnelle, l’échauffement invite à incarner son
corps pour l’animer, puis générer cette énergie vocale, afin de passer du
Soi au Hors Soi. Il y a ainsi un mouvement qui part du mental jusqu’au
corps puis à la voix, selon des interactions subtiles.

— 221 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Étape 1 : Présence et ancrage


Je me tiens droit et aligné, enraciné. Je prends le temps de respirer
et de sentir mes appuis dans le sol. (Exercices du chapitre 2 : posture
de l’arbre, le chêne et le roseau, cohérence cardiaque et respiration
diaphragmatique.) J’écoute mes ressentis intérieurs et visualise une
situation relationnelle. (Exercices : le petit bouddha, gestion émotionnelle
et visualisation.)
Étape 2 : Libération des tensions
J’opère de lentes rotations de la tête, puis j’étire mon cou en collant mon
oreille sur mon épaule d’un côté puis de l’autre, seule la tête bouge. J’étire
ma nuque en balançant ma tête vers l’avant puis l’arrière. J’étire mon
dos en croisant les mains et en étirant mes bras le plus loin possible vers
l’avant, puis vers l’arrière. Je termine par de lentes rotations des épaules.
Étape 3 : Échauffement vocal
Je soutiens mon souffle et produit le son « SZ » (S porte le souffle, Z porte
le son) en tenant une note le plus longtemps possible, sans que le volume
ou la hauteur ne varient. Le son ne doit pas s’affaisser, s’intensifier ou se
relâcher. (Exercice : PR – Le Souffle Son.) Je glisse ensuite, sur le son de mon
choix, de mon registre médium aux aigus, puis aux graves,
en soutenant ma voix pour éviter les « cassures » au niveau
du passage entre chaque registre. (Exercice : la sirène.)
(Vous retrouverez l’ensemble de ces pratiques dans le
chapitre 2.) Cet échauffement rapide devrait se faire avant
https://lienmini.fr/
chaque prise de parole. lavedrinev12

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment reconsidérer la présence à soi et le rapport au corps en
contexte scolaire ? Il est pertinent de se questionner sur l’importance du
rituel et la façon d’introduire un échauffement corporel et vocal rapide
en début de cours ou d’activité. (Des pistes sont fournies en ce sens
au chapitre 7.)

Prendre place en soi améliore l’affirmation de soi à l’oral, tout comme le travail
respiratoire permet une meilleure gestion émotionnelle. Et lors d’une prise de
parole en public, la question de la confiance en soi est une question récurrente.
Or, si un travail corporel, vocal ou mental aide à la renforcer, elle est surtout
fortement corrélée au sentiment de légitimité et par conséquent à la maîtrise que

— 222 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

l’on a, ou pas, de son sujet. Pour être à l’aise à l’oral, nous l’avons vu, il faut être
à l’aise avec ce dont on parle.

Maîtriser différentes structures oratoires


Et maîtriser ses contenus, c’est être capable de présenter son propos à la lumière
de différents objectifs, impliquant par conséquent des structures et des tech-
niques verbales différentes, afin de s’adapter selon le contexte et l’interlocuteur.
Plus l’on trouve des manières différentes d’articuler sa pensée, ses connaissances
et ses arguments et plus l’on maîtrise son sujet en profondeur. Alors plus l’on est
préparé et en confiance quant à sa prise de parole.

Plus je m’entraîne à prendre la parole


de manière structurée, plus ces structures
deviennent automatiques et naturelles.
Que l’on souhaite prouver, démontrer, informer, rassurer, convaincre ou per-
suader, il est important de choisir le plan le plus pertinent selon son contenu
et l’objectif poursuivi. Nous en avons expérimenté et approfondi plusieurs tout
au long de ce livre. En voici un petit récapitulatif afin d’aborder cette dernière
phase d’appropriation.

En pratique : La structure d’une prise de parole réussie


Je me souviens, mémorise et utilise les structures précédemment abor-
dées selon mon objectif :
Plan n° 1 : Le chercheur (démarche scientifique) Démontrer
1 – Observations, 2 – Formulation des hypothèses, 3 – Vérification des
hypothèses (sources et expériences), 4  – Conclusion et validation de
l’hypothèse
Plan n° 2 : Le politicien (L’avocat) (discours argumentatif) Convaincre
1 – Introduction : Pourquoi… ? Parce que premièrement X, deuxième-
ment Y… (2 ou 3 arguments maximum), 2 – Développement : une partie
par argument principal renforcé par arguments secondaires (arguments
qualitatifs et quantitatifs, éléments subjectifs, objectifs), 3 – Conclusion
Plan n°  3  : Le vendeur (discours persuasif, résolution de problème)
Persuader
1 – Illustrer le problème, 2 – En exposer les raisons, 3 – Apporter une
solution justifiée par des arguments, 4  – Conclure sur une dimension
émotionnelle afin de susciter une action particulière de la part de l’auditeur

— 223 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

EXERCICE N° 4 : TESTER SON CONTENU


Je prépare en amont différentes questions autour de mon sujet ou de mon entretien.
Je tire au hasard un énoncé et je m’entraîne à ma présentation orale tour à tour
selon ces 3 plans :
Plan 1 : Le Chercheur
Par exemple : « Avez-vous remarqué
que ?… Pourquoi… ? Nous pouvons
supposer que… En effet… De plus,
selon les études… Par conséquent… »
Plan 2 : Le Politicien
Par exemple : « Pourquoi… ? Parce
que premièrement… et deuxième-
ment… En effet tout d’abord, nous
savons que… et les études montrent…
Par ailleurs, sur le second point, on
peut dire que… et j’ai moi-même…
Enfin les experts prouvent que… Par
conséquent… »
Plan 3 : Le Vendeur
Par exemple : « Vous êtes peut-être
confrontés à… et cela a pour effet de…
Selon les experts, les raisons sont… et je pense que… Aussi, si l’on faisait…, nous pour-
rions résoudre… Imaginez l’impact de… Ce serait… Aussi je vous demande de… »
Je suis présent et je soigne ma congruence !

Notez que ces structures peuvent aussi être utilisées lors d’une conférence ou
encore pour expliciter sa démarche ou son parcours à l’occasion d’un entretien
professionnel. Être capable d’argumenter autour de ses choix et de poser un
regard critique objectif sur soi, ses actions ou une situation, sont des compé-
tences très recherchées, quel que soit le milieu professionnel.
Par ailleurs, tous ces plans répondent à un objectif relationnel. Ils sont donc éloi-
gnés des plans scolaires habituels, dont le but est de transmettre l’information et
de présenter ses connaissances et sa réflexion. Ils en sont d’autant plus efficaces.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment résoudre cet apparent paradoxe à l’oral qui consiste à faire
preuve d’esprit critique, à cultiver le doute tout en ayant une posture
affirmée et une attitude sûre de soi afin d’être crédible et de convaincre ?
Faire la distinction entre le point de vue et la valeur personnelle, trouver

— 224 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

de l’assurance à « être » plutôt qu’à « prouver » et être convaincu de la


valeur de sa réflexion bien que reconnue comme faillible, sont essentiels.

3.2 En formation et dans les grandes écoles


Dans notre société, les compétences oratoires sont de plus en plus valorisées.
Lors d’un entretien d’embauche, à niveau technique égal, le candidat le plus à
l’aise à l’oral et dans les échanges sera toujours choisi.

Mesurer l’importance des soft skills


De nombreuses entreprises misent ainsi sur la formation de leurs salariés aux
compétences personnelles et interpersonnelles telles que la capacité de
communication, de prise de parole en public, d’affirmation de soi, de leadership,
d’écoute, de gestion émotionnelle, de collaboration, d’adaptation, de sympathie,
d’esprit critique… On entend ainsi de plus en plus parler des soft skills, ces
compétences relationnelles et comportementales.

À travers des études menées dans plus de 500 entreprises, le psychologue


Daniel Goleman rapporte même que les compétences liées à l’intelligence
émotionnelle seraient plus significatives dans la réussite des managers et
dans celle de l’entreprise, que le quotient intellectuel et les compétences
techniques (puisque normalement possédées par les employés).

Et le savoir-être est devenu aussi déterminant que le savoir-faire ou le Savoir. En


France, sur un plan scolaire, il intègre d’ailleurs le socle commun des compétences
attendues dans le primaire et dans le secondaire. Dans un contexte où, avec l’arrivée
du digital, de la surinformation et de l’hyper-stimulation, on ne peut se permettre
une parole plate ; l’attention du public, quel qu’il soit, étant de plus en plus sélective.
Savoir capter l’attention, convaincre, argumenter, présenter une image crédible, ou
faire preuve d’écoute et d’un fort capital sympathie est aujourd’hui capital.
Par ailleurs, à travers les outils numériques, la connaissance devient accessible
à tous, elle en est d’autant moins valorisée. Et le rôle de l’enseignant, autrefois
détenteur du Savoir, s’est quelque peu transformé. Nos programmes scolaires
sont ainsi passés de l’acquisition indispensable de connaissances à la maîtrise
de compétences. Quant à l’entreprise, elle privilégie de plus en plus la formation
à l’information, avec la mise en contexte et la pratique. Et même si certains
formateurs ne restent que des informateurs, une majorité se tourne vers l’expé-
rience, le jeu de rôle et de nombreux outils notamment employés au théâtre.

Engager une démarche expérientielle


Cette pédagogie de l‘action, dite pédagogie agile, se retrouve aussi dans l’ensei-
gnement supérieur avec la valorisation de l’approche inductive. Et la formation à
l’art oratoire n’est plus seulement réservée aux étudiants en droit ou en sciences

— 225 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

politiques, mais les écoles de commerce et d’ingénieurs, tout comme les universités
ont, elles aussi, leur propre formation. Des concours de Pitch aux concours d’élo-
quence, les grandes écoles se mettent en scène chaque année. Et le président de
l’Université Panthéon Sorbonne à Paris affirme même : « Nous plaçons l’éloquence
au cœur de l’humanisme universitaire. »

La problématique de l’enseignant-formateur
La pédagogie expérientielle semble être tout indiquée concernant l’acqui-
sition des « soft skills », en favorisant les activités en groupe et les qualités
inter- et intra-personnelles. Faut-il alors reconsidérer nos pédagogies
« descendantes » dans la mesure où l’enseignant ne transmet plus seule-
ment un savoir mais accompagne à être ? Et comment mettre en œuvre
cette innovation pédagogique, non seulement au sein des universités mais
de manière plus généralisée, dans des classes souvent surchargées ?
(Tous nos élèves n’ont pas la chance de faire des études supérieures.)
La créativité dont font preuve beaucoup d’enseignants du primaire sur ce
plan est une source d’inspiration : jeu du cadavre exquis à l’oral, carnet
de voyage à présenter en classe, bataille d’oxymores ou chacun propose
l’alliance la plus percutante (magnifique grimace, répugnant bonbon…),
jeux de mimes…

Parallèlement on assiste, un peu partout en France et à travers le monde, à


l’émergence des toastmasters, ces réunions hebdomadaires où l’on pratique
la prise de parole en public afin d’améliorer ses compétences en matière de
communication et de leadership. Tout comme les formations en ligne présentes
sur le sujet fleurissent, avec elles les MOOC (Massive Open Online Course,
formations à distance ouvertes à tous) et les concepts de classe inversée, laissant
le « stagiaire » apprendre et se former à son rythme. Ce qui semble un avantage
même si, dans ce type de cours en ligne, le feed-back y est plus que limité. (Et
en contexte scolaire, les événements récents dus au confinement nous montrent
en quoi cette approche autonome peut creuser les inégalités.) Mais ces moyens
mis en place sont des ressources enrichissantes quant à notre propre formation
et à celle de nos élèves.
Car, vous l’aurez compris, former et se former à la prise de parole en public est
aujourd’hui en vogue. Et le point commun de nombreuses de ces formations est
ainsi essentiellement une approche pratique et ludique, basée sur l’expérience.
Comme l’affirmait Aristote, « ce que nous devons apprendre à faire, nous l’ap-
prenons en le faisant ». Il est donc pertinent de se pencher sur ce que l’on peut
retirer de ces formations, tout comme l’on peut s’interroger sur les limites et les
écueils parfois d’un tel enseignement.

— 226 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

Je m’intéresse aux outils en ligne, aux formations


existantes et aux ateliers de prise de parole
en public pour questionner, enrichir, approfondir
et consolider ma pratique.

Mesurer les bénéfices et les limites des formations à la prise


de parole en public
Ainsi l’un des premiers avantages est la confrontation pragmatique au regard
de l’autre. L’ensemble de ces formations facilite la mise en scène de la parole et,
au fur et à mesure des ateliers, cet exercice devient de plus en plus familier et la
confiance en soi se construit.
Un autre avantage non négligeable est la prise de conscience de la portée de
ce que l’on communique, de sa gestuelle, de sa voix et de son langage verbal,
ainsi que des techniques qui s’y rapportent. Beaucoup d’outils pratiques pour
capter l’attention, intéresser, faire rire, provoquer une émotion, convaincre ou
persuader sont transmis.
Enfin, l’on apprend à s’exprimer clairement, de façon structurée et en un temps
souvent imparti. Certains ont besoin d’un entraînement plus approfondi pour y
parvenir, mais globalement, avec une pratique personnelle régulière et l’obser-
vation de ses pairs, tous y arrivent. La pratique de groupe étant aussi particu-
lièrement fertile, non seulement parce qu’on y reçoit du feed-back sur sa propre
prestation, mais aussi parce que l’exemple de la prestation d’autrui est extrême-
ment riche d’enseignement.

UN EXEMPLE
Pour Maryse : « Je crois que j’ai autant appris en observant les autres qu’en
participant moi-même. Et puis, étant d’un naturel assez introverti, ça m’a
aussi décomplexée, parce que finalement, on fait tous les mêmes erreurs. »

Il est toujours profitable de suivre une formation liée à l’expression orale. Pourtant
beaucoup présentent certaines limites et des écueils qu’il convient d’éviter.

Une réflexion et un développement de la pensée critique limités


Le premier axe de questionnement concerne l’approche, une approche qui est
souvent majoritairement axée sur la forme. Ainsi, la plupart des formations
se concentrent principalement autour d’un travail sur la posture, la respiration,
le regard, la gestuelle, les intonations, l’expressivité vocale et la projection, pour
ensuite se concentrer sur l’objectif du discours, sa structure et les techniques ver-
bales associées : plan adapté à l’objectif, accroche, storytelling, exemples, anec-
dotes, vocabulaire imagé, effets de style, rythme du discours… (Et cela lorsque
les formations sont complètes.)

— 227 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Cette approche peut se concevoir dans les hautes écoles, dans la mesure où le
travail de réflexion critique, d’enrichissement de ses connaissances et de remise
en question de ses contenus s’est fait en amont. Pourtant se justifie-t-il toujours,
pour tous et en tout contexte ?

Une vulgarisation des connaissances liées à l’art oratoire


Cette démarche est généralement défendue au motif que le corps et la voix
seraient prioritaires concernant l’impact du discours. (Et nous avons précédem-
ment traité cette question.)

UN EXEMPLE
Je lisais dernièrement dans le powerpoint d’un cours donné à l’Université
Paul Valéry de Montpellier sur la prise de parole que « l’acceptation de
notre idée n’est due qu’à 7 % au choix des mots » et que « les gestes et
mimiques sont détenteurs de la majeure partie de l’impact : 55 % » (la voix
représentant les 38 % restants). Et ce, en référence à l’expérience célèbre
et souvent citée d’Albert Mehrabian, ici largement généralisée, balayant au
passage l’importance de l’idée elle-même.

La vulgarisation de certaines études et des mécanismes humains conduit ainsi à


un enseignement parfois peu pertinent. Car cette discipline qu’est l’art oratoire
réclame des connaissances et des compétences dans des domaines très variés.
Et un spécialiste de cet art n’est pas toujours spécialiste de la rhétorique, des
neurosciences ou de la physiologie corporelle et vocale.

La problématique de l’enseignant-formateur
De quelle manière la mise en place d’une nécessaire interdisciplinarité
peut-elle répondre aux enjeux d’une discipline aussi riche et diversifiée ? Et
la formation à la prise de parole doit-elle être portée par un cours réservé
ou se joue-t-elle au sein de chaque enseignement selon ses spécificités ?
La formation des enseignants concernant cette discipline peut alors se
poser et fait l’objet du dernier chapitre.

— 228 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

Une méconnaissance des mécanismes physiologiques humains

UN EXEMPLE
L’un des exercices les plus utilisés est celui de l’orateur antique Démosthène,
qui consiste ainsi à parler avec un stylo entre les dents, en essayant de
rendre sa diction la plus claire possible. (La légende rapporte qu’il aurait
placé des cailloux dans sa bouche afin de renforcer son articulation.)
Pourtant, lorsque l’on a quelques connaissances en physiologie vocale,
cette pratique peut questionner à plusieurs niveaux. Tout d’abord le stylo
choisi a-t-il son importance ? Où faut-il le placer précisément ? Y a-t-il des
contre-indications ?
Si le problème d’articulation vient d’un manque d’ouverture et d’un
serrage important de la mâchoire alors cette technique peut très largement
empirer le problème, en augmentant encore la rigidité liée au serrage (et
les douleurs cervicales associées). Si le problème articulatoire est lié à
des lèvres « molles », alors le stylo devrait être placé à la commissure des
lèvres, créant une légère entrave lors de la prononciation, afin de renforcer
la musculature de cette partie-là. Et si le manque d’articulation vient d’une
langue paresseuse, dans ce cas le stylo placé cette fois-ci en travers de la
bouche peut obliger celle-ci à travailler davantage.

La prononciation est le résultat d’une mécanique complexe faisant intervenir à


la fois la langue, les lèvres, la mâchoire, le cou… Et l’on ne peut se contenter de
généraliser pour tous une pratique approximative sans en mesurer les impacts
physiologiques, au prétexte qu’elle est ludique et accessible. Car, vous l’aurez
compris, cette approche vulgarisée en devient grossière et n’est clairement pas
transmise par des spécialistes de la voix.
D’autres nombreux clichés sont aussi véhiculés tels que prendre du miel ou
du citron pour « adoucir » sa voix, alors que le conduit vocal est relié aux voies
aériennes et non digestives. C’est uniquement la gorge qui se trouve « adoucie »,
ce que l’on ingère n’entre pas en contact avec les cordes vocales (pour lesquelles
l’inhalation serait plus appropriée).
On entend aussi qu’il ne faudrait pas trop utiliser sa voix avant une conférence
pour l’économiser. Lorsque l’on sait que c’est justement la pratique qui permet
le renforcement musculaire, cela peut laisser perplexe. Dirait-on à un maratho-
nien de rester allongé les jours précédant une course pour éviter la fatigue ? La
condition physique, comme vocale, s’entretient avec l’exercice. Et utiliser sa voix
de façon régulière et saine la renforce. C’est à l’inverse une mauvaise technique
qui la fragilise.

Des « astuces » souvent réductrices, parfois limitantes


S’ils partent d’une bonne intention, certains conseils sont même totalement
contre-productifs. Ainsi, des formateurs invitent à marquer des pauses selon la

— 229 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

codification suivante  : une seconde pour chaque virgule, trois secondes pour
chaque point… Ce qui a pour effet de dénaturer le sens même de la parole, où
l’on se concentre davantage sur la ponctuation et le comptage de sa diction plu-
tôt que sur le sens et l’énergie qui devraient porter la voix de manière naturelle.
Quant au non-verbal, il n’est pas épargné non plus. On assiste même parfois
à une véritable « gouroutisation » où le plus petit geste, puissant révélateur de
la parole, serait lourd de sens. Des théories très en vogue expliquent, grilles
d’analyse scientifiquement hasardeuses à l’appui, qu’en observant chaque zone
du corps présentant une réaction motrice nous pouvons retrouver précisément
la teneur des pensées situées dans le cerveau humain. Ainsi, l’œil gauche devien-
drait plus petit lorsque les gens sont fermés ou abattus.
Si le corps a son langage, il est prudent de faire preuve de bon sens et d’ap-
préhender le mouvement ou la posture de façon plus large et systémique,
comme la conséquence d’une mécanique globale, d’une intention vers l’autre,
d’un apprentissage social et d’un état physiologique à un temps T. La lecture de
pensée ou le décodage de la personnalité à travers le geste est plus qu’aléatoire.
Car sa fonction, comme le rappelle le professeur Jacques Cosnier, est d’accom-
pagner le discours et de manifester le lien ou l’attention à autrui. Et prendre la
parole avec la certitude que nos gestes peuvent ainsi nous « trahir », nous condi-
tionne à nous concentrer davantage sur notre gestuelle plutôt que sur l’échange
ou l’essence de notre propos.

UN EXEMPLE
Marc fait le bilan d’une formation mal vécue : « Je me concentrais sur mes
gestes, sur ma voix, j’essayais de placer les pauses au bon endroit et de
sourire, et finalement je n’arrivais plus à être naturel. Pire, je n’étais plus du
tout attentif aux signes que m’envoyait le public. »

Je m’interroge sur la pertinence des pratiques


et des exercices que je souhaite mettre en place.

Une parole déconnectée de la relation


Et je déplore, dans beaucoup d’approches, que l’on soit souvent davantage
dans le « jeu de rôle » et la mise en scène du corps, de la voix ou du verbe, plus
que dans le développement de sa pensée, de son esprit critique, de ses réfé-
rences et de la relation à l’autre. Cet autre qui doit être convaincu ou influencé
mais dont on ne se demande jamais ce qu’il peut faire naître, éveiller ou enri-
chir en nous-même. La parole est animée, elle semble incarnée, pour autant
est-elle vraiment le fruit d’une rencontre, d’un engagement ou d’un question-
nement fort soumis à l’exigence de la pensée ?

— 230 —
Exceller à l’oral : l’art du discours

Cette mise en scène du discours conduit certains orateurs à apprendre leur texte
par cœur. Chris Anderson, le directeur des célèbres conférences TED, affirme
qu’il faut environ cinq à six heures pour apprendre le contenu d’une conférence
par cœur et qu’il y a de bons résultats même s’il reconnaît que cette pratique
nous rend moins réactifs au public et aux échanges.
Qu’une conférence s’apparente plus au one man show qu’à un véritable
échange peut être pertinent mais qu’en est-il de toutes les présentations orales
et prises de parole que nous aurons à faire tout au long de notre vie ? Faut-il
maîtriser parfaitement un discours particulier ou faut-il cultiver notre capa-
cité à discourir quels que soient le sujet et le contexte ? Il ne s’agit pas tant
de puiser dans sa mémoire mais bien dans ses connaissances, dans sa capa-
cité d’analyse et sa réactivité. C’est l’esprit qui doit être vif et aiguisé, non la
mémoire.
Certains se contentent d’apprendre les premières phrases de leur introduc-
tion, afin d’éviter le fameux trou noir dû au stress. Et d’autres utilisent un
support écrit. Sur ce point, je vous déconseille fortement d’avoir sous les
yeux votre contenu rédigé. Tout d’abord parce que le mécanisme passif de
la lecture ne fait pas appel aux mêmes zones cérébrales qui permettent au
contraire d’activer la parole et la pensée, ce qui vous couperait de vos res-
sources naturelles.
Ensuite, sur le plan corporel et vocal, l’exposé risquerait de se limiter à une lec-
ture insipide, le regard souvent rivé sur la feuille entravant le lien avec le public.
Car tous n’ont pas le talent d’acteur nécessaire pour apporter suffisamment d’au-
thenticité à un texte lu ou récité. (Ce qui ne nous empêche pas d’avoir la trace
écrite des points principaux de notre discours.)

Une mise en scène trop travaillée


Inversement, il n’y a rien de pire que de donner l’impression que l’on a derrière
soi une solide formation d’orateur. Trop d’effets de langage, de geste ou de voix,
trop de « trucs » techniques et de contrôle de soi nuisent à la sincérité. Lorsque
l’expression ne présente aucune fragilité, aucune hésitation ou faillibilité, elle
semble artificielle. Exceller à l’oral, ce n’est pas viser la perfection. Une prise
de parole excellente n’est certainement pas parfaite. Comme nous parlerions
dans la vie courante, ce sont les petites erreurs, les tics de langage ou les légères
marques d’hésitation qui montrent une certaine authenticité et nous rendent
attachants.
Ce qui ne signifie pas qu’il faille faire preuve de maladresse à l’oral, mais l’humi-
lité de l’orateur passe aussi par la simplicité de son expression. Par ailleurs, la
perfection inspire rarement car elle ne favorise pas l’identification. Et un orateur
qui excelle se doit d’être inspirant.

— 231 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

UN EXEMPLE
Pour Marie, les prestations « formatées » de certains personnages publics
laissent un sentiment de malaise  : « Il n’y a rien de plus désagréable que
d’avoir l’impression d’un discours mis en scène, où le moindre geste et le
plus petit sourire sont calculés. Les “heu” habituels sont remplacés par des
formules alambiquées qui laissent le temps à l’orateur de préparer une belle
réponse bien lisse. Mais cela sonne faux. »

Le jeu oratoire au détriment de la parole juste


Enfin, outre l’aspect souvent cloisonné du travail oratoire, séparant activités
corporelles, vocales et techniques verbales, certaines joutes oratoires, organi-
sées par les grandes écoles, consistant à « descendre » son adversaire à coup
d’arguments ad personam ou ad hominem, me laissent perplexe. J’écoutais
ainsi dernièrement, à l’occasion d’un des plus grands concours d’éloquence juri-
dique de France, une joute entre deux professeurs avocats qui s’affrontaient en
se moquant, en accusant et en tournant en ridicule leur adversaire sur un ton
humoristique.
La prise de parole s’apparente parfois à une prise de pouvoir, où le geste et la
posture visent à « conquérir » le territoire de l’autre, où la voix doit s’imposer et
où le verbe réquisitionne l’espace de la pensée. Ce sont à mon sens les écueils à
éviter lorsque l’on s’engage dans cet apprentissage.

— 232 —
Objectifs

MON COURS DE PRISE DE PAROLE N° 6


https://lienmini.fr/ (SEMAINE 7 À 9)
LAVEDRINE6

Problématique : Comment exceller à l’oral ? Comment maîtriser les techniques


corporelles, vocales, et verbales d’influence au service d’un objectif de communi-
cation ? (Et faire de cette maîtrise une compétence nouvelle.)

OBJECTIFS

• J’apprends à cultiver mes compétences à l’oral afin d’être en mesure d’improviser


une prise de parole structurée, illustrée et argumentée.
• J’apprends à maîtriser des techniques verbales avancées (storytelling, outils rhéto-
riques, argumentation, structures oratoires…) que je peux replacer selon le contexte
et mon objectif.
• Je découvre et expérimente les techniques verbales, corporelles et vocales
d’influence et je suis capable de questionner l’éthique de mes pratiques.

Parcours et progression :
Phase d’appropriation des techniques oratoires
et communication d’influence
1. S’approprier des outils techniques avancés (storytelling, rhétorique,
argumentation, structures…)
2. Mesurer et maîtriser l’impact de la communication d’influence et
acquérir les techniques « marketing » associées
3. Assimiler ces nouvelles compétences oratoires avec l’entraînement
et la répétition

Outils

Exercice n° 1 : Le corbeau et le renard


En pratique : La structure du storytelling, Mon carnet d’anecdotes
Exercice n° 2 : Le style de Molière
En pratique : Le poème de l’orateur grec, Je cultive mon style, L’art de
conclure
Exercice n° 3 : Le vendeur
En pratique : Le vendeur, Les 4P de la lettre de vente, Soigner son S.C.I.
Exercice n° 4 : Tester son contenu
En pratique : PR : Échauffement et mise en condition, La structure d’une
parole réussie

— 233 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

AUTO-ÉVALUATION ET FEED-BACK :
LE BILAN DE MES COMPÉTENCES

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
J’ai une connaissance claire des mécanismes
cérébraux qui sous-tendent la communication.

Je me questionne sur les notions d’influence


M et de manipulation. J’ai connaissance des outils
E d’influence.

N Je sais qui est l’interlocuteur face à moi, je suis


attentif à ses besoins, à son vécu et à sa vision
T du monde.
A
Je parviens à définir un objectif clair.
L
Je suis ouvert d’esprit et j’ai plaisir à interagir.

Je fais preuve d’esprit critique quant à ma propre


formation et aux outils à mettre en place.

Je maîtrise les techniques du storytelling.

Je sais utiliser des figures de style pour apporter


du relief à ma parole.

Je sais à quel moment il est judicieux d’utiliser


la répétition, le contraste ou la rime.
V
Sur un plan littéraire, j’ai le sens du rythme
E (rythme du discours et rythmique des phrases).
R
Je sais adapter la structure de ma prise de parole
B selon mon objectif relationnel.
A Je maîtrise les techniques du copywriting
L (accroche, appel à l’action, bénéfices client,
structure…).

Je sais manier la dimension émotionnelle


du langage à des fins persuasives.

J’écris et je lis régulièrement afin d’enrichir


mon langage et mes compétences littéraires.

— 234 —
Auto-évaluation et Feed-back : Le bilan de mes compétences

Partiellement
d’acquisition
Non acquis
En cours

Dépassé
Mes compétences d’orateur

Acquis
acquis
Je m’échauffe corporellement. Je suis détendu,
j’ai un bon enracinement et une respiration
bien placée.
C
Je sais utiliser un langage non verbal convaincant
O
et crédible. Je maîtrise les gestes d’influence.
R
Je sais occuper l’espace et « animer »
P ma communication sans agitation. Je sais capter
O l’attention et l’intérêt.

R Je sais toucher et soigner la relation


affective à travers ma posture, ma gestuelle
E
et les expressions de mon visage.
L
Je suis congruent et mon langage corporel
est au service de ma prise de parole
et de mon objectif.

Je m’échauffe vocalement avant de prendre


la parole.

Je respire au rythme du discours, de l’action


V ou des émotions véhiculées afin de vivre
ce dont je parle. Je suis congruent.
O
J’ai une voix claire et chantante, je sais déclamer
C
afin de mettre en valeur un texte poétique
A ou des figures de style.
L Je maîtrise les techniques vocales d’influence.

Je sais utiliser la dimension émotionnelle,


sensorielle ou intellectuelle de ma voix
pour toucher, inspirer et persuader.

— 235 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Mon bilan / synthèse


Mes atouts :
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Mes axes d’amélioration :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

Les exercices et pratiques à approfondir (au travers des chapitres 4, 5 et 6) :


..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................
..................................................................................................................

— 236 —
CHAPITRE

7
Animer des ateliers
de prise de parole
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

1. ANIMER UN ATELIER

1.1 Les principes de la PR au cœur


de l’interdisciplinarité

Si vous êtes enseignants, au fur et à mesure des chapitres, vous avez peut-être
fait le lien entre certains des fondements de votre discipline ou spécialité et les
pratiques ou les idées véhiculées ici. Par exemple, les différents raisonnements
déductifs et logiques sont familiers à l’enseignement des mathématiques et des
sciences de manière générale. Tout comme le travail sur la construction du dis-
cours ou sur l’esprit critique et l’analyse documentaire est abordé en histoire-
géographie. Quant à celui sur l’argumentation ou sur les différents niveaux de
langage, il est largement exploré en cours de français.

Intégrer la PR au sein de sa pratique


Parallèlement chacune des différentes disciplines scolaires peut être l’objet d’une
présentation orale, plus élaborée et plus riche que la seule participation ou la
simple récitation de leçon, de propriétés ou de poèmes, mais prenant la forme
d’un véritable atelier de prise de parole en public.
• Pourquoi alors ne pas mettre en place vous aussi cette approche plus globale
en réinjectant véritablement l’oral au sein de votre discipline ?
Ainsi, à travers la prise de parole, les élèves peuvent développer leurs connais-
sances et leur avis personnel sur un point précis du programme. Ils peuvent
cultiver leur curiosité, leur esprit critique et leur sens de la répartie. L’atelier
d’expression orale peut ainsi revêtir la forme du débat, permettant la mise en
lumière d’une problématique propre à sa discipline. Il est prétexte à la réflexion
et à la confrontation des idées. Et il permet la mise en mouvement du corps, de
la voix et de la parole face au groupe.
Cette approche globale est nécessairement en lien avec l’interdisciplinarité
et elle ne se réduit pas au contexte scolaire ou professionnel, mais les méthodes
proposées ici peuvent être aussi utilisées par les formateurs de tout bord. Je vous
propose donc des pratiques à expérimenter pour accompagner et transmettre
autrement, à travers cette discipline qu’est la psycorpophonie relationnelle.

À travers les ateliers que je mets en place,


je respecte les 2 grands principes de la PR.

Servir un objectif relationnel (principe n° 1)


Le premier principe fondamental de la PR est de ne jamais déconnecter la forme
du fond. La pratique sert un objectif relationnel et fait sens sur le plan de la
communication. Elle se compose donc toujours de deux phases :

— 238 —
Animer des ateliers de prise de parole

– Le Soi : il s’agit tout d’abord de prendre place en soi-même pour Être face
à l’autre. Et ce, en développant des compétences particulières à travers une
mise en condition physique, vocale, émotionnelle et mentale. Pour chaque
atelier, il s’agira donc de définir une thématique impliquant une compé-
tence relationnelle telle que développer son expressivité, développer
son empathie, développer sa réactivité, développer son capital sympathie,
développer son aisance, développer sa crédibilité, développer sa capacité
à raconter, développer sa présence et son assurance…
– Le Hors Soi  : cette seconde phase consiste à partir du Soi pour aller
vers l’autre. Pour chaque atelier, il s’agira donc de définir une thématique
impliquant un objectif relationnel. Cet objectif implique certains moyens
techniques à mettre en œuvre et à définir, tels que convaincre, intéresser,
rassurer, inspirer, etc. Aussi qu’attend-on de l’échange ? Souhaite-t-on que
l’autre pense une chose particulière ? Qu’il ressente une chose particulière ?
Qu’il fasse une chose particulière ?…
Parallèlement donner du sens, c’est identifier un besoin derrière la pratique. Et
c’est aussi une manière d’impliquer et de motiver ses élèves ou ses stagiaires.
• Alors, quels besoins sous-tendent la prise de parole ? Se faire accepter,
apprécier, comprendre, respecter ?…

Clarifier son objectif et les moyens associés


Ainsi, en amont de la préparation de votre atelier, je vous propose de remplir
le tableau suivant afin de mettre au clair la thématique et l’objectif que vous
aborderez pour chaque atelier avec les besoins, compétences, moyens et outils
techniques associés.

Thématique Par exemple  : Oser s’exprimer, Servir une intention, Structurer


abordée son discours, Animer un débat…

Objectif Objectif d’action, de compréhension, d’affection ou neutre


relationnel de  divertissement, par exemple  : signer une pétition, nouer
poursuivi une amitié, modifier le point de vue de l’autre…

Par exemple  : besoin de reconnaissance, d’appréciation,


Besoins associés
d’affection, de sécurité…

Moyens, compétences, par exemple : capacité à inspirer confiance,


Moyens,
à convaincre, à persuader, à énoncer ses idées de manière claire,
compétences et
à argumenter, à divertir, à capter l’attention, à toucher…
outils techniques
Et maîtrise des outils techniques associés, par exemple : storytelling,
associés
rhétorique, argumentation, technique vocale, gestuelle, posture…

Mettre en place une pratique globale (principe n° 2)


Ensuite, lors des exercices, la visualisation permet de se plonger dans une situa-
tion relationnelle précise et de se connecter à son intention. Il s’agit d’une véritable

— 239 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

mise en condition mentale et émotionnelle. On ne travaille pas sa voix juste pour


en augmenter sa portée, ou son vocabulaire dans le seul but d’améliorer son
aisance verbale et ses effets de style. Mais la technique doit toujours faire sens et
être connectée à l’ensemble des paramètres qui constituent la parole humaine.
Car le second principe de la PR est de considérer l’humain dans son aspect
holistique. On ne travaille pas sur la voix d’un côté, puis sur le corps et le
verbe de l’autre, mais il est indispensable de mettre en place une pratique qui
stimule simultanément les ressources multiples de l’individu : son corps, sa voix,
ses mots, ses émotions et sa pensée. Chaque exercice a donc une dimension
verbale, corporelle et vocale, faisant appel aux sens et aux affects, comme à la
pensée cognitive. Et ce, au service d’une thématique préalablement définie.

Pourquoi irions-nous réduire et décomposer une pratique,


qui ne l’est pas naturellement, alors que nous pourrions
en faire un outil relationnel à part entière ?
Le temps scolaire est limité. Aussi, plutôt que de multiplier les exercices, il sera
plus efficace d’aborder une seule pratique par atelier, complète et efficiente.
Et essayons d’éviter de décomposer le geste oratoire en utilisant des exercices
disparates, isolés et déconnectés de l’essence même de la parole. Car c’est par
une approche pratique qui fait sens pour chaque participant que l’on peut relan-
cer l’implication et l’engagement et placer ainsi chacun au cœur d’une démarche
qui le concerne et dont il est l’acteur.
Enfin, pratiquer des exercices impliquant le corps, le geste, la voix ou le souffle
en classe apporte une dimension plus large à nos pratiques, qui malheureuse-
ment réduisent souvent l’humain à sa seule dimension cognitive. Or on apprend
aussi avec le corps et avec le cœur.
• Alors, pourquoi ne pas utiliser certains outils de la PR dans d’autres
contextes que le seul atelier vocal ?

DES EXEMPLES
Le rituel d’échauffement et de mise en place en première phase de PR, par
exemple, peut être une excellente entrée en matière pour se concentrer,
prendre place en soi et s’installer dans une activité. Pour Élodie, institutrice,
« démarrer son cours par des exercices de respiration permet aux élèves
d’entrer dans une phase de travail, de se détendre et de se concentrer ».
Pour Philippe, professeur de français : « Je commence toujours les activités
orales, que ce soit lecture d’exposé, théâtre ou récitations, par un rapide
échauffement corporel et vocal. Non seulement les élèves sont plus concentrés
après, mais ils sont aussi plus performants. »

— 240 —
Animer des ateliers de prise de parole

Enseigner autrement
Par la mise en place de rituels, nous nous familiarisons aussi avec des pratiques
qui peuvent être déstabilisantes au début. Si les activités mettant la voix ou le corps
en scène sont ludiques et « impliquantes », elles peuvent mettre certains élèves mal à
l’aise. Et c’est aussi le cas de plusieurs enseignants, qui doivent non seulement gérer
leur propre rapport au corps et à l’émotion mais qui doivent aussi être en mesure
de renouveler leurs pratiques et d’adopter momentanément une posture nouvelle.
Car transmettre un savoir sous la forme d’un cours traditionnel, ou d’une confé-
rence, et animer des ateliers pratiques sont deux métiers bien différents, où la
posture de l’enseignant glisse subtilement vers celle du formateur et parfois de
l’animateur. Les professeurs de sport ou d’éducation musicale sont sans doute les
plus aguerris à ces techniques, qui impliquent la capacité à mettre soi-même en
scène son corps et sa voix dans la gestion de groupes « actifs ».

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment parvenir à dépasser certains freins liés à la mise en place d’ateliers
pratiques ? Par exemple, la peur de perdre en crédibilité et en « sérieux »
si l’on utilise des « jeux » ou celle de perdre le contrôle de sa classe si l’on
instaure des activités impliquant forcément des échanges (parfois virulents)
au sein du groupe et par conséquent du bruit… En installant des pratiques
progressives, on expérimente un nouveau positionnement, un autre regard
sur l’enseignement, et l’on prend confiance en ses capacités.

Animer un atelier implique ainsi de se positionner et d’enseigner autrement.


Aussi, avant de voir plus en détail le contenu de cette activité, il est intéressant de
se pencher sur les techniques d’apprentissages à notre disposition. Car conduire
un atelier d’art oratoire, ce n’est pas seulement donner des consignes pratiques
et laisser ensuite les participants agir, mais c’est conduire le groupe active-
ment d’un niveau de compétences initial vers un niveau plus avancé.

1.2 Techniques d’apprentissage

Le secret pour gérer un groupe efficacement, c’est que chaque individu au sein
du groupe soit impliqué et actif. Et il existe diverses façons d’animer ces temps
de pratique simultanée, où tous sont mobilisés dans un cadre délimité.

Mettre en place une pratique dirigée


La première est directement inspirée des techniques employées par les chefs
de chœur. Elle consiste à utiliser le geste pour conduire le groupe. La plupart
des  enseignants, ou formateurs, n’ont pas toujours conscience du potentiel

— 241 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

immense de notre corps pour communiquer et diriger. Pourtant, nous pouvons


transmettre énormément de cette façon-là.
Le geste est particulièrement adapté aux ateliers impliquant le corps, la voix ou
l’émotion. Il favorise la concentration et permet des temps de silence non pollués
par des consignes verbales qui alourdissent la dynamique d’action. Il correspond
parfaitement à l’instantanéité des activités physiques où montrer est toujours plus
porteur qu’expliquer. Et mimer une consigne ou une indication est assez naturel.

UN EXEMPLE
Pour François, enseignant, le corps est un instrument pédagogique à part
entière  : « Du regard insistant face à l’élève bavard, au doigt qui montre les
consignes au tableau, j’utilise souvent mon corps pour communiquer. Les
élèves sont ainsi plus calmes et plus attentifs. Cela m’évite de participer au bruit
ambiant, à me perdre en paroles inutiles alors que le geste est plus direct. »

Par nos gestes, notre regard ou les expressions de notre visage, nous pouvons
indiquer le départ ou l’arrêt d’une pratique, insuffler une rythmique, illustrer une
intention, un volume ou une émotion particulière, ou encore induire une attitude
corporelle.

UN EXEMPLE
Lors d’une lecture collective dirigée, on peut faire un signe au groupe pour
le départ et indiquer gestuellement les mots clés à mettre en relief. On peut
aussi marquer une pulsation de la main, articuler silencieusement en même
temps que les participants afin d’impulser un tempo, ou suivre d’un geste le
texte indiqué au tableau. Cela permet à tous les élèves d’être synchronisés
lors de leur production.

Et une production d’abord collective permet aux plus timides d’oser projeter leur
voix, de mettre en scène leur gestuelle et de libérer leurs émotions. Car il n’est
pas facile d’oser s’exprimer seul devant les autres et une pratique en groupe,
impliquant le corps, la voix et la parole de manière générale, devrait en premier
lieu être collective avant d’être individuelle.
Notre corps est par conséquent un excellent outil qu’il convient d’explorer. Et il
existe une palette de gestes universellement compréhensibles, largement explo-
rée à travers la pratique musicale, que je vous propose d’expérimenter.

J’utilise mon corps, mes gestes, mon visage et mon regard


pour diriger une production collective impliquant
tous les participants de manière simultanée.
— 242 —
Animer des ateliers de prise de parole

Tout d’abord, un bon ancrage du bas du corps est essentiel. C’est la mobilité de
votre du buste, de votre tête et des membres supérieurs qui va permettre de diri-
ger d’un bras une partie du groupe, d’insuffler de la main une énergie, de balayer
du regard l’ensemble des participants et d’engager chacun.

En Pratique : Impulser un départ


Pour marquer le début d’une phrase et de la production sonore, je visualise
un « écran d’impact » imaginaire face à moi, sur lequel ma main rebondit
pour indiquer une impulsion, en s’élevant légèrement. J’accompagne ce
geste d’une respiration servant de préimpulsion et annonçant le départ.
(Attention à ne pas montrer cette inspiration en relevant la tête ou le corps
comme le fond un grand nombre de chefs de chœur, car cela induirait
une respiration thoracique haute.)
J’illustre l’ouverture de la cage thoracique à l’aide d’une gestuelle d’ouver-
ture, en prenant moi-même une inspiration profonde et diaphragmatique.
Remarque : je peux utiliser ce même geste de rebond pour marquer un
tempo particulier et engager le groupe à accélérer, à ralentir ou à mar-
quer une pause, le silence se manifestant par la fermeture des mains.
Parallèlement, plus les gestes sont amples et plus l’intensité est forte. Plus
ils sont précis et plus l’attention doit se porter sur un mot en particulier,
les mains permettant d’exprimer le phrasé et les nuances.

Certaines écoles, s’appuyant sur les théories « cerveau gauche-cerveau droit »,


attribuent au bras droit la direction de l’aspect rythmique et organisationnel
du discours, tandis que le bras gauche aurait en charge l’aspect plus émo-
tionnel lié au groupe et à l’intention. Et ce, partant du postulat (largement
remis en question) que la partie droite du corps serait naturellement en lien
avec la logique et le rationnel, tandis que la partie gauche serait concernée
par l’aspect subjectif et intuitif.

Le plus pertinent est que vous fassiez vos propres expériences, selon votre
aisance gestuelle, selon votre personnalité et le retour des participants. Leur
feed-back est un des meilleurs indicateurs de l’intelligibilité de vos gestes.

En pratique : Le jeu du chef d’orchestre


Ce jeu corporel et vocal consiste à diriger un groupe (sur un mot ou une
phrase au choix) en indiquant par des gestes les variations de volume,
de hauteur et de rythmique.
Le son est matérialisé par l’espace présent entre mes mains (les poings
fermés correspondant au silence). Plus l’espace est large, plus le volume est
fort et inversement. La hauteur étant quant à elle représentée par la hauteur

— 243 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

dans l’espace. Plus mes mains s’élèvent, plus le son est aigu et inversement.
Enfin, le rebond vu précédemment indique la vitesse d’élocution.
Un exemple : Sur le mot bonjour, je respecte le volume et la hauteur
indiqués par le mouvement des mains, symbolisées par les barres
Fort : I I ; Moyen : I I ; Doux : I I

https://lienmini.fr/
Remarque : Par un glissement du geste, il est possible d’in- lavedrinev13
diquer un glissement des intonations des graves aux aigus ou inversement.

Ainsi, au fur et à mesure de votre pratique, vous affinerez votre direction et enri-
chirez votre gestique, qui gagnera en variété, en précision, en expressivité
et en clarté. Un bon geste est un geste clair, simple, explicite et évident et qui
engage naturellement les participants.
Les émotions sont, quant à elles, directement transmises par l’expressivité de
notre visage. Et par notre propre posture, nous indiquons celle que doivent
adopter les élèves. Car nous reproduisons naturellement l’attitude de ceux que
nous observons. Et il s’agit là d’un autre axe d’apprentissage, sans doute le plus
naturel et le plus porteur : l’apprentissage par imitation.

Favoriser l’apprentissage par imitation


Ainsi que nous l’avons précédemment abordé, le cerveau est directement câblé
pour imiter. À l’aide des neurones miroirs, nous apprenons à communiquer
en mimétisant les exemples vocaux, verbaux et comportementaux de nos congé-
nères. C’est donc une technique à privilégier lors d’un atelier pratique.

Je favorise l’apprentissage par imitation et privilégie


l’expérience plutôt que l’explication.

En pratique : Le jeu du perroquet


Ce jeu consiste à répéter en imitant de façon enchaînée un exemple
sonore et visuel.
Je dis, et les participants répètent de manière identique l’exemple donné.
Je propose une intonation, une expression, une attitude et une gestuelle
particulière. Pour que ce jeu fonctionne, j’impulse un tempo précis et
régulier pour que la réponse collective soit synchronisée et cadrée.
L’exercice doit s’enchaîner sans temps mort, comme l’on apprendrait

— 244 —
Animer des ateliers de prise de parole

une poésie à un enfant, en ajoutant chaque fois la phrase suivante. Au


bout de l’exercice, les participants ont mémorisé le texte, la gestuelle et
les intonations associées.
Une astuce : lorsque la réponse des participants n’est pas à la hauteur
de ce que vous attendez, n’hésitez pas à exagérer votre proposition
initiale soit dans le même sens (plus fort, plus énergique, plus expressif,
plus mouvementé…), soit en sens inverse pour ensuite revenir à votre
proposition initiale et utiliser ainsi le contraste. De la même manière, n’ayez
pas peur d’entrer dans la caricature. Cela facilitera la reconnaissance des
paramètres corporels et vocaux et par conséquent leur reproduction. Cela
donnera aussi un aspect plus ludique au jeu.

Ce type d’apprentissage implique que nous soyons à même de fournir un


exemple de qualité, la progression des participants étant limitée à nos propres
propositions. Cependant, il est possible d’affiner notre production au fur et à
mesure de l’exercice, selon le retour du groupe qui nous permet de percevoir ce
que nous devons modifier, exagérer ou préciser dans notre exemple.
Une astuce : lorsque nous ne nous sentons pas à l’aise avec certaines propositions,
il est possible de fournir des exemples à modéliser à travers des supports vidéo par
exemple, pris dans l’actualité ou le cinéma (discours politique, extraits de film, etc.).

La problématique de l’enseignant-formateur
Il est pertinent de s’interroger sur ses propres compétences oratoires et
sur la manière de les renforcer, afin d’être soi-même un exemple inspi-
rant et un modèle d’apprentissage. La formation à la prise de parole est
naturellement inductive et la démonstration prévaut sur l’explication. Une
formation personnelle peut être à envisager.

Multiplier les jeux oratoires collectifs


Parallèlement, la mise en place régulière de petits jeux oratoires permet de déve-
lopper ses capacités d’improvisation et son aisance à l’oral.

DES EXEMPLES
Le billet d’humeur, souvent pratiqué en formation, consiste à exprimer
rapidement son humeur du jour, ou son retour d’expérience depuis la
séance précédente. L’objet insolite, lui, conduit à décrire et à montrer
la valeur d’un objet de son choix, que l’on présente aux autres. On peut
aussi pratiquer le débat express qui propose de fournir le plus possible
d’arguments, défendant ou réfutant une thèse donnée, en un temps limité.

— 245 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Ces jeux ludiques et formateurs proposent à chacun de se familiariser avec la


prise de parole. Au fur et à mesure des séances, ils permettent de réduire consi-
dérablement le stress à l’oral même chez les sujets les plus timides.
Lors de ces exercices, impliquant des passages individuels (dirigés cette fois-ci
par des consignes), il est pertinent de mobiliser l’ensemble du groupe. Celui qui
écoute se forme autant que celui qui pratique :
– en expérimentant l’écoute active,
– en s’exerçant à questionner et à reformuler,
– en apprenant à fournir un retour constructif selon une grille d’évaluation
fournie (proposée plus loin). Car le jugement se pose toujours sur des points
techniques objectifs, non sur des valeurs ou des impressions personnelles.
Et le retour s’exprime en termes de points positifs et d’axes d’amélioration.
Ainsi, le principe même d’évaluation invite les participants à affiner leur sens
critique, à développer leur capacité à observer, à formuler un retour bienveillant
et à se questionner sur la forme autant que sur le fond. Parallèlement, ces pas-
sages sont pour l’orateur l’occasion de recevoir un feed-back constructif de sa
prestation. Et il peut même être très porteur, dans le cadre du travail en îlot,
de laisser des petits groupes travailler en autonomie, tant sur la construction de
la prise de parole, que sur les différents passages à l’oral et leur évaluation.

Je mobilise tous les participants en attribuant


un rôle à chacun et en favorisant
le travail collectif et en autonomie.
Développer la connaissance des outils théoriques
La pratique et l’expérience sont essentielles. Pour autant, il ne suffit pas de faire pour
apprendre. Comme le soulignent les spécialistes de l’apprentissage expérientiel,
apprendre suppose des connaissances acquises en amont par un travail intellectuel.

L’écrivain Alain Kerjean, qui a introduit en 1986 en France ce courant


de l’Experiential Learning, souligne l’importance de la mise en pratique
mais également de la réflexion autour de cette pratique et de ses résultats.
Une démarche réflexive impliquant une distanciation et une conceptualisa-
tion de l’action est nécessaire.

Ces temps de réflexion peuvent se faire au sein d’ateliers réservés à l’échange


collectif autour des grandes problématiques abordées.

UN EXEMPLE
On peut conduire les élèves à réfléchir et à échanger sous forme de questions-
réponses collectives autour de problématiques telles que la confiance en soi,
l’esprit critique, l’art de raconter des histoires, l’impact de l’émotion, la portée
du corps, de la voix, du langage…

— 246 —
Animer des ateliers de prise de parole

Cette démarche réflexive et l’acquisition de connaissances nouvelles peuvent


aussi se faire en classe d’une façon plus traditionnelle, ou hors classe, à l’aide de
support de cours fournis sur les éléments théoriques.

DES EXEMPLES
Quelques propositions de cours à fournir : les différents types de discours, les
techniques d’argumentation, les techniques du storytelling, la suggestion,
les techniques corporelles et vocales, l’art d’introduire et de conclure…

Les adeptes de la classe inversée peuvent d’ailleurs proposer ces éléments


hors temps scolaire à l’aide de capsules vidéo et de cours en ligne. Et ce, dans le
but de réserver le temps collectif en présentiel aux ateliers pratiques.

L’approche de l’association TMI (ToastMasters International) mérite qu’on s’y


intéresse. Sa particularité est de favoriser une collaboration communautaire.
Des manuels de cours sont proposés aux membres, mais lors des réunions
il n’y a pas de formateur au profit de l’entraide et de la coopération entre
participants qui s’évaluent et se guident mutuellement. Ce fonctionnement
novateur place l’individu au cœur de sa progression personnelle.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment sortir de l’habituelle posture descendante de l’enseignant et
quelle posture d’accompagnant adopter ? Les techniques de leader-
ship développées en entreprise peuvent être des pistes intéressantes à
explorer, en particulier en matière de leadership visionnaire, collaboratif
ou participatif. (Ces pratiques sont développées dans le livre Assumer
son autorité et motiver sa classe, De Boeck Supérieur).

2. CONSTRUIRE UN ATELIER

2.1 Structure d’un atelier d’expression orale

J’ai longuement expérimenté diverses manières d’articuler des ateliers de prise


de parole, qui ne soient pas qu’un temps de pratique ludique avec un ensemble
d’exercices cloisonnés, mais qui permettent réellement, de la façon la plus effi-
ciente qui soit, d’intégrer des compétences multiples et globales avec une pro-
gression satisfaisante. Et je vous propose de découvrir cette structure, porteuse

— 247 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

et efficace pour les formateurs, coachs ou enseignants que j’ai pu accompagner


depuis plusieurs années.

Structurer sa pratique
Celle-ci se déroule en cinq temps, avec deux premières phases ritualisées permet-
tant, au fur et à mesure des séances d’installer rapidement cet état de concentra-
tion, de présence et le climat de confiance nécessaire à l’expression orale. Les
formats proposés ci-dessous correspondent à un atelier d’environ une heure. Mais
la durée est adaptable et dépend du nombre de participants. (Le nombre idéal
serait de dix maximum, afin de pouvoir fournir un feed-back à tous, mais j’ai bien
conscience qu’en contexte scolaire, il est parfois difficile de respecter ce quota, tant
les classes sont chargées, d’où l’intérêt du travail en îlot pour les phases 3 et 4.)

En pratique : La structure d’un atelier de prise de parole


1. Phase d’accueil : environ 5 à 10 min
Présentation de la problématique et des objectifs de la séance et ressenti
des participants
2. Le Soi : environ 10 à 15 min
Phase d’échauffement et de mise en condition vocale, corporelle, émo-
tionnelle et mentale
3. Le Hors Soi : environ 15 à 30 min (selon le nombre de participants)
Atelier pratique autour d’un objectif relationnel défini
4. Feed-back et auto-évaluation de sa performance : environ 10 min
Retour du groupe et auto-évaluation à l’aide d’une grille fournie
5. Prescription : environ 5 min
Mise en place du travail à poursuivre à l’issue de la séance et annonce
de l’atelier suivant.
Le timing est fourni à titre indicatif et peut varier selon la thématique
choisie, le nombre de participants et la place de l’atelier au sein d’une
progression plus large. Pour un premier atelier par exemple, les phases 1
et 2 seront plus longues, et la phase 3 réduite.

S’approprier les différentes phases

La phase d’accueil
Ainsi l’objectif de la phase d’accueil, au-delà de présenter le contenu de l’atelier,
est d’engager les participants en les impliquant autour d’une problématique qui

— 248 —
Animer des ateliers de prise de parole

les concerne. C’est-à-dire en lien avec des besoins humains. Il s’agira donc de
répondre à la question « comment » et d’illustrer plutôt que d’expliquer. (Vous
retrouverez ces problématiques et objectifs dans les fiches de cours présentes
à chaque fin de chapitre.)

DES EXEMPLES
L’accroche  : si l’objectif de l’atelier est d’apprendre à débattre, nous
pouvons « accrocher » l’attention de tous en demandant  : « Comment
pourriez-vous développer votre sens de la répartie, pour être à l’aise lorsque
vous êtes critiqué ? » ou encore « Comment défendre votre point de vue
pour être écouté et reconnu ? ».
Les techniques d’accroche du discours sont ainsi efficaces lors de la « mise
en scène » de nos propres ateliers.
L’exemple concret : si l’atelier porte sur l’affirmation de soi à l’oral, alors
parler avec une voix faible, le corps fermé, le regard fuyant et un vocabulaire
maladroit, pour ensuite adopter une posture ancrée, une gestuelle riche
et souple, une voix vibrante et claire et un langage construit et percutant,
permettra par effet de contraste d’illustrer clairement le thème de l’atelier.
Demander ensuite aux participants ce qui a changé dans nos deux
propositions, les conduira, non seulement à développer leur sens de
l’observation et à se questionner, mais aussi à s’engager et à participer.

Ainsi, cette phase d’introduction est déjà un exercice oratoire à part entière,
laissant la parole à l’élève. Certains formateurs utilisent aussi ce temps d’accueil
pour recueillir le ressenti des participants ou le feed-back lié à leur expérience
personnelle depuis le dernier atelier. Ces derniers sont alors amenés à exprimer
leurs difficultés, leurs forces, leurs astuces, leur vécu et leurs émotions.
La durée de cette phase dépendra donc de votre objectif et des participants eux-
mêmes. En effet, cette partie ne requiert non seulement pas de compétences tech-
niques, mais elle permet une mise en confiance et aide à libérer la parole. Aussi,
il est logique qu’elle soit plus longue au cours des premiers ateliers et qu’inverse-
ment, elle se réduise au profit de la phase 3, avec l’avancée de l’apprentissage.

L’animation de mon atelier lui-même respecte les points


clés d’une prise de parole réussie avec l’utilisation
d’accroches et d’appels à l’action.

La phase 2 : Le Soi


La phase suivante permet non seulement une mise en condition et un échauf-
fement indispensable avant tout travail, mais elle aide aussi à prendre contact
avec soi, à mieux se connaître et à s’écouter, à se connecter à son corps, à sa
voix, à sa respiration, à sa parole et à son intention. Au cours de cette deuxième

— 249 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

phase, la visualisation est très importante. Par l’utilisation d’images, de sug-


gestions, nous pouvons conduire les participants à renforcer leur présence, leur
affirmation et leur sentiment de force et de sécurité. (Les chapitres 1 et 2 pro-
posent de nombreuses pistes à ce sujet.)
Si l’échauffement, détaillé dans le chapitre précédent, est chaque fois identique
pour les différentes séances, les visualisations associées seront, elles, en lien avec
l’objectif et la thématique de l’atelier.

DES EXEMPLES
Pendant l’exercice d’ancrage, on peut proposer de :
– visualiser son rayonnement et son ouverture à ce qu’il se passe autour,
si l’on souhaite par la suite aborder la question du capital sympathie ou
de l’écoute ;
– visualiser sa force et sa solidité dans le sol, si l’on traite par la suite de
l’affirmation de soi ;
– se connecter à ses convictions dans le but ensuite d’argumenter.
Chaque élément technique peut, de cette manière, être mis en lien avec
l’objectif relationnel et les besoins associés.

La pratique est, par conséquent, toujours globale et la personne est investie corpo-
rellement, intellectuellement et émotionnellement. Les pratiques de PR conduisent
d’ailleurs du Soi (phase 2) au Hors Soi (phase 3) et peuvent ensuite être complé-
tées par la réalisation d’un discours en public, selon la thématique abordée.

La phase 3 : Le Hors Soi


Car cette troisième phase constitue le cœur de l’atelier pratique avec une mise
en situation concrète de prise de parole, prenant en compte une intention
relationnelle : rassurer, apaiser, dynamiser, inciter à l’action, capter l’attention,
convaincre, persuader … (Les nombreux exercices proposés tout au long des
chapitres 4, 5 et 6 trouvent naturellement leur place dans cette phase-là.)
Cette partie marque le passage d’une pratique collective à une pratique indi-
viduelle où le travail en îlot et l’auto-évaluation prennent tout leur sens. Même
pour un discours de trois minutes, les passages individuels sont très chrono-
phages, et si le nombre de participants est trop important, nous ne pourrons
malheureusement pas faire passer tout le monde, d’où la nécessité de former des
groupes autonomes à même de gérer ces passages.

UN EXEMPLE
Placés en autonomie par groupe de quatre, les élèves peuvent tour à tour
prendre le rôle de l’orateur ou de l’observateur sur un exercice ciblé tel que :
argumenter avec l’exercice n° 2 du chapitre 4, ou l’exercice n° 3 plus avancé
du chapitre 5. Un feed-back est proposé à l’issue de chaque passage par le

— 250 —
Animer des ateliers de prise de parole

groupe, impliquant le développement des compétences de tous. (Une grille


d’observation est fournie en amont pour chaque élève.)

La phase de Feed-back
Le quatrième temps de l’atelier est ainsi une période de feed-back et d’auto-
évaluation de sa performance. Outre les supports donnés à cet effet aux par-
ticipants, il est nécessaire de mettre en place une charte éthique impliquant
un retour aidant et positif de la part du groupe, reconnaissant les points forts et
proposant des pistes d’amélioration. Être jugé par ses pairs étant probablement
l’une des choses les plus difficiles qu’il soit, mais entendre de l’autre ce que
l’on fait de bien et recevoir des conseils pour progresser est particulièrement
constructeur de la confiance en soi.

UN EXEMPLE
Quels sont les points forts de sa prise de parole ? Qu’est-ce qui vous a
touché ? Qu’avez-vous retenu ? Quelles sont ses qualités d’orateur ?
Qu’est-ce qui peut être amélioré et comment ?

En parallèle de ce feed-back collectif, s’auto-évaluer sur des critères précis


est une manière aussi de se distancier de sa « valeur », pour se concentrer sur la
technique et des compétences particulières à maîtriser. C’est une manière aussi
de développer son écoute, son sens de l’auto-observation et son objectivité. (Les
grilles d’auto-évaluation sont fournies à l’issue de chaque chapitre dans les
fiches de cours, d’autres sont présentes en annexe.)

La prescription
Enfin, la séance s’achève sur un temps de « prescription » qui propose à cha-
cun des pistes de travail et des exercices personnalisés à pratiquer à l’issue de
la séance, selon le bilan de l’auto-évaluation. Une pratique hors atelier est
indispensable, car les compétences oratoires se cultivent avec un entraînement
régulier. C’est aussi la raison pour laquelle les séances ne devraient pas être trop
espacées.

UN EXEMPLE
L’élève a des difficultés à projeter son souffle et sa voix ? Les pratiques de
respiration du chapitre 2 et les exercices vocaux du chapitre 4 peuvent être
proposés.
L’élève a des difficultés à gérer son stress ? Les pratiques de respiration et
de visualisation du chapitre 2 sont proposées.
Il n’est pas à l’aise avec son corps ? Les pratiques autour de la posture
(chapitre 2) et de la gestuelle (chapitre 5) sont adaptées. Etc.

— 251 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Ce temps inter-séances peut aussi permettre la recherche de contenu, d’argu-


ments, de références, de citations, nécessaires à la préparation de son sujet. Pour
cette phase de prescription, nous devrions avoir une vision claire de l’ensemble
des ateliers à venir, afin de pouvoir planifier le travail préparatoire à ces futures
séances, que ce soit la préparation de contenus ou l’acquisition d’outils techniques.

Je suis une structure précise,


anticipant le travail futur des participants.
Et je peux ainsi m’adapter selon le niveau
de compétences de chacun.

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment parvenir à gérer les différentes contingences de temps et
d’espace nécessaires au passage d’une pratique collective à une pratique
individuelle et au travail en îlot avec des groupes pouvant aller jusqu’à
30 élèves ? Sortir de la classe pour « élargir » l’espace, pratiquer en exté-
rieur ou disposer de plusieurs salles, sont des pistes à explorer pour per-
mettre à chacun de pratiquer, tout en gérant les problématiques de bruit
et de temps. Parallèlement, la question des demi-groupes et des moyens
alloués à cette discipline au sein de chaque établissement se pose.

Enfin, cette structure est donnée à titre indicatif. C’est celle que j’ai mise au point
et que j’utilise, mais vous pouvez tout à fait l’adapter selon vos contraintes et
contingences personnelles.

2.2 Construire une progression

Mettre en place une progression


Il existe ainsi une progression au sein d’un atelier respectant non seulement cette
dynamique du Soi vers l’autre mais empruntant aussi le cheminement pédago-
gique suivant :
1. sentir et percevoir,
2. comprendre et expérimenter,
3. apprendre et assimiler (à travers l’expérimentation et la théorisation).
Parallèlement, le degré d’inhibition des participants doit être pris en compte.
Certaines pratiques réclament d’être à l’aise avec son corps, sa voix et ses mots
face au regard de l’autre. Aussi, prendre en compte cet aspect, c’est engager
d’abord une pratique collective, ainsi que nous l’avons vu, permettant à l’individu
de se fondre dans la masse. Mais c’est aussi choisir en premier lieu des exercices

— 252 —
Animer des ateliers de prise de parole

compatibles avec les personnalités timides et introverties de nombreux élèves ;


les pratiques réclamant un certain degré de désinhibition devant se faire dans un
second temps.

DES EXEMPLES
De l’inhibé (I) vers le désinhibé (D) :
Ò Sur un plan verbal, la lecture (I) est plus accessible que la parole
improvisée (D).
Ò Sur un plan corporel, la posture assise et les mains occupées par des
notes ou un stylo (I) seront plus confortables que de se déplacer face au
public avec une gestuelle large et expressive (D).
Ò Sur un plan vocal, un registre médium et un volume moyen (I) seront plus
sécurisants que de produire des sons avec une forte intensité dans les
sur-aigus (D) par exemple.

Je respecte une progression au sein de l’atelier :


du Soi vers le Hors Soi, de l’inhibé vers le désinhibé,
de la perception à l’expérimentation à l’apprentissage.
Et la pratique elle-même, comme c’est le cas lors de l’échauffement, respecte
aussi le mouvement suivant : du corps à la voix, puis de la voix aux mots. Notre
corps est en quelque sorte l’instrument que l’on accorde avant de produire un
son. Notre voix est ensuite l’énergie, la vibration et la « chair » de la parole. Et
l’expression orale s’installe ainsi dans « la matière » pour devenir acte oratoire,
l’intention et la pensée étant en amont de cette action. Il y a donc là aussi une
progression impliquant d’abord un véritable travail de préparation mentale et
de nourriture intellectuelle qui prennent ensuite naissance dans le corps pour
conduire à la parole.
Cette notion de progression implique aussi que les difficultés techniques soient
ajoutées progressivement, et ce, uniquement lorsque l’élément technique en
cours est maîtrisé. Si la pratique reste globale, on ne peut cependant concevoir
un travail efficace et approfondi sur l’intention par exemple, alors que les tech-
niques d’ancrage, de respiration et de projection vocale ne sont pas acquises.
Tout comme on ne peut se lancer dans un discours sans avoir préalablement
nourri sa pensée et sa parole.

Construire un cycle d’atelier


La progression se conçoit donc aussi sur un ensemble d’ateliers. Car mettre
en place un atelier unique, de façon isolée s’apparente plus à la découverte
qu’à l’apprentissage. Acquérir de nouvelles compétences implique une démarche
progressive, qui idéalement devrait comprendre au moins six ateliers, avec une
période maximale de quinze jours entre chaque atelier afin de ne pas perdre le
bénéfice de la progression.

— 253 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Un premier atelier découverte


Le premier atelier permet ainsi de sentir, de percevoir son corps et ses émotions,
de se connecter à ses ressources et de prendre conscience de sa communica-
tion et de ce que l’on projette. Il permet un état des lieux et la découverte de ce
qu’est l’art oratoire à travers des exemples concrets. Il devrait aussi fournir l’élan
nécessaire et l’envie de s’engager dans cet exercice riche et formateur et définir
des objectifs. Enfin, il est pour le formateur un excellent indicateur du niveau des
participants et des futures activités à mettre en place.

UN EXEMPLE
Un premier atelier découverte peut explorer les notions de posture, de
respiration, de technique vocale, d’ouverture et d’intention à travers
l’échauffement, puis de gestuelle et d’aisance verbale sur une présentation
improvisée. Il permet une prise de conscience des différents paramètres
verbaux, corporels et vocaux. (Les éléments du chapitre  3 peuvent être
abordés.)

C’est à l’issue de cet atelier que devraient s’engager une réflexion et un travail
approfondi sur ses futurs contenus. Cette démarche intellectuelle sera présente
tout au long du parcours.

Des ateliers thématiques


Ensuite, selon une progression adaptée au public et corrélée au nombre de
séances possibles, les ateliers suivants devraient balayer l’ensemble des thé-
matiques relationnelles abordées et servant une intention : capter l’attention,
intéresser et divertir, informer, convaincre, persuader… (Des exemples sont pro-
posés plus loin dans le tableau « Un exemple de progression à compléter ».)
Chaque atelier est spécifiquement orienté sur une thématique en particulier et
respecte une progression sur le plan technique.

En pratique : Suivre une progression technique


Au fur et à mesure des ateliers, j’introduis les éléments techniques selon
une progression :
– niveau 1 : posture, ancrage, respiration, projection de la voix, libéra-
tion des blocages, gestuelle souple et ouverte, esprit de curiosité et
regard critique, lecture à voix haute et capacité à décrire et à raconter
brièvement un événement personnel…
– niveau 2 : gestes illustrateurs, ponctuateurs, gestion du volume, de la
hauteur, de la rythmique du débit, du timbre et des expressions faciales,
congruence et capacité à structurer et à référencer son discours, maî-
trise des techniques de description, narration, argumentation…

— 254 —
Animer des ateliers de prise de parole

– niveau 3 : maîtrise de l’ensemble des paramètres techniques au ser-


vice d’intentions et d’objectifs relationnels variés, maîtrise des outils
d’influence…

Un atelier de bilan final


Enfin, l’atelier final devrait permettre une synthèse des compétences techniques
acquises lors du parcours à travers une mise en pratique sous forme de joute
oratoire ou de concours d’éloquence par exemple, ou encore d’examen blanc,
dans le cadre d’une épreuve orale.

Je mets en place un cycle d’ateliers, selon une progression


conduisant d’un état des lieux à une maîtrise technique
de la prise de parole en public.
Cette progression se retrouve à travers les différents chapitres de ce livre et peut
tout à fait vous inspirer. Pour autant, vous n’êtes pas obligés d’utiliser tous les
éléments proposés au sein de chaque chapitre pour construire vos ateliers, mais
choisissez ceux avec lesquels vous êtes le plus à l’aise.

Un exemple de progression à compléter


(Pour chaque proposition d’atelier, vous trouverez les pratiques, exercices et
outils à selectionner au sein du ou des chapitres indiqués.)

Échauffement Pratique Feed-


Accueil Prescription
(Soi) (Hors Soi) back

Atelier 1 : Découverte


(Chap 1/3)

Atelier 2 : Oser


s’exprimer
(Chap 2)

Atelier 3 : Soigner


l’échange (réactivité
et but relationnel)
(Chap 3/4)

Atelier 4 : Servir


une intention : capter
l’attention et intéresser
(Chap 5/6)

— 255 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Échauffement Pratique Feed-


Accueil Prescription
(Soi) (Hors Soi) back

Atelier 5 : Servir une


intention : convaincre
et Persuader
(Chap 5/6)

Atelier 6 : Structurer


son discours :
art d’introduire
et de conclure
(Chap 6)

Atelier 7 : Pratique


finale : Concours
d’éloquence
(Chap 6)

Cette proposition est fournie à titre d’exemple et vous pouvez tout à fait consa-
crer plusieurs ateliers à la même thématique. Vous enrichirez ensuite vos propres
cycles d’ateliers au fur et à mesure de votre pratique et de votre expérience.

3. FEED-BACK ET ÉVALUATION

3.1 Évaluer et fournir un feed-back

Lorsque l’on anime un atelier oratoire, la question de la légitimité se pose sou-


vent (et il est plutôt sain qu’elle se pose).
• Comment, sans être coach vocal, prétendre gérer le corps et la voix des
participants ?
• Comment, sans être spécialiste de la rhétorique, en enseigner les
techniques ?
• Comment parvenir à guider et à évaluer le langage corporel sans être
expert du non-verbal ?

Comment puis-je me sentir légitime


à mener des ateliers de prise de parole en public
sans être moi-même spécialiste de cette discipline ?
En réalité, vous possédez déjà certaines compétences. Notre cerveau est pro-
grammé pour évaluer en une fraction de seconde les signaux divers de la

— 256 —
Animer des ateliers de prise de parole

communication et nous repérons intuitivement les signes d’incongruence. Nous


sommes tous capables, à moins de troubles neurologiques particuliers, d’identi-
fier les différents paramètres non verbaux et paraverbaux, comme chaque ensei-
gnant a la capacité à évaluer la richesse du langage, la qualité d’un argument ou
la structure d’un discours.
De plus, outre les éléments théoriques et pratiques apportés ici, et la formation
personnelle engagée en amont, il est nécessaire de déterminer ce qui est à notre
portée et ce qui ne l’est pas. Vous n’êtes ni kinésithérapeute ni phoniatre par
exemple, et vous n’allez pas poser un avis médical ou identifier certaines patho-
logies, mais vous pouvez, avec quelques connaissances techniques et un bon sens
de l’observation, faire un diagnostic corporel et vocal.

Le diagnostic corporel et vocal

En pratique : Identifier les problèmes vocaux


On ne peut isoler la voix du corps et la plupart des problèmes vocaux
sont ainsi liés à une mauvaise respiration ou à un serrage au niveau de la
gorge ou de la mâchoire, conséquence de tensions corporelles multiples.
Pour les identifier, il convient donc d’observer principalement la posture
d’une part et le son de la voix de l’autre.
1. J’observe
– les blocages physiques et vocaux : les différents blocages se repèrent
aux tensions corporelles, à une attitude crispée, à une gestuelle rigide
ou figée, à un visage fermé et une mâchoire serrée.
– les problèmes de respiration : ils sont présents lorsque les épaules se
lèvent ou que le ventre se creuse à l’inspiration, il s’agit d’une respiration
haute qu’il convient de corriger.
– le forçage vocal  : on observe le forçage vocal à une protrusion du
menton ou une hyper-extension de la tête pour compenser le manque
de projection sonore, conséquence le plus souvent d’une absence
d’alignement et un affaissement du torse.
2. J’écoute
– les blocages corporels et vocaux  : ils s’entendent au faible volume
d’une voix « éteinte », au son étouffé ou à un son de gorge serrée, une
voix « serrée ».
– le forçage vocal : cette posture de compensation se perçoit à un volume
fort, une voix « criarde » et forcée avec parfois des signes d’essouffle-
ment et une voix haletante.
– la fatigue ou les « blessures » au niveau des cordes vocales : on les
repère à un certain « souffle » sur la voix, une voix éthérée lorsqu’il y
a un mauvais accolement au niveau des cordes vocales, ou une voix
éraillée ou cassée lorsqu’il y a des nodules.

— 257 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Il est ainsi possible de repérer certains problèmes et d’accompagner les par-


ticipants vers une production vocale saine, en corrigeant leur posture ou leur
respiration. Tout comme nous pouvons conseiller à un élève qui présenterait un
« enrouement » récurent de consulter un phoniatre.
Et faire un diagnostic corporel et vocal implique donc d’identifier dans un pre-
mier temps les différents blocages, mais aussi dans un second temps, d’évaluer
l’impact des multiples paramètres du corps ou de la voix sur la communication.
(Vous pourrez retrouver l’ensemble de ces outils au chapitre 3.)

L’auto-évaluation
Parallèlement, le formateur n’est pas tout-puissant, l’élève lui-même est aussi
l’acteur principal de sa propre progression. Et notre rôle consiste essentiellement
à conduire cette démarche d’apprentissage en apportant les éléments techniques
nécessaires d’une part, mais aussi, de l’autre, en favorisant l’expérimentation et
en développant l’autonomie, à travers des activités permettant de :
– cultiver l’esprit critique et le sens de l’observation,
– générer une prise de conscience,
– acquérir les outils permettant de poser un feed-back constructif sur sa
propre production et celle de ses pairs.
• Comment alors aider l’élève à développer ces compétences d’analyse et à
affiner son sens critique ?
• Comment cultiver sa capacité à s’auto-évaluer et à faire preuve d’autonomie
dans sa propre démarche ?
Développer son sens critique et sa capacité à observer implique non seulement
de connaître précisément les éléments techniques sur lesquels porter son atten-
tion, mais c’est aussi questionner le discours et poser un regard curieux et ana-
lytique tant sur la forme que sur le fond, afin d’émettre un avis personnel. Nous
pouvons ainsi conduire les participants à relever, sur un plan formel, la gestuelle,
la posture, les qualités vocales, le niveau de langage, la structure du discours, le
niveau d’engagement et de congruence… Sur le fond, ils peuvent observer la
qualité des arguments, la richesse des informations et des références, l’équilibre
entre l’intellectuel, le sensoriel et l’émotionnel et par conséquent, le niveau de
crédibilité et de sympathie.

L’évaluation complète
Il est pertinent de fournir chaque fois un questionnaire ou une grille permettant
l’évaluation des pairs ou l’auto-évaluation de sa pratique selon l’objectif pour-
suivi et la thématique abordée. (En plus des outils fournis en fin de chapitre,
vous trouverez plusieurs grilles en annexe.)

— 258 —
Animer des ateliers de prise de parole

En pratique : Évaluer une prise de parole


Sur la forme
L’introduction présente-t-elle le sujet de manière claire ? Est-elle
accrocheuse ?
Le discours est-il structuré ? Quel est son plan ? La conclusion est-elle
efficace ?
Le vocabulaire utilisé est-il approprié et compréhensible par tous ? Le
niveau de langage est-il adapté à la situation ?
L’orateur utilise-t-il des figures de style pour apporter de l’impact et du
style à sa prise de parole ? Utilise-t-il des exemples et un langage sensoriel
et imagé ? Utilise-t-il des arguments ?
L’orateur est-il présent ? Occupe-t-il l’espace de façon judicieuse avec
une posture ancrée ? Regarde-t-il le public ?
Quelle est sa gestuelle ? (Présence de gestes de réassurance, illustrateurs,
ponctuateurs, orientés vers l’autre ou vers soi…)
Sa voix est-elle projetée avec une articulation claire et un volume
adapté ? Est-elle expressive ? (Variations de rythme, pauses, nombreuses
intonations…)
L’orateur semble-t-il affirmé et crédible ? Fait-il preuve de congruence ?
L’orateur est-il ouvert et souriant ? A-t-il un bon capital sympathie ?…

Sur le fond
Quel est le message de l’orateur ?
Quel est son objectif ?
A-t-il su créer un lien avec le public ? (Capital sympathie, exemples adap-
tés au quotidien du public, appel à des valeurs universelles, présence
d’histoire et d’éléments émotionnels, questions et interactions…)
L’orateur a-t-il utilisé des images et des suggestions appropriées à son
objectif ? Quelles sont les suggestions utilisées ?
Le discours est-il bien référencé ? (Recherches, parole d’experts,
citations…)
Les arguments utilisés sont-ils pertinents ? (Preuves techniques, extra-
techniques, types de raisonnement…)
Y a-t-il un bon équilibre entre les procédés épidictiques et argumentatifs,
entre l’impact sensoriel, émotionnel et intellectuel du discours ?
L’orateur a-t-il réalisé son objectif ? A-t-il su convaincre, intéresser,
inspirer ?…

— 259 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Synthèse
Sur le fond, comme sur la forme quels sont les atouts de l’orateur ? Quels
sont les points positifs du discours ? Quels sont les axes d’amélioration ?
Toutes ces questions sont évidemment non exhaustives, et peuvent être
complétées à l’aide des différents chapitres ou des éléments présents
en ligne.

Un feed-back ciblé

La problématique de l’enseignant-formateur
Comment exploiter ce feed-back et permettre une progression indivi-
duelle, portant sur des items particuliers et spécifiques à chacun dans
un contexte de compétences multiples et disparates ? Lors de la phase
de prescription, il est utile de proposer des pistes personnelles de tra-
vail, adaptées à chaque profil et à explorer individuellement à l’issue de
la séance. En ce sens, des fiches pratiques des exercices vus peuvent
être fournies.

Il ne s’agira pas de tout observer à la fois mais de porter son attention sur cer-
tains éléments selon l’objectif de la séance. (Car, nous l’avons vu, il est judicieux
de construire son atelier autour d’une problématique relationnelle ou éventuel-
lement technique mais dans ce cas reliée à des enjeux relationnels bien définis.)
Tout comme les items constituant l’auto-évaluation doivent respecter le niveau
de connaissances techniques des participants.
Être en capacité de fournir un feed-back constructif, outre la nécessité de poser
un regard critique sur le fond, implique donc une démarche d’expérimentation
et d’appropriation des paramètres à la fois vocaux, verbaux ou corporels. Cette
démarche se fait tant par l’élève que par l’enseignant, particulièrement en début
de pratique. Et il est tout à fait normal que notre analyse ne soit ni exhaustive ni
parfaite.
Tout d’abord parce que nous sommes faillibles et qu’évaluer un nombre consé-
quent de paramètres nécessite un haut niveau de disponibilité et de concentra-
tion, qu’il est parfois difficile de conserver selon le contexte. Et ensuite, parce
qu’il s’agit, là aussi, d’une compétence qui se cultive avec la pratique et qui par
conséquent se consolidera avec le temps. C’est l’expérimentation qui permet
l’appropriation, aussi il est logique que les premières interventions de l’ensei-
gnant ne soient pas encore totalement abouties et cela ne devrait pas être un
frein.

— 260 —
Animer des ateliers de prise de parole

J’apprends à affiner mon analyse des différents


paramètres à l’oral au fur et à mesure
de ma pratique de formateur.

3.2 Auto-évaluer sa pratique de formateur

Ce qui est constructeur du parcours de l’élève l’est aussi pour notre propre par-
cours. Et, en plus du questionnement que nous avons l’habitude de poser sur nos
pratiques et nos disciplines, nous devrions régulièrement faire le point de nos
compétences et nous auto-évaluer.

UN EXEMPLE
Pour Isabelle, formatrice : « Dans les ateliers vocaux, le retour des stagiaires
a été pour moi un déclencheur important dans la prise de conscience de mes
propres compétences. Je me rendais instantanément compte quand mon
exemple n’était pas précis ou ma voix mal placée, parce que leur production
n’avait rien à voir avec ce que j’attendais. Cela m’a amené naturellement à
faire un travail personnel d’autodiagnostic. »

En s’appuyant sur des points techniques définis, cet état des lieux nous permet
non seulement de construire notre propre apprentissage, mais il permet aussi de
nous distancier des pensées limitantes que nous entretenons par réflexe.

DES EXEMPLES
Parmi les croyances erronées les plus fréquentes autour de la formation à
la prise de parole, on citera :
– il faut être un très bon orateur pour animer des ateliers sur la prise de
parole ;
– on ne peut pas faire grand-chose contre le trac ;
– savoir communiquer efficacement réclame des compétences trop
techniques ;
– trop d’élèves ne se sentent pas à l’aise à l’oral pour que l’on puisse mettre
en place une pratique ;
– le niveau de langage (ou de réflexion) de ma classe ne permet pas
l’approfondissement de telles pratiques ;
– animer un atelier demande des compétences hors de ma portée…

— 261 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

En réalité, il n’est pas possible d’être performant avant de faire. Tout comme il
n’est pas possible de progresser sans avoir défini précisément des objectifs d’ap-
prentissage en termes de compétences techniques. Alors concrètement, quelles
sont nos propres performances oratoires ?
• Et quelle est votre capacité à diriger un atelier ?
• Quelle est votre capacité à percevoir et à évaluer les différents paramètres
de la communication ?
• Quelle est votre capacité à créer du lien, à accompagner ou à motiver ?

À partir d’items concrets, j’évalue mes compétences


et ma pratique en tant que formateur à l’expression orale.

Grilles et pistes d’auto-évaluation

https://lienmini.fr/
LAVEDRINE7

FORMER 1 2 3 4 5
Je sais fournir un exemple corporel de qualité. ¡¡¡¡¡
Je sais fournir un exemple vocal de qualité. ¡¡¡¡¡
Je sais proposer des structures de langage adaptées. ¡¡¡¡¡
Je sais fournir des références et des exemples riches sur le plan verbal. ¡¡¡¡¡
Je sais éveiller la curiosité et favoriser l’esprit critique. ¡¡¡¡¡
Je sais fournir des explications claires. ¡¡¡¡¡
Je sais donner un départ précis. ¡¡¡¡¡
Je sais impulser un tempo. ¡¡¡¡¡
Je sais diriger une pratique collective et adapter ma gestuelle. ¡¡¡¡¡
Je sais choisir des exercices adaptés. ¡¡¡¡¡
Je sais faire des liens entre la finalité technique et le vécu ¡¡¡¡¡
des participants.
Je sais choisir des visualisations appropriées. ¡¡¡¡¡

ÉVALUER 1 2 3 4 5
Je sais identifier les blocages. ¡¡¡¡¡
Je sais repérer les limites du langage non verbal. ¡¡¡¡¡
Je sais repérer les limites du langage verbal. ¡¡¡¡¡
Je sais identifier les problèmes vocaux. ¡¡¡¡¡
Je sais évaluer les difficultés des participants. ¡¡¡¡¡

— 262 —
Animer des ateliers de prise de parole

Je sais identifier le niveau d’inhibition des participants. ¡¡¡¡¡


Je sais analyser les différents paramètres vocaux : la hauteur ¡¡¡¡¡
et la richesse des intonations.
Je sais analyser les différents paramètres vocaux : l’adaptation ¡¡¡¡¡
du volume
Je sais analyser les différents paramètres vocaux : la précision ¡¡¡¡¡
de l’articulation et l’intelligibilité du propos.
Je sais analyser les différents paramètres vocaux : la rythmique ¡¡¡¡¡
et le débit.
Je sais analyser la qualité de la gestuelle (gestes parasites, ¡¡¡¡¡
illustrateurs, barrières, ponctuateurs…).
Je sais mesurer la portée des expressions du visage. ¡¡¡¡¡
Je suis attentif à la posture. ¡¡¡¡¡
Je sais évaluer le niveau de souplesse et d’ouverture. ¡¡¡¡¡
Je sais repérer la rythmique interne (calme, agitation…). ¡¡¡¡¡
Je sais analyser la dimension émotionnelle du langage. ¡¡¡¡¡
Je sais analyser la qualité des arguments. ¡¡¡¡¡
Je sais analyser la pertinence de la structure du discours selon ¡¡¡¡¡
l’intention.

COMPÉTENCES GÉNÉRALES 1 2 3 4 5

Je fais preuve d’écoute. ¡¡¡¡¡

Je fais preuve de bienveillance. ¡¡¡¡¡

Je fais preuve de créativité ¡¡¡¡¡

Je sais m’adapter et rebondir. ¡¡¡¡¡

Je suis capable de donner du sens, de motiver. ¡¡¡¡¡

SYNTHÈSE

Observations / points de perfectionnement :

— 263 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Ces items sont bien sûr non exhaustifs, mais ils fournissent une piste de
feed-back assez précise sur nos compétences.
Enfin, enseigner la prise de parole implique une capacité à se réinventer et à
assumer plusieurs postures. L’enseignant doit à la fois engager, soutenir, animer
et accompagner la prise de parole tout en conduisant une démarche réflexive
autour des multiples ressources, connaissances et outils techniques.
Avec l’élargissement du savoir à la compétence, la question du « que transmettre »
s’est ainsi étendue aux pratiques et aux valeurs, au savoir-faire et à l’humain, à
l’expression et au développement de soi et à la reconnaissance de l’autre. Le
professeur est ainsi amené à cultiver davantage encore le lien et la relation. Et
ce, au profit d’une discipline aujourd’hui essentielle et qui devrait être enseignée
dès le plus jeune âge : savoir, savoir-faire et savoir-être à l’oral.

— 264 —
En conclusion

LA QUESTION DU SENS ET DE LA FORME


Est-ce que le fait d’être porté par son propos, par le contenu de son discours et
de trouver du sens à dire est à l’origine d’une technique oratoire efficace ? Ou
est-ce que l’apprentissage et le développement de techniques oratoires sont à
l’origine d’un discours efficace et percutant ?
Il y a en réalité une interaction subtile entre les deux qui fait que ces deux
approches se nourrissent constamment. Plus nous développons notre pensée,
notre esprit critique, nos références et notre langage et plus nous avons d’ai-
sance à dire. Alors plus nous portons notre parole et affirmons notre voix, plus
nous trouvons notre alignement et une gestuelle naturelle et porteuse. Plus nous
développons notre présence.
De la même manière, plus nous nous familiarisons avec notre corps, nos mouve-
ments, notre voix et les différentes techniques oratoires, en aiguisant notre pré-
sence à nous-mêmes, notre conscience et notre cheminement intérieur. Et plus
nous trouvons du sens à dire, à laisser naître une pensée et une parole engagée.
Plus nous sommes aptes à nous révéler et à nous affirmer.
Il s’agit là d’un cercle vertueux. Nourrir le fond alimente la forme et soigner la
forme questionne et nourrit le fond. Car nous avons ici les deux facettes d’une
même pièce  : la parole humaine, multidimensionnelle, au service d’un besoin
viscéral à prendre place et à exister parmi les autres.
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

NOURRIR SA PAROLE ET SA PENSÉE


Pourtant, trop nombreuses sont les formations en prise de parole à se concen-
trer sur le « comment dire » plutôt que sur le « quoi dire ». Or c’est bien le sens de
nos propos et notre capacité à questionner et à penser qui impliquent la forme
du  discours. Le contenu doit sous-tendre la nature même de notre prise de
parole, de la même manière qu’il la transcende.
Avant même de se préoccuper de techniques corporelles ou vocales, de tech-
niques verbales ou de gestion du stress, travailler sur son expression orale consiste
à nourrir sa parole et son esprit critique.
Le paradoxe est qu’inversement, en contexte scolaire, c’est le « verbe » qui prend
le pas sur l’expression de soi, du corps et de la voix, les enseignants se concen-
trant, par « conditionnement », essentiellement sur les contenus. Le juste équilibre
ne semble pas de mise. Il est cependant à trouver.

UNE PRATIQUE GLOBALE


Par ailleurs, notre temps n’est pas extensible. Et vous serez probablement tentés
au cours de votre travail de suivre les conseils en prise de parole, glanés ici et là et
d’instaurer des exercices techniques isolés tels que des vire-langues, des exercices
sur le souffle et la respiration, ou des jeux sur la gestuelle et la posture… Si je
peux vous donner un conseil d’expérience : abstenez-vous.
Je ne dis pas que cela ne présente aucune efficacité, mais la démarche n’est pas
efficiente et fait insulte à notre potentiel humain. Pourquoi concentrer essen-
tiellement son travail technique sur le corps ou la voix, alors que l’on pourrait y
mettre de l’intention, alors que l’on pourrait développer parallèlement l’envie de
s’exprimer et de s’investir vocalement, verbalement en trouvant sa place ? Alors
que l’on pourrait visualiser simultanément une situation relationnelle qui nous
permette de nous habituer à la prise de parole, la rendant plus naturelle ?
Pourquoi réduire et décomposer une pratique qui ne l’est pas naturellement,
alors que nous pourrions en faire un outil relationnel à part entière ?
Tout comme le fait d’apprendre un discours par cœur nous déconnecte de nos
ressources naturelles liées à la réactivité et à l’improvisation, décomposer les
différents aspects mécaniques de notre expression nous éloigne de l’essence de
notre parole et de notre rapport à l’autre.
Ainsi, dans nos pratiques, nous devrions chaque fois adopter une approche glo-
bale faisant appel simultanément aux sens, au corps, aux émotions, au souffle, à
l’énergie et à la voix, à l’intention et à l’intelligence, au désir d’être et de dire…
Et ce, dans un but d’échange.

— 266 —
En conclusion

PR, PLEINE CONSCIENCE


ET RELATION À L’AUTRE
Il s’agit là de la base même de la psycorpophonie relationnelle. Et nous pourrions
résumer les fondements de cette discipline à travers la pleine conscience : une
présence et une conscience aiguisée de notre environnement et de notre être
dans sa dimension sensorielle, émotionnelle et spirituelle, une présence à soi au
service de la relation à l’autre.
Car c’est bien de relation dont il s’agit. La parole est un outil social qui nous
permet de prendre place, d’exister au milieu des autres et d’interagir afin de
satisfaire nos besoins fondamentaux physiologiques et sociaux.
Et au-delà de l’aspect fonctionnel de la parole, au-delà du sens et du verbe,
il y a une véritable dimension spirituelle à faire entendre sa voix. Parler,
c’est exister et le langage est toujours empreint d’implications émotionnelles
fortes. Le débat entre la logique et l’émotion est devenu stérile à la lumière
des découvertes actuelles en neurosciences. Sur un plan cérébral, nous ne
sommes pas prioritairement des êtres pensants, mais des êtres de perception
et d’émotions.
Comprendre que les implications émotionnelles sont à la base des interactions
et de notre rapport au monde nous permet aussi de percevoir l’art oratoire de
façon différente, entre influence et jeux relationnels, où le capital sympathie des
individus prend une large part dans la portée d’un discours. L’argument logique
seul ne l’emporte pas, car nos choix sont avant tout émotionnels.

TECHNIQUES ORATOIRES
Et comprendre les rouages des interactions humaines, c’est pouvoir non seule-
ment mesurer la teneur de sa communication et maîtriser l’impact de sa parole,
mais c’est aussi devenir citoyen éclairé, conscient des possibles manipulations
dont nous faisons l’objet. La connaissance et la maîtrise des diverses techniques
oratoires sont un véritable pouvoir, pas seulement un pouvoir sur les dispositions,
la pensée et les actions d’autrui, mais le pouvoir de se connaître soi, d’expéri-
menter ses limites et ses propres biais cognitifs, sensoriels et émotionnels, de
développer sa pensée critique et de renforcer ses compétences.
Ainsi, à l’aide d’un vocabulaire adapté, nous suggérons des images, émotions et
pensées inconscientes dans l’esprit de notre interlocuteur, comme nous sommes
nous-mêmes impactés par l’ensemble des messages que nous recevons.
À l’aide d’un langage favorisant la reconnaissance et l’écoute de l’autre, à travers
l’utilisation du storytelling ou d’exemples vivants et de métaphores, nous stimu-
lons le cerveau sensoriel et émotionnel de l’auditeur, nous suscitons l’intérêt et
nous engageons une relation affective.

— 267 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Tout comme nous captons l’attention en colorant notre parole à l’aide de tech-
niques verbales, corporelles et vocales diverses (figures de style, gestes illustra-
teurs, posture ancrée, voix vibrante et projetée, intonations variées…). Nous
apparaissons alors plus crédibles et sympathiques et en sommes d’autant plus
influents.
Enfin, à l’aide d’arguments logiques et d’un discours structuré, basé sur des rap-
ports de causalité, des sources scientifiques et privilégiant le raisonnement déduc-
tif, nous stimulons la pensée rationnelle. En nous adressant ainsi à l’intelligence
de notre interlocuteur, nous convainquons avec éthique. Cependant, nous le
savons, ce serait une erreur de vouloir distinguer l’argumentation « honorable »
des techniques rhétoriques. Car la communication, la plus factuelle et ration-
nelle soit-elle, implique nécessairement une dimension relationnelle tacite qui
conditionne l’échange, où le fond et la forme sont indissociables. Et en faisant
référence aux émotions et aux valeurs, en stimulant les affects, nous persuadons,
nous engageons et incitons à agir.

LA QUESTION DE LA CONFIANCE EN SOI


Parallèlement, les enjeux relationnels sont générateurs de stress à l’oral. Et on
entend très souvent que l’estime de soi et la confiance sont nécessaires à la prise
de parole. C’est une croyance fausse et limitante. Ce sont à l’inverse la prise de
parole et l’expression de soi qui sont nécessaires à la construction de l’estime
personnelle et de la confiance.

Il ne faut pas avoir confiance en soi


pour prendre la parole, mais il faut prendre
la parole pour avoir confiance en soi.
La confiance est une conséquence d’actions entreprises, de réussites, d’acqui-
sition progressive de compétences personnelles. Plus on s’entraîne, plus on se
confronte aux épreuves et plus on élargit sa zone de confort, plus on prend de
l’assurance. Plus l’on devient compétent et plus l’on prend confiance en soi.
L’estime de soi, quant à elle, touche davantage à l’être qu’au faire, à ce senti-
ment de valeur personnelle. Mais plus l’on cultive sa parole, son esprit citoyen,
ses valeurs et son intelligence, plus l’on trouve de sens à dire et plus on se sent
légitime. Parallèlement, plus l’on s’attache à la recherche du vrai, plus l’on cultive
le doute, plus l’humilité apparaît comme une vertu et moins l’on ressent la néces-
sité de prouver sa valeur et de se justifier. Ainsi se nourrit l’estime de soi.
Et ceux qui attendent d’avoir confiance en eux pour oser prendre la parole risquent
d’attendre longtemps. Car la confiance vient avec la pratique. L’assurance vient
avec la sagesse et le détachement de soi au profit du message, quand la question
du soi en tant que sujet ne se pose plus au bénéfice de l’objet. Et la question de la

— 268 —
En conclusion

confiance ou de l’estime de soi comme postulat de départ est donc un non-sens.


Confiance et estime viendront naturellement au fur et à mesure du chemin, de la
pratique et de l’entraînement. Se détacher de l’image de soi et plus précisément
de sa valeur est la première étape du parcours.

UNE LECTURE DOUBLE ET CIRCULAIRE


Cette démarche d’apprentissage est valable pour tout un chacun et se poursuit
tout au long de la vie, pour le professeur comme pour l’élève. Car elle implique
des motivations humaines communes à tous et résulte d’une expérimentation et
d’un cheminement naturels propres au développement humain.
Cette même expérimentation, en parallèle d’une démarche réflexive, implique à
la fois entraînement et répétition, selon un procédé présent tout au long de ce
livre : une phase d’expérimentation, puis d’approfondissement et d’appropria-
tion. Par la mise en pratique, on développe et on approfondit ses compétences
oratoires. Par la répétition, on s’approprie un langage nouveau. Car on ne naît
pas compétent, on le devient.
Ainsi, la magie de cette méthode est qu’elle suit une progression circulaire,
chaque palier menant au suivant et recommençant ensuite au début avec des
compétences plus affirmées et un langage plus riche. Il s’agit d’un approfondis-
sement permanent, dont le parcours proposé ici peut être fait et refait tout au
long de sa vie. Ce qui explique les nécessaires redondances de ce livre pratique
qui peut être lu et relu. Et chaque chapitre peut être abordé ensuite de façon
autonome.
C’est aussi la raison pour laquelle vous trouverez cette même progression, avec
des étapes et une approche identique dans l’autre version de ce livre destinée aux
élèves : L’oral ? J’excelle !, De Boeck Supérieur. Seuls les exemples et la forme
du langage ont été modifiés, ce qui en fait aussi une illustration concrète de la
manière d’adapter un même contenu selon son public.
L’expression de soi et les compétences orales de prise de parole en public sont
le résultat d’une progression constante, d’un chemin continu qui mène vers la
confiance, l’essence et la connaissance de soi. Celle-ci n’est pas aboutie à un
temps  T mais est en perpétuelle évolution. Nous ne pouvons répondre à la
question « qui sommes-nous ? » mais uniquement observer « qui nous avons été ».
Il s’agit là d’un beau voyage, invitant à poser un regard lucide sur nos erreurs et
à mettre en place des actions concrètes pour véritablement s’exprimer. C’est-à-
dire trouver ce qu’il y a en soi et le présenter au monde.
Et j’espère vous avoir donné l’envie et les clés pour, non seulement vous exprimer
plus efficacement et être davantage performant à l’oral dans votre vie person-
nelle ou professionnelle, mais pour porter aussi, auprès d’élèves ou de stagiaires,
cette discipline, noble et essentielle, qu’est l’art Oratoire.

— 269 —
ANNEXE

Les outils
de l’enseignant-formateur

LECTURES DIRIGÉES

Exemple de légende
(Donnée à titre indicatif, vous pouvez l’adapter ou la modifier selon vos besoins.)
Volume
Chuchoté : c / Murmuré : m
Doux : p
Moyen : M
Fort : F
Crié : FF
Appuis : _
Hauteur et intonations
Registre aigu :
Registre médium :
Registre grave :
Vers l’aigu : Vers les graves :
Suivre une ligne mélodique (relief vocal) :
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Rythmique, débit
Pause : /
Respiration : ‘
Rapide : +
Lent : –
Modéré : o

Outre les poèmes, monologues, pièces de théâtre ou discours célèbres que vous
pourrez trouver en ligne, dans un objectif d’approche globale, voici à présent un
texte permettant de travailler sa technique vocale et son articulation, tout comme
son langage corporel et sa capacité à raconter et à divertir. (Je l’ai construit sur
le principe de la narration, utilisant des vire-langues, mais vous pouvez aussi y
ajouter des figures de style et autres procédés littéraires permettant de travailler
sur différents plans.)

Le ridicule ne nuit ni ne tue


J’examine, extraordinairement exaspéré, trois tortues à triste tête trottant sur trois toits
très étroits. Et je m’escrime exécrablement d’escalader avec exaltation un escabeau
exigu. Voyons voir ce qui est visible d’ici…
L’énorme orme morne orne la morne vallée. Mais que lit Lili sous ces lilas-là ? Lili
lit l’Iliade.
Ma tante a teint tantôt le thé d’hier. Et sur six souches couchées sèchent seize
chemises et les soixante chaussettes de ce cher Serge.
Un sage chat et un chien chafouin se cherchent chez Charles. Et dans sa cuisine
les cuisses cuivre grasses du chevreau que scrute le cuistot exaltent son astigma-
tisme. Frites et fruits frits font fuir Firmin, le fin gourmet frivole affriolé par un foie
gras froid d’oie frais.
Mais soudain, je trébuche et m’emberlificote dans la bâche grège jonchant les
marches de l’escabeau. Brisé, bras ballants, les quatre fers en l’air… Enfer et air
ahuri… Je veux et j’exige, j’exige et je veux que quiconque ne se moque. Benoît
bine. Bernard bêche. Pierre pioche. Alors je n’hésite, me relève, m’exécute et existe.
Après tout, le ridicule ne nuit ni ne tue.

— 272 —
Annexe – Les outils de l’enseignant-formateur

PSYCORPOPHONIE RELATIONNELLE®
Diagnostic corporel et vocal

Capacité à convaincre et à projeter une image crédible

Posture Corps relâché Alignement Droite et en avant


Tête baissée du corps / Tête Tête relevée
droite

Souffle / Soutien Manque de souffle Soutien de la voix Trop forte


et de soutien et du discours pression

Articulation Peu claire Claire Trop marquée

Congruence Manque Expression et Surjoué : trop


vocale de conviction intonations au d’intonations
(cohérence voix et d’intonations service du discours et exagération
– corps – message)

Image véhiculée Effacé Présent et crédible Intrusif

Capital sympathie et capacité à séduire et à intéresser

Expressions Visage fermé, peu Visage souriant Visage dur,


faciales expressif et ouvert expressions trop
marquées

Timbre Voix plate Voix chaleureuse Voix stridente

Relief vocal Pau de variations Relief vocal Trop de variations


(monocorde, (variations, temps (diction marquée,
phrasé monotone, de silence) saccadée, rapide,
volume constant) registres extrêmes)

Expressivité Peu expressif Expressif Sur-expressif,


exagéré, surjoué

Image véhiculée Peu sympathique Sympathique Exubérant

Empathie vocale et capacité à rassurer et à créer un lien

Corps et gestuelle Mollesse Souplesse Rigidité

Bouche Peu d’ouverture Ouverture Grande ouverture


Mâchoire Mâchoire serrée Mâchoire souple Mâchoire rigide

— 273 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Empathie vocale Non Oui Non


Rythmique lente, Rythmique, Rythmique
volume faible, peu volume et rapide, volume
d’intonations intonations adaptés fort, intonations
à l’interlocuteur inadaptées

Image véhiculée Distant Proche Envahissant


Désinvesti Ouvert et Autocentré
à l’écoute

Observations :

GRILLES D’AUTO-ÉVALUATION
DESTINÉES AUX ÉLÈVES
https://lienmini.fr/ (Vous trouverez d’autres outils dans la version de ce livre destinée aux
LAVEDRINE8 élèves : L’oral ? J’excelle ! De Boeck supérieur.)
d’acquisition
Non acquis

En partie
En cours

Dépassé

Capacité à capter l’attention et à intéresser


Acquis
acquis

Je sais qui est l’interlocuteur face à moi, je suis


attentif à ses besoins, à son vécu et à sa vision
du monde.

Je suis ouvert d’esprit et j’ai plaisir à interagir.

Je suis sympathique.

J’ai des références et je connais des anecdotes


autour de mon sujet.

Je sais raconter. Je maîtrise les techniques


du storytelling.

Je sais utiliser un vocabulaire sensoriel, riche


et varié. Je sais créer des images et susciter
l’émotion.

— 274 —
Annexe – Les outils de l’enseignant-formateur

d’acquisition
Non acquis

En partie
En cours

Dépassé
Capacité à capter l’attention et à intéresser

Acquis
acquis
Je sais utiliser des figures de style pour apporter
du relief à ma parole.

Je sais créer du suspense.

Je sais trouver une problématique en lien


avec les centres d’intérêt et les besoins
de mon interlocuteur.

Je commence toujours ma prise de parole


par une accroche ou une question.

Je suis détendu, souple, ouvert et accueillant.


J’ai un bon enracinement et une respiration
bien placée.

Je sais occuper l’espace et « animer »


ma communication sans agitation.

J’ai un visage expressif.

Je sais susciter l‘intérêt à l’aide d’une gestuelle


expressive.

Je suis congruent, et mon langage corporel est


au service de ma prise de parole et de mon objectif.

Je sais varier mes inflexions vocales


pour raconter et intéresser.

J’ai une voix expressive au service de mon propos.

Je sais marquer des pauses, varier mes intonations


et la rythmique de mon débit afin de créer
du mystère et du suspense.

Je sais varier mon volume selon le sens


de mes phrases, le contexte, l’interlocuteur
et mon objectif.

Je respire au rythme du discours, de l’action


ou des émotions véhiculées afin de vivre
réellement ce dont je parle.

Ma voix est au service de mon intention. Je suis


congruent.

— 275 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

d’acquisition
Non acquis

En partie
En cours

Dépassé
Capacité à convaincre

Acquis
acquis
Je suis convaincu et mon sujet me tient à cœur.

J’ai une démarche critique vis-à-vis de ma position


et tiens compte du point de vue opposé au mien.

J’ai des références et je possède des arguments


au service de mon point de vue.

Je sais argumenter en utilisant des preuves


techniques et extra-techniques.

Je sais reconnaître l’argument valide du sophisme


fallacieux.

Je sais illustrer mon opinion par des exemples


appropriés.

Je sais structurer ma prise de parole.

Je fais des phrases simples, compréhensibles


par tous.

Je suis présent. J’ai une posture droite


et enracinée dans le sol.

Je ne fais pas de gestes parasites.

J’ai un regard franc, orienté vers


mon interlocuteur.

J’utilise des gestes illustrateurs au service


de mon discours.

Je suis congruent et mon langage corporel est


en accord avec mon contenu et mon objectif.

J’ai une voix claire et bien placée (respiration


diaphragmatique.)

Je sais varier mon volume pour mettre en valeur


les idées clés.

Je sais gérer les pauses et le rythme de mon débit


pour favoriser la compréhension.

J’ai une bonne articulation qui facilite


la compréhension.

— 276 —
Annexe – Les outils de l’enseignant-formateur

d’acquisition
Non acquis

En partie
En cours

Dépassé
Capacité à convaincre

Acquis
acquis
J’ai un registre adapté à la situation (registre
médium et peu de variations de hauteur
pour une posture neutre, ou registre grave
pour une posture d’autorité, etc.).

Ma voix est au service de mon intention. Je suis


congruent.

Besoin d’être accompagné dans votre pratique ?


Conseils personnalisés, accompagnement et coaching
sur le site Univoix.fr

— 277 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

LES BIAIS COGNITIFS

Quelques biais à connaître


avant de prendre la parole

Le paradoxe de choix
Mis en lumière par le psychologue américain Barry Schwartz, ce biais révèle à
quel point nos choix sont parasités lorsqu’il y a une abondance d’informations.

Les biais de mémoire


Nous avons tendance à nous souvenir plus facilement du premier et du dernier
élément d’une liste (effet de position en série.) Nous sommes d’ailleurs plus
marqués par notre première impression (effet de primauté), liée à la mémoire
à long terme. La mémoire à court terme, elle, favorise l’effet de récence
(mémorisation des derniers éléments reçus).

Les biais de perception


Les dernières informations reçues nous semblent plus importantes que les infor-
mations moins récentes (effet d’ancienneté). Ce biais est fondé sur l’heu-
ristique de disponibilité, un mode de raisonnement qui se base sur les
informations immédiatement disponibles en mémoire. Tout comme, lors d’une
prise de décision, nous avons tendance à utiliser la première information reçue
comme point d’ancrage pour juger des informations suivantes (effet d’an-
crage). Si les premiers mots d’un orateur nous semblent crédibles par exemple,
nous aurons tendance à penser que ce qu’il dit par la suite l’est aussi. De la même
manière, lorsqu’on présente deux éléments l’un après l’autre, la perception du
second est influencée par celle du premier (effet de contraste).

Les biais d’attention


Dans la mesure où nous filtrons l’information (selon notre vécu, nos intérêts,
nos croyances…), notre attention se dirige naturellement sur ce qui nous touche
et nous concerne. Nous relevons et sélectionnons, par exemple, les informa-
tions qui confirment ce que nous pensons déjà, nos croyances ou nos opinions
préexistantes (biais de confirmation). Nous sommes aussi plus attentifs à
l’objet d’une phobie ou à une information menaçante (biais de l’attention
sélective). Tout comme nous remarquons et retenons plus facilement ce qui est
étrange ou surprenant (effet de bizarrerie) ou un élément qui se détache d’une
liste (l’effet von Restorff). D’un autre côté, nous avons plus de difficultés à trai-
ter les informations reçues séparément plutôt que lorsqu’elles sont « combinées »
(effet de division de l’attention). Et nous suivons plus facilement une action si
notre attention reste dirigée sur celle-ci et qu’il n’y a pas d’autres éléments pour
la perturber (biais du ratio d’attention).

— 278 —
Annexe – Les outils de l’enseignant-formateur

Le biais de négativité
Nous apportons plus d’importance aux éléments négatifs. Nous sommes ainsi
davantage attentifs et réactifs aux informations négatives plutôt que positives.

Le biais d’aisance cognitive


Notre sentiment positif vis-à-vis d’une information est lié à notre degré de faci-
lité à la traiter. Nous comprenons et mémorisons d’ailleurs plus facilement un
langage métaphorique (effet de métaphore). Tout comme les images (photos,
illustrations…) ont aussi un impact supérieur aux mots dans notre mémoire et
nous apparaissent plus attractives (effet de supériorité de l’image).

Le biais de simple exposition


Révélé par Robert Zajonc, ce biais traduit notre propension à poser un regard
positif sur les éléments auxquels nous sommes régulièrement exposés. Ce biais
induit l’effet de vérité illusoire (plus une information est répétée, plus elle
semble vraie).

L’aversion pour l’option unique


Lorsque nous n’avons qu’une seule option de choix, nous avons tendance à
vouloir chercher d’autres options alternatives. Tout comme nous avons tendance
à être réfractaires et en réaction à une idée qui semble limiter notre liberté de
pensée, de choix ou d’action, même si celle-ci correspond à nos croyances ou
que cela implique que nous agissions contre nos principes (biais de réactance
psychologique).

La malédiction du savoir
Plus nous maîtrisons un sujet et plus il nous est difficile d’appréhender le niveau
de compréhension des néophytes.

Le biais de corrélation illusoire


Nous avons tendance à chercher des liens logiques et des rapports de causalité
entre les événements en présence, même si ceux-ci n’en présentent aucun. Nous
inventons ainsi des relations entre les faits, nous les exagérons ou nous confon-
dons l’effet et la cause.

Les biais d’empathie


Notre sentiment d’empathie vis-à-vis d’une personne n’est pas lié à une réalité
objective mais à des éléments comme la proximité, le lieu et l’époque, le groupe
d’appartenance,  etc. Ainsi, nous éprouvons davantage d’empathie pour les
gens présents ou de notre époque (biais de l’ici et maintenant), ou pour des
proches (biais de l’amitié), ou pour des gens qui nous ressemblent ou font
partie du même groupe que nous (biais de similarité, biais d’appartenance
à un groupe).

— 279 —
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

Le biais de l’influence sociale


Ce biais de conformité nous conduit à faire comme nos congénères lorsque nous
ne savons pas exactement comment agir. Nous adoptons aussi les codes ou nous
rallions à l’opinion du groupe si nous n’avons pas d’opinion personnelle (biais
de conformité).

L’effet d’attente
Nos attentes influencent nos perceptions ou nos comportements. Ainsi, les
élèves sont plus ou moins performants selon les attentes de leur enseignant
(effet Pygmalion). Tout comme l’effet d’un traitement est lié à la croyance que
nous avons qu’il fonctionne (effet placebo). Nous évaluons aussi comme meil-
leures les performances d’une personne qui nous a fait une impression positive
(effet de halo).

Le repère du regard
Nous sommes naturellement attirés par le regard des autres, pour suivre une
direction ou regarder une personne lors d’un échange.
Cette liste est non exhaustive et vous trouverez de nombreux compléments
en ligne. Par ailleurs, je vous invite à vous inspirer du jeu sur les biais cogni-
tifs créé par Stephanie Walter et Laurence Vagner, et disponible en téléchar-
gement libre (référence en webographie).

— 280 —
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http://univoix.fr
https://lejournal.cnrs.fr/neurosciences
https://www.atelier-mediation-critique.com (avec le recueil à télécharger de sophismes
et paralogismes, ainsi que de nombreux cours en ligne)
https://www.youtube.com/user/fauxsceptique/videos (la chaîne Hygiène mentale, outils
pour le développement de l’esprit critique)
https://www.penser-critique.be
https://theoriesducomplot.be
https://stephaniewalter.design/fr/blog/a-la-decouverte-des-biais-cognitifs-le-jeu-de-
52-cartes/ (cartes à télécharger sur les biais cognitifs pour organiser des jeux autour
de cette activité)
http://mooc-francophone.com/liste-mooc-en-francais/
https://www.clemi.fr
https://www.cairn.info
https://www.ted.com
https://www.youtube.com/playlist?list=PLsRNoUx8w3rOxsAerY6UFmtRXMzcX6vgF
(conférences TED en français)

— 284 —
Table des matières

Sommaire ...................................................................................... 7
Avant-propos ................................................................................ 9
Introduction .................................................................................. 15

CHAPITRE 1
Engager une démarche d’apprentissage ..................................... 21
1. Développer son charisme .............................................................. 22
1.1 Inné et acquis ...................................................................... 22
1.2 Valoriser ses erreurs............................................................. 25
2. Définir son parcours et ses objectifs................................................ 28
2.1 Sur le chemin de la connaissance de soi ............................... 28
2.2 État des lieux : d’où je pars et où je vais ............................... 32
3. Nourrir sa motivation .................................................................... 36
3.1 Neurosciences et motivation : créer l’envie de….................... 36
3.2 Bénéfices personnels ........................................................... 40
CHAPITRE 2
Oser être soi et s’exprimer .......................................................... 47
1. Vaincre la peur ............................................................................. 48
1.1 Les obstacles à la prise de parole ......................................... 48
1.2 Vaincre la peur .................................................................... 53
2. Nourrir sa parole .......................................................................... 57
2.1 Nourrir sa pensée et ce qu’il y a en soi ................................. 57
2.2 Nourrir son énergie et sa force intérieure ............................. 60
3. Être soi et s’affirmer ..................................................................... 64
3.1 Présence et ancrage ............................................................. 64
3.2 Argumentation et capacité à porter son opinion ................... 68
COMMENT ENSEIGNER L’ORAL AUX ÉLÈVES ?

CHAPITRE 3
Mesurer la portée de sa communication ..................................... 77
1. Évaluer son langage verbal ............................................................ 78
1.1 La portée des mots .............................................................. 78
1.2 Langage et transactions ....................................................... 84
2. Évaluer son langage corporel ......................................................... 89
2.1 États internes et communication .......................................... 89
2.2 Posture et gestuelle ............................................................. 93
3. Mesurer la portée de sa voix .......................................................... 100
3.1 États internes et inflexions vocales ....................................... 100
3.2 Petit précis de grammaire vocale .......................................... 105
CHAPITRE 4
Entrer en relation ......................................................................... 117
1. Être face à l’autre ......................................................................... 118
1.1 Être soi : parler vrai parler juste ........................................... 118
1.2 Prendre position .................................................................. 124
2. La relation d’échange ................................................................... 128
2.1 Connaissance et reconnaissance de l’autre ........................... 128
2.2 Réactivité et échange ........................................................... 134
3. Définir un objectif relationnel ......................................................... 140
3.1 Situations de communication et objectif relationnel ............. 140
3.2 Structurer sa prise de parole ................................................ 145
CHAPITRE 5
Exceller à l’oral : servir une intention ......................................... 153
1. Capter l’attention et intéresser ....................................................... 154
1.1 Plan verbal .......................................................................... 154
1.2 Plan corporel et vocal .......................................................... 159
2. Convaincre .................................................................................. 164
2.1 Plan verbal .......................................................................... 164
2.2 Plan corporel et vocal .......................................................... 172
3. Neurosciences et capital sympathie ................................................ 178
3.1 Neurosciences et portée du discours ..................................... 178
3.2 Biais perceptifs et capital sympathie..................................... 184
CHAPITRE 6
Exceller à l’oral : l’art du discours............................................... 195
1. Toucher et inspirer ....................................................................... 196
1.1 Le storytelling ..................................................................... 196
1.2 L’art de la rhétorique .......................................................... 202
2. Persuader .................................................................................... 209
2.1 L’art de la persuasion : cognitif et émotionnel...................... 209
2.2 Discours d’influence et techniques marketing ....................... 213
3. Exceller à l’oral............................................................................. 220
3.1 Une maîtrise parfaite ........................................................... 220

— 286 —
Table des matières

3.2 En formation et dans les grandes écoles ............................... 225


CHAPITRE 7
Animer des ateliers de prise de parole........................................ 237
1. Animer un atelier ......................................................................... 238
1.1 Les principes de la pr au cœur de l’interdisciplinarité ........... 238
1.2 Techniques d’apprentissage.................................................. 241
2. Construire un atelier ..................................................................... 247
2.1 Structure d’un atelier d’expression orale .............................. 247
2.2 Construire une progression .................................................. 252
3. Feed-back et évaluation ................................................................. 256
3.1 Évaluer et fournir un feed-back ............................................ 256
3.2 Auto-évaluer sa pratique de formateur ................................. 261

En conclusion ................................................................................ 265

ANNEXE
Les outils de l’enseignant-formateur ........................................... 271

Bibliographie ................................................................................ 281

Webographie ................................................................................. 284

— 287 —

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