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• La relation d'objet (S IV), 1956-1957, Seuil 1994
Dont le titre complet est annoncé par Lacan dès la première séance
du séminaire « Le transfert dans sa disparité subjective, sa
prétendue situation, ses excursions techniques ».
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Séminaire I : Les écrits techniques de Freud
L’idée directrice de Lacan, à cette époque, n’est pas encore cette topologie car il vise essentiellement à rectifier le sens de
la pratique analytique qu’il prétend s’être détournée de la lecture freudienne. Sans doute, pourrait-on voir dans ce retour à
Freud un mouvement d’« antériorité prospective », premier paradoxe d’un homme qui, pour faire progresser
l’interrogation analytique, revient sur les traces de son illustre prédécesseur.
C’est pourtant autour de trois idées-forces que son enseignement s’inaugure :
- La première est la notion de résistance ;
- la deuxième, celle de l’aveu de l’être ;
- la troisième, celle du transfert.
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Lacan propose de réviser l’espèce d’idée que nous avons de ce processus en réservant à la parole qui coule entre ces
feuillets un rôle essentiel. Parole ou discours (ici encore indifférenciés, p. 51) ont un double versant. Parole vide et parole
pleine déterminent, pour Lacan, le gîte de cette pré-topologie freudienne. L’accent mis à ce moment sur la fonction de
vérité ne nous étonne guère vu le développement que Lacan lui a donné dans la suite. (Cf. Les 4 discours - Séminaire
XVII)
Parole pleine quand le sujet y fait aveu (révélation p. 59) de son être, vide quand le patient traite d’ego à ego avec son
analyste, qu’il le prend à témoin par exemple. (p. 60).
Le sentiment de présence se révèle issu d’un premier noyau refoulé originaire qui est donc une question adressée par
l’être à ce premier refoulé inaccessible. C’est quand l’aveu de l’être n’arrive pas à son terme que le sujet s’accroche à
l’autre, permettant alors à Lacan d’ébaucher l’esquisse de son schéma du miroir. « Qu’est-ce que veut dire cet appui pris
dans l’autre ? Pourquoi l’autre devient-il d’autant moins vraiment autre qu’il prend plus exclusivement la fonction
d’appui ? » (p. 62).
Du fait du refoulement, cette vérité, cet aveu de l’être s’affecte d’un coefficient négatif. La Verneinung devient le point de
présence du sujet. Issu du lieu du refoulement, ce lieu de méconnaissance (Verneinung, p.63), fonction de l’Ego, relève
pour Lacan de la dimension de l’imaginaire. (p. 64)
Mais cette dimension imaginaire s’entrecroise avec le procès symbolique de la parole dont Lacan vient de nous rappeler
la fonction dans ce qu’il appelle aussi réalisation de l’Être. (La notion de réel, on le remarque, ne s’est pas encore fixée
très précisément à cette époque, elle chevauche la fonction de Vérité).
Encore faut-il qu’une Bejahung (acquiescement) primordiale soit admise faute de quoi la Verneinung (dénégation) du
névrosé (indice de la présence du sujet) ressurgit pour le sujet psychotique à la façon d’une hallucination. (p. 70) Et le
terme-clé pour symboliser cet entrecroisement, c’est celui d’Aufhebungii[ii] (intégration). Ce terme doit répondre après-
coup à l’installation de la bejahung primitive comme pacte d’entrée que le sujet doit authentifier dans la reconstruction
analytique. (p. 75 et suivantes)
C’est le sentiment de réalité que Lacan nomme en ce point ! mais ce point d’entrecroisement, où le négatif imaginaire
rencontre le symbolique de la parole, est aussi ce qui se nomme destructionisme (p. 83) ou pulsion de mort comme
l’émergence de l’angoisse du petit Dick, patient de Mélanie Klein, nous le montre (p. 82). À cette époque de la pensée
lacanienne, ce qui fait confluent de l’imaginaire et du symbolique est le réel comme sentiment de réalité et comme
processus mortifère. C’est ainsi, du moins, que Lacan semble le considérer ici. C’est aussi le premier schéma topologique
dont nous avons trace écrite dans ce séminaire. (p.89)
Ce schéma est de Freud. Il situe ce qu’on appelle un lieu psychique chargé de représenter la réalité psychique. Ce schéma
est extrait de la Traumdeutung au chapitre « psychologie des processus du rêve » (p. 455 et 456 + la note p. 460). Il sera
repris sous une autre forme dans l’Abrégé de psychanalyse.
Le paradoxe de ce schéma est qu’il vectorise une perception du conscient en direction d’une réaction motrice, elle aussi,
relevant du conscient après un détour problématique dans l’inconscient et le pré-conscient. C’est que ce lieu psychique
correspond à la possibilité de formation d’une image à la manière dont elle se forme en un point d’un appareil
photographique. On sait qu’il s’y produit une inversion qu’il eut été intéressant de voir traiter par Freud. À l’image
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inversée sans plus de l’appareil photographique utilisé par Freud, Lacan va répondre par un dispositif plus articulé qui
permet de distinguer image réelle et image virtuelle. On notera déjà le glissement opéré dans la présentation de Lacan.
Là où il parlait de l’intrication du symbolique et de l’imaginaire (Cf. supra), le voici maintenant qui tente de situer réel et
imaginaire au travers d’images dites réelles et virtuelles. Toujours cette même difficulté d’assigner sa place au réel !
L’intérêt du dispositif lacanien est double. Primo, il nous présente ces point où une image peut se comporter comme un
objet et secundo, il nous permet, grâce aux mathématiques (l’optique), de formaliser cette expérience optique
Cette expérience du bouquet renversé est métaphorique de la constitution du Moi primitif par la distinction d’avec le
monde extérieur. Elle s’appuie sur la différence contenant-contenu (déjà évoquée avec la parole pleine et vide mais à un
autre niveau d’intégration et de localisation topologique). Elle est intégrée ici au seul imaginaire et Lacan souligne
combien elle reste détachée d’un processus de maturation.iii[iii] (p. 93)
Peut-on déjà parler d’une topologie de l’expérience analytique ? Pas vraiment. Lacan nous avertit qu’il s’agit d’un
apologue : « Ce schéma prétend ne toucher à rien qui soit substantiellement en rapport avec ce que nous manions en
analyse, les relations dites réelles ou objectivesiv[iv] ou les relations imaginaires. Mais il nous permet d’illustrer d’une
façon particulièrement simple ce qui résulte de l’intrication étroite du monde imaginaire et du monde réel dans
l’économie psychique ». (p. 93)
C’est pourquoi, nous insistons sur ce point que dans ce premier Séminaire, se constitue ce qu’on pourrait appeler une
prétopologie car l’expérience du dialogue analytique, s’il y est précisé de manière structurale, n’y est pas intégré comme
procès.
Et Lacan veut tenter d’expliciter les virtualités de son petit schéma qu’il accroche à son fameux stade du miroirsv[v]
« quand la seule vue de la forme totale du corps humain donne au sujet une maîtrise imaginaire de son corps, prématurée
par rapport à la maîtrise réelle ». (p. 93) D’une certaine façon, « l’image du corps est comme le vase imaginaire qui
contient le bouquet de fleurs réel. Voilà comment nous pouvons nous représenter le sujet d’avant la naissance du Moi et le
surgissement de celui-ci ». (p. 94) Voilà le mot lâché : le sujet.vi[vi] Il surgit, ici, comme de nulle part dans cette séance et
il est d’emblée repéré par Lacan comme l’effet de ce lieu psychique, voire topologique dont le MOI, l’EGO ne sera qu’un
objet privilégié.
Il s’agit donc ici d’une possibilité d’anticipation. Pour la première fois, l’homme se voit autre qu’il n’est, et ceci structure
toute sa vie fantasmatique.vii[vii]
Deux conséquences à ce schéma :
1) D’abord, on peut intervertir au gré, réel et imaginaire. Soit le pot et les fleurs, à condition de respecter un certain ordre
qu’on peut noter + - + ou - + -. Voilà qui va nous être précieux quand dans le Séminaire II, Le moi dans la théorie de
Freud, nous tenterons d’articuler ce schéma du miroir avec la circulation de la chaîne signifiante notée (+ ou -) dans le
commentaire de La Lettre Volée d’Edgar Poe.
2) Il convient que l’œil de l’observateur se trouve dans un certain point du cône optique déterminé par la réflexion des
rayons du miroir sphérique. On notera que cette place de l’œil, ici pour Lacan, est fonction symbolique quand il s’agit du
sujet de la parole. (Nous verrons pourquoi plus loin). Il représente ce qui, dans le rapport de l’imaginaire au réel, est la
place du sujet en tant qu’elle détermine la constitution du monde.
Cette séance du 24/2/1954 est très importante parce qu’elle situe dans les Séminaires, la première approche topologique
de Lacan, approche topologique qu’il réfère à une clinique commentée à partir de Mélanie Klein (le petit Dick).
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Dans cet exemple cliniques, il y a une sorte de solidification entre les formes imaginaires et réelles des objets. Il n’y a pas
de jeu libre entre elles. Au fond, le bouquet et le vase ne peuvent être là en même temps, c’est cela qui se trouve bloqué
chez le petit Dick.
En termes plus théoriques, ce sont les mécanismes de projection et d’introjection qui entrent en jeu dans le processus
imaginaire, dans ce schéma prétopologique : projection de l’imaginaire dans le réel ou du réel dans l’imaginaire en tant
qu’elle s’accompagne d’une dénomination symbolique qui est l’introjection.
Mine de rien, quelque chose de neuf s’introduit donc ici. C’est la fonction de la parole (déjà présente avec la question de
la vérité) qui relève de l’introjection. Parole qui vient de l’autre. (La mère qui parle par exemple).
Une dimension toute différente s’introduit donc et nous permet d’ébaucher une hypothèse : que le réel, dont Lacan tente
vainement de tracer le lieu psychique, serait lié à cette fonction de la parole.
Cette dimension, toute différente, trouve son point significatif dans ce qu’on nomme : l’APPEL (de l’enfant, par
opposition à la parole de la mère). En introduisant l’appel, ce n’est pas le langage que Lacan introduit, il faut bien le noter
; c’est un niveau antérieur au langage. Cependant, l’appel comme tel ne prendra sa valeur qu’à l’intérieur du système déjà
acquis du langage. Il y a donc quelque chose qui est comme une rencontre de l’appel et du langage, quelque chose qui
doit se lier, qui doit s’accoler. Et pour Lacan, une fois de plus, c’est de l’autre que vient ce premier accolage. C’est
l’autre, Mélanie Klein en l’occurrence, qui apporte au petit Dick, la verbalisation justifiant ainsi la formule de Lacan :
l’inconscient est le discours de l’autre. Jusque là, il n’y avait aucune espèce d’inconscient dans le sujet, c’est Mélanie
Klein qui dresse « brutalement sur l’inertie moïque initiale de l’enfant, les premières symbolisations de la situation
oedipienne ». (p. 100)
À partir de là, l’enfant peut faire jouer l’imaginaire et le réel, il y a une série d’équivalences et d’équations qui deviennent
possibles. C’est l’entrée dans le système symbolique. L’appel est précisément lié à cette négativité dont Lacan parlait à
la fin de la séance précédente. Car au fond, qu’est-ce que c’est l’appel pour lui ? C’est la possibilité du refus. Quel
rapport, alors, ce cas clinique entretient-il avec le schéma du miroir que Lacan avait présenté ? Et surtout, comment
s’accolent le langage et l’appel, eux-mêmes ayant à doubler les lieux de l’imaginaire qui sont en train de se constituer.
« Dans cette observation, vous voyez donc jouer chez l’enfant, indépendamment, la série de relations pré-verbales et post-
verbales. Et vous apercevez que le monde extérieur − ce que nous appelons le monde réel et qui n’est qu’un monde
humanisé, symbolisé, fait de la transcendance introduite par le symbole dans la réalité primitive − ne peut se constituer
que quand se sont produites, à la bonne place, une série de rencontres. Ses positions sont du même ordre que celles qui,
dans mon schéma, font dépendre telle structuration de la situation de telle position de l’œil. je me resservirai de ce
schéma, je n’ai voulu introduire aujourd’hui qu’un bouquet mais on peut introduire l’autre. » (p. 102)
Lacan indique dans la suite du séminaire qu’il peut arriver, effectivement, qu’un individu ne puisse pas se situer dans le
réel parce que les choses ne sont pas venues à lui dans un certain ordre. Cela veut dire donc, nous dit-il, que l’ego n’a pas
pu être utilisé comme appareil dans la structuration du monde extérieur, tout simplement parce que selon le modèle utilisé
par Lacan, une mauvaise position de l’œil fait que l’ego n’apparat pas purement et simplement.
C. TROISIÈME IDÉE-FORCE : le transfert
À partir de deux exemples cliniques, le petit Dick de Mélanie Klein et le petit Robert de Rosine Lefort, Lacan a tenté de
faire comprendre la solidification mortelle et angoissante des formes imaginaires et réelles des objets. Le transfert, ici
pour Lacan dans sa conception de 1954, sera donc la possibilité de lier par le langage l’absence de l’objet dans le réel à sa
représentation imaginaire.
On a coutume de situer ce transfert dans sa relation à l’amour. Il faut entendre cet amour comme un attachement libidinal
aux choses ou aux personnes. Attachement érotique maintenu par le névrosé grâce aux fantasmes. C’est donc la
constitution de ce fantasme dans l’imaginaire qui est interrogé par Lacan en ce point transférentiel.
Pour essayer de faire comprendre cela, Lacan va faire parler Rosine Lefort d’un petit garçon, Robert, qui connaissait
seulement deux mots : le loup et madame. L’objectif de Lacan faisant parler Rosine Lefort, c’est de voir apparaître cette
espèce de transfert dans l’imaginaire. Il s’agit d’un petit garçon dont les rapports avec les choses, avec les personnes, sont
strictement limités au réel ; c’est-à-dire quelqu’un qui, comme tel, ne peut pas fantasmer, maintenir une relation érotique
libidinale avec les objets et les personnes s’ils ne sont pas là.
À ce moment, la disparition de l’objet ou de la chose, la non-permanence de l’objet, le détruit. Il s’identifie à ces objets
qui disparaissent et lui-même ressent cette disparition comme une destruction totale. Il est assez étonnant de voir que
Lacan lie à la fonction de la parole cette prééminence de l’imaginaire, c’est-à-dire cette possibilité pour un fantasme de
prendre la place des personnes et des objets.
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Ce qu’il appelle l’état nodal, ou une parole réduite à son trognon, c’est, ni plus ni moins prétend-il, que la trace la plus
fine de la possibilité par où cet enfant va pouvoir précisément déployer, dans l’imaginaire, l’urgence du réel qui
l’angoisse. D’un point de vue topologique, on verra combien ce texte clinique est tout à fait intéressant dans la mesure où
c’est un texte où les termes contenant/contenu sont prévalents.
Contenant/contenu que Lacan a mis au premier plan de la signification qu’il donne au stade du miroir et qui joue là à
plein.
« Nous voyons l’enfant se conduire avec la fonction, plus ou moins mythique, de contenant et, seulement à la fin, pouvoir
le supporter vide. Pouvoir en supporter la vacuité, c’est l’identifier enfin comme un objet proprement humain, c’est-à-dire
un instrument capable d’être détaché de sa fonction. » (p. 120-121)
En somme, c’est par le bout de l’imaginaire (donc c’est par le bout du Moi puisque c’est ainsi que Lacan identifie le Moi)
que Lacan introduit ce transfert dans l’imaginaire. Le Moi, avec sa fonction de synthèse, construit à distance une image de
l’objet qui disparaît. Il y a, ici, une notation essentielle quant à la topologie adressée au corps dans la mesure où le schéma
optique, par une sorte d’effeuillage imaginaire, introduit à la fonction de l’objet non seulement comme consistance
contenant/contenu, fleurs/bouquet, niais bien plus comme différence entre les éléments, comme introduction du vide.
Voilà structurés les trois temps à partir desquels il nous semble que ce séminaire va se déployer. Nous proposerions donc,
ici, une autre répartition, un autre balancement à l’organisation de ce texte que celui qui est proposé dans la version
publiée. Sans doute, notre objectif est-il responsable de cette autre visée. Mais Lacan lui-même se rend compte (p. 125)
que le chemin parcouru l’autorise à un saut discursif qu’il justifie pour ses auditeurs d’un résumé du point où il est
parvenu.
Car il lui faut reprendre là où il a laissé le fil (p. 107) pour permettre la présentation clinique de Rosine Lefort. « Transfert
dans l’imaginaire », disait-il alors.
Ce transfert dans l’imaginaire doit être entendu non seulement comme la notion du transfert peut l’être en psychanalyse,
imaginaire en tant que ce qui s’y joue relèverait d’un processus imaginaire : ainsi que le rêve nous le démontre, lui qui se
déroule, pour l’essentiel, dans le plan des images (images nocturnes, figurabilité du rêve). Mais ce transfert dans
l’imaginaire doit aussi être entendu comme une transposition du processus analytique, du point de vue de l’imaginaire.
Du point de vue de l’imaginaire veut dire que le phénomène psychanalytique peut être examiné sous différents angles
d’approche. L’un de ces angles s’illustre de ce transfert dans l’imaginaire. Un peu comme si on examinait un diamant
sous une de ses facettes et que l’ensemble du phénomène puisse nous être perceptible pourtant dans son ensemble.
Cet angle de visée est comparable à celui qui se trouve être nécessaire pour obtenir l’accolement de l’image réelle sur
l’objet, le vase, dans l’exemple de physique amusante de Bouasse. Le plan imaginaire est donc pour l’instant privilégié.
Non pas que l’acte de parole soit réduit à la seule analyse des obstacles (réminiscences) qui se présentent au cheminement
d’une cure : il n’en est rien, car, il y a bien un transfert symbolique (« il se passe quelque chose qui change la nature des
êtres en présence », p. 127), comme il existe bien une interrogation sur le phénomène réel, sa raison, sa fonction, sa
signification. L’abord par Lacan du transfert dans l’imaginaire laisse, on le voit, d’autres phénomènes en suspens, mieux
même, les révèle à une place inattendue et d’autant plus révélatrice qu’ils se montrent intriqués l’un à l’autre. Au point
qu’on peut se demander quelle métapsychologie soutient la pensée de Lacan, et si la topologie, qu’il nommera plus tard,
est en continuité avec cette métapsychologie.
Quoi qu’il en soit, ce qui se révèle du fait de cet abord partiel, symptôme de l’approche imaginaire qui est faite du
transfert en psychanalyse, devient, comme maintes fois dans le suite, le nœud de chaque avancée de la pensée de Lacan.
Topique de l’imaginaire : l’amour passion
Ce que j’appelle symptôme, au sens de ce qui se révèle, du fait de cet abord par le transfert dans l’imaginaire, nous donne
maintenant la signification de ce qui changeait chez les partenaires du dialogue analytique. Ce symptôme est l’amour,
signification de ce changement de nature chez ces être en présence.
Du fait de cette émergence de l’amour dans la cure, la question des rapports entre l’analysé viii[viii] et l’analyste revient à
l’avant-plan. Cet amour de transfert que Lacan introduit, il va le présenter essentiellement sur son versant amour-passion,
c’est-à-dire amour dont la caractéristique narcissique est vraiment primordiale.
« Il ne s’agit pas de l’amour en tant qu’Éros − présence universelle d’un pouvoir de lien entre les sujets, sous-jacente à
toute la réalité dans laquelle se déplace l’analyse − mais de l’amour-passion, tel qu’il est concrètement vécu par le sujet,
comme une sorte de catastrophe psychologique. » (p. 130)
On a donc cette nouveauté que l’amour imaginaire, qui participe d’une illusion, se présente quand même comme essentiel
dans l’analyse, et la question est de savoir pourquoi ?
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La réponse est la suivante : il y va de la structure qui articule la relation narcissique, la fonction de l’amour dans toute sa
généralité, et le transfert dans son efficacité pratique. C’est cette structure que Lacan va présenter à l’aide de son petit
schéma du bouquet renversé, amélioré par l’introduction d’un miroir-plan.
« Je préciserai quel usage, à la fois limité et plural, doit être fait du stade du miroir-plan. Je vous enseignerai pour la
première fois, à la lumière du texte de Freud, que deux registres sont impliqués à ce stade. Enfin, si je vous ai indiqué la
dernière fois que la fonction imaginaire contenait la pluralité du vécu de l’individu, je vais vous montrer qu’on ne peut la
limiter à cela à cause de la nécessité de distinguer les psychoses et les névroses. » (p. 133)
Quels sont ces deux registres évoqués par Lacan ?
Est-ce la discussion des deux types de pulsions freudiennes : pulsion sexuelle et pulsion du moi ? Est-ce l’intrication
spéciale de l’imaginaire et du réel qui différencient les reconstructions névrotiques et psychotiques, ou plutôt n’est-ce pas
l’articulation freudienne de l’Ichideal ou de Idealichix[ix]
Pour conjoindre ces questions, Lacan reprend son petit schéma de Bouasse et y introduit un complément qui permet de
répondre à une question d’un de ses auditeurs au séminaire, Octave Mannoni, au sujet des deux narcissismes.
Il s’agit de l’adjonction au schéma originel d’un miroir-plan et d’une modification de la place de l’œil, symbole du sujet
de l’expérience.
Ceci est tout à fait capital du point de vue de la topologie puisqu’après avoir présenté une topique de l’imaginaire qui est
au fond une mise en expérience de son stade du miroir (et sous la forme de ce qu’on pourrait appeler un premier
narcissisme, c’est-à-dire là où l’individu, par le miroir, parvient à unifier d’une certaine façon son corps), Lacan en vient
maintenant à préciser le statut tout à fait spécial de ce rapport de l’humain à l’imaginaire. Le premier narcissisme c’était,
en quelque sorte, le rapport à l’image corporelle. C’est ce qui, dans le schéma de Bouasse (du bouquet renversé),
correspond à l’image réelle du schéma. Elle permet d’organiser l’ensemble de la réalité dans un certain nombre de cadres
préformés pour autant que l’œil, c’est-à-dire l’ego du sujet, s’adapte plus ou moins à la disposition topique des lieux.
Chez l’homme, la réflexion au miroir est différente parce qu’il existe, en plus de cette organisation de la réalité, une
possibilité noétique originale qui n’est plus d’adaptation imaginaire car pour Lacan, le pattern humain fondamental est
une relation à l’autre.
« L’autre se confond pour l’homme à l’image que le Moi se propose à lui-même c’est l’Ich-ideal. C’est l’identification à
l’autre qui permet à l’homme de situer son rapport imaginaire et libidinal au monde. Le sujet voit son être dans une
réflexion par rapport à l’autre. (p. 144)
On notera utilement, ici, le terme d’identification qui vient se greffer sur ce second narcissisme, c’est-à-dire sur ce qui,
dans le schéma que Lacan propose, correspond à ce supplément topique en quoi consiste l’adjonction d’un miroir- plan
face à un miroir concave, et à la modification de la place de l’œil ou de la place du sujet dans l’expérience.
Lacan distingue alors le plan imaginaire et le plan du symbolique. L’idéal du Moi et son rapport si particulier avec la loi
prend place dans le symbolique. Le Moi-Idéal, lui, prend place dans l’imaginaire.
Cette relation à autrui, lorsqu’elle s’ébauche et qu’elle se développe, devient la relation symbolique. Cette relation
symbolique peut se symboliser, dans le schéma des deux miroirs de Lacan, par la modification que l’inclinaison du
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miroir-plan entraîne si on l’imagine commandée par la voix de l’autre. D’une certaine façon, nous pouvons appeler cette
liaison symbolique, cette relation symbolique, intervention de la loi.
Dans cette structuration imaginairex[x] la position de tout sujet dépend d’un guide, au-delà de l’imaginaire dans le
symbolique qui consacre en quelque sorte la légalité de tout échange.
Le transfert dans l’imaginaire « déclenche dans ce dispositif qui permet de distinguer Ich Ideal et Ideal Ich une véritable
catastrophe. » (dixit Lacan p. 130)
« L’amour est un phénomène qui se passe au niveau de l’imaginaire et qui provoque une véritable subductions du
symbolique, une sorte d’annulation, de perturbation de la fonction de l’idéal du Moi. L’amour rouvre la porte − comme
l’écrit Freud − à la perfection. » (p. 162)
Lacan se demande ce qu’est le transfert dans cette opération générale et il nous dit que le transfert, sous sa forme
d’amour, fait repasser de l’idéal du Moi au Moi Idéal. L’idéal du Moi, c’est le rapport que j’entretiens à l’autre en tant
que cet autre dans une relation symbolique, légifère mon rapport imaginaire, en ce sens, on peut dire que l’échange
symbolique rend les êtres intelligents comme on pourra dire, plus tard, que la topologie les rend intelligents, elle-aussi.
Mais l’amour est précisément quelque chose qui est un peu différent puisqu’au fond, l’amour s’appuie sur le Moi Idéal.
Aussi bien le Moi Idéal est quelque chose qui se nécessite d’une certaine confusion là où il n’y a plus de régulation
possible de l’appareil optique, par exemple, puisque c’est ce qui nous est proposé par Lacan comme exemple de rapport
entre le Moi idéal et l’idéal du Moi.
Il s’agit moins d’une régression dans ce phénomène de transfert que d’une confusion entre le Moi idéal et l’idéal du Moi.
Confusion que la bascule du miroir-plan dans le schéma optique de Lacan nous permet de saisir : l’image reflétée s’y
déforme, s’allonge pour ne plus y subsister qu’à la façon du point trouble à l’extrémité du miroir, phallus, nous dit Lacan.
Point-reste de l’opération spéculaire, ici.
Cette bascule du miroir ne se limite pas à l’analyse de son reste optique sur le miroir-plan. Elle nécessite une volonté, une
force qui s’avère opérante. Cette force vient de l’autre et s’avère structurante.
Lacan nomme cette force : le désir. Aux confins de l’imaginaire et du symbolique, on voit apparaître pour la première fois
dans le Séminaire de Lacan, la fonction essentielle de l’aliénation. Lacan nous dit combien le désir est une négativité
introduite à ce moment-clé, crucial où l’autre est saisi comme corps semblable.
« C’est pour autant que c’est dans le corps de l’autre qu’il reconnaît son désir que l’échange se fait. » (p. 169)
On le voit donc, Lacan introduit ici, subrepticement, quelque chose de plus que la dimension imaginaire puisqu’il
introduit la nécessité pour l’humain de repérer l’autre d’une part, mais aussi de pouvoir s’assimiler au corps de cet autre
dans le rapport de négativité, dans le rapport de béance qui s’introduit entre lui et cet autre et que Lacan appelle désir.
On peut s’interroger sur l’appartenance de la négativité − qui vient de l’autre − au registre de l’imaginaire. Cette
négativité semble à cheval sur le registre de l’imaginaire et du symbolique. On a le sentiment qu’à ce moment, Lacan n’a
pas encore trouvé une possibilité d’articuler ses registres autrement qu’en les imaginant deux par deux.
On pourrait en tenter la présentation suivante où certains vecteurs appartiennent à deux plans. En interrogeant le transfert
dans l’imaginaire, on peut de la sorte affronter cet imaginaire, à des lignes d’arête, symbolique et réelle.
Pour en revenir à ce désir qui surgit de l’autrexi[xi], négativité qui opère symboliquement sur l’image du corps, Lacan
précise le danger d’une interprétation erronée du phénomène. Ce que l’image donne au sujet, c’est l’illusion d’une idéale
méprise du fait que l’image du miroir se présente comme totalisante. En réalité, ce n’est pas tant que le corps s’unifie de
morcelé qu’il était dont il s’agit, c’est que ce que le sujet aperçoit à ce moment, c’est à quel point le désir qui vient de
l’autre est un désir morcelé-morcelant. C’est lui que le sujet tente d’unifier. Car c’est de l’autre comme désir qu’il se
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perçoit dans son propre corps pulsionnel, comme insatisfait. Ce que le sujet trouve chez l’autre, c’est une série
d’aliénation de son désir (ce que Freud appelle pulsion partielle).
« Le sujet prend conscience de son désir dans l’autre par l’intermédiaire de l’image de l’autre qui lui donne le fantôme de
sa propre maîtrise. » (p. 178)
En réalité, ce que Lacan appelle ici « intermédiaire de l’image de l’autre » est plus exactement, ce qu’il appelle, la relation
symbolique laquelle éternelle fait passer sur un autre plan, sur un plan de la loi. Le miroir, le miroir-plan tourne en rapport
à ce tiers élément qu’est la relation symbolique, autrement dit, c’est l’intervention des rapports de langage qui fait tourner
ce miroir. Ce petit dispositif optique, où les symboles de la constitution symbolique de l’histoire du sujet sont
responsables des variations, où le sujet prend de lui-même une image variable plus ou moins brisée ou morcelée, est
métaphorique de l’inconscient préconscient freudien.
« Ce qui est accessible par simple mobilité du miroir dans l’image virtuelle, ce que vous pouvez voir de l’image réelle
dans l’image virtuelle, est plutôt à situer dans le préconscient. Tandis que les parties de l’image réelle qui ne seront jamais
vues, les endroits où l’appareil grippe, où il se bloque − nous ne sommes plus à ça près de pousser un peu plus loin la
métaphore − ça, c’est l’inconscient. » (p. 181)
Ceci permet à Lacan d’avancer que la notion d’inconscient relève d’une triplicité qu’il va essayer maintenant de nous
présenter à partir d’un autre point de vue que celui du « transfert dans l’imaginaire ». Car l’inconscient se supporte
d’abord de quelque chose de négatif et d’idéalement inaccessible, deuxièmement, de quelque chose de quasi réel,
troisièmement, de quelque chose qui sera réalisé dans le symbolique.
Comment construire ces trois phases de l’inconscient ? C’est ce à quoi va s’employer maintenant Lacan à partir de ce qui
se réalise dans le symbolique.
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Elle est un lieu plutôt qu’un être, un lieu déserté de l’image, un lieu en creux, qu’on sait avoir été habité par l’image.
Lacan nous dit (p. 192) que Freud était arrivé à des conclusions analogues au départ d’autres voies, celles de
l’investissement libidinal dans la constitution de l’ego. Il disait que ceci doit avoir le plus grand rapport avec la surface du
corps sans qu’il s’agisse de surface sensible, sensorielle, mais il s’agirait d’une surface en tant qu’elle est réfléchie dans
une forme, or, il n’y a pas de forme qui n’ait de surface, une forme est essentiellement définie par la surface.
« L’image de la forme de l’autre est assumée par le sujet. C’est, située en son intérieur, cette surface grâce à quoi
s’introduit dans la psychologie humaine, ce rapport à l’au-dehors de l’au-dedans par où le sujet se fait, se connaît comme
corps. » (p. 192)
« C’est dans un mouvement de bascule, d’échange avec l’autre, que l’homme s’apprend comme corps, comme forme vide
du corps. » (p. 193)
Apprendre à reconnaître venant de l’autre équivaut, en ce point, un passage de l’ignorance au savoir. C’est cette opération
qui a une arête commune avec la Verliebtbeit en tant que ce savoir peut porter sur le désir. Apprendre à reconnaître son
désir est aussi un savoir bordé par l’énamoration passionnelle.
Lacan rappelle comment le désir, avant le langage, n’existe que sur le seul plan d’une relation aliénée, relation qui,
aliénée dans l’autre, ne laisse pas d’issue autre que la destruction de l’autre ou la destruction propre. Ce désir du sujet
dans l’imaginaire engendre donc l’agressivité la plus radicale, ce que, rappelle Lacan, St Augustin avait parfaitement
repéré quand il parlait de cette jalousie ravageante du petit enfant pour son semblable. Voilà la relation centrale qui unit le
sujet à son Moi, à son Idéal du Moi. Mais le symbolisme, lie heureusement, vient tempérer les choses parce que le sujet
est dans un monde de symboles, est dans un monde où les autres parlent.
C’est pourquoi, cet autre qui l’aliène, peut reconnaître son désir à lui et il y a là, toute une médiation qui empêche que
cette agressivité radicale ne se déclenche et ne s’épuise dans la destruction de l’un et de l’autre. Si la relation au miroir
entraîne de l’agressivité parce que le sujet s’aliène dans l’image de l’autre, inversement, l’autre, puisqu’il lui présente la
forme jubilatoire de 1’unité de son être, permet au sujet de se recompléter, de se savoir. Ce moment très précis nous
éclaire sur cette arête que Lacan a situé dons le séminaire précédent, cette Verliebtheit, énamoration qui ne se produit pas
automatiquement, qui se produit selon certaines conditions déterminées par l’évolution du sujet, quand il est capable
d’une identification objectale de son Moi de son Idéal du Moi.
Lacan avance donc :
« La réversion perpétuelle du désir à la forme et de la forme du désir autrement dit, de la conscience xii[xii] et du corps, du
désir en tant que partiel à l’objet aimé où le sujet littéralement se perd et, à quoi il s’identifie, est le mécanisme
fondamental autour de quoi tourne tout ce qui se rapporte à l’ego. »
Moment second du temps spéculaire où le sujet a intégré la forme de son Moi. Cette intégration nécessite dans le
dispositif de Lacan, un premier et préalable temps de bascule du miroir-plan où le sujet peut échanger son Moi contre ses
désirs. Or, ses désirs, il les voyait dans l’autre. Le sujet échange donc son Moi spéculaire unifié contre le morcellement du
désir de l’autre. Dans cet échange du Moi et des désirs, s’introduit la médiation du langage. Lacan utilise le jeu freudien
du fort-da pour articuler ce moment d’introduction du langage. Mais on ne peut pas dire qu’il le justifie autrement que par
le seul saut symbolique à quoi l’autorise l’échange du Moi et du désir de l’autre qui est aussi un passage de la
reconnaissance de soi narcissique, à la reconnaissance ses de l’autre et de son désir qui morcelle le Moi.
11
Car, si l’intégration de l’image du Moi comme savoir de lui-même s’opère à partir de l’Autrexiii[xiii], c’est en tant que ce
désir morcelé qui en est le moteur est articulé par la dimension du langage. Du symbolique, grossièrement dit.
Cette fonction du symbolique s’affirme ici. Elle doit dégager la structure où elle se déploie (le langage) de l’usage
singulier qui en est fait (la parole). Topologiquement parlant, Lacan n’a pas encore précisé de lieu propre à cet usage qu’il
dit présenter une pointe de réel.
En effet, cette médiation du langage que Lacan articule autour de cet expérience freudienne du Fort-da, lui permet en fait
d’introduire le troisième plan de sa triade. Si le temps spéculaire relevait de l’imaginaire et la médiation, par le langage,
du symbolique, il lui faut introduire maintenant la notion du réel : simplement parce que le fait de nommer les choses
entraîne qu’un certain effet en résulte sur ces choses-là.xiv[xiv]
Lacan se demande ensuite comment saisir dans l’analyse la fonction de la parole. On verra qu’il introduit cette fonction
pour dégager deux types d’affects, deux types d’effets de cette mise en place de la parole : la Verliebtheit et l’amour. La
Verliebtheit, qu’on pourrait traduire par énamoration, est ce qui ressortit phénoménologiquement du registre de l’amour
mais qui en est cependant différente, différente en ceci que il s’agit là sur le plan imaginaire, d’un rapport captivant,
aliénant à l’image narcissique alors que l’état amoureux est tout autre chose puisque comme il le rappelle (p 205),
« il lui faut une coïncidence surprenante, car il n’intervient pas pour n’importe quel partenaire et pour n’importe quelle
image ».
La fonction de la parole dans l’analyse, c’est précisément d’arriver à libérer le sujet de tous les liens même de cohérence
afin que, larguant toutes les amarres de la parole, le sujet reconnaisse dans son rapport à l’autre les images auxquelles il
s’est laissé captiver successivement et qu’il repère ainsi les identifications successives de l’histoire de son Moi.
Cette rupture des amarres de la parole produit ce qu’on peut appeler une projection narcissique maximale. Ceci est la
condition fondamentale de la Verliebtheit. C’est, le rappelle Lacan, une des dimensions du transfert, non pas le transfert
comme dialectique, mais le transfert comme phénomène imaginaire. Telle est bien la première fonction de la parole et la
première étape de l’analyse qui s’opère à l’aide de cette représentation des miroirs par le passage de o en o’, c’est-à-dire
qui fait le passage de ce qui :
« du Moi est inconnu au sujet à cette image où il reconnaît ses investissements imaginaires. Chaque fois cette image qui
se projette réveille pour le sujet le sentiment de l’exaltation sans frein de la maîtrise de toutes les issues qui est déjà
donnée à l’origine dans l’expérience du miroir. » (p. 209)xv[xv]
Reste alors à savoir quelle est cette seconde phase de l’analyse, c’est-à-dire comment approfondir cette notion d’Idéal du
moi dont l’analyste occupe la place pour un temps.
C’est la seconde fonction de la parole, c’est-à-dire la dimension par où le désir du sujet face à la parole, est
authentiquement intégré sur le plan symbolique : c’est la parole dans son rapport à la dimension de pacte.
Il est important de noter que le moment, où le désir est ressenti par le sujet, ne peut pas l’être sans la conjonction de la
parole. Sans en dire beaucoup plus, Lacan prétend que la parole du sujet se conjoint au sentiment de miroitement par où
passe son image complétée-décomplétée dans l’amour et la haine.
Ce moment, ajoute-t-il, de conjonction de la parole et du désir est un moment de pure angoisse.
Autrement dit, une fois accompli le nombre de tours nécessaires pour que les objets du sujet apparaissent et que son
histoire imaginaire soit complétée, une fois les désirs successifs, tensionnaires, suspendus, angoissants du sujet, nommés
et réintégrés, tout n’est pas achevé pour autant. Ce qui a d’abord été là en o, puis en o’, puis de nouveau en o, doit aller se
reporter dans le système complété des symboles, l’issue de l’analyse l’exige. (p. 223)
12
Après avoir présenté ces deux fonctions de la parole, Lacan introduit alors une question qui courra jusqu’à la fin de ce
séminaire et que nous allons regrouper sous les termes de : Esquisse d’une topologie de la cure.
Si nous avons réservé le terme de topique aux deux précédentes subdivisions de ce Séminaire I, c’est parce que nous
voulons marquer combien ce qui se trame au travers du chemin de Lacan, dans ce séminaire, reste frappé par la dimension
de l’imaginaire. Bien que sous cet angle, la fin de ce séminaire poursuive dans cette voie, il nous paraît cependant que
l’interrogation finale de Lacan concerne plus particulièrement ce qui advient dans une cure psychanalytique ; et s’il
appuie encore sur la présentation symétrique que lui a fournie le stade du miroir, c’est pour inventer une construction dont
l’allure pyramidale et tétraédrique va se maintenir tout au long des séminaires qui suivent. Pour cette raison, et malgré le
remodelage ultérieur de la structure de ce tétraèdre, je propose de qualifier de topologique, cette esquisse du trajet de la
cure.
Au travers de la question de la fin de l’analyse traitée par Balint, (comme ce qui pousse le primary love au genital love),
Lacan introduit quelques critiques et quelques idées-forces qui serviront à la construction de ce tétraèdre.
- D’abord les critiques adressées à la notion d’objet dont le caractère saturant serait évoqué sur le modèle parfait
qui unit prétendument une mère à son enfant.
- Ensuite, l’idée que la perversion par rapport à ce genital love ne peut pas être évaluée sur une quelconque
échelle de valeurs idéales. Car, ce que recherche le pervers, c’est un accès à la réalité de l’autre comme sujet, ce
qui, évidemment, est tout à fait différent de le situer comme objet. (exemple emprunté à L’Etre et le Néant de J.-
P. Sartre à propos de la honte qui surgit du fait du regard de l’autre quand il se porte sur le voyeur). Sartre, lui-
même, nous rappelle qu’il en est de même pour le phénomène amoureux. Ce que nous exigeons de l’objet qui
nous aime n’est pas un engagement complètement libre, car il est resté en tension entre l’objectalité et la
subjectivité.
Lacan ajoute que :
« C’est dans une sorte d’engluement corporel de la liberté que s’exprime la nature du désir. Nous voulons devenir pour
l’autre un objet qui ait pour lui la même valeur de limite qu’a, par rapport à sa liberté, son propre corps. » (p. 242)
Ceci est, à notre avis, à rapprocher de la fonction de surface du corps dont Lacan a parlé précédemment dans ledit
séminaire. On remarque à nouveau qu’on peut tout à fait faire converger l’intérêt de Lacan pour la topologie autour de
cette question de l’amour. Il ne sera donc pas étonnant qu’en 1971, ce soit, précisément, sur ces mêmes questions qu’il
construira sa théorie du nœud. Lacan souligne la différence qui existe entre le registre de la relation d’objet animal et
celui de la reconnaissance du désir de l’autre, rappelant comment la perversion implique les dimensions de l’inter-
subjectivité imaginaire qui se compose de trois termes. Ainsi, dans l’exemple du regard : il voit, il me voit et il sait que je
le vois.
Lacan, alors, s’autorise, pour la première fois, à produire cette topologie de la cure dont les linéaments structuraux ont été
posés durant l’année. Ce n’est pas encore une topologie du réel, c’est une topologie de la parole qui est introduite autour
des notions de passion et d’enjeu qui sont spécialement l’affaire du sujet. Ensuite, en rappelant que la parole peut être
menteuse, Lacan nous dit qu’elle installe ledit mensonge dans la réalité.
« C’est avec la dimension de la parole que se creuse dans le réel la vérité... Avec elle, s’introduisent la vérité et le
mensonge et d’autres registres aussi. » (p. 252).
On aurait là, peut-être, une première face du tétraèdre que nous recherchons. C’est avec la parole que s’introduisent la
vérité et le mensonge, et Lacan va la placer dans un triangle à trois sommets le mensonge occupe un sommet, méprise et
ambiguïté, les deux autres.
13
C’est la parole qui installe, délimite ce triangle dans le champ de la réalité. Cette base, en quelque sorte, se creuse
symétriquement du fait de l’acte de parler. D’une part, l’acte de parole fonde la dimension de la vérité, toujours ambiguë,
d’autre part, se creuse dans le réel, la béance, le trou de l’être.
À partir de là, c’est la fonction de l’acte de parole qu’il faut expliciter dans son double rapport à l’être et à la vérité
puisque, ce qui devient spécifique maintenant, ce n’est plus seulement qu’elle creuse dans la vérité sa part d’erreur, sa
part de méprise, de mensonge et d’ambiguïté, c’est qu’ici la parole, dans sa signification, est essentiellement
métaphorique du fait de ce double rapport. L’être du sujet dont parlait Lacan dans la séance précédente s’illustre donc de
ces propos. On peut dire qu’ici, pour lui, l’être du sujet, c’est l’être du rapport métaphorique. En outre, si cet être est l’être
du rapport métaphorique, c’est parce qu’il est pris dans un langage qui est un langage dans la mesure exacte où il y a
quelqu’un pour le comprendre. (p. 265)
Enfin, la fonction de la parole est toujours aussi une fonction créatrice, c’est-à-dire qu’elle fait surgir la chose même, elle
ne s’épuise jamais puisqu’elle s’installe dans une temporalité. C’est cette chose même que Lacan appelle le concept en le
retirant de l’œuvre de Hegel, il dit, « le concept, c’est le temps de la Chose ». C’est ce à quoi Lacan va égaler
l’inconscient dans ce qu’il appelle l’automatisme de répétition.
Ainsi donc, l’élément temps est une dimension constitutive de la parole, comme elle le sera plus tard de la topologie. À la
limite, nous pourrions dire que la topologie, à ce point du développement de Lacan, c’est ce qui va surgir comme le
concept qui surgit comme temps-de-la-chose pour Hegel.
C’est pour rendre compte de cette révélation de l’être (p. 297) que Lacan va imaginer un être topologique qu’il appelle un
petit diamant, dièdre à six faces dont la présentation qui nous est donnée dans le Séminaire I est insuffisante à être
rapportée au discours qui le complémente.
C’est un dièdre à six faces, c’est effectivement une formulation incorrecte de ce que peut être un dièdre, puisqu’un dièdre
est constitué par deux plans qui se croisent. Il faut essayer de comprendre ce que Lacan a pu vouloir dire avec ce dièdre à
six faces. Il nous donne comme indications que toutes les faces sont pareilles, qu’elles sont partagées par un plan médian,
que ce plan médian est un triangle, que nous avons à faire à un polyèdre qui n’est pas régulier bien que toutes les faces
14
soient égales. Cette surface du réel, triangulaire est infranchissable sauf pour les mots, les symboles qui peuvent
introduire un trou. L’idée d’un trou qui se creuse est considérée par Lacan comme une possibilité de constitution de l’être
ou du néant essentiellement liée au phénomène de la parole. C’est dans cette dimension de l’être que les trois catégories
du symbolique, du réel et de l’imaginaire peuvent être situées. Lacan articule les faces avec l’imaginaire, le réel et le
symbolique, il articule les arêtes avec l’amour, la haine et l’ignorance et, nous retrouvons ici, les trois composantes que
Lacan tentait d’isoler dans les séances précédentes, les trois composantes, nous disait-il, nécessaires à l’abord de
l’inconscient.
Alors, Lacan ajoute p. 298 : « À mesure que la parole progresse, la pyramide supérieure s’édifie. »
Nous avons deux pyramides séparées par un plan médian triangulaire, surface du réel. Une pyramide inférieure et une
autre supérieure qui s’édifient.
Ce qui indiquerait que ce dont nous venons de parler concerne la pyramide inférieure, c’est-à-dire, celle qui résulte de
l’opération de trouage par la parole. Donc, dans la pyramide supérieure s’élaborent Verdrängung, Verdichtung et
Verneinung dont Lacan a parlé plus tôt dans cette séance, à la p. 294.
En ce sens, ces trois composantes constituent, pourrait-on dire, la structure nécessaire au discours, alors que la parole
comme telle est ce qui, en tant qu’individuelle, creuse le trou du réel, lequel réel est structuré de manière triple.
Il y a lieu alors de prendre en considération le fait que Lacan rapporte ce schéma du petit diamant à son schéma en miroir
puisqu’il nous dit que ce dont il est question relève du trajet du point o dans son schéma optique qui va quelque part en
arrière et se réalise dans son être à mesure que sa parole le symboliser. C’est ce que Lacan nous présentera, p. 312, sous la
forme d’un schéma de l’analyse.
En fonction de ce dernier schéma, nous pouvons peut-être tenter de rendre compréhensible le fameux dièdre à six faces
puisqu’il doit forcément lui être homotopique.
On pourrait imaginer que sur un plan vertical, un triangle se rabatte de part et d’autre sur un autre plan horizontal.
15
Les points o et o’ étant les sommets du triangle rabattu sur le plan horizontal. Ceci ne forme pas encore une double
pyramide. Pour la constituer, il faudrait joindre sur un troisième plan transversal les points OB et O’B qui ne sauraient, en
aucun cas, correspondre aux moments du rabattement du triangle ABC, car la trace de ce rabattement ne serait pas une
droite mais une courbe.
Ces deux arêtes sont construites dans une sorte d’architecture réelle dont Lacan ne parle pas sinon pour dire que du fait de
la parole, le triangle ABC s’est creusé de part et d’autre du plan vertical. Si bien que nous aurions un lieu dédoublé où
Verdrängung, Verneinung et Verdichtung s’opposeraient à l’amour, à l’ignorance, à la haine.
Trois passions du conscient qui s’opposent à trois modes de l’inconscient, trois passions de la vérité en face de trois
passions de la négation dans l’Être. Le plan vertical, c’est celui de la réalité où les places sont prises (méprise, ambiguïté,
erreur). Le plan horizontal devient le déploiement tétraédrique qui prend place des miroirs sphériques du schéma-des-
deux-miroirs dont nous avons parlé précédemment.
Reste à concevoir le mouvement que la parole, en analyse, tracé concentriquement sur cette construction.
Deux topologies s’affrontent ici.
- L’une s’appuie dans l’imaginaire sur le schéma optique de Bouasse. Emprunté à la physique, elle trace un des
chemins d’accès du sujet, par son objet spécifique qu’est le Moi.
- L’autre topologie s’appuie sur une construction mathématique plus épurée qui se supporte de nominations
inscrites dans la logique même de ces deux tétraèdres. Cette dernière tente de se rendre autonome, la plus épurée
possible des images qui la structurent sans parvenir à y inclure logiquement la fonction de la parole individuelle.
C’est ce cheminement de la parole en analyse que nous allons suivre maintenant dans le Séminaire II, dans le champ du
symbolique, champ qui lui est propre.
16
Séminaire II*
Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique
de la psychanalyse
Il s’agit d’un séminaire couvrant l’année académique 1954-1955 dont la clé de voûte est
constituée par la présence, au chapitre IX, de quatre schémas freudiens et de deux autres de
Lacan. Présence de la question de la représentation de l’appareil psychique pour Freud, d’une
topique de l’imaginaire et du symbolique pour Lacan.
Il ne nous est pas permis de penser avec certitude que tel était bien le vœu de Lacan dans son
enseignement. Il est même tout à fait possible que l’articulation topologique que nous
dégageons de ces premiers séminaires ne puisse être lue, en tant qu’articulation avérée, que
dans l’après-coup.
Il est certain, par contre, qu’une topologie est en train de se construire, consciemment ou pas,
il importe peu. Le dire, toujours, précède le dit.
Présentation générale
Les trois premières séances de cette année seront isolées et considérées comme un rappel de la
base élaborée par Lacan dans son travail de l’année précédente :
- L’excentricité du Je et l’irruption de la sexualité ;
- Puis la question d’un savoir vrai et du pouvoir créateur de la parole symbolique ;
- Ladite fonction symbolique s’insinuant dans la fêlure du moi en raison d’une
opposition des pulsions.
A cette introduction en manière de rappel de base, va succéder (séances 4-8), une
interrogation qui privilégie la dimension du symbolique. C’est pourquoi, malgré son titre,
nous pensons que ce séminaire doit être lu du point de vue du symbolique, à la manière dont
nous avons lu le premier du point de vue de l’imaginaire.
C’est pourquoi, aussi, un jeu d’écriture prend alors le devant de la scène; et dans le
déploiement des schémas freudiens, Lacan va trouver l’occasion de replacer son schéma du
miroir pour montrer qu’il ne dépare pas la lignée.
Restera, alors, à en situer la lecture du point de vue du symbolique, à rendre l’imaginaire
lisible pour ce point de vue, grâce à un schéma qui en quelque sorte pourrait se décalquer du
schéma simplifié des deux miroirs (Cf. Séminaire I).
1. LE « CAMP » DE BASE
a. L’ellipse
On peut penser que l’allure elliptique des derniers schémas de Lacan dans le Séminaire I
motive, ici, son discours.
17
Il avait avancé, en effet, deux choses essentielles. D’abord, que la prétendue maîtrise que le
moi exerçait sur l’amour de sa propre complétude, est une illusion qui méconnaît la profonde
division que l’autre insinue, par son rôle formateur dans ce processus. Division qui, en
quelque sorte, ne peut en aucun cas être l’apanage du moi mais bien d’une subjectivité en ce
point postulée dont le moi n’est qu’un objet. Le moi et l’autre constitueraient les deux foyers
(o et o’) d’un mouvement d’appropriation elliptique dont le résultat, l’effet, signerait la
présence d’un sujet à reconnaître. Lacan nous dit, deuxièmement, combien ce sujet (symbolisé
par l’œil dans le schéma de Bouasse aménagé) est « ectopique » aux effets imaginaires du
Moi.
Cette ectopie est précisément ce qu’un Descartes aurait réintégré dans son analyse sous la
forme du Dieu Trompeur. (p. 17)
Ainsi donc, le Je, ou sujet, se trouve excentrique à la concentricité des opérations moïques. Il
ne s’agit pas là d’une connotation littéraire ou métaphorique. Commentant la recherche du
plaisir par amour-propre, nommée ainsi en premier par La Rochefoucauld, Lacan nous dit :
« Ce qui est scandaleux chez La Rochefoucauld, ce n’est pas que l’amour-propre soit pour lui
au fondement de tous les comportements humains, c’est qu’il est trompeur, inauthentique. Il y
a un hédonisme propre à l’ego et qui est justement ce qui nous leurre, c’est-à-dire nous frustre
à la fois de notre plaisir immédiat et des satisfactions que nous pourrions tirer de notre
supériorité par rapport à ce plaisir. Séparation de plan, relief pour la première fois introduit, et
qui commence à nous ouvrir, par une certaine diplopie, à ce qui va apparaître comme une
séparation de plans réels. » (p. 18)
On le remarque dans le discours de Lacan, les termes de séparation de plans, de relief, de
diplopie sont les premières préfigurations de ce que cette subjectivité excentrique au Moi,
excentrique à l’ego relève d’une certaine mise en espace, préfigurant effectivement la
topologie qui surgira plus tard. Ce qui est tout à fait important à noter, c’est que c’est à
l’intérieur, précisément, de ce nouveau monde, de ce nouvel espace créé par cette séparation
de plans, que fait irruption, comme le dit Lacan avec un bruit de tonnerre, la sexualité
freudienne.
Ce surgissement n’est pas seulement théorique. Si la sexualité apparaît dans le discours
freudien, c’est aussi qu’elle a surgi en travers du discours rationaliste qui s’est constitué dans
le monde occidental. Fait clinique reconnu par tous, la grande crise hystérique en est une
manifestation !
A charge pour nous, si notre hypothèse se vérifie, de situer cette sexualité freudienne dans
l’élaboration topologique de Lacan.xvi[i]
C’est pourquoi Lacan poursuit (p. 19) en prétendant que les nouvelles notions
métapsychologiques que Freud a introduites après 1920 ne devraient pas être lues dans le
sens d’un renforcement de la théorie du Moi, comme cela a été le cas, mais dans le sens
précisément d’une exigence topique aux dires mêmes de Freud (puisque le mot est freudien),
une exigence topique de situer cette subjectivité qui est, comme telle, excentrique au moi.
On comprend mieux maintenant l’intérêt que Lacan trouvera plus loin dans son séminaire, à
introduire la succession des schémas de la topologie freudienne.
b. Le savoir vrai
Il semble que pour le Lacan de 1954, cet espace de la subjectivité soit aussi celui où ait à se
déployer un savoir spécifique. Car toute la question est de savoir si ce qui, dans notre
civilisation, s’est dégagé sous la forme de la notion de savoir, est bien ce sur quoi l’analyste,
quand il opère, doit s’appuyer. Assez étrangement, Lacan montre une réticence à accorder, à
l’opération de l’analyste, cette dimension du savoir. Il préfère lui maintenir celle d’orthodoxa,
18
c’est-à-dire d’opinion vraie qui avait cours dans la théorie platonicienne et que Socrate
mettant en valeur essentiellement la notion d’épistémè, c’est-à-dire de savoir de la vertu,
aurait, d’une certaine façon, recouverte. Et Lacan se sert, ici, de l’exemple donné par Platon
dans le Ménon quand il fait discuter Socrate et l’esclave pour mettre en évidence la dimension
irrationnelle du carré de l’hypoténuse, grâce à quoi on peut obtenir un côté de carré double
d’un premier carré donné. Lacan souligne à cet endroit qu’il y a effectivement une faille entre
l’élément intuitif et l’élément symbolique, qu’il s’agit, en clair, du passage de l’imaginaire au
symbolique.
Cette invention du symbolique, c’est-à-dire l’apparition de cette dimension de « racine de
deux » dans l’expérience du carré de double côté, Lacan l’égale au surgissement de la parole.
Ce surgissement de la parole a ceci de spécifique, qu’il possède, en tant que tel, une fonction
créatrice de la vérité sous sa forme naissante.
C’est là que Lacan fait porter la critique sur l’émergence du savoir qui est le nôtre : ce savoir
que nous utilisons, est un savoir qui a perdu précisément cette dimension de vérité à l’état
naissant.
C’est pourquoi, Lacan préfère utiliser le terme d’orthodoxa, c’est-à-dire d’opinion vraie car :
« Tout ce qui s’opère dans le champ de l’action analytique est antérieur à la constitution du
savoir, ce qui n’empêche pas qu’en opérant dans ce champ, nous avons constitué un savoir. »
(p. 30)
Bien entendu, ajoute Lacan, l’analyste ne doit pas négliger le savoir mais : « il faut qu’il
sache que ce n’est pas la dimension dans laquelle il opère. Il doit se former, s’assouplir dans
un autre domaine que celui où se sédimente, ou se dépose ce qui, dans son expérience, se
forme peu à peu de savoir. ». (p. 30)
On peut donc d’emblée se poser la question suivante : est-ce que ce champ de l’orthodoxa, de
l’opinion en tant qu’il se différencie du savoir qui est, en quelque sorte, du savoir coupé de sa
vérité naissante, est-ce que ce champ de l’orthodoxa va être celui que Lacan isolera comme
un nouveau type de savoir dans la suite de son oeuvre et qui sera l’espace comme tel de la
topologie qu’ici, dans ce Séminaire, il maintient simplement dans le champ très précis du
dialogue ?
c. De la fêlure du Moi
Enfin, Lacan nous rappelle que s’il existe une faille entre l’intuition et le symbolique, c’est en
raison de cette faille que la vérité, en quelque sorte, peut s’accoler à ce symbolique, et même
plus, il nous indique que la Vérité du symbolique serait connaturelle à cette faille. Il est de la
nature du symbolique de surgir en vérité du fait de l’existence d’un défaut.
En promouvant la Vérité du défaut dans l’être, Lacan vise à écarter toute idée de l’inconscient
collectif, bain de l’humanité offrant au Moi les images d’adaptations à son biotope spécifique.
Or, le Moi présente une caractéristique qui le distingue de cette grande parade naturelle, c’est
qu’il y aurait chez lui une fêlure, une perturbation essentielle, laquelle perturbation a été
nommée par Freud «instinct de mort» dans son texte « Au delà du principe du plaisir ». Et, en
ce sens, on peut dire que la raison pour laquelle Freud a tenu à sauver son dualisme des
pulsions de bout en bout de son oeuvre, était de rappeler en quoi précisément, dans cette
captation imaginaire, cette fêlure qui s’introduit, s’inscrit l’autonomie du symbolique.
Cette autonomie du symbolique qui vient s’inscrire dans la brisure du Moi, c’est ce que Lacan
condense dans la formule : « C’est la présence dans l’absence et l’absence dans le présence. »
(p. 51)
19
Excentricité, vérité, fêlure, voilà posé le trépied de ce camp de base. Lacan va s’employer,
alors, à en décrire la structure.
2. LA STRUCTURE DU SYMBOLIQUE
Structure excentrique où la Vérité relève de la fêlure, comment se conçoit alors ce symbolique
?
Il relève du comptage ;
Il fait échec au principe de plaisir ;
Il inscrit la répétition ;
Il se nécessite de la pulsion de mort ;
C’est un circuit.
a. Se compter pour Un
Lacan essaie de faire la différence entre cette instance, cette fonction qu’il appelle le Moi
(isolé sous la forme d’un objet) et ce qu’il appelle le sujet ou la subjectivité. Il montre
comment la perspective de la subjectivité introduite par Freud peut se trouver repérée dans
certains rêves. Par exemple, un sujet rêve d’être un enfant, dans un stade primitif
d’impuissance, couché sur le dos comme une tortue qui s’agite, ou encore sous la forme d’un
rêveur qui se baigne dans une mer qui est à la fois le divan de l’analyste, les coussins de la
voiture et, bien entendu, sa mère. Ceci veut dire que le sujet se pose comme question, au
travers de ses rêves, non pas d’être tel ou tel enfant de tel ou tel parent, mais, plus exactement,
il se pose la question de savoir s’il a le droit ou non de porter le nom qu’il porte, c’est-à-dire
le nom d’un tel : ce que ses associations anxieuses, portant sur une paternité imaginaire,
permettent de justifier.
Autrement dit : « Le problème se pose pour lui à la seconde puissance sur le plan de la
fonction symbolique de son destin, dans le registre de son autobiographie ». (p. 58)
On saisit que cette question-là, cette seconde question donc, est décentrée par rapport à une
démarche de reconnaissance toute simple, d’identification immédiate, voire sensorielle qui est
celle que nous recherchons communément. Cette place du sujet décentré par rapport à
l’expérience individuelle, est précisément ce sujet inconnu du Moi qui réside dans
l’inconscient (Kern unseres Wezen, écrivait Freud dans le chapitre de l’«interprétation des
rêves» sur le processus du rêve). Ce noyau de notre être ne coïncide pas avec le Moi.
Pourtant, c’est de ce noyau que relèverait la structure symbolique.
« Sans doute, le vrai Je n’est pas Moi mais ce n’est pas assez... L’important est la réciproque,
qui doit toujours être présente à l’esprit, – le Moi n’est pas le Je – n’est pas une erreur au
sens où la doctrine classique en fait une vérité partielle, il est autre chose – un objet particulier
à l’intérieur de l’expérience du sujet. Littéralement, le Moi est un objet. » (p. 60)
La confusion entre le Moi et le sujet provient de cette illusion que le Moi serait capable de se
saisir lui-même grâce à ce qu’on appelle la conscience de soi. Lacan donne alors un exemple,
il construit un petit apologue pour faire saisir ce qu’il en est de cette prétendue conscience du
Moi qu’il oppose à ce « noyau de notre être ».
Imaginons des machines qui enregistreraient l’image d’une montagne se reflétant dans un lac
alors même que plus aucun homme n’existe sur terre. Imaginons que ces images déclenchent
à leur tour un certain nombre de réactions de la part d’un appareil enregistreur. Il y a bien là
un phénomène de conscience sans pour autant qu’aucune expérience moïque puisse
l’enregistrer. Mais, nous dit Lacan, s’il n’y a pas de Moi, on peut dire qu’il y a un Je, dans ce
20
seul fait qu’une machine ou une caméra existe. Car pour construire cette caméra, il faut bien
que l’homme avec ses paroles, avec son monde symbolique, ait constitué cette machine.
Il résulte donc que la conscience ici en jeu, semble bien une attribution exagérée du Moi, et
qu’elle relève plutôt d’un effet de la subjectivité ravalée par le Moi.
« La machine, c’est la structure comme détachée de l’activité du sujet. Le monde symbolique,
c’est le monde de la machine. » (p. 63)
Quand ça se détache, c’est la machine. Non détaché, c’est l’activité du Sujet, dans sa vérité.
Et Lacan d’ajouter une réflexion qui nous paraît importante puisqu’il nous prie de considérer
que chaque fois que la conscience surgit, c’est dans les endroits où on peut dire qu’une
surface produit ce qu’on appelle une image. On peut dire, en effet, que ce rapport surface /
image / conscience est bien ce qui va nous permettre de faire la distinction avec le moment
où, au coeur de cette surface qui reflète une image pour une conscience, viendra se
présentifier dans la structure de cette surface, un trou par où Lacan introduira plus tard la
dimension du sujet.
Mais nous n’en sommes pas encore à ce point qui fera l’affaire du Séminaire IV sur la relation
d’objet.
Car pour l’heure, Lacan revient sur la distinction qu’il importe de faire entre le registre du moi
et ce qu’il a introduit dans le Séminaire I sous le nom de « stade du miroir ». Dans le stade
du miroir, il y a une unité qui se constitue au niveau du je de quelque chose qui est
précisément vécu comme déconnecté et discordant, c’est une possibilité pour le sujet de se
compter pour la première fois Un. Se compter pour la première fois Un est bien différent dans
l’hypothèse de Lacan d’avoir la conscience de soi. Lacan pour montrer la construction de
cette subjectivité utilise alors la fable du paralytique et de l’aveugle.
« La moitié subjective d’avant l’expérience du miroir, c’est le paralytique qui ne peut pas se
mouvoir seul si ce n’est de façon incoordonnée et maladroite. Ce qui le maîtrise, c’est l’image
du Moi qui est aveugle et qui le porte ». (p. 66)
En résumé :
« Le sujet se pose comme opérant, comme humain, comme je à partir du moment où apparaît
le système symbolique. Pour le dire autrement, il faudrait, pour que le sujet humain
apparaisse, que la machine dans les informations qu’elle donne, se compte elle-même comme
une unité parmi les autres. » (p. 68)
Le compter-Un s’élabore donc au regard de la distinction essentielle qui est à faire entre un
moi conscient de soi et un sujet qui se compte. Il faut alors que Lacan commente ce caractère
discordant à partir duquel se puisse compter du Un.
b. C’est ce qui lui vaut d’introduire l’au-delà du principe de plaisir
Cette discordance où une fonction subjective se compte pour Un, c’est l’inconscient.
L’inconscient forme un système antinomique au système du moi que la seule inversion d’une
relation (±) ne suffit pas à expliciter. Entre les deux systèmes, il y a différence radicale. Lever
l’ambiguïté de cette différence radicale, en invoquant les principes de plaisir et de réalité, n’a
jamais servi, en fait, qu’à obscurcir davantage le problème. Par contre, si l’on accorde au
système du Moi une passion de l’équilibre, il est facile de voir en quoi il se rapporte à
l’homéostase visée par le psychisme. Il s’agit bien là d’une topique du Moi, topique bien
réglementée, non trouée.
« Si le psychisme a un sens, s’il a une réalité qui s’appelle la réalité psychique, ou, en d’autres
termes, s’il y a des êtres vivants, c’est pour autant qu’il y a une organisation interne qui tend
21
jusqu’à un certain point à s’opposer au passage libre et illimité des forces et des décharges
énergétiques telles que nous pouvons les supposer, d’une façon purement théorique,
s’entrecroisant dans une réalité inanimée. Il y a une enceinte fermée, à l’intérieur de quoi un
certain équilibre est maintenu par l’effet d’un mécanisme qu’on appelle, maintenant,
d’homéostase, lequel amortit, tempère l’irruption des quantités d’énergie venues du monde
extérieur. » (p. 78)
Seule une topique peut rendre compte de cet équilibre recherché par le Moi.
Par rapport à cette instance qui gère ce principe d’homéostase, par rapport à ce système, il y a
un autre système, c’est le système de l’inconscient. Au fond, les deux systèmes satisfont au
principe de plaisir mais il y en a un, le système inconscient, qui d’une certaine façon, présente
quelque chose de dérangeant, c’est-à-dire n’obéit absolument pas au principe du plaisir. D’où
le texte de Freud « Au delà du principe de plaisir ». Il y a donc quelque chose qui contrevient
à la règle du principe de plaisir en tant qu’elle s’incarne, par exemple, au niveau du rêve et du
rêve traumatique dans le principe d’une réalisation imaginaire de désir.
c. Faire échec au principe de plaisir
« Ne pas y obéir », ne veut pas dire que le principe de plaisir n’y est pas repérable.
Il n’est pas le maître, voilà tout ! Ce qui compte, n’est donc pas l’intégrité du contenant voire
la constance du contenu, mais plutôt l’effet que la répétition d’une discordance peut induire.
Mais pourquoi donc, est-ce sous la forme d’un déplaisir, d’une souffrance, de quelque chose
qui heurte à l’intérieur de l’homéostase que l’inconscient veut se faire entendre ? Pourquoi
donc, la répétition ne peut-elle pas se compter hors de son caractère de souffrance répétitive ?
Cet instinct de mort, comme le nomme ici encore Lacan, constitue bien un élément essentiel
dans la réalisation de l’être humain, à côté de la relation imaginaire (moïque) de l’Homme à
son semblable.
L’automatisme de répétition reste ici encore, quoiqu’en dise Lacan, une énigme. Il reste à
articuler la double tendance de cet automatisme (tendance restitutive et tendance répétitive)
avec ce caractère spécifiquement humain qu’est l’existence de cette pulsion de
mortxvii[ii].Lacan va introduire, alors, la notion de circuit pour rendre compte de cette énigme :
d) « Pourquoi tout ce qui est un progrès essentiel pour l’être humain doit passer par la voie
d’une répétition obstinée » ? (p. 110)
Ce besoin de répétition est au-delà du principe de plaisir, il est essentiellement lié à la pulsion
de mort et c’est le langage qui l’introduit par la fonction du symbole. Il y a là en quelque
sorte, un circuit où, par exemple, concrètement, on en vient à analyser un scénario du passé
qui se trouve reproduit au présent d’une façon qui n’est absolument pas liée au principe de
plaisir ni à l’adaptation vitale. Ceci est l’illustration de la phrase de Lacan que « l’inconscient
est le discours de l’Autre », le discours du circuit dans lequel nous sommes intégrés et dont
nous sommes un des chaînons.
« La vie n’est prise, dans le symbolique, que morcelée, décomposée ; l’être humain lui-même
est en partie hors de la vie, il participe à l’instinct de mort, c’est seulement de là qu’il peut
aborder le registre de la vie. » (p.113)
Mais certains symptômes rencontrés dans la cure psychanalytique se maintiennent encore
hors-circuit symbolique et font à leur tour énigme supplémentaire à cette pulsion de mort.
Tels sont les troubles psychosomatiques que Lacan tente de référer au réel et à l’autoérotisme
d’avant l’accès au narcissisme.
Lacan entame alors l’introduction à ce qui sera la clé de voûte de ce séminaire, la construction
du schéma du circuit de la parole.
22
e) L’idée de circuit, on le rappelle, s’avère pour lui essentielle au symbolique : « Un
symbolisme est essentiel à toutes les manifestations les plus fondamentales du champ
analytique, et nommément, à la répétition, et qu’il nous faut la concevoir comme liée à un
processus circulaire de l’échange de la parole. Il y a un circuit symbolique extérieur au sujet,
et lié à un certain groupe de supports, d’agents humains, dans lequel le sujet, le petit cercle
qu’on appelle son destin, est indéfiniment inclus. » (p.123)
Lacan pense pouvoir trouver une interrogation similaire au travers d’un des premiers textes de
Freud. Texte qui s’avoue tenter d’être une présentation de la relation psychique au travers de
la conduction neuronique telle que Freud en propose une esquisse. Dans ce texte, Freud tente
de tracer, d’imaginer le trajet de l’excitation nerveuse dans l’appareil psychique. Nous avons
là l’esquisse d’une première topologie de l’espace mental, pourrait-on dire.
Mais, l’intérêt que Lacan y porte et la position de Freud aussi, font qu’ il y a, dans cette
première esquisse, quelque chose de fondamentalement différent d’avec ce que la topologie
de Lacan, la topologie ultérieure va mettre en place. Nous pouvons dire que l’esquisse de
Freudxviii[iii] et la discussion actuelle de Lacan avec ses élèves, autour de ce texte de Freud,
restent encore profondément empreintes d’une sorte d’ontologie des structures mentales.
Ne serait-ce que parce que la place de l’objet nécessairement vide est éludée par Freud,
comme est éludée tout autant la référence à l’autre qui est tout aussi essentielle ?
3. LES QUATRE ÉCRITURES DU CHAMP ANALYTIQUE CHEZ FREUD
Le moment de bascule du Séminaire II se situe dans la séance IX intitulée : « Jeux
d’écritures ».
Ce qui paraît tout à fait capital dans cette séance, ce sont ces quatre schémas que Lacan
présente pour rendre compte du progrès de l’élaboration freudienne. Il s’agit, nous dit-il, (p.
129) d’un « schéma du champ analytique ».
Le premier schéma, c’est celui que Freud aurait ébauché dans sa première psychologie
générale, c’est-à-dire dans l’Entwurf. Il est probablement reproduit dans le séminaire à la page
134.
23
Le troisième schéma dépend d’une théorie de la libido qui n’est plus du tout contemporaine
des « Trois essais », mais qui relève de l’avènement de la fonction du narcissisme. On ne sait
pas très bien où retrouver ce schéma ?
S’agit-il du schéma qui se lirait en filigrane dans les ajouts de la théorie des trois essais sur la
sexualité ?
S’agit-il de ce schéma qu’on trouve à la page 408 du volume 10 des oeuvres complètes en
allemand ? C’est un texte de 1917 intitulé « Sur les transpositions de pulsion » et, plus
particulièrement dans l’érotisme anal, où Freud nous présente les équivalences excréments –
pénis – enfant dans leurs rapports à l’érotisme anal, au narcissisme et au complexe de
castration (traduction française, in La vie sexuelle, p. 111).
Le quatrième schéma, enfin, que Lacan situe dans « Au-delà du principe de plaisir » mais qui,
probablement, se trouve dans le texte « Le Moi et le Ça » est la présentation de l’appareil
psychique sous la forme d’une espèce de grosse bouillotte. (p. 252, G.W. XIII)
Il est quand même tout à fait passionnant de voir que Freud, lui-même, avait éprouvé le
besoin de construire cette espèce de schéma du champ analytique, de schéma de l’appareil
psychique. Il est tout aussi intéressant de voir que Lacan y ajoute, à la suite de ces quatre
schémas, ses deux schémas à lui, le schéma optique classique avec le miroir concave dont il a
parlé dans le Livre I, et puis son épurement sous une forme plus formalisée qu’il appelle « la
fonction imaginaire du moi et le discours de l’inconscient », et qui se présente sous la forme
de ce qui deviendra le schéma Z ou schéma L. Ces schémas de Lacan ont ceci de
caractéristique qu’ils ajoutent à la perspective freudienne, qui était de tenter d’introduire la
notion de qualité dans un appareil énergétique spécialisé, (surtout spécialisé quant à la
question de l’énergie), cette idée tout à fait neuve qui est propre à Lacan, que l’homme est un
autre pour lui-même ! (ce qui par ailleurs, nous donne l’illusion que la conscience est
24
transparente à soi-même). Et, c’est donc ce poids de l’autre, par où l’homme prend vue de son
propre reflet, que Lacan essaie d’introduire en plus des quatre schémas freudiens de l’appareil
psychique. (p. 134)
25
Si la qualité était la notion essentielle introduite par Freud dans son schéma de l’Entwurf, la
prise en considération du temps sera l’innovation de ce second schéma.
Rappelons-nous que Lacan a isolé quatre étapes dans la pensée de Freud. A l’intérieur de ces
quatre étapes, il y a un certain nombre de difficultés et un certain nombre d’impasses. Il y a
une sorte de dialectique négative qui est formulée par Freud tout au long de son interrogation
et qui aboutira dans la nomination de la pulsion de mort. C’est cette dialectique négative déjà
qui retentissait dans les difficultés éprouvées par Freud à concevoir le système OMEGA,
système de la conscience.xix[iv]
Ceci est particulièrement sensible dans le schéma que Freud nous propose au chapitre VII de
la Traumdeutung, intitulé « processus du rêve ». Ce qui est nouveau, c’est que le schéma qu’il
nous propose n’est plus un schéma de l’économie instinctuelle de l’être vivant en quête de ce
dont il a besoin. A la limite, ce n’est plus un appareil. Il y a quelque chose qui est immatériel,
que Freud essaie de localiser, quelque chose qui est analogue à ce dont Lacan parlait dans le
Séminaire I quand il parlait des images optiques qui ne sont nulle part, qui ne peuvent être
vues que si nous nous trouvons à tel ou tel endroit. Autrement dit, le schéma de Freud
introduit cette nouveauté qu’est la dimension temporelle en tant que telle et pourquoi pas la
dimension logique, ce qui permet à Lacan de dire : « Nous sommes passés d’un modèle
mécanique à un modèle logique ». (p. 146)
Comment entendre ce mot logique de la part de Lacan. Il semble qu’il veuille dire que Freud
ne se réfère plus à une localisation anatomique de son appareil mais, qu’au contraire, une
sorte de nécessité logique le pousse à prédire le type d’organisation que doit posséder
l’appareil psychique pour répondre correctement aux faits et impasses de la vie quotidienne.
Car pour répondre aux faits, le système neuronique, encore qu’à affiner, peut s’avérer
cohérent pour rendre compte des phénomènes que Lacan nous a appris à appeler imaginaires
(Cf. Séminaire I) ; mais pour ce qui est de répondre aux impasses : répétition, censure voire
troubles psychosomatiques, il faut à Freud, logiquement, une nouvelle conceptualisation.
C’est ce qu’il va chercher chez Fechnerxx[v] qui parle du rêve comme se situant dans un autre
lieu psychique. En l’occurrence, Lacan essaie de nous faire comprendre que ce lieu psychique
relève essentiellement de la dimension symbolique. Pour ce faire, il introduit Angelus
Sélésius, le mystique qui joue sur l’homophonie en allemand entre lieu et mot, entre Ort et
Wort.
Le glissement opéré est le suivant : nous sommes passés d’une conception qui tentait
d’adapter les schémas neurologiques à la représentation psychique, à une conception logique
qui, mettant en avant les paradoxes du fonctionnement du rêve, invente la topique pour y
répondre.
Pendant cette séance du 2/3/55, Lacan rappelle comment Freud dans l’Entwurf, en se situant
pourtant dans un langage atomistique, s’en démarquait quand il posait le problème des
relations du sujet et de l’objet, en soulignant à quel point l’objet humain se constitue toujours
par l’intermédiaire d’une première perte dudit objet. Donc comme tel, l’objet de la recherche
humaine ne peut se satisfaire dans un objet de retrouvaille au sens de la réminiscence
platonicienne. Ceci permet à l’interlocuteur de Lacan, Valabrega, de rappeler dans la suite de
la discussion, les trois caractéristiques essentielles du rêve telles que Freud en parle dans ce
texte.
« Premièrement, le rêve met la pensée au présent dans l’accomplissement de désir ;
deuxièmement, caractère presque indépendant du caractère précédent et non moins important,
il y a transformation de la pensée du rêve en image visuelle et en discours. » (p. 166)
Troisième notion : « Le lieu psychique du rêve est différent du lieu de la représentation
éveillée. » (p. 167)
26
Il faut bien faire attention, qu’effectivement, Freud imagine ici un ordre qui est spatial, si l’on
veut, mais qui se situe essentiellement dans un ordre de successions temporelles; il faudrait
essayer d’imaginer une spatialité temporelle, topique temporelle qui, effectivement, s’avère
être paradoxale puisqu’elle se présente de façon linéaire, en quelque sorte, rectangulaire, mais
paradoxale en ce sens que la conscience se trouve aux deux extrémités dudit schéma pourtant
orienté. La conscience reste, effectivement, le problème de cette présentation schématique si
bien que, comme le fait remarquer Valabrega, on comprendrait mieux ce schéma si, au lieu de
le faire rectangulaire, on le faisait circulaire. Ce qui permet à Lacan de déclarer :
« La façon dont le schéma est construit a la singularité de représenter comme dissociés, aux
deux points terminaux de la circulation orientée de l’élaboration psychique, l’envers et
l’endroit d’une même fonction, à savoir la perception et la conscience. Cette difficulté ne peut
d’aucune façon être attribuée à quelqu’illusion que nous subirions de la spatialisation, elle est
interne à la conclusion même du schéma. » (p.169)
« Nous soupçonnons, une fois de plus, qu’il y a là quelque chose qui ne va pas, qu’il y a la
même difficulté qui, dans le premier schéma, s’exprimait en ceci, que le système PHI,
complément du circuit stimulus-réponse, et le système PSY, étaient sur deux plans différents.
Quant au système OMEGA, fonctionnant selon d’autres principes énergétiques, il représentait
le système de la perception et assurait la fonction de la prise de conscience. » p. 170)
On peut donc conclure que le second schéma renforce les difficultés rencontrées dans le
premier schéma, et il dissocie la place du système perceptif et du système de la conscience.
Cette difficulté se présente, ici, dans la notion de régression essentiellement, régression du
rêve qui doit apparaître comme une régression topique, c’est-à-dire que le sens de la
circulation quantitative se renverse et ce sens devient régrédient par opposition au sens
progrédient du fonctionnement normal de l’appareil psychique.
Dans ce retour, c’est la possibilité d’éveiller une hallucination qui est recherchée. Cette
hallucination est une satisfaction d’un besoin. Est-elle pour autant adaptée au réel ?
L’Ego opère, en ce point, par comparaison entre ce qui est halluciné dans le système PSI du
premier schéma freudien et ce qui passe pour adapté dans le système OMEGA.
Ici, Lacan fait glisser l’Ego dans le système PSI. Il se contredit en quelque sorte par rapport à
ce qu’il a avancé précédemment ou, plutôt, il isole le phénomène de conscience du système
perceptuel pour l’arracher paradoxalement au moi. Est-ce pour en réserver la plus grande part
à la notion de sujet ?
Toutes ces questions, Lacan va tenter de les reprendre à partie du rêve de « l’injection faite à
Irma ».
Mais tout d’abord, il y a lieu de faire une remarque.
Si Lacan évoque immédiatement dans cette séance du 01/03/1955 l’exigence de cohérence
interne qui était l’apanage de Freud, (exigence qui va au plus profond) qui est aussi celle
d’obtenir des schémas rigoureux, cela ne répond pas seulement à un désir de Freud. Il y a là
quelque nécessité interne à l’analyse, quelque nécessité de sa conceptualisation comme telle
dans le rapport qu’elle entretient avec cette fonction du schéma. On voit mal en effet, qu’on
27
puisse expliquer comment entendre la notion de régression sans la spatialiser au point même
qu’on peut se demander si la régression comme telle n’a pas structure spatiale ou tout au
moins spatialement temporellexxi[vi].
L’hypothèse de la régression dans le rêve est introduite par Freud, dit Lacan, pour rendre
compte du caractère figuratif dudit rêve, c’est-à-dire de son caractère imaginaire (en termes
lacaniens). Et, comme cette notion d’imaginaire n’est pas située par Freud sur le même plan
qu’elle le sera plus tard par Lacan, il s’ensuit un certain nombre d’hésitations chez Freud, car
il conçoit le figuratif comme participant du système perceptif et il conçoit que le visuel est
équivalent du « perceptuel ». Il ne peut donc qu’imaginer un retour en arrière pour justifier le
passage du retour du niveau moteur au niveau imagé dans lequel se maintient l’hallucination
du rêve.
Lacan va proposer une explication aux difficultés de Freud.
Jusqu’à présent, nous les concevions comme paradoxales. Avec la séance XIII, Lacan nous
montre qu’il convient de rapporter ces difficultés à un passage de la thèse freudienne.
Abandonnant son appareil psychique avec la théorie du narcissisme, Freud amène Lacan,
rétrospectivement, à en lire la raison dans ce rêve inaugural presque, de l’injection faite à
Irma. Il va nous montrer que ce qui semble paradoxal dans l’attribution au moi des
phénomènes de conscience quand ils doublent son activité de perception, s’explique fort bien
si on considère que le moi, sur ce point, fait voile à la notion de sujet.
Car ce n’est pas tant à une régression de l’ego à quoi nous assistons qu’à son éclatement et à
l’apparition d’une formule qui met en évidence ce que Lacan appelle l’immixion des Sujets au
travers de la nomination.
Suivons, ici, le commentaire de Lacan.
Freud tire de ce rêve une vérité qu’il pose comme première, que le rêve est toujours la
réalisation d’un désir. Ce désir dans le rêve c’est, de la part de Freud, de décharger sa
responsabilité dans l’échec du traitement de sa patiente Irma. Lacan, dans ce commentaire,
critique la conception d’Erickson qui voit dans ce rêve une régression de l’ego au moment où
Freud évite le réveil devant cette horrible découverte qu’il fait, cette horrible découverte de la
chair qu’on ne voit jamais et qui provoque de l’angoisse. Or, Lacan met en évidence deux
triades dans le rêve, la triade Otto, Léopold et Freud et puis le Docteur M. qui représente le
père imaginaire, Otto qui représente aussi le père à la fois ennemi et ami, et Léopold qui joue
le personnage utile pour contrer l’ami-ennemi chéri, c’est-à-dire Otto. Il y a aussi trois
personnages féminins. Puis, le rêve se déploie même topologiquement avec la formule de la
triméthylamine.
Lacan interprète l’apparition de cette formule chimique comme l’interprétation de ce qu’au
bout du compte, il n’y a pas d’autre solution au problème posé qu’une nomination, une
formule.
Cette formule signe la présence d’un rêveur, sujet de rêve, perdu dans son rêve. En effet,
Lacan montre que le personnage de Freud, son ego de rêveur, s’est littéralement évanoui,
résorbé, diffracté et donc que de cette diffraction, il résulte pourtant qu’il y a un sujet qui rêve,
un sujet inconscient. On pourrait appeler ce sujet, dit Lacan, « nemo », c’est-à-dire personne.
Autrement dit : « Ce qui dans le sujet est du sujet n’est pas du sujet, c’est l’inconscient. » (p.
191)
Dès lors, et c’est ce qui paraît essentiel à Lacan, on peut avancer en résumé, qu’il n’y a
d’autre mot du rêve ou d’autre mot final que la nature même du symbolique, c’est-à-dire de ce
fait qu’un mot existe! Cela permet à Lacan de mettre en évidence que le sujet est quelque
chose de tout à fait spécial. Le sujet relève d’un phénomène inconscient qui se déroule sur le
28
plan symbolique et, comme tel, est toujours multiple, c’est-à-dire que dès que la parole vraie
émerge, médiatrice, elle fait des personnes qui parlent « deux sujets très différents de ce qu’ils
étaient avant la parole. Cela veut dire qu’ils ne commencent à être constitués comme sujets de
la parole qu’à partir du moment où la parole existe, il n’y a pas d’avant ». (p. 192)
C’est de cette parole que surgit le sujet dans une intersubjectivité qui n’individualise pas ce
sujet, mais l’immisce dans l’acte de parole.
C. Le troisième schéma freudien
Il serait l’héritier des impasses de l’appareil psychique, il devrait résoudre les problèmes que
posait la notion de régression. Il doit intégrer la découverte de la pulsion de mort et, en même
temps, rendre compte, de la dimension hallucinatoire de la réalisation du désir du rêve.
Lacan reprend (p. 196) le rêve de l’injection à Irma et il nous montre qu’il faut distinguer
deux parties dans l’interprétation que fait Freud de ce rêve :
- Une première qui aboutit à cette image terrifiante, angoissante de la chair comme
présentification du réel sans aucune médiation possible, quelque chose devant quoi
tous les mots s’arrêtent.
- Il en résulte, c’est le deuxième point, une profonde déstructuration qui se produit dans
le vécu du rêveur et c’est en ce point qu’on peut dire que les relations du sujet
changent du tout au tout. A ce point, plus personne ne peut dire « je », cette
décomposition est une décomposition spectrale imaginaire. C’est parce qu’il y a cette
décomposition imaginaire que Freud va pouvoir mettre en évidence ce qu’il y a de
neuf dans sa pratique à lui, dans ce qu’il a découvert et qui noue les rapports du sujet
et de l’inconscient : le désir de reconnaissance.
A ce point, Lacan fait un pas supplémentaire et introduit donc la nécessité d’un troisième
schéma qu’on trouverait chez Freud dans l’introduction au narcissisme.
Tout le problème réside ici. Où faut-il trouver ledit schéma ? Dans quelle mesure Lacan, lui-
même, n’a-t-il pas projeté son propre schéma du miroir pour rendre compte du progrès de
l’analyse freudienne où se trouve effectivement articulée la distinction Ich Ideal - Ideal Ich ?
Car, nous l’avons dit plus haut, c’est avec ces deux opérations du moi, autrement dit, c’est
avec le stade du miroir que Lacan a montré qu’il y a dans l’homme quelque chose qui est
essentiellement morcelé et qu’il tente d’unifier au départ de la tension qu’il ressent, qu’il tente
d’unifier à l’aide de l’image de son corps qu’il perçoit aussi bien dans les objets que dans
l’autre.
« Il y a une perception, à tout instant, évoquée pour l’homme de son unité idéale qui n’est
jamais atteinte comme telle et qui, à tout instant, lui échappe. » (p. 198)
Il en résulte que le désir de l’homme a un caractère fondamentalement déchiré.
« Si l’objet perçu au dehors a sa propre unité, celle-ci met l’homme qui la voit en état de
tension, parce qu’il se perçoit lui-même comme désir, et désir insatisfait. Inversément, quand
il saisit son unité, c’est le monde, au contraire, qui pour lui se décompose, perd son sens, et se
présente sous un aspect aliéné et discordant. C’est cette oscillation imaginaire qui donne à
toute perception humaine, la sous-jacence dramatique dans laquelle elle est vécue, pour autant
qu’elle intéresse vraiment un sujet. » (p. 198)
On peut donc dire que, pour Lacan en ce point, le sujet c’est le drame des déchirements
moïques et spéculaires. Voilà pourquoi un rêve, quand il nous mène jusqu’au bord de
l’angoisse, est aussi une approche du dernier réel où se décompose l’identification imaginaire
de chacun, et c’est en ce point qu’il s’agit de reconnaître où surgit la dimension du sujet.
Lacan rappelle que c’est au moment où quelque chose du réel, dans cette décomposition, est
29
atteint dans le rêve, dans ce qu’il y a de plus abyssal dans le travail du rêve, que se présente
aussi ce rapport narcissique de l’homme à son objet, à savoir que l’objet s’est structuré plus
ou moins comme image du corps du sujet.
La Verliebtheit ou l’état amoureux, l’énamoration, plus exactement, repose fondamentalement
sur ce moment narcissique, à savoir que, sur le plan libidinal, c’est par rapport à ce
narcissisme que l’objet, quand il est appréhendé, fait que nous l’aimons. Mais ce qui est
surtout important c’est, qu’à travers cette décomposition spectrale des images du moi, le sujet
qui apparaît est un sujet qui a plusieurs têtes. Même qu’à la limite, pourrait-on dire, il n’en n’a
pas du tout, c’est-à-dire que ce que cette déstructuration des images du Moi dans le rêve
produit, c’est une espèce de destruction du sujet en tant que tel.
Cette destruction du sujet est, paradoxalement pour Lacan, une présentification de ce que c’est
que le sujet, c’est-à-dire que le sujet n’est rien qu’une destruction du moi. Il est, à la limite,
pur décentrement par rapport au moi, par rapport à l’ego.
Il faut souligner le problème éthique qui risque de se manifester : celui où cette décomposition
des identifications moïques, qui met en évidence la structure du sujet, pourrait amener ledit
sujet à se comporter dans le monde avec une sorte d’ataraxie qui le déculpabilise puisqu’en
fait, il se présente comme n’étant plus qu’un pion couché à l’intérieur du système, exclu de
tout drame, de toute conséquence tragique, de toute réalisation de la vérité.
Comment échapper alors à cette tentation ?
Sans répondre à cette question directement, Lacan insiste sur cette fonction médiatrice du
symbolique qui est donc la fonction par rapport à laquelle apparaît la dimension du sujet. Il
égale, ni plus ni plus moins, cette relation symbolique au pouvoir de nommer les objets, il
rappelle que nommer un objet, c’est nommer la répétition de cet objet, c’est nommer ce qui,
dans l’objet, est identique quand il se présente. Ce qui est capital à saisir, c’est que cet
«identique», que la nomination introduit dans l’objet, répond non pas à une distinction
spatiale de l’objet qui le différencie des autres objets, mais à une dimension temporelle. On
pourrait dire donc, en reprenant Lacan qui signale que « le nom est le temps de l’objet », on
pourrait donc dire qu’il y a là quelque chose qui va s’apparenter à la définition que donnera
Lacan plus tard de la topologie puisqu’on pourra dire que « la topologie, c’est le temps ». On
pourrait donc dire ici, que la topologie c’est le temps de la cure comme le nom est le temps de
l’objet.
Voilà où l’instinct de mort se noue avec le symbole, avec cette parole qui est dans le sujet
sans être la parole du sujet, c’est-à-dire à la limite qui, comme répétition, est une nomination
du temps de l’objet.
« Cette compulsion à revenir de quelque chose qui a été exclu du sujet, ou qui n’y est jamais
rentré, le Verdrängt, le refoulé, nous ne pouvons pas le faire rentrer dans le principe de plaisir.
Si le moi, comme tel, se retrouve et se reconnaît, c’est qu’il y a un au-delà de l’ego, un
inconscient, un sujet qui parle, inconnu au sujet. Il faut que nous supposions un autre principe,
c’est l’instinct de mort. » (p. 203)
Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas chez Freud d’existence, proprement dite, de schéma
pour rendre compte des investissements protoplasmiques du moi (Cf. « Pour introduire le
narcissisme », p. 83). Tout au plus, trouvera-t-on in « Sur la transposition des pulsions, plus
particulièrement dans l’érotisme anal » (p. 111), un schéma qui présente les intersections entre
deux plans pulsionnels qui pourraient bien être ceux de l’Ich Ideal et de l’Ideal Ich entre la
gauche et la droite de ce graphisme.
Quoiqu’il en soit, il nous faut revenir au texte de Lacan.
30
Car Lacan se propose de poursuivre l’interrogation : qu’est-ce que le sujet ? Nous pouvons
donc déjà résumer l’avancée précédente de deux lignes orientées :
- la première qui irait de l’ego, du moi au principe de plaisir dans le registre de
l’imaginaire, (l’ego et le moi ayant fonction de réglage eu égard à ce principe de
plaisir ;
- la deuxième, qui relèverait de l’inconscient et du sujet (qui dépendrait de la pulsion de
mort et du registre symbolique avec cette étrange apparition du réel dans la dislocation
de la pulsion de mort qui n’est pas comme telle intégrée sous la forme d’une troisième
ligne par rapport à ces deux premières).
De ce sujet, Lacan va nous en présenter les deux aspects essentiels :
1. Sa diffraction ; 2. Sa marque.
1. Faut-il encore rappeler l’importance pour Lacan, de la décomposition moïque des images
que le « sujet » se donnait à lui-même ?
D’où résultent ces visions fascinantes de l’Homme aux loups, voire du rêve de l’« injection à
Irma » où le sujet, dans une espèce de captation, est perdu, éclaté, décomposé, évanoui !
Il s’agit d’ un moment particulier, rare à cette époque du discours de Lacan, où un réel absolu
est appréhendé dans un rapport à un Autre au-delà de toute inter-subjectivité.
« C’est tout spécialement sur le plan imaginaire que cet au-delà du rapport inter-subjectif est
atteint. Il s’agit d’un dissemblable essentiel, qui n’est ni le supplément, ni le complément du
semblable, qui est l’image même de la dislocation, du déchirement essentiel du sujet. Le sujet
passe au-delà de cette vitre où il voit toujours, mêlée, sa propre image. C’est la cessation de
toute interposition entre le sujet et le monde. On a le sentiment qu’il y passage dans une sorte
d’alogique, et que c’est bien là que commence le problème car nous voyons que nous n’y
sommes point. Et pourtant, le logos n’y perd pas tous ses droits, puisque c’est là que
commence la signification essentielle du rêve, sa signification libératoire, puisque c’est bien
là que Freud a trouvé l’échappatoire à sa culpabilité latente. De la même façon, c’est au-delà
de l’expérience terrifiante du rêve de l’Homme au loup que le sujet trouvera la clé de ses
problèmes. » (p. 209)
Détaché des effets imaginaires du moi, il ne reste plus au sujet qu’à se compter pour un. C’est
cette opération que Lacan tente de formaliser au-delà de l’intersubjectivité humaine, mais en
se servant de ce qui se trouve détaché de l’activité de l’homme, hors sa vérité, avions-nous
écrit : la machine.
La machine cybernétique, ici, devient en quelque sorte le nouveau partenaire, non pas idéal,
mais épuré.
C’est bien ce que Lacan va tenter de faire en se servant de la machine cybernétique et en
introduisant ses auditeurs au jeu de pair ou impair, tel qu’il nous est rapporté dans le texte
d’Edgard Poe : La lettre volée. Dans une telle situation, il y a trois positions :
- La première position où je suppose l’autre sujet dans la même position que moi ;
- Une deuxième subjectivité peut se dégager où le sujet est capable de se faire autre,
d’en arriver à penser que l’autre étant un autre lui-même, pense comme lui et que
donc, il faut qu’il se mette en tiers pour sortir de cet autre qui est pur reflet ;
- Puis un troisième temps qui rend effectivement difficile la poursuite du raisonnement
par analogie.
On s’aperçoit très vite qu’une fois qu’on a atteint le second degré, on revient par oscillation au
premier dès qu’on essaye d’aller plus loin. La question, ici, se situe toujours dans l’inter-
31
subjectivité imaginaire. Pour la dépasser, il faut prendre une autre voie qui est une voie
logique et c’est ici que Lacan introduit un autre type de partenaire que l’autre imaginaire,
puisque le partenaire qu’il introduit c’est la machine. On ne peut donc pas jouer avec lui par
identification mais on est projeté pourtant dans la voie du langage, dans les lois de la
combinatoire. Mine de rien, Lacan introduit une dimension essentielle de tout son
enseignement, c’est qu’à partir du moment où nous entrons dans une combinatoire, nous
entrons dans une écriture de symboles.
C’est cette écriture qui devient le lieu d’une scansion, d’une répétition. Elle permet de
distinguer la mémoire, propriété définissable de la substance vivante d’avec la rémémoration
ou mémoire symbolique «qui est un groupement et une succession d’événements définis, pur
symbole engendrant à son tour une succession» (p. 219). Voilà qui redonne sens au
Nachträglich freudien, qui le structure comme « mémoire » symbolique.
En effet, c’est comme retour, comme réponse que le sujet reçoit de cette structure symbolique
la possibilité d’interroger la signification de ce qu’il est vivant, et non pas recevoir l’image-
souvenir qui l’adapte aussitôt à cette vie (réminiscence).
C’est cette remémoration qui est liée à l’automatisme de « répétition, en tant qu’il est au-delà
du principe de plaisir, au-delà des liaisons, des motifs rationnels, des sentiments à quoi nous
pouvons accéder ». (p. 222)
On peut dire que Lacan identifie en quelque sorte le sujet à cette espèce d’inertie symbolique
caractéristique du sujet inconscient, à savoir qu’il relève de cette remémoration du fait d’une
écriture, du fait de l’écriture symbolique.
Lacan s’appuie alors sur « La Lettre volée » comme démonstration, en quelque sorte, clinique
de ce qu’il avance. Il faudrait reprendre ici ce qui s’en trouve développé dans les Écritsxxii[vii]
sous le même titre, pour y voir comment le symbole, surgi dans le réel à partir d’un pari,
permet, dans ce qui, de là, s’organise symboliquement, que ce soit le sujet qui, à son tour, en
surgisse (de la même manière qu’on pourra dire plus tard qu’il sera l’effet de l’organisation
topologique). Le sujet résultant de l’organisation symbolique, c’est ce que Lacan appelle
l’immixion des sujets.
2. La marque de ce sujet, c’est le Désir
Dans la séance suivante intitulée Le désir, la vie, la mort du 19 mai 1955, nous trouvons
quelque chose qui est véritablement le nœud de la perspective de Lacan dans ce séminaire.
Il introduit là avec une perspicacité étonnante, la notion de désir chez Freud dans ce rapport
que le désir entretient avec la libido et qui fait qu’on peut à partir de là, parler de désir sexuel.
Il rappelle que le désir est un « rapport d’être à manque et que ce manque est manque d’être »
(p. 261). « Il s’agit donc d’un désir de rien de nommable, un désir qui vient à exister en
fonction même du manque. » (p. 262)
Ce qui s’énonce ici, en 1955, d’une façon philosophico-psychanalytique, est évidemment ce
qui va faire l’objet d’une monstration dans la topologie ultérieure de Lacan puisqu’il s’agira,
dans cette topologie, de démontrer comment de l’être vient à exister littéralement en fonction
du fait qu’on enlève quelque chose à une structure. (Cf. La question du TROU en topologie).
« Il s’agit au contraire d’apprendre au sujet à nommer, à articuler, à faire passer à l’existence
ce désir qui, littéralement, est en-deçà de l’existence, et pour cela insiste. Si le désir n’ose pas
dire son nom, c’est que ce nom, le sujet ne l’a pas encore fait surgir […] En le nommant, le
sujet crée, fait surgir une nouvelle présence dans le monde. Il y introduit la présence comme
telle et, du même coup, creuse l’absence comme telle. » (p.267)
32
Quelque chose donc s’avère idoine à présentifier ce désir issu du manque et qui insiste, dans
les structures répétitives que le symbolique permet lui aussi de faire surgir comme présence
dans la chaîne.
Du libidinal en quelque sorte s’habille de signifiant.
Ce désir couplé au surgissement dans la chaîne symbolique des récurrences qui comptent pour
le sujet permet maintenant à Lacan d’introduire l’essentiel de ce séminaire : son schéma Z.
On notera que jamais Lacan n’a égalé l’avènement de la subjectivité à la pure émergence de la
nomination symbolique. Toujours, en filigrane, la libido, moteur du désir, a doublé
l’inscription signifiante. Cette note vise à rectifier l’orientation que prend trop souvent le
commentaire péri et post-lacanien de cette époque.
D. Le schéma Z
C’est pour Lacan le temps d’introduire le schéma qu’il invente pour répondre et au
cheminement de sa propre élaboration, et à la nouvelle topique freudienne du MOI et du Ça.
Ce schéma illustre donc les problèmes soulevés par le Moi et l’autre, le langage et la parole.
(p. 284)
Mais aussi par la chaîne symbolique et la libido, par la machine et la Vérité.
1) Le sujet (S), pas en sa totalité mais en ouverture, ne peut se voir que en a, c’est-à-dire qu’il
croit que le Moi (a), c’est lui.
2) Or, ce Moi (a) voit l’autre sous une forme spéculaire de lui-même (a’).
3) Troisième plan : il y a le mur du langage, il nomme les choses (a-a’) et les installe dans une
réalité qui pour S prend tour à tour l’allure du narcissisme ou de la Vérité (cette réalité est la
nomination a-a’) dans la parole.
« Si la parole se fonde dans l’existence de l’Autre, le vrai, le langage est fait pour nous
renvoyer à l’autre objectivé, à l’autre dont nous pouvons faire tout ce que nous voulons, y
compris penser qu’il est un objet... Autrement dit, le langage est aussi bien fait pour nous
fonder dans l’Autre que pour nous empêcher également de le comprendre. Et c’est bien de
cela qu’il s’agit dans l’expérience analytique. » (p. 256)
On oublie trop souvent le rôle de ces schémas qui ont moins pour but de présenter une
« réalité » de nos conceptions analytiques que de faire saisir ce qui, en cette occasion, se
glisse dans le graphisme, imperceptible dans le discours qui nous anime dans cette thèse : la
parole, nécessairement lapidaire pour ne pas dire fossile hors séance analytique. Ce schéma ne
présente pas une solution. « Ce n’est pas même un modèle. Ce n’est qu’une façon de fixer les
idées, qu’appelle une infirmité de notre esprit discursif », p.284.
33
Ce séminaire se termine par quelques notations qui seront reprises par Lacan deux ans plus
tard.
- Elles visent la critique des tenants de l’analyse de la relation d’objet. Lacan dit : « Il peut y
avoir au cours d’une analyse quelque chose qui se forme comme un objet. Et cet objet, loin
d’être ce dont il s’agit, n’en n’est qu’une forme fondamentalement aliénée. C’est le Moi
imaginaire qui lui donne son centre et son groupe et il est parfaitement identifiable à une
forme d’aliénation parente de la paranoïa. » (p. 288)
Pourtant, cette notion d’objet nous la réserverions volontiers à la constitution de cette
topologie de la cure que nous tentons d’isoler.
- Elles ajoutent la dimension du temps et de l’acte à l’émergence de la subjectivité du fait des
rapports conjoints du désir et du symbolique. Il s’agit de l’apologue des trois prisonniers pour
démontrer les trois temps classiques du voir, comprendre et conclure.
- Elles montrent enfin que la connotation mathématique de la cybernétique s’appuie sur une
topologie simpliste : « C’est à partir du moment où on a eu la possibilité de rabattre les deux
traits l’un sur l’autre, de faire la clôture, c’est-à-dire le circuit, quelque chose où ça passe
quand c’est fermé, et où ça ne passe pas quand c’est ouvert, c’est alors que la science de la
conjecture est passée dans les réalisations de la cybernétique. » (p. 347)
Lacan prétend alors être en mesure de démontrer que ce qu’il avance là, relève de la dernière
topique freudienne, celle qui est articulée dans l’Au-delà du principe de plaisir. Ces
affirmations, cependant, il ne les confronte pas aux schémas issus de ces textes (« Psychologie
collective et analyse du Moi » et « Le Moi et le Ça »).
Dans « Le Moi et le Ça » (XIII G. 252), dans un paragraphe étrangement oublié du traducteur
français (Payot 1977 p.192), Freud nous dit : « Nous pouvons tracer un dessin de ces
relations [entre le Moi et le Ça] dont les contours ne servent, à vrai dire, que de présentation et
ne doivent prétendre à aucune signification particulière. Nous y trouvons que le Moi porte une
calotte auditive, témoin de son anatomie cérébrale, sur un seul côté seulement. Elle est placée,
comme qui dirait, de travers ».
Si le petit texte accompagné de son dessin est remplacé par un autre paragraphe dans la
traduction française (nouvelle élaboration de Freud lui-même ?), nous pensons que
contrairement à l’avis du texte allemand, Lacan a voulu prendre au sérieux cette esquisse
topologique de Freud.
34
Pour cette raison, nous avons superposé les deux schémas situant l’Akustiek freudienne
comme ce qui de la parole s’entend et fait glisser le signifiant jusqu’à l’inconscient qui est
aussi le lieu de l’Autre. D’où le parole ne peut revenir sans rencontrer cette double barrière du
moi composé pour une part de l’aliénation imaginaire (a-a’) et de la fonction du refoulement
pour l’autre part.
L’ordre imaginaire inclut le Moi et toute libido. Au-delà de ce principe de plaisir règne le
symbolique (en A) rejeté de l’ordre libidinal, pulsion de mort, muette tant qu’elle ne s’est pas
réalisée, tant que la parole n’a pas franchi cette double barrière, cette dernière opération
s’égale pour le sujet à la découverte de sa Vérité.
En guise de transition
Voilà donc deux séminaires (I et II) passés au crible de la présence d’une topologie dans le
cheminement de Lacan.
Elle s’origine dans le schéma du miroir où le Moi gère ses images avec la libido qui le
caractérise. Non sans qu’un hiatus important surgisse et vienne à se répéter.
L’incidence de ce désordre du Moi quand il se décompose en facettes moïques, induit la
présence en ce temps d’une pulsion qualifiée de mortelle par Freud lui-même.
La propriété de cette pulsion est d’induire machinalement une sorte de comptage des
présences et des absences en tant qu’elles résulteraient de ce rapport en béance du Moi à ses
images.
Une sorte de chaîne mathématique (notations successives) peut en résulter, et l’organisation
interne de cette chaîne peut être codée de telle manière que le Sujet, cette fois et non plus le
Moi, puisse s’y repérer comme celui qui nomme cette loi de succession.
Il semble alors que, venue d’on ne sait où, une propriété supplémentaire s’accole à la
dimension ordonnée de cette chaîne symbolique.
Cette chaîne, en effet, est figurable. Elle se prête à la représentation. Faut-il y voir là un
abâtardissement de sa noblesse symbolique ?
Les puristes (mathématiciens) répondront sans doute que oui, et que rien de neuf n’est apporté
par cette contamination figurative.
Voire ! Car ce que la figurabilité d’une telle chaîne nous présente est la notion de circuit, de
prise en compte d’une espèce de globalisation de la succession des moments particuliers du
symbolique.
Ainsi, d’un automobiliste rencontrant un panneau indiquant un virage sur la droite, puis un
second virage sur la gauche.
Purs signes routiers jusqu’ici mais qui, dès l’apparition d’un troisième, répercutent de l’un à
l’autre, leur existence antérieure sous la forme par exemple : ne suis-je pas en train de tourner
en rond ? (cas d’un troisième ou d’un quatrième virage à gauche, par exemple).
35
Pourquoi ne pas l’importer de la catégorie de l’imaginaire, celle qui a été présentée par Lacan
dans le stade du miroir ?
Elle contamine le symbolique qui s’avère, au travers des notions de symétrie, apte, en quelque
sorte, à doubler le premier mouvement imaginaire d’aliénation (je me vois au lieu de l’autre)
– incorporation.
C’est ce que les notations lacaniennes du jeu de pair-impair démontrent. (in « La lettre volée,
Parenthèses des parenthèses », Écrits, p. 56-57)xxiii[viii]
On y voit bien les structures en réseaux (1, 2, 3) s’avérer symétriques autour d’un point de
croisement, de retournement qui doublerait l’opération du miroir-plan quand il bascule dans le
schéma des miroirs sphériques, compliqué du miroir-plan. (Cf. infra p.63). Ces opérations ne
se font pas sans qu’un manque soit induit dans la structure : béance spéculaire pour
l’imaginaire, manque de l’objet pour le symbolique.
Reste à articuler pour Lacan, les fonctions de la parole et de la Vérité qui circulent dans ces
structures et relèvent, en l’époque 1955, de la problématique de Lacan, d’un nouveau registre,
celui où se déploie la catégorie du Réel.
36
Séminaire III*
Les psychoses
I. Dans l’ouverture de ce séminaire, Lacan reprend l’avancée de ses deux années précédentes
et situe le problème qui reste posé. Soit la co-existence des deux registres de l’imaginaire et
du symbolique. La question des psychoses le passionne et plus particulièrement la paranoïa,
parce que le désir paranoïaque vient en quelque sorte redoubler, gainer l’entrecroisement de
l’imaginaire et du symbolique. Cet enveloppement dans cette psychose a une caractéristique,
celle de permettre une espèce d’endoscopie, pour ne pas dire de l’éautoscopie du phénomène.
Il y aurait donc là une mise à distance observable de l’entrecroisement de l’imaginaire et du
symbolique.
II. Comment concevoir un tel lieu ou encore, de quelle clinique relève un tel processus ? C’est
ce qu’une deuxième partie s’attache à présenter : non plus une clinique du lapsus névrotique
mais du trou, dans un autre lieu que ceux de l’imaginaire (béance) ou du symbolique
(refoulement). Cette clinique emporte avec elle les questions de sa vérité, de sa logique, de
son lien avec la sexualité, de la conduite de pareilles cures.
En un mot, il en résulterait une localisation particulière, topique de ces phénomènes dans
l’analyse (leçon 4-8).
III. C’est pourquoi Lacan se voit obligé de dégager une topologie de l’espace parlant
comme tel. Cette topologie reste insue du sujet. Elle s’y déploie sauf dans la psychose où, par
une sorte d’endoscopie à l’envers, elle se déploie comme à l’extérieur, donnant ainsi une
mesure du réel. C’est le point crucial de ce séminaire que Lacan va rapporter à sa cause : la
Verwerfung du Nom-du-Père comme signifiant primordial. (Leçon 9-15)
IV. Pour finir, Lacan tentera d’articuler cette découverte de la pathologie (leçon 16-25) aux
processus humains de la parole en général. Il en vient à dégager deux strates du
fonctionnement de la parole et du langage, lesquelles s’entrecroisent d’une façon qui doit être
spécifique et que Lacan va nommer « Point de capiton ». Ce qui hameçonne ainsi ces réseaux
peut être référé à ce que Freud avait nommé le Phallus.
I. Introduction à la question des psychoses
Tout d’abord, Lacan indique quel va être le thème du séminaire de son année. Ce thème sera
une introduction à la question des psychoses, car, il n’est pas question encore d’autre chose
que de questions, le traitement n’étant pas encore d’actualité. Il rappelle comment Freud a
distingué deux grands temps dans les psychoses : la question des paranoïas et la question des
schizophrénies.
S’il a fait cette bipartition, c’est parce que Freud n’est pas un psychologue contrairement à ce
qu’on croit, ni un organiciste, ni un psychogénéticien. Il ne s’adonne pas à la notion de
compréhension, il ne croit pas non plus à l’intuition naturelle des choses ; en réalité, la
psychanalyse est une expérience qui est structurée, qui est parfaitement conceptuelle, qui est
structurée par quelque chose d’artificiel qui est la relation analytique.
« Telle qu’elle est constituée par l’aveu que le sujet vient faire au médecin, et par ce que le
médecin en fait. » (p.17)
Le paranoïaque semble donc se spécifier par ce point que lui aussi tient à faire cet aveu, non
pas précisément dans une cure psychanalytique mais de toutes sortes de façons, y compris par
une publication de son délire, chose qui n’avait pas échappé à Freud quand il comparait délire
et rêve, sans qu’on ait affaire à deux phénomènes isotopiques.
37
Donc Freud introduisit cette nouveauté que ce qui est intéressant, aussi bien dans le rêve que
dans le délire, c’est l’élaboration à travers laquelle ils se disent comme paroles. Seulement
cette interprétation ici qui se démontre à partir du symbolique, champ de la parole et du
langage, introduit une différence supplémentaire entre psychoses et névroses. Cette
différence, Lacan la fait porter sur le matériel en cause dans les deux discours, dans le
discours des psychoses et le discours des névroses. Il rappelle à quel point le matériel en cause
est le corps propre, c’est-à-dire le corps imaginairexxiv[i].
« La relation au corps propre caractérise chez l’homme le champ, en fin de compte, réduit
mais vraiment irréductible, de l’imaginaire. Si quelque chose correspond chez l’homme à la
fonction imaginaire telle qu’elle opère chez l’animal, c’est tout ce qui le rapporte d’une façon
élective, mais toujours aussi peu saisissable que possible, à la forme générale de son corps où
tel point est dit zone érogène. » (p. 20)
Le matériel imaginaire à la limite du symbolique est, d’entrée de jeu, mis en cause par Lacan
dans son analyse du cas du Président Schreber dont les mémoires avaient fait l’objet de
l’analyse freudienne. C’est un premier point problématique : ce corps-propre à la limite de
l’Imaginaire et du Symbolique !
Un deuxième problème est le rapport du psychotique à son inconscient. Il ne suffit pas de dire
que l’inconscient dans la psychose est en surface et d’y présenter ainsi une négativité insue
(unbewußt).
Car, ce qu’il s’agit de bien voir, c’est que l’inconscient est un langage et que comme tel, il
doit être reconnu dans son articulation : en un mot, le sujet psychotique ignore la langue qu’il
parle et ce n’est pas tout.xxv[ii]
« La question n’est pas tellement de savoir pourquoi l’inconscient qui est là, articulé à fleur de
terre, reste exclu pour le sujet, non assumé – mais pourquoi il apparaît dans le Réel. » (p. 20)
Il s’agit de la première occurrence dans les séminaires de Lacan de ce terme de Réel dans une
visée topique. Nous allons donc lui donner une majuscule.
Lacan, à partir de là, fait une distinction tout à fait importante entre cette réapparition dans le
Réel, de ce qui a été repoussé dans la psychose et l’apparition, comme retour du refoulé, de ce
qui a été rejeté dans la névrose. Il rappelle les termes de Bejahung et de Verneinung
qu’Hippolyte avait utilisés dans le Séminaire I, et montre que la Verwerfung est un
mécanisme tout à fait spécifique à la psychose qui porte sur cette Bejahung, sur cette
admission dans le sens du symbolique primordial. L’hypothèse de Lacan, c’est que quelque
chose qui concerne une zone érogène du corpsxxvi[iii] est comme telle verworfen rejeté au
niveau où une Bejahung primordiale aurait du être acceptée quant à ce rapport au corps
propre. Ce point est particulièrement intéressant parce qu’effectivement, il semble bien que, à
l’aide du Réel qui est ce lieu dans lequel réapparaîtrait ce qui n’a pas été accepté
primordialement, (ce qui n’a pas été admis dans le Symbolique), on peut dire qu’à partir de ce
Réel, il y a une topologie tout à fait spéciale qui se constitue.
Il faut bien noter que cette topologiexxvii[iv] se constitue par rapport à ce qu’il y a de tout à fait
audacieux et de tout à fait neuf de l’héritage freudien. Ce qui est neuf c’est, qu’effectivement,
c’est dans le champ de la parole qu’il convient de situer ce retour dans le Réel. Autrement dit,
Lacan est en train de constituer, ici, – étape essentielle de sa topologie en tant qu’elle a à voir
avec la fonction de la parole – quelque chose qui est essentiellement différent d’une ontologie,
voire d’une psychologie.
Reprenant alors le schéma qu’il avait utilisé dans le séminaire précédent, le schéma Z, où il
avait présenté la relation imaginaire qui faisait filtre, en quelque sorte, entre le sujet et le
grand Autre, il signale comment dans la psychose, le sujet est en quelque sorte complètement
38
identifié à son Moi avec lequel il parle, quasiment sur un mode instrumental. Il y aurait
quelque chose qui s’écrase sur l’axe transversal qui avait fonction de filtre dans le discours
névrotique classique.
Si bien que ce schéma se présenterait comme suit :
« Le sujet parle littéralement avec son Moi, et c’est comme si un tiers, sa doublure, parlait et
commentait son activité. » (p. 23)
Le risque ici est grand, effectivement, d’authentifier cet Imaginaire que le sujet nous présente
et : « de substituer à la reconnaissance sur le plan symbolique, la reconnaissance sur le plan
imaginaire, au lieu d’y voir un retour dans le Réel, c’est à cela qu’il faut attribuer les cas bien
connus de déclenchement assez rapide de délire plus ou moins persistant, et quelque fois
définitif ». (p. 24)
Cependant, il nous paraît intéressant de nous attarder sur cette opération de doublure que
Lacan impute au tiers. Cette opération, rappelons-le, est le résidu de l’écrasement de l’Autre,
écrasement de sa garantie sur l’autre de la rivalité.
Cette opération désarrimée de son lieu originel nous renseigne peut-être sur son implant
d’origine. D’où vient-il à la doublure de se présenter comme enveloppe du Sujet et de
l’Inconscient ? Sinon d’un troisième registre d’où s’apercevrait la première intrication du
Symbolique et du Réel.
Pour ce faire et, dans un premier temps, Lacan remet en question la compréhension immédiate
que nous avons de la psychose paranoïaque, il souligne comment le sujet paranoïaque
s’interroge sur une signification du monde. La caractéristique de cette signification du monde,
c’est qu’il s’agit là d’un noyau « compréhensible » mais qui est inaccessible, inerte, stagnant
par rapport à toute dialectique, c’est-à-dire qu’il ne s’inscrit pas dans un échange de paroles.
C’est ce que Monsieur Séglas aurait été sur le point d’entrevoir, s’il avait poursuivi ses idées
jusqu’au bout, puisqu’il avait démontré que, même dans l’hallucination verbale, en y
regardant d’un peu plus près, les psychosés sont en train d’articuler, en le sachant ou pas, les
mots dont ils accusent les voix de les avoir prononcés.
Voilà quelque chose qui nous intéresse puisqu’effectivement, l’hallucination auditive s’avère
n’avoir pas sa source à l’extérieur mais à l’intérieur. Lacan prend comme exemple clinique,
cette fois, le texte de Schreber sur lequel Freud s’était lui-même appuyé; il rappelle comment
cette stase dialectique se trouve intégrée dans le délire de Schreber sous la forme de langue
fondamentale que les rayons (dont c’est la nature) sont tenus de parler, et puis, Lacan ajoute :
« Le délire, dont vous verrez la richesse, présente des analogies surprenantes, non pas
simplement par son contenu, par le symbolisme de l’image, mais bien dans sa constitution, sa
structure même, avec certains schémas que nous pouvons, nous-mêmes, être appelés à extraire
de notre expérience. Vous pouvez entrevoir, dans cette théorie des nerfs divins qui parlent et
peuvent être intégrés par le sujet, tout en étant radicalement séparés, quelque chose qui n’est
pas tout à fait différent de ce que je vous enseigne de la façon dont il faut décrire le
fonctionnement des Inconscients. » (p. 36)
39
D’ailleurs, Freud, déjà, avait fait remarquer qu’il y avait quelque chose qui, dans l’analyse
faite par Schreber lui-même de son délire, ressemblait à sa théorie de la libido. Il y a donc là
dans le texte du délirant, une sorte de vérité qui n’est pas cachée, comme c’est le cas dans les
névroses, mais qui joue peut-être bien à ciel ouvert. En ce sens, on peut dire que : « Le délire
se présente comme un double, parfaitement lisible, de ce qu’aborde l’investigation
théorique. » (p.37)
Toute la question pour nous, c’est de savoir si cette même investigation théorique que Lacan
va mettre à jour, la topologie, est plus ou moins aperçue, entre-aperçue par quelqu’un comme
Schreber quand il décrit son délire.
Le délire double notre théorie, voilà l’hypothèse de Lacan comme de Freud (pour la libido),
mais en plus, ce délire est lui-même structuré de manière ambiguë. Quelle théorie s’offre alors
en doublure de nos délire ? Est-ce la linguistique ?
Lacan, au début de cette année 55-56, introduit la bipartition signifiant-signification que
précisera, essentiellement, au terme de ce Séminaire III, l’opposition devenue classique
maintenant de signifiant-signifié.
Pour l’instant, Lacan isole une singulière division au cœur du discours délirant : d’une part,
l’existence de néologismes qui sont des altérations du matériel signifiant, du mot lui-même et,
d’autre part, un trouble de la signification, trouble par rapport au poids normal de la
signification du langage chez le névrosé : dans certains délires, la signification ne s’épuise
plus dans un renvoi indéfini à elle-même. Elle se fige en ritournelle.
« Au niveau du signifiant, dans son caractère matériel, le délire se distingue précisément par
cette forme spéciale de discordance avec le langage commun qui s’appelle un néologisme. Au
niveau de la signification, il se distingue par ceci, qui ne peut vous apparaître que si vous
partez de l’idée que la signification renvoie toujours à une autre signification, à savoir que,
justement, la signification de ces mots ne s’épuise pas dans le renvoi à une signification. » (p.
43)
Le néologisme s’accompagnerait d’une intuition délirante qui se présente comme un
phénomène comblant, du type plein comme quand Lacan parlait de parole pleine alors que la
parole vide s’accolerait à la ritournelle qui ne renvoie plus à rien, forme usée de la
signification.
Voilà en quelque sorte le chiasme que la structure du discours délirant nous montre,
phénomènes ressentis par le délirant sous une forme parasitaire.
Lacan souligne à quel point le sujet psychotique a connaissance comme tel du phénomène
parasitaire, et il avance cette idée, qu’à partir du moment où on admet que le sujet en a
connaissance, il faut aussi reconnaître, admettre, qu’il en a, en quelque sorte, possibilité
endoscopique. Il peut, autrement dit, quelque part, en un point privilégié, avoir une
endoscopie de ce qui se passe en lui-même. Ce point privilégié d’endoscopie est ce que,
couramment, nous appelons l’âme, c’est-à-dire, ni plus ni moins, la fonction de synthèse (le
40
Moi, autrement dit). Seulement, cette fonction de synthèse n’est pas suffisante pour expliquer
les phénomènes de la psychose, il faut en revenir à la découverte freudienne qui est de poser
la question dans un autre registre que celui de la phénoménologie puisque Freud pose la
question dans le registre de la parole.
Et Lacan de poursuivre : « L’hallucination verbale, qui y est fondamentale, est justement un
des phénomènes les plus problématiques de la parole ». (p. 46) (On se souviendra, en effet,
des remarques de Séglas)
II. Topique du trou dans la psychose
Si l’on admet cette endoscopie des phénomènes de paroles dans le délire, on doit bien
admettre aussi que le sujet psychotique doit bien avoir de son trouble quelques
renseignements à nous fournir.
On connaît la distribution freudienne entre névrose et psychose (cf. « Perte de la réalité dans
la névrose et psychose », in Névrose, psychose et perversion)
Dans la névrose, le sujet peut élider une partie de sa réalité psychique et cette partie oubliée se
fait entendre, non plus directement, mais de manière symbolique. La psychose est tout autre
chose, ce n’est pas dans la réalité psychique qu’il y a refoulement, mais c’est dans la réalité
extérieure qu’il y a eu trou, rupture, déchirure. Et c’est ce trou que viendra combler le monde
fantastique et par monde fantastique, Lacan vise la pièce rapportée du phantasme psychotique.
Au passage, nous faisons remarquer qu’il faut trouver, ici, l’esquisse de ce qui, chez Lacan, se
déploiera comme savoir (au sens, par exemple, du savoir inconscient) dans sa théorie du
mathème ou de sa place dans les nœuds. Le savoir, ici, se noue à la fonction de refoulement
car, agir sur le refoulé par le mécanisme du refoulement, c’est en savoir quelque chose, il y a
donc un lien essentiel entre le savoir et le refoulement.
Dans l’épisode paranoïaque de l’Homme au loup, ce qui a été rejeté du Symbolique réapparaît
dans le Réel car le malade, précisément, n’en veut rien savoir au sens du refoulement, c’est-à-
dire que, pour lui, le savoir ne surgit pas du rapport qu’il entretient avec le refoulement
comme c’est le cas dans la névrose.
En quelque sorte, le savoir est quelque chose qui surgit de l’intérieur, comme effet du
refoulement alors que ce qui rejeté dans la psychose revient de l’extérieur. Est-ce à dire que le
savoir est l’envers de l’hallucination ?xxviii[v]
Ainsi donc, au lieu de voir surgir ce savoir au sens du refoulement, nous ne voyons rien surgir
d’autre qu’une hallucination, un fantasme psychotique pour remplir ce trou dans la réalité,
phénomène dont, par ailleurs, le psychotique possède une sorte d’endoscopie.
On peut tout de suite induire de ce qui précède que là où l’écart entre l’Autre et l’autre se
trouve réduit à un écrasement, existe un trou détaché de toute fonction, tenant lieu hors-
dialogue de cet écart. Il faut ajouter que la fonction de Vérité, elle aussi inhérente à l’exercice
de la parole, suivra les contrecoups de la détérioration du schéma L, schéma du
fonctionnement de la parole.
« L’Autre dont il s’agit dans cette situation n’est pas au-delà du partenaire, il est au-delà du
sujet lui-même – c’est la structure de l’allusion – elle s’indique elle-même dans un au-delà de
ce qu’elle dit. »
C’est dans cette forme de l’allusion que Lacan voit la trace de l’exclusion du grand Autre.
Lacan souligne encore : « la temporalité spécifique du discours délirant où la locution
présuppose la réponse, alors que dans la parole vraie, au contraire, la locution est la réponse ».
(p. 64)
41
« Dans la parole délirante, l’Autre est exclu véritablement, il n’y a pas de vérité derrière, il y
en a si peu que le sujet, lui-même, n’y met aucune vérité, et qu’il est vis-à-vis de ce
phénomène brut en fin de compte, dans l’attitude de la perplexité. Il faut longtemps avant
qu’il ne tente de restituer autour de cela un ordre que nous appellerons : l’ordre délirant. » (p.
64)
Après s’être intéressé à la parole, Lacan va maintenant s’intéresser au langage en reprenant la
distinction signifiant-signifié. Rappelant, ici, que le matériel signifiant, c’est le Symbolique,
alors que la signification, qui renvoie toujours à la signification, est de la nature de
l’Imaginaire.
Ici, Lacan noue signification et signifié et il reprend la distinction de De Saussure entre la
synchronie et diachronie.xxix[vi]
Il ajoutera un peu plus tard (p. 76) que le Réel, c’est le discours bel et bien tenu réellement
dans sa dimension diachronique.
A ce moment de son enseignement, Lacan s’arrête un instant sur la théorie qu’il est en train de
tramer. Il ne lui donne pas encore une existence logique mais bien pratique. C’est au fond, un
bricolage utile en ce sens qu’il nous permet de saisir un peu mieux le rapport des humains aux
objets, au monde, à la parole, avec les trois étapes que nous connaissons, celle du signifiant
(Symbolique), de la signification (Imaginaire) et du discours (Réel). Mais ce petit bricolage se
doit d’être cohérent.
C’est à cette exigence que répond, ce que Lacan appelle, son petit carré qui va du sujet à
l’autre et, dans le sens contraire, va vers l’Autre, le grand Autre de l’intersubjectivité. Il ne
s’agit pas là d’un système du monde, il ne s’agit donc pas là d’une ontologie mais, il s’agit
d’un système de repérage de notre expérience. Dans ce petit carré (schéma L), Lacan rappelle
que le fou est d’abord quelqu’un qui n’a pas besoin d’être reconnu, c’est-à-dire pour qui
l’expérience de l’Autre n’est pas nécessaire, en ce sens, nous dit-il, que s’il peut écrire, il n’est
pas poète car la poésie est création d’un sujet assumant un nouvel ordre de relation
symbolique au monde et tel n’est pas le cas de la folie.
Ces considérations plus générales n’empêchent pas Lacan de revenir plus en détail, comme il
le fait tout au long de ce séminaire, sur les écrits du Président Schreber, c’est-à-dire sur ce qui
fait la particularité du délire paranoïaque, particularité que nous retrouvons dans l’optique de
notre hypothèse à propos de cette topologie naissante. En effet, dans la suite de la séance,
Lacan nous parle de l’hallucination du président Schreber sous la forme de quelque chose qui
a été rejeté de l’intérieur et qui reparaît à l’extérieur. En fait, cette notion d’intérieur-extérieur
redouble les deux catégories du symbolique et du réel.
Donc, quelque chose qui n’est pas symbolisé reparaît dans le Réel. La catégorie du Réel, ici,
est essentielle à introduire.
Lacan fait porter ce rejet primordial de l’intérieur sur la Bejahung primitive, sur l’admission
symbolique de départ sur laquelle porterait une espèce de Verwerfung, une espèce de rejet. Ce
qui réapparaît dans le Réel, réapparaît sous la forme d’une signification qui n’a l’air de rien,
qui ne renvoie à aucune autre signification qui ne vient de nulle part et pourtant par rapport à
laquelle le sujet se sent éminemment concerné.
Comment le délire double-t-il Réel et Symbolique ?
Ce petit retour au commentaire de Schreber nous permet de rappeler que la notion du trou,
évoquée supra, est une dimension essentielle et qui s’élabore dans ce Séminaire III. N’est-elle
42
pas, d’ailleurs, éminemment sensible dans le comportement animal ? Lacan rappelle que
l’épinoche mâle creuse des trous durant sa danse nuptiale, comportement qu’il répète au
moment où, dans sa vie amoureuse, il se trouve dans l’indécision sociale de savoir si un rival
qui s’approche doit être attaqué ou pas. Il s’agit bel et bien d’une manifestation érotique de la
négativité (p. 109). A la limite, on pourrait dire que, dans la vie animale, une logique peut,
elle aussi, se dégager comme pure conduite « presque symbolique » au point de jonction de la
négativité et de l’érotisme.
C’est un fait qui amène Lacan à replacer le débat dans le discours analytique où certaines
choses semblent, elles aussi, témoigner de leur importation significative d’un lieu dans un
autre.
C’est ainsi que la démarche psychanalytique ne vise pas essentiellement à retrouver la
localisation chronologique des événements et à restituer une part du temps perdu.
Il y a aussi des choses qui se passent sur le plan topique.
Il existe donc une distinction de registre qui est implicite dans la démarche de Freud en ce
sens qu’il y a des modifications de la structure imaginaire du monde qui interfèrent avec des
modifications dans la structure symbolique. Ceci est particulièrement sensible dans la
distinction névrose-psychose.
« Dans le cas des névroses, le refoulé apparaît, in loco, là où il a été refoulé, c’est-à-dire dans
le milieu même des symboles, il reparaît, in loco, sous un masque. Le refoulé dans la
psychose, si nous savons lire Freud, reparaît dans un autre lieu, in altero, dans l’imaginaire et
là, en effet, sans masque. » (p.120)
Au fond, si pour le délirant, on peut avancer une certaine endoscopie des phénomènes qui le
parasitent, pour l’observateur, il en résulte une exoscopie des lieux topiques où ces
phénomènes se déploient. Car, pour peu que cet observateur possède une conception
théorique, cohérente, logique de la structure de la parole, il verra apparaître, en des lieux
différents, des moments linguistiques qui appartiennent à des chaînes situables par ailleurs
dont ils se sont détachés.xxx[vii]
Toutes ces transformations ne nous donnent-elles pas à penser que, de la même manière que
le refoulé psychotique revient dans le Réel du psychotique, de la même manière, la structure
topologique normale mise à mal dans la psychose, reparaît comme une topique de l’étrangeté
pour le psychanalyste ?
Ici, c’est la topologie qui reviendrait dans le Réel comme nécessité significative.
III. Une topologie de l’espace parlant
Cette topologie, dont on pourra voir, ici, la première émergence nominale et conceptuelle
dans l’œuvre de Lacan au séminaire, s’introduit autour de la place du personnage divin dans
le délire du Président Schreber. Au cours de cette analyse de la structure de la personne
divine, Lacan met en évidence la notion de monologue intérieur, encore que le terme comme
tel ne soit pas cité, mais bien celui de discours intérieur. Il est comme le discours inconscient
qui double le discours conscient.
N’est-ce pas celui que nous cherchons à laisser se déployer quand, dans la cure, nous
demandons à nos patients de pratiquer l’association libre ?
Ce personnage divin préfigure la place que Lacan donnera plus tard au Nom-du-Père. (Séance
IX)
On peut en inférer la fonction, rien qu’ à partir des avatars de cette présence divine pour
Schreber. Lacan repère, à la suite de Freud, la notion du laisser-en-plan, du laisser-tomber,
essentielle dans le délire ainsi que cette double relation que Schreber entretient avec Dieu :
43
dialogue interne (il est précisément laissé en plan à ce niveau du monologue intérieur) et
rapport érotique de béatification. La relation que l’ensemble de cette phantasmagorie
entretient avec le Réel et le Symbolique et avec l’Imaginaire, c’est ce dont Lacan va essayer
de traiter dans la séance suivante de son séminaire. (Séance X)
Voilà une séance tout à fait centrale et importante, non seulement à l’intérieur de ce séminaire
consacré aux psychoses, mais aussi à l’intérieur de l’œuvre de Lacan. En partant de cette
question qu’il est en train de débattre, du rapport du discours conscient au discours
inconscient, du discours symbolique proféré au discours intérieur, Lacan tente d’articuler,
pour nous faire comprendre cette distinction, des notions comme celles de liberté où un
discours qui nous est intérieur s’avère, dans la réalité, irréalisable.
A partir de là, Lacan essaie, dans le délire de Schreber, de retrouver ces deux types de
discours. Il nous montre, par exemple, qu’au-delà du discours acoustique, il y a à l’intérieur
de ce discours quelque chose qui est un appel à une signification.
« Il y a un lien entre l’ouïr et le parler qui n’est pas externe, au sens où l’on s’entend parler,
mais qui se situe au niveau même du phénomène du langage. C’est au niveau où le signifiant
entraîne la signification, non pas au niveau sensoriel du phénomène, que l’ouïr et le parler
sont comme l’envers et l’endroit. » (p. 155)xxxi[viii]
Ce niveau recherché, ce niveau problématique, Lacan lui donne le terme d’être, et il en donne
comme exemple, l’être qui surgirait de cette évocation, qui est parlante pour chacun, de la
paix du soir. Et quelque chose de cet être surgirait donc, au centre de l’expérience du
Président Schreber, qu’il sent sans le savoir, quelque chose qui est à la frange de son
expérience. C’est quelque chose qui surgit au moment où se retire le Dieu ambigu et double
qui se présente habituellement sous cette forme intérieure. A ce moment-là, se produisent
quatre choses pour Schreber : le miracle de hurlement, un appel au secours (cet appel au
secours est un appel à l’aide à une signification), troisièmement, une espèce de bruitage du
dehors, quatrièmement, l’appel d’un certain nombre d’êtres vivants.
« Ainsi, entre ces deux pôles, le miracle de hurlement et l’appel au secours, se produit une
transition, où l’on peut voir les traces du passage du sujet, absorbé dans un lien
incontestablement érotisé. Les connotations y sont – c’est un rapport féminin/masculin – ... (Il
y aurait là) une espèce de trans-espace lié à la structure du signifiant et de la signification,
spatialisation préalable à toute dualisation possible du phénomène du langage. » (p. 159-160)
Lacan termine cette séance avec un passage tout à fait central où il dit explicitement que ce
qui ressort de cette analyse du délire de Schreber, se nécessite d’une topologie subjective qui
apparaît d’une façon quasi réelle puisque elle est symbolisée dans un délire pour Schreber lui-
même.
D’une certaine façon donc, cette topologie lacanienne est une théorisation de ce qui fait retour
dans la psychose, du fait de la forclusion.
En quelque sorte, nous avons affaire à un espace qui hante le Réel, fantôme qui apparaît,
prend forme à l’occasion du retour de ce qui est rejeté.
« Il y a, ici, une topologie subjective qui repose tout entière sur ceci, qui nous est donnée par
l’analyse qu’il peut y avoir un signifiant inconscient. Il s’agit de savoir comment ce signifiant
inconscient se situe dans la psychose. Il paraît bien extérieur au sujet mais c’est une autre
extériorité que celle qu’on évoque quand on nous présente l’hallucination et le délire comme
une perturbation de la réalité, car le sujet, lui, reste attaché par une fixation érotique. Nous
avons, ici, à concevoir l’espace parlant comme tel, tel que le sujet ne peut s’en passer, sans
une transition dramatique où apparaissent les phénomènes hallucinatoires, c’est-à-dire où la
réalité elle-même se présente comme atteinte, comme signifiante aussi. Cette notion
44
topographique va dans le sens de la question déjà posée sur la différence entre la Verwerfung
et la Verdrängung quant à leur localisation subjective. » (p. 160-161)
On peut se demander si, effectivement, cette topologie subjective vaut aussi bien pour chacun
de nous que dans la psychose et, plus particulièrement, quant à savoir si ce signifiant
inconscient comme tel, qui produit cette espèce de fixation érotique, se produit aussi pour tout
un chacun.
Pour répondre à cette question à partir du point de vue de Lacan (c’est-à-dire à partir de la
psychose), il faut considérer que l’espace imaginaire, celui que le stade du miroir nous a
permis d’isoler, ne peut, à lui seul, rendre raison des phénomènes rencontrés. En d’autres
termes, il est vrai que le Moi a toujours un jumeau, le Moi idéal, avec qui il entretient un
rapport de captation transitive, mais ce n’est pas ce dédoublement comme tel qui peut rendre
compte de l’extériorité hallucinatoire. « Les mécanismes en jeu dans la psychose ne se
limitent pas au registre imaginaire. » (p. 166)
Car, la vraie question est d’intégrer le fait que « ça parle », à notre topologie imaginaire, elle
qui ne peut donner que sa forme à l’aliénation psychotique et non éclairer sa dynamique. Il
faut donc intégrer l’Autre de la parole au schéma issu de la topologie imaginaire.
Dans ce séminaire, il y a donc lieu de vérifier si cette nouvelle topologie est introduite
(intégrer l’Autre) et en plus, s’assurer qu’elle rend bien compte du phénomène de la parole et
plus particulièrement de son rapport au monologue intérieur.
Or, de la parole, Lacan n’en parlera plus guère dans les séances qui suivent immédiatement. Il
s’attache plutôt à cerner, dans la topologie symbolique, celle des circuits cybernétiques, la
place de cette Verwerfung du signifiant primordial.xxxii[ix]
Il s’agit d’un rejet d’un signifiant primordial dans une topologie qui inclut un intérieur et un
extérieur ; il ne s’agit pas d’un intérieur du corps, il s’agit d’un dedans primitif qui est un
corps de signifiant, et c’est ce corps de signifiant qui constitue le monde de la réalité. Il y a
une ambiguïté dans le texte de Lacan parce qu’il semble bien que ce signifiant primordial
rejeté dans la psychose, mais nécessaire à la constitution du monde symbolique, il semble
bien que ce signifiant primordial s’arrache lui-même sur quelque chose qui serait une sorte
d’amputation du corps.xxxiii[x]
L’exemple du placenta (p. 171) vient ici bien à propos.
« Le signifiant est donc donné primitivement, mais il n’est rien tant que le sujet ne le fait pas
entrer dans son histoire, il prend son importance entre un an et demi et quatre ans et demi. Le
désir sexuel sera, en effet, ce qui servira à l’homme à s’historiser, pour autant que c’est à ce
niveau que s’introduit pour la première fois la loi. » (p. 177)
L’ambiguïté porte sur ce fait que Lacan postule une néantisation primordiale symbolique d’où
surgiraient les premières alternances jour-nuit, bon-mauvais, par exemple. Ces premiers
« signifiants primordiaux » peuvent, ensuite, être rejetés, laissant donc un trou dans cette
alternance. Lacan rappelle à cette occasion comment ces signifiants s’historisent pour le sujet
du fait de la libido.
Si le rejet de ce signifiant primordial laisse un trou qui nous fait sentir, en retour, la nécessité
d’une topologie qui rendrait compte du retour dans le Réel de ce qui a été rejeté, notre
45
question revient donc à demander si au départ de ce signifiant primordial, l’historisation en
question prend structure topologique ?
Or, pour prendre structure topologique, elle devra nécessairement s’articuler autour d’un trou
et il faudra donc démontrer que ce trou du symbolique n’est pas du tout le même que le trou
dans la texture du même symbolique qui aspire l’existence entière du psychotique dans une
néantisation, différente, elle aussi, de la néantisation symbolique qui donne naissance aux
premières alternances signifiantes.
S’il existe des signifiants primordiaux, si certains d’entre eux peuvent être rejetés, laissant un
trou dans la structure, comment se fait-il que puissent faire retour de ce fait, des paroles
hallucinatoires ?
Il faut donc que ces signifiants primordiaux aient bel et bien rapport à cette fonction de la
parole. Pas tous les signifiants primordiaux ont un rapport à cette fonction, voilà ce que Lacan
essaie de dire en filigrane des leçons suivantes, où il tente d’isoler, parmi ces signifiants, celui
qui serait responsable de ce désordre topologique.
Repartant du Schéma L, Lacan poursuit alors, interrogeant cette parole :
« Entre S et A, la parole fondamentale que doit révéler l’analyse, nous avons la dérivation du
circuit imaginaire, qui résiste à son passage. Les pôles imaginaires du sujet, a et a’, recouvrent
la relation dite spéculaire, celle du stade du miroir. Le sujet, dans la corporalité et la
multiplicité de son organisme, dans son morcellement naturel, qui est en a’, se réfère à cette
unité imaginaire qui est le Moi, a, où il se connaît et se méconnaît. » (p. 181)
Lacan poursuit en rappelant que : « Pour l’analyste, placé en A, il convient de ne pas
s’identifier au sujet, c’est-à-dire de faire suffisamment le mort pour ne pas être pris dans la
relation imaginaire, c’est-à-dire pour permettre la migration de l’image du sujet vers le
(ES)xxxiv[xi] qui est la chose à révéler, la chose qui n’a pas de nom et qui ne peut trouver son
nom que quand le circuit s’achève directement de S vers A. » (p. 182).
Lacan pense que l’énigme de chaque sujet se joue dans l’Autre grâce à ce qu’il appelle parole
pleine, une sorte de « tu es » où le sujet s’identifie et où, pourrions-nous ajouter, s’estompe,
pour un instant, l’écart entre le discours tenu et le monologue intérieur.
Dans la psychose, l’Autre est précisément ce qui exclu. L’être du sujet, de ce fait, ne peut pas
se réaliser à cet endroit dans l’aveu de la parole, à la place vient une relation d’écho intérieur
voire d’allusion imaginaire.
Qu’est-ce que cet Autre ?
Quelle fonction remplit-il pour être à ce point maître de la topologie de l’espace parlant ?
C’est par un détour inattendu que Lacan le présente.
Si Lacan introduit la question de l’hystérie dans ce séminaire essentiellement consacré aux
psychoses, c’est parce que l’hystérique lui sert pour introduire ce qui va être mis en cause
radicalement dans la psychose, à savoir ce que Lacan appelera le Nom-du-Père. Pour
introduire cette notion, Lacan avait besoin de situer le grand Autre, il avait besoin de situer
l’ordre symbolique et montrer que la connaissance de la sexualité est liée à cette
reconnaissance du symbolique ; c’est pourquoi les questions de procréation sont si essentielles
46
pour l’hystérique puisque c’est à ce niveau qu’elles se posent. Elles se posent comme étant
problématiques pour l’hystérique, elles se poseront comme étant complètement confuses pour
le psychotique.
S’ensuit un long commentaire de la nécessité du complexe d’Oedipe tel que Freud l’a
introduit dans sa nouvelle topique qui met l’accent sur le caractère imaginaire de la fonction
du moi. Lacan rappelle alors quelle dissymétrie existe entre le destin de la femme et le destin
de l’homme au niveau symbolique dans le rapport qu’ils entretiennent l’un et l’autre avec le
signifiant.
Il explique, c’est un point tout à fait important puisque cela aura un destin particulièrement
crucial dans la suite de son travail, que quelque chose cependant échappe à la trame
symbolique, c’est la procréation. Dans le symbolique, rien n’explique la création.
« Il y a, en effet, quelque chose de radicalement inassimilable au signifiant. C’est tout
simplement l’existence singulière du sujet. Pourquoi est-il là ? D’où sort-il ? Que fait-il là ?
Pourquoi va-t-il disparaître ? Le signifiant est incapable de lui donner la réponse, pour la
bonne raison qu’il le met justement au-delà de la mort. Le signifiant le considère déjà comme
mort, il l’immortalise par essence. » (p. 202)
Tout ceci sert d’introduction évidemment à ce qui va être central dans le mécanisme de la
psychose du Président Schreber où se dessine aussi la question de la procréation, de la
procréation féminine tout spécialement.
Alors, cette question ne se résume-t-elle pas finalement en ceci : que la procréation xxxv[xii] ne
serait rien d’autre que l’irruption du signifiant en tant que signifiant, c’est-à-dire qu’un être
surgisse du néant pour prendre place dans l’ordre signifiant ? Mais ce n’est pas tout, ni
suffisant.
Car ce signifiant pourrait subsister inerte si le sujet ne se démontrait pas capable de s’en
servir, fut-ce pour nous tromper sur ce qu’il y a à signifier. Le signifiant a donc deux faces. La
première est d’occuper une place dans la chaîne symbolique ; la seconde est d’être utilisé par
un sujet. Exclu, il revient dans le Réel comme une incongruité, son retour s’accompagne du
sentiment qu’un autre-veut-pour-nous. On assiste bien ici, à une sorte d’inter-subjectivité
fantasmatique.
Il y a immixion des sujets dans le délire, comme on l’avait vu dans le rêve de l’injection faite
à Irma, il y a immixion des sujets mais pour compenser ce sentiment que quelque chose reste
énigmatique sur cette initiative qui vient de l’Autre.
Ce Nom-du-Père pour Lacan, c’est quelque chose qui serait lié à la dimension du signifiant
comme signifiant. Qu’est-ce qui fait qu’un signifiant peut être utilisé comme pur signifiant
par un humain ? Là où quelqu’un se trouve dans une profonde perplexité à l’égard de cette
question, nous avons un risque de psychose.
C’est pourquoi : « Il s’agit de concevoir, non pas d’imaginer, ce qui se passe pour un sujet
quand la question lui vient de là où il n’a pas de signifiant, quand c’est un trou, le manque qui
se fait sentir comme tel ». (p.228)
Ce manque peut être manque d’un signifiant, celui du Nom-du-Père. Lacan le commente dans
ses trois problématiques.
Dans la normalité, la réalisation oedipienne se fait dans une relation agressive à l’égard du
père, c’est par la voie d’un conflit imaginaire que se fait l’intégration symbolique.
Mais il est une deuxième voie que l’ethnologie nous a fait découvrir au travers du phénomène
de couvade, où nous voyons jouer à plein la fonction réelle de la procréation.
Dans le délire enfin, on voit surgir la fonction réelle du père sous une forme imaginaire.
47
Ainsi se trouve donc précisée, à défaut d’être explicitée largement, la cause de ce trou et le
retour qui s’opère dans le Réel. Il est grand temps de tirer les conséquences de ce que la
psychose nous démontre des structures topologiques vues du point de vue, non plus de
l’imaginaire ou du symbolique mais du point de vue du Réel, ou à tout le moins, du point de
vue de ce qui fait retour dans ledit Réel.
Ces conséquences valent pour l’espace de la parole comme tel. Il nous faut donc les tirer aussi
bien pour le discours du névrosé, c’est-à-dire de tout un chacun.
IV. Le nœud qui capitonne
A partir d’ici, nous pouvons nous faire une idée de la Topologie de l’espace parlant comme
tel. Elle s’appuie, elle aussi, sur la fonction de doublure. On se rappellera comment la
symétrie imaginaire s’annule dans l’incorporation du double, et aussi, comment l’Autre du
langage symbolique renvoie le message à son émetteur sous la forme d’un aveu de parole,
voici maintenant que le Réel lui-même se trouve dédoublé entre le discours tenu et le
monologue intérieur qui l’accompagne.
Cette structure à deux voies se dissocie dans la psychose. Dans la théorie, elle se
topologisexxxvi[xiii] de deux axes, l’un longitudinal, l’autre radial ou transversal : axe de la
continuité et axe de la similarité.
Le rêve, analysé par Freud, conjoint par l’image ces deux axes qui se reséparent dans
l’exercice du discours. C’est ici que le psychotique se différencie du névrosé.
Le névrosé hystérique ou obsessionnel habite le langage tandis que le psychotique est possédé
par ce langage, c’est-à-dire que du monologue permanent de tout un chacun qui soutient le
quotidien, quelque chose se détache qui apparaît comme une musique à plusieurs voix. (p.
284)
En rattachant la psychose à un rapport de structure, un rapport signifiant tout à fait pur, Lacan
met en évidence que cette structure du signifiant se présente dans la psychose comme
extérieure à l’univers du psychotique ; c’est cette dimension d’extériorité qui réapparaît dans
le Réel.
48
On peut dire donc que, du point de vue de notre topologie, cette expérience du psychotique
nous intéresse dans la mesure où elle met en évidence ce qui se trouve écrasé dans les
névroses classiques, à savoir cette dimension du Réel que le psychotique rencontre, à un
moment tout à fait particulier.
C’est au moment où il doit prendre la parole en son nom propre, et non plus répéter le
discours appris, le discours quotidien, que ça défaille.
Quelque chose manquait par exemple, dans cette relation de Schreber au signifiant dans sa
psychose et, comme tel, ce manque n’est pas repérable. On peut penser que c’est à l’absence
du signifiant mâle primordial auquel il a pu sembler pendant des années être égalé, qu’il s’est
trouvé confronté dans son fantasme de féminisation.
Mais les conséquences de ce qui manque là sont une sorte d’écrasement de l’autre avec
l’Autre absolu.
Distinction que nous pouvons comprendre si nous la référons au discours de Freud sur le
nouveau-né quand il nous présente cette contradiction entre une relation dite auto-érotique
sans objet discernable, et une remarque clinique qui nous présente quand même les enfants
comme intéressés à toute une série d’objets qui existent autour d’eux. Ce qui n’existe pas dans
la relation auto-érotique, c’est le rapport au grand Autrexxxviii[xv] , mais par contre, ce qui
existe, c’est le rapport à l’autre comme image de moi.
Cet écrasement de l’autre avec l’Autre, cet écrasement d’un autre sur l’Autre est précisément
ce qui se produit dans l’amour de Schreber. Voilà ce qui permet de comprendre la phrase de
Freud selon laquelle le psychotique aime son délire comme lui-même. On notera au passage
que ce qui relève de cet Autre est très précisément situé par Lacan comme relevant du registre
de la parole, alors que ce qui relève de la structure du signifiant, de l’organisation des choses,
est du registre du langage et serait plutôt à mettre du côté du petit autre.
Résumons donc l’avancée de Lacan.
Il y a deux feuillets au discours. L’un, chaîne signifiante, glisse dans la syntaxe du signifiant,
l’autre, sorte de monologue intérieur, interroge la dimension du signifié de la parole, tel que la
métaphore le met en scène par d’autres voies, celle de la similarité, par exemple.
Nous arrivons ainsi à la séance XXI du 6 juin 1956 qui représente, avec la séance X, le
deuxième point culminant de ce séminaire, du point de vue qui nous occupe.
En effet, la topologie de cette séance consiste essentiellement à montrer qu’entre le signifiant
et le signifié, il y a une espèce de point qui capitonne les deux strates de discours que l’un et
l’autre composent. Ces deux strates sont isolables, par ailleurs, dans la psychose sous la forme
pour le signifiant :
- de phénomènes neutralisés, serinés, répétés sans signification et, par ailleurs ;
- d’un dialogue plus plein, ineffable de paroles pleines.
L’un et l’autre de ces deux discours, l’un de scansion, l’autre de sens, s’articulent comme
dans les rêves, ainsi que Freud l’a montré, autour d’une sorte de trou, de nœud que Freud
appelait ombilic du rêve.
Lacan, pour nous le présenter, reprend le schéma des deux courbes de Ferdinand de Saussure.
(p.156 du cours de linguistique générale)
49
Quelque chose donc est introduit, ici, par Lacan avec cette métaphore (puisque cela reste une
métaphore et qu’il ne la présente pas comme un dessin) d’un nœud qui fait que l’un et l’autre
de ces deux discours se trouvent crochetés, capitonnés par un certain nombre de points qui les
lient entre eux, et qui les empêchent d’avoir cette espèce de vie isolée l’un de l’autre. La
crainte de Dieu, par exemple, est un de ces points de capiton. L’Oedipe est un nœud qui
témoigne de l’existence de ces points de capiton.
Ce Séminaire L III se termine sur ces questions.
Lacan les reprend de la vie quotidienne quand, dans le discours commun, nous pouvons faire
s’accorder la proposition relative, en français, avec la proposition principale : chacune des
propositions, ici, pouvant être comparée à l’un et l’autre des deux textes du discours :
« tu es celui qui me suivra »
« tu es celui qui me suivras ».
« La relative en français s’accorde ou pas avec le tu de la principale : « Tu es celui qui me
suivras », selon la façon dont le je dont il s’agit, est intéressé, captivé, épinglé, pris dans le
capitonnage dont je parlais l’autre jour, selon la façon dont, dans le rapport total du sujet au
discours, le signifiant s’accroche. » (p. 318)
« C’est cette relation au signifiant qui détermine l’accent que va prendre, pour le sujet, la
première partie de la phrase, « tu es celui qui... », selon que la partie signifiante aura été par
lui conquise et assumée ou, au contraire, rejetée. » (p. 318)
Toute la question devient maintenant de savoir ce qui se passe quand cette partie signifiante
fait défaut, et en quoi consiste ce qui peut faire défaut, ce qui se décompose à cet endroit, et il
s’agira aussi de voir quel est ce signifiant primordial qui est manquant pour Schreber, d’où il
résulte une espèce de béance, de trou où rien de signifiant ne peut répondre chez le sujet.
Et Lacan de s’interroger sur la fonction du « tu » qui est une façon d’hameçonner l’autre,
c’est-à-dire une ponctuation par quoi l’autre est fixé en un point de signification. De là, se
pose la question de savoir comment promouvoir cet autre à la subjectivité. C’est autour du
verbe être que Lacan articule cette mise à la subjectivité dans le rapport que le « tu »
entretiendrait au verbe être comme copule dans la fonction ostensive, exemple : « tu es celui
qui..., c’est toi qui... »
La forme « être père » est celle qui représente le mieux cette problématique. La fonction
« être père » n’est, en effet, absolument pas pensable dans notre expérience sans la catégorie
du signifiant, alors que la dimension de création, ainsi que nous l’avons dit, est étrangère à cet
ordre symbolique. « Père » veut dire : faire passer une créature à l’ordre symbolique de la
création.
Ce livre se termine sur l’évocation de deux schémas perdus, malheureusement, pour la
retranscription.
L’un d’eux doit être le Schéma L des débuts du Séminaire III.
L’autre semble être un triangle.xxxix[xvi]
50
Le phallus est le tiers terme qui manque à la relation saturante entre la mère et son enfant. Ce
manque, s’il n’était pas à référer à un père, ne serait, dans la dialectique imaginaire, qu’un
météore (p. 359), un phénomène transitoire. C’est le père qui installe ce manque dans une
triangulation. Le père étant ce qui fait tenir le tout ensemble, sous la forme d’un anneau ou de
la triangularité.
Cette triangularité unitaire serait ce qui est mis en défaut dans l’existence de Schreber.
Ce statut particulier d’un ternaire qui occupe, à la fin, la fonction d’être troisième, et d’assurer
du même coup l’unité de la triade, se retrouvera plus tard dans l’œuvre de Lacan avec le nœud
borroméen.
Ce statut particulier est aussi celui du Réel.
Pour l’instant, nous l’étirerons dans deux directions :
1) celle du triangle de la réalité dans le schéma du diamant (Séminaire I) le père fait
triangle !
2) à l’autre bout, le rapport que ce triangle entretient avec le manque (phallus) est aussi
l’opérateur du Séminaire IV : La relation d’objet.
51
Séminaire IV
La relation d’objet
A. L’OBJET MANQUE
Après avoir traité dans son premier séminaire « du transfert et de la résistance », dans son second
séminaire, « de la notion d’inconscient », dans son troisième séminaire, « de l’articulation essentielle du
symbolisme qui s’appelle le signifiant », Lacan nous dit maintenant que nous sommes confrontés, à un
certain nombre de schémas dont :
« La spatialité n’est absolument pas à prendre au sens intuitif du terme de schéma qui ne comporte pas de
localisation, mais qui comporte, d’une façon tout à fait légitime, une spatialisation au sens où
spatialisation implique rapport de lieux, rapport topologiquexl[i], interpositions, par exemple, ou
successions, séquences ». (21 novembre 1956)
Ce schéma en question, qui paraît le plus approprié à rendre compte de ces trois séminaires, est le schéma
Lxli[ii] qui interroge les rapports du sujet et du grand Autre au travers de la transposition, au travers de
l’effet d’écran en quoi consiste la relation du Moi à l’autre.
Ces affirmations ne travestissent en rien les propos de Lacan. C’est bien d’une topologie que relèvent les
thèses qu’il compte opposer aux tenants de la théorie de la « relation d’objet » en les plaçant dans la
perspective freudienne du principe de plaisir et du principe de réalité.
En effet, Lacan articule une intrication du principe de plaisir et du principe de réalité avec la dualité
pulsionnelle, qu’il faut considérer comme une espèce de croisement spatial, là où le principe de plaisir
tend à se réaliser pulsionnellement de manière irréaliste, là où le principe de réalité implique une
organisation qui comporte que ce qu’elle saisit est justement quelque chose de différent de ce qui est
désiré, de ce qui satisferait donc au principe de plaisir. Il y a une espèce de chiasme topologique, donc,
entre le principe de plaisir et le principe de réalitéxlii[iii] qui doit se combiner à une intrication
pulsionnelle.
C’est donc au cœur de ce chiasme que s’établissent les inscriptions successives de l’homme plongé dans
son Umwelt. Ces inscriptions pourtant ne se réduisent pas à ce surprenant chiasme comme nous le verrons
plus loin avec l’observation freudienne du petit Hans. Autre chose intervient pour le justifier.
52
En effet, Lacan fait remarquer que dans la relation sujet/objet, ce qui est central n’est pas comme tel le
rapport d’adaptation (principe de réalité) du sujet à un objet qui satisferait (principe de plaisir) la tendance
du sujet (pulsion), mais au contraire que ce qui est central est la manière dont le partenaire s’introduit
dans cette relation du sujet et de l’objet.
C’est elle, cette identification au partenaire, qui est responsable de ce chiasme entre le principe de
plaisir et le principe de réalité.xliii[iv]
En d’autres termes, c’est la relation en miroir entre le sujet et l’autre, l’autre étant entendu comme l’autre
partenaire, qui introduit cette béance qui empêche le principe de réalité et le principe de plaisir de se
rendre adéquats l’un à l’autre !
La passion imaginaire du semblable règle donc impérativement, et avant toute adaptation, le rapport de
l’homme à ses objets.
- La mise en évidence de la fonction de l’objet entraîne chez les tenants de la théorie, en vogue à
l’époque, une espèce de topologie qui différencie les prégénitaux (individus faibles) et les génitaux
(individus dont la relation objectale aurait atteint une sorte de maturation). Il s’agit là d’une topologie qui
diversifie les rapports des humains entre eux par rapport à cette norme qu’est la, soi-disant, relation
objectale.
- Mais c’est une autre topologie qui ne s’appuie pas sur une maturation de l’objet, une topologie qui, en
réalité, s’appuie sur la chose analytique comme telle qu’il conviendra donc de dégager de ce rapport
perturbant, dévié, déviant, de ce rapport à l’objet. (21/11/1956)
C’est précisément ce que Lacan introduit de neuf, il fait remarquer qu’il y a lieu d’interroger l’objet à des
endroits psychiques différents : objet et relativité historique, objet et petit autre, objet et parole qui sont
donc des éléments essentiels à la construction d’une topologie redressée des rapports du sujet et de
l’objet.
Ainsi en est-il du commentaire que Glover xliv[v] a pu faire de ladite relation d’objet. Il a fait un pas
supplémentaire par rapport aux théories classiques, puisqu’il considère que l’objet est un masque de
l’angoisse qui caractérise les différentes étapes du sujet dans son rapport au monde et dont les exemples
sont l’objet phobique et l’objet fétiche.
Ce détour par les théories de Glover, qui forment en creux la dimension du fétiche et la dimension de
l’objet phobique, a précisément ceci d’intéressant: l’objet, dans ces deux exemples cliniques, a une
fonction « de complémentation par rapport à quelque chose qui se présente comme un trou, voire comme
un abîme dans la réalité ». (21/11/56)
Voilà qui, effectivement, nous ramène à la question de la topologie, aussi Lacan termine cette séance en
promettant de reprendre la question de la phobie et du fétichisme pour essayer de situer le rapport que ces
objets entretiennent avec l’expérience fondamentale de l’angoisse comme celle d’un trou.
Entre l’objet et le sujet, s’interpose donc une sorte de béance, de trou que Lacan lie à la place de l’autre,
et dont certains événements psychiques se feraient révélateurs : fétichisme et phobie par exemple, car ils
mettent en jeu un objet particulier.
53
L’idée générale de la séance suivante, du 28 novembre 1956, est donc de rapporter la question de la
relation d’objet à l’objet qui est en cause dans la cure analytique, non pas l’objet génital comme objet
terminé, achevé de la relation complètement mature dont parlent des adversaires de Lacan, mais de
ramener cet objet à la fonction du phallus. C’est pourquoi, Lacan fait un détour par les commentaires des
psychanalystes sur la sexualité féminine. Depuis Freud, un accord unanime existe sur ce fait: cet objet ne
va pas de soi et même comme tel, s’inscrirait de manière structurale dans la dimension d’un malaise.
C’est que, rappelle Lacan, cet objet est d’abord un objet perdu qui doit donc être retrouvé.
Deuxièmement, cet objet est halluciné sur un fond de réalité angoissante. (C’est ce que la phobie et le
fétichisme nous démontrent). Troisièmement, cet objet est toujours en rapport, en réciprocité imaginaire,
avec la place du sujet. Il en résulte donc que l’identification à l’objet est au fond de toute relation audit
objet.
Ainsi, Lacan met en « condensation », en quelque sorte, cet objet et la place de l’autre. Il ne les
distinguera que plus tard dans le Séminaire VI sous les aspects de l’objet a, Phallus, autre et Autre.
Par le détour d’un commentaire de la névrose obsessionnelle, nous est montré comment l’objet privilégié
est un objet imaginaire et comment, précisément, cet objet est le phallus.
D’une certaine façon, les tenants de la relation d’objet qui tendent à réifier l’objet en question réduisent à
une donnée réelle cette fonction tierce du phallus.
Lacan poursuit alors en essayant de situer la place de cet objet dans ce qu’on pourrait appeler le rapport
aux réalités, le rapport au Réel2, et il fait deux critiques de la manière dont les analystes traditionnels
inscrivent une réalité derrière le discours de leur patient.
- Réalité qu’ils imaginent comme réalité naturelle, qu’on pourrait situer dans la nature, comme s’il
pouvait exister une énergie de quelque type que ce soit avant même qu’elle ne soit inscrite dans l’ordre
symbolique !
- Deuxièmement, ce principe de réalité doit être référé à ce que Freud a articulé de son opposition au
principe de plaisir. C’est entre ces deux principes que vient alors se glisser cette étrange fonction repérée
par Winnicott, un objet intermédiaire qu’il appelle objet transitionnel, et qui n’est rien d’autre qu’un objet
imaginaire.
54
La caractéristique essentielle à retenir, est que ces objets comme tels ont à être référés à la notion de
l’objet qui manque. Cet objet qui manque, (Lacan va centrer son commentaire là-dessus dans la suite)
peut manquer à plusieurs places, à plusieurs lieux. Nous voyons donc réapparaître cette topologie qu’il a
esquissée déjà dans les séminaires précédents, avec ceci de caractéristique que ce qu’il en interroge, c’est
la dimension du trou, la dimension de manque d’objet en tant qu’elle peut surgir aussi bien dans
l’Imaginaire que dans le Réel, que dans le Symbolique. Les trois lieux étant à référer dans un ordre à
articuler à la privation, à la frustration et à la castration.
La privation, c’est un manque réel, c’est un trou; alors que la frustration, c’est une lésion, c’est un
dommage imaginaire que nous ressentons; quant à la castration, elle doit être référée à une interdiction
proférée par une loi fondamentale. La castration est quelque chose qui ne peut que se classer dans la
catégorie de la dette symbolique.
Nous avons donc trois articulations : castration et dette symbolique, frustration et dommage imaginaire,
privation et absence réelle.
Mais, ce n’est pas tout de situer les processus ou de situer la fonction du trou dans une topologie du Réel,
du Symbolique et de l’Imaginaire, il faut aussi s’interroger sur l’objet qui manque, sur sa caractéristique,
et Lacan nous montre que l’objet qui manque dont nous n’avons que le « trou » est, du point de vue de la
castration, un objet imaginaire ; du point de vue de la frustration, un objet réel ; du point de vue de la
privation, un objet purement symbolique.
Puis, il ajoute une troisième notion, qui sort tout à fait du cadre de ce à quoi il s’est limité dans les
séminaires jusqu’ici, cette troisième notion, c’est l’agent de ces trois opérations dont nous avons repéré
les trois objets, lequel agent, est lui aussi déterminé par les lieux topologiques à l’intérieur desquels, ces
opérations et ces objets ont à être situés.
Opération, agent, objet, Lacan va les articuler en un tableau (cf. Infra - p. 9) qui préfigure la possibilité de
permutations, pour tout dire, d’une circulation à quoi le Séminaire II nous a préparés avec l’émergence de
la notion de circuit symbolique. Reste à savoir : ce qui circule, comment, et sous quelles règles ?
Et surtout, ce qui nous permettra de dire que cette circulation est appréhendable ? En un mot, quel est son
Réel ? Celui que Lacan refuse d’accorder aux objets des tenants de la relation d’objet.
Il entr’ouvre, ici, quelque peu, les voiles de son secret puisqu’il semble faire (séance du 5/12/56) de la
libido une sorte de réservoir à deux sorties, l’une côté imaginaire : image du corps, l’autre côté
symbolique : équivalence signifiante.
En effet, commentant une conférence de Françoise Dolto, sur l’image du corps, Lacan réinsiste sur le
statut tout à fait particulier qu’il donne à la dimension du Réel et des rapports de ce Réel avec la fonction
signifiante. Cela lui permet d’insister sur le fait que la notion freudienne de libidoxlvi[vii] n’est en rien liée,
fixée à un support matériel, mais est comme telle dans l’analyse, une notion qui introduit une certaine
équivalence, une commune mesure proprement symbolique entre des manifestations qui se présentent
comme qualitativement différentes. Pour notre propos, on notera surtout ce qu’on pourrait appeler
l’introduction d’une topologie des deux principes de la vie psychique, à savoir qu’on a le sentiment que,
pour Lacan, le principe de plaisir et le principe de réalité sont, l’un par rapport à l’autre, dans une position
paradoxale, puisque chacun ne trouve sa fin qu’à prendre en considération les exigences de l’autre
principe. Ces principes se trouvent à être combinés avec le double cours du signifiant et du signifié, au
point qu’on pourrait tenter, pour en rendre compte, une topologie de la tresse.
55
Nous en proposons la lecture suivante :
où les deux principes s’accorderaient à la double chaîne du signifiant - signifié saussurien. Version
nouvelle, donc, du paradoxe en quoi consiste le chiasme évoqué plus haut des deux principes. Ils ne se
croisent plus, ils se trament, et c’est à la libido que reviendrait la tâche d’en être le support « réel ».
En ce point, il est surprenant de voir s’articuler une espèce de signifiant qui rendrait compte de toute
l’organisation signifiante sous le terme d’instinct de mort, de pulsion de mort (là où plus tard, Lacan
désignera le phallus comme étant le signifiant de ce rassemblement de l’ensemble de la signification).
Mais il est vrai aussi que s’il nous dit que le signifiant emprunte au signifié cette mort pour représenter la
dimension comme telle de l’articulation signifiante, il nous est dit aussi que dans ce même corps (dans ce
même signifié), le signifiant, l’ordre signifiant peut emprunter d’autres choses, et c’est ainsi qu’il viendra
à Lacan d’emprunter ce terme phallique dont il donnera plus tard, en 1958, dans un article intitulé xlvii[viii]
« La signification du phallus », la pleine mesure.
Mais Lacan ne s’engagera pas, ici, sur une voie qui le détournerait de Freud, il préfère maintenir sous
cette trame qui s’ébauche le grand réservoir libidinal, et rendre ainsi plausible l’hypothèse, par nous
avancée, dans le Séminaire I, à savoir que l’articulation du schéma en miroir, l’articulation des
mouvements imaginaires qui lient le Moi à lui-même, à son image prise comme objet, cette articulation
qui est proprement une articulation narcissique, érotique donc, trouve à se dire, à s’inscrire dans un
langage du fait de l’articulation symbolique signifiante qu’on peut tout à fait plaquer sur elle (ce qui peut
se démontrer à partir du Séminaire II).
A la fin de cette séance (28/11/56), Lacan accrédite tout à fait cette hypothèse en parlant de la Ich Libido
comme d’un réservoir de la libido à partir de laquelle s’établirait toute relation objectale ultérieure. De
toute manière, la question se maintient au point où nous en sommes, de savoir d’où vient la notion d’objet
pour Lacan;.
Qu’il manque, ne fait pas l’ombre d’un doute, mais d’où vient-il ? Que ce soit précisément un objet qui
manque !
56
Ainsi articulent en un tableau, l’agent, le manque d’objet et l’objet en trois niveaux : niveau symbolique,
niveau imaginaire, niveau réel pour chacune des tripartitions que nous venons d’évoquer. La castration est
castration d’un objet imaginaire, alors qu’il s’agit d’une opération symbolique. Cet objet imaginaire est le
phallus comme tel que nous retrouverons tout à l’heure dans la place qui lui revient. Le complexe
d’Oedipe est effectivement à référer à cette dimension-là de la castration comme castration du fait d’une
loi symbolique, laquelle loi est celle qu’instaure le complexe d’Œdipe.
La question du Phallus sera présentée dans les séances ultérieures sous la forme d’une clinique de la
perversion.
Lacan passe ensuite à la frustration, il lie immédiatement cette notion de frustration à la notion de désir
qu’il dit être une notion freudienne. Lacan rappelle que dans la littérature analytique, la notion de
frustration a généralement été liée au premier âge de la vie et à ce mode de relation qui introduit la
question du Réelxlviii[ix] dans le progrès de l’expérience analytique. Dans ce registre de la frustration, se
déploie une espèce d’anatomie imaginaire du développement du sujet mais dans une situation
essentiellement duelle. C’est à propos de la frustration que Lacan introduit la notion d’agent. D’une part,
la frustration est toujours frustration d’objet, c’est un des versants, d’objet réel ; et, d’autre part, il y a
l’autre versant, l’agent qui est responsable de cette frustration, en l’occurrence, la mère. Lacan articule cet
agent de la frustration, donc la mère, au couplage présence/absence qui est décelé très rapidement par
l’enfant. Lacan ressort, ici, la fameuse frustration clinique de Freud du Fort-da. Il faut reconnaître que
Lacan introduit alors une notion supplémentaire, à l’intérieur de ce jeu opératoire (de la frustration, de la
castration, de la privation) de l’objet visé, qui peut prendre diverses positions : réelle, imaginaire,
symbolique, puis de l’agent qui est responsable de l’affaire.
Lacan introduit un 4ème termexlix[x], dont la tâche serait de transformer l’articulation à un moment donné,
l’articulation précisée, (par exemple le moment où la frustration serait la frustration par la mère
symbolique d’un objet réel mais le dommage étant imaginaire). Toute la question, c’est d’imaginer
comment, à l’aide d’un quatrième terme, faire bouger le rapport entre ces différents termes, le rapport que
ces différents termes entretiennent avec ces instances du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique et, c’est
ici que Lacan introduit la notion de puissance, de puissance de la mère, puissance qui répond ou qui ne
répond pas à l’appell[xi] que lui adresse son enfant. Si cette puissance répond, c’est qu’effectivement,
l’enfant occupe dans son désir une place qui fait que quand elle répond à cet appel, elle sature en quelque
sorte ledit désir, par contre, si elle ne répond pas à l’appel qui lui est adressé, c’est que son désir est
articulé par quelque chose d’autre que ce qui se trouve là mis en présence.
C’est pourquoi après une clinique du Phallus, il faudra d’urgence préciser le terrain où cette puissance
répond ou pas : émergence du champ du désir.
« Voilà donc l’enfant qui est en présence de quelque chose qu’il a réalisé comme puissance, comme
quelque chose qui tout d’un coup est passé d’un plan de la première connotation présence/absence à
quelque chose qui peut se refuser et qui détient tout ce dont le sujet peut avoir besoin et aussi bien ce qui,
même s’il n’en a pas besoin, devient symbolique à partir du moment où cela dépend de cette puissance.
Cet objet imaginaire qui est responsable de cet état de fait, c’est le phallus. » (12/12/1956)
Il faut se reporter d’abord en arrière, à la question de la fonction imaginaire du miroir telle qu’elle a été
présentée dans le Séminaire I. On se souviendra que le phallus était cette espèce d’image déformée qui se
maintenait à l’extrémité du miroir-plan lorsqu’il avait pivoté dans le schéma dit du « bouquet renversé ».
Nous revoyons maintenant surgir cet objet imaginaire qui est, à proprement parlé, nous dit Lacan, la
forme, l’image érigée du pénis dont l’importance est si décisive que sa nostalgie, sa présence, son
57
instance dans l’imaginaire se trouve plus importante, semble-t-il, encore pour les membres de l’humanité
auxquels il manque.
Voici donc le quatrième terme qui permet de faire bouger les éléments ensemble, à l’intérieur du petit
tableau de Lacan, et nous retrouvons aussi ce reste de ce qu’on a pu appeler « l’enveloppe vide » de
l’image de l’autre dans le schéma du miroir lors du premier séminaire ; une espèce d’en-forme de l’image
phallique. C’est cette image, c’est cette enveloppe vide que la femme incarne à l’aide d’un enfant.
« Si la femme trouve dans l’enfant une satisfaction, c’est très précisément pour autant qu’elle sature à son
niveau, qu’elle trouve en lui ce quelque chose qui la calme plus ou moins bien, ce besoin de phallus ».
(12/12/1956)
Ce qui intéresse notre propos sur la topologie, et qui est un progrès par rapport à ce que nous avons vu
dans le séminaire de Lacan jusqu’ici, ce sont, non seulement, ces indications sur ce qui fait bouger le
rapport du sujet à son image, mais en plus, explicitement, c’est ce quelque chose qui doit nécessairement
se mettre en mouvement, être articulé à travers l’Imaginaire, le Symbolique, le Réel ; à travers ces
opérations qu’on appelle frustration, privation, castration; à travers ces agents qui sont responsables, à
savoir : la mère et le père réels, symboliques et imaginaires. Au fond, on a là, comme une topologie qui
est en train de s’animer, une topologie qui n’est plus inerte et qui nous amènera évidemment, dans les
séminaires suivants (V et VI) à nous interroger sur ce qu’est le moteur de la cure.
Car, il devient bien évident que cette puissance évoquée est un autre nom du désir que le graphe
présentifiera.
Il existe bien une triangulation qui sépare radicalement Lacan des tenants de la relation d’objet car le
processus analytique n’est en rien une relation entre l’analysé, n’est en rien une relation entre le patient et
un objet extérieur, l’analyste.
Car les tenants de la relation d’objet imaginent, eux aussi, une espèce de topologie, une espèce de relation
entre un objet extérieur en relation avec un objet intérieur. Seulement, pour Lacan, les repères essentiels
de cette topologie n’ont pas à être articulés autour des deux pôles que sont l’analysant et l’analyste, c’est
là, toute la différence. Quoiqu’il en soit, ces tenants de la relation d’objet constatent qu’effectivement, une
certaine discordance existe entre cet objet imaginaire intérieur et l’objet réel que l’analyste va être. Entre
les deux, entre ces deux objets, au cœur même de cette discordance, ils évaluent en quelque sorte la
distance névrotique que le sujet impose à l’objet. Quand cette distance se réduit à la distance réelle qui est
celle du sujet à l’analyste, ils considèrent que le sujet réalise son analyste comme présence réelle. On
notera la différence avec la théorie de Lacan, pour qui la présence de l’analyste comme tel, quand elle
surgit dans les stases, dans les ratés, dans les arrêts du cheminement de la parole, est, en réalité, une
présentification de ce qui a été originairement refoulé, une présentification comme telle de l’inconscient.
Lacan se rapporte alors à son schéma L pour présenter l’entrecroisement entre relation symbolique et
relation imaginaire ; la relation imaginaire servant, en quelque sorte, de filtre à la relation symbolique,
ceci évidemment est tout à fait différent de l’espèce de position de réalité où les tenants de la relation
d’objet situent le dialogue analytique. Dans cette réduction au « réel », il y donc méconnaissance de la
dimension du Symbolique, laquelle sera éminemment présentifiée par la place du phallus, et c’est à quoi
Lacan va s’essayer dans la suite de cette séance : situer cette place comme cliniquement nécessaire dans
l’explication théorique qu’on doit donner de certains phénomènes névrotiques, voire pervers comme le
fétichisme.
58
Voilà ce qui se trouve rassemblé dans cette citation. (19/12/1956)
« Cette relation a-a’ concerne la relation imaginaire, la relation du sujet en tant que plus ou moins
discordant, décomposé, ouvert au morcellement, à une image unifiante qui est celle du petit autre, qui est
une image narcissique. C’est très essentiellement sur cette ligne que s’établit la relation imaginaire, de
même que c’est sur cette ligne, qui n’en n’est pas une puisqu’il convient de l’établir, que se produit cette
relation à l’Autre qui n’est pas simplement l’Autre qui est là, qui est littéralement le lieu de la parole.... Le
sujet dans lequel votre parole se constitue parce qu’il peut comme parole non seulement l’accueillir, la
percevoir, mais répondre; c’est sur cette ligne que s’établit tout ce qui est de l’ordre transférentiel à
proprement parlé, l’imaginaire y jouant précisément un rôle de filtre, voire d’obstacle. »
Et, ce que l’inconscient présentifie à ce moment est le rapport que la mère entretient avec le phallus sous
des figures aussi diverses que l’animal phobique, que des passages à l’acte ou que l’objet fétiche. Ces
figures jouent ici un rôle articulant par défaut de l’opération symbolique du droit au Phallus.
Ce qui manque à la mère, que l’enfant ne peut saturer par sa propre présence, par sa seule présence, en
d’autres mots, le rapport que la mère entretient avec le phallus comme ce qui lui manque, entraîne chez
certains enfants, un sentiment insoutenable qui nécessite l’appel à un être fantasmatique qui interviendrait
là comme étant le responsable de cette situation. Dans la phobie, l’animal qui a justement pour fonction
de mordre, de châtrer, celui grâce à quoi est vivable symboliquement l’ensemble de cette situation, au
moins pour une période provisoire.
Dans la situation normale, pour que l’enfant reçoive symboliquement ce phallus qui manque à sa relation
à sa mère, il faut que le père ait occupé cette fonction de menace, d’instance castratrice grâce à quoi, une
sorte de pacte, de droit au phallus s’établit pour l’enfant dans une identification virile au père, mais
différé, puisqu’au fond, il n’en aura l’accès que plus tard. Mais, tel n’est pas toujours le cas puisqu’on sait
déjà que dans la phobie, cette opération ne fonctionne pas correctement et elle ne fonctionne pas
correctement non plus dans les cas de perversions fétichistes.
Dans les perversions cependant, un certain mode d’accès à cet au-delà de l’image de l’autre est possible
au travers de moments paroxystiques, à l’intérieur de l’histoire du sujet, moments paroxystiques qu’on
peut qualifier de passage à l’acte, mais au travers aussi de l’apparition d’un objet particulier autour duquel
s’établit un équilibre érotique et qui est l’objet fétiche.
Aussi Lacan nous présente-t-il une clinique des figures de cet objet.
Lacan situe cette déviation qu’est l’homosexualité féminine autour d’une mise en place détournée de la
fonction du phallus, mise en place détournée qui prend, pour la petite fille dans ces cas, l’allure d’une
frustration qui se marque par une déception qu’elle aurait à l’égard de son père. Lacan rappelle comment
il convient de situer la notion de frustration. Il s’agit de quelque chose qui n’est pas vécu comme
59
frustration au moment même, mais qui est vécu après-coup comme frustration ; c’est après coup que
l’enfant comprend pourquoi certaines choses qui se sont passées précédemment se sont passées, c’est-à-
dire que cet après-coup implique l’existence d’une chaîne symbolique, l’existence de l’ordre du langage
qui, par rétroaction en quelque sorte, donne sens aux événements de la petite enfance et donc, d’une
certaine façon, on peut dire que la frustration doit être en quelque sorte aspirée par l’inconscient, et que
cet inconscient doit être constitué préalablement comme lieu pour que ladite frustration puisse être aspirée
par lui. Cette frustration correspondrait au moment de menace qu’on impute à l’objet phallique tel que
cela a été présenté dans la séance précédente pour la phobie.
C’est un concept à la limite inconscient qui nous permet de constater qu’il y a intrication, interpénétration
du symbolique et de l’imaginaire autour de l’objet perdu. Dans l’opération qui se produit, cet objet perdu
trouve dans le phallus le point focal de cette intrication du Symbolique et de l’Imaginaire; en quelque
sorte, le phallus est un objet imaginaire aux limites du Symbolique. On a quelque chose qui se présente
comme le doublage de la dimension de symétrie qui nous vient du stade du miroir, doublage par la chaîne
symbolique qui en serait le repérage.li[xii] Le commentaire clinique de ces notations topologiques est fait
par Lacan dans le commentaire d’un cas clinique traité par Freud : « Psychogenèse d’un cas
d’homosexualité féminine ». On y retrouve toutes ces notions d’interpénétration de l’Imaginaire du
Symbolique, de dénégation de la fonction phallique, de déception et principalement, cette dimension de
défi tranquille qui liait cette jeune fille à son père. (9/1/1957)
A la fin de cette séance, Lacan nous parle effectivement de l’instauration d’une sorte de nœud qui
nouerait trois étagements dont les trois objets seraient l’objet imaginaire, (l’enfant qu’elle n’a pas reçu du
père), l’objet en tant que réel, (l’enfant donné par le père à quelqu’un d’autre, c’est-à-dire à la mère, cet
enfant étant donc le frère de la patiente) et l’objet placé sur le plan symbolique qui est quelque chose qui
la soutenait dans son rapport entre femmes (avec toute l’institution de la présence paternelle comme telle
à laquelle elle se trouverait fortement fixée).
Lacan montre alors qu’elle n’a plus d’autre ressource que de s’identifier, en quelque sorte, à cet objet qui
lui glisse entre les doigts et de devenir cet enfant. En quelque sorte, elle s’accouche elle-même en se
jetant du haut du pont de chemin de fer, elle devient cette sorte d’enfant latent, d’enfant caché qu’elle
avait essayé d’articuler dans les trois registres de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel.
Quelque chose de neuf vient de surgir dans l’articulation de Lacan. C’est que, non seulement, il a isolé
dans ses trois premiers séminaires, les structures du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique, non
seulement, il a donc montré qu’elles pouvaient s’appartenir l’une à l’autre sous certaines conditions, mais
il démontre que ce qui les noue, sous la forme d’un trou, à l’intérieur duquel glisse l’objet perdu, est aussi
ce qui permet que quelque chose voyage à l’intérieur des trois registres.
On a la première instauration d’une sorte de dialectique dont on verra plus tard qu’elle sera la dialectique
propre à la cure qui permet à l’objet comme tel de circuler, voyager à l’intérieur de ces trois registres. Si
quelque chose peut voyager, à l’intérieur des trois registres, c’est qu’il est possible de dire que nous avons
à faire à une topologie constituée (au sens de la topologie mathématique).
La cause de cette circulation, est à rechercher dans cet objet imaginaire qui, plus tard dans la topologie,
sera situé comme le point hors-ligne qui est la fonction du phallus, objet central de toute l’économie
libidinale.
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La circulation d’un objet, telle qu’elle se vérifie pour l’homosexualité féminine, se retrouve à nouveau
dans toute une série de cas où la structure s’inscrit dans une perspective de symbolisation. En effet,
l’analyse n’est pas le rapport pur et simple avec un « réel », mais rapport avec une symbolisation et Lacan
va, à cette occasion, se servir d’un débat plus important pour montrer la raison de son assertion. Il va faire
un détour par la grande famille clinique des perversions.
En effet, il existe toute une théorie dans la psychanalyse pour indiquer que les perversions seraient en
quelque sorte une espèce de fixation portant sur une pulsion partielle situable psycho- ou même onto-
génétiquement. Par rapport à cette pulsion partielle perverse, il y aurait donc une pulsion unifiante dont
nous avons la trace dans l’Oedipe.
Il existe cependant une autre tendance, une tendance qui vise à expliquer que la perversion n’est pas
quelque chose qui est une fixation, mais plutôt le négatif de la névrose, c’est-à-dire une érotisation du
phénomène de défense. En réalité, la question de la perversion pourrait peut-être bien être traitée
autrement, ni en termes de défense, ni en termes de fixation pulsionnelle partielle, mais en termes
d’intersubjectivité pleine, comme le dit Lacan.
Il s’agit de voir que ce qui se trouve être le nœud du fantasme lii[xiii] de quelques pervers que Freud a
analysés, (par exemple : la phrase « on bat un enfant ») se décompose en un certain nombre de
propositions qui démontrent comment il faut faire appel à une intersubjectivité triple pour en rendre
compte de la structure. Ce fantasme est en quelque sorte comme une fossilisation ternaire qui préfigure,
qui porte en elle-même la marque de la structure intersubjective telle qu’elle se déploie quand elle est
l’effet d’une parole pleine, d’une parole achevée. On aurait là, dans cette interprétation de Lacan, quelque
chose qui est non pas une fossilisation de la pulsion mais plutôt une fossilisation de la fonction de la
parole.
Pour Lacan ici, le fantasme pervers est une sorte de réduction symbolique de la structure intersubjective
ternaire qui est une structure engagée dans la fonction de la parole, réduction symbolique qui possède, en
quelque sorte, tous les éléments d’un discours qui aurait pu être tenu en première personne mais qui en a
perdu la signification. Il y a là quelque chose comme un maintien à l’état pur des signifiants vidés, en
quelque sorte, de leur sujet; il y a une espèce d’objectivation des signifiants. (16/1/1957)
Lacan laisse entendre que chaque fois que dans l’historisation libidinale de l’aventure du sujet, un
élément de fixation s’installe, on risque d’obtenir là une espèce de mise en place perverse ou fétichiste de
la sexualité. C’est en tout cas ce qui se produit dans le phénomène du souvenir-écran. Lacan ne situe pas
ce point d’arrêt, cette fixation, comme un point d’arrêt libidinal de la pulsion, mais il le situe comme un
point d’arrêt dans la dimension intersubjective de parole, à laquelle le sujet dans le schéma L aurait pu
parvenir si, précisément, sur la ligne a-a’, ne s’était pas en quelque sorte fixée une espèce d’image arrêtée,
comme l’image d’un film qui s’arrête sur un écran.
61
« Nous touchons là du doigt comment se forme, ce qu’on peut appeler être le moule de la perversion, à
savoir cette valorisation de l’image pour autant qu’elle reste le témoin privilégié de quelque chose qui,
dans l’inconscient, doit être articulé, remis en jeu dans la dialectique du transfert. » (16/1/1957)
Ainsi, apprenons-nous que dans l’analyse, cette circulation relève de l’activité de la parole.
Il va prendre son temps pour les démonter, et il faudra donc que nous les mettions en évidence petit à
petit. Il nous les situe assez rapidement en nous montrant, en prenant l’exemple de la jeune fille
homosexuelle dont parle Freud, comment, dans un premier temps, elle s’est trouvée à la puberté chérir un
objet, un enfant qu’elle soigne, puis comment plus tard, cette vocation typique de la femme dans un
troisième temps se retournera, c’est-à-dire que l’objet d’amour va devenir la femme en tant que telle. Elle
va s’intéresser non plus à des enfants, mais à des objets d’amour qui vont porter le signe de la féminité,
maternité.
On va comprendre maintenant l’intérêt que porte Lacan à cette relation d’objet, et pourquoi il a choisi de
faire ce séminaire autour de cette relation d’objet après avoir traité de la psychose et, plus exactement, de
la fonction du phallus comme météore. Car, c’est de nouveau ce terme qu’il introduit dans la discussion
pour justifier ce qui fait la différence entre ce que la jeune fille chérit du petit enfant et ce qu’elle aime
chez la femme à qui elle voue un culte qui n’a de comparable que le culte de l’amour courtois.
Le passage de l’un à l’autre s’opère par l’intermédiaire du Phallus que nous pourrions représenter par le
sommet d’un tétraèdre. C’est le deuxième temps, celui de l’insistance du Phallus.
62
qui sert en quelque sorte d’opérateur comme si la première présentation tétraédrique pouvait se renverser
en miroir (inversion droite-gauche)
Lacan poursuit en rappelant que cette question du phallus doit être articulée à la dimension du don, et non
à celle d’une maturation organique, autrement dit, qu’il n’y
a pas forcément un lien direct entre la symbolique du don et la maturation génitale, c’est quelque chose
qui n’a :
C’est cette question du don qui place la fonction du phallus dans le Symbolique (deuxième étape) dans la
mesure où ce qui caractérise le symbolique, c’est non pas qu’un élément soit présent ou qu’il soit absent,
mais c’est le fait qu’un élément est tout aussi présent quand on l’a que quand il est affecté du signe moins,
simplement, sa présence est négative. Lacan souligne aussi combien, à propos de l’objet, la frustration de
l’amour et la frustration de la jouissance sont deux choses tout à fait différentes. La frustration de l’amour
est, en elle-même, grosse de toutes les relations intersubjectives, tandis que la frustration de la jouissance
n’engendrera jamais quoi que ce soit de la réalité, tout au plus, peut-elle relancer le désir. (versant
imaginaire ici)
La troisième étape de l’instauration de cette perversion place notre homosexuelle dans une position virile;
pour reprendre le schéma L, ce père qui était au niveau du grand A dans la première étape est maintenant
au niveau du petit a, au niveau du Moi. L’objet d’amour s’est substitué à la fonction de l’enfant en i.
Au travers de ce séminaire, s’instaure, pour la première fois donc dans la topologie de Lacan (celle qui est
fondée du schéma L et peut s’inscrire par ailleurs dans un tétraèdre ou au moins dans un double
tétraèdre), s’inscrit la possibilité d’une sorte de permutation des places entre elles. Mais cette permutation
se fait dans un certain ordre, on ne peut pas échanger toutes les places n’importe comment entre elles. lv
[xvi]
Le 23 janvier 1957, Lacan reprend le jeu de pair-impair de « La Lettre Volée » d’Edgard Poe pour
montrer comment, à partir de la frustration qui doit toujours être entendue comme ce qui résulte du
manque d’objet originaire, on peut retrouver trois temps de la subjectivité.
63
- On a d’abord, nous dit-il, la position 0 (zéro) du problème, à savoir, l’institution du symbole pur, la mise
en place d’une espèce de négativité primordiale dans laquelle il y a une position objectivable du donné du
jeu: le plus et le moins de départ.
- Dans le deuxième temps, on a la demande qui est la déclaration du jeu, l’appel au jeu. On attend de
l’autre qu’il lance les dés. C’est ici que Lacan situe le niveau de la frustration.
C’est celui de la Loi. En effet, le donné comme tel dans les mains de l’autre joueur ne peut absolument
pas nous satisfaire. D’où la question : est-ce qu’il est possible de repérer dans l’exercice du jeu, une loi
qui serait toujours cachée, mais une loi qui pourrait nous donner la raison de notre intérêt pour le jeu ?
C’est le moment où, à l’intérieur du jeu, s’établit quelque chose d’intersubjectif, du ternaire : la Loi
s’introduit de manière essentielle.
Dans une cure, le transfert mettrait en mouvement ces permutations subjectives du fait de la fonction
symbolique. Freud, chez la jeune homosexuelle, a raté ce passage en l’imaginarisant, c’est-à-dire en
oubliant ce que pouvait avoir de symbolique le récit d’un rêve trompeur; à partir de quoi, Freud se
méfiera du désir de sa patiente. Il avait pourtant l’occasion, en ce point de parole, de sortir de sa fixation
une image désubjectivée. Erreur qui répète celle de la cure de Dora symétriquement contraire.
Dans un cas, nous pouvons repérer une confusion de la position symbolique avec la position imaginaire
et, dans l’autre cas, confusion dans le sens contraire. Ceci, donc, s’organiserait sous la forme du positif au
négatif, et on pourrait trouver une illustration de la formule de Freud quand il dit que la perversion est le
négatif de la névrose. On peut résumer l’histoire de Dora sous cette formule.
« L’hystérique est quelqu’un qui aime par procuration, l’hystérique est quelqu’un dont l’objet est
homosexuel et qui aborde cet objet homosexuel par identification avec quelqu’un de l’autre sexe. »
(23/1/1957)
On voit qu’effectivement, il y a là une différence avec le cas de la jeune fille dont parlait Freud. Ici, il n’y
pas ce détour par l’identification à l’autre sexe. Il y a, plus exactement, un amour homosexuel par
désillusion d’avoir un enfant, un enfant du père. Or, c’est parce qu’il est manquant essentiellement, et non
par désillusion, que la dimension du don peut être introduite.
Cette dimension du don existe avec l’introduction de la loi. Ce qui est donné circule, c’est ce que toute la
méditation sociologique (nous supposons que Lacan vise Marcel Mauss) a pu montrer, le don qu’on fait
est toujours le don qu’on a reçu, et le sujet féminin entre dans cette dialectique de la loi, de l’ordre
symbolique par quelque chose qui est le don du phallus. Et Lacan ajoute que le désir vise le phallus en
tant qu’il doit être reçu comme don, il doit être élevé à la dignité d’objet de don, c’est ainsi qu’il fait
entrer le sujet dans la dialectique de l’échange. C’est ce « pour rien » que la jeune homosexuelle voulait
montrer à son père. Il y va là d’une promesse qu’elle imagine que son père aurait pu faire : « tu auras un
enfant de moi », et elle veut montrer à son père ce qu’est un véritable amour, cet amour que son père lui a
refusé et qu’elle met ostensiblement dans l’amour courtois qu’elle porte à la dame.
En d’autres termes, dans la perversion, le sujet parle par allusion, il parle de tout autre chose que de ce
qu’il vise pour le faire entendre, il y a une relation métonymique, donc, entre ce que cette jeune fille
homosexuelle veut faire comprendre à son père et le fait que c’est à la dame qu’elle l’adresse. Tout autre
64
est la position de Dora qui, elle, ne parle pas d’autre chose pour viser ce qu’elle veut dire, mais qui parle
d’une certaine façon par métaphore symptomatique, ce qui est tout à fait différent. Au travers de toutes
ces observations, l’important, c’est de voir que Lacan ajoute à ces schémas traditionnels, au schéma L, il
ajoute la place d’un objet qui manque. Cet objet qui manque pour l’instant, il l’interroge à l’intérieur de la
relation père / mère / enfant et cet objet comme tel en lien en relation avec le désir, c’est le phallus.
Dans la séance du 30/1/1957, Lacan va s’attacher à interroger le fétichisme et l’objet fétiche en espérant
obtenir quelques renseignements sur la notion d’objet. Il rappelle que ce qui est aimé dans l’objet, c’est ce
dont il manque. Il y a là quelque chose qui introduit, du fait du symbolique, une espèce d’au-delà de
l’objet. Cet au-delà de l’objet, cela veut dire que l’objet dans le symbolique est un objet, qu’il soit présent
ou pas présent. C’est ainsi que le fétichiste peut penser que sa mère possède un pénis, elle ne le possède
pas réellement, mais elle l’a en tant qu’elle ne l’a pas, elle l’a comme objet symbolique.
Et le fétiche, comme tel, représente ce phallus en tant qu’absent, ce phallus symbolique. C’est quand
même intéressant de noter au passage que c’est le garçon qui est fétichiste, on ne trouve pratiquement pas
de fétichisme chez la femme. Ce qui se trouve différent de la position du fétichiste et de la position
névrotique classique du rapport au phallus, c’est que le fétichiste, d’une certaine façon, interpose un voile
entre lui et la femme, un voile sur lequel vient précisément se représenter ledit fétiche. C’est une espèce
de rideaulvi[xvii] qui donne consistance à quelque chose qui est projeté là, par où, d’une certaine façon,
s’imagine l’absence. C’est une manière pour le sujet d’avoir un rapport stigmatique avec le sexe, on peut
dire : « que le sujet héraldise son rapport avec le sexe. » (30/1/1957 )
Lacan a dit que cette fonction héraldique nécessite une espèce d’arrêt sur image, un peu à la manière dont
une image d’un film s’arrête, nécessite que le sujet, quand il héraldise son rapport avec le sexe, arrête sur
une image, bloque sur une image son interrogation de la sexualité ; c’est par ailleurs quelque chose qui se
retrouve dans la névrose classique sous le terme de souvenir-écran. Cette image arrêtée est un point de
refoulement, c’est-à-dire qu’elle arrête une histoire sur ce point-là, mais l’histoire pourrait se poursuivre
et se continue d’ailleurs en arrière, derrière ce souvenir-écran. Le fait que dans le discours conscient, elle
s’interrompe, est bien le point repère d’un refoulement.
On notera, ici, la prévalence donnée à la relation visuelle dans la constitution de cette relation à l’objet
fétiche. Mais, pour d’autres types de fétiches, du type imperméable, on pourra voir que c’est autre chose
qui est en jeu que la pulsion scopique, on pourra plutôt interroger la dimension d’enveloppement, de
doublure de la peau, de capacité d’isolement que sont celles du caoutchouc.
« On voit que l’imperméable joue là un rôle qui n’est pas exactement tout à fait celui du voile, mais bien
plutôt de ce quelque chose derrière quoi le sujet se centre, non pas comme devant le voile, mais comme
derrière, c’est-à-dire à la place de la mère et, plus spécialement, adhérent à cette collision d’identification
à la mère où la mère a besoin d’être protégée, ici, par l’enveloppement. » ( 30/1/57) lvii[xviii]
Mais pour notre propos topologique, on notera quand même que cette fonction de l’objet fétiche qui,
d’une certaine façon, donne consistance à la fonction phallique, s’appuie sur des trajets pulsionnels qui
prennent une forme topologique, et on pourra s’interroger sur la forme topologique que peut prendre le
regard, comme on pourra s’interroger sur la forme topologique que peut prendre la doublure.
65
Cet objet qui est là consistant, évidemment, prend d’une certaine façon dans sa consistance, la place de la
consistance que donne idéalement, normalement, la place du père dans la relation mère-enfant et c’est
pourquoi, quand le père intervient dans le Réel, il se produit évidemment un séisme dans cet équilibre que
l’enfant était parvenu à maintenir autour de sa sexualité par l’intermédiaire de ce fétiche.
1) Le désir (6/2/1957)
Lacan introduit la dynamique du désir. Évidemment, c’est un terme qu’il a déjà utilisé, mais on voit qu’il
va devenir central dans ses préoccupations et pour lui, le détour qu’il fait par le fétichisme sert
précisément à cela, à montrer cette existence, cette incidence du désir dans tous ses paradoxes. De là, sans
faire la distinction, en en vient à parler de l’amour, le désir et l’amour, ce n’est pas pareil; pourtant, Lacan
ne nous dit rien de leurs différences, il indique simplement que l’amour est fondé sur ce fait que le sujet
s’adresse au manque qui est dans l’objet. On voit bien qu’ici, il s’agira donc d’un amour différent de
l’amour narcissique, de l’amour-passion, celui qui s’appuyait sur, rappelons-le, une image spéculaire.
Cet autre amour se fonde sur le don que la mère pourrait accorder selon sa puissance. Ce que le fétichiste
figure, c’est l’objet, il le peint sur un voile ; ce qu’il aime, c’est que par le manque, quelqu’un peut lui
faire un cadeau, par amour.
A l’occasion d’une citation des textes de Fenichel, Lacan discute le cas où une fille se pose comme un
équivalent du phallus, c’est-à-dire qu’elle vivrait la relation sexuelle comme étant cette relation qui fait
qu’elle apporte à son partenaire le phallus. C’est quelque chose qui, inversement, se retrouve aussi bien
chez le sujet masculin qui peut très bien se trouver comme étant celui qui donne à la femme ce qui lui
manque, ce qu’il lui manque imaginairement parlant.
Il y a là un certain nombre de phénomènes, un certain nombre de relations qui montrent bien que le sujet
n’est pas toujours dans le même rapport avec l’objet, il peut l’apporter, il peut le donner, il peut le désirer,
il peut même s’y substituer. On voit bien qu’ici, quand Lacan parle de relation d’objet, c’est en tout cas, à
ce point du séminaire, du phallus comme objet dont il parle.
Mais quelque chose ici se schize, le Désir s’adresse à l’objet, au choix d’objet, l’amour s’adresse au
sujet. Ainsi s’opposent identification et choix d’objet.
Lacan entame alors une discussion avec Freud autour de la place ambiguë qu’il donne à l’objet: soit il se
constitue comme objet d’identification; soit, il se constitue comme objet d’énamoration. Pour essayer
d’éclaircir cela, Lacan propose de reprendre le problème à partir de son élaboration, c’est-à-dire à partir
de l’idée centrale dans ce séminaire, la frustration qui se constitue de l’objet : entendons bien, la
frustration d’un objet qui, comme tel, se trouve manquant et dont le manque ne veut pas dire pour autant
que l’objet qui subsiste sous une forme négative ne soit pas là; il subsiste sous une forme négative.
Lacan poursuit en disant qu’il s’agit de faire la distinction entre identification et introjection. C’est
effectivement quelque chose qu’au point où nous sommes, nous pouvons déjà différencier à l’aide de
notre topologie . Les systèmes imaginaires et symboliques des Séminaires I et II nous ont permis de
mettre en évidence :
66
1) Le schéma du miroir (ce que Lacan nous a montré de l’introjection de l’image de soi qu’on aime au
moment où le miroir bascule, est bien quelque chose qui relève de la fonction du stade du miroir, c’est le
Moi comme objet). On se rappellera utilement néanmoins, que dans ce temps imaginaire, l’introjection est
un processus symbolique parce qu’il est commandé par l’Autre.
2) Le schéma L, où se repérerait que l’identification, elle, relève d’un point de passage où le sujet se
dégage dans la chaîne signifiante comme reconnaissance de ce point de passage. Pour comprendre la
distinction, Lacan réévoque la pulsion en tant qu’elle resurgit effectivement à certains moments dans
l’analyse. Il signale qu’il faut la concevoir par rapport à son registre propre qui est sa fonction
économique, c’est-à-dire par rapport au déroulement d’une certaine relation symboliquement définie (la
parole), et non par rapport à une régression. Il faut dire que ce retour de la pulsion doit être conçu sous
cette forme que chaque fois qu’il y a frustration d’amour, la frustration se compense par la satisfaction du
besoin, lequel est rattaché à la fonction de la pulsion. Chaque fois qu’ il y frustration d’amour, un objet
réel prend sa fonction en tant que partie de l’objet d’amour.
Il s’agit de concevoir le jeu de ce manque qui est repérable dans les deux dimensions topiques que Lacan
a pu démontrer, celle de l’Imaginaire et celle du Symbolique. On trouve, ici, une formule que Lacan
utilisera dans son Séminaire XI. Un manque recouvre l’autre, donc un manque qui est aperçu dans la
dimension symbolique, à savoir la frustration d’amour se trouve rapportée au manque aperçu dans la
dimension spéculaire. Ce manque qui se trouve recouvrir un autre manque est le manque d’un don d’objet
qui recouvre le manque d’un autre objet, mais dans ce recouvrement, on peut penser que les deux objets
en question qui sont perdus subissent de ce recouvrement une transformation qui les égale, en quelque
sorte, qui les renvoie à un objet au-delà de l’objet ou plutôt, à un objet au-delà du manque en tant qu’un
manque qui recouvre un autre manque.
Cet objet qui est donc cette espèce de condensation des deux manques, cet objet est un objet qui serait en
quelque sorte produit par le manque dans l’imaginaire recouvert par le manque dans le symbolique. Cet
objet, c’est précisément, le phallus et c’est pourquoi Lacan a étudié cette fonction du fétichisme en tant
que, justement, à cet objet au-delà du manque, le fétichisme tente de lui donner une consistance
quasiment réelle en l’inscrivant sur le voile ou sur le rideau dont Lacan parle dans ce séminaire.
C’est cet objet dont la mère se fait toute-puissante et dont le réglage, la commande va être mise dans les
mains du Père.
Pour y venir (séance du 27/2/57), Lacan réintroduit une thématique abordée rapidement dans le Séminaire
I, celle de l’appel qui surgit de l’expérience de la frustration. La frustration maintient le désir dans
l’inconscient celui qui est refoulé, indestructible. Cette indestructibilité, cette insistance, nous pouvons la
référer nous dit Lacan, à l’automatisme de répétition et nous savons nous, que cette indestructibilité n’est
autre que la dimension du Symbolique.
Rapportant alors la frustration à la relation primitive de l’enfant avec sa mère, Lacan nous montre qu’elle
est non pas refus d’un objet de satisfaction, mais refus de don en tant qu’il est lui-même symbole de
quelque chose qui s’appelle l’amour. L’idée du don implique tout le cycle de l’échange, implique toute la
circulation des dons et c’est dans ce contexte intersubjectif que le petit sujet s’introduit grâce au don qui
surgit d’un au-delà de la relation objectale puisqu’il suppose derrière lui tout cet immense don et contre-
don de l’échange social. C’est sur un fond de révocation, de contre-don, d’annulation du don, de
possibilité qu’on ne donne pas que le don surgit et est donné d’où le terme de Versagung.
67
« C’est donc sur ce fond et en tant que signe de l’amour annulé d’abord pour reparaître comme pure
présence que le don se donne ou non à l’appel. » (27-2-57)
L’appel étant effectivement déjà le signe que ce qui se trouve en face et qui est appelé un repère, par
exemple, peut être repoussé. on le voit ici, à cet ordre symbolique dont il a parlé dans le Séminaire II,
Lacan ajoute la dimension de l’annulation qui lui est inhérente, mais qui, subjectivée, se vit par l’individu
comme une frustration. Frustration d’un don ce qui n’empêche pas qu’à l’occasion, une satisfaction ou
une non-satisfaction puisse lui être accolée en tant que compensation. Du fait de l’insatisfaction en effet,
l’ordre symbolique devient indestructible et ceci explique nos rêves où, au-delà d’une satisfaction
hallucinatoire, l’ordre symbolique continue à fonctionner, le désir persiste sur ce plan symbolique et hante
donc la vie du dormeur.
De la même manière, une pulsion qui vise la satisfaction d’un besoin peut se trouver érotisée parce
qu’elle est entrée dans cette dialectique de substitution de la satisfaction ou exigence d’amour.
Comme tel ici, ce n’est pas l’objet, ce qu’il est comme objet, qui joue le rôle essentiel, mais le fait qu’une
activité prend fonction érotisée, du fait de cette exigence d’amour et s’inscrit donc dans l’ordre
symbolique. Il est même possible qu’il ne soit pas nécessaire qu’un objet doive être présent pour que cette
substitution de la satisfaction à la libido puisse se faire, il suffit même qu’il n’y en n’ait pas, et c’est ce
que nous rencontrons dans les phénomènes d’anorexie mentale.
Dans la mesure où la mère accorde ou pas le don auquel l’enfant en appelle de tous ses vœux, elle se fait
toute puissante, c’est-à-dire, elle passe dans le Réel. C’est le point où se conjugue cette toute-puissance de
la mère et le stade du miroir dans un sentiment, dans un effet dépressif, car, pour que cet effet dépressif
puisse être engendré, il faut que le sujet puisse réfléchir sur lui-même et sur le contraste de son
impuissance face à la toute-puissance de la mère.
Le terme de régression (souvent lié à celui de frustration)et qui s’oppose à lui pourtant, est applicable
quand l’objet réel, et du même coup l’activité pour le saisir, vient remplacer, vient se substituer à
l’exigence symbolique. La régression est donc quelque chose qui va à l’envers de la frustration. On
devine tout de suite que toutes les relations qui vont s’établir au corps propre, par l’intermédiaire de la
relation spéculaire, vont pouvoir se trouver marquées maintenant de la dimension du symbolique; il n’y
aura rien d’étonnant à ce que les excréments deviennent ainsi l’objet électif du don, ainsi que c’est
rapporté dans la théorie classique.
Mais, pour comprendre comment, dans cette dialectique de la frustration, vient s’introduire le phallus,
c’est effectivement un tout petit peu plus compliqué. A cet égard, aucun développement ou théorie de
développement ne pourront expliquer comment cet objet devient prévalent pour la petite fille ou le petit
garçon car, il faut partir de ceci que ce qui est le pivot de toute cette affaire est l’existence du phallus
imaginaire dont la mère serait privée et c’est parce qu’elle en manque qu’elle le désire, et c’est
seulement en tant que quelque chose ou que quelqu’un le lui donne qu’elle peut en être satisfaite. Ici, le
manque devient le désir majeur, c’est-à-dire que le manque de phallus imaginaire joue un rôle de
signifiant majeur même étant absent, il est présent comme objet symbolique.
Lacan compare alors cette fonction du phallus à celle du symbolique, à celle du jeu de pair-impair dont il
a parlé dans le Séminaire II car le phallus que l’enfant interroge chez sa mère, c’est pour voir où il est et
où il n’est pas.
« Il n’est jamais vraiment là où il est, il n’est jamais tout à fait absent là où il n’est pas. » (6/2/1957 )
68
Pour bien saisir l’introduction de cet objet dans la dimension symbolique, il faut bien voir que cela ne
peut se faire autrement que par le détour constituant de la dialectique intersubjective par où l’enfant
s’engage dans la dialectique du leurre, c’est-à-dire qu’il s’engage dans cette voie de se faire lui-même
trompeur.
Le désir qui surgit des lieux supposés de la toute-puissance maternelle s’interroge non pas à partir de la
frustration mais de l’extinction possible de ce désir, aphanisis, autre mot de la castration. La substitution
du terme d’aphanisis à celui de castration signifie qu’il arrive effectivement que quelque chose
disparaisse, et que la crainte de la castration se trouve ramenée pour le sujet à la crainte de voir s’éteindre
en lui le désir.
C’est une dimension subjectivée qui fait adjoindre à la frustration, l’appréhension de l’extinction du désir.
La privation, c’est un trou réel, c’est, par exemple, le fait que la femme n’a pas le pénis, c’est à partir de
là que la castration pour le garçon prend comme base cette appréhension dans le réel de l’absence de
pénis chez la femme.
On peut dire, pour faire la distinction, qu’ il y a une moitié de l’humanité qui est châtrée dans la
subjectivité du sujet, mais dans le Réel, ils ne sont pas châtrés, ils sont simplement privés d’un organe.
2) Le père lviii[xix]
Il faut alors essayer de saisir la nécessité de ce phénomène de la castration pour le sujet, quand quelque
chose vient s’inscrire dans une scène symbolique comme une dette, et que ce quelque chose s’empare
d’un objet imaginaire pour le faire accéder à la dimension symbolique.
Pour cela, il faut repartir du premier moment de la frustration, il faut repartir de ce qu’il y a derrière cette
mère symbolique qui se trouve cette fois confrontée à un père symbolique qui est une nécessité de
construction, une transcendance nécessaire pour comprendre le passage de la frustration à la castration.
Il s’installe, ici, dans les hypothèses de Lacan, quelque chose qui est comme un cheminement, non pas le
cheminement de l’image du stade du miroir qui est introjecté, non pas non plus le cheminement de la
parole qui, du lieu du grand Autre, revient au sujet ; il s’agit d’autre chose : il s’agit dans les registres
mêmes dans lesquelles ces phénomènes s’opéraient, (de la dimension de l’image et de la dimension de la
parole), dans ces registres-là, il y a quant à l’objet qui circule à l’intérieur de ces registres, modification
des registres de cette circulation, il y a passage, autrement dit, du registre de l’Imaginaire au registre du
Symbolique voire à celui du Réel.
Pas encore de topologie à ce jour autour de cette circulation mais, évidemment, ce qui s’amène de neuf du
fait du cheminement d’une cure, nous montre bien la nécessité de pouvoir comprendre les arcanes de ces
transformations, nous montre bien la nécessité de concevoir cette espèce de topologie de l’espace parlant
comme tel.
La difficulté réside dans le fait de situer ce père symbolique qui, comme tel, est nécessaire dans le
fonctionnement de cette circulation, mais qui ne se représente pas dans le tableaulix[xx] que Lacan nous
propose.
69
Par contre, le père imaginaire, nous le connaissons bien, c’est le père de l’identification au père, c’est
celui qui est en jeu lorsqu’il y va de l’agressivité et de toute la dialectique de l’idéalisation. Ce père
s’inscrit donc dans ce que nous pourrions appeler la topique de l’imaginaire que nous connaissons bien.
Le père réel, lui, c’est celui de la vie de tous les jours, qu’il n’est pas très facile de distinguer dans sa
fonction de père. C’est pourtant à lui, au père réel qu’est :
« déférée effectivement la fonction saillante dans ce qui se passe autour du complexe de castration. »
(13/3/57)
L’absence de ce père réel eu égard à cette question de la castration, effectivement, provoque un certain
nombre de déséquilibres que le sujet tentera de compenser, par exemple, par une phobie.
Pour le saisir, il faut partir de cette idée que la mère symbolique est celle vis-à-vis de qui l’enfant a un
rapport d’amour. Au cœur de ce rapport d’amour, il apprend non seulement qu’il peut être aimé, mais
qu’il apporte à sa mère du plaisir dans cette relation amoureuse. Deuxième élément : la mère conserve à
un degré différent selon les sujets, le « penis-neid » lequel est ressenti d’une manière plus ou moins
évidente par l’enfant comme le manque qu’elle ressent d’être femme et auquel il peut, d’une certaine
façon, répondre.
C’est en rapport à ce manque de la mère que l’enfant peut éprouver la fonction du phallus comme étant le
centre du désir de la mère et qui peut, d’une certaine façon, la leurrer. Il résulte quatre positionslx[xxi]: il
peut s’identifier à la mère, s’identifier au phallus, s’identifier à la mère comme porteuse du phallus, ou se
présenter lui-même comme porteur du phallus.
« par où l’enfant en quelque sorte atteste à la mère qu’il peut la combler non seulement comme enfant,
mais aussi pour ce qui est le désir et ce qui manque pour dire à la mère. » (13/3/57)
Ici, intervient la pulsion sexuelle pour l’enfant (le garçon) qui le laisse assez misérable dans la possibilité
de répondre réellement au penis-neid de la mèrelxi[xxii].
... Donc, un manque imaginaire pourrait se trouver accéder à un manque symbolique du fait de cet effet
de la frustration, lequel manque symbolique peut à son tour accéder à une autre dimension du fait que
l’enfant peut percevoir que cette relation d’amour que la mère introduit ne la met pas, elle-même, dans un
état de toute puissance totale. Effectivement, elle dépend, elle aussi, d’une dimension qui est celle du
phallus, c’est-à-dire qui est à référer au père, au père réel.
A ce moment-là, une nouvelle dimension, troisième manque, vient s’introduire, on serait tenté de dire,
manque réel cette fois d’un objet imaginaire : le phallus dont l’agent serait, par rapport à la mère, le père
symbolique dont on ne parle pas parce que dans la relation mère-enfant, comme tel, il n’a pas cette
fonction symbolique à cet endroit-là puisque c’est dans le rapport à la mère qu’il possède la fonction
symbolique.
70
On le voit, il y a trois manques qui viennent à se recouvrir et l’hypothèse que nous avançons, c’est que :
au manque imaginaire correspond la pulsion, au manque symbolique correspond le trajet classique de la
frustration et au manque réel, on pourrait, en suivant Lacan, introduire la fonction de la parole et la
dimension phallique comme désignant ce lieu du manque réel.
Un triple étagement est donc repérable au départ des trois manques. Cet étagement sera topologisé dans le
Séminaire VII.
Comment faire pour que l’enfant se trouve confronté à cet ordre qui, dans l’Oedipe, fait de la fonction du
père le pivot du drame ?
Ce glissement du fait du Réel du phallus est quelque chose qui est surtout sensible chez la petite fille pour
qui le renoncement au phallus est très facile et transforme ce renoncement en espoir de don, espoir
d’amour de la part du père puisque c’est lui qui en serait le porteur.
Pour le garçon, les choses sont moins simples car pour lui, c’est dans la relation imaginaire au père que se
produira l’identification à son propre sexe. La question pour le garçon, ce n’est pas seulement de
s’identifier à son propre sexe, ce sera aussi de répercuter ce qui pour lui va être une question à traiter, à la
fois qu’est-ce qu’un père et, d’autre part, comment peut-il lui-même accéder à cette position paternelle ?
Ce père réel est quelqu’un qui peut répondre en tout état de cause, qui peut répondre et signaler qu’en tout
cas, le phallus, le vrai, c’est lui qui l’a.
« C’est cette introduction de cet élément réel dans l’ordre symbolique inverse de la première position de
la mère qui se symbolise dans le Réel par sa présence et son absence. » (20/3/1957 )
A cet endroit, l’objet en cause ne devient pas l’objet imaginaire ni l’objet du leurre, mais il est un objet
dont il est toujours au pouvoir d’un autre de montrer en puissance qu’il l’a ou qu’il ne l’a pas.
« C’est par rapport à ce jeu joué avec le père, ce jeu de "qui perd gagne", si je puis dire, que l’enfant peut
conquérir la foi qui dépose en lui cette première inscription de la loi. » (20/3/1957)
Ce père en puissance qui serait celui qui répond comme partenaire réel, comme répondant de la loi, en fait
ne peut être comme tel, incarné par personne qui puisse sur ce point dialoguer, car en fin de compte, le
seul qui pourrait répondre à cette position, c’est quelqu’un qui serait comme le dieu du monothéisme.
Donc, toute personne qui occupe cette place-là ne peut l’occuper que par lieutenance, en représentant. Ce
dieu-là, qui n’est nulle part, qui est père symbolique, est impensable, il n’intervient nulle part. C’est à
partir de là que Freud en est venu à construire son mythe du meurtre du père dans Totem et Tabou. Ce
père comme tel impensable introduit, et nous aurons à y revenir (in séminaire 19), la catégorie même de
l’impossible, il a été tué pour pouvoir être conservé comme père. Le père réel est au fond celui qui vient
occuper le rôle et la fonction, le temps d’un instant, de ce père symbolique impossible.
Ce qui nous reste de ce père impossible, c’est ce qui se présente avec ce noyau permanent de la
conscience morale qui s’appelle le Surmoi et qui n’est rien d’autre que l’effet retour de ce refoulement
originaire qui peut d’ailleurs tout autant s’inscrire sur le schéma L et qui permet aussi au sujet de ne plus
délibérer avec lui-même sous la forme d’un pur jeu spéculaire de lui à l’autre.
« On ne sait obligatoirement à quel moment du jeu imaginaire le passage s’est fait de celui qui a été un
moment là pour répondre et qui introduit ainsi dans le ES comme un élément homogène avec les autres
éléments libidinaux, ce Surmoi tyrannique qui est foncièrement en lui-même paradoxal et contingent,
71
mais qui à lui tout seul représente, même chez les non-névrosés, ce quelque chose qui a cette fonction
d’être le signifiant qui marque, imprime, laisse le sceau chez l’homme de sa relation au signifié. Qu’il y
ait un signifiant chez l’homme qui marque sa relation au signifiant, il y en a un, cela s’appelle le Surmoi,
il y en a même beaucoup plus d’un, cela s’appelle les symptômes. » (p. 26)
Il s’agit d’une vérification clinique expérimentale au cœur d’une « topographie » (27/3/1957) composée
d’itinéraires cérémoniaux qui ont, de ce fait par leur répétition, une structure symbolique. L’angoisse qui
surgit pousse à la construction d’un mythe individuel dont le caractère de substituabilité serait chargé
d’assurer une stabilité à l’ensemble.
Pour Lacan, cette structure de fiction mythique non seulement interroge la fonction de vérité, mais elle
démontre que l’homme a pour caractéristique dans cette structure, d’introduire dans l’ordre naturel la
dimension du signifiant et non seulement de l’introduire, mais de s’y désigner comme dépendant à son
tour de cette instance du signifiant. Il y a donc une connexion entre la création mythique infantile et les
mythes que les ethnologues étudient. C’est le complexe d’Oedipe qui temporalise cette construction
autour du complexe de castration.
Lacan discute alors de la relation que fait Freud de la phobie du petit Hans. Il nous rapporte comment,
dans une certaine situation, surgit une angoisse, situation où Hans se trouve dans le besoin direct qu’il a
de l’amour de sa mère, avec en plus, une espèce de jeu de leurre intersubjectif autour de la question : ma
mère a-t-elle un phallus ?
Et cette angoisse surgit au moment où naît la petite sœur, comme événement réel et aussi où il s’intéresse
à son pénis. Lacan rappelle à ce propos la difficulté qu’il y a pour les enfants à intégrer la dimension de
l’orgasme, il souligne par exemple :
Ce qui se passe à ce moment est une sorte d’accession du phallus imaginaire à une valeur symbolique.
Pour cela un certain nombre d’éléments et d’opérations sont nécessaires dont la formalisation a déjà été
fournie par Lacan dans son commentaire de « La Lettre Volée ». (Cf. Séminaire II)
Lacan rappelle que le circuit symbolique nécessite non pas trois termes, mais quatre termes lxii[xxiii] et il
insiste sur ce fait que pour que l’enfant franchisse l’Oedipe, il faut que le père intervienne. C’est cette
intervention du père, voire son degré de carence, qui joue un rôle dans cette affaire.
Ceci n’est possible qu’après un certain nombre de tours qui pourraient se classer dans le mythe selon les
alpha, bêta , gamma , delta, de « La Lettre Volée ».
Il doit donc se produire un codage dans la succession signifiante, un codage tel que, à propos d’une
fonction très précise, celle du Phallus, une subjectivation s’opère sur le mode où l’analyse du fantasme
72
« un enfant est battu », se décompose en un certain nombre de figures où s’incluent le sujet et son drame.
Ici, pour Hans, c’est au travers de la relation scoptophilique.
Une différence existe entre la relation scoptophilique et la relation imaginaire primitive en miroir dont
nous avons parlé dans le Séminaire I. La relation scoptophilique maintient une articulation
intersubjective qui n’est pas duelle. La différence réside dans ce fait que l’enfant cherche, en interrogeant
le monde imaginaire et maternel, non pas quelque chose qu’il voudrait voir, mais quelque chose qui
pourrait y être ou ne pas y être, c’est-à-dire qui reste voilé. Il s’agit, autrement dit, de soutenir un leurre.
Dans la topologie du Séminaire I, cette dimension de soutenir le leurre est bien quelque chose qui
viendrait s’inscrire dans le triangle de base : méprise, erreur, ambiguïté.
Autrement dit, le voile subjective par une sorte de surprise. L’objet voile peut à la fois nous surprendre et
susciter aussi que nous soyons surpris par quelqu’un d’autre à en guetter l’existence.
« Ainsi, c’est bien en quelque chose qui porte à un degré supérieur au degré non pas seulement du voir et
de l’être, mais de donner à voir et d’être surpris par le dévoilement que la dialectique imaginaire aboutit
qui est la seule qui puisse nous permettre de comprendre le sens fondamental de l’acte de voir. »
(3/4/1957 )
C’est l’objet phallique imaginaire qui est pris dans la dialectique du voilement et du dévoilement. Il faut
savoir que Hans tente d’assumer l’existence de personnes d’un autre sexe, c’est-à-dire qui sont privées
réellement de ce fameux phallus imaginaire. Ce n’est pas le fait qu’on le lui ait dit, c’est-à-dire qu’on lui
en ait donné une notion scientifique qui va pour autant faire que cela sera admis dans sa croyance de petit
sujet.
La castration de ce point de vue est une crise nécessaire pour que l’enfant entre précisément dans cette
subjectivation de la différence des sexes. Ceci veut dire qu’il n’y a pas de subjectivation sans qu’il y ait
crise, sans qu’il y ait drame.
C’est ce drame qu’il s’agira de coder. Le cheval va devenir une des figures de ce codage et s’inscrire dans
des séquences mythiques différentes car, au cours de ces circuits, le cheval, lui, occupe des positions
différentes, position de la mère, du père, du pénis, du petit Hans lui-même.
Lacan nous assure que c’est dans la transformation de tous ces éléments du mythe au cours d’un certain
parcours qu’à la fin, le pénis réel trouve à se loger de façon suffisante pour que, pour Hans, la vie puisse
être vécue sans angoisse.
En effet, le cheval, au terme du parcours, a une fonction métaphorique, celle de représenter le père. Mais
avant cela, il aura joué toute une série d’autres rôles. Nous voyons, particulièrement dans cette
observation, le signifiant se faire symptôme et être capable, au cours du développement, de recouvrir des
signifiés les plus multiples, les plus différents. Tous ces éléments qui permutent, tous ces signifiants qui
occupent des places différentes sont marqués, nous dit Lacan, de quelque chose de dialectique.
Lacan avance alors la dimension du cheval comme signifiant propre à tout faire (le cheval qui rentre dans
la chambre au moment où la mère s’en irait, ce n’est rien d’autre que Hans qui rentre dans la chambre.
Jamais ici le signifiant n’a une portée univoque.
73
« Ce que nous voyons produire au cours du développement de ce qui se passe chez le petit Hans, c’est le
surgissement, non pas d’un certain nombre de thèmes qui auraient plus ou moins leur équivalence
affective ou psychologique, comme on dit, mais d’un certain nombre de groupements d’éléments
signifiants qui se transposent progressivement d’un système dans un autre. » (18/4/1957)
« Un mythe est toujours une tentative d’articulation de solution d’un problème, c’est-à-dire qu’il s’agit de
passer d’un certain mode, disons d’explication de la relation au monde du sujet ou de la société en
question, à une transformation nécessitée par le fait que des éléments différents nouveaux viennent en
contradiction après la première formulation, et exigent en quelque sorte un passage qui, comme tel, est
impossible, qui, comme tel, est une impasse. » (18/4/1957 )
Ce problème, cette crise, s’inscrit sur le circuit symbolique et il nous faut concevoir comment, dans cet
itinéraire, pourrait exister une solution au problème posé car c’est cette solution qu’exige le désir.
Qu’est-ce que le désir, sinon, entre autres, l’incidence du Symbolique ? Ce que nous pouvons entendre
quand, dans un quelconque malaise subjectif, un patient nous dit qu’il désire autre chose. Il y a là crise, et
cette crise se résout pour le petit Hans, par exemple, dans ce que Lacan appelle une fomentation
mythique, c’est-à-dire une espèce de constellation signifiante qui opère à la manière d’un système de
transformation, une espèce de mouvement tournant et, de la sorte, exerce un remaniement profond sur le
signifié qui est en crise.
Lacan souligne alors le caractère profondément dialectique que cette fomentation mythique entretient
chez Hans avec les interventions de son père qui fait à chaque fois rebondir, repartir cette fomentation. Et
ceci, non sans que cette construction n’ait ses lois propres et ses nécessités qui peuvent nous surprendre. Il
s’agit essentiellement, pour Hans, d’opérer sur cet objet, le cheval, et tout ce qui l’entoure, d’opérer le
transfert de toutes les motions angoissantes, d’opérer un transfert pour qu’il se démontre que le cheval est
capable de les fixer. De la sorte, se trouverait donc remodelé, réaménagé, le signifié à l’aide d’une espèce
de permutation. Toute la question devient maintenant de savoir pourquoi le cheval est choisi comme
thème emblématique de la phobie par le petit Hans ?
Le cheval, même s’il peut avoir la dimension imaginaire de concentrer sur lui toute sorte de propensions
analogiques, doit être entendu comme un signifiant qui ponctue le monde extérieur comme signal qui,
d’une certaine façon, constitue pour Hans la topographie permise de ces déplacements. Ce signal
détermine un certain nombre de limites et aussi un certain nombre de possibilités, de transgressions de
cette limite, voire d’inhibition en deçà de cette limite.
D’une certaine façon, dans cette refonte de la ponctuation du Réel, le cheval va faire parcourir un certain
circuit du fait du surgissement de l’angoisse qui, elle, est la fonction originaire.
Il faut considérer que cette angoisse surgit du fait de l’irruption de deux événements réels, d’une part,
l’indication par sa mère que le fait de s’exhiber devant elle est une cochonnerie et que cette exhibition est
en quelque sorte ridicule et, d’autre part, dans tout ce jeu de leurre qu’il avait entretenu avec sa mère, il y
a eu la naissance de la petite sœur. Les bases du jeu qu’il entretient avec sa mère sont, à partir de ce fait,
superflues.
On notera avec intérêt cette dimension du luxe, de l’en-plus, du superflu mêlés à l’angoisse car c’est
comme telle l’inscription de ce « plus » qui se lie à l’angoisse et à la fonction topographique, que va
représenter le complexe cheval. Cette organisation signifiante se place, s’inscrit sur les déplacements en
chemin de fer de Hans, et on peut voir comment les chemins de fer constituent à Vienne un réseau, une
boucle virtuelle sans que pourtant les deux lignes en question ne communiquent entre elles, bien qu’elles
74
permettent toutes les deux de rejoindre la même ville. Toutes ces choses, Hans nous dit bien que c’est par
l’opération de la pensée qu’il les a constituées.
Il y aurait donc deux circuits, le circuit du cheval et le circuit du chemin de fer. Est-ce que cette notion de
circuits qui s’engendrent veut dire que Hans a peur d’être entraîné dans une situation d’où il pourrait
revenir mais qui, précisément, lui montre qu’il pourrait être entraîné de telle sorte que, quoiqu’il fasse, il
ne puisse en sortir ?
Ce qui voudrait dire qu’au fond, dans cette situation intenable, lui ne sait plus où il se situerait.
Au bout du compte, le signifié de tous ces circuits, c’est de pouvoir dire qu’il y a un drame qui se joue
pour Hans dans son rapport à sa mère, et que ce qu’il essaye de concevoir, c’est de pouvoir, maintenant,
être avec son père et il le conçoit à l’aide de ces circuits topologiques, pourrait-on dire, ce qui nous
permet, par ailleurs, de nous demander s’il n’y a pas, entre cette fonction paternelle et la topologie, un
lien plus qu’aléatoire, plus que de circonstancelxiii[xxiv]. Dans cette permutation, il y a passage d’une
impossibilité à une autre, impossible de se séparer de la mère et impossible pourtant (autrement que dans
l’imaginaire) de se trouver à la fois dans le circuit des chemins de fer et du cheval, dans le registre de la
circulation maternelle et dans le registre de la circulation paternelle.
Le signifiant cheval surgit dans ces circuits comme ce qui a une fonction de coordination, comme ce qui
lie, comme ce qui peut attacher ou être attaché à quelque chose et le verbe « attraper » est, ici, utilisé à
plusieurs endroits. Le cheval, en quelque sorte, c’est le Moi de Hans. Il y a chez lui un trouble, une espèce
de manque d’être qu’il essaye de faire traîner par quelque chose, c’est le point où la phobie devient un
processus métonymique, un peu comme à l’intérieur d’une phrase, un point, une ligne textuelle, un mot
s’enchaîne au mot qui précède et au mot qui suit. Cette dimension d’enchaînement est écrite dans le mot
allemand Wägen (voiture) qui équivoque en allemand avec la conjonction « à cause de »(Wegen).
Il en résulte la possibilité pour Lacan de parler ici de cet hyperespace topologique (cf. Séminaire III) dont
nous avons deux genres, la métaphore et la métonymie : hyperespace psychologique que cette dimension
grammaticale de l’attachement, là où un mot peut être substitué par un autre, là où un mot peut venir à la
place du suivant dans la phrase !
Lacan nous met quand même plus ou moins en garde de penser que ces deux types d’associations se
trouveraient quelque part inscrites dans les neurones cérébraux. Il les trouve lui dans le bain du langage
comme précisément désignant cet hyperespace : voilà une remarque qui est d’importance pour nous.
Là où il parlait dans la séance précédente d’hyperespace psychologique, il remet cela avec le terme
d’espace temporel qui n’a rien à voir avec la distance chronologique car cet espace est structuré par le
symbolique de manière circulaire. C’est parce qu’il est structuré de manière circulaire, évidemment, que
l’effet d’après-coup est possible.
La raison d’être de ces circuits est de retrouver l’objet qui est perdu et dont la frustration « n’est jamais
que la première étape du retour vers l’objet qui doit être pour être reconstitué, retrouvé. » (15/5/1957)
75
C’