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POLITIQUE
ÉDUCATIVE
A U C O L L È G E
E N J E U X D E L A R É F O R M E
E T M O D A L I T É S C O N C R È T E S
MIK AËL A CORDONNIER
CATHERINE FAUCHE
M A Î T R I S E R
CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
ENJEUX DE L A RÉFORME ET MODALITÉS CONCRÈTES
C O N D U I R E U N E
POLITIQUE
ÉDUCATIVE
AU COLLÈGE
E N J E U X D E L A R É F O R M E
E T M O D A L I T É S C O N C R È T E S
M A Î T R I S E R
Mikaëla Cordonnier irecteur de publication
D
Jean-Marie Panazol
Titulaire d’un DEA de Droit public, Mikaëla Cordonnier irectrice de l’édition transmédia
D
a d’abord exercé comme CPE en collège. Mise ensuite Stéphanie Laforge
à disposition de l’IUFM, elle a été responsable acadé-
Directeur artistique
mique de la formation continue des CPE. Depuis 2012, Samuel Baluret
elle est principale adjointe et assure des formations
pour des publics variés (enseignants, CPE, personnels Suivi éditorial
Corinne Bernardeau
de direction) dans le champ de la politique éducative.
Elle a rédigé des articles sur ce thème dans des revues ise en pages
M
scolaires. Christophe Herrera
Conception graphique
Catherine Fauche DES SIGNES studio Muchir et Desclouds
7 INTRODUCTION
143 CONCLUSION
147 BIBLIOGRAPHIE
150 SITOGRAPHIE
INTRODUCTION
Quarante ans après l’instauration du collège unique, le bilan est cependant en demi-teinte.
Les indicateurs nationaux et internationaux montrent que la démocratisation qualitative
de l’enseignement n’est pas au rendez-vous. Les enseignants peinent à s’adapter pédago-
giquement à l’hétérogénéité des élèves, et à prendre en charge la grande difficulté scolaire
dans les pratiques de classe. L’organisation et le fonctionnement actuels des ÉPLE restent
contraints, et empêchent souvent leurs acteurs de se saisir des possibilités d’expérimen-
tation pourtant prévues par la loi. Les élèves et les familles, en particulier les plus fragiles,
expriment des attentes contradictoires à l’égard d’une institution dont ils estiment qu’elle
les prend peu ou mal en compte. La conscience du rôle prépondérant du diplôme dans
l’accès au marché de l’emploi renforce encore leur inquiétude.
L’école est donc confrontée à des défis majeurs, dans un contexte sociétal et mondial
mouvant qui met à mal les repères traditionnels. Le ministère de l’Éducation en a pris acte,
en 2012, en engageant sa refondation. « Il ne s’agit ni de se contenter d’aménager l’existant,
ni de mettre à bas tout l’édifice. Refonder ne signifie pas refondre à partir d’une tabula rasa,
mais réexaminer pour donner du sens en se ressourçant sur des valeurs ». 1 Pour restaurer la
confiance en une école intégratrice, la politique éducative nationale doit avant tout gagner
en continuité, cohérence et lisibilité.
Le choix est alors fait d’une stratégie globale, qui prend en compte et articule les différents
aspects de la formation de l’élève. « L’école doit être un lieu de réussite, d’autonomie et
d’épanouissement pour tous ; un lieu d’éveil à l’envie et au plaisir d’apprendre, à la curiosité
1 Dulot A., Bonneau F., Colombani M.-F., Forestier C., Mons N., Refondons l’école de la République. Le Rapport de
la concertation, MEN, octobre 2012, p. 3.
SOMMAIRE
8 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Mais préciser le contenu de la réforme est une chose, la conduire en est une autre. La défi-
nissant comme « le moyen ordinaire de promouvoir le changement », A. Prost ajoute : « ce
qui ne veut pas dire qu’il y parvienne nécessairement » 2. Car la réalisation des objectifs
fixés au niveau national dépend avant tout des acteurs de terrain, dont les points de vue
sont par essence divers.
Dans sa version initiale, la réforme du collège a ainsi suscité de l’inquiétude. Des résistances
multiformes se sont exprimées dès la parution des textes réglementaires. Confrontés à des
évolutions sur lesquelles ils s’estiment – souvent à juste titre – insuffisamment formés,
beaucoup d’enseignants ont craint une remise en cause de leur identité professionnelle,
fortement ancrée sur la spécialisation disciplinaire.
Dans un tel contexte, leur accompagnement s’est avéré essentiel. La mise en œuvre de
toute réforme nécessite leur engagement, lequel repose sur une bonne compréhension
des enjeux et une formation adaptée aux objectifs. L’intervention concertée des personnels
d’encadrement – chefs d’établissement, corps d’inspection – doit y contribuer. Les premiers,
en particulier, y trouvent une occasion d’investir le terrain pédagogique avec volontarisme,
ouverture d’esprit et sens du collectif. Ils jouent un rôle incontestable d’entraînement et
de soutien des équipes, amenées à intégrer les nouveaux dispositifs et parcours dans une
réflexion plus globale sur le « bien commun d’établissement » 3. Les parents d’élèves, parties
prenantes à part entière de la réforme, doivent évidemment y être associés.
L’objectif de cet ouvrage est d’apporter un éclairage précis, en montrant en quoi la réforme
constitue, pour les équipes de terrain, l’occasion de se saisir collectivement de « sujets »
pédagogiques et éducatifs majeurs.
Partant du postulat fondamental que les objectifs pédagogiques et éducatifs de tout projet
d’établissement doivent se parler et s’articuler, cet ouvrage tente de penser les modalités
d’un travail collaboratif effectif, au service de la progression scolaire et sociale de tous les
élèves. Le rôle des instances y apparaît comme central, dans la mesure où elles peuvent – à
condition d’être utilisées à bon escient – être porteuses de propositions et d’analyses tout
à fait essentielles.
2 Prost A., « Du changement dans l’école : vision de l’historien », in AFAE n° 3 : Peut-on réformer l’école ? 2014,
p. 19.
3 Barrère A., « Travailler ensemble dans un établissement scolaire : le management pédagogique des chefs
d’établissement », ibid., p. 113.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 9
Cet ouvrage est organisé en quatre parties qui abordent les différents enjeux de la réforme
du collège et proposent d’en donner des éléments de compréhension et de définir les moda-
lités concrètes de sa mise en œuvre locale. Toutes forment un cadre structurant pour appré-
hender les questions vives soulevées par la réforme, son pourquoi et son comment. Si leur
lecture ordonnée répond à un objectif global de compréhension des enjeux du système
éducatif actuel, rien n’empêche le lecteur de puiser, à sa guise, des éléments de réflexion
en leur sein, au gré des différents aspects que chaque partie aborde.
La première partie s’attache à replacer la réforme dans le contexte qui l’a générée, celui de
la refondation de l’école de la République, initiée pour répondre aux nouveaux défis posés
au système éducatif actuel : la lutte contre les inégalités scolaires, l’autonomie croissante
des ÉPLE, la question de l’évaluation des acquis des élèves ou encore le développement du
numérique. Basée sur une approche résolument globale de la formation de l’élève futur
citoyen, la réforme impose une réflexion sur la formation et les pratiques des équipes
éducatives et pédagogiques et interroge la place de l’ensemble des acteurs de l’éducation,
dans l’objectif d’une réussite éducative globale.
La troisième partie est plus spécifiquement consacrée à la place de l’élève dans la réforme,
à ce qu’elle veut faire de lui et aux moyens qui lui sont proposés pour y parvenir. Elle
s’attache dans un premier temps à préciser les enjeux de la réforme pour le collégien,
que ce soit en termes d’apprentissage et de progression, d’épanouissement personnel ou
encore de formation à sa vie future de citoyen responsable et éclairé. La suite est consacrée
au(x) parcours scolaire(s) de l’élève, constitué(s) d’un ensemble de savoirs disciplinaires,
de compétences acquises au cours des situations d’apprentissage proposées à l’école et
des expériences extrascolaires diverses de l’élève, ensemble dont l’enjeu – inscrit dans la
réforme – est d’assurer la cohérence.
La quatrième et dernière partie est consacrée au rôle des instances. Si toutes ne sont pas
directement concernées par les changements, certaines ont au contraire un rôle prépon-
dérant à jouer pour assurer non seulement la mise en place de la réforme mais aussi sa
réussite locale. Tel est le cas du conseil école-collège, récemment créé, qui se situe à la
jonction des deux degrés et qui a pour tâche d’éviter toute discontinuité, mais aussi du
conseil pédagogique, qui a notamment à se saisir de la question de l’évaluation à ses diffé-
rents niveaux. Le conseil d’administration est, quant à lui, garant de l’adéquation entre
les objectifs nationaux et locaux assignés à la réforme. Son rôle de validation concerne
également le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté et le tout récent conseil de
la vie collégienne, qui ont tous deux à investir le parcours scolaire de l’élève futur citoyen.
Ajoutons enfin que, si des ajustements certains ont été apportés à la réforme, dans le
contexte politique nouveau qui a suivi l’élection présidentielle de mai 2017, ils ne renou-
vellent pas, pour autant, les problématiques principales auxquels sont confrontées, au
quotidien, les équipes pédagogiques et éducatives des collèges. Comme nous le montrerons
tout au long de l’ouvrage, celles-ci reflètent des préoccupations plus globales, qui ne sont
d’ailleurs pas propres au système éducatif français.
SOMMAIRE
LE CONTEXTE
DE REFONDATION
DU SYSTÈME
ÉDUCATIF
MIK AËL A CORDONNIER
SOMMAIRE
La refondation de l’école de la République est présentée dans l’annexe de la loi du 8 juillet
2013 comme « un grand dessein éducatif » car elle engage « l’avenir de la jeunesse, le redres-
sement de notre pays, son développement culturel, social et économique ».
Cette orientation de la politique éducative nationale s’appuie sur des indicateurs inter-
nationaux et nationaux, dont le point commun est de mettre en évidence la complexité
des défis auxquels sont aujourd’hui confrontés les systèmes éducatifs dans un monde
désormais globalisé. Les éléments d’analyse établis par l’OCDE dans le cadre du Programme
international de suivi des acquis des élèves permettent ainsi de tirer des enseignements
utiles, même s’ils ne sont pas directement transposables, sur les facteurs qui favorisent ou
entravent l’équité scolaire d’un État à l’autre. Les apports récents de la recherche, notam-
ment française, déclinent également la question sous ses différents aspects : prévention
et lutte contre le décrochage, mixité sociale des établissements, climat scolaire, accès au
numérique. Les réflexions sur le rôle des différents niveaux de décision et de responsabilité,
de l’État à l’établissement scolaire en passant par les collectivités territoriales, s’en trouvent
renouvelées.
Une approche systémique est donc privilégiée. Il ne s’agit pas d’agir sur un seul levier, mais
sur plusieurs. Ainsi, à partir d’objectifs généraux touchant à la formation intellectuelle et
civique de l’élève, les textes portant sur la mise en œuvre de la réforme du collège pres-
crivent ou orientent, dans le même temps, la relation entre programmes et socle commun,
l’articulation entre les cycles, la déclinaison des parcours, les modalités d’évaluation. Tel
un système de poupées russes, chacun de ces aspects met au jour de nouveaux champs –
complexes – de questionnement et d’action : sur les compétences, sur l’interdisciplinarité,
sur la place de l’enseignement moral et civique, sur les relations aux familles.
SOMMAIRE
14 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
1 Bisson-Vaivre C., « La réussite éducative : quelle actualité ? », in École, territoire et partenariats, revue
Diversités, hors-série n° 16, 2015, p. 16.
SOMMAIRE
LA RÉFLEXION
SUR LES DÉFIS
DE L’ÉDUCATION
En France comme dans d’autres systèmes éducatifs, compris « de pauvreté et de vulnérabilité », et qui sont
la persistance des inégalités face à l’école conduit à la susceptibles de les éloigner de l’ambition scolaire 2.
promotion d’un socle commun à tous les élèves : « Il
s’agirait de réaliser une véritable égalité des chances Toute la difficulté est alors de préciser quelle concep-
et de fabriquer un vivre ensemble par l’école, non tion de la justice à l’école est à l’œuvre, alors que le
seulement en scolarisant tous les élèves dans la principe méritocratique de l’égalité des chances a
même école et les mêmes classes de façon indiffé- montré ses limites et qu’une approche davantage
renciée, mais aussi par les références communes des fondée sur l’équité reste à construire 3. Sans trancher
savoirs communs. On aurait là le seul cap acceptable de façon claire, la réforme du collège réaffirme cepen-
des politiques éducatives en démocratie » 1. La chose dant le rôle central du socle commun comme moyen
est pourtant loin d’être simple, car les acteurs de de garantir à tous les élèves la possession, en fin de
l’école affrontent des mouvements contradictoires, troisième, d’un bagage de connaissances et de compé-
qui ne sont pas sans générer clivages, tensions et tences favorisant leur insertion future.
tentations de repli.
En 2012, le rapport de la concertation notait : « L’école
La mise en œuvre de la réforme du collège – et donc française ne progresse plus pour tous, mais de façon
sa réussite – repose donc d’abord sur la capacité de plus alarmante, elle laisse sur le bord du chemin un
ses promoteurs à rendre clairs des enjeux complexes, nombre grandissant de jeunes issus des milieux les
en les resituant dans une perspective plus globale que plus fragiles socialement. Si la France a, d’une certaine
les acteurs de terrain peuvent s’approprier. manière, réussi la massification de l’éducation – c’est-
à-dire l’ouverture de son école de la scolarité obliga-
toire à tous les jeunes d’une génération –, elle n’est
LUTTER CONTRE LES ÉCARTS DE RÉUSSITE parvenue que partiellement à sa démocratisation. Les
LIÉS AUX ORIGINES SOCIALES résultats scolaires restent encore trop corrélés aux
milieux sociaux d’origine » 4.
Relevant, à la suite de nombreux rapports internatio-
naux et nationaux, combien la démocratisation de Ce constat n’est pas nouveau. Depuis le début des
la réussite scolaire reste en deçà de ce que pouvait années quatre-vingt, des sociologues reconnus (F.
laisser espérer l’ouverture de l’école à tous, la loi de Dubet, M. Duru-Bellat, G. Felouzis, P. Merle) ont mis en
Refondation pose comme principe essentiel « l’in- évidence les limites du principe d’égalité des chances.
clusion scolaire de tous les enfants, sans aucune Placés a priori en situation égale d’accès à l’école
distinction » (article L. 111-1 du Code de l’Éducation). depuis la mise en place du collège unique en 1975,
Tous peuvent apprendre et progresser, à condition de les élèves n’en continuent pas moins de se trouver
prendre en charge les difficultés qu’ils rencontrent, y dans des situations sociales et culturelles inégales
qui ne permettent pas aux plus faibles d’entre eux
1 Gauthier R.-F., « Ce que l’école enseigne en commun : 3 Rapport du CNESCO, Inégalités sociales et migratoires : comment
enjeux et difficultés d’un thème politique majeur », Revue l’école amplifie-t-elle les inégalités ? 2016, p. 13 et suivantes.
internationale d’éducation, n° 73, décembre 2013, p. 42. 4 Rapport précité, p. 11.
SOMMAIRE
16 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
d’affronter la compétition scolaire de façon équitable. réduction des inégalités de réussite liées à l’origine
Selon F. Dubet, « l’égalité des chances a également sociale ou, au contraire, contribuent à les renforcer.
accru le rôle sélectif de l’école elle-même : plus c’est
l’école elle-même qui sélectionne et fait la différence, C’est notamment 9 le cas du Programme international
plus l’école devient compétitive, plus les élèves et les de suivi des acquis des élèves (PISA) qui concerne
familles usent de stratégies utilitaristes » 5, au béné- soixante-douze pays – dont les trente-cinq de
fice des plus favorisés. Le choix d’un collège plutôt l’OCDE – et constitue désormais « un outil de pilotage
qu’un autre, à la faveur des options « élitistes » qu’il éducatif » 10. Il évalue, tous les trois ans depuis 2000, la
propose – classe à horaires aménagés, sport études, capacité d’un panel d’élèves de quinze ans à mobiliser
langues anciennes… – conduit ainsi à une différen- leurs connaissances scolaires et à les appliquer dans
ciation manifeste des parcours scolaires. des situations variées, proches de la vie réelle. Trois
domaines clés sont concernés : les mathématiques,
Le recours à la notion de mérite, sorte de « fiction la compréhension de l’écrit et la culture scientifique.
nécessaire selon laquelle les individus, placés dans
une situation égale au départ de leur scolarité, Précédant la loi de refondation, l’enquête de 2012
ne devraient leur réussite qu’à eux-mêmes » 6 et est venue confirmer, pour la France, les tendances
seraient donc responsables de leurs échecs éven- déjà observées dans les échantillons antérieurs. Si le
tuels, a aggravé le sentiment d’injustice éprouvé par score national se situe dans la moyenne de l’OCDE,
les vaincus de la sélection scolaire. Il s’exacerbe au les performances des élèves se dégradent 11, les écarts
fil des années, particulièrement au collège. Car c’est se marquent entre les plus forts et les plus faibles 12,
là que se marquent les jugements scolaires ainsi que la corrélation entre le milieu socio-économique et la
les processus d’évaluation et d’orientation, irriguant performance scolaire est bien plus importante que
tant le quotidien des classes que les discours tenus dans les autres pays de l’OCDE.
aux familles. La conscience, par celles-ci, que l’échec
scolaire risque d’assombrir durablement l’avenir En conséquence, « le système d’éducation français
professionnel et social de leur enfant 7, produit désil- est plus inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était neuf ans
lusion, défiance, ressentiment. auparavant et les inégalités sociales se sont surtout
aggravées entre 2003 et 2006. En France, lorsque
Ainsi, s’il est faux de dire que le niveau global des l’on appartient à un milieu défavorisé, on a claire-
élèves baisse 8, force est de constater – et de déplorer – ment aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en
le poids persistant des déterminismes sociaux sur 2003 » 13.
les trajectoires scolaires, déterminismes que les
politiques éducatives mises en œuvre ces dernières Les signaux d’alarme sont nombreux. La proportion
décennies n’ont pas permis de neutraliser. d’élèves « résilients » – qui réussissent au-delà de
ce que leur origine sociale permettait d’envisager –
Les enquêtes internationales le démontrent. est inférieure à la moyenne de l’OCDE (22 % au lieu
Mesurant les compétences acquises par des panels de 26 %). Les élèves issus de l’immigration sont au
d’élèves, elles permettent notamment de déterminer
si les politiques éducatives nationales favorisent la
9 Une autre enquête (PIRLS), évaluant les compétences
de lecture des élèves à l’école primaire, montre une baisse
5 Dubet F., « Les dimensions des inégalités scolaires », de leurs performances de dix points entre 2001 et 2011.
in Inégalités économiques, inégalités sociales, 10 Rey O., « PISA : Ce que l’on en sait et ce que l’on en fait »,
Cahiers français, n° 351, 2009. Dossier de veille de l’IFÉ, n° 66, octobre 2011.
6 Dubet F., L’École des chances : Qu’est-ce qu’une école juste ? 11 Le score en mathématiques a diminué de seize points entre
coll. « La République des idées », Seuil, 2004, 2003 et 2012, plaçant la France entre la 23e et la 29e place.
p. 26 et suivantes. Les élèves en difficulté sont beaucoup plus nombreux
7 La note de l’OCDE Regards sur l’éducation (2015) relève (p. 12) (22 % au lieu de 15 % en 2000), alors que le nombre d’élèves
que l’insertion des jeunes les moins qualifiés est difficile très performants n’a pas augmenté. Surtout, les résultats
en France, situation très problématique pour la cohésion des 10 % d’élèves les moins performants ont chuté de
sociale et la croissance inclusive du pays. vingt-trois points, alors que les résultats des 10 % d’élèves
les plus performants n’ont baissé que de six points.
8 Depuis quarante ans, le niveau de formation de la
population française s’est considérablement élevé 12 En compréhension de l’écrit aussi, l’écart de performance
(même note p. 5). De plus, 40 % des Français de vingt-cinq entre filles et garçons s’accentue depuis 2000 (de 29 à 44
à trente-quatre ans ont un niveau de formation plus élevé points de différence en faveur des premières).
que leurs parents (contre 32 % en moyenne dans l’OCDE). 13 OCDE, France PISA, 2012, faits marquants.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 17
moins deux fois plus susceptibles de compter parmi « Si la dernière enquête internationale PISA de
les élèves peu performants, même lorsqu’ils ont suivi mai 2015 montre, en effet, une stabilité du score
leur scolarité complète en France. moyen des élèves français en culture scientifique
aussi bien qu’en culture mathématique, et en
Enfin, l’enquête de 2012 relève que cette situation compréhension de l’écrit, en culture mathématique
a des conséquences sur l’engagement et la motiva- elle confirme le maintien de différences de scores
tion des élèves français, qui manifestent davantage très importantes entre les élèves issus de milieux très
d’anxiété et moins de persévérance que dans d’autres défavorisés et ceux issus de milieux très favorisés. La
pays. Si ce mal-être varie en fonction du niveau d’en- proportion d’élèves en difficulté sur les deux autres
seignement, du lieu de scolarisation, de la discipline champs s’accroît nettement. Par ailleurs, l’écart de
scolaire, il est nettement marqué chez les enfants performances en sciences, entre les élèves non immi-
issus d’un milieu socio-économique défavorisé. grés et les élèves issus de l’immigration, est plus
important en France que dans les pays de l’OCDE.
Ces tendances se confirment en 2015. Pour l’OCDE,
« le système en France est toujours dichotomique : Même si certains points du programme PISA sont
tenu par ses bons élèves dont la proportion est stable contestés, il n’y a, malgré tout, aucun doute sur le
et supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE, et se caractère très inégalitaire du système éducatif fran-
dégradant lentement par le bas, avec une proportion çais, à l’opposé de l’égalité des chances promue. Les
d’élèves en difficulté toujours supérieure à la moyenne enquêtes nationales le confirment aussi.
des pays de l’OCDE ». Ces résultats sont préoccupants
tant le système français est plus inégalitaire que la La Direction de l’évaluation, de la prospective et de
plupart des pays de l’OCDE 14. L’organisation fixe, en la performance (DEPP) a ainsi pointé, dans ses notes
conséquence, quatre défis au système éducatif fran- d’information récentes :
çais : rendre le système plus efficace en soutenant les –– l’incapacité du collège à atténuer les inégalités
élèves et les établissements défavorisés ; lutter contre sociales et culturelles des élèves 16 ;
l’échec scolaire dès le plus jeune âge ; améliorer la –– le fait que les sortants sans diplôme proviennent
qualité de l’enseignement et la transmission du savoir plus fréquemment d’un milieu social défavorisé 17 ;
dans le primaire et le secondaire, revaloriser le métier –– la corrélation entre l’origine sociale et l’orientation
d’enseignant ; rehausser la qualité et la valorisation vers l’adaptation scolaire et la scolarisation des
des filières professionnelles au lycée. élèves handicapés (ASH) 18 ;
–– la baisse du score moyen en mathématiques en fin
Pour N. Mons, s’y ajoute un fait nouveau. « Alors que de collège entre 2008 et 2014, la hausse du pourcen-
les champs disciplinaires – compréhension de l’écrit, tage des élèves de faible niveau (de 15 % à 19,5 %),
culture mathématique et scientifique – présen- le maintien d’une performance inférieure des filles
taient des résultats relativement proches au début sur les garçons, la corrélation entre la réussite
des années 2000, l’analyse des évolutions propres scolaire et l’origine sociale, une anxiété forte liée
à chaque champ montre qu’il nous faut désormais aux résultats obtenus 19.
regarder l’école française à travers le prisme des
disciplines. Plus particulièrement, une discipline doit Deux rapports récents ont étudié l’impact de la grande
être placée sous surveillance : les mathématiques et pauvreté sur la réussite scolaire. Celui de l’Inspection
l’apprentissage des fondamentaux » 15. générale de l’Éducation nationale de 2015 20 souligne
SOMMAIRE
18 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
que les fragilités économiques, sociales et culturelles que les élèves orientés vers une voie autre que géné-
rencontrées par les familles les plus défavorisées ont rale n’ont pas accès à certains enseignements pour-
un impact réel, souvent sous-estimé, sur la fréquen- tant essentiels pour la compréhension du monde 24.
tation et l’investissement scolaires des enfants
concernés (qui sont 1,2 million si l’on retient le seuil L’enjeu de la refondation n’est donc pas seulement
de 50 % du revenu médian). L’assiduité, l’attention politique ou social, il est aussi pédagogique. L’urgence
et la concentration en classe, l’ouverture au monde est de pouvoir garantir que tout élève, quelle que soit
pâtissent de leurs conditions de vie précaires. Les son origine sociale, maîtrise les compétences de base
inquiétudes liées à l’inscription à la demi-pension, à pour pouvoir réussir sa vie. C’est l’objectif du nouveau
l’achat des fournitures, à la participation aux sorties socle commun de connaissances, de compétences et
ou voyages scolaires empêchent une scolarité sereine. de culture, « principe organisateur de l’enseignement
obligatoire à condition de ne pas être conçu comme
Outre les causes sociales de ces phénomènes, Jean- un savoir minimum » 25.
Paul Delahaye situe une partie des difficultés rencon-
trées dans le fonctionnement même du système
éducatif. La multiplication de dispositifs particuliers UN ENJEU DÉSORMAIS FONDAMENTAL :
de prise en charge de la grande difficulté scolaire L’ACQUISITION DU SOCLE COMMUN,
tend à séparer insidieusement ces élèves des autres. PORTEUR D’UNE CULTURE SCOLAIRE
D’autres pratiques creusent encore les inégalités, COMMUNE
comme les devoirs à la maison ou le redoublement.
Dans leur ouvrage Dix propositions pour changer
Lutter contre la ségrégation sociale et scolaire dans d’école, M. Duru-Bellat et F. Dubet appellent à
certains territoires est aussi l’une des préconisations combiner les deux principes de justice que sont l’éga-
du rapport du Conseil économique, social et environ- lité des chances et l’égalité des résultats. « Les talents,
nemental, intitulé Une école de la réussite pour tous 21. les mérites et les singularités doivent être reconnus,
La question des procédures scolaires y est largement sans que la norme d’excellence conduise au mépris
évoquée comme pesant sur la progression des élèves et à l’exclusion des moins bons des élèves. L’école
les plus fragiles. doit considérer que tous les élèves sont capables
de réussir, ce qui conduit à articuler d’une manière
Dans son rapport, J.-P. Delahaye souligne que « les nouvelle les deux conceptions antagoniques de la
écarts de réussite scolaire associés aux origines justice » 26. Cette articulation passe par la définition
sociales mettent en danger à la fois l’école française d’une culture commune à tous les élèves, qui dise ce
et notre République car, depuis l’origine, le destin qui est exigé de tous en fin de scolarité obligatoire,
de l’école publique et celui de la République sont sans toutefois nier la singularité de chacun. Cette
liés. À ce niveau atteint par les inégalités, il devient « égalité des acquis ne postule donc pas que tous les
absurde et cynique de parler d’égalité des chances, élèves devraient être excellents sans aucune diffé-
c’est à l’égalité des droits qu’il faut travailler » 22. Il rence, ou tous avoir le diplôme le plus élevé, mais
met même en garde contre le « retour d’un système seulement que ces différences doivent être les plus
éducatif par ordre, au sens que cela avait sous l’an- faibles possible et surtout le plus possible dégagées
cien régime » 23 qui repose sur les discours des classes des caractéristiques descriptives des élèves. L’intérêt
sociales moyennes et supérieures. Celles-ci n’ont d’une telle conception est qu’elle inverse l’ordre
pas vraiment intérêt à ce que les privilèges scolaires des priorités entre l’enseignement et l’apprentis-
dont elles bénéficient soient affectés par les réformes sage. Les programmes et plans d’étude définissent
(rythmes scolaires, disparition des sections bilangues ce que les élèves doivent savoir ; aux enseignants
ou européennes, mixité scolaire). À cela s’ajoute le fait d’agir pour enseigner ce qu’il est nécessaire pour
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 19
réaliser ce but. L’objectif premier est donc l’appren- et d’action. Chacun requiert, pour sa mise en œuvre,
tissage. L’enseignement n’est qu’un moyen pour y « la contribution transversale et conjointe de toutes
parvenir » 27. les disciplines et démarches éducatives ». Le domaine
Plusieurs questions se posent alors à l’École. 1, consacré aux langages pour penser et communi-
quer, recouvre ainsi quatre types de langage (la langue
La question des finalités française, les langues vivantes étrangères ou régio-
Quels sont les repères communs à donner à tous nales, les langages mathématiques, scientifiques,
les élèves, en vue de quoi ? Quels futurs citoyens informatiques et des médias, les langages des arts
souhaite-t-on et comment les forme-t-on ? Comment et du corps) que l’élève s’approprie progressive-
s’assurer que les savoirs délivrés s’adressent à tous ? ment pour, entre autres, écouter ses interlocuteurs,
communiquer (à l’oral, à l’écrit et avec son corps),
La question des contenus découvrir d’autres contextes culturels, s’initier aux
Quelle culture, quels savoirs prioritaires leur trans- outils mathématiques et programmes informatiques.
mettre, et comment ? Quelle place fait-on à l’acquisi-
tion de savoir-faire et de compétences transversales ? Dans cette optique, le socle « doit devenir une réfé-
Comment articuler, de façon intelligible et pertinente, rence centrale pour le travail des enseignants et des
connaissances et compétences ? acteurs du système éducatif ».
La question des modalités de transmission Il organise tout d’abord l’articulation entre connais-
Comment donner sens à ces savoirs dans le cadre sances et compétences. Dans une conférence consa-
des disciplines scolaires et au-delà ? Comment les crée au socle commun au collège 29, M. Lussaud, alors
« faire parler » en les contextualisant ? Comment président du Conseil supérieur des programmes,
s’assurer que tous les élèves peuvent s’en saisir et insiste sur la volonté de ses membres de se placer du
les réinvestir ? point de vue des apprentissages maîtrisés des élèves.
Pour lui, plus que les connaissances, ce sont bien les
Le décret du 31 mars 2015 pris en application de compétences qui sont au cœur du socle.
l’article 13 de la loi de 2013 précise que la scolarité
obligatoire doit donner aux élèves « une culture Si cette notion a fait polémique dès 2005 – en raison
commune, fondée sur les connaissances et compé- de son potentiel « libéral » –, elle n’en reste pas moins
tences indispensables, qui leur permettra de s’épa- centrale dans le nouveau socle. Elle continue d’être
nouir personnellement, de développer leur sociabilité, définie comme la capacité des élèves à mobiliser les
de réussir la suite de leur parcours de formation, de ressources dont ils disposent (connaissances, capa-
s’insérer dans la société où ils vivront et de participer, cités, attitudes) dans un contexte nouveau ou inat-
comme citoyens, à son évolution » 28. La lutte contre tendu, en étant capables d’expliquer pourquoi ils l’ont
les exclusions et les discriminations, le développe- fait de cette façon 30. Les activités et supports d’ap-
ment personnel de chaque élève « par la meilleure prentissage qui leur sont proposés – en particulier les
éducation possible » sont les objectifs prioritaires. tâches complexes – doivent, selon le décret, constituer
« de véritables enjeux intellectuels, riches de sens et
Le socle commun devenu « de connaissances, de de progrès ». Pour que les élèves puissent saisir le
compétences et de culture » est resserré autour de cinq sens de ce qui leur est enseigné et opérer les trans-
domaines de formation « qui définissent les grands ferts pertinents dans d’autres situations – qu’elles
enjeux de formation durant la scolarité obligatoire ». soient scolaires ou sociales –, il est nécessaire que les
Chacun contribue à ce que « l’élève engagé dans sa enseignants prennent en compte, « dans le processus
scolarité » accède progressivement à la connaissance d’apprentissage, les vécus et les représentations des
et au jugement, prenne conscience des valeurs qui
permettent de vivre en société, comprenne le monde
qui l’entoure, développe ses capacités d’imagination
29 Conférence organisée par l’IFÉ les 13-14 novembre 2015.
Les enregistrements audios et les supports de présentation
27 Felouzis G., Fouquet-Chauprade B., Chasmillot S., sont disponibles sur le site eduveille.hypotheses.org
Imperiale-Arefaine L., « Inégalités scolaires et politiques 30 M. Develay parle de « savoir-agir réfléchi ». La compétence
d’éducation », contribution au rapport du CNESCO, 2015, se distingue du savoir-faire, qui peut être routinier.
p. 14. Elle n’est pas de nature scientifique mais permet de donner
28 Décret n° 2015-372 du 31/03/2015, JO du 02/04/2015. de la cohérence à l’action.
SOMMAIRE
20 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
élèves, pour les mettre en perspective, enrichir et faire de l’action éducative » 33. Pour J.-C. Meyer, les ensei-
évoluer leur expérience du monde ». gnants sont désormais amenés à opérer des choix
portant sur les apprentissages à installer, les contenus
Il fait ensuite une large place aux méthodes et outils disciplinaires qui y sont associés, les stratégies péda-
pour apprendre à apprendre (Domaine 2) qui doivent gogiques pertinentes, les résultats attendus et les
faire l’objet « d’un apprentissage explicite en situa- modalités d’évaluation retenues.
tion, dans tous les enseignements et espaces de la
vie scolaire ». L’objectif est de développer l’autonomie En outre, ces choix intègrent une dimension psycho-
individuelle ainsi que l’apprentissage collectif en logique (développement cognitif et affectif de l’élève),
matière d’accès à l’information et à la documenta- mais aussi culturelle et sociale (facteurs sociocultu-
tion, d’usage des outils informatiques, d’organisa- rels initiaux, mobilisation des compétences dans la
tion du travail, et de mise en place de projets. Pour vie quotidienne dans des expériences vécues).
M. Lussault, la place centrale conférée à cette compé-
tence – qui irrigue toutes les autres – peut contribuer Pour O. Rey, l’observation des systèmes éducatifs
à « objectiver le commun scolaire, [à] le prendre au montre « la nécessité d’embrasser à la fois les disci-
sérieux en disant que ce commun n’est pas purement plines, qui constituent encore aujourd’hui le cadre
rhétorique, ce ne sont pas simplement quelques idées organisateur de la majeure partie des contenus d’en-
qui flottent dans l’éther de la pensée sur l’éducation, seignement, et un ensemble de contenus de l’édu-
mais ce commun peut être objectivé autour de pôles cation qui ne procèdent pas strictement des savoirs
de compétences et de connaissances qui renvoient à dits « savants », tels qu’ils sont consacrés par les lieux
la manière dont on donne aux enfants les clés pour institutionnels que sont les universités ou les autres
apprendre à apprendre » 31. institutions académiques » 34. La notion de culture
peut, de la même façon, relever d’une approche
Il devient, enfin, le programme des programmes. académique – les objets de savoir sont sélectionnés
« Les objectifs de connaissances et de compétences et hiérarchisés en fonction de leur rôle supposé dans
de chaque domaine de formation et la contribution de la transmission d’un héritage culturel – ou d’une
chaque discipline ou enseignement à ces domaines approche socialisatrice – qui intègre des attitudes,
sont déclinés dans les programmes d’enseignement » des valeurs, des dispositions sociales permettant la
de chaque cycle. Logiquement, les acquis des élèves reconnaissance d’une « culture de la subjectivité » 35.
dans les huit composantes du socle 32 sont évalués au
cours de la scolarité sur la base des connaissances Ainsi, l’idée de « culture commune » renvoie-t-elle
et des compétences attendues en fin de cycle, telles à ce qui permet de favoriser le lien social dans une
qu’elles sont fixées par les programmes d’enseigne- vision qui veut transcender les particularismes. Ce
ment. Les programmes sont, d’une certaine manière, faisant, elle interroge la capacité de l’école à agir réel-
au service du socle. L’objectif est d’implanter réelle- lement sur les inégalités, en cessant de les accentuer
ment celui-ci dans les pratiques enseignantes. d’abord, en contribuant à leur réduction ensuite. Il
s’agit là d’une exigence éthique fondamentale, dont la
L’attention portée à la maîtrise des apprentissages par mise en œuvre nécessite indubitablement une évolu-
tous les élèves conduit à une approche nouvelle dans tion des regards, des pratiques et des organisations.
laquelle les programmes constituent des « données C’est dans ce cadre que l’autonomie des établisse-
opérationnelles, dans le cadre des enseignements ments scolaires est discutée.
aussi bien disciplinaires que transversaux. Le curri-
culum d’enseignement matérialise cette traduction
qui marque le passage de l’intentionnalité à la réalité
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 21
L’AUTONOMIE CROISSANTE DES ÉPLE accrue à la recherche d’une gestion publique plus
efficace et plus efficiente puis à l’amélioration de la
La notion d’autonomie revêt un caractère indénia- qualité de l’éducation.
blement polysémique dans le contexte scolaire.
Définie comme la capacité à se gouverner soi-même Initiatrice de ce mouvement au début des années
en suivant ses propres lois, elle s’applique aussi bien quatre-vingt, la France a bien marqué ces trois temps :
aux acteurs scolaires (élèves, enseignants 36) qu’aux adaptation aux besoins locaux (avec la promotion
unités éducatives (ÉPLE). Des premiers, elle sollicite du projet d’établissement), meilleure utilisation des
– de façon différente – l’engagement et la responsa- ressources publiques dans le cadre de la LOLF (avec
bilité. Des secondes, elle interroge la capacité à se une responsabilisation accrue des acteurs), objectif
saisir des marges de manœuvre possibles dans un affirmé d’une réussite de tous les élèves (avec un
contexte (administratif, pédagogique, éducatif, finan- recentrage sur l’autonomie pédagogique). Par ailleurs,
cier) donné. l’autonomie des ÉPLE s’est trouvée étroitement liée à
un double mouvement de déconcentration (renfor-
Dans sa version initiale comme dans ses ajustements cement des échelons intermédiaires de l’État) et de
récents, la réforme du collège tente de faire avancer décentralisation (attribution de nouvelles compé-
le chantier de l’autonomie pédagogique des ÉPLE, en tences aux collectivités territoriales). Ce mouvement
continuant cependant de l’encadrer. s’est lui-même amplifié et complexifié.
Une autonomie traditionnellement limitée Pour autant, elle reste en retrait des autres pays de
Lors d’un colloque organisé par l’association l’OCDE. Ainsi, n’est-elle pas mentionnée dans une
Éducation et devenir, A. Boulineau a caractérisé l’au- enquête PISA de 2011 consacrée à l’impact, présenté
tonomie comme « la capacité d’une structure à définir comme positif, de l’autonomie et de la responsabi-
des objectifs opérationnels propres ainsi que les voies lisation des établissements scolaires sur les perfor-
permettant d’y parvenir. Elle s’exerce dans le rÉSPÉct mances des élèves 38.
d’objectifs prioritaires fixés à un niveau supérieur et
de règles relevant de la pratique démocratique » 37. C’est que la tradition centralisatrice (et bureaucra-
tique) y est très ancrée. Elle conduit toujours à un
Si elle n’est pas nouvelle, la question de l’autonomie encadrement fort dans le cadre d’un système éducatif
prend une dimension particulière ces dernières pensé avant tout comme national. L’exercice local
années. L’enjeu de la maîtrise, par tous les élèves, de l’autonomie est donc contraint par de nombreux
de connaissances et de compétences solides leur textes législatifs et réglementaires qui en limitent la
permettant d’affronter un monde professionnel et portée réelle. « L’autonomie est davantage aujourd’hui
social plus incertain contraint à envisager les établis- un concept juridique, instaurant des statuts et défi-
sements scolaires, non plus comme un chaînon parmi nissant des sphères de compétences formelles,
d’autres, mais comme de véritables unités éducatives. qu’une situation authentique de pratiques éducatives
et de pilotage » 39.
Le réseau européen Eurydice, qui s’est intéressé, dès
2007, aux mécanismes de mise en œuvre de l’auto- D’autant que les acteurs scolaires eux-mêmes
nomie scolaire dans les trente pays participants, a l’envisagent souvent avec réserve. Les chefs d’éta-
montré que la dévolution de responsabilités et de blissement l’associent à un surcroît de travail et de
pouvoirs de décision aux établissements scolaires a « rendre compte ». Les enseignants y voient un moyen
partout augmenté, avec des motivations politiques qui
ont évolué du besoin de participation démocratique
SOMMAIRE
22 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
insidieux d’empiéter sur leur liberté pédagogique 40. un système éducatif qui doit rester national sans être
Les syndicats craignent une possible rupture de l’éga- pour autant uniforme » 46.
lité républicaine, doublée d’une mise en concurrence
des établissements 41. Au-delà de cette « réticence Dans une contribution récente au Café pédagogique 47,
au libéralisme » 42 éducatif, les acteurs s’inquiètent, Philippe Meirieu soutient qu’il faut « assumer de
non sans ambivalence 43, d’un possible « marché de construire une École qui soit véritablement jacobine
dupes » 44. sur ses finalités et radicalement girondine dans ses
modalités ». Autrement dit, que soit maintenu un
La question centrale est, en réalité, celle-ci : comment pilotage national fort sur les principes et les objec-
garantir qu’une autonomie plus grande des ÉPLE tifs à atteindre – de façon à lutter contre le risque
amène un enseignement et une éducation scolaires d’une libéralisation excessive du système éducatif, au
de meilleure qualité pour les élèves, sans accroître les détriment de la mixité sociale –, tout en laissant de la
inégalités existantes ? liberté aux acteurs de terrain pour leur mise en œuvre
pédagogique et éducative – afin de tenir compte des
Pour J.-C. Torres, également auteur d’un ouvrage caractéristiques locales. Envisagée comme « pouvoir
sur le sujet 45, l’autonomie doit avant tout permettre d’agir pédagogique », l’autonomie leur donne « la
de mieux faire face à l’hétérogénéité des publics capacité de prendre des décisions susceptibles de
scolaires, auxquels il est nécessaire d’apporter des faire une différence quant aux résultats pour les
réponses pédagogiques et éducatives personnali- élèves, cette capacité étant exercée de manière signi-
sées. Les acteurs de l’établissement scolaire sont les ficative, systémique et continue » 48.
mieux placés pour y parvenir, à condition que chacun
ose, dans son champ de compétences propres mais La réforme du collège s’inscrit dans cette voie.
en travaillant avec les autres, s’engager et innover. Il
s’agit de libérer les initiatives locales, en s’appuyant L’attribution de nouvelles marges de manœuvre
davantage sur les outils (projet d’établissement, pédagogiques
contrat d’objectifs, expérimentations pédagogiques) La circulaire n° 2015-106 du 30 juin 2015 énonce que
et les instances (conseil pédagogique, conseils d’en- « l’organisation du collège renforce l’autonomie des
seignements, conseil d’administration) existants. En établissements et des enseignants et par conséquent
ce sens, l’autonomie n’est pas « un objectif en soi, leur capacité d’adaptation aux besoins et aspirations
mais un moyen pour plus d’efficacité, et donc d’éga- des élèves. Les pratiques différenciées s’enrichissent
lité, un moyen parmi d’autres, pour faire progresser de toutes les innovations et initiatives pédagogiques
des équipes enseignantes ». L’objectif principal est
donc de mieux prendre en compte la diversité des
40 Comme le relève Delahaye J.-P. : « N’a-t-on pas davantage élèves, en s’appuyant davantage sur la connaissance
de marges de manœuvre quand on est enseignant dans
que les acteurs des établissements en ont. La circu-
un établissement qui reçoit des consignes nationales
et donc lointaines ? La dépendance hiérarchique qui laire de rentrée 2016 précise que cette organisation
déresponsabilise et le pilotage lointain qui donne « repose sur la confiance dans le professionnalisme
une liberté peu contrôlée sont somme toute assez
de tous les personnels et libère leur capacité d’ini-
confortables. », « Aux origines de l’autonomie des
établissements », ibid., p. 44. tiative, pour permettre à tous les élèves de mieux
41 S’y ajoute la fragilisation de la notion de service public, liée apprendre et aux équipes de conduire une action
à la montée en puissance du « New Public management » : déterminée auprès des élèves les plus fragiles » 49. Il
Chaix G., « Autonomies : pourquoi ? pour qui ? comment ? »,
leur revient donc, à partir d’une analyse des capacités
ibid., pp. 16-18.
et des besoins de chaque élève et en s’appuyant sur
42 Dutercq Y., « De l’autonomie à la responsabilisation des
établissements : une histoire française ? », in Maulini O. les programmes disciplinaires, de mettre en place les
et Progin L. (coord.), Des établissements scolaires autonomes ? modalités d’accompagnement adaptées.
Entre inventivité des acteurs et éclatement du système, ESF
éditeur, 2016, p. 36.
43 Barthassat M.-A, Maulini O., « Des acteurs ambivalents :
l’autonomie, conquête ou cadeau empoisonné ? », ibid., 46 Delahaye J.-P., op. cit., p. 44.
p. 117 et sq. 47 Meirieu P., « Autonomie des établissements : de quoi
44 Maulini O. et Progin L., « L’autonomie : conquête, fiction, parle-t-on ? », Le Café pédagogique, mai 2016.
cadeau empoisonné ? », ibid., p. 15. 48 Feyfant A., « L’autonomie des ÉPLE », IFÉ, mai 2017,
45 Torres J.-C., Quelle autonomie pour les établissements scolaires ? : n° 118, p. 12.
réflexions sur la liberté pédagogique dans les collèges et les lycées, 49 Circulaire n° 2016-058 du 13/04/2016,
L’Harmattan, Paris, 2013. BO n° 15 du 14/04/2016, Point I-3.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 23
Dans cette optique, chaque collège se voit attribuer, Sur le terrain, la répartition de ces nouvelles marges
outre la dotation horaire correspondant aux enseigne- de manœuvre substantielles doit s’appuyer sur des
ments obligatoires, une dotation horaire supplémen- constats partagés reposant sur un diagnostic étayé
taire dont l’utilisation lui revient. Elle doit notamment de la situation pédagogique et éducative du collège.
permettre la constitution de groupes disciplinaires ou Le projet d’établissement constitue le point d’an-
à effectifs réduits, la mise en place d’interventions crage incontournable de cette réflexion collective. Le
conjointes de plusieurs enseignants devant la classe curseur se déplace ainsi de la recherche de la seule
ou celle d’enseignements de complément (latin, grec, conformité à des normes nationales et académiques à
langues régionales). Cette « marge-professeurs » celle d’un recentrage sur les objectifs locaux de réus-
représentait, pour l’année 2015-2016, 2,75 heures par site et d’éducation des élèves. Il permet de poursuivre
semaine et par division. Elle est maintenant de trois les actions et projets déjà menés, ou d’en proposer
heures par semaine et par division. Ainsi, un collège de nouveaux dans la mesure où ils répondent aux
de vingt divisions peut désormais utiliser une enve- besoins différenciés des élèves.
loppe de soixante heures. C’est une évolution subs-
tantielle puisque jusqu’alors, la dotation supplémen- Pour autant, le Ministère le précise lui-même :
taire représentait deux heures pour quatre divisions, « Cette autonomie est fortement encadrée au niveau
soit dix heures dans l’exemple précédent. national, à la fois par un cadre organisationnel, avec
des horaires nationaux et, surtout, par des contenus
La marge de manœuvre ainsi gagnée doit permettre communs, à travers le nouveau socle commun et les
aux équipes de définir l’organisation des enseigne- nouveaux programmes. Il s’agit donc d’une auto-
ments complémentaires (accompagnement et ensei- nomie régulée » 50. Les différents textes réglementaires
gnements pratiques interdisciplinaires), sans toute- (décrets, arrêtés, circulaires) consacrés à la mise en
fois ajouter aux heures obligatoires des élèves. œuvre de la réforme peuvent sembler, de ce point
de vue, particulièrement denses et prescriptifs. La
L’accompagnement personnalisé, qui s’appliquait circulaire du 30 juin attire ainsi l’attention des chefs
jusque-là en classe de 6e seulement, est étendu à tous d’établissement sur plusieurs points de vigilance : la
les autres niveaux de classe. Il représente trois heures nécessité d’une organisation équilibrée des emplois
par semaine en 6e, et d’une à deux heures en 5e, 4e et du temps des classes et des enseignants, la mise en
3e Les équipes ont à déterminer la répartition de ce place de temps de concertation, la constitution de
volant d’heures – qui doit être identique pour toutes groupes à effectifs réduits dans certaines matières,
les classes d’un même niveau –, ainsi que les moda- le rÉSPÉct de l’horaire hebdomadaire des élèves, soit
lités de la participation de chaque discipline à l’AP. vingt-six heures – à l’exception des heures dédiées
aux enseignements de complément –, la mise en
Les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) place d’une pause méridienne d’une heure trente.
ne concernent que le cycle 4, soit de la 5e à la 3e, pour
un volume horaire possible de deux à trois heures. Le défi pour les équipes est donc de s’appuyer sur
Les équipes fixent la liste des thématiques discipli- ces directives institutionnelles sans s’y enfermer
naires proposée par niveau, les modalités de partici- puisqu’il est avant tout question de se situer du point
pation des disciplines à celles-ci, le volume horaire de vue des élèves. Elles ont à opérer collectivement,
hebdomadaire et le nombre de semaines consacrées en partant de ce qui existe déjà, les choix les plus
dans l’année à chacun des EPI ainsi que les modalités pertinents en termes de contenus et d’organisation ;
de participation des élèves et de leurs représentants et cela dans le cadre des instances et au regard de
légaux au choix des thématiques interdisciplinaires. leurs missions propres.
SOMMAIRE
24 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
aménagement substantiel de la réforme. L’objectif portée. Il est probable que les EPI n’aient plus cours
est de « donner davantage de souplesse aux équipes qu’auprès des équipes qui, convaincues de leurs effets
pédagogiques dans l’organisation de leurs enseigne- bénéfiques sur les apprentissages des élèves, décide-
ments pour qu’elles puissent s’adapter aux besoins ront de les maintenir, en s’appuyant ou non sur les
des élèves et porter le développement d’identités thématiques définies précédemment. Le cas échéant,
pédagogiques spécifiques pour leurs établisse- il suffira de s’assurer que chaque élève bénéficie, au
ments » 52. Elles peuvent donc décider de maintenir cours de ses quatre années au collège, d’un EPI au
leur organisation pédagogique si elle leur convient. minimum.
De même, le calendrier de mise en œuvre des ajuste-
ments éventuels n’est pas contraint. Le revirement s’opère du côté des enseignements
facultatifs. Dans la version précédente, seuls les
Le sentiment de continuité est conforté par certaines élèves ayant déjà suivi un enseignement de langue
dispositions de l’arrêté : la dotation horaire de trois vivante ou régionale en élémentaire pouvaient le
heures (par semaine et par division) est maintenue, poursuivre en 6e. Désormais, les classes bilangues
en vue de « favoriser le travail en groupes à effectifs peuvent être réouvertes dès la 6e, sans que cette conti-
réduits et les interventions conjointes de plusieurs nuité soit nécessaire : un élève peut se voir proposer
enseignants. En outre, elle peut être utilisée pour une deuxième langue vivante étrangère ou régionale
proposer un ou plusieurs enseignements faculta- à côté de l’anglais, dans la limite de six heures hebdo-
tifs » (article 4). L’introduction d’une seconde langue madaires à répartir entre les deux langues. Il est égale-
vivante en classe de 5e n’est pas remise en cause. ment possible de proposer, dès la 6e, un enseigne-
De même, les enseignements complémentaires (AP, ment de langues et cultures régionales, jusqu’à deux
EPI) sont régis par un cadre réglementaire inchangé heures hebdomadaires. Et, dès la 5e, un enseignement
(vingt-six heures par semaine, hors enseignements de langues et cultures européennes s’appuyant sur
facultatifs). l’une des langues étudiées, également dans la limite
de deux heures hebdomadaires 53. Les collèges qui le
Dans le même temps, le Ministre procède à des ajus- souhaitent peuvent également proposer des options
tements et revirements significatifs. Les ajustements « latin » ou « grec », à raison d’une heure en 5e et
concernent les enseignements complémentaires. En jusqu’à trois heures en 4e et en 3e.
vertu de l’article 2 de l’arrêté, il revient à chaque
collège de déterminer la répartition des heures entre Pour le Ministère, ces enseignements facultatifs
l’AP et les EPI, « en fonction des besoins des élèves « viennent enrichir l’offre d’enseignement et contri-
accueillis et du projet pédagogique de l’établisse- buent à l’ouverture sur l’Europe et sur le monde, à la
ment. Elle est identique pour tous les élèves d’un valorisation des racines culturelles. Cette possibilité
même niveau. » Sur les vingt-six heures d’enseigne- nouvelle permet en outre d’affirmer l’identité spéci-
ment obligatoires, elles représentent trois heures en fique de chaque établissement ». Mais en refaisant ce
6e et quatre heures en 5e, 4e et 3e. L’effet peut être une qui avait été défait, il s’agit aussi de permettre à des
réduction notable de la place des EPI selon le collège. collèges moins attractifs de le redevenir.
En effet, l’arrêté indique seulement que tout élève
doit avoir bénéficié de chacune des deux formes Ces changements s’accompagnent de la possibilité,
d’enseignement complémentaires à l’issue du cycle 4. pour chaque collège, de moduler la répartition du
En conséquence, « un établissement peut très bien, volume horaire hebdomadaire par discipline, mais de
au cours d’une année, n’organiser que de l’AP pour façon encadrée. D’abord, il faut veiller au rÉSPÉct du
un niveau d’élèves ». De plus, même si les EPI conti- volume horaire global dû à chaque discipline d’ensei-
nuent de s’inscrire dans le cadre des programmes gnement obligatoire pour la durée du cycle, du volume
disciplinaires et peuvent désormais être proposés en horaire global annuel des enseignements obligatoires
6e, ni leur nombre ni leurs thématiques ne sont plus dû à chaque élève et des obligations réglementaires
imposés. Le maintien de la réforme sous sa configu-
ration initiale est donc laissé au libre choix de chaque
établissement, ce qui peut en réduire notablement la 53 La place conférée aux langues vivantes se renforce
aussi dans les enseignements obligatoires (communs ou
complémentaires), avec la possibilité d’en dispenser dans
une langue vivante étrangère, ou régionale, à la condition
52 Présentation des quatre mesures pour bâtir l’école que cet enseignement ne représente pas plus de la moitié
de la confiance sur le site du Ministère. du volume horaire de l’enseignement considéré.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 25
de service des enseignants. Ensuite, la répartition encourageant les initiatives et compréhensible par
du volume horaire des enseignements obligatoires les familles. En tout état de cause, l’évaluation doit
doit rester identique pour tous les élèves d’un même permettre de mesurer le degré d’acquisition des
niveau. Enfin, toutes les disciplines d’enseignement connaissances et des compétences ainsi que la
obligatoire sont enseignées chaque année du cycle. progression de l’élève ».
Dans les collèges publics, cette modulation est fixée
par le conseil d’administration après avis du conseil La promotion d’une évaluation formative qui, consti-
pédagogique. tutive de l’apprentissage, aide l’élève à se situer, lui
permet de se tromper pour avancer se double d’une
Pour le Ministère, ce réaménagement de la réforme évolution sensible des modalités de notation par le
ne conduit pas à plus d’inégalités entre les établisse- biais du livret scolaire et de la nouvelle organisation
ments mais permet de donner plus de souplesse « en du diplôme national du brevet (DNB).
contrepartie d’une responsabilisation accrue et d’une
évaluation plus régulière. L’autonomie, c’est aussi La promotion de l’évaluation positive
réaffirmer la place de l’État : se concentrer davantage Diverses recherches institutionnelles ou universi-
sur la définition du cadre national et la vérification taires 57 ont mis en évidence :
de l’atteinte par tous des objectifs fixés, que sur une –– la multiplicité et le poids des évaluations dans
volonté de gestion des moindres détails ». Des objec- les systèmes éducatifs, remplissant des fonctions
tions s’expriment cependant sur « le risque d’une différentes ;
mise en concurrence des établissements, liée à une –– le caractère complexe de toute évaluation, qui mêle
utilisation de la marge de manœuvre pour reconsti- aux critères objectifs un jugement subjectif de l’en-
tuer des enseignements réservés à certains élèves » 54. seignant sur la performance de l’élève, celle-ci étant
D’autres contestent la préférence donnée à l’effica- par ailleurs tributaire du contexte et de caractéris-
cité scolaire au détriment de la lutte contre les inéga- tiques sociales et scolaires ;
lités 55, ou « le choix de renforcer les élites scolaires au –– l’existence d’un curriculum caché, qui intègre
détriment de l’accompagnement des élèves en diffi- à l’évaluation la maîtrise, par l’élève, des codes
culté » 56. Des arbitrages locaux seront nécessaires, qui scolaires ;
devront veiller à la cohérence de l’ensemble. –– la valeur sociale et scolaire accordée à la note, et
la place donnée en conséquence à l’évaluation
sommative dans le parcours de l’élève ;
L’ÉVALUATION DES ACQUIS DES ÉLÈVES –– la perception, par les élèves, de l’erreur comme une
faute au lieu d’être un élément d’apprentissage à
La question de son efficacité est devenue, ces part entière 58 ;
dernières années, un enjeu central d’amélioration du –– les conséquences négatives sur leur bien-être :
système éducatif. La preuve a, en effet, été apportée stress, somatisation, conduites d’évitement (absen-
des limites d’une évaluation par trop sommative téisme), intériorisation de l’échec (qui conduit à ne
– sous forme de notes – sur l’estime de soi et la moti- plus travailler, donc à choisir délibérément d’avoir
vation des élèves mais aussi, plus globalement, sur le une mauvaise note) ;
sentiment de justice à l’égard d’une école qui lie étroi- –– l’impact de la notation sur la qualité des relations
tement évaluation, certification et insertion sociale. enseignants-élèves ;
–– l’absence de lisibilité des principes, critères et
L’annexe de la loi du 8 juillet 2013 pose le principe indicateurs d’évaluation pour les élèves et leurs
d’une évolution des modalités de la notation des familles, qui sont confrontés à des pratiques
élèves « pour éviter une notation-sanction à faible
valeur pédagogique et privilégier une évaluation
positive, simple et lisible, valorisant les progrès, 57 Pour une vision synthétique : Rey O. et Feyfant A.,
« Évaluer pour (mieux) faire apprendre »,
Dossier de veille de l’IFÉ, n° 94, septembre 2014.
58 Dans ses recommandations (2015), le jury de la Conférence
54 Delahaye J.-P., La Lettre de l’éducation, n° 925 du 26/06/2017.
nationale sur l’évaluation des élèves évoque le statut de
55 Dubet F., « La nouvelle idéologie scolaire », l’erreur, véritable « combustible de la formation : être en
La République des idées, 17/10/2017. train d’apprendre, c’est en effet accepter le risque de faire
56 Il s’agit d’une réserve émise par l’OCDE dans son des erreurs, puis comprendre ce par quoi celles qu’on
dernier rapport annuel, « Regards sur l’éducation », a faites sont effectivement des erreurs, et ainsi devenir
La Lettre de l’éducation, n° 928 du 18/09/2017. capables de ne pas les refaire » (Recommandation n° 2, p. 7).
SOMMAIRE
26 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
différentes d’un enseignant à l’autre – même si des acquis scolaires de l’élève sur ce cycle. S’y ajoutent,
tentatives d’harmonisation peuvent avoir lieu par lorsque l’élève est dans la première année des cycles
champ disciplinaire ; 3 ou 4, les bilans périodiques de la dernière année
–– la complexité des autres outils proposés aux ensei- des cycles 2 ou 3.
gnants, comme le livret personnel de compétences.
Ces bilans périodiques viennent remplacer les tradi-
Ces constats ont conduit à une approche renouvelée tionnels bulletins. Ils sont très complets puisqu’ils
de l’évaluation des élèves, autour d’orientations que mentionnent, selon les annexes de l’arrêté du
la circulaire de rentrée énonce clairement : « encou- 31 décembre 2015 :
rager l’élève et lui permettre de prendre confiance en –– l’état de l’acquisition des connaissances et des
ses capacités », « évaluer dans un esprit de rigueur compétences au regard des principaux éléments
bienveillante tout au long de la scolarité », rendre du programme du cycle travaillés et des objectifs
transparents les contenus évalués, les objectifs et les d’apprentissage fixés ;
critères, accompagner les résultats de « commentaires –– le positionnement ou les notes de l’élève au regard
précis mettant en évidence non seulement les erreurs, des objectifs d’apprentissage fixés pour la période
les insuffisances, les fragilités mais aussi et surtout qui peuvent être non atteints, partiellement
les réussites et les progrès afin de lui permettre d’en atteints, atteints ou dépassés ;
tirer le meilleur profit ». Sont ainsi à réfléchir « le –– des conseils pour progresser, en fonction des diffi-
rôle de l’enseignant dans la définition aux élèves des cultés observées et/ou des efforts déjà réalisés ;
objectifs d’apprentissage et d’évaluation, l’adaptation –– l’implication de l’élève lors de l’accompagnement
des contenus et critères de réussite dans une logique personnalisé, des EPI ou dans les parcours. Les
de différenciation, le rôle des élèves eux-mêmes dans thématiques, actions ou projets mis en œuvre,
le processus d’évaluation » 59. la participation des disciplines peuvent y être
précisés ;
De façon plus globale, « l’enjeu des évaluations –– les éléments d’appréciation portant sur la vie
scolaires est de se rapprocher autant que possible scolaire (assiduité, ponctualité, rÉSPÉct du
des principes d’équité et de justice pour que les clas- règlement intérieur, participation à la vie de
sements scolaires, qui donnent accès à des positions l’établissement) ;
sociales différenciées, soient aussi clairs et explicites –– les modalités spécifiques d’accompagnement mises
que possible aux yeux des parents, des élèves et des en place (PAP, PAI, PPRE, PPS, ULIS, SEGPA, UPE2A…) ;
enseignants 60. –– la mention des vœux (provisoires et définitifs)
d’orientation et de la décision d’orientation pour
Un meilleur suivi des apprentissages des élèves les élèves de troisième ;
par le livret scolaire –– d’autres éléments, au libre choix des établissements.
Le livret scolaire suit le parcours de chaque élève
inscrit dans une école ou un collège public ou privé Le livret comporte ensuite les bilans de fin de cycles 3
sous contrat, du CP à la troisième. Remplaçant le livret (fin de 6e) et 4 (fin de 3e). Ils comprennent l’évaluation
de compétences, trop complexe, il a été mis en place du niveau de maîtrise pour chaque domaine du socle
à la rentrée 2016. Ses composantes donnent à voir les (et ses quatre composantes pour le domaine 1), ainsi
acquis de chaque élève sur l’ensemble de sa scolarité qu’une appréciation sur les acquis scolaires du cycle
obligatoire. et, si nécessaire, des conseils pour le cycle suivant.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 27
sont visés par le professeur principal, le chef d’éta- Ces textes ont été récemment modifiés par l’arrêté du
blissement (ou son adjoint) et par les parents ou le 27 novembre 2017 63, qui procède à un rééquilibrage
responsable légal de l’élève. entre contrôle continu et épreuves finales.
Il doit être complété de manière régulière. En effet, Prise en compte des acquis scolaires
les bilans périodiques doivent être communiqués des élèves de troisième
aux parents ou au responsable légal de chaque élève Il revient aux équipes pédagogiques d’évaluer « de
plusieurs fois par an, souvent à chaque trimestre façon globale le niveau de maîtrise de chacune des
(article D. 111-3 du Code de l’éducation). Ils doivent composantes du premier domaine et de chacun des
leur permettre de savoir où leur enfant se situe par quatre autres domaines ». Cette évaluation se fait tout
rapport au niveau de maîtrise des compétences au long du cycle 4, à l’occasion des différentes situa-
attendu en fin de cycle et, donc, de pouvoir identifier tions d’apprentissage que proposent les enseignants
ce qu’il doit travailler pour progresser. dans le cadre des programmes. L’évaluation de l’ex-
pression orale fait l’objet d’une attention particulière.
Par ailleurs, ces bilans sont à compléter avant chaque
changement de collège (pour les cycles 3 et 4). Cette C’est lors des derniers conseils de classe des élèves
transmission au nouvel établissement se fait par le de troisième qu’est collégialement déterminé, pour
biais d’une application nationale de suivi de la scola- chacun d’eux, ce niveau de maîtrise. Il doit s’appuyer
rité, appelée livret scolaire unique numérique (LSUN). sur ce que l’élève a produit lors de cette année, mais
également sur les évaluations menées lors des deux
L’ensemble des informations qui y sont portées doit années précédentes (5e et 4e). Cela exclut, par voie
donc permettre de garantir la continuité du suivi de conséquence, la pratique – encore très courante
de l’élève durant toute sa scolarité obligatoire. En – d’une validation approximative des domaines
ce sens, la mise en place du livret scolaire conforte du socle commun en fin d’année de troisième. Et
l’idée que l’évaluation ne se résume pas à une suite entraîne, d’une part, une réflexion des équipes péda-
de « contrôles » ou de « devoirs », mais participe plei- gogiques sur l’harmonisation des processus d’évalua-
nement de la construction du parcours de l’élève. tion, d’autre part, la mise en place effective du livret
scolaire.
La recherche d’une évaluation positive, permettant de
mesurer le degré d’acquisition des connaissances et Pour évaluer le degré de maîtrise du socle, les équipes
des compétences ainsi que la progression de l’élève se s’appuient sur l’échelle de référence prévue à l’article
confirme dans les nouvelles modalités du DNB. D. 122-3 du Code de l’éducation. Elle se décompose
de la façon suivante : maîtrise insuffisante (échelon
L’architecture du nouveau diplôme national 1), maîtrise fragile (échelon 2), maîtrise satisfaisante
du brevet (échelon 3), « très bonne maîtrise » (échelon 4). Un
Elle a d’abord été fixée par le décret et l’arrêté du domaine ou une composante du premier domaine
31 décembre 2015, auxquels s’est ajoutée la note de du socle est maîtrisé(e) à partir de l’échelon 3.
service du 6 avril 2016 62. Au-delà des modalités d’or-
ganisation générale (inscription des candidats, dérou- En fin de troisième, le chef d’établissement (ou son
lement de l’examen, attribution et remise du diplôme, adjoint) certifie ce niveau et en porte attestation sur le
proclamation des résultats…), elle détermine la prise livret scolaire dans le bilan de fin de cycle 4. Ce bilan
en compte des acquis scolaires du cycle 4, et précise le comprend également une appréciation correspondant
déroulement des nouvelles épreuves d’examen. à la synthèse des observations portées régulièrement
sur l’élève par les professeurs et précisant l’évolution
de ses résultats au cours du cycle.
SOMMAIRE
28 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
À compter de la session 2017, les candidats composent Pour autant, un décalage persiste entre la conscience
donc huit heures (au lieu de sept heures auparavant). du caractère inéluctable de ces changements et
La partie consacrée aux sciences s’enrichit. À la l’usage toujours hétérogène du numérique dans les
session 2018, le DNB est décerné aux candidats ayant pratiques pédagogiques des enseignants.
au moins quatre cents points sur huit cents.
Loin des premiers balbutiements des TIC (techno-
logies de l’information et de la communication), la
stratégie affichée par le Ministère en 2012 est de privi-
légier cette entrée, en ce qu’elle participe de l’éduca-
tion à la citoyenneté d’une part, de la lutte contre les
inégalités d’autre part.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 29
L’annexe de la loi de refondation énonce que l’édu- progressive d’équipements individuels mobiles (EIM)
cation des élèves au numérique doit permettre de pour les collégiens de cinquième sur la période 2016-
les former progressivement à la maîtrise des outils 2018. Ce déploiement doit permettre de développer
et des ressources mis à leur disposition, ainsi qu’à la culture et la compétence numérique de tous les
un usage responsable d’Internet et des réseaux. Dans élèves.
cette optique, tous les collégiens reçoivent une éduca-
tion renforcée aux médias et à l’information (article L. Une formation des acteurs incontournable
332-5 du Code de l’éducation). Elle doit leur apprendre Dans ce contexte, la formation au numérique et à
à rechercher les informations dont ils ont besoin, à les l’enseignement du numérique s’impose.
trier en évaluant leur qualité rÉSPÉctive, à les mettre
en relation et à produire eux-mêmes des contenus Selon la circulaire de rentrée de 2015, nouveaux
conformes aux règles de droit. Cette « éducation à professeurs et CPE « doivent être conscients des
la vigilance » 64 est transversale. Elle s’intègre à tous enjeux du numérique et porter un regard critique
les enseignements et au socle commun. Les « outils et réfléchi sur les évolutions induites par le déve-
numériques pour échanger et communiquer » sont loppement de ses techniques et de ses usages. Cela
intégrés aux « méthodes et outils pour apprendre » recouvre non seulement les nouvelles modalités de
du domaine 2. diffusion de la connaissance et les stratégies d’ap-
prentissage, mais aussi le fait que les élèves sont
La réforme du collège poursuit ce mouvement. L’EMI désormais eux-mêmes producteurs de contenus et
(éducation aux médias et à l’information) devient une d’informations qui se diffusent en ligne, notamment
composante du parcours citoyen, qui vise notamment sur les réseaux sociaux ».
l’acquisition d’un esprit critique. Elle fait également
l’objet de l’une des huit thématiques des enseigne- À cette fin, les personnels doivent bénéficier de temps
ments pratiques interdisciplinaires, dénommée de formation, qui se déclinent en une formation de
« Information, communication, citoyenneté ». trois jours par an pour les enseignants et les person-
nels d’encadrement, des formations sur site, des
La lutte contre les inégalités est l’objectif affiché du formations à distance via la plateforme M@gistère, ou
Plan numérique pour l’éducation lancé en mai 2015. le développement de cours en ligne (MOOC – Massive
S’ils sont quasiment tous équipés d’internet à la Open On Line Course –, type ouvert de formation à
maison, les jeunes en font un usage très différent distance capable d’accueillir un grand nombre de
selon l’âge, le genre mais aussi (et surtout) l’origine participants) sur le portail France université numé-
sociale et le contexte (familial, social, amical), ce qui rique (FUN). Trois axes sont privilégiés : la maîtrise
les conduit à « jongler, plus ou moins aisément, entre des outils numériques, les usages du numérique dans
plusieurs cultures du numérique » 65. Une fracture les disciplines, la culture numérique et l’éducation
s’opère entre « ceux qui mettent à profit ces outils aux médias et à l’information. La circulaire de rentrée
pour progresser dans la connaissance et les appren- 2017 encourage également les innovations dans ce
tissages et ceux qui ne le peuvent pas » 66. Parce qu’ils domaine.
ne maîtrisent pas eux-mêmes les codes d’Internet,
certains parents ne peuvent accompagner leurs Par ailleurs, des ressources numériques pédagogiques
enfants dans une exploitation pertinente des outils couvrant l’ensemble des cycles 3 et 4 sont gratuite-
numériques. ment mises à la disposition des enseignants et des
élèves à la rentrée 2016. Elles « offriront des contenus
Des mécanismes de compensation peuvent donc nombreux et variés ainsi que des services numériques
être nécessaires. Le plan prévoit ainsi la livraison complémentaires des manuels scolaires » (circulaire
de rentrée 2016). S’y ajoutent l’enrichissement du
portail Expérithèque, et l’ouverture du portail Myriaé.
64 Caine M., Mathieu R., Vigel C., Manager un ÉPLE
à l’heure du numérique, coll. « Les clefs du quotidien », Au-delà d’une familiarisation avec les outils, il s’agit
CRDP de l’académie de Dijon, 2013, p. 8. surtout d’accompagner les enseignants dans l’adapta-
65 Fluckiger C., « Culture numérique, culture scolaire : tion de leurs pratiques pédagogiques dans le contexte
homogénéité, continuités et ruptures », Diversité, p. 64.
de modification du rapport au savoir souligné par
66 Capul J.-Y., « Une politique du numérique à l’école, ambition
et stratégie ministérielles », in Vers quelles organisations
M. Serres.
scolaires à l’ère du numérique ?, AFAÉ, 2013, n° 3, p. 98.
SOMMAIRE
30 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Dès lors qu’est privilégiée l’acquisition, par les élèves, Dans son rapport de 2012, le député Fourgus évoque
de compétences clés transversales (engagement, longuement l’intérêt des outils numériques pour
autonomie, créativité, responsabilisation, entraide) les enseignants : mise en activité des élèves leur
devant leur permettre de s’adapter au monde actuel permettant de s’engager durablement dans la tâche
(y compris sur le terrain de l’emploi), le rôle des et d’expérimenter, création d’interactions avec leurs
professeurs est appelé à évoluer. La transmission du pairs, développement de l’auto-évaluation. R. Thibert
savoir, habituellement verticale, est bousculée par une évoque leur « pouvoir d’agir », à l’opposé d’une atti-
dimension plus horizontale, davantage compatible tude passive de réception des apprentissages 69.
avec l’idée de réseau. Il s’agit surtout d’accompagner Sans faire table rase des formes plus classiques de
les élèves en leur prodiguant méthodes et conseils. transmission – tel le cours magistral qui n’exclut pas
d’ailleurs toute interaction avec les élèves –, il s’agit
« Chercheurs » – car, étant eux-mêmes exposés au d’entrer dans des démarches plus coopératives.
même flux d’informations mouvantes, ils doivent
constamment réévaluer leurs connaissances –, les CPE et professeurs-documentalistes ont ainsi à réflé-
professeurs se font également « passeurs et trans- chir à la prise en charge des élèves hors temps de
metteurs qui interagissent avec les jeunes aux classe « pour favoriser les apprentissages, en mettant
préoccupations et aux savoirs desquels ils doivent à leur disposition des espaces et des ressources néces-
immanquablement faire écho » 67. Les échanges avec saires » (circulaire de mission des CPE, 10/08/2015).
les élèves peuvent se poursuivre et s’enrichir au-delà Leur investissement dans la mise en œuvre des
des heures de cours via les environnements numé- parcours – en lien avec les autres acteurs impliqués
riques de travail (ENT). – peut les amener à explorer ces nouveaux outils, au
service d’objectifs éducatifs et en direction des élèves
Toute la difficulté est alors, non pas de rompre sans comme des familles.
ménagement avec la culture professionnelle exis-
tante, mais de réfléchir aux évolutions pertinentes Dans une chronique au Café pédagogique, le 22
dans des contextes d’établissement nécessairement septembre 2017, B. Devauchelle s’interrogeait pour-
spécifiques. tant sur ce que seraient les nouvelles orientations
ministérielles, et s’inquiétait : « Quel est donc l’avenir
Le numérique, élément de la politique pédagogique de la question du numérique en éducation ? Nous
et éducative de l’établissement scolaire sommes arrivés au bout d’un cycle volontariste (1997-
Le numérique est un élément, parmi d’autres, au 2017). N’ayant pas réussi à trouver une véritable place
service du projet de formation des élèves qui doit dans le projet éducatif du système scolaire français, il
être décliné au niveau de l’établissement. Parce qu’il est probable que ces questions seront mises de côté,
modifie – potentiellement – autant les modalités de en sommeil ou mieux en veille passive ».
transmission que les postures de l’enseignant, c’est
un élément qui ne peut plus être ignoré 68. Il s’in-
tègre dans une réflexion collective globale portant
sur la place de l’élève dans les apprentissages, les
démarches didactiques et pédagogiques, l’articulation
des temps et des espaces scolaires ou les modalités
de communication aux familles.
SOMMAIRE
LA FORMATION
DE L’ÉLÈVE
ET DU CITOYEN
L’article L. 111-1 du Code de l’éducation l’énonce éducative de l’établissement est l’affaire de tous. La
sans ambiguïté : « Le droit à l’éducation est garanti dernière circulaire du 30 mai 2014, toujours appli-
à chacun afin de lui permettre de développer sa cable 1, évoque ainsi la mise en œuvre d’une poli-
personnalité, d’élever son niveau de formation tique de prévention impliquant toute la communauté
initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et éducative. Dans cette optique, le travail de présenta-
professionnelle, d’exercer sa citoyenneté ». L’article tion et l’explicitation de la règle ne « peut pas être
L. 111-2 le complète, en ajoutant que la formation détaché de l’acte pédagogique ».
scolaire « prépare à l’éducation et à la formation tout
au long de la vie. Elle développe les connaissances, Cette articulation est aussi pleinement intégrée aux
les compétences et la culture nécessaires à l’exercice référentiels de compétences professionnelles et
de la citoyenneté dans la société contemporaine de circulaires de mission des personnels enseignants et
l’information et de la communication. Elle favorise d’éducation. L’arrêté du 1er juillet 2013 précise ainsi
l’esprit d’initiative. Les familles sont associées à l’ac- qu’ils sont tous « pédagogues et éducateurs au service
complissement de ces missions ». L’enseignement et de la réussite des élèves », et que « la maîtrise des
l’éducation, dans et hors l’établissement, sont étroite- compétences pédagogiques et éducatives fonda-
ment liés autour d’un même objectif : faire de l’élève mentales est la condition nécessaire d’une culture
un citoyen éclairé. partagée qui favorise la cohérence des enseignements
et des actions éducatives ». Leur continuité et leur
En réalité, des clivages persistent autour du binôme complémentarité passent par l’inscription de l’action
instruction/éducation qui empêchent souvent les individuelle de chacun dans le cadre collectif. Ainsi,
acteurs scolaires de réfléchir (dans le cadre du projet les CPE participent-ils pleinement à l’accompagne-
d’établissement) et de mettre en œuvre (au quotidien) ment pédagogique des élèves 2. Impliqués, via le socle
une réelle articulation entre les dimensions éduca- commun, « dans les conditions d’appropriation des
tive et pédagogique. Si la réforme du collège réaffirme savoirs par les élèves et associés à la construction de
qu’il ne saurait en être autrement, elle donne aussi leur projet personnel » ainsi qu’à leur évaluation, « ils
des outils aux acteurs pour y parvenir. La mise en contribuent à établir une transition efficace entre les
place des parcours et des cycles favorise, en effet, une cycles et les degrés d’enseignement » (point 2 de la
approche globale de la formation de l’élève. circulaire de mission du 10 août 2015).
SOMMAIRE
32 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
politique d’établissement, liée à la division sociale et éducative contribue au développement des compé-
du travail qui existe en son sein. La vision demeure, tences » des élèves entrant en cinquième.
en effet, d’une équipe de direction, élargie au CPE,
traitant les problèmes d’indiscipline hors de la classe
afin que les enseignants puissent transmettre, le plus LA LOGIQUE DES PARCOURS ET DES CYCLES
sereinement possible, leur discipline en classe 3.
Le décret n° 2013-682 du 24/07/2013 a précisé l’organi-
Le suivi individuel des élèves peut évidemment en sation des nouveaux cycles d’enseignement à l’école
pâtir. D’autant « qu’apprendre à l’école, c’est changer primaire et au collège 5, inscrivant l’année de 6e dans
et que l’acculturation aux savoirs scolaires génère le cycle 3 (« de consolidation », avec le CM1 et le CM2)
chez l’élève une vision du monde qui conduit à modi- et les années de 5e, 4e et 3e dans le cycle 4 (« des appro-
fier son rapport aux autres et à lui-même. Ce faisant, fondissements »). L’arrêté du 9 novembre 2015 précise,
il existe toujours une dimension éducative dans la pour chaque cycle, les objectifs d’apprentissage, les
transmission des savoirs » 4. horaires et les programmes d’enseignement afférents.
Mais ce sont également la cohérence et la lisibilité Les collégiens se voient proposer quatre parcours
du projet collectif qui sont mises à mal. L’enjeu n’est différents : le parcours avenir, le parcours citoyen,
donc pas seulement d’inciter les équipes à modifier le parcours d’éducation artistique et culturelle,
des pratiques que le système éducatif a lui-même le parcours de santé. Si le contenu même de ces
provoquées. Il est de leur donner les outils pour faire parcours ne constitue pas toujours une nouveauté,
évoluer dans le même temps leur approche de l’élève leur accrochage aux enseignements et au socle l’est
– apprenant et personne –, et leur propre rôle dans assurément.
l’organisation scolaire – acteurs dotés d’un statut
et de compétences professionnelles propres mis au Trois principes essentiels entourent la mise en œuvre
service d’objectifs pédagogiques et éducatifs corrélés. des parcours et des cycles, qui contribuent à une
vision globale de la formation des élèves : la conti-
C’est ce que propose la réforme du collège dans son nuité, la progressivité, la complémentarité.
acte I. En mettant l’accent sur la nécessaire imbrica-
tion entre programmes, cycles et socle commun, d’une La continuité
part, entre enseignements, activités et projets, d’autre Chaque parcours s’inscrit d’abord dans une tempo-
part, elle veut amener les acteurs scolaires à sortir ralité longue. Le parcours avenir – ancien PIIODMEP
des cloisonnements ou des clivages pour entrer dans (parcours individuel d’information, d’orientation et de
une démarche d’accompagnement coordonné des découverte du monde économique et professionnel)
élèves. L’arrêté du 9 novembre 2015 (BO spécial n° 11 doit ainsi permettre à tout élève de découvrir, de
du 26/11/2015), dans sa partie relative au programme la sixième à la terminale, le monde économique et
d’enseignement du cycle des approfondissements professionnel, et d’élaborer son projet d’orientation.
(cycle 4) relève ainsi que « toute l’équipe pédagogique Davantage, il participe à sa formation tout au long
de la vie.
3 Saget P., Principe pour l’élaboration d’une politique éducative La question du temps est également au cœur des
d’établissement, rapport de l’IGEN n° 2011-049, mai 2011, p. 7. cycles. Le cycle 3 implique de renforcer la conti-
4 Jellab A., « Climat et vie scolaire : à la marge ou au cœur nuité pédagogique et la cohérence des apprentis-
des apprentissages scolaires ? Les enjeux pédagogiques
pour une école émancipatrice », revue FOEVEN, n° 169,
sages entre l’école primaire et le collège. Dans cette
p. 11. Dans le même sens, Gauthier R.-F. et Florin A., op. cit., optique, les apprentissages fondamentaux abordés
p. 23 : « On sait aujourd’hui à quel point les apprentissages, au cycle 2, relatifs notamment aux langages, doivent
comme les savoirs eux-mêmes, sont des constructions
sociales. Apprendre n’est pas une affaire entre un
être consolidés.
individu et un savoir qui lui préexisterait : c’est acquérir
des connaissances élaborées, reconnues au sein d’une
société qui souhaite que ses membres se les approprient.
Apprendre est aussi un acte social dans ses modalités :
j’apprends de ceux que je côtoie, j’apprends avec autrui,
en demandant de l’aide, en comparant mes progrès, en 5
JO n° 0174 du 28/07/2013. Leur mise en œuvre se fait de
produisant des objets de différente nature (discours, textes, façon progressive du 1er septembre 2014 au 1er septembre
fabrications, performances, œuvres…) qui suscitent des 2017. Pour les classes de collège : 5e en 2015, 4e en 2016 et 3e
réactions, des commentaires, etc. » en 2017.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 33
Cette articulation entre les cycles vise à garantir une progression gagne à s’appuyer sur l’état des acquis
continuité d’enseignement et d’apprentissage sur des élèves, acquis qu’il convient de consolider et
l’ensemble de la scolarité obligatoire. d’amplifier pour leur permettre d’aborder le cycle
suivant dans les meilleures conditions.
La progressivité
Les parcours, comme les cycles, sont pensés comme La complémentarité
des étapes, qui tiennent compte de l’âge et de la « La scolarité constitue un parcours cohérent, où
maturité de chaque élève, de ses potentialités, de chaque discipline, chaque enseignement, s’inscrit en
ses besoins et de son rythme d’acquisition. L’intitulé complémentarité avec d’autres. » 7 Tout comme les
des différents cycles – apprentissages fondamen- disciplines, les parcours ne fonctionnent pas de façon
taux, consolidation, approfondissements – le met en indépendante et facultative. Au contraire, ils sont
évidence. ancrés dans les enseignements – eux-mêmes complé-
mentaires les uns des autres – et contribuent tout
Ces étapes intègrent aussi les éléments de contexte autant à l’acquisition du socle commun de connais-
environnants, qu’ils soient scolaires (prescriptions sances, de compétences et de culture. De la même
institutionnelles, pratiques pédagogiques) ou non façon, les programmes disciplinaires sont construits
(possibilité d’accès aux ressources culturelles, à en référence aux nouveaux cycles et au socle.
la mobilité…). Certaines trajectoires ne seront pas
linéaires. Elles comporteront des inflexions (redouble- Les élèves doivent donc se voir proposer des situa-
ment exceptionnel, changement d’orientation) voire tions d’apprentissage variées, individuelles et collec-
des ruptures (décrochage). tives, dans et hors la classe. Chaque acteur apporte
son expertise propre pour donner au parcours une
Pour les éviter, et donc permettre aux élèves en diffi- coloration intéressante et pertinente. Le parcours
culté scolaire ou à besoins éducatifs particuliers d’at- avenir se décline par exemple lors de séquences péda-
teindre les objectifs fixés en fin de cycle, des aides gogiques mais également au travers des mini-stages
appropriées sont proposées, qui peuvent évoluer au permettant la découverte d’une entreprise locale, ou
fur et à mesure des progrès. De la même façon, la encore de la semaine d’observation en entreprise en
construction du projet d’orientation via le parcours troisième.
avenir permet de faire entrer tous les élèves dans
une logique de choix successifs et d’accompagner Les activités proposées ne visent donc pas seulement
particulièrement ceux dont l’ambition scolaire est à transmettre des connaissances. Elles développent
moindre, pour des raisons tenant à leur vécu scolaire aussi des compétences transversales, qui sont décli-
et/ou personnel. nées au travers des enseignements, des parcours
et même des « apports de la vie scolaire » (arrêté
Sous l’impulsion et l’encadrement de l’équipe de précité). Sont notamment évoqués la sensibilité, la
direction, les différentes étapes de chaque parcours confiance en soi, le rÉSPÉct des autres, la formation
sont à décliner de façon à passer des objectifs géné- du jugement, la créativité.
raux à la mise en œuvre opérationnelle, qui doit
nécessairement tenir compte de ce qui a été proposé Par ailleurs, les équipes sont invitées à prendre en
ou s’est fait avant pour en constituer le prolongement compte les compétences acquises par les élèves au
logique 6. sein du collège et en dehors de celui-ci, en particulier
l’esprit de responsabilité et d’engagement de chacun,
De la même manière, à partir des repères proposés celui d’entreprendre et de coopérer avec les autres
par le programme d’enseignement du cycle, il revient (arrêté du 9 novembre, cycle 4).
aux enseignants de penser la progression pédago-
gique – donc les situations, activités et outils – à l’inté-
rieur de celui-ci. Seuls les attendus de fin de cycle, en
lien avec le socle commun, leur sont imposés. Cette
SOMMAIRE
34 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
AGIR SUR LE CLIMAT SCOLAIRE de façon plus ou moins harmonieuse. D’autant qu’ap-
paraissent de nouvelles formes de cyberviolence
L’action sur le climat scolaire est au cœur de la refon- auxquelles il ne peut éviter de répondre 11.
dation du système éducatif. Selon le rapport annexé
à la loi de 2013, les « conditions d’un climat scolaire Cette dimension systémique du climat scolaire
serein doivent être instaurées dans les écoles et les contribue à archaïser les clivages entre instruction
établissements scolaires pour favoriser les apprentis- vs éducation, travail dans la classe vs vie dans l’éta-
sages, le bien-être et l’épanouissement des élèves et blissement. La « vie scolaire » se reconfigure ainsi au
de bonnes conditions de travail pour tous ». profit d’une politique éducative plus élaborée, qui
contribue pleinement à la construction tant intel-
Pour A. Jellab, le climat scolaire peut être appré- lectuelle que sociale des élèves. Dans cette optique,
hendé comme « un analyseur global des capacités il ne s’agit plus (seulement) de permettre à l’ensei-
des acteurs scolaires à être bien au fait des enjeux et gnant de transmettre « son » savoir dans de bonnes
des défis à relever pour une école émancipatrice » 8. conditions (en mettant, s’il le faut, les perturbateurs à
Depuis 2010, et les travaux dirigés par E. Debarbieux l’écart) mais de faciliter l’entrée et la persévérance de
qui ont permis de le caractériser 9, il a ainsi donné lieu chaque élève dans les apprentissages (en instaurant
à de très nombreuses publications – y compris inter- une ambiance de classe qui y soit propice). Le plaisir
nationales. Elles ont fait émerger des préoccupations de venir à l’école est, en effet, corrélé au sentiment
nouvelles, autour de la bienveillance et du bien-être d’y trouver sa place, comme élève, mais aussi comme
à l’école, en complément de l’idée d’épanouissement individualité.
personnel déjà évoquée auparavant (notamment, en
1982, dans la précédente circulaire de mission des Même si elle est centrale, la question des interac-
CPE). tions entre élèves et adultes n’épuise cependant pas
le sujet. La qualité des relations entre les personnels
Si ces notions révèlent l’attention portée aux élèves – eux-mêmes – via le mode de leadership de l’équipe
qu’il s’agit de préserver de la violence sous toutes ses de direction ou la dynamique de la salle des profes-
formes –, elles ne constituent toutefois qu’un aspect seurs –, et entre eux et les parents d’élèves, a un
du climat scolaire. Multifactoriel, celui-ci « reflète le impact essentiel sur le sentiment de sécurité et d’ap-
jugement des parents, des éducateurs et des élèves partenance à l’établissement. La capacité des adultes
concernant leur expérience de vie et de travail à s’accorder – plus qu’à s’arranger – sur les valeurs
au sein de l’école, sans pour autant résulter d’une et les finalités éducatives qui leur paraissent essen-
simple perception individuelle » 10, dont l’agrégation tielles, et à les activer de façon pertinente dans les
permettrait de déterminer dans quelle mesure il est situations vécues au quotidien, est un enjeu essentiel.
(plutôt) bon ou (plutôt) mauvais. Le climat scolaire
est donc l’affaire de tous les membres de la commu- Une question demeure : comment faire pour que les
nauté éducative, qui ont des choses à en dire, qui y enseignants les plus réticents à l’éducatif ou ceux qui,
contribuent et qui en bénéficient ou pas. Sa dimen- sans l’être, font valoir des contraintes réelles (manque
sion interactionnelle est essentielle. S’y ajoutent la de temps de concertation et de formation… surtout
qualité des enseignements et des apprentissages, le dans un contexte de réforme globale) soient pleine-
sentiment de sécurité, de justice (normes et valeurs) ment parties prenantes de l’amélioration du climat
et d’appartenance. Dans cette organisation vivante scolaire ?
qu’est l’établissement scolaire, l’ensemble s’articule
Un accompagnement bienveillant – donc tenant
compte des réticences qu’ils expriment – est néces-
8 Article précité, p. 17. saire. La circulaire n° 2016-045 du 29 mars 2016
9 Hugonnier B., Neulat N., Ortega R., Saltet J., Veltcheff propose ainsi la généralisation et la structuration des
C., Vrand R., « Le climat scolaire : définition, effets et groupes académiques de climat scolaire (BO n° 13 du
conditions d’amélioration », rapport au Comité scientifique
de la DGESCO, 2012. Sept facteurs propices à un bon climat
31 mars 2016) mis en place dans la foulée des États
scolaire ont été identifiés : stratégie d’équipe, coopération, généraux de la sécurité à l’école de 2010.
justice scolaire, prévention des violences, qualité de vie à
l’école, co-éducation, pratiques partenariales.
10 Debarbieux E., « Du climat scolaire : définitions, effets et
politique publiques », Éducation et formation, décembre 2015, 11 Baya C., « L’école à l’ère du 2.0 : climat scolaire
p. 12. et cyberviolence », ibid., pp. 29-39.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 35
SOMMAIRE
UNE RÉFLEXION
INCONTOURNABLE
SUR LA FORMATION
DES ACTEURS
1
Le rôle crucial des enseignants : attirer, former et retenir 2 Arrêté du 1/07/2013, Référentiel des compétences des métiers
des enseignants de qualité, rapport de l’OCDE, 2005, p. 2. du professorat et de l’éducation, BO du 25/07/2013.
SOMMAIRE
38 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
S’affirme ainsi l’idée que la maîtrise des savoirs La formation continue, qui devient ainsi « constitu-
académiques – essentielle — ne saurait suffire, mais tive du métier d’enseignant » 4, permet une prise de
doit se combiner avec l’acquisition et le développe- distance réflexive sur ce qui se passe en classe d’un
ment de savoirs professionnels variés grâce auxquels point de vue disciplinaire et didactique, mais aussi et
les enseignants vont pouvoir mieux prendre en surtout pédagogique. C’est, en effet, sur ce point que
compte l’origine sociale et culturelle des élèves en les enseignants français se disent insuffisamment
proposant des méthodes pédagogiques plus explicites formés, qu’il s’agisse des contenus à enseigner ou des
et différenciées. pratiques de classe 5, nécessairement dépendants des
contextes d’exercice.
De façon plus large, ces savoirs sont également de
nature à les ouvrir sur l’environnement de la classe Une analyse et un enrichissement des pratiques au
en situant leur action dans une perspective de travail contact de la recherche, par les échanges entre collè-
collectif (au sein de l’établissement) ou partenarial gues ou l’usage des ressources disponibles, sont donc
(avec les familles, les structures extérieures…). essentiels. Le référentiel des compétences profession-
nelles des métiers du professorat et de l’éducation de
Avec la mise en place des écoles supérieures du 2013 le précise à la compétence 14. L’identification
professorat et de l’éducation (ÉSPÉ), « écoles internes des besoins de formation, et l’actualisation des
aux universités », la formation initiale couple haut connaissances qui en résultent, permettent non
degré d’exigences – un master professionnel est seulement de « réinvestir les résultats de sa réflexion
requis, avec l’admission au concours, pour exercer – et dans l’action » mais aussi de « s’engager dans des
lien avec la recherche – dans le cadre des maquettes projets et des démarches d’innovation pédagogique
de formation élaborées par chaque université. Dans visant à l’amélioration des pratiques ». Ces pratiques
ce nouveau dispositif, des équilibres se cherchent gagnent à s’adosser aux travaux universitaires, natio-
entre les « savoirs à enseigner », qui font la part belle naux et internationaux, qui permettent d’actualiser
aux disciplines universitaires, et les « savoirs pour les connaissances sur des thématiques données 6.
enseigner ». Des stages en observation – quatre à six Les ÉSPÉ contribuent également au développement
semaines lors de la première année de master – puis et à la promotion de ces méthodes pédagogiques
en responsabilité – à mi-temps lors de la deuxième innovantes.
année, donc après l’obtention du concours – doivent
les sensibiliser notamment aux enjeux de l’entrée Complémentaire au développement professionnel
des élèves dans les apprentissages, et à la prise en individuel, c’est ainsi l’idée d’une culture commune
compte de la difficulté scolaire dans le contenu des à tous les professionnels qui émerge progressivement,
enseignements. dans un contexte encore fortement marqué par les
logiques individuelles.
« Cela suppose, d’abord, que les futurs enseignants
soient dotés du bagage nécessaire pour assumer leur
mission, en prenant les élèves tels qu’ils sont – un L’ÉMERGENCE D’UNE CULTURE
ensemble hétérogène confronté à de multiples défis PROFESSIONNELLE COMMUNE
qui handicapent souvent leur parcours éducatif –
et non tels qu’ils sont rêvés par l’institution. Cela Le primat désormais accordé à une vision globale de la
implique, ensuite, que les enseignants acquièrent dès formation, la réaffirmation de l’objectif d’une culture
leur entrée dans le métier l’aptitude et l’appétence commune à tous les acteurs de l’éducation, conduit
à interroger et faire évoluer leurs pratiques pédago- à repenser la place rÉSPÉctive des intervenants qui
giques, avec une ambition équivalente à celle qu’ils
manifestent pour leur compétence disciplinaire, dans
une posture d’apprentissage permanent » 3.
4 Rapport Filâtre, p. 9.
5 DEPP, « TALIS 2013-La formation professionnelle
des enseignants est moins développée en France que
dans les autres pays », note d’information n° 22, juin 2014.
6 C’est notamment la première recommandation de
3 Rapport n° 4075 d’information de la Commission la Conférence nationale sur l’évaluation, qui indique
des affaires culturelles et de l’éducation, en conclusion qu’une meilleure connaissance, par les enseignants,
des travaux de la mission d’information sur la formation des biais d’évaluation conduiraient à des méthodes
des enseignants, 5 octobre 2016, p. 10. d’évaluation plus efficaces.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 39
gravitent dans et autour de l’école. Comme le relève nécessaires aux débats des nouvelles problématiques
M. Menard, « ce rapprochement entre des métiers ou scientifiques et sociétales 7.
des niveaux d’enseignement qui aujourd’hui encore
s’ignorent trop largement est absolument décisif, Cela amène à reconsidérer les modalités de la forma-
conditionnant le succès même de la refondation de tion continue, jugées souvent peu satisfaisantes. Dans
l’école dont la réussite repose sur le développement un référé récent, la Cour des comptes suggère ainsi
de projets transversaux et interdisciplinaires facili- de ne pas la restreindre à l’accompagnement des
tant les liaisons entre les différents degrés de l’ensei- réformes et à la préparation des concours internes
gnement, de la maternelle au premier cycle universi- mais de l’envisager comme contribuant au déve-
taire » (rapport, p. 22). loppement professionnel des acteurs 8. Pour qu’elle
soit davantage investie par eux, encore faut-il qu’elle
L’annexe de la loi de 2013 évoque cette culture réponde à leurs préoccupations, telles qu’ils les
commune en ces termes : « Afin d’assurer au mieux énoncent, de la place et dans le contexte d’établisse-
leurs missions de formation initiale et continue, les ment – ou de réseau – où ils se trouvent. Le rapport
[ÉSPÉ] assureront des enseignements transversaux, Filâtre (2016) souligne également l’importance de
formeront les futurs enseignants aux outils numé- cette démarche « intégrative », qui doit « retraduire
riques et, par la mise en pratique, sensibiliseront au des réformes ou des évolutions pédagogiques ou
travail en équipe, aux approches multidisciplinaires éducatives à partir des activités professionnelles exis-
et aux approches avec d’autres acteurs que ceux de tantes pour en faire des éléments utiles, utilisables et
l’Éducation nationale ». acceptables pour les destinataires des formations. Et
de la même manière, la diffusion de l’innovation doit
Le référentiel de 2013 en décline les éléments. prendre en compte les univers sociaux et profession-
Pour accompagner au mieux chaque élève dans nels des enseignants et autres personnels » 9.
la construction de son parcours de formation, les
enseignants et les CPE doivent prendre en compte les C’est dire combien l’émergence d’une culture profes-
concepts fondamentaux relatifs au développement sionnelle commune dépend de la capacité des acteurs
de l’enfant et de l’adolescent, ainsi que ceux relatifs institutionnels, de la recherche et de la formation,
aux processus et mécanismes d’apprentissage. Une à proposer des accompagnements pertinents, au
attention particulière doit être portée aux dimensions plus près du terrain. À cette fin, de nouveaux lieux
cognitive, affective et relationnelle de l’enseignement et dispositifs de formation émergent dans l’objectif
et de l’action éducative. Différenciation pédagogique de développer une analyse collective de l’activité
en fonction des rythmes d’apprentissage et des enseignante 10.
besoins de chacun, attention portée à l’intégration
des compétences transversales par les élèves, déve-
loppement des échanges et de la coopération entre UNE APPROCHE RENOUVELÉE DE L’ÉTHIQUE
eux, relations aux familles et aux partenaires, sont PROFESSIONNELLE ENSEIGNANTE
autant de compétences professionnelles attendues
qui nécessitent une formation adéquate. Celle-ci est Les évolutions récentes du système éducatif ont
mise en œuvre, dans les ÉSPÉ, dans le cadre du « tronc conduit, ces dernières années, à un intérêt nouveau
commun ». pour les questions de déontologie et d’éthique des
acteurs scolaires, en particulier des enseignants. Dès
Pour F.-X. Gauthier, le passage d’une identité disci-
plinaire à une culture partagée est le pendant de la
culture commune dispensée aux élèves : « si l’on veut 7 Rapport précité, « Que doit-on apprendre à l’école ? »
que le socle commun de connaissances, de compé- p. 69-70.
tences et de culture (et non de disciplines) joue le 8 Référé n° 71653 du 30 janvier 2015 sur la formation
continue des enseignants, cité par Menard M., p. 62.
rôle que l’on attend de lui, les professeurs doivent
9 Comité de suivi de la réforme de la formation des
eux-mêmes, quelles que soient leurs disciplines, enseignants et des personnels d’éducation, Vers un nouveau
acquérir une culture générale commune qui permette modèle de formation tout au long de la vie : rapport sur la
un échange plus approfondi ». Il recommande que formation continue, sous la direction de Filâtre D., académie
de Versailles, novembre 2016, p. 27.
soit dispensée une formation initiale et continue à la
10 Ria L., « Transformer les savoirs à enseigner en sources
psychologie des apprentissages, alliant apports théo- de motivation pour les élèves », Entretien avec Guyon R.,
riques et analyses de pratiques, ainsi qu’aux savoirs Diversité, 2014, n° 177, pp. 9-15.
SOMMAIRE
40 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
lors que les publics scolaires changent, dès lors que le conduite à adopter dans l’intérêt à long terme de
statut ne suffit plus à asseoir l’autorité professorale et l’élève » 12.
que le sentiment d’injustice ose se dire, dès lors que
de nouveaux défis éducatifs émergent qui s’ajoutent Cette référence à l’intérêt de l’élève évoque immé-
aux tâches habituelles, ce qui était admis – ou acquis diatement la notion de bienveillance, qui s’est
– cesse de l’être. Par ailleurs, l’école n’échappe pas à progressivement imposée dans le champ éducatif –
l’injonction du rendre compte – elle-même corrélée non sans susciter quelques polémiques. Disposition
aux notions d’efficacité, d’efficience, de performance, favorable envers quelqu’un, elle « signifie l’adoption
de management –, qui s’est peu à peu déployée dans par les enseignants et les personnels d’éducation de
le champ de l’action publique. postures professionnelles favorables aux apprentis-
sages des élèves, soucieuses de penser et de travailler
En ce qu’ils rendent leurs pratiques quotidiennes plus les obstacles susceptibles d’entraver la motivation
incertaines, ces changements donnent lieu, chez les scolaire » 13. La bienveillance appelle considération et
enseignants, à des doutes, voire à des « malaises » reconnaissance d’autrui, ce que le référentiel traduit
qu’analyse A. Barrère dans son dernier ouvrage 11. dans les objectifs suivants : « Accorder à tous les
élèves l’attention et l’accompagnement appropriés »,
Le référentiel des compétences professionnelles de « éviter toute forme de dévalorisation à l’égard des
juillet 2013 fait référence à l’éthique à deux reprises. élèves, des parents, des pairs et de tout membre de
Rappelant que professeurs et CPE sont acteurs du la communauté éducative », « se mobiliser et mobi-
service public d’éducation, chargés de transmettre liser les élèves contre les stéréotypes et les discri-
et de faire rÉSPÉcter les valeurs de la République, il minations de tout ordre, promouvoir l’égalité entre
précise qu’ils « agissent dans un cadre institutionnel les filles et les garçons, les femmes et les hommes »,
et se réfèrent à des principes éthiques et de responsa- « contribuer à assurer le bien-être, la sécurité et la
bilité qui fondent leur exemplarité et leur autorité ». sûreté des élèves […] », « contribuer à identifier tout
signe de comportement à risque et contribuer à sa
Ces principes prennent nécessairement appui sur un résolution », ou encore « rÉSPÉcter la confidentialité
cadre déontologique renvoyant, dans le référentiel, des informations individuelles concernant les élèves
aux principes fondamentaux du système éducatif, aux et leurs familles ».
lois et règlements qui gouvernent l’organisation et le
fonctionnement de l’institution scolaire, aux droits et Un récent ouvrage collectif consacré à ce sujet tente
obligations des fonctionnaires ainsi qu’aux statuts qui de préciser les contours de cette « éthique de l’alté-
les régissent. La responsabilité des enseignants est rité » 14, caractérisée par une attention plus grande
alors de connaître et d’appliquer ces prescriptions, aux besoins psychosociaux des élèves – appréhendés
auxquelles s’ajoutent l’ensemble des textes encadrant dans leur singularité – mais aussi, et surtout, par la
l’exercice de leur métier (programmes disciplinaires, construction d’une relation pédagogique propice à
textes relatifs au socle commun…). leurs apprentissages. Elle signifie que tous les élèves
sont capables de progresser, à condition de leur
Cela ne suffit cependant pas à répondre à la diver- montrer de la considération, de prendre en compte
sité des situations professionnelles que les acteurs d’où ils partent – y compris pour les plus vulnérables
scolaires rencontrent quotidiennement – notamment d’entre eux – et de mettre en place des contextes d’en-
dans la relation aux élèves – et qui les conduisent à seignement (et d’évaluation) qui leur permettent de
s’adapter, y compris en s’éloignant du prescrit. « En se mobiliser sur les tâches scolaires. L’éducateur bien-
contexte scolaire, dans l’urgence qu’impose parfois la veillant est celui qui veille bien à ce que les attentes
prise de décision, l’éthique est cet espace de réflexion, soient à la fois élevées et atteignables. Croire en la
même très fugace, qu’ouvre et investit l’enseignant,
le CPE ou le personnel de direction, par sa conscience
et sa réflexion. Elle peut être assimilée à cette aire 12 Marsollier C., « L’éthique relationnelle : une responsabilité
de questionnement et de délibération de la meilleure majeure pour l’enseignant », in L’éthique relationnelle.
Une boussole pour l’enseignant, coll. « Maîtriser »,
éd. Canopé, 2016, p. 24.
13 Jellab A., « Les conditions d’une école bienveillante »,
Diversité, hors-série n° 16, novembre 2015, p. 49.
14 Moll J., « L’éthique de la relation : un pari pour l’humain »,
11 Barrère A., Au cœur des malaises enseignants, A. Colin, 2017. ibid., p. 16.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 41
SOMMAIRE
L’AMBITION
D’NE RÉUSSITE
ÉDUCATIVE GLOBALE
Le recours, depuis les années quatre-vingt-dix, à Dans ce contexte, la place des partenaires de l’école
la notion de réussite globale traduit une approche est reconsidérée. Avec les parents, qui jouent un rôle
nouvelle, d’ailleurs confortée par l’introduction premier dans la réussite éducative, il est désormais
progressive d’autres notions qui y sont liées (persévé- question de co-éducation. Du côté des acteurs insti-
rance scolaire, bien-être, bienveillance) : la centration tutionnels et locaux, l’ambition est de mieux articuler
sur une action éducative globale, à la fois volontariste les politiques éducatives mises en œuvre, en particu-
et coordonnée, en vue de favoriser le développement lier dans les territoires les plus défavorisés.
personnel et social des enfants et des adolescents qui
y sont soumis. Ainsi le pacte pour la réussite éducative
de 2013 la définit comme « la recherche du dévelop- LES PARENTS, CO-ÉDUCATEURS
pement harmonieux de l’enfant et du jeune. Elle est ET PARTENAIRES ESSENTIELS DE L’ÉCOLE
plus large et englobante que la seule réussite scolaire
et tend à concilier l’épanouissement personnel, la Les relations entre l’école et les parents sont au centre
relation aux autres et la réussite scolaire. Elle permet de toutes les attentions depuis une trentaine d’an-
l’articulation de tous les temps de l’enfant et du jeune nées. De nombreuses études ont été menées pour
et vise à leur donner les moyens de s’intégrer pleine- mieux comprendre les malentendus qui les mettent
ment dans la société. Elle s’adresse prioritairement à mal 4, malentendus d’autant plus problématiques
à ceux qui sont le plus en difficulté et dans les terri- qu’ils peuvent impacter la réussite des enfants. C’est
toires les plus défavorisés » 1. particulièrement vrai dans la relation aux familles
en situation de pauvreté qui, craignant de ne pas
Cette vision « écosystémique » 2 est confortée par la recevoir la même considération que les autres, se
réforme du collège qui permet, par les parcours, de ne tiennent prudemment à distance de l’institution
pas limiter le regard sur les élèves à la seule confor- scolaire 5. Du côté de celle-ci, les représentations et
mité aux attendus scolaires mais veut aussi valoriser les discours hésitent entre critique de la prétendue
leurs expériences et leurs engagements person- démission parentale et refus de tout intervention-
nels. Ce faisant, « l’école ancre ses missions dans nisme des familles dans la sphère pédagogique.
un ensemble plus large où les apprentissages et les Dans un contexte où le parent n’est plus seulement
compétences ne se construisent plus exclusivement usager mais peut se comporter en « consommateur »
en référence à la norme scolaire mais constituent des – surtout lorsqu’il maîtrise les normes et les codes
éléments à prendre en considération pour « sécula- scolaires –, l’école est tentée d’opposer une fin de
riser », d’une certaine manière, son action : développer non-recevoir à des demandes qui, même légitimes,
le goût d’entreprendre, l’esprit d’initiative et la prise sont vécues comme une intrusion inacceptable. En
des responsabilités en est une illustration » 3. définitive, « chacun a tendance à juger l’autre à partir
de ses propres catégories de perception, érigées en
catégories universelles alors qu’elles sont socialement
situées » 6.
SOMMAIRE
44 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Pour tenter d’y remédier, les textes législatifs et régle- meilleure compréhension du parcours scolaire dans
mentaires se succèdent depuis la loi d’orientation sa globalité.
sur l’éducation du 10 juillet 1989, qui a consacré la
place des parents comme membres à part entière de Un récent rapport d’information consacré aux rela-
la communauté éducative comprenant « les élèves tions entre l’école et les parents définit la co-éduca-
et tous ceux qui, dans l’établissement scolaire ou en tion comme une « forme aboutie de coopération
relation avec lui, participent à l’accomplissement de entre les parents et les enseignants au profit de la
ses missions ». Cette place n’a cessé d’être réaffirmée réussite des enfants, dans le rÉSPÉct des prérogatives
depuis, de nouveaux droits individuels et collectifs de chacun » 9. Dans ce partage des responsabilités
ont été énoncés. La loi d’orientation de 2005 insiste éducatives, la place première du parent ne saurait
ainsi sur la nécessité « d’une véritable éducation être discutée : il « a la responsabilité de son enfant,
concertée avec les parents », intégrant l’ensemble des l’école a la responsabilité de la scolarisation de l’élève.
dispositifs et partenaires susceptibles de contribuer à Quand l’éducation est partagée, il importe de définir
la réussite éducative. les conditions de la co-éducation dans un rÉSPÉct
mutuel du rôle de chacun. Il s’agit précisément de
L’annexe de la loi du 8 juillet 2013 fait de la co-éduca- poser le cadre de la contribution des deux parties,
tion « un des principaux leviers de la refondation de école et parents, dans un champ éducatif complémen-
l’école. Elle doit trouver une expression claire dans taire en tenant compte de la maturité des élèves » 10.
le système éducatif et se concrétiser par une partici- Dans le même sens, la députée V. Corre relève que
pation accrue des parents à l’action éducative dans la construction d’une alliance éducative « doit être
l’intérêt de la réussite de tous les élèves. Il convient fondée sur une reconnaissance réciproque bienveil-
de reconnaître aux parents la place qui leur revient au lante des compétences et des apports de chacun ainsi
sein de la communauté éducative ». L’article L. 111-1 que sur une confiance mutuelle et une égale dignité
du Code de l’éducation dispose que « pour garantir en ce domaine » 11.
la réussite de tous, l’école se construit avec la parti-
cipation des parents, quelle que soit leur origine La co-éducation est donc rapprochement autour
sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue d’une visée commune : la réussite de l’enfant en ce
et la coopération entre tous les acteurs de la commu- qu’il est notamment un élève, et sera un futur citoyen.
nauté éducative ». Elle nécessite de définir ensemble ce qui, au-delà des
intérêts particuliers, y contribuera. Pour P. Meirieu,
À leur suite, la circulaire interministérielle du par le nouveau « contrat scolaire » qu’il appelle de ses
15 octobre 2013 7 réaffirme que la participation des vœux, « il s’agit de chercher comment « faire réussir
parents à l’action éducative est déterminante pour la l’École » pour faire réussir tous les élèves et non plus
réussite des élèves et le climat scolaire. Elle identifie de faire réussir ses propres enfants en se désin-
plusieurs leviers d’action possibles : rendre effectifs téressant de l’avenir de l’École. Il s’agit d’assumer
les droits d’information et d’expression des parents la mission proprement pédagogique de l’École, sa
(invitations régulières, usage des outils numériques, rupture avec l’univers familial et la possibilité donnée
aménagement des « espaces-parents »), développer à toutes et tous d’accéder à des savoirs rigoureux, à
des partenariats et des actions d’accompagnement à l’argumentation rationnelle et à la possibilité de la
la parentalité. Le référentiel pour l’éducation priori- confrontation sereine avec les autres pour construire
taire du 16 janvier 2014 8 confirme ces orientations, en le bien commun » 12.
promouvant de nouvelles mesures comme l’entretien
personnalisé conduit avec les parents en amont de la
sixième, l’organisation de journées portes ouvertes, la
mise en place d’actions d’information ou d’échanges
permettant aux parents d’aider leur enfant par une
9 Rapport d’information n° 2117, déposé par la Commission
des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée
nationale, et présenté par Corre V., juillet 2014, p. 127.
10 Guide méthodologique « Accompagner le développement
des espaces-parents dans les établissements
7 Circulaire n° 2013-142 du 15/10/2013, Renforcer la d’enseignement scolaire ».
coopération entre les parents et l’école dans les territoires. 11 Fotinos G., op. cit., p. 72.
8 Circulaire n° 2014-077 du 04/06/2014, Refondation de 12 Meirieu P., « Pour un nouveau contrat entre l’école
l’éducation prioritaire, BO n° 23 du 5/06/2014. et les parents », p. 113.
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 45
SOMMAIRE
46 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
SOMMAIRE
lE CONTEXTE De REFONDATION DU SYSTÈME ÉDUCATIF 47
des actions éducatives (et de la participation des les dispositifs mis en place au sein de l’école elle-
parents) ; même : pour n’évoquer que le collège, les programmes
–– pour lutter contre les inégalités dans les domaines personnalisés de réussite éducative (PPRE, depuis
artistique et culturel, la mise en œuvre de disposi- 2005), l’accompagnement éducatif (AE, depuis 2008)
tifs complémentaires au PEAC ; et l’accompagnement personnalisé, d’abord en 6e (AP,
–– pour mieux prévenir le décrochage scolaire, la depuis 2010).
mise en place de parcours aménagés en formation
initiale et d’alliances éducatives renforcées avec Claude Bisson-Vaivre présente, dans un article récent,
les ÉPLE. les dynamiques à l’œuvre. Prenant l’exemple du
décrochage, il montre comment l’urgence d’agir sur
des situations à la fois complexes et problématiques
L’APPUI INDISPENSABLE pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes
DES PARTENAIRES LOCAUX concernés conduit « à une restructuration progres-
sive de l’accompagnement de l’élève, en acceptant
Dans sa définition actuelle, la réussite éducative d’introduire d’autres acteurs ou d’exploiter d’autres
promeut une certaine conception de l’acte éducatif compétences que celles et ceux rencontrés dans le
en en faisant un acte d’éducation globale qui prenne cadre strictement scolaire » 22. Ces alliances éduca-
en compte à la fois l’unicité de l’enfant/l’adolescent et tives doivent, en lien avec l’établissement scolaire,
le territoire au sein duquel il s’inscrit. En mettant en permettre de fédérer les actions des différents acteurs
avant l’approche globale de l’enfant, la démarche de qui tentent d’éviter le décrochage ou œuvrent au
« réussite éducative » entend contribuer à articuler la raccrochage.
classique et traditionnelle distinction entre « instruc-
tion » et « éducation » 21. La convergence et la complémentarité des interven-
tions sont, dans ce contexte de foisonnement des
Cette territorialisation n’est pas récente : des contrats acteurs impliqués dans la réussite éducative, primor-
éducatifs locaux apparaissent dès 1998 ; avec la mise diales. Il s’agit de « nouer des solidarités, fondées
en place des programmes de réussite éducative sur la conjugaison des compétences et des respon-
(PRE) en 2005, priorité est donnée à la construction sabilités sur un territoire et non plus seulement sur
de parcours personnalisés, grâce à l’action coor- leur juxtaposition » 23. Ce croisement indispensable
donnée d’équipes pluridisciplinaires de soutien. Leur des regards suppose que s’établissent des relations
connaissance de l’enfant ou du jeune et du contexte empreintes de rÉSPÉct et de confiance. La place et le
dans lequel il évolue doit permettre d’apporter des rôle de chacun doivent être connus de tous. Des règles
réponses ciblées et pertinentes à ses difficultés et/ou et des cadres de travail doivent être fixés de manière
besoins. Ces PRE viennent en complément des dispo- collective pour permettre que ces cultures profes-
sitifs d’accompagnement déjà existants et qui n’ont sionnelles différentes initient des parcours éducatifs
cessé de se multiplier : plans éducatifs locaux (PEL), cohérents et de qualité.
contrats d’accompagnement à la scolarité (CLAS),
ateliers santé ville (ASV), par exemple. Dans ce sens, la loi d’orientation de 2013 prévoit la
mise en place de projets éducatifs territoriaux (article
Chacun d’eux s’empare, à son niveau et à sa façon, L551-1 du Code de l’éducation). Mobilisant l’ensemble
de domaines aussi divers que l’accompagnement des acteurs disponibles (services de l’État, écoles
scolaire, la promotion de la santé, le développement et ÉPLE, collectivités territoriales, associations), ils
d’actions sportives, artistiques et culturelles, l’aide permettent d’organiser – sur la base d’un diagnostic
à la parentalité, la lutte contre le décrochage et l’ap- préalable des besoins éducatifs du territoire – des
prentissage de la citoyenneté. Pour prendre la mesure activités périscolaires prolongeant le service public
de la complexité de l’ensemble, il faut y ajouter de l’éducation, et complémentaires avec lui. Centrés
sur la continuité des temps éducatifs, ils favorisent
« les échanges entre les acteurs tout en rÉSPÉctant
21 Federini F., « Refondation de l’éducation prioritaire
et réussite éducative », conférence prononcée dans le cadre
de la journée d’études organisée par le centre Alain-Savary-
IFÉ-ENS Lyon sur le thème « Quelles collaborations locales 22 Bisson-Vaivre C., « La réussite éducative : quelle actualité ? »,
et institutionnelles pour améliorer l’accompagnement à Diversité, hors-série 2015, n° 16, p. 17.
la scolarité ? », 26-27 mars 2015. 23 Rapport de Delahaye J.-P., op. cit., p. 137.
SOMMAIRE
48 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
SOMMAIRE
LA CONDUITE
LOCALE
DU CHANGEMENT
MIK AËL A CORDONNIER
SOMMAIRE
La question pédagogique est aujourd’hui au cœur des politiques éducatives nationales : dans
le contexte incertain qui est le nôtre, réfléchir sur le sens et le contenu des apprentissages
propres à faire progresser tous les élèves est devenu incontournable.
La question se pose alors des leviers locaux du changement dans un contexte qui s’y prête
d’autant moins que les réformes éducatives se succèdent à un rythme régulier, générant
chez les personnels le sentiment que le changement est surtout instabilité !
Par ailleurs, la place prépondérante de l’État dans le pilotage du système éducatif a conduit
à une forte méfiance des professeurs à l’encontre d’outils comme le projet d’établissement
ou le contrat d’objectifs. Alors qu’ils pourraient constituer des vecteurs de changement, ils
sont le plus souvent vus comme autant de moyens d’un contrôle externe sur les actions
menées – traduisant la persistance d’une vision hiérarchique et verticale. Par son approche
globale, la réforme met cependant à nouveau l’accent sur le rôle fédérateur du projet d’éta-
blissement, dont il convient alors de convaincre les équipes.
SOMMAIRE
54 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
De ce point de vue, la réforme est une occasion donnée aux établissements scolaires de se
penser comme organisations apprenantes. Une telle évolution ne se décrète pas. Elle n’est
rendue possible qu’à certaines conditions, et paraît toujours incertaine.
SOMMAIRE
L’INSCRIPTION
DANS LA POLITIQUE
DE L’ÉTABLISSEMENT
L’implantation de toute réforme dépend de la manière de ses principes fondateurs. Ses défauts sont connus,
dont est pensée l’articulation entre niveau central et il forme un document volumineux, aux objectifs peu
niveau local. Comme l’a montré M. Gather Thurler : ou mal hiérarchisés, il est parfois réduit à un cata-
« Les écoles qui produisent des effets notables sur les logue d’actions sans réelle cohérence. Le volet péda-
apprentissages des élèves s’appuient sur les chan- gogique pourtant essentiel est souvent marginalisé.
gements qu’introduit le système éducatif à large Sa principale faiblesse tient à l’insuffisance de l’éva-
échelle plutôt que de les combattre […]. Ces établis- luation » 2. Un rapport récent le confirme : malgré sa
sements profitent des réformes du système éducatif consécration législative, le projet d’établissement
ou des incitations à s’engager dans des innovations n’est qu’insuffisamment un outil de référence pour
pour développer un projet ou le revitaliser et l’inflé- l’action pédagogique et éducative. Si la situation est
chir, sauf si les orientations externes sont en forte variable d’un collège à l’autre, il reste trop souvent
contradiction avec leur culture propre. […] L’existence « perçu comme un vague document de référence qui
d’un projet local pourrait donc, sous certaines condi- ne joue pas de manière effective son rôle structurant
tions, constituer un facteur favorable aux réformes et mobilisateur » 3. L’image d’un document qui « dort
d’ensemble. Ces dernières seraient en quelque sorte au fond d’un tiroir » et auquel il n’est fait mention que
relayées par le projet d’établissement, qu’elles renfor- de façon très ponctuelle reste prégnante.
ceraient en retour » 1.
De sorte que, même s’il n’est pas réactualisé dans le
Une telle analyse conduit à réaffirmer le rôle fédéra- délai réglementaire de trois à cinq ans, cela n’affecte
teur du projet d’établissement : en période de change- pas immédiatement l’organisation ou le fonctionne-
ments, il peut permettre aux équipes de questionner ment de l’établissement. Les priorités initiales conti-
représentations, valeurs et pratiques, de se (re)mobi- nuent, malgré tout, de se décliner. Si la situation se
liser sur des priorités claires, de s’engager dans la prolonge, le risque est grand que les pratiques ne
mise en oeuvre d’actions et de projets cohérents avec s’appuient plus sur des objectifs identifiés de tous.
les orientations nationales mais aussi avec les besoins Le sens de l’action collective se dilue, la gestion
propres. C’est à travers lui que sont reprécisés les axes quotidienne, « au coup par coup », prend le dessus.
de la politique pédagogique et éducative ainsi que la Logiquement, l’évaluation du projet se cantonne alors
place des acteurs. à quelques indicateurs de bord mis à jour par le chef
d’établissement, et au « ressenti » des acteurs.
SOMMAIRE
56 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
l’objectif principal n’est pas seulement, en le forma- Le suivi et l’accompagnement pédagogique diffé-
lisant, de remplir une obligation institutionnelle – rencié des élèves s’inscrivent donc dans une
car bien des enseignants restent convaincus qu’il est démarche continue, progressive et articulée qui ne
une affaire de chef d’établissement tenu de rendre peut être appréhendée de façon linéaire et simple – ou
compte –, mais surtout de décliner une ambition simplificatrice. Les acteurs du collège ont à prendre la
commune : permettre à tous les élèves, en particulier mesure de cette complexité et doivent travailler à la
les plus en difficulté, de poursuivre et d’achever leur structurer dans le contexte qui est le leur.
scolarité obligatoire dans les meilleures conditions,
leur donner les outils pour envisager avec confiance Travailler sur le projet d’établissement, c’est faire en
la suite de leur parcours. Ce qui importe n’est donc sorte que le sens de l’action collective s’énonce ou
pas tant qu’il soit la transcription d’objectifs natio- se redise en tenant compte de cette nouvelle donne.
naux – nécessairement généraux – mais qu’il énonce, De la réforme de l’organisation – envisagée comme
à partir de constats étayés, les valeurs et les voies norme extérieure à l’établissement, dont les finalités
éducatives et pédagogiques par lesquelles cette ambi- s’imposent à lui – découle la transformation, qui est
tion se donne effectivement à voir dans le quotidien le fait des acteurs et de leur rapport à leur environ-
du collège. Plus qu’une « charte constitutive de la nement immédiat 5. Et, dans la mesure où les adap-
communauté éducative » 4, le projet d’établissement tations attendues sont de nature pédagogique, c’est
est à comprendre comme un engagement à agir bien la transparence sur ce qui se fait et la recherche
en vue d’un bien commun qu’il convient de définir de cohérence sur ce qui pourrait se faire dans ce
ensemble et qui ne doit jamais être perdu de vue. domaine qui doit être au cœur de leur travail. Elle leur
permet de quitter le registre purement émotionnel ou
Dans sa version initiale, la réforme du collège vient factuel lié au changement, pour se saisir collective-
conforter le rôle structurant et fédérateur du projet ment des problématiques de fond et tenter progressi-
d’établissement de plusieurs façons : vement d’y répondre. Cette inscription de la réflexion
–– en rappelant avec force les valeurs républicaines et de l’action dans la durée neutralise, en partie, l’ins-
d’égalité, de solidarité et de justice sur lesquelles la tabilité du temps politique.
refondation de l’école s’adosse. Ces valeurs ne sont
pas seulement au cœur des parcours éducatifs des Dans cette optique, il ne suffira pas d’ajouter
élèves. Par leur double dimension déontologique quelques lignes au projet d’établissement existant
et éthique, elles orientent également les décisions pour évoquer les nouveaux points de la réforme. Que
des acteurs et confortent leur professionnalisme ; la refonte du projet d’établissement intervienne en
–– en instaurant une approche curriculaire qui oblige à même temps que sa mise en place est même une
penser les liens entre disciplines et socle commun, opportunité. S’il revient au chef d’établissement de
entre savoirs et expériences vécues dans ou hors déterminer la manière dont il entend conduire la
le collège ; réflexion des équipes, il apparaît incontournable qu’il
–– en conférant un caractère central à l’évaluation des privilégie une approche ouverte et participative.
élèves ;
–– en incitant à une réelle structuration des parcours Cela peut sembler fastidieux – car impliquant des
éducatifs, envisagés comme complémentaires et réunions qui s’ajouteront à celles, plus spécifiques,
propices à une diversité accrue des modes d’ap- portant sur tel ou tel aspect particulier de la réforme.
prentissage des élèves (notamment au travers des Pourtant, ce travail en parallèle présente quelques
projets menés dans le cadre des EPI) ; avantages, à condition d’être bien planifié et guidé.
–– en envisageant la possibilité de ponts entre les La mise en place d’un groupe de pilotage, constitué
actions qui auront été menées au collège et celles notamment de professeurs volontaires, favorise
qui seront mises en place aux étapes suivantes du l’émergence de la réflexion collective sur des éléments
parcours de l’élève (au lycée, mais également dans de diagnostic, qui permettront ensuite de repréciser
le supérieur) ; ensemble les priorités que se donne le collège.
–– en appelant à une sollicitation renforcée et coor-
donnée des partenaires de l’établissement (en
particulier au sein du bassin de formation).
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 57
LES AXES DE LA POLITIQUE À cette fin, une démarche est proposée qui n’est pas
DE L’ÉTABLISSEMENT sans rappeler celle qui préside à l’élaboration d’un
projet d’établissement :
S’inscrivant, pour une part, dans la continuité de ce –– phase rapide de diagnostic pour recenser ce qui
qui existait précédemment – au travers notamment se fait déjà sur le champ de l’orientation et les
de la personnalisation des parcours –, la réforme du ressources (humaines, matérielles, numériques)
collège s’en démarque toutefois par la place centrale disponibles. Elle peut permettre de savoir où se
accordée à la maîtrise du socle commun, de connais- situe l’établissement au regard des objectifs du
sances et de culture. Tout ce qui est mis en œuvre au parcours avenir 7 ;
collège – enseignements, actions, dispositifs, projets –– définition des champs à travailler prioritairement,
– doit y concourir. Chaque projet d’établissement met élaboration de la carte du parcours ;
en lumière la manière dont sont réfléchies et mises en –– mise en œuvre concrète : engagement des acteurs,
œuvre les nécessaires articulations qui en résultent. ancrage du parcours dans les disciplines au cœur de
la classe, développement de projets avec les parte-
Pour tendre vers celles-ci, les acteurs de la commu- naires extérieurs ;
nauté éducative prennent appui sur l’existant et, –– évaluation de la mise en œuvre du parcours.
à partir d’un état préalable des lieux, travaillent à
l’enrichir sur la base des objectifs généraux qui sont Cette démarche se décline de la même façon pour le
rappelés dans les textes. La circulaire relative au parcours d’éducation artistique et culturelle. Le guide
parcours citoyen précise ainsi que, pour lui donner proposé pour sa mise en œuvre 8 rappelle ainsi que
consistance et cohérence, « le projet d’établissement « l’élaboration du volet artistique et culturel du projet
accorde une véritable place à toutes les actions qui d’école ou d’établissement est une étape préalable qui
peuvent préparer, aider les élèves à s’engager dans le permet de garantir que l’éducation artistique et cultu-
collectif de l’école et de l’établissement et à assumer relle à l’école forme un ensemble continu et progressif
leurs responsabilités individuelles dans des actions qui va au-delà d’une succession d’actions ». La défi-
adaptées à leur âge » 6. nition des axes de ce volet oblige également à un
diagnostic auquel participent tous les acteurs impli-
Le guide pratique du parcours Avenir, élaboré conjoin- qués sur ce champ. Elle oriente ensuite les initiatives
tement par l’ONISEP et le Ministère, peut être pris en des équipes éducatives et pédagogiques qui adoptent,
exemple. À destination des chefs d’établissement, le cas échéant, la démarche de projet en partenariat.
il précise en quoi ce parcours se différencie des Une telle démarche permet de lier les établissements
anciens, ciblés sur l’orientation et les métiers (PDMF scolaires à des acteurs culturels (collectivités territo-
et PIIODMEP). Destiné à tous les élèves – et non plus riales, musées, institutions, associations, etc.).
seulement à ceux susceptibles de s’orienter vers
l’enseignement professionnel –, il « poursuit en outre La présentation d’une méthode d’élaboration qui,
des objectifs plus larges que la seule découverte des sans nier la spécificité de chacun des parcours,
métiers. Pour se projeter dans l’avenir et être en capa- permet de les approcher d’une façon assez similaire
cité de faire des choix éclairés et raisonnés tout au ne présente pas seulement l’intérêt de rappeler qu’ils
long de son parcours scolaire et professionnel, il ne sont construits autour des mêmes principes de conti-
s’agit pas seulement de connaître le monde profes- nuité et de progressivité. Pour les équipes, elles actent
sionnel ; il faut aussi le comprendre, savoir s’y repérer la nécessité d’une appréhension globale et cohérente,
et anticiper ses évolutions. Être capable de découvrir qui n’est possible qu’à partir du projet d’établisse-
par soi-même, ou de choisir, de créer, d’agir et d’oser ment lui-même.
sont des qualités essentielles pour s’insérer et s’épa-
nouir dans le monde d’aujourd’hui. Les connaissances
et les compétences visées par le parcours Avenir sont
ainsi très nombreuses. C’est pourquoi il est ancré
dans les enseignements et mobilise toute la commu-
nauté éducative » (p. 7).
7 Voir le guide proposé par l’ONISEP de Strasbourg,
disponible sur le site de l’académie.
8 Le Guide pour la mise en œuvre du parcours d’éducation
6 Circulaire n° 2016-092 du 20/06/2016 relative au parcours artistique et culturelle est disponible sur le site
citoyen de l’élève, BO n° 25 du 23/06/2016. education.gouv.fr
SOMMAIRE
58 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
L’élaboration des parcours : une belle occasion de Le travail sur les trois autres parcours s’est
travailler à la rédaction du projet d’établissement effectué à différents moments, mené par des
tout en contribuant à la mise en place effective groupes à géométrie variable.
de la réforme du collège
Le parcours avenir a été finalisé le premier. De
Lorsque j’ai pris mes fonctions au collège, en nombreux thèmes ont émergé de la phase de
septembre 2015, le projet d’établissement arrivait diagnostic : par exemple, la nécessité de déve-
à expiration. Par ailleurs, nous disposions d’une lopper la mobilité géographique de nos élèves,
année scolaire pour préparer la mise en place de l’objectif de les amener à se projeter positive-
la réforme, attendue dans ses grandes lignes pour ment vers leur vie d’adulte ou encore d’aug-
septembre 2016. La majeure partie de l’année a menter notre taux d’élèves affectés au premier
été consacrée à l’explicitation de la réforme aux tour en fin de troisième. La plupart des docu-
équipes et à son appropriation progressive, au ments produits alors ont vocation à être insérés
travail sur les nouveaux programmes ainsi qu’à dans le projet d’établissement. Parmi ceux-ci :
la préparation technique de la rentrée (DHG, les constats chiffrés & qualitatifs ; le document
accompagnement personnalisé, EPI, utilisation de de programmation des thèmes sur les quatre
la dotation complémentaire, etc.). C’est volontai- niveaux de classe ; les actions détaillées dans
rement que les parcours n’ont été évoqués qu’en des fiches.
toute fin d’année, une fois tous les autres aspects
La rédaction du parcours citoyen et du parcours
traités ou en cours de traitement.
éducatif de santé a suivi la même méthode.
En mai 2016, j’ai réuni le conseil pédagogique du
Certaines personnes ont participé à la mise en
collège, en l’ouvrant à tous, et j’ai fait part de ma
place de tous les groupes (équipe de direction,
vision : il s’agissait de travailler tous ensemble
CPE, professeur-documentaliste), d’autres ont
à la réécriture du projet d’établissement, en
apporté leur contribution au gré de leurs centres
s’appuyant sur les parcours. Ils pouvaient en
d’intérêt ou de leur investissement passé (dans
effet constituer des outils intéressants, car ils
le CESC par exemple).
embrassent pratiquement tous les champs ou
thèmes potentiels d’un projet d’établissement. Si des temps collaboratifs, riches et féconds,
En outre, de par leur déclinaison particulière à ont donc bien existé, cette méthodologie parti-
l’échelle d’un établissement (et, pourquoi pas, culière a permis de faire avancer deux dossiers
d’un bassin d’éducation et de formation), ils se majeurs en évitant d’épuiser les équipes par un
situent à l’articulation du national et du local. De trop grand nombre de réunions, ce que je consi-
plus, leur dimension curriculaire les inscrit dans dérais comme le risque le plus saillant dans ce
la durée, tout comme le projet d’établissement contexte précis.
qui se déploie sur trois ou quatre ans. Enfin, cette Témoignage de Laurent Houssin, Principal du collège Arthur-
notion d’un temps moins tendu, propice à déve- Rimbaud à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, dans le département de
lopper une certaine réflexivité chez l’élève, peut Seine-Maritime.
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 59
SOMMAIRE
60 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
voire depuis le début de leur carrière. Lorsque, comme se situant au départ de tout et, dans
au détour de conversations avec ces enseignants une certaine mesure, conditionnant la suite de
emblématiques, surgit la longue liste des noms manière importante.
de ses prédécesseurs, le principal ou le proviseur
peut (re)faire l’apprentissage de l’humilité. Pour Dès lors, le véritable enjeu n’était-il pas de
peu que la parole soit très libre, une remarque, devenir soi-même une incarnation de la réforme
un adjectif, une expression viennent ponctuer à un niveau local ? Par exemple, en en dégageant
tel ou tel nom : « M. Machin, il était toujours sur quelques points saillants et en les présentant
le terrain. Mme Bidule, je l’aimais bien, elle était avec conviction dans des moments formels
très humaine. M. Trucmuche, il était compliqué (conseil pédagogique, conseils d’enseignement)
avec les enseignants, très hautain. Mme Chose, ou informels (échanges en salle des professeurs,
elle était un peu autoritaire, mais efficace. Mme conseils de classe), en veillant à demeurer loyal
Untel, superdynamique… » Quelquefois, après un avec l’institution et en repoussant la terrible
nom, juste un silence ou un sourire gêné. tentation du double discours démagogique (« Je
suis comme vous, je subis cette réforme, mais
Par-delà la question narcissique de savoir quel nous n’avons pas le choix, travaillons ensemble. »)
adjectif nous caractérisera lorsque nous aurons qui dédouane dans un premier temps mais qui
quitté l’établissement, il faut entendre ce que constitue une bombe à retardement. Pour filer de
ces remarques peuvent nous dire. Certes, nous nouveau la métaphore musicale, il suffit d’avoir
sommes de passage, un peu éphémères, vague- écouté différentes versions de la même œuvre et
ment interchangeables. Mais chacun d’entre de constater à quel point les productions finales
nous, le temps de sa présence, véhicule une varient (y compris pour la durée !) pour mesurer
image, une marque de fabrique, un style, qui l’influence décisive du chef d’orchestre.
s’impriment dans les esprits…
Aucun chef d’établissement ne devrait jamais
Ghislaine Matringe, déjà citée dans cet ouvrage, sous-estimer son influence sur le fonctionne-
s’est penchée sur les évolutions du métier de chef ment global de son collège ou de son lycée.
d’établissement. Elle a mis en évidence la néces-
sité de clarté et de cohérence des choix exprimés Cette remarque, que l’on pourrait inscrire en
aux équipes. Elle a également souligné l’impor- exergue d’une réflexion sur la mise en place
tance qu’il soit un bon pédagogue avec ses colla- d’une stratégie de communication, me semble
borateurs, donnant du sens à ses propositions ou également convoquer la thématique, beaucoup
ses choix et les explicitant avec conviction. plus profonde et sincère, des valeurs, et induire la
question suivante : Est-ce que placer les valeurs
Peut-on imaginer un chef d’orchestre (ce paral- au-dessus de tout, les poser comme préambule
lèle est souvent utilisé) ne donner que peu (ou à toute réflexion, s’y référer à des moments clés
pas) d’indications à ses musiciens, leur dire de se (discours de prérentrée par exemple) lorsque l’on
référer à la partition et laisser une merveilleuse communique avec ses équipes, ce n’est pas déjà
symphonie se transformer en une œuvre froide partager et montrer la voie, et par là acquérir un
et sans style ? Évidemment non. peu de lisibilité ?
Témoignage de Laurent Houssin, Principal du collège Arthur-
Peut-on imaginer un principal de collège réunir Rimbaud à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, dans le département de
ses enseignants pour leur dire que la réforme a Seine-Maritime
SOMMAIRE
L’ENGAGEMENT
DE LA DIRECTION
DANS LA CONDUITE
DU CHANGEMENT
SOMMAIRE
62 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
c’est certain, ne manqueront pas de me faire L’inconfort provoqué par ce couple diabolique
remarquer que ce n’est ni la première, ni la local/national est d’ailleurs applicable à d’autres
dernière, et qu’ils ont appris à prendre leurs binômes ; on pourrait citer l’injonctif vs l’utile, le
distances avec tout ce qui vient « d’en haut » (le vertical vs l’horizontal, l’autonomie vs la centra-
chef), de « très haut » (le rectorat) ou de « tout lisation, la tradition vs l’innovation, l’intérêt de
en haut » (le ministère) ? l’élève vs l’intérêt de l’institution, etc.
–– Par quel bout commencer ? Y a-t-il un sens à
rÉSPÉcter ? Y a-t-il un mode d’emploi ? (le chan- Certes, la volonté d’écoute du chef d’établis-
tier est tellement vaste !) sement, sa capacité à résoudre rapidement les
–– Combien de réunions me faudra-t-il orga- tracasseries du quotidien (voire à les éviter en les
niser durant l’année ? (les enseignants vont anticipant), son aptitude à bien gérer financière-
grogner…) ment son établissement, sa disponibilité envers
–– Vais-je subir des pressions de ma hiérarchie les familles, sa bonne connaissance des élèves,
quant à l’effectivité de la mise en place de la etc. vont contribuer au bon fonctionnement
réforme et du rÉSPÉct du calendrier ? de l’établissement, et d’une certaine manière,
–– Entre les professeurs qui sont pour et ceux qui constituer autant d’« occasions secondaires de
sont « contre », cette réforme ne risque-t-elle pilotage ».
pas de diviser mon équipe enseignante ?
Il paraît néanmoins indispensable qu’à certains
–– Dans mon quotidien déjà très chargé, comment
moments il « arrête » le temps, qu’il s’extraie
vais-je trouver le temps (l’énergie ?) de réflé-
physiquement de ce quotidien prenant (en s’en-
chir, sereinement si possible, à une stratégie
fermant dans son bureau ou en disparaissant
globale de présentation et de mise en place de
dans un autre lieu) et se pose certaines questions
cette réforme ?
en se remémorant ses objectifs de départ et en
Cette dernière question, qui semble à elle seule les y confrontant : Où en suis-je ? Mes équipes
contenir toutes les autres, est probablement la ont-elles évolué ? Les élèves y ont-ils gagné ?
plus intéressante, car elle renvoie de façon natu- Quel chemin me reste-t-il à parcourir ? Comment
relle à la question du pilotage. vais-je m’y prendre ?
Cette notion de « pilotage », qui fait l’objet d’une C’est à ce prix seulement qu’il lui devient possible
littérature fort abondante et dont l’occurrence de prendre le recul nécessaire pour mesurer son
est impressionnante dans tout manuel du parfait action et de travailler, avec son ou ses adjoint(s),
chef d’établissement, n’est pourtant pas à consi- à la mise en place et au suivi d’une stratégie
dérer à la légère. En effet, pour un principal ou un nationale.
proviseur, rien n’est finalement plus simple que
Piloter efficacement, articuler national et local, ne
de ne jamais piloter. Au quotidien, tout semble
serait-ce pas finalement réaliser cette prouesse
en effet se liguer contre lui. Il y a les soucis de vie
quotidienne que constitue la double tâche de
scolaire à gérer, les tracas matériels, financiers,
diriger son établissement avec tous les aléas que
les plannings divers à construire, les enquêtes à
cela comporte, tout en ayant une stratégie géné-
compléter, les mails, les coups de téléphone, les
rale et en s’y référant le plus souvent possible ?
demandes de rendez-vous, les sollicitations du
Témoignage de Laurent Houssin, Principal du collège Arthur-
rectorat sur d’autres missions, etc. Rimbaud à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, dans le département de
Seine-Maritime.
Le soir, le chef d’établissement rentre chez lui,
fatigué mais satisfait par la sensation du devoir
accompli. Les jours passent, les semaines. Et La connaissance, par le chef d’établissement des
soudain, un matin, cette question : « En quoi ai-je enjeux de la réforme, sa capacité à les relier au
fait avancer mon établissement ? » contexte, notamment pédagogique, de l’établisse-
ment, sont essentielles.
Sans le vouloir, le chef d’établissement s’est peu
à peu trouvé enfermé dans une zone – quelque-
La première partie le montre bien : si le chef d’établis-
fois peu confortable – « de confort » (le local), en
sement limite sa réflexion et son action à des consi-
oubliant pour un temps sa mission première, qui
dérations pragmatiques – tenant à la nécessité de
est de relier le niveau local au niveau national.
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 63
« remonter » une DHG conforme aux attentes de l’ins- changements introduits par la réforme puissent être
titution et peu coûteuse localement, par exemple –, menés dans le collège sans mettre à mal les équilibres
il évite probablement ce qui est au cœur de la refon- existants, voire en les renforçant dans un sens favo-
dation de l’école : le renouvellement des pratiques rable à la réussite de tous les élèves ?
pédagogiques en vue d’améliorer les apprentissages
des élèves. La première étape est d’en avoir une connaissance
exhaustive. Une lecture attentive des textes officiels
Une telle réserve peut néanmoins se comprendre. s’impose – en situant bien chacun dans la hiérarchie
L’entrée récente dans la fonction, le parcours profes- des normes juridiques. La maîtrise de leurs disposi-
sionnel antérieur font que certains personnels de tions constitue un atout précieux, à la fois pour anti-
direction se sentent parfois moins légitimes que ciper l’action et éclairer les différents acteurs. Elle
d’autres sur le terrain pédagogique. Ce peut être le permettra de leur expliquer les objectifs de la réforme
cas d’anciens CPE ou professeurs du premier degré en les resituant dans le double cadre des évolutions
qui, n’ayant jamais eu à enseigner en collège, se globales, d’une part, de la politique d’établissement,
sentent moins armés pour investir ce champ. De la d’autre part. Cette connaissance générale sera parti-
même façon, un principal nouvellement nommé se culièrement utile dans les moments de débats et de
trouve-t-il dans une position bien différente de celui controverses. Et si le principal devra parfois opérer
qui, exerçant dans le même collège depuis plusieurs un arbitrage entre rÉSPÉct des normes et réalité de
années, a su acquérir une légitimité suffisante pour son établissement, il le fera en toute connaissance de
aborder l’application de la réforme plus sereinement. cause – et sans pour autant perdre de vue son souci
La perception de l’établissement comme organisa- de loyauté à l’égard de l’institution.
tion humaine, susceptible d’être traversée par des
tensions ou des conflits qui en impactent plus ou Il lui faut également se dégager des urgences quoti-
moins le fonctionnement, conduit aussi à une louable diennes pour indiquer les orientations et prendre les
prudence. décisions favorables aux apprentissages des élèves et
à l’engagement des acteurs. « Car c’est sur la clarté
D’une manière plus générale, « le chef d’établisse- et la pertinence du cap qu’il se sait attendu. De ce
ment est appelé à tenir compte des relations infor- point de vue, il exerce bien un métier singulier, qui
melles, des frontières symboliques et des émotions en fait avant tout un “intellectuel de terrain” dans un
qui l’obligent à des détours tactiques s’il veut contexte de plus en plus complexe » 5. Cela rend sa
conduire sa politique de manière efficace et mettre en formation d’autant plus nécessaire 6.
œuvre des réformes parfois impopulaires » 4. Ce que
les auteurs appellent également « l’agir stratégique » Pour rendre les choses opérationnelles, le chef d’éta-
se distingue toutefois de l’abstention d’agir qui n’est blissement gagne à s’appuyer sur les compétences des
compatible avec aucune des deux grandes missions « conseillers techniques » qui l’entourent. S’agissant
du chef d’établissement. Porteur des finalités et des du parcours avenir, le/la conseiller/ère d’orientation
objectifs définis par le ministre, lesquels se traduisent psychologue contribue ainsi à l’ingénierie pédago-
nécessairement dans la politique éducative et péda- gique en lui apportant son expertise en matière de
gogique de l’établissement qu’il dirige, il lui revient développement psychologique de l’adolescent et
d’assumer pleinement les responsabilités qui sont ses connaissances en analyse du travail (arrêté du
les siennes. 1er juillet 2015). Le conseiller principal d’éducation
y participe par sa connaissance particulière des
Leur exercice, en temps de réforme, exige évidem- élèves et des familles. De la même façon, il joue un
ment tact et mesure. Car le chef d’établissement est rôle essentiel dans la mise en œuvre du parcours
au premier plan pour faciliter la réception des déci- citoyen, en complémentarité avec les enseignants et
sions ministérielles, rendre compréhensible ce qui les partenaires.
paraît obscur. Dès lors, se pose à lui la seule question
qui vaille vraiment : comment faire en sorte que les
4 Bastrena M., Normand R., Nouis A., Les Pouvoirs du chef 5 Langanay J.-Y., Le chef d’établissement pédagogue, p. 11.
d’établissement : autorité, légitimité, leadership, SCÉRÉN-CNDP/ 6 Lire, à ce sujet, le n° 60 de la Revue internationale d’éducation
CRDP, Lyon, 2013, pp. 10-11. intitulé « Le métier de chef d’établissement », 09/2012.
SOMMAIRE
64 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Lorsque le cap est fixé, lorsque les choix sont faits être questionnée. Des besoins de formation peuvent
– par exemple les heures d’enseignement complé- aussi émerger. Ensuite, celle de la participation aux
mentaires réparties dans la dotation horaire globale instances du collège, qu’il s’agisse du conseil école-
–, il faut encore s’assurer que les équipes les rÉSPÉ- collège ou du conseil pédagogique. La parole, plus
ctent. La chose est loin d’être acquise. Il est probable, institutionnelle, vient redire ce qui est attendu et
en effet, que les professeurs réticents ou franchement pourquoi.
hostiles à la réforme elle-même soient peu enclins à
en appliquer les principes. De façon très pragmatique, Ces temps ne donnent pas seulement le sentiment au
le chef d’établissement peut, là aussi, être tenté de chef d’établissement d’être soutenu par sa hiérarchie.
s’accommoder d’une mise en œuvre imparfaite dans Ils lui permettent, en observant les enseignants dans
la mesure où elle préserve les équilibres locaux. Une la classe et en les écoutant dans le cadre des réunions,
trop grande retenue, au nom de la liberté pédago- de mieux saisir leurs préoccupations. Cette compré-
gique, a pourtant des limites. Elle risque de laisser hension de ce qui se construit, de ce qui se débat,
s’installer des pratiques très disparates d’un ensei- imprègne ses décisions – et sa propre façon de les
gnant – ou d’une discipline – à l’autre. Elle place le expliquer.
chef d’établissement lui-même dans une situation
inconfortable, dans la mesure où, ne sachant pas
précisément ce qui se fait (ou pas), il ne peut orienter LA PRISE EN COMPTE DES RESSOURCES
efficacement le travail des équipes. ET DES PRATIQUES LOCALES
Sans nier leur liberté d’action, et même en l’encou- En effet, il ne suffit donc pas de dire qu’une réforme
rageant, le chef d’établissement doit donc assurer doit être appliquée – parce que le devoir d’obéis-
un rôle constant de coordination et de veille. Les sance hiérarchique lié au statut de fonctionnaire
échanges, formels et informels, lui permettent de le commande – pour qu’elle le soit réellement. Des
mieux comprendre la façon dont les professeurs font études ont montré que l’impact en est minoré par
évoluer leurs pratiques. Il contribue à la dynamique le fait que « les enseignants adoptent une stratégie
des équipes disciplinaires et pédagogiques, propice à de filtrage des injonctions, implicite ou non, que
une évolution progressive des points de vue. d’aucuns pourraient comparer à une résistance ou
une force d’inertie. Les préconisations s’opposent à
Un autre aspect du pilotage pédagogique tient dans la la force du sentiment de compétence, d’estime de
capacité du chef d’établissement à solliciter ou opti- soi et à la conscience que les enseignants ont de
miser l’appui des corps d’inspection, qu’il s’agisse de leur métier et de la manière de (bien) l’exercer » 7.
l’IA-IPR référent ou des IA-IPR disciplinaires. Il peut Génératrice d’inconfort, la réforme suscite logique-
évidemment craindre que leur implication soit vécue ment des réserves.
par les enseignants comme une injonction hiérar-
chique au changement. C’est donc plus probablement Dans ce contexte, l’équipe de direction ne peut opérer
lorsqu’ils ont quitté la phase d’inquiétude ou de récri- de façon unilatérale ou brutale, c’est-à-dire sans tenir
mination pour entrer dans celle des questionnements compte des inquiétudes et des réticences qui s’expri-
didactiques et pédagogiques – et donc du travail de ment, sous diverses formes, devant les changements
fond proprement dit – que leur intervention peut réel- d’ampleur annoncés. C’est d’autant plus vrai pour
lement faire sens. la réforme du collège dont la démarche globale a de
quoi inquiéter, de façon tout à fait compréhensible,
Leur accompagnement peut revêtir deux formes. les enseignants.
D’abord, celle des inspections individuelles qui
permettent d’échanger avec les enseignants La manière de conduire le changement est donc
concernés, sur la mise en œuvre des nouveaux fondamentale. L’équipe de direction doit y réfléchir
programmes et leur articulation avec les compé- au préalable, puis tout au long de la mise en œuvre,
tences du socle commun. La réunion avec l’ensemble en tenant continuellement compte de l’hétérogénéité
de l’équipe disciplinaire – qui peut leur faire suite –
ouvre sur des discussions plus précises. La présence
du chef d’établissement est essentielle, notamment 7 Feyfant A., « Transformations du travail enseignant :
finalités, compétences et identités professionnelles », Lettre
dans cette période de « rodage ». La pertinence des d’information de la Veille scientifique et technologique, IFÉ,
choix faits lors de l’élaboration de la DHG peut ainsi n° 26, avril 2007, p. 2.
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 65
statutaire et professionnelle des acteurs. « Derrière Au quotidien, beaucoup passe par sa capacité à
l’unité de façade qui s’exprime dans des moments conseiller les enseignants lors d’échanges informels.
de tensions (annonce de réformes, grèves, rentrée Une écoute attentive des inquiétudes qu’ils expri-
scolaire), il existe beaucoup de différences culturelles ment ou des questions qu’ils se posent lui permet de
et sociales dans le corps enseignant. Les professeurs mieux comprendre les spécificités du travail ensei-
tissent aussi des relations affinitaires et informelles gnant et d’identifier des axes possibles d’évolution
qui déterminent leur rapport au travail et leur degré et de formation.
d’implication dans la dynamique de l’établisse-
ment. Ces différentes conceptions du métier, si elles La réforme peut parfois réactiver des désaccords
paraissent, au premier abord, difficilement intégrables plus profonds parmi les enseignants, ou entre ensei-
dans un projet commun, offrent toutefois des possibi- gnants et direction. Des situations conflictuelles ne
lités de mobilisation sur telle ou telle action, à condi- sont pas à exclure, liées à l’histoire récente de l’éta-
tion que le chef d’établissement fasse preuve de tact blissement, à la composition des équipes, à la façon
dans la sollicitation des personnes au regard de leur dont la réforme impacte certains enseignants – ceux
positionnement identitaire » 8. d’allemand, au moment de la disparition des classes
bilangues, désormais rétablies – et à la légitime
Une bonne connaissance des équipes, la réalité et la préoccupation de leurs collègues de leur apporter
qualité des échanges et des travaux menés habituel- compréhension et solidarité –, quitte à adopter des
lement avec elles dans un esprit d’ouverture et de positions plus tranchées qu’à l’ordinaire. La présence
confiance, sont des atouts indéniables. Une équipe de et la disponibilité du chef d’établissement, sa volonté
direction qui porte habituellement une parole posi- d’apporter – en fonction de la structure pédagogique
tive et encourageante, qui a visiblement le souci d’ap- propre au collège, et en lien avec les autorités acadé-
porter des réponses claires et concertées aux diffi- miques et rectorales – des solutions aux contraintes
cultés rencontrées, saura se montrer plus facilement qui se font jour, son souci de l’accompagnement des
rassurante. C’est un moment où la personnalité et les personnes sont indispensables à la régulation des
compétences relationnelles du chef d’établissement, tensions éventuelles.
comme de l’adjoint, comptent particulièrement. À cet
égard, la route peut paraître moins difficile lorsqu’il Un écueil est toujours à éviter : celui d’une dévalorisa-
sait sa légitimité reconnue, du fait des qualités de tion des pratiques pédagogiques existantes. L’entrée
leadership dont il a déjà su faire preuve antérieure- en vigueur du nouveau socle commun de connais-
ment. Pour celui qui vient d’arriver dans l’établisse- sances, de compétences et de culture conduit, par
ment, l’enjeu est de taille car le temps d’observation exemple, à s’interroger sur l’usage des compétences
et de compréhension est plus court. au collège. On le sait, les situations varient considé-
rablement de l’un à l’autre, selon que les équipes se
L’objectif n’est cependant pas de convaincre à tout sont ou non emparées de la précédente version de
prix tout le monde du bien-fondé de la réforme. Il 2006 pour modifier leurs pratiques. Et si le chef d’éta-
est toujours bienvenu que des représentations et des blissement peut s’en étonner ou le déplorer, il ne peut
points de vue différents s’affirment. Ils permettent se contenter d’invoquer les nouveaux textes pour
d’interroger collectivement la place et le sens des exiger, séance tenante, une modification immédiate
valeurs (liberté, égalité, justice), de mettre en évidence de l’existant. Au contraire, il lui revient de s’appuyer
des conceptions variées du métier d’enseignant, de sur ce qui se fait – même si cela lui paraît insuffisant
laisser s’exprimer des craintes légitimes quant à son – pour amener les équipes à s’aventurer plus loin. Son
évolution. Certains enseignants font ainsi valoir que regard distancié, voire critique, n’est pas un frein s’il
l’égalité de traitement entre élèves est mise à mal autorise plus qu’il ne condamne.
par l’injonction qui leur est faite de traiter chacun
de façon particulière. Les échanges, parfois vifs – en De façon générale, pour les raisons largement
particulier avec certains représentants syndicaux –, évoquées ci-dessus, la plupart des enseignants
n’enlèvent rien aux qualités professionnelles de réagissent, en effet, de manière épidermique et peu
chacun, que le chef d’établissement doit toujours réceptive aux injonctions descendantes et conjonctu-
avoir à cœur de reconnaître. relles. Tous ont besoin d’un accompagnement bien-
veillant qui s’inscrive sur le long terme. Aux inquiets, il
est important de rappeler que, si la réforme appelle le
8 Bastrena M., Normand R., Nouis A., op. cit., p. 38. changement, ce changement s’inscrit nécessairement
SOMMAIRE
66 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 67
Traces écrites
Des traces écrites (sous forme de comptes rendus, UNE COMMUNICATION CONSTANTE
de fiches outils…). Cette formalisation, qui n’est pas EN DIRECTION DES PARTENAIRES
toujours habituelle, permet de garder en mémoire le
déroulé des échanges, les propositions qui ont été La réussite d’une réforme repose pour une part non
retenues, celles qui ont été écartées, les éclaircisse- négligeable sur la qualité de l’information et de la
ments à apporter. Elles participent de la construction communication. Le chef d’établissement doit prendre
d’une « intelligence collective ». Les modalités de leur en compte une multiplicité d’acteurs, qui portent sur
diffusion, de leur(s) modification(s) éventuelle(s) et de la réforme un regard plus ou moins averti. Il lui appar-
leur conservation sont donc essentielles. tient de veiller à ce que chacun d’entre eux en ait
une réelle compréhension. Son discours gagne à être
Conditions de travail ouvert et clair.
Des conditions de travail préservées. L’équipe de
direction doit, dans la mesure du possible, faire en La communication ne laisse que peu de place à l’im-
sorte que la mise en œuvre de la réforme ne vienne provisation. Si tous les mots ne sauraient évidem-
pas détériorer l’existant. Ce n’est pas toujours ment être soupesés, l’orientation générale du discours
possible, lorsqu’il s’agit – par exemple – de fermer doit être réfléchie. Le chef d’établissement doit savoir
un poste d’allemand en raison du trop faible nombre adapter son message à ses interlocuteurs, penser les
d’heures de cours dispensées. Malgré les efforts moments et les modalités d’une communication qui
déployés pour éviter cette situation, l’enseignant
concerné en gardera évidemment un goût amer – et
les autres collègues avec lui. En dehors de ces situa- 11 Dans ce sens, Blanquart F. et Walkowiack C. distinguent,
tions, qui peuvent générer un sentiment de frustra- à propos de la mise en œuvre du socle commun, entre
la validation certificative des compétences – qui relève
tion, le chef d’établissement doit se montrer à l’écoute de la direction – et les problématiques pédagogiques
et facilitant. – prise en charge des difficultés des élèves, différenciation
pédagogique, croisement des regards disciplinaires autour
de compétences communes – sur lesquels les enseignants
« Toutes ces dimensions sociotechniques contiennent ont à concentrer leurs efforts, Réussir l’école du socle en
l’action et réduisent la complexité, aident les acteurs faisant dialoguer et coopérer les disciplines, p. 22.
SOMMAIRE
68 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
SOMMAIRE
L’AMÉNAGEMENT
D’ESPACES ET DE
TEMPS COLLABORATIFS
Dans un article récent, Alain Bouvier déplorait « une porteuse d’un projet symbolique, mais qui n’est pas
incroyable autarcie collective » et un manque de complètement vraisemblable 2 ».
« coopérations de proximité » et de « coconstructions
dans les établissements scolaires » 1. Ce constat n’est C’est d’autant plus vrai que la prescription institu-
pas nouveau ; il est souvent admis par les enseignants tionnelle est forte. Toute réforme porte indubitable-
eux-mêmes : dans un contexte de liberté pédagogique ment en elle le risque d’une crispation des acteurs
exercée au sein de classes fermées – les fameuses scolaires sur ce qu’ils savent faire plutôt que sur ce
« boîtes à œufs » –, travailler avec les autres est diffi- qu’on leur demande de faire. L’enjeu est alors de les
cile. Aux contraintes de temps et d’organisation (des aider à prendre conscience, qu’au-delà de la réforme
espaces, des services…) s’ajoute la crainte d’être jugé en tant que décision politique – aléatoire –, ce sont
ou de se juger moins compétent que les pairs. bien les problématiques qu’elle met au jour qui
ouvrent à davantage de travail collaboratif dans les
Certes, des coopérations existent, affaires d’affinités établissements scolaires. Dans cet article antérieur à
personnelles et/ou d’intérêts didactiques, pédago- la réforme, Y. Dupriez évoque déjà ce qui en constitue
giques ou éducatifs communs. Mais, souvent ponc- finalement les aspects essentiels : l’accompagnement
tuelles et plutôt informelles, elles ne donnent pas des élèves dans leur globalité, la place des savoirs
nécessairement lieu à une réelle interdépendance contextualisés, la pédagogie par projet…
professionnelle plus caractéristique de la collabo-
ration. Elles visent, pour l’essentiel, à répondre à Il convient, dès lors, de s’attacher à préciser ce qui
des besoins urgents ou ciblés dans le temps (l’orga- peut concrètement permettre de promouvoir cette
nisation d’une sortie ou d’un voyage scolaire, par idée de culture apprenante et, partant, d’inscrire l’éta-
exemple). Des routines peuvent également s’installer, blissement scolaire dans une perspective dynamique :
avec des projets ou des actions reconduit(e)s pendant une définition collective des besoins, la mobilisation
plusieurs années, sans réelle évaluation – ni sur les de tous les acteurs de la communauté éducative, le
apprentissages des élèves, ni sur le développement développement de pratiques collaboratives ouvrant
professionnel de leurs auteurs. sur des démarches pédagogiques nouvelles.
1 Bouvier A., « Le management pédagogique de proximité », 2 Dupriez V., « Le travail collectif des enseignants : au-delà
in L’autonomie, pour quoi faire ?, p. 80 et suivantes. du mythe », Travail et formation en éducation, n° 7, 2010.
SOMMAIRE
70 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
l’établissement est un ensemble où les débats peuvent Ces échanges peuvent prendre des formes différentes
être vifs mais où la volonté de faire ensemble est réel- selon les thèmes de travail évoqués : conseils d’en-
lement présente. Non pas que des débats n’aient pas seignement, conseil pédagogique – plus ou moins
cours sur telle ou telle réforme, par exemple, mais, élargi –, commissions thématiques, réunions des
plus que tout, est présente la conscience que, quelles professeurs principaux ou des coordonnateurs de
que soient les appréciations des uns et des autres, il discipline.
faudra accueillir et faire réussir les élèves » 3.
Ils permettent de questionner, clarifier, débattre. Ils
Du point de vue du pilotage de l’établissement, la font émerger des représentations et des conceptions
ligne de crête est étroite. Car si le besoin de travailler variées, à partir desquelles des accords sont recher-
ensemble s’énonce souvent facilement, il s’accom- chés. Ce n’est qu’à la condition d’exprimer des orien-
pagne rapidement de deux réserves : d’une part, celle tations et une méthodologie de travail communes
du temps disponible, d’autre part celle de l’intérêt que qu’ils peuvent être porteurs de cohérence.
chacun pense y trouver. La concertation ne doit pas
être perçue comme trop éloignée du vécu immédiat De tels échanges ne sont pas faciles à organiser de
des enseignants, qui évoquent souvent le besoin de façon régulière. Les contraintes temporelles sont
« concret ». Or, la complexité de certains sujets – réelles ; d’autres réunions portant sur le suivi de
comme l’évaluation par compétences – ne se prête certains élèves ou de certaines classes ou sur la
pas à du « clé en main » mais projette nécessairement préparation d’actions éducatives ou culturelles
les équipes sur un travail en profondeur et dans la doivent également se tenir. Les acteurs peuvent se
durée. sentir très, voire trop, sollicités et, pour éviter l’usure,
ne répondre qu’à certaines demandes, voire se mettre
Des équilibres sont donc à trouver, pour que la concer- volontairement en retrait en se recentrant sur la prise
tation prenne tout son sens, sur des objets collective- en charge de leurs élèves. Inévitablement, le désen-
ment identifiés. Elle peut permettre aux enseignants : gagement de certains peut impacter la motivation
–– d’avoir une vision plus claire des changements des autres. Il y a là un équilibre à trouver, ce qui est
attendus (et donc de mieux s’approprier les enjeux probablement plus facile lorsque les objectifs et les
de la réforme) ; cadres de travail ont été énoncés dès le départ, et ne
–– de prendre conscience et de discuter des écarts sont pas ensuite perdus de vue.
entre le prescrit et le réel, c’est-à-dire entre les
objectifs que l’établissement se fixe en tenant Le chef d’établissement doit également être attentif
compte des attendus nationaux et académiques, aux récriminations des parents d’élèves qui, direc-
et les résultats effectivement obtenus, par exemple tement ou par la voix de leurs représentants, se
sur la maîtrise des compétences ; plaignent des heures de cours non assurées. D’autant
–– d’échanger sur l’intérêt qu’il y aurait à tenter de que les réunions internes, qui peuvent amener à
réduire ces écarts au regard du contexte local (limi- libérer les élèves plus tôt, s’ajoutent aux formations
tation du décrochage, meilleure prise en charge des extérieures ou sur site auxquels les enseignants sont
élèves à besoins spécifiques, orientation moins convoqués. L’arbitrage n’est pas toujours aisé. Le
subie par certains élèves…) ; chef d’établissement doit alors déployer conviction
–– d’explorer des pistes de travail nouvelles et, par et diplomatie pour convaincre de l’importance de ces
exemple, de faire des propositions de mise en temps de travail pour la progression des élèves.
œuvre des enseignements complémentaires et des
parcours qui favorisent de meilleures conditions Pour gagner en latitude et éviter d’empiéter trop
d’apprentissage pour les élèves ; souvent sur la « pause déjeuner », il est possible d’ins-
–– de partager sur les difficultés rencontrées dans taurer des heures de concertation dans les emplois
cette mise en œuvre, et d’ajuster en conséquence. du temps des professeurs. La demande peut émaner
d’une ou plusieurs équipes disciplinaires pour
être progressivement étendue. En REP+, des plages
horaires durant lesquelles tous les enseignants sont
dégagés de cours pour travailler ensemble sont même
instituées. Elles leur permettent de s’emparer des
3 IGEN-IGAENR, Les mécanismes de concertation
dans les établissements publics et privés sous contrat,
nouveaux programmes pour construire des progres-
rapport n° 2016-055, août 2016, p. 8. sions communes ou de réfléchir à une harmonisation
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 71
des modalités d’évaluation des élèves. Lors des les personnes n’est pas possible car le changement
conseils d’enseignement, le chef d’établissement peut passe nécessairement par elles. Pour autant, il est
les questionner sur l’intérêt de ces heures de concer- aussi nécessaire d’aller au-delà de certains discours
tation et sur la manière dont elles sont mises à profit. « conservateurs », pour répéter et argumenter l’in-
térêt, individuel et collectif, qu’il y a à investir ces
De la même façon, la dernière semaine de présence nouveaux champs d’action.
des élèves au collège – début juillet – est l’occasion
de moments de travail communs. Des ateliers « tour- À destination du collectif, le chef d’établissement peut
nants » peuvent être proposés aux élèves encore s’appuyer sur les valeurs et les priorités énoncées
présents, permettant aux enseignants qui ne les dans le projet d’établissement. Il s’agit, par exemple,
animent pas de se réunir pour des bilans de l’année, de montrer que la mise en place des nouveaux ensei-
et de donner corps à des projets (inter) disciplinaires. gnements complémentaires ne sera pas « hors sol »,
Les travaux menés lors de ces journées peuvent mais bien arrimée à ce qui existe. De la même façon,
être présentés à tous – notamment aux personnels les parcours s’inscrivent dans la continuité de ce qui
nouvellement arrivés dans l’établissement – lors se faisait déjà, tout en le prolongeant. Chacun d’eux
de la journée de prérentrée. Elle constitue un autre « nécessite une construction collective au cours de
moment important de concertation, qui permet non laquelle chacun doit situer sa responsabilité propre et
seulement de dresser un bilan de l’année écoulée où tous les acteurs doivent pouvoir réfléchir à la mise
mais également de se fixer des objectifs pour l’année en synergie de leur action éducative commune » 4. La
qui commence. L’année 2016-2017 a ainsi ouvert des transformation n’est pas une rupture brutale, elle
perspectives riches avec la mise en place du nouveau s’inscrit dans la durée et chaque acteur y contribue,
DNB et des parcours, sujets de la réforme encore peu en interaction constante avec les autres.
abordés – les équipes de direction ayant d’abord privi-
légié la mise en place des enseignements complé- Recourir aux valeurs, à la culture de l’établissement
mentaires, pour des raisons de DHG. permet de mettre en évidence la dimension éducative
et formative de l’action collective. Jean-Pierre Obin a
montré tout l’intérêt qu’il y a à faire appel à ce qui
LA MOBILISATION DE TOUS LES ACTEURS peut la cimenter. Les différentes composantes du
DE LA COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE climat scolaire en constituent le socle : sentiment de
sécurité et d’appartenance, exigence et bienveillance,
Ainsi, l’engagement des acteurs dans la mise en sentiment de justice et d’équité. Elles permettent de
œuvre de la réforme dépend-il en partie du cadre faire émerger un consensus – voire le sentiment d’une
clair et du soutien permanent de l’équipe de direction. responsabilité collective – autour de la progression
Sans une impulsion réelle, sans une volonté assumée et/ou de la réussite des élèves envisagés dans leur
d’influencer, sans un soutien permanent, sans une globalité.
communication claire, peu émerge et se construit
durablement. La référence aux priorités impacte ainsi la mise en
œuvre des enseignements complémentaires. La
Tous doivent être sollicités. La tentation pourrait recherche – commune à tous les collèges – d’une
exister, pour le chef d’établissement, de concentrer meilleure progression des élèves dans les apprentis-
sur les enseignants qui ont montré un accueil (très) sages se décline localement de façon plus spécifique.
favorable à la réforme et/ou qui constituent déjà des Le constat aura pu, par exemple, être fait d’une dété-
personnes-ressources dans le collège. Il y a là un point rioration progressive de la motivation des élèves tout
de vigilance à avoir. Leur professionnalisme ou leur au long de la scolarité obligatoire. C’est souvent net
expertise – s’agissant, par exemple, d’enseignants en classe tout au long du cycle 4. Les EPI peuvent être
qui sont également formateurs académiques – sera un moyen, parmi d’autres, d’inverser cette tendance :
à valoriser aux moments pertinents. le recours à d’autres façons de travailler en classe
et, notamment la place accordée à l’autonomie des
Mais, au point de départ, le chef d’établissement élèves dans l’exécution des activités qui leur sont
parle à tous, même s’il le fait sans doute différem-
ment de l’un à l’autre, dans le souci de tenir compte
des représentations, valeurs et points de vue qui 4
Guide pratique du Parcours avenir, à destination
s’expriment toujours de façon très singulière. Ignorer des chefs d’établissement, p. 13.
SOMMAIRE
72 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
proposées, peut avoir des effets positifs sur leur atten- de trier et d’utiliser les informations. Pour cela, les
tion et leur persévérance. Associés aux parcours, ils professeurs impliqués sont inévitablement invités
participent d’une action éducative de plus longue à partager, dans un esprit de rÉSPÉct mutuel, ce qui
durée. fonde le cœur même des pratiques pédagogiques de
leur discipline » 5.
D’un point de vue individuel, au-delà des discus-
sions informelles, il appartient au chef d’établisse- La question du sens est notamment au centre des
ment d’identifier non seulement la façon dont chaque démarches de collaboration inhérentes aux EPI. Il ne
acteur se positionne face au changement mais aussi s’agit plus seulement de délivrer, de façon éparpillée
les compétences professionnelles et relationnelles et cloisonnée, une multitude de savoirs. Il ne s’agit
dont il fait preuve. Les échanges avec chaque profes- plus de laisser les élèves établir des connexions entre
seur sont autant d’occasions d’évoquer leur senti- eux – ce que les enseignants eux-mêmes ne font pas
ment sur la réforme, la façon dont ils contribuent toujours. C’est à ces derniers d’opérer ce travail de
à sa mise en œuvre, les difficultés ou les question- mise en lien, qui passe nécessairement par une prise
nements qu’ils rencontrent. Ils permettent au chef en charge des questions pédagogiques sous-jacentes.
d’établissement de (re)dire les qualités personnelles « Les projets interdisciplinaires obligent à exposer
et professionnelles, de reconnaître l’investissement, les théories-en-pratique, c’est-à-dire les conceptions
de rassurer, d’encourager les initiatives. plus ou moins conscientes, plus ou moins claires du
savoir et de l’apprentissage qui orientent implicite-
ment le travail des uns et des autres. Travailler en
LE DÉVELOPPEMENT DE PRATIQUES interdisciplinarité, c’est mettre sous le regard d’au-
COLLABORATIVES EN INTERNE trui, un rapport pédagogique vécu, en général, dans
OU EN RÉSEAU l’intimité de la classe. Ce peut être une expérience
difficile, et être vécu comme une menace et une perte
La réussite de la réforme du collège repose indubita- de maîtrise » 6.
blement sur la capacité des équipes pédagogiques et
éducatives à dépasser la « division cellulaire » tradi- C’est pourquoi les acteurs attendent d’être sécurisés
tionnelle pour travailler ensemble sur le « cœur du par une organisation qui permet d’entrer, à moindre
cœur de métier ». Non seulement parce que l’objectif risque, dans ces nouvelles façons de faire et d’envi-
général de la réussite du plus grand nombre d’élèves sager la collaboration comme une ressource permet-
se heurte au cadre scolaire segmenté, où chacun tente tant de les mener à bien. Au-delà de sa prescription
de faire au mieux sans toujours savoir comment les par l’institution, la mise en œuvre des enseignements
autres procèdent. Mais aussi parce que l’organisation complémentaires interpelle donc les acteurs sur leur
des enseignements et des parcours qu’elle établit capacité à s’extraire des habitudes. Le travail collectif
conduit à communiquer et construire ensemble. génère nécessairement un sentiment d’inconfort :
des discussions doivent avoir lieu, des compromis
La mise en place des nouveaux enseignements sont à trouver sur des représentations et des objec-
complémentaires place, en effet, l’approche interdis- tifs communs. Sans doute une répartition des tâches
ciplinaire et la démarche de projet au cœur des ensei- est-elle nécessaire pour que chacun sache sur quoi et
gnements disciplinaires. Ce changement bouleverse à quoi il s’engage.
la donne, en obligeant à passer d’une approche isolée
des disciplines à une réflexion approfondie sur les La conviction que les choses sont possibles n’est
apports de leurs croisements possibles. « On ne peut pas seulement portée par l’équipe de direction. Elle
en effet concevoir un EPI en se limitant à repérer et est le fait des enseignants eux-mêmes. La culture
associer des éléments de programmes dans un cadre de l’établissement joue ici un rôle essentiel. Mais,
thématique. Il devient à un moment donné nécessaire même dans un contexte moins « porteur », certains
d’analyser l’effectivité du parcours d’apprentissage exercent une influence positive sur les autres – et
des élèves, à savoir les démarches d’appropriation,
de mémorisation, de mise en relation des diffé-
rentes notions disciplinaires abordées, les éléments
5 Lacueille P., « Les disciplines n’ont rien à y perdre »,
qui ont suscité la motivation et la persévérance, les Les Cahiers pédagogiques, op. cit., p 18.
méthodes de travail qui ont permis de s’organiser 6 Hugon A.-M., « Travailler en interdisciplinarité au collège
dans le temps, de partager les tâches, de sélectionner, et au lycée ».
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 73
SOMMAIRE
DES DÉMARCHES
INVENTIVES
ET RÉFLEXIVES
SOMMAIRE
76 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 77
S’APPROPRIER LES MARGES D’AUTONOMIE des enjeux – et des outils –, une bonne connaissance
des équipes et la capacité à proposer des alternatives
« Une des spécificités de cette réforme, et son ambi- pertinentes et équitables sont essentielles.
tion majeure dans sa structuration, est de prendre
en considération les dimensions pédagogique et La réunion du conseil pédagogique paraît incontour-
organisationnelle. Elle prend en effet en compte la nable. Elle permet, à partir des caractéristiques de
dimension de l’agir collectif en offrant un cadre-projet l’établissement et des besoins identifiés des élèves,
dans lequel les acteurs de terrain pourront composer de déterminer la configuration des enseignements
grâce aux marges d’autonomie proposées en termes complémentaires (principes généraux de mise en
de contenus d’enseignement mais aussi en termes de œuvre, modalités d’organisation). Différents scéna-
répartition des moyens » 7. rios sont possibles, parmi lesquels il va falloir choisir,
en tenant compte des bénéfices attendus sur le plan
Chaque établissement est appelé à faire usage, en pédagogique et des contraintes organisationnelles.
plus de la dotation horaire élève correspondant aux
enseignements obligatoires, d’une dotation horaire Les équipes disciplinaires, qui se retrouvent ensuite
supplémentaire pour l’établissement qui correspond en conseils d’enseignement, y réfléchissent et en
à trois heures par division depuis la rentrée 2017. mesurent les répercussions sur les services de chacun,
Il appartient aux équipes de définir localement la en tenant compte de variables habituelles (quotité de
façon dont elles comptent utiliser ces heures pour service de chaque enseignant, heures obligatoires
faire progresser les élèves. Les choix opérés sur ce d’enseignement de la matière par niveau de classe,
point disent jusqu’où les équipes se sentent prêtes à souci d’éviter à un professeur d’être en poste partagé
aller dans la modification des pratiques ou postures pour un nombre limité d’heures…). Les enseignements
pédagogiques existantes. complémentaires peuvent constituer une variable
d’ajustement non négligeable de ce point de vue.
Les travaux qui précèdent la présentation du projet de
répartition de la dotation horaire globale (DHG) devant Durant ce temps d’échanges avec les enseignants, le
le conseil d’administration constituent toujours un principal rappelle les principes qui président à leur
moment fort de l’année scolaire. Rappelons que, si répartition. La répartition des heures d’AP en 5e, 4e et
le montant de l’enveloppe relève des services acadé- 3e doit s’opérer à partir d’une analyse des besoins des
miques, la façon dont elle est utilisée échoit à chaque élèves, que les enseignants connaissent bien pour les
établissement. Le délai entre l’annonce de l’enveloppe avoir eus en cours les années précédentes. Le contenu
et la remontée du tableau de répartition des moyens des programmes – et leur progressivité sur le cycle –
étant habituellement court, le chef d’établissement entre également en jeu. Ce qui importe – c’est le plus
doit anticiper les temps et modalités du dialogue – difficile – est d’amener les enseignants à expliquer en
indispensable – avec les enseignants. quoi et à quelles conditions les choix pédagogiques
qui pourraient être faits, par exemple le dédouble-
Cette répartition des heures allouées au double titre ment des groupes en accompagnement personna-
de la dotation du collège en fonction de ses caracté- lisé, peuvent constituer une plus-value tant du point
ristiques et de la dotation supplémentaire liée aux de vue de l’enseignement que de l’apprentissage.
enseignements complémentaires n’est pas seulement En d’autres termes, il ne s’agit pas simplement de
technique. Elle est la formalisation concrète de la rechercher ce qui pourrait être le plus confortable, en
politique d’accompagnement des élèves, telle qu’elle termes de gestion de classe, mais ce qui semble être
émerge notamment lors des conseils d’enseignement, le plus approprié – sur la base d’une réflexion menée
du conseil pédagogique et de la commission perma- entre les enseignants. Cette entrée ne peut toutefois
nente qui se tiennent entre décembre et janvier. évacuer des considérations plus pragmatiques.
Chaque principal de collège détermine la manière de La façon dont les équipes disciplinaires échangent
procéder. Pour le chef d’établissement, c’est donc un et travaillent, leur capacité à analyser précisément
acte pédagogique fort auquel il convient d’accorder l’impact des choix faits les années précédentes sur la
temps et réflexion. En période de réforme, la maîtrise progression des élèves contribuent à identifier ce qui
peut être poursuivi de la même façon, ce qui gagne-
rait à être ajusté et ce qui doit être abandonné. La
7 Barratier et Grosson, p. 22. préparation de la rentrée 2017 a permis de revenir
SOMMAIRE
78 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
sur les choix opérés au début de l’année 2016 alors FAVORISER L’ÉMERGENCE
qu’il s’agissait, pour les équipes, de penser, pour la DE NOUVELLES POSTURES
première fois, la mise en œuvre des enseignements
complémentaires. Par exemple, l’accompagnement La réforme du collège oblige à réfléchir à l’efficacité
personnalisé dispensé par des enseignants pour et à la pertinence des moyens mis en œuvre dans la
d’autres élèves que ceux qu’ils ont habituellement classe pour faire progresser et réussir les élèves. Elle
en cours peut leur sembler peu efficace. De la même promeut également une nouvelle approche du travail
façon, la préparation de la rentrée 2018 va nécessiter individuel et du travail collaboratif en établissement.
de réfléchir au retour des classes bilangues ou des
sections européennes – devenues enseignement des Pour Normand et Muller, les évolutions en cours
langues et cultures européennes. amènent à passer de l’accompagnement personna-
lisé – qui n’interroge pas les pratiques pédagogiques
L’entrée disciplinaire n’est cependant pas suffisante. et les conditions d’apprentissage des élèves – à l’ap-
Les conseils d’enseignement achevés, le principal prentissage personnalisé. Avec lui, « l’enseignant tient
dispose d’une vision plus globale des choix pédago- compte de la diversité des approches cognitives des
giques qui se dessinent et de leur implication sur les élèves, de leurs besoins, de leurs intérêts et de leurs
services des professeurs. Il lui revient d’en informer aspirations. Il leur fournit des réponses adaptées.
les membres de la commission permanente. Les L’apprentissage personnalisé ne signifie pas pour
échanges qui s’y tiennent permettent d’envisager autant « individualisation des apprentissages ». C’est
l’accompagnement des élèves de façon plus collec- une gestion collective de la classe où chaque élève
tive et interdisciplinaire. Des propositions émergent peut trouver les voies de sa réussite personnelle » 8.
alors, des arguments se défendent qui vont permettre Ce nouveau mode de gestion de la classe transforme
d’écarter certaines options et d’en privilégier d’autres. aussi les relations de l’élève avec ses professeurs.
Le chef d’établissement doit veiller à leur faisabilité, Dans cette optique, ce dernier est d’abord un obser-
non seulement du point de vue des priorités fixées vateur. Il accepte de ne pas tout maîtriser, de ne pas
dans le projet d’établissement, mais aussi des inci- prendre toute la place. Il élabore des contenus qui lui
dences sur les emplois du temps de l’année suivante. permettent de regarder et d’écouter tous ses élèves
L’impact d’un bon emploi du temps sur le climat pour tenter de comprendre comment chacun entre
scolaire de l’établissement n’est plus à démontrer. Un (ou pas) dans la tâche, cherche, questionne, réfléchit,
équilibre est toujours à rechercher entre la satisfac- mémorise. Cette connaissance affinée lui permet
tion des vœux des enseignants et le souci d’éviter aux d’adapter les contenus et les méthodes proposés, à
élèves des journées trop longues, ainsi qu’une réparti- certains moments et selon différentes modalités, en
tion « trop resserrée » des disciplines sur la semaine. étant moins inquiet de l’achèvement du programme.
En période de réforme, enseignants comme parents Pour les aider à progresser, il se tient à côté d’eux, en
d’élèves – par la voix de leurs représentants – y sont position de guide, de conseil, de personne-ressource.
particulièrement attentifs. Il ose expérimenter des choses nouvelles, en instau-
rant, par exemple, des îlots permettant aux élèves de
Il apparaît essentiel que les différents scénarios travailler en petits groupes. Par là même, il accepte
proposés lors des conseils et commissions qui de reconsidérer sa peur du bruit et du bavardage,
précèdent la présentation de la DHG fassent l’objet dans la mesure où les échanges ainsi facilités créent
d’une étude attentive de faisabilité. Il serait, en effet, davantage d’émulation. Il laisse les élèves prendre en
problématique que le chef d’établissement adjoint charge une partie du travail, explorer, faire des choix,
ne s’aperçoive qu’au moment de la confection des se mettre d’accord, débattre parfois. Ce faisant, il faci-
emplois du temps – c’est-à-dire au début des congés lite évidemment la coopération entre eux et n’inter-
d’été – des contraintes engendrées par certains choix. vient que pour réguler, lorsque c’est indispensable.
Celui de constituer des « barrettes » – en alignant des
horaires pour permettre aux enseignants de varier « Les réflexes professionnels qui amènent à se
la composition des groupes — ajoute ainsi de la présenter devant une classe en ayant tout prévu,
complexité dont il convient de prendre la mesure. De jusqu’au déroulement et résultat de chaque séance,
la même manière, la multiplication des co-interven-
tions peut s’avérer délicate.
8
Op. cit., p. 31.
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 79
constituent en fait des freins et non des leviers à progressivement les individus et les collectivités à
l’intelligence collective. Il ne s’agit pas pour autant améliorer, enrichir et actualiser leur pratique, à agir
de laisser des élèves encore peu compétents dans avec efficacité et efficience dans les différents rôles et
la collaboration se débrouiller tout seuls. Il va falloir responsabilités professionnelles qui leur incombent,
leur apporter des repères et des outils, s’adapter à atteindre un nouveau degré de compréhension de
d’une séance à l’autre à leurs besoins, recadrer régu- leur travail et à s’y sentir à l’aise » 11.
lièrement, être extrêmement présent et actif sur les
processus de travail et sur l’exigence de production Un tel processus s’appuie nécessairement sur l’enga-
finale, mais en lâchant en partie le contrôle sur les gement professionnel de l’individu, lui-même envi-
parcours et les contenus » 9. sagé comme « l’ensemble dynamique des compor-
tements qui, dans un contexte donné, manifeste
Les professeurs peuvent alors apprécier de voir les l’attachement à la profession, les efforts consentis
élèves prendre du plaisir dans un contexte stimulant, pour elle ainsi que le sentiment de devoir vis-à-vis
qui valorise la prise d’initiatives et autorise l’erreur. d’elle et qui donne sens à la vie professionnelle
Il les amène à prendre du recul sur la séance, pour au point de marquer l’identité professionnelle et
en relater par écrit les éléments essentiels dans un personnelle » 12. Pour De Ketele, trois types d’enga-
carnet de bord ou « journal des apprentissages ». gement professionnel se rencontrent dans l’éta-
blissement scolaire. Ils dépendent de la façon dont
Les moments de co-animation, sous des formes chaque acteur scolaire envisage sa professionnalité.
diverses, peuvent permettre de développer cette meil- Certains la construisent à partir de la maîtrise de leur
leure connaissance des élèves. Ils inscrivent alors les discipline ; d’autres se focalisent sur l’atteinte des
enseignants concernés dans une démarche de coopé- standards prescrits (usage du numérique, travail par
ration, caractérisée « par la dépendance mutuelle des compétences par exemple). Mais il existe également
enseignants qui partagent leur espace de travail et par des enseignants davantage enclins à une approche
l’ajustement de leurs activités en vue d’une action collective de situations problèmes et à la recherche
commune efficace » 10. de solutions nouvelles. Ces différentes postures ne
sont jamais figées ; elles évoluent en fonction de
constructions personnelles ainsi que des contextes
ENTRER DANS UNE DÉMARCHE d’exercice, qui sont plus ou moins porteurs – sur le
DE DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL plan relationnel et organisationnel.
Dire qu’enseigner et piloter sont des métiers qui s’ap- L’un des enjeux, pour une mise en œuvre effective du
prennent conduit à s’interroger sur les finalités et les changement, est que les enseignants deviennent réel-
formes de cet apprentissage, du triple point de vue de lement acteurs de leur formation, conçue comme un
l’individu, du collectif de travail et de l’organisation. enrichissement continu et progressif de leurs savoirs
professionnels. Autrement dit, qu’ils dépassent les
R. Wittorski distingue le développement profes- prescriptions extérieures pour assumer la prise de
sionnel de la professionnalisation, définie comme ce risque d’une réflexion pédagogique et éducative de
que l’institution attend d’un bon professionnel, via fond, les impliquant à titre personnel et collectif. En
les référentiels de compétences. Pour lui, le dévelop- période de réforme, cela n’est possible que s’ils envi-
pement professionnel concerne plutôt la façon dont sagent la déstabilisation immédiate qu’engendre le
les enseignants envisagent et exercent effectivement changement – propice à des postures d’immobilisme
leur métier, et conduit donc à se placer du côté de ou de retrait – comme une occasion d’apprentissage
« l’expérience en actes ». Le rapport Filâtre rappelle à part entière. Comme l’indique M. Gather Thurler,
qu’il peut s’envisager comme « un processus graduel « la qualité des réformes éducatives, et par consé-
d’acquisition et de transformation des compé- quent la transformation durable de l’école, dépend
tences et des composantes identitaires conduisant
SOMMAIRE
80 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
14 Endrizzi L., « Le développement des compétences 16 Meyer J.-C., Le travail collaboratif des enseignants, p. 45.
en milieu professionnel », Dossier de veille de l’IFÉ, 17 Develay M., « Au moment de finir, par où commencer »,
n° 103, septembre 2015, p. 17. Les Cahiers pédagogiques, n° 528, p. 56.
SOMMAIRE
la CONduiTE locale DU changement 81
Dans une conférence récente, V. Dupriez considérait Ce processus d’autoformation, dans sa double
que la discussion entre enseignants ne pouvait avoir dimension individuelle et collective, s’inscrit donc
une réelle influence sur leurs pratiques rÉSPÉctives nécessairement sur le long terme. Différenciation
en classe qu’à la condition de transformer « en objet pédagogique, pédagogie de projet, évaluation (et auto-
de travail visible ce qui est traditionnellement invi- évaluation) des élèves, coopération… sont autant de
sible ou séparé » 18. L’apprentissage avec les pairs thématiques difficiles dont l’appropriation et la trans-
nécessite la centration sur ce qui se fait réellement cription efficace dans les pratiques d’enseignement
dans le cadre même de la classe. C’est donc l’activité ne peuvent se faire que dans le temps – et dépassent
d’enseignement elle-même qui, analysée avec et par le cadre des réformes.
les collègues, devient ressource partagée. Différentes
formules sont envisagées pour le faciliter : observa- Continuité, cohérence et formalisation du travail
tions mutuelles, conception commune de supports collaboratif sont donc nécessaires, dans un contexte
de cours et d’évaluation, analyse conjointe des traces d’établissement toujours spécifique, et mouvant. Un
des travaux des élèves, expérimentations. S’y ajoutent changement dans l’équipe de direction – donc de
les conversations ou échanges informels – par voie vision du pilotage –, une instabilité des équipes, un
numérique – qui constituent autant des moments climat scolaire moins serein peuvent malheureuse-
mutuels de formation. ment le freiner – parfois durablement. La formalisa-
tion des priorités dans le projet d’établissement, leur
Dans tous les cas, un prérequis est indispensable, qui déclinaison dans des actions et projets régulièrement
doit être posé et rappelé : le rÉSPÉct des personnes évalués, le souci de les faire partager aux nouveaux
et de leur travail. S’il peut y avoir débat, c’est parce arrivants concourent au maintien du cap initial. Mais
que des relations de confiance existent ou peuvent l’émergence d’une culture professionnelle commune
se construire et qu’est posé un cadre qui permette implique qu’y soient aussi inscrites la nécessité et
d’éviter tout ce qui générerait des critiques intempes- les modalités d’une formation continue investie par
tives, donc de la défiance… et un repli sur l’espace- l’ensemble des acteurs.
clos de la classe. La confrontation au regard – donc à
la compétence supposée de l’autre – ne va jamais de Si la conduite locale du changement n’est jamais
soi. Des enjeux relationnels et émotionnels existent, une mince affaire, sans doute la mise en œuvre de
qui ne doivent pas être négligés car ils peuvent empê- la réforme du collège la rend-elle particulièrement
cher de s’inscrire durablement dans le collectif de compliquée. L’écriture en cours de l’acte 2 – depuis
travail. l’arrivée au Ministère de J.-L. Blanquer – alors que
l’acte 1 commençait tout juste à se décliner dans
L’accompagnement des équipes, dans la durée, par chaque collège, entraîne des sentiments partagés
des formateurs expérimentés et ouverts, peut aider chez les personnels de direction comme chez les
à l’entrée dans ce travail d’analyse et de régulation enseignants. Çà et là, des débats – voire des clivages
des pratiques. L’intérêt des stages sur site est bien – idéologiques peuvent se réactiver, qui s’expriment
de répondre à des besoins localement identifiés sur d’ailleurs déjà au niveau national.
lesquels les équipes enseignantes ont exprimé la
volonté de travailler. Le choix de demi-journées de L’on peut se demander si cette contingence ne rend
formation, judicieusement réparties dans l’année, pas d’autant plus nécessaire le recours à de nouveaux
ouvre sur de réels échanges interdisciplinaires – eux- espaces de professionnalité, qui soient propices à une
mêmes propices à l’émergence d’un consensus solide réflexion, de fond et dans la durée, sur la place de
dans l’approche des questions pédagogiques. Pour l’élève au cœur du système éducatif.
les mêmes raisons, les formations de bassin sont à
encourager : à condition de répondre à des probléma-
tiques communes et de s’inscrire dans la durée, elles
peuvent initier de véritables réseaux d’apprentissage.
SOMMAIRE
L’ÉLÈVE
AU CŒUR
DU SYSTÈME
ÉDUCATIF
CATHERINE FAUCHE
SOMMAIRE
La réforme du collège et les textes dans lesquels elle s’inscrit ont été élaborés « du point de
vue de l’élève » 1. La pensée éducative 2 actuelle situe l’élève au cœur de ses réflexions, dans
un objectif d’amélioration non seulement des performances du système éducatif mais aussi
de formation idéale de l’enfant au regard des évolutions de la société. S’il n’est pas question
de faire table rase du passé, il s’agit pour autant de tirer les conclusions qui s’imposent des
choix éducatifs entérinés ces dernières décennies et de tenter de parfaire l’éducation des
jeunes au cours de cette période cruciale qu’est la scolarité obligatoire. L’ambition, portée
par le cadre réglementaire de la réforme du collège, est désormais de « permettre à chaque
élève de trouver et de prendre le chemin de sa réussite » 3, une réussite considérée comme
relative à l’enfant et non plus comme devant être reliée à un modèle idéal que la diversité
des jeunes et de leur histoire rend de plus en plus illusoire. Cela ne signifie pourtant pas
que l’éducation doit être totalement différente d’un enfant à l’autre. Il s’agit plutôt – et c’est
là que se situe la difficulté, l’enjeu fondamental mais aussi le paradoxe de la réforme – de
donner à chacun les bases d’une éducation partagée par tous mais qui tienne compte, dans
le même temps, des particularités de chacun. La tâche est éminemment complexe pour
les apprenants, aux différents moments de leur vie d’élève et de jeune. Elle repose sur une
conception de l’être humain comme être individuel – ayant donc sa propre personnalité, ses
propres aspirations et des aptitudes propres – mais aussi comme être collectif appartenant
à une communauté qui transcende son appartenance aux divers groupes dans lesquels il
évolue.
Plus précisément, quels sont les différents objectifs de la réforme pour le collégien et quels
sont les moyens préconisés pour les atteindre ?
Les attendus de la réforme pour l’élève sont multiples et se situent à plusieurs niveaux :
celui de son bien-être scolaire, celui de son épanouissement en tant que personne et celui
de sa formation citoyenne. Ces objectifs dépassent largement le cadre traditionnel des
enseignements disciplinaires, lesquels, bien qu’indispensables, ne peuvent répondre, en
l’état, à ces nouvelles exigences. Ils questionnent, ce faisant, les pratiques des enseignants,
invités à proposer aux élèves des situations d’apprentissage concrètes permettant l’acqui-
sition de compétences nouvelles. Ils imposent également de s’interroger sur le cadre global
de l’éducation et sur ce que l’école et ses différents acteurs peuvent et doivent désormais
apporter à l’élève pour lui permettre d’avoir un parcours scolaire cohérent. Ce parcours
s’appuie sur le nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture 4,
qui constitue à la fois un objectif de l’école et un cadre de référence ayant pour voca-
tion d’être alimenté par l’ensemble des activités de l’élève-enfant : « toutes ces activités
1 Selon l’expression de Michel Lussault, alors président du Conseil supérieur des programmes (CSP), dans
une interview pour le journal Le Monde daté du 13/02/2015.
2 C’est avec la loi d’orientation du 10 juillet 1989 que s’opère un changement de perspective : jusqu’alors
centrée sur les savoirs, l’école doit désormais se centrer sur les élèves et tenir compte de la réalité de
chacun d’entre eux.
3 Conclusion du rapport annexé au dossier de présentation du projet de loi pour la refondation de l’école,
La program-mation des moyens et les orientations de la refondation de l’École de la République, 23 janvier 2013,
p. 24.
4 Le nouveau socle est entré en vigueur à la rentrée 2016.
SOMMAIRE
86 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
5 Lejeune M., « Un point de vue, celui de l’éducation populaire : éducation à, éducation nationale,
éducation populaire et recherche », p. 472, Actes du colloque « Les éducations à », pp. 470-474, ÉSPÉ de
l’académie de Rouen, 17-18 au 19 novembre 2014.
SOMMAIRE
LES ENJEUX
POUR LE COLLÉGIEN
La réforme du collège est ambitieuse. Elle pousse à CHAQUE ÉLÈVE DOIT POUVOIR APPRENDRE
son paroxysme la volonté nouvelle issue de la loi ET PROGRESSER EN CONFIANCE
d’orientation de 1989 de placer l’élève au centre des
réflexions éducatives et des préconisations relatives La confiance n’est pas innée. Elle s’acquiert dans un
au système dans lequel il évolue. Il s’agit dorénavant environnement propice à son émergence et à son
de se préoccuper de l’élève avant de se préoccuper développement, en même temps qu’elle détermine
des savoirs et de la manière de les inculquer, et de lui la capacité à réussir. La question de la confiance
proposer les meilleures conditions possibles – en tant est récurrente dans le contexte de la refondation
qu’élève mais aussi en tant qu’enfant ou adolescent de l’école. C’est d’ailleurs le signe sous lequel a été
– pour qu’il puisse réussir au mieux, compte tenu placée la rentrée scolaire 2017-2018, à un niveau plus
de ses dispositions initiales et de sa personnalité. global : lors de sa conférence de presse de rentrée, en
L’école – et le collège en particulier – doit par ailleurs effet, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel
viser un objectif plus lointain que celui de la scola- Blanquer a érigé la confiance en clef du bon fonc-
rité obligatoire en s’assurant que le jeune acquiert tionnement de la société et du bon fonctionnement
les savoirs, savoir-faire et savoir-être qui lui permet- de l’École 2.
tront de devenir un être rÉSPÉctable et inséré dans
la société – en d’autres termes un citoyen. L’enjeu Aider l’élève à avoir confiance
de la réforme est donc non seulement scolaire, mais Laurence Cornu, interrogée dans le cadre de la paru-
aussi économique, social et citoyen, ce qui implique, tion d’une revue consacrée à la confiance, à l’éduca-
pour le collège, de revoir ses objectifs et ses façons tion et à l’autorité, considère « [qu’]il n’y a pas d’édu-
de procéder : « si l’enjeu est de former des citoyens cation sans une mise en confiance des élèves » 3. Cette
capables de se mouvoir dans un monde de plus en confiance revêt de multiples aspects et interroge les
plus complexe, qui nécessite de pouvoir s’informer relations entre les élèves et les professionnels de
et se former tout au long de la vie ; si l’enjeu est de l’éducation.
mettre en confiance notre jeunesse pour la préparer
à s’insérer dans la société, alors le collège doit tourner Avoir confiance en l’école : une œuvre collective
définitivement le dos à l’obsession de la compétition Les jeunes évoluent dans une société marquée par
pour devenir le collège de l’épanouissement et de la une défiance ou une crise de confiance envers l’ins-
consolidation » 1. titution scolaire. Si les causes de cette crise peuvent
leur sembler lointaines et obscures, ils n’en sont pas
C’est l’accomplissement des jeunes qui est désormais moins les premiers à en ressentir les effets, et parfois
visé. Les éducateurs doivent y concourir en adaptant à être accusés de les entretenir. L’école est ainsi
leurs regards et leurs pratiques à cette nouvelle donne perçue comme anxiogène et tenue pour responsable
et en rendant cohérentes aux yeux des élèves l’idée – résultats internationaux à l’appui – de la reproduc-
individuelle d’épanouissement et l’idée collective de tion des inégalités, voire du renforcement du détermi-
citoyenneté. nisme social 4. Or, faire confiance est « une nécessité
SOMMAIRE
88 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
pour l’école et ses acteurs » 5, et chacun a un rôle à explicative des résultats des élèves sans pour autant
jouer dans cette vaste entreprise de restauration de les justifier de façon systématique. C’est ici qu’entre
la confiance. en jeu une dernière notion, celle de motivation.
Les enjeux commencent dans la famille, car c’est en La motivation est un phénomène complexe. Dans le
son sein que sont portés les premiers discours sur contexte scolaire, Rolland Viau la définit comme « un
l’école. Si la famille a confiance en l’école, l’enfant état dynamique qui a ses origines dans les percep-
passera, sans discontinuité, d’une confiance envers tions qu’un élève a de lui-même et de son environ-
ses proches à une confiance envers l’institution nement, et qui l’incite à choisir une activité, à s’y
scolaire. Cette cohérence est nécessaire pour qu’il engager et à persévérer dans son accomplissement
puisse être cognitivement prêt à recevoir les apports afin d’atteindre un but » 8. Elle dépend de la confiance
de l’école. Au-delà du cadre familial, l’école, mais en soi, c’est-à-dire de la confiance en ses capacités
aussi la société tout entière, ont pour mission de d’apprentissage, mais aussi de l’estime de soi, sans
maintenir cette confiance sans laquelle l’élève ne pour autant que ces deux notions l’expliquent tota-
peut ni progresser ni réussir. lement : « même avec une confiance en soi élevée, un
apprenant peut décider de ne pas s’investir dans une
Avoir confiance en soi tâche qu’il estime sans intérêt, inutile ou absurde » 9.
et en ses capacités d’apprentissage
La confiance en soi est un facteur clé de la réussite Avoir confiance en l’avenir
scolaire. Selon les recherches récentes en sciences de Apprendre et progresser en confiance nécessite égale-
l’éducation, elle est liée à la fois aux compétences ment d’avoir confiance en l’avenir. C’est à l’école que
« objectives » de l’élève et à sa confiance en ses capa- se forge cette confiance qui va de pair avec la capa-
cités d’apprentissage. S’il peut paraître difficile d’agir cité qu’elle offre à l’élève de se projeter dans l’avenir
sur le premier aspect, on perçoit d’emblée l’impor- social et dans son propre futur. Si la tâche est ardue
tance qu’il y a à se préoccuper du second ainsi que en ces temps de crise 10, l’école n’est pour autant pas
les potentialités qu’il offre pour chaque élève. Ainsi le dispensée de cette importante responsabilité qui
psychologue canadien Albert Bandura estime-t-il que engage non seulement, à titre individuel, l’avenir du
la confiance en ses capacités d’apprentissage provient jeune mais aussi, à titre collectif, l’avenir de la société
de quatre sources d’information : les performances tout entière. Le discours qu’elle porte doit être positif,
passées, l’observation des performances d’autrui, les optimiste et empreint d’espoir. Elle doit, en d’autres
messages de l’entourage et les états physiologiques termes, préparer les jeunes à devenir des citoyens
et émotionnels 6. Il s’agit donc d’un phénomène accomplis – citoyens « au-delà des particularités
complexe lié essentiellement à des variables exté- sociales, culturelles et individuelles » 11 ; accomplis en
rieures à l’élève et aux conditions dans lesquelles il tant qu’êtres humains. En éduquant les jeunes, elle
est amené à évoluer et à apprendre. participe à l’édification d’une confiance sociale, qui
renvoie à la coopération et à la démocratie, ciments
La confiance en soi est souvent associée à l’estime de du vivre-ensemble.
soi. Or, ces deux notions ne sont pas nécessairement
corrélées : un jeune qui a confiance en ses capacités Éduquer à la confiance
scolaires n’a pas forcément une bonne estime de lui, L’école française se trouve, selon Denis Meuret, dans
et inversement. Les résultats ou la réussite scolaires une situation paradoxale, en ce sens qu’elle est
peuvent néanmoins impacter l’estime de soi 7. La
confiance en ses capacités d’apprentissage se situe à
un niveau plus objectif dans la mesure où elle a valeur 8 Viau R., La motivation en contexte scolaire,
De Boeck, 2004, p. 7.
9 Galand B., « Réussite scolaire et estime de soi »,
Sciences humaines, août 2016.
5 « Faire confiance, une nécessité pour l’école et ses acteurs », 10 Jeammet P., Grandir en temps de crise : Comment aider nos
Éducation et devenir, hors-série n° 23, février 2015. enfants à croire en l’avenir, Bayard culture, 2014.
6 Bandura A., Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité personnelle, 11 « (La) confiance s’exprime aussi, à titre collectif, dans la foi
De Boeck, 2002. en la capacité de l’École de transcender les particularités
7 « L’estime de soi est renforcée par la réussite scolaire, sociales, culturelles et individuelles, pour promouvoir une
mais à l’inverse, elle est altérée par de mauvais résultats », nation de citoyens, c’est-à-dire de semblables face à la
Réussir à l’école : une question d’amour ?, Clerget S., Larousse, République », Moro M.-R. et BrisonJ.-L., Mission bien-être
2012, p. 159. et santé des jeunes, novembre 2016.
SOMMAIRE
l’élève au cŒur DU système 89
amenée à « éduquer à la confiance dans une société peur à manifester ses besoins et ses manques » 15.
de la défiance » 12. Cette éducation à la confiance est à Les élèves évoluent alors dans un cadre propice aux
la fois un moyen – « la confiance est l’élément positif, apprentissages, empreint de rÉSPÉct et d’écoute
le moteur de l’éducation » 13 – et un objectif que les mutuelle. Ce type de pédagogie prône la coopéra-
éducateurs doivent chercher à atteindre. tion entre élèves de même que le travail par projet
et favorise l’autonomie. Il implique que l’enseignant
Une question de relations définisse le cadre de cette coopération qui n’est pas
La confiance est avant tout une question de rela- exempte de règles. En ce sens, cette « pédagogie de
tions : pour apprendre et progresser, l’élève doit avoir la confiance » renvoie tout autant à l’acquisition de
confiance non seulement en lui mais aussi en les connaissances et de compétences qu’à l’instauration
autres, se sentir en confiance avec son entourage. Ce de nouvelles formes de relations au sein de la classe.
sont, d’une part, ses pairs, qui participent à sa socia- Elle passe par l’établissement d’un contrat pédago-
lisation, et, d’autre part, les adultes professionnels gique entre les différentes parties et suppose de la
de l’institution scolaire, qui participent à son éduca- part de l’enseignant un accompagnement pas à pas
tion. Les relations qui se nouent avec chacune de ces qui permette à la confiance de se développer 16.
deux catégories sont caractérisées par leur récipro-
cité : le jeune se sent en confiance si les autres lui Une question d’évaluation
font également confiance. Dans la relation éducative La question de l’évaluation est au cœur de la loi
(comme dans toute autre), cette confiance est par d’orientation de l’école de 2013, qui prône : des moda-
nature incertaine et peut même constituer un défi 14 lités d’évaluation et de notation diversifiées, une
auquel est associée la notion de risque : en osant faire évaluation positive qui valorise les progrès de l’élève,
confiance à l’élève, l’éducateur prend le « risque » de une évaluation qui mesure le degré d’acquisition des
déjouer les pronostics des déterminismes sociaux ; connaissances et des compétences et la progression
en osant faire confiance à l’éducateur, l’élève prend de l’élève et une évaluation lisible et compréhensible
le « risque » de réussir et de progresser. pour l’élève et sa famille. Il s’agit ici de redonner du
sens à l’évaluation, source de malaise et de peur chez
La qualité des relations élève-enseignant est essen- les élèves, et de passer d’une évaluation sanction
tielle pour éduquer à la confiance. Si l’élève se sent dans laquelle les erreurs sont considérées comme
écouté, si l’enseignant s’intéresse à lui en tant que des fautes à une évaluation positive dans laquelle
sujet, si l’élève accorde sa confiance à l’enseignant, le fait de se tromper est valorisé car participant du
alors la relation éducative pourra s’instaurer et processus d’apprentissage. L’évaluation doit dès lors
produire les effets escomptés. Cette confiance réci- viser à rendre compte des acquis des élèves et leur
proque en l’autre constitue un formidable levier pour permettre de se rendre compte de leurs acquis et de
le développement de la confiance en soi de l’élève et, leurs difficultés. Cette rénovation du système d’éva-
par extension, pour sa réussite scolaire. luation, annoncée dès 2012, doit « aider les élèves à
progresser en développant leur confiance en eux » 17.
La confiance a donc aussi à voir avec le cadre et les Jusqu’à présent conçue comme un moyen plus ou
pratiques pédagogiques proposés par l’enseignant. moins objectif de classer 18, elle devient dans ce
La pédagogie appropriée consiste à faire reposer les nouveau contexte un dispositif d’accompagnement
apprentissages sur une confiance mutuelle au sein à vocation purement individuelle et éducative.
de la classe. C’est dans ce contexte rassurant que
peut émerger, selon Sylvain Connac, le sentiment
de confiance à l’école, défini comme « l’absence de
15 Connac S., « Pour une pédagogie de la confiance »,
Le Café pédagogique, 13 octobre 2006.
16 La question de la coopération entre élèves a fait l’objet
d’un récent numéro : « La coopération entre élèves :
des recherches aux pratiques », Dossier de veille de l’IFÉ,
12 Meuret D., « Éduquer à la confiance dans une société n° 114, décembre 2016.
de défiance », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 17
Refondons l’École de la Répubique : Rapport de la concertation,
n° 72, 2016, pp. 67-76. 2012, p. 29.
13 Gauchet M., « La confiance est le moteur de l’éducation ». 18 Il existerait, selon André Antibi, une tendance inconsciente
Voir gauchet.blogspot.fr et systématique des enseignants à mettre un certain
14 L’article de Laurence Cornu consacré à la confiance pourcentage de mauvaises notes, appelée « constante
permet de faire le point sur cette question : « La confiance », macabre » ; La constante macabre, ou comment a-t-on découragé
Le Télémaque, 2/2003, n ° 24, p. 21-30. des générations d’élèves ?, éd. Math’Adore, 2003.
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90 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Le pari de la réforme est aussi celui du changement des élèves » 21. Elle constitue une vertu nouvelle et
de regard sur l’évaluation, de la part de l’institution, nécessaire qui requiert, de la part des éducateurs, un
des enseignants, des élèves et des familles. Car si les changement de regard sur les apprenants.
intentions de la réforme sont louables, encore faut-il
qu’elles soient acceptées et comprises par tous et que Sécurité et sérénité
le système ne repose plus, en dernier ressort, sur des La bienveillance éducative est constitutive du climat
pratiques s’apparentant à cette évaluation sanction dans lequel les élèves sont amenés à évoluer. Selon
qu’elle cherche à combattre et dont la persistance Odile Le Masson, « le climat scolaire dépend de la
pourrait dangereusement altérer la confiance en volonté de chaque établissement et de chaque adulte
l’école. de porter un regard bienveillant sur les élèves » 22. Si
les dimensions du climat sont nombreuses, la qualité
Apprendre et progresser des relations avec les élèves en est donc une compo-
dans un climat de confiance sante essentielle, qui ne dispense pas de faire preuve
Créer un environnement et un climat propices à l’ap- d’autorité et de rigueur. L’articulation de ces exigences
prentissage est une vocation fondamentale de l’école, est à la fois délicate et nécessaire. La bienveillance,
qui nécessite l’instauration d’une confiance partagée en effet, ne saurait être associée à une absence de
entre les élèves et les adultes. Cette confiance s’ac- règles ou à un sentiment dénué de visée éducative. La
compagne, depuis la loi de 2013, d’une bienveillance bienveillance et l’autorité sont les deux facettes d’un
éducative. climat scolaire propice à la confiance et aux appren-
tissages, à la progression et à la réussite des élèves.
La bienveillance comme vertu éducative Elles doivent permettre aux élèves d’évoluer dans un
Le thème de la bienveillance est désormais récurrent cadre serein et sécurisant, ce qui ne peut être qu’une
dans le discours éducatif. L’école bienveillante est œuvre collective 23.
celle dans laquelle les élèves vont pouvoir apprendre
et progresser en confiance, celle dans laquelle les L’école, désormais, est sommée d’être « bientrai-
élèves vont rencontrer des adultes à leur écoute et à tante » 24, comme si l’époque de la prérefondation
l’écoute de leurs besoins. Cette « bienveillance abso- n’avait été que celle de la maltraitance ou, de façon
lument inconditionnelle » 19 dépasse le cadre de la moins polémique, du manque de considération
classe ou de la relation pédagogique au sens strict ; envers les élèves. Au-delà des termes, c’est encore
elle est l’affaire de tous et participe de ce fait à la une fois la question du regard porté sur l’élève qui
construction d’un climat de confiance dans l’établis- est en jeu ; l’ensemble des éducateurs sont appelés
sement scolaire tout entier. à revoir leur posture et leurs gestes professionnels,
dans le but d’améliorer le climat scolaire.
L’émergence de ce nouveau paradigme20 qui jalonne
les textes réglementaires récents n’est pas anodine.
Elle traduit la volonté du législateur de placer l’élève CHAQUE ÉLÈVE DOIT POUVOIR
au cœur de ses réflexions et de ses préoccupations, S’ÉPANOUIR EN TANT QUE PERSONNE
et va de pair avec la relégation relative des savoirs au
second plan. Elle introduit par ailleurs, dans la rela- L’épanouissement individuel est un objectif de l’édu-
tion éducative, des concepts qui en étaient jusqu’à cation et de la formation au même titre que l’inser-
présent très éloignés, car considérés comme poten- tion dans la société. L’école est le lieu incontournable
tiellement dangereux, à la fois pour les élèves et les de cet épanouissement, qui passe par une exigence
éducateurs. La bienveillance implique de fait une commune envers tous les apprenants, celle de la
relation de proximité avec les élèves et une connais-
sance accrue de leur situation particulière : « La rela-
tion aux élèves atteste d’une bienveillance éducative
21 Gimonnet B., « De la bienveillance éducative »,
lorsqu’elle témoigne du rÉSPÉct et de l’intérêt à l’égard Les Cahiers pédagogiques, n° 532, Justice et injustice à l’école.
22 « Climat scolaire et bienveillance : entretien avec
Marie-Odile Le Masson », Le Café pédagogique, 4 juin 2014.
19 Heber-Suffrin C. (dir.), Plaisir d’aller à l’école. Ouvrir l’école, 23 « Le travail de socialisation et d’éducation ne se réduit pas
créer des réseaux, Chronique sociale, 2013, p. 196. à la somme des relations pédagogiques dans la classe »,
20 Roux-Lafay C., « L’éthique du care dans le champ éducatif Dubet F., Le déclin de l’institution, Seuil, 2002, p. 161.
ou le nouveau paradigme de la bienveillance », 24 Le Masson M.-O., Le climat scolaire : pour une école
Éducation et socialisation, n° 42, 2016. bientraitante, Chronique sociale, 2014.
SOMMAIRE
l’élève au cŒur DU système 91
maîtrise du socle commun de connaissances, de développement) qui rend difficile la définition d’obli-
compétences et de culture au terme de la scolarité gations et de devoirs envers autrui » 27.
obligatoire. L’enjeu, pour l’institution scolaire, est
d’articuler cet impératif collectif inaliénable à celui, L’école est donc dotée d’une nouvelle mission, qui
tout personnel, de l’épanouissement individuel, et de dépasse largement celle qui lui était traditionnelle-
faire en quelque sorte le deuil de l’excellence pour ment assignée. Les éducateurs doivent désormais
tous. Il ne s’agit plus seulement, désormais, d’aider créer les conditions d’un épanouissement personnel,
les élèves à réussir scolairement – c’est-à-dire à par définition variable, et qui ne relève pas unique-
maîtriser le socle – mais de les aider à se révéler à ment de l’éducation au sens strict, le tout en laissant
eux-mêmes et à trouver la voie de leur réussite indi- à l’élève une liberté suffisante qui permette à ses
viduelle 25. Le collège est l’un des lieux privilégiés de potentialités de se révéler.
cet épanouissement. Il participe de la réussite éduca-
tive du jeune sans pour autant que celle-ci se limite à Épanouissement personnel
ses murs : « La réussite éducative se définit comme la et épanouissement scolaire
recherche du développement harmonieux de l’enfant L’épanouissement scolaire renvoie au climat dans
et du jeune. Elle est plus large et englobante que la lequel les élèves évoluent quotidiennement. Ce climat
seule réussite scolaire et tend à concilier l’épanouis- fait référence à des données objectives (conditions
sement personnel, la relation aux autres et la réus- matérielles de la scolarité) et à des données plus
site scolaire. Elle permet l’articulation de tous les subjectives, qui ont notamment trait à la qualité
temps de l’enfant et du jeune et vise à leur donner les des relations entre les membres de la communauté
moyens de s’intégrer pleinement dans la société » 26. éducative. La qualité de vie au collège dépend donc
des conditions de travail et du climat de confiance
L’école, lieu d’épanouissement qui y prévaut, composantes essentielles du bonheur
La notion d’épanouissement personnel a désormais à l’école.
pris le pas sur celle d’épanouissement scolaire. Les
deux restent pourtant intimement liés à l’âge de Pour s’épanouir scolairement, l’élève doit donc
l’adolescence. rencontrer au collège des conditions propices qui
le placent en situation de travail et de réussite
Un changement de paradigme personnelle. On perçoit ici la relation complexe
L’accomplissement de l’individu est devenu la fin de entre épanouissement personnel et épanouisse-
l’école. L’institution, si elle doit former des élèves, doit ment scolaire : pour s’épanouir personnellement, le
avant tout permettre l’accomplissement des jeunes jeune doit aussi s’épanouir scolairement, c’est-à-dire
au-delà de la seule réussite scolaire, voire malgré ou progresser et accéder ainsi à un état de bonheur qui
en dépit de la réussite scolaire, considérée au sens ne renvoie pas nécessairement à la réussite scolaire
classique du terme. La réussite individuelle, qui peut mesurée à l’aune de résultats chiffrés mais plutôt
effectivement s’exprimer de multiples façons et en au « sentiment qu’il y a une correspondance entre
de multiples endroits, est désormais visée. À l’âge les efforts consentis et les progrès constatés » 28. En
scolaire, c’est néanmoins au sein de l’école qu’elle permettant à l’élève de progresser, l’école contribue
est amenée à se développer, que celle-ci soit le fonde- à son épanouissement à la fois scolaire et individuel.
ment de cette réussite ou qu’elle lui soit extérieure.
Ce changement de paradigme bouleverse profondé- Le bien-être des élèves
ment le sens de la relation éducative et les conditions comme condition et comme objectif
de cette relation : comme le souligne Christian Vitali, Le bien-être est étroitement lié à la santé.
« La notion d’épanouissement personnel […] institu- L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit
tionnalise le glissement de la norme contraignante d’ailleurs cette dernière comme « un état complet de
vers une norme développementale (psychologie du bien-être physique, mental et social ». Notion pluri-
dimensionnelle, le bien-être se joue notamment dans
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92 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
la relation de confiance qui s’établit avec l’autre et bien-être et l’épanouissement des élèves et de bonnes
renvoie à l’estime de soi. Il est, selon Marie-Rose conditions de travail pour tous » 33.
Moro et Jean-Luc Brison, auteurs d’un rapport sur le
bien-être et la santé des jeunes, « une condition et un À ce texte qui légitime la prise en compte du bien-être
objectif » 29 de l’acte éducatif. à l’école doit en être ajouté un second, qui renvoie
spécifiquement aux missions, en la matière, des
Une question de projet personnels de l’Éducation nationale. Le référentiel
La considération du bien-être des élèves à l’école n’est des compétences professionnelles et des métiers
pas nouvelle. L’éducation prioritaire, précurseur en du professorat et de l’éducation mentionne par trois
de nombreuses matières, a pressenti sans doute bien fois la notion, tout d’abord en tant que compétence
avant l’éducation « classique » l’intérêt qu’il y avait, commune aux professeurs et aux personnels d’éduca-
pour les élèves ne disposant pas d’un environnement tion, dotés en la matière d’une responsabilité éthique :
favorable à leur réussite et rencontrant des difficultés ainsi doivent-ils « assurer le bien-être, la sécurité et la
scolaires, de prendre en compte une dimension à sûreté des élèves » 34. Les personnels d’éducation ont,
laquelle on n’accordait jusqu’à présent que peu d’in- quant à eux, une responsabilité spécifique et doivent
térêt. C’est donc par la porte des projets d’école, d’éta- avoir le « souci de contribuer au bien-être des élèves »
blissement et de réseau de l’éducation prioritaire que par le biais de l’organisation des temps et des lieux
le bien-être est entré à l’école. Le référentiel de l’édu- scolaires 35.
cation prioritaire stipule ainsi que ces projets « visent
le bien-être des élèves et un bon climat scolaire » 30. Une obligation pour tous
Si un cadre juridique a été posé par le législateur en
Si l’idée n’est donc pas nouvelle et a d’ailleurs été ce qui concerne le bien-être des élèves, il apparaît de
expérimentée dans de nombreux établissements, plus en plus important que ce bien-être s’étende à
l’afficher comme un moyen de favoriser l’épanouis- l’ensemble de la communauté éducative. Ce précepte
sement et la réussite des élèves n’est cependant pas général n’a pas valeur de loi mais relève bien d’une
encore pleinement acquis, probablement en raison nécessité, étant entendu que les élèves ne pourront
du changement radical d’approche des élèves qu’elle atteindre un état de bien-être que s’ils sont entourés
sous-tend. C’est sans aucun doute pour cette raison d’adultes appréciant le climat global dans lequel
que Christian Garcia et Caroline Veltcheff ont inti- ils sont eux-mêmes amenés à évoluer. Ainsi y a-t-il
tulé leur récent ouvrage sur le sujet Oser le bien-être « nécessité de penser conjointement bien-être des
au collège 31. élèves et bien-être des personnels, l’un avec l’autre
et jamais l’un sans l’autre » 36. François Dubet posait
Une obligation réglementaire déjà ce principe, en 2002, dans son ouvrage Le déclin
Viser le bien-être est devenu une obligation régle- de l’institution : « Les expériences des professeurs et
mentaire. La loi de 2013 renvoie à deux occasions à des élèves sont les deux faces de la même médaille
la notion, en stipulant dans un premier temps que […]. La réussite des uns renvoie à celle des autres, la
« la promotion de la santé favorise le bien-être et la violence des uns fait écho au mépris des autres, les
réussite de tous les élèves » 32, dans un objectif de lutte motivations des uns engendrent les motivations des
contre les inégalités. La seconde occurrence est plus autres » 37. En d’autres termes, si les élèves sont dans
globale : « Les conditions d’un climat scolaire serein un état de bien-être, les éducateurs le sont aussi, et
doivent être instaurées dans les écoles et les établis- réciproquement.
sements scolaires pour favoriser les apprentissages, le
33
Ibid.
29
Op. cit., p. 5. 34
Le référentiel des compétences professionnelles et des métiers
30
Un référentiel pour l’éducation prioritaire, MEN, du professorat et de l’éducation, BOEN du 25/07/2013, arrêté
janvier 2014, p. 7. du 01/07/2013, Compétence 6.
31 Garcia C. et Veltcheff C., Oser le bien-être au collège, 35 Compétence C1 : Organiser les conditions de vie
éd. Le Coudrier, 2016. des élèves dans l’établissement, leur sécurité, la qualité
de l’organisation matérielle et la gestion du temps, ibid.
32 Annexe à la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation
et de programmation pour la refondation de l’école de la 36
Oser le bien-être au collège, op. cit., p. 16.
République, version consolidée au 21 février 2016. 37 Dubet F., op. cit., p. 165-166.
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l’élève au cŒur DU système 93
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94 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
disposition ce dont il a besoin, il acquiert la capa- intérêt (à titre individuel et collectif), à connaître les
cité de faire des choix, y compris parmi les activités valeurs qui la fondent et à l’expérimenter en toute
qui lui sont proposées, en distinguant ce qui peut lui connaissance de cause. Comme le rappelle la loi
servir relativement à son projet et ce qui présente peu d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école
d’intérêt ou prendra une place limitée. Cette émanci- de 2005, « le droit à l’éducation est garanti à chacun
pation de ce que Camille Giraudon appelle « l’école- afin de lui permettre […] d’exercer sa citoyenneté »
carcan » ou le « carcan scolaire » 43 va de pair avec (article 2). Le nouveau parcours citoyen offre un cadre
l’autonomisation croissante de l’élève, l’édification privilégié à cet exercice.
de ses différents parcours et sa progression vers sa
qualité future de citoyen. Connaître les valeurs du vivre-ensemble
L’école est le lieu où les élèves apprennent à vivre
ensemble, au-delà de leurs particularités et diffé-
CHAQUE JEUNE DOIT SE PRÉPARER rences. Cet apprentissage prend corps dans les ensei-
À DEVENIR UN CITOYEN ÉCLAIRÉ gnements proposés au collège mais est aussi l’affaire
ET RESPONSABLE et la responsabilité de l’ensemble des acteurs de la
communauté éducative : chacun doit, à travers ses
Le décret relatif au socle commun de connaissances, paroles et ses actes, contribuer à la transmission des
de compétences et de culture indique que « l’École valeurs de la République.
a une responsabilité particulière dans la formation
de l’élève en tant que personne et futur citoyen » 44. Des enseignements dédiés
Cette double mission de l’école, co-éducatrice au La réforme du collège s’est accompagnée de l’appari-
même titre que la famille, vise à donner aux jeunes tion d’une nouvelle discipline, l’éducation morale et
des repères qui vont lui permettre non seulement civique (EMC), qui consacre l’enseignement des prin-
de s’épanouir en tant qu’individu, mais aussi de cipes fondateurs de la démocratie et de la citoyenneté.
participer à la vie de la cité, ces deux aspects étant Le programme de l’EMC a été défini, pour le premier
indissociables. Le collège a un rôle important à jouer et le second degré, par un arrêté qui précise que « cet
dans l’acquisition des connaissances et compétences enseignement a pour objet de transmettre et de faire
indispensables à cette citoyenneté à laquelle l’élève partager les valeurs de la République acceptées par
peut d’ores et déjà s’exercer, dans ses activités quoti- tous, quelles que soient les convictions, les croyances
diennes ou en prenant volontairement part à la vie du ou les choix de vie personnels » 46. L’EMC a ainsi rejoint
collège. Ses différentes expériences ont ainsi vocation la grande famille des disciplines scolaires et fait son
à le rendre plus apte à comprendre les mécanismes apparition dans les emplois du temps des élèves.
de la vie sociale et les valeurs sur lesquelles elle se Elle concrétise par ailleurs les nouveaux objectifs de
fonde et à forger sa citoyenneté. On comprend ici que l’école puisque les valeurs et normes qu’elle sous-
l’enjeu est fondamental et que l’école doit se saisir de tend « supposent une école à la fois exigeante et bien-
cette chance inestimable de promotion de la citoyen- veillante qui favorise l’estime de soi et la confiance en
neté et de construction du monde futur. En ces temps soi des élèves, conditions indispensables à la forma-
souvent troublés, les éducateurs doivent relever le tion globale de leur personnalité » 47.
défi et proposer un véritable « apprentissage » 45 de la
citoyenneté, en aidant les jeunes à comprendre son L’EMC n’est pourtant pas le seul lieu disciplinaire de
la transmission des valeurs de la République. L’école
a en effet longtemps hésité entre le fait de consacrer
43 Giraudon C., « Personnaliser les parcours scolaires à cet impératif une discipline autonome et la volonté
des élèves, un facteur d’émancipation ? Lectures et
pratiques enseignantes divergentes », Tracés, 25 | 2013.
d’en faire un objectif suprême pour l’ensemble
44 Décret n° 2015-372 du 31/03/2015, Domaine 3 : la formation
des enseignements qu’elle dispense, sans réussir
de la personne et du citoyen.
45 Selon Alain Mougniotte, « parler d’apprentissage de la
citoyenneté, c’est, d’une part, avouer qu’il y a là une tâche
malaisée, qui ne relève pas de la spontanéité mais requiert
un vrai travail et, d’autre part, estimer que, moyennant cet
effort, si l’on y consent, un résultat heureux est possible » ;
« Rôle et portée de l’École dans l’apprentissage de la
citoyenneté », p. 174-175, in Lenoir Y., Xypas C., Jamet C. 46 Arrêté du 12/06/2015, « Programme d’enseignement
(dir.), École et citoyenneté : Un défi multiculturel, Armand Colin, moral et civique : École élémentaire et collège ».
2006, p. 171-184. 47
Ibid.
SOMMAIRE
l’élève au cŒur DU système 95
d’ailleurs à résoudre ce problème fondamental 48 : « les « un enjeu pour l’école du xxie siècle » 52. Il s’agit
valeurs de la République sous-tendent l’ensemble des d’une expérience de tous les instants, qui repose
disciplines, chacune leur donnant sens dans le champ sur la bienveillance éducative et qui permet de créer
du savoir qui est le sien » 49. L’EMC bénéficie ainsi une véritable communauté fraternelle, génératrice
d’un statut particulier : devenue une discipline à part d’un fort sentiment d’appartenance non seulement
entière, elle doit aussi faire l’objet d’une approche à l’école mais aussi à la société tout entière. Toutes
transversale – être de tous les instants – et être les activités proposées à l’école, tous les moments
alimentée par les autres disciplines, parmi lesquelles que les élèves y passent, participent de cette frater-
figurent, entre autres, l’éducation physique et sportive nité en actes préconstitutive de la citoyenneté. Ainsi,
(EPS) et les sciences et technologies du vivant, de la comme le souligne Jean Houssaye, « l’éducation à la
santé et de la Terre (STVST). fraternité, c’est un tout et non une part de l’éducation
à l’école et par l’école » 53. Si elle passe par des ensei-
Le rôle de tous les personnels gnements ciblés, elle est aussi – et peut-être surtout
Si les professeurs ont une mission de transmission – une expérience à vivre, à laquelle les adultes doivent
des valeurs de la République par le truchement des prendre part en permettant à l’élève de développer
enseignements disciplinaires, faire partager ces des compétences citoyennes 54.
valeurs est une obligation morale et citoyenne qui
concerne l’ensemble des personnels. Il s’agit tout Expérimenter la citoyenneté :
d’abord d’une compétence commune aux profes- être acteur dans son collège
seurs et aux personnels d’éducation, ces derniers Le collège est l’un des premiers lieux d’expérimenta-
pouvant, via diverses entrées 50 , contribuer au tion de la citoyenneté. C’est en son sein que l’élève
partage des valeurs du vivre-ensemble. Plus large- acquiert une conscience sociale et qu’il peut s’exercer
ment, il appartient bien à l’ensemble des personnels à la vie démocratique.
de s’investir dans ce partage qui détermine aussi la
qualité des relations dans l’établissement scolaire : La citoyenneté au quotidien
assistants d’éducation, personnel administratif et de La citoyenneté est « un parcours dans la vie de la
service doivent, aux côtés des conseillers principaux cité » 55. Elle commence à l’école, dès le plus jeune âge,
d’éducation et des enseignants, s’engager dans cette dans le cadre de ce qu’il convient désormais d’ap-
éducation à la citoyenneté dont le chef d’établisse- peler le parcours citoyen, pour se poursuivre tout au
ment est le garant. Tous sont à ce titre, pour reprendre long de la vie. Le parcours citoyen, qui prend place
une expression de Philippe Meirieu, « professeurs dans l’espace et le temps scolaires, a ainsi vocation
d’École » 51. à devenir le parcours du citoyen, celui-là même dans
lequel l’individu pourra exercer ses droits et remplir
La fraternité en actes ses devoirs.
Le vivre-ensemble renvoie à la devise républicaine et
plus particulièrement à la notion de fraternité, sur Les objectifs du parcours citoyen ont été définis, en
laquelle la réforme du collège permet de porter l’ac- 2016, dans une circulaire 56 qui précise que « l’ap-
cent. Idéal démocratique par excellence, l’intérêt de prentissage de la citoyenneté se conçoit comme un
l’école pour la fraternité est pourtant plus récent que
celui porté à la liberté et à l’égalité, même si le vivre-
ensemble y renvoie intuitivement. Faire vivre l’expé- 52 Tel était le thème du colloque interuniversitaire qui a eu
lieu à Montpellier les 24 et 25 mai 2016 : « Fraternité en
rience de la fraternité est désormais affiché comme
éducation, éducation à la fraternité : un enjeu pour l’école
une mission de l’école républicaine, voire comme du xxie siècle ».
53 Houssaye J., « Peut-on éduquer à la fraternité ? »,
Le Café pédagogique, 23 janvier 2015.
54 Il s’agit, selon Philippe Maubant, de passer
48 François Audiguier rappelle dans l’un de ses articles les « de l’apprentissage du ‘‘vivre ensemble’’ à la maîtrise
difficultés de constitution disciplinaire de l’éducation à d’une ‘‘compétence de citoyen’’ », p. 215, in Yves Lenoir,
la citoyenneté : « Enseigner la société, transmettre des Constantin Xypas, Christian Jamet (dir.), op. cit., L’éducation
valeurs », Revue française de pédagogie, n° 94, 1991, p. 37-48. à la citoyenneté sous l’éclairage de l’approche par compétences,
49 Les valeurs républicaines à l’école, site Eduscol. p. 207-222.
50 Cf. la fiche ressource Eduscol consacrée à ce sujet : 55
La citoyenneté et l’engagement, p. 1, site de Canopé
« La contribution des conseillers principaux d’éducation (kit pédagogique #je dessine).
(CPE) à l’EMC ». 56
Le parcours citoyen de l’élève, circulaire n° 2016-092
51 Blog de Philippe Meirieu, Dictionnaire, article « Citoyenneté ». du 20/06/2016.
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96 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
parcours cohérent ; il s’impose comme un projet de pas 59 (ce qui serait d’ailleurs contraire à l’esprit démo-
l’élève et pour l’élève ». Dans le cadre du fonctionne- cratique). Une véritable discussion, initiée par le chef
ment quotidien du collège, chaque jeune doit pouvoir d’établissement ou par tout autre acteur, doit être
être confronté à la citoyenneté et en découvrir par menée dans chaque collège pour décider collective-
lui-même les vertus, grâce aux enseignements qui ment du projet qui permettra aux élèves de construire
lui sont dispensés et aux relations qu’il apprend à leur parcours. Formalisée dans le cadre du projet
nouer avec ses pairs et avec les adultes qu’il côtoie. d’établissement, cette réflexion doit permettre aux
Les diverses règles qui s’imposent à lui (règlement élèves non seulement de se sentir libres de s’engager
intérieur, règles de vie en classe…) constituent autant dans la vie du collège mais aussi de donner du sens
d’occasions pour lui de s’interroger sur leurs raisons à cet engagement dans le collectif. La responsabi-
d’être et d’en comprendre in fine le sens, grâce à lité des adultes est ici engagée puisqu’il leur revient
l’accompagnement proposé par les adultes. Participer de mettre les élèves en confiance : si les élèves se
à leur définition permet d’aller plus loin dans ce sentent autorisés, voire incités, à participer à la vie
parcours dont la forme et l’intensité des actions qu’il du collège, ils acquerront très vite des automatismes
comporte relèvent d’un véritable engagement. qui leur serviront dans leur vie future. Le projet de
l’établissement pourra ainsi favoriser l’émergence et
Expérimenter les mandats et les instances le développement du projet personnel du jeune : par
La réforme du collège et les différents textes afférents les qualités et les pratiques nécessaires à tout projet
visent à permettre aux élèves d’exercer des respon- collectif, il forge à la fois son parcours de citoyen et
sabilités au sein des instances de l’ÉPLE : conseil son parcours personnel 60.
de classe, assemblée générale des délégués, comité
d’éducation à la santé et à la citoyenneté, conseil de Élargir le regard
discipline, conseil d’administration… Ces responsa- Le passage par le collège est nécessaire à l’édifica-
bilités ont été accrues récemment par la reconnais- tion du sentiment de citoyenneté. Acteur majeur en
sance officielle d’un conseil spécifiquement dédié à la la matière, le collège n’a pourtant pas le monopole de
parole collégienne : le conseil de la vie collégienne 57. l’éducation à la citoyenneté 61, même si son objectif
Représentants des élèves dans ces lieux d’échanges, est aussi d’aider l’élève à faire preuve de discerne-
de débats, voire de décisions, les élus ont ici l’occa- ment et d’esprit critique en toutes circonstances.
sion d’expérimenter la vie démocratique et de faire
entendre leur voix. Si l’exercice peut être difficile à L’éducation à la citoyenneté n’est donc pas une fin
cet âge, il est pourtant une formidable expérience en soi au collège, qui est néanmoins le lieu privi-
à laquelle tous les élèves peuvent prétendre, quelle légié de cette prime éducation, laquelle se poursuit
que soit leur situation scolaire, sous réserve qu’on généralement sur les bancs du lycée 62. Il offre ainsi
leur offre effectivement la possibilité de le faire. La le terreau indispensable à sa poursuite, dans laquelle
reconnaissance que les élèves en retirent de la part il serait sans doute difficile de s’investir sans cette
de leurs pairs, de même que la fierté inhérente à expérience initiale. Le collège permet d’ouvrir le
toute élection, participent de l’accomplissement champ des possibles et de se préparer progressive-
du jeune et favorisent son intégration scolaire en ment à l’exercice lycéen de la citoyenneté puis à son
même temps que sa future intégration sociale. Tout
ceci préfigure « ce que sera leur participation à la vie
démocratique » 58. 59 De la même façon pourrait-on dire que l’instauration
de ces conditions ne relève pas de l’évidence : il existe
localement des réticences à l’éducation à la citoyenneté,
Agir dans son collège : une question de projet
liées aux résistances des adultes comme des élèves.
Il revient aux personnels de l’établissement d’ac- Le rapport du CNESCO consacré à l’éducation à la
compagner les jeunes dans leur parcours citoyen, en citoyenneté fait le point sur ces questions. Éducation à
la citoyenneté à l’école : Politiques, pratiques scolaires et effets
créant des conditions favorables à l’exercice quotidien
sur les élèves, Rapport scientifique du CNESCO, avril 2016.
de la citoyenneté. Or, ces conditions ne se décrètent 60 « En cela, le parcours citoyen croise le parcours avenir »,
Le parcours citoyen de l’élève, op. cit.
61 Idée développée par Maroussia Raveaud dans son article
« L’élève, futur citoyen », Revue internationale d’éducation
de Sèvres [En ligne], 44 | avril 2007.
62 Le collège peut aussi être l’ultime lieu de cette éducation
57 Cf. chapitre IV. pour les jeunes quittant prématurément le système
58
Le parcours citoyen de l’élève, op. cit. scolaire.
SOMMAIRE
l’élève au cŒur DU système 97
SOMMAIRE
UNE MISE EN ŒUVRE
COHÉRENTE DES PARCOURS
DE L’ÉLÈVE
SOMMAIRE
100 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
4 Philippe Meirieu définit les connaissances scolaires comme 6 Musial M., Pradère F., Tricot A., Comment concevoir
des « savoirs essentiellement programmatiques, renvoyant un enseignement ? Bruxelles, De Boeck, 2012.
à des disciplines précisément identifiées » (article 7 « La conduite du processus relève de la responsabilité
« Connaissances scolaires », Dictionnaire sur son blog). de l’enseignant et non de celle de l’élève », ibid.
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l’élève au cŒur DU système 101
pas pour autant suffisantes, en soi, à la maîtrise du explicitement à l’apprenant et au processus permet-
socle et des compétences. Elles sont désormais dotées tant l’acquisition des compétences. Il a donc une
d’un objectif autre, de repérage – voire de diagnostic visée éducative, en ce sens qu’il vise l’accomplisse-
– des processus d’apprentissage à l’œuvre. Et c’est à ment de l’individu.
partir de cet état des lieux que l’enseignant pourra
construire le parcours de l’élève, de façon à définir le La mobilisation de la notion de curriculum dans le
curriculum le plus adapté. cadre de la réforme du collège n’est pas anodine.
Selon Mohamed Miled, elle vise à regrouper dans
La réorganisation des cycles et des programmes une même idée « l’énoncé des finalités, les contenus,
Définir un programme d’études personnel : les activités et les démarches d’apprentissage, ainsi
la notion de curriculum que les modalités et moyens d’évaluation des acquis
L’originalité de la réforme du collège est de rappro- des élèves » 10. Cette évolution dans l’approche de
cher des notions qui se côtoyaient jusqu’à présent l’élève par l’école est rendue nécessaire par celle de
sans nécessairement s’interroger sur leurs modes la société qui réclame de plus en plus de ses membres
de relation. Programme (et discipline), socle, cycle, des compétences en actes et non plus uniquement
parcours sont autant de termes qui renvoient aux des savoirs déconnectés de toute pratique. Elle
connaissances et compétences que les élèves doivent renforce également l’idée que l’enfant est désormais
désormais acquérir dans le cadre de la scolarité obli- conçu comme un être en construction perpétuelle,
gatoire, et plus particulièrement au collège. L’enjeu cette construction étant continue malgré les change-
est ici de comprendre la délicate articulation entre ces ments de lieux (famille, école, collège, lycée, société).
notions complexes et de situer l’élève dans le cadre En utilisant la notion de curriculum et en l’appliquant
d’une progression qui ne peut être que personnelle. à cette construction, on insiste sur la nécessité de
fluidité des parcours tout en donnant à l’école une
Le curriculum permet de dépasser toutes ces notions place de choix et au collège un objectif fondamental :
et de comprendre la logique de leur articulation. Issu celui d’être le creuset du curriculum et le lieu ultime
de la sociologie de l’éducation anglo-saxonne, il a été de la maîtrise du socle.
introduit en France à la fin des années 1980 et défini
en 1993 par Philippe Perrenoud comme un « parcours Ainsi l’idée de curriculum traduit-elle un changement
de formation » prenant corps dans le cadre d’une rela- de paradigme éducatif et cette volonté qui n’est pas si
tion éducative à trois niveaux : nouvelle de faire de l’école le lieu de la formation du
–– « celui de la « programmation » d’un parcours futur citoyen. Elle intègre, tout en les dépassant, les
éducatif, notamment dans l’esprit de l’éducateur ; programmes et vise l’acquisition d’un socle commun
c’est le niveau du curriculum rêvé, prescrit ou de connaissances, de compétences et de culture qui a
formel ; vocation à excéder le cadre géographique et temporel
–– celui des expériences que vit l’apprenant et qui le de l’école. Ce faisant, elle permet de considérer l’élève
transforment ; c’est le niveau du curriculum réel comme un citoyen en devenir, dont le parcours de
ou réalisé ; formation est à construire.
–– celui des apprentissages qui en résultent » 8.
Deux cycles pour le collège
Le curriculum concerne le long terme et définit le La réforme a introduit un changement important
« programme d’étude ou de formation organisé dans dans l’organisation des cycles pédagogiques. Depuis le
le cadre d’une institution d’enseignement ou, plus 1er septembre 2016, le collège est en effet concerné par
précisément, [un] ensemble cohérent de contenus deux cycles, alors qu’un seul en relevait auparavant :
et de situations d’apprentissage mis en œuvre dans –– le cycle 3, dit cycle de consolidation, couvre les
une progression déterminée » 9. Souvent comparé classes de CM1, CM2 et 6e. Il a pour objectif d’unir
au programme ou au référentiel, qui renvoient aux ces trois niveaux, de favoriser l’adaptation des
disciplines et à l’enseignement, le curriculum renvoie élèves au collège (en matière d’organisation et de
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102 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
cadre de vie) et d’assurer la continuité des appren- concerne plusieurs intervenants, dont certains ne
tissages du CM1 à la classe de 6e ; sont pas basés, géographiquement, au même endroit ?
–– le cycle 4, dit cycle des approfondissements, couvre À ces questions de forme et de fond s’ajoute celle de
quant à lui les classes de 5e, 4e et 3e. Il a pour objectif la volatilité potentielle des élèves (quid de ceux qui
le développement des connaissances et des compé- quittent un établissement en cours de cycle ?) et des
tences des élèves dans les différentes disciplines et enseignants dont certains sont amenés à muter. Les
la préparation de leur orientation. réunions initiées en cours et en fin d’année scolaire
2015-2016 à l’initiative des chefs d’établissement et
Cette réorganisation a un impact important en termes des inspecteurs du premier degré n’ont pas toujours
de relations entre le premier et le second degrés. Le été suffisantes pour lever ces interrogations légitimes
cycle 3 impose en effet de porter le regard au-delà des et apporter des réponses satisfaisantes aux difficultés
portes de l’école et d’envisager une continuité réelle matérielles et aux casse-tête pédagogiques soulevés
des apprentissages, de l’école au collège. L’objectif est par cette nouveauté, que le livret scolaire unique
clairement de dépasser la simple liaison école-collège numérique (LSUN) a pourtant vocation à lever.
qui prévalait jusqu’à présent dans les commissions de
liaison CM2-6e et de l’institutionnaliser en la rendant
non seulement obligatoire mais aussi nécessaire pour LA VALORISATION DES SITUATIONS
assurer la continuité du parcours scolaire de l’élève 11. D’APPRENTISSAGE CONCRÈTES,
PERMETTANT LE DÉVELOPPEMENT
Une programmation plus souple DE COMPÉTENCES PSYCHOSOCIALES
La réorganisation des cycles s’accompagne d’une
façon nouvelle d’envisager les programmes. Le parcours de l’élève doit s’appréhender comme un
Traditionnellement établis et suivis dans le cadre ensemble en construction permanente. Il représente
des disciplines et de leur déroulé chronologique, les le moyen permettant d’assurer la mise en cohérence
programmes deviennent, avec la réforme, un cadre des apprentissages de l’élève et repose sur des stra-
de référence que les élèves doivent appréhender tégies pédagogiques qui s’apparentent à des mises en
au cours d’un cycle donné, et auxquels plusieurs actes du savoir disciplinaire. La réforme insiste ainsi
disciplines peuvent éventuellement contribuer. En sur la nécessité de proposer aux élèves des situations
d’autres termes, le programme relève désormais du d’apprentissage concrètes qui sont expérimentées
cycle. Cette désolidarisation du programme, du niveau dans le cadre des disciplines et qui se cristallisent
mais aussi de la discipline s’accompagne d’une déso- dans celui du parcours de formation et des parcours
lidarisation du professeur qui avait jusqu’à présent éducatifs qui le composent. L’enjeu, ici, est de donner
pour mission de « boucler son programme » au terme du sens et de la cohérence à cet ensemble, qui se
de l’année scolaire. Désormais, le programme n’est veut à la fois individuel – car répondant aux besoins
plus envisagé comme un donné mais comme une scolaires personnels de l’élève – et collectif : les situa-
construction collective dont la mise en œuvre requiert tions proposées ont lieu dans le groupe classe et sont
une entente non seulement entre enseignants du enrichies par les interactions qui se lient en son sein.
premier et du second degrés, mais aussi entre profes- Ainsi les compétences à acquérir transcendent-elles
seurs des différentes disciplines. celles du socle et participent-elles de la réussite
éducative de l’élève.
L’idée est intéressante, en ce sens qu’elle introduit
une véritable souplesse dans l’organisation, qu’elle Des parcours à construire et à mettre en œuvre
accroît la liberté pédagogique des enseignants, qu’elle La loi de refondation de 2013 met un accent particu-
introduit du lien entre les disciplines et ceux qui les lier sur la notion de parcours 12, que celui-ci désigne
enseignent et qu’elle interroge les relations entre la scolarité de la maternelle à la fin du collège, la
les disciplines. Des critiques assez vives ont cepen- réussite de l’élève, sa formation, ou encore les diffé-
dant accompagné cet aspect essentiel de la réforme. rents champs auxquels il s’applique (la culture
Concrètement, comment réaliser cette articulation par exemple). Évoquer le parcours est aussi une
et décider collectivement d’une programmation qui façon d’insister sur la notion d’individualisation,
11 Tel est l’objectif du conseil école-collège, dont les missions 12 Le terme « parcours » est mentionné vingt-six fois
seront développées dans le chapitre suivant. dans la loi.
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l’élève au cŒur DU système 103
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104 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
L’institutionnalisation des parcours par la loi de être interdisciplinaires comme l’atteste l’étendue des
2013 a ouvert des perspectives nouvelles puisqu’elle thèmes au travers desquels ils peuvent se déployer 22.
reconnaît à la fois la valeur des compétences acquises
dans le cadre des enseignements disciplinaires mais Les EPI et les autres enseignements contribuent
aussi celle des compétences issues de cadres moins tous à la mise en œuvre des parcours, qui reposent
formels, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’éta- d’une façon générale sur la démarche de projet. Les
blissement. Elle permet d’envisager l’élève de façon parcours ont ainsi le mérite de reconnaître les compé-
systémique et reconnaît de multiples sources d’ac- tences extra-disciplinaires, de valoriser les compé-
quisition de connaissances, de compétences et de tences transversales et de favoriser l’émergence des
culture. compétences psychosociales.
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l’élève au cŒur DU système 105
d’une part, de soutenir et approfondir les apprentis- personnes intervenant traditionnellement dans
sages, et celui, d’autre part, de mettre en œuvre de le cadre d’une discipline unique, qu’ils maîtrisent
nouvelles compétences grâce à une approche adaptée parfaitement. Or, comme le souligne M. Develay,
– c’est-à-dire plus concrète – des savoirs. Il s’agit, en « chaque discipline académique est elle-même inter-
d’autres termes, d’apprendre autrement aux élèves, disciplinaire, ne serait-ce que parce qu’elle implique
en rapprochant le savoir de son usage à travers des des langages pour s’expliciter et fréquemment des
situations concrètes. techniques pour exister » 26. L’interdisciplinarité existe
ainsi de fait, même si la logique de la réforme vise à la
La démarche de projet positionner comme une démarche devant permettre
Inscrite dans la circulaire relative à l’organisation des aux élèves de trouver du sens dans les apprentissages,
enseignements au collège 24, la démarche de projet ce sens étant au préalable pensé par les professeurs
renvoie aux enseignements pratiques interdiscipli- de disciplines distinctes. Elle repose de fait sur une
naires, et plus généralement à toutes les disciplines démarche de coopération entre les disciplines et
d’enseignement pouvant y contribuer. Selon Philippe ceux qui les enseignent, dans l’objectif de permettre
Perrenoud, la démarche de projet : aux élèves de réfléchir ensemble à des situations
–– « est une entreprise collective gérée par le groupe problèmes. Les EPI constituent en ce sens une véri-
classe […] ; table opportunité : l’alliance de plusieurs disciplines
–– s’oriente vers une production concrète […] ; est en effet propice à montrer les interrelations exis-
–– induit un ensemble de tâches dans lesquelles tous tant dans une situation donnée et à faire comprendre
les élèves peuvent s’impliquer et jouer un rôle actif à l’élève que les savoirs acquis renvoient à des disci-
[…] ; plines particulières qui trouvent un sens dans leur
–– suscite l’apprentissage de savoirs et de savoir-faire combinaison.
de gestion de projet […] ;
–– favorise en même temps des apprentissages iden-
tifiables […] figurant au programme d’une ou LA PRISE EN COMPTE DES EXPÉRIENCES
plusieurs disciplines » 25. EXTRASCOLAIRES DE L’ÉLÈVE
Par les nécessaires interactions qu’elle implique Si l’école est le lieu de formation par excellence des
entre les élèves, la démarche de projet initiée par jeunes, elle n’a cependant pas l’apanage de l’« altéra-
l’enseignant est de nature à faire émerger les compé- tion » évoquée précédemment. La sociologie distingue
tences psychosociales inscrites en filigrane dans la ainsi ce qui relève de la socialisation primaire, qui
réforme et que l’Organisation mondiale de la santé a essentiellement lieu dès plus jeune âge dans le
(OMS) définit comme « la capacité d’une personne cadre familial et dans le cadre scolaire, et la socia-
à répondre avec efficacité aux exigences et aux lisation secondaire, qui renvoie aux autres milieux
épreuves de la vie quotidienne ». Au cours des acti- que le jeune est amené à côtoyer lorsqu’il grandit 27.
vités proposées, l’élève va en effet apprendre à dire Cette dichotomie entre le premier niveau et le second
non, développer son autonomie ainsi que sa capa- niveau de socialisation a le double avantage de
cité à faire des choix, autant de compétences qui sont placer sur un pied d’égalité la famille et l’école, mais
nécessaires à la maîtrise du socle et à la vie en société. aussi l’école et les autres lieux de formation. Il est
en effet important de reconnaître que l’école n’est
L’interdisciplinarité comme principe pas l’unique vecteur de l’autonomisation du jeune
L’interdisciplinarité posée comme principe peut et de sa transformation en être social et en citoyen.
paraître de prime abord inquiétante à certains ensei- En accordant une véritable place au(x) parcours de
gnants car elle repose sur le travail en commun de l’élève, la loi de 2013 reconnaît aussi les influences
24 « Les enseignements pratiques interdisciplinaires 26 Develay M., « Réforme du collège. Aux fondements
[…] permettent de construire et d’approfondir des de l’interdisciplinarité », Les Cahiers pédagogiques,
connaissances et des compétences par une démarche de 26 janvier 2016.
projet conduisant à une réalisation concrète, individuelle 27 Pour une définition de la socialisation primaire
ou collective », circulaire n° 2015-106 du 30/06/2015. et secondaire, voir par exemple Michel Castra,
25 Philippe Perrenoud, « Apprendre à l’école à travers des « Socialisation », in Paugam S. (dir.), Les 100 mots
projets : pourquoi ? comment ? », faculté de psychologie de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France,
et des sciences de l’éducation, université de Genève, 1999. coll. « Que sais-je ? », p. 97-98.
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106 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
multiples qui peuvent enrichir les parcours de forma- de formation de l’élève, qui va s’en trouver infléchi.
tion 28. Il ne s’agit pas, pour autant, d’y trouver le signe L’un des enjeux des parcours est d’intégrer en leur
d’autres déterminismes, mais simplement de recon- sein ces expériences multiples qui vont devenir
naître et de valoriser la place que des lieux autres que autant d’éléments constitutifs des parcours. Ainsi le
scolaires peuvent avoir dans le parcours de formation parcours de formation de l’élève prend-il en compte
d’un élève, dès son plus jeune âge. ce qui se fait d’une façon différente en dehors de
l’école. Les expériences extrascolaires sont conçues
Qu’est-ce qu’une expérience extrascolaire ? comme participant à la construction de l’élève. En
Les travaux de François Dubet et Danilo Martuccelli apprenant à travers elles, il développe ou enrichit les
ont permis d’ériger l’expérience scolaire en concept 29. compétences constitutives du socle commun, d’où
S’ils n’abordent pas ce qui se passe en dehors de l’intérêt de recenser ces expériences. L’outil numé-
l’école, d’autres sociologues, spécialistes de la culture, rique Folios 32 permet d’enregistrer et de conserver
se sont par contre intéressés aux activités extrasco- la mémoire de ces expériences que le jeune pourra
laires des élèves, souvent considérées comme renfor- ensuite valoriser en fonction de ses choix futurs.
çant les compétences acquises à l’école mais surtout
comme révélatrices du milieu social et familial auquel
le jeune appartient. Évoquer des « expériences extra- RECONNAÎTRE L’ASPECT
scolaires » revient à considérer les activités extra- FORMATEUR DU MILIEU
scolaires comme de véritables sources informelles
d’apprentissage, dans le sens où leur dimension Le milieu dans lequel vit un jeune a incontestable-
éducative n’a pas nécessairement été pensée préa- ment un impact sur son parcours. Le risque de la
lablement à leur proposition 30. Ces expériences ne reconnaissance des expériences extrascolaires est
relèvent pas d’une forme éducative au sens strict ; néanmoins de reconnaître l’existence des déter-
d’aucuns peuvent par ailleurs les considérer comme minismes contre lesquels la réforme du collège, en
plus efficaces que les expériences scolaires dans le particulier, et l’école, en général, sont censées lutter.
sens où elles sont le plus souvent choisies par ceux Il importe ici de changer le regard sur les expériences
qui les vivent : comme le soulignent Alan Thomas et extrascolaires, en les considérant comme des sources
Harriet Pattison dans leur ouvrage, « l’apprentissage d’apprentissage. Ainsi un jeune vivant dans un quar-
informel est une activité conduite par son propre tier favorisé aura des expériences qui enrichiront
auteur, celui qui apprend » 31. son parcours, de même qu’un jeune vivant dans un
quartier dit « prioritaire » aura des expériences tout
Toute expérience participe aussi enrichissantes, bien que différentes et sans
de la construction de l’élève aucun doute liées à la spécificité du milieu dans
L’enfant, dès son plus jeune âge et quel que soit lequel il évolue, sous réserve, dans les deux cas, que
son milieu d’origine, est confronté à des situations ces expériences soient encadrées. Cette notion d’en-
diversifiées, qui vont devenir des expériences dans cadrement est essentielle pour que l’apprentissage
lesquelles il a un rôle actif à jouer. Toutes ces expé- puisse s’opérer : si l’activité n’a pas initialement été
riences ont lieu de façon plus ou moins aléatoire pensée dans sa dimension éducative, elle doit tout
mais n’en ont pas moins un impact sur le parcours de même être cadrée pour que l’apprentissage puisse
s’effectuer. Une expérience extrascolaire prend donc
appui sur un partenaire (structure, encadrant, asso-
28 La loi évoque l’intérêt des activités périscolaires ciation…) qui est, de fait, un partenaire de l’école
(portées notamment par les collectivités territoriales
puisqu’il impacte le parcours de formation de l’élève.
dans les quartiers prioritaires), complémentaires
de celles proposées à l’école.
29 Dubet F., Martuccelli D., À l’école. Sociologie
de l’expérience scolaire, Seuil, Paris, 1996.
30 « On y apprend de façon consciente ou non, mais ce n’est
pas l’objectif de cette activité où rien dans sa construction
ne renvoie à l’apprentissage », Brougere G. et Bezille H.,
« De l’usage de la notion d’informel dans le champ de
l’éducation », Revue française de pédagogie [En ligne], 158 |
janvier-mars 2007, mis en ligne le 01/03/2011, consulté
le 02/07/2017. 32 Pour une présentation de cet outil, voir par exemple
31
À l’école de la vie. Les apprentissages informels sous le regard « Folios : une application numérique au service des parcours
des sciences de l’éducation, op. cit. p. 58. éducatifs » sur le site onisep.fr
SOMMAIRE
l’élève au cŒur DU système 107
SOMMAIRE
LE RÔLE
DES INSTANCES
DE L’ÉPLE
CATHERINE FAUCHE
SOMMAIRE
La réforme du collège a pris effet à la rentrée 2016-2017. Composés d’instances aux fonc-
tions diverses (d’administration, pédagogique et éducative, sociale et de santé ou encore de
gestion 1), les ÉPLE doivent appréhender les changements inhérents à la réforme et déter-
miner les modalités locales de sa mise en œuvre. Les conseils et comités apparaissent ici
comme les « médias » 2 des changements annoncés : chacun, à son niveau, doit se saisir des
problématiques soulevées et réfléchir à l’application locale des prérogatives nationales, tout
en s’assurant que ses travaux sont en concordance et en cohérence avec ceux des autres.
Si cette mission de coordination est celle du chef d’établissement, c’est bien au sein des
instances, véritables « lieux de conflits cognitifs » dont « les controverses aboutissent au
dépassement des antagonismes et créent un processus de rationalisation et de compré-
hension des problématiques pédagogiques et éducatives » 3, que se joue la réussite locale
de la réforme.
Les instances font l’objet de textes réglementaires qui déterminent non seulement leur
composition et leur fonctionnement, mais aussi leurs compétences et les missions qui leur
incombent, sans interdire toutefois une certaine souplesse qui participe de l’autonomie de
l’ÉPLE. Elles rassemblent des acteurs aux statuts divers, qui doivent dépasser leurs intérêts
propres pour s’entendre sur le bien collectif et aboutir à des décisions communes.
Certaines instances sont issues de la réforme, comme le conseil école-collège, tandis que
d’autres lui préexistent – à l’instar du conseil pédagogique, du conseil d’administration, du
comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté – ou ont vocation à se généraliser dans
le cadre de sa mise en place, comme le conseil de la vie collégienne. Le législateur leur
a assigné des rôles et des missions spécifiques qu’il importe de préciser au regard de la
réforme et de ses objectifs, sans perdre de vue que toutes ont pour vocation d’assurer la
régulation et la mise en cohérence des changements, en fonction du pouvoir qui leur est
accordé par les textes et qui leur est conféré localement. Pour ce faire, il s’agira pour le chef
d’établissement de répartir le travail entre les différentes instances, puis de l’orchestrer
en veillant à maintenir l’équilibre et à articuler logiquement leurs travaux dans le temps.
L’objectif est en effet de construire progressivement un « être total » 4, un élève qui est un
apprenant en même temps qu’une personne et un futur citoyen, en s’assurant que ce qui
a été acquis dès le début de la scolarité obligatoire se poursuive de l’école au collège et que
des conditions propices à cette transmission soient créées. Si cette mission incombe au
conseil école-collège, son travail ne saurait se concevoir sans concertation avec celui du
1 Pour reprendre la typologie des conseils et commissions proposée par Gavard J., Delahaye J.-P., Muñoz A.
et Stirnemann N. et J. dans leur ouvrage Conseils et commissions dans les établissements publics locaux
d’enseignement, Berger-Levrault, 2012, 4e édition.
2 Venart A. et Vaillant M., « Propos sur la décision : assumer une responsabilité commune ? », p. 47,
Colloque académique de l’AFAE, La décision, de la classe à l’établissement : Traces et portée, 8 février 2012,
CRDP de Lille, pp. 45-49.
3 Gacem A., « Les instances de l’établissement : lieux décisionnels ? L’exemple du conseil pédagogique »,
p. 40, ibid., pp. 39-41.
4 Au sens où l’entend Marcel Mauss, qui considère que l’« homme total est intrinsèquement
pluridimensionnel ». Voir Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1968 (1re éd. : 1950).
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112 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
conseil pédagogique. Celui-ci se voit ici attribuer un rôle central ou « renforcé », en ce sens
que ses analyses et préconisations ont vocation à préparer le travail des autres instances.
Au-delà des textes, l’enjeu du conseil pédagogique est néanmoins de réussir l’articulation
des aspects pédagogiques et éducatifs de la réforme, une réussite qui se mesurera à l’aune
de l’évaluation des acquis des élèves mais aussi de la mise en œuvre des changements. Les
propositions du conseil école-collège (CEC) et du conseil pédagogique (CP) sont soumises
au conseil d’administration (CA), qui a pour mission de valider les orientations locales de la
réforme tout en s’assurant de leur adéquation avec les orientations nationales. Ce faisant,
il offre un cadre de travail légitime au comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté
(CESC), dont l’objectif est d’assurer la cohérence éducative des parcours de l’élève dans
les domaines de la santé et de la citoyenneté. Autant de parcours dans lesquels les élèves
pourront d’autant mieux s’engager s’ils ont participé à leur construction et été représentés
dans le conseil de la vie collégienne (CVC), dont la mise en place constitue depuis fin 2016
une obligation réglementaire. À ce conseil revient le défi de favoriser l’engagement des
élèves dans la vie du collège, préalable indispensable à l’engagement dans la vie de la cité.
SOMMAIRE
LE CONSEIL
ÉCOLE-COLLÈGE
OU COMMENT CRÉER LES CONDITIONS
D’UNE RÉELLE CONTINUITÉ DES APPRENTISSAGES
SOCIALISÉS DANS LE CYCLE 3
SOMMAIRE
114 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
dans les commissions de liaison CM2-6e, au cours constituent des priorités et des objectifs inscrits dans
desquelles s’échangent des informations (scolaires, les projets de réseau et sont explicitement inscrits
mais aussi plus personnelles) sur les élèves, et plus dans le référentiel qui lui est consacré 12. L’instance
particulièrement sur ceux qui rencontrent des diffi- privilégiée pour y travailler est le conseil école-collège.
cultés. Elle a également été pensée en termes de
tentative de rattrapage des compétences non maîtri- Des enjeux qui se généralisent
sées à l’issue de la scolarité dans le premier degré. La circulaire d’août 2011 consacrée à la continuité
Plusieurs dispositifs sont ainsi devenus embléma- pédagogique 13 constitue un tournant pour la liaison
tiques de la liaison, comme les PPRE (programmes école-collège, dont les objectifs se généralisent : elle
personnalisés de réussite éducative) passerelles ou devient dès lors « l’un des moyens de mettre en
les stages de remise à niveau proposés en période œuvre l’école du socle commun » et a pour vocation
de vacances scolaires avant l’entrée en sixième 9. La suprême d’assurer la continuité des apprentissages
liaison, dans ce cadre, peut être comparée à un pont et la fluidité des parcours. La difficulté scolaire et
à franchir, avec pour objectif de fournir à ceux qui en ses palliatifs (PPRE, stages de remise à niveau) sont
ont besoin les accompagnements nécessaires pour désormais conçus sous l’angle de la personnalisation
arriver dans les meilleures conditions possible « de des parcours, qui est elle aussi envisagée comme le
l’autre côté ». moyen de construire l’école du socle dans la circu-
laire de rentrée de 2012. Ces deux éléments conju-
Un précurseur : l’éducation prioritaire gués tendent à généraliser les objectifs de la liaison
C’est au sein de l’éducation prioritaire que les expé- à l’ensemble des élèves et non plus à ceux qui sont
riences de liaison se sont avérées les plus précoces en difficulté scolaire. Le CEC qui naît officiellement
et les plus poussées. Les projets communs initiés au l’année suivante a néanmoins hérité de cette hési-
sein du Comité exécutif (première instance de pilo- tation récurrente entre le tout et l’une de ses parties.
tage interdegrés) entre les collèges et les écoles des
zones d’éducation prioritaires (les ZEP, puis des REP,
des RAR et des RRS) 10 ont permis le développement LE CEC : DES OBJECTIFS
d’habitudes de travail entre les premier et second ET UN CADRE SOUPLES
degrés qui préfigurent dans une large mesure ce qui
peut se faire au sein du CEC, sous réserve d’un élar- Des objectifs clairs ?
gissement de ses perspectives. Car, comme le souligne Tous les élèves vs les élèves en difficulté ?
le rapport n° 2014-026 consacré à la mise en place des S’il a une histoire et des objectifs anciens (maîtrise du
conseils école-collège, « la difficulté scolaire est […] à socle, liaison), le CEC n’en est pas moins une instance
la fois un moteur et un risque pour la mise en place récente qui doit clarifier ses cibles et ses objectifs
des CEC : les CEC pourront s’appuyer sur l’héritage de pour devenir légitime. Les textes présentent en effet
la liaison école-collège et l’expérience de l’éducation une première ambiguïté : la notice du texte n° 2013-
prioritaire, mais ils doivent aller au-delà pour penser 686 stipule que le CEC est instauré « au profit notam-
véritablement la scolarité du socle commun » 11. ment des élèves les plus fragiles ». La fiche repère n° 4
de la DGESCO de juin 2014 indique quant à elle que
L’éducation prioritaire a aujourd’hui dépassé ce « le conseil école-collège concerne tous les élèves [et
risque. La continuité pédagogique et le suivi des élèves qu’]il n’est pas seulement le lieu du traitement de
la difficulté scolaire » 14. L’objectif de continuité qui
est le sien rend néanmoins le débat assez stérile : la
continuité concerne de façon objective tous les élèves,
9 Ces stages ont été initiés en 2008 par Xavier Darcos,
alors ministre de l’Éducation nationale, pour les élèves
qu’ils soient ou non en difficulté scolaire.
présentant des difficultés en français et en mathématiques
en fin d’école primaire.
10 Les acronymes relatifs à l’éducation prioritaire évoluent
régulièrement : réseau d’éducation prioritaire (REP) en 1997,
réseau ambition réussite (RAR) et réseau de réussite scolaire
(RRS) en 2006. On parlera à partir de 2010 d’établissement
CLAIR puis ÉCLAIR (écoles, collèges et lycées pour 12
Un référentiel pour l’éducation prioritaire, MEN, janvier 2014.
l’ambition, l’innovation et la réussite) et, à partir de 2015, de 13 Circulaire n° 2011-126 du 26/08/2011.
REP et REP+ (réseau d’éducation prioritaire). 14 Fiches repères pour la mise en œuvre du conseil
11
La mise en place des conseils école-collège, rapport conjoint école-collège, MENESR/DGESCO, juin 2014,
IGEN/IGAENR n° 2014-026, mai 2014, p. 11-12. sur le site eduscol.education.fr
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 115
SOMMAIRE
116 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 117
la multiplication des échanges, si elle présente vocation à être discuté lors des réunions du CEC ou
un intérêt, se heurte évidemment à des limites. La à être pris en charge par l’une de ses commissions.
proximité géographique des écoles et de leur collège Cette étape représente un investissement impor-
de recrutement constitue un avantage certain. Par tant de la part des membres du CEC, notamment en
ailleurs, il faut veiller à organiser les réunions de temps, et ne saurait être simplement dévolue à ses
façon équitable entre les écoles et le collège. pilotes. La contribution de tous au diagnostic est un
gage de la mobilisation ultérieure du CEC sur l’objectif
Prendre conscience des difficultés inhérentes à l’ins- de continuité.
tauration de la continuité est une étape indispen-
sable. Si toutes ne peuvent être levées avec la seule L’identification d’objectifs prioritaires
bonne volonté des uns et des autres 20, les prendre en Du diagnostic partagé vont émerger des question-
compte pour avancer permet d’instaurer un climat nements et des hypothèses de travail qui seront
de confiance et de lever les inquiétudes légitimes des ensuite débattues au sein du CEC. Des débats engagés
personnels engagés dans la démarche. émergeront des objectifs prioritaires à atteindre,
qui doivent être cohérents à la fois avec les projets
Adopter une démarche de projet d’école et le projet d’établissement, sans pour autant
L’enjeu du CEC est de réussir à « passer de la décou- en être la seule transposition. Cette étape est de
verte mutuelle à la mise en place d’une véritable nature à identifier des priorités communes aux deux
continuité pédagogique » 21 et éducative. Définir une degrés et à engendrer ainsi un nouveau regard sur les
méthode de travail est un prérequis indispensable à projets d’école et d’établissement. Sans aller jusqu’à
la coconstruction de cette continuité qui a tout intérêt la nécessité d’une refonte de ces projets, le CEC peut
à être pensée en termes de didactique 22 : les actions être amené à redéfinir ou à préciser certains de leurs
ponctuelles, si elles présentent indéniablement un objectifs, de façon à y inscrire explicitement la conti-
intérêt, relèvent davantage de la liaison que de la nuité ou à la permettre.
continuité.
La définition d’un plan d’action
Un diagnostic commun à partir à cohérences multiples
d’évaluations partagées Le CEC a pour mission d’élaborer un programme
Élaborer un projet impose de passer par différentes d’action issu d’un diagnostic partagé et fondé sur des
étapes. La première – le diagnostic – se doit d’être objectifs à atteindre, dans le but de créer les condi-
partagée entre les écoles et leur collège de recrute- tions de la continuité des apprentissages socialisés.
ment : elle consiste à identifier et analyser les diffi- Ce plan d’action, pour être efficace, doit être à cohé-
cultés rencontrées localement par les élèves, de façon rences multiples : ses actions doivent être cohérentes
à envisager des solutions efficaces. La compulsion des entre elles, cohérentes avec les projets d’écoles et
indicateurs disponibles pour chaque établissement d’établissement, mais aussi en phase, le cas échéant,
scolaire, associée à une analyse des évaluations des avec le projet éducatif de territoire (PEDT). Ces cohé-
élèves, constituent une base de travail et de réflexion rences ne peuvent s’établir que si le CEC s’en donne
incontournables, auxquelles chacun des membres le temps et les moyens. Son œuvre est de longue
du CEC peut contribuer. Conjugué aux pratiques haleine, et il serait illusoire de penser qu’elle peut
d’immersion sur le terrain, ce travail préparatoire a se réaliser sans avoir franchi les différentes étapes
décrites précédemment. Ces phases sont indispen-
sables à deux égards : d’abord parce que l’investisse-
ment des membres du CEC dans chacune d’elles est
20 Il existe également des difficultés juridiques : dans l’état
actuel des textes, il n’est pas prévu (excepté dans des
un gage de leur mobilisation future sur la continuité,
cas très spécifiques qui n’entrent pas dans le cadre de ensuite parce que le sens des travaux du CEC ne peut
la continuité) qu’un enseignant du premier degré puisse émerger sans en passer par elles.
intervenir seul devant des collégiens et inversement, y
compris si l’échange a lieu de façon simultanée. La question
de la responsabilité se heurte à la frontière entre le premier
et le second degré.
21 Rapport n° 2014-026, op. cit., p. 33.
22 Cf. le travail mené dans l’académie de Versailles et retracé
dans l’ouvrage de Demarcy D. et Zakhartchouk J.-F., Réussir
le passage de l’école au collège, op. cit., « Élaborer ensemble des
projets », p. 225-229.
SOMMAIRE
118 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Harmoniser les pratiques pédagogiques connaissances vont se côtoyer et s’articuler dans les
et éducatives tâches pratiques et réflexives proposées en classe
Fournir des repères aux élèves aux élèves et, enfin, la façon dont ces dernières
Au-delà des objectifs prioritaires définis par le CEC vont être évaluées est également un travail indis-
sur la base d’un diagnostic local partagé, le CEC doit pensable. Ce travail nécessite du temps et un enga-
s’efforcer d’assurer la continuité des apprentissages. gement fort de la part des membres du CEC.
Cela passe essentiellement par une harmonisation –– Assurer la continuité des règles de vie de l’école
des pratiques pédagogiques et éducatives interde- au collège : cet objectif, bien que rarement pris en
grés. La fluidité du parcours scolaire de l’élève est une compte 23, constitue pourtant un enjeu fondamental
condition de sa réussite, étant admis que les ruptures pour le vivre-ensemble. Les modes de vie à l’école
ou les différences, d’un lieu et d’un enseignant à et au collège peuvent parfois paraître très diffé-
l’autre, sont de nature à engendrer des discontinuités rents aux élèves. Pour autant, les valeurs qui sont
et des difficultés. celles de l’école sont aussi celles du collège et ce
que l’on attend – en termes de rÉSPÉct et de vivre
D’une façon générale, la continuité repose sur le fait ensemble notamment – des élèves est identique
de fournir aux élèves les mêmes codes et les mêmes dans les deux degrés, à l’intérieur comme à l’exté-
repères, que ce soit en matière d’apprentissage, d’éva- rieur de la classe. Une harmonisation des règles
luation ou encore de vivre ensemble. Son instauration et de leur transmission aux élèves – qui peuvent
nécessite que les personnels au contact des élèves passer par l’élaboration d’un référentiel commun –
non seulement observent leurs pratiques rÉSPÉctives est aussi une condition de la continuité éducative
mais portent aussi sur elles un regard critique, pour et pédagogique.
faire émerger des caractéristiques communes qui
constitueront ensuite la base de leur travail. De cet Il faut garder trace des réflexions du CEC autour de
effort nécessaire dépendent la mise en œuvre et la ces objectifs, car le passage par l’écrit permet d’as-
réussite de la continuité. En appréhendant les élèves surer la portée et le partage des travaux menés, c’est-
de la même façon et en ayant les mêmes attentes à-dire leur réinvestissement sur le terrain.
envers eux, on leur offre les meilleures conditions de
travail possibles tout en s’assurant de l’effectivité de Se donner les moyens…
la continuité. ou faire avec les moyens dont on dispose
Une obligation de rationalité
Vers une culture commune Les thèmes de travail du CEC et de ses commissions
Le partage d’une culture commune est une condition peuvent être très nombreux, pour ne pas dire illimités.
de la continuité. Si elle doit nécessairement s’appuyer Une obligation de rationalité doit d’emblée présider
sur la référence pédagogique et éducative partagée aux réunions sous peine de se noyer sous la diversité
qu’est le socle, cette culture doit émerger des interac- et l’ampleur des projets sans lien avec des objectifs
tions entre les premier et second degrés et prendre à atteindre et sans cohérence entre eux. La première
corps sur des objectifs de continuité. Pour instaurer nécessité est d’ordre organisationnel : multiplier les
cette culture partagée, certaines orientations, qui projets impose de multiplier les réunions et la solli-
constituent autant d’objectifs à atteindre, semblent citation des membres impliqués, ce qui constituera
incontournables : très vite une limite. La seconde est financière : les
–– Utiliser un langage commun : les différences de projets ont souvent un coût (pour leur préparation,
vocabulaire intra- et interdisciplinaires sont de leur réalisation, leur évaluation), et il importe de le
nature à générer des ruptures. Harmoniser les mesurer avant de se lancer. La modestie doit donc
langages utilisés auprès des élèves suppose un guider les travaux du CEC, car c’est en commençant
travail d’observation, d’écoute et de réflexion modestement que le CEC pourra avancer sûrement.
autour des pratiques langagières des enseignants
des premier et second degrés ;
–– Adopter une démarche commune : la réforme pose
la question de l’appréhension et de l’évaluation
des savoirs. Déterminer en commun la façon dont 23 Guylain Hoin constate que « la réflexion sur le règlement
vont être abordées les connaissances, la façon dont intérieur n’est pas fréquemment abordée » lors des
réunions de liaison, p. 195, in Réussir le passage de l’école au
elles vont être mises en relation avec des compé- collège, op. cit., « Évolutions du droit de l’école au collège »,
tences identifiées, la façon dont compétences et p. 191-196.
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 119
Des pistes pour se lancer pour accompagner tous les élèves dans une transi-
La première piste de travail (temporellement et stra- tion réfléchie de l’école au collège. L’occasion est ici
tégiquement parlant) est de s’appuyer sur l’existant, donnée aux enseignants, et notamment aux membres
« pour le prolonger, le consolider ou l’approfondir » 24. du CEC, de développer des initiatives innovantes, qui
Les travaux menés dans le cadre de la liaison école- seront le résultat et l’aboutissement d’une véritable
collège ou des interactions interdegrés sont autant démarche de projet. Comme le stipule la circulaire
d’expériences qui peuvent s’inscrire dans les objectifs de 2015 relative aux enseignements au collège, la
de continuité visés par le CEC. nouvelle organisation qui y prévaut « libère [la] capa-
cité d’initiative » des enseignants et « leur capacité
Une seconde piste est de repérer les convergences d’adaptation aux besoins et aspirations des élèves »,
dans les pratiques. Ces convergences existent et qui passe par « les innovations et initiatives péda-
peuvent être rapidement identifiées par le biais d’une gogiques des équipes enseignantes » 26. La réforme
observation attentive et d’entretiens ou de rencontres impose ici aux membres du CEC de dépasser les
interdegrés. Elles constituent des points d’appui et échanges classiques qui prévalaient avant que la
une base de travail pour le CEC et ses commissions. continuité ne devienne un élément essentiel de la
réussite des élèves. Il leur revient de se saisir de cet
Des espaces communs sont aussi identifiables dans enjeu et de faire vivre le CEC.
les écoles et leur collège de recrutement. C’est notam-
ment le cas de la cour de récréation, mais aussi de la
bibliothèque centre documentaire (BCD) ou du centre FAIRE VIVRE LE CEC
de documentation et d’information (CDI) 25, qui ont
des fonctions similaires sans pour autant porter le Une question d’impulsion
même nom. Ces lieux, leur fonction, leur organisation, Même si sa mise en place constitue une obligation
les règles qui y prévalent, peuvent servir de points de réglementaire, le CEC ne peut être effectif que s’il est
départ aux travaux du CEC dans la mesure où leurs impulsé par ses membres. Le rôle des pilotes est ici
ressemblances en font des endroits sécurisants pour fondamental, comme en attestent les missions qui
les élèves. lui sont dévolues :
–– déterminer les modalités de mise en œuvre du CEC ;
Enfin, s’appuyer sur les personnels partagés (comme –– assurer le suivi du programme d’actions ;
l’infirmier ou l’infirmière scolaire) permet aussi –– accompagner la réflexion pédagogique ;
de réfléchir à la continuité et de l’asseoir sur des –– impulser la politique pédagogique du CEC ;
éléments concrets de manière privilégiée. –– organiser la concertation entre les équipes pédago-
giques à propos du suivi des apprentissages disci-
Innover plinaires et interdisciplinaires ;
Les actions pouvant être proposées par le CEC afin –– organiser le suivi des évaluations ;
d’assurer la continuité pédagogique et éducative –– favoriser l’engagement de chaque acteur 27.
des apprentissages socialisés pourraient faire l’objet
d’une longue liste qui ne serait pas exhaustive. Si la tâche est vaste et ardue, c’est bien de l’impli-
Ces actions, quelles qu’elles soient, sont à relier au cation des pilotes dans ces différentes actions que
projet didactique dans lequel elles s’inscrivent et pourra naître puis vivre le CEC. Cette implication est
au contexte dans lequel elles émergent. Ce contexte d’autant plus nécessaire que cette instance a l’avan-
est forcément particulier, et les actions qui peuvent tage et l’inconvénient d’être dans l’entre-deux. À la
prévaloir dans l’un ne sont pas systématiquement fois dans l’école et dans le collège, elle peut aussi être
transposables dans l’autre. nulle part si elle n’est pas activée par ses pilotes.
SOMMAIRE
120 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 121
SOMMAIRE
LE CONSEIL
PÉDAGOGIQUE
OU COMMENT ARTICULER LES ASPECTS
PÉDAGOGIQUES ET ÉDUCATIFS
Le conseil pédagogique est une instance récente : évaluation, orientation, sorties et séjours, expéri-
créée par la loi Fillon de 2005, sa généralisation dans mentations…) » 4. Cela lui confère une responsabilité
les ÉPLE s’est parfois heurtée à la réticence d’équipes importante puisqu’il a vocation à initier une réflexion
enseignantes acceptant mal sa présidence par le de fond sur ces différents aspects.
chef d’établissement. Pourtant son rôle en matière
pédagogique et éducative est essentiel : dès 2005, le Le renforcement de son rôle réside notamment dans
rapport Matringe souligne que « la nécessité d’une la possibilité qui lui a été donnée d’intervenir dans la
concertation accrue entre les enseignants et du travail préparation de la réforme, au niveau local, à travers la
en équipe pluridisciplinaire s’est imposée au fil des mise en place d’un calendrier alternant les réunions
réformes » 1. Cette assertion trouve tout son sens dans du conseil pédagogique (propices à une réflexion de
le cadre de la réforme du collège. fond) et des temps banalisés (pour un travail collectif).
Ces modalités lui confèrent une responsabilité indé-
niable mais aussi un pouvoir renouvelés.
INITIER ET MENER LA RÉFLEXION
Des compétences élargies
Le conseil pédagogique n’est pas une instance L’article R421-41-3 du Code de l’éducation, modifié
décisionnelle. Instance de concertation, il est pour- par le décret n° 2014-1231 du 22/10/2014, a précisé et
tant « le lieu central des décisions pédagogiques et développé les compétences du conseil pédagogique
éducatives » 2 en ce sens que ses préconisations sont en matière de relation entre premier et second degrés,
rarement invalidées par le conseil d’administration. d’organisation pédagogique, d’évaluation et de suivi
C’est ainsi à lui que revient naturellement la mission des élèves (points 1, 2, 3 et 5).
d’articuler les aspects pédagogiques et éducatifs de
la réforme, en vue de favoriser la réussite des élèves. Cet élargissement des compétences est lié à la néces-
saire articulation du conseil pédagogique avec le
Un rôle renforcé ? conseil école-collège et à la redéfinition des cycles
La réforme du collège est une réforme pédagogique qui impose davantage de coordination et une prise
globale ; le conseil pédagogique se voit donc attribuer en compte accrue des différences entre les élèves,
un rôle spécifique, voir « moteur » 3. Rappelons que censées donner lieu à des adaptations pédagogiques
par obligation réglementaire, « il a pour mission de et à une évaluation centrée sur leurs acquis scolaires.
favoriser la concertation entre les professeurs, notam- Il se traduit concrètement par une pression accrue
ment pour coordonner les enseignements, la nota- sur cette instance mais qui doit cependant être rela-
tion et l’évaluation des activités scolaires. Il prépare tivisée : comme le précise le décret n° 2015-544 du
la partie pédagogique du projet d’établissement. Le 19/05/2015 relatif à l’organisation des enseignements
conseil pédagogique est la seule instance officielle au collège, « le conseil pédagogique est une instance
de concertation sur tous les sujets pédagogiques de réflexion et d’impulsion. Son rôle est essentielle-
collectifs (horaires, accompagnement des élèves, ment consultatif, et dans tous les cas c’est le conseil
d’administration qui tranche » 5.
SOMMAIRE
124 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Une priorité : réfléchir aux besoins des élèves éducative et pédagogique locale des élèves. Partagées
L’enjeu : définir ce qui est essentiel pour les élèves avec les membres de la communauté éducative lors
Si la réforme vise la formation globale de l’élève futur des travaux préparatoires, ces priorités constituent
citoyen, cet objectif général doit être adapté aux souvent les axes forts du projet d’établissement,
spécificités locales des apprenants et au contexte au travers duquel peut s’exprimer l’autonomie de
particulier dans lequel ils évoluent. Le conseil péda- l’ÉPLE. En ce sens, le conseil pédagogique peut être
gogique a ici un rôle de diagnostic et d’analyse à jouer. conçu comme un « outil pour promouvoir une auto-
Sa mission est d’identifier, sur la base d’indicateurs nomie pédagogique réelle des ÉPLE » 6, cette marge de
(résultats des élèves, taux de réussite au DNB…) manœuvre étant nécessaire à la définition de poli-
les points forts et les points faibles des élèves. Ce tiques adaptées au public local.
diagnostic vise à déterminer ce qui est essentiel à
leur réussite, à la fois en termes de connaissances,
de compétences et de culture. L’identification de ces CONSTRUIRE UNE POLITIQUE COHÉRENTE
besoins nécessite une connaissance approfondie du
public local mais aussi des ressources dont il dispose L’enjeu du conseil pédagogique est de construire une
et sur lesquelles les équipes peuvent s’appuyer. politique éducative et pédagogique, cohérente pour
les élèves mais aussi pour l’ensemble de la commu-
Le cadre matériel de la réflexion nauté éducative. Cette cohérence doit être réalisée à
La formalisation d’un diagnostic requiert du temps. tous les niveaux et nécessite de faire des choix qui
En amont, il s’agit tout d’abord de déterminer une vont conditionner la réussite locale de la réforme,
méthode, puis de procéder au recueil des données. c’est-à-dire la rendre légitime aux yeux de tous.
Entretiens avec les collègues et analyse de données
quantitatives et qualitatives font partie des tech- Coordonner les actions pédagogiques
niques utilisées, de façon plus ou moins forma- et éducatives intra et inter-cycles
lisée, pour disposer du matériel nécessaire. En aval, La rédéfinition des cycles et la nouvelle approche
le partage des informations recueillies et du bilan des programmes renouvellent considérablement la
qui en découle fait aussi partie des obligations du nature de la coopération et de la concertation entre
conseil pédagogique. Or, ces étapes de concertation les équipes. La coordination est désormais le maître
(en interne au conseil et en « externe ») sont chrono- mot, à plusieurs niveaux : celui des acteurs au sein
phages, et le quotidien et l’organisation des ÉPLE ne d’un cycle donné, celui des acteurs entre les cycles 3
sont pas toujours de nature à faciliter les échanges. et 4 et celui des actions pédagogiques et éducatives.
La volonté de mettre en place rapidement et à tous
les niveaux du collège simultanément la réforme Une question de composition et d’attribution
(sans compter les réactions parfois vives qui ont La possibilité de la coordination réside dans la compo-
accompagné la parution des textes) a compliqué les sition du conseil pédagogique et dans ses attributions.
travaux du conseil pédagogique. Dans la plupart des Ses membres sont désignés par le chef d’établisse-
cas, le temps passé à la concertation ne s’est accom- ment, sur proposition des équipes pédagogiques
pagné d’aucune compensation financière ni d’aucune qui disposent désormais des quinze jours suivant
décharge suffisante pour mener les travaux à leur la rentrée pour se manifester. Le conseil pédago-
terme. gique réunit au moins le chef d’établissement (qui
le préside), un professeur principal de chaque niveau
Adapter le projet d’établissement d’enseignement, un professeur par champ discipli-
Les difficultés conjoncturelles de l’année scolaire naire et un conseiller principal d’éducation qui ont
2015-2016 ont été en partie compensées par la volonté notamment pour mission de préparer la partie péda-
des équipes, en général, et du conseil pédagogique, en gogique du projet d’établissement, en lien avec les
particulier, d’investir les potentialités offertes par la priorités locales et les préconisations nationales.
réforme pour favoriser la réussite de tous les élèves.
Cet objectif national doit être décliné localement et
traduit en termes locaux dans le projet d’établisse-
ment de chaque ÉPLE. Les travaux du conseil péda-
gogique, incontournables, permettent non seule-
ment de définir des priorités mais aussi des axes
stratégiques et des moyens pour garantir la réussite 6 P. 127.
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 125
SOMMAIRE
126 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
horaire hebdomadaire de vingt-six heures de cours, part aux enseignements complémentaires découlent
auxquelles peuvent s’ajouter des enseignements des choix initiaux du conseil pédagogique. On voit ici
facultatifs. À la possibilité de définir les modalités clairement le lien avec les services des enseignants
(et donc en partie le contenu) de ces enseignements et, au-delà, avec la dotation horaire globale de l’ÉPLE :
s’ajoute pour le conseil pédagogique, sur la base d’un cibler l’AP sur le français et un EPI sur un projet alliant
travail d’échange et de construction en son sein, celle les langues et la SVT par exemple peut impacter l’em-
de déterminer leur répartition. L’instance dispose ici ploi du temps des élèves tout comme celui des ensei-
d’une marge de manœuvre relativement importante, gnants. Des arbitrages sont donc aussi nécessaires.
qui a vocation à se traduire par un accroissement de
la liberté pédagogique des équipes enseignantes et à Moduler les horaires disciplinaires
leur permettre de développer des projets en adéqua- La nouvelle organisation du collège ouvre la possibi-
tion avec le profil des élèves et les caractéristiques de lité de moduler les horaires disciplinaires à l’année et
l’établissement dans lequel ils évoluent. sur la durée du cycle. Cela revient à créer des emplois
du temps à géométrie variable pour les parties concer-
Le conseil pédagogique est ainsi amené à faire des nées : le chef d’établissement ou son adjoint, concep-
choix qui ont des incidences importantes en matière teur des emplois du temps, les élèves, les enseignants.
de service enseignant et de nature des enseignements Ces choix doivent répondre à des objectifs précis et
proposés aux élèves, que ce soit en termes d’ensei- avoir été discutés en conseil pédagogique. Ils doivent
gnements facultatifs ou complémentaires. aussi être explicités aux élèves et familles et faire
l’objet d’un accompagnement, dans la mesure où ils
Depuis la rentrée 2017, il lui revient en effet de s’in- complexifient les emplois du temps.
terroger sur la proposition aux élèves d’enseigne-
ments facultatifs en langues et cultures de l’Anti- Utiliser la marge d’autonomie
quité, langues et cultures européennes et langues et Les collèges disposent d’une marge d’autonomie de
cultures régionales, de même que sur la possibilité de trois heures 10 par semaine et par division, afin de
leur offrir une seconde langue vivante étrangère dès favoriser le travail en demi-groupes, la co-animation
la classe de 6e 9. Ce choix renvoie à l’offre du collège ou les enseignements facultatifs. Cette marge, accrue
pour son public présent et à venir. Il relève en l’oc- par la réforme et accentuée par les dispositions de
currence non seulement de la pédagogie mais aussi la rentrée 2017, va de pair avec l’élargissement des
de la stratégie, liée de fait au contexte local, et doit compétences du conseil pédagogique. Consulté sur
faire l’objet d’une réflexion pilotée par le chef d’éta- la préparation de l’organisation des enseignements,
blissement. Il impose par ailleurs de procéder à des ses avis et propositions lui confèrent un rôle incontes-
arbitrages, car le choix d’un enseignement facultatif table dans la répartition de la dotation horaire globale,
nécessite des heures d’enseignement qui ne pour- d’autant que ces heures de marge ne sont pas fléchées
ront pas être dévolues, par exemple, à un travail en (et que rien n’interdit, par exemple, de les globaliser et
groupes à effectifs réduits ou à des interventions de les répartir entre plusieurs niveaux dans le cadre
conjointes. Les débats qui ont lieu en conseil pédago- d’un projet commun). Il est ainsi possible de proposer
gique doivent être guidés par la recherche de l’intérêt en conseil pédagogique une utilisation éclairée de ces
commun des élèves, des classes et des enseignants. heures, qui sera ensuite soumise à l’approbation du
conseil d’administration.
Le conseil pédagogique propose également la répar-
tition des enseignements complémentaires pour
chacun des niveaux. En fonction des priorités qu’il FAIRE ÉVOLUER LES PRATIQUES
a définies, il détermine ainsi le nombre d’heures qui D’ENSEIGNEMENT ET D’ÉVALUATION
seront consacrées à l’accompagnement personnalisé
(une à deux) et celui qui sera imparti aux EPI (trois L’articulation des aspects pédagogiques et éducatifs
heures au total en cycle 3, quatre heures en cycle 4). de la réforme impose non seulement une concerta-
Les disciplines (et donc les enseignants) qui prendront tion et la définition d’une politique éducative cohé-
rente, mais aussi, à terme, un questionnement sur
l’adéquation des pratiques à cette nouvelle donne.
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 127
SOMMAIRE
128 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Les acquis des élèves comme objet d’évaluation dans les champs éducatif et pédagogique, permettra
La réforme permet d’envisager la question de l’éva- à terme l’évaluation des acquis de chacun des élèves
luation de façon positive. Il ne s’agit plus désormais par chacun des interlocuteurs. Cette approche collec-
de repérer ce qui n’est pas maîtrisé dans le socle, tive de l’évaluation mérite aussi d’être discutée en
mais de s’interroger sur ce qui est déjà acquis. Si conseil pédagogique.
la différence d’approche peut paraître subtile, elle
change radicalement le regard porté sur l’élève, en le Évaluer la mise en œuvre de la réforme
situant dans un parcours personnel voué à s’enrichir Le conseil pédagogique a des missions nombreuses et
au gré des activités scolaires qu’il lui reste encore à importantes. Si la plupart préexistaient à la réforme, iI
découvrir. est évident que les conceptions nouvelles de l’ensei-
gnement qu’elle porte imposent de s’interroger sur
Évaluer différemment la plupart d’entre elles… et qu’il lui sera difficile, s’il
La question de l’évaluation devrait être récurrente s’en tient à ses trois réunions annuelles obligatoires,
au sein des conseils pédagogiques. Comme le de s’emparer de toutes. La possibilité de créer des
texte relatif à ses missions le stipule, il est en effet commissions ou d’inviter des spécialistes ne résout
consulté sur « la coordination relative au suivi des pas ce problème, notamment dans les petits collèges
élèves et notamment aux modalités d’évaluation où le nombre de membres du conseil est relative-
des acquis scolaires » 14, ces dernières étant envisa- ment réduit. Il est donc conseillé de ne pas se saisir
gées, selon cette formulation, comme permettant le de toutes ces problématiques simultanément, mais de
suivi évoqué. Il est ici intéressant de noter le chan- déterminer celles qui semblent prioritaires en fonc-
gement de conception entre les textes de 2005 et de tion du contexte local et de se donner des moyens
2014, le premier renvoyant à la question de la nota- réels d’y répondre.
tion, qui n’apparaît donc plus comme une fin en soi.
Si la note peut être dévalorisante et stigmatisante L’évaluation de la mise en œuvre locale de la réforme
pour un élève, l’évaluation de ses acquis scolaires, est l’affaire du chef d’établissement et des différentes
c’est-à-dire de ce qu’il maîtrise et non de ce qu’il ne instances qu’il préside. Le conseil pédagogique a
maîtrise pas, l’est beaucoup moins. Ce changement vocation à y prendre part en évaluant la place effec-
symbolique d’approche permet de valoriser l’élève tivement prise dans les différents aspects évoqués et
en référence à un étalon qui n’est plus la meilleure l’impact que ses travaux ont pu avoir sur la réussite
note de la classe, mais l’ensemble de ses acquis avant des élèves. De cette première évaluation pourront
l’évaluation. Au-delà des nécessaires adaptations des émerger d’autres questionnements, qui serviront de
méthodes d’évaluation à la nouvelle donne, il importe base aux futurs travaux du conseil.
que le conseil pédagogique formule et formalise cette
façon de procéder afin qu’elle soit ensuite validée et Le conseil pédagogique occupe une place centrale
partagée par tous. dans le cadre de la réforme. Les attentes nombreuses
qui pèsent sur lui touchent au cœur même de la
S’associer pour évaluer réforme et renvoient à la capacité de l’établissement
L’article L912 du Code de l’éducation indique que les à se saisir de problématiques essentielles, comme
enseignants, les personnels d’éducation et les person- celle de l’évaluation. En qualifiant cette instance de
nels spécialisés sont « responsables de l’ensemble des « fabrique de bien commun » ayant vocation à faire
activités scolaires des élèves ». Si cet article reconnaît de l’intérêt collectif un objet de travail 15, Pierre Javelas
le rôle des différents membres des équipes pédago- résume bien l’enjeu fondamental qui est le sien.
giques et éducatives, il reconnaît aussi implicitement
leur rôle dans l’évaluation de ces activités. La maîtrise
du socle repose en effet sur la proposition aux élèves,
en fonction du contexte dans lequel ils évoluent, d’ac-
tivités porteuses de connaissances et de compétences
qu’elles leur permettront de s’approprier. La reproduc-
tion de ces activités, sous des formes variées et sous
la responsabilité d’interlocuteurs différents œuvrant
SOMMAIRE
LE CONSEIL
D’ADMINISTRATION
OU COMMENT VALIDER LES ORIENTATIONS
MINISTÉRIELLES AU NIVEAU LOCAL
Les textes de loi relatifs à la mise en place de la Valider les choix d’enseignement
réforme du collège traitent assez peu du rôle du La circulaire n° 2015-106 du 30/06/2015 précise que
conseil d’administration 1. De fait ses compétences ne le conseil d’administration « arrête la répartition des
sont pas réellement modifiées, pas suffisamment en moyens horaires entre les enseignements communs,
tout cas pour qu’un texte spécifique ait paru néces- les enseignements complémentaires (accompagne-
saire. Cela tient sans aucun doute au rôle renforcé ment personnalisé et enseignements pratiques inter-
du conseil pédagogique, dont les travaux constituent disciplinaires) et les enseignements de complément ».
un préalable incontournable aux délibérations du CA Cela implique une réflexion préalable, menée par le
dans le cadre de l’autonomie pédagogique et éduca- conseil pédagogique, sur l’organisation des enseigne-
tive de l’ÉPLE. Il serait pourtant restrictif de considérer ments dans l’ÉPLE. La présentation qui en est faite par
cette instance comme secondaire : « Le conseil d’ad- le chef d’établissement a pour objectif d’aboutir à la
ministration n’est pas une simple chambre d’enre- validation des choix effectués.
gistrement […], ses compétences sont extrêmement
étendues et son intervention est obligatoire » 2. Démontrer l’intérêt des choix pour le public local
La validation des choix relatifs aux nouveautés
introduites par la réforme du collège suppose de
S’ASSURER DE L’ACCORD DE TOUS convaincre les membres du CA de leur intérêt pour
SUR LES CHOIX EFFECTUÉS le public local. Si cela est vrai pour tous les ensei-
gnements, cela l’est d’autant plus pour les ensei-
Le conseil d’administration est une occasion privilé- gnements complémentaires dont les modalités sont
giée et relativement rare (trois réunions sont obliga- explicitement proposées en lien avec les potentialités
toires dans l’année) de rassembler les trois grandes et difficultés des élèves. La présentation des « offres » 3
catégories de représentants qui le composent, à savoir en la matière doit non seulement démontrer qu’elles
l’institution, les personnels et les usagers. Chacun répondent à des objectifs contextualisés mais aussi
de ces groupes dispose d’un poids équivalent et peut que leurs modalités générales vont bien apporter à
avoir des intérêts divergents. Il importe donc de les chacun une réponse individualisée et permettre à
associer régulièrement aux réflexions menées de tous de progresser. Le chef d’établissement a ici pour
façon à recueillir leurs points de vue, en amont des mission de proposer aux membres du CA un exposé
réunions du CA, par exemple en ayant recours à des qui justifie les choix et qui va les légitimer, garantis-
conseils d’enseignement, des réunions de concerta- sant ainsi un vote à la majorité voire à l’unanimité.
tion ou des réunions plénières ou en réunissant ponc-
tuellement les représentants des parents au CA pour Assurer la cohérence des choix de l’établissement
qu’ils puissent exprimer leurs avis. La validation des orientations locales passe par une
cohérence globale des choix qui en relèvent avec les
objectifs que l’établissement s’est fixés et qui sont
rassemblés dans des documents travaillés collecti-
vement et validés en CA : le projet d’établissement et
1 La commission permanente, qui instruit les questions le contrat d’objectifs. Les priorités qui y sont définies
soumises au conseil d’administration, n’est citée doivent servir de base de réflexion non seulement
dans pratiquement aucun texte. Elle doit cependant
obligatoirement être saisie avant la réunion du conseil
d’administration (dont elle est une émanation) pour
les questions relevant du domaine de la responsabilité
pédagogique et éducative de l’ÉPLE. 3 Selon la circulaire n° 2015-106 du 30/06/2015, « l’offre »
2 Gavard J., Delahaye J.-P., Muñoz A. et Stirnemann N. et J., d’accompagnement personnalisé et d’enseignements
op. cit., p. 61. pratiques interdisciplinaires doit être présentée au CA.
SOMMAIRE
130 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
pour le CA mais aussi pour les autres instances aussi les conseils d’école des écoles de secteur ont
de l’ÉPLE. ainsi vocation à être présentées, voire validées lors
des réunions du CA.
À travers le projet d’établissement
La mise en adéquation du projet d’établissement
avec les préconisations issues de la réforme est un DONNER LES MOYENS
objectif à atteindre. Elle est réalisée en amont du CA, DE MISE EN ŒUVRE LOCALE
qui peut néanmoins en tenir informés ses membres
et solliciter leur participation. À terme, elle sera Le CA répartit les moyens humains et financiers
validée en séance. Il appartient aux membres du permettant de mettre en œuvre les choix locaux.
conseil, informés du nouveau cadre imposé, de s’as- Ce faisant, il valide aussi les orientations du projet
surer que le projet d’établissement a bien fait l’objet d’établissement.
des modifications nécessaires pour s’y inscrire. Le
projet d’établissement amendé a tout intérêt à être La répartition et l’ajustement
transmis avant la réunion du CA afin de laisser tout des moyens humains
loisir à ses membres de s’en assurer et de préparer les La circulaire n° 2015-106 du 30/06/2015 stipule que
éventuelles questions qui alimenteront le débat. La « le conseil d’administration […] arrête la répartition
responsabilité du chef d’établissement est ici engagée des moyens horaires entre les enseignements ». Ces
puisqu’il lui revient au final de garantir la cohérence moyens sont issus de la dotation horaire globalisée
des actions du projet d’établissement avec la politique attribuée par l’autorité académique chaque année
nationale d’éducation. en fonction du nombre de divisions et des ensei-
gnements proposés par l’ÉPLE. Charge à ce dernier,
Avec le contrat d’objectifs ensuite, de les répartir en fonction des choix faits
Le contrat d’objectifs est conclu entre l’ÉPLE et l’auto- localement. La dotation supplémentaire, qui suit le
rité académique 4. Il « définit les objectifs à atteindre même cheminement, est, elle aussi, répartie par l’ins-
par l’établissement pour satisfaire aux orientations tance délibérante et permet de mettre en face des
nationales et académiques » 5 et est élaboré en cohé- choix effectués « les moyens nécessaires à la consti-
rence avec le projet d’établissement. Si ce contrat, au tution de groupes à effectifs réduits, aux interventions
même titre que le projet d’établissement, n’est pas conjointes de plusieurs enseignants et aux ensei-
intégralement remis en cause par la réforme et est gnements de complément » 6. Elle permet aussi aux
soumis à des logiques temporelles propres, il doit établissements de disposer des moyens nécessaires
cependant lui aussi être amendé, à terme, pour satis- aux enseignements facultatifs. À cette répartition des
faire à ses exigences. Le conseil d’administration doit moyens humains peut s’adjoindre son ajustement en
se prononcer sur ce contrat, c’est-à-dire valider les matière de formation continue. L’article R421-20 du
axes stratégiques qui feront l’objet d’une contractua- Code de l’éducation modifié par le décret n° 2014-
lisation entre l’établissement et les autorités acadé- 1236 du 24 octobre 2014 (article 9) stipule en effet
miques. Ces dernières sont ainsi amenées à examiner que le CA « peut décider la création d’un organe de
et à valider les orientations locales prises par l’ÉPLE concertation et de proposition […] sur le programme
pour s’inscrire dans le cadre ministériel. de formation continue des adultes ». Les nouvelles
dispositions ministérielles, associées aux choix
À travers les autres instances locaux liés aux caractéristiques particulières de l’ÉPLE
Si le CA est l’instance décisionnelle par excellence, et de son public, peuvent en effet rendre nécessaire
elle cohabite, dans l’ÉPLE et dans son environnement, la mise en place d’une formation complémentaire si
avec plusieurs autres qui ont, elles aussi, à s’assurer celle-ci n’a pas d’emblée été envisagée. Il appartient
de la cohérence de leurs actions avec les choix péda- dans ces conditions au CA de se poser en instance de
gogiques et la politique éducative locale. Les orienta- réflexion et de faire émerger une demande qui pourra
tions prises dans des instances telles que le conseil ensuite être soumise à un examen par les autorités
pédagogique, le CESC, le conseil école-collège mais compétentes.
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 131
SOMMAIRE
LE COMITÉ D’ÉDUCATION
À LA SANTÉ ET
À LA CITOYENNETÉ
OU COMMENT S’ASSURER DE
L A COHÉRENCE ÉDUCATIVE DES PARCOURS
L’école a pour tâche fondamentale la transmission Ses missions, au nombre de quatre, restent par
des valeurs de la République. Les parcours éducatifs ailleurs inchangées : contribuer à l’éducation à la
concourent à cette transmission, dont les différentes citoyenneté ; préparer le plan de prévention de la
instances de l’ÉPLE doivent s’assurer. Le comité d’édu- violence ; proposer des actions pour aider les parents
cation à la santé et à la citoyenneté (CESC) occupe en difficulté et lutter contre l’exclusion ; définir un
ici une place particulière : les parcours citoyen et de programme d’éducation à la santé et à la sexualité et
santé relèvent explicitement de ses compétences, de prévention des comportements à risques.
et ses différents champs d’intervention le placent
à la confluence de logiques diversifiées qu’il a pour L’intérêt pour les parcours
mission d’articuler. Les actions proposées par le CESC s’inscrivent de
façon naturelle dans les parcours citoyen et de santé
de l’élève. La circulaire de 2016 les envisage d’ailleurs
LES NOUVELLES PRÉROGATIVES DU CESC explicitement comme le cadre pédagogique dans
lequel ces actions doivent prendre place, aux côtés
Un nouveau cadre réglementaire des différents types d’enseignement. Cette inscrip-
La réforme modifie ou précise le rôle de certaines tion dans des parcours distincts ayant des objectifs
instances. Le CESC n’échappe pas à cette règle propres mais concourant in fine aux objectifs pour-
puisqu’une circulaire récente, datée du 10 août suivis par l’école nécessite de se poser la question
2016, annule et remplace celle qui prévalait depuis de la cohérence des actions proposées par le CESC, y
2006 1. Consacrée aux « orientations générales pour compris – et peut-être surtout – si l’on envisage l’édu-
les comités d’éducation à la santé et à la citoyen- cation à la santé comme « une dimension de l’éduca-
neté », elle insiste sur son rôle en matière de défi- tion à la citoyenneté » 3. La cohérence des actions et,
nition et d’impulsion des actions devant permettre par extension, des parcours (citoyen, de santé, mais
à l’école d’atteindre ses objectifs, notamment en aussi du parcours avenir et du parcours d’éducation
matière d’éducation à la santé et aux comportements artistique et culturelle), doit ainsi être une préoccu-
responsables. pation constante du CESC.
1 Circulaire n° 2006-197 du 30/11/2006 relative au comité 3 Stallaerts M., Aubry B., Berger D.,
d’éducation à la santé et à la citoyenneté. « Une dimension de l’éducation à la citoyenneté »
2
Op. cit. sur le site cahiers-pedagogiques.com
SOMMAIRE
134 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
la concordance entre les actions proposées à tous les au parcours d’éducation artistique et culturelle et au
niveaux et les besoins des élèves. parcours avenir.
Les particularités des élèves, liées au contexte local Assurer la traçabilité des parcours
dans lequel ils évoluent, permettent de définir les Les parcours éducatifs de santé et de citoyenneté sont
besoins qui sont les leurs dans différents domaines. constitués d’une pluralité d’actions elles-mêmes enri-
Établir un diagnostic est un point de départ incon- chies par les apports des disciplines et des différents
tournable pour identifier des actions pertinentes types d’enseignements 4. La conservation de la trace
et cohérentes avec l’état de la population scolaire de ces actions est essentielle pour assurer le suivi de
accueillie. La collation des diagnostics réalisés par les l’élève, identifier les compétences qu’il a acquises et
différentes instances de l’ÉPLE et impulsés par le chef examiner le chemin parcouru.
d’établissement doit permettre de définir des priorités
en matière d’éducation à la santé et à la citoyenneté, Le CESC a vocation à se saisir de cette question de la
et de proposer des actions concrètes. traçabilité des parcours pour différentes raisons. La
première est que son programme d’actions s’étend
Le programme prévisionnel des actions du CESC sur plusieurs années (de la 6e à la 3e, voire du cycle 3
relève de la politique éducative globale de l’ÉPLE et a au cycle 4) et qu’en garder la trace permet de « situer »
vocation à s’intégrer, de façon logique et cohérente, l’élève dans un parcours déterminé collectivement. La
dans les différents axes du projet d’établissement. seconde est que le CESC, en se saisissant de la ques-
Sa validation par le conseil d’administration (CA) tion de l’évaluation du parcours (par essence indivi-
atteste de sa concordance avec les priorités locales duelle), a tout intérêt à se doter d’outils permettant
et les besoins des élèves. Elle atteste également de de conserver non seulement l’historique des actions
la validité du diagnostic effectué et de la cohérence composant le parcours d’un élève, mais aussi les
des actions préconisées avec les dispositifs d’accom- compétences spécifiques que cet élève a acquises sur
pagnement des élèves et les enseignements qui leur la base de l’évaluation menée.
sont proposés.
L’application numérique Folios répond à cette obliga-
S’emparer de la question tion de traçabilité des parcours. Son utilisation peut
de l’évaluation des parcours être proposée au sein du CESC (puis validée par le CA).
La question de l’évaluation concerne toutes les En centralisant les données relatives aux parcours,
instances des ÉPLE. Une division du travail peut Folios permet d’avoir une vision globale du parcours
cependant être utilement opérée compte tenu de d’un élève et de prévenir d’éventuelles incohérences.
son ampleur et de la multiplicité des objets auxquels Il garantit aussi à chaque élève de conserver les traces
elle s’applique. Les habitudes d’évaluation des actions de ses parcours, y compris en cas de changement
éducatives de santé et de citoyenneté peuvent être d’établissement.
réinterrogées à l’aune des parcours qu’elles doivent
désormais alimenter. Ce travail de réflexion, qui peut
utilement être mené en concertation avec le conseil ARTICULER DES LOGIQUES DIVERSIFIÉES
pédagogique et le conseil école-collège, peut être
l’occasion de préciser les objectifs des actions et de Si le CESC est une instance propre à l’ÉPLE, les
définir des critères d’évaluation, en y associant les réflexions et travaux qu’il mène dans le cadre des
élèves (à la fois membres du CESC et acteurs de leur parcours éducatifs dépassent largement son cadre et
propre évaluation). imposent la recherche d’une cohérence à plusieurs
niveaux en croisant les approches des acteurs
L’absence de textes précis relatifs à l’évaluation des multiples intervenant à des moments différents.
parcours et la souplesse de fonctionnement et d’orga- Or, comme le souligne Ludovic Jamet, « le temps du
nisation laissée par le législateur au CESC constituent parcours, s’il veut représenter le temps d’une action
des conditions favorables pour mener ce travail de signifiante permettant un changement, doit mettre
réflexion indispensable sur l’évaluation. Elles peuvent
aussi être l’occasion, pour cette instance souvent peu
valorisée dans les établissements, de se saisir d’une
question fondamentale et d’étendre ses réflexions 4 Auxquels s’ajoutent les expériences extra-scolaires
des élèves.
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 135
en dialogue et articuler ces différentes temporalités » 5 Le CESC a ici un devoir de contrôle 8 des valeurs véhi-
afin d’éviter toute discontinuité. culées par les partenaires lors de leurs interventions
auprès des élèves. Il doit s’assurer que les objectifs
Cohérence et continuité éducative des parcours visés par leur intervention – que ce soit en matière
Le parcours de l’élève commence bien avant sa de santé ou de citoyenneté – sont partagés et compris
rencontre avec le CESC. Il prend corps dans le premier et qu’aucune ambiguïté n’existe. Un dialogue doit de
degré, qui le façonne jusqu’à l’arrivée au collège. ce fait être instauré entre le CESC et ses partenaires
Compte tenu des enjeux de continuité qui ont accom- (dont les familles) de façon à ce que les actions envi-
pagné la réforme du collège, le CESC a vocation à sagées s’inscrivent de façon cohérente et logique dans
étendre son champ d’action en direction du premier le parcours de l’élève. Il participe ainsi au « rapproche-
degré, car « c’est dans une continuité éducative que ment des cultures professionnelles et associatives » 9.
doit être engagée une démarche permettant aux
élèves de développer des comportements de respon- Cohérence et continuité territoriale des parcours
sabilité individuelle, collective, morale et civique L’éducation à la santé et à la citoyenneté est une
en faisant appel à la sensibilité, à la conscience et ambition généralement partagée dans un même
à l’engagement de chacun » 6. La refonte des cycles, lieu. Aussi le CESC doit-il avoir connaissance des
le déploiement de l’instance de liaison qu’est le actions proposées sur le territoire dans lequel est
conseil école-collège ou encore le réseau des écoles et situé le collège. Ces actions sont le fait de structures
établissements relevant de l’éducation prioritaire sont variées qui interviennent à des degrés divers dans les
facilitants à cet égard, en ce sens qu’ils permettent domaines de l’éducation et de la santé et qui peuvent,
d’organiser le passage de témoin. Ils rendent légi- s’il existe, être rassemblées dans le cadre d’un projet
times la proposition d’actions interdegrés dans le éducatif territorial qui concerne également les autres
programme du CESC ou la création d’un CESC inter- collèges locaux. Une analyse de l’offre territoriale
degrés rassemblant des acteurs des premier et second existante est un préalable à une possible coordina-
degrés. L’échange entre professionnels intervenant à tion et répartition des interventions auprès des jeunes
des moments divers auprès des élèves permet non et à un échange sur des actions qui ont vocation à
seulement la cohérence des actions éducatives mais alimenter le parcours de l’élève. Elle a pour ambi-
aussi la continuité des parcours citoyen et de santé tion la convergence des initiatives et la valorisation
sur le long terme. des actions extrascolaires dans lesquelles les jeunes
peuvent être engagés.
Cohérence des parcours et logique partenariale
Le CESC est une instance partenariale, qui « tient Le CESC est une instance située à la croisée des
compte des alliances éducatives en associant systé- chemins. Elle doit en effet faire le lien entre les
matiquement à ses travaux les parents et des parte- parcours, avec les autres instances de l’ÉPLE, entre
naires susceptibles de contribuer utilement à la le collège et ses partenaires, entre le collège et les
politique de promotion de la santé et d’éducation à autres établissements de son secteur et s’assurer de
la citoyenneté, dans le rÉSPÉct des compétences et la formation de l’élève tout en le préparant à sa vie
des rôles de chacun » 7. Or, les logiques de ces parte- future de citoyen éclairé et responsable. Ces missions
naires (souvent associatifs) ne sont pas nécessaire- sont rendues plus complexes par la recherche d’une
ment celles de l’Ecole, d’où un risque d’incohérence cohérence qui constitue un enjeu majeur pour la
qui pourrait mettre à mal le parcours de l’élève et réussite des élèves. Les membres qui le composent
introduire des discordances dans les messages portés. doivent avoir pleinement conscience de leur respon-
sabilité en la matière et œuvrer pour que les actions
et préconisations du CESC prennent tout leur sens.
5 Ludovic Jamet, « Le parcours des jeunes à l’épreuve de 8 S’appuyer sur les associations agréées par l’Éducation
l’éclatement des temporalités », Les Cahiers dynamiques, nationale, dont la liste est régulièrement actualisée,
2016/1, n° 67, pp. 58-64. permet de s’assurer de la concordance des objectifs
6 Circulaire n° 2016-114 du 10/08/2016. des ÉPLE avec ceux des partenaires extérieurs.
7 « Le CESC : sa composition, ses missions », 9 Moro M.-R. et Brison J.-L., Mission bien-être et santé
site eduscol.education.fr des jeunes, novembre 2016, p. 41.
SOMMAIRE
LE CONSEIL
DE LA VIE COLLÉGIENNE
OU COMMENT FAVORISER L’ENGAGEMENT
DES ÉLÈVES DANS L A VIE DU COLLÈGE
Le conseil de la vie collégienne (CVC) trouve sa légiti- L’exemple des conseils de la vie lycéenne ?
mité dans la loi de refondation de 2013 qui promeut En l’absence – jusqu’en novembre 2016 – de textes
une « éducation aux comportements responsables » réglementaires spécifiques au CVC, sa mise en place
ainsi que dans le rapport d’Anne-Lise Dufour-Tonini a dans un premier temps souvent été calquée sur
qui préconise « que soit élaboré un cadre national de les textes relatifs aux instances de la vie lycéenne,
vie collégienne » 1. Mentionné dans le cadre du plan qui définissent notamment leur composition et leur
de lutte contre le décrochage scolaire en 2014, il est fonctionnement 4. Les histoires rÉSPÉctives du CVL et
également cité dans celui de la grande mobilisation de du CVC présentent d’ailleurs des similitudes : les CVL
l’école pour les valeurs de la République en 2015. Dans ont fait leur apparition en 1998 à titre expérimental
un premier temps mis en place à titre expérimental avant d’être institutionnalisés en 2000 et leur création
dans certaines académies, les CVC ont été généralisés s’inscrit dans des contextes qui tendent à privilégier
dans tous les collèges à la rentrée 2016, trois mois la parole de l’élève.
avant la parution du décret les instituant officielle-
ment 2. Ils sont l’un des éléments de la réforme, qui La référence au CVL peut toutefois paraître para-
souhaite donner davantage de place aux initiatives doxale, dans la mesure où ces derniers sont régu-
des élèves et envisage les CVC comme « des lieux lièrement taxés d’inactivité et ne permettant pas
d’apprentissage de l’exercice de la démocratie » 3. d’atteindre les objectifs fixés. On peut ici émettre
l’hypothèse que le récent Acte II de la vie lycéenne 5
est un préalable à la circulaire de décembre 2016 6 et
UN CADRE SOUPLE QUI PERMET qu’il a aussi pour vocation de permettre d’envisager
DE S’ADAPTER AU CONTEXTE LOCAL les CVC comme étant à l’image des CVL.
Le CVC est une instance de dialogue et d’échanges Une instance institutionnalisée tardivement
qui peut émettre des avis ou faire des propositions. Si les CVC existent désormais de fait dans de
Sa composition, son fonctionnement ou encore ses nombreux collèges, le cadre légal annoncé 7 pour
compétences ont été définis en décembre 2016, soit encadrer leur création était toujours attendu après
trois mois après la date butoir imposant sa mise en la rentrée 2016. Il en a résulté une grande souplesse
place dans tous les collèges. Il peut en résulter un dans la mise en place des CVC, aussi bien sur le mode
décalage entre les procédures de mise en place et de recrutement de leurs membres, leur qualité que
de fonctionnement des CVC et les préconisations sur leur fonctionnement. Le décret et la circulaire de
réglementaires issues de la circulaire n° 2016-190 du fin 2016, en raison de l’autonomie qu’ils laissent aux
7 décembre 2016. ÉPLE en la matière, n’ont dans la majorité des cas pas
remis en cause les choix initiaux.
SOMMAIRE
138 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
L’élection, dans la mesure où elle participe de la projet d’établissement » 10. L’inscription du CVC dans
démocratie, a ainsi été privilégiée dans les CVC, le projet de l’ÉPLE permet de lui donner une légitimité
sachant toutefois qu’elle ne constitue pas une obliga- tout en le présentant comme un objectif à discuter et
tion légale et que ses membres peuvent être désignés, à atteindre.
voire tirés au sort. Quel que soit le mode de recru-
tement choisi, celui-ci doit constituer un moment Au-delà des objectifs généraux présidant à la créa-
essentiel en ce sens qu’il doit aussi être l’occasion de tion du CVC, les priorités peuvent être variables d’un
communiquer sur le CVC et d’expliquer ses objectifs. collège à l’autre, en fonction du contexte local, de la
Ce temps d’explicitation d’une instance nouvelle ne politique éducative menée en matière de responsa-
doit pas être négligé car il constitue une condition bilité et d’engagement des collégiens et des carac-
de la réussite et de la légitimation du CVC. Il doit téristiques et des besoins de ces derniers. L’analyse
par ailleurs permettre aux futurs membres de réflé- des autres instances de l’établissement peut ici être
chir aux actions qu’ils souhaiteront engager en tant utile et permettre de dégager des lignes directrices qui
qu’élus. permettront au CVC de se constituer puis de déter-
miner son mode de fonctionnement. Si les compé-
Les membres du CVC sont recrutés parmi les élèves tences du CVC sont aussi définies réglementairement,
(délégués ou non) et parmi les adultes de l’établisse- les priorités pourront ainsi varier d’un établissement
ment, parmi lesquels figurent, selon les choix locaux, à l’autre.
au moins deux représentants des personnels (dont un
personnel enseignant) et au moins un représentant
des parents d’élèves. Un ou plusieurs membres de UNE INSTANCE POUR FAVORISER
l’équipe vie scolaire (CPE, assistant d’éducation) en L’ENGAGEMENT DES ÉLÈVES
font souvent partie. Le chef d’établissement en est le
président, comme dans toutes les autres instances La création des CVC correspond à une intention
de l’ÉPLE ; il doit notamment veiller à la parité et à la éducative : favoriser l’engagement des jeunes non
représentativité des membres du CVC eu égard aux seulement dans la vie du collège, mais aussi, plus
caractéristiques de la population scolaire. Quant au tard, dans la vie de la cité. L’engagement est ici envi-
fonctionnement, il appartient à chaque CVC de le sagé comme un apprentissage qui requiert la maîtrise
définir 8 et de soumettre ses choix à l’instance déli- de compétences civiques issues à la fois des enseigne-
bérante : « Il appartient au conseil d’administration du ments et de la participation aux instances de l’ÉPLE :
collège de fixer, par une délibération, la composition il se présente ainsi, selon Jean-Pierre Véran, comme
effective, les modalités d’élection ou de désignation un « levier permettant de développer l’accès à des
des membres ainsi que les modalités de fonctionne- domaines variés du socle commun » 11.
ment du conseil » 9.
En renforçant la continuité de l’engagement
Des objectifs à définir L’engagement des élèves est un objectif envisagé
La latitude octroyée par les textes réglementaires en termes de continuité. Il doit en effet s’inscrire
doit permettre à l’établissement et à ses membres dans un parcours qui commence dès l’école pour
de réfléchir à ce qu’ils veulent faire du CVC, ce qui s’achever au lycée. Le collège était jusqu’à présent le
implique dans un premier temps de s’interroger parent pauvre en la matière : les conseils d’enfants
sur la place de l’élève et de sa parole, sur ce qu’elle existent en France depuis le début des années 1990 12,
est et sur ce que l’on souhaite en faire. Il s’agit, en et les Conseils de la Vie Lycéenne depuis la fin de ces
d’autres termes, « de réfléchir sur les bénéfices que mêmes années. La création du CVC vise à combler la
pourrait apporter la mise en place d’un CVC au sein rupture qui existait jusqu’à présent en matière d’en-
du collège et d’en fixer les objectifs dans le cadre du gagement et d’apprentissage de la citoyenneté, les
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 139
collégiens ne disposant pas d’une instance propre, et mieux appréhender la vie en société et les décisions
à instaurer une continuité qui s’inscrit dans le cadre qu’elle impose.
d’un parcours cohérent, le parcours citoyen.
En responsabilisant les élèves
En donnant la parole aux élèves L’ensemble des actions concourant à la création
Le CVC est une instance de dialogue explicitement du CVC, au choix de ses membres et de son fonc-
réservée à la parole de l’élève 13. C’est un espace tionnement, mais aussi à ses modalités concrètes
d’écoute et d’expression au sein duquel les élèves d’existence et d’exercice, visent à responsabiliser les
vont faire l’apprentissage de l’engagement et de élèves. C’est d’ailleurs ce qui a motivé la création du
l’exercice de la démocratie. C’est en d’autres termes CVC. D’une façon générale, « la réforme du collège va
un lieu de pratique dans lequel ils peuvent expéri- dans le sens d’une implication plus importante des
menter le pouvoir qui leur est donné (s’exprimer) tout élèves dans l’organisation de moments forts au sein
en apprenant les règles qui encadrent nécessairement de l’établissement » 15. Les élèves sont ainsi acteurs
les échanges. L’engagement implique en effet d’être des projets qu’ils défendent, qu’ils portent et qu’ils
capable de communiquer, c’est-à-dire d’échanger et réalisent, ce qui participe de la construction de leur
de débattre sur des sujets variés. Il renvoie à l’agir, qui autonomie.
doit se faire en toute connaissance de cause, de même
qu’à la prise d’initiative et à la prise de décisions. La participation des élèves au CVC contribue, en défi-
Autant de compétences, de savoir-être et de savoir- nitive, à leur formation de citoyen actif et leur permet
faire qui n’existent pas d’emblée et qu’il importe, d’expérimenter, selon une expression de Jean Le Gal,
au fil d’un parcours pensé dans cette optique, de une « citoyenneté participative » 16 qui les prépare non
construire progressivement. L’accompagnement seulement à la vie lycéenne mais aussi à leur vie de
bienveillant des adultes, membres du CVC, est donc futur citoyen. Leur engagement a vocation à être valo-
indispensable pour favoriser cet apprentissage. Leur risé par le biais d’une évaluation inscrite dans le livret
nombre doit cependant être restreint, de façon à scolaire et dans le cadre de leur parcours citoyen.
laisser les élèves s’exprimer.
13 « Le CVC est un lieu d’expression, de réflexion et d’analyse 15 « Guide pratique d’installation d’un conseil
de la parole des collégiens », Livret laïcité, décembre 2016, de vie collégienne (CVC) », op. cit.
p. 10. 16 Le Gal J., Pour une démocratie participative :
14 « Le CVC […] vise la transformation des mots en actes », la participation des enfants et des jeunes, 2012.
ibid. Voir le site icem-pedagogie-freinet.org
SOMMAIRE
140 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
prime abord : pour les élèves, qui doivent accepter et portent sur eux évolue. La visibilité des actions du
comprendre qu’ils vont avoir la parole et la possibi- CVC dans le collège, associée à une communication
lité de s’engager ; pour les adultes, qui doivent quant adaptée, est par ailleurs porteuse d’un message fort
à eux apprendre à laisser les élèves s’exprimer et, à l’ensemble de la communauté scolaire. Ce message
même, favoriser cette expression en se mettant eux- a des répercussions positives sur le climat scolaire de
mêmes en retrait. Les adultes doivent ici accepter l’établissement.
de se mettre au service des élèves, de ne pas tout
savoir, et concevoir qu’ils ont beaucoup à apprendre
des élèves. Cette quasi-inversion des pratiques UNE INSTANCE QUI DOIT
habituelles engendre une relation nouvelle entre TROUVER SA PLACE
les adultes et les élèves et une meilleure connais-
sance mutuelle. Chacun est ainsi à même de mieux Le CVC s’inscrit dans une « démarche de politique
comprendre les problématiques de l’autre et de se éducative majeure » 17. S’il renforce la connaissance
mobiliser pour tenter de les résoudre ensemble. Cela par les élèves des instances et de leurs modalités de
implique également une confiance mutuelle qui ne fonctionnement, il contribue non seulement à la vie
pourra se construire qu’au fil des réunions et des de l’établissement mais aussi aux décisions qu’elle
actions engagées par le CVC. implique, sous réserve toutefois que son existence et
ses activités soient connues.
Un plus grand sentiment d’appartenance
Rassembler dans une même instance et autour d’un Un besoin de visibilité
même objectif des acteurs considérés comme des Il est impératif de faire connaître le CVC pour le faire
partenaires a pour effet de renforcer le sentiment exister et lui permettre d’atteindre son objectif de
d’appartenance à une même structure. Les projets développement de la vie démocratique : « Il n’y a pas
travaillés dans le CVC ont en effet pour objectif de vie démocratique réelle s’il n’y a pas partage de
d’améliorer la vie collégienne. En œuvrant à leur l’information » 18. Échanger sur le fonctionnement
réalisation concrète, les élèves s’impliquent de façon du CVC, sur les avis qu’il émet ou les actions qu’il
directe dans la vie de leur collège ; ils apprennent à mène est une nécessité qui participe du processus
mieux connaître les différents acteurs de leur établis- de légitimation de cette instance. Il s’agit ici de le
sement et à mieux appréhender les contraintes et les faire connaître pour le faire reconnaître. L’appui des
limites des actions qu’ils engagent. Cette commu- adultes est nécessaire pour assurer la communication
nauté d’objets renforce incontestablement le senti- sur le CVC, en lien avec l’éducation aux médias et à
ment d’appartenance, ce qui a également un impact l’information. Aider les élèves à se saisir des outils
sur le climat global. informatiques et des espaces numériques de travail
pour valoriser les actions du CVC relève des compé-
Un climat scolaire apaisé tences des personnels éducatifs et pédagogiques
Les actions engagées par le CVC ont souvent pour (CPE, professeur documentaliste, enseignants). Les
objectif d’améliorer le cadre de vie des élèves. Elles réunions du CVC doivent par ailleurs faire l’objet d’un
accroissent ainsi le sentiment de bien-être de l’en- compte-rendu écrit transmis au CA ainsi que d’un
semble des collégiens, en même temps que celui des bilan annuel.
membres du CVC, dont les initiatives et les projets
sont ainsi valorisés. La mise en place des CVC parti- Une nouvelle instance de gouvernance ?
cipe théoriquement, sous réserve qu’elle ait été À l’instar du CVL qui, réglementairement, doit se
pensée au préalable, d’une amélioration du climat réunir avant chaque séance ordinaire du conseil
scolaire, grâce notamment à l’instauration de meil- d’administration, il est souhaitable que le CVC fasse
leurs rapports élèves-adultes. Travailler ensemble de même, de façon non seulement à connaître les
implique de fait de coopérer et de rÉSPÉcter la parole préoccupations de l’établissement mais également
de l’autre tout en agissant pour atteindre un objectif à formuler un avis ou émettre une proposition les
partagé. Parce qu’ils se sentent écoutés en tant que
personnes (et pas uniquement en tant qu’élèves asso-
ciés à des résultats ou à des compétences) et que leurs
projets trouvent une réalisation concrète, le regard
que les élèves portent sur les adultes est amené à 17 Veran J.-P., op. cit.
changer en même temps que le regard que les adultes 18 Dufour-Tonini A.-L., op. cit., pp. 18-19.
SOMMAIRE
le rôle des instances De l’éple 141
concernant 19. La réunion préalable au CA peut aussi d’éviter les écueils qui ont accompagné la mise en
être l’occasion de décider de la présentation d’un place des CVL. Si ses potentialités sont importantes
projet aux membres de l’instance délibérante. Dans en matière d’engagement des élèves et de démo-
tous les cas, le CVC a pour mission de faire part des cratie, le risque est cependant de décevoir des élèves
avis de ses membres et de la recherche de l’intérêt auxquels est donnée la possibilité de s’exprimer mais
général qu’ils portent. Ce faisant, il peut devenir « un qui ne sont finalement pas entendus.
élément clé de la gouvernance des collèges pour créer
les conditions de la réussite éducative » 20. Charge Si les élèves sont représentés dans la plupart des
aux adultes de créer les conditions de son expres- instances de l’établissement, c’est bien au sein du
sion et d’entendre ses avis et propositions. Là encore, CVC qu’ils disposent de la plus grande latitude pour
le rôle du chef d’établissement, président des deux s’exprimer et être porteurs de projets qui leur sont
instances, est essentiel. propres. Conçu comme le moyen d’expérimenter la
vie démocratique et de développer ses compétences
Une articulation à trouver civiques, le CVC participe de la construction de
avec les autres instances l’élève futur citoyen tout en le préparant à sa future
Les élèves sont représentés dans la plupart des vie lycéenne. La coopération entre les élèves, inhé-
conseils et commissions de l’ÉPLE. Ils disposent rente à leur participation au CVC, est par ailleurs un
par ailleurs d’une instance qui réunit les délégués vecteur essentiel de cohésion et d’amélioration du
de classe : l’Assemblée générale des délégués. Les climat scolaire. Le CVC est en d’autres termes un
compétences de cette instance sont d’ordre consul- moyen privilégié de favoriser le bien-être des élèves,
tatif et se rapprochent effectivement de celles du CVC élément clé de leur réussite scolaire.
dans la mesure où y sont abordées les questions rela-
tives à la vie scolaire et au travail scolaire des élèves.
Le CVC va néanmoins plus loin puisqu’il s’intéresse
à la vie collégienne dans son ensemble et qu’il vise
l’engagement des élèves au-delà de la seule participa-
tion à cette instance. Si les membres de l’Assemblée
Générale et du CVC peuvent être les mêmes (le CVC
peut être une émanation de l’AG des délégués), il peut
être judicieux, en fonction du contexte local et dans
l’objectif d’offrir un véritable parcours citoyen à un
nombre maximal d’élèves, de recruter les membres
du CVC en dehors de ceux de l’AG.
SOMMAIRE
CONCLUSION
Au moment de conclure cet ouvrage, une question vient immédiatement à l’esprit : que
reste-t-il de la réforme du collège alors que le contexte politique ayant présidé à sa mise
en œuvre a changé depuis l’élection présidentielle de mai 2017 ?
Une tentation immédiate serait de répondre qu’elle a vécu, « rayée d’un trait » comme tant
d’autres avant elles 1. Depuis l’été 2017, le débat public s’est focalisé sur le dédoublement
des classes de CP et CE1 en écoles REP et REP+, la réforme du lycée (général et technolo-
gique, puis professionnel) et du baccalauréat, et celle de l’accès à l’enseignement supérieur,
via Parcoursup. Pour le collège, il a surtout été question du dispositif « Devoirs faits » ou,
plus récemment, des stages de réussite pour les futurs élèves de sixième et les élèves de
troisième. La régulation de l’utilisation du téléphone portable est, quant à elle, à nouveau
discutée.
Pour les équipes travaillant en collège, les champs de réflexion et d’action ne manquent
pas et dépassent sans conteste les aléas propres à la scène politique. La progression, sur le
plan intellectuel comme humain, de chaque élève étant au cœur de leurs préoccupations
quotidiennes, il leur revient de décliner les meilleures voies pédagogiques et éducatives
pour y parvenir.
Il s’agit, notamment au sein des instances compétentes (conseil pédagogique, comité d’édu-
cation à la santé et à la citoyenneté…), de donner sens et contenu à la notion de bienveil-
lance, maître mot d’une démarche éducative basée sur une confiance partagée entre élèves
et adultes. C’est un travail de longue haleine, qu’il faut sans cesse remettre sur l’ouvrage
– en particulier auprès d’adolescents.
Ce travail nécessite au préalable une connaissance fine et actualisée des enjeux du système
éducatif. Car comment faire progresser efficacement les élèves si l’on ignore les travaux de
recherche sur des thématiques aussi complexes que celles abordées dans la première partie
de cet ouvrage – qui est bien loin d’épuiser chacune d’elles ?
Des articulations sont sans cesse à construire et à ajuster pour donner pleinement sens
au parcours de l’élève dans ses différentes dimensions et pour l’accompagner dans sa
construction de futur citoyen doté des compétences nécessaires à son évolution en société.
1 Jarraud F., « L’arrêté qui dit adieu à la réforme du collège… », Le Café pédagogique, 19 juin 2017.
2 Cf. le référé de la Cour des comptes consacré aux ÉSPÉ, mars 2018, disponible sur le site de l’ÉSÉN.
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144 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
Penser les articulations et les alliances pour atteindre ces objectifs, c’est entrer dans la
complexité chère à Edgar Marin 3. Cela suppose un collectif organisé, et capable de résister
aux remous quotidiens, toujours susceptibles de faire perdre de vue le cap et d’affaiblir les
liens.
Cela exige également que la confiance s’instaure, aussi bien au niveau local que global 4.
Le rôle des équipes de direction de collège est ici central, sans pour autant être exclusif.
Comme l’écrit A.-F. Ghibert 5, la mise en place d’une démarche collaborative implique l’en-
semble des acteurs locaux qui doivent pouvoir en mesurer les effets sur leurs pratiques
professionnelles comme sur le climat scolaire de leur établissement. Cela est valable au
collège et le sera demain au lycée lorsqu’il s’agira de mettre en place les réformes annoncées.
SOMMAIRE
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BIBLIOGRAPHIE
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148 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
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BIBLIOGRAPHIE 149
IGEN Nau X.
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La profession enseignante en Europe. – Défis et enjeux d’une société en
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SOMMAIRE
150 CONDUIRE UNE POLITIQUE ÉDUCATIVE AU COLLÈGE
La mise en place des conseils école- « Le conseil pédagogique dans les ÉPLE »,
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n° 2014-026, mai 2014, p. 11-12. IGEN, MENESR, octobre 2005, p. 5.
SITOGRAPHIE
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SUR LA MÊME THÉMATIQUE
Innover dans l’école par le design Le chef d’établissement Les temps des apprentissages.
Ouvrage collectif pédagogue Quelles continuités éducatives ?
« Maîtriser » Jean-Yves Langanay Diversité, n° 183
2017 « Maîtriser » « Maîtriser »
PDF : Réf. 690N0007 – 7,90 € 2016 1er trimestre 2016
Livre : Réf. 690B3428 – 14,90 € Revue : Réf. 755A4448 – 15 €
SOMMAIRE
MAÎTRISER
Pour étayer
vos connaissances
ISSN 2416-6448
ISBN 978-2-240-04865-3
Réf. W0012587
M A Î T R I S E R
MAÎTRISER