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Petits groupes analytiques d'enfants autistes et psychotiques – 14/12/2011

PETITS GROUPES PSYCHANALYTIQUES D’ENFANTS AUTISTES ET PSYCHOTIQUES

AVEC OU SANS TROUBLES ORGANIQUES

SMALL PSYCHOANATICAL GROUPS OF AUTISTIC AND PSYCHOTIC CHILDREN

WITH OR WITHOUT BODILY IMPAIRMENTS

Exposé en 1984 et 1986, publié en 1987 1. Revu et complété en 2011. 15 pages.


Copyright Geneviève Haag

Tenant compte de mon arrière-plan théorique et clinique acquis au cours des prises en
charge individuelles avec des enfants très perturbés, j’ai été amenée à faire des groupes dans une
institution qui reçoit des enfants débiles moyens et profonds, avec toutes sortes de surcharges. Nous
sommes ainsi confrontés, à la fois à quelques enfants présentant des séquelles déficitaires d’autisme
ou de psychose précoce grave, mais surtout à des surcharges autistiques ou psychotiques de troubles
encéphalopathiques variés, certains légers, certains lourds, sans qu’on puisse quelquefois tout à fait
discerner la part du facteur psychotique et celle du facteur organique.
Après plusieurs années d’expériences individuelles, je pensais de plus en plus que l’on
pourrait aussi amorcer un travail en groupe. J’ai donc commencé, dans cette institution, avec une
collègue psychiatre 2 et une collègue psychologue 3, toutes deux de formation psychanalytique, un
certain nombre de groupes. Nous avons mêlé des enfants à forte dominante autiste et des enfants à
forte dominante de psychose symbiotique – j’emploie le terme de "psychose symbiotique" un peu
au sens de M. Malher qui définit ainsi la schizophrénie très précoce, c’est-à-dire une psychose
caractérisée par des tentatives de "rentrer dedans" de manière destructrice : il s’agit souvent
d’enfants à symptômes bruyants, très agressifs et destructeurs, et très agités. Ils étaient mis en
présence d‘enfants autistes, que je n’ai pas besoin de définir, tout le monde s’accordant sur ce terme
pour désigner des enfants réfugiés dans leur auto-sensualité ou dans leurs stéréotypies auto-
érotiques – ou plus exactement auto-sensuelles selon la précision utile de F. Tustin – et
généralement très en retrait et à distance du noyau du groupe.
Ce qui, d’emblée, nous a frappées, c’est l’intensité de l’effet-groupe, même avec des enfants
si perturbés. A titre d’exemples, je peux vous donner deux souvenirs très prégnants qui se
rapportent aux tout premiers groupes que nous avons faits : le premier se situe à la fin de la
première séance, lorsqu’une des fillettes a enfermé le groupe dans un cerceau… Dans la même

1
Exposés faits à l’ANCE, 1984 et 1985, et à la Société française de psychothérapie psychanalytique de groupe en 1986,
publié en 1987 dans la Revue de cette société, n° 7-8, éditions Eres, Toulouse
2
Hélène Seringe
3
Nicole Mazaltarine
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période, les enfants de ce même groupe se tenaient par la main dans les trajets, sans vouloir se
dissocier, même dans les escaliers, tellement ils semblaient ressentir d’emblée l’espèce de chaîne,
ou de "magma", qu’ils pouvaient former.
Un autre groupe, en effet, d’un niveau encore plus primitif (il s’agissait cette fois d’enfants
plutôt organiques à surcharges autistique ou psychotique) s’est retrouvé dans une sorte de mêlée à
tonalité assez maniaque, les enfants s’emmêlant, tombant ensemble en riant dès l’entrée dans la
pièce. Et là, même les enfants à surcharge autistique se trouvaient pris dedans sans pouvoir y
échapper. Ensuite, chacun a pu reprendre sa place.
Ce qui nous a aussi beaucoup intéressées, c’est la manière dont les enfants se situaient dans
la pièce. Les enfants autistes se tenaient, en effet, plutôt entre le noyau du groupe et les murs,
quelquefois collés au mur, quelquefois collés juste à la périphérie du groupe.
En ce qui concerne le cadre utilisé, nous nous sommes installés dans une assez grande pièce
comportant, au milieu, une grande table avec des chaises tout autour, et le matériel de jeu spécifique
à chaque groupe au milieu de cette table ; sur quelques étagères périphériques, il y a aussi un peu de
matériel commun permanent dans la pièce. Mais nous avons surtout pris là le modèle de la thérapie
individuelle pour ce qui est de respecter le matériel individuel du groupe.
Alors que les enfants autistes restaient ainsi en périphérie, les enfants psychotiques faisaient
assez rapidement noyau autour de la table avec beaucoup de comportements d’agression, de corps à
corps avec nous, et aussi des agressions du cadre et des objets. On s’apercevait rapidement que les
enfants autistes étaient bien intéressés, sans pouvoir y participer, par les thèmes d’agression du
niveau oral prédateur déployés par les enfants schizophrènes, - les enfants autistes jouant sans cesse
la stéréotypie de la chute, cela accompagné par eux de beaucoup de jeux avec l’eau. Et l’on
s’aperçoit très vite que tous ces thèmes d’angoisse, encore plus primitifs que les angoisses orales,
intéressaient également beaucoup les enfants schizophrènes.
Si bien que, malgré l’existence de catégories nosologiques différentes, il nous est apparu
assez rapidement que l’on pouvait repérer un noyau commun d’angoisses dont certaines étaient
simplement prévalentes chez les enfants autistes, et d’autres prévalentes dans la catégorie des
psychoses schizophréniques.
Je vais dès maintenant donner quelques exemples qui, pour certains d’entre eux, se
rapportent à des séances déjà publiées dans différents articles.
Le premier concerne une toute première séance d’un groupe, réalisé en cothérapie avec
Hélène Seringe, composé de cinq enfants, dont un grand autiste sans langage, très stéréotypé et
tapant sans cesse contre les murs et contre les vitres ; une fillette autiste, déjà un peu moins
renfermée et qui avait constitué un début de langage en écholalie mais qui restait encore assez

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terrorisée et collée aux sièges, au mobilier. Il y avait aussi une fillette qui présentait un facteur
organique difficile à mesurer, mais qui avait surtout un comportement très destructeur, et dont la
seule préoccupation était de prendre et détruire ce que les autres possédaient à côté d’elle. Une autre
fillette avait un peu de langage, mais elle restait très inhibée ; bien que nettement plus évoluée que
les autres, elle présentait ce que nous appelons un "facteur adhésif" dans la personnalité, c’est-à-dire
un besoin de coller en conformité aux désirs des autres, et de faire les choses en façade, en
superficie ; on sentait, derrière, une grande pauvreté intérieure, et elle apparaissait réellement
paralysée par cette recherche du "Qu’est-ce qu’attend l’autre ? " et "Qu’est-ce qu’il faut présenter
comme façade pour être adéquat, pour être conforme ? " La cinquième était une fillette dont la
personnalité était plutôt organisée sur le registre symbiotique. Tout en étant moins bruyante que
celle que j’ai déjà évoquée, son comportement était cependant assez difficile, mais elle présentait
aussi de nombreux traits autistiques et quelque capacités dépressives, avec expressions alors très
dramatiques, ce qui en faisait la pleureuse du groupe.
Lors de cette première séance, tous les enfants se sont réunis autour de la table, sauf l’enfant
autiste le plus grave qui s’est mis à taper sur les vitres en périphérie et en produisant un bruit
important. Pendant ce temps-là, au centre de la table, nous étions déjà en train de nous
démener avec l’enfant psychotique qui prenait tout ce que possédaient les autres. Mais en fait,
l’ambiance générale restait dominée par ce bruit autistique. Ce même enfant s’était emparé au
passage d’un jeu de marionnettes, et il pouvait abandonner ce "taping" sur les vitres qui,
manifestement, lui permettait de constituer, à partir de certaines vibrations, une sorte
d’enveloppe autistique (au sens de F. Tustin), pour prendre ces marionnettes, les faire tourner
en les tenant par les cheveux, puis les lâcher, et il poursuivait ainsi ce manège, alternance
bruit-faire tourner-lâcher.
Au bout d’un moment, j’intervins pour essayer de faire cesser ce bruit, et je dis (j’appellerai
cet enfant Xavier) : "Xavier raconte qu’il faut taper-taper-taper, faire plein de bruit… sinon
on tombe". A notre grande surprise, cet enfant est venu dans le groupe, s’est glissé sur mes
genoux, puis il a fini par se laisser glisser sous la table. Alors je continue : "Oui, on était
vraiment tombé, comme tombé d’une maman".Je précise qu’en situation de groupe, il est
nécessaire d’interpréter dans le "on" ou en disant "un tel raconte que" jamais "tu fais ceci",
"tu fais cela".
A ce moment précis, Xavier attrape sur la table un camion-poubelle dont il fait basculer la
benne. Je poursuis alors "tomber comme d’un camion poubelle". Puis il se lève, ressort du
groupe pour aller chercher la poubelle qu’il s’emboîte sur la tête pour se fabriquer une sorte de
cage ajourée. Les autres enfants étaient très intéressés, même fascinés, et particulièrement

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l’autre grande enfant autiste, mais aussi l’enfant que j’ai décrite comme très symbiotique-
destructrice, qui s’est mise à bien rire de l’effet comique de l’histoire de la poubelle sur la tête,
ce qui l’a beaucoup détendue. Ensuite, l’enfant autiste est un peu retourné à son "taping" mais
il y restait beaucoup moins longtemps, et naviguait entre le groupe et le mur. A la fin de cette
séance, l’enfant psychotique-symbiotique, que j’appellerai Mélina, s’est précipitée sur les
cerceaux et s’est mise à nous emboîter deux par deux, comme pour matérialiser et représenter
vraiment ce qu’elle semblait ressentir très fort de cette enveloppe du groupe. Cela ma semblé
une étape importante puisque, par la suite, l’enfant autiste, Xavier, que j’ai déjà évoqué,
prenait toujours ce cerceau dès que les angoisses un peu fortes, en particulier des angoisses de
chute, apparaissaient dans le groupe, comme s’il pouvait se servir de cette représentation
proposée par l’autre fillette : il se servait de ce cerceau, manifestement, dans les moments où il
aurait repris ses stéréotypies, c’est-à-dire qu’il avait déjà une idée de contenant, un
représentant matérialisé de contenant qu’il pouvait utiliser au lieu de faire son bruit autistique.
Lors d’une séance suivante, alors que le groupe s’était réuni, ce même enfant autiste, tout à
coup, a jeté au milieu du groupe, sur la table, une marionnette. Les autres enfants se sont
amusés à la faire tomber de cette table. Nous avons donc pu reprendre la verbalisation de ces
angoisses de chute, ceci nous montrant à quel point ce groupe, pourtant si primitif, sans
langage, pouvait comprendre profondément ce qui se jouait, et "accrocher" à nos
interprétations. Quelques séances plus tard, l’autiste s’est allongé tout entier au milieu de la
table, et les autres enfants ont joué à le pousser au bord, le faire tomber, le rattraper, et tout le
groupe s’est mis à participer.
Je vais maintenant présenter un fragment qui me semble illustrer comment les autistes
réussissaient à travailler certaines angoisses orales.
Quelques mois plus tard, Xavier continuait à naviguer en périphérie, mais en prenant
presque toujours dans la main un objet en résonance avec le thème du groupe. Tous les
enfants avaient réussi à nous mettre dans les mains des marionnettes pour nous indiquer un
jeu. J’étais moi-même chargée du personnage maternel, ma collègue tenait un éléphant et la
fillette la plus évoluée avait pris le loup et mimait alors le loup qui voulait tout manger. Cette
histoire nous permet d’introduire un moment de jeu psychodramatique où ma collègue joue
l’éléphant qui va punir le loup en verbalisant : "Est-ce que l’éléphant doit punir ce loup qui
veut tout manger ?" Et elle joue qu’elle punit le loup et, finalement, qu’on le jette par terre. A
ce moment-là, les autres enfants se mettent à protester violemment qu’on ait fait tomber ce
loup et qu’on le maltraite autant.

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Je fais alors le contrepoint et je dis : "qu’il ne faut pas le punir si fort, ce loup …, que c’est
normal qu’un bébé loup veuille manger tout ce qui appartient aux papas, aux mamans". Et
l’on finit par dire que l’on ne punit plus si fort ce bébé loup, tout en l’empêchant quand même
de tout dévorer. Cette intervention a pour effet de calmer le groupe, et pendant ce temps
l’enfant autiste s’est emparé des ciseaux et raconte, en les tenant au bord de son cerceau, qu’il
faut essayer de couper ce cerceau, mais que le cerceau est quand même solide, exprimant là
quelque chose de l’attaque orale du représentant-contenant. Puis, il exprime aussi autre chose -
qu’il rejouera dans plusieurs séances -, il s’agit du fantasme d’un fil qui existerait dans la
bouche, se présentant comme une sorte de lien coupé qui, le plus souvent, pendait auparavant,
jouant ainsi beaucoup de choses entre les ciseaux et ce lien qui est dans la bouche. Nous
verrons cela plus précisément dans une séance qui sera présentée plus loin en détail.
Je vais poursuivre l’histoire pour raconter comment les deux types d’enfants se sont ensuite
fortement réunis, précisément sur ce thème du lien primitif qui est représenté à la fois par
quelque chose dans la bouche et par le cerceau : on pourrait dire que ce sont deux corollaires
de ces tout premiers contenants du "self", et ce qui a pu être expérimenté autour de ce thème,
dans le groupe, nous est apparu très intéressant. Les fillettes les plus évoluées se sont mises à
attacher des barrières à une ficelle, et essayaient de nous les mettre dans la bouche comme
pour tenter d’éprouver qu’on pouvait tenir fortement ces barrières dans la bouche.
Or, un élément très important est justement l’absence de bouche dans l’image du corps des
autistes : il existe souvent une "amputation du museau", il n’y a pas de lèvres, parfois pas de
dents, et seule la langue survit, avec très souvent des stéréotypies de succion de cette langue
tétine. Il s’avérait donc absolument impossible, aussi bien pour le grand autiste dont j’ai parlé
que pour l’autre fillette qui restait toujours très collée, de leur faire tenir quelque chose dans la
bouche sur demande. Nous avons alors pu travailler cette absence de bouche et sa réparation
au travers de cette expérience à l’intérieur du groupe. Il s’agissait, à la fois, de ressaisir
quelque chose dans la bouche, mais aussi de ressaisir quelque chose dans le regard ou avec le
contact du regard. Et, à ce moment-là, l’enfant autiste s’est mis à jouer avec les portes d’une
petite maison dont il se servait manifestement comme représentant de la bouche et du museau.
C’est dans le courant de la deuxième année de ce groupe que nous sommes parvenues à une
certaine restauration, chez les deux plus grands enfants autiste, de cette capacité de saisir avec
la bouche, en même temps que sa dédramatisation, mais en introduisant aussi ce qui a été,
pour nous, une découverte importante : ce n’était pas seulement la morsure, au sens de la
pulsion orale "de planter les dents dedans", qui restait la principale angoisse des autistes, mais
il y avait aussi l’idée de serrer jusqu’à écraser et étouffer. Cet élément nouveau s’est révélé un

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jour où l’un des enfants schizophrènes a essayé de mettre le cerceau autour de la fillette autiste
qui était toujours tellement "collée" : elle a manifesté alors un violent effroi qui se combinait
avec des indices d’étouffement, et ce n’est qu’à partir de l’interprétation de cette angoisse
d’étouffement que cette fillette a pu rentrer davantage dans le groupe, se tourner plus
franchement vers le dedans. Auparavant, elle restait collée, mais toujours collée de côté, en
tangente. Nous avions déjà interprété, plusieurs fois, sans succès, le fantasme de morsure, de
l’attaque orale, et c’est finalement l’interprétation de cette angoisse d’étouffer qui nous a
permis de découvrir ce qui se jouait autour des premières saisies dans les premières
interprétations, en centrant notre intérêt sur le simple fait de serrer qui pouvait poser
problème.
Pour résumer toutes ces indications relevées dans diverses séances, je reprendrai le
commentaire théorique d’une séance déjà publiée (G.H. 1984).
L’enfant autiste collée en tangente avait une stéréotypie verbale très fréquente à cette
époque : elle disait "je roule, je roule… ", qui "glissait" parfois en "je range ", "je rouge"… (Je
deviens rouge…). Cette enfant, je l’appelle Karen. L’autre fillette mi-symbiotique, mi-
autistique que j’appelle Julie et qui était extrêmement pleurante dans toutes les séances, ne
l’est plus comme dans les précédentes. Mais c’est cette enfant-là qui avait fabriqué les ficelles
et les barrières, et qui avait donc fortement contribué au jeu autour de la restitution de la
fonction bouche avec des équivalents de tétine. Alors, on constate que la ficelle rouge et
l’anneau bleu, dont elle s’était tellement servie, ont disparu, et elle commence à se désespérer.
Cette enfant, depuis un certain temps, avait renoncé à ses "objets autistiques" qui étaient des
peignes, des barrières, des voitures. Donc, elle pouvait se mettre à pleurer et à se plaindre du
manque au lieu de reprendre son "objet autistique". Pour continuer ce jeu, on lui reprocure
alors de la ficelle et un autre anneau, ficelle que l’on coupe en plusieurs bouts. Elle fait
accrocher plusieurs barrières le long de cette ficelle, et est très contente. C’étaient ces
barrières qui avaient servi à vérifier l’interpénétration avec la tenue solide par les dents, et
c’étaient les enfants symbiotiques qui avaient inauguré ce petit jeu dramatique très primitif.
Les autistes les regardaient avec beaucoup d’intérêt et de plaisir, mais ne pouvaient accepter, à
cette époque, ni l’introduction dans la bouche proposée par les autres, ni la tenue faite avec les
dents.
Xavier, le premier enfant autiste, s’empare d’un bout de ficelle et va s’allonger de tout son
long sur l’évier, à plat ventre, la tête dans le vide, la ficelle pendant de sa bouche.
Mélina, l'enfant grande symbiotique destructrice, qui était alors très calmée, s’est installée à
dessiner, et manifestement, dessine des ficelles. C’est une enfant qui a atteint un niveau de

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dessin avec des formes fermées, et là, elle dessine toutes ces ficelles qui s’entremêlent, qui
s'enchevêtrent.
Karen, qui avait pris le ballon dès l’entrée, le fait rebondir plusieurs fois sans lâcher son "je
roule", puis elle vient s’asseoir au bout de la table, "de côté", et continue toujours son "je
roule".
Sophie, l’enfant la plus évoluée, retrouve l’image du train qui roule, qui semble se brancher à
la fois sur Julie et Karen.
Xavier, se relève de l’évier, fait quelques "taping" discrets, mais est surtout occupé par la
ficelle dans la bouche. Il passe aussi manipuler la couverture du livre dont l’intérieur est
tapissé d’une image figurant des ballons attachés par des ficelles. Je commente rapidement la
solidité de la couverture, comme la ficelle qui attache les ballons, comme les ficelles qui
attachent les barrières… Tout le monde se réunissait autour du même thème.
Mais l’expression "je roule" de Karen domine toujours le bruit du groupe. Je dis que
Karen, en ce moment, a l’air d’avoir le plus peur de rouler, rouler, si elle décolle de sa chaise
parce qu’elle n’est pas bien sûre de pouvoir garder dans sa tête une bonne ficelle-tétine qui
serait aussi le train solide pour rouler, comme racontent Xavier, Julie avec les ficelles,
Sophie avec l’image, Mélina avec le dessin… Et à ce moment-là, Xavier passe de l’autre côté
du groupe, s’approche d’Hélène, ma collègue, et de moi, met ses deux bras autour de nos
épaules, escalade les genoux d’Hélène, et mime à nouveau de tomber. Je suis près de l’enfant
qui dit toujours "je roule" et pour l’encourager un peu à s’exprimer autrement, je prends un
crayon et je dessine la roulade dans une sorte de grande spirale. Je commente qu’il faut
effectivement toujours rouler sans fin quand on n’a pas un rond comme le cerceau où se
mettre. J’encourage les autres à rejouer l’histoire du cerceau : je dis qu’on pourrait reprendre
le cerceau pour comprendre. C’est à l’occasion de cette séance que nous avons pu comprendre
l’origine des angoisses d’étouffement. Nous avons donc repris le cerceau avec l’aide d’une
autre fillette pour le proposer à Karen, l’enfant collée, qui se met dans cet état de suffocation
et s’arrête alors de dire "je roule" tout en cherchant à se dégager à tout prix du cerceau.
Je dis alors qu’évidemment, si l’on craint d’être écrasé, étouffé par ce cerceau, il vaut
encore mieux rouler tout le temps. Mélina, l’enfant anciennement symbiotique, s’anime en
présence de ce thème. Elle va derrière Hélène et lui met sur la tête un livre ouvert en appuyant
un peu. Je dis que Mélina montre bien qu’il faut mettre dans la tête des images solides comme
une couverture de livre qui entoure les images, et comme le cerceau qu’elle avait elle-même
découvert au début du groupe. A nouveau, elle veut entourer tous les enfants et alors qu’ils se
rassoient tous, Sophie se met à tourner sur elle-même avec une petite voiture dans la main,

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tout en poussant une sorte de petit cri excité au milieu de son tournoiement. Cette même
fillette avait auparavant fait le dessin d’un gros personnage qui rappelait un dessin nommé
"papa", réalisé lors des séances précédentes. Son tournoiement apparaissait alors d’un tout
autre registre, beaucoup plus séducteur, évoquant plutôt celui d’une danseuse, et très différent
d’un tournoiement autistique. Je souligne alors qu’on peut aussi tourner en dansant avec cette
petite voiture-papa. A ce moment-là, Xavier, le grand enfant autiste, revient dans le groupe,
grimpe un peu sur mes genoux et s’installe, le buste bien appuyé sur la table, devant Sophie
qui est alors assise. Mais Xavier s’est mouillé. Sophie touche alors son pantalon, dit qu’il a
fait pipi et, très excitée, elle se met à faire cogner des petites voitures entre elles. Xavier repart
alors à l’extérieur et, manifestement, cette évocation d’ordre plus sexuel (mais qui est
immédiatement reprise dans une scène primitive de cognage de voitures) s’accompagne d’un
mouvement d’angoisse, chaque enfant se réfugiant dans ses stéréotypies : Karen a repris son
"je roule" avec encore plus d’intensité, et Xavier est revenu s’allonger sur la table au milieu
du groupe. Il y avait eu là, manifestement, un risque d’éclatement du groupe, juste après la
scène du cognage des voitures. Alors qu’une enfant s’est levée et a joué quelque chose qui
exprimait "c’est dégueulasse" en jetant violemment le ballon, Xavier s’est mis à faire le loup
hors du groupe. Puis il a pris les ciseaux pour se les mettre entre les dents, et a essayé de
couper la ficelle avec cet ensemble dents-ciseaux. On peut alors affirmer que l’on croyait, bien
sûr, avoir coupé toutes les bonnes ficelles avec les ciseaux-dents quand on s’imaginait être un
bébé-loup, loin du cerceau ; et aussi penser que l’on avait vraiment cassé le cerceau qui est la
même chose que la bonne ficelle dans la bouche, comme s’il s’agissait là d’une crainte de
rétorsion du cerceau qui devenait une sorte de bouche mordante et écrasante par rapport au
thème du loup.
Au travers de ce type de séance, le thème commun se dégage bien, et les enfants sont très
coopérants pour le jouer. Tout se passe sans langage, seulement au travers d’indices (sur les images)
et de mise en jeu de manipulations d’équivalents symboliques ; c’est tout un apprentissage de la
lecture de ces équivalents symboliques primaires qui est à faire (j'appelle équivalents symboliques
les objets représentant d'autres objets avec un minimum de déplacement mais ils sont tout de même
différenciés et donc ne sont pas l'objet. (Ainsi ce ne sont pas les "équations symboliques" de Hanna
Segal, expression dont il faudrait retirer l'expression "symbolique").
Je vais encore présenter un autre fragment de séance avant d’aborder quelques
considérations théoriques.
Il s’agit d’un autre groupe, conduit en cothérapie avec Nicole Mazaltarine, comprenant
une enfant qui est en train d’émerger d’un état psychotique grave : elle a développé un

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langage, et intervient d’autant plus pour les autres enfants qu’elle est alors dans une phase de
grande maîtrise mégalomaniaque de l’ensemble du groupe. Une autre fillette autiste, incluse
beaucoup plus tard dans le groupe, se trouve, elle, dans un état de destructuration et de retrait
assez effrayant, proche de l’automutilation. Ce groupe comporte aussi un petit garçon qui est
un sourd psychotique. Tout en produisant un bruit envahissant, il est très attentif au langage
gestuel, et réussit à participer aux thèmes du groupe.
A cette époque-là, cette collègue avec laquelle je travaillais était enceinte. On évoque
alors, pendant cette séance, son absence prochaine. Il se trouve que, ce jour-là, elle porte une
robe rose, comme la fillette autiste. L’enfant autiste semble se réveiller à la vue de la robe
rose commune, et va se loger sur un petit divan, pendant que le thème du bébé est en train de
devenir le thème central de ce groupe : l’enfant sourd s’est, en effet, mis à installer des bébés
dans de grandes corbeilles, puis il les couvre et les enveloppe. C’est alors que l’autre fillette –
que j’ai décrite dans cette phase de maîtrise, qui a développé un langage et a aussi atteint le
niveau du dessin – intervient en disant : "Je vais aller me mettre mon pull rose". Nous avons
pu interpréter que tout le groupe représentait la maman enceinte avec la robe rose, et tous les
participants étaient à la fois la mère et le bébé dans la robe rose. L’enfant sourd psychotique a
continué à jouer ce thème en s’enveloppant lui-même dans une couverture. Ce thème, très
fort, d’être dans l’enveloppe maternelle à un niveau très primitif, a sans cesse été repris par la
fillette autiste, lui servant en quelque sorte de charnière pour aller un peu moins mal.
La manière dont les enfants ont vibré très fortement à l’évocation de ce thème peut servir
d’illustration clinique à une réflexion théorique, inspirée à la fois par l’expérience de ces groupes et
un certain nombre d’expériences en traitements individuel sur la nature de notre première "peau" et
la nature de ce premier contenant, tout en se demandant qu’elle serait la relation de ce premier
contenant avec l’enveloppe groupale.
Je cite ici le passage d’un texte, non publié, ayant trait à une discussion en table ronde à
l’occasion du centenaire de Melanie Klein. Ma question s’adressait plus particulièrement à
D. Anzieu qui était présent, et je formulais en prenant appui sur ce qu’il dit lui-même : "Il y a
nécessité pour l’appareil psychique, qu’il soit individuel ou groupal, de se constituer une enveloppe
qui le contienne, qui le délimite, qui le protège et permette des échanges avec l’extérieur. Cette
structure, ou, mieux préstructuration, lui est fournie par une des instances psychiques de nature
identificatoire décrite par Freud et précisée par ses successeurs : le moi, le moi idéal, le surmoi,
l’idéal du moi. Il s’agirait d’une identité fondatrice du groupe comme tel, une identité
d’enveloppe… ". ma question était alors la suivante : "Qu’est-ce que l’identité d’enveloppe, qui
vous paraît donc l’instance fondatrice de l’appareil psychique groupal, aurait à voir avec l’identité

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adhésive décrite par E. Bick comme la première enveloppe du psychisme individuel ? " En effet, E.
Bick nous dit dans son enseignement resté oral : "Ce que je souligne, en parlant de cette première
phase, c’est d’en parler au niveau biologique. C’est combattre et survivre pour vivre, et le seul
moyen de survivre à ce premier niveau est de coller, d’adhérer, c’est par là que vous acquérez une
identité. Il ne s’agit pas encore d’une identification, c’est une identité adhésive parce qu’il n’y a pas
encore d’objet : il y a seulement quelque chose auquel vous vous agrippez, auquel vous collez, et
quand vous ne pouvez pas, vous tombez en morceaux. Afin d’avoir une identité, vous devez réunir
tous les morceaux ensemble en collant à l’objet".
Vous connaissez son autre formulation parue dans son unique article sur la seconde peau :
"Le besoin d’un objet contenant qui semble, dans l’état non intégré du premier âge, produire une
recherche frénétique d’un objet, une lumière, une voix, une odeur (cf. toutes les stéréotypies
autistiques qui peuvent en découler) ou un objet sensuel qui puisse retenir l’attention et, partant, très
éprouvé, momentanément au moins, comme tenant rassemblées les parties de la personnalité". Nous
voyons là la description même des phénomènes autistiques normaux et anormaux. E. Bick ajoute :
"L’objet optimal est le mamelon dans la bouche, joint à la façon qu’a la mère de tenir et de parler,
ainsi qu’à son odeur familière".
Je poursuivais ma question ainsi : "Ma propre expérience limitée en matière de groupe,
concernant surtout des groupes d’enfants psychotiques et autistiques, a provoqué chez moi un grand
étonnement sur l’intensité, à la fois de l’effet groupe, et du bénéfice que semblaient en tirer les
enfants. Les enfants autistes m’ont paru faire ressortir justement ce que l’on pourrait peut-être
appeler la composante adhésive de la matrice des groupes, dont les rapports restent à étudier avec
les phénomènes de dépendance que décrit Bion dans les présupposés de base les plus archaïques, la
construction isomorphique de René Kaës (1976) qu’il situe comme "la dimension psychotique de
l’existence groupale, dimension un moment nécessaire dans la construction du groupe"…, et, par
ailleurs, avec les notions d’idéal du groupe, d’illusion groupale et de l’enveloppe groupale dont
parle D. Anzieu. Je faisais également référence aux travaux de J.P. Caillot et G. Decherf dans
lesquels ils essaient d’inclure aussi cette composante de type adhésif autistique dans leur
formulation de la position narcissique paradoxale groupale. En ce qui me concerne, il
m’apparaissait difficile de distinguer le moment de la formation de cette enveloppe des projections
orales qui s’y déposent immédiatement et qui rendent compte des angoisses d’engloutissement, de
dévoration, de morcellement faisant suite aux attaques orales. Or, à la lumière de ces expériences
groupales que je viens de vous relater, seules me sembleraient appartenir à l’autisme les angoisses
de chute, de liquéfaction, et à la charnière de la formation de l'enveloppe sans doute les angoisses de
dépouillement, d’écorchage et d’étouffement.

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Nous avons rencontré fréquemment, dans ces groupes, des thèmes d’arrachage de peau, qui
se manifestaient par une attaque de la peau elle-même, ou des vêtements, ou des napperons sur les
meubles, ou encore d’une petite lame de plastique qui recouvrait les étagères et qui est arrachée
violemment, tout ceci évoquant quelque chose de l’ordre de l’écorchage.
Je poursuivais ainsi le dialogue avec D. Anzieu : "Pour la représentation de cette enveloppe,
D. Anzieu signale que l’appareil psychique groupal recourt généralement à des métaphores tirées de
l’image du corps propre". Chez les enfants que j’ai étudiés, il s’agit aussi de représentations au
niveau géométrique, en particulier cette idée de cercle, de cerceau, qui me semble primordiale ainsi
que les contenants matériels variés comme les corbeilles, les placards et les lits qu’ils utilisent
beaucoup. Au travers des matériaux de groupe, cette première enveloppe, bien avant qu’elle ne se
referme en cercle, m’est apparue d’une tout autre nature : tant qu’elle est en deux dimensions, elle
m’apparaît intimement liée à l’histoire des structures rythmiques. Dans un groupe auquel
participent des enfants autistes qui présentent des stéréotypies rythmées, ou qui indiquent dans leurs
tout premiers dessins, dans leurs premières traces, des structures rythmiques, nous avons pu dégager
que, probablement, l’un des tout premiers contenants était lié à une histoire de rythme. Au cours des
travaux sur la thérapie familiale, à Toulouse, l’équipe de J.P. Caillot a développé une réflexion
autour de grandes oscillations qu’ils ressentent dans la thérapie groupale familiale, et qui leur
semblaient d’un niveau très primitif : des oscillations entre le tout ou rien, des excès représentant
quand même des oscillations vitales pour des structures où les "moi" de chaque personne sont très
désintégrés, et des tentatives pour le groupe familial de trouver un mode de survie dans des
mouvements qui peuvent être apparentés à de grandes oscillations.
Pour ce qui est des groupes, ces mouvements m’apparaissaient appartenir, de plus en plus, à
deux axes de rythme. Lorsque surgissait, dans les groupes, un mouvement de menace d’explosion
du groupe, qui pouvait être un fort mouvement émotionnel provoquant une grande agitation (un
grand mouvement phobique pour certains ou une panique réelle pour d’autres), l’un des membres
du groupe pouvait avoir la capacité immédiate de retrouver cette idée d’un contenant (et j’ai cité le
cas de cette fillette qui courait chercher le cerceau), mais aussi d’autres enfants déclenchaient, à ce
moment-là, des structures rythmiques qui pouvaient être de simples balancements. Ces
manifestations m’ont beaucoup fait réfléchir sur la signification de la rythmie, mais aussi sur celle
des mouvements spiralés tels que les tournoiements corporels, ou les spirales dessinées. Ces
mouvements groupaux, en confrontation avec d’autres matériaux, m’ont permis de mieux cerner le
sens de la giration, déroulement-enroulement d’une spirale qui avait à voir avec les mouvements
d’ouverture-fermeture et les risques claustrophobogènes-agorabogènes : en présence d’une angoisse
claustrophobique, un des enfants allait, par exemple, se mettre à tournoyer dans le sens anti-horaire,

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sens de l’évasement, et ce mouvement devenait si fort qu’une autre fillette prenait une craie pour
dessiner au tableau une spirale, également dans le sens de l’évasement. Si la menace était, au
contraire, que le groupe n’éclate en morceaux, l’un des enfants allait vite retourner dans l’autre sens
comme pour visser ou boucler. Dans les premières traces graphiques des enfants de deux ans, on
peut d’ailleurs repérer un sens qui s’apparente à un mouvement de croissance, de développement, et
un sens qui s’apparente à un mouvement de maîtrise. Pour les enfants de ce groupe, il fallait sans
cesse trouver un équilibre entre les extrêmes de ces rythmes ouverture-fermeture avec, quelquefois,
des rythmes très simples qui représentaient le minimum de contention que l’on pouvait retrouver
quand tout le reste menaçait d’éclater.
Mais qu’est-ce qui permettait ensuite de fabriquer sa propre "peau" à partir de la peau
symbiotique (ou groupale), sans phénomènes d’arrachement lésionnel ? En fait, le fantasme d’un
dédoublement de cette peau commune, en corollaire du dédoublement d’un lien, semble émerger de
nombreux matériaux, individuels et groupaux. Voici une séance qui semble en faire état : "la séance
du gilet bleu".
Ce groupe comporte trois enfants avec deux thérapeutes (G. Haag, N. Mazaltarine. Il s’agit
du même groupe que celui cité précédemment, réuni dans la robe rose) : une enfant
schizophrène de neuf ans (psychose symbiotique, démutisée depuis l’âge de sept ans environ),
un enfant sourd très instable, très agité, très phobique, et une grande autiste sans langage, très
agrippée à ses propres mains, avec un mouvement de balancement incessant d’avant en
arrière. Ce qui se travaille dans la séance que je rapporte est d’avoir un gilet (dessin de
l’enfant schizophrène), un très grand bras droit et un gros bonnet remplis tous deux de la
même substance bleue, plutôt douce, que le gilet ; cette substance remplissant l’oreille droite
et le corps de l’enfant/poupée placée sous le bras droit, un peu comme un cosmonaute près de
sa navette, sans autre lien visible que cette substance bleue commune – représentant
particulièrement l’enveloppe sonore ?
Pendant ce temps, l’enfant sourd s’active à nourrir l’ensemble du groupe, l’enfant autiste
s’assoit près de moi et fait, pour la première fois, un dessin : série de lignes courbes en demi-
cercles, comme des circonférences coupées selon l’axe vertical.
Nous rapprochons de l’idée du gilet/enveloppe la demi-enveloppe dessinée par l’enfant
autiste, que je complète, et l’effet de nourrissage qui passe dans l’enveloppe. L'enfant
schizophrène fait ensuite une série de "portraits " alternativement destructurés/restructurés,
par divers mouvements conflictuels et émotionnels, dont un mouvement d’attente d’un nouvel
enfant dans le groupe, et un très net mouvement de rivalité œdipienne. L'enfant sourd, après
avoir nourri le groupe pendant la fabrication du gilet, semble accroché au thème du visage

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probablement inspiré par le dessin de perte/retrouvaille /de la représentation-visage dessiné


par la fillette schizophrène, le thème du nouvel enfant que le groupe attend, et se met lui-
même dans une corbeille placée à l’intérieur d’une autre corbeille, ayant mis entre les deux
une grosse partie de jouets du groupe et un peu de matériel de dessin, semblant très soucieux
de réunir les deux types d’activité en cours, et réclamant l’union de nos attentions : il faut que
nos deux visages le regardent. L’enfant autiste, pendant la fabrication de la double corbeille et
l’expression de conflits intrapsychiques du groupe, est allée se coller le long d’une paroi,
assise sur un petit divan et bien adossée contre un coussin mural.
L'enfant schizophrène entame un dernier dessin avec un personnage "bien boutonné " avec
des seins et un cercle autour du ventre, un long bras droit tient une "poupée" à bout de bras,
qui se trouve collée à la paroi de la voiture dessinée sous la forme du grand cercle autour de
l’ensemble. On attend papa pour conduire la voiture : il y a donc, là aussi, une double
enveloppe.
Parallèlement à ce dessin, l'enfant sourd sort de sa double enveloppe de corbeilles et
s’installe allongé sur un petit matelas, enveloppé de deux couvertures (il avait précédemment
essayé de s’allonger sur ce petit matelas en se recouvrant, mais il ne s’ajustait jamais bien et
ressortait très vite des couvertures qui semblaient devenir excitantes ou clautrophobogènes).
Cette fois, il semble se trouver bien et l’enfant autiste se met alors à gémir. L'enfant sourd va
immédiatement s’occuper d’elle pour lui procurer le même enveloppement qu’à lui. Elle se
laisse faire, elle aussi pour la première fois, bien installée sur l’autre divan et enveloppée.
L'enfant sourd retourne à son propre divan et mime plusieurs fois, les couvertures parties, le
bébé qui pleure ; nous devons participer à remettre les couvertures. C’est alors la fin de la
séance, et au moment où nous l’annonçons, l'enfant schizophrène prend les ciseaux et
découpe le dernier dessin selon un mouvement spiralé engloutissant (horaire) qui pénètre dans
la voiture, coupe le bras qui tient le bébé collé contre la paroi interne de la voiture, retourne
couper le sein gauche de l’autre côté, puis le bout du pied gauche, puis la roue gauche de la
voiture, remonte couper le sein droit, effleure la tête, puis refait une spire qui, cette fois, passe
juste en dedans des limites du corps du personnage, l’écorchant en quelque sorte, et coupant
finalement un morceau de calotte crânienne (la pensée ?). Ainsi, on a l’impression que la
poupée, restée collée à la paroi de la voiture/mère avec un morceau de lien/bras coupé, a, pour
corollaire, le personnage principal amputé au niveau des seins, des pieds, de la tête, et, de
plus, on peut être primordialement écorché vif. Mais, cette fois, la fillette n’a plus besoin de
partir enveloppée d’un "tablier " : "le tablier de l’éducatrice" qu’elle se fabriquait à chaque

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séance avec une serviette et des ficelles, et qu’elle ne pouvait rendre que lorsqu’elle était
revenue dans un autre groupe, son groupe de vie.
Ce n’est, en effet, que maintenant, plusieurs années après le déroulement de cette séance, qu’il
me semble en comprendre mieux certains éléments. Pourquoi la double corbeille unie par un
matelas d’objets ayant servi d’expression et de relation à l’intérieur du groupe – d’objets
actuellement immédiatement en train de communiquer quelque chose entre le groupe des enfants et
nous-mêmes pendant la séance -, double corbeille ainsi unie en arrière, correspondant à la
réquisition de nos deux visages en attitude d’intense attention ? La suite étant de trouver enfin un
ajustement du corps propre avec un objet support (les matelas), la double couverture étant alors
devant/dessus. Il faut encore être "deux pareils" dans cette situation.
Le personnage bien boutonné, relié par son bras droit à la poupée collée contre la paroi de la
voiture qui doit être conduite par papa qu’on attend, mais qui est sans doute la voiture-maman,
n’est-ce pas l’enfant reliée à l’enveloppe groupale (voiture) par un double (poupée) ? la fin de la
séance, coupant ce lien, coupe l’enfant de sa deuxième enveloppe groupale, représentant
l’enveloppe maternelle primitive (insuffisamment intériorisée, coupure qui déclenche, dès lors, la
spirale destructrice aboutissant à l’écorchage, après être passée par des amputations significatives
(mamelon, pieds, calotte crânienne), probable traumatisme primordial, fixant un fantasme de
naissance dépouillante/écorchante : perte du double jumeau imaginaire placentaire (Bion, Meltzer),
de l’objet d’arrière-plan (double corbeille, matelas), détruisant ou reperdant dans le sadisme oral, ou
ne permettant pas de trouver le visage dont les deux yeux (deux visages) semblaient avoir permis à
la fois d’unifier et de différencier la double enveloppe (peut-être l’individuelle et la groupale,
l’individuelle du groupe des enfants-enfant et celle du groupe maternant parents, combiné – reliés
par toutes sortes de transactions projectives et introjectives : les objets entre les deux corbeilles).
La fillette la plus malade, très autiste, oscillant entre l’entretien de structures rythmiques et
l’affalement sur un coin du divan accolé au mur lui procurant le contact dos-peau, la contenance du
mur étant l'enveloppe commune d’elle-même et du groupe, montre au passage que l’autre
alternative est de n’être plus que la moitié de soi-même, de venir se recoller sur l’hémicorps, et, au
mieux, d’avoir la capacité de "représenter " dans l’hémicercle, que je dois compléter, cette panne
dramatique de la formation du contenant que représente l’état autiste. Mais elle est tout à fait
intéressée et lance un appel gémissant devant le spectacle de celui qui montre qu’on a trouvé ou
retrouvé le matelas et la double couverture, et tous les deux jouent alors au perdu-trouvé/retrouvé-
relevé, auquel nous devons participer.
Je dois préciser que lorsque je parle d’un fantasme de dédoublement de la peau
commune, je me situe ici sur un axe psychogénétique, différent du dédoublement, ou plutôt du

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"doublage" extérieur dont parle D. Anzieu dans le Moi-peau, à propos de personnalités


narcissiques. L’hypothèse que je fais sur l’axe génétique est celle d’un dédoublement normal
de la peau commune permettant la séparation, mais étant également intériorisé en tant qu’objet
primitif à deux feuillets, l’un des feuillets servant au jeu des projections et des traces, et c’est
là que l’identité adhésive normale serait partie de la première "peau" individuelle, autant que
de l’enveloppe groupale, avec persistance probable de zones communes, l’enveloppe groupale
remplaçant ensuite l’enveloppe parentale.
Je reste, avec ces considérations, au cœur du travail essentiel sur les structures
psychotiques et autistiques, les tentatives d’instauration ou de restauration d’un contenant,
d’une "peau" convenable. A ces niveaux archaïques, nous sommes particulièrement, comme
l’expose très bien René Kaës, au travail avec l’image du corps et la nature groupale du
premier appareil psychique, ce qui fait de la technique groupale un instrument privilégié pour
tenter certaines réparations. Outre ce problème basal de la formation du contenant-peau sur
lequel je me suis attardée, nous avons l’occasion de travailler particulièrement les angoisses
afférents au défaut de contenant, le jeu des pulsions orales et anales et leurs angoisses
spécifiques, ainsi que le va-et-vient contenant/contenu dans les clivages précoces, l’intégration
des éléments de la bisexualité précoce, la différenciation des sexes, les relations au miroir, à
l’image, les premiers niveaux de représentation et l’émergence de la fonction symbolique.

PUBLICATIONS CITEES

ANZIEU D., 1981, Le groupe et l'inconscient, Dunod, Paris


________ 1985, Le Moi-peau, Dunod
CAILLOT J.P., DECHERF G., 1982, Thérapie familiale psychoanalytique et paradoxalité,
Clancier Guénaud
HAAG G., 1984, Autisme infantile précoce et phénomènes autistiques, réflexions
psychanalytiques, Psychiatrie de l'enfant, XXVII, 2, p. 293-354
_________ 1985, La Mère et le B0ébé dans les deux moitiés du corps, Neuropsychiatrie de
l'enfance, 33, 2/3, p. 107-114
KAËS R., 1976, L'appareil psychique groupal, Dunod, Paris, p. 9

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