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Qui dit pollinisation… dit négociation

Les relations des apiculteurs professionnels avec le monde agricole


Robin Mugnier
Dans Études rurales 2020/2 (n° 206), pages 90 à 109
Éditions Éditions de l'EHESS
ISSN 0014-2182
ISBN 9782713228353
DOI 10.4000/etudesrurales.24377
© Éditions de l'EHESS | Téléchargé le 16/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 46.193.64.97)

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Études rurales 
206 | 2020
Apicultures

Qui dit pollinisation… dit négociation


Les relations des apiculteurs professionnels avec le monde agricole
Pollination, negotiation, and how professional beekeepers relate to the
agricultural world

Robin Mugnier

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/24377
DOI : 10.4000/etudesrurales.24377
ISSN : 1777-537X

Éditeur
Éditions de l’EHESS

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2020
Pagination : 90-109
ISBN : 978-2-7132-2835-3

Distribution électronique Cairn

Référence électronique
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Robin Mugnier, « Qui dit pollinisation… dit négociation », Études rurales [En ligne], 206 | 2020, mis en
ligne le 01 janvier 2024, consulté le 08 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/
etudesrurales/24377  ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.24377

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Contrôle des colonies à la sortie de l’hiver


dans la plaine de la Crau (Bouches-du-Rhône,
février 2020). Photo : R. Mugnier.
Robin Mugnier

Qui dit pollinisation…


dit négociation
Les relations des apiculteurs professionnels
avec le monde agricole

L
’apiculture fait-elle partie de l’agriculture ? Du côté des apiculteurs pro-
fessionnels, il paraît évident de répondre par l’affirmative. Pourtant,
ces mêmes personnes reconnaissent aussi cultiver leur différence, ce
qui les écarte du reste des agriculteurs. L’apiculture, dont l’élevage est haute-
ment valorisé, est en effet toujours prête à se distancier du reste des profes-
sions agricoles pour attaquer de front certaines pratiques culturales (recours
aux pesticides essentiellement). Dans le même temps, l’apiculture est sans
cesse ramenée à ses fonctions agricoles par l’intermédiaire de la pollinisa-
tion des cultures qu’elle favorise. La fécondation des plantes par les abeilles
crée des liens entre apiculteurs et agriculteurs, notamment quand ils se ren-
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contrent dans un r­ apport marchand comme le service de pollinisation. Outre
sa production de miel, un apiculteur peut proposer à la location ses colonies
d’abeilles qu’il sélectionne selon certains critères d’efficacité, puis qu’il déplace
aux abords des parcelles. Ce service est contracté par un agriculteur, qui, selon
sa culture, et la taille de ses parcelles, va émettre des besoins en nombre de
ruches par hectare 1. L’introduction d’abeilles – qui favorisent le transport du
pollen – ­améliore la pollinisation et la fécondation des fleurs afin d’accroître le
rendement de cultures de fruits, de semences ou encore de maraîchage.
C’est à ces relations entre professionnels que cet article s’intéresse.
Certes, les relations apiculteur-agriculteur existent déjà dans le cadre de la
pro­duction de miel, mais le service de pollinisation a ceci de particulier, qu’il
induit des contacts répétés. Le terrain ethnographique permet de saisir ces
interactions, coopérations, conflits et identités professionnelles en jeu. Cette
entrée vient compléter les quelques travaux récents en sciences sociales sur la
pollinisation, essentiellement consacrés aux savoirs locaux [Roué et al. 2015],

1. Le propos de cet article se concentre sur l’abeille domestique, mais la pollinisation dirigée
concerne aussi d’autres pollinisateurs, sauvages, ou domestiqués (bourdons, osmies…).

Études rurales, juillet-décembre 2020, 206, p. 90-109 91


à la ­construction d’un marché 2 et aux contradictions qui traversent l’usage
des insectes dans l’agriculture industrielle [Ellis et al. 2020]. L’ambition de
cet article est de renouveler quelque peu l’approche des professions agricoles.
Contrairement aux travaux plus traditionnels et plus nombreux [Candau et
Rémy 2009] qui analysent les professions agricoles dans leurs confronta-
tions avec d’autres groupes sociaux (touristes, voisins, gestionnaires d’espace
naturel…) ou avec des institutions (le marché, l’Europe…), cette enquête se
concentre sur ce qui résulte de la rencontre de deux d’entre elles, depuis l’angle
apicole. Les relations de production en pollinisation fourniront donc l’angle
pour aborder l’identité des apiculteurs professionnels, qui tirent l’essentiel de
leur revenu de cette activité.
À travers le récit des manières de vivre ces relations, ce texte ambitionne
d’éclairer les processus qui font de la pollinisation un marqueur de profes-
sionnalisation pour les apiculteurs. L’article postule, en effet, que le service
de pollini­sation est révélateur de la volonté des apiculteurs d’être reconnus
comme de véritables professionnels, pleinement intégrés au reste du monde
agricole. Cette aspiration passe notamment par la mise en avant de nouvelles
identités professionnelles construites autour d’une expertise en pollinisation,
de capacités de dialogue avec les agriculteurs et d’une distinction vis-à-vis
des apiculteurs amateurs. Ce désir de professionnalisme doit être interrogé,
notamment lorsqu’il a été élevé au rang de passage obligé pour être reconnu
dans le monde agricole. Le récit des apiculteurs vient questionner la finalité
de cette recherche de professionnalisation. Pourquoi être reconnu profession-
nellement par les agriculteurs ? En quoi cela nous renseigne sur le métier
apicole et le sens qu’on lui donne ? Toutefois, apparaît une ambivalence dans
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le service de pollinisation. Alors que ce dernier permet effectivement aux api-
culteurs professionnels de s’ancrer dans le monde agricole, la location des
colonies d’abeilles les confronte aussi, dans le même temps, à une très faible
reconnaissance de leur travail, et ce, malgré leur « lutte pour la reconnais-
sance » ­[Honneth 2013]. À cela s’ajoute encore la méfiance éprouvée vis-à-vis
de certaines pratiques agricoles délétères pour les abeilles. Les apiculteurs
s’interrogent alors très souvent sur leur place dans ce monde agricole, voire
s’en écartent, à l’instar d’autres professions [Pinton et al. 2015]. Avec l’expé-
rience, ces doutes tendent à s’amplifier car l’engagement physique, identitaire
et relationnel imposé par la pollinisation est rarement tenu sur le très long
terme, tout du moins jusqu’à la retraite. Finalement, l’ethnographie révèle que
la négociation perpétuelle – avec les mondes agricoles, avec sa vision du métier
– travaille sans cesse la réalisation du service de pollinisation.
Les matériaux de ce texte sont tirés d’une recherche doctorale (étalée
entre janvier 2019 et août 2020) dans la Drôme, autour des pratiques qui font

2. Voir A. Police, Construire la valeur des services de pollinisation. Socio-économie d’un marché
confiné, mémoire de master en science politique, Rennes, SciencesPo Rennes, 2019.

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é­ merger différentes conceptions des pollinisateurs en tant qu’agents agricoles
intervenant dans les cultures. Une vingtaine d’apiculteurs professionnels –
sur les trois cents qui ne vivent que de ce métier en région Auvergne-Rhône-
Alpes – ont été rencontrés et suivis dans leur travail 3 . Sans en être un miroir
parfait, ces apiculteurs rassemblent une grande partie de la diversité apicole
professionnelle : ruchers de cent cinquante à plus de deux mille ruches, en
vente directe ou en gros, du conventionnel à l’apiculture biologique, et enfin,
une implication graduelle, selon les cas, dans la pollinisation. Tous profitent
d’un territoire local propice à la production d’une grande diversité de miel
(acacia, châtaignier, lavande, colza, thym, tilleul…).
En quoi le rapport des apiculteurs professionnels au monde agricole est-il
sans cesse renégocié au sein du service de pollinisation ? Nous verrons, dans
une première partie, ce qui définit le service de pollinisation, puis dans une
deuxième, le rôle des groupements régionaux d’apiculteurs pollinisateurs
professionnels (Grapp). Puis, sera abordée la manière dont ces apiculteurs se
définissent notamment par rapport aux agriculteurs. Enfin, la dernière partie
montre l’ambivalence de ce service à travers la description de ce sentiment de
non-reconnaissance ressenti par ces professionnels.

Le service de pollinisation,
poste d’observation de l’apiculture professionnelle

Proposer un service de pollinisation en France n’a rien d’évident pour un api-


culteur professionnel tant la production de miel a été construite comme la
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pierre angulaire de l’identité de la filière. Cette situation diffère, par exemple,
de celle des États-Unis où la pollinisation est largement pratiquée et génère
annuellement autant de revenus que la vente du miel (soit 300 millions de
dollars chacune). Alors qu’outre-Atlantique le service de pollinisation se struc-
ture au début du xxe siècle dans les vergers de la côte Ouest [Kellar 2018 ;
Rucker et Thurman 2019] – au moment où les surfaces augmentent et où
les arsenics dévastent la faune pollinisatrice sauvage – il faudra attendre les
années 1960 pour voir les premières traces de location de colonies d’abeilles
en arboriculture dans le sud de la France 4 . Cela fait suite à l’essor de la pro-
duction fruitière sur d’importantes surfaces et de certains choix culturaux qui
renforcent la dépendance aux pollinisateurs. Au tournant des années 2000, le
développement des semences hybrides de colza et de tournesol accroît encore

3. Des observations et des échanges avec des techniciens de culture, agronomes, agriculteurs
multiplicateurs de semence, et arboriculteurs complètent cette recherche. À cela s’ajoute un
terrain de master (juin-juillet 2017) auprès d’apiculteurs salariés dans une multinationale en
production de semences potagères (Maine-et-Loire).
4. Archives personnelles d’apiculteur et récits.

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En haut : répartition des ruches dans un verger d’abricotiers et de pêchers
avec l’aide d’ouvriers agricoles (Drôme, février 2020).
En bas : un apiculteur présente l’organisation d’une colonie d’abeilles à des salariés
d’une coopérative semencière (Drôme, juillet 2019). Photos : R. Mugnier.

la demande en ruches. Le service de pollinisation va alors se concentrer au


niveau géographique sur les zones de production où les besoins en pollinisa-
teurs sont importants : la vallée du Rhône, le bassin arboricole méditerranéen,
le Sud-Ouest avec ses semences de colza et ses fruits, ou encore des territoires
plus restreints comme le Val-de-Loire.
Malgré tout, et bien que l’abeille ait acquis une aura considérable grâce
à ses facultés pollinisatrices, la pollinisation reste invisible dans les chiffres
de la filière apicole française puisque ce service ne représente que 2 à 3 % du
chiffre d’affaires global des exploitations en 2012 5 . La pratique de ce service
tend à augmenter corrélativement au nombre de ruches possédées puisque
10 % des apiculteurs qui disposent de plus de 50 ruches pratiquent ce service
contre 2,6 % pour ceux qui en possèdent moins. Malgré le manque de chiffre,
il est possible de faire l’hypothèse que ce taux augmente encore si l’on se res-
treint aux seuls apiculteurs professionnels – définis par le fait de détenir 150
ruches ou plus – et dont le nombre s’établit en 2019 à 2 250 6. Pénibilité du
travail, superposition avec des périodes déjà chargées en production de miel
et risques d’intoxication des ruches dans les cultures sont les trois grandes
raisons évoquées pour expliquer ce faible investissement dans le service. Les
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revenus économiques sont le principal motif qu’évoquent les apiculteurs pour
mettre à disposition des agriculteurs leurs colonies d’abeilles. Même si le prix
de location est souvent évalué comme bas (30 à 50 euros la ruche), notamment
en comparaison des gains procurés par le miel et des risques encourus, les
api­culteurs trouvent dans la pollinisation un apport en trésorerie quasiment
immédiat pour répondre à des investissements en cours de saison (matériel
pour la miellerie ou la transhumance…). Voilà pourquoi ce sont les jeunes
apiculteurs, dont les besoins économiques sont conséquents au lancement
de l’exploitation, qui pratiquent le plus la pollinisation. Aucune statistique
n’existe qui pourrait déterminer le montant d’un contrat moyen en pollinisa-
tion, ni le nombre de ruches louées. Cela varie de quelques centaines à plu-
sieurs dizaines de milliers d’euros, suivant les orientations de l’exploitation,

5. Voir L’audit économique de la filière apicole française, 2012, réalisé par France AgriMer (<https://
www.franceagrimer.fr/fam/content/download/17875/document/Audit_de_la_­filili%C3%A8re_
apicole_2012.pdf?version=2>).
6. Voir le rapport, Bilan de la campagne miel 2018, réalisé par France AgriMer (<https://www.­
franceagrimer.fr/fam/content/download/62960/document/BIL-MIEL-2019-%20Bilan%20
de%­­20campagne%20miel%202018%20.pdf?version=2>).

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le nombre de ruches mobilisables, des itinéraires de production et de l’intérêt
qu’a l’apiculteur à entrer en relation avec les agriculteurs de son territoire 7.
Jean-Baptiste est un jeune apiculteur, rencontré pendant mon terrain.
C’est la troisième fois depuis début mars 2019 que je l’accompagne pour une
pollinisation chez Didier, un arboriculteur de la vallée du Rhône qui travaille
plus de 120 hectares de verger (abricotiers, pommiers, pruniers…). Contre une
trentaine d’euros par ruche, Jean-Baptiste dépose en location une centaine de
colonies d’abeilles domestiques aux pieds des arbres pendant le temps de leur
floraison pour augmenter les rendements. Sa jeune exploitation apicole, trois
ans à peine, profite de ce service de pollinisation pour compléter les recettes
de la vente de son miel, produit par ses 350 ruches. Entre l’apiculteur et le pro-
ducteur, les échanges sont professionnels, détendus et compréhensifs (« on est
des paysans tous les deux »).
Didier a même accepté de réaliser ses traitements fongicides la nuit afin
de diminuer les effets néfastes sur les ruches. Une complicité qui s’estompe
toutefois le lendemain de notre dernier passage, à cause d’un événement. Alors
qu’il passe contrôler ses ruches en pollinisation cerisier, Jean-Baptiste voit un
ouvrier agricole aspergeant le pied des arbres, et ses ruches, d’herbicide, un
mélange de glyphosate et de 2,4-D. Au téléphone l’apiculteur ­s’emporte malgré
les excuses de Didier qui reconnaît son erreur sur le planning de traitement.
« Juste un truc, dites-vous que si vous avez plus d’abeilles, vous aurez plus de
production », lui lance Jean-Baptiste. Cet évènement marque la rupture du
contrat et l’apiculteur n’a pas signé la charte Verger éco-­responsable à laquelle
adhère Didier pour valoriser la protection de la biodiversité. N ­ éanmoins, cet
incident, perçu par Jean-Baptiste comme une négation de son travail pour
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apporter des colonies efficaces, n’a pas mis fin à ses relations avec d’autres agri-
culteurs. Au même moment, soixante autres colonies butinent des parcelles
où sont produites des semences de colza hybride dans la plaine de Valence.
Là-bas, dans cette plaine céréalière, la pollinisation continue avec Arthur, un
jeune semencier qui travaille 230 hectares, notamment pour une coopérative
semencière d’un grand groupe français. Les échanges sont plus amicaux, on
s’invite à boire un verre, on s’envoie des photos de ruches en pleine activité
et on planifie les pollinisations à venir sur les tournesols semences. Parado-
xalement, la confiance en Arthur s’est renforcée après les déboires dans les
fruitiers. Le fait de travailler et de valoriser ses liens avec un « gros semen-
cier », comme il le dit, est gratifiant et montre son insertion dans le monde
agricole. Pourtant, cela n’avait rien d’évident : après avoir été chauffeur routier,
Jean-Baptiste s’est lancé en apiculture pour donner une plus grande place à
l’écologie dans sa vie et produire autrement que le modèle dominant. Il reste

7. Voir les enquêtes de filières [Ferrus et al. 2018]. Voir aussi C. Rault, Analyse et description des
besoins en pollinisation des arboriculteurs rhônalpins. Quels facteurs clés de succès pour y répondre ?,
mémoire en agronomie, Rennes, AgroCampus Ouest Rennes, 2011.

96 ROBIN MUGNIER
très critique à l’égard des grands groupes semenciers (et chimiques) qui
contractualisent avec Arthur et qui commencent à réorganiser le secteur de
la pollinisation. Enfin, il reste toujours très méfiant vis-à-vis des traitements
printaniers sur le colza.
Les choix de Jean-Baptiste interrogent, car ils ne se résument pas aux deux
principaux discours qui s’opposent lorsqu’il s’agit de dépeindre les liens entre
apiculture et agriculture. Sa relation ne peut pas être réduite à une opposition
nette et conflictuelle envers les agriculteurs, notamment autour des pesti-
cides, comme le font souvent certains syndicats d’apiculture. Elle ne peut être
interprétée non plus comme une confiance totale et pacifiée envers les agri-
culteurs, comme cherchent à le présenter dans leur intérêt certaines filières
agricoles. Alors que se cristallisent ces discours concurrents, les apiculteurs
professionnels, engagés dans le service de pollinisation, montrent au contraire
qu’ils n’ont de cesse de faire tenir ensemble ces positionnements que l’on pour-
rait penser en contradiction évidente. Cette négociation constante, entre ces
diverses attitudes, est au cœur de l’identité des apiculteurs et de leur aspiration
à être reconnus comme professionnels.

Devenir professionnel et être écouté

Suite au travail de l’Institut technique de l’apiculture (Itapi), la filière apicole


se dote en 1986 d’une interprofession afin de renforcer sa structuration. Cette
création amorce une série de tentatives, au tournant des années 1990, pour
professionnaliser les structures et les rendre plus efficaces. Les résultats les
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plus probants sont atteints au niveau régional, loin des conflits entre syndicats
et des problèmes de financement qui compliquent le développement des insti-
tutions nationales. Des apiculteurs professionnels créent, d’abord en Provence,
puis en Rhône-Alpes, les premières associations de développement apicoles
(ADA). Financées par les régions, elles ne concernent que les chefs d’exploita­
tion, évinçant de leur fonctionnement les apiculteurs de loisir dont les posi-
tions – autour des pesticides, de l’organisation de la filière – sont perçues
comme de plus en plus divergentes des intérêts des professionnels 8. Leurs
missions consistent à aider à l’installation, à proposer des formations et des
références techniques pour améliorer la production. Les ADA sont au niveau
local le reflet des aspirations des apiculteurs de métier : inscrire l’apiculture
dans sa dimension professionnelle, productive, et agricole.

8. L’apiculture française a toujours été marquée par l’opposition syndicale, parfois virulente,
entre amateur et professionnel. Comme le montre Paul Fert [2015], la structuration du syndi-
calisme apicole peut être trivialement positionnée autour de deux axes : amateurs versus profes-
sionnels pour le premier et tolérance versus refus des pesticides pour le second.

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Le service de pollinisation est alors pleinement intégré à cette dynamique
de professionnalisation 9 . En mars 1991, à Avignon une réunion rassemblant
des membres de l’Itapi, des ADA et des centres d’étude technique apicole
(Ceta), a pour objet d’appeler à « aborder le problème de la pollinisation sur le
plan collectif et notamment régional » afin notamment « de centraliser l’offre
et améliorer la qualité du service » 10. Le groupement régional d’apiculteurs
­pollinisateurs professionnels, une forme d’organisation nouvelle créée au
départ en Midi-Pyrénées, a ensuite servi de modèle aux apiculteurs proven-
çaux et rhônalpins 11.
Bien que dans ces régions l’adage populaire veuille que « tout le monde
fasse un peu de pollinisation », les groupements ne dépasseront jamais la
vingtaine d’adhérents chacun. Pour une majorité d’apiculteurs, les Grapp vont
avant tout être considérés comme une structure collective et technique. Le
groupement entretien un partenariat scientifique avec l’Inra d’Avignon sous
la forme d’une réunion annuelle consacrée à dans les locaux de l’équipe de
Bernard Vaissière. Des fiches pratiques, culture par culture, sont rédigées par
ces apiculteurs afin d’avoir plus de connaissances dans leurs échanges avec
les producteurs. Enfin, les réunions du groupe sont un espace où est partagée
l’expérience sur la gestion du cheptel pour améliorer à la fois l’efficacité des
colonies et l’organisation du travail sur l’exploitation. En construisant la polli-
nisation comme « une intervention technique », qui répond aux exigences de
gestion d’un « facteur de production », les membres des Grapp vont peu à peu
s’ériger en « experts » 12 . Cette position les distingue d’autres apiculteurs (ama-
teurs ou non), dont la qualité du service est sans cesse remise en cause (ruche
peu peuplée, faible réactivité…), et leur donne l’image d’être des interlocuteurs
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soucieux de répondre aux attentes du monde agricole.
La pollinisation et son service vont, en effet, être une véritable porte
­d’entrée vers les autres filières, et l’occasion de communiquer sur la protec-
tion de l’abeille. Sollicités sur le sujet de l’amélioration du rendement grâce
à l’abeille, les Grapp vont entrer en dialogue avec les structures agricoles –
chambres d’agriculture, organismes de producteurs, instituts techniques,
centres de formation… Les innombrables listes et demandes de contacts pré-
sentes dans les archives du groupe rhônalpin sont révélatrices de ce souhait.
De ces interventions est née une nouvelle expertise, celle d’aborder de façon
diplomatique le sujet crispant des bonnes pratiques pour protéger les colonies

9. Je remercie P., apiculteur, acteur de cette structuration, et M., technicienne ADA, de m’avoir
ouvert leurs archives personnelles et celles de l’association.
10. Compte rendu de la réunion pollinisation du 27 mars 1991 à l’Inra Montfavet, archives du
Syndicat Drôme-Ardèche.
11. Certains syndicats, comme celui de Drôme-Ardèche, ont créé dès les années 1970 des
­commissions pollinisation.
12. Expressions couramment utilisées dans les brochures de présentation à destination du
monde agricole.

98 ROBIN MUGNIER
vis-à-vis des traitements pesticides, sans jamais parler d’écologie dans leur
plaidoyer [Magnin 2020]. Leurs connaissances des cultures, des molécules
chimiques et leur savoir-faire en pollinisation amènent ces apiculteurs à espé-
rer que leur message soit mieux compris.
Tout ce travail ne sera jamais revendiqué comme une activité politique telle
que l’on pourrait la concevoir dans le cadre du syndicalisme apicole. Elle s’ins-
crit plutôt comme une « lutte politique discrète » [Scott 2008], qui se développe
derrière ce qui s’apparente à une harmonie des relations entre ces filières. Il
arrive pourtant que l’activité du Grapp s’insère dans la continuité de l’activité
syndicale 13. C’est le cas en novembre 2000, après de grandes manifestations
médiatisées contre l’utilisation de l’insecticide Gaucho. À ce moment les syndi-
cats de la Drôme réfléchissent à poursuivre leur action par « un travail régional
et de terrain ». En tant qu’acteur identifié dans le monde agricole et habitué
à dialoguer, le Grapp a la tâche de mettre en place une rencontre entre api­
culteurs et agriculteurs. Le groupement est familier de ce type de démarche et
habitué à intervenir dans un environnement où les contraintes de chacun sont
partagées, loin d’une opposition frontale. Cette action tranche, par exemple,
avec celle menée en 2012. Exceptionnellement, le Grapp décide d’appeler publi-
quement au boycott et refuse de polliniser les productions de semence de colza
pour ­s’opposer à l’utilisation, sur cette culture, de l’insecticide néonicotinoïde
­Cruiser OSR. En interne, les débats sont houleux. Certains craignent que
ce boycott brise les liens patiemment construits avec les agriculteurs et qu’il
remette en cause cette volonté de transformer les pratiques à travers le dialogue.
Aujourd’hui, le dernier Grapp encore en activité, celui de la région
Auvergne-Rhône-Alpes, est en veille depuis 2019. Le départ à la retraite de
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certains membres fondateurs, acteurs de la structuration de la filière au
tournant des années 1990 et la difficulté à faire vivre ce groupe, a conduit à
cette décision. Une partie de son action reste poursuivie par l’ADA Auvergne-
Rhône-Alpes (discussion avec les filières, assistance en cas d’intoxication…).
Néanmoins, dans sa globalité, la filière apicole a perdu de son influence et sa
capacité à organiser les relations entre apiculteurs et agriculteurs. Les struc-
tures apicoles (ADA, Grapp, syndicats...), par exemple, n’ont pas été sollicitées
par les entreprises de productions de semences oléagineuses (colza, tourne-
sol) lorsque ces dernières ont réorganisé leurs relations aux apiculteurs. Très
volontaristes depuis 2009 sur le sujet de la pollinisation, ces entreprises
ont cherché à supprimer les acteurs qui peuvent assister politiquement les
­apiculteurs en cas de conflit. Plus globalement, les établissements semenciers

13. La distinction entre le Grapp et les syndicats est parfois complexe puisqu’une grande partie
de ses adhérents sont aussi investis sur le plan syndical, souvent à la Confédération paysanne
ou à la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP). Le Grapp a néanmoins
­tendance à se distancer des syndicats, et leur dimension critique, afin de faciliter son accepta-
tion dans le monde agricole.

Qui dit pollinisation… dit négociation 99


deviennent les interlocuteurs directs des apiculteurs pour organiser l’intro-
duction des ruches, par l’intermédiaire d’un référent pollinisation. Ce rôle
n’incombe dès lors plus aux agriculteurs contractualisés par ces entreprises,
ce qui tend à les déresponsabiliser du sujet des pollinisateurs. Il s’agit d’une
stratégie pour sécuriser l’apport des colonies dans la culture et rapprocher
des directions de production une profession apicole que l’on juge encore trop
vindicative et peu fiable. À travers cette contractualisation des apiculteurs, les
établissements ont réussi à faire valoir certains de leurs intérêts, que ce soit
concernant les pratiques de gestion de ruches ou les prix de location. Certains
apiculteurs peuvent toutefois aussi tirer bénéfice de cette situation par une
fluidification logistique de l’organisation du travail et une écoute plus attentive
– mais jamais totale – de leurs contraintes.
Que ce soit avec les directions d’établissements semenciers ou avec les
agriculteurs, les apiculteurs cherchent sans cesse à construire et à valoriser ces
relations, notamment parce qu’elles participent à l’élaboration de leur entité
professionnelle.

(Re) créer des relations entre professionnels sur le territoire

C’est en arpentant dans le pick-up d’un apiculteur ce territoire agricole drô-


mois, diversifié sur le plan paysager et historiquement marqué par une grande
variété de productions, que l’on saisit l’ancrage de cette profession dans son
milieu agricole. Par les fenêtres du véhicule, on voit que l’agriculture est par-
tout. Au volant, on tend une main pour saluer un producteur voisin, on évoque
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une discussion avec cette exploitante qui tient un poulailler et l’on désigne du
doigt au loin un morceau de forêt qu’un agriculteur du magasin de produc-
teurs met à disposition pour un rucher. Les raisons de connaître les autres
cultivateurs et éleveurs de la région sont aussi nombreuses que les sociabilités
et les réseaux qui structurent la vie d’un territoire : réseaux de voisinage, fami-
liaux, professionnels… Que ce soit la météorologie, un fait divers, ou l’achat
d’un outil, les sujets de discussion entre ces différentes professions sont nom-
breuses et largement mises à profit. À titre d’exemple, l’échange entre Andréa,
jeune a­ piculteur trentenaire installé en vallée du Rhône, et David, un agricul-
teur qui le sollicitait pour polliniser ses colzas semences, est révélateur. Au
téléphone leur discussion est un peu tendue devant l’insistance de l’apiculteur
à signer un contrat récapitulant leurs engagements. Lors de leur rencontre
sur la parcelle dès le lendemain – pour déterminer où déposer les ruches
– l’échange prend une tournure moins impersonnelle. Après avoir parlé de
la question des haies, de génétique, ou encore d’agressivité des abeilles, ils
découvrent qu’ils fournissent tous les deux la même grande surface locale, l’un
en miel, l’autre en melons. Pendant un bon moment il est question des marges
opérées par l’enseigne avant de découvrir qu’ils ont été un temps voisins.

100 ROBIN MUGNIER


Colonies d’abeilles en pollinisation
dans un verger de cerisiers (Drôme, avril
2019). Photo : R. Mugnier.

L’ordinaire de ces relations est aussi banal qu’essentiel pour comprendre


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leur portée. Bien que les apiculteurs regrettent qu’elles ne soient pas plus déve-
loppées et quotidiennes – car « chacun est dans sa saison » – ces relations nous
éclairent sur ce sentiment partagé qu’un apiculteur résume ainsi : « On nous
a opposés ». Cette phrase met l’accent sur une période imaginée 14 où les deux
professions auraient entretenu de bonnes relations. Tout en reconnaissant les
bienfaits politiques pour la filière de la forte médiatisation des luttes apicoles
contre les pesticides, contribuant à donner une image très positive de l’api-
culture dans la société, des apiculteurs professionnels estiment que celle-ci a
aussi eu pour effet négatif de conflictualiser les relations locales. L’apiculteur
s’est fait enfermer dans l’image du « poète des champs », « d’hurluberlu », arra-
ché à son ancrage agricole car assimilé obligatoirement à la critique écologiste
et donc, par voie de fait, opposé aux agriculteurs côtoyés quotidiennement.
Avec les médias, les syndicats d’apiculteurs « amateurs » sont ceux qui sont le

14. J’utilise le terme « imaginée », puisque les luttes entre ces professions ont parcouru le xxe siècle
et plus particulièrement l’après Seconde Guerre mondiale. Voir L. Humbert, Résister à la « moder-
nisation agricole », les apiculteurs-trices dans la lutte contre les insecticides de synthèse (1945-1962),
mémoire en histoire des sciences, Paris, École des hautes études en sciences sociales, 2018.

Qui dit pollinisation… dit négociation 101


plus dénoncés comme moteur de ce processus. Renvoyés au statut de simples
associations écologistes, ils saperaient le travail de dialogue ­qu’entreprennent
les « vrais » apiculteurs avec les agriculteurs qui les entourent. Une nouvelle
fois, l’opposition entre professionnel et amateur surgit comme un marqueur
identitaire en apiculture, cette fois actualisé autour des capacités à construire
des liens détendus avec les agriculteurs. Comme les Grapp l’ont aussi montré,
le service de pollinisation agit comme un marqueur de professionnalisation
par l’intermédiaire et la valorisation de ses capacités à « construire du lien ».
Pour battre en brèche cette opposition entre apiculteur et agriculteur,
­différentes stratégies sont mises en place. Insistons sur le fait que la pollinisa-
tion est une première réponse, car elle permet justement de (re)créer du lien.
Elle est aussi pour certains apiculteurs, reconvertis dans cette profession après
une expérience en agriculture, l’occasion de dépasser l’antagonisme. Sur la
vingtaine d’apiculteurs rencontrés, une dizaine déclare appartenir au monde
agricole (par leur parcours ou leur famille). C’est, par exemple, le cas de Paul
et Jérémie, apiculteurs de part et d’autre du Rhône, en Drôme et en Ardèche.
L’un a travaillé pendant dix ans dans la filière semence tandis que le second a
été employé dans l’usine d’un établissement semencier à qui il fournit, dix ans
plus tard, 600 ruches en pollinisation. Leur reconversion en apiculture a été
l’occasion de créer leur propre exploitation (sans posséder de terre) tandis que
la pollinisation permet de maintenir un lien avec le monde agricole souvent
mis en avant.
La question des pesticides est, elle aussi, centrale. Pour les apiculteurs,
mettre en valeur ses capacités à instaurer une discussion sereine sur ce sujet
constitue l’argument de force qui décrédibilise l’opposition perçue. Bien que
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les traitements agricoles soient critiqués et surtout redoutés, les apiculteurs
­s’efforcent avant tout d’instituer et de négocier des règles d’usage – pulvérisa-
tion de nuit, broyage de la flore inter-rang… – lors de discussions aux abords
des parcelles. Dans ces échanges en face-à-face, l’usage des pesticides est
abordé de manière pacifiée afin de ne pas rompre le dialogue. À ce sujet,
chaque apiculteur dispose d’une histoire singulière et anecdotique à raconter
dans laquelle un agriculteur a su modifier ses pratiques le temps de la polli-
nisation pour protéger les colonies. Ces récits, aux structures très semblables,
mettent en acte et encensent justement cette capacité à établir un échange
qualifié tour à tour de « serein » ou « raisonnable » entre producteurs et qui
écarte les solutions les plus clivantes. Une telle position est soutenue, par
exemple, par Julien, apiculteur labellisé en apiculture biologique et ancien
directeur du pôle agri-environnement d’un parc national français. Au moment
où le maire de son village signe un arrêté anti-pesticide, lui n’hésite pas à
s’élever contre lors des réunions publiques :
Y’a un problème avec les pesticides, mais les manières totalitaires, un
peu inquisition écologique, je m’en méfie quoi. Pour un écho national

102 ROBIN MUGNIER


je trouve que ça a fait des dégâts au niveau local […]. Sur le fond, on est
d’accord, sur les outils et la méthode, non.

Ces choix ne sont pas anodins puisqu’ils placent les apiculteurs face à la cri-
tique d’une partie de leur propre filière, amateur ou non. Maintes fois taxé de
« pro-FNSEA », notamment pour son investissement à tisser des liens entre la
filière semence et l’apiculture, Paul est vilipendé comme un allié du syndicat
agricole majoritaire à l’orientation productiviste. Il ajoute à sa décharge : « tu
crois que ça me fait plaisir de parler avec des gens de la FNSEA ? ». Néanmoins,
dans ces récits, plus le dialogue paraît difficile à engager (« un gros semen-
cier », « un pur céréalier », « un adepte du pulvérisateur »), plus l’apiculteur
dégage une certaine estime de soi lorsqu’il arrive à construire un échange
jugé constructif.
Plus ou moins romancées, ces histoires convoquent différentes figures
agricoles – masculines – telles que le « paysan », l’agriculteur « technique »
ou encore « de confiance ». Des dénominations utilisées couramment par les
apiculteurs pour nommer leurs interlocuteurs. Elles sont particulièrement
intéressantes car toutes font intervenir un jugement de valeur sur un « idéal-
type » d’agriculteur avec qui la relation est valorisée.
Jean-Baptiste a souvent l’habitude de répéter, comme Andréa d’ailleurs,
qu’il ne travaille qu’avec des « paysans », que ce soit en pollinisation, ou lors de
la saison morte quand il aide deux producteurs locaux à la cueillette de noix
ou de tabac pour compléter ses revenus. Par ce geste, il réaffirme une forme
d’opposition à coopérer avec des entreprises agricoles, « gérées par des techni-
ciens », dont il estime au passage qu’elles imposent de mauvaises pratiques aux
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agriculteurs. Voilà pourquoi il ne traite qu’avec Arthur et non pas avec l’établis­
sement semencier qui contractualise ce dernier et qui doit normalement
servir d’intermédiaire entre les deux professionnels. C’est à peu près dans la
même idée que Stéphanie, apicultrice du Grapp en Drôme provençale a fait,
elle aussi, le choix de construire des liens directement avec des producteurs.
Dans son cas, elle a longtemps multiplié les petits contrats, lui imposant une
organisation logistique importante et des trajets conséquents. Elle explique ce
choix par son soutien à une agriculture de proximité que l’abeille doit soute-
nir, elle aussi, par la pollinisation. Syndiquée à la Confédération paysanne et
un temps responsable de sa section apicole – un syndicat dit de gauche, qui
a une forte sympathie chez les apiculteurs – elle a l’intuition que le contact
est plus facile avec les « paysans », ce qui lui permet de discuter et, parfois, de
tisser des liens de solidarité. Ce sentiment est mis en lumière par l’attache-
ment qu’elle a pour des agriculteurs dont elle apprécie les discussions autour
d’un sirop au moment d’apporter les ruches. D’ailleurs, la pollinisation reste
parfois pratiquée uniquement pour entretenir ce lien et poursuivre ce rituel
annuel, permettant de converser et de « prendre le pouls » du monde agricole.
Notons enfin que la référence à la « paysannerie » ne sert pas qu’à nommer les

Qui dit pollinisation… dit négociation 103


agriculteurs, mais qu’elle est utilisée par des apiculteurs pour se définir eux-
mêmes. Se dire paysan, c’est aussi s’incorporer à un ensemble plus vaste de
producteurs et se distinguer des autres, comme « les chefs d’entreprise ». Une
expression négative, utilisée par les apiculteurs dans les situations de conflits,
et qui assimile l’agriculteur à un modèle agricole critiqué car considéré alors
comme affranchi des considérations sociales et écologiques.
Les frontières sont parfois floues et dynamiques entre ces figures ­agricoles
évoquées plus haut. Stéphanie, par exemple, se réjouit aussi de se tourner vers
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De retour de pollinisation tournesol, en pleine nuit, les ruches attendent sur le plateau d’un poids-lourd pour
être déchargées sur un nouveau rucher (Drôme, août 2020). Photo : R. Mugnier.

des agriculteurs qualifiés de « techniques » et, notamment, vers cet important


céréalier du Vaucluse, qui lui a demandé 80 ruches pour sa production de
luzerne semence. Cette référence à la technique est relativement commune
et englobe une expertise importante, couplée à des moyens matériels et une
compréhension des besoins et des contraintes des apiculteurs. Par extension,
de nombreux apiculteurs s’y réfèrent pour vanter l’agriculteur déjà sen­sibilisé
à l’intérêt des pollinisateurs et avec qui il sera possible de développer des liens
professionnels basés sur des savoirs agronomiques. C’est, par exemple, ce
qui est vanté lorsque les apiculteurs évoquent leurs échanges avec le référent
­pollinisation des établissements semenciers. Ces échanges sont d’autant plus
mis en valeur qu’ils permettent aux apiculteurs, à leur tour, de se mettre

104 ROBIN MUGNIER


en avant comme spécialistes de la pollinisation orientée vers la hausse ­des
rendements.
Finalement, ces « figures » agricoles montrent que du côté des api­
culteurs, la volonté est de ne jamais polliniser « n’importe qui » – ou n’importe
quelle culture 15 – mais celui ou celle avec qui l’on espère bâtir une relation
de confiance et protectrice, pour soi et ses abeilles. Le facteur primordial,
mainte fois rappelé par les apiculteurs, réside dans la construction de liens
et d’échanges. Mais, si ces relations sont valorisées, elles restent fragiles et le
fruit d’une négociation constante.

La non-reconnaissance du travail apicole

Pour les apiculteurs, le service de pollinisation catalyse une certaine ambi-


valence. S’il facilite le rapprochement avec les agriculteurs, ce service les
confronte aussi à ce qu’ils perçoivent comme une faible reconnaissance de
leur travail. À ce sujet, le récit d’Andréa ressemble à celui de Jean-Baptiste
évoqué précédemment. Alors qu’il passe en fin de matinée observer ses colo-
nies déposées dans les vergers d’abricotiers de Pascal, il surprend ce dernier
sur son tracteur en train de pulvériser la parcelle d’un fongicide. La dispute
qui s’ensuit s’apaise rapidement durant la discussion, notamment parce qu’ils
se connaissent et se côtoient régulièrement chez la nourrice du village. Malgré
une mortalité plus importante que d’habitude devant les ruches, Andréa ne
demande pas un dédommagement, estimant que cela envenimerait la situa-
tion. Néanmoins, l’année suivante, Pascal ne reconduit pas le contrat de
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pollini­sation et informe Andréa de sa décision une semaine seulement avant
que ce dernier apporte 60 colonies. Il s’agit d’un manque à gagner important
pour l’apiculteur qui démarre sa jeune exploitation et une histoire qui lui fait
dire « on n’est rien pour eux ». Ce sentiment est d’autant plus rageant puisqu’il
considère déjà devoir jouer le « prestataire de service » pour agriculteur, voire
le « salarié » perdant ainsi sa liberté d’action. Sa trajectoire tranche avec son
souhait de devenir apiculteur professionnel pour sortir de ces logiques de sala-
riat [Fortier et al. 2019].
Un ensemble d’éléments disparates, souvent de petits riens, rythme
les soirées de pollinisation, et participe à entretenir ce sentiment de non-­
reconnaissance. Les questions logistiques constituent le premier point
d’achoppement, car aussi triviales soient-elles, elles déterminent le déroule-
ment d’une pollinisation et peuvent compliquer fortement une nuit d’efforts
physiques. Si un emplacement et son accès ont été mal préparés, voire non

15. Cela n’a pas été l’objet de cet article, mais on aurait aussi pu faire le choix de partir de caté-
gories de plantes agricoles (celles nourricières ; celles dangereuses...) pour montrer ­comment
l’apiculture négocie sa place dans le paysage agricole.

Qui dit pollinisation… dit négociation 105


prévus par l’agriculteur, une situation maintes fois vécue, l’apiculteur ren-
contre une grande difficulté pour déposer les colonies d’abeilles. Amèrement,
il estime alors ne pas être considéré pour son travail opéré en amont dans
la préparation des colonies. Il s’agit d’un point essentiel dans le service de
pollinisation, trop souvent considéré comme un « simple » déplacement de
ruches alors qu’il implique l’investissement de savoir-faire pendant toute la
saison pour apporter les colonies appropriées. La pollinisation est, en effet,
une pratique qui demande à l’apiculteur de s’adapter à différents facteurs, tels
que la plante à polliniser, la météorologie, la saison… Cette chaîne opératoire
est souvent méconnue par les agriculteurs qui ne voient que le moment où
les colonies sont transportées dans les cultures, simplifiant du même coup
la pollinisation à une simple présence des abeilles. Le prix des ruches, jugé
faible au regard du risque et du travail investi, renforce aussi ce sentiment
de non-­reconnaissance, surtout lorsque le tarif est négocié à la baisse en fin
de pollinisation par des agriculteurs qui affirment que « les abeilles n’ont
pas travaillé ». Comme pour résumer ces différents aspects, les apiculteurs
­rappellent souvent que leurs abeilles ne sont pas de « simples intrants », mais
qu’elles sont fragiles, vivantes et présentes dans les cultures à la suite d’un
véritable travail d’élevage. Cette tension récurrente émerge de la concurrence
entre différentes façons de mettre en acte les abeilles comme agent agricole
dans les cultures.
À cette liste, s’ajoute le problème des pesticides et de la mortalité que tous
les apiculteurs ont déjà rencontré en pollinisation. Il tend à nier leur capa-
cité à élever et à faire vivre leur colonie. Peu importe que ces « petits pets » –
comme le disent communément les apiculteurs – soient parfois relativisés, ils
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­s’accumulent et entretiennent une méfiance vis-à-vis des pratiques agricoles.
Toutes ces aspirations à construire du lien et un dialogue pacifié sont immé-
diatement balayés lorsqu’ils rencontrent des pertes d’abeilles trop importantes.
Le risque est, en effet, de cantonner trop précipitamment les apiculteurs dans
une position de collaborateurs aveugles, dépourvus de tout sens critique, lors-
qu’ils n’expriment pas une contestation ferme de ces produits pesticides, en
particulier lorsqu’ils ont besoin de dialoguer avec les agriculteurs. Ce raccourci
est notamment utilisé par les représentants de certaines filières agricoles qui,
dans leur intérêt, assimilent ces tentatives de dialogue à la preuve d’une paci-
fication générale des relations entre ces professions. Le cas du boycott de pol-
linisation lancé par le Grapp évoqué plus tôt dans le texte montre qu’il n’en
est rien.
Accumulées, ces différentes dévalorisations fournissent aux apiculteurs
les bases pour remettre en cause leur engagement dans le service de polli-
nisation. Combien de fois, en pleine nuit, sur les chemins cabossés d’une
exploitation, épuisé par le déchargement des ruches, un apiculteur ne s’est-il
pas demandé : « à quoi bon ? ». Les apiculteurs ralentissent peu à peu, voire
arrêtent la location de colonie d’abeilles au fil de leur carrière, lassés par ces

106 ROBIN MUGNIER


déconsidérations. Les contrats sont transmis aux stagiaires et aux apiculteurs
plus jeunes, ou alors strictement limités à quelques agriculteurs – le voisin en
qui on a toute confiance, un cousin…

Conclusion 

Comme le montre cette ethnographie, les relations au cœur du service de


pollinisation fournissent un terreau fertile à la transformation de l’identité
des apiculteurs. Le professionnalisme, l’inscription sur un territoire agricole,
ou encore la capacité à construire des liens avec d’autres filières agricoles sont
les expressions les plus visibles de cette identité et trouvent souvent échos
dans les organisations collectives telles que les Grapp. Malgré ces stratégies
identitaires, qui visent notamment à se lier aux agriculteurs, les apiculteurs
sont confrontés à une faible reconnaissance de leur travail. Tous ont évoqué,
au moins une fois durant nos discussions, une interrogation qui vient bous-
culer leur positionnement : « si j’y vais c’est, en fait, que je cautionne ? ». Ces
doutes ne sont pas anodins car ils surgissent régulièrement de façon sincère
et expriment la difficulté qu’ont les apiculteurs professionnels à démêler les
intrications de leur engagement et, plus largement, leur place au sein de l’agri-
culture. En allant un peu plus loin, on peut déceler dans ces questionnements
une réflexion sur le sens de leur métier et les lieux d’épanouissement de leur
pratique apicole. La récurrence de ces remises en question augmente souvent
avec l’ancienneté dans la profession et vient s’ajouter à un épuisement phy-
sique et mental, surtout après avoir connu diverses désillusions. La finalité
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de ces différents processus de professionnalisation est alors réinterrogée, sur-
tout quand elle échoue à créer les situations idéales de réalisation du service.
Preuve que les relations à l’agriculture, souvent résumées et arrêtées à une
relation « gagnant-gagnant » sont plus complexes qu’elles n’y paraissent.

Robin Mugnier,
anthropologue, doctorant, Muséum national d’Histoire naturelle,
Centre d’écologie et des sciences de la conservation (UMR 7204), Paris

Qui dit pollinisation… dit négociation 107


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108 ROBIN MUGNIER


Résumé
Qui dit pollinisation… dit négociation.
Les relations des apiculteurs professionnels avec le monde agricole
Le service de pollinisation, qui consiste à louer des colonies d’abeilles domes-
tiques à des agriculteurs pour augmenter le rendement des cultures, est une
entrée idéale pour comprendre les relations des apiculteurs professionnels au
monde agricole. À partir d’une enquête ethnographique menée en vallée du
Rhône, l’article décrit les stratégies identitaires des apiculteurs pour favoriser
ces relations et être reconnus comme des professionnels en agriculture. Cela
passe par la promotion de leur professionnalisme, de leur ancrage sur le ter-
ritoire et de leur capacité à dialoguer sur le sujet sensible des pesticides. Peu
reconnus dans leur travail, ils sont contraints d’adopter des positionnements
singuliers. De cette ambivalence émerge ce qui caractérise le plus le rapport
des apiculteurs au monde agricole : une perpétuelle négociation.
Mots-clés : vallée du Rhône, agriculteurs, apiculture, identité professionnelle, négociation,
­pollinisation, pesticides, professionnalisation.

Abstract
Pollination, negotiation, and how professional beekeepers
relate to the agricultural world
Pollination services—renting honeybee colonies to farmers to enhance crop
productivity—provides a perfect ethnographic standpoint to understand how
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beekeepers relate to the agricultural community. Drawing on ethnographic
fieldwork in the Rhône valley, this article describes the strategies beekeepers
deploy to be viewed as professionals. These entail promoting their expertise,
their local anchoring, and their capacity to discuss sensitive topics such as
pesticides. At the same time, beekeepers’ work is often under-valued, and they
can be led to adopt singular stances. Professional beekeepers are thus caught
up in a never-ceasing negotiation with the agricultural world.
Keywords: Rhône valley, farmers, beekeeping struggles, professional identity, negotiation,
­pollination, pesticides, professionalization.

Qui dit pollinisation… dit négociation 109

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