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LES MŒURS ET COUTUMES

DU PEUPLE MALGACHE
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HUGUES BERTHIER

NOTES ET IMPRESSIONS

SUR

LES MŒURS ET COUTUMES

DU PEUPLE MALGACHE

TANANA RIVE

19 3> •

"
PRÉFACE

Lorsqu e M. le Gouverneur G énéral Ca yla m'a coufié la mission de


prépar er uuc étude sur les mœurs et coutum es du peuple -tnalgach«,
il a bienvoulu préciser que ce travail était destiné, plus sp écialement,
au x [on ctionnaires de la Colonie.
J'ose espérer que cette m odeste contribution à la sociologie m alga-
che rel/dra quelques serv ices à ce . qui sont appelés à jou er un rôle
dam le d évelop pcment de c 'Jè °È~6" Australe à laquelle je reste
fid èlem ent attacb é, :IANANAKIVE ~
Les m œurs, les cout u m es 'h, les crOXa ces religieuses des M algacbes
ne se sont pas sensiblement 111 ' ~ . ani que le pays est dem euré à
l'abri des iufluences ex térieures. Mai s, d'un e pm·t, l'a ction des missions
ch r étiennes qui, depuis le début du XIX' siècle, s'est exe rcée princi-
paiement eu lmerina et au Betsileo et , d'autre part, la dislocation des
cadres sociaux consécut ive à la conquête fran çaise et au x ' m esures
.polit iq ues qui J'out suiuic : affrancbissem ent des esclaves sam préjJa-
ration préalable, abolition de la royauté et de l'organisation f éodale,
ont eu pour effet de transformer la vi e religieuse et sociale des in di-
gènes. Cette transformation est plus fo rt emeut accu sée dan s le Plat eau
central babité par une population strictement bi érarcbis ée et soumise
depuis lon gtemps à une discipline sévère, par surcroît très am bit ieuse
et avide d'a cquérir les sciences occidentales auxquelles elle attribue la
supériorité des Européens.
Il fant reconnaître que, cédant un peu trop vite au.x sollicitations
de ces indig ènes, particulièrement séduisants je le reconnais, on a
-8-

prodigué incousid éré ment l'instruction européenne à des sujets qui


n'étaient pas préparés à la recevoir. A Madagascar, comme dans taliS
les pa)'s o ù les nations colonisatrices ont suivi la même méthode, celle
politique, illspirée d'ailleurs par les sentiments les pl liS louables, a
produit IIl1e classe d'iudivtdus désaxés qui ont une mentalité d'anar-
chistes. Leur activité, purement intellectuelle, n'est pas présentement
dangereuse pOlir l'ordre public, mais elle exige IIl1e surveillance atten-
tive, tout ail moins pOlir préserver la masse de la population qui est
encore saine.
Il est [ustc J'ajollter qn'torc éli'e illdigèlle s'est constituée, mais la
vie de labeur paisible qu'elle mène, peut-être trop en marge de la
société malgache, rend SOli illfluellce à peu près nulle.
Quoi qu'il eu soif, ail constate que les autres tribus ont conservé,
à peu près intactes, les mœurs, les coutumes et les croyances de leurs
ancêtres el que, même sur le Plateau central, la populatioll des cam-
paglles a plus évolué eu surjace qu'en projondeur, Tout en [r équeu-
tant assidûment les temples et les églises, elle reste, en effet, fidèle aux
cultes du passé qui continuent à être pratiqués en secret.
Ces considérations 0111 d éterminé le plall de ce travail.
Après une discussion des nombreuses bypotbèscs relatives aux origi-
Iles du peuple malgache, j'ai exposé successivement la vie psychique,
la vie sexuelle, les princituno: éV(:lIemellls de la vie indiuiduelle et,
enfi», la vie sociale des babitants de la Grande Ile.
Si j'ai cru devoir déllelopper pills largement la partie consacrée à la
vie psychique, c'est qu'elle est difficilemellt accessible et gélléralement
fort mal con nue, D'autre pari, sa connaissance est indisbensab!« pour
préciser ce que 1I0llS pou VOliS espérer découvrir de l'âme malgache,
illfillimellt plus complexe '111'011 Ile le croit com munément,
Aussi bien n'est -il pas inntile de donner ici quelques conseils qu'nue
longue bratique des illdigèlles m'aulorise à pr éconiser et qui pourront
are utiles aux personnes à qui ce travail est pills spécialement destiné,
9-

Dans les rapports avec les Malgaches il [aut :


1° Etre armé d'une patience à toute preuue ;
é

2° Ne jamais manifester le moindre emportement, quelqu'irrité que

l'on soit;
3° Eviter les familiarités, le t utoiement, liser de courtoisie, mémc
ponr prononcer une sanction ;

.
4° Ne jamais promettre que ce ue l'on peut tenir; donner sam
délai la récom peuse promise iiPfl impitoyablement la punition
~
encourue ; • TANANAI/IVE ~
5° Qlland 011 désire être l' " eïgné 5/11 une question, lin fait donné,
l-
ne pas s'irriter des écbap patoir Mle-l'imprécision des réponses, mais
s'ingénie~, en variant l'interrogatoire, en paraissant attacher de l'im-
portance à des points de détails, etc., à obtenir ce que l'ail veut savoir .:
6° Eviter de tourner en ridicule les croyances, les usages et les
mœurs, quelque singuliers 011 anormaux qu'ils puissent paraître;
7° Répéter inlassablement ordres ou conseils avec le plus grand
calme, 011 moins apparent, jusqu'à parfaite exécution ;
. 8' Eviter de réprimander publiquement les détenteurs de la moin-
dre parcelle d'autorité, C'est en tête-à-tête qu'il font leur adresser les
observations qu'ils méritent ou lenr signifia une sanction plus grave;
9' Accueillir toutes les réclamations et les plaintes présentées, mais
se garder d'admettre, à priori, leur légitimité. Une enquête approfon-
die s'impose dqns tous les cas, la puissance d'hnagination et l'esprit de
rancune des indigènes étant brodigicn«,
Ne pas perdre de vue que les plaintes écrites, généralement rédigées
par des tiers, n'offrent pas plus de garanties que celles formulées
oralement;
10° Enfin, prêcher d'exemple par une tenue el une conduite irré-
prochables; c'est l'IInique manière de sauvegarder al/X yeux des mal-
gaches le prestige et la snp ériorité de la civilisation européenne.
En terminant, qu'il me soit permis de souhaiter que ce travail
contribue à inciter les [ennes [onctionnaires à observer la vie malga-
- 10 -

che, à noter avec SOil1 les particularités q ui n'auraient pas encore été
signal ées et les utodiiiçations qu'ifs seront amenés à constater. Ils trou-
ve ront dans ces études nn dérivatif salutaire à leurs préo ccupations
p roj cssion nclles et le meillenr emploi des longues soirées de brousse,
g énératrices de ce fâcheux éta t d'âme, bien COUIIU, que 1' 0 11 désigne
sous le no m de « cafard ».
Je p rie, enfin, M. le Gouverneu r Gén éra! Cayla de irouuer ici
l'exp ression de ma proj onde reconnaissan ce pour m'avoir coufi â ce
travail dont la préparation a été pour 11I0i un e biellfaisallte transition
entre la vie active et la refr;ife.
HUGUES BERTHIER,
Go uuerncur G én éral honoraire des colonies.
CHAPITRE 1"

ORIGINE DU PEUPLE MALGACHE

' IL Ede Madagascar est située dans la partie Sud-Ouest de

Il il' ,
-
l'Océan Indien, entre 11° 57' 3" ct 25 ° 38' 55" de latitude
Sud, ct 40° 55' 22" et 48 ° 7' 54" de longitude Est. Elle est
séparée du Continent africain par le Canal de Mozam-
bique qui mesure, dans sa partie la plus étroite, 392 kilomètres. Sa
superficie, 590.000 kilomètres carrés, lui assigne le troisième rang
parmi les grandes îles du monde.
Le nom de Madagascar est cité, pour la première fois, sous la forme
Madeigascar, dans la Relation de Marco Paulo (1298) ; mais il est
établi que le célèbre voyageur vénitien n'a jamais visité la Grande Ile.
Il en a parlé par ouï-dire, sans dou te d'après les géographes arabes
qui I'appelaicnr A l-komr, MOllfaglle (le la Lnuc ; cette dernière déno-
rnination avait été mentionnée antérieurement par Ptolémée.
Il est probable que le nom du petit royaume du Sud-Est, Mafacassi,
cité par le. Père Luis Mariano, dans son « Exploraçâo Portugueza de
Madagt/scar » (1613), ct par d'autres voyageurs: le Père d'Alméida
(1616) : Mafacassi; Cauche (165') Madegt/che, a été appliqué posté-
rieurement à Madagascar.
On sait que les indigènes n'avaient pas de nom pour désigner la
Grande Ile.
Les Portugais qui l'ont reconnue, par hasard, le 10 août 1506, lui
S,\... . '.T\\. ~ '1...
E.,~
- 12 -

ont donné le nom d'Ile Saint-Laurent, la dé couverte s'étant produite


le jour de la fête de ce saint (1).
Flacourt, enfin, dit: « L'Isle Sainct Laurans est par les Géographes
nommée Madagascar, par les habitants du païs Madecase, par Ptolom ée
Memurhias, par Pline Cerné, par l'auteur de la Géographie Nubien-
ne, parIes Perses et Arabes Sarandib : mais son vray nom est Made-
case » (2 ).
Quoi qu 'il en soit, le nom: Mada gascar qui, depuis le XVIIe siècle,
a prévalu, reste in expliqué. On a vainem ent cherché son étymologie
non seulement dans le mal gache mais encore dans les langues austro-
né siennes et bantous (3 ) .
Les recherches sur l'origine des habitants de la Grande Ile n'ont pas
été plus heureu ses. Il est vra i que l'absence d 'archéologie et de docu-
ments écrits antér ieurs à l'arrivée des Europ éens limitent sing u lière-
ment les investigations. La paléontologie a bien révél é l'existence
de l'homme à l'époque où vivaient ces an im au x du quaternaire:
œpyornix, hippopotames, megaladapis... spéciaux à la Grande Ile,
grâce à des incisions sur les os de ces sub- f ossiles et à des fragments

(1) Le poèt e Ca moë ns ;1 pad é en ces term es de l'ami ral T r ist an da Cu nha ct de la
Grande Ile :
« Mais, disait la nym phe , en élevant la voix, que lle lumière im mense vois-je
s'épa noui r sur les flo ts de ela Mer Je M élin dc, rcin rc d u sang des cités Je Lames.
j

d 'Ore et de Brava. C'est Cunha, dont le nom ne s'oubliera jamais sur la mer qui
baigne les îles du midi et les plages dites de Saint -Laurent et célèbres dans [out Ic
Sud », (Lusiade, Canto X, srr. 39).
)-\)3 vér ité , la Gra nde Ile a é té décou verte par un des navi res de. la flotte de
l'amiral da Cunha.
(1) Flacourt : Histoire de la Gra nde Isle Matfagdscrlr. Paris, 166 I.
() ) C ueit : Les otigiues de l'Ile Bourbon d de la colonisation [rançal se de Mm/a-
gascar, Paris, 18 8 8, f ait veni r le nom de Madagascar de Mad ax-Asc hrorct ou Madax-
A st art é qu i, di t-il , « fig urent si bien not re Madagasca r (de Marco Polo ) que nou s
(( n'hésiton s pas à les adopt er, d' au t an t qu'il s do iven t signi fier Ile d'Astarté , éq ui-
«( valen t de T nni -cl-C am ar, terre de la LUlle , et enfi n Ile de T ani t Il. Ce rre citatio n
est donnée à titre de simple c uriosité. Elle rapp elle certaines é tymo log ies f antaisistes
telles que ; m algache tan y, te rre == ==
T ani t ; mal g ach e' nos y , île \'i'HJOs
13

de poteries, mais elle n'a pu, jusqu'ici, découvrir des ossements


humains.
D'autre part, Milne-Edwards, qui a comparé les faunes africaine
et malgache, a démontré que Madagascar ne doit presque rien il
l'Afrique, quant à sa population zoologique.
Plusieurs bibliothèques, en Europe, possèdent bien des manuscrits
arabico-rnalgaches apportés vraisemblablement par les Portugais, tout
au moins pour les plus anciens. Mais ces manuscrits ne sont pas datés
et leur graphie, fort grossière, n'a pas permis de fixer l'époque à
laquelle l'écriture arabe a été introduite à Madagascar. On a pu seule-
ment, grâce à un essai de traduction interlinéaire du manuscrit 7 de
la Bibliothèque Nationale, faire remonter au début du xvi " siècle
l'ancienneté de ce document (1).
B est certain que Flacourt et surtout les lazaristes - les pères
Bourdaise et Nacquarr notamment - ont étudié l'arabico-rnalgache.
Le « Dictionnaire dr la Langue dr Madagascar )1 (Paris [658) et
l' « Histoire dr la Grande Isle Madagascar » (166[), de Flacourt, le
prouvent nettement. Cette étude fut ensuite délaissée. Cependant,
un « Catéchisme abrégé en la langue de Madagascar », publié à Rome
(decretum Sacra: Congregationis de propaganda fide du 22 août [785)
dit, dans son « avis au lecteur» : « Pour atteindre de plus près qu'il
est possible, il la prononciation du Madegasse, qu'on ne saurait bien
écrire qu'en alphabet arabe... )) Cette affirmation est inexacte, car
« l'alphabet arabe» a été une mauvaise acquisition pour toutes les
langues non sémitiques qui l'ont adopté.
Quoi qu'il en soit, en 1823 on n'était pas en mesure, en Europe, de
vérifier la traduction d'un texte arabico-malgache, comme le prouve
la lettre suivante du Baron Silvestre de Sacy au Ministre de la Marine,
dont l'original existe aux Archives Coloniales (Madagascar, carton 13).

(1) G. Ferrand: Un texte arabico-malgache du xvr- siècle, in-notices et extraits


de la Bibliothèque Nationale. Paris, 1904, page 5.
- 14

« Monsieur le Marquis,
« Il m'est impossible de vérifier la traduction de la lettre du prince
« madécasse que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser.
« Les caractères de l'original sont bien des caractères arabes, dont les
« Madécasses ont adopté l'usage et qu'ils tracent fort grossièrement;
« mais le langage n'a point de rapport avec l'arabe et m'est inconnu.
« Je n'ai point connaissance que personne ait jamais expliqué les
« manuscrits madécasses que possèdent plusieurs bibliothèques en
« Europe. Je regrette beaucoup de ne pouvoir pas satisfaire à votre
« demande.
« Je suis avec respect, Monsieur le Marquis, votre très humble et
« obéissant serviteur.
« Le Baron Silvestre de Sacy ».
2 novembre 1823.
Dix années plus tard, E. Jacquet entreprenait l'étude des manuscrits
arabico-malgaches de la Bibliothèque Nationale qui ne fut qu'ébau-
chée (1).
En 1876, Dahle a publié dans l'Alltallallarivo Annual quelques
notes, puis, en 189 r, G. Ferrand commençait la publication de ses
travaux considérables sur I'arabico-malgache,
Depuis, quelques malgachisants : E.-F. Gautier, Jullien et Mondain
ont traduit divers manuscrits Anrairnoro,
Les Européens qui se sont occupés des documents écrits du Sud-Est
deIa Grande Ile ont été déçus de ne pas y trouver les renseignements
historiques qu'il serait, certes, très désirable d'y découvrir. Mais le point
de vue des indigènes diffère totalement du nôtre, - vérité fondamen-
tale que l'on perd trop souvent de vue dans l'appréciation des choses
malgaches - pour les Antaimoro, en ·effet , l'écriture sert surtout à
assurer la conservation des prescriptions magico-religieuses intéressant

(1) E. Jacquet: MélollKCS Malay-Jat lollais et Pol)I,,~sje1lS, in-Journal Asiatique.


février 1833.
-15-

la tribu, le clan, la famille, l'individu. D'autre part, l'écriture est


réputée posséder une vertu magique. C'est pourquoi on ne prête les
manuscrits qu'à des amis sûrs.
L'écriture arabico-malgache était également en usage à Tananarive,
au début du siècle dernier, ainsi que l'atteste le Cahier de Radama l
conservé au Musée du chef-lieu de la Colonie. Nous avons transcrit et
traduit ce document en 19 r 3 ; la guerre mondiale en a empêché la
publication.
Nous avons eu également l'occasion d'examiner un Vocabulaire .
manuscrit ( Français-Madécasse Houve )J, anonyme, de 1822, prove-
nant de la bibliothèque Daruty de Grandpré, - de l'Ile Maurice -
offert à l'Académie Malgache par M. Louis Halais. Ce vocabulaire
donne, en regard de chaque mot français, sa traduction malgache en
caractères latins et en caractères arabico-malgaches, Cette dernière est.
d'ailleurs, la plus correcte.
Il est permis d'affirmer que l'on ne sait rien de l'histoire de Mada-
gascar avant l'arrivée des Européens. Quant aux traditions, générale-
ment sujettes à caution, elles ne fournissent que des indications datant
du XVIII' siècle et encore est-il difficile de faire la part des récits pure-
ment légendaires. Les Malgaches, comme d'ailleurs tous les peuples ne
faisant pas usage de l'écriture, oublient vite. A . Van Gennep estime
que le souvenir d'un fait historique ne se maintient, par la tradition
orale, que pendant une durée de cinq à six générations, soit 15 0 ans,
en moyenne, et ' 200 ans au maximum (1).
Alfred Grandidier, qui a consacré sa vie à l'étude de la Grande Ile.
n'a pas manqué de faire des recherches qui méritent d'être signalées.

( 1) A . Van Gennep : La [or motion des légendes. Paris, 1910, p. 163: « D es


recherches que j'ai entrepri ses sur la valeur historique du folk -Iore, il ressort que le
souvenir d'un fait historique ne se mainti ent chez les coll ecti vités ne faisant pas
usage de l'écriture que pendant une durée de cinq à six générations, soit ISO ans
en moy enne et aoc ans au m aximum ».
- 16-

Il a publié notamment, en '90', un volume in-4' raisin, de 180 pages,


relatif à l' « Origine des Malgaches »,
Après les questions: « D'où sont venus les habitants de Madagascar?
A quelle race appartiennent-ils? il déclare: « l'étude comparée des
« caractères anthropclogiques et physiques, des mœurs, des croyances,
I( des institutions, de l'industrie, de l'architecture, de la langue des

« Malgaches, nous permet aujourd'hui de répondre à cette question ».


Selon l'opinion de A. Grandidier, Madagascar a été peuplée par des
immigrations successives de nègres indo-océaniens ou orientaux, hormis
les familles ' royales et princières de I'Irnerina, qui sont des malais, et
de deux petits groupes ethniques d'origine arabe. Ce qui l'a amené à
cette conclusion, c'est que, pendant ses voyages, il a été « non moins
« frappé de l'unité de la langue parlée dans l'Ile entière que de la
« grande uniformité des mœurs et des traits physiques de la masse
« de la population ».
Il est exact que tous les habitants de la Grande Ile parlent une
même langue. En 1 65 8, Flacourt écrivait déjà: « Pour savoir de quelle
« langue tient la langue de Madagascar, il faudrait être versé en la
« connaissance de beaucoup de langues et particulièrement des orien-
« tales avec lesquelles elle a le.plus de rapport. C'est une langue très
- • « copieuse, laquelle se parle également par toute l'Ile, où il n'y a
.« qu'un seul langage, mais elle est différente en ses accents selon la
« diversité des provinces ) (1).
Ces remarques, fort judicieuses, sont encore d'actualité.
Pour l'unité des mœurs on peut également souscrire à l'opinion de
A. Grandidier. Mais il n'en est pas de même des traits physiques de
la masse de la population, qui sont extrêmement variés. C'est du reste
un fait déconcertant qui explique les nombreuses théories émises sur
l'origine des Malgaches. On ne saurait davantage partager l'avis de

(1) De Flacourt: Dictionnaire Je la Langue de Madagascar. Avertissement.


Réimpression de G. Ferrand, d'après l'édition de 1658. Paris, 1905.
-- ' 17 -

A . G ra nd id ier sur la langue malgache qui est nettement malayo-


polynésienne ou austronésienne, pour employer le terme usité aujour-
d'h ui, et non m&lanésien ne.
La parenté du malgache avec les langues austronésiennes a été signa-
lée, pour la première fo is, p ar le Hollandais F. de Houtman qui a
publié, en r603, des Dialogues et Dictionnaire malais-malgache. Quel-
ques années plus tard le Père Luis Mariano écrivait : « Mais à une
petite d ist ance de cette côte (Côte Ouest de Madagascar, de la Betsi -
boka au Manambolo) de même que dans tout l'intérieur de l'île et sur
le reste des côtes, on ne parle que- la langue bouque (malgache) qui
est particulière aux indigènes et diffère totalement de la langue cafre,
mais qui est très semblable au malais, ce qui prouve d'une manière
presque sûre q ue les premiers habitants sont venus des ports de
Ma lacca )) ( 1) .
Cette parenté du malgache avec les langues austronésiennes a été
scientifiquement établie, en 1865, par Van der Tuuk (2), puis par
Brandstetter et G . Ferrand.
L'étude d'ethnographie comparée à laquelle se livre A. Grandidier
dans son ouvrage précité n'établit pas davantage, d 'une manière satis-
faisante, que les Malgaches sont des Inde-Océaniens. Il est facile, en
effet, de démontrer la parenté de deux groupes humains en faisant la
liste .des ressemblances des caractères g êné r au x de certaines de leurs
mœurs et de leurs coutumes et en négligeant les différences. Il semble
bien que c'est ainsi qu'a procédé A. Grandidier. On a pu aussi lui

(1) Relation du voy age de découverte fai t à l'îl e Saint-Laurent , dans les années
161) -16 14. par le capitaine Paulo Rodri guez da Costa et les Jésuites Pedro Freire et
Luis Mariano. à bord de la caravelle Noise Sonbo ro de Espcrança. Co llec tion des
Ouvra ges anciens concernant Madagascar, t. 2 , page s 2-22 . Paris, 19 04.
(2) H.-N. Van der Tuuk: Cntlines of grammar of malagasy language. In-
Journal Of t he Ro)'dl Asiatie Societ y, 18641 vol 8, part. 2. Reproduit dans Miscella-
neons Papers reiating to l ndo-Cbina. 29 a. séries, vol. r , p. 263-2 86 . Londres, 1887,
Cette dernière publication n'est pas mentionnée dans la Bibliograpbie de Madagascar,
de G. Grandidier, Paris, 1905 .
2
- 18-

reprocher de n'avoir pas toujours indiqué les références aux ouvrages


auxquels il a emprunté les éléments de ses comparaisons. Ces critiques
ne doivent pas, toutefois, faire oublier tout ce que Madagascar doit
au labeur désintéressé de ce savant.
Pour mémoire, il faut citer encore la théorie juive selon laquelle
la Grande Ile aurait; en des temps reculés, subi une immigration juive
assez considérable. Flacourt et Crérnazy, notamment, l'ont présentée
et défendue sans succès. Elle est aujourd'hui périmée.
La théorie islamique, soutenue par Carat et G. Ferrand avec des
arguments plus solides, mérite de retenir l'attention. Il n'est pas dou-
teux, eu elfet, que Madagascar, dans un passé éloigné, mais non encore
fixé, a reçu des immigrants arabes dont se réclament les Antaimoro.
L'écriture arabe, encore en usage aujourd'hui dans le Sud-Est, consti-
tue, il elle seule, une preuve indiscutable. Mais il est certain que ces
Arabes, en petit nombre d'ailleurs, ont été plus absorbés par le milieu
malgache qu'ils ne l'ont influencé. Il faut reconnaître cependant que
leur adaptation de l'alphab t arabe au malgache a été habilement
réalisée, compte tenu des imperfections de ce sytème graphique pour
transcrire les sons du parler de la Grande Ile.
Un grand nombre d'auteurs: voyageurs, ethnographes et même
anthropologistes estiment que la masse de la population malgache
serait composée de nègres africains. La proximité de l'Afrique paraît
être la seule base de cette théorie, par ailleurs indéfendable. Ce n'est
pas la centaine de mots bantous existant dans le malgache qui auto-
rise il établir une parenté entre les langues malgache et bantoue, pas
plus que les trois cents mots empruntés il l'arabe par le français ne
permettent de considérer ce dernier comme une langue sémitique,
d'autant que, dans l'un et j'autre cas, il n'existe aucune identité de
structeur entre les langues considérées.
Voici enfin comment G. Ferrand présente le schéma du peuplement
de Madagascar:
1. - De nombreuses légendes donnent les anciens Vazimba aujour-

--------._--------
- 19-

d'hui disparus, comme tumpu-n-rani ou anciens maîtres du sol, c'est-


à-dire autochtones. Le nom attesté en Afrique Orientale est nettement
bantou et représente un ancien wa-zimba, malgache vazimba. Ils
étaient, dit-on, de petite taille. Il s'agit donc peut-être de négrilles.
II. - Importante immigration de bantous africains antérieurement
à notre ère, dont témoigne un certain nombre de substrats africains
qui se sont maintenus dans la langue moderne.
III. - Importante immigration d'Indonésiens hindouisés venus de
Sumatra vers le II'-IV' siècle de notre ère. Un mot tel que malgache
hetsi-malgache ancien heti « cent mille », Malais keti, « cent mille »,
Sanskrit koti « dix millions » et d'autres encore sont affirmatifs dans
ce sens. Ces Indonésiens modifient le type' somarologique, cultural et
linguistique des nigritiens bantous qui peuplent Madagascar.
IV. - Arrivée des Arabes du VII' au IX' siècle et islamisation des
Malgaches. Ces Arabes venaient vraisemblablement du golfe Persique
et appartenaient au rite sunnite.
V. - Autre immigration de Sumatra nais vers la fin du x' siècle.
Je tiens les Wakwak pour des Indonésiens occidentaux et je m'en
expliquerai plus tard. Le livre des Merveilles de l'Inde (édition Van
den Lith et traduction de M. Devie) signale une campagne de piraterie
de ces Wakwak en 334 (945) dans l'Océan Indien occidental. Il est
vraisemblable que nous avons affaire 1 à la migration dont Ramini,
« le Sumatranais » ou Rarninia, « la Sumatranaise » est le chef. Son
fils aîné Ra-Hadzi donne naissance à la tribu des Zafin-dRamini,
« les descendants de Ramini », de la côte sud-orientale de Madagascar.
Le fils cadet, Ra-kuba, s'enfonce dans l'intérieur de l'île, atteint le
plateau de l'Imerina où il épouse une femme vazimba. Ra-kuba est
l'ancêtre des Huva qui portent son nom.
VI. - Arrivée de Persans de la secte des Duodecimains postérieu-
rement au règne de Ali al-Rida qui règne de 18} (800) à 202 (818).
VII. - Arrivée d'autres Arabes sunnites sous le règne du khalife
abbaside al-Musta'sim, vers le m~ili
,
; TANANARIVE #
c-1-,
.
:~, ... • (>,,1' siècle de notre ère.

'"
....~
"'.e ,"'C"
- 20-
.

Cette théorie est au premier abord fort séduisante, mais eUe repose
sur des hypothèses, basées presque uniquement sur la linguistique -
donc sujettes à révision -les recherches philologiques dans le domaine
austronésien étant encore très loin d'être épuisées.
Il faut dès lors conclure que l'origine des Malgaches reste mysté-
rieuse.
Unfait est acquis: la langue malgache apparrient incontestablement
à la famille des langues austronésiennes, mais il est présentement impos-
sible de préciser à quel idiome die est le plus étroitement apparentée.
Il est également établi que le vocabulaire malgache renferme des mots
empruntés au sanscrit, en plus grand nombre qu'on ne l'avait cru
d'abord; cinquante-cinq, en effet, ont été identifiés.

l m portance numérique de la population


Le chiffre de la population indigène de Madagascar estimé de
800.000 (Flacourt) à 4-000.000 de personnes (Sibree) est aujourd'hui
plus exactement connu.
Les résultats des derniers dénombrements officiels sont les suivants:
Année 19°° .. . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2.242.443
190~ . 2.693.36~
1909 . . . . '. . . . . . . . . 2.946. 236
19 21 . . 3·2~I.406
19 26 3,467. 688
"
--- 193 1 . . " 3. 60 2.973
(Ces chiffres ne comprennent pas la population de l'archipel des
Comores).
Les chiffres accusés par les recensements de 1900 et de 190~ sont
manifestement inférieurs à la réalité, en raison des conditions défec-
tueuses dans lesquelles ont été effectuées les opérations des dénombre-
ments considérés.
La population malgache est très inégalement répartie sur le terri-
toire de la Grande Ile. La densité qui est, pour l'ensemble du pays,
- 21-

de 5,84 par kilomètre carré, varie entre 25,93 pour l'Imerina et 0,78
pour le Menabe.

El émeuts de la population

La population indigène de Madagascar est répartie communément


en dix-sept tribus qui sont, par ordre d'importance numérique:
Merina . 9 [ 6.682 personnes
Betsileo . . . . . . 49 6, 77 2
Betsimi saraka . 4 35· [ 9°
T anala (r ) . . . [7°·P7
Bara . . ' . 16 5. [ 80
Antandro y ( r ) . 16 5.° 7 2
Anta isaka ( [). . . . . . . . . . . . . . . . .. . .. 160· 5[7
T simihet y . 154- 106
Sak alava .. . . 147.0 [6
Antaimoro . [ 22.7 26
Mahafaly . 9 1. 87 0
Antanosy . 7°. 16 9
Sihanaka . 61. 67 8
Antankara . 4°·3 7 °
Antaifasy . . 28·4[ 0
Bezanozano " . 24. 632
Antarnbahoaka , ' . 7 ·47 5
(Ces chiffres résultent du dépouillement du recensement quinquen-
nal de [ 921 ; ce travail n'a pas été fait depuis ).
Les Merina - improprement appelés Hova - occupent la partie
centrale de Madagascar autour de Tananarive, D epuis le XIX' siècle

(1) Le préfixe malgache ta, que l'on trouve dans un cer-tain nombre de noms de
tribus, est identi que au préfixe Tagal t aga. Da ns l'une ct l'autre langue, il sig nifie :
habitant de...
- 22-

ils ont essaimé dans toute l'Ile et on en trouve un peu partout aujour-
d'hui.
Les Betsileo sont également établis sur les Hauts-Plateaux, au Sud
des Merina. Nombre d'entre eux ont émigré sur la côte Ouest.
Les Betsimlsaraka peuplent la côte orientale, de la presqu'île de
Masoala à la rivière Sakaleona.
Les Tanala vivent dans la région forestière de l'Est, de la haute
vallée du Sakaleona, au Nord, à celle de la Mariranana, au Sud.
Les Bara occupent le vaste plateau qui s'étend du Tsimandao au
cours inférieur de l'Onilahy.
Les Antandroy vivent dans l'extrême Sud de l'Ile, entre les rivières
Mandrare ct Menarandra.
Les Antaisaka occupent la partie côtière du Sud-Est, entre la Mana-
nivo, l'Iavibola et l'Itomampy.
Les Tsimihety habitent le centre du Nord de l'Ile, entre l'Ankarana
et la lisière occidentale de la forêt de l'Est.
Les Sakalava s'étendent sur la côte Ouest du Sarnbirano à l'Onilahy.
Les Antaimoro peuplent les bassins inférieurs des rivières Matira-
nana, Faraony et Namorona, dans le Sud-Est.
Les Mahafaly ont leur habitat dans l'extrême Sud, entre le Mena-
rand ra et l'Onilahy.
Les Antanosy habitent le Sud-Est de l'Ile, entre le Mandrare ct
l'Océan Indien. Des clans ont émigré au début du siècle dernier dans
le bassin moyen de l'Onilahy.
Les Sihanaka peuplent les rives du lac Alaotra.
Les Antankara occupent la pointe Nord de l'Ile jusqu'à la rivière
Sarnbirano.
Les Antaifasy sont établis sur le littoral sud oriental, entre la Mati-
tanana et la Mananara.
Les Bezanozano occupent la vallée du Mangoro, entre la forêt de
l'Est et la falaise qui limite le plateau central.
-23-

Enfin, les Antambahoaka vivent dans la basse vallée de la rivière


Mananjary.
Il existe, en outre, 40.450 Makoa répartis sur le versant Ouest de
l'Ile. Ils sont les descendants des esclaves nègres apportés de la côte
orientale d'Afrique, par des boutres ara~ et indiens, à une époque
récente. Par un kabary du 20 juin 1877, Ranavalona II affranchit ces
esclaves, désignés également sous le n\lm de Masombika.
Les Vazimba qui auraient été, d'après la légende, les premiers
habitants de Madagascar, ne forment plus de groupements autono-
mes. Selon les « Tantara ny Andriana » (1), les Antehiroka, fixés à
5 kilomètres à l'Ouest de Tananarive, sont des descendants de Vazimba.
Ceux signalés par Drury en 1716, dans la vallée du Manambolo, et que
A. Grandidier a vus dans la même région en 1869, semblent aujour-
d'hui englobés par les Sakalava auxquels ils s'étaient joints au XVIII'
siècle, lors de la conquête du Menabe.
De même que la langue malgache est UNE dans toute l'Ile, les 1
tribus de Madagascar ont un fonds commun de coutumes présentant,
il est vrai, des différences dues aux contingences et à leur degré inégal
d'évolution.
Cette unité a frappé les explorateurs de la Grande Ile qui n'ont pas
manqué de la signaler, parce qu'elle était inattendue chez une popu-
lation offrant des traits physiques infiniment variés.

.. i = 7-

(1) Documents historiques d'après les manuscrits malg aches cn bogue malgache,
Antananarivo, 1875.1881. Réédité par l'Académie Malgache. Tananarive, 1908.
CHAPITRE II

VIE PSYCHIQUE

vANT d'aborder l'objet principal de la présente étude, quel-


l.
II ~ ques recommandations de la plus haute importance s'im-
posent. .
Il est indispensable de se garder de la tendance, malheu-
reusement trop courante, de prêter aux indigènes nos manières de
concevoir et de raisonner. On n'a pas le droit, en effet, d'attribuer à
l'ensemble de l'humanité, sans considération d'âge ou de civilisation,
nos idées d'Européens adultes. .
Il est également essentiel de ne jamais perdre de vue que l'indigène
n'a pas la moindre idée de la précision telle que nous la concevons.
C'est ainsi que les notions de temps et d'espace lui échappent. Jusqu'à
une époque récente, les plus avancés se contentaient d'un cycle de
ept années dont chacune portait le nom d'un jour de la semaine,
après quoi on recommençait, sans relier le nouveau cycle au précédent.
our la masse, le retour périodique des saisons, et plus particulièrement
de certains travaux agricoles, suffisait. Aujourd'hui encore, dans les
campagnes, le Malgache à qui on demande de fixer l'époque d'un
•vénement passé répond: « On a planté tant de fois le riz depuis
ors », et il fait précéder cette indication de l'inévitable « tokony »,
i peu près, environ.
Le nombre des indigènes qui ignorent leur âge est encore, à l'heure
ictuelle, considérable. •
En voyage, il est impossible d'obtenir la moindre approximation de
- 26-

distance entre deux localités. La classique unité de temps, il/dray


mabamasa-bary, le temps nécessaire à la cuisson du riz, est infiniment
élastique.
Les Malgaches, comme tous les demi-civilisés, sont incapables de
déduire un raisonnement de la même façon que nous. Au lieu de
procéder par raisons logiques, ils procèdent par impulsions. La rela-
tion entre l'effet ct la cause leur échappe souvent. Ils ne font pas
toujours une distinction suffisante entre le sujet ct l'objet.
Les notions de vrai et de faux ne s'imposent pas davantage à leur
esprit; d'autre part, la politesse exige que l'inférieur réponde au
supérieur dans le sens qu'il pense devoir lui être agréable. Il faut
admettre, dès lors, que la réputation de menteurs ct de fourbes que
leur ont faite les Européens n'est pas tout à fait justifiée.
Les indigènes, d'ailleurs, sont dou és d'une imagination prodigieuse.
Sur un thème favori, ils brodent à plaisir. Ils parlent d'abondance
pendant des heures et discutent volontiers, mais toujours avec cour-
toisie. Leurs discours, généralement très longs, sont émaillés de pro-
verbes; les lieux communs, les clichés y abondent pour le plus grand
plaisir de l'auditoire.
Il est indispensable de signaler encore que l'individu n'a pas, psycho-
logiquement, d'existence autonome. Il fait obligatoirement partie d'un
groupe dont il partage les croyances. Il semble que les consciences
individuelles soient fondues dans une sorte de conscience sociale. L,
. nouvelle génération, et plus spécialement les jeunes gens qui préten -
dent représenter l'élite intellectuelle de la Grande Ile, peuvent sembler
faire exception à cette règle. En fait, il n'en est rien et il suffit que
survienne une calamité pour constater qu'ils ont gardé l'âme de leur.
ancêtres. Tout cela est, d'ailleurs, parfaitement logique quand on sait
l'importance des facteurs psychologiques tels que la race et le.
croyances, dans l'évolution des peuples.
Cependant, on constate aujourd'hui chez les tribus malgaches le.
plus développées une tendance marquée à l'individualisme. Notre
- 27-

action depuis plus d'un quart de siècle l'a certainement déterminée.


Ainsi le fokon'olona, expression d'un certain état social, est présente-
ment vieilli et ne subsiste qu'artificiellement. Au reste, on a tout fait
pour le dissocier, plus d'ailleurs par ignorance que de propos délibéré.
On a agi de même en Extrême-Orient et t outes les tentatives destinées
à faire revivre la commune annamite semblent avoir été infructueuses.
C'est que ces institutions faisaient partie d'une organisation sociale
fortement hiérarchisée que nous avons laissé entamer.
A Madagascar, la décadence du fokon'olona a été précédée d'un
affaiblissement de la puissance p aternelle dans la famille. Il y a là une
relation évide"nte.de cause à effet et non une simple coïncidence.
Ces quelques observations, très générales, expliquent le malentendu
fondamental qui existe entre Malgaches et Européens. Le nouveau
venu dans la colonie, par ses lectures et ce qu'il a pu apprendre des
uns et des autres, s'est fait, généralement, une idée f ausse de l'indigène.
Pour ceux fixés depuis longtemps dans le pays, les Malgaches sont
ou des brutes stupides et paresseuses don,t on ne tirera jamais rien
ou des êtres parfaits à tous égards. A la vérité, les indigènes son t des
hommes ayant les qualités et les défauts inhérents à l'espèce humaine,
mais qui, contrairement à ce que leurs manières pourraient faire croire,
ne se livrent presque jamais, même entre eux. II nous est arrivé maintes
fois de demander à de très vieux amis malgaches, ayant toute confiance
en nous, Ce que pensait tel de leur compatriote d'un fait donné. La
réponse a toujours été régulièrement la même: « Vous les Vazaha,
êtes francs et sans détours et l'on connaît votre pensée aisément, mais
nul ne sait ce qu'il y a dans le cœur des Malgaches » (1) ..

(1 ) C'est exactement ce que des indi gènes de IJ région de Tuléar avaient dit, en
184 31 à Guillain « qu'il s ignoraient cc qu'il y avait dans le cœ ur des autres [indi-
gênes) et que chacun avait son esprit ». Guill ain: Docum ents sur l'Histoire, la
Gêograpbie et le Commerce de la partie occident ale de Madagascar. Paris" i8451
page H7.
- 28-

Chez les demi-civilisés, les phénomènes SOCiaux ont un caractère


religieux. Dans les sociétés primitives, en effet, l'individu n'est pas
encore différencié de la collectivité et il agit et pense comme tous les
membres du groupe auquel il appartient. Tous les actes de sa vie ont
un caractère obligatoire, rituel. Mais il arrive que les croyances cessent
d'être imposées ou se dissimulent quand, par exemple, un chef converti
au christianisme exige de ses sujets l'abandon de la religion ancienne.
C'est ce qui s'est passé il Madagascar, en 1869, il la suite de la conver-
sion de la reine Ranavalona II. Même en ce cas la plupart des pratiques
subsistent, comme il est facile de le constater aujourd'hui encore.
Ces pratiques relèvent de Yanimisme et des tabous, facteurs essen-
~iels de la vie religieuse, partant sociale, des Malgaches.
Qu'entend-on par animisme ?
L'allimisme est la théorie des âmes. L'homme prête une âme aux
animaux, aux plantes, aux rochers, aux lacs et aux cours d'eau, aux
phénomènes tels que le tonnerre et l'éclair.
On peut dire que tous les enfants sont animistes, car ils peuplent
les êtres et les objets qui les entourent d'une vie et de sentiments
semblables aux leurs,
L'idée d'âme a été suggérée il l'homme par la double vie qu'il paraît
mener il l'état de veille' et pendant le sommeil. Certains phénomènes
pathologiques tels la syncope, l'extase, la catalepsie ont confirmé cette
.croyance. Pour le demi-civilisé, l'âme est une chose matérielle qui
peut abandonner le corps et le réintégrer ensuite. Ainsi les Malgaches
sont persuadés que, pendant le sommeil, l'âme quitte le corps; aussi
se refusent-ils il réveiller une personne endormie, de peur que l'âme
de cette personne n'ait le temps de réintégrer le corps qu'elle a
momentanément quitté, ce qui entraînerait la pire calamité. S'ils sont
contraints par un ordre formel de réveiller un Européen, par exemple,
ils laisseront tomber un objet sur le plancher ou provoqueront un
bruit quelconque afin d'éveiller le dormeur, sans intervenir directe-
ment. Ils auront ainsi obéi il l'ordre reçu, tout en respectant leur
29 -

croyance. Bien des compatriotes qui fulmi~ent contre leurs domes-


tiques qui, malgré leurs recommandations, ne les ont pas réveillés à
l'heure dite, seraient plus indulgents, s'ils connaissaient la raison de ce
qu'ils attribuent à la négligence.
La croyance à la séparation de l'âme et du corps pendant le sommeil
a conduit les Malgaches à considérer la mort comme un phénomène
identique, mais de durée indéfinie. Pour eux, les âmes des morts ont
conservé les sentiments, sympathies et anthipathies, amours et haines
ainsi que les besoins du temps de leur existence terrestre. C'est pour-
quoi on leur sacrifie des animaux: bœufs, moutons, coqs. Les offrandes
de miel, de riz, de rhum, de vêtements et même d'objets mobiliers que
l'on peut voir sur les tombeaux sont destinées à apaiser les âmes irritées
ou à les rendre favorables. Les danses lascives de jeunes filles sur les
tombeaux, chez les Antaimoro, ainsi que les statuettes existant sur
les monuments funéraires sakalava et mahafaly, dont les sexes sont
fort accusés, ont pour objet de satisfaire les âmes des morts.
Ces croyances ont donné naissance au culte des ancêtres, qui consti-
tue la manifestation fondamentale de la vie religieuse des Malgaches.
T'abou est un mot polynésien qui signifie ce qui est soustrait à
l'usage courant. Par exemple, un arbre que l'on ne peut ni toucher ni
abattre est un arbre tabou.
L e mot la bou e aujour d'h Ë,....
011 est ener'9. ent adopté pour désigner
l'interdiction r~ligieuse. i- :t"'.f"'.t,bZ ~
"''t{
Le caractère distinctif du 11· est e l'interdiction qu'il com-
4'h ..,"
porte n'est pas fondée sur une rai ordre pratique, elle n'est pas
motivée et la sanction est, généralement, une calamité, maladie ou
mort.
Les sociologues ont démontré l'existence et l'importance du tabou
chez tous les groupements humains de développement intellectuel
équivalent. Salomon Reinach a fort justement dit que « le passage
30 -

« du tabou à l'interdiction motivee, raisonnée, raisonnable, c'est


« presque l'histoire du progrès de j'esprit humain II (1).
A Madagascar, le mot Imly (2) répond exactement à ['idée de
tabou, L'importance des lady a d'abord été signalée à l'attention des
Européens par H.-P. Standing. Ce missionnaire a publié dans.1'Allta-
nanarit/o A1I1mai de 188) une première étude: « Malagasy lady»,
qu'il a complétée dans le Bulletin de l'Académie Malgacbe (année
1904, volume III, fascicules 2 et 3). Elle est accompagnée d'une liste
de 1.768 fady de l'Imerina. Mais l'ouvrage capital sur la matière est :
« T'abou el Totémisme à Madagascar », de A. Van Gennep.
Voici en quels termes ce savant ethnographe a situé le rôle et l'im-
portance du fady dans la Grande Ile: «' Le tabou est un des éléments
fondamentaux de la vie sociale et individuelle des habitants de Mada-
gascar: ilrègle l'existence quotidienne du roturier, du noble, du chef,
de la famille, de la tribu entière même; il décide souvent de la parenté
et du genre de vie de l'enfant qui vient de naître; il élève des barrières
entre les jeunes gens et limite ou nécessite l'extension territoriale de la
famille; il règle la manière de travailler et répartit strictement l'ou-
vrage ; il dicte même le menu; il isole le malade, écarte les vivants du
mort; il conserve au chef sa puissance et au propriétaire son bien;
il assure le culte des grands fétiches, la perpétuité de forme des actes
rituels, l'efficacité du remède et de J'amulette. Ainsi le tabou joue à
Madagascar un rôle important dans la vie religieuse, politique, écono-

(1) Salomon Reinach: Orpbclls. Paris, 1914.


(2) Fady ou faly, chez les tribus du Sud et de l'Ouest parlant des dialectes dits
à liquide, parce qu'ils emploient la consonne L dans les mots où les autres utilisent
la dentale D.
Faly, équivalent étymologique du Malais pcrnali, illicite, défendu ct du Dayak
pali, signifie: sacré, défendu, prohibé, illégal (Dier. Weber Bourbon, 180) j absti-
nence, fasting, prohibition , unlaw, fulness, incest, anything taboced [Dier, Ri-
chardson, Tananarive, 1885) j ce qui est sacré, défendu, prohibé, illégal , incestueux
(Dier. Malzac, Tananarive, 1888).
- 31-

mique ou sexuelle; partout il intervient, en quelque sorte comme un


régulateur » (1).
- II est malaisé d'expliquer le mécanisme psychologique des fady.
Nous allons cependant tenter de l'exposer aussi clairement que possible.
Comme tous les hommes, les Malgaches se sont efforcés de compren-
dre les phénomènes de la vie ambiante. Mais un point de départ erroné
et de fausses applications du principe de causalité les ont conduits à
des conceptions qui nous semblent bizarres, souvent même absurdes.
La croyance à la contagion des qualités spirituelles et matérielles,
que l'on constate d'ailleurs chez tous les demi-civilisés, apparaît nette-
ment dans l'expression malgache arctin-tobina (litt. maladie par
contact) que le dictionnaire de \Veber définit: « Impureté légale ou
maladie supposée contractée par le contact d'une nourriture ou d'un
animal impur, comme le serpent, le caméléon, etc. L'impureté acquise
au contact des morts est appelée bisa ».
D'autre part, il est une notion d'une très grande importance, celle
de basina, qu'il est essentiel de bien posséder. "
Hasina est défini par les lexicographes: « Vertu intrinsèque ou
surnaturelle qui rend une chose bonne et efficace; la vertu, l'efficacité
d'un remède, la vertu des amulettes, la sainteté de quelque chose ».
Pour les Malgaches, le basina est plus exactement une puissance extra-
naturelle, immatérielle, qui agit de toutes sortes de manières, soit pour
le bien, soit pour le mal, et dont l'existence n'est pas mise en doute
parce que l'on Ch subit les effets.
Les lady sont basés essentiellement sur les notions de contagiosité
et de basina,
En étudiant attentivement les lady on constate que la croyance de
l'action du semblable sur le semblable a déterminé toute une série
d'interdictions que l'on classe sous le nom de lady symbatbiqnes.
Exemples: Il est lad y pour une femme enceinte de manger la peau

(1) Arnold van Gennep: Tabou et Totémisme à Madagascar: Paris, 19°4, page 1%.
- 32-

des aliments, car elle se reproduirait sur la figure de son enfant; ou


encore de manger des mûres de ronces ou de mûrier, car son enfant
aurait sur les joues des taches semblables. Nous retrouvons ici les
envies des femmes d'Europe. Il est également [ady pour une femme
enceinte de se moquer d'un enfant ou d'un objet de vilaine apparence,
car son enfant serait semblable à ce qui a provoqué ses moqueries.
Il est lady pour une femme enceinte de manger de la viande d'une
vache morte en vêlant, car elle mourrait après son accouchement. Il
est lady de regarder dans un tombeau où aucun mort n'a encore été
enseveli, ce serait s'exposer à une mort prochaine. Pour le guerrier
sakalava du Menabe, la vue du sang humain provoquerait la perte de
son propre sang, aussi doit-il s'abstenir de toute relation sexuelle avec
une femme ayant ses règles.
Van Gennep a exposé qu'un grand nombre de lady s'expliquent
par une extension du concept d'anormal. Il n'est pas douteux que chez
les Malgaches cette notion joue un très grand rôle. Elle s'accompagne
généralement de crainte. La naissance de jumeaux, les éclipses sont
pour eux des phénomènes extra naturels, toujours redoutés. .
A cette crainte de l'anormal s'ajoute celle du nouveau, de l'étrange,
simple nuance d'ailleurs de l'anormal, et qui est fréquente dans nos
campagnes. Autrefois, à Madagascar, le cheval et le lapin, alors
récemment imporrésv .étaient lady, puis le tabou disparut.
Selon Van Gennep on peut classer parmi les [ad y du nouveau ceux
qui, dans certains cas, interdisent l'emploi du fer dont l'usage est rela -
tivement récent, puisque la tradition Merina attribue au roi Andria-
manelo (moitié du XVI' siècle) l'utilisation de ce métal.
L'article 6 du Code des 305 articles (1881) ain;i conçu: « Si une
(( personne en frappe une autre avec un instrument en fer, sans
« toutefois la tuer, elle sera mise aux fers pendant un an il, et la
prérogative dont jouissaient les nobles, condamnés à être mis aux fers.
de ne pouvoir être enchaînés avec des chaînes de fer, mais seulement
avec des cordes de soie, paraissent confirmer cette théorie. Cependant
33 -

il faut admettre de préférence, se basant sur l'expression proverbiale:


« an'ny Andriana ny vy » (le fer est au Souverain), que ce métal a
un caractère basina, comme le souverain lui-même (1).
Aussi bien l'or et l'argent possèdent également ce caractère. Fla-
court a donné au sujet de l'or les détails suivants: « Ils (les Malga-
« ches) adorent une troisième puissance sous le nom de Dian Mananh,
« c'est-à-dire le Dieu des richesses qu'ils reconnaissent par l'or, lequel,
« quand ils le voyent ou le tiennent, ils le passent par dessus leur teste
« en grande révérence, le baisent et mesme il y en a plusieurs qui
« croyans avoir commis quelque faute trempent une menille d'or
« dans un gobelet plein d'eau, et boivent cette eau; et par ainsi ils
« croyent leur faute estre pardonné (2) », Cette dernière pratique
est une levée d'interdit caractérisée: le basiua de l'or est censé agir
pour éviter la sanction d'une violation de [ady,
Aujourd'hui encore l'QI" est employé, dans les ordalies, chez les
Antaimoro et chez les Antandroy. En pays Mahafaly les chefs et leurs
familles peuvent seuls porter de "or (en bijoux) et il est [ady d'intro-
duire ce métal précieux dans les cases des gens du peuple.
Le basitta de l'argent apparaît nettement dans la cérémonie de la
circoncision: aspersions avec de l'eau où l'on a mis préalablement des
anneaux d'argent, et certainement aussi dans l'offrande au Souverain
d'une piastre, au Cours de certaines cérémonies. Cette offrande portait
d'ailleurs le nom de basiua.
Il n'est pas douteux que l'accueil réservé autrefois à l'Européen
arrivant dans un village malgache, - qui nous a valu de la part des
premiers voyageurs ayant parcouru la Grande Ile, des récits, généra-
lement élogieux, de l'hospitalité des indigènes, - doit être attribué
à la crainte de l'anormal (peau blanche de l'Européen, couleur de ses

(1) Tout ce qui touche le fer est plus ou moins magique. C'est une croyance
universelle. Dans la mythologie grecque, les Cyclopes, les Corybanres, erc., tous ceux
qui travaillent le fer, sont magiciens.
(.) Histoire dt la Grande 1ft MaJagascar, p.ge 54.
3
- 34-

ye ux, de ses cheveux, etc., autant de particularités étranges pour le


Malgache), et au basiua, pr ésumé redoutable, qu'on leur prêtait.
Aussi leur offrait-on non seulement u ne case, mais aussi du riz, des
poulets, des fruits et souvent même des femmes. Ces offrandes étaient
précédées de kabary, quelquefois très lon gs, ayant les caractères d'une
lev ée d'interdit. En somme, le Vazaha était [ad y ; c'est pourquoi
l'accès d'Ambohimanga, la ville sainte des Merina, et d'Ambohima-
nambola, résidence de l'idole Kel imalaza, était, jusqu'à la conquête,
rigoureuseme nt interdit aux Européens. Il leur est également interdit
d'en trer dans les cimetières Antankara, Sakalava, Antaisaka, etc.
On explique aussi certains fady par des sortes de jeux de mots. ~insi
on ne doit pas marcher sur un balaua (rond de paille servant à porter
les cruches sur 'la tête), car on risquerait la haine de son prochain,
Halan'oloua, Il est fady pour le soldat de 'm anger des rognons, voa,
car il serait t ué, t/oa, N ous est imons que Ces fady relèvent plutôt de la
croyance à l'aerion du sem blable sur le semblable, car, pour l'indigène,
les mots ont un hasina et peuvent être fad y, comme nous le verrons
en étudiant les tabous linguistiques.

*
* *
La not ion d 'âme dont nous avon s parlé précédemment à propos de
l'anim isme est , che z les Mal gaches, à la fois imprécise et complexe.
Lor squ'on questionne un indigène sur le sens des mots : ambiroa,
augatra, avelo, [auab», lolo, nt atoaloa, il répond 9ue tous expriment
le sens du fra nça is : âme. A la vérité le malgache n'aime pas converser
sur ce sujet ; cet te répugn ance est évidemment une survivance de
fa dy ancest raux. Il est à tout le moins imprudent de parler des âmes
dont il fa ut cra indre le ressen t imen t !
En exam inant de plus près à quoi correspondent les soi-disant syno-
nymes mal gaches du mot français âme, la complexité des notions qu'ils
expriment apparaîtra mieux.
- 35-

Ambiroa désigne l' âm e des morts récen ts. C'est Yambiroa qui vient,
dans les rêves, visiter les parents. Il erre, la nuit, près des tombeaux.
Il faut l'éviter avec soin de peur qu'il ne cherche à vous entrainer.
Les Tsimihety croient que l'ambiroa quitte le corps peu avant la
cessation de la vie. On dit d'une personne débile de corps et d'esprit:
lasa ambiroa, elle a perdu son ambiroa.
AI/ga/ra est l'esprit d'un mort, homme ou animal, ca r l'un et l'autre
ont le leur. Les al/ga/ra sont, en général, considérés comme malfai-
sants. On leur attribue des ma ladies, des calamités telles que les incen-
.dies de brousse ou de villages inexpliqués. On dit encore d'une per-
sonne atteinte de calvitie qu'elle a été léchée par l'al/ga/ra tlelafin':
al/ga/ra). Jadis, à Madagascar, tous les hommes, - même les Merina-
portaient les cheveux longs et tressés de différentes manières; la
calvitie était considérée comme un mal mystérieux attribué aux
angatra. L'expression lelafil/'al/ga/ra atteste cette croyance.
Avelo se dit, surtout en Imerina, de la seconde ombre que l'on
aperçoit au crépuscu le, dans l'eau, quand on s'y regarde ou encore
le soir, dans la case, à la lu~ur du foyer. POUt le Ma lgache la p remière
est bien celle du corps, l'au t re est celle qui, à la mort, va au séjou r des
trépassés, à .(\mbondrombe.
Certaines affections pathologiques occasionnant un amaigrissement
conti nu sont attribuées à l'absence de l'av elo qui a quitté le corps
à la suite des ma léfices d'un sorc ier ou d'une grande frayeur.
Fanaliy est traduit par esprit, âme. C'est un terme général qui
s'applique à la vie psychique.
Lolo signifie: âme, esprit et papillon. Ces acceptions se rencontrent
dans le grec 'f U T, . en Islandais et dans le parler du Yorkshire. Nous
signalons ces concordances, à titre de simple curiosité.
Lolobe, grand lolo, désigne le sphinx tête de mort. Ce papillon est,
selon la croyance des indigènes, une des formes que prend l'âme des
morts. Sa présence dans une maison est souvent un mauvais présage.
36 -

Enfin uorou-dolo, litt. oiseau lolo, désigne le hibou, animal de


mauvais augure, compagnon favori des sorciers.
Chez les Sakaiava, les Sihanaka, les Mahafaly, les /010 sont considérés
comme les esprits des morts. Pour les Bara, les /0/0 sont des esprits
redoutables. Les Merina croient que les âmes des sorciers sont des lolo.
Les Betsimisaraka assurent qu'il y a des lolo terrestres et des 10/0 aqua-
tiques, également dangereux. Aux premiers, on attribue la mortalité
anormale du bétail; les seconds, qui se manifestent sous la forme de
tourbillons, font chavirer les pirogues.
Il convient de mentionner enfin que, dans les manuscrits magiques .
arabico-malgaches constituant la plus grande partie de la littérature
écrite Antaimoro, on rencontre le mot lolo, généralement associé à
jÙI)!, sous la forme: jil/)' omo /010 Uill)' est l'arabe djùl1Ij. L% et jillY
sont des génies calamiteux qui apportent aux humains maladies et
tourments.
Le matoatoa, c'est le revenant de nos légendes. Il réside dans le
voisinage des tombeaux. Il apparaît sous la forme de feux follets.

La religion

Les premiers Européens qui ont parcouru ou qui ont séjourné dans
la Grande Ile ont affirmé que les Malgaches, non convertis, sont
monothéistes.
Flacourt s'est exprimé en ces termes: « La nation dont je veux
parler, croit un seul Dieu créateur de toutes choses, l'honore, le révère,
et en parle avec grand respect lu)' donnant le nom de Zahanhare » (1) .
Le Père Abinal est non moins catégorique quand il conclut: « Donc
monothéisme au fond et prédominance du fétichisme dans la forme,
voilà, ce semble, la religion à Madagascar » (2).

(1) Flacourt: Histoire de la Grande Isle Madagascar, avant-propos, page I.


(2) Abinal et de 1.. Vaissière : Vingt ans à Madagascar. Paris, 1885,
- 37

Le Révérend Ellis, après avoir noté qu'un examen superficie! des


croyances religieuses des Malgaches ferait croire à leur connaissance
d'un seul vrai Dieu, déclare qu'une enquête plus approfondie permet
de conclure: « Thal' the Malagasy have no knowledge of Him who
created the haevens and the earth and who cloches himself with
honour and majesty » (3).
Les missionnaires ont adopté Je mot Andriamauitra pour désigner
Dieu, mais il faut ne pas perdre de vue que ce mot, comme d'ailleurs
ses synonymes, Zanabary et Andriananabary, n'expriment pour les
Malgaches païens qu'une notion de divin, assez élastique du reste.
C'est ainsi que, jadis, le roi était appelé Andriaurauitra par les Merina,
Zanabary par les Sakalava; chez ces derniers, les rois défunts, les
ancêtres qui s'étaient distingués de leur vivant étaient aussi Zauabary,
Les idées religieuses des Malgaches sont, à la vérité, très confuses;
leur étude approfondie ne permet ,pas d'admettre qu'ils sont mono-
théistes. Il faut attribuer l'erreur commise par les Européens qui ont
affirmé le contraire à un simple malentendu, parfaitement explicable
quand on sait combien il est difficile d'obtenir des indigènes la moindre
précision.
La vie religieuse malgache se manifeste par des sacrifices, des pra-
tiques magiques et des amulettes. Il semble que leur culte de prédi-
lection s'adresse aux ancêtres. Tous, d'ailleurs, chrétiens et païens,
témoignent à leurs morts la même vénération et conservent le même
attachement à 'leurs rites funéraires ancestraux. Ce sont là, au demeu-
rant, des sentiments respectables qu'il est de la plus haute importance
de ne pas froisser. Pour comprendre l'attachement profond des Malga-
ches, même les plus évolués, au culte de leurs morts, il suffit d'avoir
vu l'émotion et l'indignation provoquées chez les habitants de Tana-
narive par des mesures sanitaires, justifiées d'ailleurs, lors des épidémies
de peste qui ont sévi au cours de ces dernières années.

()) Rev. William Ellis: History of Mad.ga,cM. Londres, 18)8.


>8 -

Aussi bien, le culte des ancêtres s'adresse aux tombeaux qui sont
censés recéler l'esprit des morts et plus spécialement à la pierre dressée
à la « tête ·d u tombeau », placée à l'Est. Cette pierre est réputée
posséder le basil/a des anc êtres, ce qui ju stifie le culte dont elle est
l'objet. C'est elle qu e l'on oint avec le sang et la graisse des animaux
sacrifiés et c'est à sa base que les offrandes sont déposées. Aussi on ne
sau rait croire l'importance considérable qu'attachent les Malgaches
à assurer à leur dépouille une demeure inébranlable et aussi confor-
table que possible . Ils n'hésitent pas à s'imposer, durant leur vie, les
plus grandes privations, tant pour leur habitation que pour leurs vête-
ments et même leur nourriture, afin de faire édifier un tombeau solide
et beau. De même, la pire des calamités pour un indigène n'est pas de
mourir, mais de ne pas reposer dans le tombeau de famille.
Lorsqu'un indigène disparaît ou meurt au loin sans qu'il soit possi-
ble de ramener ses restes che z lui, on érige une pierre, dite en Imerina :
tsangam-bato (pierre debout) ou uato-laby (pierre mâle) chez les
Betsileo, au pied de laquelle seront célébrés les sacrifices rituels. Ces
pierres sont généralement brutes. Depuis quelques années il est d'usage
de les tailler et d'y graver quelques ornements ainsi que le nom du
défunt et celui du parent qui a édifié le monument. Chez les Betsi-
misaraka ces pierres sont souvent enveloppées d'étoffes blanches.
Il arrive, assez fréquemment, que des chefs ou des personnes riches
invitent leurs enfants à élever des tsau ganr-bato en leur honneur,
après leur mort; certains les font dresser eux-mêmes, de leur vivant.
Enfin, jadis, des pierres levées étaient érigées pour commémorer un
acte important : prise de possession d'un territoire, traité de paix ou
d'alliance, conventions entre villages voisins, entre particuliers. Ces
pierres étaient appelées orimbato (pierres plantées en terre). Elles
constituaient, en somme, les archives des actes publics et privés de ces
populations ignorant l'écriture.
On ..encontre des tsanganr-bato dans presque toute l'Ile, sur les
routes, dans les villages et sur les emplacements réservés aux marchés,
39 -

en pleine campagn e. Ils sont souven t seu ls et quelquefois en grand


nombre. Leu rs d im ension s sont ext rêmem ent variées; certaines on t
seulemen t ci nq uante centim ètres de hau t eu r, d'aut res atteignent deux
et trois m ètres. Dans le Betsil éo, les vato-laby, exceptionnellemen t
nombreux, sont quelquefois couronnés d 'u ne sorte de cadre rect ang u-
laire en bois ou en f er destiné à recevoir les crânes, avec leurs cornes,
des bœu fs immolés. Dans d'autres parties de l'Ile, côte Est et Sud, ces
crâ nes sont enfilés dans des poteau x de bois dur, plus ou m oins t ra -
vaillés, appelés fisok illa.
•Les Sihan aka élève nt à la mémoire de leurs morts disparus de longues
fourches de bois ap pelées jiro.
Chez les A nran d roy et les Mah afaly il exi ste des aloalo, dont le rô le
est identique à cel ui des tsangam-bato ou vato-laby, qui sont plantés
à la t ête des to m bea ux et que l'on rencon t re également ailleurs.
A loalo, for me redo u blée du rad ical a/a, signifie intermédiaire (1) ;
ain si, alon t eny o u aloalonte tty (litt. interm édi aire de la parole) , servait
~ d ésign er les agent s qui, autrefois, étaient ch argés de porter les mes-
sages ro raux au x représentants de l'autorité résid ant loin de la capitale.
On est, dès lors, autorisé à considérer les "/0 0/0 Antandroy et M ahafaly
comme les intermédiaires entre les vivants et les morts. Tsanganr-bato
et v"to/a!Jy jouent le même rôle. Au sur plus, les uns et les autres sont
l'objet de cérémonies analogues, quand on les éri ge: sacrifices de
bœufs, rep as rituels, libations de rhum ct d'un cu lte, égal emen t f er -
vent, ensuite.

vina (Eugenia Jambolana ) c



c:
"_
.
Les "/ 0''/ 0 son t co nst itués par de gra nds poteau x de bois, rnen do ra -
$

r.:f.t4...._
.""fI!"
't.•
..
afaly, f antsiholit sa (A lluand ia
cc;

L.. "
(1) On a vo ulu expliquer aloalo .. dical aloka, ombre, avec chu te de la
finale ka. On aurait pu tout aussi bien Je rattac her à halohalo qui . dans certains
dialectes provinciaux, exprime l'idée de nudité . Les aloalo qui comportent souvent
des statues humaines toujours rigo ureuseme nt nues, auraient justifié encore mieux
cette explica tion. to ut aussi f antaisiste, d'ailleurs, que la précéd ente.
- 40-

procera) chez les Antandroy, mesurant de deux à quatre mètres,


sculptés à leur partie supérieure.
Ces sculptures représentent, le plus souvent, un homme ou une
femme nus, avec des organes sexuels démesurément grossis, portant sur
la tête des dessins géométriques: cercles et losanges, surmontés d'un
sujet de dimensions réduites représentant soit des animaux, bœufs,
oiseaux, soit une femme tressant les cheveux d'une autre, soit un
homme armé d'un fusil ou de sagaies, etc.
Les aloalo sont' plantés sur les tombeaux en nombre variable, selon
le rang social ou la fortune du défunt, de quatre à quarante, soit deux
à la tête et deux au pied du monument, les autres, s'il y a lieu, inter-
calés; les aloalo présentent toujours leur face à l'Est.
Les aloalo figurant des femmes sont ordinairement placés sur les
tombeaux des hommes, ceux représentant des hommes, sur les tom-
beaux des femmes; ce n'est pas une règle absolue.
En dehors des sépultures on rencontre près des villages, ou même en
pleine campagne, des aloalo élevés à la mémoire de personnes disparues
dont la dépouille n'a pu être ramenée au pays.
Il existe sur la rive orien talc du lac Alaotra, près des villages de
Vohitsivalana, Andromba, Anosy et Ambohijanahary, des tombeaux
ornés de statues représentant des hommes et des femmes sculptés dans
des bois durs et que les Sihanaka désignent sous le nom de zaza-bazo
(enfant de bois). Celles que nous avons vues, en 19 t z, étaient très
anciennes et les indigènes âgés que nous avons questionnés nous ont
affirmé les avoir toujours connues. L'usage des zaza-hazo est aujour-
d'hui tombé en désuétude, mais ceux qui existent sont encore l'objet
d'un culte comme le prouvent les morceaux d'étoffe blanche recou-
vrant leur tête.
Jadis, m'a-t-on dit, on plantait les zaza-bazo aux quatre coins des
tombeaux: un homme à chacun des angles Nord-Est et Nord-Ouest
et une femme à chacun des angles Sud-Est et Sud-Ouest, les faces des
- 41-

uns et des autres regardant l'Est. Cette disposition est celle des êtres
vivants dans les repas en commun, les kabary et autres cérémonies.
On sac ri liait des bœufs aux zaza-hazo, c'est-à-dire « aux ancê-
tres H, nous ont déclaré nos informateurs Sihanaka.
Les zaza-bazo que nous avons examinés étaient au nombre de trois,
le quatrième avait disparu; ils étaient en fort mauvais état. L'un
représentait un homme nu, les mains derrière le dos, sexe vermoulu;
les deux autres, des femmes nues; l'une avait la main droite au sein,
comme pour l'offrir, la main gauche au pubis (particularité fréquente
chez les aloalo Mahafaly) ; l'autre avait la main droite au pubis, la
gauche le long du corps.
Les tombeaux ornés de zaza-bazo sont très anciens. Ils appartenaient
sans doute à des familles nobles, car ils étaient surmontés de trano
manara (1) aujourd'hui disparus.
De même que les tsangam-bato, les aloalo étaient primitivement
réservés aux chefs, aux personnages remarquables par leurs exploits et,
plus récemment, par leurs richesses. On constate, depuis quelques
années, que ces monuments se démocratisent, tandis que l'autorité des
chefs s'émiette. C'est une étape de l'évolution des Malgaches qu'il est
essentiel de noter.
Il convient aussi de signaler le rôle important de la pierre qui est
encore, dans toute l'Ile, l'objet d'un culte.
De même que dans la Grèce antique, on trouvait, dans les carre-
fours, des tas de pierres auxquels il était d'usage que chaque passant
ajoutât une pierre, en commémoration, nous dit la mythologie grecque,
de la lapidation d'Hermès, meurtrier d'Argus, on rencontre à Mada-
gascar, le plus souvent en des points élevés et aux croisements de sen-
tiers, des amoncellements de pierres appelés tatao.

(1) Trano manara (littéralement: maison froide; on dit aussi trano masina, mai-
son sacrée). maisonnette en bois construite sur les tombeaux royaux ou ceux des
clans nobles dont un ancêtre a régné.
- 42 -

Les tatao ont été créés, généralement, à la demande d'un mort, -


de son vivant, - promettant à ceux qui l'honoreraient d'exaucer leurs
vœux. Aussi les passants ne manquent pas d'ajouter une pierre au tas,
soit pour solliciter l'heureuse issue d'un voyage, soit simplement pour
éviter la ranc une d'un esprit q ue l'on a pu irriter par mégarde.
En 1889, nous avons vu au Betsileo, près du village de Mahasoabe,
non loin de la lisière de la grande forêt de l'Est, un t atao orné d 'étran-
ges ex-vota représentant des phallus taillés dans du bois et des repré-
sentations de parties sexuelles féminines, modelées dans de la bouse de
bovidé. En 1917, nous avons bien retrouvé ce tatao, mais les ex-vota
avaient disparu; le culte dont ils étaient encore l'objet, vingt-huit ans
avant, était tombé en désuétude.
Renel a signa lé (1) l'existence d 'un tatao du même, genre, situé au
Sud de Soatanana, également au Betsileo. l! indique que les ex-vero.
masculins et féminins, sont sculpt és dans du bois. Selon Renel, la
spécialité de ce t at ao est de rendre heureux en amour les hommes ou les
femmes qui s'adressent à lu i. Les indigènes que nous avions questionnés,
en 1889, sur le tatao de Mahasoabe avaient fourni une explication
d iff érente, D'après eux, les personnes qui n'étaient pas satisfaites de
leu rs part ies sexuelles, sculptaient dans le bois ou modelaient dans h
bouse des organes t els qu'ils désiraient q u'ils fus sent et les déposaient
sur le tatao en formulant des prières suivies de sacrifices.
Il est probable que ces explicat ions sont récentes ct q ue les ex-vot')
dont il s'agit sont les témoins de rites anciens dont le sou ven ir est perdu .
Les sexes très gross is que l'on voit dans les st at ues des aloalo du Sud -
Ouest et les zaza-bazo Sihanaka, qui offrent quelque analogie avec les
ex-vero Betsileo dont nous venons de parler, ne sont pas davantage
expliqués de manière satisfaisante.
l! existe encore bien d'autres pierres présentant certaines particu -

(1) Bulletin de rA ('aJ~mie Maigac!Je, année 192 0- 1 911. Ch. Ren el : A"cêlr cs
ct Dieux, page 102.
- 43

larités: trous, bosses rappelant des seins de femmes, blocs arrondis


posés sur des rochers plats, couples de roches laissant entre elles un
étroit passage, blocs de phonolithes, qui sont l'objet d'un culte. Les
onctions de suif, d'huile de ricin dont elles portent les traces et les
restes d'animaux sacrifiés les signalent il l'attention des passants. Sur
les premières, on lance de petites pierres dans le ou les trous ou sur une
saillie pour en tirer des augures, avoir des enfants, implorer la guérison
de malades, obtenir la réussite d'une entreprise. Le passage sans encom-
bre dans le couloir existant entre deux roches est un heureux présage;
les sons que rend un bloc de phonolithe sont considérés comme des
oracles.
Chez les Merina, les rois étaient intronisés sur une pierre sacrée
(uatomasin«), A Tananarive, il existe au milieu de la place Mahama-
sina (litt. qui donne le hasina) une de ces pierres sacrées entourée d'un
bloc de maçonnerie sur lequel se tenait le Souverain pour parler au
peuple, dans les grandes circonstances. Deux autres pierres plus an-
ciennes, qui existaient sur la place Jean-Laborde, ont disparu.
Dans toute l'Ile on trouve également des arbres II/(/Sil1(/ (sacrés). Ce
caractère sacré de certains arbres résulte de la croyance qu'ils sont
habités par les âmes des morts et autres esprits. Dans les régions où le
culte des arbres est encore pratiqué ouvertement, on reconnaît les
bazo II/(/Sil1(/ aux morceaux d'étoffes qui y sont attachés. Parfois le
tronc et les gr?sses branches sont enveloppés de toile blanche et des
chiffons sont liés aux petites branches. On leur demande ce que l'on
désire: les femmes, des enfants; les cultivateurs, d'abondantes récoltes;
les voyageurs, les marchands, la réussite de leurs projets. Bien entendu,
quand les vœux sont exaucés, on leur fait des offrandes: monnaies
d'argent, onctions de suif ou de miel, on satrifie même des bœufs.
Les principaux arbres 1I/(/sÎ11a sont: le hasina (Dracoena augustifo-
lia) qui est presque dans toute l'Ile l'objet d'un culte fervent. On le
plante pour attirer les faveurs des esprits. Il est lady de l'abattre. Le
madiro (Tamarindus indica) est particulièrement révéré des Sakalava,
44 -

des Tsimihety et des Mahafaly qui le désignent sous le nem de kily.


Le fatora (M ussoenda sp .) est vénéré des Antaimoro qui, généralement,
l'en t ou ren t d'une barrière. Le ramy est sacré pour les Sakalava;
l'en cens q u'on en ret ire est u tilisé presque partout dans les cérémonies.
Le fa no (Pi pta denia chrysostachys) est lady dans certaines parties de
l'Imerina ; ses graines sont utilisées pour le sikidy que nous étudierons
plus loin. Les coins de forêts où les Betsimisaraka, les Tanala, les Antai-
saka et les Antaifasy ont leurs cimetières sont sacrés. Il en est de même
des bouquets d 'arbres qui entourent les sépultures des rois sakalava.
Enfin, la montagne d'Ambondrombe (au Sud-Est de Fianarantsoa),
sorte de Champs-Élysées malgaches où demeurent les âmes des morts,
est co uverte d'une forêt vierge, rigoureusement lady; personne n'ose
y toucher ni y pénétrer.
Q uand les Antankarana, les Tsimihcty créent un village, ils plantent
des arbres : manguiers, bois-noirs, madiro au point qui sera la place
de l'agglom érat ion. Les Antaimoro plantent un fatora. Les Merina,
autrefois, plantaient des ficu s (nonoka, arnontana, aviavy ) quand ils
fondaient un village. Tous ces arbres sont lady; cet interdit a assuré
jusqu'ici leur conservation.'
~ Les ody (dialectes: aoly), t alismans, et les Sf1 I11 Py, idoles, qui jouen t
un rôle important dans les rites reli gieux, doivent essentiellement leur
efficacité aux m orceaux de bois, de racines ct de feuilles qui entrent
dans leur confection.
Chez les Betsimisaraka, on voit un peu partout sur le tronc des
arbres, le plus souvent des manguiers, des entailles à la hache qui figu-
rent, d'une façon schématique mais très nette, le sexe de la femme .
Le dessin est toujours identique, mais les dimensions varient. Ces
entailles n'ont pas, que nous sachions, été signalées jusqu'ici (1) . Les

(1) Le Barbier: Notes sur les Bara l mamono , Bulletin de l'A cadémie Malgache"
année 19 16 -1917 , page 88 , note I, dit: (( Le même trian gle symbolique (sexe de la
femme ) se trouve sur presque tous les arbres à écorce rou geâtr e (habit uellement le
Sakoa}, grav é profondément à la pointe du couteau ».
-45-

indigènes ne les considèrent pas comme de simples obscénités, ils


déclarent que ceux qui les font se conforment à une pratique très
ancienne au sujet de laquelle ils ne veulent fournir aucune explication.

..
.. .
Partout à Madagascar une idée de souillure et d'impureté est atta-
chée au cadavre. C'est la crainte de la contagion qui a dicté les fady
dont sont l'objet tous ceux qui se sont trouvés en rapport avec le
cadavre et que nous examinerons plus lo)n. Mais le basina des rois
morts se transmet non seulement à leurs tombeaux, mais aussi à leurs
cadavres. En Imerina, la dépouille du roi était appelée ny masina, la
chose sainte. Chez les Sakalava, les dad y ou jil1Y (de l'arabe djinn) sont
constitués par les dents, la première vertèbre cervicale, une mèche de
cheveux et les ongles enlevés aux cadavres des rois et enfermés primi-
tivement dans une corne de bœuf provenant d'un animal rouge
sacrifié, l'autre corne étant jetée dans la rivière voisine. Plus tard, cette
corne a été décorée d 'ornements d'argent. Autrefois, le roi qui n'était
pas en possession des dady de sa dynastie était considéré comme un
usurpateur. Les dady étaient, en quelque sorte, le palladium de la tribu.
Les Merina s'étaient assurés la fidélité des Sakalava du Boina en gar-
dant leurs dady dont ils s'étaient emparés.
En Imerina même, le hasina attaché aux cadavres des anciens souve-
rains a une importance considérable. Aussi le Général Gallieni fit, en
mars 1897, transférer dans l'enceinte du palais royal de Tananarive
les restes mortels des rois ensevelis à Ambohimanga, afin de bien mar-
quer la fin de la royauté Merina et l'avènement d 'un régime nouveau.
Cette translation a eu pour effet de faire perdre la foi du peuple dans
la vertu du basina de ses anciens souverains. C'est pourquoi, lors de la
grande guerre ·de 1914-18, nombre d'indigènes, avant de quitter la
colonie, prélevèrent, pour confectionner les amulettes destinées à les
- 46 -

protéger, de la ter re aux tombeaux des anciens souverains ensevelis sur


les montagnes sacrées des environs de Tananarive, dont le basina était
intact. .
La te rre des sépu ltures royales est désignée, en lmerina, sous le nom
de vokaka.
La t er re du tombeau participe également au basin» du cadavre.
Autrefois, du vokaka était mêlé à de j'eau que l'on buvait, à l'occasion
de la prest ation de serme nt de fidé lité au nouveau souverain. Cette
cérémo n ie ét ait appelée misotro vokaka, boire le vokaka.
Les eaux, comme les rochers et les arbres, sont hantées par les
esprits. A ussi on r en cont re un peu partout dans l'Ile, des lacs, des
lagons et des cascades sacrés qui sont l'objet d'un culte. On adresse des
prières, on fait des offrandes, surtout aux esprits malfaisants (/0/011 -
drano ) , po ur éviter d'être noyé . Il est lady d'u tiliser des pirogues en
nombre d'endroits: lac Itasy (autrefois) er certaines rivières, tant chez
les Betsimisaraka que chez les Sakalava ; en cas de besoin, on ne doit
user que de radeaux en bambous ou en roseaux.
L'eau jo ue également un grand rôle dans les rites de purification.
Elle est employée soit en aspersions, soit en ablutions, soit même en
bains .
Le nouveau né est baigné dès sa naissance: la mère, après les rele-
vailles, prend aussi un bain où l'on a préalablemene mis certaines
planees. Le ~ort est également lavé avant d'être enveloppé dans les
lamba m ena (linceul de soie indigène rouge). Au retour des obsèques,
les parents se baignent et leurs vêtements sont lavés à l'eau courante,
- ces opérations sont appelées miala Loza, éloigner le malheur, - les
autres personnes doivent se laver au mo ins les mains. Les murs, les
nattes et le mobilier de la pièce dans laquelle il y a eu un mort doivent
être aspergés avec de l'eau dans laquelle on a fait tremper certaines
plantes.
L'eau joue également un rôle important, comme nous le verrons
- 47

plus loin, dans la cérémonie de la circoncision, le [atidra (fraternisa-


tion par le sang) et les levées d'interdit.
La tradition rapporte qu'à l'époque des Vazimba les cadavres des
chefs étaient immergés dans des étangs OU des marais dont l'eau deve-
nait ensuite sacrée.. Les liquides provenant de la putréfaction du cada-
vre des rois Sakalava, soigneusement recueillis, sont versés dans des
lacs que l'on appelle ensuite rano masina ou rano sarolsa et qui sont
désormais sacrés, donc [ady, La coïncidence de ces usages mérite d'être
mentionnée.
Nous avons vu, plus haut, que les Malgaches croient que l'âme des
morts prend quelquefois la forme des lolobe (sphinx tête de mort). Ils
croient aussi que les âmes passent dans les corps d'autres animaux que
ce lépidopt ère, Les serpents, notamment, ont un caractère sacré pres-
que dans toute l'Ile: chez les Betsileo, les nobles sont, après leur mort,
transformés en [ananina (espèce de boa) . D'après une légende très
répandue, la [ananint piroloba, [anauina à sept têtes, serait un [ananina
démesurément grandi. D'autres boas sont é~alement vénérés pour le
même motif : l'ankoma, chez les Betsimisaraka, le do, chez les Saka-
lava. D'une manière générale, tous les serpents sont fady .\
Le crocodile est aussi l'objet de croyances analogues. Chez les Betsi-
misaraka, les Mahafaly, les Sakalava, les Antaimoro et les Antaisaka
l'âme de certains chefs résiderait dans le corps de crocodiles. C'est
pourquoi le caractère sacré de ces animaux est réservé à certains d'entre
eux, hantant telle ou telle partie d'un cours d'eau ou tel lac. Il est fady
de tuer ces anima ux ; on leur fai t des offrandes. Pour certains clans
Betsimisaraka, le babahoto (indris brevicaudarus) est considéré comme
un ancêtre vivant. Il est fady de le tuer ou de le capturer. De même,
'd'aut res lémuriens sont sacrés chez les Antankarana et chez les Maha-
faly ; il est également interdit de les tuer.
Le culte des animaux est en voie de disparition, mais les fady qui les
concernent sont toujours respectés.
-48-

Fady linguistiques

Dans toute l'Ile, il est interdit de désigner une personne décédée par
le nom qu'elle portait de son vivant. Cette interdiction est le type
classique des fady linguistiques malgaches. Les raisons de ce tabou sont
controversées. Pour certains, l'esprit du mort est dangereux; dès lors,
on s'exposerait à le faire venir en prononçant son nom. A cette expli-
cation, purement animiste, d'autres opposent la suivante: le nom du
mort étant souillé autant que le cadavre lui-même, le prononcer équi-
vaut à un contact avec celui-ci, considéré comme impur. Ce qui
semble confinmer cette dernière hypothèse, c'est que les indigènes, en
parlant du décès d'une personne évitent d'employer le mot mort et
disent: parti, tombé, ce qui autorise à croire qu'il existe pour les
Malgaches un lien matériel entre le nom et la chose ou la personne
qu'il désigne.
Quand il s'agit des rois, on use de termes spéciaux dont voici quel-
ques exemples: chez les Merina, on employait majanajana, un peu
chaud, pour malade; niiambobo, tourner le dos, au lieu de mourir;
ajenina, caché, au lieu de enseveli; /IY m asina, le sacré, désignait le
cadavre.
Les tribus de l'Ouest et du Sud emploient le mot [olaka, brisé, au
lieu de ·mour ir. Les Betsiléo parlant de leurs rois faisaient usage d'un
vocabulaire spécial. Ainsi, pour désigner un enfant du roi, ils disaient
analunra au lieu de kJlollga; kabeso au lieu de loba, tête; [anilo,
torche, au lieu de maso pour œil, etc.
Les Sakalava usent également de termes spéciaux pour parler du roi
et des siens. Ainsi, au lieu de maso, ils diront [auent y ; au lieu de zaza,
tsaik)', etc. Mais il y a mieux encore: tous les mots entrant dans la
composition du nom du roi devenaient fady après sa mort. Ainsi, après
le décès du roi Tsiomeko qui régnait à Nossi-Bé, le radical ome et ses
dérivés devinrent fady et, depuis, l'on dit: tolory pour omeo, donnez.
Plus récemment, en Imerina même, le mot soberina, chrysalide de vers
- 49-

à soie, fut taboué et remplacé par zanadandy après la mort de la reine


Rasoherina (1868). Il n'est du reste pas douteux que nombre de
variantes de vocabulaire relevées dans les dialectes malgaches sont dues
à des lady linguistiques.
Les rois et les chefs bara, mahafaly, sakalava, antaimoro et antandroy
reçoivent, après leur mort, un nom posthume caractérisé par le préfixe
Andrieu (prince) et le suffixe ariuo (mille). Chez les Antaimoro, le
suffixe ariuo est seul utilisé pour les personnages autres que les rois.
Ainsi, le roi sakalava Tsimaloma fut appelé, après sa mort, Andriama-
nasiniarivo ; Mikala reçut le nom posthume de Andrianisoarivo. Le roi
bara Andriantsileo fut appelé Andriantomponarivo.
Parlant d'une personne décédée, les Merina disent: Ratompokolahy
ou Itompokolahy, Monsieur, 'R atom pokovavy ou Itompokovavy,
Madame; aujourd'hui, l'usage ,. it de faire suivre ces mots du
nom du deO f unt, ~
.\.o'o}'.,••
•'1.
~s 'Tà
e
fir-
';.l- •

Nous avons dit que la religi "iœ..m a gache se manif~stait aussi par
des sacrifices.
On sait que le sacrifice, qui joue un rôle très important chez ~e~
demi-civilisés, a pour objet d'honorer, de remercier, d'apaiser ou de
rendre favorable les puissances mystérieuses qui, selon les conceptions
que nous venons d'examiner, gouvernent le monde. Dans certains cas,
le sacrifice a pour but d'expulser le mal en le transférant à un objet
ou à un être vivant, ou encore de lever un 'interd it consécutif à li
violation d'un lady.
Matériellement, le sacrifice consiste à faire des offrandes de riz, de
miel, d 'argent, en onctions de miel ou de suif, QU à immoler des êtres
Vivants.
La tribu, le clan, la famille et l'individu, dans tous les actes impor-
tant de leur vie respective, font des sacrifices.
Le lieu du sacrifice n'est pas indifférent. C'est, dans l'habitation, le
4
50 -

coin Nord-Est, le z oro- firaraz ana, le coin des prières, le tombeau des
ancêtres, un t sangani-bato, les pierres saintes, un lac sacré, un arbre
sacré; chez les Saka lava, un doany, lieu de sépulture des rois; dans le
Sud de l'Ile, l'haz omallga, potea u de bois sculpté qui est l'autel de la
famille, d u clan; le bazamanitra, poteau de bois, chez les Betsimisa-
r aka ; les tai ao, les montagnes sacrées en Imerina.
Le te m ps du sacrifice est non moins important. Il doit être fait aux
jou r et heure fas tes.
Les objets qui doiven t servir au sacrifice, ainsi que les offrandes et
les vic times à immoler, sont limitativement fixés, selon les cas.
Enfin, le partage des animaux sacrifiés est strictement réglementé.
Tout sacrifice doit être précédé de purifications que l'on désigne
sous le nom de a/ana. Elles consistent, généralement, en des aspersions
d 'eau lustrale, des ab lutions rituelles qui ont pour but de purifier de
tout es les souillures.
Le sacrificat eur est, pour les petits sacrifices effectués au z oro-
firara zana, le chef de famille et, dans les autres cas, le m pisorona ou
l'om biasa, selon les régions.
Mais, avant d'exposer les rites sacr ificiels, il est utile de préciser
l'acception des termes malgaches servant à désigner les personnages
qui ordonnent ou président les sacr ifices et, plus généralement, de tous
ceux qui jouent un rôle dans les rites magiques et médicaux, intime-
ment liés d'ailleurs.
o III bias)' (Meri na ) , Ombiasa, Olllas)' (dialectes provinciaux ) , Masy

(Sakalava ) représentent diverses formes de olo-masina, personne


sacrée.
, L'Ombias)' est, dans t oute l'Ile, un personnage éminent, savant,
devin, médecin. C hez les A nt aimoro, il est toujours lettré c'est-à-dire
qu'il lit et écrit l'arabico-malgache. Ces derniers possèdent, en ou tre,
des am panazary (de l'arabe hazara, deviner), qui sont des médecins;
des al/llJcmalimo (de l'arabe ,l1l olladjilll) , dont la spécialité est de faire
des am ulettes écrites.
- '51

MPisikJdy, dialectes provinciaux: mpisikily, littéralement: celui


qui fait le sidiky, de l'arabe: chikel, figure.
Le mpisikidy prédit plus spécialement l'avenir. La divination par le
sikidy était, primitivement, pure géomancie. Les Antaimoro l'ont
conservée; ils l'appellent langabaro alanaua, c'est la science du sable
des Arabes. Le sikidy est pratiqué dans toutes les tribus malgaches avec
quelques différences de détail. Le mpisikidy jouit dans toute l'Ile d'un
grand prestige.
Le sikidy prédit non seulement l'avenir, mais encore il fait connaître
les secrets des ennemis, les dangers que l'on peut courir, le traitement
des malades, le moment favorable pour entreprendre un voyage, pour
construire sa maison; il donne aussi le moyen de retrouver des objets
perdus ou volés; il prescrit les offrandes, les sacrifices, les lady à obser-
ver, etc. En somme, le sikidy est la Bible des Malgaches, ainsi que l'a
défini d'une manière assez inattendue, et pourtant fort juste, le
mpisikidy qui initiait le missionnaire Dahle à son art.
Le utpamosavy (Merina, Betsileo, Betsimisaraka) ou am pamori/;;y
(Bara, Mahafaly, Sakalava, Antandroy), ou encore am pamilauiia (An-
taimoro), c'est le sorcier, le jeteur de sorts. Il est partout redouté. On
l'accuse de profaner les sépultures, de provoquer par ses sortilèges la
maladie et la ' mort des personnes et du bétail, d'attirer la grêle. Ses
animaux favoris: le kary, chat sauvage, et le uorondolo, hibou, sont
de mauvais augure. Le mot kary, appliqué à un homme, signifie fripon.
Les mpamosavy errent la nuit, le moment où circulent les esprits
malfaisants, le corps nu et enduit de graisse; ils frappent à la porte des
paisibles habitants, dansent sur les tombeaux, etc. Il est pourtant des
gens qui ont recours au mpamosavy pour obtenir les moyens de se
débarrasser d'un ennemi ou pour se procurer des philtres qui sont
censés déterminer une sorte de folie érotique, le kasoa.
Tàndis que ombiasa, am panazary, mbisorona, .IIlpisikidy sont tou-
jours des hommes, il existe des nt pamosalJY hommes et des 111 pamosauy
- 52-

femmes. Ces ' dernières, généralement vieilles, ont une réputation aussi
detestable que les sorcières d'Europe.

Sampy (1) - ady

En Imerina, autrefois, les sampy étaient l'objet d'un culte public et


privé. Le 8 septembre 1869, Ranavalona Il, qui avait, le 22 février
précédent, reçu le baptême protestant, ordonna l'incinération des
sampy. Leur culte public prenait ainsi fin ; mais, malgré les sanctions
terribles édictées, - le kabary royal ordonnait que toute personne
convaincue de posséder encore un sam py serait brûlée avec lui, -
nombre de sampy furent conservés et continuent d'avoir, aujourd'hui
encore, des fidèles dont la ferveur est aussi ardente que jadis.
On traduit souvent sampy par idole, à tort d'ailleurs, car le mot
sam py ne répond pas à la définirion du français idole. A notre avis.
sampy et ody doivent correctement être rendus par amulette.
La différence qu'il y a entre le sampy et l'ady, c'est que le premier
porte un nom, comme les personnes, a des gardiens spéciaux et qu'il
est considéré comme le protecteur de la tribu, tandis que le second
n'est efficace que pour son détenteur.
En Imerina, les familles possédaient des zana -tsam p y, enfants de
sampy, que l'on conservait dans l'angle Nord-Est de la maison, le zoro-
jirarazalla. Les zall a- f sampy étaient des fragments de sampy que les
gardiens vendaient aux fidèles.
Le mot sam py, dans cette acception 'sp éciale, n'est usité qu'en
Imérina, mais toutes les tribus possèdent des ody, on dit aussi aoly,
aod y, qui jouent le même rôle que les sam py.

( 1) Sampy signifie, dans le langage courant, ce qui est à califourchon. Les sampy
éraient du reste portés sur le dos de leurs gardiens, qui les tenaient par deux bandes
d'étoff~ pendant de chaque côté de leur tête.
- 53-

Les souverains Merina avaient douze salllpy (1 ), sav oir: R akelima-


laza, Ramahavaly, Rafantaka, Manjakatsiroa, Rabehaza, R atsimaha-
lahy, Ramasoandro, Ramanjaibelo, Rafaroratra, Ratsimitako, Raho-
dibato et Rabefaravolo, Les six premiers étaient particulièrement
vénérés.
Rakelimalaza occupait la place d'honneur, à la d roite du souv erain ,
dans les cérémonies. Ses vertus étaient universelles.
Ramahavaly était efficace contre toutes les m alad ies, y compris les
maléfices. Il était également efficace contre les crocodil es.
Rafanraka prot égeait contre les balles et les sagaies '(2) .
Manjakatsiroa préservait de la foudre, Rabehaza de la rage, Ratsi-
mahalahy enfin faisait découvrir les voleurs et retrouver les objets et
les bestiaux dérobés, etc.
Les santpy étaient gardés par des prêtres, 111 pitabiry sa111 py ou
m pit abirin'a nd riana, qui jouissaient de nombreux privilèges, entre
autres celui de ne pouvoir être exécutés dans le cas où ils auraient
encouru la peine de mort.
Le peuple ne devait pas regarder les salllj'y de près. Cette défense
explique les contradictions relevées dans les descriptions que l'on en a
données.
Il est bien établi que sampy et ody tiennent leurs vertus efficientes
du végétal qui entre dans leur composition, les verroteries, menus
objets de fer, le miel, la graisse de bœuf ou l'huile de ricin entrant
également dans leur composition ne sont que des sortes d'excipients,

(1) Le nombre douze avait une vertu magique. II y avait : douze mois, douze
vintana, douze sampy, douze montagnes sacrées, douze rois, les douze femmes du
roi...
(1.) Lors de l'insurrecti on d'Arivonimamo, Je 2I septembre 1895. les insurgés ,
fanatisés par le sampy Rafantaka, chargèrent sept fois de suite, avec un e audace
extraordin aire, les troupes françaises en voyées pour rétablir l'ordre. Le co mma ndant
Ganneval, afin d'évi ter d'inutiles effusion s de sang. demanda au gé néral Duchesne
une section d'artillerie dont l'action. très modérée d'ailleurs, calm a les fanat iques.
- 54-

Ceux-ci acquièrent pourtant, par contact, une partie du basil/a du


' principe essentiel.
Primitivement, les sampy étaierit des morceaux de bois prélevés sur
· des arbres révélés par des sortes d'êtres surnaturels, les Ranakandriana.
Plus tard, ces morceaux de bois furent sculptés en forme de statuettes,
' plus ou moins artistiques; les yeux étaient souvent rendus par de
petites perles blanches incrustées dans le bois. Le morceau de bois, brut
' ou sculpté, étaie fréquemment enfoncé dans une corne de bœuf, le
tout étant enveloppé dans une sorte de sac fait d'une étoffe spéciale,
landibé, tissu de soie d'un bombyx spécial à Madagascar, ou sarika,
·t issu de fibres de bananier. La corne et le sac étaient ornés de verrote-
ries diverses possédant des vertus magiques spéciales.
Les ody sont constitués soit par de menus morceaux de bois et des
perles enfilés dans une ficelle que l'on porte en colliers, en sautoirs ou
'en bracelets, soit par de petits sachets contenant quelques parcelles du
végétal sacré, graissées ou huilées, soit encore sous une forme identique
aux sam iry décrits ci-dessus. Ils consistent, dans ce dernier cas, en une
pointe de corne de bœuf décorée de perles de couleur et contenant des
fragments de végétaux et de menus objets: clous, aiguilles, hame-
çons, etc., quelquefois de petites statuettes de bois, le tout mis dans de
la graisse de bœuf ou de l'huile de ricin. Une bande d'étoffe rouge
permet de le porter en ceinture ou en sautoir.
Il n'est pas rare, aujourd'hui encore, de rencontrer dans le Sud ou
dans l'Ouest de Madagascar des indigènes portant ostensiblement ces
divers ody, mais, sur les Plateaux, les amulettes sont soigneusement
cachées dans les maisons ou sont portées discrètement sous la forme de
petits sachets pendus au cou et dissimulés sous la chemise.
Les samb y recevaient à des époques déterminées, ou quand ils étaient
consultés, des offrandes et des sacrifices fixés par un rituel strict.
Aujourd'hui encore, des sacrifices sont offerts aux ody,
Nous avons dit que des êtres vivants sont immolés pour honorer les
-55 -

esprits, les ancêtres, les som py et ody soit pour les re nd re fa vo rables,
soit pour obtenir la guérison de malades.
Les victimes son t géné r alem ent d es an imaux : bœu fs, m outons,
chèvres ou coqs. Autrefois, on immolait aussi des êtres humains.
A. Grandidier (1) a signalé que, chez les Sakalava, lorsque le roi se
rasait pour la première fois, on sacr ifiait un vie illa rd réputé pour sa
bravoure. Le souver ain trempait le couteau fa isant office de r asoir dans
le sang de la victime, avant de s'en servir.
Guén ot (2) cite cette coutume comme relevan t de la légende, mais
ajoute que la cérémonie précitée « au rait été pratiq uée sous l'a vant-
dernier roi T oera, réputé, il est vrai , pour sa cr uauté H.
Le d octeur Lasnet (3) rapporte qu'avant 1895 , à l'occasion des
funérailles des rois sak alava, deux esclaves, un homme et une femme,
étaient immolés. La graisse du premier serva it à oi nd re toute la bière;
avec le sang de l'autre, on arrosait la fosse. Les deu x cadavres étaient
enterrés aux pieds du roi, l'un à droite, l'autre à gauche.
On assure également que sous le règne de Ranavalona 1 ( 18 28- 186 1)
les sacrifices humains n'étaient pas rares soit pour sauver la souveraine
d'une maladie, soit en cas de calamité publique, épidémie ou disette.
Des indigènes nous ont affirmé enfin qu'au mois d'Alakaosy 1890,
un fils du Premier Ministre, réputé pour sa cruauté, aurait sacrifié un
esclave au pied du grand ficus qui existe encore dans la cour du Quar-
tier Général à ·T ananarive.
C es témoignages, tous d'ailleurs de seconde main, sont 'confirmés par
le passage suivant d'un manuscrit arabico-rnalgache appartenant à
l'Académie Malgache:

(1) A . Grandidier: Mém oire sur Mada gascar , Bulletin de la Soci ét é Je G éograpbie.
(1) F: Guénot : Id ées religieuses et su perstitions des StJkalava du M", abe. Tou-
louse, '9° 7. .
(3) Dr Lasner. Annales d'H)'.'<iènc el dl' ltléJ eci nl' colo niales. 189 0.
- 56-

« Présages tires des halos solaires, de la lune biuan-drao (1), de la


« lune barana et de la lune ho nionitra.
. . ...... . . . . . . . . . . . .. .. . .. . .
« Dans· (le mois) d'Asaoro, néfaste : un chef du peuple mourra,
« un manalimu (2) mourra également, un sacrifice humain pourra
« le (ou les) sauver ».
Le texte malgache d it: misadaka 010, littéralement: faire le sadaka
avec une personne. Or, le sadaka ou [aditra a pour but d'expulser le
mal en le transférant soit à des objets, soit à des êtres vivants qui sont
généralement immolés. Il n'y a donc pas de doute sur l'interprétation
. de misadaka 010. Les ombiasa antaimoro les plus savants, très âgés par
surcroit, à qui nous avons soumis le passage du manuscrit dont il s'agit
ont, tout d'abord, manifesté une vive stupéfaction et une gêne très
grande, puis, mis en confiance et après avoir lu et relu le texte, ils ont
reconnu l'exactitude de notre interprétation. Mais ils nous ont formel-
lement assuré n'avoir jamais vu, ni entendu parler de sacrifice humain.
Il s'agit sans doute, ont-ils ajouté, d'une pratique très ancienne. C'est
un bœuf qu'en l'occurence on sacrifie aujourd'hui.
A notre connaissance, le sadaka 010 n'a jamais été encore signalé. Il
est intéressant qu'il soit attesté par un manuscrit, copie d'un document
très ancien et scr up uleusement fidèle, comme d'ailleurs toutes celles
des textes magiques que les scribes n 'osent pas altérer! en raison de leur
caractère sacré.
La croyan~e aux mpaka fa, litt. preneurs de cœurs, qui s'est mani-

(1) Hinan-drao, litt. mangée par Rao, sans doute R ahu, le monstre mythique de
la légende indienne. Lorsque la lune est vers son quin zième ou seizième jour ct qu'à
son lever, ou peu après, le bord supérieur est fran gé, on dit que l'astre est hinan-drao.
Lorsque ce phénomène se produit alors que la lune est au zénith, on dit qu'elle est
hu munitra . La lune est harana quand elle est de la couleur des perles dites harana,
rouge brun.
[a ] Manalimo, de l'arabe mo'allim, savant, professeur. En dialecte antaimoro,
manalimo est synonyme d'ombiasa.
- 57-

festée pour la première fois, à notre connaissance, en 1890 et qui,


depuis, a provoqué périodiquement une émotion très vive dans la
population Merina, doit-elle être rattachée à d'anciens sacrifices
humains? On ne saurait, en l'état de nos connaissances de la question,
l'affirmer. Nous avons vainement cherché l'explication de cette
croyance.
Un seul fait nous a été signalé, à Ankavandra. Le cadavre d'un indi-
gène avait été ouvert et le cœur enlevé. Le ou les coupables de ce crime
n'ayant pu être découverts, il n'a pas été possible de connaître les
mobiles de cette mutilation.
Nous avons pourtant constaté que les bruits relatifs aux mpaka [o
se produisaient généralement à des périodes d'inquiétude chez les indi-
gènes. Peut-être s'agit-il simplement d'une psychose collective, provo-
quée par un malaise social.
Dans les sacrifices, le sang de la victime joue un rôle important.
Il est de règle, en effet, de faire avec le premier sang des onctions ou
des marques rituelles sur le front et d'autres parties du corps des assis-
tants, sur les pierres, les poteaux sacrés, sur les sam py, les ady, etc.
Aussi bien, pour les Malgaches comme pour tous les demi-civilisés,
le sang est particulièrement sacré; il semble posséder un caractère
mystérieux et magique qui explique entre autres le [atidra ou frater-
nisation par le sang, que l'on verra plus loin, l'impureté attribuée au
sang menstruel et l'afadra ou purification par le sang, qui a lieu à la fin
de la cérémonie des funérailles.

Du uintana
Le uintana est une des notions les plus fécondes de la vie religieuse
malgache; il convient donc de lui consacrer quelques développements.
Le mot uintana, - que les dictionnaires traduisent par: le destin,
la destinée, chance bonne ou mauvaise » ; pour être complet, il faut
ajouter « destin astrologique », qui est l'acception particulièrement
utile pour ce qui va suivre, - n'a pas été emprunté à l'arabe aioiuat,
pluriel de muân, saison, comme l'ont dit Dahle et Ferrand, mais il
appartient 'a ux langues austronésiennes: Malais, bill/ail, Tagal, bitoiu ;
Cam, batuk., astre étoile.
Les Malais désignent sous le nom de raja bintan, les sept astres (Jupi-
ter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure, Lune et Terre) qui exercent, tour
à tour, leur influence sur les vingt-quatre heures du jour. Le Malais
bintan est l'équivalent exact du malgache uintana.
Les Antaimoro étant les seuls indigènes de la Grande Ile possédant
des documents écrits, nous donnerons d'abord leur classification des
uintaua que les autres tribus leur ont d'ailleurs empruntée.
Voici la liste des douze mois de l'année Antaimoro avec les douze
uintana correspondants:

MOIS TAIMORO VINTAKA ÉTYMOLOGIE DES VINTANA


DE L'ARABE:

Asarabe Alahamady Al'h'amal, le bélier


Vatravatra Adaoro Al'thaur, le taureau
Asotry Adizaoza Al-dzaüza, les gémeaux
Hatsiha Asorotany As-sarat'an, l'écrevisse
Volas ira Alahasaty Al'asad, le lion
Posa Asombola As-sunbala, l'épi
Maka Adimizana Al-mizân, la balance
Hiahia Alakarabo. Al-aqrab, le scorpion
Fisakamasay Alakaosy Al-qaûs, l'arc
Fisakave Adijady Al-djadi, le chevreau
Vol am bita Adalo Ad-dalü, le verseau
Asaramasay Alohotsy Al-h'ûc, les poissons
Les noms de mois antaimoro qui précèdent sont d'origine sanscrite
(Bulletin de l'Académie Malgache, vol. VI, 1909, pages 17 et suivan-
tes). Les noms des uiutana correspondants ont été empruntés à l'arab~.
Ce sont les douze astérisrnes du zodiaque. Nous les avons transcrits
selon l'orthographe Merina usuelle. Ils désignent les douze mois de
_. 59-

l'année lunaire malgache que donnent les almanachs à l'usage des indi-
gènes publiés à T ananarive.
Les vin/alla Alahamady, Alahasaty et Alakaosy, uintana mâles, sont
les destins du feu.
p.JIvJ -..., Asaoro, Asombola et Adijady, uintana femelles, sont les destins de
la 'ferre.
Adizaoza, Adimizana et Adalo, uintana mâles, sont les destins du
vent.
Asorotany, Alakarabo et Alohotsy, vin/alla femelles, sont les destins
de l'eau. '2.Vr'
La rencontre de deux ou plus' ulntana de même sexe est f aste, la
jonction de deux ou plus uintana de sexes différents est néfaste. 'foute-
fois, les destins du vent et du feu ne sont pas contraires,
Le manuscrit 8 du fonds arabico-malgache de la Bibliothèque N atio-
nale contient un chapitre consacré 11 l'astrologie, qui a été publié par
G, Ferrand (journal Asiatique, septembre-octobre 1905 ). A la fin de
ce chapitre sont mentionnées des prédictions basées sur les destins des
quatre éléments énumérés ci-dessus, qui sont encore en faveur chez les
ombiasa Antaimoro.
Les vingt-huit zana-bintana, litt. enfants de uintana, sont les noms
des vingt-huit mansions lunaires ar ous les donnons ci-dessous
'f' . 1 . t
avec re erence a eur VlIl alla res "'fL
\.l: 'o"+.,.
1"4:,,,,, ~
-; ·...f,-h ·
MANSIONS LUNAIRES ZAN A-BI l>NA 1'0 VINTANA
• .s /l' 1\ ,,,,~
As-charataîn Asoroteny
Al-bot'ain Aliboteny ( Alahamady
Ath-thoraiâ Asoreza
Ad-dabarân Adabaran
Al-haq'a Alahakà 1Adaoro
Al-han'a Alihina
\ Adizaoza
Adz-dzir'a Azirà
- 60-

MANSIONS LUNAIRES ZANA-B1NTANA VINTANA

~ Asorotany
An-nathra Anasara
At-raraf Atarafa
Al-djabha Alijabaha
Az-zubra Azobora
Aç-çarafa Asarafa
1Alahasaty
Ab-'aûâ Alova 1
Î Asombola
As-simâk Asimaka

~ Adimizana
AI-ghafur Alokoforo
Az-zubân â Azobanâ
Al-iklil Alikilily
AI-qalb Alakaliby
( Alakarabo
As-chaûla Asola
An-na'âïm
Al-balda
Anaimo
Alibalady
! Alakaosy

~ Adijady
Sa'ad adz-dzabih' Sadazobehy
Sa 'ad bula'a Sadabolangy
Sa 'ad as-sa' us Sadasady
Sa'ad al-khabîa Sadalakabia
\ Adalo
AI-fara al-moqaddim Farcalimokadamo
Al-fara 'al-rnuakhir Faroalimokaro
Bat'u al-al-bût Batany alohotsy
l Alohotsy

Les Merina comptent également quatre uiniana qu'ils nomment


reni-uintana, uin talla mère, comportant trois éléments: vava, ouver-
ture, l'alita, milieu, et uody, fin. Ils disposent aussi de zana-bintana au
nombre de huit, comportant chacun deux éléments: vava et l'ad y.
Alahamady, Asorotany, Adimizana et Adijady sont les quatre reni-
uintalla ; Adaoro, Adizaoza, Alahasary, Asombola, Alakarabo, Ala-
kaosy, Adalo et Alohotsy sont les huit zaua-bintana.
Comme il est facile de le voir, les deux systèmes, Antaimoro et
Merina, concordent.
- 61-

Les Antaimoro ont, de plus, sept sa, de l'arabe sâ'a, qui exercent leur
influence sur les heures, savoir:
SA T AI MORO ÉTYMOLOGIE DE L'ARABE

Asamosy Chams, le leil


Azohora Az-zahar.., Vénus
Alotaridy Al-ot'arid, Mercure
Alakamary Al-qamar, la lune
Azohaly As-zoh'al, Saturne
Alimosarsary Al-muchtari, Jupiter
Alimaraiky Al-mirrikh, Mars
1\ l'exception de quelques ombiasa antaimoro, les Malgaches sont
d'une ignorance à peu près complète en astronomie. En dehors du soleil
et de la lune, ils ne connaissent que la planète Vénus, fitarikandro, litt.
qui tire le jour, et le baudrier d'Orion, t cionoborej y, litt. trois font
une brasse .
Pour les indigènes, les tâches de la lune, quand elle est pleine,
représentent un joueur de ualiba (1). Les Bara disent que ce joueur de
ualiba est l'image de leur ancien roi Rajoaka.
Afin de montrer l'utilisation par les indigènes des uintana, zana-
billtalla et sâ, il nous paraît expédient de puiser dans les manuscrits
arabico-malgaches qui donnent des renseignements autrement précis
que les explications orales des Malgaches.
A titre d'exemple, vo ici la traduction de quelques extraits d'une
sorte de formulaire à l'usage des ombiasa, très ancien comme le prou-
vent le style et le vocabulaire employés:
Enfant né (en) Alahamady (on le nommera) Dama ou Hova (si c'est
une fille). Mercredi est son jour néfaste. Alotarida est son sâ mauvais;
son ennemi est Alakarabo, Alohotsy lui comprime la nuque.

(1) Instrument de musique fait avec un gros bambou, dont l'écorce soulevée,
partagée et placée sur des chevalets, forme les cordes, qu'on touche comme celles
de la guitare.
- 62-

Enfant né en Adizaoza. Si c'est un garçon Isoja (sera son nom), si


c'est une fille Isija. Jour qui ne lui est pas favorable: samedi. Sâ con-
traire, Azohaly. Alijady est son ennemi. Asolo lui comprime la nuque.
Enfant né en Asorotany, Mosa ou Mary (si c'est une fille). Samedi
est le jour qui ne lui est pas favorable. Son ennemi est Adalo. Sâ con-
traire, Azohaly. Adizaoza lui comprime la nuque.
Enfant né en Alahasaty, (Nom) Al i, Fatema, si c'est une fille. Jeudi
est le jour qui ne lui est pas favorable. Alimosatsara, le sâ contraire.
Alohotsy, son uin talla ennemi. Asorotany, le uintana qui lui comprime
la nuque. .
Enfant né en Asombola. (Nom) Boba, Vola, si c'est une fille.
Mardi est le jour qui ne lui est pas favorable. Alahamady, son uin talla
ennemi. Alimaraiky, le sâ contraire. Alahasaty lui comprime la nuque.
Enfant né en Adimizana. (Nom) Monja, Miza, si c'est une fille.
Jeudi est le jour qui ne lui est pas favorable. Alimosatsary, le sâ con-
traire. Asoro est son ennemi. Asornbola est le uin talla qui lui comprime
la nuque.
Enfant né en Alakarabo. (Nom) Moha, Moma, si c'est une fille.
Mercredi est le jour qui ne lui est pas favorable. Alotarida, le sâ con-
traire. Adizaoza est son uintalla ennemi. Adimizana lui comprime la
nuque.
Enfant né en Alakaosy. Si c'est une fille: Maho, son nom. Lundi est
te jour qui ne lui est pas favorable. Alakamary, I!, sâ contraire. Asoro-
tany, son ennemi. Le vin talla Alakarabo lui comprime la nuque.
Enfant né en Adijady. (Nom) Marac, Kajy, si c'est une fille. Diman-
che est le jour qui ne lui est pas favorable. Asamosy, le sâ contraire.
Alahasaty, le vintana ennemi. Alakaosy, le vintalla qui lui comprime
la nuque.
Enfant né en Adalo. Mercredi est le jour qui ne lui est pas favorable.
Alotaridy, le sâ contraire. Asombola, son vinta,;a ennemi. Adijady lui
comprime la nuque.
'- 63-

Enfant né en Alohotsy. '(N om ) Maka, Soleimana, fille: Mary. Ven-


dredi est le jour qui ne lui est pas favorable. Azohora, le sâ contraire.
Adalo lui comprime la nuque.

Enfant né en Alahamady. Trois jours lui sont favorables: mardi,


dimanche, vendredi.
Enfant né en Adaoro. Trois jours lui sont favorables: vendredi,
lundi, jeudi.
Enfant né en Adizaoza et en Asorotany. Trois jours lui sont favo-
rables : vendredi, lundi, mercredi.
Enfant né en Alahasaty. Trois jours lui sont favorables: mardi,
dimanche, vendredi.
Enfant né en Asombola. Trois jours lui sont favorables: lundi,
mercredi, vendredi.
Enfant .n é en Adimizana. Trois jours lui sont favorables: vendredi,
dimanche, mardi.
Enfant né en Alakarabo. Trois jours lui sont favorables: mardi,
jeudi, dimanche.
Enfant né en Alakaosy. Trois jours lui sont favorables: jeudi, ven-
dredi, mardi.
Enfant né en Adijady, Trois jours lui sont favorables: samedi, lundi,
vendredi.
Enfant né en Adalo. Trois jours lui sont favorable~ : samedi, mardi,
jeudi.
Enfant né en Alohotsy. Trois jours lui sont favorables: jeudi, lundi.
samedi.

.. ..
Malade dans <le vill/alla) Alahamady : ne doit pas recevoir la visite
de forgerons, ni de pêcheurs à la ligne, de peur d'aggraver la maladie.
- 64-

Malade en Adaoro, ne doit pas recevoir la visite de gens des « hauts »,


de princes ni de marchands et ne doit pas manger de viande de mou-
ton (1). Malade en Adizaoza, ne doit pas recevoir la visite de personnes
ayant de nombreux enfants (2), de gardiens de bœufs, ne doit pas
manger du bœuf noir (de robe), de peur d'aggraver la maladie.
Malade en Asorotany, ne pas le laisser approcher de personnes venant
de loin ainsi que de voyageurs, ne doit pas manger de la chèvre ni des
feuilles de saonjo (arum). Malade en Alahasaty, ne pas le laisser appro-
cher de pêcheurs au filet ni de pêcheurs à la ligne, ni de personnes
s'étant foulé la main. Malade en Asombola, ne pas le laisser approcher
de fabricants de pirogues ni de petits garçons, doit s'abstenir de man-
ger du mouton et du hérisson. Malade en Adimizana, ne pas le laisser
approcher de nourrices ni de cultivateur réputé, doit s'abstenir de
manger du taureau noir (de robe). Malade en Alakarabo, ne pas le
laisser approcher des marchands, doit s'abstenir de manger du miel, de
la viande de chèvre, de la viande de mouton, des fruits de badamier,
Malade en Alakaosy, ne pas le laisser approcher par des forgerons, ni
des pêcheurs au filet et tous autres, doit s'abstenir de manger des cre-
vettes, des poulpes, de la viande de bœuf noir. Malade en Adijady, ne
pas le laisser approcher de gens de la forêt, doit s'abstenir de manger
de la viande de chèvre, de la viande de bœuf blanc et de la chair de
vontsira (Galidia alegans). Malade en Adalo, ne pas le laisser approcher
par des gens à qui on a confié des bœufsà garder, doit s'abstenir de
manger du miel, de l'anguille ton a, des oiseaux et du poisson. Malade
en Alohotsy, ne pas le laisser approcher par des personnes venant de
loin, ni des marchands; doit s'abstenir de manger de la viande de bœuf
rouge et des fruits de badamier.

(1) Adaoro est Je Bélier du zodiaque.


(2) Adizaoza est les Gémeaux du zodiaque.
- 65-

Les manuscrits dont nous avons extrait les passages ci-dessus sont
réputés posséder un caractère magique -; aussi ceux qui les possèdent ne
doivent ni les donner, ni les prêter. Les ombiasa les utilisent dans l'exer-
cice de leur ministère, à la fois religieux et médical, ce qui est la même
chose. Pour les indigènes, en effet, les maladies ne sont pas des phéno-
mènes naturels; on les attribue soit à un esprit vexé d'un manque
d'égards, soit à un esprit malfaisant, soit à quelque sortilège, soit à la
violation d'un fady ou encore à un acte interdit par le uintana qui a
présidé à la naissance. De même, la mort n'est pas un fait physiologique
normal; les Malgaches la considèrent comme une sanction consécutive
soit à la non observation d'un tabou, soit à l'action de puissances mal-
veillantes ou encore aux maléfices de sorciers.
Ces conceptions justifient les traitements spéciaux basés, essentiel-
lement, sur l'emploi de procédés magiques: a/afaditra (1), falla/am-
blntana (2) des Merina, sadaka (3), alad ih» (4) et falla/a [alim-bin-
talla ü) des Antaimoro. Dans tous les cas et chez toutes les tribus de
l'Ile, des sacrifices (sorolla) les accompagnent, et, le plus souvent, des
fady sont imposés.
Ces pratiques magiques ont pour but d'expulser le mal en le trans-
férant à un objet ou à un animal. C'est, dans ce dernier cas, l'exemple
classique du bouc émissaire (Lévitique XVI, 21-22). L'épisode de Jésus
faisant passer dans le corps des pourceaux les démons qui tourmen-
taient le possédé de Gadara (Marc. V, 1-7) est également un exemple
non moins typique.

(1) Ala-faditra, litt. action d'enlever le fadiera (mal provenant d'un sortilège).
La traduction habituelle, exorcisme , ne nous paraît pas satisf aisante. La notion de
fadiera est autre chose, en effet, que celle d'exorci sme qui vise les prières et c ér é-
monies destinées à chasser les démons.
(.2) Fanalam-bintana, litt. enlèvement du vintana, exprime l'idée de correction
des éléments néfastes du destin astrologique.
Cl) Sadaka, arabe s'adaka, aumône légale, synonyme de ala-faditra,
(4) Ala-dika, synonyme de sadaka.
(s) Fanala falim-binrana, litt. enlèvement des fad y du vintana, synonyme de
fanalam-binrana.
5
- 66-

. Voici com m en t se déroule habituellement la cérémonie du sadaka


ou ala-[adit ra chez les Antaimoro :
Le malade est assis sur une natte propre, le visage tourné vers l'Est.
L'ombiasa se tient debout derrière lui et regarde également l'Est. Il
tient dans ses m ain s le ou les objets « émissaires» qu'il balance sur la
t ête du p at ien t en pro n onçan t l'invocation rituelle (1) .
Si c'est un bœ u f qui ne doit pas être ensuite immolé, l'officiant lave
le 'cou et la tête de l' animal et recueille l'eau qui, avec les poils du front
ct de la bosse, seront utilisés. Dans Ce cas, l'ombiasa em por te le bœuf,
comme d'ailleurs tous les objets employés pour le sadaka , qui lui restent
acquis,
Si la cérémonie comporte l'immolation d'un bœuf, l'animal est
ligoté, la tête t ournée vers l'Ouest, direction qu'aurait, selon la tradi-
ti on Antaimoro, suivie la valalanampy, la première vache importée à
Madagascar par Darafify, d'après les un s, Raminia, d'après les autres.

(1) Exemple d' invocation t raduit e d'un manuscri t arabica -malgache: « Que le
fa di t ra parte, que le di ka s'en aille, je f ais le sadaka ; que le vola (se dit d'une chose
ma ligne adhérant au corps comm e les poils, les cheveux) se retire. Je coupe (une
branche pour en faire) une canne. J'éteins le tison. Je suis dan s l'eau ju squ' au cou.
(Lorsqu'il s'agit d'un personnage ou d 'un cas t rès grave, I'ombiasa et le pat ien t son t
effect ivernenr dan s l'eau, rivière, mare , mais la form ule s'emp loie, même q uand
l'opérat ion a lieu près de la case ). J'ai pris le poids de sept grains de paddy d' or, une
lamelle d' argent bien dro ite , u n sembo mangala ratsy (pagne t ricolore) , un bœuf au
f ront blanc. Cela fait ré ussir, cela donnera la vic, cela enlève les jour s mau vais, le
destin né faste ct les sâ f unestes. Tu étais sous le joug-d e fahavalo, t u n'y seras plus ,
t u éta is sous l'em prise de fahasivy, t u n'y seras plus , car tu es délivré d u fa dit ra,
tu es déliv ré du dika. Tu n 'avais pas encore ét é affranchi du f ahavalo ni du faha sivy.
T e voilà délivré (I'om biasa com pte alors à haut e voix 1,2., 3,4, 5, 6, 7, 8) le faha valo
est ter rassé, 9, le fa hasivy est t er rassé. Si le f ahavalc se lève, pour fr apper, le f ahasivy
écrase ce fa hava lo ; le fahas ivy se lève, le f ahavalo l'écrase. Le f ahavalo ent re dans. la
pier re, f ahasivy en tre dans le bois. Il n'a pas t ué, il n 'a pas blessé. 1 0, le hasina vient,
le f amolo arrive. Ra ik a ! tu étais allé avec t a femme (ou ton mari, car vady signifie
époux et épouse) , tes enfants. Roy! tu n' as pas été fra ppé par les dou ze vin t ana, car
on a fai t le f adirra, le sadaka . (L'Ombiasa én umère les dou ze vintana... ) . Alohotsy,
1~ m alheu r s'est enfui, ce qui avait f rappé s'en est allé. Tel o 1 c'est bien, car tu es
délivr é du fad itra et le dik a est parti. C rache ! car tu es délivré du faditra 1 »
- 67-

L'ombiasa prononce énsuite l'invocation suivante: « Voici, ô Zana-


hary! le bœuf que nous allons échanger contre la vie du malade... »
L'animal est alors saigné, selon le rite, avec un couteau consacré.
L'ombiasa oint le front et les tempes du malade avec le sang resté sur
le couteau. Un peu de sang de l'animal est recueilli dans un vase conte-
~ na n t de l'eau. L'ombiasa asperge avec ce mélange le malade et les
assistants. D'autre part, un morceau de la graisse du bœuf sacrifié est
brûlé sur un feu allumé à l'Est de la case et la chair est ultérieurement
mangée. Le malade et les assistants crachent dans la direction de l'Est
et la cérémonie prend fin. Pour tous, le mal est expulsé.
Les indigènes n'appartenant pas aux clans qui avaient, autrefois, le
privilège de saigner les animaux (1), lavent le sang répandu avec
sept (2) bambous remplis d'eau, car il est [ady pour eux de « passer
par dessus le sang », ,;wlldika ra, des animaux immolés (3).
Le [anala [alint-bintana, qui a pour but de détabouer un uintalla
néfaste, se pratique chez les Antaimoro de la manière suivante: L'om-
biasa remet à la personne intéressée un papier qu'elle devra porter sur
elle et sur lequel est tracé un talasimo (talisman) qui diffère selon le
vintalla qui a présidé à sa naissance. Ce talisman consiste en un mono-
gramme, formé d'un certain nombre de lettres arabes, intraduisible,
comme d'ailleurs certains djedouel arabes composés de la même ma-
nière.

(1) Les clans Anakara, Anrairsirnero, Anteony, Antaisambo, Anccmahazo et Zafi-


malazy avaient le privilège exclusif de saigner les bœufs.
(2) Le nombre sept est censé posséder une grande vertu magique. Les expressions
•suivantes dans lesquelles entre le nombre sept, fito , sont fort suggestives: hanim-
piroloha. grand repas; aizim-pito et alim-piro, très obscur; fanahy firo, esprit qui
sait se plier à tout. Chez les Merina, trois et sept sont des nombres sacrés. Au reste,
. Ph ep t ade est très répandue dans l'antiquit é et le folk-lore européen. Le nombre sept
,ioue également un très grand rôle dans la magie musulmane.
(3 ) Les Arabes évitent avec soin de marcher sur le sang. Ils croient que l'endroit
où il y a du sang est fréquenté par les djinns.
- 68

En Im érina, le [analam-bintana, qui a le même but que le falla /a


[alim- biut ana Antaimoro, se fait ainsi : Le nipauandro (litt. celui qui
fa it le jour (astrologie) l'astrologue prend des sonjo (arum), du
fanaro (arbuste, Gomphocarpus f ruticosus) qu'il dispose dans un
sahafa (plateau rond en bois servant à vanner le riz) en douze tas,
savoir : t rois morceaux à chacun des quatre angles figurant les reni-
vin/ana et, entre chaque angle, deux groupes de chacun deux mor-
ceaux représentant les zana -bi ntana, puis il formule à haute voix
l'i nvocat ion suivante: « 0 ViII talla ! qui ne serait pas bon, uintana
qu i ne serait pas favorable! Je t'enlève, car tu n'es pas bon, je t'enlève,
car tu n'es pas favorable! Je t'enlève pour que l'on soit débarrassé de
to i ! J'ôte ce sonjo pour que le bien apparaisse; j'enlève ce fanoro
pour que le mal soit changé en bien ». Est-il délivré? disent les assis-
tants. « Il l'est », répond le mpanandro qui frappe alors sur une bêche
usée pour faire résonner le fer, car le vin talla est tenace, sans le fer on
ne pourrait l'enlever (nouvel exemple du basina et de la vertu magique
du fer) . On emploie quelquefois un antsy bar)', coutelas émoussé en
fer. « J'enlève cette bêche, dit encore le mpanandro, afin qu'elle ne
. blesse ni le malade ni moi-même », On se sert de la bêche pour enlever
les objets utilisés et les jeter au loin. On ne doit pas les toucher avec les
mains, de peur de la contagion.
. Pour terminer, on fait des offrandes et on immole un vieux mouton
ou une vieille poule afin de rendre durables les bienfaits de la céré-
monie. Le mpanandro indique enfin l'amulette que devra porter le
patient, bracelet de perles spécialement désignées, bracelet ou encore
petit bœuf d'argent.
Les uakaua (perles de métal ou de verroterie) ont, d'après les
croyances malgaches, de grandes vertus magiques. Nous avons vu que
les sampy et les ad)' sont ceinturés d'étoffes décorées de perles de cou-
leu r. Voici une liste de quelques uahana employés comme am ulettes ou
entrant dans la composition d'amulettes :
• , \
,
/

- 69

Yoahangy (1), vah.ana de corail rouge, rond ou allongé. Jadis, en


Imerina, seuls le souverain, la famille royale et les nobles pouvaient en
posséder. Il protège contre les balles et les sagaies. Pendant la grande
guerre, nombre de militaires indigènes en avaient acheté, avant de
s'embarquer pour l'Europe.
Malaimisaraka, perle de verroterie blanche ou bleue clair, assure une
grande longévité à qui la porte.
Tongahaslna, perle ronde, bleue clair, corrige le uintana des person-
nes nées en Adizaoza.
Fenomanana, perle jaune avec des cercles ou noire avec des dessins
blancs, fait obtenir des distinctions honorifiques à qui la p orte.
Tsilaimby, perle ovale rouge sang, avec une raie dorée à chaque bout
et au milieu de petites roses, préserve des balles, amulette favorite des
milit~ires.
Fauiaibola, petite aiguille d'argent; elle permet d'acquérir des
richesses et de les conserver.
Famahiuoia, petite hache d'argent. C'est une amulette recherchée,
elle fait obtenir honneurs et richesses. Philtre irrésistible.
Ombalabivala, bœuf d'argent, symbole de la force. Jadis, les gens du
peuple n'avaient pas le droit d'en avoir.
Chacun des douze vin talla possède un vakana favori, aussi doit-on
porter le vakana du uintaua qui a présidé à sa naissance afin de renfor-
cer l'action de celui que l'on adoptera \~ < a prescrit par le
mpanan dro. e• ~
%
~li> ~ c
Le tromba L ~Jr :
.... &'IT"\~
~

Les mots trombe, chez les Betsimisaraka, es akalava, bilo, dans le

(r) Voahangy est un dérivé du radical hangy qui fournit en outre les dérivés
suivants: voahangibe Ou hangibe, pamplemousse; hangihangy, sorte d'herbe non
encore déterminée j sarihangy, perle rouge j tavoahangy, bouteille. L'étymologie de
hangy est inconnue. Celle de tavoa-hangy donnée par Julien, qu'il identifie au
Swahili tawangu, nous parait discutable. Nous proposons le malais: ungu , pourpre.
-70 -

sud-ouest, salamanga au Betsiléo et ranianeniana en Imerina, désignent


une affection nerveuse spéciale, non encore exactement déterminée,
l'esprit qui est censé la provoquer et la cérémonie destinée à expulser
cet esprit du malade.
Le tromba se manifeste par des douleurs musculaires aiguës, des
tremblements fébriles et un état d'excitation qui donnent l'impression
d'une crise d'aliénation mentale, d'autant que celui qui en est atteint
tient des propos incohérents et que son visage reflète un état d'égare-
ment et d'hébétude. Quelquefois, le tromba est caractérisé par un état
de prostration et un besoin impérieux de s'isoler .
Le docteur Andrianjafy qui, dans sa thèse de doctorat en médecine,
a donné une description du trombe, le considère comme une manifes-
tation nerveuse du paludisme.
Cette affection présente parfois un caractère épidémique. En iS63,
les Ramaneniana, partis du Betsileo, se répandirent en Imerina où ils
causèrent des troubles sérieux.
Dans le Menabe, le bilo sévit aussi, à l'état épidémique, en '90S. La
propagation est vraisemblablement due à une contagion mentale.
. Le tromba atteint également les hommes et les femmes, mais ces
dernières fournissent le plus grand nombre de cas.
Aujourd'hui, cette affection se rencontre surtout sur la côte occi-
dentale et dans le Sud de l'Ile.
Lorsqu'après avoir vainement essayé toutes les ressources des théra-
peutiques à sa portée, un malade va consulter le mpisikidy, celui-ci,
après avoir écouté l'exposé de ses vicissitudes, lui dit: « Vous êtes
possédé par le trombe, il faut l'expulser et vous serez guéri ».
. Pour les indigènes, le tromba est l'esprit d'un mort de qualité: roi
célèbre ou ombiasa réputé. Dans le sud-ouest, c'est un lolo malfaisant;
or, dans cette région, on le désigne sous le nom de bilo, que G. Ferrand
a identifié à l'arabe Ibilis, diable, en dialecte antaimoro, Bilisy.
'. Aussi, dès la première cérémonie fixée, bien entendu au jour et au
moment ~avorables, il s'agit d'abord de réveiller le iromba. La foule
-71 -

des parents et amis , parfois même tout le clan auquel ap pa rt ient le


malade, déploient une activité sans pareille pour obte nir que l'esprit
manifeste sa présence: prières sous forme de chants cadencés par des
battements de mains, offrandes rituelles, in vocations de celui qui dirige
les opération s, se succèdent durant t out le t emps nécessaire; on h it
brûler de I'encens en abondance. Puis, quand, enfin, le trombe répond
par l'intermédi aire du malade, c'est à qui lui posera les prem ières ques-
tions avec tout le respect dû à sa puissanc e.
Le patient est ensuite placé su t une sorte de lit ou sur un siège, chaise
ou simple caisse. D ans le sud -ouest , on le pose su r un kJtr~le, petite
estrade en rondins de bois reposant sur quatre pieds de 2 mè t res 50 de
hauteur; l'essentiel est qu 'il domine la fo ule des assistants assis par
terre (1).
Le !romba est consulté par t ous ceux qu i le désiren t; à chac un il
indique ce qu'il devra faire pour obt eni r ce qu'il souhaite : prospérit é
de son commerce, enfants, guérison d'une m aladie, etc. D es pièces d'or
ou d'argent, offertes au iromba par les personnes de l'assist ance, sont
déposées dans une assiette blanche où on a mi s, au préalable, de l'eau
sacrée puisée à une source spéciale, de la terre blanche, qui a une vertu
magique incontestée, et des morceaux de racines de nénuphar. Cette
eau servira ensuite à asperger le malade et l'a ssistance.
Après des péripéties plus ou moins lon gues, accompagn ées de chants
et de battements des mains, la crise finale se produit : le m alade s'é lance,
puis tombe à 'terre en poussant un grand cri. O n le ram asse et, après
quelques 'm in utes, il revient à lui, reprend ses sens et se trouve su rp ris
de voir tant de monde autour de lui . Il donne l'im pression de sor t ir
d'un état d 'ivresse. Il ne conserve pas le moindre souvenir de ce qui
s'est passé. On le baigne pour faire disparaître to utes souill ures, puis il
mange et s'endort. Il est délivré du trombe !

(I) On sait que regarder le roi de -haut en bas était con sidéré com me un crime de
[èse-m ajest é. Ici. le mala de est détenteur du rromba qui lui donne un caractère sacré.
comme le roi.
-72-

Au cours de la cérémonie, un bœuf est immolé. Le premier sang est


employé à marquer au front, au nez et à la nuque le malade et les
assistants qui Je désirent; ils sont toujours nombreux à solliciter ces
onctions. On prélève également du sang pour mettre dans l'assiette
dont nous avons parlé et dont le contenu servira aux 'aspersions rituel-
les. Le malade et les assistants reçoivent aussi sur le visage des marques
de terre blanche. Enfin, détail important, celui qui dirige la cérémonie
tient en mains un bâton sculpté qui paraît posséder des vertus magi-
ques qu'il est d'ailleurs difficile de préciser.
La description qui précède varie, dans les détails, selon les régions.
C'est ainsi que dans le sud-ouest un bœuf désigné dans un troupeau
par le malade, qui le touche avec le bâton spécial désigné plus haut,
recevra, au front, une incision avec un couteau consacré; le sang
restant sur la lame du couteau servira aux onctions du malade et celui
de la blessure à oindre les personnes de l'assistance. Ce bœuf, dit dabara,
n'est pas immolé, mais devient tabou; il aura désormais licence d'errer
à sa guise et nul n'osera y toucher.
Contrairement à ce qui se passe dans le cas général décrit ci-dessus,
ce n'est pas à un bœuf qu'est transmis le mal, mais à un pieu, appelé
aussi bila, qui est sculpté spécialement et qui représente un être humain
avec sexe fortement accusé.
Toutes ces cérémonies sont suivies d'ablutions purificatrices, de liba-
tions abondantes de rhum et de repas copieux au cours desquels la
viande des animaux immolés est consommée.

Mallala ondrana
On appelle ainsi une levée d'interdit particulière qui permet à un
homme et à une femme, liés par une parenté qui, aux yeux des indi-
gènes, ferait considérer leur union comme incestueuse, de pouvoir
contracter mariage.
La langue malgache ne possède pas de mots pour désigner oncle et
tante, cousin et cousine germains. On les appelle respectivement, père
-73-

et mère, frère et sœur. Le mariage est prohibé entre oncle et nièce,


tante et neveu et aussi entre cousins germains. Pour ces derniers, cepen-
dant, les enfants de deux sœurs passent, dans toute l'Ile, pour être
te'.1Us par des liens plus étroits. Cette primauté de la parenté utérine,
qui est une règle fondamentale du droit malgache, est un vestige du
matriarcat de jadis attesté, en outre, en dialecte antairnoro, par
l'expression rel/Y min-dray, mère et père, qui contraste avec le ray
amandreny, père et mère, des autres parlers de l'Ile. Aussi bien, ne faut-
il accepter que sous bénéfice de vérification les accusations d'inceste
que l'on entend très souvent formuler, bien qu'il semble que l'inceste,
tel que nous le concevons (1), ait existé dans les familles royales et aussi
. dans certains clans antarnbahoaka.
Avant de pouvoir contracter mariage, qu'il y ait eu ou non consom-
mation préalable, deux personnes lady, c'est-à-dire dont l'union est
prohibée, sont tenues de faire le manala ondraua, litt. enlever la
consanguinité.
La cérémonie comporte l'immolation de deux bœufs qui doit s'effec-
tuer au sud de l'habitation. Les, deux animaux sont placés de façon
que leurs croupes se touchent, la tête de l'un est tournée vers l'Est,
celle de l'autre vers l'Ouest. Le chef de la famille fait les invocations
rituelles et bénit les conjoints. Chez certaines tribus, ces derniers se
font réciproquement des onctions sur le front et les tempes avec le
sang des victimes. La viande des animaux est partagée entre les inté-
ressés, leurs parents et les assistants, à l'exception de la culotte, vodi-
hel/a, qui, considérée comme impure, est jetée. Les époux doivent man-
ger un morceau des queues des animaux, cuites à part.
Le 1Il(/IIa/a ondraua est presque tombé en désuétude chez les Merina,
sauf cependant dans les campagnes.

(r) La notion d'inceste est évidemment fonction de l'idée qu'on se fait de la


parenté.
-74 -

Velirauo
Nous avons vu que chez les Merina, à l'occasion de l'avènement d'un
nouveau souverain, le serment de fidélité consistait à boire le vokaka,
eau dans laquelle on mettait de la terre prise aux tombeaux royaux.
Il y avait encore deux autres formes de serment: le uelirano et le
lejonomby.
Pour le uelirano, on mêlait à de l'eau des grains de riz coulés, un peu
de bouse d'un jeune veau very rel/Y, dont la mère était morte, et de
l'herbe tsindrorotra (sporobotus indica).
Un fils du souverain remuait cette eau, un autre y plongeait une
sagaie et à ce moment prononçait la formule du serment, après quoi
on aspergeait l'assistance avec l'eau.
Pour le lejonomby, un prince sagayait un veau very reny, en pro-
nonçant les imprécations répétées par les assistants. Ceux parmi eux
qui étaient armés, piquaient l'animal avec leur sagaie.
Ces cérémonies se terminaient par l'offre du basina au souverain,
qui consistait à donner une piastre d'argent.

Dit [atidra
Le [atidra, on dit aussi: vakira, tata-dra, ualdlibo (Sakalava), aiin-
hena (Antandroy) ou fraternisation par le sang, a été pratiqué, dès la
plus haute antiquité, par les Scythes, au témoignage d'Hérodote, par
les anciens scandinaves et par les anciens hongrois. Speke a signalé SO!1
existence chez les Nyam-Nyam (Voyage aux Sources dit Nil, Paris,
1864) ; et Alfred Loisy chez les Arunta en A"ustralie. Il ne semble pas
avoir été inconnu des anciens arabes, selon Doutré (1).
Le [atidra n'est donc pas une coutume spécifiquement malgache.
En ce qui concerne la Grande Ile, le fatidra est une institution qui
a pour but de créer entre deux personnes des relations artificielles de
fraternité, ce dernier mot étant pris dans son sens restrictif.

(1) Doutté: Magi€' ri Religim, dam l'Afrique du Nord. Alger, 1908, page-tp .
-75-

z Le fatidra, qui est pratiqué dans tout Madagascar, sauf dans la


bonne société des grandes villes, comporte l'engagement solennel pour
les personnes qu'il unit « Ide s'assister et de se soutenir dans la joie
comme dans la douleur, par toutes les ressources qu'elles tireront de
leurs forces vitales comme de leurs biens, sans jamais trahir leur
serment jusqu'à la mort »,
Le [atidra est un des engagements que les indigènes respectent le plus
scrupuleusement.
On fait le [atidra entre hommes, entre femmes et entre hommes et
femmes. Le premier cas est le plus général, le second est rare et le
troisième assez fréquent. Des Européens ont fait le fatidra avec des
chefs indigènes, le plus souvent quand ils y avaient un intérêt pour
leurs affaires ou la réussite d'une exploration. Les [atidra de Lambert
avec le roi Radama II et de A. Grandidier avec Lahimerizo, roi du
Fiherenana, sont les plus notoires.
. La cérémonie du fatidra se déroule dans toutes les tribus malgaches
d'une façon identique, quant à ses éléments substantiels: incisions à la
poitrine près de la pointe du sternum, mélange des sangs recueillis qui
sont bus par les deux frères ou encore chacun boit le sang de l'autre,
ct échange de serments. Dans les détails on constate, cependant,
quelques différences.
Coutume bâerina. - Quand deux personnes ont décidé de s'unir par
le fatidra, elles s'adressent à un de leurs amis au courant des usages. Ce
dernier, au jour fixé, met dans un van de la bouse de bovidé ramassée
au hasard dans la campagne, des sauterelles auxquelles il a tordu le cou,
de l'herbe sèche, des grains de riz coulés. Les intéressés tiennent en
même temps le van et le III Pisika - (on appelle ainsi celui qui dirige la
cérémonie) - prononce les imprécations rituelles que les contractants
répètent au fur et à mesure, tandis qu'ils frappent sur leurs mains de
petits coups cadencés avec la pointe d'une sagaie. Les imprécations font
allusion aux choses viles et repoussantes réunies dans le van, par
exemple: (( Que celui qui oubliera l'engagement pris aujourd'hui
-76 -

vis-à-vis de l'autre expie sa trahison en tombant aussi bas que les choses
qui sont dans ce 'van , qu'il devienne aussi repoussant .que la fiente
perdue dans la campagne, aussi malheureux que les sauterelles dont le
cou est tordu, aussi misérable que l'herbe séchée au soleil et aussi mépri-
sable que l'épi dépouillé de son grain, etc. ». On procède ensuite aux
incisions, faites à l'épigastre; le sang est recueilli sur un morceau de
gingembre, ou dans un vase contenant de l'eau. Les contractants ayant
ainsi mêlé leurs sangs, en absorbent chacun la moitié, soit en mangeant
le gingembre, soit en buvant le liquide.
A l'issue de la cérémonie, un festin réunit généralement les parents
et les amis des « frères de sang n,
Coutume Sakalao«. - Au lieu d'un van, on prend un vase conte-
nant de l'eau dans lequel on met successivement sept morceaux ou
pièces d'argent, sept grains de poudre, sept pierres à fusil, sept
balles, sept os de bœuf, sept cœurs d'herbe, sept grains de sable
pris dans une fourmilière; sept morceaux d'écorce d'un arbre et
sept pincées de terre prises aux quatre points cardinaux. L'officiant
plonge dans le vase la pointe d'une sagaie dont les contractants tien-
nent la hampe à pleines mains et prononce les paroles sacramentelles
suivantes, tout en frappant à petits coups, avec un couteau, le fer de
la sagaie: « 0 vous qui faites le [atidra ! rappelez-vous bien la signifi-
cation de chacun des objets (qui sont dans le vase) : l'argent veut dire
que vous devez partager en frères vos biens; la poudre, les balles et les
pierres à fusil indiquent que les combats et les dangers vous seront
désormais communs; les os de bœuf signifient que vous devez vous
livrer ensemble à la joie des festins; les cœurs d'herbes que vous devez
errer ensemble dans les forêts, si le sort vous oblige à vous y réfugier;
le sable vous dit que vous devez travailler ensemble, et la terre prise
aux quarre points cardinaux que chacun de vous doit suivre son frère
partout. ',2, 3,4, 5, 6,7 est le nombre des jours de la semaine, c'est
-77-

aussi celui des années qui s'écoule avant de les compter de nouveau (1).
Il vous indique que vous deve z vous entr'aider pendant les jours et les
années.
« Si l'un de vous viole une seule des obligations du [atidra, que sa
vie soit brisée et qu'il périsse par le fer d'une s ,gaie semblable à celle
que vous tenez »,
L'un des contractants se fait ensuite, avec le couteau de l'officiant,
une incision à l'épigastre; le sang recueilli, mêlé à une cuillerée de
l'eau consacrée, est bu par l'autre qui, à son tour, se fait une incision
dont le sang est bu par le premier.
Chez les Bara la cérémonie est la même, mais on met dans un vase
contenant de l'eau un tison prélevé au foyer de la case, un peu de suie,
des grains de sel et de la terre prise aux quatre coins de l'habitation.
En outre, on immole un ou plusieurs bœufs dont la chair constitue la
base du repas qui réunit les « frères de sang », l'officiant et les assis-
tants.
Chez les Anrandroy le [atid ra est désigné sous le nom d'ati-kena.
La cérémonie est la même .que celle des autres tribus, sauf en ce qui
concerne l'eau consacrée. Voici Comment on procède: Dans une
marmite ou une calebasse remplie d'eau, l'un des contractants met
sept pincées de cendre, puis il trace sur le sol une croix et, aux deux
bouts de chacun des bras de cette croix, il prend une pincée de terre
qu'il jette en sept fois dans le récipient; la cérémonie se déroule
ensuite comme nous l'avons dit. L'incision se fait avec la pointe de la
sagaie et chacun avale la goutte de sang de l'autre.
Les personnes unies par le [atidr« se considèrent comme frères;
aussi le mariage et les relations sexuelles sont interdits entre un homme
et une femme liés par le [atidra. •
Toutefois, chez les Antandroy, les femmes de deux cc frères de

(1) Allusion au cycle des sept années signalé pr écédemment.


-78-

sang » leur sont communes, alors qu'une telle pratique est fady entre
frères utérins ou consanguins. Cette faculté pour un homme d'user
ainsi de la femme de son [atidra est admis ans lusieurs autres tribus.
_\-10)"+

• +l ."Co
Sanlal ~ ~.
't- !
Autrefois, la fondation d'un nouveau '!.!::g~, la construction d'une
maison, des parcs à bœufs, l'érection de tsangant-bato étaient précé-
dées de cérémonies spéciales accompagnées de sacrifices ayant pour but
de protéger hommes et bestiaux contre les esprits malfaisants.
Dans tous les cas, il fallait déterminer d 'abord l'époque favorable;
puis, pour un village, on commençait par ériger une pierre sacrée, on
procédait ensuite à la plantation d'arbres choisis parmi les essences
réputées par leur basina.
Aujourd'hui, ces usages ne sont plus strictement suivis que dans les
parties de la colonie où les coutumes anciennes sont encore observées.
Mais, dans toute l'Ile, les règles anciennes concernant la cons-
truction des maisons continuent à être appliquées, au moins en partie.
C'est ainsi que l'on constate, en Imerina par exemple, que les maisons
ont les pignons au Nord et au Sud, que les façades sont à l'Ouest et que
la porte principale n'est jamais placée au Nord, ni au Sud, ni à l'Est.
Agir autrement serait violer les [ady, selon lesquels la maison serait
abandonnée, si les pignons étaient à l'Est et à l'Ouest; le propriétaire
qui mettrait sa porte au Sud deviendrait sorcier; celui qui la mettrait
à l'Est verrait sa femme mourir, enfin la placer au Nord attirërait la
foudre.
D'autre part, il est fady de commencer à bâtir une maison pendant
le mois d'Alahamady, sous peine de ne pas atteindre la vieillesse, ni en
Adaoro, car on aurait peu de postérité, ni en Adizaoza, on risquerait
de mourir jeune. Enfin, faire les fondations d'une maison en Alahasaty
ne permettrait pas de devenir riche et bâtir une maison avec un retour
d'aile en Alakarabo donnerait des enfants jumeaux.
-79 -

Ces exemples, qu'il serait aisé d'augmenter, donnent une idée des
difficultés, d'ordre sentimental, que rencontre le Merina qui désire
bâtir une maison.
Partout ailleurs, on constate des entraves du même genre dont la
simple énumération serait fastidieuse.
Le choix des matériaux fait également l'objet d'interdictions dont
beaucoup sont aujourd'hui tombées en désuétude. Dans la région des
lacs Itasy et Alaotra il était lady de construire des maisons en maçon-
nerie; autour du lac Alaotra nombre de Sihanaka se conforment
encore à cette règle . On a peine à croire qu'à Tananarive même cette
interdiction était, en 1830, religieusement observée. Ce lady est,
d'ailleurs, général dans toute l'Ile et les médecins indigènes qui ont
servi dans le Sud et dans l'Ouest, il y a quelques années seulement,
savent que c'est une des raisons pour lesquelles malades et femmes
enceintes refusaient de se faire hospitaliser dans les bâtiments de
l'Assistance médicale indigène, construits en maçonnerie.
La maison étant achevée, il faut, avant de l'habiter, « pendre la
cr érnaillère » : c'est le fitokallantrallo des Malgaches, l'inauguration de
la maison, qui donne lieu à une céh . onie familiale comportant
l'immolation d'un mouton oiIçde volai)le.
Une particularité importante de la cérémonie est celle du feu, qui
doit être porté par une jeune fille ayant ses père et mère vivants. Le
feu est déposé sur le foyer, après une invocation et des souhaits au
propriétaire. On ne doit pas laisser ce feu s'éteindre, pendant trois
jours. Il s'agit là d'un rite purificatoire caract érisé ; on sait, en effet,
que lefeu, comme l'eau et le sang, est un des éléments principaux des
purifications religieuses malgaches.
Mais les Malgaches consid~rent la cérémonie d'inauguration de la
maison comme un santatra.
La traduction habituelle de sant a/ ra, par prémices, est correcte, mais
insuffisante. En effet, santatra ce sont « les premiers fruits de la terre,
du bétail que l'on offre à la divinité », au roi, au chef, ce qui revient
- 80-

au même, étant donné le caractère de sainteté, le basina, dont ils sont


revêtus. (Le Gouverneur Général, à Tananarive, reçoit encore, chaque
année, les prémices du riz qui lui sont apportés avec le cérémonial
traditionnel). Sali/a/ra signifie, en outre, tout ce que l'on fait pour la
première fois: fondation d'un village, construction d'une maison,
d'un tombeau, d'une fosse à bœufs, la première coupe de cheveux d'un
enfant, le défrichement d'un terrain, les premiers labours des rizières
et des autres cultures, les moissons, etc. Le uodibena, arrière-train de
tout bœuf abattu, qui était réservé au souverain, - remplacé plus tard
par une somme d'argent, - participe également du sali/a/ra; c'est un
impôt prémicie1. Cette coutume, générale dans l'Ile, a été conservée
par l'administration française, mais le uodibena est appelé aujour-
d'hui: taxe d'abatage.
Tous les Sail/a/ra, énumérés ci-dessus, donnent lieu à des cérémonies,
quelques-unes accompagnées de sacrifices d'animaux et toutes d'invo-
cations ou de remerciements, selon le cas.
L'étude de ces manifestations révèle que, pour les Malgaches, toutes
choses appartenant à une puissance supérieure (divinité ou esprit)
il faut offrir à celle-ci les prémices avant de pouvoir en user.
Le sacrifice prémiciel est d'ailleurs universel et c'est à tort que nom-
bre d'auteurs ont prétendu que ces coutumes sont d'importation juive
ou musulmane.

Le 1androana
Le [androana ou fête du bain (jaudroana signifie bain) etait autre-
fois la plus grande fête Merina. Elle a été célébrée, pour la dernière
fois, le 22 novembre 1896. On sait que la royauté a été abolie, en
Imerina, par un arrêté de Gallieni du 28 février 1897 ; depuis, notre
Fête Nationale a remplacé, pour les indigènes, celle du [androana.
Il est, toutefois, utile de rappeler les particularités de la fête du bain
qui permettent de mieux comprendre l'âme des Merina.
- 81-

Contrairement à l'opinion courante, le bain de la Reine n'était pas


le pivot de la fête, mais un simple épisode.
Le [androana avait essentiellement un caractère religieux. A. Van
Gennep (1) le range parmi (( les fêtes agraires destinées à redonner une
nouvelle puissance à la végétation et à assurer les récoltes et la vie des
hommes H. C. Razafimino (2), to ut en reconnaissant au [androana le
caractère de. fête agraire, estime que l'élément religieux prépondérant
est le culte des ancêtres.
Ces deux auteurs sont cependant d'accord pour condamner les
théories qui représentent le [androaua comme une fête des bœufs ou
une fête du Bain. Nous partageons entièrement leur avis à ce sujet.
Aujas (3) considère le [androana comme une cérémonie de sanctifi-
cation et de purification de la personne royale et se range à l'opinion
des Pères Soury Lavergne et de la Devèze (4) qui voient essentiellement
dans le [audroana la fête de la destinée royale.
G. Ferrand, enfin, apparente le [androaua à la fête qui suit le jeûne
du Ramadan. ,
Avant de formuler un avis, nous allons examiner les détails caracté-
ristiques de la fête . D'abord, les fady : dans la semaine qui précédait
et celle qui suivait le [androana, il était interdit d'exposer, de trans-
ponter et d'ensevelir les morts pendant le jour. Les personnes en ~
étaient exclues de la fête. Ces deux cas s'expliquent par la peur de la
contagion, directe ou indirecte, l'impureté attachée au cadavre étant
réputée avoir souillé les siens, qui lui ont rendu les derniers devoirs.
Cinq jours avant et cinq jours après le [audroana, il était lady de
répandre le sang; aussi était-il interdit d'abattre des animaux de

(1) A. Van Gennep: Tabou et Totémisme à MadagaSCAr. Paris, 1904.


(2) C. Razafimino: La signification reli gieuse du Fandroana. Tananarive, 1924.
(3) L. Aujas : Les rites du sacrifice à Madagascar. Bulletin de {'Académie Malga-
che, année 1927, fascicule 2.
(4) P.-P. Soury Lavergne et de la Dev èze : Fête nationale du [androana eü l merins,
Anthropos (Vienne), mars, juin, juillet, octobre 1913.
82 -

'bouc herie ; toutefois, la mise à mort des volailles était tolérée, m ais
seulement pour le peuple. Il s'agit, dans ce cas, d'un tabou du sang
limité dans le tem ps ou d'une sorte de jeûne.
Pendant la semaine qui précédait le [aud roana, on échangeait des
visites et des cadeaux entre parents et amis, voire même entre habi-
t ant s d'un même village. Les enfants offraient le solom -bodiakobo
(litt. remplaçant du croupion de poule, part du chef de famille, des
aîn és, erc.) aux parents qui répondaient par le solom -penahobo (litt.
remplaçant de la cuisse de poule, morceau réservé aux enfants, aux
.jeunes ... ) . En fait , on échangeait des présents, en argent ou en nature.
Il en était de même pour le jaka qui, primitivement, consistait en un
morceau de la viande du bœuf abattu le jour de la fête. Le jaka était
rigoureusement obligatoire. Les hommes devaient l'offrir à leurs mai-
tresses, sous peine de perdre la face; d'ailleurs, jusqu'en 1869, l'Etat ne
manquait pas de leur rappeler, en temps utile, cette obligation.
La semaine précédant le [and roana était aussi l'époque des réconci-
liations : les époux séparés reprenaient la vie conjugale, les parents et
les amis fâchés se réconciliaient, tout au moins pour la durée des fêtes.
La veille et le jour du bain royal, à la tombée de la nuit, les enfants
sortaient munis de torches allumées qu'ils agitaient, tout en courant,
autour des villages . Cette cérémonie était appelée barendriua, mot-qui
a le sens d'errer. Vu du sommet de Tananarive, le spectacle de ces feux
mobil ës illuminant tout le pays, jusqu'à l'horizon, était féérique . Nous
avons gardé une impression très vive du premier spectacle de ce genre
auquel nous avons assisté, en 1887, et qui contrastait avec la tristesse
habituelle des paysages Imériniens.
La nuit de la veille du bain royal, après les barendriua, les familles
ayant perdu un ou plusieurs membres pendant l'année écoulée, s'assem-
blaient pour le [am oizaua, renonciation. Les femmes se livraient jus-
qu'à I'aurore aux lamentations rituelles.
Le grand jour, celui du bain. royal, était marqué par des cérémoniès
qui se succédaient dans l'ordre suivant:
- '83

, l" A la pointe du jour on immolait un coq rouge, puis chacun des


assistants se faisait, avec le sang recueilli dans un vase d'argile, des
onctions au front, à l'épigastre, au nombril et aux parties sexuelles.
Cette coutume ancienne était tombée 611 désuétude après la Conver-
sion de la reine Ranavalona, en 1869 ;
2' Quelques centaines de bœufs, parqués préalablement dans l'en-
ceinte du Palais Royal, étaient distribués au peuple d'une manière
singulière: on lâchait ces animaux à la potte du palais et il était permis
à tout le monde de courir après; ceux qui les capturaient en devenaient
les maîtres. Cette chasse à travers les rues de Tananarive, qui n'était
pas, d'ailleurs, sans danger, donnait pendant quelques heures. à la capi-
tale un aspect inoubliable;
3' Peu après, les rues étaient sillonnées par des groupes d'indigènes
vêtus de leurs plus beaux habits, se rendant visite pour le sajorano,
aspersion. Cette cérémonie consistait en une onction que chaque visi-
teur se faisait avec de l'eau puisée à une source sacrée qui, après avoir
été chauffée, était déposée dans la maison, au coin des ancêtres et des
prières; le zoro-firarazana. Cette onction était accompagnée des
souhaits habituels: « Puissions-nous revoir mille fois le retour des
ans! Puissions-nous ne pas être séparés des nôtres! » Le chef de famille
aspergeait ensuite les assistants;
4" Comme la veille, à la tombée de la nuit, les barendrina illumi-
naient tout le pays;
5" Bain royal. La grande salle du Palais de Manjakarniadana était
disposée comme suit: sur la face Nord, le trône; au coin Nord-Est un
rideau rouge dissimulait la baignoire d'argent; un cordon rouge sépa-
rait la foule des invités, y compris les Européens, de ('emplacement du
trône autour duquel prenaient place la famille royale, les dames
d'honneur et les hauts dignitaires. Tous les indigènes avaient revêtu le
/am1?amflla, costume de cérémonie des ancêtres. L'assistance était
debout ou assise sur-le plancher, seule la Reine avait un siège. Aptès
une courte apparition, la souveraine, vêtue d'un grand manteau rouge
1
- 84-

et coiffée de la couronne à sept branches, se retirait derrière le rideau


où elle prenait le bain, simple bain rituel d'ailleurs, avec de l'eau de
mer, ranomasina, apportée de la côte. Ce moment solennel était
annoncé au peuple par des coups de canon.
Le basina était offert à la Reine successivement par les représentants
des clans de la noblesse et des classes du peuple, selon l'ordre proto-
colaire.
,
La Reine sortait ensuite de l'emplacement réservé au bain, revêtue
de ses atours de grande cérémonie et tenant dans sa main gauche une
corne blanche contenant de l'eau du bain avec laquelle, de sa main
droite elle aspergeait les assistants, puis elle se rendait à la grande porte
Ouest de la salle où elle aspergeait la foule. Elle regagnait ensuite son
trône. On mangeait alors le riz et la viande du [androana précédent,
conservée dans de la graisse et que des serviteurs royaux (les madia
tanana, les mains propres) avaient fait cuire sur place. Riz et viande
étaient servis dans des feuilles de bananier ou des calebasses et mangés
avec des cuillers de corne ou de bois. Des discours clôturaient la céré-
monie qui, commencée à 19 heures, prenait fin vers 21 heures. Chacun
rentrait ensuite chez soi pour le bain familial;
6' La nuit du bain était dite, jadis, andro tsy maty, jour exempt de
sanctions; on se livrait à des débauches analogues aux Saturnales, et
Bacchanales de l'antiquité; nous en reparlerons plus loin.
Récemment, cette nuit, dite alin-dratsy (la mauvaise nuit) la femme
ayant abandonné le domicile conjugal devait partager la couche de
son mari et même coucher sous son toit, s'il "ét ait absent;
7 " Le lendemain, premier jour de la nouvelle année, on échangeait
les souhaits traditionnels: « Salut à vous atteint par la nouvelle
année!)) « Oui, nous l'avons tous atteint! )) On apprêtait le riz avec
du lait et du miel; les membres de la famille et les amis prenaient part
à ce repas rituel au cours duquel se faisait l'imposition du riz. Un
parent, dont les père et mère sont vivants, prenait à cet effet du riz du
repas et en déposait quelques grains sur la tête de chacun des convives
85 -

en disant: « J'impose cette matière sacrée sur votre tête; ce n'est pas
le riz qui est saint, mais vous, de façon que la mort n'ait pas de prise
sur vous! » Il faisait ensuite une onction avec le miel en disant:
« J'impose ce miel doux sur votre tête. Vous serez plus estimé que le
miel, vos paroles seront douces à entendre! »
Cette cérémonie, qui avait une grande importance, a tous les
caractères d'un rite agraire;
8° Cette même journée était également consacrée à l'immolation
des bœufs, qui devait avoir lieu pendant que le soleil montait au zénith,
d'habitude de grand matin, pour permettre au peuple de sacrifier ses
bœufs pendant que le soleil était encore en ascension.
Le sacrifice royal d'un bœuf volavila, - de couleur rouge, marqué
de taches blanches au front, au dos, à la queue et aux jambes, - devait
être terminé avant que le peuple pût commencer les abatages de
bovidés auxquels il se livrait ce jour-là. 11 convient de rappeler que
pendant les cinq jours qui suivaient il était interdit d'abattre des
animaux de boucherie.
L'immolation du bœuf volavita était autrefois présidée par le souve-
rain, monté sur un des tombeaux royaux devant lequel le sacrifice était
Îâit:. L'animal, la tête tournée vers l'Est, ne devait pas pousser un cri
pendant qu'on lui coupait la gorge. Le sang de l'animal était soigneu-
sement recueilli dans un récipient n'ayant jamais servi Le sacrificateur
présentait le c~uteau sanglant au roi qui le léchait et se faisait des
onctions sur diverses parties du corps avec le sang qui adhérait à la
lame. Des tiges de zozoro (Cyperus œqualis) étaient trempées dans le
sang, puis suspendues au-dessus des portes, pour protéger la maison et
ses habitants contre la foudre, l'incendie ou les lolo malfaisants.
Durant l'immolation du bœuf, le Roi invoquait ses ancêtres et priait
pour la prospérité du royaume.
Au sacrifice sanglant succédait un holocauste: devant les sept tom-
beaux alignés dans la cour du Palais, les « filo utiandalana », on brûlait
un morceau de la bosse du bœuf uolavita immolé, enfilé dans une sorte
- 86-

de gril en fer à sept branches. Dans toute l'Ile, des holocaustes du


même genre suivent habituellement l'immolation de bœufs, au moins
pour les sacrifices importants.
Le peuple procédait à l'abatage de bœufs avec les mêmes rites que
le souverain dont le rôle était tenu par les chefs de famille. La viande
était distribuée aux parents et aux amis; on appelait ces cadeaux: la
chair qui entretient la parenté, j'amitié, les bonnes relations, 110fol1-
keu« mitam-pibavana na.
Le soir était consacré aux tombeaux: on y brûlait des morceaux de
la bosse du bœuf sacrifié et la pierre levée, placée « à la tête du tom-
beau », était ointe de graisse;
9° La journée du lendemain était réservée aux enfants qui, réunis
à Mahamasina, aujourd'hui place Richelieu, jouaient et faisaient une
dinette appelée tsihonona ;
10° Les fêtes du [audroana prenaient fin après la visite du roi à

Ambohimanga. Au cours de cette visite on immolait un bœuf t'oill-


uita dont le sang servait à asperger les tombeaux royaux auxquels on
faisait également des offrandes.
Bien entendu, tous les travaux étaient suspendus pendant toute la
durée des fêtes.
Si l'on considère les rites du [and roana : feux des bareudriua, sacri-
fices purificatoires, visites et échanges de cadeaux, bain royal, béné-
diction du peuple, nuit orgiaque, particulièrement importante, car de
nombreux exemples (1) établissent la croyance de l'action favorable
.d u commerce des sexes sur la végétation, imposition du riz, on est
amené à conclure que le [audroana présente les caractères d'une fête
agraire; les honneurs rend us aux ancêtres ne sont, au demeurant,
qu'une manifestation du culte que leur vouent les Malgaches et qui est
le pivot de leur religion.

(1) Frazer: Golden Bougb, II, p. '04.


- 87-

Fête des Dady 0/1 liv»

Chez les Sakalava, les reliques des ancêtres royaux et aien t l'objet
d'un culte solennel qui était célébré chaque année, un lundi, jour
favorable, de la première moitié du mois lunaire de fan java ma nitraha,
juillet.
La dernière cérémonie de ce genre dans le Menabe a eu lieu, en
19'5, à l'occasion du transfert à Belo des D ad y des anciens rois Saka-
lava de cette région.
A Mahabibo, près de Majunga, les Dady sone enc ore hon orés chaque
année.
Les dady ou jillY que nous avons déjà décrits sont déposés dans une
maison minuscule appelée zombakely ou zomba lady, éd ifiée dans
l'intérieur de la maison royale, dite zombabe. L'ensemble est protégé
par une double enceinte de pieux pointus.
Au jour fixé, les bœufs destinés aux sacrifices sone attachés entre la
) première et la seconde enceinte; ces bœufs son t spécialement choisis.
J- L 'ordre de les immolez.est donné du zombabe. Les animaux sont tués
avec une sagaie réservée à cet usage. Aussitôt que l'animal a été
1 . immolé, la sagaie est lavée dans un vase contenant de l'eau; cette eau
sert ensuite à asperger la fo ule, Des femmes chantent et battent des
mains, on tire des coups de fusil à l'extérieur, cependant que les descen-
danes des anciens rois, vêtus de rouge, posent les dady sur leurs épaules
et les portent 'religieusemen t , puis ils les baignent et les enduisent de
miel et d'huile de ricin. La foule se prosterne et prodigue aux dady les
salutations d'usage, après quoi on les rentre cérémonieusement dans
le zomba lady. Les assistants boivent et arrosent leur visage avec l'eau
du bain sacré.
Le moment de partager la viande arrive. Cette opération, qui com-
porte un simulacre de dispute, provoque un grand tumulte et la fuite
des femmes.
. Le vendred~ suivant est consacré aux réjouissances populaires.
- 88-

Voilà, en quelques lignes, comment se déroule à Mahabibo la fête


des Dad y d'Audriamlsara efa-daby (et ses successeurs) anciens rois du
Boina.
Des services plus modestes sont célébrés, périodiquement, pour hono-
rer les dud-y d'autres rois Sakalava.

Sacrifices d'illitiatioll
Les Ombiasa, masy, III pallalldro, 111pisikJdy et gardiens d'idoles
jouent, dans la vie des Malgaches, un rôle beaucoup plus important
qu'on ne le croit communément. On l'a bien vu, lors des mouvements
insurrectionnels qui se sont produits depuis la conquête en divers
points de la colonie.
Leur influence n'a pas toujours le même caractère xénophobe,
comme l'atteste un ala-jad y, enlèvement de tabou, d'un grand intérêt
économique, qui fut solennellement célébré à la ferme vétérinaire de
Morahariva, en pays bara, le 24 novembre '929,
Il s'agissait de lever l'interdit du porc qu'il était rigoureusement
fady d'élever et de manger.
La cérémonie se déroula selon les rites: immolation d'un bœuf et
aspersion de l'assistance avec l'eau consacrée où avait été trqmpé le
couteau sanglant ayant servi au sacrifice. Au grand repas qui suivit,
chacun mangea de la viande de porc, puis on fit les libations cou tu-
rnières et, selon l'usage, la fête se termina par des luttes (ringa) et des
danses.
Si l'on est fixé sur le rôle des ombiasa, masy, mpisikidy, etc., on est
assez mal renseigné sur l'éducation spéciale qu'ils reçoivent et sur les
rites de leur initiation.
Pour les Antairnoro, on sait qu'ils apprennent à lire et à écrire
l'arabico-malgache et que les anciens leur donnent ensuite l'enseigne-
ment spécial qui a, d'ailleurs, un caractère rigoureusement ésotérique.
Depuis quelques années, un certain nombre d'entre eux vont suivre les
- 89-

cours de l'école coranique de Nossi-Bé, ce qui explique la renaissance


de l'islamisme constatée dans le Sud-Est de Madagascar.
Chez les Sakalava, les masy, qui sont généralement des hommes âgés,
n'arrivent à cette dignité qu'après un stage asse~ long comme prépa-
rateurs de drogues. Leur consécration donne lieu à une cérémonie
solennelle au cours de laquelle un bœuf est immolé.
Partout, enfin, cette fonction se transmet généralement de père en
fils, ce qui ne permet guère d'être exactement renseigné.
Nous examinerons plus loin la circoncisi qui est aussi un rite
d'iinitiation.
.. . .'
.\..'01'
+•
• l D
c 'ft"",. c:
Le sikid:> ~ ·...f/~[ •
L
(f-
e
....

Sihidy, forme dialectale siki/y, est un '~pr u n té à l'arabe:


cbikcl, figure.
Nous avons déjà dit que -le sihidy est pratiqué dans tout Madagascar.
. Les indigènes ont en lui la plus entière confiance. Ils ne manquent pas
de le consulter en toute circonstance. Il mérite donc qu'on lui consacre
quelques développements.
La croyance à la divination est universelle. Pendant des siècles elle
a bercé l'humanité-et de nos jours, encore, elle a partout des adeptes.
Les formes seules varient, le but est toujours le même. Dès lors, on ne
saurait reprocher aux Malgaches leur fidélité au sikidy.
Flacourt en a parlé en ces termes: « Les Ompitsiquili - (Ompisi-
kil)', forme archaïque que l'on rencontre dans les manuscrits arabico-
malgaches; on dit aujourd'hui ampisikily, rnpisikily et mpisikidy,
selon les dialectes) - ce sont ordinairement Nègres et Anacandries
qui s'en meslent, c'est ce que l'on nomme Géomance, les figures sont
semblables à celles des livres de g éomance, sinon qu 'ils squillent sur une
planchette couverte de sable sur laquelle ils forment leurs figures avec
le doigt, en observant le jour, l'heure, le mois, la Planette et signe qui
domine sur l'heure en laquelle ils squillent, en quo)' ils sont très bien
versez: mais rarement trouvent-ils la vérité de ce qu'ils cherchent et
- 90-

quelqu es-uns adjoutans leur conjecture avec leur squille rencontrent


p arfois et se font admirer et est ime r d'un chacun. Les ma lades. les
cons ultent po ur leur gué rison, les autres po ur leurs affaires, il y en a
beaucoup q ui n e sortent point de chez eux sans squiller... »
Ce qu'écrivait Flacourt en 1 66 1 est encore exact de' nos jours. Dans
toute l'Ile, et même à Tananarive, le sikidy compte de nombreux
adeptes. Il n'est pourtant pas spécifiquement malgache. Il a été im -
porté, à une époque qui n'a pas pu encore être déterminée, sans doute
par les immigrés arabes dont les descendants habitent la vallée de la
Matitanana, sur la côte sud-orientale. On peut le rattacher au hbet't
erre mel, écriture sur le sable, très répandu dans l'Orient et l'Afrique
du Nord qu i, primitivement, était pratiqué au moyen d'une tablette
sur laquelle on avait étendu une couche de sable. On jetait ensuite' un
doigt au hasard sur le sable et on examinait les figures ainsi formées.
Cette description empruntée à l'ouvrage de E. Doutt é : Magie et Reli -
gion dans l'Afrique du Nord, coïncide exactement avec celle donnée
par Flacourt et que nous avons vue, il y a quelques années, pratiquer
par les Antaimoro. La substitutio~e graines aux traits sur le sable,
générale aujourd'hui, rappelle l'emploi de fèves, en usage au Maroc,
po ur le même ob jet . Il n'est donc pas ori ginal. Enfin, les termes em - ,
ployés dans le sikidy, qui ont embarrassé bien des malgachisants, ont
été empruntés à l'arabe comme le mot sikidy lui -même.
Les indigènes donnent de l'or igine du .<ikidy des explications assez
confuses. Ce rtains assurent qu'il a été révélé, il y a très longt em ps, à
un personnage légendaire qui, en s'éveillant, l'aurait trouvé tracé sur
le sable; d'autres croient qu'il a été enseigné à leurs ancêtres par un
étranger. Tous sont d'accord sur un point : le si/tidy a été apporté du
Sud .
Le sikidy pratiqué dans Je nord-ouest par des Malgaches islamisés est
d 'im portation récente. Il est analogue à celui en usage dans l'Afrique
d u Nord; le devin opère sur une feuille de papier, en traçant une ligne
formant un quart de cercle dont le milieu est un pointillé; il interprète
-91-

ensuite les signes fournis au moyen d'une table qui est la clef du sikid».
Cette table qui est également employée par les mpisikidy pour l'ensei-
gnement de leurs disciples, est constituée par une planchette où sont
gravées les seize formes que peuvent présenter les figures du sikidy.
Elles sont disposées sur quatre rangs de quatre cases chacun qui, de
même que l'écriture arabe, se suivent de droite à gauche. .
Quand il donne ses consultations, le mpisikidy n'a pas besoin du
secours de cette clef qu'il possède parfaitement.
L'étude comparative des différentes méthodes suivies à Madagascar
pour consulter le sikidy est encore à faire. Les procédés paraissent pour-
tant à peu près semblables. La terminologie usitée présente quelques
.diff érences, comme d'ailleurs l'interprétation des figures. Il ne faut pas
perdre de vue, enfin, qu'il s'agit d'une doctrine ésotérique sur laquelle
il est difficile d'être renseigné avec toute la précision désirable.
A titre documentaire, voici quelques listes des noms des figures du
sikidy en usage dans différentes régions de la Grande Ile, avec l'indica-
tion des auteurs au xquels nous les avons empruntés:

Liste de Flacourt (Fort-Dauphin, 1661)


Etymologie des noms, de l'arabe:
1. Alohotsi, acquisitio al hut, les poissons.
2. Adalou, arnissio ad -dalu, le verseau.
3. Alihiza, loetitia al lah'iyani, le barbu,
4. Alinchissa, tristitia an -nakis, le renversé.
5. Alacossi, caput draconis al-qaùs, l'arc.
6. Cariza, cauda draconis kharidja, abréviation de qab d'at al
kharidja, la poignée en dehors du
sikidy,
7. Alohomori, rubens al-h'omra, le rouge.
8. Alibiavou, albus al-baïad', la blancheu r.
9. Alacarabo, puer al-aqrab, le scorpion.
-92 -

10.. Alicozaza (1) Adimiza (2) puella (1) al-k ûsadji, qui a la barbe
clairsemée (2) ; a1mizân, la ba-
lance.
1 1. Adabara, minor fortuna ad-dabarân, le taureau.
12. Alaazadi, major fortuna al-asad, le lion.
IJ. Assornboulo, populus as-sunbula, l'épi.
14. T areche, via r'ariq, le chemin.
1S. Al1isima, conjonctia al-idjitim'a, la rencontre.
16. Alocola, carcer al-iklil, ~ ;; " du Scorpion.
Après la liste qui précède, Flacourt ajoute: I l Toutes ces figures ont
mesme signification et vertus, comme celles que les Autheurs de l'Eu-
rope leur donne ». Notre ignorance de la géomance européenne ne nous
permet pas de vérifier. Nous avons simplement rectifié la liste latine
aux N °' 7 et 8, I l et 1Z manifestement inexacte, simples erreurs typo-
graphiques d'ailleurs.
Liste Guénot Liste Le Barbier
Sakalava du Menabe (1907) Bara Imamono (1916)
1. Alohotsy, 16. Alohotsy,. 12.
2. Adalo, 15. Adalo, J.
J. Alihaza, 4. Aliazaha, 2.
+ Alikisy, 8. Alikisy, 15.
5. Alakaosy,6. Alakahosy, '4.
6. Karija, 2. Kariza, 1 . ...
7. Alahamora, 12. Alahamora, 11.
8. Alibeavo, '4o Alibiavy, 4,
9. Alakarabo, 13· Alakarabo, 16.
10. Alikasajy, I l . Alakasazy, 8.
II. Adabarav z. Adabaraha, 10.
12. Alahasady, 3. Alasady, 7.
1J. Asombola, 5. Asombola, 6.
1+ Taraika, 1. Tareky, 5,
93 -

t s.
Alitsimay, 10. Alisimahy, 9.
16. Alokola, 9. Alokola, t 3.

Pour faciliter les comparaisons nous avons adopté l'ordre de la liste


Flacourt, mais nous avons fait suivre chaque nom d'un chiffre qui
indique l'ordre suivi par les auteurs.
Les noms des trois listes considérées, compte tenu de l'orthographe
des noms qui présente quelques différences dues aux méthodes de
transcription adoptées, sont identiques. cJ..L
Les listes suivantes offrent des variantes: cinq dans la liste Dahle,
trois dans celle de Rusillon et deux dans celle de Dandouau.

Liste Dahle Liste Russillon Liste Dandouau


Imerina (1886) Sakalava, Boina (1907) Sakalava, Analalava
(19 0 7 )

I. Vandra miondrika Alohotsy, Alihotsy.


ou Alohotsy.
2. Vanda mitsangana. Adalo. Adalo.
3. Alahizany. Alaizany. Alahijana. '
4. Adikasajy. Betsivongo. Betsivongo.
s. Alakaosy. Alakaosy. Alakaosy.
6. Vontsira. Karija. Karija.
7. A)aimora. Alahamora. Alohomora.
8. Adibijady: Alibaiavy. Alabiavo.
9. Kijo. Alakarabo. Alakarabo.
10. Alikisy. Alikisy. Alikisy.
1 I. Asorovavy. Asorovavy. Adabaran.
t 2. Asorolahy. Asorolahy. Sorolahy.
13. lama, Asombola. Asombola. Asombola.
14. Taraiky. Taraiky. Taraiky.
1 S. Aditsimay. Alatsimay. Alatsimay.
16. Alokola. Alokola. Alokola.
- 94-

La comparaison des six listes' précédentes démontre que -le sikJdy


n'a pas varié depuis deux siècles et demi.
Le Barbier signale le sikidy bara par les quatre points cardinaux,
A la vérité, tous les mpisikidy classent de la même manière les figures
du sihidy,
Le Barbier précise comme suit la répartition des figures:
Nord: Kariza, Aliazaha, Adalo, Aliviavy.
Sud: Tareky, Asombola, Alahasady, Alakasajy.
Est: Alitsimahy, Adabaraha, Alahamora.
Ouest: Alohotsy, Alokola, Alakahosy, Alikisy, Alakarabo.
Dandouau donne la suivante:
Nord: Adalo, Alihijana, Alabiavo, Karija.
Sud: Asombola, Soralahy, Taraiky, Betsivongo.
Est : Alatsimay, Adabaran, Alahornaro,
Ouest: Alikola, Alikisy, Alakarabo.
Un Antaimoro lettré nous a fourni une liste, identique à celle de
Flacourt, dont les noms sont classés comme suit:
Nord: _Kariza, Alibeavo, Alihizà, Adalo.
Sud : Taraiky, Alisimà, Asombola, Alikoasazy.
Est : Alohorsy, A lahasaty, Alohornora, Alakaosy.
Ouest : Adabara, Alokola, Alikisa, Alakarabo.
Ces classifications ont une grande importance au regard de la
. croyance des indigènes en la vertu magique des points cardinaux. Ils
considèrent, en effet, comme faste tout ce qui est au nord, comme
néfaste tout ce qui est au sud; ce qui est à l'ouest est favorable, moins
cependant que ce qui est à l'est.
Le sikJdy, nous l'avons déjà dit, fait connaître le présent, le passé et
l'avenir. Rien ne lui échappe des desseins des hommes et des esprits.
Il indique enfin les remèdes pour tous les maux. Voilà ce qu'assurent
ses adeptes.
Les consulrations du sikJJ)' sont toujours longues, mais "les Malga.
.- 95

ch es sont pa tients! Elles pe uvent être faites partout, mais générale-


ment elles ont lieu au domicile du mpisikidy.
Nous exposerons la pratique habituellement suivie.
Le mpisikidy s'assied à terre, la face tournée vers l'Est; il déroule
devant lui une petite natte carrée réservée à cet usage; il pose à sa
'gauche, en tas, les graines de [ano (Piptadenia chrysostachys) ou de
« bois noir» (albizzia Lebbeh) qu'il conserve dans un sac de couleur
foncée, le plus souvent bleue. Devant lui, il place un fragment de
cristalde roche qu i possède des vertus magiques indiscutées. (Les Mal-
gaches en déposent souvent dans leurs demeures, au coin Nord-Est,
réservé aux ancêtres et aux prières) . Il prononce ensuite une invoca-
tion fort longue dite [amohazau-tsihid y, réveil du sikidy ou toka
sikidy, dont les formu les sacramentelles varient selon les régions; Le
sens en.est très obscur, ce qui est normal; dans tous les pays, en effet,
les devins font usage de mots spéciaux connus des seuls initiés ou qu'ils
répètent tels qu'ils leur ont été transmis, sans les comprendre.
Ces invocations débu t ent généralement ainsi: (( Réveillez-vous!
réveillez-vous! révei llez-vous! Sikid» qui possédez toutes les sciences ,
sihidy seu l pa rfait, réveillez-vous sable qui ne dormez pas (allusion
au sidiky par le sable), réve illez-vous grai nes de fano, erc., etc.) », et s'il
s'agit, par exemple, d 'u ne consultation méd icale, elle se termine comme
suit : (( Voilà un tel qui est ma lade, qui souffre; nous ignorons ce qui
le fait ainsi souffrir. C'est pour que vous nous le disiez que nous vous
question rions 0' sikidy ! Vous q ui pouvez interroger Zanahary. C'est
pour cela que j'attends une réponse. Dites-nous ce qui le rend malade.
Si ce sont les maléfices d'un sorcier, dites-le. Si c'est un mauvais uin talla,
dites-le. Si c'est la colère des ancêtres offensés, dites-le. Si ce sont des
esprits, dites- le. Si c'est un fady qu'il a transgressé, dites-le, Si c'est un
vœu qu'il a omis d'accomplir, dites-le... Dites-nous la vérité, car si
vous mentez, j'en aurai grand'honte et si vous daignez répondre fran -
chement, je serai très heureux. Mais si vous mentez, ne serait-ce qu'une
fois, pendant plus de dix ans personne n'aura foi en vos paroles )J .
- 96-

-Après avoir prononcé cette invocation, le mpisikidy prend les grai-


nes de la main gauche et en fait sur la natte quatre tas, puis il enlève
successivement deux par deux les graines de chacun des tas ; à la fin
de l'opération, chaque tas comprend une ou deux graines. Avec ces
restes il forme à sa droite, sur la natte, une prèmière colonne verticale.
Il recommence la même opération avec quatre autres poignées de
graines et obtient une deuxième colonne verticale qu'il dispose à gauche
de la précédente, puis , par le même procédé, une troisième et enfin une
quatrième. Ce sont les quatre colonnes fondamentales du sikJdy qui
permettront d'obtenir toutes les autres. On les désigne par les noms
suivants: l ' Tale, 2 ' Maly , 3' Fahatelo, 4' Bilady. En suivant horizon-
talement les éléments de ces colonnes il en obtient quatre autres appe-
lées respectivement : Fianaba, Abily, Alisay et Fahavalo. Nous les
supposerons disposées comme les quatre premières pour aider à com-
prendre les explications suivantes.
Le mpisikidy compte ensuite le nombre des graines de la première
ligne des colonnes 5 et 6. Si le total donne un nombre pair, il prend
deux graines, une seulement, s'il est impair. Ces deux graines ou une
seule, selon le cas, forment le premier rang de la colonne 9. La somme
des lignes s~ivantes 2, 3 et 4 des mêmes colonnes 5 et 6 fournissent les
2
8
3e et 4 e rangs.
,

Par le même procédé il obtient successivement la 10' colonne par


les colonnes 7 et 8, la 1 l ' par les colonnes 9 et 10, la 1 2 ' par les colonnes
3 et 4, la 13' par les colonnes 1 et 2, la 14' par les colonnes 12 et 13,
la 15' par les colonnes 11 et 14 et enfin la 16' par les colonnes 15 et 1.
Les résultats de ces opérations donnent sur la natte le tableau ci-
dessous, abstraction faite des numéros d'ordre et des noms des colonnes
qui sont connus du mpisikidy, la plupart du temps illettré d'ailleurs.
-97 -

TABLEAU l

4 3 2. 1

Bilady Fahatelo Maly Tale


.-'
5 Fia naha 0 00 o 0 o
6 Abily o 0 0 0 o 0
7 Alisay o 0 0 o 0 o
8 Fahavalo 0 o 0 0 ·0 o

9 II 10 15
fahasivy ombiasa hanina OU zanahary
haja
0 0 o 0
0 0 o 0
0 o 0 0 o 0
0 o 0 0 o 0

Il. 14 13 16
soro t any t ovolahy lalana O U kiba OU

safary trano
0 o 0 0 o 0
0 o 0 0 o
0 0 0 0 .0
0 0 0 0 o

Si le total des graines de la colonne 15 est impair, on recommence


l'opération.
Selon le nombre et la disposition des graines, chacune des colonnes
ou figures ci-dessus a un nom spécial et une signification particulière
qui sont les suivants:
- 98-

TABLEAU II
o
o
o Taraiky. Maigreur. Chemin.
o

o
o Karija. Esclave. Froid en paroles.
o
o 0

o 0
o Alakaosy. Enfant. Mauvaises pensées.
o
o

o 0
o 0 Adabara. Zanahary. Le' plus sacré.
o
o

o
o Alikasajy. De uil. Ody.
o 0
o 0

o
o 0 Alahijana. La femme. La mort.
o 0
o 0

o 0
o 0 Alikisy. Terre. Faste.
o 0
o

o 0
o 0 Asombola. Abondance.
o 0
o 0
- 99-

o 0
o Alohotsy. Argent. Malheur.
o 0
o

o
o 0 Adalo. Chef ou enfant. Pleurs.
o
o 0

o 0
o Alatsimay. Esclave. Mauvaises pensées.
o
o 0

o
o 0 Alokola. Maison. Nourriture.
o 0
o

00
00
o Alahiavo. Joie. Lolo.
00

o 0
o Alahamora. Ombiasa. Foule. Chagrins.
o
o 0

o
o Alahasady. Nourriture. Colère.
0 '0
o

o
o 0 Alakarabo. Brigands. Malheur.
o
o
- 100-

Ce tableau constitue en quelque sorte l'alphabet du sikJdy. On


remarquera que les noms sont ceux des figures du sihldy données pré-
cédemment.
Voici enfin l'explication des mots figurant en tête des ,6 colonnes
sur le tableau J qui indique la disposition des graines sur la natte:
r. Tale (arabe: raleb) , le consultant.
2. Maly (richesses en dialecte Sakalavaj, l'objet ou l'argent qUI

donne lieu à la consultation.


3. Faharelo (troisième) frère du consultant.
4. Bilady (dialecte Antaimoro : pays) domicile.
5. Fianaha, l'enfant.
6. Abidy ou abily, la mère.
7. Alisay ou betsirnisay, l'épouse.
S. Fahavalo, ennemi.
9. Fahasivy, esprit des morts.
]o. Hanina ou haza, nourriture.
r r , Ombiasa, le mpisikidy.
r 2. Sorotany ou solotana, le roi, le vieillard.
'3. Lalana ou safary, le chemin.
'4- Tovolahy ou sely, les jeunes gens, foule.
r 5. Zanahary ou Haky, Dieu.
,6. Kiba ou trano, la maison. :
Il s'agit, ensuite, d'interpréter. Pour répondre à la question qui lui
est posée, par exemple les résultats d'un voyàge projeté, le mpisikidy
recherche pour la colonne r, tale, le consultant (tableau Ii la figure
correspondante du tableau II, il trouve Alakarabo, puis il fait la même
opération pour la colonne r 3, lalana, chemin qui lui donne taraiky,
Sa réponse sera: « Le voyage ne sera pas heureux », Tel est le cas le
plus simple.
Il arrive aussi, comme dans notre tableau J, que la forme taraiky se
rencontre dans les colonnes fahasivy, 9, sororany, 12 et Jalana, r J.
L'interprétation sera pour fahasivy : si le consultant part en voyage,
- 101 -

il rencontrera sur sa route beaucoup de cours d'eau impossibles à fran-


chir à gué. Pour Sorotany, « le consultant sera heureux et riche )J .
Pour lalana, « signe de fortune »,
Le nombre des combinaisons est considérable. Ainsi, le mpisikidy
peut encore étudier les figures formées par les graines examinées en
diagonales au tableau 1 ce qui lui fournira de nouveaux éléme~ts
d'interprétation.

Autres genres de divination


La divination par la foudre, si développée dans l'antiquité, n'est pas
inconnue des Malgaches.
Le manuscrit arabico-malgache N ° 515 de l'Académie Malgache
contient trois passages relatifs aux « présages tirés des grondements de
la foudre », Le premier, basé sur les jours où ils se produisent, le second
sur les sâ (division du temps: du lever au coucher du soleil, il y a sept
sâ), le dernier sur les uin talla du mois Maka.
La divination par la foudre est assurément d'importation arabe.
Nous donnerons, à titre documentaire, la traduction du premier pas-
sage.
« Voici les présages tirés du tonnerre qui gronde: s'il tonne un
dimanche, le peuple sera rassasié; s'il tonne un lundi, beaucoup de
personnes seront malades et mourront; s'il tonne un mardi, il y aura
des désordres dans le peuple; s'il tonne un mercredi, nombre de per-
sonnes seront dénuées de tout et il y aura de grands vents (qui, détrui-
sant les récoltes, appauvriront le peuple) ; s'il tonne un jeudi, il y aura
beaucoup de poissons dans les cours d'eau; s'il tonne un vendredi,
beaucoup serviront Zanahary (Dieu), beaucoup se garderont des malé-
fices ; s'il tonne un samedi, il y aura beaucoup de malades, nombreux
seront les voleurs et (des personnes jusque-là honnêtes) formeront le
projet de commettre des vols ».
L'ornithomancie est aussi un genre de divination pratiqué par les
Malgaches. On sait qu'elle était très développée dans J'antiquité. Le
- 102-

mot grec 0 p " i ;, oiseau, signifiait également présage, tout comme


le mot arabe tira. D'autre parr, les présages tirés des oiseaux sont
connus dans tous les pays. On peut dès lors admettre qu'il s'agit d'une
croyance universelle qui n'a pas nécessairement été importée dans la
Grande Ile.
Autrefois, l'ornithomancie était religieusement observée; elle sem-
• ble, actuellement, avoir beaucoup perdu de son importance, bien que
dans les campagnes on lui garde une certaine fidélité.
Les Malgaches considèrent comme auguraux: le takatra (scorpus
umbretra), le corbeau, le papango (milvus œgyptius), le fiaka (poly-
boroides radiarus), Je hitsikitsika (tinnunculus Newtonii), l'alouette,
le héron, Je voro-rnahery (falco communis), le vorondreo (Ieptosomus
discolor ), la bécassine, le fitatra (copsychus albo specularis) et bien
d'autres oiseaux encore.
Le takatra est un oiseau de malheur. Quand, jadis, un takatra cou -
pait la route que suivait un souverain (en Imerina ) on immolait un
bœuf couleur du takatra.
Quand un convoi royal rencontrait un corbeau isolé, il retournait
sur ses pas, pour reprendre ensuite sa route. La rencontre de deux
corbeaux était considérée comme faste.
Lorsque le convoi d'un marchand était coupé par un papango, la
charge des porteurs devenait plus lourde.
La rencontre du fiaka était d'un heureux présage; on trouvait, à
l'arrivée à destination, un bon repas. •
Le hitsikitsika est un oiseau de bon augure. Il est lady de le tuer;
de fait ce petit rapace est très utile, parce qu'il détruit les rats et les
souris.
Les alouettes, qu'elles traversent le chemin suivi ou qu'elles volent
sur le voyageur, sont un présage excellent.
Le vano (héron) qui coupe la route suivie par une personne assure la
réussite du but de son déplacement.
- 103

La rencontre du voromahery est un présage de ' puissance; celle du


voron-dreo fait redouter une maladie provoquée par une femme.
Quand les bécassines volent le soir, à la tombée de la nuit, on doit
s'attendre à une attaque d'ennemis ou de malfaiteurs.
Le chant du fitatra, à l'aurore, indique que l'on peut, sans crainte,
aller en forêt ou traverser une région désertique.
On trouve, dans le manuscrit N ° 5 [5 de l'Académie Malgache pré-
cité, plusieurs chapitres consacrés aux présages tirés: 1° des oiseaux
entrés dans les habitations; 2° des halos solaires, de la lune hinan-drao
et de la lune ho monitra (1) ; 3° des vêtements mangés des rats; 4° des
vêtements déchirés involontairement. Nous nous bornons à les signa-
ler et à mentionner qu'ils paraissent avoir été importés.
L'éternuement est, pour un grand nombre de peuples, considéré
comme un bon présage. Il en est de même chez les Malgaches. Quand
une personne éternue on lui adresse le souhait: « Velona! » qui
signifie: « Puissiez-vous vivre! » Elle répond: « Antsika an'aby ! »
Nous tous! (Nous, isika, implique la personne qui parle et celle à qui
on s'adresse, c'est une nuance qu'il importe de noter). Les Antaimoro
islamisés adressent à la personne qui éternue le souhait suivant, beau-
coup moins elliptique: (( Soyez heureux! Soyez en bonne santé!
Qu'Allah vous préserve des maladies! »

Les maléfices
Les Malgaches croient fermement à l'existence des maléfices qu'ils
redoutent, d'ailleurs, par dessus tout. Nous avons déjà effleuré ce sujet
qui, par son importance, mérite que l'on s'y arrête.

( r] Hinan-drao, litt. dévoré par Rao; il s'agit vraisemblablement de Râhu, le


monstre mythique de la légende indienne.
Lorsque la lune est vers son quinzième jour et qu'à son lever, ou peu après, le bord
supérieur est frangé, on dit que l'astre est hinan-drao; quand ce phénomène se
produit alors que la lune est au z énith, on dit qu'elle est ho maniera.
- 104-

Les indigènes attribuent - généralement' les maladies aux maléfices


des sorciers. Cette croyance, très vivace chez ceux appartenant aux
tribus arriérées, se manifeste encore parmi les plus évolués, surtout
quand ils sont en présence d'affections pathologiques qui leur sont
inconnues.
Dès qu'une personne est présumée victime de maléfices, ses parents
s'empressent de solliciter les bons offices du mpisikidy qui, par son art,
est réputé posséder les moyens de les neutraliser et même de désigner
le rnpamasavy ou mpamorika qui a jeté le mauvais sort.
La plupart des meurtres, souvent collectifs, dont les mobiles demeu-
rent inexplicables à la justice française, ont été commis dans le but de
débarrasser la société d'un sorcier et plus souvent encore d'une sorcière
accusée d'avoir, par ses maléfices, occasionné la mort de plusieurs per-
sonnes. Nous avons eu, au cours de notre carrière, maintes fois l'occa-
sion de consra ter des actes criminels de ce genre.
Dans les localités éloignées des représentants européens de l'adminis-
tration, des individus accusés de sorcellerie sont, actuellement encore,
soumis à une des ordalies qui, jadis, à l'exemple des jugements de Dieu
du Moyen Age, étaient des moyens normaux de la procédure crimi-
nelle.
En Imerina et en pays Sakalava, on utilisait le tanguin (Tanghinia
venenifera Madagascariensis) qui était administré de la manière sui-
. vante: on râpait un noyau de tanguin - qui est un poison - puis
on étendait la râpure obtenue sur trois morceaux de peau, prélevés sur
le dos d'une poule. L'accusé les avalait et ses parents faisaient ce qu'ils
pouvaient pour les lui faire vomir. S'il les rendait tous les trois intacts,
il était déclaré _innocent; si, au contraire, il n'en rendait aucun ou
seulement un ou deux ou si encore l'un d'eux était déchiré, sa culpabi-
lité était établie et on l'assommait avec un pilon à riz. Sa dépouille était
abandonnée aux chiens et il était interdit à ses parents de porter le
deuil.
L'article 4 du Code de Ranavalona 1 (27 adijady r828), le premier
- 105

recueil de lois attesté par un document écrit, est ainsi conçu: « Fait
perdre la liberté à ses auteurs et entraîne la confiscation de leurs biens:
le crime de sorcellerie, lorsqu'il est dénoncé par un particulier et que
J'accusé succombe à l'épreuve (du tanguin). Si, au contraire, il s'en
tire sauf, le calomniateur est condamné à payer un taha (dommages-
intérêts) de 29 piastres 1/2 ».
Cette disposition visait le cas où le tanguin était administré à un
animal représentant l'accusé. Cet adoucissement à la coutume ancien-
ne, qui obligeait ce dernier à boire le poison d'épreuve, avait été édicté
par Radama I.
L'article 25 du même Code confirme la coutume qui exigeait que
les sorciers fussent inhumés la tête au Sud, contrairement à l'usage,
encore suivi de nos jours, selon lequel les morts doivent avoir la tête à
l'Est. Voici, d'ailleurs, la traduction de cette disposition légale: « Qui-
conque sera accusé d'avoi~ inhumé un sorcier la tête tournée vers J'Est,
sera puni d'une amende de quatre bœufs ct de quatre piastres. Si le
coupable avoue, sans qu'il soit nécessaire de le soumettre à l'épreuve
du tanguin, cette amende sera réduite ;IU paiement de quatre pias-
tres ».
Ajoutons que le seul fait de dormir la tête au Sud constituait une
présomprion de sorcellerie.
Les indigènes restent toujours fidèles à l'usage de disposer leur lit de
façon à avoir la tête à l'Est.
L'ordalie de Tor, encore en vigueur dans le Sud de l'Ile, consiste à
boire un mélange d'cau ct de sang de bœuf dans lequel on a fait bouillir
un bijou, bague ou bracelet, en or.
Celle du fer rouge, pratiquée également dans le Sud, consiste à passer
sept fois sur la langue de l'accusé un fer préalablement chauffé; s'il en
sort indemne, soit sans hémorragie, son innocence est proclamée ct il
reçoit l'indemnité coutumière.
L'épreuve de l'eau consiste à prendre, sans brûlure, un objet déposé
dans une marmite d'eau bouillante.
- 106

Pour celle du fusil, en usage chez les Bara, l'accusé doit tirer un coup
de feu avec une arme ayant reçu une très grosse charge de poudre,
fortement bourrée; si l'arme ne subit aucun dommage, l'accusé est
réputé innocent.
Enfin, l'ordalie du crocodile consiste il traverser un cours d'eau il la
nage. Si l'accusé sort indemne de cette épreuve, c'est-à-dire sans avoir
été blessé, même légèrement, par un crocodile, son innocence est recon-
nue et il a droit à l'indemnité d'usage. Cette ordalie était de pratique
courante sur la côte orientale de Madagascar.
Les maléfices des sorciers sont infiniment variés. Nous nous borne-
rons à citer quelques exemples caractéristiques:
Fandika : sortilège déposé sur un chemin. Toute personne qui passe
au-dessus aura une m~ladie des organes génitaux.
Fehitratra : sortilège qui détermine une paraplégie. Il est employé,
sur les côtes, par une maîtresse désirant se yenger de l'abandon d'un
amant originaire des Plateaux, qui souvent s'est enrichi grâce à son
concours.
Rao-dia: consiste il ramasser une pincée de terre foulée par une
personne pour l'ensorceler.
Le bitsak'alokll rappelle le dernier vers du quatrain suivant de Bau-
delaire :
Dans le pain et le vin destinés il sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas (1).
On ensorcelle quelqu'un en foulant l'ombre de ses pas.
Rao-dia et bitsak'aloka sont vengeances de femmes. Ces sortilèges
déterminent la mort subite et inexplicable des personnes qui en sont
victimes.

(1) Ch . Baudelaire: IR, FI"", dit Mal. SpIre" rt Idéal.


- 107-

Tsi t ra-bad y mantsaka : « qui n'est plus trouvé en vie par sa femme,
quand elle revient de chercher de l'eau ». Cette mort rapide est imputée
aux maléfices des sorciers.
Fanony: charme puissant qui permet aux voleurs d'opérer impu-
nément.
FOI/oka, sortilège qui provoque une anesthésie totale. Il est employé
également par les voleurs pour dévaliser leurs victimes qui, plongées
dans un sommeil profond, ne peuvent défendre leurs biens.
Tara/ra: c'est un miroir qui permet au sorcier de dérober l'image et
par suite l'âme d'une personne. ïafin de provoquer sa mort.
Tendribatolca , consiste à se procurer des cheveux, un seul suffit
d'ailleurs, de la personne que l'on veut atteindre; ces cheveux doivent
être arrachés à la partie de la nuque où un coup porté est mortel. Ces
cheveux sont enterrés profondément avec de la boue prise dans un
marais, de la graisse d'un bœuf crevé et des fragments d'un bois ayant
servi à porter un mort. La victime tombe malade peu après.
T'obina : indigestion déterminée par des aliments pris hors de chez
soi et qui ont été ensorcelés.
Tsougodia : analogue au rao-dia. On se procure de la poussière sur
laquelle a posé les pieds la personne que l'on veut atteindre; le sorcier
la grille dans une marmite et prononce des incantations.
Odl-fitia : philtre. Il en existe de deux sortes: l'un fait naître
l'amour chez la personne convoitée et sa famille, son usage est licite.
L'autre rend fou et fait mourir.
CHAPITRE III

LA VIE SEXUELLE

"~,f.: "
rt.f.-JE ~

Il'' "0" ~~
ot/iA\fl
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de la vie sexue e es M,I,,"h~, 00' importance qoi


n'est généralement pas contestée; pourtant· elle ne parait
. . guère avoir intéressé les malgachisants. Il est vrai que les
enquêtes qu'elle exige sont assez délicates et souvent diffi-
ciles, abstraction faite de cette fausse pudeur qui gêne tant de person-
nes. Nous nous efforcerons d'exposer ce que nous savons et de donner
les explications qu'une étude du sujet, aussi objective que possible, nous
a suggérées.
A Madagascar, comme ailleurs, le mode d'activité de chaque sexe est
très strictement réglé par la coutume. Cette division du travail, qui
varie selon les tribus, est régulièrement observée. Un proverbe malga-
che la synthétise dans les termes suivants: « La femme n'est pas plus
capable de tuer un sanglier qu'une anguille cuite de nager ». Aussi bien
en est-il de même chez nous; le féminisme, par exemple, n'est, au
moins pour une grande part, qu'un mouvement de révolte des femmes
contre les vestiges d'anciens tabous sexuels.
Dans toute l'Ile, il est lady pour l'homme de porter de l'eau, de
balayer la maison, de tresser des nattes, de tisser des étoffes . Ces travaux
incombent aux femmes. Chez les Sihanaka, qui peuplent les rives du
lac Alaotra, hommes et femmes se livrent à la pêche, mais celle des
anguilles ne peut être pratiquée que par des hommes. En Imerina, la
pêche au taudrobo, sorte de panier ovale que l'on manœuvre comme
une drague, est tabou pour l'homme, qui ne pêche qu'à la ligne.
110 -

Dans la famille, la charge de préparer les repas est réservée à la


femme, mais en voyage ou en expédition l'homme apprête ses ali-
ments,
La garde des bœufs est généralement confiée aux petits garçons;
dans les tribus du Sud et de l'Ouest ce sont les hommes qui, souvent,
surveillent les troupeaux.
Dans les travaux agricoles l'homme prépare le sol, ét ablit , s'il y a
lieu, les canaux d'irrigation. Le repiquage des plants de riz incombe
aux femmes. Au Betsileo, pendant toute la durée de cette opération,
les hommes doivent s'abstenir de rapports sexuels avec les femmes, qui
temporairement sont fady.
Les hommes coupent les riz, les femmes font les gerbes et les trans-
portent.
Dans le Sud (Androy, Mahafaly) les hommes ont la charge de traire
les vaches.
Dans les mines d'or, l'homme extrait les alluvions et le travail à la
battée incombe aux femmes.
Dans la marche, la place des individus est également réglée: chez
les Merina, la femme marche devant, l'homme derrière; à la côte Est,
c'est le contraire. Il faut noter que, selon le protocole Merina, le chef,
la personne qui occupe le premier rang, ferme la marche. Il en est
d'ailleurs de même, chez nous, pour l'ordre des discours officiels.
Chaque sexe a également sa manière de porter: l'homme ne porte
. que sur l'épaule au moyen d'un bambou ou d'un bâton, tandis que
la femme pose sa charge sur la tête et quelquefois dans le dos, à la façon
des enfants que l'on porte ainsi, quand il s'agit d'objets légers.

..
.. .
La croyance à l'impureté de la femme explique que chez les Betsi-
misaraka, pendant les repas, la femme doit se servir d'une cuiller ou
d'une feuille pliée pour puiser dans le plat, tandis que l'homme n'en
- 111-

utilise qu'une seule. De même, quand elle a ses règles, la femme saka-
lava est tenue de se laver les mains avant de cuire les aliments.
Dans nombre de cérémonies: circoncision, rites funéraires, etc.,
hommes et femmes sont' séparés.
Cette séparation des sexes est également constatée après la mort:
dans les kihory (cimetières du Sud-Est dont nous reparlerons) hommes
et femmes sont entassés séparément. Il en est également chez les Bara;
les femmes ne sont pas inhumées avec leur mari (1).
Il est difficile de connaître, avec quelque précision, le caractère que
les Malgaches attribuent à l'acte sexuel. Il semble cependant qu'ils le
considèrent comme sacré; certains détails paraissent l'attester, par
exemple l'usage des Antaimoro de réserver une natte spéciale pour la
couche nuptiale. C'est du reste une coutume que l'on constate égale-
ment chez les Betsimisaraka et les Bezanozano et qui a dû être générale.
Il n'est pas douteux que l'affectation particulière de cette natte expli-
que son caractère sacré. D'autre part, il est rigoureusement fady, chez
les Betsimisaraka, d'avoir des rapports sexuels en plein air. A l'extré-
mité de la Pointe Hastie, à Tamatave, il existait, il y a quelques années
encore, une pierre levée désignée, par euphémisme, vain be allaralla,
litt. « pierre au gros nom )J, qui commémorait, au dire des indigènes,
l'aventure tragique de deux amoureux qui avaient payé de leur vie
la violation de ce [ady et qui, aggravation singulière, avaient été trou-
vés si fortement accouplés qu'on ne put arriver à les séparer.
Cette légende 'ét iologique paraît également confirmer le caraçtèrc
sacré de l'acte sexuel.
On ne possède aucun renseignement sur la défloration préalable au
mariage. Vincent Noel a écrit à ce sujet: « Les Sakalava paraissent
tenir aussi peu à la virginité de leurs femmes qu'à leur noblesse. Les

(1) En règle générale. la femme mariée est ensevelie dans le tombeau de sa famille.
Elle peut l'être dans celui de la famille de son mari, sur la demande expresse de cc
dernier, mais avec l'assentiment de sa famille.
- 112-

jeunes filles se déflorent elles-mêmes quand elles n'ont pas été déflorées,
dès leur bas âge, par leur mère, et un père ne marie jamais sa fille avant
que cette opération ait été menée à bonne fin par l'une ou par l'autre.
Les princesses seules restent intactes ou sont censées demeurer telles
jusqu'à l'époque de leur mariage; la manifestation du moindre doute
à cet égard est un crime de lèse-majesté » (1).
Nous avons relevé, dans le manuscrit 8 (2) du fonds arabico-
malgache de la Bibliothèque Nationale, page 30, le curieux passage
suivant d'une pri~re: « 0 mon Maître... éloigne de moi ... tous ceux
qui me méprisent méchamment, ceux qui sont près, ceux qui sont
loin, les hommes libres, les rois... les seliatry (3), les femmes trouées
(iv({vy tombolia), les filles non trouées (iv({vy tsy tomboka...) ))
C'est le seul texte, à notre connaissance, où il soit question de femmes
déflorées et de femmes vierges. Nous r
avons vainement cherché dans le
folk-lore une distinction de ce genre. Cela n'est pas surprenant si l'on
considère que les Malgaches ne se préoccupent jamais de l'intégrité
des filles, qui a tant d'importance chez nombre de peuples. Cette
indifférence est telle que la langue malgache ne possède pas de mot
pour exprimer l'idée de virginité.
Dans la prière ci-dessus, certainement importée, le traducteur s'est
servi du mot tomboka qui, dans les dialectes de la Côte Est, signifie
troué. Les missionnaires européens ont malgachisé le français vierge
et l'anglais virgin qui ont donné la forme uiriiiny.
Il est utile aussi de mentionner que les indig ènes sont persuadés que
les jeunes filles, au moment de la formation, seraient étouffées par le
sang qui ne pourrait se frayer une issue, si elles n'étaient pas déflorées
en temps utile. Cette croyance, encore très répandue dans le peuple,
explique également la conception particulière des Malgaches au regard

(1) Vincent Nod: Reçherches sur les Sakkalava. Paris, 1844 . p. 56.
(2 ) Ce manuscrit a été apporté en France en 1742.
(} ) Nous parIerons plus loin des Sekatry.
- 113

de la virginité. Il faut tenir compte également qu'à leurs yeux le


sang menstruel a un caractère magique, particulièrement redouté.
Dans l'appréciation des faits de la vie sexuelle malgache, il convient
d'ailleurs de se garder des jugements simplistes et attribuer à la disso-
lution des mœurs indigènes bien des actes, répréhensibles, certes, pour
la morale des Européens d u xx' siècle, mais qu'une étude attentive
explique par d'autres mobiles que le vice.
Examinons les phases de la vie féminine, chez les Merina, par exem-
ple.
Pendant son enfance, la fille est exactement traitée comme le
garçon. C'est sans doute ce qui explique les sentiments profonds
d'affection et de respect qui, durant toute leur vie, existent entre frères
et sœu rs.
La période de l'enfance n'offre aucun intérêt spécial. Comme les
peu ples heureux, les petites filles n'ont pas d'histoire.
D urant l'adolescence, jeunes filles et jeunes hommes jouissent égaIe-
ment d'u ne liberté complète . Or, c'est précisément sur ce principe
d 'égalit é de traitement, parfaitement logique du reste, que les points
de vue européen et malgache se heurtent. En effet, on admet générale-
ment en France, mais seulem ent po ur les jeunes hommes, qu'il faut
« que jeunesse se passe ». Les Malgaches sont aussi to lérants, mais ils

recon n aissent éga lement à la jeune fille le droit de jeter sa gourme qui,
chez nous, est l'apanage exclusif du sexe fort. Elle en use, sans être
le moindrement déconsidérée, à la condition de sauvegarder les appa·
•renees, ainsi d'ailleurs que l'exige la coutume. •
Mariée, la femme malgache a, généralement, une conduite irrépro-
chable. Elle s'attache sincèrement à son mari et chérit ses enfants.
On constate cependant chez les jeunes générations qui, par esprit
d'imitation, affichent une pruderie presque excessive, que l'adultère
est plus fréquent que jadis.
La vie féminine présente, selon les tribus, quelques différences de
détail, mais on retrouve partout la même liberté pour les filles de
B
- 114-

disposer de leur corps à leur fantaisie. Au surplus, l'adultère n'est pas


exceptionnel.
I! est certain que la chasteté et la fidélité conjugale n'ont pas, chez
les Malgaches, les mêmes bases psychologiques que chez nous. C'est
ainsi que, -dans toute l'Ile, le fait pour la femme d'avoir des relations
sexuelles avec un autre homme, pendant l'absence du mari parti en
voyage ou en expédition, met en danger la vie de ce dernier.
L'article 58 du Code des 305 articles, qui date seulement de 1881,
contient des.dispositions qui sont nettement inspirées de cette croyance.
Alors, en effet, qu'il sanctionne d'une amende de cent piastres l'adul-
tère banal, considéré comme un simple délit civil, il édicte contre les
complices la peine des fers à perpétuité et la confiscation des biens
« quand il s'agit d'une femme dont le mari est parti en expédition ou
pour accompagner des troupes et que ce dernier est mort pendant son
absence » (1).
Jadis, le mari lié au service militaire avait le droit de tuer le séd uc-
teur de sa femme surpris en flagrant délit. Cette loi coutumière a fait
l'objet de nombreux kabary d'Andrianampoinimerina.
Le dictionnaire malgache du Père Weber (1853) donne du mot
samp y l'acceptation spéciale suivante: « Les épouses de ceux qui
partent à la guerre portent des sampy (pour se faire distinguer et
respecter, pour préserver leur ma ri et paraître prendre part à la
guerre) »,
I! s'agit assurément d'un lady ancien, car f lacourt l'a signalé en ces
termes : « Cependant que les hommes sont à la guerre, jusques à ce
qu'ils soient de retour, les femmes et filles ne cessent jour et nuit de
danser, ne couchent et ne mangent dans leurs cases. Et quoy qu'elles
soient t rès enclines à leurs voluptez ; ce n éantmoins elles ne voudraient

(1) Cett e disposition est la reproduction de celles de l'article 1J du Code de 1863


et de l'arti cle 70 du Code de I868. L'article II du Code de 1818 et l'article 9 du
Code de 1862 édict aient la confiscation des biens et ordonn aient que les complices
seraient vendu s comme esclaves.
- 115-

pas pour quoy que ce soit au monde avoir affaire à un autre homme,
croyans fermement, que si cela leur arrivoit, leur mary y seroit ou tué
ou blessé. Elles croyent qu'à force de danser cela donne des forces,
courage et bonheur à leurs maris ainsi elles ne se reposent guères durant
ce temps-là, qu'elles observent très religieusement » (1).
Quelques citations des principaux ouvrages relatifs à la Grande Ile
montreront comment a été appréciée, du xvn" au XIX' siècle, la liberté
dont jouissent les jeunes filles malgaches.
Voici d'abord ce que dit Flacourt: « Avant que d'estre mariée,
elles (les filles) se jouent tant qu'elles veullent, et se prostituent à tom
venans pourveu qu'ils payent et si un homme a manquer à les payer
elles vont effrontément lui oster sa pagne sans qu'il ose se défendre,
mais il tasche aussi-tost d'appaiser celle qui lu y demande le payement,
de peur de recevoir affront; ainsi c'est la coutume de ce pais, que la
simple fornication, entre ceux qui ne sont pas mariez, n'est point
pêché envers Dieu ni envers les hommes. Les filles ne voudroient
espouser un garçon qu'elles ne l'eussent esprouvé plusieurs fois, et
long-temps auparavant» (2).
Ces considérations s'appliquent au Sud-Est de l'Ile que Flacourt
connaissait fort bien.
Le Révérend Ellis, qui est surtout documenté sur les Merina, a
écrit: « Leur sensualité est universelle et grossière, quoique générale-
ment cachée: ils ne croient pas que la continence puisse exister dans
l'un ou l'autre sexe avant le mariage, aussi n'est-elle pas regardée
comme un vice » (3).
Le capitaine Ca rayon, qui a étudié sur place l'Ile Sainte-Marie, a
publié, sur cette dépendance, un intéressant ouvrage: Histoire de
l'Etablissement Français de Madagascar pendant la Restauration, Puis,

(1) Flacourt: Hi stoire de la Grande Isle Madagascar. Paris, 1661, p. 97.


(2.) Flacourt : Histoire Je la Grande Isle Mada gascar. Paris. 1661, p. 85.
(J) Ellis: His/ory of Madaga scar. Londres, 18J 8, p. IJ7.
- Jr6-

1845, où nous lisons, à la page XXXVII: ({ En général, les femmes se


conduisent bien en l'état de mariage, sont surtout bonnes mères de
famille et s'attachent sincèrement à leur mari; mais les mœurs sont
dissolues chez les filles, parce que elles ne sont pas déconsidérées pour
avoir disposé d'un bien qui demeure leur propriété tant qu'elles ne
l'ont pas aliéné en s'unissant à quelqu'un ».
Le Père de la Vaissière enfin, dans Vingt ans à Madagascar, Paris,
1885, pages 177, 178, dit: ({ Avant d'être définitivement arrêté et de
prendre son nom de mariage, l'union des deux futurs malgaches subit
une épreuve totalement ignorée des anciens justes, Abraham, Isaac et
Jacob, l'épreuve du libertinage. ({ Si la vocation du mariage compor-
« tait un noviciat, disait Saint François-de-Sales, bien peu de ceux qui
« l'embrassent feraient peut-être profession ». Or, les Malgaches ont
fait passer dans le mariage cet absurde noviciat ».
Pour conclure, nous recourrons enfin à l'abbé Rochon, qui écrivait
dans son Voyage à Madagascar et au.x Indes Orientales, Paris, 1791,
page 143: ({ Les insulaires de Madagascar ne sont pas des hommes
corrompus et insensés parce que leurs mœurs sont opposées aux
nôtres ».
L'inconduite des femmes, mariées ou non, ne fait jamais scandale
tant qu'elle reste entourée du mystère qu'exige la coutume. Flacourt
a parfaitement résumé la question dans les termes suivants: « Que l'on
"passe le temps avec leurs filles, avec leurs femmes mesme, ou leurs
parentes, ils n'en sont pas faschez, pourveu qu'on garde le secret, et
que l'on ne s'en vante point; au contraire ils aiment un homme discret
qui en public ne fait pas semblant de regarder la fille, la femme ou la
parente qu'il voit et connoist familièrement en secret et en particu-
lier» (Histoire de la Grande Isle Madagascar, p. 87).
Il existait, il y a quelques années encore, dans quelques parties de la
colonie, une prostitution qui ressemblait à celle du Japon d'autrefois.
Les femmes qui s'y livraient quittaient leur pays eljn'y revenaient
qu'après avoir amassé une certaine somme. On les désignait, sur la
- 117-

côte Est, sous le nom de tsy miboriraua, « qui ne couchent pas sur le
côt é » et au Betsileo : tsy man etsa, « qui ne transplantent pas le riz n ,
Il faut mentionner encore une prostitution récente qui sév it dans
les localités importantes, depuis un peu plus de t rente ans .
Jadis, chez les Merina, la nuit du fandroana se pa ssait en co m m u n
dans une promiscuité complète. Il en ét ait d e même dans certaines
circonstances. Le Révérend Elli s cite un exem ple d'alld ro t sy mat y,
c'est ainsi que l'on appelait Ces cérémonies orgiaq ues, à l'occasion d e la
na issance de la fille de Rasalimo, sœur de R adam a I. Voici les q uelq ues
lignes qu 'il lui consacre: « The town (f ananarive ) , by reaso n of the
scenes which the streets and lanes almost ever ywhere ax hibit ed
appeared like one vast brothel , and the period w as ca lled androtsy-
maty i. e. a. time in which the law could not condemn , or in which
could not inflicted », (H ist ory of Madagascar. Londres, 1858, tome
II, p. 150).
A. Copalle, dans son Voyage dan s l'int érieur de Madagascar et à la
capitale du roi Radama pendant les ann ées 182 5 et 1826 (Bulletill de
l'Académie Malgache, vol. 8, pages 29 à 64 ), note, à la date du 16 mars
1826, ce qui suit: « Le soir de l'accouchement de Rassalima (sic ) le
roi, transporté de joie, avait accordé à son peuple une permission qui
excita le courroux religieux des missionnaires et désola M. Hastie, à qui
elle manifesta le peu de progrès de son. élève dans la civilisation. Par
ordre du Monarque, les femmes de toutes les classes, mariées ou non,
. Mifady ou non Mifady, furent mises pour une nuit à la discr étion des
jeunes gens »,
Chez les Betsiléo; les funérailles sont accompagnées de d ébord em ents
du même genre, que le missionnaire Shaw a sig na lé en ces t ermes :
(( During the time that the corpse is above gro und a scene of the
wildest riot and grossest licenciousnes prevails )) (/1 I1t'II/dllariL'0 A unnal,
reprint p. 407).
Le Barbier a mentionné également qu'en pa ys Bara les veillées m or-
tuaires sont marquées par « des scènes licencieuses et immorales ))
- 118-

(Notes sur le pays des Bara-Imamono. In-Bulletin de l'Académie Mal-


gache, 1916-1917, page 117).
Bien que l'on manque de renseignements détaillés sur les andro tsy
mat-y des Merina et les scènes licencieuses qui se produisirent à l'occa-
sion des funérailles au Betsil éo et en pays Bara, il semble qu'on peut
admettre que ce sont des cas de prostitution sacrée, analogues à ceux
constatés chez les Grecs de l'antiquité (culte d'Astarté) et les orgies
adonisiaques à Byblos.
En ce qui concerne le [androana, la croyance à l'influence fécon-
dante des rapports sexuels sur la végétation paraît devoir être retenue,
Dans certaines circonstances, il est fady pour les femmes d'avoir des
relations avec les hommes. C'est ainsi que la veille de la circoncision,
elles sont tenues à une continence absolue. Ce fady est général. Le
transgresser exposerait l'enfant à une hémorragie mortelle. .
En Imerina, pour les fêtes du [androaua, les femmes devaient
s'abstenir de rapports sexuels dans la nuit qui précédait le bain royal.
Le premier jour du mois d'Alakaosy, rparticulièrement néfaste, elles
observaient aussi une continence rigoureuse.
Enfin, partout dans l'Ile, il est fady, pour les hommes, d'avoir des
relations sexuelles avec les femmes pendant la période menstruelle.
. D'une manière générale, l'amour à Madagascar est sain et normal.
Les cas d'homosexualité qu'on peut citer, très rares d'ailleurs, sont
d'importation récente. Cependant, la bestialité a dû exister, comme le
prouve l'article 5 du Code de Ranavalona (1828 ), qui est ainsi conçu:
« Font aussi perdre la liberté à leurs auteurs et entraînent la confisca-
tion de leurs biens les crimes ci-après: le mandry amin'omby
(bestialité commise par des hommes avec des vaches) ». Cette disposi-
tion ne figure pas dans le Code de Radama II (1862) mais elle a été
reproduite dans celui de Rasoherina (1863) avec une aggravation des
sanctions: peine capitale, femmes et enfants réduits en esclavage et
confiscation des biens. Elle a disparu des Codes publiés depuis.
A ' la Côte Est, les indigènes quand ils injurient les Antaimoro les

1
- 119

traitent d' « épouseurs de vaches ». Leguevel de Lacombe raconte


tenir d'une femme Zafferaminiane (sic) que « quand un Anta-ymour
(sic) arrive de voyage, après s'être absenté de sa maison, ne fut-ce que
pendant une nuit, la coutume exige qu'il se purifie avec cette vache
avant qu'il lui soit permis d'approcher de la couche conjugale; sa
vadibe elle-même lui en interdirait l'entrée, si elle n'avait pas été pré-
sente à ce honteux accouplement » (1). Il ajoute que Jean René, sur sa
demande, lui a confirmé la véracité de cette coutume. Il est certain
qu'elle est aujourd'hui désuète.
Il semble que dans le cas cité par L éguevel de Lacombe il s'agirait
d'un rite purificatoire destiné à dé tabouer l'homme, avant de repren-
dre la vie conjugale.
A la côte orientale de Madagascar, on entend parfois accuser cer-
taines femmes d'avoir des rapports sexuels avec des crocodiles. Inutile
d'ajouter qu'il n'a jamais été possible d'établir, par des témoignages
dignes de foi, de semblables accusations.
« La sodomie n'est point en usage par cette nation et leur est incon-
nue » assure Flacourt (2). Il en est de même aujourd'hui. Pourtant,
d'après un manuscrit du père de Ramaniraka," datant de 1828, quel-
ques cas auraient été constat~. ~.I'armée de Radama I, lors des
campagnes contre les Sakalavilo' a>: 'ex: le d'un sergent anglais, ins-
tructeur des troupes Merina. ~ iIt ~
Enfin, dans le [ournal de II1tn~I'lItelllallce près de S. E. Rainilaiari-
. "",,:!""~A _\""'y
va Il)', ancien Premier Millistre dè"Mifdagascar, de J. Massé, qui nous
fut prêté par M. Le Myre de Vilers, il y a vingt-cinq ans, nous avons
relevé plusieurs passages où l'auteur dit tenir de confidences de l'exilé
dont il avait été chargé de diriger la maison par le Gouverneur Général
de l'Algérie, que la Reine aurait été déconsidérée à cause « de ses

------~
(1) Leguevel de Lacombe: Vo)'age à Madaga scar ri aux Urs Co mo res. Paris, 1840.
tome I, pages .11.8 et suivantes.
[a Flacourt: His/oire de la Grande Isle Madagasrar, p. 86.
120 -

relations d'amitiés inavouables avec des femmes de son entourage ».


Il s'agit assurément, si les faits sont exacts, de simples jeux de princes,
comme ceux que la chroniqué scandaleuse a prêtés au roi Radama II,
't ou t à fait exceptionnels, d'ailleurs, et certainement d'importation
européenne comme le prouvent les photographies obscènes et certains
objets de caoutchouc découverts lors de l'inventaire effectué dans la
maison d'une princesse, après l'exil de Ranavalona III et qui provo-
quèrent la stupéfaction d'un brave gendarme qui participait à cette
opération.
. Il faut mentionner encore les sarim-bavy, litt. image de femme. On
désigne ainsi des hommes ayant toutes les apparences d'une femme:
costume, chevelure, démarche, et se livrant uniquement à des travaux
féminins. Ces sortes d 'hommes-femmes existent à Madagascar depuis
tort longtemps. Flacourt les a signalés sous le nom de Tsecats (Saika-
·t ry ) (1) sous lequel on les désigne encore aujourd'hui dans le Sud-Est
de l'Ile. Il en parle en ces termes: « Il y a bien quelques hommes qu'ils
appellent Tsecats, qui sont hommes effeminez et impuissans, qui
recherchent les garçons, et font mine d'en estre amoureux, en contre-
faisans les filles et se vestans ainsi ·q u'elles, leur {ont des présents pour
dormir avec eux, et mesme se donnent des noms de filles, en faisant les
honteuses et les modestes.
« J'ai interrogé ces sortes de Tsecats et leur ay demandé pourquoy
ils vivoient de la sorte; ils me firent responce qu'en leurs pays ils se
vouent dès la jeunesse à exercer cette sorte de vie, qu'ils faisoient vœu
de virginité et que ce qu'ils recherchoient
, la compagnie des jeunes
'hommes n'estaient point à mauvaise intention, sans rien commettre
de des-honneste : ce que mes 'N ègres et leurs femmes m'ont asseuré,
Ils disent aussi qu'ils servoient Dieu en vivans de la sorte. Ils haïssent
les femmes et ne les veulent point hanter » (2).

(1) Les Antanosy appellent égalemen t Saikatry les v aches stériles.


(2) Flacourt: Histoire de la Grande Isle Madagascar, p. 86.
- 121-

Il existe encore des sarim-bat/y dans la Grande Ile, mais on en ren-


contre moins qu'autrefois.
Il y a quelques années vivait encore, aux environs de Fianarantsoa,
une princesse descendant des rois de l'Isandra qui s'habillait, montait
à cheval et agissait en homme. Elle avait même épousé deux femmes .
Elle exigeait qu'ont la saluât comme les princes Betsileo. C'est l'unique
exemple de femme-homme que nous connaissions.
L'amour à Madagascar n'est pas seulement, comme beaucoup le
croient, l'accouplement, sans plus. C'est au contraire un sentiment qui,
s;il ne s'extériorise pas comme en Europe, est tout aussi passionné. La
plupart des chansons et la poétique légende du lac Tritriva l'attestent.
Nous avons connu des mélancolies tenaces et de sombres tristesses dues
uniquement à des peines de cœur. Chez les Antandroy, qui passent
cependant pour les plus arriérés des Malgaches, les suicides occasionnés
par des déceptions amoureuses sont fréquents . Defoort, dans sa
MOI/agraphie de l'Androy (2) assure que « l'Antandroy se suicide en
avalant du lombiro pour sa femme et pour ses bœufs ».
L'exubérance de la plupart des populations côtières ainsi que la
gravité et li froideur énigmatique des habitants des Hauts-Plateaux
cachent également, mais de façon différente, des passions ardentes qui
nous échappent. D'autre part, « la vergogne et honte », comme disait
Flacourt, qu'ils manifestent au sujet des questions sexuelles et qui
contrastent singulièrement avec la liberté des mœurs, enfin leur
indifférence à l'égard de la chose qui a pour nous tant d'importance,
expliquent les jugements erronés que l'on porte communément sur la
psychologie sentimentale des indigènes.
Il est enfin nécessaire d'insister sur la tendresse des Malgaches envers
les enfants, bien que l'on s'accorde g énéralement sur ce point. L'enfant
est toujours aimé pour lui-même et ce qui est plus remarquable encore,

(2) E. Defoort: Essai de Monographie de l'A ndroy. T ananarive , 191) , p. S8,


note 3.
- 122-

c'est qu'il n'est jamais tenu pour responsable des circonstances parti-
culières de sa naissance, Aussi, nos distinctions en enfants légitimes,
naturels, adultérins et incestueux sont inconnues. Il est vrai que, pour
la masse du peuple, il n'y a pas nécessairement relation de cause à effet
entre l'acte sexuel et la conception. Tout comme en Europe au Moyen-
Age, elle croit à la possibilité d'une lucina sille concubitu. Nous avons
maintes fois entendu affirmer très sérieusement que des femmes avaient
été fécondées en rêve, en l'absence prolongée de leurs maris. Nombre
de contes populaires confirment cette croyance avec des variantes:
grossesse consécutive à certains sacrifices ou encore à l'ingestion de
mets possédant des vertus magiques.
La coutume cruelle qui exigeait la mise à mort des enfants nés un
jour lady, générale à Madagascar, ne saurait infirmer ce que nous avons
dit de l'amour des indigènes pour les enfants. Il s'agit, en effet, selon la
croyance des Malgaches, d'une mesure d'intérêt public, l'enfant né un
jour lady étant réputé devoir être dangereux pour sa famille et pour
la société. Depuis fort longtemps, d'ailleurs, la coutume s'était adoucie
et diverses cérémonies, dont nous parlerons plus loin, permettaient de
dé tabouer l'enfant sans qu'il fût nécessaire de le ruer.
CHAPITRE IV

PRINCIPA UX ÉVÉNEMENTS DE LA VIE


INDIVIDUELLE

Il'
1
La naissance

"1.",, d'u enfant 0' I'év énement le plus heureux


celui qui procure la plus grande joie à un indigène. Il est
peu de peuples qui soient animés d'une passion aussi ardente
- d'avoir une progéniture. Ce sentiment a essentiellement une
base religieuse qui ne semble pas avoir été suffisamment discernée. Nous
avons vu que le culte des ancêtres est, en quelque sorte, le pivot de la
religion des Malgaches; or, pour assurer la pérennité de ce culte, il est
indispensable d'avoir des enfants. Voilà, scion nous, la raison fonda -
mentale de cette passion de postérité que l'on constate partout dans la
GrandeIle. Elle coïncide d'ailleurs avec un des instincts les plus impé-
rieux de l'humanité: celui de procréer. Accessoirement, le souci
d'accroître la puissance de la famille, du clan ct de la tribu est un
facteur positif qui n'est pas négligeable, mais qui a plus influencé les
chefs que les individus. Certains kabary savoureux d'Andrianampoini-
merina, le grand roi Merina, sont, à cet égard, particulièrement ins-
tructifs.
La stérilité est considérée comme la pire des calamités et les prati-
ques les plus extravagantes sont suivies pour la faire cesser: sacrifices
aux pierres de fécondité (vato bevohoka), philtres possédant des vertus
124

generatrices, etc. Des matrones réputées sont également consultées


et les traitements les plus extraordinaires qu'elles prescrivent sont
strictement suivis: ingestion d'herbes particulières, voire de petits
poissons vivants qui sont censés devoir créer le fœtus, massages
spéciaux de l'abdomen, etc.
I! est aussi d'autres moyens réputés d'une grande efficacité, tels que
se coucher dans le lit qu'une accouchée vient de quitter, manger du
kitoza (lanières de viande de bœuf séchées) destiné aux repas des
femmes récemment accouchées et adroitement dérobé, etc.
Au surplus, la femme stérile veille scrupuleusement à ne pas trans-
gresser les lady nombreux qui sont censés empêcher d'avoir des
enfants; par exemple, elle doit s'abstenir de travailler le samedi, de
couper l'herbe sur les diguës des rizières, de couvrir une maison, de
manger des fruits dans le mois d'Alakaosy...
Dès que la grossesse est reconnue, la femme est l'objet de toutes les
attentions. Le mari satisfait toutes ses fantaisies. Chez les Merina, la
première envie de la femme enceinte est fêtée par un grand repas de
famille . Les envies sont considérées comme un désir de l'enfant d'avoir
les aliments nécessaires à sa formation. Aussi doit-on s'empresser de les
satisfaire, afin de ne pas entraver son développement normal.
La grossesse est soumise à un nombre de lady considérable, - Stan-
ding en a recueilli 230 en Imerina, - que les femmes s'appliquent
religieusement à observer. Ainsi, pour éviter l'avortement, la femme
enceinte doit: se garder de courir, de soulever dès pierres, de sauter un
fossé, d'arracher de l'herbe verte, de porter deux charges d'eau, de
ramasser des sauterelles, de nager, de pêcher, de boire du rhum,
d'entrer dans la maison où il y a un mort sans frapper du pied le
seuil, etc. Elle devra encore ne pas sortir la nuit, de peur d'être effleu-
rée par quelque lolo (esprit malfaisant), à moins de se faire une onction
de suie, éviter de passer sur une corde, de peur de faire des circuits au
cordon ombilical de l'enfant, de boutonner ses vêtements, pour ne pas
- 125-

retarder l'accouchement, de s'accroupir sur le seuil de la maison pour


éviter des couches difficiles, etc.
Certains de ces [ady constituent des mesures d'hygiène rationnelles,
d'autres des tabous sympathiques; aucun, au demeurant, n'est nuisible.
Au cinquième mois de la grossesse, les Sakalava et les Bara, notam-
ment, font un sacrifice, quand il s'agit d'un premier enfant. Selon leur
situation de fortune, ils immolent un bœuf ou simplement quelques
volailles. Les parents et amis, invités comme il convient, assistent à la
cérémonie. Sur une natte, près de la case, les époux sont assis, le mari
au Nord, la femme au Sud, le bœuf du sacrifice est couché à l'Est.
Un frère de la femme, à défaut une sœur ou un parent, marque avec
de la terre blanche (qui est réputée avoir une vertu magique) le front
et les tempes des époux, puis le père de la femme adresse une invocation
aux ancêtres, pour solliciter leurs faveurs à l'égard « du fruit de notre
chair et de votre chair », selon l'expression consacrée. Durant cette
invocation, il frappe la croupe de l'animal, selon les rites et, avec le
premier sang, il fait des onctions au front et aux tempes des époux.
Il les asperge enfin avec la queue du bœuf trempée dans une calebasse
pleine d'eau dans laquelle il a..' ait, préalablement, mis un morceau de
foie, et dit: « Que mon enfant soit beau! Bénissez-le, ô mes morts!
Qu'il vive longtemps! »
La fête se déroule ensuite, selon l'usage: grand repas, libations
copieuses et jeux habituels.
Chez les Betsi~isaraka et les Sakalava, notamment, il est fad y pour
la femme enceinte d'avoir des relations sexuelles pendant les trois mois
qui précèdent l'accouchement et durant la durée de J'allaitement.
Cette interdiction qui, jadis, était générale, est tombée en désuétude
dans quelques tribus, notamment chez les Merina.
Lorsque l'événement est imminent, la m pampivelol1a (Merina, Betsi-
leo, Betsimisaraka) ou ambanauona (Sakalava) - matrone faisant
office de sage-femme - appelée par le mari, accourt. Elle cherche
d'abord à déterminer la position de l'enfant, puis elle ordonne de faire
- 126-

cuire du riz que la femme devra manger, en aussi grande quantité que
possible, afin d'être forte quand le moment où elle aura besoin de
« pousser » arrivera. Sur ses indications, on prépare la sorte d'alcôve,
faite de nattes, soigneusement calfeutrée, où la parturiente séjournera
pendant huit jours après l'accouchement et on fait provision de bois
pour entretenir le feu qui devra brûler, dans cette alcôve, jour et nuit
durant ce temps. Ce feu a pour but de préserver la mère et l'enfant
des lolo (esprits malfaisants).
Le moment venu, la parturiente, les jambes écartées, s'accroupit et
se cramponne par les mains aux épaules de la sage-femme, également
accroupie et lui faisant face. Cette dernière, les mains préalablement
graissées, opère des massages sur les flancs et presse doucement sur le
périnée pour amener la tête de l'enfant vers la vulve, puis la délivrance
s'effectue.
En Imérina, la parturiente doit s'abstenir, pendant tout le travail,
de pousser le moindre cri, de peur de nuire à l'enfant. Ce fady n 'est pas
général; les femmes Sakalava, par exemple, ont licence de crier et ne
s'en priven t pas.
Pendant tout le travail la sage-femme peut boire, mais ne doit pas
manger.
Quand l'enfant est sorti, le cordon ombilica'i est ligaturé avec une
fibre de raphia ou de chanvre, puis coupé soit avec un couteau (Ime-
rina) soit avec un morceau de bambou (Sakalava, Betsimisaraka). .
L'enfant est lavé, la tête d'abord, le corps -ensuite, en évitant de
mouiller le cordon.
L'accouchement se fait en présence des parentes et amies. Les
hommes, y compris le père de l'enfant, ne doivent pas y assister.
Le placenta est enterré dans un trou de 50 à 60 centimètres, creusé
à l'Est de la maison, en Imerina ; chez les Sakalava, au Nord et au
Nord-Est, si c'est une fille. Le trou doit être comblé avec soin. La
personne chargée de l'opération -doit aller vers le trou en regardant
- 127-

droit devant elle. Si elle tournait les yeux, à droite ou à gauche, l'enfant
loucherait. Cette croyance est générale.
En Imerina, laisser manger le cordon ombilical par les bœufs expose
l'enfant à la syphilis.
Il est lad), de prendre un enfant sans, au préalable, avoir passé les
mains sur le f~u. Cette interdiction est un nouvel exemple de la vertu
purificatrice du feu.
Dans certaines régions côtières, la parturiente ainsi que les person-
nes ayant participé ou assisté à l'accouchement vont, aussitôt après, se
baigner à la riviêre ou à la mer, afin de se débarrasser des souillures
possibles.
Les parents et les amis, dès qu'ils sont avisés de la naissance de
l'enfant, s'empressent de venir féliciter la mère et le père. En Imerina,
.les visiteurs offrent un peu d'argent « pour acheter des parsa » (sorte
de petites crevettes) réputées très Iactigènes.
Mais la naissance d'un enfant, si ardemment désirée qu'elle soit, est
considérée comme un événement calamiteux quand elle a lieu dans un
temps lady. Jadis, l'enfant qui avait la malchance de venir au monde
un jour lady, était tué : c'était une coutume générale. En Imerina,
l'enfant né en Alakaosy était noyé dans un van à ri z. Sa suppression
s'imposait, car, de par le vintana qui avait présidé à sa naissance, il
constituait un danger social. Mais depuis fort longtemps cette cou-
tume barbare s'ét ait adoucie. Pour dérabouer l'enfant mabery uintana
(destin fatal) on recourait à des épreuves qui variaient selon les tribus:
l'exposition à la porte du parc à bœuf était pratiquée en plusieurs
régions. Si l'enfant n'était pas écrasé à la sortie des animaux, on
pouvait l'élever sans danger. En Imerina, on amputait parfois le
majeur de la main droite. Le Premier Ministre Rainilaiarivony, né en
Alakaosy, avait subi cette mutilation. A la Côte Ouest, l'enfant était
abandonné sur un chemin, à quelque distance du village. La personne
qui le découvrait pouvait le recueillir sans danger, le fait de son expo-
sition pendant quelques heures avait suffi pour le détabouer. Chez les
- 128-

Antaimoro, l'enfant, tel Moïse, était déposé sur un radeau de roseaux


que l'on abandonnait au fil de l'eau. Il était généralement recueilli
en aval.
La naissance de jumeaux était, autrefois, considérée comme funeste;
la mère en élevait un, l'autre était généralement confié à quelque
parente.
Enfin, l'enfant dont la mère mourait des suites de couches, était
enseveli vivant avec elle, car il était réputé l'avoir tuée. Nous avons
eu, en '9'3, à juger un infanticide de ce genre, commis dans un village
situé sur les bords du lac Alaotra.
Quelque temps après l'accouchement, de dix jours à un mois selon
les régions, l'enfant fait sa première sortie, au jour faste indiqué par le
mpanandro ou l'ombiasa. On procède, à cette occasion, à une levée
d'interdit et à des purifications, encore observées chez les tribus côtiè-
res, mais qui, sur les Plateaux, se bornent à des manifestations plus
discrètes. Ce n'est qu'après ces cérémonies que la mère reprend ses
occupations habituelles.
Dans toute l'Ile, il est [ad y de couper les cheveux de l'enfant dans
les six premiers mois de sa naissance.
La première coupe des cheveux de l'enfant, qui se fait un jour faste,
est une cérémonie importante célébrée dans toutes les tribus, suivant
des rites qui offrent quelques différences selon les régions. Chez les
Sakalava on fait un simulacre d'attaque du village et de rapt de
l'enfant, puis les cheveux sont coupés, sauf une petite mèche au-
dessus du front; enfin la fête se termine par un grand repas et des
danses.
En Imerina on donne un grand repas au cours duquel on dispose
sur un van des boulettes de riz dont une renferme des cheveux de
l'enfant. Après une invocation aux ancêtres, l'assistance se dispute les
boulettes et celui à qui échoit celle contenant les cheveux aura un
enfant avant longtemps. Aussi ces fêtes sont très courues par les
femmes en quête de progéniture.
- 129-

La personne qui coupe les cheveux doit avoir ses père et mère
vivants, sinon l'enfant risquerait de devenir orphelin.
Un grand nombre de lady s'appliquent aux jeunes enfants. Ainsi,
les petits garçons ne doivent pas se regarder dans un miroir, ni porter
salaka ou être coiffés d'un chapeau avant leur circoncision, sous peine
d'avoir une mauvaise plaie quand on les circoncira.
Les petites filles ne doivent pas être coiffées comme les femmes, sous
peine de voir leur croissance arrêtée, ' n i manger sur une pierre du
foyer, car elles ne trouveraient pas de mari.
L'enfant qui mange trop de sel aura les paupières enflées, celui qui
mange trop de viande aura des vers, celui qui mange des graines de
voampo ou d'angivy (espèces de solanées) aura des verrues, s'il mange
du foie, ses dents se gâteront, s'il mange trop de sucre, il aura la
diarrhée verte; embrasser fréquemment un enfant lui donne le
coryza; si un enfant jette une dent de lait, elle ne repoussera plus, etc.
On remarquera que certains de ces lady ont le caractère giène
rationnelle. • .'8L / O,.
.,.
~'*' -s...
Du 1/0111 des personnes ~ 'f~.<>. ~
.... vo?1)"
Les Malgaches ignorent l'usage des noms patronymiqu ~/, .. ~~
Durant leur vie, ils changent plusieurs fois de nom, trois au mini-
mum. L'enfant, en venant au monde, en reçoit un dont le choix esr
déterminé par le vintan» qui a présidé à sa naissance. Si ce vintana est
mabery (puissant' et fatal) il recevra un anaran-ilratsy (mauvais nom),
par exemple : Beray (merdeux) Voalavo (rat) si c'est un garçon;
Patsa (crevette) si c'est une fille.
L'adolescent prend un nouveau nom qu'il gardera jusqu'à la nais-
sance de son premier enfant; Il adoptera alors le nom de ce dernier
auquel sera préfixé Raini, pour le père, Reni, pour la mère. Si, par
exemple, Rarsimandresy et Ravoahangy ont une enfant Ketaka, ils
s'appelleront désormais: Rainiketaka et Reniketaka, c'est-à-dire père
de Ketaka et mère de Ketaka,
9
- 130-

Il arrive fréquemment que des individus changent de nom pour


échapper à des poursuites judiciaires ou p our des motifs aussi peu
avouables.
Actuellement, les Malgaches chrétiens reçoivent des prénoms il
l'imitation des Européens. Enfin, depuis quelques années, certaines
familles Merina suivent nos usages et adoptent des noms patronymi-
ques.

La circoncision

La circoncision est-elle la sanctification des organes de la genera-


tion? Doit-on, au contraire, la considérer comme une preuve de
l'existence antérieure de sacrifices d'enfants, rachetés par l'amputa-
tion d'une partie de leur personne? A Madagascar, elle nous apparaît
comme un sacrifice d'inauguration de la puberté.
On admet généralemen t q u'elle .a été importée dans la Grande Ile
par des israélites ou par des musulmans, sans d'ailleurs le prouver. Or, la
circoncision n'est pas spécifiquement juive ni islamique (le Koran n'en
parle pas). On sait qu'elle était pratiquée par les anciens Egyptiens.
auxquels les Juifs l'auraient empruntée, par les Phéniciens ct par les
Arabes préislamiques. D'autre part, on la rencontre en divers points du
globe, en Océanie par exemple, où il est difficile de soutenir qu'elle ait
été importée par des Sémites. Rien, dès lors, ne s'oppose à la considérer,
dans la Grande Ile, comme une institution indigène, d'autant qu'elle
est pratiquée dans toutes les tribus, depuis upe époque très ancienne
et bien avant l'arrivée des premiers Européens.
Seuls, les enfants mâles sont circoncis. L'excision des filles, qui est
en usage dans certaines parties de l'Afrique, e;t ~connue à Madagascar.
La circoncision fut longtemps la plus grande fête des Malgaches.
Jusqu'en 1869, on la célébrait solennellement en Imerina, tous les
sept ans. Il en était de même dans le Sud-Est au XVII" siècle, au témoi-
gnage de Flacourt qui, dans son Histoire de la Grande Isle Mtldagascar,
- 131 - .

mentionne qu'elle se faisait l'année du Vendredi (r) le plus souvent au


mois de mai, dit-il. Sur les Plateaux, l'époque favorable était en juillet
ou août, au cœur de l'hiver. C'est encore le moment que l'on choisit
aujourd'hui, bien que chacun fasse circoncire son fils à l'époque qu'il
juge convenable. Cette fête, en effet, en Imerina et dans d'autres
parties de la Colonie, a perdu son caractère national; elle n'est plus
qu'une cérémonie familiale, mais les rites essentiels sont toujours
SUIViS.

Flacourt a donné de la fête de la circoncision la description sui-


vante: « Cette cérémonie se fait dans le mois de May le plus souvent,
qu'ils nomment Valascira, et l'année du Vendredy. Tous les parenPet
amis des enfans que l'on doit circoncire, s'en viennent dans le village
où se doit faire la cérémonie, là les pères des enfans font apporter du
vin, ou bien auparavant ont apporté du miel pour en faire, et donnent
un Taureau pour chaque enfant, les pauvres donnent moins. Et la
surveille de la circoncision se passe en resjouissances, qu'ils appellent
Missavatsi (2). Les hommes font l'exercice de la Sagaye, cependant que
les tabourineurs qu'ils nomment ompivango, jouent de l'Azoulahé
(hazolahy) ou tambour, qui est fait d'une souche d'arbre proprement
creusée, et de deux parchemins, l'un de peau de bœuf, et l'autre de
peau de cabrit ; d'un costé ils frappent avec un baston, et de l'autre
avec la main, les femmes ct filles parentes de celuy qui fait l'exercice,
dansent à l'entoure de luy, en faisant de certaines gestes et postures
d'admiration, comme si par leur contenance elles vouloient rantost
appaiser sa fureur, et tantost aussi l'encourager, lequel de son costé fait
des postures et grimaces de la bouche, des yeux, ct des grincements de
dents les plus terribles qu'il peut afin de montrer qu'il sçait bien
espouvanter son ennemy, ce qui est plaisant et rédicule à voir. Tous

(1) Les Malgaches comptaient les années paf cycles de 7. dont chacune portait le
nom d'un jour de la semaine.
(1) Missavatsi, signifie circoncire. Le Dictionnaire de Weber (ISr) ) donne misa-
varra (radical savarra }. Ce mot est encore usité de nos jours dans le Sud de l'Ile.
- 131 - .

mentionne qu'elle se faisait l'année du Vendredi (r) le plus souvent au


mois de mai, dit-il. Sur les Plateaux, l'époque favorable était en juillet
ou août, au cœur de l'hiver. C'est encore le moment que l'on choisit
aujourd'hui, bien que chacun fasse circoncire son fils à l'époque qu'il
juge convenable. Cette fête, en effet, en Imerina et dans d'autres
parties de la Colonie, a perdu son caractère national; elle n'est plus
qu'une cérémonie familiale, mais les rites essentiels sont toujours
SUIViS.

Flacourt a donné de la fête de la circoncision la description sui-


vante: « Cette cérémonie se fait dans le mois de May le plus souvent,
qu'ils nomment Valascira, et l'année du Vendredy. Tous les parenPet
amis des enfans que l'on doit circoncire, s'en viennent dans le village
où se doit faire la cérémonie, là les pères des enfans font apporter du
vin, ou bien auparavant ont apporté du miel pour en faire, et donnent
un Taureau pour chaque enfant, les pauvres donnent moins. Et la
surveille de la circoncision se passe en resjouissances, qu'ils appellent
Missavatsi (2). Les hommes font l'exercice de la Sagaye, cependant que
les tabourineurs qu'ils nomment ompivango, jouent de l'Azoulahé
(hazolahy) ou tambour, qui est fait d'une souche d'arbre proprement
creusée, et de deux parchemins, l'un de peau de bœuf, et l'autre de
peau de cabrit ; d'un costé ils frappent avec un baston, et de l'autre
avec la main, les femmes ct filles parentes de celuy qui fait l'exercice,
dansent à l'entoure de luy, en faisant de certaines gestes et postures
d'admiration, comme si par leur contenance elles vouloient rantost
appaiser sa fureur, et tantost aussi l'encourager, lequel de son costé fait
des postures et grimaces de la bouche, des yeux, ct des grincements de
dents les plus terribles qu'il peut afin de montrer qu'il sçait bien
espouvanter son ennemy, ce qui est plaisant et rédicule à voir. Tous

(1) Les Malgaches comptaient les années paf cycles de 7. dont chacune portait le
nom d'un jour de la semaine.
(1) Missavatsi, signifie circoncire. Le Dictionnaire de Weber (ISr) ) donne misa-
varra (radical savarra }. Ce mot est encore usité de nos jours dans le Sud de l'Ile.
- 133-

Et le Maistre qu i doit circoncire dit aussi ces mots, Salama, Zahanhare,


Zahomissahots, anau hanau N aboüatsi rangho, am ini tom bouc, Zaho-
.mitouloubouzouh aminau, Zaho mamore enghe z aza anrou aniou (1 )
qui veut dire, je vous salüe mon Dieu, je vous adresse ma prière vous
avez créé les mains et les pieds, je vous demande pardon de mes fau tes
(ou suivant la lettre) je fléchis ou preste le col devant vo us, je vas
circoncire ce jourd'huy ces enfants, et disent en core autres choses qui
de soy n'ont rien de mauvais.
« Et après s'en viennent au lapa, où ils apportent leurs enfants, que
leurs mères amusent en leur mettant au col ce qu 'ils ont de corail,
cornalines et autres verroteries, puis su r les dix heures de ma m esme
matinée à cœur jeun, ils disp osent et apprestent toutes choses pour
accomplir cette cérémonie. Laquelle heure se connoit par l'ombre de
l'homme au soleil, qui se tient droit, ils mesurent l'ombre par les
plantes des pieds qu'ils nomment liha ou pas, et quand l'ombre est de
neuf plantes de pied ou semelles, il est temps de circoncire: lors les
tambours sonnent, et celuy qui doit circoncire, se pare de sa plus belle
pagne, en cache ce qu'il y a de rouge, fait retirer ceux qui Ont des
pagnes rouges, et les filles et garçons qui se sont jouez la nuict ensem-
ble, se fait une escharpe avec un grand écheveau de fil de cotton blanc,
et un à l'entour de son bras gauche pour essuyer le coutteau qu 'il tient.
Les pères prennent chacun leurs en fans entre les bra s et font une pro-
cession au travers de leur lapa, ils entrent par une porte qui est au
couchant et en sor ten t par une autre porte qui est au levant, et 'von t
de dix en dix les uns après les autres.
« Après avoir fait deux processions, ils en font deux autres devant
les bœufs, qu e l'on doit sacrifier en faisans prend re la corne droite de
chaque bœuf ou taureau, qui sont couchez par terre, les quatre pieds

( 1) Cette ln voca t ion s'écrirait aujourd'hui comme suit: Salama Zanahary Izaho
misaorsa anao, Hi anao, namboatsy ran ana aminy tomboka. Zaho mito lobozo na
aminao, Zaho mamou enga zaza 3COa anio.
134 -

liez ensemble, par la main gauche de l'enfant et le font asseoir un


moment sur la louppe, après on fait retirer le monde et faire place;
et l'ancien s'en va avec son cousteau couper le prépuce de chaque
enfant; l'oncle duquel enfant reçoit le prépuce et l'avale avec le jaune
et blanc d'un œuf de poulle qu'il tient exprés en sa main, et le Roan-
drian ou Anacandrian qui est là pour tuer les bestes couppe la gorge
d'un cocq pour chaque enfant, et lui fait distiller du sang de cocq sur
la playe, et un autre exprime sur icelle le suc de l'herbe nommée Hota,
qui est une espèce de treffle, qui a la feuille semblable à l'herbe au
charpentier, nommée prunella ou consolida minor ; s'il y a quelque
esclave qui n'aye point d'oncle, l'on jette son prépuce par terre.
« Ce jour chacun est sage, on ne fait point de bruit, on ne s'enyvre
point. Les mesmes cérémonies se pratiquent par les Roandrian : mais
il y a plus d'apparat, de despence et de fast, plus de monde, et est plus
agréable à voir, faisans tout de meilleure grace que les nègres. La
Circo~cision d'ordinaire se fait l'année du Vendredy par les Roandrian
ou Zaffe-Ramini : Les nègres n'y prennent pas de si pretgarde ».
Les particularités caractéristiques de la circoncision comportaient
donc, au XVII ' siècle:
l ' Un simulacre de combat à la sagaie et des danses rituelles;

2 ' Interdiction de toutes relations sexuelles entre hommes et


femmes;
3c Un bain purificatoire ;
0
4 Des processions rituelles;
5' Ingestion du prépuce par l'oncle de l'enfant;
6' Immolation d'animaux.
Les rites actuellement suivis présentent les variantes suivantes :
0
1 Le bain purificatoire est remplacé par des aspersions faites avec
une eau lustrale puisée, en grande pompe, à une source sacrée. Pour
panser la blessure, on utilise le rauo ma/Jery (eau réputée avoir la vertu
de rendre fort), que des hommes vont puiser, à la pointe du jour, à une
source sacrée. Le cortège qui porte la gourde contenant cette eau est
- 135-

lapidé par la foule, à l'entrée du village, aux cris de zana-boro-mabery


manatod y ambato ! (Les petits du voromahery, - aigle royal des
Merina - sont pondus dans les pierres!) Les porteurs de l'eau se
protègent des pierres avec les boucliers dont ils sont munis;
2 0 Le prépuce est, soit avalé dans un morceau de banane - (Mérina,
Betsiléo) - ~oi t mis dans le canon d'un fusil chargé à poudre que l'on
tire en l'air dans la direction de l'Est (Bara, Sakalava).
Quand l'esclavage existait encore, les esclaves se disputaient le pré-
puce de l'enfant de leur maître, car celui qui l'avalait ne pouvait plus
être vendu.
L'invocation rituelle qui, en Imerina, précède l'aspersion et que
prononcent les assistants: « Qu'Ikoto soit béni L. Ikoto va devenir
un homme qui remontera la rivière, il ne laissera jamais prendre ses
filets à poissons. Ikoto n'est plus un enfant, c'est un homme fait, bien
fait, parfait... », et le mot mandabilaby - (qui rend mâle) - employé
pour désigner aussi la circoncision, confirment ce que nous avons dit
de son caractère sacramentel. A Madagascar, la circoncision doit être
considérée comme l'inauguration de la puberté.
La circoncision comporte un certain nombre de lady. Tous ont
pour but de mettre l'enfant à l'abri des accidents consécutifs à l'opé-
ration ou d'assurer son bonheur dans sa nouvelle vie d'homme.
Ainsi, pour éviter que l'enfant soit blessé, le père et la mère doivent
s'abstenir de coucher dans le même lit pendant la semaine qui précède
le jour de la circoncision. Plus généralement, hommes et femmes ne
doivent pas avoir de relations sexuelles durant vingt-quatre heures
avant la cérémonie. Il est également interdit, pendant cette période,
de tenir des propos libertins et de badiner avec des femmes sur les
chemins. On doit aussi éviter de se quereller avec l'enfant. Il ne faut
pas faire résonner, en le battant, un couvercle de marmite. Les femmes
ne doivent pas aller chercher de l'eau avant la cérémonie.
Pour que l'enfant soit fort, il faut lui masser le ventre avant l'opé-
ration. Il est nécessaire que l'homme qui va chercher l'eau lustrale
136 -

porte une ceinture de chiendent. Les femmes doivent tresser des joncs
dans la nuit qui précède la céré~onie. Pendant l'opération, les assis-
tants répètent: zana-boromabery ! (petit de voromahery).
Les personnes qui assistent à la circoncision ne doivent pas avoir
peur, ni boutonner leurs vêtements, sinon l'enfant sera poltron.
On ne doit pas, enfin, garder le chapeau sur la tête, en entrant dans
la maison où va se faire la circoncision, sinon l'opération serait difficile.

Dit mariage

Le célibat est considéré par les Malgaches comme un état anormal


dont ils ont, d'ailleurs, quelque peine à admettre l'existence. Par contre,
ils estiment que le mariage répond à un besoin primordial de l'huma-
nité. A leur point de vue, le but principal du mariage est d'avoir des
enfants. Ce sont là des conceptions qui n'ont rien d'original; elles sont
communes à tous les groupements humains parvenus au même stade de
civilisation. Mais ce qui paraît plus spécialement malgache, c'est ce
désir effréné de postérité et par voie de conséquence cette terreur de la
stérilité, la pire des calamités, à leurs yeux, qui ont fait l'étonnement
de nombre d'Européens.
Ces sentiments ne sont pourtant qu'une conséquence logique des
croyances religieuses des Malgaches. En effet, le culte des ancêtres est,
nous l'avons dit, le pivot de leur religion; or, l'unique moyen d'en
assurer la pérennité est d'avoir des enfants. Ces notions sont si profon-
dément enracinées dans l'âme malgache qu'elles ont subsisté, même
chez les .indigènes chrétiens. Elles nous apparaissent surtout dans les
cérémonies funéraires, dont les rites continuent à être suivis, non
seulement par ceux qui ont conservé la foi de leurs ancêtres,
mais aussi par ceux qui l'ont abandonnée. Cette survivance des rites a,
d'ailleurs, été observée chez tous les peuples.
La question mérite, au surplus, quelques remarques d'une grande
importance.
- 137-

Si l'on considère, d'une part, que la Grande Ile ne possède qu'une


population numériquement insuffisante eu égard à sa superficie et,
d'autre part, que le développement du pays exige un accroissement
rapide du nombre de ses habitants, il est incontestable que la France a
le plus grand intérêt à ne pas hâter la disparition de coutumes, infini-
ment respectables d'ailleurs, que le contact avec la civilisation occiden-
tale a déjà trop entamées sans profit pour les indigènes et souvent au
détriment de l'intérêt général. Nous avons suivi à Madagascat ce début
de décomposition de la société malgache, gros de conséquences pour
l'avenir. Il a commencé, comme partout, par l'affaiblissement de la
puissance paternelle; la désagrégation des fokon'olona a suivi; le
respect de la jeunesse envers les parents, à l'égard des personnes .âgées
et des chefs ne se manifste plus guère que par des formules de politesse.
Il n'est que temps de sauvegarder le peu qui subsiste encore des bonnes
traditions du passé et de préserver les régions qui, grâce à leur éloigne-
ment des centres contaminés, sont restées à peu près indemnes.
Jusqu'en [878, la polygamie était une institution générale à Mada-
gascar. Elle a été interdite d'abord, en Imerina, par les Instructions aux
Sakaizam-bohitra ([4 juillet 1878), puis dans tout le royaume Merina,
par l'article 50 du Code des 305 articles (29 mars [881). En fait,
l'ancien gouvernement malgache, selon sa politique traditionnelle,
avait respecté les coutumes de droit privé des tribus soumises à son
hégémonie et toléré la polygamie. Cependant, en droit strict, nous
sommes tenus d'appliquer l~ dispositions de l'article 50 du CoJe des
305 articles dans toutes les parties de l'Ile où ce code était en vigueur.
Partout ailleurs, la polygamie a une existence légale incontestable et,
en fait, la plupart des tribus côtières continuent à la pratiquer.
Le mot malgache qui veut dire polygamie: malllpirafy (radical rafy,
ennemi, adversaire, rival), signifie « faire être rivales ». Il n'est pas
douteux que la vie des ménages polygames est souvent troublée par des
querelles que connaissent d'ailleurs tant d'unions monogames, en tous
pays.
- 138-

Le polygame a, selon sa situation de fortune, deux ou trois femmes.


Autrefois, en Imerina, les sujets ne pouvaient en avoir plus de sept;
seul le roi avait droit à douze.
La première épouse est la uadibe, les épouses secondaires sont les vady
masay et la dernière porte le nom de vadikely.
Le polygame doit, chaque fois qu'il prend une nouvelle femme,
obtenir j'agrément et donner un taba (compensation en argent ou
autres biens) à sa ou ses autres épouses. La dernière a également droit
au taba, L'omission du versement du t aba entraînait autrefois, en
Imerina, la nullité du mariage et exposait celui qui manquait à cette
obligation à une amende de )0 piastres.
Le mari devait en outre, à l'occasion de chaque nouvelle union ,
offrir à chacune de ses épouses un cadeau appelé uidim-bandriaua,
indemnité de lit, parce que le tour de partager le lit conjugal était,
pour chacune, éloigné d'un jour.
Telles sont les règles suivies par les indigènes polygames. Chez les
tribus arriérés du Sud ciles sont souvent plus simples encore. Mais,
partout, le principe général est que les enfants des épouses d'un poly-
game sont tous légitimes, au même titre.
A Madagascar la parenté utérine prime la parenté consanguine.
C'est un principe généralement admis, qui explique que, dans toutes
les tribus, le mariage, et même les relations sexuelles, SOnt considérés
. cornme incestueux et strictement prohibés entre enfants de deux
sœurs, tandis qu'ils sont admis presque partout "en t re enfants de deux
frères, le plus souvent après une levée d'interdit, [anala [aditr«, étudiée
plus haut.
D'autre part, l'exogamie est la règle commune à presque tous les
'Malgaches mitigée, il est vrai, par l'endogamie de clan et de classe (1 ).
Seuls les Betsimisaraka sont rigoureusement exogames.

(1) En ét ud ient la « vie sociale », nous exposerons les coutumes SUIVies à cet
égard, qui exigent la connaissance de l'organisation sociale des Malgaches.
.- 139 -

Le choix d'une femme est d'abord subordonné à ces deux conditions.


Il faut, en outre, que la femme ne soit pas liée par un mariage anté-
rieur non dissous et , si elle est veuve, que le délai de viduité soit expiré.
L'usage des fiançailles se rencontre chez la plupart des tribus. En
Im érina, autrefois, les enfants étaient fiancés très jeunes, Ces fiançailles
constituaient une obligation juridique et devaient être obligatoirement
suivies du mariage des fiancés. L'article 5 du Code des 305 articles a
abrogé cette coutume.
Chez les tribus du Sud, il arrive que des hommes se fiancent à de
très jeunes filles, encore impubères. Ils les gardent chez eux et doivent
pourvoir à tous leurs ·besoins jusqu'au mariage, qui n'est célébré que
lorsqu'elles sont nubiles.
Dans toute l'Ile, le mariage est précédé d'un essai (1) d'une durée
plus ou moins longue, durant lequel les futurs époux expérimentent
les chances de bonheur que leur réserve l'union projetée. Flacourt
notait, en 166 r , « que les filles ne voudraient espouser un garçon
qu'elles ne l'eussent esprouvé plusieurs fois, et longtemps aupara-
vant ». Il en est encore de mêime aujourd'hui.
Si l'épreuve est favorable, il ne reste qu'à célébrer le mariage. Dans
le cas contraire, chacun reprend sa liberté et peut se livrer à d'autres
expériences, sans encourir la moindre déconsidération.
Quand les intéressés ont décidé de s'unir légitimement, ils font
part de leur désir à leurs familles respectives qui, jusque là, ont feint
d'ignorer leurs relations intimes, discrètes certes, mais cependant
notoires. Après avoir longuement réfléchi, selon l'usage, les parents
donnent leur consentement. Chez les tribus arriérées, ce consentement
est souvent depure forme. . ."' 8 L / O ,,,
La demande officielle est a'ltê!: ar mandataires du futur, qui
- '4:.. ..
< ~ c::
..~ ~ ...
(1<
)-~I"""
(1) Les Mcrina appellent cer essai mifiiTrpl zaha toerra, examen réciproque de l'état
physique et moral. De s anciens nous ont dit que cet examen s'imposait afin de révéler
les kilema (tares, défauts ) cachés.
140 -

doivent être en no mbre impair, - la croyance au « num éro Deus


im pare gaudet », est très en faveur à Madagascar. - Quand, après les
d iscou rs d'usage, la demande est agr éée, on se met d'accord sur les
multip les détails de la cérémonie et, s'il y a lieu, sur les conditions
pa rticuli ères du mariage . .
Au jour fixé (1), il est procédé à la célébration du mariage, qui
d iffère selon les tribus.
Chez les Merina, la cérémonie se déroule de la manière suivante:
Les II/palU!, litt. les preneurs, généralement cinq ou sept et même
plus, mais toujours en nombre impair, accompagnés du futur - s'il
appart ient à un clan noble, il est représenté par un mandataire - se
rendent chez la fut ure où ils sont reçus par les m panatitra, litt. les
livreu rs, en nombre impair éga lement.
Le plus âgé des mpaka prend la parole et prononce le d iscours
d'usage, généralement fort long. Après les excuses habituelles qui
caractérisent l'exorde de tout kabary, une invocation à Zanahary et
aux ancêtres dont il sollicite les bénédictions envers l'assistance et les
épo ux, il aborde le sujet principal en ces termes : « Nous venons
frap per à votre porte. Nous venons vous demander de faire souche
avec nous, po ur multiplier le nqmbre de nos rejetons. Vous nous con-
naissez, etc..., d'aut re part, vo us n'êtes pas po ur nous des incon-
nus, etc... »
Le doyen des mpanatitra répond : (( Vous avez bien parlé, Monsieur,
no us vous connaissons, en effet et nous associons nos souhaits aux
vôtres. Ils sont si abondants ces souhaits que, s'ils étaient de l'eau, ils
nous laveraien t tous et que s'ils étaient de l'hui le, ils nous rendraient
luisant s. Pour n'être ni de l'eau ni de l'huile, ils n'en sont pas moins

,(1) Le choix de ce jour était au t refois d'un e tre s grande importance. C'est le
mpanandrc qui le fixait, d'après le vinran a des f uturs époux. Si, entre temps, un
deuil survenait dans l'une ou l'autre f amille, la cérémonie était ajournée. Il en était
de même si, en chemin , un takatr a (oiseau de mauvais augure) coupait la route des
rnpaka .
- 141-

efficaces et nous pouvons compter qu'ils auront la vertu de nous rendre


heureux. Vous êtes les bienvenus. Nous vous ouvrons toute grande la
porte à laquelle vous avez frappé ».
Après quoi, le plus âgé des mpaka prend de nouveau la parole:
cc Vos procédés nous ravissent. Certes, vous aviez le droit de nous
préférer les riches familles qui possèdent d'innombrables bœufs, des
coffres pleins de somptueux vêtements et pourtant c'est à nous que
vous ouvrez votre porte: Vous faites cas de nous, malgré notre mo-
deste situation. Nous ne saurions trop vous remercier. Vous venez de
combler nos désirs . Nous avions soif, vous nous avez offert de l'eau;
nous avions faim, vous nous avez offert du riz; nous voulions nous
asseoir, vous nous avez offert des sièges; nous voulions entrer- chez
vous, vous nous avez ouvert la porte. Si vous nous donniez du linge,
de l'argent, le linge finirait par s'user, l'argent par s'épuiser; le don
que vous nous faites est plus précieux et plus durable. A notre tour,
nous vous prions d'accepter nos cadeaux de noces. Ils sont indignes de
vous, mais en rapport avec !,os humbles moyens. Notre présent ressem-
ble à une boîte à miel presque vide, il faut suppléer au déficit par de
belles paroles. Des bœufs à longues cornes, des rnoutons il la queue
pesante, voilà ce qu'il conviendrait d'offrir il des gens tels que vous ;
malheureusement, notre fortune ne nous permet pas ces largesses ».
Après la réception du cadeau, le père de la mariée remercie, avec les
exagérations habituelles quant à l'importance du présent, puis il pour-
suit en ces termes: ({ Ceux qui s'aiment sans envisager l'avenir sont
des imprudents qui se réservent des querelles pour plus tard. Que de
gens s'unissent en mangeant des brèdes douces, ana-mamy, pour se
désunir un jour en mangeant des brèdes amères, ana-rnafaitra. Il faut
se dire que le mariage est un nœud coulant (c'est-à-dire qu'il peut
aisément se desserrer). D'autre part, ce qui frappe l'un, n'atteint pas
l'autre (c'est-à-dire chacun est responsable de ses dettes antérieures au
mariage) . Il faut prévoir aussi la séparation qui peut venir, quand
j'amour est épuisé. Dans ce cas, les biens et les dettes de la comrnu-
- 142-

nauté seront répartis comme suit: deux tiers à l'époux, un .t iers à


l'épouse. Enfin, si la séparation s'impose un jour, qu'elle s'effectue sans
éclat ni mauvais traitement. Si jamais notre fils fait abus de sa force
contre votre fille, nous disons, dès maintenant, qu'elle sera libre ».
Les parents du mari déclarent souscrire à ces conditions et les
discours sont terminés. .
Les parents et les assistants offrent leurs souhaits à la mariée, qui se
tient au Nord du foyer, la place d'honneur.
Mpaka et mpanatitra reçoivent chacun un ID/DIra (cadeau) qui,
autrefois, consistait en des morceaux de viande enfilés dans une ficelle
et, plus tard, en une somme d'argent. Le ID/DIra de celui qui avait pris
la parole était plus important.
Les époux, ou la mariée seule, s'il s'agit de nobles, accompagnés des
assistants, se rendent à la maison des parents du mari, suivis de porteurs
chargés du matelas et des nattes du nouveau ménage.
Les mariés font sept fois le tour du jiro (lampe ou chandelle) allumé
au coin des ancêtres, afin de fortifier leur union, puis ils prennent place
au Nord du foyer pour présider le grand repas auquel prennent part
tous les gens de la noce. On sert aux mariés le sosoa (riz cuit avec beau-
coup d'eau et formant une sorte de soupe) et des tobo (petits poissons) . •
Ces mets, servis dans des assiettes en terre cuite grossière, doivent être
mangés avec des cuillers en corne, ce qui signifie qu'ils doivent
commencer très modestement la vie conjugale et que l'on ne peut être
.heureux -q ue si l'on sait supporter l'adversité.
Au cours de ce repas un des invités noue l'un-à l'autre les lamba des
époux; le marié les dénoue, à l'issue du repas, pour marquer que c'est
à lui seul qu'appartiendra l'initiative et le pouvoir de briser l'union.
Enfin, le plus âgé fait sur les mariés et l'assistance l'aspersion rituelle
et sollicite la bénédiction des ancêtres.
Le cadeau de noces dit uody DI/dry, litt. cul de mouton, aujourd'hui
constitué par une somme d'argent, qui varie selon la situation de for-
tune, est offert par le marié aux parents de la mariée. Il est d'usage de
-143 -

ne jamais donner une somme ronde, pour eviter d'être lany zara,
c'est-à-dire de ne pas trouver à se remarier par la suite. La petite
somme complémentaire est dite mitslnio uintana ou miand ry uintana,
litt. regarder ou attendre le uintana (1).
La dation et l'acceptation du vody ondry consacrent définitivement
le mariage.
Telle est la coutume Merina. Chez les autres tribus, la célébration
du mariage est généralement plus simple, mais comporte les mêmes
rites essentiels: demande en mariage, choix d'un jour faste pour la
cérémonie, cadeau dont le nom varie: vara ou vara/sa dans le Sud;
enfin, l'aspersion est généralement remplacée par l'immolation d'un
bœuf. Au cours du sacrifice, on ne manque jamais de prier les ancêtres
de bénir l'union.
Bien entendu, le mariage est protégé par quelques fady : les nou -
veaux mariés ne doivent pas faire visite à leurs parents, ni sortir du
feu de la maison pendant la semaine qui suit le mariage, de peur de
rendre leur ménage instable. Les époux, en entrant pour la première
fois dans la maison conjugale, doivent franchir le seuil du pied gauche.
Le franchir du pied droit compromettrait la durée de l'union. Allumer
deux lumières dans la maison incite le mari à la polygamie, etc.

Mariages iem poraires


Chez les Betsimisaraka, les Sakalava et les Tsimihety la coutume
admet des mariages temporaires.
Ces unions, que l'on désigne sous le nom de uolam-bita, font l'objet
d'un contrat passé en présence de la famille ct du fokon'olona, aux
termes duquel un homme ct une femme s'engagent à vivre 'ensem ble
pendant un temps déterminé moyennant le versement, par l'homme,

(1) Dan s toutes les transactions : achats et ventes de tou s objets, animaux ct
généralement de tou s biens imm obili ers et mobiliers, les indigènes agissent de même.
Les prix ne comportent jamais une somme ronde.
- 144-

d'une somme convenue ou, le plus souvent, par la donation de bœufs,


de rizières, etc.
Les fruits ou produits du travail ou de l'industrie des époux sont
partagés entre eux au fur et à mesure qu'ils sont réalisés, généralement
par moitié. On sait que dans les autres unions les biens acquis par les
époux sont, à la dissolution du mariage, divisés en trois parties: l'une
revenant à la femme, les deux autres au mari, ou à leurs ayants droit.
A l'expiration du délai convenu, chacun des époux reprend sa
liberté, sauf conversion du volam-bita en mariage définitif, ce qui est
Je plus souvent le cas lorsqu'un enfant est né durant la vie commune.
Autrefois, les Merina pratiquaient aussi des unions temporaires,
dites [anambadiana an-tsiraka, lorsque le service de l'Etat ou les besoins
de leurs affaires les obligeaient à résider dans les régions côtières. Dans
ces cas, la courume n'obligeait pas la femme légitime à suivre son mari
en dehors de l'Imerina. Souvent la femme légitime faisait accompa-
gner son mari par une tsindry-]e, esclave concubine.
Quelquefois aussi les époux, obligés ainsi de se séparer, usaient du
saodranto. On désignait sous ce nom une sorte de divorce temporaire
qui permettait à chacun d'eux de recouvrer momentanément sa liberté
et d'en jouir à sa guise. Le saodranto évitait les conséquences fâcheuses
de l'infidélité de la femme qui, nous l'avons vu, porte malheur au mari
en expédition ou exposé à un danger.

Répudiation. - Divorce

Le divorce est, à Madagascar, une innovation due à l'influence euro-


péenne. Il a été institué, en 1881, par l'article 56 du Code des 305
articles. Il n'a force de loi que dans les pays où le droit Merina est
applicable.
Signalons à ce sujet qu'il serait nécessaire de fixer, par un texte, l'aire
d'extension du droit Merina qui n'a jamais été délimitée jusqu'ici. Il
est à craindre que la jurisprudence ne l'étende plus vite qu'il ne con-
- 145-

viendrait, au risque de mécontenter des indigènes très attachés à leurs


coutumes propres. Au surplus, cette lacune rend quelquefois labo-
rieuse la distribution de la justice. Il faut reconnaître que la prépara-
tion du texte qui serait appelé à déterminer les limites du droit Merina
est une œuvre plus délicate qu'il n'apparaît au premier abord. En effet,
si les anciens souverains qui régnaient à Tananarive avaient imposé
leur droit pénal aux peuplades qu'ils avaient soumises par la force ou
plus souvent par la dipldmatie, ils avaient respecté les coutumes de
droit civil en usage et, en maintes localités, ils avaient même confié à
des juges du pays le soin de les appliquer. Dès lors, on peut se demander
s'il ne serait pas expédient de s'inspirer de cc précédent ct de décider
que le droit civil Merina ne sera en vigueur que dans les circons-
criptions où une enquête préalable sur place aura démontré qu'il était
antérieurement appliqué, ou que ses dispositions ne sont pas en oppo-
sition avec les coutumes locales.
Nous nous excusons de cette incursion dans le domaine législatif
qui nous semble présenter une importance considérable, plus encore
en pratique qu'en doctrine.
Antérieurement au Code des 305 articles, la dissolution du mariage
entre les époux vivants était légaldmenr réalisée, dans toute l'Ile, par
la répudiation, en malgache: fisaoralll-bady, litt. remerciement de
l'épouse. L'article 56 du Code de 1881 a interdit formellement la
répudiation coutumière qui conserve, cependant, sa force légale
partout où ce code n'est pas applicable.
Le mari a, seul, le droit de prononcer la répudiation. Cependant, les
femmes des familles royales, qui sont, d'ailleurs, régies par des règles
spéciales, choisissent leurs époux et les répudient selon leur fantaisie.
En Imerina la répudiation devait être notifiée à la famille de la
femme par une délégation des parents du mari, en présence du
fokon'olona, à peine de nullité.
Dans les douze jours de cette notification le mari tra-uenina (pris
10
- 146-

de remords) pouvait exprimer des regrets et annuler ainsi la répudia-


tion.
La femme qui abandonnait le domicile conjugal (vady misintaka)
était généralement répudiée par le mari. C'était le seul moyen à sa
disposition de rompre l'u nion conj uga le. Mais le mari avait la facu lté,
au lieu de répudier purement et simplement sa femme, de la « suspen-
dre » (miban tono) , C'était en somme une répudiation conditionnelle.
La femme mihantona ne pouvait pas se remarier et devait, chaque
année au Fandroana, la nuit du Bain royal, dite alin-dratsy (la mau-
vaise n uit ) partager le lit de son mari et, en son absence, coucher sous
son toit.
Il existait enfin le saodrauto, sorte de répudiation temporaire par
consentement mutuel , dont no us avons parlé pl us haut.
Dans la plupart des autres tribus la répudiation doit, selon l'usage,
être annoncée par le mari au clan ou simplernenr aux habitants du
village de son domicile. Elle ne donne lieu à aucune cérémonie spéciale .
Partout il est admis que la femme qui ne trouve pas dans son ménage
le bonheur qu'elle avait souhaité peut se réfugier chez ses parents. La
seule sanction encourue est l'obligation de rendre au mari le cadeau
(vody oudry, uaro, uarotsa... ) qu'il a offert au moment du mariage.
En somme, l'homme n'a, pratiqudment, aucun moyen de retenir auprès
de lui la femme déc idée à fuir le foyer conjugal.
M ême chez les tribus arriérées du Sud, où son influence dans la vie
familiale et la v ie sociale est à peu près nulle, la femme mariée est
partout traitée fort convenablement.
En ce qu i concerne les droits civils, la coutume lui reconnaît la
même capacité que son mari. Elle peut, en effet, seule et à son gré,
adopter, rejeter un enfant, ester en justice, administrer, donner, alié-
ner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou onéreux. Elle reste
d'ailleurs ma îtresse des biens qu'elle possédait avant de se marier ainsi
que de ceux échus pendant le mariage à quelque titre que ce soit,
succession, donation, testament ou acquis à titre onéreux avec ses
147 -

deniers. En un mot, elle est maîtresse absolue de ses biens et peut en


disposer comme il lui plaît, sans avoir jamais besoin ni de l'autorisation
ni de l'assistance de son mari. D'autre part, là où le fokon'olona existe,
les femmes font partie de cette communauté avec les mêmes droits que
les hommes; en conséquence, elles sont électeurs et éligibles. En 18 92
nous avons connu, à Sabotsy Angavo, une femme qui exerçait avec
~utorité les fonctions de mpiadidy qui, on Je sait, sont électives. Pour
être complet, ajoutons que dans la Grande Ile les personnes du sexe •
féminin sont dispensées des prestations et ne sont pas assujetties à la
taxe de capitation, ni à celle de l'Assistance Médicale.
Si donc, par aventure, des groupements féministes se créaient à
Madagascar, à l'instar de l'Europe, leurs revendications seraient singu-
lièrement limitées.

La niort, - Les [unéraillcs


Dès qu'un indigène est mort, on s'empresse de faire prévenir la
famille, les amis, le fokon'olona, le clan ou le village, selon les tribus.
Les parents procèdent à la toilette du cadavre qui est soigneusement
lavé, puis revêtu de ses vêtements et de ses bijoux. On J'enveloppe de
plusieurs lantba mena tissés avec la soie d'un bombyx indigène, puis il
est couché, la tête à l'Est. Les apprêts se font au bruit des lamentations
et des chants funèbres.
Tel est l'usage généralement suivi à Madagascar, quand un décès se
produit. Nous allons exposer successivement les cérémonies qui suivent,
telle que l'exige la coutume particulière à chaque tribu.
Meri/la. - Le cadavre est généralement exposé pendant deux jours.
Les femmes de la famille dénouent les tresses de leur chevelure, les
hommes portant le lamba doivent laisser les épaules découvertes et
s'abstenir de se peigner ainsi que de porter une coiffure.
- Les amis et une délégation du fokon'olona viennent faire une visite
de condoléances, au cours de laquelle sont échangés les propos tradi-
tionnels. En entrant le visiteur s'asseoir, puis sur un ton plaintif il dit:
148-

« Hélas! Quel malheur! )) La famille répond: « Vous voyez notre


deuil. Il vient de nous quitter! » Puis suivent des lamentations et des
reproches au mort d'avoir abandonné les siens. Après quelques instants
le visiteur doit interrompre les plaintes et prodiguer ses consolations.
A l'extérieur, fokon'olona et représentants de la famille arrêtent les
honneurs à rendre au défunt: nombre de lamba mena qui enveloppe-
ront sa dépouille et nombre de bœufs à immoler, selon sa situation de
fortune.
Le cadavre étant exposé, les bœufs sont tués. Le quart de la viande
constitue habituellement la part du fokon'olona, un second quart est
destiné aux personnes qui assureront la veillée mortuaire et le reste
sera distribué aux visiteurs, proportionnellement à leur offrande. La
coutume exige, en effet, que les visiteurs remettent une petite somme
d'argent à la délégation de la famille chargée de recevoir les offrandes
mortuaires. Ces offrandes sont désignées sous le nom de rambon-damba,
frange de lamba.
Le lendemain matin un repas est servi aux assistants. Vers le milieu
de la journée on ouvre le tombeau et l'on nettoie la dalle sur laquelle
reposera le défunt.
Les tombeaux Merina comportent généralement une salle cubique
assez vaste, moitié en terre et moitié au-dessus du sol, dont les parois
intérieures sont formées de grandes dalles de gneiss ou de granit. L'en-
semble est recouvert d'une maçonnerie plus ou moins soignée. L'inté-
térieur est garni, sur trois côtés, de trois rangées de dalles superposées
que l'on appelle les « lits des -m or ts » et le "qu at r ième côté est fermé
par une porte de pierre qui est, ou encastrée dans des rainures et recou- :
verte de terre, ou montée sur pivots et fermée par un loquet intérieur
assez habilement agencé.
Les obsèques ont lieu dans l'après-midi, vers 16 heures, car il est Jady
d'y procéder avant que le soleil soit sur son déclin, de peur de provo-
quer de nouveaux décès.
Le cortège se met en marche dans l'ordre suivant ': le cadavre enve-
- 149-

loppé et ficelé dans des lamba mena, porté par des membres du
fokori'olona ou des porteurs salariés, les pieds en av ant, car un lady
assure que porter un cadavre la tête en avant fait enc ourir la haine du
mort et l'on sait combien elle est redoutée. D~ même celui qu i, dans le
cortège, précéderait le cadavre s'exposerait à mourir bientôt. Les
membres de la famille, pleurant à grand bruit, suiven t et les amis et
le fokon'olona ferment la marche.
A l'arrivée au tombeau le cadavre, déposé sur la pl ate -forme p en-
dant quelques instants, est placé, en suite, sur le lit de p ierre qu i lu i est
réservé et le tombeau est refermé. D ès ce moment là, il fa ut t ourner
le dos au tombeau et ne plus le regarder.
Un des représentants du fokon'olona prononce le discours d'usage
et remercie l'assistance de la sympathie témoignée au dé funt.
On retourne ensuite au village où a lieu une dernière distribution de
viande. On se retire enfin pour se laver à l'eau courante, si possible,
afin de « se purifier des souillures du malheur ».
Toute une série de lady dictent la conduite et la besogn e de chacun
depuis le moment où la mort a frappé jusqu'après les obsèques.
Ainsi, prendre du feu dans la maison où il y a un mort c 'est s'expo-
ser à être entraîné par le mort: y prendre du son de ri z, c'est chercher
le malheur.
Ne pas balayer la maison après le départ du cadavre, ne pas jeter le
matelas sur lequel une personne a rendu le dernier soupir, ne pas briser
la marmite où à été préparé le bain du mort, c 'est appeler la m ort.
Si ceux qui ont assisté aux furrért }lIes ne tremperlt pas les coin s de

parmi eux. . ~) .-
leur Iamba dans l'eau courante, après lèS obsèques, il y aura des m orts

Pleurer en revenant des funérailllt1ft-


t
1 .'l,
erait revenir la. m ort.
Enfin, il est recommandé de se purifier à l'eau et au fe u en revenant
des funérailles, afin de vivre longtemps.
. Bien entendu, tout travail est interdit du jour du décès au jour des
obsèques inclus.
- 150-

Les personnes mortes de la variole ou de la lèpre ne sont pas enseve-


lies dans le tombeau de famille. Il en est de même des enfants en bas
âge, considérés comme zaza ra no, litt. enfants d'eau, qui n'ont pas
encore de discernement. ' Les sorciers sont simplement enfouis dans le
sol, la tête au Sud.
On ne prend pas le deuil des lépreux décédés. Agir autrement, serait
« faire injure aux vivants »,
Le deuil est strictement réglé par la coutume. Les dispositions essen-
tielles sont les suivantes:
Le veuf doit s'abstenir, pendant la durée du grand deuil qui est de
six mois, de se faire tailler la barbe et les cheveux, de revêtir ses habits
de cérémonie et de porter son chapeau. Durant la période de trois mois
qui suit, il pourra porter son chapeau avec un ruban bleu ou noir.
La veuve, pendant le grand deuil, six mois, doit négliger sa toilette,
laisser tomber sa chevelure éparse, sans la tresser ni l'enduire de graisse;
elle doit, en outre, se priver de toute ablution, éviter de couper ses
ongles, au moins au début. Pendant les trois mois qui suivent, elle porte
ses cheveux partagés en deux tresses qui pendent derrière le dos.
Le deuil du pète et de la mère, de l'enfant, du frère et de la sœur est
du même genre, mais sa durée est réduite de six à trois mois.
La couleur des vêtements de deuil, qui était autrefois bleue, est
aujourd'hui généralement noire.
Jadis, quand un souverain mourait, le peuple entier prenait le deuil,
qui était rigoureusement observé. Hommes et femmes devaient se raser
les cheveux, aller tête nue, laisser les épaules découvertes et se ceindre
les reins d'un lamba bleu.
Enfin, chaque souverain avait un tombeau spécial surmonté d'une
maisonnette en bois, dite trauo ntanara ou trano masina (maison froide
ou maison sacrée) où l'on déposait ses vêtements, ses bijoux et ses
objets préférés.
La dépouille, enveloppée 'd 'un grand nombre de latnba mena, était
enfermée dans une bière d'argent.
- 151-

. Les tombeaux des familles des premiers clans de la noblesse étaient


également surmontés d'une trano II/anar'!. C'est un privilège auquel
les familles tiennent encore beaucoup.
Autandroy. - Nous empruntons à Defort la description suivante
des rites funéraires des Antandroy, qui, on le sait, sont les indigènes les
plus arriérés de la Grande Ile :
« La mort d'un antandroy s'annonce à sons d'antsiva (conque
marine) et par les lamentations bruyantes des siens. Sa case est fermée.
- parée de lamba - s'il est riche. Son cercueil est préparé: c'est un
tronc d'arbre creusé qu'on recouvrira d'un autre. Plus souvent, il n'y
a pas de cercueil et le cadavre est enterré avec le lamba o ù il fut ense-
veli dès la mort. Les enfants et les femmes du défunt, ses frères et
sœurs, ses père et mère prennent le deuil: ils se tondent et se rasent la
tête et revêtent leurs habits les plus sombres.
« Dès que ses bœufs ont pu être rassemblés, on les fait participer
au deuil de la famille et c'est alors une manifestation imposante dans
sa sauvage simplicité. Le cortège se forme. En tête, les parents et amis,
brandissant leurs sagaies, mêlant leurs. cris aux sons rauques et lugu-
bres des antsiva ; puis, les bœufs du défunt, affolés par tant de bruit et
le doublant de leurs beuglements. Car ils pleurent, eux aussi: les ani-
maux ne pleurent-ils pas comme les choses?
li Derrière les bœufs, le mort est porté sur une civière, recouvert de
son plus riche lamba mena. Derrière lui d'autres bœufs, d'autres An-
tandroy. Et derrière, plus loin, comme pour .cacher leur douleur, la
mère, les femmes et les tout jeunes enfants du disparu. Elles pleurent.
elles aussi, les enfants pleurent de voir pleurer leurs mères et leurs
. sanglots n'ont rien de semblable aux cris et aux sanglots des pleureurs
et pleureuses des cortèges chinois. Il n'est plus permis, quand on a vu
cela, de déclarer que l'Antandroy n'a pas de cœur. Nous verrons tout
à l'heure qu'il a mieux encore, qu'il a le souvenir!
« Le cortège s'avance donc lentement, parcourt le village du défunt
- 152-

et la campagne voisine: dernière promenade du mort et son dernier


adieu à tout ce qu'il aima!
« Cependant les cris de la foule redoublent, les sons de l'antsiva se
précipitent, le mort s'arrête. Et c'est autour de lui la course échevelée
des parents, des voisins, poussant le bétail, le rassemblant comme pour
une dernière inspection du maître, le chassant ensuite devant lui en
un frénétique galop; c'est le défilé suprême, le salut, le dernier salut
des bœufs à leur maître! Et comme s'ils avaient la conscience des
choses, ils s'arrêtent d'eux mêmes à proximité de sa case pour le voir,
le voir passer une dernière fois! Car ils ne seront pas à son enterrement.
« Celui-ci se fera deux ou trois jours après, huit jours au plus, sans
grand tapage, au jour désigné par l'ombiasy : le vendredi toujours pour
un roandriana, le lundi pour un lohavihotra de marque ou pour un
chef. On portera le mort au tombeau qui lui est préparé et que le
prêtre de la tribu bénit, en l'aspergeant d'un peu de sang de quelques
bœufs sacrifiés aux mânes des ancêtres.
« On recouvre le cercueil de pierres, ou de terre si l'on manque de
pierres. Un tumulus est confectionné dont les dimensions augmentent
avec la situation de fortune du défunt et, s'il est de terre, on l'entoure
d'une bonne palissade. Sur le tumulus, on place quelques récipients:
calebasses, marmites ou cuvettes, à l'usage du défunt. Des statuettes
grossières en bois, souvent même de simples ébauches de sculpture
insignifiante, sont érigées aux quatre angles du tombeau. Certaines
. sont d'un naturalisme effarouchant. D'autres disent les vertus guerriè-
res' du mort ou ses vertus domestiques. Il semble même que parfois
elles vantent la fidélité et la pudeur de ses épouses.
« A plusieurs 'sem aines de là viennent les funérailles solennelles.
« La renommée a porté jusqu'aux extrémités de l'Androy la triste
nouvelle de la mort du notable. A la date fixée, arrivent des quatre
coins de l'horizon les parents, amis, frères de sang du défunt, tous ceux
avec lesquels lui ou les siens entretenaient des relations, souvent rédui-
tes du reste à ces sortes de manifestations, à ces condoléances, toutes
153-

décoratives. Ils viennent amenant de superbes bœufs coupés, des


vaches étiques, des bouvillons fringants, de jeunes veaux à la mamelle:
chacun suivant ses moyens et son désir d'ostentation. L'Antandroy ne
diffère pas à cet égard des civilisés.
Les présents sont menés au chef de famille du défunt.
« En principe, aucun n'est immolé de ces animaux que présentent
les... étrangers. Tout au plus la coutume autorise-t-elle le chef de
famille à joindre les plus minables d'entre eux, les vaches devenues
stériles, par exemple, aux bœufs qui vont être sacrifiés. Ceux-ci sont
souvent en nombre considérable. La moitié des bœufs du mort y passe,
l'autre étant laissée à ses enfants. Ses frères et sœurs, ses ascendants,
s'ils existent, ses enfants, procurent le reste. Et l'on peut imaginer
l'orgie qui va suivre.
« Deux cents bœufs sont sacrifiés. Le chef de famille les répartit
entre les assistants au prorata des « cadeaux de condoléances » qu'ils
ont amenés. C'est aussitôt franche lippée. Les feux s'allument: les
femmes courent à l'eau; les jeunes gens organisent des berida (danses)
où jadis la poudre parlait; les anciens se rassemblent et discourent.
Cependant le sol~il darde sur cette foule répandue dans la plaine ses
rayons aveuglants et brûlants. La fête dure quelquefois plusieurs jours.
On est repu de viande, de bruit, de danses, de plaisirs sexuels. On est
saoûl et on rentre chez soi en emportant le carré de viande qu'on n'a
pu manger et ... le souvenir ».
Flacourt a fait le récit suivant des coutumes funéraires des Anta-
nosy de la région de Fort-Dauphin:
« Leurs funérailles se font de la sorte. Les parents plus proches du
mort lavent le corps bien soigneusement, le parent de menilles,
oreillettes et colliers d'or, garny de corail et autres ornemens, l'enseve-
lissent avec deux ou trois jusques à sept pagnes des plus belles qu'ils
ayent selon leurs qualités; puis l'enveloppent d'une grande natte,
lorsqu'ils le portent dans le tombeau. Auparavant tous les parens,
amis, sujets et esclaves du deffunt viennent pleurer dans la maison à
- 154-

l'entour du corps, aux pieds duquel et à la teste, ils allument une chan-
delle nuict et jour. Cependant les joueurs de tambours jouent, et plu-
sieurs femmes et filles dansent une danse sérieuse au son des tambours,
lesquelles à leur tour, vont pleurer dans la maison, puis retournent à
la danse, et tour à tour les hommes viennent faire l'exercice: ainsi se
passe la journée. Ceux qui pleurent dans la maison, récitent les louan-
ges du déffunct, en tesmoignans estre bien faschez de sa perte, et luy -
parlent comme s'il estait vivant, en luy demandant le sujet pourquoy
il s'est laissé mourir, s'il avait manqué de quelque chose, s'il n'avait pas
de l'or et de l'argent, du fer, des bœufs, des plantages, des esclaves,
et de la marchandise à son souhait (comme si la mort était dépendante
de sa volonté) et après avoir pleuré le corps jusques au soir, on tue les
bœufs, dont on distribue la viande à toute l'assemblée. Le lendemain
l'on transporte le corps enfenmé dans un fort cercueil fait en forme
de coffre de deux souches de bois creusez, bien jointes, le portent au
cimetière, dans une maison faite de charpenterie assez bien faite et le
mettent six pieds avant en terre sous cette maison, en mettans auprès
de luy un panier, un cassot à prendre du tabac, une louvie ou escuelle
de terre, un petit réchaut de terre à brusler du parfum, quelque pagne
et quelque ceinture, et ainsi ils ferment la maison devant laquelle ils
plantent une grande pierre de la hauteur de douze à quinze pieds;
puis ils sacrifient plusieurs bestes, dont ils en laissent la part au d éflunct,
au diable, et à Dieu; ct l'espace de huict ou quinze jours les parens
envoyent par des esclaves à manger au deff unct, ct luy faire des recom -
mandations comme s'il était vivant, ils attachent à l'entour du tom-
beau sur des pieux les testes des bestes qu'ils ont sacrifiées ct de temps
en temps les en fans y viennent sacrifier quelque bœuf, demander advis
au mort de ce qu'ils ont affaire, en luy disans : Toy qui est maintenant
avec Dieu, donne nous conseil de cecy et de cela. Les sermens les plus
solennels qu'ils font, sont sur les ames de leurs ancestres : s'ils devien-
nent malades, et qu'ils tombent en frenaisie, aussi-tost les plus proches
du malade envoyent un Ombiasse querir de l'esprit au cimetière, qui
~ y va la nuit, et fait un trou à la maison qui sert de sepulchre, en appe-
lant l'ame du père du malade, il luy demande de l'esprit pour son fils
ou sa fille qui n'en a plus, et tend un bonnet au droit du trou, r'enfer-
me ce bonnet, et s'en court promptement au logis du malade, en disant
qu'il tient un esprit et s'en vient promptement mettre le bonnet sur la
teste du malade, qui est assez fol pour dire par apres qu'il se sent bien
soulagé, et qu'il a recouvert son esprit qu'il avoit perdu dans sa maladie
et commande que l'on récompense à l'ombiasse.
". Lorsqu'un grand meurt loin de son pays ils luy coupent la teste
pour la porter en sa patrie, et le corps ils l'enterrent où il est mort, et
s'il est tué en guerre ils l'enterrent sur le lieu où il a esté tué: quand il
y a paix, ils le desterrent pour le transporter en un Amounoucque, ou
cimetière proche de ses ancestres, ils tondent les grands estant morts et
aux femmes ils mettent un bonnet ».
Nous signalerons encore une particularité des rites funéraires con-
cernant les rois et les chefs qui a été constatée chez les Antankara, les
Sakalava, les Betsileo et les Bara.
Quand un des personnages dom il s'agit est décédé et qu'il a été
procédé aux ablutions rituelles, le corps, enveloppé de lamba mel/a,
est déposé sur une claie de roseaux pendant une longue période, quinze
jours et souvent plus. Les Sakalava du Menabe suspendent le cadavre
enveloppé dans la peau d'un bœuf rouge, à un tamarinier. Des vases
de terre ou de cuivre placés sous le cadavre sont destinés à recevoir les
liquides provenant de la décomposition. Pendant tout le temps jugé
nécessaire, les assistants mangent, boivent du rhum et se lamentent.
A aucun moment ils ne doivent manifester la moindre répulsion, la
dépouille des rois étant réputée manitra, parfumée. Les assistants sont
tenus de tremper leur lamba dans ce liquide. '
Au Menabe, des hommes et des femmes, choisis parmi les plus beaux,
ont la charge de vider les vases où sont recueillis les produits de la
décomposition du cadavre, dans un lac que l'on désigne ensuite sous le
nom de Ranovola ou Ranotsara et qui, désormais, sera lady.
- 156-

Sauf chez les Betsiléo, où cette opération se termine par l'apparition


dans le vase d'une larve noire qui, selon la croyance des indigènes,
deviendra le serpent [anany, dépositaire de l'âme du noble défunt, ces
pratiques répugnantes ne sont justifiées que par le respect des coutu-
mes ancestrales. Nous avons vainement cherché une explication satis-
faisante.
Les funérailles, en pays Sihanaka, sont l'objet de cérémonies parti-
culières quand, bien entendu, il s'agit de personnes riches.
Dès qu'un décès est survenu, on réunit dans le village tous les bœufs
appartenant au défunt. On construit ensuite une tente ayant la forme
d'une petite case dont les parois et la toiture sont constituées par des
lamba mena, On sculpte dans du bois une figure humaine qui est
censée représenter la tête du mort, des morceaux de bois le corps et les
membres; l'ensemble forme un mannequin qui est habillé d'un vête-
ment du défunt; la tête, surmontée d'un de ses chapeaux, est protégée
par un parapluie ouvert. Enfin, la maison mortuaire est décorée de
longues perches auxquelles sont attachés des lamba-meua.
Ces préparatifs exigent en moyenne deux jours.
Le troisième jour, tous les jeunes hommes et les jeunes filles ainsi que
quelques personnes âgées portant le mannequin représentant le mort,
la tente et les perches où sont attachés des lamba mena, se mettent en
route pour parcourir les villages où habitent les parents du défunt.
.Cette sorte de procession est désignée sous le nom de tondrolandy
(litt. exhibition de land y ).
Le cortège défile dans l'ordre suivant: en tête toutes les jeunes filles,
les personnes . âgées et les porteurs du mannequin, de la tente et des
perches ornées de lamba mena. Ce groupe chante, crie et fait un
tapage infernal. Tous les jeunes hommes suivent en chassant devant
eux les troupeaux de bœufs du défunt, à l'exception des veaux, qui,
séparés de leurs mères et enfermés dans un parc, poussent des cris
lamentables auxquels répliquent les vaches en quête de leurs petits.
157 -

Les indigènes assurent que, par ces beuglements, les animaux expri-
ment leur douleur d'avoir perdu leur maître.
Au départ du cortège, les parents du mort font le simulacre de
marcher en tête et, après ce faux départ, reviennent à la maison mor-
tuaire.
Au premier village visité, le cortège est interpellé selon l'usage:
« Quelles nouvelles apportez-vous? Nous, ici, nous livrons, en ce
moment, à telle occupation l'. L'une des personnes âgées répond: « Sa
femme et ses enfants l'ont bien soigné, mais Zanahary ne le leur a pas
laissé! Un tel est mort et vient vous porter un dernier adieu! » Les
parents à qui est faite la visite remercient.et offrent leurs condoléances
accompagnées d'une somme de cinq francs.
Le cortège se remet ensuite en route et poursuit sa tournée de
visites.
Pendant tout le temps que le cadavre reste dans la maison mortuaire,
- , où il est étendu dans une pirogue, - on bat du tambour jour et
nuit, on tue des bœufs, on mange, on boit du rhum à satiété.
Les crânes des bœufs abattus, avec les cornes adhérentes, seront
enfilés dans des perches de deux mètres de longueur qui seront plantées
au bord du chemin afin que chacun se rende compte des honneurs
rendus au mort. Ces pieux sont appelés fototra.
Jadis les cadavres étaient conservés pendant deux semaines; ce délai
est aujourd'hui réduit à quatre ou cinq jours.
On transporte le corps au lieu de la sépulture. Les vêtements du
défunt et les crânes des bœufs sacrifiés précèdent le convoi. La
dépouille mortelle, enveloppée de nombreux lamba mena, est ensuite
ensevelie. A la tête du tombeau on plante le mannequin et on dépose
à côté les vases d'argile, enduits de plombagine, destinés à recevoir les
offrandes : riz, miel, etc.
Une dernière explosion de cris et de lamentations termine la céré-
monie.
Les personnes ayant assisté aux obsèques reçoivent une pièce de
-- ' 15 8

";;onnaie destinée à 'achet er le morceau de savon qui sera utilisé au cours


des ablutions purificatrices rituelles dans une eau courante.
. Avant de se séparer on annonce le montant de la somme dépensée
pour les funérailles, qui atteint souvent plusieurs milliers de francs.
On a prétendu que la coutume du tondrolandy, que nous venons de
décrire, aurait été introduite dans le pays Sihanaka par des Merina.
Cela n'est pas impossible, bien que l'on n'en retrouve plus trace dans
les cérémonies funéraires actuelles de l'!merina. A. Copalle, dans son
Voyage à la Capitale du Roi Radama, note, à la date du 24 décembre
1825 : "J'ai été témoin hier d'une cérémonie funèbre. Quatre-vingts
ou cent personnes des deux sexes, les cheveux épars, accompagnaient
en silence une bière recouverte de drap rouge. Un homme portant un
drapeau blanc précédait la marche. De temps en temps, on faisait des
décharges de mousqueterie. Arrivé au lieu destiné pour la sépulture, le
drapeau a été planté à une des extrémités de la tombe »,
Il est possible que le drapeau dont parle Copalle soit un emblème
analogue aux perches où pendent des lamba ntena à la façon de dra-
peaux, que l'on voit aujourd'hui en pays Sihanaka.
Chez les Sakalava, quatre drapeaux - rouges pour les rois, blancs
pour le peuple - sont plantés aux angles du tombeau.
Ellis (1) confirme le témoignage de Copalle et dit qu'un white fiag
précédait les convois funèbres en !merina, mais nous avons vainement
questionné les indigènes à ce sujet.
Au cours de ces recherches, nous avons appris qu'autrefois on se
servait, dans les funérailles, d'un grand fikopaka " (éventail) dont le
manche en bois mesurait deux mètres de longueur et se terminait par
u':!e palette en rapport, recouverte d'étoffe plus ou moins riche, selon
la situation du défunt. Ce fikopaka servait dans la maison mortuaire à
agiter l.'air au-dessus du cadavre pour empêcher les mouches et autres
insectes de souiller la dépouille du mort. C'étaient les enfants et les

(1) W. Ellis: Hntory of MaJagascar. Londres, 18}8, torne 1.


159 _..

premiers esclaves du défunt qui l'agitaient continuellement. Durant


le transport du corps, de la maison au tombeau, on l'éventait encore.
Après l'ensevelissement on plantait le fikopaka à la tète du tombeau
,ou on le déposait dans la trano mal/ara, s'il en existait.
Ellis a signalé également cet usage.
Les Antankara et les Sakal av a du Nord (entre Nossi-Bé et le Cap
Saine-André) enferment les cadavres de leurs rois, quand ils sont à peu
près desséchés, dans des bières constituées par deux pirogues s'emboi-
tant, celle du dessus formant couvercle. Les premiers déposent ces
bières dans des cavernes ou dans des îlots - Nosy-Faly, près de Nossi-
Bé, est une nécropole - les autres dans une case entourée d'une palis-
sade, édifiée en un endroit boisé. Ces lieux de sépultures sont soigneu-
sement gardés et l'accès en est rigoureusement interdit aux étrangers.
Les Betsirnisaraka enferment également leurs morts dans des piro-
gues qui sont déposées dans des massifs forestiers qui sone fady.
Les indigènes de cette tribu abandonnent généralement le village où
un décès s'est produit et vont s'installer ailleurs.
Les Tanala cachent soigneusement leurs morts dans des coins de
forêts isolés qui sont ensuite taboués.
Chez les Antaisaka, les lieux de sépu lt ure qu'ils désignent sous le
nom de kibory (de j'arabe qabr, cercueil) sont dissimulés dans des
endroits boisés. Les kibor y sont de vastes cases dont les murs, en pierres
ou formés de pieux, comportant une seule ouverture fermée par une
solide porte en boi s, sont, depuis quelques années, souvent couverts de
tôle s ondulées qui ont remplacé les toitures de planches d'autrefois .
Dans ces cases, les cadavres, enroulés dans des nattes sont entassés les
uns sur les autres, les femmes au Nord, les h Sud et tous
allongés de l'Est à l'Ouest, la tête à l'Est. ~c: ~~" 0
, Chaque clan An taisaka possède son kibory. ~. 'f-1}~ .;
, Le chef de kibory est le principal personnage !liJ. da : à la fois chef
religieux et politique. Il est respecté et obéi par tou;~ son influence. est
considérable, bien que discrète én apparente. Il est utile de ne pas
- 160-

oublier que la grande insurrection de 1905 - 1906, qui fut plus sérieuse
qu'on ne l'a dit, a été provoquée par des chefs de kibory, sottement
brimés par des sous-officiers européens, chefs de postes, à propos de
leurs coutumes les plus chères.
Chez les Bara, les cadavres des rois, des chefs et des riches notables
sont déposés dans des bières constituées par deux troncs d'arbres creu-
sés, s'adaptant parfaitement. Le couvercle est décoré de sculptures en
relief représentant des têtes de femmes, des bœufs, des oiseaux et des
ornements variés. Quand la bière est prête on exhume le mort qui avait
été provisoirement inhumé. Des bœufs sont immolés en grand nombre,
selon la fortune du défunt. Le cercueil est enduit de la graisse des
victimes. La famille, les invités en grand nombre, mangent et boivent
du rhum à satiété. Ces excès sont accompagnés d'une prostitution
générale, analogue aux orgies qui caractérisent les· funérailles des
Betsileo. Le lendemain, le cadavre est mis en bière et, de nouveau, des
bœufs sont sacrifiés, cependant que les femmes pleurent, poussent des
cris et se livrent aux lamentations coutumières.
La bière est ensuite déposée dans une excavation naturelle ou dans
une fosse creusée en un point élevé, au sommet d'une montagne ou
d'une colline. La fosse est recouverte de grandes dalles et entourée de
murs en pierres sèches.
Les Sakalava, les Masikoro et les Vezo (1) déposent également leurs
morts dans des bières formées par des arbres creusés comme les piro-
gues; les couvercles ont la même forme et s'emboîtent exactement;
de fortes chevilles, à chaque bout, assurent un-e fermeture solide.
La bière, après que le cadavre y a été placé, est inhumée dans une
fosse d'environ un mètre cinquante de profondeur, creusée à l'empla-
cement réservé aux monuments funéraires. On procède ensuite à la
décoration de la tombe, qui consiste l'entourer de planches de
à :

un mètre vingt-cinq de hauteur, reliées par des madriers sculptés; aux

[r] Masikoro et Vezo sont des Sakalava. lixés dans 1. Sud-Ouest de rne.
- 161-

quatre coins sont plantés des pieux de trois à quatre mètres de lon-
gueur dont les extrémités sont également ornées de sculptures repré-
sentant des hommes, des femmes ou des oiseaux.
Les autres Sakalava, du Menabe, du Betsiriry, etc., déposent leurs
morts, enveloppés de lamba mena, sur une d~lle de granit ou de gneiss
ct sur laquelle on édifie un cube de pierres, soigneusement arrangées
en parement, de un mètre vingt à un mètre vingt-cinq de hauteur.
Les Sakalava, comme tous les Malgaches, disposent leurs morts la
tête à l'Est et les pieds à l'Ouest. Exceptionnellement, les rois et les
membres des familles royales sont ensevelis la tête au Sud.
Enfin, il est d'usage, chez les Sakalava, de démolir ou de brûler après
les obsèques la case où une personne est décédée.

Le [amadibana

Le [amadiban«, qui constitue essentiellement un hommage rendu


aux morts, consiste à ouvrir un tombeau, à sortir les cadavres qui y
sont déposés, puis à les envelopper d'un nouveau lamba mena et enfin
il les réintégrer dans le tombeau ou il les transférer dans un tombeau
nouveau.
Le [amadibana est obligatoire quand il y a lieu de transférer les
morts dans un tombeau neuf, l'ancien étant devenu insuffisant ou
encore si l'on estime qu'il n'est pas assez beau et confortable pour
,abrite{ les morts de la famille. On fait aussi le [amadlbana, quand il
est ordonné par le sikù/y ou par les morts eux-mêmes. •
Cette coutume n'est en usage que chez les Merina et les Bersileo.
L'époque de la cérémonie est fixée par le in pnuandro, qui indique
le jour propice; elle dure généralement deux jours,
La première journée, on ouvre le tombeau, on sort les cadavres qui
sont déposés sous une tente dressée, il cet effet, au Nord d'un emplace-
ment assez vaste pour permettre aux assistants, toujours très nQ1TI-
breux, de s'asseoir, en laissant au milieu un endroit vide réservé au x
Il
- 162-

danses rituelles. Des troupes de danseurs et chanteurs professionnels


- il Y en a généralement deux, - se succèdent jusqu'au soir.
Le lendemain, les membres de la famille ouvrent la danse avec
accompagnement de chants et de battements de mains. Des bœufs
sont immolés selon les rites et la viande est distribuée aux assistants
qui, suivant l'usage, ont offert de petites sommes d'argent.
On enveloppe les cadavres dans des lamba mena neufs, on les pro-
mène sept fois autour du tombeau, puis on les y dépose, chacun à la
place qui lui est réservée. Enfin le tombeau est refermé. Un discours
du chef de famille clôture la cérémonie.
D'après certains indigènes, la COutume du [amadibana daterait
seulement du règne de Ranavalona 1 (1828-1861).
CHAPITRE V

LA VIE SOCIALE

Les Malgaches ont une organisation sociale qui, quelque rudimen-


taire qu'elle puisse nous paraître, est parfaitement cohérente.
Dans toute l'Ile elle est la même dans les grandes lignes et les diffé-
rences qu'elle présente correspondent aux degrés inégaux de dévelop-
pement des divers groupements qui constituent le peuple malgache.
Tous possèdent les mêmes éléments: famille, clan, classe et tribu.

La famille
Comme chez tous les peuples, la famille, à Madagascar, a été la
première forme de la société. Elle constitue une unité ayant sa vie
propre, ses lois et ses coutumes, son chef suprême et sa religion qui se
manifeste par le culte des ancêtres.
Même chez les Merina, la tribu qui est socialement la plus dévelop-
pée, ce n'est que depuis une époque contemporaine que tous les actes
de la vie priv ée : mariages, naissances, décès, adoptions, rejets d'enfants,
testaments, successions et donations ne sont plus des actes strictement
familiaux. Et encore le législateur moderne a-t-il mis beaucoup de
discrétion à l'ingérence de l'Etat dans ce domaine.
Dans les tribus qui ne sont pas soumises au droit Merina la famille
a conservé toute son indépendance, réserve faite des obligations impo-
sées par l'administration française en ce qui concerne l'état civil et
l'enregistrement des contrats, qui sont d'ailleurs encore purement
théoriques dans une grande partie de l'Ile.
- 164-

La famille, à Madagascar, n'est pas aussi réduite que dans la plupart


des. sociétés humaines. Elle comprend, en effet, d'une part, le mari, sa
femme, ou ses femmes s'il est polygame, les enfants légitimes, naturels
ou adoptifs et, d'autre part, les ascendants et collatéraux du mari et
de la femme, mais seulement de la vadibe, en cas de polygamie. Enfin,
les fatidra (frères de sang ) font également partie de la famille, quels
que soient leurs clans ou lems tribus d'origine.
L'adoption est une institution malgache, malaisée à définir avec
précision. Comme en droit françai s, elle crée entre deux personnes des
relations artificielles de paternité et de filiation pour donner la joie
d'une paternité fictive à ceux' au xquels la nature a refusé des enfants.
Mais l'adoption malgache supplée aussi à la reconnaissance des enfan ts
naturels ct à leur légitimation par le mariage, inconnues du dr oit ct
des coutumes indigènes. Elle permet; enfin, d'accroître numérique-
ment la famille et, par suite, d'augmenter sa puissance ct son influence.
La faculté d'adoption est illimitée ct s'ex erce sans aucune restriction.
Toutes les personnes de l'un ct de l'autre sexe, célibataires ou mariées.
ayant ou non des enfants légitimes ou adoptifs, peuvent adopter toutes
personnes, de l'un ou de l'autre sexe, sans condition d'âge, parentes ou
non, mariées ou célibataires, ayant déjà été adoptées ou non. Le
consentement de l'adopté, ou celui de ses parents s'il n'a pas atteint
l'âge de raison, suffit.
De ce qui précède il résulte que l'adoption et le [atid r« permettent
d'augmenter considérablement le nombre des membres de la famill e
et que la parenté existe en dehors de t oute consanguinité ou allianc e.
Ces notions ont une grande importance pratique.
La ,famille malgache forme une sorte de cellule autonome ayant ses
usages particuliers que le droit écrit Merina a respectés (article 63 du
Code des 305 articles ).
Les pouvoirs' du chef de famille sont illimités dans toute l'Ile. A la
vérité, ils ont été notablement réduits par la loi dans tous les pays où
- 165-

le droit Merina est en vigueur, mais ils sont encore très étendus, comme
le prouve l'énumération suivante:
J " Droit de corriger les enfants (article 155 du Code des 305 arti-

cles) ;
2 ° Droit de rejet d'enfant;
3" Droit illimité de tester, à son gré (article 233)
4" Droit d'administrer et de disposer des biens de la famille, à
l'exception des biens ko-drazana. (Les biens dits ko-drazana sont, en
principe, indivis et inaliénables. Ils sont administrés par le chef de
famille) ;
5° Droit de juger, avec le consentement exprès des parties, les litiges
relatifs à des biens, entre membres de la fa~1Ïlle (article 251)'
Le droit de correction permet d'attacher l'enfant dont la conduite
est déréglée et qu'il s'agit de mettre à la raison, dit l'article 155. Il
ajoute que les père et mère ou les plus proches parents qui prennent
cette sanction doivent aviser l'autorité.
Le rejet d'enfant est le pouvoir accordé au père et à la mère d'exclure
de la famille l'enfant légitime, naturel ou adoptif.
Le rejet est une mesure excessivement grave entraînant l'exclusion
du tombeau de famille et qui, de surcroît, est absolument irrévocable.
Le seul moyen dont disposent les parents, pour en faire cesser les effets,
est l'adoption.
Le rejet peut être prononcé par le père et la mère, séparément ou
conjointement; s'ils sont décédés, par la famille. Dans ce dernier cas.
il s'agit, le plus souvent, d'un enfant qui n'exécute pas les d êrnières
volontés de ses père et mère, ce qui constitue une faute très grave.
Les motifs de rejet ne son t limitativement fixés ni par la coutume,
ni par la loi. A l'origine, le droit de rejet était sans limites. Le Règle-
ment d es Sakaizambohitra, du 14 juillet 1878, prévoit l'opposition au
rejet et en règle les formes. Les tribunaux ont un pouvoir souverain
d'appréciation en ce qui concerne les oppositions.
L'enfant rejeté est exclu de la famille. En conséquence, lui et ses
- 166

enfants perdent tous les droits à la succession du rejetant. Le rejeté


peut même être tenu de restituer les biens reçus du rejetant par suite
d'une donation antérieure au rejet et sur la demande expresse du reje-
tant. C'est la seule exception au principe de l'irrévocabilité des dona-
tions en droit malgache.
Les indigènes, hommes et femmes, ont la liberté la plus absolue de
tester. La loi et la coutume n'admettent pas d'héritiers réservataires.
Ces quelques indications prouvent que l'autorité du chef de famille
n'est pas simplement théorique. La loi et les coutumes donnent au père
et à la mère des moyens, qui peuvent nous paraître exorbitants, pour
sanctionner les fautes de leurs enfants légitimes, naturels ou adoptifs.

Classes de la population

Dans toute l'Ile la population est répartie en trois classes: les nobles,
les roturiers et les esclaves.
L'esclavage ayant été aboli par l'arrêté local du 27 septembre 1896,
nous ne nous occuperons pas des esclaves. Nous croyons pourtant
devoir signaler que les anciens esclaves et leurs descendants, même
enrichis, continuent à être l'objet d'un certain mépris de la part des
autres classes. A titre d'exemple, nous citerons le cas typique de deux
indigènes admis aux droits de citoyen français dont l'un, d'origine
noble, rabroua vertement le second, descendant de parents esclaves,
'qui l'entretenait d'un projet de mariage entre leurs enfants. Il s'agis-
sait pourtant de deux hommes instruits, jouissant d'une très large
aisance, faisant partie d'une élite et que l'on aurait cru dégagés des
préjugés de caste qui subsistent chez les Malgaches, malgré la suppres-
sion légale des anciennes distinctions sociales. Il est vrai que partout
encore les Malgaches continuent à user des formules de politesse qui
varient selon les classes auxquelles appartiennent les interlocuteurs.
Il en est de même pour les mariages; les dispositions des articles 59 il
6} du 'Code des }05 articles interdisant les mésalliances sont toujours
- 167-

suivies, nonobstant leur abrogation par l'arrêté local du 15 JUin 1898.


En Imerina la classe des nobles comprenait trois catégories de clans,
savoir :
1" Zanak'andriana, Zazamarolahy, Andriamasinavalona ;
2 " Zanatompo, Andriamboninolona, Andriandranando ;

}" Zana-dRralambo amin'Andrianjaka,


Les Zanak'andriana étaient les membres de la famille royale
régnante; les Zazamarolahy comprenaient les descendants des rois
ayant précédé Andriamasinavalona, et les Andriamasinavalona, les
descendants du roi de ce nom.
Ces trois clans pouvaient seuls posséder des uodivoua, sortes de fiefs
féodaux.
Les trois clans de la deuxième catégorie étaient appelés Andriante-
loray (les nobles aux trois pères). Les Zanatompo étaient les descen-
dants d'Andriantompokoindrinda, roi d'Ambohima!aza, les Andriam-
boninolona et les Andriandranando, ceux des seigneurs des mêmes
noms.
Enfin, les Zanadralambo, amin'Andrianjaka, descendants par An-
drianjaka du roi Ralambo, formaient le clan de la troisième catégorie.
Les clans nobles étaient très fermés. Les articles 5 l du Code de 1868
et II} du Code des }05 articles (1881) punissaient, le premier d'une
année de fers, le second d'une amende de dix bœufs et de dix piastres,
le manando-il razana, litt. tromper sur ses ancêtres, soit le fait de pré-
tendre appartenir à un clan ou une classe autre que le sien.
D'autre part, les mariages et même les rapports sexuels des membres
des divers clans de la noblesse étaient strictement réglementés.
L'article 6} du Code des }05 articles punissait d'un emprisonnement
de huit mois pour les hommes et de quatre mois pour les femmes,
sans préjudice des sanctions prévues par les règles coutumières du clan,
ceux qui IIhl11aO ualabc allY III/ailla, litt. ceux qui font . ualabe en
Imerina. Le Dictionnaire du Père \o/eber traduit va/abc: « liberté de
commerce licentieux (sic) avec toutes les classes ».
- 168-

L'article 59 interdit le mariage en dehors de leurs clans aux nobles


de la deuxième catégorie. Cette disposition a rétréci les limites de
l'endogamie qui, jusque là, s'étendait à toute la catégorie. L'article 61
consacre celle d'un clan des Zana-Dralambo amin'andrianjaka.
L'endogamie était également de règle absolue pour les femmes de la
première catégorie; toutefois, les hommes pouvaient épouser des
femmes des deux autres catégories et même des classes roturières, mais
les enfants issus de ces unions suivaient le sort de la mère qui restait
attachée à son clan ou à sa classe d'origine.
Les roturiers portaient le nom générique de folovohitra. Ils étaient
divisés en quatre catégories, savoir: les Hova, les Manisotra, les Ma-
nendy et les Tsiarondahy.
0
1. - Les Hova comprenaient trois classes: 1 les Tsimahafotsy,
ceux 'qui n'écoutent pas les mauvais conseils, ainsi nommés par An-
drianampoinimerina, à cause de leur fidélité au fondateur de l'unité
du royaume Merina ; 2 les Tsimiarnboholahy, ceux qui ne tournent
0

pas le dos, ainsi désignés en raison du courage qu'ils avaient montré


0
pendant les guerres; 3 les Mandiavato, ceux qui marchent sur les
pierres. Ces trois classes étaient désignées sous le nom de Tsihibelam-
banana, natte de grande largeur (ce nom est mentionné dans les articles
60 et 61 du Code des 305 articles). Elles comprenaient chacune un
grand nombre de clans.
Les classes de roturiers étaient endogames.
II. - Les Manisotra étaient les descendants des trente esclaves
affranchis par Andriamasinavalona, en récompense de leur rôle décisif
dans la prise du village d'Ambohijoky, dont ce roi n'avait pu, jusque là.
s'emparer.
III. - Les Manendy étaient divisés en Manendy anaty volo et
Manendy anosivola.
IV. - Les Tsiarondahy fournissaient : les tsimandoa, qui étaient
chargés du service des courriers royaux; ils remplissaient également
le rôle d'émissaires officiels et secrets auprès des représentants du sou-
- 169-

verain dans les provinces, et les T'andonaka, qui assuraient divers ser-
vices domestiques auprès du roi.
Manisotra, Mancnd y ct Tsiarondahy portaient le nom générique de .
Mainty enin-dreny, les noirs des six mères.
Tous étaient d'origine servile: descendants de tribus conquises,
réduits en esclavage, noirs de l'Afrique orientale importés au temps
de la traite et affranchis par Ranavalona II, enfin anciens esclaves des
souverains avant d'être appelés à la royauté et affranchis de plein
droit, le roi ou la reine ne pouvant être servis que par des sujets libres
Les Mainty enin-dreny étaient endogames, dans leur catégorie.
Les clans de la noblesse jouissaient d'un certain nombre de privi-
lèges:
1
0
Exemption de la corvée, sauf les Zana-dRalambo ;
2
0
Leurs rizières n'étaient pas assujetties à l'impôt foncier, dit
betra ;
3 Le noble condamné à la peine
0
s portait une corde de soie
\.L10,..
au lieu de chaînes de fer ; .~ 010. .
4 Le noble condamné à mort .c: ai~.f! end ~ avec une corde de soie et
0

,. , • L . "F ,:'J
n avait pas la tete tranchee ; "'~ j
50 Les biens des nobles, décédés s~/~s-~nfants ct intestat, n'étaient
pas, contrairement au droit commun, appréhendés par l'Etat, mais
revenaient à leurs parents. Leurs successions étaient dites Isy allY maly
motuba. Le décret du 5 novembre 1909 a abrogé ce privilège.
Quelques clans roturiers jouissaient de certains des privilèges de la
noblesse.
1 ° Les clans Antehiroka, Trimofoloalina, Anosibe, Ambohitrini-

manga, Zanaminovola (famille de l'ancien Premier Ministre Raini-


laiarivony), Ambohirnanambola, appartenant à la cat éogrie des Tsihi-
belambanana, ainsi que les clans des Mainty cn in-dreny : Faliary, Man-
jakaray, Mangarano et Arnbohipoloalina étaient traités, au point de
vue successoral, comme les clans de la noblesse (t sy bani-ut at y momba' ï ;
0
2 Les Trimofoloalina, en cas de condamnation à mort, étaient
- 170

exempts de la peine capitale. Ils tenaient cette immunité de l'ancêtre


fondateur du clan qui, dans une grave circonstance, s'était volontaire- .
ment offert pour être immolé en sacrifice;
3 Les Antehiroka et les Ambohitrinimanga qui, en cas de condam-
0

nation aux fers, étaient simplement attachés avec une corde de chan-
vre.
La famille qui, il l'origine, se suffisait il elle-même, s'est ramifiée et a
donné naissance au clan qui, dans certaines parties de l'Ile, constitue
aujourd'hui encore un cadre suffisant aux besoins de certaines tribus
comme les Betsimisaraka et les Antaisaka, .par exemple. Mais, en
Imerina, les clans, sous la pression de nécessités politiques et économi-
ques, se sont groupés pour former des fokon'olona.
Le fokon'olona est spécifiquement Merina et il semble que les efforts
de l'administration française pour étendre cette institution à toute la
colonie n'aient pas donné les résultats escomptés.
En Imerina même, le fokon'olona se désagrège visiblement, ce qui
n'a rien, d'ailleurs, de surprenant.
En effet toute l'organisation sociale, qu'il s'agisse de la famille, du
clan ou du fokon'olona, était basée sur les besoins de la collectivité.
L'étude des lois et des coutumes prouve que l'individu n'avait pas
d'existence autonome et qu'on n'avait il s'occuper de lui que dans h
mesure utile il la sociéré. Or, notre action s'est manifestée en sens
inverse en donnant à la personne une importance insoupçonnée
Jusque là. Nous avons ainsi, avec les meilleures intentions, bouleversé
l'organisation ancienne. Si donc on désire, comme il est souhaitable,
non seulement conserver l'institution du fokon'olona, mais encore la
développer, il est indispensable de la moderniser. C'est une réforme
relativement facile à réaliser par la création, par exemple, d'œuvres de
mtitualité telles que des caisses de prêts mutuels agricoles susceptibles
de raffermir, par les liens solides de l'intérêt personnel, l'esprit de
solidarité des indigènes. On lutterait en même temps et très efficace-
ment contre l'usure, si dommageable aux petits et aux moyens culri-
- 171-

vateurs malgaches. Il serait également indispensable de créer des


budgets de fokon'olona, afin d'assurer une répartition plus équitable
des charges de ces collectivités, car il n'est plus possible aujourd'hui de
les assurer uniquement par des prestations en nature.
Il ne faut pas cependant se dissimuler qu'il s'agit de réformes déli-
cates, exigeant une étude préliminaire, sur place, très approfondie.
Nous estimons que le fokon'olona ainsi modernisé pourrait utile-
ment être étendu ensuite à toute la Colonie, avec les modalités impo-
sées par le développement des populations auxquelles il serait destiné.
Le fokon'olona, que l'on a justement considéré comme une organi-
sation municipale, était une sorte d'association entre les habitants d'un
village ou de plusieurs hameaux qui s'engageaient à observer les coutu-
mes ancestrales du groupe et qui, en retour, jouissaient des droits et
prérogatives accordés à chacun de ses membres.
Si un fokon'olona, - ce mot désigne non seulement la collectivité.
mais encore les individus qui la constituent, - manquait à ses engage-
ments, il pouvait être rejeté. Cette sanction, toujours en vigueur, était
particulièrement redoutée, car celui qui en était l'objet devait quitter
le pays et tous les actes de fa vie privée, adoption, rejet d'enfants,
testament, etc., qui exigeaient le concours du fokon'olona, lui deve-
naient impossibles. Il ne pouvait plus, désormais, compter sur l'assis-
tance mutuelle qui était de règle pour construire un tombeau, inhumer
ses morts, etc.
Andrianarnpoinirncrina, qui réalisa l'unité de l'Imerina,. s'était
employé très activement à établir solidement les fokon'olona. Visait-il,
en agissant ainsi, une amélioration des conditions de la vie sociale de
ses sujets? Ce très grand chef a bien pu avoir ce dessein, comme le
démontrent ses nombreux kabary à Ce sujet, mais il est certain que la
puissance des fokorr'olona offrait un très grand intérêt politique pour
le roi de l'Im érina, qui avait à soutenir une lutte incessante pour main-
tenir en paix les seigneurs féodaux qui regrettaient leur indépendance
- 172-

passée. Tous les successeurs d'Andrianampoinimerina portèrent le


même intérêt aux fokon'olona, dans le même but politique.
Dès que l'usage de l'écriture se fut répandu, certains fokon'olona
rédigèrent les conventions qui liaient entre eux les membres du
fokon'olona, sous le nom de fOllekelll-pokoll'olollo. Le Premier Ministre
Rainilairivony encouragea le développement de ces conventions, d'une
utilité incontestable. Continuant cette tradition, Gallieni, par une
circulaire du 19 avril 1897, prescrivit l'observation des règles édictées
par les fOllekelll-pokoll'olollo.
Enfin un décret du 9 mars 1902 a codifié les dispositions coutu-
mières relatives aux fokon'olona de l'lmerina. Ce texte avait été
élaboré par une commission composée de personnalités qualifiées, après
des enquêtes approfondies qui exigèrent plusieurs mois de travail.
Un décret du 30 septembre 1904 a donné au Gouverneur Général
pouvoir d'étendre à toutes les circonscriptions de Madagascar, par
arrêtés en conseil d'administration ct sous réserve de l'approbation du
ministre des Colonies, les dispositions du décret du 9 mars 1902.
Ce dernier acte a, depuis sa publication, reçu les modifications sui-
vantes:
t " Abrogation, par le décret du 7 mars '922, des articles r, 2, 3,

qui ont été remplacés par les dispositions suivantes:


« L'organisation de l'administration indigène des provinces de
I'Irnerina ainsi que les attributions du personnel administratif indi-
gène, sont réglées par arrêtés du Gouverneur Général, en Conseil
d'administration;
2" L'article 12 du décret du 9 mars '902, relatif aux attributions
judiciaires des fokon'olona, a été implicitement abrogé par le décret
du 9 mai 1909 portant réorganisation de la Justice indigène à Mada-
gascar ;
3" L'article I I a été modifié comme suit, par le décret du 7 mars
1922 :
- 173 -

« Le fokon'olona, en temps "que personne morale, est représenté,


dans tous les actes de la vie civile, par le chef de district.
« Cette dernière disposition est étendue aux arrêtés du Gouverneur
Général de Madagascar et Dépendances pris en exécution du décret du
30 septembre 1904 ».
Nous croyons utile d'analyser les divers actes relatifs à l'organisation
des fokon'olona. Ils sont parfaitement clairs et n'exigent aucun
commentaire.
Nous indiquerons seulement qu'à l'exception du Betsileo (provinces
d'Ambositra et de Fianarantsoa) l'extension aux autres circons-
criptions de la Colonie des principes posés par le décret du 9 mars 1902
n'a pas donné les résultats espérés.
A titre documentaire il est intéressant de rappeler qu'Andrianam-
poinimerina (1794-1810) avait divisé l'Imerina en six toko (parties) :
Avaradrano, Sisaony, Marovatana, Ambodirano, Vonizongo et
Vakinankaratra. Cette division a été maintenue intégralement par ses
successeurs.
Nous donnerons enfin, d'après les documents officiels de 1894, la
liste des provinces soumises à la Reine Ranavalona III, avec indication
des localités où résidaient des gouverneurs Merina :

RÉSIDENCES
PROvINCES
DE GOUVERNEURS MERINA

Antsihanaka Ambatondrazaka.
Amparafaravola.

Bezanozano Moramanga.
Belanona, Anosibe.
- 174-

RÉSIDENCES
PROVINCES
DE GO UVE R N E U R S MERl NA

Betsileo Ambositra.
Ambohinamboarina.
Fianarantsoa.
Ambohimahasoa.
Ambohimandroso.
Kalamavony.
Fanjakana.
Ambalavao.

Bersimisaraka Maroantsetra,
Soavinarivo.
Soamianina.
Vohimasina.
Tsaratsaorranirompony,
Mahavelona,
Tamatave.
Mahasoa.
Tanimandry.
Varomandry,
Mahanoro.
Antanandava.
Mananjary.

Antaimoro Vohipeno,
Mahamanina.
Ankarana.
Vangaindrano.
Antanosy . Faradifay (Fort-D aup hin) .
- 175 -

RÉSIDENCES
PROVINCES
DE GOUVERNEURS MERINA

Fiherenana Tuléar.

Bara . Tompomanandrariny.

Menabe . Mania,
Midongy.
Andakabe.
Mahabo.
Janjina.
~I
Malainbandy.
c

~
! ~ Manandaza.
c •.
..", '/ Tsiroanomandidy.
'lIT ,
• Ankavandra.
Andranonandriana.

Vakinankaratra Betafo.
Nanatonana,
Arnbohimanambola,

Boina (Boeni) Kinajy.


Arnpotaka.
Malatsy.
Marokoloy.
Ambodiamontana.
Amberobe.
Maevatanana.
Antongodrahoja.
Amparihibe.
Ankoala,
- 176-

RÉSIDENCES
PROVINCES
DE GOL'VERNEURS }tERI~A

Trabonjy,
Marovoay,
Andranosamonta,
Andranomalaza.
Ankararny,
Anorotsangana. -
Ambodimadiro.
Mojanga (Majunga).
Ambodiroka.
Mahabo (du Nord).
Androva,
Tsarahonenana.
Ampasimbitika.

A nrankara na . Antornboka (Ambohimarina) .


Iharana (Vohémar ),
Anonibe.
Mandritsara,
Maritandrano.
Befandriana.
Soavinandriana.

Ce t te list e permet d'apprécier l'importance de la domination


Merina à la veille de l'exp édit ion de 1895.
La prépondérance des Merina de la Grande Ile était relativement
récente. Elle n'avait, en effet, été réalisée qu'au début du XIX' siècle.
L'œuvre admirabl e d'organisation sociale d'Andrianampoinimerina,
uniqu e à Madagascar, l'avait préparée et lui avait permis de durer.
- 177-

Ce qui est remarquable, c'est que le développement de l'influence


Merina avait coïncidé avec la décadence des Sakalava qui, au XVIII'
siècle, étaient la tribu la plus puissante de Madagascar. Les rois de
Tananarive, eux-mêmes, leur payaient un tribut de vassalité.
Il semble que le pays Mahafaly actuel ait été le berceau des Saka-
lava. Flacourt ne les mentionne pas dans son Histoire de la Grande Isle.
On relève cependant sur sa carte de 1657, entre la Baie de Saint-
Augustin et le Mansiatra (Matsiatra), le nom de Lahe fouti, qui désigne
sans doute Andriandahifotsy, le grand roi à qui la tradition attribue
l'initiative de l'expansion des Sakalava qui, on le sait, conquirent par
les armes toute la côte occidentale et furent les maîtres de la plus
grande partie de la Grande Ile pendant près d'un siècle.
. Le morcellement de l'autorité dans le royaume Sakalava détermina
la création d'un grand nombre de petits états, divisés par des querelles
intestines et qui furent ensuite plus ou moins soumis aux Merina.
Les tribus malgaches, autres que les Merina, ont une organisation
sociale assez simple. Partout, en effet, on constate l'existence de
familles et de clans, seuls organismes vraiment cohérents. Quant à la
tribu, elle est généralement fragmentée en un nombre plus ou moins
grand de divisions, chacune reconnaissant l'autorité d'un roi, mais
dont les éléments varient selon le prestige de ce dernier. On voit
fréquemment des clans quitter un chef pour se placer sous l'autorité
d'un autre, à la suite de difficultés quelconques. A la vérité, ces chan-
gements sont ra res depuis notre établissement dans la Grande Ile : les
rois, en perdant leur indépendance, ont gagné en stabilité. Mais notre
organisation administrative les élimine de plus en plus et leur dispari -
tion totale est prochaine.

i 2.

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