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38, rue Rantheaume
BP 256, 89004 Auxerre Cedex
Tél. : 03 86 72 07 00/Fax : 03 86 52 53 26
ISBN = 978-2-36106-469-3
9782361064716
LES TROUBLES
DE L'ENFANT
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Sous la direction d’Héloïse Lhérété
et de Jean-François Marmion

Préface de
Boris Cyrulnik

La Petite Bibliothèque de Sciences Humaines


Une collection dirigée par Véronique Bedin
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PAR-DELÀ NATURE
ET CULTURE

T out trouble de l’enfant résulte d’une transaction entre ce


qu’il est, et ce qui est autour de lui. À partir d’un même
alphabet génétique, le milieu peut écrire mille romans différents.
Il existe très peu de gènes sous cloche. Le syndrome de
Lesch-Nyhan affecte les petits garçons qui, à cause du déficit de
plusieurs gènes, ne dégradent pas l’acide urique, lequel devient
un poison pour le cerveau : la moindre stimulation peut alors
déclencher une réaction agressive, violente, que rien ne peut
réfréner. Dans ce cas, le trouble du développement est fortement
endogène et très peu soumis à la pression du milieu. Mais un
tel modèle, où la composante génétique l’emporte à coup sûr,
est très rare : en presque 40 ans de pratique, je n’en ai vu qu’un
seul cas !
À l’inverse, et dans l’immense majorité des profils, si l’enfant
souffre d’une anomalie génétique, il présente certes une aptitude
à développer un trouble, mais cela n’exclut absolument pas la
pression de l’environnement : c’est ce que l’on appelle l’épige-
nèse. Prenons le syndrome de Down (trisomie 21) qui s’explique
par une anomalie chromosomique. En l’occurrence, l’environ-
nement joue un rôle important : quand j’étais étudiant, les tri-
somiques avaient une espérance de vie de 25 ans, sans scolarisa-
tion ni socialisation ; aujourd’hui, grâce aux progrès des prises en
charge, leur espérance de vie est montée à 65 ans, parfois plus,
un nombre croissant de personnes concernées va à l’école, et cer-
taines accèdent même à l’indépendance sociale. Avec l’autisme et
la schizophrénie, c’est tout un ensemble de gènes qui codent des
altérations du développement cérébral. Là encore, l’influence
du milieu n’est pourtant pas exclue : dans beaucoup de pays,
une prise en charge du langage permet un meilleur dévelop-
pement des enfants autistes ; et selon l’OMS, 1 % de la population
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Troubles de l'enfant : état des lieux
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devient schizophrène quelle que soit la culture, à l’exception des
populations en guerre ou en migration où le chiffre quadruple.
Même s’il est vrai que les déterminants génétiques existent, ils
n’excluent donc absolument pas les déterminants sociaux et
culturels.
Le façonnement par le milieu est d’ailleurs observable, par les
technologies actuelles, dès la 27e semaine de grossesse, même s’il
s’exerce probablement avant. S’ouvre alors ce que l’on qualifie
de « période d’interactions précoces » qui se poursuit jusqu’au
20e mois, lorsque tout bébé connaît l’explosion du langage et
que, quelle que soit sa culture, il apprend sa langue en dix mois,
sans école et sans livre, uniquement au contact, au corps-à-corps.
On observe schématiquement qu’à dix mois, environ deux
tiers des enfants ont acquis un attachement sécure grâce à des
interactions précoces de qualité (cet ordre de grandeur est à peu
près constant dans toutes les sociétés). Les autres enfants, que
l’on repère notamment parce qu’ils n’essaient pas de parler, déve-
loppent un attachement dit insécure : 20 % se caractérisent par
un attachement ambivalent (lorsque la figure d’attachement les a
laissés seuls, ils se jettent dans ses bras à son retour et la mordent
ou la frappent) ; 15 % manifestent un attachement évitant, dis-
tant, apparemment froid ; 5 % environ souffrent d’un attache-
ment confus, désorganisé (on ne comprend pas ces enfants, on
ne peut pas prédire leur comportement, on ne sait pas les lire).
Ces formes d’attachement dépendent de la qualité de la rela-
tion établie avec le caregiver, ou donneur de soins (en France
on fait systématiquement référence à « la mère », et, statistique-
ment c’est bien elle qui prodigue le plus de soins, mais, si elle est
défaillante pour diverses raisons, il peut s’agir d’une nounou, du
père ou de n’importe quelle autre personne).
Supposons alors qu’un enfant soit victime d’un événement
traumatique. Il peut s’agir d’une agression physique (l’enfant
est frappé ou secoué), ou émotionnelle (il est témoin de vio-
lences conjugales par exemple). Dans les faits, le cerveau peut
s’en trouver également délabré : car même si les coups et les mots
ne s’adressent pas à l’enfant, l’émotion est tellement forte qu’elle
déclenche une décharge de substances de stress qui peut altérer
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Préface
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ses structures cérébrales comme s’il avait été réellement battu ou
secoué lui-même. Or, à terme, un même événement traumatique
n’aura pas du tout le même impact sur un enfant suivant le type
d’attachement qu’il a pu développer. Lorsqu’un enfant bénéfi-
cie d’un attachement sécure, il supporte beaucoup mieux un
traumatisme. Son délabrement cérébral n’est que momentané.
Pierre Bustany, professeur de neurobiologie à Caen, ou encore
André Galinowski à l’Inserm, Jean-Luc Martinot à Orsay, David
Cohen à la Pitié-Salpêtrière (et mille autres !) ont montré que
lorsqu’il est frappé par un événement, un enfant sécurisé par son
milieu démarre une résilience neuronale dès la première ou deu-
xième nuit alors que celui qui a acquis une vulnérabilité neuro-
développementale sera profondément blessé.

Le rôle de l’école
En France, l’enfant est scolarisé à deux ou trois ans, ce qui
est très précoce par rapport à des pays d’Europe du Nord où
il doit attendre ses cinq, six, parfois sept ans. Suivant ses fac-
teurs acquis de protection ou de vulnérabilité, le premier jour
d’école est éprouvé différemment par chaque enfant. Ceux qui
ont acquis un attachement sécure le perçoivent comme un stress
amusant, une exploration intéressante du monde des choses et
des gens. Peut-être vont-ils avoir peur ou pleurer, mais ils vont
triompher tout de suite et leur développement va se poursuivre
de manière constructive : ils intégreront la population des futurs
bons élèves qui aiment l’école, auront beaucoup de copains et
établiront des rapports agréables avec l’enseignant. Un enfant
agréable à éduquer rend bon n’importe quel professeur qui va lui
parler gentiment, expliquer mieux, encourager.
Toutefois, n’oublions pas qu’un enfant sur trois va découvrir
l’école avec une fragilité neuro-développementale acquise. Chez
la majorité d’entre eux, leur premier jour de scolarisation pro-
voquera un petit choc traumatique qui va se manifester par de
l’énurésie, de l’encoprésie, un refus alimentaire, des angoisses,
des comportements anxieux, des agressions contre eux-mêmes
ou les autres. Eux vont devenir de futurs mauvais élèves ou souf-
frir de phobie scolaire. Ils s’isolent, et très souvent même, quand
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Troubles de l'enfant : état des lieux
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ils tisseront un début de lien, ils se montreront tellement intolé-
rants à la frustration qu’ils agresseront ceux qui les gênent. On
retrouve le schéma de l’attachement ambivalent.
Quelques-uns de ces enfants vulnérables se sentiront mieux
à l’école que chez eux, où on crie, où on les frappe, on les isole.
L’école va servir pour eux de facteur de résilience. Ils vont même
y trouver un tel bonheur qu’ils vont la surinvestir et devenir de
bons élèves, avant qu’ils ne s’effondrent parfois à l’adolescence,
l’âge où l’on se prépare à quitter sa famille. C’est souvent là que
se manifeste, pour eux aussi, la violence.

Pourquoi la violence ?
L’aptitude à la violence peut être acquise dans les premiers
mois de la vie lorsqu’un enfant a été isolé sensoriellement par
un malheur parental (et je parle de malheur pour éviter l’incul-
pation des mères, abusivement généralisée pendant des décen-
nies) : maladie ou mort de la mère, conflit conjugal, précarité
sociale, qui joue un grand rôle parce que les parents sont souvent
anxieux et absents, la priorité étant de trouver à manger et de
quoi se loger parfois pour le soir même. Certains enfants, de par
les malheurs frappant leur environnement, souffrent ainsi d’un
dysfonctionnement cérébral avec une multiplication par 8 ou
10 du volume de l’amygdale rhinencéphalique, socle neurolo-
gique des émotions intenses qui ne peuvent être freinées à cause
d’une atrophie des deux lobes préfrontaux (qui ont pour fonc-
tion ordinaire de réguler le comportement). L’enfant ne peut
alors apprendre à contrôler son angoisse, sa colère, son désespoir.
Bébé, élève puis adolescent, il réagit facilement à la moindre
information avec une violence comportementale ou verbale à
fonction défensive.
Outre ce versant neurologique, l’émotion est modulée par
deux autres régulateurs, la parole et la culture. Mais lorsque les
enfants ont été isolés socialement, ils ne disposent que d’un très
petit stock de mots. Ils passent à l’acte parce qu’ils ne savent
pas dire qu’ils sont malheureux ou frustrés, la parole ayant pré-
cocement une fonction affective bien plus qu’informative. Ou
ils s’inhibent complètement, ou ils explosent. Certaines cultures
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Préface
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organisent des lieux où l’on peut s’expliquer, se rencontrer, expri-
mer sa frustration, tandis que d’autres au contraire empêchent,
parfois interdisent, les lieux de parole, comme dans les régimes
totalitaires qui ne tolèrent pas la remise en question de la seule
vérité, qu’elle soit religieuse, idéologique ou scientifique.
Voilà donc les trois sources hétérogènes de la violence : neu-
rologique, verbale, socioculturelle. Lorsqu’un de ces trois fac-
teurs régulateurs de l’émotion n’est pas construit ni proposé par
l’environnement, la violence prend le relai.

Se résoudre à la complexité
On voit combien les troubles de l’enfant ne sont pas linéaires.
Ils sont résiliables dans tous les cas, même dans les premiers mois
de la vie, à condition de produire un système de compensation
en réparant la niche affective, maternelle, parentale, sociale, et
plus tard culturelle (quand l’enfant parlera). La résilience neu-
ronale est la plus facile à déclencher, ce qui paraît totalement
contre-intuitif. Et pourtant on l’observe par neuro-imagerie
comme dans les comportements, dans les paramètres biologiques
comme par des tests psychologiques, à toutes les étapes de reprise
d’un nouveau développement. Nos préjugés tendent à nous faire
croire que ce qui est neurologique est incurable, alors que c’est
exactement le contraire ! Il est beaucoup plus facile de réparer la
niche affective en cas d’altérations neurologiques, que de lutter
contre un préjugé culturel qui nécessitera des années de discus-
sions avec des philosophes, des psychologues, des artistes…
Il est indispensable de renoncer aux causalités simplistes du
type : « J’ai trouvé l’explication de la violence, c’est la société !
- Mais non, pas du tout, c’est la biologie ! » Dans certains quar-
tiers, des gosses déculturés sont violents parce qu’on ne leur a
pas appris les trois régulateurs de l’émotion. Au lieu de chercher
à les leur proposer, nous tenons un raisonnement en termes de
bouc émissaire : « C’est nous qui sommes coupables de votre vio-
lence, vous n’êtes coupables de rien ! » Ou au contraire : « Vous
êtes des monstres que nous devons punir ! » De tels arguments
tout trouvés empêchent de chercher la solution, qui ne peut être
qu’hétérogène. On ne peut pas tout apprendre, on ne peut pas
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Troubles de l'enfant : état des lieux
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être spécialiste en tout, alors il nous faut travailler en équipe
pluridisciplinaire, chacun ayant sa part de vérité et la proposant
aux autres. Mais en France, ce genre de débats est difficile : on
dégaine tout de suite. Il reste des progrès relationnels et culturels
à accomplir pour raisonner paisiblement ! Ce livre est donc le
bienvenu pour nourrir le dialogue entre spécialistes comme pour
informer le grand public.

Boris Cyrulnik
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TROUBLES DE L’ENFANT :
ÉTAT DES LIEUX

– Les principaux troubles chez l’enfant (Marc Olano)


– Les troubles de l’enfant en quatre questions clés (Héloïse Junier)
– L’examen psychologique de l’enfant, une pratique exigeante.
Rencontre avec Claire Meljac
– Les théories de l’attachement, d’hier à aujourd’hui
(Sarah Chiche)
– Hyperactivité : attention, souffrance ! (Marie-France Le Heuzey)
– Les 1001 « dys » (Héloïse Junier)
– La dyslexie, un cerveau à remodeler (Michel Habib)
– Quand le langage défaille (Michèle Mazeau)
– L’autisme : une affaire de spectre ? (Marc Olano)
– Autisme. Repères historiques (Jean-François Marmion)
– L’anorexie, de plus en plus précoce
(Rébecca Shankland et Christelle Prost-Lehmann)
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LES PRINCIPAUX TROUBLES
CHEZ L'ENFANT

I l existe différentes familles de troubles mentaux, catégori-


sées par des classifications internationales, cependant dia-
gnostiquer un enfant est un exercice délicat, qui passe par des
bilans spécifiques.

Les troubles anxieux


Les peurs diverses et variées (peur du noir, des chiens, des
inconnus…) sont relativement fréquentes chez l’enfant et ne
devraient pas inquiéter outre mesure les parents, tant qu’il s’agit
de peurs isolées et passagères. On parle de troubles anxieux
lorsque ces peurs ont des répercussions durables et quotidiennes
sur la vie de l’enfant. Les troubles anxieux toucheraient environ
5 % des enfants. Le trouble d’anxiété généralisé (Tag) concerne
des enfants qui s’inquiètent de façon excessive pour des situations
quotidiennes, comme être à l’heure à l’école, réussir un exercice,
ne pas oublier ses affaires… Ces peurs disproportionnées s’ac-
compagnent souvent de problèmes de sommeil, de difficultés de
mémorisation, de maux de ventre, de nausées, etc. Elles peuvent
dans certains cas évoluer vers un trouble obsessionnel compulsif
(Toc), dans lequel l’enfant va lutter contre cette angoisse en met-
tant en place des rituels compulsifs, comme le lavage répétitif
des mains, des classements incessants de son matériel scolaire ou
encore des comptages irrépressibles. Parmi les troubles anxieux il
y a également les phobies, comme la phobie sociale ou la phobie
scolaire, qui apparaissent plutôt à l’adolescence. Les thérapies
cognitives et comportementales sont souvent efficaces dans les
troubles anxieux, surtout pour ce qui concerne les phobies et
les Toc.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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Les troubles dépressifs
Beaucoup pensent que la dépression ne concerne que les
adultes. C’est faux. Il y aurait entre 0,5 et 3 % de dépressions
chez les enfants et entre 3 et 14 % chez les adolescents, selon les
estimations. Ces grands écarts viennent du fait que la dépression
est souvent difficile à détecter chez les enfants. Elle ne se mani-
feste pas forcément par une tristesse visible au grand jour, mais
plus souvent par des comportements d’évitement : refus d’aller à
l’école, retrait social, sentiment d’ennui, perte d’appétit, troubles
du sommeil… Il y a souvent chez ces enfants, d’un côté, un sen-
timent d’abattement, une perte d’estime de soi et, de l’autre, des
réactions de révolte et de colère qui peuvent se traduire par de
l’agressivité, des vols, mensonges répétés ou encore de l’hyperacti-
vité. Pour traiter la dépression, la HAS (Haute Autorité de santé)
préconise en première intention une psychothérapie de soutien. Si
les symptômes persistent ou s’aggravent, celle-ci peut être accom-
pagnée dans certains cas d’un traitement par antidépresseurs.

Les troubles de l’attention


Le trouble du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité
(TDA/H) est souvent évoqué pour les enfants qui n’arrivent pas
à tenir en place et qui ont de grosses difficultés de concentration.
Mais son diagnostic est controversé. Certains y voient plutôt un
symptôme de la dépression. Le TDA/H concernerait entre 3 et
5 % des enfants, dont trois fois plus de garçons que de filles.
Dans ce trouble, il y a deux volets.
• Le volet « inattention » : ces enfants ont du mal à soutenir
l’attention de façon continue, à s’organiser, oublient fréquem-
ment des choses, sont facilement distraits et ont tendance à évi-
ter les tâches qui demandent un trop gros effort mental.
• Le volet « hyperactivité » : ces enfants peuvent également
être très impulsifs. On parle alors d’un trouble du déficit d’at-
tention avec hyperactivité (TDA/H). Touche-à-tout, ils ont
tendance à se tortiller sans cesse, à grimper partout, à parler
sans arrêt… En général dotés d’une bonne intelligence, ils se
retrouvent néanmoins souvent en échec scolaire en raison de
leurs difficultés de concentration.

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Les principaux troubles chez l'enfant
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Dans certains cas, le traitement par méthylphénidate, plus
connu sous les noms commerciaux de Ritaline ou Concerta,
peut réduire l’instabilité de l’enfant et améliorer ses capaci-
tés d’apprentissages. Mais l’utilisation de ce psychostimulant
proche des amphétamines est sujette à caution, car ses effets à
long terme restent méconnus.

Les « dys »
Les troubles des apprentissages, plus connus sous l’appella-
tion « dys », semblent en grande partie d’origine neurologique.
Ils sont de plus en plus souvent diagnostiqués chez les enfants.
Ils seraient entre 6 et 8 % à souffrir au moins d’une « dys », voire
de plusieurs. Les plus évoquées sont la dyslexie (difficultés de
lecture) qui va souvent de pair avec la dysphasie (difficulté à
construire des phrases à l’oral). D’autres « dys » sont la dysgra-
phie (difficulté à écrire de façon lisible), la dyspraxie (difficulté
à coordonner des gestes précis, comme tracer un trait ou décou-
per) ou encore la dyscalculie (difficulté à associer un chiffre et la
quantité qui lui correspond). Ces troubles sont principalement
pris en charge par des rééducateurs : orthophonistes, psychomo-
triciens, ergothérapeutes ou orthoptistes (rééducation visuelle)
selon les cas.

La cyberaddiction
La cyberaddiction est-elle un trouble à part entière ? La ques-
tion divise. Certains pensent que c’est une réelle addiction, pour
d’autres il s’agirait plutôt d’un symptôme de la dépression, de
la phobie sociale ou du trouble de l’attention (TDA/H). Les
« cyberaddicts » ont un besoin excessif et irrépressible d’utili-
ser Internet. Certains affectionnent les jeux vidéo, d’autres les
réseaux sociaux, d’autres encore les contenus pornographiques.
La cyberaddiction apparaît surtout à l’adolescence, rarement
avant. Elle touche plus particulièrement les garçons, qui sont
notamment de gros consommateurs de jeux en ligne. Ces jeux
présentent des possibilités d’extensions sans fin et peuvent donc
s’étirer sur un laps de temps extrêmement long. L’enfant inte-
ragit avec d’autres joueurs qui se connectent en même temps

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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que lui. Comme dans l’addiction à un produit, le « cyberaddict »
va se couper progressivement de ses autres centres d’intérêt. On
parle d’addiction lorsque ce passe-temps envahit tout le quoti-
dien de l’enfant avec pour risque un décrochage scolaire, l’isole-
ment social et l’abandon de ses autres loisirs.

Les troubles des conduites


Les troubles des conduites (ou troubles du comportement)
apparaissent le plus souvent aux alentours de l’adolescence. Ce
sont des comportements volontaires de transgressions des règles
sociales établies : agressions envers des personnes ou des ani-
maux, destructions de biens matériels, vols, fugues, non-respect
des interdits parentaux. 3 à 9 % des adolescents, dont une majo-
rité de garçons, seraient concernés par ce type de trouble. Ces
enfants se caractérisent souvent par une faible tolérance à la frus-
tration, un manque d’empathie pour les autres et une absence de
culpabilité quant à leurs actes. Un univers familial défaillant ou
empreint de violence peut favoriser l’apparition de ce trouble.
Une forme atténuée est le trouble oppositionnel avec provo-
cation (Top) qui apparaît plus jeune. Ce sont des enfants en
opposition systématique avec l’adulte, susceptibles, vindicatifs
et rancuniers. Mais contrairement au trouble des conduites, ils
ne passent pas forcément à l’acte. Les enfants avec ce type de
troubles sont parfois orientés vers les instituts thérapeutiques
éducatifs et pédagogiques (Itep) où ils peuvent bénéficier d’une
prise en charge pluridisciplinaire (éducateurs, professeurs, psy-
chologues, rééducateurs,…).

Les troubles de l’attachement


Ce trouble repose sur la théorie de l’attachement de John
Bowlby, qui, même si elle bénéficie d’un large consensus, ne
fait pas l’unanimité au sein des chercheurs. Dans l’esprit de
J. Bowlby, un attachement insécure dans l’enfance lié à l’absence
des parents, des négligences ou maltraitances, peut avoir une
incidence durable sur ses relations futures. Dans le trouble
de l’attachement, l’enfant a du mal à établir des relations de

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Les principaux troubles chez l'enfant
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confiance avec les adultes. Le DSM-51 en distingue deux formes :
une forme « inhibée » dans laquelle l’enfant se montre plutôt en
retrait, triste et inconsolable lorsqu’il est en situation de détresse
et une forme « désinhibée » où l’enfant témoigne au contraire
d’une familiarité excessive avec des personnes qu’il ne connaît
pas.

La psychose infantile existe-t-elle ?


La psychanalyse distingue traditionnellement trois types de
structures psychiques : les psychoses, les névroses et les états
limites (entre les deux). Ce type de terminologie a tendance à
disparaître dans les nomenclatures actuelles. Dans la pensée ana-
lytique, la psychose se caractérise par de graves troubles relation-
nels et une perte de contact avec la réalité, ce qui peut se traduire
par des comportements « étranges », des hallucinations, un rai-
sonnement altéré et plus globalement une difficulté à communi-
quer. Des exemples classiques de psychose sont la schizophrénie
et la psychose maniaco-dépressive (troubles bipolaires). Ces
troubles sont très rares chez les enfants. Ils débutent en général
plutôt vers la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte.
Auparavant, la psychiatrie considérait l’autisme comme une
« psychose précoce », mettant ainsi l’accent sur un mode d’orga-
nisation psychique chez ces enfants dans lequel l’autre peine à
exister. Mais aujourd’hui, on utilise de moins en moins le terme
de psychose infantile, car trop connoté négativement. Rappe-
lons que les premières théories psychanalytiques impliquaient
fortement l’entourage familial et notamment la mère dans la
survenue de ce trouble. La dernière version de la CFTMEA2,
manuel psychiatrique français d’obédience psychanalytique, ne
parle d’ailleurs plus de « psychoses précoces » pour désigner l’au-
tisme, mais adopte le plus consensuel « troubles envahissants du
développement ».

1- Cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux publiée


par l’American Psychiatric Association (APA).
2- Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent.
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Troubles de l'enfant : état des lieux
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La déficience intellectuelle
On parle de déficience intellectuelle en dessous d’un quotient
intellectuel de 70. Elle est dite légère entre 50 et 70, moyenne
entre 35 et 50, sévère entre 20 et 34 et profonde en dessous.
La déficience légère concernerait entre 1 et 2 % des enfants,
les autres types sont beaucoup moins fréquents. La déficience
intellectuelle est un handicap pérenne. On estime le niveau de
QI stable tout au long de la vie. Avec une déficience légère, on
peut encore accéder aux apprentissages élémentaires, exercer un
travail et vivre de façon autonome. En dessous, la personne aura
besoin d’une aide ponctuelle, voire permanente, dans la gestion
de sa vie. La déficience peut être d’origine génétique (trisomie
21, syndrome de l’X fragile,…). Elle peut aussi être liée à un
problème survenu durant la grossesse (une forte consommation
d’alcool ou une infection par exemple), au moment de l’accou-
chement (manque d’oxygène, prématurité) ou bien après la nais-
sance (traumatisme crânien, noyade, asphyxie…).

Les troubles autistiques


Les « troubles du spectre autistique » (TSA), regroupent un
ensemble de troubles du développement qui ont en commun
deux facteurs : des troubles de la communication et des interac-
tions sociales (difficulté à échanger avec l’autre et à se mettre à sa
place) et des champs d’intérêts spécifiques et restreints (stéréoty-
pies, rituels…). 1 % des enfants seraient concernés par un TSA,
dont 4 fois plus de garçons que de filles. Le spectre autistique
englobe des enfants avec une déficience intellectuelle parfois
sévère, sans langage et une autonomie très limitée tout comme
des enfants dotés d’une bonne intelligence avec un bon niveau
de langage et des pics de compétences dans certains domaines
(les Asperger).

Marc Olano

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LES TROUBLES DE L'ENFANT
EN QUATRE QUESTIONS CLÉS

L es raisons qui conduisent les parents à pousser la porte


du cabinet d’un psy sont multiples, et varient au gré du
développement de leur enfant.

Quand consulter un psy ?


« Dans le cas du nourrisson, note Olivier Halimi, psycho-
logue clinicien en CMP enfants-adolescents, il s’agit souvent de
troubles fonctionnels liés au sommeil, à l’alimentation ou à la
propreté et dont les causes organiques ont été écartées par un
médecin. Ce n’est que dans un deuxième temps que la piste psy-
chologique nécessite d’être explorée. » Dans le sens où des diffi-
cultés peuvent émerger dès le début de la vie et que le psy œuvre
en équipe avec les parents, il n’y a pas d’âge minimum pour
consulter. La suspicion d’un retard de développement ou l’émer-
gence de signes autistiques méritent également une consultation.
L’entrée à l’école impulse un florilège de nouveaux motifs de
consultation dont l’intensité vient altérer le bien-être quotidien
de l’enfant : difficultés accrues à se séparer des parents, troubles
manifestes de l’attention et de la concentration, manifestations
marquées d’anxiété ou d’agressivité, mais aussi, plus tard, les
problématiques liées aux apprentissages dont la difficulté avérée
à lire, à écrire, ou à compter. Des mésaventures douloureuses de
harcèlement scolaire peuvent conduire chez le psy, en particu-
lier quand l’entrée au collège approche. Et à l’adolescence, des
difficultés sourdes (conformisme, repli sur soi, tristesse) ou plus
bruyantes (anorexie, boulimie, scarifications, toxicomanie) sont
à l’origine de demandes de rendez-vous. « Finalement, estime
O. Halimi, il est conseillé de rencontrer un spécialiste dès que
nous sentons l’enfant en souffrance, dès que quelque chose

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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devient difficile pour l’enfant lui-même ou pour son entou-
rage. D’ailleurs, que les parents n’hésitent pas à s’appuyer sur
les conseils et les observations des professionnels qui entourent
l’enfant ! Rappelons que ces derniers passent un temps considé-
rable avec l’enfant et qu’ils agissent en “personnes ressources” et
dans l’intérêt de l’enfant. »

Quelle place pour la famille ?


Selon l’époque et l’orientation du praticien, les parents ont
plus ou moins été inclus dans la prise en charge de leur enfant.
Aujourd’hui, la famille est mieux prise en compte. Elle occupe
une place centrale dans le quotidien de l’enfant, comme le sou-
ligne le psychiatre Patrick Juignet : « L’enfant n’est pas autonome,
il dépend d’un groupe social qui est constitué par la famille, les
enseignants et parfois les travailleurs sociaux. Il faut tenter de
nouer une relation neutre avec l’ensemble du groupe concerné1. »
Un point confirmé par Serge Kannas, également psychiatre :
« Tout être humain, patient ou pas, n’est pas seulement un sujet,
mais également une personne en lien avec sa famille qui l’in-
fluence et qu’il influence en retour. Lorsque la maladie s’en mêle
et qu’elle dure, elle exerce des effets sur le patient et son entourage,
et réciproquement, dans une spirale infernale et douloureuse2. »
O. Halimi rappelle qu’il est difficile d’ériger des principes géné-
raux, « tout dépend de l’enfant, de son histoire, de sa famille ».
Pour de nombreuses problématiques, les parents se révèlent être
des partenaires de soin incontournables, promus au rang de
cothérapeutes en herbe. Dans le cas de l’anorexie infantile, par
exemple, Solange CookDarzens, psychologue et thérapeute fami-
liale, rappelle que « l’immaturité motivationnelle et cognitive de
l’enfant limite inévitablement les possibilités d’alliance théra-
peutique (…). C’est donc avec les parents que l’alliance théra-
peutique va devoir se construire, tout du moins initialement3. »

1- P. Juignet, « Diagnostic en psychopathologie de l’enfant », Psychisme, 2014.


2- S. Kannas, « La place de la famille en psychiatrie », consultable sur le site de l’hôpital
Esquirol : www.hopital-esquirol.fr/xon/references/2795.pdf
3- S. Cook-Darensz, Approches familiales des troubles du comportement alimentaire de
l’enfant et de l’adolescent, Érès, 2014.
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Les troubles de l'enfant en quatre questions clés
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La thérapie familiale a réellement montré son efficacité pour ce
type de troubles. « Nous ne pouvons pas soigner les enfants sans
leurs parents. Comme je leur dis souvent, si on privilégie la thé-
rapie familiale, ce n’est pas pour désigner un coupable mais pour
réapprendre à faire manger leur enfant », complète la psychiatre
Marie-France Le Heuzey.

À qui s’adresser ?
Nombre de parents sont, à juste titre, désorientés face à la
multitude de professionnels de la psychologie. O. Halimi nous
propose un bref tour d’horizon pour les distinguer au mieux.
Le psychologue, formé théoriquement et en stages au minimum
cinq ans en psychologie et en psychopathologie à l’université, est
en mesure d’effectuer des entretiens à visée thérapeutique, des
psychothérapies, des remédiations pédagogiques ou cognitives
ainsi que des tests de personnalité, de développement ou d’in-
telligence. Le psychiatre est un médecin spécialiste, c’est-à-dire
qui a fait un « internat » dans ce secteur. Il pose un diagnostic
médical et prescrit des traitements médicamenteux si nécessaire.
Certains d’entre eux suivent des enfants en psychothérapie.
Seuls les psychologues, les psychanalystes inscrits dans des
sociétés de psychanalyse, et les psychiatres peuvent prétendre au
titre réglementé de psychothérapeute. Les autres professionnels
voulant faire usage de ce titre doivent justifier d’une formation
théorique et pratique. Enfin, rappelons que le psychopraticien
n’est souvent ni un psychiatre, ni un psychologue et qu’il ne
peut pas non plus faire usage du titre de psychothérapeute. « Le
parent doit s’assurer de la qualité et de la consistance de la for-
mation du professionnel », souligne O. Halimi. Compte tenu de
leurs spécificités, il est conseillé de consulter tel ou tel spécialiste
selon la problématique rencontrée par l’enfant. Si celle-ci relève
du champ de la pathologie ou des troubles du comportement
et nécessite un traitement médicamenteux, une consultation
chez un psychiatre ou un pédopsychiatre s’impose. S’il s’agit de
dénouer une problématique d’ordre relationnelle, affective ou en
lien avec ses apprentissages, ce serait plutôt vers un psychologue
qu’il faudrait se tourner.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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Une étude menée par la Dress4 indique que les trois quarts
des jeunes de moins de 20 ans nécessitant des soins en santé
mentale sont reçus par des psychologues. 11 % des consultants
de psychiatres ont moins de 20 ans, contre 14 % des consultants
de psychanalystes. Ceci dit, « le psychologue et le psychiatre
peuvent tout à fait avoir un rôle complémentaire auprès du jeune
patient », indique O. Halimi. Par exemple, il est fréquent qu’un
enfant souffrant de troubles de l’attention consulte un pédopsy-
chiatre qui lui délivrera un traitement, et un psychologue qui
lui proposera de mettre des mots sur ses difficultés dans le cadre
d’une psychothérapie. « Avant toute chose, je conseillerais aux
parents de consulter un praticien qui leur a été recommandé
par leur entourage relationnel ou par leur médecin. Sinon, il est
toujours possible de demander l’aide du médecin ou du psycho-
logue scolaire qui pourra orienter la famille. Il est trop hasardeux
de s’en remettre à un parfait inconnu pour évaluer les possibles
difficultés d’un enfant, l’aider ou l’orienter », insiste O. Halimi.

Combien ça coûte ?
Dans le secteur privé, le prix d’une séance tourne aux alen-
tours des 60 euros, avec de grandes variabilités selon le profil, la
région, la notoriété et l’expérience du praticien. S’il s’agit d’un
pédopsychiatre, l’assurance-maladie rembourse une partie de la
consultation (sur la base de 30,59 € si le praticien est en secteur
1 et 25,90  € s’il est en secteur 25). Dans le cas des centres de
santé, tel qu’un CMP (centre médico-psychologique) ou CMPP
(centre médico-psycho pédagogique), les consultations ne sont
pas payantes car les professionnels – psychologues et psychiatres
– sont rémunérés par les établissements, associations ou hôpi-
taux, dont ils dépendent. Quoi qu’il en soit, O. Halimi nous
rappelle que « consulter un spécialiste pour un enfant coûte
toujours quelque chose aux parents, ce peut être de l’argent, du
temps, mais aussi, évidemment, de l’inquiétude ».
Héloïse Junier
4- Dress (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), « Les
recours aux soins spécialisés en santé mentale », Études et résultats, n° 533, novembre
2006. http://drees.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er533.pdf
5- Tarifs 2017.
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L’EXAMEN PSYCHOLOGIQUE DE L’ENFANT,
UNE PRATIQUE EXIGEANTE
Rencontre avec Claire Meljac

La passation de tests et de bilans psychologiques est une pratique


incontournable pour tout psychologue pratiquant l’examen psycho-
logique et exerçant auprès d’enfants. Mais qu’est-ce qu’un « bon »
examen psychologique de l’enfant ?

En 2010, vous avez pris part à une conférence de consensus


sur l’examen psychologique et l’utilisation des mesures en psy-
chologie de l’enfant. Les pratiques existantes vous semblaient-
elles mauvaises ?
Je vois trop souvent, hélas, arriver en consultation des enfants
ayant déjà fait l’objet d’un examen qui ne me paraît pas satis-
faisant. Aujourd’hui, tout examen doit être suivi d’un compte
rendu écrit : c’est un progrès, en principe, mais ce compte rendu
– travail, il est vrai, très complexe – peut être mal compris par
les destinataires ! Récemment, des parents sont venus voir un
collègue pour lui présenter non pas un enfant mais… un papier.
Ils désiraient qu’il leur explique le papier rédigé par une autre
psychologue après l’examen de leur fils aîné : ils n’y avaient rien
compris ! Bien naturel : on ne voyait ni la question ni la réponse
et les trois quarts des pages étaient en fait… la copie pure et
simple des instructions des manuels d’application des tests ! Fort
aimable, mon collègue consacre du temps à reconstituer ce qui
s’était passé et à réaliser une synthèse sensée des résultats obte-
nus. Ravis, les parents s’en vont… et reviennent, un mois après,
avec un écrit tout aussi catastrophique émanant de la même psy-
chologue mais concernant leur cadet. Mon collègue était prié de
leur rendre le même service ! Cette fois, il a refusé. Bien évidem-
ment, c’est au praticien d’interpréter les résultats d’un examen

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qu’il a pratiqué ! Cette affaire cocasse illustre les errances de
parents démunis quand il s’agit de s’adresser à un psychologue !
Si j’ai participé à cette conférence de consensus, c’est pour
crier halte à la « wiscologisation », à la prolifération de préten-
dus « examens psychologiques de l’enfant » se limitant à un seul
test, souvent le WISC-IV, et depuis peu le WISC-V qui vient
de « sortir ». La série WISC est sur le marché la plus connue.
Le WISC1 est, certes, un très bon test de génération en généra-
tion… mais il ne peut, à lui seul, constituer le « bilan psycho-
logique » d’un enfant. Quant à ses résultats, ils ne veulent rien
dire pour un non-spécialiste tant qu’il n’est pas interprété. Pour
prendre un exemple banal : la radio d’une jambe cassée reste une
énigme pour le novice.

Mais s’il ne suffit pas, pourquoi des prescripteurs ne de-


mandent-ils que ce test ? Et pourquoi des psychologues s’en
contentent-ils ?
Les professionnels à l’origine de demandes d’examens –
médecins, enseignants… – ne savent pas, bien souvent, ce qu’ils
peuvent attendre d’un psychologue ; ils demandent un WISC car
ils en ont entendu parler. Les psychologues devraient certes refu-
ser de se limiter à cette opération, mais ils ne veulent pas courir le
risque de se fâcher avec les prescripteurs. Il faut bien avoir en tête
la démographie de la profession : au sortir de l’université, les étu-
diants en psychologie, bien trop nombreux, au vu des débouchés
de la profession, sont parfois bien formés à la connaissance des
techniques d’examen, mais très peu à leur application en situa-
tion réelle. En outre, comme les tests coûtent cher et même très
cher, un débutant ne peut en acquérir qu’un nombre limité – et
ainsi, certains n’appliquent-ils que le WISC… ou le Rorschach
(un autre test très connu) tout simplement parce qu’ils n’ont pas
d’autre choix !

1- Weschler intelligence scale for children. Échelle d’intelligence créée en 1949 par le psy-
chologue américain David Wechsler, s’adressant aux 5-16 ans. Sa quatrième édition fut
élaborée dans les années 1980 et la cinquième, qui a été en préparation très longtemps,
vient d’être publiée. Une nouvelle approche, l’UDN-III, est « en travail » depuis plu-
sieurs années.
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L’examen psychologique de l’enfant, une pratique exigeante
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Quant aux parents, si personne ne leur dit qu’un « examen
psychologique » (dont la passation n’a duré qu’une heure et n’a
coûté que cent euros) est insuffisant, ils trouveront que c’est bien
assez et même trop exigeant. Rappelons que, sauf au sein d’un
hôpital ou d’un centre officié, la passation des tests psycholo-
giques n’est pas remboursée.

Même s’il est limité, un bref examen ne vaut-il pas mieux que
rien ?
Je ne crois pas. S’il n’y a pas d’examen, on va continuer à
s’interroger sur cet enfant. S’il y a un examen, mais avec des
erreurs évidentes, des interprétations abusives ou imprudentes
sur tel ou tel test de personnalité, on risque de s’égarer sur une
fausse piste et de faire du tort à l’enfant.

Qu’est-ce qu’un bon examen psychologique de l’enfant ?


D’abord, on ne peut effectuer un tel examen sans une
demande claire ; si elle ne vient pas directement des parents, leur
accord est obligatoire. Il faut aussi que l’enfant demande, ou, au
moins, accepte l’examen lorsqu’il est en âge de le faire. Dans les
cas de refus évident, mieux vaut ne pas aller plus loin, au moins
pas immédiatement.
Si l’examen est possible, il convient de parler au responsable
de l’enfant, et de commencer par recueillir les données indis-
pensables. Les investigations du psychologue exigent souvent
deux à trois demi-journées, sans qu’on puisse être plus précis
au départ. Si un enfant vient consulter pour des difficultés sco-
laires, il est toujours intéressant de commencer par une épreuve
de niveau développemental. Nous retrouvons ici le WISC, dont
les résultats sont à compléter et moduler selon d’autres inves-
tigations. S’il se pose un problème scolaire, un test de niveau,
essentiellement en français et en mathématiques, est obligatoire.
J’ajoute une évaluation des structures du raisonnement, comme
on en trouve dans l’UDN-II dont je suis l’auteure, et un test de

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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perception et d’organisation, tel que la figure de Rey2 – et
d’autres tests, selon les résultats : la NEPSY II3, par exemple.
Dans les cas complexes, un test dit projectif s’impose : test de
Rorschach, phrases à compléter TAT et autres… Ce sont là d’in-
dispensables détecteurs de conflits internes et de troubles de la
personnalité parfois difficiles à repérer au cours d’une rencontre
forcément trop brève… même si elle exige plusieurs heures.
Une précision : il est hors de question de laisser l’enfant long-
temps seul devant sa feuille ! L’examinateur doit être présent et
observer l’attitude du sujet examiné : est-il concentré ou dis-
persé ? Hostile à l’examinateur ou soucieux de lui faire plaisir ?
Tout est important.
L’examen terminé, vient la cotation – les calculs permettant
de comparer les performances de l’enfant à celles, par exemple,
de son groupe d’âge –, puis le compte rendu. Le psychologue
doit d’abord informer oralement de ses résultats l’enfant qu’il a
examiné. Au cours d’une synthèse générale, il les communiquera
aux « demandeurs », les parents le plus souvent. Le compte rendu
écrit est maintenant considéré comme obligatoire. Il demande
beaucoup de temps : il faut être précis, clair, ne donner prise à
aucune erreur d’interprétation, et, surtout, rendre compte de la
situation en proposant des solutions, si possible, dans des termes
compréhensibles, vrais et respectueux.

Propos recueillis par Claudie Bert

2- Test de reproduction de mémoire d’une figure géométrique complexe, évaluant l’acti-


vité perceptive, graphomotrice, la mémoire de travail.
3- Batterie de tests permettant un bilan neuropsychologie de l’enfant (langage, mémoire,
attention, etc.).
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LES THÉORIES DE L’ATTACHEMENT,
D’HIER À AUJOURD’HUI

A u xxe siècle, les théoriciens de l’attachement ont révolu-


tionné l’idée que l’on se faisait du lien mère-enfant en
démontrant que les besoins fondamentaux du nouveau-né se
situent avant tout au niveau des contacts physiques. Depuis, des
progrès spectaculaires ont eu lieu dans l’approche neurobiolo-
gique de ce comportement. Ce qui nous lie aux autres serait aussi
la résultante d’interactions subtiles entre différents neurotrans-
metteurs et hormones.
Longtemps les mécanismes de l’attachement qui lie deux
adultes ou s’établit entre un enfant et la personne qui en prend
soin, sont restés cantonnés aux interprétations des écrivains et
des poètes. Soucieuse de ne pas nous laisser dans l’embarras, la
Science nous propose aujourd’hui quantité de réponses.

Le besoin d’affection est un besoin primaire


Scientifiques et psychologues ont commencé à s’intéres-
ser aux mécanismes de l’attachement dès le xixe siècle. Charles
Darwin, le premier, insistera sur le fait que l’attachement a un
avantage sélectif : s’entourer d’adultes protecteurs permet de lut-
ter plus efficacement contre les dangers de l’environnement. Psy-
chologues et psychiatres s’emparent ensuite de la question en se
focalisant sur l’existence et la nature des premiers liens qui s’éta-
blissent dans l’enfance. Dans ses Trois Essais sur la théorie sexuelle,
Freud fait de la poitrine de la mère le premier objet d’amour,
lequel ne se développe que parce que le bébé a besoin d’être
nourri et que la tétée lui procure un plaisir libidinal. Pour Freud,
l’excitation d’une zone érogène (la bouche du bébé qui tète) est
étroitement liée à la satisfaction du besoin de nourriture : on dit
que la pulsion sexuelle s’étaye sur ce besoin de nourriture.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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Or, dès les années 1930, tout un courant de pensée qui se
développe principalement en Grande-Bretagne suggère que le
besoin d’affection du jeune enfant est un besoin primaire, qui
n’est basé ni sur la faim ni sur aucune autre gratification phy-
sique. Ainsi que le résumera René Zazzo, pour Freud « c’est la
libido, la pulsion sexuelle qui graduellement conduit à l’amour,
l’amour qui enfin de compte n’est qu’un moyen pour atteindre
le plaisir. Dans la nouvelle perspective [celle de la théorie de
l’attachement], pour les animaux supérieurs et pour l’homme,
l’amour est originel, en deçà de la sexualité et c’est cet amour,
garant de confiance et de sécurité qui prépare à la sexualité, à
ses préludes, ses jeux, ses accomplissements, et aux amours d’un
nouvel ordre1. »
En 1935, dans The Origin of Love and Hate (L’Origine de
l’amour et de la haine)2, le psychologue du développement Ian
Suttie pose pour postulats que : l’amour qui lie une mère à
son enfant n’est pas sexuel ; un développement psychique sain
dépend de la façon dont s’opère la séparation avec la mère ; la
notion œdipienne de rivalité avec le père est une pure fiction,
l’enfant étant jaloux de toute personne qui s’interpose entre lui
et sa mère. À la même époque, le Canadien William Blatz insiste
sur le rôle fondamental des relations sociales pour le développe-
ment, suggère que le besoin de sécurité fait partie intégrante de
la personnalité, et aussi que le fait de s’appuyer sur les autres en
tant que socle de sécurité est un besoin normal3.
Ces théorisations puiseront abondamment dans certains
apports de la psychanalyse kleinienne et de l’école dite de la rela-
tion d’objet, qui soutiennent que dès le début de la vie, l’enfant
est en relation avec son environnement. Elles s’en distingueront
toutefois sur un point majeur : pour la psychanalyste Melanie
Klein et ses élèves, les réponses de l’enfant au début de la vie sont
dues aux fantasmes et à sa vie imaginaire plutôt qu’aux événe-
ments de la vie réelle.

1- R. Zazzo et. al., L’Attachement, Delachaux et Niestlé, 1979.


2- I. Suttie, The Origins of Love and Hate, Penguin, 1935.
3- M. Wright, « William Emet Blatz », in Gregory, Kimble, Wertheimer, Boneau. Por-
traits of pioneers in psychology, II, Laurence Erlbaum Associates, 1996.
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Les théories de l’attachement, d’hier à aujourd’hui
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Les observations du psychiatre et psychanalyste René Spitz
sur le développement psycho-affectif de nourrissons orphelins
ou de mères en prison, auront également une portée décisive sur
les théories de l’attachement. En 1946, Spitz publie les résultats
d’une étude sur une population de nourrissons âgés de plus de
6 mois, privés récemment de leur mère après six mois au moins
de bonnes relations avec elle, et qui n’ont pas trouvé auprès
de substituts maternels une relation satisfaisante. Il observe
qu’après une première phase de protestation et de désespoir,
au bout de quelques semaines, ces nourrissons deviennent apa-
thiques et indifférents à leur entourage, ne s’alimentent plus,
perdent du poids et dorment mal. Si on ne les met toujours pas
en présence de leur mère ou d’un substitut à même d’apporter
des soins et de la tendresse, le temps passant, ils ne grandissent
plus, leurs acquisitions motrices et intellectuelles régressent, et
ils deviennent plus sensibles aux infections – ce que Spitz appelle
« hospitalisme ». Si, en revanche, l’enfant retrouve sa mère ou
un substitut de bonne qualité, la dépression disparaît. Dans le
même temps, le psychanalyste Donald Winnicott insistera sur
la nécessaire existence d’une « préoccupation maternelle pri-
maire », ou état de disponibilité adaptatif dans lequel se met la
mère pour donner à son bébé les soins dont il a besoin pour se
développer.

Un bébé a besoin de contacts physiques


Mais c’est le psychiatre et psychanalyste John Bowlby qui
donnera toutes ses lettres de noblesse à la théorie de l’attache-
ment, en publiant en 1958 The Nature of the Child’s Tie to his
Mother (La nature du lien de l’enfant à sa mère). Lecteur des tra-
vaux de Spitz et de Winnicott, John Bowlby s’en servira dans sa
monographie de 1951, Maternal Care and Mental Health (Soins
maternels et santé mentale), où il souligne que « le nourrisson et
le jeune enfant doivent expérimenter une relation chaleureuse,
intime et continue avec sa mère (ou un substitut maternel per-
manent) dans laquelle les deux trouvent satisfaction et plaisir »
– l’absence de ce type de relation conduisant à des dommages

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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considérables sur la santé psychique de l’enfant. Bowlby enri-
chit sa théorie d’éléments provenant de l’anthropologie, de la
cybernétique, et même de l’éthologie (étude du comportement
des animaux).
Dès 1935, l’éthologue Konrad Lorenz avait observé des phé-
nomènes d’empreinte4 chez les oiseaux, un comportement mon-
trant qu’il pouvait y avoir lien sans sexualité et sexualité sans
lien. En 1958, dans un article intitulé « The Nature of Love »,
l’éthologue américain John Harlow, met en évidence le rôle tout
à fait secondaire de la nourriture dans le tissage des liens entre
mère et enfant. Rappelons cette célèbre expérience : on enlève
des singes nouveau-nés à leur mère pour les mettre en contact
avec des mères artificielles fabriquées avec des fils métalliques et
une tête de bois, et recouvertes de tissus pelucheux. À l’intérieur
de ces fausses mères, on place des biberons, avec des tétines en
caoutchouc, correctement inclinés pour que le bébé puisse s’ac-
crocher et téter. L’idée de génie de Harlow fut de fabriquer deux
types de « fausses mères » : l’une pourvue d’une peau en tissu à
poils doux mais ne distribuant pas de lait et l’autre, pour ainsi
dire « nue », en fils métalliques, mais distribuant du lait. Résul-
tats : si le bébé-singe se dirige d’abord vers la nourrice pourvue
de lait, il reste cependant la plupart du temps accroché à la nour-
rice revêtue d’un tissu à poils5.
Bowlby reprendra cette idée en soulignant que l’attachement
implique l’apprentissage par l’expérience durant une période
d’âge limitée, influencée par le comportement des adultes. S’il
est instinctif, l’attachement se nourrit aussi des effets de l’expé-
rience, l’enfant étant porté, dès son plus jeune âge, vers les interac-

4- En éthologie, l’empreinte se caractérise par la mise en place, définitive, d’un lien entre
un déclencheur extérieur (l’environnement) et un comportement instinctif. Cette mise
en place n’est pas commandée par un déterminisme biologique très spécifique (comme
un lien de parenté, une odeur) mais au contraire par des circonstances.
5- « Nous n’étions pas surpris, conclut Harlow, de découvrir que le contact joue un rôle
important dans les liens affectifs qui unissent la mère et l’enfant, mais nous ne pensions
pas qu’il l’emporterait aussi totalement sur le facteur nourriture. Il est certain que le
singe, aussi bien que l’homme, ne se nourrit pas exclusivement de lait. L’affection est un
sentiment qui ne peut se mettre en bouteille et nous pouvons être sûrs que la soif de ten-
dresse ne peut être étanchée par un biberon » (Cité par R. et D. Morris. Hommes et singes,
Stock) L’ouvrage où Harlow décrit ses expériences (1972) a pour titre Learning to Love.
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Les théories de l’attachement, d’hier à aujourd’hui
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tions sociales. Et les besoins fondamentaux d’un bébé se situent
au niveau des contacts physiques. Bowlby6 isole cinq conduites
innées d’attachement ou « patterns » qui se développent pendant
les deux premières années de la vie, et auxquelles la mère (qui
n’est pas nécessairement la mère biologique) ou tout autre subs-
titut adéquat doit répondre : la succion, l’étreinte, le cri, le sou-
rire, l’agrippement. Si ces interactions font défaut, l’attachement
ne se crée pas entre le bébé et sa mère. L’attachement réussi, la
réponse adéquate de l’entourage aux signaux de l’enfant, est le
socle sur lequel se construit le sentiment de confiance en soi et
de sécurité du bébé, qui lui permettra d’affronter les séparations
et les pertes qui jalonnent l’existence.

Comment donner à son enfant le sentiment de sécurité ?


En 1963, la psychologue Mary Ainsworth met au point l’ex-
périence dite de « situation étrange ». On active auprès d’enfants
âgés d’un an des comportements d’attachement, en induisant
une angoisse par le départ et le retour à plusieurs reprises du
parent (huit épisodes de trois minutes chacun). Les réactions
de l’enfant sont précisément cotées. Ces expériences, certes cri-
tiquées (mais comment peut-on soumettre à de telles angoisses
de pauvres bébés ?) ont permis toutefois de dégager trois types
d’attachement : un attachement anxieux-évitant (l’enfant ne
semble affecté ni par le départ du parent ni par son retour) ; un
attachement sécurisé ou secure (protestation au départ du parent
et soulagement à son retour avec recherche de proximité) ; un
attachement anxieux-résistant ou ambivalent (anxiété de l’en-
fant à la séparation et comportement à la fois de rapprochement
et de rejet au retour). Selon Ainsworth, les proportions des trois
catégories sont à peu près toujours similaires : 22 % d’enfants
anxieux-évitants (A), 66 % d’enfants sécurisés (B), et 12 % d’en-
fants anxieux résistants (C). Il existerait des facteurs prédisposant
aux comportements plutôt sécurisés ou anxieux : un parent apte à
percevoir, interpréter et répondre de façon adéquate aux signaux

6- À la suite des articles préliminaires de 1958, Bowlby a exposé la théorie de l’attache-


ment dans l’ouvrage en trois volumes Attachement et perte (1969-1982 pour l’édition
originale, 1978-1984 pour l’édition française).
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Troubles de l'enfant : état des lieux
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et demandes de son enfant favoriserait l’attachement sécuri-
sant. Un parent qui rejette ou ne comprend pas les demandes
de son enfant, y répond de façon inappropriée ou décalée, voire
répugne à lui prodiguer des soins et de la tendresse, favoriserait
l’attachement anxieux. Plus tard, un enfant sécurisé se montrera
sociable et empathique, et bénéficiera d’une bonne estime de soi.
Inversement, un enfant ayant souffert d’un attachement anxieux
manifestera du retrait social, des plaintes somatiques, voire des
comportements oppositionnels et agressifs7.

Essaimage, controverses et limites


On l’a dit, certains reprocheront aux théoriciens de l’attache-
ment, Bowlby en tête, de faire de la théorie freudienne faisant
du nourrissage et de l’oralité les bases de la relation mère-enfant
et de la construction de l’appareil psychique. L’importance que
Bowlby accorde à la précocité des angoisses de séparation sera
également l’objet de critiques : Melanie Klein lui objectera que
les récits de patients sur leur vécu relationnel infantile relèvent
du fantasme et non de la réalité. Anna Freud, quant à elle, insis-
tera sur le fait que, selon elle, un bébé ne peut souffrir de la
séparation d’un proche, pour la simple et bonne raison que ses
structures psychiques ne sont pas encore suffisamment élaborées
pour vivre un deuil. D’autres critiques viendront des féministes :
elles accuseront Bowlby de préconiser un retour des femmes au
foyer. Pour autant, dans la théorie de Bowlby, il n’est jamais dit
explicitement que seule la mère doit assumer à temps plein le
rôle de figure d’attachement. Il existe quantité d’autres figures
qui peuvent jouer un rôle similaire pour le bon développement
de l’enfant (un père, une nounou, un membre de la famille, un
éducateur…). De nombreuses études ultérieures – citons, pour
les plus populaires d’entre eux, les travaux de Boris Cyrulnik
– insisteront sur le fait que l’existence de plusieurs lieux d’atta-
chement peut être un facteur de résilience. Si l’enfant ne tire pas
7- Le travail d’Ainsworth aux États-Unis attira de nombreux universitaires dans ce
domaine. Des recherches ultérieures menées par Mary Main et ses collègues de l’Uni-
versité de Californie à Berkeley ont permis d’identifier un quatrième schème d’atta-
chement, appelé attachement désorganisé/désorienté. Ce terme reflète le défaut, pour
certains enfants, d’une stratégie cohérente de réponse aux situations stressantes (coping).
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Les théories de l’attachement, d’hier à aujourd’hui
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les bonnes cartes au départ, la bonne rencontre avec une autre
figure d’attachement pourra lui fournir les bases d’un lien sécu-
risant. On s’interrogera également sur la notion d’universalité
du concept : peut-on retrouver les trois schèmes de base (secure,
évitant, ambivalent) dans des cultures où le rapport à la famille
et à la communauté est différent des valeurs occidentales ? Plu-
sieurs études conduites au Japon, où la fidélité à la famille et au
supérieur hiérarchique est envisagée sous un angle très particu-
lier, conclurent à l’universalité de cette théorie8.
Expérimenter un attachement évitant dans son enfance fait-il
un destin ? Dans les années 1990, d’autres auteurs comme Steven
Pinker ou Jerome Kagan proposèrent un remaniement complet
de cette théorie. Si le premier met en avant l’idée que l’influence
des parents a été très exagérée, le second fait valoir que l’héré-
dité aurait une influence plus profonde que les effets transitoires
d’un environnement néfaste. En d’autres termes : un enfant doté
d’un tempérament naturellement colérique ne susciterait que
peu de réactions positives chez l’adulte chargé d’en prendre soin.
On retrouve même un trouble réactionnel de l’attachement
(en anglais reactive attachment disorder, RAD) dans le DSM-IV,
caractérisé par des relations de parenté fortement perturbées et
s’exprimant de façon inappropriée dans la plupart des contextes,
à partir de l’âge de 5 ans, associé à des soins manifestement
pathologiques. Ces débats houleux sur le primat de l’inné ou de
l’acquis ont engendré quantité de recherches.

Quand la souris accouche d’une montagne


Or, depuis quelques années, les théories de l’attachement se
doublent d’explications neurobiologiques très précises. Deux
peptides, la vasopressine et l’ocytocine, fonctionnant à la fois
comme hormones et comme neurotransmetteurs, seraient par-
ticulièrement impliqués dans la création et le maintien des liens
d’attachement. Tous deux agissent sur deux systèmes essentiels
dans l’évolution des espèces : les circuits amygdalien et hippo-

8- Voir notamment : M.H. Van Ijzendoorn, A. Sagi-Schwartz, « Cross-Cultural Patterns


of Attachment ; Universal and Contextual Dimensions », in Cassidy, Shaver. Handbook
of Attachment : eory, Research and Clinical Applications, Guilford Press. 2008.
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campique impliqués dans le stress, et le circuit mésolimbique
dopaminergique du plaisir et de la récompense.
La clé du mystère des liens qui lient deux êtres se trouve-
rait peut-être dans le mode de fonctionnement du campagnol
des plaines du Middle West, guère plus gros qu’une souris, et
réputé pour sa monogamie. On ne compte plus les études qui
démontrent que chez ce sympathique rongeur, qui a d’emblée
toute notre estime et notre admiration, la fidélité est due non pas
à des principes éthiques ou religieux, mais à l’action d’un neuro-
transmetteur dans une aire précise du cerveau. Chez la femelle,
l’ocytocine, connue pour être libérée massivement au moment
de l’accouchement chez les êtres humains et de nombreuses
espèces animales, prolifère dans le noyau accumbens et garantit
son comportement maternel. En outre, l’attachement du mâle
pour ses enfants dépendrait de l’expression de la vasopressine
dans l’amygdale médiane. Mais peut-on en dire de même chez
l’humain ?
Une équipe de chercheurs de l’University College de Londres
a comparé les aires du cerveau humain impliqué dans l’amour
passion et l’amour maternel, avec, dans le rôle des cobayes invi-
tés à aller faire un tour dans un caisson d’imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle (IRMf ), des jeunes (moyenne d’âge :
23 ans) vivant un grand amour depuis un peu plus de deux ans,
et des mères d’enfants de 9 mois à 6 ans, auxquels on a montré
des photos de l’objet d’amour le (bébé ou l’amoureux(se)). Pre-
mière observation : il y a relativement peu de différences entre
les aires activées par l’amour passion et l’amour maternel. Tou-
tefois le gyrus denté de l’hippocampe, riche en récepteurs de
la vasopressine, serait très activé chez les amoureux, mais pas
chez les mères ; et on constate chez les mères (mais pas chez les
amoureux) une suractivation de la substance grise périaquedu-
cale – laquelle joue un rôle dans l’inhibition de la douleur lors
de l’accouchement. De plus, des études montrent que, chez le
rat, la désactivation de cette aire supprime tout bonnement tout
comportement maternel.

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Les théories de l’attachement, d’hier à aujourd’hui
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L’ocytocine, nouveau remède miracle ?
Or, ces hormones de l’attachement seraient également des
hormones anti-stress. Ainsi, toujours chez notre ami campagnol,
le stress induit, ou une injection de corticostérone (l’hormone
du stress synthétisée par les surrénales), facilite chez le mâle la
formation de liens avec une femelle. Or, chez la femelle, c’est
exactement le contraire : le même traitement inhibe la forma-
tion d’une préférence de partenaire. Conclusion : le stress et
les corticoïdes auraient des effets diamétralement opposés sur
l’attachement selon le sexe. Par ailleurs, chez ce rongeur, mâle ou
femelle, que l’on supplémente artificiellement en ocytocine, on
observe le même effet qu’une cohabitation réussie : la sécrétion
de l’hormone du stress diminue. Et, sans surprise, des ratons
séparés de leur mère se calment immédiatement si on leur injecte
de l’ocytocine.
Depuis quelques années, plusieurs recherches font état de
relations entre de faibles taux d’ocytocine et l’autisme. L’équipe
d’Angela Sirigu du Centre de neuroscience cognitive à Lyon
a récemment fait l’hypothèse qu’une déficience de cette hor-
mone pourrait être impliquée dans les problèmes sociaux des
autistes. En collaboration avec le Dr Marion Leboyer de l’Hôpi-
tal Chenevier, à Créteil, l’équipe a examiné si l’administration de
l’ocytocine pouvait améliorer le comportement social de treize
patients souffrant d’autisme de haut niveau (HFA) ou du syn-
drome d’Asperger (SA). Les résultats de ces tests montrent donc
que l’administration d’ocytocine permet aux patients autistes de
s’adapter au contexte social en identifiant des comportements
différents parmi les membres de l’entourage, et d’agir en consé-
quence en montrant plus de confiance envers les individus les
plus coopérants9.

Sarah Chiche

9- E. Andari, J-R. Duhamel, T. Zalla, E. Herbecht, M. Leboyer, A Sirigu, Promoting social


behavior with oxytocin in high-functioning autism spectrum disorders, PNAS, In press, 2010.
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L’attachement : quelques repères
Darwin, Freud, Klein : premières fondations
Scientifiques et psychologues ont commencé à s’intéresser aux
mécanismes de l’attachement dès le xixe siècle. Charles Darwin, le premier,
insistera sur le fait que l’attachement a un avantage sélectif : s’entourer
d’adultes protecteurs permet de lutter plus efficacement contre les dangers
de l’environnement.
La psychanalyse voit l’attachement comme le résultat de la pulsion
sexuelle. Sigmund Freud, dans ses Trois Essais sur la théorie sexuelle, fait de
la poitrine de la mère le premier objet d’amour, lequel ne se développe que
parce que le bébé a besoin d’être nourri et que la tétée lui procure un plaisir
libidinal. La pulsion sexuelle s’étaye sur ce besoin de nourriture.
Melanie Klein (1882-1960), spécialiste de la psychanalyse infantile
et cofondatrice de l’école dite de la relation d’objet, soutient que dès le
début de la vie, l’enfant est en relation avec son environnement. Mais pour
M. Klein et ses disciples de la psychanalyse infantile, les réponses de l’enfant
au début de la vie sont dues aux fantasmes et à sa vie imaginaire plutôt
qu’aux événements de la vie réelle.

René Spitz et l’hospitalisme


Les observations du psychiatre et psychanalyste René Spitz (1887-
1974) sur le développement psychoaffectif de nourrissons orphelins ou de
mères en prison ont eu une portée décisive sur les théories de l’attachement.
En 1946, R. Spitz publie les résultats d’une étude sur une population
de nourrissons âgés de plus de 6 mois, privés récemment de leurs mères
après six mois au moins de bonnes relations avec elles, et qui n’ont pas
trouvé auprès de substituts maternels une relation satisfaisante. Il observe
qu’après une première phase de protestation et de désespoir, ces nourrissons
deviennent apathiques et indifférents à leur entourage, ne s’alimentent
plus, perdent du poids et dorment mal. Si on ne les met toujours pas en
présence de leur mère ou d’un substitut à même d’apporter des soins et
de la tendresse, le temps passant, ils ne grandissent plus, leurs acquisitions
motrices et intellectuelles régressent, et ils deviennent plus sensibles aux
infections – ce que Spitz appelle « hospitalisme ».

Winnicott et l’invention du doudou


« Cette chose que l’on appelle un nourrisson n’existe pas », déclare
Donald W. Winnicott (1896-1971) pour souligner le caractère d’abord
indissociable de la dyade mère/enfant. Ce psychanalyste insiste sur
l’importance de l’environnement pour le développement du psychisme
infantile : peu à peu, le nourrisson, prenant conscience de la différence entre
le monde et lui-même, éprouve des pulsions pour ce qui l’entoure. On dit

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qu’il contracte des « relations d’objet », la principale étant relative à la mère.
Dans l’idéal, celle-ci doit instaurer spontanément une relation sécurisante
mais perméable, facilitant l’indépendance progressive de l’enfant. Lui, armé
de son doudou (le fameux « objet transitionnel ») se substituant à la mère,
serait libre alors de mener à bien l’exploration du monde extérieur dans des
conditions satisfaisantes.

Mary Ainsworth : les qualités de l’attachement


En 1963, la psychologue Mary Ainsworth met au point l’expérience
dite de « situation étrange », ensemble de situations expérimentales pour
définir trois types d’attachement :
• un attachement anxieux-évitant (l’enfant ne semble affecté ni par le
départ du parent, ni par son retour) ;
• un attachement sécurisé ou sécure (protestation au départ du parent
et soulagement à son retour avec recherche de proximité) ;
• un attachement anxieux-résistant ou ambivalent (anxiété de l’enfant
à la séparation et comportement à la fois de rapprochement et de rejet au
retour).
Un parent apte à percevoir, interpréter et répondre de façon adéquate
aux signaux et demandes de son enfant favoriserait l’attachement sécurisant.
Un parent qui rejette ou ne comprend pas les demandes de son enfant et
y répond de façon inappropriée favoriserait l’attachement anxieux. Plus
tard, un enfant sécurisé se montrera sociable et empathique, et bénéficiera
d’une bonne estime de soi. Inversement, un enfant ayant souffert d’un
attachement anxieux manifestera du retrait social, voire des comportements
oppositionnels et agressifs. Des recherches ultérieures menées par Mary
Main et ses collègues de l’université de Californie à Berkeley ont permis
d’identifier un quatrième schème d’attachement, appelé attachement
désorganisé/désorienté. Ce terme reflète le défaut, pour certains enfants,
d’une stratégie cohérente de réponse aux situations stressantes.

Une théorie toujours en débat


Les débats sur l’attachement ont engendré quantité de recherches.
Citons notamment les English and Romanian adoptees study teams
conduites par Michael Rutter au lendemain de la chute du régime roumain
de Nicolae Ceausescu.
En suivant la destinée de plusieurs milliers d’orphelins roumains
adoptés par des Occidentaux, à faire le tri entre ce qui relevait du défaut
d’attachement, des problèmes posés par l’adoption, de la mise en place
de nouvelles relations sociales, des problèmes physiologiques dues aux
carences alimentaires, etc., les chercheurs constatèrent que beaucoup de
petits orphelins connurent par la suite un développement correct. Certes,
on releva un taux très important de schèmes d’attachement insécure

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chez les enfants adoptés tard, comparé aux enfants nés dans leur famille
définitive ou ayant été adoptés très tôt. Néanmoins, 70 % des enfants
adoptés tardivement ne montrèrent pas de désordre marqué ou sévère du
comportement d’attachement.

S. C.

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HYPERACTIVITÉ :
ATTENTION, SOUFFRANCE !

P armi les troubles psychologiques, peu suscitent autant


de passions que l’hyperactivité, en particulier en France.
S’agit-il d’une « fausse maladie mentale » ? Ou d’un trouble neu-
rodéveloppemental caractérisé, nécessitant une prise en charge
thérapeutique ? La Haute Autorité de santé a aujourd’hui tran-
ché ce débat en publiant, en 2014, une recommandation de
bonne pratique actant la reconnaissance du trouble de déficit
de l’attention, avec ou sans hyperactivité (TDA/H). Elle décrit
la conduite à tenir en médecine de premier recours devant un
enfant ou un adolescent susceptible d’avoir un TDA/H. Depuis
2013, la 5e édition du DSM (Manuel statistique et diagnostique
des troubles mentaux) propose les mêmes critères diagnostiques
pour définir le trouble à tous les âges de la vie, enfance, ado-
lescence, âge adulte.

Trois catégories de symptômes


L’enfant souffrant de TDA/H, souvent appelé hyperactif, est
en fait un enfant présentant trois catégories de symptômes.
• Des troubles attentionnels : l’enfant paraît dans la lune, ou
dans sa bulle. Les parents se plaignent de devoir lui répéter dix
fois la même consigne ; les enseignants soulignent son manque
de concentration, ses fautes d’étourderie, ses oublis de maté-
riel. Il a des difficultés pour organiser ses tâches et planifier ses
activités.
• Une impulsivité : l’enfant répond vite, trop vite aux solli-
citations, sans attendre la fin des instructions. Il va au plus vite.
On lui reproche de « bâcler ». Il paraît mal élevé car il ne sup-
porte pas d’attendre son tour, il interrompt les adultes ; en classe
il prend la parole avant même qu’on l’interroge.

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• Une hyperactivité motrice : « il bouge tout le temps », « il
paraît monté sur un ressort », il parle trop, il tripote toujours
quelque chose, il fait tomber son matériel, etc.
La forme mixte, avec les tous ces symptômes, est la plus fré-
quente chez l’enfant, mais on connaît aussi des formes à hyper-
activité/impulsivité prédominante, et surtout des formes à
inattention prédominante. Dans ce cas, nous avons affaire à des
enfants hyperactifs qui « ne bougent pas », mais se caractérisent
par leurs difficultés à rester concentrés.
L’enfant TDA/H souffre souvent d’une labilité émotionnelle
et de fluctuations du rendement, qui font souvent dire de lui
qu’il peut bien faire lorsqu’il le veut bien. Or, sa volonté ne suffit
pas : c’est un enfant en souffrance car il a du mal à inhiber son
impulsivité et il se fait beaucoup réprimander.
La reconnaissance d’un TDA/H chez un enfant repose donc
sur un diagnostic médical, avec l’évaluation des symptômes, leur
expression dans plusieurs environnements (famille, école, acti-
vités extrascolaires), leur retentissement sur la vie quotidienne.
Ce diagnostic, souvent étayé par des tests neuropsychologiques
spécifiques, reste difficile à poser chez les enfants de moins de
6 ans. À l’école maternelle, en effet, l’agitation, l’impulsivité et
le manque d’attention d’un enfant peuvent être transitoires ou
correspondre seulement à un tempérament difficile. Le TDA/H
est également difficile à repérer chez les adolescents. L’hyper-
activité motrice a en effet tendance à s’atténuer, ses manifesta-
tions changent : l’adolescent TDA/H a notamment tendance à
développer une grande vulnérabilité aux conduites à risque. Il
est, plus qu’un autre, sujet au tabagisme précoce, à la consom-
mation d’alcool et/ou de substances, et aux conduites d’infrac-
tion des règles sociales.

Quelle prise en charge ?


Dans tous les cas, la prise en charge doit être double : psycho-
éducative et scolaire. La psycho-éducation passe par l’informa-
tion et la formation des parents pour augmenter leurs compé-
tences parentales. Elle peut se faire sous forme de consultations
ou de programmes spécifiques, tels que les groupes de Barkley

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Hyperactivité : attention, souffrance !
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où, sur une dizaine de séances de deux heures, les parents
apprennent des techniques concrètes pour la gestion de la vie
quotidienne, les devoirs, les sorties. Côté école, les enseignants
sont invités à tenir compte des troubles attentionnels de l’enfant,
et donc de le placer proche du tableau et de l’enseignant, de
raccourcir les exercices, de donner du temps supplémentaire, de
faire des programmes de renforcements positifs, etc.
On peut adjoindre à ces pratiques des thérapeutiques spéci-
fiques, médicamenteuses ou non. En France, le méthylphénidate
est à ce jour le seul médicament indiqué dans le TDA/H (à par-
tir de 6 ans). C’est un psychostimulant dont l’efficacité sur les
symptômes de déficit attentionnel, d’hyperactivité et d’impul-
sivité a été mise en évidence depuis plus de soixante ans chez
les enfants de 7 à 12 ans. En pharmacie, il porte des noms de
spécialités variées ; les différences tiennent essentiellement dans
les durées d’action, et donc dans la nécessité ou non de prendre
plusieurs prises par jour.
Il peut être prescrit chez l’adolescent en prenant garde qu’il
n’y ait pas de « mésusage ». Il est en effet connu pour ses effets
« dopants » et peut être absorbé abusivement par des jeunes en
quête de sensations fortes.
Du côté des thérapies non médicamenteuses, la rééduca-
tion (orthophonie, psychomotricité…) aide à rééduquer les
troubles des apprentissages mais aussi les capacités attention-
nelles. Des praticiens, souvent neuropsychologues, proposent
aussi des techniques dites de « remédiation cognitive » : entraî-
nement de la mémoire de travail, apprentissage de nouvelles
stratégies cognitives, etc. Ces techniques utilisent générale-
ment des supports informatisés. Certaines équipes proposent
aussi des remédiations cognitives par le biais de jeux vidéo ou
de classes virtuelles.
Le neurofeed-back est une technique de réentraînement
cognitif où l’enfant apprend à moduler son activité cérébrale en
observant les modifications de celle-ci sur une tablette, lors de
séances à domicile, avec un monitoring médical à distance. Une
recherche européenne est en cours actuellement pour évaluer
l’un de ces dispositifs.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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En tout état de cause, il est aujourd’hui admis que l’enfant
TDA/H est un enfant dont il faut prendre en compte la souf-
france tant dans le milieu scolaire que familial. Ce n’est ni un
enfant mal élevé ni un simple « trublion ». La mise au point de
thérapeutiques non médicamenteuses est le principal objectif
actuel.

Marie-France Le Heuzey

Modérer les écrans


Les enfants TDA/H sont très friands de jeux vidéo où ils obtiennent les
satisfactions dont ils sont privés à l’école. Il ne faut pas nécessairement s’en
inquiéter. Des chercheurs ont montré l’effet positif de certains jeux sur les
capacités attentionnelles visuospatiales et sur l’apprentissage de nouvelles
stratégies. La persévérance est aussi encouragée, grâce à l’immédiateté des
récompenses en cas de réussite.
Toutefois, la consommation de jeux vidéo doit être contrôlée, en
quantité (pour qu’elle n’empiète pas sur le sommeil et les autres activités),
et en qualité (ne pas autoriser les jeux destinés aux adultes). La télévision en
zappant est en revanche déconseillée car le zapping contribue à fragmenter
l’attention.

M.-F. L.H.

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LES 1001 « DYS »

D ysphasie, dyscalculie, dysorthographie, dyspraxie…


Autant de diagnostics qui jalonnent, depuis une bonne
dizaine d’années, tant le secteur médical que l’univers de l’édu-
cation. Si ces trois lettres sont bien connues des enseignants, des
médecins et psychologues scolaires, des associations de familles,
leur histoire, quant à elle, l’est beaucoup moins…

En finir avec la virginité du cerveau


Tout a commencé par le commencement : le nouveau-né.
Sans doute vous souvenez-vous qu’auparavant, nous pensions
que les fonctions cognitives du bébé étaient nulles à la nais-
sance, que son cerveau était vierge. Après quoi, ses expériences
allaient construire petit à petit ses capacités intellectuelles. Ce
qu’on appelle la théorie du « constructivisme ». On estimait
qu’il existait une rupture nette entre le cerveau du bébé et
celui de l’adulte qui, lui, faisait l’objet de nombreuses études :
« Historiquement, à partir du xixe siècle et tout au long du xxe,
toute une discipline qui consistait à étudier le cerveau adulte et
les lésions très focalisées a émergé. On progressait énormément
dans la compréhension du cerveau adulte, mais toujours pas
dans celle du bébé. On ne voyait que ce qu’il ne savait pas faire,
et non ce qu’il savait fort bien faire ! », souligne Michèle Mazeau,
médecin, spécialiste en neuropsychologie infantile, auteur de
nombreux ouvrages sur les troubles des apprentissages. Dès lors,
les spécialistes ne pouvaient que constater une évolution, une
chronologie.
Dans les années 1980, le vent tourne. Grâce aux progrès des
neurosciences, les chercheurs parviennent à trouver des manières
de tester les nouveau-nés et ainsi d’explorer leurs capacités. Ils
peuvent enfin voir ce qu’ils ont dans le ventre. Ou plutôt dans

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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la tête. C’est ainsi qu’ils réussissent à identifier des compétences
précoces, jusque-là insoupçonnées, et à changer la face du monde
de la neuropsychologie ! La première pierre est posée.
Ces découvertes sur les compétences précoces des nourris-
sons ont alors véritablement révolutionné la neuropsychologie
et créé un domaine d’expertise et de recherche encore inédit :
la neuropsychologie infantile. Pour marquer le coup, en 1985,
Jacques Melher écrit Naître humain, un premier livre à destina-
tion du grand public, dans lequel il synthétise toutes les décou-
vertes faites à partir des années 1970 sur la cognition et les capa-
cités du nouveau-né. Une référence en la matière. C’est donc le
scoop de l’époque : non, le bébé ne naît pas avec un cerveau tout
vide, tout vierge. Celui-ci, préprogrammé, lui permet d’arriver
au monde avec des capacités. Mais attention, pas des capacités
globales, mais spécifiques.
Pour faire simple, dites-vous que le tout-petit débarque à la
maternité déjà muni de petites « boîtes à outils », discrètement
loties dans son cerveau, spécialisées pour le langage ou la
mémoire par exemple. C’est là que les « dys » entrent en scène.
Car un « dys » est finalement l’altération d’une de ces petites
boîtes à outils cérébrales, alors que les autres, elles, se portent
bien. Un point que Michèle Mazeau explique : « À partir de ces
découvertes, nous avons pu conceptualiser quelque chose de
bien connu : le fait que certains enfants puissent souffrir d’un
dysfonctionnement dans un réseau spécifique de neurones, sans
que ce dysfonctionnement n’altère les autres. En d’autres termes,
disons que les "dys" sont une anomalie, une atypie, un dysfonc-
tionnement électif spécifique d’une des petites boîtes à outils
dont le bébé est équipé. Ainsi, chacune de ces boîtes à outils peut
donner lieu à un "dys" : d’où cette impression que l’on n’arrête
pas d’en inventer ! »

Un « dys » après l’autre…


Une fois que la communauté des spécialistes a fait ce constat
révolutionnaire, la galaxie des « dys » est à l’aube de sa création.
Michèle Mazeau revient sur cette étape-clé : « Pour dénommer
les "dys", nous sommes repartis des terminologies qui, depuis

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Les 1001 « dys »
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toujours, désignent des anomalies du secteur de la cognition. »
Par exemple, un adulte qui perd la capacité à exécuter des gestes
est dit « apraxique », un adulte qui perd ses circuits de mémoire
est dit « amnésique ». Michèle Mazeau poursuit : « On a repris
cette idée en remplaçant le ‘‘a’’ privatif par le ‘‘dys’’ soulignant le
dysfonctionnement. Contrairement aux troubles des adultes, les
"dys" viennent désigner les troubles spécifiques qui ont existé
d’emblée, tous ces outils dont l’enfant n’a jamais bénéficié. »
Dans un même temps sont définies les trois grandes condi-
tions diagnostiques. Premièrement : l’enfant ne doit pas souffrir
d’une déficience intellectuelle. La deuxième est qu’il grandisse
dans un milieu socio-éducatif « ordinaire », sans particularités,
avec toute la variété que cela suppose. « Aucune circonstance
psycho-éducative ne doit rendre compte, à elle seule, de cette
hétérogénéité du fonctionnement intellectuel de l’enfant. De
toute façon, lorsque ces circonstances psycho-éducatives sont
impliquées, elles donnent lieu à des déficits beaucoup plus
diffus », précise Michèle Mazeau. La troisième condition est
que les causes évidentes de ces dysfonctionnements, tels que les
troubles sensoriels (de la vue, de l’audition par exemple) et les
troubles du spectre de l’autisme, aient été éliminés.
Dès lors, les « dys » voient le jour. Les uns après les autres. La
dysphasie est la première à émerger, venant désigner un trouble
spécifique du développement du langage oral. Puis, sont mises à
jour les dyslexies, à savoir l’anomalie de l’acquisition de la langue
écrite. Après quoi émergent les dyspraxies, soit les difficultés des
gestes et des traitements visuospatiaux. Plus récemment ont été
mis à jour les troubles de l’attention, ce qui a engendré beaucoup
de polémiques. « On entre là dans des choses très fines qui
donnent lieu à des controverses, car le symptôme ‘‘inattention’’
peut se rencontrer dans de nombreuses pathologies, et pas
seulement au détour des ‘‘dys’’ », précise Michèle Mazeau. Pour-
quoi un tel ordre ? Pourquoi la dyspraxie n’a-t-elle pas talonné les
troubles de l’attention ? « Ce n’est qu’une question de ‘‘visibilité’’
clinique ! explique Michèle Mazeau. Nous avons commencé par
les troubles les plus bruyants, ceux qui se voyaient le plus. De
même qu’il est plus facile d’identifier la peste (avec ses bubons)

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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qu’un cancer du pancréas (qui présente très peu de signes exté-
rieurs), il est plus facile d’identifier une dysphasie qu’un trouble
de l’attention : tout le monde se rend vite compte qu’il est anor-
mal qu’un enfant dise encore ‘‘moi pas zouer balle’’ à l’âge de
6 ans. Les dyslexiques aussi, en classe, finissent par interpeller
tout le monde : l’enfant de 10 ans, intelligent, qui n’arrive pas à
lire ou qui déchiffre péniblement comme un enfant de CP, ça se
remarque. À l’inverse, il est déjà plus complexe d’identifier les
dyspraxiques : ces enfants maladroits qui écrivent mal et qui sont
lents peuvent plus facilement se confondre avec des enfants qui
ne s’appliquent tout simplement pas, qui sont ‘‘fainéants’’, qui
‘‘s’en fichent’’. »
Mais la liste n’est pas complète. Les « dys » émergeant au
fur et à mesure de la découverte des compétences spécifiques et
innées des bébés, de nouveaux tendent à faire leur apparition. En
avant-première, Michèle Mazeau nous les fait découvrir : « Nous
sommes en train d’étudier les dysgnosies, à savoir un dysfonc-
tionnement des différentes fonctions cérébrales qui permettent
de décoder l’information sensorielle. Et également les dysmné-
sies, soit les différents troubles de la mémoire. »

Le débarquement chaotique
Mais attention, précise encore Michèle Mazeau, il ne faut pas
croire là à un effet de mode, ni à un effet catalogue, où chaque
enfant en difficulté scolaire trouverait son étiquette : « Les
enfants ‘‘dys’’ ont toujours existé ! C’est juste qu’avant cette évo-
lution des neurosciences, ils n’étaient pas reconnus comme tels.
Certains auteurs avaient déjà effectué des descriptions de leurs
pathologies, sans pour autant dresser de contexte théorique. » À
l’époque, ces troubles spécifiques étaient confondus avec ce que
l’on connaissait bien, à savoir la déficience intellectuelle et les
troubles du spectre autistique, ou troubles envahissants du déve-
loppement (TED). Et pour cause : nous pensions que le bébé
arrivait au monde avec un cerveau vierge, complètement dépen-
dant de son environnement. Ainsi, quand certaines fonctions
de son cerveau se construisaient mal, soit c’était le cerveau tout
entier de l’enfant qui dysfonctionnait, soit c’était son environ-

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Les 1001 « dys »
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nement, auquel cas les psychanalystes prenaient la relève et en
interprétaient l’origine.
De ce fait, ces diagnostics de « dys » ont répondu à deux
grands besoins émanant du terrain : l’explication et l’accompa-
gnement de certains échecs scolaires. D’une part, ces diagnostics
ont permis de mieux expliquer pourquoi certains enfants se trou-
vaient en grande difficulté scolaire, et ainsi de « remettre en cause
l’hégémonie des explications psychanalytiques systématiques »,
souligne Michèle Mazeau. D’autre part, en identifiant plus fine-
ment la raison de ces échecs scolaires, de nouvelles stratégies
ont pu être développées, et notamment des propositions plus
ciblées sur le plan de la rééducation ainsi que des adaptations
pédagogiques.
Après avoir été mis au jour par la communauté des spécia-
listes, les tout jeunes « dys » font leurs premiers pas sur le ter-
rain. Les familles s’en emparent, les diagnostics circulent. Le
hic : ces « dys » se répandent plus rapidement dans le grand
public que chez les professionnels eux-mêmes. Les familles sont
alors confrontées à des enseignants, des médecins, des psycho-
logues peu formés, et ainsi à des avis très divergents. « Les gens
connaissent des mots, mais souvent de façon superficielle, sans
en comprendre toujours les implications », regrette Michèle
Mazeau.
Les pouvoirs publics tentent de remédier à cette difficulté
en créant des centres de références pour les troubles des
apprentissages, dans chaque région. Toutefois, ces structures ne
sont pas suffisantes en nombre et en dotation de personnel pour
absorber la quantité accrue de demandes de consultations.
Comme dans toute situation diagnostique inédite, les
« dys » ont un long chemin à parcourir pour trouver un
équilibre, une harmonie entre le dépistage précoce des enfants,
la communication faite autour de ces diagnostics, la prise en
charge efficace de leurs troubles, en passant par l’indispensable
formation des professionnels de proximité.

Héloïse Junier

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Une naissance en deux étapes
L’émergence des « dys » a été accompagnée d’un cadre institutionnel et
juridique, marqué par deux temps-clés.
Premier temps fort : le rapport de Jean-Charles Ringard, de février
2000, portant sur les enfants dysphasiques et dyslexiques. Après s’être attelé
à la présentation du cadre institutionnel et de la définition de ces troubles,
il y dresse un état des lieux sur le plan national et international et évoque
quelques recommandations. « Ce rapport est historique : c’est la première
et dernière fois que les ministères de la Santé et de l’Éducation nationale
ont été réunis pour faire le point sur ces pathologies qui concernent tant
le corps médical que les enseignants, tant la médecine que la pédagogie.
Cette démarche s’est faite sous l’impulsion des familles qui ont entraîné
les professionnels dans leur sillage », se souvient Michèle Mazeau. Des
recommandations ont émané de cette rencontre : l’ouverture de CLIS
spécialisées (classes pour l’inclusion scolaire) de l’Éducation nationale
dans les troubles spécifiques du langage, le développement de formations
à destination des enseignants et des divers professionnels impliqués, sans
oublier la mise en place d’adaptations pédagogiques pour les élèves, dans le
cadre des apprentissages ou des examens par exemple. Malheureusement,
la majorité de ces recommandations n’ont pas été mises en œuvre, et
manquent – encore aujourd’hui – cruellement sur le terrain.
Deuxième temps fort : la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits
et des chances de toute personne handicapée. Sa spécificité ? Inclure et
définir le handicap relatif aux troubles des fonctions cognitives comme
tout autre handicap. Dès lors, tous les individus considérés comme des
« dys » entrent dans cette catégorie du handicap cognitif et peuvent
bénéficier d’une compensation de leur handicap, comme instrument d’une
« égalité des chances ». Pour ce faire, la famille devra solliciter les maisons
départementales des personnes handicapées (MDPH).

H.J.

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Les 1001 « dys »
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Ont-ils fait leur « coming out » à l'étranger ?
« Globalement, répond Michèle Mazeau, l’avancée des connaissances
est la même un peu partout dans le monde. On observe quelques
spécificités de terminologies selon les pays même si, sur le fond, ces
troubles se ressemblent beaucoup. Lors des colloques internationaux, il n’y
a d’ailleurs pas d’incompréhension ni de décalages majeurs. Les différences
entre les pays sont plutôt liées à leur système de santé, au niveau de la prise
en charge de ces enfants. Par exemple, on peut rééduquer en France un
enfant en orthophonie durant des années, ce qui ne serait pas possible au
Canada, où les critères d’administrations de délivrance de soins et d’aides
diffèrent. Peu de pays ont légiféré sur le sujet, comme nous l’avons fait avec
la loi du 11 février 2005. En revanche, d’autres pays ont établi beaucoup
de ‘‘classes spécialisées’’ pour l’inclusion des enfants ‘‘dys’’ en milieu scolaire
‘‘standard’’, comme c’est le cas de la Belgique ».

Propos recueillis par H.J.

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LA DYSLEXIE,
UN CERVEAU À REMODELER

L a dyslexie apparaît aujourd’hui comme l’une des facettes


d’un ensemble de troubles qu’on dénomme volontiers
« troubles dys » et dans la nomenclature officielle, « troubles spé-
cifiques d’apprentissage ». Au côté de la dyslexie, à laquelle elles
sont parfois liées, figurent dans cette catégorie, notamment, la
dyscalculie et la dysgraphie. Par « spécifique », on entend surtout
évoquer une caractéristique majeure de ces troubles : ils altèrent
la capacité de ces enfants à entrer dans les apprentissages fonda-
mentaux (lecture, écriture, calcul), alors même que leur intelli-
gence est strictement normale, voire supérieure à la normale.
Un contraste souvent frappant pour l’enseignant confronté à la
nécessité de repérer ces enfants au sein d’une classe.

Une origine génétique ?


Les facteurs de ce trouble sont de mieux en mieux connus. Les
conceptions actuelles sur les mécanismes de la dyslexie donnent
une place prépondérante aux facteurs génétiques. Il existe ainsi
des familles plus particulièrement concernées, des familles « à
risque ». Les résultats d’études de jumeaux et d’études plus spé-
cialisées de génétique fondamentale ont d’ailleurs pu mettre en
évidence des gènes plus particulièrement impliqués.
Toutefois, la génétique ne saurait tout expliquer. Les études
réalisées sur des jumeaux estiment de 50 à 60 % seulement la
part de l’hérédité dans les troubles de l’apprentissage de la lec-
ture, laissant ainsi une large place aux facteurs environnemen-
taux. Une vaste étude sur plus de 1 000 enfants répartis dans
vingt écoles de la ville de Paris1 conclut que « les risques de

1- J. Fluss et al., « Troubles d’apprentissage de la lecture : rôle des facteurs cognitifs, com-
portementaux et socioéconomiques », Développements, n° 1, 2009/1.
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La dyslexie, un cerveau à remodeler
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troubles de l’apprentissage de la lecture sont environ dix fois plus
élevés chez les enfants des zones défavorisées par rapport à ceux
des zones favorisées ». Un environnement familial attentif et
lecteur, ainsi que des expériences de lecture précoce pourraient
avoir un rôle protecteur.

Anatomie du cerveau dyslexique


L’influence de la langue maternelle, pour sa part, a été affir-
mée grâce à diverses études. Dans les langues dites transparentes,
où la correspondance entre les graphèmes et les phonèmes est
simple et univoque (comme l’italien, par exemple), la dyslexie
est bien moins fréquente que dans les langues dites opaques, où
la forme orale est peu ou pas prédictible à partir de la forme
écrite de la langue (comme l’anglais ou à un moindre degré le
français). Au-delà de l’incontestable étiologie génétique, large-
ment prouvée et confirmée, les facteurs liés à l’environnement
dans lequel évolue l’enfant dyslexique sont donc non seulement
capables de déterminer la sévérité du trouble, mais également de
modifier la structure même de son cerveau.
Chez l’enfant dyslexique, il est en effet aujourd’hui admis
que c’est d’abord la conscience phonologique, indispensable de
l’acquisition de la lecture, qui est altérée : l’enfant parvient mal
à associer les sons de sa langue aux lettres et ensembles de lettres
(les « graphèmes ») qui les représentent. Ce « déficit phonolo-
gique » est lié à un défaut d’activation d’un ensemble de régions
hémisphériques gauches.
L’imagerie cérébrale fonctionnelle a ainsi établi les bases de
ce qu’on peut aujourd’hui appeler une « neuro-anatomie de la
dyslexie », montrant notamment que :
• c’est principalement dans l’hémisphère gauche (l’hémis-
phère du langage) que se situent les anomalies de fonctionne-
ment du cerveau du dyslexique ;
• que ce sont principalement trois zones de la surface
de l’hémisphère qui sont dysfonctionnelles : l’aire de Broca,
qui sert à la production orale des mots, l’aire de Wernicke, qui
contient leur représentation sous forme de sons spécifiques, et
la région temporale inférieure, qui permet la transformation des

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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traits constitutifs des lettres en un message linguistiquement
pertinent.
Ces particularités sont-elles donc à l’origine de la dyslexie ?
C’est possible, mais non prouvé à l’heure actuelle : elles pour-
raient être liées à une sous-utilisation de ces régions cérébrales
par l’enfant, et donc être la conséquence plutôt que la cause
du problème. Au rang des techniques les plus prometteuses, la
récente méthode d’imagerie de diffusion (DTI) a également per-
mis de repérer des anomalies non plus au niveau des aires corti-
cales elles-mêmes mais des fibres de connexion qui les unissent
entre elles, en relation proportionnelle avec les difficultés de l’en-
fant. Ces anomalies seraient préexistantes à l’âge d’apprentissage
de la lecture, donc probablement génétiquement déterminées.

De la musique avant toute chose


Suite à ces constatations, plusieurs équipes distinctes ont
développé l’idée que le trouble pourrait se situer de manière plus
générale au niveau de l’incapacité du cerveau du dyslexique à
associer des stimuli de nature sensorielle différente, comme des
images et des sons, ou de manière générale à intégrer simulta-
nément des informations de nature différente (comme la forme
orale et écrite d’un mot). Dans cette perspective apparaissent de
nouvelles pistes thérapeutiques. L’idée n’est plus seulement de
travailler sur la nature auditive ou visuelle du trouble, mais de
favoriser autant que possible l’activation simultanée de canaux
sensoriels différents. Plusieurs équipes ont retrouvé une amé-
lioration de la lecture chez des dyslexiques après cinq semaines
d’un entraînement quotidien sur des jeux de type game boy, où
l’enfant devait associer systématiquement des sons non verbaux
avec des traits représentant la hauteur, la durée et l’intensité de
ces sons2.
Si l’orthophonie reste le pivot de rééducation, d’autres
approches complémentaires donnent d’excellents résultats.
L’une d’elles consiste à utiliser l’apprentissage musical, et tout
particulièrement l’apprentissage d’un instrument de musique,

2- T. Kujala et al., « Plastic neural changes and reading improvement caused by audiovi-
sual training in reading-impaired children », PNAS, vol. XCVIII, n° 18, 28 août 2001.
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La dyslexie, un cerveau à remodeler
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dans le but, en quelque sorte, de « remodeler » le cerveau dys-
lexique3. Des enfants dyslexiques de 8 à 11 ans ont été soumis à
une cure de musique durant six mois, à raison de deux séances
par semaine et il s’avère que 60 % d’entre eux ont progressé en
lecture au point de sortir des critères diagnostiques de dyslexie.
Ces résultats très encourageants laissent penser qu’une pra-
tique musicale généralisée chez les enfants dyslexiques pourrait
être recommandée de manière quasi systématique. Quant aux
récentes allégations d’une équipe d’ingénieurs français, un peu
hâtivement relayées dans la presse générale, d’avoir découvert
une « cause visuelle » à la dyslexie, elles n’ont pour le moment
aucune base sérieuse permettant d’en faire ne serait-ce qu’une
piste possible pour un éventuel traitement.

Michel Habib

Trois « dys »
• L’enfant dyslexique souffre d’un trouble de la « conscience
phonologique ». C’est elle qui permet au tout jeune enfant de dissocier
les unités sonores de la parole (les phonèmes), et de les combiner, les
retrancher, les permuter… pour les associer aux lettres ou groupes de lettres
(les graphèmes).
• L’enfant dyscalculique a du mal à se représenter mentalement les
quantités signifiées par les nombres. En d’autres termes, il est capable de
connaître les noms des chiffres et la signification des opérations, mais il ne
parvient pas à se représenter une quantité, une distance ou la valeur d’un
prix.
• L’enfant dysgraphique n’est pas capable d’automatiser le geste requis
pour former des lettres. L’enfant a du mal à tenir son crayon, son écriture
est chaotique.

M.H.

3- M. Habib et al., « Music and dyslexia. A new musical training method to improve
reading and related disorders », Frontiers in Psychologie, 22 janvier 2016.
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QUAND LE LANGAGE DÉFAILLE

A près avoir dit ses premiers mots vers 14 à 16 mois1


(papa/maman…), l’enfant se lance véritablement dans
la conversation aux alentours de 30 à 36 mois. Certes, il persiste
bien quelques maladresses de prononciation (« une fieur, du cra-
vail »…) ou de construction de phrases (« il m’a prendu mon
doudou »), mais l’essentiel est là : notre bout-de-chou parle (tout
seul, avec nous, avec ses petits copains), raconte, questionne,
donne son avis, argumente, conteste… Lorsque ce scénario
prend du retard ou ne suit pas ce script, l’inquiétude s’installe.
Est-il justifié de s’inquiéter ? À qui demander conseil ? Que faire ?
Les réponses à ces questions ont beaucoup évolué. Jusque
dans les années 1980, tous les enfants en délicatesse avec le lan-
gage étaient référés en pédopsychiatrie, et la psychanalyse était
alors la seule approche disponible. C’est plus récemment (années
1990-2000), que les progrès des neurosciences ont révélé une
autre histoire du langage humain2. On sait maintenant que les
bébés sont « équipés », dès avant leur naissance, de réseaux de
neurones spécifiquement dédiés au langage3, sortes de petites
« boîtes à outils » cérébrales qui vont leur permettre d’emblée de
s’emparer de leur(s) langue(s) maternelle(s).
Cet équipement initial permet au bébé d’analyser son envi-
ronnement linguistique, d’en extraire les régularités sonores et
grammaticales et de devenir spécialiste de sa langue. Pourtant ce
n’est qu’à 18-24 mois qu’il va vraiment commencer à « parler »
1- Les âges ne sont mentionnés ici qu’à titre indicatif : les écarts individuels peuvent être
importants, en plus ou en moins, sans que cela ait aucune signification.
2- C. Kabdebon et G. Dehaene-Lambertz, « Les premières étapes de l’acquisition du
langage », in S. Pinto et M. Sato (dir.), Traité de neurolinguistique. Du cerveau au langage,
De Boeck, 2016.
3- G. Dehaene-Lambertz et J. Dubois, « Au tout départ : le cerveau du bébé », in
S. Dehaene (dir.), C3RV34U, La Martinière, 2014.
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Quand le langage défaille
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(faire des phrases de deux mots, alors qu’il en comprend déjà
plusieurs centaines) : c’est qu’il est encore en difficulté pour pro-
noncer certains sons. En effet, les organes de la parole – ceux qui
permettent que le langage qu’il a « dans sa tête » se transforme
en sonorités intelligibles – maturent beaucoup plus lentement
que le langage.

Les conditions nécessaires pour apprendre à parler

Des troubles de parole


Le problème le plus bénin est lié à un retard de parole :
l’enfant commence à parler tard et déforme beaucoup les mots.
Lorsqu’il aura acquis une habileté motrice suffisante de la sphère
bucco-phonatoire, il parlera. Il peut persister quelques petites
difficultés de prononciation, bénignes jusque vers 5 ans. De
façon tout à fait exceptionnelle, d’importantes difficultés de
parole persistent, révélant alors une pathologie de la motricité
des voies de la parole (dysarthrie, dyspraxie verbale).

Des troubles du langage


Le retard de langage est très fréquent. Les signes sont appa-
remment les mêmes que précédemment (l’enfant déforme beau-
coup les mots, on ne le comprend pas toujours alors qu’il a 30-36
mois), mais si l’enfant parle tard et « mal », c’est parce qu’en

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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amont son cerveau analyse mal (ou difficilement) le langage
qu’il entend. Il devra bénéficier d’une intervention orthopho-
nique, souvent jusqu’à l’apprentissage de la lecture. Plus rare-
ment (1 %), il s’agit d’une dysphasie, une anomalie spécifique
de certains des réseaux cérébraux, perturbant souvent l’accès à la
syntaxe d’où un langage agrammatique (par exemple à 6 ans et
demi : « C’est Boucles d’or/C’est un cheveu jaune/C’est fille/Y
en a trois l’ours/etc. »). Mais il existe différentes sortes de dys-
phasies, d’intensités variables. Ces pathologies nécessitent une
prise en charge orthophonique spécifique, intense et de longue
durée, ainsi que des adaptations pour permettre la scolarité.

Des troubles non spécifiquement langagiers


qui se répercutent dans le langage
Une déficience intellectuelle, une malaudition ou encore un
trouble du spectre de l’autisme peuvent aussi perturber – ou
limiter – le développement du langage.
Dans tous les cas, c’est vers le médecin (médecin traitant,
médecin scolaire, pédiatre) qu’il convient de se tourner en pre-
mière intention. Éliminer une surdité est une priorité. Consulter
précocement s’impose si l’enfant ne comprend pas le langage, ou
s’il existe des antécédents familiaux de dysphasie. Sinon, si les
préoccupations concernent un enfant très jeune (30-36 mois),
il faut revoir l’enfant à quatre ou six mois de distance et juger
de l’évolution. Si les troubles (ou le retard) persistent, une éva-
luation orthophonique est indispensable, mais d’autres examens
peuvent s’avérer nécessaires. Une rééducation orthophonique est
généralement indiquée.
Les compétences en langage oral sont décisives pour l’accès
à l’écrit, mais aussi pour une scolarité satisfaisante. Elles déter-
minent également le style et la qualité de l’ensemble des relations
sociales du sujet.

Michèle Mazeau

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Quand le langage défaille
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Un développement programmé
• Les bébés distinguent les sons du langage des autres sons (bruits,
musique). En ce qui concerne la parole, ils discriminent les sons de toutes
les langues ! Au contact de la langue environnante, ils perdent peu à peu la
capacité de discriminer les sons qui n’appartiennent pas à leur(s) langue(s) –
qu’ils n’entendent jamais –, tandis que les connexions neuronales qui
supportent les sons de leur(s) langue(s) – qu’ils entendent souvent – se
renforcent : c’est ainsi qu’ils deviennent des « spécialistes » de leur(s)
langue(s)… et que plus on grandit, plus il est difficile d’apprendre une
nouvelle langue !
• Dès 18-24 mois, les bébés montrent une connaissance implicite de la
grammaire de la langue. Ainsi, ils « savent » que (en français) la négation se
met avant le verbe si ce dernier est à l’infinitif ou s’il s’agit d’un nom (« pas
manger/pas dodo ») mais après s’il est conjugué (« veux pas »)1.

M.M.
1- Voir S. Dehaene, « Représentation cérébrale des structures linguistiques : précocité
et automaticité des opérations linguistiques », cours au Collège de France, 2015-
2016. Disponible sur www.college-de-france.fr/

Langage et scolarité
On a calculé1 qu’en sixième l’enfant est confronté à plus de 6 000 mots
nouveaux (hors vocabulaire courant). Dès le CP (6 ans), les écarts entre
enfants peuvent être très importants (env. 3 000 à 8 000 mots connus),
selon leur milieu socio-éducatif. Or, plus on connaît de mots, plus il est
facile d’en apprendre de nouveaux… et inversement. Un faible niveau de
langage n’est pas en soi une pathologie, mais un véritable problème sociétal
puisqu’il détermine une part importante de l’échec scolaire.

M.M.

1- A. Lieury, Mémoire et réussite scolaire, 4e éd, Dunod, 2012, et A. Bentolila, « Rapport


de mission sur l’acquisition du vocabulaire à l’école élémentaire » adressé au ministre de
l’Éducation nationale. http://media.education.gouv.fr/file/70/4/4704.pdf

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L’AUTISME :
UNE AFFAIRE DE SPECTRE ?

D écembre  2016. Le député Daniel Fasquelle soumet à


l’Assemblée nationale une proposition de résolution
visant à interdire les pratiques psychanalytiques dans la prise en
charge de l’autisme. Soutenue par la plupart des associations de
familles d’enfants autistes, cette initiative crée une onde de choc
au sein de la pédopsychiatrie où la psychanalyse reste le modèle
de référence. Plusieurs collectifs de psychiatres en appellent
au président Hollande, brandissant une atteinte à la liberté de
penser. Des parents aussi se font entendre, réclamant la liberté
de choisir son thérapeute et l’arrêt des hostilités. Chaque camp
lance des pétitions sur le Net et compte ses points. Finalement, la
résolution est rejetée par l’Assemblée, mais après avoir déchaîné
des passions violentes. Pourquoi tant d’émotions ?

Des théories controversées sur son origine


L’autisme a longtemps été considéré comme une maladie
mentale. On doit sa première description au pédopsychiatre
autrichien Leo Kanner, qui employa en 1943 pour la première
fois le terme d’autisme infantile (du grec autos = soi-même). Il en
retint deux caractéristiques principales : l’isolement (aloneness) et
l’intolérance au changement (sameness). L. Kanner crut remar-
quer des particularités chez les mères de ces enfants qu’il décrit
comme « froides » et distantes. Naît alors le concept des « mères
réfrigérateurs » repris par la suite par d’autres de ses confrères
dont le plus commenté fut le psychanalyste Bruno Bettelheim
et sa théorie de la forteresse vide. B. Bettelheim fit un parallèle
entre l’univers concentrationnaire et le vécu de l’enfant autiste.
Dans son esprit, il fallait couper ces enfants du lien pathologique
qui les reliaient à leurs parents. Aujourd’hui, ces prises de posi-

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L’autisme : une affaire de spectre ?
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tion font partie du passé. Mais beaucoup de parents restent mar-
qués par ces anciens discours, culpabilisant pour eux, et affichent
une grande méfiance à l’égard de la psychanalyse.

Des psychoses précoces aux troubles du spectre autistique


Ce n’est qu’à partir des années 1980 qu’on commença à par-
ler de « troubles envahissants du développement ». Aujourd’hui,
la grande majorité des professionnels sont d’accord sur un point :
l’autisme est principalement dû à un développement anormal du
cerveau. Le cerveau des enfants autistes est en général plus petit
que la moyenne à la naissance, puis se développe au contraire
beaucoup plus rapidement que la normale jusqu’à l’âge de 2 ans.
Les zones associées au traitement visuel situées en arrière du cer-
veau sont très actives, les régions frontales où se fait l’essentiel du
traitement de l’information et d’organisation des tâches plutôt
en sous régime. Ce qui pose problème est plus particulièrement
la faiblesse des connexions entre différentes aires cérébrales. À
l’origine de ces dysfonctionnements, des facteurs génétiques. Les
études montrent un risque accru pour les vrais jumeaux (entre
60 et 90 %), qui tombe à seulement 10 % pour les faux jumeaux
ou les frères et sœurs. Mais les chercheurs sont loin d’avoir trouvé
le gène de l’autisme. Une multitude de variations semblent en
jeu. Des facteurs environnementaux pourraient également jouer
un rôle, comme des infections ou le contact avec des toxiques
pendant la grossesse, un manque d’oxygénation au moment de
l’accouchement ou un faible poids à la naissance.
En 2013, la toute dernière version du Manuel statistique et
diagnostique des troubles mentaux (DSM) introduit la notion
de « spectre autistique » qui englobe désormais les différents
troubles envahissants du développement. Les diagnostics dif-
férentiels, comme le syndrome d’Asperger (autisme de haut
niveau) ou le trouble désintégratif de l’enfance (marqué par un
développement normal au début, puis une régression massive
par la suite) disparaissent de la nomenclature. Le DSM-5 pro-
pose dorénavant une approche dimensionnelle de l’autisme et
établit trois catégories de TSA en fonction du niveau d’auto-
nomie de la personne : léger, modéré ou sévère. Au niveau des

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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symptômes, on passe de la traditionnelle triade autistique à une
dyade. Les difficultés de communication et d’interaction sont
regroupées dans une même catégorie.

Qu'est-ce que la triade autistique ?


Ce sont les trois caractéristiques de l’autisme, qui peuvent apparaître
sous différentes formes avec un niveau de gravité variable.
• Anomalies de la communication verbale ou non verbale : l’enfant a
du mal à communiquer (retard de langage, absence de gestes, peu d’expres-
sions faciales…).
• Anomalies des interactions sociales : il ne joue pas avec les autres
enfants et a du mal à se mettre à leur place (manque de réciprocité sociale
ou émotionnelle).
• Centres d’intérêt restreints et comportement répétitifs : manque
de jeux imaginatifs, activités répétitives, stéréotypies gestuelles, préoccupa-
tions atypiques.

M.O.

Les nouvelles pistes thérapeutiques


Traditionnellement, les enfants autistes étaient pris en charge
en pédopsychiatrie dans les hôpitaux de jour ou centres médico-
psychologiques. En 1996, l’autisme est reconnu comme un han-
dicap. Des associations de familles réclament alors un transfert
des compétences vers le secteur médico-social au sein des ins-
tituts médico-éducatifs (IME) et des services d’éducation spé-
ciale et soins à domicile (Sessad) en charge du handicap. Les
programmes comportementaux et développementaux pour l’au-
tisme font leur apparition en France et représentent un nouvel
espoir pour beaucoup de parents. Ils multiplient les études scien-
tifiques pour asseoir leur crédibilité. Dans un rapport publié en
2012, la Haute Autorité de santé (HAS) juge l’approche psycha-
nalytique « non consensuelle », du fait de l’absence de données
scientifiques sur son efficacité. Elle recommande les prises en
charge comportementales et développementales et insiste sur
l’importance d’un diagnostic et d’une prise en charge précoces
(entre 18 mois et 4 ans). La HAS valide notamment la méthode

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L’autisme : une affaire de spectre ?
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ABA1 qui vise l’apprentissage de comportements adaptatifs par
essais répétés avec un professionnel. Avec ce programme, chaque
comportement, comme le brossage des dents, sera découpé en
petites séquences apprises à l’aide de renforçateurs (bonbons,
félicitations, accès à des activités favorites…). Objectif : amé-
liorer l’autonomie des enfants et diminuer les comportements
jugés néfastes. ABA est très critiquée du côté des cliniciens ana-
lytiques de par son aspect « dressage normatif ». Ses détracteurs
évoquent la non-prise en compte du désir et de la singularité de
chaque enfant. Un argument souvent opposé à cette méthode
est également l’intensité du suivi et son coût prohibitif. Les pre-
miers programmes préconisaient un entraînement de 40 heures
par semaine en individuel. On est aujourd’hui passé à 25 heures,
dont 5 heures dispensées par les parents. Les autres méthodes
validées par la HAS sont la méthode TEACCH2 et le modèle
de Denver (pour les plus petits) : des méthodes dites dévelop-
pementales qui fonctionnent par séquences d’apprentissage
par imitation ou à l’aide de supports visuels (images, photos).
Le but : améliorer les interactions sociales et émotionnelles des
enfants en partant de leurs intérêts et motivations. Les études
ont démontré des progrès conséquents pour certains enfants qui
adhèrent à ces méthodes, mais pas pour tous… En effet, près
de la moitié des enfants ne semblent pas en tirer bénéfice. Par
ailleurs, aucune étude à long terme n’a pu prouver le maintien
des acquis dans le temps.
En pédopsychiatrie, la prise en charge des enfants a évolué
vers un modèle dit intégratif qui combine des aspects éduca-
tifs (apprentissages, travail sur l’autonomie…), pédagogiques
(l’intégration scolaire) et thérapeutiques (basés sur les aspects
relationnels, la diminution de l’anxiété…). Certaines méthodes
comportementales, comme le PECS (système de communi-
cation par échange d’images) y ont également fait leur entrée.
Parmi les outils proposés en psychiatrie, on peut citer les ateliers
thérapeutiques comme le conte, la pataugeoire, le psychodrame
ou encore la médiation animale (cheval, chien). La pratique du
1- Applied Behavior Analysis (analyse appliquée du comportement).
2- Treatment and education of autistic and related communication handicapped children.
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Troubles de l'enfant : état des lieux
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packing (l’enveloppement de l’enfant dans des linges humides
pour l’amener à ressentir ses limites corporelles) a fait l’objet
de vives critiques de la part d’associations de familles et son
utilisation a été interdite par la HAS en dehors d’un protocole
de recherche. Ce que beaucoup de familles reprochent à la psy-
chiatrie est notamment sa position non interventionniste et le
manque de communication avec les parents. Les diagnostics ne
se feraient pas ou trop tardivement. Les informations seraient
données au compte-gouttes. Aux témoignages virulents et accu-
sateurs souvent médiatisés, les psychiatres opposent le soutien
discret de nombreuses familles qui leur font confiance depuis
des années.

Des divisions qui nuisent aux progrès


Malgré des avancées considérables au niveau de la compré-
hension du trouble autistique, aucune méthode n’a pu à ce
jour améliorer de manière significative sa symptomatologie. Les
recherches et hypothèses nouvelles vont bon train.
Le neurobiologiste Yehezkel Ben Ari fait l’hypothèse d’un
déficit de chlore à l’origine de certains dysfonctionnements céré-
braux qu’on constate chez ces enfants. Un traitement antidiuré-
tique testé auprès d’enfants autistes aurait montré des résultats
intéressants pour atténuer ces symptômes.
Du côté des analystes, on commence à parler d’affinity the-
rapy, une nouvelle approche qui part des intérêts restreints et
parfois atypiques des enfants. À l’origine de cette méthode, un
père américain, Ron Suskind, qui décide de s’intéresser de plus
près à la passion de son fils autiste pour l’univers Disney. Au fil
du temps, il réussit à rentrer en relation avec lui par ce biais et
à l’ouvrir à la parole. L’affinity therapy s’appuie sur les facultés
autothérapeutiques de l’enfant autiste, avec l’idée que c’est lui
qui posséderait la clé pour accéder aux apprentissages, à condi-
tion que l’adulte l’aide à la repérer. Le tout étant d’« aller dans le
monde de l’enfant, plutôt que de le forcer à venir dans le nôtre ».
Le concept parvient à concilier les tenants d’une approche psy-
chiatrique et les adeptes d’une approche éducative. Y aurait-il
enfin un point de convergence en vue ?

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L’autisme : une affaire de spectre ?
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Le psychiatre Laurent Mottron, chercheur français expa-
trié au Canada, s’appuie quant à lui sur la neuro-imagerie pour
défendre l’idée d’une « autre intelligence » chez les enfants
autistes. Très critique vis-à-vis des méthodes comportementales
et de l’approche analytique, il considère que la plupart des com-
portements répétitifs de l’enfant autiste seraient l’équivalent
du comportement d’exploration chez un enfant ordinaire et ne
devraient donc surtout pas être supprimés (comme le préconise
notamment la méthode ABA). L. Mottron suggère de refonder
l’intervention précoce en favorisant les intérêts répétitifs de type
« recherche » (puzzles, claviers, écrans tactiles…) et l’intérêt parti-
culier des enfants autistes pour les lettres. Il s’oppose notamment
aux méthodes dites intensives. Selon lui, aucune étude n’a prouvé
l’opportunité de concentrer ces programmes entre 2 et 5 ans.
Il préconise des prises en charges plutôt courtes et ciblées et une
plus grande implication des parents. Sur ce dernier point, la plu-
part des professionnels se rejoignent. En effet, l’implication des
parents dans le suivi semblerait permettre à l’enfant de progres-
ser plus rapidement et de manière plus durable.
Des pistes intéressantes qui ne manqueront pas de faire par-
ler d’elles dans les années à venir. Mais beaucoup de chemin
reste encore à parcourir avant de revenir à des débats plus apai-
sés sur cette question de l’autisme qui clive, tout autant que le
syndrome en lui-même. Parents, chercheurs et professionnels
de tous bords apparaissent plus divisés que jamais, alors qu’il y
aurait tant besoin de réunir ces forces pour avancer.

Marc Olano

À lire :
• Autisme, comprendre et agir, B. Rogé, 3e éd., Dunod, 2015.
• L’Intervention précoce pour enfants autistes. Nouveaux principes pour soutenir une autre
intelligence, L. Mottron, Mardaga, 2016.
• Affinity therapy. Nouvelles recherches sur l’autisme, M. Perrin (dir.), Presses universitaires
de Rennes, 2015.
• Traiter l’autisme ? Au-delà des gènes et de la psychanalyse, Y. Ben-Ari, É. Lemonnier et
N. Hadjikhani, De Boeck/Solal, 2015.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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Les UEMA :
un nouveau dispositif d'intégration scolaire
Depuis la loi 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la scola-
risation des enfants en situation de handicap est devenue un droit. Mais
malgré l’augmentation du nombre d’enfants handicapés scolarisés (+ 25 %
depuis 2012 selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale), beau-
coup d’enfants autistes restent encore exclus du monde de l’école, faute de
moyens suffisants. Leur scolarisation reste souvent conditionnée par l’ob-
tention d’un AESH (accompagnant des élèves en situation de handicap).
Aussi, elle est rarement complète et se résume parfois à des petits quarts de
journée isolés. De toutes nouvelles unités mises en place dans les écoles ma-
ternelles, les UEMA (unité d’enseignement maternelle autisme), tentent de
remédier à ces difficultés. Ces petites classes de sept élèves autistes, cogérées
par l’Éducation nationale et des établissements du secteur médico-social,
proposent une scolarisation à temps plein au sein d’une école maternelle
ordinaire. Le taux d’encadrement est quasiment de un pour un. L’ensei-
gnant spécialisé qui dirige la classe est entouré d’une équipe d’éducateurs,
psychologues, orthophonistes et psychomotriciens. Une centaine de classes
de ce type ont déjà été mises en place ou devront ouvrir très prochaine-
ment. L’objectif : permettre l’intégration des enfants en CP ordinaire ou à
défaut dans une unité localisée d’inclusion scolaire (Ulis), des classes à petit
effectif accueillant les enfants en situation de handicap dans le primaire. Un
élargissement du dispositif des UEMA dans les écoles primaires est prévu
pour 2018.

M.O.

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L’autisme : une affaire de spectre ?
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Le syndrome d'Asperger :
une forme d'autisme particulière
Contrairement à ce que l’on dit souvent, les Asperger n’ont pas tous
un potentiel intellectuel exceptionnel, la plupart se situent tout simple-
ment dans la norme. Mais ce qui les différencie des autres sont leurs pics
de compétence dans des domaines spécifiques. Certains ont des capacités
de mémorisation étonnantes, à l’image de Daniel Tammet, célèbre pour sa
récitation de 22 514 décimales du chiffre pi durant plus de 5 heures. En
revanche, les difficultés apparaissent sur le plan relationnel. Comme pour
les autres formes d’autisme, les Asperger ont du mal à comprendre les codes
sociaux, à saisir l’implicite, les intentions, les métaphores, l’ironie. Ils sont
de nature plutôt anxieuse, se rassurent par des rituels et une organisation
parfois immuable, supportent mal le changement et sont peu flexibles. Les
enfants Asperger ont souvent du mal à établir des relations d’amitié et se
font régulièrement rejeter par leurs pairs, plus particulièrement à partir du
collège. Beaucoup d’enfants Asperger sont en échec scolaire, malgré leur
potentiel. En cause, leur fonctionnement cérébral atypique. Ils sont faci-
lement distraits si plusieurs informations sont données en même temps et
ne comprennent pas toujours les consignes des enseignants. Certains ont
besoin du soutien d’une aide à la vie scolaire. Les associations de familles,
à l’image d’Asperger aide France1 et d’Action pour l’autisme Asperger2,
déplorent le manque de formation des enseignants et professions médicales
sur ce trouble. Pour ces associations, le syndrome d’Asperger est souvent
diagnostiqué trop tard ou pas du tout, ce qui amène l’enfant à grandir avec
la sensation d’être différent sans pouvoir donner un sens à cela.

M.O.
1- www.aspergeraide.com/
2- www.actionsautismeasperger.org/

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AUTISME
Repères historiques

L e regard sur l’autisme n’a fait qu’évoluer au fil du temps,


confrontant médecins, psychologues, psychanalystes et
associations de parents.

L’autisme avant l’autisme. Au xixe siècle, pour qualifier


un individu souffrant d’un retard mental, les aliénistes (que
l’on n’appelle pas encore les psychiatres) emploient un terme
aujourd’hui passé dans le langage courant, celui d’« idiot » (du
grec idiotès, désignant le citoyen dans sa sphère privée et non
dans la sphère publique). L’idiotie finit par recouvrir une défi-
cience d’origine congénitale, par opposition à la démence, ou
déficience acquise. Avec une question récurrente, posée par des
éducateurs ou médecins tels Édouard Séguin et Désiré-Magloire
Bourneville : peut-on soigner et éduquer les idiots ? Parmi eux
figurent ceux que le xxe siècle nommera autistes.

1911 Première apparition du terme « autisme ». Le


psychiatre suisse Eugen Bleuler revisite la notion de démence
précoce, qui désigne la survenue de troubles mentaux chez de
jeunes adultes auparavant normaux (ou chez des enfants : on parle
alors de démence précocissime). Bleuler la renomme « schizo-
phrénie » (qui signifie « esprit divisé » en grec). Il y distingue des
symptômes primaires marquant la désorganisation de la pensée, et
des symptômes secondaires qui en sont la conséquence. Au rang
des symptômes secondaires figure la tentative de préserver un
« monde à soi », retranché de la réalité extérieure : Eugen Bleuler
qualifie ce symptôme d’« autisme » (du grec autos, « soi-même »).

1943 Le pédopsychiatre américain d’origine austro-hon-


groise Leo Kanner présente onze cas cliniques d’enfants qu’il

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Autisme. Repères historiques
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qualifie d’autistes, enfermés dans leur solitude et leurs rituels
immuables, souffrant de graves troubles du langage (mais pas,
selon lui, de retard mental) et de réactions imprévisibles face à
des objets ordinaires de leur environnement. Pour Kanner, l’au-
tisme ne peut pas être considéré comme un simple symptôme
de la schizophrénie : il constitue une maladie en soi. La diffi-
culté des autistes à établir un contact affectif pourrait résulter
d’un trouble biologique inné, mais aggravé par des parents peu
aimants, notamment par une « mère frigidaire ». Des années
plus tard, Leo Kanner dédouanera tout à fait les parents.

1944 Le pédiatre autrichien Hans Asperger consacre sa thèse


d’habilitation au professorat aux « psychopathies autistiques
pendant l’enfance ». Il remarque que si beaucoup d’autistes
souffrent de retard mental, certains excellent dans la maîtrise du
langage. Il insiste sur l’indifférence de certains autistes devant
les souffrances infligées à autrui (il évoque même une « méchan-
ceté raffinée ») et croit remarquer un profil très intellectuel chez
les pères. Lui aussi penche pour un mélange d’origine biologique
et environnementale. étrangement, Kanner et asperger s’ignore-
ront toute leur vie. Les travaux d’Asperger n’attireront vraiment
l’attention de la communauté scientifique et du grand public
qu’en 1981, un an après la mort de leur auteur.

1963 Création en France de l’association au service des per-


sonnes inadaptées ayant des troubles de la personnalité (ASITP),
qui deviendra la Fédération Française sésame autisme, militant
pour l’ouverture d’hôpitaux de jour.

1965 Premiers articles d’Ivar Lovaas consacrés à la méthode


ABA, centrée sur l’apprentissage de nouveaux comportements
par les enfants autistes au moyen d’un système de sanctions et
récompenses.

1966 Lancement par Éric Schopler du programme déve-


loppemental TEACCH, programme qui prône de s’adapter au
fonctionnement cognitif particulier des personnes autistes.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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1967 Parution de l’ouvrage La Forteresse vide, de Bruno Bet-
telheim, éducateur, membre de la société psychanalytique de
Chicago (mais inscrit comme « membre non-clinicien », n’ayant
visiblement pas été formé à la pratique de la cure). Bettelheim y
décrit l’autisme comme un univers mental concentrationnaire.
Dans l’école orthogénique qu’il dirige à Chicago, il s’efforce
de soigner les enfants autistes en aménageant leur environ-
nement, quitte à en écarter les parents pendant des années,
refusant même que les soignants s’adressent à eux. D’où l’idée
que les parents sont tenus pour seuls responsables de l’autisme
de leur enfant, Bettelheim ayant cependant écrit des choses
très contradictoires à ce sujet. C’est en partie en réaction à de
telles conceptions qu’apparaîtront les premières associations de
familles hostiles à la psychanalyse.

1980 Création en France de l’association pour la recherche


sur l’autisme et les psychoses infantiles (ARAPI), où parents et
professionnels travaillent ensemble.

1989 Création d’Autisme France par des parents qui, en


rupture avec l’ASITP, réfutent l’approche psychanalytique de
l’autisme.

1992 Création du réseau international d’institutions infan-


tiles (RI3) par Jacques-Alain Miller, chef de file de l’École de
la Cause Freudienne. Ses principales institutions sont le centre
thérapeutique et de Recherche de Nonette, en France, l’Antenne
110 à Bruxelles et le courtil à Leers-Nord, en Belgique.

1993 La Classification internationale des maladies de l’OMS


fait figurer l’autisme dans la catégorie des troubles envahissants du
développement (TED). La quatrième édition du DSM, la classi-
fication psychiatrique américaine, fait de même l’année suivante.
Suivant leur formation, bon nombre de praticiens français pré-
fèrent se référer à la CFTMEA (classification française des troubles
mentaux de l’enfant et de l’adolescent), qui classe l’autisme parmi
les psychoses.

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Autisme. Repères historiques
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1996 Le Parlement européen adopte une Charte des droits
des personnes autistes, insistant notamment sur leur droit à
l’éducation et au plus d’autonomie possible. En France, la loi
Chossy reconnaît l’autisme comme un handicap.

2003 Le comité européen des droits sociaux, contrôlant l’appli-


cation de la charte sociale européenne, condamne la France pour
non-respect de l’obligation à l’éducation pour les enfants autistes.

2005 La loi du 11 février pour l’égalité des droits et des


chances, la participation et la citoyenneté des personnes handica-
pées prévoit la scolarisation de tout enfant en milieu ordinaire.
Après recommandations de la haute autorité de santé (HAS), un
premier plan autisme (2005-2007) voit la création de Centres
de ressources autisme.

2007 Dans son avis n° 102, le Comité Consultatif National


d’Éthique (CCNE) fustige la France pour une « errance dia-
gnostique », un « déni pur et simple d’accès au choix libre et
informé » dû à des « réticences culturelles », ainsi qu’une scolari-
sation « fictive » des enfants autistes, « exclus parmi les exclus ».

2008 Deuxième plan autisme français (2008-2010). début


2012, la sénatrice Valérie Létard remarquera dans un rapport que
bon nombre de mesures de ce plan n’ont pu être appliquées.

2010 Un rapport de la Haute Autorité de Santé (HAS) fait


le point sur l’ensemble des connaissances relatives à l’autisme.

2012 L’autisme obtient le label de « Grande cause natio-


nale ». En mars, un rapport de la HAS recommande l’usage
de méthodes comportementales et éducatives pour la prise en
charge de l’autisme. Il prend ses distances avec la psychanalyse
en la considérant comme « non consensuelle », et condamne
l’usage du packing, pratique consistant à enrouler les autistes
dans des linges humides et froids.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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2013 Rompant avec l’approche dite catégorielle (c’est-à-dire
avec des diagnostics en tout ou rien) des éditions précédentes, le
DSM-5 privilégie une perspective dite dimensionnelle (tenant
compte de la sévérité des troubles). En conséquence, la classifi-
cation américaine ne mentionne plus de Troubles envahissants
du développement (TED), qui recouvraient plusieurs diagnos-
tics différents, mais de troubles du spectre autistique (TSA),
relevant de variations autour d’un diagnostic unique. Le syn-
drome d’Asperger, par exemple, n’est plus reconnu par le DSM
comme un trouble à part entière mais comme une variante du
TSA, ce qui ne va pas sans controverses. Par ailleurs, alors que
le DSM-IV de 1994 parlait de triade autistique pour établir un
diagnostic, le DSM-5 évoque désormais une dyade de grands
symptômes (déficit dans la communication sociale et les interac-
tions sociales, modes restreints et répétitif de comportements,
d’intérêts ou d’activités).

Jean-François Marmion

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L'ANOREXIE,
DE PLUS EN PLUS PRÉCOCE

L a prévalence des troubles du comportement alimentaire


a fortement augmenté au cours des dernières décennies
dans les pays occidentaux, et l’âge de survenue est devenu plus
précoce. En 2010, la Haute Autorité de santé rapportait un
taux de prévalence de 0,9 % chez l’enfant. Les troubles précoces
touchent entre 20 % et 30 % de garçons, alors que les troubles
post-pubères touchent près de 90 % de jeunes filles. En raison
de la tendance à la chronicisation de ces troubles et des risques
induits sur la santé, il apparaît essentiel de les repérer au plus tôt.
De plus, au vu de la quantité de non-recours aux soins (plus de
80 %), et du taux de rechute élevé (environ 50 % chez les adultes
et 80 % chez les adolescents après une hospitalisation), l’accom-
pagnement précoce offre un meilleur espoir de rétablissement.

Évitements et obsessions
Les troubles alimentaires prépubères reposent sur des problé-
matiques différentes des troubles qui se déclarent après la puberté,
ces derniers étant davantage liés aux modifications pubertaires
et aux problématiques adolescentes. Parmi les premiers signes,
on repère des plaintes abdominales douloureuses, des nausées,
et une forme d’anorexie restrictive, sans crises de boulimie,
sans vomissements ni conduites purgatives. On observe parfois
une histoire personnelle marquée par des troubles alimentaires
datant de la prime enfance (entre 20 et 42 % des cas selon les
études). Le trouble est caractérisé par une perte de poids ou une
absence de gain de poids en période de croissance.
L’anorexie mentale prépubère s’accompagne de troubles de
l’image du corps, bien qu’ils soient moins présents que chez
les adolescents. L’une des spécificités chez les prépubères est la

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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restriction portant sur les liquides, dont l’absorption d’eau, par
crainte de voir le corps « gonfler ».
Le rapport à l’alimentation est marqué par la restriction et
l’évitement avec une forme de dégoût face à la nourriture. Or,
plus l’on évite une situation, plus elle devient anxiogène et aug-
mente les comportements d’évitement. À titre d’exemple, les
personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires ont
tendance à présenter un biais de « fusion pensée-forme » qui
correspond au fait de croire que le simple fait de penser à un ali-
ment calorique entraîne une prise de poids. L’individu concerné
par ce biais tente de ne plus penser à la nourriture, mais plus il
essaie d’éviter cette pensée, plus il se sent envahi par celle-ci, ce
qui augmente l’angoisse et donc l’évitement.
Les personnes atteintes de troubles du comportement ali-
mentaire risquent ainsi de développer un fonctionnement de
plus en plus rigide dans le but de contrôler à la fois les pensées
et les comportements liés à l’alimentation. Mais ce fonction-
nement est mis en échec, car plus la restriction alimentaire est
importante, plus l’organisme se met en état d’alerte, générant
des pensées liées à la nourriture.
Au-delà des symptômes liés à l’alimentation, on constate
des troubles dépressifs et des conduites auto-agressives, incluant
scarifications et comportements suicidaires. De plus, l’anorexie
précoce s’accompagne plus souvent de troubles obsessionnels
compulsifs comparativement à celle des adolescents.
Au-delà des effets liés à la restriction alimentaire qui aug-
mente les symptômes anxieux qui à leur tour augmentent les
conduites d’hypercontrôle, les chercheurs rapportent fréquem-
ment la présence d’un événement difficile déclenchant (sépa-
ration des parents, décès d’un grand-parent, déménagement
d’un ami, harcèlement à l’école), tandis qu’après la puberté la
restriction est davantage liée aux modifications pubertaires. On
observe également une forte tendance au perfectionnisme que
l’on constate notamment dans le domaine scolaire ou sportif,
une certaine rigidité cognitive (difficulté à accepter différents
points de vue sur une situation), ainsi que de moindres compé-
tences émotionnelles et relationnelles.

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L'anorexie, de plus en plus précoce
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Conséquences des troubles et prise en charge
L’anorexie précoce comporte des risques majeurs, comme la
bradycardie (ralentissement du rythme cardiaque), l’ostéopo-
rose précoce, le retard de croissance et du déclenchement de la
puberté, avec des séquelles possibles (anomalies du développe-
ment mammaire, infertilité), ainsi que des complications psy-
chiatriques telles que la dépression et les troubles anxieux. La
prise en charge des patients prépubères est donc nécessairement
pluridisciplinaire, impliquant une surveillance somatique et un
travail psychothérapeutique individuel et familial. Ce travail vise
à réduire l’angoisse liée à l’alimentation et à diminuer la rigidité
des comportements (rituels) et des cognitions (pensées répéti-
tives qui empêchent d’entrevoir d’autres manières de considérer
ce qui se passe à l’intérieur et à l’extérieur de soi). Cela peut se
faire grâce aux approches récentes développées dans le champ
des thérapies cognitives et comportementales telles que la théra-
pie d’acceptation et d’engagement (ACT) et les ateliers de flexi-
bilité cognitive. Chez l’enfant comme chez l’adolescent, la thé-
rapie familiale apparaît comme le traitement de prédilection. Les
approches proposées actuellement dans certains établissements
scolaires visant à développer les compétences émotionnelles et
relationnelles apparaissent aussi comme des pistes prometteuses
en prévention des troubles des conduites alimentaires.

Rébecca Shankland et Christelle Prost-Lehmann

À lire :
• Anorexie mentale de l’enfant prépubère, M.-F. Le Heuzey et É. Acquaviva, Elsevier/
Masson, 2006.
• Les Troubles du comportement alimentaire. Prévention et accompagnement thérapeutique,
R. Shankland, Dunod, 2016.

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Troubles de l'enfant : état des lieux
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Les autres troubles des conduites alimentaires
• La boulimie
La boulimie est très rare chez les enfants prépubères. Les crises de
boulimie se caractérisent par une ingestion rapide de grandes quantités
d’aliments souvent riches, avec une perte de contrôle et une absence de
plaisir alimentaire au moment de la crise. Celle-ci est suivie de comporte-
ments compensateurs (vomissements le plus souvent), ce qui fait que les
personnes qui souffrent de boulimie conservent souvent un poids normal.
• Les compulsions alimentaires
Chez les enfants, on observe plus fréquemment (entre 2 et 10 % chez
les enfants) des comportements de compulsions alimentaires : consomma-
tion d’aliments en grande quantité en un temps limité, faisant souvent suite
à l’expérience d’émotions négatives. Ces compulsions ne sont pas suivies de
comportements de purge ce qui entraîne un fort risque de surpoids.
• L’orthorexie
Il s’agit d’une obsession de manger uniquement ce qui favorise une
santé optimale. Les aliments doivent être obligatoirement sans additifs,
pesticides, colorants, conservateurs, sucre, mauvaises graisses et même sans
lactose ou sans gluten. On parle de pathologie lorsque ces comportements
entraînent une détresse émotionnelle et/ou des préoccupations mentales
plusieurs heures par jour, ainsi que des conséquences nutritionnelles (perte
de poids, malnutrition). Chez l’enfant, les comportements sont le plus sou-
vent subis, liés à une orthorexie familiale.

R. S. et C. P.-L.

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L’ENFANT ET L’ÉCOLE

– L’enfant, l’école et le psy (Jean-François Marmion)


– Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire (Jacques Grégoire)
– Les surdoués sont-ils sous-doués pour le bonheur ?
(Nicolas Gauvrit)
– Phobie scolaire : pourquoi tant d’angoisse ?
Rencontre avec Nicole Catheline
– Mutisme sélectif : pourquoi ne parlent-ils pas ? (Marc Olano)
– Quand la timidité devient pathologique (Vincent Trybou)
– Le harcèlement scolaire (Véronique Bedin)
– Les jeux dangereux, c’est pas du jeu (Anne-Claire Thérizols)
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L'ENFANT,
L'ÉCOLE ET LE PSY

S i les parents franchissent le pas d’emmener leur enfant


voir un psychologue, ça n’est pas de gaieté de cœur. Il
peut leur arriver de solliciter une consultation de leur propre
initiative (surtout dans les classes aisées, par exemple en cas de
retard du langage), ou sur les conseils de la famille, d’amis, de
leur médecin ou pédiatre, d’un orthophoniste… Mais, dans
80 % des cas, s’ils emmènent leur enfant chez un psy, c’est à
l’invitation, parfois pressante, de l’école. Surtout en primaire.
« C’est très, très net, observe Robert Voyazopoulos, directeur de
l’Appea (Association francophone de psychologie et psychopa-
thologie de l’enfant et l’adolescent) et enseignant à l’École de
psychologues praticiens. Depuis qu’elle est obligatoire, l’école,
en tant que lieu majeur de socialisation des enfants, fixe les cri-
tères de la normalité. »

Douze heures de bilan : qui peut les assurer ?


En règle générale, les motifs d’inquiétude relèvent de la suspi-
cion d’un trouble d’apprentissage et/ou d’un trouble du compor-
tement (anxiété, agitation, solitude…), influençant directement
la vie à l’école. Le maître ou la maîtresse alerte le psychologue
scolaire, qui, bien souvent, ne se trouve pas en mesure de réali-
ser l’examen approfondi, encore moins l’accompagnement thé-
rapeutique, d’un enfant dont le cas ne présente pas d’urgence.
« L’évaluation psychologique d’un enfant, c’est douze heures de
boulot, sinon c’est de la bricole, juge R. Voyazopoulos. Un QI
calculé en 1 h 30 sur un coin de table, ce n’est pas une évaluation.
C’est même scandaleux ! » Or la charge de travail des psycholo-
gues scolaires explose d’autant plus qu’ils ont également pour
mission d’assurer l’évaluation de plus de la moitié des dossiers

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L’enfant et l’école
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d’enfants en situation de handicap, dont le nombre augmente,
selon les départements, de 5 à 10 % chaque année, et dont la
majorité présente des troubles mentaux, psychiques ou cognitifs.
En conséquence, un autre psychologue doit reprendre le dos-
sier. « C’est le grand paradoxe, résume R. Voyazopoulos : malgré
le concept d’école inclusive, de société inclusive, dès que quelque
chose ne va pas, on externalise la prise en charge. » On exter-
nalise où ? En centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), le
temps d’attente peut être de deux ans, quelle que soit la région.
Le recours à un psychologue libéral garantit une prise en charge
plus rapide… mais rien d’autre. « Il n’y a pas de cadre pour cette
évaluation, seulement des suggestions, des recommandations1,
déplore R. Voyazopoulos. Les psychologues sont plus profes-
sionnalisés qu’autrefois, mais entre le charlatan du coin, celui
dont la formation date d’il y a vingt-cinq ans ou le sphinx de
type lacanien, il y a une trop grande diversité. »
Difficile, dès lors, de s’assurer que l’enfant sera évalué dans
les règles de l’art par un professionnel dûment formé pour cet
exercice complexe, alors que sa prestation sera tarifée jusqu’à
quatre cents euros, voire six cents. Pour couronner le tout, il
n’est pas rare que des parents désemparés se retrouvent ballottés
entre plusieurs spécialistes aux avis plus ou moins concordants
et aux accompagnements plus ou moins convaincants : « Je vois
arriver des enfants qui ont consulté neuropsychologues, pédo-
psychiatres, qui ont déjà été suivis pendant deux ans, soupire R.
Voyazopoulos. C’est du nomadisme : les parents sont en quête
de plusieurs regards. Chacun fait ce qu’il peut dans la situation à
laquelle il est confronté. »

Le fourre-tout des suspicions


Autre difficulté : parfois l’enfant, lui, ne comprend pas ce que
peut bien lui vouloir un psy. Et il ne demande rien. « Les enfants
n’ont pas de demande claire, faute de vocabulaire ou de prise de
1- Voir la conférence de consensus réalisée de 2008 à 2011 par l’Appea sur l’examen
psychologique et l’utilisation des mesures en psychologie de l’enfant sur appea.org.
Les résultats en sont synthétisés dans l’ouvrage coordonné par R. Voyazopoulos,
L. Vannertzel et L.-A. Eynard (coord.), L’Examen psychologique de l’enfant et l’utilisation
des mesures, Dunod, 2011.
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L'enfant, l'école et le psy
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conscience, observe Claire Meljac, psychologue entre autres à
l’unité de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpi-
tal Sainte-Anne et auteure, notamment, de Chemins du nombre 2.
Les motifs d’appel des parents sont extrêmement vagues, et pas
toujours justifiés. J’ai vu par exemple beaucoup d’enfants sus-
pectés d’un retard de développement général qui étaient très
brillants, mais qui, pour des raisons complexes, n’arrivaient pas
à s’adapter aux exigences de l’école. » Certaines suspicions se
révèlent bien plus précises. Actuellement, les psychologues sont
souvent priés de vérifier si un enfant ne souffre pas d’un « dys »
ou d’hyperactivité. Et surtout, on assiste à une explosion de sur-
doués. Enfin, de surdoués présumés… Parce que les salles de
classe sont parsemées d’élèves aux résultats extraordinaires ? Au
contraire ! « Voilà ce qui se passe, avertit C. Meljac. Un enfant
va très mal. Les parents ne veulent pas l’admettre. L’école et le
cas échéant des médecins interviennent, souvent sans mauvaises
intentions mais parfois avec roublardise, en laissant entendre que
l’enfant est surdoué, trop intelligent pour qu’on le comprenne,
donc très agité. Dans ce cas, les parents l’emmènent consulter
beaucoup plus volontiers. » Autant de diagnostics potentiels sus-
ceptibles en tout cas d’augmenter l’anxiété des parents… ou au
contraire de l’apaiser, puisque des mots précis – et non culpa-
bilisants – sont enfin formulés sur une situation préoccupante
qui n’a que trop duré. Des mots précis, et relevant du registre
médical.

La mainmise du médical
« En France, juge R. Voyazopoulos, dès que quelque chose ne
va pas à l’école, c’est du médico-psychologique3. Ce qui affran-
chit l’école de mieux penser l’accueil de la diversité des enfants. »
C. Meljac dénonce elle aussi la tentation de trop souvent psy-
chopathologiser et médicaliser, de voir des troubles neuro-déve-
loppementaux partout sans prendre en compte la situation
d’ensemble de l’enfant. Et déplore que les pédiatres, bien placés
en théorie pour repérer les difficultés quotidiennes d’un enfant,
2- Presses universitaires du Septentrion, 2017.
3- Voir S. Morel, La Médicalisation de l’échec scolaire, La Dispute, 2014.
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L’enfant et l’école
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recommandent fort peu la consultation d’un psychologue : « Ils
surmédicalisent à ce point que lorsqu’ils ne parviennent pas à
diagnostiquer précisément un trouble, ils rechignent à explorer
la piste psychologique. » Si les pédopsychiatres, eux, demandent
plus volontiers l’avis d’un psychologue, c’est généralement pour
des points très précis. « Mais si on se borne à ça, on loupe souvent
complètement le coche ! s’exclame C. Meljac. Pour les troubles
de l’attention, c’est typique, ils ont un impact général, pas sur un
apprentissage précis. Ils peuvent concerner aussi bien des enfants
agités que rêveurs, ou avec une mauvaise mémoire de travail. »
Injonctions à consulter mais demandes parfois vagues ou
fourre-tout, manque de moyens institutionnels, absence de
garantie dans la pratique des psys, diagnostics relevant parfois
de l’effet de mode… 80 % des consultations d’enfants, celles qui
s’effectuent à la demande de l’école, semblent ainsi fréquemment
relever du parcours du combattant, ou de la loterie. Et les 20 %
qui restent ? Celles qui visent, par exemple, l’accompagnement
d’un jeune patient trop émotif, ou en deuil, harcelé, confronté
à la séparation de ses parents ? Là encore, suivant les possibili-
tés de consultation offertes à ses parents, l’enfant peut tomber
sur un psy auprès duquel il va perdre son temps. Ou qui, tout
au contraire, va lui sauver la vie. Laissons donc la conclusion à
Robert Voyazopoulos : « Le public n’est pas assez protégé. C’est
dramatique. Je suis toujours sidéré qu’on laisse un vide pareil…
Surtout quand ça concerne des enfants ! »

Jean-François Marmion

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TROUBLES D’APPRENTISSAGE,
LE CALVAIRE SCOLAIRE

L e concept de trouble d’apprentissage recouvre une réalité


complexe. Il fait référence à des problèmes se manifestant
très tôt dans le développement, comme les troubles du langage,
et à d’autres qui n’apparaissent qu’au moment de la scolarisa-
tion, comme la dyslexie. Il désigne des troubles dont l’origine
neurologique est avérée, mais aussi des problèmes découlant
d’une motivation défaillante. Pour bien saisir la complexité de
ce concept, un bref historique est nécessaire.

Trouble d’apprentissage et scolarité obligatoire


L’émergence du concept contemporain de trouble d’appren-
tissage est étroitement liée à l’apparition de la scolarité obliga-
toire. Face aux élèves présentant des difficultés d’apprentissage,
les enseignants se révèlent alors démunis et la création d’un ensei-
gnement adapté est envisagée. C’est dans ce contexte qu’Alfred
Binet crée en France le premier test d’intelligence en 1905. Le
but de cet instrument est d’identifier les enfants devant bénéfi-
cier d’un enseignement spécial. Pour Binet et ses contemporains,
les difficultés d’apprentissage sont en effet la conséquence d’un
déficit intellectuel ou sensoriel. Cette conception réductrice des
troubles d’apprentissage évolue toutefois rapidement.
À la même époque, plusieurs auteurs décrivent des cas de
sujets incapables d’apprendre à lire, malgré des capacités sen-
sorielles et intellectuelles apparemment normales. Les tests de
QI vont permettre d’objectiver les compétences intellectuelles
de ces sujets, et de distinguer les troubles spécifiques dont ils
souffrent des troubles globaux qui caractérisent les retardés
mentaux. Dans les nosographies actuelles, comme la CIM-10,
le constat d’un QI non déficitaire reste l’un des critères de base

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L’enfant et l’école
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des troubles spécifiques d’apprentissage, associé à l’absence de
trouble sensoriel et à une scolarisation adéquate. Mais quelle
est l’origine des troubles spécifiques d’apprentissage ? De tous
ces troubles, c’est la dyslexie qui, de loin, a généré le plus de
recherches. Dès le début du xxe siècle, l’hypothèse d’un déficit
cérébral inné est d’emblée privilégiée. Les premiers chercheurs
affirment tout d’abord que la dyslexie trouve son origine dans un
système visuel immature. Mais, à partir des années 1970, cette
hypothèse cède la place à une explication en termes de déficit
phonologique. Les dyslexiques se caractérisent en effet par une
difficulté à analyser les sons de la langue parlée et à en identifier
les composants élémentaires que sont les phonèmes. Le trouble
de la conscience phonémique à l’origine de la dyslexie apparaît
aujourd’hui lié à la désorganisation de certaines zones cérébrales,
sans incidence sur les capacités intellectuelles.

L’importance du contexte d’apparition


Le succès des travaux sur la dyslexie a profondément influencé
les recherches consacrées aux autres troubles d’apprentissage.
Ainsi, les travaux récents sur la dyscalculie se sont, eux aussi,
concentrés sur l’identification d’une zone cérébrale responsable
du déficit d’une compétence de base qui, en cascade, perturbe-
rait l’ensemble des apprentissages mathématiques. De nombreux
chercheurs considèrent que les sujets dyscalculiques souffriraient
d’un dysfonctionnement du système cérébral de représentation
des quantités, entraînant des difficultés d’apprentissage des pre-
mières compétences numériques.
Alors que certains chercheurs se sont attachés à identifier
des facteurs neuropsychologiques très précis à l’origine de cer-
tains troubles d’apprentissage, d’autres se sont intéressés à des
problèmes plus généraux perturbant une gamme plus large
d’apprentissages. Parmi ces problèmes, le déficit de l’attention
occupe une place de choix. Mais on peut aussi citer les dys-
phasies et les dyspraxies, susceptibles d’entraîner une variété de
troubles d’apprentissage.
Les recherches évoquées jusqu’ici ont en commun d’envisa-
ger les troubles d’apprentissage sous un angle purement neuro-

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Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire
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cognitif et en dehors de tout contexte. Cette approche a permis
des avancées incontestables dans la compréhension des troubles
d’apprentissage. Toutefois, les enfermer dans ce seul cadre se
révèle réducteur. Ainsi, le jeune dyslexique confronté à son inca-
pacité d’apprendre à lire voit l’image de ses compétences intel-
lectuelles mise à mal, et sa motivation pour les apprentissages
scolaires sérieusement émoussée. Une approche plus globale des
troubles d’apprentissage, qui tiendrait compte de leurs consé-
quences émotionnelles et motivationnelles, apparaît dès lors
nécessaire. Par ailleurs, les conditions éducatives précoces et les
méthodes d’apprentissage peuvent atténuer ou aggraver le déficit
de l’enfant. Par conséquent, le trouble d’apprentissage n’est pas
seulement un attribut du sujet, mais doit être compris dans son
contexte d’apparition.

Jacques Grégoire

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LES SURDOUÉS
SONT-ILS SOUS-DOUÉS POUR LE BONHEUR ?

L e plus souvent, on définit une personne surdouée, ou « à


haut potentiel intellectuel », comme quelqu’un dont le
Quotient Intellectuel (QI) est au moins égal à 130 (la moyenne
de la population étant de 100). Le seuil de 130 est largement
accepté, même s’il reste en partie arbitraire. Il correspond à une
charnière au-delà de laquelle nous avons affaire à des niveaux
de QI qu’on peut qualifier d’exceptionnels, puisque seulement
2,3 % de la population environ sont concernés.
Depuis leur conception il y a plus d’un siècle, les tests d’intel-
ligence ont pour objectif de mesurer le fonctionnement cognitif
global d’un individu. Les personnes ayant les QI les plus éle-
vés sont ainsi généralement plus rapides mentalement, ont une
mémoire immédiate en moyenne plus développée et sont, en
général, capables de résoudre des problèmes plus complexes que
le reste de la population. Un QI au-dessus de la moyenne est
un avantage certain, prédicteur de réussite scolaire et profession-
nelle.
Néanmoins, les cas de surdoués éprouvant des difficultés de
vie existent bel et bien, largement documentés par des études
de cas et des témoignages détaillés. Dépression, anxiété patho-
logique, mélancolie ou simplement faible satisfaction de vie : les
surdoués ne sont pas immunisés contre ces difficultés du quo-
tidien. Certains auteurs, dont le plus célèbre est peut-être le
psychologue polonais Kazimierz Dąbrowski (1902-1980), ont
même avancé l’idée que si l’intelligence est une force à dose cou-
rante, elle devient un poison dans les extrêmes. Cette idée n’est
pas absurde en soi, même si elle demanderait à être confirmée
par les faits. Avec un QI de 130 ou de 140, on peut ressentir
un décalage important vis-à-vis de ses pairs. Les centres d’inté-

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Les surdoués sont-ils sous-doués pour le bonheur ?
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rêt diffèrent, l’ennui à l’école peut devenir inquiétant, pour ne
parler que des jeunes. À l’âge adulte, on pourrait imaginer des
difficultés d’intégration dans le milieu professionnel si l’éloi-
gnement intellectuel reste patent. Dès lors, disent les tenants de
cette hypothèse, la bénédiction d’une grande capacité cognitive
peut devenir un fardeau et rendre vulnérable, prédisposant à un
mal-être, à un sentiment d’inadaptation. Selon cette conjecture
donc, un excès d’intelligence aurait un effet négatif, et les sur-
doués seraient paradoxalement sous-doués pour le bonheur.
Au niveau individuel, il ne fait aucun doute que certains
surdoués n’arrivent pas à trouver leur place dans la société et
sombrent dans le malheur. Mais ces cas sont-ils plus fréquents
ou non que dans le reste de la population, voici une question qui
nécessite l’appui de données fiables. Fort heureusement, il existe
des enquêtes permettant d’étudier sérieusement le sujet afin de
déterminer si dans les faits, au niveau de la population, le haut
potentiel intellectuel a plutôt tendance à augmenter ou à réduire
le bien-être.

Anxiété et dépression
Étudier le bonheur peut sembler une gageure, mais les psy-
chologues ont développé des méthodes variées pour se faire une
idée du bien-être, de la satisfaction de vie au sein d’une popu-
lation suffisamment grande. Une première technique consiste à
étudier non directement le contentement, mais de se focaliser
sur des troubles ou des états mentaux qui lui sont statistique-
ment liés. Ainsi, on imagine que si les personnes à haut potentiel
étaient, globalement, moins heureuses que les autres, elles souf-
friraient aussi plus souvent de dépression (ou montreraient des
niveaux de dépression plus élevés) que le reste de la population.
Il a souvent été dit, par exemple, que l’intelligence supérieure
était « anxiogène », ce qui aurait un impact négatif sur le bon-
heur.
Les études correctement menées pour répondre à ces ques-
tions existent en nombre suffisant pour que des synthèses –
les fameuses méta-analyses – aient déjà été réalisées. En 1999,
Maureen Neihart, psychologue praticienne, publiait justement

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L’enfant et l’école
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l’une d’elles. Son analyse de la dépression montre qu’aucun élé-
ment n’appuie la thèse d’un risque accru de dépression chez les
personnes à haut potentiel intellectuel, parmi les sept articles
scientifiques disponibles à l’époque sur le sujet. Les études
contrôlées montraient toutes soit des taux de dépression moyens
identiques entre les surdoués et les autres, soit un taux réduit
chez les surdoués.
L’anxiété a sans doute été plus étudiée encore que la dépres-
sion, avec au moins quatorze études menées aux États-Unis,
en Israël, en France, en Pologne ou en Lettonie. Aucune de ces
études ne montre une anxiété générale supérieure chez les sur-
doués. Environ la moitié met au contraire à jour un niveau d’an-
xiété réduit. Le consensus scientifique, bien établi aujourd’hui,
est que l’intelligence supérieure n’est pas un facteur de risque
pour la dépression ou l’anxiété, contrairement à ce que l’on avait
pu croire à une époque, sur la base d’observations cliniques et
de théories spéculatives. Cela ne signifie pas que les observations
cliniques soient truquées ou en contradiction avec la réalité.
Simplement, les psychologues praticiens ont accès à un échantil-
lon biaisé de la population, du fait que les personnes ayant des
difficultés (par exemple liées à une grande anxiété) consultent
évidemment plus volontiers que celles pour qui tout va bien.
Ainsi, certains psychologues ont-ils cru observer à tort une plus
grande détresse chez les personnes à haut potentiel : une intui-
tion que les études ont permis de rejeter.

Motivation
Malgré des affirmations répétées de risque accru de dépres-
sion ou d’anxiété, la littérature scientifique pointe ainsi très
largement en sens inverse, avec une stabilité dans le temps et
l’espace remarquable. Malgré une répartition essentiellement
occidentale, les mêmes résultats ont été retrouvés aux États-Unis,
en France ou en Pologne, pour ne citer que trois pays. Depuis
plus d’un siècle, les effets bénéfiques – ou au moins neutres – de
l’intelligence ont été régulièrement vérifiés.
Cependant si l’anxiété et la dépression sont des signes de
mal-être, ce ne sont évidemment pas les seuls. D’autres peuvent

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Les surdoués sont-ils sous-doués pour le bonheur ?
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être envisagés et l’ont été, par exemple chez les enfants et les
adolescents. Une base de données tout à fait remarquable par
sa qualité et sa dimension est fournie par le ministère de l’Édu-
cation Nationale français. Celui-ci organise régulièrement
des études de grande ampleur pour évaluer la progression des
élèves français. En 2007 a ainsi débuté une belle étude sur une
cohorte de plusieurs dizaines de milliers d’élèves, parfaitement
représentative de la population française. Ces élèves ont été sui-
vis tout au long du collège au moyen de questionnaires et de
tests informatisés répétés. Ces données précieuses ont permis de
confirmer des résultats obtenus dans les années 1960 par une
étude similaire en France, mais aussi à de nombreuses reprises
tout au long du xxe siècle dans le monde entier : les élèves dont
le QI est plus élevé réussissent mieux au collège, sans qu’à aucun
niveau d’intelligence on n’observe d’inversion du lien, ni même
de stagnation.
L’enquête du ministère sur la cohorte d’élèves français qui
étaient en 6e en 2007 contenait d’autres informations que les
résultats scolaires et une mesure d’intelligence. De manière
très intéressante, elle comprenait également une mesure de la
motivation des élèves, de leur intérêt pour les enseignements.
Sur cette grandeur qui peut être vue a minima comme un indice
lointain de bien-être dans le système scolaire, les résultats sont
surprenants. En 6e, les élèves à haut potentiel ont en moyenne une
motivation supérieure aux autres élèves : les matières scolaires les
intéressent plus, ils ont l’impression d’apprendre quelque chose.
En 3e, le rapport est inversé, avec une motivation moindre pour
les élèves au plus haut QI. On peut interpréter ce résultat de
la manière suivante : certes, les enfants à haut potentiel ont des
capacités leur permettant de mieux réussir à l’école. Néanmoins,
le rythme d’apprentissage ordinaire n’est pas optimal, trop faible
pour eux, ce qui les conduit progressivement à un désintérêt
pour l’école. S’ils sont à l’aise dans les apprentissages, cela ne
signifie donc pas qu’ils soient heureux dans cette école trop lente
pour eux qui n’arrive pas à les nourrir intellectuellement.
Du point de vue de l’ennui scolaire, on peut donc supposer
sans trop de risque qu’au moins à la fin du collège, les élèves à

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L’enfant et l’école
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haut potentiel sont plutôt moins bien lotis que ceux plus proches
de la moyenne. Bien que généralement en réussite, ce sont bien
des élèves à besoin spécifiques pour qui une éducation adaptée
serait utile.

Bien-être
Anxiété, dépression, stress ou motivation sont des indices
de bien-être, mais ne permettent pas de répondre de manière
tranchée à la question du « bonheur » ou du « malheur » chez
les personnes à haut potentiel. Fort heureusement, les psycho-
logues ont développé des questionnaires permettant de mesurer
de manière statistiquement fiable le bien-être d’une personne ou
d’une population.
Lorsqu’on analyse la tendance sur l’ensemble du spectre de
l’intelligence, on trouve généralement que l’intelligence semble
bien prédisposer au bonheur et non l’inverse. Ainsi, le QI moyen
d’une population – oui, il existe de petites variations de QI
moyen… et non, la France n’est pas en tête – est lié au bien-être
de ses habitants. Plus le QI est élevé dans le pays, plus les habi-
tants sont heureux en moyenne. Ce lien se retrouve également
à l’intérieur des pays où les enquêtes montrent là encore que
l’intelligence n’est pas une calamité, mais plutôt une chance et
prédispose plutôt au bien-être.
« Oui mais », objectent ceux pour qui le haut potentiel doit
être un facteur de risque, « cela n’est sans doute pas valable pour
les plus hauts QI, c’est seulement une tendance obtenue sur la
population générale, qui inclut fort peu de hauts potentiels. » La
critique est recevable. Il se pourrait en effet que l’intelligence soit
un facteur de bien-être jusqu’à un certain point, avant de devenir
handicapante dans les extrêmes. C’est pourquoi il est utile de se
tourner aussi vers les enquêtes qui abordent plus spécifiquement
le cas des personnes à haut potentiel. Plusieurs études interna-
tionales ont été menées sur cette question, par exemple celle de
la psychologue allemande Linda Wirthwein de l’Université de
Marburg qui suivit jusqu’en 2011 une cohorte d’adultes à haut
potentiel. Résultats ? le bien-être des personnes à haut potentiel
est en moyenne similaire à celui du reste de la population.

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Les surdoués sont-ils sous-doués pour le bonheur ?
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Les adultes doués sont donc plutôt bien lotis, en tout cas
pas moins que les autres. Qu’en est-il des adolescents ? En Alle-
magne encore, des chercheurs ont trouvé un effet positif du haut
potentiel sur une cohorte de 655 lycéens d’une filière recher-
chée. Il est tout à fait possible que les hauts potentiels des filières
moins prestigieuses, et a fortiori ceux qui se trouvent en échec
scolaire, soient au contraire d’autant moins heureux lorsqu’ils
sont surdoués. Néanmoins, ces résultats indiquent au moins
que le haut potentiel n’est pas en soi un facteur de risque. En
Suisse Romande, une autre enquête de grande envergure menée
par Patrick Santilli, de l’Université de Lausanne, conduit à une
conclusion finalement similaire à ce qu’on sait des adultes. Dans
sa cohorte, les adolescents à haut potentiel détectés ont un niveau
de satisfaction à peine inférieure au reste de la population. La
différence est suffisamment faible pour être explicable par le fait
qu’il s’agit de surdoués détectés, ce qui induit un biais, car ceux
qui ont des difficultés ont bien sûr une probabilité plus grande
d’être passés entre les mains d’un psychologue. La conclusion
de Patrick Santilli est que la population adolescente surdouée,
sans être spectaculairement favorisée, n’est vraisemblablement
pas défavorisée.

Ni un vaccin, ni un poison
L’hypothèse qu’une intelligence extrême rend inapte au bon-
heur est répandue, née d’un raisonnement a priori plausible selon
lequel le décalage associé à de telles capacités déboucherait sur
des sentiments négatifs. Le cas se présente effectivement, comme
cela a été bien décrit par des psychologues de terrain. Néanmoins,
l’hypothèse inverse est tout aussi défendable. Plus à même de
réaliser leur rêve de devenir ingénieur, journaliste ou avocat, les
personnes ayant un QI élevé ont plus de chance de trouver une
place qui leur convient dans le monde. Seules les études contrôlées
permettent de trancher… et elles penchent plutôt vers la seconde
hypothèse. Le haut potentiel, s’il ne vaccine pas contre le malheur,
ne rend certainement pas inapte au bonheur.

Nicolas Gauvrit

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L’enfant et l’école
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Il n’y a pas deux vérités
Certains, parmi les parents d’enfants surdoués ou les psychologues cli-
niciens, restent perplexes face à ces résultats statistiques qui pointent vers
une absence d’effet négatif de la haute intelligence sur le bien-être. Si votre
enfant à haut potentiel est mal dans sa peau, ce qui arrive finalement à peu
près aussi souvent que chez les autres enfants, vous aurez naturellement
tendance à penser que les deux caractéristiques sont liées. Quant aux pra-
ticiens, ils ne rencontrent quasiment que des personnes venues consulter
pour une difficulté et ne disposent donc pas des données nécessaires.
Les psychologues sont fréquemment victimes d’une illusion et se
trouvent alors confrontés à un paradoxe : alors qu’ils ne voient quasi-
ment que des surdoués ayant des difficultés, les données ne montrent pas
d’effet délétère du haut potentiel. Pour surmonter ce paradoxe, certains
en viennent à considérer qu’il existe deux sortes de vérités : la vérité cli-
nique (celle du terrain) et la « vérité statistique » révélée par les études. Mais
comme l’illustrent fort bien les psychologues Sophie Brasseur et Catherine
Cuche dans leur ouvrage Le Haut potentiel en questions (Mardaga, 2017), il
n’existe pas de telle dichotomie. Cliniciens et chercheurs étudient la même
réalité à deux niveaux différents, en aucun cas contradictoires.
Le chercheur doit admettre que les études à grande échelle ne disent
rien sur tels ou tels cas particuliers. Que l’intelligence élevée ne soit pas un
facteur de détresse psychologique ne signifie ni que les deux ne sont pas
quelquefois associées, ni même que dans des cas particuliers l’un ne découle
pas de l’autre. À l’inverse, les cliniciens doivent admettre que les cas qu’ils
rencontrent et sont capables de décortiquer en profondeur ne leur donnent
pas accès à une connaissance globale sur ce qui se passe tendanciellement
sur la population.

N.G.

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PHOBIE SCOLAIRE :
POURQUOI TANT D'ANGOISSE ?
Rencontre avec Nicole Catheline

Les enfants « malades de l’école » seraient de plus en plus nom-


breux… Submergés par le stress et la peur, ils préfèrent rester à la
maison plutôt que de poursuivre leur scolarité. Quels sont les méca-
nismes qui conduisent à la phobie scolaire ?

Comment définit-on la phobie scolaire ?


Personne ne s’entend sur ce qu’est la phobie scolaire, c’est
un vrai méli-mélo… On met sous ce vocable des choses très
diverses. Au sens strict, le terme « phobie » renvoie à la psycha-
nalyse qui le définit comme le déplacement d’une crainte sur
quelque chose d’autre. Mais maintenant, il est tombé dans le
domaine courant et la phobie scolaire est assimilée au refus
anxieux de l’école, ou encore au décrochage qui n’a pas grand-
chose à voir (les décrocheurs sont selon l’Éducation nationale les
jeunes de 16 ans sortis du système scolaire sans qualification ni
diplôme). De manière générale, ce terme de phobie scolaire se
rapporte aux enfants qui n’en peuvent plus de l’école, mais pour
des raisons très variables. En l’espace de cinq ou six ans, j’ai vu
leur nombre multiplié par trois lors de mes consultations. C’est
donc vraisemblablement un phénomène lié à la société et aux
structures scolaires.

Les causes de ce rejet s’expliquent-elles par les expériences


vécues à l’école ?
C’est vrai pour une partie de ces jeunes pour qui la scolarité
incarne l’objet de la difficulté. Certains d’entre eux sont défici-
taires ou ont des troubles d’apprentissage spécifiques « dys » (dys-
lexie, dysphasie, dyscalculie…), détectés trop tardivement. Ils

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L’enfant et l’école
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parviennent à compenser assez longtemps et se maintiennent au
niveau, mais au bout d’un moment ils lâchent. D’autres enfants
vivent une maltraitance pédagogique, du fait de méthodes qui
ne leur conviennent pas. Certains encore entretiennent une
relation au savoir compliqué, ou sont élevés dans des familles
qui n’éprouvent pas un grand intérêt pour la connaissance.
Ils perdent le sens des apprentissages et décrochent au bout
d’un moment. Or, quand un enfant n’arrive plus à suivre, cela
l’angoisse. Mais il faut décortiquer son anxiété pour se rendre
compte si c’est l’école qui en est à l’origine. Des élèves peuvent
aussi être victimes de harcèlement par des pairs ou de la part
d’un enseignant. À leurs yeux, le seul moyen de ne plus être
harcelés, c’est de ne plus aller à l’école.

À côté des difficultés liées à l’école, quelles sont les autres


sources de phobie scolaire ?
Certains enfants ont des raisons personnelles de ne pas aller
bien et transportent avec eux leurs problèmes. L’école sert de
révélateur de leur fragilité, car elle appuie là où cela fait mal, en
les obligeant à se socialiser et à se séparer. Un parent peut ren-
contrer une situation difficile et l’enfant se dit qu’il doit rester
à la maison pour le protéger. Par exemple, la phobie scolaire
peut commencer lorsque la mère ou le père tombe malade ou se
retrouve au chômage.
D’autres parents sont « collés » à leur enfant et ne le pré-
parent pas à la séparation. Ils ne le laissent pas aller au centre aéré
ou dormir chez des personnes étrangères par exemple. L’enfant
est privé de relations sociales, ce qui ne l’encourage pas à faire
comme les autres. Il reste scotché aux adultes et ne développe
pas de raisonnement personnel, ce qui a des conséquences sur sa
réussite scolaire. S’il manque de pensée hypothético-déductive,
il peut s’effondrer en classe de quatrième. Quant aux parents,
ils sont « responsables, mais pas coupables », car ils sont eux-
mêmes pris dans des histoires compliquées. Ils ont pu vivre des
choses difficiles, voire traumatisantes, dont ils veulent proté-
ger leurs enfants. Dans mes consultations, j’aborde souvent la
dimension transgénérationnelle en recevant les grands-parents :

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Phobie scolaire : pourquoi tant d'angoisse ?
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ils m’apprennent parfois que les parents ont eux aussi vécu une
phobie scolaire…

Quelles sont les conséquences de ce refus de l’école sur la vie


de l’enfant ?
Les enfants et les adolescents ont besoin des autres pour se
construire. Sans contact avec leurs pairs, ils risquent de se sentir
différents et isolés. Cette situation va attaquer l’image qu’ils ont
d’eux-mêmes et accroître leurs difficultés. Ils vont se déprécier
et se désocialiser petit à petit. C’est un cercle vicieux ; s’ils pré-
tendent qu’ils sont malades, ils ont tendance à refuser aussi leurs
activités extrascolaires. Parfois une phobie sociale s’installe : les
enfants ne supportent plus d’être sous le regard des autres. Si cet
état se prolonge, l’impact peut être important sur la personna-
lité, les apprentissages, l’estime et la représentation de soi.

Que peut-on faire pour éviter d’en arriver là ? Comment lutter


contre la phobie scolaire ?
À l’école, il convient de soutenir les enseignants et de leur
permettre de s’exprimer. Ils doivent pouvoir confier qu’ils ne
supportent plus un enfant, sans risquer d’être dans un cadre sanc-
tionné par la hiérarchie. Il faudrait aussi les former aux troubles
« dys ». Depuis la loi de 2005 sur le handicap, ils doivent accueil-
lir des publics très différents, mais sans bénéficier d’un accom-
pagnement. Quant au soutien des élèves en difficulté, il se révèle
très insuffisant, en particulier depuis qu’on a démantelé les rased
(réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté). En outre, il
faudrait développer les lieux de socialisation en dehors de l’école
et davantage lutter contre le harcèlement entre pairs. Du côté
des parents, il y a des messages à faire passer : certes, les enfants
doivent être protégés, mais ils doivent aussi être confrontés à un
peu de difficulté. Ils ont besoin de challenges qui leur fassent
plaisir et qui leur prouvent leurs capacités, mais en dehors de
l’école. Aujourd’hui, tout tourne autour de la réussite scolaire, il
y a beaucoup trop de pression sur ce sujet.

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L’enfant et l’école
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Quand un enfant risque de décrocher, comment réagir ?
D’abord, il faut repérer les signes avant-coureurs comme
l’absentéisme répété ou les somatisations (maux de ventre, de
tête…) le dimanche soir ou le lundi matin. Il est conseillé d’aller
consulter un pédiatre ou un médecin scolaire. Un aménagement
de la scolarité peut être envisagé : l’enfant continue d’aller à
l’école mais à temps partiel, avec par exemple un allégement des
journées les plus chargées. On peut rétablir peu à peu l’emploi
du temps complet quand l’enfant commence à aller mieux. Si la
déscolarisation est effective, il faut agir très vite, dans le mois qui
suit, en prenant rendez-vous avec un spécialiste. La phobie sco-
laire, c’est une urgence pédopsychiatrique, car il existe un risque
important de chronicisation : la situation s’installe si les parents
n’insistent pas. Il faut aussi éviter une inscription trop rapide au
Cned (Centre national d’enseignement à distance). Il est en effet
très difficile de travailler seul, beaucoup d’enfants décrochent au
bout de quelques mois. La meilleure solution reste une rescolari-
sation la plus rapide possible. Généralement, les milieux sociaux
favorisés s’en sortent mieux, en trouvant par exemple des écoles
privées coûteuses.

Propos recueillis par Diane Galbaud

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Phobie scolaire : pourquoi tant d'angoisse ?
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Les formules d'accompagnement
Psychothérapie - La psychothérapie peut être menée dans des struc-
tures comme les CMP (centre médico-psychologique) ou CMPP (centre
médico-psycho-pédagogique) qui rassemblent des professionnels spécialisés
(pédopsychiatres, psychologues, infirmiers psychiatriques). Elle peut aussi
s’effectuer en libéral auprès de pédopsychiatres, psychologues, psychothé-
rapeutes.
Hôpital de jour - À l’hôpital de jour en pédopsychiatrie, les enfants
peuvent bénéficier d’un accompagnement thérapeutique, éducatif et péda-
gogique. Les activités se déroulent dans la journée et le cas échéant à temps
partiel, afin d’être compatibles avec la scolarité.
Service d’assistance pédagogique à domicile - Relevant de l’Éduca-
tion nationale, ce service est proposé aux enfants et adolescents atteints
de troubles de la santé évoluant sur une longue période. Des professeurs
dispensent les cours à domicile.
Projet d’accompagnement individualisé - Visant le maintien scolaire,
ce dispositif définit l’emploi du temps de l’enfant (cours suivis, temps thé-
rapeutiques) en fonction de son état de santé, à l’issue d’une concertation
entre le thérapeute, le médecin de l’Éducation nationale et les enseignants.
Il peut être réévalué selon ses progrès.

D.G.

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MUTISME SÉLECTIF :
POURQUOI NE PARLENT-ILS PAS ?

«J ’ai une fille de 23 ans qui est étudiante apprentie en


Master 2. Scolarisée en maternelle un peu avant ses
trois ans, nous avons été étonnés d’apprendre qu’elle n’y parlait
pas beaucoup, alors qu’à la maison aucun trouble n’existait. Elle
était épanouie, avait marché à 10 mois, était propre jour et nuit
à 15 mois et nous parlait beaucoup en famille. Somme toute,
elle était plutôt en avance sur ses aînés à pareil âge. En deuxième
année de maternelle, l’enseignante (qui me paraissait beaucoup
m’observer) m’a indiqué qu’elle était inquiète, car notre fille était
totalement muette avec elle et les autres enfants… » Ce témoi-
gnage d’une maman publié sur le site de l’association « Ouvrir
la voix » illustre très bien le dilemme des enfants mutiques.
Intelligents et vifs de nature, ils voudraient bien parler, mais n’y
parviennent pas. Comme pour cette petite fille, rien dans leur
comportement à la maison ne laisse présager de leurs difficultés
en dehors. Et pourtant, c’est là que tout se fige. « Mon fils n’osait
même pas prendre un bonbon qu’on lui tendait. Il fallait que ce
soit moi qui le prenne et lui donne », explique Valérie Marschall,
présidente de l’association.
Le mutisme sélectif n’est pas seulement l’incapacité de par-
ler à certaines personnes (ces enfants n’ont pas de problème de
communication quand ils sont à l’aise), mais une grande inhi-
bition qui empêche de s’exprimer dans des situations sociales.
« Je connais un enfant mutique qui s’est cassé une jambe à la
piscine. Il a été incapable de sortir un son de douleur », relate
Valérie Marschall. Toute la sphère orale bloquée, certains enfants
rechignent même à manger en public. Les situations sociales
provoquent chez eux des angoisses terribles qui se traduisent par
des palpitations cardiaques, mains moites, nausées ou sensations

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Mutisme sélectif : pourquoi ne parlent-ils pas ?
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de gorge serrée. Ces enfants ont aussi souvent une allure très
raide, un visage inexpressif ou un regard fuyant.

Des hypothèses controversées


Le médecin allemand Adolf Kussmaul a été le premier en
1877 à décrire ces symptômes cliniques en parlant « d’aphasia
voluntaria » (silence délibéré). Pour ce médecin, il s’agissait donc
d’un blocage volontaire, idée reprise quelques années plus tard
en 1927 par la psychanalyste Sophie Morgenstern. Elle parle
de « l’expression d’une provocation, d’une opposition reliée
aux conflits intrapsychiques d’une personnalité hystérique » et
évoque même une dimension « sadique1 ». C’est le psychiatre
suisse Moritz Tramer qui utilise pour la première fois en 1934
le terme de « mutisme électif ». Selon cette conception, l’enfant
« élirait » en quelque sorte les personnes à qui il s’adresse. Moritz
Tramer associe le mutisme à un trouble grave de la personnalité.
D’autres auteurs vont le rapprocher de la psychose infantile.
Aujourd’hui, ces conceptions sont bel et bien révolues. Le
mutisme sélectif est plutôt considéré comme un trouble anxieux.
La dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (DSM-5) le définit comme « l’impossibilité
régulière à prendre la parole dans des situations sociales spéci-
fiques alors que la personne parle correctement dans d’autres
situations. » Cette impossibilité ne doit pas être le fait d’un
trouble du langage, ni d’un trouble de la communication. Il faut
donc bien distinguer le mutisme sélectif d’autres troubles, tels
que l’aphasie ou l’autisme.
Candice Blondeau est pédopsychiatre à Bordeaux. Elle s’oc-
cupe plus spécifiquement d’enfants avec un mutisme sélectif.
Selon elle, « il s’agit dans la majorité des cas d’une complication
de la phobie sociale. Au départ, il y a une vulnérabilité anxieuse
qui peut se renforcer suite à un évènement vécu comme trau-
matisant, comme un déménagement ou la mort d’un animal
de compagnie par exemple. » Mais pour la pédopsychiatre, ce
trouble n’a rien à voir avec un trouble oppositionnel. « Il est vrai

1- E. Becker, « Le mutisme sélectif chez l’enfant : pistes de compréhension et de traite-


ment », Psychothérapies, 32(4), 239-248, 2012.
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L’enfant et l’école
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qu’on peut penser cela, puisque ces enfants paraissent souvent
plutôt froids et distants. Ils n’ont pas forcément l’air anxieux
alors qu’ils sont terrorisés. Et plutôt que de dire ‘‘je n’ose pas par-
ler’’, ils diront ‘‘je ne veux pas’’. » Cette attitude peut alors passer
pour de l’opposition, alors qu’elle est uniquement défensive.

Sortir du mutisme
Il y aurait selon les études entre 0,2 et 2 % de cas de mutisme
sélectif en France. Mais il est possible que la fréquence de ce
trouble soit sous-évaluée, car souvent mis sous couvert d’une
simple timidité. Ce qui apparaît comme flagrant dans les études
est un taux trois à quatre fois plus élevé chez les enfants issus
de l’immigration. Certains auteurs penchent alors pour l’hypo-
thèse d’une étiologie traumatique. « Les familles confrontées
à l’errance et à l’immigration tentent parfois de faire face aux
traumatismes en adoptant la loi du silence2 », écrit le psychiatre
Emmanuel de Becker. La pédopsychiatre Zerdalia Dahoun,
quant à elle, évoque l’hypothèse de secrets familiaux que l’enfant
essayerait de protéger en s’interdisant de parler3. Pour d’autres
auteurs, le fait de se réfugier dans le silence pourrait corres-
pondre à une réaction liée à un choc affectif subi dans l’enfance
(un abus sexuel ou d’autres formes de maltraitances). Mais pour
Candice Blondeau, on ne peut en aucun cas généraliser ce type
d’explications. Il y a aussi parmi les enfants mutiques de nom-
breux enfants non issus de l’immigration et qui n’ont pas connu
de traumatismes dans leur enfance.
Aider l’enfant à sortir du mutisme s’apparente souvent à un
long chemin sinueux. Tous les professionnels du soin s’accordent
sur une chose : l’importance de travailler en réseau avec les dif-
férents intervenants, notamment la famille et l’école. Candice
Blondeau utilise des méthodes cognitives et comportementales
dans son cabinet. En confrontant l’enfant étape par étape aux
situations qui lui font peur, elle tente de réintroduire progressi-

2- Idem.
3- S. Di Meo, C. van den Hove, G. Serre-Pradère, A. Simon, M.-R. Moro, et T. Baubet,
« Le mutisme extra-familial chez les enfants de migrants. Le silence de Sandia », L’infor-
mation psychiatrique, 91(3), 217-224, 2015.
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Mutisme sélectif : pourquoi ne parlent-ils pas ?
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vement les bases de la communication. « Ces enfants sont aussi
souvent en difficulté dans la communication non verbale. Des
gestes tout simples, comme hocher la tête, lever la main, regar-
der peuvent leur être impossibles. » Lorsque le cadre du cabi-
net s’avère comme trop anxiogène pour l’enfant, il arrive que
Candice Blondeau se déplace dans les familles pour rentrer en
contact avec l’enfant.
Valérie Marschall et son association préconisent une méthode
comportementale venue du monde anglo-saxon, le « sliding
in » ou introduction progressive de la parole en milieu scolaire.
Son but : désensibiliser progressivement l’espace scolaire en tant
que facteur anxiogène. Dans un premier temps, un des parents
vient deux fois par semaine à l’issue des cours passer 15 à 20
minutes seul avec l’enfant dans la salle de classe. Il y fera des
jeux et essayera de détendre l’enfant dans cet environnement qui
habituellement le paralyse. Petit à petit, il l’amènera à y produire
des sons et puis des mots, comme à la maison. Dans un deu-
xième temps, l’objectif sera de faire parler l’enfant en présence
d’un camarade de classe. Pour faciliter ce passage, il est possible
qu’il l’invite d’abord à la maison où il se sent plus à l’aise. Puis,
le parent reprendra les séances d’entraînement dans la salle de
classe, cette fois en présence du copain en question. Lorsque
cette étape est franchie, il devra inviter d’autres copains jusqu’à
former un petit groupe. Puis viendra le moment où l’enseignant
sera également introduit dans les jeux en salle de classe. D’abord
seul avec le parent et l’enfant autour d’activités ludiques, puis
progressivement avec les autres enfants de la classe. « Cela
demande un travail d’équipe entre les parents et les personnels
de l’école », explique Valérie Marschall. Grâce à cette méthode,
son fils a pu retrouver la parole au sein de l’école au bout d’une
année. Mais parfois, cela prend bien plus de temps. « Cela peut
varier de quelques mois à une ou deux années en moyenne, selon
le niveau d’anxiété de l’enfant et selon les comportements de
l’entourage scolaire et familial (absence de pression, attitude
bienveillante) », affirme V. Marschall.

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L’enfant et l’école
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Le mutisme à l’adolescence
D’autres formes de prise en charge existent pour tenter de
venir à bout de ce trouble. À titre d’exemple, nous citerons la
consultation transculturelle, un dispositif élaboré à l’hôpital
Avicenne de Bobigny qui prend en compte les problèmes spéci-
fiques rencontrés par les familles migrantes. Ce dispositif dirigé
par Marie-Rose Moro comprend des psychologues et psychiatres
de cultures et nationalités différentes et des interprètes. Il a pour
but de faciliter la communication avec des familles maîtrisant
mal le français. L’hôpital Avicenne propose aussi des groupes
thérapeutiques bilingues qui accueillent des enfants en diffi-
culté étayés par des soignants bilingues. « L’objectif est d’arriver
à créer des ponts entre le monde de la famille (l’intérieur) et le
monde d’accueil (l’extérieur) qui dans bien des situations sont
clivés4. » L’enfant est en effet souvent pris dans des situations où
il ne communique que dans sa langue d’origine avec ses parents,
alors qu’en dehors de la maison on lui demande d’utiliser une
autre langue. Dans ces groupes thérapeutiques, on va proposer à
l’enfant de faire un détour par sa langue maternelle pour dépas-
ser son blocage.
Si la plupart des enfants parviennent à sortir du mutisme en
grandissant, il y en a aussi qui restent cloîtrés dans le silence,
mêmes adultes. « Si on ne les aide pas, le mutisme ne disparaît
pas tout seul. C’est souvent à l’adolescence que l’écart se creuse
avec les autres », explique Valérie Marschall. L’ado mutique aura
davantage tendance à s’isoler que l’enfant, car il va se priver
des sorties entre amis et c’est là que les choses risquent de se
compliquer. Dépression, conduites addictives, idées suicidaires
peuvent faire leur apparition et ces adolescents auront alors plus
que jamais besoin d’être pris en charge. Sur un plan scolaire, les
choses risquent aussi de se corser, plus particulièrement à cause
des examens oraux. « Beaucoup sont en échec scolaire du fait
d’un manque d’aménagements et de reconnaissance de leur han-
dicap », explique Candice Blondeau. Pourtant, il existe bel et
bien des solutions, comme des logiciels qui vont traduire à l’oral
ce que l’enfant tapera sur un clavier.
4- Idem.
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Mutisme sélectif : pourquoi ne parlent-ils pas ?
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Mais beaucoup de chemin reste encore à parcourir avant que
ce trouble soit véritablement reconnu et pris en compte. Une
chose est sûre : tant qu’on continuera à considérer ces enfants
comme de simples « capricieux » ou « timides », on ne risque pas
de leur ouvrir la voie à la parole…

Marc Olano

L'association Ouvrir la voix


En 2006, Valérie Marschall découvre le mutisme de son fils qui rentre
alors au CP. Elle se documente sur internet et consulte des livres anglo-
phones dont elle traduira certains en français. Après son combat victo-
rieux grâce à la méthode du « sliding in » (« Introduction Progressive »),
elle s’associe en 2008 avec une psychologue scolaire et trois autres familles
pour fonder l’association « Ouvrir la voix ». Celle-ci propose aux familles
concernées par le problème du mutisme sélectif un site internet avec des
renseignements pratiques et de nombreux témoignages. L’association a
également élaboré un « kit école » validé par l’Éducation nationale qui
explique en détail le programme d’introduction progressive de la parole en
milieu scolaire. C’est un document de 80 pages qu’elle met gratuitement à
disposition des familles et des écoles. L’association en distribue entre 700 et
800 exemplaires par an. Par ailleurs, Valérie Marschall propose un suivi des
progrès des enfants sous la forme d’échanges par mails et une permanence
téléphonique pour échanger avec les parents, mais aussi les intervenants
en charge de l’enfant. L’association organise régulièrement des réunions
d’information sur le mutisme sélectif ouvertes à tous.

Pour plus d’informations, voir le site de l’association : www.ouvrirlavoix.fr

M.O.

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QUAND LA TIMIDITÉ
DEVIENT PATHOLOGIQUE

L a timidité repose sur la peur du jugement par les autres.


La personne timide a peur de « paraître idiot(e) », peur
d’être honteuse, de trembler, bafouiller, transpirer, rougir, de ne
pas savoir quoi faire de ses mains ou de son corps, et que cela se
voit.
On dira d’un enfant – tout comme d’un adulte – qu’il est
timide quand cette peur reste minime, quand il rougit ou se sent
un peu mal à l’aise avec les autres, mais arrive néanmoins à faire
les choses du quotidien. Il dira « oui, je suis timide, mais je me
débrouille ». On parlera plutôt d’anxiété sociale s’il a besoin de
plusieurs jours pour anticiper des situations sociales spécifiques,
mais arrive à faire les choses en dépit de quelques difficultés. Et
on parlera enfin de phobie sociale quand la personne ressent une
anxiété permanente et intense pour la majorité des situations
sociales, et évite massivement tout ce qui pourrait entraîner de
la honte, réduisant ainsi de façon importante sa qualité de vie.
On voit donc qu’entre timidité, anxiété sociale et phobie sociale,
il existe un continuum allant de la petite difficulté et l’anxiété
mineure vers le handicap majeur et la souffrance permanente.

Peur des autres


Sur quoi la timidité, et par extension la phobie sociale, repose-
t-elle ? La recherche met aujourd’hui l’accent sur un terrain
génétique. Mais les gènes n’expliquent pas tout : s’y greffent des
comportements d’évitements au quotidien qui maintiennent le
problème. Souvent, l’enfant timide l’est dès le plus jeune âge. Il
a tendance à éviter le contact avec les autres, prend peu la parole,
est gêné quand on lui parle. Lever la main en cours ou devoir
répondre devant tout le monde l’angoisse. Il est peu friand de

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Quand la timidité devient pathologique
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sports collectifs ou d’activités à plusieurs. Il peut bien évidem-
ment avoir des amis, mais ira avec difficulté vers des inconnus.
À l’adolescence, les timides et phobiques sociaux ont du mal
à tisser du lien, restent principalement avec un nombre très res-
treint d’amis proches (avec lesquels ils ont du mal à s’affirmer),
et vivent leur vie et loisirs principalement en famille. Ils n’ai-
ment pas trop les coups de téléphone, ou demander des choses
dans les magasins. Les psychiatres Christophe André et Patrick
Légeron décrivent bien ces phénomènes par l’expression « peur
des autres ». Les interactions sociales sont compliquées malgré
une forte envie de se faire des amis et de parler. Comme le timide
est apeuré, les parents en arrivent à faire les choses à sa place afin
de le protéger, ce qui a plutôt tendance à le maintenir dans ses
évitements.
Quand faut-il s’inquiéter ? C’est le manque d’épanouisse-
ment, le degré de handicap au quotidien et l’intensité de l’an-
xiété qui doivent alerter les parents ou les éducateurs. Il est alors
intéressant de proposer à l’enfant ou l’adolescent une prise en
charge. Autant les timides simples évoluent généralement spon-
tanément vers un mieux-être, autant l’anxiété sociale et la pho-
bie sociale ont tendance à s’aggraver avec le temps, au fil des
évitements. Dès l’âge de 8 ans, les thérapies comportementale et
cognitive (TCC), comprenant des exercices progressifs, peuvent
être d’une grande aide. Dans les cas plus sévères, c’est-à-dire de
phobie sociale, l’aide médicamenteuse donnée par un médecin
psychiatre peut être très utile pour compléter ces exercices de
thérapie.

Des exercices gradués en accord avec la personne


En quoi consistent les exercices donnés par le psychologue ?
On part du principe que la peur de la honte, étant très désa-
gréable, entraîne des évitements. L’enfant ou l’adolescent ne se
confronte pas à ce qui l’angoisse, ce qui fait qu’il ne peut ni
dédramatiser la situation, ni s’acclimater aux émotions qu’elle
entraîne.
En TCC, il sera amené à se confronter aux situations qui pro-
voquent son anxiété, selon une hiérarchie allant de la situation

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L’enfant et l’école
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la plus simple vers la plus angoissante, de semaine en semaine.
Rien n’est mis en place sans son accord, et c’est lui qui établit la
hiérarchie. Le thérapeute peut lui proposer de faire des exercices
pendant les séances, dans le cabinet ou dans la rue, ou de les faire
entre deux séances à l’école ou dans les magasins.
Concrètement, les exercices pourront être : poser au moins
une question par jour, refuser quelque chose qui lui déplaît,
s’immiscer dans une conversation, parler à des inconnus, faire
des réponses plus longues que « oui » ou « non », inviter un ami
à la maison.
Pour l’anxiété sociale, il pourra s’agir de faire une perfor-
mance devant un public, assumer de dire une idiotie, poser des
questions en classe.
Pour la phobie sociale, étant plus handicapante que l’anxiété
sociale, il est déjà bien de réussir à dire bonjour à un voisin dans
l’ascenseur, demander une baguette de pain, décrocher le télé-
phone à la maison.
Les exercices sont répétés, comme dans tout apprentissage,
jusqu’à ce qu’ils deviennent fluides et que l’anxiété disparaisse.
On peut ajouter quelques techniques d’affirmation de soi grâce
à des jeux de rôles : apprendre à demander, refuser, mettre des
limites, se faire respecter, gérer les conflits, ou de libération de
la parole (ne pas écourter les réponses, regarder dans les yeux,
parler de tout et de rien sans sélectionner les propos selon leur
pertinence, ajouter de l’émotionnel dans des réponses trop fac-
tuelles, faire ou recevoir des compliments et des critiques…).
Ce qui reste fondamental, c’est de ne pas décider à la place du
timide ce qui est bon pour lui. L’envoyer chez un psychologue
malgré lui, l’inscrire au théâtre ou au football contraint et forcé,
lui poser des questions devant tout le monde « pour le faire pro-
gresser car cela lui fera du bien » ne fera que briser la relation de
confiance avec les parents ou les éducateurs et enseignants.

Vincent Trybou

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Quand la timidité devient pathologique
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L'angoisse des premiers jours à l'école
Les enfants qui font leurs premiers pas à l’école peuvent montrer des
signes de timidité. Avant d’en conclure quoi que ce soit, il faut attendre un
peu. Ces enfants ont passé quelques années dans le cocon tranquille de la
maison, sans enfants inconnus ni enseignants. C’est souvent bien plus un
manque d’habitude et une trop grande accroche aux parents qui s’expri-
ment qu’une vraie angoisse du jugement des autres. Les habitudes peuvent
vite changer, et il n’est pas rare de voir un enfant soi-disant anxieux et ti-
mide réussir très vite à se faire des amis et réclamer de retourner à l’école…
non sans avoir des larmes le matin car sa maman lui manque.

V.T.

À lire :
• Les Phobies sociales, V. Trybou et É. Hantouche, éd. Josette Lyon, 2009.
• L’Anxiété. Vaincre ses peurs, soucis et obsessions au quotidien, É. Hantouche (dir.), éd. Josette
Lyon, 2009.
• La Peur des autres. Trac, timidité et phobie sociale, C. André et P. Légeron, Odile Jacob,
2003.
• Comprendre et traiter les phobies, C. Mirabel-Sarron et L. Vera, 2e éd., Dunod, 2012.

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LE HARCÈLEMENT SCOLAIRE

 « J ’ai pas d’amis », « J’me suis fait traiter », « Je suis


nul », « Tout est de ma faute »… Quel parent n’a pas
entendu ça un jour ou l’autre ? Quel professeur n’a pas vu un
élève isolé dans la cour de récré en train de bouder dans son coin ?
La première réaction consiste à minimiser les choses : les parents
se disent que ça passera, les enseignants pensent que l’élève finira
par s’intégrer. Et pourtant, souvent, ces signaux sont révélateurs
de l’existence d’un phénomène de harcèlement.
Le harcèlement scolaire possède trois caractéristiques : une
conduite agressive intentionnelle d’un élève (ou de plusieurs)
envers un autre, qui se répète régulièrement et qui engendre
une relation dominé/dominant. Les deux dernières distinguent
le harcèlement de toute autre forme d’agression (bizutages de
début d’année ou simples bagarres de cours de récréation). Le
plus souvent il s’agit d’un phénomène insidieux, difficile à iden-
tifier et à nommer tant il est protéiforme.

Prévalence du harcèlement scolaire


Le phénomène est courant et s’observe partout. Dans les
pays anglo-saxons et ceux du Nord de l’Europe, il est depuis
longtemps identifié sous le nom de « bullying », terme que l’on
peut traduire par harcèlement, au sens large. Ce sont les tra-
vaux pionniers du Norvégien Dan Olweus1, qui ont permis, dès
les années 1970, de l’analyser. La France a longtemps tardé à
reconnaître le phénomène : il a fallu attendre les années 2010.
Plusieurs plans de lutte et campagnes de sensibilisation ont alors
vu le jour (2011, 2013, 2015). Une journée nationale de lutte
contre le harcèlement a été créée.

1- D. Olweus, Violences entre élèves, harcèlements et brutalités, les faits, les solutions, préface
de J. Pain, ESF éditeur, coll. « Pédagogies », 1999.
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Le harcèlement scolaire
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Lorsqu’on étudie le harcèlement, il faut prendre en compte
non seulement les victimes mais aussi les harceleurs et les vic-
times-harceleurs : « Dans tous les pays de l’OCDE, le harcèle-
ment scolaire concerne environ 15 à 20 % des enfants en âge
d’être scolarisés, parmi lesquels on compte 10 à 15 % de vic-
times, 4 à 6 % d’agresseurs et 3 à 4 % de victimes-harceleurs2. »
5 % des élèves subissent un harcèlement au moins une fois par
semaine, fréquence à partir de laquelle il est considéré comme
une forme grave.

Profils de victimes
Depuis toujours, il existe une tendance à considérer les vic-
times comme responsables de leur agression (« il a eu ce qu’il
a cherché, ce qu’il méritait », « il n’y a pas de fumée sans feu »
etc.). On retrouve ce type de raisonnement dans d’autres cas de
violences caractérisées, comme la violence contre les femmes :
« Elle a été violée, mais elle l’a cherché, elle n’avait pas à s’habiller
comme ça. » Les analyses sur les harcèlements à l’école ne sont
pas exemptes de ces présupposés.
Contrairement à ce que l’on peut penser, il n’y a pas de profil
type de victimes. C’est la difficile acceptation de la différence
chez l’autre qui est à l’origine du phénomène. Ainsi les victimes
ont des profils très variés : bégaiement, tics, particularité phy-
sique, difficulté d’apprentissage, couleur de peau, personnalité
originale… Le harcèlement touche aussi les bons élèves, consi-
dérés comme des « intellos ». La majorité des victimes cumu-
lerait d’ailleurs plusieurs caractères particuliers les différenciant
des autres. Moins bien intégrés et ayant donc peu d’amis pour
les défendre, ces enfants sont les cibles favorites des agresseurs.

Filles ou garçons ? Primaire et collège


Les garçons sont plus touchés par ces formes de violence que
les filles. Ils sont plus souvent agressés mais également large-
ment plus nombreux parmi les agresseurs (deux à trois fois plus
d’agresseurs que chez les filles). Les brutalités physiques sont
plus fréquentes chez les garçons alors que les filles sont exposées
2- N. Catheline, Le Harcèlement scolaire, Puf, « Que-sais-je ? », 2015.
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L’enfant et l’école
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ou ont plus facilement recours à des formes de violences indi-
rectes : calomnies, manipulation des relations, rumeurs, ostra-
cismes, etc.
Si l’on trace une courbe des agressions du primaire jusqu’au
secondaire, on s’aperçoit qu’elle est décroissante : le risque de vic-
timisation s’amenuise avec l’âge. Environ 5 à 15 % des enfants
du primaire seraient victimes et 3 à 10 % pour le secondaire. Les
études font toutes état du même phénomène : les violences sont
plus importantes au primaire mais elles ne sont pas de même
nature. Chez les plus petits, la forme physique et directe est la
plus souvent observée ; les formes verbales et indirectes sont plus
fréquentes en grandissant. Chez les garçons, on constate une
recrudescence des agressions au milieu et en fin d’adolescence.
Le phénomène de bouc émissaire survient plutôt au collège.
L’adolescence est l’âge de la recherche d’identité à travers le
groupe des pairs, qui se fédère autour de ses intérêts communs
et stigmatise toute différence. Par ailleurs, le travail psychique
de l’adolescence et les souffrances qu’il suppose inclinent les
élèves à en trouver un plus mal à l’aise qu’eux. « Au royaume des
aveugles, les borgnes sont rois. »

Les formes du harcèlement :


des brimades au cyberharcèlement
Les spécialistes s’accordent pour définir le harcèlement sco-
laire comme un ensemble comprenant des violences intention-
nelles directes mais aussi indirectes ou relationnelles. Ces formes
se recoupent souvent. S’y ajoute désormais le cyberharèclement.

Harcèlement direct
– Les brutalités physiques (coups, crachats à la figure, mèches
de cheveux arrachées, rosser, extorquer de l’argent de force…).
– Les invectives et les violences verbales (injures, insultes,
menaces, railleries, taquineries). Ce ne sont pas des violences
mineures comme on l’entend trop souvent. Éric Debarbieux3
note ainsi que « chaque microviolence prise isolément n’a pas
grande importance, mais le problème est dans la répétition des
3- Rapport de l’Observatoire national de la délinquance, 2006.
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Le harcèlement scolaire
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faits ». La violence est une construction, ajoute-t-il, qui se fait
« dans le ténu et dans le continu ».
Les différents types d’insultes concernent l’identité, les liens
de filiation, les aspirations de l’individu, ou l’apparence physique.

Harcèlement indirect
Les exclusions et manipulations (rejet, mise en quarantaine,
manipulations par une tierce personne, refus de considérer
l’autre, exclusion des groupes de jeu ou de travail) sont une
manière d’ostraciser la victime.

Cyberharcèlement
Le cas du cyberbullying est particulièrement préoccupant car
il permet de combiner toutes les formes de violences par « clic »
interposé, ce qui confère aux agresseurs une situation d’anony-
mat totale. D’où le caractère particulièrement agressif du phéno-
mène. Le cyberharcèlement touche 15 à 25 % des jeunes dans
tous les pays, des garçons comme des filles. Les outils utilisés
varient cependant en fonction du sexe : téléphone et textos pour
les filles, vidéos pour les garçons.
Les formes les plus courantes sont les injures ou les rumeurs
colportées sur les réseaux sociaux. Mais il y a bien plus grave : les
usurpations d’identités qui permettent toutes formes de mani-
pulations ou encore la diffusion d’images détournées, truquées
et tronquées à l’infini4. Le cyberharcèlement fait désormais l’ob-
jet de nombreux sites d’information et de prévention.

Comment identifier un problème de harcèlement ?


Il est difficile de repérer un phénomène de harcèlement car
l’enfant présente des signes qui peuvent être assimilés à d’autres
troubles physiques ou psychiques (anorexie, boulimie, fatigue,
difficultés d’apprentissage…). Il faut donc les observer dans la
durée et penser à les relier entre eux pour soupçonner un phé-
nomène de harcèlement. Nicole Catheline liste ainsi quelques
signes qui doivent alerter :

4- Voir C. Blaya, « Happy Slapping and Cyberbullying in France: a case of study in Bor-
deaux », Cyberbullying, a crossnational comparison, Verlag Empirische Pädagogik, 2010.
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L’enfant et l’école
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À la maison :
– changement d’humeur (crises de larmes excessives, anxiété,
irritabilité, troubles du sommeil…)
– changement de comportement (perte d’appétit, façon de
s’habiller…)
– l’enfant s’isole de plus en plus (il se réfugie dans les jeux
vidéo ou les activités solitaires)
À l’école
– retards fréquents
– résultats en baisse
– oublis de matériel scolaire (cartable, compas, trousse…)
– refus d’aller en récréation
– refus de participer à l’oral…

Un phénomène interactif complexe :


agresseurs, victimes et spectateurs
Le harcèlement scolaire n’est pas un fait relationnel statique
mais une dynamique mettant en œuvre une série d’interactions
complexes entre agresseurs, victimes et spectateurs.
C’est une relation dialectique dans laquelle s’instaure entre
victimes et agresseurs un processus dynamique de réactions
pathologiques ; il y a parfois alternance des rôles et intervention
de « voyeurs » ou de tierces personnes qui influencent directe-
ment le processus. Le rôle de cet adjuvant, le spectateur plus ou
moins actif, n’est pas suffisamment mis en avant. Être humi-
lié ou insulté, par exemple, est difficile à supporter, certes, mais
encore plus lorsqu’il y a des spectateurs : être « vu » décuple le
problème. On néglige également trop l’effet d’aubaine provoqué
par ce genre de situation chez certains enfants : « tant que l’on
s’en prend à untel ou untel, on ne s’en prend pas à moi… » Faute
de prendre en compte les dynamiques de groupe sous-jacentes,
on s’expose à ne traiter qu’une partie du phénomène.
Les plans de lutte contre le harcèlement aujourd’hui pré-
sentent quelques recommandations communes : ne tolérer
aucune violence dans un établissement, ce qui suppose de poser
des règles et des limites claires et comprises par toute la commu-
nauté éducative ; créer un climat scolaire favorable et constituer

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Le harcèlement scolaire
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un groupe d’adultes responsables formés et solidaires, incluant
autant que faire se peut les parents.
Enfin, la prévention passe également par des actions auprès
des élèves. Former les groupes d’élèves à travailler en équipe, à
débattre, à résoudre les conflits, à réguler leurs émotions est un
travail de longue haleine mais la prévention de la violence sco-
laire est à ce prix5.

Véronique Bedin

5- Cet article reprend et actualise les analyses développées dans l'ouvrage Harcèlements à
l'école (N. Catheline, avec la collaboration de V. Bedin) paru chez Albin Michel en 2008.
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LES JEUX DANGEREUX,
C’EST PAS DU JEU

L ’expression « jeu dangereux » apparaît dans les années


1990. Il s’agit alors essentiellement des jeux d’asphyxie
dont le tristement fameux jeu du foulard, à l’origine de la mort
d’enfants et adolescents allés trop loin dans la recherche de sen-
sations fortes. Selon une enquête Ipsos parue en janvier 20121,
près de deux enfants sur trois (63 %) connaissent au moins un
jeu d’asphyxie – le jeu du foulard (51 %) et le jeu de la tomate
étant les plus connus –, et c’est à l’école primaire que la plupart
des enfants en entendent parler pour la première fois.

« 30 secondes de bonheur »
La majorité des enfants qui s’adonne à ces jeux n’a pas
conscience des risques encourus : ainsi, 51 % des enfants n’ont
pas le sentiment qu’en y jouant, ils risquent de mourir, 63 %
qu’ils risquent d’abîmer leur cerveau, 73 % qu’ils peuvent
convulser et 75 % rester handicapés. Ces pratiques d’asphyxie,
quand elles sont responsables de décès (plus de 250 depuis 1995
selon l’APEAS – Association Accompagner, Prévenir, Éduquer,
Agir, Sauver) sont le plus souvent considérées comme des acci-
dents, des suicides, des morts violentes que l’on s’explique mal.
Des amalgames dus au fait que ces jeux se passent la plupart du
temps loin du regard des adultes, même s’ils s’initient à l’école
(ou sous le regard d’adultes incrédules), et qu’ils se reproduisent
à la maison alors que l’enfant est seul. Or ces « trente secondes de
bonheur » ou ce « rêve indien » mènent parfois à l’hypoxie avec
perte de connaissance et, dans les cas les plus graves, lésions du
cerveau irréversibles et décès… Un prix très lourd à payer pour

1- Connaissance et pratiques du « jeu du foulard » et autres jeux d’apnée ou d’évanouis-


sement chez les enfants âgés de 6 à 15 ans – Une étude Ipsos Public Affairs / A.P.E.A.
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Les jeux dangereux, c’est pas du jeu
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éprouver des sensations fortes souvent addictives car agréables.
Depuis quelques années, les cours de récré ont vu fleurir aussi
les jeux d’agression, souvent assimilables au harcèlement scolaire
car ils se caractérisent par une violence physique gratuite exer-
cée par un groupe envers un enfant seul, avec une dimension
de violence psychologique omniprésente. Bousculades, bagarres
provoquées, morsures, griffures, coups, croche-pieds, tout y
passe et là encore, l’imagination des agresseurs est débordante.
Les insultes, les attitudes humiliantes, les menaces de représailles
en cas de dénonciation par la victime, quand elles accompagnent
ces jeux et se reproduisent régulièrement, peuvent conduire à un
véritable harcèlement psychologique qu’il est difficile de repérer.
Entre honte de la victime, silence et culpabilité des agresseurs et
impossibilité de savoir qui « a commencé », ces pratiques sont
souvent sous-estimées. Leur mécanique est d’autant plus com-
plexe à comprendre car les enfants expérimentent le plus souvent
deux postures, l’étranglé devenant bien souvent l’étrangleur et
vice-versa. Elles n’ont rien à voir avec des bagarres spontanées
dues à des enjeux de pouvoir ou de conquête amoureuse. Et
contrairement à ce que l’on pourrait croire, elles ne sont pas
l’exclusivité des adolescents : la majorité des cas signalés – ce qui
ne se produit que dans les situations vraiment dramatiques – le
sont en élémentaire chez de jeunes enfants.
Qui sont les joueurs ? Aussi bien des filles que des garçons, cer-
tains jouant occasionnellement, motivés par la curiosité, poussés
par le « t’es pas cap », d’autres plus régulièrement, jusqu’à deve-
nir accros, notamment aux jeux d’asphyxie, d’autres encore, les
meneurs, trouvant leur plaisir dans l’excitation de mettre leurs
camarades en danger.
Quoi qu’il en soit, comme le précise David Le Breton2, pro-
fesseur à l’université de Strasbourg et membre du laboratoire des
sociologies européennes, « le risque pour la santé ou la vie, de
toute façon mal entrevu, pèse moins que le risque pour l’iden-
tité ». Se fondre dans un groupe, a fortiori y être « populaire »,
c’est parfois en accepter les règles, aussi absurdes soient-elles. La

2- D. Le Breton, « Le goût de la syncope : les jeux d’étranglement », Adolescence,


2/2010 (n° 72), p. 379-391.
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L’enfant et l’école
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prise de risque, la mise en danger, le fait de tester ses propres
limites, celles de ses pairs, est essentiel à la quête d’autonomie
de l’enfant. Tout cela fait partie du jeu. Mais les jeux dangereux,
parce qu’ils ne laissent aucune place à l’élaboration d’une pensée,
à l’appropriation du monde extérieur à son propre rythme, selon
son âge, et parce qu’ils induisent une violence à la vie à la mort,
ne sont vraiment pas des jeux.

Anne-Claire Thérizols

Petits meurtres entre amis : modes d’emploi


Les jeux dangereux se comptent par dizaines et la même pratique porte
parfois plusieurs noms. Florilège des pratiques et des appellations les plus
répandues… et parlantes.
• Le jeu de la tomate : (scientifiquement : blockpnée suivie de la
manœuvre de Valsalva) : on serre ses poings très fort et on retient sa respira-
tion. S’ensuit un effondrement du débit cérébral : le sang ne redescend pas
du cerveau mais stagne, entraînant une hyperpression crânienne avec des
risques d’œdèmes cérébraux et d’hémorragies intracrâniennes.
• Le jeu de la mort subite : le matin, un groupe d’enfants désigne une
couleur au hasard. L’enfant qui porte le plus de vêtements de cette couleur
est humilié et frappé toute la journée.
• Le jeu du cercle infernal : disposé en rond, un groupe d’enfants se
passe le ballon jusqu’à ce que le joueur du milieu, qui a été placé au hasard,
l’attrape. S’il n’y arrive pas, il est roué de coups par l’ensemble du groupe.
• Le jeu de Beyrouth : un groupe d’enfants demande à un autre de
citer la capitale du Liban. S’il ne sait pas répondre, il est frappé sur ses
parties génitales.
• Le jeu de la claque : se « joue » à deux et consiste à se donner des
claques à tour de rôle et de plus en plus fort. Le premier qui réussit à faire
tomber l’autre a gagné.

A.-C. T.

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Les jeux dangereux, c’est pas du jeu
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Addiction : peut-on devenir accro aux écrans ?
Être plongé dans un jeu en ligne, chatter à n’en plus finir, enchaîner
les vidéos, squatter les réseaux sociaux… On imagine volontiers les raisons
pour lesquelles les jeunes peuvent se faire happer par les promesses des
écrans. Et se retrouver à y passer un temps déraisonnable. Mais la passion
peut-elle se transformer en addiction ? Un adolescent peut-il se retrouver
dépendant à Internet ou aux jeux vidéo comme un toxicomane à sa drogue ?
Il n’a pas fallu longtemps après l’arrivée d’Internet pour que la ques-
tion soit posée. Dès 1996, une psychologue américaine, Kimberly Young,
propose un questionnaire pour repérer cette addiction, comprenant des
questions telles que : « Restez-vous en ligne plus longtemps que vous le
prévoyez ? », « Avez-vous de façon répétée fait des tentatives infructueuses
de contrôler, réduire ou stopper votre usage d’Internet ? », « Vous sentez-
vous agité(e), triste, dépressif ou irritable quand vous tentez de diminuer
ou d’arrêter l’utilisation d’Internet ? »… La réponse positive à cinq ou plus
de ces huit items définissait l’addiction à Internet1. De nombreuses autres
grilles ont depuis été développées, variant selon les critères retenus et le
seuil à partir duquel le sujet est considéré comme dépendant, mais tournant
toujours autour des mêmes attitudes : difficulté à – voire impossibilité de –
contrôler le temps passé en ligne, préférence pour les relations en ligne plu-
tôt qu’en face-à-face, plainte des proches, négligence du travail scolaire…
De nombreuses enquêtes empiriques ont ensuite tenté de mesurer la
prévalence de l’addiction à Internet ou aux jeux vidéo mais, s’appuyant
sur des grilles diverses, elles ont donné des résultats extrêmement variables.
Une étude canadienne menée en 2004 auprès de 61 adolescents n’en a
trouvé aucun correspondant aux critères de la cyberdépendance ; une autre,
menée en Corée du Sud en 2007 auprès de 452 adolescents, trouve un taux
de prévalence de 30,8 %2…
De fait, les métasynthèses réalisées sur ces études3 pointent des défauts
récurrents : faible théorisation, biais dans la sélection de la population
étudiée, absence de définition partagée de ce qu’est une addiction… Des
études qualitatives (entretiens en ligne ou en face-à-face) ont été menées,
montrant par exemple que les adolescents « cyberdépendants » étaient,
avant même leur dépendance, des enfants se sentant souvent seuls, man-
quant de confiance en eux ou ayant une faible estime de soi.
1- K. Young, « Internet addiction : The emergence of a new clinical disorder »,
CyberPsychology & Behavior, vol. I, n° 3, automne 1998.
2- P. Minotte (avec J.-Y. Donnay), « Les usages problématiques d’Internet et des
jeux vidéo », Cahiers de l’Institut wallon pour la santé mentale, n° 6, décembre 2010.
3- Ces études sont très rares. A. Douglas et al., « Internet addictions : Meta-synthesis
of qualitative research for the decade 1996-2006 », Computers in Human Behavior,
vol. XXIV, n° 6, 2008.

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L’enfant et l’école
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Plus profondément, c’est l’application de la notion d’addiction aux
écrans qui est contestée. Selon Serge Tisseron, l’absence de symptôme de
sevrage (pas de « manque » au sens biologique du terme) et de risque de
rechute chez l’adolescent qui a décidé d’arrêter les jeux vidéo, par exemple,
montre que l’on n’a pas affaire à une véritable addiction. Pascal Minotte,
auteur d’un rapport sur la question, pointe la forte dimension idéologique
du terme : « En assimilant Internet à une substance toxique, en plus de
diaboliser un outil utilisé quotidiennement par de plus en plus de per-
sonnes, nous identifions un bouc émissaire bien commode » qui épargne
à l’entourage « une réflexion plus profonde sur ce qui manque et/ou fait
souffrance4. » Plus mesuré, Marc Valleur, addictologue, estime, lui, que
« les critères de l’addiction doivent rester éminemment subjectifs : c’est le
sentiment qu’a le sujet d’être aux prises avec un processus qui le dépasse.
Le surinvestissement du jeu finit par en faire le seul but de l’existence, au
détriment de tous les autres investissements. C’est alors que le sujet peut
commencer à demander de l’aide, s’il n’arrive pas seul à réduire ou arrêter
de jouer5. »
De fait, si leur dimension addictive est mise en doute, il y a en revanche
consensus pour reconnaître l’existence d’usages « problématiques », voire
« pathologiques » des écrans. Le nombre d’heures qui y est consacré n’est
cependant pas un bon indice : Internet ou les jeux vidéo peuvent être des
supports d’activités créatrices et/ou socialisatrices intenses et chronophages.
À l’inverse, un temps d’utilisation raisonnable peut masquer le fait que
ces activités occupent entièrement l’esprit, même « hors ligne ». Ce qu’il
faut donc surveiller, selon les spécialistes, c’est que l’usage d’écran(s) ne
conduise pas au délaissement des autres sphères de la vie sociale. Pour
M. Valleur, « si l’investissement social et affectif (pour les jeunes la famille,
l’école, les amis) reste intact, il n’y a pas de raisons de s’inquiéter. »

Xavier Molénat

4- P. Minotte, Cyberdépendance et autres croquemitaines, Fabert, 2011.


5- M. Valleur, « L’addiction aux jeux vidéo, une dépendance émergente ? », Enfance
& Psy, n° 31, 2006/2.
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L’ENFANT ET LA VIOLENCE

– La violence, ça se soigne ? Rencontre avec Daniel Marcelli


– Un enfant battu deviendra-t-il violent ? (Anne-Claire Thérizols)
– L’état limite ou borderline (Sophie Viguier-Vinson)
– Les enfants aussi se suicident. Rencontre avec Boris Cyrulnik
– Grandir après la guerre (Marie Rose Moro)
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LA VIOLENCE, ÇA SE SOIGNE ?
Rencontre avec Daniel Marcelli

La violence infantile fait l’objet d’une médicalisation croissante.


Mais elle doit aussi faire l’objet d’une approche psycho-éducative
car elle s’enracine la plupart du temps dans le contexte familial et
environnemental.

Où situez-vous les origines de la violence chez l’enfant ?


Quand il s’agit de parler de violence chez l’enfant, j’aime évo-
quer cette maxime de Bertolt Brecht, dramaturge allemand du
xxe siècle : « On dit d’un fleuve dont le courant emporte tout
sur son passage qu’il est violent mais on ne dit jamais rien de
la violence des berges qui l’enserrent ! » Les berges symbolisent
pour moi l’ensemble du contexte éducatif et socioculturel dans
lequel l’enfant évolue.
Dans une grande majorité des cas, je dirais qu’un enfant est
violent à la hauteur des violences qu’il a subies ou auxquelles il
a été exposé. J’identifie deux grandes sources : soit l’enfant a été
lui-même victime de violence, soit il a été exposé à des violences.
Par exemple, il a vu son père frapper sa mère ou un parent frap-
per un frère ou une sœur. Assister à une telle scène de violence
est violent en soi, même si le « spectateur » ne reçoit aucun coup
directement. Son psychisme, en revanche, reçoit ces coups, c’est-
à-dire qu’il les intègre dans un mode d’agir et de comportement.
Quant aux violences subies, il y a bien les mauvais traite-
ments physiques (les gifles, les fessées) mais aussi psychologiques
(les humiliations, les injures et mots dévalorisants) : leurs effets
néfastes sont largement décrits, trop bien connus hélas et cha-
cun sait aujourd’hui que ces méthodes supposées « éducatives »
sont à proscrire avec la plus ferme énergie ! Mais au-delà des vio-
lences exercées, menacer un enfant de violence n’est pas sans

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L’enfant et la violence
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conséquence : si dès qu’un enfant fait une bêtise son parent lève
la main sur lui, l’enfant risque lui-même de lever la main sur
l’autre, dès qu’il sera confronté à une situation qui lui déplaît.
L’enfant va naturellement reproduire les actes de son parent, son
modèle social.

Vous considérez, à l’inverse, qu’un environnement trop per-


missif engendrerait également de la violence chez l’enfant…
Vaste problème qui pose toute la question des modalités
éducative ! L’expression courante « donner une limite » doit être
comprise dans la plénitude de ce sens, celui d’un « don ». Quand
un enfant, dès le plus jeune âge ne reçoit strictement aucune
limite, l’expérience clinique montre qu’il s’installe souvent dans
une forme de « toute-puissance » où « l’autre » n’a pas vraiment
de place. Ainsi lors de l’explosion motrice, à l’âge de la marche,
l’enfant éprouve une jubilation, un sentiment de conquête et
d’appropriation de son environnement. Il considère que tout est
à lui, que tout lui est dû. Si, à ce moment-là il ne reçoit aucune
limite, sa motricité conquérante peut s’exprimer de façon « vio-
lente » : « Pousse-toi de là que je m’y mette ! » Le jeune enfant
aime explorer, démonter, découvrir ce qu’il y a dedans ce qui
peut le conduire à détruire ou casser. Il prend les objets des
autres, met le doigt dans leurs yeux, leurs oreilles, sans se soucier
de ce que peuvent ressentir ses interlocuteurs. Il ne s’agit pas de
violence à proprement parler mais plutôt d’exploration qu’on
peut qualifier « d’explosive » en sachant que cette dimension est
incontestablement variable d’un enfant à l’autre.
De même, le très jeune enfant traverse le stade oral au cours
duquel il va tout mettre à la bouche : les jouets, les mains, le
visage des autres. C’est un moment clé dans sa connaissance du
monde. Si l’adulte manifeste sa réprobation de manière claire et
ferme, tranquille et cohérente, du style « non, on ne mord pas
les autres mais tu peux mordre ceci (une peluche, un hochet et
même son doudou !) », l’enfant de 8, 10, 12 mois finira par com-
prendre que mordre un autre ne se fait pas. Si, à l’inverse, tout en
cherchant à se dégager, l’adulte se met à rire de ce comportement,
l’enfant risque de ne pas saisir l’interdit et de poursuivre. Une

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La violence, ça se soigne ?
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précision est nécessaire : il est déconseillé de mordre un enfant
qui mord, sur la base de la loi du talion, car l’enfant apprendra à
répondre à un comportement violent par la violence.

Certains enfants se montrent particulièrement colériques,


intolérants aux frustrations, agressifs, au point de se mon-
trer dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres. On parle
aujourd’hui de « trouble oppositionnel avec provocation ».
Est-il d’origine éducative ou psychologique ?
Le trouble oppositionnel avec provocation émerge lorsque
l’enfant se met à marcher et commence à s’opposer, dans la toute
petite enfance puis ce trouble s’affirme avec l’âge, vers 5-6 ans,
marqué par des crises de colères, une intolérance aux frustra-
tions, etc. Revenons au petit enfant : dès lors qu’il est en capa-
cité de se déplacer, ce n’est plus l’objet qui va vers l’enfant mais
l’enfant qui va vers l’objet. Les parents commencent alors à lui
dire « non » et confrontent l’enfant à des limites. Mais l’adulte
peut faire en sorte que l’objet soit inaccessible (s’il le place dans
le placard, par exemple), évitant ainsi à l’enfant la confronta-
tion à la limite lui permettant de demeurer dans une forme de
toute-puissance. Or, lorsqu’il grandira, les limites qu’il rencon-
trera risquent alors de lui être intolérables. L’enfant les vivra
comme une forme d’amputation. Ce dernier entrera dans une
forte opposition, une crise de rage. Selon moi, c’est parce que
cette limite ne lui a pas été donnée en amont ou qu’elle lui a été
donnée de manière ambiguë.

Les comportements violents sont-ils de plus en plus observés


chez l’enfant ?
Oui et non. Les manifestations de violence sont observées
depuis longtemps chez l’enfant, bien qu’elles ne soient pas aussi
répandues qu’aujourd’hui. S’agit-il d’une épidémie ? Le cerveau
des enfants se serait-il transformé à ce point en deux généra-
tions ? Je ne pense pas. Je pense plutôt que la violence chez l’en-
fant a toujours existé, mais est moins bien tolérée aujourd’hui.
Notre société se veut plus normative et encourage le contrôle
de soi. Ainsi, ce qui était perçu comme normal jadis peut être

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L’enfant et la violence
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perçu comme violent de nos jours. Prenons l’exemple, dans une
cour d’école, d’un enfant qui jette un caillou à un autre enfant.
Aujourd’hui, nous aurions tendance à qualifier ce comporte-
ment de violent alors qu’auparavant, peut-être cet acte aurait été
qualifié de banal ! À l’inverse, je trouve que nous sommes plus
tolérants qu’avant avec les jeunes enfants de moins de 3 ans.

La violence des films, jeux vidéo et autres médias a-t-elle


aussi, selon vous, sa part de responsabilité ?
Bien sûr, la violence des médias impulse et alimente la vio-
lence des enfants, tant sur le plan quantitatif – si on considère
le nombre d’heures passées devant des films violents – que qua-
litatif, lorsque l’enfant est laissé seul devant un écran, sans l’ac-
compagnement de l’adulte. Dans ce cas de figure, l’enfant risque
de développer une forme de saturation, de confusion entre le
monde réel et virtuel. En même temps, rappelons que les scènes
de violence et de destruction existent dans la littérature depuis la
nuit des temps ! Vivre ces actes via l’art, le cinéma ou la littéra-
ture permet au spectateur de satisfaire ses pulsions destructrices
et d’éviter d’être soi-même destructeur.

Quelle réponse apporter ? Une prescription médicamenteuse,


un accompagnement psycho-éducatif ou plutôt une démarche
punitive ?
Si nous devions médicaliser cette violence, 120 % des êtres
humains devraient consulter leur médecin ! Imaginez ensuite
l’envergure du trou de la Sécurité sociale ! Plus sérieusement, un
être humain qui est destructeur, pour lui-même ou pour autrui,
rend compte d’un symptôme d’inadaptation sociale. La réponse
doit être en priorité relationnelle, éducative, éventuellement
judiciaire. La réponse médicamenteuse doit être exceptionnelle
et jamais de façon isolée. La prise en charge psycho-éducative
de l’enfant se révèle la plus pertinente, plus que les punitions
négatives et coercitives, qui tendent à renforcer les manifesta-
tions de la violence. Les professionnels doivent accompagner les
parents dans leurs réflexions et l’éducation de leur enfant. C’est
ce qui est d’ailleurs proposé aux cafés des parents, aux Reaap

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La violence, ça se soigne ?
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(réseau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents),
aux groupes de parole, etc.

Propos recueillis par Héloïse Junier

L'empathie, antidote de la violence ?


De nombreux chercheurs en neurosciences affectives et sociales se sont
penchés sur cette problématique de la violence de l’enfant. Allan Schore
(médecin et chercheur au département de psychiatrie et de sciences bio-
comportementales de l’École de médecine de Los Angeles) et son équipe
ont montré que plus l’enfant était élevé dans un contexte éducatif chaleu-
reux, soutenant et empathique, plus la partie de son cerveau qui lui permet
d’avoir de l’empathie et de réguler ses émotions maturait. À l’inverse, plus
son entourage punissait l’enfant et l’humiliait, moins cette zone maturait1.
Une conclusion partagée par Nancy Eisenberg (chercheure et pro-
fesseure au département de psychologie développementale de l’univer-
sité d’Arizona) qui a consacré sa carrière à la question et aux bienfaits de
l’empathie pour le développement affectif de l’enfant. Elle a observé qu’un
enfant élevé avec empathie et compréhension devenait à son tour empa-
thique. À l’inverse, plus le contexte éducatif était agressif et violent, plus
l’enfant risquait de devenir lui-même agressif et violent2.

H.J.

1- A. Schore (dir.), Evolution, Early Experience and Human Development. From


research to practice and policy, Oxford University Press, 2012.
2- N. Eisenberg, N. Eggum et L. Di Giunta, « Empathy-related responding. Asso-
ciations with prosocial behavior, aggression, and intergroup relations », Social Issues
and Policy Review, vol. IV, n° 1, décembre 2010.

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UN ENFANT BATTU
DEVIENDRA-T-IL VIOLENT ?

U ne croyance commune veut qu’un enfant battu


devienne fatalement violent. La réalité est pourtant plus
complexe, note Gérard Lopez, psychiatre et président fondateur
de l’Institut de victimologie de Paris : « S’il est rare de trouver
un agresseur qui n’ait pas été maltraité, tous les enfants maltrai-
tés ne deviennent pas des agresseurs. Il n’y a heureusement pas
de déterminisme dans ce sens, ce qui ruinerait toute velléité de
combat contre la maltraitance. »
Claude Halmos, psychanalyste spécialiste de la maltraitance,
enfonce le clou : « On ne devient pas bourreau parce que l’on
a été victime. C’est un discours mis en avant par les bourreaux
pour se dédouaner. Ce que l’on peut affirmer, c’est que le tissage
qui mène à la violence est extrêmement complexe, que personne
n’est génétiquement bourreau, que cela suppose une histoire où
l’on a été soit victime de violence soi-même, soit témoin de vio-
lence sur des proches, et que cette histoire, parce qu’elle n’a pas
été prise en charge correctement, n’a pu être dépassée. » Pas de
fatalité, donc, et pourtant, un terrain propice.
En effet, les psys s’accordent à dire que l’enfant ne peut pas
concevoir qu’un parent le batte pour sa jouissance. L’enfant vio-
lenté se sent donc toujours coupable et se construit avec une
image négative de lui-même. Il se dit que s’il n’avait pas fait de
bêtise, il ne recevrait pas ces coups de ceinture. Qu’il est juste
bon à déclencher la haine de l’autre et que, parfois, la seule façon
de ne pas mourir des coups, c’est d’en jouir et de devenir soi-
même ce personnage mauvais qui frappe à son tour…

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Un enfant battu deviendra-t-il violent ?
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Une potentialité démultipliée
Un engrenage que tendent à confirmer nombre d’études
attestant des liens statistiques entre maltraitance et criminalité.
Citons cette recherche américaine qui montre que les adoles-
cents qui ont été physiquement maltraités avant l’âge de 5 ans
sont cinq fois plus à risque d’être arrêtés pour des délits violents
et non-violents1. Ou encore cette recherche néo-zélandaise, plus
ancienne, qui suggère que la délinquance et la consommation de
drogue et d’alcool sont corrélées aux maltraitances subies durant
l’enfance2.
Gérard Lopez note encore que « les personnalités trauma-
tiques complexes ou borderline, dont la fréquence est corrélée
à la maltraitance, présentent de graves difficultés à gérer leurs
émotions, ce qui risque dans certains cas de favoriser les passages
à l’acte violent et les conduites déviantes, voire délinquantes. »
Pierre Lassus, psychothérapeute et directeur de l’Union française
pour la sauvegarde de l’enfance, nous invite clairement à nous
questionner sur le lien entre maltraitance et violence : « Tous les
criminels en série ont été des enfants maltraités et tous les grands
criminels d’État, Hitler, Staline, Franco, Miloševic, Saddam
Hussein, ont été des enfants maltraités. »

La sourde violence du déni


Le seul rempart au recul de la maltraitance, et donc au déve-
loppement de la violence chez les enfants maltraités, reste la pré-
vention. Et pour prévenir, il faut identifier, mettre des mots sur
les maux, ouvrir les yeux.
Claude Halmos confirme : « La façon dont la maltraitance va
être négociée par l’enfant qui la subit, et donc l’adulte qu’il va
devenir, dépend essentiellement de la façon dont la société va le
protéger. La première exigence devrait être de ne jamais laisser
un enfant battu à ses parents et de faire en sorte qu’il puisse se
reconstruire ailleurs, aidé d’une thérapie. Dans la maltraitance,

1- J. E. Lansford et al., « Early physical abuse and later violent delinquency : A prospec-
tive longitudinal study », Child Maltreatment, 12 (3), 2007.
2- D. M. Fergusson, M. T. Lynskey, « Physical punishment/maltreatment during child-
hood and adjustment in young adulthood », Child abuse & neglect, 21 (7), 1997.
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L’enfant et la violence
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on est dans un rapport à la toute-puissance, le rapport entre le
nazi et le déporté, le droit de vie ou de mort. Si la société n’inter-
vient pas, pour l’enfant, cela valide le fait qu’un adulte puisse
faire n’importe quoi sans être inquiété. »
Mais il y a un profond hiatus entre les considérations géné-
rales sur la maltraitance et la réalité, insiste la psychanalyste : « Le
service hospitalier qui reçoit l’enfant, le médecin scolaire, tout
le monde devrait être en alerte et, si les bleus sont fréquents et
nombreux, a minima se poser la question de la maltraitance.
Car c’est une chose de savoir intellectuellement que la maltrai-
tance existe, c’en est une autre que de se dire que le parent qui
nous explique que son enfant est tombé de l’armoire ou dans
l’escalier, a en fait un comportement monstrueux. Ce n’est pas
représentable. Dans nos sociétés, le parent est sacralisé, on croit
toujours que l’amour parental existe génétiquement, ce qui est
évidemment faux. Françoise Dolto disait d’ailleurs que l’image
de la mère vue comme la sainte Vierge faisait beaucoup de mal ! »

Anne-Claire Thérizols

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Un enfant battu deviendra-t-il violent ?
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Mieux traiter les (futurs ?) maltraitants
La prévention de la maltraitance passe par l’accompagnement des
parents dès la grossesse s’ils semblent mal appréhender la naissance de leur
enfant, expliquait Françoise Molénat, pédopsychiatre au Centre hospita-
lier universitaire (CHU) de Montpellier, lors du colloque national sur les
« Violences faites aux enfants » qui s’est déroulé au Sénat en juin 2013.
C’est dans cette optique de prévention qu’elle a souhaité que le plan péri-
natalité de 2005-2007 inclue un entretien pratiqué à la maternité lors du
quatrième mois de grossesse. « Les professionnels savent combien il est dif-
ficile d’englober dans un même mouvement d’empathie l’enfant maltraité
et les parents en souffrance. Or, l’empathie est encore possible pendant la
grossesse, observe la pédopsychiatre. À condition de prendre davantage au
sérieux les femmes qui redoutent de ne pas arriver à être mères, et que le
médecin ou la sage-femme sache quelles réponses apporter aux parents, ce
qui est loin d’être toujours le cas. En outre, gare au vocabulaire : les parents
peuvent avoir peur d’être repérés ou dépistés. En un mot, ils doivent se
sentir compris et écoutés. Il faut inverser nos cultures professionnelles en
ouvrant le dialogue. Il faut le temps, les moyens, les réponses, et surtout
apprendre à travailler ensemble. » Sinon ces parents eux-mêmes peuvent
se sentir maltraités par négligence. Ce « changement culturel profond »
attendu par des professionnels comme Françoise Molénat n’est pas encore
acté. D’autant que l’entretien du quatrième mois n’est pratiqué, pour l’ins-
tant, que dans 40 % à 45 % des cas…

Jean-François Marmion

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L’enfant et la violence
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« Les Oubliés »
« Infans » (enfant en latin) signifie « celui qui ne parle pas ». Là réside
bien la première difficulté lorsque l’on cherche à chiffrer la maltraitance
infantile. Soit parce que les enfants ne parlent pas encore (lorsqu’ils
sont tout petits), soit parce qu’ils ne veulent pas dire, soit encore parce
que l’interprétation de leur parole est complexe (comme on l’a vu dans
l’Affaire d’Outreau), les spécialistes s’accordent à penser que les évaluations
chiffrées de la maltraitance infantile sont difficiles à établir et largement
sous-estimées.
Dans un ouvrage intitulé Les Oubliés, enfants maltraités en France et par
la France (Seuil, 2010) l’épidémiologiste Anne Tursz dénonce la véritable
« cécité » devant la réalité des maltraitances infantiles : s’intéressant en par-
ticulier aux néonaticides (infanticides de bébés qui viennent de naître), elle
démontre que leur nombre serait bien plus important que ne l’annoncent
les statistiques officielles. Plus généralement, pour elle, la maltraitance
envers les enfants en France est un véritable problème de société et de santé
publique, très largement sous-estimé et qui touche probablement entre 5 et
10 % des enfants. À cela s’ajoute une véritable « maltraitance d’État », au
sens où la France n’est plus en mesure d’assurer le travail de prévention et de
soin nécessaire : médecins peu ou mal formés, psychiatrie infanto-juvénile
quasi absente, effondrement du système de prévention dédié à l’enfant et
aux parents en difficulté, médecine scolaire en perdition, suppression du
Défenseur des Enfants… en sont, selon l’auteure, les signes alarmants.

Véronique Bedin

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L’ÉTAT LIMITE
OU BORDERLINE

I ls sortent à peine de l’enfance et la crise s’annonce rude.


Rien d’exceptionnel, sauf qu’on ne les comprend plus.
Eux qui étaient si collés aux parents, si peu autonomes, ils bous-
culent tout le monde à la maison. Faut-il forcer le diagnostic
au risque de les enfermer trop tôt dans une pathologie ? Tout
dépendrait du degré d’urgence pendant les crises, du malaise, y
compris celui des parents. Aucun délire n’est pourtant en vue. La
situation est ainsi toujours limite et l’on se retrouve au bord de
consulter, sans forcément sauter le pas. Mais justement, ce serait
cet état « frontière » qui poserait question et laisserait penser à la
pathologie borderline si bien nommée, s’agissant d’un trouble au
carrefour de beaucoup d’autres. Dans ce cas, une aide ponctuelle
ou durable s’avère salutaire.

Cerner la pathologie
On ne devient pas borderline du jour au lendemain et ce
trouble puiserait ses racines dans la petite enfance. Mais qui
redouterait un trouble psychique de cette nature chez un enfant
qui peine simplement à se séparer, à aller dormir chez un copain ?
Ou bien chez un « grand » de 10-12 ans qui réclame soudain son
autonomie mais ne fait jamais ses devoirs tout seul et se montre
irresponsable, impulsif ? Rien de plus classique… « Des parents
consultent pourtant assez tôt et s’inquiètent d’un côté mi-bébé/
mi-tyran », reconnaît le pédopsychiatre Jean Chambry, chef de
pôle du Centre hospitalier Fondation Vallée. On pense d’abord
à un problème de cadre et la guidance parentale aide souvent ;
éventuellement à un Trouble de l’opposition avec provocation

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L’enfant et la violence
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(TOP1), très dur à vivre pour l’entourage mais qu’une thérapie
type TCC parvient à canaliser.
Le tableau peut être plus inquiétant et « l’état-limite » se
précise. « Ces enfants sont dans l’insécurité et l’insatisfaction
constante, ils ont besoin d’être toujours rassurés pour avancer et
comptent totalement sur le regard des adultes pour se construire,
ce qui signale une faille narcissique. La vraie fracture se fait au
tournant de l’adolescence quand l’enfant prend inévitablement
de la distance avec les adultes lors de la puberté. Coincé dans un
corps métamorphosé et pris par des émotions nouvelles, le jeune
ne peut plus être collé à ses parents, sans savoir faire autrement »,
explique Jean Chambry. Une pathologie de la dépendance et de
la relation explose alors.
« Le schéma borderline se démarque de la simple crise d’ado-
lescence et se caractérise par une instabilité généralisée, d’après
le professeur Mario Speranza, chef du service de psychiatrie de
l’enfant et de l’adolescent au Centre hospitalier de Versailles et
co-directeur de Troubles de la personnalité borderline à l’adoles-
cence (Dunod, 2013). Celle-ci s’exprime d’abord par une peur
très intense, réelle ou imaginaire, de l’abandon. Elle pouvait être
acceptée chez le petit enfant, mais elle persiste et vient perturber
toute relation sociale. Le jeune a désespérément besoin de lien
d’amitié, notamment, mais redoute tellement la rupture, l’éloi-
gnement, qu’il va se rendre invivable pour l’autre et créer ce qu’il
redoute le plus. » D’où les relations interpersonnelles chahutées
entre des périodes d’idéalisation et de dénigrement total.
Avec les adultes référents, les comportements d’opposition
peuvent s’en trouver renforcés, compromettant la relation fami-
liale, mais aussi l’intégration scolaire. Ces tumultes relationnels
font système avec une perception de soi généralement dégradée
et une identité fragile, instable. Selon les moments, le jeune
s’auto-dévalorise, ou tombe au contraire dans la mégalomanie.
« Ces périodes hautes et basses sont encore nourries par un vécu
émotionnel typique de l’adolescent borderline, ajoute Mario

1- Le trouble de l’opposition avec provocation (TOP) se caractérise par de l’intolérance


aux frustrations, de l’agressivité, des émotions impossibles à gérer, indépendamment du
cadre éducatif.
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L’état limite ou borderline
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Speranza. D’un côté, celui-ci éprouve un profond sentiment de
vide expliqué par l’absence de structure interne, et qui se traduit
par une quête de sensations fortes entraînant une exposition au
risque ou à la douleur (toxicomanie, mutilation, tentative de
suicide…). De l’autre, il vit des colères intenses, inappropriées,
débouchant sur des réactions disproportionnées (il casse tout
dans sa chambre ou dans la classe). »
« 15 % des adolescents en France connaîtraient des épisodes
psychiques de ce type qui peuvent être passagers, ou s’inscrire
dans la durée (3 % de la population adulte reste borderline) faute
de prise en charge précoce, et la pathologie représente à elle seule
25 % des consultations en pédopsychiatrie », d’après le profes-
seur Maurice Corcos2, psychiatre et psychanalyste à l’Institut
mutualiste Montsouris. 15 % de ces adolescents diagnostiqués
font aussi des tentatives de suicides qui aboutissent dans 3 %
des cas.
Pourquoi toute cette souffrance ? Pour la grande majorité des
patients, la pathologie est provoquée par une histoire trauma-
tique vécue durant la petite enfance. 19 % ont subi des abus
sexuels, 30 % des maltraitances émotionnelles, et 70 % ont au
moins un des parents souffrant de maladie psychiatrique et qui
ont fait des tentatives de suicides pour un quart d’entre eux3.
On comprend mieux la peur d’abandon et le lien pathologique
avec autrui. Autre cause avancée par Mario Speranza : la fra-
gilité neurobiologique, décelée par imagerie4, des mécanismes
de régulation émotionnelle et de traitement des informations
sociales, pouvant ainsi expliquer l’émergence de la pathologie
borderline dans un contexte familial non toxique a priori. C’est
assez déculpabilisant,… même s’il demeure difficile de faire la
part des choses entre la biologie et le traumatisme qui laisse des
traces neurobiologiques. Si aucun gène spécifique de la maladie
n’a ainsi été identifié, on pointe une hérédité chez près de la
2- Co-auteurs de Troubles de la personnalité borderline à l’adolescence (2013), Dunod.
3- Étude EURNET Réseau Borderline dirigée par M. Corcos, A. Pham-Scottez,
M. Speranza, 2013.
4- A.M. Chanen, D. Velakoulis, et. al. (2008) « Orbitofrontal, amygdala and hippocampal
volumes in teenagers with first-presentation borderline personality disorder » ; Psychiatry
Research.
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L’enfant et la violence
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moitié des adultes touchés5. Reste la cause sociétale ou l’effon-
drement des cadres éducatifs, qui aurait elle aussi un impact sur
le déclenchement ou l’aggravation du trouble, s’accompagnant
de passage à l’acte, ajoute Maurice Corcos. Or, le concept même
de « borderline » indique un problème de limites et un déficit des
frontières repères qui aideraient l’enfant à se construire.

Les thérapies en question


Les chiffres soulignent l’urgence de la prise en charge. Les
experts s’accordent à dire que le plus tôt est le mieux et quand
le comportement d’un enfant laisse penser qu’il développera une
telle pathologie, mieux vaut ne pas attendre pour proposer un
soutien. « La plupart sont diagnostiqués trop tard, au début de
l’âge adulte, ce qui explique en partie les médiocres résultats sur
ces personnes », reconnaît Maurice Corcos. L’idéal est de tra-
vailler avec l’enfant et sa famille, propose Jean Chambry. « Mais
certains parents ont une image tellement dégradée d’eux-mêmes
qu’ils ne peuvent s’exposer à une remise en cause au cours du
suivi, ni imaginer que leur enfant ait un potentiel positif à explo-
rer », reconnaît-il. Quand il parvient à les impliquer, un grand
pas est fait. Reste à coordonner les institutions fréquentées par
l’enfant (école, centre de loisirs, activités sportives, familles ou
centre d’accueil éventuel…). « La pratique artistique, comme les
ateliers d’expression théâtrale, la peinture…, aident grandement
à valoriser l’enfant en lui montrant qu’il a des talents, assure Jean
Chambry. Cela le rassure lui-même sur ce qu’il est et le rend
moins dépendant du regard des autres. » Et à l’hôpital Montsou-
ris, on croise beaucoup d’œuvres réalisées par les jeunes patients,
l’art-thérapie étant également encouragée par Maurice Corcos.
De quoi permettre à l’adolescent d’explorer son monde imagi-
naire quand il craint de se trouver en difficulté dans le monde
réel. Mais cela ne suffit pas et il faut souvent parer l’urgence,
empêcher l’adolescent de se blesser, de s’intoxiquer et de s’expo-
ser à la mort. On n’hésite pas à lui proposer ponctuellement des

5- P. Fonagy, M. Speranza, et al. « Borderline personality disorder in adolescence :


An expert research review with implications for clinical practice » European Child &
Adolescent Psychiatry, juillet 2015.
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L’état limite ou borderline
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antidépresseurs, des anxiolytiques voire des neuroleptiques selon
les cas. Des hospitalisations relativement courtes et séquentielles
peuvent être proposées pour parer un danger, avant de mettre en
place éventuellement un dispositif de soins-études.
Le travail de fond repose enfin sur une psychothérapie au
long cours. Ici naissent des divergences entre les approches d’ins-
piration psychanalytique ou comportementale. Tous les méde-
cins cherchent à travailler sur la relation en souffrance et sur
les mécanismes psychiques associés, les aléas émotionnels, les
atteintes à l’intégrité physique… Mais pour les premiers, l’ur-
gence est d’offrir un lien sécurisé, confidentiel et stable dans un
cadre psychodynamique, au cours d’entretiens individuels longs.
« Cela permet de témoigner de l’intérêt que l’on porte au jeune,
assure Maurice Corcos, qui, même s’il s’oppose, cherche parado-
xalement à détruire ce lien dont il a tant besoin. » S’il a une his-
toire traumatique, elle doit être reprise avec prudence en séance
afin d’empêcher l’agressivité de se retourner contre le jeune.
Le même souci du lien thérapeutique de qualité est affirmé par
Mario Speranza, qui observe de son côté l’intérêt d’un accompa-
gnement à deux soignants pour limiter l’emprise destructrice sur
un seul référant. Pour lui, « il est aussi essentiel d’offrir un espace
d’expression et de favoriser la mentalisation des émotions pour
mieux les contenir. On demande au jeune comment il se sent,
on l’aide à dire pourquoi il se montre agressif dans l’entretien. Le
but est de l’aider à faire le lien entre ses émotions et ses actions
pour qu’il ajuste son comportement. Et pas question de s’impo-
ser dans un rôle de savant, et de lui proposer nos interprétations
sur ce qu’il ressent au risque d’amplifier le sentiment d’absence
de compréhension de son vécu. »
Dans une revue spécialisée, Mario Speranza a présenté aussi
différentes thérapies dans cet esprit, souvent pratiquées en
groupe, telles que les entraînements à la régulation des émotions
(Emotion Regulation Training ou ERT) et les soutiens spécifiques
pour les plus jeunes (Helping Young People Early ou HYPE), ou
bien les TCC comportementales pour les ados suicidaires (Dia-
lectical Behaviour Therapy ou DBT), ou encore les thérapies pour
développer la mentalisation (Mentalization-Based Treatment ou

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L’enfant et la violence
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MBT). En quelques mois, elles donneraient des résultats encou-
rageants et un cycle de formations pour les soignants se met en
place en France, annonce l’expert.
Ces différences thérapeutiques seraient très françaises. Hors
de nos frontières, les approches peuvent être croisées, ou bien
dépendre du suivi à l’hôpital ou en ville. C’est l’avis du psy-
chiatre et psychothérapeute belge Martin Desseilles, professeur
à l’université de Namur et co-auteur du Manuel du borderline
(Eyrolles, 20146). Pour lui aussi, le lien qui assure l’alliance thé-
rapeutique et permet au patient d’apprendre à mentaliser, à pen-
ser au-delà de l’instant présent, est essentiel. Et pour l’appren-
tissage de la régulation des émotions, il se réfère à la pratique de
la Mindfulness-Based Stress Reduction (MBSR), ou la méditation
pleine conscience, intégrée à ses thérapies.
Difficile de savoir précisément ce qui aide le plus, parmi ces
approches qui parviendraient à guérir plus de 60 % des ado-
lescents borderlines. « De là à en faire des adultes épanouis…,
s’interroge Mario Speranza. Beaucoup sont malheureux, et les
rechutes ne sont pas rares, d’où les recherches actives sur les
nouvelles thérapies évoquées. » Même modestie chez le Maurice
Corcos : « Oui, on les soigne selon les critères purement médi-
caux. Mais le nombre de nouveaux borderlines laisse penser que
les parents soignés ne vont pas si bien… » Qu’à cela ne tienne, il
a développé à l’hôpital Montsouris un suivi des futures mamans
fragiles : « Infirmières et sages-femmes sont formées pour les
repérer et les orienter vers des thérapeutes compétents. Ces
femmes, souvent isolées, sont en demande d’aide et répondent
bien aux soins proposés. C’est là qu’il faut intervenir. Pour elle
comme pour la santé psychique de leur enfant à venir. »

Sophie Viguier-Vinson

6- Site : http://etatlimite.com
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L’état limite ou borderline
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Le cursus soins-études, (trop) rare et précieux
« L’école, c’est quitte ou double. Elle peut renvoyer une image posi-
tive et rassurante, ou bien cristalliser les difficultés relationnelles des jeunes
borderlines », a observé la pédopsychiatre Marie Jeannot, attachée à la Mai-
son des adolescents (Hôpital Cochin). Et trop souvent, c’est l’échec, les
enseignants n’étant pas préparés à suivre des élèves aussi déconcertants. « Ils
réagissent en miroir aux émotions et tombent dans le piège que tend incon-
sciemment l’enfant qui détruit le lien », regrette Marie Jeannot. Il existe
heureusement des structures soins-études où les jeunes reçoivent à la fois un
suivi thérapeutique et un enseignement. « Les professeurs ont une curiosité
pour la maladie et la particularité de chaque patient qui leur permet d’avoir
plaisir à enseigner dans ces circonstances, a pu observer Marie Jeannot.
Cela a forcément un effet positif à court et long terme. L’enseignement se
fait dans des conditions idéales, par petits groupes, avec suivi individua-
lisé. » Attention, il n’est pas toujours facile d’organiser la séparation avec
la famille, puisqu’il s’agit souvent d’un internat thérapeutique (l’hospitali-
sation de jour étant tout de même possible), et surtout d’avoir une place !
Il n’y en a que 1 473 en France, toutes pathologies confondues, réparties
sur 12 établissements recensés par la Fondation santé des étudiants de
France (www.fsef.net). Une alternative : mettre en place un Plan d’accom-
pagnement personnalisé de l’élève (PAP) dans les structures ordinaires, qui
signale au corps enseignant les spécificités de l’enfant ou de l’adolescent afin
de déjouer les premiers écueils.

S. V.-V.

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LES ENFANTS AUSSI SE SUICIDENT
Rencontre avec Boris Cyrulnik

Le 29 septembre 2011, Boris Cyrulnik rendait un rapport au secré-


tariat d’État chargé de la Jeunesse et de la Vie associative sur le
thème du suicide des enfants. Mais qui sont ces enfants qui tentent
de mettre fin à leurs jours et comment prévenir le suicide chez les
plus jeunes ? Le neuropsychiatre esquisse ici une réponse.

Par quel miracle les pouvoirs publics s’intéressent-ils à un


problème aussi peu connu, et qui concerne statistiquement si
peu de monde ?
Le ministère de la Jeunesse m’a demandé un rapport sur le
suicide des enfants, entendus comme préadolescents de 5 à 12
ans selon les conventions internationales. L’Inserm a recensé
27 suicides l’an dernier, mais il y en a probablement davantage
si l’on prend en considération les enfants malheureux qui ne
font pas attention en se penchant à la fenêtre, en traversant la
rue, en ouvrant le four, etc. Autant d’accidents non accidentels,
d’équivalents suicidaires. J’ai donc préféré avancer des chiffres
flous, entre 30 et 100, bien qu’il puisse s’agir de 200, 300, 400…
C’est un petit chiffre, mais il est important. Même si elles sont
faibles en valeur absolue, ces statistiques sont des indicateurs de
dysfonctions sociales. C’est pourquoi j’emploie la métaphore
du canari que les mineurs emportaient dans les mines de char-
bon, une cage à la main : ces oiseaux étant très sensibles aux gaz,
quand le canari mourait, les mineurs savaient qu’ils n’avaient que
quelques minutes pour fuir avant le coup de grisou. Emmanuel
Todd avait fait un travail analogue avec la mortalité périnatale :
en Russie elle était faible, mais augmentait très rapidement, ce
qui signifiait pour lui que le régime soviétique allait s’effondrer.
Il disait cela en 1974, et le régime s’est effondré en 1989.

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Les enfants aussi se suicident
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Quels moyens les enfants emploient-ils pour mettre fin à leurs
jours, à 5 ans par exemple ?
On saute par la fenêtre, on traverse la rue, on se jette devant
une voiture ou dans l’eau. On repère les endroits dangereux, et
on passe à l’acte. À 5 ans c’est très rare, mais c’est arrivé. Plus
tard les filles se défénestrent ou s’empoisonnent, les garçons se
pendent. C’est déjà une érotisation de la mort, tout comme le
jeu du foulard, qui est rarement un désir de mort mais plutôt un
risque conjuratoire. Je suis certain que vous avez joué à mettre
la tête sous l’eau dans la baignoire, pour voir combien de temps
vous alliez tenir ?

Pas que je sache… S’agit-il en tout cas d’un appel au secours


de la part de ces enfants, ou d’une volonté réelle d’en finir ?
Beaucoup d’adolescents se suicident sans désir de mort : ce
qu’ils veulent, c’est tuer cette manière de vivre qui les fait souf-
frir. Il en va parfois de même pour les enfants abandonnés, mal-
traités, agressés sexuellement. Mais la plupart du temps, c’est très
impulsif : un enfant très épanoui, avec une gentille famille, a tout
d’un coup l’impulsion de se jeter par la fenêtre. Dans ces cas-là,
des travaux en neurosciences, notamment d’équipes sud-améri-
caines, soulignent les liens entre isolement sensoriel très précoce,
dès les premiers mois de la vie, et développement d’un trouble
borderline. Un enfant venant au monde dans un milieu senso-
riel appauvri ne stimule pas ses dendrites préfrontales, et devient
incapable d’inhiber une émotion faute d’avoir pu renforcer les
circuits neuronaux adéquats. Il ne peut empêcher le passage à
l’acte. 90 % des borderline ont connu une succession de petits
traumas précoces (isolement, agressions…). 10 % d’entre eux se
suicident dès l’enfance. Mais il est important d’insister sur la
notion de crise suicidaire. Les borderline qui veulent se suici-
der pensent qu’il n’y a pas d’autre solution, alors que lorsqu’ils
en ont réchappé, et qu’après leur développement atroce ils sont
devenus étonnamment équilibrés, ce qui est souvent le cas vers la
trentaine, ils se félicitent d’avoir raté tous leurs suicides et d’avoir
appris à vivre. C’est une crise, très douloureuse, pas une fatalité.

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L’enfant et la violence
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Si le suicide est si impulsif chez les enfants borderline, com-
ment peut-on repérer des signes d’alerte ?
On n’en repère pas. Ils sautent par la fenêtre ou vont se
pendre alors qu’ils étaient mignons et frais trente secondes avant.
Chez certains enfants malheureux, agressés sexuellement, aban-
donnés, il y a des signes d’alerte. Mais chez la plupart, ça va
tellement vite qu’il n’y en a pas.

Les moins impulsifs expliquent-ils leur geste, ou annoncent-


ils qu’ils vont passer à l’acte sur les réseaux sociaux, par
exemple ?
Absolument. Beaucoup signalent sur Internet leur désir de
mort, à l’insu de leurs parents. Des sites donnent des conseils
pour se pendre, mais d’autres permettent d’être écoutés pour
éviter de passer à l’acte. On trouve donc les deux extrêmes.
Il semble fréquent, à l’adolescence, d’éprouver la tentation
plus ou moins sérieuse du suicide.

Est-ce un passage obligé, un fantasme romantique rituel ?


Sans être un passage obligé, ce n’est pas rare en effet. C’est une
héroïsation romantique pour les garçons, et une érotisation pour
les filles, qui parfois sautent à deux par la fenêtre en se donnant
la main. Chez les prépubères, on ne voit pas cet effet Werther :
ou bien ils sont affreusement malheureux, c’est la minorité, ou
bien ils sont très impulsifs à cause de leur carence neuro-affective
très précoce, c’est la majorité.

Si les signes d’alerte sont souvent inexistants, quelle préven-


tion adopter ?
Elle est facile, il faut améliorer les conditions de la petite
enfance. Beaucoup d’études insistent actuellement sur le stress
maternel des dernières semaines. Shaul Harel, avec qui j’ai tra-
vaillé à Tel-Aviv, a suivi une population de 170 femmes enceintes
israéliennes et palestiniennes qui consultaient pour syndrome
psychotraumatique. Tous leurs enfants ont eu une atrophie
frontolimbique, c’est-à-dire qu’ils avaient tous été altérés par le
malheur maternel, lui-même provoqué par la guerre chronique

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Les enfants aussi se suicident
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ou la peur des attentats. Ces enfants étaient neurologiquement
touchés, incapables de maîtriser leurs impulsions.

Quelles retombées concrètes attendez-vous de votre rapport


sur le plan politique ?
Je préconise trois « autour » : autour de la naissance, autour
de l’école, autour des familles.
Autour de la naissance : pas de stress maternel, stabilité affec-
tive durant les interactions précoces, ce qui implique congés
parentaux de la mère et du père de façon à structurer une niche
sensorielle.
Autour de l’école : les pays d’Europe du Nord ont ralenti les
rythmes scolaires. Les enfants ont deux fois moins d’heures de
cours, ce qui leur donne des résultats scolaires infiniment meil-
leurs que les petits Français. En moins de dix ans, on a constaté
une diminution de 40 % des suicides. En Corée du Sud, une
politique exactement opposée avec une énorme sur-stimulation
scolaire dans la journée mais aussi dans la famille, incluant des
cours privés jusqu’à 22 ou 23 h, a donné d’excellents résultats
scolaires mais à prix humain exorbitant. Maintenant, on a créé
des postes pour vérifier le ralentissement effectif du rythme sco-
laire et l’interdiction de l’école du soir. Le résultat scolaire ne sera
pas plus mauvais, mais l’épanouissement des enfants y gagnera...
Autour des familles : ouvrir celles-ci en développant la culture
des quartiers pour permettre aux enfants de ne jamais rester
seuls. L’Occident technologique se caractérise par une expansion
incroyable de la solitude. Il n’y a pourtant pas de grande réforme
à faire, les Italiens et les Espagnols y sont arrivés. Au nord du
Japon, on déplorait tellement de suicides d’enfants que des loi-
sirs de quartier ont été développés. Certaines municipalités ont
joué le jeu, d’autres ont pensé que l’argent public ne pouvait pas
servir à développer le loisir. Dix ans après, les premières ont vu
les suicides chuter, les secondes les ont vus continuer à grimper.

En France les caisses sont vides, et il est très difficile de réfor-


mer l’Éducation nationale : des congés parentaux pour le
père et la mère et les changements des rythmes scolaires vous

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L’enfant et la violence
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paraissent-ils vraiment réalisables, ne serait-ce qu’à moyen
terme ?
Je suis psychiatre, neurologue et psychologue, je ne suis pas
politicien… Mais ce que vous dites est vrai. Je pense néanmoins
que les congés parentaux peuvent être acceptés, car l’air du
temps va dans ce sens. Les rythmes scolaires, eux, sont en débat
depuis… 1978 ! En France, aucun gouvernement n’a osé y tou-
cher. Il aurait eu contre lui les syndicats, l’industrie du tourisme
et les familles puisqu’il faudrait raccourcir les vacances, peut-être
les enseignants… Ce sera très difficile, ou alors peu à peu. On
envoie nos enfants à l’école pour apprendre, mais les rythmes
les en empêchent. En fait, j’espère surtout possible la création
d’une université de la petite enfance, pour en harmoniser les
métiers. On a une très bonne PMI, une très bonne école à deux
ans où il y a de moins en moins d’enfants d’ailleurs, une très
bonne maternelle, de très bonnes crèches, mais les formations
sont complètement hétérogènes. On a des psychologues à bac
+ 8 qui vont dans des crèches, des infirmières aussi alors que
si un enfant est malade elles n’ont pas le droit de le garder…
La théorie de l’attachement est totalement adaptée aux métiers
de la petite enfance, on pourrait rapidement le leur enseigner.
Une formation de deux ans pourrait suffire pour s’en inspirer
dans sa pratique quotidienne. Les pays d’Europe du Nord qui
la préconisent ont 1 % d’illettrés, contre 15 % en France, dont
80 % ont besoin d’aides sociales. Économiquement, ce serait
une bonne affaire.

Avant votre nouveau rapport au gouvernement, vous aviez


participé à la commission Attali sur les freins à la croissance,
en 2007. Qu’aviez-vous personnellement préconisé, et avez-
vous été entendu ?
J’avais déjà parlé de la petite enfance, ce qui avait beaucoup
surpris les économistes. J’avais proposé l’université de la petite
enfance, la réforme des rythmes scolaires, ce qui a convaincu
la plupart de mes auditeurs alors qu’ils avaient fait les grandes
écoles, mais aussi une année sabbatique après le bac, ce qui, là, n’a
intéressé personne ! J’avais aussi préconisé la création de métiers

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Les enfants aussi se suicident
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pour le troisième et quatrième âges, ce qui est en train de se faire,
commission Attali ou pas, tant les besoins sont importants.

Qu’est-ce qui vous donne espoir d’être un peu plus suivi main-
tenant, en fin de quinquennat et alors que la présidentielle
s’amorce ?
Je suis très étonné de l’émotion que le suicide des enfants
provoque chez les journalistes, en France et même à l’étranger. Si
l’opinion se mobilise, peut-être les décideurs politiques seront-
ils obligés de suivre…

Propos recueillis par Jean-François Marmion, avril 2016.

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GRANDIR APRÈS
LA GUERRE

L es enfants et même les bébés sont affectés directement par


les violences, nombre d’études en ont attesté. Ces traces
sont d’ailleurs tellement fortes qu’elles s’inscrivent dans le pré-
sent et le futur de cet enfant en développement. Elles auront
encore un impact chez l’adolescent puis l’adulte qu’il sera dans
les peurs qui l’habiteront, dans sa capacité à grandir et à investir
le monde sereinement.
À ces effets directs vont s’ajouter les conséquences indirectes.
En effet, pour survivre et grandir, les enfants ont besoin de l’aide
de leurs parents ou de substituts. Or, des parents traumatisés et
un groupe déstructuré par la guerre sont souvent trop préoccu-
pés par leurs propres douleurs, leurs pertes ou leurs frayeurs pour
se préoccuper de manière adaptée de leurs enfants. Les enfants
peuvent se sentir isolés psychologiquement, à un moment où
tout leur système de croyance – la vie/la mort, le bien/le mal, la
place des générations… – se trouve déstabilisé par l’expérience
de la violence.

Être fier de son nom


Cette situation peut entraîner une perte de confiance,
d’abord confiance en soi puis confiance en l’avenir. C’est le
cas de Massoud, un enfant afghan dont la famille s’est réfugiée
en Iran pendant la guerre d’Afghanistan, il y a de nombreuses
années. Alors qu’il était adolescent, son père meurt brutalement.
Massoud est un élève brillant. Son envie d’apprendre va faire
penser à sa famille que Massoud peut tenter sa chance en Occi-
dent, et revenir avec un beau métier. Massoud a alors 16 ans. Il
part avec un autre adolescent du même camp qui mourra sur le
chemin. Arrivé en France après avoir traversé l’Iran et l’Europe,

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Grandir après la guerre
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il vit dans la rue un temps puis est accueilli dans une association.
Installé là, il perd toute envie de vivre et se laisse sombrer dans
une mélancolie. Il veut apprendre le français, les mathématiques,
mais il est assailli par une question à laquelle il va falloir l’aider à
répondre : suis-je quelqu’un de digne alors que je n’ai pas enterré
mon « frère » ? (Il a été contraint de l’abandonner pour ne pas
ralentir le passeur). Est-ce que c’est cela que ma mère attendait
de moi ? Pour soigner Massoud, il faut l’aider à répondre à ces
questions.

Des soins ici et là-bas


Mais comment accompagner au mieux des tels adolescents,
jeunes mineurs isolés aux ressources minimales et aux illusions
immenses ? Ils déconcertent parfois ceux qui veulent les aider à
construire un projet à la hauteur de leurs espérances, de leurs
compétences et de leurs besoins. Nous avons mené une étude,
avec la Mairie de Paris, qui visait à analyser la trajectoire de
ces jeunes et la relation qu’ils établissent avec leurs travailleurs
sociaux. Plusieurs résultats méritent ici d’être soulignés, car ils
contribuent à définir les bonnes pratiques de quiconque veut les
aider à construire un projet réaliste et cohérent :
Ces jeunes ont quitté l’enfance prématurément, trop vite
propulsés dans un monde violent et inhospitalier. Ils ont besoin
d’un peu de légèreté. Ils ont besoin de jouer, de rêver, de faire les
mêmes activités que les autres jeunes de leur âge.
Ils ont du mal à trouver leur place ; ils ont d’autant plus
besoin de se sentir accueillis pour s’autoriser à se projeter dans
un avenir ici. Cela suppose d’écouter leurs histoires, de ne pas
les obliger à renoncer à leurs souvenirs, leurs liens. Soigner leurs
blessures exige aussi d’aller chercher celles, invisibles, qui se
devinent seulement.
L’école et la formation représentent souvent un des motifs
ou un des rêves de leurs voyages. Elles peuvent représenter une
puissante consolation des douleurs et des arrachements vécus. À
condition de ne pas nier l’importance de leur langue maternelle
et du respect de leurs manières de penser les choses…
La justice, la réparation et les changements historiques contri-

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L’enfant et la violence
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buent aussi bien sûr à leur restauration. Mais il est aussi des fac-
teurs plus individuels qui sont de la responsabilité des parents,
des soignants, des travailleurs sociaux, des éducateurs, et plus
généralement de la société civile : la mise en place de soins aussi
bien ici que là-bas, qui aident les enfants à revisiter la manière
dont ils se voient et voient le monde, dans le but de réécrire,
réinventer leurs « théories de la vie » endommagées par la guerre,
c’est-à-dire la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes, de la vie
et des relations aux autres. On doit les aider à reconstruire cette
envie de vivre en leur proposant des espaces qui les réaniment,
qui les consolent, qui les réparent. Ceci peut être mis en place
dans des soins psychothérapiques mais aussi dans des activités
familiales ou sociales comme des activités ludiques, des rituels
sociaux ou des fêtes. Ceci est important à mettre en place dès
l’enfance. Car à l’adolescence, si la blessure est encore béante,
alors ce monde risque de devenir effrayant et non désirable pour
eux, ce qui fait le lit de la violence, qu’elle soit dirigée sur soi ou
les autres, et contribue aux tentations idéologiques. L’objectif
est de permettre à tous les enfants de penser, selon les mots du
génial Winnicott (1975), que « la vie vaut la peine d’être vécue »
pour elle-même, par elle-même et pour les autres. Beau projet
collectif pour notre monde.

Marie Rose Moro

À lire :
• La Violence envers les enfants, approche transculturelle, M.R. Moro, Fabert, 2016.
• « Perdre la confiance fondamentale dans la vie », M.R. Moro, D. Rezzoug et L. Bailly,
in M.R. Moro, H. Asensi et M. Feldman (dir.), Devenir des traumas d’enfance, La Pen-
sée sauvage, 2014.

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Grandir après la guerre
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Abdul, l'enfant qui avait peur du vent
Un jour, on amène à ma consultation de Médecins sans frontières, dans
la banlieue de Kaboul, un jeune garçon de 10 ans qui s’évanouissait à répé-
tition. En discutant avec lui, je comprends qu’il est terrorisé par le bruit du
vent. Je lui suggère que pendant la guerre, quand les obus se sont abattus
sur sa maison, il y avait peut-être beaucoup de vent ? Il me répond sur le
ton de l’évidence, il y avait du vent très fort et même le bruit des obus ne
couvrait pas celui du vent. Pour Abdul, le bruit du vent est celui de la mort.
Je lui demande ce qui lui permet d’oublier le vent, il me répond, toujours
sur le ton de l’évidence, que seul les tapis qu’il tisse arrivent à le distraire. Et
il me prend par la main pour m’emmener voir ses beaux tapis. C’est cette
beauté et créativité qui vont l’aider à dépasser les traces de la guerre.

M.R.R.

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COMMENT RENDRE SON ENFANT HEUREUX ?
Rencontre avec Alain Braconnier

Pour le psychiatre Alain Braconnier, auteur de L’Enfant opti-


miste. En famille et à l’école (Odile Jacob, 2015), l’optimisme
fortifie l’estime de soi et permet d’affronter la vie avec enthou-
siasme et énergie. C’est pourquoi il faut le cultiver chez les enfants.
Mais comment ?

Pour rendre un enfant heureux, il faut entretenir son opti-


misme dites-vous. Pourquoi les enfants ont-ils besoin
d’optimisme ?
Les attitudes et les modes de pensée des personnalités opti-
mistes ont bien été étudiés par le courant de la psychologie
positive. Elles se caractérisent, d’une part par une disposition à
anticiper le futur de manière positive, d’autre part par une capa-
cité d’attribuer une raison précise et ponctuelle à un événement
désagréable. Les pessimistes ont tendance à généraliser (ils disent
« je suis nul » au lieu de « j’ai raté mon contrôle »). On observe
chez les enfants optimistes un sentiment d’efficacité personnelle.
L’optimisme nourrit, tout au long de l’existence, la confiance en
soi dont a besoin tout être humain.
De nombreuses études ont montré les bienfaits de l’opti-
misme. Ils concernent tous les champs de la vie (familiale,
scolaire puis professionnelle), et même la santé. L’optimisme
permet d’atténuer le stress et protège de la dépression. Plus éton-
nant, des études montrent qu’il agit sur la santé physique… Des
chercheurs ont suivi pendant trente ans des patients en diffé-
renciant optimistes et pessimistes. Ils ont constaté que les pre-
miers vivaient 20 % plus longtemps. L’optimisme a un effet sur
le système immunitaire. Mais surtout, les optimistes prennent
en compte leur maladie de manière plus active ; ils combattent,

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Les troubles de l'enfant
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suivent mieux leur traitement, et cherchent à ne pas se laisser
envahir par des idées négatives sur leur futur. Et ces recherches
valent aussi pour les enfants…
L’optimisme joue sur la réussite non seulement chez les adultes
mais influence aussi la manière dont les enfants affrontent les
contraintes nécessitant effort et persévérance, en particulier dans
les apprentissages. Il existe d’ailleurs des programmes destinés à
favoriser l’optimisme de l’enfant qui permettent d’améliorer les
résultats scolaires.

L’optimisme est-il une qualité innée ou acquise ? Comment


reconnaît-on un bébé optimiste ?
Dès la naissance, le bébé montre des signes d’optimisme. Les
premiers mois, il sourit à son entourage pour manifester son
bien-être. Il se montre curieux, il est intéressé par tout ce qui est
nouveau : l’objet qui brille, qui bouge… Il demande sans cesse,
par des cris ou des pleurs, que l’on s’occupe de lui.
Très vite, il devient un grand entrepreneur : il cherche à saisir
des objets ; en grandissant, il essaye de sortir de son lit ; il va se
passionner pour faire s’emboîter deux objets… C’est ce que la
psychanalyse a appelé la « pulsion de vie », qui lui permet de
partir à la conquête du monde et de l’attrait qu’il représente.
Mais les recherches montrent que certains bébés sont plus
curieux et plus communicants que d’autres. On s’accorde
aujourd’hui à attribuer à 25 % la part de la génétique. Ce qui
signifie que, pour les trois quarts, l’optimisme est lié à l’éduca-
tion et aux événements de la vie.

Comment alors cultiver l’optimisme chez l’enfant ?


Quand il grandit, l’enfant est confronté à des contraintes
et peut même devenir agressif ou malheureux. Cultiver l’opti-
misme l’aidera à ne pas subir les obstacles qui se dressent devant
lui mais à les dépasser. Entre 2 et 4 ans environ, les jeunes enfants
optimistes rient, jouent beaucoup, sont moins angoissés par la
séparation et acceptent mieux la frustration. Ils sont capables de
rester seuls sans paniquer ou sans avoir systématiquement besoin
de l’autre.

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Comment rendre son enfant heureux ?
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Pour cela, il faut créer un attachement sécurisant – ce que font
d’ailleurs beaucoup de parents. Il consiste par exemple à l’aider
à s’endormir calmement ; à ne pas se montrer trop angoissé par
ses pleurs, à le rassurer lorsque l’on part… Un environnement
éducatif allié à un attachement sécurisant forme une spirale qui
permet au jeune enfant de sentir plus fort pour affronter les
moments difficiles.
Il est important aussi d’encourager dès le plus jeune âge la
persévérance dans ce que l’enfant entreprend, jeux, dessins,
puzzles… Quand il persévère, il réussit forcément mieux ce qui
permet de lui donner une bonne image de lui-même. Il suffit
d’observer de jeunes enfants pour constater que ce qu’ils entre-
prennent est source de deux plaisirs : l’avoir fait et l’avoir réussi.
Chez les enfants plus grands (5 à 10 ans), l’environnement
éducatif et le mode de pensée inculqué jouent un rôle de plus en
plus important. Ce qui signifie que l’on va chercher à attribuer
à ce qui ne va pas une raison précise et limitée dans le temps. Il
revient avec une mauvaise note : les parents vont aussi regarder
les bonnes, et ils vont éviter de dire : « une fois de plus… », ou
« tu ne seras jamais un bon élève… » Les parents doivent renfor-
cer la bonne image de soi, en disant plutôt : « Voyons pourquoi
tu n’as pas réussi cet exercice. » Il faut lui rappeler ses réussites.
Les regrets entretiennent le pessimisme.
Dès cet âge, puis au cours de l’adolescence, il est important de
favoriser de bonnes aptitudes sociales chez son enfant, lui permet-
tant d’entretenir des amitiés qui le rassurent et suscitent en retour
des marques d’intérêt et d’estime des autres enfants à son égard.

L’optimisme n’est pas très valorisé dans la culture française.


N’y a-t-il pas un risque, si l’on est trop optimiste, de se laisser
vivre et d’être moins combatif ?
Nous sommes en effet dans un pays qui cultive volontiers le
pessimisme. Mais le pessimisme – issu d’un esprit critique bien
français dans lequel on a l’impression de se sentir plus intelligent
– ne rend pas très entreprenant. Je ne vois pas d’ailleurs en quoi
le pessimisme serait plus lucide que l’optimisme. Il s’agit de deux
points de vue opposés sur la même réalité !

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Les troubles de l'enfant
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Notre système d’éducation porte une part de responsabilité
dans cet état d’esprit. Aujourd’hui par exemple, on assène aux
enfants que le monde est difficile et qu’ils doivent s’y préparer.
Il vaudrait mieux leur apprendre ce qui peut aller plutôt que ce
qui ne va pas. Sinon, on ne fait que renforcer leur pessimisme.
Mais il existe aussi un optimisme excessif qui peut se mani-
fester chez certains enfants. C’est un optimisme de toute-puis-
sance dans lequel il se sent le roi du monde. Plus âgé, il risquera
de repousser tous les problèmes, de contourner les difficultés.
Un optimiste « intelligent » permet une bonne adaptation à
la réalité. Une étude a montré que les étudiants optimistes rela-
tivisent mieux les sources de stress et réussissent mieux à ajuster
leurs capacités cognitives pour faire face aux problèmes.
Et, plus surprenant, on a observé qu’ils sont plus lucides et éva-
luent mieux ce qu’ils ne sont pas capables de faire. Il y a donc un
équilibre à trouver entre un optimisme raisonné et un certain pessi-
misme. L’optimisme à tout prix n’est effectivement pas une solution.

Pour rendre un enfant optimiste, il est donc important de le


valoriser. N’y a-t-il pas un risque dans certains cas de surva-
loriser l’enfant ?
Deux conditions sont nécessaires : valoriser l’enfant certes,
mais à condition qu’il le mérite. En outre, lui faire bien com-
prendre qu’il est l’acteur de la réussite pour laquelle on le féli-
cite. Une bonne note n’est pas simplement un résultat pour
faire plaisir aux parents. C’est toute une façon, mais en fait plus
simple que l’on croit, de manier le discours éducatif qui change
le regard de l’enfant sur lui-même. L’amour que les parents lui
portent lui donne confiance. Stimuler ses dons et ses talents et
l’encourager le motivera pour la suite. L’essentiel est de ne pas
dévaloriser inutilement.
Mais il est important aussi de valoriser sans survaloriser. Le
flatter sans raison ne sert à rien. Enfants et adolescents sont
extrêmement sensibles à l’authenticité. Ils savent très bien s’ils
méritent ou non les compliments. La survalorisation peut les
amener à penser que tout leur est dû et entraîner des désillusions
douloureuses en cas de difficultés.

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Comment rendre son enfant heureux ?
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Une valorisation non justifiée engendre un déni de réalité.
L’enfant sent qu’il n’est pas à la hauteur de ce que l’on dit de lui,
ce qui peut l’angoisser et renforcer le pessimisme sur lui-même.
La survalorisation n’encourage pas la motivation intrinsèque,
celle qui vient de l’enfant lui-même.

Le désir de beaucoup de parents est de bien éduquer leurs


enfants tout en leur permettant de s’épanouir. Comment
parvenir à concilier ces deux objectifs, qui peuvent parfois se
contredire ?
Donner à l’enfant des exigences trop grandes en termes de
réussite, c’est risquer de le rendre pessimiste et donc malheureux.
On le voit actuellement chez certains lycéens et étudiants qui
s’attribuent de tels objectifs de réussite qu’ils sont toujours mal-
heureux par peur de ne pas être à la hauteur. La quête excessive
de réussite est inhibante ; elle bloque et met en échec. Les parents
devraient veiller à rester au plus près de ce que leur enfant est
capable de réussir. L’inciter à la curiosité, la combativité certes,
mais dans la mesure de ses capacités.
Il faut aussi que l’enfant ait des moments de pause, y compris
pour son cerveau : laisser vagabonder son imaginaire, le laisser
se faire plaisir. Des moments de bien-être où l’on est plus dans
l’exigence mais dans la détente et dans le plaisir de ce que l’on
fait.
Certes passer trop de temps sur son iPad ou à regarder des
séries américaines n’est pas bon, mais il faut cependant s’abste-
nir de tout interdire. Laisser l’enfant vivre est important, savoir
reconnaître ses propres désirs et lui donner la possibilité de les
réaliser.
J’ajoute que les parents ne doivent pas se culpabiliser. Il n’y
a jamais eu de parents parfaits. Ce que je propose dans mon
livre, c’est plutôt un état d’esprit à développer, qui nécessite pour
les parents aussi une bonne dose d’optimisme pour son enfant
même si l’on est soi-même plutôt pessimiste.

Propos recueillis par Martine Fournier

151
ONT CONTRIBUÉ À CET OUVRAGE

Véronique Bedin donne « la mort » (Odile Jacob, 2011),


Directrice des éditions Sciences École et résilience (Odile Jacob 2007)
Humaines, elle a dirigé plusieurs ou bien encore Les Âmes blessées
ouvrages dont Qu’est-ce que l’adoles- (Odile Jacob, 2014).
cence  ? (2009) et La Parenté en ques- Martine Fournier
tion(s) (2013) avec Martine Fournier. Ancienne rédactrice en chef de la
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Claudie Bert revue Sciences Humaines, elle est
Journaliste spécialisée en sciences aujourd’hui conseillère à la rédaction.
humaines. Diane Galbaud
Alain Braconnier Journaliste.
Psychologue, psychiatre et psychana- Nicolas Gauvrit
lyste, il a récemment publié L’Enfant Psychologue et mathématicien, il
optimiste. En famille et à l’école (Odile enseigne les mathématiques à l'ESPE
Jacob, 2015) et Optimiste (Odile Lille-Nord-de-France et est membre ins-
Jacob, 2014). titutionnel du laboratoire universitaire
Nicole Catheline « Cognitions Humaine et Artificielle »
Pédopsychiatre, elle a récemment (CHArt). Il a notamment publié Les
publié Souffrances à l’école. Les repérer, Surdoués ordinaires (Puf, 2014).
les soulager, les prévenir (Albin Michel, Jacques Grégoire
2016), et, avec Jean-Philippe Ray- Professeur de psychologie à l’Uni-
naud, Les Phobies scolaires aujourd’hui. versité catholique de Louvain, il a
Un défi clinique et thérapeutique notamment publié L’Examen clinique
(Lavoisier/Médecine Sciences, 2016). de l’intelligence de l’enfant (nouv. éd.,
Sarah Chiche Mardaga, 2009) et avec Dany
Psychologue clinicienne, psychana- Laveault, Introduction aux théories
lyste, écrivain et journaliste pour Le des tests en psychologie et en sciences de
Cercle Psy. l’éducation (3e éd., De Boeck, 2014).
Boris Cyrulnik Michel Habib
Neuropsychiatre, il est aussi direc- Neurologue au CHU-Marseille, il a
teur d’enseignement à l’université de publié, entre autres, La Constellation
Toulon. Il est l’auteur de nombreux des dys. Bases neurologiques de l’appren-
ouvrages, dont Quand un enfant se tissage et de ses troubles (Solal, 2014).

153
Les troubles de l'enfant

Héloïse Junier duit des recherches à l’Unité de


Psychologue clinicienne et journa- psychopathologie de l’enfant et de
liste. Elle intervient dans un réseau de l’adolescent (UPPEA) à l’hôpital
crèches collectives. Elle anime des for- Sainte-Anne, à Paris. Elle a fondé l’as-
mations sur la psychologie de l’enfant. sociation Développement et études
de l’examen psychologique (DEEP),
Marie-France Le Heuzey
à l’Espace Clisson, à Paris.
Psychiatre dans le service de psycho-
pathologie de l’enfant et de l’ado- Xavier Molénat
lescent à l’hôpital Robert-Debré, elle Journaliste.
a publié L’Enfant hyperactif (Odile
Jacob, 2017) et L’Adolescent hyperactif Marie Rose Moro
(Odile Jacob, 2013). Professeure de psychiatrie de l’enfant
et de l’adolescent à la Sorbonne,
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Héloïse Lhérété cheffe de service de la Maison de
Rédactrice en chef de la revue Sciences Solenn, Paris.
Humaines.
Marc Olano
Daniel Marcelli Journaliste, il collabore régulièrement
Professeur émérite de psychiatrie de aux revues Sciences Humaines et Le
l’enfant et de l’adolescent, président Cercle Psy.
de la Fédération nationale des écoles Christelle Prost-Lehmann
des parents et des éducateurs, il est Pédopsychiatre au CHU-Grenoble.
l’auteur aux éditions Albin Michel de
L’Enfant, chef de famille. L’autorité de Rébecca Shankland
l’infantile (2003), Il est permis d’obéir. Psychologue, maître de conférences à
L’obéissance n’est pas la soumission l’Université Grenoble Alpes et cher-
(2009), Avoir la rage. Du besoin de cheure au Laboratoire Interuniversi-
créer à l’envie de détruire (2016). taire de Psychologie  : Personnalité,
Cognition et Changement Social,
Jean-François Marmion elle a publié plusieurs ouvrages sur les
Psychologue et rédacteur en chef de troubles des conduites alimentaires
la revue Le Cercle Psy. dont Les Troubles du comportement
Michèle Mazeau alimentaire (Dunot, 2016).
Médecin de rééducation (neuro- Anne-Claire Thérizols
psychologie infantile), elle a publié, Journaliste.
avec Alain Pouhet, Neuropsycholo-
gie et troubles des apprentissages chez Vincent Trybou
l’enfant. Du développement aux « dys » Psychologue clinicien TCC au Centre
(Elsevier Masson, 2014). des troubles anxieux et de l’humeur.
Claire Meljac Sophie Viguier-Vinson
Docteure en psychologie, elle con- Journaliste.
TABLE DES MATIÈRES

Préface de Boris Cyrulnik : Par-delà nature et culture 5

TROUBLES DE L’ENFANT : ÉTAT DES LIEUX


Les principaux troubles chez l’enfant (Marc Olano) 13
Les troubles de l’enfant en quatre questions clés
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(Héloïse Junier) 19
L’examen psychologique de l’enfant, une pratique
exigeante.
Rencontre avec Claire Meljac 23
Les théories de l’attachement, d’hier à aujourd’hui
(Sarah Chiche) 27
Hyperactivité : attention, souffrance !
(Marie-France Le Heuzey) 39
Les 1001 « dys » (Héloïse Junier) 43
La dyslexie, un cerveau à remodeler (Michel Habib) 50
Quand le langage défaille (Michèle Mazeau) 54
L’autisme : une affaire de spectre ? (Marc Olano) 58
Autisme. Repères historiques (Jean-François Marmion) 66
L’anorexie, de plus en plus précoce
(Rébecca Shankland et Christelle Prost-Lehmann) 71

L’ENFANT ET L’ÉCOLE
L’enfant, l’école et le psy (Jean-François Marmion) 77
Troubles d’apprentissage, le calvaire scolaire
(Jacques Grégoire) 81
155
Les troubles de l'enfant

Les surdoués sont-ils sous-doués pour le bonheur ?


(Nicolas Gauvrit) 84
Phobie scolaire : pourquoi tant d’angoisse ?
Rencontre avec Nicole Catheline 91
Mutisme sélectif : pourquoi ne parlent-ils pas ?
(Marc Olano) 96
Quand la timidité devient pathologique
(Vincent Trybou) 102
Le harcèlement scolaire (Véronique Bedin) 106
Les jeux dangereux, c’est pas du jeu
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(Anne-Claire Thérizols) 112

L’ENFANT ET LA VIOLENCE
La violence, ça se soigne ?
Rencontre avec Daniel Marcelli 119
Un enfant battu deviendra-t-il violent ?
(Anne-Claire Thérizols) 124
L’état limite ou borderline (Sophie Viguier-Vinson) 129
Les enfants aussi se suicident.
Rencontre avec Boris Cyrulnik 136
Grandir après la guerre (Marie Rose Moro) 142

Comment rendre son enfant heureux ?


Rencontre avec Alain Braconnier 147

Contributeurs 153

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