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Jacques Lacan, Le Séminaire

Résumés commentés des Séminaires 1 à 17 (1953 – 1970)


Rédigés par des membres de l’Ecole Lacanienne de Montréal.
Une tentative de tracer l’évolution de la topologie lacanienne
pendant la première partie de son enseignement.

Jacques Lacan, Séminaires 1 à 17 (1953 – 1970)


• Les écrits techniques de Freud (S I) ,1953-1954, Seuil 1975

• Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la


psychanalyse (S II), 1954-1955, Seuil 1978

• Les psychoses (S III), 1955-1956, Seuil 1981

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• La relation d'objet (S IV), 1956-1957, Seuil 1994

• Les formations de l'inconscient (S V), 1957-1958, Seuil 1998

• Le désir et son interprétation (S VI), 1958-1959

• L'éthique de la psychanalyse (S VII), 1959-1960, Seuil 1986

• Le transfert (S VIII), 1960-1961, Seuil, 2001

Dont le titre complet est annoncé par Lacan dès la première séance
du séminaire « Le transfert dans sa disparité subjective, sa
prétendue situation, ses excursions techniques ».

• L'identification (S IX), 1961-1962

• Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (S XI) ,


1964, Seuil 1973

• Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (S XII), 1964-1965

• L'objet de la psychanalyse (S XIII), 1965-1966

• La logique du fantasme (S XIV), 1966-1967

• L'acte psychanalytique (S XV), 1967-1968

• D'un Autre à l'autre (S XVI), 1968-1969, Seuil 2006, ISBN 2-02-


082705-0

• L'envers de la psychanalyse (S XVII), 1969-1970, Seuil


1991,ISBN 2-02-013044-0

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Séminaire I : Les écrits techniques de Freud

L’idée directrice de Lacan, à cette époque, n’est pas encore cette topologie car il vise essentiellement à rectifier le sens de
la pratique analytique qu’il prétend s’être détournée de la lecture freudienne. Sans doute, pourrait-on voir dans ce retour à
Freud un mouvement d’« antériorité prospective », premier paradoxe d’un homme qui, pour faire progresser
l’interrogation analytique, revient sur les traces de son illustre prédécesseur.
C’est pourtant autour de trois idées-forces que son enseignement s’inaugure :
- La première est la notion de résistance ;
- la deuxième, celle de l’aveu de l’être ;
- la troisième, celle du transfert.

A. À PARTIR DE LA NOTION DE RÉSISTANCE : un art de la découpe.


Sans le dire explicitement, il est bien certain que Lacan n’apprécie guère le schéma du Moi que Freud nous livre (« Le
Moi et le Ça ») à la façon d’un oeuf vide différencié à la surface.
Lacan préfère ressaisir la topologie implicite de la pensée freudienne à partir du mouvement dialogal de la cure. Il reste
donc sur un plan métaphorique pour tenter de rendre compte de ce qui lui paraît s’étendre sur plusieurs registres dans
l’activité de cet ego dont Freud parle à la fin de sa vie (l’ego peut à la fois parler de lui, des autres, user de la négation... ).
D’une certaine façon, Lacan voudrait posséder des concepts qui, dans ces différents registres, pourraient opérer à la
manière d’un cuisinier détachant avec habileté jointures et résistances.
Entre théorie (concept) et pratique (jointure) existerait donc un lien qui est censé rendre compte du sens à donner à la
démarche freudienne.
Et cette opération n’est que la doublure de celle qui a cours dans ce dialogue interhumain qui est la cure analytique où la
parole circule en tiers entre deux interlocuteurs. Cette circulation relève du temps comme historicité singulière vécue des
moments constituants et constitutifs de chacun. De ces deux opérations (parole et historisation), une lecture est à faire.
C’est l’inconscient. Encore une fois, entre ce vécu et sa reconstruction temporelle, à lire, il y a une distance qui
correspond à la distance qui existe entre les théories de l’analyse et son mode d’agir dans la cure ! (Cf. entre concept et
jointure).
C’est dans cet entre-deux que va surgir la première topologie implicite de Lacan, même s’il l’arrache à la pratique de
Freud, en rappelant que cette topologie est avant tout un lieu à LIRE.
Il est curieux de remarquer que l’introduction de la « topologie » par Lacan se soit appuyée d’un commentaire sur la
notion de résistance (p. 27 - Séminaire I) et sur celle du Moi freudien.
Tout se passe comme si cette nomination à venir se nécessitait de la rencontre de lieux d’obstacles dans le cheminement
de la parole (tierce). Le cheminement comme continuité ininterrompue donne, en effet, la mesure de la notion de
résistance en analyse.
B. DEUXIÈME IDÉE-FORCE : l’aveu de l’être.
À ce premier point d’interrogation, s’ajoute un deuxième. Nous pouvons le qualifier d’Éthique. En effet, là où
s’interrompt la « continuité du discours conscient », surgit d’ailleurs à la place, pourrait-on dire, un étrange sentiment de
présence. Présence de l’analyste quand la résistance à la parole se fait trop forte chez l’analysant.
Lacan, ici, se démarquera de l’idée par trop classique qui s’est répandue d’une approche du noyau traumatique. C’est une
idée du jeune Freud qu’on trouve dans les Études sur l’hystérie (p. 233 et 324).
Il s’agit d’une approche métaphorique qui nous pousse à concevoir ledit noyau pathogène composé de strates à la façon
d’une liasse de documents ou à la façon d’un palimpseste. On peut y voir deux types de résistance : l’une longitudinale,
l’autre radiale. La parole, sous forme de faisceaux parallèles, coule à l’intérieur de ces feuillets comme élément matériel.
(20-27 janvier 1954i[i] p.27-48)

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Lacan propose de réviser l’espèce d’idée que nous avons de ce processus en réservant à la parole qui coule entre ces
feuillets un rôle essentiel. Parole ou discours (ici encore indifférenciés, p. 51) ont un double versant. Parole vide et parole
pleine déterminent, pour Lacan, le gîte de cette pré-topologie freudienne. L’accent mis à ce moment sur la fonction de
vérité ne nous étonne guère vu le développement que Lacan lui a donné dans la suite. (Cf. Les 4 discours - Séminaire
XVII)
Parole pleine quand le sujet y fait aveu (révélation p. 59) de son être, vide quand le patient traite d’ego à ego avec son
analyste, qu’il le prend à témoin par exemple. (p. 60).
Le sentiment de présence se révèle issu d’un premier noyau refoulé originaire qui est donc une question adressée par
l’être à ce premier refoulé inaccessible. C’est quand l’aveu de l’être n’arrive pas à son terme que le sujet s’accroche à
l’autre, permettant alors à Lacan d’ébaucher l’esquisse de son schéma du miroir. « Qu’est-ce que veut dire cet appui pris
dans l’autre ? Pourquoi l’autre devient-il d’autant moins vraiment autre qu’il prend plus exclusivement la fonction
d’appui ? » (p. 62).
Du fait du refoulement, cette vérité, cet aveu de l’être s’affecte d’un coefficient négatif. La Verneinung devient le point de
présence du sujet. Issu du lieu du refoulement, ce lieu de méconnaissance (Verneinung, p.63), fonction de l’Ego, relève
pour Lacan de la dimension de l’imaginaire. (p. 64)
Mais cette dimension imaginaire s’entrecroise avec le procès symbolique de la parole dont Lacan vient de nous rappeler
la fonction dans ce qu’il appelle aussi réalisation de l’Être. (La notion de réel, on le remarque, ne s’est pas encore fixée
très précisément à cette époque, elle chevauche la fonction de Vérité).
Encore faut-il qu’une Bejahung (acquiescement) primordiale soit admise faute de quoi la Verneinung (dénégation) du
névrosé (indice de la présence du sujet) ressurgit pour le sujet psychotique à la façon d’une hallucination. (p. 70) Et le
terme-clé pour symboliser cet entrecroisement, c’est celui d’Aufhebungii[ii] (intégration). Ce terme doit répondre après-
coup à l’installation de la bejahung primitive comme pacte d’entrée que le sujet doit authentifier dans la reconstruction
analytique. (p. 75 et suivantes)
C’est le sentiment de réalité que Lacan nomme en ce point ! mais ce point d’entrecroisement, où le négatif imaginaire
rencontre le symbolique de la parole, est aussi ce qui se nomme destructionisme (p. 83) ou pulsion de mort comme
l’émergence de l’angoisse du petit Dick, patient de Mélanie Klein, nous le montre (p. 82). À cette époque de la pensée
lacanienne, ce qui fait confluent de l’imaginaire et du symbolique est le réel comme sentiment de réalité et comme
processus mortifère. C’est ainsi, du moins, que Lacan semble le considérer ici. C’est aussi le premier schéma topologique
dont nous avons trace écrite dans ce séminaire. (p.89)
Ce schéma est de Freud. Il situe ce qu’on appelle un lieu psychique chargé de représenter la réalité psychique. Ce schéma
est extrait de la Traumdeutung au chapitre « psychologie des processus du rêve » (p. 455 et 456 + la note p. 460). Il sera
repris sous une autre forme dans l’Abrégé de psychanalyse.

Le paradoxe de ce schéma est qu’il vectorise une perception du conscient en direction d’une réaction motrice, elle aussi,
relevant du conscient après un détour problématique dans l’inconscient et le pré-conscient. C’est que ce lieu psychique
correspond à la possibilité de formation d’une image à la manière dont elle se forme en un point d’un appareil
photographique. On sait qu’il s’y produit une inversion qu’il eut été intéressant de voir traiter par Freud. À l’image

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inversée sans plus de l’appareil photographique utilisé par Freud, Lacan va répondre par un dispositif plus articulé qui
permet de distinguer image réelle et image virtuelle. On notera déjà le glissement opéré dans la présentation de Lacan.
Là où il parlait de l’intrication du symbolique et de l’imaginaire (Cf. supra), le voici maintenant qui tente de situer réel et
imaginaire au travers d’images dites réelles et virtuelles. Toujours cette même difficulté d’assigner sa place au réel !
L’intérêt du dispositif lacanien est double. Primo, il nous présente ces point où une image peut se comporter comme un
objet et secundo, il nous permet, grâce aux mathématiques (l’optique), de formaliser cette expérience optique

Cette expérience du bouquet renversé est métaphorique de la constitution du Moi primitif par la distinction d’avec le
monde extérieur. Elle s’appuie sur la différence contenant-contenu (déjà évoquée avec la parole pleine et vide mais à un
autre niveau d’intégration et de localisation topologique). Elle est intégrée ici au seul imaginaire et Lacan souligne
combien elle reste détachée d’un processus de maturation.iii[iii] (p. 93)
Peut-on déjà parler d’une topologie de l’expérience analytique ? Pas vraiment. Lacan nous avertit qu’il s’agit d’un
apologue : « Ce schéma prétend ne toucher à rien qui soit substantiellement en rapport avec ce que nous manions en
analyse, les relations dites réelles ou objectivesiv[iv] ou les relations imaginaires. Mais il nous permet d’illustrer d’une
façon particulièrement simple ce qui résulte de l’intrication étroite du monde imaginaire et du monde réel dans
l’économie psychique ». (p. 93)
C’est pourquoi, nous insistons sur ce point que dans ce premier Séminaire, se constitue ce qu’on pourrait appeler une
prétopologie car l’expérience du dialogue analytique, s’il y est précisé de manière structurale, n’y est pas intégré comme
procès.
Et Lacan veut tenter d’expliciter les virtualités de son petit schéma qu’il accroche à son fameux stade du miroirsv[v]
« quand la seule vue de la forme totale du corps humain donne au sujet une maîtrise imaginaire de son corps, prématurée
par rapport à la maîtrise réelle ». (p. 93) D’une certaine façon, « l’image du corps est comme le vase imaginaire qui
contient le bouquet de fleurs réel. Voilà comment nous pouvons nous représenter le sujet d’avant la naissance du Moi et le
surgissement de celui-ci ». (p. 94) Voilà le mot lâché : le sujet.vi[vi] Il surgit, ici, comme de nulle part dans cette séance et
il est d’emblée repéré par Lacan comme l’effet de ce lieu psychique, voire topologique dont le MOI, l’EGO ne sera qu’un
objet privilégié.
Il s’agit donc ici d’une possibilité d’anticipation. Pour la première fois, l’homme se voit autre qu’il n’est, et ceci structure
toute sa vie fantasmatique.vii[vii]
Deux conséquences à ce schéma :
1) D’abord, on peut intervertir au gré, réel et imaginaire. Soit le pot et les fleurs, à condition de respecter un certain ordre
qu’on peut noter + - + ou - + -. Voilà qui va nous être précieux quand dans le Séminaire II, Le moi dans la théorie de
Freud, nous tenterons d’articuler ce schéma du miroir avec la circulation de la chaîne signifiante notée (+ ou -) dans le
commentaire de La Lettre Volée d’Edgar Poe.
2) Il convient que l’œil de l’observateur se trouve dans un certain point du cône optique déterminé par la réflexion des
rayons du miroir sphérique. On notera que cette place de l’œil, ici pour Lacan, est fonction symbolique quand il s’agit du
sujet de la parole. (Nous verrons pourquoi plus loin). Il représente ce qui, dans le rapport de l’imaginaire au réel, est la
place du sujet en tant qu’elle détermine la constitution du monde.
Cette séance du 24/2/1954 est très importante parce qu’elle situe dans les Séminaires, la première approche topologique
de Lacan, approche topologique qu’il réfère à une clinique commentée à partir de Mélanie Klein (le petit Dick).

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Dans cet exemple cliniques, il y a une sorte de solidification entre les formes imaginaires et réelles des objets. Il n’y a pas
de jeu libre entre elles. Au fond, le bouquet et le vase ne peuvent être là en même temps, c’est cela qui se trouve bloqué
chez le petit Dick.
En termes plus théoriques, ce sont les mécanismes de projection et d’introjection qui entrent en jeu dans le processus
imaginaire, dans ce schéma prétopologique : projection de l’imaginaire dans le réel ou du réel dans l’imaginaire en tant
qu’elle s’accompagne d’une dénomination symbolique qui est l’introjection.
Mine de rien, quelque chose de neuf s’introduit donc ici. C’est la fonction de la parole (déjà présente avec la question de
la vérité) qui relève de l’introjection. Parole qui vient de l’autre. (La mère qui parle par exemple).
Une dimension toute différente s’introduit donc et nous permet d’ébaucher une hypothèse : que le réel, dont Lacan tente
vainement de tracer le lieu psychique, serait lié à cette fonction de la parole.
Cette dimension, toute différente, trouve son point significatif dans ce qu’on nomme : l’APPEL (de l’enfant, par
opposition à la parole de la mère). En introduisant l’appel, ce n’est pas le langage que Lacan introduit, il faut bien le noter
; c’est un niveau antérieur au langage. Cependant, l’appel comme tel ne prendra sa valeur qu’à l’intérieur du système déjà
acquis du langage. Il y a donc quelque chose qui est comme une rencontre de l’appel et du langage, quelque chose qui
doit se lier, qui doit s’accoler. Et pour Lacan, une fois de plus, c’est de l’autre que vient ce premier accolage. C’est
l’autre, Mélanie Klein en l’occurrence, qui apporte au petit Dick, la verbalisation justifiant ainsi la formule de Lacan :
l’inconscient est le discours de l’autre. Jusque là, il n’y avait aucune espèce d’inconscient dans le sujet, c’est Mélanie
Klein qui dresse « brutalement sur l’inertie moïque initiale de l’enfant, les premières symbolisations de la situation
oedipienne ». (p. 100)
À partir de là, l’enfant peut faire jouer l’imaginaire et le réel, il y a une série d’équivalences et d’équations qui deviennent
possibles. C’est l’entrée dans le système symbolique. L’appel est précisément lié à cette négativité dont Lacan parlait à
la fin de la séance précédente. Car au fond, qu’est-ce que c’est l’appel pour lui ? C’est la possibilité du refus. Quel
rapport, alors, ce cas clinique entretient-il avec le schéma du miroir que Lacan avait présenté ? Et surtout, comment
s’accolent le langage et l’appel, eux-mêmes ayant à doubler les lieux de l’imaginaire qui sont en train de se constituer.
« Dans cette observation, vous voyez donc jouer chez l’enfant, indépendamment, la série de relations pré-verbales et post-
verbales. Et vous apercevez que le monde extérieur − ce que nous appelons le monde réel et qui n’est qu’un monde
humanisé, symbolisé, fait de la transcendance introduite par le symbole dans la réalité primitive − ne peut se constituer
que quand se sont produites, à la bonne place, une série de rencontres. Ses positions sont du même ordre que celles qui,
dans mon schéma, font dépendre telle structuration de la situation de telle position de l’œil. je me resservirai de ce
schéma, je n’ai voulu introduire aujourd’hui qu’un bouquet mais on peut introduire l’autre. » (p. 102)
Lacan indique dans la suite du séminaire qu’il peut arriver, effectivement, qu’un individu ne puisse pas se situer dans le
réel parce que les choses ne sont pas venues à lui dans un certain ordre. Cela veut dire donc, nous dit-il, que l’ego n’a pas
pu être utilisé comme appareil dans la structuration du monde extérieur, tout simplement parce que selon le modèle utilisé
par Lacan, une mauvaise position de l’œil fait que l’ego n’apparat pas purement et simplement.
C. TROISIÈME IDÉE-FORCE : le transfert
À partir de deux exemples cliniques, le petit Dick de Mélanie Klein et le petit Robert de Rosine Lefort, Lacan a tenté de
faire comprendre la solidification mortelle et angoissante des formes imaginaires et réelles des objets. Le transfert, ici
pour Lacan dans sa conception de 1954, sera donc la possibilité de lier par le langage l’absence de l’objet dans le réel à sa
représentation imaginaire.
On a coutume de situer ce transfert dans sa relation à l’amour. Il faut entendre cet amour comme un attachement libidinal
aux choses ou aux personnes. Attachement érotique maintenu par le névrosé grâce aux fantasmes. C’est donc la
constitution de ce fantasme dans l’imaginaire qui est interrogé par Lacan en ce point transférentiel.
Pour essayer de faire comprendre cela, Lacan va faire parler Rosine Lefort d’un petit garçon, Robert, qui connaissait
seulement deux mots : le loup et madame. L’objectif de Lacan faisant parler Rosine Lefort, c’est de voir apparaître cette
espèce de transfert dans l’imaginaire. Il s’agit d’un petit garçon dont les rapports avec les choses, avec les personnes, sont
strictement limités au réel ; c’est-à-dire quelqu’un qui, comme tel, ne peut pas fantasmer, maintenir une relation érotique
libidinale avec les objets et les personnes s’ils ne sont pas là.
À ce moment, la disparition de l’objet ou de la chose, la non-permanence de l’objet, le détruit. Il s’identifie à ces objets
qui disparaissent et lui-même ressent cette disparition comme une destruction totale. Il est assez étonnant de voir que
Lacan lie à la fonction de la parole cette prééminence de l’imaginaire, c’est-à-dire cette possibilité pour un fantasme de
prendre la place des personnes et des objets.

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Ce qu’il appelle l’état nodal, ou une parole réduite à son trognon, c’est, ni plus ni moins prétend-il, que la trace la plus
fine de la possibilité par où cet enfant va pouvoir précisément déployer, dans l’imaginaire, l’urgence du réel qui
l’angoisse. D’un point de vue topologique, on verra combien ce texte clinique est tout à fait intéressant dans la mesure où
c’est un texte où les termes contenant/contenu sont prévalents.
Contenant/contenu que Lacan a mis au premier plan de la signification qu’il donne au stade du miroir et qui joue là à
plein.
« Nous voyons l’enfant se conduire avec la fonction, plus ou moins mythique, de contenant et, seulement à la fin, pouvoir
le supporter vide. Pouvoir en supporter la vacuité, c’est l’identifier enfin comme un objet proprement humain, c’est-à-dire
un instrument capable d’être détaché de sa fonction. » (p. 120-121)
En somme, c’est par le bout de l’imaginaire (donc c’est par le bout du Moi puisque c’est ainsi que Lacan identifie le Moi)
que Lacan introduit ce transfert dans l’imaginaire. Le Moi, avec sa fonction de synthèse, construit à distance une image de
l’objet qui disparaît. Il y a, ici, une notation essentielle quant à la topologie adressée au corps dans la mesure où le schéma
optique, par une sorte d’effeuillage imaginaire, introduit à la fonction de l’objet non seulement comme consistance
contenant/contenu, fleurs/bouquet, niais bien plus comme différence entre les éléments, comme introduction du vide.
Voilà structurés les trois temps à partir desquels il nous semble que ce séminaire va se déployer. Nous proposerions donc,
ici, une autre répartition, un autre balancement à l’organisation de ce texte que celui qui est proposé dans la version
publiée. Sans doute, notre objectif est-il responsable de cette autre visée. Mais Lacan lui-même se rend compte (p. 125)
que le chemin parcouru l’autorise à un saut discursif qu’il justifie pour ses auditeurs d’un résumé du point où il est
parvenu.
Car il lui faut reprendre là où il a laissé le fil (p. 107) pour permettre la présentation clinique de Rosine Lefort. « Transfert
dans l’imaginaire », disait-il alors.
Ce transfert dans l’imaginaire doit être entendu non seulement comme la notion du transfert peut l’être en psychanalyse,
imaginaire en tant que ce qui s’y joue relèverait d’un processus imaginaire : ainsi que le rêve nous le démontre, lui qui se
déroule, pour l’essentiel, dans le plan des images (images nocturnes, figurabilité du rêve). Mais ce transfert dans
l’imaginaire doit aussi être entendu comme une transposition du processus analytique, du point de vue de l’imaginaire.
Du point de vue de l’imaginaire veut dire que le phénomène psychanalytique peut être examiné sous différents angles
d’approche. L’un de ces angles s’illustre de ce transfert dans l’imaginaire. Un peu comme si on examinait un diamant
sous une de ses facettes et que l’ensemble du phénomène puisse nous être perceptible pourtant dans son ensemble.
Cet angle de visée est comparable à celui qui se trouve être nécessaire pour obtenir l’accolement de l’image réelle sur
l’objet, le vase, dans l’exemple de physique amusante de Bouasse. Le plan imaginaire est donc pour l’instant privilégié.
Non pas que l’acte de parole soit réduit à la seule analyse des obstacles (réminiscences) qui se présentent au cheminement
d’une cure : il n’en est rien, car, il y a bien un transfert symbolique (« il se passe quelque chose qui change la nature des
êtres en présence », p. 127), comme il existe bien une interrogation sur le phénomène réel, sa raison, sa fonction, sa
signification. L’abord par Lacan du transfert dans l’imaginaire laisse, on le voit, d’autres phénomènes en suspens, mieux
même, les révèle à une place inattendue et d’autant plus révélatrice qu’ils se montrent intriqués l’un à l’autre. Au point
qu’on peut se demander quelle métapsychologie soutient la pensée de Lacan, et si la topologie, qu’il nommera plus tard,
est en continuité avec cette métapsychologie.
Quoi qu’il en soit, ce qui se révèle du fait de cet abord partiel, symptôme de l’approche imaginaire qui est faite du
transfert en psychanalyse, devient, comme maintes fois dans le suite, le nœud de chaque avancée de la pensée de Lacan.
Topique de l’imaginaire : l’amour passion
Ce que j’appelle symptôme, au sens de ce qui se révèle, du fait de cet abord par le transfert dans l’imaginaire, nous donne
maintenant la signification de ce qui changeait chez les partenaires du dialogue analytique. Ce symptôme est l’amour,
signification de ce changement de nature chez ces être en présence.
Du fait de cette émergence de l’amour dans la cure, la question des rapports entre l’analysé viii[viii] et l’analyste revient à
l’avant-plan. Cet amour de transfert que Lacan introduit, il va le présenter essentiellement sur son versant amour-passion,
c’est-à-dire amour dont la caractéristique narcissique est vraiment primordiale.
« Il ne s’agit pas de l’amour en tant qu’Éros − présence universelle d’un pouvoir de lien entre les sujets, sous-jacente à
toute la réalité dans laquelle se déplace l’analyse − mais de l’amour-passion, tel qu’il est concrètement vécu par le sujet,
comme une sorte de catastrophe psychologique. » (p. 130)
On a donc cette nouveauté que l’amour imaginaire, qui participe d’une illusion, se présente quand même comme essentiel
dans l’analyse, et la question est de savoir pourquoi ?
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La réponse est la suivante : il y va de la structure qui articule la relation narcissique, la fonction de l’amour dans toute sa
généralité, et le transfert dans son efficacité pratique. C’est cette structure que Lacan va présenter à l’aide de son petit
schéma du bouquet renversé, amélioré par l’introduction d’un miroir-plan.
« Je préciserai quel usage, à la fois limité et plural, doit être fait du stade du miroir-plan. Je vous enseignerai pour la
première fois, à la lumière du texte de Freud, que deux registres sont impliqués à ce stade. Enfin, si je vous ai indiqué la
dernière fois que la fonction imaginaire contenait la pluralité du vécu de l’individu, je vais vous montrer qu’on ne peut la
limiter à cela à cause de la nécessité de distinguer les psychoses et les névroses. » (p. 133)
Quels sont ces deux registres évoqués par Lacan ?
Est-ce la discussion des deux types de pulsions freudiennes : pulsion sexuelle et pulsion du moi ? Est-ce l’intrication
spéciale de l’imaginaire et du réel qui différencient les reconstructions névrotiques et psychotiques, ou plutôt n’est-ce pas
l’articulation freudienne de l’Ichideal ou de Idealichix[ix]
Pour conjoindre ces questions, Lacan reprend son petit schéma de Bouasse et y introduit un complément qui permet de
répondre à une question d’un de ses auditeurs au séminaire, Octave Mannoni, au sujet des deux narcissismes.
Il s’agit de l’adjonction au schéma originel d’un miroir-plan et d’une modification de la place de l’œil, symbole du sujet
de l’expérience.

Ceci est tout à fait capital du point de vue de la topologie puisqu’après avoir présenté une topique de l’imaginaire qui est
au fond une mise en expérience de son stade du miroir (et sous la forme de ce qu’on pourrait appeler un premier
narcissisme, c’est-à-dire là où l’individu, par le miroir, parvient à unifier d’une certaine façon son corps), Lacan en vient
maintenant à préciser le statut tout à fait spécial de ce rapport de l’humain à l’imaginaire. Le premier narcissisme c’était,
en quelque sorte, le rapport à l’image corporelle. C’est ce qui, dans le schéma de Bouasse (du bouquet renversé),
correspond à l’image réelle du schéma. Elle permet d’organiser l’ensemble de la réalité dans un certain nombre de cadres
préformés pour autant que l’œil, c’est-à-dire l’ego du sujet, s’adapte plus ou moins à la disposition topique des lieux.
Chez l’homme, la réflexion au miroir est différente parce qu’il existe, en plus de cette organisation de la réalité, une
possibilité noétique originale qui n’est plus d’adaptation imaginaire car pour Lacan, le pattern humain fondamental est
une relation à l’autre.
« L’autre se confond pour l’homme à l’image que le Moi se propose à lui-même c’est l’Ich-ideal. C’est l’identification à
l’autre qui permet à l’homme de situer son rapport imaginaire et libidinal au monde. Le sujet voit son être dans une
réflexion par rapport à l’autre. (p. 144)
On notera utilement, ici, le terme d’identification qui vient se greffer sur ce second narcissisme, c’est-à-dire sur ce qui,
dans le schéma que Lacan propose, correspond à ce supplément topique en quoi consiste l’adjonction d’un miroir- plan
face à un miroir concave, et à la modification de la place de l’œil ou de la place du sujet dans l’expérience.
Lacan distingue alors le plan imaginaire et le plan du symbolique. L’idéal du Moi et son rapport si particulier avec la loi
prend place dans le symbolique. Le Moi-Idéal, lui, prend place dans l’imaginaire.
Cette relation à autrui, lorsqu’elle s’ébauche et qu’elle se développe, devient la relation symbolique. Cette relation
symbolique peut se symboliser, dans le schéma des deux miroirs de Lacan, par la modification que l’inclinaison du

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miroir-plan entraîne si on l’imagine commandée par la voix de l’autre. D’une certaine façon, nous pouvons appeler cette
liaison symbolique, cette relation symbolique, intervention de la loi.
Dans cette structuration imaginairex[x] la position de tout sujet dépend d’un guide, au-delà de l’imaginaire dans le
symbolique qui consacre en quelque sorte la légalité de tout échange.
Le transfert dans l’imaginaire « déclenche dans ce dispositif qui permet de distinguer Ich Ideal et Ideal Ich une véritable
catastrophe. » (dixit Lacan p. 130)
« L’amour est un phénomène qui se passe au niveau de l’imaginaire et qui provoque une véritable subductions du
symbolique, une sorte d’annulation, de perturbation de la fonction de l’idéal du Moi. L’amour rouvre la porte − comme
l’écrit Freud − à la perfection. » (p. 162)
Lacan se demande ce qu’est le transfert dans cette opération générale et il nous dit que le transfert, sous sa forme
d’amour, fait repasser de l’idéal du Moi au Moi Idéal. L’idéal du Moi, c’est le rapport que j’entretiens à l’autre en tant
que cet autre dans une relation symbolique, légifère mon rapport imaginaire, en ce sens, on peut dire que l’échange
symbolique rend les êtres intelligents comme on pourra dire, plus tard, que la topologie les rend intelligents, elle-aussi.
Mais l’amour est précisément quelque chose qui est un peu différent puisqu’au fond, l’amour s’appuie sur le Moi Idéal.
Aussi bien le Moi Idéal est quelque chose qui se nécessite d’une certaine confusion là où il n’y a plus de régulation
possible de l’appareil optique, par exemple, puisque c’est ce qui nous est proposé par Lacan comme exemple de rapport
entre le Moi idéal et l’idéal du Moi.
Il s’agit moins d’une régression dans ce phénomène de transfert que d’une confusion entre le Moi idéal et l’idéal du Moi.
Confusion que la bascule du miroir-plan dans le schéma optique de Lacan nous permet de saisir : l’image reflétée s’y
déforme, s’allonge pour ne plus y subsister qu’à la façon du point trouble à l’extrémité du miroir, phallus, nous dit Lacan.
Point-reste de l’opération spéculaire, ici.
Cette bascule du miroir ne se limite pas à l’analyse de son reste optique sur le miroir-plan. Elle nécessite une volonté, une
force qui s’avère opérante. Cette force vient de l’autre et s’avère structurante.
Lacan nomme cette force : le désir. Aux confins de l’imaginaire et du symbolique, on voit apparaître pour la première fois
dans le Séminaire de Lacan, la fonction essentielle de l’aliénation. Lacan nous dit combien le désir est une négativité
introduite à ce moment-clé, crucial où l’autre est saisi comme corps semblable.
« C’est pour autant que c’est dans le corps de l’autre qu’il reconnaît son désir que l’échange se fait. » (p. 169)
On le voit donc, Lacan introduit ici, subrepticement, quelque chose de plus que la dimension imaginaire puisqu’il
introduit la nécessité pour l’humain de repérer l’autre d’une part, mais aussi de pouvoir s’assimiler au corps de cet autre
dans le rapport de négativité, dans le rapport de béance qui s’introduit entre lui et cet autre et que Lacan appelle désir.
On peut s’interroger sur l’appartenance de la négativité − qui vient de l’autre − au registre de l’imaginaire. Cette
négativité semble à cheval sur le registre de l’imaginaire et du symbolique. On a le sentiment qu’à ce moment, Lacan n’a
pas encore trouvé une possibilité d’articuler ses registres autrement qu’en les imaginant deux par deux.
On pourrait en tenter la présentation suivante où certains vecteurs appartiennent à deux plans. En interrogeant le transfert
dans l’imaginaire, on peut de la sorte affronter cet imaginaire, à des lignes d’arête, symbolique et réelle.

Pour en revenir à ce désir qui surgit de l’autrexi[xi], négativité qui opère symboliquement sur l’image du corps, Lacan
précise le danger d’une interprétation erronée du phénomène. Ce que l’image donne au sujet, c’est l’illusion d’une idéale
méprise du fait que l’image du miroir se présente comme totalisante. En réalité, ce n’est pas tant que le corps s’unifie de
morcelé qu’il était dont il s’agit, c’est que ce que le sujet aperçoit à ce moment, c’est à quel point le désir qui vient de
l’autre est un désir morcelé-morcelant. C’est lui que le sujet tente d’unifier. Car c’est de l’autre comme désir qu’il se

9
perçoit dans son propre corps pulsionnel, comme insatisfait. Ce que le sujet trouve chez l’autre, c’est une série
d’aliénation de son désir (ce que Freud appelle pulsion partielle).
« Le sujet prend conscience de son désir dans l’autre par l’intermédiaire de l’image de l’autre qui lui donne le fantôme de
sa propre maîtrise. » (p. 178)
En réalité, ce que Lacan appelle ici « intermédiaire de l’image de l’autre » est plus exactement, ce qu’il appelle, la relation
symbolique laquelle éternelle fait passer sur un autre plan, sur un plan de la loi. Le miroir, le miroir-plan tourne en rapport
à ce tiers élément qu’est la relation symbolique, autrement dit, c’est l’intervention des rapports de langage qui fait tourner
ce miroir. Ce petit dispositif optique, où les symboles de la constitution symbolique de l’histoire du sujet sont
responsables des variations, où le sujet prend de lui-même une image variable plus ou moins brisée ou morcelée, est
métaphorique de l’inconscient préconscient freudien.
« Ce qui est accessible par simple mobilité du miroir dans l’image virtuelle, ce que vous pouvez voir de l’image réelle
dans l’image virtuelle, est plutôt à situer dans le préconscient. Tandis que les parties de l’image réelle qui ne seront jamais
vues, les endroits où l’appareil grippe, où il se bloque − nous ne sommes plus à ça près de pousser un peu plus loin la
métaphore − ça, c’est l’inconscient. » (p. 181)
Ceci permet à Lacan d’avancer que la notion d’inconscient relève d’une triplicité qu’il va essayer maintenant de nous
présenter à partir d’un autre point de vue que celui du « transfert dans l’imaginaire ». Car l’inconscient se supporte
d’abord de quelque chose de négatif et d’idéalement inaccessible, deuxièmement, de quelque chose de quasi réel,
troisièmement, de quelque chose qui sera réalisé dans le symbolique.
Comment construire ces trois phases de l’inconscient ? C’est ce à quoi va s’employer maintenant Lacan à partir de ce qui
se réalise dans le symbolique.

Topique de symbolique : de l’ignorance au savoir


1. La naissance du savoir
Ce qu’il nous faut attendre maintenant du développement discursif de Lacan, c’est qu’il réponde à cette question proposée
à la fin de l’articulation précédente : il y aurait trois faces à la notion d’inconscient. D’une face (1), nous connaissons déjà
une arête, constituée des rapports du moi à son image en tant que s’y produirait la Verliebibeit, l’énamoration narcissique.
C’est ce que Lacan a montré à partir de son modèle optique qui n’a pas, nous dit-il, la prétention d’être un système mais
seulement une image de référence qui se rapporte au rapport du Moi et de l’idéal du Moi, c’est-à-dire à l’origine
fondamentalement imaginaire, spéculaire du moi. Il rappelle alors que cette constitution corrélative de l’objet et du moi
consiste en un investissement libidinal qui se conçoit comme une image de l’ego, comme une image du Moi.
Ensuite, il en vient à rappeler comment, dans cette expérience discursive qu’est une analyse, on peut situer la notion
d’ignorance, qui est une autre arête faciale dont nous cherchons à repérer la structure topologique. L’ignorance, c’est une
notion qui s’inscrit dans la perspective de la vérité. Il n’y a pas d’ignorance qui ne soit pas pour le sujet en référence avec
cette notion de vérité qui doit donc comme telle être une visée à atteindre, nécessairement à introduire pour que cette
notion d’ignorance puisse être repérée. Or, dans l’analyse, il ne s’agit pas de l’ignorance toute bête, il s’agit très
précisément de quelque chose qui est un petit peu spécial et qui s’appelle la méconnaissance dont la traduction allemande
s’appelle la Verneinung. Cette méconnaissance trouve son origine dans le stade du miroir, c’est-à-dire dans ce fait que
l’homme apprend à connaître l’image de son propre corps à travers une opération de méprise du fait de l’aliénation à
l’image de l’autre (là où, par exemple, en comparaison, les animaux ont de leur corps, une connaissance innée).
L’Homme apprendrait à connaître l’image de son propre corps d’une façon qui le sort de son ignorance et le fait accéder
au savoir.
C’est cet accès au savoir qui différencie l’Homme de l’animal car chez l’homme, il y a quelque chose qui se présente
comme une espèce d’introjection de sa propre image à partir de l’image de l’autre, où ce qui était au dehors devient le
dedans, où l’image de l’autre produit pour l’enfant à travers une transe jubilatoire, une maîtrise de ce qu’il n’a pas encore.
C’est cette maîtrise que le sujet se montre tout à fait capable d’assumer à l’intérieur.
Cette introjection de l’image se fait à l’état de forme vide (p. 191).
Ceci paraît capital pour notre propos, car nous pouvons trouver là les fondements « ontologiques » de la topologie de
Lacan.
D’une certaine façon, cette introjection de l’image est aussi une introjection de l’enveloppe de maîtrise unifiante que le
sujet reçoit en cette occasion. Lacan dit peu de chose de cette en-forme vide par où le sujet accède au savoir de son corps.

10
Elle est un lieu plutôt qu’un être, un lieu déserté de l’image, un lieu en creux, qu’on sait avoir été habité par l’image.
Lacan nous dit (p. 192) que Freud était arrivé à des conclusions analogues au départ d’autres voies, celles de
l’investissement libidinal dans la constitution de l’ego. Il disait que ceci doit avoir le plus grand rapport avec la surface du
corps sans qu’il s’agisse de surface sensible, sensorielle, mais il s’agirait d’une surface en tant qu’elle est réfléchie dans
une forme, or, il n’y a pas de forme qui n’ait de surface, une forme est essentiellement définie par la surface.
« L’image de la forme de l’autre est assumée par le sujet. C’est, située en son intérieur, cette surface grâce à quoi
s’introduit dans la psychologie humaine, ce rapport à l’au-dehors de l’au-dedans par où le sujet se fait, se connaît comme
corps. » (p. 192)
« C’est dans un mouvement de bascule, d’échange avec l’autre, que l’homme s’apprend comme corps, comme forme vide
du corps. » (p. 193)
Apprendre à reconnaître venant de l’autre équivaut, en ce point, un passage de l’ignorance au savoir. C’est cette opération
qui a une arête commune avec la Verliebtbeit en tant que ce savoir peut porter sur le désir. Apprendre à reconnaître son
désir est aussi un savoir bordé par l’énamoration passionnelle.

Lacan rappelle comment le désir, avant le langage, n’existe que sur le seul plan d’une relation aliénée, relation qui,
aliénée dans l’autre, ne laisse pas d’issue autre que la destruction de l’autre ou la destruction propre. Ce désir du sujet
dans l’imaginaire engendre donc l’agressivité la plus radicale, ce que, rappelle Lacan, St Augustin avait parfaitement
repéré quand il parlait de cette jalousie ravageante du petit enfant pour son semblable. Voilà la relation centrale qui unit le
sujet à son Moi, à son Idéal du Moi. Mais le symbolisme, lie heureusement, vient tempérer les choses parce que le sujet
est dans un monde de symboles, est dans un monde où les autres parlent.
C’est pourquoi, cet autre qui l’aliène, peut reconnaître son désir à lui et il y a là, toute une médiation qui empêche que
cette agressivité radicale ne se déclenche et ne s’épuise dans la destruction de l’un et de l’autre. Si la relation au miroir
entraîne de l’agressivité parce que le sujet s’aliène dans l’image de l’autre, inversement, l’autre, puisqu’il lui présente la
forme jubilatoire de 1’unité de son être, permet au sujet de se recompléter, de se savoir. Ce moment très précis nous
éclaire sur cette arête que Lacan a situé dons le séminaire précédent, cette Verliebtheit, énamoration qui ne se produit pas
automatiquement, qui se produit selon certaines conditions déterminées par l’évolution du sujet, quand il est capable
d’une identification objectale de son Moi de son Idéal du Moi.
Lacan avance donc :
« La réversion perpétuelle du désir à la forme et de la forme du désir autrement dit, de la conscience xii[xii] et du corps, du
désir en tant que partiel à l’objet aimé où le sujet littéralement se perd et, à quoi il s’identifie, est le mécanisme
fondamental autour de quoi tourne tout ce qui se rapporte à l’ego. »
Moment second du temps spéculaire où le sujet a intégré la forme de son Moi. Cette intégration nécessite dans le
dispositif de Lacan, un premier et préalable temps de bascule du miroir-plan où le sujet peut échanger son Moi contre ses
désirs. Or, ses désirs, il les voyait dans l’autre. Le sujet échange donc son Moi spéculaire unifié contre le morcellement du
désir de l’autre. Dans cet échange du Moi et des désirs, s’introduit la médiation du langage. Lacan utilise le jeu freudien
du fort-da pour articuler ce moment d’introduction du langage. Mais on ne peut pas dire qu’il le justifie autrement que par
le seul saut symbolique à quoi l’autorise l’échange du Moi et du désir de l’autre qui est aussi un passage de la
reconnaissance de soi narcissique, à la reconnaissance ses de l’autre et de son désir qui morcelle le Moi.

2. L’introduction de la parole dans ce savoir : c’est la cure analytique.


Lacan progresse doucement. Cette topique du symbolique lui permet d’introduire maintenant deux temps nouveaux.

11
Car, si l’intégration de l’image du Moi comme savoir de lui-même s’opère à partir de l’Autrexiii[xiii], c’est en tant que ce
désir morcelé qui en est le moteur est articulé par la dimension du langage. Du symbolique, grossièrement dit.
Cette fonction du symbolique s’affirme ici. Elle doit dégager la structure où elle se déploie (le langage) de l’usage
singulier qui en est fait (la parole). Topologiquement parlant, Lacan n’a pas encore précisé de lieu propre à cet usage qu’il
dit présenter une pointe de réel.
En effet, cette médiation du langage que Lacan articule autour de cet expérience freudienne du Fort-da, lui permet en fait
d’introduire le troisième plan de sa triade. Si le temps spéculaire relevait de l’imaginaire et la médiation, par le langage,
du symbolique, il lui faut introduire maintenant la notion du réel : simplement parce que le fait de nommer les choses
entraîne qu’un certain effet en résulte sur ces choses-là.xiv[xiv]
Lacan se demande ensuite comment saisir dans l’analyse la fonction de la parole. On verra qu’il introduit cette fonction
pour dégager deux types d’affects, deux types d’effets de cette mise en place de la parole : la Verliebtheit et l’amour. La
Verliebtheit, qu’on pourrait traduire par énamoration, est ce qui ressortit phénoménologiquement du registre de l’amour
mais qui en est cependant différente, différente en ceci que il s’agit là sur le plan imaginaire, d’un rapport captivant,
aliénant à l’image narcissique alors que l’état amoureux est tout autre chose puisque comme il le rappelle (p 205),
« il lui faut une coïncidence surprenante, car il n’intervient pas pour n’importe quel partenaire et pour n’importe quelle
image ».
La fonction de la parole dans l’analyse, c’est précisément d’arriver à libérer le sujet de tous les liens même de cohérence
afin que, larguant toutes les amarres de la parole, le sujet reconnaisse dans son rapport à l’autre les images auxquelles il
s’est laissé captiver successivement et qu’il repère ainsi les identifications successives de l’histoire de son Moi.
Cette rupture des amarres de la parole produit ce qu’on peut appeler une projection narcissique maximale. Ceci est la
condition fondamentale de la Verliebtheit. C’est, le rappelle Lacan, une des dimensions du transfert, non pas le transfert
comme dialectique, mais le transfert comme phénomène imaginaire. Telle est bien la première fonction de la parole et la
première étape de l’analyse qui s’opère à l’aide de cette représentation des miroirs par le passage de o en o’, c’est-à-dire
qui fait le passage de ce qui :
« du Moi est inconnu au sujet à cette image où il reconnaît ses investissements imaginaires. Chaque fois cette image qui
se projette réveille pour le sujet le sentiment de l’exaltation sans frein de la maîtrise de toutes les issues qui est déjà
donnée à l’origine dans l’expérience du miroir. » (p. 209)xv[xv]

Reste alors à savoir quelle est cette seconde phase de l’analyse, c’est-à-dire comment approfondir cette notion d’Idéal du
moi dont l’analyste occupe la place pour un temps.
C’est la seconde fonction de la parole, c’est-à-dire la dimension par où le désir du sujet face à la parole, est
authentiquement intégré sur le plan symbolique : c’est la parole dans son rapport à la dimension de pacte.
Il est important de noter que le moment, où le désir est ressenti par le sujet, ne peut pas l’être sans la conjonction de la
parole. Sans en dire beaucoup plus, Lacan prétend que la parole du sujet se conjoint au sentiment de miroitement par où
passe son image complétée-décomplétée dans l’amour et la haine.
Ce moment, ajoute-t-il, de conjonction de la parole et du désir est un moment de pure angoisse.
Autrement dit, une fois accompli le nombre de tours nécessaires pour que les objets du sujet apparaissent et que son
histoire imaginaire soit complétée, une fois les désirs successifs, tensionnaires, suspendus, angoissants du sujet, nommés
et réintégrés, tout n’est pas achevé pour autant. Ce qui a d’abord été là en o, puis en o’, puis de nouveau en o, doit aller se
reporter dans le système complété des symboles, l’issue de l’analyse l’exige. (p. 223)

12
Après avoir présenté ces deux fonctions de la parole, Lacan introduit alors une question qui courra jusqu’à la fin de ce
séminaire et que nous allons regrouper sous les termes de : Esquisse d’une topologie de la cure.

Esquisse d’une topologie de la cure

Si nous avons réservé le terme de topique aux deux précédentes subdivisions de ce Séminaire I, c’est parce que nous
voulons marquer combien ce qui se trame au travers du chemin de Lacan, dans ce séminaire, reste frappé par la dimension
de l’imaginaire. Bien que sous cet angle, la fin de ce séminaire poursuive dans cette voie, il nous paraît cependant que
l’interrogation finale de Lacan concerne plus particulièrement ce qui advient dans une cure psychanalytique ; et s’il
appuie encore sur la présentation symétrique que lui a fournie le stade du miroir, c’est pour inventer une construction dont
l’allure pyramidale et tétraédrique va se maintenir tout au long des séminaires qui suivent. Pour cette raison, et malgré le
remodelage ultérieur de la structure de ce tétraèdre, je propose de qualifier de topologique, cette esquisse du trajet de la
cure.
Au travers de la question de la fin de l’analyse traitée par Balint, (comme ce qui pousse le primary love au genital love),
Lacan introduit quelques critiques et quelques idées-forces qui serviront à la construction de ce tétraèdre.
- D’abord les critiques adressées à la notion d’objet dont le caractère saturant serait évoqué sur le modèle parfait
qui unit prétendument une mère à son enfant.
- Ensuite, l’idée que la perversion par rapport à ce genital love ne peut pas être évaluée sur une quelconque
échelle de valeurs idéales. Car, ce que recherche le pervers, c’est un accès à la réalité de l’autre comme sujet, ce
qui, évidemment, est tout à fait différent de le situer comme objet. (exemple emprunté à L’Etre et le Néant de J.-
P. Sartre à propos de la honte qui surgit du fait du regard de l’autre quand il se porte sur le voyeur). Sartre, lui-
même, nous rappelle qu’il en est de même pour le phénomène amoureux. Ce que nous exigeons de l’objet qui
nous aime n’est pas un engagement complètement libre, car il est resté en tension entre l’objectalité et la
subjectivité.
Lacan ajoute que :
« C’est dans une sorte d’engluement corporel de la liberté que s’exprime la nature du désir. Nous voulons devenir pour
l’autre un objet qui ait pour lui la même valeur de limite qu’a, par rapport à sa liberté, son propre corps. » (p. 242)
Ceci est, à notre avis, à rapprocher de la fonction de surface du corps dont Lacan a parlé précédemment dans ledit
séminaire. On remarque à nouveau qu’on peut tout à fait faire converger l’intérêt de Lacan pour la topologie autour de
cette question de l’amour. Il ne sera donc pas étonnant qu’en 1971, ce soit, précisément, sur ces mêmes questions qu’il
construira sa théorie du nœud. Lacan souligne la différence qui existe entre le registre de la relation d’objet animal et
celui de la reconnaissance du désir de l’autre, rappelant comment la perversion implique les dimensions de l’inter-
subjectivité imaginaire qui se compose de trois termes. Ainsi, dans l’exemple du regard : il voit, il me voit et il sait que je
le vois.
Lacan, alors, s’autorise, pour la première fois, à produire cette topologie de la cure dont les linéaments structuraux ont été
posés durant l’année. Ce n’est pas encore une topologie du réel, c’est une topologie de la parole qui est introduite autour
des notions de passion et d’enjeu qui sont spécialement l’affaire du sujet. Ensuite, en rappelant que la parole peut être
menteuse, Lacan nous dit qu’elle installe ledit mensonge dans la réalité.
« C’est avec la dimension de la parole que se creuse dans le réel la vérité... Avec elle, s’introduisent la vérité et le
mensonge et d’autres registres aussi. » (p. 252).
On aurait là, peut-être, une première face du tétraèdre que nous recherchons. C’est avec la parole que s’introduisent la
vérité et le mensonge, et Lacan va la placer dans un triangle à trois sommets le mensonge occupe un sommet, méprise et
ambiguïté, les deux autres.

13
C’est la parole qui installe, délimite ce triangle dans le champ de la réalité. Cette base, en quelque sorte, se creuse
symétriquement du fait de l’acte de parler. D’une part, l’acte de parole fonde la dimension de la vérité, toujours ambiguë,
d’autre part, se creuse dans le réel, la béance, le trou de l’être.

À partir de là, c’est la fonction de l’acte de parole qu’il faut expliciter dans son double rapport à l’être et à la vérité
puisque, ce qui devient spécifique maintenant, ce n’est plus seulement qu’elle creuse dans la vérité sa part d’erreur, sa
part de méprise, de mensonge et d’ambiguïté, c’est qu’ici la parole, dans sa signification, est essentiellement
métaphorique du fait de ce double rapport. L’être du sujet dont parlait Lacan dans la séance précédente s’illustre donc de
ces propos. On peut dire qu’ici, pour lui, l’être du sujet, c’est l’être du rapport métaphorique. En outre, si cet être est l’être
du rapport métaphorique, c’est parce qu’il est pris dans un langage qui est un langage dans la mesure exacte où il y a
quelqu’un pour le comprendre. (p. 265)
Enfin, la fonction de la parole est toujours aussi une fonction créatrice, c’est-à-dire qu’elle fait surgir la chose même, elle
ne s’épuise jamais puisqu’elle s’installe dans une temporalité. C’est cette chose même que Lacan appelle le concept en le
retirant de l’œuvre de Hegel, il dit, « le concept, c’est le temps de la Chose ». C’est ce à quoi Lacan va égaler
l’inconscient dans ce qu’il appelle l’automatisme de répétition.
Ainsi donc, l’élément temps est une dimension constitutive de la parole, comme elle le sera plus tard de la topologie. À la
limite, nous pourrions dire que la topologie, à ce point du développement de Lacan, c’est ce qui va surgir comme le
concept qui surgit comme temps-de-la-chose pour Hegel.
C’est pour rendre compte de cette révélation de l’être (p. 297) que Lacan va imaginer un être topologique qu’il appelle un
petit diamant, dièdre à six faces dont la présentation qui nous est donnée dans le Séminaire I est insuffisante à être
rapportée au discours qui le complémente.
C’est un dièdre à six faces, c’est effectivement une formulation incorrecte de ce que peut être un dièdre, puisqu’un dièdre
est constitué par deux plans qui se croisent. Il faut essayer de comprendre ce que Lacan a pu vouloir dire avec ce dièdre à
six faces. Il nous donne comme indications que toutes les faces sont pareilles, qu’elles sont partagées par un plan médian,
que ce plan médian est un triangle, que nous avons à faire à un polyèdre qui n’est pas régulier bien que toutes les faces

14
soient égales. Cette surface du réel, triangulaire est infranchissable sauf pour les mots, les symboles qui peuvent
introduire un trou. L’idée d’un trou qui se creuse est considérée par Lacan comme une possibilité de constitution de l’être
ou du néant essentiellement liée au phénomène de la parole. C’est dans cette dimension de l’être que les trois catégories
du symbolique, du réel et de l’imaginaire peuvent être situées. Lacan articule les faces avec l’imaginaire, le réel et le
symbolique, il articule les arêtes avec l’amour, la haine et l’ignorance et, nous retrouvons ici, les trois composantes que
Lacan tentait d’isoler dans les séances précédentes, les trois composantes, nous disait-il, nécessaires à l’abord de
l’inconscient.
Alors, Lacan ajoute p. 298 : « À mesure que la parole progresse, la pyramide supérieure s’édifie. »
Nous avons deux pyramides séparées par un plan médian triangulaire, surface du réel. Une pyramide inférieure et une
autre supérieure qui s’édifient.

Ce qui indiquerait que ce dont nous venons de parler concerne la pyramide inférieure, c’est-à-dire, celle qui résulte de
l’opération de trouage par la parole. Donc, dans la pyramide supérieure s’élaborent Verdrängung, Verdichtung et
Verneinung dont Lacan a parlé plus tôt dans cette séance, à la p. 294.
En ce sens, ces trois composantes constituent, pourrait-on dire, la structure nécessaire au discours, alors que la parole
comme telle est ce qui, en tant qu’individuelle, creuse le trou du réel, lequel réel est structuré de manière triple.
Il y a lieu alors de prendre en considération le fait que Lacan rapporte ce schéma du petit diamant à son schéma en miroir
puisqu’il nous dit que ce dont il est question relève du trajet du point o dans son schéma optique qui va quelque part en
arrière et se réalise dans son être à mesure que sa parole le symboliser. C’est ce que Lacan nous présentera, p. 312, sous la
forme d’un schéma de l’analyse.

En fonction de ce dernier schéma, nous pouvons peut-être tenter de rendre compréhensible le fameux dièdre à six faces
puisqu’il doit forcément lui être homotopique.
On pourrait imaginer que sur un plan vertical, un triangle se rabatte de part et d’autre sur un autre plan horizontal.

15
Les points o et o’ étant les sommets du triangle rabattu sur le plan horizontal. Ceci ne forme pas encore une double
pyramide. Pour la constituer, il faudrait joindre sur un troisième plan transversal les points OB et O’B qui ne sauraient, en
aucun cas, correspondre aux moments du rabattement du triangle ABC, car la trace de ce rabattement ne serait pas une
droite mais une courbe.
Ces deux arêtes sont construites dans une sorte d’architecture réelle dont Lacan ne parle pas sinon pour dire que du fait de
la parole, le triangle ABC s’est creusé de part et d’autre du plan vertical. Si bien que nous aurions un lieu dédoublé où
Verdrängung, Verneinung et Verdichtung s’opposeraient à l’amour, à l’ignorance, à la haine.

Trois passions du conscient qui s’opposent à trois modes de l’inconscient, trois passions de la vérité en face de trois
passions de la négation dans l’Être. Le plan vertical, c’est celui de la réalité où les places sont prises (méprise, ambiguïté,
erreur). Le plan horizontal devient le déploiement tétraédrique qui prend place des miroirs sphériques du schéma-des-
deux-miroirs dont nous avons parlé précédemment.
Reste à concevoir le mouvement que la parole, en analyse, tracé concentriquement sur cette construction.
Deux topologies s’affrontent ici.
- L’une s’appuie dans l’imaginaire sur le schéma optique de Bouasse. Emprunté à la physique, elle trace un des
chemins d’accès du sujet, par son objet spécifique qu’est le Moi.
- L’autre topologie s’appuie sur une construction mathématique plus épurée qui se supporte de nominations
inscrites dans la logique même de ces deux tétraèdres. Cette dernière tente de se rendre autonome, la plus épurée
possible des images qui la structurent sans parvenir à y inclure logiquement la fonction de la parole individuelle.
C’est ce cheminement de la parole en analyse que nous allons suivre maintenant dans le Séminaire II, dans le champ du
symbolique, champ qui lui est propre.

16
Séminaire II*
Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique
de la psychanalyse

Il s’agit d’un séminaire couvrant l’année académique 1954-1955 dont la clé de voûte est
constituée par la présence, au chapitre IX, de quatre schémas freudiens et de deux autres de
Lacan. Présence de la question de la représentation de l’appareil psychique pour Freud, d’une
topique de l’imaginaire et du symbolique pour Lacan.
Il ne nous est pas permis de penser avec certitude que tel était bien le vœu de Lacan dans son
enseignement. Il est même tout à fait possible que l’articulation topologique que nous
dégageons de ces premiers séminaires ne puisse être lue, en tant qu’articulation avérée, que
dans l’après-coup.
Il est certain, par contre, qu’une topologie est en train de se construire, consciemment ou pas,
il importe peu. Le dire, toujours, précède le dit.
Présentation générale
Les trois premières séances de cette année seront isolées et considérées comme un rappel de la
base élaborée par Lacan dans son travail de l’année précédente :
- L’excentricité du Je et l’irruption de la sexualité ;
- Puis la question d’un savoir vrai et du pouvoir créateur de la parole symbolique ;
- Ladite fonction symbolique s’insinuant dans la fêlure du moi en raison d’une
opposition des pulsions.
A cette introduction en manière de rappel de base, va succéder (séances 4-8), une
interrogation qui privilégie la dimension du symbolique. C’est pourquoi, malgré son titre,
nous pensons que ce séminaire doit être lu du point de vue du symbolique, à la manière dont
nous avons lu le premier du point de vue de l’imaginaire.
C’est pourquoi, aussi, un jeu d’écriture prend alors le devant de la scène; et dans le
déploiement des schémas freudiens, Lacan va trouver l’occasion de replacer son schéma du
miroir pour montrer qu’il ne dépare pas la lignée.
Restera, alors, à en situer la lecture du point de vue du symbolique, à rendre l’imaginaire
lisible pour ce point de vue, grâce à un schéma qui en quelque sorte pourrait se décalquer du
schéma simplifié des deux miroirs (Cf. Séminaire I).
1. LE « CAMP » DE BASE
a. L’ellipse
On peut penser que l’allure elliptique des derniers schémas de Lacan dans le Séminaire I
motive, ici, son discours.

17
Il avait avancé, en effet, deux choses essentielles. D’abord, que la prétendue maîtrise que le
moi exerçait sur l’amour de sa propre complétude, est une illusion qui méconnaît la profonde
division que l’autre insinue, par son rôle formateur dans ce processus. Division qui, en
quelque sorte, ne peut en aucun cas être l’apanage du moi mais bien d’une subjectivité en ce
point postulée dont le moi n’est qu’un objet. Le moi et l’autre constitueraient les deux foyers
(o et o’) d’un mouvement d’appropriation elliptique dont le résultat, l’effet, signerait la
présence d’un sujet à reconnaître. Lacan nous dit, deuxièmement, combien ce sujet (symbolisé
par l’œil dans le schéma de Bouasse aménagé) est « ectopique » aux effets imaginaires du
Moi.
Cette ectopie est précisément ce qu’un Descartes aurait réintégré dans son analyse sous la
forme du Dieu Trompeur. (p. 17)
Ainsi donc, le Je, ou sujet, se trouve excentrique à la concentricité des opérations moïques. Il
ne s’agit pas là d’une connotation littéraire ou métaphorique. Commentant la recherche du
plaisir par amour-propre, nommée ainsi en premier par La Rochefoucauld, Lacan nous dit :
« Ce qui est scandaleux chez La Rochefoucauld, ce n’est pas que l’amour-propre soit pour lui
au fondement de tous les comportements humains, c’est qu’il est trompeur, inauthentique. Il y
a un hédonisme propre à l’ego et qui est justement ce qui nous leurre, c’est-à-dire nous frustre
à la fois de notre plaisir immédiat et des satisfactions que nous pourrions tirer de notre
supériorité par rapport à ce plaisir. Séparation de plan, relief pour la première fois introduit, et
qui commence à nous ouvrir, par une certaine diplopie, à ce qui va apparaître comme une
séparation de plans réels. » (p. 18)
On le remarque dans le discours de Lacan, les termes de séparation de plans, de relief, de
diplopie sont les premières préfigurations de ce que cette subjectivité excentrique au Moi,
excentrique à l’ego relève d’une certaine mise en espace, préfigurant effectivement la
topologie qui surgira plus tard. Ce qui est tout à fait important à noter, c’est que c’est à
l’intérieur, précisément, de ce nouveau monde, de ce nouvel espace créé par cette séparation
de plans, que fait irruption, comme le dit Lacan avec un bruit de tonnerre, la sexualité
freudienne.
Ce surgissement n’est pas seulement théorique. Si la sexualité apparaît dans le discours
freudien, c’est aussi qu’elle a surgi en travers du discours rationaliste qui s’est constitué dans
le monde occidental. Fait clinique reconnu par tous, la grande crise hystérique en est une
manifestation !
A charge pour nous, si notre hypothèse se vérifie, de situer cette sexualité freudienne dans
l’élaboration topologique de Lacan.xvi[i]
C’est pourquoi Lacan poursuit (p. 19) en prétendant que les nouvelles notions
métapsychologiques que Freud a introduites après 1920 ne devraient pas être lues dans le
sens d’un renforcement de la théorie du Moi, comme cela a été le cas, mais dans le sens
précisément d’une exigence topique aux dires mêmes de Freud (puisque le mot est freudien),
une exigence topique de situer cette subjectivité qui est, comme telle, excentrique au moi.
On comprend mieux maintenant l’intérêt que Lacan trouvera plus loin dans son séminaire, à
introduire la succession des schémas de la topologie freudienne.
b. Le savoir vrai
Il semble que pour le Lacan de 1954, cet espace de la subjectivité soit aussi celui où ait à se
déployer un savoir spécifique. Car toute la question est de savoir si ce qui, dans notre
civilisation, s’est dégagé sous la forme de la notion de savoir, est bien ce sur quoi l’analyste,
quand il opère, doit s’appuyer. Assez étrangement, Lacan montre une réticence à accorder, à
l’opération de l’analyste, cette dimension du savoir. Il préfère lui maintenir celle d’orthodoxa,

18
c’est-à-dire d’opinion vraie qui avait cours dans la théorie platonicienne et que Socrate
mettant en valeur essentiellement la notion d’épistémè, c’est-à-dire de savoir de la vertu,
aurait, d’une certaine façon, recouverte. Et Lacan se sert, ici, de l’exemple donné par Platon
dans le Ménon quand il fait discuter Socrate et l’esclave pour mettre en évidence la dimension
irrationnelle du carré de l’hypoténuse, grâce à quoi on peut obtenir un côté de carré double
d’un premier carré donné. Lacan souligne à cet endroit qu’il y a effectivement une faille entre
l’élément intuitif et l’élément symbolique, qu’il s’agit, en clair, du passage de l’imaginaire au
symbolique.
Cette invention du symbolique, c’est-à-dire l’apparition de cette dimension de « racine de
deux » dans l’expérience du carré de double côté, Lacan l’égale au surgissement de la parole.
Ce surgissement de la parole a ceci de spécifique, qu’il possède, en tant que tel, une fonction
créatrice de la vérité sous sa forme naissante.
C’est là que Lacan fait porter la critique sur l’émergence du savoir qui est le nôtre : ce savoir
que nous utilisons, est un savoir qui a perdu précisément cette dimension de vérité à l’état
naissant.
C’est pourquoi, Lacan préfère utiliser le terme d’orthodoxa, c’est-à-dire d’opinion vraie car :
« Tout ce qui s’opère dans le champ de l’action analytique est antérieur à la constitution du
savoir, ce qui n’empêche pas qu’en opérant dans ce champ, nous avons constitué un savoir. »
(p. 30)
Bien entendu, ajoute Lacan, l’analyste ne doit pas négliger le savoir mais : « il faut qu’il
sache que ce n’est pas la dimension dans laquelle il opère. Il doit se former, s’assouplir dans
un autre domaine que celui où se sédimente, ou se dépose ce qui, dans son expérience, se
forme peu à peu de savoir. ». (p. 30)
On peut donc d’emblée se poser la question suivante : est-ce que ce champ de l’orthodoxa, de
l’opinion en tant qu’il se différencie du savoir qui est, en quelque sorte, du savoir coupé de sa
vérité naissante, est-ce que ce champ de l’orthodoxa va être celui que Lacan isolera comme
un nouveau type de savoir dans la suite de son oeuvre et qui sera l’espace comme tel de la
topologie qu’ici, dans ce Séminaire, il maintient simplement dans le champ très précis du
dialogue ?
c. De la fêlure du Moi
Enfin, Lacan nous rappelle que s’il existe une faille entre l’intuition et le symbolique, c’est en
raison de cette faille que la vérité, en quelque sorte, peut s’accoler à ce symbolique, et même
plus, il nous indique que la Vérité du symbolique serait connaturelle à cette faille. Il est de la
nature du symbolique de surgir en vérité du fait de l’existence d’un défaut.
En promouvant la Vérité du défaut dans l’être, Lacan vise à écarter toute idée de l’inconscient
collectif, bain de l’humanité offrant au Moi les images d’adaptations à son biotope spécifique.
Or, le Moi présente une caractéristique qui le distingue de cette grande parade naturelle, c’est
qu’il y aurait chez lui une fêlure, une perturbation essentielle, laquelle perturbation a été
nommée par Freud «instinct de mort» dans son texte « Au delà du principe du plaisir ». Et, en
ce sens, on peut dire que la raison pour laquelle Freud a tenu à sauver son dualisme des
pulsions de bout en bout de son oeuvre, était de rappeler en quoi précisément, dans cette
captation imaginaire, cette fêlure qui s’introduit, s’inscrit l’autonomie du symbolique.
Cette autonomie du symbolique qui vient s’inscrire dans la brisure du Moi, c’est ce que Lacan
condense dans la formule : « C’est la présence dans l’absence et l’absence dans le présence. »
(p. 51)

19
Excentricité, vérité, fêlure, voilà posé le trépied de ce camp de base. Lacan va s’employer,
alors, à en décrire la structure.
2. LA STRUCTURE DU SYMBOLIQUE
Structure excentrique où la Vérité relève de la fêlure, comment se conçoit alors ce symbolique
?
Il relève du comptage ;
Il fait échec au principe de plaisir ;
Il inscrit la répétition ;
Il se nécessite de la pulsion de mort ;
C’est un circuit.
a. Se compter pour Un
Lacan essaie de faire la différence entre cette instance, cette fonction qu’il appelle le Moi
(isolé sous la forme d’un objet) et ce qu’il appelle le sujet ou la subjectivité. Il montre
comment la perspective de la subjectivité introduite par Freud peut se trouver repérée dans
certains rêves. Par exemple, un sujet rêve d’être un enfant, dans un stade primitif
d’impuissance, couché sur le dos comme une tortue qui s’agite, ou encore sous la forme d’un
rêveur qui se baigne dans une mer qui est à la fois le divan de l’analyste, les coussins de la
voiture et, bien entendu, sa mère. Ceci veut dire que le sujet se pose comme question, au
travers de ses rêves, non pas d’être tel ou tel enfant de tel ou tel parent, mais, plus exactement,
il se pose la question de savoir s’il a le droit ou non de porter le nom qu’il porte, c’est-à-dire
le nom d’un tel : ce que ses associations anxieuses, portant sur une paternité imaginaire,
permettent de justifier.
Autrement dit : « Le problème se pose pour lui à la seconde puissance sur le plan de la
fonction symbolique de son destin, dans le registre de son autobiographie ». (p. 58)
On saisit que cette question-là, cette seconde question donc, est décentrée par rapport à une
démarche de reconnaissance toute simple, d’identification immédiate, voire sensorielle qui est
celle que nous recherchons communément. Cette place du sujet décentré par rapport à
l’expérience individuelle, est précisément ce sujet inconnu du Moi qui réside dans
l’inconscient (Kern unseres Wezen, écrivait Freud dans le chapitre de l’«interprétation des
rêves» sur le processus du rêve). Ce noyau de notre être ne coïncide pas avec le Moi.
Pourtant, c’est de ce noyau que relèverait la structure symbolique.
« Sans doute, le vrai Je n’est pas Moi mais ce n’est pas assez... L’important est la réciproque,
qui doit toujours être présente à l’esprit, – le Moi n’est pas le Je – n’est pas une erreur au
sens où la doctrine classique en fait une vérité partielle, il est autre chose – un objet particulier
à l’intérieur de l’expérience du sujet. Littéralement, le Moi est un objet. » (p. 60)
La confusion entre le Moi et le sujet provient de cette illusion que le Moi serait capable de se
saisir lui-même grâce à ce qu’on appelle la conscience de soi. Lacan donne alors un exemple,
il construit un petit apologue pour faire saisir ce qu’il en est de cette prétendue conscience du
Moi qu’il oppose à ce « noyau de notre être ».
Imaginons des machines qui enregistreraient l’image d’une montagne se reflétant dans un lac
alors même que plus aucun homme n’existe sur terre. Imaginons que ces images déclenchent
à leur tour un certain nombre de réactions de la part d’un appareil enregistreur. Il y a bien là
un phénomène de conscience sans pour autant qu’aucune expérience moïque puisse
l’enregistrer. Mais, nous dit Lacan, s’il n’y a pas de Moi, on peut dire qu’il y a un Je, dans ce

20
seul fait qu’une machine ou une caméra existe. Car pour construire cette caméra, il faut bien
que l’homme avec ses paroles, avec son monde symbolique, ait constitué cette machine.
Il résulte donc que la conscience ici en jeu, semble bien une attribution exagérée du Moi, et
qu’elle relève plutôt d’un effet de la subjectivité ravalée par le Moi.
« La machine, c’est la structure comme détachée de l’activité du sujet. Le monde symbolique,
c’est le monde de la machine. » (p. 63)
Quand ça se détache, c’est la machine. Non détaché, c’est l’activité du Sujet, dans sa vérité.
Et Lacan d’ajouter une réflexion qui nous paraît importante puisqu’il nous prie de considérer
que chaque fois que la conscience surgit, c’est dans les endroits où on peut dire qu’une
surface produit ce qu’on appelle une image. On peut dire, en effet, que ce rapport surface /
image / conscience est bien ce qui va nous permettre de faire la distinction avec le moment
où, au coeur de cette surface qui reflète une image pour une conscience, viendra se
présentifier dans la structure de cette surface, un trou par où Lacan introduira plus tard la
dimension du sujet.
Mais nous n’en sommes pas encore à ce point qui fera l’affaire du Séminaire IV sur la relation
d’objet.
Car pour l’heure, Lacan revient sur la distinction qu’il importe de faire entre le registre du moi
et ce qu’il a introduit dans le Séminaire I sous le nom de « stade du miroir ». Dans le stade
du miroir, il y a une unité qui se constitue au niveau du je de quelque chose qui est
précisément vécu comme déconnecté et discordant, c’est une possibilité pour le sujet de se
compter pour la première fois Un. Se compter pour la première fois Un est bien différent dans
l’hypothèse de Lacan d’avoir la conscience de soi. Lacan pour montrer la construction de
cette subjectivité utilise alors la fable du paralytique et de l’aveugle.
« La moitié subjective d’avant l’expérience du miroir, c’est le paralytique qui ne peut pas se
mouvoir seul si ce n’est de façon incoordonnée et maladroite. Ce qui le maîtrise, c’est l’image
du Moi qui est aveugle et qui le porte ». (p. 66)
En résumé :
« Le sujet se pose comme opérant, comme humain, comme je à partir du moment où apparaît
le système symbolique. Pour le dire autrement, il faudrait, pour que le sujet humain
apparaisse, que la machine dans les informations qu’elle donne, se compte elle-même comme
une unité parmi les autres. » (p. 68)
Le compter-Un s’élabore donc au regard de la distinction essentielle qui est à faire entre un
moi conscient de soi et un sujet qui se compte. Il faut alors que Lacan commente ce caractère
discordant à partir duquel se puisse compter du Un.
b. C’est ce qui lui vaut d’introduire l’au-delà du principe de plaisir
Cette discordance où une fonction subjective se compte pour Un, c’est l’inconscient.
L’inconscient forme un système antinomique au système du moi que la seule inversion d’une
relation (±) ne suffit pas à expliciter. Entre les deux systèmes, il y a différence radicale. Lever
l’ambiguïté de cette différence radicale, en invoquant les principes de plaisir et de réalité, n’a
jamais servi, en fait, qu’à obscurcir davantage le problème. Par contre, si l’on accorde au
système du Moi une passion de l’équilibre, il est facile de voir en quoi il se rapporte à
l’homéostase visée par le psychisme. Il s’agit bien là d’une topique du Moi, topique bien
réglementée, non trouée.
« Si le psychisme a un sens, s’il a une réalité qui s’appelle la réalité psychique, ou, en d’autres
termes, s’il y a des êtres vivants, c’est pour autant qu’il y a une organisation interne qui tend

21
jusqu’à un certain point à s’opposer au passage libre et illimité des forces et des décharges
énergétiques telles que nous pouvons les supposer, d’une façon purement théorique,
s’entrecroisant dans une réalité inanimée. Il y a une enceinte fermée, à l’intérieur de quoi un
certain équilibre est maintenu par l’effet d’un mécanisme qu’on appelle, maintenant,
d’homéostase, lequel amortit, tempère l’irruption des quantités d’énergie venues du monde
extérieur. » (p. 78)
Seule une topique peut rendre compte de cet équilibre recherché par le Moi.
Par rapport à cette instance qui gère ce principe d’homéostase, par rapport à ce système, il y a
un autre système, c’est le système de l’inconscient. Au fond, les deux systèmes satisfont au
principe de plaisir mais il y en a un, le système inconscient, qui d’une certaine façon, présente
quelque chose de dérangeant, c’est-à-dire n’obéit absolument pas au principe du plaisir. D’où
le texte de Freud « Au delà du principe de plaisir ». Il y a donc quelque chose qui contrevient
à la règle du principe de plaisir en tant qu’elle s’incarne, par exemple, au niveau du rêve et du
rêve traumatique dans le principe d’une réalisation imaginaire de désir.
c. Faire échec au principe de plaisir
« Ne pas y obéir », ne veut pas dire que le principe de plaisir n’y est pas repérable.
Il n’est pas le maître, voilà tout ! Ce qui compte, n’est donc pas l’intégrité du contenant voire
la constance du contenu, mais plutôt l’effet que la répétition d’une discordance peut induire.
Mais pourquoi donc, est-ce sous la forme d’un déplaisir, d’une souffrance, de quelque chose
qui heurte à l’intérieur de l’homéostase que l’inconscient veut se faire entendre ? Pourquoi
donc, la répétition ne peut-elle pas se compter hors de son caractère de souffrance répétitive ?
Cet instinct de mort, comme le nomme ici encore Lacan, constitue bien un élément essentiel
dans la réalisation de l’être humain, à côté de la relation imaginaire (moïque) de l’Homme à
son semblable.
L’automatisme de répétition reste ici encore, quoiqu’en dise Lacan, une énigme. Il reste à
articuler la double tendance de cet automatisme (tendance restitutive et tendance répétitive)
avec ce caractère spécifiquement humain qu’est l’existence de cette pulsion de
mortxvii[ii].Lacan va introduire, alors, la notion de circuit pour rendre compte de cette énigme :
d) « Pourquoi tout ce qui est un progrès essentiel pour l’être humain doit passer par la voie
d’une répétition obstinée » ? (p. 110)
Ce besoin de répétition est au-delà du principe de plaisir, il est essentiellement lié à la pulsion
de mort et c’est le langage qui l’introduit par la fonction du symbole. Il y a là en quelque
sorte, un circuit où, par exemple, concrètement, on en vient à analyser un scénario du passé
qui se trouve reproduit au présent d’une façon qui n’est absolument pas liée au principe de
plaisir ni à l’adaptation vitale. Ceci est l’illustration de la phrase de Lacan que « l’inconscient
est le discours de l’Autre », le discours du circuit dans lequel nous sommes intégrés et dont
nous sommes un des chaînons.
« La vie n’est prise, dans le symbolique, que morcelée, décomposée ; l’être humain lui-même
est en partie hors de la vie, il participe à l’instinct de mort, c’est seulement de là qu’il peut
aborder le registre de la vie. » (p.113)
Mais certains symptômes rencontrés dans la cure psychanalytique se maintiennent encore
hors-circuit symbolique et font à leur tour énigme supplémentaire à cette pulsion de mort.
Tels sont les troubles psychosomatiques que Lacan tente de référer au réel et à l’autoérotisme
d’avant l’accès au narcissisme.
Lacan entame alors l’introduction à ce qui sera la clé de voûte de ce séminaire, la construction
du schéma du circuit de la parole.

22
e) L’idée de circuit, on le rappelle, s’avère pour lui essentielle au symbolique : « Un
symbolisme est essentiel à toutes les manifestations les plus fondamentales du champ
analytique, et nommément, à la répétition, et qu’il nous faut la concevoir comme liée à un
processus circulaire de l’échange de la parole. Il y a un circuit symbolique extérieur au sujet,
et lié à un certain groupe de supports, d’agents humains, dans lequel le sujet, le petit cercle
qu’on appelle son destin, est indéfiniment inclus. » (p.123)
Lacan pense pouvoir trouver une interrogation similaire au travers d’un des premiers textes de
Freud. Texte qui s’avoue tenter d’être une présentation de la relation psychique au travers de
la conduction neuronique telle que Freud en propose une esquisse. Dans ce texte, Freud tente
de tracer, d’imaginer le trajet de l’excitation nerveuse dans l’appareil psychique. Nous avons
là l’esquisse d’une première topologie de l’espace mental, pourrait-on dire.
Mais, l’intérêt que Lacan y porte et la position de Freud aussi, font qu’ il y a, dans cette
première esquisse, quelque chose de fondamentalement différent d’avec ce que la topologie
de Lacan, la topologie ultérieure va mettre en place. Nous pouvons dire que l’esquisse de
Freudxviii[iii] et la discussion actuelle de Lacan avec ses élèves, autour de ce texte de Freud,
restent encore profondément empreintes d’une sorte d’ontologie des structures mentales.
Ne serait-ce que parce que la place de l’objet nécessairement vide est éludée par Freud,
comme est éludée tout autant la référence à l’autre qui est tout aussi essentielle ?
3. LES QUATRE ÉCRITURES DU CHAMP ANALYTIQUE CHEZ FREUD
Le moment de bascule du Séminaire II se situe dans la séance IX intitulée : « Jeux
d’écritures ».
Ce qui paraît tout à fait capital dans cette séance, ce sont ces quatre schémas que Lacan
présente pour rendre compte du progrès de l’élaboration freudienne. Il s’agit, nous dit-il, (p.
129) d’un « schéma du champ analytique ».
Le premier schéma, c’est celui que Freud aurait ébauché dans sa première psychologie
générale, c’est-à-dire dans l’Entwurf. Il est probablement reproduit dans le séminaire à la page
134.

Premier schéma de l’appareil psychique dans l’Entwurf, in, La naissance de la psychanalyse


(p. 332)
Le deuxième, lui aussi reproduit à la page 134, est l’apport de la science des rêves. C’est une
théorie de l’appareil psychique qui sert à expliquer le rêve.

L’appareil psychique dans la Traumdeutung ( p. 456)

23
Le troisième schéma dépend d’une théorie de la libido qui n’est plus du tout contemporaine
des « Trois essais », mais qui relève de l’avènement de la fonction du narcissisme. On ne sait
pas très bien où retrouver ce schéma ?
S’agit-il du schéma qui se lirait en filigrane dans les ajouts de la théorie des trois essais sur la
sexualité ?
S’agit-il de ce schéma qu’on trouve à la page 408 du volume 10 des oeuvres complètes en
allemand ? C’est un texte de 1917 intitulé « Sur les transpositions de pulsion » et, plus
particulièrement dans l’érotisme anal, où Freud nous présente les équivalences excréments –
pénis – enfant dans leurs rapports à l’érotisme anal, au narcissisme et au complexe de
castration (traduction française, in La vie sexuelle, p. 111).

Le quatrième schéma, enfin, que Lacan situe dans « Au-delà du principe de plaisir » mais qui,
probablement, se trouve dans le texte « Le Moi et le Ça » est la présentation de l’appareil
psychique sous la forme d’une espèce de grosse bouillotte. (p. 252, G.W. XIII)

Il est quand même tout à fait passionnant de voir que Freud, lui-même, avait éprouvé le
besoin de construire cette espèce de schéma du champ analytique, de schéma de l’appareil
psychique. Il est tout aussi intéressant de voir que Lacan y ajoute, à la suite de ces quatre
schémas, ses deux schémas à lui, le schéma optique classique avec le miroir concave dont il a
parlé dans le Livre I, et puis son épurement sous une forme plus formalisée qu’il appelle « la
fonction imaginaire du moi et le discours de l’inconscient », et qui se présente sous la forme
de ce qui deviendra le schéma Z ou schéma L. Ces schémas de Lacan ont ceci de
caractéristique qu’ils ajoutent à la perspective freudienne, qui était de tenter d’introduire la
notion de qualité dans un appareil énergétique spécialisé, (surtout spécialisé quant à la
question de l’énergie), cette idée tout à fait neuve qui est propre à Lacan, que l’homme est un
autre pour lui-même ! (ce qui par ailleurs, nous donne l’illusion que la conscience est

24
transparente à soi-même). Et, c’est donc ce poids de l’autre, par où l’homme prend vue de son
propre reflet, que Lacan essaie d’introduire en plus des quatre schémas freudiens de l’appareil
psychique. (p. 134)

Schéma optique pour la théorie du narcissisme

La fonction imaginaire du Moi et le discours de l’inconscient


A. Le schéma de l’entwurf
L’appareil psychique est composé de trois systèmes PHI, PSI et OMEGA.
PHI est un système dont la tâche est de gérer les relations d’un être vivant avec son
environnement. Ce système s’appuierait sur la notion d’arc-réflexe ; en d’autres termes, sur
une visée naturelle du retour par l’organisme à son état d’équilibre. Voilà un principe d’inertie
qui pourtant ne peut se concevoir qu’en rapport à un système PSI qui relève, lui, des
incitations internes, des besoins. « Entre PSI qui ressent quelque chose de l’intérieur de
l’organisme et PHI qui produit quelque chose qui a rapport à ses besoins, Freud considère
qu’il y a équivalence énergétique ». (p. 132)
Entre ces deux systèmes, dont on ne sait trop quel type d’équivalence peut unifier les énergies
réciproques, Freud introduit le système OMEGA, système qui deviendra le système
perceptions-conscience. Car si Freud, entre PHI et PSI, fait fonctionner la circulation des
énergies à travers une sorte d’état-tampon grâce à des filtrages, rien ne permet de penser que
ces filtrages, dont le but est de gérer les hausses de tensions qui mettent en péril le principe
d’homéostase, constituent bien le modèle qui donne la mesure à la réalité. C’est pourquoi,
l’imaginaire doit bien résider en ce lieu OMEGA, lieu du Moi, pourrions-nous dire.
« Autrement dit, toute stimulation tend à produire une hallucination […] Le problème est
alors celui du rapport de l’hallucination avec la réalité. » (p. 133)
Lacan ajoute à sa lecture de Freud que ce système OMEGA est aussi celui qui distingue la
qualité pure par opposition aux autres systèmes (PHI et PSI) qui sont eux, essentiellement
quantitatifs. Autrement dit, il faudra concevoir, outre le filtrage, une activité d’inhibition des
énergies quantitatives qui passent dans le système pour que puisse être envisagée cette notion
de pure qualité.
B. Le schéma du chapitre VII de la Traumdeutung

25
Si la qualité était la notion essentielle introduite par Freud dans son schéma de l’Entwurf, la
prise en considération du temps sera l’innovation de ce second schéma.
Rappelons-nous que Lacan a isolé quatre étapes dans la pensée de Freud. A l’intérieur de ces
quatre étapes, il y a un certain nombre de difficultés et un certain nombre d’impasses. Il y a
une sorte de dialectique négative qui est formulée par Freud tout au long de son interrogation
et qui aboutira dans la nomination de la pulsion de mort. C’est cette dialectique négative déjà
qui retentissait dans les difficultés éprouvées par Freud à concevoir le système OMEGA,
système de la conscience.xix[iv]
Ceci est particulièrement sensible dans le schéma que Freud nous propose au chapitre VII de
la Traumdeutung, intitulé « processus du rêve ». Ce qui est nouveau, c’est que le schéma qu’il
nous propose n’est plus un schéma de l’économie instinctuelle de l’être vivant en quête de ce
dont il a besoin. A la limite, ce n’est plus un appareil. Il y a quelque chose qui est immatériel,
que Freud essaie de localiser, quelque chose qui est analogue à ce dont Lacan parlait dans le
Séminaire I quand il parlait des images optiques qui ne sont nulle part, qui ne peuvent être
vues que si nous nous trouvons à tel ou tel endroit. Autrement dit, le schéma de Freud
introduit cette nouveauté qu’est la dimension temporelle en tant que telle et pourquoi pas la
dimension logique, ce qui permet à Lacan de dire : « Nous sommes passés d’un modèle
mécanique à un modèle logique ». (p. 146)
Comment entendre ce mot logique de la part de Lacan. Il semble qu’il veuille dire que Freud
ne se réfère plus à une localisation anatomique de son appareil mais, qu’au contraire, une
sorte de nécessité logique le pousse à prédire le type d’organisation que doit posséder
l’appareil psychique pour répondre correctement aux faits et impasses de la vie quotidienne.
Car pour répondre aux faits, le système neuronique, encore qu’à affiner, peut s’avérer
cohérent pour rendre compte des phénomènes que Lacan nous a appris à appeler imaginaires
(Cf. Séminaire I) ; mais pour ce qui est de répondre aux impasses : répétition, censure voire
troubles psychosomatiques, il faut à Freud, logiquement, une nouvelle conceptualisation.
C’est ce qu’il va chercher chez Fechnerxx[v] qui parle du rêve comme se situant dans un autre
lieu psychique. En l’occurrence, Lacan essaie de nous faire comprendre que ce lieu psychique
relève essentiellement de la dimension symbolique. Pour ce faire, il introduit Angelus
Sélésius, le mystique qui joue sur l’homophonie en allemand entre lieu et mot, entre Ort et
Wort.
Le glissement opéré est le suivant : nous sommes passés d’une conception qui tentait
d’adapter les schémas neurologiques à la représentation psychique, à une conception logique
qui, mettant en avant les paradoxes du fonctionnement du rêve, invente la topique pour y
répondre.
Pendant cette séance du 2/3/55, Lacan rappelle comment Freud dans l’Entwurf, en se situant
pourtant dans un langage atomistique, s’en démarquait quand il posait le problème des
relations du sujet et de l’objet, en soulignant à quel point l’objet humain se constitue toujours
par l’intermédiaire d’une première perte dudit objet. Donc comme tel, l’objet de la recherche
humaine ne peut se satisfaire dans un objet de retrouvaille au sens de la réminiscence
platonicienne. Ceci permet à l’interlocuteur de Lacan, Valabrega, de rappeler dans la suite de
la discussion, les trois caractéristiques essentielles du rêve telles que Freud en parle dans ce
texte.
« Premièrement, le rêve met la pensée au présent dans l’accomplissement de désir ;
deuxièmement, caractère presque indépendant du caractère précédent et non moins important,
il y a transformation de la pensée du rêve en image visuelle et en discours. » (p. 166)
Troisième notion : « Le lieu psychique du rêve est différent du lieu de la représentation
éveillée. » (p. 167)

26
Il faut bien faire attention, qu’effectivement, Freud imagine ici un ordre qui est spatial, si l’on
veut, mais qui se situe essentiellement dans un ordre de successions temporelles; il faudrait
essayer d’imaginer une spatialité temporelle, topique temporelle qui, effectivement, s’avère
être paradoxale puisqu’elle se présente de façon linéaire, en quelque sorte, rectangulaire, mais
paradoxale en ce sens que la conscience se trouve aux deux extrémités dudit schéma pourtant
orienté. La conscience reste, effectivement, le problème de cette présentation schématique si
bien que, comme le fait remarquer Valabrega, on comprendrait mieux ce schéma si, au lieu de
le faire rectangulaire, on le faisait circulaire. Ce qui permet à Lacan de déclarer :
« La façon dont le schéma est construit a la singularité de représenter comme dissociés, aux
deux points terminaux de la circulation orientée de l’élaboration psychique, l’envers et
l’endroit d’une même fonction, à savoir la perception et la conscience. Cette difficulté ne peut
d’aucune façon être attribuée à quelqu’illusion que nous subirions de la spatialisation, elle est
interne à la conclusion même du schéma. » (p.169)
« Nous soupçonnons, une fois de plus, qu’il y a là quelque chose qui ne va pas, qu’il y a la
même difficulté qui, dans le premier schéma, s’exprimait en ceci, que le système PHI,
complément du circuit stimulus-réponse, et le système PSY, étaient sur deux plans différents.
Quant au système OMEGA, fonctionnant selon d’autres principes énergétiques, il représentait
le système de la perception et assurait la fonction de la prise de conscience. » p. 170)
On peut donc conclure que le second schéma renforce les difficultés rencontrées dans le
premier schéma, et il dissocie la place du système perceptif et du système de la conscience.
Cette difficulté se présente, ici, dans la notion de régression essentiellement, régression du
rêve qui doit apparaître comme une régression topique, c’est-à-dire que le sens de la
circulation quantitative se renverse et ce sens devient régrédient par opposition au sens
progrédient du fonctionnement normal de l’appareil psychique.

Dans ce retour, c’est la possibilité d’éveiller une hallucination qui est recherchée. Cette
hallucination est une satisfaction d’un besoin. Est-elle pour autant adaptée au réel ?
L’Ego opère, en ce point, par comparaison entre ce qui est halluciné dans le système PSI du
premier schéma freudien et ce qui passe pour adapté dans le système OMEGA.
Ici, Lacan fait glisser l’Ego dans le système PSI. Il se contredit en quelque sorte par rapport à
ce qu’il a avancé précédemment ou, plutôt, il isole le phénomène de conscience du système
perceptuel pour l’arracher paradoxalement au moi. Est-ce pour en réserver la plus grande part
à la notion de sujet ?
Toutes ces questions, Lacan va tenter de les reprendre à partie du rêve de « l’injection faite à
Irma ».
Mais tout d’abord, il y a lieu de faire une remarque.
Si Lacan évoque immédiatement dans cette séance du 01/03/1955 l’exigence de cohérence
interne qui était l’apanage de Freud, (exigence qui va au plus profond) qui est aussi celle
d’obtenir des schémas rigoureux, cela ne répond pas seulement à un désir de Freud. Il y a là
quelque nécessité interne à l’analyse, quelque nécessité de sa conceptualisation comme telle
dans le rapport qu’elle entretient avec cette fonction du schéma. On voit mal en effet, qu’on

27
puisse expliquer comment entendre la notion de régression sans la spatialiser au point même
qu’on peut se demander si la régression comme telle n’a pas structure spatiale ou tout au
moins spatialement temporellexxi[vi].
L’hypothèse de la régression dans le rêve est introduite par Freud, dit Lacan, pour rendre
compte du caractère figuratif dudit rêve, c’est-à-dire de son caractère imaginaire (en termes
lacaniens). Et, comme cette notion d’imaginaire n’est pas située par Freud sur le même plan
qu’elle le sera plus tard par Lacan, il s’ensuit un certain nombre d’hésitations chez Freud, car
il conçoit le figuratif comme participant du système perceptif et il conçoit que le visuel est
équivalent du « perceptuel ». Il ne peut donc qu’imaginer un retour en arrière pour justifier le
passage du retour du niveau moteur au niveau imagé dans lequel se maintient l’hallucination
du rêve.
Lacan va proposer une explication aux difficultés de Freud.
Jusqu’à présent, nous les concevions comme paradoxales. Avec la séance XIII, Lacan nous
montre qu’il convient de rapporter ces difficultés à un passage de la thèse freudienne.
Abandonnant son appareil psychique avec la théorie du narcissisme, Freud amène Lacan,
rétrospectivement, à en lire la raison dans ce rêve inaugural presque, de l’injection faite à
Irma. Il va nous montrer que ce qui semble paradoxal dans l’attribution au moi des
phénomènes de conscience quand ils doublent son activité de perception, s’explique fort bien
si on considère que le moi, sur ce point, fait voile à la notion de sujet.
Car ce n’est pas tant à une régression de l’ego à quoi nous assistons qu’à son éclatement et à
l’apparition d’une formule qui met en évidence ce que Lacan appelle l’immixion des Sujets au
travers de la nomination.
Suivons, ici, le commentaire de Lacan.
Freud tire de ce rêve une vérité qu’il pose comme première, que le rêve est toujours la
réalisation d’un désir. Ce désir dans le rêve c’est, de la part de Freud, de décharger sa
responsabilité dans l’échec du traitement de sa patiente Irma. Lacan, dans ce commentaire,
critique la conception d’Erickson qui voit dans ce rêve une régression de l’ego au moment où
Freud évite le réveil devant cette horrible découverte qu’il fait, cette horrible découverte de la
chair qu’on ne voit jamais et qui provoque de l’angoisse. Or, Lacan met en évidence deux
triades dans le rêve, la triade Otto, Léopold et Freud et puis le Docteur M. qui représente le
père imaginaire, Otto qui représente aussi le père à la fois ennemi et ami, et Léopold qui joue
le personnage utile pour contrer l’ami-ennemi chéri, c’est-à-dire Otto. Il y a aussi trois
personnages féminins. Puis, le rêve se déploie même topologiquement avec la formule de la
triméthylamine.
Lacan interprète l’apparition de cette formule chimique comme l’interprétation de ce qu’au
bout du compte, il n’y a pas d’autre solution au problème posé qu’une nomination, une
formule.
Cette formule signe la présence d’un rêveur, sujet de rêve, perdu dans son rêve. En effet,
Lacan montre que le personnage de Freud, son ego de rêveur, s’est littéralement évanoui,
résorbé, diffracté et donc que de cette diffraction, il résulte pourtant qu’il y a un sujet qui rêve,
un sujet inconscient. On pourrait appeler ce sujet, dit Lacan, « nemo », c’est-à-dire personne.
Autrement dit : « Ce qui dans le sujet est du sujet n’est pas du sujet, c’est l’inconscient. » (p.
191)
Dès lors, et c’est ce qui paraît essentiel à Lacan, on peut avancer en résumé, qu’il n’y a
d’autre mot du rêve ou d’autre mot final que la nature même du symbolique, c’est-à-dire de ce
fait qu’un mot existe! Cela permet à Lacan de mettre en évidence que le sujet est quelque
chose de tout à fait spécial. Le sujet relève d’un phénomène inconscient qui se déroule sur le

28
plan symbolique et, comme tel, est toujours multiple, c’est-à-dire que dès que la parole vraie
émerge, médiatrice, elle fait des personnes qui parlent « deux sujets très différents de ce qu’ils
étaient avant la parole. Cela veut dire qu’ils ne commencent à être constitués comme sujets de
la parole qu’à partir du moment où la parole existe, il n’y a pas d’avant ». (p. 192)
C’est de cette parole que surgit le sujet dans une intersubjectivité qui n’individualise pas ce
sujet, mais l’immisce dans l’acte de parole.
C. Le troisième schéma freudien
Il serait l’héritier des impasses de l’appareil psychique, il devrait résoudre les problèmes que
posait la notion de régression. Il doit intégrer la découverte de la pulsion de mort et, en même
temps, rendre compte, de la dimension hallucinatoire de la réalisation du désir du rêve.
Lacan reprend (p. 196) le rêve de l’injection à Irma et il nous montre qu’il faut distinguer
deux parties dans l’interprétation que fait Freud de ce rêve :
- Une première qui aboutit à cette image terrifiante, angoissante de la chair comme
présentification du réel sans aucune médiation possible, quelque chose devant quoi
tous les mots s’arrêtent.
- Il en résulte, c’est le deuxième point, une profonde déstructuration qui se produit dans
le vécu du rêveur et c’est en ce point qu’on peut dire que les relations du sujet
changent du tout au tout. A ce point, plus personne ne peut dire « je », cette
décomposition est une décomposition spectrale imaginaire. C’est parce qu’il y a cette
décomposition imaginaire que Freud va pouvoir mettre en évidence ce qu’il y a de
neuf dans sa pratique à lui, dans ce qu’il a découvert et qui noue les rapports du sujet
et de l’inconscient : le désir de reconnaissance.
A ce point, Lacan fait un pas supplémentaire et introduit donc la nécessité d’un troisième
schéma qu’on trouverait chez Freud dans l’introduction au narcissisme.
Tout le problème réside ici. Où faut-il trouver ledit schéma ? Dans quelle mesure Lacan, lui-
même, n’a-t-il pas projeté son propre schéma du miroir pour rendre compte du progrès de
l’analyse freudienne où se trouve effectivement articulée la distinction Ich Ideal - Ideal Ich ?
Car, nous l’avons dit plus haut, c’est avec ces deux opérations du moi, autrement dit, c’est
avec le stade du miroir que Lacan a montré qu’il y a dans l’homme quelque chose qui est
essentiellement morcelé et qu’il tente d’unifier au départ de la tension qu’il ressent, qu’il tente
d’unifier à l’aide de l’image de son corps qu’il perçoit aussi bien dans les objets que dans
l’autre.
« Il y a une perception, à tout instant, évoquée pour l’homme de son unité idéale qui n’est
jamais atteinte comme telle et qui, à tout instant, lui échappe. » (p. 198)
Il en résulte que le désir de l’homme a un caractère fondamentalement déchiré.
« Si l’objet perçu au dehors a sa propre unité, celle-ci met l’homme qui la voit en état de
tension, parce qu’il se perçoit lui-même comme désir, et désir insatisfait. Inversément, quand
il saisit son unité, c’est le monde, au contraire, qui pour lui se décompose, perd son sens, et se
présente sous un aspect aliéné et discordant. C’est cette oscillation imaginaire qui donne à
toute perception humaine, la sous-jacence dramatique dans laquelle elle est vécue, pour autant
qu’elle intéresse vraiment un sujet. » (p. 198)
On peut donc dire que, pour Lacan en ce point, le sujet c’est le drame des déchirements
moïques et spéculaires. Voilà pourquoi un rêve, quand il nous mène jusqu’au bord de
l’angoisse, est aussi une approche du dernier réel où se décompose l’identification imaginaire
de chacun, et c’est en ce point qu’il s’agit de reconnaître où surgit la dimension du sujet.
Lacan rappelle que c’est au moment où quelque chose du réel, dans cette décomposition, est

29
atteint dans le rêve, dans ce qu’il y a de plus abyssal dans le travail du rêve, que se présente
aussi ce rapport narcissique de l’homme à son objet, à savoir que l’objet s’est structuré plus
ou moins comme image du corps du sujet.
La Verliebtheit ou l’état amoureux, l’énamoration, plus exactement, repose fondamentalement
sur ce moment narcissique, à savoir que, sur le plan libidinal, c’est par rapport à ce
narcissisme que l’objet, quand il est appréhendé, fait que nous l’aimons. Mais ce qui est
surtout important c’est, qu’à travers cette décomposition spectrale des images du moi, le sujet
qui apparaît est un sujet qui a plusieurs têtes. Même qu’à la limite, pourrait-on dire, il n’en n’a
pas du tout, c’est-à-dire que ce que cette déstructuration des images du Moi dans le rêve
produit, c’est une espèce de destruction du sujet en tant que tel.
Cette destruction du sujet est, paradoxalement pour Lacan, une présentification de ce que c’est
que le sujet, c’est-à-dire que le sujet n’est rien qu’une destruction du moi. Il est, à la limite,
pur décentrement par rapport au moi, par rapport à l’ego.
Il faut souligner le problème éthique qui risque de se manifester : celui où cette décomposition
des identifications moïques, qui met en évidence la structure du sujet, pourrait amener ledit
sujet à se comporter dans le monde avec une sorte d’ataraxie qui le déculpabilise puisqu’en
fait, il se présente comme n’étant plus qu’un pion couché à l’intérieur du système, exclu de
tout drame, de toute conséquence tragique, de toute réalisation de la vérité.
Comment échapper alors à cette tentation ?
Sans répondre à cette question directement, Lacan insiste sur cette fonction médiatrice du
symbolique qui est donc la fonction par rapport à laquelle apparaît la dimension du sujet. Il
égale, ni plus ni plus moins, cette relation symbolique au pouvoir de nommer les objets, il
rappelle que nommer un objet, c’est nommer la répétition de cet objet, c’est nommer ce qui,
dans l’objet, est identique quand il se présente. Ce qui est capital à saisir, c’est que cet
«identique», que la nomination introduit dans l’objet, répond non pas à une distinction
spatiale de l’objet qui le différencie des autres objets, mais à une dimension temporelle. On
pourrait dire donc, en reprenant Lacan qui signale que « le nom est le temps de l’objet », on
pourrait donc dire qu’il y a là quelque chose qui va s’apparenter à la définition que donnera
Lacan plus tard de la topologie puisqu’on pourra dire que « la topologie, c’est le temps ». On
pourrait donc dire ici, que la topologie c’est le temps de la cure comme le nom est le temps de
l’objet.
Voilà où l’instinct de mort se noue avec le symbole, avec cette parole qui est dans le sujet
sans être la parole du sujet, c’est-à-dire à la limite qui, comme répétition, est une nomination
du temps de l’objet.
« Cette compulsion à revenir de quelque chose qui a été exclu du sujet, ou qui n’y est jamais
rentré, le Verdrängt, le refoulé, nous ne pouvons pas le faire rentrer dans le principe de plaisir.
Si le moi, comme tel, se retrouve et se reconnaît, c’est qu’il y a un au-delà de l’ego, un
inconscient, un sujet qui parle, inconnu au sujet. Il faut que nous supposions un autre principe,
c’est l’instinct de mort. » (p. 203)
Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas chez Freud d’existence, proprement dite, de schéma
pour rendre compte des investissements protoplasmiques du moi (Cf. « Pour introduire le
narcissisme », p. 83). Tout au plus, trouvera-t-on in « Sur la transposition des pulsions, plus
particulièrement dans l’érotisme anal » (p. 111), un schéma qui présente les intersections entre
deux plans pulsionnels qui pourraient bien être ceux de l’Ich Ideal et de l’Ideal Ich entre la
gauche et la droite de ce graphisme.
Quoiqu’il en soit, il nous faut revenir au texte de Lacan.

30
Car Lacan se propose de poursuivre l’interrogation : qu’est-ce que le sujet ? Nous pouvons
donc déjà résumer l’avancée précédente de deux lignes orientées :
- la première qui irait de l’ego, du moi au principe de plaisir dans le registre de
l’imaginaire, (l’ego et le moi ayant fonction de réglage eu égard à ce principe de
plaisir ;
- la deuxième, qui relèverait de l’inconscient et du sujet (qui dépendrait de la pulsion de
mort et du registre symbolique avec cette étrange apparition du réel dans la dislocation
de la pulsion de mort qui n’est pas comme telle intégrée sous la forme d’une troisième
ligne par rapport à ces deux premières).
De ce sujet, Lacan va nous en présenter les deux aspects essentiels :
1. Sa diffraction ; 2. Sa marque.
1. Faut-il encore rappeler l’importance pour Lacan, de la décomposition moïque des images
que le « sujet » se donnait à lui-même ?
D’où résultent ces visions fascinantes de l’Homme aux loups, voire du rêve de l’« injection à
Irma » où le sujet, dans une espèce de captation, est perdu, éclaté, décomposé, évanoui !
Il s’agit d’ un moment particulier, rare à cette époque du discours de Lacan, où un réel absolu
est appréhendé dans un rapport à un Autre au-delà de toute inter-subjectivité.
« C’est tout spécialement sur le plan imaginaire que cet au-delà du rapport inter-subjectif est
atteint. Il s’agit d’un dissemblable essentiel, qui n’est ni le supplément, ni le complément du
semblable, qui est l’image même de la dislocation, du déchirement essentiel du sujet. Le sujet
passe au-delà de cette vitre où il voit toujours, mêlée, sa propre image. C’est la cessation de
toute interposition entre le sujet et le monde. On a le sentiment qu’il y passage dans une sorte
d’alogique, et que c’est bien là que commence le problème car nous voyons que nous n’y
sommes point. Et pourtant, le logos n’y perd pas tous ses droits, puisque c’est là que
commence la signification essentielle du rêve, sa signification libératoire, puisque c’est bien
là que Freud a trouvé l’échappatoire à sa culpabilité latente. De la même façon, c’est au-delà
de l’expérience terrifiante du rêve de l’Homme au loup que le sujet trouvera la clé de ses
problèmes. » (p. 209)
Détaché des effets imaginaires du moi, il ne reste plus au sujet qu’à se compter pour un. C’est
cette opération que Lacan tente de formaliser au-delà de l’intersubjectivité humaine, mais en
se servant de ce qui se trouve détaché de l’activité de l’homme, hors sa vérité, avions-nous
écrit : la machine.
La machine cybernétique, ici, devient en quelque sorte le nouveau partenaire, non pas idéal,
mais épuré.
C’est bien ce que Lacan va tenter de faire en se servant de la machine cybernétique et en
introduisant ses auditeurs au jeu de pair ou impair, tel qu’il nous est rapporté dans le texte
d’Edgard Poe : La lettre volée. Dans une telle situation, il y a trois positions :
- La première position où je suppose l’autre sujet dans la même position que moi ;
- Une deuxième subjectivité peut se dégager où le sujet est capable de se faire autre,
d’en arriver à penser que l’autre étant un autre lui-même, pense comme lui et que
donc, il faut qu’il se mette en tiers pour sortir de cet autre qui est pur reflet ;
- Puis un troisième temps qui rend effectivement difficile la poursuite du raisonnement
par analogie.
On s’aperçoit très vite qu’une fois qu’on a atteint le second degré, on revient par oscillation au
premier dès qu’on essaye d’aller plus loin. La question, ici, se situe toujours dans l’inter-

31
subjectivité imaginaire. Pour la dépasser, il faut prendre une autre voie qui est une voie
logique et c’est ici que Lacan introduit un autre type de partenaire que l’autre imaginaire,
puisque le partenaire qu’il introduit c’est la machine. On ne peut donc pas jouer avec lui par
identification mais on est projeté pourtant dans la voie du langage, dans les lois de la
combinatoire. Mine de rien, Lacan introduit une dimension essentielle de tout son
enseignement, c’est qu’à partir du moment où nous entrons dans une combinatoire, nous
entrons dans une écriture de symboles.
C’est cette écriture qui devient le lieu d’une scansion, d’une répétition. Elle permet de
distinguer la mémoire, propriété définissable de la substance vivante d’avec la rémémoration
ou mémoire symbolique «qui est un groupement et une succession d’événements définis, pur
symbole engendrant à son tour une succession» (p. 219). Voilà qui redonne sens au
Nachträglich freudien, qui le structure comme « mémoire » symbolique.
En effet, c’est comme retour, comme réponse que le sujet reçoit de cette structure symbolique
la possibilité d’interroger la signification de ce qu’il est vivant, et non pas recevoir l’image-
souvenir qui l’adapte aussitôt à cette vie (réminiscence).
C’est cette remémoration qui est liée à l’automatisme de « répétition, en tant qu’il est au-delà
du principe de plaisir, au-delà des liaisons, des motifs rationnels, des sentiments à quoi nous
pouvons accéder ». (p. 222)
On peut dire que Lacan identifie en quelque sorte le sujet à cette espèce d’inertie symbolique
caractéristique du sujet inconscient, à savoir qu’il relève de cette remémoration du fait d’une
écriture, du fait de l’écriture symbolique.
Lacan s’appuie alors sur « La Lettre volée » comme démonstration, en quelque sorte, clinique
de ce qu’il avance. Il faudrait reprendre ici ce qui s’en trouve développé dans les Écritsxxii[vii]
sous le même titre, pour y voir comment le symbole, surgi dans le réel à partir d’un pari,
permet, dans ce qui, de là, s’organise symboliquement, que ce soit le sujet qui, à son tour, en
surgisse (de la même manière qu’on pourra dire plus tard qu’il sera l’effet de l’organisation
topologique). Le sujet résultant de l’organisation symbolique, c’est ce que Lacan appelle
l’immixion des sujets.
2. La marque de ce sujet, c’est le Désir
Dans la séance suivante intitulée Le désir, la vie, la mort du 19 mai 1955, nous trouvons
quelque chose qui est véritablement le nœud de la perspective de Lacan dans ce séminaire.
Il introduit là avec une perspicacité étonnante, la notion de désir chez Freud dans ce rapport
que le désir entretient avec la libido et qui fait qu’on peut à partir de là, parler de désir sexuel.
Il rappelle que le désir est un « rapport d’être à manque et que ce manque est manque d’être »
(p. 261). « Il s’agit donc d’un désir de rien de nommable, un désir qui vient à exister en
fonction même du manque. » (p. 262)
Ce qui s’énonce ici, en 1955, d’une façon philosophico-psychanalytique, est évidemment ce
qui va faire l’objet d’une monstration dans la topologie ultérieure de Lacan puisqu’il s’agira,
dans cette topologie, de démontrer comment de l’être vient à exister littéralement en fonction
du fait qu’on enlève quelque chose à une structure. (Cf. La question du TROU en topologie).
« Il s’agit au contraire d’apprendre au sujet à nommer, à articuler, à faire passer à l’existence
ce désir qui, littéralement, est en-deçà de l’existence, et pour cela insiste. Si le désir n’ose pas
dire son nom, c’est que ce nom, le sujet ne l’a pas encore fait surgir […] En le nommant, le
sujet crée, fait surgir une nouvelle présence dans le monde. Il y introduit la présence comme
telle et, du même coup, creuse l’absence comme telle. » (p.267)

32
Quelque chose donc s’avère idoine à présentifier ce désir issu du manque et qui insiste, dans
les structures répétitives que le symbolique permet lui aussi de faire surgir comme présence
dans la chaîne.
Du libidinal en quelque sorte s’habille de signifiant.
Ce désir couplé au surgissement dans la chaîne symbolique des récurrences qui comptent pour
le sujet permet maintenant à Lacan d’introduire l’essentiel de ce séminaire : son schéma Z.
On notera que jamais Lacan n’a égalé l’avènement de la subjectivité à la pure émergence de la
nomination symbolique. Toujours, en filigrane, la libido, moteur du désir, a doublé
l’inscription signifiante. Cette note vise à rectifier l’orientation que prend trop souvent le
commentaire péri et post-lacanien de cette époque.
D. Le schéma Z
C’est pour Lacan le temps d’introduire le schéma qu’il invente pour répondre et au
cheminement de sa propre élaboration, et à la nouvelle topique freudienne du MOI et du Ça.
Ce schéma illustre donc les problèmes soulevés par le Moi et l’autre, le langage et la parole.
(p. 284)
Mais aussi par la chaîne symbolique et la libido, par la machine et la Vérité.

1) Le sujet (S), pas en sa totalité mais en ouverture, ne peut se voir que en a, c’est-à-dire qu’il
croit que le Moi (a), c’est lui.
2) Or, ce Moi (a) voit l’autre sous une forme spéculaire de lui-même (a’).
3) Troisième plan : il y a le mur du langage, il nomme les choses (a-a’) et les installe dans une
réalité qui pour S prend tour à tour l’allure du narcissisme ou de la Vérité (cette réalité est la
nomination a-a’) dans la parole.
« Si la parole se fonde dans l’existence de l’Autre, le vrai, le langage est fait pour nous
renvoyer à l’autre objectivé, à l’autre dont nous pouvons faire tout ce que nous voulons, y
compris penser qu’il est un objet... Autrement dit, le langage est aussi bien fait pour nous
fonder dans l’Autre que pour nous empêcher également de le comprendre. Et c’est bien de
cela qu’il s’agit dans l’expérience analytique. » (p. 256)
On oublie trop souvent le rôle de ces schémas qui ont moins pour but de présenter une
« réalité » de nos conceptions analytiques que de faire saisir ce qui, en cette occasion, se
glisse dans le graphisme, imperceptible dans le discours qui nous anime dans cette thèse : la
parole, nécessairement lapidaire pour ne pas dire fossile hors séance analytique. Ce schéma ne
présente pas une solution. « Ce n’est pas même un modèle. Ce n’est qu’une façon de fixer les
idées, qu’appelle une infirmité de notre esprit discursif », p.284.

33
Ce séminaire se termine par quelques notations qui seront reprises par Lacan deux ans plus
tard.
- Elles visent la critique des tenants de l’analyse de la relation d’objet. Lacan dit : « Il peut y
avoir au cours d’une analyse quelque chose qui se forme comme un objet. Et cet objet, loin
d’être ce dont il s’agit, n’en n’est qu’une forme fondamentalement aliénée. C’est le Moi
imaginaire qui lui donne son centre et son groupe et il est parfaitement identifiable à une
forme d’aliénation parente de la paranoïa. » (p. 288)
Pourtant, cette notion d’objet nous la réserverions volontiers à la constitution de cette
topologie de la cure que nous tentons d’isoler.
- Elles ajoutent la dimension du temps et de l’acte à l’émergence de la subjectivité du fait des
rapports conjoints du désir et du symbolique. Il s’agit de l’apologue des trois prisonniers pour
démontrer les trois temps classiques du voir, comprendre et conclure.
- Elles montrent enfin que la connotation mathématique de la cybernétique s’appuie sur une
topologie simpliste : « C’est à partir du moment où on a eu la possibilité de rabattre les deux
traits l’un sur l’autre, de faire la clôture, c’est-à-dire le circuit, quelque chose où ça passe
quand c’est fermé, et où ça ne passe pas quand c’est ouvert, c’est alors que la science de la
conjecture est passée dans les réalisations de la cybernétique. » (p. 347)
Lacan prétend alors être en mesure de démontrer que ce qu’il avance là, relève de la dernière
topique freudienne, celle qui est articulée dans l’Au-delà du principe de plaisir. Ces
affirmations, cependant, il ne les confronte pas aux schémas issus de ces textes (« Psychologie
collective et analyse du Moi » et « Le Moi et le Ça »).
Dans « Le Moi et le Ça » (XIII G. 252), dans un paragraphe étrangement oublié du traducteur
français (Payot 1977 p.192), Freud nous dit : « Nous pouvons tracer un dessin de ces
relations [entre le Moi et le Ça] dont les contours ne servent, à vrai dire, que de présentation et
ne doivent prétendre à aucune signification particulière. Nous y trouvons que le Moi porte une
calotte auditive, témoin de son anatomie cérébrale, sur un seul côté seulement. Elle est placée,
comme qui dirait, de travers ».
Si le petit texte accompagné de son dessin est remplacé par un autre paragraphe dans la
traduction française (nouvelle élaboration de Freud lui-même ?), nous pensons que
contrairement à l’avis du texte allemand, Lacan a voulu prendre au sérieux cette esquisse
topologique de Freud.

34
Pour cette raison, nous avons superposé les deux schémas situant l’Akustiek freudienne
comme ce qui de la parole s’entend et fait glisser le signifiant jusqu’à l’inconscient qui est
aussi le lieu de l’Autre. D’où le parole ne peut revenir sans rencontrer cette double barrière du
moi composé pour une part de l’aliénation imaginaire (a-a’) et de la fonction du refoulement
pour l’autre part.
L’ordre imaginaire inclut le Moi et toute libido. Au-delà de ce principe de plaisir règne le
symbolique (en A) rejeté de l’ordre libidinal, pulsion de mort, muette tant qu’elle ne s’est pas
réalisée, tant que la parole n’a pas franchi cette double barrière, cette dernière opération
s’égale pour le sujet à la découverte de sa Vérité.
En guise de transition
Voilà donc deux séminaires (I et II) passés au crible de la présence d’une topologie dans le
cheminement de Lacan.
Elle s’origine dans le schéma du miroir où le Moi gère ses images avec la libido qui le
caractérise. Non sans qu’un hiatus important surgisse et vienne à se répéter.
L’incidence de ce désordre du Moi quand il se décompose en facettes moïques, induit la
présence en ce temps d’une pulsion qualifiée de mortelle par Freud lui-même.
La propriété de cette pulsion est d’induire machinalement une sorte de comptage des
présences et des absences en tant qu’elles résulteraient de ce rapport en béance du Moi à ses
images.
Une sorte de chaîne mathématique (notations successives) peut en résulter, et l’organisation
interne de cette chaîne peut être codée de telle manière que le Sujet, cette fois et non plus le
Moi, puisse s’y repérer comme celui qui nomme cette loi de succession.
Il semble alors que, venue d’on ne sait où, une propriété supplémentaire s’accole à la
dimension ordonnée de cette chaîne symbolique.
Cette chaîne, en effet, est figurable. Elle se prête à la représentation. Faut-il y voir là un
abâtardissement de sa noblesse symbolique ?
Les puristes (mathématiciens) répondront sans doute que oui, et que rien de neuf n’est apporté
par cette contamination figurative.
Voire ! Car ce que la figurabilité d’une telle chaîne nous présente est la notion de circuit, de
prise en compte d’une espèce de globalisation de la succession des moments particuliers du
symbolique.
Ainsi, d’un automobiliste rencontrant un panneau indiquant un virage sur la droite, puis un
second virage sur la gauche.
Purs signes routiers jusqu’ici mais qui, dès l’apparition d’un troisième, répercutent de l’un à
l’autre, leur existence antérieure sous la forme par exemple : ne suis-je pas en train de tourner
en rond ? (cas d’un troisième ou d’un quatrième virage à gauche, par exemple).

D’où vient ce poids de l’image qui globalise ici le symbolique ?

35
Pourquoi ne pas l’importer de la catégorie de l’imaginaire, celle qui a été présentée par Lacan
dans le stade du miroir ?
Elle contamine le symbolique qui s’avère, au travers des notions de symétrie, apte, en quelque
sorte, à doubler le premier mouvement imaginaire d’aliénation (je me vois au lieu de l’autre)
– incorporation.
C’est ce que les notations lacaniennes du jeu de pair-impair démontrent. (in « La lettre volée,
Parenthèses des parenthèses », Écrits, p. 56-57)xxiii[viii]
On y voit bien les structures en réseaux (1, 2, 3) s’avérer symétriques autour d’un point de
croisement, de retournement qui doublerait l’opération du miroir-plan quand il bascule dans le
schéma des miroirs sphériques, compliqué du miroir-plan. (Cf. infra p.63). Ces opérations ne
se font pas sans qu’un manque soit induit dans la structure : béance spéculaire pour
l’imaginaire, manque de l’objet pour le symbolique.
Reste à articuler pour Lacan, les fonctions de la parole et de la Vérité qui circulent dans ces
structures et relèvent, en l’époque 1955, de la problématique de Lacan, d’un nouveau registre,
celui où se déploie la catégorie du Réel.

36
Séminaire III*
Les psychoses

I. Dans l’ouverture de ce séminaire, Lacan reprend l’avancée de ses deux années précédentes
et situe le problème qui reste posé. Soit la co-existence des deux registres de l’imaginaire et
du symbolique. La question des psychoses le passionne et plus particulièrement la paranoïa,
parce que le désir paranoïaque vient en quelque sorte redoubler, gainer l’entrecroisement de
l’imaginaire et du symbolique. Cet enveloppement dans cette psychose a une caractéristique,
celle de permettre une espèce d’endoscopie, pour ne pas dire de l’éautoscopie du phénomène.
Il y aurait donc là une mise à distance observable de l’entrecroisement de l’imaginaire et du
symbolique.
II. Comment concevoir un tel lieu ou encore, de quelle clinique relève un tel processus ? C’est
ce qu’une deuxième partie s’attache à présenter : non plus une clinique du lapsus névrotique
mais du trou, dans un autre lieu que ceux de l’imaginaire (béance) ou du symbolique
(refoulement). Cette clinique emporte avec elle les questions de sa vérité, de sa logique, de
son lien avec la sexualité, de la conduite de pareilles cures.
En un mot, il en résulterait une localisation particulière, topique de ces phénomènes dans
l’analyse (leçon 4-8).
III. C’est pourquoi Lacan se voit obligé de dégager une topologie de l’espace parlant
comme tel. Cette topologie reste insue du sujet. Elle s’y déploie sauf dans la psychose où, par
une sorte d’endoscopie à l’envers, elle se déploie comme à l’extérieur, donnant ainsi une
mesure du réel. C’est le point crucial de ce séminaire que Lacan va rapporter à sa cause : la
Verwerfung du Nom-du-Père comme signifiant primordial. (Leçon 9-15)
IV. Pour finir, Lacan tentera d’articuler cette découverte de la pathologie (leçon 16-25) aux
processus humains de la parole en général. Il en vient à dégager deux strates du
fonctionnement de la parole et du langage, lesquelles s’entrecroisent d’une façon qui doit être
spécifique et que Lacan va nommer « Point de capiton ». Ce qui hameçonne ainsi ces réseaux
peut être référé à ce que Freud avait nommé le Phallus.
I. Introduction à la question des psychoses
Tout d’abord, Lacan indique quel va être le thème du séminaire de son année. Ce thème sera
une introduction à la question des psychoses, car, il n’est pas question encore d’autre chose
que de questions, le traitement n’étant pas encore d’actualité. Il rappelle comment Freud a
distingué deux grands temps dans les psychoses : la question des paranoïas et la question des
schizophrénies.
S’il a fait cette bipartition, c’est parce que Freud n’est pas un psychologue contrairement à ce
qu’on croit, ni un organiciste, ni un psychogénéticien. Il ne s’adonne pas à la notion de
compréhension, il ne croit pas non plus à l’intuition naturelle des choses ; en réalité, la
psychanalyse est une expérience qui est structurée, qui est parfaitement conceptuelle, qui est
structurée par quelque chose d’artificiel qui est la relation analytique.
« Telle qu’elle est constituée par l’aveu que le sujet vient faire au médecin, et par ce que le
médecin en fait. » (p.17)
Le paranoïaque semble donc se spécifier par ce point que lui aussi tient à faire cet aveu, non
pas précisément dans une cure psychanalytique mais de toutes sortes de façons, y compris par
une publication de son délire, chose qui n’avait pas échappé à Freud quand il comparait délire
et rêve, sans qu’on ait affaire à deux phénomènes isotopiques.

37
Donc Freud introduisit cette nouveauté que ce qui est intéressant, aussi bien dans le rêve que
dans le délire, c’est l’élaboration à travers laquelle ils se disent comme paroles. Seulement
cette interprétation ici qui se démontre à partir du symbolique, champ de la parole et du
langage, introduit une différence supplémentaire entre psychoses et névroses. Cette
différence, Lacan la fait porter sur le matériel en cause dans les deux discours, dans le
discours des psychoses et le discours des névroses. Il rappelle à quel point le matériel en cause
est le corps propre, c’est-à-dire le corps imaginairexxiv[i].
« La relation au corps propre caractérise chez l’homme le champ, en fin de compte, réduit
mais vraiment irréductible, de l’imaginaire. Si quelque chose correspond chez l’homme à la
fonction imaginaire telle qu’elle opère chez l’animal, c’est tout ce qui le rapporte d’une façon
élective, mais toujours aussi peu saisissable que possible, à la forme générale de son corps où
tel point est dit zone érogène. » (p. 20)
Le matériel imaginaire à la limite du symbolique est, d’entrée de jeu, mis en cause par Lacan
dans son analyse du cas du Président Schreber dont les mémoires avaient fait l’objet de
l’analyse freudienne. C’est un premier point problématique : ce corps-propre à la limite de
l’Imaginaire et du Symbolique !
Un deuxième problème est le rapport du psychotique à son inconscient. Il ne suffit pas de dire
que l’inconscient dans la psychose est en surface et d’y présenter ainsi une négativité insue
(unbewußt).
Car, ce qu’il s’agit de bien voir, c’est que l’inconscient est un langage et que comme tel, il
doit être reconnu dans son articulation : en un mot, le sujet psychotique ignore la langue qu’il
parle et ce n’est pas tout.xxv[ii]
« La question n’est pas tellement de savoir pourquoi l’inconscient qui est là, articulé à fleur de
terre, reste exclu pour le sujet, non assumé – mais pourquoi il apparaît dans le Réel. » (p. 20)
Il s’agit de la première occurrence dans les séminaires de Lacan de ce terme de Réel dans une
visée topique. Nous allons donc lui donner une majuscule.
Lacan, à partir de là, fait une distinction tout à fait importante entre cette réapparition dans le
Réel, de ce qui a été repoussé dans la psychose et l’apparition, comme retour du refoulé, de ce
qui a été rejeté dans la névrose. Il rappelle les termes de Bejahung et de Verneinung
qu’Hippolyte avait utilisés dans le Séminaire I, et montre que la Verwerfung est un
mécanisme tout à fait spécifique à la psychose qui porte sur cette Bejahung, sur cette
admission dans le sens du symbolique primordial. L’hypothèse de Lacan, c’est que quelque
chose qui concerne une zone érogène du corpsxxvi[iii] est comme telle verworfen rejeté au
niveau où une Bejahung primordiale aurait du être acceptée quant à ce rapport au corps
propre. Ce point est particulièrement intéressant parce qu’effectivement, il semble bien que, à
l’aide du Réel qui est ce lieu dans lequel réapparaîtrait ce qui n’a pas été accepté
primordialement, (ce qui n’a pas été admis dans le Symbolique), on peut dire qu’à partir de ce
Réel, il y a une topologie tout à fait spéciale qui se constitue.
Il faut bien noter que cette topologiexxvii[iv] se constitue par rapport à ce qu’il y a de tout à fait
audacieux et de tout à fait neuf de l’héritage freudien. Ce qui est neuf c’est, qu’effectivement,
c’est dans le champ de la parole qu’il convient de situer ce retour dans le Réel. Autrement dit,
Lacan est en train de constituer, ici, – étape essentielle de sa topologie en tant qu’elle a à voir
avec la fonction de la parole – quelque chose qui est essentiellement différent d’une ontologie,
voire d’une psychologie.
Reprenant alors le schéma qu’il avait utilisé dans le séminaire précédent, le schéma Z, où il
avait présenté la relation imaginaire qui faisait filtre, en quelque sorte, entre le sujet et le
grand Autre, il signale comment dans la psychose, le sujet est en quelque sorte complètement

38
identifié à son Moi avec lequel il parle, quasiment sur un mode instrumental. Il y aurait
quelque chose qui s’écrase sur l’axe transversal qui avait fonction de filtre dans le discours
névrotique classique.
Si bien que ce schéma se présenterait comme suit :

« Le sujet parle littéralement avec son Moi, et c’est comme si un tiers, sa doublure, parlait et
commentait son activité. » (p. 23)
Le risque ici est grand, effectivement, d’authentifier cet Imaginaire que le sujet nous présente
et : « de substituer à la reconnaissance sur le plan symbolique, la reconnaissance sur le plan
imaginaire, au lieu d’y voir un retour dans le Réel, c’est à cela qu’il faut attribuer les cas bien
connus de déclenchement assez rapide de délire plus ou moins persistant, et quelque fois
définitif ». (p. 24)
Cependant, il nous paraît intéressant de nous attarder sur cette opération de doublure que
Lacan impute au tiers. Cette opération, rappelons-le, est le résidu de l’écrasement de l’Autre,
écrasement de sa garantie sur l’autre de la rivalité.
Cette opération désarrimée de son lieu originel nous renseigne peut-être sur son implant
d’origine. D’où vient-il à la doublure de se présenter comme enveloppe du Sujet et de
l’Inconscient ? Sinon d’un troisième registre d’où s’apercevrait la première intrication du
Symbolique et du Réel.
Pour ce faire et, dans un premier temps, Lacan remet en question la compréhension immédiate
que nous avons de la psychose paranoïaque, il souligne comment le sujet paranoïaque
s’interroge sur une signification du monde. La caractéristique de cette signification du monde,
c’est qu’il s’agit là d’un noyau « compréhensible » mais qui est inaccessible, inerte, stagnant
par rapport à toute dialectique, c’est-à-dire qu’il ne s’inscrit pas dans un échange de paroles.
C’est ce que Monsieur Séglas aurait été sur le point d’entrevoir, s’il avait poursuivi ses idées
jusqu’au bout, puisqu’il avait démontré que, même dans l’hallucination verbale, en y
regardant d’un peu plus près, les psychosés sont en train d’articuler, en le sachant ou pas, les
mots dont ils accusent les voix de les avoir prononcés.
Voilà quelque chose qui nous intéresse puisqu’effectivement, l’hallucination auditive s’avère
n’avoir pas sa source à l’extérieur mais à l’intérieur. Lacan prend comme exemple clinique,
cette fois, le texte de Schreber sur lequel Freud s’était lui-même appuyé; il rappelle comment
cette stase dialectique se trouve intégrée dans le délire de Schreber sous la forme de langue
fondamentale que les rayons (dont c’est la nature) sont tenus de parler, et puis, Lacan ajoute :
« Le délire, dont vous verrez la richesse, présente des analogies surprenantes, non pas
simplement par son contenu, par le symbolisme de l’image, mais bien dans sa constitution, sa
structure même, avec certains schémas que nous pouvons, nous-mêmes, être appelés à extraire
de notre expérience. Vous pouvez entrevoir, dans cette théorie des nerfs divins qui parlent et
peuvent être intégrés par le sujet, tout en étant radicalement séparés, quelque chose qui n’est
pas tout à fait différent de ce que je vous enseigne de la façon dont il faut décrire le
fonctionnement des Inconscients. » (p. 36)

39
D’ailleurs, Freud, déjà, avait fait remarquer qu’il y avait quelque chose qui, dans l’analyse
faite par Schreber lui-même de son délire, ressemblait à sa théorie de la libido. Il y a donc là
dans le texte du délirant, une sorte de vérité qui n’est pas cachée, comme c’est le cas dans les
névroses, mais qui joue peut-être bien à ciel ouvert. En ce sens, on peut dire que : « Le délire
se présente comme un double, parfaitement lisible, de ce qu’aborde l’investigation
théorique. » (p.37)
Toute la question pour nous, c’est de savoir si cette même investigation théorique que Lacan
va mettre à jour, la topologie, est plus ou moins aperçue, entre-aperçue par quelqu’un comme
Schreber quand il décrit son délire.
Le délire double notre théorie, voilà l’hypothèse de Lacan comme de Freud (pour la libido),
mais en plus, ce délire est lui-même structuré de manière ambiguë. Quelle théorie s’offre alors
en doublure de nos délire ? Est-ce la linguistique ?
Lacan, au début de cette année 55-56, introduit la bipartition signifiant-signification que
précisera, essentiellement, au terme de ce Séminaire III, l’opposition devenue classique
maintenant de signifiant-signifié.
Pour l’instant, Lacan isole une singulière division au cœur du discours délirant : d’une part,
l’existence de néologismes qui sont des altérations du matériel signifiant, du mot lui-même et,
d’autre part, un trouble de la signification, trouble par rapport au poids normal de la
signification du langage chez le névrosé : dans certains délires, la signification ne s’épuise
plus dans un renvoi indéfini à elle-même. Elle se fige en ritournelle.
« Au niveau du signifiant, dans son caractère matériel, le délire se distingue précisément par
cette forme spéciale de discordance avec le langage commun qui s’appelle un néologisme. Au
niveau de la signification, il se distingue par ceci, qui ne peut vous apparaître que si vous
partez de l’idée que la signification renvoie toujours à une autre signification, à savoir que,
justement, la signification de ces mots ne s’épuise pas dans le renvoi à une signification. » (p.
43)
Le néologisme s’accompagnerait d’une intuition délirante qui se présente comme un
phénomène comblant, du type plein comme quand Lacan parlait de parole pleine alors que la
parole vide s’accolerait à la ritournelle qui ne renvoie plus à rien, forme usée de la
signification.

Voilà en quelque sorte le chiasme que la structure du discours délirant nous montre,
phénomènes ressentis par le délirant sous une forme parasitaire.
Lacan souligne à quel point le sujet psychotique a connaissance comme tel du phénomène
parasitaire, et il avance cette idée, qu’à partir du moment où on admet que le sujet en a
connaissance, il faut aussi reconnaître, admettre, qu’il en a, en quelque sorte, possibilité
endoscopique. Il peut, autrement dit, quelque part, en un point privilégié, avoir une
endoscopie de ce qui se passe en lui-même. Ce point privilégié d’endoscopie est ce que,
couramment, nous appelons l’âme, c’est-à-dire, ni plus ni moins, la fonction de synthèse (le

40
Moi, autrement dit). Seulement, cette fonction de synthèse n’est pas suffisante pour expliquer
les phénomènes de la psychose, il faut en revenir à la découverte freudienne qui est de poser
la question dans un autre registre que celui de la phénoménologie puisque Freud pose la
question dans le registre de la parole.
Et Lacan de poursuivre : « L’hallucination verbale, qui y est fondamentale, est justement un
des phénomènes les plus problématiques de la parole ». (p. 46) (On se souviendra, en effet,
des remarques de Séglas)
II. Topique du trou dans la psychose
Si l’on admet cette endoscopie des phénomènes de paroles dans le délire, on doit bien
admettre aussi que le sujet psychotique doit bien avoir de son trouble quelques
renseignements à nous fournir.
On connaît la distribution freudienne entre névrose et psychose (cf. « Perte de la réalité dans
la névrose et psychose », in Névrose, psychose et perversion)
Dans la névrose, le sujet peut élider une partie de sa réalité psychique et cette partie oubliée se
fait entendre, non plus directement, mais de manière symbolique. La psychose est tout autre
chose, ce n’est pas dans la réalité psychique qu’il y a refoulement, mais c’est dans la réalité
extérieure qu’il y a eu trou, rupture, déchirure. Et c’est ce trou que viendra combler le monde
fantastique et par monde fantastique, Lacan vise la pièce rapportée du phantasme psychotique.
Au passage, nous faisons remarquer qu’il faut trouver, ici, l’esquisse de ce qui, chez Lacan, se
déploiera comme savoir (au sens, par exemple, du savoir inconscient) dans sa théorie du
mathème ou de sa place dans les nœuds. Le savoir, ici, se noue à la fonction de refoulement
car, agir sur le refoulé par le mécanisme du refoulement, c’est en savoir quelque chose, il y a
donc un lien essentiel entre le savoir et le refoulement.
Dans l’épisode paranoïaque de l’Homme au loup, ce qui a été rejeté du Symbolique réapparaît
dans le Réel car le malade, précisément, n’en veut rien savoir au sens du refoulement, c’est-à-
dire que, pour lui, le savoir ne surgit pas du rapport qu’il entretient avec le refoulement
comme c’est le cas dans la névrose.
En quelque sorte, le savoir est quelque chose qui surgit de l’intérieur, comme effet du
refoulement alors que ce qui rejeté dans la psychose revient de l’extérieur. Est-ce à dire que le
savoir est l’envers de l’hallucination ?xxviii[v]
Ainsi donc, au lieu de voir surgir ce savoir au sens du refoulement, nous ne voyons rien surgir
d’autre qu’une hallucination, un fantasme psychotique pour remplir ce trou dans la réalité,
phénomène dont, par ailleurs, le psychotique possède une sorte d’endoscopie.
On peut tout de suite induire de ce qui précède que là où l’écart entre l’Autre et l’autre se
trouve réduit à un écrasement, existe un trou détaché de toute fonction, tenant lieu hors-
dialogue de cet écart. Il faut ajouter que la fonction de Vérité, elle aussi inhérente à l’exercice
de la parole, suivra les contrecoups de la détérioration du schéma L, schéma du
fonctionnement de la parole.
« L’Autre dont il s’agit dans cette situation n’est pas au-delà du partenaire, il est au-delà du
sujet lui-même – c’est la structure de l’allusion – elle s’indique elle-même dans un au-delà de
ce qu’elle dit. »
C’est dans cette forme de l’allusion que Lacan voit la trace de l’exclusion du grand Autre.
Lacan souligne encore : « la temporalité spécifique du discours délirant où la locution
présuppose la réponse, alors que dans la parole vraie, au contraire, la locution est la réponse ».
(p. 64)

41
« Dans la parole délirante, l’Autre est exclu véritablement, il n’y a pas de vérité derrière, il y
en a si peu que le sujet, lui-même, n’y met aucune vérité, et qu’il est vis-à-vis de ce
phénomène brut en fin de compte, dans l’attitude de la perplexité. Il faut longtemps avant
qu’il ne tente de restituer autour de cela un ordre que nous appellerons : l’ordre délirant. » (p.
64)
Après s’être intéressé à la parole, Lacan va maintenant s’intéresser au langage en reprenant la
distinction signifiant-signifié. Rappelant, ici, que le matériel signifiant, c’est le Symbolique,
alors que la signification, qui renvoie toujours à la signification, est de la nature de
l’Imaginaire.
Ici, Lacan noue signification et signifié et il reprend la distinction de De Saussure entre la
synchronie et diachronie.xxix[vi]
Il ajoutera un peu plus tard (p. 76) que le Réel, c’est le discours bel et bien tenu réellement
dans sa dimension diachronique.
A ce moment de son enseignement, Lacan s’arrête un instant sur la théorie qu’il est en train de
tramer. Il ne lui donne pas encore une existence logique mais bien pratique. C’est au fond, un
bricolage utile en ce sens qu’il nous permet de saisir un peu mieux le rapport des humains aux
objets, au monde, à la parole, avec les trois étapes que nous connaissons, celle du signifiant
(Symbolique), de la signification (Imaginaire) et du discours (Réel). Mais ce petit bricolage se
doit d’être cohérent.
C’est à cette exigence que répond, ce que Lacan appelle, son petit carré qui va du sujet à
l’autre et, dans le sens contraire, va vers l’Autre, le grand Autre de l’intersubjectivité. Il ne
s’agit pas là d’un système du monde, il ne s’agit donc pas là d’une ontologie mais, il s’agit
d’un système de repérage de notre expérience. Dans ce petit carré (schéma L), Lacan rappelle
que le fou est d’abord quelqu’un qui n’a pas besoin d’être reconnu, c’est-à-dire pour qui
l’expérience de l’Autre n’est pas nécessaire, en ce sens, nous dit-il, que s’il peut écrire, il n’est
pas poète car la poésie est création d’un sujet assumant un nouvel ordre de relation
symbolique au monde et tel n’est pas le cas de la folie.
Ces considérations plus générales n’empêchent pas Lacan de revenir plus en détail, comme il
le fait tout au long de ce séminaire, sur les écrits du Président Schreber, c’est-à-dire sur ce qui
fait la particularité du délire paranoïaque, particularité que nous retrouvons dans l’optique de
notre hypothèse à propos de cette topologie naissante. En effet, dans la suite de la séance,
Lacan nous parle de l’hallucination du président Schreber sous la forme de quelque chose qui
a été rejeté de l’intérieur et qui reparaît à l’extérieur. En fait, cette notion d’intérieur-extérieur
redouble les deux catégories du symbolique et du réel.
Donc, quelque chose qui n’est pas symbolisé reparaît dans le Réel. La catégorie du Réel, ici,
est essentielle à introduire.
Lacan fait porter ce rejet primordial de l’intérieur sur la Bejahung primitive, sur l’admission
symbolique de départ sur laquelle porterait une espèce de Verwerfung, une espèce de rejet. Ce
qui réapparaît dans le Réel, réapparaît sous la forme d’une signification qui n’a l’air de rien,
qui ne renvoie à aucune autre signification qui ne vient de nulle part et pourtant par rapport à
laquelle le sujet se sent éminemment concerné.
Comment le délire double-t-il Réel et Symbolique ?

Ce petit retour au commentaire de Schreber nous permet de rappeler que la notion du trou,
évoquée supra, est une dimension essentielle et qui s’élabore dans ce Séminaire III. N’est-elle

42
pas, d’ailleurs, éminemment sensible dans le comportement animal ? Lacan rappelle que
l’épinoche mâle creuse des trous durant sa danse nuptiale, comportement qu’il répète au
moment où, dans sa vie amoureuse, il se trouve dans l’indécision sociale de savoir si un rival
qui s’approche doit être attaqué ou pas. Il s’agit bel et bien d’une manifestation érotique de la
négativité (p. 109). A la limite, on pourrait dire que, dans la vie animale, une logique peut,
elle aussi, se dégager comme pure conduite « presque symbolique » au point de jonction de la
négativité et de l’érotisme.
C’est un fait qui amène Lacan à replacer le débat dans le discours analytique où certaines
choses semblent, elles aussi, témoigner de leur importation significative d’un lieu dans un
autre.
C’est ainsi que la démarche psychanalytique ne vise pas essentiellement à retrouver la
localisation chronologique des événements et à restituer une part du temps perdu.
Il y a aussi des choses qui se passent sur le plan topique.
Il existe donc une distinction de registre qui est implicite dans la démarche de Freud en ce
sens qu’il y a des modifications de la structure imaginaire du monde qui interfèrent avec des
modifications dans la structure symbolique. Ceci est particulièrement sensible dans la
distinction névrose-psychose.
« Dans le cas des névroses, le refoulé apparaît, in loco, là où il a été refoulé, c’est-à-dire dans
le milieu même des symboles, il reparaît, in loco, sous un masque. Le refoulé dans la
psychose, si nous savons lire Freud, reparaît dans un autre lieu, in altero, dans l’imaginaire et
là, en effet, sans masque. » (p.120)
Au fond, si pour le délirant, on peut avancer une certaine endoscopie des phénomènes qui le
parasitent, pour l’observateur, il en résulte une exoscopie des lieux topiques où ces
phénomènes se déploient. Car, pour peu que cet observateur possède une conception
théorique, cohérente, logique de la structure de la parole, il verra apparaître, en des lieux
différents, des moments linguistiques qui appartiennent à des chaînes situables par ailleurs
dont ils se sont détachés.xxx[vii]
Toutes ces transformations ne nous donnent-elles pas à penser que, de la même manière que
le refoulé psychotique revient dans le Réel du psychotique, de la même manière, la structure
topologique normale mise à mal dans la psychose, reparaît comme une topique de l’étrangeté
pour le psychanalyste ?
Ici, c’est la topologie qui reviendrait dans le Réel comme nécessité significative.
III. Une topologie de l’espace parlant
Cette topologie, dont on pourra voir, ici, la première émergence nominale et conceptuelle
dans l’œuvre de Lacan au séminaire, s’introduit autour de la place du personnage divin dans
le délire du Président Schreber. Au cours de cette analyse de la structure de la personne
divine, Lacan met en évidence la notion de monologue intérieur, encore que le terme comme
tel ne soit pas cité, mais bien celui de discours intérieur. Il est comme le discours inconscient
qui double le discours conscient.
N’est-ce pas celui que nous cherchons à laisser se déployer quand, dans la cure, nous
demandons à nos patients de pratiquer l’association libre ?
Ce personnage divin préfigure la place que Lacan donnera plus tard au Nom-du-Père. (Séance
IX)
On peut en inférer la fonction, rien qu’ à partir des avatars de cette présence divine pour
Schreber. Lacan repère, à la suite de Freud, la notion du laisser-en-plan, du laisser-tomber,
essentielle dans le délire ainsi que cette double relation que Schreber entretient avec Dieu :

43
dialogue interne (il est précisément laissé en plan à ce niveau du monologue intérieur) et
rapport érotique de béatification. La relation que l’ensemble de cette phantasmagorie
entretient avec le Réel et le Symbolique et avec l’Imaginaire, c’est ce dont Lacan va essayer
de traiter dans la séance suivante de son séminaire. (Séance X)
Voilà une séance tout à fait centrale et importante, non seulement à l’intérieur de ce séminaire
consacré aux psychoses, mais aussi à l’intérieur de l’œuvre de Lacan. En partant de cette
question qu’il est en train de débattre, du rapport du discours conscient au discours
inconscient, du discours symbolique proféré au discours intérieur, Lacan tente d’articuler,
pour nous faire comprendre cette distinction, des notions comme celles de liberté où un
discours qui nous est intérieur s’avère, dans la réalité, irréalisable.
A partir de là, Lacan essaie, dans le délire de Schreber, de retrouver ces deux types de
discours. Il nous montre, par exemple, qu’au-delà du discours acoustique, il y a à l’intérieur
de ce discours quelque chose qui est un appel à une signification.
« Il y a un lien entre l’ouïr et le parler qui n’est pas externe, au sens où l’on s’entend parler,
mais qui se situe au niveau même du phénomène du langage. C’est au niveau où le signifiant
entraîne la signification, non pas au niveau sensoriel du phénomène, que l’ouïr et le parler
sont comme l’envers et l’endroit. » (p. 155)xxxi[viii]
Ce niveau recherché, ce niveau problématique, Lacan lui donne le terme d’être, et il en donne
comme exemple, l’être qui surgirait de cette évocation, qui est parlante pour chacun, de la
paix du soir. Et quelque chose de cet être surgirait donc, au centre de l’expérience du
Président Schreber, qu’il sent sans le savoir, quelque chose qui est à la frange de son
expérience. C’est quelque chose qui surgit au moment où se retire le Dieu ambigu et double
qui se présente habituellement sous cette forme intérieure. A ce moment-là, se produisent
quatre choses pour Schreber : le miracle de hurlement, un appel au secours (cet appel au
secours est un appel à l’aide à une signification), troisièmement, une espèce de bruitage du
dehors, quatrièmement, l’appel d’un certain nombre d’êtres vivants.
« Ainsi, entre ces deux pôles, le miracle de hurlement et l’appel au secours, se produit une
transition, où l’on peut voir les traces du passage du sujet, absorbé dans un lien
incontestablement érotisé. Les connotations y sont – c’est un rapport féminin/masculin – ... (Il
y aurait là) une espèce de trans-espace lié à la structure du signifiant et de la signification,
spatialisation préalable à toute dualisation possible du phénomène du langage. » (p. 159-160)
Lacan termine cette séance avec un passage tout à fait central où il dit explicitement que ce
qui ressort de cette analyse du délire de Schreber, se nécessite d’une topologie subjective qui
apparaît d’une façon quasi réelle puisque elle est symbolisée dans un délire pour Schreber lui-
même.
D’une certaine façon donc, cette topologie lacanienne est une théorisation de ce qui fait retour
dans la psychose, du fait de la forclusion.
En quelque sorte, nous avons affaire à un espace qui hante le Réel, fantôme qui apparaît,
prend forme à l’occasion du retour de ce qui est rejeté.
« Il y a, ici, une topologie subjective qui repose tout entière sur ceci, qui nous est donnée par
l’analyse qu’il peut y avoir un signifiant inconscient. Il s’agit de savoir comment ce signifiant
inconscient se situe dans la psychose. Il paraît bien extérieur au sujet mais c’est une autre
extériorité que celle qu’on évoque quand on nous présente l’hallucination et le délire comme
une perturbation de la réalité, car le sujet, lui, reste attaché par une fixation érotique. Nous
avons, ici, à concevoir l’espace parlant comme tel, tel que le sujet ne peut s’en passer, sans
une transition dramatique où apparaissent les phénomènes hallucinatoires, c’est-à-dire où la
réalité elle-même se présente comme atteinte, comme signifiante aussi. Cette notion

44
topographique va dans le sens de la question déjà posée sur la différence entre la Verwerfung
et la Verdrängung quant à leur localisation subjective. » (p. 160-161)
On peut se demander si, effectivement, cette topologie subjective vaut aussi bien pour chacun
de nous que dans la psychose et, plus particulièrement, quant à savoir si ce signifiant
inconscient comme tel, qui produit cette espèce de fixation érotique, se produit aussi pour tout
un chacun.
Pour répondre à cette question à partir du point de vue de Lacan (c’est-à-dire à partir de la
psychose), il faut considérer que l’espace imaginaire, celui que le stade du miroir nous a
permis d’isoler, ne peut, à lui seul, rendre raison des phénomènes rencontrés. En d’autres
termes, il est vrai que le Moi a toujours un jumeau, le Moi idéal, avec qui il entretient un
rapport de captation transitive, mais ce n’est pas ce dédoublement comme tel qui peut rendre
compte de l’extériorité hallucinatoire. « Les mécanismes en jeu dans la psychose ne se
limitent pas au registre imaginaire. » (p. 166)
Car, la vraie question est d’intégrer le fait que « ça parle », à notre topologie imaginaire, elle
qui ne peut donner que sa forme à l’aliénation psychotique et non éclairer sa dynamique. Il
faut donc intégrer l’Autre de la parole au schéma issu de la topologie imaginaire.
Dans ce séminaire, il y a donc lieu de vérifier si cette nouvelle topologie est introduite
(intégrer l’Autre) et en plus, s’assurer qu’elle rend bien compte du phénomène de la parole et
plus particulièrement de son rapport au monologue intérieur.

Or, de la parole, Lacan n’en parlera plus guère dans les séances qui suivent immédiatement. Il
s’attache plutôt à cerner, dans la topologie symbolique, celle des circuits cybernétiques, la
place de cette Verwerfung du signifiant primordial.xxxii[ix]
Il s’agit d’un rejet d’un signifiant primordial dans une topologie qui inclut un intérieur et un
extérieur ; il ne s’agit pas d’un intérieur du corps, il s’agit d’un dedans primitif qui est un
corps de signifiant, et c’est ce corps de signifiant qui constitue le monde de la réalité. Il y a
une ambiguïté dans le texte de Lacan parce qu’il semble bien que ce signifiant primordial
rejeté dans la psychose, mais nécessaire à la constitution du monde symbolique, il semble
bien que ce signifiant primordial s’arrache lui-même sur quelque chose qui serait une sorte
d’amputation du corps.xxxiii[x]
L’exemple du placenta (p. 171) vient ici bien à propos.
« Le signifiant est donc donné primitivement, mais il n’est rien tant que le sujet ne le fait pas
entrer dans son histoire, il prend son importance entre un an et demi et quatre ans et demi. Le
désir sexuel sera, en effet, ce qui servira à l’homme à s’historiser, pour autant que c’est à ce
niveau que s’introduit pour la première fois la loi. » (p. 177)
L’ambiguïté porte sur ce fait que Lacan postule une néantisation primordiale symbolique d’où
surgiraient les premières alternances jour-nuit, bon-mauvais, par exemple. Ces premiers
« signifiants primordiaux » peuvent, ensuite, être rejetés, laissant donc un trou dans cette
alternance. Lacan rappelle à cette occasion comment ces signifiants s’historisent pour le sujet
du fait de la libido.
Si le rejet de ce signifiant primordial laisse un trou qui nous fait sentir, en retour, la nécessité
d’une topologie qui rendrait compte du retour dans le Réel de ce qui a été rejeté, notre

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question revient donc à demander si au départ de ce signifiant primordial, l’historisation en
question prend structure topologique ?
Or, pour prendre structure topologique, elle devra nécessairement s’articuler autour d’un trou
et il faudra donc démontrer que ce trou du symbolique n’est pas du tout le même que le trou
dans la texture du même symbolique qui aspire l’existence entière du psychotique dans une
néantisation, différente, elle aussi, de la néantisation symbolique qui donne naissance aux
premières alternances signifiantes.
S’il existe des signifiants primordiaux, si certains d’entre eux peuvent être rejetés, laissant un
trou dans la structure, comment se fait-il que puissent faire retour de ce fait, des paroles
hallucinatoires ?
Il faut donc que ces signifiants primordiaux aient bel et bien rapport à cette fonction de la
parole. Pas tous les signifiants primordiaux ont un rapport à cette fonction, voilà ce que Lacan
essaie de dire en filigrane des leçons suivantes, où il tente d’isoler, parmi ces signifiants, celui
qui serait responsable de ce désordre topologique.
Repartant du Schéma L, Lacan poursuit alors, interrogeant cette parole :

« Entre S et A, la parole fondamentale que doit révéler l’analyse, nous avons la dérivation du
circuit imaginaire, qui résiste à son passage. Les pôles imaginaires du sujet, a et a’, recouvrent
la relation dite spéculaire, celle du stade du miroir. Le sujet, dans la corporalité et la
multiplicité de son organisme, dans son morcellement naturel, qui est en a’, se réfère à cette
unité imaginaire qui est le Moi, a, où il se connaît et se méconnaît. » (p. 181)
Lacan poursuit en rappelant que : « Pour l’analyste, placé en A, il convient de ne pas
s’identifier au sujet, c’est-à-dire de faire suffisamment le mort pour ne pas être pris dans la
relation imaginaire, c’est-à-dire pour permettre la migration de l’image du sujet vers le
(ES)xxxiv[xi] qui est la chose à révéler, la chose qui n’a pas de nom et qui ne peut trouver son
nom que quand le circuit s’achève directement de S vers A. » (p. 182).
Lacan pense que l’énigme de chaque sujet se joue dans l’Autre grâce à ce qu’il appelle parole
pleine, une sorte de « tu es » où le sujet s’identifie et où, pourrions-nous ajouter, s’estompe,
pour un instant, l’écart entre le discours tenu et le monologue intérieur.
Dans la psychose, l’Autre est précisément ce qui exclu. L’être du sujet, de ce fait, ne peut pas
se réaliser à cet endroit dans l’aveu de la parole, à la place vient une relation d’écho intérieur
voire d’allusion imaginaire.
Qu’est-ce que cet Autre ?
Quelle fonction remplit-il pour être à ce point maître de la topologie de l’espace parlant ?
C’est par un détour inattendu que Lacan le présente.
Si Lacan introduit la question de l’hystérie dans ce séminaire essentiellement consacré aux
psychoses, c’est parce que l’hystérique lui sert pour introduire ce qui va être mis en cause
radicalement dans la psychose, à savoir ce que Lacan appelera le Nom-du-Père. Pour
introduire cette notion, Lacan avait besoin de situer le grand Autre, il avait besoin de situer
l’ordre symbolique et montrer que la connaissance de la sexualité est liée à cette
reconnaissance du symbolique ; c’est pourquoi les questions de procréation sont si essentielles

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pour l’hystérique puisque c’est à ce niveau qu’elles se posent. Elles se posent comme étant
problématiques pour l’hystérique, elles se poseront comme étant complètement confuses pour
le psychotique.
S’ensuit un long commentaire de la nécessité du complexe d’Oedipe tel que Freud l’a
introduit dans sa nouvelle topique qui met l’accent sur le caractère imaginaire de la fonction
du moi. Lacan rappelle alors quelle dissymétrie existe entre le destin de la femme et le destin
de l’homme au niveau symbolique dans le rapport qu’ils entretiennent l’un et l’autre avec le
signifiant.
Il explique, c’est un point tout à fait important puisque cela aura un destin particulièrement
crucial dans la suite de son travail, que quelque chose cependant échappe à la trame
symbolique, c’est la procréation. Dans le symbolique, rien n’explique la création.
« Il y a, en effet, quelque chose de radicalement inassimilable au signifiant. C’est tout
simplement l’existence singulière du sujet. Pourquoi est-il là ? D’où sort-il ? Que fait-il là ?
Pourquoi va-t-il disparaître ? Le signifiant est incapable de lui donner la réponse, pour la
bonne raison qu’il le met justement au-delà de la mort. Le signifiant le considère déjà comme
mort, il l’immortalise par essence. » (p. 202)
Tout ceci sert d’introduction évidemment à ce qui va être central dans le mécanisme de la
psychose du Président Schreber où se dessine aussi la question de la procréation, de la
procréation féminine tout spécialement.
Alors, cette question ne se résume-t-elle pas finalement en ceci : que la procréation xxxv[xii] ne
serait rien d’autre que l’irruption du signifiant en tant que signifiant, c’est-à-dire qu’un être
surgisse du néant pour prendre place dans l’ordre signifiant ? Mais ce n’est pas tout, ni
suffisant.
Car ce signifiant pourrait subsister inerte si le sujet ne se démontrait pas capable de s’en
servir, fut-ce pour nous tromper sur ce qu’il y a à signifier. Le signifiant a donc deux faces. La
première est d’occuper une place dans la chaîne symbolique ; la seconde est d’être utilisé par
un sujet. Exclu, il revient dans le Réel comme une incongruité, son retour s’accompagne du
sentiment qu’un autre-veut-pour-nous. On assiste bien ici, à une sorte d’inter-subjectivité
fantasmatique.
Il y a immixion des sujets dans le délire, comme on l’avait vu dans le rêve de l’injection faite
à Irma, il y a immixion des sujets mais pour compenser ce sentiment que quelque chose reste
énigmatique sur cette initiative qui vient de l’Autre.
Ce Nom-du-Père pour Lacan, c’est quelque chose qui serait lié à la dimension du signifiant
comme signifiant. Qu’est-ce qui fait qu’un signifiant peut être utilisé comme pur signifiant
par un humain ? Là où quelqu’un se trouve dans une profonde perplexité à l’égard de cette
question, nous avons un risque de psychose.
C’est pourquoi : « Il s’agit de concevoir, non pas d’imaginer, ce qui se passe pour un sujet
quand la question lui vient de là où il n’a pas de signifiant, quand c’est un trou, le manque qui
se fait sentir comme tel ». (p.228)
Ce manque peut être manque d’un signifiant, celui du Nom-du-Père. Lacan le commente dans
ses trois problématiques.
Dans la normalité, la réalisation oedipienne se fait dans une relation agressive à l’égard du
père, c’est par la voie d’un conflit imaginaire que se fait l’intégration symbolique.
Mais il est une deuxième voie que l’ethnologie nous a fait découvrir au travers du phénomène
de couvade, où nous voyons jouer à plein la fonction réelle de la procréation.
Dans le délire enfin, on voit surgir la fonction réelle du père sous une forme imaginaire.

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Ainsi se trouve donc précisée, à défaut d’être explicitée largement, la cause de ce trou et le
retour qui s’opère dans le Réel. Il est grand temps de tirer les conséquences de ce que la
psychose nous démontre des structures topologiques vues du point de vue, non plus de
l’imaginaire ou du symbolique mais du point de vue du Réel, ou à tout le moins, du point de
vue de ce qui fait retour dans ledit Réel.
Ces conséquences valent pour l’espace de la parole comme tel. Il nous faut donc les tirer aussi
bien pour le discours du névrosé, c’est-à-dire de tout un chacun.
IV. Le nœud qui capitonne
A partir d’ici, nous pouvons nous faire une idée de la Topologie de l’espace parlant comme
tel. Elle s’appuie, elle aussi, sur la fonction de doublure. On se rappellera comment la
symétrie imaginaire s’annule dans l’incorporation du double, et aussi, comment l’Autre du
langage symbolique renvoie le message à son émetteur sous la forme d’un aveu de parole,
voici maintenant que le Réel lui-même se trouve dédoublé entre le discours tenu et le
monologue intérieur qui l’accompagne.
Cette structure à deux voies se dissocie dans la psychose. Dans la théorie, elle se
topologisexxxvi[xiii] de deux axes, l’un longitudinal, l’autre radial ou transversal : axe de la
continuité et axe de la similarité.

Lacan reprend alors à Jakobson l’opposition de la métaphore et de la métonymie qui glisse au


long des intersections des ces axes et il la rapporte à ce que Freud appelait condensation et
déplacement.
Lacan avance que la fonction du père viendrait si pas nouer ces fils transverses, à tout le
moins, y inscrire la fonction de Vérité supplémentairement à leur intersection. On peut donc
imaginer que cette fonction de vérité (vérité du géniteur) jouerait ici le rôle de nœud,xxxvii[xiv]
voire d’agrafe (agrafe !) pour cette articulation.

Le rêve, analysé par Freud, conjoint par l’image ces deux axes qui se reséparent dans
l’exercice du discours. C’est ici que le psychotique se différencie du névrosé.
Le névrosé hystérique ou obsessionnel habite le langage tandis que le psychotique est possédé
par ce langage, c’est-à-dire que du monologue permanent de tout un chacun qui soutient le
quotidien, quelque chose se détache qui apparaît comme une musique à plusieurs voix. (p.
284)
En rattachant la psychose à un rapport de structure, un rapport signifiant tout à fait pur, Lacan
met en évidence que cette structure du signifiant se présente dans la psychose comme
extérieure à l’univers du psychotique ; c’est cette dimension d’extériorité qui réapparaît dans
le Réel.

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On peut dire donc que, du point de vue de notre topologie, cette expérience du psychotique
nous intéresse dans la mesure où elle met en évidence ce qui se trouve écrasé dans les
névroses classiques, à savoir cette dimension du Réel que le psychotique rencontre, à un
moment tout à fait particulier.
C’est au moment où il doit prendre la parole en son nom propre, et non plus répéter le
discours appris, le discours quotidien, que ça défaille.
Quelque chose manquait par exemple, dans cette relation de Schreber au signifiant dans sa
psychose et, comme tel, ce manque n’est pas repérable. On peut penser que c’est à l’absence
du signifiant mâle primordial auquel il a pu sembler pendant des années être égalé, qu’il s’est
trouvé confronté dans son fantasme de féminisation.
Mais les conséquences de ce qui manque là sont une sorte d’écrasement de l’autre avec
l’Autre absolu.
Distinction que nous pouvons comprendre si nous la référons au discours de Freud sur le
nouveau-né quand il nous présente cette contradiction entre une relation dite auto-érotique
sans objet discernable, et une remarque clinique qui nous présente quand même les enfants
comme intéressés à toute une série d’objets qui existent autour d’eux. Ce qui n’existe pas dans
la relation auto-érotique, c’est le rapport au grand Autrexxxviii[xv] , mais par contre, ce qui
existe, c’est le rapport à l’autre comme image de moi.
Cet écrasement de l’autre avec l’Autre, cet écrasement d’un autre sur l’Autre est précisément
ce qui se produit dans l’amour de Schreber. Voilà ce qui permet de comprendre la phrase de
Freud selon laquelle le psychotique aime son délire comme lui-même. On notera au passage
que ce qui relève de cet Autre est très précisément situé par Lacan comme relevant du registre
de la parole, alors que ce qui relève de la structure du signifiant, de l’organisation des choses,
est du registre du langage et serait plutôt à mettre du côté du petit autre.
Résumons donc l’avancée de Lacan.
Il y a deux feuillets au discours. L’un, chaîne signifiante, glisse dans la syntaxe du signifiant,
l’autre, sorte de monologue intérieur, interroge la dimension du signifié de la parole, tel que la
métaphore le met en scène par d’autres voies, celle de la similarité, par exemple.
Nous arrivons ainsi à la séance XXI du 6 juin 1956 qui représente, avec la séance X, le
deuxième point culminant de ce séminaire, du point de vue qui nous occupe.
En effet, la topologie de cette séance consiste essentiellement à montrer qu’entre le signifiant
et le signifié, il y a une espèce de point qui capitonne les deux strates de discours que l’un et
l’autre composent. Ces deux strates sont isolables, par ailleurs, dans la psychose sous la forme
pour le signifiant :
- de phénomènes neutralisés, serinés, répétés sans signification et, par ailleurs ;
- d’un dialogue plus plein, ineffable de paroles pleines.
L’un et l’autre de ces deux discours, l’un de scansion, l’autre de sens, s’articulent comme
dans les rêves, ainsi que Freud l’a montré, autour d’une sorte de trou, de nœud que Freud
appelait ombilic du rêve.
Lacan, pour nous le présenter, reprend le schéma des deux courbes de Ferdinand de Saussure.
(p.156 du cours de linguistique générale)

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Quelque chose donc est introduit, ici, par Lacan avec cette métaphore (puisque cela reste une
métaphore et qu’il ne la présente pas comme un dessin) d’un nœud qui fait que l’un et l’autre
de ces deux discours se trouvent crochetés, capitonnés par un certain nombre de points qui les
lient entre eux, et qui les empêchent d’avoir cette espèce de vie isolée l’un de l’autre. La
crainte de Dieu, par exemple, est un de ces points de capiton. L’Oedipe est un nœud qui
témoigne de l’existence de ces points de capiton.
Ce Séminaire L III se termine sur ces questions.
Lacan les reprend de la vie quotidienne quand, dans le discours commun, nous pouvons faire
s’accorder la proposition relative, en français, avec la proposition principale : chacune des
propositions, ici, pouvant être comparée à l’un et l’autre des deux textes du discours :
« tu es celui qui me suivra »
« tu es celui qui me suivras ».
« La relative en français s’accorde ou pas avec le tu de la principale : « Tu es celui qui me
suivras », selon la façon dont le je dont il s’agit, est intéressé, captivé, épinglé, pris dans le
capitonnage dont je parlais l’autre jour, selon la façon dont, dans le rapport total du sujet au
discours, le signifiant s’accroche. » (p. 318)
« C’est cette relation au signifiant qui détermine l’accent que va prendre, pour le sujet, la
première partie de la phrase, « tu es celui qui... », selon que la partie signifiante aura été par
lui conquise et assumée ou, au contraire, rejetée. » (p. 318)
Toute la question devient maintenant de savoir ce qui se passe quand cette partie signifiante
fait défaut, et en quoi consiste ce qui peut faire défaut, ce qui se décompose à cet endroit, et il
s’agira aussi de voir quel est ce signifiant primordial qui est manquant pour Schreber, d’où il
résulte une espèce de béance, de trou où rien de signifiant ne peut répondre chez le sujet.
Et Lacan de s’interroger sur la fonction du « tu » qui est une façon d’hameçonner l’autre,
c’est-à-dire une ponctuation par quoi l’autre est fixé en un point de signification. De là, se
pose la question de savoir comment promouvoir cet autre à la subjectivité. C’est autour du
verbe être que Lacan articule cette mise à la subjectivité dans le rapport que le « tu »
entretiendrait au verbe être comme copule dans la fonction ostensive, exemple : « tu es celui
qui..., c’est toi qui... »
La forme « être père » est celle qui représente le mieux cette problématique. La fonction
« être père » n’est, en effet, absolument pas pensable dans notre expérience sans la catégorie
du signifiant, alors que la dimension de création, ainsi que nous l’avons dit, est étrangère à cet
ordre symbolique. « Père » veut dire : faire passer une créature à l’ordre symbolique de la
création.
Ce livre se termine sur l’évocation de deux schémas perdus, malheureusement, pour la
retranscription.
L’un d’eux doit être le Schéma L des débuts du Séminaire III.
L’autre semble être un triangle.xxxix[xvi]

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Le phallus est le tiers terme qui manque à la relation saturante entre la mère et son enfant. Ce
manque, s’il n’était pas à référer à un père, ne serait, dans la dialectique imaginaire, qu’un
météore (p. 359), un phénomène transitoire. C’est le père qui installe ce manque dans une
triangulation. Le père étant ce qui fait tenir le tout ensemble, sous la forme d’un anneau ou de
la triangularité.
Cette triangularité unitaire serait ce qui est mis en défaut dans l’existence de Schreber.
Ce statut particulier d’un ternaire qui occupe, à la fin, la fonction d’être troisième, et d’assurer
du même coup l’unité de la triade, se retrouvera plus tard dans l’œuvre de Lacan avec le nœud
borroméen.
Ce statut particulier est aussi celui du Réel.
Pour l’instant, nous l’étirerons dans deux directions :
1) celle du triangle de la réalité dans le schéma du diamant (Séminaire I) le père fait
triangle !
2) à l’autre bout, le rapport que ce triangle entretient avec le manque (phallus) est aussi
l’opérateur du Séminaire IV : La relation d’objet.

51
Séminaire IV

La relation d’objet

« Le signifiant qui se fait objet »

A. L’OBJET MANQUE

Après avoir traité dans son premier séminaire « du transfert et de la résistance », dans son second
séminaire, « de la notion d’inconscient », dans son troisième séminaire, « de l’articulation essentielle du
symbolisme qui s’appelle le signifiant », Lacan nous dit maintenant que nous sommes confrontés, à un
certain nombre de schémas dont :

« La spatialité n’est absolument pas à prendre au sens intuitif du terme de schéma qui ne comporte pas de
localisation, mais qui comporte, d’une façon tout à fait légitime, une spatialisation au sens où
spatialisation implique rapport de lieux, rapport topologiquexl[i], interpositions, par exemple, ou
successions, séquences ». (21 novembre 1956)

Ce schéma en question, qui paraît le plus approprié à rendre compte de ces trois séminaires, est le schéma
Lxli[ii] qui interroge les rapports du sujet et du grand Autre au travers de la transposition, au travers de
l’effet d’écran en quoi consiste la relation du Moi à l’autre.

Ces affirmations ne travestissent en rien les propos de Lacan. C’est bien d’une topologie que relèvent les
thèses qu’il compte opposer aux tenants de la théorie de la « relation d’objet » en les plaçant dans la
perspective freudienne du principe de plaisir et du principe de réalité.

En effet, Lacan articule une intrication du principe de plaisir et du principe de réalité avec la dualité
pulsionnelle, qu’il faut considérer comme une espèce de croisement spatial, là où le principe de plaisir
tend à se réaliser pulsionnellement de manière irréaliste, là où le principe de réalité implique une
organisation qui comporte que ce qu’elle saisit est justement quelque chose de différent de ce qui est
désiré, de ce qui satisferait donc au principe de plaisir. Il y a une espèce de chiasme topologique, donc,
entre le principe de plaisir et le principe de réalitéxlii[iii] qui doit se combiner à une intrication
pulsionnelle.

C’est donc au cœur de ce chiasme que s’établissent les inscriptions successives de l’homme plongé dans
son Umwelt. Ces inscriptions pourtant ne se réduisent pas à ce surprenant chiasme comme nous le verrons
plus loin avec l’observation freudienne du petit Hans. Autre chose intervient pour le justifier.

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En effet, Lacan fait remarquer que dans la relation sujet/objet, ce qui est central n’est pas comme tel le
rapport d’adaptation (principe de réalité) du sujet à un objet qui satisferait (principe de plaisir) la tendance
du sujet (pulsion), mais au contraire que ce qui est central est la manière dont le partenaire s’introduit
dans cette relation du sujet et de l’objet.

C’est elle, cette identification au partenaire, qui est responsable de ce chiasme entre le principe de
plaisir et le principe de réalité.xliii[iv]

En d’autres termes, c’est la relation en miroir entre le sujet et l’autre, l’autre étant entendu comme l’autre
partenaire, qui introduit cette béance qui empêche le principe de réalité et le principe de plaisir de se
rendre adéquats l’un à l’autre !

La passion imaginaire du semblable règle donc impérativement, et avant toute adaptation, le rapport de
l’homme à ses objets.

Il en résulte donc deux topologies selon chacune de ces positions :

- La mise en évidence de la fonction de l’objet entraîne chez les tenants de la théorie, en vogue à
l’époque, une espèce de topologie qui différencie les prégénitaux (individus faibles) et les génitaux
(individus dont la relation objectale aurait atteint une sorte de maturation). Il s’agit là d’une topologie qui
diversifie les rapports des humains entre eux par rapport à cette norme qu’est la, soi-disant, relation
objectale.

- Mais c’est une autre topologie qui ne s’appuie pas sur une maturation de l’objet, une topologie qui, en
réalité, s’appuie sur la chose analytique comme telle qu’il conviendra donc de dégager de ce rapport
perturbant, dévié, déviant, de ce rapport à l’objet. (21/11/1956)

C’est précisément ce que Lacan introduit de neuf, il fait remarquer qu’il y a lieu d’interroger l’objet à des
endroits psychiques différents : objet et relativité historique, objet et petit autre, objet et parole qui sont
donc des éléments essentiels à la construction d’une topologie redressée des rapports du sujet et de
l’objet.

Ainsi en est-il du commentaire que Glover xliv[v] a pu faire de ladite relation d’objet. Il a fait un pas
supplémentaire par rapport aux théories classiques, puisqu’il considère que l’objet est un masque de
l’angoisse qui caractérise les différentes étapes du sujet dans son rapport au monde et dont les exemples
sont l’objet phobique et l’objet fétiche.

Ce détour par les théories de Glover, qui forment en creux la dimension du fétiche et la dimension de
l’objet phobique, a précisément ceci d’intéressant: l’objet, dans ces deux exemples cliniques, a une
fonction « de complémentation par rapport à quelque chose qui se présente comme un trou, voire comme
un abîme dans la réalité ». (21/11/56)

Voilà qui, effectivement, nous ramène à la question de la topologie, aussi Lacan termine cette séance en
promettant de reprendre la question de la phobie et du fétichisme pour essayer de situer le rapport que ces
objets entretiennent avec l’expérience fondamentale de l’angoisse comme celle d’un trou.

Entre l’objet et le sujet, s’interpose donc une sorte de béance, de trou que Lacan lie à la place de l’autre,
et dont certains événements psychiques se feraient révélateurs : fétichisme et phobie par exemple, car ils
mettent en jeu un objet particulier.

53
L’idée générale de la séance suivante, du 28 novembre 1956, est donc de rapporter la question de la
relation d’objet à l’objet qui est en cause dans la cure analytique, non pas l’objet génital comme objet
terminé, achevé de la relation complètement mature dont parlent des adversaires de Lacan, mais de
ramener cet objet à la fonction du phallus. C’est pourquoi, Lacan fait un détour par les commentaires des
psychanalystes sur la sexualité féminine. Depuis Freud, un accord unanime existe sur ce fait: cet objet ne
va pas de soi et même comme tel, s’inscrirait de manière structurale dans la dimension d’un malaise.
C’est que, rappelle Lacan, cet objet est d’abord un objet perdu qui doit donc être retrouvé.
Deuxièmement, cet objet est halluciné sur un fond de réalité angoissante. (C’est ce que la phobie et le
fétichisme nous démontrent). Troisièmement, cet objet est toujours en rapport, en réciprocité imaginaire,
avec la place du sujet. Il en résulte donc que l’identification à l’objet est au fond de toute relation audit
objet.

Ainsi, Lacan met en « condensation », en quelque sorte, cet objet et la place de l’autre. Il ne les
distinguera que plus tard dans le Séminaire VI sous les aspects de l’objet a, Phallus, autre et Autre.

Par le détour d’un commentaire de la névrose obsessionnelle, nous est montré comment l’objet privilégié
est un objet imaginaire et comment, précisément, cet objet est le phallus.

Au travers de la relation duelle et mortelle de l’obsédé à l’autre qu’interprète classiquement la


psychanalyse en termes d’agressivité, il y a lieu de voir surgir un troisième terme dont le prototype
pourrait s’inscrire dans une perspective psychogénétique. On a donc d’emblée une tripartition, dessinée
par Lacan : les relations d’objet concernent essentiellement les rapports de l’enfant à sa mère, mais elles
sont triangulées par un objet imaginaire tiers qui est le phallusxlv[vi].

D’une certaine façon, les tenants de la relation d’objet qui tendent à réifier l’objet en question réduisent à
une donnée réelle cette fonction tierce du phallus.

Lacan poursuit alors en essayant de situer la place de cet objet dans ce qu’on pourrait appeler le rapport
aux réalités, le rapport au Réel2, et il fait deux critiques de la manière dont les analystes traditionnels
inscrivent une réalité derrière le discours de leur patient.

- Réalité qu’ils imaginent comme réalité naturelle, qu’on pourrait situer dans la nature, comme s’il
pouvait exister une énergie de quelque type que ce soit avant même qu’elle ne soit inscrite dans l’ordre
symbolique !

C’est la première critique.

- Deuxièmement, ce principe de réalité doit être référé à ce que Freud a articulé de son opposition au
principe de plaisir. C’est entre ces deux principes que vient alors se glisser cette étrange fonction repérée
par Winnicott, un objet intermédiaire qu’il appelle objet transitionnel, et qui n’est rien d’autre qu’un objet
imaginaire.

Cet objet imaginaire a une fonction d’interposition entre la mère et l’enfant.

54
La caractéristique essentielle à retenir, est que ces objets comme tels ont à être référés à la notion de
l’objet qui manque. Cet objet qui manque, (Lacan va centrer son commentaire là-dessus dans la suite)
peut manquer à plusieurs places, à plusieurs lieux. Nous voyons donc réapparaître cette topologie qu’il a
esquissée déjà dans les séminaires précédents, avec ceci de caractéristique que ce qu’il en interroge, c’est
la dimension du trou, la dimension de manque d’objet en tant qu’elle peut surgir aussi bien dans
l’Imaginaire que dans le Réel, que dans le Symbolique. Les trois lieux étant à référer dans un ordre à
articuler à la privation, à la frustration et à la castration.

La privation, c’est un manque réel, c’est un trou; alors que la frustration, c’est une lésion, c’est un
dommage imaginaire que nous ressentons; quant à la castration, elle doit être référée à une interdiction
proférée par une loi fondamentale. La castration est quelque chose qui ne peut que se classer dans la
catégorie de la dette symbolique.

Nous avons donc trois articulations : castration et dette symbolique, frustration et dommage imaginaire,
privation et absence réelle.

Mais, ce n’est pas tout de situer les processus ou de situer la fonction du trou dans une topologie du Réel,
du Symbolique et de l’Imaginaire, il faut aussi s’interroger sur l’objet qui manque, sur sa caractéristique,
et Lacan nous montre que l’objet qui manque dont nous n’avons que le « trou » est, du point de vue de la
castration, un objet imaginaire ; du point de vue de la frustration, un objet réel ; du point de vue de la
privation, un objet purement symbolique.

Puis, il ajoute une troisième notion, qui sort tout à fait du cadre de ce à quoi il s’est limité dans les
séminaires jusqu’ici, cette troisième notion, c’est l’agent de ces trois opérations dont nous avons repéré
les trois objets, lequel agent, est lui aussi déterminé par les lieux topologiques à l’intérieur desquels, ces
opérations et ces objets ont à être situés.

Opération, agent, objet, Lacan va les articuler en un tableau (cf. Infra - p. 9) qui préfigure la possibilité de
permutations, pour tout dire, d’une circulation à quoi le Séminaire II nous a préparés avec l’émergence de
la notion de circuit symbolique. Reste à savoir : ce qui circule, comment, et sous quelles règles ?

Et surtout, ce qui nous permettra de dire que cette circulation est appréhendable ? En un mot, quel est son
Réel ? Celui que Lacan refuse d’accorder aux objets des tenants de la relation d’objet.

Il entr’ouvre, ici, quelque peu, les voiles de son secret puisqu’il semble faire (séance du 5/12/56) de la
libido une sorte de réservoir à deux sorties, l’une côté imaginaire : image du corps, l’autre côté
symbolique : équivalence signifiante.

En effet, commentant une conférence de Françoise Dolto, sur l’image du corps, Lacan réinsiste sur le
statut tout à fait particulier qu’il donne à la dimension du Réel et des rapports de ce Réel avec la fonction
signifiante. Cela lui permet d’insister sur le fait que la notion freudienne de libidoxlvi[vii] n’est en rien liée,
fixée à un support matériel, mais est comme telle dans l’analyse, une notion qui introduit une certaine
équivalence, une commune mesure proprement symbolique entre des manifestations qui se présentent
comme qualitativement différentes. Pour notre propos, on notera surtout ce qu’on pourrait appeler
l’introduction d’une topologie des deux principes de la vie psychique, à savoir qu’on a le sentiment que,
pour Lacan, le principe de plaisir et le principe de réalité sont, l’un par rapport à l’autre, dans une position
paradoxale, puisque chacun ne trouve sa fin qu’à prendre en considération les exigences de l’autre
principe. Ces principes se trouvent à être combinés avec le double cours du signifiant et du signifié, au
point qu’on pourrait tenter, pour en rendre compte, une topologie de la tresse.

55
Nous en proposons la lecture suivante :

où les deux principes s’accorderaient à la double chaîne du signifiant - signifié saussurien. Version
nouvelle, donc, du paradoxe en quoi consiste le chiasme évoqué plus haut des deux principes. Ils ne se
croisent plus, ils se trament, et c’est à la libido que reviendrait la tâche d’en être le support « réel ».

En ce point, il est surprenant de voir s’articuler une espèce de signifiant qui rendrait compte de toute
l’organisation signifiante sous le terme d’instinct de mort, de pulsion de mort (là où plus tard, Lacan
désignera le phallus comme étant le signifiant de ce rassemblement de l’ensemble de la signification).
Mais il est vrai aussi que s’il nous dit que le signifiant emprunte au signifié cette mort pour représenter la
dimension comme telle de l’articulation signifiante, il nous est dit aussi que dans ce même corps (dans ce
même signifié), le signifiant, l’ordre signifiant peut emprunter d’autres choses, et c’est ainsi qu’il viendra
à Lacan d’emprunter ce terme phallique dont il donnera plus tard, en 1958, dans un article intitulé xlvii[viii]
« La signification du phallus », la pleine mesure.

Mais Lacan ne s’engagera pas, ici, sur une voie qui le détournerait de Freud, il préfère maintenir sous
cette trame qui s’ébauche le grand réservoir libidinal, et rendre ainsi plausible l’hypothèse, par nous
avancée, dans le Séminaire I, à savoir que l’articulation du schéma en miroir, l’articulation des
mouvements imaginaires qui lient le Moi à lui-même, à son image prise comme objet, cette articulation
qui est proprement une articulation narcissique, érotique donc, trouve à se dire, à s’inscrire dans un
langage du fait de l’articulation symbolique signifiante qu’on peut tout à fait plaquer sur elle (ce qui peut
se démontrer à partir du Séminaire II).

A la fin de cette séance (28/11/56), Lacan accrédite tout à fait cette hypothèse en parlant de la Ich Libido
comme d’un réservoir de la libido à partir de laquelle s’établirait toute relation objectale ultérieure. De
toute manière, la question se maintient au point où nous en sommes, de savoir d’où vient la notion d’objet
pour Lacan;.

Qu’il manque, ne fait pas l’ombre d’un doute, mais d’où vient-il ? Que ce soit précisément un objet qui
manque !

B. LE SYNOPTIQUE DES FIGURES DE L’OBJET (19/12/56)

56
Ainsi articulent en un tableau, l’agent, le manque d’objet et l’objet en trois niveaux : niveau symbolique,
niveau imaginaire, niveau réel pour chacune des tripartitions que nous venons d’évoquer. La castration est
castration d’un objet imaginaire, alors qu’il s’agit d’une opération symbolique. Cet objet imaginaire est le
phallus comme tel que nous retrouverons tout à l’heure dans la place qui lui revient. Le complexe
d’Oedipe est effectivement à référer à cette dimension-là de la castration comme castration du fait d’une
loi symbolique, laquelle loi est celle qu’instaure le complexe d’Œdipe.

La question du Phallus sera présentée dans les séances ultérieures sous la forme d’une clinique de la
perversion.

Lacan passe ensuite à la frustration, il lie immédiatement cette notion de frustration à la notion de désir
qu’il dit être une notion freudienne. Lacan rappelle que dans la littérature analytique, la notion de
frustration a généralement été liée au premier âge de la vie et à ce mode de relation qui introduit la
question du Réelxlviii[ix] dans le progrès de l’expérience analytique. Dans ce registre de la frustration, se
déploie une espèce d’anatomie imaginaire du développement du sujet mais dans une situation
essentiellement duelle. C’est à propos de la frustration que Lacan introduit la notion d’agent. D’une part,
la frustration est toujours frustration d’objet, c’est un des versants, d’objet réel ; et, d’autre part, il y a
l’autre versant, l’agent qui est responsable de cette frustration, en l’occurrence, la mère. Lacan articule cet
agent de la frustration, donc la mère, au couplage présence/absence qui est décelé très rapidement par
l’enfant. Lacan ressort, ici, la fameuse frustration clinique de Freud du Fort-da. Il faut reconnaître que
Lacan introduit alors une notion supplémentaire, à l’intérieur de ce jeu opératoire (de la frustration, de la
castration, de la privation) de l’objet visé, qui peut prendre diverses positions : réelle, imaginaire,
symbolique, puis de l’agent qui est responsable de l’affaire.

Lacan introduit un 4ème termexlix[x], dont la tâche serait de transformer l’articulation à un moment donné,
l’articulation précisée, (par exemple le moment où la frustration serait la frustration par la mère
symbolique d’un objet réel mais le dommage étant imaginaire). Toute la question, c’est d’imaginer
comment, à l’aide d’un quatrième terme, faire bouger le rapport entre ces différents termes, le rapport que
ces différents termes entretiennent avec ces instances du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique et, c’est
ici que Lacan introduit la notion de puissance, de puissance de la mère, puissance qui répond ou qui ne
répond pas à l’appell[xi] que lui adresse son enfant. Si cette puissance répond, c’est qu’effectivement,
l’enfant occupe dans son désir une place qui fait que quand elle répond à cet appel, elle sature en quelque
sorte ledit désir, par contre, si elle ne répond pas à l’appel qui lui est adressé, c’est que son désir est
articulé par quelque chose d’autre que ce qui se trouve là mis en présence.

C’est pourquoi après une clinique du Phallus, il faudra d’urgence préciser le terrain où cette puissance
répond ou pas : émergence du champ du désir.

« Voilà donc l’enfant qui est en présence de quelque chose qu’il a réalisé comme puissance, comme
quelque chose qui tout d’un coup est passé d’un plan de la première connotation présence/absence à
quelque chose qui peut se refuser et qui détient tout ce dont le sujet peut avoir besoin et aussi bien ce qui,
même s’il n’en a pas besoin, devient symbolique à partir du moment où cela dépend de cette puissance.
Cet objet imaginaire qui est responsable de cet état de fait, c’est le phallus. » (12/12/1956)

Il faut se reporter d’abord en arrière, à la question de la fonction imaginaire du miroir telle qu’elle a été
présentée dans le Séminaire I. On se souviendra que le phallus était cette espèce d’image déformée qui se
maintenait à l’extrémité du miroir-plan lorsqu’il avait pivoté dans le schéma dit du « bouquet renversé ».
Nous revoyons maintenant surgir cet objet imaginaire qui est, à proprement parlé, nous dit Lacan, la
forme, l’image érigée du pénis dont l’importance est si décisive que sa nostalgie, sa présence, son

57
instance dans l’imaginaire se trouve plus importante, semble-t-il, encore pour les membres de l’humanité
auxquels il manque.

Voici donc le quatrième terme qui permet de faire bouger les éléments ensemble, à l’intérieur du petit
tableau de Lacan, et nous retrouvons aussi ce reste de ce qu’on a pu appeler « l’enveloppe vide » de
l’image de l’autre dans le schéma du miroir lors du premier séminaire ; une espèce d’en-forme de l’image
phallique. C’est cette image, c’est cette enveloppe vide que la femme incarne à l’aide d’un enfant.

« Si la femme trouve dans l’enfant une satisfaction, c’est très précisément pour autant qu’elle sature à son
niveau, qu’elle trouve en lui ce quelque chose qui la calme plus ou moins bien, ce besoin de phallus ».
(12/12/1956)

Ce qui intéresse notre propos sur la topologie, et qui est un progrès par rapport à ce que nous avons vu
dans le séminaire de Lacan jusqu’ici, ce sont, non seulement, ces indications sur ce qui fait bouger le
rapport du sujet à son image, mais en plus, explicitement, c’est ce quelque chose qui doit nécessairement
se mettre en mouvement, être articulé à travers l’Imaginaire, le Symbolique, le Réel ; à travers ces
opérations qu’on appelle frustration, privation, castration; à travers ces agents qui sont responsables, à
savoir : la mère et le père réels, symboliques et imaginaires. Au fond, on a là, comme une topologie qui
est en train de s’animer, une topologie qui n’est plus inerte et qui nous amènera évidemment, dans les
séminaires suivants (V et VI) à nous interroger sur ce qu’est le moteur de la cure.

Car, il devient bien évident que cette puissance évoquée est un autre nom du désir que le graphe
présentifiera.

Il existe bien une triangulation qui sépare radicalement Lacan des tenants de la relation d’objet car le
processus analytique n’est en rien une relation entre l’analysé, n’est en rien une relation entre le patient et
un objet extérieur, l’analyste.

Deux topologies, à nouveau, s’affrontent ici.

Car les tenants de la relation d’objet imaginent, eux aussi, une espèce de topologie, une espèce de relation
entre un objet extérieur en relation avec un objet intérieur. Seulement, pour Lacan, les repères essentiels
de cette topologie n’ont pas à être articulés autour des deux pôles que sont l’analysant et l’analyste, c’est
là, toute la différence. Quoiqu’il en soit, ces tenants de la relation d’objet constatent qu’effectivement, une
certaine discordance existe entre cet objet imaginaire intérieur et l’objet réel que l’analyste va être. Entre
les deux, entre ces deux objets, au cœur même de cette discordance, ils évaluent en quelque sorte la
distance névrotique que le sujet impose à l’objet. Quand cette distance se réduit à la distance réelle qui est
celle du sujet à l’analyste, ils considèrent que le sujet réalise son analyste comme présence réelle. On
notera la différence avec la théorie de Lacan, pour qui la présence de l’analyste comme tel, quand elle
surgit dans les stases, dans les ratés, dans les arrêts du cheminement de la parole, est, en réalité, une
présentification de ce qui a été originairement refoulé, une présentification comme telle de l’inconscient.

Lacan se rapporte alors à son schéma L pour présenter l’entrecroisement entre relation symbolique et
relation imaginaire ; la relation imaginaire servant, en quelque sorte, de filtre à la relation symbolique,
ceci évidemment est tout à fait différent de l’espèce de position de réalité où les tenants de la relation
d’objet situent le dialogue analytique. Dans cette réduction au « réel », il y donc méconnaissance de la
dimension du Symbolique, laquelle sera éminemment présentifiée par la place du phallus, et c’est à quoi
Lacan va s’essayer dans la suite de cette séance : situer cette place comme cliniquement nécessaire dans
l’explication théorique qu’on doit donner de certains phénomènes névrotiques, voire pervers comme le
fétichisme.

58
Voilà ce qui se trouve rassemblé dans cette citation. (19/12/1956)

« Cette relation a-a’ concerne la relation imaginaire, la relation du sujet en tant que plus ou moins
discordant, décomposé, ouvert au morcellement, à une image unifiante qui est celle du petit autre, qui est
une image narcissique. C’est très essentiellement sur cette ligne que s’établit la relation imaginaire, de
même que c’est sur cette ligne, qui n’en n’est pas une puisqu’il convient de l’établir, que se produit cette
relation à l’Autre qui n’est pas simplement l’Autre qui est là, qui est littéralement le lieu de la parole.... Le
sujet dans lequel votre parole se constitue parce qu’il peut comme parole non seulement l’accueillir, la
percevoir, mais répondre; c’est sur cette ligne que s’établit tout ce qui est de l’ordre transférentiel à
proprement parlé, l’imaginaire y jouant précisément un rôle de filtre, voire d’obstacle. »

Et, ce que l’inconscient présentifie à ce moment est le rapport que la mère entretient avec le phallus sous
des figures aussi diverses que l’animal phobique, que des passages à l’acte ou que l’objet fétiche. Ces
figures jouent ici un rôle articulant par défaut de l’opération symbolique du droit au Phallus.

Ce qui manque à la mère, que l’enfant ne peut saturer par sa propre présence, par sa seule présence, en
d’autres mots, le rapport que la mère entretient avec le phallus comme ce qui lui manque, entraîne chez
certains enfants, un sentiment insoutenable qui nécessite l’appel à un être fantasmatique qui interviendrait
là comme étant le responsable de cette situation. Dans la phobie, l’animal qui a justement pour fonction
de mordre, de châtrer, celui grâce à quoi est vivable symboliquement l’ensemble de cette situation, au
moins pour une période provisoire.

Dans la situation normale, pour que l’enfant reçoive symboliquement ce phallus qui manque à sa relation
à sa mère, il faut que le père ait occupé cette fonction de menace, d’instance castratrice grâce à quoi, une
sorte de pacte, de droit au phallus s’établit pour l’enfant dans une identification virile au père, mais
différé, puisqu’au fond, il n’en aura l’accès que plus tard. Mais, tel n’est pas toujours le cas puisqu’on sait
déjà que dans la phobie, cette opération ne fonctionne pas correctement et elle ne fonctionne pas
correctement non plus dans les cas de perversions fétichistes.

Dans les perversions cependant, un certain mode d’accès à cet au-delà de l’image de l’autre est possible
au travers de moments paroxystiques, à l’intérieur de l’histoire du sujet, moments paroxystiques qu’on
peut qualifier de passage à l’acte, mais au travers aussi de l’apparition d’un objet particulier autour duquel
s’établit un équilibre érotique et qui est l’objet fétiche.

Aussi Lacan nous présente-t-il une clinique des figures de cet objet.

1. L’HOMOSEXUALITE FEMININE (9/1/1957)

Lacan situe cette déviation qu’est l’homosexualité féminine autour d’une mise en place détournée de la
fonction du phallus, mise en place détournée qui prend, pour la petite fille dans ces cas, l’allure d’une
frustration qui se marque par une déception qu’elle aurait à l’égard de son père. Lacan rappelle comment
il convient de situer la notion de frustration. Il s’agit de quelque chose qui n’est pas vécu comme

59
frustration au moment même, mais qui est vécu après-coup comme frustration ; c’est après coup que
l’enfant comprend pourquoi certaines choses qui se sont passées précédemment se sont passées, c’est-à-
dire que cet après-coup implique l’existence d’une chaîne symbolique, l’existence de l’ordre du langage
qui, par rétroaction en quelque sorte, donne sens aux événements de la petite enfance et donc, d’une
certaine façon, on peut dire que la frustration doit être en quelque sorte aspirée par l’inconscient, et que
cet inconscient doit être constitué préalablement comme lieu pour que ladite frustration puisse être aspirée
par lui. Cette frustration correspondrait au moment de menace qu’on impute à l’objet phallique tel que
cela a été présenté dans la séance précédente pour la phobie.

C’est un concept à la limite inconscient qui nous permet de constater qu’il y a intrication, interpénétration
du symbolique et de l’imaginaire autour de l’objet perdu. Dans l’opération qui se produit, cet objet perdu
trouve dans le phallus le point focal de cette intrication du Symbolique et de l’Imaginaire; en quelque
sorte, le phallus est un objet imaginaire aux limites du Symbolique. On a quelque chose qui se présente
comme le doublage de la dimension de symétrie qui nous vient du stade du miroir, doublage par la chaîne
symbolique qui en serait le repérage.li[xii] Le commentaire clinique de ces notations topologiques est fait
par Lacan dans le commentaire d’un cas clinique traité par Freud : « Psychogenèse d’un cas
d’homosexualité féminine ». On y retrouve toutes ces notions d’interpénétration de l’Imaginaire du
Symbolique, de dénégation de la fonction phallique, de déception et principalement, cette dimension de
défi tranquille qui liait cette jeune fille à son père. (9/1/1957)

A la fin de cette séance, Lacan nous parle effectivement de l’instauration d’une sorte de nœud qui
nouerait trois étagements dont les trois objets seraient l’objet imaginaire, (l’enfant qu’elle n’a pas reçu du
père), l’objet en tant que réel, (l’enfant donné par le père à quelqu’un d’autre, c’est-à-dire à la mère, cet
enfant étant donc le frère de la patiente) et l’objet placé sur le plan symbolique qui est quelque chose qui
la soutenait dans son rapport entre femmes (avec toute l’institution de la présence paternelle comme telle
à laquelle elle se trouverait fortement fixée).

Lacan montre alors qu’elle n’a plus d’autre ressource que de s’identifier, en quelque sorte, à cet objet qui
lui glisse entre les doigts et de devenir cet enfant. En quelque sorte, elle s’accouche elle-même en se
jetant du haut du pont de chemin de fer, elle devient cette sorte d’enfant latent, d’enfant caché qu’elle
avait essayé d’articuler dans les trois registres de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel.

Quelque chose de neuf vient de surgir dans l’articulation de Lacan. C’est que, non seulement, il a isolé
dans ses trois premiers séminaires, les structures du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique, non
seulement, il a donc montré qu’elles pouvaient s’appartenir l’une à l’autre sous certaines conditions, mais
il démontre que ce qui les noue, sous la forme d’un trou, à l’intérieur duquel glisse l’objet perdu, est aussi
ce qui permet que quelque chose voyage à l’intérieur des trois registres.

On a la première instauration d’une sorte de dialectique dont on verra plus tard qu’elle sera la dialectique
propre à la cure qui permet à l’objet comme tel de circuler, voyager à l’intérieur de ces trois registres. Si
quelque chose peut voyager, à l’intérieur des trois registres, c’est qu’il est possible de dire que nous avons
à faire à une topologie constituée (au sens de la topologie mathématique).

La cause de cette circulation, est à rechercher dans cet objet imaginaire qui, plus tard dans la topologie,
sera situé comme le point hors-ligne qui est la fonction du phallus, objet central de toute l’économie
libidinale.

2. LES PERVERSIONS EN GÉNÉRAL

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La circulation d’un objet, telle qu’elle se vérifie pour l’homosexualité féminine, se retrouve à nouveau
dans toute une série de cas où la structure s’inscrit dans une perspective de symbolisation. En effet,
l’analyse n’est pas le rapport pur et simple avec un « réel », mais rapport avec une symbolisation et Lacan
va, à cette occasion, se servir d’un débat plus important pour montrer la raison de son assertion. Il va faire
un détour par la grande famille clinique des perversions.

En effet, il existe toute une théorie dans la psychanalyse pour indiquer que les perversions seraient en
quelque sorte une espèce de fixation portant sur une pulsion partielle situable psycho- ou même onto-
génétiquement. Par rapport à cette pulsion partielle perverse, il y aurait donc une pulsion unifiante dont
nous avons la trace dans l’Oedipe.

Il existe cependant une autre tendance, une tendance qui vise à expliquer que la perversion n’est pas
quelque chose qui est une fixation, mais plutôt le négatif de la névrose, c’est-à-dire une érotisation du
phénomène de défense. En réalité, la question de la perversion pourrait peut-être bien être traitée
autrement, ni en termes de défense, ni en termes de fixation pulsionnelle partielle, mais en termes
d’intersubjectivité pleine, comme le dit Lacan.

Il s’agit de voir que ce qui se trouve être le nœud du fantasme lii[xiii] de quelques pervers que Freud a
analysés, (par exemple : la phrase « on bat un enfant ») se décompose en un certain nombre de
propositions qui démontrent comment il faut faire appel à une intersubjectivité triple pour en rendre
compte de la structure. Ce fantasme est en quelque sorte comme une fossilisation ternaire qui préfigure,
qui porte en elle-même la marque de la structure intersubjective telle qu’elle se déploie quand elle est
l’effet d’une parole pleine, d’une parole achevée. On aurait là, dans cette interprétation de Lacan, quelque
chose qui est non pas une fossilisation de la pulsion mais plutôt une fossilisation de la fonction de la
parole.

Il en sera de même pour les temps suivants de l’analyse du fantasme.

Pour Lacan ici, le fantasme pervers est une sorte de réduction symbolique de la structure intersubjective
ternaire qui est une structure engagée dans la fonction de la parole, réduction symbolique qui possède, en
quelque sorte, tous les éléments d’un discours qui aurait pu être tenu en première personne mais qui en a
perdu la signification. Il y a là quelque chose comme un maintien à l’état pur des signifiants vidés, en
quelque sorte, de leur sujet; il y a une espèce d’objectivation des signifiants. (16/1/1957)

Lacan laisse entendre que chaque fois que dans l’historisation libidinale de l’aventure du sujet, un
élément de fixation s’installe, on risque d’obtenir là une espèce de mise en place perverse ou fétichiste de
la sexualité. C’est en tout cas ce qui se produit dans le phénomène du souvenir-écran. Lacan ne situe pas
ce point d’arrêt, cette fixation, comme un point d’arrêt libidinal de la pulsion, mais il le situe comme un
point d’arrêt dans la dimension intersubjective de parole, à laquelle le sujet dans le schéma L aurait pu
parvenir si, précisément, sur la ligne a-a’, ne s’était pas en quelque sorte fixée une espèce d’image arrêtée,
comme l’image d’un film qui s’arrête sur un écran.

61
« Nous touchons là du doigt comment se forme, ce qu’on peut appeler être le moule de la perversion, à
savoir cette valorisation de l’image pour autant qu’elle reste le témoin privilégié de quelque chose qui,
dans l’inconscient, doit être articulé, remis en jeu dans la dialectique du transfert. » (16/1/1957)

Ainsi, apprenons-nous que dans l’analyse, cette circulation relève de l’activité de la parole.

De cette perversion, Lacan va isoler cinq temps.liii[xiv]

Il va prendre son temps pour les démonter, et il faudra donc que nous les mettions en évidence petit à
petit. Il nous les situe assez rapidement en nous montrant, en prenant l’exemple de la jeune fille
homosexuelle dont parle Freud, comment, dans un premier temps, elle s’est trouvée à la puberté chérir un
objet, un enfant qu’elle soigne, puis comment plus tard, cette vocation typique de la femme dans un
troisième temps se retournera, c’est-à-dire que l’objet d’amour va devenir la femme en tant que telle. Elle
va s’intéresser non plus à des enfants, mais à des objets d’amour qui vont porter le signe de la féminité,
maternité.

On va comprendre maintenant l’intérêt que porte Lacan à cette relation d’objet, et pourquoi il a choisi de
faire ce séminaire autour de cette relation d’objet après avoir traité de la psychose et, plus exactement, de
la fonction du phallus comme météore. Car, c’est de nouveau ce terme qu’il introduit dans la discussion
pour justifier ce qui fait la différence entre ce que la jeune fille chérit du petit enfant et ce qu’elle aime
chez la femme à qui elle voue un culte qui n’a de comparable que le culte de l’amour courtois.

Le passage de l’un à l’autre s’opère par l’intermédiaire du Phallus que nous pourrions représenter par le
sommet d’un tétraèdre. C’est le deuxième temps, celui de l’insistance du Phallus.

62
qui sert en quelque sorte d’opérateur comme si la première présentation tétraédrique pouvait se renverser
en miroir (inversion droite-gauche)

Lacan poursuit en rappelant que cette question du phallus doit être articulée à la dimension du don, et non
à celle d’une maturation organique, autrement dit, qu’il n’y

a pas forcément un lien direct entre la symbolique du don et la maturation génitale, c’est quelque chose
qui n’a :

« aucune espèce de cohérence interne biologique individuelle pour le sujet. » (ibid)liv[xv]

C’est cette question du don qui place la fonction du phallus dans le Symbolique (deuxième étape) dans la
mesure où ce qui caractérise le symbolique, c’est non pas qu’un élément soit présent ou qu’il soit absent,
mais c’est le fait qu’un élément est tout aussi présent quand on l’a que quand il est affecté du signe moins,
simplement, sa présence est négative. Lacan souligne aussi combien, à propos de l’objet, la frustration de
l’amour et la frustration de la jouissance sont deux choses tout à fait différentes. La frustration de l’amour
est, en elle-même, grosse de toutes les relations intersubjectives, tandis que la frustration de la jouissance
n’engendrera jamais quoi que ce soit de la réalité, tout au plus, peut-elle relancer le désir. (versant
imaginaire ici)

La troisième étape de l’instauration de cette perversion place notre homosexuelle dans une position virile;
pour reprendre le schéma L, ce père qui était au niveau du grand A dans la première étape est maintenant
au niveau du petit a, au niveau du Moi. L’objet d’amour s’est substitué à la fonction de l’enfant en i.

Au travers de ce séminaire, s’instaure, pour la première fois donc dans la topologie de Lacan (celle qui est
fondée du schéma L et peut s’inscrire par ailleurs dans un tétraèdre ou au moins dans un double
tétraèdre), s’inscrit la possibilité d’une sorte de permutation des places entre elles. Mais cette permutation
se fait dans un certain ordre, on ne peut pas échanger toutes les places n’importe comment entre elles. lv
[xvi]

Les trois temps de la subjectivité peuvent être formalisés.

Le 23 janvier 1957, Lacan reprend le jeu de pair-impair de « La Lettre Volée » d’Edgard Poe pour
montrer comment, à partir de la frustration qui doit toujours être entendue comme ce qui résulte du
manque d’objet originaire, on peut retrouver trois temps de la subjectivité.

63
- On a d’abord, nous dit-il, la position 0 (zéro) du problème, à savoir, l’institution du symbole pur, la mise
en place d’une espèce de négativité primordiale dans laquelle il y a une position objectivable du donné du
jeu: le plus et le moins de départ.

- Dans le deuxième temps, on a la demande qui est la déclaration du jeu, l’appel au jeu. On attend de
l’autre qu’il lance les dés. C’est ici que Lacan situe le niveau de la frustration.

- Troisième niveau : le plan où on est intéressé par le jeu.

C’est celui de la Loi. En effet, le donné comme tel dans les mains de l’autre joueur ne peut absolument
pas nous satisfaire. D’où la question : est-ce qu’il est possible de repérer dans l’exercice du jeu, une loi
qui serait toujours cachée, mais une loi qui pourrait nous donner la raison de notre intérêt pour le jeu ?
C’est le moment où, à l’intérieur du jeu, s’établit quelque chose d’intersubjectif, du ternaire : la Loi
s’introduit de manière essentielle.

Dans une cure, le transfert mettrait en mouvement ces permutations subjectives du fait de la fonction
symbolique. Freud, chez la jeune homosexuelle, a raté ce passage en l’imaginarisant, c’est-à-dire en
oubliant ce que pouvait avoir de symbolique le récit d’un rêve trompeur; à partir de quoi, Freud se
méfiera du désir de sa patiente. Il avait pourtant l’occasion, en ce point de parole, de sortir de sa fixation
une image désubjectivée. Erreur qui répète celle de la cure de Dora symétriquement contraire.

Dans un cas, nous pouvons repérer une confusion de la position symbolique avec la position imaginaire
et, dans l’autre cas, confusion dans le sens contraire. Ceci, donc, s’organiserait sous la forme du positif au
négatif, et on pourrait trouver une illustration de la formule de Freud quand il dit que la perversion est le
négatif de la névrose. On peut résumer l’histoire de Dora sous cette formule.

« L’hystérique est quelqu’un qui aime par procuration, l’hystérique est quelqu’un dont l’objet est
homosexuel et qui aborde cet objet homosexuel par identification avec quelqu’un de l’autre sexe. »
(23/1/1957)

Tout à l’inverse de la jeune homosexuelle.

On voit qu’effectivement, il y a là une différence avec le cas de la jeune fille dont parlait Freud. Ici, il n’y
pas ce détour par l’identification à l’autre sexe. Il y a, plus exactement, un amour homosexuel par
désillusion d’avoir un enfant, un enfant du père. Or, c’est parce qu’il est manquant essentiellement, et non
par désillusion, que la dimension du don peut être introduite.

Cette dimension du don existe avec l’introduction de la loi. Ce qui est donné circule, c’est ce que toute la
méditation sociologique (nous supposons que Lacan vise Marcel Mauss) a pu montrer, le don qu’on fait
est toujours le don qu’on a reçu, et le sujet féminin entre dans cette dialectique de la loi, de l’ordre
symbolique par quelque chose qui est le don du phallus. Et Lacan ajoute que le désir vise le phallus en
tant qu’il doit être reçu comme don, il doit être élevé à la dignité d’objet de don, c’est ainsi qu’il fait
entrer le sujet dans la dialectique de l’échange. C’est ce « pour rien » que la jeune homosexuelle voulait
montrer à son père. Il y va là d’une promesse qu’elle imagine que son père aurait pu faire : « tu auras un
enfant de moi », et elle veut montrer à son père ce qu’est un véritable amour, cet amour que son père lui a
refusé et qu’elle met ostensiblement dans l’amour courtois qu’elle porte à la dame.

En d’autres termes, dans la perversion, le sujet parle par allusion, il parle de tout autre chose que de ce
qu’il vise pour le faire entendre, il y a une relation métonymique, donc, entre ce que cette jeune fille
homosexuelle veut faire comprendre à son père et le fait que c’est à la dame qu’elle l’adresse. Tout autre

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est la position de Dora qui, elle, ne parle pas d’autre chose pour viser ce qu’elle veut dire, mais qui parle
d’une certaine façon par métaphore symptomatique, ce qui est tout à fait différent. Au travers de toutes
ces observations, l’important, c’est de voir que Lacan ajoute à ces schémas traditionnels, au schéma L, il
ajoute la place d’un objet qui manque. Cet objet qui manque pour l’instant, il l’interroge à l’intérieur de la
relation père / mère / enfant et cet objet comme tel en lien en relation avec le désir, c’est le phallus.

Le fétichisme comme exemplarité

C’est dans le fétichisme que s’illustre par excellence cette problématique.

Dans la séance du 30/1/1957, Lacan va s’attacher à interroger le fétichisme et l’objet fétiche en espérant
obtenir quelques renseignements sur la notion d’objet. Il rappelle que ce qui est aimé dans l’objet, c’est ce
dont il manque. Il y a là quelque chose qui introduit, du fait du symbolique, une espèce d’au-delà de
l’objet. Cet au-delà de l’objet, cela veut dire que l’objet dans le symbolique est un objet, qu’il soit présent
ou pas présent. C’est ainsi que le fétichiste peut penser que sa mère possède un pénis, elle ne le possède
pas réellement, mais elle l’a en tant qu’elle ne l’a pas, elle l’a comme objet symbolique.

Et le fétiche, comme tel, représente ce phallus en tant qu’absent, ce phallus symbolique. C’est quand
même intéressant de noter au passage que c’est le garçon qui est fétichiste, on ne trouve pratiquement pas
de fétichisme chez la femme. Ce qui se trouve différent de la position du fétichiste et de la position
névrotique classique du rapport au phallus, c’est que le fétichiste, d’une certaine façon, interpose un voile
entre lui et la femme, un voile sur lequel vient précisément se représenter ledit fétiche. C’est une espèce
de rideaulvi[xvii] qui donne consistance à quelque chose qui est projeté là, par où, d’une certaine façon,
s’imagine l’absence. C’est une manière pour le sujet d’avoir un rapport stigmatique avec le sexe, on peut
dire : « que le sujet héraldise son rapport avec le sexe. » (30/1/1957 )

Lacan a dit que cette fonction héraldique nécessite une espèce d’arrêt sur image, un peu à la manière dont
une image d’un film s’arrête, nécessite que le sujet, quand il héraldise son rapport avec le sexe, arrête sur
une image, bloque sur une image son interrogation de la sexualité ; c’est par ailleurs quelque chose qui se
retrouve dans la névrose classique sous le terme de souvenir-écran. Cette image arrêtée est un point de
refoulement, c’est-à-dire qu’elle arrête une histoire sur ce point-là, mais l’histoire pourrait se poursuivre
et se continue d’ailleurs en arrière, derrière ce souvenir-écran. Le fait que dans le discours conscient, elle
s’interrompe, est bien le point repère d’un refoulement.

On notera, ici, la prévalence donnée à la relation visuelle dans la constitution de cette relation à l’objet
fétiche. Mais, pour d’autres types de fétiches, du type imperméable, on pourra voir que c’est autre chose
qui est en jeu que la pulsion scopique, on pourra plutôt interroger la dimension d’enveloppement, de
doublure de la peau, de capacité d’isolement que sont celles du caoutchouc.

« On voit que l’imperméable joue là un rôle qui n’est pas exactement tout à fait celui du voile, mais bien
plutôt de ce quelque chose derrière quoi le sujet se centre, non pas comme devant le voile, mais comme
derrière, c’est-à-dire à la place de la mère et, plus spécialement, adhérent à cette collision d’identification
à la mère où la mère a besoin d’être protégée, ici, par l’enveloppement. » ( 30/1/57) lvii[xviii]

Mais pour notre propos topologique, on notera quand même que cette fonction de l’objet fétiche qui,
d’une certaine façon, donne consistance à la fonction phallique, s’appuie sur des trajets pulsionnels qui
prennent une forme topologique, et on pourra s’interroger sur la forme topologique que peut prendre le
regard, comme on pourra s’interroger sur la forme topologique que peut prendre la doublure.

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Cet objet qui est là consistant, évidemment, prend d’une certaine façon dans sa consistance, la place de la
consistance que donne idéalement, normalement, la place du père dans la relation mère-enfant et c’est
pourquoi, quand le père intervient dans le Réel, il se produit évidemment un séisme dans cet équilibre que
l’enfant était parvenu à maintenir autour de sa sexualité par l’intermédiaire de ce fétiche.

C. LE DÉSIR EN PUISSANCE DU PÈRE

1) Le désir (6/2/1957)

Lacan introduit la dynamique du désir. Évidemment, c’est un terme qu’il a déjà utilisé, mais on voit qu’il
va devenir central dans ses préoccupations et pour lui, le détour qu’il fait par le fétichisme sert
précisément à cela, à montrer cette existence, cette incidence du désir dans tous ses paradoxes. De là, sans
faire la distinction, en en vient à parler de l’amour, le désir et l’amour, ce n’est pas pareil; pourtant, Lacan
ne nous dit rien de leurs différences, il indique simplement que l’amour est fondé sur ce fait que le sujet
s’adresse au manque qui est dans l’objet. On voit bien qu’ici, il s’agira donc d’un amour différent de
l’amour narcissique, de l’amour-passion, celui qui s’appuyait sur, rappelons-le, une image spéculaire.

Cet autre amour se fonde sur le don que la mère pourrait accorder selon sa puissance. Ce que le fétichiste
figure, c’est l’objet, il le peint sur un voile ; ce qu’il aime, c’est que par le manque, quelqu’un peut lui
faire un cadeau, par amour.

A l’occasion d’une citation des textes de Fenichel, Lacan discute le cas où une fille se pose comme un
équivalent du phallus, c’est-à-dire qu’elle vivrait la relation sexuelle comme étant cette relation qui fait
qu’elle apporte à son partenaire le phallus. C’est quelque chose qui, inversement, se retrouve aussi bien
chez le sujet masculin qui peut très bien se trouver comme étant celui qui donne à la femme ce qui lui
manque, ce qu’il lui manque imaginairement parlant.

Il y a là un certain nombre de phénomènes, un certain nombre de relations qui montrent bien que le sujet
n’est pas toujours dans le même rapport avec l’objet, il peut l’apporter, il peut le donner, il peut le désirer,
il peut même s’y substituer. On voit bien qu’ici, quand Lacan parle de relation d’objet, c’est en tout cas, à
ce point du séminaire, du phallus comme objet dont il parle.

Il peut se trouver objet désirable ou manque à donner par amour.

Mais quelque chose ici se schize, le Désir s’adresse à l’objet, au choix d’objet, l’amour s’adresse au
sujet. Ainsi s’opposent identification et choix d’objet.

Lacan entame alors une discussion avec Freud autour de la place ambiguë qu’il donne à l’objet: soit il se
constitue comme objet d’identification; soit, il se constitue comme objet d’énamoration. Pour essayer
d’éclaircir cela, Lacan propose de reprendre le problème à partir de son élaboration, c’est-à-dire à partir
de l’idée centrale dans ce séminaire, la frustration qui se constitue de l’objet : entendons bien, la
frustration d’un objet qui, comme tel, se trouve manquant et dont le manque ne veut pas dire pour autant
que l’objet qui subsiste sous une forme négative ne soit pas là; il subsiste sous une forme négative.

Lacan poursuit en disant qu’il s’agit de faire la distinction entre identification et introjection. C’est
effectivement quelque chose qu’au point où nous sommes, nous pouvons déjà différencier à l’aide de
notre topologie . Les systèmes imaginaires et symboliques des Séminaires I et II nous ont permis de
mettre en évidence :

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1) Le schéma du miroir (ce que Lacan nous a montré de l’introjection de l’image de soi qu’on aime au
moment où le miroir bascule, est bien quelque chose qui relève de la fonction du stade du miroir, c’est le
Moi comme objet). On se rappellera utilement néanmoins, que dans ce temps imaginaire, l’introjection est
un processus symbolique parce qu’il est commandé par l’Autre.

2) Le schéma L, où se repérerait que l’identification, elle, relève d’un point de passage où le sujet se
dégage dans la chaîne signifiante comme reconnaissance de ce point de passage. Pour comprendre la
distinction, Lacan réévoque la pulsion en tant qu’elle resurgit effectivement à certains moments dans
l’analyse. Il signale qu’il faut la concevoir par rapport à son registre propre qui est sa fonction
économique, c’est-à-dire par rapport au déroulement d’une certaine relation symboliquement définie (la
parole), et non par rapport à une régression. Il faut dire que ce retour de la pulsion doit être conçu sous
cette forme que chaque fois qu’il y a frustration d’amour, la frustration se compense par la satisfaction du
besoin, lequel est rattaché à la fonction de la pulsion. Chaque fois qu’ il y frustration d’amour, un objet
réel prend sa fonction en tant que partie de l’objet d’amour.

« Il prend sa signification en tant que symbolique. » (6/2/1957)

Il s’agit de concevoir le jeu de ce manque qui est repérable dans les deux dimensions topiques que Lacan
a pu démontrer, celle de l’Imaginaire et celle du Symbolique. On trouve, ici, une formule que Lacan
utilisera dans son Séminaire XI. Un manque recouvre l’autre, donc un manque qui est aperçu dans la
dimension symbolique, à savoir la frustration d’amour se trouve rapportée au manque aperçu dans la
dimension spéculaire. Ce manque qui se trouve recouvrir un autre manque est le manque d’un don d’objet
qui recouvre le manque d’un autre objet, mais dans ce recouvrement, on peut penser que les deux objets
en question qui sont perdus subissent de ce recouvrement une transformation qui les égale, en quelque
sorte, qui les renvoie à un objet au-delà de l’objet ou plutôt, à un objet au-delà du manque en tant qu’un
manque qui recouvre un autre manque.

Cet objet qui est donc cette espèce de condensation des deux manques, cet objet est un objet qui serait en
quelque sorte produit par le manque dans l’imaginaire recouvert par le manque dans le symbolique. Cet
objet, c’est précisément, le phallus et c’est pourquoi Lacan a étudié cette fonction du fétichisme en tant
que, justement, à cet objet au-delà du manque, le fétichisme tente de lui donner une consistance
quasiment réelle en l’inscrivant sur le voile ou sur le rideau dont Lacan parle dans ce séminaire.

C’est cet objet dont la mère se fait toute-puissante et dont le réglage, la commande va être mise dans les
mains du Père.

Pour y venir (séance du 27/2/57), Lacan réintroduit une thématique abordée rapidement dans le Séminaire
I, celle de l’appel qui surgit de l’expérience de la frustration. La frustration maintient le désir dans
l’inconscient celui qui est refoulé, indestructible. Cette indestructibilité, cette insistance, nous pouvons la
référer nous dit Lacan, à l’automatisme de répétition et nous savons nous, que cette indestructibilité n’est
autre que la dimension du Symbolique.

Rapportant alors la frustration à la relation primitive de l’enfant avec sa mère, Lacan nous montre qu’elle
est non pas refus d’un objet de satisfaction, mais refus de don en tant qu’il est lui-même symbole de
quelque chose qui s’appelle l’amour. L’idée du don implique tout le cycle de l’échange, implique toute la
circulation des dons et c’est dans ce contexte intersubjectif que le petit sujet s’introduit grâce au don qui
surgit d’un au-delà de la relation objectale puisqu’il suppose derrière lui tout cet immense don et contre-
don de l’échange social. C’est sur un fond de révocation, de contre-don, d’annulation du don, de
possibilité qu’on ne donne pas que le don surgit et est donné d’où le terme de Versagung.

67
« C’est donc sur ce fond et en tant que signe de l’amour annulé d’abord pour reparaître comme pure
présence que le don se donne ou non à l’appel. » (27-2-57)

L’appel étant effectivement déjà le signe que ce qui se trouve en face et qui est appelé un repère, par
exemple, peut être repoussé. on le voit ici, à cet ordre symbolique dont il a parlé dans le Séminaire II,
Lacan ajoute la dimension de l’annulation qui lui est inhérente, mais qui, subjectivée, se vit par l’individu
comme une frustration. Frustration d’un don ce qui n’empêche pas qu’à l’occasion, une satisfaction ou
une non-satisfaction puisse lui être accolée en tant que compensation. Du fait de l’insatisfaction en effet,
l’ordre symbolique devient indestructible et ceci explique nos rêves où, au-delà d’une satisfaction
hallucinatoire, l’ordre symbolique continue à fonctionner, le désir persiste sur ce plan symbolique et hante
donc la vie du dormeur.

De la même manière, une pulsion qui vise la satisfaction d’un besoin peut se trouver érotisée parce
qu’elle est entrée dans cette dialectique de substitution de la satisfaction ou exigence d’amour.

Comme tel ici, ce n’est pas l’objet, ce qu’il est comme objet, qui joue le rôle essentiel, mais le fait qu’une
activité prend fonction érotisée, du fait de cette exigence d’amour et s’inscrit donc dans l’ordre
symbolique. Il est même possible qu’il ne soit pas nécessaire qu’un objet doive être présent pour que cette
substitution de la satisfaction à la libido puisse se faire, il suffit même qu’il n’y en n’ait pas, et c’est ce
que nous rencontrons dans les phénomènes d’anorexie mentale.

Dans la mesure où la mère accorde ou pas le don auquel l’enfant en appelle de tous ses vœux, elle se fait
toute puissante, c’est-à-dire, elle passe dans le Réel. C’est le point où se conjugue cette toute-puissance de
la mère et le stade du miroir dans un sentiment, dans un effet dépressif, car, pour que cet effet dépressif
puisse être engendré, il faut que le sujet puisse réfléchir sur lui-même et sur le contraste de son
impuissance face à la toute-puissance de la mère.

Le terme de régression (souvent lié à celui de frustration)et qui s’oppose à lui pourtant, est applicable
quand l’objet réel, et du même coup l’activité pour le saisir, vient remplacer, vient se substituer à
l’exigence symbolique. La régression est donc quelque chose qui va à l’envers de la frustration. On
devine tout de suite que toutes les relations qui vont s’établir au corps propre, par l’intermédiaire de la
relation spéculaire, vont pouvoir se trouver marquées maintenant de la dimension du symbolique; il n’y
aura rien d’étonnant à ce que les excréments deviennent ainsi l’objet électif du don, ainsi que c’est
rapporté dans la théorie classique.

Mais, pour comprendre comment, dans cette dialectique de la frustration, vient s’introduire le phallus,
c’est effectivement un tout petit peu plus compliqué. A cet égard, aucun développement ou théorie de
développement ne pourront expliquer comment cet objet devient prévalent pour la petite fille ou le petit
garçon car, il faut partir de ceci que ce qui est le pivot de toute cette affaire est l’existence du phallus
imaginaire dont la mère serait privée et c’est parce qu’elle en manque qu’elle le désire, et c’est
seulement en tant que quelque chose ou que quelqu’un le lui donne qu’elle peut en être satisfaite. Ici, le
manque devient le désir majeur, c’est-à-dire que le manque de phallus imaginaire joue un rôle de
signifiant majeur même étant absent, il est présent comme objet symbolique.

Lacan compare alors cette fonction du phallus à celle du symbolique, à celle du jeu de pair-impair dont il
a parlé dans le Séminaire II car le phallus que l’enfant interroge chez sa mère, c’est pour voir où il est et
où il n’est pas.

« Il n’est jamais vraiment là où il est, il n’est jamais tout à fait absent là où il n’est pas. » (6/2/1957 )

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Pour bien saisir l’introduction de cet objet dans la dimension symbolique, il faut bien voir que cela ne
peut se faire autrement que par le détour constituant de la dialectique intersubjective par où l’enfant
s’engage dans la dialectique du leurre, c’est-à-dire qu’il s’engage dans cette voie de se faire lui-même
trompeur.

Le désir qui surgit des lieux supposés de la toute-puissance maternelle s’interroge non pas à partir de la
frustration mais de l’extinction possible de ce désir, aphanisis, autre mot de la castration. La substitution
du terme d’aphanisis à celui de castration signifie qu’il arrive effectivement que quelque chose
disparaisse, et que la crainte de la castration se trouve ramenée pour le sujet à la crainte de voir s’éteindre
en lui le désir.

C’est une dimension subjectivée qui fait adjoindre à la frustration, l’appréhension de l’extinction du désir.

Lacan distingue castration et privation.

La privation, c’est un trou réel, c’est, par exemple, le fait que la femme n’a pas le pénis, c’est à partir de
là que la castration pour le garçon prend comme base cette appréhension dans le réel de l’absence de
pénis chez la femme.

On peut dire, pour faire la distinction, qu’ il y a une moitié de l’humanité qui est châtrée dans la
subjectivité du sujet, mais dans le Réel, ils ne sont pas châtrés, ils sont simplement privés d’un organe.

2) Le père lviii[xix]

Il faut alors essayer de saisir la nécessité de ce phénomène de la castration pour le sujet, quand quelque
chose vient s’inscrire dans une scène symbolique comme une dette, et que ce quelque chose s’empare
d’un objet imaginaire pour le faire accéder à la dimension symbolique.

Pour cela, il faut repartir du premier moment de la frustration, il faut repartir de ce qu’il y a derrière cette
mère symbolique qui se trouve cette fois confrontée à un père symbolique qui est une nécessité de
construction, une transcendance nécessaire pour comprendre le passage de la frustration à la castration.

Il s’installe, ici, dans les hypothèses de Lacan, quelque chose qui est comme un cheminement, non pas le
cheminement de l’image du stade du miroir qui est introjecté, non pas non plus le cheminement de la
parole qui, du lieu du grand Autre, revient au sujet ; il s’agit d’autre chose : il s’agit dans les registres
mêmes dans lesquelles ces phénomènes s’opéraient, (de la dimension de l’image et de la dimension de la
parole), dans ces registres-là, il y a quant à l’objet qui circule à l’intérieur de ces registres, modification
des registres de cette circulation, il y a passage, autrement dit, du registre de l’Imaginaire au registre du
Symbolique voire à celui du Réel.

Pas encore de topologie à ce jour autour de cette circulation mais, évidemment, ce qui s’amène de neuf du
fait du cheminement d’une cure, nous montre bien la nécessité de pouvoir comprendre les arcanes de ces
transformations, nous montre bien la nécessité de concevoir cette espèce de topologie de l’espace parlant
comme tel.

La difficulté réside dans le fait de situer ce père symbolique qui, comme tel, est nécessaire dans le
fonctionnement de cette circulation, mais qui ne se représente pas dans le tableaulix[xx] que Lacan nous
propose.

69
Par contre, le père imaginaire, nous le connaissons bien, c’est le père de l’identification au père, c’est
celui qui est en jeu lorsqu’il y va de l’agressivité et de toute la dialectique de l’idéalisation. Ce père
s’inscrit donc dans ce que nous pourrions appeler la topique de l’imaginaire que nous connaissons bien.

Le père réel, lui, c’est celui de la vie de tous les jours, qu’il n’est pas très facile de distinguer dans sa
fonction de père. C’est pourtant à lui, au père réel qu’est :

« déférée effectivement la fonction saillante dans ce qui se passe autour du complexe de castration. »
(13/3/57)

L’absence de ce père réel eu égard à cette question de la castration, effectivement, provoque un certain
nombre de déséquilibres que le sujet tentera de compenser, par exemple, par une phobie.

Pour le saisir, il faut partir de cette idée que la mère symbolique est celle vis-à-vis de qui l’enfant a un
rapport d’amour. Au cœur de ce rapport d’amour, il apprend non seulement qu’il peut être aimé, mais
qu’il apporte à sa mère du plaisir dans cette relation amoureuse. Deuxième élément : la mère conserve à
un degré différent selon les sujets, le « penis-neid » lequel est ressenti d’une manière plus ou moins
évidente par l’enfant comme le manque qu’elle ressent d’être femme et auquel il peut, d’une certaine
façon, répondre.

C’est en rapport à ce manque de la mère que l’enfant peut éprouver la fonction du phallus comme étant le
centre du désir de la mère et qui peut, d’une certaine façon, la leurrer. Il résulte quatre positionslx[xxi]: il
peut s’identifier à la mère, s’identifier au phallus, s’identifier à la mère comme porteuse du phallus, ou se
présenter lui-même comme porteur du phallus.

Nous sommes ici dans la relation imaginaire, relation leurrante :

« par où l’enfant en quelque sorte atteste à la mère qu’il peut la combler non seulement comme enfant,
mais aussi pour ce qui est le désir et ce qui manque pour dire à la mère. » (13/3/57)

Ici, intervient la pulsion sexuelle pour l’enfant (le garçon) qui le laisse assez misérable dans la possibilité
de répondre réellement au penis-neid de la mèrelxi[xxii].

On sent progressivement dans la démarche de Lacan, la nécessité croissante de pouvoir articuler un


manque dans l’Imaginaire (qu’on pourrait tout à fait référer au manque pulsionnel, c’est ce qu’il a élaboré
autour de la dimension de frustration) au manque symbolique (comment, à la frustration qui est
imaginaire, viendrait répondre le oui ou le non de la mère devenant puissance, ici, réelle et témoignant
ainsi de la dimension d’amour ?)

... Donc, un manque imaginaire pourrait se trouver accéder à un manque symbolique du fait de cet effet
de la frustration, lequel manque symbolique peut à son tour accéder à une autre dimension du fait que
l’enfant peut percevoir que cette relation d’amour que la mère introduit ne la met pas, elle-même, dans un
état de toute puissance totale. Effectivement, elle dépend, elle aussi, d’une dimension qui est celle du
phallus, c’est-à-dire qui est à référer au père, au père réel.

A ce moment-là, une nouvelle dimension, troisième manque, vient s’introduire, on serait tenté de dire,
manque réel cette fois d’un objet imaginaire : le phallus dont l’agent serait, par rapport à la mère, le père
symbolique dont on ne parle pas parce que dans la relation mère-enfant, comme tel, il n’a pas cette
fonction symbolique à cet endroit-là puisque c’est dans le rapport à la mère qu’il possède la fonction
symbolique.

70
On le voit, il y a trois manques qui viennent à se recouvrir et l’hypothèse que nous avançons, c’est que :
au manque imaginaire correspond la pulsion, au manque symbolique correspond le trajet classique de la
frustration et au manque réel, on pourrait, en suivant Lacan, introduire la fonction de la parole et la
dimension phallique comme désignant ce lieu du manque réel.

Un triple étagement est donc repérable au départ des trois manques. Cet étagement sera topologisé dans le
Séminaire VII.

Comment faire pour que l’enfant se trouve confronté à cet ordre qui, dans l’Oedipe, fait de la fonction du
père le pivot du drame ?

Ce glissement du fait du Réel du phallus est quelque chose qui est surtout sensible chez la petite fille pour
qui le renoncement au phallus est très facile et transforme ce renoncement en espoir de don, espoir
d’amour de la part du père puisque c’est lui qui en serait le porteur.

Pour le garçon, les choses sont moins simples car pour lui, c’est dans la relation imaginaire au père que se
produira l’identification à son propre sexe. La question pour le garçon, ce n’est pas seulement de
s’identifier à son propre sexe, ce sera aussi de répercuter ce qui pour lui va être une question à traiter, à la
fois qu’est-ce qu’un père et, d’autre part, comment peut-il lui-même accéder à cette position paternelle ?

Ce père réel est quelqu’un qui peut répondre en tout état de cause, qui peut répondre et signaler qu’en tout
cas, le phallus, le vrai, c’est lui qui l’a.

« C’est cette introduction de cet élément réel dans l’ordre symbolique inverse de la première position de
la mère qui se symbolise dans le Réel par sa présence et son absence. » (20/3/1957 )

A cet endroit, l’objet en cause ne devient pas l’objet imaginaire ni l’objet du leurre, mais il est un objet
dont il est toujours au pouvoir d’un autre de montrer en puissance qu’il l’a ou qu’il ne l’a pas.

« C’est par rapport à ce jeu joué avec le père, ce jeu de "qui perd gagne", si je puis dire, que l’enfant peut
conquérir la foi qui dépose en lui cette première inscription de la loi. » (20/3/1957)

Ce père en puissance qui serait celui qui répond comme partenaire réel, comme répondant de la loi, en fait
ne peut être comme tel, incarné par personne qui puisse sur ce point dialoguer, car en fin de compte, le
seul qui pourrait répondre à cette position, c’est quelqu’un qui serait comme le dieu du monothéisme.
Donc, toute personne qui occupe cette place-là ne peut l’occuper que par lieutenance, en représentant. Ce
dieu-là, qui n’est nulle part, qui est père symbolique, est impensable, il n’intervient nulle part. C’est à
partir de là que Freud en est venu à construire son mythe du meurtre du père dans Totem et Tabou. Ce
père comme tel impensable introduit, et nous aurons à y revenir (in séminaire 19), la catégorie même de
l’impossible, il a été tué pour pouvoir être conservé comme père. Le père réel est au fond celui qui vient
occuper le rôle et la fonction, le temps d’un instant, de ce père symbolique impossible.

Ce qui nous reste de ce père impossible, c’est ce qui se présente avec ce noyau permanent de la
conscience morale qui s’appelle le Surmoi et qui n’est rien d’autre que l’effet retour de ce refoulement
originaire qui peut d’ailleurs tout autant s’inscrire sur le schéma L et qui permet aussi au sujet de ne plus
délibérer avec lui-même sous la forme d’un pur jeu spéculaire de lui à l’autre.

« On ne sait obligatoirement à quel moment du jeu imaginaire le passage s’est fait de celui qui a été un
moment là pour répondre et qui introduit ainsi dans le ES comme un élément homogène avec les autres
éléments libidinaux, ce Surmoi tyrannique qui est foncièrement en lui-même paradoxal et contingent,

71
mais qui à lui tout seul représente, même chez les non-névrosés, ce quelque chose qui a cette fonction
d’être le signifiant qui marque, imprime, laisse le sceau chez l’homme de sa relation au signifié. Qu’il y
ait un signifiant chez l’homme qui marque sa relation au signifiant, il y en a un, cela s’appelle le Surmoi,
il y en a même beaucoup plus d’un, cela s’appelle les symptômes. » (p. 26)

Étonnante désignation du signifiant de la relation de l’Homme au signifié que Lacan habituellement


réserve au Phallus

3. La phobie comme l’itinéraire qui constitue l’hyperespace topologique

Il s’agit d’une vérification clinique expérimentale au cœur d’une « topographie » (27/3/1957) composée
d’itinéraires cérémoniaux qui ont, de ce fait par leur répétition, une structure symbolique. L’angoisse qui
surgit pousse à la construction d’un mythe individuel dont le caractère de substituabilité serait chargé
d’assurer une stabilité à l’ensemble.

Pour Lacan, cette structure de fiction mythique non seulement interroge la fonction de vérité, mais elle
démontre que l’homme a pour caractéristique dans cette structure, d’introduire dans l’ordre naturel la
dimension du signifiant et non seulement de l’introduire, mais de s’y désigner comme dépendant à son
tour de cette instance du signifiant. Il y a donc une connexion entre la création mythique infantile et les
mythes que les ethnologues étudient. C’est le complexe d’Oedipe qui temporalise cette construction
autour du complexe de castration.

« Le complexe de castration est la cheville majeure par où passe l’instauration de la constellation et la


résolution de sa constellation par où passe la phase ascendante ou descendante de l’Œdipe. » (27/3/1957)

Lacan discute alors de la relation que fait Freud de la phobie du petit Hans. Il nous rapporte comment,
dans une certaine situation, surgit une angoisse, situation où Hans se trouve dans le besoin direct qu’il a
de l’amour de sa mère, avec en plus, une espèce de jeu de leurre intersubjectif autour de la question : ma
mère a-t-elle un phallus ?

Et cette angoisse surgit au moment où naît la petite sœur, comme événement réel et aussi où il s’intéresse
à son pénis. Lacan rappelle à ce propos la difficulté qu’il y a pour les enfants à intégrer la dimension de
l’orgasme, il souligne par exemple :

« Le caractère ravageant, très spécialement chez le paranoïaque, de la première sensation orgastique


complète. »

Ce qui se passe à ce moment est une sorte d’accession du phallus imaginaire à une valeur symbolique.
Pour cela un certain nombre d’éléments et d’opérations sont nécessaires dont la formalisation a déjà été
fournie par Lacan dans son commentaire de « La Lettre Volée ». (Cf. Séminaire II)

Lacan rappelle que le circuit symbolique nécessite non pas trois termes, mais quatre termes lxii[xxiii] et il
insiste sur ce fait que pour que l’enfant franchisse l’Oedipe, il faut que le père intervienne. C’est cette
intervention du père, voire son degré de carence, qui joue un rôle dans cette affaire.

Ceci n’est possible qu’après un certain nombre de tours qui pourraient se classer dans le mythe selon les
alpha, bêta , gamma , delta, de « La Lettre Volée ».

Il doit donc se produire un codage dans la succession signifiante, un codage tel que, à propos d’une
fonction très précise, celle du Phallus, une subjectivation s’opère sur le mode où l’analyse du fantasme

72
« un enfant est battu », se décompose en un certain nombre de figures où s’incluent le sujet et son drame.
Ici, pour Hans, c’est au travers de la relation scoptophilique.

Une différence existe entre la relation scoptophilique et la relation imaginaire primitive en miroir dont
nous avons parlé dans le Séminaire I. La relation scoptophilique maintient une articulation
intersubjective qui n’est pas duelle. La différence réside dans ce fait que l’enfant cherche, en interrogeant
le monde imaginaire et maternel, non pas quelque chose qu’il voudrait voir, mais quelque chose qui
pourrait y être ou ne pas y être, c’est-à-dire qui reste voilé. Il s’agit, autrement dit, de soutenir un leurre.
Dans la topologie du Séminaire I, cette dimension de soutenir le leurre est bien quelque chose qui
viendrait s’inscrire dans le triangle de base : méprise, erreur, ambiguïté.

Autrement dit, le voile subjective par une sorte de surprise. L’objet voile peut à la fois nous surprendre et
susciter aussi que nous soyons surpris par quelqu’un d’autre à en guetter l’existence.

« Ainsi, c’est bien en quelque chose qui porte à un degré supérieur au degré non pas seulement du voir et
de l’être, mais de donner à voir et d’être surpris par le dévoilement que la dialectique imaginaire aboutit
qui est la seule qui puisse nous permettre de comprendre le sens fondamental de l’acte de voir. »
(3/4/1957 )

C’est l’objet phallique imaginaire qui est pris dans la dialectique du voilement et du dévoilement. Il faut
savoir que Hans tente d’assumer l’existence de personnes d’un autre sexe, c’est-à-dire qui sont privées
réellement de ce fameux phallus imaginaire. Ce n’est pas le fait qu’on le lui ait dit, c’est-à-dire qu’on lui
en ait donné une notion scientifique qui va pour autant faire que cela sera admis dans sa croyance de petit
sujet.

Pourquoi donc est-ce si difficile à admettre ?

La castration de ce point de vue est une crise nécessaire pour que l’enfant entre précisément dans cette
subjectivation de la différence des sexes. Ceci veut dire qu’il n’y a pas de subjectivation sans qu’il y ait
crise, sans qu’il y ait drame.

C’est ce drame qu’il s’agira de coder. Le cheval va devenir une des figures de ce codage et s’inscrire dans
des séquences mythiques différentes car, au cours de ces circuits, le cheval, lui, occupe des positions
différentes, position de la mère, du père, du pénis, du petit Hans lui-même.

Lacan nous assure que c’est dans la transformation de tous ces éléments du mythe au cours d’un certain
parcours qu’à la fin, le pénis réel trouve à se loger de façon suffisante pour que, pour Hans, la vie puisse
être vécue sans angoisse.

Au cœur de cette circulation, le cheval se différencie pourtant de l’objet phallique.

En effet, le cheval, au terme du parcours, a une fonction métaphorique, celle de représenter le père. Mais
avant cela, il aura joué toute une série d’autres rôles. Nous voyons, particulièrement dans cette
observation, le signifiant se faire symptôme et être capable, au cours du développement, de recouvrir des
signifiés les plus multiples, les plus différents. Tous ces éléments qui permutent, tous ces signifiants qui
occupent des places différentes sont marqués, nous dit Lacan, de quelque chose de dialectique.

Lacan avance alors la dimension du cheval comme signifiant propre à tout faire (le cheval qui rentre dans
la chambre au moment où la mère s’en irait, ce n’est rien d’autre que Hans qui rentre dans la chambre.
Jamais ici le signifiant n’a une portée univoque.

73
« Ce que nous voyons produire au cours du développement de ce qui se passe chez le petit Hans, c’est le
surgissement, non pas d’un certain nombre de thèmes qui auraient plus ou moins leur équivalence
affective ou psychologique, comme on dit, mais d’un certain nombre de groupements d’éléments
signifiants qui se transposent progressivement d’un système dans un autre. » (18/4/1957)

« Un mythe est toujours une tentative d’articulation de solution d’un problème, c’est-à-dire qu’il s’agit de
passer d’un certain mode, disons d’explication de la relation au monde du sujet ou de la société en
question, à une transformation nécessitée par le fait que des éléments différents nouveaux viennent en
contradiction après la première formulation, et exigent en quelque sorte un passage qui, comme tel, est
impossible, qui, comme tel, est une impasse. » (18/4/1957 )

Ce problème, cette crise, s’inscrit sur le circuit symbolique et il nous faut concevoir comment, dans cet
itinéraire, pourrait exister une solution au problème posé car c’est cette solution qu’exige le désir.

Qu’est-ce que le désir, sinon, entre autres, l’incidence du Symbolique ? Ce que nous pouvons entendre
quand, dans un quelconque malaise subjectif, un patient nous dit qu’il désire autre chose. Il y a là crise, et
cette crise se résout pour le petit Hans, par exemple, dans ce que Lacan appelle une fomentation
mythique, c’est-à-dire une espèce de constellation signifiante qui opère à la manière d’un système de
transformation, une espèce de mouvement tournant et, de la sorte, exerce un remaniement profond sur le
signifié qui est en crise.

Lacan souligne alors le caractère profondément dialectique que cette fomentation mythique entretient
chez Hans avec les interventions de son père qui fait à chaque fois rebondir, repartir cette fomentation. Et
ceci, non sans que cette construction n’ait ses lois propres et ses nécessités qui peuvent nous surprendre. Il
s’agit essentiellement, pour Hans, d’opérer sur cet objet, le cheval, et tout ce qui l’entoure, d’opérer le
transfert de toutes les motions angoissantes, d’opérer un transfert pour qu’il se démontre que le cheval est
capable de les fixer. De la sorte, se trouverait donc remodelé, réaménagé, le signifié à l’aide d’une espèce
de permutation. Toute la question devient maintenant de savoir pourquoi le cheval est choisi comme
thème emblématique de la phobie par le petit Hans ?

Le cheval, même s’il peut avoir la dimension imaginaire de concentrer sur lui toute sorte de propensions
analogiques, doit être entendu comme un signifiant qui ponctue le monde extérieur comme signal qui,
d’une certaine façon, constitue pour Hans la topographie permise de ces déplacements. Ce signal
détermine un certain nombre de limites et aussi un certain nombre de possibilités, de transgressions de
cette limite, voire d’inhibition en deçà de cette limite.

D’une certaine façon, dans cette refonte de la ponctuation du Réel, le cheval va faire parcourir un certain
circuit du fait du surgissement de l’angoisse qui, elle, est la fonction originaire.

Il faut considérer que cette angoisse surgit du fait de l’irruption de deux événements réels, d’une part,
l’indication par sa mère que le fait de s’exhiber devant elle est une cochonnerie et que cette exhibition est
en quelque sorte ridicule et, d’autre part, dans tout ce jeu de leurre qu’il avait entretenu avec sa mère, il y
a eu la naissance de la petite sœur. Les bases du jeu qu’il entretient avec sa mère sont, à partir de ce fait,
superflues.

On notera avec intérêt cette dimension du luxe, de l’en-plus, du superflu mêlés à l’angoisse car c’est
comme telle l’inscription de ce « plus » qui se lie à l’angoisse et à la fonction topographique, que va
représenter le complexe cheval. Cette organisation signifiante se place, s’inscrit sur les déplacements en
chemin de fer de Hans, et on peut voir comment les chemins de fer constituent à Vienne un réseau, une
boucle virtuelle sans que pourtant les deux lignes en question ne communiquent entre elles, bien qu’elles

74
permettent toutes les deux de rejoindre la même ville. Toutes ces choses, Hans nous dit bien que c’est par
l’opération de la pensée qu’il les a constituées.

Avis aux critiques de l’intellectualisme lacanien.

Il y aurait donc deux circuits, le circuit du cheval et le circuit du chemin de fer. Est-ce que cette notion de
circuits qui s’engendrent veut dire que Hans a peur d’être entraîné dans une situation d’où il pourrait
revenir mais qui, précisément, lui montre qu’il pourrait être entraîné de telle sorte que, quoiqu’il fasse, il
ne puisse en sortir ?

Ce qui voudrait dire qu’au fond, dans cette situation intenable, lui ne sait plus où il se situerait.

Au bout du compte, le signifié de tous ces circuits, c’est de pouvoir dire qu’il y a un drame qui se joue
pour Hans dans son rapport à sa mère, et que ce qu’il essaye de concevoir, c’est de pouvoir, maintenant,
être avec son père et il le conçoit à l’aide de ces circuits topologiques, pourrait-on dire, ce qui nous
permet, par ailleurs, de nous demander s’il n’y a pas, entre cette fonction paternelle et la topologie, un
lien plus qu’aléatoire, plus que de circonstancelxiii[xxiv]. Dans cette permutation, il y a passage d’une
impossibilité à une autre, impossible de se séparer de la mère et impossible pourtant (autrement que dans
l’imaginaire) de se trouver à la fois dans le circuit des chemins de fer et du cheval, dans le registre de la
circulation maternelle et dans le registre de la circulation paternelle.

Il y a une autre notion topologique importante.

Le signifiant cheval surgit dans ces circuits comme ce qui a une fonction de coordination, comme ce qui
lie, comme ce qui peut attacher ou être attaché à quelque chose et le verbe « attraper » est, ici, utilisé à
plusieurs endroits. Le cheval, en quelque sorte, c’est le Moi de Hans. Il y a chez lui un trouble, une espèce
de manque d’être qu’il essaye de faire traîner par quelque chose, c’est le point où la phobie devient un
processus métonymique, un peu comme à l’intérieur d’une phrase, un point, une ligne textuelle, un mot
s’enchaîne au mot qui précède et au mot qui suit. Cette dimension d’enchaînement est écrite dans le mot
allemand Wägen (voiture) qui équivoque en allemand avec la conjonction « à cause de »(Wegen).

Il en résulte la possibilité pour Lacan de parler ici de cet hyperespace topologique (cf. Séminaire III) dont
nous avons deux genres, la métaphore et la métonymie : hyperespace psychologique que cette dimension
grammaticale de l’attachement, là où un mot peut être substitué par un autre, là où un mot peut venir à la
place du suivant dans la phrase !

Lacan nous met quand même plus ou moins en garde de penser que ces deux types d’associations se
trouveraient quelque part inscrites dans les neurones cérébraux. Il les trouve lui dans le bain du langage
comme précisément désignant cet hyperespace : voilà une remarque qui est d’importance pour nous.

Dans la séance du 15/5/1957, il s’agit, dit Lacan d’un espace temporel.

Là où il parlait dans la séance précédente d’hyperespace psychologique, il remet cela avec le terme
d’espace temporel qui n’a rien à voir avec la distance chronologique car cet espace est structuré par le
symbolique de manière circulaire. C’est parce qu’il est structuré de manière circulaire, évidemment, que
l’effet d’après-coup est possible.

La raison d’être de ces circuits est de retrouver l’objet qui est perdu et dont la frustration « n’est jamais
que la première étape du retour vers l’objet qui doit être pour être reconstitué, retrouvé. » (15/5/1957)

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C’est donc à cela que tente de répondre le mythe :

« La création mythique répond à une question: c’est de parcourir, si on peut dire, le cercle complet de ce
qui, à la fois, se présente comme ouverture possible, et comme ouverture impossible à apprendre. Le
circuit étant accompli, quelque chose est réalisé qui signifie que le sujet s’est mis au niveau de la
question. C’est en cela que Hans est un névrosé et pas un pervers. » (15/5/1957 )

Qui dit circuit, dit aussi parcours autour d’une chose. Cette chose se trouve délimitée dans le trajet par
l’articulation signifiante. Cette chose, ici, est l’angoisse, vide de signification pour Hans.

Et effectivement, Lacan nous donne une définition du signifiant qui n’est pas là pour compléter les
béances d’une signification qui ne signifie rien, mais qui est là, qui surgit pour restituer le fil perdu
(comme les petits cailloux du signifiant dans le conte du Petit Poucet).

C’est le signifiant littéralement qui décrit les bords du trou et du vide de la signification. On aurait donc
tort de voir parfois, dans la topologie implicite de certains fantasmes, ce qui serait en quelque sorte visé
par l’élaboration conceptuelle du sujet. En réalité, au-delà de la transparence topologique de certaines
situations fantasmatiques, il convient de se rapporter à la dimension signifiante dans laquelle ces
fantasmes sont pris en tant que cette dimension signifiante est un effet des permutations d’un mythe
topologique plus général, plus global. Ainsi en est-il du « dans la baignoire » qui se réfère au « dans la
voiture » ou au « dans la maison » pour le petit Hans, alors que chaque figure fantasmatique prise
séparément comporte déjà de manière intuitive son propre trouage.

Car c’est dans la permutation des figures mythiques que se précise le vide que l’organisation mythique
fantasmatique enserre.

Exemples de permutation : le fait de déboulonner la baignoire, le ventre perforé, la manière dont Hans
situe le trou de sa mère autour de cette chose qui flotte comme le noir devant la figure du cheval et qu’il
ne faut pas regarder; fantasme du wagonnet ensuite où Hans passe toute la nuit sur le cercle plus large du
chemin de fer où, d’après Lacan, il invective son père dans le sens d’exiger qu’il fasse son métier de
père ; dernier fantasme, point terminus alors, fantasme de l’installateur.

D’où il ressort que ce qui angoisse Hans, c’est de ne pas faire le poids. C’est là où les baignoires, par
exemple, l’angoissent, ne présentent pas la garantie qu’il puisse y rester assis, de pouvoir les occuper à
l’aise ; alors les fantasmes d’engloutissement reprennent. A la suite de quoi, Lacan pense que Hans n’a
pas parcouru de manière totalement signifiante le complexe de castration :

« Le passage à l’ordre symbolique est nécessaire, il faut toujours que, jusqu’à un certain point, le pénis ait
été enlevé puis rendu. Naturellement, il ne peut jamais être rendu puisque tout ce qui est symbolique est
par définition bien incapable de rendre. » (15/5/1957)

Chez le petit Hans, il est symboliquement enlevé, mais d’après Lacan, il n’est pas symboliquement rendu.

Il manque donc un terme dans ce symbolique pour supporter cette non-restitution que Hans maintient
dans l’espérance d’une amovibilité qui l’arrange. Il manque tout simplement que quelqu’un se charge de
cette opération comme Hans l’imagine du plombier, de l’installateur.

D. FORMALISATION

76
Ainsi l’émergence de ce personnage énigmatique doit être mise en évidence. Nous pouvons en mesurer
un aspect au travers de la notion de personne grammaticale. Car, la dimension de personne ne signifie
pas simplement que nous accordons à l’autre le droit de dire Je, mais aussi, le droit pour nous de le
considérer comme un « tu », c’est-à-dire pas un autre « je » comme moi-même. Il y a là d’ailleurs en
retour de la part de ce « tu », une dimension d’investiture qu’il peut nous accorder : « tu es mon maître ou
tu es mon fils ». Cette investiture vient de l’Autre qui est l’Inconscient, et qui pourtant ne se révèle que
dans la structure de parole. Le complexe d’Oedipe en est un des avatars dans la mesure où la fonction du
père est précisément d’être celui qui possède la parole.

Car, entre l’Homme et la femme, au terme du trajet, aucune harmonie, mais plutôt privation peu
jouissante : penis-neid pour la femme, castration pour l’Homme ! Il faut donc bien que quelque chose
s’introduise qui rend cette double privation supportable. Cette introduction relève de la parole paternelle
(Cf. ex. de l’insémination posthume qui montre bien là ses limites puisque dans ce cas, le père mort est le
père réel !).

Cet usage paternel de la parole se précise d’une fonction qui est métaphorique, car l’usage de la
métaphore n’est pas connectif mais substitutif. Entre ce qui est aboli et ce qui lui est restitué, se glisse la
fonction de la paternité. (19/6/1957)

Un équation peut en rendre compte :

(est équivalent à faucille plus signification!)

« Je vous prie de remarquer que nous avons, là, dans le complexe d’Oedipe, quelque chose qui est à la
place X où est l’enfant avec tous ses problèmes par rapport à la mère et, c’est dans la mesure où quelque
chose se sera produit qui aura constitué la métaphore paternelle, que pourra se placer cet élément
signifiant essentiel dans tout développement individuel, qui s’appelle le complexe de castration. »

Grâce à ce complexe de castration, ou de faucille plus quelque chose, qui est la signification, c’est-à-dire
ce dans quoi l’être se retrouve, ce dans quoi l’X trouve sa solution.

Dans une telle formule, se situe le moment essentiel du franchissement de l’Oedipe. Car, hors la
castration, seuls se maintiennent les rapports de dévoration maternelle dont Lacan propose deux
formules :

Dans la mesure où la première formule représente un problème pour Hans, un élément médiateur doit
s’introduire : le cheval (‘I).

77
Lacan nous dit alors que le cheval remplit d’une façon efficace et imagée, active toutes les fonctions (M +
phi + A) de chute et qu’il permet, au même titre que le fétiche dans les perversions, que se constituent les
véritables bornes milliaires ainsi que les déplacements du désir. Dans le cas de la phobie, cet objet :

« à la fois quelque chose qui est là dans le réel et en même temps en est manifestement distinct et, d’autre
part, d’aucune façon n’est accessible à la conceptualisation, si ce n’est pas l’intermédiaire de cette
formalisation signifiante. » (19/6/1957 )

De cet objet presque arbitraire, Lacan en fait un signal à partir duquel se définissent des limites qui
introduisent un élément de délimitation grâce à quoi, est assurée l’amorce d’un ordre, une cristallisation
organisée entre le Symbolique et le Réel. C’est autour de cette équation, que doit se trouver interrogée la
possibilité de transformation et de permutation du signifiant qui amène Hans à une relation objectale
durable. Tout ceci non sans que pour Hans quelque chose soit dévié et qui lui fasse quand même éluder la
dimension essentielle de son père et qui maintienne pour lui une espèce de paternité imaginaire.

D’où la nouvelle formule [P(M) (M)i ≈ (A/phi) π ] où le Phallus est accordé à Hans à partir des enfants
imaginaires qu’il peut faire à la mère.

(A/PHI) π = Anna chevauchant le cheval, le maîtrisant.

« Il est possible, il est concevable d’essayer d’articuler par une série d’étapes la transformation de l’un
dans l’autre des termes extrêmes de cette phobie.

Sans aucun doute, convient-il de ne pas être là trop systématique; assurément, cette sorte de logique, si on
peut dire, est nouvelle, et peut-être doit-elle être, si elle est poursuivie, simplement introductive d’un
certain nombre de questions quant à son formalisme, qui nous fasse nous demander si elle a absolument
les même lois que ce qui a pu, d’ores et déjà, être formalisé dans d’autres domaines de la logique. »
(19/6/1957)

Lacan ajoute que d’ailleurs Freud, lui-même, avait traité de cette logique dans la science des rêves. Mais
cette logique, nous dit Lacan, reste peut-être distincte de de la topologie. Il ajoute que la topologie, c’est
une géométrie de caoutchouc et qu’ici aussi, dans la phobie de Hans, il s’agit d’une logique en
caoutchouclxiv[xxv].

C’est ce qui permettra, à partir de là, de considérer le déchiffrage de toute névrose comme une langue, un
texte à découper comme une énigme du nœud organisateur :

« qui donne à un certain nombre d’ensembles, en effet, la valeur littéralement d’unité signification, de ce
qu’on appelle couramment un mot. » (id.)

En quoi consiste ce nœud ? Il s’agit, ni plus ni moins, de nouer dans le texte un élément du passé du sujet
à une situation actuelle, et ce nouage ne se peut que si cet élément du passé est élevé à la dimension de
signifiant. Voilà une des formes de ce qu’on appelle la condensation.

Nous pouvons situer maintenant l’étape topologique de la succession des séminaires. Lacan nous a
présenté une élaboration du schéma subjectif fondamental, c’est ce que nous appelons le schéma en L où
le sujet est dans un rapport symbolique au grand Autre qui est inconscient. Entre les deux, il y a le rôle
d’écran intermédiaire des rapports du Moi et du petit autre. Progressivement, on voit l’intérêt de Lacan
glisser vers quelque chose qui est un peu différent puisque c’est la notion du discours.

78
Dans tout ce cheminement, dans tous ces rapports, dans toute cette intersubjectivité, c’est essentiellement
de discours dont il s’agit, de discours structuré comme le langage, c’est-à-dire sur le modèle du rapport
signifiant-signifié. Ceci est différent du repérage antérieur du Symbolique, du Réel et de l’Imaginaire.

En ce sens, la « relation d’objet » que Lacan critique cette année-là doit être intégrée dans cette fonction
de discours, c’est-à-dire que Lacan rend à l’objet sa dimension de signifiant et le signifiant devient l’objet
du discours analytique. Reste quand même, qu’il y a cette fonction tout à fait spéciale bien que signifiante
aussi, cette fonction du phallus.

La phobie est une mise en place de ce discours, à l’intérieur duquel l’objet phobique vient en position
métaphorique (fonction que le Totem occupe dans d’autres mythes).

Lacan indique que ce support métaphorique, cette poésie vivante a une fonction de suppléance à ce qui
manque au développement du sujet dans la dialectique de l’entourage où il est immergé. Donc, on aura
sans doute à discuter du rapport que la topologie entretient avec cette fonction poétique qu’on lui oppose
très souvent. L’objet phobique, c’est un signifiant qui vient occuper cette place de suppléance: tout à la
fois, il nous montre que tout peut être, à partir de là, emporté par l’angoisse et, d’un autre côté, il a cette
fonction de transformer cette angoisse en peur, c’est-à-dire de lui fixer d’une certaine manière une limite,
un point d’arrêt pour le sujet. Ce qu’il faudrait vérifier, c’est si la topologie résultante est la même que
celle qui est en cause dans les ruptures des amarres, dans la rupture de digue en quoi consisterait
précisément la disparition de ce point d’arrêt. Ou encore, est-ce que la fonction métaphorique du père
occupe exactement, topologiquement parlant, la même structure que la fonction topologique d’une phobie
? Car, cette topologie phobique contient tous les éléments angoissants par la place qu’elle occupe et que
devrait occuper, en fait, le père symbolique et qui permet à partir de là tous les transferts nécessaires de la
problématique triangulaire mère/phallus pour le petit enfant.

Hans formule tout d’abord la séquence suivante : (M + PHI+ A) M ≈ m + π)

qui dans la phobie prendra la forme :

puis se résout en :

Lacan poursuit en indiquant que tout ceci doit être pris dans un espace de logification. Cet espace de
logification, c’est l’espace de la parole compris entre P et p, c’est-à-dire entre le père symbolique et le
père réel. Cette logification se topologise autour du terme de transport, transport qui est le fait d’aller à
cheval, d’aller en voiture, mais aussi le fait que la mère puisse transporter l’enfant dans son ventre.

Cette topologie est adaptée à la structure de l’organisation signifiante, et non pas à une quelconque réalité
psychologique.

On peut dire que toute espèce de progrès dans l’analyse de cette phobie est, en quelque sorte, la maîtrise
progressivement de la mère, laquelle devient un élément mobile. Lacan terminera cette séance en
rappelant à nouveau que le complexe de castration, pour le petit Hans ici, n’aura rien résolu de son

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rapport à la différence des sexes, il aura par contre résolu son rapport à l’angoisse, car, ce sur quoi
l’élément résolutif a porté, c’est sur une transformation de Hans lui-même, et non sur une transformation
de son rapport à la sexualité.

Lacan parle, à ce propos, d’un moment d’aliénation essentielle de Hans.

Car, c’est moins son rapport à la castration qui se résout que la solution qu’il trouve à une sorte
d’« assiette » qui le stabilise dans le monde (fantasme de dévisser le bassin).

Enfin, le 3/7/1957, dans sa dernière séance de l’année, Lacan rappelle que la formalisation vise à décrire
quelque chose que le langage usuel ne permettrait pas de fonder nécessairement, et aussi, qu’il s’agit là de
quelque chose qui est strictement étranger aux dimensions traditionnelles de la psychologie, car la
dimension de l’objet dans la psychanalyse n’est pas fixée.

Hans se maintient, au terme de cette analyse, dans un champ aux limites du Réel et de l’Imaginaire, ce
que le personnage énigmatique de la cigogne aurait peut-être pu permettre d’aborder.

Aussi, sa sexualité restera marquée d’une passivité laissant aux femmes l’initiative de la rencontre (M +
phi et A) comme séquence du désir maternel maintenu dans l’imaginaire).

L’idéal du Moi maternel, en conséquence, va régner sur ce petit garçon imitant en cela un Leonardo da
Vinci imaginant seulement les machines volantes qui lui permettraient d’échapper à la pesanteur des
corps.

A l’aide de cette formalisation, à la fin de cette séance, Lacan dégage la dimension du Réel comme étant
une formulation qui échappe à l’expérience intuitive, à l’expérience concrète, en posant la formule de
quelque façon qu’elle ne puisse nulle part se satisfaire, car toujours les conditions d’expérience seront
impures dans la réalisation.

Hormis à être imaginarisée dans une topologie de caoutchouc !

80
Séminaire V

Les formations de l’inconscient

« La mise en scène topologique du phallus »

1. NAISSANCE DU GRAPHE

Il faut resituer la problématique qui va être abordée par Lacan en 1957/1958. Il a dit, en terminant le
Séminaire IV, que ce qu’on appelle la relation d’objet dans la psychanalyse n’est en réalité rien
d’autre que la dimension du signifiant. Aussi, après avoir tracé le schéma L qui décrit la structure
minimale de la fonction intersubjective, il a parlé de ce qui y circule à la manière d’un objet, c’est-
à-dire le signifiant. On aurait pu s’attendre effectivement à ce qu’il dégage, à l’intérieur de cette
topologie minimum, la dimension d’un objet en creux qui soit propre à la dimension
psychanalytique. Tel n’est pas le cas et on voit bien que Lacan n’a pas encore dégagé, ici, ce qui va
se trouver nécessaire à un moment donné et qui sera l’objet a.

C’est en trois temps que va se dégager la nouveauté topologique de cette année 57-58. Avant de les
présenter, il nous faut retracer le chemin parcouru par Lacan.

La fonction du signifiant dans l’inconscient est en effet, tout le trajet de ses quatre premières années
de séminaires.

1ère année :

Où quelque chose aurait été noué à la parole, qui fait que le discours peut à son tour la dénouer.
Lacan rappelle lui-même le chemin qu’il a parcouru à partir de la théorie du Moi au cours duquel il
introduisit parole vide et parole pleine, puis, à partir de ce moment,

2ème année :

L’introduction du Symbolique et des alpha, bêta, gamma, delta, dont il nous dit :

« Nous aboutissons, après les manipulations qui permettent de les définir, à quelque chose de fort
simple, chacune de ces lettres étant définie par les relations, entre eux, de deux termes de deux
couples, le couple du symétrique et du dissymétrique, du dissymétrique et du symétrique, et ensuite,
le couple du semblable et du dissemblable, et du dissemblable et du semblable. » (6/5/1957)

On a là les structures minimales du groupe du signifiant telles que, dans l’analyse linguistique qui a
les plus grands rapports avec l’analyse tout court, Jacobson les aurait articulées lui aussi.

3ème année :

Ensuite, dans la troisième année, il s’agissait de la psychose en tant qu’elle est fondée sur une
carence signifiante primordiale, où le Réel survient comme subduction à la place de cette carence
du signifiant sous le terme de Verwerfung.

4ème année :

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C’est dans la quatrième année du séminaire, qu’on remarque qu’il n’y a pas d’objet, que la
caractéristique de ce qui pourrait ressembler à de l’objet, c’est la métonymie, c’est-à-dire le
glissement du signifiant, l’objet du désir étant toujours l’objet du désir de l’Autre. De même, il n’y
a pas plus de sens à atteindre, il n’y a que la métaphore, c’est-à-dire ce qui surgit dans la
substitution d’un signifiant à un autre signifiant. L’objet, dont il était question dans le séminaire de
la relation d’objet, se situe bien sur ce double versant du glissement métonymique et de la
substitution métaphorique.

Lacan a avancé aussi les deux formules élaborées à la suite de la phobie de Hans, et qui ont pris une
dimension supplémentaire plus linguistique dans son texte « L’instance de la lettre dans
l’inconscient ».

Formule de la métonymie :

Formule de la métaphore

Ces deux formules indiquent les rapports de la chaîne signifiante à la chaîne du signifié. Lacan nous
a parlé de cette image de point de capiton (SeminaireIII) qui les noue.

Séminaire V maintenant :

Trois parties, nous avertit Lacan. La première sur la fonction du signifiant dans l’Inconscient, la
deuxième sur la constitution d’un schéma qui va traverser toute l’expérience théorique de cette
année, la troisième : un commentaire, un exemple tiré du livre de Freud : Le mot d’esprit.

Le schéma qu’il inventera cette année, est un schéma topologique dans la mesure où il tente, dans la
circulation du signifiant, de décrire l’endroit, la place, le topo de ce point de capiton.

Lacan introduira en surplus, la notion du temps, en disant que c’est par rapport à une sorte de
présent idéal que cet entrecroisement, en sens inverse des deux lignes qui glissent, devrait trouver
son schéma exemplaire, c’est par rapport à cette dimension du temps, qu’on peut d’ores et déjà
parler de futur antérieur. Ce qui est exprimé sous une forme de métaphore topologique est
l’impossibilité de représenter dans le même plan le signifiant, le signifié et le sujet. (6/11/1957)

Bêta delta : discours du ronron sans Vérité

82
Ici, s’inaugure donc la topologie du graphe qui fait partie de notre chapitre 2 : Une ligne orientée
horizontale se trouve crochetée par une autre qui la traverse deux fois dans un sens régrédient.

Lacan nous met en garde tout de suite en disant que ces deux lignes ne représentent pas le signifiant
et le signifié, car ces deux flèches ne sont que deux fonctions de la suite signifiante, les effets sur le
signifié sont ailleurs, ils ne sont pas représentés sur le schéma.

La chaîne rétroactive est celle qui est perméable aux effets signifiants de la métaphore et de la
métonymie, tandis que l’autre chaîne est celle du discours rationnel où le signifiant est utilisé dans
le discours comme un flux, c’est le discours de la réalité commune, celui où se produit, le discours
vide. C’est le discours qu’on peut enregistrer sur un disque, celui que Lacan ironisera en parlant du
discours courant. Ces deux discours glissent l’un sur l’autre, ils sont parfaitement reconnaissables,
on notera qu’ici Lacan utilise le terme de discours indifféremment pour une chaîne ou l’autre ou
pour les deux chaînes à la fois. Il y a donc deux flux signifiants.

Le discours se spécifie d’une temporalisation dans la chaîne signifiante. Cette temporalisation


correspond à la mise en jeu de la parole vide ou pleine. Mais dans la même séance, Lacan éprouvera
la nécessité d’opérer des distinctions à l’intérieur de ces chaînes.

Lacan considère que le message est le résultat de la conjonction du discours avec le signifiant
comme créateur de sens. Avec le sens, surgit la vérité, vérité qui est dans le message. Il n’y a pas
toujours de la vérité dans un message pour la simple raison que le discours peut être simplement
horizontal, c’est-à-dire vide sans être traversé par la chaîne signifiante (donc, la chaîne signifiante
est bien la chaîne rétroactive à laquelle Lacan accorde spécialement cette dénomination). Lacan
signale que les deux points de recoupement de la ligne rétroactive doivent être considérés comme
les nœuds minima du coupe-circuit du discours ronronnant, et à entendre au sens de l’objet
métonymique plus la place du « je », la place de celui qui parle.

Discours du code, (Cf. Séminaire III) :

Il y a une difficulté à saisir le schéma de Lacan, ici, parce que les points d’intersection du message
et du code semblent se connoter de la dimension du sens, voire de la vérité (pour ce qui serait des
lieux du message) et des nominations des deux lettres bêta, delta, lesquelles connoteraient la
dimension de l’objet métonymique et de la place du « Je » dans le discours sous la chaîne

83
horizontale. Il semble donc possible à une des deux chaînes de ne pas crocheter l’autre chaîne, il est
possible, autrement dit, à la chaîne du discours qui est constituée par des sémantèmes qui ne
correspondent pas d’une façon univoque à du signifié mais qui sont définis par un emploi, il est
possible à cette chaîne d’être une parole plus ou moins vide, c’est-à-dire de ne pas rencontrer cette
chaîne signifiante particulière, perméable aux effets de la métaphore et de la métonymie,
constitutifs de l’autre chaîne signifiante, et de se maintenir simplement dans un circuit de moulin à
paroleslxv[i] (comme une langue étrangère que nous pourrions dire sans comprendre).

Nous avons donc, en quelque sorte, une chaîne signifiante perméable aux effets de la métaphore et
de la métonymie et un réseau des emplois. Toute la question est de savoir si ce réseau des emplois
participe ou non à un état du signifiant, il semble bien que oui puisque Lacan parle dans ce
séminaire de deux états du signifiant qui sont représentés par son schéma. Il existe aussi une voie de
retour entre le message et le code, ce que Lacan appelle l’inter-je qui va jouer la dimension
essentielle dans laquelle nous introduit le trait d’esprit. (gamma → delta → bêta)

Ce schéma présente l’intérêt suivant :

« C’est que grâce à ce qu’il nous présente d’exigence topologique, il nous permet de mesurer nos
pas quant à ce qui concerne le signifiant, à savoir que tel qu’il est fait, et de quelque façon que vous
le parcouriez, il limite tous nos pas, je veux dire que chaque fois qu’une chose consistera à faire un
pas, il exigera que nous n’en fassions pas plus de trois élémentaires. » (6/11/1957)

Un de ces pas supplémentaires est le lieu du message qui gît en ce point différent du code. C’est ce
que le trait d’esprit sanctionne grâce à l’autre comme tiers, là où ce trait d’esprit a une fonction qui
a un rapport avec quelque chose situé profondément au niveau du sens, et plus directement dans le
rapport que le sens entretient avec la dimension d’alibi de la vérité quand elle fait retour vers le Je.

C’est ainsi (13/11/1957) que Lacan parle d’analogie de structure entre ce qui se passe dans la
technique du mot d’esprit (les linguistes l’ont analysé) et ce qui se passe dans l’Inconscient, à savoir
le mécanisme de condensation et de déplacement.

Dans le mot d’esprit bien connu, « il me traitait de façon tout à fait famillionnaire », en évoquant
l’autre comme témoin de ce qu’il dit, Hirsch Jacinthe prend Dieu à témoin de la vérité de ce qu’il
avance et qui vient à surgir sous une forme dont on ne sait si c’est un acte manqué, un acte réussi,
un ratage ou une création poétique. Il inclut ici la dimension de totalité qui est une formulation très
bizarre dans l’énonciation, car quand nous disons « tout à fait » dans une phrase, c’est pour signaler
que la totalité de ce que nous sommes en train de dire n’est pas tout à fait fermée. C’est, ici, la trace
de ce qui fait retour à l’Autre, garantie totale, preuve de la fermeture du circuit dans la prise à
témoin. A cette occasion, surgit du neuf, une nouveauté, une fonction signifiante qui échappe en
quelque sorte aux codes qui s’étaient accumulés, qui s’étaient formés dans le rapport que le
signifiant entretient avec le signifié. C’est une fonction de création à quoi nous avons à faire.

Que se passe-t-il quand Famillionaire apparaît ? Il s’agit d’abord d’une visée qui va vers le sens et
puis surgit comme un objet, un objet qui, lui, va plutôt vers le non-sens. (13/11/1957)

Le sens relève du circuit qui capitonne la chaîne signifiante au lieu du message. L’objet, lui,
continue de glisser vers une autre destination. Celle que dans un autre contexte nous pourrons
constater par les éclats de cet objet brisé et subsistant dans l’ICS des rêves ou des lapsus.

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Il y a, ici, deux fonctions de la parole.

Dans son texte « L’instance de lettre dans l’inconscient »lxvi[ii], Lacan a isolé les deux fonctions
essentielles du signifiant : la métaphore et la métonymie, car ce sont celles par où le choc du
signifiant creuse dans le Réel ce qu’on appelle le signifié. Voilà quelque chose qui complète, qui
spatialise le discours de Lacan du Séminaire I, là où il nous disait que la fonction de la parole creuse
le Réel.

Le schéma que Lacan propose évoque par sa forme générale la structure de la chaîne signifiante,
chaîne articulée tendant à former des groupements fermés, formés d’une série d’anneaux se prenant
les uns dans les autres pour former des chaînes qui se prennent dans d’autres chaînes. L’existence
de ces chaînes a une double dimension, dans son articulation signifiante, dimension de
combinaison, continuité, concaténation et dimension de substitution. La première dimension est
diachronique, la deuxième est synchronique. Mais Lacan ne nous les dessine pas. Et il semble bien
malaisé d’imaginer ce qu’il visait.

Il examine ces deux opérations « topologiques ».

C’est grâce à la substitution signifiante, donc à la possibilité de surgissement de sens nouveau,


qu’on donne un sens de profondeur à ce qui dans le Réel n’est que pure opacité. L’apport de sens
nouveau dépend, non du fait que le mot nouveau aurait une signification importée mais, du fait que
le signifiant a le même phonème dans deux mots différents. Par cette voie de l’équivoque du pur
phonème, de l’homonymie, quelque chose vient à engendrer cette nouveauté du sens, nouveauté
significative.

Dans cette opération de renouveau substitutif, un signifiant est refoulé du fait de cette substitution
qui provoque le sens nouveau. Ce signifiant se met à glisser dans le circuit.

« Ce qui permet de remettre sur les traces du signifiant perdu, ce sont les (ruses), (ruines)
métonymiques de l’objet. » (13/11/1957)

Dans l’exemple de Signorelli, Lacan nous rappelle comment Freud fait chuter, refoule le signifiant,
Herr, la mort comme maître absolu, le refoule et laisse apparaître à sa place ce qu’il appelle des
ruines métonymiques. Ce signifiant Herr est appelé par Lacan : objet métonymique.

« Or si l’objet métonymique se brise déjà si bien, c’est parce que déjà en tant qu’objet
métonymique, il n’est qu’un fragment de la réalité qu’il représente. » (13/11/1957)

Lacan indique alors que si la substitution est l’articulation métaphorique, cela ne veut pas dire que
la substitution soit la métaphore, de même que la métonymie, dont l’articulation est combinatoire,
ne veut pas dire non plus que toute combinaison soit métonymique. C’est l’occasion pour Lacan de
rapporter la fonction de substitution et de chute du signifiant (Unterdrückung) au circuit symbolique
dont il a parlé dans le séminaire de « La Lettre Volée ».

85
Le signifiant unterdrückt est en quelque sorte maintenu dans le circuit, il tourne sans pouvoir se
manifester, et ce qui l’empêche de se manifester est la Verdrängung.

On le remarque ici, la topologie de Lacan n’est pas unifiée. On peut difficilement se représenter les
deux chaînes qui s’entrecroisentlxvii[iii] dont une aurait perdu un signifiant qui tourne tout seul sans
apparaître. En cela, le mot d’esprit s’apparente à un oubli. L’une comme l’autre s’articulent d’un
trou qui se détermine des deux fonctions : substitutive et combinatoire.

Ce que le graphe présente n’est donc qu’un moment de cette topologie sur laquelle le signifiant-
objet pourrait s’écrire, et que manifeste « cliniquement » le symptôme (oubli ou Witz).

Il existe ainsi deux visées à ce symptôme famillionnaire : une visée du côté du sens et une fonction
néologique.

- La visée du sens, c’est famillionnaire au sens où un familier pourrait être millionnaire.

- Famillionnaire entendu du côté du néologisme, c’est quelque chose qui serait comme une
dissolution de l’objet, à savoir une espèce de fou millionnaire condensé à une espèce de mille pattes
parasitaire. Il s’agit là d’une sorte de création qui a sa valeur propre.

Lacan parle, ici, de la création d’un être verbal qui tend à s’incarner jusque dans l’histoire racontée,
suite à l’effet de décomposition métonymique que produit le famillionnaire, décomposition
métonymique à plusieurs plans, au niveau des personnes qui vont du domestique au maître, mais
aussi au niveau de la suffisance du fat-millionnaire qui équivoque, ici, avec une certaine dimension
d’insignifiance, des personnages en présence.

« L’importance est que vous voyiez dans le mot d’esprit lui-même, ces deux versants de la création
métaphorique dans un sens, dans le sens du sens, dans le sens où ce mot porte, émeut, est riche de
signification psychologique, et sur le moment fait mouche et nous retient par son talent à la limite
de la création poétique ; et (comme) d’autre part, dans une sorte d’envers qui n’est pas, lui,
forcément tout de suite aperçu, le mot, par la vertu de combinaison que nous pourrions ici étendre
indéfiniment, fourmille de tout ce qui autour d’un objet pullule de besoins dans cette occasion. »
(13/11/1957)

Au-delà de ces deux versants, quelque chose chute, quelque chose est refoulé, il y a donc dans la
création de sens de famillionnaire un déchet. Ce déchet va se mettre comme le signor de l’exemple
de Signorelli à tourner entre le code et le message.

Ce point de chute refoulé, c’est la sanction demandée à l’Autre de cette création, car c’est lui qui
donne à cette création signifiante valeur de signifiant en elle-même.

C’est quelque chose qui au-delà de la conjonction des signifiants par métaphore / métonymie, fait la
distinction du trait d’esprit et du symptôme.

Topologiquement parlant, donc, cette séance nous indique qu’il y a là deux mouvements, deux
versants: la métonymie, la métaphore et qu’il y a un effet de chute, un effet de trou où vient se
précipiter ce qui est refoulé. Il semble bien, en tout cas dans ce texte qui n’est pas très clair, que
Lacan rapporte cette chute à la demande qui est faite à l’Autre de sanctionner cette création
signifiante. Ainsi donc, pour Lacan, c’est le lieu de l’Autre qui aurait, là, valeur de trou dans lequel
se précipite le refoulement. Reconnu, l’objet élu fait création sinon il se maintient comme oubli et,
défilent à sa place, des signifiants-ersatz.

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Déjà, on peut entrevoir les statuts de l’Autre. Celui qui serait Autre (d’où son nom, radicalement
Autre) et celui de qui on attend la sanction d’un circuit particulier. Déjà aussi, nous pouvons
l’imager de ce que Lacan évoque dans le « Discours de Rome » : le TORE où l’Autre intérieur
serait l’Autre de la demande évoquée ci-dessus.

Cette topologie sous-jacente est bien celle du sujet en tant qu’il se différencie de la fonction du Moi
qui n’est qu’une activité de synthèse. Ce sujet ne peut, en aucun cas, en être conçu comme la
doublure quelque soit le niveau secret d’unité qu’on pourrait lui donner par après. Le sujet n’est rien
d’autre qu’une division de nous-même, un profond morcellement, une profonde aliénation telle que
le rapport à l’autre, dans la topologie des miroirs basculants, nous l’avait déjà démontré. Ce sujet
n’est pas structuré comme le Moi, il est structuré à la manière dont sont structurées les formations
de l’Inconscient: condensation, déplacement et « égards dus aux nécessités de la mise en scène ».
Donc, trois dimensions qui sont celles de l’Inconscient.

Ne faut-il pas reconnaître, ici, les trois dimensions essentielles de toute topologie ? Ces trois
processus, nous dit Lacan, (20/11/1957) sont les mêmes que ceux que nous rencontrons dans la
formation essentielle du sens, en tant que ce sens est engendré par les combinaisons du signifiant
telles qu’en parle la linguistique. Cette dimension du signifiant est très précisément à rapporter à la
diversité, la luxuriance des objets qui sont les objets de l’être humain comme tels, qui sont dans un
nombre bien plus grand que les objets biologiques dont il aurait besoin pour son existence sans plus.

Cette luxuriance de l’objet :

« est quelque chose qui se trouve, dans cette conjoncture, devoir être étroitement et
indissolublement relaté à la soumission, à la subduction de l’être humain par le phénomène du
langage. » (13/11/1957)

Cette dimension est masquée au point même de paraître inverse puisque elle paraît refléter les
connexions des choses dans le Réel alors qu’en réalité, ce sont ces connexions signifiantes qui sont
déterminantes.

Car, ce qui se trouve masqué est très précisément l’action de la parole dans cette chaîne créatrice où
elle est susceptible d’engendrer, par la métaphore, de nouveaux sens, voire par la métonymie, ce qui
a été encore beaucoup moins aperçulxviii[iv].

L’émergence de la fonction créatrice métaphorique qui, en quelque sorte, supplante un terme qui est
refoulé, qui est rejeté, maintenu dans sa dimension d’objet métonymique, est apparentée à ce que
Gustave Guillaumelxix[v] nous dit de la subduction ou subductivité de certains verbes dans la langue
française, par exemple.

Quand la création métaphorique n’est pas réussie, elle produit, du fait de son ratage, cet effet de
creux, de trou, où viennent prendre place ces débris métonymiques tels qu’ils nous apparaissent
dans la suite des associations de l’oubli du nom propre de Signorelli par Freud.

87
Dans le famillionnaire, c’est familier qui est tombé, c’est lui le reste, c’est lui qui était déchu et qui
va poursuivre son petit circuit "circulaire" quelque part dans la mémoire inconsciente.

On notera avec intérêt (20/11/1957) que la métaphore a une fonction de décomposition, voire de
découpe. La création métaphorique produit le brisement de Signorelli ; Signorelli est oublié et
Signor est quelque chose que nous trouvons au niveau du déchet métaphorique en tant que le
refoulé est ce déchet signifiantlxx[vi].

Quand la métaphore ne réussit pas, un reste est refoulé. A la place de ce reste refoulé, (ou visant ce
reste refoulé), surgit l’objet, l’objet métonymique dont nous avons parlé et qui, dans l’exemple de
Signorelli, se présente sous la forme des fresques d’Orvieto, vues avec une particulière clarté. On
aurait à rapprocher ce surgissement de l’objet métonymique peut-être de la dimension
hallucinatoire, voire des images du rêve, pourquoi pas aussi du sentiment de présence évoqué
supra ?

C’est pourquoi, Lacan insiste alors sur les rapports du trait d’esprit et de la question du sujet lequel
se désigne comme tel dans le discours par le pronom « je ». Il permet de distinguer, ce qu’on
pourrait appeler, le dire du présent d’avec le présent du dire. Évidemment, c’est le présent du dire
qui relève de cette fonction subjective, présent de celui qui supporte le discours. On notera
utilement le rapprochement à faire une fois de plus avec la théorie du temps de Guillaume.

Dans la formule de la métaphore :

le sens entre en fonction dans le sujet exactement comme une formule de multiplication et de
fraction (20/11/1957), il s’agit-là, nous dit Lacan, d’une topologie dont la fin, dont l’objectif est la
création d’un sens nouveau. On peut donc dire que la création de sens métaphorique équivaut,
quand elle réussit, à ce qui rate dans le refoulement, à la présentification d’un objet métonymique.
En quelque sorte, l’objet métonymique existe tant que rien n’est créé au niveau significatiflxxi[vii].

Cette topologie pourtant ne pourra nous apparaître que sous sa forme métonymique car, dans le
surgissement métaphorique, elle s’efface au profit de la production significative. De cette
circulation métonymique du reste, nous avons une trace (27/11/1957) dans le discours maniériste et
dans les romans réalistes. Ainsi, le Bel Ami de Maupassant dont Lacan cite un large extrait.

Et d’invoquer : « pour cerner les choses dont il s’agit dans notre propos, c’était de forger une
logique en caoutchouc. C’est moi qui l’ait dit. C’est bien en effet de quelque chose comme cela
qu’il s’agit, c’est d’une structuration topique qui quelquefois, forcément, laisse des béances parce
qu’elle est constituée par des ambiguïtés. Mais laissez-moi vous dire en passant que nous n’y
échapperons pas, si toutefois nous parvenons à pousser assez loin cette structuration topique, nous
n’échapperons pas à un reste d’exigence supplémentaire, si tant est que votre idéal soit, dans cette
occasion, celui d’une certaine formalisation univoque, car certaines ambiguïtés sont irréductibles au
niveau de la structure du langage telle que nous essayons de la définir. » (27/11/1957)

Voilà tout dit du projet de Lacan: la construction de cette formalisation sous forme d’une logique en
caoutchouc qui allierait la fonction de signification issue des processus métaphoriques à celle de la
valeur issue des glissements de sens métonymique.

Nous allons détailler cette formalisation du graphe, sur lequel s’inscrivent ces deux voies pour le
mot d’esprit en tant qu’il est une opération de plaisir.

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Il y a d’abord l’exercice libre du signifiant des créateurs de sens.

L’autre dimension évoque ce qui est de l’ordre de l’Inconscient, la dimension métonymique. Il


existe une commune mesure entre l’inconscient et la structure de la parole, commune mesure dans
ce que tout cela peut avoir de dynamique dans le rapport avec le désir.

« C’est à savoir que le non-sens a là le rôle, un instant, de nous leurrer assez longtemps pour qu’un
sens inaperçu jusque là, ou d’ailleurs très vite aussi passé, fugitif, un sens en éclair, de la même
nature que la sidération qui nous a un instant retenu sur le non-sens, nous frappe à travers cette
saisie du mot d’esprit. » (4/12/1957)

Cette phrase de Lacan vise à nous présenter l’essentiel de la production d’un trait d’esprit, voire
d’un oubli en tant qu’il aurait rapport avec l’Inconscient. C’est aussi une définition qui pourra aussi
bien s’appliquer à la pratique topologique qui sera la sienne. En effet, il y a une certaine
incompréhensibilité, pour ne pas dire un obstacle à la saisie dans ces constructions topologiques qui,
au bout du compte, se révèlent porter un sens, un nouage inattendu. Lacan va tenter de nouer alors
l’usage du signifiant à la satisfaction, au principe de plaisir, en ceci que le signifiant est d’abord fait
pour exprimer une demande.

Deux accents donc :

Versant plaisir : c’est le jeu du signifiant.

Versant travail : c’est le circuit de la demande et du désir que nous allons interroger.

2. FORMALISATION DU GRAPHE

a. La double croche

Mais d’abord le commencement : la transformation de la demande. La demande, c’est le besoin


énoncé en paroles, signifié par le langage.

En outre, Lacan précise que la demande par nature exige qu’on s’y oppose ; d’une certaine façon
elle met de suite le sujet lui-même en posture d’accusé. On retrouvera cette notion dans la formule
« je te demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça » qui inaugure l’introduction
du nœud borroméen (Séminaire ...Ou pire, mécanisme qui anticipe celui que nous avons déjà
explicité dans le jeu d’amour du don et contre-don.

Le refus relève du temps suivant, celui qui implique la toute-puissance de celui ou celle à qui on le
demande. Ici, se noue désir et demande même si leur lien est encore peu articulé.

Lacan nous dit que c’est toujours au nom d’un certain registre qui fait intervenir l’Autre au-delà de
celui qui demande que toute satisfaction est accordée.

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Il y a donc une sorte de topologie de la demande qui décale, par une sorte de voie singulière en
baïonnette, la communication de la demande à son accès. La dimension du désir doit être conçue
comme s’inscrivant dans le passage de la demande, non seulement du fait de ces traces mais à la
façon d’un circuit insistant, et c’est ce qu’il va falloir tenter de construire. Lacan trace le schéma de
la demande qui part de delta ou D. Ceci décrit la fonction du besoin, quelque chose s’exprime qui
parle du sujet et qui termine la ligne de son besoin.

Toute la difficulté est de concevoir la ligne du discours, la ligne du besoin, le stock des signifiants
qui est pré-existant et les deux plans de l’intention. Lacan propose, ensuite, de considérer un
troisième temps: quelque chose d’autre est signifié que le besoin brut au travers de cette demande;
il y aurait donc un minimum de transformation : c’est ce qu’il appelle création d’un désir qui est
autre que le besoin, quelque chose qui est un désir plus qu’un signifiant.

C’est en quelque sorte la satisfaction par l’Autre de quelque chose qui se crée, (donc dans la boucle
qui se ferme). Lacan le compare à ce qui, chez Freud, s’appelle le plaisir de l’exercice du
signifiant ; d’une certaine façon, on pourrait dire que la demande dans le discours produit deux
crochets : le premier crochet vise à rencontrer, dans le champ de la parole, la satisfaction par l’usage
d’un code et d’un message qui s’avèrent être bien transmis, le second crochet, lui, vise plutôt
quelque chose d’autre qui est référé par Lacan au plaisir de l’utilisation de la langue.

Le registre de la demande, dans son rapport au besoin, se satisfait dans la direction imaginaire alors
que l’au-delà de la demande, le désir, lui, relève de l’ordre symbolique avec tout ce qu’il peut
apporter de perturbations propres. Cette double fonction du signifiant, c’est ce que nous retrouvons
énoncé par Freud comme manifestation de l’Inconscient.

Tout désir n’est pas susceptible d’entrer dans l’Inconscient, mais la dimension de surprise est
précisément ce que le désir emporterait avec lui : une condition d’émergence qui lui est propre en
tant que désir et qui, précisément, lui a permis d’entrer dans l’Inconscient.

90
Il est une autre caractéristique de ce désir qui doit entrer dans l’Inconscient, c’est sa dimension de
permanence, permanence supportée par une structure symbolique. Ce circuit du Symbolique, c’est
celui que la métaphore vient frapper, par surprise, le détachant du glissement courant de la fonction
métonymique.

Lacan parle, ici, de trois temps qu’on pourrait probablement isoler comme ceux du besoin, de son
élévation à la demande et puis au désir.

Car l’objectif de tout ceci est d’introduire non pas la dimension du non-sens mais celle du pas-de-
sens. Le pas-de-senslxxii[viii] qui est à authentifier et qui se réalise dans la métaphore, c’est ce qui
vise l’intention du sujet. Intention du sujet comme un au-delà du besoin par rapport à tout désir
formulé, c’est cela qui est à l’origine de la métaphore.

b. Le dédoublement de l’Autre et la subjectivité entre autres

Poursuivant l’explication de sa topologie du graphe (11/12/1957), Lacan va lier le message au grand


Autre en tant que parcours nécessaire. Le message, lui aussi, doit absolument passer par ce lieu de
l’Autre et il produit à cet endroit ce que Lacan appelle le peu-de-sens. Si la demande s’était accrue
du poids que le signifiant lui donnait dans la fonction de l’adresse à l’autre, maintenant c’est le
terme de message qui va retentir doublement lui-aussi.

De là est relancé dans un double agissement, quelque chose qui retourne au niveau du message. Ici,
se constitue le trait d’esprit pour autant que l’autre, recevant ce peu-de-sens, le transforme en pas-
de-sens. (enjambée)

Le pas-de-sens comporte une dimension allusive, métaphorique par où le besoin en quelque sorte
n’est jamais rejoint. Il est une sorte de partiel regain de la plénitude idéale d’une demande purement
et simplement réalisée.

Dans cette relance, l’Autre se dédouble. On peut le remarquer dans la transmission des « bons
mots » à raconter: il y va d’une sorte de jeu de glaces dans lequel se refléterait indéfiniment
l’histoire, à l’horizon duquel se trouverait cet autre qui a à raconter et à transmettre à son tour cette
histoire.

Cet autre est, en quelque sorte, le corrélatif du sujetlxxiii[ix].

Puis, Lacan fait un commentaire de la notion de subjectivité (au-delà et en-deçà de l’objet) et qui est
une espèce d’inconnaissable substance qui procède d’un certain dialogue. Elle émerge d’abord à
l’état duel dans les luttes de camouflage ou dans les comportements de parade; c’est la dimension
proprement imaginaire qui laisse l’intersubjectivité, à cet endroit, ambiguë.

Mais dès qu’on introduit la chaîne signifiante, on a l’Imaginaire plus le Symbolique. Il y a là


introduction d’une hétérogénéité essentielle qui fait qu’existe un reste qui entre en jeu, du fait de
l’introduction de la chaîne signifiante, reste qui relève du lieu de la vérité comme telle. Ce reste
« fait » le désir.

91
Lacan reprend alors à Freud la dimension de la troisième personne dans la transmission du mot
d’esprit. Cette troisième personne, c’est cet Autre qui est situé en deux endroits différents : il y a
l’autre qui peut être celui qui peut poursuivre et raconter l’histoire, qui est en même temps celui à
qui on la raconte (c’est l’autre du contexte), et puis il y a un autre qui a un autre rôle aussi qui fait
passer sur un autre plan, qui fait passer au plan de l’Inconscient, plan où l’Autre est rejoint par le
trait d’esprit.

En ce moment, Lacan n’a pas encore distingué lieu de l’Autre et les « Autres » dédoublés. Le lieu
de message [s(A)] semble encore marqué de la dimension d’Inconscient. Il est alors tout naturel de
voir Lacan évoquer le trou entre ces deux plans de l’Autre.

Entre le deux, il y a, dit Lacan, un trou pour atteindre l’étape où c’est comme mot d’esprit que nous
sommes frappés par ce qui est communiqué. On est toujours frappé ailleurs que dans l’endroit où,
d’abord, on avait été en quelque sorte attiré.

Topologiquement, Lacan égale ici le trou à la surpriselxxiv[x].

Il ne peut recouper cette dimension tierce que de la manière suivante : il faut qu’il y ait un autre
vivant à qui on s’adresse, et puis il faut que cet autre vivant soit lui-même dans un rapport de besoin
qui est signifié, c’est-à-dire qui est dit par l’intermédiaire du signifiant, lequel besoin évidemment
ne peut être satisfait. Ce signifiant va transporter la satisfaction du besoin à un niveau où, mis dans
un certain discours, il y aura une distance impossible à combler pour en quelque sorte réaliser ce
besoin.

Ainsi, se présentent ces deux dimensions de l’Autre, l’autre comme vivant et l’Autre au-delà du
besoin, c’est-à-dire l’Autre qui est immortel, c’est-à-dire l’Autre symbolique qui est celui qui est
mis en jeu comme l’Autre du lieu signifiant. Ces deux dimensions de l’Autre recoupent le double
registre de la métonymie et de la métaphore.

« ... et je parle forcément dans le double registre de la métonymie et de métaphore. Ce peu-de-sens


et ce pas-de-sens sont tout le temps en train de s’entrecroiser à la façon de mille navettes (dont,
quelque part, Freud fait la référence dans la Traumdeutung), se croisent et se décroisent. […] Ce qui
se passe dans cette communion toute spéciale entre le peu-de-sens et le pas-de-sens qui se produit
entre moi et l’Autre à propos du trait d’esprit, c’est bien en effet quelque chose comme une
communion. »

En clair, ce dédoublement de l’Autre nécessite un moment de suspension: « désexorcisation »,


inhibition, immobilisation de l’Autre, moment d’évidement du signifiant qui se résume en peu-de-
sens.

Plus tard, dans sa topologie, Lacan restituera à cet évidement sa place essentielle dans l’émergence
de la signification, (in L’insu que sait... 15/3/1977, mais déjà dans toute sa topologie des surfaces)
présenté, à ce jour, sous sa seule face de surprise.lxxv[xi]

Pourtant, nous nous trouvons à un tournant de la topologie du graphe qui va maintenant se


dédoubler à son tour pour rendre compte plus correctement du trou qui sépare les deux plans de
l’Autre.

Lacan introduit alors un second système homologue du premier, homologue du rapport de « je » à


l’objet métonymique qui est en quelque sorte un autre sujet par rapport au premier sujet.

92
A la circulation bêta’-alfa-gamma-bêta, s’ajoute le circuit bêta’’’-alfa’-gamma’-bêta" qui a pour
fonction d’authentifier le lieu du pas-de-sens en gamma, en tant que ce nouveau sujet, qui
surplombe le premier, aurait pour fonction de ramener le message et sa surprise au « je » de départ.

L’effet de surprise que l’autre partage renvoie, en quelque sorte, le message dans un mouvement
inverse, centripète vers le sujet (je).

Cette doublure au premier schéma correspond à la doublure de l’autre imaginaire élevé à la


dimension de l’Autre symbolique. Lacan indique qu’il y aurait lieu, là, de se resservir de l’image du
miroir concavelxxvi[xii] qu’il avait introduite à propos du narcissisme.lxxvii[xiii] Il souligne qu’à ce
moment, il voyait les choses du point de vue de l’Imaginaire et que c’était les conditions
d’émergence de l’unité imaginaire dont il s’agissait à l’époque, « c’est un rapprochement forcé −
dit-il − mais il peut être suggestif ».

« Si donc, ce circuit est l’authentification par l’autre de cette allusion, en somme, au fait que rien de
la demande, dès lors que l’homme est entré dans le monde symbolique, ne peut être atteint sinon par
une sorte de succession infinie de pas-de-sens, c’est pour autant que l’homme nouvel Achille est
voué par la prise dans son désir, dans le mécanisme du langage à cette infinie approche insatisfaite
liée à l’intégration, au mécanisme même du désir de quelque chose que nous appellerons
simplement la discursivité. » (18/12/1957)

A l’intérieur de cette discursivité, l’Autre s’égale au sujet, il est construit de la même façon.

On apprend même que l’ignorance ou la naïveté du triangle primitif (composé de l’amour, la haine,
l’ignorance, in Séminiare I) se présentifie sous la forme de l’inhibition ou solidification imaginaire
qui paralyse comme la torpille socratique, l’autre de l’histoire que l’on raconte. L’amour est à
repérer, lui, dans le registre du comique.

Ignorance (1)

amour (2)

haine (3)

Le rire, effet spasmodique d’une répétition, relève de l’ imitation, du doublagelxxviii[xiv].


93
c. Le bouclage ou la métaphore paternelle

Le fait que l’Autre ait à authentifier l’éclat métaphorique de la parole implique qu’il possède la
garantie de l’ordre du signifiant et qu’il soit à même d’en témoigner. Point n’est besoin, ici, qu’il
soit pour ce faire, présent en chair et en os, il convient simplement que cet Autre ait pu, de par sa
supposition, imposer le lieu de cet ordonnancement du signifiant. Cette supposition, c’est le nom-
du-père ; cet ordonnancement, c’est la loi symbolique. L’un et l’autre se trouvent mis en jeu dans ce
phénomène tout simple qu’on appelle l’invocation et que le français a déposé dans le vocatif « tu ».

Le signifiant qui instaure la légitimité de l’ordre signifiant se rappelle à notre bon souvenir (Cf.
Séminaire IV) : c’est le Phallus.

Lacan le situe topologiquement dans la séance du 8/1/1958. Là, est la raison du graphe :

« Visualiser le concept que le passage à travers la chaîne du signifiant introduit dans la dialectique
du désir par soi-même, ce changement essentiel. » (8/1/1958).

La métaphore paternelle a pour fonction de nous rappeler cette dimension. Elle s’écrit
triangulairement dédoublée :

et peut s’appliquer au schéma L :

Nous pouvons déjà saisir que ce sujet aura à s’identifier imaginairement à la fonction fondamentale
du Phallus.

La métaphore paternelle

C’est ainsi que pour la première fois que depuis cinq ans, Lacan donne un titre à une séance de son
séminaire.

Et dans cette séance, il annonce qu’il va parler de la métaphore paternelle qui est une question de
structure. Ceci concerne l’examen de la fonction du père qui, dans l’histoire de l’analyse, a sa place

94
très précise, puisque c’est celle du complexe d’Oedipe, soit l’importance de la révélation de
l’Inconscient comme amnésie infantile portant sur les désirs pour la mère, désir refoulé.

D’emblée, on a pu noter chez Freud et ses premiers élèves deux pôles d’intérêt autour de l’Oedipe,
celui qui concerne le surmoi et les névroses sous Oedipe, et ensuite celui qui centre la question de
l’Oedipe autour de l’acquisition des perturbations qui se produisent dans le champ de la réalité
comme dans la perversion et dans la psychose.

Dans un troisième temps, le rapport du complexe d’Oedipe avec la génitalisation fut interrogé. Cette
génitalisation, c’est à la fois la maturation organique et l’assomption par le sujet de son propre
sexe. Ce troisième moment ne concerne plus les rapports au Surmoi ni les rapports à la réalité, mais
les rapports à l’idéal du Moi. Et c’est dans ce troisième temps que vient se placer la question du
complexe de castration.

Ce n’est qu’après avoir délinéé ces trois temps que Lacan revient à la notion de carence paternelle
qui se situe, ainsi, entre la nécessité de la castration et la fonction de l’idéal du Moi. Son lieu permet
d’en dégager, une fois encore, une topologie explicitement soulignée par Lacan dans le
commentaire de la notion de claustration. (15/1/1958 )

La claustration vise à spécifier une phénoménologie de la veille, de la peur, voire de la phobie et


même de l’ennui, autant de préoccupations humaines qui se constituent d’un enfermement (prisons,
bordels...) à l’orée d’un monde meilleur, d’un ailleurs (Autre).

« C’est au niveau de cet Autre comme tel que se situe la dialectique du signifiant, et comment c’est
de là qu’elle aborde la fonction, l’incidence, la pression précise, l’effet inducteur du nom-du-père,
également comme tel. » (fin de la séance du 15/1/1958)

Soit pour faire esquisse, trois étapes :

Première étape : le père réel interdit l’impulsion, l’impulsion réelle; deuxième étape : le père, en
tant que symbolique, intervient dans une frustration concernant un objet réel qui est la mère, donc le
père frustre l’enfant de la mère; troisième étape : c’est le père en tant qu’il se fait préférer à la
mère, et c’est cette dimension qui aboutit à la formation de l’idéal du Moi.

Le père qui intervient, ici, est le père comme métaphore, c’est-à-dire comme dimension où un
signifiant vient à la place d’un autre signifiant, un signifiant substitué à un autre. C’est à ce niveau
qu’il faut chercher les carences paternelles dans le complexe d’Oedipe.

« La fonction du père dans le complexe d’Oedipe est d’être un signifiant substitué au signifiant,
c’est-à-dire au premier signifiant introduit dans la symbolisation, le signifiant maternel. C’est pour
autant que le père vient selon la formule que je vous ai expliqué une fois, être celle de la métaphore,
vient à la place de la mère : S à la place de S’ (qui est la mère étant déjà liée à quelque chose qui
était X, c’est-à-dire quelque chose qui est le signifié dans le rapport de l’enfant à la mère), c’est
pour autant qu’il vient à cette place qu’il est métaphore. Le signifié des allées et venues de la mère,
c’est le phallus ».

Il faut préciser cette dimension de substitution du rapport avec la formule de la métaphore :

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ici, transcrite sous cette forme :

S . S’ → S(1)

S’ X s (Écrits, p. 557)

Le 22/1/1958, Lacan réintroduit alors les notions de triangle imaginaire (mère/enfant/réalité), et de


triangle symbolique (mère/enfant/père). Il discute ensuite la notion de Nom-du-père.

« Il y a − dit Lacan − une relation entre ces deux ternaires, entre le Symbolique et l’Imaginaire,
ternaire imaginaire qui peut très bien se réduire à la formule, l’enfant est désir du désir de la mère. »

En (1), se produit une espèce de symbolisation primordiale du fait des allées et venues de la mère
qui est élevée à une dimension « autre », rétroactivement, du fait de l’irruption du père comme être
de chair pour la mère dans le triangle (2)

On était habitué à considérer l’émergence de la fonction du sujet comme relevant de la dimension


symbolique de circuit ou de repérage d’une répétition.

Lacan introduit ici, une subjectivation primaire, à partir de ce qu’il appelle le repérage du désir de la
mère et du désir qu’on pourrait avoir de ce désir. C’est ici que naîtrait ce qu’il a appelé le désir
d’autre chose. Ce désir d’autre chose est à situer d’abord chez la mère en tant qu’elle aurait là le
désir d’autre chose que de satisfaire les premières palpitations de la vie de son enfant, les premières
palpitations de son désir à lui.

Cet autre chose qu’on réfère au désir de la mère indique l’existence d’un plus, et c’est précisément à
ce plus qu’il y a lieu de référer tout l’ordre symbolique, à l’intérieur duquel vient se prendre l’objet
du désir de la mère. Cet objet symbolique, c’est le phallus. La liaison entre les deux ternaires
mère/enfant/phallus, mère/enfant/père est d’ordre métaphorique.

Est-ce qu’on ne peut pas dire que le tétraèdre est la figure qui exemplarise ce rapport entre deux
ternaires ?

96
Le Phallus devient donc échangeable topologiquement à la place du père, objet du désir de la mère,
comme le père pourrait l’être dans le triangle symbolique (mère, père, enfant).

La condition est que le Phallus ne peut appartenir à la mère.

Lacan introduit alors comment la privationlxxix[xv] de la mère est en fait une privation de ce qu’elle
n’a pas, c’est-à-dire qu’elle est rendue signifiante dans sa dimension symbolique, et c’est cette
privation que le sujet enfantin assume ou n’assume. Lacan appelle ce moment un point nodal.

La configuration nodale, c’est le rapport à la mère, au père, et au phallus pour l’enfant en tant qu’il
doit accepter que la mère soit privée par le père de quelque chose qui est l’objet de son désir, faute
de quoi l’enfant maintient, lui, une identification au phallus qui, à des degrés divers, l’entraîne dans
la névrose, la psychose ou la perversion.

Devant ce choix d’être ou ne pas être le phallus, le sujet est aussi passif qu’actif pour la bonne
raison que ce n’est pas lui qui tire les ficelles du symbolique, il est en quelque sorte inclus dans une
phrase commencée, énoncée avant lui par ses propres parents. Cette phrase doit être soutenue par
eux d’une certaine manière pour que le sujet puisse s’y inscrire, lui aussi, de manière symbolique,
c’est pourquoi Lacan pose cette alternative en termes d’infinitif, en termes neutres : être ou ne pas
être ce phallus. En face de cette formule d’infinitif, il y a l’autre formule « en avoir ou pas » qui
nous amène à dire qu’en effet, pour l’avoir :

« Il faut d’abord qu’il ait été posé qu’on ne peut pas l’avoir, que cette possibilité d’être castré est
essentielle dans l’assomption du fait de l’avoir, le phallus. » (22/1/1958)

A ce moment, Lacan parle d’un pas à franchir, et c’est en ce lieu qu’intervient réellement,
efficacement, le père. Lacan souligne alors que c’est en tant que revêtu de ce symbole que le père
qui, jusqu’ici réel, était hors circuit, intervient effectivement.

Ayant posé cette dimension du père, de l’Oedipe, de la castration, Lacan va tenter de l’intégrer à
son petit schéma (graphe) car, nous dit-il :

« C’est en tant que l’intention, je veux dire, le désir passé à l’état de la demande chez le sujet, a
traversé quelque chose qui, d’ores et déjà, est constitué, […] en tant qu’elle franchit plus ou moins
heureusement cette ligne de la chaîne signifiante, en tant qu’elle est là latente et déjà structurante,

97
c’est donc en tant que cette intention, cette demande a traversé la chaîne signifiante qu’elle peut se
faire valoir auprès de l’objet maternel. » (22/1/1958)

A noter donc la conjonction ici du tétraèdre et du graphe.

L’enfant, au départ, dans cette première symbolisation primordiale au bon vouloir de la mère, n’est
encore qu’un a-sujet. C’est le rapport au père qui le fera sortir de cette angoisse, c’est-à-dire
l’élèvera à la fonction de sujet. Cette fonction du père, ici, c’est simplement le fait que pour la mère,
la parole du père ne doit pas être équivalente à rien en tant que ce qu’il dit, il l’a dit.

Lacan propose alors de reprendre le petit schéma du premier trimestre pour considérer les trois
temps qui permettent de saisir le complexe d’Oedipe.

Premier temps où l’instance paternelle se trouve réalisée sous forme voilée, sous la forme où la
question du phallus est posée quelque part ailleurs dans la mère où l’enfant doit la repérer ;

Deuxième temps celui de la présence privatrice de la fonction paternelle en tant qu’elle est celle qui
supporte la loi et, ici, non pas d’une façon voilée mais d’une façon médiée par la mère ;

Troisième temps, le père en tant qu’il est révélé, c’est-à-dire en tant que lui l’a: sortie du complexe
d’Oedipe et aussi le moment l’identification qui s’appelle idéal du Moi.

C’est à ce moment que surgit le triangle symbolique. A cet endroit, il y a déclin de l’Oedipe en ceci
que l’enfant, le petit garçon, se trouve déchu de l’exercice des fonctions qui avaient commencé à
s’éveiller mais qu’il en a les signifiants en poche, en quelque sorte, qui sont là dans l’attente de
pouvoir s’en servir et dont la signification se développera plus tard. C’est là une identification
métaphorique à l’image du père. Dimension qui est différente pour la femme, puisque pour elle,
dans cette troisième étape, elle n’a pas à faire cette identification, il lui suffit de reconnaître
l’homme en tant que celui qui possède. On notera ici que Lacan a, de la féminité, une notion assez
succincte. Toute la difficulté, est pour nous, d’essayer de retrouver sur le schéma, ces trois temps
d’identification à l’idéal du Moi paternel.

Ainsi s’écrit la complexe d’Oedipe sur le graphe. (29/1/1958)

98
Lacan va insister maintenant sur ces trois temps du complexe d’Oedipe. Il va essayer de les détailler
en tant que c’est à l’intérieur de ce complexe d’Oedipe que doit être situé le complexe de castration.
Premier temps qui est la relation de l’enfant, non pas à sa mère, mais au désir de la mère comme
désir de désir. Désir de désir de la mère, donc cela veut dire que l’objet, là, est la mère, c’est ce que
Lacan appellera « D », désir de la mère (!).lxxx[xvi]

A ce niveau, le désir de l’enfant rejoint dans la mère quelque chose qui est déjà élaboré parce
qu’elle est plus avancée dans l’existence. L’objet du désir de la mère, c’est le phallus qui, lui,
circule dans la structure et dans la chaîne signifiante sous la forme de l’objet métonymique.

« Il va circuler comme le furet partout dans le signifié, il est dans le signifié ce qui résulte de
l’existence du signifiant. »

Il nous montre que ce signifié prend un rôle majeur et, en quelque sorte, valeur d’objet universel
pour le sujet. L’enfant, dans sa demande, va rencontrer l’articulation signifiante comme telle sans
nécessairement se déterminer comme « je », et même sans apercevoir très précisément l’objet de sa
demande. C’est pourquoi partout où il y aura quelque chose qui n’est pas encore constitué, Lacan
mettra des pointillés dans son schéma.

Il doit y avoir rencontre de l’appel de l’enfant avec le désir de la mère. Le résultat de cette rencontre
avec l’existence de la mère comme Autre, c’est le lieu du message. On peut penser qu’il y a, ici,
deux circulations signifiantes, la circulation signifiante de l’enfant, puis celle de la mère. L’enfant
rencontre successivement deux points d’articulation signifiante. Il semble bien que toute la question
soit de maintenir, dans le message de la mère, un au-delà qui serait constitué par cet autre discours
qui, en l’occasion, peut être celui du père, où l’on voit que ce qui exile l’a-sujet, c’est la mobilité de
la place du « je » qui devient sujet.

99
Il y aurait une sorte d’échange qui fait que le « je » du sujet (a-sujet) vient à la place de la mère en
tant qu’Autre, donc qui est la remontée d’un échelon du schéma à un autre, pendant que le « je » de
la mère, lui, devient l’Autre du sujet. Dans cette remontée d’un cran, apparaît maintenant (dans le
discours de la mère) le père interdicteur sous une forme moins voilée mais pas encore
complètement révélée. Lacan parle, à ce moment-là, de présence médiée. Il intervient au titre de
message pour la mère, c’est-à-dire comme ce qui dit être situé dans le retour du graphe. Ce point est
un message sur le message, c’est-à-dire un interdit.

Il se formule sous deux formes : « tu ne coucheras pas avec ta mère » et, interdiction aussi du côté
de la mère : « tu ne réintégreras pas ton produit, tu ne laisseras pas libre cours à ton instinct
maternel » (libre cours exagéré, évidemment). Ceci ébranle la position de l’enfant comme a-sujet à
sa mère. On peut dire qu’à cet endroit, l’objet du désir de la mère est mis en question par
l’interdiction paternelle et empêche que le cercle se referme complètement sur l’enfant, à savoir
qu’il devienne objet du désir de la mère.

C’est un rapport symbolique, c’est l’instauration d’une première ternarité. L’enfant se trouve, là,
débusqué de la position idéale par le moment privatif du complexe d’Oedipe, et il ne peut donc plus
jouer la fonction d’ un objet métonymique pour la mère.

Ainsi s’établit la troisième étape, là où il devient autre chose et où il vire à l’identification au père,
en tout cas pour ce qu’il en est du garçon.

Troisième étape, donc, où le père intervient non plus dans le rapport à la privation phallique mais
comme discours du don. Le message du père qui devient le message de la mère devient message qui
permet et autorise. Entre le moment du père interdicteur-et-privateur et le moment du père donateur
100
au niveau de la mère, peut se passer un certain nombre de choses, par exemple, toute la question de
l’homosexualité.

Pour Lacan, la fonction du père donateur, qui autorise après avoir interdit, équivaut à un message
sur le message (de la mère) doublé d’une promesse. C’est à la fois l’introduction de la signification
s(A) et de l’accès à la sexualité. (Restriction à commenter dans le Séminaire VI par $ poinçon a).

101
Séminaire V

Les formations de l’inconscient

« La mise en scène topologique du phallus »

(deuxième partie)

d. Qu’est-ce que le Désir ? : le retour différé de la boucle

Voici numérotées, les étapes de notre parcours. En tant que parcours, circuit, nous y voyons le
prolongement du Séminaire 4 et de la circulation de l’objet signifiant comme tel.

Si nous voulons resituer notre trajet pourtant, il faut rappeler quelques notions qui se présentent en
colonnes ci-après :

Le Sujet appelé à venir dans les séances qui suivent reprend tout ce cheminement :

1. Là où le Moi, son objet, se trouvait aux prises à une décomposition imaginaire du fait de l’Autre
d’où s’introjectait l’en-forme de cet Autre.

102
2. Là où l’ordre symbolique autorisait par la répétition une nécessité de présence ou d’exclusion:
ici, le sujet se détermine pour la première fois, non plus de son objet, mais d’une loi symbolique.

3. Ce qu’il nous fait traiter maintenant, c’est l’émergence d’une subjectivité dans la sexuation par le
biais de l’opération désirante.

Pour situer sa conception du désir, Lacan reprend la critique du processus primaire et de son lien au
principe de plaisir qui réside dans cette idée qu’il y aurait une espèce de premier moment où toute
incitation pulsionnelle pour l’enfant tendrait automatiquement à une satisfaction hallucinatoire de
désir. On se doute qu’effectivement, Lacan va faire intervenir, ici, la dimension de l’Autre comme
celui qui induit le désir. En tant qu’effectivement du fait de l’inscription du besoin dans la demande,
quelque chose dépasse, supplée, est appelé à un-plus que la satisfaction du besoin.

Pour faire comprendre sa position, Lacan reprend son petit schéma. Il démarre avec le besoin, que
nous pouvons situer comme cette flèche montante, qu’il appelle déjà le désir, parce qu’il n’y a pas
d’état originel, ni pur, du besoin, dit-il. (5/2/1958)

Ce qui articule le besoin au plan du désir, c’est que d’emblée, il est destiné à avoir un certain
rapport avec le signifiant. Il s’agit de la ligne horizontale, celle du signifiant. Mais comme tel, on
peut déjà dire qu’il y a deux façons de situer le désir, il y a le désir dans le rapport du besoin au
signifiant et dans le rapport au désir de l’Autre.

La chaîne signifiante que le désir rencontre peut être constituée d’ores et déjà chez la mère, ou bien,
elle peut déjà avoir imposé ses nécessités dans la subjectivité, ce qui est une élaboration seconde.

A l’aide de ce schéma et du retour du message, Lacan démontre que ce qui s’hallucine n’est pas la
réalité pour un besoin qui devrait se combler mais, en réalité, ce qui s’hallucine est l’absence d’un
objet sous une forme signifiante, à tout le moins sous la forme d’un élément discret de signes.

Si bien que nous pouvons en inférer que le croisement présent, ci-dessus, est déjà l’homologue d’un
premier.

103
Autrement dit, ce qui est halluciné, n’est pas l’image brute d’un besoin mais bien une image en tant
qu’elle se réfère à son absence, c’est-à-dire une image en tant qu’elle est inscrite d’emblée dans une
dimension symbolique. Il n’y a, dans cette hallucination, aucune satisfaction car ce qui se présente
là, se présente le plus souvent avec un caractère d’excès : c’est précisément ce qu’on défend, qu’on
hallucine ou qu’on rêve, comme dans le rêve de la petite Anna qui rêve de fraises alors qu’elle est
sous le coup d’une interdiction du fait d’une indigestion.

Il en est de même dans le délire où, ce qui se présente dans l’hallucination, est d’abord quelque
chose qui, comme hallucination verbale, relève de la structure du signifiantlxxxi[i]. On notera donc
que le désir est toujours considéré, par Lacan, comme inscrit essentiellement dans le domaine du
signifiant, et qu’il relève donc toujours du lieu de l’Autre, pour autant que c’est cette position de
l’Autre qui détermine l’instance du signifiant. Dans le schéma, la visée de la chaîne signifiante,
celle qui est donc extérieure en quelque sorte au schéma, c’est là qu’on peut reconnaître le plaisir.
Et le plaisir du trait d’esprit, c’est quelque chose qui se réalise au niveau de l’Autre qui a une fin
virtuelle dans une sorte d’au-delà du sens.

Lacan situe alors le principe de réalité comme processus secondaire dans son schéma en tant qu’un
certain nombre d’objets sont, eux aussi, signifiés. Mais, en ce point du séminaire, on ne parvient pas
encore à savoir où, dans son circuit, il va situer ce principe de réalité, peut-être, est-ce dans la queue
descendante de la boucle du désir, là où se trouve l’objet métonymique ?

Lacan passe alors à un autre petit schéma. Cet autre schéma est censé rapporter l’origine du désir de
l’enfant, non à l’objet qui le satisfait, mais à quelque chose qui a, nous dit Lacan, (5/2/1958) un
minimum d’épaisseur et qui donne la première symbolisation, le premier repérage triangulaire de
l’enfant, non pas par rapport à l’objet qui va satisfaire son besoin, mais par rapport au désir du sujet
maternel. C’est ici qu’on a une petite topologie spéciale puisqu’au fond, l’enfant va circuler sur un
petit schéma qui prend la même forme que le précédent, à savoir qu’au niveau de l’axe des

104
ordonnées, on a la dimension du symbole et que l’enfant, lui, circule comme la boucle à plusieurs
endroits de manière à pouvoir se repérer autour de ce que, par exemple, Mélanie Klein appelait :
« la bonne et la mauvaise mère ».

Et, ce n’est pas tant l’objet que l’enfant essaye de situer, que lui-même, pour rejoindre ce qui est
l’objet du désir de la mère, pour essayer de répondre à ce désir. Autrement dit, c’est lui qui circule
sur cette boucle.

L’axe des abscisses, c’est l’axe de la réalité, c’est ce à quoi s’intéresse l’enfant; c’est, au fond, sa
perception et non pas le fantasme hallucinatoire dont parle Mélanie Klein.

Alors, Lacan fait intervenir son stade du miroir car l’image isole, dans la réalité, une espèce de
chose qui a peu d’épaisseur qui est un premier repérage triangulaire par rapport au désir du sujet
maternel; c’est, nous dit-il, une capture d’une certaine libido, d’un certain instinct, grâce à quoi un
certain nombre de repères sont possibles pour lui. A ce moment, le sujet peut satisfaire le désir de
l’Autre de manière à l’illusionner, ce désir, tout comme il peut s’illusionner ou se leurrer à l’aide de
sa propre image.

Un second triangle préalable vient donc répondre à l’interrogation triangulée enfant-mère-objet du


désir.

Le second triangle s’appuie sur les lieux induits par l’expérience imaginaire du stade du miroir. Ce
triangle est à placer sur l’axe des abscisses :

L’expérience de la réalité, pour le petit enfant, a ce privilège d’être une réalité virtuelle irréalisée (1)
qui est saisie comme telle et autour de quoi, quand elle est conquise, se construit toute possibilité de
réalité humaine. Ce n’est pas encore le phallus, nous dit Lacan, mais, il y a là introduction à une
espèce de cristallisation du Moi dans un certain repérage qu’ouvre la possibilité de l’Imaginaire.
Lacan parle donc bien, ici, de la conjonction en un double mouvement de la forme de l’image (1) du
corps comme élément illusoire et leurrant avec un autre champ (2) homologue, et il y a là en
quelque sorte superposition de deux triangles, le triangle de la mère et le triangle où le sujet a à
s’identifier, à se subjectiver.

Ceci peut s’inscrire sur le graphe :

105
« Et à quoi assistons-nous ? Nous assistons à quelque chose qui est un double mouvement,
mouvement par quoi l’expérience de la réalité a introduit sous la forme de l’image du corps, un
élément illusion, leurrant comme franchement essentiel du repérage du sujet par rapport à la réalité.

Et, dans toute la mesure de cet espace, de cette marge qui est offerte à l’enfant par cette expérience,
(nous assistons) à la possibilité, dans une direction contraire pour ses premières identifications du
Moi, d’entrer dans un autre champ qui est défini comme homologue inverse de celui constitué par le
triangle Mmi, qui est celui entre Mmi énigmatique, qui est le sujet en tant qu’il a à s’identifier, à se
définir, à se conquérir, à se subjectiver et est aussi le pôle de la mère. » (5/2/1958)

Comment définir ce trajet qui va de l’ Urbild du Moi à l’identification ?

On a le triangle Moi-image-mère et le triangle moi-enfant-mère. Lacan parle d’un trapèze moi-


image-mère-enfant. C’est la fonction idéale du Moi qui se constitue. Il s’agit, ni plus ni moins donc,
d’une utilisation de l’Imaginaire comme signifiant, et l’identification idéale du Moi se fait, ici, au
niveau paternel.

« Parce que c’est au niveau paternel que le détachement est le plus grand par rapport à la relation
imaginaire plus grand qu’au niveau de la relation à la mère. » (5/2/1958)

Lacan parle des schémas qui s’échafaudent les uns au-dessus des autres; on aura le schéma de
l’enfant, le schéma de la mère et le schéma du père. Le troisième schéma visant à faire passer le
désir de la mère au rang symbolique, à savoir qu’il n’est plus ni interdit ni imaginaire, mais qu’il va
avoir la fonction idéale. Dans le premier triangle, si le phallus se trouve toujours là comme objet du
désir de la mère de manière virtuelle, il y est toujours menacé et c’est parce qu’il est menacé qu’il
faut qu’il soit détruit pour, après cela, passer dans le symbolique et être représenté par le Nom-du-
Père.

106
La diagonale (3) est une ligne de pli. Elle permet au feuilletage (1) et (2) de se doubler.

Et c’est ce qui permet à Freud, dans son article sur l’identification, de signaler combien le père est,
au fond, au-delà de tout objet identificatoire comme celui qui est au-delà de la mère, et qui inaugure
la champ des identifications.

« Ce schéma est avec son double mouvement de bascule (1 et 2), à savoir que la réalité est conquise
par le sujet humain, pour autant qu’elle arrive à une certaine de ces limites sous la forme virtuelle
de l’image du corps, que d’une façon correspondante, c’est pour autant que le sujet introduit dans
son champ d’expériences les éléments irréels du signifiant, qu’il arrive à élargir à la mesure où il est
pour le sujet humain le champ de cette expérience. » (5/2/1958)

De ce point de vue, la régression est une régression qui est structurale et pas génétique. C’est-à-dire
qu’il y a un mouvement à rebours, en quelque sorte, du mouvement en double bascule du schéma
que Lacan vient de tracer.

Lacan définit alors l’objet foncier de l’homme, de toute signification, qui est l’objet métonymique
résultant du glissement dans un sens de la chaîne signifiante, et du glissement dans l’autre de la
signification. Il y a quelque chose qui se dérobe, qui induit un certain courant de fuite de l’objet
dans l’Imaginaire du fait de l’existence du signifiant, cet objet a un nom connu pour nous, il
s’appelle : le phallus.

Ainsi, il se confirme donc que le schéma en boucle, dont il est question ici, est un schéma qui tente
d’articuler la dimension imaginaire et la dimension symbolique autour respectivement de la
circulation de la chaîne signifiante et du glissement du signifié, c’est-à-dire de l’objet qui y file,
l’objet métonymique.

Reportés sur le graphe, ces trois triangles d’une topique géométrique visent un lieu qui est celui où
Lacan s’était arrêté en parlant de la fonction de bouclage. Cette topique géométrique n’est pas
homotopique à la topologie du graphe. Elle s’insère plus ou moins au point dénoté plus tard par S (
)

107
Autrement dit, elle implique une sorte de réduplication des rapports de l’enfant à son image
narcissique dans le champ du signifiant, c’est-à-dire après le passage en A et le retour en PHI .

Il s’agit d’un double imaginaire qu’il faut considérer comme un signifiant: image comme signifiant.

C’est précisément le lieu du fantasme que Lacan commente aussitôt en se servant du texte de Freud
« On bat un enfant » pour démontrer comment la fonction de l’ego et la relation imaginaire comme
telles sont intégrées au mécanisme du signifiant dans les rapports du sujet à la réalité.

Afin d’y inclure la fonction paternelle, doublure triangulaire de cette intégration projetée en ce lieu,
Lacan déploie les trois temps dans cette analyse du texte de Freud « Un enfant est battu » : avant
l’Oedipe, le temps de l’Oedipe, le temps de la sortie de l’Oedipe.

Il nous montre (c’est aussi ce qui nous permet de comprendre la raison de son schéma) qu’à
l’intérieur de ce fantasme, il y a mobilité des personnages et mobilité des actions qu’on fait, voire
des actions qu’on fait subir à ces personnages. Ceci nous indique ce qu’il y a de neuf dans la
topologie introduite avec le graphe, c’est qu’il ne faut pas considérer le graphe comme un instant
mortel de présentation de la topologie du sujet, mais plus exactement (Cf. chez le petit Hans, les
circuits de chemins de fer et les circuits des chevaux) comme un circuit à l’intérieur duquel le sujet
se met à circuler.

Voilà la vraie raison de la topologie de Lacan. Elle n’est pas seulement quelque chose qui a le statut
ontologique que nous avions découvert dans l’Imaginaire. Elle ne rend pas seulement compte du
système en circuit et d’alternance du Symbolique, mais du fait du cheminement de la parole (par
exemple dans l’analyse, mais pas seulement en analyse), du fait du développement du sujet, elle
permet au sujet de circuler à l’intérieur de quelques circuits pré-formés.

Car, ce que cette topologie vise, est bien le sujet et sa circulation sous les espèces du signifiant.

On pourra d’ailleurs se demander si le fantasme n’est pas en réduction la scène qui détient la clé de
ces circulations.

C’est pourquoi, Lacan reprend alors les triangles imaginaires et les triangles symboliques pour nous
dire comment, dans le rapport mère-enfant, s’il n’y avait que la mère dans son rapport à la
frustration, (c’est-à-dire celle qui apporte des satisfactions à l’enfant), il n’y aurait aucune espèce de
développement ni de dialectique de rapports du sujet à l’enfant ni aucune ouverture dans l’édifice.

Ce qui introduit le sujet à l’enfant, c’est cette découverte qu’il est l’objet du désir de la mère, et cet
objet du désir de la mère, c’est le monde du signifié tel qu’il se présente à partir du sujet.

« C’est-à-dire le monde du signifié tel qu’il se présente à partir du sujet, de celui qui a à se
constituer dans son aventure humaine, de ce petit enfant dont nous parlions, de la découverte qu’il a

108
à faire, c’est de la fonction privilégiée dans ce qui pour la mère signifie son désir, la fonction
privilégiée du phallus. » (12/2/1958)

Voilà donc Lacan qui nous indique ce qui est une des caractéristiques de cette dimension du sujet,
dont on connaît déjà quelques repérages structuraux, mais dont on signale maintenant le rapport
qu’il entretient avec le signifié du désir de la mère, cet objet qui est le phallus. C’est pourquoi le
thème du phallus est essentiellement valable pour l’un et pour l’autre sexe.

« Le phallus, c’est un signifiant pivot autour duquel tourne toute la dialectique de ce que le sujet
doit conquérir de lui-même, de son propre être, moyennant quoi, faute de comprendre qu’il s’agit là
d’un signifiant et pas d’autre chose, les commentateurs de Freud s’exténuent à le réduire à une
forme de la réalité. » (12/2/1958)

Au passage, on notera :

- Que, dans cette séance, Lacan fait relever l’ensemble du système signifiant du nom-du-père ;

- Que le phallus dans ce système signifiant symbolise l’opposition du signifiant au signifié -que
cette symbolisation vise la notion de signification.

On peut donc dire non seulement que le phallus relève de la signification, mais que c’est bien
l’affaire du sujet de désigner ce moment de signification. Autrement dit, ce qui importe au sujet,
dans son désir, c’est ce qu’il tentera de symboliser comme signification à l’aide du phallus. C’est
pourquoi, le phallus est un signifiant voilé, car il est le signifiant dernier dans les rapports du
signifiant au signifié. S’il n’était pas voilé, il s’épuiserait dans le signifié ne laissant pas de place au
sujet pour cette signification de son désir, objet du Séminaire VI : Le désir et son interprétation.

Il en résulte une foncière subduction, pour ne pas dire subversion, du désir par rapport au
signifiant et Lacan tente d’articuler cette dimension du désir non dans un souci de morale ou
d’éthique, mais eu égard à un autre pôle du discours qui est la jouissance. Car, la jouissance vient,
ici, occuper la place réservée à la signification du désir laquelle toujours se manifeste de manière
subductive (Cf. Guillaume et les auxiliaires « être et avoir »)

Voilà la raison pour laquelle toute structure subjective nous montre le sujet engagé dans un procès
de reconnaissance, procès de reconnaissance qui se présente comme une surface issue, en quelque
sorte, du rapport imaginaire, si pas miraginaire, entre lui et un rival et sur laquelle vient s’inscrire
tout ce qui peut être donné par la suite.

Ce besoin de reconnaissance du sujet, nous dit Lacan, est inconscient.

Il nous parle, ici, pour la première fois de la division du sujet qui se trouve constitué en tant
qu’existence divisée, parce que son être doit se faire représenter dans un signe et que le signe est
dans un endroit tiers. C’est au niveau de l’Inconscient que se structure donc cette division du sujet
comme décomposition.

« C’est dans le rapport à sa propre image que le sujet retrouve la duplicité du désir maternel, à lui
comme enfant désiré qui n’est que symbolique, il l’éprouve, il l’expérimente dans ce rapport à
l’image de lui-même à laquelle peuvent venir se superposer tant de choses. » (5/3/1958)

e. La visée de ce retour différé de la boucle : la signification et la jouissance

109
C’est pour discuter des rapports du désir et de la jouissance que Lacan reparle, à ce moment, de la
demande signifiée.

On mettra ceci en rapport avec la demande d’amour dont il parlera au moment de l’introduction du
noeud borroméen. Cette demande implique l’Autre qui a comme dimension d’être le lieu du
signifiant. En tout cas, que ce soit le lieu où ce signifiant a sa portée !

Un deuxième terme existe à l’intérieur de la demande signifiée, c’est le fait qu’en signifiant sa
volonté, le demandeur introduit une altération qui constitue l’entrée du désir dans cette demande.

« Ainsi en est-il de l’altération du besoin dans le rêve qui doit passer par un certain nombre
d’images transformées qui sont là en tant que signifiants. »

Il y a, ici, entrée en jeu de la structure du sujet.

On peut dire qu’ici, dans ce Séminaire V, c’est bien le sujet que Lacan introduit et qu’il introduit de
façon à lui donner une place, une existence spécifique, topologique avec un intérieur et un
extérieur.

La notion d’extérieur, d’extérieur pour le sujet, s’introduit par la place, par le lieu où se situe le
désir de l’autre et où le sujet doit aller le rencontrer. Ici, Lacan se démarque de M. Klein pour qui
toute cette dialectique est intérieure. A partir de ce point, qu’est le phallus, s’opère donc le retour
différé du cheminement de la subjectivité, là où ce retour dépend non encore vraiment de la
structure du fantasme mais de l’évocation de la jouissance et plus particulièrement de la sexualité
féminine, elle encore aussi soumise au Phallus.

Il faudra donc montrer comment le Phallus est pris dans une fonction subjective, c’est-à-dire de voir
dans quelle économie signifiante, ce Phallus est impliqué après le refoulement du désir de l’Oedipe
tel que le sujet sort nouveau, pourvu d’un idéal du Moi. On peut dire déjà que l’analyse du désir est
ce qui différencie le travail psychanalytique du simple travail topologique.

Par simple travail topologique, nous entendons le travail solitaire du topologue qui construit,
découpe, articule la réalité psychique. Le Désir pour Lacan reste toujours un moteur de
cheminement qui nous vient de l’Autre, et plus particulièrement de ce qui, chez l’Autre, s’ouvre sur
un manque homologue : Désir de désir.

L’idéal du Moi n’est que l’état de fait, la nomination, des effets à l’intérieur du sujet (N.B. pas du
Moi !) de l’aliénation désirante.

A l’intérieur du sujet, quand il y a introjection de l’idéal du Moi qui fait partie de la dimension
subjective comme un bagage que le sujet dorénavant portera avec lui, à l’intérieur, il y a le même
mode de rapports qui existe entre le Moi et l’idéal du Moi que celui qui existe entre des êtres
différents.

On comprend que cette affirmation de Lacan va lui permettre progressivement d’intégrer tous ces
petits échelons schématiques. Là où il nous disait que le triangle maternel se relaie par le triangle

110
paternel, il intègre maintenant cette triangulation à la dimension subjective comme un mode de
rapport qui est du même ordre que celui qui existait entre les êtres subjectifs (père, mère, enfant).

« C’est ainsi que le Surmoi n’est pas une personne, il fonctionne à l’intérieur du sujet, comme un
sujet se comporte par rapport à un autre sujet, et justement en ceci qu’il y a un rapport entre les
sujets qui n’implique pas pour autant l’existence de la personne, mais bien l’existence du
signifiant. » (19/3/1958)

Dans cette intersubjectivité à l’intérieur de la personne vivante, ce qui distingue le Surmoi de l’Idéal
du Moi, c’est que l’Idéal du Moi est orienté vers quelque chose qui, dans le désir du sujet, joue une
fonction typifiante qui semble bien liée à la fonction d’un type sexuel.

Dans l’exposé d’un cas d’homosexualité féminine, on a bien assisté, au troisième temps de
l’Oedipe, c’est-à-dire lors de l’intervention du père réel, à la transformation de l’amour en
identification, que Lacan égalera à l’existence d’une transformation topologique du sujet, pour
autant qu’il ait un Idéal du Moi,

« que quelque chose peut s’être passé à l’intérieur de lui-même qui est structuré comme dans
l’intersubjectivité ». (19/3/1958)

L’incidence du signifiant dans le désir implique un facteur commun autour duquel s’opère toute
identificationlxxxii[i], ce facteur commun, c’est précisément le phallus que Lacan appelle le plus petit
commun dénominateur petit phi.

Lacan indique dans cette séance qu’aussi bien chez le garçon que chez la fille, existe une relation à
un objet, d’ores et déjà, constitué dans la réalité d’objet et qui va devenir l’Idéal du Moi, il le
devient par ses insignes. A partir de là, le désir dont il s’agit dans cette relation à cet objet devient
ou est appelé privation. Il est appelé privation non pas parce qu’il concerne cet objet qui serait réel,
mais parce qu’un être assez réel, en l’occurrence le père, intervient qui fait que la fonction
imaginaire qu’il occupait jusque là comme possesseur du phallus devient assez réelle pour qu’en
l’occurrence, quelque chose soit privé du désir pour l’enfant (en tant que ce qui est visé par lui, est
quelque chose qu’il peut demander, c’est-à-dire donc quelque chose qui peut être symbolisé).
L’intérêt de ce commentaire, c’est simplement de pouvoir comprendre ce qui, sur le graphe du
désir, va s’appeler lieu de l’Idéal du Moi. Ce point de privation provoque parfois une douleur, une
difficulté entre le Moi et le réel du Moi, tel qu’un sentiment de rejet peut s’établir qui provoque un
moment mélancolique.

« C’est pour autant que, de la part de l’Idéal du Moi, le sujet peut se trouver lui-même dans sa
réalité vivante, dans cette position d’exclusion de toute signification possible d’exclusion, que
s’établit l’état dépressif comme tel. » (19/3/1958)

111
On trouve aussi l’indication, dans cette séance, de la manière dont la petite fille se sépare de sa mère
autour de la formation de l’Idéal du Moi comme métaphore du sujet.

Il faut maintenant rassembler les avancées de ce séminaire au moment du 26/3/1958.

Lacan rappelle d’emblée que « toute identification du type identification idéale du Moi était une
certaine mise en rapport du sujet à certains signifiants dans l’Autre, ce que j’ai appelé insigne, et ce
rapport venait en somme se greffer lui-même sur un autre désir que sur le désir qu’avaient confronté
les deux termes du sujet et de l’Autre en tant qu’il est porteur de ces insignes ».

Ce désir, inscrit sur le graphe fait l’objet d’une réflexion particulière de Lacan dans cette séance. Il
rappelle à quel étagement régressif, génétiquement régressif, le complexe de castration a été
rapporté : à savoir dans l’histoire la plus proche de l’individu, une crainte narcissique concernant
l’orgasme, puis remontant toujours plus loin, la crainte de l’organe féminin, puis remontant encore
plus loin, la crainte du phallus caché au fond de l’organe maternel, la crainte du phallus paternel. Il
s’agit là de quelque chose qui vise à retrouver les rapports du sujet et d’une menace. Au fond, ceci
se ramène à cette idée qu’avant d’être crainte, avant d’être vécue, avant d’être psychologisable, la
castration n’est pas réelle, elle est avant tout liée à un désir. Tout ceci, nous dit Lacan, vient
confluer dans le rapport d’un désir et d’une marque, laquelle marque, en quelque sorte, permet de
conserver la dimension phallique au-delà des menaces de castration à proprement parler.

Il faut donc en inférer qu’il y aurait peut-être à l’origine dans le désir, une béance qui permet à la
marque de prendre son incidence spéciale. Quoiqu’il en soit, il y a dans cette confrontation du
signifiant et du désir tout ce autour de quoi tourne l’interrogation du complexe de castration.

Nous avons déjà pu en apprécier l’incidence dans le commentaire fait à propos du petit Hans
(Séminaire IV) où Lacan nous a rappelé « à quel point le signifiant d’une phobie est quelque chose
qui a 36.000 significations pour le sujet, c’est le point-clé, c’est le point signifiant qui manque pour
que les significations puissent tenir au moins pour un temps, un peu tranquilles. Sans cela, le sujet
en est littéralement submergé ». (26/3/1958)

C’est aussi ce que Freud aurait questionné dans Totem et Tabou dans le lien étroit qui existerait, qui
se conjugue même entre la mort et l’apparition du signifiant. Dans cette béance mortelle, viendrait
surgir le désir, du fait de son rapport avec le signifiant. On a éludé ce rapport organique du désir
avec le signifiant parce qu’on n’a pas voulu voir ce qu’il y a d’irréductible et, d’à proprement
parler, pervers dans les manifestations du désir humain.

« C’est la situation de ce lien entre le désir et la marque, entre le désir et l’insigne, entre le désir et
le signifiant, que nous sommes ici en train de nous efforcer de faire. » (26/3/1958)

Moment important qui confirme donc notre sentiment quant à la théorie de Lacan : qu’il y aurait
deux lieux de la marque, celle qui se réfère à la situation symbolique (effet de représentation: la
112
barre), celle qui situe le désir humain! L’insigne phallique, dans un premier moment pris en charge
par la mort !

De cette visée de la boucle résultent trois formules :

1) d → ◊ a → i(a) ← m

La première ligne d, c’est le désir ; , c’est le sujet ; a, c’est le petit autre qui est notre semblable
autour duquel nous constituons des identifications et dont l’identification narcissique est m, le Moi.
La première formule fait, en quelque sorte, se rencontrer deux lignes, c’est-à-dire l’identification
moïque ou narcissique, dans un certain rapport avec la fonction du désir.

Sur le graphe, nous pouvons situer ces deux lignes de la manière suivante : il y aurait réduplication
de la visée imaginaire moïque par les effets de la marque désirante quand le sujet est aux prises avec
son semblable. Ces deux lieux sont différents.

2) D → A d → s(A) ← I

La deuxième ligne, c’est ce dont Lacan a traité au début de l’année avec le mot d’esprit, c’est-à-
dire qu’elle met en rapport le désir avec la parole, et non pas avec le signifiant comme tel. Donc ici,
il y a des distinctions à opérer. Dans ce cas, il y vade la demande (D), du grand autre, c’est (A), lieu
témoin auquel se réfère le sujet, de (d) qui est de nouveau le désir, de (s) qui est la signification à
savoir le signifié, puis de s(A) qui veut dire ce qui, dans l’Autre, est signifié à l’aide du signifiant
(c’est-à-dire ce qui pour moi, sujet, prend valeur de signifié, ce sont les insignes dont Lacan a parlé,
les insignes qui sont les insignes de l’Autre autour desquels se produit l’identification qui a pour
fruit et résultat la constitution dans le sujet de (I) qui est l’idéal du Moi.).

Il ne s’agit plus, ici, d’une homologie entre le lieu de l’imaginaire et celui du signifiant (élévation
de l’image au rang de signifiant), il s’agit de comparer les effets de la parole (énonciation) à ceux
du langage (énoncé, chaîne du signifiant).

Nous sommes, ici, dans la boucle supérieure. Lacan nous dit que la fonction d’Idéal du Moi résulte
de l’introduction de la parole comme marque désirante dans le champ de l’Autre.

3) →∆ ◊ D → S( ) ← Φ

Troisième ligne : Delta, c’est notre interrogation, dans ce Séminaire V, ce par quoi le sujet humain
est mis dans un certain rapport au signifiant dans son essence de sujet. S c’est le signifiant et phi,
le phallus.

113
Dans ce triple étagement des formules avec cette troisième qui conclut, en quelque sorte, ce que les
deux premières avaient de partiel, de préalable, le Sujet opère une boucle, la signification
nécessairement détournée deviendra jouissance.

Nous en voyons pour la deuxième fois l’émergence, articulée dans ce séminaire de Lacan à partir du
désir, car le rapport de l’homme au désir n’est pas simple, mais il est second, c’est-à-dire qu’il y a
une interrogation sur le désir, car il n’y a pas d’adaptation des objets à ce désir. L’homme, d’une
certaine façon, jouit de son désir ainsi que nous l’indiquent toutes les perversions. Cette réduction,
cette décomposition artificielle et seconde est donnée dans l’expérience sous la forme de la pulsion.

Lacan nous donne une définition de la jouissance comme étant :

« L’espèce d’irradiation ou de phosphorescence qui se dégage, du fait que le sujet se trouve dans
une position venue d’on ne sait quelle béance primitive, en quelque sorte, extraite de son rapport
d’implication à l’objet, et de là, il se saisit fondamentalement lui-même comme patient lxxxiii[ii] dans
cette relation. » (26/3/1958)

Voilà, hors expérience poétique, une des significations du sujet.

Si le désir pour l’homme est structuré comme quelque chose qui est pervers, toutes les demandes
seront marquées d’un certain rapport, c’est le sens du petit losange. Le petit losange est rapport
quadratique qui dit qu’il n’y a pas de signifiant concevable sans le rapport ternaire entre le lieu de la
parole, le désir et le grand Autre, quadrature qui pervertit l’adaptation désirante.

« Pour qu’il y ait quelque chose qui puisse même s’établir, j’entends pour le sujet, entre le grand
Autre comme lieu de la parole et ce phénomène de son désir, qui se place sur un plan tout à fait
hétérogène, puisqu’il a rapport avec le petit autre en tant que le petit autre est son image, il faut que
quelque chose s’introduise dans l’Autre en tant que lieu de la parole, ce même rapport au petit autre
qui est exigible, qui est nécessaire, qui est phénoménologiquement tangible pour expliquer les
désirs humains en tant que désirs pervers. » (26/3/1958)

Phi est ce signifiant par lequel est introduit dans l’Autre, comme lieu de la parole, le rapport au
petit autre en tant que le signifiant y est pour quelque chose. De même que le signifiant paternel a
été défini comme le signifiant qui, dans le lieu de l’Autre, autorise le jeu des signifiants; il y
maintenant un signifiant privilégié qui doit être introduit dans l’Autre pour en changer la nature,
c’est-à-dire pour que cet Autre barré de ce signifiant ne devienne plus simplement le lieu de la
parole, mais implique qu’il est, lui aussi, situé dans une dialectique où le grand Autre est impliqué à
l’endroit du semblable (autre).

Chez Freud comme chez Hegel, le désir se déploie dans le rapport à l’autre. La différence tient en
ce pour Freud, il n’y a pas une synthèse finale, car le désir se présente comme un désir inconscient.
Le caractère inconscient de ce désir autorise alors que sa signification surgisse. Non pas de rivalité
ni d’appropriation, mais de reconnaissance par l’autre.

Cette reconnaissance du désir dans l’expérience freudienne était, jusqu’à Freud, une reconnaissance
par nulle personne, qui ne visait personne, puisque personne à ce moment-là, ne pouvait la lire. Le
désir de reconnaissance, c’est autre chose que le pur désir. Si le désir était rejeté, s’il était exclu, s’il
était refoulé, c’est en tant que, justement, le sujet voulait le faire reconnaître comme un désir de
reconnaissance. Faire reconnaître un désir comme désir de reconnaissance, c’est autre chose que
faire reconnaître un désir tout simplement, c’est pourquoi ce désir a le caractère d’être un désir
inconscient.

114
Imaginons, en effet, un désir avoué et clarifié en sa visée, il ne pourra jamais se faire admettre par
l’autre qu’en cette visée qui est son but. Or, ce qui est le cœur du désir inconscient, c’est le droit du
Sujet, la légitimité d’avoir eu un tel désir. Cette légitimité ne peut jamais être reconnue qu’au-delà
de l’aveu. D’où son lieu inconscient, discours de l’Autre et discours de reconnaissance.

A propos du désir, Lacan rappelle à quel point, pour le sujet humain, une Spaltung est nécessaire
qui fait que le désir qui est essentiellement aliéné dans une relation à l’autre, se présente marqué
non seulement de ce truchement à l’autre, mais aussi marqué à l’intérieur de ce truchement d’un
signifiant particulier qui représente ce désir, qui en représente en tout cas, la force vitale et qui est le
phallus.

Ainsi, ce qui est visé comme instance significative est un lieu entre désir et demande que Lacan
explicite (23/4/1958) d’une façon précise sans que nous reste, de façon saisissable, le graphe et les
circulations qui y correspondent. Il s’agissait dans cette séance, d’approfondir la distinction entre le
désir et la demande.

« Faute de quoi, nous croyons qu’elle glisse invinciblement autour d’une spéculation pratique
fondée sur les termes de la frustration d’une part, et de la gratification d’autre part, qui, à nos yeux,
constitue une véritable déviation de sa voie. »

Lacan nous propose d’emblée de considérer que le désir est déterminé par un acte de signification,
et que ceci est distinct de tout sens saisissable.

C’est-ce que Freud aurait repéré dès ces études sur l’hystérie où une Élisabeth V.R. nous démontre
à quel point le désir est identique à la manifestation hystérique (le symptôme), à ceci près qu’il n’est
pas saisissable comme sens, sauf à le saisir à l’envers. Le passage endroit(symptôme)-envers(désir)
est ici, déjà une figure moebienne.

Dans des termes freudiens, ceci explique pourquoi le désir est excentrique à toute satisfaction
saisissable, et nous permet de comprendre qu’il est compatible avec la douleur (comme envers).
Tout ceci venant s’étaler dans la dialectique de la demande et du désir autour de la fonction
identificatoire de l’Idéal du Moi, et autour du rapport à un certain signifiant comme signe de la
présence de l’Autre (insigne de l’Autre). L’identification se trouve ainsi, sans qu’on l’explicite,
promue au rang de cet acte de signification. Pour ce faire, il convient que se déploie un autre espace
que celui du corps et de sa satisfaction.

Pour nous le faire saisir, Lacan énonce que les rapports du sujet au signifiant dans l’Autre, ce qui se
passe dans la dialectique de la demande et du désir, se différencient chez l’homme et chez l’animal
en ceci que le signifiant pour l’homme peut se substituer à lui-même et pas seulement au besoin. A
ce propos, il nous dit :

« C’est ce que j’essaie de diverses façons de formuler, ici, comme essentiel à la structure
signifiante, c’est-à-dire cet espace topologique, pour ne pas dire, cet espace typographique qui en
fait justement la loi de sa substitution, ce numérotage des places, ces places numérotées qui donnent
la structure fondamentale d’un système signifiant comme tel. » (23/4/1958)

Le sujet, ainsi se présentifie à l’intérieur d’un monde structuré par le grand Autre car, faute de
satisfaction, c’est au sujet (Autre) qui peut répondre à la demande, que le sujet en manque de
satisfaction s’identifie.

D’où, la question: y aurait-il autant d’identifications que de demandes insatisfaites ?

115
Lacan construit alors un petit schéma qui lierait les trois lignes déjà évoquées, la ligne de d, la ligne
de D (la demande), et la ligne phallique. Il glisse au passage alors que l’Ichspaltung dont parle
Freud est la divergence qui s’établit entre le désir et la demande !

C’est ce schéma qui nous fait défaut, et nous espérons que la suite du séminaire en permettra la
reconstitution à partir des tracés suivants :

Qu’à cela ne tienne pour l’instant, cet essai de reconstruction qui se modifiera, témoigne de
l’inscription du signifiant dans un circuit orienté et, à tout le moins, dédoublé. Ceci nécessite
quelques repères plus généraux que Lacan nous livre.

Le signifiant, nous dit Lacan, réside dans la trace qu’on pourrait effacer, c’est-à-dire qui comme
telle peut, effacée, se manifester comme un signifié. On appréciera le rapport entre cette présence
fugace du signifiant dans l’effacement qui désigne un signifié et la dimension de coupure dans la
topologie ultérieure de Lacan.

« Ce qui reste, s’il y a un texte, c’est la place où l’on a effacé, et c’est bien cette place aussi qui
soutient la transmission, qui est ce quelque chose d’essentiel grâce à quoi ce qui se succède dans le
passage prend consistance de foi. » (23/4/1958)

On rapprochera donc cette dimension du signifiant qui ne laisse plus que sa place, de la coupure de
la bande de Moebius qui, lorsqu’elle se déploie en huit intérieur, perd le lieu de l’articulation où, en
quelque sorte, la doublure peut se repérer adéquate à elle-même.

« L’une des dimensions fondamentales du signifiant, c’est de pouvoir s’annuler lui-même. »


(23/4/1958)

D’où le terme de barre que Lacan utilise si souvent.

La dimension d’annulation propre au signifiant est aussi ce qui fait que, destitué dans la lignée, en
quelque sorte, il est marqué de son appropriation au désir car, de ce fait, il laisse à désirer. Il y a
donc transposition du besoin comme manque au manque signifiant apte au désir.

D’où l’existence, selon Lacan, d’un nœud à dénouer dans le rapport entre le sujet, le phallus comme
objet problématique, et la fonction essentiellement signifiante de la barre (pour autant qu’elle entre
en jeu dans le fantasme de l’enfant battu, par exemple.)

116
C’est pourquoi, discutant du rapport entre Trieb et le Phallus en tant qu’ils auraient la même racine,
c’est-à-dire probablement la poussée, Lacan oppose ensuite le signifiant et le Phallus, le signifiant
qui est un terme essentiellement creux qui s’introduit dans le jeu du monde, alors que le Phallus se
présente comme ce qui, dans la vie, se manifeste sous la forme de la plus pure turgescence comme
poussée, ce qui fait que le Phallus est l’objet qui, en quelque sorte, manifeste le désir dans ses
apparences vitales qui ne peut entrer dans le champ du signifiant, qu’à y déchaîner, si l’on peut
dire, la barre, en l’occurrence, la castration.

Dans la sexualité humaine, il y a une différence qui se marque de l’être femme à l’être homme dans
la façon de repérer topologiquement ce signifiant Phallus apte au Désir, barré par l’opération de
castration qui s’introduit comme barre signifiante dans le désir de l’Autre pour commencer, à savoir
à propos de la mère (ceci, aussi bien pour l’homme que pour la femme). Cependant, si le Phallus se
fait insigne identificatoire pour le désir c’est avec cette notation toute spécifique que pour la femme,
cet insigne se distribue entre le Phallus symbolisé par le pénis de l’Homme et sa substitution qui est
le désir d’enfant. Ce que le schéma freudien introduit dans le Séminaire II à propos de l’érotisme
anal, nous permettait d’inférer.

Il y a donc deux voies de satisfaction-réalisation pour la femme. D’une part, il y a ce fétiche, cet
insigne phallique qui comble sa maternité (équivalence pénis - enfant) et, d’autre part, il y a la ligne
moins instinctuelle, celle de son désir où la femme est le Phallus en tant que ce qui est désiré. La
femme, ici, s’identifie au signifiant du désir de l’Autre comme mascarade, ce qui l’apparente à une
Verwerfung (le mot est de Lacan lui-même) à une étrangeté de son être qui expliquera pourquoi, si
souvent, la jouissance du psychotique s’y égalera.

Mais l’homme n’est guère mieux loti puisque c’est l’apparition de ce manque de signifiant dans
l’Autre (la mère) qui l’introduit à la menace qui pèse sur ce qu’il possède !

L’Homme se satisfait par la voie substitutive de l’insigne du père: il s’identifie à celui que la
menace a épargné. Mais, sur le plan du désir, c’est-à-dire dans son choix sexuel, il va devoir
chercher le Phallus ailleurs, chez la femme. Preuve s’il en est que le Phallus est le signifiant qui
marque ce que l’Autre désire.

« En d’autres termes, le pénis symbolique pour la femme est à l’intérieur, si on peut dire, du champ
de son désir, au lieu que pour l’homme, il est à l’extérieur; ceci pour vous expliquer que les
hommes ont toujours, dans la relation, des tendances centrifuges. » ( 23/4/1958)

Il faudra situer cette fonction d’intérieur et d’extérieur sur notre topologie, et voir comment la
fonction phallique se présentifie dans les constructions de Lacan, car il n’est pas sûr du tout que ce
soit elle qui soit responsable de cette dimension d’intérieur et d’extérieur.

D’ores et déjà pourtant, le cheminement du graphe a altéré le schéma L sur lequel nous étions
appuyés. En effet, la barre du signifiant dans l’Autre peut se reporter maintenant sur le sujet, du fait
du repérage du signifiant phallique qui est celui du manque dans l’Autre.

117
f. Toutes ces opérations sur le graphe laissent une "trace", un résidu, comme si l’opération de
mise en barre ( , ) relevait aussi du processus en tant que tel.

Dans son schéma, ci-joint :

le désir se trouve à l’intérieur du petit mobile à la Calder, au-delà de la demande car, la demande
transpose le besoin, il y a donc un au-delà de la demande, c’est la possibilité d’un résidu, ce résidu
(quoi qu’en pensent les optimistes comme Françoise Dolto), n’est pas le désir sexuel, mais c’est le
désir sexuel qui vient à cette place. Le désir chez le sujet humain est déterminé par la demande qui
est toujours expressément ou pas, demande de présence ou d’absence de l’autre, en tant qu’il a le
pouvoir de donner cette absence ou cette présence, c’est-à-dire comme demande d’amour. Il y a, dit
Lacan, un inconditionné de la demande, à savoir qu’elle demande sur fond de demande d’amour.

Lacan avance que ce qui s’est perdu du besoin dans la demande doit se retrouver au-delà, donc,
dans ce résidu. L’au-delà, c’est le caractère de condition absolue qui est dans le désir et qui se
présente sous la forme d’une deuxième négation.

Et ce qui se présente là, c’est quelque chose qui est emprunté au besoin, c’est-à-dire que le désir
emprunte la matière première au besoin, et se l’attache à l’état de condition absolue qui abolit la
dimension de l’autre, car c’est une exigence où l’autre n’a pas à répondre oui ou non.

Désir (demande d’amour condition absolue)

Besoin → D → Amour → Résidu

Vielxxxiv[iii] (retour du besoin appel à satisfaction)

« Le désir quel qu’il soit, à l’état de pur plaisir, c’est ceci, c’est ce quelque chose d’arraché au
terrain des besoins, qui prend forme de condition absolue par rapport à l’autre. C’est précisément la
marge, le résultat de la soustraction, si l’on peut dire, de l’exigence du besoin par rapport à la
demande d’amour. C’est-à-dire que le désir, inversement, va se présenter comme ce qui, dans la
demande d’amour, est rebelle à toute réduction à un besoin, parce qu’en réalité cela ne satisfait rien
d’autre que soi-même, c’est-à-dire le désir comme condition absolue. » (7/5/1958)

C’est en raison de cela que le désir sexuel va venir à cette place, à ce point d’une sorte de retour du
besoin non-réductible au langage. C’est le phallus comme poussée vitale qui viendra occuper cette
marge d’horreur et de pudeur.

« La question du signifiant du désir se pose donc comme telle, et c’est pour cela que ce qui
l’exprime n’est pas un signifiant comme les autres. » (7/5/1958)

118
Alors le phallus comme poussée vitale occupe cette forme, cette place, ce signifiant mortifié, ici,
comme tout signifiant, sous la forme du voile.

Il est retour du besoin parce qu’il est expérience de plaisir.

Ces six opérations se produisent sur le graphe qui prend une tournure quasi définitive le 15/5/1958.

On retiendra de ce schéma le A, le code, la demande, le message, le signifié de l’autre, le besoin, les


transformations du besoin, la réalisation du sujet et l’identification, les défilés de la demande, les
quatre points d’appui du sujet (m, i(a), d, ◊ a).

Au delà de la demande, s’articule le sexuel, le sexuel comme désir. Lacan dit, très précisément, que
le désir, ici, a une place topologique car la pulsion sexuelle, dit-il, coïncide avec une nécessité
structurelle qui la lie à être à cette place dans l’au-delà de la demande.

Topologiser, en quelque sorte, équivaut à s’interroger sur la dimension de nouage de la demande, de


la chaîne signifiante et du désir, donc topologiser, c’est interroger le sujet.

Il faut bien saisir que cette présentation est diachronique et qu’une temporalité fait se succéder les
places.

Exemple : A ne retrouve son origine s(A) qu’après la rencontre de la ligne PHI , ce qui en modifiera
structuralement la lecture.

3. CLINIQUE DU GRAPHE : naissance de petit a !

Lacan y parle des névroses hystériques et obsessionnelles au regard du désir qu’il présente
insatisfait chez l’hystérique, interdit chez l’obsessionnel.

L’intérêt de ce détour clinique est très précisément de voir y surgir, dans la topologie qui le
nécessite, la place du fantasme, résumé en quelque sorte du trajet du sujet dans le graphe.

Temporellement, ceci nécessite tout le trajet plus le circuit supplémentaire ( ◊ a → d). Nous y
voyons apparaître le petit a dans une fonction toute différente de celle du semblable. Autrement dit,
dans la subjectivité, une place se creuse toute spécifique pour l’objet qui deviendra le petit « a »
lacanien.

Entre l’appel de la satisfaction et la demande d’amour, où le désir a à s’organiser et à prendre sa


place, le sujet doit prendre sa place dans cet espace comme sujet à ce désir dont l’Autre est le relais
en tant que lieu de la parole, car c’est de lui que doit être découvert ce désir avec ses achoppements
que nous rencontrons dans la névrose hystérique et la névrose obsessionnelle.

119
Lacan parle, ici, d’espace virtuel.

Il va alors tenter de situer la fonction du fantasme sur son schéma sous forme, d’abord, de topologie
intuitive, le terme est cité comme tel . (21/5/1958)

Il parle cette fois de quelque chose qui n’est pas un espace réel, mais de quelque chose où peuvent
se dessiner des homologies. La fonction et la situation du fantasme se trouvent en un point
homologue du point où le circuit tout simple de la demande situait le rapport au semblable (i(a)),
rapport purement imaginaire en-deçà de la parole.

« Le fantasme, c’est l’imaginaire pris dans un certain usage de signifiant. » (21/5/1958)

Le fantasme est un scénario où le sujet se met lui-même en jeu. Donc, on a peut-être là une
indication supplémentaire sur ce que pourrait être cette topologie du sujet. Cet endroit ( ◊ a) est
encore entendu par Lacan comme rapport du sujet à un autre en tant que semblable, mais médiatisé
par une instrumentation signifiante. C’est ainsi que les fantasmes sadiques, que nous voyons
apparaître tardivement dans la cure de la névrose obsessionnelle, doivent être entendus comme une
organisation signifiante des rapports du sujet à l’Autre comme tel, organisation qui est une tentative
de solution de la névrose obsessionnelle.

Selon les structures, différents objets peuvent venir prendre place dans ce scénario.

Faut-il y voir la naissance de l’objet a dans la pluralité de ces objets auxquels le sujet, quelqu’il soit,
est toujours soumis ?

4. FINAL : Topique ou topologie des formations de l’inconscient

C’est à propos des trois types d’identification distingués par Freud que le 4/6/1958, Lacan compare
la topique freudienne à sa topologie du graphe − schéma dont il nous dit qu’il doit avoir valeur de
médiation, d’articulation, voire d’interprétation de la structure de l’Inconscient qui est à la fois
structuré comme un langage, mais aussi qui se dégage comme topique. Alors, ces trois
identifications (Cf. Séminaire II) ressortissent du schéma en forme d’œuf qui parle des rapports du
Ça, du Moi et du Surmoi. (Il aurait la forme d’un oeil, avec quelque part une pipette qui entrerait
dans la substance, et qui est censé représenter le Surmoi) Lacan critique ce type de schéma car, pour
représenter les choses topologiques, il y a un inconvénient à user de schémas spatiaux, critique que
Freud s’adressait déjà à l’époque (non traduit en français dans le texte de Freud).

L’avantage du graphe, c’est qu’à la manière des girafes de Hans, il peut se chiffonner et se mettre
en boule, les relations entre les termes restent toujours les mêmes. A savoir, essentiellement la
différence entre les deux lignes horizontales où se segmentent deux identifications différentes (en A,
aux insignes de l’Autre, voie de la suggestion, en S ( ) au Phallus, voie du transfert. La troisième,
c’est l’identification en ◊ a, au trait commun.

120
Le 11 juin 1958, Lacan revient à son petit schéma, plus exactement à l’explication du petit losange,
le poinçon qui lie le petit a au , qui n’est rien d’autre que le carré du schéma L.

Ainsi la topologie du Séminaire II (schéma L) s’est trouvée déployée dans une circulation plus vaste
encore, puisque ce losange qui figure à deux endroits sur le graphe, l’insère dans la réalisation du
sujet, problématique qui à l’époque se réduisait au retour de A vers S. (Cf. notre flèche interrompue
ci-dessus: A→...ES).

Lacan n’en reste pas là. Il reprend les linéaments de cette topologie déjà entrevue dans le Séminaire
I quand la parole franchissait le triangle erreur-méprise-ambiguité, très explicitement autour de ces
trois termes qui relèvent de l’au-delà de la demande, dans le trajet de la boucle autorisant la lecture
que nous faisions à l’époque.

1. Haine 2. Amour 3. Ignorance

Revenant maintenant au graphe, Lacan situe [S( )] comme point précis homologue au point où, sur
la ligne de demande, apparaît dans le schéma fondamental le retour de la demande qui s’appelle le
message. [s(A)] c’est le message d’un signifiant, message que l’autre est marqué par le signifiant.
On sent, ici, la nécessité du support topologique pour pouvoir comprendre toute cette articulation.
Ceci ne veut pas dire que le message se produit, il est là comme possibilité de se produire. De
même, il y a un point homologue au lieu du code (A) dans l’Autre, et qui est une articulation par le
sujet doué de parole, articulation de quelque chose qui est sa demande comme telle par rapport à
laquelle il se situe. ( ◊ D)

Cette homologie, nous pouvons également l’inscrire dans l’historicité.

Lacan nous indique que dès le début chez l’enfant, nous voyons jouer entre eux, deux circuits dont
le premier est le :

« Circuit symbolique, c’est le circuit du Surmoi féminin infantile; et l’autre circuit, c’est le rapport
imaginaire à cette image idéale de soi qui, chez lui, se trouve à l’occasion de ses frustrations, de ses
déceptions plus ou moins affectées voire lésées. » (18/6/1958)

Il y a un circuit symbolique qui a rapport à l’objet primordial qui est la mère, et un circuit
imaginaire qui est le point où le sujet a une sorte de lien à lui-même, à une image.

121
Poursuivant la nomination de sa topologie, Lacan situe alors la notion du symptôme sur son schéma.
Il le situe en s (A), c’est-à-dire au niveau de la signification, c’est-à-dire que le symptôme, c’est un
signifié qui intéresse non seulement le sujet, mais aussi son anamnèse, son histoire, c’est pour cela
que Lacan le symbolise par s (A).

L’hystérique comme l’obsessionnel, sur ce tracé du graphe, circulent à leur manière en court-circuit.

Quant à la psychose, elle témoigne d’un écrasement de la chaîne Phallus sur la chaîne du discours
courant, avec ce résultat que privé d’ une scène inconsciente, l’Autre parle.

Jetant alors ses derniers feux pour cette année, Lacan lance de manière lapidaire des considérations
sur : le non-rapport sexuel,

En indiquant qu’un désir humain, le désir du sujet achevé, comporte la fonction du signifiant
Phallus dans le circuit de l’articulation inconsciente du sujet. On voit apparaître, ici dans la thèse de
Lacan, l’ébauche de ce qui deviendra plus tard le non-rapport sexuel dans ce fait que l’introduction
du signifiant Phallus en quelque sorte, fait déchoir le sujet humain de toute réalisation animale de sa
sexualité. Mais ici, Lacan ne parle pas encore d’impossibilité, il parle simplement de plus grande
difficulté.

La parole pleine

La réalisation de la parole pleine dans l’inconscient est équivalente à la réalisation de la parole


pleine au niveau de la chaîne signifiante. Cette parole pleine dans l’Inconscient s’égale à la place
correcte que le sujet doit occuper dans la chaîne, eu égard à la fonction dudit Phallus, non pas être le
Phallus, mais se repérer par rapport au désir comme soumis à la nécessité qui fait que le Phallus
occupe une certaine place que le sujet vient à réaliser. (Noter la notion de réalisation du sujet)

Cette réalisation, l’hystérique tente de la repérer au niveau de l’idéal du masque de l’identification,


alors que l’obsessionnel, lui, essaie de trouver la place de son désir dans la place forte de son Moi.

Le 2/7/1958, dans la dernière séance de l’année, Lacan avance même que le titre de son séminaire
eut pu être : Topologie de l’inconscient.

C’est pour cela qu’il essaye de familiariser ses auditeurs au petit graphe qui supporte ses
expériences, et plus particulièrement pour mettre en scène ce signifiant partout rencontré qui est le
Phallus.

En rappelant que ce signifiant peut occuper plusieurs places, Lacan ajoute qu’une réduction des
productions fantasmatiques au transfert, dans une situation analytique à deux, aboutit en fin de
compte à éluder la place du Phallus.

122
Soit une façon de ramener le transfert (qui se joue dans la chaîne signifiante inconsciente) à la
suggestion, chaîne signifiante courante.

Il paraît essentiel pour conclure ce Séminaire V de scander les points forts de cette nouvelle avancée
topologique.

- Sa construction d’abord : c’est le graphe ;

- Sa temporalité : la fonction d’après-coup ;

- Ses circuits : cheminement du signifiant (Cf. Séminaire IV) ;

- Son moteur : la fonction de la parole et non du langage ;

- Son signifiant majeur : le Phallus.

C’est pourquoi, nous pensons pouvoir cerner l’idée force du développement lacanien autour d’une
espèce de mise en scène topologique du Phallus et la conférence à l’institut Max Planck à Munich,
le 9 mai 1958 confirme, si besoin était, notre sentiment : « Die Bedeutung des Phallus ».

123
124
Séminaire VI

Le désir et son interprétation

Le désir et son objet

Tout nous laisse croire que ce séminaire poursuit, sur le graphe inventé par Lacan l’année
précédente, un trajet circulaire, celui de la boucle supérieure qui se fermerait voire se dédoublerait
en spirale à partir d’un point de signification S( ) barré appelé aussi PHI par Lacan et que nous
avons situé dans notre lecture du séminaire précédent.

Ce point PHI implique une sorte de lieu de prévalence dans le discours de l’Autre (la mère en
l’occurrence). Peut-on imaginer qu’un tel pôle d’attraction dans l’Autre, où le vivant s’accroche au
signifiant, puisse être repéré dans un autre cheminement que celui du discours humain ?

La question importe. Quel autre discours pourrait receler ce pôle qui renvoie le message à la
demande en vue de rappeler à quel point ce qui est au-delà de cette demande constitue le résidu,
l’objet d’où s’origine le désir, pour Lacan ?

1958 - C’est l’année du texte sur la « Bedeutung des Phallus » (« Signification du Phallus ») que
nous placerions volontiers en regard du titre du séminaire Le désir et son interprétation, qui suivit
cette conférence à Berlin. S’il y a parallélisme, ou chiasme syntaxique (signification ↔
interprétation), il y a cependant propriété de termes :

- Le Phallus entre dans le désir en tant que signifiant privilégié et non en tant qu’objet, lequel
sera bien l’effet nouveau, dégagé du travail de Lacan cette année-ci ;

- La signification, elle aussi, se détache autrement de l’effet d’interpréter car, pour Lacan, elle
est entendue comme message qui fait retour ;

- Alors que l’interprétation est une opération dans le corps du discours lui-même, opération,
on le verra, de coupure.

L’objet, ici, relayera l’objet métonymique évoqué par Lacan précédemment mais le circuit où il sera
situé va varier. Il en résultera que cet objet aussi sera réévalué.

1. État de la question : a) trois temps du graphe

b) statut du graphe

125
2. L’opération élémentaire : soustraction - négation

3. Appuis exemplaires : a) clinique Ella Sharp

b) littéraire - Hamlet

4. Reprise théorique : a) Phallus et a

b) La coupure et les formes de l’objet a

c) Effet de a sur

d) Fantasme et topologie

e) Effet sujet à partir de a

1. ÉTAT DE LA QUESTION : Du statut du graphe

a. Les trois temps du graphe

La fonction du désir dans la psychanalyse doit être rapportée à la dimension du transfert, non pas
que le transfert s’épuise dans l’évocation du désir, mais dans ce fait, quand même, que le transfert
est un désir, un désir sexuel agressif à l’endroit de l’analyste !

Deuxième idée, Lacan va nouer la question du désir à celle de la poésie.

Enfin, il veut nouer la dimension du désir à l’ intérêt que lui ont porté les philosophes, (par exemple
Aristote) dans les philosophies qu’on pourrait appeler Philosophies de Maîtres. Ce n’est pas notre
propos d’évoquer maintenant cette question dans notre thèse.

Par contre, il est évident que d’un point de vue, plus précisément, psychanalytique, il faudra
rapporter encore la question du désir à la dimension de la pulsion et à celle du fantasme.

C’est ici que Lacan reprend son petit schéma inventé l’année précédente dans son séminaire. Il met
trois schémas au tableau, d’abord le schéma simple où la chaîne signifiante, composée d’une
batterie signifiante synchronique, se déploie et est crochetée par la manière dont le sujet entre en jeu
dans ladite chaîne, là où il rencontre d’abord le point du code, et puis là où il recoupe l’endroit où se
produit le message.

Ce trajet produit quelque chose au bout de la chaîne intentionnelle qui, pour la deuxième étape du
schéma, peut être divisée d’abord en deux parties. La première, c’est le niveau infans du discours où
il n’est pas nécessaire que l’enfant parle pour que cette empreinte existe déjà sur lui, l’empreinte du
signifiant ; par contre, dans la deuxième partie, si l’enfant ne peut tenir de discours, il doit pour
126
autant parler, c’est-à-dire qu’il doit avoir un certain rapport à ce qu’on pourrait appeler l’appel de
l’autre comme présence. C’est le moment que Freud a situé comme étant celui du Fort Da où
quelque chose se produit qui fait qu’à cet appel, l’autre peut-ou-pas répondre. Dans l’expérience du
langage, se fonde donc l’appréhension de l’Autre comme tel, celui qui mugit le Surmoi, c’est le
fameux "Che Vuoi"1, c’est la première rencontre avec le désir de l’Autre. Autrement dit, ce n’est
plus seulement dans la batterie signifiante qu’un choix peut être fait, mais c’est dans l’expérience
que ce choix s’avère commutatif :

« qu’il est à la portée de l’autre de faire que l’un ou l’autre des signifiants soit là, que s’introduisent
dans l’expérience, et à ce niveau de l’expérience, les deux nouveaux principes qui viennent
s’additionner à ce qui était d’abord pur et simple principe de succession, à savoir le principe de
substitution ». (12/11/1958) en surplus.

Donc Lacan insiste sur cette commutativité qui s’établit pour le sujet et qui installe entre le
signifiant et le signifié (S/s) une barre. Le signifié, c’est la reconnaissance par l’autre de la
commutativité des signifiants. Le résultat de cette substitution, c’est, peut-on dire, l’entrée en scène
de la différence entre l’énonciation et l’énoncé. Au niveau de cette deuxième étape, se produit
quelque chose qui est à placer au même niveau que le message de la première étape: l’apparition de
ce qui est signifié de l’Autre, par opposition au signifiant donné par l’Autre de la première
dimension de la chaîne.2 Ceci représente le sujet en tant qu’il est support de la parole. On a besoin
de deux dimensions, ici, la dimension de la parole et la dimension du désir de l’Autre.

« Le désir, dès son apparition, son origine, se manifeste dans cet intervalle, cette béance qui sépare
l’articulation pure et simple, langagière de la parole, de ceci qui marque que le sujet y réalise
quelque chose de lui-même qui n’a de portée, de sens que par rapport à cette émission de la parole
qui est à proprement parlé ce que le langage appelle son être. »

Cette reconnaissance de l’Autre (signifié, nous la connaissons, c’est l’amour).

Puis vient la troisième étape, la troisième forme du schéma qui est l’étape de détresse. Cette étape
fait écho à la dimension imaginaire moïque du sujet. Elle fait écho, dans la dimension d’énonciation
et de désir de l’Autre, sous la forme de cette détresse dont le nom angoissant s’appelle, dans la
littérature psychanalytique, l’expérience traumatique. C’est le moment spéculaire qui met en jeu,
ici, l’image de l’autre en tant qu’elle est fondatrice de l’Urbild du Moi et nous retrouvons, ici, le
schéma des deux miroirs sphériques avec la tension o o’ où l’usage d’un miroir concave nous
permettait de penser :

127
« La fonction d’une image réelle, elle-même réfléchie et qui ne peut être vue comme réfléchie qu’à
partir d’une certaine position, d’une position symbolique qui est celle de l’idéal du Moi. »
(12/11/1958)

Cette ligne fait écho, réflexion de i(a) - m, dans le lieu du langage parlé.

On a, ici, quelque chose de tout à fait intéressant, c’est l’ébauche du passage entre la position de
l’autre et la dimension de l’objet a. L’intervention de l’élément imaginaire i(a)-m de la relation du
Moi à l’autre est ce qui va permettre au sujet de parer à cette détresse dans la relation au désir de
l’Autre. Mais, cette référence au semblable, elle est en quelque sorte arrachée à ce semblable sous
la forme d’un objet pulsionnel, par exemple, le semblable, ce sera regard. Pour se défendre de cette
relation de détresse, le sujet construit le fantasme. Et Lacan introduit ici, le dans son rapport au
a ; ici, en l’occurrence, l’autre comme regard, l’autre imaginaire. Dans le premier schéma, le sujet
est inconscient mais dans l’innocence ; dans la deuxième et la troisième étape du schéma, on a
quelque chose qui est de l’ordre du savoir, le sujet sait parler et il sait qu’il parle non sans qu’une
certaine distance se maintienne à l’égard de son être, car son être, il ne le rejoint jamais et c’est dans
cette métonymie de l’être pour le sujet que vient résider le désir. Dans cette béance, il y a un
signifiant qui manque et nous retrouvons ce qui était traité dans le séminaire précédent, nous
retrouvons la fonction du Phallus. Le Phallus devient donc la métonymie du sujet dans l’être, et le
désir la métonymie de l’être dans le sujet.

« Le Phallus, pour autant qu’il est l’élément signifiant, soustrait à la chaîne de la parole en tant
qu’elle engage tout rapport avec l’autre. » (12/11/1958)

Voilà ce qui fait que le sujet tombe sous le coup de la castration, dont la métonymie se fait la figure.

b. Statut du graphe

Quelle dimension donner à ce graphe de Lacan ?

D’abord, l’éclairer avec l’interprétation d’un rêve (cf. infra), mais plus exactement avec la
dimension du désir, puisque c’est lui, le désir, qui nous montrera l’utilité du graphe.

Deuxièmement, indiquer qu’il y a lieu de ne pas comprendre ce graphe, car il y aurait danger à se
laisser prendre à une certaine compréhension. Lacan fait, ici, une distinction entre comprendre et
savoir. Le graphe est fait pour que nous sachions où nous en sommes, sans nécessairement toujours
le comprendre au moment même. Il est destiné à annoncer quelque chose tout de suite. Ainsi, le
graphe permet de distinguer le refoulé, le désir et l’Inconscient. Ce graphe, nous dit Lacan, est un
discours, son but est de montrer les rapports qui existent entre le sujet parlant et le signifiant, il vise
128
à rendre compte de ce que veut dire signifier efficacement une action de signification, un acte de
parole.

Le graphe est un procès, c’est un procès qui se passe dans le sujet et il faut concevoir que le procès
part de quatre points à la fois ; delta, A, [d et D] ?, c’est-à-dire, ce qui correspond à l’intention du
sujet, au sujet en tant que parlant, à l’acte de la demande, et à un quatrième point que Lacan réserve
pour plus tard. De même, il y a quatre trajets : d’, delta, I et s (A) ?

Il en résulte différents types de sujets, le sujet de la connaissance, le sujet parlant, le sujet du besoin
qui correspondent chacun à des moments du graphe. Lacan introduit aussi la notion de ligne pleine
ou de ligne pointillée sur son schéma. Ex. : la ligne du signifiant est pleine jusqu’au point A et
pointillée après, alors qu’à l’étage supérieur, la ligne est d’abord pointillée et est pleine après.

Ligne pleine de la chaîne synchronique signifiante jusqu’en A parce que le stade signifiant est
présent en sa totalité de code.

« C’est en fonction de la solidité synchronique du code auquel ces élément successifs sont
empruntés que se conçoit cette solidité de l’affirmation diachronique et la constitution de ce qu’on
appelle dans l’articulation de la demande, le temps de la formule. » (19/11/58)

Ligne fragmentée entre S ( ) et s(A) pour signifier la question de la continuité du sujet ;

Ligne fragmentée aussi : Delta --------- A comme manifestation de la tendance d’avant le


sujet ;

s’(A) --- I comme identification du sujet à l’autre de la demande,

par exemple, au travers de jeux symboliques de cache-cache.

Voilà pour l’étage inférieur du graphe. L’étage supérieur, lui, concerne le sujet en tant qu’il assume
l’acte de parlerlxxxv[i].

Lacan rappelle que le sujet reçoit toujours son propre message sous une forme inversée, c’est-à-dire
que le je du message est reçu par l’intermédiaire de la forme qu’il donne au tu. C’est ici le discours
du second étage du graphe appelé aussi discours de l’Autre qui est un discours où l’être fait appel
avec plus ou moins de force. C’est à ce niveau que joue aussi le "Che Vuoi" qui est, si l’on veut, la
réponse de l’Autre à cet acte de parler du sujet :

129
« à savoir, est-ce que parlant, le sujet sait ce qu’il fait ? » (19/11/1958)

Et c’est sur ce point que Freud a répondu non.

Par son enseignement, Lacan essaye de sortir de la niaiserie, de l’innocence du fonctionnement de


la parole et c’est l’illustration de son second schéma.lxxxvi[ii]

Faisons remarquer effectivement que l’existence du second étage du graphe qui double en quelque
sorte la dimension du premier étage permet donc à Lacan de soutenir cette phrase que
l’« Inconscient est structuré comme un langage » ; ce second étage nous montre qu’il répond en fait
à ce « comme », « comme un langage » de la première formulation. La topologie du sujet qui va
venir, ici, s’inscrire sur le graphe aura à répondre justement de cette dimension topologique,
exactement comme on pourra dire qu’un signifiant rendra compte des effets du signifiant pour le
sujet, ici, on pourra dire qu’il y a là une topologie qui rend compte des effets topologiques du sujet.
Au point où il en est, Lacan présente cela comme un discours sur l’être, comme un appel à l’être qui
ne peut d’une certain façon jamais se réaliser.

Ainsi, « le sujet ne sait pas le message qui lui parvient de la réponse à sa demande dans le champ de
ce qu’il veut » (19/11/1958) car la vraie réponse ne peut être que le signifiant Phallus qui ne lui
appartient pas.

Alors, où situer le Désir ?

Pour le situer dans la suite, Lacan va parler du second étage du graphe où, nous dit-il, il y a aussi un
trésor synchronique, c’est pour chaque sujet, la batterie des signifiants inconscients.

S’appuyant sur le schéma 3 (cf. supra), Lacan propose une nouveauté dans le graphe : une ligne
pointillée qui va du code du second étage à son message par l’intermédiaire de d, la place où le sujet
glisse et $ poinçon a, la place du fantasme. Cette ligne pointillée possède une disposition
homologique à la ligne qui de Delta inclut dans le discours le Moi, c’est-à-dire la personne, avec
l’image de l’autre, c’est le rapport spéculaire fondamental à l’instauration du Moi. Le désir, lui, est
situé à l’intérieur de cette économie homologique.

Pointillé veut dire discours sans parole

130
Le désir doit être situé sur le circuit pointillé qui est une espèce de petite « queue » au second étage
du graphe : ( d - ◊ a)

« C’est ce circuit dans lequel nous pouvons considérer que tournent − c’est pour cela qu’il est
construit comme cela, c’est parce que ça tourne, une fois que c’est alimenté par le début ça se met à
tourner indéfiniment à l’intérieur − que tournent les éléments du refoulé en d’autres termes, c’est le
lieu sur le graphe de l’inconscient comme tel. »

Sur ce graphe, on peut repérer les deux systèmes freudiens: premier système pointillé « c’est le lieu
de l’Inconscient, là où le refoulé tourne en rond, là où quelque chose du message au niveau de l’être
vient déranger le message au niveau de la demande », cela, c’est la fonction du symptôme, donc,
c’est le circuit du haut.

Autre système, c’est celui de la seconde topique freudienne, c’est-à-dire où ce qui est cherché à ce
niveau, c’est comment se constitue le Moi en tant qu’il a à se repérer par rapport à la première prise
du Ça dans la demande et c’est ici que Lacan prétend situer la fonction du Surmoi. C’est entre ces
deux dimensions que résiderait la fonction métaphorique du langage qui est ce sur quoi Freud nous
a laissé une théorie encore ouverte.

2. L’OPÉRATION ÉLÉMENTAIRE ou les douleurs de l’enfantement de a

Revenant alors à sa question centrale (qu’est-ce que ce désir ?) dont il a fait l’objet de cette année
de travail, Lacan va le situer dans un rapport du sujet au signifiant. Il entreprend cette question par
l’intermédiaire du rêve, à savoir qu’un rêve possède un désir et que ce désir, dans le rêve est
ambivalent, car un des désirs du rêve est d’abord de dormir, un autre est de s’y satisfaire dans ce
rêve! Il y aurait donc là, en tout cas deux désirs pour un même sujet : il y a le sujet qui veut dormir
pour qui le désir est désir de mort et il y a le sujet du désir qui se satisfait. Est-ce que ce sont les
mêmes sujets ?

Ce sujet de la satisfaction est évidemment une pure apparence, puisqu’au fond le sujet-là ne se
satisfait que d’être satisfait purement verbalement ou, à tout le moins, en image du rêve. A la limite,
il s’agit plus d’un désir qui se satisfait de l’être que d’un sujet qui trouve son compte. Or, cette
image est prise dans un récit qu’elle immobilise en un instant-flash, rendant cette séquence fixe à
une érotique indiscutable.

Ainsi, le récit, le langage introduit dans l’acte une stimulation après coup qui dans la dimension du
récit est en quelque sorte une image arrêtée par la suspension de ce récit et qui devient un stimulant
du désir.

131
« Dans cette suspension d’une image du récit, quelque chose prend valeur de fantasme qui a
signification érotique dans le détour de l’acte. » (26/11/1958)

Première opération : arrêt sur image à quoi la technique vidéo nous a depuis rendu familiers.

Cet arrêt sur image paraît s’inscrire dans l’Imaginaire. Il n’en n’est rien car le surgissement
hallucinatoire ou le processus primaire trouve sa satisfaction au niveau de quelque chose qui est un
signifiant, qui n’est pas du tout une image ou alors, une image prise comme signifiant. On pourrait
dire qu’on a affaire là au désir au niveau du processus primaire.

Lacan interroge un rêve de la Traumdeutung.

C’est le rêve d’un sujet qui a perdu son père. Le père lui apparaît en vie bien que le rêveur ait
néanmoins le sentiment qu’il est mort sans que le père le sache.

Dans ce rêve, Lacan nous explique que pour saisir le désir qui s’y réalise, il faut en venir au procédé
d’adjonction et de soustraction du signifiant qui sert à désigner, en fait, l’opération de refoulement
dans sa forme pure. Il sera intéressant effectivement de comparer cette opération de soustraction et
d’adjonction du signifiant aux opérations plus purement topologiques d’évidement-coupure, plus
tard dans la topologie des nœuds et des surfaces.

Ainsi donc, dans ce rêve, il y a soustraction d’un signifiant, d’un signifiant dont le sujet est par
ailleurs parfaitement au courant. C’est donc que ce qui est important est l’opération de soustraction
qui comme telle prend une valeur positive et Lacan la rapporte à la fonction du refoulement et de
Vorstellungs-repräsentanz.

Le refoulement porte sur la représentation et d’autre part produit cette chose nouvelle qui est
l’apparition d’un sens nouveau du fait de l’élision de deux clausules, cette élision, nous dit Lacan,
est effet de sens.

Lacan va tenter de placer la phrase qui a été soustraite : « 1) il est mort ; 2) il ne le savait pas ; 3)
selon son vœu » ; ces trois signifiants du récit, il va tenter de les placer sur le graphe pour essayer
d’en déterminer la position topologique au cœur de tout fonctionnement possible du discours. Le
rêve tente d’éluder, de refouler deux clausules (n° 2 et 3) pour produire un effet de signification.

A l’aide de cette soustraction que nous allons préciser, Lacan situe la notion de réalisation de désir
qu’il conviendra d’isoler de celle du Wunsch (voeu) du rêve.

On peut dire qu’avec ce terme de réalisation de désir, c’est peut-être la troisième dimension, celle
du Réel que Lacan interroge ici.

Pour cela, il faut réintroduire la différence entre les processus primaires et secondaires et rappeler
comment le processus primaire signifiant la présence du désir a été placé par Freud dans un schéma
qui suppose toujours en son fond le parcours de l’arc-réflexe, quelque chose qui va de la sensation à
la motilité. Dans ce processus primaire, il se passe un mouvement régressif et dans ce mouvement
régressif, apparaît une Vorstellung qui donne la satisfaction hallucinatoire. Et sur ce point, les
schémas que Freud donne ont valeur fonctionnelle. Il s’agit de séquences à la limite plus
temporelles que spatiales qui inscrivent en quelque sorte ce mouvement régressif en un circuit. lxxxvii
[iii]

« C’est en quelque sorte sur ce circuit que quelque chose s’allume. »lxxxviii[iv](3-12-58)

132
Ce quelque chose apparaît comme ce qui se produit dans une machine où une lampe s’allumerait
indiquant non pas comme tel un phénomène lumineux, mais le fait qu’une certaine tension circule,
qu’une résistance, en quelque sorte, est à l’œuvre à l’intérieur du circuit. Ceci, c’est pour le
processus primaire. Pour le processus secondaire, il s’agit d’autre chose, puisque là, il s’agit de la
satisfaction réelle du besoin.

Le processus secondaire, c’est un comportement de mise à l’épreuve de la réalité qui est au fond
une conduite de jugement. D’une certaine façon, « la réalité humaine se construit sur un fond
d’hallucination préalable qui est l’univers du plaisir », et Freud se sert pour cela de la représentation
d’une série de couches qui viendraient s’imprimer, s’inscrire les unes au-dessous ou au-dessus des
autres. Il s’agit, dit Lacan, dans cet espace topographique d’une véritable topologie de signifiants.
C’est ce que Freud écrit à Fliess dans la lettre 52.lxxxix[v]

Ce jugement, cette critique n’élimine pas les signifiants antérieurs hallucinatoires sur quoi ce
jugement porte, mais le complique, le connote d’indices de réalité qui sont eux-mêmes de l’ordre
signifiant. Il s’agit d’une sorte de prise de vrai (Wahrnehmung) qui conduirait une sorte de sujet
idéal au Réel.xc[vi]

Lacan se sert ici de l’exemple des machines à sous où une lampe s’allume quand la bille tombe dans
un trou. Le processus primaire ne vise pas la recherche d’un objet nouveau, mais d’un objet à
retrouver.

« Et ceci par la voie d’une Vorstellung réévoquée parce que c’était la Vorstellung correspondant à
un premier frayage alors que l’allumage de cette lampe donne droit à une prime, cela ce n’est pas
douteux, c’est cela le principe de plaisir […] mais pour que cette prime soit honorée, il faut qu’il y
ait une certaine réserve de sous dans la machine et la réserve de sous dans la machine, dans
l’occasion, elle est vouée à ce second système de processus qui s’appelle les processus secondaires.
En d’autres termes, l’allumage de la lampe n’est une satisfaction qu’à l’intérieur de la convention
totale de la machine en tant que cette machine est celle du joueur, à partir du moment où il joue. »
(3/12/1958)

Le second système n’élimine pas la Vorstellung première, mais la complique, la connote d’une
nouvelle organisation signifiante, elle-même porteuse d’indices de réalité.

Lacan rappelle alors comment, pour Freud, la lecture d’un rêve doit relever de la technique d’une
Niederschrift, une espèce d’écriture au-dessous si on peut dire. Voilà la mise en évidence par Lacan
de la topologie freudienne ou en tout cas d’une ébauche de topologie freudienne en tant que
véritablement, le rêve doit être conçu comme une espèce de manuscrit qui porterait encore les traces
d’une écriture précédente à demi effacée et sur laquelle se superpose en même temps ce dont se sert
l’écriture nouvelle !

Reste à examiner la raison de cette topologie étagée et ce qui justifie les écarts entre les différentes
couches d’écriture en palimpseste.

C’est pourquoi, Lacan parle de topologie du refoulement après avoir parlé du « rêve d’Anna » de
Freud. Cette topologie du refoulement relève d’un autre lieu, l’autre lieu de Fechner, mais qui est à
chercher dans la structure du signifiant et ceci, dès que le sujet entre dans le jeu du signifiant.

« Il y a une topologie dont il faut et dont il suffit que nous la concevions comme constituée par deux
chaînes superposées pour que nous en rendions compte.

133
Et d’ailleurs, s’il n’y a pas ces deux chaînes, nous ne pourrions pas en rendre compte. Dans la
chaîne inférieure, chaîne continue, le sujet en tant que parlant y prend une solidité empruntée à la
solidarité synchronique du signifiant, il y a là quelque chose qui participe de l’unité de la phrase. »
(3/12/1958)

Une sorte d’écarteur doit être posé pour ouvrir autant qu’il se peut cet espace du langage dans le
chaîne inférieure, faute de quoi, nous n’obtiendrons qu’une formulation lapidaire,
« holophrasique ».

Cette holophrase au niveau de la demande représente la fonction de la chaîne inférieure dans un


type d’interjection par exemple. Quelque chose de monolithique serait dû à ce que fait le sujet de
cette chaîne signifiante, à savoir qu’il la cimente, en quelque sorte. Mais, ce qui se passe dans
l’autre ligne est tout à fait autre.

Car, dans l’holophrase, le sujet se trouve simplement constitué de l’holophrase, il est l’émetteur
sans aucune hésitation; par contre quand le sujet éprouve le besoin de s’annoncer, alors, c’est qu’il
opère avec le langage de la deuxième chaîne, car là, le sujet se compte.

holophrase interjection :

Cette distinction des deux lignes correspond donc aussi à la distinction du « je », sujet de l’énoncé,
et du « je », sujet de l’énonciation. L’énoncé s’articule en première ligne, l’énonciation en seconde
ligne. (Cette distinction des deux chaînes correspond en grammaire à ce qu’on appelle le futur
antérieur.)

Pour illustrer la paire énoncé-énonciation, Lacan parle de l’empilement des signifiants dans le rêve
de la petite Anna, superposition qui produit une espèce de métaphore qui va d’une chose à l’autre et
qu’il s’agit de faire jaillir, c’est-à-dire, la réalité de la satisfaction en tant qu’interdite, au niveau de
l’énonciation. Voilà pourquoi aussi le désir se trouve sur la voie de cet interdit car la vérité du désir
comme lieu d’énonciation est une insulte permanente à toute loi énoncée.

Cependant, il existe un autre type d’écart puisque ces deux lignes de l’énoncé de l’énonciation se
maintiennent aussi à une certaine distance l’une de l’autre. Lacan parle alors de repérage tensionnel
plutôt que temporel pour parler de la différence de temps entre ces deux lignes (et on retrouve ici la
théorie de Guillaume) et c’est là, nous dit Lacan, qu’on peut comprendre le rapport qu’il peut y
avoir entre ces deux lignes et la topologie du désir.

134
Pour raccourcir, ce lieu de l’Autre est celui de l’énonciation comme discours proféré par cet Autre
qui, pour un temps, fut aussi celui que nous croyions lire nos pensées, alors qu’il n’est que le lieu
toujours Niederschriftlich de l’énonciation − (Verdrängung).

Dans la Verdrängung, refoulement, ce dont il s’agit, « c’est que le sujet s’efface, qu’il s’escamote
comme un sujet » et cela, il peut le faire sous trois modes : la Verwerfung, la Verneinung et la
Verdrängung.

Mais il y a une façon spéciale de frapper le sujet, c’est la Verdrängung où le sujet opère par la voie
du signifiant et fait disparaître un dit non-dit. Là, dans le rêve du père mort, on voit l’élision de
deux clausules, il ne savait pas que c’était selon son vœu qu’il en fut ainsi, selon son vœu. Tous les
signifiants ne sont pas également refoulables, ne portent pas sur eux la possibilité de cette lésion et
c’est ce que Lacan va essayer de développer dans la séance suivante (5e).xci[vii]

Lacan y veut préciser l’opération de soustraction-refoulement en comparant les rêves d’enfants et


ceux d’adultes.

Entre le rêve de la petite Anna et le rêve chez l’adulte, il y a une différence. Elle concerne ce « je »
de l’énonciation qui s’annonce en se nommant « Anna » par ex. dans ce rêve d’enfant parce qu’il y
a quelque chose qui dans l’énonciation n’est pas encore suffisamment distingué. Le désir du rêve,
chez l’adulte, est un désir qui porte la marque du refoulement, c’est-à-dire qui se présente comme
accompagné d’une censure. La censure comme telle n’est possible qu’au niveau de l’énoncé, au
niveau de l’énonciation, elle laisse toujours une trace qu’on connaît bien dans l’expression « je ne
dis pas que ceci ou que cela aura lieu ». On peut en conclure qu’il existe un lien entre l’usage du
pronom personnel « je » et la présence de la négation, que la dénomination en troisième personne de
« Anna » éluderait.

Cette négation qui est présente dans la censure est au fond la marque de la propriété la plus radicale
du signifiant. Elle n’est pas seulement comme telle une trace ni même une trace effacée, mais
quelque chose qui se pose comme pouvant être effacée !

Par exemple, une croix est une barre que l’on barre, une barre recouverte d’une autre barre qui
indique que la première devrait être effacée, qu’il y a dans cette sorte de signature d’illettré, une
sorte d’annulation du nom, d’annulation de soi-même.

Cette propriété soustractive, radicale du signifiant se surajoute donc à la différenciation ponctuelle


des mots, des phonèmes entre eux.

Elle porte la marque de la seconde ligne du graphe : celle de l’énonciation.

Elle se présentifie tout particulièrement dans un certain usage du "ne" en français.

Cette fonction intermédiaire du « ne » discordanciel, voire explétif, se retrouve dans d’autres


langues, par exemple en anglais où la négation ne peut pas s’appliquer sur le verbe de l’énoncé,
mais sur l’auxiliaire, lequel nous dit Lacan est typiquement ce qui dans l’énoncé introduit la
dimension du sujet. On mettra ceci en rapport avec la subductivité du verbe telle que Guillaume en
a parlé, qui met en jeu précisément cette fonction de l’auxiliaire.

A partir de là, Lacan tente de montrer comment la dimension de l’Inconscient vient aux humains à
partir de ce que le sujet ait à effectuer une sorte de non-dit dans son être. Ce non-dit, c’est quelque
chose qui lui viendrait d’abord de ce premier moment où il pense que l’Autre sait toutes ses
pensées; autrement dit, cette dimension de n’en rien savoir vient de l’Autre qui sait tout, voie par

135
laquelle le sujet s’infiltre pour développer cette exigence contradictoire du non-dit. On pourrait dire
qu’il y a, en quelque sorte, introjection du savoir de l’Autre que nous ne savons pas, sous la forme
d’un non-dit intériorisé qui est notre Inconscient. Ce non-dit, il vient à se présentifier dans le
langage sous cette forme, qu’au moment où le sujet croit pouvoir s’y saisir sous la forme d’un
signifiant dans son existence la plus profonde,

« il doit en même temps, dans un moment de panique en quelque sorte, s’évanouir, s’effacer
derrière ce signifiant et il n’a alors comme seule possibilité que celle de se raccrocher à l’objet du
désir. » (10/12/1958)

Ainsi, progressivement, Lacan installe cet objet du désir au lieu-dit du non-dit d’où s’excepte le
sujet.

Ce moment d’évanouissement du sujet, c’est la pudeur qui s’empare de lui.

On le retrouve dans les grandes passions, par exemple les passions du collectionneur, car il s’agit-là
d’une forme d’objet du désir devant quoi « le sujet manifeste le plus intime de lui-même » et « qu’il
ne peut dévoiler que dans le plus grand secret », d’où il résulte que nous avons dans un premier
temps à articuler notre vœu précisément en secret. Ce vœu secret détermine rétroactivement un
certain modexcii[viii] d’être. Lacan nous dit que cette remarque commente en quelque sorte la
dernière phrase de la séance des rêves, le désir indestructible modèle le présent à l’image du passé.
Toujours en avant du Sujet, il le modèle pourtant rétroactivement. Dans le rêve incriminé, « il était
mort », au plan de l’énoncé laisse vivre cependant le « il ne savait pas » du père et le « selon son
vœu » du fils !

On peut dire que ce non-dit, ce secret est élevé maintenant à la dimension du deuxième étage du
graphe, là où précédemment, le désir de la mère était rapporté au désir du père pour le petit enfant
mythique au départ duquel Lacan avait introduit sa construction. Effectivement, ce graphe est
présenté le 10/12/1958. On voit que Lacan rapporte la dimension du sujet à celle du savoir et, plus
exactement, à celle d’un non-savoir, car le sujet a à se constituer comme ne sachant pas, seul point
d’issue où puisse prendre portée, puisse prendre poids le non-dit de l’Inconscient.

« Il était mort » se mettra au niveau de l’énoncé, mais cet énoncé est supporté par une énonciation
qui suppose le sujet, introduit à l’ordre de l’existence.

« A partir du moment où il se pose dans le signifiant, il ne peut plus se détruire, il entre dans cet
enchaînement intolérable qui pour lui se déroule immédiatement dans l’imaginaire (10/12/1958) qui
fait qu’il ne peut plus se concevoir sinon comme rejaillissant toujours dans l’existence. »

Et ce qui rejaillit, c’est la douleur d’exister.

136
Le rêve est un énoncé que le sujet nous rapporte pour nous rendre compte d’un autre énoncé et à
travers ce renvoi, cet énoncé second est présenté comme une énonciation. On rapportera ce
commentaire de Lacan sur le rêve à sa définition de l’énigme comme étant l’énoncé d’une
énonciation.

Dans la suite, Lacan situe les interprétations selon les lignes de discours.

- Première ligne pleine, première interprétation qui se fait tout de suite, « il ne savait pas », le
père.

- Comment alors, au-delà de cette première interprétation, faire surgir ce qui est
problématique et qui est le vœu de l’Oedipe qui correspond à ce qui est refoulé ? Puis, au-
delà de cela encore, comment repérer ce vœu de châtrer le père avec son retour sur le sujet
qui est quelque chose qui va bien au-delà de tout désir justifiable ?

(discours du père remis à son niveau d’énoncé)

Ce que ce rêve montre, c’est qu’il faut, au bout du compte, qu’au-delà de toutes les interprétations
significatives qu’on peut donner en terme de castration, quelque chose manque, qui vienne
s’incarner dans le « selon », « selon son vœu » qui est prononcé par le rêveur ou, plus exactement,
qui n’est pas prononcé par le rêveur puisqu’il est supposé comme courant sous la chaîne du
discours. Il est supposé par Freud au rêveur. C’est ce point de dernière ignorance qui serait du
ressort de la Verdrängung, nous dit Lacan. On peut rapporter ceci au schéma du diamant et placer
cette fonction de l’ignorance en regard de la Verdrängung. Cette élision pure et simple d’un
signifiant qui est l’élision d’une clausule, « il ne savait pas » correspond à la différence radicale
qu’il y a entre l’énonciation et l’énoncé, différence radicale qui pourtant peut se marquer d’un
accord ou d’un désaccord entre l’énonciation et le signifiant (par la négation ne par ex.).

Autrement dit, la douleur vient gésir entre l’énonciation et les signifiants qui, dans l’énoncé, élèvent
la fonction phatique au savoir.

Lacan nous dit que ces remarques correspondent à l’élucidation de la formule du fantasme ◊ a.

« Ce rapport du sujet en tant qu’il est barré, annulé, aboli par l’action du signifiant, et qui trouve
son support dans l’autre, dans ce qui définit pour le sujet qui parle, l’objet comme tel; à savoir c’est
137
à l’autre que nous essayerons d’identifier, que nous identifierons très rapidement parce que ceux qui
ont assisté à la première année du séminaire en ont entendu parler pendant un trimestre, cet Autre,
cet objet prévalant de l’érotisme humain, c’est l’image du corps propre au sens large que nous lui
donnerons. » (10/12/1958)

Dans cette ombre du fantasme, empruntée à la topologie de l’Imaginaire, au spéculaire, le sujet


maintient la possibilité de parler de son existence en se supportant de ce voile fantasmatique entre
énonciation et énoncé.

La douleur d’exister témoigne donc de la soustraction-négation radicale qui sépare le sujet de sa


parole énoncée. Et si ce sujet appelle à la rescousse, par une sorte de mouvement régressif, le voile
de l’image spéculaire, corps érotisé de l’autre dans son fantasme, c’est pour meubler cette
souffrance, d’un objet qui servira d’appât au désir, l’éloignant de la douleur du seul désir d’exister.

Autrement dit, de cette soustraction qu’inonde le voile fantasmatique, Lacan va faire naître
maintenant son objet a.

La négation nous dit Lacan est quelque chose qui émigre de l’énonciation vers l’énoncé et c’est ce
qu’il a essayé de montrer sur son petit graphe. Dans cet affrontement au désir, ce que le sujet
rencontre dans son rêve, c’est en réalité sous la forme du conflit qui l’oppose à un petit autre, à
savoir son père, ce qui se passerait si ce désir s’abolissait. Et si ce désir s’abolissait, c’est la douleur
d’exister qu’il rencontrerait. Il en fait, en quelque sorte, l’impasse quant au savoir pour lui et il la
met comme ignorance sur le dos de son père.

Mais, au passage, on voit que Lacan nous parle de la fonction du père comme étant celui qui a à
voir justement avec cette douleur d’exister, qui en quelque sorte en sait quelque chose et la prend
sur lui. Il rapporte alors cela au complexe de castration ou plus exactement à la castration dans le
complexe d’Oedipe, ce qui n’est pas tout à fait pareil.

Il y a trois façons d’interpréter « ce selon son vœu » que le père supporte.

- Il y a celle d’abord qui est dans l’énoncé.

- Puis, il y a celle qui fait référence au complexe d’Oedipe, donc au vœu infantile. Cette
interprétation est maintenue dans une certaine ignorance qui sert en quelque sorte d’alibi au désir
parce que c’est l’interdiction du père qui colore le désir de ce quelque chose dont le sujet, s’en
trouvant séparé, s’abrite et se défend (ceci faisant écho en quelque sorte à ce qu’on pourrait appeler
l’étape intermédiaire de l’interprétation).

- Enfin, il y a bien un troisième lieu d’interprétation.

Ce troisième moment, Lacan le présente d’abord en indiquant qu’il convient de ne pas l’interpréter
de manière précipitée.

138
« Est-ce qu’au « selon son vœu » n’est pas posée une question à laquelle nous risquons toujours de
donner quelque forme précipitée, quelque évitement offert au sujet de ce dont il s’agit, à savoir
l’impasse où le met cette structure fondamentale qui fait de l’objet de tout désir le support d’une
métonymie essentielle.xciii[ix] Quelque chose où l’objet du désir humain comme tel se présente sous
une forme évanouissante, et dont peut-être nous pouvons entrevoir que la castration se trouve être
ce que nous pourrions appeler le dernier tempérament. » (17/12/1958)

Lacan situe, ici, le désir dans ce que nous appellerions une question adressée au savoir xciv[x], c’est-
à-dire que comme le précise Lacan, le sujet possède ce désir, aliéné, dans quelque chose qui est un
signe et qui comme tel menace d’être perdu, et Lacan nous dit que cette perte n’est ressentie par le
sujet qu’au niveau de son dire, c’est là où Jones s’est arrêté avec son terme aphanisis.

Autrement dit, ce désir pourrait périr de l’objet qui lui sert d’aliment, faute de quoi ressurgit la
douleur d’exister !

Cette crainte que le désir ne se maintienne pas, se stabilise dans le dire qui s’articule à une espèce
d’artifex en quoi consiste pour nous la fonction du savoir (non pas au sens de connaissance mais de
lieu du dire, comme dans le rêve « selon son vœu »).

Lacan indique alors que devant la réalisation de leur désir, la plupart des humains se réfugient dans
la position de l’Autre et en même temps qu’ils s’y réfugient, ils le craignent car ils craignent que
l’Autre ne marque son caprice des signes qu’il n’y a pas d’autre vérité, d’autres signes du sujet que
son abolition et ceci se trouve devoir être placé sur le graphe à la position S( ) barré.

On pourrait, à lire la suite, tenter encore une explication clinique, en quelque sorte, des étages du
graphe. L’Inconscient freudien se présente dans la dimension de l’innocence du sujet par rapport au
signifiant, ceci nous place juste en dessous du deuxième étage, mais il y a encore un au-delà des
rapports du sujet au signifiant. Il réside dans cette impasse essentielle qu’il n’y a pas d’autres signes
du sujet que le signe de son abolition du sujet !

Il faudrait concevoir comment cette abolition du sujet répond à ce qui, dans le graphe, fait retour
sur la dimension du message. Le point S( ) barré que Lacan commentera plus tard en « il n’y a pas
d’Autre de l’Autre. »

C’est dans ce contexte que Lacan réintroduit cet objet dont il avait tant critiqué la place dans le
Séminaire V. Mais il le réintroduit évidemment à un endroit topologique et sous forme de l’objet
métonymique, c’est-à-dire de l’objet toujours perdu.

Cependant, Lacan reste encore très hésitant sur la nature de cet objet, intermédiaire entre la fonction
du corps propre et l’image de l’autre.

On sent ici, que Lacan fait glisser le petit a par rapport à ce qu’il appelle la spécificité instinctuelle
du point de vue du besoin car il s’agit-là

« d’envisager, d’un certain côté, d’empêcher la satisfaction tout en gardant toujours un objet de
désir » (17/12/1958),

139
lequel objet doit se déplacer. Ce qui ne veut pas dire que le désir humain est un désir qui se déplace
toujours, mais c’est qu’à travers le déplacement de l’objet, c’est le désir qui se maintient. Il y a, ici,
symbolisation métonymique de la satisfaction, quelque chose qui est dans le registre de la
dialectique de la cassette et de l’avare mais, en quelque sorte, à l’envers puisque là, il faut que
l’objet subsiste caché pour que le désir subsiste à son tour.

Cette symbolisation métonymique conduit tout droit à ce qui fut traité par Marx sous les termes de
valeur d’usage et valeur d’échange. Nous concevons sans peine comment le passage de l’un à
l’autre installe ce glissement bien propre à figurer la place de la femme dans les échanges de
parenté.

Un signifiant (le Phallus) glisse dans cet échange et permet que le Sujet s’affronte à l’objet en y
transférant la crainte du Sujet au bord de son désir. Cet objet devient de la sorte marqué par la
structure narcissique pendant que le sujet, lui, reçoit les insignes de l’Idéal du Moi.

En somme, dans le fantasme, il y a interversion. L’objet issu de l’autre [I (a)] prend sur lui la
crainte narcissique alors que le , dans sa douleur d’exister, prend appui sur les insignes de l’Autre.

Malgré son nom en français, le fantasme pourtant réintroduit la question du Réel puisque, nous
rappelle Lacan, le désir ne peut se saisir pour l’homme qu’au nœud le plus étroit de ce qui noue
pour lui, le Réel, l’Imaginaire et son sens symbolique, c’est pourquoi,

« le rapport du désir au fantasme s’exprime, ici, dans ce champ intermédiaire entre les deux lignes
structurales de toute énonciation signifiante » (7/1/1959 ) : lieu de la réalisation du sujet.

Tout ceci venant s’incarner dans ce rêve de l’apparition du père mort que Freud complète de la
clausule « selon son vœu ».

Dans la ligne supérieure du graphe, on a le « je ne sais pas » qui est une sorte d’ignorance imputée à
l’autre qui n’est rien d’autre au fond que l’ignorance du sujet lui-même qui ne sait pas. Il y a là
quelque chose qui est essentiel au sujet que ce rapport à l’ignorance, à sa dimension en profondeur
aussi.

Nous rapprocherions volontiers, ici, l’ignorance de l’impossible à savoir, en visant cette formulation
ultérieure : « le Réel c’est l’impossible ». C’est cette ignorance qui est motivée comme étant celle
de l’Autre. Elle est à rapporter à la douleur essentielle de l’existence quand le désir s’en est débrayé,
si l’on peut dire. Entre lui, le sujet, et cette existence, vient donc s’interposer le désir, et ce désir se
présente ici sous la forme de ce que l’Autre ne sait pas, alors que lui, le sujet, saurait. Grâce à quoi,
il se préserve de la confrontation avec l’angoisse de la mort.

Tout ceci, nous dit Lacan, est inscriptible sur le schéma L, à savoir ce rapport quadrilatère où le
sujet se trouve en rapport à l’Autre par l’intermédiaire du rapport a - a’. Or, ce désir par rapport à
tout objet implique que le sujet, à cet endroit, s’élide soit dans la [lésion] traumatique, qui d’une
certaine façon se trouve au-delà de l’angoisse, soit s’élide en étant, d’une certaine façon, substitué
en se subsumant sous un certain signifiant que nous connaissons puisque c’est le Phallus.

140
Au plan inférieur immédiat, nous avons l’appel, le « au secours », le cri où le sujet est identique au
besoin, puis il y a une articulation au second degré, où tout est transformé par la parole. En ce point,
il y a là une structure votive, désirante, en quelque sorte, de la demande que nous pouvons
reconnaître à ce niveau supérieur où le sujet peut vouloir et souhaiter des choses inconscientes.

Mais, ce faisant, nous dit Lacan, nous provoquons, nous sollicitons l’éclatement du sujet et aussi
nous provoquons la réduction de son désir. Ce que le sujet attend comme réponse viendra s’inscrire
en qui veut dire que l’Autre, lui aussi, est marqué par le signifiant châtré, aboli, d’une certaine
façon, dans le discours. La réponse en ce point est problématique et on peut l’analyser dans ce plan
de l’Imaginaire où le sujet se maintient, qui s’appelle l’ambiguïté du désir pervers.

Pourquoi est-ce en ce lieu où le sujet tente de s’affirmer que viennent s’inscrire ces rapports si
problématiques de l’homme et de la femme en ◊ a ?

Tout ceci parce que la prétendue « maturation génitale » repose sur ce fait que pour le sujet, c’est
au-delà de la demande qu’est recherché cet objet amovible qui, comme tel, ne peut se demander sur
le modèle des autres objets (demandes orales ou anales), cet objet amovible qui n’est qu’un
signifiant, le Phallus.

C’est cette opération signifiante qui vient à se réaliser notamment dans le fantasme, c’est pourquoi
Lacan revient alors aux éléments imaginaires qui, eux, forment la structuration du désir et qui sont,
au fond, les fantasmes.

On se souviendra en effet, qu’après la première phase du fantasme « mon père bat l’enfant que je
suis », il y a la seconde « je suis battu par mon père » qui est une construction et la troisième « on
bat un enfant » qui nous montre que la deuxième en fait, n’est rien d’autre que ce qu’on appelle le
masochisme primordial où le sujet se réalise dans la dialectique signifiante.

« C’est dans cette possibilité même d’annulation subjective que réside tout son être en tant qu’être
existant, que c’est là en frôlant au plus près cette abolition qu’il mesure la dimension même dans
laquelle il subsiste comme être sujet à vouloir, comme être qui peut émettre un vœu. » (7/1/1959)

Lacan nous explique alors que ce qu’il va devoir développer dans la construction du fantasme, c’est
comment va pouvoir être soutenu pour le sujet, son rapport au Phallus, dans une expérience
imaginaire structurée par les formes narcissiques de ses relations avec l’Autre. L’Autre, c’est ce que
le sujet a en lui-même introjecté comme image spéculaire, introjecté, nous dit Lacan, comme
pulsion, au sens où la pulsion représente chez le sujet la manifestation du besoin !

Cela, c’est capital !

141
Ainsi se trouve conjointe, ici (7/1/1959), la pulsion et l’image spéculaire où le sujet se rassemble du
fait de l’Autre, dans une image.

Effectivement, Lacan reprend son schéma des miroirs sphériques. Il situe l’image réelle qui se
produit du fait du dispositif optique de Bouasse ; il la situe, cette image, comme fantasmatique.
Lacan nous répète : « que l’interjeu entre les différents éléments imaginaires et les éléments
d’identification symbolique du sujet peuvent être, d’une certaine façon, imagés dans cet appareil
d’optique. » (7/1/1959)

Il ajoute alors que Freud, lui-même, l’avait déjà plus ou moins anticipé quand il parlait d’un schéma
de lentilles successives où se réfractrait l’Inconscient, et ceci dans sa Traumdeutung.

Donc, Lacan a avancé d’un bon pas par rapport au commentaire qu’il faisait du miroir dans son
Séminaire 1.

Il nous dit qu’ici, ce qui vient prendre la place de l’image virtuelle, ce n’est plus seulement l’image
spéculaire de moi-même que j’introjecte. Avant, elle n’était vue que du point de vue de l’autre,
maintenant, c’est le fantasme comme tel qui essaie de rejoindre sa place dans le symbolique, donc
(le sujet) devient tout autre chose qu’un oeil.

C’est, nous dit Lacan, une métaphore! Passage du (S. ES) en .

Ce que Lacan veut ajouter, c’est que c’est dans une certaine réflexion à l’aide des mots que le sujet
apprend à régler la bonne distance aux insignes où il s’identifie !

On peut dire que dans ce phénomène d’introjection (dont il est parlé dans le Séminaire I à propos du
stade du miroir), il n’y a pas seulement introjection de sa propre image comme venant de l’autre, il
y a aussi accompagnant cette introjection, introjection de tout le symbolique qui est cette dimension
de l’Autre comme telle qui avait la propriété par son langage, par sa présence de faire tourner le
miroir-plan qui se mettait à s’incliner.

Donc quelque chose qui se trouve dans le fantasme essaie de rejoindre sa place dans le Symbolique
et ce n’est possible que d’une façon spéculaire, à savoir par rapport à l’Autre.

En somme, si le sujet apprend à régler la bonne distance des insignes où il s’identifie, c’est là où il
voit comme insigne la possibilité d’une réalisation de son fantasme. La relation érotique à l’autre,
n’est rien d’autre que l’appel qui est fait à l’autre comme lieu du symbolique pour voir migrer cette
image du fantasme dans ce champ du Symbolique.

Dans cette opération, il manque quelque chose, il y a un objet qui fait défaut, c’est le Phallus parce
que lui, il est ailleurs que dans la dimension imaginaire, il relève de la fonction signifiante. C’est
pour cela que du point de vue de l’homme, le désir se trouve au-delà de la relation amoureuse, alors
que pour la femme, cet être sera au-delà de la satisfaction de son désir, à savoir dans l’homme en
tant qu’il est de sa nature d’être parlant, il est châtré. On a là une nouvelle présentification articulée
cette fois de ce qui deviendra plus tard : le non-rapport sexuel.

Séminaire VI

142
Le désir et son interprétation

Le désir et son objet

(suite)

3. APPUIS EXEMPLAIRES

a. Clinique d’Ella Sharpxcv[i]

Précédé d’une petite toux, un patient d’Ella Sharp rapporte un rêve à connotation sexuelle.

Lacan va tenter d’inscrire le rêve du patient sur son graphe pour montrer comment la toux qui
survient à ce moment-là est un message. C’est une question au second degré sur l’événement :
c’est-à-dire que cette toux a un but, c’est une question posée à partir de l’Autre. Cette question
concerne la partie supérieure du graphe au départ d’une partie inférieure, lieu du code, inscrite en A.
C’est une question qui concerne l’Autre, qui est en lui, concernant son propre Inconscient. Il s’agit,
ici, de quelque chose à distinguer d’un premier plan verbal de l’énoncé innocent. Cette interrogation
sur le graphe vient pointer là où finalement se trouve le signifiant de l’Autre (en tant qu’il est
marqué lui aussi par le signifiant.

Ceci correspond à une question qui pourrait s’énoncer comme ceci :

« En quoi certains signifiants de mon inconscient ont-ils besoin d’être placés du point de vue de
l’Autre pour s’avérer être des signifiants » ?

Dans le rêve du patient d’Ella Sharp, Lacan nous indique à quel point nous pouvons centrer le désir
autour de ce fait qu’il y a une constante qui est la référence à la subjectivité de l’Autre et c’est ce
qui est éludé dans l’interprétation de l’analyste en question.

Deuxième idée-force de ce rêve, de ce fantasme: montrer que le patient n’est pas là où il est !

Et pour se faire Autre, le sujet s’identifie là dans sa fantaisie à un aboiement, c’est-à-dire il


s’identifie à un signifiant de ce qu’il n’est pas, puisqu’il n’est pas un chien.

Ceci afin d’avertir d’éventuels amants de sa présence de son arrivée chez son analyste.xcvi[ii]

Lacan poursuit en disant que sur son schéma, la ligne associative du patient, à savoir celle du chien
qui se frottait contre la jambe du patient en se masturbant, c’est le ligne en pointillé ◊ a →d →
jusqu’à ◊ D.

Il s’agit là de deux points repères, message et code mais d’une autre nature que ceux qu’on avait
repérés au niveau de l’énoncé innocent, donc de la ligne inférieure. Ligne pointillée qui part donc
du lieu où le signifiant de l’Autre est introjecté pour arriver à la question du désir. Au niveau du

143
fantasme, l’Autre ne doit pas être là, à ce moment-là, sinon le patient disparaît dans la honte. Cet
autre, le chien, est regardé comme Idéal du Moi, comme idéal de puissance puisque ce patient est
quelqu’un dont on peut dire que la puissance sexuelle est amoindrie.

“C’est dans ce jeu entre les deux autres, celui qui ne parle pas, qu’on imagine [le chien], et celui à
qui on va parler, qu’il est prié de faire attention à ce que la confrontation ne se produise pas trop
vite, que le sujet ne se mette pas à disparaître. [dans la honte] » (21/1/1959)

Cette énonciation, bien que crainte, est appelée à être reconnue.

Voilà ce que nous permet de comprendre le double étage du graphe qui, grâce à l’association libre,
nous présente l’énonciation incluse dans tout discours, d’une chaîne signifiante interprétable. Cette
chaîne est interprétable, parce que morcelée. C’est ce que le sujet essaie de reconquérir dans son
originalité au-delà de ce que toute demande a rendu fixe du fait de ses besoins. Cet autre discours
est aliéné, il est inscrit dans le registre de l’Autre et donc au-delà de la demande. Le sujet y cherche
ce qu’il veut, c’est ce Lacan appelle, ici encore, un certain rapport à l’être. Dans cet intervalle entre
le langage du besoin et le langage où le sujet trouve réponse à ce qu’il veut, où il se constitue par
rapport à ce qu’il est, vient se produire ce qu’on appelle le désir. Cette double inscription a quelque
chose d’homologue au niveau du désir à la fonction qu’avait le Moi précédemment là où il recevait
de l’autre, d’une certaine façon la parole pleine, la parole d’engagement sous une forme de message
inversé. Là où le Moi se constituait dans un certain rapport imaginaire à l’autre, maintenant, le désir
s’institue dans un rapport au discours de l’Autre. C’est un peu comme si Lacan avait élevé la
dimension imaginaire à celle de discours, comme s’il pouvait exister un miroir du discours lui-
même.

« Le désir est réflexion, un retour dans cet effort par où le sujet se situe quelque part en face de ce
que je vous désigne par le fantasme. C’est-à-dire le rapport du sujet en tant qu’évanouissant, en tant
qu’il s’évanouit en un certain rapport à un objet électif. Le fantasme a toujours cette structure, il
n’est pas simplement relation d’objet, il est quelque chose qui coupe un certain évanouissement, une

144
certaine syncope signifiante du sujet en présence d’un objet. Le fantasme satisfait à une certaine
accommodation à une certaine fixation du sujet à quelque chose qui a une valeur élective. »
(28/1/1959)

Ici, ce que Lacan réintroduit à ce niveau, c’est la dimension de l’objet, il en avait surtout parlé
comme étant un insigne d’identification, il lui restitue une place d’objet.

Voyons cela dans le cas du patient de Sharp :

Dans le fantasme du patient d’E. Sharp, une structure est à mettre en relief ; ou bien les deux
éléments du couple imaginaire restent conjoints et l’Autre reste à l’extérieur, ou bien l’Autre se
trouve là et les deux qui se trouvent à l’intérieur se séparent (les amants sont à l’intérieur et lui à
l’extérieur, ou le chien se frotte contre sa jambe et dans ce cas il faut intervenir).

Toute une présentation topologique affleure dans la lecture du cas par Lacan, bien qu’éloignée, on
s’en doute, du support interprétatif de l’analyste.

Ainsi, Lacan compare alors les assimilations du patient (dans la suite du rêve) entre la bouche et la
fente génitale, à la grande et la petite girafe dont il avait parlé à propos du petit Hans. Il ne s’agit
pas d’interpréter ces éléments de manière imaginaire, mais de les considérer comme étant des
symboles. D’un point de vue topologique, cette évocation sexuelle peut faire penser au phénomène
de doublure. Interpréter le symbolisme sexuel de ce rêve en imaginant que la caverne est un utérus,
interpréter ce fantasme, comme un fantasme de femme phallique, mène Lacan à faire remarquer que
ce n’est pas tellement le symbolisme de cette image du rêve qui importe, que le fait que le patient
l’associe à quelque chose qui est une espèce de jeu poétique et verbal, genre littéraire anglo-saxon
qui porte sur l’écriture. Il s’agit ni plus ni moins ici d’un rapprochement entre les lignes d’écriture
de notre façon d’écrire et la chinoise, et le rapprochement entre l’orifice génital de la femme et la
bouche. Ce rapprochement sur les différentes directions de lignes d’écriture, nous dit Lacan, est
d’ordre symbolique. A partir de là, Lacan avance une définition du fantasme : le désir s’y accroche
comme accomodement « entre le signifiant de l’Autre et le signifié de l’Autre ».

Le désir du sujet est une position en face d’un certain objet intermédiaire entre une pure
signification, claire, transparente et quelque chose d’autre qui n’est pas un fantasme, qui est de
l’ordre du signifiant, qui est fermé, qui est énigmatique.

Si nous comprenons bien cette formule, elle aussi énigmatique, le fantasme est dans l’Autre, la
réalisation du lieu entre le signifiant et le signifié, lesquels sont de structure, séparés d’une barre
infranchissable.

Ce lieu détermine toute possibilité de manifestation sexuelle pour ce sujet et c’est la topologie de
son énonciation qui permet d’y mener plus que la transparence du symbolisme sexuel de ses
énoncés.

Lacan interprète en disant que le « fantasme signifiant de ce rêve est celui d’une étroite liaison d’un
élément mâle et femelle, pris sur le thème d’une sorte d’enveloppement ».

« Je veux dire que l’image fondamentale dont il s’agit, qui est là présentifiée par le rêve, est une
sorte de gaine, de gant. » (28/1/1959)

Lacan ajoute que

145
« le sujet voit une image centrale par rapport à laquelle il situe son désir et c’est une image où le
sujet est en quelque sorte enveloppé, pris quant à toute possibilité de manifestation sexuelle ».

Notons ceci, parce que ce qui est là une image tout à fait particulière d’un rêve individuel, va se
trouver répété dans la topologie de Lacan plus tard sous la forme de cette espèce de main qui sort de
l’enlacement nodal pour venir saisir l’Imaginaire, pour venir saisir l’Imaginaire et le Réel, on verra
cela dans les dernières années de son séminaire.

Dans cet enveloppement, le sujet redouble sa masculinité d’une féminité, ce qui apparaît dans le
fantasme masturbatoire. La séparation de ces plans, de cet enveloppement d’origine, sorte de parent
combiné, est ce que l’opération psychanalytique doit viser, à la manière, ajoute Lacan, d’une
circoncision psychique. Déjà se préfigure l’éradication du disque sur le cross-cap qui laisse le sujet
affronté à la spécificité du trajet moebien.xcvii[iii]

Faut-il encore insister sur ce point que dans cette référence clinique, c’est à une topologie, en
l’occurrence d’enveloppement, que Lacan emprunte le fil interprétatif ! Cette topologie
intersubjective est ce qui importe le plus. Elle isole des termes restreints et vise :

« L’élimination d’un nombre suffisant de signifiants, pour qu’il reste seulement en jeu un nombre
assez petit de signifiants pour qu’on sente bien où est la position du sujet dans leur intérieur. »
(4/2/1959)

Tel est même pour Lacan ce qui est attendu d’une analyse !

En fait, le débat entamé, alors par Lacan vise à mieux situer la fonction du Phallus dans le graphe,
dans le but de départager ce qui revient à la place de l’objet dans le fantasme et à la fonction
signifiante du phallus quand il se trouve interrogé par la présence de cet objet.

En essayant de situer cette fonction du Phallus sur son graphe, Lacan nous rappelle qu’il a les plus
étroits rapports avec l’être du sujet. Lacan ajoute qu’il y a deux choses très différentes selon qu’il
s’agit pour le sujet d’être par rapport à l’autre ce Phallus ou bien de se situer par rapport à ce
Phallus en tant qu’il serait, selon Mélanie Klein, d’ores et déjà, situé dans la mère. En somme, c’est
l’opposition être et avoir le Phallus qui est en cause.

Lacan d’ajouter que ce n’est pas aux mêmes temps du rapport d’identification que l’être et l’avoir
surgissent, qu’il y a une véritable démarcation, à la limite qu’il y a même une espèce d’impossibilité
à ce que les deux se trouvent présents en même temps, à savoir que pour que :

« Le sujet vienne dans certaines conditions à l’avoir, il faut de la même façon qu’il y ait
renoncement à l’être. » (11/2/1959)

En somme, nous pourrions situer ce Phallus, extérieur au pointillé de la ligne supérieure recroisé par
la boucle. Le Phallus circule alors de la position de l’Autre à celle du Sujet, d’une façon qui
implique que le sujet ne soit qu’évanouissement. Le Phallus, ainsi, donne épaisseur à la syncope
subjective.

146
Lacan rappelle alors cette chose tout à fait essentielle que nous savons depuis le Séminaire I que si
le Phallus a un rapport avec l’être du sujet, c’est avec l’être du sujet parlant. Ce sujet barré en face
de l’objet est sujet du désir en tant qu’il est mis en question dans son rapport à l’objet et cette mise
en question par la parole, c’est la condition nécessaire pour que puisse lui être donné le signifiant
Phallus et ceci, encore une fois, à condition qu’il ne s’agisse pas du sujet de la connaissance, mais
du sujet parlant. Nous retrouvons donc cette idée que le graphe, c’est la présentation topologique
du sujet parlant, pas du sujet de la connaissance. Et si le sujet peut s’identifier dans cet espace de la
parole au Phallus, c’est parce que, précisément, le signifiant le désigne comme tel, du fait du
langage, bien qu’en même temps, la loi du langage, sur un autre plan, le lui dérobe.

On a en quelque sorte deux plans. Il y a là une espèce d’ambiguïté qui tient à un certain jeu de la
négation dans la langue qui nous permet de le saisir.

On peut dire qu’il n’est pas sans l’avoir.

Et Lacan nous indique que le sujet s’assume entre cette dimension de l’être et de l’avoir, et c’est là
que se jouerait la réalité de la castration.

Ces réflexions sont alors étendues au repérage différentiel de l’homme et de la femme dans la
fonction phallique, puis à l’enfant.

Ce qui permet à Lacan de repréciser le statut de son stade du miroir et de confronter à nouveau sa
topologie du Symbolique à l’ancienne topologie « ontologique » de l’image de soi introjectée.

Lacan indique comment chez Mélanie Klein, par exemple, le rapport de l’enfant au corps de la mère
doit être conçu comme une espèce de logification autour de la notion d’unité ou de totalité au départ
d’un morcellement primitif dans son corps qui s’unifie par rapport à cet objet paternel (le Phallus)
qui trace en quelque sorte la voie vers la propre unité de l’enfant et c’est dans le corps de la mère
comme contenant universel, que l’enfant rencontrerait tous ces premiers rapports imaginaires à
unifier. (voir le rôle unifiant du vase dans le schéma de Bouasse)

Ce que Lacan a décrit comme étant la dimension spéculaire, c’est le rapport de l’enfant au corps de
la mère. Affect spéculaire qui est aussi affect narcissique.

Il y a en quelque sorte grâce à l’image spéculaire que l’enfant crée dans le miroir ou bien dans ses
jeux transitifs avec son petit congénère, quelque chose qui est reporté sur le corps de la mère en tant
que c’est sur elle que vient s’inscrire, se réaliser l’identification primitive puisque c’est là que se
règle le rapport du sujet au Un, à l’unité.

« C’est pour autant que l’enfant s’identifie à une certaine position de son être dans les pouvoirs de
la mère qu’il se réalise. » (11/2/1959)

147
Et c’est donc eu égard à cette identification qu’il va pouvoir repérer soit à l’intérieur de lui-même,
ou en dehors, ou lui manquant, qu’il va pouvoir repérer ses propres tendances, ses propres désirs, en
un mot, plus simplement, ses propres pulsions. Cependant, cette confrontation du petit enfant dans
l’identification primitive idéale à l’Un ne lui donne cependant pas la possibilité d’accéder à
l’expérience de la totalité car l’être humain est divisé.

Quelque chose d’autre s’introduit dans la dialectique, et c’est précisément le Phallus qui représente
ce qui lui manque, à l’être humain, pour accéder à cette totalité.

Cette totalité, c’est à la métaphore qu’il doit de pouvoir se l’intégrer et non l’éprouver déchirée par
l’image du semblable.

En effet, la privation d’un objet permet au sujet d’entrer dans un certain rapport, une sorte de
rapport d’auto-destruction passionnelle. Alors, l’objet d’une certaine façon prend une valeur
signifiante, parce qu’il peut être mis en rapport avec quelque chose d’autre qui lui est substitué dans
l’expérience de la jalousie des petits enfants (par exemple). Tout repose sur ce moment où naît
l’activité d’une métaphore qui est quelque chose d’essentiel dans le développement de l’enfant.

Il s’agit bien, dans cette expérience, de quelque chose qui dépasse l’expérience passionnelle de
l’enfant frustré, à savoir que l’image de l’autre va pouvoir être substituée au sujet dans sa passion
anéantissante, dans sa passion jalouse. Lacan parle ici « d’un objet qui serait substituable à une
totalité pour autant que l’image de l’autre est substituable au sujet ». Il utilise la formule :

C’est le Phallus idéalisé, c’est-à-dire en l’occurrence, Ella Sharp.

i’(a) c’est l’image de l’autre qui vient prendre la place du Sujet ( c’est le chien, par exemple).

En somme, dans cette place du Phallus au cœur du fantasme, c’est une dialectique entre l’être et
l’avoir qui s’installe. Cette dialectique trouve tout naturellement sa référence dans notre culture au
travers du « to be or not to be » de Hamlet.

Plus qu’une référence, le texte de Shakespeare va servir maintenant de second appui exemplaire à
Lacan dans sa tentative de nous présenter ce lieu où l’appel à l’autre fonctionne comme ignorance
du sujet, et où l’introduction de l’objet arraché à la douleur d’exister masque le signifiant Phallus.

b. Appui littéraire : Hamlet

1) Dépendance au désir de l’Autre

Les grands analystes se sont tous intéressés à cette tragédie. Freud le premier, Jones et même Ella
Sharp dont nous venons de présenter l’analyse d’un rêve. Lacan réintroduit, à partir de là, cette
tragédie du désir dont il dévidera l’écheveau jusqu’à la « solution finale ».

148
Car, il y a une scène avant l’estocade de Claudius qui est tout à fait importante. C’est au moment où
Hamlet bondit dans la tombe où, reporté sur le graphe, le est dans un rapport avec le a,
identification qui lui fait retrouver pour la première fois son désir dans la totalité et là, Hamlet se
dispute... et Lacan imagine un trou d’où l’on verrait des choses s’échapper ! xcviii[iv]

Dès ses remarques sur la critique littéraire, Lacan fait glisser l’analyse dans sa topologie. Il nous
rappelle qu’il n’y a pas lieu de considérer l’analyse d’une oeuvre dramatique comme une analyse de
caractères, ni même une analyse de l’inconscient du poète, autrement dit, l’investigation
biographique, par exemple, n’analyse pas la portée de l’œuvre comme telle car la portée d’une
oeuvre est sa valeur de structure. (10/3/1959)

C’est ce rapport au désir qui fait que nous pouvons à l’intérieur de cette articulation « à notre tour
prendre place comme ayant à articuler nous aussi notre position en face de ce désir qui, dans une
tragédie comme celle de Shakespeare, nous émeut ».

Lacan nous rappelle donc que ce qui est en cause là, ce n’est pas un point de réalité de l’histoire de
Shakespeare, mais c’est la composition d’Hamlet comme telle qui est responsable de ce côté
mystérieux de la tragédie. Et Hamlet, nous dit Lacan, est un personnage qui est composé de quelque
chose qui est la place vide pour situer notre ignorance : "une ignorance située est autre chose que
quelque chose de purement négatif, cette ignorance située après tout n’est justement rien d’autre
que cette présentification de l’Inconscient." (18/3/1959)

Voilà une des données de base déjà rencontrée dans notre progression et qui autorise l’appui tenté
sur cette tragédie pour l’illustrer car le théâtre est bien ce lieu privilégié où i(a), l’épinglage à
l’autre, à l’acteur peut se réaliser.

Hamlet doit s’expliquer avec deux tendances, l’une impérative qui est commandée par l’autorité de
son père et l’amour qu’il lui porte, la deuxième qui est de vouloir défendre sa mère et se la garder.
Voilà au fond, ce qui devrait donner un résultat zéro, et c’est sans doute là l’explication de Jones à
la procrastination d’Hamlet. Lacan opte lui pour cette autre idée que ce à quoi Hamlet a à faire et
qui est problématique, c’est le désir de sa mère.

Ce que Hamlet demande à sa mère, c’est quelque chose qui est de l’ordre non pas de la loi, mais de
la divinité. Il en résulte l’évanouissement de son appel dans quelque chose qui est le consentement
au désir de la mère, à savoir que d’une certaine façon, devant ce désir de la mère, Hamlet rend les
armes, il ne peut pas se soutenir au-delà de la première demande du sacré. Lacan tente d’articuler
ceci avec le graphe.

On peut déjà évoquer que ce lieu du désir, du sacré, fera l’objet des séminaires qui suivent,
principalement l’éthique (Séminaire VIII).

« Au-delà du discours élémentaire de la demande (D), pour autant qu’il soumet le besoin du sujet au
consentement, au caprice, à l’arbitraire de l’autre comme tel... ce qu’il s’agit de trouver pour le
sujet, c’est ce qu’il veut vraiment car c’est la première étape et l’étape fondamentale de tout
repérage du sujet par rapport à ce qu’il appelle son Wille, sa propre volonté. »

149
Lacan, à ce moment parle d’une retrouvaille du désir dans son caractère ingénu :

« L’analyse nous dit qu’au-delà de ce rapport à l’Autre, cette interrogation du sujet sur ce qu’il veut
n’est pas simplement celle de ce crochet interrogatif qui est ici dessiné dans un second plan du
graphe (1). Mais, il y a là-dessus quelque chose pour s’y retrouver. Comme dans le premier étage, il
y a quelque part installée une chaîne signifiante qui s’appelle l’Inconscient, il y a là inscrit un code
qui est le rapport du sujet à sa propre demande. » (18-3-51)

Lacan nous dit que la boucle est une ligne consciente, c’est pour cela qu’il la trace en traits pleins.
C’est sur cette ligne, ligne consciente au-delà de l’Autre, ligne qui monte et qui se boucle
rétroactivement, sur cette ligne, vient se situer le x qui est le désir, et ce désir a rapport avec quelque
chose qui doit se situer sur la ligne du retour. Cette ligne de retour est l’homologue du rapport du
Moi à l’image. On peut même se demander si, grâce à cette topologie, nous ne comprendrions pas
pourquoi le fantasme serait en quelque sorte dans le champ du sujet, l’homologue de ce que le Moi
aurait introjecté comme en-forme vide de lui-même.

« Le désir est soumis à une régulation, à une fixation qui est déterminée par une voie de retour du
code de l’Inconscient » (donc ◊ D) vers le message de l’inconscient ( ◊ a) sur le plan
imaginaire. De là, on a le circuit pointillé inconscient. Ce circuit pointillé tourne dans le sens
horloger, il y a un sens de rotation. Il revient vers le désir et là, vers le fantasme !

Hamlet essaie de tenir à sa mère un discours au-delà d’elle-même mais il retombe au niveau d’un
autre, peut-être un autre discours où il rencontre son propre désir aliéné comme si dans cette voie de
retour, il retombait purement et simplement sur l’articulation de l’Autre, comme s’il ne pouvait
recevoir à cet endroit-là d’autres messages que le signifié de l’Autre, celui qui inhibe le sujet.

Lacan parle ici d’objet digne et d’objet indigne. Ce qui pousse Hamlet à passer à l’acte est une
véritable fuite en avant: ne pas pouvoir supporter de voir un autre que lui-même étaler un deuil à
propos de la mort d’Ophélie.

C’est par la voie de ce deuil, de ce deuil assumé dans un rapport narcissique (donc, quelque chose
qui se passe entre lui, Hamlet, et l’image de l’autre), c’est en ce rapport passionné d’un sujet

150
avec un objet qu’il voit, en présence de quoi il se trouve que, tout d’un coup, naît de lui un homme ;
c’est-à-dire quelqu’un qui est capable de poser un acte. On dirait même que c’est bien avant déjà
que cette question s’était trouvée posée puisque c’était en rencontrant le jeune Fortinbras qui partait
à la guerre pour une simple idée que, déjà, lui était venue l’envie de faire demi-tour quand il était
sur le bateau des pirates. Là, Hamlet ressaisit son désir. On a à se demander à quel niveau
effectivement de déréliction, en quelque sorte, il faut se trouver pour que cette image de l’autre dans
l’inconscient homologue à celle que nous avons de cet autre dans la dimension spéculaire
narcissique du Moi, à quel niveau de déréliction, faut-il se trouver pour que précisément puisse dans
ce moment être ressaisi notre propre désir ?

2) L’heure de vérité ou leurre de vérité

Il est évident que la fonction de l’acte va devenir centrale dans le développement. C’est par le biais
du temps que Lacan l’aborde (le présent, c’est l’acte de la parole). Faut-il s’étonner de voir l’heure
de vérité relayer ici le temps logique ?

Hamlet, tragédie de la rencontre avec la mort et de cette rencontre qui est essentiellement différée :
il est clair qu’Hamlet prend des chemins de traverse avant d’arriver à retrouver ce temps de dire
« one », le temps de tuer un homme qui est aussi le temps de la cloche qui sonne une heure au début
de la pièce. Car, la mort rencontrerait chez Hamlet l’obstacle du désir, ce qui, en l’occurrence, est
paradoxal puisque son désir pour la mère, en quelque sorte, devrait le pousser à produire cet acte
immédiatement.

Lacan avance que ce qui est en jeu ici, c’est une dimension du sujet qui n’est pas encore venue à
jour dans la philosophie occidentale : « le sujet en tant qu’il parle, le sujet structuré dans un rapport
complexe avec le signifiant. » (8/4/1959).

Sur le graphe, ceci correspond au point d’entrecroisement de la demande et de la chaîne signifiante


au point A qui est le lieu de la vérité. Ce point A évoque cet au-delà de la demande dont Lacan nous
donne une nouvelle version, ici, puisqu’il retentit dans le discours conscient sous la forme de la
vérité, et c’est cette référence à l’Autre qui se prolonge dans la question au-delà de la seconde ligne
horizontale dans le « qu’est-ce que tu veux ? » forme négative, nous dit Lacan, du « qu’est-ce que je
veux ? ». Au-delà du lieu de la vérité, ce qui est attendu par le sujet comme métaphore de sa vie,
c’est l’heure de la vérité.

Cette heure de vérité est bien le problème du gramme ou graphe dans la mesure où ce dernier initie
au problème du désir, en est la clé !

Nous avons une espèce d’initiation au gramme qui est montrée dans le rêve où le père mort apparaît
dans, notamment, la ligne supérieure sous la forme de la ligne d’énonciation du rêve, « il ne savait
pas ». Cette ignorance, ici, dans la pièce d’Hamlet, est d’emblée levée puisque le père signale lui-
même qu’il est au courant de la manière dont il a été trucidé, et Lacan d’ajouter :

151
« la révélation par le père de la vérité sur sa mort (8/4/1959) distingue essentiellement une
coordonnée du mythe de ce qui se passe dans le mythe d’Oedipe... »

et la citation se poursuit : « …quelque chose est levé, un voile, celui qui pèse justement sur
l’articulation de la ligne inconsciente, ce voile que nous-mêmes essayons de lever, non sans qu’il
nous donne quelque fil à retordre. Car, il est clair qu’il doit bien y avoir quelque fonction essentielle
pour que la sécurité du sujet en tant qu’il parle, pour que nos interventions pour rétablir la
cohérence de la chaîne signifiante au niveau de l’inconscient, présentent toutes ces difficultés,
reçoivent de la part du sujet toute cette opposition et ses refus, c’est quelque chose que nous
appelons résistance et qui est le pivot de toute l’histoire de l’analyse. » (8/4/1959)

Lacan rappelle, à nouveau, ce qui distingue alors les deux lignes horizontales, ce qui distingue la
ligne supérieure de la ligne inférieure. A la ligne inférieure, nous avons toujours le signifié de
l’Autre, au niveau de la ligne supérieure, c’est la question que le sujet se pose et qui veut dire « que
suis-je devenu dans tout cela ? ». On trouve ici, le signifiant de l’autre avec la barre. Hamlet, c’est
cela sa valeur, nous donne cette possibilité d’accéder au sens de ce S ( ). Et le sens de ce qu’Hamlet
apprend de son père, ici, c’est l’insondable trahison de l’amour.

Ce rapport de S( ) avec cette trahison de l’amour est maintenant à questionner.

S( ) veut dire que si A est le lieu de la parole, dans ce lieu de la parole comme ensemble du
système signifiant, il manque quelque chose, un signifiant fait défaut. C’est de l’avoir révélé qui est
le plus grand secret de l’analyse. Lacan énonce donc pour la première fois dans son séminaire « il
n’y a pas d’Autre de l’Autre ». Il n’y a pas d’Autre de l’Autre, veut dire qu’on peut effectivement
affirmer que nous sommes en tant que nous pensons que nous sommes, mais, qu’il faut aussi ajouter
que nous sommes un autre que celui qui pense que nous sommes ; et le problème, c’est que cet autre
ne peut pas nous rendre cet être et cette vérité, c’est cela (che vuoi ?) qu’il n’y a aucun signifiant
qui puisse, dans l’occasion, répondre de ce que je suis.

Pourtant, ce signifiant si nous en parlons, si nous l’avons découvert, c’est bien parce qu’il se trouve
quelque part. Ce signifiant qui manque, c’est une part de nous-mêmes qui est sacrifiée
symboliquement et qui se réduit à une espèce de poussée vitale à quoi Lacan égale la fonction du
phallus.

Pour notre part, nous l’avions repéré dans la dimension de croissance xcix[v] , et il ajoute : « c’est ce
qui, parce que dans l’autre il est indisponible, ce qui, bien que ce soit cette vie même que le sujet
fait signifiante, ne vient nulle part garantir la signification du discours de l’Autre ».

Voilà qui vient s’originer au point S( ) et gâter la part de vivant qui réside dans tout amour non
trahi. (Cf. « Il y a quelque chose de pourri dans ce royaume. »)

En introduisant un élément essentiel qui réside dans l’intervalle entre les deux lignes, qui maintient
en quelque sorte cette distance pour que l’humain puisse y respirer pendant le temps qu’il lui reste à
vivre, Lacan nous parle de ce désir qui se trouve chez Hamlet aboli parce que dans la rencontre
qu’il fait avec sa mère, ce n’est pas le désir d’elle qu’il rencontre, mais sa gloutonnerie.

Un objet vient se placer entre les deux lignes pour maintenir cette distance.

Cet objet, dans Hamlet, c’est Ophélie qui en remplit la fonction et qui est là, pour interroger le
secret du désir. Ophélie serait là pour élucider les rapports du sujet en tant qu’il parle avec quelque
chose qui doit prendre dans l’analyse un autre sens, et ce sens autour duquel tourne l’analyse réside

152
dans ce rapport de la formule S ( ) que Lacan nous apprendra à déchiffrer sous le nom de fading
du sujet qui s’oppose à la notion de spliting de l’objet.

Le désir ne se situe que par rapport à des coordonnées fixes dans la subjectivité. Il maintient à
distance le sujet et le signifiant :

« ceci veut dire que nous ne pouvons pas rendre compte de l’expérience analytique en partant de
l’idée que le signifiant serait, par exemple, un pur et simple reflet, un pur et simple produit, ce que
l’on appelle en l’occasion les relations inter-humaines. Et cela n’est pas seulement un instrument,
c’est un des composants initiaux essentiels d’une topologie faute de laquelle on voit l’ensemble des
phénomènes se réduire, se raplatir d’une façon qui ne nous permet pas, à nous, analystes de rendre
compte de ce qu’on peut appeler les présupposés de notre expérience. » (15/4/1959)

Les coordonnées de cette topologie sont dramatiques, et c’est à cela que Lacan attribue
l’exceptionnel pouvoir de captivation de la tragédie d’Hamlet. Et seul le gramme, puisque Lacan
l’appelle comme cela, permet de saisir la portée de cette étude. Ophélie devient un élément essentiel
le plus intime du drame d’Hamlet car, dans son destin de surprendre le secret d’Hamlet, elle le
mène, elle lui fait retrouver l’heure de ce rendez-vous mortel, qui le remet sur la voie de son désir.

Hamlet est le sujet « dont la destinée s’articule en signifiant pur en quelque sorte, il est l’envers
d’un message qui n’est même pas le sien ». Ce message, c’est le désir de l’autre, à savoir en
l’occurrence, ici, la mère d’Hamlet et sa voracité instinctuelle.

De même que la mère ne peut choisir entre son deuil et sa voracité instinctuelle, de même le désir
de Hamlet, son élan vers une action retombe, de la même façon que l’adjuration qu’il adresse à sa
mère. Il y a donc dépendance du désir du sujet au désir de l’autre, dans ce drame. Sur le graphe, ceci
retentit sur le crochet, le point d’interrogation du Che Vuoi ? de la subjectivité constituée dans
l’Autre. Lacan parle, ici, d’un réglage imaginaire de ce qui constitue le support du désir dans cette
assomption par le sujet de son vouloir essentiel, « ce réglage, c’est le fantasme : en présence de
a. » (15/4/1959)

C’est là le statut d’Ophélie, occuper cette place dans le fantasme.

Ce fantasme, c’est ce que la psychanalyse a pris en compte contrairement au rejet antique qui le
frappait de l’ordre de l’absurde. Il y a là une énigme qui ne peut être comprise qu’en fonction d’un
circuit inconscient,

« impliquant une autre chaîne que la chaîne que le sujet commande au niveau de sa demande », lieu
que par un certain côté ce fantasme puisse émerger dans le conscient.

La tragédie de Shakespeare, Hamlet, est en quelque sorte une tragédie où nous pouvons mesurer,
dans l’affolement du désir d’Hamlet, ce réglage imaginaire. Ophélie c’est a comme cause dans le
fantasme lequel est support imaginaire de quelque chose qui est le désir.

« Ce petit a correspond à ce quelque chose vers quoi se dirige toute articulation moderne de
l’analyse quand elle cherche à articuler l’objet et la relation d’objet. » (15/4/1959)

Lacan met en évidence deux positions à distinguer du sujet en face du signifiant, qui sont deux
positions d’éclipse, quand le sujet se trouve en face de la demande, ◊ D, ou quand il se trouve en
face de l’objet ◊ a. Cette dernière position est ce que Lacan appelle le fading.

153
Cette dernière position sépare radicalement Lacan des « tenants de la relation d’objet » qu’il situe
en ◊ D (oral, anal et autres).

A savoir, qu’ils utilisent improprement la notion d’objet que Lacan va résumer à la seule dialectique
du désir − ce dont nous pouvions déjà nous douter, vu le positionnement du graphe.

Cette altérité de l’objet énigmatique avait déjà été repérée par Mélanie Klein qui donnait au Phallus
un pouvoir particulièrement détruisant pour le sujet. Le petit a ici encore, est l’objet autour de quoi
le sujet s’éprouve dans une altérité imaginaire. Il prend la place de ce dont le sujet est privé
symboliquement, car le sujet est présent dans le fantasme.

« Dans l’articulation du fantasme, l’objet prend la place de ce dont le sujet est privé. C’est quoi ?
C’est du Phallus que l’objet prend cette fonction qui est là dans le fantasme, et que le désir avec le
fantasme pour support se constitue. »c[vi] (15/4/1959)

Cet objet mis en place du Phallus, mis en place de ce dont le sujet est privé, condense sur lui les
vertus de l’être, il peut devenir ce leurre d’être qu’est l’objet du désir humain.

Dans le caractère opaque de petit a entre image et pathos, peut venir s’inscrire un certain nombre de
désirs y compris le désir pervers qui, lui, met tout l’accent sur le côté proprement imaginaire de
l’autre.

Mais, ce fantasme en ce point ◊ a et qui se présente sous son aspect bizarre dans le fantasme
pervers, est toujours un rapport où le sujet est intéressé au désir de manière pathétique, à la douleur
d’exister voire au fait d’exister ou d’exister sexuellement, par exemple, dans le sadisme.

Tout opposée, est la position du névrosé puisque si dans ce fantasme, la perversion se trouve située
par rapport à l’a imaginaire, la névrose, elle se trouve située par rapport au . C’est ainsi que le
fantasme se justifie d’être le point de butée du reflet de l’interrogation subjective, car le sujet tente
d’y trouver au-delà de la demande ce qui était perdu dans son entrée dans le discours de l’Autre et
qui est en cause à ce moment-là, l’heure de la vérité.

Voilà pourquoi Lacan articule un second facteur de la névrose d’Hamlet, (le premier étant la
dépendance par rapport au désir de l’Autre) : c’est maintenant sa suspension à l’heure de l’Autre
dont il s’agit. Lacan ajoute qu’Hamlet a décidé de faire le fou parce qu’il sait, il est dans une
position si dangereuse, qu’il est désigné pour le sacrifice. Sa seule chance, c’est d’être fou avec les
autres. Ceci nous dit Lacan est caractéristique de la politique du héros moderne.

Lacan nous indique dans le moment de désarroi d’Hamlet après sa rencontre avec le spectre, quand
il est devant Ophélie, qu’on a affaire à un « moment pathologique de désorganisation subjective, car
quelque chose vacille dans le fantasme par quoi la limite imaginaire entre le sujet et l’objet se
trouve à se changer. »ci[vii]

C’est le moment où donc quelque chose de la structure imaginaire du fantasme, la ligne ◊ a vers
le désir, vient à communiquer au niveau du message avec ce point qui est l’image de l’autre en tant
que cette image de l’autre c’est mon propre Moi, au fond, c’est le retentissement de l’imaginaire
dans la scène du fantasme dont il est question ici. A la suite de quoi, Ophélie se trouve dissoute en
tant qu’objet d’amour et on a, ici, déséquilibre de la relation fantasmatique qui verse vers l’objet
côté pervers.

On notera quand même qu’une fois de plus, c’est la dimension amoureuse qui est la première
touchée dans cette aventure. A ce point, la femme elle-même devient seulement porteuse d’enfant,

154
support de vie. A ce moment, Ophélie est rejetée à la position d’être le Phallus, symbole signifiant
de la vie et qui est comme tel rejeté. Le troisième temps alors, sera la réintégration de petit a au prix
d’un deuil et de la mort.

La solution pour Hamlet reflue donc dans l’imaginaire et seul un passage à l’acte pourra donner une
clé d’accès à sa problématique.

L’Heure de vérité deviendra l’heure de l’autre, son rival.

L’objet du désir, marque de la livre de chair engagée par le sujet dans son rapport au signifiant, sera
l’objet de deuil.

Il résulte de cette référence à l’image de l’autre une espèce d’absorption par Hamlet de la
contemplation de Laërte, et c’est à ce point d’absorption imaginaire que se manifeste l’agressivité
d’où il s’avère que celui qu’on admire le plus, c’est aussi celui qu’on combat, c’est-à-dire celui qui
est l’Idéal du Moi, celui qu’on doit tuer.

Lacan indique qu’au travers du caractère de gratuité Hamlet n’y est pas avec son Phallus, mais il est
entré dans un mirage et ceci nous indique peut-être le lieu du manque dans la position d’Hamlet
dans le drame. C’est au-delà de la rivalité, de cette parade, que va se jouer le drame de
l’accomplissement d’Hamlet car, c’est au-delà que se trouve le Phallus quand il va, dans la
rencontre de l’autre, s’identifier avec le signifiant fatal.

Ainsi, c’est un semblable remodelé qui va lui permettre de soutenir cette gageure humaine de
devenir un homme. (22/4/1959)

Ce remodelage, c’est ce que Lacan situe sur son schéma au niveau de i (de a).

Quel rapport existe-t-il entre ( ◊ a), la constitution de l’objet dans le désir et le deuil ? Là où
l’objet devient impossible, il devient aussi l’objet du désir d’Hamlet, et ceci est rapproché par Lacan
de la dimension du désir obsessionnel. Cet objet impossible, c’est alors par un mécanisme
d’incorporation qu’Hamlet veut se l’approprier, récupérant en quelque sorte la livre de chair qu’il
avait autrefois rejetée, faisant d’Ophélie une pure porteuse d’enfant exclue de son amour.

« Le deuil, c’est un trou dans le Réel, dans lequel le sujet s’abîme dans le vertige de la douleur et
qui correspond à l’envers de ce qui se produit sous le nom de Verwerfung. » (22/4/1959).

Ce trou dans le Réel, dans le deuil, offre précisément une place où se projette le signifiant manquant
essentiel à la structure de l’Autre. Or, ce signifiant, on ne peut le payer que de sa propre chair,
« c’est le Phallus sous le voile », nous dit Lacan. D’une certaine façon, ici avec le voile qui revient,
on a en quelque sorte en présence les deux topologies : la topologie du miroir comme en forme vide
qui vient se doubler à la topologie symbolique qu’on pourra appeler topologie de l’espace mis en
circuit. Ce qui peut revenir de cette folie du deuil, c’est le souvenir du fantôme, cette image qui
surprend l’âme de chacun.

4. REPRISE THÉORIQUE

a. Phallus et objet a

Ce moment est utilisé par Lacan pour introduire l’Oedipe et montrer qu’il est, chez le sujet, la
marque du joint entre le plan de la demande et celui du désir. Ainsi situé, l’Oedipe charrie les deux

155
grandes tragédies : Oedipe de Sophocle et Hamlet, en les articulant de manière différente au crime,
à l’ignorance, à la dette à payer par les protagonistes du drame.

Il y a lieu de saisir le problème de l’Oedipe dans sa position triangulaire sous deux faces, dans le
rapport-rivalité au père et dans le rapport à la mère. Dans le rapport-rivalité au père, c’est la menace
de castration qui oeuvre, dans le rapport à la mère, le sujet perd aussi le phallus. Ceci est peut-être à
rapprocher des triangles qui s’étageaient les uns sur les autres du Séminaire V

Pourtant, c’est en tant que le sujet entre dans une certaine lassitude à l’égard de ce Phallus qu’il en
fait son deuil, que l’Oedipe entre dans son déclin. Lacan discute alors de ce deuil du Phallus dans
son rapport à la place de l’objet dans le désir, et il rapproche ce deuil du Phallus de l’exigence
narcissique du sujet. Il s’agit bien de saisir, ici, ce qui va s’écrire dans le haut du graphe, donc dans
la boucle du dessus, c’est qu’en face de l’exigence oedipienne, le sujet préfère s’abandonner,
disparaître en quelque sorte, abandonner de lui-même une part interdite dans la chaîne signifiante,
c’est ce qu’on appelle : l’aphanisis ( ).

« Toute l’affaire n’est rien d’autre que l’affaire fondamentale de la relation d’amour telle qu’elle
s’est pour lui, le sujet, présentée dans le dialectique parentale, qui est la façon dont il pouvait s’y
introduire. Il va laisser sombrer tout cela en raison, nous dit Freud, de quelque chose qui a rapport à
ce Phallus comme tel si énigmatiquement introduit dès l’origine, et pourtant d’une façon si claire à
travers toute l’expérience dans un rapport narcissique avec ce terme. » (22/4/1959)

Cette lassitude, Lacan la rapporte au deuil et en fait une opération réelle dans la mesure où ce deuil
vient s’inscrire sous la forme de quelque chose qu’on apporte en sacrifice, dont on fait son deuil.

« Quelque chose est soustrait, dit Lacan, au plan imaginaire où se trouvent les images biologiques
qui guident le sujet vers l’accouplement, quelque chose est soustrait qui fait du sujet un être privé. »
(22/4/1959).

C’est ce que Lacan appelle « moins phi ». Moins phi, c’est la marque sur l’homme de son rapport au
logos. Moins phi nous servira à définir l’objet a du désir tel qu’il apparaît dans la formulation du
fantasme.

« L’objet a, c’est l’objet qui soutient le sujet dans cette position privilégiée qu’il est amené à
occuper dans certaines situations qui est d’être proprement celle-ci qu’il n’est pas le Phallus. »
(22/4/1959)

Voilà pourquoi la démarche freudienne est si radicalement différente de toutes les autres formes
d’ascèses ou de négativation dans la pensée.

« La chose freudienne par excellence, c’est autour de quoi tourne toute la démarche analytique et
qui fait que la démarche analytique outrepasse la dimension d’une simple thérapeutique, et qui lui
donne une certaine sérénité aussi dans la pensée occidentale, c’est que cette chose freudienne, c’est
le désir. Le désir, c’est quelque chose qui se présente avec ce caractère double de convoitise et de
luxure, ce qui est tout à fait clair en anglais et en allemand dans le terme de Lust. »

« C’est par une confusion, donc, entre la notion de l’objet, telle qu’elle a été le fruit de l’élaboration
des siècles dans la recherche philosophique, l’objet satisfaisant le désir de la connaissance, avec ce
que nous pouvons attendre de l’objet de tout désir, que nous nous trouvons amenés à poser aussi
facilement la correspondance d’une certains constitution de l’objet avec une certaine maturation de
la pulsion. » (29/4/1954)

156
Et c’est cette maturation correspondante que Lacan critique. C’est là le sens de la formule ( ◊ a) à
savoir que c’est dans un rapport tiers avec ce fantasme que le sujet se constitue comme désir. Lacan
va prendre la perspective d’interroger ce fantasme à partir de (petit a), il aurait pu le faire à partir de
( ) puisque c’est entre les deux que se tient le désir. Lacan nous donne alors, une définition de cet
objet petit a, support que le sujet se donne pour autant qu’il défaille. Qu’il défaille dans sa certitude
de sujet, voire dans sa désignation de sujet. C’est pour autant que quelque chose de par la structure
même qu’instaure le rapport du sujet à l’Autre en tant que lieu de parole, que quelque chose fait
défaut, que le sujet disparaît dans ce discours qui est le discours de l’Inconscient pour tenter de se
désigner à l’aide de quelque chose qu’il prend à ses dépens, non pas de sujet constitué par cette
parole, mais de sujet réel, vivant. On pourrait dire quelque chose qu’il prend comme livre de chair
et c’est ici que le sujet a à payer la castration.

« C’est-à-dire que quelque chose de Réel sur lequel il a prise dans un rapport imaginaire est porté à
la pure et simple fonction de signifiant. » (13/5/1959)

Et au plan du conscient, le sujet utilise un symbole le « je » pour se désigner à ce moment-là, et au


plan de l’Inconscient, c’est (petit a) qui vient pour supporter ce moment synchronique où le sujet
défaille pour se désigner au niveau d’une instance qui est celle du désir. (Petit a) devient ainsi
l’effet de la castration, ce n’est pas l’objet, l’objet, c’est le phallus, mais a, c’est l’effet. Par contre,
ce dont il est l’objet, c’est du désir.

C’est là que Lacan élève donc cet objet (petit a) dans son rapport au sujet comme en présence de la
castration dans un rapport qui est un rapport de support, c’est là qu’il va élever, pour la première
fois, l’objet (petit a) à la dimension de l’être. Lacan propose alors de tracer un tableau qui illustre
cette synchronie au départ de la position subjective la plus originelle qui est celle de la demande. Il
trace, entre l’Autre et la demande, une barre verticale pour indiquer que dans ce rapport le plus
primordial du sujet à l’Autre comme lieu de la parole, à travers la demande, une dialectique
s’institue dont le résidu va apporter la position (petit a) qui est l’objet.

Au départ, on a l’Autre qui est quelqu’un de réel qui est interpellé dans la demande et qui élève
cette demande (D) à un autre label qui est la demande d’amour, tout simplement, au travers de
l’alternative signifiante présence/absence.

Donc, ici, la demande devient autre chose que la satisfaction d’un besoin, elle est demande d’amour
(A’). D’une certaine façon, l’Autre peut donner ou pas donner par sa présence ce qui est demandé,
et il est déjà d’emblée, donc, situé comme partie prenante d’une espèce de drame, d’une espèce de
tragédie, et cette dimension subjective introduit l’individu au signifiant (S) et lui permet de le
subjectiver à son tour d’où il résulte, second mouvement, que dans ce rapport à l’Autre comme
sujet, l’individu peut se faire reconnaître comme sujet, non plus comme demande, non plus comme
amour, mais comme sujet ( ), ce qui est autre chose encore que l’au-delà de la demande.

« Il s’agit ici, nous dit Lacan, dans "se faire reconnaître comme sujet" de quelque chose qui a à voir
avec la garantie, avec la vérité du comportement quel qu’il soit, avec la bonne foi, ce en quoi on
peut compter sur l’Autre. »

C’est au niveau où le sujet ne pourra jamais épuiser le manque qui existe au niveau du signifiant
comme tel, là où il doit se repérer comme sujet au niveau de l’Autre, qu’il doit constituer ce (petit
a), c’est-à-dire, cette chose qui est le résidu en marge de toutes les demandes, le reste final et
qu’aucune demande ne peut épuiser, quelque chose qui est destiné, comme tel à représenter un
manque, et à le représenter avec une tension réelle de sujet.

157
« Ceci est, si je puis dire, l’os de la fonction de l’objet dans le désir, ce qui vient en rançon du fait
que le sujet ne peut se situer dans le désir sans se châtrer, autrement dit, sans perdre le plus essentiel
de sa vie ». (13-5-59)

Ce qui est à perdre là, c’est le Phallus, c’est ce dont il s’agit de faire son deuil. Ce (petit a), c’est un
rien auquel il se réduit et c’est au-delà de ce rien qu’il faut chercher l’ombre de la vie perdue. Il est
donc dans la nature même du désir de constituer l’objet, il ne s’agit donc pas, d’une certaine façon,
de poursuivre l’objet primitif que la perspective génétique nous avait appris à considérer comme
perdu. Il faudra articuler, dans la suite, le schéma qui est présenté par Lacan.

Lacan avait avancé, le 22/4/1959, que la « position du nombre irrationnel visait à dire le rapport de
l’objet dans le sujet avec cet élément caché du support vivant du sujet, pour autant que, prenant
fonction de signifiant, il ne peut être subjectivé comme tel. »cii[viii]

b. La coupure et les formes de l’objet a

Lacan va reprendre cette opération qu’il avait formalisée sous le mode d’une division subjective
dans la demande. Première étape, imposition de la demande au lieu de l’Autre, et première
expression de la Spaltung du discours.

L’Autre, ici, se présente comme réel, tout-puissant pour répondre à la demande. A partir de cette
demande, il y a un processus de génération logique, d’où il résulte que la demande devient
demande d’amour en tant qu’elle est demande de la satisfaction d’un besoin revêtu d’une barre.

Deuxième étape, donc, l’Autre apparaît comme un sujet, un sujet qui parle. On assiste à
l’introduction de ce fait, de la tragédie de la reconnaissance, donc reconnaissance d’un sujet pour un
sujet.ciii[ix]

Ce quelque chose de primitif s’établit dans la relation de confiance. C’est le niveau où le sujet se
constitue comme sujet qui parle en tant qu’il se pose comme regardé par l’Autre qui peut lui
répondre au nom d’une tragédie commune. Ici, nous dit Lacan, le se pose non seulement comme
le grand S, comme lettre, mais aussi comme le ES de la formule topique de Freud. A l’étape
suivante, au-delà de la parole, ce , ce sujet, se divise, c’est-à-dire que s’il veut savoir ce qu’il en est
de cet au-delà de la parole, ce n’est pas dans l’Autre qu’il va pouvoir en trouver l’authenticité, sinon
au niveau de la bonne volonté de l’Autre, car dans le signifiant, rien ne peut lui répondre de cet au-
delà de la parole. Pour parer à cette impossibilité, le sujet tire d’ailleurs, tire du registre
imaginaire une partie de lui-même engagée dans cette relation imaginaire à l’autre, c’est le (petit
a) objet du désir, et cet objet entre en jeu dans le fantasme, c’est-à-dire, il entre en jeu au moment
où le sujet s’évanouit, et non pas au moment où il est dans un rapport de besoin à la réalité, donc
c’est au niveau de l’opération de division, c’est-à-dire, quand le sujet essaye de s’authentifier, de se
rejoindre dans la demande portée vers l’Autre, qu’il supplée, qu’il apporte ce signifiant, plus
exactement, qu’il apporte la rançon du signifiant qui lui répond sous la forme de cet objet (petit a).

Il y a là un moment de fatigue du sujet nécessaire pour que le fantasme surgisse comme répondant
sous la forme de suppléant du signifiant manquant.

Au fond, cette reconquête du sujet, c’est une reconquête du champ perdu de son être qui peut se
comparer à la reconquête du Zuiderzee par la Hollande, ainsi que Freud nous l’a dit.

« Ce champ de l’inconscient sur lequel nous devons gagner dans la réalisation du grand oeuvre
analytique, c’est bien de cela qu’il s’agit. » (30/5/1959)

158
Et le désir, au fond, n’est rien d’autre que l’index de ce qui désigne la place de ce qui doit advenir
avant que cela ne soit venu au jour.

Donc, nous nous trouvons devant un point où il est, pour le sujet, impossible de se nommer en
même temps qu’il se trouve dans son annulation, fasciné par un objet dans une sorte de syncope de
son existence, c’est cela qui constitue la structure du fantasme. Lacan indique que le point où se
trouve le sujet, dans cette nomination défaillante, est un point qui est structural par ce qui est visé au
moment du désir au travers de ce qu’on peut appeler la virulence du logos, car c’est au point
suprême de l’effet aliénant de son implication dans le logos que le sujet peut, à ce point, rencontrer
cet objet qui supplée à cette division de lui-même.

On pourrait dire que c’est un moment d’élation, un moment maniaque où le langage se propose,
pour le sujet, d’être le seul référant et que, perdu dans ce langage, le sujet aurait donc un moment
donné à en déchoir pour y retrouver la fonction de l’objet.

Lacan ajoute qu’en ce point, il faut que le sujet soutienne réellement de son Réel, de lui en tant que
réel, le moment de faire face, et ce Réel est bien ce qui est le plus mystérieux dans son opposition
au Symbolique et à l’Imaginaire.

Lacan s’intéresse à la dimension du Réelciv[x], et c’est la première fois vraiment qu’il tente de le
définir comme ce qui, d’abord, est l’affaire du sujet, mais du sujet en tant qu’il est pris dans le
discours, sujet d’une chaîne articulée, sujet qu’on pourrait qualifier du terme d’être, car, au fond,
l’être, nous dit Lacan, « c’est le Réel en tant qu’il s’inscrit dans le symbolique. » (20/5/1959)

Au moment où quelque chose dans la science se manifeste (la psychanalyse et l’ICS) comme
trompant l’espoir de la connaissance, se dérobant en quelque sorte à l’idéal de la connaissance, c’est
à ce moment-là que l’expérience de la subjectivité se désigne d’une chaîne où les choses s’articulent
tout en n’étant pas accessibles audit sujet, en tant qu’il pourrait s’y reposer comme l’objet où il se
reconnaît au titre d’un objet de la connaissance. Au contraire, il s’y méconnaît, dit Lacan, car il ne
peut s’y repérer comme sujet que dans les intervalles, et c’est pourquoi il structure cet objet
imaginaire du fantasme sur le modèle qui est le sien. En ce sens, le terme de coupure comme ce qui
fait intervalle dans la dimension de la connaissance pour où le sujet viendrait à se glisser peut
donc se justifier de l’expérience de la cure analytique, par exemple, sous la forme de la fin de
séance. D’où il résulte que le trait commun à cet objet est quelque chose qui a la forme de la
coupure.

Il y a deux voies, il y a la voie qui pourrait partir du sujet et qui suscite le terme de l’objet et puis, il
y a la voie plus théorique qui est de décrire l’objet, de partir de l’objet. C’est pour des raisons
didactiques, que Lacan va passer par là.

Il y en a trois espèces repérées dans l’expérience analytique, nous dit-il. Ces trois formes de l’objet,
Lacan les situe à ce moment comme l’objet pré-génital, l’objet du complexe de castration qui est le
phallus, et une troisième espèce d’objet qui est le délire de la psychosecv[xi].

Cet objet pré-génital qui vient remplir la fonction (petit a) comme fonction signifiante dans le
fantasme, c’est l’objet tout à fait animal, tout à fait humain qui est un boyau avec deux orifices
(voilà qui nous intéressera pour la topologie). De ce point de vue donc, on aura toute la question de
la nourriture qui vient faire opération de coupure dans l’existence du sujet.

Dans ce moment premier de l’objet pré-génital, on a toutes les formes orales et anales de
l’expérience analytique, le mamelon, le sein et l’excrément qui sont des choses dont le sujet peut se
trouver séparé. Ces objets sont privilégiés parce que le sujet se trouve situé dans le signifiant en tant

159
qu’il est structuré par la coupure et que ces objets ont justement la forme, la structure de la coupure,
eux aussi. Voilà pourquoi le sujet érotise ces objets.cvi[xii]

Deuxième niveau de l’objet a, niveau du complexe de castration, là où il prend la forme de la


mutilation, et il s’agit, effectivement bien là, d’une coupure qui est un accès à la fonction
signifiante, car ce qui reste de la mutilation, c’est une marque ; elle permet d’extraire un individu de
la masse, de l’élever dans une sorte d’initiation à une identification supérieure.cvii[xiii]

Dans les rites d’initiation, la mutilation sert à orienter le désir, à faire prendre fonction d’index de
quelque chose qui est réalisé et qui ne peut s’articuler que dans un au-delà symbolique, une sorte de
réalisation d’être dans le sujet. On notera au passage que les rites d’initiation portent
essentiellement sur tout ce qui fait appendice. Ceci nous permet de comprendre pourquoi le
narcissisme comme rapport imaginaire du sujet est le point support où s’inscrit cette formation de
l’objet significatif dans le fantasme, quelque chose qui déjà au stade du miroir, là où le sujet
proposait au miroir la propre érection de son image qu’il a dans l’autre, là où déjà nous pouvions
voir une ébauche au niveau du moi de ce qui s’élabore ici au niveau subjectif.

Au passage, cliniquement, Lacan rapproche la dimension de fatigue et celle de l’effort comme


relevant très précisément de ce qui est une poussé, une tumescence à l’intérieur du sujet, mais qui
ne peut jamais être marquée, pour laquelle il ne peut y avoir d’autre coupure possible, au fond, que
la fatigue.

Troisième forme d’objet a, le délire ou la fonction de la voix dans le délire. Lacan nous dit que
« c’est en tant que nous pourrions repérer la fonction signifiante de la coupure de l’intervalle dans le
délire que nous pourrions comprendre les caractéristiques phénoménologiques des voix. »
(20/5/1959)

Ce qui relève de l’objet a dans la voix du délire, ce n’est pas ce qui est en cause dans les voix
bureaucratiques de nos téléphonistes, mais c’est ce fait que dans ce qu’il a à communiquer sur la
nature des voix, le délirant paraît toujours se dérober tout en lui donnant cette impression d’une
consistance et d’une existence très ferme parce que tout simplement, elle est réduite à sa forme
tranchante, la plus tranchante qui ne fait que s’imposer à lui, le sujet, comme coupure. On repérera
ces caractères de coupure des voix dans les voix interrompues du président Schreber. On y voit, en
effet, le sujet s’y engouffrer, succomber dans une signification globale, il y est intéressé sans plus.
Lacan conclut sa séance capitale en rappelant que le sujet, dans l’intervalle du discours de
l’inconscient, est la métonymie de cet être qui s’exprime dans la chaîne inconsciente, et c’est dans
ces intervalles qu’il s’interroge comme être de son Inconscient.

C. Effet de a sur le sujet

Lacan s’interroge sur la dimension de l’être qu’il a mis en évidence dans l’articulation du fantasme.
Autour de cette question, on voit que le sujet ne saurait se référer seulement au discours, mais aussi
à quelque réalité, et ces réalités sur le schéma se trouvent au-dessous du discours concret. (s(A) →
i(a) → m → A)

Ces objets réels sont dans un rapport étroit avec la pulsion vitale du sujet, pour autant qu’ils soient
de lui séparés(objets prégénitaux). Nous avons ici, l’introduction de cette idée que le Réel est fait de
coupures.

Lacan ressort maintenant la métaphore aristotélicienne du bon cuisinier. Il y aurait donc à interroger
le rapport de la coupure du réel et de la coupure du langage.

160
L’avancée théorique se précise :

Le sujet entre dans la coupure par rapport à un certain Réel, celui de la science, par exemple. Cette
présentification du Réel par la coupure pour le sujet n’est symbolisée par rien, c’est là que Lacan
situe l’être pur du sujet qui se trouve en ce point désigné par le fantasme du désir, c’est pourquoi le
fantasme a été identifié par Lacan comme métonymie de l’être et a été identifié au désir. Autrement
dit, le désir supporté du fantasme se doit d’être scandé ; façon pour le sujet d’être à son propre Réel
car cette dignité de l’être, nous dit Lacan, relève de cette fonction de coupure comme dernière
caractéristique structurale.

On retrouve Hamlet exigeant de sa mère le minimum de dignité qui la maintienne dans le champ
humain.

Dans la plume de Freud, la coupure venait s’appeler : pulsion de mort ; voilà pourquoi la pulsion de
mort converge avec l’être du sujet.

Un champ particulier s’ouvre ainsi par la coupure au sujet. Viendra s’y engouffrer, l’activité des
artistes. Lacan la reprendra dans les années suivantes : fonction du Beau, exigence de l’Éthique car
l’œuvre d’art manifeste l’avènement de la coupure pour autant que s’y manifeste le Réel du sujet
au-delà de ce qu’il dit. En effet, car l’avènement de la coupure, s’il est interdit au sujet inconscient,
ne l’est pas au sujet qui a l’expérience du fantasme, et c’est ce par quoi l’œuvre d’art va exprimer
cette dimension, ce Réel du sujet, l’avènement de l’être au-delà de toute réalisation subjective.cviii
[xiv]

Lacan revient alors à Hamlet. Dans Hamlet, Shakespeare fait advenir le rapport du sujet parlant au
niveau le plus profond, il fait venir ce rapport à la coupure car, dans Hamlet, ce rapport dépend des
liens du sujet à la vérité.

« Cet effet de a sur le sujet est de lui restituer son être. » (séance 1/6/1959)

Le terme d’être est quelque chose qui correspond au Réel et au Symbolique, qui se trouve être
antérieur à la pensée. L’être, c’est le Réel quand il se manifeste au niveau du Symbolique, c’est lui
qui se trouve dans les coupures, dans les intervalles. Il est en quelque sorte le moins signifiant des
signifiants. Cela est important dans la mesure où la coupure présentifie le Symbolique. On peut
parler à ce moment-là d’être pur, et c’est bien tout ce qui va faire l’essentiel de la coupure
moebienne, ultérieurement.

« Et ceci pour autant que sous le nom d’Inconscient, le Symbolique, une chaîne signifiante subsiste
selon une formule que vous me permettrez d’avancer, tout sujet est un. » (1/6/1959)

Un, ici, ne veut pas dire individu, Un est l’élévation du sujet à une fonction logique comme ce sera
développé plus tard. Ainsi, la logique relève-t-elle du lieu où l’être, par la coupure, vient au Réel.

Ce passage est important. Lacan vient d’égaler le sujet à l’un : non sans ambiguïté puisque l’un peut
avoir différentes acceptions et d’autre part que le sujet est divisé. On a là un problème qu’il va
falloir résoudre. Lacan évoque, ici, que l’être humain compte et qu’il se compte.

Or, le désir, lui, est lié à ce qui se passe dans le signifiant et l’être humain, c’est dans les intervalles
qu’il y apparaît. Lacan introduit alors la notion de pas-un dans ce contexte.

161
Le désir sert d’index au sujet. Là où le sujet s’évanouit, on essaye de le saisir au niveau du désir, car
c’est là qu’il se compte. Là où il se compte, le sujet est dans le désir sinon comme tel, il a à voir
avec le pas-un, c’est-à-dire le un qui s’est évanoui.

Cliniquement, cela veut dire que le désir est le dernier terme de la présence du sujet, qu’il y a un
moment où il s’agit de payer comptant, et c’est le moment où les gens vont mal, payer comptant
quand il s’agit du désir sexuel ou de l’action dans le sens plein du terme.

Cette ambiguïté de l’être subjectif contamine jusqu’à l’objet puisque l’objet qui devrait satisfaire le
désir est en réalité soumis, lui aussi, à une division, par exemple l’objet du désir sexuel se divise
entre la tendresse et le fait qu’il est un instrument du désir.

Ce point Un du sujet fut déjà questionné hors de la psychanalyse, c’est le mysticisme de


l’expérience religieuse. Il se situe polairement à l’extrême de l’objet et de sa division. Entre les
deux, résident la pudeur et ses manifestations morbides : honte, dégoût névrotiques.

Quoiqu’il en soit, c’est à la perversion que revient l’exemplarité de cette triade sujet - objet -
coupure.

Ainsi, dans l’exhibitionnisme, un désir ne peut se satisfaire que pour autant qu’est mis, dans un
certain rapport, l’être et le Réel dans un cadre symbolique fendu. D’un côté, il y a le désir de l’Autre
qui est intéressé au-delà de la pudeur, et de l’autre côté, ce qui se trouve montré, cache plutôt qu’il
ne dévoile ce dont il s’agit au travers de ce que Lacan appelle la fente dans le désir. C’est là que le
sujet comme tel se désigne.

Il en est de même donc pour le voyeurisme où la fente se trouve être un élément de structure
indispensable, notamment dans l’appui pris ici sur l’objet, c’est-à-dire sur l’Autre, même si cet
objet, ici, l’objet est féminin, par exemple, s’y prête innocemment, il y a cependant une espèce
d’ouverture, de participation en puissance à l’indiscrétion.

« La créature surprise sera d’autant plus érotisable, dirai-je, que quelque chose dans ses gestes peut
nous la révéler comme s’offrant à ce que j’appellerai les hôtes invisibles de l’air. » (3/6/1959)

Ce qui est particulier dans le désir du voyeurisme et de l’exhibitionnisme, c’est la place du « se


voir ». D’une certaine façon, il y a pour l’un et pour l’autre une sorte d’ignorance de la position
d’où l’on se voit. On rapportera cette dimension d’ignorance de la surface de la réalité telle qu’elle
était traitée dans le Séminaire I. (in le tétraèdre).C’est pourtant par cette fente, volet ou télescope ou
n’importe quel écran, que le voyeur ou l’exhibitionniste se font entrer dans le désir de l’Autre, et
qui nous permet au niveau inconscient de situer le pervers, là où c’est le désir de l’Autre
reproduisant la structure du sien qu’il vise.

La solution perverse à la question du sujet dans le fantasme, c’est viser le désir de l’Autre et croire y
voir un objet. Reste à réintroduire la fonction du Phallus dans cette problématique, là où il viendrait
comme signifié dans son lien à la métaphore paternelle. Le , dans le fantasme pervers, est
confronté au petit a qui s’avère plus compliqué que les trois formes déjà donnéescix[xv], puisqu’ici
le a, c’est le désir de l’Autre dans le cas du pervers et la négation dont il s’agit, ici, est d’une autre
forme que celle de la forclusion et de la discordance puisqu’il s’agit du pas-un qui est une autre
forme de grandeur.

d. Fantasme et topologie

162
Finalement, il nous faut bien admettre, ici, qu’au-delà de la fonction imaginaire et l’en-forme de
l’Autre, au-delà de la circulation signifiante qui constituent la topologie de l’Imaginaire et du
Symbolique, la coupure et la fente qui en résultent, permettent, au travers du fantasme,
d’imaginariser quelque peu le lien de cette topologie avec le Réel.

C’est ainsi que le fantasme, soutien du désir, sert de plaque tournante pour être rapporté aux
différentes structures. Ce qui, de la relation du sujet, le lie au désir de l’Autre dans la perversion et
le fantasme pervers du voyeurisme ou exhibitionnismecx[xvi] est quelque chose qui, dans le Réel,
est à la fois trou et éclair, éclair de l’objet.

Pourquoi, à partir de là, ne pas se permettre de dire que la topologie, elle aussi, serait l’éclair de
l’objet de la psychanalyse donc, petit a de la psychanalyse ?

Car, c’est dans cette ouverture que vient se loger le désir autre, le désir de l’Autre « comme émotion
de l’Autre au-delà de sa pudeur ». (10/6/1959)

Cette structure du fantasme est un temps d’arrêt, un temps suspendu d’où le sujet ne peut s’instituer
dans une action comme désir qu’à la condition de perdre le sens de cette position primordiale.
Lacan met, ici, l’accent sur l’aphanisis, c’est-à-dire ce que le sujet, dans son évanouissement, perd :
c’est le sens de sa position. Il y a un point imaginaire où l’être du sujet, dans sa densité maximale,
ne peut en aucun cas au dernier terme être nommé, mais qui se révèle dans cette fonction de la
coupure, tout comme la torsion se perdra dans la bande moebienne.

C’est au point de disparition du sujet parallèle à l’ombilic du rêve que le sujet voit, à la limite,
l’engendrement infini du désir vers un autre désir, c’est ce que Freud appelle, dans son article sur
l’Inconscient de 1917 : la Hilflosigkeit, ce devant quoi nous sommes sans recours à ce moment-là,
le désir de l’Autre.

Dans la perversion, ce moment est un moment de passage à l’acte ; dans la névrose, c’est, par
exemple, l’entrée en jeu de l’objet phobique comme objet signifiant à toute fin. Dans ce cas, ce
signifiant à toute fin a une fonction de protection, de défense, une fonction médiatrice, car ce
rapport à l’Autre qui peut nous emporter, devant qui nous sommes sans recours, c’est, en fait, ainsi
que l’histoire du petit Hans nous l’a montré, un rapport à une mère à qui il manque à être; et ce
signifiant de la phobie, il est venu justement pour résoudre cette question.cxi[xvii]

Chez l’hystérique, une façon pour le désir du sujet de se soutenir devant le désir de l’Autre, c’est de
se soutenir comme désir insatisfait, figure trouble de la coupure. L’hystérique vient, dans le rapport
du sujet à l’objet, à occuper cette position tierce qui était tout à l’heure dévolue au signifiant
phobique, elle fait obstacle ; « sa jouissance est d’empêcher le désir dans les situations qu’elle trame
elle-même », cela afin de rester elle-même l’enjeu.

Chez l’obsessionnel, qui reste hors du jeu, le sujet n’est jamais là où pourrait se trouver son désir, il
réserve l’engagement de son désir dans une procrastination. En se constituant comme désirant,
pourtant, il arriverait au sujet de faire de son désir une défense contre cette détresse, et c’est ici que
Lacan réintroduit la fonction du Phallus dans son rapport à la loi.

Car, là où il n’est qu’organe, instrument de jouissance, il n’est pas intégré dans le mécanisme du
désir parce que le mécanisme du désir se situe à un autre niveau. C’est-à-dire que le désir est
précisément une demande qui est soumise à la loi, et non un instrument de jouissance. Lacan
rappelle que le désir sexuel s’est édifié sur la loi des échanges, des échanges de l’alliance et de la
parenté, d’où il résulte que : « Le Phallus, c’est le sujet en tant qu’objet de ce désir, objet soumis à
la loi de la fécondité ». (10-6-54)

163
La dialectique du désir, en tant que s’y exprime l’être du sujet au point de sa perte, s’interpose sur le
trajet de la fonctionnalisation du sujet en tant que Phallus, de ce par quoi, le sujet se présente dans la
loi d’échange culturelle de la parenté.

Le Phallus, c’est le point d’équilibre ou plus exactement la fonction phallique,

« C’est le point d’équilibre qui se produit quand viennent, en intersection, les autres réels de la
génération réelle avec ces liens, ces lois de la parenté. » (10/6/1954)

Ainsi, chez le schizophrène, s’introduit une dimension essentielle de la Verwerfung dans son
rapport à la coupure. Le schizophrène, quand il s’identifie à la discordance issue de la coupure
comme telle, et non à son rapport au courant vital qui circule dans la symbolisation, ce schizophrène
se présente différent de ce qui se produit quand la Verwerfung porte sur la coupure. Portée sur le
signifiant, elle produit la forclusion psychotique, quand elle porte sur la coupure, elle constitue le
Réel.

e. Effet-sujet à partir de a

C’est en tant que le sujet peut faire une coupure dans le discours qu’il est un « je suis ». Il y a là,
dans la possibilité de couper le discours, de mettre de la ponctuation, quelque chose qui rejoint cet
être dernier du sujet.

Ce qui est tout autre que « la perversion qui se présente comme une sorte de simulation naturelle de
la coupure, ce que le sujet n’a pas, il l’a dans l’objet, ce que le sujet n’est pas, son objet idéal l’est ».
(5/7/1959)

Ce qui est utilisé par le pervers pour symboliser la fente est quelque chose qui existe déjà. (Cf. Gide
et le nœud dans la porte qu’il creusait de son ongle pour y retrouver Dieu sait quelle bille glissée là
par son père!) Il en résulte que le désir est subjectivité et à la fois le contraire, ce qui s’y oppose,
comme résistance. Ce désir n’est pas un élan vital, harmonique, mais problématique, polymorphe.
Le désir doit être considéré comme l’aventure d’un sujet parlant qui fait passer sa pulsion dans la
chaîne signifiante.

Car le désir, en ce cas, est un repérage du sujet par rapport à cette séquence pulsionnelle où il se
reflète dans la dimension du désir de l’Autre. Le désir se situe dans l’intervalle entre deux discours.
Mais le signifiant du désir de l’Autre qui centre toute cette affaire, c’est toujours le Phallus.

« L’objet a, c’est le désir de l’Autre en tant qu’il parvient à la connaissance d’un sujet inconscient."
(5/7/1959)

Il y parvient en tant que vœu, en tant que signifiant de la reconnaissance, et le désir n’a pas d’autre
objet que le signifiant de sa reconnaissance.

Lacan termine alors cette année en introduisant la place dans laquelle l’analyste, dans son rapport au
désir, doit se situer. En ce sens que l’analyste prépare l’analysant à faire émerger un désir pour un
autre que lui-même.

N’est-ce pas présenter la sublimation comme quelque chose par où peut s’équivaloir le désir et la
lettre ? Car, si le désir du sujet en tant que désir du désir ouvre sur la coupure, sur l’être pur
manifesté sous sa forme de manque, ce désir du désir de l’Autre, c’est, en fin de compte, le désir
auquel il va s’affronter dans l’analyse qui est le désir de l’analyste, lequel n’aura pour lui que le
versant de la Lettre pour présentifier ce manque dans une topologie.

164
165
Séminaire VII
L’éthique
Au terme de son année précédente, Lacan avait situé l’objet du désir, impliqué au cœur du fantasme.
Ce repérage était fait sur le graphe et terminait les notations du cheminement signifiant du sujet. Cette topologie
pourtant qui se boucle laisse apparaître de nouvelles questions.
Autour de quoi se boucle-t-elle si l’objet que nous avons réussi à cerner, est l’apanage du désir, lequel n’est qu’un
moment du graphe ? Quel statut donner à ce graphe maintenant constitué ? Aide à penser la fonction du sujet ? Précision
logique plus rigoureuse de cette aventure ? Et puis encore : où, comme élaboration logique, se situe-t-il en lui-même, ce
graphe ? Est-il possible qu’il s’inclue en lui-même ? Que l’élaboration topologique puisse être repérée comme un
moment du graphe ?
Ces questions, venant après la localisation du fantasme, nous mènent tout droit à penser que ce qui travaille Lacan
est le statut à donner à cette topologie qu’il voudrait réelle mais dont le champ (Réel) n’a pas encore été articulé avec
suffisamment de rigueur.
I. DES PREMIÈRES SÉANCES (1 ET 2), NOUS ALLONS EXTRAIRE LE TEMPO GÉNÉRAL DE L’ANNÉE :
LA SUBJECTIVITÉ DU RÉEL, C’EST LE PARADOXE
Lacan interroge et présente son programme de travail, et il interroge d’abord un certain nombre de thèmes: est-il
possible de faire une éthique de la psychanalyse ? D’où vient que la culpabilité et la faute soient liées à la fonction de la
morbidité ? Comment situer Freud dans les philosophies du plaisir qui se sont succédées ? Quelle est l’origine de la
morale ?
Le malaise dans la civilisation est-il inéluctable ?
Ainsi, au moment où le « je » humain vient à chercher sa réalisation au travers du désir, rencontre-t-il une série
d’instances contradictoires qui rendent sa quête paradoxale. Les analystes avaient bien tenté de résoudre la question de
l’éthique en centrant leur recherche autour de trois idéaux: l’amour humain « de préférence achevé », l’idéal
d’authenticité, l’idéal de non-dépendance enfin.
Or, Lacan indique que ce qu’il va traiter c’est la notion du Réel en tant qu’elle se lierait d’une façon particulière à la
dimension de l’Éthique. Par l’intermédiaire des thèses de Jeremy Bentham dont la pensée utilitariste, par le biais du terme
de fiction, délimiterait ledit Réel, une approche Réel-Éthique pouvait se tenter. Entretemps, est venu Freud pour qui c’est
le plaisir qui se trouve tout entier du côté du fictif. Devant ces approches, le programme de Lacan (p. 28) s’étendra quant
à lui, de ce qu’on pourrait appeler l’impératif moral jusqu’au plaisir qui est à l’autre bout de l’expérience, et même au
plaisir que nous pouvons y prendre, à cet impératif moral, qui est le masochisme !
Dans cette perspective, on peut déjà penser que si le fictif c’est le plaisir, le Réel, pôle opposé est, ici, désigné sous
les termes d’impératif moral.
La thèse de Lacan, c’est que la loi morale est ce par quoi, dans notre activité structurée par le Symbolique, se
présentifie le Réel. On peut déjà rapporter ce séminaire au précédent, tout entier consacré à interroger ce qui est au-delà
du code et du message de l’Autre. On pourra se demander si cet au-delà n’est pas ce que Lacan vise dans son séminaire
sur l’Éthique ou, plus exactement, si l’espace dans lequel cet au-delà se déploie n’a pas partie liée avec le Réel.
Notamment à partir de Freud, on pourra se demander si ce Réel, opposé d’abord au principe de plaisir, ne sera pas
situé plus tard au-delà, c’est-à-dire dans l’instinct de mort. Qu’est-ce que cette réalité au-delà de la réalité qui dépendait
jusque là du principe de plaisir ? Est-ce la réalité psychique ? (p. 29). Est-ce la réalité de la science ? Or, ajoute Lacan la
praxis analytique (p. 30) est prélude à cette action morale, celle par laquelle nous débouchons dans le Réel, donc la
psychanalyse reste au seuil de cette action qui, au-delà de l’analyse, pourra être posée.
Le problème avait déjà été abordé de manière exemplaire par Aristote.
L’Éthique d’Aristote se réfère à un ordre extérieur au sujet qui se présente comme une science (épistème), science
de ce qui doit être fait et qui définit la norme d’un certain caractère, c’est l’éthos (coutume). L’éthos se double pour
l’homme de l’Hêthos (caractère), et qui différencie l’être vivant de l’être inanimé. De cet Hêthos, le vivant peut prendre
habitude en sa conduite. Comment alors concilier éthos et Hêthos ?
Le problème que soulève Aristote est le suivant : comment se fait-il que le discours de la science, celui du discours
droit l’orthos logos, comment se fait-il qu’il laisse subsister, à côté, un certain nombre d’excès et de penchants (p. 31),
dans la conduite Hêthos ?

166
L’élucidation de ce problème fait l’objet de cette éthique aristotélicienne qui est une éthique de maître, c’est-à-dire
d’un personnage oisif qui se dirige vers un idéal de contemplation. La psychanalyse est aussi recherche de voies, elle,
aussi, vise à une vérité libératrice. Mais, cette vérité n’est pas celle d’une loi (ordre) supérieure puisque c’est une vérité
qui est cachée dans le sujet, et cette vérité, que nous retrouvons chez chacun et qui la rend généralisable dans la doctrine
freudienne, c’est le Wunsch irréductible.
Notre chemin de l’éthique est donc inverse.
Ce Wunsch est un désir qui nous vient de l’enfance et qui restitue une place importante à la pensée de l’enfant, une
place eu égard à la pensée soi-disant adulte, puisque c’est une place qui est en étroite liaison avec cette découverte de
Freud qui est la pensée inconsciente.
L’opposition freudienne cependant, ne réside pas entre pensée de l’enfance et pensée adulte, mais entre processus
primaire et processus secondaire, principe du plaisir et principe de réalité (p. 35). Au cœur des désirs de l’enfance, ces
processus sont plus importants que les sentiments qui en dérivent.
Le principe de plaisir opposé au principe de réalité est une thématique qui parcourt l’oeuvre de Freud depuis
l’Entwurf de 1895, jusqu’à l’article sur la formulation à propos des deux principes de la vie psychique de 1914, en passant
par le chapitre 7 de la Traumdeutung en 1900, et on pourra même y ajouter Le malaise dans la civilisation de 1930.
Dans l’Entwurf, le principe de plaisir est limité à l’appareil neuronique et il est, en quelque sorte, un principe
d’inertie qui règle par automatisme les décharges de quantités dans le circuit neuronique.
Le système de départ n’est pas un système qui vise à l’adéquation, c’est un système qui va vers le leurre, vers
l’erreur, c’est-à-dire qui permet de satisfaire le besoin de l’halluciné (p. 37). C’est pourquoi un autre principe doit
intervenir pour faire respecter l’instance de la réalité, ce principe de réalité a une fonction correctrice : c’est l’imagination
d’un système conflictuel qui vise à la réduction de l’inadéquation foncière d’un des deux systèmes dont il est composé :
c’est ce que Freud appelle opposition du système Phi avec le système Psi. (Cf. Séminaire I)
Lacan veut montrer que le système freudien est proche du système d’Aristote, en ceci que les processus seconds ont
pour fonction de tempérer les déchaînements catastrophiques de l’appareil de plaisir, exactement comme Aristote se
demandait comment celui qui sait pouvait bien être intempérant (p. 39). Lacan évoque le livre 7 d’Aristote sur le plaisir
où le désir pourrait faire surgir un jugement erroné concernant l’actualité de la proposition universelle. Dans la
perspective freudienne, le principe de réalité s’exerce également d’une façon précaire (p. 40). Et c’est pourquoi, l’abord
du Réel se présente pour l’homme en termes de défense. Lacan propose d’écrire une espèce de tableau avec principe de
plaisir et principe de réalité, à droite et à gauche, qui correspondent, en gros, à l’inconscient et au conscient.

Le processus primaire s’exerce dans le sens d’une identité de perception, le processus secondaire, dans le sens
d’une identité de pensée, car, il s’agit de la mise en place d’un certain système de vœu ou d’attente de plaisir défini qui
tend, de ce fait, à se réaliser dans son propre champ d’une façon autonome et ceci, au niveau inconscient. Ces processus
de pensée ne sont ressentis par le conscient que dans la mesure où se produisent des paroles.
Il y a double entrecroisement du principe de réalité et du principe de plaisir, une ébauche de tressage déjà, orienté
en plus !
« Le principe de réalité gouverne ce qui se passe au niveau de la pensée, mais ce n’est que pour autant que, de la
pensée, revient quelque chose qui, dans l’expérience interhumaine, trouve à s’articuler en paroles, qu’il peut comme
principe de la pensée venir à la connaissance du sujet dans le conscient. » (p. 42).
Inversementcxii[ii], l’inconscient, lui, est composé d’éléments logiques qui sont l’ordre du logos, de l’orthos logos. Il
y a trois niveaux où s’ordonnent trois ordres (p. 43).
Dans le tableau de Lacan, on a d’abord, le sujet de l’expérience, puis on a le procès de l’expérience qui correspond
à l’opposition de la pensée et de la perception, car la perception est liée à l’activité hallucinatoire, au principe de plaisir,
alors que la pensée, elle, serait plus liée au principe de réalité. D’un côté, on a un procès qui est un procès de fiction et de
l’autre, des processus de pensée, des processus appétitifs de retrouvailles de l’objet.
167
Troisième niveau, au niveau de l’objet, on a l’opposition connu-inconnu (inconscient).Alors, ce qui diviserait le
sujet entre le principe de plaisir et le principe de réalité, est quelque chose de problématique puisque ce qui le gouverne au
niveau du principe de plaisir, c’est le Bien, alors qu’ en face... on ne sait pas, il y a un point d’interrogation.
Ici, s’introduit le cœur vivant du séminaire, ce qui de l’éthique resurgira toujours à la manière du Réel de
l’expérience, au travers du problématique, c’est la fonction du paradoxecxiii[iii]: opposé au Bien pour le sujet du plaisir, le
Réel produira pour ce sujet une autre gouverne. Lacan la laisse dans l’incertitude pour mieux en dégager le champ
topologique, celui qui lie l’Éthique et le Réel.
Serait-ce un malaise ?
II. DAS DING (Séances III- VIII) 9/12/1959 - 20/1/1960
Ce qui, dans le principe de réalité, fait pendant pour le sujet au couple Bien - Sujet, dans le principe de plaisir, fait
le cœur de l’éthique.
Lacan pense que l’opposition du principe de plaisir et du principe de réalité, du principe primaire et du principe
secondaire, sont moins de l’ordre de la psychologie que de l’ordre d’une expérience éthique car, ce qui y est central, c’est
la dimension du conflit. La vraie nouveauté de Freud, du point de vue de l’Éthique, c’est le sens du mot réalité qui vient y
jouer conflictuellement.
Ce conflit est situé par Freud dans une lettre à W. Fliess, la lettre n° 52.
Lacan propose de considérer que l’appareil freudien, l’appareil psychique est essentiellement une topologie de la
subjectivité, pour autant qu’elle s’édifie et se construit à la surface d’un organisme (p. 51) à l’aide de systèmes phi, psi et
oméga.
Le paradoxe résidant en ceci que: dans un même lieu règne le principe de l’articulation par la Bahnung, lieu où se
produit le phénomène hallucinatoire de la perception et la Befriedigungserlebnis où se forment, d’une façon inconsciente,
les processus orientés et dominés par la réalité, pour autant qu’il s’agisse que le sujet retrouve le chemin de la satisfaction.
Ceci est intéressant parce qu’effectivement s’il y a là un lieu paradoxal, c’est celui que la topologie de Lacan, par la suite,
va tenter de présenter. Or, jusqu’ici dans les séminaires, jamais cette paradoxalité du lieu n’avait été incarnée sous une
forme topologique ; ce serait à l’Éthique, donc au rapport de l’Éthique et du Réel, que reviendrait cette nécessité que
Lacan éprouve de représenter ce paradoxe sous la forme de l’unilatéralité d’une surface.
Pour cerner l’opposition entre le principe de réalité et le principe de plaisir chez Freud, Lacan va introduire un mot,
un signifiant concret positif qui est « das Ding », la chosecxiv[iv] (Séance IV). Il répondra au point d’interrogation laissé
sur son tableau.
Lacan nous montre que si en allemand, « Sache » et « Wort » sont deux termes étroitement liés dans leur rapport à
la représentation, "das Ding" se situe ailleurs et que le terme intermédiaire pour nous mener au « das Ding » pourrait bien
être dans un registre pulsionnel, l’urgence de la Vie, ce que Freud a appelé "Die not Des Lebens". Il s’exerce au niveau du
principe secondaire et, au travers de cette urgence: la catégorie logique de la nécessité fait son apparition dans le texte de
Lacan. Dans le texte freudien, l’urgence de vie répond à la quantité d’énergie que l’organisme conserve à l’état de repos
pour continuer à vivre.
Nous n’oublierons pas que le lieu de la vie a déjà été isolé par Lacan, puisque c’est de lui que s’extrayait le Phallus
placé hors boucle dans le graphe.
Dans la topologie freudienne de l’Entwurf Lacan isole deux mécanismes, l’un qui bloque les quantités extérieures
par rapport à une quantité qui détermine le niveau de l’appareil psi dans l’ensemble neuronique et, par ailleurs, du point
de vue de la qualité, un autre appareil, l’appareil phi qui joue le rôle de tamis, d’où il résulte que l’homme n’a jamais
affaire qu’à des morceaux choisis, des réalités (p. 59).
On comprend mieux à partir d’ici, l’adaptabilité du symbolique à la vie des humains puisque c’est au cœur de ce
premier tamis de la vie que naît le codage subjectif dont nous avons parlé au Séminaire II.
Ainsi, dans le tableau donné par Lacan, le « Not des Lebens » est le chemin de l’accès à la réalité intérieure des
processus de pensée, et qui ne nous est accessible dans le conscient que par l’artifice de la parole articulée.

168
Dans ce tableau : double entrée, double décussation, il y a lieu d’interroger le Moi, système oméga dans la
systématique freudienne.
Lacan note (page 63) que Freud essaie d’articuler la fonction du système oméga avec le problème que pose le
couple Wahrnehmung (perception) et Bewusstsein (conscience), et qu’il articule en introduisant la dimension de trace
mnésique et d’inscription sous forme d’écriture. Il y a d’abord Niederschrift, puis une seconde Niederschrift, puis enfin la
Vorbewusstsein et enfin la Bewusstsein.
Comment entendre cette énigme autrement que sous la forme d’une assertion péremptoire ?
Il faut considérer le tressage. Il y a là deux mouvements (Bewegung) qui s’allient. Autrement dit, le monde
extérieur (phi) perçu est retravaillé par l’exercice de la pensée issue du principe de réalité. Ce retravail est la
mémorisation sous forme, nous dit Freud, d’écritures successives. Preuve, si besoin est, pour Lacan de l’interposition de
l’organisation signifiante entre perception et conscience, comme émergeante de l’inconscient (pensée).
Autrement dit, l’élaboration qui nous fait progresser d’une signification du monde à une parole qui peut se
formuler, la chaîne qui va de l’inconscient le plus archaïque à la forme articulée de la parole chez le sujet, tout cela se
passe entre Wahrnehmung et Bewusstsein (entre cuir et chair). (p. 64)
C’est ainsi qu’on peut comprendre que ce qui se trouve à être identifié ne peut l’être que du point de vue de la
topologie subjective, et non pas de l’appareil neuronique. Cette structure topologique subjective serait donc ce qui relève
de l’écriture.
Et quand Lacan, au terme de sa vie, parlera des nœuds de Slade (qui sont des tresses), il ne fera que préciser cette
topologie du Sujet qui est l’effet d’un entrecroisement qui voit le jour, ici.
Revenons alors à ce point d’interrogation provisoirement isolé sous la forme de l’urgence de la vie, et que nous
allons maintenant élever à la notion de « Chose ».
« Das Ding » est un élément à l’origine isolé par le sujet dans son expérience du Nebenmensch comme étant de sa
nature étranger, Fremde. Le complexe de l’objet est en deux parties, il y a division, différence dans l’abord du jugement
entre l’objet qui, par sa qualité, satisfait au Lust Prinzip, et autre chose que Lacan veut cerner ici. « Das Ding », c’est
quelque chose qui est le premier extérieur autour de quoi s’oriente tout le cheminement du sujet, et il se constitue par une
première exportation de quelque chose qui, du dedans du sujet, est porté à un premier dehors, ce qui fait qu’à partir de là,
il pourra être retrouvé, car il peut servir.cxv[v]
Autrement dit, « das Ding », c’est l’idée que des choses sont stockées en vue de pouvoir servir, non pas les choses
comme telles, mais l’idée que les choses sont stockées pour pouvoir servir. Alors, ce qui est là, dans la réalité, ne peut
jamais épuiser l’attente qu’on a, car il est là d’une certaine façon, de manière insatisfaisante dans son termecxvi[vi]. Il est
de la nature de l’objet d’être perdu comme tel, il ne sera jamais que retrouvé, il est là en attendant mieux (p. 65).
C’est l’Autre absolu du sujet qu’il s’agit de retrouver et qu’on ne retrouve tout au plus que comme à regret, car ce
n’est pas lui qu’on retrouve, mais ses coordonnées de plaisir, c’est en quelque sorte une hallucination fondamentale grâce
à laquelle l’attention du sujet arrive à ordonner un monde de perception de manière humaine.
Et l’action est présentée, par Freud, comme un moyen de reproduction qui peut se motiver des fondements de toute
espèce pris au niveau du pré-conscient, des Niederschriften successives.
Mais, même dans la clinique, au-delà de nos deux notes, on peut mesurer l’incidence de ce qui s’appellera le
rapport de la Chose au refoulement originaire. Ainsi, la conduite de l’hystérique a pour but de recréer un état centré par
« das Ding » comme support d’une aversion, alors que pour l’obsessionnel, l’objet est un trop de plaisir. Dans la paranoïa,
ce premier étranger, cette première chose par rapport à quoi le sujet a à se référer, on n’y croit pas, Versagen des
Glaubens. (p.67)

169
Le paranoïaque, son attitude radicale, est de mettre en question ce qui s’articule comme la foi. Il rejette un certain
appui dans l’ordre symbolique qui produit deux versants à « das Ding ».
« Das Ding », Lacan nous le présente comme étant ce qui est hors signifié, et avec lequel nous aurions un rapport
pathétique, antérieur à tout refoulement.
Chose muette qui n’est pas sans lien à la parole, une sorte de cri étranglé qui s’exhale parfois dans certains vocatifs
pathétiques :
TOI ! MOI ! (Cf. Tu quoque fili mi !)
(Moi, j’aurais fait ça !)
Ainsi, se précise « das Ding » dans sa nouvelle définition : c’est le terme étranger autour de quoi tourne tout
mouvement de la Vorstellung que Freud nous montre gouvernée par un principe régulateur, le principe du plaisir. Le
« das Ding », c’est ce qui pousse le sujet à tenter de retrouver l’objet perdu.
Vorstellung, c’est donc une notion issue du principe de plaisir, sorte de présentation qualitative des objets propres
au Lust Prinzip, qui emprunte à l’entrecroisement « pensée » son support idéatif.
Lacan discute alors du terme de Vorstellung qu’il nous présente « comme étant héritier de la fantasia
aristotélicienne. » Il nous le présente « comme un corps vide (page 75), un fantôme, un pâle incube de la relation au
monde, d’une jouissance exténuée ». Cela, c’est quand même quelque chose qui nous ramène à l’enforme vide de l’image
telle qu’elle avait été élaborée dans le Séminaire I. Les Vorstellungen, nous dit Lacan, il faut les placer entre perception et
conscience, comme on dit : entre cuir et chair.
On sent à nouveau le débat virulent que Lacan mène contre les traductions impropres du Vorstellungs-
repräsentanzcxvii[vii].
Repräsentanz sera donc l’héritier de la présence de « das Ding », interposition particulière du signifiant comme
codage, non pas des choses mais de leur aptitude à être évoquées. Mémoire de la satisfaction, pourrait-on dire, qui
s’inscrit dans l’acte de parole, bien différent du discours, ne serait-ce que par l’introduction de la particule discordancielle
« ne ». Le terme refusé à l’origine, mis à l’intérieur de l’intime du Sujet comme lieu et comme chose, est un des angles du
carré qui est le minimum concevable initial d’une batterie signifiante, pour que puisse commencer à s’organiser le registre
du signifiant, (p. 80).
Lacan en propose quatre, le quadripartite, le Geviert, comme le dit quelque part Heidegger.
C’est déjà le quatre comme ce qui, d’une certaine façon, est un terme qui est à la base du système et qui, à
l’intérieur de ce système, aurait pour fonction d’en maintenir la relation, il s’agirait-là, nous dit-il, (page 81) d’une autre
topologie, une topologie qu’institue le rapport au Réel.
On comparera avec le schéma L :

Le lieu-quart autorise aussi une nouvelle définition du « das Ding » qui est, en quelque sorte, le rapport inconscient
de la Chose avec la mère, et c’est quelque chose que Lacan situe dans le rapport à la loi de l’interdiction de l’inceste, il
nous dit :
« Le désir pour la mère ne saurait être satisfait parce qu’il est la fin, le terme, l’abolition de tout le monde de la
demande qui est celui qui structure le plus profondément l’Inconscient de l’homme. » (p. 83)
Reporté sur le graphe, il s’inscrirait donc en ( ◊ a).
Dans la morale moderne, Freud a apporté cette nouveauté qu’il n’y a pas de souverain Bien, il n’y a que « das
Ding » qui est la mère, l’objet de l’inceste qui est un Bien interdit (p. 85).
Ainsi, se trouve privilégiée l’autre origine de l’entrecroisement des deux principes de la vie psychique.
Toujours est-il que ceci fournit à Lacan l’occasion de préciser le lieu topologique de « das Ding ». (séance 6)
Il introduit cette séance en se demandant comment situer le « das Ding » qui, bien qu’au centre du monde subjectif,
en est cependant exclu, difficulté de représentation topologique, ajoute-t-il (p. 87). Lacan l’égale à l’Autre qui est étranger
à moi, tout en étant au cœur de moi-même, car au niveau de l’Inconscient, il n’est représenté que par une représentation.
Soit, déjà le tore mis à plat.
170
Il se confirme, ici, que dans ce séminaire, on va avoir de la topologie de Lacan une vue nouvelle. Non seulement,
elle n’aura plus à rendre compte comme dans les séminaires précédents de la structure globale du fonctionnement
psychique, non seulement, elle n’aura plus à rendre compte de la circulation signifiante ni des diverses positions du sujet
comme dans les séminaires sur Les formations de l’inconscient ou Le désir et son interprétation, mais il y a, ici, quelque
chose de plus : c’est que cette topologie, il faut en interroger sa structure, car encore une fois, elle n’est pas concentrique,
elle est plutôt elliptique. Autrement dit, elle a deux centres. Il conviendra donc de préciser le type de topologie qui se
rendra apte à présenter les questions traitées.
Ce « das Ding » représente la représentation.
Il y a deux sens au mot représentation (p. 88), dans l’un, « représenter » est un signe de la représentation qui est
considérée comme une fonction d’appréhension, deuxième sens. (hallucinatoire)
La représentation comme signe se distingue de la représentation hallucinatoire. Ce qui se répète, c’est le signe, et
dans cette répétition, le sujet règle sa distance au « das Ding ». Ainsi, la topologie est-elle ce signe de la répétition et non
l’hallucination détournée d’une clinique.
En ce sens la topologie s’extrait d’une Éthiquecxviii[viii].
Longtemps, l’Éthique s’est articulée à l’inamovibilité du Bien. Longtemps, les humains y ont vu le représentant
représentatif de « das Ding ». L’ébranlement des fondements de la science avec Newton a mené à cette idée (p. 92), « que
la loi morale s’articule à la visée du Réel comme tel, du Réel en tant qu’il peut être la garantie de la Chose ».
La Chose ne peut être atteinte cependant que dans une expérience extrême, point où Kant et Sade convergent. Car
elle ne peut être atteinte qu’au travers de la douleur, car l’extrême du plaisir, pour autant qu’il consiste à forcer l’accès à
la Chose, nous ne pouvons le supporter. Il se transforme donc en douleur.
C’est la raison pour laquelle notre désir ne peut flamber dans son rapport à la loi que sous la forme d’un désir de
mort, c’est-à-dire loi transgressée qui pourrait introduire une Éthique au-delà de la morale.
Une autre façon de définir ce « das Ding » est d’interroger la pulsion et sa topologie spécifique.
Lacan montre que la sublimation prend appui sur une théorie des pulsions, lesquelles pulsions ont remplacé, dans
l’histoire de la pensée, le rapport profond de l’homme à ses images dont il trouvait la raison jusqu’ici, non pas dans le
corps, mais dans les astres. C’est à un nombre limité de bouches à la surface du corps, qu’Éros aura à tirer sa source.
Or, nous dit Freud, du point de vue de la pulsion, il y a toujours des formes archaïques, un noyau jamais résolu de la
libido qui se maintient tout au long de l’histoire de chaque homme. En outre, il existe une série de substitutions
presqu’infinie au niveau du but.
La sublimation pourrait s’avérer un autre nom de « das Ding » ou du moins, une de ses épiphanies. Car elle est
d’abord présentée par Freud comme une espèce de changement dans la libido qui ne se satisfait pas directement et qui, à
l’autre bout, sans refoulement non plus, viserait des objets d’utilité publiquecxix[ix]. Freud parle d’objets qui vont prendre
une valeur sociale collective, des surrogates.
Il peut même arriver, nous dit Freud, que certaines constructions se trouvent opposées à la tendance instinctuelle.
Cette contradiction est traitée par Freud dans l’introduction au narcissisme grâce ce qu’on peut appeler sa seconde
topique. Lacan nous montre la nécessité de l’introduction du « das Ding » pour rendre compte de la position conflictuelle
de l’homme quant à sa satisfaction, opposition que Freud avait déjà repérée en introduisant la différence entre une Ich
Libido et une objekt libido. (p. 114)
Lacan rapproche, ici, les thèses de Freud sur l’absence d’un souverain Bien aux évangiles de St Mathieu, de St
Marc et de St Luc, ainsi qu’aux Épîtres de St Paul.
La même question s’y trouve représentée. Qu’est-ce que le Bon qui se déploie du lieu où l’Autre, le Père, sait ce qui
est bon, par ses commandements, jusqu’ à la formule paradoxale du « tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Loi
bien contradictoire !
Par la loi qui rattache le crime primitif à la question du père, s’est trouvée introduite dans l’histoire de l’humanité,
l’essence et le fondement du domaine de cette loi dont la trace existe sous la forme de la haine, du « caractère
radicalement mauvais du rapport que l’homme entretient avec l’homme ». (p. 116)
171
L’objet dans la sublimation est donc interchangeable du fait de la plasticité pulsionnelle devant un conflit qui
distingue cet objet sublimé des autres objets introduits par Freud. C’est pourquoi, Lacan nous rappelle que, chez Freud,
l’objet s’introduit pour autant qu’il est perpétuellement interchangeable avec l’amour qu’a le sujet de sa propre image. Ich
Libido et objekt libido sont introduits en référence à la différence entre l’Ich Idéal et l’Idéal Ich, et c’est dans ce
dédoublement psychologique où un idéal vient à l’intérieur du sujet devenir préférable, c’est dans ce champ que le
problème de l’identification a à être situé. Entre l’objet tel qu’il est articulé par la relation narcissique et Das Ding, il y a
une différence ; et c’est justement là que réside le problème de la sublimation.
« La société trouve quelque bonheur dans les mirages que lui fournissent moralistes, artistes, artisans, faiseurs de
robes ou de chapeaux, les créateurs de formes imaginaires. Mais ce n’est pas simplement dans la sanction qu’elle y
apporte en s’en contentant, que nous devons chercher le ressort de la sublimation. » (p. 119)
Mais bien dans une fonction imaginaire qui est ◊ a. Autrement dit, il y a des éléments imaginaires du fantasme
qui viennent leurrer le sujet là où ce qui est recherché, c’est le « das Ding ». Lacan parle à nouveau d’une béance dans le
rapport au « das Ding » qui est celui des religieux, des mystiques, là où on ne peut plus en rien appeler la garantie d’un
père.
En somme, cet au-delà de la garantie, c’est ce qui s’énonce dans le graphe sous la forme du Che Vuoi, question sans
réponse qui semble bien confiner l’Éthique à la problématique du Désir traitée l’année précédente.
Le « das Ding », en quoi Lacan accentue quelque chose où il a pleine responsabilité, est un intérieur exclu, terme
qui se retrouve dans l’Entwurf. Cet intérieur serait l’intérieur du Real Ich primitif. (Séance 20/1/1960)
Ce Real Ich est au-delà de l’articulation signifiante qui, elle, relève de la Vorstellung Repräsentanz qui constitue
l’organisme psy, au-delà de l’organisation du Lust-Ich, car ce dernier système, au fond, est lié au caractère de la
Vorstellungs Repräsentanz, autrement dit, des éléments signifiants dans le psychisme.
Il en résulte ceci, qu’effectivement, Lacan nous donne une définition du sujet à partir de Freud, qui n’est pas
seulement le sujet soumis à la médiation du signifiant, il y a quelque chose derrière ce sujet !
Cet au-delà relève de la bonne et mauvaise (même plutôt mauvaise) volonté. C’est là que vient, comme paradoxe
éthique, se circonscrire le champ du « das Ding ». (p. 124) C’est, nous dit Lacan, « le champ du projet du mal comme
tel. »
On peut sentir (page 125) comment le « das Ding » se trouve du côté du sujet, quand on pense à « ce moment où
l’humanité pourrait se trouver être détruite de par la puissance des armes qu’on nous agite sous le nez
actuellement. » cxx[x]
C’est cette place du mal que M. Klein avait repérée dans le fantasmatique de l’enfance, place centrale du « das
Ding » qu’elle aurait mise au cœur de sa théorie, à savoir le corps mythique de la mère.
De ce point de vue, on en vient à penser que la sublimation aurait en quelque sorte une fonction restitutive, un effort
de réparation symbolique des lésions imaginaires apporté à l’image fondamentale du corps maternel (p.127). C’est laisser
de côté, nous dit Lacan, le problème réel de la sublimation, en tout cas son problème topologique et son problème
métapsychologique.
Aussi, l’utilisation de thérapies par les arts n’est en rien la solution du problème de la sublimation, car ce qui surgit
comme explosion plus ou moins transitoire de dons supposés artistiques au cours d’une cure, doit en fait pour être promu
à la dimension artistique, recevoir une reconnaissance sociale.
La place de l’Autre y est donc plus essentielle que celle de la réparation thérapeutique. Car le paradoxe réside en
ceci, que la pulsion peut se satisfaire du fait de la substitution signifiante sans pour autant avoir la « structure sur-
déterminée du compromis symptomatique » (p. 132). Il y a donc lieu de faire la distinction entre sublimation et
idéalisation, idéalisation faisant intervenir l’identification du sujet à son objet.
C’est le rapport de la sublimation à la pulsion qui, comme tel, apporte une satisfaction différente de son but et qui
nous montre comment la pulsion a un rapport particulier avec la Chose, avec le « das Ding ». La sublimation élève l’objet
à la dignité de la chose. (p. 133)
Ainsi cet exemple culturel si exceptionnel que fut l’amour courtois !
Mais pour ce faire, il faut que « quelque chose se soit passé au niveau du rapport de l’objet au désir » (p.135), que
Lacan illustre dans un petit apologue tiré de la collection de boîtes d’allumettes de son ami Prévert.
Cet exemple des boîtes d’allumettes que collectionnait Prévert pendant la guerre sert à Lacan pour démontrer
comment, au-delà de la collection des boîtes d’allumettes, c’était une présentification de la Chose qu’on pouvait voir
subsister dans ces boîtes, au point qu’il y avait là quelque chose de proliférant, d’absurde, qui faisait la choséité de la

172
boîte d’allumettes, (p. 136). Boîtes enchassées les unes dans les autres, et dont la chenille processionnaire courait de
cimaises en portes et fenêtres à l’infini !
Satisfaction d’auto-engendrement innocent, si ce n’était l’époque de sa constructioncxxi[xi], enserrant Dieu sait quel
vide interne extériorisé, expulsé à la fois.
III. DU TROU ET DE LA CHOSE
Séances 9-11 - 27/1/1960 - 10/2/1960
Dans la sixième séance de son séminaire, le 23-12-59, Lacan parlait du repos dominical qui ne nous laisse d’autre
choix que l’occupation d’amour ou le plus sombre ennui.
« Cette suspension, ce vide, introduit assurément dans la vie humaine le signe d’un trou, d’un au-delà par rapport à
toute loi d’utilité ». (p. 99)
Lacan va préciser ce vide central, que nous pouvons déjà reporter sur le graphe en sachant que a − dans la formule
du fantasme - n’en est que le leurre.

En s’appuyant de l’un des articles de Karin Mikailis concernant la cure d’une patiente déprimée, voire
mélancolique, nous allons voir se poursuivre l’élucidation de ce vide central.
L’expérience de cette déprimée qui remplace un espace vide au mur par un tableau qui est jugé par un professionnel
comme un tableau de grande valeur, coïncide, nous dit Lacan, avec le plan central par lequel il schématise
topologiquement la façon dont la question se pose à propos de ce que nous appelons la Chose (p. 141).
Jamais autant que dans ce séminaire, le terme de topologie n’a été utilisé dans l’œuvre de Lacan. On peut donc
penser que ce n’est pas une illusion que de lier cette topologie à une espèce de sublimation et qui, comme telle, aurait
pour objectif non pas de désexualiser l’espace psychique mais, au contraire, d’en déterminer la dimension de Chose que
Lacan nous dit « être foncièrement voilée » (p. 142), et qui s’affirme dans des champs domestiqués comme une unité
voilée. Elle est, nous dit-il (p. 142), ce qui du Réel, en général dans sa totalité, celui du sujet auquel il a à faire à
l’extérieur, pâtit du signifiant. Il y aurait donc là un rapport avec la passion et on se souviendra des trois passions qui
connotaient le plan de la réalité dans le Séminaire I.
Cette cohérence du discours de Lacan est presque invraisemblable à force de se vérifier au fil des années.
« Il n’y a rien, nous dit Lacan, entre l’organisation dans le réseau signifiant qui est celui des
Vorstellungsrepräsentanzen et la constitution dans le Réel de cet espace, de cette place centrale sous laquelle se présente
pour nous le champ de la chose comme tel. » (p. 143).
Autrement dit, ce champ se délimite pour l’instant en négatif, en creux.
Or, c’est dans ce champ pourtant que doit répondre quelque chose qui fait trouvaille et qui est l’objet retrouvé qui,
comme tel, n’a jamais été perdu, mais « qui n’a été perdu qu’après-coup, il est retrouvé sans que nous sachions autrement
que par le fait que nous le retrouvons qu’il a pu être perdu un jour. » (p. 143)
A travers cette retrouvaille dans le vide, on s’achemine vers l’idée d’un créationnisme ex nihilo.
Quoiqu’il en soit, voici donc la deuxième caractéristique de la chose, (la première étant qu’elle est voilée), elle gît
dans les retrouvailles de l’objet « représentée par autre chose ». (p. 143)
Cette Autre Chose qui la représente est ce que l’expérience phénoménologique de la prière ou de l’ennui n’ont pas
cessé de désigner.
« L’Autre chose est essentiellement la Chose. » (p. 143)
Lacan relie la trouvaille au trobar des troubadours, des trouvères et des rhétoriques puisqu’on sait que ce mot a
donné le signifiant trope. Cette recherche de la Chose dans les voies du signifiant outrepasse le principe de plaisir qui tend
à l’homéostase, à l’égalisation (p. 143) par l’investissement de signifiant en signifiant. Or, c’est l’homme qui façonne le
signifiant mais alors, pourquoi le façonne-t-il en maintenant ce principe d’homéostase dans l’activité psychique, si c’est
au-delà pour le mettre en tension avec la Chose, laquelle est hors champ signifiant ?

173
Tout simplement parce que ce qui est recherché est la source de ce « façonnage » que Lacan relie à la notion de
création, au savoir-faire de la créature et du créateur, motif central de la sublimation et de l’Éthique au sens le plus large.
« Je pose ceci, qu’un objet peut remplir cette fonction qui lui permet de ne pas éviter la Chose comme signifiant,
mais de la représenter, en tant que cet objet est créé. » (p. 144)
Ce qui est, ici, difficile à saisir mérite un exemple. Il est emprunté à l’activité, ô combien topologique, du potier.
C’est à partir de ce signifiant façonné qu’est le vase, que le plein et le vide rentrent comme signifiants dans le
monde. Le discours et la parole peuvent être pleins ou vides de la même manière. Le vase est créé à partir d’une matière
puisque rien n’est fait à partir de rien, mais pourtant, c’est à partir du trou, à partir d’un rien que le potier crée son vase.
Il y a (p. 146) « identité entre le façonnement du signifiant et l’introduction dans le Réel » d’une béance, d’un trou
qui nous rapproche immédiatement des thèses de la topologie. Avec cet exemple, on peut saisir que « la création ex nihilo
se trouve coextensive de l’exacte situation de la chose comme tel. » (p. 146)
Le surgissement du Réel à partir de ce créationnisme peut recevoir plusieurs types d’explication (Cf. Taoïsme,
catharisme ou topologique (!)). Cependant, il est certain que ce qu’on ne peut éviter, c’est la question du créationnisme et,
en tout cas, qu’au travers de cela, c’est la question du créateur qui continue de se poser et que Lacan situera dans
l’Inconscient.
La Chose pâtit du signifiant. La voilà humaine, oeuvre d’art mais femme aussi. Dans la séance X du 3/2/1960, nous
retrouvons le commentaire de Lacan à propos de l’amour courtois dont nous n’avons de témoignage que par l’art, bien
que son retentissement épique reste sensible dans les rapports entre les sexes, de nos jours encore. (p. 153)
« La Chose met l’homme en fonction de médium entre le Réel et le signifiant, cette Chose est toujours représentée
par un vide. » (p. 155)
L’art, la religion et le discours de la science y ont rapport sous trois modes, l’art parce que c’est un certain mode
d’organisation autour du vide, la religion, parce que c’est un mode d’éviter le vide, ce qui la rapproche du trait
obsessionnel, le discours de la science, parce que dans son rapport à la paranoïa, dans son rapport à la réalité psychique, il
mettrait en place ce signifiant de l’Unglauben qui n’est pas la négation de la croyance, mais qui est plutôt l’incroyance;
non pas la suppression de la croyance, mais un mode propre du rapport de l’homme à son monde et à la vérité, celui dans
lequel il subsiste.
L’incroyance, nous dit Lacan « est directement en rapport avec la question de la Chose qui y est rejetée », comme
peut être rejetée certaine Chose dans la Verwerfung, alors que dans l’art, il y a Verdrängung, refoulement de la Chose et
dans la religion, peut-être, Verschiebung, c’est-à-dire déplacement. Le discours de la science rejette, lui aussi, la présence
de la Chose, car « dans sa perspective, se profile l’idéal du savoir absolu. » (p. 157)
C’est pourquoi, ni la science, ni la religion ne sont de nature à sauver la Chose. On voit que Lacan met de côté la
question de l’art, et c’est ici qu’il introduit cet objet tout à fait particulier qui s’appelle l’anamorphose. Ce n’est pas
vraiment de l’art comme tel puisque c’est de la physique optique mais, il peut en être le support.
L’anamorphose est une espèce d’objet, « une espèce de construction telle que, par transposition optique, une
certaine forme qui n’est pas perceptible au premier abord se rassemble en une image lisible » (p. 161).
C’est ainsi que dans certains tableaux, on voit apparaître une tête de mort en plaçant d’une certaine façon, le regard
sur le tableau.
Dans le même ordre d’idée, Lacan fait à ce propos un commentaire sur toute l’histoire de l’architecture qui serait
organisée autour d’un vide et dont le nœud se serait, en quelque sorte, refermé sur lui-même à partir du moment où on a
commencé à peindre l’architecture sur les murs de l’architecture, c’est-à-dire à oublier cette organisation autour d’un
vide. En ce sens, le retour du baroque est un effort pour restaurer le sens véritable de la recherche artistique. Lacan
compare alors cet abandon du vide de l’architecture à ce qui s’est passé dans la lecture de Freud, où la théorie de l’ego a
substitué à la topologie de Freud quelque chose de tout à fait différent, alors que Freud lui-même avait installé le Es au
centre de sa théorie comme étant le lieu du vide, le lieu de la Chose.
Ce lieu nous est propre (Heimisch) et à la fois étranger (Unheimlich).
Lacan propose le terme d’extimité. (p. 167)
Avec ce terme d’extimité, il nous présente la Chose comme un vide, quelque chose qui, à l’intérieur, est rejeté à
l’extérieur. Lacan relie (p. 168) ensuite la pratique des anamorphoses à la possibilité créatrice des premiers chasseurs dans
les grottes d’Altamira. Il y aurait là le caractère de quelque chose qui est au-delà du sacré !
Sans être, à proprement parler, constructions autour d’un vide comme le sont beaucoup plus les peintures rupestres
d’Altamira, « l’anamorphose (p. 169) est un point tournant où, par l’illusion de l’espace, l’artiste retourne l’utilisation qui

174
en est faite pour en trouver le but primitif qui est support de cette réalité en tant que caché, car il s’agit de cerner la
Chose. »
C’est un effet de saisissement-création qui, de l’Unsinn, produit du Sinn, un peu comme la technique du mot
d’esprit. (Cf. Séminaire V)
« Vous pourriez presque structurer autour de cette anamorphose ce que je dessine pour vous à propos de l’Éthique
de la psychanalyse, et qui repose tout entier sur la référence interdite que Freud a rencontré au point terminal de ce qu’on
peut appeler chez lui le mythe oedipien. » (p. 170)
Non pas seulement pour situer le sujet dans une tension structurale à l’Oedipe, mais plus encore pour dire à quel
point sur l’Éthique se fonde une érotique. L’amour courtois en ce sens, par sa poésie, nous offre le moment fécond de
cette naissance d’une érotique inscrite comme toute sublimation artistique dans un consensus social.
Dans l’amour courtois, l’objet, l’objet féminin s’introduit par la porte très singulière de l’inaccessibilité qui est donc
posée là au principe. Chanter la dame, présuppose une barrière qui isole et qui, d’une certaine façon aussi, la masculinise
puisque la « domnein » s’appelle en réalité le plus souvent Mi dom, comme si cette dame avec son caractère
dépersonnalisé était une seule et même personne à travers toute la littérature courtoise.
Car « ce que demande l’homme, c’est d’être privé de quelque chose de Réel, et cette place qu’occupe le « das
Ding » est ce qu’on peut appeler la vacuole. » (p. 179)
Cette vacuole est située au centre du système des signifiants car « la demande d’être privé de quelque chose est
essentiellement liée à la symbolisation primitive qui est tout entière dans la signification du don d’amour. » (p. 179)
Lacan reprend alors la question de l’anamorphose et celle de l’exaltation idéale de l’amour courtois pour les
comparer au stade du miroir dans le rapport qui le lie au narcissisme. Le miroir, dont parle Lacan, a un autre effet que
celui de voir se projeter l’idéal du sujet en l’occurrence, ici, « il a un rôle de limite, il est ce qu’on ne peut pas franchir. »
(p. 181)
S’il existe des limites, c’est qu’il y a un champ interdit. Éviter ce champ, c’est aussi en délinéer les contours par
voie négative. D’où il se déduit qu’organiser l’inaccessible de l’objet, voilà le propre de l’art, de l’amour courtois.
C’est aussi une opération signifiante, et tous ces détours du signifiant ne sont que mise en scène d’une forme de
transgression du désir qui se porte sur ce vide central. En ce point, entre en jeu la fonction éthique de l’érotisme (p. 182)
qui fait rejouer, sur la surface du corps, la conduite de détour des signifiants au bord du vide de la vacuole, pulsionnelle
en cette occasion.
« Le freudisme n’est en somme qu’une perpétuelle allusion à la fécondité de l’érotisme dans l’Éthique, mais il ne la
formule pas comme telle. » (p. 182)
C’est aussi à la place de la Chose que Breton fait surgir l’amour, c’est-à-dire là où il y a une sorte d’au-delà du
signifiant, là où nous ne pouvons saisir aucun schéma rationnel causal qui justifie le surgissement dans le Réel du
« Hasard objectif ».
Ceci occupera le Séminaire, l’année suivante.
Reste à bien voir que c’est autour du mythe du meurtre du père primitif que s’est intériorisé cet Autre lieu du vide,
le désir inconscient, « extime » du repas totémique.
IV. L’AVÉNEMENT TRAGIQUE COMME ÉCRITURE DU TROU
A. Le meurtre du père
Évoquer le meurtre du père primitif, c’est tout naturellement ramener à la tragédie qui le met en scène pour Freud et
à Totem et Tabou. La lecture habituelle de séminaire pousse à faire de l’enjeu tragique (Antigone de Sophocle), le culmen
du discours de Lacan. Notre visée topologique nous montre un autre relief, un peu comme une photographie aérienne
laisse apparaître de la surface, une autre articulation signifiante, celle du paradoxe qui étend son entrecroisement à la
jouissance, terme bien lacanien.
Freud pensait que, dans la trame judéo-chrétienne, la loi morale a subi son plein déploiement du fait du meurtre du
grand homme, alors que les autres religions n’en sont restées qu’au culte dudit grand homme.
Or, le meurtre du père n’ouvre pas la voie vers la jouissance, au contraire, il en renforce l’interdiction. L’obstacle
étant exterminé, la jouissance n’en reste pas moins interdite. Paradoxalement, la loi de ce fait se noue étroitement au
désir.
Lacan repart de Totem et tabou et de Moïse et le monothéisme, ainsi que Malaise dans la civilisation, pour évoquer
le Dieu mort depuis toujours, message véhiculé à travers toutes les croyances et qui ressuscite du vide laissé par sa mort.
Le thème de la résurrection est celui du retour du père, il est aussi celui de la création.

175
« La reconnaissance de la fonction du père est une sublimation essentielle à l’ouverture d’une spiritualité qui
représente comme telle une nouveauté, un pas dans l’appréhension de la réalité comme telle. » (p. 213)
Mais Freud ne néglige pas pour autant dans Totem et tabou, la fonction du père réel à qui l’identification virile
s’adresse dans l’amour exquis pour le père, mais cet effet ne se produit de manière favorable que pour autant, nous dit
Lacan, que tout soit en ordre du côté du Nom-du-père, c’est-à-dire du côté du Dieu qui n’existe pas.
Voilà pourquoi, le bon père est toujours un personnage boîteux. (p. 213)
B. L’espace du prochain
Il est vrai aussi que Freud, partant du principe de plaisir (et du prétendu bien qui en découle), prenant cette voie, a
manqué l’accès à la jouissance, car la « nature du bien est d’être altruiste » (p. 219). Mais dans l’amour du prochain, ce
que Freud a trouvé, c’est, ô surprise, la méchanceté foncière qui l’habite et si cette méchanceté foncière y réside, c’est
qu’elle réside tout aussi bien en moi-même.
Ce cœur est celui de la jouissance dont je n’ose m’approcher et c’est là, nous dit Lacan, le sens de Malaise dans la
civilisation, car là, surgit :
« cette insondable agressivité devant quoi je recule, que je retourne contre moi et qui vient à la place même de la
Loi évanouie, donner son poids à ce qui m’empêche de franchir une certaine frontière à la limite de la Chose. » (p. 219)
Voilà donc présentifiée la topologie de la Chose dans ce rapport à l’amour et à l’agressivité.
Lieu de la boucle dans le graphe qui s’éclaire après coup des liens étroits du Désir et de la Loi : ce vide central, issu
du meurtre du Père freudien, trou où ressuscite le père, que voile toute création artistique digne de ce nom, reçoit
maintenant la raison de ses limites, de ses frontières gardées.
« Peut-être est-ce ici le sens de l’amour du prochain qui pourrait me redonner la direction véritable ? Pour cela, il
faudrait savoir affronter ceci, que la jouissance de mon prochain, sa jouissance nocive, sa jouissance maligne, c’est elle
qui se propose comme le véritable problème pour mon amour. » (p. 220)
Les envolées lyriques des promesses de bonheur retombent, ici, de bien haut. L’Éthique de Lacan n’a rien d’une
pastorale, elle débouche sur un constat un rien sinistre. Ne pas se voiler la face équivaut, ici, à aborder ces limites
extrêmes que furent Sade, voire les tragédies à condition de ne point s’en laisser séduire en tirant plus avant le voile du
leurre.
Revenir au graphe devient ici, une ascise éthique. L’ennui que peut provoquer ce retour n’a d’intérêt que dans
l’Ailleurs que tout ennui désigne comme antonyme.

Du graphe notre interrogation s’appuie de la notation S ( ). Là, s’écrit ce que Lacan situe être la mort de Dieu. Non
pas le phénomène lui-même, sa vacuité, mais son écriture.
« Réponse dernière à la garantie demandée à l’Autre du sens de cette Loi articulée au plus profond de l’Inconscient.
S’il n’y a plus que manque, l’Autre défaille et le signifiant est celui de sa mort. » (p. 227)
Le christianisme nous en a proposé le drame et la maxime puisqu’on y voit la solidarité entre les deux termes, la
mort de Dieu et l’amour du prochain qui surgit comme résultante de cette mort de Dieu, au moins dans la tradition judéo-
chrétienne (p. 228).
La méchanceté de ce prochain indique bien à quel point nous avons raison de nous arrêter dans l’amour que nous
lui portions, car il est fait du même bois dont nous nous chauffons: intolérable cruauté qui fait le cœur d’une jouissance le
plus souvent ignorée de chacun.
Sommes-nous de ce fait sans solution, comparables à ce que Freud disait de l’évolution de la jeune fille, obligée de
faire marche arrière dans sa quête de l’objet sexuel, une fois aperçu, que cette objet ne lui fut pas également distribué
cxxii
[xii] ?
Car, si tout est affaire d’image échangée entre semblables (d’où résultent ces agressions), ne faut-il pas se souvenir
du destin où nous a laissé le stade du miroir aux prises, non plus avec l’image du rival, mais avec « le creux que laisse
l’image vide » (p. 231), en forme vide de l’image. C’est ce vide que Lacan élève du champ narcissique où il ne se sait pas,

176
au champ du discours (où on n’en veut rien savoir), puis de l’énonciation (inconscient) dans le moment de retour de la
boucle de son graphe.

C’est la raison pour laquelle, Lacan nous parle de la limite en prenant appui sur la manière dont Sade imagine la
franchir. Il s’agit là de la structure imaginaire de la limite qui est franchie, non pas dans le fantasme, mais dans la théorie
sadienne en tant qu’elle se noue autour de l’être suprême en méchanceté. Lacan parle alors des lois de l’espace du
prochain, cet espace n’est pas celui que nous avons analysé dans les rapports de nous-mêmes au moi, c’est-à-dire il ne
s’agit pas de l’espace du stade du miroir, mais de l’espace en tant qu’il y inclurait le prochain, celui à qui nous sommes
liés par l’acte de faire l’amour. (p. 232) En d’autres termes, c’est d’un autre corps dont il est question que de celui qui
entre en scène avec le rapport spéculaire avec notre semblable. La tension agressive qui en résulte est toute autre elle-
aussi car c’est moins d’un rival à abattre dont il est question que de la jouissance qu’on éprouverait à le mettre en
morceaux.
C’est aussi la raison pour laquelle Lacan tente d’élever, ici, l’espace-plan miraginaire à une dimension de trouage
par l’intermédiaire d’un code, d’une logique encore à préciser (ce sera l’unilatéralité) qui présente cette enforme vide de
l’image comme lieu d’un espace nouveau entre les Hommes. Le Nom-du-Père vient y résider, son sanctuaire en quelque
sorte, s’il ne risquait pas de s’y faire adorer !
Bien plus, on peut avancer que les images du Moi contrarient notre propulsion dans cet espace, car dans cet espace,
nous sommes leurrés par la captation imaginaire de l’image du semblable (p. 233).
Pour Lacan, Sade, par son écrit, tente de s’avancer dans la direction du vide central qui nous présente l’accès à la
jouissance dans un morcellement du corps du prochain. C’est l’objet, cette partie du corps de l’autre prise comme
instrument de jouissance qui se rapproche le plus de ce que, en psychanalyse, on appelle : l’objet partiel. A condition de le
tenir pour différent de ce qui surgit sous la figure totalisée du prochain, issu pourtant de cet autre espace encore à créer à
partir du vide. Car, cet objet est à l’état d’indépendance dans ce champ que nous tenons pour central.
« L’objet total, le prochain, vient s’y profiler séparé de nous, se dressant, si je puis dire, en évoquant l’image du
Carpaccio de San Giorgio à Venise, au milieu d’une figure de charnier. » (p. 238)
Un deuxième terme surgit, alors, et qui apparaît dans le fantasme, c’est le caractère indestructible de l’Autre pour
autant qu’il surgisse dans la figure de sa victime (p. 238), car la victime survit à tous ces mauvais traitements, à tous ces
mocellements. Figure indestructible, inusable, apte à tout supplicecxxiii[xiii] éternel.
C. La pulsion de mort
Lacan nous indique que le point de transgression, qu’il étudie dans l’Éthique à partir de Kant et de Sade, conduit à
une certaine limite qui a à voir avec l’interrogation éthique, à savoir le sens du désir. « Ce désir ne peut en aucun cas
surgir de la seule dimension du besoin ». (p. 245)
Le commentaire que l’on pourrait faire de cela, c’est que s’il y avait dans le besoin, un rapport à l’image du
semblable comme totalité, cet espace nouveau du prochain, que Lacan est en train de cerner, est maintenant ce qui
pourrait rendre compte de cette spécificité de la fonction du désir. Cette image du prochain, c’est aussi ce qu’il appellera
le discours de l’Autre.
C’est une image totale du prochain qui ne peut dépendre du champ du besoin, champ imaginaire, mais plutôt de la
béance morcelante qu’il induit.
Cette autre chose que le besoin, c’est la pulsion de mort. La pulsion de mort est articulée, elle aussi, à une chaîne
signifiante, ne serait-ce que par la remémoration qui existerait dans la tendance ! Reprenant Bernfeld, Lacan questionne la
structure vivante de la pulsion, à savoir qu’en aucun cas, selon Bernfeld, la pulsion ne pourrait être retour à l’équilibre,
mais au contraire, il faut bien penser qu’elle est destruction, volonté de recommencer à nouveaux frais, volonté d’autre
chose. (p. 251)
Deux accents doivent être mis en évidence ici, si la pulsion de destruction met en cause tout ce qui existe, il faut
convenir qu’ en même temps, la volonté de création à partir de rien, volonté de recommencement, s’y ressource.
177
C’est pourquoi Lacan nous dit que la pulsion de mort (p. 251) est une « sublimation créationniste » qui se présente
sous la forme de la chaînecxxiv[xiv] signifiante, et qui implique au-delà, hors du monde de la nature, un au-delà de cette
chaîne, une espèce de « ex nihilo, sur lequel il se fonderait. »
D’après Lacan, on noterait chez Freud un double mouvement: d’une part, l’idée d’un créationnisme ex nihilo, d’où
naîtrait ce qui est historique dans la pulsion à partir du signifiant et, d’autre part, l’élimination radicale de Dieu à
l’intérieur d’une perspective créationniste, c’est-à-dire la possibilité d’éliminer l’intention créatrice comme supportée par
une personne. « Ce champ est celui de la Chose où se projette quelque chose au-delà, à l’origine de la chaîne signifiante,
lieu de cause de tout être où se produit la sublimation » et qui, en quelque sorte, n’est créé par personne, c’est le lieu que
l’homme se met à courtiser (d’où l’amour courtois) (p. 253). La femme a pu être mise à cette place de l’être comme objet
du désir.
Une autre solution que l’amour courtois(figure asymptote du crétinisme ex nihilo) à la perspective du champ de la
Chose, c’est l’être suprême en méchanceté (p. 254) que Sade mit en logique dans son oeuvre.
De ce champ d’horreur de la Chose, deux barrières nous séparent : le Bien et le Beau.
1) Le Bien
Lacan définit le Bien comme une « opinion arrangée en manière d’atteindre ce qui pourrait être objet de science
mais que la science ne peut atteindre là où il est » (p. 257) ; au fond, c’est bien la définition qu’on pourrait donner aussi
de la topologie.
Sur cette voie du Bien, le désir s’illusionne s’il ne sait de quel vide central le Bien le protège. C’est ici aussi que
surgit le sujet comme conséquence de l’articulation signifiante, c’est le sens du rêve du père mort « il ne savait pas »,
imparfait qui indique le champ de l’énonciation. C’est cette dimension du non-savoir qui est présentée avec la plus grande
cruauté dans les textes de Sade, mais sous sa forme inverse puisque l’intolérable y est que le sujet sait, un peu comme
dans la tragédie d’Hamlet.
Et si Lacan dévie ici, quelque peu, de son objectif de parler du Bien, c’est parce que ce Bien doit être bien situé
dans le registre du principe de plaisir dont l’excès s’avère insupportable au sujet. L’intolérable ici prend forme chez Freud
déjà d’une écriture signifiante qui a fonction de coupure.
Le frayage, Bahnung, est un recours freudien qui n’a rien à voir avec la fonction de l’habitude ou de
l’apprentissage, mais bien plutôt du plaisir engendré par le fonctionnement de ces frayages, plaisir de la facilité, et plaisir
de la répétition qu’est censé produire ledit frayage. Ces plaisirs de la répétition impliquent la fonction de mémoire, car la
remémoration est rivale des satisfactions qu’elle est chargée d’assurer, au point que :
« La tyrannie de la mémoire, c’est cela qui s’élabore dans ce que nous pouvons appeler structure. » (p. 263)
De cela, résulte que le sujet peut oublier, ce qui lui assure une place tout à fait spéciale dans la chaîne signifiante,
repérable dans l’histoire, au point qu’il s’égale à cet oubli. (p. 264)
Tout ceci pour bien montrer que le désir du Bien s’entrecroise du principe de plaisir, mais aussi du principe de
réalité dont nous avons trace par la chaîne signifiante.
Un petit apologue bienvenu nous retrace cet entrecroisement. (p. 267)
Construit à partir d’Adam et Eve, et de ce que Lacan imagine être leur invention créatrice, à savoir que l’homme se
mette à tresser quelque chose, il nous montre le signifiant s’articuler à partir de là comme une chaîne. Ce n’est pas pour
envelopper le corps qu’on se met à tresser quelque chose. Ce quelque chose va devenir indépendant, car l’étoffe a valeur
de temps, et c’est par cette valeur de temps qu’elle se distinguera de toute production naturelle. (p. 268)
L’utilitarisme subit une critique décisive. Car, situer le domaine du Bien dans son rapport à la valeur d’usage et à
l’utile, c’est donner naissance au pouvoir, à la possibilité pour le sujet de disposer du Bien, c’est-à-dire, d’en faire
utilisation de jouissance, laquelle gît dans le champ central évidé au-delà du besoin.
2) Le Beau
Freud fut très discret sur ce point. Il prétendait que l’analyste n’a rien à en dire. Lacan n’est pas d’accord sur ce
point. Il y a un rapport spécial mais paradoxal du Beau avec le désir.
Autrement dit, chaque fois que quelque chose de la beauté se présentifie dans la cure, nous pouvons être sûr que va
apparaître, à ce moment-là, le registre d’une pulsion destructrice. Le fantasme se trouve ainsi constitué de deux marges,
l’une qui du côté du Bien serait : un « Bien, n’y touchez pas », et l’autre, du côté du Beau : un « Beau, n’y touchez pas ».
« Le Beau, dans sa fonction singulière par rapport au désir, ne nous leurre pas, contrairement à la fonction du Bien.
Elle nous éveille et peut-être nous accommode sur le désir, en tant que lui-même est lié à une structure de leurre. » (p.
280)

178
Mais ce lien avec le désir n’est pas simple. Lacan le prétend marqué de l’outrage, là où le lien du Bien au désir
trouvait sa limite extrême dans la douleur.
C’est maintenant l’au-delà de cette double marge du fantasme qui satisfait le désir que Lacan va interroger avec la
figure d’Antigone qui franchit cette double frontière du Bien et du Beau dans la tragédie de Sophocle.
D. L’exemple d’Antigone
La catharsis, celle qui fut isolée par les siècles de critique du texte de la Poétique d’Aristote, était présentée comme
« l’apaisement obtenu d’une certaine musique dont Aristote n’attend pas tel effet éthique, ni non plus tel effet pratique,
mais l’effet d’enthousiasme. » (p. 288)
C’est présenter les choses du point de vue du principe de plaisir. Il y a lieu d’interroger cet apaisement d’un autre
point de vue.
« C’est ici que la topologie, que nous avons définie du plaisir comme la loi de ce qui se déroule en-deçà de
l’appareil, où nous appelle le redoutable centre d’aspiration du désir, nous permet peut-être de rejoindre, mieux qu’on ne
le fit jusqu’ici, l’intuition aristotélicienne. » (p. 288)
Là, on apprend qu’effectivement, le centre d’aspiration du désir, c’est la Chose comme telle, ce qui n’avait pas été
explicitement dit jusqu’ici, et c’est donc la Chose en tant qu’elle est le lieu de la jouissance. Le centre d’aspiration est tout
autre chose que l’objet du désir, a qui n’en n’est que le lieutenant.
Dans la tragédie d’Antigone, par l’intermédiaire de l’image d’Antigone, elle-même fascinante, nous sommes
purifiés dans la série de l’Imaginaire par la crainte et la pitié. Et le caractère fascinant de cette image, nous dit Lacan,
« tient à sa beauté, cette beauté se tient dans l’entre-deux de deux champs symboliquement différenciés. » (p. 290)
De là, Antigone tire tout son éclat. Elle rend présente cette limite extrême et dépassée du Beau que Sade avait isolée
sous la forme de la douleur mortelle : « seconde mort », l’appelle Lacan.
Dans cette zone de la mort, le rayon du désir se réfléchit, se réfracte, dit Lacan, et nous donne cet effet si particulier
qui est l’effet du Beau sur le désir. (p. 291)
Le désir en ce point « continue sa course tout en sachant son leurre, qui est de se laisser entraîner par cette zone
d’éclat non réfractée, il le sait bien plus réel, car il n’y a plus d’objet du tout. D’où les deux faces. Extinction ou
tempérament du désir par l’effet de la beauté sur lesquels insistaient les penseurs. » (p. 291)
Dans cette tragédie de Sophocle,cxxv[xv] nous est présenté ce fameux champ sur lequel il ne faut point déborder, qui
est celui de la dikè, la dikè des dieux.
Il nous est difficile d’imaginer maintenant ce champ, tant sa limite a été balayée par le christianisme. Il intéresse
pourtant la psychanalyse, limité qu’il est par le phénomène du Beau devant la seconde mort. Celle qu’outrage Créon,
l’Homme du souverain Bien et celle dont l’accès est défendu par Antigone.
Ce champ de la seconde mort, « c’est ce que Sade a mis en exergue dans ce scénario qui, à l’objet du tourment, doit
conserver la possibilité d’une torture éternelle. » (p. 303)
Pour ce faire, le sujet détache un double de soi qu’il sait inaccessible à l’anéantissement (id.).
C’est ici que se trouve la conjonction entre les jeux de la douleur et les phénomènes de la beauté, phénomènes que
nous rencontrons dans l’analyse des fantasmes de nos patients. Supplice extrême, différent selon leurs appartenances
religieuses.
Une sorte de divinisation, d’intangibilité de la limite, où l’être subsiste malgré sa souffrance absolue. La crucifixion
par exemple, les camps de concentration.
On le voit, dans la douleur comme dans l’esthétique, l’objet est doté d’un pouvoir qui est le signifiant d’une limite,
à savoir que ne peut pas rentrer dans le néant ce qui en est sorti, et la marque de sa sortie de l’ex nihilo, c’est la
souffrance.
Cette limite, dans Antigone, porte le nom de d’Atè, le destin malheureux. L’au-delà de la limite est donc pris par
Antigone pour son Bien à elle qui n’est pas celui des autres. D’ailleurs, elle-même dans sa solitude, se situe déjà au-delà
de la vie, tout près de la mort, à bout de course. Cette image d’Antigone, c’est ce que la tragédie nous montre par son
déroulement, à la manière d’un miroir anamorphique (p. 318).
L’analyse de Lacan démonte cette production.
Car, il s’agit bien de décomposer l’image que l’humain se donne et, dans cette séance, Lacan nous dit que l’homme
est en train de se décomposer en cheminant au joint entre l’Imaginaire et le Symbolique (p. 319), comme sous l’effet
d’une analyse spectrale.

179
Cette décomposition se fait au joint de la nature et de culture. C’est là où l’homme se croit plein de ressources qu’il
va se trouver « couillonné ». Le mot est de Lacan.
D’une double façon, par l’Atè pour le héros qui choisit délibérément la voie tragique, par l’erreur, la bévue pour
l’homme du Bien, ouvrant déjà ici le champ de l’Une-bévue lacanienne du Séminaire XXIV.
Antigone donc se tient en ce lieu au-delà des lois écrites, c’est-à-dire là où même les dieux n’ont pu les édicter de
manière signifiante. C’est l’ex nihilo à nouveau. Mais elle se doit de préciser sa position, c’est pourquoi il lui faut utiliser
ce signifiant pour dire la limite au-delà de laquelle elle se tient. « C’est mon frère ». Cette limite, précisée par le
signifiant, se désigne comme infranchissable. Dans l’infranchissable, réside le lieu hors-signifiant dont ces paroles se
veulent limites pour dire l’être de celui qui doit être enterré, du fait d’avoir pâti lui aussi du langage.
Antigone se tient autour de « l’ex nihilo, à savoir de la coupure qu’instaure dans la vie de l’homme la présence
même du langage. » (p. 325)
La lueur de la beauté qui en émane coïncide avec le franchissement de l’Atè. Il nous met dans un rapport à l’au-delà
du champ central, mais nous en interdit de voir la vraie nature. « L’effet de beauté cache l’illustration de la pulsion de
mort », nous dit Lacan (p. 327). Cette pulsion de mort nous la savons héritière du principe de réalité et de la chaîne
signifiante.
Ainsi, Antigone se présente « autonomos » miraculeusement porteuse de la coupure signifiante qui lui confère le
pouvoir infranchissable d’être, envers et contre tout, ce qu’elle est (p. 328). Antigone mène, jusqu’à la limite,
l’accomplissement du désir pur, le pur et simple désir de mort, elle l’incarne. (p. 329)
Lacan réfère tout ce désir au désir de la mère, désir criminel, dit-il, et Antigone choisit d’être la gardienne de l’être
du criminel comme tel. Antigone, aurait dit Lévi-Strauss, se situe comme la synchronie opposée à la diachronie (p. 331).
Elle veut perpétuer, éterniser, immortaliser cette Atè.
V. CONCLUSION
Nous pourrions reprendre les termes mêmes de Lacan (p. 332), pour introduire à cette dernière partie du Séminaire
VII puisque la parole est donnée ce 15-6-60 à M. Kaufmanncxxvi[xvi] pour parler du Beau et du sublime chez Kant. Lacan
introduit l’orateur en ces termes : c’est l’occasion de présenter un « mode d’analyse catégorielle qui est d’une haute
portée pour rejoindre l’effort de structuration topologique qui est celui que je poursuis devant vous ».
Le lecteur de cette thèse aura déjà été convaincu de cette rigueur et visée à la fois de Lacan. Mais, si besoin en était
encore, voici noir sur blanc, les données du problèmes avancées par l’auteur lui-même.
La sublimation se présente, au terme du parcours, comme possibilité heureuse de satisfaction de la tendance. Dans
« possible », il y a la trace du principe de réalité, dans « satisfaction », il y a son entrecroisement avec le principe de
plaisir.
« Dans le graphe du désir, la tendance au niveau de l’articulation inconsciente, comporte des successions
signifiantes et, de ce fait, est constitué dans une aliénation fondamentale. Il s’agit de reconnaître ceci dans la sublimation,
qui est un passage du non-savoir au savoir, que le désir n’est rien d’autre que la métonymie du discours de la demande,
autrement dit, c’est le changement comme tel, ce n’est pas un nouvel objet, ni l’objet d’avant, c’est le changement d’objet
en lui-même en quoi consiste la sublimation. » (p. 340)
Ce changement d’objet peut s’opérer sans refoulement de la tendance, ainsi le montrait déjà l’Apocalypse dans le
« manger du livre ». Ceci ne veut rien dire d’autre que manger du signifiant, ou encore que le désir puisse se réaliser au
travers de la succession signifiante. Dans la « discrétion » mathématique de cette suite vient s’insinuer la mort.
Nous pouvons accéder comme vivant à une connaissance de cette mort par la vertu du signifiant, car c’est dans la
chaîne signifiante que le sujet « peut manquer à la chaîne de ce qu’il est. » (p. 341)
Raison de ce que Freud ait forgé ladite pulsion de mort.
Le Beau nous indique « la place du rapport de l’homme à sa propre mort dans un éblouissement » (p. 342).
Dans cette appréhension du Beau, qui n’est en rien le beau idéal, celui du « design moderne », mais peut tout aussi
bien s’incarner dans les vieux souliers de Van Gogh, c’est la « ponctualité de la transition de la vie à la mort qui
s’appréhende. »
« N’importe quel objet peut être signifiant par quoi vient vibrer ce reflet, ce mirage, cet éclat plus ou moins
soutenable, qui s’appelle le Beau. » (p. 344)
La question se relance pourtant du lien que ces deux limites (le Bien et le Beau) entretiendraient avec cette autre
barrière mise en évidence l’année précédente : la barrière du fantasme.

180
Lacan nous dit que les fantasmes représentent pour nous la barrière quant à l’accès à la jouissance, barrière où tout
est oublié. Il introduit alors une nouvelle fonction-barrière, c’est l’Aidôs, la pudeur (p. 345).
La pudeur incarne cette question du fantasme. L’image humaine dans sa beauté vient-elle se placer au lieu même du
fantasme du Phallus ? Ou bien, y-a-t-il entre eux un hiatus ? Freud, lui, a tranché pour égaler l’aspiration phallique à un
manque à être, bien proche de l’inscription de la pulsion de mort dans la suite signifiante, ainsi qu’en a parlé Lacan.
Le terme d’une analyse est de rencontrer la limite où se pose la problématique du désir, et qui ne peut se faire qu’à
extraire à tout instant de son vouloir les faux biens. Cet accomplissement du bonheur autour de l’acte génital « consiste en
ce qu’un être pour un autre est à la place vivante et morte à la fois de la Chose. […] Dans cet acte, et à ce seul moment, il
peut simuler avec sa chair l’accomplissement de qu’il n’est nulle part. Mais la possibilité de cet accomplissement, si elle
est polarisante, si elle est centrale, ne saurait être considérée comme ponctuelle. » (p. 347)
Car le malaise ressurgit toujours de l’aspiration au bonheur de l’Homme, et la fin dernière d’une analyse ne peut
que nous confronter à la détresse extrême de chaque humain singulier quand il affronte la condition humaine.
Lacan insiste (p. 353) sur la notion topologique où Oedipe nous montre le lieu où s’arrête la zone limite intérieure
du rapport au désir. Que ce n’est qu’au-delà du service des biens que cette question peut se poser sous la forme d’un
savoir en plus. Dans toute expérience humaine, ajoute-t-il, cette zone est toujours rejetée au-delà de la mort, puisque l’être
humain commun règle sa conduite sur ce qu’il faut faire pour ne pas risquer l’autre mort, celle qui pourrait être considérée
comme subsistance dans la soustraction de soi-même à l’ordre du monde, là où soi-même on peut rayer son êtrecxxvii[xvii] :
mê phunai.
Dans cette zone, on s’avance toujours seul et d’avance trahi, comme nous le montre la tragédie du Roi Lear, trahi
par l’espoir fou qu’il aurait imaginé d’un père divin qui l’aurait procréé sans faille ni manque.
Aussi, le voile, cet être pour la mort, s’appelle la haine. (p. 357)
L’homme du commun est au service des biens, c’est la crainte qui gère sa vie. Au-delà, se situe la création, en-deçà
de quoi, l’homme du commun exerce sa culpabilité, reflet de sa haine pour le créateur quel qu’il soit. (p. 357) Entre la
zone des biens et celle du renoncement aux biens, se joue le règne absolu du désir, c’est une topologie en l’occasion
tragique, nous dit Lacan. (p. 358)
D’où se clôt ce séminaire sur ce sur quoi il s’était ouvert : les paradoxes de l’Éthique.
La topologie de Lacan est « perspective de jugement dernier qui consiste à choisir, comme étalon de la révision de
l’Éthique, le rapport de l’action au désir qui l’habite. » (p. 361). Ce rapport s’incarne au mieux dans l’action tragique par
un échec.
L’action tragique est l’incarnation de l’être-pour-la-mort autour de la négation qui indique l’entrée du sujet supporté
du signifiant-négation, (alors qu’on l’a vu (Séminaire V),le signifiant de la dimension comique est le Phallus).
En somme, une voie de sortie, peut-être moins glorieuse, s’indique par ce signifiant Phallus, puisque ce qui nous est
proposé au regard du signifiant mortel est, ici, la turgescence vitale, celui qui indique que, malgré le tragique du
signifiant, la vie finira par triompher. Tragi-comédie où ne pas céder sur son désir, n’est ni propos d’anarchiste, ni propos
tyrannique.
Il s’agissait de décrire cette dimension, cette borne topologique, telle qu’elle avait été présentée par Kant pour la
première fois, en la présentant dans un champ d’où serait extrait tout intérêt pathologique. Pathologique veut dire dans le
sens vital. A partir de là peut s’installer, ce que Lacan appelle, une topologie du désir dont le franchissement nous est
donné pour la première fois par Kant, quand il pose que l’impératif moral ne se préoccupe pas de ce qui se peut ou de ce
qui ne peut pas. Ce champ, nous dit Lacan, prend sa portée du vide où le laisse sa définition kantienne, soit le ciel étoilé
au-delà.
Or, la comptabilité que les philosophes (ou bien Kant) s’emploient à situer dans l’éternité, n’est rien d’autre, nous
dit Lacan, que la projection dans ces fantasmes, du rapport structural qu’il a lui-même tenté d’inscrire sur le graphe avec
la ligne du signifiant (p. 366), pour autant que le Réel de son avancée relève d’une écriture comptable. Nous en avons les
retombées ravalées dans la comptabilité d’avoir cédé sur son désir. (p. 368)
Lacan nous dit avoir tracé le cercle interne qui a pour nom : l’être-pour-la-mort.
Il a tracé, dans le milieu, les désirs; il a tracé le renoncement à l’entrée du cercle externe. Tous ces cercles,
évidemment, nous manquent dans la transcription du séminaire. On peut cependant, supposer deux présentations, celle du
huit intérieur :

181
ou celle du trou sur lequel ce parcours s’opère :

Cette topologie que Lacan propose, c’est la zone de l’entre-deux-morts, Lacan ajoute que, dans cette zone, quelque
chose peut se trouver défini et libéré par le héros tragique ; cette libération, c’est une libération des biens.
« Céder sur son désir (p. 370) s’accompagne toujours, dans la destinée du sujet, de trahison » : ou bien le sujet se
trahit lui-même, ou bien quelqu’un avec qui il avait fait un pacte trahit son attente.
Lacan nous dit, donc, avoir articulé quatre positions :
« 1) la seule chose dont on puisse être coupable, c’est d’avoir cédé sur son désir ;
2) le héros, c’est celui qui peut impunément être trahi ;
3) la trahison rejette l’homme du commun de façon décisive au service des biens,
ce qui n’est pas le cas du héros ;
4) il n’y a pas d’autre Bien que ce qui peut servir à payer le prix pour l’accès au
désir en tant que ce désir est la métonymie de notre être. » (p. 371)
Parlant du prix à payer pour ce désir, Lacan nous donne l’exemple du « manger le livre » qui est une sorte de
sublimation qui serait payée avec la jouissance. Cette opération de sublimation, « je la paie avec un livre de chair », dit
Lacan. (p. 371) C’est là le Bien que l’on paie pour la satisfaction du désir. Opération mystique de renoncement de
jouissance pour payer la dette du désir.
« C’est pour autant que l’épos tragique ne laisse pas ignorer au spectateur où est le pôle du désir, montre que l’accès
au désir nécessite de franchir non seulement toute crainte, mais toute pitié, que la voix du héros ne tremble devant rien, et
tout spécialement pas devant le Bien de l’autre, c’est pour autant que tout ceci a été prouvé dans le déroulement temporel
de l’histoire que le sujet en sait un tout petit peu plus qu’avant sur le plus profond de lui-même. » (p. 372)
Lacan nous dit que : « le caractère pacifiant de la catharsis est à prendre avec les précautions d’usage, que sa
démonstration topologique n’exclut nullement que certains reviennent, de cette expérience de l’entre-deux-morts, dotés
d’une folie qui serait celle de la transe ou de la possession. » (p. 373)
Il conclut alors son séminaire.
Il pense que le désir de l’homme, anesthésié par des siècles de moralisme, s’est réfugié pour l’instant dans la
passion du savoir (p. 374) de la science moderne et de ses conquêtes.
Reste que, dans ce détour, fut oublié le livre de chair à payer. Son retour dans le réel fut brutal, il y a cinquante ans.
Lacan, par sa topologie propose, à notre avis, une écriture de cette soustraction charnelle de l’être vivant quand il
interroge la logique du signifiant.

182
Séminaire VIII*

Le transfert dans sa disparité subjective

L’amour de transfert : condition d’émergence de la


topologie

L’occasion de la présentification du vide central dans la


psychanalyse

Nous le savons maintenant par les années précédentes, où Lacan a dégagé l’espace du Réel de
manière surprenante, l’Éthique pour le sujet ne s’aborde que de manière paradoxale. Étendre la dimension
du paradoxe, la faire se supporter de la théorie elle-même (principe de plaisir, principe de réalité),
n’explique toujours pas la mise en jeu de ces paradoxes. C’est à l’expérience analytique que revient ce
droit et ce devoir. A cet égard, ce séminaire fait charnière entre la topologie du graphe et sa suite que nous
préciserons (topologie des surfaces).

Lacan va centrer sa visée sur une théorie de la cure, et non pas une théorie de la psychanalyse
comme doctrine. Il a, il est vrai, écrit entre-temps « La direction de la cure », et on sait que le vif du sujet
tient à ce que, dans ce graphe qui l’épingle aux quatre coins élémentaires ( , A, a, a’ ) redoublés ( ◊ a, S
( ), ( ◊ D, d), on y mène le sujet particulier aux bords, aux limites de l’épure de son désircxxviii[i].

Pour chacun, concrètement, nous le savons depuis le triangle de la réalité (Séminaire I), ces limites
de l’épure portent les noms Amour, Haine, ignorance.

De quoi ces trois passions se trouvent-elles à ce point chargées pour qu’au travers de l’expérience de
la parole, elles s’avèrent aptes à ce transport aux limites de l’extrême ?

Qu’est-ce qui, dans l’amour de transfert par exemple, se déploie selon les voies que nous avons
dites être topologiques et définissent le sujet ?

Quelles affinités, cet amour a-t-il avec cette topologie entrecroisée autour d’un vide central ?
Perspective qui renverse la lecture habituelle des choses, car ce n’est pas au cœur de l’amour que se
révélerait un fil logique, c’est l’amour lui-même qui tente de produire cette signification presque
impossible sur le trajet qui lui préexiste.

I. AMOUR DU PARADOXE ET PARADOXE DE L’AMOUR

a. Amour du paradoxe comme disparité

D’emblée, Lacan installe le transfert dans l’intersubjectivité, mais une intersubjectivité dissymétrique. Il
parle de disparité, d’imparité. C’est en fonction de cette dissymétrie qu’il utilise le terme de topologie
propre à montrer la structure créationniste de l’étoffe humaine qui se développe autour du « ex nihilo »
subsistant en un vide impénétrable.

On sait que Platon, avec la Schwärmerei, a projeté sur ce vide impénétrable l’idée d’un souverain Bien.
Aussi, de ce point de vue, la question est de savoir comment préserver au désir une relation simple et
saluble, « débarrassée de cette infection qui est le fond grouillant de tout établissement social » (16-11-
60), rapport au Bien commun précisément. Ce n’est pourtant pas la pente de l’analyse !
183
Deux exemples : Freud et Socrate. Ils choisirent Éros pour s’en servir plutôt que servir le Bien commun.
Non sans payer d’une livre de chair ce choix scabreux. En effet, ce caractère insensé de Socrate, son
atopie, le fait qu’il n’ait pas de place, l’ont mené à la mort pour le Bien de tous. Le scandaleux de Freud,
pour Lacan, c’est la pulsion de mort, mise en évidence dans le séminaire précédent, à savoir l’idée de
l’entre-deux-morts, de la mort éternelle qui est interrogée.

Ce scandale n’est rien d’autre qu’une critique de l’intersubjectivité classique, et l’expérience freudienne
se fige dès que cette intersubjectivité apparaît. « Elle ne fleurit que dans son absence. » (id.)

Car, à la place de cette intersubjectivité, il est une autre prise dans l’analyse qui est le transfert. Ici, sujet
de paradoxe! puisque cette nouvelle prise dans la cellule analytique serait un endroit où c’est l’amour qui
se déploie de façon paradoxale, car ce dialogue à « deux » vise à apprendre à l’autre ce qui lui manque.

« De par la nature du transfert, «ce qui lui manque », il va l’apprendre en tant qu’aimant. » (23- 11-60)

L’hypothèse de Lacan est que la cure est au moins un apprentissage à aimer, si pas l’émergence d’un
savoir sur l’amour.

Comment ce paradoxe, dont la figure majeure dans le Séminaire VII prenait le tour de l’entrecroisement
des deux principes, s’incarne-t-il dans cette polarité déjà avancée : aimer et savoir l’amour ? C’est ce que
le Banquet de Platon peut nous montrer déjà.

On va retenir du commentaire de Lacan que le Banquet est une sorte de compte rendu de séances
psychanalytiques où chaque discours est éclairé par le suivant qui le suit comme un flash. (23/11/1960)
Le sujet traité étant les rapports de l’amour et du transfert.

Le thème du discours du Banquet interroge « à quoi cela sert d’être savant en amour ? » : Socrate
prétend, lui, n’être savant en rien d’autre que ça.

Ici, se rapporte le fil du séminaire de l’Éthique car l’amour grec, cet amour des beaux garçonscxxix[ii], n’est
pas une dissolution du lien social, c’est un fait de sublimation au même titre que celui dont Lacan a parlé
l’année précédente : l’amour courtois.

Le Beau, ici, prend la figure limite du vide central inaccessible, et l’amour devient cette aptitude au Beau.

L’amour, nous dit Lacan, a viré dans notre époque moderne, il a viré dans deux directions, au niveau du
lyrisme et dans la création au niveau de la fiction, c’est-à-dire le cinéma.

Ensuite, il va défendre deux thèses : que l’amour est un sentiment comique et deuxièmement que l’amour,
c’est donner ce qu’on n’a pas (p. 29 id.). L’amour grec nous permet de dégager de la relation d’amour
quelque chose de pur, quelque chose qui a à voir avec l’amant et l’aimé, évidemment au genre masculin,
mais dans une espèce de neutralité : Erastes et Eromenos. Lacan va donc nous présenter l’amant comme
sujet du désir (Erastes) et l’aimé (Eromenos) comme celui qui, dans ce couple, est le seul à avoir quelque
chose. La question étant :

« De savoir si ce qu’il a, car c’est l’aimé qui l’a, a un rapport avec ce dont l’autre, le sujet du désir,
manque ? » (23/11/1960)

Voici donc l’apparition de notre chiasme paradoxal qui doit se retourner.

Ce que va nous montrer la dialectique de l’amour au-delà des effets du langage cxxx[iii], c’est que là où
nous avions trouvé le désir (Séminaire VI) comme désir d’Autre chose, un pas de plus est faisable, car au
184
moment de bascule, au moment de retournement où la conjonction du désir avec son objet révèle
l’inadéquation de cet objet, surgit une signification qui s’appelle l’amour.

b. Le paradoxe de l’amour

La figure de ce retournement est aussi la thèse de Lacan à travers sa lecture du Banquet: substitution
métaphorique de l’amant à l’aimé.

Lacan fait cheminer sa pensée.

D’abord, l’amour est situé non seulement comme ce qui se passe dans le transfert mais comme ce qui est
causé par le transfert. Deuxième idée, il existe un lien de l’amour au manque, plus exactement à ce qui
fait qu’avec nos proches, nous ne faisons que tourner autour du fantasme dont on a cherché en eux la
satisfaction. Cet être (fantasmatique) est éternellement perdu, et pourtant, c’est lui qu’on tente de
rejoindre par les chemins du désir, car cet être, c’est celui de chacun et non pas celui du partenaire.

Aussi, le cheminement topologique prend-il d’abord une allure métonymique.

Il y va d’un objet comparable aux poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres et dont au
terme, la dernière contiendrait une signification énigmatique : un silène ou un satyre.

Or, dans l’analyse, cet emboîtement successif prend la forme d’une quête, à savoir :

« Ce qu’au terme de cette démarche l’analysant va trouver, c’est un manque qui se figure sous le vocable
de castration ou de penis-neid qui sont, nous dit Lacan, métaphores. » (30/11/1960)

De la métonymie du manque à être (figuré par cet emboîtement de poupées russes) à la métaphore de la
signification dernière (déjà présentifiée par le silène), la conduite de la cure doit être tracée.

C’est pourquoi, topologiquement dit, ce trajet autour de l’amour est un trajet qui doit nécessairement faire
apparaître un manque, comme trou.

Lacan va partir de l’Erastes, l’amant qui ne sait pas ce qui lui manque, alors qu’en face, il y a l’objet
aimé, « l’Eromenos qui lui aussi ne sait pas ce qu’il a, ce qui fait son attrait. » (30/11/1960)

Entre les deux, il n’y a pas coïncidence, car ce qui manque à l’un n’est pas ce que l’autre a de caché.
Voilà le déchirement essentiel, la discordance de l’amour. L’amour est un signifiant, il est même
métaphore. La métaphore, Lacan l’a articulée comme substitution en une formule algébrique (Séminaire
V). En effet, l’amant qui est sujet du manque vient à la place, se substitue à la fonction de l’aimé, de
l’objet aimé, voilà la signification de l’amour, terme dernier qui élève les emboîtements métonymiques à
une fonction métaphorique: une signification essentielle.

L’intérêt de cet éloge de l’amour dans le Banquet de Platon ne tient pas seulement la difficulté de dire
quelque chose qui tienne debout sur la question de l’amour, c’est de nous présenter le contour que dessine
cette difficulté, la topologie foncière, nous dit Lacan, qui empêche de dire quelque chose de l’amour qui
se tienne debout. (30/11/1960)

Il s’agit d’une opération substitutive telle celle que nous retrouverons plus tard sous la forme des Tores
enlacés, du dual du nœud (Vappereau), du retournement du tore... Lacan n’a pas encore épuré sa logique,
mais il nous en fournit la signification dans ces séminaires au point que, faute de se référer expressément
à eux, il faut bien convenir que les séminaires ultérieurs (1971 et suivants) restent absconds dans leur
sujet clinique.
185
Le niveau d’attaque du Lacan de 1960 lui permet en tout cas de reformuler le fameux couple passivité-
activité de l’amour, d’une façon qui aborde aussi bien les genres en présence (une femme peut être active
dans l’opération amoureuse de substitution) que le champ où nous croyons devoir la limiter, puisqu’il
avance par la même occasion que le « choix du destin à la même valeur que la substitution d’être à être. »
(30/11/1960). Il s’agit bien sûr de signification !

Lacan reprend sa critique de l’intersubjectivité en indiquant, ici, que ce qui est visé dans l’être de l’autre,
à savoir l’autre qui est visé comme Eromenos, l’est au titre d’objet et non pas au titre de sujet, il y a donc
lieu d’articuler ici amour, désir, objet d’amour, objet du désir.

L’amour de la rose

Ce désir pour l’objet aimé, Lacan l’image d’une main qui s’étendrait pour saisir une rose. (7/12/1960) De
cet objet qui attire la main, une main sortirait à la rencontre de la main qui est la nôtre et, à ce moment-là,
c’est notre main qui se fige dans la plénitude fermée de la rose ou de la main qui sort de la rose. Ce qui se
produit-là, nous dit Lacan « c’est un mythe qu’il invente, c’est l’amour. » (7/12/1960)

Il nous indique alors comment la première imagination, la première invention de la vérité, fut cet amour.
C’est lui qui est articulé dans la trinité chrétienne à la dimension du Saint-Esprit, par exemple. Car, il
s’agit bien d’un dieu qui se révèle dans le Réel et dont nous ne pouvons parler qu’en mythe. Ce mythe se
rapporte à l’inexplicable du Réel, car il est inexplicable que quoi que ce soit réponde au désircxxxi[iv].

Cette non-réponse qui semble répondre, ici, est donc problématique.

Il ne s’agit en rien d’une symétrie, bien plus même, Lacan insiste sur le fait que si dans l’amour, il y a
transformation de l’aimé en amant, ce n’est pas du tout substitution d’une personne à une autre.

Cette transformation non symétrique fait maintenant l’objet de la seconde partie du séminaire, au cœur de
laquelle nous allons privilégier la topologie de l’amour.

II. TOPOLOGIE DE L’AMOUR (Séances V à VII)

L’amour, nous le connaissons par la théorie analytique, car le transfert le met en cause suffisamment
profondément pour y introduire une dimension essentielle qui est son ambivalence, donc le couple amour-
haine.

Il est assez étrange de voir réapparaître l’amour, la haine, ces deux passions du triangle de la réalité dont
Lacan nous a parlé dans le Séminaire I.

Manque évidemment l’ignorance, mais quand on pense que peu de temps plus tard, Lacan va intégrer le
transfert à la dimension du supposé-savoir, on aura donc bien les trois angles du triangle de base à leur
point de projection commun, trois des côtés du tétraèdre.

186
Ceci, c’est pour aller à la rencontre, dit Lacan, de quelque chose dont on a déjà serré la topologie
subjective, à savoir que dans l’analyse, le sujet va à la recherche de ce qu’il ne connaît pas et dont il
manque. On n’est pas encore à interroger l’Autre dans sa relation au savoir-supposé, mais on voit qu’on
chemine dans cette direction.

« C’est dans ce temps, dans cette éclosion de l’amour de transfert, ce temps défini au double sens
chronologique et topologique que doit se lire cette inversion, si l’on peut dire, de la position qui de la
recherche d’un Bien, fait, à proprement parler, la réalisation d’un désir. » (14/12/1960)

On voit que Lacan introduit, ici, le terme du cheminementcxxxii[v] : la réalité émergeant du désir comme
tel, à défaut de la possession d’un objet. L’amour, la haine, voire l’ignorance, mettent en scène ce
cheminement.

Par rapport au séminaire de l’Éthique, ce cheminement est sensible. Le Beau, le Bien n’y étaient encore
que des barrières au vide central de l’éthique. Qu’y-a-t-il au-delà de cette barrière ? Sommes-nous
condamnés à errer dans le champ de l’entre-deux-morts ?

Suivre la voie du désir, selon Lacan, revient à se détourner de tout objet-barrière, Beau ou Bien, pour faire
surgir ce qu’ils recachent : le manque qui fait cheminer.

L’opération d’émergence de la fonction du manque est présentée topologiquement par un médecin, dans
le Banquet de Platon : c’est Eryximaque qui, s’appuyant de la physique de l’époque, compare cette
émergence aux vases communicants qui peuvent, par un brin de laine, commuer le manque en plein, et
vice versa, non sans retrouver au terme de l’échange son Bien dans l’harmonie finale qui assagit les
contraires.

On peut donc penser que la suite du séminaire nous présentera cette émergence « in situ analysis » et que
le dispositif dialectique des intervenants successifs du Banquet sera structuré de manière à la rendre
possible.

En effet, nous assistons bien à la première émergence dans l’histoire, à la première tentative de rendre
l’univers discursif.

La visée de cet univers du discours est la « Chose » (to pragma). C’est à cette opération que s’est
identifié Socrate.

Ce que Socrate apporte de neuf par rapport à la theoria (le discours) ambiante, c’est l’idée qu’au-delà des
contradictions de cette theoria, il faut garantir le savoir. Car, le discours engendre la dimension de la
vérité et on voit bien que c’est la raison pour laquelle Lacan va utiliser Socrate puisque c’est grâce à lui
que l’amour naît comme relation au sujet supposé-savoir. L’amour se trouve donc à la place où
s’interpelle la garantie de ce savoir, place de Vérité, au-delà de ◊ D dans le graphe, en direction de S( ),
nécessité par la boucle rétroactive.

187
Or, renvoyer au pur discours, c’est renvoyer à la combinatoire du signifiant, voilà ce que pense Lacan. De
là, vient la position de Socrate, son côté insituable, ce qui s’appelle l’atopia de Socrate, laquelle atopia
est exigible, dit Lacan, de nous tous. Cette atopia est ce qui a introduit toute une série de recherches sur la
morale, la politique, même sur l’art, elle est « une sorte de perversion sans objet ». (21/12/1960)

Cela pourrait être le titre effectivement de ce séminaire sur l’amour, de ce séminaire sur le transfert.

Si la position lacanienne, ici, laisse entendre que le Réel se dégage de l’univers du discours, soit de la
combinatoire du signifiant, le doute, lui, vient cependant de l’y égaler totalement ainsi qu’en témoigne les
références de Lacan à Galilée et à Kepler, à Koyré, aux mathématiques. Elles vont, dans un certain sens,
qui est d’interroger le rapport que le Réel entretient avec ce mouvement circulaire, voire elliptique, qui est
celui grâce auquel le signifiant a rogné sur ce Réel dans ces siècles grecs de naissance de la science. Ceci
ramène Lacan aux êtres sphériques dont parle Aristophanecxxxiii[vi].

« Cette sphère a tout ce qui lui faut, elle est pleine, elle est l’enveloppe du vivant comme tel. »
(21/12/1960)

Trouer la sphère

Ces êtres sphériques, qui ont leur fondement dans la structure imaginaire et qui ne se laissent accrocher
par rien, ne doivent leur existence qu’à la Verwerfung de la castration, laquelle se trouvera opérée par une
manœuvre ultérieure de déplacement des génitoires. Opération donc sur les organes génitaux qui, d’une
certaine façon, fait référence au Phallus et explique en quoi tout ce discours d’Aristophane est du ressort
du comique.

De la circularité céleste aux corps sphériques d’Aristophane, une même question tend à se poser que nous
pouvons, depuis Freud, exprimer autrement.

- Pourquoi le désir est-il suspendu sous forme métonymique à une chaîne signifiante, chaîne
constituante du sujet, lequel est distinct de « l’individualité qui ne dépend, elle, que de l’hic et
nunc » ? (11/1/1961).

- Parce que cette chaîne qui détermine le sujet est articulée hors de la conscience, il s’agit donc de
la seconde chaîne parallèle dans le graphe, elle aussi chaîne signifiante.

Ligne idéogrammatique, en quelque sorte, elle permet qu’une demande se maintienne de manière
éternisée dans le sujet. Freud en a désigné le support dans la pulsion de mort, « caractère mortiforme de
l’automatisme de répétition ». (11/1/1961)

Ce qui fait le paradoxe de la position freudienne, c’est l’existence de ce désir qui va à l’encontre de tout
évolutionnisme et de toute adaptation dans la mesure où il constitue un désordre permanent dans le corps.
De la même manière que les ptoléméens essayaient de sauver les apparences en construisant un certain
nombre d’épicycles pour rendre compte de la circulation des astres, de la même manière, les
psychologues utilisent le besoin pour tenter de parler de cette fonction du désir humain ; or ce désir, nous
dit Lacan, « c’est ce dont il essaie de fonder la topologie de base dont on a vu se dégager l’an dernier, le
rapport dit de l’entre-deux-morts. »

Il nous importe de faire remarquer que depuis toujours dans l’histoire de la pensée, on a voulu tenter, à
l’aide d’une topologie, de rendre compte de ce rapport de l’homme au Réel qui était à l’époque
l’ordonnancement des astres. De la même manière maintenant dans la psychanalyse, nous tentons, à l’aide
d’une topologie, de rendre compte de ce rapport non plus aux astres, mais au désastre en tant que la mort,

188
effectivement, vient en jeu comme un phénomène inassimilable et pourtant inhérent au désir dans
l’espèce humaine.

Ce qui a viré, est le caractère harmonieux de cette ancienne topologie astrale et sphérique du fait de la
définition de la zone d’entre-deux-morts, de la non-coïncidence entre la frontière mortelle qui est liée à la
dégradation et au vieillissement, et une autre frontière qui est celle où l’homme, en tant qu’être, aspire à
s’y anéantir. En même temps, c’est pourtant dans cet anéantissement, qu’il parvient à s’éterniser !

Aussi, la marque spécifique de cette topologie n’est pas tellement la dimension de la mort comme telle,
que la dimension du « il ne savait pas »cxxxiv[vii] qui demande à se déployer dans un espace propre, où
pourtant un certain nombre de désirs se déploient à leur tour.

La demi-solution socratique

La position de Socrate est d’abord présentée par Lacan comme visant à installer la science, mais pas au
sens que nous lui donnons actuellement, mais au sens qui est celui que Lacan lui donne, à savoir « donner
une position d’absolue dignité au signifiant ». (11/1/1961)

Ensuite, du fait de cette cohérence du signifiant, Socrate, implacablement, veut nous montrer l’abolition
de la crainte et du tremblement devant la seconde mort.

Du fait de ce parti-pris, Socrate se présente comme quelqu’un qui repousse toute métaphore, mais qui
joue sa vie dans la question forcée, dans ce qu’on pourrait appeler une formidable métonymie dont le
résultat est ce désir qui s’incarne dans une affirmation d’immortalité.

Lacan avance aussi que l’âme, à laquelle nous avons à faire dans la tradition chrétienne, est un sous-
produit de ce délire d’immortalité de Socrate, résultat de ce « noyau psychotique » qui fait qu’il pense que
l’éternité pourrait se passer à discuter de ce questionnement infini dont il a fait son désir.

On peut maintenant s’introduire dans la topologie du désir de Socrate que les contemporains avaient bien
désigné puisqu’ils parlaient de son atopie. Il s’agit d’une pureté topique d’où se désigne le point central
de l’entre-deux-morts qui est la topique socratique, une sorte de place du désir vide qui ne devient plus
pour Socrate que « désir de discours » (11/1/1961).

Cette atopie reste une question pour Lacan et il la compare avec ce qui se passe dans le transfert. Car
dans le transfert, la question ne se limite pas à ce qui se passe chez le patient, elle implique aussi
d’interroger le désir de l’analyste. Autrement dit, cette pureté topique socratique n’est peut-être pas celle
qui convient telle quelle à l’analyste. C’est pourquoi Lacan se pose la question de ce qui est attendu chez
l’analyste, de ce qui, au-delà de son Inconscient, est devenu un savoir, de ce qui résulte de ses fantasmes :
« de ce qui de la castration est ce qui doit être accepté au dernier terme de l’analyse et quel doit être alors
le rôle de sa cicatrice dans l’Éros de l’analyste ? » (11/1/1961)

C’est dans cette topologie esquissée à partir des coordonnées du désir, que Lacan va tenter de situer le
désir de l’analyste ; l’analyste n’est ni un Socrate, ni un saint, et pourtant il ne peut, dans son désir à
l’égard de la cure, se suffire d’une référence dyadique. Lacan parle de la longitude et de la latitude des
coordonnées que l’analyste doit être capable d’atteindre pour occuper la place qui est la sienne et qu’il
doit, nous dit-il, au désir des patients.

C’est ici que le Banquet nous intéresse avec le problème de l’amour.

Pourrons-nous y retrouver dans la suite, la réponse à cette énigme topologique ?

189
Sans doute dans l’intervention de Socrate, entre le discours tragique et comique.

En effet, ce changement avec le discours de Socrate qui suit le discours d’Agathon consiste en ceci que,
quittant le registre de l’ironie, Socrate, lui, introduit la fonction du manque, « essentielle, constitutive de
la relation d’amour ». (18/1/1961)

Il y a, ici, une série de questions qui ne sont pas prises en compte par Platon,

- c’est le remplacement de la notion d’amour par celle de désir,

- c’est évidemment l’introduction de la fonction du manque, mais aussi la substitution de Diotime à


Socrate. Or, cette substitution est justement ce qui est problématique : « Socrate interroge le
signifiant sur sa cohérence de signifiant, et il pense pouvoir échanger Eros et désir ; s’il passe la
parole à Diotime, peut-être est-ce parce que sa méthode ne lui permet pas, en ce point, d’aller plus
loin? » (18/1/1961)

Lacan pose les questions !

La fonction du signifiant amour est d’être signifiant du Désir et, cela dit, la nature de la « Chose » en
question serait ce qui interdit à Socrate de parler, sauf à substituer à son énonciation celle de sa femme.
Est-ce à dire que la substitution, Amour-Désir qui double celle de l’éromenos-érastes se redouble en plus,
des signifiants homme et femme ou, à tout le moins, que ces derniers seraient appelés à incarner cette
substitution ? Espèce de chiasme que nous avons déjà rencontré dans le séminaire des psychoses
(Séminaire III) quand le paranoïaque, dans son délire, échange les voies de la signification et celle du
signifiant.

De cette substitution naîtrait, pour Socrate, un savoir transparent issu de la seule loi du Verbe et, sans
doute sur le point précis à débattre, Platon le met en échec.cxxxv[viii]

Or, cette cohérence du savoir dans son rapport à la cohérence du signifiant est battue en brèche par Freud,
puisque la cohérence du signifiant existe sans que cela comporte un savoir transparent, qui est justement
l’Inconscient. C’est pour cela que le discours de Socrate s’arrête, car il est devant cet objet, l’amour,
incapable de poursuivre au-delà d’une certaine limite que nous permet de franchir la pensée freudienne.

Lacan parle de la division de Socrate entre lui et une femme comme d’une espèce dioecie cxxxvi[ix] déjà
repérée dans la substitution de l’amour et du désir, et que Lacan va articuler avec ce qu’il appelle la
refente subjective ou la Spaltung freudienne.

Autrement dit, Socrate se trouve en ce point où , il ne peut, dans sa confusion subjective que s’appuyer
sur l’autre pour échapper à cette division, c’est pourquoi, « on voit surgir les mythes au moment qu’il en
est besoin pour suppléer à la béance de ce qui ne peut être assuré dialectiquement. » (18/1/1961)

Dans le mythe d’Éros, Lacan articule comment c’est le masculin (poros) qui est désirable et c’est le
féminin (aporia) qui est actif, ce qui justifie la formule de Lacan : aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas.
Et de ce discours sur l’amour, Diotime va nous dire qu’au fond, il prend la forme de la définition que
Lacan donne à cet amour parce que ce discours, nous pouvons le tenir (et qu’il est vrai) sans qu’on puisse
le savoir, c’est-à-dire qu’il relève de la doxa et pas de l’épistémè.

Nous comprenons mieux maintenant pourquoi, à l’entame de ses séminaires, dès le Séminaire I, Lacan
rompit une lance contre l’épistémè, mais en faveur de la « doxa »cxxxvii[x], car la « doxa » laisse au savoir
un champ insu de l’épistémè, celui de la vérité, affirmait-il à l’époque.

190
S’ensuit alors une succession, une série de transformations de la « combinatoire qui s’exprime dans une
démonstration géométrique et en quoi consiste la transformation de toutes les figures à mesure que le
dialogue du Banquet s’avance. » (25/1/1961)

Le transport du Beau

Diotime introduit cette nouveauté que le Beau est le Bien qui a à voir avec l’amour et son manque, est
manque à en jouir, dans la mesure où ce Beau est lié à l’être, et à l’être mortel. Cet être mortel, c’est celui
qui se perpétue par la génération et par la destruction. Voilà donc le Beau lié à ces deux dimensions.

Le Beau, ici, est ce qui aide à franchir les caps difficiles, c’est ce passage, c’est une illusion, c’est un
mirage qui soutient l’être dans sa quête de pérennité.

Le Beau se trouve donc placé dans cette double fonction à la fois de soutenir l’amour et à la fois, on l’a vu
dans le Séminaire VII de l’année précédente, destiné à défendre l’accès à cette zone de l’entre-deux-
morts. Le Beau égale par son voile aussi, le désir de mort en tant qu’inapprochable. Dans le discours de
Diotime, le Beau qui était mode de transition devient le but même de ce qui va être cherché. Il devient en
quelque sorte l’objet en tant que tel.

« Le Beau qui est d’abord pris sur le chemin de l’être devient, en quelque sorte, le but du cheminement »
(25/1/1961).

C’est, nous dit Lacan, la définition de la fonction métonymique dans le désir. Dans ce pas, nous sommes
passés du niveau de l’avoir à celui de l’être. Il s’agit d’une transformation d’un devenir du sujet.

Cette opération de « substitution » de l’avoir à l’être, qui est plus une transformation, justifie
l’introduction du terme identification qui fera l’objet de l’étude suivante de Lacan, durant l’année
1961/1962. Car plus le sujet désire, plus il devient lui-même désirable.

« Pour tout dire, plus le sujet porte loin sa visée, plus il est en droit de s’aimer, si l’on peut dire, dans son
Moi idéal comme nous dirions : plus il désire, plus il devient lui-même désirable. » (25/1/1961)

Lacan commente l’intérêt de bien saisir comment cette doxa se trouve prise entre l’épistémè (la science)
et l’amartia (l’ignorance) : c’est que la doxa est une espèce d’opinion vraie qui ne sait pas en quoi elle est
vraie, et la « mise en scène platonicienne » du dialogue concerne les choses de l’amour en tant que
justement Socrate y connaît quelque chose à la seule condition de n’en rester que dans la zone du : « Il ne
savait pas ».

Ici, nous retrouvons nos marques passées. Aussi bien par l’évocation de la doxa que par la formule « il ne
savait pas ». Peut-être aussi entrevoit-on mieux la dimension intermédiaire dans laquelle se complaît
Socrate à tous égards.

Le virage essentiel de ce Séminaire VIII se situe très précisément en ce point subtil car au travers du
Beau, du Bien et de la conversation rapportée de Diotime et Socrate, ce que Lacan vient de glisser d’une
façon qui ne sera plus jamais révisée dans son oeuvre, fonction centrale dans l’aventure de la cure, c’est
la place du Savoircxxxviii[xi], doxa entre Savoir (épistémè) et ignorance (amartia) .

L’agalma, objet de la « doxa »

Ce que l’entrée d’Alcibiade dans la suite va nous montrer, c’est que cette transcendance où nous avons vu
jouer la substitution de l’autre à l’autre (érastes-éromenos), peut s’incarner in vivo, avec cette nuance
cependant, qu’il faut être trois pour aimer.
191
Lacan parle à propos de la rencontre Socrate-Alcibiade de l’irruption du fantasme qui susciterait cette
espèce de pudeur de la part de Socrate, et dont Alcibiade aurait franchi les limites.

Tout ceci tourne autour du mot agalma.

C’est que le Beau cesse d’être la seule référence à « la Chose » car, dans le Désir, un objet vient alors lui
faire concurrence ! Cet objet ramène dans le sujet une division qui s’appelle la pudeur devant le fantasme,
là où le Beau fait barrière au néant de « la Chose » pour ce même Humain dans l’Éthique. L’objet a du
fantasme est cité par Lacan, il fait pendant au Beau, il surgit par transgression dans la vérité du vin. Des
trois personnages à la structure de l’agalma, nous retrouvons notre topologie !

- Versant-appel à l’Autre, il s’agit du ternaire isolé dans les formations de l’Inconscient, ternaire du
mot d’esprit ;

- versant-objet, l’agalma se révèlera gigogne, poupée russe, silène.

Étiré de l’un à l’autre, ◊a!

C’est au moment où Alcibiade introduit la comparaison de Socrate et du silène que nous entrons, nous dit
Lacan, dans une dimension topologique, puisque le silène est une enveloppe, une enveloppe qui contient
un agalma, c’est-à-dire une espèce d’objet précieux, à l’intérieur.

Voilà qui nous éloigne de la dialectique du Beau, car ce n’est qu’en apparence que Socrate est amoureux
des beaux garçons. Ce qui est en cause, c’est ce qui est à l’intérieur, derrière l’apparence, c’est-à-dire
l’agalma.

Un peu comme la « Lettre volée »,ou comme l’objet fétiche, ces agalmata nous entraînent dans une
espèce de subversion qui fait que nous obéissons aux commandements de celui qui les possède, et Lacan
accole cette dimension de l’agalma à celle qu’il a traité dans sa topologie du graphe, c’est-à-dire autour
du point du Che vuoi - que veux-tu ? En d’autres termes, dit-il, « y-a-t-il un désir qui soit vraiment ta
volonté ? » (1/2/1961)

Il existe une topologie de cet objet brillant, partiel, agalma, tout comme il existe une topologie de l’amour
de ce fait, topologie triple du sujet, du petit autre et du grand Autre (1/2/1961), topologie modifiée aussi
par l’apparition du discours socratique quant à l’amour.

Et, ce qui modifie cette topologie amoureuse est une interprétation : « tout ce que tu viens de dire, c’est
pour Agathon que tu (Alcibiade) l’as dit. »

Et, plus précisément, pour mettre cet Agathon en garde devant Socrate.

On connaît cet agalma que recèle Socrate pour Alcibiade puisqu’il suffit qu’on l’entende parler, ou
entende quelqu’un qui rapporte cette parole, pour se trouver dans la position de celui qui est transporté
d’ivresse par la musique, pour se trouver possédé. C’est ce trésor, cet objet qui déchaîne le désir.

Or à ce moment, Socrate se dérobe. Il refuse d’entrer dans le jeu de l’amour, il met en évidence que lui,
Socrate, sait qu’il sait des choses de l’amour et « c’est parce qu’il sait qu’il n’aime pas ». (8/2/1961)

Socrate refuse de montrer à Alcibiade ce qui ferait la métaphore de l’amour : s’admettre comme aimé, de
désirant, d’aimant, qu’il était préalablement ! Il ne veut pas, autrement dit, être désirable parce qu’il
pense qu’il n’y a en lui rien d’aimable, il n’est dans son essence qu’un vide. Noli me tangere !

192
Alcibiade saisit que Socrate refuse d’être le simulacre, le dupecxxxix[xii] de cette opération métaphorique
de substitution.

A cette place du leurre, un nouveau discours semble surgir du fait de Socrate dont le Bien, objet du Désir,
vire au savoir alors que ce qu’Alcibiade cherche dans Agathon, « c’est le point suprême où le sujet
s’abolit dans le fantasme, c’est le point des agalmata. » (8/2/1961)

L’abolition du sujet dans le fantasme, objet de ce que nous appellerons la perversion d’Alcibiade, est bien
ce que redoute Socrate, car ce démon d’Alcibiade tend à faire surgir le point où l’image réelle du miroir
sphérique (Séminaire I) vient se redupliquer, image narcissique, en ◊ a, comme image du fantasme à la
merci des vacillations qui lui viennent de l’Autre: incarnation imaginaire du Sujet.

« Nous voyons là l’approche de cette révélation qui est la nôtre, qui est que les choses vont de
l’Inconscient vers le sujet qui se constitue dans sa dépendance, en remontant jusqu’à cet objet noyau que
nous appelons ici agalma. » (8/2/1961)

C’est pourquoi, le Banquet recèle en lui quelque chose de tout à fait radical concernant l’amour : « ce
dialogue, nous dit Lacan, est constitué de telle sorte que ne comprennent que ceux qui ont à comprendre
et pas les autres ».

Il y a donc un élément exotérique, un élément fermé dans ce dialogue (on peut dire aussi que toute
l’écriture de Lacan est construite de cette manière). Il y aurait dans les propos métaphoriques de l’agalma
caché à l’intérieur de Socrate, la structure capable d’articuler tout ce qui est fondamental concernant la
position du désir dont le résumé topologique est constitué par ce que nous appelons le graphe. L’essentiel
de cette topologie est constitué par le dédoublement des deux chaînes signifiantes où se constitue le sujet.
Le désir se réfère à la chaîne signifiante inconsciente qui est constitutive du sujet qui parle, et il est
métonymique du fait de l’existence de cette chaîne signifiante, à savoir qu’il y a là, glissement indéfini
des signifiants sous la continuité de la chaîne signifiante. A l’intérieur de cette chaîne, tout ce qui vient
s’y présenter devient équivalent et peut se trouver échangé.

« C’est, dans la mesure où quelque chose se présente comme revalorisant, la sorte de glissement indéfini,
l’élément dissolutif qu’apporte par elle-même la fragmentation signifiante dans le sujet que quelque chose
prend valeur d’objet privilégié, et qui arrête ce glissement infini. C’est dans cette mesure qu’un objet a
prend, par rapport au sujet, cette valeur essentielle qui constitue le fantasme fondamental où le sujet lui-
même se reconnaît comme arrêté. » (1/3/1961)

Ce que Freud avait mis en évidence sous la forme de la surestimation de l’objet d’amour comme de son
ravalement d’ailleurs, trouve sa raison en ce point. L’objet prend sur lui la dignité perdue par le sujet dans
cette opération de glissement signifiant.

Dans cette identification au fantasme, le désir prend consistance et il se détermine du lieu de l’Autre, lieu
de la parole qui est à la fois un lieu, et qui est en même temps une question portée sur ce qui le garantit
lui-même. Autrement dit, cet Autre est évanouissant et l’amour, comme tel, est une question adressée à
cet Autre de la parole quant à savoir ce qu’il peut nous donner. Par rapport à l’amour, l’apparition du
désir est en quelque sorte une déchéance puisque le désir relève de l’objet, alors que l’amour vise l’Autre,
il vise le sujet.

Concevoir le transfert en psychanalyse comme seule répétition est manque de ce que l’amour y introduit
de spécifique, du fait du signifiant. Ce qui est spécifique est une création ex nihilo du fait de la métaphore
substitutive entre l’érastes et l’éromenos. Il existe donc un usage créatif du signifiant et, pour une fois,
Lacan laisse pointer la Chose !

193
L’ex nihilo prend ici un nom spécifique : c’est le non-savoir. Non-savoir sur ce qui est en jeu dans
l’amour: le véritable désir du sujet, voilà peut-être ce qui différencierait l’amour du commun des mortels,
de l’amour de transfert. La fin de cette séance XII du 1/3/1961 nous permet de l’inférer quand Lacan
termine en rassemblant les termes avancés. D’abord, qu’Alcibiade se fait complice du désir du sujet,
puisque ce désir est lié à une certaine ignorance ; c’est-à-dire que, d’une certaine façon, il le fait sans le
savoir, ce désir est le désir de l’Autre et ce désir de l’Autre est un désir sans que nous le sachions. Du fait
de cette ignorance et de ce désir de l’Autre, Alcibiade est possédé par cet amour de transfert qui le
renvoie à son véritable désircxl[xiii].

Le transfert, en ce moment, se trouve désigné d’une façon nouvelle par ces liens du désir au savoir, dont
l’amour est une figure créative. La fonction du supposé savoircxli[xiv] est, elle aussi, en train de naître
dans la conception lacanienne. Le savoir, notons-le, est situé dans l’Autre et de ce fait, se désigne par le
Che Vuoi adressé à l’analyste.

Ce dernier point complète, pour Lacan, la topologie de l’amourcxlii[xv], termes qu’il emploie explicitement
dans la séance XIII du 8/3/1961.

S’introduit alors la question du contre-transfert autour de ce qu’on appelle la communication des


Inconscients et de l’inanalysé des analystes !

Pour faire saisir ce qui reste d’Inconscient inanalysé chez un analyste, Lacan se sert de la métaphore de la
caisse du violon dont on possèderait les cordes. Il y aurait là toute la question d’un Inconscient assoupli,
un Inconscient et, en plus, l’expérience de cet Inconscient, tout comme l’exercice quotidien de la musique
permet de faire résonner un instrument de l’écriture musicale qui pourtant nous vient d’un autre.

Ce point de passage où la qualification est acquise reste à élucider. Ce sera la Passe, qu’il nommera en
1967.

L’instrument topologique dont nous avons à jouer est la topologie en train de se construire. Lacan nous
rappelle comment « c’est d’abord comme Inconscient de l’Autre que se fait toute expérience de
l’Inconscient. » (8/3/1961)

Lacan veut dire que le désir de l’analyste est partie intégrante de cette topologie. Ce désir, plus fort que
l’amour où la haine, serait lié à la pulsion de mort, celle qui faisait le cœur de l’Éthique. La pulsion de vie
serait comme un détour d’une pulsion compacte, abyssale, qui est cette pulsion de mort.

Topologiquement parlant, on pourrait donc parler de la répétition foncière du développement de la vie


comme ce qui, sur la bande moebienne, s’y découperait par opposition à ce qui est abyssal, qui serait le
trou de la bandecxliii[xvi].

Ceci préfigure la prise de position ultérieure de l’analyste dans ces abysses sous la forme du tore enlacé.

Pourquoi cette extraterritorialité de la topologie du Sujet ?

Parce que l’objet petit a, l’agalma dans la topologie de la situation analytique, fonctionne dans l’Autre.
En ce sens, il n’y a pas lieu de qualifier cette position de a, de contre-transférentielle, car il s’agit d’un
effet irréductible de la situation de transfert par lui-même, en tant que le transfert met en jeu l’amour et
que, comme tel, l’amour, c’est l’opération de cette substitution de l’amant à l’aimé autour de cet objet.

Du fait du transfert, nous dit Lacan, « nous sommes celui qui contient l’agalma, l’objet fondamental qui
dans l’analyse constitue le fantasme fondamental, devant quoi le sujet vacille, car c’est lui, le petit a, qui
instaure le lieu où le sujet peut se fixer comme désir. » (8/3/1961)
194
III. DES OBJETS QUE CETTE TOPOLOGIE ENSERRE

Trois types d’objets peuvent surgir ici : les objets d’amour, les objets de la demande, et l’objet du Désir.

Il s’agit donc d’interroger les rapports de la demande du sujet avec son désir, étant entendu que ce dont il
s’agit dans l’analyse, c’est essentiellement de la manifestation du désir du sujet, dans un dispositif
disparate, subjectivement parlant. Car tout ce qui se demande pour un sujet doit être situé à la fois dans un
au-delà qui est la demande d’amour, dans un en-deçà qui est le désir.

Toute demande évoque, de par sa structure, sa propre forme transposée selon une certaine inversion.
(Exemple : la demande d’être nourri implique aussi la demande de se laisser nourrir). Entre ces deux
demandes − être nourri et se laisser nourrir − il y a un écart qui fait que si les deux demandes parvenaient
à se recouvrir, ce qui se trouverait perdu, c’est le désir qui viendrait à s’y éteindre. Ne pas se laisser
nourrir, refuser en quelque sorte de disparaître comme désir du fait d’être satisfait comme demande, voilà
ce qui est constaté dans l’anorexie, par exemple.

Le champ intermédiaire, qui ne peut pas être satisfait, est aussi celui de notre topologie subjective dans
sa disparité psychanalytique, puisque le partenaire, l’analyste, s’y maintient asymétrique.

Car le désir est, en quelque sorte, la trace de la demande sexuelle, à savoir qu’à travers la demande de se
nourrir, c’est du corps de l’autre qui le nourrit dont le sujet primitif a à se nourrir, en fait. Autrement dit, il
a à se nourrir d’une relation à l’autre qui débouche dans une union des corps.

La libido : « c’est ce surplus qui rend vaine toute satisfaction du besoin et qui, au besoin, refuse cette
satisfaction pour préserver la fonction du désir. » (25/3/1961)

Comme dans le cas du refus de manger où la chaîne signifiante exprime la tendance par l’intermédiaire de
la négation de la satisfaction.

Répondre symétriquement à la demande, équivaut de ce fait, à la destruction du champ topologique où le


désir du sujet doit se déployer, en même temps qu’il interdit à l’objet du désir de se loger dans l’imparité
du partenaire psychanalyste.

Le problème est que cette topologie s’élabore au fil de l’avènement de la libido qui migre selon la
prévalence des zones érogènes dans le développement , alors qu’au terme, cette libido s’inscrit dans
l’érotique du corps. Dans l’un et l’autre cas, le désir s’écarte de la satisfaction de la demande : dans la
faim, par exemple, rapport au creux qu’esquisse déjà le cri, tandis qu’à l’autre extrême, il y a l’objet qui
prendra son poids dans l’érotisme humain qui est le sein, dans sa fonction d’agalma.

Car, ce n’est pas de la faim primitive que la valeur érotique de l’objet prend sa substance. Éros vient après
coup du fait que, dans la demande orale, se creuse la place du désir et, par le circuit de la demande et l’au-
delà d’amour qu’elle projette, se crée cette place pour le désir qui se constitue autour de cet objet
privilégié qui était celui du besoin.

Il y a là, nous dit Lacan, « une espèce de sublimation inversée ». On notera :

- que la fonction de la demande orale est une fonction de creusement,

195
- que Lacan présente la place du désir comme l’effet d’un creusement et

- que le Désir, en deçà de la demande, est homotopique à la sublimation-barrière au vide central.


Cette homologie est une sublimation inversée devant ce creux redupliqué.

Mais, si la sublimation se déploie dans le champ métaphorique du Sujet, l’objet du désir, sous la ligne du
signifiant inconscient, organise le champ de la jouissance à partir de l’Autre, à partir des objets pris dans
l’Autre. Une série d’objets s’ordonne à partir d’ici, non pas comme objets de maturation mais, comme
objets du désir de l’Autre du fait de l’introduction du PHI comme signifiant dans la dialectique
inconsciente.

(PHI signifiant du manque dans l’Autre)

Le Phallus pourtant existe aussi comme objet dans la phase phallique. Il doit être distingué du Phallus
comme signifiant du manque dans l’Autre, bien que se situant lui aussi dans le champ de l’Autre. Comme
objet, il en est manquant, il s’en arrache au même titre que le sein ou le symbole, mais pas dans la même
topologie. L’objet a résulte de cette soustraction du PHI comme objet imaginaire à A. L’objet a
symbolise ce qui manque à A dont le désir est une énigme.

Ici, s’inaugure toute la dialectique de la castrationcxliv[xvii].

Aussi, le complexe de castration est à côté de ce qu’on appelle la phase orale et la phase anale, le
troisième stade, la troisième phase où viendraient se conjoindre le désir et la demande dans une espèce de
répondant entre le sujet et le désir de l’Autre. Il y a là, nous dit Lacan, « quelque chose qui tient à la
fonction sexuelle comme telle, et non plus à une sexualisation d’une autre fonction » (19/4/1961).

On peut saisir que cette topologie enserre un même objet (a) dont la spécification peut être multiple selon
les soustractions de A dont il est l’effet. Petit a est le signe qu’une soustraction s’est réalisée de A et
comme objet, il s’offre dans le fantasme à être l’objet de ce signe de l’exclusion interne.

Deux voies de réalisation s’offrent, ici, aux sujets névrosés :

Hystérique : a/-phien s’identifiant à l’objet d’une soustraction dans l’Autre pour marquer et masquer à
quel point cet autre est impuissant, car c’est lui qui est visé.

Obsessionnel : A ◊ PHI (a, a’, a’’, a’’’) en tentant de frapper le Phallus dans l’Autre pour guérir la
castration symbolique, ce qui se réduit à une sorte d’insulte à la présence réelle. Et pour se faire, il
dégrade le signifiant PHI à l’équivalence érotique d’une série d’objets.
196
Le surgissement de l’objet se fait aussi corrélatif de la place de l’analyste dans la cure, dans la mesure où
il incarne ce signifiant PHI qui manque toujours comme garantie de cet Autre.

En plus de ce lieu de l’Autre, il faut considérer aussi la topologie du désir de cet Autre, désir de l’analyste
qui vient à jour dans sa théorisation dans ce séminaire sur le transfert.

La forme que prend la mise à jour de ce désir est une supposition de Savoir, nouveauté dans toute
l’histoire psychanalytique, héritière du coup de force socratique, elle s’en démarque par une non-
dérobade.

Autrement dit, cette supposition n’est rien d’autre que le fait que le psychanalyste s’égale à celui qui voit
l’objet du fantasme, lequel objet ne peut être saisi par le patient que dans un point de dégradation
imaginaire de l’Autre qui le fait défaillir, lui, comme sujet.

Est-ce que nous ne pouvons pas dire que la topologie, comme telle, est l’incarnation de cette supposition
de la voyance de l’analyste qui se rassemble en une espèce de construction créatrice ?

De même que la paranoïaque se créait sa topologie délirante par éautoscopie de même, dans l’analyse,
se déploie dans l’Autre une topologie sous forme d’un savoir logique qui fait pièce à l’ignorance du
triangle augustinien de la réalité.

A défaut d’une topologie spécifique (en 1961) du champ de la castration où se démystifieraient ces objets,
ces signifiants et les places respectives du patient et de l’analyste, c’est au théâtre que Lacan fait appel au
travers de la trilogie claudélienne : « L’otage, le pain dur et le père humilié ».

Nous n’allons pas scruter de près le cheminement de ce théâtre, pour la raison qu’il prend la place d’une
topologie à venir qui montrera que « l’image du père qui est sortie à l’horizon de l’humanité, se rend
nécessaire par la mise en oeuvre de la dimension du désir dont il serait consubstantiel. » (10/5/1961)

« Place du père qui s’efface (à notre époque), dans la mesure où nous perdons le sens et la direction du
désir » ajoute Lacan. Et ceci se double de ce fait que la mère est d’autant plus castratrice qu’elle n’est pas
occupée à castrer la père. Raison pour laquelle nous ne pouvons plus opérer comme Freud qui, dans
l’analyse, prenait la position du père.

Quelle doit être alors la position de l’analyste maintenant pour pouvoir maintenir ce cap du désir ?

Tout cela, précise Lacan, vise à remettre au cœur du problème de la castration, la constitution du sujet du
désir comme tel, car : « La castration est identique à ce phénomène qui fait que l’objet de son manque, au
désir − puisque le désir est manque − est, dans notre expérience, identique à l’instrument même du désir,
le phallus. »

Autrement dit, même dans des types de réalisation du désir qui ne relèvent pas particulièrement du plan
génital, il faut qu’à cette place symbolique, le Phallus devienne l’instrument du désir en tant qu’il est
porté à la fonction du signifiant. Cette place est la place du point mort occupée par le père en tant que
déjà mort.

« Il faut que les choses repassent par un zéro », dit Lacan, entre le oui et le non, entre l’amour et la haine,
entre la complicité et l’aliénation, car la loi pour s’instaurer comme loi nécessite comme antécédent la
mort de celui qui la supporte.

Les schémas topologiques devront permettre de nous repérer dans cette béance radicale qui implique donc
la mort de celui qui supportait la loicxlv[xviii].
197
« Le désir achevé n’est pas simplement ce point, c’est ce qu’on peut appeler un ensemble dans le sujet,
ensemble, dont j’essaie non seulement de vous marquer la topologie dans un sens paraspatial, la chose qui
s’illustre, mais aussi les trois temps de cette explosion au bout de quoi se réalise la configuration du
désir ».

Lacan fait appel alors aux trois générations nécessaires pour situer la composition du désir chez un sujet:
premier temps, l’image de Sygne de Coûfontaine et la destruction de son être ; deuxième temps,
l’apparition d’un enfant qui représente au fond l’objet rejeté, l’objet non désiré ; troisième temps,
troisième génération, la seule vraie, ajoute Lacan, où le désir apparaît entre la marque du signifiant et la
passion de l’objet partiel dans la figure de Pensée de Coûfontaine.

Ainsi, Pensée de Coûfontaine devient figure historique d’une destinée que le théâtre tragique propose à
l’émoi des spectateurs mais que Lacan va relier à la topologie par le détour de la fonction du savoir.
Savoir du Héros de son destin comme Hamlet averti par son père de la destinée en tant qu’elle se révèle,
savoir topologique enfin :

« Il y a là quelque chose qui est essentiel à la figure du destin, car il se développe des figures où il y a des
points nécessaires, des points irréductibles, des points majeurs, des points de recroisement qui sont ceux
que j’ai essayé de figurer dans le graphe, par exemple. » (24/5/1961)

Ces points de recroisement au départ d’une structure minimale de quatre, doivent être huit dans la
confrontation du sujet et du signifiant (soit le dédoublement de quatre, propre au graphe) et nécessitent
aussi la Spaltung du sujet.

Ce qu’un mythe nous présenterait, ne sont que les avatars de cette configuration minimale qui en fournit
la structure. C’est cette structure qui est à savoir dans une analyse, c’est de cela que se détourne le
névrosé dans la Versagung. Refus d’un dire qui fait l’autre face du savoir.

Mais, il s’agit d’un savoir bien particulier puisqu’il ne s’élabore, côté analysant, que du côté du dire et,
côté analyste, que sous la forme d’un positionnement particulier afin de lui éviter de virer à une
transfusion de connaissance.

Ce positionnement particulier a un objectif très précis, il concerne le rapport identificatoire du patient à


cette destinée. Le rapport ne peut pas être forcé par les voies imaginaires mais par l’intermédiaire d’une
castration qui soustrait à quiconque son désir, soustraction qui lui permet de se trouver injecté, comme
sujet, dans l’échange social. Figure plus discursive de l’interdit de l’inceste : « Si tu acceptes d’éviter la
mère, tu pourras participer aux règles de parenté et de l’alliance. »

Toute la difficulté réside maintenant dans la description du type de topologie qui supporterait ces
échanges hors-imaginaire, identification soumise à la loi de la castration dont nous savons que l’effet sur

198
A est «a» dans une fonction, ici, nouvelle bien que déjà entrevue dans le Séminaire VI : celle de la
coupure comme figure de a.

IV. Du type de topologie analytique propre à répondre au transfert

Il faut maintenant repartir du schéma optique.

Dans ce schéma d’utilisation métaphorique, le vase sert de support en chair et en os, c’est lui qui
apparaîtra sous la forme d’une image réelle.

Le miroir, c’est A ; i (de a), c’est l’image réelle du vase, (a), ce sont les fleurs. Ceci va servir pour les
explications à donner concernant la fonction du narcissisme, pour autant que l’Idéal du Moi y joue un rôle
de ressort, que le texte de Freud sur l’introduction au narcissisme a introduit, car il semble bien que
l’Idéal du Moi soit le point pivot de l’identification qui intervient dans le transfert. Comment considérer
cet Idéal du Moi comme un champ organisé à l’intérieur du sujet ?

Si nous pouvions le considérer tel, nous aurions alors construit cette topologie du Sujet à la fois marquée
de l’extérieur (fonction de l’Idéal identificatoire) et de l’intérieur (opération du Sujet lui-même).

La notion d’intérieur est une fonction toute topologique, tout à fait capitale dans la pensée analytique,
même l’introjection s’y réfère.

Faute d’avoir distingué l’Imaginaire et le Réel, nous sommes bien forcés, dans cet état d’imprécision que
présentent les notions topologiques, de nous représenter cette notion d’intérieur de manière spatiale,
impliquée dans une surface ou un volume et qui se présente comme donnant le support à l’identification
qui opérerait, dans le transfert, une différenciation entre moi et l’autre par exemple.

Reste l’énergie de cette opération.

Classiquement, les auteurs ont relié les origines de l’Idéal du Moi à la création d’une pulsion de mort.
C’est pour sortir, en quelque sorte, de l’harmonie narcissique auto-érotique que les auteurs imaginent
l’existence pour justifier une sortie subjective de ce monadisme primitif, l’existence de la puissance
ravageuse de Thanatos. Ainsi, les auteurs attribuent à Thanatos la création de l’objet.

Ces auteurs pensent que pour Freud, cette introjection est introjection d’un objet conflictuel, impératif,
interdictif, c’est-à-dire le père, et que cela constituerait le Surmoi. Avec cette ambiguïté qu’il deviendrait
plus possible de se faire aimer de l’Idéal du Moi que de l’objet d’où il a tiré son origine. Introjecté, il
continue de constituer une instance incommode, ambiguïté qui amène alors les auteurs à introduire l’idée
d’un champ d’investissement neutre. Ce qui est réintroduit là dans un temps second par les auteurs, en
réalité, est ce que Freud avait introduit d’abord avec la fonction possible de l’Idéal du Moi dans la
Verliebtheid.
199
C’est pour autant que cet Idéal du Moi peut être reprojeté sur un objet que nous trouvons, s’il nous est
favorable, la cause, l’origine de cet objet de l’investissement amoureux, là où la Verliebtheid pour Freud
se confond quasiment avec les effets de l’hypnose.

A partir des thèses de ces auteurs, il est pourtant possible d’intégrer la solution aux impasses logiques que
l’idée d’une DestruktionsTriebe entraîne : créer une libido neutre où l’objet détruit se ferait Idéal !

Pour ce faire, Lacan discute de l’intérêt du miroir qu’il a introduit dans le Séminaire I. Il discute de la
constitution de l’objet, lequel se créerait du fait du besoin de destruction, et il appelle à la rescousse le
champ de l’Imaginaire pour montrer que ce qui survit de l’objet après cette pulsion de destruction,
l’éternise, cet objet, sous une forme précisément imaginaire. En ce sens, l’image survit à la vie, c’est ainsi
que dans l’art, « la statuaire éternise le mort ».

C’est cette éternisation qui vient s’incarner dans l’image du sujet, par exemple, dans un miroir qui se
présente plus que comme quelque chose où le sujet se reconnaît, « qui se présente comme une Urbild
idéale, comme quelque chose qui est en avant ou en arrière, comme quelque chose de toujours. »
(7/6/1961)

Reportée à son niveau, on comprend pourquoi l’incoordination du petit enfant qui contraste avec le
sentiment de son image en miroir qu’on lui présenterait, est précisément quelque chose avec quoi il
s’obstine à jouer, comme unité. Lacan parle, à ce propos, d’une dimension de conflit sans autre solution
que celle d’un «ou bien, ou bien». (7/6/1961) Car en effet, cette image, il doit ou la tolérer ou la briser, et
on ne pourra pas sortir de cette impasse sans prendre en considération :

« Ce qu’exprime le schéma, c’est que le tiers, le grand Autre intervient dans ce rapport du Moi au petit
autre ; quelque chose peut fonctionner qui entraîne la fécondité du rapport narcissique lui-même. »
(7/6/1961)

A ce moment, l’enfant devant le miroir se retourne vers l’adulte qui le porte, et fait jouer cette référence à
l’Autre comme fonction essentielle de ce qui va se développer après, sous la forme du Moi Idéal et de
l’Idéal du Moi.

Or, de cet autre que l’enfant voit dans le miroir, il ne peut venir que le signe, l’image de a, l’image
spéculaire désirable et destructrice à la fois et, en plus, cette image spéculaire désirable et destructrice
peut être désirée ou pas par celui vers lequel l’enfant se retourne, à la place où le sujet s’identifie, soutient
cette identification à ce moment : le parent qui le porte, en l’occurrence.

C’est à ce moment-là, nous dit Lacan, qu’on trouve le caractère antagoniste du Moi Idéal opposé à ce lieu
de l’Idéal du Moi.

Ce quelque chose, à ce moment du Moi-Idéal (dans le miroir), a une fonction antagoniste qui, dans la
relation spéculaire, se dédouble au niveau de l’Autre, entre une espèce de Moi désiré et un Moi
authentique. Le Moi authentique, c’est celui qui doit finir par être aimé malgré son imperfection.

Ici, s’intègre la fonction pacifiante du tiers qui est cet Autre.

Par opposition à ce Moi-Idéal, l’Idéal du Moi, lui, relève du grand Autre impliqué comme lieu dans cette
oscillation pathétique où il y a référence perpétuelle au Moi. Autrement dit, l’image qui s’offre au Moi et
à quoi il s’identifie, «ne se soutient qu’à partir du regard que le grand Autre porte sur cette opération,
lequel regard peut-être intériorisé à son tour. (7/6/1961)

200
Non pas que ce grand Autre se confonde avec ce qui s’est déjà constitué comme Moi-Idéal, il s’agit de
tout autre chose, il s’agit précisément de l’introjection de cet Autre.

Pour saisir ce moment, Lacan commente le texte de Freud : Die Identifizierung et, plus particulièrement,
l’identification exquise au père et la seconde forme d’identification grâce au trait.

C’est à partir de cette première identification exquise (elle est antérieure à l’Oedipe) que Freud prétend
que poindrait le désir vers la mère d’où, par un retour, le père serait considéré comme un rival. Lacan
s’interroge alors sur la raison, qui n’est pas clinique, qui a poussé Freud à soutenir cette étape antérieure.

Deuxième identification, l’identification régressive qui résulte d’un processus régressif visant à
s’identifier à l’objet qui nous déçoit dans l’appel d’amour.

La caractéristique commune à ces deux premières identifications serait de s’articuler autour d’un trait
unique.

Si ce trait unique, unaire, pointe en direction du signifiant, il n’est pas dit qu’effectivement, il ne soit pas
au départ un signe, car pour être un signifiant, nous le savons, il en faut plus, il lui faut une utilisation
dans une batterie signifiante. Bien que ce « trait unaire se définisse à l’origine par son caractère ponctuel
dans le rapport narcissique » (7/6/1961), en réalité, on peut trouver une solution à la question: Comment
s’intériorise le regard de l’autre ?

Il s’intériorise par un signe, il ne s’agit donc pas d’une introjection globale, c’est un point, un point
d’assentiment de l’Autre, du choix d’amour sur lequel le sujet peut se régler. Ce trait représente le point
où le sujet sait qu’il peut retrouver cet acquiescement de son rapport à l’Autre pour pouvoir se régler dans
le jeu de miroir; il sait que ce trait est à sa disposition.

C’est quand même quelque chose qui est différent de ce que Lacan avançait dans son Séminaire I.

Il ne s’agit pas d’introjection de l’image de soi dans le miroir, mais du trait par rapport auquel le Moi-
Idéal peut se trouver reprojeté, c’est une introjection de la garantie. Cette opération, due au trait, est
symbolique.

Au contraire, la reprojection (à partir de cette introjection première) du Moi-Idéal est imaginaire.

Lacan revient, à partir de là, à sa théorie de l’amour en signalant qu’il n’y a d’amour que pour un être qui
parle, c’est-à-dire dans la perspective d’une demande et, plus précisément, dans ce que la demande
comporte d’inconditionnel, à savoir le fait même de demander au-delà de ce qu’on demande, et c’est cet
inconditionnel que Lacan va équivaloir au rien, autrement dit: demande d’être entendu pour rien, car dans
ce pour rien, il y a toute la place du désir.

Est-ce à dire que le trait unaire de l’identification commune devient ce rien, le «ce qu’on a pas» essentiel
au donner-amoureux pour qu’il éveille le désir ? (Cf. « Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas »)

C’est ce désir que Lacan a impliqué, dès le départ de son Séminaire VIII, de manière métaphorique, à
savoir comme effet de la substitution du désiré et du désirant. Pour ce faire, le sujet doit devenir désirable,
et c’est cela qu’il demande dans l’amour. Tout ce qu’il faut saisir donc « c’est que cette demande d’amour
implique que dans l’amour, le non-avoir ait sa place sous la forme de donner ce qu’on n’a pas, voire
d’aimer à la condition de se faire comme n’ayant pas, même si l’on a. »

C’est pourquoi, seule la misère peut concevoir l’amour dans le mythe de Platon, c’est-à-dire penia car
dans la fête, on n’est pas dans l’amour, dans la fête on n’est pas dans la misère, dans la fête, on donne ce
201
qu’on a : c’est pourquoi aussi, il est très difficile d’aimer pour le riche, sinon à refuser, Versagung du
riche !

Le champ de l’Idéal du Moi introjecté autour du trait du manque devient bien celui où se déploie le
transfert dans la situation analytique, champ de l’Identification.

Voilà pourquoi comme thème de la pénultième séance de son Séminaire VIII, Lacan annonce
l’Identification dont on sait qu’elle va faire l’objet du séminaire de l’année suivante.

Toute la difficulté, c’est de saisir la différence entre les identifications du Moi et les identifications de
l’Idéal du Moi, (ce qu’on retrouve dans le schéma de la revue de psychanalyse qui paraît à ce moment-là,
en 1961). C’est le schéma de Bouasse qui sert à métaphoriser quelque chose qui est i (a), support de la
fonction de l’image spéculaire, fonction centrale de l’investissement narcissique. Dans ce schéma, Lacan
écrit sujet ( ), figure virtuelle de (S), sujet qui se supporte d’une fonction qui est au principe de la théorie
de la connaissance. Pour concevoir un objet, le sujet ($) doit se référer à autre chose qu’à la connaissance,
c’est à la fonction de la parolecxlvi[xix].

Le sujet, dans ce schéma, doit user d’un artifice pour saisir l’image réelle qui se produit en i (a) ; ce n’est
que par l’intermédiaire du miroir A, miroir de l’Autre qui est une espèce de miroir sans surface, tel que
Lacan en a parlé dans le discours de Bonneval sur la causalité psychique.

Or, ce que Lacan avance de neuf, est que ce miroir relève de la fonction de l’analyste. Il n’est pas du tout
le miroir de la fonction spéculaire. Lacan a placé ( ) derrière i (a). Ce que l’expression : « avoir une idée
derrière la tête » est censée métaphoriser. S se trouve, lui, distinct de i (a), en un point appelé (grand I). Il
en résulte que le sujet peut appréhender l’illusoire de l’identification narcissique, c’est ce que on appelle
l’ombre de l’objet perdu, en allemand : Schatten der verlorenes Objekt.

La structure narcissique apporte une ombre essentielle dans le rapport à l’objet. Elle est surmontable, pour
autant que le sujet peut s’identifier ailleurs, vers l’Autre, cela, c’est le rapport au grand Autre qui est
évidemment bien autre chose que celui qui me renvoie mon image. Si l’Autre, en effet, n’était rien d’autre
que celui qui renvoie ma propre image, c’est-à-dire le lieu d’où je peux me voir moi-même, comment
expliquer alors cette espèce de miracle qui se produit dans ce geste de la tête de l’enfant qui se retourne
vers celui qui le porte « qui a été interpellé comme le signe même du père des dieux » (28/6/1961),
position qui peut d’ailleurs être occupée aussi bien par une mouche qui vole et nous entraîne tout autant
hors du champ de visibilité de i (a). Cet objet, la mouche, la guêpe, ou n’importe quoi qui fait du bruit, est
l’objet électif, de ce fait, pour constituer le signifiant d’une phobie, car l’objet, ici, a la « fonction
instrumentale de mettre en question la réalité, la consistance de l’illusion du Moi comme tel. »
(28/6/1961)

202
C’est là qu’est mise en question, la consistance du champ de l’Autre, comme champ de l’investissement
narcissique, c’est autour de lui que se joue le désir humain.

Mais il n’y a pas que lui, il y en a un autre, un autre champ, celui du rapport à l’objet archaïque, celui du
champ nourricier de l’objet maternel, tel que Freud le présente.

Ces deux champs sont différents, l’un spéculaire (Moi-Idéal) est étranger à celui qui articulerait donc le
signifiant à la structuration du champ du grand Autre « Rêve d’une ombre : l’homme ».

C’est en se déplaçant dans le champ du rêve que se rencontre l’errance du signifiant, à partir de quoi
peuvent se dissiper les effets de l’ombre. Sans savoir déjà que nous rêvons, mais déjà dans ce champ du
rêve, nous savons que nous pouvons triompher de cette ombre, car nous savons « qu’il y a plus réel
qu’elle, qu’il y a au moins le Réel du désir dont cette ombre nous sépare. » (21/6/1961)

C’est dans les obstacles par rapport à nos désirs que se constitue l’objet.

Dans le rêve, le premier pas vers la réalité est fait par le réveil, et le réveil, c’est quand quelque chose se
produit de la satisfaction de la demande.

Lacan égale, ici, satisfaction à destruction de l’ombre spéculaire, probablement parce que dans
l’articulation topique des deux principes (plaisir-réalité), la satisfaction (principe de plaisir) vient à
apparaître dans le champ de la réalité, sous l’effet de son intrication à ce dernier principe. Lacan
paraphrase cette métapsychologie en disant que ce que l’analyste met en exergue chez l’homme qui
demande en direction du réveil, c’est cette reconnaissance que, depuis des millions d’années, l’espèce
humaine n’a pas cessé d’être nécrophage :

«l’homme n’a point cessé de manger ses morts, même s’il a rêvé qu’il répudiait le cannibalisme. »
(21/6/1961)

Le premier cheminement vers la réalité est lié au fait que nous reconnaissons que le désir a la même
structure que le rêve et donc, que c’est à cause du rêve et dans le champ du rêve que nous nous avérons
plus forts que l’ombre. Et, nous nous réveillons sous la pression de son désir.

Tel est bien le champ identificatoire que l’analyste doit ouvrir par le signifiant.

Reste que dans l’analyse, une migration de l’objet doit se produire de i(a) support de l’idéal du Moi, à
l’objet (a) cause du désir.

Cette migration dépend de l’incidence du Phallus.

Le Phallus, à partir de là, intervient de façon exemplaire, de façon pivot dans la fonction générale comme
telle de l’objet du désir qui est situé, par Lacan, comme étant (petit a). Au cœur de cette fonction (petit a),
viennent donc se grouper les différents modes d’objets possibles en tant qu’ils interviennent dans le
fantasme, et dont le phallus est l’objet qui permet d’en situer la série.

Dans un exemple de rêve de deux femmes hystériques, Abraham nous montre comment une relation
traumatique entraîne que le père n’est appréhendé que pour sa valeur phallique, à savoir que dans les
rêves, le père apparaît sous la forme d’une image complète, mais censurée au niveau du génitoire.

Freud, lui-même, reconnaît que l’amour de l’objet avec exclusion des génitoires est un stade, un temps
dans le développement psycho-sexuel qui correspond au développement phallique, et qui permet de saisir
l’exclusion du génital dans les symptômes hystériques.
203
D’où vient cette rage à ce niveau imaginaire de châtrer l’autre, se demande Lacan ?

Sinon de faire peser le poids du Phallus sur le registre de l’objet du désir. Ce poids a une caractéristique
narcissique parce qu’il est emprunté à l’image du corps propre et transporté dans un champ qui n’est plus
le sien, puisque c’est celui des objets.

« Chez tout homme, les génitoires sont ce qui est investi, plus que tout autre partie du corps, dans le
champ narcissique, et c’est justement en correspondance à cela qu’au niveau de l’objet, n’importe quoi
peut être investi plutôt que les génitoires. » (21/6/1961)

La dimension de l’image spéculaire est nécessaire pour essayer d’expliquer ce qu’il y a d’essentiel dans le
comportement sexuel de l’homme, chez qui le rapport à l’autre est gouverné par le face à face. Il y a
quelque chose chez l’animal humain qui, dans le fait qu’il s’érige, qu’il ne circule plus à quatre pattes
comme les autres animaux, ferait que quelque chose devient essentiel lors de l’apparition de sa face
ventrale, et ceci serait décisif dans l’appréhension de l’objet comme tel.

La face ventrale, ici, représente le Phallus du corps propre.

Il y a donc, nous dit Lacan, un petit schéma (schéma disparu de notre version du séminaire) à garder
présent concernant le ressort :

« De ce qui se passe de réciproque entre l’investissement narcissique et l’investissement de l’objet, en


raison de la liaison qui en justifie la dénomination et l’isolement du mécanisme. » (21/6/1961)

Lacan présente, mais de manière incompréhensible dans cette séance du séminaire, le caractère tout à fait
central de la relation du corps propre au Phallus, qui nous aurait permis de voir ce qui conditionne le
rapport de séparation, de perte, à des objets plus primitifs.

D’où il résulte que les objets qui, dans la composition imaginaire du psychisme humain détiennent une
valeur isolée partielle, sont des objets qui se présentent comme émergeant dans une surface verticale en
face à face, qui relèverait donc de ce rapport particulier de l’homme à l’image spéculaire. C’est le sens
particulier à donner à cette fonction que peut avoir dans l’érotisme « le bout du sein comme à situer dans
un rapport d’isolement sur un fond et, de ce fait, d’exclusion à ce rapport profond à la mère qui est celui
du nourrisseur. » (21/6/1961)

Il nous semble pourtant que c’est par l’être et l’avoir, et la figure de leur absence, que l’exclusion, la
perte, se trouve exportée subjectivement parlant aux objets du fantasme, au départ de la sphère
narcissique du corps propre.

La fonction partielle, séparée, est alors ce qui fait le cœur des derniers développements de Lacan en cette
année 1961.

Lacan est arrivé à un point tournant de son séminaire et de la suite de ce qu’il aura à y donner, car il
concerne la fonction de l’objet a dans ses schémas.

Les seules choses qu’il ait pu dire à propos de cet objet, c’est précisément qu’il relève de la fonction de
l’objet partiel en tant qu’il peut être partie séparée. Il rappelle qu’Abraham formule un amour de l’objet
dont une partie est exclue, en quelque sorte l’objet moins cette partie. Cette partialité de l’objet, a « les
rapports les plus étroits avec la fonction de la métonymie puisque la métonymie est une partie prise sur le
tout. »

204
Il convient d’entendre la vérité de cette partie prise sur le tout, du fait du signifiant alors que nous serions
dans l’erreur si nous ne nous attardions qu’à la partialité de sa face dans sa réalité : autant le poids du
Phallus reste insu du sujet, ce autour de quoi l’investissement narcissique est jalousement préservé,
autant l’objet partiel se trouve laissé en blanc, récupéré par l’image de l’autre qui, elle, est investie.

Or, tout le problème est que le secteur du Phallus n’est pas du même côté que celui de l’objet, ce qui
revient à dire que le Phallus symboliquement est là où il n’est pas car, quand nous le voyons, quand nous
le supposons sous le voile dans l’érection du désir (côté objet), c’est précisément là où il n’est pas car, lui,
est de l’autre côté, à l’intérieur de l’enceinte narcissique. Il s’est simplement trouvé remplacé par une
série d’investissements d’attraits qui le cernent, sans qu’il soit présent dans le corps de l’Autre.

« Le désir, au travers d’une notion pulsionnelle, a son siège dans ce reste auquel correspond dans l’image
ce mirage par où elle est identifiée justement à la partie qui lui manque et dont la présence invisible donne
à ce qu’on appelle la beauté justement sa brillance. » (28/6/1961)

L’objet du désir « se présente comme un objet sauvé des eaux de l’amour, ce qui l’antécède dans le
développement, à savoir les formes premières de l’objet en tant que séparé. Les seins, par exemple, ne
prennent leur fonction que pour autant qu’ils sont repris comme ayant joué le même jeu, à la même place,
que quelque chose qui entre dans la dialectique de l’amour. » (28/6/1961), et qui est le Phallus.

Car, ce que la fonction de séparer introduit, c’est la dimension de l’au-delà, de ce qui peut satisfaire dans
cet objet, à savoir ce rapport à l’être et à l’avoir qui sont déjà des préfigurations du Phallus. Cet
avènement du Phallus se manifeste dans l’image, s’incarne à ce point où, comme objet de désir, il est
quelque chose qui manque.

La fonction de l’au-delà est bien celle de la demande d’amour, au-delà de la simple demande, quand, ici,
quelque chose se fait l’inconditionnel du champ de l’Éthique par exemple (Cf. Séminaire VII).

C’est la raison pour laquelle, afin de lui faire cracher son insu phallique, la fonction sadienne est celle qui
interroge au plus profond cette dimension de (petit a), sollicitée d’être poussée à bout « jusqu’à remplir
cette forme vide en tant qu’elle est forme fascinante. Cet objet est questionné jusqu’à son point extrême
où il se confond avec sa destruction ». (28/6/1961).

Et la beauté ou la forme, c’est l’exigence de conserver cet objet comme barrière en tant que ceci se
réfléchirait sur le sujet.

Nous comprenons mieux maintenant « qu’il y a tout un décalage de l’objet du désir à l’objet réel »
(28/6/1961), et qui est déterminé par le caractère négatif de la fonction phallique, dont une des traces est
cette dimension de partialité de l’objet.

Décalage que Freud appelait aussi : « ravalement ».

Si l’on veut faire une reprise théorique de cette avancée en tant qu’elle intéresse notre propos
topologique, il faut reprendre avec Lacan le problème de l’Identification.

On peut tout risquer pour la prestance, pour la bagarre, même la vie, mais il y a une image limite, une
espèce de dissolution qui ne peut être mise en question. Là où i est menacé, l’artifice éternel se reproduit,
le sujet le reconstitue, le fait apparaître.

L’image spéculaire « a une face d’investissement et une face de défense, une espèce de barrage contre le
pacifique de l’amour maternel. » (28/6/1961)

205
Il semble qu’ici Lacan montre que le Moi-Idéal est quelque chose qui sert de barrage à la destruction de
l’image comme Idéal du Moi. En somme, quand l’Autre, quand l’investissement de l’Autre risque d’être
anéanti, l’investissement dernier du Phalluscxlvii[xx] propre comme image spéculaire est défendue (par
exemple dans la phobie, d’une certaine façon).

On peut, nous dit Lacan, « rouler encore un certain temps comme cela sur la réserve de la libido, mais la
phobie, ici, devient signal ». (28/6/1961)

Par opposition à i(a), la fonction de (petit a) est tout autre, puisqu’elle n’a rien à voir avec un accès à
l’Idéal, elle serait plutôt un effet homologue dans le champ du désir, de ce que le vide central occupe
comme fonction dans le champ de l’Éthique.

a devient alors la cause de ce que le désir puisse s’interroger entre la libido narcissique (incidence du
Phallus) et la libido objectale (objet partiel) au cours d’une opération en forme de chiasme, où le
désirant s’échange dans l’amour avec le désiré.

Une telle surface de renversement, trouée par un objet a surgira dans le Séminaire IX qui fait partie du
chapitre suivant : La Topologie des surfaces.

C’est le cross-cap.

206
Séminaire IX

L’identification

Un évidement de surface

Après la présentation du graphe, voici maintenant un grand virage qui s’amorce, avec le
Séminaire IX (1961-1962) consacré à l’identification. Il possède deux caractéristiques.

Tout d’abord, ce séminaire va se caractériser par une modification du style du discours de


Lacan. Autant précédemment, Lacan se faisait clinicien, voire, même s’il prétendait s’en
démarquer, phénoménologue de l’expérience analytique, autant dès la première séance, ce
séminaire devient logique. En d’autres termes, le virage qui est en train de s’opérer ici
correspond à ce qui se préfigurait dans le séminaire sur le transfert quand Lacan a isolé la
fonction du savoir, du savoir dans le transfert sous la forme qu’il est supposé. Cette fonction
du savoir-qu’il-est supposé qui, en quelque sorte, reposait dans les mains imaginaires de
l’Autre faisait que le style de Lacan, précédemment, avait pour ses auditeurs un caractère de
révélation. Il va se trouver dans les séances qui suivent, déterminé comme savoir, non plus
supposé cette fois, mais résidant dans une sorte de Réel qu’un artifice, la logique ou la « mise
en petites lettres », en algébrisation, nous permet de repérer, de faire surgir sans qu’il soit
nécessaire pour autant d’en supposer le Savoir à un Autre. Le paradoxe veut que ce soit autour
du thème de l’identification que ce virage1 s’opérât, car on se serait plutôt attendu à ce que
cette thématique de l’identification pousse Lacan à poursuivre son discours sous sa forme
nourricière, si l’on peut dire.

En effet, dans l’expérience analytique, ce que nous remontrons comme barrière, ce n’est ni le
Beau, ni le Bien, mais un autre rempart à l’abord de la Jouissance : celui de l’identification.

C’est pourquoi, c’est à la Pensée que Lacan va la rapporter comme le Beau se rapportait à
l’Esthétique et le Bien à l’Éthique.

L’autre caractéristique de ce virage est que la topologie sur laquelle Lacan prend appui, n’est
plus une topologie ontologique, ni une topologie du graphe, mais s’avérera devenir une
topologie des surfaces. Nous allons donc suivre ce parcours pas à pas.

A. Le trait, le sériel

Revenons donc à cette caractéristique et à cette pensée là où elle s’inscrit sous la forme d’une
interrogation du trait, support de l’identité, de la « mêmeté ». La philosophie nous a présenté
ce questionnement sous la forme du clivage entre l’être et la pensée, le paradoxe résidant dans
la fonction de vérité qui s’y glisse du fait de l’énonciation. Sur le graphe, nous pourrions y
repérer ce que le « je pense » et le « je suis » exigent d’écriture minimum pour figurer chacun
à leur place respective, chacun sur une des lignes horizontales, là où le paradoxe vise à les
confondre.

207
Le trajet que Lacan veut nous faire parcourir correspond donc à celui qui équivaut à la
subversion du savoir mis dans les mains d’un Autre: une logique du trait est à créer qui
démontrerait que le savoir est bien inconscient, ce que la science a, pour sa part, effectué
incomplètement. Pour bien faire saisir l’entrée en jeu de la fonction du trait dans la pensée
scientifique, il nous faudra nous référer à la mathématique, c’est elle qui, au mieux, peut
démontrer comment il convient ici de s’appuyer sur une identification non plus imaginaire
mais bien nouvelle, symbolique.

Il s’agit là, nous dit Lacan, de rien d’autre qu’une transformation de cette identification
imaginaire qui prenait appui sur la notion de bonne forme. Or, l’expérience du langage nous
permet de nous dégager de cette identification imaginairecxlviii[i] en introduisant la dimension
du Symbolique radicalement différente de celle du Réel.

L’originalité de cette dimension tient en ce que ce n’est pas tant la bi-univocité entre deux
systèmes qui est isolée, que la dimension du trait ou de sérialité que comporte cette nouvelle
vision des choses. Avec le trait, s’introduit aussi la notion de coupure qui s’intègre aux deux
dimensions de la diachronie et de la synchronie.

Mais, il s’y ajoute ceci de tout à fait remarquable, c’est que, contrairement à la science, le
savoir qui en résulte n’est pas inertecxlix[ii]. Il y va du savoir d’un sujet vivant, bien que ce
sujet-supposé-savoir, nous ne pouvons le désigner qu’à la troisième personne dans
l’énonciation, car, à tout autre personne qu’à cette troisième, il se dérobe sans cesse. Et c’est
ici, que nous retrouverons un support topologique à cette interrogation de Lacan, sans que
pourtant il la désigne comme telle, puisque maintenant, nous sommes obligés de considérer :
« qu’à notre propre vie, nous aurons toujours été en quelque mesure étranger. » (22/11/1961)

Tout au moins, en ce qui concerne l’énonciation que nous pouvons porter sur elle. Voilà donc
ce qui vient se glisser comme voie impossible dans le « Je pense, donc je suis » de Descartes.
Il y va donc d’une pensée impossible à isoler que Lacan propose pour l’heure de conjuguer à
la manière d’un verbe double, d’un verbe complexe « être pensé » qui se conjuguerait aux
trois premières personnes du singulier seulement : j’être-pense, tu être-penses, il être-pense.

C’est donc ce savoir impossible à intégrer qui serait le lieu du Je, frappé d’une étrangeté toute
topologique que la langue désigne dans certaines de ses spécificités, le « ne » explétif par
exemple.

Ce que le « je » désigne, n’est rien d’autre que ce lieu du savoir comme savoir de personne,
c’est un savoir mais tel que personne ne pourra, l’ayant dégagé, penser un jour y trouver le
repos de son être. Car la tentative cartésienne met en question le sujet lui-même, malgré qu’il
ne le sache pas, c’est du sujet-supposé-savoir qu’il s’agit.

208
« C’est de ne pas se reconnaître dans ce dont l’esprit est capable qu’il s’agit pour nous, c’est
du sujet lui-même comme acte inaugural qu’il est question. » (22/11/1961)

Mais comment parler de cet acte ?

C’est ici que Lacan retrouve ses billes puisque dans ce passage à l’acte cartésien, il voit ni
plus ni moins l’installation d’une interrogation sur ce qui garantit la Vérité de la patrie du
signifiant. Le Dieu qui est invoqué en ce point par Descartes est celui qui aurait à supporter la
chaîne signifiante en tant qu’un trait unique pourrait se trouver substitué à tous les éléments,
d’être simplement toujours le même. C’est ce trait unique que Lacan met en avant en le
repérant chez Freud; il a été détourné dans la logique cartésienne sous la figure du dieu
trompeur. Autrement dit, là où Descartes exigeait la nécessité d’un garant, ce que Lacan
avance est un trait de structure, un trait qui a cette caractéristique d’être le trait unique, à
savoir, qu’il désigne ce que tout signifiant a de commun : « d’être avant tout constitué comme
trait, d’avoir ce trait pour support. » (22/11/1961)

Le poids du trait

C’est à partir de ce trait, que nous avons déjà rencontré dans l’Idéal du Moicl[iii] qui relève
donc d’un moment identificatoire, c’est à partir de ce trait unique comme tel :

« que toute la perspective du sujet comme ne sachant pas, peut se déployer d’une façon
rigoureuse. » (22/11/1961)

Cette dernière citation nous montre bien que ce champ du déploiement du sujet qui ne se sait
pas est le même, par ces termes mêmes, que celui du transfert (sujet- supposé-savoir) qui est
bien l’aventure de la cure. Ainsi, nous pouvons dire que cette deuxième topologie en train de
naître, est une topologie qui ne porte plus sur la théorie analytique comme telle et sur la
structure qui la régit, la structure signifiante, mais bien sur ce qui, dans une cure analytique,
permettrait, comme support-étoffe, qu’elle se déploie, et où nous pourrions la repérer.

L’acte par lequel cette perspective se dégage pour le sujet, c’est ce que Descartes mit en scène
avec son doute hyperbolique qui, bien entendu, ne s’étend pas au « Je ». Nous reviendrons sur
l’évidement que réalise ce doute plus tard dans notre propos car, pour l’instant, c’est au trait
qui marque la présence du sujet à quoi Lacan s’attache.

Il le retire de Freud, Einziger Zug, trait unaire, lié à la fonction du Un qu’il rend inaccessible à
jamais, figure s’il en est de la Vérité quand, petite sœur de la jouissancecli[iv], elle glisse dans
l’opération signifiante qui tente de désigner le Réel.

Ce Un réside dans l’Autre, inatteignable alors que le sujet ne peut en mesurer que les
conséquences logiques qui font l’addition du 1 + 1 + 1 + 1, etc.

Du trait au signifiant

L’effet d’évidement, nous pouvons pour l’instant nous contenter de l’égaler à l’opération
logicienne ou mathématicienne qui substitue à la présence de l’Être, la lettre qui le représente
en son absence et permet, par cette identification intermédiaire au signifiant lettre, l’identité a
= a. Mais cette identité sans reste de l’opération mathématicienne est encore, pour une part, du
niveau d’une identification imaginaire qui prend en compte la disparition, temps intermédiaire

209
où l’on voit le même resurgir après avoir disparu. On verra plus tard que cette identité ne va
pas sans reste.

Dans l’identification imaginaire, c’est à l’autre, dans son apparition-disparition, que nous
rattachons la scansion identificatoire.

Dans l’identification qu’on appellera symbolique, c’est au plus profond de nous-mêmes que
nous essayons de référer cet ancrage en tant que nous sommes des sujets. Ici, la dimension est
toute différente de celle de l’apparition et de la disparition, puisque c’est sur le mode du
signifiant que cette identification se constitue.

Autrement dit : « c’est de l’effet du signifiant que surgit comme tel le sujet, effet
métonymique, effet métaphorique, nous ne le savons pas encore ! » (6/12/1961)

C’est dire que le passage du signe au signifiant mérite un instant d’attention.

Utilisant l’exemple bien connu maintenant de l’apparition de Vendredi sur l’île de Robinson,
dans la formule « il y a la trace d’un pas », Lacan montre comme le signifiant vient résider
dans cette distance qui sépare le pas comme trace, du pas comme usage qui en est fait dans la
négation.

Nécessité absolue, ici, de l’effacement de la trace pour être élevée à la fonction signifiante du
« pas »-négation.

Car la structure signifiante s’appuie de deux axiomes:

1° le signifiant ne peut être identique à lui-même et

2° il se trouve différent des autres signifiants. La non-identité à soi est ce que le signifiant
reçoit de la fonction de la lettre, la différence est ce qu’il reçoit comme marque de son
insertion dans la série.

Bien que ne se ressemblant pas, deux traits peuvent s’égaler (ainsi deux lettres (a)
qualitativement différentes) et se différencier (ainsi deux traits verticaux qui pourtant
s’additionnent).

C’est-à-dire que cette différence signifiante du trait est quelque chose qui ne relève pas de la
différence qualitative ; la différence signifiante introduit plutôt la différence dans le Réel
contrairement au qualitatif qui, pourrions-nous dire, l’introduit dans l’Imaginaire. Nous
retrouvons, ici, un des paradoxes de la fonction identificatoire.

« La différence qualitative peut même à l’occasion souligner la mêmeté signifiante, cette


mêmeté est constituée de ceci justement, que le signifiant comme tel sert à connoter la
différence à l’état pur, et la preuve c’est qu’à sa première apparition, le Un manifestement
désigne la multiplicité actuelle. » (6/12/1961)

Les deux figures de style (métaphore et métonymie) de la langue rendent compte de ce


glissement des signifiants qui font place au sujet, ce dont la répétition symptomatique
chercherait à se faire représentation.

210
Il est très curieux cependant de constater que le repérage par Freud de ce trait unaire s’est fait
à l’occasion de la perte ou abandon de l’objet aimé.

Affinité toute nouvelle entre le signifiant et la perte ! ...et dont se nourrit la logique.

Ce que ce type d’identification introduit de neuf par rapport à la perspective de Lacan, c’est
qu’aux fonctions du langage dont il avait dégagé déjà une topologie, vient s’ajouter
maintenant celle de la logique qui rejoint, elle aussi, la structure telle que Lacan la faisait
héritière de cette fonction du langage jusqu’ici. Autrement dit, le champ du Symbolique
s’enrichit de la dimension logique et, ce faisant, Lacan espère redonner vie à ces images
usées, banalisées du champ symbolique qui étaient trop rapidement traduites par les analystes
au point que leur pratique s’en était trouvée complètement ravalée.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que l’usage qu’ils faisaient à ce moment-là du symbole n’offrait pas
de prise sur le Réel, il n’était rien d’autre qu’une espèce de réaménagement de la Gestalt-
Théorie.

Il faut, nous dit Lacan, l’introduction d’une autre topologie que celle de cet imaginaire
dégradé, pour retrouver ce qu’il appelle ces signifiants qui ne seraient plus invisibles, plus
inaccessibles comme ces signes du changeur. Explicitement, Lacan nous dit que cette
topologie fait cadre de la pensée, car elle relève de cette autonomie paradoxale du sujet,
paradoxale en ceci qu’il ne peut que s’y méconnaître tout en s’y réalisant comme sujet, du fait
de l’altérité radicale que comporte le trait qui pourtant se répète dans le même. C’est quelque
chose, nous dit Lacan, que cliniquement on peut repérer dans ce que les patients nous
apportent sous la forme de la répétition traumatique.

Ainsi, cliniquement, il est plus que probable que ce qui vient à se répéter dans le
comportement, n’est rien d’autre que le refoulement d’un signifiant que la répétition vient
désigner.

En tant que trace de ce Un perdu.

Le trait-signifiant perdu dans la cure : l’œuvre du psychique

Il faut bien rester sensible, ici, à ce virage qui s’annonce dans le travail de Lacan. Virage qui
est parallèle à celui que nous avons déjà énoncé, qui consiste maintenant à s’interroger sur
cette fonction du sujet-supposé-savoir dans le transfert, c’est-à-dire à prendre l’expérience
analytique comme objet de travail.

Parallèlement à cette prise, ce que nous constatons c’est que la structure du langage comme
telle ne suffit plus pour rendre compte de ce virage que Lacan a pris (en tout cas, les théories
qui sont celles des linguistes) ; il lui faut introduire un nouvel élément. Ce nouvel élément
c’est, à l’aide de la logique, la fonction de la lettre.

Comment saisir alors ce sujet qui glisse, qui se cache derrière cet automatisme de répétition
dont on vient de préciser le rapport essentiel qu’il entretient avec le signifiant ? Est-il, ce
sujet, individualité vivante aspirée par les effets du langage dans cette répétition
automatique ?

211
Ou bien, au contraire, n’est-il là rien de vivant sinon que d’y être arraché, ou condamné à se
trouver sans cesse séparé de cette immanence vitale du seul fait qu’il parle ?

Le séminaire de cette année semble se déployer de manière à pouvoir articuler cette fonction
du sujet entre ces deux pôles, donc celui du vivant aspiré dans le langage ou celui du pur
glissement du signifiant détaché de la fonction vitale.clii[v]

La bipolarité subjective est bien évidemment la trace du vieux débat que Lacan a entamé dès
le début de son enseignement: celui de l’existence d’une scène de la représentation, au cœur
de laquelle joue une écriture.

S’appuyant sur le livre de James Févriercliii[vi], Lacan nous montre comment le figuratif en
quelque sorte est refoulé, rejeté à la dimension d’une marque écrite qui existe en attente
d’être phonétisée.cliv[vii]

Ainsi, la trace des racines de la structure du langage se présente d’abord sous l’aspect d’une
lecture de signes avant qu’on fasse usage de l’écriture. Ces lettres qui existent d’avant leur
insertion langagière constituent en quelque sorte les attaches, les amarres du langage au Réel
comme signes, et ce sont ces attaches qui permettent que ce réel se couple à un moment donné
à l’autonomie du système du langage quand il se dégagera de manière indépendante. Ces
signes peuvent porter des morceaux de la modulation parlante de l’homme et, à la suite de
cela, être admis à devenir de manière autonome, en quelque sorte, supports phonétiques. Au
moment où ils deviennent supports phonétiques, ces dessins s’abrègent, s’effacent, comme
nous le voyons dans les hiéroglyphes égyptiens, quand c’est cet effacement qui rend les signes
comme support phonétique aptes à supporter cette dimension essentielle du signifiant qui
s’appelle la négation.

En d’autres termes : « Il s’agit là d’une découverte, à savoir qu’il y a dans un temps, un temps
repérable, historiquement défini, un moment où quelque chose est là pour être lu, lu avec du
langage quand il n’y a pas d’écriture encore, et c’est par le renversement de ce rapport, et de
ce rapport de lecture du signe, que peut naître ensuite l’écriture pour autant qu’elle peut servir
à connoter la phonématisation. » (10/2/1962)

Évidemment, ce rapport lecture/écriture, ce rapport qui s’inverse est en train de répéter


quelque chose que nous avons rencontré dans le travail de Lacan, qui est la fonction du
chiasme. Souvenons-nous, dans le Séminaire III déjà, des néologismes et des ritournelles qui
s’échangeaient leur statut linguistique ; souvenons-nous aussi de l’échange entre le principe
de réalité et le principe de plaisir !

Le nom propre du Sujet est la trace encore visible de ces opérations. Il vient à cette place tout
à fait spécifique d’être la trace qui, d’une langue à l’autre, ne se traduit pas puisqu’il se
transpose, il se transfère. Ce trait désigne dans le sujet ce qui glisse dans la chaîne du discours
dès qu’il se met à parler et désigne tout autant ce qui, se retournant sur son énonciation, est
l’élision de lui-même, l’élision de ce qu’il ne peut pas savoir le nom qu’il est en tant que sujet
de l’énonciation. Tout au plus, glisse-t-il comme énigme dans la chaîne tournante du discours,
et c’est en quoi se justifie le passage à une formalisation logique: cette énigme s’écrit de
l’identification à la fonction du TRAIT.

Ici, resurgit la préoccupation topologique de Lacan car, ce sujet déterminé par la chaîne
signifiante, déterminé par son langage, recevant les effets de rétroaction de la chaîne

212
signifiante impliqués dans sa parole, ce sujet se trouve, topologiquement parlant, dans un
champ dédoublé. En effet, la chaîne signifiante du discours commun est quelque chose qui lui
est extérieur puisque nous pouvons l’enregistrer, elle est commune à chacun, elle est
extérieure à notre intériorité.

Seulement quand le discours inconscient vient s’y inscrire, il en résulte que la limite entre le
Pré-conscient (lieu du langage) et l’Inconscient (lieu de nos pensées secrètes) ne peut être
conçue comme un passage d’un seuil à l’intérieur du sujet, mais bien, de quelque chose qui
est intérieur dans quelque chose qui est extérieur, la chaîne du langage qui peut être
enregistrée. Évidemment, ce qui lie l’Inconscient au Pré-conscient et permet de penser qu’un
transit de l’un à l’autre est possible, c’est que et l’un et l’autre, sont soumis aux lois du
discours.

Tout ceci pour souligner que ce qui nous vient de l’Inconscient, c’est cette part du sujet qui
s’irradie vers le Pré-conscient, c’est l’activité de parole, c’est l’activité d’énonciation ; c’est
elle, en quelque sorte, qui s’irradie dans le champ déterminé à l’extérieur par la fonction du
langage pour le Pré-conscient !

Ainsi, avec l’énonciation, premier noyau signifiant de ce qui s’organise après comme chaîne
tournanteclv[viii], l’Inconscient lacanien est-il en train de virer de la position freudienne,
qu’elle soit d’investissement ou bien de type-inscription, à une dimension logique ou, à tout le
moins, à une dimension qui a fait l’objet de l’intérêt de la logique, celle du trait unaire. En
d’autres termes, le Pré-conscient, c’est le langage pris dans les choses, infiltrant les choses et
infiltré des choses.

Par contre, l’Inconscient, lui, désigne un rapport à la constitution du langage qui est tout autre,
puisqu’il se situe à un niveau radical d’émergence de l’acte d’énonciation. La Conscience,
elle, est un système qui se réfère à la dimension qualitative qui tente à se rendre homologue à
la dimension de réalité, laquelle est poussée par le langage pré-conscient.

« La conscience est une sorte de surface par où quelque chose qui est au cœur du sujet reçoit,
si l’on peut dire, du dehors ses propres pensées, son propre discours. » (10/1/1962)

Lacan reprend bien l’entrecroisement paradoxal, tel que nous l’avions imaginé dans notre
commentaire, entrecroisement du Principe de Réalité et du Principe de Plaisir dans leur
rapport à l’Inconscient, Pré-conscient, Conscient, cette fois!

De ce point de vue, l’effort logique de la pensée se situe dans le Pré-conscient, et c’est ce à


quoi répond la logique formelle identifier, pensée à pensée, l’effort d’organisation du monde,
et ceci se bouclerait en une tautologie si précisément, il n’y avait le lieu d’y faire excepter
quelque chose.

213
L’Inconscient, lui, et c’est paradoxal, recherche l’identité de perception, c’est-à-dire,
l’identiquement identique, autrement dit, le côté perçu comme étant «cette fois-là très
précisément». Et c’est là que se situe l’origine de l’Urverdrängt qui manque toujours comme
ce qui répond au signifiant originel du surgissement de la chose.

Ce que le Conscient reçoit alors du monde extérieur, ce seront des choses à lier sous forme
signifiante, c’est-à-dire dans leur différence, et non pas dans leur émergence signifiante ; c’est
pourquoi l’identité perceptive est comme telle une recherche qui ne peut être satisfaite.clvi[ix]

Revenant à Descartes, Lacan montre que ce qui est interrogé dans la formule cartésienne, est
cette place du sujet, non pas là où le langage dans l’extérieur, lit les choses, mais là où
l’émergence du langage va être questionnée, c’est-à-dire à cet endroit où on interroge l’Autre
pour savoir si on peut s’y fier, si on peut de cet extérieur recevoir un signe fiable.

Dans la formule « Je pense donc je suis », « je pense » est un élément Pré-conscient, c’est-à-
dire un signifiant pris dans la texture des choses qui comme tel implique, non pas comme
conséquence, mais comme signifié, une espèce de : « je suis » qui n’est plus que le x de ce
sujet que nous cherchons, à savoir de ce qu’il y a au départ pour que puisse se produire
l’identification de ce « Je pense ». (10/1/1962)

Naissance de la série pour le sujet

A partir de là, la chaîne se poursuit, la série s’inaugure. Autrement dit, le « Je pense » veut
dire qu’il est impossible de se trouver dans le trait unaire, qu’il est impossible comme dans le
« je mens » de s’égaler véritablement à un « Je pense ». Il s’ensuit de cette impossibilité, non
pas comme conséquence, mais comme retour venant de l’extérieur de ce « Je pense », il
s’ensuit un « je suis ». Chaque nouvelle introduction de la pensée sur la pensée, c’est-à-dire
tentative de retrouver cette origine du trait au départ de la pensée, ne fait que bousculer, ne
fait que projeter cette pensée dans l’ensemble des choses tissées du langage et ne fait, au bout
du compte, surgir comme de l’extérieur à nouveau que ce « Je suis ».

Est-ce que cela se fait ad infinitum ?

Lacan propose, ici, une mise en série des «je pense» et des «je suis» où il figure par un (1) le
« je pense », et où il se pose la question de savoir comment figurer alors le «je suis» qui se
constitue rétroactivement de la reprojection de ce qui s’est constitué comme signifié du « je
pense ».

Cette série, tout montre qu’elle peut être convergente vers une valeur constante qu’on appelle
une limite. C’est ce qui se démontrerait à égaler i à l’unité.

214
grâce à quoi la série tend vers une limite donnée par les deux racines d’une équation du
second degré: (√5 + ou - 1) / 2

Lacan va montrer que dans la convergence de ces séries, si on parvient à y introduire un


nombre imaginaire, et de ce nombre imaginaire à en faire un nombre complexe, c’est-à-dire y
ajouter un nombre réel, nous pourrons, comme en mathématique, y opérer toute une série de
découvertes époustouflantes. Notamment celle de remplacer la convergence à la limite par
une périodicité.

Ce nombre imaginaire, c’est ce que Lacan appelle « i » qui représente ce qu’il avait déjà
dégagé comme fonction imaginaire, à savoir le phallus qui vient ici s’égaler à racine de (- 1.)
(Φ = √-1)

On notera utilement qu’en son temps, dans ses Séminaires: Le désir et son interprétation et
dans Le Transfert, Lacan avait déjà indiqué qu’entre le phallus et l’objet a, quelque chose
d’analogue à ce qui se produit entre i et 1 était à l’œuvre, qui inaugurait déjà la série des
objets a.

C’est ainsi que la série se détermine de trois temps dans une fonction périodique.

Le premier, c’est i + 1, origine de la série où «i» est : « Le point d’énigme où nous sommes
pour nous demander quelle valeur nous pourrons bien donner à i pour connoter le sujet, en
tant que le sujet d’avant toute nomination, problème qui nous intéresse ». (10/1/1962). Le 1,
c’est la marque du « je pense ».

Deuxième temps : le rapport du sujet d’avant toute nomination, à l’usage qu’il peut faire de
son nom, pour être signifiant de ce qu’il y a à signifier, ce qui revient à s’adjoindre de lui-
même à son propre nom. Ceci équivaut à se diviser :

« C’est immédiatement le diviser en deux, de faire qu’il ne reste qu’une moitié de,
littéralement i + 1 / 2 de ce qu’il y avait en présence. » (10/1/1962)

i + 1 = i+1 si i = √-1

i + 1 2

Troisième valeur qui est la valeur-limite, celle vers quoi pointe toute la série, c’est cette
fameuse unité dont nous pouvons nous demander si elle est identique à cette unité qui faisait
trait au départ de la série.

215
Troisième opération qui apparente la périodicité de la série à l’interrogation du « Temps
logique ». Le sujet s’y détermine d’une certitude ici égalée à 1. Sans doute n’est-ce point le
même Un que celui qui symbolisa la pensée, mais à sa manière, dans la périodicité, il incarne
probablement la « limite »de la série si un nombre imaginaire ne l’avait pas détournée de sa
répétition forcenée.

Cette opération logicienne nous intéresse parce qu’à sa façon, elle fonde l’opération
topologique dite des surfaces.

Repartons de Descartes qui, recherchant la vérité, s’est entêté par la méthode du doute
hyperbolique à vider le monde jusqu’à ne plus laisser que ce vide qui s’appelle l’étendue.

Dans cette étendue, il n’y a plus aucune trace naturelle ou, plus exactement, de rapport entre
le signifiant et la trace naturelle qui constitue l’imaginaire du corps. Ce corps séparé du
signifiant se trouve réduit aux évidences de la clarté divine, c’est-à-dire à l’appel à la garantie
du dieu trompeur.

Il est intéressant de voir cette étendue, en même temps que suspectée par Descartes, s’isoler,
se rendre indépendante de toute l’ontologie qui venait y résider. Et probablement, nous dit
Lacan, si Descartes avait connu la théorie des ensembles qui, dans ce vide des dieux, vient
inscrire la lettre et les axiomes, il aurait sans doute pu faire l’économie de ce dieu trompeur.

On voit l’apport de cette fonction étendue pour notre projet de dégager la topologie de Lacan.
On la voit d’autant plus que cette substance étendue peut déjà s’inscrire sur le plan cartésien
qui supporte le diamant (Cf. Séminaire 1, et que nous la verrons revenir dans le Séminaire
XX, Encore.

La négation : figure de l’évidement

Comment alors, dans cette étendue vidée qui ne dépend plus que de la lettre et des axiomes,
situer le sujet ?

Lacan nous propose de prendre le bout de la négation, le fil de la négation comme étant le fil
rouge de cette présence du sujet, pour tenter de voir la manière dont il s’y loge.

Nous connaissons bien les théories de Messieurs Damourette et Pichonclvii[x] qui isolent dans
l’usage en français de la négation, deux fonctions à signification l’une discordantielle et
l’autre à signification « exclusive ». Dans l’exemple « ne... pas, ne... rien », la dimension
exclusive porte sur le « pas » ou le « rien », la dimension discordantielle sur le « ne ».

Mais les choses, dit Lacan, ne sont pas aussi tranchées car l’on voit souvent la subjectivité, la
dissonance du «ne», qu’on dit explétif, glisser sur le « pas », sur le «rien» de privation qu’on

216
dit exclusif dans le Réel ; car ce « pas », ce « rien », ce « mie », cette « goutte », sont
exclusions du Réel qui ne s’absente pas sans plus, mais qui laisse un trait, l’effacement d’un
pas, le peu d’une goutte, les trois fois rien d’une mie. Liens intimes de la négation et de la
subjectivité.

Ce discours sur la négation, Lacan va tenter de le rapporter à ce qui est essentiel dans sa
pratique depuis le Séminaire IV, c’est-à-dire à ces notions négatives, que nous avons
rencontrées dans l’analyse de privation, de frustration et de castration.

Si la stylistique nous pousse à nous intéresser à ce discours de Lacan sur la subjectivation des
formes négatives, c’est un souci de rigueur qui nous poussera à faire le pas suivant. Plutôt
que de nous attarder à la jouissance du style et à la présentation de ces formes négatives, il
nous faut aller directement au but : confronter ces négations analytiques avec le support
signifiant de la négation afin de les identifier dans une logique. Effectivement, de la même
manière que la négation a une histoire linguistique, de la même manière dans la logique, la
négation s’est trouvée recoupée, analysée de manière différente.

A commencer par Aristote qui en a isolé les affirmatives et négatives universelles, les
affirmatives et négatives particulières pour schématiser les choses. Un tableau tout simple
organise la théorie classique où les formules élémentaires de la logique se mettent
réciproquement en position dite de contraire ou de sub-contraire,

C’est-à-dire que les propositions universelles s’opposent à leur niveau comme ne sachant pas
ou ne pouvant pas être vraies en même temps.

Il est un deuxième type d’opposition : « L’opposition dite contradictoire est celle par laquelle
les propositions situées dans chacun de ces quadrants s’opposent diagonalement en ceci que
chacune exclut, étant vraie, la vérité de celle qui lui est opposée à titre de contradictoire et,
étant fausse, exclut la fausseté de celle qui lui est opposée à titre de contradictoire. »
(17/12/1962)

Aussi Lacan propose-t-il un nouveau type de répertorisation, de classification des propositions


logiques. Dans un quadrant, il s’agira de mettre des traits verticaux, ce que nous savons être
les traits unaires.

« La fonction-trait va remplir celle du sujet ; la fonction verticale qui est d’ailleurs choisie
simplement comme support : celle d’attribut. » (17/12/1962)

217
Dans d’autres quadrants, soit des traits horizontaux soit des traits horizontaux et verticaux. Un
quadrant reste vide enfin.

Dans cette classification par recouvrement, on appellera l’opposition universelle / particulière,


une opposition de l’ordre de lexis pour la distinguer de la phasis, c’est-à-dire de quelque
chose qui relève de la fonction de la parole là ou, autrement dit, « je m’engage quant à
l’existence de ce qui relève du dire, de ce qui relève de la Lexis. »

Nous pouvons constater, qu’entre la lexis et la phasis, ce qui correspond à l’opposition


universelle / particulière, il y a de singuliers recouvrements qui nous font penser que les
paradoxes de la logique classique ne sont en réalité rien d’autre qu’une sorte d’eulérisation
des quadrants de notre présentation logique.

Quel intérêt Lacan trouve-t-il à cette présentation ?

Essentiellement la proposition universelle qui justifie la formule freudienne : le Père est Dieu
et tout Père est Dieu, comme proposition universelle.

C’est lui qui est mis en suspension, en doute radical, avec ceci de particulier qu’une fois
introduit, il faut contrôler s’il en existe Un de ce type. S’il n’y en a pas, « le Père est Dieu »
est toujours vrai; simplement la formule n’est confirmée que dans le secteur vide.

Par ailleurs, au niveau de la phasis et des particulières, nous constatons qu’il y a des pères qui
remplissent plus ou moins la fonction de père, la fonction symbolique, « il y en a qui le font et
il y en a d’autres qui ne le font pas ». De toute manière, quoiqu’il en soit, le rapport qu’ils
entretiennent l’un et l’autre, à ce niveau de la particulière, avec l’universelle du Nom-du-père,
Nom-du-père,
ne change rien à l’affaire et maintient l’affirmation universelle comme fondement de cette
logique.

Ainsi, ce qui vient de s’introduire dans cette mise à plat logique, c’est, ni plus ni moins, la
place de la case négative, celle qui est vide, case essentielle de la définition de l’universalité :
elle qui était profondément cachée, presqu’inconnue au niveau de la Lexis primitive. C’est au
niveau de cette Lexis que se trouve inscrit ce à quoi l’homme ne peut échapper au travers de
son affirmation ou de sa négation : d’être suspendu à cette proposition primitive qui tente de
donner son véritable support algorithmique à l’existence du sujet comme tel.

D’un point de vue topologique, dans ces quadrants, on constate bien une circulation
dialectique qui nous fait penser aux circuits du graphe, mais en plus, nous constatons du fait
de l’inscription de la Lettre, la nécessité structurale du déploiement de cette topologie comme

218
étendue, et nous pouvons dire que pour la première fois, dans les séminaires de Lacan, la
nécessité d’une topologie des surfaces vient de se faire jour.

Voici donc empruntée à Descartes, la fonction d’un vidage (doute hyperbolique) dans son
rapport à une étendue que Lacan désigne comme surface logique (quadrants empruntés à
Peirce, non-cité à ce moment du séminaire).

Dans cette étendue vidée, va venir s’inscrire d’une façon lisible maintenant la fonction
privilégiée du Phallus dans l’identification du Sujet, et ceci grâce à cette métonymie qui
consiste à frapper l’objet d’auto-différence, soit introduire la série.

Cette fonction phallique dans l’identification est l’affaire du sujet. Quand Freud s’en est
aperçu, il fut obligé de remanier toute sa théorie pour répondre à une question qui est en fait
une question de logique : Qui parle et à qui ?

Pourtant Hans déjà, lui avait montré la voie avec le trait du fait-pipi qui caractérisait tout ce
qui était animé !

Ni logique formelle, ni logique du concept, mais, logique élastique, telle est bien la logique
que Lacan veut promouvoir. Cette logique concerne les rapports du sujet au signifiant et
démontre par là en quoi l’analyse s’était engagée faute d’une critique de la logique
transcendantale au sens Kantien, que l’analyse s’était engagée sur une voie d’erreur. En effet,
cette nouvelle logique est fondamentalement excentrée par rapport à celle de Kant qui avait
mis le point final à ce qui a dominé la pensée philosophique, la fonction de l’Einheit qui est le
fondement de toute synthèse.

L’Un, tel que Kant en aurait achevé la logique, est ce qui appartient au circulaire, alors que
l’Un dont parle Lacan, est tout différent puisqu’il s’appuie sur autre chose que le cercle, il
s’appuie sur le trait unaire. Tout ceci, non sans que nous émettions ce petit doute qui fait que,
quand même, avec sa théorie des nœuds, c’est le cercle comme consistance que Lacan va
réintégrer mais d’une façon qui ne sera plus la façon qui fonde l’universel.clviii[xi] La
caractéristique de ce trait, d’après Lacan, serait que l’homme en soit sorti par ce paradoxe, qui
fait que ce Un, plus il se ressemble et plus il élimine toutes les diversités de semblance qui le
composent, plus il incarne la différence comme telle.

Nous passons de l’Einheit Kantienne à l’Einzigkeit freudienne.

219
Entre l’Einheit circulaire et l’Einzigkeit du trait, c’est toute la différence entre l’Amour et le
Désir qui se lit, différence déjà esquissée par le séminaire sur le « Transfert ».

Ce qui manque chez l’Autre est précisément ce qui suscite notre désir et qui recache l’Amour
unifiant, alors que c’est le trait unaire qui manque, qui suscite le Désir.

Le maintien de cette fonction du désir, de Socrate à Freud équivaut au maintien de la


dimension du sujet, laquelle ne s’est trouvée véritablement révélée qu’avec la découverte
freudienne car : « Le sujet dont il s’agit, celui dont nous suivons la trace est le sujet du Désir
et non pas le sujet de l’Amour, pour la simple raison qu’on n’est pas sujet de l’Amour, on est
normalement sa victime, c’est tout à fait différent. » (21/2/1962)

Voici donc Lacan en passe de détourner l’esthétique Kantienne qui n’est pas tenable parce
que son argumentation mathématique géométrisante de l’époque est euclidienne. A savoir que
sa notion d’intuition géométrique serait sortie, d’après Lacan, de l’illusion d’un leurre
« rattaché à la fonction combinatoire comme telle. » (28/2/1962)

Lacan propose plutôt de poser les questions de manière préalable en interrogeant le nombre, le
zéro et le trait. (Notions qui signent l’entrée dans le Réel en tant que le signifiant s’inscrit par
cette primauté de l’écriture, et non par cette sorte d’intuition à priori).

Lacan opère donc une mutation, ici, de l’Einheit vers l’Einzigkeit là où nous verrons comment
le sujet se lie par le trait unaire à la pulsion sexuelle.

C’est bien là le sens à donner à cette ancienne notion de privation qui ferait partie de ces
choses qui ne sont pas de ce monde kantien (« non est saltus, casus, fatum, hiatus ») quand
l’Inconscient se démontre, par l’écriture, peupler le Réel de cas cliniques, de hiatus signifiant,
de destin inconscient, de saut métonymique.

Ce peuplement du Réel est affaire de sujet.

Le renversement que Lacan va opérer, c’est de désigner que ce manque que Kant aurait tenté
de ne point situer dans le monde, en réalité, du fait de l’écriture, va être porté par le sujet lui-
même !

Autrement dit, ce dont il faut nous apercevoir c’est que le possible du sujet est ce Réel
négativé qui est lié à l’existence primitive de l’Inconscient, là où, dans la pratique, nous le
voyons surgir sous la forme du non-dit. A cet endroit, nous dit Lacan, où le sujet n’est plus le
maître de cette identification au Un, surgit alors la possibilité d’un fatum, casus, saltus, hiatus
qui sont d’une autre forme d’intuition que l’intuition kantienne, mais d’intuition spatiale,
spécialement intéressée à la fonction de la surface.

B. Le sériel et sa surface

1. Le moins compte le plus : privation

Avant d’en revenir à ces questions, Lacan fait une remarque préalable concernant la manière
dont nous appréhendons le Réel grâce à l’apparence (par exemple, en traçant la projection
d’un cube).clix[xii]

220
Si on réduit cette image à sa fonction d’illusion d’optique, on en perd sa réalité, on en perd la
réalité que cet artifice voulait nous montrer. Il en est de même de l’approche d’une femme. Si
nous la réduisons à un conglomérat d’albuminoïdes, cela n’est plus évidemment très
intéressant, car l’attrait sexuel nécessite en quelque sorte l’introduction d’un leurre, à savoir
que le leurre, d’une certaine façon, serait la réalité elle-même. Cette erreur dans l’apparence,
Lacan la fait porter au compte du sujet et, plus exactement, en prenant les mots au sens
littéral, au fait qu’il y a, quand le sujet compte, une erreur dans son compte. (Bien qu’il y ait
encore toute une distance entre un leurre sexuel et une erreur de compte !)

Lacan va proposer, ce qu’il appelle explicitement, un modèle pour démontrer ce que peut être
une erreur de compte qu’on pourrait savoir telle, sans pourtant déjà comme sujet, savoir
compter.

C’est ce qu’imaginarisera le tore mais avant cela, il faut revenir à cette logique du trait unaire
qui nécessite l’introduction d’un terme nouveau et qui, par ailleurs, se topologise, c’est celui
d’exclusion : « C’est que le vrai fondement de la classe n’est ni son extension ni sa
compréhension que la classe suppose toujours le classement, autrement dit « les
mammifères», par exemple, pour éclairer toute suite ma lanterne, c’est ce qu’on exclut des
vertébrés par le trait unaire « mamme » » (7/3/1962)

Le terme d’exclusion nous permet d’élucider les rapports si particuliers qui existaient entre
l’universel et le particulier des propositions affirmatives et négatives, unité et totalité,
apparaissant solidaires d’une façon spéciale l’une de l’autre ; ce malentendu, cette difficulté,
avait été cerné par les termes d’extension et de compréhension qui ne sont rien d’autre que
des cercles inclus l’un à l’autre.

Autrement dit, pour désigner une classe, il convient d’indiquer que le trait unaire peut
manquer, et que dans cette classe, il ne manque pas.

Définie ainsi, une classe peut s’écrire sur les quadrants sur lesquels nous avons déjà travaillé.
(Cf. Peirce)

«Le sujet d’abord constitue l’absence de tel trait - 1 comme tel, il est lui-même le quart en
haut à droite. Le sujet comme tel est - 1 et, à partir de là, du trait unaire comme exclu, il
décrète : « qu’il y a une classe où universalement, il ne peut y avoir absence de trait, de
« mamme » par exemple, c’est-à-dire ce qui s’écrira -(-1). » (7/3/1962)

Cette exclusion d’origine, c’est le sujet qui l’introduit par l’acte d’énonciation comme
privation.

« Se pourrait-il qu’il n’y ait le trait distinctif ? » est le commencement de l’énonciation du


sujet concernant le Réel. Ce qui est cherché, ici, c’est le Réel en tant que « pas possible »,
c’est pourquoi au départ de toute énonciation, il y a du «pas possible» qui part de l’énoncé du
rien. Si le sujet se constitue comme -1, c’est comme Vervorfen qu’il apparaît (quand il
apparaît), mais il faut faire tout un tour pour s’en apercevoir. Le tour du trou central du tore,
en l’occurrence.

Le mot est donc lâché. Il y va d’une Verwerfung dans l’existence du sujet.

221
Lacan nous l’avait déjà montré à partir de ce qui se trouve exclu dans l’opération de la
science. Nous mesurons mieux maintenant pourquoi s’ensuit, alors, l’introduction du tore.

Le tore doit être considéré comme la définition géométrique d’une surface de révolution, d’un
cercle autour d’un axe qui fait que ce qui est engendré, est une surface fermée.

Ceci est important parce que, ici, nous retrouvons conjointes, la question de la surface et de la
fonction du sujet. En somme, cette fonction de surface permet à Lacan de parler du sujet
infiniment plat, tout en donnant sa valeur véritable au fait de l’identification, par le trait
unaire.

En effet, c’est de la surface que vont pouvoir être démontrées les propriétés topologiques du
tore. Cette surface est tout à fait spéciale et originale topologiquement. La propriété
topologique de ce tore, c’est ce que Lacan appelle le lac, c’est-à-dire les lacets qu’on peut
tracer sur sa surface. Certaines surfaces fermées, tracées, peuvent être réduites à un point.

Dans un plan ou dans une surface, cette réduction se justifie de ceci que la totalité de
l’inclusion que définit un cercle, puisse se réduire à l’unité évanouissante d’un point
quelconque autour duquel il se ramasse.

Voilà ce que l’idée de « tautologie » représente : pouvoir tenir le tout dans sa main.

Mais il est dans le tore certains lacs qui ne se réduisent pas à un point !

Ces lacs figurent quelque chose de caché qu’il s’agit de retrouver et qui tient à la structure
topologique du sujet.

Il y a d’abord un cercle plein irréductible sans que Lacan émette, ici, une hypothèse sur ce qui
serait son intérieur ; ce cercle plein est le cercle engendrant ceux dans lesquels il fait résider
l’intuitionclx[xiii], et son fondement transcendantal, l’intuition synthétique; ces cercles seraient
un certain nombre au principe du sujet.

222
Il y a ensuite un autre cercle irréductible sur le tore,

C’est ce que Lacan appelle, le plus interne des cercles vides, ceux qui font le tour du trou, le
tour de l’axe du tore. On aura noté que l’introduction du tore, ici, se justifie pour Lacan par le
fait que, mis à part ces deux cercles irréductibles, il empêche le fonctionnement de la pensée
de s’éprouver comme une tautologie. Si l’énonciation synthétique se maintient comme l’un
des tours de l’âme (1), cette répétition de l’un va faire le tour du tore à la manière d’une
bobine.

«Voilà donc la série des tours qui font, dans la répétition unaire, que ce qui revient est ce qui
caractérise le sujet primaire dans son rapport signifiant d’automatisme de répétition. »
(7/3/1962)

On voit déjà, ici, l’intérêt de cette topologie qui est dans l’Imaginaire, de nous présenter ce
qu’avec des séries convergentes, nous savions: que la série ne se poursuit pas ad infitum,
qu’elle a une limite. Lacan montre ensuite comment, en commençant à compter le nombre de
tours autour de l’âme du tore, on se trompe, dans la mesure où on entame déjà ce tour final
qui ne sera pas compté, qui est le tour de l’axe quand toutes les spires autour du tore se
bouclent.

Ce -1 est celui qui représente l’Inconscient dans sa fonction constitutive. Ce dernier tour qui
n’est pas compté et qui boucle, a rapport avec la fonction du désir.

L’autre boucle, celle qui entoure l’âme, a rapport avec la demande. Dans cette succession des
boucles et des cercles pleins, il y a quelque chose qui a rapport avec l’objet de la métonymie.
Ce n’est pas le désir qui est symbolisé par ces cercles, mais l’objet comme tel qui s’oppose au
désir. Voilà réduit, de manière la plus schématique possible, tout ce que Lacan a élaboré dans
ces séminaires précédents puisque l’objet petit a est maintenant cerclé par le cercle plein, et le
désir cerclé par le cercle vide.

Moyennant un découpage double du tore, c’est-à-dire une fois selon son âme et une seconde
fois dans sa longueur cylindrique ainsi créée, nous pouvons produire, à la fois sur le tore et à
la fois sur son étalement, un cercle tiers qui représente la structure du sujet. Il fait à la fois le
tour du vide central et à la fois le tour du vide intérieur ; tout en ne faisant qu’un seul tour, il
en fait deux.

223
« Ce tour qui manque au compte, c’est justement ce que le sujet inclut dans les nécessités de
sa propre surface d’être infiniment plat, que la subjectivité ne saurait saisir sinon par un
détour, c’est le détour de l’Autre. » (7/3/1962)

Cette topologie n’est-elle qu’artifice ? Lacan prétend que non, qu’il lui accorde plus de poids
que la fonction de l’artifice.

On peut avancer ici que ce tour qui manque au compte est aussi celui qui représente, pour le
sujet humain, l’ouverture d’une érotique. Constituer une érotique idéale telle serait le but du
discours analytique, s’il pouvait être autre chose qu’une métapsychologie. Cette
métapsychologie d’une érotique future, comme l’appelle Lacan, il faut la faire repartir de la
notion de privation, c’est-à-dire de l’inscription du trait en tant qu’absent qui est symbolisé
par -1 : « fondement logique de toute possibilité d’une affirmation universelle, à savoir de la
possibilité de fonder l’exception. » (14/3/1962)

Ce -1, cette part vide, n’est nullement subjectivée, on ne peut la savoir qu’au terme d’un long
détour, elle est en quelque sorte reconstruite et c’est tout l’intérêt du cycle des boucles sur le
tore que de nous apercevoir à quel point ce vide de départ est nécessaire. Cette privation
réelle, ce n’est qu’au terme d’un long détour que le sujet peut la savoir comme étant le fait de
son rejet originel.

2. De l’Un en moins à l’Autre en plus : frustration

Nouveauté en plus maintenant, cette topologie incarne aussi la figure de la frustration dans le
tore enlacé. L’Autre déjà avait produit cette première dimension du sujet, celle qui lui
permettait de compter l’exclusion, voici maintenant qu’il lui permet d’incarner le lac
irréductible, frustration imaginaire qui pourtant fonde le Symbolique toujours déjà prêt à
attendre le sujet. Cet imaginaire (dans la passion jalouse) s’appuie sur cet objet, par exemple −
le sein − élidé dans la première relation à la mère et qui fait retour comme objet métonymique

224
présent cette fois-ci dans la jalousie. Ce désir de l’objet retentit alors jusqu’au fondement
même du sujet car :

« Il l’ébranle bien au-delà de sa constitution comme satisfait ou non comme soudain menacé
au plus intime de son être, comme révélant son manque fondamental, et ceci dans la forme de
l’Autre comme mettant au jour, à la fois la métonymie et la perte qu’elle conditionne. »
(7/3/1962)

Ainsi se présente, ici, la dimension de l’objet perdu et jamais retrouvé, car il y va d’une perte
dans l’image du Moi à ce point de naissance, du désir où cette image en est fondatrice. Cette
frustration est imaginaire, au même titre que la privation, elle, était réelle.

Ces deux notions, privation, frustration, Lacan a tenté de montrer comment elles s’inscrivent
dans le Symbolique : la privation grâce à l’inscription du trait unaire, et nous allons voir ce
qu’il en est pour la frustration imaginaire.

C’est le névrosé une fois encore qui nous montre le chemin, lui qui se laisse prendre à ce
piège d’obtenir de l’Autre à la manière d’une demande l’objet de son désir; nouvel
entrecroisement ici, mais perturbé, perverti.

Frustration imaginaire qui opère pour le symbolique, puisque la présence de l’Autre est
essentielle mais son pouvoir imaginaire.

Autrement dit, le névrosé ce qu’il veut pour son désir, c’est la sanction d’une demande.

Lacan construit ici le schéma des tores enlacés. Le tore enlacé nous permet : « d’imaginer
l’application de l’objet du désir, cercle interne vide du premier tore sur le cercle plein du
second qui constitue une boucle, un de ces lacs irréductibles. » (7/3/1962)

Et inversement, on voit le désir de l’un devenir demande chez l’Autre, et demande de l’un
devenir le désir de l’autre : voilà le nœud où se coince toute la dialectique de la frustration.

Il a la fonction de ce qu’on appelle ailleurs en topologie: le groupe fondamental, où le


volume ici est maintenu sans recourir à l’intuition de la profondeur, dans son seul rapport à la
surface.

De cela découle une idée du Sujet, nouvelle: non plus perdu dans un Umvelt qui l’enveloppe
sphériquement, mais structuré comme un anneau.

« A savoir que la propriété de l’anneau, en tant qu’il symbolise la fonction du sujet dans ses
rapports à l’Autre, tient en ceci que l’espace de son intérieur et l’espace extérieur sont les
mêmes. Le sujet, à partir de là, construit son espace extérieur sur le modèle d’irréductibilité de
son espace intérieur. » (14/3/1962) C’est-à-dire sur le modèle d’un extérieur torique comme il
l’est lui-même.

225
Ce schéma montre, en outre, l’impossibilité d’une harmonie idéale qui pourrait être exigée de
l’objet à la demande et de la demande à l’objet du désir. Autrement dit, l’objet lui-même en
tant qu’objet du désir est : « l’effet de l’impossibilité de l’Autre de répondre à la demande. »
(14/3/1962) Ccar l’Autre laisse à découvert une grande part de la structure.

Ceci veut dire que le sujet n’est pas enveloppé par l’Umvelt, mais que à vouloir l’imaginer par
rapport à une sphère, le sujet devrait y être représenté par l’existence d’un trou à la surface.

On coud un bord avec son opposé puis, des deux autres faces du petit trou quadrangulaire
qu’on aurait opéré dans la sphère, on laisse deux trous par lesquels on tire sur ce qui est suturé
à la manière d’un anneau.

Logiquement parlant cette fois, cet Autre qui dépend de la structure torique du Sujet est bien
évidemment sans pouvoir particulier autre, que d’être créé par la structure subjective elle-
même. Ce qui ne veut pas dire qu’à partir de là, il ne soit «pas sans pouvoir». L’Autre
s’introduit en tant que métaphore du trait unaire puisque c’est lui qui représente le lieu où
pourraient se succéder tous les traits qui représentent la métonymie du sujet, du fait de la
succession des effets de la frustration imaginaire, cet Autre acquiert une valeur unique: il
n’est, comme dit Lacan, pas sans pouvoir car il est à l’origine du désir qui se trouve posé
comme condition.

« Pour cela, il est comme pas-un, il donne au -1 du sujet, une autre fonction qui s’incarne
d’abord dans la dimension que ce «comme» vous situe assez, comme étant celle de la
métaphore. » (14/3/1962)

3. De l’Autre à la castration

Il est temps, à partir de là, d’en venir au troisième terme qui sera l’introduction de l’acte de
désir qui devrait normalement correspondre à la fonction de la castration.

Elle doit prendre appui les spécificités de la négation, expression du sujet en tant qu’il se
situe topologiquement en deux lieux. Déjà, nous le savions divisé par l’énoncé et
l’énonciation. Nous le retrouvons, ici, dans cette topologie des surfaces, réalisant à tout le
moins dans la névrose, un rapport d’interversion qui justifie la structure de paradoxe que
nous lui avons accolée. S’y ajoute maintenant, la place du leurre qui illustre à la surface
initiale du tétraèdre (Séminaire I) les notions d’erreur, d’ambiguïté, voire de tromperie. Un
nœud s’y dessine, prétend Lacan, sans sortir de la métaphore.

Il s’agit d’illustrer la béance qui écartèle le sujet doublement situé.

Lacan se sert du graphe pour le montrer en privilégiant les quatre coins : A, s(A), (D), S(
), parlant alors d’un mouvement alternant de la demande à l’Autre (Che vuoi ?) entre un « rien
peut-être ? » et « peut-être rien »

226
Entre le message (« Peut-être rien ») et la question (« rien peut-être ? »), c’est le sujet qui se
déprend de toute consistance pour s’égaler au glissement de rien.

Mais pour que ceci s’opère, il faut que s’inaugure l’irréductibilité du circuit torique clxi[xiv]
pour le sujet. Cette irréductibilité a même une paternité mythique. L’Oedipe, dit Lacan, est
foncièrement structuré par ce nœud qui est une demande si privilégiée qu’elle devient la loi, le
commandement absolu (l’Oedipe est aussi désir de l’Autre).

« Cette demande s’articule ainsi «tu ne désireras pas celle qui a été mon désir ». (14/3/1962)

Ceci inaugure le départ de la vérité freudienne, car il y a là quelque chose qui devient un
irréductible qui fait penser à ce qui est le cercle irréductible, le cercle plein sur le tore, détour
nécessaire que le désir doit inclure en lui pour devenir possible, il y a là : « un vide, un trou
interne spécifié dans ce rapport à la loi originelle. » (14/3/1962)

Ce vide, Lacan l’égale au père tué de la horde et : « au-delà de ce trépas du meurtre originel,
là où se constitue la forme suprême de l’amour », il fait : « de ce trépas du meurtre originel, la
condition de sa présence désormais absolue. » (14/3/1962)

« La mort en somme jouant ce rôle, se manifestait comme pouvant seule le fixer dans cette
sorte de réalité, sans doute la seule comme absolument perdurable d’être comme absent. Il n’y
a nulle autre source à l’absoluité du commandement originel. » (14/3/1962)

En somme, ce père mort est la figure mythique du sujet égalé au rien qui se glisse dans la
chaîne.

On voit mieux, à partir de là, la différence qui s’instaure entre le semblable de la condition
imaginaire en miroir, telle que nous l’avions vue dans le Séminaire I, et la condition de
l’Autre (A) qui n’est plus le semblable i (a) avec lequel nous avions un rapport de réciprocité,
mais qui est cet Autre dont la présence est désormais exclue.

Cet Autre qui est un tiers, est responsable dans l’identification qu’on aurait à son égard, du
surgissement de l’objet. En d’autres termes, l’objet de la rivalité primaire est élevé d’une
certaine place à une autre, de la place de la rivalité à celle de l’existence, de la place où la
rivalité était rivalité devant notre subsistance organique dans le champ des besoins à celle de
l’existence et, pour la première fois, Lacan cliverait le mot « ek-sister » pour le sujet.

227
C’est à la topologie du tore que Lacan se réfère pour cette démonstration. Cette place est
évidemment ce qui fait l’objet du passage de la fonction de frustration à celle de castration
dans l’opération de mise en place du désir : rencontre de l’Autre et retour du rien sur le sujet
comme anéantissement de la signification.

C’est ce champ de l’existence qui échappe à ce que les psycho-sociologues ont déterminé
comme champ de la communication ou champ de l’apprentissage, car il ne suffit pas de dire
que le sujet s’y définisse dans ses intérêts, il faut aussi qu’il puisse se considérer comme exclu
de ce champ, ce qu’évidemment la structure topologique du tore nous permet de rendre
compte. C’est ici que prend place la fonction du représentant de la représentation, ou encore
de l’usage de la négation qui nous permet de nous considérer comme sujet à la fois inclus et
exclu dans le champ humain.

Une autre figure de cette ek-sistence du sujet, représenté par le tore, apparaissait déjà dans
l’usage de la négation, principalement double (vous n’ignorez pas...) comme désignant deux
champs différents que Lacan a illustré de la différence entre le champ du message et celui de
la question. Il en résulte que : « Le désir se définit comme l’intersection de ce qui, dans les
deux demandes (celle du besoin et celle du «Che vuoi»?), est à ne pas dire, c’est seulement à
partir de là que se libèrent les demandes formulables partout ailleurs que dans le champ du
désir. Le désir ainsi se constitue d’abord de sa nature, comme ce qui est caché à l’Autre par sa
structure ; c’est l’impossible à l’Autre qui justement devient le désir du sujet, le désir se
constitue comme la partie de la demande qui est cachée à l’Autre. Cet Autre ne garantit rien
justement en tant qu’Autre, en tant que nœud de la parole, c’est là qu’il prend son incidence
édifiante. » (14/3/1962)

On a en quelque sorte un double mouvement: il y a le sujet qui est aux prises avec l’Autre
dans ce qu’on pourrait appeler une demande qu’il lui adresse, et qui cache la part de désir
intéressée à cet Autre qui, ne garantissant rien au niveau de la demande, paraît cacher cet
objet qui cette fois-ci n’est plus l’objet de la demande, mais devient l’objet du désir. Ainsi :
« L’objet du désir existe comme ce rien même dont l’Autre ne peut savoir que c’est tout ce en
quoi il consiste ; ce rien en tant que caché à l’Autre prend consistance, il devient l’enveloppe
de tout objet devant quoi la question même du sujet s’arrête, pour autant que le sujet alors ne
devient plus qu’imaginaire. » (14/3/1962)

Toute dimension subjective ainsi se déploie dans la dimension du caché contradictoire s’il en
est, mais bien propre à induire la fonction du désir, car c’est là, qu’effectivement, notre
éthique nous pousse, et sur quoi bute toute analyse, ce que Freud dénommait du terme de
castration inassumable. Mais l’est-elle vraiment ?

Est-ce pour y répondre que Lacan introduit alors la première fois, la bande de Moebius
(28/3/1962) à côté de la sphère munie de trous. Comment conjoindre alors la problématique
de la castration à celle du tore ?

Examinons cette topologie.

Le tore serait certainement la forme simple, intuitivement la plus accessible pour écrire le
désir du sujet en repartant, par exemple, de ces deux types d’axes circulaires qui proviennent
du cercle générateur du tore. Ce cercle que Lacan a appelé « cercle vide » et qui représente
l’insistance signifiante et la répétition de la demande, et puis, cet autre circularité accomplie

228
qui nous présente de manière intuitive les termes mêmes du désir inconscient que le sujet suit
comme circularité interne accomplie, cercle vide alors sans le savoir.

Ainsi, le cercle générateur, Lacan l’appelle D qui est le symbole de la demande, c’est lui qui,
en se répétant, inscrit l’objet métonymique. La métonymie peut se trouver présentifiée par un
cercle qui ferait à la fois le tour de l’âme et le tour de l’axe du tore, addition de D + d,
addition de la demande et du désir qui nous permettrait de symboliser la demande avec sa
sous-jacence de désir.

« C’est le cercle qui, partant de l’extérieur du tore, trouve le moyen de se boucler, non pas
simplement en insérant le tore dans son épaisseur de poignée, non pas simplement de passer à
travers le trou central, mais d’envelopper le trou central sans pour autant passer par le trou
central. » (28/3/1962)

L’intérêt de cette présentation est de nous faire aboutir à l’opposition de deux demandes, car,
à l’intérieur d’un même tore, on peut symboliser par un autre cercle analogue au cercle
générateur du tore, la demande de l’Autre, celle qui incarne ce qu’on appelle la disjonction
(trace de l’ambiguïté qu’on retrouvait déjà dans le triangle primordial (Séminaire I) du « ou
bien », « ou bien » que la logique essaie de cerner sous sa forme inclusive ou exclusive. Le
« ou » inclusif qui est le « ou » d’intersection, et le « ou » exclusif qui indique qu’on choisit
entre l’un ou l’autre de ces cercles intersectés.

Le désir est en rapport avec cette intersection. Ce double enlacement sur le tore a pour
objectif de nous faire saisir, non pas la partie commune entre les demandes, mais là où nous
avons affaire à la fermeture de la surface, et à son vide interne. Nous avons de cette manière à
symboliser les constituants du désir du sujet qui doivent nécessairement passer par le chemin
de la demande.

« Il y a deux dimensions que nous pouvons privilégier dans ce cercle particulièrement


significatif dans la topologie du tore, c’est d’une part la distance qui rejoint le centre du vide
central avec ce point qui se trouve être et peut se définir comme une sorte de tangence, grâce à
quoi un plan recoupant le tore va nous permettre de dégager, de la façon la plus simple, ce
cercle privilégié, c’est cela qui nous donnera la définition, la mesure du petit a en tant
qu’objet du désir. » (28/3/1962)

Cela, c’est la première dimension, la deuxième, c’est de voir surgir dans le rayon la mesure
dernière du rapport du sujet au désir, le petit « phi » comme symbole du phallus.

229
La topologie désigne ce passage nécessaire au cours duquel le sujet émerge dans son rapport à
la dimension de l’Autre. Donc, la topologie n’est pas la Chose comme telle, elle est une
monstration du chemin qui y mène. Lacan propose une modification de la formule freudienne
«là où c’était, je dois advenir» par « là où était la Chose à cause du Un − c’est-à-dire durch
den Eins, werde Ich − je deviendrai », adviendra le «je» par le détour du trait unaire qui n’est
rien d’autre que la trace effacée de cet Un originaire irremplaçable.

Mais ce Un, unaire, prend pour le sujet la figure du RIEN quand il s’incarne dans l’Autre. En
ce sens, la crainte de la disparition du désir n’est que rencontre dans l’Autre du désir et de
son objet : RIEN.

Ce rien supporte la logique du « Pas sans » quand elle vient à s’accoler à la fonction du
Phallus. C’est la raison pour laquelle Lacan réintroduit la forme logique du « pas sans », pas
sans rapport, qu’il va lier à la fonction du désir, au sens où l’accès au désir exige « un pas sans
l’avoir ». La question est de savoir justement de quoi il s’agit dans cet avoir.

« Autrement dit, que l’accès au désir réside dans un fait, dans ce fait que la convoitise de
l’être dit humain ait à se déprimer inauguralement pour se restaurer sur les échelons d’une
puissance dont c’est la question de quoi elle est, mais surtout cette puissance, vers quoi elle
s’évertue. » (4/4/1962)

Il est clair que ce autour de quoi ce désir tourne, c’est ce tour central dont il faut faire plus
d’un tour pour que nous ayons le style qu’il convient pour en parler, quand il s’agit du désir.
Devant ce désir, il n’y a aucun péché, il n’y a aucune crainte de l’aphanisis au sens de Jones :

« Il n’y a qu’une chose et cela nous n’y pouvons rien, il n’y a qu’une chose à redouter, c’est
cette obtusion à reconnaître la courbe propre à la démarche de cet être infiniment plat dont je
vous démontre la propulsion nécessaire sur cet objet fermé que j’appelle ici le tore, et qui
n’est à vrai dire que la forme la plus innocente que ladite courbure puisse prendre, puisque
dans telle autre forme, qui n’est pas moins possible ni moins répandue, il est dans la structure
même de ces formes, où je vous ai un peu introduit la dernière fois, que le sujet se déplaçant
se retrouve avec sa gauche placée à droite, et ceci sans savoir comment cela a pu arriver,
comment cela s’est fait. » (4/4/1962)

Ici, Lacan semble nous indiquer que la topologie du tore sert de support à circuler pour un être
extra plat qui y trouverait de la sorte, outre une structure spéculaire, une possibilité de mesure
de son accès au désir. Mesure qui s’appelle Phallus. C’est lui que nous craignons de voir
disparaître comme mesure sous cette forme mal interprétée que Jones appelait aphanasis du

230
désir. Ce médium à placer sur le tore devient donc une sorte de commune mesure entre la
demande du sujet et le désir de l’Autre. Lacan l’écrira : 1/phi.

« La fonction phallique, cela n’a absolument pas d’autre sens que d’être ce qui donne la
mesure de ce champ du désir. » (4/4/1962)

Autrement dit, si nous ne connaissons pas le désir de l’Autre, nous en connaissons le médium,
et nous l’éprouvons tous d’une façon qui est « pas sans » : c’est le phallus ; c’est en ce sens
que le phallus est le détour nécessaire, le passage obligé dans toute cure, dans le transfert. Une
sorte de livre de chair humanise, ici, le rapport du désir à son objet, castration ainsi que l’a
appelée Freud, non sans qu’il s’ensuive que le rapport du désir du sujet au désir de l’Autre ne
puisse jamais déboucher sur aucune identification clôturante ; seul le fantasme viendra donner
un semblant de réalisation au désir.

La réalisation du désir dans l’acte ne peut signifier qu’être l’instrument, que servir ce désir de
l’Autre et cela dans une espèce d’hyperespace qui est bien celui de la topologie.

Lacan anticipe, ici, son projet de l’année suivante puisque ce qui se déploie dans cette
hyperespace s’appelle l’angoisse.

La structure de cet hyperespace est parente du tore.

Séminaire IX

L’identification

Un évidement de surface

(suite)

C. La topologie du tore

Voici venu le vif du sujet de cette topologie des surfaces, elle semble liée à une question que
le Sujet peut se trouver en mesure de poser et qui, nous venons de le voir, aurait pour effet
d’évider tout un champ (celui du rien) : étendue dans laquelle surgit le plus souvent
l’angoisse.

La topologie, on s’en sert tout le temps ! Par exemple, dans l’usage de la conjonction « ou »,
mais nous sommes incapables de pouvoir nous en rendre compte, d’une part, parce que notre
pensée organisée par le sens visuel intuitif est assez déficiente, notamment pour nous rendre
compte de ce qui se passe à la surface d’un tore, d’autre part, parce que dans l’instruction
scolaire, on fait tout pour encourager cette impuissance intuitive.

C’est dans l’exemple de la négation, qu’on peut le mieux mesurer cette incapacité, c’est
pourquoi Lacan utilise les cercles d’Euler pour démontrer la distinction qui existe quant à la

231
négation, au niveau de l’énonciation, et au niveau de l’énoncé, (non sans que cela soit d’autres
personnes nommément Boole et Morgan qui aient utilisé ces cercles pour ce faire).

Cette utilisation consiste à les faire se recouvrir pour que nous puissions parler de la réunion
« ∪ ». La réunion est différente de l’addition des cercles, il en résulte que le champ de leur
intersection est compris dans le champ de réunion.

La réunion moins l’intersection s’appelle la différence symétrique, et c’est ce qui va intéresser


Lacan au plus haut point. L’intérêt de cette différence symétrique est de pouvoir introduire
une monstration de la fonction du « ou » d’exclusion dont nous avons parlé plus haut. C’est
un nouveau type de négation qui se démontre ainsi, puisque la réunion de deux champs nous
permet de dire à l’aide du «ou» que quelque chose appartient au champ A ou B sans que cela
soit alternatif, mais en indiquant que l’identité de cette chose est localement désignée par les
deux termes.

Ceci s’énonce qu’une telle chose est « ou A ou B », au contraire, si on dit que c’est A ou B,
on a à faire à quelque chose qui est exclusif, que nous pouvons symboliser par la réunion de A
et B étant entendu que leur champ d’intersection est exclu.clxii[i]

Si Euler avait poussé l’intuition sur une voie incomplète en privilégiant une mise à plat de ces
cercles sur un plan/feuille de papier, Lacan voudrait lui, subvertir cet aplatissement en y
substituant le tore comme support ainsi que son type d’intersection particulier: l’inclusion ou
huit intérieur. Bien sûr, le cercle intérieur touche la limite que constitue l’usage du cercle
dans le champ visuel-plan ; mais ici, en plus, le cercle extérieur se continue dans la ligne du
cercle intérieur.

Voilà qui relève de la fonction du paradoxe déjà entrevu avec le catalogue des ensembles qui
ne se comprennent pas eux-mêmes. Le cercle intérieur E E, c’est les ensembles qui se
comprennent eux-mêmes, le cercle extérieur, c’est (E  E), les ensembles qui ne se
comprennent pas eux-mêmes.

232
La solution des logiciens à ce problème est que les ensembles qui se comprennent eux-mêmes
sont essentiellement différents des autres ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes.

On ne peut pas en parler de la même manière, ils ne peuvent à la limite être posés comme des
ensembles, car l’ensemble qui se comprend lui-même est porté à une puissance seconde, à un
niveau tel, dans son recouvrement dans l’ensemble de ceux qui ne se comprennent pas eux-
mêmes, qu’il se réduit à l’homogénéité avec ce qui est extérieur: c’est ce que l’image du huit
inversé ou huit intérieur peut nous faire comprendre.

Dans la solution de cette impasse logique, le tore va nous être d’une utilité par l’intuition
représentative qu’il nous en fournit. Autrement dit, un certain Imaginaire nous vient là en aide
pour élucider le rapport du signifiant à lui-même, car plus la définition de l’ensemble s’est
rapprochée d’une articulation signifiante, plus cette impasse a surgi, étant entendu que ce
rapprochement consiste à élever l’ensemble à une dimension de signifiant dont on peut
rappeler la formule : la marque d’une trace effacée. Cette marque est le signifiant nouveau
qui sert à se signifier comme trace effacée, c’est-à-dire différente de la marque.

Quel intérêt clinique à cela ? Lacan nous l’avance :

« Il s’agit de symboliser au premier chef, parce que c’est aussi ceci que nous allons retrouver
jusqu’à un certain point d’extension, il s’agit de déterminer ceci dans toute la structure
subjective jusqu’au désir y compris. » (11/4/1962)

Autrement dit, dans la structure subjective désirante, nous devons rencontrer ce type
d’impasse, ce type de problématique, nous devons rencontrer, un moment donné, le sujet qui
doit s’approcher tellement de la dimension de la structure signifiante que la question de son
paradoxe, par rapport à sa réalisation dans le désir, doit se poser. (ex. les obsessionnels et
leurs multiples conquêtes qui se gardent pourtant un champ de jouissance extérieur)

Aussi, Lacan propose-t-il de s’appuyer sur l’Imaginaire du tore pour en saisir la portée, à
partir de l’inscription sur le tore du huit intérieur. Ce huit intérieur comporte deux circuits en
continuité sur ce tore.

233
Un premier circuit non réductible :

Or, le moment est d’importance, ce cercle irréductible qui se différencie à ce point du cercle
réductible, si nous lui ajoutons la fonction de coupureclxiii[ii], c’est-à-dire, si nous le
représentons par l’exercice d’un coup de ciseau, s’avère chose étrange, chose inverse, laisser
le tore intact sous la forme d’une manche alors que l’autre cercle, le cercle réductible, lui,
s’enlève du tore qu’il laisse plus ou moins intact, à une pastille près. Les cercles irréductibles
ne suffisent pas à définir un intérieur et un extérieur.

Pas suivant, Lacan transforme cette manche en une bande, car il n’y a pas, dit-il, de différence
essentielle entre une ceinture et une manche du point de vue topologique, il appelle cela donc
une bande.

deuxième circuit non-réductible :

on peut de la sorte couper le tore selon l’autre cercle irréductible, concentrique au trou central.
Il en résulte les mêmes propriétés.

Si l’on opère alors les deux coupures simultanément selon ces deux sortes de cercles
irréductibles, on obtient non plus une bande, mais une mise à plat. Au fond, ces deux
coupures doivent correspondre aux deux types de sutures qui supplémentèrent le trou à la
surface de la sphère quand nous avons construit l’anneau (supra p. 26).

234
Cette mise à plat du tore s’étale comme une peau épinglée au quatre points, ce qui nous
permet : « de définir les propriétés de correspondance de ses bords l’un à l’autre, de
correspondance aussi de ses sommets, les quatre sommets se réunissant en un point ; et
d’avoir ainsi, d’une façon beaucoup plus accessible à vos facultés d’intuition ordinaire,
moyen d’étudier ce qui se passe géométriquement sur le tore. » (11/4/1962)

Seul le tore permet à ces deux coupures de laisser la surface en un seul lambeau, en un seul
rectangle. Toute section double de ce type sur la sphère, par exemple, la laissera toujours en
deux morceaux quelques soient les cercles.

Poursuivant sa présentation du huit intérieur et du « ou exclusif » sur le tore, Lacan propose


alors de faire deux sections, mais qu’on peut appeler coupures sur le tore selon le cercle
irréductible autour de l’axe. Mis à plat, ces champs peuvent sembler se regrouper autour de ce
que nous avons appelé tout à l’heure la différence symétrique, pour autant que nous voyons la
figure mise à plat. Mais comme ces coupures se trouvent de part et d’autre de l’épaisseur du
tore, en fait, il n’y a pas là d’intersection réelle, elle ne l’est que pour l’œil.

Placés sur le tore, deux champs se recoupant, pouvant comme tels définir leur différence :

« En tant que différence symétrique, n’en sont pas moins deux champs dont on peut dire
qu’ils ne peuvent se réunir, et qu’ils ne peuvent pas non plus se recouvrir, en d’autres termes,
qu’ils ne peuvent ni servir à une fonction de « ou », ni servir à une fonction de multiplication /
intersection par soi-même. Ils ne peuvent littéralement pas se reprendre à la seconde
puissance, ils ne peuvent pas réfléchir l’un par l’autre et l’un dans l’autre ; ils n’ont pas
d’intersection; leur intersection est inclusion d’eux-mêmes. Le champ où l’on attendrait
l’intersection est le champ où l’on sort de ce qui les concerne, ou on est dans le non-champ, ce
qui est d’autant plus intéressant qu’à la représentation de ces deux cercles, nous pouvons
substituer notre huit inversé de tout à l’heure. » (11/4/1962)

235
En passant au huit intérieur, on a là « de manière très suggestive, quelque chose qui a rapport
avec l’objet métonymique, l’objet du désir dans ce cercle qui, à la limite, se redouble et se
ressaisit, qui symbolise de manière intuitive que justement ces cercles eulériens nous
paraissent convenir à une symbolisation de la limite qui se reprend elle-même, qui s’identifie
à elle-même. » (11/4/1962)

On peut ainsi étirer, réduire l’un à l’autre, ces deux cercles intérieurs et assurer ce qui leur
appartient. On s’aperçoit que le champ a 2 est le même que le champ non a, c’est-à-dire que A
= non a. Ceci est un modèle, un support intuitif dont on va avoir besoin pour la constitution du
désir. Il symbolise, dans l’auto-différence du désir à lui-même, dans son redoublement et dans
cette dérobade perpétuelle, quelque chose qui conjoint la fonction a à l’objet du désir comme
tel.

Placé correctement sur le tore, ce huit intérieur est constitué par un cercle qui fait le tour du
trou central additionné à un cercle qui le traverse, ceci spécifiant les rapports de la demande et
du désir.

Le huit intérieur

Nous avons donc ici, la fameuse coupe du huit intérieur où les deux boucles représentent la
réduplication de la demande, et comporte ce champ de différence à soi-même dont on a parlé
plus haut.

« C’est-à-dire qu’ici, nous trouvons le moyen de symboliser, d’une façon sensible au niveau
de la demande elle-même, une condition pour qu’elle suggère dans toute son ambiguïté, d’une
façon strictement analogue à la façon dont elle est suggérée dans la réduplication de tout à
l’heure de l’objet du désir sur lui-même, la dimension centrale constituée par le vide du
désir. » (11/4/1962)

Lacan prétend être capable de montrer la manière dont, dans chaque cas clinique, s’articule ce
rapport du désir et de la demande ; cependant il ne le fera pas dans cette séance.

Ce qui se dégage de ces manipulations sur le tore que Lacan avoue métaphoriques de la
clinique (obsession, hystérie, perversion, voire schizophrénie), prend la forme de concepts qui
vont devenir opératoires dans la suite de la topologie lacanienne : autodifférence et symétrie,
orientabilité.

236
Autodifférence symbolisée par les tours successifs de la demande sur le tore. Symétrie,
dissymétrie pour le huit intérieur sur ce même tore.

Toute la question est de savoir en quoi : « ces champs de la différence symétrique et, de ce
que j’appelle l’auto-différence, en quoi ils sont utilisables pour une certaine fin, et en quoi il
se soutiennent comme existant par rapport à un autre champ qu’ils excluent ? » (11/4/1962)

Tout cela parce que le tore structuré comme surface, nous permet difficilement de symboliser
ce qu’on appelle une dissymétrie essentielle, et pour nous montrer à quel point, chez le
névrosé, par exemple, il peut se trouver sensible à l’aide du tore jusqu’où chaque cercle du
désir est interpellé comme demande exigée de l’Autre, symétriquement.

Il suffit de découper le tore et d’en faire un rectangle déployé pour voir à quel point, en
modifiant le raboutage des longueurs par celui des largeurs, on obtient l’autre tore que tout
tore engendre de lui-même.

237
Or, il existe une dissymétrie essentielle au tore, c’est ce que Lacan voudrait dégager de
l’expérience névrotique qui s’attache à la résoudre en une symétrie. Comment alors retrouver
ce qui distingue les deux sortes de cercles irréductibles ? Est-ce par l’orientation ?

L’idée de Lacan est de montrer qu’il existe une espèce de parasitage de notre pensée par la
perspective platonicienne d’un Umwelt et d’un Innenwelt qui seraient séparés d’une division
intérieure et extérieure radicale. Or, si nous dressons justement un tore sur une galerie à
l’intérieur d’une sphère, on peut se rendre compte de la non-indépendance absolue de cette
forme. Il suffit de penser qu’il y va là d’une logique en caoutchouc qui permet le
renversement de ces surfaces, ce à quoi nous arrivons, nous dit Lacan, c’est à un échec, à
l’impossibilité de faire référence à une troisième dimension qui justifierait, à l’aide de la
sphère, cette dissymétrie. Mais, ce que le huit intérieur nous montre, c’est au contraire la
possibilité : « d’un champ intérieur comme étant toujours homogène au champ extérieur. »

D’où l’intérêt de cette greffe du signifiant huit intérieur sur le tore.

N.B. : pas clair, ici, le but de Lacan : montrer que le tore est dissymétrique ou montrer qu’il
est impossible de s’appuyer sur une dimension tierce pour le faire ? Est-ce la raison pour
laquelle il en appellera (la séance suivante 2/5/1962) au nœud de trèfle, tressage dont la
troisième dimension ne peut rendre compte ?

D. Conséquences de cette greffe sur le tore : naissance du signifiant polonais

1. Nécessité d’une autre esthétique transcendantale. L’angoisse qui est l’effet de ce lieu
nouveau doit être dite et, pour ce faire, le modèle topologique que Lacan essaie de forger (ce
sont ses propres termes), est un modèle qui permet de saisir que c’est le désir qui nous
intéresse parce que c’est le sujet (ou encore que le sujet qui nous intéresse, c’est le désir).
Lacan parle de la nécessité d’une expérience mentale pour appréhender ce qui différencie le
désir et la demande. Ce désir est structuré par le langage, mais l’esthétique transcendantale,
kantienne probablement, dont nous sommes les héritiers, ne nous avait pas permis jusqu’ici de
lui donner sa place.

2. Le désir se trouve lié à une limite, ce que l’expérience d’angoisse recherche dans ce lieu
vidé de Dieu qui, par voie de conséquence, ne garantit plus cette limite.

C’est pourquoi, dans la phrase de Karamazov : « Puisque Dieu n’existe pas, alors tout est
permis », il faut s’interroger sur ce qui est un fait d’expérience qu’il y a du permis :

« Il y a du permis parce qu’il y a de l’interdit... ce qu’il s’agit de structurer, d’organiser, c’est


comment il est vrai que l’un et l’autre se déterminent fort étroitement tout en laissant un
champ ouvert qui non seulement n’est pas par eux exclu, mais les fait se rejoindre et, dans ce
mouvement de torsion, donne sa forme à proprement parler à ce qui soutient le tout, c’est-à-
dire la forme du désir. Pour tout dire, le désir s’institue en transgression. » (9/5/1962) et si un
jour la loi surgit :

« Sans doute a-t-il fallu que le signifiant y mette d’emblée sa marque, son poinçon, sa forme,
mais c’est tout de même de quelque chose qui est un désir originel que le nœud a pu se former
pour que se fondent ensemble la loi comme limite et le désir dans sa forme. » (9/5/1962)

238
C’est la première fois que Lacan démontre explicitement l’image du nœud, à la fois
mouvement du désir, à la fois limite qui lui est imposée : ce sera le nœud de trèfle qui
symbolise ce sujet-désir.

Lacan essaie de nous faire entrer dans un chemin qui se serre de plus en plus autour d’un
nœud dont il va tenter de nous montrer la figure ombilicale : petit a en est le lieu, puisque ce
petit a n’est rien d’autre que le grand Autre en nous ! Évidemment, on peut dire que cet objet,
c’est l’objet du désir, mais nous ne pourrons le dire que quand nous aurons saisi : « ce que
veut dire que le sujet en tant qu’il se constitue comme dépendance du signifiant au-delà de la
demande, c’est le désir. » (9/5/1962)

Autrement dit, a est la figure pour le Sujet de ce qui le détermine comme désir par rapport à
A. Cette problématique du sujet avait déjà été traitée dans le graphe mais dans la visée du
procès de la parole où Lacan avait situé le petit a dans la figure imaginaire du fantasme,
homologue à la ligne i(a) - m.

« Le graphe est fait pour montrer déjà ce type de nœud que nous sommes pour l’instant en
train de chercher au niveau de l’identification. Les deux courbes s’entrecroisant en sens
contraire montrant que synchronisme n’est pas simultanéitéclxiv[iii], indiquaient déjà dans
l’ordre temporel ce que nous sommes en train d’essayer de nouer dans le champ topologique.»
(9/5/1962)

La dépendance du sujet au signifiant a pour conséquence d’exclure le sujet dans l’opération


d’identification au trait unaire qui désigne le rapport du signifiant à lui-même.

◊ a (formule du fantasme) est lié à l’imaginaire et petit a ne peut y apparaître qu’à la


condition que se trouve exclu du fait de sa dépendance à l’usage du signifiant, c’est-à-dire
que cette opération, que cette exclusion, surgit quand le signifiant tente de se redoubler lui-
même. Autrement dit, le sujet, la case vide dans le quadrant, se présente comme case vide,
c’est-à-dire comme exclusion quand nous posons la question de l’universel, quand nous
posons la question de savoir si certains traits peuvent se répéter comme universels. Il n’est là
ni comme celui qui est désigné, ni comme celui qui désigne, mais, il est là comme l’effet du
jeu d’un objet qui s’absente et qui se présente, il y a des traits verticaux, il y a des traits pas
verticaux. Donc, le sujet dans le fantasme se fait (-a) et l’identification au trait unaire ne
s’opère que du produit :

(-a.a) = -a2 = 1 d’où a = √ -1

Il y a quelque chose de charnel d’impliqué dans le symbole mathématique de la racine de


racine carrée de - 1 : « part du corps perdu » pour la subjectivation dans l’opération
d’identification.

Cette « part du corps perdu » est l’objet du désir, non pas l’objet cause du désir qui n’est
qu’autodifférence, mais un objet que la répétition circulaire de la demande crée comme objet
de désir en prenant appui sur ce qui ne sera plus jamais un objet de besoin : oral, anal...

239
A ce moment, l’objet pris dans ce mouvement répétitif devient objet érotique dans le lien
qu’il a avec la fonction du signifiant en tant qu’il ne peut se signifier lui-même. Ce qui, dans
un autre vocabulaire, s’énoncerait de la manière suivante : il devient signifiant d’une demande
cachée et, de ce fait, il prend valeur d’un désir ce qui est d’un autre registre, s’égalant au
cercle irréductible vide.

3. Au fond, tout revient à se demander ce que cette demande latente opère comme
transmutation, qui élève la dimension du besoin à la dimension de la libido ? Le responsable,
c’est la fonction du Phallus à laquelle il faut effectivement donner son support topologique.
Nous savons déjà qu’elle est une mesure. Or, ce Phallus n’est jamais aussi présent que quand
il est absent : c’est cela le point tournant de l’articulation de l’objet au désir.

Ce Phallus reste en permanence un objet de demande à celui qui ne peut pas le donner,
modèle irréductible du désir qui surgit entre la mère et son enfant. Il reste, autrement dit, un
signifiant qui n’entre pas dans la chaîne métonymique.

« J’anticipe et profère que le Phallus dans sa fonction radicale est le seul signifiant mais,
quoiqu’il puisse se signifier lui-même, il est innommable comme tel. S’il est dans l’Autre du
signifiant, car c’est un signifiant et rien d’autre, il est posé sans différer de lui-même... il est le
seul nom qui abolisse toutes les autres nominations, et c’est pour cela qu’il est indicible. »
(9/5/1962)

Objet paradoxal du désir, il a aussi un statut signifiant exceptionnel, il doit par là même être
topologisable à sa façon propre. Serait-il le responsable pour Lacan de l’effet dissymétrique
recherché sur le tore ?

En effet, si déjà quelque chose de topologique se produit quand, ayant ouvert le tore et l’ayant
étalé sous la forme du rectangleclxv[iv], on essaie d’appliquer dessus le huit renversé pour
mesurer ce qui se trouve limité entre un champ par cette coupure et ce qui est au dehors qu’en
serait-il alors de cette même application du huit intérieurclxvi[v] au cross-cap ?

Elle devrait, dit Lacan, entraîner un certain nombre de réflexions, une manière de penser les
choses de la logique de manière mutative.

Tout d’abord en faisant dépendre la notion d’espace de celle de surface.

Car la notion de surface est quelque chose qui est problématique, qui n’est pas donné comme
une intuition. Ce que la topologie nous permet de saisir, c’est que l’espace recèle bien des
mystères, au point même qu’il conviendrait de partir de l’idée de surface pour définir ce
qu’est l’espace et non de l’inverse, comme on le fait intuitivement ; on ne peut pas, par
exemple, partir de l’idée qu’une surface a deux faces puisqu’il est certaines surfaces qui n’ont
qu’une seule face. Il y a aussi des surfaces sans bord comme la sphère ou le tore. Le cross-cap
fait partie de ces figures particulières.

« Il en est trois, ainsi, la sphère, le tore et le cross-cap qui sont des surfaces closes
élémentaires à la composition desquelles toutes les autres surfaces closes peuvent se réduire. »
(16/5/1962)

Ce qui est important, c’est de voir intervenir là ce que Lacan appelle la quatrième dimension,
qui est quand même quelque chose de tout à fait problématique quand on voit les problèmes

240
qu’on a avec la troisième. Ce qui justifie la quatrième dimension, c’est le nœud. (Lacan
prétend ici que le nœud de trèfle n’est pas possible à tracer sur un tore (!), mais qu’on peut le
faire sur le cross-cap).

Le tore, c’est quelque chose que Lacan découpe à la manière d’un quadrilatère qu’il
vectorialise, à savoir que ne peuvent être accolés l’un à l’autre que les bords dont les vecteurs
vont dans le même sens. Si tous les vecteurs vont dans le même sens, tournent donc dans un
certain sens horloger, on obtient le cross-cap qu’on peut appuyer d’une demi-sphère pour en
faire une surface close.

Reste la dimension d’intérieur et d’extérieur qui demeure encore obscure dont une certaine
portée nous fut donnée par le trou central du tore ; il faudra encore y adjoindre cette fonction
du trou à la surface, avec ou sans bords, pour distinguer ce qui fait extérieur ou intérieur.

On sait que le trou est un des éléments à adjoindre à la sphère, à côté du cross-cap et du tore,
pour pouvoir réduire toute surface triangulable, en topologie générale.

Pourquoi ces précisions ?

Repartons de la définition du signifiant. Point n’était besoin de surface pour marquer la


discontinuité modulatoire du signifiant ni pour lui ajouter la dimension temporelle, qualifiée
de hâte, à l’époque du « temps logique ».

Cependant le signifiant possède une troisième caractéristique : à se répéter dans sa différence,


le signifiant ne se signale tel que d’être inscrit, distinguant simultanéité temporelle et
synchronie écrite où le même, comme différent, est mémorable pour l’humain, c’est-à-dire
que notre mémoire intervient en fonction du trait unaire et qui marque l’unicité et
l’inscription. Ce qui se répète, c’est évidemment un caractère d’impression.

Pour Lacan, coupure égale écriture, raison pour laquelle la notion de coupure sur la bande
qui fait passer de l’unilatère au bilatère nous donne la véritable verbalisation de la forme
écrite du poinçon, utilisée dans la formule :

« Désir unissant le au a dans ◊ a. Ce petit quadrilatère doit se lire, le sujet en tant que
marqué par le signifiant est proprement dans le fantasme coupure de a ». (16/5/1962)

Cette coupure resterait problématique si elle ne renvoyait pas le signifiant à son action dans le
Réel comme une coupure peut le faire sur une surface.

Un discours qui ne soit pas sans conséquence, voilà ce que cherche Lacan. Car, ce après quoi
nous courons, et que la logique nous permet de saisir mais pas la logique eulérienne, ce n’est
pas de savoir en quoi dans un champ donné, nous appartenons à un cercle inclus, restreint,
(par exemple celui des psychanalystes à l’intérieur de celui des psychanalysés, ou encore celui
d’être un homme à l’intérieur du cercle des mortels) c’est de savoir ce que cela nous fait
d’être homme à l’intérieur du champ des mortels, ce que cela nous fait d’être analysés quand

241
nous sommes psychanalystes. Le savoir ce que cela nous fait, c’est ce que Lacan appelle un
trou au milieu.

Par ce trou, nous pouvons entrevoir ce que le tourbillon, créé par l’objet du désir, modifie par
rapport à la perspective d’inclusion eulérienne simple. Il y a un effet-retour spécifique à
l’inclusion trouée.

Ensuite, Lacan rappelle à quel point toute cette théorie d’inclusion, d’appartenance, de
compréhension, tous ces cercles vont dans un seul sens qui est de savoir ce qu’est l’objet de
notre désir et, l’ayant saisi, de savoir si nous pouvons le garder, l’enclore et sous quelle forme,
le posséder en quelque sorte.

On oublie trop que le concept évoque le fait qu’on court après la saisie de l’objet de notre
désir, car justement, l’objet de notre désir se dérobe sans cesse à nous. Ce point où nous
sommes marqué de la mort par le fait que le désir se dérobe, c’est ce que Lacan a appelé
l’espace de l’entre-deux-morts. Lacan parle à ce propos de la forme du tourbillon de la mort :
« sur les flancs de laquelle, la vie se cramponne pour ne pas y passer. » (23/5/1962)

Repartant de la ligne close et multipliable de la logique classique (où nul est la racine de
tous), Lacan interroge une ligne de coupure qui, dans ses répétitions sans cesse différentes,
devrait nous permettre d’appréhender le Réel du fait de cette différence et de cette
ressemblance. Nous savons déjà que si on égale signifiant à coupure et si on inscrit cette
coupure sur une surface, nous savons déjà que certaines coupures ne sont pas sans poser à
chaque fois un problème parce qu’elles ne sont pas réductibles à un point.

Pourquoi, Lacan s’appuie-t-il sur cette topologie ?

Parce que, en interrogeant les effets du désir par l’intermédiaire du signifiant, on peut voir,
pour autant que cette interrogation par l’intermédiaire du signifiant soit une coupure, qu’il
s’agit là d’une béance qui provient de la coupure, on peut voir qu’en « s’organisant en
surface, cette coupure fait surgir pour nous différentes formes où peuvent s’ordonner les
temps de notre expérience du désir.clxvii[vi] » (23/5/1962)

Évidemment, cela c’est capital puisque cela veut dire que le désir recèle plusieurs temps
d’organisation ; et comme tels, pour les repérer, il s’agit d’opérer une coupure. C’est un
moment important dans l’évolution de la topologie de Lacan, elle n’est plus inerte.

242
Avec la dimension de coupure, non seulement elle révèlerait une structure inattendue, mais
en plus, ne se suffisant pas de la nomination d’elle-même, inerte, elle dégagerait une
temporalité spéciale. Ce que nous apprenons, c’est que cette temporalité n’est peut-être pas
seulement une temporalité subjective, c’est aussi une temporalité désirante.

Pour montrer cela, pour montrer cet effet de la coupure qui fait venir au monde l’effet
signifiant, Lacan commence à faire une coupure centrale sur la sphère. Il souligne à quel point
le trou qui est fait à ce moment-là doit être pris en considération parce qu’il fait communiquer
l’intérieur avec l’extérieur, en les indifférenciant !

Au-delà de l’intuition que nous avons du trou, il faut faire un pas supplémentaire, par
exemple, en accolant deux bords d’un trou, on fait deux trous. De là, si l’on rejoint ces trous
l’un à l’autre, si on les prolonge, on a le tore qui nous autorise à saisir temporellement deux
sortes de trous. Le premier qui est une espèce de couloir qui s’enfoncerait dans une épaisseur,
image fondamentale qui n’a jamais été travaillée par la géométrie classique.

« Et puis, l’autre trou (2), c’est le trou central de la surface, à savoir le trou que j’appellerais le
trou courant d’air, ce que je prétends avancer pour poser nos problèmes, c’est que ce trou
courant d’air, irréductible si nous le cernons d’une coupure, c’est probablement là que se tient
dans les effets de la fonction signifiante, l’objet en tant que tel petit a.» (23/5/1962)

Ceci veut dire que l’objet est raté puisqu’il ne saurait y avoir là que le contour de l’objet dans
tous les sens que nous pouvons donner au mot contour clxviii[vii]. Ce trou, Lacan va tenter de
l’inclure à la fonction de surface à l’aide de la conjonction de chaque point antipodique
d’une coupure. Ceci nous donne, dans le cross-cap, cette fameuse ligne d’apparente
pénétration de la surface. Ce qui est à l’extérieur d’un côté passe à l’intérieur de l’autre côté, il
y a là quelque chose qui nous montre à quel point existe une incapacité à penser des formes
intuitives de l’espace à trois dimensions dans cette surface appelée cross-cap. Cette surface
devient la place du trou :

« Cette surface ainsi structurée, particulièrement propice à faire fonctionner devant nous cet
élément le plus insaisissable qui s’appelle le désir en tant que tel, autrement dit, le manque. »
(23/5/1962)

243
Cette figure nous permet de penser mentalement une surface qui interdise autour d’un point,
que ce point soit contourné par la forme privilégiée d’un cercle réductible. Ce point, c’est
celui que Lacan symbolise en tant qu’il peut introduire un objet a à la place du trou.clxix[viii]

«Ce point privilégié, nous en connaissons les fonctions et la nature, c’est le Phallus, le phallus
pour autant que c’est par lui comme opérateur, qu’un objet a peut être mis à la place même où
nous ne saisissons dans une autre structure le tore que son contour. C’est là, la valeur
exemplaire de la structure du cross-cap que j’essaie d’articuler devant vous à la place du
trou. » (23/5/1962)

Ce point privilégié : « spécifie le lambeau où il reste irréductiblement, lui donnant l’accent


particulier qui lui permet, pour nous, à la fois de désigner la fonction selon laquelle un objet,
là depuis toujours, est, avant même l’introduction des reflets, des apparences que nous en
avons sous forme d’images, l’objet du désir. » (23/5/1962)

« Que si dans le fantasme, le sujet, par un mirage en tout point parallèle à celui de
l’imagination du stade du miroir, quoique d’un autre ordre, s’imagine de par l’effet de ce qui
le constitue comme sujet, c’est-à-dire l’effet du signifiant, supporter l’objet qui vient par lui
combler le manque, le trou de l’Autre (et c’est cela le fantasme), inversement, on peut dire
que toute la coupure du sujet, ce qui dans le monde le constitue comme séparé, rejeté, lui est
imposée par une détermination non plus subjective, allant du sujet vers l’objet, mais objective,
de l’objet vers le sujet, lui est imposée par l’objet a. Mais en tant qu’au cœur de cet objet a, il
y a ce point central, ce point tourbillon par où l’objet sort d’un au-delà du nœud imaginaire,
idéaliste, sujet-objet qui a fait jusqu’ici depuis toujours l’impasse de la pensée, ce point
central qui, de cet au-delà, promeut l’objet comme objet du désir. » (23/5/1962)

Cette opération de la psychanalyse est l’effet du discours, c’est-à-dire de ce qu’on appelait


dans la topologie du graphe : temporalité signifiante. Cette temporalité signifiante s’exerce
sur des surfaces lesquelles ont une structure topologique définissable par la coupure. Voilà
pourquoi le signifiant, qui avant faisait chaîne, se fait maintenant coupure.

De ce point de vue, le huit intérieur correspond non seulement à la coupure, mais au fait que
la ligne du signifiant se recoupe justifiant ainsi que le Réel, c’est ce qui introduit le même, à
la même place, ce qui est bien le cas d’une coupure qui recoupe quelque chose. C’est autour
de cette fonction du même que nous pouvons saisir l’objet «a» qui désigne notre appétence,
non pas d’un objet imaginaire de besoin, mais l’appétence de la structure signifiante qui par la
répétition du même, c’est-à-dire le Réel, enserrerait un trou.

A cet endroit, Lacan parle de nœud, et il parle aussi de la répétition de la demande comme
incarnant cette répétition du signifiant. Il appelle cette répétition : « le signifiant polonais »,
pour éviter de l’appeler le signifiant du lac qui se répète, afin d’éviter qu’on fasse trop de

244
lacanisme (!), qu’on joue trop sur ce mot-là. Au fond, le signifiant polonais, c’est le rapport
du signifiant à lui-même, en tant qu’il enserre le trou central.

Mais cette coupure pratiquée sur un tore n’engendre aucun objet, seulement une seule bande,
surface deux fois tordue sur elle-même justifiant ainsi l’insatisfaction de toute demande.

Pourtant, ce vide de la demande n’est pas le rien de l’objet du désir dont elle fait le tour dans
son glissement insatisfait. Ce que le cross-cap nous montrera.

Le tore a un autre avantage, sa structure implique son complémentaire.

Ce complémentaire manifeste, par décalque d’une inscription sur le premier tore, une
dissymétrie inattendue dans le tore. Il en résulte que ce qui fait demande pour l’un enserre
l’objet du désir pour l’autre et vice versa, mise à part une gyrie de la boucle qui s’inverse de
l’un à l’autre. Ce que la découpe torique de chacun en quadrilatère peut montrer.

Ce déploiement illustre comment le névrosé échange avec l’Autre sa demande et son désir
pour une image qui devient spéculaire, c’est-à-dire s’inverse comme la droite et la gauche.

Devient problématique alors l’accès à la nature de l’objet a que nous trouvons formalisé dans
la structure du fantasme. Lacan nous dit que cet objet du désir n’a pas d’image, et que le
névrosé rencontre cette impasse qui fait de cet objet du désir un objet spéculaire ; là où l’objet
risque d’atteindre le névrosé, il le transforme en image spéculaire laquelle n’est qu’une erreur,
une méconnaissance. Une méconnaissance par exemple de la dissymétrie essentielle de
l’image spéculaire qui confond la droite et la gauche !

C’est autour de cette dissymétrie que Lacan articule ce qui se trouve être le leurre du névrosé
à savoir identifier sa demande avec l’objet du désir de l’Autre ou d’identifier son objet avec la
demande de l’Autre, cas de l’hystérique et de l’obsessionnel. Or, le sujet, ce qu’il doit
comprendre, c’est qu’il est structuré par un signifiant qui devient la découpe de l’objet du
désir comme tel, et le fantasme du névrosé fait tout, sauf parvenir à démontrer cela puisque ce
que le fantasme du névrosé veut produire, c’est une image, c’est l’image de a à laquelle il
arriverait à s’identifier soit en la fixant, soit en la détruisant : cas de l’obsessionnel.

Occasion qui nous permet de souligner que ce repérage sert de clinique différentielle aux
névroses par rapport aux psychoses et perversions.

E. Le signifiant de la coupure dans le tore

245
Nous le savons être le lac ou signifiant polonais.

Il exemplarise le désir du sujet comme coupure résultant de la métonymie de la demande et de


l’irréductibilité du cercle qui représente l’objet du Désir.

L’orientation de cette ligne sur un quadrilatère torique s’inverse avec le complémentaire.

Voici l’acquis.

On peut en effet, dans la fonction de décalque d’un tore sur l’autre, trouver une figure de ce
que Lacan appelle le transfert. L’opération de la cure consisterait après décalque et après
avoir vu à quel point la demande du sujet, par exemple, consiste dans l’objet de l’Autre (ou
bien à quel point l’objet du sujet consiste dans la demande de l’Autre, ce sont les positions
hystériques et obsessionnelles), à voir comment, par un recoupement ou encore après bascule
(ce qui égale phénomène de recoupement et phénomène de bascule), de voir que la
superposition des termes n’est plus possible.

Ce qui se démontre ici, par le transfert, est la place obturante de l’objet dans le fantasme.
Placé dans l’Autre (torique), il peut cependant s’isoler sur la figure du cross-cap par cette
coupure en huit intérieur, porteuse de potentialités signifiantes. (a et non-a, Phi). Elle
détermine la manière particulière dont se détermine l’objet pour le sujet: objet de désir.

En d’autres termes, la cure analytique du névrosé ouvrirait ce cross-cap pour le transformer en


un double tore enlacé. Transformation non démontrée par Lacan.clxx[ix]

Quoiqu’il en soit, ces surfaces intrinsèques, c’est-à-dire plongées dans un espace, nous
révèlent l’essentiel du vœu de Lacan :

1. déterminer le point spécial, tore-ligne-phallus ;


2. isoler l’objet du fantasme ;
3. montrer la structure moebienne du sujet ;
4. déterminer l’interdépendance des trois points cités.

246
Parlant de la surface propre au cross-cap, Lacan nous précise sa constitution :

« Ce rapport circulaire antipodique est une sorte d’entrecroisement rayonné, si l’on peut dire,
concentrant l’échange d’un point au point opposé du bord unique de ce trou et le concentrant,
si l’on peut dire, autour d’un vaste entrecroisement central qui échappe à notre pensée et qui
ne nous permet d’aucune façon donc d’en donner de représentation satisfaisante. »
(6/6/1962)

C’est pour d’autres raisons que la possibilité de la représenter dans l’espace, qu’il faut un
point d’origine à cet échange entrecroisé à la surface du plan projectif. Ce point privilégié,
c’est celui qui est l’arché, l’origine qui constitue par sa présence la boucle intérieure du
signifiant polonais, donc du lac.

En effet, si nous appliquons le signifiant polonais, le huit intérieur, sur la surface du cross-cap,
nous le voyons faire deux fois le tour de ce point privilégié. Lacan, alors, introduit une
nouveauté, c’est qu’il est possible sur le cross-cap de faire des coupures qui divisent et des
coupures qui ne divisent pas, autrement dit des coupures qui laissent le cross-cap en deux
morceaux, et d’autres qui le laissent seulement en un morceau. Si on fait une coupure qui
coupe deux fois, qui fait deux fois le tour du point privilégié, on divise la surface ; par contre,
si on ne fait qu’une seule fois le tour du point privilégié, on ouvre cette surface. Ce qui est
différent du tore où on peut faire autant de fois qu’on veut le tour du trou, on ne fait jamais
qu’allonger la bande, jamais la diviser.

C’est d’autant plus spécial que sur le cross-cap, on doit faire un double tour et pas un de plus,
car si on le triple, on dessine sur la surface quelque chose qui va se répéter indéfiniment, mais
qui n’arrivera jamais à se rejoindre pour former une division.

Lacan montre comment cette coupure est une surface gauche, c’est-à-dire un enroulement qui,
de quelque côté qu’on regarde le cross-cap, tourne toujours dans le même sens. Lacan fait
cette remarque que c’est la propriété de tous les corps qui sont dissymétriques.

« C’est donc bien d’une dissymétrie, qu’il s’agit, fondamentale à la forme de cette surface. »
(6/6/1962)

Et on retrouve donc cette dissymétrie, ce chiasme que nous avons cerné, depuis le début du
séminaire de Lacan, comme étant le signe indiscutable de la présence du sujet. Cette
dissymétrie est essentielle à notre corps sans que nous le sachions, par exemple, quand nous
nous regardons dans un miroir, nous mesurons à quel point un grain de beauté sur la joue
gauche sera sur la joue droite dans le miroir.

Il en résulte pour cet objet détachable :

247
« La propriété que je vous ai dite être celle de «a» en tant qu’objet du désir, est ce quelque
chose qui est à la fois orientable et assurément très orienté, mais n’est pas, si je puis
m’exprimer ainsi, spécularisable clxxi[x] à ce nouveau radical qui constitue le sujet dans sa
dépendance par rapport à l’objet du désir, la fonction i(a), fonction spéculaire, perd sa prise, si
l’on peut dire. » (6/6/1962)

Cette prise perdue du spéculaire dépend d’un point central qui appartient à cette surface que
Lacan égale à la fonction du Phallus, au centre de la constitution de l’objet du désir. Pour
illustrer la fonction de ce point, Lacan va faire une nouvelle manipulation sur le cross-cap et,
en étirant les brins de la coupure, va tenter de faire passer l’horizon de la présentation à plat
sur cette surface.

On aboutit au terme de la manipulation à ce que la coupure rentre dans la ligne de pénétration


par des côtés différents de la situation de départ, par deux côtés identiques qui est la condition
d’arrivée. Est-ce que c’est la même chose ?

La caractéristique, c’est qu’au terme de la manipulation, ce qui enserre le trou central


maintenant, devient une bande qui n’a qu’un seul bord et qui est une surface de Moebius,
alors que nous étions partis d’une espèce de surface orientée sans plus ; c’est-à-dire que les
propriétés de la bande de Moebius sont quand même différentes de la surface tournante. La
raison de cette coupure est de montrer qu’elle divise la surface en deux parties dont l’une
conserve le point dont il s’agit à son intérieur, et dont l’autre ne l’a plus. La double coupure
divise la surface du cross-cap en deux, ce quelque chose auquel « nous nous intéressons et
dont je vais faire pour vous le support de l’explication du rapport de avec a dans le
fantasme, et de l’autre côté une surface de Moebius. » (6/6/1962)

Nous pourrons ajouter que le point phallique appartient à l’espace de plongement, il est dans
l’Autre dont il nous renseigne la seule qualité signifiante aux effets produits sur le sujet.

Autrement dit, encore cette coupure divise une certaine surface : « d’une façon privilégiée,
surface dont la nature et la fonction nous sont complètement énigmatiques puisqu’à peine
pouvons-nous la situer dans l’espace, elle fait apparaître des fonctions privilégiées. D’un côté,
ce sont celles que j’ai appelées tout à l’heure : spécularisables, c’est-à-dire qui comportent
leur irréductibilité à l’image spéculaire. Et de l’autre côté, une surface qui, quoique présentant
tous les privilèges d’une surface orientée, n’est pas spécularisée. Car, remarquez bien que
cette surface, on ne peut pas dire comme sur la surface de Moebius qu’un être infiniment plat
se promenant, se trouvera tout d’un coup sur cette surface à son propre envers. Chaque face
est bel et bien séparée de l’autre. » (6/6/1962)

Voilà les conséquences de ce signifiant polonais qui produit le huit intérieur, épurement
linéaire et logique qui détermine en négatif la place de a et celle de Phi par sa structure
particulière redoublée !

248
Le point phallique est privilégié. Une coupure non pas redoublée mais simple sur le cross-cap
nous en montre la complexité.clxxii[xi]

249
Mais Lacan reprend la question d’une manière un peu différente puisque ce qu’il interroge,
c’est la fonction du point, au bout de cette ligne, fonction que nous allons tenter de dégager
même s’il n’est pas inintéressant de voir que dans les structures naturelles embryonnaires, elle
se trouve être en quelque sorte déjà présentée. Ce point terminal est un point mathématique,
un point abstrait.

Pourtant, Lacan lui donne une dimension de coupure, pas une dimension mathématique; il
l’appelle le point-trou. Produit du fait de l’accolement de deux bords, il serait insécable dans
le sens qui le traverse.clxxiii[xii]

Autrement dit, sans être encore capable de pouvoir entrer dans le détail pour le présenter, nous
devons considérer que ces surfaces, comme la bande de Moebius ou le cross-cap, sont des
organisations du trou. Rattaché à notre topologie et à son histoire au séminaire, on pourrait
penser que ce trou c’est le vide central dont nous avons parlé dans l’Éthique et que ces
surfaces l’organisent, en font le tour. Nous pouvons maintenant penser que le caractère
irréductible de ce point sur le cross-cap qui n’est qu’un trou, correspond au fait, à la nécessité,
que ce qui n’avait qu’un seul bord, soit aussi une bande de Moebius.

Il y a dans cette surface qui se traverse elle-même, une ligne qui s’arrête en un point qui nous
permet de comprendre ce que Lacan veut dire par coupure de a qu’on ne pouvait pas saisir
au niveau du tore, qui permet seulement d’articuler la structure du désir. Or, ce que la découpe
de a nous permet de voir, c’est le reste de la surface appelée plan projectif « ou cross-cap,
quand la pièce centrale en est en quelque sorte énuclée. Il s’agit d’une structure spécularisable
foncièrement dissymétrique qui va nous permettre de localiser le champ de cette dissymétrie
du sujet par rapport à l’Autre, spécialement concernant la fonction essentielle qu’y joue
l’image spéculaire. » (13/6/1962)

Ce qui recache cette relation à l’objet, c’est la structure libidinale narcissique secondaire,
c’est-à-dire la relation à l’image du corps comme telle, et elle serait liée par quelque chose de
structural à cette relation à l’objet qui est celle du fantasme fondamental. Cette relation est de
leurre, c’est-à-dire d’erreur, c’est-à-dire que le sujet marqué du trait unaire trouve un appui
dans l’image du corps comme constitutif de l’identification spéculaire.

C’est ainsi que Lacan en vient à situer coupure de a par rapport à la déficience
fondamentale de l’Autre comme lieu de la parole, c’est-à-dire qu’il s’agit de situer a au point
de défaillance où l’Autre ne parle pas. C’est en ce point là que a aurait quelque chose à voir
avec le désir, et non plus avec l’objet du sujet hégélien, par exemple. A la place de la parole
de l’Autre, ce que le sujet reçoit au lieu, à l’endroit où il y a petit a, à l’endroit de ce point de
carence, c’est le trait unaire, celui qui relève de l’identification. Dans les avatars cliniques de

250
ce qui peut arriver du point de vue du , du point de vue du a, ou du point de vue du Phallus,
nous voyons le névrosé, le pervers, voire le psychotique, s’avérer être des faces de la structure
normale ; le névrosé donnant toute l’importance au grand A, le pervers au Phallus, et le
psychotique au corps propre.

S’il a pu paraître à certains que la psychanalyse s’avérait compatible avec l’existence d’un
Dieu au point même de donner corps à ce fantasme qu’une certaine théologie se trouvait
promue à partir de là, il n’en n’est rien même si la tentation est grande d’égaler l’âme à cette
ce disque extrait. Même la fonction du père située dans le champ de l’Autre, que ce dieu était
censé représenter, est en train de se résorber et nous voyons actuellement d’autres formes
cliniques, avance Lacan, tout à fait nouvelles, distinctes de la relation à l’Autre dans la
pratique analytique quotidienne.

Lacan parle ici de l’âme qui vient doubler le désir qui n’est rien d’autre que l’image centrale
du narcissisme secondaire. Il parle aussi du Phallus dans sa double fonction que nous avions
déjà repérée dans le séminaire précédent, soit attaché au , soit attaché à a. Il est tout à fait
clxxiv
exceptionnel de lire dans cette séance, que c’est cette coupure de [xiii], ( en quoi
consiste a ) qui est ce qui unifie le sujet.

A cette occasion, nous pouvons lire qu’il y aurait un rapport entre l’objet a et le point central,
ce point central dont nous nous demandons toute représentation phallique qu’il est, s’il n’est
pas aussi lui-même l’héritier du vide central.

En tout cas, ce que Lacan avance, c’est que l’objet a tire sa dignité de ce point central, donc
de son rapport au Phallus. On en vient donc à dire que l’objet a est un effet, est une découpe à
partir de l’en-forme que lui aurait donné le Phallus.

Comment donc, un signifiant aussi particulier que le signifiant phallique, serait-il constitué
pour présenter à la fois cette part de vide et cette part de réalité, qui fait qu’il est à la fois une
coupure et une bande ? clxxv[xiv]

Lacan reprend à ce moment l’exemple d’Alcibiade et de l’agalma pour tenter de le démontrer,


car Alcibiade « manifestant son appel du désirant (Socrate désirant) au cœur de l’objet
privilégié, ne fait là rien d’autre que d’apparaître dans une position de séduction effrénée par
rapport à celui que j’ai appelé le con fondamental, que pour comble d’ironie, Platon a connoté
du nom propre du bien lui-même : Agathon, le bien suprême n’a pas d’autre nom dans sa
dialectique. » (13/6/1962)

Qu’est-ce cela sinon l’envers d’une analyse, une singulière approche inversée du Phallus
quêté au cœur de l’objet même, l’objet a.

F. Conclusion

Lacan fait une sorte de synthèse du chemin jusque là parcouru en indiquant qu’il est parti du
deuxième mode d’identification distingué par Freud (qui était celui du trait unaire) pour en
venir maintenant avec le huit intérieur au troisième mode d’identification, c’est-à-dire là où le
sujet se constitue comme désir. Mais, ce désir se constitue dans un champ particulier qui est
ce lieu de l’Autre que nous avons repéré grâce à cette distinction du deuxième mode
d’identification par le trait unaire.

251
Ce troisième type d’identification, c’est l’identification collective. Lacan prétend que là dans
sa troisième topique, Freud a montré comment l’idéal, la constitution de l’idéal, se noue à
l’objet du désir par l’intermédiaire de ce trait unaire qui s’incarne dans le phénomène de
masse avec une tête, le leader. Évidemment, dans l’identification au leader, nous avons bien
en plus quelque chose de l’identification première au père qui y est impliquée sans y être tout
à fait égale.

Inaugurer le procès identificatoire par la seconde identification a permis à Lacan de bâtir à


partir du trait unaire une logique somme toute rectifiée de la logique classique. L’hypothèse
de Lacan est que, ouvrant la pensée, cette logique classique s’intéressait déjà, dans une
direction sans doute centrifuge, au type d’objet auquel Lacan s’intéresse, c’est-à-dire le point
Phi. Ce point Phi, nous dit Lacan, délimite le cercle de connotation de l’objet, mais en plus, il
nous oblige à nous interroger sur la place tout à fait spéciale qu’il aurait dans ce qui est en
train de se constituer comme un envers qui est son propre endroit à savoir ce que représente la
formule ◊ a dans le fantasme :

« Dans la reconnaissance de ce qu’est l’objet du désir humain, à partir du désir dans la


reconnaissance de ce pourquoi dans le désir, le sujet n’est rien d’autre que la coupure de cet
objet. » (20/6/1962)

Ce désir, dans sa constitution logique articulé autour de ce point ombilic qu’est la fonction
Phi, apparaît pour le psychotique dans son rapport au corps, pour le pervers dans son rapport
au Phallus, pour le névrosé dans son rapport au grand Autre comme tel : voilà les trois termes
normaux de la constitution du désir. Lacan rappelle alors à quel point il est stupéfait de la
justesse du discours de Freud à propos du fantasme, à savoir avec quelle pertinence il a trouvé
à parler de la fonction du poinçon sans qu’il ait pu s’appuyer sur ce qui s’est dégagé depuis
dans la logique, avec quelle pertinence, il a aussi montré comment la pulsion se fait sentir de
l’intérieur du corps, comment il a structuré tous ces éléments déjà dans une topologie,
comment aussi, il tente de faire s’entrecroiser l’arrivée de l’extérieur et l’arrivée de l’intérieur.
Ces thèses de Freud ont été complètement ravalées par la communauté analytique à savoir que
ce corps qui était inscrit dans une topologie a été ramené à un biologisme co-extensif de la
pulsion, entraînant par là un contre-sens avec la perspective freudienne.

Bien que lisant les choses différemment, le cas d’Heidegger qui réfère, lui, la fonction d’objet
à celle d’ustensilité, ne va pas satisfaire Lacan qui tient à souligner à quel point c’est
l’irruption libidinale, c’est-à-dire l’objet phallique qui, à cet égard, se révèle central.

Ce serait là ce que Freud aurait apporté de neuf, à savoir que dans la constitution de tout objet,
il y a la libido qui n’est pas simplement quelque chose de latéral à côté de notre présence
pratique quotidienne dans le monde.

Cet objet du désir, sa fonction logique tient à la fonction structurante du point Phi
punctiforme. Ce champ a des effets d’inversion ; autrement dit, c’est une fonction logique qui
ne tient ni à son extension ni à sa compréhension, mais à sa structure, et on retrouve ici le
point d’inversion dont le point Phi serait en quelque sorte le modèle ou l’inducteur
métaphorique, fonction d’inversion que nous avons rencontré dans tout ce qui est inversion
subjective, chiasme, paradoxe.

L’objet a possède une radicalité phallique qui lui assure ce statut réversible si particulier en
miroir, qui lui permet de leurrer [i(a)], de voiler en quoi comme coupure il fait ek-sister le .

252
Petit a est l’objet de la castration, et pourtant sa logique dépend de la mise en place du trait
unaire comme privation (unité essentiellement hors-jeu dans la répétition comme l’était le
tiers exclu de la logique classique).

L’intérêt de cette logique de a est d’installer la fonction de privation dans son rapport au trait
unaire comme constituant de la fonction de la classe là où dans la logique classique, on l’avait
mis de côté. L’intérêt redoublé de cette notation de Lacan, c’est que ce que la privation met en
évidence par le trait, c’est le rapport qu’elle entretient avec l’objet du désir.

La logique classique ne pouvait saisir les objets que dans une classe, mais comme des objets
inertes. Introduisant maintenant la privation, nous la voyons permettre que, par le détour
après-coup de la castration, ces objets deviennent objets du désir.

« Autrement dit, c’est à la lumière de la castration que peut se comprendre la fécondité du


thème privatif. » (20/6/1962)

C’est d’ailleurs pourquoi, Lacan a poussé la question de l’objet du désir en direction de la


numération, notamment quand il a compté le nombre de tours qu’il faut faire sur le tore pour
pouvoir le repérer.

« L’objet de la castration est ce terme assez ambigu pour qu’au moment même où le sujet
s’est employé à le refouler, il l’instaure plus ferme que jamais en un Autre. Tant que nous
n’aurons pas reconnu que cet objet de la castration, c’est l’objet même par quoi nous nous
situons dans le champ de la science, je veux dire que c’est l’objet de notre science comme le
nombre et la grandeur peuvent être l’objet de la mathématique, la dialectique de l’analyse,
non seulement sa dialectique, mais sa pratique, son rapport même et juste à la structure de sa
communauté, resteront en suspens. » (27/6/1962)

La clinique de cet objet a est ce qui va surgir dans le séminaire suivant et devient l’affect de
ces objets de castration.

253
Séminaire XI

Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse

Deuxième temps − suite d’un premier désaveu :

La Logique de la Jouissance

I. La cure analytique

Il peut paraître inouï de faire dépendre d’événements sociaux le tournant que va prendre
l’enseignement de Lacan. Exclu de l’International Psychoanalytic Association, il brûle ses
vaisseaux et s’engage maintenant dans une voie propre. Peut-être n’a-t-il pas suffisamment mesuré
ce que l’abord de la jouissance par le champ de la parole entraîne de conséquences dans le groupe
même des psychanalystes. Il est vrai que la liaison entre la voix, objet a et le « Nom-du-Père » n’a
été jusqu’ici qu’esquissée. Cette connexion fait pourtant bien l’os de la démonstration finale du
séminaire sur l’angoisse, comme elle fait le cœur de l’unique séance du séminaire interrompu sur
les « Noms-du-Père ».

Toujours est-il que la fonction de la voix qui est le cinquième objet clxxvi[i] est bien celle qui est la
plus proche de la fonction du père telle que Lacan aurait voulu la cerner s’il avait poursuivit son
séminaire. Il aurait voulu montrer le lien à faire entre la dimension de la voix, celle du père, celle
du nom et de la lecture de ce nom. En fin de compte, si la praxis analytique s’avance vers le vrai par
la voie de la tromperie, ce qui n’est rien d’autre que le transfert, on peut se poser la question de
savoir ce qui se maintient hors cette tromperie, et si on ne peut pas en ce point y placer la
topologie.

C’est probablement ce que nous aurions pu trouver dans ce projet du séminaire, dont nous
rapportons en annexe le commentaire que nous en avions fait, il y a bien des années dans les
Cahiers du Lycée Logiqueclxxvii[ii].

II. Une ontologie trou

Changement de lieu, changement de public, le Séminaire XIclxxviii[iii] de l’année 1964 de Lacan se


poursuit, car il s’agit de traiter maintenant non plus seulement de ce qui fait le propre de la
psychanalyse ou du discours (cf. topologie du graphe), mais bien de la cure elle-même.
Parallèlement au champ social qui ne reste pas inchangé dans ce procès, la topologie elle aussi se
spécifie. Nous l’avons déjà fait remarquer au travers des Séminaires IX et X.

Plutôt que jouer sur l’exclusion, le dehors et le dedans, Lacan préfère maintenant déployer sa
topologie nouvelle, c’est-à-dire celle des surfaces entre ces deux temps nouveau : celui du discours
de la science et celui du désir de l’analyste. Le discours de la science est né d’un évidement;
produit par le doute cartésien, il sépare le champ de la pensée du désir qui la cause pour n’en laisser
subsister qu’une logique. Être et pensée en intersection.

Par quelles voies ce « rejeté » resurgit-il chez Freud comme le désir qui lui ouvrit la porte d’entrée
de l’ICS ?

254
Voilà bien ce que chaque analyste emporte avec lui dans son acte : le désir de l’analyste, celui-là
même qui fut insupportable aux normalisés de l’IPA auxquels Lacan préfère maintenant non sans
ironie parfois, les normaliens !

Il n’est de cause que de la boîterie nous rappelle Lacan, que de ce qui cloche. Telles étaient bien les
manifestations répétitives du symptôme.

Car, la cause que Lacan isole ici comme étant celle qui est en jeu dans la psychanalyse est quelque
chose qui n’est rien d’autre qu’un trou, qui n’est rien d’autre qu’une béance.

Ceci lui permet de justifier qu’il n’est de cause dans l’Inconscient freudien que de ce qui cloche.
Peut importe donc qu’on trouve, ici, telle ou telle raison à cette clocherie, le fait que pour l’humain,
la clocherie et sa cause puissent être prises en compte, démontre cette structure freudienne de
l’Inconscient; à savoir que dans cette clocherie, dans cette boîterie, ce qui surgit, c’est du non-
réalisé, du non-né, et ce qui ne se réalise pas est présenté par Freud comme un autre discours
derrière le discours qui contient l’acte manqué. En effet, quelque chose demande à se réaliser qui
apparaît : « intentionnel certes, mais d’une étrange temporalité. Ce qui se produit dans la béance, au
sens plein du terme se produit, se présente comme la trouvaille... Or, cette trouvaille dès qu’elle se
présente est retrouvaille et qui plus est, elle est toujours prête à se dérober à nouveau instaurant la
dimension de la perte. » (p. 27)

Ainsi surgit une nouvelle forme du Un antérieur au un de la «totalité », le un comme rature, c’est
au fond ce qui, au niveau de l’être, se trouve porter la marque du sujet de l’énonciation, là où
quelque chose de par sa propre fonction d’énonciation se trouve rayé, plus primordialement que le
refoulement.

« Ainsi, l’Inconscient se manifeste toujours comme ce qui vacille dans une coupure du sujet, d’où
resurgit une trouvaille que Freud assimile au désir − désir que nous situerons provisoirement dans la
métonymie dénudée du discours en cause, où le sujet se saisit en quelques points inattendus. » (p.
28)

La fonction de l’Inconscient réside entre être et non-être, c’est-à-dire dans le moment d’une fente,
d’une éclipse, qui est très court, qui un instant est amené au jour et puis qui se referme.
Parallèlement à ce mode de manifestation, il est tout à fait clair que l’Inconscient échappant à toute
localisation spatio-temporelle classique, inaccessible à la contradiction logique, véhicule pourtant
un désir indestructible. Aussi, il convient de l’articuler à une autre temporalité et à une autre
logique, celle que Lacan a appelé le temps logique. Ce temps logique s’articule à quelque chose qui
est la fonction de vérité et qui rend le statut de l’Inconscient éthique.

Voilà donc ce qui caractérise la topologie freudienne, celle que Lacan articule autour du Nom-du-
Père qui est une espèce de temps essentiel, qui soutient la structure du désir avec celle de la loi.
Autrement dit, la certitude sur laquelle s’appuie la démarche freudienne est une certitude qui
s’avère différente de la certitude des sciences. La certitude scientifique s’appuie au bout du compte

255
sur ce qui est reculé aux termes de l’expérience, à savoir un Autre qui aurait fondé le Réel sans qu’il
puisse nous tromper, ce qui permet à la science de pouvoir fonctionner avec des petites lettres en
pensant que ces lettres ne nous tromperont pas.

Toute autre est la position de Freud qui, effectivement à cette certitude, ne trouve pas d’autre
support que dans le sujet de l’Inconscient, ce qui revient à dire qu’au fond, pour Lacan, il n’y a pas
d’autre support à la vérité du sujet que le sujet lui-même, que son désir qui se trouve devoir être
avoué, devoir être dit dans cet autre lieu qui est le lieu de l’Inconscient.

D’une part, ouverture-fermeture, d’autre part, temps logique de la Vérité pour un désir qui ne
trouverait sa certitude que dans le Nom-du-Père !

Cette boîterie déborde la praxis et se reflète dans la systématisation théorique.

Ainsi, l’Inconscient comme concept a cette caractéristique particulière d’être non-concept, Un-
Begriff, jeu de mots que Lacan fait équivoquer avec le Un, le concept de l’un qui est à la fois un
non-concept, et qu’il imaginarise sous la forme de la coupure. Cette coupure ne peut surgir que dans
le rapport au signifiant qui est précisément à la fois ce qui la marque comme temps de béance,
comme trace, et qui aussi en constitue l’endroit dans lequel elle peut au travers de la répétition venir
s’insérer comme ce qui achoppe.clxxix[iv]

Ici, se retrouvent à nouveau les lieux du Réel. Celui que les prétopologiques avaient inauguré et que
le graphe avait rejeté dans son vide central en éprouvant pas mal de difficultés pour le cerner à
l’aide du signifiant.

Or, ce Réel que Freud avait coincé dans la fonction du traumatisme, Lacan va tenter de l’installer
dans la dimension de la répétition, et puis dans des phénomènes qu’on rencontre dans la cure
analytique qui sont plus exactement de mauvaises rencontres, des rendez-vous ratés.

Ce Réel est différent de la réalité; la réalité, on s’en souvient dans le schéma construit dans un
séminaire antérieur, la réalité venait à la suite du principe de plaisir et s’imbriquait, se tressait à ce
principe. Le Réel est antérieur à cette tresse au point qu’une partie du principe de plaisir le tient
encore emprisonné dans ces phénomènes tout à fait bizarres que nous appelons les rêves
traumatiques ou les réveils matinaux ou les réveils suite à un cauchemar.

Il semble bien en effet que ce qui se présentifie au moment du réveil, est une sorte de reconstitution,
de recentrage pour le sujet conscient autour d’une représentation. Cette représentation, bien
évidemment, est seconde par rapport à ce Réel. Comment alors le sujet parvient-il à décrire ce
moment du Réel qui est antérieur cette représentation, alors qu’il ne peut le faire que par cette
représentation ? Il le fait par l’intermédiaire de la rencontre manquée, il le fait par l’intermédiaire de
ses rêves si pathétiques où le désir se présentifie : « de la perte imagée au point le plus cruel de
l’objet. » (p. 58)

Ainsi, ce Réel manque à la représentation et nous n’avons plus que ses substituts sous la forme de
ces rêves si douloureux. De là à penser, par exemple, que la topologie aurait structure de voile sur
quoi vient s’inscrire la fonction de la représentation et de ses lieux tenants, il n’y a qu’un pas, mais
que Lacan ne franchit pas, ici, dans cette séance car, il est clair que pour Lacan c’est de l’émergence
de la signifiance comme telle dont il est question ici.

La signifiance émerge par l’intermédiaire du signifiant, mais jamais nous ne pourrons retrouver le
Réel d’où cette signifiance émerge, hormis à le reconstituer ou à l’imaginer sous la forme de cette

256
auto-mutilation que le jeu de la bobine de Freud nous présentifie. L’objet, ici, nous dit Lacan dans
son algèbre à lui, c’est le petit a, c’est celui qui a partie liée avec cette auto-mutilation du sujet.

Autre mutilation que nous rapportons résolument à l’activité mutilante, elle aussi, de la découpe des
surfaces. Si l’interprétation sous transfert permet de ressaisir cette dimension du Réel au travers des
« malencontres » de la praxis analytique, un questionnement du possible de la coupure pourrait
parallèlement offrir à la topologie, cette entrée homologue à l’entrée dans la signifiance pour le
sujet : le Réel devenant ici ce qui fait nœud, ce qui est de l’ordre de la structure de cette topologie
comme nécessaire pour que, comme signifiance, elle se détache par auto-mutilation en quelque
sorte de ce Réel.

III. Extraction de a

Cette extraction de l’objet comme automutilation est à entendre comme on le dit d’une dent,
extraction sous anesthésie.

On peut déjà mesurer par leur difficulté d’accès commune, l’affinité qui existe entre la jouissance et
ce Réel qui ne peuvent être serrés l’un et l’autre par la mise en scène représentative, qu’à la façon
d’un noyau qui paraît résister et se manifester sous forme d’angoisse, de rencontres manquées, de
cauchemars dans une articulation étonnante qui, à chaque fois, fait émerger la signifiance dans un
rapport plus ou moins visible à la fonction paternelle. Mais ce noyau traumatique semble passer
obligatoirement, dans l’espace topologique de la représentationclxxx[v] par ce que Freud appelait la
pulsion.

« Le côté fermé de la relation entre l’accident qui se répète, et le sens voilé, qui est la véritable
réalité nous conduit vers la pulsion, voilà ce qui nous donne la certitude que la démystification de
cet artéfact du traitement qui s’appelle le transfert ne consiste pas à le ramener à ce qu’on appelle
l’actualité de la situation. » (p. 67)

En effet, Lacan démontre que la répétition dans le transfert est d’abord à rapporter à une schize qui
se produit dans toute rencontre, et qui en fait en quelque sorte le Réel. Là, nous dit-il, se trouve la
plus grande complicité avec la pulsion. Bien entendu, cette dimension là, Lacan la dénomme
rétrospectivement. Ainsi, il semble bien que ce qu’on appelle scène primitive traumatique n’est
jamais que l’étrangeté (ou la disparition ou la réapparition) de quelque chose qui est passé par le
complexe de castration et qui se trouve donc rapporté à d’autres fonctions comme celle du regard.
Lacan le commente à partir du rêve du père de l’enfant mort qui brûle là où le fils sollicite le regard
de ce père : « Père ne vois-tu pas que je brûle ? » Cette fonction-là du regard dans le champ
scopique a été mise de côté par les philosophes jusque maintenant. Pourtant, dans les phénomènes
de mimétisme, quelque chose était là qui aurait pu (ainsi que Caillois l’a montré) faire entendre à
quel point nous nous trouvons dans le monde, regardés, ne serait-ce que par le sentiment que nous
avons de la dimension de la tache.

« On s’apercevra alors que la fonction de la tache et du regard est à la fois ce qui commande le plus
secrètement et ce qui échappe toujours à la saisie de cette forme de la vision qui se satisfait d’elle
même en s’imaginant comme conscience. » (p. 71)

Lacan parle à ce propos d’une véritable topologie qui est à faire à partir de ce qui apparaît : « de la
position du sujet quand il accède aux formes imaginaires qui lui sont données par le rêve comme
opposées à celles de l’état de veille. » (p. 71)

Dans ce mouvement pulsionnel, c’est le regard qui est l’opération recachée, tant elle se donne
transparente à elle-même. C’est lui qui se détache des yeux de L’Homme au loup pour venir s’« in-

257
orbiter » dans ceux des loups qui le fixent, provoquant ainsi cette angoisse que la chute de l’objet
provoque (cf. supra : Clinique de l’évidement). D’évoquer le regard en ce moment n’est pourtant
point un hasard. La fonction scopique semble bien privilégiée par Lacan.

Il prétend même que dans le cogito cartésien clxxxi[vi], le fait que sujet se saisisse comme pensée dans
une sorte de doute est, en réalité, quelque chose qui est héritier de la fonction scopique où on peut
arriver à dire que je me vois me voir; se voir se voir est quelque chose de tout à fait particulier

« Le privilège du sujet paraît s’établir ici de cette relation réflexive bipolaire, qui fait que, dès lors
que je perçois, mes représentations m’appartiennent. » (p.76)

La question est bien de savoir quel statut donner à cette fonction de la vision, telle qu’elle paraît
avoir une place prépondérante dans l’histoire de la subjectivité. Structure retournée du regard, un
peu comme on retourne un gant, il faut à Lacan déployer maintenant ce qu’est cette fonction du
regard, ce qu’est ce regard.

Il y va tout d’abord d’un point de néantisation pour le sujet qu’il éprouve comme une cassure, et
qui pousse Lacan à penser que : « L’intérêt que le sujet prend à sa propre schize est lié à ce qui la
détermine − à savoir un objet privilégié, surgi de quelque séparation primitive, de quelqu’auto-
mutilation induite par l’approche même du Réel, dont le nom, en notre algèbre est l’objet a.» (p.
78)

C’est lui que le regard vient recouvrir pulsionnellement.

Ceci nous ramène à l’autotomie primitive dont nous avons déjà parlé. C’est dans cette schize que le
sujet s’éprouve dans une vacillation essentielle, sous le coup du regard. Quand il essaie de le
repérer, il y a quelque chose là qui s’évanouit pour autant évidemment qu’on situe correctement
l’endroit où cet objet peut être repéré. Dans cet évanouissement qui n’est pas le champ de la
connaissance, c’est bien le registre du désir qui se spécifie comme insaisissable.

Ainsi, dans l’illusion de la conscience de se voir se voir, s’élide le regard qui est cet envers de la
conscience qu’il faut essayer d’imaginer non pas comme un Sartre qui l’ordonne du point de vue du
seul néant (où il est dans un rapport à l’autre, étant entendu que pour Sartre, autrui ici est marqué de
toute objectivité) mais au contraire, comme un regard, par moi, imaginé au champ de l’Autre ; c’est
de là que nous revient cette honte d’être surpris dans notre action de regarder. Il est clair que c’est
en tant que nous sommes surpris par la présence désirante d’autrui que ce regard nous gêne.

Il n’y va pas là d’un rapport de sujet à sujet, et ce n’est pas de néantisation dont il s’agit pour ce
sujet, mais bien plutôt du rapport que ce sujet entretient avec la fonction du désir au point même
qu’on peut dire que c’est dans ce domaine que le désir s’instaure.clxxxii[vii]

L’extraction de cet objet n’est pas qu’un fait repérable dans la peinture ou le mimétisme animal,
c’est aussi la destitution de la tradition perspectiviste de la perception, c’est enfin la prise en compte
d’un élément de la vision qui ne se réduit pas à une conception linéaire et centripète du champ
observé. Cet élément de la vision, que Lacan nomme ruissellement de surface sous la lumière et ses
couleurs, installe le sujet dans une fonction différente de celle du voyeur. Il fait tache dans le
tableau et participe lui aussi du spectacle chatoyant et moiré du monde pour un regard qui s’en
excepterait. Décentralisation subjective si l’on veut mais qui s’accompagne, au plan de la pulsion
dans le détachement de l’objet dont elle fait le tour, d’une sorte d’irradiation rétinienne qui n’est pas
terme à faire oublier ceux que Lacan utilisa jadis (Séminaire sur la relation d’objet) pour parler de la
jouissance.

258
A la place de cet objet maintenant extrait, vient à se repérer le manque qui, par une symbolisation à
préciser après-coup, offrira le gîte dans la problématique sexuelle à cet objet, central dans
l’organisation des objets a lacaniens : le Phallus qui manque pour préciser ce Réel du sexe :
Mimétisme, travestisme et intimidation sont les trois figures par où l’être se schize ou se dédouble,
montrant comment le sujet est l’effet d’un chiasme classique qui le fait objet de représentation pour
un regard, et sujet à la fois de sa vision, ce que ces deux triangles nous présentent :

Un de ces triangles, le triangle du champ scopique permet de dire : « nous sommes, par le regard
qui est au dehors, regardés et constitués comme un tableau ». Lacan considère que cette première
institution du sujet dans le visible par l’intermédiaire du regard, instaure dans l’être une fracture,
une bipartition quasi naturelle comme le mimétisme, les phénomènes d’union sexuelle ou de lutte à
mort, (reprenant là le travestisme, la mascarade et l’intimidation,) comme ces trois phénomènes
nous le démontrent.

« L’être s’y décompose d’une façon sensationnelle entre son être et son semblant, entre lui-même et
ses signes de papier qu’il offre à voir. » (p. 98)

On peut même dire que cette forme de nous-mêmes, que nous sommes à même de présenter à
l’Autre dans ces situations si particulières, est héritière de ce que Lacan nous a appris à voir détaché
de l’image en miroir et incorporé sous le nom (Cf. Séminaire I) « d’en-forme de l’Autre ». Cet
« en-forme de l’Autre » est aussi bien une « en-forme de nous-mêmes ».

« C’est par cette forme séparée de lui-même que l’être entre en jeu dans ses effets de vie et de mort,
et on peut dire que c’est à l’aide de cette doublure de l’autre, ou de soi-même, que se réalise la
conjonction d’où procède le renouvellement des êtres dans la reproduction. » (p. 98)

C’est dans cette schize qu’un objet s’offre au désir car, au cœur de cette schize, l’homme institue un
écran sur quoi se peint la réalité et dont l’humain peut se jouer. clxxxiii[viii] Il en joue alors pour son
désir d’une façon qui incarne ce manque qui fait advenir ce désir, «à savoir que pour lui, la réalité
sera toujours marginale». (p. 99)

« Il y a en effet quelque chose dont, toujours dans un tableau, on peut noter l’absence au contraire
de ce qu’il en est dans la perception. C’est le champ central où le pouvoir séparatif de l’œil s’exerce
au maximum dans la vision. Dans tout tableau, il ne peut être qu’absent et remplacé par un trou. »
(p. 99)

Trou d’un côté, objet extrait de l’autre, dans cette opération, l’activité picturale se fait reposoir pour
que s’apaise la faim du regard dans la reconnaissance du trompe-l’oeil, présence d’autre chose que
du représenté.

Dans la satisfaction provenant de ce que les uns peuvent vivre de l’exploitation de leurs désirs
(peintres), et de ce que le désir des autres à contempler trouve un apaisement (spectateurs), Lacan

259
situe la présence du petit a, autour de quoi tourne : « Un combat dont le trompe-l’oeil est l’âme ».
(p. 99)

Il y va ici d’un plan sacrificiel, le mot n’est pas trop fort, dans la séparation que le peintre fait de cet
objet regard. Dans ce « déposer les armes », en quelque sorte, il y a plus encore que de la
satisfaction, il y a un pacte qui peut être établi au-delà de l’image, au-delà de l’apparence avec
laquelle nous nous battons, et Lacan la resitue avec un des éléments les plus essentiels des Noms-
du-Père.

Car, cette séparation est censée plaire à Dieu, censée plaire à l’Autre dont il s’agit d’éveiller le désir
créateur. Et sans doute, ici, irions-nous plus avant pour notre part en proposant qu’au delà de son
désir, c’est sa jouissance à l’Autre que le peintre frôle. Sans doute, au travers de ces sacrifices,
pourrons-nous cerner l’origine de ce regard (car il est clair que ce n’est pas de déposer la vue
comme on peut fermer les paupières avant de s’endormir, dont il s’agit), mais bien plus, dans cette
déposition du regard, c’est tout le ruissellement de la nature qui vient d’un même coup se déposer.
Lacan parle ici de pluie de pinceau.

Dans la déposition du regard, c’est l’irradiation de la jouissance qui scintille sous la toile, justifiant
de la sorte notre hypothèse que cette topologie, que Lacan inventa pour cette part de son oeuvre,
celle des surfaces par évidement-extraction, vise bien la dimension de la jouissance et
l’incomplétude qui en résulte, ainsi que l’invidia nous le montre à tout coup.

IV. Ouverture - fermeture : présence du sexuel

Concrètement, cette opération d’extraction doit être précisée. Et tout d’abord la manière dont
s’entrouvre la coque fermée qui fait le narcissisme du sujet, et donc la façon dont elle se referme sur
l’Inconscient. (Cf. Séminaire sur l’identification et le cross-cap avec coupure simple)

On voit que la topologie est bien ce qui viendra répondre à cela. Lacan intègre la présence de
l’analyste à la manifestation de l’Inconscient comme tel, dont on sait déjà qu’il relève d’un certain
mouvement de pulsation, c’est-à-dire d’ouverture plus radicale que l’insertion dans le signifiant
qui la motive cependant. Cette pulsation relève de la fonction de la parole, c’est pourquoi Lacan :
« considère que l’Inconscient est la somme des effets de la parole sur un sujet à ce niveau où le sujet
se constitue des effets du signifiant. » (p. 99)

La parole décrit la spirale (A) autour du point PHI, tout comme le seul signifiant fait coupure
simple en (B).

Ce sujet n’est pas égalé par Lacan au vivant, mais il est égalé à quelque chose qui a surgi dans le
champ occidental avec le sujet cartésien. Seulement, le problème, c’est que la révélation de ce sujet
comme tel est ponctuelle, et que seule la présence de l’analyste lui est irréductible en tant que c’est
le seul qui peut être témoin de ce qu’une perte, lors de l’émergence de ce champ inconscient, est à
prévoir dans l’apparition de cette fonction subjective.

260
Présence et perte dont devra rendre compte également toute topologie de la cure analytique : « C’est
une perte sèche qui ne se solde par aucun gain, si ce n’est par sa reprise dans la fonction de la
pulsation. » (p. 99)

Autant dire que quelque chose s’ouvre et se ferme, et que c’est à l’analyste que revient la tâche que,
dans ce battement, vienne s’inscrire une conséquence qui modifierait cette pulsation.

Pour l’heure, Lacan donne le schéma de la nasse et le fait se recouvrir de celui dit « schéma du
miroir », en vue de démontrer que le sujet ne peut jamais se voir que du lieu de l’Autre, ce qui
inaugure le mouvement du désir et signe la présence de la sexualité dans cette topologie.

Ceci revient à dire que la pulsation essentielle de l’Inconscient ne se repère que de l’Autre et que
dans l’ouverture, l’objet a vient, à la façon d’un obturateur, lier la réalité sexuelle à l’Inconscient.

« C’est à ce niveau que doit se révéler ce qu’il en est de ce point nodal par quoi la pulsation de
l’Inconscient est liée à la réalité sexuelle, ce point nodal s’appelle le désir. Il se situe dans la
dépendance de la demande − laquelle de s’articuler en signifiants − laisse un reste métonymique qui
court sous elle, élément qui n’est pas indéterminé, qui est une condition à la fois absolue et
insaisissable, élément nécessairement en impasse, insatisfait, impossible, méconnu, élément qui
s’appelle le désir. C’est cela qui fait la jonction avec le champ défini par Freud, comme celui de
l’instance sexuelle au niveau du processus primaire. La fonction du désir est le résidu dernier de
l’effet du signifiant dans le sujet. Desidero, c’est le cogito freudien. » (p. 141)

Ainsi, sans vraiment en expliciter le comment et le pourquoi, Lacan nous indique quand même que
cette pulsation de l’Inconscient, telle qu’elle est repérée, est précisément ce qui s’entrouvre à cet
endroit de la réalité sexuelle, et que l’articulation de la chaîne signifiante à cette pulsation de
l’inconscient laisse un reste qui est ce désir. On peut dire qu’en quelque sorte, Lacan élève le désir à
la dimension du cogito, à la dimension de la pensée, en prenant appui sur cette étrange topologie du
rêve qui fait que nous n’hallucinons dans le rêve que des objets interdits, c’est-à-dire des objets
que nous désirons.

Il est étrange en effet que Freud lui-même ait pensé représenter ce mouvement qui va du sensorium
vers le motorium puis qui, si le motorium ne marche pas, retourne en arrière sous la forme
étrangement d’une perception hallucinatoire, il est étrange que Freud ait éprouvé lui-aussi, le besoin
de représenter ceci sous la forme d’une topologie (voir la Traumdeutung).

La topologie qui est censée rendre compte pour Lacan du transfert dans sa réalité sexuelle, c’est la
topologie du sujet, et plus exactement celle du huit intérieur.

261
« La libido, je l’ai inscrite au point où le lobe, défini comme champ du développement de
l’Inconscient, vient recouvrir et occulter et l’autre lobe, celui de la réalité sexuelle. La libido serait
ainsi ce qui appartient aux deux, le point d’intersection comme on dit en logique, mais c’est
justement ce que cela ne veut pas dire, car ce secteur où les champs paraissent se recouvrir est, si
vous voyez le profil vrai de la surface, un vide. » (p. 142)

C’est pourquoi, Lacan revient en arrière sur ce qu’il a démontré déjà dans son séminaire sur
l’Identification, en montrant que ce huit intérieur n’est rien d’autre que ce qui est arraché à la
topologie du cross-cap. Le cross-cap, en effet, n’est rien d’autre que le complément de ce huit
initial. De la même manière qu’une sphère serait le complément à un cercle.

Or, ce complément du huit intérieur n’est rien d’autre qu’une surface de Moebius et, dans cette
complémentation, elle doit opérer un mouvement spécial d’autotraversée, de traversée de la
surface précédente selon une ligne qui n’est pas reproduite dans le séminaire, mais qui est, nous dit
Lacan : « une image qui nous permet de figurer le désir comme lieu de jonction du champ de la
demande où se présentifient les syncopes de l’Inconscient avec la réalité sexuelle. Tout cela dépend
d’une ligne, que nous appellerons, de désir, lié à la demande, et par laquelle se présentifie, dans
l’expérience, l’incidence sexuelle. » (p. 143)

Cette ligne, nous savons déjà (Séminaire IX) qu’elle est celle du cercle irréductible vide, constitutif
de toute érotique, disait déjà Lacan alors.

Or, le problème se complique de ceci que dans l’expérience de la cure, ce désir n’est rien d’autre
que le désir de l’analyste, ce que déjà Freud avait compris avec Breuer dans les premières cures
qu’ils avaient menées de concert. Sans articuler la fonction de l’analyste, de son désir, à cette
topologie du cross-cap, Lacan en marque l’incidence sur ce qu’il a déjà conjoint du schéma de la
nasse, de la topologie du miroir et du bouquet renversé. Il propose qu’à l’obturateur type
photographique de la nasse, vienne se substituer le miroir, situé en A dans le dispositif de Bouasse,
de telle sorte que le sujet, à l’intérieur, puisse obtenir de lui-même une image réelle, à la seule
condition de l’accommoder autour de ce qui apparaît sur ce miroir et qui serait le petit a. En somme,
on peut dire que le désir de l’analyste serait ici ce qui permettrait à ce miroir-plan obturateur de
bouger, de telle sorte que le sujet puisse accommoder son image à ce petit a, faute de quoi, faute
d’être repéré, ce désir de l’analyste prend, lui, la fonction de ce petit a inerte comme scorie.

Dans le huit intérieur cependant, ce schéma topologique qui vient à s’inscrire est à concevoir
comme point de disjonction et de conjonction, d’union et de frontière qui ne peut être occupé que
par le désir de l’analyste. Repérage qui est nécessité par toute l’aventure analytique elle-même, à
savoir que comme telle, l’aventure analytique n’est rien d’autre que l’incidence progressive du
désir de l’analyste dans cette topologie à constituer.

Ensuite, Lacan va mettre en évidence le terme de pulsion pour voir s’il est cohérent, homologue à
cette topologie qu’il est en train de créer et qui est bipartite, puisque nous avons d’une part le cross-
cap et, d’autre part, le schéma de la nasse quand il double celui du miroir et du bouquet renversé.

262
En outre, nous allons voir apparaître la notion de bord qui sera capitale au moment où Lacan va
entreprendre d’étudier les nœuds, puisque les consistances des nœuds, peuvent être considérés
comme résultant de cette fonction du bord.

En effet, toute la question est de savoir par quelle opération le bord pulsionnel viendra ou ne
viendra pas s’incarner, se purifier, s’épurer dans la logique nodale ?

La topologie dans ce séminaire fait retour à ce point précis, maintenant que Lacan se permet
d’expliquer la raison et l’usage de cette schématisation topologique : « La schématisation
topologique d’un certain partage et d’un périmètre s’involuant sur lui-même qui est celui que
constitue, ce qu’on appelle ordinairement d’une façon impropre, la situation analytique, cette
topologie vise à nous faire concevoir où est le point de disjonction et de conjonction, d’union et de
frontière, qui ne peut être occupé que par le désir de l’analyste. » (p. 147)

Cette topologie est bien située par Lacan dans ce que Jean-Michel Vappereau clxxxiv[ix] a souligné des
termes empruntés à Lacan lui-même, de l’involution signifiante, et qui vise à désigner ce champ
tout à fait particulier où vient se placer le transfert en tant que le transfert est déterminé par le désir
de l’analyste. La nouveauté avancée ici, outre l’involution signifiante, c’est cette spécificité du
champ de disjonction-conjonction occupé par le désir de l’analyste.

A travers le concept de pulsion, il faudra voir comment ceci se vérifie, c’est-à-dire autour de ces
quatre termes freudiens : la poussée, la source, l’objet et le but ; quatre termes de la pulsion qui
déterminent un Grundbegriff, c’est-à-dire un concept de base que Freud avait déjà isolé à l’aide du
terme de convention, de fiction, plus exactement.

- Ces quatre termes apparaissent disjoints, la poussée est une poussée qui est issue d’une
excitation interne faisant irruption, non pas dans l’organisme dans sa totalité, mais dans le
champ freudien du système nerveux conçu comme une surface et devant être traitée
topologiquement. Certains éléments de ce champ sont investis pulsionnellement par une
force constante qui se différencie de toute fonction biologique qui possède un rythme.

- A l’autre bout de la chaîne de la pulsion, on a le but de la pulsion qui est la satisfaction


atteinte, parfois nous le savons, par la sublimation, même quand la pulsion est inhibée quant
à son but. Autant dire que nous retrouvons, ici, la fonction du paradoxe dans cette
satisfaction, but de la pulsion. Il faut concevoir cette satisfaction comme une satisfaction à
quelque chose, plutôt qu’une satisfaction de quelque chose, et cette satisfaction peut prendre
un tour plus ou moins particulier, plus ou moins long. C’est ici qu’entre en jeu quelque
chose de nouveau qui est la catégorie de l’impossible.

« Le chemin du sujet passe entre deux murailles de l’impossible. » (p. 152)

Cet impossible n’est rien d’autre que le Réel, c’est-à-dire ce qui fait obstacle au principe de plaisir,
lequel est le maître de la loi de la satisfaction. Ce champ du Réel se distingue de celui du plaisir par
le fait que l’impossible y surgit, et aussi parce qu’il est désexualisé. Pourtant, l’impossible surgit
aussi dans le principe de plaisir, simplement, il n’y est pas reconnu.

- L’objet dans cette problématique est précisément ce qui en aucun cas ne peut satisfaire la
pulsion parce qu’aucun objet ne peut la satisfaire.

Aussi, Lacan justifie et sa topologie et la manière dont il lit le texte de Freud sur la pulsion à cet
instant précis, car cet objetclxxxv[x] est précisément Rien, sinon cet objet a dont il nous parle et dont

263
la caractéristique est précisément de forcer la pulsion à en faire le tour. Le terme de tour, ici, étant
équivoque puisque c’est à la fois la borne autour de quoi on tourne et le tour d’escamotage.

Dans ce tour d’un objet qui ne peut pas être atteint comme tel, la pulsion se constitue ou constitue
cet objet comme cause du désir.

- Reste la source qui, elle, est située très précisément par Freud dans le corps, c’est-à-dire du
côté des zones érogènes qui ont, elles aussi, structure de bord !

Est-ce à dire que la topologie pourrait s’avérer n’être que cette sublimation pulsionnelle, détachée
du corps érogène qui en est la source ?

Peut-on d’ores et déjà penser la topologie comme étant ce qui, de toute cette expérience
pulsionnelle et de son intégration dans la problématique du désir, s’extrairait de manière purement
signifiante sous la forme d’une sorte de pulsion analytique, justifiant à la fois les hésitations des
topologues dessinateurs et leur minutie, mais aussi la critique qu’on peut leur adresser de se limiter
trop à une pratique seulement descriptive ?

En d’autres termes, peut-on produire une logique de l’expérience de la cure qui intègre tous ces
éléments, qui aurait cette structure de bord, qui aurait une fonction de parcours et qui, au terme,
pourrait donner dans un montage, une satisfaction, tout en incluant ce champ de
disjonction/conjonction par où le désir d’un patient se conjoint au désir de l’analyste ?

V. Rencontre du troisième type

De la présentation de Lacan, il nous faut faire remarquer à quel point la détermination des zones
érogènes sur lesquelles Lacan construit sa notion logique de structure de bord, implique qu’à
l’intérieur de l’organisme, certaines zones soient privilégiées alors que d’autres sont exclues.
Quelque chose du fait de la pulsion freudienne prend une spécificité, apte au déploiement
topologique.

La sexualité sous ses deux visages − l’amour et la pulsion − entre en scène ici.

1) La pulsion partielle offre à la réalité homéostatique la possibilité d’outrepasser le principe de


plaisir de réduction de tension. C’est ce que la topologie circulaire de toute pulsion démontre (non
réductible à un point).

Cette sexualité vient se placer entre le refoulé (puis son symptôme qui est construit dessus) et la
fonction de l’interprétation qui pointe le désir.

La sexualité, ici, est ce qui doit se trouver intégré à la dialectique du désir, c’est-à-dire ce qui du
corps viendra se joindre à la fonction du signifiant.

La pulsion ne fait que représenter partiellement la courbe de l’accomplissement de la sexualité chez


le vivant. Il s’agit d’interroger cet intervalle entre le refoulé et son interprétation qui s’égale au
désir, cet intervalle dans lequel viennent se glisser les pulsions partielles. On sait que Freud les a
présentées de manière grammaticale, actives, passives, réfléchies, et c’est ici que Lacan y retrouve
ses petits puisque dans ces formes verbales, ce qu’il distingue, c’est une fonction d’aller-retour,
réversion fondamentale du caractère circulaire du parcours de la pulsion au terme duquel, dans un
troisième temps, ce qui n’apparaît pas de soi, c’est la fonction du sujet.

264
« Ce sujet, qui est proprement l’Autre, apparaît en tant que la pulsion a pu fermer son cours
circulaire. C’est seulement avec son apparition au niveau de l’Autre que peut être réalisé ce qu’il en
est de la fonction de la pulsion. » (p. 162)

Lacan intègre, ici, la dimension du désir de l’analyste qui est cet Autre qui doit révéler ce qu’est la
pulsion pour le sujet et la faire accéder à la dimension du désir par l’interprétation.

Autrement dit, ce qui apparie la topologie corporelle, si on peut l’appeler ainsi, à la topologie de
l’Inconscient, c’est précisément que la pulsion partielle doit rater son objet, cet objet n’est qu’un
vide. Non seulement elle le rate, mais en plus on peut dire que le trajet lui-même échoue à se
doubler lui-même, comme ce serait le cas de l’auto-érotisme. Le circuit se rend aussi homologue
avec l’objet a, encore que l’objet a ne soit pas l’origine de ce qui incite la pulsion. Il est introduit :
« de ce fait qu’aucune nourriture ne satisfera jamais la pulsion orale, si ce n’est à contourner l’objet
éternellement manquant. » (p. 164)

Entre les pulsions, il n’y a pas un rapport d’engendrement, c’est l’intervention de l’Autre qui opère
cette mutation qui fait passer la pulsion de l’une à l’autre. Dans le petit schéma circulaire que Lacan
nous avait appris à repérer − déjà dans le séminaire sur l’angoisse − ou peut maintenant articuler le
passage d’un objet à l’autre.

« Cette articulation nous amène à faire de la manifestation de la pulsion, le mode d’un sujet
acéphale, car tout s’y articule en terme de tension et n’a de rapport au sujet que de communauté
topologique. J’ai pu vous articuler l’Inconscient comme se situant dans les béances que la
distribution des investissements signifiants instaurent dans le sujet, et qui se figurent dans
l’algorithme en un losange que je mets au cœur de tout rapport de l’Inconscient entre la réalité et le
sujet. Eh bien ! C’est pour autant que quelque chose dans l’appareil du corps est structuré de la
même façon, c’est en raison de l’unité topologique des béances en jeu, que la pulsion prend son rôle
dans le fonctionnement de l’Inconscient. » (p. 165)

Cette topologie est particulièrement évidente au niveau de la perversion, par exemple dans le
voyeurisme, où le sujet se trouve de la même manière situé à l’aboutissement de la boucle.

« Quant à l’objet, c’est ce que ma topologie écrite au tableau ne peut pas vous faire voir, mais vous
permettre d’admettre, la boucle tourne autour de lui, il est missile, c’est avec lui que dans la
perversion, la cible est atteinte. » (p. 166)

« Le regard est cet objet perdu, et soudain retrouvé, dans la conflagration de la honte, par
l’introduction de l’Autre. Jusque là, qu’est-ce que le sujet cherche à voir, ce qu’il cherche à voir,
sachez-le bien, c’est l’objet en tant qu’absence. Ce qu’il cherche, ce n’est pas comme on le dit − le
Phallus − mais justement son absence, d’où la préminence de certaines formes comme objet de sa
recherche. Ce qu’on regarde, c’est ce qui ne peut pas se voir. Si grâce à l’introduction de l’Autre, la

265
structure de la pulsion apparaît, elle ne se complète vraiment que dans sa forme renversée, dans sa
forme de retour qui est la vraie pulsion active. »clxxxvi[xi]

Nous entrons maintenant dans un champ un peu particulier de l’enseignement de Lacan parce que
pour pouvoir soutenir ses thèses et soutenir leur compatibilité avec celles de Freud, Lacan est obligé
de lâcher le morceau, c’est-à-dire de lâcher du lest sur ce qu’il a derrière la tête. Aussi nous trace-t-
il maintenant quelque chose qui est comme la substance sur laquelle il s’appuie pour pouvoir nous
parler du champ de l’Inconscient. Du côté substance, nous allons avoir la libido qu’il va concevoir
comme un organe. En face, il y aura l’interrogation que fait porter dans le champ de la sexualité à
tous les humains, la place de l’amour.

2) La place de l’amour

Naturellement, nous allons faire comme Lacan nous le demande, nous allons lui accorder la
confiance dans le travail qu’il fait, tout en sachant que c’est quand même par rapport à un endroit
où, comme tout autre, il est tout aussi plongé dans l’incertitude que nous. Seulement, pas moyen de
pouvoir nous rendre compte que cet Autre est aussi empêtré que nous dans les voies du désir sans
lui avoir d’abord accordé une confiance.

Les pulsions partielles, la libido, autrement dit, et l’amour se séparent dans une bipartition qui,
selon Lacan reprenant Freud, pourrait être celle du cœur et du ventre. L’amour, aussi étrange que
cela puisse paraître, nous viendrait du côté du ventre (miam-miam) et la pulsion partielle du côté du
cœur !

Les avatars de ces deux positions sont différents : ambivalence pour amour-haine, réversion pour la
pulsion. La pulsion génitale «totale» n’existe pas. Celle qui serait censée être unifiée, c’est plutôt du
côté de l’amour sans doute que Lacan la placerait, c’est-à-dire ce qui apparaît dans le champ de
l’Autre. C’est celle qui est soumise au problème des structures élémentaires de la parenté. Une
autre structure est donc appelée à rendre compte de cette espèce de présence diffuse de la ganze
sexualstrebung, c’est-à-dire de la pulsion sexuelle totale.

Trois niveaux : le niveau réel, l’économique et le biologique permettraient de situer ce qui, ici, n’est
plus une pulsion, mais une passion, une passion sexuelle du Moi complet, du Moi total. C’est lui qui
doit être considéré comme une surface.

L’hypothèse peut nous venir qu’à voir Lacan tracer le trajet pulsionnel freudien, c’est une topologie
homologue au graphe qui est en train de se tracer ici, y compris le retour sur la personne propre, y
compris la réalisation subjective. Mais sans doute, une certaine torsion doit être opérée qui nous
permettrait de voir en quoi cette conception de Lacan est topologiquement sinon différente de celle
de Freud, à tout le moins, qu’elle est là dans un but qui probablement est différent. Cela dit, le
commentaire que Lacan peut faire de la motion pulsionnelle n’est quand même pas très freudien,
étant donné que Freud lui-même situe le concept de pulsion comme quelque chose qui nécessite une
approximation et une élaboration ultérieure.

Toujours est-il qu’il faut bien reconnaître qu’il ne s’agit pas de légère différence, puisque c’est à la
pulsion que Freud accorde le rôle actif/passif, alors que Lacan va le désigner comme mode de
l’amour.

Il est clair qu’ici Lacan force Freud. Freud inclut l’amour dans les motions pulsionnelles et Lacan,
lui, le distingue comme ayant une autre structure, c’est-à-dire se situant dans la partie droite du
tableau, dans le champ de l’Autre, dans le champ de l’inconscient, les pulsions sexuelles
appartenant au champ de gauche.

266
Autrement dit, la topologie dont Lacan parle et qui nous intéresse, c’est celle qui concerne les
pulsions partielles qui manifestent ce mouvement circulaire d’une poussée au départ d’un bord
érogène, pour revenir après avoir fait le tour de quelque chose que Lacan appelle l’objet petit a, et
ce serait par là que le sujet vient à atteindre la dimension du grand Autre, donc autrement dit,
viendrait à atteindre la partie droite du tableau.

Il y a une distinction entre cet Autre et celui qu’on pourrait aimer. L’autre qu’on aime, on y colle, il
n’y a pas de transcendance à l’objet inclus, alors que la circularité pulsionnelle indique bien, dans
l’aller-retour, un intervalle, une béance. C’est au moment du retour de la pulsion pourtant que
quelque chose peut, d’une certaine façon, s’unifier du fait de la fonction subjective ce qui, en
français, à la voix active et passive qui sont antinomiques, viendrait s’ajouter sous la forme d’une
voix réflexive: se faire voir, se faire entendre, se faire boulotter, se faire chier.

« Qu’est-ce que ce bref survol nous révèle ? Ne semble-t-il pas que dans ce retournement que
représente sa poche, la pulsion, s’invaginant à travers la zone érogène, est chargée d’aller quêter
quelque chose qui à chaque fois répond dans l’Autre. » (p. 178)

Bien que cette quête en creux donne plutôt l’impression de pousser l’Autre à se manifester sous la
forme d’une boursouflure.

Tout cela est déterminé par quelque chose qui a un organe, comme le dit Lacan, c’est-à-dire un
objet inatteignable que la pulsion contourne, Lacan le dénomme véritablement objetclxxxvii[xii], et il
en parle comme étant une lamelle, une espèce d’héritage des ruptures des membranes de l’œuf
primitif !

Cette lamelle, c’est quelque chose d’extra-plat qui n’est pas sans nous rappeler ce qu’au niveau du
stade du miroir, nous avons appelé l’en-forme de l’Autre et qui aurait rapport avec ce que l’être
sexué perd dans la sexualité, c’est-à-dire au moment où il entre dans la vie. Cet organe, c’est ce que
Lacan appelle la libido.

A partir de là, toutes les formes d’objet a que Lacan peut énumérer, ne seront jamais que les
représentants, les équivalents de cette perte initiale.

Tel est bien le moment-clé de ce séminaire dans nos préoccupations !

La topologie devient cet hyperespace issu de la perte originelle qui signe l’entrée du petit
d’Homme dans la vie. Organe intermédiaire entre le corps et l’Autre, elle se déploie, unilatère,
dans ce no man’s land, greffé pour une part sur une zone érogène et pour une autre, sur le manque
dans l’Autre. Respectivement a et - phi.

267
« Le rapport à l’Autre est justement ce qui pour nous fait surgir ce que représente la lamelle, non
pas la polarité sexuée, le rapport du masculin au féminin, mais le rapport du sujet vivant à ce qu’il
perd de devoir passer pour sa reproduction par le cycle sexuel, j’explique ainsi l’affinité essentielle
de toute pulsion avec la zone de la mort, et concilie les deux faces de la pulsion qui à la fois
présentifient la sexualité dans l’Inconscient et représentent dans son essence la mort. » (p. 181)

La topologie que Lacan construit, essaie de rendre compte de ce que l’Inconscient dans l’ouverture-
fermeture, marque d’une temporalité qui avec le signifiant divise le sujet, puisque quand il apparaît,
il est là signifiant, alors qu’avant, il n’était rien et c’est à la pulsion que revient le devoir d’opérer,
en quelque sorte, cette ouverture-fermeture.

La pulsion sexuelle unifiée n’est rien d’autre que cet effort du sujet pour essayer de se ressaisir, à
la fois dans le champ de la pulsion et à la fois dans le champ de l’Autre, seul endroit, nous dit
Lacan, où la relation des sexes est représentée au niveau de l’Inconscient.

Cela n’empêche pas Lacan de tenter d’unifier la topologie qu’il vient de présenter puisqu’il nous dit
: « La lamelle a un bord, elle vient s’insérer sur la zone érogène, c’est-à-dire sur l’un des orifices du
corps en tant que ces orifices, toute notre expérience le montre, sont liés à l’ouverture-fermeture de
la béance de l’Inconscient, les zones érogènes sont liées à l’Inconscient parce que c’est là que s’y
noue la présence du vivant. » (p. 181)

Est-ce à dire que la lamelle qui est cette en-forme de l’Autre que nous perdons, du fait du champ
narcissique de l’amour, est aussi ce qui pousse la pulsion à opérer le tour d’elle-même, le tour de
cette lamelleclxxxviii[xiii] ?

Rencontre du troisième type, telle est bien l’aventure topologique que nous décrit Lacan.

VI. Logique de ce nouveau monde

Lacan semble bien s’acheminer vers la constitution d’une topologie qui n’est plus issue de la
fonction spéculaire comme l’était sa première approche ( Séminaire I), ni vectorielle comme l’était
sa seconde présentation. Il s’agit ni plus ni moins maintenant d’une espèce d’espace entre le corps
troué et l’Autre. L’Autre reste un lieu mais essentiellement ponctuel dans sa désignation dans cet
espace intermédiaire. Cette ponctualité de l’Autre est aussi inverse, elle produit l’unilatéralité de ce
corps topologique intermédiaire.

Osons donc avancer ici que ce corps médian est ni plus ni moins la sexualité humaine sous la forme
résurgente de la libido issue de ce que le vivant perd en entrant dans le monde. Le sujet surgit non
pas du côté de cette sexualité mais du côté de l’Autre, et pourtant c’est la pulsion qui vient à s’y
manifester sous les espèces signifiantes, elle en est le révélateur spatial.

Lacan considère que la pulsion partielle est le représentant dans le psychisme des conséquences de
la sexualité, et cette sexualité n’est rien d’autre qu’une relation du sujet qui se déduit d’autre chose
que de la sexualité, autrement dit, elle s’instaure par une autre voie, c’est celle du manque. Un
manque est dans l’Autre et dépend de ce que le sujet est divisé par le signifiant. C’est affaire de
logique. Un autre manque est antérieur, qui provient de ce que le vivant a perdu quelque chose dans
la reproduction sexuée. Lacan postule que la libido est l’organe de la pulsion, un organe irréel,
c’est-à-dire : « qu’il se définit de s’articuler au Réel d’une façon qui nous échappe. » (p. 187)

Il en résulte que la topologie est la tentative de nouer ces deux manques.

268
Exemple de cela : le tatouage, « où l’entaille a bel et bien la fonction d’être pour l’Autre, d’y situer
le sujet, marquant sa place dans le champ des relations du groupe entre chacun et tous les autres. Et
en même temps, elle a de façon évidente une fonction érotique que tous ceux qui en ont approché la
réalité ont perçue. » (p. 187)

Lacan interroge maintenant la réalisation du sujet dans sa dépendance signifiante au lieu de l’Autre
rappelant sur quoi il s’appuie : la structure du signifiant, la fonction de la coupure et la fonction
topologique de bord.

Il parle alors dans cette définition du sujet comme effet du signifiant, de processus circulaire entre
le sujet et l’Autre.

« Du sujet appelé à l’Autre, au sujet de ce qu’il a vu lui-même apparaître au champ de l’Autre, de


l’Autre y revenant. Ce processus est circulaire mais de sa nature sans réciprocité. Pour être
circulaire, il est dissymétrique ! » (p. 188)

Lacan esquisse un petit graphique pour montrer à quel point le sujet, dès que sa signification doit
surgir au champ de l’Autre (p. 189), n’apparaît plus que sous la forme d’un signifiant pétrifié. Il
disparaît dans une pulsation temporelle.

Par rapport à cet Autre, deux opérations sont articulables, la séparation que Lacan traitera
ultérieurement et l’aliénation. C’est ce que représente le petit losange qu’il inscrit entre et petit
aclxxxix[xiv], et qu’il articule de deux flèches qui tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une
montre. Ce petit losange (◊)doit être intégré au fantasme et au rapport de la demande et de la
pulsion.

Il est ce qu’il y a de commun entre le lieu du fantasme et le lieu de la pulsion, pour autant qu’on
puisse dire que ce qu’il en est du fantasme et de la pulsion ont à conjoindre la dimension du corps à
la dimension du signifiant. Il s’agit bien là, rappelle Lacan, de quelque chose qui est un bord.

Sans doute y a-t-il quelque chose d’un peu artificiel à présenter les choses ainsi, mais l’
impuissance de notre pensée le nécessite et d’ailleurs, on pourrait rappeler à quel point la notion
même de pulsion pour Freud est un concept du même ordre.

269
1) D’une part l’aliénation donc.

C’est une présentation « eulérisée » qui nous en rend le mieux compte :

« Le vel de l’aliénation se définit d’un choix dont les propriétés dépendent de ceci, qu’il y ait dans
la réunion, un élément qui comporte que, quel que soit le choix qui s’opère, il a pour conséquence
un « ni l’un ni l’autre ». » (p. 192)

Si je choisis l’être, je perds le sens, et inversement. A ceci près que la réunion de ces champs
implique qu’on ne puisse pas les choisir séparément sans perdre non seulement l’autre champ non-
élu mais, qu’en outre, on se prive aussi de la part redoublée de cet autre champ qui mord sur le
premier.

Le sujet, dans cette opération, gît, s’éclipse à chaque choix dans le non-sens, part redoublée par
l’Autre. C’est là que le sujet se pétrifie dans les signifiants de pur non-sens qui déterminent sa
conduite ; ainsi s’isole, pour Lacan, le facteur létal qui réside en chacun de nous. C’est ce facteur
létal, où le sujet s’éprouve comme perte dans l’aliénation, qui est apporté par le sujet pour interroger
le manque qu’il repère dans l’Autre et qui sera l’objet apporté à ce désir supposé de cet Autre.

2) Deuxième opération, la séparation :

« Elle achève la circularité de la relation du sujet à l’Autre, mais une torsion essentielle s’y
démontre. » (p. 194)

Le premier temps (aliénation) était fondé sur la sous-structure de la réunion, le second est fondé sur
la sous-structure de l’intersection. C’est ici que Lacan parle du recouvrement de deux manques, un
manque rencontré dans l’Autre et un manque éprouvé par le sujet dans sa disparition. Autrement
dit, au manque aperçu dans l’Autre, le sujet vient offrir sa propre perte.

270
« Dès lors, la dialectique des objets du désir, en tant qu’elle fait le joint du désir du sujet au désir de
l’Autre, passe par ceci qu’il n’y est pas répondu directement. C’est un manque engendré du temps
précédent qui sert à répondre au manque suscité par le temps suivant. » (p. 195)

Ainsi donc, dans l’aller pulsionnel qui le mène à l’Autre, le sujet éprouve d’abord sa disparition
dans son lien au signifiant binaire qui l’égale à une signification.

Au passage, on notera que ce facteur létal est bien celui que la logique instituera comme exemplaire
de sa formulation : « Pas de ....sans ... ». Cette première opération, qui relève de l’unarité du trait et
de sa répétition possible dans la série, indique déjà à quel point nous avons affaire à une privation
fondamentalecxc[xv] que Freud nommait refoulement originaire. C’est à partir de lui que la scène de
la représentation accepte le poids de ses représentants.

Le représentant de la représentation est ce qui est refoulé et pas du tout la signification des choses.
On se rapportera à notre petit commentaire du texte de J.-M. Vappereau.cxci[xvi]

Le signifiant unaire apparaît dans l’Autre, il représente le sujet pour un autre signifiant qui, du fait
de cette représentance, entraîne le sujet dans sa disparition. Ceci, c’est le moment de refoulement
originaire, à partir duquel tous les refoulement deviennent possibles. Le vel de l’aliénation en est la
figure essentielle et c’est par là que, par voie de retour, le sujet peut retrouver l’autre opération qui
est la séparation, c’est-à-dire le moment du point faible du couple primitif de l’articulation
signifiante parce qu’il est aliénant. Entre ces deux signifiants, gît le désir, celui de la mère, par
exemple, qui reste énigmatique pour le sujet. C’est ce désir que le second signifiant qui apparaît
dans l’Autre met en évidence comme étant aussi ce qui manque à cet Autre et qui permet de ce fait
l’opération seconde de séparation, l’opération par laquelle le sujet :

« se libère de l’effet aphanisique du signifiant binaire. Et, si nous y regardons de près, nous verrons
qu’effectivement, ça n’est pas d’autre chose qu’il s’agit dans la fonction de liberté. » (p. 200)

Un moment de certitude se détache du supposé-savoir mis dans l’Autre.

C’est Descartes qui aurait trouvé ce point de passage qui permet d’éluder le scepticisme et qui :
« conduit la recherche du chemin de la certitude à ce point même du vel de l’aliénation, auquel il
n’y a qu’une issue, la voie du désir. » (p. 201)

Sur ce chemin, une opération singulière doit être opérée. Tout tourne autour de la certitude que
Descartes veut avoir de l’action qu’il doit tenir, et ceci n’est possible que par l’instauration de
quelque chose qui viendrait se séparer.

Est-ce à dire que la certitude serait une séparation ?

Descartes reconstitue un savoir entre le scepticisme et l’annihilation de tout savoir du fait du doute
absolu, mais il fonda ce savoir-supposé dans Dieu plutôt que de voir s’évanouir la position du sujet
dans le « Je pense ».

C’est là la position qu’occupe l’analyste, celui qui est supposé-savoir dans la cure et dont on peut
déjà dire qu’il y a lieu de se séparer. Il n’est pas nécessaire non plus de le penser sous la forme d’un
être parfait et infini.

Lacan introduit alors la notion de série distinguant le nombre ordinal du nombre cardinal et
nécessitant l’introduction de la fonction de zéro comme présence du sujet qui totalise. Cette

271
fonction du zéro ne s’extrait pas de la dialectique du sujet et de l’Autre : « La neutralité apparente
de ce champ cache la présence du désir comme telle. » (p. 205)

Est-ce à dire que c’est du désir que naîtrait cette position du zéro ? Toute la question est là.
Reprenons-la avec Lacan.

Cette articulation de l’aliénation et de la séparation vise en fait à interroger les rapports qui existent
entre la formation de l’analyste et le désir du psychanalyste, à savoir en quoi dans ce registre, une
science ou une certitude peut être trouvée où pourtant : « il n’y pour le psychanalyste aucun au-delà,
aucun au-delà substantiel à quoi pourrait se rapporter ce en quoi il se sent fondé à exercer sa
fonction. » (p. 209)

C’est pourquoi Lacan reprend toute cette question pour l’inscrire de manière clinique dans ce
phénomène du transfert dont il a, par ailleurs, déjà parlé dans son Séminaire VIII.

On peut mesurer à ce propos le trajet fait par Lacan puisqu’il situe le transfert en liaison directe
avec le sujet-supposé-savoir qu’il vient d’introduire, autour de la fonction de certitude mise dans les
mains de Dieu par Descartes.

On est loin de la substitution de l’éromenon à l’éron, substitution qui faisait l’essentiel du séminaire
sur le transfert.

Cette place du sujet-supposé-savoir est occupée par Freud pour toute la communauté analytique, et
quand elle est occupée par un analyste particulier, c’est autour de la tromperie que la question se
joue.

Si elle se joue là, c’est parce qu’il y a lieu de lier la fonction de la tromperie, (se tromper et être
trompé), avec ce qui est essentiel, à savoir que l’analyste est supposé partir à la rencontre du désir
inconscient du patient. En clair, cette supposition accordée à l’Autre porte dans l’analyse non pas
sur le Symptôme ou la Vérité, mais sur le désir.

On retrouve, ici, cette fonction du désir que nous avions pu articuler autour du point zéro, opération
mathématicienne au-delà de la fonction sérielle. Il y a lieu d’illustrer cette rencontre du désir
inconscient d’un petit dessin topologique qui montre que le désir est le pivot de l’opération. Ce
désir, c’est celui de l’analyste, en tant que ce point pivot est articulable uniquement du rapport du
désir au désir.

Schéma (p. 215-224)

272
« Ce rapport est interne, le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre. » (p. 213)

C’est ainsi que s’incarne cette fonction d’aliénation dont on a parlé juste avant. Or : « Dans le
rapport du désir au désir, quelque chose est conservé de l’aliénation, mais non pas avec les mêmes
éléments, non pas avec ce S1 et ce S2 du premier couple de signifiants, d’où j’ai déduit la formule
de l’aliénation du sujet dans mon avant dernier cours − mais avec, d’une part, ce qui se constituait à
partir du refoulement originaire, de la chute, de l’Unterdrückung, du signifiant binaire − et d’autre
part, ce qui apparaît d’abord comme manque dans ce qui est signifié par le couple des signifiants
dans l’intervalle qui les lie, à savoir le désir de l’Autre. » (p. 213)

Donc, le sujet pour Lacan n’apparaît que dans l’aliénation à la paire signifiante, et encore bien en
disparaissant − Paradoxe ! insoluble si, n’était accordé à l’être parlant, le pouvoir de questionner
celui qui coupe la chaîne signifiante à ce niveau basal de la paire initiale.

Cette dimension aliénante ne peut être ressaisie par le sujet qu’au niveau du désir de l’Autre ou au
niveau d’un objet qui lui permet d’en voir la portée articulatoire (la bobine du fort-da), c’est-à-dire
l’objet a. Voici ce qu’une formule comme : « Pas de bien sans mal » ou « sans souffrance »
exprimerait où certains objets échapperaient à la loi du LUST parce qu’ils ne servent à rien, les
objets a.

Cette reconnaissance des deux opérations: aliénation et séparation, ne relève pas du champ du Ich
mais bien de celui de l’Autre, permettant ainsi l’illustration des positions subjectives de l’Être. Titre
provisoire que Lacan voulait donner à son séminaire suivant, le XII, qu’il intitulera : Problèmes
cruciaux pour la psychanalyse.

Cette position subjective de l’être nécessite que le sujet se détermine d’un signifiant premier refoulé
qui, tel le zéro au dénominateur d’une fraction, infinitise la liberté d’un sujet qui pourtant trouve sa
finitude, au numérateur des significations dialectisées par le désir de l’Autre. Liberté perdue comme
un des Noms-du-père, avions-nous écrit depuis longtempscxcii[xvii]. Seule une grandeur négative
peut médiatiser cette relation qui, dans le complexe de castration, porte le nom de l’objet Phallus.

Mais, « c’est par la fonction de l’objet a que le Sujet se sépare, cesse d’être lié à la vacillation de
l’être, au sens qui fait l’essentiel de l’aliénation. » (p. 232)

C’est ce que la science déjà avait opéré dans un champ élidé de l’aliénation du Sujet ! Ces
découvertes et manœuvres logiques dépendent du transfert.

273
« L’opération et la manœuvre du transfert sont à régler d’une façon qui maintienne la distance entre
le point d’où le sujet se voit aimable (topologie imaginaire) cxciii[xviii] et cet autre point où le sujet se
voit causé comme manque par a et où a vient boucher la béance que constitue la division inaugurale
du sujet. » (p. 243)

Dans le champ narcissique, vient le désir, et à ce champ narcissique résiste, si on veut, comme objet
inavalable, un point de manque où le sujet doit se reconnaître. Ce point de manque, c’est le petit a.
Lacan ajoute que c’est la raison pour laquelle la fonction du transfert peut se topologiser sous la
forme du huit intérieur, c’est-à-dire que c’est la topologie comme telle qui est censée rendre compte
de ce qui est inavalable à la fonction imaginaire. (circulaire)

La fonction du transfert comme telle se topologise sous la forme du huit intérieur dont on a déjà vu
qu’il occupe la place petit a sous la forme d’un disque dans le cross-cap.

Ce huit intérieur est constitué d’un bord que nous pouvons se faire rejoindre, s’auto-traverser. La
ligne d’auto-traversée symbolise pour Lacan, la fonction de l’identification (p. 243).

Lacan introduit maintenant toute sa topologie et, travaillant sur la partie du cross-cap qui est à
détacher, il montre à quel point elle est proprement la valeur de fermeture qui se marque sous la
forme d’une spirale se développant vers un centre incluant le lieu de l’Autre, l’endroit du sujet-
supposé-savoir.

Lacan y situe l’identification à l’analyste (conçue comme fin de l’analyse par certains), et montre
qu’au-delà de l’identification, il y a une distance à maintenir entre le petit a et le grand « I »,
idéalisant de l’identification.

Freud avait avancé un schéma où il montrait que dans l’hypnose, l’objet petit a est confondu avec le
signifiant idéal.

Tout au contraire, dans l’analyse, en ramenant par le désir de l’analyste, la demande à la pulsion,
contrairement à ce que fait le transfert, ce qui vient s’isoler, c’est le petit a qu’on met à la plus
grande distance possible de l’identification, c’est-à-dire du champ narcissique.

En ce sens, l’analyste devient le support du petit a qui doit se séparer.

274
Mais cette opération de séparation n’est pas plus détaillée par Lacan sinon comme émergence
distincte de cet objet inavalable, cause du désir. Cependant, elle fait partie, au même titre que
l’aliénation, de la logique de l’évidement si spécifique de la topologie des surfaces.

Et pour conclure le cheminement de cette année, de cet évidement par la science, il est nouveau
« de voir apparaître un sujet », paraphrasant ainsi Freud dans sa doctrine des pulsions.

Cet évidement possède deux versants : l’aliénation où le sujet retrouve le signifiant auquel il
apporte sa perte possible, la séparation où le sujet retrouve l’objet qui détermine les voies de son
désir.

275
Séminaire XII

Problèmes cruciaux de la psychanalyse

Quelle forme pour la praxis analytique ?

Il faudra attendre la séance du 3 février 1965 pour saisir l’intérêt que peut prendre ce nouveau
séminaire de Lacan dans la suite des précédents. Souvenons-nous qu’il nous a laissé, dans le
Séminaire XI, sur une double articulation logique : aliénation et séparation sont les deux
opérations que la manœuvre du transfert devrait régler. Nous sommes restés sur ce constat que
l’opération de séparation n’était évoquée qu’intuitivement, bien que le pas que Lacan nous
demandait de franchir au terme de l’année 64-65, était très grand. En effet, comment une
forme d’extraction d’objet issue du vidage (par la science), pouvait-elle virer à une séparation
de l’analyste (Autre), sinon à évoquer sans plus que cet objet a doit bien représenter l’Autre
dans le sujetcxciv[i]. Concevoir l’espace dans lequel ces opérations se réalisent et, plus
spécialement, comment se substituent objet et Autre, reste bien l’épine dans le pied de Lacan.

C’est pourquoi, il écrira à cette date sus-mentionnée :

« Je voudrais que nous continuions de nous avancer dans ce qui est le problème crucial, que
nous cherchions à proposer une forme, une topologie essentielle à la praxis psychanalytique.
C’est à cette fin que je reproduis, ici, cette forme de la bouteille de Klein. » (3/2/1965)

a. La forme du nom propre

Pour en venir à ce point qui donne la couleur du séminaire de cette année 64-65, c’est
pourtant une tout autre question qui a servi d’introduction. A cette occasion, il nous est permis
de considérer que la topologie ne s’emporte pour Lacan, que sur un champ de questions
significatives. Telle est bien en effet la question posée : comment parler de ce langage, dans
ce même langage pour s’approprier le Réel ? C’est lui, le langage, qui a structure de
topologie pour ce Réel qui, de la sorte, peut nous répondre.

Lacan sera ainsi amené à distinguer sens, signifiant, signifié, signification, hors-sens, autant
de « concepts » dont devrait rendre raison cette topologie de l’espace parlant.

Le signifiant, nous le connaissons (marque effacée d’une trace) pour représenter le sujet dans
un glissement qui fait surgir le second signifiant qui représente.

276
Le Sens, nous le connaissons pas ses effets et par la grammaire qui l’organise. On pourrait
dire que le sens est ce qui, dans l’agencement des mots, produit des conséquences discursives.

Le signifié est le référent inerte de tout signifiant quand la signification en est le référent pris
dans un désir d’appréhender un Réel.

La question est bien comment, au-delà de l’effet de sens qui se présentifie, vient s’insinuer la
signification ?

Lacan égale cette signification à la dimension du référent (donc proche du signifié), à quelque
chose qui aurait à voir avec le Réel. Ceci reviendrait à dire que le signifiant engendre le
système de signification. Lacan va même jusqu’à dire que la fonction de l’aliénation, dont il
avait donné l’idée grâce à son schéma de l’année précédente, vise très précisément à expliquer
les rapports qui existent entre le signifiant et ce référent. Ce rapport particulier existerait du
fait du désir qui viendrait là se glisser entre deux signifiants et aurait précisément pour
fonction de viser la dimension de la signification.

Dans la première formulation de la cellule primordiale, le sujet est défaillant à la chaîne


signifiante, ici, du fait de l’introduction du désir, il est pris dans une première métaphore où le
signifié, de par la position même du sujet en voie de défaillance, avait à être relayé par la
fonction du désircxcv[ii]. Ce terme de signifiant, qui représente le sujet pour un autre signifiant,
a quelque chose d’exclusif qui rappelle que quelque chose est risqué, qui annule et franchit
une certaine faille, et dont on ne pourra rendre compte que par rapport à une structure plus
radicale qui est celle de la topologie que Lacan a dégagé avec le séminaire sur
l’identification.

Lacan insiste en disant combien cette topologie est essentielle à la structure du langage. Elle
n’est pas seulement quelque chose de linéaire qui se déroule, mais aussi quelque chose qui est
comme une portée musicale, c’est-à-dire qui nous oblige à une considération de surface, ne
serait-ce que par les coupures que la phrase vient dégager sur cette portée.

Ces éléments topologiques comme le trou, le tore, le cross-cap, sont évidemment bien
différents des formes gestaltistes puisque la bande de Moebius (et l’inversion qu’elle
comporte) démontre qu’elle n’a qu’un bord et une seule face. Lacan démontre aussi les
propriétés de la coupure longitudinale de cette surface, ainsi que la difficulté de la doubler
exactement. Elle ne peut effectivement se doubler qu’en s’auto-traversant, qu’en traversant la
première surface, rappelant en ce sens que le signifiant, sauf à se dédoubler, ne saurait se
signifier lui-même. Et d’avancer que c’est dans cette propriété topologique qu’il faudrait peut-
être voir la dimension appelée « effet de sens ».

Cette topologie montre à quel point, par le nœud qu’elle comporte dans sa doublure, qu’une
chaîne signifiante métaphorique a un sens plus plein que ce qui était d’abord imaginé, ne
serait-ce que dans cette figuration des chaînons qui s’emboîtent, occasion pour Lacan de
montrer que ce qui complète cette surface, le huit intérieur, lui permettrait de donner une
définition de la notion de bande.

277
Cette structure moebienne a des propriétés spéciales, elle divise un champ qui se complète
dans le cross-cap d’un huit intérieur dont l’orientation est gauche.

C’est peut-être la première fois que nous voyons Lacan prendre acte de ce que ces structures
particulières ont une orientation quasi réelle. Les bords affrontés de ce huit intérieur donnent
la définition de la bande par retournement de la surface.

« Si nous complétons cette surface par l’autre, qu’arrive-t-il ? C’est que la surface de Moebius
coupe ladite surface en un point où la localisation importe peu mais qui, pour l’addition, se
révèle plus évidente. Qu’est-ce à dire ? C’est que nous nous mettons éventuellement à faire
fonctionner une telle coupure, non à la façon mais à la place de ce dont la logique de classe
prise en extension se sert des cercles d’Euler. » (9/12/1964)

L’examen du nom propre doit révéler ce passage

Le lien intime entre la topologie et le langage se révèle dans l’examen de la fonction du nom
propre qui va servir à Lacan d’objet de travail jusqu’à la formulation, ci-dessus, du 3/5/1965.
Fonction qui retentit dans le syllogisme classique : tous les hommes sont mortels, Socrate est
un homme, Socrate est mortel. Comment faire retentir dans la présentation classique ce fait,
que Socrate participe de la mortification humaine parce qu’il le demande en tant qu’il
s’appelle Socrate ?

C’est ce que l’inclusion en huit intérieur doit nous présenter mieux que le langage.

278
Car il y a dès l’origine, un langage oublié, forclos dont tous les autres langages se détachent,
langage que nous pouvons imaginer comme une sorte de performatif originaire. Cette
hypothèse nécessiterait, dit Lacan, la fondation de sa topologie. Ce langage originel perdu est
précisément celui qui empêche peut-être les analystes de pouvoir communiquer entre eux,
sans passer par une série d’artifices : pas moyen de parler en vérité du dire de nos patients en
analyse !

Est-ce que la topologie est cet artifice par lequel nécessairement les analystes doivent passer
pour pouvoir communiquer entre eux ? Nous pensons que oui. C’est dire que ce langage
objectif de départ n’existe pas et que la topologie en est en quelque sorte l’Ersatz, c’est un
endroit où le dedans est la même chose que le dehors et où, effectivement, le langage comme
trou aurait possédé cette structure ambiguë.

Ainsi devient clair que pour Lacan, le langage relève de la fonction-trou, laquelle se repère
dans les effets de surface qu’il inclut : unilatéralité, un seul bord. Est-ce à dire que ce qui
s’évide dans l’analyse, le fait sur le modèle de ce trou ?

Lacan reprend alors son schéma du huit intérieur qui ne peut pour lui, se réduire à un point. Il
rappelle à quel point de Saussure avait déjà parlé du signifié et du signifiant, en disant qu’ils
se présentent dans le rapport de l’envers à l’endroit et inversement.

Ce point, (rapporter une chose à une autre), pourrait trouver sa correspondance avec l’analyse
de la dimension du signe dans le langage. De quoi en effet, le signe est-il l’envers ou l’endroit
; de quoi, est-ce de la signification, est-ce du sens ?

Pour y répondre, Lacan reprend la bande de Moebius. Il y fait circuler la dimension du sens,
par opposition à celle de la signification qu’on peut saisir dans l’opération de traduction. Le
sens comporte cette espèce de brume particulière que la poésie nous démontre et dont Lacan
ne prétend pas se satisfaire.

La structure du langage permettrait à la signification de se doubler du sens, un peu comme


l’envers et l’endroit d’une bande moebienne ne se doublent qu’à se recouper ou s’envelopper
pour faire nœud.

« Comme je vous ai dit que le signifiant était structuré sur la surface de Moebius, c’est sur la
même surface constituant endroit et envers que nous pouvons rencontrer le matériel qui se
trouve structuré dans l’opposition phonématique, ce quelque chose qui ne se traduit pas mais
qui passe d’un signifiant à l’autre sans fonctionnement. » (16/12/1964)

279
La question étant justement de savoir comment cette chose peut passer et Lacan d’introduire
une forme topologique nouvelle qui est la bouteille de Klein. A ces formes topologiques,
Lacan propose un mode d’abord par vectorialisation et par coupure. Quand le cylindre se
ferme, pour devenir un tore, il ne le peut que par l’introduction d’un élément temporel qui
joint les bords extrêmes du cylindre. On reviendra plus tard sur cette temporalité.

La bouteille de Klein vectoriellement est différente du cylindre et du tore puisque deux des
bords sont vectorialisés dans le sens contraire, deux des bords du quadrilatère élémentaire de
base. Cette bouteille a cette caractéristique qu’elle est une surface close, et pourtant possède
un intérieur qui communique intégralement avec son extérieur. La propriété est la même que
celle de la bande de Moebius. Car elle n’a qu’une seule face.

Lacan compare même la structure de sa bouteille de Klein à l’évolution embryologique de la


morula et de la blastula en indiquant qu’il faut quelque chose de plus pour arriver à la
bouteille de Klein, il ne s’agit pas, autrement dit, du microcosme enveloppé par un
macrocosme qui redupliquerait la structure de ce macrocosme. Il s’agit de penser un dehors
qui s’affronte à un dedans, et cet affrontement, Lacan le date du cogito cartésien où le pacte
mythique, entre le signifiant et la nature, a été rompu.

« C’est à partir de cette découverte, que la rupture du pacte supposé pré-établi du signifiant à
quelque chose, qu’est partie la science. Il s’avère que c’est à partir de cette rupture que peut
s’inscrire une science, à partir du moment où se rompt ce parallélisme du sujet au cosmos qui
l’enveloppe et qui fait du sujet psychologique, microcosme, c’est à partir du moment où nous
introduisons une autre suture et que j’ai appelé ailleurs un point de capiton essentiel. »
(16/12/1964)

C’est à partir de cette rupture que se crée cette figure topologiquecxcvi[iii] de la bouteille de
Klein où un trou traverse la surface. A ce propos, Lacan parle de nœud, c’est-à-dire que la
surface est elle-même nouée, la question demeurant, avoue Lacan, du lien qui existe entre
cette bouteille et le langage. Il est bon de rappeler qu’ici, effectivement, ce point de capiton a
été introduit par Lacan dans le séminaire sur les psychoses tout au début de son enseignement,
et qu’il détermine ce qui vient nouer le signifiant au signifié sous une forme de signification,
ce point de capiton a été repris dans le graphe sous la forme du retour de la boucle autour de
la fonction du Che Vuoi ?, et nous le voyons donc maintenant être précisé des rapports de la
surface à elle-même à la manière d’un nœud.

« La structure du langage est capable, non pas bien sûr de l’adéquation absolue du langage au
Réel, mais de ce qui dans le langage introduit dans le Réel tout ce qui nous y est accessible

280
d’une façon opératoire. Le langage entre dans le Réel et il y crée la structure, nous participons
à cette opération et, y participant, nous y sommes inclus, impliqués dans une topologie
rigoureuse et cohérente qui fait que toute porte poussée en un point de cette structure ne
saurait aller sans repérage, l’indication stricte du point où est l’autre ouverture. »
(6/12/1964)cxcvii[iv]

Le nœud signe cette non-adéquation absolue du langage au Réel et dont le nom propre serait
la métaphore portante !

« Un nœud dont la forme, le serrage, le fil n’ont jamais été proprement dénommés, quelque
chose d’installé dans le subjectif qui, d’aucune façon par le dialogue raisonnable et logique,
ne saurait être résolu. » (6/1/1965)

L’idée est que dans l’analyse de ce nœud par le biais du langage, l’idée est que ce langage fait
obstacle à cette espèce de microcosme infatué au cœur d’un macrocosme, il fait obstacle,
c’est-à-dire il fait nœud, et la première manière dont est apparu ce nœud, c’est sous la forme
d’un oubli, par exemple, l’oubli de Signorelli par Freud en 1898.

Le nœud du nom propre

C’est autour de l’oubli du nom propre que Lacan va tenter de préciser la topologie de la
bouteille de Klein, d’abord autour de la conception de Gardiner qui reprend celle de John
Stewart Mill : que le nom aurait deux fonctions, dénoter et connoter. Mais le nom propre,
d’après Gardiner, n’aurait aucune portée significative en dehors de la sonorité de sa
dénomination. Or, ce caractère d’arbitraire de la signification est justement ce qui caractérise
tout signifiant. Le nom propre est donc autre chose encore.

Lacan rapporte alors cette chose à sa bande de Moebius, à sa bouteille de Klein, dont sa
topologie interroge la suture entre l’intérieur et l’extérieur pour autant qu’ils ne soient pas
conçu comme deux sphères l’une dans l’autre. Ce lieu de l’entre-deux, c’est celui du rêve,
c’est celui de l’Unheimliche. Aussi, introduire de l’eau dans la bouteille de Klein veut dire
qu’il ne sera pas facile de la faire ressortir.

« Qu’est-ce que c’est explorer le champ du rêve ou de l’étrangeté dans l’analyse ? C’est aller
s’apercevoir de ce qui s’est coincé, si l’on peut dire, entre ces deux sphères d’une
signification, d’un signifié dont d’abord s’est faite là la mixture, on remet du signifié en
circulation. » (6/1/1965) (Le nom propre n’est pas qu’arbitraire, il participe lui aussi de ce
signifié).

Ce qui reste à l’intérieur, Lacan l’égale à l’âme et, dans l’analyse, on tente de l’évacuer
purement et simplement. Ainsi, le but et l’objectif de l’analyse s’avouent évacuation de la
signification de cet entre-deux. Cette évacuation ne s’opère pas parce qu’elle est structurée
comme est structurée l’évacuation de la figure de la bouteille de Klein. Il nous semble, et ce
n’est qu’une erreur, que notre pouvoir de signifier redouble notre conscience comme une
doublure interne. On pense qu’il n’y aurait là qu’à retourner l’objet pour créer cet objet de la
connaissance qui est l’enveloppe de ce qu’il contourne. Il n’en est rien. Si la topologie ici
prend sa fonction de modèle, c’est parce que nous la mettons comme surface dans un espace
à trois dimensions.

281
Or, les propriétés inhérentes de cette surface sont telles qu’il n’est pas nécessaire du tout de la
mettre dans cette fonction de modèle, simplement quand nous l’imaginons, nous sommes
obligés de lui donner un certain volume. De même, nous dit Lacan :

« Tout ce qui peut être ici imagé de la signification fondamentale, du rapport microscopique-
macroscopique, n’a de sens que pour ce que les propriétés subjectives inhérentes à cette
topologie sont immergées dans l’espace de la représentation commune de ce qu’on appelle
communément l’intersubjectivité. » (6/1/1965)

La propriété de cette surface de Klein, c’est que la place de l’ouverture structurante, où les
bords sont couturés sans se fermer, cette place peut être occupée par n’importe quel point de
la surface, contrairement à un anneau ou un tore qui ne peut que tourner sur lui-même. Dans
la bouteille de Klein, c’est par simple glissement que se peut se produire n’importe où cet
anneau de manque qui lui donne sa structure et qui correspond, d’après Lacan, très
exactement à cet oubli du nom propre.

D’où il résulterait le glissement toujours possible de la localisation du nom propre, et


pareillement de son inscription comme sens (surface) ou signification (réserve cachée).

Si ce statut particulier du nom propre a été étudié par Lévi-Strauss, il n’a pu cependant, lui
donner d’autres caractéristiques que de faire rejoindre l’individu dans ce qu’il a de particulier
à l’intérieur d’un classement généralisant. Or, le nom rencontre aussi la fonction de donneur
de nom. Ce nom propre n’est pas seulement la réduction au niveau du particulier de cette
classification, idée aussi erronée que, en théorie mathématique, confondre un sous-ensemble
qui ne comprend qu’un objet avec l’objet lui-même.

Quant à Bertrand Russel, il prétend lui, que le nom propre est un démonstratif.

Il n’y a rien là de suffisant dans cette démonstration, car ce qui caractérise le nom propre,
c’est sa fonction d’irremplaçabilité, c’est pour cela qu’il peut manquer, il suggère le niveau du
manque, le niveau de trou par son oubli.

« Il est fait pour combler le trou, pour lui donner son obturation, une fausse apparence de
suture. » (6/1/1965)

Par exemple, à un moment donné dans l’oubli de Signorelli par Freud, un discours est passé
dehors, ce qui a pour résultat d’introduire une métaphore de substitution pour boucher ce trou
que le nom propre rebouche habituellement.

282
« Métaphore bien singulière car elle est à l’envers de celle dont je vous ai articulé la fonction
créatrice de sens. C’est une succession de sons purs qui viennent bizarrement. » (6/1/1965), et
s’accompagne d’une localisation spéciale de l’objet peint.

(on se rappellera l’objet métonymique qui court dans la chaîne (Cf. Séminaire V).

Ce trouble est lié à l’identification de Freud, à son ombre, à son double qu’il perd dans la vue
de ce tableau de Signorelli ; et ce qu’il perd, c’est, nous dit Lacan : « la place de son désir en
tant qu’elle est la vraie place de son identification au point de scotome, au point aveugle de
l’œil. » (6/1/1965)

Car, nous dit Lacan, en même temps qu’il oubliait ce nom, c’est une brillance particulière qui
s’imposait à lui comme le regardant dans le tableau.

« Le vrai tableau est regardant, c’est lui qui regarde celui qui tombe dans son champ, et le
peintre est celui qui fait tomber devant l’autre le regard. » (6/1/1965)

C’est : « L’opération de ce point d’émergence dans le monde, du surgissement par où ce qui


ne peut que se traduire par le manque, vient à l’être ». (6/1/1965)

Cette venue à l’être, commandée par le champ de l’Autre, est scandée d’une temporalité que
Lacan a articulé dans « son temps logique et l’assertion de certitude anticipée ».

Instant de voir, produit par la synchronie du discours, temps pour comprendre produit par
cette forme préhensible qu’est la bouteille de Klein, moment de conclure produit par ce qui
s’énonce au terme du parcours : « Je suis un homme », voilà trois scansions temporelles de
cette logique. Cette temporalité s’ajoute en tiers à la surface bidimensionnelle !

« Les coups de cernes, les tours, les retours, l’ambiguïté, l’aliénation, l’inconnue de la
demande, après ce temps pour comprendre, il est un moment, le seul décisif, le moment où se
prononce le « je suis un homme ».... Telle est la fonction de l’identification par quoi la
bouteille de Klein nous paraît la plus propice à désigner la fonction du sujet. » (13/1/1965)

Cette figure topologique est un support essentiel pour repérer les temps majeurs de
l’expérience qui nous ferait saisir, ce qui est sous la structure du langage, au sens où on dit
que le sujet glisse sous le signifiant, c’est-à-dire sous le passage du signifiant à un autre
signifiant.

« Le sujet ainsi défini comme ce qui du signifiant se représente à l’intérieur du système du


signifiant, c’est là ce que nous entendons par le sujet. » (13/1/1965)

Lacan tente de construire la structure du sujet sous la forme d’un nœud, d’un lien à soi-même,
de couture à soi-même, tel que l’exercice effectif du signifiant qu’on appellera la parole, sera
en quelque sorte le tracé de quelque chose sur cette surface, mais pas de n’importe quoi.

Il faut savoir que ce qui doit être tracé comme ligne, comme coupure, s’inscrit d’une manière
particulière sur cette surface. Ce qui doit se concevoir, c’est un retour sur cette bouteille, un
parcours qui en fait le tour sans se recouper. La demande est, sur cette bouteille, le
mouvement circulaire, parallèle, toujours répété et qui progresse vers le point de
l’identification.

283
Nous savons à quel point cette demande, quand elle s’engage au niveau du point de
retournement, se verra s’inversercxcviii[v] quand la demande vient s’engager dans les facettes
du point de retournement de la surface.

Cette circulation de la demande sur la bouteille de Klein introduit une orientation que la
fonction du langage exercerait donc sur la surface du sujet, puisque les parcours repérables le
sont en un point, quelconques, pour se retrouver comme inversés. Pour la première fois,
Lacan introduit la lévogyriecxcix[vi] ou la dextrogyrie, indépendamment des phénomènes de
miroir. Ce que la topologie conjoint de l’Inconscient, de la trace du discours, de la coupure,
du sujet comme étant le sujet de la parole déterminée par le langage, elle ne peut le faire qu’à
saisir un certain nombre de points nodaux qui sont ceux de l’Identification.

Lacan distingue alors ce que, dans La psychopathologie de la vie quotidienne, Freud avait mis
en évidence, les effets de signification et d’autres qui sont des effets de non-sens.

Ces effets de significations sont ceux qui témoignent de l’identification du sujet alors que les
effets de non-sens ont à être rapportés à ce qu’il y a de plus nodal dans la fonction du sens, là
où envers et endroit semblent erronément s’opposer. La topologie de la bouteille de Klein
nous permet de concevoir le trajet qui redresse cette prétendue aversion. De sa topologie,
Lacan parle ici comme de quelque chose de nécessaire, qui aide à suppléer, comme structure
du support de ce qui est rencontré dans l’expérience analytique, sans retomber dans les voies
de la psychologie la plus erronée.

Lacan égale, ici, ce support à la dimension du Réel, celle qu’il a déjà qualifiée d’impossible,
c’est-à-dire qui n’a aucun lieu d’être.

(Cf. séance du 20/1/1965)

Il y a lieu maintenant d’élever ce point de suture de la bouteille de Klein à sa dimension


logico-mathématique, en interrogeant, sur ces cercles particuliers sur la bouteille de Klein, le
moment de réflexion de la bouteille, là où le nom propre, par exemple, pourrait se rendre
homologue à la fonction du nombre, du nombre entier.

284
Ce qui rend ces deux champs homologues est cette découverte logico-mathématique que le
Un représente toujours la fonction du zéro et que, dans la succession des nombres, ce manque
circule sous cette succession. D’où il résulte :

« Que le manque est la raison dernière de la fonction du nombre entier. Le Un originellement


le représente, et la genèse de la dyade est distincte de la genèse platonicienne, en ceci que la
dyade est déjà dans le Un pour autant que le Un va représenter le zéro par un autre Un. »
(20/1/1965)

A la sphère infinie pascalienne, Lacan tente de substituer une sphère dont le centre n’est nulle
part et la surface partout, juste l’inverse de ce dont parlait Pascal. C’est le jeu de cette surface
qui commande la fonction du sujet dans son trajet composé d’enveloppement, de réversion.
Autour de ce point de réversion, se joue, dit Lacan, la fonction de l’Identification. C’est ce
qu’il trace sur la surface externe de la bouteille de Klein.

Lacan propose une structure différente de celle de la répétition des spires de la demande sur le
tore ordinaire qui est bien caractéristique de la structure du névrosé, et dont l’effet est de faire
le tour du bord du trou central. Sur la bouteille de Klein, il s’agirait, ( c’est difficile de le
préciser avec ce que Lacan nous présente d’explications dans le séminaire ), de franchir en
restant à la surface, une passe grâce à un nombre impair de demi-cercles pour reparaître de
l’autre côté torique de la bouteille dans une giration en sens contraire : qui ferait nœud !

La cure analytique, si on nous permet ce tour ironique, à défaut d’être « mise en boîte »
devient une sorte de « prendre de la bouteille ».

C’est, nous dit Lacan, grâce à cette présentation topologique que nous pouvons voir qu’il
s’agit là d’un nœud qui pourrait être réduit algébriquement et vectorialisé, mais qui serait plus
opaque pour la représentation. On retrouve toujours cette inversion subjective que nous avions
repérée dès le Séminaire III. Ceci expliquerait comment, dans la clinique analytique, nous
rencontrons la réversibilité essentielle de la demande, et qui nous ferait comprendre les leurres
de l’Identification. Quand dans son graphe, Lacan nous parlait du retour de la boucle vers le
lieu de la demande, par où se constituait la structure du fantasme et la structure du désir, on
peut se demander si effectivement, le même phénomène n’est pas interrogé, ici, à ceci près
que Lacan nous renseigne supplémentairement sur le phénomène d’inversion qui se produit
par ce retour de la demande sur elle-même. Le cercle, dont parle Lacan, se distingue du cercle
d’Euler, il ne définit pas deux champs équivalents à l’intérieur et à l’extérieur, il n’en définit
qu’un, et il ne peut pas se réduire à un seul point.

Le cercle de rebroussement, dans la bouteille de Klein, servira aussi à Lacan à inscrire les
propositions du syllogisme aristotélicien. Entre l’universelle affirmative et la particulière
affirmative, il y a précisément le passage par ce cercle de rebroussement. Cependant, il y a
une autre relation de l’être humain à l’être mortel, et c’est ce qui était en question à propos de
Socrate. Autrement dit, dans le syllogisme classique, quelque chose est escamoté, qui est la

285
fonction du sujet qui parle, à savoir qu’il est plus d’une façon d’être mortel, et que la
question était de savoir comment Socrate l’était, lui.

Il s’agirait donc d’inscrire sur les cercles de réversion, le Socrate qui est un homme qui, en
quelque sorte, recouperait la phrase «Tous les hommes sont mortels ». Il y a là intersection
des plans qui n’en sont pas puisque ce sont des trous par nature. Il y a ici identification qui
permet le syllogisme, et toute la question est de comprendre cette affaire.

« Qu’est-ce que veut dire cette identification qui permet ce pas du syllogisme, ce qu’elle veut
dire, vous le voyez amorcé dans la lettre dont j’ai marqué les trois états dans les cercles
diamétrés, la relation entre deux moitiés du cercle qui sont hétérogènes si l’une est
Identification et l’autre est demande, et inversement, la relation entre les deux, pour autant
qu’elle est leurrante, est précisément ce diamètre qui le soutient et n’existe nulle part, j’y ai
mis la lettre T parce que nous retrouverons la fonction du transfert en tant qu’il est lié à l’autre
trompé ou l’autre trompeur. » (20/1/1965)

Il s’agit de lier identification-transfert-demande avec l’indétermination comme sujet de


l’Inconscient, la certitude comme constituant le sujet dans l’expérience et, dans la visée de
l’analyse ; le troisième terme étant celui de la tromperie, voie de l’appel à l’identification.

Il y aurait nœud entre ces termes et ils se conjoignent dans le champ où se joue la partie
concernant le désir qui est la boucle intérieur à la poignée torique. Ce désir déterminerait dans
la réalité, la catégorie de l’impossible qu’il serait possible de franchir dans la psychanalyse :
tel est le problème crucial pour elle, nous dit Lacan.

b. La suture propre à ce nouvel espace. « Que nul n’entre ici s’il n’est topologiste » (3-2-
65)

L’objectif avoué est de proposer une topologie essentielle à la praxis analytique, c’est pour
cela que Lacan utilisera présentement la bouteille de Klein. Si la bouteille de Klein répond
pour l’instant à son vœu, il remarque quand même que c’est au prix d’un plongement dans
l’espace auquel pourtant la surface de la bouteille de Klein n’appartient pas.

Il y a, dit Lacan, un rapport analogique entre ce que la surface fait représenter pour nous et
l’espace où elle fonctionne, l’espace où elle fonctionne étant précisément l’espace de l’Autre
en tant que lieu de la parole.

286
Mais, « Ce n’est pas aujourd’hui que j’essayerai de poursuivre cette analogie d’un champ à
trois dimensions, et ce que je vais appeler l’espace de l’Autre, le lieu de l’Autre qui n’est pas
sans certaine analogie avec les dimensions cartésiennes ». (3/2/1965)

Pourtant, ceci ne l’empêche pas d’en commenter la nécessité.

Évidemment, cette immersion dans l’espace d’une surface n’est pas sans rappeler déjà ce qui
se trouvait projeté dans l’espace sous la forme de l’image réelle dans le schéma du miroir
sphérique.

Mais, Lacan fait une distinction topologique d’avec cette image des fleurs. Il parle maintenant
d’une référence plus près du Réel encore, qui est une référence topologique où il distinguerait
l’image du corps i (a) de ce qui, dans l’expérience, est non-spéculaire : c’est l’objet a.

Comment, quelque chose de non-spécularisable peut centrer tout l’effort de spécularisation ?


Là, réside toute la question de l’identification ! Et qui se distinguerait de l’identification du
Moi.

Avec la bouteille de Klein, Lacan essaie de nous donner une topologie qui, concernant le
désir, introduit ce nouveau rapport à l’identification, celui que détermine l’objet a.

« Si l’inconscient est ce qu’il est: cette ouverture qui parle, le désir est pour nous à formuler
quelque part dans la coupure caractéristique de la scansion de ce langage, et c’est ce qu’essaie
d’exprimer notre référence topologique. J’avance la formule suivante avant de la commenter,
nous pourrions dire que le désir est la coupure par quoi se révèle une surface acosmique. »
(3/2/1965)

La bouteille de Klein par sa coupure permet de distinguer deux sortes de surface, l’une est
cosmique par la réduction de la bouteille à un cylindre, l’autre pas. En effet, pour aller d’un
point a à un point b, ces deux points étant présentés sur le cercle de rebroussement, on peut
découper la surface d’une certaine façon qui produit deux bandes de Moebius, deux surfaces
non orientables comme la bouteille. On peut aussi couper autrement, mais on transforme la
bouteille en cylindre, c’est-à-dire quelque chose d’orientable qui a un endroit et un envers. Il y
a donc : « une bonne coupure, celle qui révèle la surface, une surface non-orientable et une
nouvelle qui l’escamote, qui la réduit à une surface plus banale, plus accessible à l’intuition ».
(3/2/1965)

« Serait-ce donc là la fonction de ce fameux désir de l’analyste dans cette surface acosmique
d’être celui qui sait tailler quelques figures... Il y a quelque chose dans l’analyse qui fait écho

287
à la philosophie des habits... Tout est dans le champ, dans l’analyse, dans l’efficace de la
bonne coupure mais aussi à considérer la façon dont cette coupure est faite, elle permet aux
vêtements de se retourner d’une autre façon. » (3/2/1965)

Lacan nous fournit un exemple précieux de ce type nouveau d’identification du désir. On y


voit comment des identifications provisoires et successives viennent, autour du transfert,
prendre place, viennent jouer autour de i de a et se rassembler, mais l’analyse nous a appris à
faire jouer une autre fonction qui est l’objet a, et qui est présent aussi bien dans la psychose,
la névrose, que la perversion sans que cela soit pareil.

Cet exemple est précieux parce que Lacan nous montre comment un retournement peut se
faire dans l’identification fondamentale du patient, retournement qui fait que, dans un cas
clinique évoqué, un analyste a pu penser pendant dix ans que le patient avait un père qui
n’était pas à la hauteur alors que ce qui se retourne maintenant est cette idée qu’après tout, il
pourrait avoir grand besoin de ce père non-satisfaisant. Or, ce que Lacan veut montrer ici,
c’est que c’est pas tellement du besoin d’insatisfaction dont il s’agit que du désir, car le désir
de l’Autre dans ce champ radical où le désir du sujet lui est irréductiblement accolé dans une
torsion que présente la bouteille, exige la présence de la loi, et la loi est supportée par quelque
chose qui s’appelle le Nom-du-Père. Désir et loi sont les noms de cette torsion.

Or, c’est sur ce registre que Lacan a été empêcher de faire un enseignement. Il nous dit en
clair que : « dans le transfert, il s’agit toujours de suppléer par quelqu’identification à ce
problème fondamental, la liaison du désir avec le désir de l’Autre; l’Autre n’est pas désiré
puisque c’est le désir de l’Autre qui est déterminant, c’est en tant que l’Autre est désirant. »
(3/2/1965) ... et que sa figure en est la loi ! Ce désir de l’Autre habite à l’intérieur de l’objet a
comme manque à désirer, et toute la question est de savoir comment, au cœur de la tromperie,
ouvrir cet objet pour en faire sortir ce désir ?

Le désir de l’Autre, c’est aussi exactement ce que Lacan appelle la ré-émergence de la


fonction de la demande dans la cure, car la demande est toujours demande à l’Autre, à son
désir. Dans l’exemple clinique cité, l’analyste avait rabaissé la demande au besoin oral.

Sans doute la nécessité de cette topologie se justifie-t-elle, mais le problème est moins ici d’en
présenter la forme ou la structure, que d’en montrer l’insertion dans l’espace qui est le nôtre.
Auprès de quelle suture cet espace peut-il s’intuitionner ?

(Ainsi la suture d’un cylindre produit-elle un tore !)

Il faut concevoir la suture d’une surface qui réponde à la clinique psychanalytique, de telle
sorte que la coupure de cette surface puisse signifier le désir à l’œuvre.

Pour ce faire, Lacan va donc reprendre la clinique qu’il a bâtie il y a huit années dans son
séminaire sur la relation d’objet.

288
Agent

Sujet

Objet

R (père)

S (mère)

I (père)

Privation

Frustration

Castration

289
Il s’agit du vieux schéma castration-frustration-privation qui va s’articuler au travers de
l’identification à cette bouteille de Klein. Le point de départ est un rappel : le sujet s’égale à
ce qui, dans la pensée mathématique, est attenant au concept du manque, à savoir le nombre
zéro. Alors que dans la théorie analytique, ce sujet est ce qui apparaît et disparaît dans la
pulsation de l’Inconscient comme effet du signifiant. Donc, il s’égale en quelque sorte à
l’Inconscient. On saisit immédiatement le parallélisme.

Effectivement, ce nombre zéro a été présenté par Frege comme toujours s’évanouissant dans
sa répétition pour venir s’ajouter, au fur et à mesure, où la suite des nombres progresse de
façon sérielle vers l’infini. Il en résulte que le sujet se manifeste comme Un en s’originant
dans cette privation qui s’égale au manque symbolisé par zéro, ce qui permettait à Leibniz de
dire que : « l’identité n’est rien d’autre que ce sans quoi ne saurait être la Vérité ».

Pourtant antérieure à ce statut de la Vérité, la question de l’identification se réfère justement à


ce que Lacan utilise du nombre zéro, plus radical que tout ce à quoi le sujet puisse s’identifier,
avant même en quelque sorte qu’il n’ait à se repérer comme parlant. Autrement dit, il y a sujet
bien avant que nous ne nous énoncions comme «je» qui parle. (Cf. « Moi la Vérité, je
parle »).

Avec la privation, c’est au sujet sans parole que nous avons à faire.

Le plus étonnant est que cette identification, qui nécessite pour le sujet ce marquage du
manque, semble s’originer chez Freud d’une identification primordiale et exquise au père par
le petit garçon. Elle s’appuie sur le phénomène de l’incorporation.

L’incorporation, c’est une affaire de corps qui est bien différente de l’introjection cc[vii]
puisqu’il semble bien qu’il s’agit là de la nature foncière du corps, en tant que ce qu’il
introduit et restaure, c’est la libido.

Cette incorporation, Lacan l’égale à l’incorporation de ce qui, dans le corps, est insaisissable
sous sa forme immortelle d’un instinct de vie qui n’est rien d’autre que la transmission de
cette libido immortelle, ce que nous appelons le phénomène de croissance si décisif chez les
adolescentscci[viii] et particulièrement chez les adolescents schizoïdes.

Ainsi donc, cette première forme d’identification incarnerait la figure de la privation, celle
qu’en logique, on appelle le lieu zéro.

La seconde forme d’identification instaurant, elle, la dialectique de la demande, donnerait


figure à la frustration, dans l’identification à l’objet d’amour.

A ce niveau, s’alternent l’être et l’avoir, le sujet venant à l’être, d’être sujet au manque d’objet
(n’avoir pas) dans son choix.

290
« Opacité, qui ne nous étonne guère puisque nous nous sommes habitués à voir cette fonction
du sujet s’opérer dans un constant renversement » (3/2/1965), opacité que Lacan voudrait
lever par sa théorie des identifications subjectives.

Troisième terme alors, identification directe du désir au désir.

L’intérêt de ce détour est de montrer que la castration, dans le vécu terminal d’une analyse de
névrosé ou d’une analyse féminine, est à référer à tout autre chose qu’à la simple et double
relation du transfert et de la demande. Il faut en repasser par la position initiale de la privation
qui est celle qui, en propre, fait l’unité du sujet à partir du zéro de la numération. Ce sujet qui
s’instaure comme zéro introduit la bipolarité, l’ambivalence au niveau de sa demande entre
l’objet qu’il peut avoir pour se remplir et l’objet qu’il peut être.

L’expérience analytique montre que le sujet se détermine entre ce zéro et l’Un, et que l’Un ne
peut pas réduire à l’autre sans qu’il y ait un reste. Autrement dit qu’aucun complément de la
demande au niveau de l’avoir ni de l’être ne le réduit, c’est en ce sens que l’Un, ici, ne s’égale
pas simplement à un signe.

C’est pourquoi, Lacan présentifie ces choses dans l’espace topologique à l’aide de la coupure.
Car, il y a là une véritable priorité spécifique du nombre qui est sensible en ceci que certaines
coupures provoquent du deux alors que d’autres multiples, sans que la forme disparaisse,
laissent un reste d’un seul tenant. Ainsi une coupure sur la bouteille de Klein qui donne
l’impression d’être deux parce qu’elle passe deux fois par le même point.

Mais aucune trace ne nous est laissée de cette coupure dans le séminaire !

Exemple du cross-cap :

Une coupure peut diviser la bouteille de Klein non pas en deux, mais en un seul
développement moebien. Une manipulation supplémentaire nous montrerait qu’un résidu
subsiste, à quoi Lacan donne le nom d’objet a, au-delà de la demande, au-delà du transfert. Il
n’y apparaît donc pas simplement du zéro, l’expérience subjective fait apparaître quelque
chose qui infléchit toute l’économie libidinale par rapport à cet objet. Lacan reprend alors son
schéma à double entrée et complète son synopsis de ce qui serait l’agent, au niveau de la
castration, et qui est la dimension de l’Autre à l’endroit de la parole comme telle, posant la
question du statut de la vérité (dans son Séminaire IV, il y avait placé la figure du père

291
imaginaire). Ailleurs, Lacan avait proposé que l’incorporation primordiale soit incorporation
de la voix du père ! (Cf. Séminaire L’angoisse).

Antérieur à la parole, il y a le lieu de la privation qui désigne le zéro mathématicien.


L’émergence de la Vérité qui accompagne le dire sera l’affaire des rapports entre la demande
et la frustration.

C’est pourquoi, il s’agit de savoir le rapport qui peut exister entre ce langage et cette
mathématique, et si présenter le sujet dans son rapport au zéro et le présenter dans son rapport
au langage, c’est une seule et même chose ?

Il semble bien, en tout cas, du fait des discours qui accompagnent les démonstrations, que la
dimension mathématique touche à cette fonction du langage par l’exigence du fait que tout
doit être en dit de cette opération jusqu’au point où plus aucune contradiction ne subsiste.

D’autre part, on sait aussi qu’existe cette chose tout à fait étonnante qu’on ne peut pas se
passer de la parole pour expliquer ces opérations. (On notera, ici, la différence avec la
psychanalyse où le tout à dire, une fois dit, ne se réduit pas à un théorème valable pour tous,
mais à un tout à dire à nouveau pour chacun dans son expérience).

Aussi, le travail analytique ne s’égale pas à un tout-dire une fois pour toute, mais bien à cet
intervalle que la mathématique a repéré entre le zéro et le Un. Entre le zéro et le Un, subsiste
donc un indénombrable qui, d’une certaine façon, empêche le tout-dire. Le dire qui
accompagne toujours l’exposition d’une mathématique, serait à référer à cette distance entre
zéro et le unccii[ix], où gît vacillante, l’instance du sujet.

Le zéro et ce Un doivent ensuite se figurer de la nouvelle topologie introduite. C’est pourquoi,


Lacan se pose la question de savoir le rapport qui existe entre ce sujet de la coupure et cette
espèce de référence mathématique à la limite de l’image : telles sont la bouteille de Klein et la
bande de Moebius.

Il réintroduit la dimension particulière qui lui permet de justifier cette comparaison et qui est
l’orientation. En somme, il justifie quelque chose qu’il compare à quelque chose d’autre, non
par ce qu’il y a de comparable entre eux, à savoir, la coupure, mais par ceci que la coupure se
présente sur la bande de Moebius comme ayant des conséquences tout à fait particulières que
Lacan va répercuter sur la fonction du sujet. C’est ainsi, qu’une certaine découpe de la bande
de Moebius produirait une distinction entre une bande centrale non-orientable (moebienne
encore) et une bande deux fois roulée sur elle-même qui, elle, est orientable où il n’arrivera
jamais à l’être qui subsiste, de voir son orientation renversée.

On peut montrer le caractère palindromique de la non-orientabilité de la bande de Moebius


telle que Lacan la présente ici : il suffit d’inscrire sur sa largeur, une suite ordonnée de lettres
et d’un point de lecture de départ, accomplir un tour de bande ; on repèrera que, au point de
retour, la lecture se fera en sens inverse.

292
« Que ce qui fait son essence, sa non-orientabilité, ne gît nulle part si ce n’est en cette coupure
centrale qui fait, à la couper, la rendre une surface orientable. Sa propriété n’est point ailleurs
que dans la coupure.» (10/3/1945)

La non-orientabilité de la bande réside dans sa coupure centrale qui la rend orientable.

« Le sujet, comme la bande de Moebius, est ce qui disparaît dans la coupure, c’est-à-dire la
non-orientabilité. C’est la fonction de la coupure dans le langage, cette ombre de privation,
qui fait qu’il est dans l’aliénation que représente la coupure, qu’il est dans cette forme de trait
négatif qui s’appelle la coupure. » (10/3/1965)

Ainsi donc, revoici la privation à sa place; la privation, c’est la coupure dans la bande de
Moebius, c’est le zéro du sujet qui, du fait de cette coupure, disparaît mais rend la bande
orientable. Seulement, ces démonstrations de coupures laissent à chaque fois la surface
s’expliquer avec son inverse, son reste parfois.

Une figure particulière est donc la bouteille de Klein qui est la conjonction de deux bandes de
Moebius. Elle nous intéresse en ceci que :

« L’introduction de cette forme de la bouteille est destinée à supporter à l’état de question ce


qu’il en est de cette conjonction du qui doit être le sujet, au A, à l’intérieur de laquelle
question va pouvoir se situer la dialectique de la demande. » (10/3/1965)

Il s’agit bien du grand A comme support du et non du petit a dont il est question, au point
que nous pourrions dire que la double bande moebienne de Klein recèlerait une intimité
analysable du a (comme surface de fermeture) et du A comme lieu de l’inversion du support
du sujet.

293
A est l’image inversée qui nous sert de support pour la fonction du sujet dans le lieu de
l’Autre ; dans la bouteille de Klein, les deux bandes sont orientées différemment, l’une est
lévogyre, l’autre est dextrogyre : on ne peut peut-être pas dire qu’elles sont orientées, elles
sont différentes, les torsions sont différentes. Il y a là une inversion plus radicale que celle de
la relation spéculaire. L’intérêt, c’est de voir qu’effectivement une bande moebienne joue un
rôle de fermeture par rapport à l’autre, ainsi que nous l’avions déjà vu d’une autre figure, le
cross-cap, la forme du huit intérieur avait cette même fonction.

On se souvient que le huit intérieur découpé dans le cross-cap s’égalait à l’objet petit a. On
peut donc se poser la question de savoir si, dans cette topologie de la bouteille de Klein, une
bande de Moebius peut avoir cette même fonction précise : rapport de l’objet a au A. Cet
objet a dans la théorie analytique est réduit à un rapport biologique, le sein, les fèces, la
fonction du phallus. Aussi, la question demeure maintenant d’essayer de transposer cette
surface de fermeture à la fonction biologique de l’objet a, tel qu’il est repéré dans la
dimension analytique, dans ce rapport à l’Autre sous la figure de la demande.

La figure dédoublée de la bouteille de Klein par les deux bandes de Moebius illustre la notion
topologique discutée par Lacan en ce point: celui d’auto-traversée.

Autrement dit, par la demande qui est le lieu du manque, le lieu de la douleur, le lieu de
l’objet a, la parole glissant, s’enfilant au long de cette demande, découpe précisément ce lieu
du sujet et ce lieu de l’objet dans le champ de l’Autre ; c’est en ce sens que la théorie
analytique se différencie des théories de la communication.

294
L’impasse freudienne du principe de plaisir traversé par le champ du déplaisir, trouve ici une
présentation sous la forme de cette bande de Moebius forcément traversée en son intérieur par
un autre champ résiduel que nous pouvons imager du bonnet croisé : « où nous pouvons créer
la division d’une bande de Moebius et ce champ interne de l’objet dont je fais l’usage logique,
champ exclu du sujet : champ du déplaisir qui traverse l’intérieur du champ du plaisir. Penser
le plaisir comme nécessairement traversé de déplaisir et y distinguer ce qui sépare le pur et
simple déplaisir, c’est-à-dire le désir. » (10/3/1965)

Ce champ du déplaisir qui traverse l’intérieur du champ du plaisir, c’est l’objet a, le sujet
étant réduit, lui, à la bande, c’est-à-dire à ce qui résulte de l’extraction de cet objet a du cross-
cap.

« La douleur avec ce pouvoir d’investissement que Freud distingue avec tellement de subtilité
et pour laquelle l’intérieur − la surface que nous avons appelée petit a − à savoir la pulsion,
c’est dans la mesure où cette surface est capable de se traverser elle-même dans le
prolongement de cette intersection, c’est ici que nous sentirons ce qu’a de narcissique la
fonction de la douleur. » (10/3/1965)

Ceci veut dire que c’est du Bien, du Beau qu’on fait naître par découpe ce qui est le Mal, ce
qui est la Laideur. Autrement dit, c’est l’introduction du langage qui fait surgir la traversée du
Mal dans le champ du Bien, la traversée du Laid dans le champ du Beau.cciii[x]

En résumé, nous devons pour cette topologie concevoir un rapport à l’Autre qui respecte cette
particulière structure qu’incarne la bouteille de Klein. Entre le sujet et l’Autre, les objets a
s’interposent comme ce qui, à partir du corps, est apte à réaliser l’étrange cicatrice entre
l’unilatéralité et son Autre. Tel est le sens à donner à la suture, de fermer une surface pour
l’Autre dans lequel elle est immergée.

Lacan nous donne, ici, l’exemple du tableau d’Edward Munch : «Le Cri» où les limites de
l’Autre se révèlent à notre sensibilité grâce à un de ces objets.

Le statut de ces objets, c’est d’être des joints qu’il s’agit de découper entre le sujet et l’Autre.
Comparables à l’interjection qui est ce qui impose à l’interlocuteur cette référence commune
au tiers qui est l’Autre ! Elle vient frapper le sujet au joint de son rapport à cet Autre. En fait,
la vraie question est de savoir :

« Quel est le statut, quelles sont les limites de ce champ du grand Autre auquel nous avons été
amenés au niveau de l’expérience qui est celle du champ d’artifices assuré à la parole dans la
psychanalyse ? » (17/3/1965)

Par opposition à ce que serait l’effet de la suggestion qui, jouant sur le désir inconnu du sujet,
répercute cet intérêt dans un téléguidage autour d’un point brillant qui est équivoque avec
l’objet a.

Ces limites du champ de l’Autre semblent bien avoir à faire avec le silence, avec ce qui dans
la reproduction de Munch se présente sous une forme que Lacan commente :

« Le cri est traversé par l’espace du silence sans qu’il l’habite, ils ne sont liés ni d’être
ensemble, ni de se succéder, le cri fait le gouffre où le silence se rue. » (17/3/1965)

295
Car, le cri est un avant du langage sans phrase modulante, sous coupure, il crée le lieu du
silence pour la parole langagière ultérieure.

« C’est le lieu même où apparaît le tissu sur quoi se déroule le message du sujet, c’est là où le
rien d’imprimé laisse apparaître ce qu’il en est de cette parole et ce qu’il en est, c’est son
équivalence avec une certaine fonction de l’objet a. » (17/3/1965)

Car, dans ce silence, le sujet entre et de par ce fait, il détermine la présence, dans le jeu de la
parole, de la pulsion.

Lacan présente ce silence comme un lien, un nœud, formé entre quelque chose qui n’est qu’un
instant et quelque chose qui est parlant ou pas, l’Autre : « c’est ce nœud clos qui peut retentir
quand le traverse et même le creuse, le cri ». (17/3/1965)

« Quelque part dans Freud, il y a la perception du caractère primordial de ce trou du cri, c’est
à ce niveau qu’il l’articule et qu’apparaît le Nebenmenschcciv[xi], il est ce creux
infranchissable, marqué à l’intérieur de nous-même, et nous ne pouvons qu’à peine en
approcher. Ce silence, c’est peut-être le modèle ainsi dessiné et, vous l’avez senti par moi,
confondu avec cette espace enclos par la surface et dont elle-même est par elle-même
inexplorable, qui fait la structure originale que j’essaie de vous figurer au niveau de la
bouteille de Klein. » (17/3/1965)

Autrement dit, le creux enclos par les surfaces topologiques vient présentifier ce silence sous
la forme d’un nœud. Sur cette surface, la parole, la demande, permet dans un premier temps
de diviser la bouteille en deux champs, chaque champ ayant le caractère d’une surface de
Moebius qui nous figure le côté fermé sur lui-même, le côté à une seule surface, le côté qui
dans le signifiant donne la prévalence à l’effet de sens. Mais dans la demande, apparaîtrait
aussi quelque chose d’inattendu, qui relève d’une autre structure et qui est une sorte de résidu,
une sorte de reste qui apparaîtra comme cause d’une reprise par le sujet qui s’appelle
fantasme, et organise la structure du désir pour lui donner ce caractère de condition absolue.

Lacan parle, ici, de bande de Moebius périphérique qu’il faudra essayer de repérer, il n’est pas
possible de savoir si c’est quelque chose qui se détache de la bouteille de Klein ou du cross-
cap. Toujours est-il que dans le transfert, dans sa tromperie, c’est cet objet, autour duquel
tourne la demande, qui est visé.

Revenant sur la première partie de son année 64-65, Lacan reprend la fonction de nomination
qui incarne bien ce moment de suture entre une première surface unilatère et une seconde à
elle suturée, ainsi que l’exemplarise la bouteille de Klein.

296
Lacan indique que la fonction de la nomination occupe une place spéciale dans la dimension
du discours car, elle vient mettre en évidence ces notions de lecton, c’est-à-dire de choses
abstraites, qu’on tient, qu’on rassemble dans la pensée par rapport à la rhésis qui en est le
discours, discours du nom, onoma. Toute cette séance va être consacrée précisément à cerner
la fonction du nom, le nom convient-il à la chose ? Y a-t-il un lien plus qu’abstrait entre le
nom et la chose qui est déterminé ? L’essentiel dans la fonction de nomination est la coupure,
comment sont découpés les mots pour être reconstruits, pour être en quelque sorte suturés. Et
voilà le terme majeur qui est lancé, terme que nous allons retrouver et qui probablement a été
introduit par Miller lors du séminaire du 24/2/1965 ou d’un suivant. Le nom propre
effectivement comporte une ambiguïté qui nous démontre de la façon la plus propre ce qu’est
la fonction du nom, et cette caractéristique essentielle est d’être un collage, un collage qui
laisserait voilé quelque chose d’essentiel dans le nom qui est donné à l’individu, là où :
« l’ordre de la rhésis échapperait non pas devant une trop grande particularité, mais devant
une déchirure, un manque, un trou du sujet et justement pour le suturer, le masquer, le
coller. »7 (17/3/1965)

A cette occasion, il me semble qu’ici, Lacan met la pression sur ce qui est l’opération de
rebroussement et à quoi la suture, préfigurant la coupure et l’épissure ultérieures (Cf. La
Topologie des Nœuds), permettrait de donner corps, c’est-à-dire à l’inversion, à l’involution
proprement subjective. Par exemple, comment un signifiant fait-il apparaître un signifié non
encore apparu ? Comment la signification, autrement dit, évolue-t-elle ?

Voilà ce qui nous permettrait de sentir ce que le nom comme tel suture, à savoir cette
inversion probablement de la fonction du signifiant et du signifié. Lacan parle, à propos de la
bouteille de Klein et de l’exemple de Serge Leclaire, le Poordjeli, de quelque chose qui serait
comment le patron de la couturière, une petite lettre qui montre ce qui doit être cousu sous la
forme d’une suture qui différencierait le psychotique, le névrosé, le pervers.ccv[xii]

Il y aurait ainsi des sutures dans chaque histoire subjective en un point exquis, cicatriciel,
telles qu’on peut les repérer chez les obsessionnels ; en d’autres termes, il y aurait là un secret
de la fonction signifiante qui laisse un écart dans le nom et que la suture représente. (Cf.
Oedipe, Oidipous)

Lacan parle d’un tissu, d’une surface qui est celle où il essaie de « nous dessiner la topologie
du signifiant. Si je lui donne cette année une forme de l’histoire de la pensée mathématique,
donc logique, cette forme nouvelle et dont ce n’est pas par hasard qu’elle soit venue si tard,
(Platon ne l’avait pas) et pourtant si simple, cette forme redoublée de la bouteille de Klein :
qu’elle est l’énigme ? Je crois qu’elle existe. »ccvi[xiii] (7/4/1965)

C’est ici que nous trouvons la figure de la torsion et de l’involution où résiderait, dit Lacan,
l’origine élidée de la fonction du corps comme tel, et ce serait cette torsion de l’espace de la
physique que Lacan comparerait à celle de sa topologie du signifiant. Il est possible de lire,
ici, le point de suture où se structure la fonction d’un désir, soit l’irruption du désir de l’Autre
dans la relation du sujet à la chaîne signifiante.

Nous rapporterons cette suture au point de capiton de la topologie du graphe et, par voie de
conséquence, à la fonction du Nom-du-Père. Seulement, soyons bien attentifs à ceci : que
cette suture est paradoxale en ses bords, issue d’un recroisement.

C. Le savoir

297
Il en résulte que le savoir qui peut se dégager de la cure est lui aussi frappé de recroisement.
Dans la lisibilité du texte scientifique, réside ainsi un lieu de manque, de béance, à ce point
précis de suture paradoxale. Dans cette béance, glisse le désir, singularité de la rhésis qui se
détache de l’opposition général-particulier bien propre à la lexis. Il prend ici la forme du désir
de l’Autre.

Pour le montrer, Lacan va se servir d’une petite histoire qui est le rendez-vous amoureux
qu’une dame donne à son amant. A l’aide d’une indication utilisant des pots de fleurs et un
rideau tiré ou pas tiré, il est possible pour l’amant de savoir quand la dame est seule. Avons-
nous là, se demande Lacan, l’introduction d’un langage ? Pouvons-nous y voir la définition du
signifiant et celle du sujet-supposé-savoir ?

Entre les signifiants élémentaires qui représentent le sujet, un élément supplémentaire doit
être interpellé pour que nous ayons à faire ici à quelque chose qui soit précisément un
langage.

Ce qui vient se glisser, c’est le désir de l’Autre. Ce qui revient à dire que dans la codification
successive, qui n’est pas sans rappeler celle de « La Lettre Volée », vient se glisser quelque
chose d’ambigu :

« Que veut dire être seul pour un rendez-vous amoureux ? » ccvii[xiv]

Un mouvement se crée dans deux sens, on est seul pour quelqu’un et pour que ce quelqu’un y
vienne : « Le mouvement se crée dans les deux sens. La direction indique la ligne où
s’articule ce couple signifiant d’une part, le rendez-vous pour la rencontre et, d’autre part, le
désir qui le sous-tend, qui surgit de la formulation elle-même. »

Il y a une articulation à faire, ici, entre le lekton et le tunkhanon. Autrement dit, dans le
« seule à cinq heures », quelque chose émerge qui précisément relève de la fonction
subjective, qui n’a aucun répondant réel, mais au contraire, qui évoque le manque à partir de
la lecture des éléments d’une petite combinatoire.

Le sujet représenté par la chaîne signifiante est quelque chose qui ne peut en aucun cas se
comparer à quelqu’un pour un rapport du type « la clé pour la serrure », sinon à penser que
d’une clé à une serrure, il y a à interroger l’énigme du chiffre de la serrure et de la clé qui vont
lui permettre de fonctionner, à savoir qu’il n’y a qu’un seul chiffre pour opérer, cette
opération supposant justement le sujet qui opère.

Ce chiffre unique représente donc le Un du sujet que Lacan écrit Un/a, d’où se pose
évidemment la question du statut du savoir, déjà entrevu dans la lecture des rêves de Freud
sous la forme du « il ne savais pas (qu’il était mort) », et qui peut s’articuler à la structure du
symptôme, figure du non-savoir !

On pourrait reprendre effectivement les cinq psychanalyses freudiennes pour y voir


fonctionner ce sujet et mesurer ses efforts de se signifier par un signifiant pour un autre
signifiant, (exemple : l’homme aux rats qui maigrit pour ne point être le Dick qui aime sa
bien-aimée). La catégorie du savoir qui en résulte, est aussi celle qui va nous permettre de
distinguer la fonction du symptôme, car : « Il y a toujours dans le symptôme l’indication qu’il
est question de savoir. » (5/5/1965)

298
Ainsi en est-il pour le paranoïaque, mais de façon décentrée. Précisément, il sait que quelque
part, on sait ce que veulent dire les signes que lui ne connaît pas. Trois variétés de lecture de
ce savoir sont donc possibles : dans la psychose, du côté du lekton, dans la névrose, du côté du
tunkhanon, et dans la perversion même, du côté du désir. Le psychotique sait qu’il y a un
signifié sans en être sûr, le névrosé s’interroge sur le chiffre de la rencontre, le pervers, lui,
prétend en posséder le secret. Nous avons trois formes ici des rapports du sujet à la jouissance
autour d’un certain non-savoir.

Le savoir dont parle Lacan, c’est celui qui surgirait du fait que serait enfin reconnu que la ruse
est dans la raison et que le désir, lui, est déterminé par le jeu du signifiant, autrement dit, qu’il
surgit de la marque du signifiant sur l’être vivant, laquelle marque doit nécessairement être
l’effet d’une autotomie, et c’est ce qu’on constate dans la démarche topologique puisqu’au
fond, c’est la marque sur une mise à plat qui fait surgir, et l’interrogation, et le désir de savoir.

Donc, le savoir n’est pas du tout présentifié dans le Réel, il faut tenir compte des chances de
la rencontre. Il n’y a pas seulement le savoir-supposé du paranoïaque, il y a aussi les aléas de
la rencontre névrosée et, pourquoi pas aussi, cette autre dimension déjà évoquée par Lacan à
propos du signifiant : quelque chose gît nécessairement sous une forme cachée dans
l’articulation signifiante. Preuve que c’est du Réel et de son statut qu’il s’agit dans l’opération
analytique.

Ce savoir est l’affaire du psychanalyste. Reste encore à « savoir » d’où il surgit, quel manque
le cause.

L’analyste, en effet, semble occuper une place fétiche au regard de la position du savoir, en
détiendrait-il le secret ? Il n’en est rien.

La fonction-fétiche de l’analyste s’explique de ce que le sujet précisément ne peut exister que


dans son rapport au savoir, et encore bien dans son rapport au savoir en tant qu’il lui manque
quelque chose, qu’il lui manque un signifiant, au cœur même de ce savoir !

A l’analyse aussi donc, revient en partage une ignoranceccviii[xv] nécessaire qui fait le savoir
inclôturable.

La présence de ce signifiant du manque dans le savoir est ce qu’une alternance pourrait nous
présentifier, telle celle des quatre termes de la syntaxe introduite dans « La Lettre volée » de
Poe : alpha, bêta, gamma, delta. Ils font circuit d’un vide. A ce point de manque dans le
savoir, répond l’Inconscient; il est nécessaire autrement dit que le sujet se désigne de ne pas
savoir, qu’il se prive d’un rapport particulier au signifiant dans ce savoir.

Lacan profite aussi de l’occasion pour rappeler que la notion moderne de sujet n’a pu surgir
qu’au niveau d’un Frege dans sa théorie des nombres, car c’est seulement là que nous
pouvons voir à quel point la conception du singulier est essentiellement conception du
manque.

Il en résulte la nécessité d’articuler ou de tenter d’articuler ce qui fait que le sujet de


l’Inconscient comme savoir, est lié pour la psychanalyse, à la question du sexuel, (ce qui
n’était pas le cas, par exemple, chez les grecs où aucun mot n’existait pour désigner le sexe).
Mais où par contre existait l’Aidôs, la pudeur que Lacan détourne de son utilisation grecque

299
pour la faire servir à sa théorie, celle qui veut que le Savoir soit la garde de la forteresse
sexuelle, garde devant la pudeur qui incarne la réalité du sexe, irréductible à tout savoir.

Or précisément, il semble bien en psychanalyse, que nous n’ayons, de cette fonction sexuelle,
rien qui puisse s’élaborer autrement que sous la forme de quelque chose qui manquerait, à ce
propos dans le savoir. Tout au plus avons-nous le savoir comme tel du fantasme qui est
l’endroit où s’institue le rapport le plus étroit du sujet de l’Inconscient avec le sexuel.

Sujet - Savoir - Inconscient

Après que Lacan ait introduit la question des surfaces et de la coupure en topologie, pourquoi
maintenant introduire autour de la question du manque, la dimension du savoir et la lier à
celle du sexuel ? Y a-t-il là plus qu’une simple concommittance ? Évidemment, il y a cette
similitude qui fait que dans la méiose, la moitié des chromosomes se libérant ou étant rejetés,
une comparaison pourrait être tentée avec ce reste que nous rencontrons dans le champ
psychanalytique, mais est-ce là plus qu’une similitude ?

Pour répondre à cette interrogation, on va voir Lacan réintroduire une ancienne triade qu’il
tente de topologiser : Sujet, Savoir, Inconscient. Ces trois termes doivent être traités à la
manière dont au jeu de l’Amour (Amora) ciseaux, pierre, papier se gagnent en rond: pierre
brisant ciseau, papier enveloppant pierre, et ciseau coupant papier : quelque chose se noue
entre les trois. (Déjà du borroméen sans le savoir !)

- L’inconscient est un savoir où le sujet reste indéterminé dans l’inconscient (« qui


sait » ?).

- Le sexe est une autre forme de butée où il y a un impossible à savoir.

- Le sujet, lui, s’indétermine dans ce savoir qui s’arrête devant le sexe, lequel confère
au sujet une nouvelle certitude de prendre son gîte dans le pur défaut du sexe.

Lacan parle ici d’un rapport de dominance tournant qu’il s’agit de fonder entre ces trois
termesccix[xvi].

Ainsi, pour l’enfant, c’est dans la pulsion épistémologique du besoin de savoir ce qu’il en est
du sexe, que s’introduit pour lui les formes de sa personnalité, de son caractère, de ses
symptômes. Chez Aristote, avant qu’il ne s’avère comme tel, ce savoir existait déjà sous la
forme de la contingence de la vérité; or, Freud nous a montré qu’il y a un rapport divergent de
cette vérité au savoir.

Car ce que la vérité doit dévoiler en référence à l’aléthéia, reprise à Heidegger, c’est non pas
comme chez lui la question sur l’être, mais la question sur le sexe. L’impossible à dire toute la
vérité sur cette question rend la position de l’analyste impossible et, d’après Lacan, serait
responsable de cette sorte de faiblesse séculaire dans le savoir qui a été dénoncée par
Descartes pour en détacher la certitude du sujet.

Le sujet est en quelque sorte : « le résidu de ce manque de savoir, par où il rejoint ce qui se
refuse au savoir dans le sexe, donc le reste de toute l’opération devient en quelque sorte la
cause du sujet, et à quoi le sujet se trouvera suspendu sur la pure forme de ce manque, le
savoir comme entité désexuée. » (19/5/1965)

300
De ce savoir, nous n’avons plus que la trace, c’est ce qui dans la pudeur s’institue d’une
horreur indépassable devant ce secret du sexe.

C’est ce savoir qui se divise en trois pôles dont le premier démontre, désigne
l’indétermination du sujet au regard du signifiant, puisque nous ne pouvons pas savoir sous
quel signifiant le sujet sera présumé savoir, alors que parallèlement, il y a une détermination
du sujet du fait de sa dépendance à l’interdit, ce qui se formule : « Il y a quelque chose que ce
sujet, ce savoir ne doit point savoir. » (19/5/1965)

En d’autres termes de ce savoir, il s’agira d’en fonder la logique.

Le petit jeu de l’amour n’est pas ici introduit de manière anecdotique. Au contraire, il porte en
lui la raison cachée de ce qui s’articule dans la triade Sujet-Savoir-Sexe (ou Inconscient).

Il est un jeu au sens plein du terme : ainsi, tout jeu se présente d’abord comme une
substitution à la dialectique de trois termes simplifiés institués en système clos.

En effet, le jeu est d’abord une règle exclue comme interdite, c’est ce qui au niveau du sexe
est désigné comme point d’accès impossible (Lacan égale ce niveau du sexe au réel).

Dans ce jeu, le sujet a un rapport au savoir, c’est un rapport d’attente, il attend sa place. Le jeu
a pour fonction de masquer ce qui est mis en jeu, c’est-à-dire ce qui est risqué (l’enjeu) en
direction de l’impossible à savoir.

Quant au sujet, c’est dans ce risque qu’il s’institue.

Dans l’expérience analytique qui a une apparence de jeu, deux joueurs sont là dans un rapport
de malentendu, dans la mesure où un sujet ne s’isolant qu’à se retirer de tout soupçon de
savoir, nous nous trouvons, dans cette situation analytique, avec :

« Le rapport d’un de ces pôles au pôle du sujet qui est un rapport de tromperie, mais c’est
aussi en cela qu’il s’approche du jeu, le sujet-supposé-savoir fait la conjonction de ce pôle du
sujet au pôle du savoir, dont le sujet a d’abord à savoir qu’au niveau du savoir, il n’a pas à
supposer de sujet, puisque c’est l’Inconscient. » (19/5/1965)

L’analyste et l’analysant se trouveraient alors à occuper ces deux pôles dans le savoir, celui
qui pense qu’il ne sait rien (analyste), celui qui sait sans le savoir ; à eux deux, ils formeraient
une seule personne dont l’intérêt commun serait la guérison qui n’est rien d’autre qu’une
répartition des enjeux où sujet et savoir seraient faits pour s’entendre.ccx[xvii]

Or, précisément, ce que Lacan veut introduire de neuf, c’est quelque chose qui vient entre
l’identification du sujet indéterminé et le sujet-supposé-savoir.

Entre les deux, vient s’insérer un troisième joueur qui est la réalité de la différence sexuelle.
On assiste ici, dans ce séminaire, à la réinsertion du sexuel entre sujet et savoir comme tiers
radical.

L’hypothèse nouvelle, c’est que ce qui tombe de la réalité est précisément l’impossible de
cette réalité sexuelle que l’homme élabore sous forme de supplément ludique et, en même
temps, de défense dont nous voyons l’articulation dans le fantasme, lequel est, nous le

301
savons, comme la cause de la mise en jeu du sujet dans le désir, sous la forme de l’objet petit
a. Autrement dit, l’objet petit a est la marque de la chute de la réalité de la relation sexuelle.

Il en résulte que ce qui se présente sous forme de défense dans l’analyse n’est pas dirigé
contre l’analyste, mais contre la reconnaissance de cette réalité, et le désir de l’analyste est
bien là pour redresser en quelque sorte l’accent de cette défense. Lacan trace alors cette
topologie des deux triangles opposés :

« Ce qui est exprimé par le petit triangle montre dans quel espace virtuel du côté de l’Autre,
lieu occupé par l’analyste, se situe le point du désir au pôle opposé où gît la réalité du sexe. »
(12/5/1965)

Cette réalité du sexe n’est rien d’autre que la pudeur,

et c’est autour de ce point que doit se repérer le désir de l’analyste dans une sorte de suprême
complicité ouverte à la surprise, c’est-à-dire à l’inattendu de ce surgissement de la réalité
sexuelle qui est, en quelque sorte, comme l’opposé de la fonction de l’angoisse telle qu’elle
avait été entrevue par Freud dans ses textes fondamentaux.

Ainsi donc, une triade est introduite qui doit être savoirccxi[xviii], sujet et sexe (qui sont les
positions subjectives de l’être (16/6/1965), et qui permet à Lacan, prétend-il, d’introduire de
façon nouvelle ce pôle du Réel dont il nous parle depuis si longtemps, en tant que c’est la
difficulté comme telle du psychanalyste qui s’y révélerait.

A cette triade, Lacan voudrait accoler la triade allemande Zwang, Sinn, Wahrheit. Lacan est
plus que probablement en train d’écrire à ce moment-là son texte sur « Savoir et Vérité », et
il indique à quel point un certain savoir ne peut pas être livré sans que la vérité qui
l’accompagne soit supportable, autrement dit, on pourrait suspendre la révélation que la
vérité de quelque chose s’ il n’est pas possible d’en supporter le savoir.

302
Depuis Descartes, le Savoir et la Vérité se scindent. La Vérité est mise dans les mains de
l’Autre. A partir de ce moment, la science peut progresser et instituer un Savoir qui ne doit
plus s’embarrasser de ses fondements de Vérité. Il en résulte que la certitude de l’être pour
Descartes relève de la rencontre d’un certain savoir.ccxii[xix]

Là, gît la coupure freudienne, c’est l’introduction d’une pensée qui est Savoir sans le savoir,
là où je pense, je ne sais pas ce que je sais (ou suis ?), autrement dit, le « je pense » bascule
dans le « je suis ».

La bande de Moebius a la propriété de rendre visible ce rapport du Savoir et de la Vérité


aplatie, elle montre dans sa structure triangulaire une symétrie de deux repliements et, en
même temps, une dissymétrie du troisième côté. La bande de Moebius est censée nous
indiquer deux choses :

- D’abord un rapport de sens (hors-sens), car au niveau du savoir inconscient, l’être


sexué parvient par la structure signifiante à s’y manifester ainsi.

- L’autre voie est celle de la signification, c’est ce qui nous parvient de ce noyau
opaque toujours de l’être sexué ; ces deux champs sont comme l’envers et l’endroit, et
le point de jonction est précisément celui de cette division qui, par le bord, lie le sujet
au savoir. (On retrouve ici la vieille distinction déjà avancée par Lacan dans son
séminaire sur les psychoses, où sens et signification se séparent). Si la certitude se
fonde sur le rapport d’évanouissement du sujet dans son rapport au savoir, la réalité
(ou mieux le Réel) comme symptôme surgit, elle, du côté de l’Inconscient, comme
identité du sujet.

« La division du sujet et du symptôme, c’est l’incarnation de ce niveau où la Vérité retrouve


ses droits sous la forme de ce Réel non-su qui est ce Réel du sexe auquel, jusqu’à présent,
nous n’accédons que par des travestis, par des transpositions de l’opposition masculin-
féminin, c’est-à-dire des sortes d’oppositions sous la forme de dyades. » (9/6/1965)

Or, ce que Lacan tente de fonder est une constitution du sujet à partir du manque, du zéro,
comme Frege l’a fait pour la constitution du nombre.

Il faut penser le sujet dans une imaginarité plus radicale que celle du spéculaire moïque, car la
singularité absolue du sujet comme manque ne peut se trouver appariée à la relation des sexes

303
entre eux, ce rapport reste dissymétrique et de ce manque, de cette dissymétrie, le Sujet
produit l’objet a.

Autrement dit, dans le rapport du Savoir et de la Vérité pour le Sujet, ce qui vient à chuter
sous sa forme voilée et indévoilable est le statut de l’Objet comme déchet ; voilà le vrai
traumatisme que l’analyse a mis en évidence.

« Le statut du Sujet, en tant que nous avons toute l’année tourné autour de l’espèce de trait
particulier qui est celui qui le constitue, ce Un que nous avons été chercher, chez Frege, le
formule pour autant que ce Un s’institue dans le repérage du manque. Ce Un singulier nous
devons le chercher quelque part. De ce quelque chose qui est du Zwang (est-ce une figure du
sériel ?) par rapport au savoir, c’est du Zwei de l’être sexué en tant qu’il a toujours, pour ce
Un du sujet imaginaire, été non-soluble. Ce rapport du Zwei au Un du sexe, c’est ce dont
nous trouvons l’instance à tous les niveaux du rapport entre les trois pôles de cette triade, car
ce Zwang, cette Entzweiung, c’est quelque chose que j’ai cru inscrire dans ce schéma
topologique, comme se marquant du fait que la structure de cette topologie étant celle d’une
surface telle que son endroit vient quelque part à se conjoindre avec ce qui est son opposé, à
savoir son envers. » (16/6/1965) : c’est-à-dire la coupure moebienne !

Le rapport du sujet à ce savoir est le symptôme.

Si le sujet éprouve cette division comme Zwang, c’est du côté du sens qu’il éprouve le non-
sens :

« Le Sinnccxiii[xx] est marqué de l’Unsinn : c’est là que surgit sa plus grande pureté, où nous
trouverons de cette ligne fuyante de l’Entzweiung dans le lieu de liaison du sujet au sexe, que
nous avons appelé Wahrheit, c’est de cela dont il s’agit dans l’analyse. » (16/6/1965)

Lacan montre comment, dans la bande aplatie, deux traits placés dans la bande peuvent se
rencontrer en roulant en quelque sorte le long de la bande (sauf dans le cas de la bande triple
torsion)ccxiv[xxi] , alors que le troisième nécessairement, lui, se trouve dans une position
dissymétrique,

On y voit le Un toujours évanoui, obligé de se confronter au deux.

L’usage de la bande de Moebius se justifie comme ce qui est le plus propice à représenter
« une triade qui institue la position subjective », autrement dit, la subjectivité nécessite ce
support imagé de la bande de Moebius, mais à ceci près que la bande n’est pas seulement une

304
image, elle existe au-delà de la surface puisqu’elle se réduit, par la coupure, à n’être plus que
cette coupure médiane et que d’autre part, elle peut aussi se recouvrir elle-même.

L’objectif de Lacan s’avère maintenant d’extraire cette structure moebienne à un seul bord,
d’une intuition topologique des surfaces en général.

Précisément, la coupure est ce qui détermine la fonction du bord puisqu’une coupure isole un
bord. Certaines coupures provoquent des effets différents.

Il est des coupures qui coupent les objets, les surfaces, en deux morceaux et, parmi ces
morceaux, certains sont topologiquement différents, ainsi en est-il de l’objet petit a qui a une
structure topologique différente de celle de la bande de Moebius qu’il clôture, qu’il ferme sur
le cross-cap. Cette fermeture par l’objet a n’est pas une fermeture de l’être. Lacan dénie
effectivement cette position et maintient que cet objet a représente l’indétermination du sujet,
la place de l’Entzweiung et la fausse assurance de certitude qui s’instaure dans le masquage de
la division. Cette rondelle, Lacan l’appelle le hayon (haillon ?) résultant des positions
subjectives de l’être, et qui porte le nom des différents objets : le sein, l’objet fécal, le regard
et la voix. Ceci devrait mettre fin définitivement à l’idée du microcosme dans le macrocosme,
car :

« C’est sous cette forme topologique que se constate la fonction de l’objet a, et c’est en ceci
que l’équivalence, que la substitution possible de l’objet a à la conjonction à l’Autre,
caractéristique d’un certain monde, du monde macroscopique qui a prévalu jusqu’à une
certaine date du monde, où l’homme se replie et se soude à la réalité d’un autre préformé de
celui qui le fait à son image, image à la fois semblable et inversée. La coupure dans l’histoire,
et aussi bien dans le statut du sujet comme tel, est le moment où ce partenaire se substitue à la
fonction de l’objet a. C’est en tant que je suis petit a que mon désir est le désir de l’Autre, et
c’est pour cela que c’est par là que passe toute la dialectique de ma relation à l’Autre que je
définis par le rapport de l’aliénation. Le petit a, en s’y substituant, nous permet l’autre mode
de la relation, celle de la séparation de quelque chose où je m’instaure comme déchu, comme
réduit au rôle de haillon. » (16/6/1965)

Il en résulte que le fantasme est la suture de l’objet a qui est ma dépendance à l’Autre, avec
ma position subjective, donc conjonction de l’Entzweiung du sujet avec petit a.

Lacan indique qu’il y a un tournant dangereux pour le sujet suspendu à ce fait de rencontrer sa
vérité dans l’objet a, et qu’il pourrait s’y tenir, s’y maintenir. Ces positions subjectives, Lacan
les reprend cliniquement et, en face de névrose, il indique la demande de l’Autre, de la
perversion, la jouissance de l’Autre et de psychose, l’angoisse de l’Autre, autant de façon
pour «a» de suturer cette dépendance, voire d’indiquer comment − cliniquement − certaines
subjectivités risqueraient de s’y maintenir.

Quoiqu’il en soit, déjà se préfigure l’au-delà d’une subjectivité dyadique avec la bande de
Moebius, triple torsion dont le bord fait nœud de trèfle.

305
Séminaire XIII

L’objet de la psychanalyse

Lacan introduit son séminaire 65-66 par la lecture d’un texte, probablement issu du livre qu’il
prétendait écrire l’année précédente. Ce texte « La Science et la Vérité » fait partie des Écrits
(Seuil, p. 855-877).

Son titre indique bien l’accent particulier que Lacan compte donner à son séminaire par
l’antinomie des termes qui en constituent le titre. Cette antinomie pourtant se réduit par le
délire dans la paranoïa, par la topologie dans la psychanalyse.

Conjoindre topologie et paranoïa n’est pas nouveau. Déjà, dans le Séminaire III consacré à la
lecture des mémoires du Président Schreber, ce rapport pouvait être tenté. Aussi, voir
apparaître maintenant le terme de paranoïa réussie ne nous étonnera guère.

De l’éautoscopie paranoïaque à la topologie lacanienne, c’est tout un champ nouveau de


l’Inconscient freudien qui s’est déployé. Car, là où Freud voyait dans la sexualité le moteur où
l’insurrection hystérique déployait son espace corporel imaginaire, c’est de tout un champ
psychique qu’il s’agit dans les reconstructions paranoïaques. Ce champ psychique appartient
tout autant à l’Inconscient freudien que les désirs sexuels des névrosés. Ce que la topologie
lacanienne prend en compte est donc la structure de cet espace nouveau que Lacan fait naître
avec Descartes.

Si bien que les cinq premières séances de cette année-là peuvent, à juste titre, justifier
l’expression ancienne – « Dalienne » probablement – de « paranoïa dirigée » pour décrire le
processus de la cure psychanalytique.

« Eautoscopie dirigée » dans l’expérience psychanalytique du champ spécial où se déploie le


désir inconscient freudien pour un sujet lacanien évanescent !

Le sujet évanoui n’est donc rien d’autre que la conséquence de l’Inconscient freudien.

A. La paranoïa dirigée, effet de la science

Cette coupure épistémologique nouvelle naît bien avec Descartes et ne résulte aucunement
d’une imagination créatrice débridée. Lacan se veut savant entre les savants et non poète
parmi les réalistes. Il veut démontrer à partir de la science, les apories qu’elle a fait naître dans
sa propre démarche logique et qui permettent de borner le terrain de la subjectivité dont elle a
forclos une part, celle de la Vérité pour y privilégier le savoir.

Le modèle topologique qui accompagne cette division du savoir-vérité est la bande de


Moebius, « qui fait entendre que ce n’est pas d’une distinction d’origine que doit provenir la
division où ces deux termes viennent se conjoindre ». (Écrits p. 856)

Cette division n’est rien d’autre que la logique de l’émergence de la science dans la culture
occidentale et c’est de ce scientisme même que dans son fil, Freud a ouvert la voie qui porte
son nom.

306
C’est pourquoi, d’entrée de jeu dans la 1ère leçon de son séminaire, Lacan nous indique que
pour que la psychanalyse se constitue comme science, comme toute science d’ailleurs, elle se
doit d’opérer une réductionccxv[i] qui constitue son objet. Si la science moderne s’est donc
développée d’une façon qui se dégage de la position donnée à celle du sujet, c’est parce que le
cogito cartésien a rejeté du savoir la fonction de Vérité du sujet ; or, ce rejet prétend pourtant
amarrer le sujet dans l’être puisque ce sujet de la science moderne est le sujet ponctuelccxvi[ii]
évanouissant, tout autre chose que ce sujet des profondeurs jungien !

Il en résulte que ce sujet, dans la théorie analytique, est aussi celui que nous devons rendre
scientifique, celui que la psychologie aurait manqué, celui que la linguistique a divisé entre
l’énoncé et l’énonciation, celui enfin que la logique permet de cerner :

« C’est la logique qui fait ici office d’ombilic du sujet, et la logique en tant qu’elle n’est
nullement logique liée aux contingences d’une grammaire. » (Écrits, p. 861)

En d’autres termes, on assiste bien ici, depuis les Problèmes cruciaux, à un virage dans le
discours de Lacan, virage qui correspond à son entrée à l’École Normale Supérieure et qui
consistera à intégrer la logique propositionnelle au retour à Freud, déjà dénoncé par Lacan,
aux fins de dégager une sorte de scientificité de la subjectivité où se sutureraient les rapports
du sujet et de la science. Tâche impossible que Lacan veut cependant montrer avec une
rigueur toute « logique ».

Il y s’agit de préciser en quoi l’objet de la psychanalyse qui est l’objet a est situé d’une façon
telle que le savoir qu’on en aurait ne peut cependant pas fonder la science de la psychanalyse
puisque, au fond, cet objet a n’est que division du sujet. En d’autres termes, comment ce qui
était là à nous attendre depuis toujours comme sujet, au moment où il advient au savoir,
comment cette chose dans le trait qui la désigne en fait, ne devient rien d’autre que quelque
chose qui se divise encore plus nettementccxvii[iii] ?

C’est cette division qui était interrogée par Laplanche et Leclaire dans leurs travaux sur la
double inscription freudienne : « que ces inscriptions se mêlent était simplement à résoudre
dans la topologie : une surface où l’endroit et l’envers sont en état de se joindre partout, était à
portée de main. » (Écrits, p. 861)

Résurgence moebienne qui questionne à nouveau ce qu’est cette topologie ? Est-elle là


simplement une sorte de saisie intuitive ?

Il n’en n’est rien, dit Lacan, elle saisit le psychanalyste en son être.

Cette topologie justifie l’écriture du « Je pense, donc je suis » où : « la pensée ne fonde l’être
qu’à se nouer dans la parole où toute opération touche à l’essence du langage. » (Écrits, p.
865)

Ceci pour remarquer que l’être dans la parole est l’effet d’une cause que le latin ergo
recouvre, à savoir la même chose que cette exigence de la formule freudienne, « Soll Ich », le
« je dois » qui me presse d’assumer ma propre causalité.

Parallélisme entre le Cogito ergo sum et le Wo es war soll Ich Werden qui conjoint Descartes
et Freud : même combat !

307
Le renouage lacanien de la pensée et de l’être fait alors apparaître ce que le savoir scientifique
a étouffé : la fonction de Vérité, elle qui empêche le langage d’étouffer la parole dans
l’illusion d’une possible traduction en métalangage.

En d’autres termes, la fonction du nom propre, dont on sait qu’elle est de suture, est celle qui
occupe cette place du vrai sur le vrai. (Cf. le cercle de rebroussement sur la bouteille de
Klein).

On a tant sommé Lacan de le produire ce vrai sur le vrai qu’il le lâche enfin dans cet exemple
qui semble pourtant l’éteindre, et dans cet autre, en quoi consiste la coupure qui fait l’acte de
la topologie, figure de l’Urverdrängung freudienne.

Ce n’est pourtant pas sans qu’à côté de la science, magie et religion – exclues par l’acte
fondateur du cogito – n’aient, elles aussi à leur manière, dénoncé ce poids de Vérité que la
science avait rejeté (Verwerfung) de son empan, elle qui n’en veut rien savoir comme cause.
Cependant, l’une et l’autre – magie et religion – de cette Vérité, n’en désignent qu’autres
formes d’éviction, refoulement et dénégation (Verdrängung et Verneinung). Telles sont les
deux formes qui complètent le triptyque freudien.

En d’autres termes, comme sujet de la science psychanalytique : « C’est à la sollicitation de


chacun de ces modes de la relation à la vérité comme cause que nous avons à résister. »
(Écrits, p. 876). Ces modes sont la magie, la religion, la science.

Par rapport à Freud, nous sommes ici au nœud de l’affaire. En effet, ce qui se suture par le
sujet de la science, ce qui se suture du manque, peut se trouver référé, en clinique freudienne,
à la nature du Phallus pour la mère, c’est-à-dire son absence de pénis devant quoi, ici
également, le sujet se divise soit sous la forme d’une phobie, soit sous la forme d’un fétiche.

De cette division, une logique surgirait sous la forme du « pas-de » qui donnerait le pas-de-
savoir ou le pas-hésitation de la névrose et qui donnerait encore cette espèce de « gnomôn »
qu’il érige comme sujet pour désigner le point de vérité.

Voilà ce qui va faire l’objet du séminaire de cette année.

Ainsi, se divise la subjectivité après l’opération réductrice de la science : Pas-de-savoir ou


Pas-hésitation de la névrose (ce que Freud avait délivré de l’obscurantisme), et espace de la
subjectivité que Lacan fait ressortir par sa topologie. Le problème réside dans le fait que
l’espace de la subjectivité ne cesse de glisser dans les vieilles ornières de la pensée.

Toute la question est donc de savoir comment l’analyste doit s’accommoder à cette coupure
qui s’appelle le sujet et que l’ontologie sans cesse récupère.

Cette position est intenable dans la communauté analytique, mais cet échec n’est pas un signe
négatif, c’est simplement la marque du signe de fracture du rapport avec la réalité. La
difficulté d’un échange dans le Réel avec les psychanalystes justifie, pour Lacan, le recours à
la logique et plus particulièrement à ce que les stoïciens auraient déjà tenté de rendre
théorique à leur époque, et qui est le champ même de la psychanalyse : lier le corps et la
logiqueccxviii[iv].

Dans l’analyse, effectivement, cette question vient se jouer à partir de l’image du corps.

308
« L’image du corps ne fonctionne analytiquement que de façon personnelle, impliquée,
découpée dans la coupure logique. » (8/12/1985)

Il en résulte un réseau logique dont Lacan a déjà démontré les repères sous forme de réseaux
(«La Lettre Volée», graphe, schéma Z, ...) et Lacan prétend rendre cette logique transmissible
par sa topologie.

« Si ce rapport en réseau de fonctions déterminantes de la structure du langage et du champ de


la parole, si cette structure en réseau a un avantage, c’est précisément d’appartenir à ce que
j’appellerais, (au premier monde près) : à un monde topologique, ce qui veut dire que les
connexions ne se perdent pas parce que le fond est déformable, souple, élastique. Ce n’est pas
nouveau. Même les gens rebelles ont compris de quoi il s’agissait. » (8/12/1965)

Il y aurait ainsi quatre de ces réseaux, le trou, le graphe, la fonction de la parole et le losange,
le lambeauccxix[v] carré de la « Question préliminaire à tout traitement de la psychose ».

Sur ces réseaux, quatre termes, – l’être, l’avoir, le désir, la demande – se lient dans une
topologie de caoutchouc.

Les liens du corps et de la logique, s’ils nécessitent une élasticité toute particulière impliquent
aussi que la fonction de Vérité qui s’y joue ne puisse être dédoublée de la parole qui la porte.
C’est pourquoi, la logique dont Lacan va se servir maintenant est en quelque sorte ce qui
chute du fait qu’il n’y a pas de métalangage, et que cette tentative d’en créer un produit
justement cette logique comme reste.

309
On le voit, l’opération topologique se rend de plus en plus homologue à l’objet a qui chute de
par l’opération de la parole en analyse, sous forme de logique. Donc, logifier reviendrait déjà
à produire en toute rigueur une formalisation de l’extraction de a.

Si à l’activité logique, on ajoute celle de représentation, la topologie n’est pas plus méta-
présentation que la logique n’est métalangage, mais pourquoi pas, ce qui chute de la scène de
la représentation, et doit se lier au mathème logique dans la visée lacanienne.

Le lien entre topologie et logique est sensible dans un de ces réseaux :

LE TROU : Cœur du langage mais phénomène d’écriture

Resitué dans la logique à partir du lieu de l’objet zéro de Frege, il s’était déjà trouvé désigné
dans le colloque à Royaumont autour de l’apologue des pots de moutarde.

L’activité du potier est bien, en effet, celle qui désigne le mieux ce que Lacan va tenter de dire
puisque le pot, le vase, se fait autour du trou: énoncé qui rejoint celui d’un monde fait par un
dieu à partir de rien. La science serait née de là : à partir du moment où quelque chose devient
objet d’investigation, c’est qu’on a commencé par le considérer comme manquant !

Tout un temps de l’histoire de la science a consisté à emplir en quelque sorte les pots de
matière et à s’interroger sur le lieu spatial comme ce qui empêchait que s’étende indéfiniment
le vide. Ce qui se trouve dans les tombes que les archéologues exhument, ces pots que l’on
retrouve qui sont essentiellement troués, nous montrent que ce qui est essentiel n’est pas le
fait du matériau qui viendrait dedans, mais que c’est bien du côté du trou qu’il faudrait
chercher la cause dite matérielle, par les philosophes.

La science, par le principe de constance de l’énergétique, justifie qu’au travers de son


chiffrage, c’est l’objet manquant qui est sans cesse à retrouver, pour que se justifie le principe
fondamental de la conservation énergétique.

Ici, Lacan égale le premier trait unaire, le Un, autrement dit, à la désignation de cet objet qui
manque à la conservation générale du nombre total qui fait la constante. Par ce trait qui
désigne le manque, s’installe la connotation, d’après Lacan (alors que la dénotation, elle, sera
la parole qui, oeuvrant en direction de la vérité, désigne la fonction du trou).

Ainsi, le nombre est toujours le nombreccxx[vi] qui inclut cet objet comme manque, ce que
l’incommensurabilité de la diagonale du carré nous montrait déjà du temps des
pythagoriciens. (Cf. Séminaire I et XIV)

Ainsi donc, voici ce moment où se conjoint la logique qui avait repéré la dimension du
manque avec la topologie qui la désigne comme coupure ; le trou, ici, n’est pas une ontologie
négative, il n’est rien d’autre que l’effet d’une coupure. Il s’agit de bien voir ici que ce trou a
une fonction, celle du manque et qu’il n’est pas là simplement comme une idée, c’est-à-dire
que s’il est fonction, c’est au sens où en mathématique, une fonction est véritablement un
circuit, un tracé, un dessin, et Lacan propose ici une série de dessins qui seraient censés faire
apparaître justement cette fonction du manque d’où s’extrait par la chute, l’objet «a»,
induisant là l’idée d’une fuite nécessaire. (exemple du cross-cap)

310
Mais déjà, ici, un certain départage est évident : côté sujet, il s’agit de coupure tandis que, de
l’autre côté, le trou origine le monde des objets.

Ce qui noue sujet comme coupure et objet-trou fait aussi découpe signifiante. Tel est le pas
supplémentaire que franchit Lacan en désignant l’écriture du huit intérieur comme
prototypique.ccxxi[vii]

En effet, Il s’agit de discuter de la fonction du cercle délimitant un intérieur ou un extérieur et


de le comparer au huit intérieur qui semble homéomorphiquement semblable et que, pourtant,
la coupure va nous permettre de distinguer, c’est là ce qui permet à Lacan de désigner ce qu’il
y a d’originel dans la fonction de l’écrit.

« Si je vous emmène dans le champ de la topologie, c’est pour vous introduire à une sorte (de
disciplinum mentis) d’exercice mental concernant des figures qui ne sont pas sans doute sans
pouvoir être appréciées de façon intuitive », (16/12/1965) et que par le tracé de certaines
coupures, on puisse de là s’apercevoir que les choses ne sont pas si simples qu’on le croit. Il y
va donc de ces figures que nous connaissons, la bouteille de Klein, le plan projectif, le tore.
Bien sûr, nous dit Lacan, les mathématiciens avec leur logico-mathématique ont décanté cette
intuitionnisme comme autant d’impuretés, mais il n’en reste pas moins, avancent-il, qu’il reste
quelque chose qui garde sa valeur.

En effet, ce que la mathématique en progressant « efface » de questions par le nombre négatif,


le nombre imaginaire – pour montrer jusqu’à quel point ce sont des nombres aussi bons qu’un
autre dès qu’on les met à la dimension algébrique – en fait, ce que cette opération-là des
mathématiciens masque, est quelque chose de plus primitif, une question qu’on ne peut
éluder, à savoir la constitution du sujet par le signifiant.

C’est pourquoi, ce qu’il s’agit d’introduire, c’est le manque dans la dimension subjective et
non pas le manque dans la suite des nombres ou le manque comme trou dans une théorie.

311
Elle est liée à quelque chose d’originel, elle relève de la coupure comme trait, et c’est l’écrit
qui détermine le champ du langage : voilà la thèse de Lacan.

Cette écriture est essentielle au langage, Lacan l’avait déjà désignée du nom et de
l’importance (de la prévalence) donnée au trait unaire, elle n’est pas issue du besoin de coder
les phonèmes de la parole vivante, elle exprime « la relation fondamentale que nous mettons
au niveau de la phonématique et de la phonétique » ; ceci remettant en jeu l’opposition
signifiant-signifié.

La fonction de la parole, elle, est rapportée par Lacan à celle du manque (fonction du
manque) dans un sens qu’il précise : mathématique, c’est-à-dire se déployant comme une
fonction, comme un tracé.

Dans la clinique, ce manque est rapporté à la justification fétichiste (par exemple : ce qui
manque à la femme et qu’on veut annuler par substitution). Lacan voit dans l’analyse
freudienne du fétichisme (1927) une preuve que ce manque est l’affaire bien plus du sujet que
de la réalité. En somme, le manqueccxxii[viii] est la portée subjective du trou corrélatif de
l’objet.

Pour éviter les confusions, on comprend mieux pourquoi Lacan tient à donner une allure
topologique à ces notions.

La difficulté est de concevoir comment quelque chose qui est un trou et qui est en lien intime
avec la fonction subjective est aussi coupure, toute aussi liée à la dimension subjective.

Sinon par ceci : que cette coupure unique du sujet qui le divise d’une certaine manière est
aussi structure du vide, structure du trou. Donc, voilà le sujet égalé au trou dans le Réel. Est-
ce suffisant ? Lacan pense que nous n’en sommes encore qu’au niveau de la métaphore !

A ce trou, il ajoute la fonction de l’inversion du cercle eulérien, (nous retrouvons donc cette
inversion que nous avons patiemment suivie depuis le début des séminaires de Lacan).

Soit rien moins que l’orientation du tracé qui s’ajoute, en découpe, à un objet qui s’extrait.

Ainsi est le Nom Propre, à la fois hors-sens et hautement significatif, il désigne pour le sujet à
la fois le trou et l’exercice d’écriture qui ne le fait pas surgir sans le tracé d’une histoire.

Parole et Écriture deviennent donc complémentaires pour constituer une topologie déjà décrite
par le graphe en ce qui concerne la parole, et esquissée maintenant par l’écrit, la topologie des
surfaces déterminant le champ du langage !

On notera encore que l’objet a semble lié à l’émergence de la structure du sujet comme divisé,
et voici lancée dès ce moment la formule : « le sujet, trou dans le Réel », à condition
évidemment de ne pas l’entendre au niveau métaphorique, mais d’y ajouter la dimension
d’inversion du cercle eulérien, ce qui ne peut être entendu que comme un huit intérieur, là où
précédemment, il y avait intersection de deux cercles.

Opération, dit Lacan, qui est la même que celle de la Bejahung freudienne, un jugement
d’attribution, qui ne préjuge pas de l’existence, qui ne dit pas le vrai sur le vrai, mais qui
donne le départ du vrai. C’est très précisément dans la clinique, ce que Lacan repérait de la

312
fonction du phallus dans l’histoire du petit Hans, lequel petit garçon était parti de cette idée
que tout être animé en était pourvu. Au moment où il s’aperçoit que cet attribut ne peut être
généralisé, se déclenche une phobie. Ce trait général, c’est le trait unaire, ce que nous
repérons dans la fonction de l’écriture.

Il donne le départ du mouvement de la Vérité. La manière dont ce signifiant détermine la


division du sujet autour de ce rapport du vide et de l’objet a, est ce que Lacan va tenter de
faire sentir par ses considérations topologiques; avec cette note, que chaque fois que le sujet et
le savoir auraient à s’articuler, il s’est trouvé nécessité de les écrire sur du papier, malgré
l’existence de la troisième dimension.ccxxiii[ix] Voilà pourquoi, il faut : « reprendre les
fondements de l’esthétique fondamentale. Une topologie à deux dimensions, pour ce qui
concerne le sujet, aurait cet avantage rassurant si nous continuons à croire dur comme fer à
ces trois dimensions, ça aurait l’avantage de nous expliquer en quoi ce qui concerne le sujet
est de la catégorie de l’impossible. » (16/12/1965)

Étrange formulation qui s’ajoute ici, comme si Lacan égalait le rabattement de la troisième
dimension sur le plan à l’impossibilité subjective et que seule la découpe d’un trou
présenterait.

Ceci veut dire que la coupure subjective nous ne la connaissons dans le Réel qu’à l’envers,
sous cette forme de l’impossible. Aussi pour cette topologie, la question devient maintenant
de savoir quelle coupure sur une feuille de papier pourrait produire et un trou et, du même
coup, une modification de la structure de cette feuille de papier, car si le trou a pour effet de
détacher un morceau qui ne change rien de la structure, c’est un coup d’épée dans l’eau.

Exemple, une sphère avec un trou, c’est la même chose que le couvercle qu’on vient
d’enlever, il n’y a rien là qui soit structural au sujet.

Cette démonstration homologique ou homotopique de la sphère et de son couvercle, (la sphère


trouée et son couvercle), c’est évidemment ce qui a été démontré par les déformations
homéomorphiques en topologie.

Que faut-il au dehors pour structurer le sujet ?

Autrement dit, comment une coupure d’où résulterait l’extraction de l’objet «a», peut-elle
apparaître sur quelque chose de fermé ?

Évidemment, il suffit de penser que le tracé de cette structure est l’armature d’une bande de
Moebius qui n’a qu’un seul bord, qui s’égale au trait de coupure et qui se dessine sur le
monture de cet objet a.

Cette monture serait le lambeau sphérique qui se détache du cross-cap, elle change de nature
en se soudant à lui, et ce que le cross-cap représente, montre, est d’une part ce trou et d’autre
part cette inversion eulérienne, cette «passe chiasmatique» dont parle Lacan. (16/12/1965)

Sur cette surface, une coupure fermée modifie la structure fondamentale de la sphère sur
laquelle un bonnet croisé est cousu ; cette figure d’ailleurs peut s’écrire au départ d’un cercle,
ajouté d’une série de lettres qui se suivent l’une à l’envers de l’autre, par la séparation d’une
diagonale, d’un diamètre du cercle. Il en résulte que la dimension de la topologie en cause, ne

313
se détermine pas d’un trou concentrique dans la sphère, qu’une seule couture, qu’une rustine
peut fermer.

Par contre, si quelque chose est inversé, nous rencontrons une troisième dimension, par
rapport à cette mise à plat, qui représente une certaine assise temporelle, à savoir qu’un ordre
diamétral est impliqué dans cette suture. Deux autres structures topologiques composées de la
couture de deux ensembles sont la bouteille de Klein et le tore. La bouteille de Klein, deux
bandes de Moebius et le tore, une autre structure qui nous permet d’établir : « les relations
fondamentales qui nous permettront de situer avec une rigueur jamais obtenue avec le langage
ordinaire, encore qu’il aboutisse à une entification du sujet chaque fois que nous parlons du
sujet, nous faisons Un. Ce qu’il s’agit de voir, c’est que le nom du sujet, c’est ceci: il manque
l’Un pour le désigner.

Qu’est-ce qui le remplace ? Qui vient faire fonction de cet Un ?

Plusieurs choses, si on ne voit pas que a d’un côté et le nom propre de l’autre remplissent la
même fonction, on croit que c’est la même chose. Le tore servant précisément à montrer
comment, par la demande, le désir se constitue comme Un pour le nom du sujet. »

« Ce qui peut se structurer du sujet est lié structuralement à la possibilité de la transformation,


du passage de la structure du tore à la bande de Moebius, mais la bande de Moebius en tant
que divisée, coupée par le milieu. Elle a un endroit et un envers qui deviennent applicables sur
ce qu’on appelle un anneau qui est un tore. Ainsi donc, le tore supporterait ce qu’il en est des
rapports du sujet, de la demande et du désir, alors que la bouteille de Klein interrogerait plutôt
les rapports du langage et de la vérité. » (Écrits, 16/12/1965)

C’est sur ces deux types de surfaces que Lacan laisse se déployer la demande, le désir, la
vérité, le langage. Elles constituent une espèce d’espace mental pareil aux constructions
schrébériennes, en quelque sorte, sur quoi se trace le trajet de la cure.

Cette nouvelle éautoscopie diverge fondamentalement de l’univers de la vision qui a


commencé par structurer notre existence grâce à la dimension spéculaire qui continuera
d’exister dans le déchiffrage que nous faisons communément de notre expérience. En
ébranlant ce monde de la vision par sa topologie nouvelle, Lacan trace – le fait mérite d’être
noté dans le chef de quelqu’un qui prétend ». (5/1/1966)

Au fil de ces séances, l’idée nous vient, évidemment, que ce qui se trame de topologie dans
les séminaires de Lacan, au travers de l’élaboration du sujet comme surface plane, revient à
dire que seule la surface à deux dimensions dont la troisième pourrait éventuellement être le
temps, peut rendre compte de ce qu’est, pour l’intelligence humaine, la notion de rapport,

314
oeuvre par excellence du signifiant qui ne fait progresser le savoir que par les impasses qu’il
détermine. « Dirigée » voudrait donc dire, prise dans la temporalité signifiante !

Dans ce nouvel espace de la «paranoïa dirigée», il faut encore placer l’objet a.

Cet objet a, Lacan l’a fait surgir depuis des années par une petite algèbre, et il l’a fait d’abord
surgir de ce qui n’est pas l’analyse, c’est-à-dire du stade du miroir et de la fonction
narcissique.

La formule i(a) ne désigne que le redoublement de l’indication de l’aliénation de


l’identification, là où nous nous méconnaissons d’être moi. Or, le petit a relève, lui, de l’ordre
du Réel, et c’est ce que Lacan voudrait faire sentir dans la suite.

Dès l’image spéculaire, en effet, la notion de symétrie induit un certain nombre d’erreurs et de
méconnaissances du fait de l’intérêt que nous portons à ce plan sagittal qui nous différencie ;
autrement dit, cette surface plane du Réel ne veut pas dire que l’homme ne vit pas dans un
espace où il y a trois dimensions, simplement, nous nous intéressons à ce qui est notre espace
humain dès le stade du miroir par cette symétrie qui relève d’une surface à deux dimensions.
Ce qui, dès le stade du miroir, se présente déjà comme plan symétrique bilatéral, se répète
maintenant dans la topologie de Lacan autour de cette torsion, de cette disparité particulière
qu’offrent par transformation les figures du cross-cap.

Si ces figures donnent l’illusion de s’adapter à ce que l’embryologie a pu nous montrer,


comme simulation de structures fondamentales, c’est parce que le corps y est réduit à la
dimension de l’étendue, laquelle s’appuie de la sphère sans limite.

Toute autre, est la notion de symétrie ou de disparité qui ne s’articulerait pas sur les trois
dimensions homogènes de l’espace. La proposition de Lacan est de considérer que l’espace
dans lequel nous nous mouvons n’est pas l’espace délimité par une sphère à l’intérieur de
laquelle nous nous trouverions, comme si cette sphère se trouvait tapissée de miroirs,
déformant le microcosme reflété sur ces parois que nous sommes.

Cette limite trompeuse est toute présente dès la Genèse sous la forme de ce firmament du
monde qu’on ne peut traverser. Le point visé par Lacan ici est, qu’à l’aide du signifiant, nous
sommes maintenant à même de pouvoir aller au-delà de l’espace métrique et concevoir des
mondes à six et sept dimensions avec, semble-t-il, des problèmes nouveaux qui en résultent, et
notamment au-delà de la sphère, par exemple, à cette dimension de rencontrer une sorte
d’impossibilité.

Ce qui crève le firmament, ce qui crève l’espace sphérique, désigne un point secret
d’évanouissement qui est le vrai point de perspective de l’image spéculaire (à entendre dans la
parole pleine du discours, celui qui s’énonce sous la forme d’un « je » qui reçoit sous la forme
du « tu » son message inversé et que dans le commentaire du Président Schreber, Lacan avait
montré être perforant).ccxxiv[x]

Ce point de recroisement qui perfore est rapporté ici à la division du sujet, division qui fait
que dans la parole dite pleine, le « je » qui parle va bien au-delà de ce qu’il dit, puisque ce
qu’il démontre comme sujet, n’est possible que dans le lieu de l’Autre, et dont la structure
n’est pas punctiforme. Cela, seule une coupure, c’est-à-dire un discours, peut nous le montrer;
or cette trace de coupure : « introduit dans le monde comme un sillon, un graphisme, une

315
écriture au sens où elle est plus originelle que ce qui va en sortir, au sens où elle sert comme
écriture ». (5/1/1966)

On a le sentiment que Lacan désigne à la fonction de l’écriture, le devoir, la charge, peut-


être aussi l’héritage, de désigner le recroisement du cross-cap comme si l’écriture était la
marque de ce qu’une division sur cette structure brute, en quelque sorte, aurait pour charge
de démontrer la structure moebienne du sujet. Il en résulte que le franchissement des trois
dimensions sphériques n’est pas nécessaire, grâce précisément à cette écriture qui nous permet
de nous contenter de deux dimensions et, comme telle, autorise cependant le progrès du
savoir.

Un exemple : Partons du trou dans la surface à deux dimensions et de ce que ces deux
dimensions sont celles de la sphère. Lacan démontre que chaque trou peut y être réduit à un
point, sauf si nous en faisons deux, car dès qu’il y a deux trous dans la sphère, il est possible
d’en faire un troisième qui ne puisse plus se réduire précisément à un point, pour autant qu’il
soit concentrique au premier ou au second. Il y a là quelque chose d’irréductible dans sa
réduction qui est la rencontre de la limite constituée par deux trous. Un deux-trous est donc,
d’une certaine façon, un cylindre que si on lui en aboute une autre forme, un tore.

Voilà un exemple de progrès de pensée que permet l’analyse des surfaces, une irréductibilité
qui tient au trou et à la déformation continue.

Reste à nouer ces notions : a, demande, désir, Vérité, langage, à une pareille topologie.

Demande et désir se conjuguent sur le tore à l’aide des coupures non réductibles, ainsi que
Lacan l’a déjà montré dans son Séminaire sur l’Identification. C’est à faire deux fois le tour
de l’âme du tore que la coupure circuite aussi autour de son axe.

Deux fois le tour de la demande s’avère donc nécessaire pour cerner un désir à l’aide de ce
tore apte déjà à porter le nœud, dit Lacan (5/1/1966), sans en ajouter plus ici concernant les
autres notions.

Quoiqu’il en soit, ceci justifierait la topologie de la division du sujet qu’il présente ensuite, en
vue de détruire la vieille idée de la fusion auto-érotique primordiale de l’être pensant.

316
Lacan parle ici de fermeture et d’ouverture originelles peu compréhensibles dans l’état de
notre documentation.

Il poursuit en rappelant que le sujet est ouvert et que ce qu’il s’agit de trouver, c’est une
limite, un bord, mais un bord un peu particulier puisque c’est celui du huit intérieur qui, d’une
certaine façon, ouvrirait ce qui se trouve fermé au départ, mais l’ouvrirait d’une façon tordue,
qui le laisse en un seul morceau sur le tore.

C’est donc de façon tordue qu’il l’ouvre, il constitue un bord avec intérieur et à la fois
extérieur. Sur ce modèle, on peut tenter de concevoir un bord qui n’ait pas cette même
fonction de différenciation d’intérieur et d’extérieur, qui est le cross-cap puisque, grâce à une
coupure : « Nous aurons le même bord en huit intérieur, et nous obtenons deux surfaces et
non plus une, qui sont distinctes l’une de l’autre à savoir que l’une est un disque, l’autre une
bande de Moebius. Il y a donc là des bords d’une structure différente. » (5/1/1966)

D’où il résulte que bord qui sera tracé sur la bande de Moebius : « aura des qualités
absolument distinctes de ceux qui seront tracés sur le disque. » (5/1/1966)

« Qu’est-ce qu’elle représente dans cette figuration ?

Elle est pure et simple coupure, support nécessaire à ce que nous ayons une structuration
exacte de la fonction du sujet en tant que cette présence occultrice, cette prise du signifiant sur
lui-même qui fait le sujet nécessairement divisé, et qui nécessite que tout recoupement à
l’intérieur de lui-même ne va mener à rien d’autre – mais poussé à son extrême – que
reproduire de plus en plus caché sa propre structure. Mais l’existence de ce disque est
déterminée par sa fonction dans la troisième dimension ou plus exactement dans le Réel où
elle existe.

Ce disque se trouve en position de traverser – lui, comme Réel – cette figure qui est celle de la
bande de Moebius en tant qu’elle rend possible le sujet. Cette traversée de la bande, sans
endroit ni envers, nous permet de donner une figuration suffisante du sujet comme divisé.
Cette traversée, c’est précisément la division du sujet lui-même. Au centre, au cœur du sujet,
il y a ce point qui n’est pas un point, qui n’est pas sans laisser un objet central. » (5/1/1966)

Ce pas sans-laisser-un-objet-central, Lacan l’appelle : la valeur et, plus exactement, la valeur


de vérité qui ne pourrait pas exister sans cet objet a. Il l’a appelée PHI (Φ) dans son
séminaire sur l’Identification.

B. La topologie, effet de science

Effet de science ou nouveau mythe ?

« La topologie du tore vient à supporter en nous imageant, en nous permettant d’intuitionner


cette divergence, le produit de l’énoncé de la demande à la structure qui le désigne et qui
s’appelle le désir. » (12/1/1966)

Le tore, ici, permet d’assurer l’expérience analytique (dans la reconstruction de l’expérience


freudienne) comme fondement du pur symbolique.

317
Premier temps, donc, s’apercevoir que la coupure circulaire est une coupure sans bord, c’est-
à-dire qui tournera toujours sur elle-même.

Ce que Lacan tente de reconstruire avec cette coupure, avec cette utilisation du bord, c’est ce
qui se passe pour le névrosé moderne qui témoigne de l’émergence de quelque chose de
déplacé dans l’appréhension de la certitude, du fait de ce moment historique du cogito
cartésien.

A savoir une sorte de scission déjà présentée des rapports de la vérité au savoir pour ce
nouveau sujet qui est sujet de la science. Ce névrosé moderne issu du sujet de la science, y est
coextensif au point qu’on peut même dire que la praxis psychanalytique est le complément du
symptôme que ce névrosé nous présente. Cette complémentation est à entendre d’une façon
spéciale, elle n’est pas d’ordre homogène, elle est probablement du même ordre que cette
complémentation qui est interrogeable dans la bande de Moebius.

On peut déjà en avoir une idée en se disant que, à travers la parole donnée au névrosé, c’est
une demande de savoir qui est adressée à la psychanalyse par rapport au fait qu’existe le sujet
de la science.

Ainsi donc, si le savoir est supporté ici, dans cette adresse, par le psychanalyste, le névrosé,
lui, devient le représentant de la vérité qui parle. En somme la science a suturé un certain
nombre d’ouvertures par où tente de passer cette vérité qui parle jusque et y compris dans son
domaine d’élection qui est la tromperie.

Autrement dit, c’est à cette jonction étrange que Lacan veut donner son statut, jonction de la
science qui a suturé une béance pour une fonction de Vérité qui tente de s’y joindre.

Sans doute la vérité a-t-elle déjà été interrogée par la science dans la logique, puisque la
fonction de vérité est bien ce à quoi la vérité se trouve réduite par cette logique. Mais, ce que
Lacan essaie de dégager, c’est le cœur, le vrai, le cœur neutre de cette alêthéia. Ce cœur,
Lacan le réduit, le présentifie dans ce qui n’a pas été repéré par la logique propositionnelle
classique, il le réduit à l’aliénation.

En d’autres termes encore, la valeur de Vérité ou vraie ou fausse a fondé une logique
bivalente et cela, sans se rendre compte qu’à travers ce rapport à la vérité, se trouve suturée la
référence à la valeur, à savoir se demander ce que veut dire être vrai.

Problème traité par Russel, déjà, qui le résolvait en l’interrogeant du côté de la probabilité
qu’un événement vrai surgisse ou soit certain. La probabilité, ici, spatio-temporelle de son
avènement définissant en quelque sorte la valeur de Vérité d’un événement.

318
Or, la psychanalyse nous montre que la Vérité vient à interroger plutôt le lieu de l’Autre, à
savoir que toute parole s’y articule, même le mensonge et peut-être même plus encore, le
mensonge, quand il a comme pouvoir de s’affirmer comme Vérité !

« La Vérité entre en jeu, s’instaure et s’articule comme primitive fiction autour de quoi va
avoir à surgir un certain ordre de coordonnées. » (12/1/1966)

C’est au travers de cette structure de fiction que viendraient donc s’abouter, s’aboucher la
Vérité et le savoir.

La Vérité à faire surgir ici est de l’ordre de l’objet a, car, elle choit, elle tombe dans
l’opération logique de savoir. C’est quelque chose qui relève du problème de la valeur de
Vérité déjà questionnée par Frege autour de sa théorie du nombre et celle du nom propre. Ceci
se trouve caché comme tel, parce qu’il s’agit de l’objet a, caché à la logique moderne, rendant
la psychanalyse en tant que théorie, supérieure au mythe et lui donnant en même temps son
statut ainsi que le statut du sujet, au travers de cette division.

« C’est ici que s’introduit la structure du plan projectif pour autant que la surface en est autre
et nous permet de répondre autrement de ce qui s’y découpe comme sujet et comme objet. »
(12/1/1966)

Cette topologie lacanienne est l’entrée en jeu de la fonction du sujet, celle qu’incarne donc
cette bande de Moebius, lorsqu’elle se double de la manière spéciale qui est la sienne
autrement que sous la forme d’une sphère doublée d’une autre, ce qui est le cas de toute
pensée cosmologique. La bande, en effet, ne se double pas comme une sphère gigogne
puisqu’elle se double avec un élément qui fait chaîne, qui fait concaténation et qui donne sa
valeur, dit Lacan, « non pas métaphorique, mais concrète à la chaîne signifiante ».
(12/1/1966)

Or, cette surface qui la double n’a pas les mêmes propriétés, c’est une surface bouclée, mais
qui est bilatère. Donc, la doublure de la bande de Moebius isolée de cette bande et, en quelque
sorte, redoublée sur elle-même, s’applique sur le tore et représente au mieux le sujet barré.

Il est barré veut dire qu’il s’enveloppe lui-même, étant entendu que ce qui se trouve
enveloppé est la bande de Moebius, ici en quelque sorte évidée.

Ainsi se définit la fonction du sujet :

319
« quelque chose qui aura cette propriété essentielle, définir la conjonction de l’identité et de la
différence ». (12/1/1966)

Or, nous savons que cette bande est l’effet d’une coupure produite dans le plan projectif, ou
cross-cap, à condition qu’un résidu, une chute sous forme de disque en résulte, l’objet a.
Quelque chose effectivement est spécifique à cet objet, c’est que replacé, il perd son envers et
son endroit, il y a là une interrogation de la non-spécularité de l’objet a qui fait qu’il occupe
une place dont on peut dire qu’il fait à se retirer, un trou dont les lois sont différentes de
n’importe quel trou sur une sphère.

C’est ici que Lacan introduit probablement pour la première fois la notion de retournement.
La caractéristique du retournement est qu’il est d’une portée différente selon les structures. Ce
qu’il s’agit d’interroger, c’est l’envers et l’endroit, l’axe de symétrie et le côté spécularisable.
Impossible dans le réel de retourner une bande de Moebius, elle aura toujours la même
torsion, c’est pourquoi, on la croit spéculaire, elle tourne toujours ou à droite ou à gauche,
donc Lacan promet de définir le statut de la spécularité. En résumé :

« Quelque chose se conjoint à , c’est petit a en tant qu’il est considéré comme support de cet
du sujet et, d’autre part, en étant chut, hypertrou, privilège qui laisse le sujet seul, sans
recours de ce support qui est oublié et disparu. » (12/1/1966)

Il faut donc être bien attentif à ceci: que le sujet produit par l’avènement de la science, est
aussi ce qui se trouve mis en jeu dans une psychanalyse. Il est mis en jeu d’une façon bien
spéciale puisque c’est comme savoir-supposé qu’il s’incarne dans l’analyste. Pour le névrosé,
ce dernier est supposé-savoir comme sujet, ce qui veut dire que la coupure opérée par le
champ de la science se répète ici (toujours selon l’avis de Lacan).

A charge pour le névrosé de prendre sur lui ce que l’univers de la science a exclu de ce
champ. Il faut cependant postuler l’existence d’une force qui pousse le patient à s’affronter à
cette exclusion, et c’est ce qui différencie la psychanalyse des pratiques psychologiques
classiques, où on présente à l’autre cet objet fallacieux qui est son image de soi comme
moteur. Il y va d’une espèce de prétendu masochisme que Lacan préfère appeler désir, désir
d’en vouloir qui mène la cure.

C’est en ce sens que ce « qu’on en veuille » est précisément le désir sous sa forme qui exige
son interprétation, interprétation qui veut viser que toute demande ne peut qu’être déçue. D’où
il résulte que l’analyste, pour soutenir indéfiniment cette pratique, est supposé-savoir, au
moins tout, sauf la vérité du patient puisque, précisément, c’est là qu’il va être obligé de nous
tromper, comme si la résultante de l’exclusion de la Vérité du champ du savoir ne pouvait
s’accompagner, pour se faire questionner, que d’une mise en oeuvre de la tromperie.

320
Voilà pourquoi, la position du sujet-supposé-savoir échappe à la question de la Vérité, c’est
une position pyronienne qui décide de se passer de la fonction de Vérité !

Toute la question alors est précisément de savoir comment occuper cette place quand on est
analyste. Il y va donc de la position d’un sujet qui s’arrête au seuil de la Vérité.

La topologie viendrait, dans le champ du savoir, désigner pour l’analyste les moments de
Vérité du patient, ce qu’un Pascal encore englué de religion aurait laissé comme héritage
cousu dans la doublure de son pantalon, sous la forme d’un pari sur Dieu et son ciel et qui,
dans le champ du savoir : « désignerait une sorte de substance réelle concernant cette
singulière réalité incorporelle qui est proprement celle dont j’essaie, avec les ressources d’une
topologie élémentaire, de faire valoir pour vous ». (2/2/1966)

Ce pari de Pascal est quelque chose qui intéresse Lacan parce qu’il révèle la structure du sujet.
Elle apparaît dans ce pari autour de la fonction du risque ou de l’enjeu, en tant que ce qui se
trouve désigné là par le risque va être présenté par Lacan comme étant l’objet petit a dont il
parle depuis si longtemps. Cet enjeu que le sujet engage, c’est sa vie, elle est le cœur de la
résistance du sujet à s’engager dans le pari. En même temps qu’elle en est le cœur, elle est un
rien qui doit être retenu pour : « nous interroger sur ce qui distingue ce rien ».

« Ne pouvons-nous pas l’identifier à cet objet toujours fuyant, toujours dérobé, à ce qui est
après tout espoir ou désespoir, l’essence de notre désir...? C’est l’objet a comme cause du
désir et valeur qui le détermine, voilà ce dont il s’agit dans l’enjeu pascalien. » (2/2/1966)

Ce rien qui est mis en jeu, c’est très précisément ce qui se rapporte au hasard comme forme du
Réel. Ce Réel, on sait qu’il est impossible, impossible à interroger parce qu’il répond au
hasard, c’est le point où il n’y a plus rien à en tirer qu’une réponse au hasard.

Rien ne peut en découler sinon l’attente de voir se manifester le sujet, précisément dans le
risque que quelque chose d’autre est engagé. Ce qui est engagé, c’est la pulsion du joueur
dans cet acte qui en fait l’horizon subjectif.

Dans le jeu, le joueur engage par son pari, une mise qu’il peut perdre et se retrouver réduit au
rien, signifiant de la présence pure du sujet qu’il devient par cet acte.ccxxv[xi]

« Il faut qu’il y ait acte de décision, il faut qu’un certain cadre signifiant en ait défini les
conditions pour que la réponse pure qui en surgit, incarne ce que j’appelle l’objet perdu pour
le sujet perdu dans l’engagement du signifiant... et livre de ce fait, dans la séquence réussie,
quelque chose qui ne comporte pas l’objet perdu, mais nous la rende, tel est le principe pur de
la passion du joueur. » (2/2/1966)

« Ce que Pascal avance, c’est la possibilité non seulement fondamentale, mais essentielle que
le champ par rapport auquel s’instaure la revendication du petit a de l’objet du désir, c’est le
champ de l’Autre en tant que divisé au regard de l’être même, c’est ce qui est dans mon
graphe comme S de A.» (2/2/1966)

Le travail de l’analysant est donc bien d’interroger cette vérité, celui de l’analysteccxxvi[xii]
d’interroger le savoir où elle vient s’inscrire en impasse. A chacun son job donc, même si au
terme s’échangeront les positions : savoir de sa cure pour l’analysant, vérité de sa destitution

321
pour l’analyste. Mais il se confirme donc, ce que depuis trois ans Lacan martèle : la topologie
des surfaces dont il entretient son auditoire est bien celle du sujet et non plus du discours !

C. La réhabilitation de la topologie

L’essentiel de la séance (du 30/3/1966) va être consacré à la réhabilitation de la topologie


dans le séminaire de Lacan, réhabilitation nécessitée par la coupure qu’il à dû faire deux ans
précédemment dans l’interruption de son séminaire sur les Noms-du-Père.

En vue de resituer notre projet, il faut rappeler l’objectif de la topologie des surfaces : elle sert
pour Lacan à démontrer que ce qui résulte de la coupure est qu’une surface se détache, cette
surface sépare une bande moebienne d’un disque petit a qui n’est pas spéculaire, tout au
moins pour ce qui concerne la névrose.

Topologiquement parlant aussi, ceci veut dire que le tétraèdre, qui est une structure
sphérique, est en train d’être subverti par Lacan.ccxxvii[xiii]

C’est pourquoi, depuis le séminaire sur l’identification, suivi de l’intermède du Séminaire XI,
Lacan privilégie un autre univers que l’univers sphérique.

En effet, à l’occasion du retournement du tore qui renvoie au séminaire sur l’identification où


Lacan avait isolé la fonction du trait unaire, de la coupure, il avait été montré comment
s’articulaient deux tores pris l’un dans l’autre. Ce roulement d’un tore dans l’autre nous pose
aussi le problème du retournement car, une coupure qui se répète autour du trou central a pour
propriété essentielle d’introduire dans son extérieur, l’énigme de contenir un intérieur et de
permettre que les circuits fermés s’enchaînent, se bouclent par rapport à des circuits fermés
qui sont à son extérieur, ce qui est impossible sur une sphère.

Pour justifier la notion de retournement, Lacan parle de l’insertion sur une sphère d’une
poignée à l’aide de deux trous qu’on peut prendre en main. (Le terme de retournement
s’origine du retournement du gant et de son image exacte dans le miroir, autrement dit, le gant
dans le miroir, c’est l’opposé).

Le retournement dans un espace non-sphérique a des propriétés différentes du retournement


spéculaire (droite-gauche) puisqu’il produit un déplacement d’un quart de tour seulement
(pour un demi-tour dans le miroir)ccxxviii[xiv].

Le trou extérieur devient le trou intérieur et vice-versa.

322
Il s’agit de constituer un plan sagittal par rapport à un autre transversal dont il est le
déplacement d’un quart de tour dans une translation qui est irréductible à toute transmission
spéculaire. Ceci produirait quelque chose qui est différent de la substitution de l’endroit à
l’envers qui reproduit la formation spéculaire, type gant retourné.

« Autrement dit, on pourrait dire ceci : quelque chose qui, à ce quart de tour près, serait de
l’image retournée du tore, quelque chose qui n’est pas fondamentalement différent du point de
vue topologique et qui en donne un équivalent spéculaire. » (30/3/1966)

Un équivalent mais avec d’autres conséquences dont le Réel de la structure !

Ce quart de tour est précisément ce qui distinguera les formes de la topologie de Lacan des
autres formes, par exemple celles de la sphère, (quelque chose que nous avions déjà rencontré
à propos de la surface de Moebius). On sait que la coupure de cette bande en son milieu peut
s’appliquer sur la surface du tore). Ce quart de tour qui fait la différence radicale de certains
objets topologiques repose sur la distinction faite par Lacan de l’objet a comme non-
spéculaire.

Lacan appelle formes mentales ces structures auxquelles il faut que nous nous familiarisions,
car elles ont grand rapport avec le champ de l’expérience analytique.

« Elles sont le support de la substance de ce qui constitue notre champ. » (30/3/1966)

L’appréhension que nous pouvons en avoir ne peut se faire qu’au travers d’un exercice qui
brise les cadres intuitifs habituels dans lesquels nous appréhendons la notion d’espace. Il y
aurait donc quatre formes mentales : le disque troué, le tore, la bande de Moebius et la
bouteille de Klein. Ces formes ont une structure constante, à savoir que le nombre des faces
moins le nombre d’arêtes plus le nombre des surfaces donnent toujours une somme égale à
zéro.

n(F) - n(A) + n(S) = 0 ; N.B. : pour le tétraèdre, la somme = 2.

Il y a donc des propriétés et une valeur opératoire à ces quatre objets dont l’équation s’annule.
Lacan débat d’abord des propriétés avant d’interroger la valeur opératoire.

Toute surface locale en topologie étant porteuse de la propriété de la surface globaleccxxix[xv],


toute découpe doit en comporter, aussi mince soit-elle, la structure; c’est pourquoi, dans le
tore par exemple, nous ne pouvons considérer que les cercles qui ne se réduisent pas à un
point, car les autres − les disques − n’ont rien à voir avec la structure globale du tore. Il faut
toujours considérer dans le tore ce qu’il a de caractéristique, qui est sa propriété, à savoir de
présenter deux types de circuits qui ne se réduisent pas à un point, ce que Lacan a déjà articulé
à l’aide des coupures signifiantes comme représentant la demande et sa répétition qui ne se

323
referme qu’à la condition de passer par un circuit d’une autre espèce qui, évidemment, est la
dimension du désir.

Il faut aussi, pour comprendre ces choses, imaginer que nous n’appréhendons ces surfaces que
sous la forme d’êtres infiniment plats qui circulent dessus, c’est-à-dire que nous ne pouvons
pas en avoir une intuition extérieure à cette circulation des êtres extra plats eux-mêmes. Ainsi,
par exemple, le circuit du désir qui boucle la répétition de la demande ne peut s’appréhender
par ces êtres extra-plats qu’en circulant sur le tore enlacé, et non pas intuitivement par
appréhension extérieure.

Lacan précise alors son projet : s’il est vrai que dans son enseignement, la fonction imaginaire
supportait l’identification narcissique sous la forme d’une petite sphère à l’intérieur d’une
grande sphère (microcosme-macrocosme), avec le graphe cependant, il a tenté de construire
une autre forme d’identification qui fait le désir se supporter du fantasme, rendant par là, petit
a équivalent à i (a)bien que petit a n’ait pas d’image spéculaire.

Quel statut donner à cette fonction maintenant, sinon la référer à ce que dans le théâtre, on
appelle un praticable, c’est-à-dire une espèce de bâti, d’illusion qui en quelque sorte capture
l’imaginaire ?

Telle sera bien la valeur opératoire de ces surfaces.

Ce bâti captive le désir, divise le sujet. Il ne suffit pas comme dans le praticable du théâtre de
le montrer, de le voir pour passer au travers du fantasme, c’est là le sens que Lacan veut
donner à ces êtres plats qui, en circulant sur le tore, n’ont pas nécessairement l’idée de ce que
peut être ce trou qui a quelque chose à voir avec l’objet a. C’est pourquoi, les autres surfaces
que sont les plans projectifs ou le cross-cap par la structure de la double boucle (qu’on peut
écrire aussi sur le tore) peuvent nous permettre de donner une autre idée de cet objet a en tant
que sur ces surfaces, une coupure en sépare l’objet, permettant à cette illusion du désir, à ce
bâti de s’isoler, se séparer et se démontrer équivalent de l’objet a.

Cette découpe est à faire, car dans le plan projectif, le fantasme reste précisément tout aussi
illusoire puisqu’il peut se réduire à un seul point, telle est la fonction du regard, d’ailleurs :
« dont la propriété et les pièges consistent en ceci qu’il peut être totalement élidé ».
(30/3/1966)

On notera combien cette nouvelle topologie relève du sujet en ceci qu’elle met en pratique
l’enjeu essentiel qui différencie le sujet lacanien : le rien.

La question se pose alors des rapports de ces structures topologiques entre elles. Peut-on
montrer que le tore comporte cette bande de Moebius, que cette bande de Moebius comporte
ce disque «a», et que toutes ces formes pourraient moyennant certaines manipulations passer
de l’une à l’autre ? On peut ainsi découper un tore d’un seul tenant sous la forme d’une
double boucle, c’est-à-dire d’une coupure en huit inversé, puis on peut par une couture

324
appropriée en faire une bande de Moebius. Si la double boucle peut s’appliquer au tore, on
peut la recoller pour en faire une bande de Moebius, reste à voir alors où se trouvera la
complémentation de cette surface, c’est ce que Lacan prétend pouvoir montrer avec la
bouteille de Klein. (Cf. « L’Étourdit »)ccxxx[xvi]

L’idée nous vient que ce rien mis en jeu par le sujet est aussi le même que celui que la
topologie du graphe nous a appris à repérer sur le nom du vide central.

Depuis le séminaire sur l’Éthique ce rapport au vide est désigné par Lacan comme
interrogation de la place de la Jouissance, mot bien lacanien inventé comme concept au départ
de sa lecture de Freud.

La fin du séminaire va justifier notre thèse selon laquelle l’époque deuxième de la


construction de la topologie lacanienne (après celle du graphe) interroge le cheminement de la
cure au moyen de la topologie des surfaces, en tant que ce qui s’y déploie de spécifique est
précisément le cernage de la jouissance.

Réflexions intermédiaires

Quelques idées, ici, qui permettent de distinguer le progrès déjà fait par cette topologie de
Lacan. Non seulement, elle est là pour indiquer la dimension du trait, ce que nous avions
repéré dans les rapports du graphe, et de l’identification dans le Symbolique, mais la notion de
coupure sur les surfaces nous amène à prendre en considération un second point de la
dimension du sujet, c’est sa refente. Non plus marque à jamais abolie, mais quelque chose
dans le circuit, qui, d’être dans la fente, est support du manque, donc l’être du sujet est divisé
entre cette marque et cette fonction support du manqueccxxxi[xvii].

Ainsi, le sujet répond à la marque par ce dont elle manque, justifiant l’axiome lacanien, le
signifiant représente le sujet pour un autre signifiant.

La subjectivité ainsi refendue ne se réduit pas à un cercle, mais à une coupure où le signifiant
s’origine de l’effacement de la trace, et ce que la science construit sur cette découverte est une
suture dont il ne nous reste qu’une cicatrice parfois très mince. Cette plaie dans le sujet est
originelle. Elle n’est pas produite par l’aliénation capitaliste, au contraire, cette exploitation
sociale, qu’on invoque souvent pour la justifier, recouvre cette plaie d’une certaine façon et
même peut-être, la suture.

Par contre, les symptômes dans la psychanalyse se trouvent, eux, du côté de la Vérité. Ce qui
complémente cette Vérité, qui n’est jamais que le symptôme, est un être de savoir, la

325
réduction de cet être de savoir à la fonction de complément du symptôme est ce que nous
tentons sans cesse d’éviter, car cela nous fait horreur.

C’est pourquoi, la topologie est du côté d’oser le savoir du PSA face à la vérité du patient.ccxxxii
[xviii]

Lacan insiste aussi sur le fait que cette complémentation de l’univers de la science et de l’être
de véritéccxxxiii[xix] est particulière : si elle n’est pas d’enveloppement, elle n’est pas non plus,
bien qu’elle se présente souvent ainsi, de pure suture.

Quelque chose a surgi avec l’avènement de la science moderne qui la différencie de la science
grecque. En effet, si la fonction du sujet était déjà repérable chez Socrate, mais accompagnée,
nous dit Lacan, de quelque chose de particulier puisque Socrate avait sa voix démoniaque;
cette voix que Socrate entendait, Lacan l’égale aujourd’hui non pas aux voix de la psychose,
mais à la fonction du désir situé d’une manière différente pour Socrate et pour le nouveau
sujet de la science.

D. De la jouissance au savoir qui s’en extrait

La séance du 27/4/1966 marque de nouveau un grand tournant dans le travail de Lacan et


nous permet de comprendre la raison du virage à la logique qui était le sien depuis deux ans.
L’interdiction qui l’a frappé dans son enseignement sur les Noms-du-Père, et qui lui a fait
reprendre cet enseignement dans un autre lieu pour un nouveau public, l’a obligé peut-être à
abandonner pendant un certain temps la question de la topologique des surfaces. Au bout d’un
an, s’il y revient par ce détour par la logique, peut-être n’est-ce pas seulement une question de
polémique et de difficulté d’enseignement !

En effet, nous constatons qu’une nouvelle interrogation a surgi. C’est une interrogation sur les
rapports du sujet et de la jouissance. Ainsi se justifierait le détour logique. Autrement dit,
cette logique serait le mode de discours approprié pour parler de cette jouissance qui,
étrangement, est l’apanage du corps. Mais quand elle émerge dans le sujet, c’est comme
retour du refoulé, inscription logique.

Déjà Jones avait appréhendé la difficulté en la déplaçant sur l’aphanisis du désir. Lacan
propose de ramener cette notion à celle de sujet, et de faire de cette crainte pour le désir la
dimension d’évanouissement pour le sujet. Mais du même coup, la crainte que le désir ne
débouche pas sur la jouissance, par la même occasion, ramène cette fonction de la jouissance
à la dimension du sujet. Jones, d’après Lacan, court-circuiterait le tracé normal qui mène à
cette interrogation. En effet, ce qu’il appelle symbole phallique n’est rien d’autre que la
reconnaissance du voile derrière lequel se cache ladite fonction du Phallus. Ce que nous
rencontrons dans l’analyse, est un certain nombre d’objets appelés a qui s’articulent sur deux
versants, celui de la demande et celui du désir; et sur deux opérations : l’une vise l’Autre ; la
seconde, en émane.

Demande de l’Autre où l’objet a est l’excrément, demande à l’Autre où l’objet a est le sein,
désir à l’Autre où l’objet est le regard, désir de l’Autre où l’objet est la voix. C’est au cœur de
cette circulation déjà rencontrée dans le séminaire sur l’angoisse que vient, de manière voilée,

326
se définir la place du Phallus dans sa référence au signifiant, et non plus à quelque chose qui
est substantialisé sous cette forme des objets petit a.

Bien sûr, il y a un caractère insaisissable dans le regard et la voix, mais ce qui est insaisissable
n’est pas de la même nature que la fonction du Phallus. L’évanouissement, l’aphanisis du
sujet derrière le signifiant, est présenté par Lacan comme ce qui se présente justement sous
l’effet d’une torsion qui, entre l’être et le non-être, serait extraction d’un jugement.

Autrement dit, un jugement concerne le sujet, implique le sujet dans une duplicité analogue et
supplémentaire à celle dans laquelle l’installe le « je pense » qui le divise.

Qu’est-ce que cette crainte du sujet devant cette capacité de jouissance qui ne peut recevoir
son statut que de la formule « je pense, donc je suis », alors même que cette jouissance ne
s’appréhende que du corps ? Or, le corps comme tel ne pourrait pas − seul − produire cette
crainte de ne plus jouir car, la seule crainte que le principe de plaisir pourrait nous faire
appréhender dans la jouissance, est de voir s’ouvrir une limite infinie.

« Ce que nous indique le principe de plaisir s’il y a une crainte, c’est celle de jouir, la
jouissance étant une ouverture où ne se voit pas la limite. De quelque façon qu’il jouisse, bien
ou mal, il n’appartient qu’à un corps de jouir ou de ne pas jouir. […] C’est la définition que
nous donnerons de la jouissance. Pour ce qui est de la jouissance divine, nous reportons cette
question à plus tard. » (27/4/1966)

A cet égard, l’orgasme remplit une fonction provisoire : « représentant un point de croisement
ou encore un point d’émergence où la jouissance fait surface; ceci ne prend un sens privilégié
que là où elle fait surface, à la surface par excellence, celle que nous avons définie comme
celle du sujet. » (27/4/1966)

Et Lacan considère l’orgasme comme le point terminal, le point de rebroussement du cycle du


désir, lequel s’accomplit par les boucles répétées de la demande, point terminal punctiforme
qui serait à noter sur un tore. A ce point-là, la demande se réduit à zéro et le désir se trouve en
quelque sorte leurré. Voilà, nous dit Lacan, la fonction idéale et naïve de l’orgasme.

« C’est ce court moment d’anéantissement punctiforme, fugitif, tout ce qui représente le sujet
dans son déchirement, dans sa division. » (27/4/1966)

C’est ici que l’analogie avec la bouteille de Klein reprend ses droits, puisque nous avons vu
comment au lieu de son ouverture, un cercle de réversion pouvait être situé.

« Le point de réversion où je vous ai appris à trouver le point nodal de ces deux versants du
sujet, l’affrontement de la couture : l’être de savoir à l’être de vérité. C’est à la place où nous

327
devons inscrire cette conjonction de l’un à l’autre qu’on appelle le symptôme, c’est le
fondement le plus essentiel à ne pas oublier. En lui-même, le symptôme est jouissance.»
(27/4/1966)

Donc, il y d’autres modes d’émergence de la jouissance que l’orgasme. Le symptôme en est


un, il vient occuper une place concernant cette jouissance par rapport à la fonction du sujet. Il
y a donc lieu de bien distinguer sujet, orgasme, jouissance et jouissance sexuelle, (lesquels se
trouveraient devoir être articulés dans une autre expérience comme celle de la mystique).

La mystique, en effet, est un des lieux de la jouissance humaine qui semble bien échapper à la
conjonction sexuelle. Donc, la jouissance serait liée à la fonction subjective sans
nécessairement devoir en passer par le détour du corps orgasmique ? C’est en ce sens que
Lacan, dès cette séance, indique combien la femme a, avec cette jouissance mystique, une
affinité particulière. On pourrait donc dire que la jouissance féminine exporte la jouissance,
sert la subjectivité, et pas du tout en direction du corps ou de la dimension biologique.

« Là est l’essence de la fonction de signifiance. Si la femme conserve, portée à une puissance


supérieure, ce que lui donne de n’avoir pas le Phallus, c’est de le porter à la fonction de
signifiance en ce point d’être non marqué. » (27/4/1966)

C’est dans ce contexte qu’il convient de situer la topologie des surfaces.

Est-elle ou pas métaphore ? Elle est, nous dit Lacan, essentiellement un affrontement à la
jouissance, c’est-à-dire elle permettrait au sujet de se situer dans une référence non-
métaphorique.

Cette topologie n’est rien d’autre que la structure d’écran sur laquelle le sujet vient éprouver
son expérience. En ce sens, le fondement de la surface est au principe de ce que nous appelons
organisation de la forme. La topologie de Lacan ne cherche pas à trouver le point
d’unification de cette opération subjective qui fait que d’un champ à un autre, il y aurait
correspondance bi-univoque des éléments d’une représentation aux éléments d’une autre
représentation. Cette idée est en fait issue de la distinction espace-temps, distinction
cartésiene. Or, l’expérience nous montre qu’il n’y a pas besoin d’un point de survol pour
ressaisir cette dimension étendue, il est possible sans survol, autrement dit, d’en explorer le
bâti, d’en explorer la structure sous forme d’écran, voilà ce que prétend Lacan.

Alors topologie égale bâti pour le savoir analytique, comme le fantasme égale ce même bâti
pour la pulsion ?

Avec une sérieuse précision de structure cependant car, dans la géométrie projective par
rapport à la géométrie euclidienne, quelque chose se démontre de différent de l’idée d’une
mesure qui organiserait ladite géométrie euclidienne à partir de la fonction subjective. Dans
cette géométrie projective, étendue et combinatoire, se nouent d’une façon spéciale.

Autrement dit, ce n’est pas comme chez Euclide, par homothétie, que se déplace la géométrie
projectiveccxxxiv[xx], mais bien par équivalence de transformation.

Ainsi, avait surgi la question de la perspective.

328
Dans la correspondance entre les figures qu’établit la perspective, se retrouve la fonction
d’écran comme surface à traverser pour faire apparaître une autre figure. L’écran, ici pour
Lacan, est explicitement le représentant de la représentation, ce que déjà dans l’art pariétal, la
fonction combinatoire des animaux placés à l’entrée de la caverne était censée représenter.

L’écran ici fait fonction de support de la signifiance, laquelle s’articule donc en termes de
répartition signifiante dans une combinatoire. Il existe de manière élective un lien intime
entre la signifiance et la structure visuelle. Est-ce dû à ce fait d’histoire : que nous n’avons
pas d’enregistrement de la voix des premiers hommes (sinon par le biais de l’écriture)
qu’existe la prévalence du visuel ? Il faudrait discuter de ce qui nous restera de la fonction de
la voix sur ces enregistrements que nous avons maintenant, mais qui sont toujours des
enregistrements sur bande. Toujours est-il donc que Lacan va privilégier, lui aussi, la structure
visuelle de ce monde topologique, structure antérieure à la physique de l’œil et même à
l’optique, et qui déterminerait en tout cas les rapports du sujet à l’étendue.

On peut ainsi faire reposer un hexagone sur une conique où l’on voit que c’est bien de points,
de lignes, voire de plans, que se constitue une combinatoire : « en termes de purs signifiants
aussi bien de théorèmes qu’il s’agit d’écrire avec des lettres, ceci va nous permettre de donner
une toute autre portée à ce qu’il en est de la correspondance d’un objet avec ce que nous
appellerons sa figure ». (4/5/1966)

En fait, ce que Lacan essaie d’introduire, c’est − pour un oeil − la distinction, la


détermination, de l’espace de la représentation par rapport à l’objet, espace de représentation
qui se présente toujours comme un double de cet objet. On retrouve effectivement cette idée,
par nous avancée dès le Séminaire I, dès le stade du miroir, que nous n’avons jamais des
objets qu’une image en quelque sorte mirée, que nous intériorisons et dont nous oublions
qu’elle n’est qu’image.

« Ce que j’ai présenté comme structure de la vision en y opposant celle du regard, ce regard,
je l’ai mis dès le premier abord là où il se saisit, se supporte, à savoir, là où il est appendu
dans cette oeuvre qu’on appelle un tableau. » (4/5/1966)

Entre le regard et la vision, vient donc s’inscrire cette topologie de Lacan, celle qu’il appelle
structure du fantasme et qui est un montage destiné à rendre la tache visible et significative.
Dans l’écran qui supporte le point d’inscription de l’objet, rapporté au départ d’un oeil qui en
est l’origine conique, nous pouvons matérialiser sur ce plan-support une topologie de la vision
qui n’est rien d’autre que le support du fantasme dont nous avons à repérer un moment de
perte qui est celui de l’objet a, lequel ici sera le regard incluant une division du sujet. Il
convient de reprendre ici le Cahier N° 13 du Lycée Logiqueccxxxv[xxi] pour comprendre
comment toutes les lignes oculaires déterminent la ligne d’horizon sur le plan-figure ; sur
cette ligne d’horizon, se trouvent les points où les parallèles convergent.

Lacan avance que dans un tableau qui ne serait pas limité, la ligne d’horizon serait droite
jusqu’à l’infini, avec une ligne d’horizon qui viendrait se rejoindre elle-même de la droite à la
gauche, de l’avant à l’arrière de la personne qui se trouve placée sur le quadrillage. Sur cette
ligne du plan support, « nous verrons les points se nouer venant respectivement d’en haut et
d’en bas et qui viennent s’accrocher dans un ordre inverse à ce qu’il en est de l’horizon
antérieur ». (4/5/1966)

329
Ainsi, voilà ce que réalise le plan projectif, sous la forme du cross-cap, c’est une certaine
bulle qui s’est nouée, qui se recroise dans un autre plan et ainsi chacun des points de l’horizon
du plan-support vient se renouer avec son point diamétralement opposé.

« Tel est ce qu’il en est de la ligne d’horizon, nous indiquant que ce qui fait la cohérence d’un
monde signifiant à structure visuelle est une structure d’enveloppe et nullement d’infinie
étendue. » (4/5/1966)

Il existe un corrolaire de ce point d’horizon, c’est le point de fuite qui est l’œil qui regarde. Il
y a donc un inverse de la ligne d’horizon qui désigne un point essentiellement perdu comme
point de fuite du sujet regardant

« Ceci n’est pas une nouveauté, cela en est une de l’introduire ainsi, d’y retrouver la topologie
du . Il faut maintenant savoir où nous situons le petit a qui détermine la division de ces
points en tant qu’ils représentent le sujet dans la figure, à la fois le point d’horizon et le point
de fuite. » (4/5/1966)

Ainsi dans toute analyse, le fantasme occupe cette fonction-là au niveau de la combinatoire
d’être un bâti qui permet de repérer ces deux points, le point du sujet regardant qui ne se voit
pas et le point de fuite qui est le point d’horizon.

Dans les tableaux classiques, il existe une tache qui indique le point où on doit prendre la
distance pour que le plan de la perspective soit réalisé devant un tableau.

Ce développement nous permet de reprendre la question du savoir, celui qui jusque là


occupait la scène classique et se voulait rendre compte d’un phénomène géométrique, par
exemple. Quelque chose de neuf en découle maintenant.

Celui qui sait qu’il est un savant est intriqué profondément à la structure du savoir, il en est le
sujet ; or, nous savons que ce savoir du sujet dépend d’une topologie qui est celle de la
jouissance, en tout cas, c’est ce qui s’introduit maintenant de nouveau.

Le nouveau statut du sujet dans son rapport au savoir est ce qui résulte des rapports de la
demande avec quelque chose qui la désaccorde et qui est le désir. Introduire le désir au cœur
de la fonction du savoir, voilà le nouveau statut du sujet tel que Lacan l’avance.

Pour ne pas être perdu dans toutes ces coordonnées, on se rappellera que plus tard dans son
enseignement, Lacan présentera le savoir comme moyen de jouissance. Nous n’en sommes
pas encore là, puisque ce que Lacan introduit, c’est le savoir comme distinct des prestiges de
la méconnaissance spéculaire.

Ce savoir est dans les mains du psychanalyste qui, autant que le patient, se trouve dans une
position divisée, eu égard à cette réunification toujours tentée dans la méconnaissance
spéculaire, de la fonction subjective. Donc, c’est sur ce point de division que l’analyste est
appelé à répondre au travers de la demande. La pulsion scopique est censée l’ illustrer par la
division double de l’œil de la connaissance et du point sujet, là aussi se trouve la subjectivité
de l’analyste.

Dans l’exemple de la vision, la schize subjective peut être montrée au travers de la distinction
vision-regard qui fait surgir les objets a.

330
Entre les points qui créent une perspective (point de fuite et point d’horizon) s’inscrit la
présence subjective du peintre disparu dans le tableau comme le montre le dessin ci-après. La
perspective est donc le mode sous lequel le , le peintre se met dans le tableau.

Plan support

C’est pourquoi, dans beaucoup de tableaux classiques est indiqué un point d’où prendre
distance pour réaliser le plan perspectif à l’intérieur du cadre qui est le portant probable du
rapport de et de a.

Autrement dit, il s’agit de se repérer maintenant afin de retrouver les objets a au-delà de la
distinction de la vision et du regard.

Lacan parle alors d’un second point sujet qui existerait dans toute structure du monde
perspectif et qui dépend de la ligne d’horizon et de la ligne à l’infini.

Ceci n’est pas très clair dans l’exécrable version du séminaire que nous possédons.

Il semble pourtant que cela soit là la chose essentielle à mettre en rapport pour interroger la
relation du sujet au fantasme et le repérage de l’objet a qui s’évanouit dans cette opération.

Il faut concevoir une construction parallèle qui détermine le second point sujet dans cette
construction parallèle. Une fente, une vue, un regard opère pour le sujet fonction de fenêtre
dans le rapport scopique.

Il doit s’agir de ce qui, dans les théories classiques de la perspective, s’appelle point distance
à même distance de part et d’autre du point de projection principal sur la ligne d’horizon,
distance égale à celle du point principal à l’œil de l’observateur.

331
Cette fenêtre en tant que surface est ce quelque chose de troué qui permet la production de la
division du sujet et donc que vienne y tomber l’objet, par exemple sous la forme du regard
dont la fenêtre peut aussi bien être repérée dans la fente des paupières que l’entrée de la
pupille ou de la chambre noire.

Dans le tableau des Ménines de Velasquez, nous avons une sorte de carte retournée qui nous
rend sensible cette subversion toujours à l’œuvre dans toute oeuvre d’art par où Lacan
retrouve la fonction de sublimation. C’est en quelque sorte un double tour pulsionnel qui
saisit la division du sujet et nous la présente. Celui qui regarde y est bouclé.

Au cœur de ce tableau qui nous présente des personnages en représentation, puisque ce sont
des personnages de cour, Velasquez met le spectateur et se met aussi au milieu. Lacan place
dans la bouche de l’infante une sorte de criccxxxvi[xxii] qui serait une sorte de « fais-nous voir »
ou de « fais voir ».

Dans le tableau, on peut repérer le point de fuite et en outre, il y a la présence du peintre, l’air
rêveur, tourné vers quelque chose à quoi se réfère le discours : « Cette double position de
Velasquez en tant qu’il est le peintre et qu’il est aussi présent dans la toile indique à quel point
ce tableau nécessite une structure topologique. » (11/5/1966)

L’hypothèse réfutée pourtant, que le peintre peint un miroir, puisqu’il s’y trouve à l’avant-
plan, permettra à Lacan de distinguer le miroir de la fenêtre. Ce que ferait surgir Velasquez
dans cette fenêtre, c’est ce qui plus tard, viendra sous la forme de l’objet a, l’écran de
télévision, en quelque sorte.

Car, il s’agit effectivement de montrer comment, grâce à la géométrie projective, la vision


recèle une subjectivation, vision qui relève, elle, des fonctions du narcissisme et du miroir
telles qu’elles ont été traitées depuis longtemps par Lacan. Comment s’introduit le sujet dans
le narcissisme par l’intermédiaire de l’objet a ?

332
Voilà la thèse fondamentale de Lacan.

Toute cette discussion en fait est à rapporter à la dimension de pulsion freudienne, montage
entre des réalités hétérogènes incluant la poussée, le Drang, impliquant aussi une structure de
bord ou orifice du corps sur lequel cette poussée prend son appui et d’où elle tire sa constance
; tout ceci ne pouvant s’élaborer qu’émanant d’une surface, dans un mouvement d’aller-retour
qui contourne l’objet a.

L’objet a précisément par l’effet de trou est la monstration par excellence de la division du
sujet. On peut le voir dans la pulsion scopique avec ces deux points sujets. Le fantasme alors
ne serait qu’une sorte de réunification à partir de laquelle on pourrait isoler cette division
après-coup. Tout le contraire du sujet divisé.

La perspective par rapport à cette division est une façon pour le sujet de se placer dans le
tableau.

Lacan démontre enfin son objectif : le fantasme inconscient dont on parle dans l’espoir de le
voir, il n’est pas question précisément de le voir car, il a d’autres fonctions, celle de donner un
bâti d’où pourrait venir cette phrase : « Tu ne me vois pas d’où je te regarde ».

Ce qui est visé dans tout tableau, c’est le représentant de la représentation, le Vorstellungs
reprësentanz, le point , le point sujet du système projectif qui se trouve en quelque sorte
encadré dans un plan parallèle au plan du tableau, et qui est cette fenêtre dont parle Lacan.

« C’est dans ce cadre où est le point qu’est le prototype du tableau, celui où effectivement
le se sustente, non point réduit à ce point qui nous permet de construire dans le tableau la
perspective, mais comme le point où le sujet lui-même sustente dans sa propre division autour
de cet objet a présent qui est sa monture, c’est bien en quoi l’idéal de la réalisation du sujet
serait de présentifier ce tableau dans sa fenêtre, et c’est l’image provocante que produit devant
nous un peintre comme Magritte quand il vient faire un tableau dans le tableau, devant une
fenêtre qui m’a servi à illustrer le fantasme. » (25/5/1966)

Tout artiste renonce à la fenêtre pour avoir le tableau, autrement dit, il écarte cette fenêtre de
l’endroit où se réalise l’œuvre.

On notera ici que Lacan nous propose de l’œuvre d’art, une toute autre lecture que celle qu’il
avait proposée dans son séminaire sur l’Éthique où la fonction du Beau était référée à ce qui,
dans le graphe, correspond à la boucle de retour, c’est-à-dire au trou, à l’évidemment ; ici,
tout au contraire, l’art a pour fonction de mettre en évidence ce rapport si particulier qui existe
entre le tableau et l’objet a lequel, autant que faire se peut, est proprement masqué par l’effet
d’écran en quoi consiste ce tableau.

Ainsi au-delà de son ébauche (voir le séminaire sur l’angoisse) les lieux du corps propres à
se lier à une topologie se dégagent. En l’occurrence la fonction scopique.

Il fallait pour cela que Lacan puisse avancer l’idée qu’une suture involutive entre le corps et
l’hyperespace topologique soit pensable et qu’elle est repérable dans la science partout où le
savoir se décomplète.

333
Par la fonction de représentant pris dans la représentation, le regard s’interroge, prenant le pas
sur la vision, elle toujours marquée d’un accent spéculaire. Le regard inscrit le sujet comme
fantasme dans cette scène seconde, il l’unifie, « l’holophrasie » en quelque sorte. Seul un
parcours dans cette topologie fossilisée pourrait rendre au sujet sa mobilité divisée par l’objet
dont il doit faire le tour. De la pertinence des critères qui nous poussent à concevoir le sujet de
la sorte, n’existe que ce fait de la structure qui s’en dégage car à moins d’en fossiliser la
« théoria » ce qui reviendrait à en éluder le parcours. C’est pourquoi la topologie de Lacan est
ce parcours, donné à voir sur une surface.

334
Séminaire XIV

La logique du fantasme

A. Du statut de l’écriture comme greffe logique de a

Dans la logique des surfaces, un point de non-retour a été atteint à partir duquel Lacan engage
son va-tout, tel Christophe Colomb décidant de poursuivre au-delà de toute réserve stockée
pour assurer une marche arrière éventuelle. Un nouveau clivage s’établit entre la structure du
vivant qui parle (topologie du graphe) et celle du vivant topologisé par une découpe, celle de
l’a-nalyse.

Lacan s’engage donc dans l’analyse logique de ce prêt-à-porter du fantasme sans oublier que
cette logique résulte de la chute de cet objet a, du fait de la découpe signifiante dans l’Autre
topologique. La logique, c’est le déploiement analytique de a après coupure signifiante.

Cette logique est une écriture présente, ces dernières années dans l’enseignement de Lacan,
sous la forme des formules, , (le sujet barré de ce qui le constitue comme fonction de
l’Inconscient) et l’objet petit a qui a un rapport logique à la fonction du fantasme, lequel n’a
rien à voir avec la fantaisie.

Le poinçon, lui, dans son double rapport petit et grand, inclus – exclu, permet de conjoindre
dans le sujet ce qui peut s’en isoler de l’objet a.

« a résulte d’une opération de structure logique effectuée non pas « in vivo », non pas même
sur le vivant, non pas à proprement parler au sens confus que garde pour nous le terme corps,
ce n’est pas nécessairement la livre de chair, encore que ça puisse l’être et quand après tout,
ça l’est, ça n’arrange pas si mal les choses.

Mais enfin, il appert que dans cette entité si peu appréhendée du corps, il y a quelque chose
qui se prête à cette opération de structure logique qu’il nous reste à déterminer. C’est le sein,
le scybale, le regard, la voix : ces pièces détachables pourtant foncièrement reliées au corps.»
(16/11/1966)

Ce fantasme comme écriture nécessite du prêt-à-le-porter, ce prêt-à-le-porter, c’est la surface


dont Lacan a traité sous la dénomination topologique.

« Cette surface primordiale qu’il nous faut pour faire fonctionner notre articulation logique,
vous en connaissez déjà quelques formes, ce sont des surfaces fermées participant de la bulle,
à ceci près qu’elles ne sont pas sphériques, appelons-les la bulle, nous verrons ce qui motive
ce à quoi s’attache l’existence des bulles dans le réel. » (16/11/1966)

Or, cette bulle a deux noms : désir et réalité, nous dit Lacan. Ces deux notions, désir et réalité,
sont d’une même texture sans coupure, sans couture, on passe de l’une à l’autre comme Lacan
l’a montré dans le cross-cap; ce n’est pas seulement que l’on puisse passer de l’envers à
l’endroit, sans discontinuité, c’est aussi que malgré cela, elles ont un envers et un endroit, et
c’est ce que la forme parcellaire de la bande de Moebius évoque.

335
Or, les propriétés de cette surface n’apparaissent pas à l’être qui circule dessus. Il faut pour
cela une troisième dimension. Mais cette troisième dimension n’est pas le volume. Cette
troisième dimension, c’est le grand Autre, ainsi que Lacan avait tenté de l’articuler pour les
rapports du sujet à l’Autre dans la névrose sous la forme des tores enlacés. A ce niveau
d’ailleurs, où envers et endroit se distinguent dans le discours de l’Autre comme pile ou
faceccxxxvii[i], il n’y a pas encore de sujet, car le sujet ne commence qu’avec la coupure ;
pourtant déjà, dans le cross-cap, une ligne imaginaire permettait à toute la surface de s’aplatir
(1), à la manière du disque dont une autre coupure (2) du même type, mais un peu plus
précisée, permettait à l’objet a de s’extraire lui aussi avec un endroit et un envers qu’on ne
peut pas franchir sans bord.

Cette première coupure fait de la bulle un objet a, c’est-à-dire du sujet non encore apparu,
simplement découpé par cette première coupure du signifiant dans le Réel, elle en fait un
objet a. Ceci est important dans la mesure où à un certain moment, Lacan parlera du
psychotique comme l’effet-objet a de la mère.

Toute autre sera la coupure qui se redouble et qui sans être double (deux coupures) est une
seule mais qui, par un mode de recoupement d’elle-même, produit tout autre chose
topologiquement parlant, et permet par la même occasion la restitution de la non-séparation
de la réalité et du désir, tout en gardant un envers et un endroit, bien qu’étant en continuité
l’un avec l’autre.

La réalité sera présentée par Lacan comme un montage du Symbolique et de l’Imaginaire


alors que le désir, lui, c’est ce qui couvre le Réel.

Soit la réalité comme ce qui s’offre à devenir le bâti pour le fantasme tandis qu’en son cœur,
le désir en désigne l’essence de réalité qui n’est rien d’autre qu’en masquer le Réel.

Jusque là, les cercles d’Euler avaient servi à Lacan à représenter cette opération par
l’intersection de et de A. Leur intersection étant petit a et correspondant à l’aliénation par
laquelle le sujet s’institue comme manque à une intersection (petit a), manquant aussi bien à
lui-même qu’au grand Autre, d’où les deux opérations logiques qui permettaient de
l’interroger, la réunion qui est la liaison du sujet à l’Autre, et l’intersection qui définissait
l’objet a.

336
Cette surface qui fait maintenant étoffe du désir, se nécessite donc de deux opérations
logiques déjà aperçues au niveau spéculaire dans les rapports du Moi à l’image de l’Autre
sous la forme d’un double leurre.

D’une part quand savions à quel point le Moi est soumis aux avatars de l’image, d’autre part,
quand il se déterminait par ce qu’il rejetait comme du non-moi, alors qu’un usage renouvelé
de la fonction de négation va nous montrer que ce non-moi n’est en rien étranger au Moi.

C’est la fonction du manque au cœur de la bulle. Le manque, inscrit dans la bulle, vient en fait
désigner cette fonction de la négation et l’amplifier, car le signifiant ne se contente pas de
désigner l’absence ou la présence maternelle (figures cliniques de ce manque).

« Ce qui n’est pas là, le signifiant ne le désigne pas, il l’engendre. Ce qui n’est pas là à
l’origine, c’est le sujet lui-même. Autrement dit, à l’origine, il n’y a pas de Dasein, sinon dans
l’objet a, c’est-à-dire, sous une forme aliénée qui reste marquée jusqu’à son terme dans toute
énonciation concernant ce Dasein. » (16/11/1966)

C’est d’ici que se nécessite la fonction d’écriture, elle relie l’Urverdrängung freudienne, le
refoulement originaire à la théorie de Lacan du signifiant qui représente le sujet pour un autre
signifiant, en ce sens que cette représentation ne mord sur rien, ne constitue rien,
s’accommode d’une absence absolue de Dasein. L’Urverdrängung, c’est l’instauration de la
fonction de représentation.

Ainsi, en est-il de l’écriture égyptienne avant qu’elle soit déchiffrée, elle représentait des
sujets sans qu’on puisse la traduire, voilà pourquoi l’écriture se trouve introduite par Lacan
dans son travail. C’est dire aussi que ce sujet reçoit d’une certaine façon une spécification ici,
car, il vient d’un lieu où il est supposé inscrit, dans un autre lieu où il va s’inscrire, à la façon
même de la fonction métaphorique, modèle du retour du refoulé :

Entre ces deux signifiants, le Sujet désigne la place première d’où, sous un premier signifiant,
un sens a surgi, ce que Frege appelait Bedeutung et que Lacan appelle naissance de l’objet a.

C’est pourquoi, pour saisir ce point de départ de l’objet a comme signification, Lacan revient
à la théorie des ensembles.

D’où il résultera que le langage ne saurait constituer un ensemble fermé, c’est-à-dire qu’il n’y
a pas d’univers de discours.ccxxxviii[ii]

Tout ceci se justifiant d’une axiomatique qui est que le signifiant, celui qui représente le sujet
pour un autre signifiant, ne saurait en aucun cas se signifier lui-même. Ceci entraîne que le
signifiant premier ne saurait en tant que tel engendrer seul une signification, mais bien
demeurer stérile.

L’écriture, ici, devient une opération capitale pour rendre compte de cette espèce de stérilité
originelle qui glisse dans la suite signifiante comme Un toujours en plus.

337
Cet en-plus incomptable spécifie l’écriture et la distingue du discours, lui donne cette
possibilité de distinguer un Un d’un tout autre statut. De ce manque, la logique doit se
souvenir dans ce qu’elle permet d’écrire, de symboliser par la fonction de l’écriture. Une autre
version serait de dire que la marque se répète à condition de se souvenir que : « pour que la
marque engendre la répétition, il faut que la marque s’efface au niveau de ce qu’elle a
marqué ». (23/11/1966) Une illustration nous en est donnée par le problème du « catalogue
des catalogues ».

Lacan imagine le paradoxe des catalogues qui ne se contiennent pas eux-mêmes soit ABCD
répertoriés en E, lui-même repris en A dans un groupement BCDE et ainsi de suite pour
chacun. Le manque qui s’inscrit dans chaque groupement, à simplement à être reporté sur un
disque pour se boucler au terme de l’inscription ccxxxix[iii], se voit de la sorte spécifié dans son
existence écrite de plus-Un qui n’est pas sans évoquer à l’avance les problèmes que poseront
les nœuds borroméens généralisés voire le vrai nœud borroméen à quatre.

Le 30 novembre 1966, Miller fait un exposé sur la logique de Boole d’où il ressort les
formules du « un en plus » et du « un en moins » pour désigner ce qui, dans l’ordre de la
signification, manque ; moins-un pour dire que l’ordre du signifié est institué comme l’inverse
de l’ordre du signifiant : « le « plus ou moins un » est produit par toute signification en tant
qu’elle suppose une opération de redoublement. » (30/11/1966)

On vérifiera plus tard si l’opération de redoublement d’une bande réalise, dans la texture
même, le problème du « plus ou moins un » comme obstacle ou irréductibilité à ce
redoublement-retournement.

Ce « plus ou moins un », quand il retentit dans l’écriture, mobilise la fonction de Vérité que
toute parole induit en tant que telle. Mobilisée dans l’écrit sous forme de proposition, vraie ou
fausse, elle s’incarne dans la logique.

Par la technique de l’association libre, Freud nous avait appris à fonder les interprétations
comme un petit pont dans un réseau. Ce petit pont avait quelque rapport avec la Vérité, soit la
façon dont des lignes d’association venaient converger dans des points élus. Voilà ce qu’était
la pratique de Freud. La Vérité devenait le rapport interne du sujet à quelque chose qu’il a à
vérifier par son être et par son symptôme, c’est-à-dire qu’il avait à articuler en termes
signifiants.

C’est à vouloir serrer cette vérité au plus près que Lacan retrouve la logique et les tableaux de
vérité des logiciens de la logique des propositions. La question à ce moment-là revenant à
poser l’interrogation suivante : avons-nous le droit d’inscrire : « dans le signifiant, le vrai et le
faux comme quelque chose de maniable logiquement » ? (7/12/1966)

Ici, se mesure le subtil glissement que Lacan fait subir à la fonction de Vérité. Extraite de
l’énonciation où elle a un statut apodictique, vérité du dire individuel, elle tente de se
transmettre par une logique de l’écrit, non sans perdre au passage sa valeur révélatoire,
énigmatique, au profit d’une plus grande maniabilité.

A « il est vrai que » va succéder un «il est permis d’écrire que ».

338
C’est la raison pour laquelle nous avons à nous demander comment inscrire dans cette logique
la fonction de l’énonciation, sinon à interroger quelque chose qui fonctionnerait de manière
automatique au niveau de l’écriture et qu’il faut dégager.ccxl[iv]

Cette fonction de la Vérité de l’énonciation vient s’inscrire dans le maniement de l’écrit grâce
à la négation, c’est-à-dire ce qui peut être écrit et ce qui ne le peut pas. Tout ceci dépend
d’une axiomatique initiale. Il y a un sens interdictif dans la parole initiale, et c’est ce
problème qui règle le fonctionnement logique au niveau de l’écriture. Lacan rappelle à quel
point la négation est fondée, dès le départ dans le narcissisme primaire, par le principe de
plaisir s’ordonnant d’un Moi et d’un non-moi.

Dans ce qui se bâtit de logique nouvelle, cette opposition extérieur-intérieur qui assure la
fausse dignité du Moi est précisément à mettre en doute, toujours grâce à cette topologie
d’une bulle qui s’autotraverse, se recroise. Aussi Lacan introduit le « pas-sans », c’est-à-dire
là où se profilent la place et le mode du surgissement de la cause d’une manière nouvelle
propre à justifier la sortie d’un narcissisme manichéen (Moi et non-moi).

L’implication logique nous en donne l’occasion par ce « qu’implique la proposition du


retournement à savoir que la condition devient nécessaire de renverser la seconde proposition
vers le première, c’est le pas-sans ». (7/12/1966)

P → Q (si p alors Q)

[P ← Q] Pas de Q sans P

Dans le « pas-sans » s’incarne la cause pour le Sujet.

B. Une logique de l’aliénation

En cette année 1966 où les Écrits viennent de sortir, et à qui voudrait connaître le fil rouge qui
unit les différents textes de cette publication, Lacan se trouvait bien en peine de fournir
réponse. Ce n’est pas disait-il « sur le terrain de l’Identification elle-même que la question
peut être vraiment résolue. » (14/12/1966)

Pourrait-elle seulement l’être par elle-même ? Ne sommes-nous pas en train de fournir, par
notre thèse, une réponse à cette question que nul ne peut trouver seul à s’identifier à son
oeuvre, sans le détour par le travail d’un autre ?

Nouvelle manière de répéter l’axiome que le signifiant ne saurait se signifier lui-même.

Autre façon de consacrer la non-existence de l’univers du discours comme univers fermé ce


que, dans le graphe, Lacan a écrit S ( ) et qui n’est rien d’autre que le signifiant en trop, le
signifiant du manque dans l’Autre. Il s’avère que le sujet est le retour du refoulé de ce
signifiant du manque initialement Unterdrückt, et c’est ce que désignerait la fonction
métaphorique qui fait intervenir un autre signifiant à la place d’un premier, c’est-à-dire qui
fait intervenir cet « un en trop » en plus !

A propos des relations dans un groupe de Klein, il est démontrable que certaines opérations
peuvent être involutives, c’est-à-dire que la négation, comme signe ajouté à l’opération qu’on
vient d’obtenir, n’équivaut pas par exemple à une affirmation quand deux négations se

339
rencontrent, mais simplement s’égale à zéro : c’est cela l’involution. Lacan met ceci en
rapport avec la relation proportionnelle et avec la fonction de la métaphore où nous
trouverions la structure de l’Inconscient.

Formule de la métaphore :

Il en résulte que la lecture qui est à faire de cette relation proportionnelle n’est en rien une
lecture sur le modèle des fractions, mais que la présence de deux termes identiques
correspond à ce qui, dans le groupe de Klein, fait partie du nombre d’opérations possibles,
c’est-à-dire trois. Le lien de tout ceci avec l’Inconscient serait de considérer que le moment
originel est refoulé, qu’au niveau de son retour, il se manifeste par la fonction du sujet.

Ainsi, la métaphore, qui n’est rien d’autre que le symptôme, quand elle resurgit, représente le
sujet de l’inconscient pour quelque chose d’autre. Ce groupe de Klein représente, en quelque
sorte, la faille qui existe dans l’univers du discours, ce que Lacan avait déjà indiqué dans le
cogito en introduisant la fonction des guillemets sur le « Je suis ». Ce signifiant manquant
répond à la fonction de l’interprétation par le système de la métaphore, par l’intervention dans
la chaîne de ce signifiant qui, lui, est immanent comme un-en-plus.

Dans cette structure logique, surgit l’effet de vérité comme effet de signification, sans que
nous puissions au préalable décider de ce qui en est la raison. C’est pourquoi, il faut
s’intéresser à l’ordre d’implication qui permet qu’une conclusion soit vraie.

Lacan parle ici de déchéance de la parole à l’intérieur de la technique analytique grâce à quoi,
sont prises en considération, les lois de la conséquence de cette parole et non pas les lois du
sens de cette parole. Le cogito ergo sum permet de saisir en quoi, dans toute énonciation,
quelque chose peut être saisi dont la conséquence est qu’il n’y a pas d’univers du discours,
c’est-à-dire que quelque chose fait défaut à la complétude. C’est là qu’officie le
psychanalyste.

Le défaut de complétude, marque de l’Un-en-trop, frappe la circulation de toute chaîne


signifiante. La mise à plat de ce fonctionnement radical relève de l’écriture, comme le montre
avec saisissement la loi de Morgan qui donne un statut si particulier à la logique
propositionnelle, aux propositions de Vérité qui en résultent et à la logique de l’aliénation que
Lacan va mettre en avant dans son séminaire par la suite, pour élucider certains des rapports
du Sujet et de l’objet a. Rien moins que la décomposition du « je pense, donc je suis » en sa
version négativée : « ou je ne pense pas, ou je ne suis pas » qui montrerait comment le vel
aliénant a partie liée avec le S( ) de l’un-en-trop ou en moins !

Si la logique fait son entrée dans les séminaires de Lacan, et ici, fait son entrée topologique,
c’est dans la mesure où, se servant de la théorie des ensembles, elle permet à Lacan de poser
sur une surface la fonction de l’écriture et la fonction de vérité, comme relevant toutes deux
d’une certaine logique. C’est ainsi que l’aliénation, qui n’est rien d’autre qu’une alternative
qui se solde par un manque essentiel, a été interrogée par le logicien symboliste Morgan pour

340
qui la négation d’une réunion est autre chose qu’une intersection, ce qui s’appelle le principe
de dualité.

L’intérêt de cette théorie des ensembles est qu’elle introduit, dans la pensée mathématique
sous une forme masquée, le sujet de l’énonciation qui en vient ainsi à s’égaler à la fonction de
l’ensemble vide. Ceci justifie dans le cogito cartésien, le passage de la formule « je pense,
donc je suis » à sa négation « Je ne pense pas, je ne suis pas » sous la forme d’une réunion,
réunion de ceux qui nient la conjonction des deux propositions. On remarquera à quel point la
fonction de négation vient, ici, se lier essentiellement à l’énonciation. Ainsi l’exemple, « Je ne
désire pas ».

Ce qui s’opérait avec Descartes est, prétend Lacan, la substitution du rapport pathétique de
l’interrogation philosophique qui était un rapport du penser à l’être à tout autre chose, à
l’interrogation de la fonction du « je », c’est-à-dire du sujet. Cette substitution demande à être
précisée par la négation précisément.

Le rejet d’une pensée de l’être est aussi ce que Freud a amené avec son Inconscient : « Ça
pense là où je ne suis pas, Je ne suis pas où ça pense. » Lacan va tenter de l’articuler
logiquement à partir du cogito et du recours à la formule morganienne : « Y-a-t-il un être du
« je », hors du discours, c’est bien la question que tranche le cogito cartésien, encore faut-il
voir comment il le fait. » (11/1/1967)

En élidant la question de l’être pour promouvoir la fonction du « je », Descartes promeut en


même temps la dimension de l’Autre, « car c’est elle qui constitue proprement la limite de ce
qui peut se définir et s’assurer au mieux, comme l’ensemble vide que constitue le «je suis»
dans cette référence où « je », en tant que « je suis » se constitue de ceci : de ne contenir
aucun élément. » (11/1/1967)

L’intérêt est grand dans ce passage pour notre problématique, puisqu’au fond ce « je pense »
ne peut avoir d’habillement qu’à la condition que se prépare un aveu d’un ensemble vide,
c’est-à-dire du vidage d’un autre ensemble. L’être vidé c’est l’Autre lacanien !

« Je » est ce qui se constitue de ce qui s’est vidé de pensée mordue par l’être :

et de ce qui s’est vidé d’être mordu par la pensée :

341
En somme jouant sur les mots, éviter l’être évide l’ensemble où le sujet va surgir, ce qui ne
fait que corroborer ce que Freud nous avait apporté sous le terme de psychisme.

Or, ce qui est rejeté de l’être reparaît dans le Réel, et là où on aurait pu penser que c’est le
sujet qui faisait fonction de cette réapparition, c’est en réalité, nous dit Lacan, ce que de tout
temps nous avons pu observer comme trace de l’homme, c’est-à-dire la fonction du détritus.

En d’autres termes, le sujet pour apparaître ne se suffit pas de l’évidement – écornure


topologique de l’Être par la pensée. L’opération symétrique est nécessaire elle aussiccxli[v].

« Le détritus est le point à retenir qui représente, pas seulement comme signal, comme
quelque chose d’essentiel, ce autour de quoi va tourner pour nous ce qui va en être de ce que
nous avons à interroger de cette aliénation. L’aliénation, ce n’est pas que nous soyons
représenté par l’Autre, mais que ce phénomène est fondé sur le rejet de l’être; et l’Autre, lui,
vient à la place de cette interrogation sur l’être. » (11/1/1967)

Il résulte de cette opération que quelque chose reparaît du fait même de la négation ne portant
pas sur l’être, mais sur le « je », et ceci aussi bien dans le champ du « je ne suis pas » que
dans le champ du « je ne pense pas ».

Dans cette intersection des deux cercles, ce qui se trouve mordu va prendre nom de Phallus et
d’objet a :

Ainsi se présente l’aliénation: un rejet de l’Autre venu prendre la place de l’interrogation sur
l’être et rejaillissant sur le « je » de la pensée dans un temps second. Ce temps second illustre
la sortie du « Je » hors du « Ça » pulsionnel, celui de la structure grammaticale où jamais le
sujet ne s’avoue !

« Le « je » du « je ne pense pas » s’aliène lui aussi en quelque chose qui est un pense-chose. »
(11/1/1967)

Cette aliénation morganienne se décompose en un rectangle qui permet à Lacan d’en préciser
les temps logiques.

342
Premier temps où l’aliénation se pose à partir de l’être comme Autre : "je ne suis pas.... là où
je pense" rejaillissant ensuite sur la pensée : « je ne pense pas parce que ça pense hors de ma
maîtrise ! »

Différentes choses viennent alors prendre place dans ces champs évidés : la pulsion
scoptophilique dans le registre de la pensée du « ça », et l’insistance du Sexuel dans le registre
de l’Être scandant à eux deux la sortie possible de l’aliénation.

En ce point, voir surgir l’amour ne peut qu’étonner ceux qui refusent de reconnaître à quel
point l’amour est évoqué pour Lacan à chaque tournant important de sa théorisation. En
l’occurrence, l’effet d’évidement dédoublé qui le voit émerger ici ne peut que confirmer à
nouveau les thèses freudiennes : l’amoureux se vide de son être pour idéaliser l’aimé !

Dans le champ vide du « je ne suis pas », là où le sujet est non-identifié, il y a remplissage par
un - phi de l’échec de l’articulation de la signification de la Bedeutung sexuelle. Ainsi, se
distinguent les deux opérations de l’aliénation, celle pure, simple de l’aliénation et celle de la
relecture de cette même nécessité aliénante : « dans la Bedeutung des pensées inconscientes,
mais dans les deux cas, les résultats sont différents. » (18/1/1967)

343
« D’une part, on a l’opération logique « où je ne pense pas, où je ne suis pas » qui est le sens
véridique du cogito cartésien et qui aboutit à un «je ne pense pas » au fondement de tout ce
qui, du sujet humain, fait un sujet soumis spécialement aux deux pulsions scoptophilique et
sado-masochiste. » (18/1/1967)

Mais, de l’autre côté, nous avons le rapport de la sexualité avec les pensées de l’inconscient
qui démontre la radicale inadéquation de la pensée à cette réalité du sexe.

La castration devient, dans la seconde fonction, ce qui relève de l’opération de vérité; alors
que l’autre opération, qui interroge le statut du langage et son inadéquation à la réalité
sexuelle, est le lieu où Lacan va définir la fonction petit a.

Lacan propose alors un rectangle aux quatre coins duquel il situe le « je suis, je pense »
cartésien, le « je ne pense pas, je ne suis pas » (ligne du haut), le « je ne pense pas » et le « je
ne suis pas » (ligne du bas) :

Ces deux opérations de l’aliénation sont aussi celles de la topologie puisque ce qui nous vient
de l’Autre sous la forme d’un vidage pouvait déjà s’écrire [Phi] dans le cross cap, et que ce
qui vient du sujet, vidé de sa pensée, se découpait sous la forme du disque a.5

Une ébauche d’orientation se repère, ici, pour la cure psychanalytique.

Il semble bien que l’analyse du fantasme ne s’opère pas de manière symétrique aux deux
champs évidés, mais que du désêtre (vide de l’être), un mouvement gagne la pensée et
s’articule dans le champ signifiant autour de l’objet a.

344
Ceci nous permettrait de cerner l’énigme du « je ne suis pas » qui s’éclaire quand
effectivement on l’articule à la fonction de l’amour lequel ne pense pas et dépendrait de
l’instance freudienne : Lust Ich.

Ce Lust Ich participe du narcissisme. Le petit a que Lacan essaye de cerner du regard et qui
est au cœur de l’angoisse, lié à la fonction du « je suis » et à l’opération de vérité, est différent
de ce qu’un Claude Lévi Strauss a présenté dans l’analyse des mythes, car il est propre à une
autre forclusion sociale.

Dans le mythe, nous n’avons aucun rapport avec un « je », mais avec un « jeu » là où en
quelque sorte la structure attend la chose non encore apparue depuis toujours. C’est pourquoi,
la question du « je » vient se conjoindre ici au « je ne suis pas », à ce qui fait trou en quelque
sorte dans la Bedeutung, là où vient apparaître l’objet accxlii[vi].

Pour nous modernes, le « je » émerge dans nos rêves, plus exactement au moment où nous
nous réveillons. Plus exactement encore dans les rêves dans le rêve, nous pouvons sentir ce
qu’est la fonction regard puisque c’est à ce moment où nous nous faisons tableau, où nous
nous faisons tache, qu’on peut donc dire que le rêve masque la réalité du regard qui est à
découvrir, figure à naître du sujet dans l’abord d’une perte dédoublée par la logique de
l’aliénation.

C. La cinétique de ce savoir logique

Avant d’en venir aux problèmes d’orientation qui occuperont l’espace du nœud, Lacan inscrit
le mouvement subjectif qu’il vient de découvrir dans l’histoire de la pensée sous la forme
d’un espoir : celui de la naissance d’un nouveau type de sujet issu de la reconnaissance de la
non-existence de l’Autre, changement de position radical qui fait rejaillir sur le sujet et les
conséquences de son avènement, ce qui jusque là faisait consistance encore sous la
dénomination trompeuse de poids d’une destinée.

L’acte et la satisfaction pulsionnelle entrent par là même dans le collimateur de Lacan.

L’objectif de Lacan (15 février 1967) est de montrer comment le savoir analytique passe dans
le Réel et, tout ceci, au fur et à mesure que s’affirme la prétention croissante du « Je » comme
source et origine de l’être. La question de savoir comment cela passe effectivement n’est pas
encore résolue, on sait que c’est à cette époque que Lacan va sortir sa proposition
d’octobre.ccxliii[vii]

Mais il est clair que si quelque chose reparaît dans le Réel, c’est au titre de ce qu’il est rejeté
du Symbolique, ainsi donc, ce « je » qui apparaîtrait dans le Réel comme savoir serait un
effet de la Verwerfung et donc, notre savoir analytique est au même titre que le savoir du
paranoïaque, un rejet dans le Réel du symbolique sous la forme cette fois-ci, non d’un délire,
mais du « je ».

Ce qui reviendrait dans le Réel doit être suivi à la trace comme pensée car, la pensée ne serait
rien d’autre que le retour du sujet dans le Réel, l’effet d’un rejet, d’une Verwerfung que Freud
a appelé : l’au-delà du principe du plaisir.

Cette pensée s’introduit par la répétition au-delà des pulsions du plaisir et, à l’aide de la
pulsion de mort, interroge la fonction du vivant d’une autre manière que celle qui donne

345
généralement signification à la vie, c’est-à-dire « l’ensemble des forces qui résistent à la
mort ». Car, « quelque chose partout où nous suivons Freud se fabrique non pas comme ce
simple retour, mais comme une pensée du retour, comme une pensée de répétition. »
(15/2/1967)

Cette pensée apparaît dans la réaction thérapeutique négative, dans le masochisme primaire et
elle est tout à fait différente de la mémoire. Elle s’appuie sur le signifiant et sur ce qui fonde
le signifiant, c’est-à-dire le trait unaire. Le trait unaire, c’est celui que Lacan retrouve dans la
fonction des nombres comme ce Un tout à fait particulier qui n’est pas celui de la suite
ordinale.

Huit intérieur :

Il est la trace d’un trait qui fait la différence sans s’appuyer pourtant sur une autre identité que
l’identité signifiante, celle qui fait par exemple qu’il ne peut en aucun cas s’appliquer à la
situation originale, mais qu’il ne peut la désigner qu’en creux dans la répétition des situations
suivantes.ccxliv[viii]

Voilà, pourrait-on dire aussi en commentaire, comment l’objet a fait son entrée « en creux »
dans cette signification ; « en creux » prélude à la fonction signifiante de répétition. Ce tracé,
c’est celui que Lacan, dans sa topologie actuelle, égale à la double boucle, là où le rapport de
Un au deux est un retour se bouclant vers le Un qui est premier. Il y a quelque chose qui n’est
pas numérable, quelque chose qui n’est pas réductible à la série des nombres naturels, qui
n’est ni additionnable, ni soustrayable et qui pourtant mérite le titre de Un-en-trop, ici,
fondant la dimension de la régressionccxlv[ix].

Ce statut logique dernier fait alors l’objet de la réflexion de Lacan sur ce qui, du Sujet,
s’involuerait sur lui-même dans une répétition signifiante.

Demande, angoisse et jouissance sont appelés alors à occuper les trois paliers successifs d’une
réalisation subjective espérée.

« Rien d’autre dans le sujet ne se traverse réellement soi-même, ne se perfore, si je puis dire,
comme tel, rien d’autre sinon de point qui de la jouissance fait la jouissance de l’Autre. »
(15/2/1967)

Ce point dernier qui articule demande, angoisse et jouissance à l’Autre mérite notre attention,
puisque c’est sans doute un des rares endroits où Lacan parlera de traversée par le sujet. Ceci
indique aussi à quel point cette interrogation de la jouissance dans l’expérience de la cure,
s’ordonne d’abord en demande, puis en angoisse, et enfin en jouissance de l’Autre pour y
trouver ce moment de traverséeccxlvi[x].

La répétition, qui s’incarne dans la double boucle qui se referme, peut très bien déboucher sur
la fonction de l’acte, éloignant en quelque sorte la dimension de l’aliénation qui est celle de la

346
double boucle vers l’acte que Lacan image par cette espèce de redoublement des deux
rondelles de la double boucle quand elle viendrait à se superposer.

Avant de revenir sur la valeur de l’acte – et Lacan va y consacrer toute l’année suivante en
plus – la question doit être posée du support sur lequel se trace la coupure de l’aliénation.
Comment Lacan justifie-t-il que le trajet signifiant, jusqu’ici pure trace, devienne coupure,
c’est-à-dire bord sur une surface torique ?

Il semble bien qu’il nous manque ici une justification pour nous satisfaire absolument, celle
qui expliquerait pourquoi c’est la bande moebienne qui se trouve privilégiée outre ce fait :
qu’elle est bien la surface qui peut supporter cette double boucle et dont Lacan parle à la
séance du 15/2/1967.

« Si l’on prend cette surface comme symbolique du sujet, à condition de considérer bien sûr
que seul le bord constitue cette surface, comme il est facile de le démontrer en ceci : que si
vous faites une coupure par le milieu de cette surface, cette coupure elle-même concentre en
elle l’essence de la double boucle, étant une coupure qui se retourne sur elle-même. Elle est
elle-même, cette coupure et, à elle toute seule, toute la surface de Moebius. La preuve est
qu’aussi bien quand vous l’avez faite, cette coupure médiane, il n’y a plus de surface de
Moebius. La coupure médiane l’a retirée. […] Elle nous montre qu’une fois coupée par le
milieu, cette surface, qui auparavant n’avait ni envers ni endroit, n’était qu’une seule face
comme elle n’avait qu’un seul bord, a maintenant un envers et un endroit représentés par des
couleurs différentes, ce qui bien sûr est imaginer que chacune de ces couleurs passe à l’envers
de l’autre; là où, du fait de la coupure, elle se continue. Autrement dit, par la coupure, il n’y a
plus de surface de Moebius.» (15/2/1967)

Lacan alors inscrit cette double boucle sur un tore. Puis, en cousant différemment les
coupures, la coupure provoquée par cette double boucle sur le tore, peut constituer une
nouvelle surface qui est celle d’un tore sur lequel est marqué la même coupure constituée par
la double boucle de la répétition.

347
Ces faits, Lacan les compare au schéma de l’aliénation tel qu’il en a parlé avec le « je ne
pense pas » et le « je ne suis pas ».

Le « je ne pense pas » qui indique la dimension de l’Es de la structure, endroit où il y a,


comme noyau de l’inconscient, quelque chose qui n’est aucunement attribuable comme
pensée au « je » de l’unité subjective, et qui le conjoint à un « je ne suis pas » pour marquer ce
qui, dans la structure du rêve, avait déjà été désigné dans son Séminaire II comme immixtion
des sujets soit : « le caractère infixable, indéterminable du sujet assurant la pensée de
l’inconscient. » (15/2/1967)

Ainsi, la répétition met en corrélation : « deux modes sur lesquels le sujet peut apparaître
différemment, peut se manifester dans son conditionnement temporel de façon à correspondre
aux deux statuts définis comme celui du «je» de l’aliénation et comme celui que révèle la
position de l’Inconscient dans ces conditions spécifiques qui ne sont autres que celles de
l’analyse. » (15/2/1967)

Un schéma conjoint ces deux champs pour indiquer comment la répétition les noue. Le
passage à l’acte, l’acting out correspondant aux deux termes de l’alternative aliénante.

L’acte, ici, est l’équivalent de la répétition ccxlvii[xi] elle-même, il est cette coupure en un trait
faite au centre de la bande de Moebius, il est en lui-même la double boucle du signifiant. Est-
ce à dire, pour suivre Lacan, que le sujet dans son acte qui vise à s’équivaloir à son signifiant
sans y parvenir, rejette dans le Réel ce qui n’est pas symbolisé de cette équivalence
signifiante, qu’il rejette dans le Réel, sa division ?

Ceci implique enfin que cette dimension de l’acte ou du « j’agis » qui conjoint à la fois le « je
ne pense pas » et le « je ne suis pas » dans la dimension de répétition, dépend aussi de l’effet
de mutation qui résulte de cet acte, permettant là de distinguer peut-être Verwerfung et
Verleugnung, Verleugnung étant un désaveu justement de ce que la Verwerfung rejette dans le
Réel, désaveu des conséquences comme des prémices de cet acte.

348
Ainsi prend corps la cinétique propre à la structure aliénante qui vise à éliminer l’Autre, lieu
de la Vérité, pour le précipiter en un acte, le plus souvent sans prendre en considération la
« décomplémentation » de l’univers clos de l’Autre du discours.

Au cœur de cet évidement, une dialectique est pourtant à retrouver que l’acte, et plus
particulièrement l’acte sexuel démontre, mais aussi la sublimation.

« Elle est le terme que je n’appellerai pas médiateur, car peut-être il nous permet d’inscrire la
conjonction de ce qu’il en est de l’assiette subjective en tant que la répétition est sa structure
fondamentale. » (22/2/1967)

Il y a donc lieu de nouer cette sublimation avec la compulsion de répétition en tant que la
satisfaction y passerait par cette vérité tout à fait particulière découverte par Freud, non pas
d’être liée à la vie, non pas d’être liée au principe de plaisir, mais d’être satisfaction de
repasser, de retracer les mêmes chemins.

Cette sublimation est précisément ce à quoi Freud tenait tant devant Jung, en insistant sur la
satisfaction sexuelle qui s’y trouve quand même réalisée, bien qu’inhibée quant à son but.

Il y va là pour Freud d’une opacité subjective qui se satisfait de la répétition.

C’est pourquoi, nous pouvons dire que la logique est cette sublimation même et pourquoi pas
la topologie !

Lacan d’ailleurs jouant sur le mot sublimation, parle à cet endroit de sub-logique, on pourrait
tout aussi bien dire sub-topologie.

Autrement dit, dans la sublimation, quelque chose de la sexualité se satisfait, bien qu’inhibé
quant à son Ziel.

« Tel est précisément ce qui peut sans aucun inconvénient être extrait, totalement absent dans
ce qu’il en est pourtant de la pulsion sexuelle sans qu’elle perde en rien sa capacité de
Befriedigung, de satisfaction, c’est dès l’apparition du terme de Sublimierung, ce comment
Freud la définit en termes sans équivoque, Ziel-Gehemmt d’une part et, d’autre part,
satisfaction, sans aucune transformation, déplacement, oubli, répression, réaction ou défense,
telle est comment Freud introduit, pose devant nous la fonction de sublimation. » (22/2/1967)

Quatre termes sont nécessaires pour définir cette sublimation. Il faut le faire à partir de l’acte,
à savoir que l’acte :

1) est signifiant ;

2) est une répétition en raison d’une coupure topologique ;

3) qu’il est véritable, c’est-à-dire que le sujet en surgit différent, en raison de cette
coupure ;

4) qu’il est essentiellement dans la méconnaissance.

349
« Ou plus exactement, la limite imposée à sa reconnaissance dans le sujet ou si vous voulez
encore son Repräsantanz dans la Vorstellung à cet acte, c’est la Verleugnung, à savoir que le
sujet ne le reconnaît jamais dans sa véritable portée inaugurale. »

L’acte construit comme tout acte, permet de poursuivre l’examen au-delà de sa Verleugnung.

Il n’y va de rien d’autre que ce que vient à interroger la fonction du Phallus qui donne la
raison du désir en tant qu’il est un signifiant, raison à entendre ici comme moyenne et extrême
raison.ccxlviii[xii]

Ceci démontrant le quatrième temps de cette structure de l’acte qui est la méconnaissance, à
savoir que cet acte sexuel n’a de participation à la fonction du signifiant que parce que le sujet
que nous sommes est opaque, qu’il y a un Inconscient. Aussi, cet acte sexuel relève, lui aussi,
de ce que Lacan appelle moyenne et extrême raison dont le rapport signifiant n’est rien
d’autre que cette double boucle de la répétition dont il a déjà parlé. C’est en coupant ce huit
intérieur que Lacan marque les quatre points d’origine des deux coupures qui définissent la
moyenne et extrême raison. On peut penser que cette boucle, il la coupe en un point
déterminant les deux extrêmes et en un autre qui correspond au recoupement d’une boucle sur
l’autre.

Dans l’acte sexuel, il convient de distinguer l’unité comptable de l’unité unifiante. L’unité
unifiante, c’est l’idée de l’Un du couple, c’est ce que Lacan appelle le A maternel. Il y a donc
une pensée qui fait passer de l’un comptable à l’un unifiant et c’est là qu’il y va de la
moyenne et extrême raison dans cet acte dit sexuel. L’un de l’unité du couple est déterminé au
niveau de l’un du couple réel.

Cela suppose quelque chose qui de cette répétition rétablisse la raison, la raison moyenne au
niveau de ce couple réel, autrement dit, que quelque chose apparaisse qui, comme dans cette
fondamentale manipulation signifiante de la relation, se manifeste comme ceci, cette grandeur
C par rapport à la somme des deux autres a la même valeur que la plus petite par rapport à la
plus grande, mais ce n’est pas tout.

350
Elle a cette portée qui, en tant que cette valeur de la plus petite par rapport à la plus grande,
est la même valeur que celle qu’a la plus grande par rapport à la somme des deux
premièresccxlix[xiii]. Autrement dit, pour que a/A = A/a+A, il y a lieu de faire surgir quelque
chose qui a le nom de la castration et que Lacan désigne par le - phi, c’est-à-dire qui a le
« rapport significatif d’un manque essentiel de la jonction du rapport sexuel avec sa
réalisation. » (22/2/1967)

On peut comprendre la fonction de la castration en tant que ce qui signifie le manque et qui
s’introduit ici, s’introduit par la voie d’un rapport qui n’est pas intérieur à la conjonction du
couple, mais représenté par un extérieur qu’on appelle extrême raison. Cet élément donne la
mesure du rapport sinon incommensurable de l’agent à sa pulsion et la mesure qui est celle de
la pensée du couple telle qu’elle est dans la relation à ce qu’est le couple réel. On trouve là,
ajoute Lacan, la fonction d’un signifiant qui peut venir prendre la place de ce manque qui,
dans la relation sexuelle est le - phi et qui, quand il est autre que ce signifiant, prend la même
forme que ce qu’on appelle la création dans l’art (cf. le nombre d’or), car c’est dans la
mesure où précisément, quelque chose là y vient prendre la même place que - phi (dans l’acte
sexuel) que la sublimation peut subsister. De là provient cette satisfaction qui en résulte.

Lacan articule alors le rapport d’extrême et moyenne raison pour le garçon et pour la fille
comme produit petit a, à cette division déjà inscrite sous la forme de la barre qui sépare le A
du S, confrontation qui produit le , puis le et, comme reste, l’objet a. C’est l’élimination de
ce reste qui, dans la relation sexuelle, se trouve symbolisé en tant que l’organe qui le
représente ici est aussi celui de la détumescence, ce qui n’est qu’une illusion trompeuse, eu
égard à la fonction logique que tout ceci est censé désigner ;

où l’on voit qu’un segment (BC) en plus ou en moins détermine la raison cachée de ce
rapport.

Ce type de division semble donc trouver dans la logique mathématique sa réalisation


signifiante sous la forme d’une constante qui assure les relations divergentes et convergentes.
Cette constante est mise en scène dans le rapport sexuel dans le questionnement de la
jouissance.

Or, la jouissance sexuelle ne se limite pas à cette élimination du reste puisque comme limite à
la jouissance, il existe aussi la jouissance de l’Autre. A cet entrecroisement de jouissance
surgirait l’hétérogénéité radicale de la jouissance mâle et de la jouissance femelle.

Dans cet entrecroisement, la femme a une position privilégiée, puisqu’elle possède une
jouissance causa sui, c’est-à-dire qu’elle donne sous la forme de ce qu’elle n’a pas, et que
cela est la cause de son désir.

351
Que la femme ne mette en jeu que ce qu’elle n’a pas, c’est-à-dire qu’elle le crée, justifie que
l’identification à la femme, dans la sublimation, prenne l’apparence d’une création et non
d’une production de reste.

« Le Phallus, en tant que [c’est sa] carence par rapport à la jouissance, donne la définition de
la satisfaction subjective à laquelle se trouve remise la reproduction de la vie. » (1/3/1967)

Et pour le sujet masculin, « la défaillance phallique prend valeur toujours renouvellée


d’évanouissement de l’être du sujet. » (1/3/1967)

Dans cet évanouissement, le sujet mâle éprouve sa pureté subjective, ce qui est un privilège
du mâle, puisque c’est le moment où il perd la présence de cet objet tiers de la relation du
couple.

Ceci ne limite pas la fonction de ce tiers terme à la relation subjective des humains entre eux
car, de ce fait aussi, serait née dans le statut de la subjectivité, l’illusion de la connaissance.
L’imagination d’un sujet de la connaissance est une image du mâle qui participe de cette
impuissance résultant de la causation du désir au moment de prendre ce moins pour un zéro,
et de décider de combler ce manque par le progrès qu’on veut incessant de la connaissance.
Pourtant, malgré notre mythologie occidentale, une cicatrice nous reste qui marque de
manière indélébile la trace de ce reste qui nous cause : le nom propre.

« Prendre le moins pour un zéro, c’est le propre du sujet, et le nom propre est ici fait pour
marquer la trace. » (1/3/1967)

« Le rejet de la castration marque le début de la pensée, je veux dire l’entrée de la pensée du


« je » comme tel dans le Réel, ce qui est proprement ce qui constitue ce premier quadrangle,
le statut du «je ne pense pas» dont lui seul soutient la syntaxe. » (1/3/1967)

Nous retrouvons ici cette idée que le « je » comme sujet, comme pensée du sujet, est issu d’un
rejet, d’une Verwerfung originale, d’une Verwerfung de la castration, c’est-à-dire d’un rejet de
cette impuissance dans l’acte sexuel, tel que prenant le moins pour un zéro, il en marque la
trace sous la forme d’un nom propre.

On notera qu’ici, Lacan a infléchi sa théorie du sujet qui est devenue depuis quelque temps
l’effet d’un refoulement originaire, c’est-à-dire l’effet comme tel d’une méconnaissance, ce
qui se manifeste dans la fonction de répétition et dans la résistance des psychanalystes à leur
propre champ. Oubli de la jouissance sexuelle d’où il est né !

Lacan d’insister alors sur la dimension d’acte dans la théorie analytique, dimension souvent
effacée par crainte de voir une collusion entre cet acte analytique et l’acte sexuel alors qu’ils
ont l’un et l’autre la même structure de coupure.

A ceci près que le lit psychanalytique est topologique en ceci qu’il introduit le sexuel sous la
forme d’un champ videccl[xiv], d’un ensemble vide. Lacan l’égale ici au champ de l’Autre, et
il retrace son petit graphe dédoublé des rapports de a et de A. La topologie ainsi présentée par
Lacan présente le grand Autre non pas redoublant la fonction de a, mais dédoublant et cette
fonction et lui-même (à savoir qu’il est question d’un autre de l’acte sexuel et d’un autre
Autre, celui où la vérité se présente de façon fragmentaire, comme intrusion dans le savoir).

352
a et A dédoublés ont un rapport : ils ont, l’un par rapport à l’autre, la même fonction par
rapport à deux choses différentes.

a, c’est le sujet comme production d’histoire, déchet même, qui va être mis en rapport avec le
A de l’autre sexuel. Quelque chose de la vérité se joue dans ce champ d’intrusion, de quelque
chose qui boîte, qui pêche dans le sujet sous le nom de symptôme.

C’est pourquoi, Lacan désigne alors un Autre désexualiséccli[xv] dans sa vectorialisation. Il va


donc s’attarder sur ce champ de la désexualisation avant de fonder la topologie des quatre
termes de l’aliénation : quatre termes de la répétition. Car, ce qu’il y a lieu d’interroger, c’est
le rapport qui existe entre le fondement de la satisfaction de l’acte sexuel et le statut de la
sublimation. Dans ce champ, le partenaire rencontre l’autre par rapport à l’idée du couple
comme Un, et il y a là perception d’un manque, manque à être qui manque à la jouissance de
l’autre. Ce manque est une non-coïncidence du sujet comme produit en tant qu’il s’avance
dans le champ de l’acte sexuel.

La sublimation construit la reproduction de ce manque. L’œuvre d’art, comme reproduction


du manque, sert au point de coupure dernier le manque de départ, voilà ce dont il s’agit dans
tout oeuvre de sublimation à condition d’y inclure à l’intérieur de l’acte, une répétition.

« Ce n’est qu’à retravailler le manque de façon infiniment répétée que la limite est atteinte et
donne à l’œuvre entière sa mesure. » (8/3/1967)

Cette limite est aussi ce que l’homme questionne au travers de la sexualité. A ce point, Lacan
vire de bord. Il renie l’expression « acte sexuel » utilisé jusqu’ici pour une énonciation qui
depuis a fait flores : « Il n’y a pas d’acte sexuel ».

« Il n’y a pas d’acte sexuel, c’est-à-dire qu’il n’y a pas dans l’acte sexuel ce quelque chose où
le sujet s’inscrirait comme sexué, instaurant du même acte sa conjonction au sujet du sexe
qu’on appelle opposé.» (12/4/1967)

Court toujours !

Dans cette tentative, un élément tiers vient se glisser (le Phallus) à la façon du tiers terme de
la moyenne et extrême raison. Ce troisième nécessaire incarne l’incommensurable du rapport
d’un sexe à l’Autre. Incommensurable qui désigne un manque propre à la substance-sujet.
C’est l’objet a.

Petit a ici devient ce qui se dérobe dans le nœud sexuel, ce qui fait que cet acte nous fuit et
d’une certaine façon, il présentifie le sujet dans cette aporie, dans ce paradoxe du sexe.

Si Lacan introduit dans la logique ces notions de contraire, de contradiction, voire de pas-
sans, c’est parce qu’il a à fonder la logique du statut de cette dyade sexuelle dont il parle
subjectivement, il a besoin d’en fonder le statut à l’aide justement d’une fonction tierce, c’est-
à-dire à l’aide d’autre chose que le principe classique de la logique qui est celui du tiers exclu.

Il s’agit de saisir que dans l’intersection de l’algèbre de Boole ce qui pourrait s’appeler
intersection logique mâle et femelle, ne doit pas être considéré comme un recouvrement
spatial qui ferait que de part et d’autre, nous aurions une sorte de répétition d’un jeu de pile ou
face (ce que Lacan avait fait entendre du jeu du signifiant dans son séminaire sur «La Lettre

353
volée»), mais que là où il y a intersection, c’est-à-dire là où on aurait pu penser que le mâle et
la femelle se marchent l’un sur l’autre, il s’agit d’une multiplication logique.

Lacan s’interroge ici de la valeur qu’il faut donner à l’élément de différence pour que le
résultat soit deux, pour que le résultat soit une dyade. En fait, ce qu’il s’agit de justifier et qui
est si clair dans les lettres de l’École Freudienne d’octobre-novembre-décembre 1967, (la
lettre n° 4), ce qu’il s’agit de justifier, c’est la non-congruence entre le Symbolique et le Réel.
Pour que le résultat de la multiplication logique soit tout net une dyade, quelles valeurs
devons-nous supposer à l’élément de la différence ? La valeur qu’il faut lui donner, c’est un
nombre imaginaire, représenté par Lacan par la lettre i qui est = √- 1.

Dans l’acte sexuel, la différence reste l’objet «a» au terme de cet acte où le sujet s’affronte, ce
qui donne (1 + a) x (1 - a) = a qui est = a (a + 1) x (a - 1).

Cette équation reste vérifiée pour a = au nombre d’or.

Le statut particulier que reçoit la logique de l’incommensurable, était déjà lisible dans ce que
le discours de Marx différencie : valeur d’usage et valeur d’échange et que Lacan redouble
alors de la leçon des « structures élémentaires de la parenté » : l’interdit de l’inceste.

Cette interdiction de l’inceste n’est rien d’autre que le rapport référentiel fondamental qui est
fait, par exemple, dans la scène traumatique au couple des parents, c’est-à-dire au Un comme
couple dont nous avons déjà parlé précédemment.

Lacan introduit donc, ici, une comparaison entre ce qui se passe chez Freud et ce que Marx a
avancé de la substitution économique de la valeur d’usage à la valeur d’échange.

Valeur d’usage, c’est la fonction étalon à quoi pourrait être réduit un homme, valeur
d’échange, c’est ce que réalise la femme qui circule dans l’ordre humain et qui élève en
quelque sorte cette valeur d’usage à cette valeur de jouissance, comme l’appelle Lacan,
puisqu’il propose de lui donner ce nom-là qui correspond à la valeur d’échange de Marx. De
ce fait, la castration signifie que l’homme ne peut pas prendre sa jouissance en lui-même sans
être obligé de passer par cette valeur d’échange, valeur de jouissance que représente,
qu’incarne la femme.

Cette jouissance échangée qu’incarne une femme, en réalité ne représente pas la totalité de sa
jouissance à elle : il lui en reste une partie inexpugnable, en dehors de ce qu'on appelle l'acte
sexuel.

De ce petit a qu’il appelle monture du sujet, c’est-à-dire qui le soutient, qui l’encadre, Lacan
donne une description : il fait chute, il disparaît dans la structure au niveau de l’acte du sujet.
Car, au moment où ce sujet existe comme sujet, dans la répétition, quelque chose se perd dans
le signifiant en tant qu’il répète, ce que la topologie du plan projectif nous montre puisque la
coupure de la double boucle nécessite en même temps que se constitue le sujet, c’est-à-dire la
bande, nécessite la perte de cette rondelle, de ce reste.

Dans la logique que Lacan développe, l’objet a est une référence numérique qui figure
l’incommensurable.

354
« Quand ce fonctionnement existe au niveau de l’inconscient, nous avons à faire au sexe. »
(19/4/67)

Ce que les deux séries engendrent de part et d’autre soit la somme des puissances paires qui
s’égale à a, la somme des puissances impaires qui s’égale à a2, n’est rien d’autre au terme
que la complémentation de «a» par a2, c’est-à-dire le Un, l’addition de tous les restes qui
représente la complémentation totale sur le cross-cap de la bande de Moebius avec le reste a.

La suite des séances va maintenant corroborer nos options de lecture. Il semble évident que
ce que Lacan veut développer à partir d’ici, est une approche logique du champ de la
jouissance.

Cette approche semble encore osciller entre l’usage de la topologie comme lieu de la coupure
et la logique comme tentative de mesure de ce qui en chute.

Exemple: le disque a, issu d’une coupure sur le cross-cap, incarne l’involution signifiante par
la répétition qui s’inscrit sous la forme d’un redoublement de lui-même, sans que le Deux
(dédoublement) puisse pour autant faire Un.

L’incommensurable de cette opération est aussi ce que la logique de la moyenne et extrême


raison met en évidence : pas de passage du Un au Deux sans un Trois qui en est la raison
secrète.

Ainsi, en est-il de l’amour qui ne se réduit pas à l’adéquation d’une mesure sur un UN
quelconque, fut-il incommensurable sans qu’en même temps, une proportion tierce ne soit
dégageable, ce que la formule «Je te demande de refuser ce que je t’offre, parce que c’est pas
cela» semblera particulièrement bien imager (Cf. Séminaire XIX). L’application à la limite de
petit a/1, peut être figure ici de l’évidement dans la mesure où le report d’un élément sur
l’autre jusqu’à plus faim, épure par évidement cette relation jusqu’à l’apparition d’une limite.

« L’un, c’est simplement dans cette logique l’entrée en jeu de l’opération de la mesure de la
valeur à donner à petit a. » (26/4/1967)

Le langage, c’est une tentative de réintégrer ce qui est perdu dans cette répétition ; or, ce
langage ne peut se clôturer pour cette raison justement que l’objet a en est l’effet. Il y a donc
là un paradoxe.

Ainsi, Lacan utilise-t-il la formule du nombre d’or, c’est-à-dire que de deux grandeurs, le
rapport de la plus grande à la plus petite, du Un au a en l’occasion, est le même que celui de
leur somme à la plus grande, soit 1 + a = 1/a que Lacan va compléter comme écriture de
l’apparition d’un autre 1 sous la barre du numérateur.

Ainsi écrite, cette formule se rapporte, ressemble à celle de la substitution métaphorique.

355
Et de cela résulte donc une signification qui n’appartenait à aucun des deux signifiants
substitués. Ce Un qui est ici ajouté prend : « figure de la fonction du signifiant sexe en tant
que refoulé. » (26/4/1967)

Au numérateur, Lacan propose que la succession des différences entre 1 et a, entre a et ces
restes à l’égard des autres qui surgissent, représentent la chaîne signifiante et son effet
métonymique illustré par le glissement de a dans cette chaîne. La formule 1 + a désigne le
sujet sexuel, le 1 désigne l’énigme de la fonction signifiante du sexe. Pour constituer une
mesure de l’unité par petit a, Lacan insiste sur le fait qu’il convient d’abord d’écrire cette
fonction de mesure sous la forme du trait unaire. Ce trait se trouve écrit dans le lieu de
l’Autre.

Sans quoi, aucune mesure ne serait possible dans cet Autre. Pourtant, a reste
incommensurable à ce dont il s’agit dans sa référence au sexe.

L’acte sexuel, c’est quelque chose à quoi nous ne pouvons accéder qu’en écartant la Vérité de
la jouissance, car lorsque cette Vérité se fait entendre, tout se dérobe. Il est clair que dans
l’avancée de son séminaire, le tournant de la logique, pour Lacan, équivaut à l’introduction
de la fonction de la jouissance. Il est tout à fait clair aussi que cette dimension de la logique
n’est pas encore articulée explicitement à la topologie.

Encore convient-il de se demander comment ces deux séries trouvent à se figurer dans la
coupure proprement dite ?

Lacan tente ici de produire une logique de cette dyade du sexe quand le sujet s’affronte au Un
(du couple). Logique du reste qui résulte de cet affrontement répétitif de l’Un à l’Autre d’où
naît le sujet.

Le Un concerne l’union sexuelle laquelle comporte ce trou, cette béance qui interdit l’acte
sexuel réussi contrairement à tout ce qu’énonce l’ésotérisme. De ce trou vient se déployer la
mathématique et la logique, lieux désexualisés qui désignent à leur manière la non-existence
de l’acte sexuel pendant que, dans la clinique, le symptôme fait noeudcclii[xvi] à l’endroit du
Un troué.

L’Autre sera le lieu où prend place le signifiant, c’est-à-dire pour commencer, le corps.

Entre l’Un et l’Autre, il y a certains effets qui se marquent, à savoir que précisément, dès que
cet Un fait irruption dans cet Autre, il le morcelle, c’est le sens du corps morcelé entre
l’enfant et sa mère.

Entre l’Un et l’Autre, le sujet vient là s’inscrire comme ce qui les recoupe. Ce sujet nous n’en
n’avons aucune autre idée que le doute qu’il porte sur lui-même, car il ne peut se savoir dans
cette opération. Son étendue même comme telle lui est inconnue puisque c’est bien dans son
rapport au corps que nous pouvons saisir à quel point il dépend de la structure du signifiant, il
n’est qu’une surface bordée, c’est-à-dire bordée par un trou, ce qui est d’un plus vif intérêt
pour nous en topologie puisque les surfaces sont précisément ce qui va être étudié par leur
bord.

« Il n’y a d’autre support du corps que le tranchant qui préside à son découpage. »
(10/5/1967)

356
« Le sujet est toujours d’un degré structural au-dessous de ce qui fait son corps, c’est ce qui
explique aussi que d’aucune façon sa passivité, – à savoir ce fait, par quoi il dépend d’une
marque du corps – ne saurait être d’aucune façon compensée par une activité, fut-elle son
affirmation en acte. »

Entre l’Un et l’Autre, il y a donc a, mesure de cet incommensurable qui, dans l’acte sexuel, se
subjective sous la notion de castration.

« La castration est une structure subjective tout à fait essentielle, précisément à ce que
quelque chose du sujet si mince que ce soit, entre dans cette affaire que la psychanalyse
étiquette : le génital. » (24/5/1967)

On remarquera que c’est dans le passage de la fonction (génital) à l’acte (sexuel) que Lacan
situe l’introduction de la notion de sujet, et précisément autour du fait de savoir si un acte peut
mériter le titre d’acte sexuel, avec ce rappel que c’est sur la fonction du signifiant que quoique
ce soit opère dans cet acte. Argumentation qui nous explique le pourquoi de cette insistance
lacanienne sur l’acte en ce point d’un développement qui paraît nous éloigner de la
constitution de sa topologie (désexualisée !).

Il y a effectivement autour de la castration une sorte de normation de la psychanalyse eu égard


à cet acte sexuel et : « normer a un sens très précis, franchissement de la géométrie affine vers
la géométrie métrique. » (24/5/1967)

Cette normation de la castration ne veut rien dire d’autre que le passage du sujet à la fonction
de signifiant dans le champ de l’acte sexuel, là où en quelque sorte le passage à la jouissance
relève d’une négativation qui fait que l’introduction de cette jouissance acquiert la dimension
de valeur, à articuler selon le versant homme et le versant femme comme visant un autre objet
(le phallus) que l’organe qui pourtant lui fournit son eidos par la détumescence.

Ceci nous permet de comprendre la raison pour laquelle, dans la volonté de faire Un de
l’union sexuelle, Lacan avait désigné l’Autre lieu qui est aussi celui auquel on a à s’affronter,
à savoir l’Autre comme corps qui met en jeu le rapport entre partenaires que Lacan a appelé
petit a, rien d’autre, dit-il : « que la substance de ce sujet pour autant que comme sujet vous
n’en n’avez aucune, sinon cet objet chût de l’inscription signifiante, sinon que ce qui fait que
ce petit «a» est cette sorte de fragment de l’appartenance de A en ballade, c’est-à-dire vous-
même qui êtes ici en tant que présence subjective mais qui, dès que j’aurais fini, montrerez
bientôt votre nature d’objet a à l’aspect de grand balayage que prendra aussitôt cette salle. »
(24/5/1967)

Cette négativation de la castration par laquelle il faut passer veut dire que l’objet en cause
dans cette normation sexuelle est l’objet phallique en tant qu’il n’y en a pas, et que c’est au
fond le rêve autour de quoi échoue, nous dit Lacan, l’acte sexuel.

Aussi, tout ce qui vient sur le corps comme incision n’est rien d’autre que le signe négatif de
cette absence d’objet phallique qui est en quelque sorte la porte ouverte sur le seuil de ce qu’il
en est de l’acte sexuel.

« Que l’homme châtré puisse être conçu comme ne devant étreindre jamais que ce
complément auquel il peut se tromper, et Dieu sait s’il n’y manque pas de le prendre pour
complément phallique, je pose aujourd’hui en terminant mon discours cette question que nous

357
ne savons pas ce complément, encore comment le désigner, appelons-le logique. La fiction
que cet objet soit autre assurément nécessite le complexe de castration. » (24/5/1967)

Cet objet phallique que Lacan cherche, il convient, alors de le dépouiller non sans faire
remarquer que la structure du cross-cap qui le porte en marquait bien l’énigme. Ni dans la
bulle, ni dans la monture a, il occupe une étrange place d’un point hors-ligne que seul le
leurre de la présentation à plat nous autorise à inscrire.

D. La jouissance dédoublée

C’est dans ce séminaire La logique du fantasme qu’affleure pour la première fois l’idée d’un
dédoublement supplémentaire dans la théorie lacanienne.

C’est au questionnement de la jouissance que revient ce nouveau positionnement topologique.


L’Autre nous avait été présenté jusqu’ici comme le lieu – celui du langage et de sa structure –
où la fonction de Vérité venait à naître. Dans le séminaire sur l’Éthique, ce lieu de jouissance
avait produit la fonction de Vérité comme sa petite sœur, il faut donc bien convenir d’une
nouvelle gémellité de la jouissance puisque la voici donc scindée en deux lieux de l’Autre :
celui du langage, issu de la première topologie du graphe, celui du corps issu de la topologie
des surfaces.

Cette affirmation d’un dédoublement des lieux de la jouissance nous paraît préfigurer la
bipartition qui surgira plus tard dans la topologie nodale, quand la jouissance de l’Autre et la
jouissance du corps étireront la paire signifiante chacune de leur côté.

Nous n’en sommes pas là.

Il faut avant d’y venir faire un long détour encore. Notamment pour interroger la nécessité de
ce nouveau pas en avant de Lacan qui exige que soient repérés les lieux du sujet à cette
jouissance, et comment ils exigent les phanères du signifiant pour surgir du Réel à condition
qu’ils s’écrivent sur l’Autre. Une approche nous en a déjà été fournie par ce seul mouvement
de rejet de l’être du lieu aujourd’hui squatté par l’Autre. Lui aussi possède une double porte
d’accès, par la logique et par le corps. Mais pas n’importe quel corps, comme nous le verrons.
Il s’agira en effet de ce qui dans le corps ne se prête pas à la maîtrise spéculaire : soit les
objets a faisant retour du corps de jouissance rejeté par l’opération cartésienne soit dans la
fantasme soit dans la perversion.

Car, c’est sur lui que s’inscrit la marque en tant que « signifiant ». Cet Autre, nous ne pouvons
le connaître que par une approximation logique, c’est-à-dire une croissance qui peut être
calculée qui nous présente le rapport d’un incommensurable, idéal le plus simple qui soit, le
plus espacé, aussi à resserrer ce qu’il constitue d’irrationnel par son progrès lui-même. Ceci à

358
condition que l’approximation n’ait pas de terme et que pourtant, elle puisse être reconnue
comme rigoureuse, voilà ce qu’il y a lieu de saisir sous la forme du fantasme.

Cette approximation certaine en quelque sorte, mais sans fin, est ce qui chez Hegel s’appelait
le savoir absolu.

Une sorte de certitude s’empare donc du sujet dans un rapport logique qui est aussi une figure
de l’évidement que Descartes a « inauguré ». Seulement, pareil à une spirale, le huit intérieur
ne peut pas, entre ses deux boucles, établir de rapport d’« entier » mais bien d’irrationnels.
C’est précisément ce rapport logique à inventer que l’acte sexuel essaie d’écrire sans jamais y
parvenir autrement que sous la forme d’une question, à condition de bien entendre ce que
Lacan a appelé du nom d’acte. Cette question, il nous rappelle à quel point dans son séminaire
sur l’Éthique, il l’avait introduite comme si cette jouissance était justement ce qui devait
questionner le caractère mâle ou le caractère femelle du sujet. En ce sens, que la jouissance
est précisément ce qui se constitue comme l’au-delà du principe de plaisir ce qui, dans son
séminaire sur l’Éthique, relevait de la boucle du graphe.

Si le sujet est lié à l’acte sexuel, c’est en tant qu’il est suspendu dans une série d’états
d’insatisfaction et qui justifie l’introduction du terme de jouissance, par exemple sous la
forme de symptômes.

Ceci, nous dit déjà Lacan, forme un nœud !

Il en résulte que le sujet se définit dans un lien exclusif à la jouissance, laquelle déjà peut être
précisée dans son essence. La jouissance dont parle Lacan est une ousia aristotélicienne, soit
une substance qui, comme telle, ne peut pas être attribuée au sujet tant il n’y a de jouissance
que du corps.

Cette formule – il n’y a de jouissance que du corps – répond à l’exigence de vérité qu’il y a
dans le freudisme et évite d’interroger les jouissances éternelles pour la justifier.

La jouissance est dans ce fondement premier de la subjectivité du corps, ce qui tombe dans la
dépendance de cette subjectivation et, pour tout dire, s’efface à l’origine de la position du
maître, et c’est cela que Hégel entrevoit, et il en résulte justement la renonciation à la
jouissanceccliii[xvii], la possibilité de tout engager sur cette disposition ou non du corps, non
seulement du sien, mais aussi de l’autre.

L’introduction du sujet sépare le corps et la jouissance qui pourtant ne subsistent que l’un de
l’autre.

La question est alors de savoir comment le sujet peut manier cette jouissance. C’est le terme
de valeur, de valeur de jouissance qui répond à cette question. Il y a une annulation de la
jouissance, intéressée dans la « conjonction sexuelle » qui est la castration en tant que cette
annulation en exclut du même coup la valeur. Ce qui, dans nos propos, revient à dire :
construction de la jouissance.

Bien que prenant appui sur le corps, la subjectivité cherche, en visant la jouissance, à éteindre
une satisfaction que le seul corps ne peut pas lui donner comme la logique de la moyenne et
extrême raison nous le montre,ccliv[xviii] car il faut y introduire le terme tiers qui donne la
raison du rapport.

359
C’est bien ce qui fait le relief si particulier des objets acclv[xix] qui deviennent ainsi les lieux
privilégiés de ce qui de la jouissance échappe au corps, conviction que tout pervers désavoue
en cherchant une solution ailleurs que dans l’acte sexuel, c’est-à-dire dans une recoin caché
du corps. Tout comme le névrosé dans son fantasme, le pervers, dans son acte veut faire
cracher au corps le dernier recoin de jouissance que le rejet de l’être n’a pas réussi à emporter.
Ainsi dans l’Autre désexualisé mis en place par substitution, le fantasme pour le névrosé et un
certain acte pervers poursuivent leur interrogation forcenée de la jouissance, soutiens
illusoires mais inéliminables de l’espoir d’un rapport sexuel.

Lacan donne à penser qu’effectivement, ce qu’il est en train d’interroger dans la


psychanalyse, au-delà de la pensée du désir qui a été son opération pendant les années
précédentes, c’est le lieu de l’acte sexuel et sa topologie. Ce problème revient à interroger le «
être homme » et le « être femme » comme étant quelque chose qui ne se détermine pas de
manière inverse ou de manière symétrique. En effet, chaque corrélat qu’on leur a accordé,
activité ou passivité, par exemple, ont toujours été inadéquats. C’est pourquoi, Lacan repart de
la dimension du sujet qui seul, place l’être mâle et l’être femelle au même niveau au point de
départ.

L’opération qui est en jeu dans la subjectivation du sexe, si l’on peut dire, c’est-à-dire le
rapport de chacun à l’autre, est une alternative qui n’est pas simplement le fait de l’aliénation
puisque, logiquement, il y a deux autres opérations que nous avons déjà évoquées :
sublimation par exemple, castration ensuite.

Alors qu’est-ce que l’acte sexuel introduit de neuf dans cette problématique sinon que le corps
est quelque chose qui peut jouir ? A ceci près qu’on le fait devenir la métaphore de la
jouissance d’un autre, c’est-à-dire qu’il y a là introduction de la valeur de jouissance. Que
devient dans ce cas la sienne, est-ce qu’elles s’échangent ? La castration semble jouer ici un
rôle commun.

La femme, en l’occurrence, accède à cette métaphore de la jouissance de l’autre, elle aussi par
la nécessaire fonction de castration, c’est-à-dire une négativation qui permet la fonction valeur
de jouissance; mais ne reste-elle pas comme femme porteuse d’une jouissance à la dérive,
comme l’était celle de l’esclave hégélien par rapport au maître ?

C’est ce corps de la jouissance féminine qui amène Lacan à réinterroger ce qui, dans le corps
de l’autre comme métaphore de la jouissance de l’homme, vient se prendre dans le corps,
précisément sous la forme de ces objets qu’on appelle a : « en tant qu’ils sont marginaux,
qu’ils échappent à une certaine structure du corps, à savoir à celle que j’appelle spéculaire et
qui est le mirage par quoi je dis que l’âme est la forme du corps, que tout ce qui du corps
passe dans l’âme là est ce qui peut être retenu, là est l’image du corps. » (7/6/1967)

Ces objets servent de questionneurs et ils s’articulent à partir d’une séparation constitutive du
corps et de la jouissance qui a pour effet la disjonction du corps et de la jouissance.
Disjonction interne à l’être et à son remplaçant, l’Autre !

« C’est au niveau de cette partition qu’intervient la perversion. »

Nous retrouvons ici le chiasme que nous avons situé dès le départ des enseignements de
Lacan, simplement, il se porte ici sur la jouissance et sur ce fait que chacun des corps dans
l’acte sexuel se doit d’être la métaphore des signifiants de la jouissance de l’autre. Quand ce

360
chiasme est en suspens, quand il met une jouissance dans la dépendance du corps de l’autre, il
entraîne que la jouissance de l’autre reste à la dérive.

C’est pourquoi ce que le pervers essaie de faire, c’est jouer avec le sujet ; à ce titre, Kant et
Sade sont de la même veine. Il y va du sujet en tant qu’il est sujet à la jouissance.

Cette nouvelle subjectivité marquée par cet objet a, cette subversion du sujet de l’Inconscient
au sujet à la jouissance, c’est au niveau de l’Autre qu’elle se règle.

On comprend mieux pourquoi, à suivre les indications de Lacan sur le sadisme et le


masochisme, la topologie de la bouteille de Klein pourrait être la topologie de cette
jouissance, dans la mesure où l’objet a qui pourrait se découper de l’opération de la cure, se
révèle bien être l’interrogation du sujet chez l’autre, c’est-à-dire ce qui s’incarne de la seconde
bande de Moebius accolée à la première pour constituer la bouteille de Klein.

E. Conclusion

La logique du fantasme est une logique qui double le registre de l’aliénation de celui de la
répétition dans deux schémas en quadrangle foncièrement superposés, distinction qui redouble
celle que les logiciens ont pu faire entre les phrases assertives et les phrases impératives (les
phrases impératives se rapportant plus directement à la fonction de l’acte).

Lacan indique que l’Inconscient, le lieu de la vérité, possède un statut logique dans lequel le
sujet est supposé venir se loger après coup. C’est pourquoi, le discours analytique tente
d’instituer un lieu en réserve, pour une interprétation qui préserverait la Vérité, ce lieu est
occupé par l’analyste, mais ce n’est pas nécessairement ce que le patient croit, c’est là l’intérêt
de la définition du transfert, puisque dans le transfert, l’analyste est placé en position de sujet
supposé savoir, à charge de l’analysant de faire virer les choses pour y faire advenir
topologiquement la question du sujet.

Cette question passe par une interrogation de l’acte et du fantasme qui en protège.

Car, le fantasme est une sorte de béquille, de corps étranger qui subvient à une sorte de
carence du désir quand il est intéressé à l’entrée de l’acte sexuel. Si le fantasme a rôle de
signification de vérité dans la structure névrotique, l’interprétation se différencie pourtant :
pour la phobie, par un désir prévenu ; pour l’hystérie, désir insatisfait ; pour l’obsession, désir
impossible.

Il reste que c’est un abord plus logique de l’acte qui permettrait de se débarrasser du rôle
protecteur, écran du fantasme.

Ceci fera l’objet du Séminaire XV : L’Acte psychanalytique.

361
Séminaire XV

L’acte psychanalytique

A. Comment poser la question de l’acte analytique

Dans le séminaire précédent, Lacan a esquissé une logique du fantasme à partir d’une position
de départ essentielle à la dynamique de la cure : celle de l’aliénation.

Il semble bien que cette logique dépasse largement ce que le terme de fantasme recouvre
habituellement chez les analystes. Il s’agit moins d’une scène récurrente à valeur traumatique
ou prototypique des comportements du sujet, que du cadre comme tel que nécessite la notion
même de sujet pour pouvoir apparaître. En effet, aliénation, répétition, castration, pensée, être,
objet a et - phi semblent jusqu’ici être les éléments clés de ce cadrage. Qui dit cadrage, dit
topologie et repérage interne de ces objets dans leurs inter-relations.

Cependant, toute mise en place du cadre ne signe pas nécessairement l’avènement dudit sujet.
C’est à l’acte que Lacan donne le poids de cette « présence » et encore bien à cette condition
que l’acte comme tel ne puisse réussir, qu’il rate.

C’est pourquoi ce Séminaire XV poursuit la question soulevée par le Séminaire XIV et


interroge la sortie du processus d’aliénation par cet acte (on sait qu’il se nomme séparation
depuis le Séminaire XI) en tant qu’il permettrait de préciser l’opération topologique qui
l’autorise.

Car, encore une fois, il s’agit bien d’une topologie qui fait s’entrecroiser l’être et la pensée
dans une structure encore tétraédrique, comme nous allons le montrer.

Si Lacan fait intervenir la notion d’acte, c’est pour rappeler à quel point ceci implique
profondément le sujet, car il est comme tel dans l’analyse, mis en acte. Tout ceci se
différencie bien entendu de la fonction motrice de l’action dont on sait qu’elle est un
continuum entre la sensori-motricité et la pensée, au point qu’on a cru pouvoir parler de la
pensée comme d’une ébauche d’action !

Tout montre au contraire que l’arc-réflexe qui n’est que le modèle stimulus-réponse sur lequel
on s’appuie, est quelque chose d’éminemment passif bien à l’encontre de termes comme
action et acte. Car, cet acte qui participe évidemment de l’engagement, est articulé par Lacan
à la fonction du signifiant et à la fonction de Vérité. Reste alors la question de savoir ce qui
existait avant que l’acte comme signifiant ne décide de l’inauguration de quelque chose.

C’est l’occasion pour Lacan de revenir sur la question du savoircclvi[i] dans son séminaire, et
parler : « d’une conversion dans la position qui résulte du sujet quant à ce qu’il en est de son
rapport au savoir ». (22/11/1967)

Il rappelle d’abord qu’en fait, ce que le savoir inaugure en naissant est, ni plus ni moins, la
Vérité laquelle se trouve déterminée par ce savoir qui naît. Lacan ajoute ensuite à cette
fonction du signifiant dans l’acte, celle de l’effet de tromperie (particulièrement sensible au
niveau de l’expérience pavlovienne puisqu’effectivement, une trompette qui produit une

362
sécrétion gastrique par voie d’association, ne peut en aucun cas résoudre un besoin comme la
faim). Cet effet de l’acte par l’intermédiaire du signifiant est un effet qui se produit dans le
champ du vivant, étant entendu qu’ici vivant veut dire le champ du langage.

Nouvelle spécification ensuite de la fonction de l’acte dans son rapport au savoir : vérifier
qu’il entraîne des conséquences, car il est un certain nombre de savoirs qui n’entraînent
aucune conséquence, tels sont les savoirs universitaires, par exemple !

Enfin, il est arrivé aussi à certains savoirs (comme celui de la science) d’avoir des effets, mais
de ne rien vouloir savoir de leurs conséquences au niveau de la Vérité, au point que d’aucuns
en sont venus à ne plus transmettre leurs découvertes tant il leur est apparu que les
conséquences au niveau de la vérité ne méritaient pas à ce moment-là d’être entendues par
leurs contemporains. Lacan voudrait montrer maintenant qu’on ne peut, quant à cette fonction
du sujet, se maintenir dans une position solipiste, car cette nouvelle version du sujet a sa place
dans la structure, même sociale. (Cf. Séminaire XVII et Les Quatre discours)

En outre cette subjectivité en acte possède tout un étagement qui va de l’acte entendu comme
accident de parcours en passant par l’acte expérimental, pour en venir à l’acte qui opère dans
la cure comme interprétation, voire comme transfert sans compter l’acte symptomatique, par
exemple : le lapsus.

C’est dire si l’acte ne prend au fond sa lecture qu’après-coup, c’est là qu’est sa véritable
dimension, celle qu’on peut résumer en disant qu’il porte à conséquences. C’est, d’après
Lacan, ce que les sociétés psychanalytiques refoulent au point de nécessiter une éloge de la «
connerie ». L’éloge de la connerie est nécessaire dans la mesure où, dans la psychanalyse, ce
n’est pas tant la Vérité de la connerie que la connerie de la Vérité que nous rencontrons dans
certains actes dits actes manqués. Cette connerie de la Vérité proviendrait de l’inappropriation
particulière à la jouissance de l’organe phallique. C’est là que prendrait son relief ce dont il
s’agit : « à savoir le caractère irréductible de l’acte sexuel à toute réalisation véridique, que
c’est de cela qu’il s’agit dans l’acte psychanalytique ; car l’acte psychanalytique assurément
s’articule à un autre niveau et ce qui, à cet autre niveau, répond à cette déficience qu’éprouve
la Vérité de son approche du champ sexuel, voilà ce qu’il nous faut interroger dans son statut.
» (22/11/1967)

A défaut de prendre cette inappropriation au sérieux, le discours analytique virerait


rapidement à la bêtise. Lacan propose de cerner cette faille d’un savoir préalable.

Se plaçant dans un lieu atopique, Lacan commente la manière dont les analystes traditionnels
parlent de leur savoir psychanalytique ; il constate à quel point ils usent d’une rhétorique qui
décrit ce savoir de manière normative comme si le processus analytique consistait à rejoindre
une sorte d’idéal de perfection.

Sans répondre de suite à ce qu’il faut attendre de la cure, Lacan propose, dans un premier
temps, de démonter la supposition d’idéalité de l’analyste, il la démonte en rappelant à quel
point le transfert est lié à l’acte analytique puisqu’il n’est pas d’autre manipulation du
transfert que par cet acte.

Il ne s’agit donc en rien d’une sorte d’objectivation particulière que recevrait l’analyste du fait
de pouvoir se mettre en retrait idéal du discours de son patient. Or, cet acte, cette
manipulation dans le transfert, est précisément ce qui a été le moins élucidé dans la théorie

363
analytique, de la même manière que de l’acte symptomatique, il en fut surtout parlé sur son
versant symptôme, mais non de son versant d’acte. Il y a bien, en effet, quelque chose qui est
insupportable dans cet acte : il est insupportable essentiellement en ses conséquences.

Pour expliquer cette insupportabilité, Lacan fait le détour par Platon par un commentaire du
Ménon où l’on voit Socrate enseigner à un esclave la manière de produire un carré de surface
double en se trompant dans un premier temps (façon de se demander d’où lui vient ce savoir
qu’il peut retirer de son dialogue avec Socrate), pour finalement trouver par la diagonale le
bon côté du dit carré.

Est-ce que ce savoir qui vient se déposer chez l’esclave est un savoir qui existait quelque part
et dont on se souviendrait, à la manière dont l’ontogenèse répète la phylogenèse, dont il y
aurait à attendre, par dieu sait quel moyen, le resouvenir ?

En indiquant à quel point Platon lui-même avait bien repéré que ce savoir se transmettait
d’une façon qui était particulière,(c’est-à-dire quelque chose qui était bien plus près de
l’opinion vraie que de la science), Lacan nous montre comment ce savoir qui surgit dans la
cure, du fait de l’acte, est lié à une certaine poésie, à une sorte d’inventivité que le sujet
pourrait recevoir.

En fait, dans un premier temps, le sujet la suppose à l’Autre, il suppose que cet Autre sait. La
déchéance de la supposition du savoircclvii[ii] chez l’Autre au bénéfice de l’inventivité chez
l’analysant est donc l’objectif de la cure. C’est ce que Socrate avait fait en usant précisément
d’un dessin (particulièrement précieux pour nous du point de vue de la topologie). Le dessin a
une double fonction : il est doublure d’une certaine façon, c’est-à-dire qu’il suppose la
possibilité d’être saisi dans une correspondance point par point pareille à une sorte de
décryptage. Ce serait un versant de cette fonction du dessin. L’autre versant beaucoup plus
métaphorique, c’est celui qui, d’une certaine façon, ferait intervenir un processus comme une
révélation. C’est entre ces deux termes que se fait aussi l’opération analytique.

« Est-ce que l’organisation signifiante de l’Inconscient structuré comme un langage est ce sur
quoi notre interprétation vient s’appliquer ? Ou est-ce qu’au contraire, notre interprétation en
quelque sorte est une opération d’un tout autre ordre, celle qui révèle un dessin jusque là
caché, ce n’est très évidemment pas cela, ni l’un ni l’autre, malgré ce que peut-être cette
opposition a pu suggérer de première réponse. » (29/11/1967)

Bien sûr, l’opération du signifiant laisse entendre que la fonction de décryptage serait
essentielle, mais le sujet n’est pas, dit Lacan, quelque chose à plat comme l’image d’un
dessin, il est causé par un certain effet du signifiant d’où il résulte : « que le savoir en certains
points qui peuvent bien sûr être toujours méconnus, fait faille. Et ce sont précisément ces
points qui, pour nous, font question sous le nom de vérité ». (29/11/1967)

A la révélation poétique, Lacan préférerait donc le savoir qui fait faille, en ceci qu’il révèle
là une secrète vérité.

Le sujet est donc rapport à une inaptitude fondamentale à lier la dimension du savoir et de sa
vérité. La reconnaissance de cette faille rend le sujet sexuécclviii[iii], et l’acte psychanalytique
n’est que feinte de l’analyste d’accepter d’occuper cette position du supposé-savoir pour
permettre en quelque sorte de reverser sous la forme d’une faille ce qui était supposé de savoir

364
chez l’Autre. C’est parce qu’il se présente comme sachant qu’il est la cause en acte du procès
analytique de son analysant !

Avant de poursuivre, Lacan revient à sa base topologique, celle qu’il entend donner à son
travail et au cœur de laquelle vient se construire la savoir.

Il existe, dit-il, plusieurs niveaux à la « mathêsis », décryptage et révélation en sont deux, le


troisième pourrait relever du statut de l’écriture. Quoiqu’il en soit, dans chacun des cas, c’est
d’une perte initiale que toute mathêsis s’inaugure, et c’est bien ce qui resurgirait au terme
dans le ratage de l’acte.

L’introduction de nouvelles notions comme celle de la vérité, du symptôme, voire de la


jouissance qu’il tente d’articuler dans l’acte analytique et qui désigne une enveloppe à tout ce
qui va s’instituer après-coup de cette perte initiale, pousse Lacan sans faire beaucoup de
commentaires, à proposer à ce moment, la triangulation suivante :

où l’on peut dire que l’opération qui met le sujet aux prises avec l’objet a par l’intermédiaire
du signifiant, est prise dans l’enveloppement du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique, eux-
mêmes redoublés d’un champ dont le psychanalyste n’a que faire : Jouissance, Vérité et
étonnamment, Symptôme.

365
L’analyste se trouvant au milieu, où c’est le vide, la place du désir ! Il est curieux cependant
de constater ici que les trois instances R,S,I, se trouvent enveloppées de trois « effets »
supplémentaires : Vérité, Jouissance et Symptôme !

B. L’acte pris dans sa topologie

C’est sur la base du rectangle bâti l’année précédente que l’acte trouve ses marques au terme
d’une opération croisée qui n’est pas sans rappeler celle du Séminaire III , Les psychoses.

Ce qui est éprouvé d’un manque dans la pensée se conjugue à la perte inhérente au choix
forcé, c’est pourquoi la caractéristique de l’acte réside moins dans son moment que dans ses
conséquences.

Plus précisément, la question se pose de savoir si ce qui est essentiel relève de l’acte comme
tel (ainsi par exemple, pour les révolutionnaires), ou s’il relève de l’introduction dans le
monde des signifiants qui vont lui donner, après coup, sa portée. C’est vers cette seconde
observation que Lacan penche: il y a quelque chose de bien différent entre l’efficacité d’une
guerre et ce qui permettrait de susciter un nouveau désir.

Aussi, c’est à partir d’un poème de Rimbaud : « A une raison », qu’il nous donne la formule
de l’acte en tant qu’elle suscite le nouveau désir, voire le nouvel amour.

C’est de la même manière que Freud avait fait rupture en lançant sur le monde les signifiants
qui se démarquent du cogito cartésien, et introduisaient donc la notion d’Inconscient.

Tout ceci pour indiquer à quel point dans le « Je pense » qui se révèle de l’Inconscient dans
les actes manqués, un « je suis » n’est pas nécessairement la conséquence absolue sauf à
l’entendre à la façon dont le linguiste Guillaume désignait la fonction de l’imparfait : sous la
forme de « un moment en plus et puis j’y étais presque », donc, autrement dit, « là où je
pense, à peu de chose près, j’y étais ».

366
Il y va dans ces notations d’une logique un peu particulière articulée dans «La logique du
fantasme» autour du terme d’aliénation, logique de la disjonction qui fait que dans un choix
singulier, les conséquences impliquent nécessairement un choix forcé perdant.

Perte que l’évidement de la surface réalise dans la topologie !

Le 10 janvier 1968, Lacan explique comment lire son schéma. Il interroge le point de départ
logique qui tient dans la conjonctioncclix[iv] du « je pense » et du « je suis », avant leur
disjonction sous la forme d’un « je ne pense pas, je ne suis pas ».

Cette disjonction se justifie de quelque chose que l’interrogation analytique montre être
toujours une question, une aporie, c’est celle de l’acte sexuel.

Dans ce tableau, il y a trois opérations majeures, l’aliénation, la vérité, le transfert qui


forment entre elles un groupe de Klein, prétend Lacan, qu’il ne lit qu’à moitié. Le tableau vise
à expliciter l’opération de la cure à partir de la notion d’acte. Il est bien clair qu’au départ, il y
a un acte analytique : celui de commencer une analyse, qui implique comme acte précisément
qu’on se démette de toute fonction de l’acte pour, en fait, se maintenir dans la parole. Cet acte
pourtant présent n’est pas du côté de l’analysant, il est du côté du psychanalyste qui a dû un
jour poser cet Inconscient comme un acte: celui de décider d’occuper cette place. Dans la fin
de l’analyse de l’analyste, réside la raison de cet acte si difficile à saisir qui se trouve au
commencement de chacune des psychanalyses que les analystes garantissent.

« La fin de la psychanalyse, cela suppose une certaine réalisation de l’opération vérité, à


savoir que si, en effet, cela doit constituer cette sorte de parcours qui, du sujet installé dans
son faux-être, lui fait réaliser quelque chose d’une pensée qui comporte le « je ne suis pas »,
cela n’est pas sans retrouver comme il convient, sous une forme croisée et inversée, sa place
du plus vrai, sa place sous la forme du « là où c’était » au niveau du « je ne suis pas » et qui se
retrouve dans cet objet acclx[v] dont nous avons beaucoup fait, me semble-t-il, pour donner le
sens et la pratique. » (10/1/1967)

367
« D’autre part, ce manque qui subsiste au niveau du sujet naturel, du sujet de la connaissance,
du faux être du sujet (*) ce manque qui de toujours, se définit comme essence de l’homme et
qui s’appelle le désir mais qui, à la fin d’une analyse, se traduit de cette chose non seulement
formulée, mais incarnée qui s’appelle la castration, c’est ce que nous avons d’habitude
étiqueté sous la lettre du -phi.

L’inversion de ce rapport de gauche à droite qui fait se correspondre le «je ne pense pas» du
sujet aliéné au « là où c’était » (* *) de l’Inconscient dans la découverte du « là où c’était » du
désir chez le sujet dans le «je ne suis pas» de la pensée inconsciente, ceci se retournant, est
proprement ce qui supporte l’identification du petit a comme cause du désir et du - phi comme
la place d’où s’inscrit la béance propre à l’acte sexuel. » (10/1/1967)

Par cette longue citation du discours de Lacan, nous voyons qu’il existe effectivement deux
types de repérage du manque. En quelque sorte : il y en a un au niveau du Sujet et il y en a un
au niveau de l’Inconscient. Au niveau du sujet, nous le vivons dans la pensée, c’est-à-dire
comme manque et au niveau de l’être tout naturellement, nous le repérons comme perte, dans
l’Inconscient, il est l’objet perdu. Autrement dit, dans la pensée, il est le manque au désir.
L’opération, où ces deux champs virent de l’un à l’autre, est une opération de vérité, c’est
celle que dans la hâte, le psychanalyste opère au terme de son analyse pour se ruer dans l’acte
analytique, en étant cette vérité à défaut de la savoir.

La critique de Lacan sur le cogito cartésien porte en ceci qu’en maintenant le doute au niveau
de la pensée, Descartes n’a pas situé la perte au niveau de l’être, résilant en quelque sorte la
place du corps, la rejetant, opérant une sorte de Verwerfung qui fait réapparaître le corps dans
le Réel sous la forme de machines, c’est-à-dire sous la forme de ce que la science a produit.
Tout laisse à penser dans ce texte que le transfert, pour Lacan, est à entendre presqu’au sens le
plus littéral du terme comme ce qui transporte ce qui était manque dans la pensée à la perte
dans l’être, entraînant ainsi au terme de l’analyse cette reconnaissance des deux apories : celle
du sujet, celle dans l’Inconscient.

368
Le lecteur attentif aura bien sûr remarqué que l’objet a situé par Lacan, en bas à gauche dans
son schéma, possède un statut privilégié, ni perte de l’être ni manque dans la pensée, il paraît
être le résultat de l’opération de transfert en tant que tel. Trace jusqu’ici de la conversion-
inversion que le psychanalyste se doit d’avoir opérée dans sa propre cure et qu’il remet en jeu,
pour son psychanalysant, dans l’objectif de réaliser la possibilité de la perte de ce nouveau
sujet-supposé-savoir pour l’avènement de l’objet a comme cause de sa division de sujet. Là
est le moment de l’acte quand le sujet-supposé-savoir est remis à sa place, c’est-à-dire que
l’analyste est devenu ce résidu, cet objet a.

On voit bien ici que ce qui manque à la pensée qui suscite le désir, ce qui manque à l’être (qui
est le - phi ou la castration) est différent de l’objet a qui est cet étrange objet suscité par le
transfert qui traverse en quelque sorte cette opération de retournement entre la pensée et l’être,
raison pour laquelle Lacan a construit ce dispositif à cette époque qui s’appelle la passe.

Cette passe est censée interroger la manière dont cet analyste occupe, au terme de l’analyse
avec son analysant, la place de désêtre restituant peut-être à son analysant un être nouveau
qu’il recevrait du savoir qu’il a de la cure, signifiant de l’Autre qui s’incarne dans cet objet a
arraché à cet Autre et qui est sans essence comme tous les objets a, bien qu’issu du corps !cclxi
[vi]

On pourrait dire qu’au moment de sa passe, c’est-à-dire au moment où il passe à l’acte


analytique, l’analysant est cette vérité qu’il ne peut savoir à ce moment-là puisqu’il l’est. Est-
ce que la topologie de Lacan n’est pas la constitution comme telle de ce savoir au moment où
quelqu’un peut l’être ?

Ce savoir hors-vérité, cette vérité hors-savoir est bien ce qui relève du cheminement de Lacan
dans le schéma qu’il nous présente du sujet, mais du sujet sous sa forme écornée.

C’est à la grammaire que revient la tâche de démontrer au départ que ce sujet est écorné, et
cela est sensible dans la dimension du fantasme qui comporte ces trois analyses que nous
connaissons bien du texte de Freud : « On bat un enfant », et que Lacan a tenté d’installer
comme logique dans un groupe de Klein autour des trois opérations d’aliénation, de vérité et
de transfert.

Le point de départ est la droite en haut, et puis il y a trois flèches qui vont : vers la gauche en
haut, vers la droite en bas et vers la gauche en bas.

369
Il s’agit bien ici d’un tétraèdre qui incarne cette subversion du sujet dont Lacan parle depuis
longtemps.

Au départ de ce « je grammatical » de l’action, le sujet glisse dans ces trois directions déjà
citées avec une quatrième qui est censée relier le « je ne suis pas » au « je ne pense pas ».

Le sommet du tétraèdre étant la place en haut à droite.

Une fois de plus, le sujet échappe à toute emprise objectivante car, s’il existe un lien intime
entre l’acte psychanalytique, le transfert et le savoir, si le transfert n’est rien d’autre que le
sujet-supposé-savoir à qui s’adresse le patient, et l’acte analytique ce qui supporte ce transfert,
il n’en reste pas moins que ledit sujet n’est perceptible essentiellement qu’en certains
moments de fissure du « je », ces fissures qu’on appelle le refoulé, car le refoulé ce n’est rien
d’autre que le signifiant qui échappe à la règle de la représentation du sujet pour un autre
signifiant.

Au fond, ce sujet-supposé-savoir, il est supposé être le sujet qui pourrait, d’une certaine façon,
être représenté dans la chaîne signifiante, seulement, au terme du processus, l’analyste
s’évanouit. Il ne reste que ce qui en est la trace, de ce sujet, c’est l’objet petit a.

« L’objet petit a est la réalisation de cette sorte de désêtre qui frappe le sujet- supposé-
savoir. » (17/1/1968)

Est-ce à dire que nous pouvons étendre à toute la fonction-sujet, ce destin qui frappe le sujet-
supposé-savoir ?

Au terme du processus, surgit la destitution subjective, nom lacanien pour le nom freudien de
castration. « La castration est la seule voie par laquelle le sujet se réalise. » (17/1/1968)

On pourrait utilement, ici, comparer le graphe avec cette disposition nouvelle tétraédrique,
dans la mesure où :

- le premier processus - l’aliénation : correspond à la rencontre du grand «A» (premier


moment du graphe) ;

- le deuxième - le transfert : correspond à la boucle ;

370
- le troisième – la réalisation de l’être du sujet – qui s’avère comme telle impossible
dans le graphe sinon à passer par le fantasme : correspond, ici, dans la topologie
tétraédrique à la place du « je ne suis pas ».

Au bout du compte, la réalisation subjective, celle qui aurait pu boucler le graphe, correspond
ici à l’expérience de la castration. Cette castration désigne la reconnaissance de ce qu’il
n’existe pas d’organe de la jouissance unique dans la conjonction des sujets de sexe opposé.

« Il n’est pas de réalisation subjective possible du sujet comme élément, comme partenaire
sexué dans ce qui s’imagine comme unification dans l’acte sexuel. » (17/1/1968)

L’analyste occupe donc au départ de la cure, par une rotation à 180°, la place qu’il avait
découverte au terme de sa propre analyse lui-même. C’est au titre de savoir de quoi il est la
chute, qu’il occupe maintenant la place possible pour exercer cette tâche que Lacan appelle
d’immixtion signifiante : « qui, à proprement parler, n’est susceptible d’aucune généralisation
qui puisse s’appeler savoir, il y va là d’un rapport tout à fait unique entre l’universel et le
particulier. »

« Je laisse seulement amorcé ce qu’il en est du statut de celui qui, au point de ce sujet ( ), peut
faire qu’il existe quelque chose qui réponde dans la tâche et non pas dans l’acte fondateur, au
sujet-supposé-savoir. » (17/1/1968)

Il en résulte un statut renouvelé de l’acte, de tout acte humain, pourrait-on dire même, qui fait
que celui-là même qui l’exerce, cet acte, ne peut que se trouver en même temps rejeté, place
du héros de l’antiquité, ce qui justifierait donc la nouvelle formule de Lacan : « là où c’était
le lieu de mon acte, je dois devenir un déchet ».

« Telle est la nouvelle formule sous laquelle je vous propose de poser une nouvelle façon
d’interroger ce qu’il en est, en notre âge, du statut de l’acte ; pour autant que cet acte, si
singulièrement parent d’un certain nombre d’introductions originelles au premier rang
desquelles est le cogito cartésien, pour autant que l’acte psychanalytique permet d’en reposer
la question. » (17/1/1968)

Il en résulte, de cette présentation, que la seule résistance concevable du psychanalyste, c’est


celle qu’il détermine au départ dans la relation analytique, à savoir ce refus de l’acte, ce refus
de toute intervention, voire même de conseils qui entraînent que le transfert vienne prendre
cette place-là, celle qu’il a figurée sur une diagonale qui n’en n’est pas vraiment une, puisque
ce n’est jamais là qu’une des arêtes du tétraèdre, et qu’il suffit de le faire tourner pour avoir
une autre arête et occuper cette place-là.

371
C’est précisément donc parce que cet acte reste en blanc qu’il peut être occupé comme
direction par le transfert : « Le psychanalysant au départ prend son bâton, charge sa besace
pour aller à la rencontre, au rendez-vous avec le sujet-supposé-savoir ». (17/1/1968)

C’est au point qu’il n’est pas sûr du tout que ce type de rapport à l’acte, autour d’un artéfact
qui est cette position du psychanalyste interdisant l’acte, il n’est pas sûr du tout que ce rapport
à l’acte se maintienne dans l’histoire des humains quand par ailleurs, tout montre qu’il en a
été autrement dans l’histoire !

La psychanalyse constitue donc la différence possible entre un acte et un faire :

- Le faire, c’est la tâche de l’analysant, c’est parler ;

- L’acte, c’est plutôt ce qui introduit à la naissance du transfert du fait de l’analyste.

L’analysant, par son dire, se rapproche de cet acte, autant que faire se peut !

Entre ce faire et cet acte, entre cette parole et cette structure qui est à modifier, il y a tout le
rapport qu’il y a entre la grammaire et la logique, et c’est précisément ce qui relèverait d’après
Lacan, de sa logique élastique, c’est-à-dire ce qu’il a appelé précédemment sa topologie.

C. Retour sur la nouvelle logique

Souvenons-nous de l’état avancé de la définition lacanienne du signifiant : marque d’une


trace effacée dans l’intention de tromper l’Autre et, par voie de conséquence, de ses effets
subjectifs : que le sujet se doit de reconquérir la Vérité dont il s’est évidé ! (puisque l’être
évidé a été squatté par l’Autre.)

C’est cette reconquête dont il va être question et la logique qui y répond – l’acte n’étant de ce
point de vue qu’un autre type de forçage subjectif – doit être spécifique à cette instance
subjective nouvelle, vide mais avide de reconquête dans l’opération de la cure.

Reconquête égale Sujet par conséquent.

Vieille histoire !

372
Lacan prétend que la traduction du mot grec « ousia » par substance a épaissi la notion de
sujet qui comportait déjà chez Aristote la trace de supposition. C’est avec plaisir qu’il a
retrouvé dans la logique moderne la trace de ce sujet sous la forme d’une réduction à une
fonction et à l’introduction des quanteurs (tel le « pas-tout »). La fonction du quantificateur
rend le sujet irrécupérable sous le mode où il se manifeste dans la proposition. Lacan appelle
cela un caractère tournant qui représente très bien sa définition du signifiant représentant le
sujet pour un autre signifiant.

Ainsi le montre le schéma de topologie plane de Charles Sanders Peirce où, ce qui intéresse
Lacan, c’est de faire la distinction entre une première bipartition qui est universelle /
particulière et une seconde bipartition celle qui affirme et qui nie, l’une et l’autre se
recouvrant comme nous l’avons déjà vu dans la quadripartition de l’affirmative universelle, de
l’universelle négative, de la particulière négative et affirmative.

Schéma :

On sait que ces deux bipartitions n’ont pas d’équivalence et que l’introduction du sujet se fait
au niveau de la bipartition universelle/particulière, c’est ce que Ch. S. Peirce avait déjà
démontré dans sa logique mathématique et dont Lacan a déjà parlé en 1960 dans son
séminaire sur l’Identification.

Il est clair que le lien de l’universelle et du sujet s’y marque au niveau de la case laissée vide,
Lacan réintroduisant donc sa topologie plane à cet endroit.

L’absence de trait détermine ici la place du sujet, car là où il y a des traits verticaux ou pas
verticaux, existe une sorte de masquage par la présence ou l’absence du prédicat vertical.

Cette disposition logique démontre aussi qu’au niveau des universelles, le recouvrement de la
négative et de l’affirmative implique une exclusion de la case en bas à gauche (1) alors que
pour les particulières, leur recouvrement implique l’exclusion de celle qui est en haut à droite.
(2)

Schéma

373
L’intérêt de la psychanalyse c’est précisément de démontrer comment un type de réflexion
logique avait emmené un certain nombre d’ambiguïtés dans l’histoire, quand elle impliquait
une « ousia » de l’être ou du sujet : « Que le sujet puisse fonctionner comme « n’étant pas »
est proprement ce que nous apporte l’ouverture éclairante grâce à quoi pourrait se rouvrir un
examen du développement de la logique. » (7/2/1968)

Le règle fondamentale, celle de l’association libre, institue donc une épreuve pour l’analysant
qui est celle de se démettre comme sujet, d’abdiquer en quelque sorte de son être. Dans
l’épreuve de sa propre démission, il aurait, à travers cette perte, à se retrouver.

Sous quel prédicat, pourrions-nous énoncer l’universel de cette opération ?

Sinon dans ceci déjà que l’universel contient, comme nous l’avons vu sous la forme de la
place vide, la place dudit sujet.

Plus schématiquement, on pourrait dire qu’à travers la verticalité ou la non-verticalité du


trait, c’est le statut secondaire de la représentation qui est interrogé par rapport à la
représentation première, laquelle n’est jamais que vide. Représentant de la représentation
tels sont ces traits à travers lesquels le sujet s’éprouve comme vide.

Si, au Moyen-Age, cette place du sujet avait été désignée par l’intermédiaire d’un moyen-
terme qui réunissait le sujet au prédicat, pour Lacan, c’est l’objet a qu’il propose à cette place
dans la fonction du plus-un. C’est ce qu’il a présenté dans son nouveau graphe, c’est-à-dire le
rectangle qui implique toute l’opération analytique. Cet objet a doit être : « le solde de
l’opération psychanalytique comme ce qui libère ce qu’il en est d’une vérité fondamentale.
C’est la fin de la psychanalyse, c’est à savoir l’inégalité du sujet à toute subjectivation
possible de sa réalité sexuelle et l’exigence que, pour que cette vérité apparaisse, le
psychanalyste soit déjà la représentation de ce qui masque, opture, bouche cette vérité qui
s’appelle l’objet a.» (7/2/1968)

Le psychanalyste ici incarne ce déchet, cet objet a, il n’en n’est pas du tout la métaphore, il
s’agit bien de quelque chose qui est une égalité.

« Le psychanalyste se définit à ce niveau de la production, il se définit d’être cette sorte de


sujet qui peut aborder les conséquences du discours d’une façon si pure qu’il puisse en isoler

374
la plan dans ces rapports avec celui dont, par son acte, il instaure la tâche et le programme de
cette tâche. » (7/2/1968)

Cette tâche est l’acte analytique proprement dit: permettre le faire-analysant grâce à la mise
en place d’une topologie d’enveloppement (21/2/1968) qui lui permet de s’inscrire.

Cette topologie, Lacan ne nous la présente que sous sa forme planaire, laissant au temps le
soin d’incarner la troisième dimension.

En effet, ce que cette topologie du nouveau graphe démontre, c’est qu’au terme d’une analyse,
le sujet se trouve divisé par quelque chose qui, d’une part, est l’objet a dont il se sépare parce
que c’est lui qui l’a causé et qu’il abandonne dans son analyste et, d’autre part, par ce -
phi qui apparaît comme étant la trace de cette opération sous la forme de la castration.(trace
inscrite dans le sujet-analysant).

Le terme d’une analyse est de mener la cure jusqu’à ce point où le psychanalysant : « n’est
pas-sans cet objet enfin rejeté à la place préparée par la présence du psychanalyste pour qu’il
se situe dans cette relation de cause de sa division de sujet. » (21/2/1968)

Cependant que l’analyste, lui, s’il est cet objet rejeté, n’en est pas-tout pour autant.

Nouvelles négations dont il va falloir préciser la portée et que le champ sexuel s’empresse de
masquer, bien que la subjectivation de l’homme et de la femme soit précisément au niveau de
leur réalisation sexuelle, ce qui fait difficulté parce que la femme vient justement occuper
pour l’homme cette place de partenaire sexuelle, dans le Réel qui s’est constitué du fait de
cette expulsion de l’objet a.

Ici encore, Lacan semble égaler ce rapport à l’objet a aussi bien pour l’homme et la femme.
On sait que dans le séminaire Encore, il les différenciera.

Au cœur de ces apories, vient s’installer une logique que Lacan essaye de fonder pour éviter
que la scène analytique ne devienne à son tour mythe, scène, drame ou dieu sait quoi.

Il propose cette définition de la logique : « La logique se définit comme ce quelque chose qui,
proprement, a pour fin de résorber le problème du sujet-supposé-savoir. » (21/2/1968)

Entre la logique et le mythe, s’est déployé tout un champ, celui de la tragédie où déjà le petit
a s’incarnait dans la destinée du héros tragique, alors que le sujet se répartissait entre le chœur
et les spectateurs.

Avec la logique, non seulement la supposition du savoir se détache du sujet, mais l’écriture
elle-même prend le relais de la représentation.

Dans cette nouvelle scène de l’écriture, la nouvelle négation doit s’écrire, celle qui soutient la
logique de la quantification.

L’étrangeté de la chose réside dans la conjonction de cette logique et de l’écriture. L’écriture


appartient en effet au cadrage fantasmatique, ne serait-ce que par la mise en jeu du regard-
lecture qui l’oriente, alors que cette nouvelle logique se veut précisément échapper à la

375
grammaire qui organise le champ du fantasme, ainsi que Freud nous l’a montré dans son
article célèbre : « Ein Kind wird geschlagen ».

Aussi, Lacan poursuit-il son investigation de la logique des quantificateurs pour interroger le
statut du sujet, à savoir la différence radicale résultant de la sorte de négation qu’elle conserve
en tant que cette négation se porte sur le prédicat et met en cause le sujet de l’énonciation.

En comparant la phrase « j’ignore tout de la poésie » qui est une universelle, à la phrase « je
ne connais pas tout de la poésie » qui est une particulière, chacun peut mesurer l’étonnante
modification qu’une négation fait porter sur la signification d’une phrase. S’appuyer sur le
double support de la négation en français (ne... pas) pour dire que dans la particulière, la
seconde partie de la négation opère une aimantation contraire à l’universelle, ne suffit pas à
justifier une généralisation qui s’inverse exactement en anglais par exemple :

I don’t know everything about Poetry : P

I don’t know anything about Poetry : U

En réalité, il semble bien que le « pas-Tout » emprunté à la logique de la quantification soit


responsable de cette énigme.

D’ores et déjà, on peut remarquer combien ce « pas-tout » appartient à une opération de


vidage dans le savoir, bien spécifique de ce que nous avançons comme hypothèse de la
théorie lacanienne des surfaces : viser la jouissance par évidement.

Subduction (Cf. Guillaume) à l’œuvre dans toute langue !

Lacancclxii[vii] l’introduit maintenant par la logique plutôt que par la manipulation topologique.
Dans la logique de la quantification, l’universelle affirmative s’énonce : « pas d’homme qui
ne soit sage », où l’on voit se mettre en jeu deux négations.

Au niveau de la particulière affirmative par contre, il faut supprimer ces deux négations : « il
est homme qui soit sage ».

L’usage de la double négation correspond au passage de l’universel au particulier et


inversement.

Qu’est-ce qui différencie cette double négation des cas où elle s’égale à une affirmation ?

Si, au lieu d’enlever les deux négations, on n’en enlève qu’une : « il est homme tel qu’il ne
soit sage », on a une particulière, une simple particulière négative. Ceci correspond à une
autre subalternation déjà repérée par Aristote qui est appelée contradictoire, c’est ce qui
déterminera dans cette logique la place de l’exception.

L’introduction du « pas » dans l’universelle et, plus particulièrement, au niveau de


l’universelle négative, transforme celle-ci en quelque chose de tout à fait spécifique, car cette
particule nous permet de repérer à quel point la logique quantificatrice déplace l’ontologie
aristotélicienne en direction de la prise en compte du sujet non plus grammatical, mais du
sujet divisé entre l’énoncé et l’énonciation.

376
Ce sujet n’est plus seulement celui que le graphe mettait en scène; il devient, selon nos
hypothèses, celui que ce vidage d’être autorise à présentifier la jouissance.

« L’unité où se présente cette présence du sujet divisé, ce n’est rien d’autre que cette
conjonction de deux négations. » (6/3/1968)

Et c’est pour en rendre compte, qu’on y ajoutait un subjonctif.

Il y va là d’une négation créatrice qui vaut la peine d’être articulée dans le savoir au niveau de
cette universelle affirmative.

Aristote voulait élaborer ce qui, dans une énonciation, se réduisait au nécessaire anankê, sens
de l’épistémè. On se souvient de l’éloge par Lacan de la doxa dans son premier séminaire. On
comprend mieux ce qu’il visait : « C’est en-deçà de cette tentative de capture de l’énonciation
par les réseaux de l’énoncé que nous, analystes, nous nous trouvons. Mais quelle chance que
le travail ait été poussé si loin, ailleurs, si cela peut être par là qu’à nous se livrent quelques
règles pour bien repérer la fissure. » (6/3/1968)

En outre, si la double négation justifie le passage de l’universelle à la particulière, elle semble


permettre le rapport du sujet au Tout qui entre en jeu dans la proposition universelle.

« Il est clair que si le sujet que nous arrivons, avec le perfectionnement de la logique, à
réduire à ce « pas qui ne » dont je faisais état la dernière fois, que ce sujet pourtant dans sa
prétention, si l’on peut dire, native, se pose comme étant de sa nature capable d’appréhender
quelque chose comme tout, et que ce qui fait son statut et aussi son mirage, c’est qu’il puisse
penser comme sujet de la connaissance, à savoir comme support éventuel à lui seul de
quelque chose qui est tout. […] C’est que le sujet ne s’institue que représenté par un signifiant
pour un autre signifiant S1 et S2, et que c’est entre les deux – au niveau de la répétition
primitive – que s’opère cette perte, cette perte de l’objet perdu autour de quoi précisément
tourne la première tentative opératoire du signifiant, celle qui s’institue dans la répétition
fondamentale. » (13/3/1968)

Entre S2 et le S1, il y a perte d’un objet, soit la fonction intermédiaire de l’objet a qui est à
situer entre le signifiant originel refoulé et le signifiant qui le représente par substitution
répétitive. Or, la psychanalyse, dans son histoire, a écrasé cette alternative par l’idée même
d’une fusion idéale entre la mère et l’enfant, à l’origine du mythe qui, en quelque sorte, a été
renforcé par l’idée du traumatisme de la naissance rapporté par Otto Rank.

C’est là que prend son origine la fonction du tout pour le sujet, mais qu’il n’est pas nécessaire
pour autant de faire dépendre d’une fusion idéale vis-à-vis de la mère, puisque ce signifiant
originaire ne se reconnaît qu’à s’oublier pour l’hystérique ou qu’à se méconnaître pour la
névrose obsessionnelle. Toute l’aventure s’est trouvée détournée parce qu’on n’a pas examiné
la dimension de la demande dans cette adresse à la mère.

Cette demande ne s’adresse pas comme telle à la mère, mais bien à cet objet partiel que Lacan
appelle petit a, que Frege appelait la variable, et qui n’est rien d’autre que la mamme,
l’affaire de tous les mammifères.

« Se pourrait-il qu’il n’y ait mamme », est-ce cette demande que Lacan postule à l’origine ?

377
Le résidu de la division du sujet entraînerait ces mythes, ces idées un peu particulières qu’on
appelle métempsychoses, telles qu’elles ont été élaborées dans l’histoire et qui sont là, en
quelque sorte, pour justifier une espèce d’errance des âmes dans un hyperespace.

Cet hyperespace, nous l’avons déjà rencontré puisque Lacan nous l’a décrit comme étant
l’espace même de la topologie.

Or, nous dit-il, cette dimension d’errance n’est rien d’autre qu’un résidu de la division du
sujet qui résulte de ce que, pour les mammifères, l’objet qui supporte leur existence est vécu
comme un objet plaqué sur le corps de la mère.

Ce qu’on peut dire au niveau du placenta, Lacan prétend pouvoir le dire au niveau de ces
autres objets que sont les excréments, les déchets, le regard et la voix, il ajoute même que
c’est à l’intérieur de cette relation au tout qu’il va maintenant situer, dans les séances qui
suivent, la fonction de l’acte.

D. Retour à l’acte

Ces dernières séances (mars 1968) terminent en fait le séminaire de Lacan de cette année
fertile en événements qui interrompront la suite normale du cours.

On voit donc Lacan reprendre la dimension de l’acte psychanalytique sur ce qu’il appelle son
griffonnage, c’est-à-dire son rectangle aux quatre coins : « ou je ne pense pas ou ne je suis
pas » puis, à l’autre coin, « je ne pense pas », au troisième, « je ne suis pas ».

L’indication de l’acte analytique dépendant effectivement de ce qui se passe du « je ne pense


pas » au « je ne suis pas » avec éjection de l’objet a, éjection qui est à charge du
psychanalyste puisque c’est lui qui autorise les conditions de l’acte à ce prix. Cet acte doit être
rempli par l’Autre, et cet acte est à assumer par le psychanalysant au quatrième bord du
quadrangle, c’est-à-dire celui du - phi ou par cette réalisation qui est la castration, le
psychanalysant devrait par son acte accomplir ce quelque chose qui a été, par lui, enfin
réalisé.

378
« A savoir ce qui le fait diviser comme sujet, autrement dit, qu’il accomplisse un acte en
sachant en connaissance de cause pourquoi cet acte ne le réalisera lui-même jamais
pleinement comme sujet. » (20/3/1968)

Autrement dit, cet acte est un retour de l’effet de sujet (retour du refoulé) qui se produit dans
la parole, dans le langage. Ce signifiant est radicalement divisant. Par cette division, quelque
chose se réalise comme effet-retour et, en ce sens, on peut dire qu’il y a là une coupure qui se
ferme.

Dans son rectangle qui est en réalité encore et toujours un tétraèdre muni de diagonales qu’il
ne faut pas privilégier d’entre les autres côtés, Lacan indique que l’acte psychanalytique
consiste dans un effet- sujet qui distribue un sujet divisé qui trouve là sa Vérité, ou plutôt la
Vérité de son symptôme, sous la forme d’un savoir, étant entendu qu’il est impuissant à ce
que ce savoir fasse tout, car un prix doit être payé en reste. C’est précisément autour de quoi,
dans l’expérience, a tourné l’objet petit a, cause de cette division du sujet et qui s’est
démontrée dans l’opération de la psychanalyse appelée le transfert.

Division réalisée du sujet qu’on pouvait effectivement supporter de la division visible dans la
représentation tragique sous la forme du spectateur et du chœur, (le héros à lui seul incarnant
la figure du déchet où se clôt toute la tragédie).

C’est à cause de ce déchet que la définition du sujet, comme représenté par un signifiant pour
un autre, ne peut pas s’égaler à cette définition qui dirait que tout signifiant représente un sujet
pour un autre, justement, car le signifiant ne peut être tout ce qui représente le sujet, l’objet
petit a en quelque sorte aliène la complémentarité, car il se trouve au terme dans les mains de
l’analyste sous les quatre formes connues : sein, fèces, regard, voix.

Par voie de conséquence, le savoir qui s’est dégagé de cette expérience reste à jamais
impuissant à se compléter.

Cette fonctioncclxiii[viii] du « tout », c’est celle qui apparaît dans la psychanalyse au niveau du
sexe à ceci près qu’il s’y rend évident que le sexe n’est pas tout, c’est-à-dire que le «tout»
appelé à cette place, l’usurpe en quelque sorte, usurpation qui motive la fonction de l’objet
petit a repérée dans la logique des quantificateurs, par exemple, à l’aide des paradoxes ; c’est
d’ailleurs une caractéristique de cette logique que de venir toujours buter (sans pouvoir la
réduire) sur une sorte de structure grammaticalecclxiv[ix] qui fait intervenir ces fonctions du
« tout » et du « quelque ».

Il en résulte d’ailleurs une autre conséquence qui est la fonction de l’indécidable qui surgit
dans cette logique, et qui n’est qu’une marque de l’élision de a.

« Le privilège de la fonction de la quantification tient à ce qu’il en est de l’essence du tout et


de sa relation à la présence de l’objet petit a. Dans la dimension analytique, cette fonction qui
rompt le caractère clôturant d’une totalité s’énonce sous la forme que tout savoir n’est pas
conscient. » (20/3/1968)

La fonction de l’indécidable est aussi interrogée par Lacan pour rendre compte de la
formation de l’analyste, en tout cas de sa qualification, étant entendu qu’il y a là quelque
chose d’indécidable dans la mesure où ce n’est pas son savoir, à l’analyste, qui peut le
justifier comme psychanalyste, puisque l’objet a est, plus particulièrement que tout autre

379
chose, le déchet dont il ne peut en aucun cas se constituer comme porteur d’un savoir. Aussi,
pour parler de ce savoir inconscient, n’importe quel modèle logique n’est pas valable.

Est-ce un appel à la formalisation ultérieure que Lacan tentera dans une étape dernière : celle
des nœuds ? Quoiqu’il en soit :

« Pour concevoir ce qui doit en être de ce sujet averti, nous n’avons aucun type encore
existant. Il n’est jugeable qu’au regard d’un acte qui est à construire comme celui où se
réitérant la castration, s’instaure comme passage à l’acte, de même que son complémentaire,
la tâche psychanalytique elle-même, se réitère en s’annulant comme sublimation. »
(20/3/1968)

Par là, à nouveau, nous est permis de retrouver la place de cette topologie, sublimation de la
chose « tragique », non pas comme évitement, mais bien comme évidement logique que nous
ne pouvons mesurer qu’à ses conséquences signifiantes (dont l’acte est un cas exemplaire !).

Reste que depuis quelques années, Lacan évite de centrer ses séminaires autour de la
topologie et qu’il privilégie la logique en tant qu’elle serait le résidu de l’opération
« topologicienne ». Pourquoi ?

Sans doute parce que la nouvelle logique, outre la question du « tout », se lie à la
problématique de l’énoncé et de l’énonciation et à la difficulté d’éliminer cette dernière de
toute logique.

(Exemple : l’usage du « je ne pense pas, je ne suis pas »).

Cette aporie irréductible de l’énonciation résulte du champ sexuel d’où elle est exportée par la
notion de désir, si paradoxale entre l’homme et la femme.

Tant chez l’homme que chez la femme, existe une inversion entre le désir et l’amour ; là où la
femme désire l’homme, elle croit l’aimer; là où l’homme croit désirer la femme, il l’aime :
ceci, simplement pour marquer que là encore, on retrouve cette inversion caractéristique du
fonctionnement de la pensée de Lacan. Ce qui fonde cette inversion, c’est ni plus ni moins
qu’on n’a jamais le savoir de l’autre sexe, et ceci d’autant plus qu’on est situé du côté mâle.

Pourtant, si entre l’homme et la femme, il n’y a rien qui va ensemble, c’est au nom du désir
dont l’objet a se trouve être la cause et qui a fonction-clé dans cette détermination, c’est au
nom de cette fonction tierce que la femme, dans l’embarras où la laisse l’exercice de sa
jouissance, vient occuper une place que la structure lui impose : « que lui impose la fonction
de l’objet a pour autant qu’elle masque ce dont il s’agit, à savoir un creux, un vide, cette
Chose qui manque au centre et dont on peut dire, qui est cette Chose que j’ai essayé de
symboliser et qu’il semble que l’homme et la femme n’ont ensemble rien à voir. »
(27/3/1968)

C’est pourquoi, la femme s’aperçoit mieux que tout autre, à l’occasion de sa jouissance, de
cette puissance de la tromperie de la structure imposée sous la forme du désir du mâle, bien
que cela puisse pour lui aboutir, à travers l’expérience de la castration, à une vérité de son
impuissance à faire quelque chose de plein de l’acte sexuel. On retrouve encore un vieux
thème de la pensée de Lacan, celui de la parole vide et de la parole pleine, mais ici au niveau
de l’acte.

380
Le sujet lacanien résulte de cette impossibilité réciproque que l’analyste doit apprendre à lire
dans la demande initiale de son patient, car c’est là qu’il est depuis toujours attendu par lui.

Cette place, où le psychanalyste était de tout temps attendu à sa position dans l’histoire
subjective du patient, fait penser un peu à la manière dont la topologie elle-même se trouvait
déjà dans le discours de Lacan, attendue depuis le début, pour qui savait la lire. Il n’est pas
nécessaire pour autant que Lacan y ait été déjà au parfum.

Il faut, ici, conclure ce séminaire sur l’acte un rappelant quelques questions restées ouvertes,
peut-être par la faute des événements de mai 68.

Le rectangle sur lequel Lacan s’appuie pour faire sa démonstration doit être une pastille d’une
surface unilatère, ceci afin de justifier la sortie de l’état de bulle où restait prise la pensée
déiste. Le résidu dont l’analyste se fait témoin, dans cette opération, semble extérieur à
l’origine tétraédrique de ce processus étalé.

Au niveau 1 : « ou je ne pense pas ou je ne suis pas » ;

Au niveau 2 : (dédoublé) je ne pense pas / je ne suis pas ;

Un lieu tiers se dégage, produit par l’opération de l’analyste où se réfugie [a].

Encadrant a, le manque dans la pensée et la perte dans l’être échangent leur déficit respectif,
mais là où la perte s’identifie de - phi, on ne sait rien de ce qui peuple le manque dans la
pensée, au terme du processus. Est-ce à dire que la cure analytique se déploie de manière
asymétrique en privilégiant le fonctionnement « intellectuel », celui qui met en place un
savoir jusque là attendu ?

Ce dont Lacan aurait voulu parler à propos de l’acte analytique, il le résume dans la fin de
cette conférence en disant que :

« C’est du fantasme du psychanalyste, à savoir de ce qu’il y a de plus opaque, de plus fermé,


de plus autiste dans sa parole, que vient le choc d’où se dégèle, chez l’analysant, la parole et

381
où vient avec insistance se multiplier cette fonction de répétition où nous pouvons lui
permettre de saisir ce savoir dont il est le jouet. » (18/6/1968)

Un comble si on veut bien se souvenir de tout l’effort de logicisation et de rigueur entrepris


jusqu’ici !

Lacan redessine alors probablement alors le nœud qui est le huit intérieur, qui est censé
montrer que le sujet-supposé-savoir se redouble avec le sujet-supposé-demande qui est mis en
jeu dans la cure. Entre ces deux boucles, il y a la bande de Moebius qui est la béance entre le
sujet-supposé-savoir et le sujet-supposé-demande. L’objet a, ici, c’est ce qui est manque et
distance, il n’est pas médiation et c’est sur cela que repose la vérité de la découverte
analytique, à savoir que le dialogue est une duperie, qu’il est essentiellement dissymétrique.

Schéma

382
Séminaire XVI

D’un Autre à l’autre

Rappelons l’avancée de ce chapitre sur la topologie des surfaces.

Après deux séminaires (L’Identification et L’Angoisse), tous deux articulés à introduire le


cheminement d’une cure psychanalytique, nous avons mis en évidence ce coup d’arrêt
résultant du refus de Lacan de tenir son séminaire sur les Noms-du Père.

Le Séminaire XI, Les quatre concepts…, a inauguré une nouvelle ère d’enseignement, une
reprise pour le nouveau public, reprise plus logique.

« L’objet, les problèmes cruciaux, le fantasme, l’acte psychanalytique et d’ un Autre à


l’autre », appartiennent à ce second temps de la topologie des surfaces. Lacan y considère que
la logique est la retombée dans l’analyse du discours de l’opération de coupure de a. La trace
que cette opération existe au plan de la surface : c’est la logique et plus spécialement la
logique de la quantification. Il ne faudrait cependant pas oublier que la découpe de a sur une
surface n’est que la monstration structurale du détachement du sujet de la jouissance,
laquelle n’en disparaît pas corps et biens pour autant, et c’est précisément ce que nous réserve
de neuf les premières séances du Séminaire XVI.

A. Le plus-de-jouir pour le sujet

B. Les deux figures du sujet

C. Les limites subjectives : un savoir né de la jouissance féminine

D. Du sujet de la jouissance

E. Conclusion

* * *

A. Le plus-de-jouir pour le sujet

Le point de départ du surgissement du plus-de-jouir reste bien la faille inscrite au cœur de


chacun et qui fait le sexualité humaine : « c’est à savoir qu’il n’y a pas d’union de l’homme et
de la femme sans que la castration :

1) ne détermine au titre du fantasme précisément la réalité du partenaire chez qui elle est
impossible ;

2) sans qu’elle se joue, la castration, dans cette sorte de recel qui la pose comme vérité
chez le partenaire à qui elle est réellement, sauf excès accidentel, épargnée ; donc,
chez l’un des partenaires, l’impossible de son effectuation devient sa réalité et, chez
l’autre, la menace comme possible n’est pas nécessaire pour être vraie. » (13/11/1968)

383
Voilà l’origine de la faille qui s’inscrit dans la pensée sous les formes que toute théorie
psychanalytique se doit de prendre au sérieux.

Le discours analytique se règle comme pensée à partir, pourrait-on dire, d’une non-pensée (je
ne pense pas). Plus exactement, c’est à partir de l’hors-sens ou de l’entre-sens, en quelque
sorte, que l’être de la pensée psychanalytique se trouve causé, l’essentiel étant précisément ici
cette cause qui produit les effets de la pensée et non l’inverse, (exactement comme dans la
formule « il pleut » où le sujet de la phrase est conditionné par une cause qui, comme telle, le
(« il ») produit comme effet de la pensée). Dans cette structure, nous avons à faire à quelque
chose qui participe de la faille au même titre par exemple qu’ont pu le démontrer des arts
comme la musique ou l’architecture qui tentent, en produisant la relation du nombre
harmonique avec le temps et avec l’espace, de montrer une (incompatibilité)
incommensurabilité.

Cette incommensurabilité (Cf. Séminaire XV) résulte, pour Lacan, de l’irréductibilité des
sexes entre eux !

Seulement, il ne faudrait pas croire que le fait que le discours analytique s’appuie d’une faille,
entraîne l’impossibilité de déterminer ce qu’est la théorie psychanalytique. Au contraire, (en
tout cas, si on veut l’enseigner à l’université), la chose même devant laquelle il ne faut pas
reculer, c’est d’en produire le savoir. Pour ce faire, il est un certain nombre de préalables qui
sont proprement topologiques, ceux qui montrent que la pensée comme telle est affaire de
signifiant.

Exemple.

On a l’habitude quand on voit un pot de moutarde de considérer que bien qu’il soit vide, il
soit plein. Or c’est comme tel, en tant que pot, qu’il possède sa signification et non pas parce
qu’il contient très précisément de la moutarde ou pas. Dans la pensée pareillement, il y aurait
propension à croire que l’essentiel de la signification serait de l’ordre du contenu. Revenons à
l’exemple utilisé par Lacan.

Comment ne pas voir et, plus précisément, rapporter tout cela à ces pots troués que l’on
trouve dans les tombes partout dans le monde, comment ne pas voir que toute la structure de
la pensée n’est là qu’un mirage écrit sur la surface même topologique que nous montre
l’activité du potier ?

Quelque chose donc, dans la signification du pot troué, se justifierait d’un échange, d’un
échange entre la valeur d’usage et (dans notre exemple) une valeur d’hommage ainsi qu’on le
trouve dans l’hommage rendu dans les nécropoles.

Ceci amène Lacan à se situer par rapport à Marx et à y situer l’objet a dans sa fonction
topologique essentielle, corrélatif dans notre champ analytique de ce que Marx a appelé la
plus-value. Cette plus-value, cause de la pensée de Marx, résulte d’une renonciation à la
jouissance qu’Hegel avait déjà comme telle repérée, mais qui fait apparaître, et c’est là
l’essence du discours, en tout cas du discours analytique, la fonction du plus-de-jouir
(nouveau nom de l’objet a qui répond au vœu que nous émettions lors de notre commentaire
du Séminaire XV) : « Cette fonction apparaît par le fait du discours, parce que ce qu’elle
démontre, c’est, dans la renonciation à la jouissance, un effet du discours lui-même ».
(13/11/1968)

384
Un marché, en quelque sorte, analogue au marché économique marxiste est supposé au
champ de l’Autre, et c’est le discours qui détiendrait les moyens de jouir en tant qu’il
implique le sujet. Ce plus-de-jouir tient à l’énonciation, nous dit Lacan, et est produit par le
discours pour qu’il apparaisse comme effet subjectif.

Déjà il l’avait montré dans «Kant et avec Sade» (Écrits) pour indiquer la réduction de ce plus-
de-jouir à l’acte d’appliquer sur le sujet le petit a du fantasme, par quoi le sujet peut être posé
comme cause de soi dans le désir. C’est aussi ce que Pascal, dans la renonciation à la
jouissance pour l’espoir d’une nouvelle vie, avait déjà illustré.

La renonciation s’incarne dans le discours du Sujet quand il évite dans son énonciation
de s’annoncer d’un index pour signaler qu’il pense ce qu’il dit sur les chemins de ce que
Lacan avait appelé (Séminaire III) : la parole pleine.

Ce faisant, le sujet témoigne de l’existence de l’objet a que la théorie nous démontre s’égaler
à la fonction du signifiant en tant qu’il ne pourrait pas se représenter lui-mêmecclxv[i]. Dans
cette opération, le Sujet disparaît dans son surgissement et ne peut en aucun cas avoir de lui-
même, sauf à s’égaler à un fantasme, une certaine consistance. Cette perte de l’identité, c’est
proprement ce qui s’appelle l’objet a. Nous n’en avons comme trace dans la répétition que ce
trait qui la marque, trait unaire, nous l’avons déjà vu, qui est le signe de la perte de l’objet.
C’est ce plus-de-jouir qui est strictement corrélatif de l’entrée en jeu du sujet dans le règne de
la pensée et même dans celui du symptôme. On notera, à l’occasion, que ceci est strictement
freudien, puisque c’est ce que Freud avait déjà avancé dans les Trois essais sur la théorie de
la sexualité à propos du lien à la période de latence entre le refoulement de la sexualité
infantile et le surgissement de la pensée.

Or, dans le fantasme, le Sujet qui disparaît ou qui a disparu vient, en quelque sorte, se
solidifier et se donner l’impression d’avoir une consistance dans un cimentage avec cet objet.

C’est pourquoi, il y avait intérêt à voir comment ces objets se succèdent dans l’aventure
subjective (Séminaire X) puisque c’est sous la forme de cette fausse consistance issue d’une
renonciation à la jouissance qu’on les voit (ces objets) s’articuler au Sujet pour constituer ce
fantasme.

Lacan écrit alors pour la première fois cette formule du discours analytique

S1---> S2 à mettre en relation avec ◊ a.

Toute recherche du bonheur n’est rien d’autre que la tentative de voir s’incarner ce plus-de-
jouir qui, chez certaines personnes, prend cette forme un peu particulière qui s’appelle la
perversion. Marque éminente d’une interrogation subjective.

Dans le discours analytique, quand l’analysant se met à la traîne de ce « je parle » qui permet
à la vérité de surgir, il se désolidifie de son rapport à cet objet et, en quelque sorte, il s’en
détache pour qu’il existe sous la forme du plus-de-jouir.

Il existe bien deux types d’[Autre] dès maintenant : l’un qui est celui à qui on peut s’opposer,
qui réfute, à qui on essaie de démontrer des choses et qui est le lieu de cette solidification

385
fantasmatique, et puis l’autre Autre, celui que Lacan écrivait avec un qui indique qu’il n’y a
pas de possibilité d’entière consistance du discours et qui permet d’articuler l’existence du
Sujet.

« La non-jouissance, la misère, la détresse et la solitude sont la contrepartie de ce petit a, de


ce plus-de-jouir qui, du Sujet en tant que moi, fait la cohérence. » (13/11/1968)

Le rapport sérieux, voire sériel, que le Sujet entretient à son dire et qui est du ressort de la
structure, ne peut s’imaginer sans passer par une écriture (topologique ou mathématique par
ex.) car : « La structure, c’est donc réel, cela se détermine par convergence vers une
impossibilité, mais c’est comme cela et c’est pour cela que c’est réel. » (20/11/1968)

On retrouve toujours cette même pensée divisée, d’une part celle des connexions impossibles
à imaginer, c’est-à-dire des plans qui se croisent et qui déterminent une sorte d’impossibilité
imaginaire à la représentation, mais d’autre part aussi, il faut bien voir que pour Lacan, la
structure comme « Réel » se détermine en quelque sorte négativement, par l’absurde, par
l’impossibilité. C’est cela que l’écriture aurait la charge d’expliciter, par la logique des
quanteurs comme nous allons le voir par les négations qu’ils permettent de présentifier.

Cette opération discursive recherche sa propre cause comme discours, en quoi il est une
conséquence symptomatique, sans pour autant se référer à un langage naturel d’où le discours
découlerait.

C’est précisément à la topologie que Lacan cède cette place de structure.

Savoir, plus-de-jouir, topologie, discours, sont donc des termes avancés d’emblée par Lacan
qui prétend être arrivé à un point nécessitant un éclaircissement topologique, et ceci pour
tenter de nouer la fonction du savoir à celle de la jouissance, à condition de ne pas concevoir
ce rapport comme celui d’un fond et d’une forme.

Il y a entre le discours de Lacan et celui de Marx une homologie dans leur façon de faire
surgir par le trait de ciseau du discours, chacun de leur côté, ce plus-de-jouir pour Lacan, cette
plus-value pour Marx.

Au point que l’analyste devient le symptômecclxvi[ii] qui résulte de cette transformation du


rapport du savoir avec ce fond énigmatique de la jouissance, autour de cette trouvaille, de
cette révélation de la fonction de l’objet petit a.

« L’objet acclxvii[iii] est effet du discours analytique et, comme tel, ce que j’en dis n’est que cet
effet même. » (27/11/1968)

Le lien de cette topologie à la jouissance passe par ce que Lacan énonce du sujet comme effet
du discours. Il y a quelque chose qui rend ce discours difficile à saisir, bien que, plus facile
encore pour les plus jeunes qui l’écoutent que pour les plus vieux, parce que précisément, le
rapport entretenu avec le savoir était différent (jeunes logiciens ou vieux analystes). La
difficulté est même double puisque en comparant le discours analytique au discours
mathématique, quelque chose de commun de révèle et à la fois quelque chose de tout à fait
différent. Le discours mathématique met en évidence la fonction de la suture là où, dans la
psychanalyse, on repère le lieu de la faille, (qui ne peut, par définition, se signifier par un
signifiant et qui est donc le S( ).

386
Ainsi de cette sorte d’opposition, il s’inscrit que c’est à la topologie que revient la tâche
d’interroger ce qui représente ce manque dans le signifiant si spécifique à notre destin
d’égaré. Cette topologie, Lacan la précise ordonnée par une paire, une paire signifiante S1 →
S2. (paire orientée)

En ce point du séminaire, Lacan se croit obligé de retracer l’histoire topologique d’une pensée
qui l’a mené à devoir préciser cette paire signifiante. Ce trajet commenté justifie amplement
notre thèse de la continuité de la topologie de Lacan.

En effet, le rapport de ce discours au savoir c’est ce que Lacan avait essayé de situer dix ans
auparavant dans son graphe, dans le séminaire 57-58 sur la formation de l’Inconscient où se
préfigurait la naissance, l’avènement de cet objet petit a non encore désigné comme tel, mais
préfiguré par le séminaire précédent de la Relation d’objet et par ce qui s’y trouve appelé
l’objet métonymique, (c’est ce que nous avions effectivement déjà repéré et noté à l’époque).

Lacan retrace maintenant son « bon vieux » graphe et la ligne delta qui croise la ligne s (A),
(A) en deux endroits (déjà deux signifiants), et qui est orientée.cclxviii[iv]

« Cette première ébauche du graphe a pour fonction d’inscrire quelque part ce qu’il en est
d’une unité de la chaîne du signifiant pour autant qu’elle ne trouve son achèvement que là où
elle recoupe l’intention du futur antérieur qui la détermine. » (27/11/1968)

Le schéma se complète d’une seconde étape qui représente deux états du signifiant :

La chaîne (1) reste perméable aux effets de la métaphore et de la métonymie qui se


constituent au niveau de la deuxième chaîne (2).

L’intérêt de ce petit rappel adorné du mot d’esprit « famillionnaire » situe le savoir


inconscient à la deuxième chaîne (Cf. également le rêve du père mort : « il ne savait pas...
selon son vœu ») mais dans son accentuation subjective cette fois : le rire provoqué par la «
dritte Person » du Witz émanant de la jouissance perdue que tout employé ressent devant
l’évocation des richesses de son patron-capitaliste. De cette perte, surgit le savoir comme
valeur, ici reconnue par le rire.

387
« Le savoircclxix[v] est ce terme opaque où vient, si je puis dire, se perdre le sujet lui-même,
s’éteindre, et c’est ce que depuis toujours représente la notion que j’ai soulignée de l’emploi
du terme Fading. » (27/11/1968)

Le prétendu refoulement originaire freudien n’est rien d’autre que ce noyau hors de portée du
sujet, se présentifiant dans cette énigme qui consiste en ce que le sujet est nommé inconscient,
pour autant que quelque chose reste hors de portée dans la circulation signifiante où se trouve,
dans le mot d’esprit, la fonction du « je dis », celle qui distinguerait le discours de la parole
(alors même que la théorie analytique se voudrait, selon Lacan, discours sans parole). C’est là
que viendra se jouer le titre de ce séminaire «d’un Autre à l’autre», c’est-à-dire «à qui avons-
nous à laisser la parole ? »(sic !)

Le second étage du graphe était donc une façon pour Lacan d’insister sur ce qui, d’un
signifiant (A) à l’autre (s(A)), était détourné pour faire place au sujet.

Revenu à une logique d’écriture, Lacan soutient alors que la paire ordonnée du
signifiant S1 → S2 met en évidence la connexion des signifiants entre eux, c’est-à-dire un
rapport d’appartenance de l’un à l’autre qui représente le Sujet ; tout élément d’une telle
connexion, en tant qu’on peut écrire qu’il ne s’appartient pas à lui même, va entraîner un
paradoxe.(cf. supra p. 260)

La non-appartenance du signifiant à lui-même, le renvoi indéfini du signifiant à l’autre


signifiant, rend possible pour Lacan le seul fait de la demande (2ème chaîne) qui, comme
telle, désigne que dans l’Autre quelque chose est contenu autour de quoi cette demande
s’articule sans pouvoir s’éteindre dans la fonction d’un dialogue. (déjà énoncé comme reste
perdu du besoin dans la mise au langage)

Ce qui se creuse topologiquement dans une telle présentation est une sorte de cercle
concentrique dont le premier est constitué par l’ensemble appelé A qui n’est rien d’autre que
l’ensemble de lui-même, et qui se trouve désigné par une répétition indéfinie dans le rapport à
une succession de signifiants qui s’incluent l’un l’autre, A étant lui-même inclus dans la paire
ordonnée première S1 → A.

Ce caractère insaisissable s’égale à ce que Freud appelait refoulement originaire.

Ceci justifierait, d’après Lacan, la forme topologique du plan projectif dans la mesure où, ce
qui se désigne comme le tracé circulaire, implique que le A le démultiplie et lui permette
d’être décrit à la fois à l’extérieur et à l’intérieur et que c’est en son intérieur même qu’une
enveloppe retrouve son dehors.

388
« Que le A comme tel ait en lui cette faille qu’on ne puisse savoir ce qu’il contient si ce n’est
son propre signifiant, c’est là la question décisive où se pointe ce qu’il en est de la faille du
savoir, pour autant que c’est au lieu de l’Autre qu’est appendue la possibilité du sujet en tant
qu’il se formule. Il est donc des plus importants de savoir ce qui le garantirait; or, ce lieu de la
Vérité est lui-même un lieu troué. » (27/11/1968)

En somme la boucle du graphe qui élève le point A à la manière d’un immense point
d’interrogation (Che Vuoi ?) n’est qu’une façon de présenter la relance infinie du signifiant à
lui-même par rapport à l’Autre, dans le rapport entre A et s(A)

« L’Autre ne donne que l’étoffe du sujet soit sa topologie ou ce par quoi le Sujet introduit une
subversion, mais qui n’est pas seulement la sienne... Mais la subversion dont il s’agit, c’est
celle que le Sujet introduit mais dont se sert le Réel qui, dans cette perspective, se définit
comme l’impossible. Or, il n’y a de Sujet au point précis où il nous intéresse, il n’y a de Sujet
que d’un dire ; il y a donc deux références à la fonction du Sujet, celle du Réel et de son
impossible, et celle du dire et ce que ce dire introduit pour mettre en évidence le Réel, c’est le
possible. » (4/12/1968)

En comparant le Sujet à l’effet d’une paire ordonnée, Lacan veut signaler que : « Le propre
d’une paire ordonnée est un ensemble qui a deux éléments, un ensemble du premier élément
de la paire et un second ensemble : ce sont donc l’un et l’autre des sous-ensembles formés des
deux éléments de la paire ordonnée. » (4/12/1968)

Lacan nous indique que ceci constitue, en logique mathématique, un coup de force qui se
présente sous la forme d’une axiomatique. Le sujet, ici, ne se détermine pas de deux
signifiants, simplement, le premier ne cesse de représenter le sujet pour l’autre qui, dans
cette co-existence, s’égale à une relation qu’on peut appeler savoir.

389
Aussi la question est d’examiner : « Si un savoir est concevable, qui réunisse cette
conjonction des deux sous-ensembles en un seul, d’une façon telle qu’il puisse être sous le
nom de A, identique à la conjonction telle qu’elle est ici articulée en un savoir des deux
signifiants en question ! » (4/12/1968)

Ce qui justifie cette espèce de coquille composée de spires s’involuant de façon dissymétrique
pour finir par le cercle du A.

« Ce A si nous le définissons comme s’incluant possiblement, c’est-à-dire devenu savoir


absolu, a cette conséquence singulière que ce qui représente le sujet, ne s’y inscrit, ne s’y
manifeste que sous forme d’une répétition infinie. C’est pourquoi d’une certaine façon le
Sujet ne peut s’inscrire que de façon exclue, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur de ce savoir
absolu. » (4/12/1968)

Ce qui ramène Lacan à Freud : « dans le fait qu’originalement le Sujet au regard de ce qu’il se
rapporte à quelque chute de la jouissance ne saurait se manifester que comme répétition et
répétition inconsciente. » (4/12/1968)

Où l’on voit que Lacan égale la non-appartenance à soi à une chute originelle de la jouissance.
Ceci fonde le sujet-supposé-savoir dans l’expérience du transfert, la nécessité répétitive
n’étant rien d’autre que l’objet a logique qui est représenté par ces cercles concentriques.
(soit le manque à penser)

A l’autre bout, peut-on penser que le Sujet pourrait se situer sous l’ensemble A ?

Peut-on, autrement dit, rassembler sous la forme d’un ensemble, ce qui conjoindrait tous les
signifiants définis ?

C’est impossible, dans la mesure où l’essentiel, ici, est de repérer comment le dire fait tourner
la fonction du Sujet pour en saisir la faille.

« C’est d’avoir marqué ce que comme simple dire elle démontre de faille que vous pourrez le
plus correctement, dans la faille de la demande, cerner, dans l’énonciation de la demande, ce
qu’il en est de la faille du désir. » (4/12/1968)

Autrement dit, voici le désir cerné de ce qui, dans la demande, dans le pur dire, se démontre
comme faille logique. Il en résulte que le sujet au dernier terme ne saurait être universalisé, il
ne peut être qu’extérieur à l’Autre.

B. Les deux figures du Sujet

Ce que nous appelons ici figures du Sujet ne sont pas intrinsèques mais s’appuient sur un type
de désignation topologique.

Lacan avance en effet que le signifiant qui pourrait représenter le Sujet doit effectivement être
quelque chose qui se trouve en dehors du champ où viennent s’inscrire tous les signifiants qui
justement nécessitent d’être rassemblés par ce nouveau signifiant pour déterminer ce qu’est le
Sujet; ce qui veut dire que la nécessité de ce signifiant comme autre ne saurait d’aucune façon
s’inscrire dans le champ de l’Autre. Voilà ce qui pour Lacan définit la fonction du savoir; en

390
d’autres termes, le savoir qui est recherché ici ne peut que qualifier le Sujet hors l’Autre.cclxx
[vi]

Ce hors-champ de l’Autre, c’est ce que Lacan, dans la topologie, représente probablement par
les points de croisement, les nappes, les surfaces qui s’entrecroisent, à savoir une manière de
dénoncer la non-consistance de l’Autre qui, nous dit-il : « justifie que l’énonciation prend la
tournure de la demande avant que quoique ce soit qui charnellement puisse répondre, soit
même venu s’y loger. » (5/12/1968)

Ce hors-champ pour le Sujet n’est rien d’autre que la désignation de l’effet de la faille dans
l’Autre. Autrement dit, l’Autre comme étoffe du Sujet : « c’est une étoffe qui, d’une certaine
façon, comporte en sa structure la faille grâce à quoi le Sujet peut se repérer comme effet. »
(5/12/1968)

Dans le discours logique, il se repérera sous la forme du non-démontrable ou de l’indécidable,


c’est-à-dire de l’inexistence d’un signifiant : « dont un Sujet au dernier terme se satisfasse
pour s’y identifier comme identique au défaut même du discours, ceci égalant la notion de
castration. »cclxxi[vii]

« C’est donc en tant que l’Autre n’est pas consistant que l’énonciation prend la tournure de la
demande ce qui, dans le graphe, s’écrit ◊ D. » (5/12/1968) En effet, dans toute demande, il
y a une opération de soustraction de la fonction « je » qui est « je dis que », cette fonction
d’indexcclxxii[viii], quand on ne la soustrait pas, porte une demande dans la structure de l’Autre,
demande qui s’adresse à ce qui manque à cet Autre. Il en résulte que au-delà du « je te
demande ce que tu n’as pas », il y a encore un après-coup : le « je te demande non pas qui je
suis, mais plus encore, ce qu’est « je » ? »

La demande dans l’analyse doit être poussée à ce point où nous revient de l’Autre une
dimension radicale concernant la fonction grammaticale du « tu ». Car c’est elle qui, question
portée dans l’Autre à son point extrême, répercute dans le champ subjectif la même question
mais portée cette fois sur le « je » que nous sommes, auquel l’Autre ne peut répondre que par
ce grand que Lacan inscrit de l’autre côté de son graphe qu’il oriente maintenant de droite à
gauche.

Le sujet-supposé-savoir est bien dans le transfert ce qui vient incarner cette opération où une
question adressée à un «tu», par la nécessité logique, finit par déboucher dans la cure au
niveau d’un « qui est « je » ? »

On peut même ajouter que la fonction amoureuse que Lacan incarnera plus tard de cette
phrase : « Je te demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça », opère cette
même soustraction et ce même détournement qui, par l’adresse au « tu », constitue, fait virer
le questionnement sur l’être à un questionnement sur le «je» par une opération de
soustraction, ici en l’occurrence, le refus.

Déjà ceci se trouvait inscriptible sur le graphe en S( )où la signification surgit comme
« aucune », là où la linguistique a reculé à la saisir – alors que tout était déjà saisissant dans la
topologie des potiers ! – pour nous montrer que le langage n’a pas plus de contenu qu’il n’est
contenant. Le trou qui est fait dans les pots qui accompagnent les sépultures nous le montrent:
le langage trouve son origine dans un trou par où tout s’enfuit.

391
Lacan veut montrer que le langage n’est pas signification produite, car sa fonction essentielle
n’est pas de signification !

Le langage n’est rien d’autre que ce qui vient à la place, que ce qui se substitue à ce qui ne
peut être saisi par le discours et qui est la fonction du Sujetcclxxiii[ix].

Dans la topologie, le recroisement d’étoffe fait figure du Sujet là où d’autres figures


surgissent en logique sous les formes du paradoxe, si proche de l’activité du mot d’esprit !

Entre la pratique logicienne et l’analyse des jeux de mots, telle que Freud nous l’a proposée, il
y a une identité, un isomorphisme que Lacan appelle identité d’étoffe, étant entendu que cette
pratique logicienne déborde de la tradition où elle est restée enfermée puisqu’elle s’étend
maintenant au domaine mathématique. Entre la psychanalyse et ce nouveau discours, il n’est
pas question d’image, car l’image s’appuie toujours comme la métaphore sur l’image
spéculaire du corps anthropomorphe qui masque la fonction de l’orifice.

C’est pourquoi, dans ce rapport, c’est la dimension du trou qui est privilégiée par Lacan
puisque le psychanalyste, dans l’intérêt qu’il porte à ce corps, ne peut l’atteindre qu’à l’aide
de quelques coupures qui aboutissent à la chute de quelque chose qui a quelque forme, et que
nous appelons l’objet a.

Dans la formalisation russelliennecclxxiv[x], la pratique logicienne considère que le langage


renferme le discours mathématique et que le caractère de ce discours est d’être sans
équivoque. Or, le langage, le discours plus exactement, a pour fonction d’être essentiellement
équivoque dans le glissement radical de la signification. C’est pourquoi, la seule chance
d’obtenir, de trouver, un objet sans équivoque pour ce formalisme, était de le réduire à une
écriture.

Dans cette logique, l’équivoque réduite à l’écrit se manifeste par ce qu’on appelle
l’isomorphisme: un seul écrit qui rend compte d’un certain nombre de domaines.

Il résulte de cette mise en écrit et du théorème de Gödel qui lui fait suite, que la consistance
supposée de ce discours nouveau implique ce qui la limite: c’est l’incomplétude, à savoir
qu’une formule existe à laquelle on ne pourra, au terme même de la démonstration, répondre
ni par oui, ni par non.

Il résulte de cette incomplétude, de cette forme de résidu, une trace de la présence du Sujet,
mais : « d’aucun autre Sujet que celui qui a fait la coupure, celle qui sépare le dénommé
métalangage d’un certain champ mathématique. » (8/1/1969)

Lacan veut aller plus loin dans sa conception du Sujet.

Il postule là que ce qui apparaît comme lieu de l’incomplétude n’est rien d’autre qu’une
coupure entre le langage formalisé et un autre langage qui s’en isole. Aussi, revenant au
graphe, il tente d’expliquer comment le «je», qu’il est en train d’essayer de préciser, se
distingue de sa conception du Sujet déjà isolée, celle qu’il dit relever du trait unaire, c’est-à-
dire du fonctionnement de la coupure. Celle que nous égalons à la première topologie qui est
la sienne, la topologie de la coupure, car le « je nouveau » ne s’assure pas de cela, il est
l’émanation d’une opération où : « comme sujet, il s’exile de la jouissance, et qui pour autant
n’est pas moins « je » ». (8/1/1969) (deuxième figure du Sujet)

392
Ceci dans son graphe est situé à la partie supérieure, celle qui relève de l’énonciation qui
articule la demande comme un « je me demande ce que tu veux ? » qui n’est rien d’autre que
l’ambiguïté « je te demande ce que je veux », puisque le désir est le désir de l’Autre.

Dans ce graphe, ce qu’il y a de convergence, s’appelle désir de l’Autre, d(A), que Lacan
ajoute pour la première fois dans ses séminaires – par opposition à cela – le « je » se trouve
caché, couvert en ◊ a de manière divergente.

On peut aventurer ici dans cette séance – et qui était déjà notre hypothèse – que la topologie
des surfaces est bien une topologie d’évidement qui concerne le sujet en tant que ce qui
s’évide, c’est la jouissance. (notion d’exil de la jouissance)

Il y a donc deux « je » : celui qui répond à la fonction de coupure et cet autre registre où la
jouissance attend « je », lieu où on a pu reprocher à la psychanalyse de méconnaître les
conditions dans lesquelles l’homme est soumis au social !

A quoi Lacan répond par cette rectification, que c’est au niveau de la production, c’est-à-dire
du plus-de-jouir, que ces conditions de dépendance ont à être examinées.cclxxv[xi]

De cette nouvelle figure du sujet (i.e. celui qui est extrait de la jouissance), il y a beaucoup à
dire. Lacan le situe socialement et historiquement détaché de l’eudémonisme antique, à la
suite d’un Freud qui parlait, lui, de l’au-delà du principe de plaisir.cclxxvi[xii]

Cet au-delà du plaisir concerne ce que Lacan a nommé « jouissance » qui, replacé dans la
dimension spatiale, pourrait ajouter d’autres dimensions aux trois que nous connaissons.

« J’ai essayé, depuis que j’ai introduit dans notre maniement cette fonction de la jouissance,
d’indiquer qu’elle est rapport au corps essentiellement, mais non pas n’importe lequel. Ce
rapport qui se fonde sur cette exclusion en même temps inclusion qui fait tout notre effort vers
une topologie qui corrige les énoncés jusqu’ici reçus dans la psychanalyse. » (15/1/1969)

Soit une topologie qui mettait les coordonnées cartésiennes en continuité afin de rendre
compte de l’expérience de la cure : « L’idéologie analytique en somme, telle qu’elle s’est
exprimée jusqu’ici, est d’une maladresse remarquable qui s’explique par ceci : la non-
construction d’une topologie adéquate. » (15/1/1969)

La non-mise en évidence de cette fonction de la jouissance par Freud cclxxvii[xiii] a entraîné en


même temps le déni d’une construction théorique adéquate qui serait celle de la topologie du
Sujet. Il en résulte la question de savoir si le Sujet, dans ce rapport à la jouissance, se trouve

393
maître ou esclave dépendant, à la façon d’un huit intérieur à la fois contenant et contenu de
lui-même.

Car, le Sujet s’il résulte d’une extraction de jouissance par le détour signifiant, ne peut jamais
le regagner autrement que sous le forme d’une perte et non d’une totalité. La renonciation à la
jouissance et la récupération de sa perte correspondent à ce que Lacan a déjà appellé : le plus-
de-jouir,

«c’est-à-dire ce qui répond non pas à la jouissance, mais à la perte de la jouissance en tant que
d’elle, surgit ce qui devient la cause conjuguée du désir de savoir et cette animation que j’ai
récemment qualifiée de féroce qui procède du plus-de-jouir. » (15/1/1969) (Cf. Perte d’être et
manque à penser).

On vole donc de dédoublement en dédoublement, Autre «dédoublé», sujet dédoublécclxxviii[xiv]


puis cause dédoublée, elle aussi, entre le savoir et l’objet a féroce.

Illustration par le pari de Pascal

Une illustration de cette extraction est le pari de Pascal : renoncer à la jouissance d’une vie, la
nôtre, pour la mettre en enjeu à l’égard de ce que pourrait nous proposer le partenaire, soit une
infinité de vies heureuses !

Pour reprendre le pari de Pascal, Lacan se doit de rappeler un certain nombre de notions
freudiennes et d’autres qu’il a lui-même élaborées, celles notamment qui consistent à se
rendre compte que la jouissance toujours est visée dans un effort de retrouvailles, que l’objet
perdu en quelque sorte est le lieu de cette perte, qu’elle ne peut être reconnue, cette
jouissance, que par la marque (laquelle s’appuie sur ce trait unaire que Freud avait désigné
comme étant une des formes de l’identification), et qu’elle ne peut l’être que par une
répétition qui introduit comme tel du fait de cette marque, une flétrissure, une perte, quelque
chose qui avait déjà été approché par Platon avec la réminiscence.

Le pari de Pascal, lui, il est à resituer dans l’aventure du jansénisme, c’est-à-dire d’une
pratique qui était, dans le christianisme, plutôt rigoriste, (lequel christianisme déjà avait donné
à la grâce, le rôle que Lacan donne au désir de l’Autre, lieu de la parole). L’opération du
PARI interroge ce moment, déjà avancé au temps du graphe, du « Che Vuoi ? ».

« Qui ne voit aussi ce qu’implique si ce qui s’énonce ainsi est correct, cette relation orientée
par le vecteur partant de ◊ D sur le graphe vers ce désir, désir de l’Autre pour l’interroger
dans un « je me demande ce que tu veux ? » qui s’équilibre aussi bien d’un « je te demande ce
je veux. » (22/1/1969)

On voit bien que dans ce séminaire, Lacan va commenter la vectorialisation de son graphe, de
la partie supérieure, celle qui concerne ◊ a et d (A), désir de l’Autre qu’il ajoute ici pour la
première fois.

394
Dans le christianisme, ce désir de l’Autre possédait une figure toute préparée puisque c’est le
« que ta volonté soit faite » impliquant que le tutoiement, ici, s’adresse à un Autre sans figure,
différent de la fonction du semblable.

Or, Pascal dans ce contexte innove: il introduit le Réel par les marques du hasard, (croix ou
pile) qui n’est pas sans satisfaire Lacan.

Car, dans cette problématique du principe de plaisir et du pari de Pascal, le Nom-du-père vient
prendre une forme singulière. Ce Nom-du-père vient prendre la forme d’un Réel absolu dans
le pile ou face, (à l’époque, on disait croix ou pile) du pari, en tant que ce Réel absolu désigne
le fait que quelque chose est ou n’est pas de manière radicale.

S’y ajoute alors l’enjeu ou le risque que Pascal s’autorise à jeter sur la scène du jeu et qui
permet, en quelque sorte, une mesure au regard de ce Réel. Tout ceci tient à l’essence du jeu
dans ce qu’il comporte de logiciable parce qu’il est réglé et qui tient en ceci : que ce qui est
misé au départ est perdu ! cclxxix[xv]

C’est en cela que cette activité ludique se rapproche de la psychanalyse, puisque ce que la
psychanalyse nous a montré c’est que l’abord même de toute concaténation signifiante se
signe d’un effet de perte, ce qu’on a mis erronément au compte d’une blessure narcissique ou
d’un dommage imaginaire.cclxxx[xvi]

Son origine relève d’une béance originaire dans l’organisme entre le corps et sa jouissance,
aggravée par le fait même du Symbolique, par l’incidence du signifiant du trait unaire qui lui
donne sa consistance.

« Alors, ce dont il s’agit se dessine à mesurer l’effet de cette perte, de cet objet perdu en tant
que nous le désignons par a, à ce lieu sans lequel il ne saurait se produire, à ce lieu encore non
connu, non mesuré qui s’appelle l’Autre. » (22/1/1969)

Il en résulte donc qu’il faut trouver cette mesure dans l’Autre, ce en quoi correspond ce qu’on
appelle passion du jeu ou désir. Or, cette mesure, cette proportion se trouve dans les signes
écrits, ceux avec lesquels on articule l’idée de la mesure.

Entre le un et la perte, nous le savons déjà, il y a là une proportion qui s’écrit :

1/a = 1 + a, déjà entrevu à partir du rapport harmonique dans La logique du fantasme.


(Séminaire XV)

395
Il en résulte deux séries que Lacan construit à partir de a, c’est-à-dire du reste, et à partir de
Un, c’est-à-dire de l’unité, deux séries dont l’une va croissant et l’autre décroissant.

Nous ne savons toujours pas ce qu’il en est de ce «a», nous savons seulement quelque chose
au niveau de la série qu’il engendre dans son rapport à un. Un et a sont présents, diffus dans
toute la série. (cf. Séminaire IX)

« Dans un Réel quelconque qui pourrait pouvoir correspondre à cette échelle, ils n’ont de
place nulle part, seulement, cette échelle sans eux, nous ne pouvons pas l’écrire. »
(22/1/1969)

On peut même en arriver à imager cette série à l’aide du trait unaire, à l’aide d’un schéma où
on reporte sur une ligne le petit a.

On peut facilement voir que a2 + a = 1, les puissances paires de a étant du côté de a,

les puissances impaires étant du côté de a2, du moins quant à leur somme respective.cclxxxi[xvii]

« C’est-à-dire que c’est par l’opération même de l’addition séparée des puissances paires
d’une part et des puissances impaires que nous trouvons effectivement la mesure de ce champ
de l’Autre comme un, c’est-à-dire autre chose que sa pure et simple inscription comme trait
unaire. » (22/1/1969)

Dans ces séries, nous obtenons deux types de limites ; dans l’ordre croissant, nous obtenons
un infini mais qui pourtant possède un dénombrable, puis nous obtenons dans le sens
décroissant une limite autre, sans que cela soit moins infini pour autant.

Seulement, « dans tous les cas où nous choisissons même quand ce n’est rien que nous
perdons, nous sommes privés d’un demi infini, ceci répond au champ de l’Autre et à la façon
dont nous pouvons justement le mesurer comme Un au moyen de la perte ; pour ce qui est de
la genèse de cet Autre, s’il est vrai que nous pouvons le distinguer de quelque chose qui est le
Un avant le un, à savoir la jouissance, c’est bien de petit a dans son rapport à Un, à savoir
dans ce manque que nous avons reçu de l’Autre par rapport à ce que nous pourrions édifier
comme complété de l’Autre, c’est de là, du a, et d’une façon analogique, que nous pouvons
espérer prendre la mesure de ce qu’il en est de l’Un de la jouissance au regard précisément de
cette somme supposée réalisée. » (22/1/1969)

En somme, pour autant que nous comprenions bien ce que Lacan veut dire ici, c’est que nous
pouvons interroger l’infini dans sa limite inférieure à condition de l’élaborer à partir de la
dimension de la perte et du déchet, ce que le masochiste a déjà démontré.

C’est ainsi que nous nous approchons de la jouissance par la voie du plus-de-jouir, alors que
dans sa dimension croissante, l’accès à la jouissance, s’il recèle lui aussi cette mesure interne,
s’infinitise, comme pourrait se rendre sans fin la quête de jouissance dans une cure.

396
Le pari de Pascal fournit à Lacan la possibilité de présenter l’articulation de ces deux formes
de sujet : celui du marquage par coupure et celui de la jouissance par évidement.

Lacan construit alors une matrice dont la diagonale correspond au pari sur l’existence de Dieu
et de son éternité; il y a des gens qui sont tellement assurés qu’il n’y a pas de pari du tout, ils
sont assurés de savoir qu’il est, et ils parient pour; il y en a qui sont assurés de savoir qu’il
n’est pas et ils parient contre !

Dans ces conditions, le savoir n’existe pas, il ne se constitue pas.

Par contre, dans l’autre diagonale, il y a celui qui parie contre, sur le fondement de ce qu’il
sait qu’il est ; et celui qui parie pour, sur le fondement de ce qu’il sait pourtant qu’il n’est pas
(Lacan égale ce moins l’infini, qui apparaît dans la case en haut à droite, à l’enfer). Il met
aussi en rapport petit a à l’au-delà de la mort, dans la mesure où cet au-delà de la mort n’est
rien d’autre que le glissement indéfini, mathématique, sous la chaîne signifiante de la fonction
a comme rapport.

On peut noter ici que, progressivement, la fonction de petit a est en train de virer, d’objet
qu’il était dans la circulation du graphe, voire de creux qu’il était devenu dans la topologie
des surfaces, il est devenu maintenant, dans l’interrogation que Lacan fait porter au départ de
la jouissance, un rapport qu’incarne par exemple le rapport mathématique. Il s’agit de figurer
par ces exemples marhématiques la division du Sujet: d’une part le Sujet de la Jouissance,
Sujet absolu dans son affrontement au sujet unaire, marqué par le UN. Impossible par la
figuration de ces série que ce rapport de l’un à l’autre se sature autrement que sous la forme
d’une limite qu’on ne peut atteindre.

Autrement dit, si a précédemment relevait de la mesure du trait, il relève maintenant de celle


de fonction, c’est-à-dire de courbe, celle qu’incarnera au mieux effectivement la topologie,
par exemple du tore.

Dans le pari cependant, l’objet a s’égale à la mise, à l’enjeu de départ.

Comme cette mise n’a aucune valeur, on peut dire que cet objet a n’a aucune valeur d’usage,
bien que dans la psychanalyse, ce soit précisément ce a qui anime la structure du désir dans
les rapports de l’homme à la parole.

La seule possibilité de pouvoir interroger pour nous ce rapport petit a, puisque nous sommes
dans un lien qui n’est pas de lutte à mort, c’est autour de la notion de mesure, la mesure étant
en quelque sorte : « la condition de la pensée. Dès que je pense à quelque chose, de quelque
façon que je le nomme, cela revient à l’appeler l’univers, c’est-à-dire, l’un. » (5/2/1969)

397
Comment s’applique cette «mise» à l’Un, comment en mesurer la différence ?

C’est ce que la logique mathématique nous démontre, (homologue à la définition du signifiant


qui représente le sujet pour un autre signifiant) dans la mise en évidence de cette différence.

Peut-on de cet Autre faire une classe ? C’est-à-dire, peut-on en faire un « Un », et faut-il
inclure le premier S dans cette classe ?

On voit bien là quelque chose qui relance sans cesse la différence entre le trait unaire qui
représente le premier signifiant, et le « Un » qui totalise le champ de l’Autre.

Cette différence qui se relance sans cesse, c’est ce que Lacan appelle petit a.

« C’est pour autant que dans ce jeu, quelque chose est et qui, à l’endroit du « Un », se pose
comme l’interrogeant sur ce qu’il advient, lui, le « Un » quand moi, petit a, je lui manque, et,
en ce point où je lui manque, si je me repose une nouvelle fois je lui manque, si je me repose
une nouvelle fois comme «Je», ce sera pour l’interroger sur ce qui résulte de ce que j’ai posé
ce manque. » (5/2/1969)

En mathématique, ceci correspond aux séries décroissantes de Fibonacci qui aboutissent en


totalisant les puissances paires et impaires à la limite « Un ».

A l’autre bout, dans le sens croissant cette fois, nous aurons quelque chose qui ne s’arrêtera
jamais et qui n’est rien d’autre que la fonction de la science qui s’ajoute sans cesse à elle-
même.

« Tout ceci pour parvenir à rien d’autre qu’à identifier au a ce qu’il en est de l’Autre lui-
même, c’est à savoir à trouver dans le petit a l’essence du « Un » supposé de la pensée, c’est-
à-dire à déterminer la pensée elle-même comme étant l’effet, je dis plus, l’ombre de qu’il en
est de la fonction de l’objet a. » (5/2/1969)

Ce qui n’est rien d’autre que la fonction de cause. A l’envers donc de ce rapport au savoir qui
lui n’arrête pas de croître.cclxxxii[xviii]

C. Les limites subjectives : un savoir né de la jouissance féminine !

Il peut sembler que les détours du séminaire s’éloignent de la topologie que nous voulons en
extraire. Il n’en n’est rien, car, comme savoir, elle se détache du champ où jusqu’ici
s’affrontaient théorie et clinique. Ce chemin d’ailleurs avait été ouvert par Freud chez qui, un
retour à la théorie du plaisir est censé, très précisément (en tout cas pour ce qu’on peut en
trouver dans son esquisse pour une psychologie scientifique), démontrer qu’à côté du schéma
stimulus-réaction, schéma tout naturiste, existe chez l’homme un autre système qui est
articulé à la logique du signifiant. Évidemment, comme Freud ne disposait pas de la
découverte linguistique à ce moment, il l’a constituée sur le modèle neuronique. Ce qu’on
appelle retour à une identité de perception, ou régulation homéostatique qui est censée régir ce
principe de plaisir, n’est rien d’autre que le désir pour le sujet de répéter ce qui doit être
retrouvé, ce qui en soi est impossible sans qu’aucun critère de la réalité ne soit défini qui
régisse cette retrouvaille, c’est pourquoi le rêve (et sa fonction si inadaptée) sert de modèle
d’approche pour Freud dans l’abord de cette réalité humaine.

398
Articuler différence et répétition, telle est la fonction de cette instance du principe de plaisir
selon ces deux axes repérés par Freud lui-même de la substitution d’un signifiant à un autre et
de la fonction mentale du déplacement. En ce sens, le rêve déjà est lui-même interprétation
sauvage, c’est-à-dire traduction imagée qui attend d’être articulée en signifiant. Ce que
l’interprétation y produit est, ni plus ni moins dans cette faille, en quoi consiste la phrase
reconstituée par l’articulation signifiante, d’y désigner ce qui, dans la clocherie qui en résulte,
signe la place du désir.

Tel est ce qui s’avérerait comme logique de l’interprétation freudienne, et Lacan l’égale à ce
qu’il a déjà développé à partir des séries de Fibonacci, à savoir d’articuler le rapport de cette
mise en place du signifiant et de sa faille aux séries et à la loi du nombre harmonique, si « Un
», le champ de l’Autre et de la Vérité, se mesure à a, le savoir quand :

Nous avons donc une fraction qui porte à son numérateur le savoir, à son dénominateur la
Vérité en tant qu’elle surgirait de sa différence d’avec le savoir : démonstration de l’existence
d’une Vérité qui ne se sait pas, ce qu’effectivement l’inconscient nous démontre !

Cette opération qui lie la vérité et le savoir en tant qu’elle conjoindrait répétition et différence
est exactement ce que Lacan a tenté de construire à l’aide de sa logique, à ceci près que c’est
petit a qui est en quelque sorte originel de l’inscription et qui reçoit une petite poussée pour
pouvoir se renouveler en conjoignant répétition et différence.

Cette vérité, comment la connaissons-nous ? Nous la connaissons comme travail: c’est le


travail de la Vérité, appelé parfois par Freud – durcharbeiten. Alors que le savoir, lui, nous ne
le connaissons que sous la forme d’un éclair. (Ça fait tilt !)

A quoi correspond cette vérité diminuée du savoir ? Il s’agit ni plus ni moins du savoir du
sexuel dont en quelque sorte, nous n’avons pas (comme chacun sait, en analyse) la vérité
excepté sous la forme d’un savoir en défaut.

Où est le savoir, alors ?

Le savoir se trouve du côté de la pulsion qui est précisément ce que l’analyse démonte pour en
faire surgir l’effet de vérité par soustraction.

Lacan isole ensuite ce qui probablement reste non élucidé de toute l’entreprise analytique
jusqu’à lui, c’est-à-dire ce qu’on appelle le désir de savoir et le rapport qu’il entretient avec le
sexuel, (sinon que c’est peut-être par le biais de la pulsion que nous pourrions l’entendre, elle
qui tient lieu de sexuel et qui se trouve être en même temps le lieu de l’émergence du premier
savoir). Le sexuel, ici reprend son nom, c’est-à-dire la jouissance et Lacan l’égale au Réel qui
revient à la même place.cclxxxiii[xix]

Il rapporte, alors, la jouissance à la nature féminine désignant ainsi que si l’union sexuelle ne
comportait aucune faille, il est à peu près clair qu’aucun savoir n’en résulterait.

399
« La jouissance n’est ici mise en valeur que de l’exclusion en quelque sorte de quelque chose
qui représente la nature féminine. » (5/3/1969)

L’incommensurable tombe-t-il dans le champ de la jouissance féminine ?

D’une certaine manière, les deux Autres isolés précédemment se spécifient encore davantage.
D’une part, l’Autre de la marque et puis ensuite celui de la jouissance que la « nature »
féminine représenterait par exclusion. Processus qui peut être interrogé en chacun de nous et
qui avait déjà été repéré par Lacan dans son séminaire sur l’Éthique de la psychanalyse quand
il avait interrogé les rapports de la centralité d’une zone interdite (souvenons-nous dans le
graphe) parce que le plaisir y serait trop intense, pour désigner cette zone comme étant celle
de la jouissance, laquelle se définirait ici comme tout ce qui relève de la distribution du plaisir
dans le corps. Cette distribution a une limite intimecclxxxiv[xx] – Lacan l’a appelé vacuole – qui
serait à l’intérieur de nous comme le plus intime, mais que nous ne pouvons manifester que
sous la forme d’une extériorité jaculatoire qui est le cri qui est la manière dont l’intime se
reconnaît au dehors. Autrement dit, ce prochain dont Freud aurait parlé n’est pas l’Autre de
Lacan, mais c’est l’imminence intolérable de la jouissance dont l’Autre : « n’est que le terre-
plein nettoyé ». (12/3/1969)

Terre-plein nettoyé de la jouissance et à l’intérieur duquel, comme lieu-Autre cependant, la


fonction signifiante peut de nouveau jouer à plein !

Ce nettoyage, ce n’est rien d’autre que la structure de l’Inconscient comme un langage. Dans
ce lieu nettoyé, réside la formalisation, c’est-à-dire déjà la logique plus la topologie (à
condition que cette topologie se rende adéquate à ce que cette logique essaie de cerner, c’est-
à-dire la fonction de la jouissance).

A côté, insiste l’impassibilité du désir, c’est-à-dire le fait qu’il se maintient, ce désir


inconscient de l’enfance, dans sa stabilité. Le désir est réductible au formel comme trace de
l’exclusion de la jouissance de l’Autre du langage. A travers lui, tente de s’interroger l’Autre
de la jouissance, exilé à jamais du langage et que seule, peut viser, la sublimation. En effet,
elle nous pousse à interroger la Chose, celle que Lacan a appelé la Chose freudienne dont la
figure mythique est la Vérité dans son double versant occidentalisé : l’amour courtois et
l’œuvre d’art.cclxxxv[xxi]

L’amour courtois, «où la sublimation conserve la femme dans le rapport de l’amour au prix de
la constituer au prix de la Chose.» (12/3/1969)

Et ceci parce que la femme se réserve la part exilée de la libido cclxxxvi[xxii], de jouissance qui a
déshabité l’Autre et que la forme courtoise de l’amour tente de coloniser.

L’Autre versant, celui de l’œuvre d’art, par où la sublimation tente de rejoindre la jouissance
interdite, est la voie du corps et plus exactement de la pulsion dont nous connaissons déjà la
topologie de bord.

Cette structure de bord est ce qui représente, grossièrement dit, les orifices du corps, mais en
mathématique, cette structure de bord nous permet d’amorcer la compréhension de ce que
Freud appelle la constance du flux que ce bord conditionne et qui, dans la théorie vectorielle,
se définit comme flux de rotation. La pulsion est ici définie comme la conjonction de la

400
logique et de la corporéité. Aussi : « L’énigme est plutôt ceci : comme jouissance de bord,
comment a-t-elle pu être appelée à l’équivalence de la jouissance sexuelle ? » (12/3/1969)

C’est autour du trou propre à la jouissance que Lacan prétend voir la possibilité de cette
équivalence de la jouissance de bord et de la jouissance sexuelle.

Un nœud déjà associe la sublimation, l’amour et la femme. C’est ici que, probablement,
commence à s’inscrire le virage qui fait qu’abordant la jouissance et y cherchant une
topologie spécifique, Lacan va devoir passer par le détour de la sexualité féminine pour
soutenir la question de sa topologie. Quelque chose, nous dit-il, se réalise avec la femme, et
pas seulement se passe avec la femme; c’est le terme de réaliser ici qui est tout à fait essentiel.

La topologie et la formalisation seraient donc en quelque sorte des sublimations, c’est-à-dire


une idéalisation de l’objet, de l’objet de la pulsion dont l’horizon est sexuel, sans qu’il soit
éclairci qu’elle comporte là une satisfaction sexuelle.

Nous voici donc au point où se déterminent les relents sublimatoires de la topologie comme
savoir issu d’une jouissance exilée, abordable cependant par les objets a pulsionnels et la
question de la sexualité féminine.

Si les rapports des objets a et de la topologie apparaissent par la structure de bord qui peut
leur être isomorphe, il faudra attendre quelques années (Encore) pour articuler topologie et
sexualité féminine.

Avant d’y venir, il faudra bien remarquer que l’objet a joue dans la sublimation (oeuvres
d’art, par exemple) le rôle de ferment topologique. Il y va : « d’une fonction par où le Sujet
n’est plus fondé, n’est plus introduit que comme effet de signifiant (S1). Dans cette fondation
par le signifiant, un reste subsiste qui a cette fonction de résidu petit a, c’est en tant que
l’objet a est extime, est purement dans le rapport instauré de l’institution du sujet comme effet
de signifiant, comme déterminant par lui-même dans le champ de l’Autre ses structures dont il
vous est facile de voir les variations dans ce qui s’organise de structure de bord, en tant
qu’elle a le choix si l’on peut dire de se réunir soit sous la forme de la sphère, du tore, du
cross-cap, de la bouteille de Klein. » (26/3/1929)

Et Lacan avance donc que les quatre objets a se reflètent dans ces quatre structures de la
topologie en vue de réanimer la fonction que la clinique pourrait recevoir de l’objet petit a,
réanimée dans le commerce sous la forme de l’objet de l’œuvre d’art, et exemplifiée là où il y
va d’un lieu de capture de la jouissance.

Grâce à cette relecture par la topologie, Lacan fait la distinction entre la névrose et la
perversion.

Il isole le statut particulier de l’objet dans la perversion (regard et voix) pour la scoptophilie et
le sado-masochisme, qui met en évidence ce champ de l’Autre déserté par la jouissance.

Voilà qui permet à Lacan d’inscrire maintenant ces deux notions de complémentation et de
supplémentation qui sont des notions mathématiques, angulaires et qu’il va appliquer à propos
de l’un et de l’autre de ces couples pervers.cclxxxvii[xxiii]

401
Le masochiste supplémente l’autre d’une voix sous la forme d’une jouissance remise à
l’Autre. Le sadique, lui, de manière inverse, essaie de compléter l’Autre en lui ôtant la parole
mais en lui imposant sa propre voix, ce que toute l’œuvre de Sade a démontré rater, puisque
cela ne manque pas de commentaire supplémentaire. (supplémént-compléments à lire donc
comme jouissances ajoutées à ce lieu déserté de l’Autre !)

Il faut encore souligner, et c’est l’intérêt tout spécifique de la perversion, à quel point un trou
topologique à soi tout seul peut fixer toute une conduite subjective. C’est exactement ce que
Freud avait trouvé dans la structure de la pulsion. Dans la perversion, on verrait donc se
radicaliser la question de la topologie(versant jouissance), alors que le névrosé, lui,
manifesterait plutôt qu’au champ de l’Autre, c’est la barre, c’est le Un, autrement dit,
l’idéalisation qui est déterminante (le fantasme parant à cette interrogation de la part du
névrosé des lieux de la jouissance de l’Autre.)

D’où découlerait le sentiment pour le même névrosé que la liberté lui est enlevée, par
exemple, de penser ou de savoir, alors que ces restrictions ne sont que des effets de l’interdit
majeur de la jouissance qui se transforment, retour du refoulé, en pensées aliénées.

C’est au fond ce que Freud avait déjà désigné sous le terme du trauma, à savoir qu’un désir
inconscient existe qui nous apparaisse comme fomenté par l’Autre ! Cette fomentation par
l’Autre implique, dans la théorie du trauma, quelque chose qui est différent du repérage de la
division du sujet-du-fait-de-la-marque, puisque c’est la scène de la jouissance qui est
brutalement évoquée en tant que, dans le traumatisme, le corps y serait aperçu comme séparé
de la jouissance !

« La fonction de l’Autre ici s’incarne, elle est ce corps perçu comme séparé de la jouissance,
c’est ainsi qu’un certain « je sais » viendrait se mettre en avant et écranter en quelque sorte un
« je ne sais pas »», (23/4/1969)... issus de notre intimité à la jouissance !

Ce lieu où la Vérité et le savoir viendraient pourtant se conjoindre topologiquement d’une


façon qui les fait se rejoindre et en même temps en démontrer la faille, c’est ce que la
bouteille de Klein viendrait représenter comme rebroussement de surface (déjà égalé par
Lacan à l’œuvre du nom propre).

« Il y va d’une vérité que nous interrogeons dans l’Inconscient comme défaillance créatrice du
savoir, comme point d’origine du désir « de savoir », mais c’est le schéma qui vient d’un
savoir condamné à n’être, en quelque sorte, jamais que le corrélat de cette défaillance. »
(23/4/1969)

La notion de censure que Freud aurait inventée n’est là au fond que pour signaler ce rapport
du savoir à ce lieu dont il surgit comme refoulé. Par l’association libre, une autre liberté
subjective nous est donnée, c’est celle de voir apparaître la structure du fantasme, mais qui
effectivement dénie à la logique son principe de contradiction, même si par l’émergence
d’une grammaire, elle nous montre quand même une orientation.cclxxxviii[xxiv]

En effet, en logique, la catégorie de l’indécidable (tout autre chose que le principe de


contradiction), est, pour Lacan, homologue comme faille à ce que la structure du désir nous
montre dans l’analyse : difficulté de rapporter l’homme et la femme à un savoir, sinon à les
désigner du rapport médié à un manque, autrement dit, du Phallus.

402
Ce que le désir illustre est une difficulté particulière liée au fait que :

« La jouissance de l’instrument fasse barrage à la jouissance qui est jouissance de l’Autre en


tant que l’Autre est représenté par un corps que, pour tout dire et comme je l’ai énoncé, je
pense avec suffisamment de force qu’il n’y a rien de structurable qui soit proprement l’acte
sexuel » (23/4/1969) sans l’irréductibilité du savoir et de la vérité.

C’est ce que le manque de Vorstellungsrepräsentanz à cet endroit incarne dans la pensée !


Même si c’est sous la forme d’une barrière à la jouissance issue du principe de plaisir que
Freud en parlait.

Cette barrière a des contingences historiques, c’est par exemple l’interdit de l’inceste. C’est
aussi le complexe d’Oedipe. Mais comme émergence logique : c’est la castration, à savoir le
trou dans l’appréhension de ce «je ne sais pas» quant à la jouissance de l’Autre qui doit être
pensé dans ses rapports omniprésents, dans notre science.

Le déferlement des objets petit a (gadgets) qui ont pour fonction de boucher en même temps
que de présentifier cette faille dans nos masses-médias, serait censé nous le faire comprendre.
Dans la cure du névrosé, il se produirait donc au-delà des identifications, un renversement qui
consiste en ce que les objets a ne viennent plus boucher ce rapport à la faille, mais donnent
cette impression inverse que c’est l’analyste qui est hypnotisé par le regard et la voix de son
patient. Le désir qui ne se soutenait que de la demande de ce qu’il en est de ce désir, se trouve
ici renversé en une interrogation sur le désir de l’analyste.

Opacité d’un « que me veut-il ? » dans le sens de « jouit-il de moi ? »

Reportons-nous à une forme plus « ontologique » de la topologie, celle qui prendrait appui sur
la prétendue « réalité » du corps, le phénomène dit de chambre noire, par exemple.

Le fait de reporter dans une circonvolution corticale, l’interprétation de l’image qui se


présente sur la paroi de la chambre noire, est en réalité manquer la fonction de petit a dans le
champ visuel. Cette fonction petit a ne peut se repérer qu’à la condition de faire intervenir,
entre ce qui est vu et le voyant, la fonction de la lumière, laquelle dans un premier temps vient
faire tache. Elle vient faire tache, c’est-à-dire que quelque chose manque derrière l’image, si
on peut dire, là où la tache est justement ce qui, dans le champ, se distingue comme trou,
comme absence. La lumière produit des taches et c’est sur cette métaphore que se trouve
attaché le Sujet « en tant que ce Sujet est quelque chose dans le savoir et est déterminé par un
autre manque plus radical, plus essentiel qui est celui qui le concerne en tant qu’être sexué,
c’est là ce qui fait apparaître comment le champ de la vision s’insère dans le désir. »
(30/4/1969)

La pensée à cet égard vient reboucher cette fonction tache pour la combler; la pensée donc se
fait d’une certaine façon : censure de la tache.

Tout ceci est particulièrement perceptible si l’on fait une différenciation clinique entre les
névroses qui recachent ce trou et les perversions qui veulent pourvoir à leur complémentation.

On verrait qu’effectivement, les perversions sont fondées sur une façon d’inscrire un dehors
qui n’est pas espace ouvert à l’infini, mais qui est une façon de rendre à l’Autre quelque chose
dont il aurait été privé, ce que l’algèbre lacanienne S( ) essaierait de nous faire comprendre.

403
« Ce que j’appelle ou définis comme perversion, c’est la restauration en quelque sorte
première, la restitution à ce champ du A, du petit a, en ceci : que la chose est rendue possible
de ce que ce petit a soit un effet de la prise de quelque chose de primitif, de primordial.

C’est dans la mesure où cet être animalcclxxxix[xxv] que nous prenions tout à l’heure au niveau
de son sac de peau, est pris dans le langage que quelque chose en lui se détermine comme
petit a. Ce petit a rendu à l’Autre, si l’on peut dire, c’est pourquoi l’autre jour en introduisant
devant vous le pervers, je le comparais à l’homme de foi, voire au Croisé, ironiquement. Lui,
il donne à Dieu sa plénitude véritable.» (30/4/1969)

Pour le pervers qui essaie toujours de complémenter l’Autre de ce qui lui manque, Lacan a
inventé le mythe de l’hommelle.

Tout autre, est le cas du névrosé qui, lui, essaie d’inscrire le débat entre le champ du Moi
spéculaire (donc du stade du miroir) et celui du désir qui s’articule par rapport aux formes de
l’objet a. Le névrosé ne va pas porter l’articulation conflictuelle au grand Autre dans la
logique (de la jouissance), mais plus exactement dans la fonction métaphorique de la famille,
ce que Freud avait appelé le drame familial.

« Famille », ici, est homologue à « hommelle ».

« C’est cet objet a en tant que libéré, c’est lui qui pose tous les problèmes de l’identification,
c’est lui avec lequel il faut au niveau de névrose en finir pour que la structure se révèle de ce
qu’il s’agit de résoudre, à savoir la structure tout court le signifiant du grand Autre barré. »
(30/4/1969)

En d’autres termes, pousser le névrosé à interroger la jouissance de l’Autre, seul chemin


possible pour une relation anaclitique et que la perversion assure plus que le narcissisme
névrotique, encore empêtré d’image spéculaire.

Cette opération est-elle progrès dans la cure ?

Elle fait le temps d’apparition du Sujet dans le choix qui lui est donné en ce moment, choix ou
de la névrose ou de la perversion.

D. Du sujet de la jouissance

Le pas nouveau dans le séminaire de Lacan consiste maintenant à donner au Sujet une
mobilité qui ne dépend plus seulement de sa différence représentative, mais de sa dépendance
à un Autre, nettoyé de la jouissance et responsable de ce que le signifiant représentatif ne
peut en aucun cas l’être, de lui-même.

Cette mobilité résulte de ce que l’inscription première S1 demande un lieu où elle s’inscrive et
que la suite vienne, elle aussi, représenter, s’articuler, à cette inscription première et à ce lieu.
D’où le terme d’en-forme de a qui, comme tel, est troué par petit a.ccxc[xxvi]

Il y a là une communauté de structure topologique, entre A et le Sujet du fait de ce petit a.


Quelque chose que Lacan rapporte encore au paradoxe bien connu de l’ensemble de tous les
ensembles qui ne peuvent se contenir eux-mêmes. Rien d’autre que la manière pour le Sujet
de se déterminer par rapport à une altérité première, qui est celle du signifiant qui se présente

404
dans la pratique analytique sous la forme d’une étrangeté, à rapporter au Sujet, et à sa
référence topologique. Lacan reprend ici les vieilles notions de traces et de traces effacées.

En effet, une trace effacée, c’est ce que le Sujet transforme en regard, regard à entendre
comme fente, comme entre-aperçu, c’est là ce qui est abordé de (la jouissance de) l’Autre qui
a laissé la trace.

Ce qu’il en est du Sujet dans l’effacement de la trace, est supporté par les quatre objets a
repérés par Lacan : soit, là où l’objet a efface la trace et ne lui est pas rivé comme peut l’être,
par exemple, l’aboiement d’un chien quand il suit une trace. Le Sujet est celui qui remplace la
trace par une signature !

Lacan avance alors que l’écriture est très précisément ce qui résulte de cette trace subjective
qui rapporte le regard à l’objet a.

L’écriture chinoiseccxci[xxvii], à cet égard, étant plus proche de cette appréhension du regard
comme trace au lieu de l’Autre que nos écritures. En ce sens, l’écriture est loin d’être une
transcription, elle est ce qui opère véritablement la coupure à laquelle se raccroche ce qui se
trouve découpé dans la parole par la voix, pour que dans l’écriture, la coupure soit comme
supportée du regard !

Ainsi, se constitue cette topologie spécifique dont nous avions déjà remarqué la stature
fantasmatique (in Logique du fantasme), au travers de l’insistance lacanienne d’écriture.

La fonction de l’érotisme relève, elle aussi, de l’origine de la trace : un regard laissera une
trace dans cette en-forme de a dont nous avons le retour affectif sous la forme de la « pudeur
amboceptive des conjonctures de l’être » ainsi que la nommait Lacan dans Kant avec Sade.

On notera qu’ici regard et voix sont les éléments importants qui, pourtant dans l’ordre de
l’objet petit a, paraissent seconds par rapport au sein et au déchet excrémentiel. On pourrait
peut-être se demander si ce que Lacan détermine ici de la fonction de la jouissance, n’est pas
justement construit sur ces deux objets particuliers (regard et voix), alors que précédemment,
ce qui s’était construit au niveau du trait pour le sujet relevait peut-être de ces
objetsccxcii[xxviii] que sont le sein et le déchet.

« Tels sont les quatre « effaçons » dont peut s’inscrire le Sujet qui, au milieu de ceux-ci, est, à
proprement parler, insaisissable de ne pouvoir qu’être représenté par un représentant. C’est en
tant qu’il s’inscrit dans le champ de l’Autre qu’il subsiste, c’est à ceci que nous avons à faire
si nous voulons d’une façon correcte rendre compte de ce qui est l’enjeu dans la
psychanalyse. » (14/5/1969)

On notera encore la différence entre l’avènement du Sujet ici, barré par cet effacement de
l’objet a et la manière dont il pouvait se représenter, s’identifier dans une société, (par
exemple au chef). Si le Sujet se détermine par rapport à ces objets, en tant que trace, qu’en
est-il alors de cette dimension sexuelle dont la psychanalyse fait ses choux gras ?

En effet, il faut bien considérer que la différence mâle/femelle n’est en rien univoque dans
l’aventure humaine. C’est une fonction tierce, le Phallus et son inscription dans la castration
par rapport à l’énigme de la jouissance, qui doit servir de repère. Aussi, c’est ce signifiant

405
privilégié, comme signifiant manquant dans cette opération, que Lacan va tenter d’inscrire
maintenant.

Il reste que toutes ces traces qui sont des effacements doivent être organisées. Organiser une
circulation nécessite qu’il y ait entre ces traces un point de vide, et ce point de vide, c’est
évidemment la place du Phallus.

Depuis longtemps déjà, nous savons que le Phallus n’est pas dans le système du Sujet –
depuis le séminaire sur l’angoisse et bien avant déjà – nous l’avions situé dans le champ de
l’Autre en tant que la jouissance absolue à laquelle il se réfère est strictement hors-système et,
plus exactement, hors-système du principe de plaisir. (Cf. Le graphe)

« Le Phallus est le signifiant hors-système et pour tout dire, celui conventionnel à désigner ce
qui est, de la jouissance sexuelle, radicalement forclos. Si j’ai parlé de forclusion à juste titre
pour désigner certains effets de la relation symbolique, c’est ici qu’il faut voir, qu’il faut
désigner le point où elle n’est pas révisable, et si j’ajoute que tout ce qui refoulé dans le
Symbolique reparaît dans le Réel, c’est bien en cela que la jouissance est tout à fait réelle. »
(14/5/1969)

Cette fonction phallique semble marquer, désigner un point sans qu’il puisse représenter le
Sujet dans le champ de l’Autre, et c’est effectivement ce que la découpe sur le cross-cap nous
permettait déjà de repérer.

La névrose, à cet égard, n’est qu’une tentative de réinscrire ce point hors-ligne, hors-système,
et qui appartient à l’Autre, dans une jouissance onanistique, masturbatoire qui, en quelque
sorte, réapproprie ce point hors-ligne.

Il résulte aussi de cette impossibilité, une sorte de retour pour le sujet de ce point perdu, sous
la forme d’une curiosité sexuelle dont Freud nous a dit qu’elle déterminait le désir de savoir.
Ainsi, nous voyons le savoir issu de cette impossibilité à situer le point phallique, et c’est sous
ces deux déterminations – celle de l’hommelle dont Lacan a déjà parlé, et celle de la « famille
» – qu’ici deux accents tentent de répondre à l’insupportabilité du complexe de castration. Là
où les pervers complémentent, voire supplémentent l’Autre de ce signifiant qui pourtant y est
manquant, les névrosés en dramatisent la déficience dans une mythologie familiale.ccxciii[xxix]

Lacan va privilégier trois termes et les articuler : le savoir, la jouissance et l’objet petit a, mais
il est nécessaire aussi d’y ajouter la fonction du Sujet et le lieu de l’Autre pour que ces trois
termes puissent se nouer entre eux.

La jouissance en tant qu’exclue de l’Autre comme lieu où cela se sait du fait de l’objet petit a
qui en est chute, voilà ce que Lacan va tenter de nouer ensemble.

406
Pour cela, il fait le détour par cette liberté particulière que peuvent avoir les énoncés
mathématiques qui ne sont pas obligés de se demander quel est leur niveau de savoir pour
cependant s’imposer à eux-mêmes comme savoir sans référence, et démontrer comment une
certaine fonction de « nulle part » peut être repérée (par exemple : dans la suite des nombres
entiers), déterminant ainsi dans cet impossible de déterminer le nombre plus grand que tout
autre, un certain Réel. Ceci a été articulé dans la théorie des ensembles. Il en résulte qu’un
signifiant ne se définit que dans son renvoi à un autre, et que ce renvoi se boucle d’une façon
circulaire sous la forme d’un réseau, réseau que Lacan avait déjà présenté dans son
commentaire sur « La Lettre Volée ».

La seule chose exclue, c’est la définition du signifiant par lui-même en tant qu’il reviendrait à
se mirer sur lui-même. Il est obligé donc d’en passer par quelque chose qui est une circulation
(Cf. Séminaire II)

Effectivement, on verra ressurgir la fonction du vieux tétraèdre lacanien où un côté laissé


hors-circuit représente bien ce lieu à l’infini qui justifie la circulation comme jouissance
interdite, justifiant aussi du même coup la place métaphorique ou fantasmatique du tétraèdre
pour Lacan.

En somme, ce point à l’infini, c’est l’impossible de pouvoir se mirer dans la circulation de


soi-même à soi-même ; c’est ce qui, comme signifiant de la jouissance, est exclu et occupe la
place du signifiant phallique.

De cette circulation résulte qu’un savoir se dégage et se positive du fait même de cette
circulation d’un vide dans lequel vient s’inscrire l’objet a.

Dans l’histoire individuelle, ce qu’on appelle la biographie infantile, appelée à la rescousse


pour expliquer la névrose de l’adulte, n’est rien d’autre que la reconnaissance du fait de la
difficulté de l’approche de la conjonction sexuelle. La prématuration de tout enfant figure en
quelque sorte rétroactivement (quand on s’interroge dessus plus tard), ce que ce point
impossible à l’infini est aussi censé représenter de cette fonction de la jouissance absolue.

Aussi, le névrosé en reste-t-il à interroger justement la Vérité du savoir qui résulte de cette
circulation en tant que ce savoir append à la jouissance.

De deux manières :

407
- pour l’obsessionnel, en refusant de se prendre pour un être ;

- pour l’hystérique, en tentant de le mettre en défaut.

Il ne s’agit de rien d’autre qu’au niveau clinique de la répétition de ces deux séries que nous
avons déjà étudiées, qui lient le « Un » au a, séries dont on sait que l’une d’entre elles est
croissante, déterminant ainsi la fonction petit a (dans les rapports des nombres entre eux);
alors que l’autre, par soustraction, ne peut que comme limite s’égaler à ce petit a et non au «
Un » final.

Pas d’autre solution donc pour un équilibre subjectif pour l’hystérique qui interroge cette
égalisation à l’objet a que de payer le tribut qu’il faut à l’édifice du savoir, alors que
l’obsessionnel, lui, contribue par la pensée à une sorte de désexorcisation de son rituel à
l’égard de la religion.

Savoir et Vérité occupent chacun un champ discursif. La religion biblique, par exemple,
porteuse de vérité et prophétique, a occupé le champ de la Vérité, alors que le dieu des
philosophes a occupé, lui, la place qui va être déterminée par après au savoir.

Ce qui se produit dans ce savoir, est ce qui intéresse la psychanalyse, un peu comme si la
fonction du produit, ici, appartenait à la dimension de la Vérité, c’est là que gît la cause du
désir, c’est-à-dire la division du sujet qui s’est introduite à partir du cogito cartésien, sous la
forme d’un manque; en ce sens, l’acte psychanalytique se présente comme incitation au
savoir.

C’est aussi ce qui fait la « Chose freudienne », laquelle étrangement a pour propriété d’être
asexuée, contrairement aux critiques qu’on adresse au freudisme classique. Comme le vivant,
quant à lui, est sexué, il doit combiner en quelque sorte cette Chose freudienne à son être,
d’où la réalité de ce non-rapport sexuel dont Lacan a déjà parlé dont un autre nom est la
castration.

Ce que l’analyse produit comme savoir, se désigne donc sous le terme de l’objet a qui vient se
substituer à cette impasse, à cette béance du rapport sexuel et donne à la division du sujet,
d’une certaine façon, la possibilité d’être saisi, car jusque là, la castration ne pouvait se
concevoir d’aucune façon. L’objet a en est, si on veut, la cause substituée. En se mettant du
côté du savoir supposé comme sujet, l’analyste produit donc la possibilité du surgissement de
cet objet a, avec lequel il disparaît comme fiction.

E. Conclusion

L’appréhension de ce champ nouveau qu’est la jouissance aura été la démarche primordiale


de Lacan durant cette année 68-69. Qu’un signifiant fasse irruption dans l’inconnu pour le
mener à la lumière de la raison est chose concevable pour tout domaine sensible. Pour la
jouissance, c’est à la logique et à la mathématique que Lacan s’en est allé prendre leçon. Et
plus particulièrement dans la théorie ensembliste de la paire signifiante !

Le grand Autre se définit pour Lacan d’un lieu qui serait comme l’ensemble vide, soit un S1
hors d’un cercle-qui-est-lieu-de-l’Autre visant un S2 à inscrire dans ce cercle, comme
inscription au champ de l’Autre, repoussant ainsi cet Autre en un lieu autre dans lequel

408
viendra à son tour s’inscrire un S3, ainsi à travers la concaténation signifiante, la place du
Sujet se dessine.

Ceci permet de saisir les deux dimensions du « Un », l’Un comme élément qui entre dans
l’ensemble et l’Un comme désignant l’ensemble vide, les deux ayant chacun une
appartenance différente.

Il résulte donc de la paire signifiante orientée, une dissymétrie qui justifie la définition du
Sujet représenté par un signifiant pour un autre signifiant, c’est cette dissymétrie qui permet
de poser la question : « Qu’en est-il de l’Autre ? » L’Autre sait, mais il sait sans qu’il soit un
Sujet, parce que ce savoir est dans l’Inconscient. Ce lieu, c’est S le signifiant de l’Autre, S(A)
qui n’est pas encore barré ; il représente ce qu’il en est de l’Autre au titre de l’ensemble vide.

Dans cet ensemble, vient s’inscrire le Un.

En fait, l’idée du Un, prétend Lacan, n’est pas tirée du grand Autre, elle est tirée du petit
autre, sous la forme que l’autre devient la possibilité pour nous-même de nous compter Un.

Par exemple, dans le pari de Pascal, le trait unaire, c’est notre vie mise en gage pour obtenir
une infinité de vies heureuses. Dans cette mise, l’homme se croit toujours au minimum deux,
puisqu’il se pose par rapport à un idéal. Il semble bien que le pari de Pascal porte sur un quitte
ou double entre le Un de notre vie comme trait unaire et le Un de l’ensemble vide comme lieu
de l’Autre.

D’où l’intérêt des séries de Fibonacci : montrer que le a rend raison de ceci : « Que le pari
s’établit d’abord du Un au Un, qui est quitte ou double. » (11/6/1969)

Autrement dit, entre ce qu’on met en jeu et sa vie, pour savoir si on va en gagner une ou pas,
il y a entre les deux quelque chose d’autre, une petite différence qui est le petit a, mais qui
n’apparaît que par la suite.

Cette fonction petit a que Lacan a appelé le plus-de-jouir : « est ce qui est cherché dans
l’esclavage de l’Autre comme tel, sans que rien soit pointé que d’obscur, eu égard à sa
jouissance propre à l’Autre ; c’est dans ce rapport de risque et de jeu que réside la fonction du
a, ceci du côté où c’est la genèse logique qui nous permet de le démontrer dans la dimension
sérielle. » (11/6/1969)

La question de la jouissance est une question qui relève de cet ensemble vide, champ
(nettoyé) de l’Autre, et c’est ce qui est complètement masqué dans la dimension du pari de
Pascal par l’espoir fumeux d’une vie future, venu à cette place.

« Je rappelle qu’en somme ce dont il s’agit est ceci que tout ce qui se laisse prendre dans la
fonction du signifiant ne peut plus jamais être deux sans que se creuse au lieudit de l’Autre ce
quelque chose auquel j’ai donné, la dernière fois, le statut de l’ensemble vide pour indiquer de

409
quelle façon, au point présent de la logique, peut s’écrire ce qui – en l’occasion et sans exclure
que cela puisse s’écrire autrement – ce qui, dis-je, change le relief du Réel. » (18/6/1969)

Intéressante, cette petite note de Lacan, « sans exclure que cela puisse s’écrire autrement »
puisqu’effectivement, on peut toujours se poser la question de savoir si cette logique de
l’ensemble vide n’est pas ce que Lacan va écrire avec ses nœuds. Dès qu’il y a donc une
fonction signifiante, il y a du « deux » plus quelque chose qui se creuse dans cette relation et
qui l’ordonne, qui se creuse sous la forme de cet ensemble vide dans lequel Lacan va inscrire
ce qu’il a appelé : l’un-en-plus.

Par rapport à «l’intersubjectivité» sur laquelle Lacan avait attiré l’attention dans «Fonction et
champ de la parole et du langage», cet un-en-plus ici correspond à ce que Freud a trouvé dans
la seconde topique.

L’un-en-plus est extérieur à la fonction subjective. Le sujet représenté par un signifiant pour
un autre signifiant est aux prises avec cet un-en-plus déjà inscrit dans le champ de l’Autre, Un
dans l’Autre qui comporte cet un-en-plus. Il y a donc trois signifiants de base, il y a l’Un et
l’Autre, le deuxième si on veut, plus un troisième qui est en plus et qui va être désigné par
l’objet petit a, ainsi qu’on le verra dans les formules des quatre discours.

Avant même que le Sujet ne surgisse comme conscience, ces trois termes désignent déjà à eux
tous seuls, l’articulation d’un savoir.

La topologie qui résulte de cette opération est que le Un qui s’inscrit, définit un Autre, lequel
Autre absorbe en quelque sorte ce premier Un qui se trouve être un représentant. Mais il ne
pourra jamais se signifier d’aucune façon, se contenir lui-même qu’à l’état de sous-ensemble,
c’est-à-dire à s’absorber, à chaque fois comme un nouveau Un à l’intérieur de lui-même,
désignant au terme l’ensemble vide et non pas la marque qu’il serait. Cet ensemble ne se
contient pas lui-même, car il n’est pas égal du tout à la totalité des éléments qui le
constituaient d’abord avant qu’il ne s’inscrive dans la chaîne.

En termes plus logiques : « ce n’est pas constituer un ensemble que de parler de l’ensemble de
tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes. » (18/6/1969)

On mesure de la sorte comment le trait unaire fait plus que marquer pour représenter une
totalité, il inaugure une série dont la raison est rapportée par Lacan au savoir tel qu’il peut
surgir hors-jouissance.

Il est nécessaire, pour que cette opération soit paire (S1→S2), que le premier Un se trouve
inclus au champ de l’Autre. Cette opération équivaut à désigner l’élément d’un ensemble à un
seul élément et à en distinguer les sous-ensembles soit le Un comme élément, plus l’ensemble
vide. La confusion venait précédemment de ce qu’on pensait que l’Autre s’égalait au Un en
oubliant qu’il est Un plus l’ensemble vide ; en d’autres termes : « L’Autre a besoin d’un petit
autre pour devenir l’Un-en-plus, c’est-à-dire ce qu’il est lui-même. » (18/6/1969) (D’un
Autre à l’autre !)

Cette inclusion d’un second Un dans l’Autre équivaut à l’écriture du S2 par quoi le Sujet vient
à se représenter. Autrement dit, ce qui caractérise la fonction subjective, ce n’est pas
seulement le rapport (S1-S2), mais le fait que à chaque fois, le signifiant représente un

410
ensemble vide quand il est posé comme Un (donc un élément Un plus l’ensemble vide, ce que
Lacan écrit S(A) non barré signifiant de l’Autre A inaugural).

L’objet a ici est ce qui, dans la structure, se répète indéfiniment du Un plus l’ensemble vide
qui n’est pas le même ensemble vide. L’objet a restaure, c’est là quelque chose qui, dit Lacan,
appartient à une structure psychique, restaure l’intégrité apparente du A, c’est-à-dire en même
temps opère sur ce S(A) qui n’est pas marqué, en mettant une barre qui est ce qui, dans le
graphe, donne S( ) et en retour s’inscrit comme petit a dans le fantasme.

« A la vérité, l’apparente restauration de l’intégrité de l’Autre en tant qu’il est l’objet a,


emploierais-je cette métaphore pour la désigner, comme structure perverse, qu’elle est en
quelque sorte le moulage imaginaire de la structure signifiante. » (18/6/1969)

Ce que nous savons déjà effectivement, puisque le pervers s’emploie à compléter l’Autre.

Il faut y voir la fonction d’une identification psychique qui remplit la place de a.

Cette identification est repérable dans la cure de l’hystérique; elle qui effectivement d’une
certaine façon présente un corps vidé de sensibilité, sans que rien d’autre qu’une unité
signifiante puisse en rendre compte.

Il y a dans cette « assise d’un Sujet quelque chose qui lui fait accéder comme savoir au champ
qui est celui de l’Autre, il y a quelque chose qui du fait qu’un creux s’opère au niveau du
corps, il y a quelque chose qui, de ce fait, autorise que ce corps vidé fasse fonction de
signifiant ». (18/6/1969)

Chez l’hystérique, Lacan pense que l’identification de la femme à l’ensemble vide est
identification à un corps vidé de jouissance, vidé de cette jouissance qui, chez elle, subsiste
indépendamment (et de manière permanente) à ce qui se satisfait de sa jouissance de
l’homme, donc comme s’il existait là un auto-érotisme permanent.

En somme, cette jouissance de l’homme à quoi la femme se captive, la rend analogue ici à
l’obsessionnel, enté sur le discours du maître captif à l’égard de l’esclave ; il y va là pour
chacun, hystérie ou obsession, d’un enjeu qui est la jouissance de l’homme pour la femme,
enjeu qui est la mort, pour l’obsessionnel, l’un et l’autre étant aussi bien inaccessibles.

En somme, l’hystérique s’introduit dans le discours de ne pas se prendre pour la femme, c’est-
à-dire qu’elle s’intéresse à la femme en tant qu’elle serait une autre femme, celle qui sait ce
qu’il faut pour la jouissance de l’homme. Lacan ajoute encore que l’hystérique suppose une
femme dont le savoir, modèle recherché, s’exercerait de manière inconsciente, d’où vient la
formule, l’hystérique fait l’homme qui supposerait la femme-savoir.

Cette opération s’introduit par un biais où la mort de l’homme est toujours intéressée.

« Des vérités cachées, les névroses les supposent sues. Il faut les dégager de cette supposition
pour que, eux, les névrosés cessent de représenter en chair cette vérité. » (18/6/1969)

La cure vise de la part de l’analyste à installer la coupure dans la structure inconsciente que
sont ces modèles articulés du Un de la femme et du maître (Un comme ensemble vide aussi

411
bien au niveau du maître qu’au niveau de la femme). Tant que ceci n’est pas coupé de la
supposition du sujet-supposé-savoir, il n’y a pas de solution pour le névrosé.

L’opération de coupure met d’un côté la supposition du sujet-supposé-savoir qui se détache,


qui se sépare de la structure repérée, ajoute Lacan, à ceci près que ni le maître, ni la femme ne
peuvent être supposés-savoir ce qu’ils font.

Ainsi se répète l’en-forme de a qui se reproduit sans cesse comme signe de l’ensemble vide,
l’objet a. On notera la différence avec l’en-forme de A telle que nous en avons parlé dans le
Séminaire I, là où ce qui s’est évidé, c’était l’image du miroir par introjection.

On pourrait croire que l’objet a ici serait pure définition formelle, il n’en n’est rien, dit Lacan,
il vise le Un, c’est-à-dire le S1 en ceci que ce S1 désigne cette jouissance énigmatique qu’on
ne peut pas atteindre, sinon dans ce fait qu’elle se veut toujours autre (hormis l’hystérique,
pour qui cette jouissance se satisfait à elle-même en tant qu’elle érige une sorte de femme
mythique analogue à la sphinx).

Dans cette opération, le petit a reste valable dans la définition donnée cette année du plus-de-
jouir, autrement dit enjeu qui constitue le pari pour le gain de l’autre jouissance, voilà le
progrès de Lacan résumé pour cette année 68-69.

412
Séminaire XVII*

L’envers de la psychanalyse

Troisième temps : Suite du deuxième désaveu

Retour du tétraèdre comme discours

Dernière étape de l’analyse lacanienne des surfaces, les Séminaires XVII et XVIII font transition
entre cette période bousculée et la dernière qui verra l’avènement de la topologie nodale.

On se rappellera utilement le parti-pris de Lacan après son séminaire interrompu : celui de déjouer
par une formalisation logique les pièges tendus par l’abord de la jouissance dans le champ de la
cure psychanalytique proprement dite. Et ceci, non sans avoir vu surgir des topologies spécifiques à
la paire signifiante, par exemple, ou à la logique du fantasme.

Ce qui va surgir comme « être nouveau » dans ce Séminaire XVII participe de ce double
mouvement : quadrangulaire et tétraédrique et tournant à la fois. Cet être semble subsister du seul
langage comme structure, indépendamment de la parole qui le parcourt.

Quadrature du cercle que l’extension du huit intérieur faisait présager,

ou encore, le rectangle antipodique découpé et greffé sur une sphère pour donner le cross-cap

A. Des êtres dans la structure

Montrer ce qu’il en serait d’un discours qui dépasse de beaucoup la parole, un discours sans parole,
ne va pas évidemment sans poser un problème.

L’hypothèse est que le langage a pour fonction de découper dans la structure quelque chose qui,
topologiquement, est repérable. Il semble donc qu’ici Lacan parle d’un discours qui ne subsiste que
du langage car, sans lui, il n’y aurait aucune possibilité qu’il s’inscrive ; mais qui n’ait nul besoin
d’être énoncé pour que pourtant nos actes, eux, viennent s’y inscrire ; (ainsi en est-il, par exemple,
du surmoi).

Ces structures découpées sont caractéristiques en ceci qu’elles dégagent cette place de l’en-forme
du petit a tel qu’il résulte de la relation du signifiant à un autre signifiant.

413
Cet en-forme est déterminé par le rapport du signifiant (S1) au cercle de l’Autre, à l’intérieur duquel
Lacan inscrit le (S2).

L’opération essentielle consiste à introduire à partir du (S1), la dimension du savoir, dimension qui
ne s’introduit pas sans qu’une perte n’en résulte et qui est l’objet petit a.

Lacan nous signale à quel point cette opération a un joint d’insertion qui est le terme de jouissance
lequel, effectivement, échappe à l’inscription sur le petit tétrapode qui nous est proposé à ce
moment.

Ce savoir,

« c’est ce qui fait que la vie s’arrête à une certaine limite vers la jouissance. » (p. 17)

Et ce rapport du savoir à la jouissance détermine le plus-de-jouir qui n’est rien d’autre que petit a,
perte qui résulte de la jouissance quand elle se met au savoir.

Aussi bien, quatre discours résultent de cette découverte :

le discours du maître ;

le discours de l’hystérique ;

le discours de l’analyste ;

et un quatrième discours que Lacan laisse ouvert dans son séminaire, au début.

Il existe une double circulation tétraédrique : celle qui permet à un discours de passer à un autre et
puis celle, plus « historique », qui signe l’émergence de la notion de discours dans l’aventure des «
parlêtres ».

Ainsi, le champ propre du savoir s’est-il dégagé d’abord à partir du discours du maître (M) et du
rapport antique qui existait entre le maître et l’esclave, l’esclave étant le détenteur du savoir-faire !
On repère ainsi deux faces articulées au savoir, il y a le savoir-faire qui est proche parent du savoir

414
animal qui n’est pas dépourvu de réseau langagier, et puis il y a dégagement d’une seconde couche
qui s’appellera l’épistémè qui veut dire, ni plus ni moins, trouver la bonne position qui permette que
le savoir devienne savoir de maître : « extraire l’essence de ce savoir pour que ce savoir devienne
savoir de maître.» (p. 21)

La philosophie n’a été rien d’autre que la fonction historique par où s’est extrait le savoir de
l’esclave et s’est transmué en savoir de maître. Mais ce n’est pas encore la même chose que
l’opération de la science, car le savoir qui a résulté de cette épistémè antique n’était qu’un savoir
théorique, ce n’est que du jour où on a renoncé à quelque chose dans ce savoir mal acquis, donc
dans ce rapport (S1) à (S2), que s’est dégagée la fonction du Sujet et, en même temps, la naissance
de la science : voilà l’hypothèse de Lacan. Ce moment, il le situe du cogito cartésien, nous le
savons déjà.

Cette opération historique combine l’ignorance comme passion (Cf. Séminaire I) et la non-
transitivité du savoir à l’égard de lui-même. Lacan réserve au maître la fonction d’ignorance, celle
qui est de ne pas savoir tandis que l’esclave, lui, posséderait un savoir tel que celui que
l’Inconscient nous démontre n’être pas savoir de lui-même : il ne va pas de soi qu’il se sache lui-
même.

Déjà, dans l’histoire de la pensée, les sceptiques avaient occupé à l’égard du savoir une position
intéressante dans la mesure où eux-mêmes avaient bien pensé que le savoir ne pouvait se totaliser,
s’opposant à la fonction du politique qui pense toujours que le savoir fait sphère.

En somme, première idée, le savoir vient au maître par l’esclave mais que le maître transforme en
quelque chose qui devrait se boucler ; deuxième idée, le savoir n’a pas eu dans l’histoire de la
pensée la même place à chaque moment, du discours du maître antique à celui du maître moderne.
Il y a eu modification de la place du savoir, notamment par l’exploitation capitaliste qui ne rend pas,
par exemple, à l’esclave les résultats volés du savoir-faire qui lui reviennent puisque ce qu’il lui
rend, ce n’est pas son savoir, mais les produits de la société de consommation.

Un cheminement dans l’histoire du savoir a produit que le psychanalyste vienne alors s’insérer dans
cette fonction du savoir historique. On sait que Lacan a désigné dans le ventre de l’Autre (A)
l’ensemble des signifiants (S2) qui se présentent sous la forme d’un savoir qui ne se sait pas.
Quelque chose vient donc, d’une certaine façon, frapper du dehors pour que ce savoir qui ne se sait
pas, sorte de ce ventre de l’Autre.

Voilà ce qu’opère le discours analytique : l’analyste – par sa place – hystérise le discours, étant
entendu qu’il y a dans le discours quelque chose qui pré-existe à ce qu’il s’hystérise. En effet,
Lacan prétend que le malentendu de l’espèce humaine concernant le rapport sexuel, c’est-à-dire le
fait que le signifiant ne peut pas rendre compte du rapport sexuel, est précisément cause de cette
hystérisation du discours. Le discours analytique produit cette hystérisation tout simplement par
l’association libre, production foisonnante de (S1) donc de signifiants à l’extérieur de ce «savoir qui
ne se sait pas» dans le ventre de l’Autre. L’analyste ne prenant pas la parole, il en résulte un certain
nombre de choses, notamment qu’il occupe là, pour un temps au moins, la place du maître jusqu’à
ce qu’il en vienne à chuter sous la forme du petit a.

Ceci n’est rien d’autre que la désignation au terme de ce que le savoir est une opération qui vise à
faire s’évanouir la dimension de la jouissance, autrement dit que le savoir s’arrache à cette
jouissance. Raison pour laquelle ladite jouissance n’apparaît pas dans le tétrapode.

Par contre, la Vérité, elle, vient s’y glisser d’une façon toute particulière comme toujours car elle ne
peut pas se dire « toute », autrement que par énigme ou mortifiée par citation.

415
Qu’est-ce que cette opération qui place l’Autre, l’analyste, dans la position d’un être, qui laisse
parler quelqu’un en toute liberté, étant supposé que cela conduise à un savoir pour qu’au terme ledit
analyste soit destiné à se trouver éliminé du processus ? Pourquoi donc un analyste vient-il occuper
cette place ? Pourquoi donc vient-il occuper ce lieu d’où il apparaît que le désir du maître, c’est le
désir de l’Autre, c’est-à-dire le désir que l’esclave prévient par son savoir-faire, étant entendu que
c’est l’esclave qui sait ce que le maître veut ?

Tel est bien ce qu’en psychanalyse on appelle le transfert, c’est-à-dire ce qui résulte de ce que
l’analyste se fait cause du désir de l’analysant.

B. Le Savoir, tissu de la jouissance

1. Moyen de jouissance

Par le détour du discours universitaire – quatrième discours ccxciv[i] – qui traduit, voire trahit, le
discours analytique, Lacan fait remarquer la rotation des discours entre eux. Qui dit rotation, dit
aussi changement de place des éléments permutatifs et mise en évidence, par ce fait, de ce qui
jusque là se trouvait recaché.

Telle est bien la question du psychanalyste, co-substantielle à l’objet a, lequel est ce qui, dans les
effets de discours, a été le plus méconnu puisque de tout discours, l’objet a est le rejet. En outre, cet
objet possède encore une autre caractéristique, c’est que, dans le discours analytique, (bien que
présent dans tous les discours) il vient en position dominante. Chaque discours – cela va de soi –
possède sa position dominante en fonction de la rotation des lettres qui le composent.

La dominante du discours du maître, ce sera la loi (S1) ; la dominante du discours de l’hystérique,


c’est le symptôme ( ) ; la dominante du discours analytique, c’est l’effet de rejet du discours (a),
soit l’objet a ; restera à inventer la dominante du discours universitaire.

La difficulté de trouver cette dernière mène Lacan à s’interroger sur la structure à donner à ces
tétrapodes, à ces petits discours, structure qui résulterait donc de la place qu’occuperaient les autres
lettres, une fois qu’une lettre différente vient à dominance. Lacan parle à ce propos d’une liaison
signifiante radicale qui nous permet d’illustrer ce qu’est une structure à travers cette formalisation
du discours. Il en résulterait même des règles de formalisation et des éléments d’impossibilité.

« Essayer de vous obliger simplement à choisir une place différente, définie en fonction des termes
« en haut », « en bas », « à droite », « à gauche ». Vous n’arriverez pas, quelque soit la façon dont
vous vous y preniez, à ce que chacune de ces places soit occupée par une lettre différente » (p. 49)
ou inversement, de choisir dans chacune de ces quatre formules, une lettre différente :

Cette liaison signifiante n’est rien d’autre que la trace de la répétition, laquelle est nécessitée par la
jouissance. La dialectique de la jouissance va contre la vie, et Freud l’avait appelée instinct de mort,
c’est-à-dire retour à l’inanimé.

416
La répétition signifiante se présente toujours sous la forme d’un défaut, sous la forme d’un échec
parce qu’elle rapporte à quel point le savoir qui se constitue comme extrait de cette jouissance,
désigne la perte que l’inscription signifiante produit dans cette jouissance du fait même qu’elle tente
à s’écrire. Cette perte, c’est ce que Freud nous a appris à repérer sous la fonction de l’objet perdu et
que le masochiste essaie de retrouver par-dessus tout. Lacan, pour sa part, l’avait déjà articulée dans
son analyse de la fonction signifiante du trait unaire où s’origine le signifiant (comme effacement).
C’est à partir de là que le savoir s’épure et se détache de tout savoir naturel.

Est-il besoin encore de rappeler que ce savoir épuré produit un Sujet qui n’est pas le Sujet de la
connaissance, qui n’est pas le Sujet qui posséderait une sorte de consistance, mais dont la fonction
est simplement d’être sous le glissement du signifiant, sous le glissement produit par la pulsion de
mort comme répétition signifiante : voilà le sens de cette répétition inaugurale qui est répétition
visant à jouissance.

Par le détour de la dominance de a dans le discours analytique, un aperçu nous est donné de ce qui
prédomine dans le discours universitaire et qui est une articulation logique de cette perte : c’est le
savoir.

« Le savoir est, à un certain niveau, dominé et articulé de nécessités purement formelles, des
nécessités de l’écriture, ce qui aboutit de nos jours à un certain type de logique, or ce savoir auquel
nous pouvons donner le support d’une expérience qui est celle de la logique moderne, qui est en soi
et avant tout, maniement de l’écriture, ce type de savoir, c’est celui-là même qui est en jeu quand il
s’agit de mesurer dans la clinique analytique l’incidence de la répétition. » (p. 53)

Nous voici avec quelque chose de neuf. Bien sûr, dans l’expérience analytique, on parle, mais cette
parole ne sert qu’à situer comment, dans un discours déterminé, dans une structure, vient à se
répéter cette incidence du signifiant, trace de la pulsion de mort. D’où la mise en place d’un savoir
qui, extrait de la jouissance, s’articule autour d’une perte, laquelle perte, nous le savons, est la
cause du désir. Or, ce que Lacan nous apprend de neuf, c’est que ce savoir nouveau qui surgit des
effets de cette pulsion de mort est logifiable et logifiable de la logique moderne.

«Le savoir, moyen de la jouissance ! » (p. 54) est la formulation la plus pointue que Lacan en
avance et qui justifie du même coup nos efforts dans la production de cette thèse
universitaireccxcv[ii]. Le trait unaire, nous n’oublierons pas sa qualité amboceptrice car, si d’une part,
en terme d’énergétique, on pourrait dire que le savoir du fait du trait unaire travaille à une entropie,
d’autre part, ce trait peut se conjoindre au corps, et c’est ce qui se produit dans l’érotique puisque
dans l’érotique, le trait s’identifie à un objet de jouissance, la marque sur le corps comme dans la
flagellation, par exemple, où le jouir : « prend l’ambiguïté même par quoi c’est à son niveau et à nul
autre que se touche l’équivalence du geste qui marque, et du corps, objet de jouissance. » (p. 55)

Affinité de la marque avec la jouissance du corps où se distingue le passage du narcissisme à la


relation objectale. Autre façon de rappeler ce que le Séminaire XVI avait tenté de montrer, la mesure
portée au cœur de la jouissance.

« Freud marque avec force que ce qui fait au dernier terme le vrai soutien, la consistance de l’image
spéculaire de l’appareil du Moi, c’est qu’il est soutenu à l’intérieur par, qu’il ne fait qu’habiller, cet
objet perdu qui est ce par quoi s’introduit la jouissance dans la dimension de l’être du sujet. » (p.
55)

Trait unaire et objet perdu s’accoquinent donc pour faire s’introduire la jouissance dans le corps.

417
Cette jouissance s’introduit un peu par hasard, par accident, pour empêcher le plaisir de ronronner
normalement; tout écart même léger dans le principe de plaisir va toujours dans le sens de la
jouissance. Dès que cet écart, que ce surplus du principe de plaisir peut s’indiquer, c’est-à-dire se
trouve être marqué du signifiant, nous entrons dans le champ du plus-de-jouir qui résulte du fait que
la dimension de la perte est signifiée, est aperçue, et c’est seulement à ce moment-là que la
dimension de l’entropie fait prendre corps au fait qu’il y a un plus-de-jouir à récupérer : rien
d’autre que le savoir mis au travail.

Dans la pratique analytique, on constate que c’est dans ce creux, dans cette béance-là que viennent
s’intercaler, s’engouffrer différents objets qui font bouchon à l’avance, qui sont les objets petit a.
C’est à cette structure élémentaire que vient s’appareiller la fonction de la parole et qui n’a qu’un
seul sens, c’est de montrer qu’entre le savoir et la jouissance, comme moyen l’un de l’autre, il y a le
travail qui a le sens de la Vérité. La parole rentre dans le jeu sous cette forme : introduire la fonction
de Vérité dans la structure.

Il existe donc, dans l’expérience humaine, une faiblesse fondamentale qui résulte de la perte de
l’abord de la jouissance sous le mode du savoir. Cette faiblesse spéciale ce n’est rien d’autre que la
Vérité. L’amour de la Vérité, c’est le nom donné à l’amour de cette faiblesse, c’est-à-dire du fait
que l’on ne veut pas oublier que l’inscription signifiante déborde le principe de plaisir pour
interroger le champ, l’espace de la jouissance. Cette béance, cette faiblesse, c’est aussi ce que Freud
avait appelé la castration. C’est pourquoi, on attend d’un psychanalyste qu’il vienne occuper la
place où il doit faire fonctionner son savoir en terme de Vérité, c’est-à-dire, se confiner à un mi-
dire, c’est-à-dire ni plus ni moins occuper la place de désigner le lieu de cette faiblesse.

2. La vérité de la mise au savoir

Cette vérité, c’est le discours analytique qui la détient (sous la forme d’un exercice de parole) sous
une forme nécessairement imparfaite, car il désigne l’envers des trois autres discours. Il ne les
résout pas. Envers, ici, résonne avec la Vérité. (en vérité...!) Quelque chose se trouve, en quelque
sorte, enserré dans le tissu du discours, et justifierait le Pas-tout !

A la manière d’un tissu qui enserre l’objet, il nous autorise à nous interroger sur ce qui fait son
envers, le discours analytique dans son bouclage nous permet de poser pareille question.

En effet, la Vérité qui surgit de ce bouclage trouve son envers, pourrait-on dire, dans sa dilution au
cœur des autres discours et, évidemment de la manière la plus brillante, dans le discours de
l’hystérique.

Raison pour laquelle dans ces discours, Lacan va tenter d’inscrire la fonction de la Vérité, d’abord à
partir de ceci qu’elle semble attenante à la position de la femme, laquelle ne peut pourtant en parler
qu’à entrer dans le discours qui, il faut bien le reconnaître, est la manière dont l’homme a marqué le
monde avec le signifiant. Si d’une certaine façon, la Vérité s’apparente à la femme, elle ne peut se
manifester que sous les espèces du signifiant, c’est-à-dire qu’une part d’elle-même est toujours
cachée, est toujours absente.(un peu comme le signifiant s’attaque dans l’Autre à la jouissance par
le biais de la logique de la quantification)ccxcvi[iii] Lacan n’en parlera que beaucoup plus tard
(SéminaireXX).

Raison pour laquelle la fonction de Vérité participe, elle aussi, de cette logique où elle a été isolée
par la fonction de l’absence ou, plus exactement, de ce qui est le « pas-sans » repérable dans la
logique des quanteurs, mais aussi dans des expressions courantes françaises comme « il n’est pas
sans savoir ».

418
Cliniquement, cette dimension de la Vérité à la fois inscrite dans le signifiant et nécessairement le
débordant, c’est ce que nous rencontrons dans l’acte : dans un acte, il y a toujours bien des choses
qui échappent et qui sont plus qu’importantes. La dimension d’absence s’y révèle dans l’après-coup
(comme Vérité de l’acte).

Comment s’attaquer à cet exil de la Vérité ?

Wittgenstein est quelqu’un qui devant cette difficulté a prétendu réduire la Vérité à ce qui s’inscrit
dans une proposition, et pour le faire, il a dû identifier la structure de la Vérité à la structure
grammaticale. (A partir de là, la dimension de Vérité ne dépend que de mon énonciation, laquelle
vise le fait de dire que ce que j’énonce, je l’énonce à propos).

Autrement dit, le vrai n’est pas interne à la proposition, car dans la proposition, il n’y a qu’un fait,
ce n’est que si j’ajoute que ce fait est vrai que s’introduit la fonction de Vérité. Or, ce superflu, c’est
précisément ce dont il faut rendre raison. Fonction de Vérité de la parole comme Lacan nous l’a
enseigné et que le sens et son ontologie masquent.

« Il n’y a de sens que du désir, il n’y a de Vérité que de ce que cache ledit désir de son manque pour
faire mine de rien de ce qu’il trouve. » (p. 69)

Poursuivant, ici, son interrogation du discours universitaire, Lacan prétend qu’à travers le sens qui
lui colle à la peau, il maintient précisément un « je » transcendantal, un « je » du maître qui s’égale
à l’impératif pur comme ce dont s’assurerait irréductiblement l’opération du savoir (S2) mis en
position d’agent dans ce discours. Il en résulte que le discours universitaire aurait la prétention
d’égaler la Vérité et la maîtrise du « je » transcendantal,ccxcvii[iv] .

Dans la psychanalyse, la fonction de Vérité s’égale à une croyance au récit et non à une croyance
qui a une fonction de Vérité hors la langue ccxcviii[v] ; autrement dit, le « je » dans la psychanalyse,
qui la rend irréductible au discours universitaire, c’est qu’il est innombrable, « qu’il n’y a nul
besoin de continuité du «je» pour qu’il multiplie ses actes ». (p. 73)

Tout ceci résulte de ce que dans la psychanalyse, la fonction de Vérité ne doit pas se trouver
rapportée à la dimension du sens, mais à celle de la jouissance et c’est ce que la formule «un enfant
est battu», formule du fantasme freudien, permet de montrer dans la reconstruction de la deuxième
étape inconsciente du fantasme : « le « tu me bats » est cette moitié du Sujet dont la formule fait sa
liaison à la jouissance, il reçoit certes son propre message sous une forme inversée, cela veut dire ici
sa propre jouissance sous la forme de la jouissance de l’Autre. » (p. 74)

Faisant retour sur sa première topologie, Lacan montre alors qu’à la limite, nous pourrions dire que
si le graphe ne parvenait pas à boucler le retour du message à l’émetteur, c’est tout simplement
parce que se situant dans la dimension du sens, il ne pouvait rendre compte de cette autre moitié du
discours qui appartient à la Vérité, et nécessite une autre topologie pour se soutenir. Il résulte que
l’Autre qui fait le lieu d’où cette moitié s’est absentée, n’est pas seulement l’Autre du sens, mais
l’Autreccxcix[vi] porteur d’un corps de jouissance bien que non saisissable de manière figurative,
c’est le grand Autre, nous dit Lacan.

419
« Il a un corps inéliminable de la substance de celui qui a dit « je suis ce que je suis ». » (p. 74)

Il en résulte que le fondateur de cette Vérité, cette espèce de dieu de la Vérité, ne peut être qu’un
dieu affecté de la jouissance, ce que Sade avait bien repéré, lui qui pouvait risquer la mort puisque
ce qui l’animait était justement ce désir de jouissance : « soit rien d’autre que faire voir son
impuissance à être autre chose que l’instrument de la jouissance divine. » (p. 75)

La Vérité, dit Lacan, c’est l’amour qu’on porte à cette jouissance interdite dont on parvient à
détacher par les effets du langage, seulement, cette espèce d’entropieccc[vii] d’un plus-de-jouir. Il en
résulte la vérification, une fois de plus, de notre hypothèse : Topologie des surfaces : opération
d’évidement, d’extraction, doublée de : « la vérité comme en-dehors-du-discours, c’est la sœur de
cette jouissance interdite. » (p. 76)

Et le pédicule arraché à la jouissance que nous trouvons dans les logiques des quanteurs, « il est vrai
que » par exemple, nous pose la question de savoir de quel jouir relèvent alors ces conquêtes
logiques ; autrement dit, qu’est-ce que le théorème d’incomplétude démontre de lien avec la
jouissance, ou encore quel est ici son rapport avec la Vérité ?

De manière très pudique, Lacan propose de considérer que le fait que la Vérité soit sororale à la
jouissance laisserait peut-être entendre qu’elle ait quelque chose à voir avec l’Oedipe, l’interdit
oedipien et l’interdit de l’inceste. (Comme introduction de (S1) dans l’Autre)

On comprend mieux maintenant la raison pour laquelle Lacan s’intéresse à la logique. Il s’intéresse
à la logique parce que l’ombre portée de la jouissance dans le champ du langage, c’est la vérité, et
que la science qui s’est interrogée sur la fonction de vérité, c’est la logique.

Le problème, c’est que tout discours essaie de maîtriser son objet et que par là, il devient
automatiquement discours du maître.

Il s’agit donc, pour le discours analytique de cerner un objet sans pour autant le maîtriser, sans
vouloir en faire une synthèse, et c’est précisément ce que Freud et Lacan tentent de faire en cernant
cette dimension de la jouissance comme ce qui, d’une certaine façon, ne peut être maîtrisé.

Il y a plus dans le langage qu’une différence irréductible entre l’énoncé et l’énonciation : il y a dans
ces obstacles, dans ces trébuchements qui sont les lapsus, par exemple, la trace d’autre chose que de
l’irrécupérabilité du sens, c’est un irrécupérable de la jouissance, qui se réduit à cette formule « ne
pas savoir qui dit ce lapsus » c’est-à-dire « il existe un savoir qui m’échappe, un savoir de
l’Inconscient », un savoir qui parle tout seul.

« La question est bien de remarquer qu’il n’est pas commode de se situer en ce point où le discours
émerge, voire, quand il y retourne, achoppe, aux environs de la jouissance. » ( p. 81)

420
Voilà ce que Freud et Marx, l’un et l’autre dans leur champ, ont tenté de mettre un langage sous la
forme d’un « non-déconnage », non sans avoir laissé tomber les bras, du côté de Freud, autour de la
jouissance féminine. Peut-être d’ailleurs ce fait qu’il n’a pas abordé cette jouissance avec la même
rigueur que l’Inconscient, vient-il de ce qu’il ait réduit à une simple économique, ce discours qu’il
avait pourtant trouvé sur la jouissance.

Ce même champ de la jouissance a été également complètement effacé dans la période américaine
de la psychanalyse, effacé au bénéfice de la fonction du bonheur lequel, bien qu’introduit
tardivement dans la politique, ici, se trouve repris comme le cœur de la théorie freudienne sous cette
forme « il n’y a du bonheur que du Phallus ».

Seulement, nous dit Lacan, cela ne rend heureux que le Phallus, cela ne rend heureux ni le mâle, ni
la femme chez qui on tente de faire accepter cette privation au nom de l’amour, ce qui ne fait que
raviver, pour elle, le regret causé par cette privation, (cas essentiellement des hystériques qui
bouchent en quelque sorte leur revendication pénienne par une insatisfaction ou par une adoration
de la féminité). C’est pourquoi, en suppléance à l’interdit de la jouissance phallique, la
psychanalyse nous a montré, au terme du complexe d’Oedipe, que quelque chose en vient prendre
la place et qui est la fonction du plus-de-jouir.

En effet, la jouissance avec laquelle Lacan s’explique de façon très serrée, indique un rapport à la
sexualité qui est essentiellement moderne, moderne et datable à partir des latins. Elle n’a rien à voir,
cette sexualité grecque, avec la phusis, avec la nature, avec la différence des sexes anatomiques,
elle a à voir avec quelque chose qui s’en extrait, qui doit en être séparé et qui est la fonction du
Phallus, chose qui semble particulière à la fonction humaine.

« La question est d’articuler ce qu’il en est de cette exclusion phallique dans le grand jeu humain de
notre tradition, qui est celui du désir. Le désir n’a pas de rapport immédiatement proxime avec ce
champ. Notre tradition le pose pour ce qu’il est, l’Éros, la présentification du manque.» (p. 87)

Comment alors, sommes-nous sortis de cette jouissance de la nature qui pousse (phuein), comment
sinon par quelque chose qui, dans l’Inconscient, s’articule comme répétition du trait qui
commémore l’irruption de la jouissance. Cette irruption du trait se fait dans le déplaisir et ne
s’élabore pas du tout à partir de l’auto-érotisme ; au contraire, il s’agit de quelque chose que Lacan
réfère explicitement à la dominance de la femme en tant que mère, et qui institue la dépendance du
petit homme.

« La femme donne à la jouissance d’oser le masque de la répétition. Elle se présente ici en ce


qu’elle est comme institution de la mascarade, elle apprend à son petit à parader, elle porte vers le
plus-de-jouir parce qu’elle plonge ses racines, elle, la femme comme la fleur, dans la jouissance
elle-même. Les moyens de la jouissance sont ouverts au principe de ceci, qu’il ait renoncé à la
jouissance close et étrangère à la mère. » (p. 89)

De là, ce rapport initial s’inverse avec le primat de la fonction mâle, de l’exclusion de l’organe
phallique qui spécifie la femme et l’homme d’une façon d’être et de ne pas être à la fois, qui n’a
plus rien à voir avec la différence anatomique mais avec un renoncement au lieu de la jouissance,
articulé par un trait exclu.

De l’irruption du discours du maître, Lacan retire ceci : ce qui est à faire dans l’analyse, c’est
instituer un champ énergétique autre que celui de la thermodynamique héritière du discours du
maître. Il faudrait que d’autres structures que celles de la physique régissent l’énergétique
humaine, et c’est ce que Lacan cherche avec le champ de la jouissance. Il aurait voulu avoir le

421
temps dans sa vie d’en ébaucher les bases lacaniennes. On peut se demander si sa topologie n’est
pas justement ce champ en tant qu’il s’ébauche.

En somme, l’objectif est de construire une formalisation qui montrerait ce savoir ôté à l’esclave par
le maître. Par sa formalisation à lui, Lacan voudrait en démontrer les impasses, car il ne peut que
constater l’échec du savoir (formalisé) sur la jouissance en attendant la formalisation nouvelle, celle
des nœuds.

C. La rotation topologique des discours

1. L’hystérique comme agent de circulation

Le carrousel discursif que Lacan nous propose alors s’appuie d’une clinique freudienne irréfutable
qui lie le père et l’hystérique comme modèle inaugural.

Le père reste bien lié à la fonction maître et le discours du maître est aussi le discours qui est
l’envers du discours de la psychanalyse. Ce discours n’est pas symétriquement inverse, il est en
quelque sorte en contre-point par rapport à un point, c’est-à-dire par rapport à une rotation :

Ce discours du maître est quelque chose qui s’éprouve au niveau de la politique puisqu’il inclut
jusque et y compris le fait de la révolution.

Ce que Lacan va avancer de nouveau et par où le terme de père va être celui qui préside à la toute
première identification, ce qu’il va avancer de nouveau, c’est que : « en s’émettant vers les moyens
de la jouissance qui sont ce qui s’appelle le savoir, le signifiant-maître non seulement induit, mais
détermine la castration. » (p. 101)

Cette hypothèse de Lacan bien propre à lier clinique et topologie discursive, se doit d’être
démontrée.

En effet, le discours analytique est celui qui a isolé la possibilité pour le signifiant de venir un jour,
quel qu’il soit, en position-maître, c’est-à-dire de représenter un sujet pour un autre signifiant sans
que la totalité du sujet se trouve là représentée. En d’autres termes, une perte est visible (castration)
dans cette opération.

C’est dans la suite d’Hegel que ce discours est venu à se positionner de cette sorte. Lacan parle d’un
corps perdu par l’esclave dès l’origine, en face de la figure du maître et qui est la vérité de cette
figure du maître. Ce savoir issu du corps perdu, c’est l’Urverdrängt dont parle Freud, que Lacan
prétend être un fait politique définissable en structure: une sorte de savoir sans tête originel.

Nous n’en savons plus rien parce que nous n’avons plus le support mythique des sociétés
ethnographiques qui semblent échapper à ce discours du maître (il ne commence qu’avec la
prédominance du sujet et se trouve réduit à ce mythe très condensé d’être identique à son propre
signifiant).

422
Nous avons perdu la trace de la séparation d’avec le mythe d’où ce discours est né, mais il nous
reste la mathématique qui s’essaie à représenter le savoir du maître en tant que constitué sur
d’autres lois que le savoir mythique.

« Le savoir du maître se produit comme un savoir entièrement autonome du savoir mythique, et


c’est ce qu’on appelle la science. » (p. 103)

Le discours mathématique, d’une certaine façon, tente à égaler le savoir du maître à l’identité
signifiante (A = A). Or, l’identité signifiante se trouve être impossible, mais c’est un postulat dont
se débarrasse le discours mathématique pour se soutenir. Il en résulte que la Vérité dans cette
logique mathématique se trouve être réduite à un jeu de valeurs, alors que se trouve éludée
radicalement toute sa puissance dynamique. C’est pourquoi cette exclusion du dynamisme du
travail de la Vérité permet au discours analytique de poser la question à ce discours mathématique,
d’à quoi sert cette forme de savoir qui rejette et exclut ce dynamisme. Évidemment, dans un premier
temps, on pourrait dire qu’il refoule ce qui habitait le savoir mythique et qui réapparaîtrait sous les
espèces de l’Inconscient, épave de savoir, savoir disjoint, qui s’imposerait cependant comme un
autre discours à la science.

Cependant, Lacan en isolant quatre fonctions du discours : le signifiant-maître, le savoir, l’insertion


dans la jouissance et le lien avec le sujet, montre ainsi que ces fonctions peuvent se trouver dans
quatre sites différents incarnés des figures du désir, du grand Autre, de la perte et de la vérité.

Le caractère tournant (châtré) du discours du maître relève de la responsabilité pour ne pas dire de
la diligence hystérique.

L’hystérique introduit une question concernant ce qu’il en est du rapport sexuel qui, comme tel
précisément, ne peut pas être tenu dans le discours du maître. Au fond, l’hystérique place le maître
en position d’Autre, là où ce maître plaçait l’esclave; position d’Autre afin que le savoir que ce
maître pourrait retirer de la question du rapport sexuel, se trouve pour lui refoulé.

Le discours de l’hystérique révèle la relation du discours du maître à la jouissance en ceci que le


savoir (S2) y vient à la place de la jouissance du maître. (en bas à droite)

Lacan propose de considérer que l’hystérique, du fait de la division reçue par le signifiant-maître,
refuse la question du corps, refuse d’être l’esclave, refuse de livrer son savoir : « Elle démasque
pourtant la fonction du maître dont elle reste solidaire, en mettant en valeur ce qu’il y a de maître
dans ce qui est l’Un avec un grand U, dont elle se soustrait à titre d’objet de son désir. C’est là la
fonction propre que nous avons repérée dès longtemps, au moins dans le champ de mon école, sous
le titre du père idéalisé. » (p. 107)

Voilà comme l’hystérique bouscule le discours du maître en châtrant ce père idéalisé.

Ce père idéalisé est en réalité l’homme châtré quant à sa puissance sexuelle ainsi que le montre
Dora, c’est-à-dire le père considéré comme déficient par rapport à une fonction à laquelle il n’est

423
pas occupé, soit une affectation symbolique. C’est une manière d’impliquer dans le mot « père »
quelque chose qui est toujours en puissance, en fait de création.

C’est ce que déjà, dans la Relation d’objet, Lacan avait isolé sous la forme de « en puissance de
père », à savoir que le père soutient sa puissance de création par rapport à la femme, tout en étant
hors d’état, voilà ce qu’il en est du père idéalisé par l’hystérique.

Pour l’hystérique, c’est une autre femme qui se trouve soutenir le désir de ce père idéalisé en
privant l’hystérique de l’objet marqué de l’identification à une jouissance qui est celle du maître,
dont l’hystérique se trouve exclue. Elle veut s’en exclure (privation) parce que la Vérité de cette
jouissance, Vérité du maître, doit démontrer cette castration du maître.

Lacan laisse entendre ici que le savoir ne peut être introduit dans l’humanité par le maître qu’à la
condition que lui-même ne se fasse pas dominer par cette jouissance phallique, mais qu’au
contraire, il l’exclue de telle sorte que le forçage du plus-de-jouir s’opère du côté de l’esclave : c’est
là la figure du père symbolique comme père mort.

L’hystérique, ici, incarne le synopsis de la Relation d’objet dans le reproche-frustration qu’elle


adresse à sa mère, dans la castration qu’elle fait stigmate du père idéalisé, dans la privation,
assomption par le sujet de la jouissance d’être privée.

Sur ce point, Lacan se démarque de Freud qui n’a pas pris au sérieux ce que ces hystériques lui
disaient, et qui a inventé le mythe d’Oedipe pour jouer le rôle du savoir à prétention de vérité.

Il semble, d’après Lacan, que ce que Freud voulait préserver, c’était l’idée d’un père qui, dans cette
opération oedipienne, défendrait ce qu’il y a de plus substantiel dans la religion, à savoir,
l’identification, la première, à un père tout amour.

Idée qui aboutit au meurtre du père originel d’où procède l’ordre des fils entre eux, par amour pour
ce père mort.

Cette opération, nous dit Lacan, vise à dissimuler ceci : « c’est que dès lors qu’il entre dans le
champ du discoursccci[viii] du maître, où nous sommes en train de nous orienter, le père dès l’origine
est castré. » (p. 115 )

Nul besoin d’un mythe supplémentaire dont Freud donnerait la forme idéalisée.

Comment alors remettre ce savoir – celui d’Oedipe – comment le remettre en question au site de la
vérité ?

Tel est ce que le discours analytique doit introduire et qui permet à Lacan de poursuivre.

On mesure combien cette opération rotatoire complémente la seule définition du signifiant


(marque d’une trace effacée pour tromper l’Autre) en l’incluant dans une dynamique discursive qui
doit son moteur à la jouissance a nouvellement introduite au regard du Sujet, dans la structure. ce à
quoi se dévoue l’hystérique.

2. Le premier moteur

Ainsi, quelque chose circule dans la topologie d’une façon, cette fois, qui ne s’appuie plus sur le
besoin initial comme dans le graphe. La demande comme discours est amorcée, telle une pompe à

424
eau, par le diktat premier (S1) du maître qui instaure la loi d’un commandement qui va corrompre
de son exigence chaque lettre venant à dominance (haut à gauche) dans chacun des discours.

L’idée se précise de plus en plus, d’une topologiecccii[ix] en mouvement non seulement dans
l’articulation des discours entre eux, mais aussi dans la visée de Lacan : construire un mobile
topologique qui dans l’Autre (espace) déploierait les circuits de l’inaccessibilité subjective.

Avant de reprendre cette hypothèse finale, un long chemin cependant reste à faire.

Nous en sommes à considérer pour l’heure que les quatre discours entre eux se trouvent organisés,
à commencer par le discours du maître autour de ceci, que la Vérité du discours du maître est
masquée. Cette place, c’est la place de la vérité.

Ceci implique que au-delà de petites lettres qui tournent, il y a des places. Les places, elles, sont
fixes, et ce sont elles qui déterminent l’ordre et le commandement qui fait qu’un discours se trouve
différent d’un autre. Ainsi, le discours de l’hystérique va rendre compte du discours du maître par
ceci que mettant la non-univocité du sujet ( ) en position maître (S1), elle démontre en quelque
sorte la Vérité du discours du maître qui se trouvait cachée, division qui a déjà été élaborée sous la
forme de «ou je ne pense pas ou je ne suis pas». (Séminaire D’un Autre à l’autre)

Cette Vérité pourtant qu’on ne peut que mi-dire – raison pour laquelle elle se trouve sous la barre –
ne s’égale pas à ce Sujet dont on ne peut que constater la division, (et il n’y a pas recouvrement de
l’impossibilité de dire la Vérité à ce fait de la division du Sujet.)

Que ces discours s’articulent entre eux, on peut encore en trouver la preuve dans ceci que
précédemment, le discours du maître pouvait maintenir sa publication dans une ignorance à l’égard
de la société, alors que la venue du discours universitaire qui met en position dominante ce qui,
pour le maître, était le savoir de l’esclave, maintenant instaure un impératif qu’il a hérité de la
fonction maître en quelque sorte : l’impératif de se dire, de se publier.

Dans ce discours universitaire, celui qui est au travail en haut à droite, le petit «a», c’est l’étudiant
qui produit du Sujet, appelons-le sujet de la science, ce qu’évidemment la science ne peut supporter,
par définition.

Dans ce discours, c’est l’impératif catégorique « continue à savoir », séparé de la personne qui le
prononce, qui se maintient dans le mi-dire : vrai dans les sciences humaines mais aussi dans
l’inclusion inéluctable de l’expérimentateur et de l’expérimenté, si classique des mêmes sciences
humaines où l’objet d’étude est aussi le sujet qui étudie.

Dans le discours de l’analyse, c’est l’objet a qui vient en place de commandement. Cause du désir
pour le sujet, le psychanalyste s’offre comme point de mire à cette opération insensée qui s’engage
sur la trace du désir de savoir. Ce que l’analyse révèle de la fonction du discours du maître qui lui
est essentiellement masquée, c’est d’abord son rapport au plus-de-jouir et ensuite, le rapport à sa
425
Vérité (division du Sujet) et ceci se trouve précisément être la définition de la relation de petit a
avec la division du sujet qui est la formule du fantasme, ◊ a.

« Dans son départ fondamental, le discours du maître exclut le fantasme. » (p. 124)

* = relation exclue

Ce qui est interrogé dans le discours de l’analyse et qui en fait le fondement, c’est le savoir mis en
position de Vérité dans son rapport à la place dominante (a), les deux se trouvant rattachés.

Ainsi, ce savoir en position de Vérité, c’était le séminaire des Nom-du-Père, où devait se trouver
justifiée l’émergence de la structure (structurante) du fantasme !

Lacan ne veut plus en parler et, de toute manière, il n’aurait jamais pu se dire que sous la forme
d’un mi-dire. Cette place du savoir en tant que vérité, c’est aussi la place qui était occupée par le
mythe, c’est cette place que le discours du maître a débusqué (dans le discours du capitaliste) en
s’associant à la science. C’est que dans le mythe, la vérité se supporte d’un mi-dire. Le mythe le
démontre effectivement en indiquant comment des relations contradictoires peuvent se trouver
identiques ; (ceci ne va pas dans le sens d’une confusion, mais dans le sens d’une indication que ce
qu’il y a de contradictoire dans ces affirmations, et tient au fait qu’il faut les faire tourner l’une
autour de l’autre. Ainsi en est-il, par exemple, du Yin et du Yang).

Donc, le mythe vient là où en (S2) se trouve attendu par le patient dans le discours analytique,
qu’un savoir se manifeste, c’est-à-dire, savoir de contenu manifeste ; alors que le contenu latent est
attendu de la part de l’analyste sous la forme d’une interprétation. Le mythe, en ce sens, est un
contenu manifeste bien que cela ne le définisse pas entièrement.

Dans le mythe d’Oedipe, Freud a mis en évidence deux choses en réalité différentes : le mythe hors-
tragique, plus le meurtre du père de la horde primitive. Deux choses qui se trouvent être assez
contradictoires puisque d’un côté, c’est d’avoir tué le père qu’Oedipe épouse sa mère, alors que
c’est d’avoir tué le père que les frères s’établissent une loi. Pour comprendre ces mythes : Oedipe,
Moïse, Totem et Tabou – il faut, nous dit Lacan, aborder la référence freudienne en faisant
intervenir outre le meurtre et la jouissance, la dimension de la Vérité afin de voir si cette histoire du
complexe d’Oedipe n’était pas tout simplement un rêve de Freud.

Reste donc le problème de la mise en mouvement de cette rotation si l’Oedipe ne peut suffire
comme mythe freudien à en rendre compte.

3. La mort du Père: signifiant porté au ventre de la jouissance

La mort du père ne libère pas le Sujet de la loi, mais au contraire, l’enchaîne ! « Dieu est mort »,
point athéistique de la psychanalyse, qui détruit la religion, doit donc recevoir un autre sens que
celui de libérer de la loi, et cet autre sens est que c’est à partir de la mort du père que s’édifie

426
l’interdiction de la jouissance. Encore faut-il bien entendre qu’il s’agit bien plus du meurtre que de
la mort de ce père.

Reprenons donc le mythe de l’Oedipe freudien pour bien faire remarquer tout d’abord ce qu’Oedipe
opère au départ de la tragédie, c’est la prise en compte de l’énigme de la sphinx, c’est-à-dire la prise
en compte de la Vérité pour éteindre en quelque sorte le mi-dire dans laquelle elle se tenait sous la
forme d’une énigme ; seulement cela ne va pas sans que cette Vérité ne fasse retour sous la forme
de la peste reproduisant à nouveau cette question qui ne pourra trouver sa résolution que par rapport
au prix payé d’une castration ou, plus exactement, dans la réduction d’Oedipe : « à être la castration
elle-même. A savoir ce qui reste quand disparaît de lui, sous la forme de ses yeux, un de ses
supports élus de l’objet a. » (p. 146)

Pas de maître sans que ne se paie le prix d’une castration, Vérité cependant non-sue du sujet qui
l’éprouve.

Lacan commente au passage comment celui qui prend le pouvoir, qui devient le maître, ne peut
l’être que du fait d’être châtré, (aussi bien dans des prises de pouvoir où tel Oedipe il s’agit
d’effacer la question de la vérité que dans les prises de pouvoir par succession). (Réduction à un
ordinal ; ex. Louis III).

« Si la castration est ce qui frappe le fils, n’est-ce pas aussi ce qui le fait accéder par la voie juste à
ce qu’il en est de la fonction du père ? Cela s’indique dans notre expérience. Et n’est-ce pas
d’indiquer que c’est de père en fils que la castration se transmet ? » (p. 141)

La castration ici n’émerge que de l’interrogation de la Vérité.

Lacan pense que la mort du père ou le souhait de mort à son égard n’est rien d’autre que le voile de
cette castration. Ainsi, le souhait de mort de l’enfant que l’on attribue à l’idée qu’il se ferait de la
toute-puissance au-delà de la mort, relève du même voilage. Préserver l’immortalité du Père y
participe également.

Pour le montrer, Lacan reprend le rêve du « il ne savait pas qu’il était mort », rêve qui distingue
l’énonciation et l’énoncé qu’il a travaillé dans le séminaire sur Les formations de l’inconscient. Le
cœur de ce rêve s’articule maintenant par Lacan comme la nécessité que quelque chose
d’irréductible ne se sache pas, autrement dit, que quelque chose ne sache pas que je suis mort.

« Je suis mort très exactement en tant que je suis voué à la mort – mais au nom de quelque chose
qui ne le sait pas, moi non plus, je ne veux pas le savoir. » (p. 143)

Je ne veux pas savoir ce qui de jouissance m’est retiré par la mort. (Soit, je me meurtri moi-même
comme maître).

C’est ce non-savoir de la mort qui aurait poussé la logique à prendre appui dans le syllogisme « tout
homme est mortel ! ».

Il y aurait équivalence ici entre le père mort et la jouissance, c’est lui qui, en quelque sorte, la
garderait. Le mythe du père mort n’est rien d’autre que cette équivalence. Ce père mort, ce meurtre
originel est le lieu qui signifie le moment d’où est né l’interdit de la jouissance, d’où elle a procédé ;
il se présente sous le signe de l’impossible même, ce que Lacan a toujours essayer de définir pour
être la catégorie du Réel.

427
« Butée logique de ce qui, du Symbolique, s’énonce comme impossible, c’est de là que le Réel
surgit. » (p. 143)

Ce mythe s’inscrit maintenant dans une nouvelle discursivité, celle que les quatre discours isolent.

« Le discours du maître nous montre la jouissance comme venant à l’Autre, c’est lui qui en a les
moyens. Ce qui est langage ne l’obtient qu’à insister jusqu’à produire la perte d’où le plus-de-jouir
prend corps. » (p. 144)

C’est pourquoi, dans le graphe, Lacan avait initialement montré comment la demande et sa
répétition engendrent une perte par le fait qu’on n’y répond pas, d’où ce plus-de-jouir prendrait
corps. Elle peut s’originer dans une impuissance originelle ou dans le fait que, précisément,
personne ne répond. S( ).

Le père réel vient occuper dans la castration la place impossible de l’agent de l’opération au niveau
du seul langage.

« C’est la position du père réel telle que Freud l’articule, à savoir comme un impossible, qui fait que
le père est nécessairement imaginé comme privateur. Ce n’est pas vous, ni lui, ni moi, qui
imaginons, cela tient à la position même. » (p. 149)

« La castration, c’est l’opération réelle introduite de par l’incidence du signifiant quel qu’il soit,
dans le rapport du sexe. Et il va de soi qu’elle détermine le père comme étant ce Réel impossible
que nous avons dit.» (p. 149)

Le désir est issu de cette opération-là; c’est elle qui le cause et ce qui le domine, ce désir, c’est le
fantasme ou la loi du fantasme. Le vrai ressort de toute cette affaire du meurtre du père est celui-ci,
la jouissance : « sépare le signifiant maître, en tant qu’on voudrait l’attribuer au père, du
savoirccciii[x] en tant que vérité. » (p. 151)

C’est d’ailleurs ce que le discours analytique démontre : impossibilité de relier S1 et S2.

428
« Et voilà qui permet d’articuler ce qu’il en est véridiquement de la castration : c’est que, même
pour l’enfant, quoiqu’on pense, le père est celui qui ne sait rien de la vérité. » (p. 151)

Le champ de la jouissance ne nous serait donc appréhendable dans la topologie lacanienne que sous
la forme de ce signifiant de la mort du Père porté au ventre de la jouissance, forme freudienne d’un
mythe qui a pour fonction de séparer à l’origine le Savoir et la Vérité.

Il faut imaginer cet acte – ce meurtre – parce qu’un signifiant ccciv[xi] seul ne semble pas à même de
donner corps à la formule du rapport sexuel.

Linguistique, ethnologie sont bien des tentatives d’interroger ce signifiant porté au corps de l’Autre,
mais faute d’avoir pu en rapporter le lien étroit avec la perte, elles se séparent là de la psychanalyse.
L’objet a est ce qui permet de les réintroduire toutes deux comme discours, c’est-à-dire incluses
dans une topologie de la jouissance et de la perte.

Ainsi, lisant les trois premières questions de la Radiophonie (Scilicet 2/3), Lacan peut avancer que :
« La métonymie opérant d’un métabolisme de la jouissance dont le potentiel est réglé par la coupure
du sujet, cote comme valeur ce qui s’en transfère. » (p.70)

C’est par la coupure interprétative que se révèle la topologie moebienne par quoi la métonymie
métabolise la jouissance.

Ces quelques lignes nous permettent, encore qu’avec beaucoup d’obscurités, de mesurer le lien de
la jouissance avec la topologie des surfaces, même abordée par leur versant logique :

« La métonymie, ce n’est pas du sens d’avant le Sujet qu’elle joue, (soit de la barrière du non-sens),
c’est de la jouissance où le Sujet se produit comme coupure: qui lui fait donc étoffe, mais à le
réduire pour ça à une surface liée au corps, déjà le fait du signifiant. » (Scilicet, p. 70)

La surface, c’est ce qui résulte d’une extraction du champ de la jouissance pour la constitution du
Sujet lacanien !

D. Conclusion : Remarque critique sur l’ensemble du séminaire

Il semble bien que dans l’analyse de cette fonction de la jouissance entamée avec le séminaire sur
l’identification, Lacan ait éprouvé la nécessité de créer quatre discours qui s’organisent entre eux,
qui tournent entre eux qui, d’une certaine façon, sont dans la structure, ce qui organise la jouissance,
qui l’organisent les uns par rapport aux autres.

Bien plus, on pourrait même penser que les quatre discours, dans leur articulation les uns par
rapport aux autres, représentent une première orientation dans le discours lacanien : le discours du
maître, éclairé du discours de l’hystérique, produirait en quelque sorte le discours universitaire ou
discours de la science, lequel ne trouverait sa raison que d’être expliqué par le discours analytique.
La question se pose de savoir si dans la topologie des surfaces, topologie de l’évidement, cette
circulation qui est orientée du fait de l’objet a, puisque c’est ainsi que Lacan le présente, cette
circulation est la même chose que ce que nous pourrions appeler l’évidement de la bande. Quelque
chose se mettrait à s’orienter sous forme d’un évidement du fait de l’objet a.

On se rappellera utilement le tableau quadrangulaire du séminaire d’un Autre à l’autre où « manque


à penser » et « perte d’être » se conjuguaient jusqu’à isoler leurs intersections respectives. On peut
penser que l’évidement réalise topologiquement cette double opération d’écornage que la vie

429
humaine nomme aussi affect, le seul que Lacan reconnaissecccv[xii] : « le produit de la prise de l’être
parlant dans un discours en tant que ce discours le détermine comme objet. »(p. 176)

Cette détermination de l’être parlant sous la forme d’un objet, c’est-à-dire sous la forme d’un plus-
de-jouir, c’est ce qu’effectivement Lacan va appeler l’être parlant-qui-se-fait-petit-a.

Cet objet est cause du désir car, c’est comme manque-à-être qu’il se manifeste. C’est la raison pour
laquelle aussi l’analyste se pose à cette place de la cause du désir, car c’est de là que – de « l’être »
– l’homme est devenu, étant sous l’effet du langage.

Sous l’effet du langage : c’est ce que Lacan désigne comme étant le discours du maître d’où il
s’ensuit que l’opération discursive inaugurée produise son corrélat : le manque à penser (S2) dans
l’urgence de la constitution d’un Savoir.

C’est pourquoi ici, le maître n’est pas celui qui risque comme chez Hegel. Lacan propose une autre
dimension du maître. Le maître, c’est celui qui joue du cristal de la langue, c’est-à-dire qui fait
glisser le maître en m’être, être à soi-même, c’est là que surgit le signifiant-maître. Le discours du
maître est déjà du signifiant-existence sous la forme du savoir-faire mythique (!) tissé d’une
manière telle que déjà quand Descartes, dans le cogito, va – sous la forme du doute – la mettre en
question, c’est ce savoir immiscé du maître trafiqué qui sera repoussé.

Ce que Lacan vise ici, c’est ni plus ni moins la destruction du discours mythique originée à partir
des malédictions de Yahvécccvi[xiii] et de sa féroce ignorance à l’égard du discours de la sexualité.
Très précisément ce que le discours du maître et sa suite ont dégagé à ce propos, c’est qu’il n’y a
pas de rapport sexuel sinon à voir l’homme désirer la femme comme objet a et la femme désirer
l’homme, trouver sa jouissance à ce qu’il soit tout puissant, à ce que s’articulant comme un maître,
il soit comme homme en défaut.

De cette introduction du discours du maître, résulte l’effet qui inscrit l’être humain comme être
parlant, à ceci près que dans ce lieu qui n’est pas savoir mythique, il y a une non-différenciation de
la fonction sexuelle. Lacan laisse entendre que c’est en quelque sorte l’introduction du discours du
maître qui induit que le non-rapport sexuel caractérise le discours humain. Le mâle en tant qu’être
parlant : « disparaît, s’évanouit de l’effet même du discours du maître. » (p. 179)

C’est ici que Lacan situe la castration comme inscription de cet évanouissement du mâle qui est à
définir comme privation de la femme ! (là où elle ne peut trouver qu’un mâle en défaut) On notera
que cette introduction du discours du maître par Lacan c’est, en quelque sorte, la carte forcée que
doit jouer l’« être » humain lorsqu’il devient parlant pour entrer dans cette systématisation des
savoirs et dans cette occurrence de la jouissance dont il ne pourra s’extraire que sous la forme de ce
rapport particulier à petit a.

Il s’agit là d’une voie bien particulière du monde judéo-chrétien et qui laisse déjà ouverte la
question de savoir ce qu’il en est d’un discours qui ne serait pas inauguré par une telle relation au
maître, voire d’un autre discours qui y ferait suite et qui inaugurerait du neuf. Cette désexualisation
sublimante est repérable au moyen d’une certaine opération mathématique cccvii[xiv] bien appropriée
à déterminer ce qu’il en est du Sujet, voire de ce qu’il en est devenu de l’homme et de la femme
dans le discours. Ainsi, on en viendrait à penser qu’une série (soit ce qui a mené à dégager ce qu’on
appelle, par exemple, la moyenne proportionnelle), on en arrive à penser qu’une série est ce qui au
mieux peut représenter l’inscription signifiante pour un Sujet. Cette inscription s’égale à la
formulation « je suis un » d’où il résulte pour Lacan un affect égal à petit a qui est la marque du
signifiant dans le discours.

430
Le Un affecte le sujet et quelque chose dans cette barre qui est le fait de la répétition de ce un,
s’égale à l’objet a. Autrement dit, l’objet a comme manque-à-être vient s’égaler à cette fonction Un
et se fait cause du désir. (Cf. D’un Autre à l’autre, Séminaire XVI)

« L’être ne s’affirme d’abord que de la marque du Un et tout le reste ensuite est rêve, notamment la
marque du Un en tant qu’il engloberait, qu’il pourrait réunir quoique ce soit, il ne peut rien réunir
du tout, si ce n’est précisément la confrontation, l’adjonction de la pensée de la cause à la première
répétition du Un. » (p. 183)

C’est pourquoi, Lacan peut se permettre d’avancer quand même cette hypothèse que ce qui vient
peupler ce monde de la science, directement issu de l’incidence signifiante, se déploie dans une
topologie organisée par les objets a (que les cosmonautes, comme tout un chacun, nous ont montré
exister, par exemple, ce petit a de la voix humaine).

Dans cette aléthosphère, qui est le lieu topologique où la science fait se déployer ses objets, on
rencontre des gadgets lesquels sont nommés, par Lacan, du terme de « lathouses » et qui sont le
versant masculin de l’incidence signifiante sur le Sujet !

« Si l’homme avait moins pratiqué le truchement de Dieu pour croire qu’il s’unit avec la femme, il
y a peut-être longtemps qu’on aurait trouvé ce mot de lathouse. » (p. 189)

« L’ennui, c’est que pour être dans la position de la lathouse, il faut vraiment avoir cerné que c’est
impossible. C’est pour cette raison qu’on aime tellement mieux mettre l’accent sur l’impuissance,
qui existe aussi, mais qui est, je vous le montrerai, à une autre place que l’impossibilité stricte. » (p.
190)

(Impuissance et impossibilité qui occupaient jusqu’ici le champ logique dont la raison est l’objet a,
comme raison de la série signifiante bâtie à partir du Un comme trait unaire !)

Ce que la circulation intradiscursive nous permet de vérifier.

Impossibilité et impuissance se conjuguent pour masquer l’irruption de a dans les quatre discours.
Pour le montrer, à partir de Freud déjà, Lacan tente de recouvrir les trois termes « gouverner,
éduquer, analyser » d’avec ce qui se distingue comme constituant le radical des quatre discours
développés cette année-là. Le radical de ces discours qui est qu’ils sont précisément sans parole,
laquelle ne vient s’y loger qu’ensuite.

Lacan insiste en premier sur la nécessité de distinguer la fonction de la parole de celle de discours
car, la parole peut très bien fonctionner dans le discours comme un des éléments qui circulent, par
exemple comme petit a ou comme (S1).

Deuxièmement, à côté de cette place qui différencie le discours et la parole, il y a eu l’introduction


du discours du maître avec Hegel qui, d’une certaine façon, a épinglé le signifiant maître (S1) en
l’identifiant à la mort. Cette opération est une opération qui tente de dire la vérité. Les opérations : «
gouverner, éduquer, analyser » qui sont dites impossibles, et qui correspondent à trois des quatre

431
discours, se compléteraient du discours de l’hystérique « faire désirer ». Quatrième forme
d’impossible!

L’amour de la vérité souvent évoqué pour étayer l’acte analytique masque le plus souvent
l’impossibilité propre de chacun de ces discours, car d’amour ici, il n’y a que passion du Réel
comme répétition de la pulsion de mort.

Il en résulte ce circuit infini dans les labyrinthes de la Vérité qui ne peut jamais être abordé que sous
une figure discursive. En ce sens, l’amour de la Vérité serait une figure qui nous recache ce qui,
dans le symptôme, s’avère être l’impossibilité réelle. Purger le Réel de la Vérité, voilà ce qu’on
pourrait espérer et que l’analyse nous permet d’entrevoir comme impossible, c’est-à-dire que la
Vérité toujours nous empêchera de saisir le Réel tout nu ; (cette Vérité, n’oublions pas que Lacan
l’a située comme petite sœur de la jouissance laquelle ne se trouve pas dans les places, ni dans les
lettres qui s’échangent dans les quatre discours).

L’impossible pourtant s’écrit dans les quatre tétrapodes lacaniens. En effet, dans ces quatre
discours, la première ligne comporte toujours une relation d’impossibilité. Cette relation logique
d’impossibilité se double d’une relation qu’on voudrait voir s’écrire à la deuxième ligne de chacun
de ces discours. Or, là précisément, quelque chose obture, quelque chose empêche que la place
donnée au terme de Vérité nous donne la fin de cette impossibilité. Il en résulte par exemple, que si
les signifiants-maîtres viennent à la place de l’agent, la production, elle, n’a aucun rapport avec la
Vérité.

D’une certaine façon, l’impossibilité se trouve en quelque sorte protégée dans l’analyse que nous
pourrions en faire, par l’impuissance à rejoindre sa vérité !

Ainsi, en est-il du discours du maître. Le plus-de-jouir qui ne peut retrouver son lien avec la Vérité
sauf à passer par le discours de l’hystérique, a été la source de tout un affolement philosophique qui
a donné naissance à l’Éthique.

Cette éthique qu’est-ce d’autre sinon la venue au cœur du monde du Souverain Bien comme
tentative de justifier, de rendre logique, de faire lien entre cette place de la production dans le
discours du maître où le plus-de-jouir vient s’inscrire et le lieu de la Vérité où il se tapit comme
Sujet ?

Ainsi, en est-il pour l’hystérique qui ne peut conjoindre le savoir à sa Vérité, puisqu’elle ne peut
être qu’objet a (rejet), ce qui littéralement rend les hommes fous d’elle; de même dans le discours

432
analytique où ce que ce discours produit n’est qu’un signifiant-maître qui ne peut comme tel avouer
sa Vérité de savoir, (ce que pourtant Lacan cherchait en construisant sa Passe).

« Nous sommes tout à fait impuissants à le rapporter à ce qui est en jeu dans la position de
l’analyste, à savoir, cette séduction de Vérité qu’il présente, en ceci qu’il en saurait un bout sur ce
qu’en principe il représente. » (p. 205)

Aussi bien l’exclusion de la jouissance de toutes ces structures pousse Lacan à s’interroger sur le
rapport qu’elles entretiendraient avec ce qui débouche du discours, ce qui s’en exclu et qui est
l’acte, (par exemple l’acte révolutionnaire). Questionner la jouissance devient donc peut-être la
porte de sortie de ce qui, dans les discours, s’avère tourner et se répéter sans fin.

Or, cette jouissance, nous n’en savons quelque chose que par l’entrée en jeu du signifiant, sans quoi,
nous n’en saurions rien, nous contentant (telle l’huître ou le castor ou la plante) de jouir de notre
corps. Autrement dit, cette jouissance est corrélative du trait unaire, de la marque pour la mort.

« C’est à partir du clivage de la séparation de la jouissance et du corps désormais mortifié, c’est à


partir du moment où il y a jeu d’inscription, marque du trait unaire que la question se pose. » (p.
206)

Le moment est donc venu d’égaler l’évidement par petit a à une circulation tétraédrique logique
dont une relation serait exclue, symbolisant l’impuissance de la production à rejoindre sa vérité
dans l’économie discursive.

dans l’exemple du discours universitaire ici choisi, les relations d’impossibilité (→) et de barre ()
lient les termes entre eux sauf entre (S1) (Vérité) et ( ) (production).

« Plus c’est du côté de la Vérité que s’attache votre quête, plus vous soutenez le pouvoir des
impossiblescccviii[xv] qui sont ceux que je vous ai respectivement énumérés la dernière fois –
gouverner, éduquer, analyser. » (p. 217)

Il faut bien avouer que nous n’avons pas encore complètement réussi à démontrer comment, dans
cette topologie des surfaces inaugurée par le séminaire sur l’identification, l’évidement cccix[xvi] est
un des noms de l’opération logicienne en tant que deux relations (impossibilité et impuissance,
redoublant le manque à penser et la perte d’être) la réaliseraient dans ce champ logique d’analyse du
Réel. Nous pensons que la rudimentarité de nos connaissances logiques et mathématiques en est la
raison.

Ces petits quadripodes sont une façon d’interroger au sens mathématique du terme ce Réel sous
l’abord d’une fonction.

433
Qu’est-ce qu’une fonction ?

C’est une écriture de deux ordres de relations, mais c’est une écriture.

Le fait de l’écriture humaine sera maintenant l’occasion pour Lacan d’avancer d’un pas en direction
d’une dédramatisation de la psychanalyse pour montrer, par exemple, que le trait unaire, pour
s’installer comme signifiant-maître, n’a pas besoin de la grande comédie de la lutte à mort
oedipienne.

Il suffit qu’il s’installe comme trait. Il n’est pas impensable non plus que le surgissement du
signifiant-maître soit lié à une honte certaine, mais que sa caractéristique majeure soit qu’il est
lisible. Cette lisibilité, c’est ce que précédemment, on a appelé métalangage. L’envers du discours
analytique devient le discours du maître en tant que ce dernier essaie de nouer le signifiant-maître
qui surgit, à un nom (comme dans une thèse universitaire !)

Il ne peut, comme envers, se réduire de ce fait à lui seul.

Quel est alors ce signifiant-maître en position de Vérité dans une thèse comme celle qui nous
permet de poser cette question ? C’est ce que la place de production dans le discours analytique
permettrait d’inaugurer dans notre société.

Encore faut-il parvenir à l’inscrire !

Comment faire passer S1 (le nom) à une position de Vérité là où se trouve dans le discours du
maître, c’est ce que le discours qui en est l’envers, soit le discours analytique, nous montrerait, là où
S1 est à la place de la production (en bas à droite).

434
i [i] L’idée sera reprise dans le Séminaire I, p. 312, mais intégrée au schéma des deux miroirs.
ii[ii] En fait, ces trois notions s’imbriquent. Leur liaison reste problématique si nous nous tenons
dans le seul plan du sens à leur donner. Nous verrons plus tard comment le schéma des miroirs nous
fait saisir leur connexion nécessaire.
iii[iii] Bien qu’il l’ait par ailleurs située entre six et dix-huit mois. Notre expérience avec les enfants
psychotiques nous a montré l’extrême difficulté de l’intégration spéculaire au-delà de cette date !
iv [iv] Cf. Séminaire IV, La relation d’objet.
v [v] Cf. Lacan, 1936, Congrès de Marienbad, paru dans les Écrits en 1966.
vi [vi] Chacun peut donc noter le statut construit et impalpable de la théorie du sujet chez Lacan et ce, depuis les
débuts de son enseignement.
vii [vii] C’est le niveau du jugement d’existence sans l’article de Freud, Die Verneinung.
viii[viii] À cette époque, Lacan parle encore d’analysé et non d’analysant.
ix [ix] Ich-ideal = Idéal du moi ; Ideal-ich = Moi idéal.
x [x] La question qui se pose, à partir de là, est de savoir s’il peut y avoir une coïncidence entre certaines images du
réel et le réel.
xi [xi] On aura évidemment remarqué que l’autre est encore noté ici avec une minuscule, car il est encore un
personnage semblable au moi.
xii [xii] Le terme de savoir que nous faisons central n’est pas encore utilisé ici par Lacan. Il oscille entre apprendre à
connaître et conscience.
xiii[xiii] Que nous écrirons maintenant avec un A majuscule puisque son action est introjectée.
xiv[xiv] C’est ici qu’il introduit l’exemple des éléphants dont on parle et à qui il peut arriver, du
seul fait qu’on parle, des choses favorables ou défavorables, souvent catastrophiques, par exemple
d’être tués pour leur ivoire (ce qui fait qu’il arrive aux éléphants plus de choses à partir du moment
où ils sont nommés qu’avant qu’ils ne le soient).
xv [xv] Lacan illustre alors cette histoire de la fonction de la parole dans son rapport à la composante narcissique
maximum à partir du cas de Dora (p. 208). C’est le moment où, si Freud avait révélé à Dora qu’elle était amoureuse
de Madame K., elle le serait devenue effectivement. Tout autre chose est de maintenir ouverte la question de la
reconnaissance du désir.
* Publié
xvi [i] Ce que nous avons tenté dans un exposé le 15-10-89 au Palais des Congrès de Paris in Actes de la Cause
Freudienne n°17 - Page 126.
xvii[ii] On voit comment le surgissement de ce concept essentiel en topologie, qu’ est la notion d’unilatéralité, va lui
permettre plus tard de résoudre ce problème (grâce à la bande de Moebius notamment où seule, une répétition peut
restituer le lieu d’inscription original ).
xviii[iii] Freud, « Esquisse d’une psychologie scientifique », in La naissance de la psychanalyse, PUF, 1956.
xix [iv] Au passage, Lacan nous signale combien la notion de conscience est toujours restée problématique pour Freud,
à la limite paradoxale (p. 144) ; il faut saisir cela à la lettre et entendre ce que plus tard, dans la logique, Lacan
relèvera des dimensions du paradoxe. En effet, il y a dans la conscience qu’on a de soi-même quelque chose qui est
paradoxal du seul fait que nous avons conscience de notre conscience.
xx [v] Ein Andere Schauplatz.
xxi [vi] Il faudrait utilement sur ces questions, se rapporter au remarquable travail de J. M. Vappereau in Étoffe,
Topologie en extension, Paris, 1988, p.IV à VIII.
xxii[vii] Écrits, « Séminaire «La Lettre Volée », parenthèses des parenthèses », 1966.
xxiii[viii] (1) Joignons ici le réseau des α, β, γ, δ dans sa constitution par transformation du
réseau 1-3. Tous les mathématiciens savent qu’il est obtenu en transformant les segments du
premier réseau en coupures du second et en marquant les chemins orientés joignant ces coupures.
C’est le suivant (que nous plaçons pour plus de clarté à côté du premier) :
RÉSEAU 1-3
RÉSEAU α, β, γ, δ
Où l’on pose la convention dont les lettres ont été fondées : I.I = α ; 0.0 = γ ; I.0 = β ; 0.I

(on y voit la raison de ce que nous avons dit qu’il y a deux espèces de o dans notre chaîne L,
les o de ooo et les o de o).
(2)

L’espèce de déformation à quoi aboutit cette rotation du miroir-plan mène à voir surgir, à
l’extrémité dudit miroir basculé, un point confus où vient se ramasser l’image virtuelle dans le
souvenir de l’en-forme vide qu’elle était, « saisie du point de vue de l’autre ».
Lacan, dès ses premiers séminaires, l’appelle phallus, point souvenir érotique de l’image
introjectée. Ce même point est inscrit, lui aussi, sur le graphe symbolique de la circulation
signifiante, il équivaut à l’effet de torsion qu’il faut faire subir à cette présentation pour qu’elle
retourne à sa forme originale, figure symbolisée elle aussi de son introjection.
(3) Ce point de torsion redouble ainsi la trace anamorphotique de l’image virtuelle.

(Cf. J.-M. Vappereau in Cahier lecture freudienne, n° 5)


xxiv[i] C’est-à-dire, le corps appréhendé du fait du stade du miroir (Cf. Séminaire I)
xxv[ii] Ici, référence à l’articulation du Séminaire I et au schéma L de la parole.
xxvi[iii] Au sens du corps de l’image spéculaire.
xxvii[iv] Topologie à entendre comme l’exigence de situer R.S.I. topiquement.
xxviii[v] Occasion pour nous de situer d’ores et déjà comment le savoir, toujours, s’articule topologiquement autour
d’un trou, ce que Lacan développera surtout dans son Séminaire XXI.
xxix[vi] Moment où Lacan écrit « La Chose freudienne ».
xxx[vii] Dans Les formations de l'inconscient (Séminaire V), Lacan isolera de la sorte plusieurs chaînes de discours
étagées dans son graphe.
xxxi[viii] Tout pareil à la bande moebienne où une coupure démontre une continuité
xxxii[ix] Notre monologue intérieur serait-il, lui aussi, l’héritier de la mise en place des signifiants primordiaux.
xxxiii[x] Cf. notre article sur l’autotomie in Revue Scalène (septembre 1985).
xxxiv[xi] Proposition de modificiation de la transcription de J.A. Miller.
xxxv[xii] Cf. Séminaire VII : La création ex-nihilo.
xxxvi[xiii] Par où se vérifie à nouveau que la science peut être la théorie du retour refoulé, voire du sujet dans la folie.
xxxvii[xiv] Ceci est une ébauche du nœud borroméen.
xxxviii[xv] Cette relation extatique à l’autre est ce que nous pouvons percevoir dans le phénomène historique de
l’amour courtois.
xxxix[xvi] Triangle repris dans le séminaire Les formations de l’inconscient.
xl [i] Nous n’en sommes qu’à la troisième année du séminaire et déjà le terme de topologie est usité par Lacan comme
une vieille connaissance dont il rappelle la définition, encore subordonnée à celle de spatialisation, nous en
conviendrons volontiers !
xli [ii] Cf. Annexe I, p. 58
xlii[iii] Cf. La lettre de topologie -Février 1990 J.P. Gilson - sous le titre : « A quoi "serre" une topologie ? » - Ed.
Lysimaque.
xliii[iv] De même que dans le stade du miroir, l’autre déjà est responsable de l’introjection de l’image du MOI. T.I.p.20.
xliv[v] E. Glover "Grades of Ego differenciation" I.J.P. 11, p. 1-11 1930.
"On the oethiology of drug addition" I.J.P. 13, p. 238-328. 1932.
"The relation of perversion formation to the development of reality sense". I.J.P. 14, p. 486-504 1933
xlv [vi] Chacun peut noter qu’ici, cet objet est imaginaire!
2 Dont il essaie vainement depuis trois ans de fonder logiquement le champ après l’avoir nommé.
xlvi[vii] Au point de faire s’équivaloir dans son séminaire XXIII, Le sinthome, la constante énergétique freudienne avec
la nodalité lacanienne.
xlvii[viii] cf. Les Écrits Seuil p.685-695.
xlviii[ix] Cf. la notion de puissance.
xlix[x] On notera ici également, la tension entre le trois et le quatre qui se répercutera dans le nœud
l [xi] On retrouve, ici, une idée déjà présentée au Séminaire I, dans le dialogue avec Rosine Lefort.
li [xii] On pourrait tout à fait tracer, ici, la figure du huit intérieur comme redoublement d’une chaîne sur elle-même
dont l’étoffe, le tissu qui noue le bord, le seul bord, serait l’imaginaire et constitue une bande de Moebius. On verra
plus tard comment cet objet particulier est une des parties, le morceau principal, du cross-cap sur lequel on pourrait
situer et l’objet a et le point d’interpénétration des feuillets de l’Imaginaire et du Symbolique, point particulier que
Lacan qualifiera de point phallique. (Séminaire IX - L’identification)
lii [xiii] Ici, Lacan ne fait pas encore la distinction entre le fantasme pervers et le fantasme chez le pervers.
liii [xiv] Il parlera surtout des trois premiers. Le quatrième sera la transfert ; le cinquième, son interprétation
liv [xv] Notre présentation semble contredire Lacan puisqu’elle ne permet pas de situer phi dans le lieu symbolique par
excellence, celui de l’Autre. Disons que le phi se tient comme opérateur à la frontière de I et de S.
S : comme don - I : comme image narcissique du corps.
lv [xvi] On se rappellera le double tétraèdre, dit du diamant, dans le Séminaire I. Cette circulation anticipe également
la rotation tétraédrique des quatre discours (Sém.9).
lvi [xvii] Cf. Séminaire I, ce rideau pourrait être rapporté à la structure de l’image intériorisée issue du premier miroir
constituant, fait à la dimension du spéculaire qui a une certaine épaisseur, un certain voilage.
lvii[xviii] On pourrait d’ailleurs faire un commentaire, ici, sur les événements qui se passent pour l’instant autour du
porter le voile des femmes musulmanes.(à savoir le port du voile dans les écoles belges)
lviii[xix] A propos de cette catégorie du réel que Lacan utilise, ici, pour la privation, il s’agit déjà d’une espèce de
symbolisation de l’objet dans le Réel car, le Réel, comme tel, ne peut pas être privé de quelque chose, le Réel est un
donné. A partir du moment où le Réel est aperçu comme manquant de quelque chose, c’est que déjà le processus de
symbolisation s’est attaché à décrire ce Réel.
lix [xx] dans certaines versions du séminaire en notre possession. par contre dans d’autres, une place excentrique
semble faite au père symbolique. Voir le synopsis p.9 et son autre version dans notre thèse ou nos articles de la lettre
de topologie n°1-2 (première série ) et 6-7 (deuxième)
lx [xxi] Ici, se placent les fixations perverses dont nous avons parlé plus haut.
lxi [xxii] D’où, pourrait s’entrevoir que le père réel est celui qui ne se suffit pas d’être présent, mais qui répond
effectivement au désir, voire au penis-neid de la mère.
lxii[xxiii] Au niveau des petits circuits symboliques que nous avons pu constituer à partir de « La lettre volée », on
pourrait dire que la fonction du père est celle que nous avons appelée "du coupe-circuit". (Cf. Collectif lacanien -
non publié)
lxiii[xxiv] Idée reprise par Lacan dans son graphe pour désigner la boucle supérieure rétroactive.
lxiv[xxv] « Mais cela ne veut pas dire que tout soit possible, en particulier, que deux anneaux passés l’un dans l’autre
jusqu’à nouvel ordre, rien ne nous permet de les dénouer. C’est pour vous dire que la logique en caoutchouc n’est
pas condamnée à l’entière liberté. » (19/6/1957 ) Note que nous ajoutons pour situer au lecteur le niveau de
préoccupation qui était déjà celui de Lacan à une époque où il ne parlait guère des nœuds.
lxv [i] Est-ce qu’on peut tenter ici, de dire que la chaîne vide est la chaîne imaginaire moïque, et que la chaîne du
signifiant perméable serait, elle, dans la dimension du signifiant, la présence de la dimension du Symbolique pour un
sujet cette fois?

lxvi[ii] in J. Lacan Écrits - Seuil 1966 p.493-528

lxvii[iii] Ces deux chaînes qui s’entrecroisent correspondraient aussi à la distinction discours proféré-discours intérieur
(monologue) dont parle Lacan dans son séminaire sur les psychoses

lxviii[iv] Cf. Séminaire VI sur Le désir et son interprétation. Surtout à propos du réalisme comme genre littéraire. Cf.
Infra séance du 27-11-57

lxix[v] G. Guillaume Langage et science du langage 1973

lxx [vi] Il y aurait intérêt à comparer cette décomposition métaphorique avec le travail d’écriture de James Joyce tel que
Lacan en parlera dans ses derniers séminaires, et notamment dans le Sinthome.

lxxi[vii] Est-ce qu’on ne pourrait pas étendre cela à la dimension de la pratique de la cure où l’objet a persiste tant que
l’être du sujet ne s’est pas créé ?

lxxii[viii] Équivoque du pas-de-sens: à la fois négation et enjambée !

lxxiii[ix] Ce sujet dépend d’un discours qui est lui-même articulé par une chaîne signifiante, et cette chaîne signifiante
comporte des lois d’organisation qui, lorsqu’elles sont en action, s’appellent: l’Inconscient. Lacan parle à ce propos
d’une autre scène psychique dont il emprunte, après Freud, la nomination à Fechner. Cette autre scène est
littéralement hétérogène par rapport au domaine du compréhensible, au domaine de la signification préconsciente.
C’est ce qui transparaît dans le mot d’esprit, au travers de la dimension de surprise par laquelle on saisit ce mot
d’esprit. La surprise c’est l’ordre de l’Autre qui est invoqué dans le sujet, qui atteint comme mode propre de l’Autre.

lxxiv[x] Cliniquement ici, l’acting out est égalé à la surprise d’un mot d’esprit comme sortie de la dimension du
Symbolique

lxxv[xi] Ici aussi, Lacan introduit la jouissance : plaisir de la surprise et surprise du plaisir (18-2-57)

lxxvi[xii] Qui justifie à nouveau notre lecture du Séminaire I !

lxxvii[xiii] Il s’agit probablement de l’introduction du miroir-plan dont l’image virtuelle qui en résulte, redoublait, elle
aussi, le premier surgissement de l’image réelle.

lxxviii[xiv] Cette ajoute, quant au rire et à la fonction de l’imitation et du doublage, nous permet de penser que la
topologie en train de se créer (cet espèce d’au-delà du besoin, de la demande même qui doit se satisfaire par un
désir), peut être considérée comme la doublure du premier tétraèdre du Séminaire I. En somme, le rire indique
comment le Symbolique est intéressé à l’Imaginaire par une sorte de libération de l’image, libération dans les deux
sens, libéré de la contrainte de l’image mais aussi, libération en ce sens que l’image continue à se promener toute
seule. L’au-delà du circuit de la demande, c’est le circuit de la parole pleine, c’est-à-dire, de l’amour comme tel. Ce
circuit tente justement de se fermer, c’est-à-dire de se constituer en circuit, quelque chose qui va de gamma à alpha,
et donc qui ferait confondre la ligne B’’-B’’’ avec bêta-gamma-alpha.

lxxix[xv] Cette privation (réelle par le père) est privation d’un objet imaginaire (le Phallus que la mère n’a jamais
possédé) élevé à une fonction symbolique, c’est-à-dire qui entre dans une dialectique (+ou-). (Cf. « La Lettre
volée »)

lxxx[xvi] On peut être surpris de voir « D » signifier le désir de la mère en ce point où il incarne la demande de l’enfant
au désir de sa mère. Il y a recouvrement de « d » (désir) par « D », comme on le verra dans la suite de l’analyse du
graphe (Séminaire VI sur le désir)

lxxxi[i] La combinaison du signifiant se suffit de quatre termes: deux phénomènes, (fort-da), celui qui les prononce
(enfant), celui à qui il les adresse (mère). « Il y a déjà assez de quatre éléments pour contenir virtuellement en soi
toute la combinatoire d’où va surgir l’organisation du signifiant » (5-2-58).

lxxxii
lxxxiii[ii] Cette dimension de passivité où on est patient, fut décrite par Sartre dans L’être et le Néant.

lxxxiv[iii] La vie ici, apparaît liée au signifiant. Elle divise, du fait du Phallus qui la représente comme plaisir
voluptueux, les rapports du désir et de la sexualité (cf. Séminaire XX, Encore ).

1 In "Le diable amoureux" de Gazotte, Retz 1978.


2 Plus tard, Lacan modifiera ces notations.
lxxxv[i] Note en forme de commentaire anticipatif : Pourquoi ne pas écrire déjà ce graphe en pensant que la poussée
intentionnelle réalise (a) le sujet par la parole (ce à quoi nous autorise une formulation de la séance précédente) ?

qui montre bien le côté problématique de ce retour de la parole.


que la chaîne symbolique du signifiant conscient se prolonge dans l’Inconscient par celle de l’Autre.
que la voie imaginaire d’identification moïque s’homologue à celle du fantasme.
Voici déjà qu’apparaît le borroméen, noué par la parole.
lxxxvi[ii] Si nous nous reportons à notre petit schéma, cela nous aidera tout de même beaucoup. C’est à cela que ça sert,
si l’on fait des schémas, c’est pour s’en servir. On peut d’ailleurs arriver au même résultat en s’en passant, mais le
schéma en quelque sorte nous guide, nous montre bien évidemment ce qui se passe dans le réel, ce qui se
présentifie, c’est un fantasme à proprement parler, et par quels mécanismes ?
C’est ici que le schéma aussi peut aller plus loin que ce que permet une espèce de notion naïve que les choses sont
faites pour exprimer quelque chose qui en somme se communiquerait comme une émotion, comme on dit ! Comme
si les émotions en elles-mêmes ne posaient pas à soi, toutes seules, tellement d’autres problèmes, à savoir ce qu’elles
sont, à savoir si elles n’ont pas besoin déjà, elles, de communication.
lxxxvii[iii] Par exemple, dans la Traumdentung ou dans la Lettre n° 52.
lxxxviii[iv] Lacan semble intégrer le circuit à la fonction imaginaire ici.
lxxxix[v] In La naissance de la psychanalyse (p. 153 et suivantes).
xc [vi] Cf. notre petit commentaire à l’objet a au chinois in Lettre de Topologie n° 4 (p.4).
xci [vii] On remarquera le retour des trois arêtes du tétraèdre-diamant du Séminaire I. Elles constituaient la trace
signifiante de l’escamotage du sujet dans le tétraèdre redoublé.
xcii[viii] Nous rapportons ce secret du vœu au retour de la boucle dans le graphe de Lacan
[ix] Ici, le cercle de famille applaudit à grands cris, puisque l’enfant paraît ou reparaît, car nous le connaissions déjà
depuis le Séminaire IV, cet objet métonymique !
xciii
xciv[x] Cf. nos thèses sur la psychose infantile et la « mise au savoir ».
xcv[i] Il s’agirait d’un cas pris dans un livre d’Ella Sharp et que Lacan commente à partie de la séance du 14 janvier
1959 et sq. qui se trouve manquante dans toutes les versions du séminaire que nous avons eu l’occasion de
parcourir
xcvi[ii] Cette substitution signifiante patient-chien-aboiement est une métaphore qui rappelle les jeux des petits enfants
quand le chien fait miaou et le chat wouah wouah !!
xcvii[iii] voir séminaire IX, L’identification :
[iv] Voir notre intervention faite à Liège, il y a quelques années sur le franchissement du fantasme d’Hamlet dans la
scène de la tombe d’Ophélie.
xcviii
xcix[v] Voir notre séminaire: l’à dos le sens où ce thème si fréquent chez les psychotiques se trouve abordé.
c [vi] Ceci entraîne que l’analyste n’est pas un érotomane, mais un petit a-mane.
ci [vii] On mettra ceci en relation avec le dispositif que Lacan invente en 1967 : La Passe.
cii [viii] Nous verrons ressurgir ce nombre irrationnel dans la théorie des surfaces.
ciii [ix] Donc, il ne peut pas y avoir de sujet pour un sujet comme on pourra dire, plus tard, que le signifiant représente
le sujet pour un autre signifiant, c’est comme si cette intersubjectivité dans l’Inconscient ne pouvait se récupérer
dans le conscient qu’au niveau de cette division signifiante.
civ [x] Lacan fait un excursus en ce point pour rappeler comment, dans l’histoire occidentale, l’aventure de la science
est venue s’inscrire, ici, dans ce retrait de l’homme de certaines positions qui avaient été les siennes, à savoir, un
choix qu’il a fait du désir de savoir, du désir de connaître, et comment, probablement, dans cette sélection, dans ce
choix, quelque chose a été sacrifié tout en nous offrant cette prise exceptionnelle sur le monde.
cv [xi] Trois types d’objets appelés à devenir signifiants élus par le sujet...!
cvi [xii] Lacan fait un commentaire sur la notion de respiration qui pourrait, effectivement, être pour le sujet dans un
rapport encore plus vital que la nourriture, mais il nous dit que dans la respiration, il y a pulsation, alternance vitale
mais pas coupure, sur quoi on peut quand même marquer un certain désaccord (apnée et dyspnée). Il ajoute que, par
contre, ce qui vient dans la dimension respiration s’inscrire comme coupure, c’est la voix (p. 18)
cvii[xiii] Cette mutilation, il s’agira de la relier à la fonction dominatrice d’un père absolu, telle que Freud l’a pensé
nécessaire.
cviii[xiv] C’est pourquoi, on pourra dire que la topologie, c’est la création de Lacan. D’ailleurs, à ce moment, Lacan se
sert de la topologie de son schéma pour le faire sentir. On ajoutera que cette affirmation de Lacan désigne le champ
propre à l’après-analyse : celui des martyrs au sens de témoin, des rapports de la subjectivité et du réel !
cix [xv] Cf. les trois formes de a (supra).
cx [xvi] (deux positions, par ailleurs, parallèles et non pas réciproques, parallèles dans leurs rapports à la fente)
cxi [xvii] (Ainsi la topologie pour l’analyste dans sa Passe).Pourquoi pas ?
cxii[ii] On comparera ceci avec le cône en huit intérieur que nous avons construit dans notre séminaire des années 1985-
1986 :

cxiii[iii] Déjà évoqué sous la forme du chiasme dans le Séminaire III.


cxiv[iv] Du latin "causa" à l’allemand "das Ding", la chose passe de la référence étymologique juridique d’enveloppe
et désignation du concret à un sens comme celui d’opération, délibération, débat.
2 A l'autre pôle de notre relation à la vie cette fois, cette urgence de la vie reparaîtra dans le séminaire (p. 279) sous
la forme Lebensneid, la jalousie de la jouissance des biens de l'Autre.
cxv[v] L’émergence de ce qui sera la fonction du savoir et qui justifie notre thèse concernant la psychose infantile:
trouble de la mise au savoir.
cxvi[vi] Ceci pourrait justifier cette fois, le "naufrage de la vieillesse": abandon, trouble du savoir, comme fin prochaine
de cette nécessité de retrouvaille. On mettrait ceci en rapport avec l’amnésie antérograge qui maintient vives les
Niederschriften du passé.
cxvii[vii] Lettre de topologie n°4 déjà citée.
cxviii[viii] L’Éthique lacanienne est en train de gagner son terrain propre, celui du bien-dire le savoir en jeu.
cxix[ix] A rapprocher de la définition de Das Ding : ce qui ne peut être atteint bien qu’appelant aux retrouvailles, car ça
peut toujours servir ! voir p.154 supra.
cxx[x] 1960, était-ce les fusées de Cuba ou le mur de Berlin ?
cxxi[xi] Telles les poupées de Hans Bellmer durant la même période.
cxxii[xii] Ceci n’est pas une ajoute inutile quand on sait l’affinité de la femme e de l’Éthique !
cxxiii[xiii] Lacan compare, alors, ce rapport à l’Autre dans le sadisme avec la psychologie obsessionnelle qui construit
son corps sous la forme d’une armature, s’arrêtant devant une horreur à lui-même inconnue.
cxxiv[xiv] Sans s’égaler au symbolique, la pulsion de mort, issue du désir, se joue de cette structure.
cxxv[xv] Sur l’impact tragique et sa lecture freudienne, on se reportera à notre mémoire : Le déroulement d’une
tragédie est comparable à celui d’une analyse", 1969.
cxxvi[xvi] Qui clôturera son intervention en rappelant que le calcul infinitésimal est évoqué en arrière-fond de
l’expérience du sublime pour Kant.
cxxvii[xvii] Figure s’il en est de l’évidement au cœur de la partie topologique suivante, celle des surfaces, en tant
qu’elle traite du sujet et de sa jouissance.
* Publié après rédaction de cette partie des annexes
cxxviii[i] Lacan proposera de prendre le Banquet de Platon comme une succession de séances psychanalytiques (23-11-
60).
cxxix[ii]Il s’agit d’un fait de culture, Lacan parle alors d’une distinction qu’il reprendra plus tard. La société peut
entraîner par son effet de censure, une désintégration qui est une sorte de névrose. Alors qu’au contraire, quand la
perversion est nu produit de culture, elle se présente comme une élaboration, une construction, une sublimation.(23-
11-60) En ce sens, la perversion apporte des éléments qui travaillent la société tandis que la névrose favorise la
création de nouveaux éléments de culture, il y a un cercle qui se ferme.
cxxx[iii] Ceci indique bien qu’il s’agit dans cet au-delà du langage, d’une topologie du retournement.
cxxxi[iv] Nous suivrons ce débat plus tard, durant l’année 1961.
cxxxii[v] Chacun peut sentir ici-même, le lien explicite entre cette topologie et ce cheminement
cxxxiii[vi] La topologie d’Aristophane est sphérique, non trouée. Le mythe de la division de l’androgyne vient, de
l’extérieur, introduire une coupure, à la place du trou. On comparera avec l’usage sphérique ci- dessous, qui propose
une transformation régulière d’un nœud posé sur la sphère. La sphère y joue le rôle d’un trou pour le nœud, ainsi
s’appréhende une première approche du trou.

cxxxiv[vii] Entrevue comme place inconsciente de l’énonciation dans le graphe.


cxxxv[viii] On le voit, notre ami Van Rillaer dans son livre, «les illusions de la psychanalyse» (Mardaga 80) n’avait
rien inventé, il avait simplement fait une lecture socratique de Lacan! Qu’il entende ici notre thèse comme une
réponse cohérente à ses taquineries agacées!
cxxxvi[ix] Terme que nous reprenons d’ici-même pour notre revue du même nom
cxxxvii[x] Entre le savoir(épitémè) et l’ignorance (amartia), la « doxa » comme l’amour, donnerait la formule qu’elle
n’a pas !
cxxxviii[xi] Chaque lecteur aura remarqué l’ambiguïté du terme savoir, ici privilège de la «doxa» et là apanage
malheureux de l’ « épistémè »
cxxxix[xii] Voir plus tard : L’insu que sait de l’une-bévue, s’aile à mourre, Séminaire XXIV ; puis Les non-dupes
errent, Séminaire XXI.
cxl [xiii] Lacan introduit ici l’exemple de «Booz endormi» de V. Hugo et le mystère de l’éclipse de Dieu.
cxli[xiv] D’où il résulte que c’est sur l’arête du Savoir que le cheminement analytique fraye sa voie au départ du
diamant du Séminaire I.
cxlii[xv] Il s’agit bien évidemment de tout ce cheminement vers l’objet ainsi que du savoir qui en résulte.
Il tente même de nous faire comprendre l’utilité de la topologie en proposant l’exemple suivant, à savoir qu’il n’est
pas nécessaire d’avoir le plan d’un appartement pour se cogner la tête contre les murs, mais par contre, la réciproque
n’est pas vraie, il ne suffit pas de se cogner la tête contre les murs pour constituer le plan d’un appartement.
cxliii[xvi] D’ailleurs le 8-3-61, Lacan propose un schéma des rapports de l’analyste au petit autre, au grand Autre, et à
la mort.
cxliv[xvii] Il semble que le discours de Lacan sur ce point, échappe, en 1961, à son insertion dans une topologie qui le
vérifierait. Est-ce la raison pour laquelle Lacan s’appuie sur un tableau : «Psyché surprend Amour» de Zucchi ?
(Sauf à voir s’inverser a et -phi comme ce sera le cas dans la topologie des surfaces.)
cxlv[xviii] Et ces figures triples (amour-haine-ignorance)pourtant n’apparaîtront plus sous ce pathétique par la suite,
comme si le virage pouvait être entrevu à partir de la fonction topologique elle-même, en tant qu’elle supplée au
tragique de la destinée du désir humain et, par cette suppléance, l’autoriserait tout autant. Mais ceci c’est le dernier
Lacan.
cxlvi[xix] De là à prétendre que l’identification humaine a ceci de spécifique et de constituant : qu’elle est Identification
à un trait de l’être parlant.
cxlvii[xx] Il nous intéresserait beaucoup de savoir ce qui s’en manifestait dans ces camps où la bestialité humaine avait
réduit toute réserve de libido d’objet !
1 Et si nous pensons que ce virage se justifie dans la lecture que nous faisons de l’alternance des séminaires de Lacan,
c’est qu’il nous l’indique lui-même (22/11/1961), en disant que la succession de ses séminaires s’opère selon une
alternance, une pulsation où domine alternativement la thématique du sujet et celle du signifiant. Pour pouvoir dire
une telle chose, il faut effectivement que Lacan fasse retour sur les huit premières années de son enseignement, huit
premières années qu’il fait débuter lui-même au séminaire de son année 1953. Qu’est-ce donc que ce retour en
arrière, sinon un exercice de la pensée qui répond, qui trouve les marques par où son désir (à Lacan) a poussé son
discours ?
cxlviii[i] Celle du « stade du miroir », cf. Les Prétopologiques.
cxlix[ii] Cf. infra sujet vivant et non vivant.
cl [iii] Cf. Les Prétopologiques et la distinction Idéal-du-Moi et Moi-Idéal.
cli [iv] Cf. le séminaire sur l’Éthique.
clii [v] C’est là quelque chose que déjà nous avons repéré dans le Séminaire IV autour du discours de Lacan à propos de
Hans et de sa phobie. Là, où l’on voit dans le dessin des girafes, par exemple, le sujet réel s’identifier, d’une part à
l’animal et, d’autre part, à cette surface de papier sur laquelle il s’assied et qu’il chiffonne, sujet qui glisse là entre
ces deux positions.
cliii[vi] James Fevrier : Histoire de l’écriture - Payot 1959 - Nouvelle Edition 1988.
cliv[vii] Ainsi en est-il du nom propre, trace vivante et non vivante à la fois du sujet.
clv [viii] Cf. Séminaire II in Prétopologique, le commentaire sur les réseaux de «La Lettre Volée».
clvi[ix] Lacan nous propose une triade Conscient/Inconscient/Préconscient, et non plus Inconscient/Pré-
conscient/Conscient, où l’Inconscient se trouve entre Perception et Conscience, comme on dit «entre cuir et chair»,
ce que le schéma du huit intérieur permet de saisir.

clvii[x] Nous avons fait publier ces écrits in Quarto XII.


clviii[xi] Mais bien le manque.
clix[xii] On notera au passage qu’on vient d’entrer dans le royaume des êtres topologiques qui ont une surface.
clx [xiii] Les mathématiciens s’opposent sur la dimension intuitive irréductible au départ de la mathématique, et une
axiomatique qui serait une formalisation à partir d’éléments et de définitions.
Poincarré s’aperçut très bien que la topologie relèverait de l’essentiel de l’élément intuitif.
« En dehors de l’intuition, on ne peut pas faire cette science qui s’appelle topologie, on ne peut pas commencer à
l’articuler parce que c’est une grande science. » (7/3/1962)
Déjà, la structure de la sphère et des coloriages des surfaces voisines au nombre de quatre, pose un problème de
démonstration, et montre qu’il existe une logique de ces surfaces ; pour le tore, ce sont sept domaines ayant chacun
une frontière commune que l’on peut dessiner sur le tore avec l’aide de sept couleurs.
clxi[xiv] Lacan tente d’expliciter maintenant la référence psychanalytique de ces cercles irréductibles, en les rapportant
à la topologie du graphe et à la clinique freudienne de l’Oedipe inscrite sur la boucle rétroversive, cf. Séminaire V.
clxii[i] L’intérêt de cette monstration réside évidemment dans le fait que lorsque Lacan mettra les nœuds à plat, on va
trouver un certain nombre de zones qui seront à la fois des zones de réunion, des zones d’intersection et où la
fonction du «ou» pourra ainsi être déterminée. Ainsi, quelques réflexions peuvent surgir : « sur l’usage du cercle
comme base, comme support de quelque chose qui se formalise en fonction d’une limite. » (11/4/1962)
clxiii[ii] Notion de coupure : Cf. Le désir et son interprétation.
clxiv[iii] Lacan souligne à cette occasion la dimension temporelle du graphe.
clxv[iv] Que les deux coupures que nous connaissons produisent.
clxvi[v] Rappelons que le huit intérieur incarne la passion impossible du signifiant à se signifier lui-même.
clxvii[vi] Une preuve de plus que la topologie lacanienne vise bien le déroulement de la cure dans son analyse du désir !
clxviii[vii] Il faudrait recomparer la fonction de la coupure, ici, avec celle que Lacan avait élaborée dans son séminaire,
le désir et son interprétation.
clxix[viii] Pourtant, en partant d’un cercle trivial, cette surface opère sur ce cercle une mutation d’irréductibilité.
clxx[ix] Mais nous savons depuis que ce cross-cap ouvert par une coupure en huit intérieur laisse sa surface restante
égale à une bande de Moebius, laquelle peut s’inscrire sur un tore.
(Cf. la démonstration de Lacan dans « L’Étourdit »)
clxxi[x] Spécularisable : qui, dans le miroir respecte l’inversion droite/gauche.
Image spéculaire : image où la distinction droite/gauche n’est pas ressentie telle, bien que subissant cette inversion.
clxxii[xi] Lacan compare, alors, ses élucubrations topologiques sur le plan projectif aux remarques que l’on pourrait
trouver dans le livre d’embryologie autour de ce qui s’appelle le nœud de Hensen et de la fonction d’une certaine
ligne primitive, mériterait qu’une série de recherches puisse être faite en ce sens.
clxxiii[xii] La suite de la séance était très peu compréhensible avec les notes que nous avons, mais elle semble vouloir
préciser d’une part, l’amorce de la fabrication mentale d’une surface à partir d’un trou qui, en quelque sorte, nous
permettrait aussi d’envisager cette façon d’organiser ce trou qui puisse produire une telle surface.
clxxiv[xiii] Lacan renversant ici les termes, au lieu de dire $ coupure de a, a est devenu coupure de $, donc il y a
transitivité!
clxxv[xiv] Il y a là quelque chose qui nous fait quand même penser que dans la logique, le fait que l’universelle
affirmative comporte sa nullification, se trouve ici repris au plan de la géométrie topologique.
clxxvi[i] Cf. Les objets pulsionnels du Séminaire L’angoisse.
clxxvii[ii] « La Clinique Psychanalytique au Lycée Logique» in Cahier n° 11 , Ière série( p. 13 à p. 20)

clxxviii[iii] Séminaire publié, nous allons donc nous référer à sa pagination propre et plus aux dates de séances du
séminaire.

clxxix[iv] Dans le classement des séminaires de Lacan, on peut donc repérer après le temps du graphe, le temps des
surfaces. Dans le temps de surfaces, il y a le séminaire sur l’identification où apparaît la surface du cross-cap, et où
se dégage donc la nécessité d’extraire l’objet dans l’opération de la cure (cette extraction rendant le reste de la
surface unilatère et moebien). Cet objet a est interrogé dans sa structure causale dans le séminaire sur l’angoisse, et
Lacan y trace cliniquement l’opération de substitution qui consiste à faire passer la dimension d’objet d’angoisse à
celle de cause du désir; c’est une opération de substitution qui donc est métaphorique, qui nous renvoie aux premiers
temps du séminaire de Lacan. Il n’est pas étonnant que dans son séminaire des Noms-du-Père, ce soit précisément
cette fonction-là, de la substitution qu’il ait voulu mettre en évidence et on peut dire que le Nom-du-Père, en tant
qu’il soutiendrait le désir du sujet, est bien là la trace, le soutien, le support, la nécessité interne à cette substitution
métaphorique. Autant dire aussi que le désir comme tel, une fois achevé, à lui tout seul donc, peut avoir cette
fonction-là, métaphorique. Quand Lacan reprend son séminaire sur les quatre concepts fondamentaux, évidemment,
ceci continue à lui trotter en tête, et on le retrouve particulièrement dans cette séance IV.

Du fait de la coupure qu’il a opérée avec ses collègues, à ce moment-là, Lacan est obligé de revenir sur un certain
nombre de questions, et c’est pourquoi ces séances sont consacrées à démontrer la place du Sujet et son rapport avec
l’Inconscient. Lacan trouve nécessaire aussi de rappeler que ce Sujet ne peut surgir comme Sujet de l’Inconscient
qu’après le pas décisif que Descartes ait produit et qui a produit, lui, la science. Un concept nouveau resurgit au
travers de ce réseau de signifiants, de cette causalité qui a été articulée, un concept nouveau resurgit qui est celui de
la remémoration, voire celui de la répétition, à savoir que quelque chose fait retour dans la bipartition cartésienne et,
ce qui fait retour, c’est la loi du désir, du désir de Freud, du désir du Sujet, et c’est précisément ce que Freud a
découvert dans son auto-analyse. Le caractère tout à fait nouveau de cette découverte tient en ce que ce qui se répète
vient et se maintient dans la clocherie, dans la boîterie, dans la mesure où c’est toujours pour se répéter en venant se
cogner contre la même chose que cette répétition est repérable dans le discours du patient. Il y a donc là un rapport
que Freud pointe, de la pensée et du Réel.

clxxx[v] Il y a donc deux lieux topologiques : celui intrinsèque de la cure individuelle qui s’appuie sur le corps et le
langage, et celui de la logique à produire, extrinsèque, que Lacan construit pas à pas.

clxxxi[vi] Bien que situé dans le champ de la connaissance et non dans celui du désir.

clxxxii[vii] Lacan voit dans les travaux d’optique et d’interrogation de quelqu’un comme Baltrusaïtis, quelque chose
qui tentait déjà de cerner de plus près ce qui, dans la fonction de la vision, échappait à l’optique physique, à
l’optique de la géométrie perspective. C’est pourquoi, c’est à travers la déformation de l’image que Lacan va
rechercher dans les anamorphoses, le lieu par excellence où se marquerait ce lien du désir et de la vision, au point
même que ce lien si subtil lui fait penser que c’est bien l’apparition du fantôme phallique qui se trouve s’inscrire
dans le manque que la déformation introduit. Dans son tableau les « ambassadeurs français » :

« Holbein nous rend ici visible quelque chose qui n’est rien d’autre que le sujet comme néantisé, néantisé sous une
forme qui est, à proprement parlé, l’incarnation imaginée du - phi de la castration, laquelle centre pour nous toute
l’organisation des désirs à travers le cadre des pulsions fondamentales. Mais c’est plus loin encore qu’il faut
chercher la fonction de la vision, nous verrons alors se dessiner à partir d’elle, non point le symbole phallique, le
symbole anamorphique, mais le regard comme tel dans sa fonction pulsatile, éclatante, étalée, comme elle l’est dans
ce tableau. » (p. 83)

Lacan indique clairement à ce propos qu’il s’agit bien d’un repérage topologique où chaque terme ne se soutient que
dans son rapport avec les autres, et que cette topologie est bien propre à l’expérience de l’analyste.

clxxxiii[viii] Et si la fonction de mise à plat topologique avait structure d’écran !

clxxxiv[ix] Cf. Etoffe p. 233 sq. topologie en extension Paris 1988

clxxxv[x] On notera une certaine ambiguïté dans la formulation lacanienne quand elle égale objet pulsionnel et objet a,
puisque leur écriture sur le tore redouble l’objet de la demande d’avec l’objet du désir; soit le huit intérieur.
clxxxvi[xi] La topologie du sujet recouvre la topologie du corps, et l’objet de la pulsion est quelque chose qui nécessite
une structure, un tracé, mais sans sujet. Il nécessite cependant qu’il y ait de la marque, donc il faudrait interroger
cette fonction du tracé.

Par contre, de l’autre côté, dans ce qui, dans la topologie, relie le sujet au signifiant, il y a des trous et il faut
s’interroger sur ces trous. Il faut postuler qu’au niveau du corps, au niveau du principe de plaisir, le sujet n’est
qu’un appareil lacunaire. C’est la supposition de départ. Cet objet dont on fait le tour par la pulsion est celui qui
vient là se trouver instauré par la lacune. Le statut de l’objet a ne se justifie qu’en tant qu’il est présent de cette
manière dans la pulsion.

Tout autres sont les rapports du sujet au fantasme. Il y a donc plusieurs possibilités d’interroger la fonction de
l’objet a qui n’est, comme tel, jamais visé par le désir, car il est dans la pulsion présubjectif, ou bien il est fondement
d’une identification du sujet, ou fondement d’une identification déniée par le sujet, par exemple dans le sadisme,
alors que l’objet du désir, lui, c’est ou bien le fantasme, ou bien un leurre. Reste qu’à cet objet du désir vient se
redoubler l’existence de l’objet d’amour, ce qui ne fait qu’accroître les difficultés, et c’est ce que Lacan va tenter
d’interroger dans la séance XI de son séminaire.

clxxxvii[xii] L’objet de la schize primordiale, « automatique ».

clxxxviii[xiii] (L’amour d’un côté est réciprocité tandis que dans la pulsion, on a nécessairement un rapport d’activité).

clxxxix[xiv] Aussi entre et D quand demande et pulsion se rejoignent, et qu’on pourrait appeler le cri.

cxc[xv] déjà évoquée dans le séminaire IX.

cxci[xvi] Cf. La Lettre de Topologie, n° 5.

cxcii[xvii] Séminaire de Jean-Paul Gilson sur l’adolescence, non-publié.

cxciii[xviii] Ajouté par nous-même.

cxciv[i] Idée partagée par Guy Le Gaufey in Incomplétude du symbolique, p.2OO


cxcv[ii] Cf. notre exposé de Caracas : « Transfert et réalité » : J.P. Gilson, in La topologie de Lacan, Thèse de doctorat
à l’université de Louvain-la-Neuve 1992 p.22 et sq.
cxcvi[iii] Le terme est présent plusieurs fois dans cette séance.
cxcvii[iv] La structure de l’amour comme rencontre de l’endroit et de l’envers est homotopique à cette nouvelle
topologie: renversement de l’aimé en amant !
cxcviii[v] On reçoit de l’Autre, son propre message inversé.
cxcix[vi] Phénomènes qui intéressent le réel et non plus l’imaginaire.
cc [vii] On se rappellera l’introjection de l’image spéculaire en-forme de l’Autre.
cci [viii] Cf. notre séminaire non publié : L’Adolescence, 1986-87.
ccii[ix] Lacan parle ici, de pulsation du zéro au zéro, qui n’est pas sans rappeler l’émergence de la pulsion dans la
chaîne L de « La lettre volée ».
cciii[x] « Ceci est pour nous essentiel et capital dans notre progrès, car il s’agit de passer de cette articulation première
des effets de la lexis isolée en quelque sorte de façon artificielle dans le champ de l’Autre, et de savoir quel est cet
Autre. Cet Autre nous intéresse pour autant que nous, analystes, nous avons à en occuper la place. » (17/3/1965)
cciv[xi] C’est-à-dire la présence de l’Autre en nous comme nœud vide.
7 Ainsi, le nom de Sygne de Coufontaine repris par Claudel, que nous avons déjà rencontré. (Séminaire VIII)
ccv[xii] Le phobique s’intéresse au message, le pervers à la dimension du désir, le névrosé au rendez-vous manqué.
ccvi[xiii] Lacan fait une analogie avec le champ biologique et la dimension des surfaces du derme et de l’épithélium.
ccvii[xiv] Comparer avec : « que veut dire pour un humain d’être mortel ?, supra p. 129.
ccviii[xv] Cf. Séminaire I : « La passion de l’ignorance ».
ccix[xvi] Mouvement tournant que nous rencontrons plus tard dans les « ouverts » du nœud borroméen.
ccx[xvii] On comparera avec la critique de « Alliance avec la partie saine du Moi ! ».
ccxi[xviii] Point très précis où notre thèse trouve à s’insérer.
ccxii[xix] C’est ce que nous rencontrons très souvent dans les contrôles et dans les compte-rendus des analystes, ils
retrouvent le savoir de Lacan chez leur patient, et ils s’épargnent d’en interroger la vérité.
ccxiii[xx] Lacan de rappeler alors que si du sens vient dans le savoir sous forme de trébuchement, c’est pour désigner
ce sexuel particulier qui s’appelle la castration.
ccxiv[xxi] Lacan introduit déjà ici le nœud, probablement de trèfle, pour imaginer une triplicité dissymétrique.
ccxv[i] Que chacun y reconnaisse une figure de l’évidemment !
ccxvi[ii] Auquel Lacan voudra substituer le sujet de (causé par) la coupure.
ccxvii[iii] Ex. : Au plus on logifie l’expérience de la cure, avec la topologie, au plus on s’expose à s’entendre rétorquer
qu’on la divise de sa « clinique » !
ccxviii[iv] La coupure emprunterait son trajet au corps, le zéro logique lui adjoignant le champ du manque.
ccxix[v] «Lacan produit un nouveau petit graphe (8/12/1965). Ce nouveau graphe met en communication le phonème,
le langage ou en tout cas la logique et au pôle supérieur et inférieur, le shifter, le trou du sujet, la dimension de
l’énonciation. Il en profite pour rappeler que son schéma I fait partie d’une bande de Moebius. En dehors de la
conjonction de ces topologies, nous ne pouvons guère commenter plus ce produit nouveau en raison de
l’imprécision des notes du Séminaire. »
ccxx[vi] A ce propos, Lacan fait remarquer que le nombre irrationnel n’est pas un nombre qui tend à atteindre un
nombre réel à la limite, indéfiniment, mais qu’il est plongeable dans cette série parce qu’il est déjà l’objet d’une
coupure, ainsi le tiers de cent.
ccxxi[vii] Lacan s’appuie ici sur un ouvrage bouddhique écrit par le moine Jiu Oun.
ccxxii[viii] Dans son séminaire L’acte psychanalytique, le manque sera rapporté à la pensée et la perte à l’Être.
ccxxiii[ix] Hans déjà n’avait-il pas éprouvé la nécessité de dessiner ces deux girafes (Giraffe-Graf !) pour les chiffonner
ensuite ?
ccxxiv[x] La fonction des hurlements, mais aussi du cri. (Cf. Séminaire XII)
ccxxv[xi] Voir Séminaire XV.
ccxxvi[xii] Mensuel du Théâtre-Poème - novembre 91
ccxxvii[xiii] Justifiant ainsi une de nos thèses que ce fantasme du tétraèdre lacanien se traverse.
ccxxviii[xiv] Ceci introduit une dissymétrie essentielle au tore, point de vue spéculaire s’entend !
ccxxix[xv] C’est la thèse de Lacan.
ccxxx[xvi] Bibliographie Scilicet n° 4, 1973, Le Seuil.
ccxxxi[xvii] On verra dans le Séminaire XVI, comment faire virer ce manque à la perte pour désigner un second lieu du
sujet, celui de la jouissance.
ccxxxii[xviii] Cf. notre article, « Horreur du Savoir » in Lettre de Topologie n° 6-7 - 2e série.
ccxxxiii[xix] Le maniérisme correspond toujours à un remaniement de la .... sera l’être de Vérité. (p. 124)
ccxxxiv[xx] Ce que cette géométrie projective introduit comme différence d’avec l’ordre intuitif, c’est que les parallèles
ne sont pas sans se recouper. C’est précisément ce point qui fonde la géométrie projective. Ainsi, la géométrie
projective peut traduire des points en lignes et des lignes en points en obtenant un énoncé aussi valable que le
précédent, c’est ce que nous trouvons dans les travaux de Vappereau et Bertheux avec la notion de « Linegraph »
(Lettre de topologie n° 2, deuxième série).
ccxxxv[xxi] Bibliographie : Cahier du Lycée Logique n° 13
ccxxxvi[xxii] Se rappeler ici le commentaire lacanien du « Cri » de Munsch.
ccxxxvii[i] On se rapportera aux réseaux de « La Lettre Volée », Séminaire II.
ccxxxviii[ii] Relevant de l’axiome dit de spécification, poursuit Lacan sans en dire plus, (SW S) cf. Séminaire XV.
ccxxxix[iii] Où l’on voit l’écriture se muer en une sorte de greffe logique.
ccxl[iv] Comment distinguer « il est vrai qu’il est faux » de « il est faux qu’il soit vrai » par exemple ?
ccxli[v] (Cf. les computers comme retour d’une pensée automate, à ce qu’il nous semble !)
5 Il faut donc distinguer ce qui noue le disque à l’Autre sans figure et ce qui le soude au sujet unilatère, en quoi il
s’impose comme ambocepteur.
ccxlii[vi] On retrouvera ce problème de l’orientation dans la théorie des nœuds et de l’ouverture du borroméen en ses
trois consistances. Une orientation du parcours de lecture y sera nécessaire.
ccxliii[vii] Naissance de la passe, c’est-à-dire de l’interrogation du passage à l’acte analytique.
ccxliv[viii] En ce sens une scène traumatique ne l’est que par sa répétition. C’est là quelque chose que Freud avait
entrevu dès les Trois essais sur la théorie de la sexualité, et qu’il avait désigné de la fonction de retrouvaille de
l’objet perdu, mais c’est aussi ce que Lacan, dans sa topologie du graphe, avait désigné lui aussi sous la forme de
cette topologie du retour qui marque comment une préparation à une signification est préparation de quelque chose
dans son statut logique dernier.
ccxlv[ix] Telle que par ailleurs, nous l’avons démontré dans notre séminaire sous la figure du cône intérieur à propos
des rêves traumatiques. (Séminaire non publié : année 1985/1986, L’Identification)
ccxlvi[x] Bien conforme à notre repérage des topologies du Séminaire.
ccxlvii[xi] La répétition s’avère tenter de renouer ces deux pôles de l’aliénation.
ccxlviii[xii] Figure topologique s’il en est du rapport de certains nombres entre eux Par quoi le nombre harmonique
conjoindrait sublimation et acte !
ccxlix[xiii] Voir article de P. Henry in Césure, « Destins du savoir », 1991 Convention psychanalytique. Également
Marc Darmon, Essai sur la topologie lacanienne, Association Freudienne, 1990.
ccl [xiv] Vidé de la jouissance qui en fait la valeur dans le rapport de l’homme à la femme.
ccli[xv] Cf. Séminaire XVI : Un Autre nettoyé de la jouissance.
cclii[xvi] En quoi consiste la troisième topologie lacanienne.
ccliii[xvii] Autre figure de l’évidement
ccliv[xviii] Il faudrait se demander en quoi l’application du a, de manière interne ou externe sur le 1 et sur le grand
Autre, correspond à l’hypothèse générale de l’introduction de la jouissance comme évidement, et si ne maintenir que
les bords de la structure topologique équivaut à cette mise en place de la notion de mesure, de proportion, de valeur.
cclv[xix] Et justifie du même coup le double statut de a : à la fois objet pulsionnel qui échappe à l’emprise spéculaire et
à la fois principe abstrait de l’incommensurable.
cclvi[i] Cf. Séminaire XII et XIII.
cclvii[ii] L’année suivante, Lacan parlera de désupposer ce savoir à un Sujet dans l’Autre.
cclviii[iii] Tellement sensible dans l’énamoration de l’hystérique pour la défaillance du savant !
cclix[iv] On notera que la conjonction de chacun de ces champs se trouve précédée d’une première opération grosse de
toute la suite à venir puisque une négation affecte d’emblée le choix posé entre chaque partie ou « je ne pense pas
ou je ne suis pas ».
Lacan ne commente pas ce premier pas !
cclx[v] Issu du manque dans la pensée (« je ne pense pas »).
On notera ici que Lacan a bien repéré cette opération croisée qui avait déjà été sensible dans la structure dès les trois
premiers séminaires, qui avait été à nouveau repérée dans les premières tentatives de topologie des surfaces, et que
Lacan inscrit maintenant comme raison de l’opération de la cure.
On remarquera aussi qu’il laisse à l’être (là où c’était) la charge de ce qui outrepasse la non-pensée dans l’ICS aussi
bien que le non-être.
cclxi[vi] En fait, on aurait ainsi pu voir Lacan lui donner un statut, un nom nouveau. Qu’est-ce qui l’a empêché de le
faire ?
cclxii[vii] Lacan prétend qu’Aristote la nommait subalternation d’une proposition par rapport à l’autre.
cclxiii[viii] Trace de la logique quantificatrice.
cclxiv[ix] Dont nous savons la structure fantasmatique.
cclxv[i] Ne pas se représenter soi-même, équivaut donc à ne pas s’auto-désigner dans l’acte d’énonciation.
cclxvi[ii] Lacan prétend tenir une conception du symptôme qu’il a retrouvée dans les textes de Marx. Nous devons bien
avouer que malgré nos recherches à l’époque nous sommes restés Gros-Jean comme devant .
cclxvii[iii] Une note pour prendre une revanche toute amicale sur les nombreuses discussions qui nous ont opposé aux
chers confrères, enclins à réintégrer l’ontologie chassée des plates-bandes analytiques sous la forme d’une présence
de l’objet a visible à travers le monde, indépendamment de son émergence du fait du discours analytique. Sorte de
catégorie universelle que Lacan renie expressément ici.
cclxviii[iv] Toujours ce double jeu possible sur les termes utilisés parfois dans un sens topologique et d’autres fois dans
leur sens mathématique
cclxix[v] Savoir que plus tard, Lacan nommera : moyen de jouissance et qui s’écrit S2, trace portée par le second
signifiant dans cet autre champ que celui du trésor du signifiant, celui de l’Autre de la jouissance.
cclxx[vi] Les conséquences de cette affirmation sont véritablement importantes, elles interdisent pratiquement à toute
classification psychiatrique, par exemple, de déterminer la dimension de sujet ou pas à un individu.
cclxxi[vii] Dans le contexte plus général de notre thèse, est-ce que cette irruption de la logique gödelienne du théorème
de non-complétude a partie liée avec cette interrogation plus générale de Lacan des rapports de la topologie et de la
jouissance ? Ou plus exactement, est-ce que la fonction d’évidement que nous posons comme hypothèse qui soutient
cette logique, cette topologique de l’évidement, cette topologique de la jouissance, est-ce que l’évidement est une
opération qui, au bout du compte, s’avère être homéomorphe à l’opération logicienne de Gödel, type-théorème de
non-complétude ?
cclxxii[viii] Cf. le livre de Recanati, La transparence et l’énonciation, Seuil.
cclxxiii[ix] Est-ce à dire que Lacan confère ici une antériorité au Sujet ?
cclxxiv[x] Ne prenant pas ces «formes» en compte, le formalisme de Russel tentait à faire fonctionner un discours sans
le Sujet, c’est-à-dire sans la fonction de Vérité, ce qui pose la question « que faire alors des erreurs subjectives ? ».
cclxxv[xi] Ce qu’il fera dans l’élaboration des quatre discours. (Cf. Séminaire XVIII).
cclxxvi[xii] Déjà articulé par un G. Bataille avec sa notion de dépense.
cclxxvii[xiii] Du moins avant 1917. ajoute personnelle.
cclxxviii[xiv] Dédoublement qu’explicite l’opération d’aliénation – Vérité articulée dans le séminaire précédent sous
forme tétraédrique.
cclxxix[xv] Voir Lettre Mensuelle n° 7O, G. Morel, « Le Pari et les partis », juin 88.
cclxxx[xvi] Cf. Notre autotomie, op. cit.
cclxxxi[xvii] Voir Lettre Mensuelle n° 7O : Yann Pélissier : « La mesure de a dans la Séminaire La logique du
fantasme.
cclxxxii[xviii] L’honnêteté qu’on dit intellectuelle mais qui « n’est » qu’une éthique nous oblige à avouer que cette
démonstration de Lacan à l’aide du pari de Pascal, nous est restée très peu claire en raison des limitations imposées
par la transcription. Ce travail pourrait cependant trouver une suite dans une reprise des thèses de Pascal, vues sous
l’angle rétrospectif qu’elles doivent démontrer l’évidement de jouissance dans la mesure du 1 par a et que cette
démonstration contient ceci d’imparfait, tenant à la névrose de Pascal, qu’il croit en Dieu.
cclxxxiii[xix] Ce que l’hystérique essayerait de mettre en ordre logiquement à la manière d’un absolu, c’est-à-dire sous
la forme que cela peut prendre pour elle, c’est-à-dire d’un désir insatisfait. Lacan laissant entendre ici que le savoir
qui résulte de cette opération hystérique en voudrait à ce que veut l’homme.
cclxxxiv[xx] CF. F. Baudry, « L’intime », éd. L’Éclat 1988
cclxxxv[xxi] Ce double versant correspond à ce que Freud a isolé dans l’« Introduction du narcissisme » : idéalisation
de l’objet et avatar de la pulsion.
cclxxxvi[xxii] On trouvera son plein développement dans le Séminaire XX, Encore.
cclxxxvii[xxiii] Occasion pour Lacan de montrer que cette complémentation, voire cette supplémentation, s’incarne
facilement chez l’exhibitionniste, lui le défenseur de la foi, tout comme les Croisés pouvaient à leur tour, dans cette
perversion dont Lacan les taxe, rendre libre la place de l’amour courtois civilisé, là où ils avaient vidé les lieux. Ces
deux couples pervers se trouvent dans un rapport de symétrie, eu égard à ce double accent de la supplémentation et
de la complémentation.
cclxxxviii[xxiv] La névrose privilégierait donc la grammaire à la logique.
cclxxxix[xxv] Lacan avait choisi l’exemple de l’otolithe.
ccxc[xxvi] Ce terme reprend, dans la topologie du désir, les mots mêmes que nous proposions pour rendre compte de
l’introjection de l’image spéculaire à partir de l’Autre dans la topologie du miroir : en forme de A cette fois-là !
ccxci[xxvii] Cette dimension e l’écriture dans ses liens avec la jouissance sera plus spécialement développée dans D’un
discours qui ne serait pas du semblant.
ccxcii[xxviii] Le sein, topologiquement parlant, est déterminé par Lacan comme ce qui, dans la demande, est une place
qui a une fonction d’ambocepteur entre l’enfant et la mère, alors que ce qui est le signifié qui résulte de cette
demande, c’est l’objet anal comme déchet.
ccxciii[xxix] Dans le désir aussi, cette impossibilité peut se marquer. En effet, l’exclusion de la jouissance absolue
comme telle ne s’énonce que du symbolique, et c’est pourquoi elle se trouve là, dans son exclusion, désigner la
place du Réel.
* Publié.

ccxciv[i] Lacan évoque la «traduction» d’Anita Lemaire : « l’ICS condition du langage », traduction en langue
universitaire de : « le langage est la condition de l’ICS » !

ccxcv[ii] Bien que non centrée par la logique mais la topologie.

ccxcvi[iii] N’oublions pas que le pas nouveau que Lacan nous invitait à faire dans cette analyse de la jouissance relevait
d’une topologie des surfaces formalisée par une certaine logique.

ccxcvii[iv] Ce qui est une position exactement inverse de celle de la psychose où comme Freud l’a défini avec
l’incroyance, l’Unglauben, on peut dire qu’on a affaire à un «ne rien vouloir savoir» du coin où il s’agit de la
Vérité.

ccxcviii[v] Problème donc pour cette thèse que cette extraction d’un savoir hors la vérité de sa langue maternelle.

ccxcix[vi] Justification de notre hypothèse que Lacan a dédoublé le lieu de l’Autre dans cette topologie des surfaces

ccc[vii] Entropie : récupération de l’énergie perdue par l’introduction de (S1), par la mise au savoir.

ccci[viii] Ainsi en est-il de la période de latence où le désir infantile – tel le désir du maître – se doit, de structure, de
mettre les pouces pour entrer dans la civilisation sexuée humaine.

cccii[ix] Idée qui nous fut mise en cervelle par Fr. Péraldi à Montréal (mai 1991), à la suite de la présentation esquissée
de notre thèse.

ccciii[x] Voici le retour de l’ignorance fondatrice de la réalité du livre I, caractéristique structurale de la fonction du
Père réel !

ccciv[xi] Ce meurtre du Père porté au ventre de l’Autre est-il donc différent d’un S1 ?

cccv[xii] Mais il accepte aussi l’angoisse.

cccvi[xiii] Par où Yahvé est un précurseur de la science !

cccvii[xiv] Cette répétition du Un institue notre dette au langage : quelque chose est à payer, c’est là la forme du
Mehrlust ! D’une part, la science fait surgir de nouvelles choses dans le monde, mais en plus, questionne le fait de
savoir ce que veut dire manipuler le nombre au lieu de manipuler l’Imaginaire. Cette manipulation du nombre
comme tel est la marque de ce que la science a produit sur notre monde de discours, à savoir l’artifice de remettre à
Dieu la garantie de la Vérité et, à partir de là, d’user de cette Vérité de manière logique, de manière formalisée.
Cette formalisation se distingue radicalement de l’univers dans lequel la science a surgi, univers mythique tout
fondé sur les deux principes mâle et femelle. Il en résulte que ce qui fait mâle est devenu l’affect qui étreint le mâle
du fait du discours et qui a un effet féminisant appelé petit a. Inversement, la femelle se déterminera à partir du vide.

cccviii[xv] Les impossibles sont les discours évalués à partir de leur dominante vers la place de l’Autre.

cccix[xvi] A ceci près que la rotation des lettres aux différentes places est bien l’incarnation de cet évidement dans la
structure.

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