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Introduction

aux thérapies
comportementales
et cognitives
Cyrille Bouvet
2e édition

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Maquette de couverture :
Le Petit Atelier

© Dunod, 2020
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN 978-2-10-080120-6

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Table des matières
Introduction ................................................................................................................................................................ 9

Chapitre 1 – Les TCC : histoire, théories et approche scientifique......... 11


1. Les TCC, qu’est-ce que c’est ? Présentation générale....................................................... 13
2. Histoire des théories et des pratiques TCC
– une vague, deux vagues, trois vagues ? ................................................................................... 22
3. Quelles sont les différences et les similitudes entre les TCC
et les autres psychothérapies ? .......................................................................................................... 44
4. Les TCC sont-elles efficaces ? ........................................................................................................... 53
5. Conclusion...................................................................................................................................................... 65

Chapitre 2 – Les TCC en pratique ................................................................................................. 67


1. Qui sont les thérapeutes TCC et qui les TCC peuvent-elles aider ? ...................... 69
2. Pour les TCC, thérapies centrées sur le problème,
qu’est-ce qu’un « problème » ?........................................................................................................... 77
3. Déroulement d’une TCC ...................................................................................................................... 82
4. L’alliance thérapeutique ........................................................................................................................ 90
5. Les principales techniques TCC ..................................................................................................... 94
6. Les principales stratégies TCC selon les troubles psychiques ................................... 122
7. Conclusion...................................................................................................................................................... 134

Conclusion générale............................................................................................................................................... 135


Index des notions ..................................................................................................................................................... 139
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

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Introduction
Les psychothérapies comportementales et cognitives (TCC) se répandent
de plus en plus en France après s’être imposées dans la plupart des pays
du monde. Depuis leur création, elles se sont progressivement affirmées
comme un des principaux courants psychothérapeutiques. D’abord prati-
quées et développées dans les pays anglo-saxons au point d’y devenir la
principale référence psychothérapeutique, elles se sont ensuite diffusées en
Europe puis dans le monde entier. Leur diffusion en France fut plus tardive,
plus lente et au départ plus difficile que dans la plupart des autres pays en
raison de la prédominance de la culture psychanalytique dans le champ
des psychothérapies, des soins psychiques (psychiatrie) et de la société en
général (universités, éducation, médias, arts…).
Mais depuis une décennie, le mouvement s’accélère et les TCC prennent
une place de plus en plus importante dans les psychothérapies et les services
de soins psychiques. Les TCC sont mieux connues, les patients demandent
souvent ce type d’approche, plus directe, plus pragmatique, moins chère et
plus rapide que l’approche psychanalytique. Leur place à l’université, bien
qu’encore insuffisante, se développe et les étudiants en psychologie peuvent
maintenant se former en TCC dans des masters de psychologie clinique de
plus en plus nombreux.
Dans les pays anglo-saxons, les TCC sont bien plus développées et
dominent les pratiques psychothérapiques. Il est probable que la diffusion
des TCC en France s’accroîtra de la même manière à l’avenir.
De plus en plus de professionnels se forment à ces modèles (par exemple à
l’AFTCC – Association française de Thérapies comportementales et cogni-
tives ; http://www.aftcc.org/ – ou encore à l’AFFORTHECC – Association
francophone de Formation et de Recherche aux Thérapies comportemen-
tales et cognitives, et d’autres formations existent en France, par exemple
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans le cadre de diplômes universitaires – DU), de plus en plus de services de


soins publics et privés proposent des thérapies cognitivo-comportementales.
Cet ouvrage présente simplement et précisément les bases théoriques
(chapitre I) et pratiques (chapitre II) des thérapies cognitivo-comportementales.
Il a été conçu pour les étudiants de licence et master en psychologie, en
particulier en psychologie clinique et en psychopathologie ainsi que pour
les étudiants en sciences humaines en général, mais il s’adresse aussi aux
psychologues professionnels qui souhaiteraient saisir rapidement les bases

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

théoriques et techniques des TCC, soit pour mieux comprendre le travail


de leurs collègues « TCCistes », soit pour se préparer à une formation à
ces approches, ou encore pour satisfaire leur curiosité professionnelle. Il
s’adresse aussi aux médecins, psychiatres ou non qui ont besoin de mieux
comprendre ces psychothérapies pour les conseiller à leurs patients.
Ce livre pourra aussi intéresser toutes les personnes qui envisagent une
psychothérapie et qui se questionnent sur le courant psychothérapique
cognitivo-comportemental. Enfin, il apportera des réponses aux personnes
qui, simplement, s’intéressent aux approches psychothérapiques modernes.
Merci à : Nathalie Camart, Damien Fouques et Lucia Romo, enseignants-
chercheurs à l’université Paris-Nanterre et psychothérapeutes TCC,
formateurs en TCC et superviseurs TCC pour leur relecture attentive et
précieuse qui a aidé à améliorer ce livre.

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Chapitre 1
Les TCC : histoire, théories
et approche scientifique

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Sommaire
1. Les TCC, qu’est-ce que c’est ? Présentation générale ....................... 13
2. Histoire des théories et des pratiques TCC
– une vague, deux vagues, trois vagues ?........................................... 22
3. Quelles sont les différences et les similitudes
entre les TCC et les autres psychothérapies ? ................................... 44
4. Les TCC sont-elles efficaces ? ........................................................... 53
5. Conclusion ......................................................................................... 65

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Les TCC ont une histoire assez récente d’une soixantaine d’années,
histoire assez courte mais très riche. La boussole des TCC pointe non pas
vers le nord, mais vers l’exigence de scientificité et d’efficacité qui a marqué
son histoire et détermine son avenir. Scientificité des théories et efficacité
des pratiques vont de pair et ont guidé les thérapeutes TCC dès l’origine.
Dans cette première partie, nous présenterons des définitions générales des
TCC, les théories sur lesquelles elles s’appuient, nous définirons aussi les
TCC en les comparant à d’autres types de psychothérapies et nous répon-
drons à plusieurs questions importantes, comme celle de l’efficacité des
psychothérapies.

1. Les TCC, qu’est-ce que c’est ? Présentation générale


1.1 Histoire et diversité des psychothérapies
Les psychothérapies ont pour objectif de soigner les troubles psycholo-
giques par des moyens psychologiques dans le cadre d’une relation entre
le patient et le psychothérapeute (et non par des méthodes psychiatriques,
comme les médicaments ou les diverses interventions sur les organes, en
particulier le cerveau, comme la neurochirurgie).
Des ébauches de psychothérapies existent depuis très longtemps, mais
c’est surtout depuis le xviiie siècle, avec le psychiatre Philippe Pinel
(1745-1826) en France, que les troubles psychiques sont enfin considérés
comme des maladies que l’on peut soigner, au moins en partie, par une
approche psychologique. C’est sur cette base que, deux siècles plus tard,
les psychothérapies modernes continuent de se déployer dans le monde.
Auparavant, les troubles psychiques étaient considérés sous un angle soit
religieux (les malades étaient possédés, par Dieu ou par le diable, pour le
meilleur mais surtout pour le pire), soit moral (les malades étaient pris par
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le vice et le mal, il fallait les redresser moralement) et, dans les deux cas, trop
souvent maltraités : enfermement et enchaînement, rejet, négligence grave,
remèdes violents qui aggravaient les troubles, assassinats (les bûchers pour
brûler les « sorcières » et les « possédés » après les avoir mis « à la question »,
– c’est-à-dire les avoir torturés), etc.
Le docteur Philippe Pinel et les médecins qui l’ont suivi à la fin du
xviiie siècle ont contribué à sortir les troubles psychiques de ces concep-
tions destructrices et à changer profondément le regard de la société sur les
personnes souffrant de troubles psychiques. Le regard social sur les troubles

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

est alors devenu en grande partie médical : les « fous » qu’il fallait isoler de
la société, et parfois détruire ou punir, devenaient des malades qu’il fallait
soigner. Mais c’est surtout au xxe siècle que la psychologie se développe
comme un champ de recherche et d’interventions spécifiques et que les
psychothérapies prennent leur essor. En France, on peut citer Pierre Janet
(1859-1947) comme précurseur des psychothérapies modernes. En Europe
et aux États-Unis, Sigmund Freud, inventeur de la psychanalyse, a largement
contribué à ancrer l’idée que l’on pouvait soigner les troubles psychiques
par des moyens psychiques et relationnels. De nombreux autres médecins,
philosophes et psychologues ont aussi apporté leur pierre à ce qui est main-
tenant un champ très important non seulement de la psychologie et de la
psychiatrie mais aussi de la vie sociale en général.
Les moyens psychiques et relationnels utilisés par les psychothérapeutes
sont assez nombreux : il s’agit souvent d’entretiens (on échange autour des
problèmes du sujet), mêlant écoute compréhensive et active, empathie,
relances, reformulation, apport d’un regard extérieur, et interprétation, etc.
On retrouve d’autres types de techniques comme l’association libre (« dites
tout ce qui vous passe par la tête, sans trier, ni censure d’aucune sorte… »)
associée à l’attention flottante du thérapeute (une écoute sans objet précis,
ni sélection) qui est utilisée dans la psychanalyse ; existe aussi l’approche non
directive (dite aussi « humaniste » ou « rogerienne ») centrée sur le client (qui
parle de ce qu’il veut) associée à l’écoute active et bienveillante du thérapeute,
qui effectue des reformulations (il renvoie en miroir son propre discours au
patient) ; existent encore les multiples stratégies des approches familiales
systémiques (recadrages cognitifs1, exercices de communication, injonctions
paradoxales ou non). Plus récentes enfin, dans les TCC existent les multiples
techniques comportementales (exposition, jeux de rôles, expérimentation
de nouveaux comportements), cognitives (restructuration cognitive par
diverses techniques) et émotionnelles (relaxation, pleine conscience, expo-
sition et acceptation émotionnelle…). On peut aussi parler des techniques
de suggestion hypnotique dans l’hypnothérapie, des principes de l’EMDR
(Eye Movement Desensitization and Reprocessing) pour intégrer les trauma-
tismes, etc. Il existe donc de nombreuses techniques psychothérapiques et,
si les thérapeutes des différents courants ont des techniques en commun,

1. Un recadrage consiste à présenter une situation spécifique problématique pour un patient


d’une façon différente de la représentation qu’il en a afin de la rendre accessible à une solution
ou à un progrès psychique.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

comme l’entretien clinique, l’écoute active, etc., ils utilisent aussi des tech-
niques spécifiques qui les caractérisent et les différencient.
Ces techniques proviennent des conceptions théoriques de chaque
courant. En effet, un courant psychothérapique est caractérisé, en plus des
techniques spécifiques, par une théorisation des troubles psychiques qui
lui est propre.

Expliquer les troubles psychiques en psychothérapie


— Par les problèmes de communica- — Par des apprentissages dysfonction-
tion familiale dans les approches nels dans le comportementalisme ?
systémiques ? — Par des interprétations erronées du
— Par le devenir de la libido, l’appétit monde dans le cognitivisme ?
sexuel, dans la psychanalyse ? — Par l’évitement émotionnel, dans les
— Par un blocage de la force de réalisa- approches émotionnelles ?
tion de soi-même dans les approches — Par la génétique ou la physiologie en
expérientielles humanistes ? médecine ?
— Etc.

Pour résumer, un courant psychothérapique est caractérisé par une théo-


risation de la psychopathologie ET par une stratégie thérapeutique et des
techniques thérapeutiques qui découlent de cette compréhension théorique
et doivent être cohérentes avec elle.

1.2 Sérieux, pas sérieux ?


On considère qu’il existe plusieurs centaines de psychothérapies diffé-
rentes, dont une grande partie ne sont pas reconnues par les professionnels
comme étant sérieuses et efficaces. Les principaux courants psychothéra-
peutiques traditionnellement reconnus et ayant fait leurs preuves sont par
exemple : les thérapies comportementales et cognitives, certaines formes de
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psychanalyse, les approches humanistes (dont les approches rogeriennes),


le courant systémique, l’hypnothérapie… De nouvelles thérapies voient le
jour encore maintenant et sont ou non validées scientifiquement et d’autres
naîtront à l’avenir.
Parfois les psychothérapies émanent de l’imagination de thérapeutes plus
ou moins créatifs et ne reposent sur aucune expérience clinique réelle, ni
aucune base scientifique et elles font souvent plus de mal que de bien aux
patients. D’ailleurs des « pseudo-psychothérapies » sont utilisées par des
sectes afin de créer une relation de dépendance très destructrice pour les

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

victimes1. Sans aller jusqu’à ces dérives sectaires, une psychothérapie qui
n’est pas fondée de façon solide d’un point de vue théorique, clinique et
scientifique est toujours néfaste pour le patient ne serait-ce que par le fait
qu’elle empêche, pendant le temps où elle s’exerce, l’accès du patient à une
thérapie ayant fait ses preuves. Au mieux c’est une situation de défaut de
soin, au pire elle aggrave la situation du patient et de ses proches.
Mais, heureusement, les thérapies traditionnelles sont solides quand elles
sont pratiquées par des professionnels bien formés et compétents et de
nouvelles psychothérapies émergent qui sont l’aboutissement de l’évolution
de pratiques reconnues efficaces et validées par des recherches scientifiques.
Par exemple, parmi les nouvelles thérapies solides on retrouve : les thérapies
dites « de pleine conscience2 », les approches de la « psychologie positive3 »,
ou encore de l’EMDR4 ou de l’ACT (Acceptance and Commitment Therapy5).
D’autres existent, mais on ne peut ici les citer toutes.

1.3 Les thérapies comportementales et cognitives :


définitions générales
Les « TCC » sont un courant dans le champ des psychothérapies.
Il y a plusieurs façons de nommer ces thérapies : TCC, thérapies cogni-
tivo-comportementales, thérapies comportementales et cognitives, ou, en
anglais (car c’est ainsi qu’elles apparaissent parfois dans les textes, de par
leur origine anglo-saxonne) : CBT ou Cognitive and Behavioral Therapy.
Toutes ces appellations désignent la même chose.
Comme toute psychothérapie sérieuse, les thérapeutes TCC s’appuient
sur un ensemble de théories pour expliquer les troubles psychiques (théo-
ries de l’apprentissage élaborées principalement par Pavlov, Skinner,
Bandura ; mais aussi les théories cognitives de traitement de l’information
avec Ellis et Beck) ; et à partir de là, ils ont construit des modèles théoriques
pour faire le lien entre la théorie générale et les applications thérapeutiques
possibles dans tel ou tel trouble, ce qui a conduit à élaborer un ensemble

1. Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les phénomènes sectaires,


http://www.derives-sectes.gouv.fr/
2. Voir par exemple : Williams et al. (2009). Méditer pour ne plus déprimer, Paris, Odile Jacob.
3. Lecomte J. (2014). Introduction à la psychologie positive, Paris, Dunod.
4. Shapiro F. (2007). Manuel d’EMDR, Paris, InterÉditions.
5. Monestes J.-L., Villatte M. (2001). La Thérapie d’acceptation et d’engagement, Paris, Elsevier
Masson.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

de stratégies, de techniques et de pratiques psychothérapeutiques pour


soigner ces troubles en accord avec ces théories et ces modèles. L’ensemble
(théories, modèles et pratiques psychothérapeutiques) fait l’objet de vali-
dations par des recherches scientifiques qui les testent régulièrement. De
plus, une des caractéristiques spécifiques des TCC par rapport aux autres
courants psychothérapiques, c’est que ces approches, pour une grande part,
sont nées d’abord lors d’études de laboratoire où elles ont été testées et vali-
dées, avant d’être ensuite exportées dans la pratique psychothérapeutique.
Il est important de bien comprendre les théories pour bien comprendre
les modèles et les pratiques qui en découlent ainsi que les recherches scienti-
fiques qui s’efforcent de tester la validité des théories ainsi que l’efficacité des
méthodes thérapeutiques préconisées. Les TCC, au sens large, ce sont ces
modèles thérapeutiques + les pratiques en lien avec les études scientifiques
qui les testent depuis leur création. La plupart des théories qui fondent les
TCC n’émanent pas directement du champ TCC.

Construction générale d’une psychothérapie scientifique cognitive


et comportementale

Théories générales
Théories de l’apprentissage : apprentissage répondant de Pavlov, opérant de Skinner
et social de Bandura.
Théories cognitives du traitement de l’information dont la théorie cognitive des schémas
de Beck.

Modèles théoriques thérapeutiques


Exemple : modèle de Lewhinson de la dépression, spirale de l’attaque de panique, modèle
de la phobie sociale, des troubles cognitifs dans la schizophrénie, modèle cognitif de
la dépression, etc.
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Applications thérapeutiques
Exemples : thérapie cognitive de Beck, thérapie de reprise d’activités dans la dépression,
stratégie thérapeutique du trouble panique, stratégie d’exposition dans les phobies,
exposition avec prévention de la réponse dans les TOC (troubles obsessionnels compul-
sifs), thérapie de pleine conscience pour les troubles anxieux et dépressifs, etc.

Validation scientifique
Tests de la validité empirique des théories générales et des modèles théoriques.
Études de validation de l’efficacité des techniques psychothérapeutiques.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

1.4 Objectifs des TCC


Comme leur nom l’indique, les TCC visent la modification (thérapies) des
comportements inadaptés (comportementales) et des pensées (cognitives)
dysfonctionnelles, c’est-à-dire inadaptées (plus loin nous verrons que les
TCC se complètent maintenant par des approches traitant des émotions
dans le cadre de la « troisième vague » TCC).

Inadapté, dysfonctionnel ?
Cela veut dire : qui gêne la personne dans ses relations aux autres, au monde et à elle-
même. Une peur panique des pigeons est inadaptée et dysfonctionnelle ; ne plus aller dans
les rues à cause de cette peur l’est aussi ; vérifier des dizaines de fois que l’on a bien fermé
sa porte avant de sortir de chez soi (en retard et angoissé) est inadapté ; ne plus aller au
travail parce que l’on a peur de rencontrer d’autres personnes (même si elles sont bienveil-
lantes) est inadapté ; penser que l’on est la personne la plus incapable, la plus misérable
et la plus mauvaise du monde, au point de vouloir se tuer pour soulager le monde, c’est
inadapté ; ne connaître que la violence (agression, maltraitance) ou l’alcool pour régler
les tensions et supporter les frustrations, c’est aussi inadapté et dysfonctionnel, etc.
Donc sont inadaptés les comportements, les cognitions et les émotions qui gênent le
sujet de façon intense et persistante, qui perturbent ses rapports avec lui-même et avec
son environnement, qui entravent son accomplissement personnel et qui restreignent de
façon importante les satisfactions qu’il serait en droit d’attendre de la vie et de ses acti-
vités. Contrairement à ce que l’on peut encore entendre, les TCC ne sont pas normatives
et ont pour objectif de libérer le sujet des entraves que les troubles tissent autour de lui.
De façon générale, les troubles psychiques entremêlent des émotions (peur, tristesse,
colère…), des comportements (de vérification, d’évitement, de violence…) et des pensées
(cognitions dysfonctionnelles) qui, selon les TCC, sont les éléments qui constituent la
vie psychique en général et les troubles psychiques en particulier. Changer ces compor-
tements-cognitions-émotions, c’est agir sur le trouble, le problème, pour le limiter ou le
faire disparaître et donc soigner le patient, c’est-à-dire lui redonner de la liberté vis-à-vis
de ses troubles et de ses problèmes pour qu’il puisse mener sa vie comme il le souhaite
sans être gêné par ses symptômes et ses problèmes. Tels sont les objectifs des TCC.

Une situation agit comme un stimulus qui déclenche des réactions cognitives, comportementales
et émotionnelles qui interagissent entre elles et génèrent des troubles psychiques.

Situations Cognitions

Comportements Émotions

Figure 1.1 – Modèle cognitivo-comportemental des troubles psychiques

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

1.5 Techniques des TCC


Pour changer ces comportements-cognitions-émotions dysfonctionnels,
les TCC préconisent des méthodes elles-mêmes comportementales, cogni-
tives et émotionnelles.
Une méthode comportementale est, par exemple, la méthode d’expo-
sition systématique par laquelle, après une préparation spécifique et en
suivant une démarche thérapeutique précise, le patient va être amené à
s’exposer progressivement à l’objet de sa peur (par exemple les pigeons).
C’est-à-dire que plutôt que de fuir, en l’évitant, l’objet phobogène, il va
progressivement s’en rapprocher. Il va donc modifier son comportement
habituel (évitement des pigeons) pour le remplacer par un autre (exposition
aux pigeons), ce qui aura pour effet d’éteindre (arrêter) sa réaction de peur de
façon durable (désensibilisation). Quand l’exposition respecte des caracté-
ristiques précises (de durée, de progressivité, d’attitude psychologique, etc.)
elle s’avère souvent très efficace pour réduire les peurs inadaptées.

L’exposition
S’exposer, dans les TCC, c’est faire face à ce que l’on craint, mais pas n’importe comment.
Ce n’est pas une simple confrontation brutale et surtout pas une thérapie de choc ! Une
bonne exposition doit être précédée d’un bon diagnostic, d’une analyse précise du
problème (« analyse fonctionnelle ») et d’une bonne explication au patient de ce dont
il s’agit (« psychoéducation »). Ensuite, l’exposition doit être personnalisée (c’est du
sur-mesure pour chaque patient), progressive en commençant par une situation peu
angoissante (par exemple regarder la photo d’un pigeon), pour aller vers des situations
de plus en plus anxiogènes (par exemple donner des graines à de vrais pigeons dans un
parc et se laisser entourer par eux). Mais, si la stratégie est bien menée, les situations
les plus angoissantes, quand elles seront abordées après les situations moins anxio-
gènes, seront moins intenses qu’au début et plus abordables. Elle est aussi répétée
autant que nécessaire. Il est très important que les séances soient suffisamment
longues pour qu’à chaque fois l’angoisse diminue. C’est cette baisse de l’angoisse en
situation anxiogène qui produit le phénomène d’habituation qui mène progressivement
à la désensibilisation et à l’extinction de la réponse « peur ». C’est ce processus qui
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

fait de l’exposition bien menée une technique très efficace. Notons que des études
récentes montrent que l’exposition peut prendre des formes plus diverses que dans
l’explication ci-dessus, par exemple en incluant la « violation des attentes » ou d’autres
principes1. Les TCC sont en constante amélioration pour atteindre la plus grande effi-
cacité thérapeutique.

1. Craske, M.G., Treanor, M., Conway, C.C., Zbozinek, T. et Vervliet, B. (2014). Maximizing
exposure therapy : an inhibitory learning approach. Behaviour Research and Therapy, 58, 10-23.
DOI : http://dx.doi.org/10.1016/j.brat.2014.04.006

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Une méthode cognitive est, par exemple, l’utilisation des « colonnes de Beck », qui
consistent à repérer dans un tableau les situations (par exemple : son bébé qui pleure)
qui déclenchent des « pensées automatiques » dysfonctionnelles répétitives (« je suis
une mauvaise mère ») qui ont un effet pathogène. Puis, à l’aide du thérapeute, le patient
va en éprouver la rationalité de façon systématique (entretien socratique : « Qu’est-ce
qui vous fait dire cela, concrètement ? Est-ce une pensée réaliste ? Est-ce que les bébés
des autres mères pleurent ? Sont-elles des mauvaises mères ?, etc. »). Ces pensées
dysfonctionnelles qui étaient égosyntoniques (le patient y croit, elles le définissent
comme une « vraie » caractéristique) deviennent alors égodystoniques (le patient les
perçoit comme étrangères à son moi et fausses ; bien qu’elles restent envahissantes,
il n’y croit plus autant). Cela l’amène ensuite à envisager des pensées « alternatives »
qui sont plus adaptées et qui font l’objet d’une autre colonne du tableau de Beck, afin
que progressivement le sujet puisse porter un jugement réaliste et plus constructif sur
lui-même et le monde en luttant contre les pensées automatiques dysfonctionnelles
(« Finalement je m’en sors plutôt bien, je ne suis pas une moins bonne mère que les
autres »). Cela a pour effet de remplacer les pensées automatiques dysfonctionnelles
par des pensées alternatives plus adaptées et réalistes, ce qui permet l’apaisement
de l’anxiété et/ou de la dépression (voire de la colère). C’est ce que l’on appelle de la
restructuration cognitive.

Les colonnes de Beck


Situations Mon bébé pleure
Émotions Tristesse 8/10
Pensées automatiques Je suis une mauvaise mère
Pensées alternatives Tous les bébés pleurent.
Il peut être fatigué, avoir faim, ou il fait
ses dents.
Ce n’est pas forcément lié à moi.

Une méthode émotionnelle est, par exemple, l’approche de méditation


de pleine conscience qui repose sur des techniques attentionnelles (fixer son
attention sur une sensation comme sa respiration par exemple, ou encore
sur un objet ou un son). Le fait d’ancrer ainsi son attention durablement
sur une perception précise place le sujet dans une perspective intérieure
« méta », « au-dessus », c’est-à-dire d’observateur. Ainsi il peut observer
les mouvements de son attention (sa conscience) qui vagabonde entre la
perception choisie au départ (le point d’ancrage) et tout ce qui peut attirer
la conscience ailleurs (car la conscience est très mobile et vagabonde…),
comme des sensations, des pensées, des émotions… Ainsi, la méditation
place le sujet dans une attitude mentale « métacognitive » (c’est-à-dire qu’il
se place en observation de ses cognitions et de sa vie psychique et corporelle
en général). Cela permet de modifier le rapport du sujet à ses émotions et

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

à ses cognitions et de réduire l’impact négatif qu’elles peuvent avoir sur lui. Il
ne s’agit donc pas ici de changer directement les cognitions et les émotions,
mais le rapport que le sujet entretient avec elles… Ce qui a cependant, à la
longue, pour effet de les changer. Car cette nouvelle attitude mentale limite
l’évitement expérientiel, lequel, s’il est trop fréquent, renforce les émotions
négatives.

Un paradoxe au cœur de l’approche de méditation de pleine conscience


Assis sur une chaise, sur un coussin simplement j’observe ce qui a attiré ma
de méditation ou sur un banc dans un conscience pour ce qu’il est, je constate
parc, toujours dans une position digne, ce déplacement de ma conscience et ce
je porte mon attention, ma conscience, qui l’a attirée, sans juger ni m’agacer, et
sur ma respiration, sur l’air qui rentre et je ramène gentiment et fermement ma
qui sort de mon corps au rythme de ma conscience vers ma respiration.
respiration. Je ne cherche à rien modifier, Je ne cherche donc rien, si ce n’est à res-
simplement je suis conscient de ce qui ter assis là et à être pleinement conscient
est ici et maintenant. Je reste pleine- de ma respiration. Rien… et pourtant l’ob-
ment conscient de l’air qui entre par mes jectif d’être plus serein, moins envahi de
narines, puis qui en ressort. L’exercice pensées dépressives ou anxieuses est
peut durer quelques minutes ou plusieurs souvent atteint par cette technique qui
dizaines de minutes et se répéter plu- ne vise rien d’autre que la conscience de
sieurs fois par semaine. Si mon attention la respiration (ou d’autres sensations…).
est attirée par autre chose que ma respi- Je ne cherche pas, donc je trouve ! On
ration (par exemple une pensée, une émo- retrouve là des paradoxes fréquents dans
tion, une sensation, ce qui ne manquera des philosophies orientales dont provient
pas de se produire de nombreuses fois), la méditation de pleine conscience.

L’auto-contrôle
Les stratégies TCC, en utilisant les tech- pendant, mais surtout après, la théra-
niques pertinentes pour chaque trouble pie. Cela rend plus durables les progrès
et chaque patient, ont un double objectif : réalisés. C’est aussi l’objectif des self
améliorer la situation du patient, mais help books (livres pour s’aider soi-même)
aussi développer chez lui des capacités de plus en plus nombreux en français,
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’« autocontrôle ». L’autocontrôle, en TCC, qui apportent aux patients, sous forme
c’est le fait que le patient puisse, par de livres accessibles, problème par pro-
lui-même, gérer ses difficultés, même blème, les clés théoriques et techniques
sans l’aide d’un thérapeute. Il s’agit qu’il pour surmonter leurs difficultés par eux-
devienne, dans une certaine mesure, son mêmes. Je parle là des self help books
propre thérapeute. C’est pourquoi toutes écrits par des professionnels formés
les techniques TCC sont non seulement en TCC et compétents qui écrivent ces
utilisées en thérapie, mais aussi apprises livres d’orientation TCC qui complètent
au patient de façon à ce qu’il puisse, en très bien les psychothérapies.
autonomie, les réutiliser si nécessaire

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

2. Histoire des théories et des pratiques TCC


– une vague, deux vagues, trois vagues ?
Les TCC ne sont pas apparues d’un coup ni toutes ensemble. Tout
d’abord, si l’on dit « les » TCC, c’est bien qu’il y existe plusieurs thérapies
à l’intérieur de ce courant. Les TCC sont un regroupement et une mise
en cohérence de diverses thérapies qui, au départ, étaient indépendantes
les unes des autres. En ce sens, on peut dire que les TCC constituent une
approche intégrative. Les présenter par l’histoire de leur intégration est
sans doute la façon la plus claire et la plus cohérente pour les comprendre.

2.1 De l’apprentissage au comportementalisme :


la première vague
L’approche comportementale est souvent nommée : « première vague des
TCC ». Les approches comportementales (ou behavioristes, de behavior,
« comportement ») reposent directement sur les théories de l’apprentissage
(ou du conditionnement), dont les principales sont l’apprentissage répon-
dant et l’apprentissage opérant.

2.1.1 Les théories de l’apprentissage classique


(ou répondant, ou pavlovien…)
Les théories de l’apprentissage classique proviennent directement des
travaux scientifiques menés par Ivan Pavlov (1849-1936). Au début du
xxe siècle, Ivan Pavlov, au cours d’expériences très célèbres, a démontré
que des chiens pouvaient être amenés à saliver (ce qui prépare leur orga-
nisme à manger) en entendant le simple son d’une cloche sans rapport avec
de la nourriture. Les chiens de Pavlov souffraient-ils de confusion au point
de confondre un bon plat de viande avec une cloche ? Non, simplement
leur réaction de salivation avait été conditionnée par Pavlov, c’est-à-dire
qu’il avait fait en sorte qu’elle se déclenche sous la condition de la sonnerie.
Comment a-t-il fait ? Très simplement en faisant, auparavant et à plusieurs
reprises, coïncider dans le temps la présentation d’un plat de viande (provo-
quant la salivation) avec une sonnerie (qui, au départ, ne provoquait rien
de spécial, en tout cas du côté de la salivation). En bref, il donnait à ces
chiens leur repas et en même temps, ou peu avant, il déclenchait la cloche.
Ainsi, Pavlov avait conduit les chiens, ou plus précisément l’organisme des
chiens, à apprendre (c’est-à-dire à « associer » ou à « conditionner ») le lien
entre sonnerie et salivation. Ce lien s’est inscrit dans leur mémoire et a

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

donc produit des réactions automatiques : sonnerie = salivation. Ce qui


est notable, c’est que ce lien était totalement arbitraire, la cloche n’ayant
en elle-même aucun rapport avec la nourriture, mais pourtant ce bruit a
été associé à la salivation. Avant l’expérience ce lien n’existait pas chez ces
chiens, Pavlov le leur a donc appris. Enfin, la réaction apprise (salivation)
n’est pas du ressort du comportement volontaire, mais dépend des réactions
physiologiques automatiques, considérées alors comme instinctives et peu
malléables. Les expériences de Pavlov prouvent donc que l’on peut assez
facilement, par simple coïncidence temporelle répétée, modeler des réac-
tions profondes chez un animal, et l’amener à se comporter d’une manière
nouvelle, automatique et échappant à sa volonté, en particulier en ce qui
concerne des réactions physiologiques.
Par la suite, de nombreuses études ont confirmé et précisé l’importance
et les conditions de ce type d’apprentissage automatique dit « pavlovien »
ou encore « répondant » (car l’organisme se contente de répondre automa-
tiquement au stimulus, par exemple le son de cloche) ou bien « classique »
(car c’est un classique historique et une base des théories de l’apprentissage).
Il a été montré que quasiment n’importe quel stimulus (et pas seulement la
cloche) pouvait être associé à de nombreuses réactions de l’organisme (et pas
seulement la salivation, mais aussi les sensations, les émotions…). Et cela,
soit comme le montrait Pavlov par une coïncidence temporelle répétée entre
le stimulus et la réponse attendue, soit du fait d’un stimulus unique mais
particulièrement marquant pour le sujet. Cela concerne les êtres vivants les
plus complexes y compris les êtres humains. Mais de nombreuses études
ont montré que ce phénomène était en fait partagé par quasiment tous les
êtres vivants, les insectes, les plantes mais aussi les bactéries (si, si, voir
l’encadré) ! Il s’agit certainement d’une capacité nécessaire à la survie, en
ce qu’elle permet de garder à l’intérieur de nous des traces des expériences
de nos interactions avec l’environnement.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Des bactéries sur les bancs de l’école ?


Au début de notre siècle (le XXIe), des cher- (Attention, n’imaginez pas une petite
cheurs1 ont montré que Escherichia Coli bactérie avec son sac d’école posé à ses
(une bactérie présente dans l’air et dans côtés, assise, instable, sur une chaise
le système digestif humain) était capable d’écolière et essayant d’écouter, sans
non seulement de changer son fonction- oreilles ni cerveau, la maîtresse ! Ce n’est
nement physiologique pour s’adapter pas au niveau de la vie d’un individu que
aux modifications des conditions de l’en- ça se passe pour les bactéries, contrai-
vironnement (par exemple selon qu’elle rement aux êtres vivants plus évolués
est dans ou hors le système digestif, que nous sommes – comme beaucoup
avec ou sans oxygène), mais qu’elle était d’autres –, mais au niveau d’une colo-
capable, en plus, « d’apprendre » cette nie de bactéries qui, génération après
adaptation, et de la transmettre aux génération, intègre la modification – une
générations suivantes, qui adopteront génération durant 20 minutes !)
alors d’emblée le fonctionnement le plus Quoi qu’il en soit, les théories de l’ap-
adapté aux conditions présentes sans prentissage à la base du comporte-
passer par une modification de compor- mentalisme humain semblent bien
tement. Escherichia Coli ne fait donc pas conceptualiser une tendance générale
que s’adapter à son environnement, elle du vivant dont la fonction est sans doute
apprend de nouveaux fonctionnements nécessaire à la survie : la capacité d’ap-
et anticipe l’état de l’environnement. prendre de l’expérience.
Tout cela sans système nerveux ni
cerveau !

1. Par exemple, Tagkopoulos I., Liu Y.C., Tavazoie S. (2008). Predictive behavior within micro-
bial genetic networks. Science, 320 : 1313-1317.

Ainsi, au début du xxe siècle s’est développée l’idée que l’on pouvait
modifier certaines réactions physiologiques involontaires (sensations,
émotions, comportements…) chez les êtres humains simplement en asso-
ciant certains comportements à des stimuli particuliers. Par cette technique
on pourrait modeler les comportements humains dans un sens attendu.
C’est John Watson (1878-1958), le premier des behavioristes (beha-
vior en anglais = comportement ; behaviorism = comportementalisme),
qui a développé cette idée, en particulier dans ses applications sociales
(comment favoriser de « bons » comportements sociaux et éliminer les
« mauvais » comportements sociaux). Par exemple, un comportement
indésirable comme la violence pourrait être associé à de la douleur (par
un choc électrique ou tout autre moyen douloureux ; pensez au film
Orange mécanique de Stanley Kubrick, quand le personnage principal,
violent, est « rééduqué »), ce qui fait qu’au moment où le comportement
violent apparaît, les sensations et la peur de la douleur se manifestent

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

aussi par conditionnement, et le sujet est amené à éviter la violence pour


éviter ce malaise intérieur. De la même façon on pourrait favoriser les
comportements souhaités en les associant à des sensations de plaisir
(récompense). Par ailleurs et c’est essentiel pour le comportementalisme,
si un comportement peut être appris (tout au long de la vie), il peut aussi
être désappris (« éteint », « extinction », « désensibilisation », en langage
comportemental). Ces idées et ces applications sociales se sont dévelop-
pées surtout avant la Seconde Guerre mondiale au travers de ce que l’on
appelait le behaviorisme, qui alors n’était pas une psychothérapie, mais
plutôt une méthode d’éducation sociale, fort critiquée et d’ailleurs fort
critiquable, éthiquement et socialement.

Schéma de base S (stimulus) R (réponse)


Chien de Pavlov Cloche Salivation
Exemple éducation sociale Vol Douleur
Modèle de la phobie Pigeon Angoisse
(exemple)

Figure 1.2 – L’apprentissage (ou conditionnement)


répondant (ou pavlovien ou classique) : le schéma SR

C’est après-guerre que les thérapies comportementales, en s’appuyant


sur les mêmes théories de l’apprentissage répondant, se sont développées
progressivement. L’idée générale des thérapies comportementales est que
l’organisme a appris des réactions physiologiques (angoisse et tristesse
intenses, comportements) automatiques et inadaptées lors de ses interac-
tions avec le monde, puis que ces réactions se sont ancrées dans l’organisme
du sujet et sont devenues intenses et fréquentes, produisant des symp-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

tômes. Par exemple, si j’ai une crise d’angoisse fortuite dans un ascenseur,
mon organisme peut associer (apprendre le lien) ascenseur et angoisse, ce
qui pourrait enclencher une phobie de l’ascenseur, qui est donc apprise de
ce fait. D’un point de vue comportementaliste, les symptômes sont pour
la plupart appris et peuvent être désappris. Joseph Wolpe (1915-1997) est
reconnu comme le premier thérapeute comportementaliste ayant mis en
place une stratégie comportementale précise et efficace pour soigner un
trouble spécifique : les phobies. Il s’agit de la désensibilisation systématique
par inhibition réciproque (voir encadré).

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Désensibilisation systématique par inhibition réciproque ! C’est quoi ?


Désensibilisation : si un sujet est sen- au stimulus phobogène, cette nouvelle
sible à un stimulus et y répond avec de réponse étant antagoniste de la réponse
l’angoisse on peut le désensibiliser (dans d’angoisse et de ce fait elle inhibe cette
ce cas, enlever la réponse d’angoisse dernière : on ne peut pas être relaxé et
face à ce stimulus). angoissé en même temps !
Systématique : le désensibiliser de façon Dans le cas d’une phobie des ascenseurs,
stratégique, organisée et complète. il s’agit donc d’apprendre à l’organisme
Par inhibition : il s’agit d’inhiber la du sujet phobique à associer le stimulus
réponse inadaptée (ici, l’angoisse). ascenseur à la réponse relaxation.
Réciproque : en associant le stimulus Aujourd’hui la désensibilisation par inhi-
de départ (l’objet ou la situation pho- bition réciproque n’est plus vraiment
bogène) avec une réponse autre que utilisée. Elle est remplacée par des
l’angoisse et qui lui est contraire, en techniques d’exposition plus directes
l’occurrence la détente ou la relaxation. sans relaxation, comme nous le verrons
Car ces réponses s’inhibent réciproque- plus loin. Cependant, les nouvelles tech-
ment (l’état de relaxation exclut l’état niques d’exposition reposent toujours en
d’angoisse). grande partie sur les théories de l’ap-
prentissage répondant.
Donc il s’agit d’apprendre à l’organisme
une nouvelle réponse (relaxation) face

Et la relaxation ?
Les techniques de relaxation, qui sont — le training autogène de Schultz2, qui
des techniques corporelles, ont été s’appuie au départ sur des concepts
rapidement intégrées aux approches liés à l’hypnose et aux processus phy-
comportementales car elles permettent siologiques (par exemple le sujet est
au sujet de produire un état de détente amené, durant la séance de relaxation,
qui, outre ses bienfaits propres, est utile à ressentir la lourdeur et la chaleur de
dans les exercices de désensibilisation chaque partie de son corps : « Mon bras
systématique par inhibition réciproque est lourd… Mon bras est chaud… ») ;
pour favoriser une réponse antagoniste — la relaxation musculaire progressive
à l’anxiété. Les techniques de relaxation de Jacobson3, qui est fondée sur des
sont maintenant très couramment utili- principes physiologiques (contracter
sées en TCC. puis détendre muscle après muscle…).
Il existe de nombreuses méthodes de
relaxation1, mais deux sont surtout uti-
lisées en TCC :

1. Brenot P. (1998). La Relaxation, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1re édition 1988.
2. Schultz J.H. (1958). Le Training autogène, Paris, PUF.
3. Jacobson E. (1938). Progressive Relaxation, Chicago : University of Chicago Press.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

Les théories de l’apprentissage répondant de Pavlov vont ensuite s’enrichir


et se transformer, en particulier par l’apport des théories de l’apprentissage
opérant de Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) ; ces théories viennent
compléter la théorie de l’apprentissage répondant de Pavlov, dont la logique
stimulus-réponse est apparue trop limitée pour expliquer la plupart des
symptômes, des comportements et des processus psychopathologiques des
êtres humains.
Le principal problème de la théorie de l’apprentissage répondant de Pavlov
est qu’elle ne prend en compte que le stimulus et la réaction physiologique
involontaire de l’organisme. Ainsi, le comportementalisme excluait tota-
lement la personne, sa vie psychique et la question du sens que l’on donne
aux situations (aux stimuli). De ce point de vue, le comportementalisme ne
prenait pas en compte la psychologie, c’est-à-dire la vie intérieure du sujet.
Le comportementalisme se refusait à ouvrir la « boîte noire ».

2.1.2 La théorie de l’apprentissage opérant


(ou instrumental ou skinnerien)
La situation évolue avec Burrhus Frederic Skinner qui, dans les années
cinquante, a montré que le schéma S-R était trop limité et ne rendait pas
compte de toute la réalité des processus d’apprentissage. C’est pourquoi ses
théorisations et ses expériences l’ont conduit à proposer une conceptualisa-
tion plus complexe, qui est aujourd’hui une référence très importante dans
le champ des TCC (mais précisons qu’à l’époque, Skinner n’était pas parti-
culièrement intéressé par les psychothérapies, mais plutôt par les processus
d’apprentissage en général).
Ce que Skinner a développé, c’est le fait que l’apprentissage d’un compor-
tement dépend non seulement du stimulus qui le provoque au départ,
mais surtout des conséquences de ce comportement sur l’organisme. Si
les conséquences sont agréables à l’organisme il aura tendance à repro-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

duire le comportement, qui sera dit « renforcé » ou « récompensé » si les


conséquences sont désagréables, l’organisme aura tendance à limiter le
comportement, qui sera dit « puni ».

2.1.3 L’apprentissage opérant (ou skinnerien, ou de type II


ou instrumental), le schéma SORC
Il s’agit d’apprentissage opérant car il y a un « opérateur » actif entre le
stimulus et la réponse, opérateur qui va apprendre de ses actes et qui ne va

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

pas seulement réagir automatiquement comme dans l’apprentissage répon-


dant. L’opérateur, le sujet, tient compte des conséquences de ses réponses
aux stimuli. C’est simple à comprendre, car il s’agit du principe de récom-
pense/punition, si fréquent dans l’éducation des enfants (« mange ta soupe
et tu auras un dessert »), mais aussi dans la vie sociale (« travaille bien et tu
seras mieux payé et reconnu » ou « si tu te comportes mal tu iras en prison »).
Skinner a montré que ce principe régulait de façon importante et subtile
les apprentissages et les comportements humains.
On peut renforcer (encourager) un comportement soit de façon positive
en apportant une récompense (nourriture, plaisir, etc.), soit de façon négative
en supprimant quelque chose de désagréable (une douleur, un malaise, etc.,
par exemple prendre un antalgique en cas de maux de dents…). Dans les
deux cas, le renforcement augmente la fréquence du comportement.
On peut punir un comportement, donc le limiter voire l’empêcher, soit
de façon positive en lui ajoutant une conséquence désagréable (punition,
douleur, etc., c’est le principe de la sanction), soit de façon négative en
enlevant une conséquence agréable (nourriture, plaisirs, argent dans le cas
des amendes, etc.), c’est le principe : « Si tu n’obéis pas, tu n’iras pas jouer
avec tes copains. »
On reconnaît là certains principes de base de l’éducation (qui ne s’y réduit
pas) mais, en réalité, c’est l’éducation qui s’appuie sur les règles de base de
l’apprentissage opérant, qui agit bien au-delà des rapports éducatifs, par
exemple dans la vie de tous les jours, et cela spontanément, automatique-
ment et parfois inconsciemment. Par exemple, si, pensant faire plaisir à un
être aimé, Alfred lui fait des cadeaux mais que cet être aimé ne montre pas
le plaisir attendu de façon répétitive, Alfred pourrait perdre le plaisir d’offrir
de façon générale à tous ses proches, sans même savoir pourquoi ; autre
exemple, si mon organisme (hors de ma conscience) assimile que quand
j’exprime un malaise, mon entourage se mobilise et prend soin de moi,
me rassure et fait donc du bien à mon organisme, je pourrais exprimer un
malaise juste pour obtenir cette réponse de réassurance. Ce comportement
d’expression du malaise est alors renforcé.
Ce type de renforcement qui concourt à entretenir les troubles est ce que
l’on appelle, en TCC, des facteurs de maintien. Dans d’autres référentiels
théoriques, on les appelle des bénéfices secondaires, avec parfois l’idée sous-
jacente que le sujet aurait des troubles dans le but de ces bénéfices. C’est
une idée souvent fausse et dommageable d’un point de vue thérapeutique.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

Dans les situations de troubles psychiques, les exemples sont nombreux


où cette logique s’applique :
– renforcement positif : quand un patient constate son amélioration,
cela l’encourage à poursuivre ses efforts thérapeutiques (c’est aussi
une forme d’autorenforcement). On peut aussi utiliser des renforce-
ments positifs directs, primaires (satisfaire les besoins et se faire plaisir :
nourriture…), ou secondaires (encouragements, renforçateurs symbo-
liques, etc., « bravo ! »).
– renforcement négatif : quand un patient anxieux évite une situa-
tion qui l’angoisse (les relations, les performances, les ascenseurs, les
pensées, les émotions, etc.), à court terme cela le soulage, ce qui a pour
effet de l’encourager (le renforcer) à augmenter ses évitements, ce qui
est négatif à moyen terme et aggrave le trouble… L’évitement est un
des principaux facteurs de maintien des troubles.
– punitions positives : rarement utilisées en psychothérapie pour des
raisons éthiques mais aussi d’efficacité. Utilisées par le passé, elles ont
fait l’objet de violentes critiques et ont été abandonnées. Cependant, il
existe des thérapies (par des médicaments) qui produisent par exemple
une aversion à l’alcool : le médicament produit nausées et dérangements
digestifs quand le sujet boit de l’alcool, ce qui peut l’aider, par aversion,
ou punition, à éviter l’alcool. On parle alors de thérapie aversive.
– punition négative : quand le sujet émet des comportements négatifs,
par exemple violents, il peut se voir privé d’une satisfaction prévue (par
exemple, pour les enfants, un cadeau, une sortie, une bonne chose à
manger, etc.). Cela peut s’appliquer dans les troubles du comportement
de l’enfant, mais aussi avec des patients à l’hôpital comme des jeunes
femmes anorexiques qui se voient privées de sorties et de visites tant
que leur poids est trop bas (dans le cadre d’une stratégie médicale
plutôt que TCC, d’ailleurs).
Les thérapies comportementales s’appuient donc, entre autres, sur cette
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

théorie du renforcement pour aider le sujet à modifier les comportements


qui lui posent problème, en agissant essentiellement sur les « renforça-
teurs ». En effet, les plus utilisés en thérapie cognitivo-comportementale
sont les renforcements positifs. La logique « punitive », au sens de la théorie
du renforcement (et non au sens éducatif), n’est quasiment jamais utilisée
dans les TCC.
Par ailleurs, on peut aussi remarquer que d’un point de vue théorique et
historique, les théories de l’apprentissage opérant, avec la prise en compte

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

des réactions de l’organisme dans l’apprentissage, commencent à intégrer


le fait que les réactions du sujet ne sont pas purement automatiques comme
le supposait l’apprentissage répondant, mais dépendent de la façon dont le
sujet ressent les conséquences de ses actes. Émerge donc la prise en compte
du sujet dans les théories comportementalistes. Ces dernières rompent
progressivement avec l’exclusion de la psychologie du sujet qui prévalait
jusqu’à présent. La théorie suivante, celle de l’apprentissage social, fait la
jonction entre les approches comportementales et les approches cognitives
en introduisant des dimensions cognitives dans la théorisation des processus
d’apprentissage.

2.2 Et la vie psychique, les pensées, les croyances, la volonté,


le sens… ? La deuxième vague, la vague cognitive
2.2.1 La théorie de l’apprentissage social
(ou vicariant ou « par imitation »)
Une étape supplémentaire sera franchie dans cette direction cognitive
à partir des années soixante par Albert Bandura (né en 1925) avec la
théorie de l’apprentissage social, ou vicariant, ou encore « par imitation ».
C’est la troisième étape (et pour le moment la dernière) des théories de
l’apprentissage à la base des approches comportementales. De la même
façon que les apports de Skinner avec l’apprentissage opérant sont venus
compléter, et non remplacer, la théorie de Pavlov de l’apprentissage répon-
dant, la théorie de l’apprentissage social est venue en complément des
deux théories précédentes, sans les remplacer pour autant. Le problème
avec les théories précédentes est qu’elles rendaient peu compte des carac-
téristiques d’apprentissage spécifiques aux êtres humains. Et cela à deux
niveaux :
1) les théories précédentes impliquaient que le sujet soit directement
engagé dans la situation générant un apprentissage (par exemple, c’est
le sujet qui agit et qui ressent les conséquences de ses actes) ; or, il existe
tout un ensemble de situations où l’on peut apprendre sans pour autant
être directement dans la situation. Ne serait-ce qu’en lisant un livre !
Ou en écoutant une personne raconter ses expériences, ou encore en
observant une autre personne dans la situation, en observant ses actions
et les conséquences qu’elle en subit. Il ne reste alors plus qu’à l’imiter
(ou à ne pas le faire, selon les conséquences que l’on observe !). Tout cela
introduit la dimension sociale et cognitive dans l’apprentissage ;

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

2) l’apprentissage social introduit des dimensions cognitives (donc la vie


psychique du sujet) dans le processus d’apprentissage, ce qui est nouveau
à l’époque. En effet, pour apprendre par vicariance ou par imitation,
le sujet doit observer la situation, en retenir les éléments pertinents,
reproduire ce qu’il a observé et être motivé pour faire tout cela, il doit
aussi croire qu’il peut reproduire ce comportement. Toutes ces étapes
impliquent autant de processus psychiques, de compétences cognitives et
un sentiment d’efficacité personnelle (autre concept célèbre de Bandura).

Un lac gelé : j’y vais ou pas ? L’intérêt de l’apprentissage social


pour rester au sec
Je me trouve face à un lac gelé, la glace sagement sur le bord (et chercherai un
semble solide et j’ai bien envie de faire moyen d’aider la personne tombée à tra-
des glissades, mais j’ai un doute : est-elle vers la glace brisée à s’en sortir !)
suffisamment solide pour supporter mon J’ai donc appris en observant les actes
poids ? À ce moment arrive une autre d’une autre personne ainsi que les consé-
personne, à quelques mètres de moi, qui quences de ses actes sur elle-même (et
sans hésiter chausse ses patins à glace non sur moi). Nul besoin d’expérimenter
et s’élance sur le lac. J’observe attenti- à chaque fois directement la situation
vement : si la glace ne rompt pas sous et ses conséquences. J’ai appris par
son poids, voyant cela et le plaisir que procuration en quelque sorte, c’est l’ap-
j’attends de cette activité, je m’élancerai prentissage vicariant, si fréquent chez
à mon tour. Mais si ça rompt… je resterai les êtres sociaux.

Albert Bandura n’est pas psychothérapeute et n’a pas élaboré sa théorie


dans cette perspective. Cela n’a pas empêché que, d’un point de vue clinique,
sa théorie ait plusieurs conséquences sur les conceptions des troubles et des
psychothérapies dans le champ des TCC. Tout d’abord, d’un point de vue
historique, cela a amené les thérapeutes à s’ouvrir aux dimensions cognitives
et donc à la vie psychique des patients. C’est fondamental et cela a changé
radicalement la perspective des stratégies thérapeutiques comportementales
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de l’époque en ouvrant la voie à l’association des approches comportemen-


tales avec les approches cognitives qui aura lieu une dizaine d’années plus
tard. Et dans la pratique clinique cela a eu des effets concrets car la prise
en compte des dimensions cognitives dans l’apprentissage social permet
d’augmenter l’efficacité des approches comportementales classiques. De
fait, il est plus efficace, pour changer un comportement (un symptôme par
exemple), tout en faisant jouer les principes de l’apprentissage répondant
ou opérant, de tenir compte de l’état psychique du patient : sa motivation,
ses croyances, sa conscience du problème, ses habilités cognitives… que

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

de ne pas le faire. Cette approche permet ainsi de prendre en compte les


représentations du sujet, car celles-ci peuvent devenir des renforcements
internes (qui n’étaient pas pris en compte dans la théorie de Skinner de
l’apprentissage opérant) : si j’attends une récompense d’une action, j’aurai
tendance à la reproduire ; de même, si je suis fier pour des raisons person-
nelles d’accomplir certaines actions, j’aurai tendance à les reproduire aussi.
C’est la notion d’autorenforcement. À l’inverse, si je crois que tel compor-
tement aura des conséquences douloureuses pour moi (par exemple de
demander une augmentation), je risque fort de ne jamais oser ce compor-
tement, toujours dans la logique de l’autorenforcement. On voit bien que
si, en thérapie, un patient anticipe des souffrances excessives à l’idée de
s’engager dans une technique thérapeutique (par exemple une technique
d’exposition aux relations sociales), et que cela n’est pas pris en compte par
le thérapeute, il y a peu de chance que la technique fonctionne, car soit le
patient ne s’y engagera pas, soit il s’y engagera dans de mauvaises conditions
psychologiques. L’autre influence importante de la théorie de l’apprentissage
social sur les stratégies thérapeutiques est précisément la prise en compte de
la dimension sociale, c’est-à-dire, pour faire simple, de l’imitation. Adopter
un nouveau comportement (par exemple ne plus éviter une situation anxio-
gène) est plus facile si on l’a déjà vu faire, sans conséquence négative pour
celui qui l’a fait. On peut ensuite le répéter soi-même dans de bonnes condi-
tions. Donc, prenant acte de cela, les thérapeutes TCC, autant que possible,
montrent eux-mêmes à leurs patients comment appliquer une technique
thérapeutique avant de leur demander de le faire (par exemple toucher
une araignée, dans un cas de phobie des araignées, ou encore se mettre en
hyperventilation dans le cas des attaques de panique). De plus, ce constat de
l’importance de l’imitation a encouragé le développement d’activités théra-
peutiques en groupe où les participants peuvent échanger afin de partager
leurs expériences et s’observer mutuellement dans leurs expériences et leurs
réactions afin d’en tirer profit. À charge pour le thérapeute menant la séance
collective de mettre en exergue les expériences positives et encourageantes
(sans pour autant nier les expériences négatives !).
Par ailleurs, au cours d’une thérapie, les patients sont souvent invités à
observer dans leur vie quotidienne la façon dont les autres personnes se
comportent autour d’eux, en particulier dans les situations qui leur posent
problème. Cela enrichit leur compréhension de leur difficulté et ouvre,
grâce à l’observation et à l’imitation (« s’il peut le faire pourquoi pas moi ? »)
le champ des comportements possibles, tant il est vrai que les patients en
souffrance ont tendance à répéter de façon rigide les mêmes comportements

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

inadaptés sans même avoir une nette conscience que d’autres comporte-
ments sont aussi possibles pour eux.
On voit donc bien comment la théorie de l’apprentissage social, en
introduisant les dimensions sociales et cognitives, a enrichi les théories
de l’apprentissage répondant et opérant et, du même coup, les pratiques
thérapeutiques comportementalistes.

Le thérapeute TCC, un modèle à imiter pour le patient ?


Si le thérapeute doit faire lui-même, (dans l’exemple d’une exposition à ce
autant que possible, les exercices qu’il petit animal), mais pour, en quelque
demande à son patient (par exemple sorte, frayer le chemin de ce comporte-
jouer dans des jeux de rôles, s’exposer ment chez le patient, qui verra facilité
dans les thérapies de groupe, toucher son propre contrôle de la situation. Il
des choses sales avec des patients s’agit de favoriser l’indépendance chez
obsédés par la saleté, tourner sur lui- le patient en l’aidant à adopter de nou-
même pour provoquer un tournis dans veaux comportements par le biais, entre
l’exposition aux sensations pour les autres, de l’apprentissage social. De la
paniqueurs, etc.) dans l’objectif que le part du thérapeute, cela implique une
patient l’imite, n’y a-t-il pas un risque attitude humble et authentique, réelle-
que le thérapeute se prenne pour un ment tournée vers le patient, ses pro-
modèle, une sorte d’idéal à suivre et que grès et ses angoisses, et non pas une
cela place le patient dans une relation de attitude tournée vers son propre ego :
dépendance, voire de soumission, ce qui « Regarde comme je suis fort : je n’ai
serait néfaste pour la thérapie ? pas peur des araignées (contrairement
Tout dépend de comment cela est fait, à toi) ! » Les patients perçoivent très bien
dans quel esprit et dans quel type de la différence. Par ailleurs il est important
relation. Le thérapeute devrait avoir que le thérapeute se présente comme un
toujours dans l’idée de faire les choses modèle accessible, donc imparfait, sans
non pour montrer au patient comment quoi cela risquerait de produire l’effet
il est doué pour toucher les araignées inverse de celui recherché en découra-
geant le patient.

Les 3 théories de l’apprentissage que l’on vient de voir, supports concep-


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

tuels des approches comportementales et des techniques thérapeutiques


qui en ont découlé, constituent ce que l’on appelle « la première vague »
des TCC. La théorie de l’apprentissage social se situe en quelque sorte à
cheval entre les deux vagues, enrichissant le comportementalisme tout en
introduisant des notions cognitives. La deuxième vague, que l’on va aborder
maintenant, correspond à l’approche cognitive.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

2.2.2 Les cognitions et l’interprétation du monde


L’idée générale de l’approche cognitive est que nos émotions et nos
comportements dépendent en grande partie de la façon dont nous inter-
prétons le monde qui nous entoure et ce qui nous arrive, plutôt que des
événements eux-mêmes, reprenant ainsi des préceptes philosophiques
antiques. Par exemple, si je voyais dans un cirque un spectacle de trapèze
volant extraordinaire, je pourrais en ressortir très dynamisé et heureux en
me disant « quand même, ce que fait l’être humain, c’est beau parfois ! » ;
mais je pourrais aussi en ressortir déprimé en me disant « C’est superbe ce
qu’ils font, moi j’en serais incapable ; comme toujours, je n’arrive à rien et
je ne peux rien faire de bien… » ; je pourrais aussi en ressortir anxieux avec
en tête des pensées comme « Quand même, c’est bien, mais c’est dangereux,
et s’ils tombaient et se blessaient, ou mourraient ? Et s’ils tombaient sur le
public, sur mes enfants, ce serait horrible… ». Ainsi, selon les approches
cognitives, la réaction comportementale et émotionnelle d’un sujet face à
un événement serait plus liée à l’interprétation que le sujet se fait de l’évé-
nement qu’à l’événement lui-même. Notons que cette interprétation de
l’événement se fait souvent de façon automatique, involontaire et en partie
inconsciente. Le but des approches cognitives est donc d’aider le sujet à
repérer les interprétations cognitives qui entraînent les comportements et
les émotions dysfonctionnels, puis à les transformer en d’autres cognitions
ayant des conséquences plus adaptées et salutaires.
Notons que les fondateurs et théoriciens des approches cognitives
sont essentiellement des psychiatres et/ou des psychothérapeutes qui ont
recherché des stratégies thérapeutiques efficaces. Alors que les théories
comportementales, comme on l’a vu, proviennent de chercheurs qui n’ap-
partiennent pas au champ de la psychothérapie1.

Un cognitiviste en Grèce classique, il y a 2 000 ans : Épictète


Ce philosophe grec disait, il y a 2 000 ans : Ainsi donc quand nous sommes contra-
« Ce qui trouble les hommes ce ne sont riés, troublés ou peinés, n’en accusons
pas les choses, mais les jugements qu’ils jamais d’autres que nous-même, c’est-
portent sur les choses. » à-dire nos propres jugements. »
et : « Ainsi la mort n’a rien de redou- Très cognitiviste !
table, autrement elle aurait paru telle à (Épictète, Manuel d’Épictète, Ier siècle,
Socrate ; mais le jugement que la mort est traduit du grec)
redoutable, c’est là ce qui est redoutable.

1. http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/epictete/manuel.htm

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

Ces approches cognitives portant sur les interprétations inadaptées du


patient ont commencé avec les travaux d’Albert Ellis (1913-20071) qui, en
1955, a fondé la thérapie rationnelle (Rational Therapy), qui deviendra
ensuite la thérapie rationnelle émotive (qui a un nom un peu différent en
anglais : Rational Emotive Behavior Therapy). Ellis a fondé sa thérapie sur la
théorie selon laquelle ce qui entraîne des problèmes psychiques (émotions
douloureuses, comportements inadaptés, etc.), ce sont les croyances irra-
tionnelles du patient. Ces croyances peuvent prendre des formes comme,
par exemple : « quoi que je fasse je n’y arriverai jamais », « inutile de m’appro-
cher des autres ils me rejettent toujours », « je ne mérite pas ce qui m’arrive »,
« si j’agis il m’arrivera un malheur », etc. L’objectif de la thérapie est de
repérer ces croyances, d’amener le sujet à en prendre conscience puis à les
modifier en les confrontant à la réalité et à la rationalité.
Quelques années plus tard, au début des années soixante, Aaron Beck
(1921-…) a développé, dans le contexte du traitement des troubles dépres-
sifs, ce qu’il a appelé la thérapie cognitive (voir l’encadré page 36). Pour
Beck, ce qui semble le plus important dans les troubles psychiques, ce sont
certains types de cognitions (des pensées) qu’il a appelées les « pensées
automatiques ». Ce sont des cognitions différentes des constructions intel-
lectuelles que l’on peut faire (les raisonnements), différentes aussi des autres
cognitions que sont les ruminations (quand nous sommes envahis par un
problème et que nous y pensons sans cesse). Les pensées automatiques sont
générées involontairement par l’esprit et sont le plus souvent préconscientes
(elles affleurent à la conscience, et le sujet, souvent, n’en est pas conscient.
Mais en y prêtant attention et avec un peu d’entraînement, il peut en devenir
conscient). Ces pensées sont souvent courtes, affirmatives, et ont la carac-
téristique d’être considérées comme « vraies » par le sujet. C’est pourquoi
elles ont tant d’importance, car si elles sont prises pour des vérités, alors elles
entraînent des réactions émotionnelles, comportementales et cognitives
significatives. Des exemples de pensées automatiques : face à une tâche à
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

accomplir : « je n’y arriverai pas » ; face à un groupe de personnes : « ils me


jugent, il y a quelque chose qui ne va pas en moi » ; face à une personne :
« je suis nul, elle me trouve nul » ; face à son enfant qui pleure : « je suis un
mauvais parent » ; en cas de maladie bénigne : « ça va dégénérer, je vais
mourir » ; face au regard un peu appuyé d’une autre personne : « il veut me

1. http://www.rebtnetwork.org/ ; Ellis A., Harper R.A. (2007). La Thérapie émotivo-rationnelle,


Ambre Éditions.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

casser la gueule » ; si un ami ne répond pas au téléphone : « il m’en veut, il


ne m’aime plus », etc.
Ainsi, pour reprendre le dernier exemple où un(e) ami(e) ne répond pas
au téléphone, si je suis convaincu(e) (sentiment de vérité) que c’est parce
qu’il ou elle ne m’aime plus qu’il ou elle ne répond pas, j’aurai des réac-
tions émotives fortes (tristesse, voire colère) et des comportements qui
en découlent (repli ou agressivité). Or, si cet(te) ami(e) ne répond pas au
téléphone, c’est peut-être tout simplement qu’il ou elle fait autre chose ! Et
que ça n’a rien à voir avec son affection pour moi, qui est intacte ! La théorie
cognitive de Beck postule que les pensées automatiques dysfonctionnelles
sont impliquées dans de nombreux troubles psychiques. En conséquence,
modifier ces pensées automatiques a des effets thérapeutiques intéressants1.

Aaron Beck, de la psychanalyse à l’approche cognitive,


en réaction au comportementalisme !
Comme la grande majorité des psy- Beck, un des scientifiques et des psy-
chiatres psychothérapeutes américains, chothérapeutes les plus reconnus au
dans les années cinquante, Beck était monde.
psychanalyste. Mais il s’est progressive- Si l’approche cognitive s’est construite
ment et totalement éloigné de la psycha- contre la psychanalyse, on sait moins
nalyse, découvrant par ses recherches qu’au départ, elle se positionnait aussi
que les théories psychanalytiques ne se contre les approches comportementales
vérifiaient pas scientifiquement et que classiques, qui excluaient la vie psy-
ses pratiques thérapeutiques n’étaient chique de la compréhension des troubles
pas aussi efficaces qu’il était dit1. Dans psychiques, comme on l’a vu plus haut.
le même temps, il a découvert auprès Ce n’est que dans les années soixante-
des patients l’importance des « pen- dix que les approches comportementales
sées automatiques » pour comprendre et cognitives se sont associées pour don-
les troubles mentaux et les améliorer. ner les thérapies comportementales et
Il a donc orienté son approche (la thé- cognitives. On dit parfois « les approches
rapie cognitive) dans cette direction, cognitivo-comportementales », ce qui,
qu’il n’aura de cesse d’approfondir tout dans ce cas, indique par l’inversion de
en la validant scientifiquement jusqu’à l’ordre de ses qualificatifs l’importance
ce jour. Cette approche est maintenant qu’ont acquise les approches cognitives !
une des plus validée scientifiquement et

1. Beck A. (2010). La Thérapie cognitive et les troubles émotionnels, Bruxelles, De Boeck ; édition
originale en anglais, 1976.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

La triade cognitive de la dépression de Beck


Les différents troubles psychiques sont Mais il faut mesurer l’importance du
caractérisés par des pensées automa- caractère automatique et puissant de
tiques spécifiques. Pour la dépression, ces pensées : il est peu utile, en psy-
Beck a mis en évidence trois classes de chothérapie, de dire à une personne
pensées automatiques récurrentes por- souffrant de dépression et qui tient un
tant sur le moi, le monde (incluant les discours dépressif : « Mais si, regarde,
autres) et l’avenir : le monde est beau et toi tu as plein de
— Je ne vaux rien. qualités ! » C’est pourquoi on ne cherche
pas, en thérapie, à convaincre le sujet,
— Le monde est injuste.
mais à l’amener, par sa réflexion et ses
— Le futur est sans espoir. expériences, à constater que ses pen-
Il faut bien comprendre que le sujet subit sées automatiques ne sont pas des plus
ces cognitions automatiques générées réalistes et que d’autres interprétations
par ses processus psychologiques, et sont possibles, moins dépressiogènes.
qu’il subit aussi leurs caractéristiques, L’approche cognitive agira donc pour
qui sont d’apparaître comme des vérités modifier de l’intérieur ces pensées (c’est-
plus ou moins absolues. On comprend à-dire faire en sorte que le sujet prenne
alors combien, dans la perspective cogni- conscience de… et modifie lui-même ses
tive, ces pensées automatiques peuvent pensées automatiques) à l’aide de tech-
générer de malaise, de tristesse, de perte niques et d’exercices précis. C’est ce que
d’envie et de découragement ; en d’autres l’on appelle la restructuration cognitive.
termes, on voit bien comment elles
expliquent les symptômes dépressifs.

Les pensées automatiques sont générées par des distorsions cognitives qui
déforment la perception adaptée de la réalité. Ces distorsions elles-mêmes
proviennent des schémas cognitifs, qui sont des structures inconscientes,
se manifestant sous la forme d’affirmations impératives, provenant essen-
tiellement de l’enfance et déterminant les rapports du sujet à lui-même (« je
ne suis pas aimable »), aux autres (« on ne peut pas m’aimer ») et au monde
(« le monde est dangereux »). Le travail cognitif prend donc en compte les
pensées automatiques, les distorsions cognitives et les schémas cognitifs.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

2.3 Intégration des approches cognitives et comportementales


Bien que chacune de ces approches ait (et puisse avoir) une cohérence
propre et se suffise à elle-même, dans les années soixante-dix les approches
cognitives et comportementales se sont associées pour fonder ensemble
les TCC. Elles se sont associées d’abord parce qu’elles avaient en commun
plusieurs caractéristiques que ne partageaient pas les autres approches
psychothérapiques de l’époque :

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

– une exigence de validité scientifique portant sur les théories et sur


l’efficacité thérapeutique (il faut prouver ce que l’on affirme) ;
– un objectif d’efficacité psychothérapeutique mesuré scientifiquement :
ce qui compte, c’est d’aider le patient à surmonter ses troubles ;
– une orientation pragmatique et active qui se manifeste dans l’utilisa-
tion de techniques diverses et variées, qui rompent en général avec
les approches plus classiques (psychanalytique et de soutien) qui
consistent souvent en entretiens en face-à-face où prédomine l’écoute
du thérapeute, qui, de surcroît, reste plus ou moins en retrait.
Au-delà de ces traits communs préexistant à leur association, il a été
confirmé depuis leur intégration que les dimensions comportementales
et cognitives étaient finalement très entremêlées dans la vie psychique des
sujets et, partant, dans les processus thérapeutiques. En effet, les exercices
comportementalistes, par exemple d’exposition (dans le cas d’une phobie),
n’amènent-ils pas le sujet à modifier ses croyances en même temps qu’il
expérimente de nouveaux comportements et qu’il constate qu’ils ne sont pas
aussi dangereux qu’il l’imaginait ? Et quand un sujet modifie une cognition
dysfonctionnelle (par exemple : « les autres me jugent toujours négative-
ment ») et que cela l’amène à modifier son comportement (aller vers les
autres de façon plus confiante), le travail cognitif n’apparaît-il pas comme un
préalable à un changement comportemental qui vient en retour confirmer
la validité des nouvelles cognitions ? Plus encore, quand un patient prend
conscience de pensées automatiques anxiogènes (devant une égratignure :
« je vais tomber malade et mourir ») et qu’il les travaille avec son thérapeute,
l’efficacité de ce travail n’est-elle pas aussi liée en partie au processus d’ex-
position à ces pensées ? Donc à des processus conceptualisés par les théories
de l’apprentissage qui expliquent habituellement les comportements, mais
qui sont, là, appliqués aux phénomènes cognitifs ? Et dans la même veine,
les « pensées automatiques », d’où viennent-elles ? N’auraient-elles pas été
« apprises », au même titre qu’un comportement ouvert (visible), suivant
les règles des théories de l’apprentissage ? D’ailleurs ne parle-t-on pas de
comportements « ouverts » pour ceux qui se voient et de comportements
« couverts » pour ceux qui ne se voient pas et qui sont finalement du domaine
cognitif (pensées, par exemple) ? Bref, on le voit, l’intégration théorique et
technique du cognitivisme et du comportementalisme est probablement
le reflet de la réalité de cette intégration dans la vie psychique de tout un
chacun. Ce qui confirme la grande cohérence de cette intégration.
On voit bien par ailleurs que les TCC sont des approches profondé-
ment interactionnistes, car les éléments qui concourent au problème

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

(comportements, cognitions, émotions) le font en interaction étroite les uns


avec les autres, mais aussi en interdépendance avec les situations rencon-
trées par le sujet (stimuli externes).
Ainsi, dans la pratique, le thérapeute TCC doit non seulement connaître
et appliquer la logique propre à chacun de ces courants et les techniques qui
en découlent, mais aussi envisager leurs interactions tout en tenant compte
du contexte et de la personnalité du patient. L’histoire que nous venons de
retracer a montré la naissance et le développement d’abord du comporte-
mentalisme (première vague), puis du cognitivisme (deuxième vague) et
enfin de leur intégration. Cette histoire nous amène au début des années
deux mille. Depuis est apparue une troisième vague, qui porte l’accent sur
les émotions et les rapports que le sujet entretient avec elles.

2.4 A-t-on oublié les émotions ? Vers une troisième vague ?


Certains auteurs et praticiens français parlent, plutôt que de TCC, de
TCCE, « E » pour « émotionnelles ». Ainsi, les TCC seraient finalement des
TCCE, des thérapies comportementales, cognitives et émotionnelles ?
Pour comprendre cette évolution et son possible intérêt, il faut bien saisir
la place des émotions dans les théories comportementales et cognitives que
nous avons présentées plus haut.
Pendant longtemps, l’idée dominante dans les TCC a été que la vie
émotionnelle était principalement une conséquence, donc qu’elle arrivait
comme le résultat d’une suite de phénomènes liés aux d’apprentissages et/
ou aux processus cognitifs. Ainsi, selon les théories de l’apprentissage, si,
dans une situation courante (prendre l’ascenseur par exemple), je ressens
de l’angoisse (phobie de l’ascenseur), c’est parce qu’à un moment de mon
histoire, mon organisme a associé – a appris ou a conditionné – cette situa-
tion d’ascenseur et l’émotion d’angoisse, par coïncidence temporelle, par
renforcement ou par apprentissage social. L’émotion se manifeste donc
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

comme une conséquence d’un apprentissage. Par ailleurs, du point de vue


cognitif, la survenue de cette émotion d’angoisse est comprise comme une
conséquence de l’interprétation que l’on fait des événements (« l’ascenseur
va tomber, je vais mourir », « je vais faire une crise d’angoisse dans l’ascen-
seur, on ne pourra pas m’aider, je risque d’y rester »…). Cette interprétation,
rendue puissante par la valeur de vérité qui lui est attribuée, produit logi-
quement l’émotion d’angoisse. Ainsi, dans ces perspectives, les émotions
inadaptées sont considérées comme des conséquences d’apprentissages,
de conditionnements ou d’interprétations cognitives inadaptées. Pour les

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

transformer (réduire les émotions désagréables ou excessives, favoriser


les émotions adaptées et satisfaisantes), il suffirait de travailler sur leurs
causes (apprentissages et cognitions), et, les causes se modifiant, leurs consé-
quences émotionnelles feraient mécaniquement de même. Donc la logique
des stratégies thérapeutiques a longtemps été de travailler les comporte-
ments et les cognitions pour agir indirectement sur les émotions inadaptées.
Il n’y avait pas vraiment de travail direct sur les émotions.
Mais depuis une vingtaine d’années, de nouvelles approches apparaissent
qui s’appuient sur des résultats de recherches portant sur la vie émotion-
nelle : comme des recherches sur le coping (façon de faire face aux situations
et aux émotions, Lazarus, 19841) la régulation émotionnelle (Philippot,
20112) ou encore le concept d’intelligence émotionnelle (Salovey et Mayer,
19903) ainsi que, pour finir, les travaux dans le champ de la psychologie
positive (Seligman et al., 19994). Tous ces travaux ont permis de porter
un regard neuf sur la vie émotionnelle et de construire de nouvelles tech-
niques pour la modifier. Ces techniques visent un traitement psychique de
l’émotion différent de celui des approches comportementales et cognitives.
Quatre de ces approches sont particulièrement notables : les approches
de méditation de pleine conscience (Mindfulness, Kabat Zin, 1979 ; Segal,
2002), les thérapies dites « d’acceptation et d’engagement » (Acceptance and
Commitment Therapies, inventées par Hayes à la fin des années quatre-
vingt5), les approches de psychologie positive (Lecomte, 2009) et, enfin, la
thérapie comportementale dialectique de Linehan, élaborée pour soigner les
troubles de personnalité états limites (Linehan, 20006). Dans ces approches,
il s’agit pour l’essentiel d’un travail plus direct sur la vie émotionnelle (mais
aussi cognitive en fait).

1. Lazarus et Folkman (1984). Stress, Appraisal and Coping, New York, Springer. Paulhan I.,
Bourgeois M. (1995). Stress et Coping : les stratégies d’ajustement à l’adversité, Paris, PUF.
2. Philippot P. (2011). Émotions et Psychothérapie. éditions Mardaga ; B. Rimé (2005). Le Partage
social des émotions, Paris, PUF.
3. Salovey P., Mayer J.D. (1990). Emotional intelligence, Imagination, Cognition, and Personality,
9, 185-211.
4. Seligman M.E.P. (1999). The president’s address (1998 APA Annual Report), American
Psychologist, 54, 559-562. Lecomte J. (2014). Introduction à la psychologie positive, Paris, Dunod.
5. Monestes J.-L., Villatte M. (2001). La Thérapie d’acceptation et d’engagement, Paris, Elsevier
Masson.
6. Linehan M.M. (2000). Traitement cognitivo-comportemental du trouble de personnalité état
limite, Genève, Médecine et Hygiène.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

La troisième vague, un ensemble de thérapies récentes


en voie d’intégration dans les TCC ?
— Méditation de pleine conscience — Thérapie comportementale dialec-
(Mindfulness Based Therapy), Kabat tique (Linehan, début des années
Zin, fin des années soixante-dix. quatre-vingt-dix).
— Thérapie d’acceptation et d’engage- — Psychologie positive (Seligman, fin des
ment (Acceptance and Commitment années quatre-vingt-dix).
Therapy), Hayes, fin des années
quatre-vingt.

Il y est question de modifier soit les émotions elles-mêmes (psycho-


logie positive), soit le rapport que le sujet entretient avec ses émotions et
ses cognitions. Cela peut paraître une nuance par rapport aux approches
comportementales et cognitives classiques, mais elle est de taille. Voici trois
exemples de l’importance de ce changement de perspective.

2.4.1 Changer le rapport à ses émotions et à ses pensées


Nous avons vu qu’il y avait deux raisons expliquant que les pensées auto-
matiques produisent des émotions douloureuses (et des comportements
inadaptés) : leur contenu inadapté ET le fait que le sujet les traite comme
des vérités. Les approches cognitives classiques s’efforcent, souvent avec
succès, de modifier le contenu de ces pensées en amenant le sujet à prendre
conscience de leur irréalisme puis à les remplacer par d’autres cognitions
plus adaptées (des pensées alternatives). Si ces stratégies de restructuration
cognitives sont souvent utiles, parfois elles ne fonctionnent pas (le sujet
n’adhère pas aux pensées alternatives) ou, si elles fonctionnent, elles n’ont
pas vraiment d’effet sur les émotions douloureuses, qui restent actives. Les
nouvelles approches de la troisième vague s’efforcent, elles, de modifier, non
le contenu de ses pensées, mais le rapport que le sujet entretient avec elles.
Ainsi, avec les approches de la troisième vague, ces pensées automatiques
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

restent les mêmes a priori, mais le sujet, par diverses techniques, finit par
ne plus les considérer comme vraies, mais simplement comme des pensées
qui traversent sa conscience, sans lien véritable avec la réalité. Ce n’est pas
parce que la pensée « je ne vaux rien » traverse mon esprit qu’elle est vraie
et que je ne vaux rien ! Je peux être quelqu’un de valeur qui a une pensée
auto-dévalorisante… Cette nouvelle attitude mentale neutralise la puissance
pathogène de ces pensées. Si la pensée est fausse pourquoi s’en préoccuper ?
La même logique préside aux relations du sujet avec ses émotions. Quand
une personne dépressive est traversée par de la tristesse, cela a tendance à

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

entraîner en elle une impression d’évidence et d’authenticité autour de cette


émotion : je suis triste, donc ma situation est triste, la réalité est triste et ça
risque de durer très longtemps. Cette réaction à l’émotion est elle-même
attristante et déprimante : on devient triste d’être triste ! Anxieux d’être
anxieux ! Et des cercles vicieux dépressifs ou anxieux s’installent prolon-
geant et aggravant le vécu douloureux. Mais, si l’on comprend l’émotion
qui nous traverse comme étant une simple émotion, donc comme étant un
simple processus psychologique et physiologique normal, qui n’exprime pas
nécessairement une vérité, qui n’a qu’un temps et qui va s’arrêter, alors on
rompt le cercle vicieux et l’émotion perd de son pouvoir pathogène et pose
beaucoup moins de problèmes. Être conscient de ce qui traverse notre esprit
(cognitions et émotions), l’accepter en le prenant pour ce que c’est, ni plus
ni moins, c’est la base des approches de méditation de pleine conscience et
des approches thérapeutiques d’acceptation.

2.4.2 Ne pas éviter ses émotions et ses pensées


Quand un sujet souffre psychiquement, il cherche naturellement à se
défaire de cette souffrance, à s’en protéger. Un des moyens les plus spon-
tanés pour cela est d’éviter ce qui fait mal. Certaines cognitions (« je suis
nul ») et émotions (angoisse, tristesse, culpabilité, honte…) peuvent être
très douloureuses et particulièrement intenses. Pour s’en protéger, la vie
psychique développe tout un ensemble de stratégies d’évitement, volon-
taires ou non. Ne plus y penser, ne pas le ressentir. Ces stratégies (qui
ont à voir avec le coping centré sur l’émotion et aussi avec les processus
de distraction, de suppression émotionnelle des modèles de la régula-
tion émotionnelle) peuvent avoir une certaine efficacité à court terme et/
ou ponctuellement. Mais quand elles sont utilisées systématiquement et
durablement, elles posent des problèmes importants. En effet, de façon
inconsciente et automatique, ces cognitions et ces émotions repoussées
de la conscience n’en agissent pas moins hors de la conscience et cela les
rend d’autant plus pathogènes qu’elles ne sont jamais réellement traitées
par les processus psychiques salutaires qui permettraient leur intégration.
Ainsi, selon ces approches, ce qui poserait problème, ce ne sont pas tant les
cognitions et les émotions en elles-mêmes que le fait que le sujet les évite
(souvent de façon automatique) et ne puisse pas les vivre pleinement pour
ce qu’elles sont. Aider le sujet à lutter contre l’évitement et à accepter ce
qui le traverse (émotions, cognitions) est la base des approches d’accepta-
tion et d’engagement (qui utilisent aussi des techniques de méditation de
pleine conscience).

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

Les pensées et les émotions disent-elles la vérité ?


Dans la vie psychique humaine, la alors j’aurai l’impression que je le suis
« vérité » est plus souvent un senti- vraiment ; ou encore, si je suis triste,
ment qu’un fait. L’impression de vérité c’est que je suis une personne triste et
est souvent associée à des contenus que j’ai des raisons de l’être… Mais cette
psychiques qui traversent notre esprit, impression de vérité est-elle justifiée ?
comme des cognitions ou des émotions. Si l’on y prête attention, on s’aperçoit
De fait, habituellement, les émotions que c’est souvent loin d’être le cas, et
ainsi que les pensées automatiques tout particulièrement quand les per-
qui sont en nous tendent à s’imposer sonnes sont prises dans des difficultés
comme étant évidentes et vraies, comme psychiques. Les dépressifs ne sont pas
une réalité qui n’est pas discutable et « nuls » et « mauvais », ni les anxieux ne
que l’on doit subir. Ainsi, si je ressens vivent dans un monde « très dangereux »,
de la colère, ce serait nécessairement bien que leurs pensées et leurs émotions
parce que la situation (ou la personne) les convainquent du contraire à chaque
que je rencontre est énervante et mérite instant !
ma réaction de colère. Or, je pourrais res- La plupart des approches de la troisième
sentir de la colère pour tout autre chose ! vague remettent en cause cette caracté-
Par exemple, je pourrais être énervé(e) ristique de sembler vraies des émotions
par un collègue, puis je rentre chez moi et des cognitions. C’est en ce sens que
énervé(e), et je crie après mon enfant l’on peut dire qu’elles visent un change-
car l’émotion de colère m’a fait croire ment dans le rapport que l’on entretient
qu’elle était justifiée à l’instant où mon avec les productions de notre vie psy-
enfant s’adressait à moi. De même, si j’ai chique, plutôt qu’une modification de ces
la pensée d’être quelqu’un de méchant, productions elles-mêmes.

2.4.3 Développer les émotions et les pensées positives


La psychologie positive apporte aussi un autre point de vue intéres-
sant. Les psychothérapies ont eu longtemps pour objectif unique de lutter
contre les symptômes psychiques, de réduire autant que possible ce qui
posait problème au sujet et, donc, d’agir contre des phénomènes négatifs se
produisant dans le sujet. C’est bien sûr un objectif très compréhensible et
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

pertinent. Pourtant une autre voie est possible qui consiste à aider le sujet
à développer les tendances salutaires en lui, celles qui favorisent la santé
et le bien-être psychologiques. La question : « pourquoi les gens vont mal »
est complétée par une autre : « pourquoi les gens vont bien ? ». Il s’agit donc
d’agir pour développer des phénomènes positifs dans le sujet. De fait, le
bien-être psychologique est constitué d’un ensemble de satisfactions répé-
tées quotidiennement découlant normalement de la vie elle-même. Mais les
troubles psychiques écrasent la plupart de ces satisfactions et de ces plaisirs
et, en plus de les diminuer, empêchent le sujet de percevoir et de profiter des

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

bons moments qui restent présents malgré les effets des troubles. Or, il y a
une balance entre le bien-être et le mal-être : s’il y a plus de l’un, il y a moins
de l’autre ! Donc si l’on parvient à accentuer les satisfactions et les plaisirs
chez le sujet, à augmenter son bien-être, on réduit d’autant son mal-être.
Et il se trouve que par divers exercices psychologiques simples, il est tout à
fait possible d’augmenter le plaisir de vivre et de réduire le mal-être. Cette
logique est celle développée par la psychologie positive1.
Pour conclure sur les trois vagues, on voit que les TCC se sont constituées
au fil des 60 ans passés en réunissant et en articulant diverses approches
psychothérapeutiques. Qu’elles soient de la première, de la deuxième ou
de la troisième vague, toutes ont en commun d’avoir leur efficacité théra-
peutique validée par des études scientifiques, toutes reposent sur des
fondements théoriques cohérents et scientifiquement éprouvés.
On peut donc dire que les TCC sont des approches thérapeutiques inté-
gratives, dans le sens où elles regroupent diverses thérapies qui s’intègrent
dans un modèle théorique commun qui associe les théories de l’appren-
tissage, les théories cognitives et les modèles théoriques émotionnels, ces
modèles reposant sur un souci de validation scientifique.

En bref, que sont les TCCE ?


Les TCCE sont un ensemble d’approches psychothérapeutiques différentes et complé-
mentaires, validées scientifiquement, réunies dans une démarche commune cohérente,
visant un changement des comportements, des cognitions et des émotions probléma-
tiques en utilisant des techniques cognitivo-comportementales-émotionnelles, dans
le but de libérer le patient des problèmes psychologiques qui l’entravent dans son
épanouissement.

3. Quelles sont les différences et les similitudes


entre les TCC et les autres psychothérapies ?
Comprendre un courant psychothérapique, c’est non seulement le
connaître pour ce qui le définit lui-même (ses théories, ses modèles, ses
pratiques), mais aussi repérer ce qui le différencie des autres courants
psychothérapeutiques. Cela a son importance pour la recherche, pour la

1. Voir le site de l’association française et francophone de psychologie positive https://assospsy-


chologiepo.wixsite.com/affpp

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

pratique professionnelle et pour les patients qui veulent s’engager dans une
psychothérapie.
Dans un cadre de recherche, il est très important d’être théoriquement
solide, d’avoir des concepts bien définis et opérationnels pour bien les
tester. Un concept mal défini dans un cadre théorique flou ne permet pas
à la démarche scientifique de s’exercer : aucune vraie compréhension n’est
possible, ni, donc, aucune vérification des résultats.

Définir ses concepts est essentiel en science


Si je fais une recherche sur « la dépres- lecteurs pourront-ils comprendre les
sion », par exemple pour déterminer s’il résultats de ma recherche ? Enfin, avec
y a une différence entre les hommes et un concept central mal défini, comment
les femmes concernant la fréquence de cette recherche pourrait-elle être repro-
la « dépression » (en affirmant que la duite par d’autres pour en vérifier les
« dépression » concerne x % d’hommes résultats ?
et y % de femmes) mais que je ne Il faut donc définir solidement ses
définis pas solidement le concept de concepts, sinon on ne sait pas de quoi on
« dépression », cela va poser de nom- parle. Définir ses concepts, c’est aussi
breux problèmes. D’abord, sur quels dire dans quel cadre théorique on les
critères vais-je déterminer que mes comprend car la définition d’un concept
sujets sont ou non concernés par « la renvoie à d’autres concepts du même
dépression » ? Selon la tristesse qu’ils champ théorique (je peux dire que dans
expriment ? Ou le fait qu’ils disent « j’ai la « dépression » il y a des « troubles
une dépression » ? Ou parce que, me fiant du sommeil », mais qu’est-ce que des
à mon intuition, j’ai classé les sujets en « troubles du sommeil » ?). En recherche,
déprimés/non-déprimés ? Ou parce que il faut donc être très clair sur le courant
je m’appuie sur un ensemble de critères théorique que l’on utilise. Il faut donc
(tristesse, idées noires, fatigue, etc.) ? connaître les différents cadres théo-
Et si le concept de « dépression » n’est riques disponibles dans son domaine
pas clairement défini, comment les de recherche.

Pour le psychothérapeute professionnel, il est très important d’être bien


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

formé au moins à un courant psychothérapeutique et d’en maîtriser les


théories, les concepts et, bien sûr, les techniques. Mais il est important aussi
de connaître assez bien les autres courants. D’abord parce qu’aucun courant
à ce jour ne peut prétendre à une validité absolue ni à une compréhension
totale des phénomènes psychopathologiques, il faut donc rester humble et
ouvert, il y a sûrement à prendre dans tous les courants sérieux et faisant
l’objet de validation scientifique. Ensuite parce que dans la pratique, il est
important de pouvoir soit passer d’une approche à une autre avec un même
patient (donc être en partie éclectique), soit orienter le patient vers des

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

collègues dont l’approche est plus adaptée à sa demande. Encore faut-il les
connaître !
Pour le patient, c’est en même temps important (autant savoir dans quoi
il s’engage !) et difficile (la situation en France est confuse). Un nouveau
venu dans le monde de la psychothérapie s’y retrouve rarement parmi les
multiples propositions thérapeutiques, toutes vantant leur efficacité et leur
pertinence pour traiter son problème ! Prendre le temps de s’informer est
utile, mais ce n’est pas possible pour tout le monde, surtout en cas de diffi-
cultés psychologiques qui rendent les démarches compliquées.

Faire une psychothérapie : honte, angoisse et… mieux-être


Faire le choix de s’engager dans une est un facteur important d’aggravation
psychothérapie n’est pas facile, surtout des difficultés.
la première fois. « Je vais voir un psy » Par ailleurs, même quand on souffre,
n’est pas facile à assumer au départ. envisager un changement possible n’est
Cela implique déjà d’être conscient pas simple : changer, oui, mais quoi ? Et
d’avoir des difficultés et que celles-ci pour obtenir quoi finalement ? Enfin,
sont d’ordre psychologique. C’est donc une psychothérapie prend du temps,
reconnaître une certaine forme de demande de l’organisation et peut par-
fragilité personnelle, ce qui peut être fois coûter assez cher.
lourd à accepter. De plus, il est souvent
Cela dit, ça vaut souvent le coût et le
nécessaire de le faire savoir à son entou-
coup, car une psychothérapie bien
rage, ce qui n’est pas toujours facile au
menée dans laquelle le patient s’en-
départ ; certains choisissent de le cacher
gage est souvent efficace et améliore
et ils vivent durant des années avec des
sa situation durablement.
souffrances inutiles, qui s’aggravent
faute d’être traitées. Cacher ses troubles Encore faut-il trouver la thérapie et le
et, pire encore, se les cacher à soi-même, thérapeute avec qui « ça va le faire »…

Toutes ces raisons, scientifiques, professionnelles, pratiques, font qu’il


est important, pour définir les TCC, de les situer par rapport aux autres
approches psychothérapeutiques.

Quels sont les principaux courants psychothérapeutiques


autres que TCC (en résumé) ?
Psychanalyse : dans l’objectif de rendre passe par la tête, pendant que le psy-
conscients les conflits inconscients chanalyste, assis sur un fauteuil derrière
et en s’appuyant sur les relations de l’analysant, utilise l’attention flottante
transfert et de contre-transfert, dans la pour prendre conscience des conflits
thérapie psychanalytique de cure type, inconscients de l’analysant puis lui
l’analysant est allongé sur un divan et, transmettre ce qu’il en a compris grâce
par association libre, dit tout ce qui lui à l’interprétation.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

L’approche psychanalytique se décline Approche humaniste et expérientielle :


aussi dans d’autres techniques l’objectif est que le client retrouve son
(entretiens en face-à-face, groupes, potentiel d’accomplissement et son
psychodrames). Quelques auteurs intégration personnelle entravés par les
connus : S. Freud, J. Lacan, D. Lagache, troubles psychiques, grâce à une relation
D. Winnicott, M. Klein, H. Hartmann… thérapeutique positive où le thérapeute
Approche systémique : les entretiens se montre authentique, chaleureux et
réunissent la famille et des thérapeutes, compréhensif. Le thérapeute écoute et
dont l’un s’entretient avec la famille dans intervient par des reformulations pour
la même pièce pendant que d’autres favoriser l’expression du client dans
observent les interactions derrière une une dynamique non directive. Quelques
glace sans tain, dans une autre pièce. auteurs connus : A. Maslow, C. Rogers…
Leurs objectifs sont d’élaborer des hypo- Hypnothérapie : l’objectif est de modifier
thèses sur la structure de la famille, puis les réactions automatiques gênantes
de proposer des interventions (compor- des patients en produisant un état de
tementales, relationnelles, cognitives…) conscience modifié (état hypnotique)
afin de faire évoluer la famille vers un durant lequel le thérapeute émet des
équilibre (homéostasie) plus satisfaisant. suggestions directes et indirectes modi-
Quelques auteurs connus : G. Bateson, fiant les réactions du patient. Un auteur
P. Watzlawick, M. Elkaim, M. Selvini connu : M. Erickson…
Palazzoli, S. Minuchin…

3.1 Les TCC, caractéristiques et comparaisons


Les TCC font partie de ce que l’on appelle les thérapies centrées sur le
problème (comme l’hypnothérapie, les approches systémiques familiales…).
Cela signifie que la thérapie commence par l’identification précise de ce qui
pose concrètement problème au patient, puis se poursuit par le déroule-
ment d’une stratégie pour régler autant que possible ce ou ces problèmes
et se conclut quand les problèmes sont résolus. Par « problème », il faut
entendre les phénomènes psychiques qui posent problème au patient (ou
parfois à son entourage) comme des symptômes cliniques, des difficultés
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de régulation émotionnelle, des problèmes relationnels, sexuels, compor-


tementaux, etc. Différemment, d’autres thérapies sont dites « centrées sur
la personne », comme la psychanalyse ou les approches rogeriennes huma-
nistes. « Centrées sur la personne » car leur approche est globale et leur
objectif est soit d’aider la personne à prendre conscience de ses conflits
inconscients partant du postulat que cette prise de conscience est le moteur
du changement (psychanalyse), soit en aidant la personne à retrouver une
dynamique d’accomplissement qui aurait été perturbée par les troubles
psychiques (approches humanistes). Ce sont des approches « non directives »

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

dans le sens où c’est le patient qui décide lui-même du contenu de la séance


(par l’association libre en psychanalyse ou par l’entretien non directif dans
les approches humanistes). Ainsi, dans la logique « centrée sur la personne »,
le « problème » n’est qu’un symptôme d’un dysfonctionnement plus général
qu’il convient de comprendre pour le résoudre. Et si le dysfonctionnement
général est résolu, alors le problème devrait disparaître de lui-même. « La
guérison viendra de surcroît », affirmait Freud, voulant dire que si le sujet
résout ses conflits inconscients alors, en plus, viendra la disparition des
symptômes (sous-entendu : il n’est pas nécessaire de se centrer sur les symp-
tômes eux-mêmes). Alors que pour les TCC, la « guérison » est l’objectif
premier, régler le problème, réduire le symptôme est l’objectif de la stratégie
thérapeutique des TCC. Mais en réglant le problème, l’approche TCC veut
en libérer le sujet pour lui permettre de retrouver plus paisiblement la voie
de son épanouissement personnel dans les directions qu’il souhaite. En se
centrant sur le problème, les TCC répondent à la demande des patients et
aident à leur accomplissement ultérieur. Paraphrasant Freud, on pourrait
dire que pour les TCC et les psychothérapies centrées sur le problème,
« l’épanouissement de la personne viendra de surcroît », et, naturellement,
après la résolution de ses difficultés.

Centré sur le problème ? On oublie la personne, alors ?


Si un patient ayant un trouble obsession- personne de traiter ce problème (sinon
nel compulsif (TOC) consulte un psycho- le thérapeute ne s’y engagerait pas, pour
thérapeute TCC, celui-ci, à sa demande, des raisons éthiques et aussi d’effica-
va centrer son attention et son action cité). En se centrant sur le problème,
sur le traitement du TOC. Pour autant, le thérapeute TCC répond au désir de
va-t-il négliger de prendre en compte la la personne. On le voit, la personne est
personne, ses souhaits, ses craintes, loin d’être laissée de côté dans les TCC.
son histoire ? Non, puisque tout cela va Et le thérapeute ne perd jamais de vue
être évoqué avec la personne avant de la globalité de la situation du patient,
traiter le problème afin de mieux com- même s’il se centre sur les problèmes.
prendre celui-ci. De plus, le thérapeute Sans pour autant perdre de vue la glo-
TCC construit une relation de collabora- balité de la situation du sujet, réduire la
tion avec la personne pour lutter contre perspective en se centrant sur le pro-
le problème, ils sont donc très proches blème et objectiver le problème sont des
dans ce travail et l’avis du patient est conditions de la résolution du problème
très régulièrement sollicité et pris en dans l’approche TCC.
compte. Enfin, c’est la demande de la

Les TCC font aussi partie des thérapies brèves dans le sens où la durée
d’une thérapie est assez courte, comparée, par exemple, à celle d’une cure

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

psychanalytique. Selon les problèmes à résoudre, une TCC peut durer de


quelques semaines à une année, à raison d’une séance par semaine ou tous
les quinze jours, alors qu’une cure psychanalytique dure au moins 3 ans,
parfois beaucoup plus, à raison de une à plusieurs séances par semaine. Il
existe d’autres thérapies brèves, comme l’hypnothérapie (parfois en une
seule séance) ou les thérapies systémiques (qui peuvent durer une année à
raison d’une séance par mois). Cependant, il faut nuancer ces généralités, car
une TCC peut aussi durer plus longtemps (plusieurs années) dans le suivi
apporté à des patients souffrant de troubles chroniques (par exemple schi-
zophrénie, troubles bipolaires, dépression chronique…) et/ou de troubles
de la personnalité difficiles à améliorer rapidement. Par ailleurs, certains
patients, pour diverses raisons se manifestant durant la thérapie (problèmes
de motivation, de personnalité, mais aussi événements de vie comme des
deuils, maladies, accidents, séparations…), ne peuvent pas toujours suivre
le rythme et les exigences d’une TCC, ce qui peut allonger d’autant sa
durée. Dans ce cas la démarche TCC s’adapte et le thérapeute peut quitter
momentanément les techniques TCC pour les alterner avec, par exemple,
des entretiens motivationnels, des approches de soutien, voire de l’écoute
compréhensive et empathique. À l’inverse, s’il arrive que des TCC puissent
être « longues », il existe aussi (en particulier, aux États-Unis) des protocoles
thérapeutiques psychanalytiques brefs (10 séances) ! On ne peut donc pas
systématiquement déduire la durée d’une thérapie en fonction du courant
dans lequel elle s’inscrit. Cependant, on peut quand même affirmer qu’une
TCC est souvent bien plus courte qu’une thérapie psychanalytique. La ques-
tion de la durée est assez importante, en particulier pour le patient, qui peut
souhaiter surmonter rapidement son problème pour retrouver une vie plus
épanouissante, mais aussi pour des raisons économiques (pour le patient
et/ou pour les assurances de santé) : plus une thérapie est brève, moins elle
coûte cher ! Cependant, brève ou longue, une psychothérapie doit avoir une
durée optimale pour aider au mieux le patient. Le risque des thérapies qui
s’éternisent est d’enfermer patient et thérapeute dans l’habitude d’un suivi
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sans fin, dans des entretiens rituels répétitifs, qui parfois n’ont pour effet que
de rendre le patient dépendant de ce suivi et d’entretenir ses ruminations
sur ses problèmes.
Quoi qu’il en soit, dans une TCC, le thérapeute ne doit ni se précipiter
en allant trop vite pour le rythme du patient, ni oublier les objectifs de
changement dans une thérapie qui s’éternise sans efficacité.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Durée et fréquence, quelques repères


La durée de la thérapie est très variable plus courtes et à durée variable – mais
selon les thérapies et selon les problèmes au même prix –, ce qui, éthiquement et
à résoudre. De quelques semaines à en pratique, est très discutable). À l’in-
un an dans les TCC, de quelques mois à verse, la durée des séances peut parfois
un an dans les approches systémiques dépasser une heure. Par exemple, dans
familiales, trois ans au moins pour les TCC, pour effectuer des exercices
une psychanalyse type (parfois moins longs (expositions) ou encore dans le
pour des psychothérapies d’inspiration cadre de psychothérapies de groupe,
psychanalytique ou les psychanalyses les séances durent souvent plus d’une
brèves), d’une à plusieurs dizaines de heure et vont parfois jusqu’à deux ou
séances pour l’hypnothérapie, qui peut trois heures.
durer une année. De quelques mois à 2 La fréquence des séances diffère
ou 3 ans pour les approches humanistes. selon les approches et les situations.
La durée des séances est variable aussi Dans les TCC il y a souvent une séance
mais, le plus souvent, et quelle que soit par semaine ou une toutes les deux
la thérapie, les séances durent entre semaines. Dans les approches familiales
45 minutes et une heure. C’est le cas systémiques, c’est le plus souvent une
dans les TCC. En TCC, des séances de (voire deux) séances par mois. Dans les
moins de 45 minutes ne permettent pro- thérapies psychanalytiques, c’est au
bablement pas de faire un travail de qua- moins une séance par semaine, mais le
lité. Certaines pratiques thérapeutiques plus souvent deux ou trois séances heb-
préconisent des séances plus courtes domadaires sont préconisées, voire plus.
(30 minutes, parfois moins, par exemple Dans les thérapies humanistes, la fré-
dans la psychanalyse lacanienne. Elle quence est d’une séance hebdomadaire.
préconise aussi des séances encore

Les TCC sont aussi dites actives et expérientielles dans le sens où, d’une
part, le patient est amené à effectuer des choses concrètes pour les expé-
rimenter et que, d’autre part, par ces actions, il expérimente des façons
différentes d’être, c’est-à-dire de penser, de ressentir et de se comporter.
Il s’engage donc dans des « expériences » cognitives, comportementales et
émotionnelles, pour en observer les effets. Si celles-ci sont positives, il peut
les reproduire si cela lui paraît pertinent. La plupart du temps, ces actions
et expériences ont lieu pour la première fois dans le cabinet avec l’aide du
thérapeute, puis le patient est invité à refaire ces exercices en dehors des
séances pour les expérimenter dans sa réalité quotidienne et observer les
éventuels changements qu’ils produisent. Ces exercices et actions sont très
divers : jeux de rôle, relaxation, méditation, affirmation de soi, l’autoévalua-
tion de ses troubles, exercices d’exposition, exercices cognitifs (écrire ses
pensées et les modifier)… Tous ces exercices sont présentés au patient puis
discutés avec le thérapeute, et sont réalisés si le patient est d’accord et se

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

sent prêt. Amener le patient à comprendre puis à faire les exercices les plus
efficaces pour lui fait partie des compétences cliniques du thérapeute. Ces
exercices peuvent avoir lieu dans le cabinet de consultation, mais aussi chez
le patient ou encore dans des situations sociales réelles (au travail, dans la
rue, en famille, dans le métro…). D’autres thérapies s’appuient aussi sur des
actions concrètes, comme les approches systémiques, qui peuvent donner
aux membres de la famille des tâches à accomplir en dehors des séances.
Les approches humanistes rogeriennes peuvent utiliser de la relaxation.
Elles sont aussi dites « expérientielles » dans le sens où le patient fait l’ex-
périence de se retrouver lui-même durant la thérapie. Mais la plupart des
autres thérapies, soit n’incluent pas ce type de mise en pratique concrète,
soit ne donnent pas d’exercices à faire en dehors des séances. Par exemple,
la cure psychanalytique traditionnelle se fait exclusivement par la parole
durant les séances. Si les exercices pratiques sont très importants en TCC et
participent clairement de leur efficacité, le revers de cette médaille, c’est que
le patient doit être clairement engagé et actif dans la thérapie. Or une partie
des patients s’investissent peu dans ces exercices (pour diverses raisons :
motivation, temps, défenses psychiques, manque de préparation…), ce qui
peut nuire à l’efficacité de la thérapie.
Les TCC se revendiquent comme des psychothérapies scientifiques
dans le sens où elles appuient leurs théories et l’efficacité de leurs pratiques
sur des recherches scientifiques qui les ont validées. La démarche qui a
produit l’approche TCC est fondée avant tout sur des études scientifiques
dont les TCC sont l’application. Cette logique se poursuit de nos jours et
de nombreuses études sont en cours pour étudier telle ou telle technique
ou théorie liée aux TCC, pour améliorer l’évaluation des changements
psychologiques ou encore pour étudier l’efficacité de nouvelles méthodes
qui s’intègrent progressivement aux TCC (par exemple les approches de
la troisième vague). De ce fait, les TCC s’inscrivent dans les courants des
EBP (Evidence Based Pratice in Psychotherapy – pratiques psychothéra-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

piques fondées sur des preuves) ou EST (Empirically Supported Treatment


in Psychotherapy – traitement psychothérapique justifié empiriquement).
Qu’en est-il comparativement aux autres approches ? Les psychothérapies
cognitivo-comportementales sont les plus étudiées scientifiquement et sont
celles qui ont à ce jour le plus de preuves scientifiques en faveur de leur
efficacité. Cela signifie qu’elles ont fait la preuve de leur efficacité dans de
nombreux troubles psychiques. Les résultats concordants de nombreuses
études scientifiques montrent que dans la plupart des troubles psychiques,
il vaut mieux faire une TCC que de ne rien faire, et aussi qu’il est souvent

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

préférable de faire une TCC que de s’engager dans une autre approche. Mais
on ne peut en conclure sans précaution que les TCC seraient toujours plus
efficaces que les autres psychothérapies, et cela parce que ces dernières ont
été moins évaluées. Le manque d’évaluation par des études scientifiques
et le manque de preuves d’efficacité ne veut pas dire l’absence d’efficacité,
mais simplement qu’on ne sait pas, ou pas suffisamment, si elles sont effi-
caces. On peut cependant affirmer que les autres psychothérapies ont été
moins bien étudiées et apportent moins de preuves scientifiques de leur
efficacité que les approches TCC (voir la partie suivante sur l’efficacité des
TCC). On peut aussi affirmer que quand les TCC sont comparées à d’autres
psychothérapies, elles s’avèrent souvent plus efficaces ou au moins autant.

Les TCC, scientifiques dans leurs fondements,


et dans leurs pratiques
Nous avons vu que les théories et les par la mise en application de la méthode
techniques TCC avaient toutes fait l’ob- choisie, puis observer le résultat en
jet d’études scientifiques de validation. mesurant l’état final pour observer l’évo-
Cette posture scientifique, typique des lution du problème et, enfin, conclure sur
TCC, se retrouve aussi dans les pra- la validité de l’hypothèse (et l’efficacité
tiques thérapeutiques concrètes. En de la stratégie choisie).
effet, la démarche thérapeutique TCC Bien sûr, si dans la pratique théra-
suit la logique de la démarche scienti- peutique cette logique structure la
fique d’évaluation d’un changement, à démarche, la thérapie prend aussi en
savoir : définir l’état initial par l’évalua- compte d’autres logiques qui obligent
tion objective du problème, formuler une parfois à infléchir cette démarche d’al-
hypothèse sur ce qui cause ou maintient lure scientifique (la personnalité du
le problème (des situations, des compor- patient, son avis, son évolution, les
tements, des pensées, des processus problèmes associés et les événements
psychiques, des relations…), élaborer de vie qui interfèrent avec la démarche
une méthodologie (ou une stratégie thé- prévue) : bien qu’elle s’en rapproche sous
rapeutique) pour tester l’hypothèse (pour certains aspects, une thérapie n’est pas
faire évoluer ce qui cause ou entretient une expérience scientifique !
le problème), réaliser l’expérimentation

Ainsi, on peut définir les TCC comme des psychothérapies scienti-


fiques, brèves, centrées sur le problème, actives et expérientielles. Autant
de caractéristiques qui, cumulées, rendent ces psychothérapies spécifiques,
originales et… efficaces.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

4. Les TCC sont-elles efficaces ?


La question de l’efficacité des psychothérapies a de nombreux enjeux qui
lui donnent une teneur potentiellement polémique. Se poser la question de
l’efficacité des psychothérapies et trouver légitime d’y répondre de façon
scientifique, c’est partager les finalités de l’Evidence Based Psychotherapy
(la psychothérapie fondée sur des preuves), suivant la même logique que
l’Evidence Based Medecine (la médecine fondée sur des preuves : on utilise
des médicaments et des moyens thérapeutiques seulement s’ils sont testés
et s’ils ont fait la preuve de leur efficacité). Il y a en fait deux questions
successives auxquelles nous allons proposer des réponses :
1) Les psychothérapies sont-elles efficaces ?
2) Y a-t-il des thérapies plus efficaces que d’autres, et, si oui, lesquelles ?
Si la première question peut réunir une grande majorité des psychothé-
rapeutes (qui veulent que la réponse soit « oui » !), la deuxième les met en
compétition et les divise (car chacun voudrait que l’approche qu’il pratique
soit la plus efficace !).
Pour les patients, les réponses à ces deux questions sont importantes :
en effet, si une personne choisit de s’engager dans une psychothérapie, d’y
passer du temps, d’y investir de l’argent et de s’y engager psychologique-
ment, elle a besoin d’être assurée que cela l’aidera à aller mieux. Et pour
choisir le type de thérapie dans laquelle s’engager, savoir laquelle est la plus
efficace est une information importante. Pour les professionnels, il est aussi
important de savoir quelle approche sera la plus à même d’aider leur patient,
puis de s’y former pour l’utiliser. Pour les pouvoirs publics, la question est
importante aussi, car ils ont la responsabilité de favoriser l’utilisation des
approches qui aident le plus au meilleur prix et de décourager celles qui ne
produiraient pas d’effet ou qui auraient des effets néfastes et qui impose-
raient des dépenses inutiles.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

4.1 Mais qu’est-ce qu’une thérapie « efficace » ?


L’efficacité, c’est le fait de produire les effets attendus. L’efficacité d’une
thérapie dépend donc de ses objectifs. Elle sera « efficace » si elle les atteint.
En psychothérapie, l’objectif est de soigner le patient (« thérapie »), avec des
moyens psychiques (« psycho »). Donc l’objectif est de soin et de thérapie.
Il s’agit de produire un changement psychique favorisant un mieux-être
psychologique du patient. En simplifiant, on peut dire qu’une psychothérapie

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

efficace permet, par son action, d’améliorer les situations psychiques problé-
matiques qui ont conduit les patients à consulter un psychothérapeute.
Concrètement, selon les courants psychothérapeutiques, cela peut s’ex-
primer par : améliorer ou régler le problème à l’origine de la consultation
(des symptômes, un trouble psychique, un malaise plus ou moins bien
défini, etc. ; cela concerne les thérapies centrées sur les problèmes) ou, d’un
autre point de vue, favoriser l’épanouissement global de la personne (donc
plutôt les thérapies centrées sur la personne). Cela dit, régler les problèmes
concrets favorise l’épanouissement général, et l’épanouissement général
s’accompagne le plus souvent d’une amélioration des problèmes rencontrés
par la personne…

Être efficace, soit, mais pas à n’importe quelles conditions !


Critères de l’efficacité (Organisation — Respecter les principes éthiques (res-
Mondiale de la Santé) pect de la dignité de la personne…).
— Être utile : améliorer la symptomatolo- — Économique : rapport coût-temps de
gie, réduire les problèmes, améliorer la traitement favorable.
qualité de vie. — Praticable dans de nombreuses situa-
— Être sûr : ne pas mettre les patients ni tions sociales (pas seulement dans
les thérapeutes en danger. des cadres très restreints et peu
— Ne pas avoir d’effets secondaires accessibles).
importants. — Risque limité de mauvaise utilisation.

4.2 Comment mesurer l’efficacité d’une psychothérapie ?


Pas si simple… Il y a au moins deux problèmes importants à prendre en
compte :
1) Comment évaluer la vie psychique, éminemment subjective ?
2) Comment être sûr, si l’on repère une évolution durant une thérapie, que
cette évolution est bien due à la thérapie ?
Le plus souvent, et en simplifiant beaucoup, ce qui amène les personnes à
consulter un psychothérapeute, ce sont des souffrances psychiques, comme
la tristesse (dépression) ou la peur (troubles anxieux). Dans ces cas, pour
mesurer l’efficacité de l’intervention thérapeutique, il faudrait évaluer la
souffrance psychique au début de la thérapie, puis à la fin, et voir si la souf-
france a diminué entre les deux. Soit. Mais comment évaluer objectivement
le sentiment de souffrance psychique qui, lui, est subjectif ? Comment passer
d’un ressenti personnel et intime à une mesure objective que l’on pourra
comparer en deux temps différents ? La solution est apparue aux chercheurs

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

et aux cliniciens ces dernières décennies : il faut utiliser des instruments


d’évaluation psychologique validés scientifiquement, qui permettent au
sujet (ou parfois au clinicien) de situer son vécu sur une échelle, le plus
souvent numérique.

L’exemple des deux premiers items du questionnaire


« Hospital Anxiety and Depression Scale » (HAD1)
A. Je me sens tendu ou énervé : D. Je prends plaisir aux mêmes choses
3. La plupart du temps qu’autrefois :
2. Souvent 0. Oui, tout autant
1. De temps en temps 1. Pas autant
0. Jamais 2. Un peu seulement
3. Presque plus
… l’HAD est composée de 14 items mesurant l’anxiété et la dépression.

1. Zigmond A.S., Snaith R.P. (1983). The hospital anxiety and depression scale, Acta
Psychiatrica Scandinavica, 67 (6), 361-370.

Ainsi, il existe maintenant des milliers d’échelles (sous forme de ques-


tionnaires principalement) validées scientifiquement, qui permettent
d’objectiver différents aspects du vécu subjectif, de les transformer en
données numériques fiables qui peuvent ensuite faire l’objet d’un trai-
tement scientifique fiable (comparaison à des normes, tests statistiques,
comparaison entre pré et post-test…). Cela est utile en pratique clinique
et nécessaire pour la recherche clinique. Grâce à ces outils, on peut objec-
tiver, par exemple, l’intensité d’un état dépressif (sur l’échelle HAD, en
additionnant les notes aux 7 items de la sous-échelle « dépression », on
peut déterminer la présence et la gravité d’un état dépressif), on peut aussi
comparer un sujet à lui-même (s’il a 17 en début de thérapie et 6 à la fin à la
HAD-dépression, c’est qu’il va probablement mieux), et aussi le comparer
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

à d’autres sujets (à la HAD, on sait qu’en général, les sujets non dépressifs
ont des notes à la sous-échelle « dépression » inférieures à 8. Donc un sujet
qui aurait 5 n’est vraisemblablement pas déprimé).
Utilisés dans les études d’efficacité, ces outils d’évaluation le sont aussi
dans les thérapies (au début, pendant, à la fin et même après la fin), et cela
de façon systématique dans les TCC.
Ces outils sont très utiles mais ils ne sont pas parfaits et leur usage et
l’interprétation de leurs résultats doivent être effectués par un clinicien

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

bien formé et expérimenté. Pour évaluer un état psychique et son évolution,


ces outils sont nécessaires mais pas suffisants. Il faut toujours compléter
leurs résultats objectifs par les regards subjectifs du psychothérapeute et
du patient (voire de ses proches). Cela se fait lors d’entretiens cliniques.

Un chiffre à la place d’un vécu psychique ? C’est réducteur !


Oui ! C’est réducteur. Mais mesurer la Donc une note de dépression de 17 à la
température avec un thermomètre aussi, HAD nous indique que le sujet qui l’a rem-
c’est réducteur, ça ne dit pas tout de la pli, s’il l’a fait honnêtement, a probable-
sensation de froid ou de chaud ; une ment un vécu de souffrance dépressive
mesure de la tension artérielle, c’est intense. On sait parfaitement que le
réducteur aussi, ça ne dit pas tout des sujet n’est pas réductible à ce chiffre.
processus liés à ce phénomène et à sa Simplement ce chiffre est un indicateur
variabilité ; dire d’un terrain qu’il fait utile, très souvent fiable, d’une partie du
500 mètres carrés, c’est réducteur, ça vécu du sujet. Par ailleurs, en clinique,
ne dit rien de ce qu’il y a sur (et sous !) un résultat chiffré renvoie toujours à son
ce terrain ! Dès que l’on mesure et que interprétation qualitative, les chiffres ne
l’on pense un objet de la réalité (fût-elle sont pas détachés de leur sens clinique.
psychique) il y a un processus néces- Le chiffre est juste une manière com-
saire de réduction. C’est d’ailleurs indis- mode et utile d’exprimer une information
pensable à la démarche scientifique, car clinique. Et cette information sera véri-
on ne peut pas envisager la réalité de fiée lors d’entretiens cliniques qui per-
façon globale dans toute sa complexité. mettront de la resituer dans l’histoire et
Il faut donc la réduire pour mieux la com- le contexte de vie du patient.
prendre et éventuellement agir dessus.

Comment être sûr, si l’on repère une évolution durant une thérapie, que
cette évolution est bien due à la thérapie ?
Maintenant que nous avons vu que nous pouvions évaluer la plupart
des dimensions de la vie psychique avant et après une thérapie et donc
en déduire leur évolution (quand il y en a !), comment s’assurer que cette
dernière est bien due à la thérapie évaluée ? En effet, les difficultés psychiques
peuvent évoluer pour de tout autres raisons que la thérapie (l’évolution
spontanée du trouble, des événements extérieurs, des relations de soutien,
des changements positifs au travail, un changement de saison, un autre
traitement, etc.). Par exemple, on sait que des patients inscrits sur liste
d’attente d’une thérapie évoluent parfois spontanément de manière positive,
sans intervention thérapeutique !

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

Comment jouer sur les saisons pour avoir une thérapie efficace ?
Certains troubles dépressifs sont la même thérapie qui débuterait en été
influencés par les saisons. L’entrée dans et se finirait au milieu de l’hiver ! Ainsi,
l’hiver accentue parfois le vécu dépressif, s’il y a une évolution positive dans le
alors que le printemps et l’été tendent premier cas, elle peut être due au chan-
à le diminuer. On parle alors de dépres- gement de saison et pas à la thérapie.
sion saisonnière. Ainsi, une thérapie qui L’évolution positive des patients pendant
débuterait en hiver et se finirait en fin une thérapie ne prouve donc pas à tous
de printemps a toutes les chances d’être les coups son efficacité !
considérée comme plus « efficace » que

Pour ces raisons, dire d’une thérapie qu’elle est efficace, c’est dire qu’elle
est plus efficace qu’une absence d’intervention ou qu’une autre interven-
tion à laquelle on la compare. Il faut que les patients suivant la thérapie
évaluée, appelés groupe expérimental, évoluent positivement plus que des
patients qui ne suivent pas la thérapie, que l’on appelle groupe témoin. Ces
derniers peuvent ne suivre aucune thérapie (par exemple être en attente
d’une thérapie). Mais le plus souvent, pour des raisons scientifiques et
éthiques, les patients du groupe témoin suivent soit une autre thérapie
connue à laquelle on compare la thérapie évaluée, soit une intervention
minimale (comme un groupe de parole, des entretiens de soutien…). Cette
intervention minimale devrait avoir toutes les caractéristiques de l’interven-
tion du groupe expérimental (en groupe ou en individuel, même nombre
et durée des séances, etc.), sauf la spécificité de l’intervention que l’on veut
évaluer (telle technique nouvelle, telle procédure thérapeutique…). Il s’agit
de s’approcher le plus possible de la situation expérimentale de telle sorte
que toutes les variables soient égales sauf celle que l’on veut mesurer.
Et alors un autre problème surgit : si l’évolution du groupe expérimental
est supérieure à celle du groupe témoin, peut-on dire que le premier est
plus efficace que le deuxième ? Pas encore, car il est possible que les deux
groupes aient été différents dès le départ, ce qui expliquerait leur diffé-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

rence d’évolution ! Ce serait le cas, par exemple, si on inclut dans le groupe


expérimental des sujets déprimés dont c’est le premier épisode dépressif et
dans le groupe témoin des sujets dont la dépression est chronique. Même
à intensité dépressive égale au départ, il est très probable que le premier
groupe évoluera plus favorablement que le deuxième ! Il faut donc que les
deux groupes soient comparables dès le départ selon plusieurs critères. Le
problème est que ces critères (diagnostic, comorbidités, âge, sexe, niveau
d’études, situation professionnelle, familiale, traitement, personnalité,
soutien social, situation économique, etc.) sont très nombreux et que l’on

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

ne peut pas les contrôler tous. Sans même compter ceux qui influent sur
l’évolution et que l’on ne connaît pas encore ! Alors que faire ? La meilleure
solution, c’est de s’en remettre au hasard !

Le hasard au secours de l’ordre !


La randomisation consiste à répartir sort devrait répartir équitablement ceux
au hasard les participants inclus dans ayant des caractéristiques différentes
l’étude entre les groupes expérimental entre les groupes et éviter les effets
et témoin. Ainsi, s’il y a suffisamment parasites d’une mauvaise répartition.
de sujets, la répartition par tirage au

En résumé, une étude d’efficacité d’une psychothérapie, pour être la plus


convaincante possible, doit comparer un groupe expérimental avec au moins
un groupe témoin, avec un nombre de sujets suffisamment grand, les sujets
devant être répartis par tirage au sort entre les groupes. C’est ce que l’on
appelle un essai randomisé. Ce sont celles qui ont le plus haut niveau de
preuve scientifique dans l’évaluation des psychothérapies.
Cela dit, ce type d’étude est difficile à mettre en place et de nombreuses
études publiées ne remplissent pas ces conditions. Par exemple, elles
peuvent porter sur des cas individuels ou sur des comparaisons de groupes
mais sans randomisation, ou elles peuvent n’inclure qu’un seul groupe, ou
des effectifs réduits… Cela ne leur enlève pas toute valeur, mais réduit leur
niveau de preuve scientifique.

4.3 Les psychothérapies, en général, sont-elles efficaces ?


Depuis la première étude d’envergure (Eysenck, 19521) qui montrait que
les psychothérapies n’étaient pas efficaces, voire qu’elles étaient néfastes
(mieux valait ne rien faire !), de nombreuses études sont venues contredire
cette affirmation.
Plus de 60 ans d’études scientifiques et des milliers de recherches, dont
de nombreux essais randomisés, amènent aujourd’hui à conclure sans ambi-
guïté : oui, les psychothérapies sont efficaces. Elles aident à améliorer la
situation des patients dans environ 70 % des cas, comparativement à une
absence de traitement ou à un traitement « placebo » (comme un temps
simple d’échange de paroles sans intervention spécifique du thérapeute). De

1. Eysenck H.J. (1952). The effects of psychotherapy : An evaluation, J. Consult. Psychol., 16,
319-324.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

ce fait, les experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ainsi que


la Haute Autorité de la Santé (HAS) en France recommandent les psycho-
thérapies en première intention (donc pour commencer une prise en charge)
dans les troubles dépressifs légers, voire modérés, sans prescription d’antidé-
presseurs. C’est aussi le cas pour la plupart des troubles anxieux quand ils ne
sont pas trop intenses. C’est seulement en cas d’échec de la psychothérapie
que des antidépresseurs ou des anxiolytiques sont recommandés. Pour des
troubles anxiodépressifs sévères, il est conseillé de proposer un traitement
médicamenteux et une psychothérapie.
Les études ont aussi montré que les résultats positifs obtenus par les
psychothérapies se maintenaient souvent dans le temps et qu’ils étaient donc
assez solides, plus solides que ceux produits par les traitements médicamen-
teux (dont les effets tendent à s’estomper quand le traitement s’arrête), en
particulier pour les troubles anxieux et dépressifs.
Pour la plupart des troubles chroniques (schizophrénie, troubles bipo-
laires…), une prise en charge pluridisciplinaire est recommandée associant
des traitements médicamenteux et psychothérapeutiques.
Cependant, l’efficacité globale des psychothérapies ne doit pas masquer
la complexité et les variations d’efficacité selon les situations psychothéra-
peutiques. Les résultats des psychothérapies sont en réalité très variables
et dépendent de plusieurs facteurs : le type de troubles traités, les tech-
niques thérapeutiques utilisées, la qualité de l’alliance thérapeutique (voir le
chapitre sur ce thème), les compétences cliniques du thérapeute, les capa-
cités et la motivation du patient, etc. Ainsi, quand les conditions réunies
sont bonnes, une psychothérapie peut tout à fait améliorer, et parfois guérir
un patient de ses troubles mentaux. Mais si ce n’est pas le cas, elle peut se
conclure par un échec et même par une dégradation de l’état du patient.
Il faut aussi garder à l’esprit que dire que la psychothérapie est efficace
peut vouloir dire, selon les situations, une amélioration légère mais signi-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

ficative de la situation du patient ou encore la disparition complète des


troubles. L’efficacité est donc relative et variable.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Une efficacité des psychothérapies surévaluée ?


En général, les études publiées qui — Les études non publiées, qui sont
prouvent l’efficacité des psychothéra- assez nombreuses et dont une partie
pies (comme des traitements médicaux inconnue auraient abouti à des résul-
en général, d’ailleurs) tendent à occulter tats négatifs, ce qui expliquerait leur
deux choses importantes : non-publication…
— Les patients qui ont abandonné la En prenant en compte ces deux biais,
thérapie avant son terme et dont on des études récentes1 montrent que les
ne connaît pas le devenir. S’agit-il psychothérapies resteraient efficaces,
d’un échec de la psychothérapie ? mais moins que ce que l’on croyait.
De circonstances extérieures ? D’une Notons que la même correction de ces
démotivation ? Quoi qu’il en soit, cela biais scientifiques pour les médicaments
concernerait 3 à 5 patients sur 10 qui antidépresseurs aboutit à la même
abandonneraient leur thérapie dès les conclusion. De plus, la force des effets
premiers entretiens ! thérapeutiques des psychothérapies et
des antidépresseurs pour la dépression
serait comparable.

1. Is psychotherapy for depression any better than a sugar pile ? By James Coyne PhD.
http://blogs.plos.org/mindthebrain/2013/06/25/is-psychotherapy-for-depression-
any-better-than-a-sugar-pill/

En conclusion, il est tout à fait légitime de proposer une psychothérapie


sérieuse à une personne en difficulté psychologique. Il est très probable que
cette personne en retirera des bénéfices, souvent importants. De plus, on
peut affirmer dès maintenant que les TCC, en tant que psychothérapies,
mais surtout du fait qu’elles sont les psychothérapies les plus évaluées dans
le monde, sont globalement efficaces.
Cela nous amène à la deuxième question, plus difficile et plus polémique.

4.4 Y a-t-il des psychothérapies plus efficaces que d’autres ?


Les TCC sont-elles plus efficaces que les autres
psychothérapies évaluées ?
Cette question porte un potentiel polémique et conflictuel, elle a
suscité beaucoup de débats, d’invectives, d’études et de contre-études, ainsi
que… de la censure… en particulier en France.
Je pense que le plus honnête est d’y apporter deux réponses possibles,
tout en restant cohérent avec les résultats de la littérature scientifique :
1) Première réponse : toutes les psychothérapies sérieuses se valent.

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

2) Deuxième réponse : les TCC sont plus efficaces que les autres
psychothérapies.

4.4.1 Toutes les psychothérapies se valent-elles ?


En 1975, Luborsky et coll.1 ont publié une revue de la littérature comparant
plusieurs types de psychothérapies dont des approches psychanalytiques et
comportementales. Les conclusions de ce travail sont que :
1) les psychothérapies sont efficaces ;
2) et qu’il n’existe pas de différence d’efficacité entre elles, elles le sont toutes
tout autant.
C’est ce que l’on appelle le Dodo Bird Verdict.

The Dodo Bird Verdict


Dans Alice au pays des merveilles de appuyé sur le front (pose ordinaire de
Lewis Caroll, à un moment donné, après Shakespeare dans ses portraits), tandis
s’être baignés dans la mare aux larmes, que les autres attendaient en silence.
les personnages sont trempés. Pour Enfin le Dodo dit : “Tout le monde a
qu’ils se sèchent, le Dodo propose de gagné, et tout le monde aura un prix.” »
faire une course autour d’un terrain : C’est le verdict de l’oiseau Dodo (Dodo
« Cependant, au bout d’une demi-heure, Bird Verdict) qui a été avancé pour la
tout le monde étant sec, le Dodo cria tout première fois à propos des psychothéra-
à coup : “La course est finie !” et les voilà pies par Saul Rosenzweig en 19361, puis
tous haletants qui entourent le Dodo et rendu d’actualité par Luborski en 1975.
lui demandent : “Qui a gagné ?” Depuis, le Dodo Bird Verdict fait l’objet
Cette question donna bien à réfléchir au d’autant de consensus que de remises
Dodo ; il resta longtemps assis, un doigt en cause.

1. Rosenzweig S. (1936). Some implicit common factors in diverse methods of psychotherapy,


American Journal of Orthopsychiatry, 6 (3), 412-415.

Comment expliquer que des thérapies aussi différentes à première vue


© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’une psychothérapie psychanalytique ou une approche comportementale


puissent apporter les mêmes bénéfices aux patients ? Pour comprendre cela,
il faut différencier les facteurs communs des facteurs spécifiques qui sont
à l’œuvre dans les psychothérapies. Les psychothérapies ont des caracté-
ristiques qui les différencient (facteurs spécifiques) alors que d’autres leur

1. Luborsky L., Singer B. (1975). Comparative studies of psychotherapies : is it true that everyone
has won and all must have prizes ?, Arch. Gen. Psychiatry, 32, 995-1008.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

sont communs (facteurs communs). Aussi différentes puissent-elles sembler


(surtout aux yeux des spécialistes de chaque approche), les psychothérapies
efficaces ont toutes des facteurs communs importants : un patient motivé,
un thérapeute engagé, une bonne relation entre les deux (alliance thérapeu-
tique), une attitude bienveillante et compréhensive du thérapeute vis-à-vis
du patient, des rencontres régulières, la croyance du thérapeute dans l’effica-
cité de son approche, la croyance et l’espoir du patient dans le bien-fondé de
son engagement et de son amélioration possible, un espace-temps relationnel
confidentiel où il est directement question des difficultés du patient, etc.
Les facteurs spécifiques sont, par exemple, les techniques comporte-
mentales et cognitives des TCC, la procédure divan-fauteuil et association
libre – attention flottante de la psychanalyse, ou l’entretien non directif des
approches humanistes, etc. Ce sont les caractéristiques propres à chaque
approche qui les différencient des autres.
De nombreuses études se sont penchées sur ce qui fait qu’une psychothé-
rapie évolue favorablement ou, si l’on préfère, sur les facteurs prédicteurs de
l’efficacité d’une psychothérapie. Les résultats sont complexes et variables
mais, de façon globale, ces études montrent que le plus important en psycho-
thérapie, ce seraient les facteurs communs. Les facteurs spécifiques (donc
le type de courant psychothérapique) ne permettraient de prédire qu’une
petite part de la réussite (de quelques pourcents) alors que les facteurs
communs en prédiraient la plus grande part (autour de 50 %). Parmi les
facteurs communs les plus influents, notons les caractéristiques du patient
(son engagement, sa motivation, sa capacité à bénéficier de la thérapie),
celle du thérapeute (sa chaleur, son authenticité, son professionnalisme,
sa croyance dans sa méthode…), celle de la relation, donc de l’alliance
thérapeutique (l’accord entre le thérapeute et le patient sur les buts et les
méthodes de la thérapie et l’impression pour le patient d’être compris et
aidé par son thérapeute).
Si effectivement les facteurs communs participent nettement plus que
les facteurs spécifiques à l’efficacité des psychothérapies, la question de l’ef-
ficacité comparée des psychothérapies (laquelle fonctionne le mieux ?) n’a
plus grand sens. La recherche devrait alors se focaliser sur ce qui fait qu’une
psychothérapie est efficace, donc sur les processus thérapeutiques, afin que
chaque courant puisse les intégrer et les développer dans ses pratiques.
En tout cas, le Dodo Bird Verdict a pour intérêt d’apaiser les conflits et
les polémiques : tout le monde a gagné, personne n’a perdu. Mais est-ce si
simple ? Le Dodo Bird Verdict rend-il compte d’une réalité scientifiquement
fondée ou est-ce un mythe entretenu au fil des décennies ?

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

4.4.2 Les approches cognitivo-comportementales seraient-elles


plus efficaces que les autres approches ?
De nombreuses études remettent en cause le Dodo Bird Verdict en
montrant, de façon très majoritaire, que les thérapies comportemen-
tales et cognitives auraient une efficacité plus importante, pour la plupart
des troubles psychologiques et pour la plupart des populations (adultes,
enfants), que les autres approches psychothérapeutiques. Plusieurs revues
de littérature ou d’analyse critique des publications défendant l’hypothèse de
l’équivalence des psychothérapies montrent qu’en réalité, toutes les psycho-
thérapies ne se vaudraient pas. Il semble que les travaux les plus rigoureux
donnent quasi systématiquement la prééminence aux approches TCC. C’est
le cas par exemple d’une large revue de littérature publiée en France par l’In-
serm en 20041. La supériorité de l’efficacité des TCC serait surtout valable
pour les troubles anxieux et certaines formes de troubles dépressifs ; elle n’en
resterait cependant pas moins nette pour autant (Hunsley, J. et al., 20022).

4.4.3 La position ambiguë des autorités sanitaires françaises


Dans le champ des psychothérapies, la France est dans une situation
particulière. Par exemple, le rapport de l’Inserm publié en 2004 en s’ap-
puyant sur la littérature scientifique internationale concluait à une efficacité
supérieure des TCC par rapport à d’autres approches thérapeutiques, dont
la psychanalyse. Pourtant, malgré la qualité scientifique de ce travail, il n’a
pas été clairement pris en compte par les autorités sanitaires. Ainsi, la Haute
Autorité de la Santé, dans ses recommandations de 2017 sur la dépression,
a affirmé l’importance des psychothérapies dans ces prises en charge, mais
en insistant sur les thérapies de soutien effectuées par des médecins géné-
ralistes non formés… (et non sur les thérapies structurées effectuées par des
psychothérapeutes formés). Ce qui est déjà un peu curieux. Pourquoi ne pas
d’emblée proposer des thérapies reconnues efficaces ? N’est-ce pas une perte
de chance pour les patients ? De plus, quand la HAS évoque les thérapies
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

structurées dont les TCC et la psychanalyse, elle affirme qu’il n’y a pas de
différence d’efficacité entre elles. Pourtant, ce n’est ni le résultat du rapport
Inserm, ni celui qui ressort de la littérature scientifique. D’ailleurs, l’Organi-
sation Mondiale de la Santé, qui recommande aussi les psychothérapies pour

1. Canceil O., Cottraux J., Falissard B., Flament M. (2004). Psychothérapie : Trois approches
évaluées, éd. Inserm.
2. Hunsley J., Di Giulio G. (2002). Dodo bird, phoenix or urban legend ? The question of psycho-
therapy equivalence, The Scientific Review of Mental Health Practice, 1, 11-22.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

la dépression, ne recommande que les approches TCC ou des méthodes


proches – la psychanalyse n’est pas évoquée1.
D’où provient cette neutralité molle des autorités sanitaires en France ?
Sans doute plus de la volonté de ne fâcher personne – ni les médecins, ni
les psychanalystes – plutôt que de rendre compte des preuves scientifiques.
Et si c’est le cas, tant pis pour les patients en France…

4.4.4 Que conclure sur l’efficacité des psychothérapies


en général et des TCC en particulier ?
Tout d’abord, les psychothérapies ont démontré leur efficacité. Ce qui
détermine cette efficacité, ce sont en grande partie les facteurs communs,
dont les qualités du patient, celles du thérapeute et la qualité de l’alliance
thérapeutique qui s’instaure entre eux. Il est prouvé aussi que les TCC
sont efficaces, probablement plus que les autres formes de psychothérapies,
comme le reconnaissent les autorités sanitaires internationales et bien que
cette dernière affirmation ne fasse pas consensus en France pour des raisons
politiques et culturelles (et malheureusement ni sanitaires, ni scientifiques).
On peut affirmer a minima qu’en l’état actuel de la recherche scientifique
l’approche thérapeutique qui recueille le plus de preuves en faveur de
son efficacité, ce sont les TCC et que, quand des études de comparaison
aboutissent à des résultats qui différencient les approches entre elles, ce
sont régulièrement des approches TCC qui ressortent avec la plus grande
efficacité.
Cependant, un thérapeute TCC et les patients qui s’engagent dans ce
type de thérapie doivent rester conscients que ce qui fera que la thérapie
conduira à un résultat positif, ce seront leur engagement mutuel dans la
thérapie et leur collaboration active au sein d’une relation de confiance et
de qualité. Les TCC sont efficaces si elles sont pleinement exercées, et cela
dans de bonnes conditions. Sinon leur efficacité peut être réduite à néant.
Et comme toutes les psychothérapies, elles demandent de l’engagement et
des efforts, ainsi qu’un certain courage pour envisager des changements,
puis… les vivre.

1. https://www.who.int/mental_health/mhgap/evidence/depression/fr/ (consulté en
décembre 2019).

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Les TCC : histoire, théories et approche scientifique ■ Chapitre 1

5. Conclusion
Les thérapies comportementales et cognitives sont un ensemble de
thérapies qui se sont intégrées progressivement et qui sont toutes des
psychothérapies fondées sur des preuves scientifiques. Elles s’ancrent
d’abord théoriquement dans les deux premières théories du condition-
nement (ou de l’apprentissage) qui se sont développées tout au long du
xxe siècle : apprentissage répondant de Pavlov et apprentissage opérant de
Skinner. Ces théories du conditionnement expliquent et conceptualisent
les techniques thérapeutiques comportementales. À leur suite, les théo-
ries et les approches cognitives apparues à partir des années cinquante
avec la théorie de l’apprentissage social de Bandura, la thérapie rationnelle
émotive d’A. Ellis, puis la psychothérapie cognitive d’A. Beck ont apporté
un cadre et des techniques précises qui constituent les approches cognitives.
Enfin, depuis une vingtaine d’années, sont apparues dans le champ TCC des
thérapies émotionnelles fondées sur les théories des processus émotionnels.
Toutes ces approches, dites de première, deuxième et troisième vagues
s’intègrent, se complètent et s’articulent pour donner les psychothérapies
cognitivo-comportementales (émotionnelles ?), qui sont pratiquées mainte-
nant à grande échelle à peu près partout dans le monde. Ces thérapies ont
démontré à de nombreuses reprises leur pertinence et leur efficacité pour
de nombreux troubles touchant diverses populations (enfants, adolescents,
adultes, personnes âgées…). Même si ce constat est parfois contesté en
France (il l’est rarement au-delà de nos frontières), il est très probable que
les TCC aient, actuellement, une efficacité plus grande que la plupart des
autres psychothérapies.
Ces repères historiques, théoriques et scientifiques ayant été posés dans
ce chapitre, nous allons maintenant présenter les pratiques concrètes des
approches TCC.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

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Chapitre 2
Les TCC en pratique

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Sommaire
1. Qui sont les thérapeutes TCC et qui les TCC peuvent-elles aider ?..... 69
2. Pour les TCC, thérapies centrées sur le problème,
qu’est-ce qu’un « problème » ? .......................................................... 77
3. Déroulement d’une TCC ..................................................................... 82
4. L’alliance thérapeutique .................................................................... 90
5. Les principales techniques TCC ......................................................... 94
6. Les principales stratégies TCC selon les troubles psychiques ........... 122
7. Conclusion ......................................................................................... 134

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Concrètement, comment se passe une thérapie cognitivo -


comportementale ?
C’est la question à laquelle cette deuxième partie va répondre, tout d’abord
en présentant les thérapeutes TCC (que l’on appelle parfois des « TCCistes »
– prononcer « técécéhistes »), ainsi que les personnes à qui s’adressent les
TCC et les « problèmes » traités par les TCC. Ensuite, la façon dont se
déroule une TCC sera présentée. Nous verrons juste après les principales
techniques utilisées dans des TCC et nous présenterons alors des exemples
de stratégies thérapeutiques utilisées pour des troubles spécifiques.

1. Qui sont les thérapeutes TCC et qui les TCC


peuvent-elles aider ?
1.1 Les thérapeutes
Le monde de la psychothérapie est un ensemble pas toujours clairement
identifiable (surtout pour des non-professionnels…) de professionnels et de
pratiques, qui regroupe le meilleur mais parfois aussi, malheureusement,
le pire. On y trouve bien sûr des psychothérapeutes formés, expérimentés
et sérieux, c’est le cas général. Mais on y trouve aussi des personnes plus
ou moins formées, parfois un peu exaltées, qui s’autoproclament « théra-
peutes » de quelque chose, abusent de la souffrance psychique des personnes
qui leur demandent de l’aide et ont une pratique souvent plus déstabili-
sante qu’aidante. D’ailleurs jusqu’en 2010, aucune loi ne réglementait ces
pratiques en France ! Tout le monde pouvait se dire « psychothérapeute »
sans aucun contrôle, ni aucune formation de base en psychopathologie ou
en psychothérapie. Mais depuis la loi Accoyer (2004) et surtout son décret
d’application (en 2010, 6 ans après !), le titre de « psychothérapeute » est
réglementé par la loi : ne peuvent le revendiquer que des professionnels
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

remplissant certaines conditions de formation.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Une loi aux bonnes intentions, mais qui rate une partie
de ses objectifs
L’objectif était de protéger le public des Le troisième problème est que la loi
mésusages de la psychothérapie (incom- ne définit pas la « psychothérapie » et
pétences, dérives sectaires, abus de fai- ne réglemente pas son exercice. Donc,
blesse, etc.) ce qui, en soi, est légitime. n’importe qui peut se dire « thérapeute
Que dit la loi française concernant l’usage quelque chose » et exercer des « thé-
du titre de « psychothérapeute1 » ? rapie quelque chose » sans contrôle. Il
suffit d’aller dans les pages jaunes de
Que les professionnels qui ont le droit
l’annuaire, rubrique « psychothérapie
de porter ce titre ne peuvent être que :
(pratiques hors du cadre réglementé) »
— des médecins ; pour s’en convaincre ! De nouveaux
— des psychologues ; termes fleurissent avec « thérapeute »
— des psychanalystes inscrits ou « psycho », comme préfixe ou comme
dans les annuaires des écoles de suffixe car seul le terme « psychothé-
psychanalystes ; rapeute » est réglementé… Le terme le
plus utilisé par les personnes n’étant ni
— des psychothérapeutes ayant 5 ans
psychologues ni médecins est « psycho-
d’exercice en 2010 et étant agréés par
praticien ». Comment le public pourrait
une commission de l’Agence régionale
s’y retrouver ?
de Santé.
Donc, la loi garantit seulement (et en par-
Premier problème : les diplômes de
tie) qu’un professionnel reconnu « psy-
médecin et de psychologue, ainsi que le
chothérapeute » par l’Agence Régionale
nom de « psychanalyste » (qui n’est pas
de Santé, sera le plus souvent (pas tou-
réglementé) ne garantissent en rien une
jours…) soit psychologue, soit médecin,
formation à la psychothérapie (même si
et qu’il ait une formation de base en
les médecins psychiatres et les psycho-
psychopathologie. C’est déjà un pre-
logues cliniciens ont une formation obli-
mier filtre pour écarter partiellement
gatoire en psychopathologie).
les personnes sans formation de base.
Le deuxième problème est que le mot Cependant cela n’apporte pas la garantie
« psychanalyste », de même que « école d’une formation ni de compétences en
de psychanalyse », ne sont pas régle- psychothérapie !
mentés et ne correspondent à aucun
C’est donc une loi à la portée très limitée
diplôme d’État, c’est donc une brèche
et qui est peu protectrice du public.
importante dans la loi censée garantir
une formation minimale garantie par Cela est accentué par l’absence d’Ordre
la loi. des psychothérapeutes (ou des psycho-
logues), comme il en existe à l’étranger
ou, en France, pour les médecins.

1. Site Légifrance, décret n° 2010-534 du 20 mai 2010 relatif à l’usage du titre de


psychothérapeute.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Ainsi, pour trouver un psychothérapeute correctement formé et compé-


tent, on peut s’assurer qu’il est reconnu comme psychothérapeute par l’ARS
(Agence régionale de Santé) et donc qu’il figure sur la liste Adeli des psycho-
thérapeutes – on peut le vérifier auprès de l’ARS de sa région (il suffit de leur
envoyer un mail). S’il est médecin psychiatre ou psychologue clinicien, c’est
la garantie d’une formation de base (souvent) sérieuse en psychopathologie.
Cela signifie qu’il connaît les troubles psychiques (mais pas forcément les
psychothérapies…). Il faut aussi vérifier s’il est formé à la psychothérapie. Si
c’est le cas, il est le plus souvent dans l’annuaire de l’école de son approche
psychothérapeutique, celle qui l’a formé, ce qui est d’ailleurs en soi un indice
rassurant (bien que de nombreuses écoles aux noms plus impressionnants
les uns que les autres existent et sèment la confusion en délivrant sans
contrôle titres, attestations et autres agréments… en « thérapies » diverses
et variées – il peut être difficile de s’y retrouver pour les patients et leurs
proches). Il y aurait environ 10 000 psychothérapeutes en France, mais ce
chiffre est approximatif et difficilement vérifiable.
Concernant les TCC, il faut vérifier que le psychothérapeute figure dans
les annuaires des thérapeutes des associations TCC, en particulier l’As-
sociation française des TCC1, en allant sur le site de l’AFTCC2. Cette liste
répertoriait environ 1 000 thérapeutes en France fin 2019. Si un profes-
sionnel figure, c’est qu’il est psychologue clinicien (ou équivalent) ou
psychiatre et qu’il a suivi des formations longues en TCC. S’il est estampillé
« TP » (thérapeute praticien), cela implique qu’il est engagé régulièrement
dans des formations continues et qu’il est supervisé par un collègue plus
expérimenté. C’est un gage de sérieux. De toute façon, un patient ne doit
pas hésiter, avant de s’engager avec un psychothérapeute, à faire quelques
vérifications : psychiatre ? psychologue ? ni l’un ni l’autre ? Formé aux TCC
ou non ? et à poser quelques questions au psychothérapeute qu’il rencontre.
D’ailleurs, un thérapeute sérieux et compétent commencera par se présenter
au patient lors du premier rendez-vous, à indiquer son statut et à expliciter
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

les approches qu’il utilise et auxquelles il est formé.


Les psychothérapeutes TCC sont des hommes et des femmes qui ont choisi
le métier de psychothérapeute pour des raisons qui leur sont personnelles,
mais qui ont souvent en commun le désir d’aider les personnes en diffi-
cultés psychologiques et de mieux comprendre la vie psychique en général,

1. À laquelle j’appartiens en tant que membre. C’est la plus grosse association de TCC en France.
2. aftcc.org, voir la carte des membres.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

ainsi que les moyens de la faire évoluer quand elle dysfonctionne et produit
des troubles psychiques. Ils ont donc fait des études spécifiques, à savoir
pour la très grande majorité : des études de médecine avec une spécialité en
psychiatrie ou des études de psychologie clinique et de psychopathologie
à l’Université. Après ces études supérieures de haut niveau (doctorat de
médecine en faculté de médecine, ou master, voire doctorat de psychologie
clinique et psychopathologie à l’Université), ils se sont formés aux thérapies
comportementales et cognitives en deux ou trois années supplémentaires
dans des formations spécialisées. Tous ont et ont eu des temps de supervi-
sion, c’est-à-dire qu’ils ont commencé à pratiquer et qu’ils pratiquent encore
en étant supervisés par d’autres thérapeutes expérimentés.

Où se former en TCC en France ?


Il existe plusieurs possibilités en 2 ou Thérapie comportementale et cogni-
3 ans, après une formation initiale en tive)2 qui est situé à Lyon mais qui
psychiatrie ou en psychologie : délivre des formations dans diverses
— par l’AFTCC1 dans plusieurs lieux en villes ;
France – Paris, Orléans, Tours, Rennes, — par le biais de diplômes universitaires
Bordeaux, Strasbourg etc. ; (DU) : par exemple à l’université Paris-
— par l’IFFORTHECC (Institut francophone Descartes, aux universités de Savoie
de Formation et de Recherche en et de Lyon-1, ou encore de Lille et d’Aix
(voir leurs sites).

1. aftcc.org
2. http://www.ifforthecc.org

Puis, tout au long de leur carrière ils participent à d’autres formations,


colloques, journées de travail entre collègues, etc. Ainsi, ils se forment tout
au long de la vie pour ne pas perdre leur niveau initial, pour développer leurs
compétences et pour faire évoluer leurs pratiques en fonction des avancées
scientifiques et des nouvelles techniques thérapeutiques.

72

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Psychologues, psychiatres, psychanalystes, psychothérapeutes,


s’y retrouver…
Deux titres réglementés sont sanc- Deux fonctions : psychanalyste,
tionnés par des formations diplômantes psychothérapeute
reconnues par l’État : psychologue et Il s’agit de deux fonctions : le psychana-
psychiatre. lyste exerce la psychanalyse, le psycho-
Les métiers de psychiatre et de psycho- thérapeute exerce la psychothérapie (ce
logue sont réglementés par la loi, seules sont en grande majorité des psycholo-
les personnes ayant validé, par l’obten- gues ou des psychiatres dans les deux
tion de ces diplômes, ces formations cas). Depuis la loi de 2004, « psychothé-
(psychiatrie ou psychologie) peuvent rapeute » est devenu aussi un titre régle-
revendiquer ces titres : « psychiatre » menté (accessible aux psychologues et
ou « psychologue ». Le psychiatre est aux médecins). Mais les formations de
un médecin spécialiste des troubles psychothérapeute sont privées. Le titre
psychiques, le psychologue clinicien est de psychanalyste, lui, n’est ni régle-
un psychologue spécialiste des troubles menté, ni contrôlé par l’État, et n’apporte
psychiques qui aborde ces mêmes donc, en lui-même, aucune garantie.
troubles sous un angle psychologique
(et non médical).

Les psychothérapeutes TCC peuvent exercer en libéral (en cabinet privé),


dans des services hospitaliers psychiatriques publics (par exemple en Centre
médico-psychologique, en hôpital de jour…) ou encore dans des institutions
non psychiatriques mais où des personnes ont besoin de l’aide d’un psycho-
logue (maisons de retraite, services hospitaliers « somatiques »…). Parfois
ils sont thérapeutes à temps plein, d’autres fois ils sont aussi, par exemple,
enseignants et/ou chercheurs à l’Université, en particulier sur des questions
touchant aux psychothérapies.
Les infirmiers psychiatriques peuvent utiliser des techniques TCC s’ils
sont formés, et sous la supervision d’un psychiatre ou d’un psychologue.
C’est le cas aussi d’autres professionnels paramédicaux de santé psychique.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

1.2 Qui peut être aidé par les psychothérapeutes TCC ?


Les études épidémiologiques et psychiatriques internationales montrent
qu’environ 11 % de la population générale souffre d’un trouble mental (préva-
lence à un moment donné). Soit, en France, un peu plus de 6 millions de
personnes qui, en ce moment même, souffrent d’une difficulté psychique
cliniquement significative. Si l’on se penche sur la prévalence vie entière (avoir
un trouble mental durant sa vie entière), on arrive à 25 % de la population
(soit 16,4 millions de personnes en France). Parmi les dix maladies les plus

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

présentes et handicapantes on retrouve 5 troubles psychiatriques (dépression,


troubles bipolaires, schizophrénie…). Ainsi, nombreuses sont les personnes
souffrant de troubles psychiques susceptibles de recourir à la psychothérapie
à un moment ou à un autre de leur vie. En réalité elles sont encore plus
nombreuses, car beaucoup de patients en psychothérapie consultent pour des
difficultés psychologiques qui ne relèvent pas d’un diagnostic psychiatrique.
C’est le cas de malaises diffus ou existentiels, de difficultés peu intenses clini-
quement, de réactions psychologiques à des situations sociales (surmenage,
stress…), de problèmes de couple ou familiaux, etc. Cependant, seulement
1 % des personnes déclarent avoir suivi une psychothérapie en France, ce qui
semble peu (5 millions de personnes quand même1 ! Mais à comparer aux
11 % de personnes souffrant d’un trouble psychique…). D’autant que près de
90 % de ces personnes se déclarent satisfaites de leur psychothérapie.
Les approches TCC s’adressent à tous les patients, des enfants aux
vieillards, en passant par les adultes de tout âge. Elles sont susceptibles
d’apporter une aide dans la plupart des situations psychologiques probléma-
tiques, qu’il s’agisse de gênes psychologiques légères ou de troubles graves.
Pour certaines difficultés, l’aide d’une TCC peut être suffisante et très effi-
cace (la plupart des troubles anxieux légers à modérés, les troubles dépressifs
légers et modérés, certaines difficultés relationnelles, un besoin de soutien,
certains troubles du sommeil, de la sexualité…). Dans d’autres cas elle sera
complémentaire à d’autres aides, comme des suivis médicaux, médicamen-
teux ou institutionnels (hospitalisations…). C’est le cas, par exemple, pour
les troubles mentaux chroniques comme les troubles psychotiques, bipo-
laires ou encore les troubles qui ont une composante somatique importante
comme les addictions, les troubles du comportement alimentaire… Mais
avec le développement des TCC et la multiplicité des techniques et des
stratégies qu’elles proposent maintenant, quasiment tous les problèmes
impliquant des souffrances psychiques peuvent bénéficier, au moins comme
complément d’autres méthodes, d’aide TCC.
Cela dit, pour s’engager avec bénéfice dans une thérapie TCC, le patient
doit présenter certaines caractéristiques :
– il doit être un minimum motivé, c’est-à-dire qu’il doit avoir en lui
l’envie de modifier ce qui lui pose problème, ce qui n’est pas toujours
le cas ;
– il doit reconnaître la part psychologique et personnelle de ses diffi-
cultés, sinon il pourrait souhaiter que ce soient les autres qui changent

1. Sondage CSA pour le journal Psychologie, 2006.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

(sa famille, la société, son médecin !), ou penser que son problème est
purement organique et n’attendre le changement que d’un médicament
miracle ;
– il doit être capable de s’engager dans une relation d’aide, donc de s’ap-
puyer sur un professionnel pour faire évoluer sa situation (certains
patients sont tellement méfiants ou supportent tellement mal l’aide
– « pas besoin, il faut s’en sortir seul » – qu’une psychothérapie peut
être impossible à mener).
– Il doit partager les principes TCC (que le thérapeute lui expliquera en
début de thérapie), à savoir : se centrer sur les problèmes, avoir une
approche pragmatique, des exercices à faire en autonomie, une relation
de collaboration avec le thérapeute, un intérêt pour comprendre son
fonctionnement psychique.
– Il doit aussi pouvoir consacrer du temps et de l’énergie à sa thérapie.
Elle doit donc avoir lieu au bon moment et dans de bonnes conditions :
on ne démarre pas une thérapie avec quelqu’un qui part pour six mois
à l’étranger la semaine suivante, ou qui déclare ne pas avoir le temps
de le faire sérieusement.
– Le sujet ne doit pas être en proie à des difficultés psychiques trop
sévères et actives (dépression grave, risque suicidaire important,
schizophrénie ou troubles bipolaires non stabilisés, anxiété massive
handicapante…), sans quoi la psychothérapie ne pourrait pas démarrer
dans l’immédiat : dans ces situations, un traitement médical (médica-
ment, hospitalisation) peut être un préalable nécessaire.
– Et bien sûr, le problème présenté doit être accessible aux techniques
TCC !
Si la plupart de ces caractéristiques ne sont pas remplies, la thérapie risque
fort de ne pas fonctionner et de tourner court. Le thérapeute vérifiera donc,
lors des premières rencontres, que ces conditions sont globalement remplies.
Et si elles ne le sont pas, il peut travailler sur ce qui fait obstacle à la thérapie
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

avec le patient. Si cela ne fonctionne pas, il pourra l’orienter au mieux, soit


vers un suivi non psychothérapeutique (médecin, assistant social, conseiller
d’orientation…), soit vers une psychothérapie différente en fonction des
besoins, des désirs et de la personnalité du patient. Ainsi, l’orientation
vers une psychothérapie, y compris TCC, ne dépend pas que des troubles
rencontrés par le sujet, mais aussi de ses motivations, de ses attentes, de
ses croyances et de sa personnalité. Il faut donc que le patient trouve l’aide
qui lui correspond : au niveau de la faisabilité matérielle (temps, distance,
coût…), du type d’aide (plus pragmatique et active = TCC, plus introspective

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

et verbale = psychanalyse ; plus communicationnelle et familiale = approche


systémique ; plus dans l’écoute bienveillante inconditionnelle = approche
humaniste rogerienne, plus rapide et suggestive : hypnothérapie…), du type
de relation thérapeutique (plus distante = psychanalyse, plus engagée et
directe = TCC, plus stratégique = approche systémique) et aussi du théra-
peute qui lui convient (âge, sexe, personnalité…).

10 questions pour savoir si vous êtes prêt pour une TCC


(si vous avez des problèmes, bien sûr !)
1) Mes problèmes sont-ils en partie 8) Ai-je du temps et de l’énergie à consa-
liés à des difficultés psychologiques crer à cela dans les mois qui viennent ?
personnelles ? 9) Les conditions matérielles sont-elles
2) Est-ce que ces difficultés psycholo- réunies (disponibilité d’un thérapeute,
giques me gênent ? accessibilité de son cabinet de consul-
3) Est-ce que je souhaite m’en tation, question du coût – dans le privé
débarrasser ? – ou de la prise en charge – dans le
public –, aménagement possible de mon
4) Est-ce que je pense avoir besoin de
planning, etc.) ?
l’aide d’un professionnel pour cela ?
10) Suis-je prêt(e) à commencer
5) Est-ce que je souhaite une relation
maintenant ?
directe et active avec un thérapeute ?
Si vous avez répondu oui à toutes ces
6) Une approche directe, pragmatique,
questions, inutile de perdre du temps,
centrée sur mes problèmes, me convien-
vous êtes prêt pour un premier contact
drait-elle bien ?
avec un thérapeute TCC ! Si vous avez
7) Suis-je prêt à m’engager dans la thé- un doute, vous pouvez aussi rencontrer
rapie et en particulier suis-je prêt(e) à un thérapeute pour en parler et obtenir
effectuer les exercices que me proposera son avis.
le thérapeute ?

Si une thérapie a plus de chance d’être efficace lorsque toutes les condi-
tions sont remplies, dans la réalité, elles ne sont malheureusement pas
toujours réunies ! Il arrive aussi fréquemment que ces conditions évoluent
au cours de la thérapie : des problèmes peuvent survenir chez le patient
(licenciement, maladie, problèmes chez des proches, etc.), le rendant moins
disponible ; des résistances au changement peuvent se manifester durant la
thérapie ; ou d’autres problèmes peuvent apparaître que le patient n’avait
pas osé aborder lors des premiers entretiens (problèmes sexuels, ou trauma-
tisme dans l’enfance, ou consommation d’alcool, etc.). Il est fréquent que des
obstacles au travail thérapeutique TCC se manifestent durant la thérapie.
Le thérapeute et le patient doivent alors aborder ensemble ouvertement
ces problèmes et ces obstacles, de façon à les surmonter et à retrouver des
conditions favorables à la démarche TCC.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

2. Pour les TCC, thérapies centrées sur le problème,


qu’est-ce qu’un « problème » ?
D’un point de vue général, en psychothérapie, on peut considérer qu’un
« problème » est une difficulté psychologique que la personne ne parvient
pas à surmonter en utilisant ses ressources habituelles, ce qui l’amène à
demander de l’aide à un professionnel. En TCC, quels sont ces « problèmes »
sur lesquels se centre la thérapie. Pourquoi se centrer sur un « problème »
précis ?
Cette question implique trois niveaux de réponse.
Du côté du patient : la réponse la plus simple est qu’un problème est ce
qui pose problème au sujet qui le subit. Le patient peut ainsi dire qu’il est
« trop angoissé », ou qu’il a « des problèmes relationnels », ou « des difficultés
sexuelles », qu’il « se sent triste et fatigué », etc. Tous ces faits peuvent être
des problèmes sur lesquels une TCC peut se centrer et s’appliquer. Ainsi,
c’est le patient qui, ayant identifié un vécu de souffrance en lui, va déter-
miner quel est le problème dont il souhaite l’amélioration. Cette dimension
du problème est essentielle, car la souffrance est souvent la plus forte moti-
vation pour changer, il est donc très important que le thérapeute oriente la
thérapie en tenant compte de ce que le patient a identifié comme problème
source de souffrance pour lui.

Être d’accord sur les objectifs de la thérapie


et sur les problèmes à traiter
Si un patient se plaint d’une anxiété le risque est grand de nuire à l’alliance
importante et qu’il souhaite la traiter en thérapeutique et donc à l’efficacité de la
psychothérapie, mais que le thérapeute thérapie elle-même. Il faut donc qu’il y ait
oriente la thérapie vers un problème un accord explicite entre le thérapeute
d’alcoolisme du même patient sans et le patient sur les objectifs de la thé-
que celui-ci soit vraiment convaincu ni rapie, donc sur les problèmes à traiter.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’accord avec ce choix du thérapeute,

Du côté du thérapeute : le thérapeute a cependant un rôle très important


à jouer au début de la thérapie pour aider le patient à bien identifier les
problèmes qu’il rencontre. C’est la démarche diagnostique ou de bilan. En
effet, très souvent les personnes qui débutent une psychothérapie pour la
première fois sont un peu déboussolées par les difficultés psychologiques
qui les ont envahies et elles ont tendance à les percevoir de façon abstraite et
globale : « je ne me sens pas bien », « je n’ai plus envie d’aller en cours », « on

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

m’a dit que je faisais une dépression », « j’en ai marre de tout, ça ne va pas »,
« c’est mes angoisses », etc. D’autres fois, le patient exprime un diagnostic
clinique précis, parfois après s’être renseigné sur Internet (« je suis agora-
phobe et phobique social », « j’ai un trouble de l’attention avec hyperactivité,
c’est un médecin qui me l’a dit », etc.). Parfois cet autodiagnostic est bon,
d’autres fois, non. Dans tous les cas, le psychothérapeute doit effectuer un
bilan rigoureux lors des premiers entretiens d’une part pour identifier clai-
rement ce qui pose problème au sujet en l’aidant à mieux l’identifier, d’autre
part pour vérifier qu’il n’y a pas d’autres problèmes psychopathologiques
dont le sujet ne parlerait pas, faute d’en être conscient à ce moment-là ou
faute d’oser le dire. Le thérapeute suit donc une démarche diagnostique
rigoureuse. C’est après le bilan fait en interaction et en collaboration étroite
entre eux que le thérapeute et le patient pourront déterminer de façon
précise le ou les problèmes présents qui pourraient faire l’objet d’un travail
thérapeutique.

Passer d’un malaise global et vague à un problème précis


Patient. — Je ne sais pas trop, je me sens T. — En fait, vous semblez surtout
angoissé, je sors plus trop de chez moi. angoissé quand vous devez prendre le
J’aimerais ne plus être angoissé, vous métro ou la voiture et quand vous y pen-
pouvez m’aider ? sez, non ?
Thérapeute. — On va d’abord faire le point P. — Oui, en fait c’est ça. Le reste ne me
ensemble précisément, puis je vous dirai pose pas trop de problèmes, c’est vrai.
si et comment les approches TCC peuvent T. — Donc ce qui pose problème, ça
vous aider. Y a-t-il des moments où vous semble être le fait que ces deux situa-
êtes plus angoissé que d’autres ? tions suscitent de l’angoisse chez vous.
P. — Heu… oui, par exemple dans le métro, Nous allons explorer ce qui se passe de
quand il y a du monde, ou sur l’autoroute, façon plus précise dans ces situations,
j’ai l’impression que je vais m’évanouir… vous êtes d’accord ? etc.
T. — D’accord, y a-t-il d’autres situations Et à travers ces échanges exploratoires
qui produisent ça ? (ici très résumés) émerge progressive-
P. — Chez moi aussi… mais quand j’y ment une compréhension plus précise
pense, chez moi c’est surtout quand je et plus fine du problème du patient.
dois sortir et prendre le métro ou la voi- Cette identification fine du ou des pro-
ture, rien que d’y penser ça m’angoisse… blèmes est un préalable indispensable à
la thérapie.

Ainsi, par ce travail d’exploration systématique et précise, en utilisant les


ressources de l’entretien clinique, de son expérience, ainsi que des outils
standardisés (questionnaires, entretien diagnostic structuré, tests, infor-
mations par l’entourage…), le thérapeute va repérer, d’un point de vue

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

professionnel, objectivement, les problèmes présents chez le patient. Le


problème peut être un trouble psychique identifié et diagnostiqué, mais il
peut aussi ne pas être identifié et, par exemple, correspondre à une difficulté
relationnelle, à une souffrance ou à une gêne non cliniquement signifi-
cative. Donc un problème n’est pas forcément un trouble psychique au
sens psychiatrique. Durant le bilan, le thérapeute TCC informera le patient
de façon adaptée au fur et à mesure de la démarche et il n’hésitera pas à
échanger avec lui à ce propos (« D’après ce questionnaire, il semble que
votre anxiété soit assez élevée et porte plutôt sur la peur d’échouer. Qu’en
pensez-vous ? Cela correspond-il à ce que vous vivez ? »). Il n’hésitera pas
non plus à donner des explications et des informations sur la démarche (« en
fait le score à ce questionnaire permet de savoir comment vous vous situez
par rapport à la moyenne des gens, si vous êtes plus ou moins anxieux par
rapport à cette moyenne ») mais aussi sur les résultats (« vous remplissez
les critères du trouble anxieux généralisé. Avez-vous déjà entendu parler de
ce trouble ? Je vais vous donner quelques explications… »). Cela permettra
ensuite au thérapeute de mettre des mots précis sur les difficultés du patient
et de conclure par un état des lieux clair des problèmes identifiés.

Exemple du résumé d’un bilan des problèmes


à l’issue des premiers entretiens
Le thérapeute. — Donc pour résumer, du problème anxieux. Enfin, bien que
nous avons repéré : d’abord un vécu ça n’apparaisse pas dans les question-
anxieux assez intense, qui vous gêne naires, vous avez évoqué des difficultés
au quotidien et qui semble surtout lié à ponctuelles dans certaines relations, en
des situations précises comme prendre particulier au travail. Il s’agit sans doute
le métro ou l’autoroute. On a vu que ce d’une difficulté à affirmer votre point de
problème correspondait à de l’agora- vue et à défendre vos intérêts. Êtes-vous
phobie, qui est assez importante pour d’accord avec ce bilan ?… On a donc iden-
vous empêcher parfois de sortir de chez tifié trois problèmes (agoraphobie, souf-
vous, ce qui a des conséquences sur vos france dépressive légère et problème
relations et vos activités sociales. Par relationnel). Lequel vous paraît le plus
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

ailleurs il y a aussi en vous un vécu un important à traiter pour commencer ?… À


peu dépressif avec une estime de vous- mon avis, commencer par l’agoraphobie
même un peu basse, pas assez intense serait le mieux, car si on l’améliore, cela
pour mener à un diagnostic clinique, devrait améliorer aussi le vécu dépressif
mais quand même gênante parce que si on ne s’est pas trompé. Et ensuite,
ça crée de la souffrance en vous. On a si c’est nécessaire, nous pourrions tra-
fait l’hypothèse que ces aspects dépres- vailler sur le problème relationnel. Qu’en
sifs étaient sûrement la conséquence pensez-vous ?

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Du côté de la logique thérapeutique cognitivo-comportementale. Pour


s’appliquer efficacement, les thérapies centrées sur les problèmes ont besoin
de problèmes à traiter ! Les TCC ne peuvent pas s’appliquer sur des situa-
tions floues et mal définies. Il va de soi que les situations problématiques
présentées par les patients sont en réalité complexes et globales, qu’elles
sont prises dans des interactions multiples, et qu’une part d’entre elles ne
sont pas objectivables. Cependant, l’approche TCC nécessite de réduire la
situation globale du patient en problèmes spécifiques qui seront traités les
uns après les autres. Si la majorité des patients comprennent la logique de
cette démarche et l’apprécient, pour quelques patients ce n’est pas évident
et parfois ils ne saisissent pas la démarche (« oui, je sais, on travaille sur mon
estime de soi, mais j’aimerais vous parler de ma relation à ma mère quand
j’étais enfant… ») et ils n’intègrent pas toujours facilement le fait que l’on
ne puisse pas tout traiter en même temps sous peine de diluer l’efficacité
thérapeutique.
Pour toutes ces raisons, la démarche TCC d’identification des problèmes
(la démarche diagnostique) peut donc être qualifiée de réductrice : elle
décompose une situation globale subjective en plusieurs parties objecti-
vées, clairement identifiées et isolées les unes des autres, que l’on appelle
« problèmes ». En agissant ainsi, les thérapeutes se centrent volontairement
(et centrent les patients) sur une partie seulement de la situation du patient,
laissant les autres parties de côté à ce moment-là (pour y revenir plus tard).
Pourquoi agissent-ils ainsi ? Pourquoi ne pas traiter l’ensemble en une fois
de façon globale (ce qui est le projet des thérapies centrées sur la personne) ?
Parce qu’identifier clairement un problème, l’objectiver et l’isoler, puis le
traiter de façon systématique et stratégique semble tout simplement plus
efficace et plus rapide. Il s’agit de passer d’une compréhension globale,
abstraite et peu constructive de la situation douloureuse telle qu’exprimée
par le patient à une compréhension opérationnelle de la situation du patient
réduite à des « problèmes » identifiés, qui la rendent accessible à la thérapie
et, donc, à une amélioration.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Ne pas oublier l’effet boule de neige


De nombreuses études ont montré, psychique (ici, la confiance en soi), ce
et les thérapeutes et les patients le qui renforce le progrès initial (être plus à
constatent au quotidien, que quand un l’aise dans les relations) et le mieux-être
patient s’améliore sur un problème (par (il peut en être moins déprimé), etc. C’est
exemple les comportements relation- l’effet boule de neige. Ou c’est le cercle
nels), cela a souvent un impact positif vertueux (salutaire ou thérapeutique) qui
sur un autre problème (par exemple, s’installe et qui agit contre les cercles
l’estime de soi), ce qui peut influen- vicieux pathogènes qui caractérisent les
cer positivement une autre dimension troubles psychiques.

Conclusion : la thérapie TCC s’applique sur des problèmes. La première


démarche de la thérapie consiste à saisir dans la situation du patient les
éléments problématiques puis à les objectiver et à les identifier clairement.
Il peut s’agir de symptômes ou de syndromes cliniques, mais aussi de diffi-
cultés non cliniques qui produisent de la gêne ou de la souffrance psychique.
L’identification des problèmes passe par l’écoute du patient et par le ques-
tionnement, mais aussi par une démarche rigoureuse diagnostique et de
bilan, effectuée en collaboration étroite patient-thérapeute. Le choix et
l’ordre de priorité des problèmes à traiter sont aussi discutés entre eux.

Et quand le patient ne reconnaît pas ses problèmes ?


Il est cependant des cas où les patients bipolaires (en particulier dans les phases
n’ont pas une conscience claire de leur euphoriques) ou encore psychopathiques
difficulté, voire n’en souffrent pas. Dans (violences et transgressions légales et
ces cas, c’est à l’entourage (famille, amis) morales sans conscience morale du
ou à la société (police, école, travail…) mal infligé à autrui). Une partie du tra-
que leur fonctionnement psychique vail psychologique avec ces personnes
pose problème. C’est donc l’entourage a, d’abord, pour but de les amener à
qui souffre, pas le patient ! prendre conscience des aspects problé-
Et c’est donc la famille, les amis, la matiques de leur fonctionnement psy-
police, les pompiers… qui déclenchent la chique afin qu’elles s’engagent dans une
prise en charge psychiatrique (hôpital et/ dynamique de changement.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

ou médicament) et psychologique (psy- Il y a donc un travail psychologique


chothérapie). C’est le cas dans certains nécessaire avant la thérapie pour déve-
troubles qui s’accompagnent parfois lopper la conscience des problèmes et
d’un déni des troubles par le patient (on les motivations à changer. Ce travail
dit aussi un manque d’insight), comme peut par exemple s’appuyer sur les tech-
dans les troubles addictifs (alcoo- niques de l’entretien motivationnel1.
lisme…), psychotiques (schizophrénie…),

1. Pour en savoir plus, voir Miller W., Rollnik S. (2013). L’Entretien motivationnel : aider la
personne à engager le changement, Paris, InterÉditions.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

3. Déroulement d’une TCC


Une psychothérapie TCC suit la plupart du temps le même déroulement
général.

3.1 Premier temps : la prise de contact


Le thérapeute accueille le patient dans son bureau, il se présente (son
statut, ses fonctions), il présente le cadre (durée des séances, tarifs) puis les
caractéristiques des thérapies TCC : scientifiques, centrées sur le problème,
actives, collaboratives, etc. Il n’hésite pas à donner des exemples concrets et
à s’assurer que le patient est attentif et intéressé. Puis il explique comment la
thérapie va se dérouler, en particulier les premiers entretiens (d’abord faire
le point sur la situation et le diagnostic, puis voir si les TCC sont indiquées
et, le cas échéant, déterminer les stratégies thérapeutiques). Cette première
phase de présentation peut durer entre 5 et 10 minutes.
Comme pendant tout le déroulement de la thérapie, le thérapeute est
d’emblée très attentif à impliquer le patient par ses questions (« Vous
connaissez les TCC ? », « Ce que je vous ai dit correspond-il à ce que vous
attendiez ? ») par ses remarques et son attitude (ouverte, bienveillante, atten-
tive, professionnelle…). En effet, en même temps qu’il informe le patient, il
favorise dès le départ la construction d’une relation de qualité, nécessaire à
l’efficacité de la thérapie. C’est la construction de l’alliance thérapeutique.

3.2 Deuxième temps : le bilan diagnostic


L’entretien peut se poursuivre par une exploration de la situation. Le
thérapeute questionne le patient à propos de plusieurs dimensions psycho-
sociales de sa vie (travail, famille, relations sociales, vie affective, loisirs…).
En plus de connaître le contexte des problèmes à traiter, cela permet de
repérer les stresseurs (ce qui est problématique dans son environnement)
et les soutiens du patient (ce qui, au contraire, l’aide et le satisfait), ainsi
que les éventuelles conséquences sociales des problèmes (arrêt de travail ?
Vie sociale pauvre ? Limitation des satisfactions ou loisirs ? Problèmes fami-
liaux ? etc.). Le thérapeute questionnera aussi le patient sur ses éventuels
suivis médical et psychothérapeutique antérieurs ou en cours, sur leurs
effets et sur ce qu’il en pense (ce qui est très utile pour orienter la thérapie).
Il est important aussi de savoir s’il y a des traitements en cours (qui peuvent
influer sur la vie psychique) et/ou des maladies somatiques présentes ou
passées qui pourraient avoir une influence sur ses difficultés psychiques.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Le thérapeute peut ensuite questionner le patient sur sa demande.


« Pourquoi avez-vous pris rendez-vous ? » ou « qu’est-ce qui vous pose
problème ? »… Cela permet de cerner les attentes du patient mais aussi
la façon dont il perçoit et exprime ses difficultés. Est-il lucide ? Motivé ?
Découragé ? Ce qu’il demande est-il réaliste ? Le psychologue aide le patient
à y voir plus clair dans ce qu’il attend de lui et en discute. Psychothérapeute
et patient devront se mettre d’accord sur les objectifs d’un travail commun.
Les TCC sont des approches structurées. Avant d’engager une démarche
thérapeutique active, le psychothérapeute fait un bilan psychopatholo-
gique précis. Pour cela il questionne le patient sur ses symptômes, mais
cette démarche d’entretien est complétée par des outils diagnostiques
objectivants, validés scientifiquement (par exemple, des questionnaires de
psychopathologie générale, de dépression, d’anxiété, d’affirmation de soi…
et des entretiens diagnostiques standardisés comme le MINI1, le SCID2, le
SIDP-IV3) qui permettent de repérer rapidement les symptômes cliniques et
les troubles psychopathologiques présents. Ces outils d’évaluation clinique
sont très nombreux et il appartient à chaque thérapeute de les proposer au
patient en fonction de ce qu’il cherche à explorer. Le thérapeute n’hésitera
pas à compléter son diagnostic de base par une exploration plus fine de tel
ou tel trouble si cela lui semble pertinent. Par exemple, à l’aide de l’entretien
MINI qui explore une dizaine de diagnostics, les plus courants, le thérapeute
pourra avoir repéré un trouble anxieux généralisé (selon les critères du
DSM-IV-R – Diagnostical and Statistical Manuel). S’il estime pertinent de
mieux cerner ce trouble chez ce patient-là, il pourra lui donner à remplir des
questionnaires spécifiques pour cerner l’intensité de son anxiété ou encore
pour repérer le type de peurs dominant son trouble anxieux.
Cette démarche diagnostique et exploratoire est très importante pour
approfondir l’alliance thérapeutique, car le thérapeute, par son écoute et la
pertinence de ses relances et de ses reformulations, montre au patient sa
façon d’interagir et sa volonté de comprendre sa situation avec empathie
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

et en profondeur.

1. Mini International Neuro-Psychiatric Interview, Sheehan et al., 1992.


2. Structured Clinical Interview for DSM-III-R, First et al., 1995.
3. Structured Interview for DSM-IV, Pfohl et al., 1997.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

3.3 Troisième temps : synthèse, définition des problèmes,


objectifs
Le troisième temps de la thérapie consiste en la synthèse que le thérapeute
expose au patient de ce qu’il a compris de ses difficultés et de l’identifica-
tion des problèmes à traiter. Tout d’abord, il peut indiquer les diagnostics
cliniques repérés, s’il y en a. En expliquant au patient le sens des mots et
des concepts qu’il emploie, si nécessaire, il apporte aussi des informa-
tions concrètes sur les diagnostics repérés (comme la prévalence, les soins
possibles, les évolutions…). Bien sûr, pour transmettre un diagnostic direc-
tement à un patient dans un cadre psychothérapique, il faut, d’une part, que
le diagnostic soit sûr et, d’autre part, qu’il soit pertinent de le transmettre de
cette façon-là, à ce moment-là et à ce patient-là. Si, par exemple, transmettre
un diagnostic de trouble anxieux (phobie, attaques de panique) ne pose
généralement pas de problème, il n’en est pas de même pour des diagnostics
plus lourds qui nécessitent un suivi médical (troubles schizophréniques,
bipolaires…). Dans ces derniers cas, il sera plus prudent et plus efficace de
travailler en collaboration avec un psychiatre (voire un médecin généraliste
dans certains cas) pour anticiper la prise en charge médicale, mais aussi pour
faire confirmer le diagnostic par un collègue. Cependant, quand le diagnostic
est transmis, le thérapeute peut conseiller des lectures (en particulier de
self-help books, c’est-à-dire de livres écrits par des professionnels sur ces
troubles pour que les patients puissent apprendre à s’aider eux-mêmes). Ces
informations devront être exactes et porteuses d’un espoir réaliste. Souvent
les patients sont très intéressés par ces informations, qui leur donnent les
moyens de comprendre et d’entrevoir des possibilités d’action pour lutter
contre leurs difficultés. Après la transmission des diagnostics, le thérapeute
peut indiquer les autres problèmes qu’il a repérés, comme des difficultés de
couple ou de travail. Il s’agit en quelque sorte de « poser les problèmes sur la
table » pour bien les identifier. Cela permet aussi de les comprendre dans leur
histoire et leurs interactions. C’est une compréhension globale du cas, ou une
conceptualisation du cas. Le thérapeute la propose au patient sous forme
de résumé. Ils en discutent et le thérapeute vérifie qu’ils sont globalement
d’accords sur cette compréhension globale de ce qui produit le problème.
Une fois cela fait, le thérapeute demandera : « Êtes-vous d’accord avec le
résumé que je viens de faire ? », mais aussi : « Voyez-vous d’autres choses
que j’aurais oubliées ? » Le thérapeute peut aussi pointer ce qui va dans la
vie du patient, car le positif participe aussi de la thérapie et il est rare que
tout aille mal !

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

La conceptualisation du cas, qui est globale, laisse ensuite place à une


démarche plus analytique et réductrice dans laquelle les problèmes seront
isolés les uns des autres (« il y a d’une part un problème lié à votre surin-
vestissement au travail, un problème de dépression et aussi un problème
de dépendance à l’alcool ».) N’oublions pas que les TCC sont des thérapies
centrées sur les problèmes ! Sur cette base, thérapeute et patient vont déter-
miner les problèmes prioritaires dont ils s’occuperont. En bref, ils répondent
à la question : par quoi commencer ?
Une fois le problème déterminé, patient et thérapeute se mettent d’accord
sur des objectifs réalistes à atteindre et sur les moyens à mettre en œuvre,
au moins approximativement (nombre de séances, étapes du traitement,
types d’exercices probables, etc.). C’est le contrat thérapeutique, qui est le
plus souvent oral et n’est qu’un engagement moral. Parfois il fait l’objet d’un
contrat écrit et signé afin de renforcer l’engagement du patient (mais, bien
qu’il soit écrit et signé, sa valeur n’en reste pas moins morale. Ce contrat
n’a bien sûr aucune valeur juridique !).
Notons aussi que cette première évaluation clinique (les résultats aux
questionnaires, les caractéristiques présentes du problème…) constitue la
ligne de base de la thérapie, c’est-à-dire la mesure de l’état clinique initial
du patient. Cette mesure permettra, en la comparant aux évaluations ulté-
rieures (quand la thérapie sera engagée), de vérifier les évolutions du patient
par rapport à cette ligne de base.

3.4 Quatrième temps : l’analyse fonctionnelle


L’analyse fonctionnelle du problème1 (on fait l’analyse fonctionnelle
problème par problème, il peut y avoir plusieurs analyses fonctionnelles
pour un même patient) est ce qui permet de préciser le problème (histoire,
durée, fréquence, intensité des conséquences…) mais surtout elle consiste
à identifier précisément les éléments en jeu du problème au moment même
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

où il se produit, en particulier les situations où il se produit, les émotions


qui lui sont liées, les cognitions (pensées automatiques) associées ainsi que
les comportements du sujet lors du problème. L’analyse fonctionnelle se fait
souvent à l’aide de supports de type tableaux ou grilles dont se servent les
thérapeutes TCC, qui reprennent ces éléments et sont remplis par le patient

1. Herman de Vries, l’analyse comportementale, la conceptualisation des cas en thérapie


comportementale et cognitive, Le Lien Psy, Revue de la Société Algérienne de Psychiatrie, n° 10,
décembre 2010, p. 5-10.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

avec l’aide du thérapeute (par exemple la grille SECCA de J. Cottraux, la


grille SORC de Kanfer et Saslow, la grille BASIC IDEA de A. Lazarus). Une
fois les éléments mis en évidence, leur interaction est à son tour discutée. Par
exemple (en résumé) : « Il semble que quand vous avez un dossier à traiter
au travail (situation), vous vous dites « Je n’y arriverai jamais, je ne suis pas
à la hauteur » (pensées automatiques), cela déclenche de l’anxiété et de la
tristesse assez intenses (émotions), ce qui vous amène à vous décourager
et à ne pas traiter le dossier (comportement). Ce qui en retour renforce
les pensées automatiques (« Je n’y arriverai jamais… »), etc. On voit bien le
cercle vicieux qui s’installe. Vous êtes d’accord ? Cela peut correspondre à
ce que vous ressentez ? »
L’intérêt de l’analyse fonctionnelle est triple : elle permet au patient, dans
une démarche d’introspection, de prendre conscience des éléments de son
problème et de les objectiver. C’est une première étape qui favorise une
meilleure compréhension de son problème par le patient puis, de ce fait,
sa reprise de contrôle. Elle permet aussi au thérapeute de bien comprendre
la dynamique interne du problème et d’en saisir les processus à l’œuvre,
de repérer ce qui maintient et renforce le problème, pour mieux guider
la thérapie. Et, enfin, l’analyse fonctionnelle est le point de départ de la
thérapie, car elle permet de dégager des pistes d’action et des stratégies
thérapeutiques. C’est pourquoi l’analyse fonctionnelle est indispensable
dans une TCC.
À l’issue de l’analyse fonctionnelle, patient et thérapeute peuvent déter-
miner, par exemple, s’il vaut mieux travailler sur les émotions, sur les
cognitions et/ou sur le comportement et par lequel des trois commencer.
Selon les situations, l’analyse fonctionnelle peut durer d’une à deux ou
trois séances. Notons que par la suite, elle peut être affinée ou modifiée en
fonction des éléments qui apparaissent au cours de la thérapie.
Prise de contact, exploration du contexte des difficultés, bilan diagnostic,
étude de la demande, conceptualisation du cas, objectivation des problèmes,
analyse fonctionnelle du problème traité… la thérapie à proprement parler
peut commencer !

3.5 Cinquième temps : détermination et application


de la stratégie thérapeutique
Le choix de la stratégie thérapeutique dépend bien sûr du problème à
traiter mais aussi des processus psychiques qui sont à l’origine du problème.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Les stratégies et les techniques ne sont pas nécessairement les mêmes


selon qu’il s’agit de traiter un trouble dépressif, un trouble panique, une
phobie simple, une addiction, un déficit d’affirmation de soi, une estime
de soi basse, etc. Parfois cependant, pour des diagnostics différents, les
processus en jeu sont les mêmes et impliquent d’utiliser les mêmes tech-
niques thérapeutiques. Derrière ces affirmations se cache un débat très actif
et actuel dans les TCC entre les approches catégorielles/diagnostiques et
les approches processuelles/transdiagnostiques.

3.5.1 Diagnostic ou transdiagnostic ? Catégoriel ou processuel ?


Traditionnellement les troubles psychiques sont classés en catégories
diagnostiques censées être bien distinctes les unes des autres. Par exemple,
le trouble dépressif caractérisé, la phobie sociale, les troubles bipolaires, etc.
(il y en a environ 300 dans le DSM). Donc les stratégies psychothérapiques,
en particulier les TCC, ont longtemps été conçues pour traiter tel ou tel
diagnostic. Ainsi il y a les approches TCC de la dépression, celles pour le
trouble panique, etc. Tous les manuels TCC sont présentés ainsi (telle stra-
tégie pour tel diagnostic), et c’est aussi ce que je ferai dans la partie qui suit.
C’est l’approche catégorielle/diagnostique. Pourtant, une autre approche
émerge, qui provient d’un double constat :
1) les catégories diagnostiques actuelles seraient fragiles et ne refléteraient
pas correctement la réalité des troubles psychiques ;
2) en psychothérapie, on travaille essentiellement sur des processus
psychiques (comme l’évitement, la flexibilité cognitive, la prise de
conscience…) qui sont transversaux à plusieurs diagnostics.
Il vaudrait donc mieux se centrer sur ces processus à faire évoluer et sur
les techniques que l’on utilise pour cela, plutôt que sur des diagnostics peu
fiables. De cela découlent les approches processuelles et transdiagnostiques.
Cependant, il y a une structure générale et des principes communs à
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

presque toutes les stratégies TCC.


Tout d’abord la démarche thérapeutique suit, étape après étape, la logique
suivante : hypothèse (« Il est possible que votre angoisse soit déterminée en
partie par cette pensée automatique ») – méthode pour vérifier l’hypothèse
(« Nous pourrions travailler cette pensée pour voir si l’hypothèse est juste
et si ce travail a un effet sur votre angoisse ») – test de l’hypothèse (appli-
cation de la technique thérapeutique pour vérifier l’hypothèse) – résultats
(« Après l’exercice, à quelle intensité est votre angoisse ? En même temps
que vous appliquez l’exercice dans la semaine, observez si vous voyez des

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

évolutions ») – conclusion (« Qu’avez-vous constaté ? Qu’en pensez-vous ?


Ça peut donc valoir le coup que nous continuions dans cette voie, non ? »).
Ensuite, quasiment toutes les stratégies TCC utilisent plusieurs techniques
parmi les techniques cognitives, comportementales, corporelles (relaxation)
et émotionnelles. Les TCC sont intégratives aussi dans la pratique concrète,
et rares sont celles n’utilisant qu’un seul type de technique. Par exemple,
parfois, il est préférable de commencer par des approches cognitives de
façon à modifier les pensées dysfonctionnelles qui aggravent le trouble. En
effet, un patient qui, par exemple, est convaincu que s’il touche un objet
non désinfecté, il mourra d’une maladie infectieuse, aura du mal à faire des
exercices comportementaux d’exposition (comme toucher un objet non
désinfecté). C’est pourquoi il peut être important de commencer par lui faire
prendre conscience des aspects irrationnels de ses cognitions et de l’amener
à trouver des pensées plus rationnelles et réalistes (pensées alternatives). Les
techniques d’exposition pourraient en être facilitées. Cela vient en complé-
ment des techniques comportementales (comme l’exposition, l’affirmation
de soi…). De plus, après une technique comportementale, le thérapeute
invitera le patient à réfléchir sur les effets cognitifs de cette expérience (cela
change-t-il son point de vue ? Quelles conclusions en retire-t-il ?).
Un autre aspect commun à toutes les stratégies TCC est l’évaluation
régulière de l’évolution du patient. À des moments opportuns, le thérapeute
propose au patient de remplir à nouveau des questionnaires et d’autres
mesures qu’il avait passées au début de la thérapie (qui donnaient la ligne de
base). Ainsi, la comparaison de ces résultats avec ceux initiaux permet d’ob-
jectiver l’évolution du sujet (amélioration, stagnation, détérioration ?). Ces
mesures objectives viennent compléter (et non remplacer) les impressions
subjectives du patient et du thérapeute. D’ailleurs, à la fin de la thérapie,
un point est fait sur son résultat global, et des conclusions générales sur
l’évolution du patient sont tirées par le thérapeute et le patient.
Si, à l’issue du traitement d’un problème, il s’avère qu’un autre problème
est à traiter (un problème déjà évoqué lors du diagnostic initial ou un
problème dont le patient vient seulement de parler – ce qui peut être le
cas pour des problèmes intimes, comme des problèmes sexuels) et que le
patient souhaite le faire, alors la démarche générale reprend complètement
à partir de l’analyse fonctionnelle de ce nouveau problème. Sinon, s’il n’y a
plus de problème à traiter, c’est la fin de la thérapie.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

3.6 Sixième temps : fin de la thérapie, prévention des rechutes


Avant de mettre fin à la thérapie, en TCC, on réévalue la situation. Cela
consiste à reprendre tout ce qui a été fait durant la thérapie et à pointer
l’évolution du patient de façon à mieux comprendre son état actuel. Il est
important d’être précis et rigoureux dans cette évaluation, en utilisant les
mêmes outils d’évaluation qu’au départ. Cela permet au patient d’être bien
conscient de l’ampleur des évolutions, mais aussi qu’il puisse être au clair
sur ce qui reste fragile. Il est important aussi, avant d’arrêter, de mettre en
place une stratégie de prévention des rechutes. En effet, un des objectifs des
TCC est de donner au patient une capacité d’autocontrôle de ses troubles.
C’est-à-dire de lui donner les moyens de gérer par lui-même ses troubles
en cas de rechute : savoir les repérer, savoir agir au mieux pour les juguler
soi-même (ce qui est souvent possible après une TCC réussie) et, si ça ne
suffit pas, savoir demander l’aide d’un professionnel au bon moment, sans
trop attendre. Pour cela, il faut que la thérapie elle-même se soit déroulée
dans une vraie relation de collaboration, avec un thérapeute partageant son
savoir et ses techniques avec un patient motivé pour se les approprier et
convaincu de leur utilité. Mais il peut aussi être utile, en fin de thérapie, de
créer avec le patient une sorte de récapitulatif formel (sous la forme d’un
livret par exemple, un « guide de survie ») indiquant ce qu’il pourrait faire
concrètement en cas de rechute, comment repérer des signes avant-cou-
reurs des troubles et rappeler les techniques qui ont bien fonctionné avec
lui et qu’il peut réutiliser en autonomie. Et de préciser aussi à quel moment
il devrait contacter un professionnel en cas de besoin.
Ensuite, selon les cas, la thérapie peut s’arrêter rapidement ou progres-
sivement (on espace progressivement les rendez-vous).
Par ailleurs, le plus souvent, un entretien de suivi post-thérapie est
proposé au patient 2-3 mois après la fin de la thérapie de façon à refaire un
point ensemble, patient et thérapeute, sur le maintien des améliorations
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

ou, si ce n’est pas le cas, à comprendre pourquoi et à élaborer une stratégie


pour les retrouver.
Enfin, une fois la thérapie terminée, le thérapeute reste disponible en cas
de besoin et le dit explicitement au patient.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

4. L’alliance thérapeutique
Nous venons de présenter le déroulement d’une TCC d’un point de vue
pratique. Mais aussi parfait que puisse être ce déroulement pratique et tech-
nique, sans une relation de confiance entre le patient et le thérapeute, sans
alliance thérapeutique, une thérapie (quelle qu’elle soit) perd une grande
part de son efficacité. L’alliance thérapeutique doit accompagner le dérou-
lement de chaque psychothérapie du début à la fin. Cela est vrai aussi dans
les TCC.

4.1 Un élément essentiel de l’efficacité


On peut décrire le déroulement de la thérapie, ainsi que toutes les stra-
tégies et les techniques existantes, un thérapeute peut les connaître sur le
bout des doigts, dans leurs moindres détails techniques, mais s’il n’y a pas
une bonne alliance thérapeutique entre patient et thérapeute, tout cela ne
sera pas, ou peu, efficace. Une psychothérapie est fondée essentiellement
sur une relation. Comme nous l’avons vu au premier chapitre (« Les TCC
sont-elles efficaces ? », p. 53), l’alliance thérapeutique semble être le prin-
cipal facteur prédicteur de l’efficacité d’une psychothérapie. Elle se met en
place dès les premiers instants de la thérapie et doit être soigneusement
entretenue tout au long de la thérapie et même après sa fin, dans la façon
dont le thérapeute fera part de sa disponibilité.

4.2 Une longue histoire


C’est d’abord dans la psychanalyse, avec Freud et les concepts de trans-
fert/contre-transfert, au début du xxe siècle, qu’a été théorisée la relation
entre le thérapeute et son patient et qu’a été reconnue son importance
dans le déroulement de la thérapie. En 1956, les termes d’« alliance théra-
peutique » ont été utilisés pour la première fois (par Zetzel). L’auteur qui a
considérablement marqué la conception de la relation thérapeutique par
la suite est Carl Rogers, avec ce qu’il appelait la « relation d’aide », dont il
affirmait qu’elle était nécessaire et suffisante à l’efficacité thérapeutique.
Cependant, des études ultérieures ont montré que si elle était nécessaire,
elle n’était pas suffisante (Bordin en 1970). Dans les années suivantes, un
autre auteur a marqué la compréhension de ce phénomène, il s’agit de
Luborsky, qui a proposé le concept d’« alliance aidante ». Gaston, dans les
années quatre-vingt-dix, a prolongé les études sur ce thème en précisant
les différents concepts d’alliance. Depuis plusieurs décennies, la notion

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

d’alliance thérapeutique fait l’objet de très nombreuses études scientifiques


qui, toutes, confirment son importance comme principal facteur de l’effi-
cacité des psychothérapies.

4.3 Apports des définitions de Freud et Rogers


Dans les théorisations psychanalytiques de Freud, la relation est au cœur
de la thérapie. L’objectif de la thérapie serait d’ailleurs l’analyse de cette
relation, conceptualisée sous l’angle du « transfert ». Le transfert est le fait
que dans la relation avec le psychanalyste, le patient répéterait (transfé-
rerait) inconsciemment (car elles seraient refoulées et inconscientes) les
relations d’objet de son enfance (celles faites d’amour et de haine envers
ses parents). Donc, analyser le transfert reviendrait à analyser les relations
affectives refoulées de la petite enfance qui s’actualiseraient dans la relation
thérapeutique.
Pour Carl Rogers, l’attitude du thérapeute dans la relation d’aide doit être
faite d’empathie, d’authenticité ou de congruence1 et de chaleur. Le théra-
peute devrait être aussi dans une attitude d’acceptation inconditionnelle
de la vie psychique du patient. Ces caractéristiques de la relation devraient
suffire à favoriser la dynamique d’accomplissement du sujet, dynamique
entravée par ses difficultés psychiques.
Ces deux définitions marquent encore aujourd’hui les conceptions de la
relation thérapeutique, d’une part en reconnaissant qu’elle n’est pas indé-
pendante des expériences relationnelles passées du patient et du thérapeute
et, d’autre part, du fait que les caractéristiques de l’attitude du thérapeute
développées par Rogers sont toujours d’actualité.

4.4 Définitions actuelles


La notion d’alliance thérapeutique a évolué et s’est précisée depuis les
années 1950. Actuellement, en s’appuyant sur ces travaux, on peut synthé-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

tiser ces données et considérer que l’alliance thérapeutique (ou « de travail »


ou « aidante ») repose sur :
– la qualité de la relation thérapeute/patient, qui dépend de l’attitude
du thérapeute (chaleur, empathie, professionnalisme…), mais aussi de

1. La « congruence », concept construit par Rogers, exprime la cohérence du thérapeute avec


lui-même, son authenticité vis-à-vis de lui-même, de ses pensées, des émotions qui le traversent
et dont il est conscient et qu’il accepte en lui, pendant qu’il reçoit le discours du patient. Chez
Rogers, congruence et authenticité sont extrêmement liées.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

celle du patient (motivation, croyance dans la thérapie, engagement,


capacité à bénéficier de la thérapie…) ;
– la dimension affective de cette relation (les protagonistes s’apprécient
ou au moins se respectent, le patient se sent aidé et soutenu, le théra-
peute est empathique, bienveillant et motivé dans cette thérapie) ;
– l’accord thérapeute/patient sur les objectifs du traitement ;
– l’accord thérapeute/patient sur la façon dont se déroule le traitement
(les tâches effectuées, les techniques utilisées…).

4.5 La construire et l’entretenir dans les TCC


Les TCC proposent un type de relation et d’alliance thérapeutique spéci-
fique, constitué du côté du thérapeute de bienveillance, d’authenticité, de
chaleur, d’empathie, d’activité, de créativité, d’implication…, et, du côté du
patient, de respect, de confiance, d’engagement, d’actions, d’affirmation de
son point de vue…
On parle en TCC d’une « relation de collaboration », dans le sens où
patient et thérapeute travaillent ensemble afin d’améliorer les problèmes
du patient. Ainsi, les échanges sont nombreux, directs, chacun donnant
son avis, sollicitant celui de l’autre… La confiance doit être importante.
Concrètement, l’avis du patient est régulièrement sollicité (« Qu’en pensez-
vous ? », « Êtes-vous d’accord avec cette proposition ? », « Vous voyez ce que
je veux dire ? »). Le TCCiste n’hésite pas à questionner, voire à remettre en
cause ses hypothèses et ses propositions pour prendre en compte l’avis du
patient.
Régulièrement, le thérapeute sollicite le feed-back du patient sur la
thérapie en cours et sur les techniques utilisées (« Pouvez-vous me dire
ce qui vous a aidé dans cette séance ? », « Y a-t-il des choses qui vous ont
dérangé ? »). C’est une façon de vérifier que thérapeute et patient sont d’ac-
cord sur les tâches et les buts de la thérapie, et, si besoin, de les ajuster. Tout
cela contribue à créer et à maintenir une bonne alliance thérapeutique.

4.6 La reconstruire si nécessaire


Mais même si elle est bonne au départ, il arrive que l’alliance thérapeu-
tique soit difficile à maintenir. Cela peut provenir du thérapeute qui a eu une
mauvaise attitude à un moment donné, ou du patient dont la personnalité
peut gêner l’établissement de relations de confiance, ou encore de la thérapie
elle-même dont les résultats se font attendre, ce qui peut porter atteinte à
l’engagement du patient mais aussi du thérapeute… Si l’alliance peut être

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

fragilisée, cela peut souvent se réparer. Un psychothérapeute TCC sérieux


voit régulièrement un superviseur (collègue expérimenté) avec qui il peut
évoquer ses difficultés avec ses patients, en particulier celles liées à une
alliance thérapeutique fragilisée. Le superviseur l’aide alors à comprendre
ce qui se passe et à trouver des solutions pour relancer l’alliance.

Réparer une alliance thérapeutique fragilisée


Première étape de la réparation : repé- et faire part de ses hypothèses (« la der-
rer que l’alliance est fragilisée. nière fois, je crois que je vous ai un peu
Deuxième étape : identifier les causes forcé la main sur telle technique… je n’ai
de cette fragilisation (manque d’enga- pas vraiment pris en compte vos difficul-
gement, de temps, de réussite ? Manque tés. Comment voyez-vous ça ? »).
d’accord sur les buts ? Sur les tâches ? Quatrième étape : trouver ensemble
Mauvaise réaction du thérapeute ? des solutions et les mettre en œuvre
Résistances du patient ?). (« Si ça se reproduit, n’hésitez pas à
Troisième étape : en parler ouvertement me le signaler », « On va laisser de côté
avec le patient (« j’ai l’impression que cette technique pour le moment »,
vous êtes moins engagé dans la thérapie « D’accord, on va plutôt s’occuper de ce
en ce moment… », « j’ai le sentiment que problème nouveau qui vous préoccupe
vous êtes un peu distant ou réticent… ») actuellement »).

4.7 Un effet placebo dans les psychothérapies ?


Si la relation thérapeutique a une telle importance (plus que les techniques
elles-mêmes semble-t-il), cela signifie-t-il que l’efficacité des psychothéra-
pies repose sur l’effet placebo (c’est-à-dire sur des éléments subjectifs et
imaginaires chez le patient et le thérapeute, comme : la croyance dans le
résultat et dans les méthodes dans le cadre d’une relation de forte confiance)
et non sur des éléments objectifs propres aux techniques de la thérapie ?
Sans doute. L’effet placebo est un facteur important en jeu dans les psycho-
thérapies, mais il est aussi très difficile à mesurer dans ce cadre (comment
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

faire un placebo de psychothérapie ?).


Mais supposons que oui, l’effet placebo est actif dans les psychothé-
rapies (avec d’autres facteurs). Et alors ? En quoi serait-ce un problème,
si cela contribue à l’efficacité de la thérapie et au mieux être du patient ?
Développer au plus haut point, par l’effet de l’imaginaire dans une relation
de confiance partagée, les capacités d’autoguérison du patient, pour aboutir,
à chaque fois que c’est possible, à son amélioration, voire à sa guérison, ne
serait-ce pas œuvrer à une stratégie de soin efficace et non dangereuse ?
Dans ce cas, s’il y a effet placebo, tant mieux ! Cependant il importe que

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

les recherches scientifiques sur les psychothérapies comprennent mieux


ce phénomène et parviennent à l’isoler pour bien comprendre les facteurs
qui favorisent l’efficacité des psychothérapies. Mais dans la psychothérapie
d’un sujet donné, il n’est pas toujours possible, ni nécessairement utile, de
savoir ce qui a été efficace ou non.

4.7.1 Le poids de l’imaginaire dans les troubles psychiques


Par définition, les troubles psychiques entraînent des réactions comporte-
mentales, cognitives et émotionnelles inadaptées et irrationnelles, sinon ce
ne seraient pas des troubles. Une bonne part de ces réactions sont motivées
par des croyances du sujet (« on ne peut pas m’aimer », « Je suis nul », « le
monde est trop dangereux pour que j’agisse sans danger »…) et donc par
son imaginaire, son monde interne. Une grande partie du travail psycho-
thérapeutique porte sur cet imaginaire pour le rendre moins déprimant,
moins anxiogène, moins puissant…
Comme l’effet placebo provient en grande part du pouvoir de l’imaginaire,
il n’est pas étonnant que la psychothérapie en soit imprégnée.
Et soyons clair, l’ensemble des êtres humains, avec ou sans troubles
mentaux, sont « pris » dans leur imaginaire. Mais pour la plupart, leur imagi-
naire n’entraîne pas trop de souffrance et de désadaptation… donc ils n’ont
pas à le travailler ni à en prendre conscience…
Nous avons vu le déroulement général d’une thérapie cognitivo-compor-
tementale et nous avons insisté sur l’importance de l’alliance thérapeutique.
Mais une TCC est aussi constituée d’un certain nombre de techniques
thérapeutiques qui sont appliquées durant la thérapie et qui en forment le
cœur. La diversité et l’efficacité de ces techniques caractérisent les TCC par
rapport aux autres psychothérapies.

5. Les principales techniques TCC


Les TCC proposent un ensemble assez large et, au premier regard, assez
hétéroclite de techniques thérapeutiques. Ces techniques constituent en
quelque sorte les unités d’intervention durant une thérapie cognitivo-com-
portementale. Ainsi, un thérapeute doit maîtriser une bonne partie de
ces techniques de façon à pouvoir les utiliser au mieux en fonction des
difficultés du patient, et suivant la façon dont il réagit à telle ou telle tech-
nique. Ces techniques peuvent être classées en quatre grandes catégories

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

(comportementales, cognitives, émotionnelles et corporelles). Cependant


ces catégories sont un peu artificielles, car chaque technique mobilise le sujet
dans son ensemble et a des répercussions sur sa situation psychique globale
(une technique émotionnelle a des effets cognitifs par exemple). Cependant,
dans un souci de clarté, c’est en suivant ces catégories que seront présentées
ci-après les principales techniques TCC. Notons aussi que le thérapeute,
autant qu’il est possible, structure la thérapie selon une stratégie thérapeu-
tique préétablie qui a fait ses preuves et qui consiste à utiliser des techniques
spécifiques dans un ordre donné, en fonction des difficultés présentées par
le patient. Dans la partie suivante de ce chapitre, après la présentation des
techniques elles-mêmes, seront présentées quelques stratégies thérapeu-
tiques habituellement utilisées en fonction des troubles diagnostiqués les
plus courants. Ainsi, ce n’est pas « au petit bonheur la chance » que les tech-
niques sont choisies, leur ordre d’utilisation est important ! Et ce n’est pas
non plus de n’importe quelle façon que chacune est utilisée, elle doit obéir à
des méthodes bien précises, sous peine d’être inefficace voire parfois, nocive.

5.1 Techniques comportementales


Les techniques comportementales sont les plus anciennes des techniques
TCC. On peut les séparer en deux grandes catégories : celles qui sont fondées
sur les principes de l’habituation (les techniques d’exposition) et celles qui
sont fondées sur la reprise de comportements salutaires qui ont été aban-
donnés, ou sur l’apprentissage de nouveaux comportements.

5.1.1 Habituation et exposition


L’extinction (via l’habituation) est le processus psychique qui au cœur
des techniques dites d’exposition. On peut même penser que l’extinction,
via l’habituation (et l’exposition), est impliquée, ne serait-ce que partielle-
ment, dans l’efficacité de toutes les techniques psychothérapiques, y compris
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

cognitives et émotionnelles. Mais c’est un autre débat…


L’extinction, qui est un concept des théories de l’apprentissage répon-
dant (Pavlov), exprime le fait qu’une réponse (par exemple l’angoisse) à un
stimulus (par exemple, les oiseaux, dans le cas d’une ornithophobie), tend à
s’atténuer, voire à disparaître quand le stimulus est présenté au sujet de façon
durable et répétée sans conséquence négative. En quelque sorte l’organisme
s’épuise à produire la réponse d’angoisse sans raison objective, qui naturel-
lement s’atténue et, dans le meilleur des cas, disparaît : face à un oiseau, la
réponse d’angoisse est désactivée. On dit aussi que le sujet est désensibilisé.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Le fait d’organiser de façon systématique, afin de produire l’extinction et


la désensibilisation, la rencontre durable et répétée du stimulus déclen-
chant la réponse problématique et le sujet qui porte cette réponse, dans de
bonnes conditions, c’est ce que l’on nomme les techniques d’exposition. En
fait ces techniques consistent pour l’essentiel à amener le patient, dans de
bonnes conditions, à éviter les comportements d’évitement, pour favoriser
l’extinction et l’habituation (alors que l’évitement empêche l’habituation en
éloignant le sujet de l’objet anxiogène). Les techniques d’exposition sont de
plusieurs types, mais, dans l’approche traditionnelle, elles doivent obéir à
des caractéristiques précises :
– l’exposition doit être progressive, c’est-à-dire commencer par un
stimulus produisant une réponse d’angoisse moyennement élevée (5
ou 6 sur une échelle de 10), puis se poursuivre par les stimuli produisant
une réponse de plus en plus intense (si les étapes d’avant se sont bien
passées, cette intensité aura diminué aussi par effet boule de neige) ;
– l’exposition doit être longue, aussi longue que nécessaire pour laisser le
temps à l’habituation de s’exercer, cela peut être 10 minutes, mais aussi
40, voire 60 ou même plus encore. L’exercice s’arrête quand l’anxiété
est redescendue environ à la moitié de son maximum ;
– l’exposition doit être complète, c’est-à-dire que le sujet doit s’efforcer
de rester conscient de la situation anxiogène et ne pas s’en détourner
(l’éviter) par quelque moyen que ce soit (en pensant à autre chose, en
regardant ailleurs, en neutralisant sa réaction émotionnelle…). Cela
implique une bonne préparation avec le thérapeute ;
– l’exposition doit être répétée : une fois ne suffit pas (ou exceptionnelle-
ment). Il faut donc répéter l’exercice, au fil des séances, jusqu’à ce que
la réponse ait nettement baissé en intensité. Puis on passe à un objet
ou à une situation anxiogène différents. La répétition peut se faire avec
le thérapeute dans (ou hors) le cabinet de consultation. Mais le plus
souvent, après la première séance d’exposition, le patient est encouragé
à reproduire lui-même cette technique chez lui ou en situation, sans
le thérapeute.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Intensité de l’émotion

L’angoisse monte jusqu’à une zone palier


où elle se stabilise un certain temps,
10 puis redescend

6
Fin de l’exercice, l’émotion
est redescendue assez bas,
4
l’habituation est à l’œuvre !
Présentation du stimulus
2 anxiogène, début de l’exercice,
l’angoisse augmente.

0 10 20 30 40 50 60
Temps (en mm)

Figure 2.1 – Le cycle de l’angoisse durant une séance d’exposition

Intensité de l’émotion

10 1re séance
2e séance
8
3e séance
6 4e séance
5e séance
4

2
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0 10 20 30 40 50 60
Temps (en mm)

Figure 2.2 – Évolution de l’angoisse


au fur et à mesure de la répétition de l’exposition

97

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

5.1.2 Les principaux types d’exposition


La désensibilisation systématique par inhibition réciproque est un
exercice d’exposition au cours duquel le patient se met préalablement en
état de relaxation. Ainsi, l’organisme du sujet « apprend » à associer l’état de
relaxation à la situation qui auparavant était associée à de l’angoisse. Outre
l’effet de l’habituation par exposition, on recherche aussi dans cet exercice
l’effet d’un contre-conditionnement opérant par coïncidence temporelle
(en clair : que soient présents en même temps l’état de relaxation et la situa-
tion anxiogène pour conditionner la réponse de relaxation à la situation
anxiogène). Cette forme d’exposition (avec la relaxation) est moins utilisée
actuellement, car la relaxation peut devenir un évitement ! Et donc empê-
cher l’habituation.
L’immersion (ou le flooding) est une technique d’exposition plus rapide
que les autres, mais à manier avec précaution, car elle consiste à placer le
sujet directement dans la situation la plus anxiogène (soit en réalité, soit
en imagination) puis, en évitant les évitements, à laisser les mécanismes
d’habituation et d’extinction agir jusqu’à ce que l’angoisse redescende.
Cependant, la prudence s’impose car, le sujet étant en situation d’anxiété
massive, il pourrait mal le supporter et arrêter l’exercice, voire la thérapie. Si
l’exposition par immersion ne peut être menée à son terme thérapeutique,
elle peut accroître la sensibilisation au stimulus anxiogène et donc être
pathogène. Cependant, en cas de succès, elle peut être très efficace. Elle est
donc à utiliser dans des cas très spécifiques (manque de temps ou angoisse
modérée, par exemple).
L’exposition graduée est la plus couramment utilisée. À la différence de
la désensibilisation systématique, le sujet n’est pas en état de relaxation, il
doit simplement rester conscient de l’évolution de l’angoisse en lui (vivre
pleinement la situation). On lui demande d’avoir une attitude d’observateur
de ce qui se passe en lui. À la différence de l’immersion, comme son nom
l’indique, l’exposition graduée est progressive, commençant par traiter des
intensités faibles, puis modérées, puis intenses de situations anxiogènes. Cela
limite les risques de sensibilisation et, du fait de la réussite de chaque étape
antérieure, augmente la motivation du patient et les chances de réussite des
étapes suivantes. Cette dynamique augmente aussi la confiance du patient
dans la technique (par renforcement positif) ainsi que l’alliance thérapeu-
tique (confiance dans la thérapie et le professionnalisme du thérapeute).
Il convient donc avec le patient et avant l’exercice à proprement parler de
hiérarchiser les situations anxiogènes selon leur intensité d’angoisse, pour
déterminer celles qui seront l’objet de l’exposition, et dans quel ordre.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Exemple de hiérarchisation des situations angoissantes


dans un cas de trouble panique avec agoraphobie
L’angoisse est évaluée sur 100, 100 étant La stratégie d’exposition pourra, par
le plus fort. exemple, en accord avec le patient,
— Sortir de chez moi = 10 commencer par une exposition in vivo
dans les situations les moins anxiogènes
— Rentrer dans un magasin avec peu de
pour que le sujet constate la diminution
monde = 20
de l’angoisse (par exemple s’asseoir sur
— Prendre le métro = 35 un banc dans la rue ou s’exposer dans
— Rentrer dans un magasin avec de la un centre commercial peu fréquenté).
foule = 55 Puis, pour les situations les plus anxio-
— Prendre le métro aux heures de pointe gènes, une exposition en imagination
= 55 (ou avec des photos, des vidéos…) dans
le bureau de consultation permettra de
— Prendre la voiture à Paris = 65 (30 à la
faire baisser la réaction anxieuse pour
campagne)
préparer le sujet à une stratégie d’expo-
— Sur l’autoroute = 65 sition en réalité (par exemple, s’asseoir
— Prendre un tunnel long (plus de 100 m) dans un wagon de métro d’abord aux
= 80 heures creuses et y rester le temps que
— Prendre l’avion = 80 l’angoisse diminue, puis faire le même
— Prendre un ascenseur = 80 exercice aux heures de pointe). Selon
les situations, il est aussi possible que
le thérapeute accompagne le patient en
réalité pour l’aider à faire ses exercices
(par exemple pour l’ascenseur).

Il y a deux types d’expositions graduées selon qu’elles portent sur des


situations réelles (exposition in vivo) ou sur des situations que l’on demande
au sujet d’imaginer (exposition en imagination). Dans ce dernier cas, l’ex-
position est souvent plus facile pour le patient (car la situation n’est pas
réelle). L’exposition en imagination est aussi très utile pour commencer le
traitement de situations réelles qui ne sont pas accessibles dans le cabinet
de consultation (la baignade, les avions, les trains…). Il est donc tout à fait
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

possible de combiner ces deux types d’exposition. Mais dans tous les cas,
une stratégie d’exposition réussie doit progressivement mener à l’exposition
à la situation réelle la plus anxiogène pour le sujet (prendre l’avion, traverser
des ponts, etc.).

5.1.3 Techniques spécifiques d’exposition


L’exposition avec prévention de la réponse consiste en une stratégie
d’exposition habituelle, mais dans laquelle on demande au sujet de ne pas

99

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

produire les comportements (physiques ou mentaux) qui contrent l’an-


goisse (donc sa réponse à l’angoisse, ou ses compulsions). Cela est très utilisé
dans le cas des troubles obsessionnels compulsifs (TOC), où les compul-
sions viennent soulager l’angoisse produite par les obsessions (exemple
d’obsession : je vais attraper des microbes et une maladie mortelle qui
produit de l’angoisse ce qui amène le sujet à des comportements compul-
sifs comme se laver les mains 40 fois par jour. L’exposition consistera à le
mettre en contact avec des objets sales sans se laver les mains, jusqu’à ce
que l’angoisse diminue). Généralement, chaque semaine, un comportement
précis est traité, en allant progressivement vers les comportements les plus
anxiogènes.
L’exposition aux sensations corporelles est très utile, et même essen-
tielle, dans les troubles paniques. Les « paniqueurs » sont en effet très
sensibles à leurs sensations, qu’ils interprètent comme des signaux de danger
très anxiogènes (par exemple le cœur qui s’accélère = crise cardiaque). La
stratégie d’exposition consiste à produire les sensations redoutées (mais
non dangereuses), de façon à ce que le sujet s’y expose, constate leur inno-
cuité ainsi que le contrôle qu’il peut avoir sur elles. Étourdissement, tête
qui tourne, cœur qui s’accélère, suées, sensation d’étouffement, etc., sont
autant de sensations que l’on peut provoquer de diverses façons afin que le
sujet s’y expose en toute sécurité.
Plusieurs prolongements des techniques d’exposition ont vu le jour :
– exposition virtuelle, en utilisant les nouvelles technologies de l’infor-
mation pour placer le sujet dans la situation anxiogène ; très pratique
pour des situations difficilement accessibles en cabinet, comme les
peurs de l’avion, des hauteurs, des animaux, etc. Le sujet est placé en
immersion dans ces situations à l’aide de lunettes de réalité virtuelle et
de capteurs. Le psychothérapeute peut accompagner le patient et faire
évoluer les situations, car il contrôle en partie le logiciel. Il peut donc
accroître ou réduire l’intensité anxiogène des stimuli. Tous les patients
n’y sont cependant pas réceptifs, et certains souffrent de nausées du fait
de l’immersion virtuelle elle-même, rendant difficile son usage pour
ces personnes…
– exposition aux émotions au cours de laquelle le sujet observe en
conscience les sensations et les émotions qui le traversent à l’évocation
d’un souvenir anxiogène ; il s’agit de techniques d’acceptation expérien-
tielle, très importantes et utiles à maîtriser. Car finalement, pendant
les expositions, à quoi s’expose le sujet sinon à son angoisse ?

100

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

– exposition au scénario dans lequel le sujet est exposé au scénario


(construction cognitive et imaginaire) qui génère de l’angoisse, ce qui
est très utile par exemple dans les phobies d’impulsion (peur d’agir
d’une façon violente ou déplacée), voire dans les cauchemars ou les
scénarios catastrophe dans les troubles anxieux.
Ces deux dernières techniques sont donc aussi fondées sur l’imagerie
mentale (c’est-à-dire en utilisant des images mémorisées chez le sujet).
Les techniques d’exposition sont très riches, souvent très efficaces, et il
est probable que les processus (habituation et désensibilisation) qui y sont à
l’œuvre le soient aussi dans la plupart des autres techniques comportemen-
tales mais aussi cognitives, émotionnelles et corporelles. En effet toutes ces
techniques, d’une façon ou d’une autre, placent le sujet face à ce qui l’an-
goisse, et cela dans de bonnes conditions (dans le cadre psychothérapique),
ce qui favorise l’habituation, voire la désensibilisation.

‡ Évolutions récentes des techniques d’exposition1


De nombreuses études permettent de faire évoluer le modèle de l’ex-
position par l’habituation vers des modèles fondés sur l’inhibition (sans
nécessairement d’habituation). En pratique, cela change la façon de mettre
en œuvre l’exposition. Ces études ont dégagé plusieurs principes nouveaux
comme la violation des attentes (le sujet exprime des attentes comme « je
peux supporter l’angoisse des hauteurs jusqu’au 2e étage » et l’exposition
inclut une mise en situation qui dément l’attente – par exemple en l’expo-
sant au 5e étage) ; l’extinction approfondie, qui implique d’associer plusieurs
stimulus activant la même réponse d’angoisse pendant l’exposition ; la
suppression des signaux de sécurité, consistant à repérer les signaux qui
apaisent l’anxiété (être accompagné, avoir une boîte d’anxiolytique dans la
poche, etc.) et à s’exposer à leur suppression. D’autres techniques existent
et je renvoie le lecteur à l’article cité en note qui les décrit précisément.
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

Ainsi, le thérapeute en TCC reste ouvert aux avancées scientifiques et


cliniques dans son domaine, car les modèles et les techniques évoluent. Il
se forme donc continuellement.

1. Craske, M.G., Treanor, M., Conway, C.C., Zbozinek, T. et Vervliet, B. (2014). Maximizing
exposure therapy : an inhibitory learning approach. Behaviour Research and Therapy, 58, 10-23.
Traduit en français par P. Philippot et al. sous le titre : Maximiser la thérapie par exposition : une
approche fondée sur l’apprentissage par inhibition.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

5.1.4 Autres techniques comportementales


Les autres techniques comportementales ont pour objectif d’amener le
patient à apprendre et à expérimenter d’autres comportements que ceux
habituels de façon à briser les cercles vicieux pathogènes et à ouvrir le champ
des expériences comportementales du patient. Dans cette perspective, on
peut l’aider à apprendre de nouveaux comportements qui lui font défaut,
ou on peut l’encourager à reprendre des comportements salutaires qu’il sait
faire, mais qu’il a abandonnés, souvent du fait des troubles.

‡ Apprendre des nouveaux comportements,


développer des habilités
C’est le cas des exercices d’affirmation de soi. Il s’agit de développer chez
le patient des compétences relationnelles lui permettant de mieux s’impli-
quer dans les relations sociales en général et dans les relations produisant
des tensions en particulier. À l’aide de discussions, d’explications, de jeux de
rôle, de travail en groupe, d’expérimentations, d’analyses du retour d’expé-
riences, le sujet est amené à développer et à expérimenter son affirmation
de soi, d’abord dans le cadre thérapeutique, puis dans la réalité de sa vie
relationnelle (Cariou-Rognant, 20061).

‡ Reprendre des activités


ou la réactivation comportementale
Utiliser un programme de reprise d’activités. C’est le cas en particulier dans
les troubles dépressifs, qui ont tendance à restreindre le champ d’activité
du sujet. Peut alors être mis en place un programme de reprise d’activités,
de façon très progressive et en suivant les motivations du patient, aussi
faibles soient-elles. Dans un premier temps, il faut faire la liste des activités
que le sujet voudrait (ou devrait) faire mais ne fait plus, puis en choisir une
abordable et réaliste, la découper en étapes progressives et programmer la
réalisation de chaque étape. Quand le patient réalise les premières étapes,
cela tend souvent à renforcer son sentiment d’efficacité personnelle et son
estime de soi, ce qui produit un renforcement positif qui favorise les étapes
suivantes et la reprise d’activités en général. Cette dynamique a un effet
antidépresseur.

1. Cariou-Rognant A.M., Chaperon A.F., Duchesne N. (2006). L’Affirmation de soi par le jeu de
rôle – en thérapie comportementale et cognitive, Paris, Dunod.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Programmer des comportements plaisants. Un certain nombre de troubles


tendent à éloigner le sujet des activités plaisantes et satisfaisantes qu’il
effectuait auparavant. Or, par manque chronique de satisfactions dans sa
vie, le sujet (déprimé, anxieux, surmené, par exemple) se déprime, ce qui
accroît son mal-être global. On peut donc programmer la reprise d’activités
agréables. Dans un premier temps, patient et thérapeute en font la liste
(quelles sont les activités que vous aimiez faire, qui étaient agréables pour
vous ?), puis ils évaluent dans quelle mesure le patient effectue ou non ces
activités (parmi ces activités, lesquelles faites-vous actuellement ?). Enfin
ils en choisissent d’abord une qui soit agréable, non effectuée actuellement
et facilement réalisable et dont ils déterminent ensemble comment le sujet
pourrait la reprendre en réalité. Le sujet, dans un esprit d’expérimentation,
effectue l’activité (aller au cinéma, voir des amis, tricoter, faire du sport…) et
observe les effets sur lui de cette réalisation. Thérapeute et patient analysent
ensemble ces effets, qui sont habituellement positifs (c’est-à-dire agréables
et salutaires) et, le plus souvent, concluent qu’il faut poursuivre cette acti-
vité (ainsi que d’autres à la suite). Cela a pour effet de relancer chez le sujet
une dynamique de reprise de contrôle, de plaisir et de satisfactions, qui
améliorent le mieux-être et qui ont des effets anti-dépresseurs et anti-stress.
Dans ce cas, l’effet positif de la reprise d’activités agit comme un renforce-
ment positif qui encourage la poursuite et la généralisation de cet exercice.

‡ Favoriser des comportements par renforcement positif


Dans certains cas, il peut être utile d’introduire d’autres types de renfor-
cements positifs, plus directs et externes, pour favoriser des comportements
que l’on estime salutaires. La plus ancienne technique de ce type, utilisée
avec des patients chroniques hospitalisés souffrant de troubles gravement
handicapants, consistait à renforcer les comportements attendus (de
communication, de prendre soin de soi… selon les patients) en récom-
pensant ces comportements par des jetons qui pouvaient ensuite être
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

échangés à l’hôpital contre des produits satisfaisants pour le patient (nour-


riture, objets, services…). C’est ce qu’on appelle « l’économie de jetons ».
Avec des enfants souffrant de troubles du comportement, il est possible
aussi de déterminer un ensemble de renforcements positifs (une sortie, un
jouet…) venant récompenser des comportements attendus (communiquer,
faire son travail scolaire, aller à l’école…) ou favorisant à l’inverse l’inhibition
de comportements inadaptés (être violent, piquer des crises de colère…).
Dans une psychothérapie d’adulte, il peut être utile de favoriser des compor-
tements voulus par le patient (par exemple : ne pas fumer) en déterminant

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

à l’avance avec lui un renforcement positif de son choix (une pâtisserie, une
sortie, un cadeau) qui viendra récompenser la réalisation d’une étape de
l’exercice (par exemple ne pas fumer pendant une semaine). C’est alors le
patient lui-même qui s’autorise la récompense et qui, donc, s’autorenforce.

‡ Favoriser des comportements salutaires,


bons pour la santé mentale
Certains comportements sont bons pour la santé mentale, comme le
montrent de nombreuses études. Ils sont bons pour la santé de tout un
chacun, mais plus encore pour les personnes en souffrance psychique. Tout
le monde les connaît : faire de l’activité physique régulière, bien dormir,
bien manger, avoir des activités plaisantes, se reposer quand nécessaire,
prendre soin de son corps, de ses relations, éviter les toxiques, etc. Elles sont
connues et pourtant beaucoup les délaissent au risque de leur bien-être. Il
est important, en cas de troubles psychiques d’appliquer ces recommanda-
tions. Le TCCiste prendra le temps de les rappeler et de mettre en œuvre
une stratégie pour aider son patient à les appliquer autant que possible.

Les renforcements positifs par le thérapeute dans les TCC


et la neutralité
De façon générale, l’attitude du théra- Le TCCiste n’est-il pas neutre ? De ce
peute TCCiste est positive et engagée à point de vue, non, il veut que la théra-
l’égard du patient, elle n’est pas neutre. pie fonctionne bien et que son patient
Le thérapeute se réjouit des progrès s’améliore, et il le dit. En revanche, il
du patient et l’encourage ouvertement est neutre d’un point de vue moral, il ne
quand il applique les techniques prévues se prononce pas sur le caractère moral
et qu’il surmonte progressivement ses ou non de telle pensée ou de tel com-
difficultés. portement, il les considère simplement
« C’est bien ! », « Bravo ! », « Félicitations ! », comme des problèmes à surmonter.
« Vous avez bien fait ! », « Très bonne ini- Le point de vue du TCCiste n’est pas
tiative ! », « Vous êtes courageux » sont moral (et encore moins moraliste ou
autant de renforcements positifs utilisés normatif), mais pragmatique et ration-
couramment dans les thérapies cogni- nel dans une visée adaptative et de
tivo-comportementales dans l’objectif mieux-être.
de favoriser la thérapie et l’amélioration
du patient.

5.2 Techniques cognitives


Les techniques cognitives ont pour objectif de modifier les cognitions
dysfonctionnelles (pensées, croyances, schémas) en intervenant soit sur les

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

pensées elles-mêmes (restructuration cognitive), soit sur les biais cogni-


tifs (processus cognitifs) qui leur donnent forme, soit sur les schémas
inconscients qui les génèrent, soit encore sur certaines fonctions cogni-
tives défaillantes (remédiation cognitive). On pourrait aussi inclure dans
les techniques cognitives le fait d’apporter des informations au patient
(psychoéducation) de façon à lui donner les moyens cognitifs de reprendre
le contrôle sur ses difficultés.

5.2.1 Restructuration cognitive


Les techniques de restructuration cognitive ont pour objectif d’amener le
patient à repérer ses pensées dysfonctionnelles, à en vérifier la validité (ce
qui revient à les mettre en doute, car, par définition, elles sont « dysfonc-
tionnelles »), puis à élaborer des pensées plus adaptées. Plusieurs techniques
peuvent être utilisées pour cela, le plus souvent alternativement.

Ne pas se tromper de pensée !


Il est très important que le thérapeute travail de restructuration cognitive est
ne se trompe pas de pensée sur laquelle possible et efficace. Il invite à une relec-
travailler ! Il peut y avoir des pensées ture rationnelle de ces pensées irration-
négatives et dépressiogènes ou anxio- nelles et à une vision plus réaliste de la
gènes qui sont adaptées ! Si le sujet a réalité.
appris qu’il avait une maladie grave, il Et si la pensée qui fait souffrir le patient
est adapté qu’il pense qu’il est en dan- est rationnelle et adaptée, il serait
ger, qu’il en soit anxieux et qu’il adapte absurde (et même nocif) d’en explorer
son comportement ! S’il est violent avec systématiquement les fondements : cela
les autres, il est normal (et même bien !) ne ferait que la confirmer en retournant
qu’il se sente coupable et qu’il pense le couteau dans la plaie ! Dans ces cas-là,
mal agir ! Si sa vie est ponctuée d’une il est plus pertinent de prendre acte
multitude d’échecs réels, il est normal que le sujet rencontre dans la réalité un
qu’il pense « je rate presque tout ce que problème (sa violence, une maladie, des
j’entreprends » ! comportements d’échec…) sur lequel il
Le travail cognitif porte sur l’aspect irra- faut travailler pour le réduire à l’aide de
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

tionnel, irréaliste, inadapté, dysfonction- techniques de résolution de problèmes.


nel… de certaines pensées. C’est-à-dire Il appartient au thérapeute de bien repé-
les pensées qui sont en contradiction rer les aspects irrationnels d’une pensée
avec la réalité (que l’on peut raisonnable- avant d’engager un travail de restructu-
ment appréhender). Et c’est précisément ration cognitive.
parce qu’elles sont irrationnelles que le

L’entretien socratique (dit aussi questionnement socratique) consiste


en une discussion au cours de laquelle le thérapeute va amener le patient
à mettre en doute ses pensées dysfonctionnelles puis à en construire de

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

nouvelles. Il ne s’agit pas de casser les pensées dysfonctionnelles pour


proposer au patient des pensées préétablies par le thérapeute ni de le
convaincre de leur validité. Il s’agit, par une attitude rationnelle, prudente,
progressive, non jugeante et surtout essentiellement questionnante de la
part du thérapeute, de produire une dynamique de remise en question
rationnelle de ses croyances chez le patient afin qu’il puisse comprendre le
monde qui l’entoure d’une façon plus réaliste, plus ouverte et surtout moins
génératrice de troubles psychiques. Il s’agit de produire chez le patient un
travail cognitif qui conduise à un changement produit de l’intérieur (et non
pas d’imposer de l’extérieur telle ou telle idée), c’est donc une technique
qui demande beaucoup de tact et de sens clinique chez le thérapeute. Elle
consiste à amener le patient à mettre en doute ses pensées dysfonctionnelles
puis à envisager des pensées alternatives plus réalistes.

Extrait d’un entretien socratique (en raccourci)


Patient. — Je sais que je ne vaux rien, je Patient. — C’est parce que ça va pas,
me sens nul… toute la journée à me traîner, à me poser
Thérapeute. — Vous avez la pensée que mille questions, j’en ai vraiment marre,
vous êtes nul et que vous ne valez rien. c’est vraiment nul…
Il serait intéressant que l’on explore Thérapeute. — Je comprends bien que ce
ensemble cette pensée pour voir si elle soit difficile, mais en quoi le fait que vous
est réaliste et si elle correspond bien à souffriez psychiquement et rencontriez
votre situation. Vous êtes d’accord ? des difficultés fait de vous quelqu’un de
Patient. — Oui, mais je ne vois pas ce que nul ?…. Imaginons qu’un ami à vous ren-
ça changera… contre des difficultés psychologiques,
par exemple qu’il fasse une dépression…
Thérapeute. — On fera le point à la fin de
ce travail et vous pourrez par vous-même Patient. — Oui, j’ai un ami, il y a quelques
apporter vos conclusions. Qu’est-ce qui années, il était vraiment pas bien et moi
vous fait dire que vous êtes nul ? j’étais bien, ça s’est vraiment inversé !
Patient. — Je me sens mal, je ne réussis Thérapeute. — D’accord. Quand cet ami
rien… traversait cette période dépressive, vous
pensiez de lui qu’il était nul en tant que
Thérapeute. — Il y a deux choses alors :
personne ?
vous seriez nul parce que vous vous
sentez mal d’une part et d’autre part Patient. — Non bien sûr ! Ce n’était pas
parce que vous avez le sentiment que de sa faute ! Ça n’a rien à voir… je le trou-
vous ne réussissez rien, c’est bien ça ? vais plutôt courageux…
Prenons la première idée alors. Vous Thérapeute. — Alors pourquoi dans votre
seriez nul parce que vous vous sentez cas, le fait d’avoir un problème psy ferait
mal. Pouvez-vous me préciser le lien que de vous une personne nulle ?
vous faites entre se sentir mal et le fait Patient. — Oui, c’est vrai, je ne sais pas…
d’être nul ? Effectivement ça n’a pas grand-chose à
voir.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Thérapeute. — Oui, ce n’est pas évident. L’entretien se poursuit ainsi de façon à


Si une personne qui rencontre des dif- amener le patient à voir autrement sa
ficultés psychologiques ne peut être situation, d’une façon plus réaliste et
qualifiée pour cette raison de « nulle », indulgente (avoir un problème, ce n’est
comment pourrions-nous la qualifier pas être nul, c’est avoir un problème…
alors ? qu’il faut résoudre !). Puis l’entretien
passe à la pensée suivante (je suis nul
parce que je ne réussis rien…).

La méthode de Beck (pensées automatiques/pensées alternatives) consiste


à faire remplir un tableau au patient mettant en regard les pensées auto-
matiques dysfonctionnelles liées à une situation précise et les pensées
alternatives réalistes possibles dans cette même situation. Dans un premier
temps, il faut repérer les pensées automatiques dysfonctionnelles, les situa-
tions dans lesquelles elles apparaissent et les émotions auxquelles elles
sont associées. Dans un deuxième temps le patient, avec l’aide du théra-
peute, propose des pensées alternatives plus réalistes et fonctionnelles
(par exemple : « Il ne m’a pas regardé, c’est qu’il ne veut pas me voir » peut
amener la pensée alternative : « Il ne m’a pas regardé parce qu’il pensait à
autre chose ou parce qu’il ne m’a pas vu ou alors il m’a vu mais il ne voulait
pas me déranger… »). Il est important que le patient remplisse ce tableau de
façon régulière dans les premiers temps quand les pensées dysfonctionnelles
automatiques sont puissantes, de façon à réduire leur impact et, progres-
sivement, à les contrer par les pensées alternatives. Il est possible aussi de
demander au patient son degré de croyance dans la pensée automatique
avant et après l’exercice (en principe, ça baisse nettement !). Il n’est pas
toujours facile pour le patient de repérer ses pensées automatiques. Alors
le thérapeute doit l’aider, par divers moyens, à en prendre conscience.
La technique du partage des responsabilités (ou camembert des respon-
sabilités) est intéressante pour alléger la culpabilité (fréquente et souvent
très importante) de certains patients. La première étape consiste à repérer
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’auto-attribution excessive de responsabilité (« c’est de ma faute si l’en-


treprise que je dirige a de mauvais résultats » – sous entendant 100 % de
responsabilité du patient). La deuxième étape consiste à envisager tous les
facteurs pouvant participer de cette responsabilité (dans ce cas : la crise
économique, le marché local, la gestion antérieure, les choix des action-
naires, les collaborateurs, lui-même, etc.). Dans la troisième étape, le patient
attribue un pourcentage approximatif de responsabilité pour chacun de ces
facteurs. La quatrième étape consiste à ce que, après avoir envisagé tous
les autres facteurs, le patient réévalue sa part de responsabilité (en principe

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

bien plus basse qu’au départ). Cinquième étape, le thérapeute montre au


sujet le résultat (sous forme de camembert ou de liste ou tout autre visuel
adapté à ce patient) et l’invite à en tirer des conclusions. En général, cela
amène le patient à réévaluer à la baisse sa part de responsabilité de façon
plus réaliste, ce qui a pour effet de soulager sa culpabilité.

Avant l’exercice Les pensées automatiques dysfonctionnelles


sont aussi vagues qu’elles sont impératives
(« C’est de ma faute si mon fils est né
handicapé ! », « C’est de ma faute si mon père
était violent ! »). Un exercice du type « partage
des responsabilités » permet de remettre les
pendules de la raison à l’heure.
Ma responsabilité
Le reste (vague)
*

Après l’exercice On peut se passer de camembert (pas toujours


facile à partager !) et faire une liste :
- La crise mondiale 25 %
- La gestion antérieure 20 %
- Les actionnaires 15 %
- Les collaborateurs 15 %
- Le marché local 15 %
La crise mondiale
- Ma responsabilité 10 %
La gestion antérieure
Les actionnaires
Si le total n’est pas = à 100 %, ce n’est pas grave
Les collaborateurs (ce n’est pas un exercice de math !)
Ma responsabilité
Le marché local

Figure 2.3 – Exemple de camembert des responsabilités


(partage des responsabilités)

Arguments pour et contre. Les patients ont souvent des croyances dysfonc-
tionnelles comme « Je suis moins bien que les autres », « Tout ce que je fais
échoue », « On ne peut pas m’aimer », etc. Pour les remettre en cause, il peut
être intéressant de suivre la démarche des arguments pour et contre. La
première étape consiste à isoler la croyance que l’on va traiter (par exemple :
« On ne peut pas m’aimer »). La deuxième étape consiste à lister tous les
arguments qui vont en faveur de cette affirmation (« Quels arguments avez-
vous qui prouvent que l’on ne peut pas vous aimer ? »). La troisième étape
consiste à reprendre un à un les arguments en faveur de la croyance et d’en
discuter de façon socratique :

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Discussion socratique
— Vous dites qu’un argument qui montre que votre ami est avec vous parce qu’il
qu’on ne peut pas vous aimer, c’est le vous aime ?
fait que votre ami vous l’a dit hier ? — Ben oui, en fait, sinon il serait déjà
Mais depuis combien de temps êtes- parti…
vous ensemble ?
— Alors pourquoi il vous a dit hier qu’on
— Huit ans… ne pouvait pas vous aimer ?
— Est-il obligé de rester avec vous, — Parce qu’il était en colère parce que je
par exemple, pour des raisons lui disais qu’il ne m’aimait pas…
économiques ?
— D’accord, en fait, qu’il vous ait dit ça,
— Non, c’est lui qui gagne le plus… finalement, semble montrer qu’il était
— Alors qu’est-ce qui fait, en général, en colère alors que le fait qu’il est avec
qu’une personne reste en couple avec vous depuis huit ans semble montrer
une autre sans y être obligée ? que l’on peut s’attacher à vous et vous
— Ben… parce qu’il se sent bien avec… aimer… Il est donc difficile d’en faire
Parce qu’il l’aime… un argument en faveur de l’idée qu’on
ne peut pas vous aimer, non ? Qu’en
— D’accord, est-ce que c’est applicable à
pensez-vous ?
votre situation de couple ? Peut-on dire

En général, quand tous ces arguments pour la croyance sont remis en


cause (n’oublions pas qu’ils sont de fait dysfonctionnels, donc irrationnels)
cela a pour effet de grandement relativiser la croyance, voire de la contre-
dire à l’épreuve des faits mis en évidence par une démarche logique. La
quatrième étape consiste alors à lister tous les arguments qui contredisent
la croyance (donc dans ce cas les arguments en faveur du fait que la patiente
est aimable) puis à les discuter de façon socratique, ce qui en montre la
validité car la croyance travaillée a été choisie par le thérapeute précisément
parce qu’elle était irréaliste et dysfonctionnelle. Cette technique « pour et
contre » peut être utilisée pour remonter l’estime de soi basse de certains
patients, en travaillant sur les croyances qui alimentent cette dévalorisation
(« Je suis inférieur aux autres », « Je suis inutile », « Je rate tout ce que j’entre-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

prends… »). On peut aussi demander au patient son degré de croyance dans
ces pensées dysfonctionnelles avant puis après ce travail de restructuration
cognitive, pour confirmer le changement.

Cognitions, pensées automatiques, processus cognitifs, schémas


cognitifs, croyances… quelques définitions
Si on prend les choses dans l’ordre dans lequel elles apparaissent lors d’une thérapie,
dans le discours du patient, ça commence par les cognitions les moins profondes
pour qu’ensuite apparaissent éventuellement des cognitions plus profondes (schémas

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

cognitifs). Les cognitions les plus directement visibles correspondent à tous les
contenus psychiques émanant du patient (récits, raisonnements, informations, etc.).
Parmi ces cognitions émergent progressivement des pensées automatiques qui sont
des cognitions spécifiques caractérisées par le fait qu’elles traversent régulièrement
la vie psychique du sujet, émergeant de son esprit malgré lui de façon plus ou moins
consciente. Ces pensées automatiques sont courtes, impératives et le sujet les croit
vraies (« On me juge mal », « Ils voient que quelque chose ne va pas en moi »….). Ces
pensées automatiques sont parfois dysfonctionnelles dans le sens où elles participent
à la dynamique des troubles psychiques. Les pensées automatiques dysfonctionnelles
sont modelées par les biais cognitifs, qui sont des processus psychiques qui déforment
le traitement de l’information (par exemple, en ramenant tout à soi – personnalisa-
tion – en tirant des conclusions arbitraires – inférence arbitraire –, en maximisant le
négatif et en minimisant le positif, etc.). Ces biais cognitifs sont eux-mêmes motivés
par les schémas cognitifs qui sont des structures cognitives inconscientes profondes,
définissant les rapports du sujet à lui-même et au monde, modelées durant les expé-
riences relationnelles de l’enfance. Ces schémas peuvent être fonctionnels (« Je suis
quelqu’un que l’on peut aimer » « j’ai de la valeur » « je peux m’appuyer sur les autres »…)
ou dysfonctionnels. Les schémas tendent à s’autoconfirmer et à s’actualiser, c’est
pourquoi ils motivent les biais cognitifs puis les pensées automatiques. Par exemple,
si le schéma activé est « on ne peut pas compter sur les autres », alors le sujet sera
méfiant et distant, il repérera tous les signaux qui confirment le schéma. De ce fait,
son attitude relationnelle suscitera peu de confiance et d’engagement de la part des
autres… et la boucle est bouclée, le schéma est autoconfirmé. « Je l’avais bien dit qu’on
ne pouvait pas compter sur les autres ! »

La technique de la flèche descendante consiste à prolonger jusqu’à ses


conséquences extrêmes (on parle de scénario catastrophe) la cognition
dysfonctionnelle. Le thérapeute, à l’aide d’un questionnement répétitif,
conduit le patient à dérouler l’enchaînement des pensées associées à la
pensée dysfonctionnelle anxiogène. Par exemple, si la cognition travaillée
est (cas de phobie sociale) :

La technique de la flèche descendante

Un profond cercle vicieux pathogène (à lire de bas en haut…)


Patient. — Si je fais un exposé à mon travail, ils vont voir que quelque chose ne va
pas en moi, que je suis angoissé.
Thérapeute. — Et s’ils voient que vous êtes angoissé, qu’est-ce qui pourrait se passer
de pire ?
P. — Ils vont penser que je ne suis pas à la hauteur.
T. — Et s’ils pensent que vous n’êtes pas à la hauteur, quelles seront les pires
conséquences ?
P. — Ils vont le dire à tout le monde au travail.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

T. — Et s’ils le disent à tout le monde au travail, qu’est-ce qui va se passer ?


P. — Ils penseront tous que je suis un incapable.
T. — Et s’ils… qu’est ce qui se passera, au pire ?
P. — Ils vont me rejeter et ne plus me donner de travail.
T. — Et s’ils… quelles seront les conséquences ?
P. — Je vais être très malheureux, tout seul, je ne pourrai plus rester dans ce travail.
T. — Et si… ?
P. — Je démissionnerai.
T. — Et si… ?
P. — Ma femme va avoir honte que je sois sans travail dans ces conditions, elle
partira avec les enfants.
T. — Et si… ?
P. — Je serai obligé de quitter la maison je me retrouverai à la rue, SDF…
T. — Et si… ?
P. — Je mourrai tout seul, de maladie ou d’agression, ou même de suicide, sous un
pont…

Mettre cet enchaînement de pensées en évidence a trois objectifs :


1) faire prendre conscience au patient des scénarios imaginaires anxio-
gènes qui le traversent et qui expliquent l’intensité de sa réaction anxieuse ;
2) créer un contraste entre la pensée de départ et celle d’arrivée de façon
à amener le sujet à prendre conscience du côté très irrationnel et hautement
improbable du scénario (« Donc, quand vous intervenez en public, votre
anxiété est en partie motivée par le fait que vous pourriez mourir SDF,
abandonné de tous… qu’en pensez-vous ? — Oui, c’est absurde, ce n’est
qu’une intervention professionnelle, il n’y a pas de raison que ça produise
tout ça… »). Cette prise de conscience favorise la restructuration cognitive
de la pensée dysfonctionnelle ;
3) le troisième objectif est de faire émerger les schémas dysfonctionnels
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sous-jacents aux pensées automatiques (dans ce cas, le schéma d’abandon


et de rejet), ce qui peut conduire ensuite à travailler sur les schémas.
Bien sûr, là encore, il faut que le thérapeute choisisse bien la pensée à
travailler : si le patient est suicidaire et très négatif, cet exercice pourrait
être nocif car la conclusion morbide lui semblera très logique et justifiée !
Le travail sur les biais cognitifs (ou les distorsions) participe aussi de la
restructuration cognitive, non pas en changeant directement le contenu
des cognitions dysfonctionnelles, mais en repérant et en compensant les

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

processus cognitifs qui produisent ces cognitions. Ce travail peut prendre


place après que le patient a pris conscience du côté irrationnel de ses pensées
dysfonctionnelles. Il est alors intéressant et efficace de lui montrer par quels
biais cognitifs ces pensées sont produites, le plus souvent hors conscience.
On peut alors demander au patient d’analyser ses pensées dysfonctionnelles
en repérant les biais qui y sont contenus. Enfin, en situation réelle, le patient
sera invité à repérer ces biais à l’œuvre dans ses pensées et à les rectifier par
son intelligence logique et par une prise de distance rationnelle d’avec ces
pensées. Cela permet de limiter les effets délétères des pensées pathogènes.

Comment, grâce aux biais cognitifs, se créer des pensées


dysfonctionnelles qui nous fassent souffrir ?
On peut (ce sont autant de biais situation. Dans un contexte sécuri-
cognitifs) : sant : Oh, tu vois cette fissure sur le
— Personnaliser la compréhension des mur ?).
situations (tout ramener à soi : c’est — Utiliser la pensée dichotomique (en
de ma faute !). tout ou rien : je me suis fâché avec elle,
— Maximiser le négatif et minimiser le elle ne voudra plus jamais me revoir…).
positif (Oui, oui, j’ai réussi plein de — Utiliser la surgénéralisation (Mon ami
diplômes, mais la dernière fois, j’ai m’a quittée, personne ne m’aimera
raté un point bêtement, c’est ça qui jamais !).
compte ! Je ne vaux vraiment rien). —…
— Faire des inférences arbitraires (tirer Les façons de biaiser l’interprétation de
arbitrairement des conclusions : il ne la réalité pour coller à nos croyances
m’a pas regardée : il ne m’aime pas…). de base sont multiples et très efficaces
— Faire des abstractions sélectives pour créer des émotions douloureuses !
(ne voir qu’une partie, négative, d’une

Le travail sur les schémas. Une fois les pensées dysfonctionnelles et les
processus qui les créent repérés, il est parfois utile d’aller un cran plus loin,
ou plus profond, dans la vie psychique, en travaillant sur les schémas sous-
jacents aux pensées dysfonctionnelles. La première étape consiste à repérer
les schémas à l’œuvre, ce qui peut se faire à l’aide de questionnaires conçus
à cette fin (voir les questionnaires des schémas de Young, plusieurs versions
du Young Schemas Questionnary, qui permettent de repérer les schémas
précoces inadaptés conceptualisés par J. Young, qui diffèrent quelque peu
des schémas de Beck), mais aussi au fil de la thérapie, quand, à force de se
répéter durant le travail de restructuration cognitive, des tendances struc-
turelles de fond deviennent manifestes, indiquant la présence d’un schéma
actif (schéma d’abandon, ou de contrôle, etc.). Une fois ces schémas repérés,
il s’agit d’en contrer les effets délétères en discutant de la validité du schéma

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

et en expérimentant des comportements contrariant le schéma de façon à le


désactiver. Notons que le travail sur les schémas peut s’effectuer comme un
prolongement du travail de restructuration cognitive, mais il peut aussi faire
l’objet d’une stratégie thérapeutique globale spécifique, appelée « thérapie
des schémas », qui s’adresse à des patients souffrant de troubles de la person-
nalité (thérapie des schémas de Jeffrey Young1).

Les besoins et les schémas selon Jeffrey Young


A. Domaine de la séparation et du rejet C. Domaine des limites déficientes
1) Abandon/Instabilité 10) Droits personnels exagérés/
2) Méfiance/Abus grandeur
3) Manque affectif 11) Contrôle de soi/autodiscipline
insuffisants
4) Imperfection/Honte
D. Domaine de la centration sur autrui
5) Isolement social
12) Assujettissement
B. Domaine de l’autonomie et des perfor-
mances altérées 13) Abnégation
6) Dépendance/Incompétence 14) Recherche d’approbation et de
reconnaissance
7) Peur du danger ou de la maladie
E. Domaine de la vigilance à outrance et
8) F u s i o n n e m e n t / p e r s o n n a l i t é
de l’inhibition
atrophiée
15) Négativité/pessimisme
9) Échec
16) Sur-contrôle émotionnel
17) Idéaux exigeants/critique excessive
18) Punition

5.2.2 Autres techniques cognitives


En plus des techniques de restructuration cognitive, les TCC utilisent
régulièrement des techniques cognitives variées, qui ne visent pas à changer
les pensées dysfonctionnelles mais plutôt à installer un contexte cognitif
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui sera favorable à la thérapie et à l’amélioration du patient ou bien qui


l’amènera à développer des compétences cognitives particulières.
La psychoéducation consiste à apporter des informations fiables, précises
et constructives au patient sur les difficultés qu’il rencontre et les méthodes
utilisées en thérapie. Le patient est aussi invité à consulter certains sites

1. Young J., Klosko J. (2003). Je réinvente ma vie : Vous valez mieux que vous ne pensez, éditions
de l’Homme.
Young, J., Klosko, J., Weishaar, M. (2005). La Thérapie des schémas, De Boeck.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

Internet faits par les professionnels ou des associations de patients1, mais


aussi des livres ou des documents ad hoc (self help books). Sont expliqués,
généralement, les diagnostics, les théories de référence (de façon adaptée),
les modèles thérapeutiques, les techniques utilisées et leur ressort concep-
tuel, les méthodes d’évaluation des troubles, etc. Tout cela accompagne la
thérapie durant tout son déroulement. Les objectifs sont :
1) de donner aux patients les moyens de bien comprendre leurs difficultés
et la thérapie cognitivo-comportementale de façon à ce qu’ils puissent bien
se l’approprier et même en utiliser les techniques de façon autonome ;
2) de développer l’alliance thérapeutique sur la base d’une relation de
réelle collaboration comportant une dimension égalitaire importante (théra-
peute et patient sont tous deux bien informés et ils peuvent donc réellement
collaborer à l’amélioration du patient).
Il existe aussi des actions de psychoéducation structurées en programmes
précis d’une dizaine de séances, souvent avec des supports écrits, vidéo et
autres, auxquelles participent un groupe de patients et parfois leur famille
afin d’apporter des informations sur les troubles, les soins, les conduites les
plus adaptées, etc. Quand elle est ainsi structurée en programme, la psychoé-
ducation est très proche des actions d’éducation thérapeutique du patient
(ETP). Cependant, les ETP concernent surtout les maladies physiques
chroniques (diabète, asthme, cardiologie…), alors que les programmes
de psychoéducation concernent surtout les troubles mentaux chroniques
(troubles bipolaires, schizophréniques…).
Le recadrage consiste à proposer une compréhension de la situation
problématique qui la rende accessible à une solution. Ainsi, parler du
malaise du patient, qui est souvent présenté de façon globale et floue, en
termes de problèmes bien définis sur lesquels on peut agir est une forme
de recadrage. On peut aussi, face à la présentation par le patient d’une
situation donnée, en donner une autre interprétation qui soit plus salutaire
(plutôt que pathogène). Par exemple, à un patient qui affirmerait de façon
répétitive : « Je suis nul et faible parce que j’ai des crises d’angoisse… », le
thérapeute pourrait proposer un recadrage du type : « On pourrait aussi
penser que malgré vos crises d’angoisse et le problème d’anxiété que vous
subissez, vous arrivez à faire aussi bien que les autres, qui eux n’ont pas

1. Les associations de patients jouent un rôle très important, non seulement pour aider l’ensemble
des patients, mais aussi pour faire mieux comprendre leurs difficultés et pour défendre en France
les méthodes thérapeutiques les plus efficaces.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

ce type de problème. C’est comme si vous étiez arrivé à la même altitude


qu’eux sur une montagne, mais que vous, vous portiez un sac de 30 kg
quand eux n’en portent pas ! Ça me paraît plutôt être signe de force et de
courage, non ? » Ce type de recadrage inductif fonctionne d’autant mieux
que l’alliance thérapeutique est forte et que la parole du thérapeute est
légitime aux yeux du patient. Ce type d’intervention, ponctuellement, peut
être utile et bénéfique, mais comme il s’agit de représentations provenant
du thérapeute et non du patient, si elles sont trop fréquentes, il y a un risque
soit de dévaluer la parole du thérapeute, soit d’accroître la dépendance du
patient à cette parole. C’est donc une technique à utiliser avec modération.
Les techniques de résolution de problèmes ont pour objectif de donner
au patient des moyens très pratiques pour mieux affronter les problèmes
concrets auxquels il a à faire face dans sa réalité quotidienne. Il existe une
démarche de résolution de problèmes très concrète que l’on peut appliquer
systématiquement, en plusieurs étapes :
1) identifier un problème précis que le patient doit résoudre en réalité (par
exemple, son enfant a des problèmes scolaires) ;
2) lister toutes les solutions envisageables, qu’elles soient réalistes (l’aider
dans ses devoirs, trouver un soutien scolaire, l’interdire de télévision…)
ou non (arrêter l’école, ne pas s’en occuper…) ;
3) pour chaque solution, écrire les avantages et les inconvénients ;
4) choisir celle qui paraît la plus pertinente ;
5) la mettre en œuvre ;
6) en voir les effets. S’ils sont positifs, poursuivre la solution choisie ; dans
le cas contraire, sélectionner une autre solution et l’appliquer puis en
vérifier les effets.
Face à des problèmes réels, plusieurs autres techniques peuvent aider
le patient à mieux y voir clair, à mieux les gérer et à en limiter les effets
pathogènes (angoisse, dépression, doutes, ruminations…). Ce peut être
simplement de faire la liste des problèmes à régler ou, pour un problème
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

donné, d’écrire tout ce qu’il faudrait faire, étape par étape. Dans tous
les cas il s’agit d’utiliser l’écrit et la rationalité, pour dégager le sujet de
l’abstraction, de l’incertitude, de l’inaction, des ruminations causées par
les conséquences psychiques de ses difficultés à résoudre les problèmes
concrets qu’il rencontre.
La remédiation cognitive ne doit pas être confondue avec la restructura-
tion cognitive ! Certains patients (schizophrènes en particulier, mais aussi
hyperactifs ou encore souffrant de certains troubles neurologiques…) ont
souvent des déficits dans certaines fonctions cognitives exécutives (comme

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

l’attention sélective, la flexibilité cognitive…). La remédiation cognitive


consiste, à l’aide d’exercices de rééducation cognitive, à compenser au mieux
ces déficits. Les exercices s’effectuent souvent dans le cadre de programmes
de remédiation cognitive (comme RECOS, IPT et d’autres). Il ne s’agit donc
pas de changer des pensées dysfonctionnelles comme dans la restructura-
tion cognitive, mais de développer des habilités cognitives (Franck, 20121).
Le stop pensée ! (ou arrêt de la pensée) permet de limiter les rumina-
tions et les pensées intrusives caractéristiques de plusieurs troubles anxieux
(troubles obsessionnels compulsifs, trouble anxieux généralisé…). Il s’agit
d’apprendre à contrôler ces pensées envahissantes après les avoir identi-
fiées. La technique elle-même associe un stimulus à l’arrêt volontaire de ces
pensées. L’arrêt volontaire s’appuie sur le processus psychique de suppres-
sion qui permet d’interrompre un courant de pensée ou une émotion. Qui
n’a jamais stoppé une émotion forte ou une pensée particulière parce que
les circonstances ne se prêtaient pas du tout à son expression ? Comme de
rire à un enterrement, ou de pleurer en public, ou encore de penser à ses
dernières vacances lors d’un entretien d’embauche… Il y a plusieurs étapes
pour acquérir cette technique :
1) le thérapeute dit à haute voix « stop » (ou un autre mot pertinent) ; si
nécessaire il peut y ajouter d’autres stimuli comme une image mentale
(un stop), un bruit, un geste (de la main)… et, juste après le stop, le patient
arrête la pensée (au début, un temps très court ; cela est répété plusieurs
fois) ;
2) le thérapeute limite progressivement les stimuli qu’il émet afin que le
patient les intériorise. Donc c’est ensuite le patient qui dit « stop ! », puis
qui pense « stop ! » (c’est plus discret !) et qui, dans la foulée, bloque le
courant de pensée ;
3) le patient répète cet exercice à chaque fois que nécessaire et, progressi-
vement, il peut ainsi acquérir, en cumulant les effets de la suppression
et du conditionnement répondant, un certain contrôle sur ses pensées
envahissantes.
Cette technique peut aussi s’associer avec les effets de la distraction
(qui consistent à distraire sa conscience, donc à penser à autre chose), par
exemple en ajoutant un comportement (se déplacer, faire autre chose) juste
après le « stop ».

1. Franck N. (2012). La Remédiation cognitive, Paris, Elsevier Masson.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

Dans le domaine cognitif, les approches émotionnelles présentées plus


bas ainsi que les approches processuelles proposent des techniques que l’on
pourrait qualifier de métacognitives en ce qu’elles agissent sur des processus
psychiques déterminant le rapport du sujet à ses pensées qu’elles cherchent
à faire évoluer sans modifier les pensées elles-mêmes (voir plus loin).

5.3 Les techniques corporelles


Elles consistent essentiellement dans les techniques de relaxation,
fondées sur deux méthodes : la méthode de Schultz, dite de training auto-
gène (fondée sur les sensations de chaleur et de lourdeur du corps) et la
méthode de relaxation musculaire progressive de Jacobson (fondée sur la
réaction physiologique liée à la contraction-décontraction musculaire).
La relaxation est abordée en TCC sous forme de techniques apprises au
patient dans le cabinet de consultation avec le thérapeute, puis pratiquées
régulièrement par le patient en autonomie. Il est préférable et plus facile
pour le patient que ces exercices soient guidés par un enregistrement audio
dans lequel un professionnel conduit la séance. Si le thérapeute est à l’aise,
il peut aussi enregistrer une séance de relaxation avec un patient et lui
donner cet enregistrement pour qu’il pratique chez lui « avec » son théra-
peute. Avec de l’entraînement, il devient possible de se passer d’audio. Les
séances de relaxation peuvent durer quelques minutes, mais souvent de
10 à 30 minutes. Elles peuvent être utiles en elles-mêmes pour leurs effets
relaxants et anxiolytiques immédiats et durables. Elles peuvent aussi être
utilisées en complément d’autres techniques (par exemple, l’exposition, la
gestion de l’anxiété au quotidien…). Enfin, la relaxation, une fois des tech-
niques de base apprises, peut être adaptée aux situations stressantes de la
vie quotidienne (dans les transports, au bureau…).
Le contrôle respiratoire a pour objectif de contrer l’hyperventilation
et ses effets sensoriels (étourdissements, sensation d’étouffement, mains
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

moites, etc.), très impliqués dans les attaques de panique. L’hyperventilation


consistant dans un apport trop important d’oxygène (en raison de l’anti-
cipation anxieuse), le contrôle respiratoire vise à réduire cet apport. La
démarche s’effectue en plusieurs étapes :
1) expliquer au patient (psychoéducation) la part de l’hyperventilation dans
le déclenchement et l’entretien de l’attaque de panique ;
2) lui apprendre ensuite à repérer et à compter ses cycles respiratoires par
minute ;
3) mettre en place le contrôle respiratoire, étape par étape (voir l’encadré) ;

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

4) s’entraîner à passer de la respiration normale au contrôle respiratoire ;


5) s’hyperventiler volontairement pour en voir les effets et s’y familiariser
(exposition) ;
6) passer volontairement de l’hyperventilation au contrôle respiratoire et
en expérimenter les effets bénéfiques ;
7) et enfin appliquer le contrôle respiratoire en situation réelle de risque
d’attaque de panique.

Le contrôle respiratoire
Il est utilisé dans les situations anxio- — la respiration reste superficielle (pas
gènes pour contrer l’hyperventilation de grandes inspirations profondes) ;
(sinon, en dehors de ces situations, il — la respiration se fait « en rec-
faut respirer normalement !) Il est carac- tangle » (expiration plus longue que
térisé par : l’inspiration).
— une respiration ralentie à environ Le contrôle respiratoire est appris en
6 cycles par minute (10 secondes par séance, puis pratiqué régulièrement par
cycle) ; le patient en situation normale, pour
— une respiration abdominale (le ventre s’entraîner, puis en situation d’attaque
se soulève à l’expiration) ; de panique.

L’activité physique est de plus en plus prônée pour lutter contre la


dépression et l’anxiété. Des études ont montré qu’une vingtaine de minutes
d’activité physique (quelle qu’elle soit) quotidienne avaient un effet antidé-
presseur. De plus, il existe des activités physiques conduisant à des états de
relaxation et de détente qui ont des effets anxiolytiques (comme le yoga,
les formes de gymnastiques douces : Tai-chi, Qigong…). Le thérapeute peut
donc encourager certains de ses patients à réaliser régulièrement ces activités
(hors du cabinet de consultation pour l’essentiel) et même les prescrire dans
le cadre de la thérapie. Notons que par le biais des approches de méditation
de pleine conscience, certains exercices de pleine conscience s’effectuent
en mouvement (marche, yoga simple) ou portent sur la conscience des
sensations du corps et, de fait, ont à voir avec des approches corporelles.
Le travail sur le corps intervient aussi dans le cadre de jeux de rôles
pouvant porter sur la communication non verbale (posture, intonation, etc.).
Certains patients présentent un déficit d’habilité de communication non
verbale et il peut être très utile de travailler cette question avec eux de façon
très directe et respectueuse. Il est possible aussi de travailler sur l’hygiène
corporelle et le « prendre soin de soi » qui font défaut pour des patients
sévèrement atteints par leurs troubles, parfois de façon visible (habillement,
odeur…).

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

5.4 Les techniques émotionnelles


Les techniques émotionnelles consistent à agir directement sur les
émotions désagréables pour les limiter. Ces techniques sont utilisées dans
les TCC.
La relaxation est la technique émotionnelle la plus courante en TCC.
Nous en avons parlé à plusieurs reprises, nous n’insisterons donc pas. La
relaxation permet de limiter, en passant par la relaxation du corps, les
émotions anxieuses et les tensions liées au stress.
L’exposition aux émotions a pour objectif de permettre l’acceptation et
l’habituation aux émotions désagréables (et donc la diminution de leur
intensité), qui ont tendance à être trop souvent évitées par le sujet. Or, il
est fréquent qu’une émotion évitée, et donc qui n’a pas pu, en quelque sorte,
se résorber d’elle-même, reste active de façon plus intense, plus longtemps
et plus pathologiquement que si elle avait été pleinement vécue et acceptée.
Cette technique peut se faire en deux temps en relation avec une situa-
tion précise ayant généré l’émotion pathologique (une situation de stress,
un souvenir douloureux…). Le premier temps consiste pour le sujet à se
remémorer complètement et systématiquement la situation en question,
en insistant sur les détails sensoriels entourant cette situation (les sensa-
tions physiques, les couleurs, les bruits). En plus des sensations, le patient
est invité à prendre conscience des émotions qui le traversent ainsi que
des pensées qui émergent. Le thérapeute, par ses questions précises, aide
le sujet à cette remémoration et à porter son attention sur les sensations,
les émotions et les pensées. En d’autres termes, il le conduit à vivre et à
accepter l’expérience subjective le plus complètement possible. Le deuxième
temps est effectué par le sujet seul après que le thérapeute lui a expliqué ce
qu’il avait à faire : repasser mentalement la scène, la revoir complètement,
comme un observateur extérieur curieux mais qui ne juge pas. Le sujet est
invité à porter attention à tous les éléments de la scène comme à la première
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

remémoration. Cette deuxième étape dure en général quelques minutes.


Le plus souvent cette technique a pour effet d’aider le sujet à prendre de la
distance d’avec la relation émotionnelle, qu’il relativise.
Les techniques de méditation de pleine conscience consistent à diriger
volontairement son attention sur un aspect de son expérience actuelle
qu’il aura choisi (sa respiration, les sons environnants, les sensations de
son corps, les sensations liées au mouvement, mais aussi les pensées, les
émotions…) et à l’y maintenir. Il s’agit donc d’être pleinement conscient
(pleine conscience !) de son expérience ici et maintenant. Cependant, les

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

autres facettes de l’expérience actuelle ne manquent pas de se manifester à


la conscience durant l’exercice. Par exemple, si je porte mon attention sur
ma respiration durant un quart d’heure, il est très probable qu’au même
moment, des pensées traverseront mon esprit (« qu’est-ce que je vais faire
à manger ce soir ? »), ou des émotions (« je me sens triste »), ou encore
d’autres sensations (« j’ai mal au dos »). L’exercice consiste alors à prendre
conscience de ces éléments qui traversent mon esprit, à les accepter sans
les juger, puis à revenir à l’objet de l’exercice de pleine conscience (dans
ce cas, la respiration). Les effets et les processus de la méditation de pleine
conscience sont complexes et variés et interviennent probablement autant
au niveau cognitif qu’au niveau émotionnel. Concernant les émotions, la
pleine conscience de son expérience actuelle y compris émotionnelle a des
effets sur l’intensité des émotions désagréables et tend à en atténuer l’in-
tensité et la fréquence. Cela implique une pratique régulière1.
Les techniques que nous venons de présenter permettent de travailler
non sur les émotions (ou les pensées) problématiques du sujet, mais sur les
relations qu’il entretient avec elles. Ou plus précisément, sur les processus
psychiques par lesquels il les traite mentalement de façon automatique. En
général, le traitement le plus courant et le moins adapté (car il maintient les
troubles), ce sont des processus d’évitement (par la suppression émotion-
nelle, la distraction, les ruminations abstraites…). Ces approches permettent
de développer d’autres processus, en particulier l’acceptation expérientielle,
la flexibilité psychologique, la défusion… (voir les approches d’acceptation
et d’engagement – ACT2).

5.5 Autres techniques thérapeutiques proches des TCC


Il existe quelques courants psychothérapiques qui sont actuellement très
voisins des TCC et qui sont souvent pratiqués par des TCCistes, même si
on ne peut pas encore vraiment dire qu’ils appartiennent à la troisième
vague du champ TCC.
Les techniques de psychologie positive ont été créées afin de rendre les
principes de la psychologie positive accessibles au plus grand nombre et
utiles socialement. Elles ont toutes leur place en psychothérapie et, par leur

1. http://www.cps-emotions.be/mindfulness/ et http://www.association-mindfulness.org/
2. Hayes, Steven C. et Wilson, K.G., Acceptance and commitment therapy : the process and prac-
tice of mindful change, Guilford Press, 2012 ou, en français, Monestes et Villatte, La Thérapie
d’acceptation et d’engagement, Elsevier Masson, 2011.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

simplicité et leur efficacité, elles peuvent compléter les stratégies TCC. Voici
trois exercices de psychologie positive (d’autres existent) :
1) les trois plaisirs : chaque soir, écrire trois choses qui ont été plaisantes
dans sa journée (par exemple : un bon café, un rayon de soleil et une bonne
discussion avec Lucien) ;
2) les trois gratitudes : chaque soir, exprimer par écrit (pour soi-même) trois
gratitudes (c’est-à-dire identifier des situations agréables vécues dans la
journée pour en remercier une personne, connue du sujet ou non, qui
a participé à cette situation plaisante – exemple : « merci au boulanger
d’avoir fait le bon gâteau que j’ai mangé ») ;
3) les trois qualités : chaque soir noter par écrit trois fois où le sujet a exercé
une qualité qui lui est propre (qu’il faut donc identifier avant l’exercice).
Par exemple : « j’ai été généreux avec tel ami, j’ai fait preuve d’intelligence
en répondant ceci à untel, j’ai montré que je pouvais m’affirmer dans telle
situation »…
Ces exercices, si simples en apparence, ont eu un effet thérapeutique signi-
ficatif sur les troubles dépressifs1. Ils permettent de renforcer la conscience
des événements positifs pour contrer les biais dépressifs qui font tout voir
en négatif (ils permettent aussi, plus profondément, de développer la flexi-
bilité mentale en obligeant sa conscience à défusionner ponctuellement des
pensées dépressives).
L’EMDR (Eye-Movement Desensitization and Reprocessing, ou désensibili-
sation et retraitement par les mouvements oculaires) est une méthode assez
nouvelle de plus en plus utilisée pour traiter les événements du passé trau-
matisant ou choquant (et les syndromes de stress post-traumatiques) fondée
par Francine Shapiro aux États-Unis (Shapiro, 20072). La méthode consiste,
à l’aide d’une technique bien précise, à amener le patient à focaliser son
attention alternativement sur chaque côté du corps (souvent avec les yeux,
mais pas seulement) dans le même temps qu’il se remémore l’événement
douloureux. Cette technique semble avoir pour effet d’aider à l’intégration
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la mémoire de l’événement traumatisant et d’en faire un simple mauvais


souvenir n’ayant plus de potentiel pathogène. Cette technique ne peut s’ef-
fectuer qu’avec le thérapeute, évidemment formé à la méthode.

1. http://www.psychologie-positive.com
2. Shapiro F. (2007). Manuel d’EMDR, Paris, InterÉditions ; http://www.emdr-france.org

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

6. Les principales stratégies TCC


selon les troubles psychiques
Les techniques sont donc nombreuses en TCC, mais elles ne sont pas
utilisées au hasard ou sur le simple choix du thérapeute et/ou du patient.
Une TCC n’est pas un self-service de techniques thérapeutiques, ni un livre
de recettes ! Bien que chaque psychothérapie soit faite sur mesure pour
chaque patient, il n’en reste pas moins qu’il existe des stratégies thérapeu-
tiques précises qui ont fait la preuve de leur efficacité thérapeutique pour
chaque trouble identifié. Une stratégie thérapeutique est en fait le choix et
l’enchaînement des techniques qui vont se succéder durant la thérapie en
fonction du problème dont l’amélioration est l’objectif de la thérapie.
Dans cette partie seront présentées les principales stratégies thérapeu-
tiques utilisées en fonction du type de troubles psychiques diagnostiqués
traités. À chaque fois, bien que cela ne soit pas indiqué, l’application de
la stratégie thérapeutique ne se fait qu’après une démarche diagnostique,
l’identification des problèmes à traiter, la psychoéducation sur le problème
et l’analyse fonctionnelle du problème. De plus, il faut évidemment que
le patient soit d’accord pour s’engager dans la stratégie thérapeutique et
que la relation de collaboration soit de qualité dans le cadre d’une alliance
thérapeutique solide. Ces prérequis généraux sont les mêmes pour tous les
problèmes, c’est pourquoi nous les rappelons une seule fois, ici !
Par ailleurs, il existe de nombreux manuels de TCC dans lesquels ces
stratégies sont très précisément décrites. Nous ne ferons ici qu’esquisser l’es-
sentiel de la stratégie pour en donner une idée générale, et nous renvoyons
les lecteurs voulant approfondir aux manuels existants :
– Cottraux J. (2011). Les Thérapies comportementales et cognitives,
Elsevier ;
– Fontaine O et al. (2006). Guide clinique de thérapie comportementale
et cognitive, Retz ;
– Lajeunesse S. et al. (1998). Manuel de thérapie comportementale et
cognitive, Dunod.
Enfin, les techniques ne sont ici que nommées, leur description ayant eu
lieu dans le chapitre précédent.
Le lecteur attentif remarquera que j’utilise ici l’approche traditionnelle
catégorielle/diagnostique et non l’approche processuelle-transdiagnostique.
Il ne faut donc pas perdre de vue, que bien que le découpage des troubles

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

soit fait en diagnostics et que les stratégies thérapeutiques soient indiquées


par diagnostic, en réalité le travail psychothérapeutique porte à chaque
fois sur des processus psychologiques sous-jacents qui concernent souvent
plusieurs diagnostics (transdiagnostic).

6.1 La phobie simple (ou spécifique)


C’est une réaction anxieuse inadaptée en présence d’un objet, d’un animal
ou d’une situation spécifique. Il existe de très nombreuses phobies (des arai-
gnées, de l’eau, des avions, du sang, etc.), celles-ci peuvent être peu gênantes
et peu intenses mais, si elles se généralisent et/ou s’intensifient, elles peuvent
devenir handicapantes (ne plus se soigner par peur du médecin, ne plus
sortir par peur des oiseaux, etc.). La stratégie TCC de base pour lutter contre
ce trouble s’effectue en deux temps : un travail cognitif pour s’assurer que
le patient a une vision réaliste de la situation et qu’il mesure l’irrationalité
de sa réaction anxieuse ; si ce n’est pas le cas, un travail de restructuration
cognitive peut être nécessaire. Cela fait, la méthode par excellence pour
ce type de trouble est une stratégie d’exposition systématique graduée
en imagination et in vivo, selon les circonstances. Stratégie qui peut être
enrichie par les nouvelles pratiques d’exposition présentées plus haut.

6.2 La phobie sociale


C’est une anxiété sociale intense inadaptée qui fait que le sujet a peur des
relations sociales et tend à les éviter. Autant l’anxiété sociale adaptée est
normale et ne pose pas problème, autant quand elle devient pathologique,
elle peut avoir des conséquences dommageables importantes pour le sujet
(souffrance psychique, isolement, échec ou limitation dans les études et
le travail…). Très souvent, au cœur de la phobie sociale, se trouvent d’in-
tenses sentiments de honte et la peur que les autres puissent « découvrir
combien l’on est mauvais et inférieur en réalité ». Cette honte, intime et
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

masquée, apparaît souvent au deuxième plan, après l’anxiété sociale qui est
plus visible : la honte est parfois inconsciente. Pourtant, cette honte pourrait
être le moteur de la phobie sociale. Ces patients ont souvent une estime
de soi basse. Ainsi, la première étape de la stratégie thérapeutique consiste
à travailler sur le sentiment de honte et à rehausser l’estime de soi par
un travail de restructuration cognitive autour des pensées automatiques
irrationnelles associées à la honte. Entretien socratique, colonnes de Beck,
exercices de psychologie positive sur ses propres qualités permettent dans
une première étape d’atteindre cet objectif. Une fois cela fait, la deuxième

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

étape cible l’anxiété sociale elle-même. Des exercices d’exposition aux


stimuli sociaux (regards, échanges non verbaux et verbaux…) sont alors
utiles pour désensibiliser le sujet à ces stimuli anxiogènes. Ensuite il s’agit
de l’amener à se préparer aux relations sociales en utilisant des techniques
d’affirmation de soi par les jeux de rôles avec le thérapeute en individuel
ou en groupe, puis en effectuant des exercices relationnels dans des situa-
tions réelles. Des exercices d’exposition en situation réelle (par exemple,
demander son chemin une dizaine de fois à des passants…) sont souvent
nécessaires, en présence du thérapeute d’abord, puis le patient seul ensuite.

6.3 Le trouble panique-agoraphobie (TPA)


Les attaques de panique sont des réactions anxieuses massives et brutales
qui envahissent le sujet sans qu’il y ait de raison apparente. Le sujet est alors
extrêmement angoissé et souvent les symptômes physiques de l’anxiété
sont au premier plan (sueur, cœur qui s’accélère, étourdissements…). Le
trouble panique implique aussi que le sujet développe une peur importante
à l’idée de faire une autre attaque de panique (la peur de la peur). Cette
peur anticipatrice est parfois plus gênante que les attaques elles-mêmes.
Enfin, dans la majorité des cas, les attaques de panique sont associées à de
l’agoraphobie, c’est-à-dire à la peur des situations d’où il serait difficile ou
gênant d’obtenir de l’aide en cas d’attaque de panique (souvent les trans-
ports, l’avion, les foules, les grands magasins, les ascenseurs…). La thérapie
consiste d’abord à bien expliquer au sujet ce qu’est une attaque de panique
(une fausse alarme intérieure), ses processus (la spirale de la panique) et l’im-
portance de la dimension sensorielle dans cette spirale (les sensations sont
perçues comme des menaces et déclenchent la réaction anxieuse massive).
C’est donc de la psychoéducation. Ces explications peuvent être suivies
d’un travail de restructuration cognitive si nécessaire. La thérapie se fait
ensuite en plusieurs étapes. La première, c’est la lutte contre l’hyperventila-
tion (l’anxiété produit une augmentation du rythme respiratoire, qui produit
à son tour une hyperventilation, entraînant des sensations désagréables
qui sont interprétées par le sujet de façon catastrophique alors que ces
sensations ne sont en réalité pas dangereuses). Pour contrer l’hyperventi-
lation, on apprend au sujet le contrôle respiratoire, qui a pour objectif de
réduire l’apport d’oxygène dans l’organisme et donc de limiter les sensations
angoissantes. De plus, cela redonne au sujet un sentiment de contrôle sur
ses attaques de panique. La deuxième étape consiste à mettre en place une
stratégie d’exposition aux sensations pour réhabituer le sujet à ressentir
sans angoisse les manifestations de son corps. Durant quelques séances,

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

thérapeute et patient vont produire de diverses façons et dans de bonnes


conditions les sensations angoissantes pour le patient (tête qui tourne, cœur
qui s’accélère, étouffement…). Cela a pour effet de désensibiliser le sujet
à ces sensations. En principe, les attaques de panique sont à cette étape
sinon éliminées, du moins améliorées. La stratégie thérapeutique s’adapte
ensuite aux situations où se manifestent les paniques. Dans 70 % des cas
elles s’accompagnent d’agoraphobie. C’est donc souvent dans cette direction
que se dirige ensuite la thérapie à l’aide d’une stratégie d’exposition aux
situations susceptibles de déclencher des attaques de panique (lieu fermé,
pont, voiture, métro, magasins…).

6.4 Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC)


Ils sont composés d’obsessions (des pensées intrusives incontrôlables et
angoissantes, comme attraper une maladie grave ou avoir causé la mort de
quelqu’un…) et de compulsions (les actes comportementaux ou cognitifs
que le sujet fait pour limiter l’angoisse, comme des rituels de vérification,
de lavage ou de comptage…). La stratégie pour améliorer ce trouble peut
passer par des approches comportementales ou cognitives ou les deux.
L’approche cognitive consiste en un travail de restructuration cognitive des
pensées automatiques (par exemple : « si je touche un objet non désinfecté,
je vais attraper une maladie grave »). Des pensées alternatives peuvent alors
prendre place (« le risque est extrêmement faible que cela se produise »),
limitant ainsi l’impact anxiogène de ces pensées. La stratégie comporte-
mentale consiste en une stratégie d’exposition graduée aux situations qui
déclenchent l’anxiété (par exemple, toucher un objet non désinfecté, fermer
sa porte à clé…). La particularité de ce type d’exposition est qu’elle doit
s’accompagner d’une prévention de la réponse, c’est-à-dire des compul-
sions, sans quoi elle ne ferait que répéter le cercle vicieux du problème sans
produire d’habituation et d’extinction. Par exemple, le sujet peut être amené,
dans une première étape d’exposition, à toucher un objet non désinfecté
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sans se laver les mains ensuite durant un certain temps, de façon à ce que
l’habituation puisse s’exercer.

6.5 Le trouble anxieux généralisé (TAG)


Il consiste en des angoisses portant sur des situations de la vie quoti-
dienne (entourage, travail, santé, budget…) : le sujet ne peut s’empêcher
d’imaginer des scénarios catastrophes, en particulier dans les situations
d’incertitude (retard d’un proche, léger problème de santé, dossier à rendre

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

au travail, rendez-vous…). L’incertitude semble produire une réaction


anxieuse massive liée à des cognitions catastrophiques (accident, maladie
grave, licenciement…). Le sujet est donc en proie à des préoccupations
(des inquiétudes) excessives portant sur la vie quotidienne. La stratégie
thérapeutique mêle généralement plusieurs approches TCC : restructura-
tion cognitive sur les pensées catastrophes, mise en évidence des scénarios
catastrophes (exercice de la flèche descendante) et de leur irrationalité,
exposition à l’incertitude et aux scénarios catastrophes, exposition aux
situations d’inquiétude en évitant les comportements de réassurance (télé-
phoner à des proches par exemple), relaxation, pleine conscience, gestion
de l’anxiété, stratégie de résolution de problèmes (pour régler au mieux
les problèmes actuels réels anxiogènes).

6.6 Le syndrome de stress post-traumatique (PTSD)


C’est la réaction émotionnelle pathologique d’un sujet à un événement
objectivement dangereux et menaçant (agression, accident, catastrophe
naturelle…). Ce peut aussi être la réaction à un danger moindre mais durable
(maltraitance, harcèlement…). Cette réaction peut être immédiate, mais
aussi tardive ou différée, mais elle devient ensuite permanente et très
problématique pour le sujet (anxiété, dépression, dissociation, troubles du
sommeil…). L’approche TCC consiste en plusieurs approches qui peuvent
s’enchaîner comme suit. D’abord apprentissage de la relaxation pour dimi-
nuer la charge anxieuse et donner au sujet un moyen de la contrôler. Ensuite,
il est utile de faire avec le sujet un travail cognitif pour repérer les pensées
automatiques dysfonctionnelles et les restructurer. Mais ces pensées ayant
une forte intensité anxieuse, dans le temps même du travail cognitif il peut
être efficace de faire des techniques d’exposition à ces pensées et aux
souvenirs traumatiques qui y sont liés (désensibilisation systématique en
imagination). Cela peut aussi se faire par des techniques d’exposition aux
émotions (mais aussi, de plus en plus souvent, d’EMDR, voir plus haut).
Enfin, la dernière phase de la thérapie consiste en une stratégie d’exposi-
tion graduée aux situations associées à de l’anxiété en lien avec le souvenir
traumatique (le lieu, les gens, certaines situations spécifiques à déterminer
avec le patient).

6.7 Les troubles dépressifs (non bipolaires)


Ils se définissent par une humeur sombre, des idées noires, un affaiblis-
sement de l’estime de soi ainsi que du dynamisme et du plaisir de vivre du

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

sujet. Parfois il y a de la culpabilité et des idées de suicide. Cela peut aussi


s’accompagner de troubles fonctionnels (sommeil, comportement alimen-
taire, concentration…). Il existe là encore plusieurs stratégies TCC pour
combattre ce trouble. La thérapie cognitive de Beck consiste en un travail
de restructuration systématique des pensées automatiques dépressiogènes
(« je ne vaux rien », « le monde est sans intérêt », etc.) afin de les remplacer
par des pensées alternatives adaptées et réalistes. Une autre approche
cognitive prolonge celle de Beck, c’est la thérapie des schémas de Young
qui, à partir des pensées automatiques, remonte jusqu’aux schémas cognitifs
et s’efforce de les modifier ou de les désactiver. La stratégie thérapeutique
peut aussi inclure des approches comportementales, en particulier une stra-
tégie de reprise d’activités (réactivation comportementale) en général et
d’activités plaisantes en particulier. L’activité physique peut être conseillée
de par ses effets antidépresseurs. D’autres approches, de la troisième vague,
ont aussi fait la preuve de leur efficacité dans ce trouble et peuvent venir
en complément : les techniques de psychologie positive (pour remonter
l’humeur et l’estime de soi), la méditation de pleine conscience (pour éviter
les rechutes dépressives) et les techniques d’acceptation des émotions (pour
réduire la réaction négative au trouble, comme « j’ai honte d’être déprimé »,
qui ne fait qu’entretenir et aggraver le problème).

6.8 Les troubles addictifs


Ils se caractérisent par la dépendance du sujet à un produit (parfois à un
comportement comme le jeu, ou Internet…), comme des drogues, la ciga-
rette ou l’alcool. Cette dépendance entraîne des conséquences négatives
pour le sujet en termes de santé, d’insertion sociale et professionnelle, de
vie familiale, etc. La stratégie TCC s’adapte le plus souvent au degré de
motivation du sujet, selon le modèle de Proschaska et DiClemente (voir
l’encadré). Cette motivation est évaluée et travaillée par les entretiens
motivationnels. De fait, l’arrêt d’une addiction est difficile et devient impos-
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sible si le sujet n’est pas motivé pour cela. La première étape de la stratégie
thérapeutique est d’évaluer le stade du changement dans lequel se trouve le
sujet puis d’appliquer la stratégie la plus pertinente pour ce stade. Les tech-
niques utilisées vont être cognitives (restructuration cognitive de pensées
dysfonctionnelles, gérer les pensées favorisant la rechute), comportemen-
tales (exposition au produit, à l’envie de l’utiliser ; mais aussi : résolution de
problèmes, apprendre de nouveaux comportements comme refuser un verre
entre amis – jeux de rôles – prévention de la rechute), émotionnelles ou
corporelles (relaxation, gestion du stress…). Mais dans ce type de trouble,

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

l’entretien motivationnel ainsi qu’une bonne alliance thérapeutique appor-


tant un fort soutien au sujet sont très importants.

Les six stades du changement – le modèle de Proschaska


et DiClemente et la stratégie thérapeutique motivationnelle1
Précontemplation : le sujet n’a pas de Action : le sujet agit concrètement le
motivation au changement (thérapie : si changement (thérapie : soutien, conseil,
le patient est d’accord, information sur renforcements positifs).
les risques de l’addiction, le thérapeute Maintien : le sujet maintient le chan-
reste à disposition en cas de demande). gement (thérapie : prévention de la
Contemplation : le sujet commence rechute).
à développer de l’ambivalence, chan- Rechute : le sujet reprend son comporte-
ger – pas changer ? (thérapie : explorer ment addictif (thérapie : dédramatisation,
l’ambivalence). la rechute n’est pas une catastrophe,
Détermination : le sujet veut changer limiter l’intensité de la rechute et reprise
dans un futur proche (thérapie : étudier de la thérapie au stade du changement
et décider des stratégies possibles pour correspondant).
changer).

6.9 Les troubles du comportement1 alimentaire


(TCA ; boulimie-anorexie)
Ils consistent en des dérèglements dans la façon de se nourrir marqués
par la restriction alimentaire et la peur irréaliste de grossir et/ou par des
crises de boulimie. Les TCC peuvent aider à améliorer la situation. Les
approches portant sur la boulimie diffèrent en partie de celles portant sur
l’anorexie. Cependant certains aspects de ces stratégies sont communs.
Tout d’abord il s’agit d’informer le patient sur les processus physiolo-
giques de l’alimentation et les conséquences d’une sous-alimentation et
des vomissements (s’il y en a), en particulier sur le fait que la sous-alimen-
tation s’entretient d’elle-même pour des raisons en partie physiologiques
et psychologiques (l’anorexie produit aussi, physiologiquement, une perte
d’appétit, ce qui entretient l’anorexie et l’aggrave). Un élément important
de la thérapie est, en accord avec le patient, de modifier progressivement
les comportements alimentaires pour briser les cercles vicieux pathogènes
mais aussi, parfois, pour réduire les risques graves (jusqu’à la mort) de la
sous-alimentation. Le sujet a donc des tâches progressives à accomplir afin
de se rapprocher d’un comportement alimentaire moins pathologique. Ce

1. Miller R., Rollnik S. (2013). L’Entretien motivationnel, Paris, InterÉditions.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

travail est soutenu par une logique de renforcements positifs (le sujet obtient
des « récompenses » quand il atteint des objectifs fixés à l’avance). En insti-
tution, il peut être renforcé par l’apprentissage social (repas pris avec une
personne accompagnante sans problème alimentaire). La restructuration
cognitive est utile pour modifier les pensées dysfonctionnelles autour de
la nourriture et du poids. L’image de soi de ces patients est en général très
irréaliste et il est nécessaire de travailler ces représentations (travail cognitif,
corporel, relationnel, visuel…). Un travail pour remonter l’estime de soi
et la confiance en soi est souvent nécessaire. Les comportements alimen-
taires problématiques sont souvent impliqués dans la gestion des émotions
négatives (« j’ai des crises de boulimie quand je suis malheureuse »), de fait
il est probable que les crises de boulimie soient un moyen, inadapté, de
réguler des émotions douloureuses. Un travail sur les émotions, leur iden-
tification et leur gestion est important et peut passer par des expositions
émotionnelles, de la relaxation, de la méditation de pleine conscience. Il
est aussi très souvent utile de travailler avec l’entourage (parents, conjoints)
pour les soutenir, mais aussi pour améliorer les relations familiales souvent
dégradées du fait des troubles car cette dégradation relationnelle participe
au maintien des troubles.

6.10 Les troubles sexuels


Ils correspondent à tous les dysfonctionnements qui se produisent durant
le déroulement du rapport sexuel (troubles du désir, de l’érection, éjacu-
lation précoce, douleurs, vaginisme, anorgasmie…). Selon les situations et
les demandes des patients, ils peuvent être traités avec le sujet seul ou avec
son/sa partenaire. Dans tous les cas, il faut d’abord exclure une cause orga-
nique au problème avancé, par des examens médicaux faits par un médecin
spécialiste. Ce n’est qu’ensuite qu’un travail psychothérapique est justifié.
La première étape (après l’analyse fonctionnelle) consiste généralement à
travailler les représentations du sujet sur la sexualité et sur ses difficultés
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sexuelles, de façon à restructurer les pensées dysfonctionnelles (par


exemple : « ce n’est pas normal de ne pas faire l’amour plusieurs fois tous
les jours », « un rapport sexuel réussi doit durer au moins une heure », etc.)
et à aider à la mise en place de pensées alternatives plus adaptées et moins
anxiogènes. Le sujet peut aussi apprendre des techniques pour contrer les
pensées anxiogènes durant l’acte sexuel lui-même (avec la technique « stop
pensée » par exemple). Ensuite, selon le problème rencontré, des exercices
comportementaux seront proposés. Par exemple, en couple, des exercices
de découverte sensuelle de soi et de l’autre sans rapport sexuel dans un

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

premier temps, puis avec pénétration quand les partenaires sont prêts (ces
exercices sont discutés en séance avec le thérapeute, mais effectués chez
les sujets sans le thérapeute !). En cas de vaginisme (douleurs vaginales), des
exercices de relaxation et d’exposition à la pénétration non douloureuse
(seule avec du matériel ad hoc) pourront être proposés. En cas d’éjaculation
précoce, des exercices comportementaux permettent de retrouver le sens
de l’excitation sexuelle en lien avec les sensations physiques de la pénétra-
tion. Le plus souvent peuvent être associées à ces exercices spécifiques des
approches plus générales comme la relaxation ou la méditation de pleine
conscience, qui aident le sujet à mieux connaître son corps et ses sensations
ainsi qu’à mieux gérer son anxiété (Poudat, 20111).

6.11 Les troubles du sommeil


Ils concernent surtout des problèmes d’insomnie qui peuvent se produire
à l’endormissement, pendant la nuit à cause de réveils nocturnes trop longs,
ou le matin par des réveils trop précoces. Ces difficultés peuvent être isolées
et autonomes ou être la conséquence (un symptôme) d’un autre trouble
psychique (dépression, anxiété…). Dans ce dernier cas, on traite d’abord
l’autre trouble puis, s’il persiste, le trouble du sommeil. Dans le cas où l’in-
somnie est indépendante d’autres troubles (on parle d’insomnie primaire),
la thérapie commence par de la psychoéducation sur le sommeil, sur ce qui
gêne et sur un certain nombre de comportements (café, tabac, télévision au
lit, chaleur, activité physique avant de s’endormir, se tourner et se retourner
nerveusement dans son lit, etc.) et de cognitions (vouloir s’endormir à tout
prix, penser qu’une mauvaise nuit fera nécessairement une très mauvaise
journée ou qu’elle aura des conséquences néfastes rapides pour la santé, etc.)
qui aggravent les difficultés de sommeil. Ensuite, il s’agit d’amener le patient
à recréer, si nécessaire, un contexte physique et psychologique favorable
au sommeil (donc réduire ce qui gêne le sommeil). On peut aussi encou-
rager la détente avant le coucher (relaxation, pleine conscience, activités
calmes et relaxantes…). L’étape suivante (qui peut cependant précéder
l’étape d’avant) consiste en un travail cognitif pour restructurer les cogni-
tions dysfonctionnelles autour du sommeil (par exemple : « Il est très grave
de ne pas dormir », « On peut contrôler son sommeil », etc.). Enfin, si cela
n’améliore pas suffisamment l’insomnie et que celle-ci est grave, il existe une
stratégie comportementale pour retrouver le goût et le besoin du sommeil. Il

1. Poudat F.X. et al. (2011). Sexualité, couple et TCC, Paris, Elsevier Masson.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

s’agit de la restriction de sommeil, qui consiste à déterminer une durée de


sommeil inférieure à celle du sujet (en période d’insomnie), puis de limiter
impérativement son temps de sommeil (et son temps au lit) à cette durée
de façon à accroître la dette et la pression de sommeil. Puis, quand le sujet
retrouve les signes du sommeil, il faut augmenter progressivement la durée
du sommeil (Morin, 20091). D’autres troubles du sommeil existent (terreur
nocturne, somnambulisme, cauchemars…), pour lesquels existent des stra-
tégies spécifiques que je ne peux développer ici.

6.12 Les troubles de la personnalité


La personnalité est ce qui constitue notre identité, ce qui, dans nos réac-
tions et notre façon d’être au monde, dans nos relations avec nous-même et
avec les autres, fait que nous sommes une personne originale. La personna-
lité est durable (elle se constitue dans l’enfance et l’adolescence, se fixe chez
le jeune adulte puis se maintient pour la vie). Les troubles de la personnalité
consistent dans des traits de personnalité inadaptés qui posent des problèmes
récurrents, parfois graves, au sujet. Par définition, comme la personnalité,
ils sont durables et ils caractérisent et définissent la personne. Alors que les
autres troubles (vus plus haut) semblent « en plus » de la personnalité du
sujet, qui ne s’y reconnaît pas. C’est une difficulté propre aux troubles de la
personnalité, car ils sont profondément et durablement ancrés dans le sujet
et dans la plupart des aspects de sa vie, en particulier en ce qui concerne ses
relations avec le monde, les autres et lui-même. De par ces spécificités, ces
troubles sont difficiles à faire évoluer. Ces thérapies sont souvent longues
et délicates. Parmi ces troubles de la personnalité, un est particulièrement
fréquent en pratique clinique, il s’agit du trouble de personnalité borderline
(ou état limite), caractérisé par une difficulté à gérer sa vie émotionnelle
trop impulsive, un vécu dépressif fréquent, un fragile sentiment de soi (se
sentir vide), une relation au monde parfois perturbée (rapport à la réalité
fragilisé ponctuellement), des relations aux autres tumultueuses et instables
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

marquées par la peur de l’abandon, et une tendance à se faire du mal (scari-


fication, tentatives de suicide…). La stratégie thérapeutique TCC consiste
à analyser un à un les problèmes rencontrés par le patient puis à déter-
miner les stratégies les plus pertinentes pour les surmonter. La thérapie
comportementale dialectique de Linehan est la plus aboutie et la plus
documentée des thérapies cognitivo-comportementales pour ce type de

1. Morin C. (2009). Vaincre les ennemis du sommeil, Les Éditions de l’Homme.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

troubles. Très complète, elle mêle des entretiens individuels (et la supervi-
sion du thérapeute), des modules en groupe et des contacts téléphoniques,
le tout permettant un important soutien au patient. À travers ces différents
dispositifs, le patient travaille sur ses cognitions, ses comportements et ses
émotions, à l’aide des techniques TCC habituelles incluant des techniques
d’acceptation et de méditation. Mieux gérer ses émotions et ses compor-
tements, se ressentir plus pleinement, aborder de façon plus adaptée les
relations et la vie sociale sont les objectifs de cette thérapie (Linehan, 20001).

6.13 Les troubles schizophréniques


Ce sont des troubles psychotiques, parmi les plus connus (mais les plus
mal connus par le grand public). Ils s’expriment de manières très diffé-
rentes, tantôt de façon dite « positive » (délires, hallucinations, troubles du
comportement…), tantôt de façon dite « négative » (retrait social, inhibi-
tion, perte d’élan vital…) mais, à chaque fois, ces symptômes montrent une
importante perturbation du rapport à la réalité (à soi-même, aux autres, à
la réalité matérielle…). Ces troubles sont souvent chroniques et nécessitent
une prise en charge médicale psychiatrique (traitement), parfois lourde
(hospitalisations, institutions…). Les TCC, et les psychothérapies en général,
ne suffisent pas pour accompagner et soigner ces troubles, cependant elles
peuvent contribuer à l’amélioration de l’état du patient et à la mise en
place d’une meilleure qualité de vie et d’un rapport à la réalité plus adapté.
Les approches TCC peuvent intervenir à plusieurs niveaux et à différents
moments du trouble. Plusieurs thérapeutes peuvent être impliqués dans ces
prises en charge. Tout d’abord, un psychothérapeute peut avoir pour rôle
de soutenir le patient et de l’aider au quotidien à surmonter les stress qu’il
subit. De plus, en utilisant des programmes d’éducation thérapeutique du
patient (ETP, comme une psychoéducation systématique et programmée),
un thérapeute peut apporter des informations précises et utiles aux patients
et aux familles pour mieux gérer le trouble et les crises qu’il peut entraîner.
Cela concourt aussi à développer l’insight (la conscience du trouble et de
ses conséquences par le patient), qui lui-même améliore le suivi médical et
psychothérapique et, donc, le pronostic. Ensuite, en agissant par le biais de
programmes de remédiation cognitive pour réduire les perturbations des
fonctions exécutives (attention, fluidité cognitive, etc.), la prise en charge
peut améliorer la façon dont le sujet comprend le monde et, donc, s’y adapte.

1. Linehan M.M. (2000). Traitement cognitivo-comportemental du trouble de personnalité état


limite, Genève, Médecine et Hygiène.

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

De plus, des interventions de restructuration cognitive sont aussi perti-


nentes pour modifier les croyances dysfonctionnelles, même quand celles-ci
sont délirantes (« Dieu me parle, il dit qu’il faut que je me suicide… »). Des
programmes de développement des habilités sociales sont aussi tout à fait
utiles, de même que des stratégies de résolution de problèmes. Enfin, pour
aider à une meilleure gestion des émotions ainsi qu’à un meilleur rapport
à soi-même, des techniques de relaxation et de pleine conscience sont
parfois utilisées. Il est important aussi de travailler avec l’entourage, de
façon à réduire l’expression émotionnelle familiale trop intense, qui est un
stresseur reconnu pour les patients souffrant de schizophrénie. L’entourage
est aussi souvent le premier soutien du patient, et le thérapeute peut agir
pour renforcer la dimension positive et soutenante de ces relations fami-
liales. Les thérapeutes n’omettront pas d’évaluer d’éventuelles comorbidités
(troubles addictifs, du sommeil, sexuel…), le niveau de dépression et les
idées suicidaires, et de les traiter le cas échéant. Par ailleurs, des psycho-
thérapeutes peuvent être impliqués dans des approches orientées vers le
rétablissement (la réhabilitation psychosociale) en favorisant des actions
vers la reconstruction d’une vie satisfaisante malgré la maladie. Ce type de
prise en charge gagne à être pluridisciplinaire (plusieurs professionnels de
métiers différents : psychologue, infirmier, assistante sociale, psychiatre… ;
Kingdom et al., 20111).

6.14 Les troubles bipolaires


Ils sont caractérisés par des fluctuations anormales de l’humeur, tantôt
vers le haut (état d’euphorie maniaque), tantôt vers le bas (dépression), c’est
pourquoi on les appelle aussi troubles maniaco-dépressifs. Ces variations
extrêmes de l’humeur sont très perturbantes pour le sujet, qui en souffre
ainsi que pour son entourage. Elles peuvent avoir des effets sur l’ensemble
des domaines de sa vie (relations sociales, travail, relations amicales et
amoureuses, insertion sociale…). Durant les périodes entre les crises, le
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

sujet peut avoir un fonctionnement tout à fait adapté et satisfaisant au prix


d’un traitement régulier. Les périodes normothymiques (où l’humeur, la
thymie, est normale) entre les crises peuvent durer plusieurs années, voire
plusieurs décennies si le patient est bien traité. Les prises en charge de
ces troubles chroniques sont d’abord médicales pour assurer le traitement
médicamenteux au long cours ainsi que les hospitalisations si elles sont

1. Kingdom D., Turkington D. (2011). Thérapie cognitive de la schizophrénie, De Boeck.

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

nécessaires. Les psychothérapies seules ne sont pas assez efficaces pour


contrôler les variations de l’humeur et leurs conséquences. Cependant,
quand le patient est relativement stabilisé par le traitement, les psychothé-
rapies cognitivo-comportementales ont un rôle important à jouer. D’abord
pour soutenir le patient et l’aider à gérer les situations difficiles de sa vie
quotidienne. Par ailleurs, le thérapeute peut proposer des interventions de
psychoéducation en individuel ou en groupe, avec ou sans la famille. Ces
actions de psychoéducation peuvent être renforcées par des programmes
spécifiques d’éducation thérapeutique du patient (ETP, pour le sujet et/
ou son entourage). Cela permet au sujet (et à son entourage) de mieux
comprendre ses difficultés pour mieux les gérer et se soigner. Le thérapeute
TCC peut aider le patient à mieux reconnaître ses symptômes quand ils
sont de faible intensité, en particulier les symptômes maniaques, qui ont
la particularité d’être agréables à vivre et donc difficiles à reconnaître par
le sujet comme étant problématiques. Quand les symptômes sont perçus
à leurs prémices, ils sont plus faciles à juguler avant que le sujet ne s’en-
fonce dans une crise grave (maniaque ou dépressive). Les TCC peuvent
aussi intervenir quand le sujet est en phase dépressive pour l’aider avec les
techniques habituellement utilisées dans la dépression, en particulier les
techniques de restructuration cognitive et les techniques comportementales
de reprise d’activités. Des techniques de méditation de pleine conscience
peuvent aussi être utilisées pour accroître la conscience des symptômes par
le sujet et réduire les risques de rechute.

7. Conclusion
Les psychothérapies cognitivo-comportementales sont donc l’applica-
tion de techniques spécifiques, dans le cadre de stratégies thérapeutiques
programmées dont l’efficacité a été validée scientifiquement. Ces stratégies
programmées sont d’autant plus efficaces qu’elles s’appliquent au sein d’une
relation marquée par une bonne alliance thérapeutique. Cependant, entre
le programme thérapeutique testé scientifiquement et la préservation de
l’alliance thérapeutique, il peut y avoir des tensions. En effet, la démarche
scientifique impose que le thérapeute applique le programme qui a été validé.
Mais, par ailleurs, l’alliance thérapeutique impose que le thérapeute soit
centré sur le patient. Or, le patient peut avoir des souhaits, des contraintes,
des modes de fonctionnement qui ne correspondent pas totalement au
programme prévu. Par exemple, il peut rencontrer des problèmes imprévus
et souhaiter en parler, alors même qu’un programme thérapeutique est en

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Les TCC en pratique ■ Chapitre 2

cours sur un autre problème. Il peut aussi arriver que pour diverses raisons,
un patient n’apprécie pas telle ou telle technique, pourtant prévue dans le
programme. Faut-il alors insister dans le programme au risque de fragiliser
l’alliance thérapeutique, ou bien suivre la demande du patient au risque de
sortir de la stratégie prévue ? C’est là tout l’art du psychothérapeute, qui
utilise ses capacités d’empathie, d’intuition, de créativité et d’imagination
pour accompagner au mieux le patient tout en utilisant autant que possible
les techniques et les stratégies les plus à même de l’aider au plus près de
ses difficultés. Rigueur et souplesse, technique et empathie, objectivité et
intuition jalonnent la démarche du psychothérapeute, qui ne saurait être
un simple technicien des psychothérapies.
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Conclusion générale

Être psychothérapeute TCC est tout à fait intéressant et stimulant. Tout d’abord
cette approche apporte au psychothérapeute des stratégies et des techniques très
diverses et efficaces pour aider ses patients. Voir un patient s’améliorer, se sentir
mieux et vivre plus agréablement, en partie grâce au travail que l’on a fait avec lui,
est à chaque fois un grand soulagement pour le patient mais aussi une satisfaction
profonde pour le professionnel. De plus, les TCC sont des approches en mouvement
qui ne cessent d’évoluer au fil des décennies et d’intégrer de nouveaux modèles
théoriques qui amènent de nouvelles techniques, qui sont autant de perspectives
différentes sur la psychopathologie et la psychothérapie. Il est donc difficile en TCC
de s’installer dans une routine professionnelle, à moins d’accepter d’être rapidement
dépassé par le progrès ! Par ailleurs la relation de collaboration et de proximité
professionnelle qu’elles suscitent entre le thérapeute et le patient est tout à fait
motivante et engage patient et thérapeute dans une dynamique commune très enri-
chissante humainement. Enfin, par leur pragmatisme et leur diversité, les thérapies
TCC invitent à développer la créativité du thérapeute, qui doit régulièrement adapter
les techniques thérapeutiques aux spécificités de chaque patient, jusqu’à parfois créer
des techniques et des stratégies sur-mesure. Bref, si je suis convaincu de l’intérêt des
TCC tant pour les patients (avant tout !) que pour la pratique professionnelle des
psychothérapeutes, j’espère que cette rapide introduction aux TCC aura transmis
aux lecteurs un peu de cet intérêt et qu’en comprenant mieux ce que sont les TCC,
leurs théories et leurs pratiques, les lecteurs ont pu, en plus, les apprécier, c’est-à-dire
en retirer des bénéfices personnels ou professionnels. Si c’est le cas, je m’en réjouis
et ce livre aura atteint ses objectifs.
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Index des notions

A colonnes de Beck 20
acceptation 42, 119 comportementalisme 25, 27, 38, 39
activité physique 118 comportements 38
activités plaisantes 103 — inadaptés 18
affirmation de soi 124 contrôle respiratoire 117, 118
alliance thérapeutique 77, 82, 83, 90 coping 40, 42
analyse fonctionnelle 85 croyances 38, 104, 109
apprentissage classique 22 — dysfonctionnelles 108
apprentissage opérant 27, 28, 29 — irrationnelles 35
apprentissage répondant 27, 30 D
apprentissage social 30 démarche diagnostique 78, 80, 81
apprentissage vicariant 31 désensibilisation 19, 25, 96
approche cognitive 33 — systématique 25
approche comportementale 22 — systématique par inhibition
approche intégrative 22, 44 réciproque 98
approche processuelle 122 distorsions cognitives 37
arguments pour et contre 108 distraction 116
attaques de panique 117
E
autocontrôle 89
effet boule de neige 81
autorenforcement 32
efficacité 51, 53, 60, 90
B EMDR (Eye-Movement Desensitization and
béhavioristes 24 Reprocessing) 121
biais cognitifs 105, 110, 111, 112 émotions 39, 41
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bien-être 43 entretien clinique 78

bilan 78 entretien motivationnel 81, 128


entretiens 14
C entretien socratique 105
cognition dysfonctionnelle 38 étude d’efficacité 58
cognitions 34, 109 évaluation 83
cognitivisme 38, 39 évitement 42, 96
collaboration 114 exercices 50

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Introduction aux thérapies comportementales et cognitives

exposition 19, 38, 95, 99 pensées dysfonctionnelles 20, 105, 112


— systématique 19 phobie 25, 39
exposition aux émotions 119 — simple 123
extinction 19, 25 — sociale 123
première vague des TCC 22
F
processus cognitifs 109
facteurs communs 61
psychanalyse 90
facteurs spécifiques 61
psychoéducation 105, 113
H psychologie positive 40, 44, 120
habituation 19, 95, 119 psychothérapeutes 69
hyperventilation 117 psychothérapie 13, 14, 74, 77
psychothérapies cognitivo-
I comportementales 134
intelligence émotionnelle 40
psychothérapies scientifiques 51
interprétations cognitives 34
Q
L questionnaires 83, 112
ligne de base 85
R
M recadrage 114
méditation de pleine conscience 20, 40, recherche 45
42, 119
régulation émotionnelle 40, 42
méthode cognitive 20
relation de collaboration 137
méthode de Beck 107
relaxation 26, 117
modèle 33
remédiation cognitive 115
O renforcement 28
objectif 21, 53, 77 renforcement positif 28, 103
outils standardisés 78 renforcements internes 32
réponse 26, 95
P
reprise d’activités 102
partage des responsabilités 107
résolution de problèmes 115
pensées alternatives 20, 88, 107
restructuration cognitive 20, 37, 105, 111
pensées automatiques 35, 36, 41, 107, 109
résumé dun bilan 79
pensées automatiques dysfonctionnelles
ruminations 116
20, 107, 110
pensées (cognitives) dysfonctionnelles 18

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Index des notions

S thérapie rationnelle 35
scénarios catastrophes 125 thérapie rationnelle émotive 35
schémas 104, 112 thérapies 47, 50
— cognitifs 37, 109, 110 — centrées sur le problème 47, 77
— précoces inadaptés 112 — comportementales 25, 29
self help books 84, 114 — comportementales et cognitives 65
stimulus 23, 26, 27, 95, 96 — dites d’acceptation et d’engagement
stop pensée 116 40

stratégies 87, 137 triade cognitive de la dépression 37

— TCC 21 trouble anxieux généralisé 125

— thérapeutiques 82, 95, 122 trouble obsessionnel compulsif (TOC) 48

suppression 116 trouble panique-agoraphobie 124

symptômes 25 troubles addictifs 127

syndrome de stress post-traumatique 126 troubles bipolaires 133


troubles de la personnalité 131
T troubles dépressifs 126
TCC 14, 16 troubles du comportement alimentaire 128
techniques 87, 88, 94, 137 troubles du sommeil 130
— cognitives 104 troubles obsessionnels compulsifs (TOC)
— comportementales 95, 102 100, 125
— corporelles 26, 117 troubles psychiques 18
— émotionnelles 119 troubles schizophréniques 132
théories cognitives 16 troubles sexuels 129
théories de l’apprentissage 16, 22, 30
V
thérapie cognitive 35
validation 17
thérapie comportementale dialectique 40,
131 validation scientifique 44
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thérapie des schémas 113 validité scientifique 38

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Composition : Soft Office (38)

80120-(I)-OSB90°-SOF-BTT
Dépôt légal : juillet 2020
Imprimé en France par la Nouvelle Imprimerie Laballery

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