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religion

et choix politique
un couple à options multiples

Didier Somzé 2015


Isabelle Stengers écrivait dans son livre Résister à la barbarie qui


vient 1 que la joie, selon Spinoza, est ce qui traduit une aug-
mentation de la puissance d’agir, c’est-à-dire aussi de penser et
d’imaginer, et qu’elle a quelque chose à voir avec un savoir …

2015 restera sans doute comme l’année qui aura vu la France


(et la Belgique …) choquée par les tueries de Paris. Comme
le vivent bien d’autres pays, depuis de nombreuses années…
Les lignes qui suivent s’efforcent de réfléchir à un des paramètres
omniprésents dans les médias et les réseaux sociaux : le lien entre
une religion monothéiste et cette volonté d’attaquer le monde
« occidental » (… ou de répondre aux attaques du monde « oc-
cidental » ?)

1 Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes – Résister à la barbarie qui


vient, La Découverte, 2009, p. 204.
barricade   
2   2015

Commençons par un préalable : tout ce qui touche à cette réalité


est complexe et multi-causal. Dans un monde en mutation, comment
imaginer qu’une « analyse » simple puisse rendre compte de la réalité ?
Toute tentative d’explication réduite à une seule cause est au mieux
illusoire et au pire la source d’une réponse « inefficace ». Par ailleurs,
les chemins amenant quelqu’un à poser ce type de gestes sont nom-
breux, si j’en crois, par exemple, la variété des parcours de vie des can-
didat-es aux attentats-suicides. Toute description, même nuancée, d’un
seul chemin menant à des actes fanatiques est donc au moins incomplet.

Comme travailleur social et enseignant, je ne me vis comme spé-


cialiste ou expert d’aucune matière particulière. Cependant, dans ma
vie de jeune adulte (donc il y a longtemps), j’étais fortement impliqué
dans le monde catholique. Depuis, j’ai évolué vers la fréquentation de
milieux socio-culturels très différents entre eux (en tant que manda-
taire syndical, solidaire d’une occupation de sans papiers et actif dans
ma vie de quartier). Enfin, mon métier d’enseignant dans une école
sociale est d’analyser notre société. Sur cette triple base, je me permets
d’écrire cet article.

Lorsqu’une tuerie ou un attentat est commis, les travaux de police,


d’anti-banditisme et de renseignement sont primordiaux pour stopper
la possibilité de nuire des auteurs. Ce travail est impératif. Mais l’enjeu
est alors de faire la différence entre un travail de police souhaitable,
et certaines dérives sécuritaires. « Les métaphores guerrières et sim-
plistes frappent l’imagination mais n’apportent pas de solutions » ex-
plique Hadja Lahbib, journaliste de la RTBF et réalisatrice de Pa-
tience, patience … T’iras au paradis mettant en scène des femmes de
Molenbeek 2. Sommes-nous certains que vivre entourés de militaires
dans les rues, amènera davantage de sécurité dans notre société ?

2 Le Soir du samedi 21 novembre 2015, p. 12.


Religion et choix politique   
 3

  Quoi qu’il en soit, si l’on veut diminuer le risque à long terme,


il faut un autre travail que seulement celui de la recherche policière.
Si le but des dirigeant-es de notre société est d’éviter que d’autres
attentats se produisent, alors il faut comprendre les raisons possibles
de ceux-ci. Bref, si nous voulons assainir la situation, alors il nous faut
réfléchir plus largement.

Essayons-nous d’abord à un peu de philosophie (comprise comme


la réflexion qui donne du sens à la vie). Quel projet de société notre
xxie siècle occidental propose-t-il à la collectivité ? 3 Nos pays sont-ils
plus que la simple adjonction d’individus encouragés à, voire sommés
de consommer, de la fête des mères à Halloween et de la Saint-Ni-
colas aux fêtes de fin d’année ? Christian Arnsperger, philosophe et
économiste, écrit : « Promettre le “bonheur économique” pour tous
est certes un mensonge, une illusion, mais c’est une illusion néces-
saire. Nous n’avons pas le choix. C’est le capitalisme ou rien ; c’est
le capitalisme ou pire. Nous ne sommes pas vraiment heureux, nous
ne sommes pas vraiment sur un trajet d’humanisation très convain-
cant, (…) 4 ». Le sous-titre, choisi par la rédaction, est tranchant :
« La consommation effrénée n’a de sens que si la vie n’a pas d’autre
sens ».

Ensuite, sur le plan économique, prenons un exemple précisément


décrit par Jean Ziegler. « […] 6000 planteurs de coton nord-améri-
cains reçoivent 5 milliards de dollars de subventions de leur gouver-

3 Cette idée est très bien développée dans l’excellent article de Sarah Roubato
« Lettre à ma génération : moi je n’irai pas qu’en terrasse », novembre 2015,
https://blogs.mediapart.fr/sarah-roubato/blog/201115/lettre-ma-generation-
moi-je-nirai-pas-quen-terrasse
4 Christian Arnsperger, « Consommez à mort ? » in La Libre Belgique, 19 dé-
cembre 2005.
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4   2015

nement. Sur le marché mondial, le coton américain se négocie à des


prix de 30 à 40 % inférieurs à celui du prix du coton africain. […]
Or, 85 % des revenus du Mali proviennent de cette matière première.
[…] L’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) a l’obligation for-
melle d’appliquer ses statuts, c’est-à-dire d’exiger des États-Unis de
renoncer au subventionnement de ses planteurs de coton. » Mais « on »
n’attaque pas les États-Unis à partir de l’OMC. Pour faire accepter
« volontairement » ce dumping agricole par les États africains membres
de l’OMC, l’Occident trouve la tactique suivante. Tous les pays afri-
cains producteurs de coton sont écrasés par une dette extérieure mas-
sive. « […] Le FMI (Fonds Monétaire International) refuse le finan-
cement de la dette de ces pays africains. Il exige la privatisation de la
filière du coton. Désormais, les États concernés n’ont plus le droit de
subventionner les pesticides, les engrais, les transports de leurs paysans.
Les producteurs africains ont ainsi été renvoyés à la jungle du libre
marché et de la concurrence sous contrôle occidental. […] Le pre-
mier des pays cotonniers à avoir subi la cure imposée par le FMI fut
le Bénin : c’est ainsi qu’en 2005 le Bénin produisait, par saison, plus
de 250 000 tonnes de coton d’excellente qualité, et qu’il en produit,
en 2008, moins de 20 000 tonnes […] La destruction des familles,
la faim, la prostitution enfantine, le chômage permanent, le désespoir
en sont les conséquences. 5 » Et encore : « Dans ces conditions, loca-
liser les racines de la haine que le Sud voue désormais à l’Occident,
et réfléchir aux moyens propres à l’extirper, est devenu une question
de vie ou de mort pour des millions d’hommes, de femmes et d’en-
fants à la surface du globe 6 ».

5 Jean Ziegler, La Haine de l’Occident, Albin Michel, 2008, p. 100.


6 Ibidem, 4e de couverture.
Religion et choix politique   
5

Sur le plan politique, Ziegler citant Edgard Morin constate : « La do-
mination de l’Occident est la pire de l’histoire humaine dans sa durée
et son extension planétaire. Depuis plus de cinq cents ans, les Occiden-
taux dominent la planète. Or, je l’ai rappelé, les Blancs, aujourd’hui
ne représentent guère que 12,8 % de la population mondiale. Par le
passé, ils n’ont jamais dépassé 24 %. Quatre systèmes de domination
se sont succédé dans l’Histoire. D’abord, celui dit des “conquêtes”.
Dès 1492, les Occidentaux ont découvert les Amériques et pris pos-
session des terres. Ils ont détruit ou mis aux fers des populations
jusqu’alors “inconnues”. Vint ensuite le temps du commerce trian-
gulaire, de la déportation massive d’Africains noirs vers le continent
américain dépeuplé par le massacre des Indiens. Suivit un troisième
système d’oppression occidentale : […] le système colonial […] Dans
la perception des peuples du Sud, l’actuel ordre du capital occidental
globalisé, avec ses mercenaires de l’OMC, du FMI […] représente le
dernier, et de loin le plus meurtrier, des systèmes d’oppression adve-
nus au cours des cinq siècles passés 7. »

Un homme politique différemment connoté, Louis Michel, député


européen du MR 8, déclare que « Le conflit du Moyen-Orient n’est
pas la cause principale du terrorisme et du fondamentalisme mais ça
nourrit à jet continu le fondamentalisme 9 ».

Sur le plan sociologique, le « Monitoring socio-économique » du Ser-


vice public fédéral de l’Emploi fait le point sur l’emploi en fonction
de l’origine ou de l’historique migratoire et constate que : « La po-

7 Ibidem, p. 96-97.
8 MR : Mouvement Réformateur (Belgique). Au Parlement européen, Louis Mi-
chel fait partie du Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.
9 Le Soir du 3 mai 2011.
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6   2015

sition des personnes d’origine étrangère sur le marché du travail est


plus mauvaise en Belgique que dans tout autre pays de l’Union euro-
péenne » et « le taux de chômage est de 8,5 % pour les Belges, 25,5 %
pour les personnes originaires du Maghreb 10 ».

Enfin, psychologiquement, l’image positive de soi, la confiance en soi,


la sécurité intérieure ne sont pas des données accessibles à tous dans
notre société du xxie siècle. « Après la plus ou moins grande sécurité
des biens et des personnes, après la plus ou moins grande sécurité
socio-économique (perte de salaire, exclusion sociale, etc.), vient l’en-
jeu de l’insécurité moderne (la troisième forme) comme étant davan-
tage orientée vers la propriété de soi […] Elle touche les individus […]
dans leurs trajectoires personnelles, dans leur mobilité. […] Celle-ci
concerne une plus grande instabilité des parcours de vie et des trajec-
toires sociales. 11»

M’est-il permis alors de greffer la pièce de puzzle religieuse sur ce ca-


talogue de difficultés éco-philo-socio-politico-psychologiques ? Voici
ce que j’ai découvert, notamment à travers la théologie de la libération
en Amérique latine.

Lorsqu’il existe un sentiment d’injustice, de révolte ou de mal-être,


de frustration ou de vide intérieur, la foi chrétienne offre un récon-
fort, une légitimation qui substitue un « nouveau sens consolateur 12 »
à un refus ou une absence de sens. Oui, certain-es peuvent découvrir,
de manière librement choisie, une voie religieuse de stricte observance.

10 Le Soir du 17 novembre 2015, p. 19.


11 Didier Vrancken, « à l’écoute du sentiment d’insécurité », in Rapport général
sur le sentiment d’insécurité, Fondation Roi Baudouin, 2006.
12 Ce paragraphe est truffé d’expressions propres à la religion catholique.
Religion et choix politique   
7

Dans un cadre intellectuel et social plus ou moins stimulant, certains


vivent cette conscience d’avoir trouvé la voie, la seule qui donne des
réponses définitives, constructives et valorisantes à toutes les incerti-
tudes de la vie. Et de regarder le monde extérieur (le « siècle ») comme
un monde étrange ou étranger auquel un groupe de convaincus
doit, veut apporter ce qui lui manquerait. Le constat est le suivant :
la religion catholique (sans doute comme les deux autres religions
monothéistes) permet de trouver une réponse qui transforme la souf-
france « du monde » en « fierté, sens et bonheur jusqu’au ciel, et ce, dès
ici-bas ».

Par ailleurs, lors de « voyages » d’ordres divers (actualité, rencontres,


lectures …) j’ai constaté à quel point la religion catholique peut ser-
vir de support à des positions politiques infiniment variées. Depuis
les luttes de libération telles que menées par le prêtre colombien Ca-
milo Torres, jusqu’à leur exact contraire : la traque des communistes
dans le Chili des années 70, au nom des valeurs du monde occidental
chrétien. Sur base des mêmes textes et de la même foi, telle religieuse
brésilienne lutte pour le droit des femmes à disposer de leur corps
tandis que des commandos chrétiens « pour la Vie », organisent des
attentats contre des personnes et des institutions qui pratiquent l’in-
terruption volontaire de grossesse.

Les deux côtés poursuivent leurs luttes contraires, empreints et épris


de leurs convictions. Ce n’est donc pas un avatar ou une erreur de
scénario de constater qu’au nom de sa foi quelqu’un défendra la paix
tandis que quelqu’un d’autre défendra la guerre. Matthieu l’Évangé-
liste fait dire à Jésus, au chapitre 10, verset 34 : « Ne croyez pas que
je sois venu sur terre apporter la paix mais le glaive » alors que le rite
contemporain de la messe catholique comprend par ces mots prêtés à
ce même Jésus : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ».
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8   2015

Je ne pense pas qu’une religion [ou plus largement même une op-
tion philosophique (a-)confessionnelle] implique nécessairement telle
option de société : soit d’émancipation progressiste soit conservatrice
et autoritaire. En fait, suivant le rapport qu’entretient telle religion
avec les pouvoirs en place, elle sera globalement plus contestataire ou
plus partisane de l’ordre établi. L’idée selon laquelle une religion serait
par nature vectrice de guerre ou vectrice de paix est donc une erreur.
Il faut, me semble-t-il, ne connaître aucune religion pour les réduire
à une seule des options de société possibles. Toute phrase comme
« telle religion est violente » ou au contraire « porteuse de paix »,
est une affirmation erronée parce qu’elle fait, d’une option possible,
une généralité.

Cela va jusqu’au constat suivant. La frontière entre les valeurs po-


sitives et négatives ne passe pas entre les croyants de « ma » religion
et les non croyants mais passe au sein d’une même communauté.
Il s’y trouvent des incroyants bien sûr mais aussi des pratiquants tièdes,
voire pas très fidèles. Entre ceux qui comprennent l’héritage de la foi
d’une certaine manière et les autres, il n’est pas « a-normal » que des
croyants d’une même religion soient en guerre ou en désaccord entre
eux : catholiques et protestants, sunnites et chiites, etc.

Hans G. Kippenberge, professeur d’histoire des religions, observe


que « pour qu’une forme de violence puisse être légitimée par l’islam,
il faudrait tout au moins que les femmes, les enfants et les non-com-
battants soient épargnés. Or, à partir du moment où ce n’est pas le cas,
cela n’a plus grand chose à voir avec l’Islam 13 ».

Autant sur le plan politique, les religions peuvent soutenir des pers-
pectives de droite comme de gauche, autant elles peuvent se situer

13 « Lena, Leading european newspaper alliance », in Le Soir, 27 novembre 2015.


Religion et choix politique   
9

dans une perspective de violence ou de non-violence. « L’Islam n’est


pas la cause du terrorisme islamiste. Mais parce que l’islamisme radical
fait partie du problème, d’autres composantes de l’islam peuvent faire
partie de la solution » écrit Vincent de Coorebyter 14. Toute plongée
dans une religion qui panse les plaies de la vie, peut être plus ou moins
radicale, c’est-à-dire aller plus ou moins profondément jusqu’aux ra-
cines de sa propre logique. La radicalisation plus ou moins sectaire est
un chemin et un moteur qui touche à des mécanismes d’une profon-
deur d’autant plus grande qu’elle s’appuie sur des vécus « psycho-so-
cio-politico-philosophico-économiques » structurels. Vouloir « déradi-
caliser quelqu’un » a aussi peu de sens que de transformer un timide
en bavard, un résistant en collaborateur, etc. Ce n’est pas à 100 %
impossible mais c’est au minimum très difficile tant que l’on ne tra-
vaille pas aussi sur les racines de la révolte, de la frustration, du mal-
être, de l’absence de projets (biffer la mention inutile). C’est pourquoi
certains programmes officiels de « déradicalisation » semblent proches
d’une grande naïveté sociale.

L’éducation est un des chemins les plus efficaces (à condition qu’elle


soit critique et non pas sectaire). Comme le dit Malala Yousafsai, « avec
des fusils on peut tuer des terroristes, mais avec l’éducation on peut
tuer le terrorisme 15 ». Mais tout éducateur, tout enseignant sait que
la formation se réalise difficilement dans des conditions de pénurie
matérielle, d’instabilité psychologique ou sociale qui seraient « trop »
grandes.

La prise de conscience qu’un texte sacré doit être compris en fonc-


tion de son contexte historique, est une des dimensions majeures d’un

14 Le Soir du 25 novembre 2015, p. 17.


15 Raphaëlle Frier & Aurélia Fronty, Malala pour le droit des filles à l’éducation,
Rue du Monde, 2015, p. 44.
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10   2015

travail d’éducation religieuse non sectaire. Mais le xxe siècle nous a


appris que l’obligation comme l’interdiction, ne font pas bon ménage
avec les options philosophiques des individus. Oui, il faut moderniser
les religions et empêcher les dérives en leur sein. Mais rien ni personne
n’empêchera des pratiquants d’une religion de trouver des solutions
fanatiques si leurs conditions de vie sont infra-humaines et s’ils font ce
choix. Les religions ont ce pouvoir extra-ordinaire de transporter des
textes d’un millénaire à l’autre avec un pouvoir de séduction potentiel-
lement infini. Lutter contre ce transport millénaire de textes ne peut
amener qu’à le renforcer. Lutter pour l’éducation à la contextualisa-
tion de ces textes est une tâche interne à chaque religion. Lutter contre
les conditions de vie inhumaines (zéro espoir d’emploi, zéro espoir
d’avenir, zéro espoir de vivre dans une société respectueuse des droits
humains …) est l’affaire de tous et toutes, indépendamment de toute
option philosophique ou confessionnelle.

Par ailleurs la prétention de l’Occident à détenir les clés de la ci-


vilisation nous met dans une position de donneurs de leçons d’au-
tant plus difficile à supporter que les actes contredisent les discours.
« Le président François Hollande n’y a pas réfléchi à deux fois :
“Les attentats de Paris sont un acte de guerre” », a-t-il déclaré au lende-
main de la tragédie. Et il a raison, mais ce qu’il ne dit pas, c’est que la
France était déjà en guerre. « Ces attaques sont des actes de barbarie »,
a-t-il ajouté, et il a encore raison. Mais ce qu’il ne dit pas non plus, c’est
que le 27 septembre, c’est-à-dire un mois et demi avant les attentats
de Paris, lui-même avait ordonné de bombarder le « camp d’entraîne-
ment de Daesh » dans l’est de la Syrie, pour ne citer que cet exemple.
Et il s’avère que 30 personnes ont été tuées, dont 12 enfants. Ces actes
de barbarie, parce qu’ils le sont aussi, sont très peu diffusés dans les
médias occidentaux. Car, outre les stratégies de propagande de guerre,
nous n’aimons pas reconnaître que notre « grande civilisation occiden-
tale » – comme certains dirigeants européens l’ont qualifiée à plusieurs
Religion et choix politique   
11

reprises ces jours-ci – commet aussi des actes de barbarie » écrit Alain
Blomart dans une carte blanche intitulée : « Les Barbares sont toujours
les autres 16 ». Et je me permettrai de le paraphraser en notant que les
terroristes sont toujours les autres aussi.

« Ma civilisation est-elle meilleure que la tienne ? 17 » est une question


génératrice de conflits si la réponse est affirmative. S’il est des barba-
ries et des actes monstrueux venant « d’ailleurs », sommes-nous si sûrs
d’apporter à la Terre tellement de raffinement civilisationnel à travers
notre mode de vie, prédateur écologique, économique et social ?

conclusions

Ma conviction est qu’il n’y aura pas de solution au « terrorisme » si


nous ne réfléchissons pas profondément à notre mode de vie, à notre
société, à notre civilisation comme nous y invitent de nombreux mou-
vements sociaux depuis des décennies. Quant à la piste de l’affron-
tement guerrier, nous ne saurons jamais ce qu’il représente vraiment
tant que nous n’aurons pas vécu dans un pays en guerre.

Se contenter de réfléchir au niveau religieux, pour éviter d’autres


attentats me parait tout simplement une chimère. En effet, il nous faut
aussi nous plonger dans les entrailles de notre économie, de notre « oc-
cidental way of life » pour atteindre les racines du fanatisme qui nous
traumatise. Une raison pour laquelle il est difficile de réfléchir au lien
entre religion et choix politique dans ce contexte est que l’islamisme
(et non l’Islam) est le seul système de valeurs qui arrive – bien que bu-

16 Le Soir du jeudi 26 novembre 2015, p. 16-17.


17 Didier Somzé, « Ma civilisation est-elle meilleure que la tienne ? », Barricade,
2014. Disponible sur www.barricade.be
barricade   
12   2015

vant aux mêmes sources que les pays les plus capitalistes : le pétrole et
le trafic d’armes 18 – à faire peur au consumérisme capitaliste et ce, bien
plus que les forces syndicales, sociales-démocrates ou communistes.

Je suis bien conscient qu’un raisonnement tel qu’avancé dans cet ar-
ticle peut être taxé de protecteur des religions dans le sens où il semble
leur enlever une part de responsabilité de contenu propre. Ma réponse
serait que la responsabilité « politique » des religions n’est pas à trouver
seulement dans leur corpus mais aussi dans les liens qu’entretiennent
leurs pratiquants et leurs leaders avec la société dans laquelle ils vivent.

Réfléchir au-delà des métaphores guerrières et des explications qui


s’arrêtent à une religion, permet d’échapper à une forme d’impuis-
sance, pour récupérer et augmenter notre pouvoir d’agir. Nous pou-
vons alors espérer dépasser le constat d’Hakima Darhmouch : « Le sen-
timent qui domine est l’impuissance 19 » pour cultiver la joie liée à la
pratique et à l’activité intellectuelle, comme dit Isabelle Stengers, citée
en introduction de cette analyse 20.

Didier Somzé, décembre 2015

18 Sarah Roubato, op. cit.


19 Le Soir du samedi 21 novembre, p. 12.
20 Isabelle Stengers, op. cit., p. 204.
Religion et choix politique   
13

pour aller plus loin

ÌÌ Réfléchir à cette phrase tirée de l’article de Sarah Roubato réfé-


rencé plus haut « Lettre à ma génération : moi je n’irai pas qu’en
terrasse » : « Que l’on soit maghrébin, français, malien, chinois,
kurde, musulman, juif, athée, bi, homo ou hétéro, nous sommes
tous les mêmes dès lors qu’on devient de bons petits soldats du
néo-libéralisme et de la surconsommation ».

ÌÌ Repérer parmi ses propres choix quels sont les indicateurs qui
fondent telle ou telle option ou position politique.
barricade   
14   publications précédentes

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2015

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Religion et choix politique   
15

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–– La Responsabilité sociale de l’entreprise.
–– Entreprise, changement social & démocratie – Quel rapport ?
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2013

–– L’innovation marchande – Une politique hautement toxique [étude].


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–– Masculinisme, antiféminisme – Banalisation d’une pensée réactionnaire.
–– Revenu garanti et monde associatif.
–– L’évolution des initiatives de Transition [1] –
Des ambitions économiques et entrepreneuriales plus affirmées.
–– Universel patriarcat & légendaire matriarcat.
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–– Poésie & transition. Pour une Poétique du changement.
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