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TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Pascale Steichen

Lavoisier | « Revue juridique de l’environnement »

2013/4 Volume 38 | pages 595 à 612


ISSN 0397-0299
ISBN 9782756205076
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environnement-2013-4-page-595.htm
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TERRES, SOLS
ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Pascale STEICHEN
Professeur UNS
(GREDEG) UMR 7321 du CNRS et de l’Université de Nice - Sophia Antipolis

« Nous ne devons pas oublier que la science n’est pas la sagesse. La science
est la connaissance. La sagesse exige la connaissance et l’évaluation des
valeurs. »
A.M. Castro 1

La notion de « sécurité alimentaire », abondamment discutée, a évolué depuis les


années 1970. Partie de considérations quantitatives minimales 2, elle a progressé
vers une définition plus large, qui fait aujourd’hui l’objet d’un consensus internatio-
nal : « la sécurité alimentaire est assurée quand toutes les personnes, en tout temps,
ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suf-
fisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences
alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine » 3. C’est sur cette
base que la Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale a réaffirmé le
droit de chaque être humain à une nourriture adéquate et le droit fondamental de
chacun d’être à l’abri de la faim 4.
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Le droit à l’alimentation est un droit de l’homme, reconnu par l’article 25 de la Décla-
ration universelle des droits de l’homme 5 et par l’article 11 du Pacte international

1. A.M. Castro cité par A. Bue, M. Zanoni, « L’œuvre de Josué de Castro, une pensée globale et géo-
politique de la faim et de l’écologie politique », in Alimentation, environnement et santé, Pour un droit à
l’alimentation, Ellipses, 2010, p. 19, note 2.
2. Depuis le début des années 1970, la FAO comptabilise annuellement le nombre de personnes en
état de sous-alimentation. Pour ce faire, elle recense les disponibilités alimentaires au niveau des Etats
(productions et importations pour l’alimentation humaine moins les pertes et les exportations) et les
rapporte aux besoins en énergie alimentaire calculés selon les normes physiologiques en vigueur pour
l’ensemble de la population correspondante. Bien que la fiabilité des chiffres dépende de la qualité des
données, cela permet d’avoir une vision en continue de l’insécurité alimentaire. B. Maire et F. Delpeuch,
« Faims et malnutritions dans le monde contemporain », in Alimentation, environnement et santé, Pour
un droit à l’alimentation, Ellipses, 2010, p. 48.
3. Sommet mondial de l’alimentation, FAO, Rome, 1996.
4. Idem, http://www.fao.org/docrep/003/w3613f/w3613f00.htm
5. Article 25 :
« 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de
sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour
les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité,
de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de
circonstances indépendantes de sa volonté.
2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tous les enfants, qu’ils
soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale. »

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relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 6. Il est étonnant de constater


qu’au niveau du Conseil de l’Europe, le droit à l’alimentation n’est pas formalisé
comme tel dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales même s’il est inscrit en filigrane dans de nombreux autres droits 7.
Il ne figure pas non plus dans la Charte sociale européenne si ce n’est de manière
implicite 8 et 9.
L’Union européenne n’a, pour sa part, pas davantage reconnu formellement le droit
à l’alimentation même si, dans la poursuite de ses objectifs visant à élever le niveau
de vie, elle tend évidemment vers ce résultat. Le Parlement européen a toutefois
adopté une résolution pour le Sommet mondial de l’alimentation des Nations Unies
de 2002 10 qui met l’accent sur le droit de chacun à disposer d’une nourriture sûre,
suffisante et nutritive 11.
Le droit à l’alimentation nécessite que chaque individu ait un accès régulier, perma-
nent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture
quantitativement et qualitativement suffisante. Le premier droit de l’homme est en
effet celui de manger à sa faim, le préalable à toute activité étant une nourriture suf-
fisante et équilibrée 12.
La question de la sécurité alimentaire possède de multiples entrées : commerce
international, système bancaire, propriété industrielle, entreprises, consommateurs.
Abordé sous ces angles, le droit applicable à la ressource alimentaire l’emporte sur

6. Article 11 :
« 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie
suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants,
ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront des
mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance
essentielle d’une coopération internationale librement consentie.
2. Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu’a toute personne d’être à
l’abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures
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nécessaires, y compris des programmes concrets :
a) Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimen-
taires par la pleine utilisation des connaissances techniques et scientifiques, par la diffusion de principes
d’éducation nutritionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de manière à
assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources naturelles ;
b) Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux
besoins, compte tenu des problèmes qui se posent tant aux pays importateurs qu’aux pays exporta-
teurs de denrées alimentaires. »
7. Le droit à la dignité humaine, le droit à la vie, le droit à l’intégrité de la personne, l’interdiction des
traitements inhumains ou dégradants, etc.
8. On aurait pu s’attendre à le trouver, notamment à l’article 30 consacré au droit à la protection contre
la pauvreté et l’exclusion sociale.
9. Notamment dans le droit au travail, le droit à une rémunération équitable, le droit à la protection de la
santé, le droit à l’assistance sociale, le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion, etc.
10. Le « Sommet mondial de l’alimentation – cinq ans après » s’est tenu à Rome du 10 au 13 juin
2002. Les 73 chefs d’Etat et de Gouvernement et plus de 200 ministres réunis par l’Organisation des
Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) devaient réaffirmer les engagements pris en 1996
dans la « Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire » et mobiliser des ressources financières pour
mener la lutte contre la sous-alimentation. On n’a guère fait état de progrès sur la voie vers l’objectif
consistant à réduire de moitié (400 millions) le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation d’ici
à 2015 au plus tard.
11. Sommet mondial de la FAO sur la sécurité alimentaire - Eradiquer la faim de la surface de la
terre - Résolution du Parlement européen du 26 novembre 2009 sur le sommet de la FAO et la sécurité
alimentaire (P7TA(2009)0102).
12. A. Bue, M. Zanoni, « L’œuvre de Josué de Castro, une pensée globale et géopolitique de la faim et
de l’écologie politique », in Alimentation, environnement et santé, Pour un droit à l’alimentation, Ellipses,
2010, p. 17.

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le droit du sol. Mais il est possible d’aborder la question de la sécurité alimentaire


sous une autre facette, qui est celle du support de la ressource, c’est-à-dire le droit
des sols.
Au plan écologique, les sols remplissent de nombreuses fonctions : ils constituent
un réservoir génétique unique. Ils participent à l’entretien du cycle hydrologique par
l’absorption et le filtrage de l’eau de pluie. Mais surtout, ils constituent le support des
systèmes de production alimentaire qui assurent la vie et les moyens d’existence de
l’ensemble des êtres humains sur Terre.
La difficulté vient du fait que le substrat terrestre est fragile et qu’il se raréfie de ma-
nière inquiétante. Les sols sont en effet soumis à de multiples pressions au premier
rang desquelles figure l’accroissement démographique. La population mondiale a
triplé durant le XXe siècle 13 et elle devrait franchir le seuil des 9 milliards d’ici 2050 14.
Dès lors, un accroissement sensible des surfaces qui devront être consacrées à la
production alimentaire paraît inéluctable, ce qui pose la question de la disponibilité
des terres agricoles (I).
Le caractère non renouvelable du sol suppose que les terres fertiles soient mainte-
nues en suffisance de telle manière qu’elles puissent fournir des produits agricoles
pour le bien-être des générations présentes et futures. Dès lors, on doit se deman-
der dans quelle mesure le droit de l’environnement, dont la vocation première est de
préserver les ressources naturelles de manière durable, pourrait jouer un rôle actif
dans la poursuite de l’objectif de sécurité alimentaire (II).

I. – SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
ET DISPONIBILITÉ DES TERRES AGRICOLES

La pression résultant de la conjonction de divers phénomènes naturels et humains


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entraîne inexorablement une diminution des terres agricoles disponibles (A). Dans ce
contexte de raréfaction des ressources naturelles, les politiques de vente de terres
agricoles à grande échelle à des investisseurs étrangers ou nationaux posent néces-
sairement problème (B).

A) LE PHÉNOMÈNE DE LA DÉGRADATION
ET DE L’IMPERMÉABILISATION DES SOLS AGRICOLES

La dégradation des sols est un problème qui touche environ un tiers des terres dans
le monde 15. Dans les pays de l’Union européenne, on estime même que c’est près

13. Passant de 2 à 6 milliards.


14. L’accroissement démographique se produira majoritairement dans les pays en voie de dévelop-
pement.
15. Selon une estimation de la Commission européenne, chaque année, la planète perd 24 milliards de
tonnes de terres arables. Les terres perdues au cours des deux dernières décennies suffiraient à couvrir
la totalité de la superficie cultivée des Etats-Unis. Rapport de la Commission sur la Mise en œuvre de la
stratégie thématique en faveur de la protection des sols et activités en cours, Bruxelles, 13 février 2012,
COM(2012) 46 final, p. 7.

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de la moitié du territoire qui est touché 16. Le phénomène est alarmant lorsque l’on
sait que la phase finale du processus de dégradation est la désertification des terres.
Sensibilisée par la question, l’Union européenne a lancé récemment une étude des-
tinée à évaluer les coûts de la dégradation des sols dans le monde 17. A cette occa-
sion, le Commissaire chargé de l’environnement, M. Janek Potocnik, a déclaré :
« On n’accorde généralement pas beaucoup d’importance aux sols, alors qu’il s’agit
d’une ressource non renouvelable, qui pourrait donc s’épuiser ou s’appauvrir si l’on
n’en prend pas soin. La dégradation des sols nous concerne tous (…) ».
La dégradation des sols s’explique par divers facteurs, notamment l’utilisation non
durable des terres qui résulte des changements démographiques, des habitudes
de consommation et de production non durables et des pressions croissantes sur
les ressources en eau, exacerbées par le changement climatique et la sècheresse.
Sur le plan socio-économique, la désertification a des conséquences extrêmement
graves, notamment pour les populations rurales 18. Alors qu’un milliard de personnes
souffre de la faim aujourd’hui, l’accès à la terre est une condition indispensable pour
atteindre un niveau de vie satisfaisant pour la plupart des petits exploitants, tra-
vailleurs agricoles, éleveurs, pêcheurs artisanaux et communautés indigènes 19. On
constate ainsi que la plupart des personnes sous-alimentées et les ruraux les plus
pauvres vivent dans les zones gravement touchées par la baisse de la productivité
des sols, la dégradation des ressources en eau et la perte des services écosysté-
miques vitaux dont dépend leur existence 20.
La gravité de la situation est exacerbée par le fait que la dégradation des sols se
conjugue avec une diminution constante de la taille des exploitations agricoles qui
devient rapidement non viable. Le phénomène de la diminution des surfaces agri-
coles est observé dans de nombreuses régions du monde, depuis la région asia-
tique 21 jusqu’en Afrique 22, où la superficie des terres cultivées a été diminuée de
moitié au cours de la dernière génération 23. Dans un certain nombre de pays, la
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superficie moyenne cultivée représente moins de 0,3 hectare par habitant 24.

16. Commission européenne, L’action de l’UE pour lutter contre la dégradation des sols et la déserti-
fication, 2009.
Les zones soumises à un risque de désertification incluent l’Espagne centrale et du sud-est, l’Italie
centrale et méridionale, la France méridionale et le Portugal ainsi que des zones étendues de la Grèce
(Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social
et au Comité des régions - Vers une stratégie thématique pour la protection des sols (COM/2002/0179)).
17. Réf. IP/11/1058 du 21 septembre 2011.
18. Cela représente 60 % des personnes dans le monde. Jean Ziegler, « Le droit à l’alimentation et le
massacre quotidien de la faim », in Alimentation, environnement et santé, Pour un droit à l’alimentation,
Ellipses, 2010, p. 74.
19. Rapport O. de Schutter, Le droit à l’alimentation, Assemblée générale des Nations Unies, 11 août
2010 (A/65/281).
20. Sachant également que, dans le monde, un actif sur deux est un paysan (1,3 milliard) et que les
deux tiers des personnes qui ne mangent pas à leur faim sont des paysans : S. Perez-Vitoria, « Acti-
visme paysans et réinventions des fonctions de l’agriculture », in Alimentation, environnement et santé,
Pour un droit à l’alimentation, Ellipses, 2010, p. 191.
21. Bangladesh, Philippines, Thaïlande.
22. Il s’agit surtout de l’Afrique australe et orientale.
23. Selon la FAO, les deux tiers environ des trois milliards de ruraux vivent des revenus tirés de quelques
cinq cents millions de petites exploitations de moins de deux hectares (L’état de l’insécurité alimentaire
dans le monde).
24. Rapport O. de Schutter, Le droit à l’alimentation, Assemblée générale des Nations Unies, 11 août
2010.

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En outre, les pays les plus pauvres n’ont aucun moyen d’investir dans la production
agricole en raison du poids de la dette extérieure 25. Ainsi, par exemple, on estime
que seulement 4 % des terres africaines sont irriguées, l’agriculture pluviale conti-
nuant à régner majoritairement en Afrique. La situation d’insécurité est encore ag-
gravée par les risques d’expulsion qui guettent les agriculteurs, au profit des grandes
exploitations. L’agriculture n’est pas seule en cause. Des expropriations peuvent
avoir lieu au profit de projets d’exploitation minière ou pour la construction d’instal-
lations industrielles, sans compensation ou avec des contreparties insuffisantes 26.
Les grands projets d’infrastructures comme les barrages peuvent aussi générer des
expulsions d’agriculteurs.
Parallèlement au phénomène de la dégradation des sols, la pratique de l’imper-
méabilisation des terres réduit encore les surfaces agricoles disponibles. Le nombre
de citadins ne cesse d’augmenter et accroît la pression sur les sols au profit des
zones urbaines. Cette pression ne devrait pas diminuer lorsque l’on sait que 60 %
de la population mondiale vivra en ville d’ici 2030, contre 50 % aujourd’hui. L’imper-
méabilisation des sols, c’est-à-dire la couverture permanente avec une matière telle
que l’asphalte ou le béton, est à l’origine d’une réduction importante des terres
agricoles, ce qui est particulièrement dommageable pour les sols à grande valeur
agronomique. Le phénomène étant irréversible, le potentiel de production alimen-
taire est perdu à jamais. Au plan mondial, ce sont ainsi chaque année 19,5 millions
d’hectares de terres agricoles qui sont converties pour le développement industriel
et immobilier 27.
Ce n’est donc pas un hasard si, dans les récents rapports de l’Union européenne,
l’accent a été mis sur la lutte contre l’imperméabilisation du sol 28. En Europe, on
estime qu’entre 1990 et 2000, ce sont près de 1000 km² par an qui ont été ar-
tificialisés, ce qui a entraîné la disparition d’un potentiel productif considérable 29.
La perte est d’autant plus importante que certains experts considèrent que, pour
compenser la perte d’un hectare de terre fertile en Europe, il faudrait exploiter une
superficie jusqu’à dix fois plus grande dans une autre partie du monde 30. Le même
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phénomène est observable en France. Les études réalisées 31 démontrent que les
espaces artificialisés continuent de s’étendre régulièrement au détriment des terres
agricoles 32.

25. Celle-ci était, en 2008, de 2 100 milliards de dollars pour les Etats de l’hémisphère sud. (J. Ziegler,
« Le droit à l’alimentation et le massacre quotidien de la faim », in Alimentation, environnement et santé,
Pour un droit à l’alimentation, Ellipses, 2010, p. 73).
26. Rapport O. de Schutter, Le droit à l’alimentation, Assemblée générale des Nations Unies, 11 août
2010, p. 8 (A/65/281).
27. FAO, Politiques foncières et planification, http://www.fao.org/nr/land/land-policy-and-planning/en/
28. Gundula Prokop, Heide Jobstmann and Arnulf Schönbauer, Report on best practices for limiting soil
sealing and mitigating its effects, European Commission, avril 2011.
29. Au cours de la période 1990-2006, 19 Etats membres ont perdu un potentiel de production agricole
équivalant à un total de 6,1 millions de tonnes de blé (Rapport de la Commission européenne : Mise
en œuvre de la stratégie thématique en faveur de la protection des sols et activités en cours, Bruxelles,
13 février 2012, COM(2012)).
30. La productivité qui est de 10 tonnes à l’hectare de céréales en France est de 5 à 600 kg par hectare
au Burkina par exemple (J. Ziegler, « Le droit à l’alimentation et le massacre quotidien de la faim », in
Alimentation, environnement et santé, Pour un droit à l’alimentation, Ellipses, 2010, p. 75).
31. Commissariat général au plan, n° 10, avril 2009. Voir aussi L’état des sols en France 2011, Groupe-
ment d’intérêt scientifique sur les sols, 188 pages.
32. En France métropolitaine, si la proportion des sols agricoles représente 60 % du territoire pour 34 %
de forêts ou d’espaces semi naturels (voir l’inventaire biophysique Corine – coordination de l’information
sur l’environnement –, Land cover 2006), les sols artificialisés – habitat, activités industrielles, infrastruc-
tures de loisirs et de transport – occupent un peu plus de 5 % du territoire.

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Il faut ajouter à cela le phénomène de la contamination des sols qui, lui aussi, peut
entraîner la détérioration ou la disparition de certaines fonctions du sol et notam-
ment la production vivrière. Dans l’Union européenne, il existe près de trois millions
et demi de sites contaminés, ce qui pose la question du devenir de ces sites en fin
d’activité mais également celui de la qualité de la production agricole autour des
sites en exploitation 33. D’autres activités peuvent encore être à l’origine de risques
pour la production alimentaire, via la contamination des sols, telles que notamment
les épandages de boues de stations d’épuration ou de lisiers ou encore l’utilisation
excessive de produits phytosanitaires.

B) L’ACCAPAREMENT DES TERRES

Dans un contexte mondial de dégradation des sols, des pratiques nouvelles sont
venues jeter le trouble sur la capacité de certains Etats à faire face à leur déficit
vivrier endémique 34. De nombreuses régions ont été le théâtre de l’accaparement
des terres agricoles dans un contexte de compétition avec d’autres usages tels que
les biocarburants.
Le phénomène de l’achat à grande échelle de terres agricoles est l’objet d’études
depuis la fin des années 2000 35. L’on estime en effet à 20 millions d’hectares la
superficie des terres acquises ces dernières années avec des capitaux étrangers 36,
la plupart des terres se situant en Afrique, en Amérique latine et dans certaines
régions d’Asie 37. Les raisons de ces achats sont variables. Certains pays, comme la
Chine, opèrent une gestion stratégique de prudence sur le long terme en raison de la
pression que fait peser la population sur ses propres ressources naturelles. D’autres
Etats, comme les Etats du Golf, ont peu de terres disponibles tandis que les revenus
pétroliers leurs assurent une large disponibilité financière. Toutefois, l’externalisation
de leur propre production agricole à l’étranger leur assure une stabilité des coûts de
production. En revanche, les objectifs des investisseurs privés, qu’il s’agisse des
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sociétés de l’industrie agro-alimentaire ou bien du secteur financier, sont clairement
de faire des profits 38.
Il faut ajouter qu’un certain nombre des terres achetées ou louées sont converties
à la production d’agrocarburants. En Afrique, il s’agit essentiellement du jathropha,
palmier à huile et sorgo sucrier. Plus d’une trentaine de pays africains affichent d’ail-
leurs une politique volontariste en matière de promotion des agrocarburants, la moi-

33. M. Mench, D. Baize, « Contamination des sols et de nos aliments d’origine végétale par des élé-
ments trace », Courrier de l’environnement de l’INRA, n° 52, septembre 2004.
34. B. Maire et F. Delpeuch, « Faims et malnutritions dans le monde contemporain », in Alimentation,
environnement et santé, Pour un droit à l’alimentation, Ellipses, 2010, p. 50.
35. Voy. notamment le numéro d’Afrique contemporaine consacré aux investissements agricoles en
Afrique, n° 237, Agence Française de développement et De Boeck, 176 pages et les nombreuses réfé-
rences bibliographiques qu’il comporte.
Voir également l’ouverture récente du portail internet Land Matrix (www.landportal.info/landmatrix).
36. Le rapport Grain fournit une liste impressionnante d’« accapareurs » de terre : Chine, Inde, Japon,
Malaisie, Corée du Sud, Egypte, Lybie, Bahreïn, Jordanie, Koweit, Quatar, Arabie Saoudite, Emirats
arabes unis (Rapport Grain : Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière,
http://www.grain.org.go/mainbase).
37. Rapport Grain, précité, p. 3.
38. Par exemple, un groupe d’investissement britannique s’est récemment porté acquéreur de
100 000 hectares de terres agricoles en Ukraine et espère porter ce chiffre à 350 000 hectares (Rapport
Grain : Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, p. 10).

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tié ayant signé, en juillet 2006, le traité de fondation de l’association panafricaine des
non-producteurs de pétrole (PANPP) 39.
Les motivations des pays pour accueillir ce type d’investissement sont liées aux
retombées financières directes des acquisitions ou locations de terres, mais éga-
lement aux effets structurels qui leur sont liés (perspectives d’emploi, nouvelles
infrastructures). Pour les agrocarburants, la réduction de la dépendance envers les
énergies fossiles est patente 40.
L’un des arguments avancés pour promouvoir les grandes exploitations en Afrique
serait la disponibilité des terres. Or, beaucoup de terres prétendument disponibles
sont en réalité utilisées par les populations locales pour leur survie. Les usages pas-
toraux sont ignorés alors même qu’ils sont au cœur des économies familiales.
Certains observateurs 41 ont fait valoir que les opérations foncières réalisées par
des investisseurs étrangers ne représentaient qu’une petite partie des phénomènes
d’accaparements fonciers, certaines spoliations, moins spectaculaires, mais tout
aussi graves étant le fait d’élites nationales ou locales, sans compter aussi les spolia-
tions qui peuvent se produire entre agriculteurs et éleveurs, ou même au sein des fa-
milles (au détriment des femmes ou des orphelins dans les régions où l’incidence du
sida est élevée). Il convient en outre de resituer ces expropriations dans un contexte
historique, l’expropriation des petits agriculteurs, des éleveurs, des peuples autoch-
tones et des autres communautés rurales s’étant poursuivie à travers des siècles de
colonisation étrangère et interne 42.
Dans ce contexte, les sols seront-ils aptes à satisfaire les besoins écologiques et
humains du XXIe siècle ? Lors de la Conférence de Rio de 1992 43, le chapitre 38 de
l’Agenda 21 a identifié le droit de l’environnement comme l’un des domaines priori-
taires sur lequel le PNUE devrait porter son attention. L’on sait que, depuis 1982, les
activités du PNUE dans le domaine du droit de l’environnement sont organisées et
coordonnées par le biais d’une série de programmes décennaux, les Programmes
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de Montevideo 44, pour le développement et l’examen périodique du droit de l’envi-
ronnement 45.

39. M.H. Dabat, « Les nouveaux investissements dans les agrocarburants », in Afrique contemporaine
préc., note 13.
40. Les pays africains importateurs de pétrole sont vulnérables à la volatilité des prix des hydrocarbures
et dépendants de leurs ressources en devises pour satisfaire leurs besoins énergétiques.
41. Voy. H. Liversage, « Réagir à l’accaparement des terres et favoriser les investissements agricoles
responsables », Fida, décembre 2010.
42. On se réfèrera par exemple à l’œuvre de Josué de Castro, Géographie de la faim, Paris, Editions
ouvrières, 1re édition, 1949. L’auteur démontre que la sous-nutrition et la faim qui frappent les popula-
tions humaines du Nordeste du Brésil sont le fait d’une structure foncière, le Latifundio.
43. Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Rio de
Janeiro, 3-14 juin 1992 (Publication des Nations Unies).
44. Le premier programme (Programme de Montevideo I) et le programme pour les années 90 (Pro-
gramme de Montevideo II), adoptés par le Conseil d’administration à sa dixième session en 1982 et à
sa dix-septième session en 1993, respectivement, ont contribué de façon déterminante au cadre straté-
gique du PNUE dans ce domaine. A partir de 2001, le troisième programme (Programme de Montevideo
III) a fourni au PNUE le cadre stratégique pour le développement progressif du droit de l’environnement
et le soutien à la mise en œuvre du droit de l’environnement dans les Etats membres. Le rapport sur la
mise en œuvre du Programme de Montevideo III figure dans le document UNEP/GC.25/INF.15/Add.1.
45. Au cours des dernières décennies, ces programmes successifs ont orienté efficacement les acti-
vités du PNUE dans le domaine du droit de l’environnement pour favoriser une action internationale en
vue d’élaborer un certain nombre d’accords multilatéraux sur l’environnement aux niveaux mondial et
régional ainsi que des instruments internationaux juridiquement non contraignants.

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P. STEICHEN - TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Dès lors, il convient de se demander si le droit de l’environnement pourrait servir


les intérêts de la sécurité alimentaire à travers la préservation de la qualité des sols.

II. – L’UTILISATION DURABLE DES TERRES COMME OUTIL


DE RÉGULATION DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Les sols 46 comptent parmi les ressources naturelles les plus précieuses car la for-
mation des sols est un processus extrêmement lent qui fait de cette ressource une
ressource non renouvelable. D’où la nécessité d’organiser sa préservation sur le
long terme, soit de manière directe, soit de manière indirecte.

A) LE DROIT DES SOLS,


VECTEUR DIRECT DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

En dépit d’un consensus général portant sur la reconnaissance de la valeur des


sols, la ressource peine à obtenir un statut juridique à part entière. Si la préservation
des sols est abordée de manière incidente par des instruments conventionnels uni-
versels, les textes visant à le protéger spécifiquement restent pour l’instant, et à de
rares exceptions près, au stade de projet.

1. Un consensus général portant sur la reconnaissance de la valeur des sols

C’est en 1972 que le Conseil de l’Europe a ouvert la marche de la protection des sols
avec la Charte européenne des sols 47. Constatant que la société industrielle utilise
les sols aussi bien à des fins agricoles qu’à des fins économiques, la Charte énonce
que les politiques d’aménagement du territoire doivent être conçues en fonction
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des propriétés, c’est-à-dire des caractéristiques du sol 48. La destruction des sols,

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notamment pour des raisons purement économiques dictées par des considéra-
tions de rendement à court terme, doit être évitée 49. En outre, les agriculteurs et
les forestiers doivent appliquer des méthodes qui préservent la qualité des sols, de
manière à ne pas rompre l’équilibre naturel des sols 50.
La Conférence de Stockholm de 1972 proclamant la nécessité de protéger les res-
sources naturelles du globe – y compris la Terre 51 – ouvrira la voie, dix ans plus tard,
sous l’égide de la FAO, à l’adoption d’une Charte mondiale des sols reconnaissant,
dès son principe 2, qu’en raison de l’importance primordiale des ressources fon-
cières pour la survie et le bien-être des personnes et du rapide accroissement de la
demande de nourriture, il est hautement prioritaire de promouvoir l’utilisation opti-

46. Le sol est constitué de particules minérales, de matières organiques, d’eau, d’air et d’organismes
vivants.
47. Résolution (72) 19 adoptée le 30 mai 1972.
48. Paragraphe 3 de la Charte européenne des sols.
49. Idem.
50. Paragraphe 4 de la Charte européenne des sols.
51. Cela inclut également l’air, l’eau, la flore et la faune. En particulier les échantillons représentatifs des
écosystèmes naturels doivent être préservés dans l’intérêt des générations présentes et à venir par une
planification ou une gestion attentive selon que de besoin (Principe 2).

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P. STEICHEN - TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE d

mum de la terre, de maintenir et d’améliorer la productivité des sols et de conserver


les ressources du sol 52.
Le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement Our
common future 53 de 1987, attirera l’attention sur le fait que la production agricole
ne peut être durable sur le long terme que si la terre sur laquelle elle se base n’est
pas dégradée 54.
Le Sommet de la terre de Rio en 1992 sera l’occasion de prôner largement, par le
biais de l’Agenda 21 55, « une conception intégrée de la planification et de la gestion
des terres » 56. L’objectif général de la gestion intégrée est « de faciliter l’affectation
des terres à des utilisations offrant les plus grands avantages durables ». Les gou-
vernements doivent en particulier veiller à ce que les politiques et les instruments
d’intervention permettent d’assurer la meilleure utilisation possible des sols et la
gestion durable des terres en accordant une attention particulière au rôle des terres
agricoles.
En droit de l’Union européenne, la problématique de la gestion des sols a émergé
tardivement 57. La volonté d’adopter une stratégie thématique en faveur de la protec-
tion des sols, annoncée dans le sixième programme d’action sur l’environnement 58,
a fait l’objet, en 2002, d’une longue communication de la Commission, intitulée
« Vers une stratégie thématique pour la protection des sols » 59. La stratégie a été
adoptée le 22 septembre 2006 60 et a été suivie, dans la foulée, d’une proposition de
directive sur les sols.
L’objectif général poursuivi par la proposition de directive est la protection et l’utili-
sation durable des sols. Malheureusement, le rapport de la Commission, de février
2012, relatif à la mise en œuvre de la stratégie sur la protection des sols 61, fait état
de la poursuite de la dégradation des sols dans le monde et au sein de l’Union
européenne.
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52. Recognizing the paramount importance of land resources for the survival and welfare of people and © Lavoisier | Téléchargé le 17/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.28.249.175)
economic independence of countries, and also the rapidly increasing need for more food production,
it is imperative to give high priority to promoting optimum land use, to maintaining and improving soil
productivity and to conserving soil resources (http://www.fao.org/docrep/T0389E/T0389E0b.htm).
53. The World Commission on Environment and Development, 1987, Our Common Future, Oxford
Universty press (http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm).
54. Chapitre 5, Food Security: Sustaining The Potential.
55. Il s’agit du plan d’action adopté pour le XXIe siècle.
56. Chapitre 10.
57. Ainsi qu’il a été souligné, « le sol n’est pas suffisamment protégé par les lois dans la mesure où il
n’est pas, culturellement parlant, comme une ressource commune au même titre que les fleuves, les
lacs, les mers ou l’atmosphère » : Avis du Comité des régions du 3 mars 2003 sur la Communication
de la Commission « Vers une stratégie thématique pour la protection des sols », COM(2002) 179 final.
58. Communication de la Commission du 24 janvier 2001 sur le sixième programme communautaire
d’action pour l’environnement, Environnement 2010 : notre avenir, notre choix, COM(2001) 31 final.
59. Communication de la Commission, du 16 avril 2002, au Conseil, au Parlement européen, au Comité
économique et social et au Comité des régions, Vers une stratégie thématique pour la protection des
sols, COM(2002) 179 final.
60. Stratégie thématique en faveur de la protection des sols du 22 septembre 2006, COM(2006)231
final.
61. Rapport de la Commission sur la mise en œuvre de la stratégie en faveur de la protection des sols,
13 février 2012, COM(2012)46 final.

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P. STEICHEN - TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

2. Une concrétisation progressive de la nécessité de préserver les sols

Dans le groupe des instruments contraignants à caractère universel, trois Conven-


tions ouvrent la voie, au niveau onusien, à la préservation des sols 62.
La première est la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements clima-
tiques de 1992 qui se fixe pour principal objectif de stabiliser les gaz à effet de serre
à des niveaux tels qu’ils ne représentent pas une menace grave pour l’équilibre du
système climatique mondial.
Si son objectif paraît éloigné a priori de la conservation durable des sols, il n’en est
rien dans la mesure où les sols jouent un rôle essentiel dans le stockage du car-
bone. Les matières organiques des sols constituent en effet la deuxième plus grande
réserve de carbone de la planète après les océans. Les sols de l’Union européenne
renferment à eux seuls plus de 70 milliards de tonnes de carbone organique, ce qui
représente un volume énorme lorsque l’on sait que les Etats membres de l’Union
européenne émettent environ deux milliards de tonnes de carbone chaque année. Il
faut donc que la terre continue à retenir le carbone, grâce à une bonne qualité des
sols.
De son côté, la Convention des Nations Unies de 1992 sur la diversité biologique
se fixe en particulier pour objet de conserver la diversité biologique et l’utilisation
durable de ses éléments, alors même que la notion de « diversité biologique » inclut
la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes
terrestres.
Mais c’est certainement la Convention des Nations Unies de 1994, sur la lutte contre
la désertification, qui influe le plus directement sur la qualité des sols dans la mesure
où elle a pour objet de lutter contre la désertification et d’atténuer les effets de la
sécheresse. Pour atteindre ce résultat, la Convention propose « d’appliquer des
stratégies intégrées à long terme axées, dans les zones touchées, sur l’amélioration
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de la productivité des terres ainsi que sur la remise en état, la conservation et une
gestion durable des ressources en terre et en eau (..) » 63.
Au niveau régional, le Protocole d’application de la Convention alpine de 1991 dans
le domaine de la protection des sols, dit Protocole « Protection des sols », est le seul
instrument contraignant dans le monde qui concerne spécifiquement la protection
des sols. L’objectif du Protocole est précisément la protection durable du sol alpin,
dans ses fonctions naturelles, historiques, culturelles et utilitaires. En particulier, le
Protocole précise que « les fonctions écologiques du sol doivent être garanties et
préservées à long terme qualitativement et quantitativement en tant qu’élément es-
sentiel des écosystèmes » 64. En outre, « la renaturalisation des sols endommagés
est à encourager » 65. En particulier, le sol alpin devra être préservé de façon durable
dans ses fonctions naturelles, dans ses fonctions d’archive de l’histoire naturelle et
culturelle et en vue de sauvegarder son utilisation, notamment comme « site pour
l’agriculture, y compris l’économie herbagère et l’économie forestière ».

62. S. Doumbé-Billé et P. Steichen, « La protection des sols en droit international et communautaire »,


Aménagement-Environnement, numéro spécial, Protection des Sols, mai 2010, p. 7-19.
63. Article 3 de la Convention.
64. Article 1er, paragraphe 2, 3) du Protocole.
65. Idem.

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P. STEICHEN - TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE d

Il est consternant de constater que, en dehors du Protocole sur les sols annexé à la
Convention alpine, il n’existe pas – pour l’instant – de textes juridiquement contrai-
gnants portant spécifiquement sur la protection des sols.
Ceux-ci existent pourtant à l’état de projet. Tel est le cas du Protocole de 2009
rédigé par un groupe d’experts 66 sous l’égide de l’IUCN, sur « La sécurité et l’utilisa-
tion durable des sols ». Il s’agit d’un projet qui serait annexé à la Convention relative
à la lutte contre la désertification. L’utilisation durable des sols y est définie comme
« l’utilisation du sol d’une manière qui préserve l’équilibre entre les processus de for-
mation du sol et sa dégradation, tout en maintenant ses fonctions écologiques et en
préservant sa capacité à répondre aux besoins et aux aspirations des générations
présentes et futures » 67.
Le projet de Protocole, qui comprend près d’une cinquantaine d’articles, est très
abouti. L’objet du Protocole est de parvenir à une sécurité et une utilisation durable
des sols en luttant contre les causes et les effets de la désertification, de la dégrada-
tion des sols et de la sécheresse 68.
Le projet identifie, sans les détailler, quatre fonctionnalités du sol : la fonction d’habi-
tat, la fonction de régulation, la fonction utilisatrice et la fonction culturelle 69.
Il prévoit que les Etats ont le droit d’exploiter leurs propres ressources conformément
à leurs politiques environnementales, et le devoir de s’assurer que les activités exer-
cées sous leur contrôle ne causent pas de dommages à leurs propres sols et à ceux
des Etats voisins. De même, les parties ont le devoir de préserver les ressources
du sol pour les générations présentes et futures et de prendre les mesures pour y
parvenir. Des droits sont reconnus concernant la sécurité et l’utilisation durable des
sols, en particulier le droit à un sol sain 70.
Enfin, le concept de « sécurité des sols » vient enrichir la notion d’utilisation durable
des sols 71. Celui-ci vise « la conservation de la fertilité du sol, l’endiguement de la
dégradation des sols et des terres (incluant la désertification) et la réduction des
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conséquences de la sécheresse à travers l’amélioration des moyens d’existence et
l’accroissement du bien-être humain » 72.
Les rédacteurs du projet de Protocole ont précisé que la notion de sécurité du sol ne
se confond pas avec la notion de sécurité du territoire qui a trait à la classique souve-
raineté nationale. Le nouveau concept de « sécurité du sol » a ici une triple dimension
économique, environnementale et sociétale. Dans ce contexte, la notion de sécurité
du sol pourrait, à notre sens, se rapprocher de celle de « sécurité alimentaire », défi-
nie comme « le droit de chaque nation de maintenir et d’élaborer sa propre capacité

66. IUCN-Commission on Environmental Law, Specialist Group on Sustainable Use of Soils and
Desertification.
67. I. Hannam with B. Boer, Legal and institutional frameworks for sustainable soils, IUCN, 2002, Envi-
ronmental Policy Law Paper, n° 45, p. XIII (traduction libre) et, plus récemment, Protocol and Commen-
tary Security and sustainable use of soil, Draft, version : 28th september 2009, IUCN, Commission on
Environment Law, Specialist Group on Sustainable Use of Soil and Desertification.
68. Article 1er du projet de Protocole.
69. Article 4 du projet de Protocole.
70. Article 6 du Protocole.
71. Voir « Securitizing the Ground, grounding security », Secretariat of the United nations Convention to
Combat desertification, Bonn Germany, 2009.
72. Article 4 du projet de Protocole (traduction libre).

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P. STEICHEN - TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

à produire ses propres aliments de base dans le respect de la diversité culturelle et


productive » 73.
En droit de l’Union européenne, la proposition de directive définissant un cadre pour
la protection des sols, du 22 septembre 2006 74, prévoit la mise en place d’un cadre
commun de protection des sols fondé sur les principes de préservation des fonc-
tions des sols 75, de prévention de leur dégradation 76, d’identification des zones à
risque, de réduction des risques 77 et d’intégration de ces considérations dans les
autres politiques sectorielles. Les fonctions écologiques, économiques, sociales et
culturelles sont précisément définies 78. La première fonction identifiée est d’ailleurs
« la production de biomasse, notamment pour l’agriculture et la foresterie » 79.
On le voit, l’utilisation durable des sols et son corollaire, la production alimentaire,
font largement consensus. Nul doute que le système juridique devra prendre acte de
cette évolution pour reconnaître et préserver ces fonctionnalités essentielles du sol
tant au plan international, qu’au plan de l’Union européenne ou dans les législations
internes.
Pour l’heure, les mécanismes du droit de l’environnement pourraient utilement servir
les intérêts de la sécurité alimentaire.

B) LE DROIT DE L’ENVIRONNEMENT,
VECTEUR INDIRECT DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Plusieurs mécanismes juridiques sont susceptibles, en protégeant quantitativement


et qualitativement les sols agricoles, de fournir les moyens de contribuer à la sécu-
rité alimentaire. Nous en retiendrons deux : les études d’impact et les zonages de
protection.
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1. La préservation des sols par les études d’impact

Dans le cadre international, toute une série de déclarations ou de conventions inter-


nationales promeuvent les mécanismes d’évaluation des incidences environnemen-

73. Sommet mondial de l’alimentation, 1996, cité par S. Perez-Vitoria, « Activisme paysans et réinven-
tions des fonctions de l’agriculture », in Alimentation, environnement et santé, Pour un droit à l’alimen-
tation, Ellipses, 2010, p. 192.
74. COM(2006)232 final.
75. Article 1er de la proposition de directive.
76. Article 4 de la proposition de directive.
77. Article 8 de la proposition de directive.
78. Proposition de directive définissant un cadre pour la protection des sols et modifiant la directive
2004/35/CE du 22 septembre 2006, COM (2006) 232 final.
79. Les autres fonctions du sol sont les suivantes :
– « Stockage, filtrage et transformation d’éléments nutritifs, de substances et d’eau » ;
– « Vivier de la biodiversité, notamment habitats, espèces et gènes » ;
– « Environnement physique et culturel de l’homme et des activités humaines » ;
– « Source de matières premières » ;
– « Réservoir de carbone » ;
– « Conservation du patrimoine géologique et architectural ».

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P. STEICHEN - TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE d

tales. On en veut pour exemple la Déclaration de Rio de 1992 80 ou la Convention


d’Espoo, du 25 février 1991, relative à l’évaluation de l’impact sur l’environnement
en contexte transfrontière 81, ou encore le Protocole de Kiev 82.
Au plan juridictionnel, la Cour européenne des droits de l’Homme a souligné, dans
un arrêt Tatar du 27 janvier 2009 83, « que le processus décisionnel doit tout d’abord
comporter la réalisation des enquêtes et études appropriées, de manière à prévenir
et évaluer à l’avance les effets des activités qui peuvent porter atteinte à l’environ-
nement et aux droits des individus, et à permettre ainsi l’établissement d’un juste
équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu (…) ».
Enfin, plus récemment encore, la Cour internationale de justice a affirmé, dans une
affaire Uruguay c/ Argentine du 2 avril 2010, que « l’on peut désormais considérer 84
qu’il existe, en droit international général, une obligation de procéder à une éva-
luation de l’impact sur l’environnement lorsque l’activité industrielle projetée risque
d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière, et en particu-
lier sur une ressource partagée » 85.
En droit de l’Union européenne, le mécanisme d’évaluation des incidences sur l’en-
vironnement repose traditionnellement sur la directive 2011/92/UE 86 (qui a remplacé
l’ancienne directive 85/337/CEE). Qualifiées de révolutionnaires par la doctrine fran-
çaise 87, les études d’impact contraignent, sous le contrôle du juge administratif, les
aménageurs à étudier scientifiquement l’insertion de leurs projets dans son environ-
nement 88.
Or, ces évaluations intéressent l’agriculture à un double titre. D’une part, le sol figure
au rang des facteurs sur lesquels doit porter l’évaluation. Outre l’homme, la faune
et la flore, l’eau, l’air, le climat et le paysage, les biens matériels et le patrimoine
culturel, l’évaluation doit porter, en effet, sur le sol. En particulier, le projet doit
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80. Celle-ci énonce notamment qu’« une étude d’impact sur l’environnement, en tant qu’instrument
national, doit être entreprise dans le cas des activités envisagées qui risquent d’avoir des effets nocifs
importants sur l’environnement et dépendent de la décision d’une autorité nationale compétente ».
81. L’évaluation de l’impact sur l’environnement est définie comme « une procédure nationale ayant
pour objet d’évaluer l’impact probable d’une activité proposée sur l’environnement », sachant que le
terme « impact » désigne « tout effet d’une activité proposée sur l’environnement, notamment sur la
santé et la sécurité, la flore, la faune, le sol, l’air, l’eau, le climat, le paysage et les monuments historiques
ou autres constructions, ou l’interaction entre ces facteurs ; il désigne également les effets sur le patri-
moine culturel ou les conditions socio-économiques qui résultent de modifications de ces facteurs ».
http://www.unece.org/env/eia/documents/legaltexts/conventiontextfrench.pdf
82. L’expression « évaluation stratégique environnementale » désigne l’évaluation des effets probables
sur l’environnement, y compris sur la santé, qui comprend la délimitation du champ d’un rapport
environnemental et son élaboration, la mise en œuvre d’un processus de participation et de consultation
du public et la prise en compte du rapport environnemental et des résultats du processus de participation
et de consultation du public dans un plan ou programme (art. 2, § 6 du Protocole à la Convention sur
l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte stratégique transfrontière, relatif à l’éva-
luation stratégique environnementale, fait à Kiev le 21 mai 2003).
83. CEDH, 27 janvier 2009, Tatar c/ Roumaine, Etudes foncières, n° 138, mars-avril 2009, p. 48 ; RJE,
n° 2011/1, p. 61, Chron. de J.-P. Marguénaud et S. Nadaud.
84. Il s’agissait en particulier de l’article 41, a) du statut du fleuve Uruguay relatif à la pollution
(Chapitre X).
85. http://www.icj-cij.org/docket/files/135/15878.pdf
86. Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant
l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement – Texte présentant
de l’intérêt pour l’EEE (JO n° L 026 du 28 janvier 2012, p. 1-21).
87. M. Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, 5e éd., paragraphe 80.
88. Article R. 122-3 du Code de l’environnement.

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P. STEICHEN - TERRES, SOLS ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

décrire les exigences en matière d’utilisation du sol en phase de construction et de


fonctionnement 89.
D’autre part, l’activité agricole elle-même figure au rang des activités qui doivent faire
l’objet d’une évaluation en raison de leurs incidences sur l’environnement. Cela res-
sort d’abord de la définition générale des « projets » qui incluent les « interventions
dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l’exploitation des
ressources du sol ».
Cela ressort ensuite de la liste spécifique de ces projets visés dans les annexes de
la directive. Certains projets doivent être obligatoirement soumis à évaluation (les
élevages intensifs par exemple). D’autres projets, agricoles, sylvicoles ou aquacoles,
peuvent être évalués, à la discrétion des Etats, selon certains critères qui figurent en
annexe III de la directive, tels que les caractéristiques des projets ou leur localisation.
Tel est le cas par exemple de l’affectation de terres incultes ou d’étendues semi-
naturelles à l’exploitation agricole intensive.
La Cour de justice a eu l’occasion d’appliquer ces dispositions dans un arrêt en
constatation de manquement contre l’Irlande du 21 septembre 1999 (aff. C-392/96),
dans lequel il était reproché à l’Irlande d’avoir fixé des seuils pour l‘affectation des
terres à l’exploitation agricole intensive tellement bas que très peu de projets faisaient
concrètement l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur l’environnement 90. On
notera qu’en France, sont également soumis à une évaluation environnementale les
projets d’affectation de terres incultes ou d’étendues semi-naturelles à l’exploitation
agricole intensive 91.
Au plan international, on imagine sans peine l’intérêt que pourrait représenter l’adop-
tion d’un instrument conventionnel universel sur les évaluations environnementales 92,
qui permettrait que soient évalués les projets d’affectation de terres à l’agriculture
intensive. Lorsque l’on sait, en outre, que sont organisées, autour de ces évalua-
tions, l’information et la participation du public, le caractère « révolutionnaire » de ces
études serait certainement revitalisé.
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Dans l’Union européenne, l’évaluation des projets a récemment été enrichie par
l’évaluation, en amont, des plans et programmes avec la directive 2001/42/CE 93.
Cette dernière se fixe en particulier pour objectif d’assurer un niveau élevé de pro-
tection de l’environnement et de contribuer à l’intégration des considérations envi-
ronnementales dans l’élaboration de plans et programmes en vue de promouvoir
un développement durable en prévoyant que certains plans et programmes sus-

89. Annexe IV, paragraphe 2 de la directive 2011/92/UE.


90. 100 ha pour l’affectation à l’agriculture intensive, 70 ha pour le reboisement, 100 ha pour les défri-
chements et 50 ha pour les tourbières.
91. Sont soumis à évaluation obligatoire les projets de plus de 20 hectares de terres incultes à l’exploi-
tation agricole intensive et les projets d’affectation de plus de 50 hectares d’étendues semi-naturelles à
l’exploitation agricole intensive. En revanche, sont soumis à examen au cas par cas les projets d’affecta-
tion de plus de 4 hectares et de moins de 20 hectares de terres incultes à l’exploitation agricole intensive
et les projets d’affectation de plus de 4 hectares et de moins de 50 hectares d’étendues semi-naturelles
à l’exploitation agricole intensive (annexe de l’art. R. 122-2 du Code de l’environnement).
92. Voir en ce sens l’appel des juristes pour Rio + 20 (http://www.cidce.org/).
93. Directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et
programmes. Celle-ci se fixe en particulier pour objectif « d’assurer un niveau élevé de protection de
l’environnement et de contribuer à l’intégration des considérations environnementales dans l’élabora-
tion de plans et programmes en vue de promouvoir un développement durable en prévoyant que (...)
certains plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient
soumis à une évaluation environnementale ».

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ceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement soient soumis à une
évaluation environnementale.

Cela a permis en France que certains plans locaux d’urbanisme soient soumis à une
évaluation des incidences environnementales, notamment les PLU dans les zones
sensibles 94.

D’autres mécanismes ont été mis en place depuis peu pour préserver les terres
agricoles 95. Tel est le cas, depuis la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de
l’agriculture et de la pêche 96, du Plan régional de l’agriculture durable. Ce « Plan
régional de l’agriculture durable fixe les grandes orientations de la politique agricole,
agroalimentaire et agro-industrielle de l’Etat dans la région en tenant compte des
spécificités des territoires ainsi que de l’ensemble des enjeux économiques, sociaux
et environnementaux » 97. Ces orientations stratégiques tiennent compte notamment
des modalités de protection et de mise en valeur des terres agricoles 98.

Le préfet doit porter à la connaissance des communes et établissements publics de


coopération intercommunale, le Plan régional de l’agriculture durable lors de l’élabo-
ration ou de la révision du PLU.

Il faut ajouter à cela, au plan départemental, la création, par la même loi, de la Com-
mission de la consommation des espaces agricoles 99 qui se fixe pour objectif de
réduire le rythme de consommation des espaces agricoles de 50 % durant la pro-
chaine décennie 100. Cette Commission peut être consultée sur toute question rela-
tive à la régression des surfaces agricoles et sur les moyens de contribuer à la limita-
tion de la consommation de l’espace agricole 101. Elle est obligatoirement consultée
lors de l’élaboration des schémas de cohérence territoriale 102 et des plans locaux
d’urbanisme 103 ayant pour conséquence une réduction des surfaces agricoles.
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Ces dispositifs viennent renforcer des mécanismes déjà existant, tels que les « zones
agricoles protégées » 104 et les « périmètres de protection des espaces agricoles

94. Article R. 121-14 du Code de l’urbanisme issu du décret n° 2012-995 du 23 août 2012 relatif à
l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme.
95. Voir également F.C. Collart Dutilleul, « L’agriculture et les exigences du développement durable en
droit français », Droit rural, n° 402, avril 2012, Etude 5.
96. Loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, A. Langlais,
« Le droit de l’environnement et la nouvelle loi d’orientation agricole, la fin d’une relation passionnelle ? »,
Dr. Env., n° 186, janvier 2011, p. 28-31.
97. Article L. 111-2-1 du Code rural
98. Article D. 111-1 du Code rural.
99. Elle est présidée par le préfet, associe des représentants des collectivités territoriales, de l’Etat, de
la profession agricole, des propriétaires fonciers, des notaires et des associations agréées de protection
de l’environnement (voir le décret n° 2011-189 du 16 février 2011 relatif à la commission départementale
de la consommation des espaces agricoles, codifié à l’art. D. 112-1-11 du Code rural).
100. Circulaire du 9 février 2012 relative à la commission départementale de consommation des
espaces agricoles.
101. Article L. 112-1-1 du Code rural. C. Herman, I. Daissan, Production agricole et droit de l’environ-
nement, LexisNexis, 2012, nos 15 et s.
102. Article L. 122-13 du Code de l’urbanisme.
103. A la condition que le PLU soit situé en dehors du périmètre d’un SCoT approuvé (art. L. 123-6,
C. urb.).
104. Articles L. 112-2 et R. 112-1-4 à 10 du Code rural.

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et naturels périurbains » 105 qui s’imposent également aux documents d’urbanisme


mais dont le succès a été très mitigé 106.
Peut-être faudra-t-il évoluer néanmoins vers d’autres mécanismes qui se pratiquent
dans certains Etats et qui pourraient contribuer efficacement à la conservation des
terres agricoles. En Belgique, par exemple, la compensation s’opère entre les zones
constructibles et non constructibles 107. Lorsque les autorités publiques veulent
affecter une nouvelle portion du territoire à l’urbanisation, elles doivent désurbaniser
des zones d’une surface équivalente 108. L’objectif est bien évidemment de limiter
l’extension des superficies consacrées à l’urbanisation 109.
Cela étant, la règle n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés concernant
notamment la prise en charge de la désurbanisation 110.

2. La préservation des sols par les zonages de protection

Certains mécanismes visant à instaurer des zones de protection sont également


susceptibles d’avoir des incidences sur la qualité des terres et de contribuer, d’une
certaine manière, à la sécurité alimentaire.
Tel est le cas des périmètres de protection des captables d’eau. De manière géné-
rale, toutes les précautions doivent être respectées par les utilisateurs pour éviter
l’entraînement des produits antiparasitaires vers les captages d’eau et leur périmètre
de protection 111. De manière plus spécifique, les collectivités publiques propriétaires
de terrains situés à l’intérieur d’un périmètre de protection rapprochée peuvent, lors
de l’instauration ou le renouvellement des baux ruraux, imposer au preneur des
modes d’utilisation du sol afin de préserver la qualité de la ressource en eau 112. On
peut être certain que l’encadrement des pratiques agricoles aura des effets béné-
fiques en termes de qualité des produits dans la zone.
De la même manière, les zones Natura 2000 qui se fixent pour objectif de protéger
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les habitats et les espèces de faune et de flore sauvages contribuent incontesta-
blement à la préservation de la qualité des sols sachant que les terres agricoles

105. Articles L. 143-1 à 6 et R. 143-1 à 9 du Code rural.


106. P. Germain, B. Thareau, « Les agriculteurs face à l’urbanisation », Etudes foncières, n° 145, mai-
juin 2010, p. 13 et n° 150, mars-avril 2011, p. 19.
107. F. Haumont, Urbanisme : Région Wallonne, La planification, Larcier, Bruxelles, 2007, p. 306.
L’auteur remarquait, en 2007, « que les premiers effets de la règle se font sentir dans la mesure où
les promoteurs publics ou privés (…) s’efforcent en conséquence de limiter de nouvelles superficies
destinées à l’urbanisation, à ce qui est strictement nécessaire, concrétisant de ce fait le principe de
gestion parcimonieuse du sol prôné par l’article 1er du Code wallon de l’aménagement du territoire, de
l’urbanisme et du patrimoine ».
108. En Wallonie, le Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine
énonce que « dans le respect du principe de proportionnalité, l’inscription de toute nouvelle zone des-
tinée à l’urbanisation, susceptible d’avoir des incidences non négligeables sur l’environnement, est
compensée par la modification équivalente d’une zone existante destinée à l’urbanisation en zone non
destinée à l’urbanisation ou par toute compensation alternative définie par le Gouvernement » (art. 46,
§ 2, CWATUP).
109. C.H. Born, « L’intégration de la biodiversité dans les plans d’aménagement du territoire », Thèse
UCL, 1988, p. 700.
110. Voir P. Steichen, « Le principe de compensation, un nouveau principe du droit de l’environne-
ment ? », in La responsabilité environnementale, prévention, imputation, réparation, sous la direction de
C. Cans, Actes Dalloz, 2009, p. 143-163.
111. Arrêté du 12 septembre 2006, art. 12.
112. Article L. 1321-2, alinéa 8, du Code de la santé publique.

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représentent 41 % des milieux concernés en France, juste avant les forêts 113. A la
différence des études d’impact dites de droit commun, le résultat négatif de l’évalua-
tion environnementale d’un plan ou d’un projet sur les objectifs de conservation du
site doit amener les pouvoirs publics à refuser ledit plan ou projet 114.
S’agissant des mesures de conservation de sites, c’est par le biais d’un document
d’objectifs (DOCOB), élaboré de manière consensuelle 115, que sont énoncés les
objectifs de développement durable du site permettant d’assurer la conservation
et, s’il y a lieu, la restauration des habitats naturels et des espèces qui justifient la
désignation du site 116.
Les objectifs de conservation sont mis en œuvre de manière plus spécifique, pour
les exploitants agricoles, par le biais de contrats agro-environnementaux 117, dits
contrats d’agriculture durable 118, qui ne relèvent pas à proprement parler des dis-
positions du Code de l’environnement, mais qui doivent néanmoins comporter des
engagements propres à atteindre les objectifs de conservation du site et respecter
les cahiers des charges du document d’objectifs 119. C’est donc en amont, dans
le DOCOB ou dans d’autres outils, tel que le programme de développement rural
hexagonal (PDRH) 120 que devraient figurer les objectifs de la conservation durable
des sols.
Pour terminer, et dans un autre ordre d’idées, on peut examiner la question des
zonages de protection autour des établissements à risque. La directive Seveso 96/82
du 9 décembre 1996, concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs
impliquant des substances dangereuses, avait demandé aux Etats membres de veil-
ler à ce que les objectifs de prévention d’accidents majeurs soient pris en compte
dans leurs politiques d’affectation ou d’utilisation des sols 121.
En France, la servitude d’éloignement au profit des installations dangereuses, issue
de la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 relative à la prévention des risques majeurs,
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ouvre la possibilité d’instituer des servitudes d’utilité publique limitant les construc-
tions sur les terrains situés aux alentours de certains établissements à risque 122.

113. Les forêts représentent 39 %. Viennent ensuite les landes et milieux ouverts (13 %), les zones
humides (6 %) et les territoires artificialisés (1 %) (Source : ministère de l’Ecologie, 2011).
114. Article L. 414-4 du Code de l’environnement.
115. Le comité comprend les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi
que, notamment, des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces
inclus dans le site Natura 2000. Les représentants de l’Etat y siègent à titre consultatif (art. L. 414-2-III,
C. env.). Outre les membres mentionnés à l’article L. 414-2, le comité de pilotage Natura 2000 com-
prend d’autres personnes en fonction des particularités locales (art. R. 414-8, C. env.).
116. Article R. 414-11, 2°, du Code de l’environnement.
117. Voir L. Boy, « Contrat agri-environnemental : aide ou rémunération », Economie rurale, n° 260,
2000, p. 52-65.
118. En 2011, on dénombrait 12 000 contrats agricoles (MAET) Natura 2000 couvrant près de
200 000 ha et 1 090 contrats non agricoles, dont 187 contrats forestiers (Sources : ministère de l’Eco-
logie, novembre 2011).
119. Article R. 414-17 du Code de l’environnement.
120. Programme de développement rural hexagonal 2007-2013 (version 7 validée par la Commis-
sion, Décision C 2011/3622 du 24 mai 2011) (http://agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/PDRH_V7_tome1_
cle814b54.pdf). Celui-ci aborde d’ailleurs la problématique de la qualité des sols (p. 22).
121. Article 12 de la directive, relatif à la maîtrise de l’urbanisation.
122. Ces servitudes ne peuvent concerner que les installations classées susceptibles de créer, « par
danger d’explosion ou d’émanation de produits nocifs, des risques très importants pour la santé ou la
sécurité des populations voisines et pour l’environnement » (art. L. 515-8, C. env.).

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Ces servitudes, qui sont indemnisables par l’exploitant, comportent la limitation ou


l’interdiction de construire ou la limitation des effectifs dans les établissements alen-
tours. La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 2010 123, a cependant
condamné l’exploitant d’une installation à indemniser les demandeurs pour le pré-
judice résultant de la perte de la valeur vénale de leur immeuble et pour le manque
à gagner consécutif à l’impossibilité d’entreprendre l’activité économique projetée
alors que certains investissements avaient été réalisés. Il s’agissait en l’occurrence
d’une activité de chambres d’hôtes et de vente de produits agricoles à la ferme.
Dans le même ordre d’idées, dans un arrêt du 26 novembre 2010 124, le Conseil
d’Etat a, pour la première fois, étendu l’obligation de remise en état d’un site sidé-
rurgique dans un rayon de cinq cents mètres autour de l’installation, obligeant ainsi
l’exploitant à décontaminer au-delà du strict périmètre de l’usine.
Cela pourrait accroître les obligations de remise en état des exploitants à l’issue de
leur exploitation. A l’heure actuelle, une procédure est prévue pour décontaminer
le site en fonction de l’usage ultérieur qui reste plus ou moins maîtrisé par l’exploi-
tant 125. Toutefois, l’obligation de décontaminer l’ensemble des terrains pollués au-
tour du site, affectés par exemple à l’agriculture, pourrait modifier considérablement
la donne.
***
En conclusion, les faits nous montrent qu’il devient urgent d’adopter, tant au plan
international que régional et national, des instruments juridiques ayant spécifique-
ment pour objet la protection et l’utilisation durable des sols. Il devient tout aussi
urgent de promouvoir l’intégration de cet objectif dans toutes les autres politiques
afin de mieux servir les intérêts de la sécurité alimentaire.
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123. Cass. civ. 3e, 15 décembre 2010, Société Tinanobel c/ X, Pourvoi n° 09-15171, Droit de l’environ-
nement, n° 187, février 2011, p. 50-53.
124. CE, 26 novembre 2010, n° 323534, mentionné dans les tables du Recueil Lebon.
125. Article R. 512-39-1 du Code de l’environnement pour la cessation d’activité des installations
classées soumises à autorisation.

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