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I. ORTIZ DE URBINA

CONSTANTINOPLE
PROPERTY O F
SiS, 1°
HISTOIRE
DES CONCILES ŒCUMÉNIQUES
I

Publiée sous la direction de


GERVAIS DUMEIGE, S. J.
I. ORTIZ DE URBINA, SJ.
Professeur à l'Institut Pontifical Oriental
de Rome

NICEE
ET
CONSTANTINOPLE

PARIS

ÉDITIONS DE L'ORANTE
Le texte espagnol de cet ouvrage, écrit pour
les Editions de l'Orante, a été traduit par
X.-0. Monasterio et G. Dumcige, S. J.

82'
Hk7
v./

Imprimt Potest Imprimatur


Rome, 15 Juin 1962 Paris, 1" mars 1963
A. Raes, S. J. J. Hottot
Rector Pont. Inst. Or. Vie. Gén.

1963 by Editions de l'Orante, Paris


CL

AVANT-PROPOS

Le sens de TÊglise, qui est une aspiration et un besoin de


notre temps, ne saurait se développer dans Târne du chrétien
ni naître dans celle de Tincroyant s'il n'est nourri ou provoqué
par une réflexion approfondie sur sa vie concrète et visible
La foi sans doute découvre la transcendance divine présente
et active dans le Corps mystique du Christ en qui se poursuit
Tœuvre de la Rédemption des hommes, elle perçoit les liens
spirituels qui unissent entre eux les membres de cette société
sainte et surnaturelle. Mais elle ne saurait dispenser fhomme
de considérer attentivement les aspects visibles de TÊglise dans
son magistère, dans son sacerdoce, dans son gouvernement et
dans toutes les formes institutionnelles ou sacramentelles de sa
vie extérieure. « C'est s'éloigner de la vérité divine, disait
Pie XII, que d'imaginer une Église qu'on ne pourrait ni voir
ni toucher, qui ne serait que spirituelle. » Le spirituel et le
visible, Téternel et le temporel, Tintérieur et Textérieur, on ne
peut séparer ces aspects étroitement unis sans détruire le
mystère divino-humain qui constitue TEglise. Elle a les pro
messes de la vie éternelle vers laquelle elle achemine ses fils,
mais, née en un jour du temps, elle est présente à tous les
siècles, fondée en un lieu de Tespace, elle continue de s'étendre
par le monde et de manifester aux générations humaines qui
passent le salut éternel de Dieu. Pour sentir battre son cœur, il
faut regarder son visage, car le principe surnaturel qui anime
ce Corps actif apparaît à tous les yeux dans les actes qu'il
produit.
8 AVANT-PROPOS

Peut-être, à considérer ces aspects visibles, ce visage riap-


paraîtra-t-il pas toujours — pas encore — sans tache ni ride,
sans pleurs ni douleurs. La divine Face du Seigneur aussi fut
souillée. Peut-être au contraire verra-t-on, comme le voyait un
chrétien du n" siècle, ce visage rajeunir à mesure que TÊglise
avance vers Dieu toujours jeune ensemble qu'éternel. Il est
sûr, en tout cas, que ce regard attentif atteindra son mystère :
Tamour que Dieu porte aux hommes et qu'il leur apporte par
d'autres hommes. L'Église est humaine et divine, comme
THomme-Dieu, son Seigneur. Comme lui elle est signe, et
d'elle on peut dire ce qu'on chante de lui : « qu'en le contem
plant sous sa forme visible, il nous emporte vers la contempla
tion des réalités invisibles ».

C'est une de ces formes visibles, de ces manifestations con


crètes que cette Histoire des conciles œcuméniques se propose
de présenter. Le divin et rhumain s'interpénétrent vitalement
dans Tinstitution conciliaire qui s'est très tôt développée dans
TÉglise, pour y jouer un rôle déterminant, surtout lors des
grandes assemblées œcuméniques. Quelles ont été les phases
et les orientations de ce développement? Quelles normes ont
dirigé ces convocations et ces débats? Quelles questions les
conciles ont-Us traitées et résolues? Surtout, quelle inspiration
profonde leur a donné le sens de ce qui était en jeu dans leurs
sessions : la fidélité à la mission confiée par le Christ, Texten-
sion à tous les hommes de la charité rédemptrice du Seigneur ?
Autant de questions auxquelles cette Histoire veut répondre.

Il est effectivement arrivé, au cours du temps, vingt fois


en vingt siècles mais avec une fréquence variable, que des
questions ont surgi devant la conscience chrétienne, qu'après
de longs développements, elles ont mûri ou se sont exaspérées
au point de rendre nécessaires des solutions décisives. Ces solu
tions ont été données par les chefs responsables des églises
dispersées par le monde. Des pasteurs ont pris les routes qui
convergeaient vers un « synode ». Appelés en concile — le
AVANT-PROPOS 9

concilium comme TEcclesia est appel et convocation — ces


évêques, gardiens et juges de la foi, collégialement unis au
pape, Tévêque des évêques, ont manifesté la réaction vitale
de TÊglise face aux problèmes, aux interrogations, aux inquié
tudes, aux frayeurs et aux exaltations d'une époque déterminée.
Soucieux d'engager toute TÉglise, d'oeuvrer pour toute
TÊglise, celle de leur temps, celle des temps à venir, ils ont
voulu que dans toute la mesure du possible Tunanimité garan
tisse la valeur universelle de ce qu'ils définissaient ou déci
daient. Conscients d'avoir maintenu la pure vérité de Dieu,
d'avoir retrempé la vie chrétienne en Dieu, ils Font été aussi
d'avoir travaillé avec Dieu. « Il a paru bon à TEsprit Saint et
à nous ». Quoi de plus audacieusement tranquille que cette
formule du premier « concile » de Jérusalem dans laquelle
s'affirme le mystère théandrique de TÊglise ? Des hommes
« légitimement rassemblés dans TEsprit Saint » collaborent de
toutes leurs forces à la réalisation active et actuelle du dessein
de Dieu dans le monde. Par eux TÉglise exprime la fermeté
de sa conviction, ïunanimité de sa décision, Tœcuménicité de
son intention.

Cette Histoire présentera les conciles œcuméniques. Ici, les


érudits s'interrogent, les théologiens et les canonistes discutent.
Qu'est-ce que Tœcuménicité ? Comment rentrent dans la défi
nition qu'en donne le Droit canonique actuel ces assemblées
si diverses dans leur convocation, leur recrutement, leur durée,
leur règlement, leurs péripéties et leurs résultats? Et d'abord,
combien sont-ils ? L'Église en a-t-elle dressé une liste ? Répon
dons qu'on en compte traditionnellement vingt et que Vati
can II a été présenté comme le XXIe, ce qui n'est pas oublier
que des Églises orientales ne reconnaissent que les sept et sur
tout les quatre premiers, auxquels se réfèrent aussi les chrétiens
de certaines confessions protestantes; ce qui n'est pas passer
sous silence que les douze derniers conciles œcuméniques
furent surtout occidentaux — comme les premiers étaient sur
tout orientaux. Un fait demeure : ces vingt grandes assemblées
10 AVANT-PROPOS

ont eu une influence toujours déterminante, bien qu'inégale,


sur la foi et la vie de TÉglise. La lecture des volumes qui en
traitent le montrera clairement.

Comment connaître ces conciles? Il est plus que probable


que le lecteur d'aujourd'hui n'a ni le loisir ni le goût ni tout
simplement la possibilité d'aller lire les grandes collections
de textes conciliaires rassemblés par la patience des érudits
d'autres temps, pas plus qu'il ne se plonge dans la littérature
savante dont le centenaire d'un concile provoque immanqua
blement de nos jours la féconde éclosion. A-t-il accès à telle
grande Histoire de l'Église ou à quelque imposante Histoire
des conciles ? Pas davantage. Il peut évidemment lire Tune ou
Tautre Petite Histoire des conciles, et il en est d'excellentes,
mais elles ne lui permettront qu'un bien rapide survol. On a
donc pensé nécessaire et possible d'offrir à un large public
une série d'ouvrages sérieux et accessibles, situés entre les
grands ensembles d'érudition et les aperçus de vulgarisation,
dans lesquels les auteurs, considérant les problèmes qui ont
surgi en diverses époques de la vie de TÊglise, s'attacheraient
à retracer la genèse d'un ou de plusieurs conciles œcuméniques
au cours du temps, en suivraient le déroulement, en analyse
raient les tendances et les courants avant d'en dégager les effets
immédiats et les résultats lointains.

Assistée par un comité composé des RR. PP. H. Bacht


(Allemagne), J. Lecler (France), I. Ortiz de Urbina (Espagne),
une équipe internationale de chercheurs a pu être constituée
pour mener à bien cette entreprise. Leurs noms et leurs titres
garantissent la valeur de leur information et la qualité scien
tifique de leur travail. Ils ont joint au récit historique des
événements et à Tanalyse doctrinale des idées des documents
qui mettront le lecteur directement en contact avec la menta
lité qu'ils étudient. Ces dossiers conciliaires dont les pièces
ont été attentivement sélectionnées et fidèlement traduites per
mettent de voir comment sous les paroles dhommes aujourd'hui
AVANT-PROPOS 11

disparus demeure éternellement la vérité du Seigneur. C'est


au large public qui montre de nos jours un intérêt croissant
pour lu vie de TËglise en ses multiples formes qu'ils offrent
et dédient les volumes de cette Histoire dans lesquels chacun
d'eux a mis le meilleur de son esprit.

Gervais DUMEIGE, s. j.
NOTES
Les notes explicatives et les références aux auteurs modernes sont en
bas de pages, appelées dans le texte par un ou plusieurs astérisques. Les
appels numériques renvoient uniquement aux sources anciennes : ces réfé
rences ont été reportées pages 243-246.

SIGLES ET ABRÉVIATIONS
ACO Acta Conciliorum Oecumenicorum (éd. E. Schwartz, Berlin, 1914
sv.).
CSEL Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum (Vienne).
DACL Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de Liturgie (Paris).
DTC Dictionnaire de Théologie Catholique (Paris).
FC La Foi Catholique ... (de G. Dumeige, Paris, 1961).
GCS Die griechischen christlichen Schriftsteller (Leipzig).
HCO Histoire des Conciles Oecuméniques (publiée sous la direction
de G. Dumeige, Paris, 1962 sv.).
MANSI Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectlo (Floren-
tiae, 1759 sv.).
NGW Nachrtchten der Gesellschaft der Wissenschaften zu Gôttingen.
OCP Orientalia Christiana Periodica (Rome).
PG Patrologta Graeca (éd. J. P. Migne, Paris, 1857-66).
PL Patrologia Latina (éd. J. P. Migne, Paris, 1878-90).
RSR Recherches de science religieuse (Paris).
SC Sources Chrétiennes (Paris, 1942 sv.).
ZNTW Zettschrtft fur Neutestamentliche Wissenschaft.
NICÉE
CHAPITRE PREMIER

LE Ier CONCILE ŒCUMÉNIQUE

Les synodes à Tépoque des persécutions.


Dès les temps apostoliques, l'Église organisa en diverses occa
sions des assemblées d evêques dont l'objectif fut de régler des
désaccords en matière disciplinaire, de terminer des schismes
personnels, ou, chose plus grave, de repousser des attaques
doctrinales contre le dépôt de la foi chrétienne. Ces synodes,
plus ou moins fréquents, plus ou moins fréquentés, purent se
tenir en profitant opportunément de quelques trèves dans les
persécutions, car la loi interdisait aux chrétiens de l'empire ro
main les réunions collectives.
L'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe a mentionné plusieurs de
ces conciles l. Grâce à elle, nous pouvons savoir qu'au ne siècle,
vers 175, les fidèles d'Asie Mineure, les laïcs avec les évêques,
peut-être, tinrent d'assez nombreuses réunions pour examiner
les doctrines montanistes. La rapide diffusion de ce mouvement
de prophétisme exalté qui, pour annoncer le règne du Paraclet,
prétendait dépasser l'Évangile et rejetait la hiérarchie, avait
ému les Églises. « Après avoir condamné l'hérésie, ils chassèrent
de l'Église ses sectateurs et les retranchèrent de la commu
nion. » 2 Durant ce même siècle, vers 190, des synodes
d'évêques se réunirent simultanément à la demande de l'évêque
de Rome, Victor, pour discuter des divergences sur la date de
Pâques. Les uns se tinrent en Palestine, sous la présidence de
Théophile de Césarée et de Narcisse de Jérusalem, d'autres à
Éphèse, sous celle de Polycrate, d'autres dans le Pont, présidés
16 NICEE

par Palma d'Amastris, d'autres enfin en Gaule avec Irénée de


Lyon. La tension était forte. Victor voulait retrancher de
l'unité commune toutes les Églises et tous les « diocèses » d'Asie
qu'il considérait comme « hétérodoxes » ; il déclara dans une
lettre que tous ces fidèles étaient « excommuniés ». Tant de
sévérité lui fut reproché par Irénée, parce qu'il excommuniait
des Églises entières qui observaient par souci de tradition un
usage ancien. Dans cette délibération, poursuivie simultané
ment par un certain nombre d'Églises du monde chrétien sur
une question unique où elles s'affrontaient et risquaient de se
diviser, on peut déjà voir poindre une certaine universalité.

Au cours du nr3 siècle, les synodes augmentent en nombre


et en importance. Régulière en Afrique, épisodique en Égypte,
l'institution conciliaire se développe. La Gaule, dont l'épiscopat
est très peu nombreux, l'ignore encore. La question des lapsi,
— chrétiens défaillants lors de la persécution de Dèce (250) —,
et celle du rigorisme que certains jugeaient nécessaire à leur
égard provoquèrent des échanges de vues entre évêques. « Ce
n'est pas l'affaire . . . d'une seule Église ou d'une seule pro
vince, mais du monde entier : totius orbis haec causa est »,
déclare saint Cyprien 3 qui, en mai 251, a réuni un concile à
Carthage. A Rome, cette même année, pour juger le rigoriste
Novatien en révolte contre les prescriptions pénitentielles de
l'Église, un synode de soixante évêques se réunit. Il avait été
précédé de réunions particulières dans chaque diocèse, selon
les régions. Le pape Corneille et saint Cyprien, qui se sont
communiqués mutuellement les décisions prises, prononcent
une sentence d'excommunication contre Novatien et en in
forment les principaux évêques d'Orient4. Rome, Carthage,
Alexandrie écrivent aussi à Fabius d'Antioche qui inclinait
au rigorisme de Novatien. Ces lettres tendent à réaliser l'una
nimité des églises sur une question de première importance.
En 252, un grand concile est convoqué à Antioche par Hélénus
de Tarse, auquel prennent part les principaux évêques d'Orient,
de l'Égypte à la Cappadoce en passant par la Syrie et la
LE Ier CONCILE ŒCUMÉNIQUE 17

Palestine. Délibérant sur les mêmes sujets que l'Afrique et


l'Italie, ce synode prend aussi les mêmes décisions.
La discussion sur la validité du baptême conféré par les
hérétiques et sur la nécessité de rebaptiser ceux de leurs fidèles
qui étaient réintégrés dans l'Église provoqua entre l'Afrique et
Rome un grand dissentiment. Divers synodes africains et d'au
tres encore tenus en Asie Mineure à Iconium et Synnada
avaient tranché négativement la question en n'admettant pas
que le baptême des hérétiques fût valide. Leurs décisions
avaient été confirmées par les synodes réunis à Carthage par
saint Cyprien en 255 et 256, mais refusées par le pape Etienne.
L'unanimité d'une solution moyenne ne prévaudra qu'au
IVe siècle, à Nicée.
Cependant aucun cas ne se révéla aussi grave que celui de
Paul de Samosate, évêque d'Antioche. L'astucieux favori de
la princesse Zénobie s'était élevé au siège épiscopal sans que sa
vie l'en eût rendu digne ni qu'il professât des idées très ortho
doxes. Nous reparlerons plus loin de l'hérésie de ce person
nage *. Ce qui nous intéresse ici, c'est que, devant la propa
gation du scandale suscité par l'évêque d'Antioche, l'évêque
de Tarse, Hélénus, convoqua et présida deux synodes, en 264
et 268, pour examiner la cause de Paul.
Le second fut plus qu'un synode régional, puisque les
évêques de Cilicie, d'Arabie, de Phénicie, de Palestine, de Syrie,
du Pont, de Lycaonie, de Cappadoce, s'y rendirent, au nombre
d'environ quatre-vingts. On invita même le vieux Denys
d'Alexandrie qui se récusa à cause de ses infirmités, mais en
voya cependant une lettre. Quant à la procédure employée
dans les sessions, nous ignorons si elle était prévue dans les
règles juridiques de l'époque. Pourquoi fut-il réuni et présidé
justement par l'évêque d'un siège secondaire, celui de Tarse ?
Si Denys d'Alexandrie était venu, la présidence lui serait re
venue. Qu'il y eût ou non alors des prescriptions stables, il est
certain que l'Église trouva, dans le cas, la procédure qui lui

* Cf. ci-dessous p. 34, 84, 113.


18 NICÉE

permit d'intervenir et d'agir contre un évêque titulaire d'un des


principaux sièges apostoliques. Rien ne laisse supposer que
Paul ait mis en doute la légitimité du tribunal qui le jugea
et le condamna. Contre l'hérétique coupable et récidiviste, on
rendit une sentence d'excommunication et de déposition.
Comme dans le cas des novatianistes, le synode envoie une
lettre encyclique dans laquelle sont notifiées les charges qui
pèsent sur l'accusé et la sentence qui l'excommunie : les fidèles
des autres églises devront refuser d'entrer en communion avec
lui, en le considérant comme chassé « de l'Église catholique
qui est sous le ciel » 5 pour s'être rendu coupable de perverse
hétérodoxie. En même temps, on annonce qu'à la place de
l'hérétique Paul, on a installé Domnus sur le siège d'Antioche ;
tous devront envoyer des lettres de communion et en recevoir
de lui. Notons en passant cet usage, car nous le rencontrerons
un peu plus tard. En résumé : un important concile d'évêques,
après avoir examiné consciencieusement la doctrine d'un
évêque qu'il a convoqué à une discussion publique, porte
contre lui une sentence d'excommunication en le déclarant
hérétique. Cette sentence doit avoir un effet universel, elle
doit atteindre toute l'Église et, pour ce faire, on envoie à tous
les évêques, du moins à ceux des sièges les plus intéressés,
Rome, Alexandrie, des lettres synodales qui les avisent officiel
lement de la condamnation en leur demandant d'exprimer de
leur côté dans une lettre de communion leur adhésion formelle
et le rejet du condamné6. Cinq ans avant Nicée, Alexandre
d'Alexandrie dira que « Paul de Samosate a été excommunié
par un concile et un jugement des évêques de partout ». Ce
synode d'Antioche de 268, qui traita d'une grave question de
christologie et dont les participants étaient venus de tout
l'Orient, fut le plus important avant celui de Nicée, qu'il pré
figure en quelque sorte.
Pourquoi fut-il surtout un synode oriental ? Pourquoi les
évêques d'Occident qui, dans certaines régions, avaient l'habi
tude de tenir des synodes, n'y furent-ils pas présents ? Il faut
tout d'abord se rappeler que même après 311, date de la
LE I" CONCILE ŒCUMÉNIQUE 19

promulgation de l'édit de l'empereur Galère qui accordait la


liberté religieuse aux chrétiens, la persécution avait continué
de s'étendre en Orient, d'abord à cause de la réaction païenne
de Maximin Daïa (311-313), neveu de Galère et héritier d'une
partie de ses possessions, et plus tard, de 320 à 324, par suite de
la politique anticonstantinienne de Licinius, dernier rival de
Constantin, qui interdit absolument les assemblées d'évêques 7.
Cet incessant régime de persécution explique que jusqu'alors
les chrétiens de l'Occident n'aient pas été en relations avec les
Églises de l'Orient. Nous ne connaissons aucun personnage
ecclésiastique de Gaule, d'Italie ou d'Espagne qui ait visité les
provinces orientales aux rr3 et m* siècles, tandis que quelques
orientaux, tels Origène et Piérius d'Alexandrie, étaient venus à
Rome. On comprend dès lors que, dans la vie de l'Église, bien
des événements n'aient eu qu'une portée locale ou régionale.
Les hérésies elles-mêmes n'émigraient qu'exceptionnellement
d'une région à une autre, comme ce fut le cas pour le monar-
chianisme qui passa d'Asie Mineure, avec Noétos de Smyrne, à
Rome, avec le mystérieux Praxéas et Sabellius, puis en Lybie et,
un peu plus tard, à Antioche, en Syrie.

Jusqu'à la paix constantinienne, il n'y eut donc pas de


concile œcuménique dans l'Église. Si cela s'explique, comme
nous venons de le dire, par l'interdiction expresse de réunir des
synodes au temps des persécutions, il nous faut mentionner
une autre raison très forte : la géographie est intimement
mêlée à l'économie. Faire des milliers de kilomètres n'était
pas alors une entreprise aisée pour des hommes de faible ou
mauvaise santé, comme l'étaient très souvent les évêques. En
outre, comme on ne pouvait compter sur le cursus publions,
puisqu'il s'agissait de personnes considérées comme ennemies
de l'Empire, les évêques auraient dû dépenser de véritables
fortunes pour ces voyages interminables. Il est significatif, à
propos des difficultés présentées par les déplacements, que
même plus tard, en plein régime de faveur pour le christia
nisme, alors qu'ils pouvaient utiliser les attelages de la poste
20 NICÉE

impériale, bien peu d'évêques occidentaux se rendirent aux


huit conciles œcuméniques tenus en Orient. Les doigts de la
main suffisent pour les dénombrer tous, y compris les délégués
officiels de Rome. Un autre fait illustre la lenteur des commu
nications : on sera surpris d'apprendre qu'Hilaire de Poitiers
ne lut le symbole de Nicée que trente ans après sa promul
gation I
Mais il nous faut maintenant expliquer comment, au jour où
l'unité de l'Église apparut menacée aux yeux d'un empereur
chrétien qui venait à peine de rétablir l'unité de l'Empire, on
passa des synodes locaux au premier concile œcuménique.

Constantin, Pontife Suprême.


La courte guerre où Constantin combattit contre Licinius
commença à prendre un certain aspect de lutte religieuse dès
323, car, tandis que Licinius maintenait un régime de persécu
tion vis-à-vis du christianisme, Constantin, par contre, favorisait
pleinement celui-ci, déjà convaincu qu'il était de sa puissante
supériorité. La vie et les entreprises de ses persécuteurs ne se
terminaient-elles pas misérablement, alors que le « Dieu su
prême », le Sauveur des chrétiens lui accordait la fortune des
armes ? La lutte contre Licinius, son ultime rival, s'acheva par
la déroute de ce dernier devant Hadrianopolis (Andrinople), en
septembre 324.

Voici donc Constantin le Grand devenu « monarque » de tout


l'Empire. Quoi de plus convenable et de plus conforme aux
desseins du ciel que de professer officiellement la « monarchie
de Dieu », c'est-à-dire le christianisme monothéiste, en en fai
sant le fondement de sa nouvelle politique religieuse * ?
Cette conversion de l'empereur à la religion chrétienne fut
pour l'Église d'une influence considérable tant en profondeur
qu'en extension. L'Empire, jusque là hostile, y pénétrait en la
* Cf. E. Peterson, Der Monotheismus als politisches Problem, Leipzig,
1935.
LE I" CONCILE ŒCUMENIQUE 21

personne de Constantin le Grand. Ceint de l'auréole du vain


queur universel, il y venait transformé en défenseur du chris
tianisme et avec ses insignes de « Pontife Suprême ».
Rien de plus étranger à ces temps, et en particulier aux em
pereurs romains, que le concept laïc d'État. L'Empire avait
une religion officielle et l'empereur en était toujours le ma
gistrat suprême. Quand, au début du iv9 siècle, la religion
païenne, sous l'influence des Perses parvenus jusqu'à Antioche,
en était arrivée à adorer le soleil comme divinité suprême, les
empereurs, et parmi eux Constantin le Grand lui-même, s'étaient
donné le titre divin et les attributs du Sol invictus ; nous
conservons encore des monnaies qui le montrent et le dé
montrent.
En étendant alors le manteau de son ambitieuse protection
sur l'Église, Constantin continua de se considérer comme le
Pontife, « 1 evêque placé par Dieu pour les affaires du de
hors » 8, comme il le déclara lui-même immédiatement après
le concile de Nicée. Dans les documents officiels de cette
époque, la conviction qu'il est l'instrument de Dieu choisi pour
faire observer sa loi et pour propager sa foi dans tout l'Empire
se manifeste sans déguisement. Il reconnaît que Dieu lui a
accordé ses brillants triomphes pour que, maintenant, toujours
sous sa protection, il continue de l'aider à sauvegarder sa doc
trine et sa loi.

Avec la ferveur d'un néophyte, Constantin fit suivre sa vic


toire contre Licinius d'une série de décrets par lesquels il
supprimait le régime punitif en vigueur contre l'Église et in
troduisait des améliorations d'inspiration chrétienne dans la
législation sociale et administrative de l'Empire. Depuis la fin
de l'an 324, tout l'Orient jouissait d'une complète liberté reli
gieuse. Le christianisme, loin de rencontrer des obstacles à
son existence et à son expansion, bénéficiait de la faveur impé
riale, sans être pour autant l'unique religion de l'État. Qui
s'étonnera alors de voir la hiérarchie catholique se confondre en
éloges et en protestations de respect envers un empereur aussi
22 NICÉE

plein de mérites et de bonnes intentions ? Un très instructif


exemple de cette attitude est fourni par Eusèbe de Césarée
qui se distingue à l'excès dans sa vénération, particulièrement
dans sa Vie de Constantin * 9.
Ces bonnes intentions impériales n'étaient pas sans danger.
Ce qui fit du tort à la vie de l'Église, ce fut que Constantin,
comme la plupart de ses successeurs, interféra abusivement
dans les questions religieuses, notamment dans les discussions
de caractère dogmatique ou disciplinaire.
Auparavant déjà, en Occident, où depuis 311 le christianisme
était reconnu favorablement par l'Empire, Constantin avait
manifesté ses tendances interventionnistes. Ainsi, quand surgit
en Numidie la controverse ecclésiastique qui, après avoir op
posé Cécilien de Carthage aux évêques de sa province et à
Donat son rival, allait devenir le schisme et l'hérésie donatistes
qui ravageraient l'Église d'Afrique pendant plus d'un siècle,
Constantin, à qui l'on avait eu recours, sentit qu'il devait
intervenir. Par un ordre sans appel, il fit comparaître devant un
tribunal constitué à Rome Cécilien et vingt autres évêques, dix
favorables et dix contraires au primat. Ce tribunal devait être
composé de l'évêque de Rome, Miltiade, assisté de Marc,
de Réticius d'Autun, de Materne de Cologne et de Marin
d'Arles. Même le siège de Rome devait obéir aux ordres impé
riaux !
La sentence romaine qui déclara Cécilien innocent ne satisfit
par les donatistes qui alléguèrent le petit nombre des membres
du tribunal et la trop grande précipitation avec laquelle on
avait mené le procès. Constantin intervint de nouveau. Un

* Ce livre, composé peu après la mort de l'empereur en 337, a donné


prise à des doutes et des soupçons de la part des critiques modernes.
Nous croyons, avec la majorité des spécialistes que, même si l'oeuvre a
été inspirée par le souci de plaire — ce qui exige qu'on ne se laisse
pas prendre aux expressions hyperboliques de sa rhétorique de cour —
elle n'en est pas moins une source historique, qui renoue le fil abandonné
par l'Histoire ecclésiastique vers 324. Avec les seize lettres de l'empe
reur qu'elle a recueillies, la Vie de Constantin constitue la source prin
cipale de l'histoire du I" concile de Nicée.
LE I" CONCILE ŒCUMÉNIQUE 23

autre synode se réunit à Arles en 314, comprenant trente-trois


évêques, qui condamna derechef les donatistes 10. Tout sem
blait réglé, mais Donat, retourné en Afrique, provoqua des
troubles contre les catholiques. Constantin intervint encore
une fois dans la querelle et, en troisième instance, prononça à
Milan, le 10 novembre 316, la sentence définitive — il le
croyait, du moins — qui expulsait les donatistes et rétablissait
la paix religieuse 11.

La politique impériale en face de Tarianisme.

Lorsqu'après sa victoire de septembre 324, Constantin fit


son entrée triomphale à Nicomédie, jusqu'alors capitale de
l'Empire oriental, il apprit avec peine que les provinces orien
tales étaient en pleine discorde : certains évêques en excom
muniaient d'autres à la suite de la rupture intervenue entre
Arius, prêtre d'une église d'Alexandrie, et son évêque
Alexandre. L'empereur en fut tellement affligé et préoccupé,
qu'il différa le voyage qu'il avait projeté à travers les pro
vinces récemment conquises et demeura à Nicomédie en cher
chant à remédier à cette pénible division interne par tous les
moyens dont disposait sa puissance. D'après les informations
officielles, l'étincelle qui avait allumé un incendie s'étendant
déjà à toute l'Égypte, à la Lybie, à la Thébaïde, et qui allait
gagner d'autres provinces, avait jailli d'Alexandrie.
Le plus lamentable, selon l'opinion de Constantin exprimée
dans une lettre officielle, était qu'une désunion aussi grave fût
née d'un incident sans importance. Il était très regrettable
que, lors d'une réunion de prêtres, Alexandre ait demandé ce
qu'on pensait d'un passage de c la Loi » ou plutôt d'un « point
de détail insignifiant ». Arius avait eu alors l'imprudence de
communiquer une réflexion qu'il eut mieux valu ne pas conce
voir. D'où la discorde, l'excommunication et la division du
peuple en deux camps. Une telle appréciation suffit pour juger
Constantin fort inexpert en questions théologiques. Heureuse
24 NICÉE

ment d'ailleurs : cela lui permettait de demander des lumières


à ses conseillers habituels *.
Parmi eux se distinguait l'évêque de Cordoue, Osius. Depuis
313, nous le voyons toujours aux côtés de l'empereur, guide
prudent et agent dévoué de sa politique religieuse **. Osius
incarna l'orthodoxie tout au long de la controverse arienne et
l'on doit mettre à son crédit la politique suivie par Constantin,
qui, malgré sa manie d'intervenir et son incompétence théolo
gique, sera généralement juste et favorable au bien de l'Église.
Les idées directrices que l'Empereur maintint fidèlement le
portèrent à rechercher l'union de l'épiscopat et, une fois qu'il
l'eut obtenue et sanctionnée par des définitions dogmatiques
et disciplinaires, à la renforcer efficacement contre les révoltes
des minorités. Ce qui explique que, durant son règne, personne
ne se risquera ouvertement à attaquer le symbole de Nicée.
Les semi-ariens qui s'y emploieront, seront obligés d'user de
procédés tortueux pour cacher leur dessein.
Méconnaissant donc la gravité de la querelle, et peut-être
dans l'espoir de l'étouffer en minimisant son importance, Cons
tantin usa d'abord d'un procédé éminemment diplomatique :
imposer silence aux deux adversaires. C'est la méthode que
d'autres empereurs reprendront au V siècle lors de la contro
verse monophysite ***.
Deux lettres de l'empereur manifestèrent à Alexandre d'Ale
xandrie et à Arius ses vœux passablement naïfs 12. Il y prenait
Dieu à témoin qu'il avait toujours travaillé poussé par le désir
de promouvoir l'unité de tous dans le culte de Dieu et de guérir
le monde asphyxié par la tyrannie. Ce dernier but, il l'avait
atteint par les armes ; mais le premier demeurait l'essentiel.
Constantin s'est rendu compte que l'origine d'une si grave di
vision résidait dans « une cause de peu de valeur, nullement
digne de si grandes luttes ». Pour la régler, il se constitue ar-
* Voir I. Ortiz de Urbina, La politica di Costantino nella controversia
ariana, dans Studi Bizantini e Neoellenici 5 (1936), 284-288.
** Voir V. C. de Clercq, Ossius of Cordova, Washington, 1954.
*** Voir P.-Th. Camelot, Ephèse et Chalcédoine (HCO 2), Paris,
1962.
LE Ier CONCILE ŒCUMÉNIQUE 25

bitre et pacificateur, après avoir invoqué l'aide de la Provi


dence. Si l'enjeu avait été plus important, il aurait pu donner
d'utiles conseils ; à plus forte raison pourra-t-on tout remettre
en paix puisqu'il n'est que «léger et secondaire». Que donc
Alexandre et Arius se demandent mutuellement pardon et qu'ils
acceptent ce que leur propose leur « collègue » Constantin ! On
n'aurait pas dû poser cette question subtile en pleine assem
blée, ni répondre comme on l'a fait. De telles questions, mutiles
et alambiquées, peuvent servir à exercer l'intelligence, mais
ne doivent pas être exposées en public et moins encore être
répandues dans le peuple. Ainsi fait-on pour d'autres questions
subtiles auxquelles le vulgaire n'est pas préparé. A agir autre
ment, on introduit le blasphème et le schisme dans le peuple
chrétien.
Constantin insiste encore pour que les deux adversaires se
demandent pardon mutuellement, puisque la discorde ne porte
pas atteinte aux « préceptes capitaux de la Loi » et qu'elle n'a
pas suscité parmi eux « une nouvelle religion pour le culte de
Dieu » ; qu'ils conservent le même mode de penser et ils
pourront ainsi rester unis par les liens de la « communion ». Il
n'est pas convenable que, tandis qu'ils se querellent pour ces
riens, leur exemple se propage dans le peuple. Les philosophes
eux-mêmes, bien que d'accord sur un système, se divisent sur
des questions particulières. Il convient dès lors plus encore que
les ministres de Dieu restent unanimes dans le culte. Il n'est
pas bien que ces discussions altèrent la paix des fidèles. Ce
sont choses puériles, indignes de prêtres et d'hommes prudents.
Il faut fuir les tentations du diable. Nous avons tous reçu les
illuminations de « notre grand Dieu, le commun Sauveur de
tous ». Les antagonistes doivent permettre que, sous sa Pro
vidence, son serviteur Constantin mène à bon terme l'entre
prise de « rendre leurs villes à la communion du synode », par
ses exhortations, ses services, ses efforts et ses conseils. Il ne
prétend pas qu'ils changent leur opinion, mais qu'ils fassent
prévaloir sur elle leur foi commune et la concorde du peuple
fidèle.
26 NICÉE

Le ton de la lettre est paternel, noble et pressant. A travers


elle, transparaît cette conception théologique, providentialiste
mais un peu vague, que Constantin manifeste dans son traité
Ad sanctorum coetum, composé probablement à cette époque
avec l'aide de quelques conseillers ecclésiastiques.
Osius fut chargé de porter la lettre à l'évêque d'Alexandrie.
Selon toute vraisemblance, Arius se trouvait alors à Nicomédie
sous la protection de son condisciple Eusèbe, évêque de cette
ville. On doit supposer qu'Osius, ayant emprunté la voie mari
time, plus rapide que la voie de terre, put atteindre Alexandrie
avant novembre. Il est évident que la démarche de l'évêque
de Cordoue à l'égard de son collègue d'Alexandrie était vouée
à l'échec ; il devait être le premier à le reconnaître. L'affaire
n'était pas une subtilité sans importance, mais un point qui
intéressait au fond le dogme chrétien tout entier.
Osius ne dut pas tarder à revenir à Nicomédie les mains
vides. Ceux qui pensent qu'un synode se tint à Antioche sous
sa présidence supposent que son retour s'effectua par voie
de terre et qu'il s'arrêta dans ce diocèse alors en plein dés
ordre. Mais, comme on le dira plus loin, il est préférable de
ne pas admettre ce concile et, dès lors, il est plus raisonnable
de penser qu'Osius retourna par mer, en commençant par
suivre l'itinéraire qui sera plus tard celui de Cyrille d'Alexan
drie et des évêques égyptiens quand ils se rendront au concile
d'Éphèse en 431.
Profonde dut être la déception de Constantin devant l'échec
de sa première tentative. Mais il n'était pas homme à reculer
devant les difficultés.
A la même époque, parvint jusqu'à lui le bruit d'un autre
événement regrettable. Plusieurs provinces ecclésiastiques con
tinuaient à célébrer la Pâque le quatorzième jour du mois
lunaire de Nisân, suivant au pied de la lettre l'usage juif, tandis
que l'Occident et une grande partie de l'Orient la fêtaient le
dimanche et à des dates variables. C'était là une autre diver
gence à laquelle il fallait diligemment et efficacement mettre
un terme13.
LE I" CONCILE ŒCUMÉNIQUE 27

La convocation du concile de Nicée.

La décision de réunir un concile œcuménique qui inscri


rait à son ordre du jour la controverse arienne et la date de
Pâques fut sans doute un acte personnel de Constantin. Il est
très probable qu'il en eut lui-même l'idée, bien que quelques
sources fassent allusion à des délibérations tenues avec ses
conseillers ecclésiastiques. Le plus autorisé d'entre eux, Osius,
pouvait être d'accord avec ce projet : un synode universel per
mettait de faire entendre la voix de Rome sur une question
si grave qu'elle avait semé la division dans les principaux
diocèses d'Égypte et de Syrie. Que par contre l'évêque d'Ale
xandrie ait influé dans ce sens, comme l'assure l'historien arien
Philostorge, ne semble pas vraisemblable u.
Des arguments divers et puissants démontrent que, pour
décréter le concile de Nicée, Constantin ne consulta pas au
préalable le siège de Rome, et moins encore ne sollicita sa
permission. Nous avons déjà indiqué que le grand empereur,
tout comme ses prédécesseurs, se considérait comme le magis
trat suprême dans les affaires ecclésiastiques et qu'il avait
réuni de son propre chef les tribunaux qui jugèrent les dona-
tistes, comme plus tard il devait réunir les évêques dans les
synodes de Tyr et de Jérusalem. D'ailleurs, que la convocation
du concile de Nicée ait été ordonnée par l'empereur ne cons
titue pas une exception, puisque les huit premiers conciles
œcuméniques célébrés en Orient seront convoqués par décret
impérial. Il faut ajouter que les sources les plus anciennes et les
premiers historiens, comme Eusèbe, Socrate, Sozomène, Rufin
et Gélase de Cyzique, attribuent positivement à Constantin
l'indiction du synode œcuménique 15. Avec son ton ampoulé,
l'évêque de Césarée, dans sa Vie de Constantin, déclare : « En
suite, comme il voulait combattre (l'ennemi invisible de l'Église,
Constantin) réunit la phalange de Dieu, le synode œcuménique,
convoquant de toute urgence et de toute part les évêques par
des lettres pleines de déférence. Il ne se contentait pas de
donner simplement un ordre; sa royale munificence en per
28 NICÉE

mettait l'exécution en donnant aux uns la faculté d'employer


le cursus publicus et aux autres une généreuse abondance de
montures. Il indiqua pour le synode une ville adaptée, celle
qui porte le nom victorieux de Nicée, dans la contrée de
Bithynie. Son annonce était à peine partout répandue que tous
accourent pleins d'enthousiasme » 16. A l'ouverture du concile,
Constantin confirma que c'était lui qui les avait tous rapide
ment réunis.
D'autre part, l'empereur n'aurait pratiquement pas eu le
temps de procéder à une consultation préalable avec Rome. En
effet, un voyage aller et retour eût exigé au moins deux mois,
si bien que la lettre de convocation n'aurait pu être promulguée
avant 325. Ce retard n'aurait pas permis d'ouvrir le concile au
mois de mai. Un siècle plus tard, le concile d'Éphèse, pourtant
convoqué dans les premiers jours de novembre, ne débutera
que le 22 juin, avec quinze jours de retard, avant même que
les délégués de Rome et les évêques des provinces d'Antioche
n'aient eu le temps d'arriver. Il ne faut pas oublier que durant
l'hiver les voyages maritime étaient suspendus et que les
voyages par voie de terre étaient très longs et hasardeux.
Pour Nicée, seuls des témoignages tardifs attribuent la con
vocation du concile au pape Sylvestre. C'est ainsi que le
vr3 concile œcuménique de 680 affirme que « Constantin et
Sylvestre réunirent le grand et célèbre concile de Nicée » 17.
Dans une note qui paraît remonter au vnr3 siècle et dans la
quelle on trouve les détails légendaires de la lèpre de Cons
tantin et de son baptême au Latran, le Liber Pontificalis
rapporte que du temps de Sylvestre, « par son ordre (ou : avec
son assentiment), eut lieu le synode à Nicée de Bithynie » 18.
Les contemporains sont d'un autre avis.

C'est à Nicée que les Pères furent convoqués. La valeur


historique d'un décret attribué à Constantin, conservé seule
ment dans une traduction syriaque, qui parle d'Ancyre est des
plus faibles 19. Faible parce qu'ignorée par tous les documents
grecs et latins ; faible parce qu'on ne voit pas la raison pour
LE Ier CONCILE ŒCUMÉNIQUE 29

laquelle, comme le dit le décret, il convenait d'avoir d'abord


convoqué le concile à Ancyre de Galatie, ville éloignée du
lieu où résidait l'empereur et des régions dans lesquelles fer
mentait la dispute, pour révoquer ensuite cet ordre en faveur
de Nicée. Le récit d'Eusèbe, cité plus haut, insinue que Nicée
fut le lieu choisi de prime abord. Alors que la cour impériale
d'Orient était toujours installée à Nicomédie, il était très na
turel que le concile fût à portée de main pour Constantin et
non dans les plaines lointaines de la Galatie.
Objectivement, la convocation d'un concile ecclésiastique fut
un abus de pouvoir de la part de l'empereur ; il est cependant
compréhensible qu'aucun évêque, même celui de Rome, ne
protesta contre cet excès d'autorité de Constantin, le premier
grand bienfaiteur de l'Église après plus de deux siècles de
persécution.

Ce que nous venons de dire suffit pour conclure que Nicée,


le premier des conciles œcuméniques, ne fut pas convoqué sur
l'initiative de l'Église. D'ailleurs, ni dans le Nouveau Testament
ni dans la tradition primitive nous ne trouvons des témoignages
qui parlent d'un ordre divin de réunir de temps en temps des
assemblées universelles. Le fait qu'à un moment de l'histoire
de telles assemblées aient constitué un moyen adéquat de juger
des doctrines perturbatrices fort répandues ou de dirimer des
querelles très graves les rendit par la suite indispensables
à la vie de l'Église. Les conciles œcuméniques furent, surtout
dans l'Antiquité, des occasions exceptionnelles de rencontre pour
la majeure partie de l'épiscopat chrétien, un acte éminemment
communautaire de l'Église et une manière extraordinaire pour
sa hiérarchie d'exercer l'autorité. Constantin conçut probable
ment le synode de Nicée d'après le schème qui structurait les
comitia des ordres civils de l'Empire, appelés à délibérer sur les
affaires d'une certaine importance qui relevaient de leur
compétence.
CHAPITEE II

LES ORIGINES DE L'ARIANISME

Les déficiences antérieures dans la théologie du Verbe.


L'erreur d'Arius n'était ni secondaire ni méprisable, comme
Constantin le pensait, puisqu'il en arrivait à nier la divinité
réelle du Verbe et son égalité de nature avec le Père. On
peut faire remonter cette doctrine au irr3 siècle, où avaient déjà
cours, sur la substance du Fils, des idées fort imparfaites ;
le système d'Arius fut en grande partie le résultat logique de
ces dangereux à peu près.
Le milieu alexandrin du me siècle se trouvait en effet con
taminé par les théories des gnostiques, parmi lesquels se distin
guaient Basilide et Valentin *. Une théogonie et une cosmogo
nie fort répandues chez les gnostiques enseignaient que le
Dieu suprême et inaccessible se contemplait lui-même en sa
solitude éternelle. Par la suite, mais cependant avant le début
du temps proprement dit qui commence avec les choses vi
sibles, il produisit le Démiurge, qui initialement était caché et
en union immanente avec le Père. Quand celui-ci commença
de créer les choses, il proféra sa Parole ou Verbe qui, à partir
de ce moment, passa à l'état de « proféré » et fit les êtres
créés : une systématisation de cette théologie établit comme
origine le Père tout seul ; en second lieu, sa raison intervient,
puis sa volonté, d'où résulte la génération du Verbe ou Dé-
* Voir A. Orbe, Hacia la primera teologia de la procesiôn del Verbo,
Roma, 1958.
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 31

miurge créateur. Quelques-uns de ces éléments ressemblent


tellement à ceux qu'Arius devait proposer plus tard que, par la
suite, saint Athanase pourra l'accuser, non sans raison, detre
sous l'influence du système valentinien 20. Il est donc important
de remarquer que les gnostiques admettaient après le Dieu
suprême une autre divinité secondaire de moindre rang desti
née à devenir créatrice de l'univers.
En cela ils n'étaient pas loin des théories des néo-platoni
ciens, représentés par Plotin et Porphyre. Plotin, condisciple
d'Origène à l'école alexandrine d'Ammonios Saccas, conçoit
trois « hypostases » universelles, qui sont comme des sphères
ou des catégories auxquelles appartiennent tous les êtres. Ces
hypostases sont constituées d'abord par le « Principe » ou
1' « Unique », immuable et complètement inaccessible à nos in
telligences ; ensuite par la « Raison », analogue à l'antique
« Verbe », au donateur des formes dont parlent les aristotéli
ciens, et à l'âme universelle du monde professée par les
stoïciens ; enfin par 1' « Ame ». La Raison découle du Principe
comme le rayon du soleil et comme le fleuve de sa source ;
cependant, elle possède pour sa part un caractère divin et elle
est la créatrice du monde visible. Supérieur à elle, le « Prin
cipe » est le seul « inengendré » et dépasse toute catégorie *.

Même chez les Pères grecs du nie siècle, tout ne fut ni clair
ni sûr dans la théologie du Fils de Dieu, dont l'étude venait
alors de commencer. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne trouve
pas dans la tradition antérieure d'affirmations précises sur la
divinité du Verbe, révélée à plusieurs reprises dans le Nouveau
Testament; mais les écueils que rencontrait la doctrine ortho
doxe, la terminologie théologique peu adéquate qui commen
çait à prendre forme en empruntant les vocables de la philoso
phie, ainsi que les rémanences de certains systèmes philoso
phiques, platoniciens et stoïciens notamment, provoquèrent par
fois des hésitations chez les auteurs ecclésiastiques du

* Voir E. Bréhier, La philosophie de Plotin, Paris, 1928.


32 NICÉE

m* siècle. Il y eut même des discussions à l'origine desquelles


on trouve des propositions véritablement hérétiques concer
nant le Verbe. Alors que nul ne mettait en doute la divinité du
Père, seul vrai Dieu, tous ne reconnaissaient pas avec la même
certitude la divinité réelle de son Fils.
Nous savons, par exemple, qu'Origène dut se rendre à Bostra
pour réfuter l'évêque Béryïle qui affirmait que Jésus-Christ
n'était qu'un homme né de la Vierge Marie. Le même Origène,
dont l'orthodoxie sur ce point semble indiscutable, — pour
cette raison entre autres que les ariens n'invoquèrent jamais son
autorité —, répète assez souvent des affirmations qui supposent
dans le Verbe une dignité quelque peu inférieure à celle du
Père.
Théognoste, maître alexandrin postérieur à Origène, tout en
affirmant clairement que le Verbe est le Fils qui procède de la
substance du Père et donc par vraie génération, emploie aussi
des expressions malheureuses qui laissent entendre que le Fils
a été « fait » par le Père 21. Photius à qui nous devons ces
renseignements, nous raconte que Pierius, un maître alexan
drin postérieur, qui était pourtant orthodoxe, parlait de
deux essences (ousiai) et de deux natures (physeis) du Père et du
Fils ; ces deux vocables signifiaient pour lui deux personnes 22.
Jusqu'après 360, il y eut une confusion assez grande entre les
termes « essence » (ousia) et « personne » (hypostasis), les deux
vocables étant employés indistinctement pour signifier aussi
bien la « nature » que la « personne ». D'où encore l'incertitude
lexicographique du fameux terme homoousios, composé de
homos et ousia. Ce dernier mot, qui ne se trouve pas dans la
Bible, apparaît pour la première fois dans les écrits gnostiques
du 11e siècle et passe ensuite dans la théologie chrétienne par
l'intermédiaire des maîtres alexandrins du m*. A en juger
par les contextes, on appelait Homoousioi des êtres qui appar
tenaient à la même catégorie de substance, par exemple les
parents et les enfants.
Le fait que l'on trouve parmi les accusations dressées contre
saint Denys le Grand, quand il fut dénoncé par son clergé
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 33

à son homonyme le pape Denys, son refus d'employer le terme


homoousios, nous montre que l'habitude de qualifier ainsi le
Fils de Dieu était déjà bien enracinée dans les milieux d'Ale
xandrie vers les années 250. Cette querelle dans laquelle se
trouve impliqué le grand alexandrin est particulièrement inté
ressante pour notre propos, car les ariens citeront plus tard en
leur faveur quelques-unes des expressions, peu exactes effective
ment, que Denys avait employées contre le monarchien Sabel-
lius dont nous reparlerons plus loin. Dans l'ardeur de la polé
mique contre l'homme qui disait que le Père et le Fils n'étaient
en réalité que des noms et des modalités différentes, sans plus
de distinction, d'une seule et même personne, l'alexandrin en
arrive à exagérer la distinction entre les deux, en disant que le
Fils avait été « fait » par le Père et qu'une telle différence se
trouvait déjà clairement exprimée dans l'image évangélique de
la vigne et du vigneron, qui représentait le Fils et le Père.
Il est vrai que, sérieusement admonesté par levêque de Rome,
Denys reconnut bientôt que ses expressions étaient équivoques,
et il les rectifia en affirmant que le Fils existait de tout éternité
au sein du Père, qu'il n'avait lui-même parlé du Fils comme
étant « fait » que dans un sens très large et que, bien qu'il
n'employât pas le terme homoousios parce qu'il n'était pas bi
blique, il avait néanmoins dit la même chose en parlant de
l'homogénéité du Père et du Fils. Bref, il avait rendu témoi
gnage à la Trinité et à l'Unité divines. Cette aventure d'un
maître si célèbre que toutes les Églises en quête de conseil
s'adressaient à lui nous montre qu'à l'époque on n'avait pas
toujours des idées parfaitement claires sur l'identité substan
tielle du Père et du Fils, ni peut-être non plus sur la filiation
divine 23.
L'objectif principal du monarchianisme fut de sauvegarder
l'unicité divine aussi bien contre le polythéisme païen que face
au dualisme de quelques sectes, telles que le marcionisme.
En voulant garantir absolument le « Principe unique », la
« Monè arche » (d'où le terme « monarchie de Dieu le Père »),
les monarchiens réduisirent la distinction entre le Père et le
34 NICÉE

Fils tout au plus à deux modalités ou deux aspects — succes


sifs selon Sabellius — d'une seule et même personne : le Père-
Fils (Hyiopater). Le Fils devenait ainsi Dieu le Père dans
l'économie de la Rédemption, si bien qu'en bonne logique on
admettait que le Père avait souffert sur la Croix. Les théories
sabelliennes sauvegardaient assurément l'unité divine, mais elles
détruisaient la trinité des personnes.
Il est intéressant de rappeler ici Sabellius, non seulement à
cause de ses idées, mais aussi parce qu'il les répandait dans la
Pentapole, c'est-à-dire dans la région de l'Afrique où, dans le
même temps, naissait Arius. Cependant, la doctrine de ce
dernier ne trahira pas d'influences sabelliennes. Au contraire,
antithèse extrême du sabellianisme, elle sera en partie une
réaction contre lui.
Le monarchianisme surgit probablement à Smyrne avec Noé-
tos, puis il se répandit à Rome et en Afrique proconsulaire avec
Praxéas, avant d'atteindre la Pentapole avec Sabellius. La doc
trine ne se présenta pas toujours avec les mêmes nuances. Le
variante la plus remarquable et aussi la plus intéressante pour
notre sujet fut celle de Paul de Samosate, l'astucieux et désin
volte personnage qui, grâce à la faveur de la reine Zénobie,
obtint le siège épiscopal d'Antioche *. Son système a reçu le
nom de monarchianisme dynamique du fait que, d'après lui,
le Fils est la puissance du Père, mais sans personnalité propre.
Ce fut cette vertu et cette sagesse du Père qui habita d'une
façon particulière ce Jésus, fils de Marie, qui n'était qu'un
simple homme. Avec raison, on souligna plus tard le parallé
lisme entre l'erreur de Paul et celle de Nestorius. Paul fut
condamné pour la seconde fois de façon définitive par le
synode d'Antioche de 268, mais il lui restait encore des adeptes
au temps du concile de Nicée, nous le verrons par la suite.

Peu de temps après Paul, resplendit à Antioche la science du

* Voir G. Bardt, Paul de Samosate, Louvain, 1929 ; H. de Riedmat-


ten, Les actes du procès de Paul de Samosate, Fribourg, 1952.
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 35

célèbre maître Lucien ; le jeune Arius étudia dans son école.


Après avoir été excommunié successivement par trois évêques
pour ses erreurs dogmatiques, Lucien mourut martyr en 312
et fut honoré du culte des saints. Il devait posséder ce magné
tisme et cette force persuasive qui passionne les élèves et qui
les unit étroitement en groupe d'admirateurs fervents *. En
tout cas, ils s'aidèrent mutuellement, — on les appela « collucia-
nistes », — et constituèrent un terrain favorable où l'arianisme
de la première heure germa et se développa vigoureusement.
Comme nous ne conservons qu'une infime partie des écrits de
Lucien, nous ne sommes pas en mesure de déterminer le
contenu de sa théologie du Verbe, ni même ses lignes géné
rales. En s'appuyant sur certains historiens anciens, et surtout
en jugeant l'arbre à ses fruits, il n'est pas téméraire de penser
que le fameux et cher maître d'Antioche se trompait dans ses
idées sur la divinité du Fils de Dieu, comme se trompèrent
après lui les « lucianistes ».

Cette rapide introduction suffit pour montrer qu'à la fin du


nie siècle, c'est-à-dire au temps où Arius se formait, l'élabora
tion théologique de la divinité du Verbe, encore peu mûre,
était exposée à osciller dangereusement entre deux extrêmes :
d'une part un gnosticisme platonisant qui admettait des divini
tés secondaires, d'autre part un monarchianisme qui, pour sau
vegarder l'unité de Dieu, réduisait la Trinité à des noms, à des
aspects ou à des forces.

Arius et son exégèse.

Épiphane nous a laissé le portrait d'Arius au moment où ce


lui-ci commençait à répandre ses erreurs. Quoique ce portrait
soit poussé au noir, certains traits ont l'air d'être véridiques.
Arius, alors, était un homme âgé, « de stature élevée, de visage

* Voir G. Bardy, Recherches sur saint Lucien d'Antioche et son école,


Paris, 1936.
36 NICÉE

triste ; il avait un aspect capable de séduire, à la manière d'un


serpent astucieux, les cœurs naïfs, avec son air de sainteté
apparente » 2i. Il s'habillait d'un homophorion et d'un kolobios,
— un manteau court et une tunique sans manches — et ses
manières étaient douces, insinuantes et flatteuses. Aussi vit-il
se réunir rapidement autour de lui quelque sept cent vierges
consacrées qui le suivirent même lorsqu'il eut quitté l'Église.
Alexandre, son évêque, l'accusa de préférer se rassembler avec
ses dévots et ses dévotes dans des bouges de malfaiteurs plutôt
que de demeurer sujet de l'Église. De leur côté, les adeptes
d'Arius poussèrent plus d'une fois certaines femmes de mœurs
légères à porter plainte contre des personnes orthodoxes ; de
plus ils utilisaient des bandes de jeunes femmes pour faire du
vacarme dans les rues 2S.
Arius était le curé de l'église de Baucalis, la paroisse du
port d'Alexandrie. D'après ce qu'on nous dit, il était doué
pour la dialectique. Selon Théodoret, il avait un goût particu
lier pour l'exégèse de la Sainte Écriture et, à en croire l'arien
Philostorge, il avait eu plus de suffrages qu'Alexandre pour le
siège épiscopal d'Alexandrie. Il ne manque même pas d'auteurs
pour accuser l'hérésiarque de jalousie et d'antipathie envers
son évêque.
Il ne faut pas oublier qu'Arius était né en Lybie, vers 256.
Ceci explique l'adhésion inconditionnelle que lui accordèrent
jusqu'à la fin Second, évêque de Ptolémaïs, dans la Pentapole,
et Théonas de Marmarique. Au concile de Nicée, quand
tous auront abandonné Arius et signé le symbole, seuls ces
deux hommes lui resteront absolument fidèles et partageront
l'exil avec lui. C'était, certes, de l'amitié, mais aussi de l'obsti
nation contre la sentence de l'Église catholique.
Vers 280, Arius se rendit à Antioche pour se former à l'école
de Lucien. Là, on accordait beaucoup d'importance à l'étude
de l'Écriture et peu à celle des courants philosophiques. Le
fait qu'Arius argumentera toujours à partir de la Bible pour
soutenir ses idées reflète cette tendance.
Au début du ive siècle, Arius devait être déjà rentré à
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 37

Alexandrie, dont l'évêque Pierre occupait le siège depuis 300.


Celui-ci ayant fui en 303, lors de la persécution de Dioclétien,
levêque de Lycopolis, un certain Mélèce, devint le maître de la
situation tout en ayant été condamné par Pierre pour avoir
sacrifié aux idoles. Mélèce consacra quelques évêques et or
donna des prêtres, constituant ainsi en sa faveur une petite
hiérarchie schismatique, mais non hérétique. Cette branche
illégitime, désavouée par Achillas et Alexandre, successeurs de
Pierre, ne fut jamais très vigoureuse, mais au début elle s'at
tacha à Arius, lorsqu'on le vit en lutte contre son évêque légi
time. Ces amitiés s'interrompirent plus tard, peut-être parce
que les méléciens ne voulurent pas se voir impliqués dans une
hérésie. Le concile de Nicée s'occupera aussi d'eux et les
ménagera plus que les ariens.

Nous aimerions avoir plus de renseignements sur la noble


figure de saint Alexandre, le premier juge d'Arius. Il était
évêque d'Alexandrie depuis 313 et il avait très probablement
été formé au Didaskaleion, ou école chrétienne, de cette ville,
que Clément, Origène, Denys et d'autres maîtres célèbres
avaient illustré. La jeunesse d'Alexandre peut avoir coïncidé
avec la période d'enseignement de Denys. Alexandre était
déjà très âgé quand il dut s'opposer à la doctrine erronée
d'Arius, curé de son diocèse. Ses écrits reflètent une âme
équilibrée et digne, un esprit aigu et une conscience toujours
prête à défendre avec énergie la foi orthodoxe. Il aura bientôt
à ses côtés, comme secrétaire et conseiller, le jeune diacre
Athanase, une figure éminente, un champion de la foi et un
des plus insignes Pères de l'Église.

Quand jaillit l'étincelle de l'arianisme ? Une opinion devenue


classique et soutenue par des historiens de très grande auto
rité, estime que le premier heurt public entre Arius et son
évêque eut lieu vers 318. On s'appuie pour cela sur le fait que
l'important synode qui fut réuni par la suite à Alexandrie pour
condamner la nouvelle hérésie supposait un régime de paix
38 NICÉE

religieuse. Or Licinius déchaîna sa persécution vers 320. Il faut


en outre laisser du temps pour les voyages longs et nombreux
dont nous ferons mention plus loin. En tout cas, lorsqu'à la
fin de septembre 324 Constantin pénétra dans son Empire
d'Orient après avoir vaincu Licinius, il y trouva des discordes
profondes, — et par conséquent déjà anciennes —, entre les
évêques, qui mettaient en ébullition des provinces entières à
propos de querelles théologiques *.

Le début de la dispute.

Il est très vraisemblable qu'Arius a commencé d'enseigner


ses erreurs sur le Verbe sans que le vieux prélat d'Alexandrie
s'en aperçoive aussitôt. Ainsi le dit expressément Épiphane, qui
a soin de souligner qu'en écoutant cette doctrine dans les
réunions paroissiales les gens formaient des partis, les uns se
groupant autour d'Arius tandis que les autres suivaient un cer
tain Colluthus, lui aussi curé, mais dont l'hérésie tourna court.
Selon le même historien, l'erreur contamina également Second,
évêque de Ptolémaïs, et les siens, avant qu'Alexandre eût pu
s'en rendre compte26.

Toutes les sources anciennes, y compris Constantin et Arius


lui-même, affirment ensemble que le premier heurt entre Arius
et son évêque eut lieu lors d'une réunion du clergé, et en
pleine église. Quelques documents précisent que l'assemblée
avait été expressément convoquée par Alexandre, alarmé
par les dénonciations qui lui avaient été faites sur le
curé de Baucalis. Il dut y avoir une dispute publique. Arius
accusa son évêque d'avoir proféré des expressions erronnées sur
la filiation du Verbe. Erronnées, mais seulement pour Arius.

* Pour toutes ces raisons, la plupart des historiens ont prêté peu d'at
tention à la théorie d'E. Schwartz qui situe le début de la controverse
arienne au cours de cette même année 324, peu avant la bataille d'An-
drinople. Pour notre part, nous nous rangeons ici à l'hypothèse qui fait
remonter à 318 les débuts de l'arianisme.
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 39

Dans sa version officielle, Constantin dit qu'Alexandre inter


rogea les assistants sur le détail d'une expression biblique. Pour
sa part, Socrate rapporte qu'Alexandre déclara dans cette
réunion qu'il y a, dans la Trinité, une « unité » ou « monade »,
ce à quoi Arius riposta qu'une telle assertion était sabellienne ;
dans l'ardeur de la polémique, il ajouta : « Si le Père a engen
dré le Fils, celui-ci a donc dû commencer à exister ; par consé
quent il y eut un moment où il n'existait point. » Il n'est pas
difficile d'harmoniser le contenu de toutes ces sources si l'on
reconnaît que, dans ce débat public, on touche le point névral
gique de la filiation divine du Verbe qu'Arius refusa d'admettre
dans son sens strict. D'autre part, étant donné que les premiers
documents sur la controverse initiale partent de cette diver
gence qu'ils considèrent comme la pierre d'achoppement, rien
de plus naturel que de la supposer à l'origine de la dispute.
Arius n'obéit pas à son évêque. Appuyé par ses amis, parmi
lesquels se trouvait probablement le clergé de sa paroisse, il
continua à répandre sa doctrine en y mettant, cette fois, toute
la véhémence de son amour-propre blessé, tout le prestige de
son ascendant personnel et de sa virtuosité dialectique. Il ne
semble pas que, lors de cette première assemblée locale, il ait
été excommunié, bien qu'on ait condamné sa doctrine et qu'on
l'ait invité à la corriger.
Devant l'attitude rebelle d'Arius, Alexandre se décida à
convoquer un synode des évêques d'Égypte et de Lybie. La
discorde entre chrétiens était si notoire que les païens et les
juifs en faisaient risée. Une centaine d'évêques se réunit donc
dans un concile qui ne commença probablement pas avant 320.
Arius comparut devant le synode ; il se refusa à changer un
seul iota à ses propos. Ce fut peut-être dans cette dispute,
comme le raconte Sozomène, que les évêques opposèrent à
l'erreur d'Arius qui faisait le Verbe postérieur au Père, l'affir
mation que le Fils est homoousios ou consubstantiel et coéter-
nel au Père27. Le verdict fut l'excommunication d'Arius, ainsi
que des clercs et des vierges qui le suivaient, et son expulsion
de la ville d'Alexandrie. Ce dernier fait est remarquable, car il
40 NICÉE

suppose la collaboration du pouvoir civil et par conséquent un


régime de paix religieuse.
Ses adeptes égyptiens de la première heure étaient Second,
évêque de Ptolémaïs, dans la Pentapole, et Théonas, évêque de
Marmarique, les prêtres alexandrins Achillas, Aithales, Carpon,
un autre Arius et Sarmate ; les diacres Euzoïus, Lucius, Julius,
Mènas, Helladius et Gaius (ou Macaire). A ceux-ci vinrent s'a
jouter, dans une deuxième vague, les prêtres Carès et Pistos et
les diacres Sérapion, Paramon, Zozime et Irénée. Pour apprécier
l'ascendant d'Arius, il est intéressant de mettre en face de ces
sept prêtres alexandrins les dix-sept autres qui signèrent sa
condamnation : Colluthus, Alexandre, Dioscore, Denys, Eusèbe,
Alexandre, Nilaras, Arpocrates, Agathon, Némesius, Longus, Sil-
vain, Pérus, Apis, Protério, Paul et Cyrus. Avec les diacres
d'Alexandrie et le clergé de la Maréotide, voisine de la capitale,
les clercs anti-ariens forment un total de quatre-vingts, contre
dix-huit pro-ariens.
Si Arius resta encore quelque temps à Alexandrie, sa situation
y devenait chaque jour plus difficile. Il est probable que les
méléciens rompirent alors avec lui. Condamné et traqué, il se
souvint qu'il avait, en Palestine et dans la Coelé-Syrie, un
groupe d'amis capables de l'aider : ses anciens condisciples
d'Antioche, à qui il pourrait s'adresser pour se protéger de la
persécution d'Alexandre. Il décida donc de s'enfuir.
La première étape de son voyage dut être Césarée de Pales
tine, où il fut bien reçu par Eusèbe. Ses condisciples Paulin
de Tyr, Théonas de Laodicée, Athanase d'Anazarbe, Grégoire
de Béryte et Aèce de Lydda, firent cause commune avec
lui. Par contre, Philogone d'Antioche, Hellenicus de Tripoli et
Macaire de Jérusalem se montrèrent opposés à ses doctrines.
C'est Arius lui-même qui nous le raconte dans une lettre
adressée à Eusèbe, son ami et compagnon d'études, lequel,
après avoir été évêque de Béryte, avait réussi à se faire nom
mer au siège beaucoup plus important de Nicomédie 28.
Après un certain temps, Arius se dirigea vers cette ville d'où
son puissant ami lui avait déjà écrit. Ce fut alors que l'héré
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 41

siarque resserra ses rapports d'amitié avec d'autres de ses


condisciples d'autrefois, comme Antoine, évêque de Tarse, son
successeur Ménophante et un sophiste laïc de Cappadoce,
Astérius. Ce dernier, après avoir apostasie pendant la persé
cution, deviendra après le concile de Nicée un des défenseurs
de l'arianisme. La liste des amis d'Arius s'enrichit encore des
noms de Patrophile de Scythopolis, de Narcisse de Néronias,
en Cilicie, de Maris de Chalcédoine et de Théognis, évêque
de Nicée. Il est possible que la conquête de ces derniers, qui
ne figurent point parmi les « lucianistes », ait été l'œuvre
d'Eusèbe de Nicomédie. Pour recenser dans leur totalité les
amitiés d'Arius, il nous faut mentionner le prêtre alexandrin
Georges qui, condamné par Alexandre et ayant fui à Antioche,
devint plus tard évêque de Laodicée et fut un « eusébien »
actif, ainsi que Léonce l'eunuque, qui devait être promu au
siège d'Antioche par les adversaires du concile de Nicée. Tout
ce parti arien de la première période aura beaucoup d'in
fluence, non seulement au concile de Nicée, mais davantage
encore dans la période post-nicéenne. Sans s'identifier avec
le protagoniste au moment de sa condamnation, cette intrigante
faction des « eusébiens » ou semi-ariens mettra Constantin en
difficulté et réussira à le tromper grâce à ses ignobles ma
nœuvres, au point de neutraliser l'œuvre du concile de Nicée
et d'obtenir la réhabilitation d'Arius.

Sitôt après avoir excommunié Arius et ses adeptes, Alexandre


d'Alexandrie avait dû envoyer, selon l'usage, une lettre synodale
à tous les évêques, ou tout au moins aux principaux d'entre
eux, en leur signalant les raisons de la condamnation et en les
priant non seulement de n'admettre ni Arius ni les siens à la
communion ecclésiastique, mais encore de répondre au siège
d'Alexandrie en renvoyant des lettres de communion qui équi
vaudraient à excommunier l'hérésiarque *. Pour leur part, Arius
et ses adeptes firent de même. La gravité de la situation, aug-

* Cf. Texte I, p. 249.


42 NICÉE

mentée probablement encore par le régime de persécution de


Licinius, rendit très vive la polémique épistolaire entre Ale
xandre et Arius. Les lettres synodales se multiplièrent. A la
fin du IVe siècle, on en conservait soixante-dix, écrites par
l'évêque d'Alexandrie. De ce copieux et puissant arsenal, deux
lettres seulement nous sont parvenues. Elles nous fourniront
l'occasion d'étudier le contraste entre les idées d'Arius et celles
d'Alexandre.
Venant d'Arius, nous avons encore un document autrement
audacieux. De l'hospitalière cité de Nicomédie, les ariens d'Ale
xandrie réunis en synode envoient à Alexandre, comme d'ail
leurs aux autres évêques, une lettre synodale dans laquelle ils
approuvent la doctrine d'Arius, qu'ils exposent synthétique-
ment29. Ils y déclarent qu'elle est la vérité orthodoxe et se
plaignent de son injuste condamnation qu'ils retournent contre
Alexandre. Ont signé cet intéressant document, outre Arius,
Aithales, Achillas, Carpon, Sarmate et un autre Arius, prêtres
que nous connaissons déjà, ainsi que les diacres Euzoïus,
Lucius, Julius, Menas, Helladius et Gaius et les évêques de la
Pentapole Second et Théonas. Un détail plus audacieux en
core : le prêtre Pistos figure comme évêque du siège d'Alexan
drie, probablement à la place de 1' « hérétique » Alexandre.
On se demande qui a bien pu l'élire *.

Dans l'exil tranquille de Nicomédie, qui devait durer plu


sieurs années, Arius se consacra à la rédaction d'un ouvrage de
propagande dont la forme était assez populaire puisqu'il était
conçu à la manière de Sotades, écrivain léger du nr3 siècle
avant Jésus-Christ. Il n'y aurait rien étonnant à ce que l'ancien
curé de Baucalis y ait reçu la visite des marins d'Alexandrie,
ses anciens paroissiens, et qu'il leur ait dédié cet écrit en prose
et en vers qui porte le titre bizarre de « Thalie » ou « Ban
quet d**. De nombreux fragments nous en sont parvenus, sur-

* Cf. Texte II, p. 252.


** Cf. Texte III, p. 254.
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 43

tout à travers les ouvrages dans lesquels saint Athanase se


donna la peine de le réfuter.
S'appuyant sur une lettre synodale, beaucoup d'auteurs pré
tendent que, vers la fin de 324 ou au début de 325, eut lieu à
Antioche un synode des évêques de Palestine, d'Arabie, de
Phénicie, de Syrie, de Cilicie et de Cappadoce, dans lequel on
discuta le cas d'Arius condamné par le « bien-aimé » Alexandre
d'Alexandrie *. Les évêques y proposèrent une formule de foi
anti-arienne, dans laquelle cependant ne se trouve pas le
terme homoousios. On y dit que tous les évêques souscrivirent
à la formule, sauf Eusèbe de Césarée, Théodote de Laodicée et
Narcisse de Néronias.qui furent de ce fait excommuniés comme
ariens. Cette lettre synodale contient certains éléments qui
incitent à la considérer comme authentique surtout parce
qu'elle cadre bien avec l'histoire d'alors et que les noms des
évêques signataires, dont les sièges ne sont d'ailleurs pas spé
cifiés, coïncident assez avec ceux qui assistèrent au concile de
Nicée. Mais il existe aussi des raisons de poids qui font douter
de l'existence de ce synode d'Antioche, à tel point qu'il ne
peut être considéré que comme probable. Les principaux argu
ments contre son existence sont les suivants : d'abord le
silence absolu des sources grecques et latines sur un événement
si important, rapporté seulement par une version syrienne
dans une compilation assez désordonnée de documents juri
diques ; puis le fait que nous retrouvons parmi les évêques qui
signèrent la lettre contre Arius ses propres amis, Paulin de Tyr
et Grégoire de Béryte ; enfin, d'après le plus ancien manuscrit,
le premier signataire est « Eusèbe » (lequel ? et pourquoi pas
Eustathe qui vient en second lieu ?), tandis qu'un autre, posté
rieur à l'édition du premier, met Osius à la place d'Eusèbe,
ce qui oblige, nous l'avons dit, à faire faire un long voyage par
voie de terre à l'évêque de Cordoue.
Il est un autre point obscur auquel il nous faut faire allusion.

* Voir le texte et l'étude de E. Seeberg, Die Synode von Antiochien


im Jahre 324-325, Berlin, 1913.
44 NICÉE

Au moment où, selon Eusèbe, Constantin, arrivé à Nicomédie et


mis au courant du grave désordre suscité par la controverse
arienne, écrivit à Alexandre et à Arius, ce dernier ne devait pas
être bien loin, car les sources ne disent pas qu'il se soit éloigné
de l'hospitalière Nicomédie.
Comment se fait-il alors que Constantin ne l'ait pas appelé
auprès de lui pour chercher une solution à la querelle, au lieu
de lui envoyer une lettre ? Devant cette difficulté, on peut
émettre une hypothèse : Arius, tout comme son ami Eusèbe de
Nicomédie, se serait d'abord caché par crainte de Constantin.
Cette idée se fonde sur les faits suivants : peu après Nicée,
lorsque Constantin décida d'exiler aussi Eusèbe, il lui reprocha
non seulement son opposition au concile, mais encore ses com
promissions avec le tyran Licinius. De fait, Eusèbe jouissait de
la bienveillance de Constantia, demi-sœur de Constantin et
femme de Licinius, même après la mort de ce dernier, tant et
si bien que ce fut elle, nous le verrons, qui fut le principal
soutien des « eusébiens ». Il est assez probable qu'Eusèbe ait
été déjà en bons termes avec Constantia pendant la guerre
que Constantin livrait contre Licinius et, par son intermédiaire,
avec Licinius lui-même. Il n'y aurait donc rien d'étonnant à ce
qu'Eusèbe et son ami Arius se soient momentanément éclipsés
quand arriva à Nicomédie le vainqueur de Licinius. D'autant
plus que Constantin arrivait accompagné de son conseiller
Osius, qui lui servait aussi d'agent de liaison avec l'Église.

Le contraste idéologique entre Arius et Alexandre d'Alexan


drie.

Le moment est venu de résumer la doctrine d'Arius et la


première réfutation dont il fut l'objet de la part de son évêque
Alexandre, dans les années qui précédèrent le concile de Nicée.
A cette fin, nous utiliserons les écrits des deux auteurs, dont
l'origine a été déjà mentionnée. Si la dispute prit par la suite
beaucoup plus d'ampleur théologique, néanmoins, dès ce pre
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 45

mier stade, elle nous apparaît dans ses lignes essentielles, nette
ment définies par les deux adversaires.

Le point de départ de l'arianisme réside en deux principes


faux qui lui permettent de construire de façon cohérente et
logique un système théologique. Arius pense que l'unique
« inengendré » (agénnètos) qui est Dieu le Père, doit être de
quelque manière antérieur au Verbe, car autrement il y aurait
deux « inengendrés » sans principe, ce qui détruirait l'unicité
de Dieu. D'où il suit qu'il y eut un moment où le Verbe n'exis
tait pas. Il n'existait pas avant d'être engendré.
Mais une génération stricte et naturelle du Verbe ne pour
rait non plus se comprendre sans que le Père ne perde, par
elle, quelque chose de son essence infinie et simple, puisque
la génération comporte de soi la communication d'une réalité
qui appartient à la nature. De là Arius déduisait que la filiation
du Fils n'était pas naturelle, mais bien adoptive, à la manière
de la filiation divine chez les hommes.
De ces deux principes dérivaient les conclusions suivantes :
le Verbe, appelé Fils de Dieu, n'est au fond qu'une créature
sortie du néant ; non pas un être éternel comme le Père, mais
un être produit par celui-ci comme instrument pour la création
de tous les autres êtres.
En tant qu'œuvre et créature du Père, le Fils ne provient pas
de l'essence de Dieu ; il ne partage pas cette essence ; il est
sorti du néant par l'effet de la volonté du Père.
En tant qu'il est une créature différente de la substance
divine, le Fils de Dieu est sujet au changement et à la souf
france, aussi bien physiquement que moralement.
Afin d'atténuer cette théorie qui restreignait la gloire du
Verbe, Arius ajoute que le Fils n'est pas une créature comme les
autres, produite suivant le mode ordinaire, mais qu'il est un être
d'exception, comblé de privilèges, le chef-d'œuvre produit par
Dieu, une créature dont l'insurpassable perfection morale se
manifesta dans la fidélité absolue avec laquelle elle accomplit,
46 NICÉE

pendant sa vie mortelle, la volonté du Père. Par l'effet de la


grâce et de sa très fidèle coopération, le Verbe fut parfaitement
saint, sans le moindre péché, et mérita ainsi pour lui-même et
pour nous la glorification c'est-à-dire le salut dans la gloire du
ciel. Il n'y a rien d'absurde au fait qu'une créature si particu
lière puisse être notre Sauveur, alors que Moïse, beaucoup
moins parfait, un simple homme, fut appelé sauveur du peuple
d'Israël.
Il semble qu'Arius ajouta à ces erreurs celle de penser que
le Verbe avait assumé seulement un corps mortel, mais non
une âme humaine. Cette erreur a été aussi attribuée à son
maître Lucien d'Antioche.
Le curé de Baucalis, pour justifier sa doctrine, recourt à la
Sainte Écriture sans guère se préoccuper de raisons philoso
phiques. Il cite quelques textes se référant au Christ dans les
quels se trouve le mot « fait », qui n'a pas toujours d'ailleurs
un sens absolu (v. g. Col 1, 15 ; Hé 3, 2 ; 1 P 3, 15 ; Ac 2, 36).
Mais il brandit surtout le verset des Proverbes (8, 22) dont le
texte grec disait : « Le Seigneur — c'est la Sagesse qui parle —
m'a créée (éktisé) comme principe de ses chemins ». Ce passage
mit en difficulté les Pères orthodoxes et fut le talon d'Achille
que visait l'argumentation arienne.

Faisant face aux erreurs d'Arius et s'appuyant sur « les


dogmes apostoliques de l'Église », Alexandre professe que le
Fils de Dieu est coéternel au Père et qu'il n'est en aucune façon
un être tiré du néant. Il procède du Père par génération natu
relle au sens strict. Pour fonder ses assertions, l'évêque d'Ale
xandrie fait appel au prologue de l'Évangile de saint Jean, où
l'on parle du Verbe qui était au commencement auprès du
Père et par lequel tout a été créé. Or, si entre le Verbe et le
Père il existait un intervalle, celui-ci n'aurait pas été créé par
le Verbe. En outre, si le Père existait seul au commencement,
comme le voulait Arius, cela reviendrait à dire qu'il était une
lumière sans rayonnement, un modèle sans image, un Dieu
sans « Sagesse » et sans « Parole ». Il ne faut pas craindre d'ad
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 47

mettre que le Père engendre vraiment puisqu'il y a une diffé


rence considérable entre la génération divine et les générations
humaines. Ce n'est que dans la génération animale que l'on
observe l'altération, la division, la perte chez le générateur
d'une partie de sa substance. Il n'y a donc pas lieu de com
parer la génération divine du Verbe avec la nôtre, qui est
purement adoptive.
En tant que fils par nature, le Verbe est parfaitement égal
au Père, dont la seule caractéristique particulière est d'être
«inengendré». C'est uniquement dans ce sens que l'on peut
dire le Père « plus grand » que le Fils. Pour tout le reste,
aucune différence ne saurait être conçue entre le Père et le
Fils, car s'ils constituent sans doute deux « hypostases » ou per
sonnes, le Fils n'en est pas moins pour autant l'image absolu
ment parfaite du Père, et comme son miroir.
En toute logique, Alexandre peut donc affirmer que le Fils
de Dieu, Dieu lui-même, n'est pas sujet au changement.
Alexandre cite encore des textes bibliques pour fonder son
exposé. Il rappelle, entre autres, plusieurs passages qui parlent
du « propre Fils », du « Fils bien-aimé » du Père (Mt 3, 17 ;
17, 5 ; Ps 2, 7 ; 109, 3). En plus de l'Écriture, il argumente à
partir de la tradition, notamment d'une sorte de symbole de foi
qui devait être connu à Alexandrie et qu'il entremêle de gloses.
On lit dans ce symbole : « Et (nous croyons) en un Seigneur
Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, engendré non de ce qui
n'existe pas, mais du Père qui existe, non à la manière des corps
par division ou émanation de divisions, comme pensent Sabel-
lius et Valentin, mais d'une manière ineffable et inexplicable,
selon ce qui a été dit et que nous avons déjà cité : Sa géné
ration qui pourra l'expliquer ? 30 »

Une présentation schématique des antithèses où s'apposaient


Arius et Alexandre nous aidera à comprendre la gravité de la
blessure que l'arianisme provoquait dans le dogme traditionnel
de l'Église.
48 NICÉE

ARIUS ALEXANDRE

Le Verbe n'a pas coexisté de Le Verbe coexiste avec le Père


toute éternité avec le Père. depuis le commencement.
Le Verbe a été créé du néant. Le Verbe ne fut pas créé, c'est
lui qui a tout créé.
Le Verbe n'est pas Fils natu Le Verbe est Fils, non par
rel et proprement dit du Père. adoption mais par nature.
La nature du Fils ne procède Le Fils possède une nature
pas de celle du Père. égale à celle du Père.
Le Verbe a commencé à exis Le Verbe existe par la com
ter par un acte de la volonté munication de l'essence du
du Père. Père.
Le Verbe est par nature sujet Le Verbe, de par sa nature
au changement, physiquement divine, n'est pas sujet au chan
et moralement. gement ni à la souffrance.

L'erreur arienne est donc, on le voit, une erreur proprement


trinitaire puisqu'elle porte sur le Verbe avant même l'incarna
tion et sans considérer celle-ci. Ce qui ne veut pas dire
qu'Arius n'a pas tiré parti de quelques textes qui font état
des limitations du Verbe incarné ; Arius attribua donc, lui
aussi, comme le feront plus tard les maîtres alexandrins, les
actes humbles et humains du Christ au Verbe, sujet unique
de toutes ses actions.
L'enseignement d'Arius nie de toute évidence la divinité du

SYMBOLE CHRETIEN ►
Rien n'atteste mieux In diffusion du christianisme que la pré
sence du symbole chrétien dans la vie de tous les jours et sur
les objets les plus usuels. Le « signe » que d'après le rapport
d'Eusèbe (Vite Const. I, 31) Constantin aurait vu avant la
victoire du Pont Milvius ne se retrouve pas seulement sur les
emblèmes militaires et sur les monnaies. La poignée d'une
lampe de bronze combine le monogramme du Christ à l'Alpha
et l'Oméga qui, selon l'Apocalypse, symbolisent sa divinité.
(Campo Santo Teutonico, Rome. Cliché Ist. Archeol. Tedesco,
Rome).
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LES ORIGINES DE L'ARIANISME 49

Verbe, qu'il continue pourtant d'appeler Fils de Dieu pour ne


pas s'écarter de l'usage constant des Écritures. Devenu ainsi
une sorte de supercréature et destiné à être quelque chose
comme le Démiurge des gnostiques ou la Raison des néo-plato
niciens, ce Verbe nous apparaît comme une divinité d'ordre
secondaire, un peu semblable à ce dont parlaient plusieurs
théories gnostiques de l'époque. D'autre part, l'hérésiarque
croyait faire injure à la simplicité essentielle du Verbe en
l'appelant émanation ou émission du Père et il détestait l'épi-
thète de « consubstantiel » ou homoousios, car il y voyait
l'image d'une masse qui aurait été ensuite divisée en deux
morceaux divers mais homogènes.
Si Arius ne fut pas capable d'accepter la divinité du Verbe
en son sens véritable, ce fut parce qu'il n'avait pas une idée
adéquate de sa filiation divine, clairement révélée dans le Nou
veau Testament, comme l'argumentation d'Alexandre l'avait
mis en lumière. C'est pourquoi, aussi bien alors que plus tard
au concile de Nicée, le problème prit deux formes équiva
lentes : le Verbe est-il ou n'est-il pas Dieu ? Est-il ou n'est-il
pas le vrai Fils du Père ?

Le désaccord sur la date de Pâques.


Dès le début de la vie de l'Église, une difficulté avait surgi
pour établir la date de Pâques, qui avait tout de suite occupé
la première place parmi les fêtes chrétiennes *. On s'explique
facilement que la première génération judéo-chrétienne ait con-

Voir H. Leclercq, art. Pâques, DACL XIII, 1521-1553.

4 CONSTANTIN LE GRAND
Plutôt que l'empereur romain antique, c'est le donateur d'église
que les mosaïstes byzantins ont choisi pour représenter
Constantin sur les murs de Sainte-Sophie (fin x« siècle). Sur
un fond d'or, ceint d'un diadème que domine la croix, vêtu
comme un basileus, la tête nimbée, l'empereur tient dans ses
mains une église. Cette offrande symbolise bien l'attitude
spirituelle de celui qui donna à la religion chrétienne la liberté
et la paix (.Cliché Skira).
50 NICÊE

tinué de fêter la Pâque au même jour que les juifs, c'est-à-dire


le 14 du mois de Nisân, premier des douze mois lunaires dont
se composait l'année. Ce jour-là, on recevait dans l'Eucharistie
le nouvel « Agneau qui enlève le péché du monde ». Cette com
munion représentait, semble-t-il, pour les « quartodécimans »,
ainsi appelés en raison du quatorzième jour, le moment le plus
important et le plus caractéristique de la Pâque qui, en consé
quence, célébrait la Passion et la mort du Seigneur plus que sa
Résurrection. Logiquement, le jeûne correspondant précédait
le solennel 14 Nisân qui était le jour de la Pâque. Il est égale
ment naturel que cette génération ait suivi les calculs des juifs,
beaucoup plus experts en la matière que les premiers chrétiens.
En Europe, où l'influence juive se faisait moins sentir, et
notamment à Rome, déjà au début du n" siècle, on décida de
faire coïncider la Pâque non pas avec le 14 du mois de Nisân
mais avec le dimanche suivant, car on fêtait avant tout la
Résurrection, et le Christ était ressuscité à l'aube du premier
jour de la semaine après le samedi. Par conséquent le jeûne
stationnai commençait à Rome le Vendredi-Saint.
Les Asiatiques maintinrent, pendant le rr5 siècle, la règle
c quartodécimane », ce qui donna naissance à plusieurs crises.
En 154-155, saint Polycarpe de Smyrne, le vénérable disciple
de saint Jean l'Évangéliste, se rendit à Rome pour convaincre
le pape Anicet d'accepter la pratique de l'Asie. L'un et l'autre
s'en tinrent à leur propre usage, ce qui ne nuisit d'ailleurs
pas à leur amitié 31.
Par contre, un schisme très grave faillit éclater, lorsque le
pape africain Victor (188-189) voulut imposer à tous les évêques
asiatiques, sous peine d'excommunication, l'obligation de célé
brer la Pâque le dimanche. L'opportune intervention d'Irénée
de Lyon obtint qu'on leur laissât la liberté de conserver leur
usage s2.
Le calcul juif avait plusieurs défauts. Les douze mois lunaires
comportaient une différence de onze jours et trois heures par
rapport à l'année solaire. Aussi ajoutait-on un autre mois lunaire
tous les deux ou trois ans. Cette année plus longue s'appelait
LES ORIGINES DE L'ARIANISME 51

« embolismique ». Plus tard seulement on s'aperçut, contre l'avis


des juifs, que le 14 Nisân ne coïncidait pas toujours avec
l'équinoxe du printemps.
Cela ne fit qu'accroître chez les chrétiens le désir d'affirmer
leur indépendance par rapport aux juifs en faisant de nouveaux
calculs pour la date de la Pâque ; le principe qui prévalait
était qu'elle serait toujours un dimanche, le dimanche qui
suivait l'équinoxe de printemps.
Hippolyte (222) semble avoir été l'auteur du premier comput
chrétien qu'il organisa en un cycle de seize ans 33. D'après son
calcul, la Pâque devait osciller entre le 16 et le 22 du mois
lunaire. Il est probable que ce comput servit de règle à Rome
jusqu'à la fin du nr3 siècle. Il n'était pourtant pas exact, car il
avait trois jours en trop chaque année, soit un mois tous les
cent ans, ce qui risquait de faire coïncider la Pâque avec un jour
antérieur à l'équinoxe.
L'affaire devint encore plus compliquée quand les Égyptiens
commencèrent à considérer comme équinoxe celui de l'année
en cours, tandis qu'à Rome on avait adopté moins logiquement
celui du jour de la création. L'équinoxe romain, selon la réforme
du calendrier effectuée par Jules César, coïncidait avec le
25 mars ; la Pâque pouvait cependant être anticipée jusqu'au
20 mars.
L'auteur anonyme du traité africain De Pascha computus
rédigé vers 234, fournissait un autre calcul qui supprimait les
trois ans excédentaires dHippolyte, mais qui, par contre, n'était
pas fixé autour de l'équinoxe 34. Nous ignorons si Rome adopta
ce cycle.
Plus importants furent les calculs faits dans la docte cité
d'Alexandrie au me siècle. Vers 232, l'évêque Démétrius com
muniqua à ses collègues de Jérusalem, d'Antioche et de Rome
une étude sur la date de la Pâque qui ne nous est pas par
venue ; elle leur apprenait la manière de déduire cette date du
comput juif. Un peu plus tard, Denys d'Alexandrie élabora un
cycle pascal de huit ans et c'est à partir de ce moment que
le siège d'Alexandrie prit l'habitude d'annoncer chaque année
52 NICÉE

aux autres diocèses égyptiens la date de la Pâque suivante.


Plus parfait encore fut le cycle de dix-neuf ans élaboré en 277
par le savant alexandrin Anatole, plus tard évêque de Laodicée.
La Pâque pouvait tomber du 15 au 22 du mois lunaire, et
du 22 mars au 25 avril.
Pour sa part, Rome adopta vers la fin du m° siècle un cycle
pascal de quatre-vingt-quatre ans, appelé augustalis, d'après
lequel la Pâque pouvait varier entre le 14 et le 20 du mois
lunaire et entre le 25 mars et le 21 avril. En 312, ce calcul subit
une modification et, sous le nom de supputatio romana, fut en
vigueur à Rome durant le iv8 siècle et le v8 siècle. La Pâque
tombait entre le 16 et le 22 du mois lunaire et entre le 22 mars
et le 21 avril.
En raison de cette situation, aucune uniformité dans le
comput pascal n'existait entre Rome et l'Égypte à la veille du
concile de Nicée. Cela ne donnait cependant pas lieu à des
discordes, en raison de l'éloignement des deux régions. Il y
avait par contre des dissensions entre l'Égypte, dont l'usage
couvrait presque toute l'Anatolie, et les Églises de Syrie, de
Mésopotamie et d'une partie de la Cilicie. La proximité et le
mélange de leurs fidèles produisait des contrastes ridicules ;
ainsi, tandis qu'une partie des chrétiens étaient encore plongés
dans la tristesse et dans le jeûne, les autres se réjouissaient
déjà dans les fêtes pascales. Cette fâcheuse différence provenait
de ce que ces provinces, tout en célébrant la Pâque le di
manche, suivaient dans leur comput les calculs juifs qui n'accor
daient plus aucune importance à l'équinoxe du printemps.
Constantin, personnellement, trouvait insupportable que, pour
célébrer la Résurrection du Seigneur, les chrétiens pussent
dépendre des juifs qui étaient, à ses yeux, les responsables du
déicide et qui, de plus, se trompaient dans leurs calculs.

Un conflit étendu et profond sur la divinité du Verbe ainsi


qu'un désaccord sur la date de Pâques : tels étaient les deux
graves problèmes que l'empereur voulait résoudre en convo
quant le premier concile œcuménique de Nicée.
CHAPITRE m

LE DÉROULEMENT DU CONCILE
DE NICÉE

Les Pères du concile.


Les Actes officiels du concile de Nicée n'existent plus. Ceux
que Gélase de Cyzique a eu en mains comme ceux qui
sont rapportés en langue copte ou éthiopienne n'offrent pas de
sérieuses garanties d'authenticité. Il faut pourtant admettre
qu'on a dressé des actes de ces séances présidées par l'empe
reur en personne et destinées à avoir des effets civils. Saint
Jérôme et quelques autres écrivains du rv° siècle semblent y
faire allusion. De ce recueil officiel ont dû provenir, selon toute
vraisemblance, les seuls documents directs qui nous soient
parvenus du concile : le symbole, les canons, la liste des
évêques et une lettre synodale.

Pour lire ce catalogue des Pères de Nicée, confirmé en partie


par d'autres écrivains de l'Antiquité et conservé en plusieurs
langues, il convient de procéder d'abord à la présentation des
principaux personnages qui assistèrent au concile *. Combien
de Pères y eut-il ? Eusèbe parle de plus de deux cent cinquante.
Athanase, témoin oculaire lui aussi, en dénombre une fois
trois cents, mais il précise ailleurs qu'il y en avait trois cent
dix-huit. Ce chiffre, répété par les historiens anciens, devint

* Voir E. Schwartz, Vber die Bischoflisten der Synoden von Chedke-


don, Nicaea und Konstantinopel, Munchen, 1937.
54 NICÊE

proverbial, si bien que parler des « trois cent dix-huit Pères »


revint à nommer le concile de Nicée. On n'oublia pas d'ailleurs
de faire remarquer que les serviteurs d'Abraham étaient aussi
trois cent dix-huit (Gn 14, 14) : un nombre sacré !
Parmi tous les Pères se distinguait Osius, évêque de Cordoue,
qui n'était pas seulement le conseiller toujours écouté de Cons
tantin, mais aussi le véritable représentant du siège de Rome,
occupé alors par le pape Sylvestre. Des indices montrent
nettement qu'Osius était chargé de représenter le pape.
Outre l'affirmation de Gélase de Cyzique, on constate qu'il
est toujours le premier nommé dans les listes épiscopales et
que la délégation envoyée de Rome se composait seulement
de deux prêtres, Vitus et Vincent, alors que la règle suivie
dans tous les autres conciles exigera que le premier des légats
fût un évêque. Pendant le concile Constantin demeurera du
côté de l'orthodoxie avec autant d'habileté que d'efficacité.
C'est à Osius qu'il faut en attribuer le mérite.
Il n'est plus besoin de parler d'Alexandre d'Alexandrie, le
premier adversaire d'Arius. Un autre des champions anti
ariens était Eustathe, récemment élevé au siège d'Antioche.
Malheureusement, la presque totalité des écrits de cet insigne
Père ont disparu, notamment son ouvrage capital contre les
ariens. Ceux-ci ne lui pardonnèrent jamais son attitude cons
tamment hostile et, pour se venger, finirent par obtenir, par
de troubles manigances, sa déposition et son exil, en 330 *.
L'évêque de Jérusalem, Macaire, s'était opposé dès le début à
la doctrine arienne. Athanase, qui le connaissait bien, le vante
comme un homme apostolique et de foi intègre. On ne pourrait
pas dire la même chose d'Eusèbe, évêque de Césarée. L'im
mortel historien de l'Église n'était en théologie qu'une figure
médiocre et hésitante. A partir du concile, il recherche la faveur
de Constantin et l'obtient peu à peu. Opportuniste et courtisan,
il signera d'abord le symbole orthodoxe de Nicée, avant d'aller
renforcer plus tard les manœuvres indignes des semi-ariens.

* Cf. ci-dessous p. 123.


LE DÉROULEMENT DU CONCILE 55

Les personnages les plus représentatifs du plateau central


de l'Asie Mineure furent Léonce, évêque de Césarée de Cappa-
doce, qu'avait consacré en 312 Grégoire l'Illuminateur, l'apôtre
de l'Arménie, et Marcel, évêque d'Ancyre en Galatie, anti-arien
inflexible, mais qui devait plus tard remettre en circulation
des idées assez semblables à celles de Sabellius, qui seront
condamnées par le premier concile de Constantinople *. Il
faut nommer enfin le thaumaturge Nicolas, évêque de Myre,
le saint probablement le plus vénéré de l'Orient.
Quelques-uns des évêques de Nicée portaient encore visibles
les signes glorieux du « martyre ». Ainsi Paul de Néo-Césarée,
dans le Pont, avait souffert de la cruauté de Licinius, celui-ci lui
ayant fait brûler les nerfs des mains, dont il pouvait à peine
se servir. Paphnuce, évêque d'Égypte, et Maxime, successeur de
Macaire sur le siège de Jérusalem, avaient été condamnés par
Maximin ad metalla et on leur avait crevé un œil. Jacques de
Nisibe, diocèse voisin de la Perse, jouissait d'une grande répu
tation de charismatique ; on racontait qu'il avait ressuscité
deux morts.
Nous n'avons plus besoin de présenter, parmi les Orientaux,
Arius et ses compagnons d'études, les évêques « lucianistes »
dirigés par Eusèbe de Nicomédie. Par contre, il faut mention
ner rapidement Potamon d'Héraclée, auquel on avait aussi
arraché un œil pour le Christ, Spiridion de Chypre, et deux
évêques dont les sièges étaient situés hors de l'Empire Romain :
Jean de Perse et Théophile de Scythie.
Plus courte est la liste des évêques occidentaux. A part
Osius, les catalogues officiels signalent la présence intéressante
de Cécilien de Carthage, l'évêque que Constantin avait pré
cédemment défendu contre les attaques des donatistes, un
certain Marc, de Calabre, un certain Nicaise, de Gaule, et
Domnus de Pannonie.
On notera plus tard avec raison qu'au concile de Nicée
avaient siégé des évêques déjà excommuniés par des synodes

Cf. ci-dessous p. 208.


56 NICÉE

provinciaux, comme Second et Théonas, pour ne rien dire du


prêtre Arius, le chef de l'hérésie.

Avec les évêques, une multitude proportionnée de prêtres et


de diacres envahit Nicée. Parmi ces derniers, citons le jeune
secrétaire d'Alexandre d'Alexandrie, Athanase, qui, au dire de
saint Grégoire de Nazianze, se distingua entre tous par ses
interventions. Athanase sera le plus héroïque et le plus formi
dable adversaire de l'arianisme. Remarquons qu'en plus du
clergé, quelques dialecticiens laïcs et peut-être même païens,
dont la fonction était de disputer dans les coulisses sur les
thèmes proposés, étaient venus, sinon au concile lui-même, tout
au moins à son occasion. Tout porte à croire que ces contro-
versistes professionnels avaient été amenés par quelques
évêques inhabiles à l'emploi de la dialectique. Jusqu'alors, pra
tiquement, pour se fournir d'arguments, on n'avait pas eu
recours à la philosophie ni à la dialectique, mais uniquement
aux textes de la Bible et à la tradition ecclésiastique. Quelques
années plus tard, un évêque macédonien, Sabinus, qualifia
d'ignorants les Pères de Nicée, Eusèbe de Césarée et naturel
lement aussi Constantin étant exceptés. Pour montrer l'injustice
d'un tel reproche, il suffit de rappeler les noms d'Osius,
d'Alexandre d'Alexandrie, d'Eustathe d'Antioche, sans oublier le
diacre Athanase. Il faut pourtant reconnaître que le concile
de Nicée ne compta pas parmi ses évêques des étoiles de pre
mière grandeur comme d'autres conciles œcuméniques. Qui
sait si cette déficience ne fut pas une des raisons pour les
quelles l'arianisme ne reçut pas alors le coup de grâce ?
Le rapport optimiste d'Eusèbe nous raconte que la réunion
des Pères de Nicée fut 1' « œuvre de Dieu » qui permit à ceux
qui habitaient si loin les uns des autres de se rassembler dans
une ville qui les portait maintenant à la manière d'une « grande
couronne de hiérarques faite de fleurs belles et variées » 3B.
LE DEROULEMENT DU CONCILE 57

Les discussions préalables.

Vers le milieu de mai 325, les Pères du concile se trouvaient


déjà réunis à Nicée, — « la Victorieuse » qui n'est plus aujour
d'hui, sous le nom d'Isnik, qu'un petit village insignifiant. C'était
alors une ville suffisamment importante pour être un diocèse
épiscopal et pour avoir un palais impérial. Située dans le voi
sinage de la Propontide, la mer de Marmara actuelle, sur le
promontoire asiatique de l'Anatolie, Nicée se mirait dans le lac
Ascanius et était, après Nicomédie, la principale ville de la
Bithynie. On se souviendra que Nicomédie était alors résidence
impériale en tant que capitale de l'Empire d'Orient. Une nou
velle capitale, Constantinople, allait bientôt surgir de l'autre
côté de la Propontide.
Les plus anciens historiens nous font savoir qu'avant le
début du synode il y eut déjà entre les évêques, les clercs et les
philosophes venus à Nicée des rencontres et des disputes sur
les points en litige. Rien de plus naturel. Arius et ses « lucia-
nistes » devaient essayer de mesurer leurs forces et de prépa
rer le terrain en convainquant des évêques de foi simple grâce
aux habiles dialecticiens. Les anti-ariens, de leur côté, ne se
gênaient certainement pas non plus pour faire de même ; dans
leurs rangs le jeune Athanase servait sans doute de porte-
parole.
Rufin signale la présence d'un philosophe, polémiste très
adroit au service de l'arianisme, qui échappait comme une
anguille aux filets des raisonnements de ses adversaires. Ce
fut alors qu'un « martyr », homme d'âge et d'âme simple, lui
fit face en formulant brièvement une sorte de symbole de foi
et en lui demandant s'il était d'accord sur ces vérités. Le
philosophe, à la fois déconcerté et illuminé par cette argu
mentation, professa qu'il croyait. Dans ce cas, lui répondit le
vieillard, viens avec moi dans l'Église et reçois le sceau de
cette foi. Le dialecticien devint chrétien 36.
Il serait téméraire d'admettre comme certaines ces longues
discussions entre Osius, Eusèbe de Césarée et un philosophe
58 NICÉE

payé par Anus, et bien d'autres encore que nous rapporte


Gélase et qu'il déclare empruntées à des actes authentiques.
Nous ne voulons pas dire par là qu'en ces controverses tout soit
inacceptable pour des raisons de critique interne ; mais les dif
ficultés internes, elles aussi, ne manquent pas qui conseillent la
prudence, même si on laisse de côté le ton artificiel du récit et
les garanties insuffisantes du témoignage externe. Plus sobre
et plus acceptable nous paraît l'affirmation de Sozomène, selon
lequel les discussions entre Arius et ses adversaires portaient
sur le droit d'introduire ou non des modifications dans la foi re
çue des anciens. Pour certains, la foi traditionnelle ne pouvait
être touchée, ce qui était sans doute la thèse des anti-ariens 37.
Les « lucianistes », de leur côté, soutenaient qu'il ne fallait pas
suivre aveuglément la doctrine ancienne mais la comprendre
et la nuancer convenablement.

Cette atmosphère d'antagonisme dans laquelle on vivait à la


veille du concile rend très probable l'épisode raconté briève
ment par Eusèbe et Rufin, et plus longuement par Sozomène 38.
Ce dernier rapporte que lorsque Constantin se rendit à Nicée
avant que les sessions ne commencent, il se trouva devant une
masse d'accusations que beaucoup d'évêques et de prêtres por
taient contre leurs confrères. L'empereur ordonna que toutes
les dénonciations fussent présentées le même jour. Tenant alors
en mains tous les libelles accusateurs, Constantin déclara qu'il
les remettait au jour du grand Jugement où le Juge universel
déciderait. N'étant qu'un simple homme, il n'acceptait pas
d'entrer dans ces querelles qui opposaient des prêtres à des
prêtres. Il ne fallait pas condamner, pour ne pas être condamné.
Finalement il invita tout le monde à imiter la clémence divine
et à faire réciproquement la paix pour se consacrer aux pro
blèmes de la foi, qui étaient la vraie raison d'être de l'assem
blée. Ceci dit, il fit brûler les libelles et fixa la date à laquelle
commencerait le concile.
LE DÉROULEMENT DU CONCILE 59

L'inauguration solennelle.

Le concile de Nicée eut lieu dans la salle principale du palais


impérial et non dans une église, comme l'imposera une habi
tude plus tardive. D'ailleurs il est assez probable qu'immédia
tement après la persécution il n'y avait à Nicée aucune église
capable d'abriter dignement cette nombreuse assemblée. Le
fait d'avoir les évêques en « son » palais dut permettre à
Constantin de se sentir plus facilement encore le maître de
la situation.

Quand l'empereur arriva à Nicée le 20 mai 325 pour ouvrir


le concile, ses oreilles retentissaient encore des louanges qu'il
avait entendues en ces jours des fêtes de la victoire, célébrées
à Nicomédie.
Eusèbe se plaît à nous donner les détails de la première
séance, comme s'il était chroniqueur impérial 39. Quel que soit
son penchant à l'adulation il n'y a pas de raison de rejeter ce
qu'il raconte dans sa relation. Tous les Pères se trouvaient
assis sur deux rangs lorsqu'entrèrent en premier lieu les amis
et les serviteurs de Constantin, tous chrétiens, puis l'empereur
lui-même, magnifique, habillé de pourpre, resplendissant mais
modeste et digne tout à la fois. Les évêques se levèrent à son
arrivée et il ne s'assit sur le trône qu'après qu'ils l'en eurent
prié. *
Ensuite, Y « évêque qui se trouvait le premier à sa droite »,
selon l'expression du même Eusèbe, salua Constantin par un
bref discours de remerciement. Cet évêque était Eusèbe lui-
même, d'après Sozomène, ou Eustathe d'Antioche, si l'on en croit
Théodoret. Comme ce ne fut pas Osius qui parla au nom du
concile, peut-être parce qu'il ne maîtrisait pas suffisamment le
grec, il est plus vraisemblable que le premier siège était occupé
par l'évêque d'Antioche, l'évêque d'Alexandrie étant alors sub
judice.

* Cf. Texte IV, p. 256.


60 NICÉE

En réponse, Constantin adressa aux Pères une allocution


aussi polie que diplomatique, mais assez sincère pour leur
manifester une fois de plus son désir ardent de voir triompher
la concorde dans l'Église. Il le fit avec tact et prudence, sans
toucher au fond même des problèmes.
J'ai longuement souhaité vous voir, dit-il en résumé, et je
remercie Dieu de vous avoir ici présents. Le Malin ayant été
vaincu en la personne de ceux qui faisaient la guerre à Dieu,
nous ne pouvons permettre que ses blasphèmes attaquent
maintenant la loi divine. Je trouve que la discorde à l'intérieur
de l'Église est plus funeste encore et plus dangereuse que les
guerres. Vainqueur dans la guerre, j'ai pensé que le temps était
venu de jouir du triomphe. Mais quand la nouvelle de vos
dissensions parvint jusqu'à moi, j'ai compris qu'il ne s'agissait
pas d'une affaire sans importance et, désireux de porter re
mède à ce mal, « je vous ai immédiatement tous réunis ». D'où
ma joie de vous voir autour de moi. Mais cette joie ne sera
complète que le jour où je vous verrai tous unis en esprit,
dans cette paix que vous, en tant que prêtres, recommandez
aux autres. Travaillez donc à cela et faites disparaître le plus
tôt possible tous les obstacles qui empêchent la concorde et
la paix. Ce faisant, vous ferez une œuvre agréable à Dieu et à
moi 40.
Constantin prononça son discours en latin, en raison proba
blement de son peu de maîtrise du grec ; on en donna ensuite
la traduction. Les évêques devaient être émus devant un
spectacle si nouveau et si extraordinaire. N'était-ce pas un rêve
qu'après deux longs siècles de persécution l'empereur victo
rieux voulût lui-même prendre sous sa protection personnelle
la hiérarchie chrétienne et veiller avec tant de zèle à la garder
unie dans la foi ?
Il est hors de doute que Constantin exerça la présidence d'hon
neur du concile, au moins pendant les séances consacrées à
la question arienne et au conflit sur la date de Pâques. Et
même si l'on doit tempérer l'enthousiasme d'Eusèbe lorsque,
LE DÉROULEMENT DU CONCILE 61

dans une lettre écrite immédiatement après le concile et dans


sa biographie de l'empereur, il souligne les interventions ac
tives de Constantin pour que les discussions aboutissent à
des opinions concordantes, il faut admirer qu'il ne se soit pas
borné à siéger sur son trône d'or tandis que les Pères discu
taient. Son action en faveur de la concorde fut noble, discrète
et efficace. Si bien des Pères signèrent le symbole ce fut sûre
ment pour ne pas déplaire à l'empereur qu'on admirait et
qu'on craignait. La présidence ecclésiastique dut être exer
cée par Osius, qui, on l'a dit, représentait le siège de Rome.
Eusèbe continue son récit par l'épisode des lettres d'accusa
tion que nous avons préféré placer à la veille du concile, sui
vant sur ce point Sozomène. Quoique les documents, qui sont
plutôt des résumés, ne respectent pas toujours l'ordre chrono
logique, nous pensons que déjà, lors de cette première séance,
on aborda d'une certaine façon la question dogmatique.

Les débats sur Tarianisme.

Les « lucianistes », sympathiques à Arius, furent les premiers


à prendre la parole. Ils proposèrent une formule de foi que
nous ne connaissons pas. Eustathe, un des témoins, affirme
que l'auteur en était Eusèbe de Nicomédie. Théodoret l'attribue
pour sa part à Ménophante d'Ephèse, à Patrophile de Scytho-
polis, à Théognis de Nicée, à Narcisse de Néronias et aux
immanquables Second de Ptolémaïs et Théonas de Marma-
rique. Le document était à peine lu qu'une furieuse protesta
tion s'éleva dans la salle.

Cette première formule ainsi écartée, Eusèbe de Césarée


intervint pour proposer que l'union de tous se fît autour du
symbole de foi que son Église professait depuis toujours
comme traditionnel, celui qu'on employait sûrement pour ad
mettre au baptême41. Eusèbe nous transmet textuellement ce
Credo qui est la première des formules officielles dont nous
62 NICÉE

ayons connaissance *. Jusqu'alors, il n'existait aucun symbole


universellement admis par toutes les Églises. Certaines citations
plus longues et même de simples allusions nous permettent
d'affirmer qu'en Occident s'était répandu le symbole qui reçut
plus tard le nom de « Symbole des Apôtres », symbole constitué
par une profession trinitaire, un cycle christologique et des
articles sur la résurrection finale et sur l'Église. Le symbole
de Césarée, par contre, ne contient pas ces dernières affirma
tions et présente d'autres nuances dans le cycle christologique.
Tandis que le symbole romain ou « des apôtres » parle en
termes directs et historiques : « naquit », « fut crucifié », « sous
Ponce Pilate » et « enseveli », le symbole de Césarée emploie
des termes intentionnels qui soulignent l'aspect proprement
théologique avec un ton anti-docériste et par conséquent anti-
gnostique : « fait chair », « souffrit ».
Le symbole de Césarée fut universellement approuvé par
les Pères. Ses propositions sont effectivement orthodoxes. Il
proclame notamment pour ce qui a trait au Fils de Dieu : « Et
en un Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, Dieu de Dieu,
Lumière de Lumière, Vie de Vie, Fils unique, né avant toute
créature, engendré du Père avant tous les siècles, par qui tout
a été fait ... ». Les ariens, prompts à camoufler leurs erreurs,
auraient pu souscrire à ce symbole en l'interprétant à leur
manière et avec toutes les restrictions mentales qui s'imposaient.
C'est pourquoi la majorité des Pères jugea qu'il fallait le
retoucher en y ajoutant quelques gloses et quelques précisions
plus ouvertement et plus directement opposées à la doctrine
arienne, afin d'exclure toute échappatoire. Ainsi naquit le
nouveau symbole de Nicée que nous étudierons plus loin.
L'élaboration de cette formule de foi ne dut être ni facile
ni rapide. Telle est du moins l'impression ressentie à la lecture
des rapports d'Eusèbe de Césarée et d'Athanase, qui repré
sentent deux points de vue bien différents l'un de l'autre. Rufin
signale qu'on disputa sur l'arianisme pendant des jours et des

Cf. Texte V, p. 256.


LE DÉROULEMENT DU CONCILE 63

jours et qu'Arius en personne comparut souvent. Ses affirma


tions donnèrent lieu à de longs débats. Finalement, après avoir
« discuté longuement et lentement », presque tous les Pères
s'accordèrent pour professer le nouveau symbole42. Seuls dix-
sept d'entre eux s'opposèrent à cette formule. Présentée à
Constantin, celui-ci la vénéra comme inspirée par Dieu. On
prétend même qu'il leva les mains vers le ciel et rendit grâces
à Dieu. En tout cas, pour que sa volonté de faire respecter ce
symbole fut clairement signifiée, l'empereur menaça d'exiler
ceux qui ne le signeraient pas, ce qui réduisit le nombre des
opposants. A la fin, il n'y eut qu'Arius et ses deux amis,
Second de Ptolémaïs et Théonas de Marmarique, qui se refu
sèrent à accepter la foi commune du concile. Us furent excom
muniés tous les trois et les deux évêques furent déposés. L'em
pereur compléta la peine en les exilant en Illyrie et plus tard
ordonna que tous leurs écrits fussent brûlés, en leur donnant le
nom méprisant de « porphyriens ». Cette victoire de la foi
était en même temps une victoire de Constantin. Quoique
Arius n'eût pas cédé, les « lucianistes », eux, l'avaient fait.
Peut-être ne partageaient-ils pas tous les idées que leur
collègue avait menées jusqu'au bout de leur logique, mais
il est sûr que quelques-uns, Eusèbe de Nicomédie, par exemple,
acceptaient totalement les principes d'Arius. Le point sur le
quel tous étaient et demeureront d'accord, était leur opposition
au symbole de Nicée à cause de ses expressions si fortement
anti-ariennes. Du vivant de Constantin cependant, personne
n'osa l'attaquer ; pour le moment, ils le signèrent comme un
seul homme pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec
la théologie.

Vinrent sans doute ensuite à l'ordre du jour les questions sur


la date de Pâques, problème dont la solution dut être ardue.
Nous examinerons ce point un peu plus loin. A ces débats
succédèrent les délibérations d'ordre disciplinaire qui seront
codifiées dans les canons. Il est certain que les excommuniés
n'assistèrent plus à ces séances. A ce propos, Philostorge nous
64 NICÉE

rapporte un détail pittoresque, en soi fort probable. D'après


lui, Second de Ptolémaïs dit à Eusèbe de Nicomédie au
moment de partir vers l'exil : « Eusèbe, tu as signé pour éviter
l'exil. Moi, je te dis par révélation de Dieu que tu seras exilé
avant un an » 43. Les faits lui donnèrent raison : Eusèbe,
trois mois plus tard, prit le chemin de l'exil.

Il convient aussi de faire mention d'un autre épisode raconté


à Socrate par un des participants. Invité par Constantin, un
évêque novatien, Acésius, avait assisté au concile et accepté
aussi bien le symbole que le décret sur la date de Pâques.
Comme l'empereur l'interrogeait afin de savoir pourquoi il
s'était séparé de l'Église, il répondit qu'il n'était pas d'accord
avec sa doctrine sur un point, car Dieu seul pouvait pardonner
certains péchés graves. A cela Constantin riposta ingénieuse
ment par cette saillie pleine d'esprit : « Acésius, dresse une
échelle et monte tout seul au ciel ! » 44.
Encore en matière d'anecdotes, on peut ajouter ici celle que
le même auteur nous raconte sur l'évêque Paphnuce, sans
nommer sa source. Paphnuce était un évêque très vertueux
auquel on avait crevé un œil pendant la persécution. Cons
tantin posa ses lèvres sur l'orbite vide. Dans une des séances
quelqu'un proposa qu'on interdît aux évêques, aux prêtres
et aux diacres mariés l'usage des droits du mariage. Alors
Paphnuce, qui n'était pas marié et qui avait été formé dans
un monastère, protesta disant que le mariage était chaste, qu'il

LA SAINTE TRINITE ».
Dans l'angle supérieur gauche d'un sarcophage que son ordon
nance a fait appeler € dogmatique », l'artiste a représenté
la création des premiers parents par la Sainte Trinité. I.cs
trois personnages barbus sont identiques, sans doute pour
traduire leur égalité divine. Ayant derrière lui l'Esprit-Saint,
le Père, dans l'attitude de l'orateur, crée par sa parole, tandis
que le Fils pose sa main sur la tête d'Eve, sortie du flanc
d'Adam encore endormi. La préoccupation doctrinale est évi
dente dans cette scène assez rare d'un sarcophage que sa
facture met en relation avec certains éléments de l'Arc de
Constantin et que de récentes études datent de la dernière
période de la vie de l'empereur, entre 330 et 337. (Sarcophage
104, Musée du Latran, Rome. Cliché Ut. Archeol. Tedesco,
Rome).
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LE DÉROULEMENT DU CONCILE 65

était dangereux d'imposer par décret une telle continence et


qu'il suffisait de garder l'antique règle selon laquelle, si quel
qu'un se faisait clerc, il ne pouvait se marier. Grâce à son inter
vention, le sujet ne fut pas discuté et on laissa toute liberté
pour user du mariage ou pratiquer la continence45.

C'est probablement à la fin du concile qu'eut lieu le banquet


officiel offert aux Pères par Constantin, comme Eusèbe de
Césarée l'atteste. Selon cet auteur, aucun des Pères n'y manqua
et les évêques défilèrent sans peur entre les rangs de soldats
qui présentaient leurs épées nues 46. Les uns prirent place près
de l'empereur, les autres sur des divans disposés de chaque
côté. La scène, toujours d'après Eusèbe, rappelait le royaume
du Christ. Ce fut sans doute alors que Constantin, s'adressant
aux convives, prononça cette phrase historique : « Vous êtes
(les évêques) de ce qui est dans l'Église, moi je suis l'évêque
placé par Dieu pour les affaires du dehors » 47. Comme si tant
d'honneurs ne suffisaient pas, l'empereur offrit aux Pères de
précieux cadeaux.
Combien de temps dura le concile ? Aucune source ne le
précise. Il faut donc s'en tenir aux conjectures, en se fondant
sur la durée d'autres conciles œcuméniques. Quelques semaines
probablement, peut-être un mois . . .
L'heure du départ arriva. Constantin convoqua les évêques
et les exhorta à garder la concorde. Ceux qui étaient moindres
devaient éviter la jalousie, les mieux dotés l'arrogance ; tout

4 BASILE LE GRAND
Saint Basile, tel que l'a vu un des miniaturistes qui ont tra
vaillé au célèbre Ménologe commandé par l'empereur Basile II
(976-1025) à Syméon Métaphraste. Le portrait est conventionnel
et fidèle aux règles de l'iconographie byzantine. L'archevêque
de Césarée, debout au milieu d'un pré vert-bleu, tient dans
ses mains un évangile à couverture d'argent ; le visage allongé,
maigre, il porte la tunique d'argent, la chasuble noir-verdâtre,
et l'homophorton bleu brodé de deux croix grecques. (Manus
crit Vaticanus Graeeus 1613, fol. 288. Cliché Bibl. Vaticane).
66 NICÉE

le monde devait savoir pardonner et s'adapter aux besoins des


autres. Après ces sages conseils, celui qui les avait convoqués
leur permit de partir48.
L'unique lettre synodale qui nous soit parvenue sur Nicée
est adressée à l'Église d'Alexandrie *. Il n'est pas invraisem
blable que d'autres lettres du même genre aient été envoyées
aux différents sièges, pour les informer de l'excommunication
d'Arius et de ses compagnons, ainsi que de l'accord sur la foi.
Dans cette lettre, les Pères font savoir que d'abord ils ont
condamné et anathématisé la doctrine impie d'Arius, car il
blasphémait en disant que le Fils de Dieu est sorti du néant,
qu'il y eut un temps dans lequel il n'existait pas, qu'il a été
libre de faire le mal et le bien et qu'il a été créé et fait.
Théonas et Second ont été condamnés avec Arius. Quant à
Mélèce et les siens, les mesures prises contre eux ont été plus
bénignes : Mélèce restera dans sa ville, mais le pouvoir d'im
poser les mains lui a été enlevé, tant pour conférer les ordres
sacrés que pour élire ; c'est pourquoi il lui est interdit d'aller
dans d'autres régions ou d'autres villes ; on ne lui laisse qu'une
dignité nominale. Les membres de la hiérarchie qu'il a créés
devront être confirmés par une imposition de mains plus sainte
avant d'être admis à la communion. Ils conservent leur dignité
et leur fonction ecclésiastiques, mais toujours en des positions
secondaires dans les diverses Églises, après les clercs qui ont
été ordonnés par Alexandre, si bien qu'ils n'ont le droit ni
d'élire ni de présenter des candidats ni de se mêler des affaires
sans la permission d'un évêque de l'obédience d'Alexandre.
Les clercs fidèles, par contre, jouissent de tous ces droits ; à
leur mort, des ex-méléciens pourront leur succéder si toutefois
ils sont dignes, élus par le peuple et confirmés par Alexandre.
On le voit : cette sévérité tempérée contre les méléciens sup
pose qu'ils n'étaient pas entachés d'erreurs dogmatiques, mais
seulement d'un esprit de révolte.
A ce que nous savons, Constantin écrivit pour sa part deux

Cf. Texte VI, p. 257.


LE DÉROULEMENT DU CONCILE 67

lettres communiquant l'heureux résultat du concile. Sa manière


de s'exprimer sur l'arianisme maintenant qu'il l'a connu plus
à fond, est toute différente de celle qu'il avait lors de sa
première lettre à Alexandre et Arius, dans laquelle il avait
qualifié l'affaire de subtile et d'insignifiante.
Dans sa lettre à l'Église d'Alexandrie49, l'empereur mani
feste sa joie de ce que tous professent dorénavant « une seule
et même foi » et de ce que les desseins du démon aient échoué.
Nous adorons tous un seul Dieu, dit-il en résumé. C'est pour
quoi j'ai convoqué beaucoup d'évêques, moi, leur collègue, afin
d'examiner ensemble toute la question. Certains s'étaient ex
primés avec imprudence sur notre Sauveur, en disant des
choses contraires à l'Écriture et à la foi. A l'accord de plus
de trois cents Pères sur l'unique foi, seul Arius, trompé par le
diable, a osé s'opposer, ce même Arius qui répandit ses erreurs
d'abord parmi vous, puis en d'autres lieux. Reconnaissons le
jugement du Tout-puissant. Pensons de nouveau comme ceux
qui étaient nos frères et dont il s'est séparé. Ce que trois cents
évêques ont trouvé bon ne peut pas ne pas être la vérité de
Dieu, car le Saint-Esprit a inspiré les Pères.
Du même genre sont les idées exprimées par Constantin
dans la lettre circulaire qu'il adresse « aux Églises », à notre avis
surtout à celles qui n'étaient pas représentées à Nicée50. J'ai
cru de mon devoir, dit-il en substance, de promouvoir l'unité
de la foi et la charité, ce qui ne pouvait se faire qu'en convo
quant tous les évêques ou du moins une grande partie d'entre
eux. Aussi nous avons tout examiné soigneusement et nous
sommes parvenus à l'unanimité dans la foi. Il explique ensuite
quel a été l'accord sur la date de Pâques dont nous reparle
rons.
Ainsi, on le voit, Constantin conféra-t-il au concile de Nicée
et à ses décrets une validité qui s'étendait à l'ordre civil. De
ce point de vue, ce que dit Eusèbe en termes généraux cadre
fort bien : « Constantin confirma les sentences promulguées
dans les synodes des évêques, de sorte qu'il n'était plus permis
68 NICÊE

aux préfets des provinces de révoquer ces décisions, car les


hiérarques de Dieu dépassent en dignité tous les magis
trats » 61.
Le concile de Nicée constitua donc un franc succès de la
politique religieuse de Constantin. La Providence s'en servit
pour que l'Église réalisât dans cette assemblée une action de
défense efficace contre les erreurs dogmatiques et une sage
rénovation disciplinaire, profitable à tous les chrétiens.
CHAPITRE IV

LA FOI DE NICÉE

Le symbole de Nicée.

A défaut des Actes du concile, nous possédons trois témoins


qui, tout en manifestant des tendances différentes à propos de
la controverse arienne, donnent néanmoins des textes substan
tiellement identiques du symbole *. Ces témoins sont Eusèbe
de Césarée, dans sa lettre aux fidèles de son Église ; saint
Athanase, dans sa lettre à l'empereur Jovinien qui lui avait
demandé quelle était la vraie foi, et finalement Marcel d'Ancyre
dont les disciples citeront plus tard la formule définie au
synode œcuménique. Parmi ces témoignages, celui d'Eusèbe
offre l'avantage d'avoir été écrit immédiatement après la clô
ture du concile par quelqu'un qui, de son propre aveu, n'avait
pas accepté volontiers toutes les propositions du symbole.
Le texte du symbole se trouve d'ailleurs confirmé par les
traductions latines du ive siècle, faites par Hilaire de Poitiers,
Lucifer de Cagliari et Grégoire d'Elvire. Le même texte se
retrouve chez saint Basile le Grand et, ce qui a encore plus
de poids, dans la 1™ session du concile œcuménique d'Ephèse,
ainsi que dans la 2e du concile de Chalcédoine, d'après tous
les manuscrits grecs et les anciennes traductions latines **. Les

* Voir I. Ortiz de Urbina, El simbolo niceno, Madrid, 1947, et J. N.


D. Kelly, Early Christian Creeds, London [1950].
** Voir E. Schwartz, Dos Nicaeanum und Konstantinapolitanum auf
der Synode von Chalkedon, ZNTW 25 (1926), 38-88.
70 NICÉE

50 et 6e sessions de ce dernier concile offrent, il est vrai une


divergence importante commune à plusieurs codex grecs et ver
sions latines. On y retrouve d'une part le texte déjà classique
du symbole, et d'une autre apparaît une version quelque peu
différente, dont les variantes coïncident plutôt avec le symbole
de Constantinople, professé dans le même décret dogmatique.
Mais quelle que soit l'explication qu'on veuille donner à cette
parenthèse dans la série des témoins, qui se ferme aussitôt
après définitivement, aucun doute ne subsiste sur la légitimité
littéraire du texte accrédité par les trois témoins cités et par
la tradition unanime du iv8 siècle. On ne peut même pas
concéder une authenticité juridique à la variante dont nous
venons de parler, à laquelle le docte E. Schwartz a accordé une
importance trop grande, si l'on tient compte du fait que quel
ques années plus tard, saint Léon le Grand reprend littérale
ment la recension classique, ainsi que le feront le III0 concile
de Constantinople, au vne siècle, et généralement toute la tra
dition officielle de l'Occident et de l'Orient.
Au symbole ou formule de foi, les Pères de Nicée ajoutèrent
un appendice, lui aussi de caractère dogmatique, où sont ana-
thématisées les principales propositions ariennes.

Voici le texte du symbole de Nicée :

Nous croyons en un Dieu, Père tout-puissant,


créateur de toutes les choses visibles et invisibles,
et en un Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu,
unique engendré du Père, c'est-à-dire de la substance du
Père,
Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré, non fait, consubstantiel (homoousios) au Père,
par qui tout a été fait, ce qui est dans le ciel et ce qui est
sur la terre,
qui, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu,
s'est incarné, s'est fait homme, a souffert, est ressuscité le
troisième jour,
LA FOI DE NICÉE 71

est monté aux deux et viendra juger les vivants et les morts,
et en l'Esprit Saint.
Pour ceux qui disent : « Il fut un temps où il n était pas »
et « Avant de naître, il n'était pas », et « Il a été créé du
néant », ou qui déclarent que le Fils de Dieu est d'une autre
substance (hypostasis) ou d'une autre essence (ousia), ou
qu'il est créé ou soumis au changement ou à l'altération,
l'Église catholique et apostolique les anathématise » *.

Nous avons déjà donné quelques indications sur la genèse


du symbole. Quelques auteurs l'ont attribué soit à un certain
Hermogènes, diacre de Cappadoce, soit encore au diacre Atha-
nase d'Alexandrie. Mais ces hypothèses sont peu vraisemblables
et reposent sur une interprétation erronée des sources. Plus
forte est l'opinion qui attribue à Osius la paternité du symbole,
comme le prétendirent les ariens devant l'empereur Constance,
qu'ils voulaient indisposer contre l'évêque de Cordoue. Comme
président ecclésiastique du concile, on peut imaginer qu'Osius
joua un rôle plus considérable que les autres évêques dans
l'élaboration de la formule. Mais, en lisant Athanase, on a
plutôt l'impression que ce furent les évêques qui proposèrent,
l'un après l'autre, les affirmations nouvelles qu'on devait ajou
ter au noyau original constitué par le symbole de l'Église de
Césarée.
Bien que la dépendance de la formule nicéenne à l'égard
de celle de Césarée ne puisse être mise en doute, il n'existe
pourtant aucun argument solide pour appuyer l'opinion de
H. Lietzmann **, d'après laquelle on aurait aussi tenu compte
du symbole de l'Église de Jérusalem. En premier lieu, aucun
document ancien ne fait allusion à une telle dépendance. Un
examen interne des symboles fait aboutir à la conclusion que
la formule de Nicée et celle de Jérusalem coïncident en quel-

* Voir I. Ortiz de Urbina, ibid., 13 et J. N. D. Kelly, ibid., 215-216.


** H. Lietzmann, Symbolstudien XIII, ZNTW 24 (1925), 193-202,
dont l'opinion est rejetée dans l'article même (203) par Harnack.
72 NICÉE

ques expressions qui les éloignent du symbole de Césarée.


Mais il s'agit là de formules assez courantes, voire même très
fréquentes dans la tradition antérieure, dont le symbole de
Nicée tout comme celui de Jérusalem ont pu s'inspirer indé
pendamment l'un de l'autre.
Quant à la structure, le symbole de Nicée nous apparaît
comme un produit de sédimentation du magistère ecclésias
tique, dans lequel on peut discerner différentes couches appar
tenant à des époques diverses. Comme dans les grandes cathé
drales, on peut distinguer dans le symbole de Nicée des cons
tructions d'âges successifs. Nous qualifierons d'éléments très
modernes les termes introduits par les Pères du concile de
Nicée eux-mêmes, touchant au Fils de Dieu et ayant pour
objet la condamnation nette de l'arianisme : « c'est-à-dire de la
substance du Père » et « engendré, non fait, consubstantiel au
Père ».
Ces morceaux une fois enlevés, il nous reste un symbole qui
est presque celui de Césarée, sauf pour les formules suivantes :
« vrai Dieu de vrai Dieu », « ce qui est dans le ciel et ce qui
est sur la terre », « pour nous les hommes », « descendit ». Ces
éléments ne semblent pas avoir été élaborés au concile de
Nicée ; il s'agit plutôt de retouches ou d'inclusions de formules
de symboles plus anciennes. En poursuivant notre analyse,
nous découvrons dans le symbole de Césarée cette expression
caractéristique : « Dieu de Dieu, lumière de lumière », qui
ressemble beaucoup à une autre expression du symbole de
saint Grégoire le Thaumaturge, disciple d'Origène82, ce qui
nous amène par conséquent à voir dans l'école de ce dernier
l'origine probable de l'expression, étant donné qu'à Césarée la
mémoire et l'enseignement du grand maître alexandrin étaient
encore très vivants. Ces éléments provenant respectivement
du rve et du nr5 siècles ainsi mis à part, il nous reste la confes
sion trinitaire et le cycle christologique, qui sont les deux
composants des plus anciennes formules de foi et dont il est
possible de retracer assez clairement l'origine jusqu'au rr3 siècle
et même, en quelque manière, jusqu'à la prédication des
LA FOI DE NICÉE 73

Apôtres. Dans la profession trinitaire, presque tous les mots


sont bibliques. On a déjà signalé plus haut qu'il existe deux
versions du cycle christologique et que celle du symbole de
Nicée, copiée de celui de Césarée, marque en la reprenant une
préoccupation anti-docétiste qui semble orientée contre les
gnostiques, si nombreux et si dangereux aux n* et m* siècles.
De ce que nous venons de voir, on peut clairement déduire
que le symbole de Nicée n'est pas une formule rédigée ex novo.
Les parties vraiment nicéennes, quoique significatives, sont
néanmoins très rares. Il y aurait plutôt lieu de parler d'une
édition corrigée et augmentée du symbole de Césarée.
Ayant ainsi reconnu brièvement la structure rédactionnelle
de la formule, il convient d'étudier plus à loisir son contenu
théologique, surtout en ce qui concerne le Verbe de Dieu ;
c'est l'apport le plus important de Nicée.

Le Fils engendré par le Père.

En la considérant dans son ensemble, on se rend compte


immédiatement que, dans la structure du symbole de Nicée, la
profession de foi est directement trinitaire. Autrement dit, on
ne découvre pas dans la construction des phrases d'abord une
confession monothéiste, puis une profession trinitaire. Le sym
bole n'est pas composé d'après le schéma suivant :
\ Père tout-puissant
Je crois en un Dieu > Fils monogène
) Esprit Saint
Le schéma est plutôt celui-ci :
\ en un Dieu Père
Je crois [ en un Seigneur Jésus-Christ
) dans l'Esprit Saint.
Dès les temps les plus anciens, on a attribué au Père le
titre de « Dieu unique », pour l'opposer aux fausses divinités.
Le nom de « Dieu » (en hébreu « Yahvé ») signifie dans l'An
74 NICÉE

tien Testament la première Personne, la seule d'ailleurs qui s'y


soit révélée en toute clarté, tandis que les deux autres Person
nes restaient dans une pénombre à peine traversée ici ou là de
quelques faibles lueurs.
Le langage du Christ conserve cette manière de parler.
Faisant allusion au Père, il dit : « Dieu a dit » (Mt 15, 4). On
peut se rappeler également d'autres expressions du Seigneur :
« Qu'ils te connaissent toi, l'unique vrai Dieu, et celui que tu
as envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 1-3) ; « Je monte vers mon
Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17).
Dans le message de l'archange Gabriel, il est dit : « Le Sei
gneur Dieu, lui donnera [à son fils] le trône de David, son
père » (Le 1, 32).
Les Apôtres s'en tiennent généralement au même usage. Il
suffit de rappeler les expressions pauliniennes : « De Dieu,
notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ » (Ro 1, 7). « La justice
de Dieu par la foi en Jésus-Christ » (Ro 3, 22). « Soyons en paix
avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ » (Ro 5, 1). « Nous
nous glorifions en Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ » (Ro 5,
11). « La grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ »
(Ro 7, 25). « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-
Christ » (2 Co 1, 2). Il existe encore d'autres textes ; nous en
rappellerons seulement un qui semble avoir inspiré fortement
la profession trinitaire des plus anciens symboles. L'Apôtre
dit : « Pour nous, il y a un Dieu, le Père, d'où tout [provient]
et pour lequel nous sommes, et un Seigneur Jésus-Christ, par
qui tout [a été fait] » (1 Co 8, 6). Nous retrouvons des exem
ples analogues dans d'autres écrits apostoliques. Ainsi, Pierre
écrit : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-
Christ » (1 P 1, 3). Et Jude : « Au seul Dieu, notre Sauveur,
par Jésus-Christ notre Seigneur, gloire et magnificence »
(Jud 25). Jean aussi, dans l'Apocalypse : « Pour le Dieu et Père
[de Jésus-Christ] » (1, 6). Sans avoir épuisé toutes les citations,
nous croyons en avoir donné suffisamment pour démontrer que
lorsqu'on dit « Dieu » dans le Nouveau Testament, on parle
précisément du Père et non des trois Personnes divines, et
LA FOI DE NICÉE 75

qu'on souligne également contre le polythéisme que ce Dieu,


qui est le Père, est l'unique Dieu. Cette façon de parler, aban
donnée plus tard, est susceptible d'une interprétation ortho
doxe, puisque le Père possède et communique toute la nature
divine.
On n'en finirait pas si l'on voulait citer tous les textes dé
montrant que cette terminologie biblique était en vigueur chez
les Pères jusqu'au temps du concile de Nicée. A la veille du
synode, saint Athanase écrivait dans son court traité Contre
les païens : « Si Dieu est un et qu'il est le Seigneur du ciel
et de la terre, comment pourrait-il exister un autre Dieu en
dehors de lui ?.. . Comment pourrait-il y avoir un autre Créa
teur, si le Dieu et Père du Christ notre Seigneur ne font
qu'un ? » 63 De son côté, Eusèbe de Césarée écrit dans son
Histoire Ecclésiastique que le Verbe, substance antérieure
au monde, vivante et subsistante, « a secondé le Dieu Père
dans la création de toutes les choses créées » 54.

De là découlent quelques conclusions importantes. Quand


le symbole de Nicée, avec celui de Césarée, confesse le « Dieu
unique », Père tout-puissant, Créateur de toutes les choses vi
sibles et invisibles, il ne fait que recueillir la révélation mono
théiste de l'Ancien Testament, celle du Yahvé unique, opposée
à la multiplicité des faux dieux. Ce « Dieu unique » ne signifie
pas ici directement et formellement la substance divine, mais
le Dieu-personne, concrètement la Personne du Père, qui est
celui qui se manifeste dans l'Ancien Testament. Dès lors, cette
phrase ne contient pas une sorte d'affirmation préalable de
l'unique substance divine en tant que commune aux trois Per
sonnes. Cette manière de s'exprimer ne viendra que plus tard.
Naturellement, la théologie a suivi les lignes de la Révélation
et nous avons déjà vu comment cette forme primitive se cristal
lisa dans le symbole de Nicée. Le Père est, d'après lui, le
sommet de l'unité dans lequel se récapitulent le Fils et le
Saint-Esprit. Il s'agit d'une conception génétique de la divinité
qui jaillit du Père et se répand tout entière dans le Fils et le
76 NICÉE

Saint-Esprit. Cette unité est révélée directement et affirmée en


sa source qui est le Père ; elle n'est pas déduite par réflexion
en comparant entre elles les trois Personnes divines.
Les Pères de Nicée déclarent que notre unique Seigneur
Jésus-Christ est le Fils de Dieu, le Monogène engendré par le
Père. Ces articles de la foi sont révélés dans le Nouveau Testa
ment, et les plus anciens symboles les ont recueillis. A la ri
gueur, cela eût dû suffire pour réfuter l'arianisme, car de
nombreux textes bibliques montrent clairement que ce Fils du
Père est le « Fils propre », celui qui est engendré de façon
mystérieuse, « le Fils du Dieu vivant », où l'article souligne la
différence existant entre lui et nous qui avons reçu aussi la
filiation divine et qui sommes « nés de Dieu », comme le dit le
prologue de l'évangile de Jean.

Arius, ne pouvant et ne voulant pas supprimer le titre de


Fils de Dieu dont l'Écriture est si pénétrée, entendait le
réduire, nous l'avons vu, à une pure filiation adoptive, sem
blable à la nôtre. En les interprétant à sa manière et dans un
sens très large, il était même prêt à souscrire à tous les articles
dans lesquels on proclamait que Jésus-Christ était le Fils
monogène engendré par le Père. « Engendré », admettait Arius,
mais improprement, comme nous ; en réalité créé et, comme
toute créature, produit par un décret de la volonté du Père
et non par la communication de sa nature ou de son essence.
C'était une évidence pour Arius, pour qui la nature du Père
était incommunicable. Car, même en imaginant absurdement
qu'il y ait dans le Père une vraie paternité, on ne pourrait
éviter que le Père ne diminue, en la cédant, son essence, et dès
lors qu'il ne soit modifié et changé, un nouvel état et une nou
velle relation intérieure s'étant réalisés. Tout cela s'oppose abso
lument à la simplicité, à la perfection et à l'inaltérabilité de
l'essence divine possédée par le Père.
Pour parer à ces subterfuges, les Pères de Nicée décidèrent
d'inclure ici, à titre de commentaire, une incise brève mais très
importante «c'est-à-dire de la substance (ousia) du Père». Le
LA FOI DE NICÉE 77

témoignage d'Athanase et aussi l'examen analytique du sym


bole, nous permettent de comprendre facilement le texte ra
jouté. Les évêques ont voulu souligner l'idée de la génération
strictement naturelle, qui est l'origine du Fils ; elle n'est pas le
résultat extérieur d'une intervention de la volonté du Père,
comme dans le cas des fils adoptifs qui sont des créatures,
mais elle est communication interne de l'être vivant lui-même
par celui qui engendre. C'est là le propre de la génération et
c'est par là qu'un être engendré diffère essentiellement d'un
être produit par création ou « fabrication ».
Ce sens de la proposition n'implique pas, comme le craignait
Arius, une division ou un changement de la substance du
Père. Ceci est le propre des filiations qui ont lieu chez les
êtres créés, quelque chose d'accidentel que la définition de
la génération ne comporte pas en elle-même.

Soulignons le fait très important que le magistère de l'Église


ait employé un terme non pas biblique mais philosophique
pour sa première définition dogmatique, ce qui se répétera
encore dans le symbole de Nicée et plus tard dans d'autres
définitions de foi au cours des siècles. Le mot en question est
le terme grec ousia qui correspondait alors au terme latin
essentia ou substantia. Il n'eut pas toujours un sens parfaite
ment défini au nr3 et au iv* siècles. On le confondait parfois un
peu avec le mot grec hypostasis que les Latins traduisirent par
subsistentia ou aussi par persona. Cette confusion fut la cause
d'équivoques, jusqu'à ce que, dans la seconde moitié du
iv* siècle, grâce surtout aux Pères cappadociens, on commença
à déterminer clairement le sens de ousia et d'hypostasis en par
lant de Dieu, ousia désignant seulement son essence, unique et
commune au Père et au Fils, tandis quhypostasis signifiait tou
jours la personne *. C'est à partir de ce moment que s'officialise
dans le magistère de l'Église l'expression qu'en Dieu il y a

* On verra plus loin (p. 162) quhypostasis équivalait à ousia pour


Paulin d'Antioche et pour saint Jérôme.
78 NICÉE

« une seule ousia et trois hypostaseis ». Mais au concile de


Nicée bien des années nous séparent de cette stabilisation si
nécessaire du vocabulaire théologique.
Malgré cela, il est évident, par le contexte et par les termes
mêmes de la controverse arienne, qu'en ajoutant au symbole
que le Fils est engendré « de Yousia du Père », les évêques
ne voulaient par parler de 1' « hypostasis ou personne du Père »,
mais « de l'essence ou substance du Père ». Le Fils pro
venait de l'essence et, pour ainsi dire, des entrailles mêmes
du Père, à la différence des créatures qui ne sont, elles,
que le fruit extérieur d'un acte de sa volonté toute-puissante.
Les articles du symbole de Nicée sont liés logiquement entre
eux et forment une série graduée et déductive. C'est le Fils,
donc il est engendré ; il est engendré, donc il provient de
l'essence même du Père. Nous allons encore avancer d'un pas :
il provient de l'essence même du Père, donc son essence ne
diffère pas de celle du Père. Tout fils reçoit la nature même
du père qui l'engendre. D'un homme naît un homme, d'un lion
naît un lion.

A la lumière de cette logique, ce que les Pères affirment


devient plus clair : « Dieu de Dieu, Lumière de Lumière,
vrai Dieu de vrai Dieu ». Ce sont là des expressions très pré
cises et pleines de sens. Si l'on y affirme que le Père est Dieu,
qu'il est Lumière, qu'il est vrai Dieu, on confesse également
que le Fils est Dieu, Lumière, vrai Dieu. Et le Fils est tout
cela parce qu'il procède par génération d'un Père qui l'est
également. La comparaison de l'origine du Fils avec la lumière
ou le rayonnement qui dérive d'une source lumineuse est parti
culièrement heureuse. La première et la seconde de ces pro
positions se trouvent dans l'Écriture (Jn 1, 1, 4-9 ; 5, 20 ; 8, 12 ;
1 Jn 1, 5 ; Jc 1, 17). La troisième était un bien de la théologie
en Orient et en Occident déjà avant Nicée et avant qu'elle fût
inclue dans le symbole de Césarée55. On avait souvent em
ployé la métaphore du rayon du soleil pour illustrer la géné
ration du Fils. Chez les néo-platoniciens on retrouve également
LA FOI DE NICÊE 79

cette image, sans que cela oblige à conclure à une dépendance.


La raison en est que cette métaphore est particulièrement apte
à faire comprendre la procession d'un être spirituel qui naît
sans que celui qui constitue son origine perde quoi que ce soit.
D'ailleurs, il y a entre le rayon et le soleil une certaine distinc
tion qui ne comporte aucun morcellement de la substance elle-
même ; aux yeux du vulgaire, le soleil ne perd rien de sa puis
sance lumineuse en rayonnant sa lumière. Très probablement,
la diffusion de la théologie solaire, héritée de l'Iran par le
paganisme au me siècle suscita par réaction chez les chrétiens
le désir de mettre en relief la théologie du vrai « Sol Salutis »,
Jésus-Christ.
Les propositions que nous venons d'étudier affirment donc
sans équivoque et d'une manière claire l'absolue divinité du
Verbe. Sa nature est aussi divine que celle du Père. Il mérite,
exactement comme le Père, le nom de Dieu. Il faut entendre
sa divinité dans le sens le plus plein et le plus propre du mot.
Voilà une profession de foi plus que suffisante pour condamner
l'erreur d'Arius.

Le Fils n'est pas une créature.

Évidente et parfaitement justifiée est chez les Pères de


Nicée l'intention d'écraser l'une après l'autre les principales
assertions dogmatiques de l'arianisme. Répétant le mot déjà
employé antérieurement et y ajoutant un autre, ils écrivirent :
« Engendré, non fait ». La conséquence s'impose : s'il vient du
Père comme vrai Fils par nature, il n'est pas une créature.
Tous s'accordaient là-dessus. Mais justement pour cette raison,
les ariens niaient la vraie filiation et disaient du Fils qu'il
était « création » et « œuvre » du Père, « faite » par lui. Le
concile avait déjà coupé court à cette erreur en proclamant la
vraie génération qui était à l'origine du Fils.
Nous l'avons vu, Arius appelait le Verbe « fait » (poièma)
ou « créature » (ktistori). Un texte donnait apparemment raison
à l'hérésiarque, ce qui troubla considérablement la théologie
80 NICÊE

du Verbe au me siècle. En effet, les Grecs lisaient ainsi le pas


sage des Proverbes 8, 22 : « Le Seigneur m'a créée (éktisé)
comme principe de ses chemins ». Les Latins à leur tour tra
duisaient : « Dominus condidit me initium viarum suarum ».
C'était la Sagesse qui parlait dans ce texte. Or tous les inter
prètes l'identifiaient avec le Verbe de Dieu.
Déjà vers le milieu du me siècle, dans son désir de distin
guer le Père et le Fils, Denys d'Alexandrie était allé jusqu'à
dire que le Verbe était le produit (poièma) du Père. Mais le
pape Denys en condamnant cet abus écrivait que ceux qui
appelaient ainsi le Verbe en le réduisant à la catégorie des
autres créatures, étaient répréhensibles, puisque l'Écriture par
lait d'une vraie génération du Verbe. C'était donc un blas
phème de prétendre que le Fils avait été façonné ou fait, ce
qui comporterait de surcroît qu'il n'était pas éternel. Le pape
Denys esquissait ensuite une brève exégèse du texte des Pro
verbes et soulignait que l'expression « me créa » (condidit ?)
n'était pas la même chose que «me fit». Denys d'Alexandrie
avait répondu qu'il avait en effet considéré le Verbe « comme
les choses produites et faites », mais que, se référant au Père,
il avait déjà laissé entendre qu'il n'était pas un simple « pro
ducteur » (poiètès), du moins dans le sens d'un simple « manu-
factor ». Il est intéressant de voir qu'il faisait remarquer ensuite
que les Grecs appliquaient également le terme « producteur »
(poète) aux génies créateurs, ainsi qu'à ceux qui accomplis
saient la loi, le mal, le bien 86.
Non moins surprenant est le fait que saint Basile reproche
à saint Grégoire le Thaumaturge d'avoir appelé le Verbe, dans
un de ses traités « créature » et « produit » du Père 57. Et ce
pendant le même Grégoire, dans son merveilleux symbole
dogmatique, datant du milieu du m° siècle, professe qu'il n'y
a rien de « créé » dans la Trinité B8.
Les Pères de Nicée suppriment d'un seul coup les hésita
tions de la terminologie qu'on vient d'évoquer en condamnant
l'emploi des mots « produit » et « créature » pour parler de
la substance du Fils de Dieu. Ces grands adversaires de l'aria
LA FOI DE NICÉE 8i

nisme durent affronter le fameux texte des Proverbes qui était


le nerf de l'argumentation des ariens. Saint Athanase et saint
Basile firent remarquer que le passage se referait à la Sagesse
incarnée, qui est depuis son incarnation le chemin qui unit le
genre humain avec le Père. Or, le Fils fait homme est appelé
« créé » en raison de son humanité, qui est en effet créée.
Basile a d'ailleurs soin d'avertir que certains lisent dans le
texte des Proverbes « me posséda » (éktèsato) au lieu de « me
créa » (éktisé) 59.

Dans la logique de son erreur fondamentale, Arius avait


affirmé que le Verbe, produit et œuvre, mais non Fils du Père,
devait son existence à un acte de la volonté du Père, comme le
reste des créatures, et ne provenait pas de son essence. Il ajou
tait que le Verbe n'avait pas existé de toute éternité et donc
qu'il n'était pas coéternel au Père. Or, si le texte du symbole
de Nicée ne définit rien directement sur l'éternité du Fils de
Dieu, une telle affirmation était déjà implicite dès qu'on le
proclamait vrai Dieu. Pourtant, dans l'appendice du symbole,
où l'on anathématise les principales propositions d'Arius, on
lit : « Il fut un temps où il [le Fils] n'était pas », « Avant de
naître, il n'était pas », « il a été créé du néant ».
Unanimes dans leur tactique, les écrivains anti-ariens se
servirent tous du prologue du quatrième évangile pour prou
ver que deux vérités s'y trouvaient révélées. D'abord, « Au
commencement était le Verbe » et « il était en Dieu » : ce qui
revenait à nier toute distance ou tout intervalle entre le Père
et le Fils. Deuxièmement, tout avait été fait par le Verbe.
Donc le Verbe ne fait pas partie des choses créées, surtout si,
comme le dit saint Athanase, la puissance créatrice est divine
et ne peut être déléguée. D'ailleurs, en mettant un intervalle
entre le Père et le Fils, même si on le place hors du temps
proprement dit, qui commence avec les êtres visibles, on intro
duirait entre eux quelque chose, un aevum qui n'aurait pas
été créé par le Verbe. D'où il s'ensuivrait que tout n'a pas été
créé par lui.
82 NICÉË

La doctrine d'Arius selon laquelle le Verbe, étant une créa


ture, était aussi par nature sujet au changement et notamment
capable de faire le bien et le mal, était parfaitement logique.
Arius rencontrait des difficultés énormes pour expliquer l'éco
nomie de l'Incarnation et particulièrement celle de la Rédemp
tion. Il prétendait s'en tirer en faisant du Verbe incarné une
personne très sainte et toujours fidèle à la volonté du Père,
ce qui lui avait mérité son propre salut et celui de tous les
hommes comme un nouveau Moïse, plus excellent que l'ancien
libérateur du genre humain. Le symbole ne condamne pas
expressément ces erreurs, mais dans l'appendice il anathématise
la proposition disant que le Fils de Dieu est sujet au change
ment ou à l'altération.

Le Fils « homoousios » (consubstantiel) au Père.

Ce terme constitua le point névralgique du symbole de


Nicée. Il est la flèche fichée au flanc de l'arianisme et le signe
de contradiction sur lequel on devait discuter encore pendant
plus d'un demi-siècle. Non seulement les ariens extrémistes,
mais aussi les semi-ariens de tendance plus ou moins politique,
s'opposèrent au symbole à cause de ce terme qu'ils ne vou
laient absolument pas accepter. Si bien que défendre l'homoou-
sios revint, au iv° siècle, à confesser l'orthodoxie de Nicée.
Il s'agit, redisons-le, d'un terme non biblique que nous
rencontrons pour la première fois en usage dans les écrits
gnostiques du ne siècle. Il était d'ailleurs d'emploi assez fré
quent. Au me siècle, il entra dans le vocabulaire de l'école
chrétienne d'Alexandrie. Clément s'en servit parfois et Origène
plus souvent. Dans la terminologie gnostique ainsi que dans
celle des premiers auteurs chrétiens, homoousios signifie l'ap
partenance commune à une des substances ou essences élé
mentaires, sans impliquer pour autant formellement dans son
concept une unité numérique de substance entre les êtres
homousioi. Le terme avait déjà des racines si profondes dans
la théologie alexandrine du me siècle que l'une des accusations
LA FOI DE NICÉE 83

portées contre l'évêque Denys le Grand par son clergé fut


précisément qu'il refusait de s'en servir. L'évêque se justifia
en alléguant que, bien qu'il n'eût pas employé ce terme qu'il
ne trouvait pas dans l'Écriture, il avait accepté pourtant son
contenu, puisqu'il avait parlé de la descendance humaine
« homogène » à la nature des parents et de la semence ou
racine qui, tout en étant distincte de la plante, est cependant
« tout à fait de la même nature (homophyés) » qu'elle. Le
nom même de père manifeste déjà une communauté avec le
fils.
Il faut souligner que, dans le long fragment de la lettre du
pape Denys sur les erreurs qu'on reprochait à son homonyme
d'Alexandrie, il n'existe pas la plus légère allusion au terme
homoousios. Ceci, ajouté au fait que le mot homoousios fait
son apparition plus tôt en Orient qu'en Occident, enlève tout
fondement à l'opinion d'Harnack* d'après laquelle ce terme
triomphe à Nicée principalement en raison de l'autorité que
lui avait conférée le pape Denys dans cette querelle.
Chose curieuse et qui prouve les hésitations du langage
théologique au me siècle : tandis qu'à Alexandrie on reprochait
à Denys de ne pas vouloir employer le terme homoousios, les
quatre-vingts Pères réunis en concile à Antioche pour juger
l'évêque Paul condamnèrent l'usage de ce mot. Basile d'Ancyre
et ses adeptes, des semi-ariens, devaient le rappeler presque à
un siècle de distance, dans l'ardeur du combat contre le sym
bole de Nicée et notamment contre l'épineux homoousios.
Athanase, Basile et Hilaire accusèrent le coup en minimisant la
valeur d'une telle condamnation, inconnue pour eux. A vrai
dire, il est étrange qu'aucun des multiples adversaires de Nicée
n'ait pas songé durant tout ce temps à employer cet argument.
La réponse la plus raisonnable que donnèrent les Pères qu'on
vient de mentionner fut qu'au synode d'Antioche on avait
condamné le terme au sens que lui donnait Paul de Samosate.

* Lehrbuch der Dogmengeschichte, II, 3° éd., Freiburg-Leipzig, 1894,


233.
84 NICÉE

Quel était ce sens ? Les auteurs cités n'avaient pas plus de


lumière que nous, qui n'avons aucun des écrits de l'évêque
d'Antioche, à supposer qu'il ait écrit quelque chose d'impor
tant. C'est pourquoi on proposa alors deux théories qui gar
dent jusqu'à présent leur fragile valeur. Selon la première, en
faisant du Fils Yhomoousios du Père, Paul de Samosate leur
prêtait la même hypostasis ou personne, dont le sens était pour
lui celui d'ousia 60. Il s'agirait donc d'une doctrine supprimant
la distinction personnelle dans la Trinité, ce qui s'accorderait
parfaitement avec le monarchianisme bien connu de son au
teur. La seconde de ces opinions suppose que le terme ho-
moousios avait, aux yeux de Paul une signification plus maté
rielle, si bien que dire que le Père et le Fils étaient homoousioi
reviendrait à affirmer qu'ils étaient homogènes en tant que
provenant tous les deux d'une substance préalable, ce qui
comportait de toute évidence maintes absurdités en Dieu61.
L'intérêt de cette dernière théorie est qu'elle coïncide avec le
sens que le mot homoousios aurait eu, d'après Arius, dans le
vocabulaire manichéen, ce qui était pour lui une raison suf
fisante de le rejeter. Il est bien possible que l'ancien étudiant
de l'école d'Antioche ait trouvé là de quoi s'opposer à un
vocable qu'on regardait comme hérétique. Mais d'autre part,
il est étonnant que les documents polémiques d'Alexandre
d'Alexandrie, tous antérieurs au concile de Nicée, ne fassent
pas mention du terme homoousios. Cela prouve au moins
qu'il n'a pas insisté pour le faire accepter.

Par contre, il y en eut d'autres, au concile, qui luttèrent


avec succès pour faire inclure ce terme dans le symbole qu'on
était en train de rédiger. Eusèbe de Césarée nous apprend
que, dans l'intention des Pères, dire que le Fils était ho
moousios revenait à affirmer qu'il était sans rapport avec les
choses créées, semblable en tout au Père et n'ayant pas une
substance différente 62. Par ailleurs, on ne portait nulle atteinte
à l'inaltérabilité de l'essence du Père qui restait indivisée. Plus
clairs encore sont les renseignements que nous donne Athanase,
LA FOI DE NICÉE 85

selon lequel les ariens, en parlant de la ressemblance entre le


Père et le Fils, préféraient employer simplement le terme
vague de « semblables », qui pouvait aussi s'appliquer aux
hommes, faits à l'image et à la ressemblance de Dieu. Mais
les évêques, conscients de l'hypocrisie de leurs adversaires,
choisirent le mot homoousios qui indiquait une ressemblance
parfaite allant jusqu'à l'identité et donc différente de celle à
laquelle les hommes parviennent par leur vertu. Le terme
impliquait, grâce à la perfection de la nature divine, l'indivi
sibilité du Père et du Fils unis dans la même et unique
substance. Il est donc évident que, dans la pensée des Pères,
la ressemblance entre le Père et le Fils n'était pas mêlée de
différences comme chez les créatures et, moins encore, qu'elle ne
se réduisait pas à une sorte de concorde morale entre les deux.
Aussi les évêques rejetèrent-ils dans l'anathème de l'appendice
la proposition affirmant que le Fils « est d'une essence (hypos-
tasis ou ousia, au sens de « nature ») différente » de celle du
Père.
La consubstantialité signifiée formellement par Yhomoousios
du symbole de Nicée équivaut à affirmer que la nature du Fils
est aussi divine que celle du Père et lui est égale en tout. Cela
veut-il dire explicitement qu'il existe une identité numérique
entre les deux ? Remarquons tout d'abord qu'une telle question
ne se posa dans ces termes ni du temps d'Arius ni dans les
siècles qui suivirent. Le rve siècle ne connaît absolument pas
cette distinction entre unité numérique et unité spécifique. Ce
qui était alors débattu, c'était de savoir si la nature du Fils
était créée ou si elle ne l'était pas, si elle était dès lors diffé
rente de celle du Père. Il résulte de l'examen philologique du
vocable qu'avant Nicée on qualifiait d'homoousioi des sujets
entre lesquels il n'y avait certainement pas d'unité numérique.
Et il en fut de même immédiatement après le concile. C'est
Athanase qui dit que nous sommes, nous les hommes quant à
l'identité de notre nature, vraiment homoousioi 63, ce qu'étaient
Jacob et Isaac. On a voulu aventurer une opinion superflue
et peu fondée quand on a écrit qu'à Nicée Athanase entendait
86 NICÉE

Yhomoousios dans le sens d'une identité numérique, et que


plus tard il l'entendit dans le sens d'une unité spécifique,
et on a qualifié cette seconde signification de « néo-nicé-
nisme » *. Pour notre part, nous ne voyons ni la nécessité ni la
légitimité d'une hypothèse selon laquelle le mot aurait eu un
certain sens jusqu'au moment du concile, puis aurait alors été
modifié pour revenir immédiatement après à la signification
ancienne. Il suffit d'étudier les textes pour se rendre compte
que le terme homoousios signifia constamment l'égalité dans la
catégorie de l'essence, sans déterminer si cette unité est numé
rique ou purement spécifique, autrement dit, un sens qui peut
s'appliquer aux deux cas.
Cela veut-il dire que le symbole ne proclame pas en fait
une identité entre le Père et le Fils, qui n'inclut pas celle que
nous appelons numérique ? La formule de Nicée proclame et
définit en effet cette dernière, mais non pas en vertu du terme
homoousios pris isolément. Pour parvenir à cette conclusion,
il faut prendre conjointement les deux articles du symbole,
le premier et celui dont nous nous occupons maintenant. Dans
le premier, nous l'avons déjà vu, on affirmait que Dieu est
seulement un, une unique substance incapable de se multiplier
et de se diviser dans des sujets différents ; il est l'essence
unique, numériquement une, celle du Père.
L'autre article ajoute que l'essence du Fils ne diffère pas
de celle du Père, qu'elle est aussi divine que celle du Père, à
laquelle elle est en tout égale, dans une identité parfaite. Ces
deux prémisses professées comme vérités de foi impliquent la
conclusion, également de foi, que la substance du Fils est cette
même « unique essence » attribuée au Père, l'essence indivi
sible en des sujets différents, et donc qu'elle est celle que nous
affirmons numériquement une dans le Père et dans le Fils.
Du point de vue étymologique, l'adjectif homoousios se com
pose de homôs, qui signifie « également », et de ousia, qui

* A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3" éd., II, 250, 262,


266 ss.
LA FOI DE NICÉE 87

équivaut à « essence » ou « substance ». Aussi l'adjectif com


posé signifie-t-il « ceux qui ont la même essence ». La forma
tion de cet adjectif est analogue à celle de « homonymes »
(ceux qui ont le même nom) et « homogènes » (ceux qui sont
d'un même genre). Le génie grec, aussi riche que sa langue en
nuances très fines, distingua très vite l'homoousios d'un autre
terme qui lui ressemblait, Yhomoiousios que les ariens avan
cèrent pour qu'il remplaçât l'homoousios de Nicée. Homoiousios
se compose de homoios et ousia, homoios signifiant « sem
blable », mais l'usage constant l'employait non pour comparer
deux êtres dans l'ordre de l'essence, mais dans leur forme
extérieure, leur couleur, leur poids, etc. C'est pourquoi les
Pères qui défendirent la foi de Nicée ne voulurent pas ad
mettre homoiousios comme synonyme de homoousios et le
rejetèrent nettement comme insuffisant ou encore exigèrent
qu'il fût complété par une autre expression qui lui enlèverait
son caractère vague et peu déterminé, par exemple « homoiou
sios en tout ».
En condamnant donc ouvertement les erreurs d'Arius et en
proclamant d'une façon positive la vraie et stricte filiation
divine du Verbe engendré de la substance du Père, ainsi que
son identité absolue d'essence avec l'unique vrai Dieu, le sym
bole de Nicée proclamait la divinité de Jésus-Christ.

La première définition dogmatique de TÉglise.

Il est très important d'étudier la valeur dogmatique ou, si


l'on veut, la note théologique de la sentence rendue à Nicée
par les Pères, qu'expriment le symbole et son appendice. Tout
d'abord, demandons-nous si le symbole est une définition
dogmatique. La réponse à cette question ne peut être qu'affir
mative. Plus encore, la profession de foi promulguée par le
Ier concile œcuménique est la première définition dogmatique
formulée par le magistère de l'Église. Pour le prouver, il faut
démontrer la légitimité du concile de Nicée et l'intention chez
les Pères de porter un jugement définitif valable pour toute
88 NICÉE

l'Église en matière de foi, ou, ce qui revient au même, de


prononcer une définition dogmatique. Après tout ce que nous
avons déjà dit, il n'est pas besoin d'apporter de nouveaux
arguments pour montrer que telle fut bien l'intention des
Pères. Les circonstances dans lesquelles le symbole fut élaboré,
la peine d'excommunication lancée contre les ariens qui ne
voulurent pas y souscrire, manifestent clairement le désir des
Pères de porter une sentence définitive et universelle en
matière de foi.

Le problème des rapports entre le siège romain et le concile


de Nicée exige par contre un examen plus attentif. Selon le
droit ecclésiastique strict, l'assemblée de Nicée, et donc aussi
le symbole qu'elle élabore, n'auront légitimité et autorité œcu
méniques que si le Pape les approuve comme tels, car c'est à
lui aussi que revient le droit de convoquer et de présider les
conciles œcuméniques. Or, on a observé qu'en fait ce fut
Constantin qui convoqua le concile de Nicée et en eut la
présidence d'honneur, qu'il exerça très activement. Le siège
romain légitima rapidement l'intervention impériale en en
voyant des légats plénipotentiaires et en se faisant représenter
par Osius qui exerça la présidence ecclésiastique. Or, Osius,
tout comme les autres légats romains, signa le symbole ap
prouvé en outre par la presque totalité des Pères.
Quant à l'approbation ultérieure du symbole par les Pontifes
romains, nous possédons des témoignages très nets et très auto
risés chez les papes du rV siècle. Ainsi Jules Ier (333-352)
parle de l'impiété des ariens « anathématisés par tous les Pères
rassemblés dans le grand concile de Nicée », ainsi que de
« l'hérésie des ariomaniaques, condamnée et rejetée en tout
lieu par tous les évêques » 64. Également, le pape Libère
(352-366), que Constance maltraita si fort qu'il le fit chanceler
dans l'appui qu'il prêtait à Athanase, nous a laissé des expres
sions très significatives en faveur du symbole de Nicée, qui
« contient la vérité parfaite, qui réfute et rejette toutes les
hérésies », « forteresse puissante et inexpugnable » 65. Sozomène
LA FOI DE NICËE 89

remarque que Libère, à ce qui se disait, resta toujours fidèle


au symbole de Nicée. Le pape Damase (366-384) se montre
encore plus généreux dans ses louanges du concile de Nicée,
où les évêques « élevèrent cette muraille contre les armes du
démon et neutralisèrent, par cet antidote, les poisons mortels ».
« Tout ce symbole composé à Nicée, en accord avec l'autorité
apostolique, doit être conservé fermement et constamment. Il
est une gloire aussi bien pour nous que pour les Orientaux qui
se reconnaissent comme catholiques, et pour les Occidentaux.
Nous pensons que d'ici peu, ceux qui ne sont pas d'accord se
sépareront de notre communion et perdront le nom de fils » 66.
Le même pontife parle ailleurs de 1' « inviolabilité » du sym
bole de Nicée et exige que Vital et les siens y souscrivent
avant d'être réadmis dans l'Église 67.
Le Credo de Nicée devient une garantie d'orthodoxie. Qui
le professe est orthodoxe, qui le rejette est un hérétique. Le
Ier concile de Constantinople réaffirmera d'une façon solen
nelle le symbole de Nicée, comme nous aurons l'occasion de le
voir. Dans la 1re session du concile d'Éphèse, au moment où
commence l'examen de l'enseignement de Nestorius et de
Cyrille, on lit d'abord la formule de Nicée, pour formuler en
suite la sentence de la manière suivante : L'enseignement des
deux maîtres est-il ou n'est-il pas en accord avec le symbole
de Nicée ? Le même synode publie un décret interdisant de
toucher au texte de la formule de Nicée ou d'y introduire des
modifications, soulignant une fois de plus l'inviolabilité de ce
symbole, déjà reconnue par quelques-uns au IVe siècle. Il ne
semble pas hors de propos d'ajouter que l'église orientale elle-
même entendit toujours cette intangibilité du contenu doctri
nal du symbole sinon de sa lettre. Rappelons enfin que les
Pères du concile de Chalcédoine approuvèrent, eux aussi, le
symbole de Constantinople, tout en en composant un autre
sur la christologie. Quand, dans une des premières sessions,
les commissaires impériaux demandèrent qu'on élaborât tout
de suite un nouveau symbole, les évêques s'opposèrent de
prime abord, alléguant qu'il suffisait du symbole de Nicée
90 NICEE

pour juger l'orthodoxie dune doctrine. Non moins remar


quable est le fait que, lors des dernières sessions, quand les
évêques cédèrent enfin à la pression impériale et promulguè
rent un long décret dogmatique, ils commencèrent par redire
qu'ils « ont renouvelé la foi infaillible des Pères en prêchant
à tous le symbole des trois cent dix-huit », lequel « se distingue
par son exposé resplendissant de la foi et immaculée des trois
cent dix-huit Pères réunis à Nicée du temps de l'empereur
Constantin de pieuse mémoire ». Pour les Pères de Chalcé-
doine, le symbole de Nicée est la pierre sur laquelle repose la
foi : ils « confirment » ce que le concile de Nicée a défini et
y « souscrivent » 88.

Malgré son indubitable autorité de première définition dog


matique, le symbole de Nicée n'exerça pas une grande in
fluence sur les usages liturgiques du iv8 siècle. Nous savons
seulement que, dans l'Église de Mopsueste son évêque, Théo
dore, vers la fin du rve siècle ou au début du v8, prêchait ses
homélies catéchétiques en prenant comme base le symbole des
trois cent dix-huit Pères, un peu modifié, il est vrai, par conta
mination du symbole de Constantinople 60. Ce fut d'ailleurs ce
symbole promulgué par le Ier concile de Constantinople qui
s'introduisit peu à peu dans les liturgies de l'Orient et de
l'Occident, empêchant ainsi la diffusion de celui de Nicée *.
Mais ce fait apparemment bizarre s'explique parce que tout le
symbole de Nicée se trouve inclus dans celui de Constanti
nople, qui présente ainsi l'avantage d'être plus complet.
Soulignons particulièrement que le symbole de Nicée, règle
de foi, constitue le premier document écrit qu'il faut croire
comme l'Écriture et après elle, car il exprime la vérité révélée
par Dieu. La tradition orale commence à devenir tradition
écrite. Pour être chrétien, il faut admettre la parole de Dieu
qui se trouve dans l'Écriture et celle qui s'est cristallisée dans

* On lira p. 234 comment le symbole de Constantinople a remplacé


celui de Nicée dans la liturgie byzantine.
LA FOI DE NICÉE 91

le symbole. Certes, les expressions de la formule de Nicée


ont été empruntées pour la plupart au Nouveau Testament,
mais pas toutes. Il s'y trouve notamment des mots empruntés
au langage philosophique qui offrent l'avantage de définir
avec plus de précision la vérité révélée. Le magistère de
l'Église impose une interprétation déterminée de la Bible.
Arius invoquait, lui aussi, l'Écriture, mais il donnait aux textes
sur la filiation du Verbe un sens large et impropre, et en même
temps il entendait dans un sens trop étroit les textes appliquant
au Fils l'adjectif « fait », notamment le fameux passage des
Proverbes : « Le Seigneur m'a créé ... ». Or le symbole définit
qu'il faut entendre dans leur sens strict les textes bibliques sur
la filiation divine du Verbe et qu'il ne faut pas, par contre,
prendre à la lettre les termes «fait» ou «créé». C'est la
tradition qui interprète la Bible.
Le magistère ecclésiastique nous montre ainsi qu'il repose
sur deux bases et reçoit la révélation par deux courants : la
Bible et la tradition. Ici, c'est la tradition qui éclaire la Bible
avec autorité. Qui ne s'appuie pas sur la tradition est en dehors
de la foi chrétienne. La tradition formule ici, avec des expres
sions plus intelligibles pour son époque, la vérité contenue dans
la sainte Écriture. L'interprétation libre des Livres saints n'est
pas permise ; le principe que l'Écriture suffit pour professer la
vérité révélée est écarté. La Bible et la tradition, transmises
par le magistère de l'Église, trouvent une synthèse doctrinale
dans le symbole de Nicée, proclamé par les Églises d'Orient et
d'Occident comme règle indiscutable et indéclinable de la foi
chrétienne. Bref, le symbole de Nicée, première définition
dogmatique de l'Église, est un monument plein d'autorité de
son magistère infaillible.
Cette première définition apparaît sous deux formes rédac
tionnelles devenues ensuite classiques. D'une part, un Credo ou
profession de foi définissant les articles dogmatiques d'une ma
nière positive, comme des vérités qu'il faut croire parce qu'elles
contiennent la révélation divine. D'autre part, l'appendice,
rédigé en forme d'anathème et de caractère formellement né
92 NICÉE

gatif. Il condamne comme opposées à la foi chrétienne cer


taines propositions qui sont par conséquent hérétiques. Égale
ment, pour la première fois dans l'histoire, on anathématise
au nom de toute l'Église. Ce n'est pas le moment de discuter
si ces deux formes, Credo et anathème, sont les seules dont
le magistère de l'Église puisse se servir pour exprimer une
définition dogmatique. Il est clair cependant qu'elles sont très
aptes à formuler des définitions proprement dites dont chacun
des mots exprime, soit d'une façon positive, soit d'une façon
négative, des vérités de foi qu'il faut croire.
CHAPITRE V

LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES

La date de Pâques.
Parmi les affaires dont traiterait le concile, Constantin avait
prévu, en plus de la controverse arienne, le règlement des
désaccords sur la date de la Pâque *. Nous l'avons déjà vu,
l'usage le plus fâcheux était celui des Églises de Syrie, de
Mésopotamie et d'une partie de la Cilicie qui, tout en célé
brant Pâques le dimanche, suivaient le comput juif. C'était
chose humiliante et qui exposait ces Églises au danger de
célébrer la fête avant l'équinoxe de printemps. Nous avons vu
aussi que les computs pascals de Rome et d'Alexandrie, suivis
respectivement par l'Occident et l'Orient, n'étaient pas rigou
reusement identiques, bien qu'ils eussent tous les deux les
avantages d'être indépendants du comput juif et de tenir
compte de l'équinoxe.
Le synode d'Arles, en 314, avait déjà établi dans son
1er canon 70 le critère qui devait s'imposer maintenant à Nicée :
tout le monde chrétien devait fêter la Pâque au même jour.
Le décret de Nicée, découvert et édité par Pitra, au xrx* siècle,
décide que tous les chrétiens suivront l'usage commun déjà
observé par les Romains et par les Alexandrins **. Dans sa
lettre « aux Églises » 71, Constantin précise, en se référant à ce
précepte, les trois critères dont on tint compte pour l'élabo-

* Voir H. Leclercq, art. Pâques, DACL XIII, 1521-1553.


" Cf. Texte VII, p. 259.
94 NICÉE

rer : 1) que tous célèbrent le même jour la fête du salut du


monde, 2) qu'on ne suive plus la coutume des juifs ennemis et
responsables de la criminelle mort du Sauveur. Il est absurde
qu'ils tirent gloire de ce que, sans leur norme, les chrétiens
seraient incapables de bien observer la Pâque ; 3) qu'on s'en
tienne à la coutume de « Rome, de l'Italie, de l'Afrique, de
toute l'Égypte, de l'Espagne, de la Gaule, de la Bretagne, de
la Lybie, de toute la Grèce, des diocèses d'Asie et du Pont, et
de la Cilicie ». La lettre synodale adressée à l'Église d'Alexan
drie annonce brièvement qu'on est parvenu à un accord sur la
date de Pâques et que tous les Orientaux ont adhéré à l'usage
de Rome et d'Alexandrie 72.
Nous ne retrouvons mention dans aucune de ces sources
d'un détail intéressant que nous rapporte un texte de saint
Léon le Grand, du milieu du ve siècle. D'après ce récit digne
de foi, le concile de Nicée confia à l'évêque d'Alexandrie la
charge de faire calculer par avance la date de Pâques et d'en
prévenir Rome, qui la transmettrait à son tour aux diocèses
plus éloignés, car Alexandrie étant une ville très savante, il
était facile d'y trouver l'aide des sages pour les calculs mathé
matiques et astronomiques qui seraient nécessaires. D'ailleurs,
le canon d'Arles que nous venons de mentionner faisait déjà
allusion à la coutume qu'avait l'évêque de Rome d'annoncer la
date pascale à l'Occident.
Il nous reste toute une série de lettres pascales de saint
Athanase où, suivant le décret de Nicée, on annonce la date de
Pâques. Celle-ci a lieu le dimanche immédiatement postérieur
au 14 Nisân, c'est-à-dire à la pleine lune qui suit l'équinoxe
du printemps.
Après Nicée, Rome conserva généralement son calcul propre,
mais elle donna une fois ou l'autre la préférence à celui
d'Alexandrie, pour l'amour de la paix quand il y avait désac
cord. Saint Ambroise, pour sa part, s'en tenait au calcul alexan
drin qu'il préférait au romain. A Antioche, tout le monde
n'accepta pas l'adhésion officielle de cette Église au comput
alexandrin, ce qui, au concile d'Antioche de 341, détermina
LES DECRETS DISCIPLINAIRES 95

des mesures contre les récalcitrants. Prêchant à Antioche, en


387, saint Jean Chrysostome condamne les « protopaschistes >
qui, ne tenant pas compte de la date établie à Nicée, restaient
fidèles au comput juif et avançaient parfois d'un mois la
célébration de Pâques. Ils avançaient aussi naturellement le
jeûne du Carême, ce qui troublait fortement la vie de la
communauté chrétienne. Chrysostome invoque l'autorité du
concile de Nicée et reproche aux rebelles leur dépendance à
l'égard de ceux qui crucifièrent le Seigneur.
En Mésopotamie, l'ascète Audius ou Uda, archidiacre
d'Édesse, s'opposa à la décision de Nicée et y trouva un pré
texte pour rompre avec l'Église. Il fonda une secte et propagea
plus tard des doctrines gnostiques et astrologiques.
Le résultat le plus pratique atteint par le décret de Nicée
fut l'unification de la date de la célébration pascale parmi
toutes les Églises orientales, ce qui mit fin aux différences exis
tant à l'intérieur d'un même territoire.

Les canons de Nicée.

Les évêques voulurent profiter de l'occasion, jusqu'alors


unique, qui les réunissait dans un synode œcuménique, pour
discuter d'autres problèmes d'ordre pratique qui n'étaient pas
dans le programme de Constantin. Telle fut l'origine des
canons disciplinaires *.
D'autres synodes avaient déjà, avant Nicée, promulgué des
décrets. Aucune série de canons antérieure au rve siècle ne
nous a été conservée, bien que nous puissions retrouver dans
les lettres de saint Cyprien divers éléments des canons pro
mulgués par les conciles de Carthage, au irr3 siècle, sur la
réitération du baptême aux hérétiques. Avant Nicée, il ne
nous reste que des canons des synodes d'Elvire (première dé
cennie du IVe siècle), d'Arles (314), d'Ancyre et de Néo-Césarée
(l'un et l'autre vers 315). Ces canons n'étaient pas destinés à

* Cf. Texte VIII, p. 260.


96 NICÉE

imposer des normes universelles, mais ils nous offrent un point


de comparaison intéressant pour comprendre la portée de
ceux de Nicée.
Les canons authentiques de Nicée sont au nombre de vingt,
selon Théodoret et Gélase de Cyzique, qui les transcrit73.
Rufin donne un chiffre de vingt-deux canons, mais il dédouble
le 6e et le 8e. Ces canons sont incorporés dans les compilations
canoniques, comme celle de Théodore Balsamon (xir3 siècle).
D'autres canons ont été attribués par erreur aux Pères de
Nicée. Déjà au ve siècle, on croyait à Rome que les canons du
concile de Sardique (343) avaient été promulgués à Nicée.
Mais les plus fameux parmi les canons pseudo-nicéens sont les
syriaques d'une part, et les arabes d'autre part *. Ils se trouvent
dans un codex syriaque du Vatican, dont la seconde partie
est constituée par une compilation d'actes des synodes natio
naux de Séleucie-Ctésiphon, capitale de la Perse. En relatant
le synode de 410, présidé par Marûta de Maïferkat, on traduit
d'abord vingt-et-un canons appelés nicéens, mais qui ne coïn
cident pas tout à fait avec ceux du concile de Nicée, sauf les
2e, 3e, 4e et 68. Viennent ensuite soixante-treize autres canons
attribués également au concile de Nicée, mais qui n'ont rien
à voir avec lui. Ils sont peut-être l'œuvre du même Marûta,
qui put s'inspirer de toute la législation canonique du iv8 siècle
pour la transmettre aux églises de la Perse. Celles-ci, en effet,
avaient vécu jusqu'alors sans contact avec Antioche et, par
conséquent, avec toute la vie de l'Église. Les prétendus canons
arabes du concile de Nicée, découverts en Égypte et divulgués
en Europe au xvr3 siècle, au nombre de quatre-vingts, firent
sensation. Des savants aussi considérables que le jésuite Fran
cisco Torrès (« Turrianus »), le maronite Abraham Echellensis
et le cardinal Aguirre défendirent leur authenticité. Personne
ne l'admet plus de nos jours, bien que le désaccord subsiste
quant à l'identité du compilateur qui les rédigea. D'après une
opinion probable, ce fut un melchite du patriarcat d'Antioche,

* Voir Hefele-Leclercq, 1/1, 511-527.


LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 97

vers la fin du V siècle. En tout cas, le contenu de ces canons


est inconciliable avec lepoque du concile de Nicée.
Dans les compilations canoniques occidentales, il n'existe
pas de canons du concile de Nicée en dehors des authentiques,
ce qui est un bon signe.
La législation canonique de Nicée se propose, dans presque
tous les cas, de fixer définitivement des normes juridiques
déjà en usage, parfois depuis longtemps. Quelquefois elle veut
éliminer quelques abus surgis contre les prescriptions an
ciennes. Bref, les Pères de Nicée n'eurent pas l'intention de
faire une révolution dans le domaine juridique. C'est pour
quoi leurs canons sont des témoins des circonstances hitoriques
qui s'étaient produites et s'étaient prolongées avec des fortunes
diverses dans la période antérieure de l'histoire ecclésiastique.
D'où leur grand intérêt et leur importance. Il est évident
que les évêques réunis dans cette assemblée universelle vou
lurent promulguer des décrets valables et obligatoires pour
toute l'Église « catholique et apostolique », étant donné qu'ils
représentaient tout le monde chrétien. Et les infractions posté
rieures dont nous parlent les sources historiques ne sont nul
lement des preuves contre la portée universelle des décrets de
Nicée. Bien peu de lois subsisteraient si l'on devait accepter
ce principe.
Tels qu'ils nous ont été transmis, les canons ne sont pas
disposés en ordre, mais distribués aux hasard. C'est pourquoi
nous allons les étudier en les groupant par thèmes, ce qui
permettra de percevoir plus clairement l'œuvre disciplinaire
et juridique du premier concile œcuménique de l'Église.

Les structures de TÉglise (canons 4, 5, 6, 7, 15, 16).

Certaines dispositions des canons se réfèrent à ceux qui


constituent la base de la hiérarchie locale : l'évêque, les prêtres
et les diacres. Le diocèse de l'évêque portait alors le nom de
« paroisse ». Les canons 15 et 16 établissent une règle sévère :
l'évêque et aussi ses prêtres et ses diacres, sont attachés à
98 NICËE

leur territoire; ils y sont nés et ils doivent y rester, sans


chercher à être transférés ailleurs. On condamne comme anti
canonique l'abus du changement de diocèse, qu'on attribue
aux troubles des temps. De tels changements seront désormais
nuls, et l'évêque, le prêtre ou le diacre devront retourner à
l'église pour laquelle ils avaient été ordonnés. Nous retrouvons
la même norme dans le 2e canon d'Arles ; le 21e menace les
transfuges de déposition. Il ne faut pas chercher bien loin
pour s'apercevoir de l'utilité de telles dispositions : au concile
de Nicée siégeaient Eusèbe, évêque de Nicomédie qui l'avait
été de Béryte, et Eustathe, qui était passé du siège de Bérée
à celui d'Antioche.
Le 16e canon de Nicée insiste encore. Les clercs qui, par
légèreté et manque de crainte de Dieu, viendraient à mépriser
cette loi et à déserter leur église, seront contraints par tous
les moyens de retourner dans leur diocèse. Dans le cas où
ils s'y refuseraient, ils seraient excommuniés. Pour la même
raison, on interdit aux évêques d'aller chercher ou d'ordonner
des candidats d'autres diocèses sans la permission de leur
évêque propre, faute de quoi l'ordination sera nulle. Une idée
fort semblable inspirait le 24e canon du synode d'Elvire qui
décrétait que si l'on ne connaît pas un candidat de passage,
on n'a qu'à l'ordonner seulement dans son diocèse. Le 26e ca
non attribué au synode d'Arles répète la loi de celui de Nicée.
Ces canons interdisent donc sévèrement ce que nous appe
lons, en termes plus modernes, l'excardination du clergé, ainsi
que toute promotion ou transfert d'évêques à d'autres sièges.
Les motifs d'ambition et les critères fort humains qui sont la
plupart du temps à l'origine de cette mobilité sont évidents,
non moins que les préjudices qu'elle comporte, notamment
pour les églises pauvres, naturellement moins désirables. Mais,
d'autre part, cette mesure qui interdisait tout mouvement pou
vait empêcher l'évangélisation de nouvelles régions et la dis
tribution proportionnée du clergé. Il est probable que les dan
gers de l'instabilité locale du clergé se faisaient sentir davan
tage à cette époque. D'ailleurs, cette loi du concile de Nicée ne
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 99

fut pas toujours respectée. Avant la fin du siècle, Grégoire le


Théologien sera successivement évêque de Sasimes, de Na-
zianze et de Constantinople. Et Jean Chrysostome, le célèbre
prédicateur de l'église d'Antioche, sera pratiquement séques
tré pour être emmené à Constantinople et en être élu évêque.

Au-dessus de la structure évêque-prêtre-diacre, apparaît,


dans les canons 4 et 5, celle de l'évêque métropolitain qui pré
side un certain nombre de diocèses unis dans une « éparchie »
ou province ecclésiastique. On peut imaginer que les limites
des éparchies ecclésiastiques coïncidaient avec celles des pro
vinces civiles. L'élection de chaque évêque est à la charge des
autres évêques de la province. En cas d'urgence, il suffit de
l'avis de trois évêques qui, avec la permission écrite des ab
sents, procéderont à « l'imposition des mains », ce qui signifie
ici la consécration épiscopale et probablement aussi l'installa
tion canonique. Mais le nouvel évêque doit être confirmé par
le métropolitain de sa province. Bien qu'on ne le spécifie pas,
il faut supposer qu'il s'agit d'une confirmation préalable ou
tout au moins antérieure à l'installation du nouvel évêque. Il
est intéressant de noter que le nombre de trois évêques con
servé jusqu'à nos jours, tient au fait que les évêques étaient
des électeurs avant de devenir des consécrateurs, ce qui rend
nécessaire cette pluralité.

Le 6" canon impose l'obligation de renoncer à celui qui au


rait été fait évêque sans être confirmé par le métropolitain.
Mais cette mesure ne sera pas appliquée s'il s'agit d'une élec
tion légale, à laquelle deux ou trois évêques s'opposent par pur
entêtement.
L'ancienne coutume ecclésiastique, dont la prudence vou
lait éviter des élections dues au favoritisme ou à la subornation,
exigeait qu'un seul évêque ne puisse pas consacrer un autre
évêque. Ainsi l'exprimait le 20e canon d'Arles, en précisant
que s'il ne pouvait le faire en compagnie de sept autres
évêques, il devait être assisté au moins par trois. Le 18e canon
100 NICÉE

du synode d'Ancyre considère, par contre, le cas d'un évêque


dûment élu, que ses diocésains n'accepteraient pourtant pas
pour certaines raisons. On lui interdisait de vouloir être in
tronisé dans un autre diocèse et on lui ordonnait de rester
dans le sien en qualité de simple prêtre. S'il venait à perturber
un autre diocèse, il serait excommunié ; s'il soulevait les
fidèles contre leur évêque, il perdrait même sa dignité sacer
dotale.
Les canons ne parlent pas d'autres pouvoirs du métropo
litain sauf celui de confirmer l'élection d'un nouvel évêque
présenté par les évêques de la province respective. Mais il est
hors de doute qu'une autre des attributions du métropolitain
ou « éparque » consistait à convoquer et présider le synode
provincial qui, comme l'établit le 5e canon de Nicée, devait se
rassembler deux fois par an, avant le carême et en automne.
Le même canon signale un point qui relève de la compé
tence du synode : l'examen des excommunications fulminées
par les évêques de la province. Dans le cas où ces sanctions
sont dues à la méchanceté d'âme du prélat, à son esprit de
contradiction ou à des rancunes personnelles, le synode pourra
rectifier la peine et, en tout cas, la tempérer. Ceci présuppose
le principe énoncé au début du même canon : l'excommunica
tion fulminée par un évêque a automatiquement valeur pour
tous les diocèses de la province. Le 53e canon du synode d'Elvire
décrétait de façon analogue que celui qui aurait été excommu
nié par un évêque ne pouvait être admis par les autres à la
communion jusqu'à ce qu'il eût reçu l'absolution de son propre
évêque. Et le 16e canon d'Arles établissait la même chose. Le
concile de Nicée introduit une modification importante. Le
jugement du synode provincial peut rendre nulle une excom
munication injustifiée.
Que l'excommunication fulminée par un évêque fût valable
partout dans l'éparchie était donc, on le voit, une règle an
cienne et juridiquement claire. Mais quelle était la valeur d'une
excommunication en dehors des limites de la province ecclé
siastique ? Nous avons déjà vu, dans le cas du synode d'An
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 101

tioche réuni contre Paul de Samosate et dans celui du synode


d'Alexandrie contre Arius, qu'à l'issue des sessions les évêques
envoyèrent des lettres synodales aux autres provinces, leur de
mandant de rompre la communion avec celui qui avait été ex
communié comme hérétique. Mais, dans les deux cas, il est
clair que ce n'était pas de simples évêques qui excommuniaient,
mais des synodes provinciaux. A notre avis, il n'est pas facile
de donner une réponse absolument sûre à la question. Le fait
même de demander aux autres provinces qu elles considèrent
aussi comme valable l'excommunication fulminée dans l'une
d'elles, semble indiquer que l'excommunication ne se propa
geait pas automatiquement et vi iuris en dehors des limites des
provinces, bien qu'on ait pu croire que la majorité des diocèses
s'en tiendraient au jugement et à la peine portés dans le
diocèse du délinquant, comme il arriva dans les deux cas que
nous venons de mentionner.

Au-dessus de la structure de l'éparchie ou province métro


politaine, les 6e et 7e canons du concile de Nicée reconnaissent
solennellement certaines prérogatives des sièges de Rome,
d'Alexandrie, d'Antioche et d'Aelia, nom qu'on donnait alors à
Jérusalem en ruines. Il s'agit d'une des dispositions les plus
importantes du concile de Nicée, qui devait se cristalliser plus
tard dans les patriarcats.
Il convient d'étudier soigneusement le 6e canon. D'après son
texte, il faut maintenir l'ancienne coutume donnant à l'évêque
d'Alexandrie « l'autorité » (tèn exusian) sur l'Égypte, la Lybie
et la Pentapole, puisque le cas est le même que celui de
Rome*. Nous voilà donc en face de deux éléments impor
tants : premièrement, l'évêque d'Alexandrie jouit de l'autorité
et, par conséquent, de la juridiction supraprovinciale sur les
territoires de l'Égypte, de la Lybie et de la Pentapole ; deuxiè
mement, cette autorité dérive d'une coutume déjà ancienne.
Autrement dit, on fait allusion à un droit coutumier. Par contre,
Voir Hefele-Leclercq, 1/2, 552-569.
102 NICÉE

il n'y a aucune mention d'un droit divin ni même apostolique.


On désirerait plus de détails à propos de l'étendue de cette
autorité de levêque d'Alexandrie sur les autres diocèses. Au
moment dont nous parlons, l'extension à plusieurs provinces
de cette autorité spéciale du siège alexandrin n'a pas encore de
dénomination ecclésiastique. Elle coïncidera plus tard avec
les limites d'un patriarcat. Mais on ne parle pas encore de
« patriarches » ni de « patriarcats ».
En parcourant l'histoire, nous voyons qu'au me siècle
levêque alexandrin Denys intervint dans la Pentapole pour
combattre l'hérésie monarchianiste propagée par Sabellius. Il
est également symptomatique qu'Arius, originaire de Lybie,
se soit installé comme curé d'une paroisse d'Alexandrie et que
le concile convoqué par Alexandre contre l'arianisme ait vu
se réunir à Alexandrie les évêques de toute l'Égypte, soit une
centaine, et ait excommunié aussi Second et Théonas, évêques
de la Pentapole. Une certaine facilité de communications dans
ce territoire et la dignité de l'ancien siège d'Alexandrie, qu'avait
évangélisé, suivant une antique tradition, saint Marc, purent
être à l'origine de cette nouvelle structure du siège supermé
tropolitain d'Alexandrie. Le canon passe sous silence ces raisons
et ne donne comme motif que la coutume ancienne.
On ne mentionne qu'en passant et comme point de compa
raison la prérogative du siège de Rome. Il s'agit donc d'un fait
indiscutable et parallèle à celui de l'autorité supra-provinciale de
l'évêque d'Alexandrie. Autrement dit, on ne fait pas ici allusion
à l'autorité primatiale de Rome sur toute l'Église catholique,
mais à un pouvoir exercé sur des territoires qui s'étendent
au-delà du Latium. Dans le cas de Rome, ce pouvoir privilégié
s'étendait probablement sur le centre et le sud de l'Italie et
sur la Sicile et la Sardaigne.
Moins défini est le 6e canon pour ce qui concerne le siège
d'Antioche et les autres éparchies. Quelles étaient ces autres
éparchies ou provinces et de quelles prérogatives jouissaient-
elles ? Le canon se borne à décréter qu'elles gardent leurs
anciens privilèges. Le texte dit seulement : leurs anciens « hon
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 103

neurs » (presbeia). Il n'explique pas à quoi sont dus ces


honneurs ou privilèges, par exemple, au fait qu'Antioche soit
un siège apostolique.
L'histoire nous permet peut-être de tirer quelques conclu
sions de ce qu'au synode réuni à Antioche en 268, participèrent
des évêques de la Cappadoce, de la Cilicie et du Pont. Mais
la preuve n'est pas tout à fait concluante, étant donné qu'on
invita aussi à ce synode l'évêque d'Alexandrie, Denys, que son
âge empêcha de venir, mais qui ne relevait certainement
pas du siège d'Antioche. Plus significatif peut-être est le
fait qu'à la veille de proclamer leur indépendance, au V siècle,
les évêques de Perse font allusion à la coutume ancienne qui
les met dans une certaine dépendance vis-à-vis des évêques
d'Antioche. Les sources historiques, peu nombreuses et mal
étudiées, ne suffisent pas à éclaircir ce que le canon laisse
dans la pénombre. En tout cas, il ne semble pas que ce pri
vilège d'Antioche ait été purement honoraire, comme celui
qu'accorde à Jérusalem le canon suivant. Il était certainement
au-dessus de l'autorité d'un métropolitain. D'autre part, si ces
privilèges avaient eu la même valeur que ceux qu'on procla
mait pour Alexandrie, on ne voit pas pourquoi on les aurait
traités dans une autre proposition et en des termes différents.

Le 7e canon détermine que l'évêque d'Aelia ou Jérusalem,


qui était d'ailleurs suffragant du diocèse métropolitain de
Césarée, jouira de l'habituelle préséance d'honneur, la dignité
du métropolitain étant sauve. Cette prescription est également,
pour nous, trop laconique. Jérusalem, où Constantin n'avait pas
encore édifié la basilique du Saint-Sépulcre, était un siège en
ruines, tandis que Césarée, capitale civile de Palestine, l'était
également de la province ecclésiastique. Nous ne sommes pas à
même de préciser en quoi pouvait consister cette préséance,
dont l'un des effets était celui de placer l'évêque de Jérusalem
immédiatement après l'évêque de Césarée.

Il n'est pas téméraire d'affirmer que les canons du concile


104 NICÉE

de Nicée semblent se préoccuper davantage de fixer les struc


tures de l'Orient que celles de l'Occident. Vraisemblablement
les motifs en furent, d'une part l'appartenance de la majorité
des Pères aux provinces orientales, et d'autre part le fait que
les privilèges du siège romain étaient plus clairs et moins
discutables.
Remarquons en passant qu'on ne fait aucune allusion à
des prescriptions ou traditions apostoliques à propos de cette
structure supérieure qui est à l'origine des patriarcats. En
fait, les deux structures qui se trouvent au-dessus de celle des
évêques et de leurs prêtres et diacres, c'est-à-dire les struc
tures des métropolites et des sièges privilégiés qui leur sont
supérieurs, sont nées au cours des premiers siècles de l'évolu
tion spontanée et normale d'une société qui continue de cher
cher une cohésion plus grande et un gouvernement plus effi
cace. Le groupement des diocèses d'une même région en pro
vinces ou éparchies reflétait la structure de la société civile
avec ses municipes et ses provinces et offrait l'avantage de
rendre plus aisées les communications et l'unité de régime des
diocèses. L'exemple de l'excommunication valable pour tout le
territoire métropolitain est très significatif. A côté du métropo
litain, à qui revient la confirmation des évêques élus par le
corps épiscopal de la province, nous trouvons ce même corps
épiscopal réuni en synodes et avec des pouvoirs qu'on pourrait
dire de seconde instance, pour juger les sentences punitives
données par chacun des évêques.
Cette position supérieure de sièges exerçant une certaine
autorité ou possédant des prérogatives sur des provinces di
verses ou sur de grands territoires, semble être une tendance
inspirée par la structure des « diocèses » civils de l'Orient. En
fait, le territoire soumis à l'autorité religieuse d'Alexandrie
coïncide avec celui qui constitua plus tard le « diocèse > civil
de l'Égypte, dont le territoire comprenait, en plus des pro
vinces égyptiennes, celles de la Lybie et de la Pentapole. Il est
malaisé cependant de dire qu'il en fût de même pour les ter
ritoires dépendant du siège d'Antioche.
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 105

Les canons de Nicée passent sous silence l'autorité suprême


du siège romain sur l'Église universelle. Ce silence ne constitue
ni une affirmation ni une négation. Jusqu'alors, pendant deux
siècles et demi de persécution, Rome avait exercé clairement
son primat dans des interventions nettes, indiscutablement attes
tées, même si les difficultés de l'époque et de l'étendue des
territoires chrétiens les rendaient assez rares. Le siège romain
n'exerça son autorité suprême en Orient que dans des cas
d'urgence. Ainsi, par exemple, le pape Clément admonesta-t-il
les Corinthiens rebelles et le pape Denys jugea-t-il l'enseigne
ment de son homonyme alexandrin. Plus sensible fut l'interven
tion romaine dans les affaires des provinces africaines parmi
lesquelles le siège de Carthage jouissait d'une prééminence
évidente. Cependant, en tenant compte des sources historiques,
on s'aperçoit que l'Église de Rome, pendant bien des siècles,
tout en possédant un primat à portée universelle, n'avait pas
encore organisé ce qu'on pourrait appeler une centralisation
de l'Église. On ne recourait au siège romain qu'en appel et
dans des cas de gravité exceptionnelle. D'ailleurs, la lenteur
et la difficulté des communications aurait pratiquement rendu
impossible une direction centrale effective des affaires ordi
naires, six mois pouvant facilement s'écouler avant que la
réponse romaine à un appel ou à une question quelconque pût
parvenir au centre de l'Asie Mineure.
L'impression que suggèrent les canons que nous venons d'exa
miner est que, parmi les sièges orientaux, celui d'Alexandrie
était le principal ; ceux d'Antioche et de Jérusalem le suivaient.

La dignité du clergé (canons 1, 2, 3, 9, 10, 17).

Plusieurs des canons de Nicée traitent de la réputation


du clergé et de cette dignité publique qui est la condition né
cessaire à l'exercice de son apostolat.
Le 1er canon interdit aux eunuques l'accession aux rangs
du clergé et ordonne que ceux qui auraient subi la castration
une fois promus, soit pour des raisons d'ordre sanitaire, soit par
106 NICÉE

la violence d'un barbare, poursuivent l'exercice de leurs


fonctions, tandis que ceux qui se seraient mutilés de leur
propre gré seront écartés. Il s'agit là, on le voit tout de
suite, d'un des empêchements aux ordres qui seront connus
plus tard sous le nom d' « irrégularités ».
L'Église ne voyait pas avec bienveillance cette caste des
eunuques, dégradés physiquement et moralement, qui envahis
sait alors les cours et menait généralement le jeu sordide des
intrigues de palais. C'est à l'infamie sociale des eunuques bien
plus qu'au souci de s'opposer à la secte insignifiante des châtrés
« Valésiens » qu'il faut attribuer le refus exprimé par les Pères
de Nicée d'ouvrir la cléricature à ces hommes que leur mutila
tion rendaient ridicules et méprisables. De très fraîche date
était le cas du prêtre antiochien Léonce qui, pour dissiper les
soupçons que provoquait sa cohabitation avec une jeune
femme, décida de se mutiler, ce qui ne supprima guère sa
mauvaise réputation. Il fut déposé par Eustathe, son évêque.
Mais sa nouvelle condition ne fut pas un obstacle à ce que,
déjà semi-arien, il fût élu évêque d'Antioche, en 344, à la
place d'Etienne, prêtre non moins indigne.
La règle qui écartait les eunuques du sacerdoce était déjà
ancienne, comme le prouve le cas d'Origène. Ce jeune homme
extraordinairement doué, s'était en effet mutilé lui-même, dans
un élan d'ascétisme. Sur le moment, personne ne le lui re
procha. Mais ayant été ordonné prêtre quelques années plus
tard par les évêques Théoctiste de Césarée et Alexandre de
Jérusalem, son évêque, Démetrius, lui interdit de rester à
Alexandrie à cause de sa mutilation. Peut-être les évêques qui
l'avaient ordonné ignoraient-ils un fait qui était notoirement
public à Alexandrie ? Quoi qu'il en soit, on comprend diffi
cilement comment Démetrius aurait pu prendre une mesure
aussi sévère si l'acte avait été licite selon les normes de
l'époque.
Dans l'intention de garder intacte la réputation du clergé, le
3" canon établit que les évêques, les prêtres et les diacres ne
pourront cohabiter avec des femmes, sauf s'il s'agit de leur
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 107

mère, de leur sœur, de leur tante ou d'autres femmes au-des


sus de tout soupçon.
Non moins sévère est le 27e canon du concile d'Elvire, dans
lequel on détermine que les membres du clergé ne garderont
chez eux d'autres vierges que leurs propres filles ou leurs
sœurs. Le canon de Nicée ne parle pas expressément des
femmes des clercs. Si l'épisode de Paphnuce est vrai, * comme
il semble l'être, on songea un moment au concile à imposer
la continence aux clercs mariés ; mais on y renonça finale
ment. Il est pourtant quelque peu étonnant que le canon ne
mentionne en aucune façon les femmes des clercs, donnant
ainsi l'impression qu'il suppose le célibat ecclésiastique. Mais
il ne faut pas pousser trop loin l'exégèse. Il est vrai qu'en Occi
dent, ainsi que le prescrivaient expressément le 33e canon d'El
vire et le prétendu 29e canon du concile d'Arles, l'usage
s'était déjà imposé pour les clercs mariés de garder la conti
nence. La discipline de l'Orient était différente. Le 10e canon
d'Ancyre permettait le mariage aux diacres qui en obtien
draient la permission de leurs évêques avant mais pas après
le diaconat, ce qui suppose par conséquent qu'ils pouvaient
vivre en ménage. Le 1er canon du synode de Néo-Césarée in
terdisait aux prêtres de se marier, sous peine d'être exclus du
clergé.
Bref, nous pensons que le canon de Nicée songe exclusive
ment à protéger le clergé, surtout ses membres célibataires,
contre tout soupçon touchant la cohabitation avec des jeunes
femmes qui n'étaient pas de leur famille. Et bien que ce canon
ne parle pas expressément des « agapètes », ou « sœurs spiri
tuelles », avec lesquelles vivaient certains clercs — un abus
que des écrits antérieurs avaient souvent flétri — il est hors de
doute que ce scandale est aussi réprouvé par le concile.

Les canons accordent une grande importance au choix des


candidats au sacerdoce. Ainsi, le 2° canon prescrit d'éviter toute

* Cf. ci-dessus, p. 64.


108 NICÉE

précipitation dans la collation du sacerdoce aux néophytes, et


plus encore de l'épiscopat. Afin d'exclure de fâcheuses sur
prises, on doit se renseigner préalablement sur les candidats.
Et si quelques-uns ont été élevés à la prêtrise sans qu'on ait
procédé préalablement à des enquêtes, ou si au cours de ces
informations leur indignité s'est manifestée, le 9e canon déclare
que l'imposition des mains qui leur fut faite contrairement
au canon, n'est pas recevable, l'Église ne voulant comme
prêtres que des hommes « immaculés ».
Suivant le même critère, le 10e canon interdit que les lapsi,
— chrétiens qui avaient sacrifié aux idoles pendant la persécu
tion —, soient admis dans le clergé. Qu'on les ait ordonnés en
le sachant ou en l'ignorant, les lapsi seront écartés de leurs
fonctions dès que leur apostasie antérieure sera connue.
Les membres du clergé doivent observer une conduite irré
prochable. Le 2e canon de Nicée prescrit que si un clerc com
met une faute grave et publique devant deux ou trois témoins,
il sera suspendu de ses fonctions. S'il n'obéit pas à cette loi
d'interdiction^ il risque d'être définitivement dégradé et réduit
à l'état laïc. A cette sévérité des Pères de Nicée, on trouve
des précédents dans les anciennes normes ecclésiastiques. Le
synode d'Elvire, en son 20e canon, se montre terriblement dur
à l'égard des membres du clergé qui auraient commis une
faute d'impureté ; ne leur refuse-t-il pas l'absolution même
in articulo mortis ? Et le 1er canon de Néo-Césarée excommunie
le prêtre coupable de fornication, et lui impose de faire péni
tence publique. Le 9e canon du même concile supprime la per
mission d'offrir le sacrifice de l'autel au prêtre qui déclare
avoir commis un péché charnel : il devra se borner aux autres
fonctions cléricales. Le canon suivant impose aux diacres des
restrictions analogues.

L'Église avait été depuis toujours consciente que les


prêtres, destinés par vocation à dispenser gratuitement les
trésors divins, se rendraient odieux en s'adonnant aux affaires
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 109

matérielles ou, pire encore, à l'usure. Pour prévenir de tels


abus, les Pères de Nicée promulguèrent le 17e canon. Ils re
grettent d'abord que bien des membres du clergé pratiquent
l'usure et exigent des intérêts mensuels. Désormais le clerc qui
exige un intérêt, qui exerce l'usure sous n'importe quelle forme,
qui réclame la moitié ou qui s'adonne à d'autres gains scan
daleux sera rayé du clergé, ce qui revient à le dégrader en le
réduisant à l'état laïc.
Cette règle, comme toutes les autres promulguées par l'assem
blée œcuménique, ne fait que reprendre d'anciennes directives.
Le synode d'Elvire interdisait déjà aux clercs, dans son 19e ca
non, de se consacrer aux affaires ou de faire personnellement
des achats ; à cette fin, ils peuvent se faire aider par les laïcs
de leur famille. Le même concile dans son 20e canon menace
de dégradation les clercs pratiquant l'usure. Pareillement, le
synode d'Arles, dans son 12e canon, punit de l'excommunication
les clercs usuriers.

La pénitence publique (canons 11, 12, 13, 14).

D'un cœur maternel, l'Église offre, dans les canons du


concile de Nicée, le pardon à tous les pécheurs sans distinction.
Le 13e canon ordonne que, selon l'antique usage, on ne refuse
pas aux moribonds l'absolution. Si le malade ainsi pardonné
survit à la maladie, il passe dans la catégorie pénitentielle des
« orants ». L'évêque doit de même, après avoir examiné les dis
positions du malade, donner l'Eucharistie au moribond qui la
lui demande.
Cette largeur d'esprit qui s'appuie sur l'usage ancien, diffère
non seulement du montanisme qui refusait à l'Église le
pouvoir de pardonner les trois péchés capitaux d'idolâtrie,
d'adultère et d'homicide, mais il est loin aussi du rigorisme
des canons du synode espagnol d'Elvire, célébré une vingtaine
d'années avant Nicée. Le concile espagnol punissait plusieurs
espèces de péchés et de pécheurs en leur refusant l'absolution
même à l'heure de la mort. Parmi ces pécheurs on comptait
110 NICÉE

les apostats, et les flamines, qui, bien que chrétiens, avaient ac


cepté des fonctions religieuses dans le culte païen, ceux qui
avaient sacrifié aux dieux ou commis l'adultère après avoir fait
pénitence, les homicides, les divorcés qui voulaient se remarier,
les vierges infidèles, etc. Même le synode d'Arles, dans son
22e canon, refuse le viatique aux apostats qui n'ont pas encore
fait pénitence publique.

Le 14e canon de Nicée décrète que ceux qui ont péché étant
encore catéchumènes feront seulement trois ans de pénitence
parmi les « auditeurs » et passeront ensuite parmi les caté
chumènes pour la prière.
Le concile de Nicée suit ici à la lettre la norme du 4e canon
d'Elvire. Le synode de Néo-Césarée avait été encore plus
péremptoire. Le catéchumène n'appartenant pas à la classe
des genuflectentes devait, dans le cas où il avait commis un
péché, passer à celle des auditores, qui était le rang le plus
bas. S'il était déjà dans ce rang, il devait être expulsé du
catéchuménat.
Les évêques réunis à Nicée voulurent se montrer spéciale
ment bienveillants à l'égard de ceux qui avaient succombé lors
de la récente persécution de Licinius. Cette attitude bienveil
lante des évêques était peut-être due au fait que les lapsi
de la dernière persécution étaient relativement nombreux. Ils
sont visés par les 11e et 12e canons. Le premier prescrit un
traitement dune douceur imméritée pour ceux qui avaient
fléchi sans y être poussés par la nécessité, par la confiscation
de leurs biens ou par quelque autre menace grave. Ceux qui,
déjà baptisés, se montraient vraiment contrits devaient faire
trois ans de pénitence parmi les auditores et sept ans parmi
les prostrati. Ils rejoindraient ensuite les orantes pendant deux
ans, mais sans participer à l'oblation.
Le synode d'Ancyre, en 314, avait agi avec une indulgence
semblable à l'égard des apostats de la persécution de Maximin
et de Dioolétien. D'après le 4" canon de ce concile, ceux qui
avaient sacrifié et s'étaient repentis faisaient un an de pénitence
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 111

parmi les auditores, trois parmi les prostrati et deux parmi


les orantes. Le synode était encore plus clément dans cinq de
ses canons (5-9) à l'égard de ceux qui avaient commis le péché
d'idolâtrie, sans toutefois offrir un sacrifice.
Le 12e canon de Nicée prescrit trois ans de pénitence parmi
les auditores et dix ans parmi les prostrati pour ceux qui,
ayant d'abord proclamé leur foi en abandonnant le baudrier,
l'auraient obtenu à nouveau à prix d'argent ou de cadeaux.
Cependant, leur peine pourra être mitigée, après les trois ans
passés parmi les auditores, en les mettant directement parmi
les orantes, si toutefois l'évêque pense que leur bonne conduite
montre suffisamment leur contrition intime et sincère. Quant
aux tièdes et aux indifférents, il n'y aura aucun adoucissement
pour eux.

La réadmission des schismatiques et des hérétiques (canons


8 et 19).

Le 8e canon de Nicée pose les conditions de la réconciliation


des « purs » (kâtharoi). D'après les traits qu'on en donne, il
faut les identifier plutôt aux novatianistes qu'aux manichéens,
bien que ces derniers aient reçu le nom de « purs » au Moyen
Age. La loi de Nicée établit qu'on impose les mains aux
« purs » qui veulent entrer dans l'Église catholique. Ce geste
peut être considéré comme un rite pénitentiel, qui accompa
gnait probablement le sacrement lui-même. Mais pour obtenir
leur admission, les « purs » doivent promettre préalablement
par écrit qu'ils se conformeront à la doctrine de l'Église, et en
particulier qu'ils ne refuseront pas la communion aux per
sonnes remariées après la mort de leur premier conjoint, ainsi
qu'aux lapsi qui ont accompli leur pénitence. Les « purs »
appartenant au clergé ne jouiront pas, après leur réconcilia
tion, des mêmes droits que le clergé orthodoxe. Dans les vil
lages et dans les villes où il n'y a d'autres membres du clergé,
que des convertis de ce «catharisme », ceux-ci peuvent conti
nuer dans leurs postes et dans leurs charges. Mais s'il y a, par
112 NICÉE

contre, un évêque et un prêtre catholiques, il est évident que


l'évêque catholique restera dans ses fonctions, tandis que
l'évêque « pur » gardera simplement la dignité sacerdotale, sauf
dans le cas où l'évêque catholique lui permet de conserver
aussi le titre purement nominal devêque. Lorsque l'évêque
catholique ne veut pas lui accorder cet épiscopat honoraire,
il peut le nommer « chorépiscope », c'est-à-dire auxiliaire rural
de l'évêque, ou prêtre, pourvu qu'il le soit réellement. Il faut
éviter à tout prix qu'il y ait deux évêques dans une même
ville.
Comme on le voit, la norme pour les convertis du nova-
tianisme ressemble beaucoup à celle que le même concile avait
fixée pour la hiérarchie schismatique organisée en Égypte par
Mélèce.
L'anti-pape Novatien, déçu qu'on lui ait préféré Corneille
pour le siège de Rome, forma une anti-Église à partir de l'an
251, après avoir été consacré évêque par trois prélats qui
s'étaient séparés de Corneille. Novat l'Africain, excommunié
par son évêque saint Cyprien, s'était associé à Novatien. De
ce schisme surgit toute une hiérarchie dissidente qui s'étendit
surtout en Afrique. Bien qu'on eût pu s'attendre à une certaine
modération de la part de Novat dans l'absolution des apostats,
le rigorisme de Novatien finit par l'emporter dans la nouvelle
Église, ce dernier ne voulant à aucun prix pardonner aux
lapsi de la persécution de Dèce, malgré toutes leurs pratiques
pénitientielles, et pas même à l'heure de leur mort. Novatien ne
voulait pas non plus accorder l'absolution aux mariés en se
condes noces ; cela tient sans doute à ce que, s'inspirant du
rigorisme des encratites, il considérait invalide un second ma
riage. Malgré de fortes ressemblances entre la sévérité de
Novatien et le montanisme, il n'est pas sûr que son rigorisme
exagéré soit fondé sur une erreur dogmatique. Il s'agissait plu
tôt d'une rébellion d'ordre disciplinaire qui l'avait amené au
schisme. En tout cas, s'il y eut quelque hérésie dans le nova-
tianisme, il est certain qu'elle ne touchait absolument pas le
mystère de la Sainte Trinité ni la théologie du baptême.
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 113

Le cas des « paulianisants » dont s'occupe le 19e canon de


Nicée était différent. Il s'agissait de ceux qui suivaient la doc
trine hérétique de Paul de Samosate qui a été exposée plus
haut*. Sa foi dans la Trinité divine n'était pas orthodoxe :
séduit par un monarchianisme outrancier, Paul ne distinguait
pas en Dieu trois hypostases ou personnes et, bien qu'il parlât
de la sagesse et de la puissance du Père, celles-ci ne consti
tuaient pas pour lui des personnes, mais des « énergies », des
formes différentes d'action de la seule Personne divine. Outre
cette erreur trinitaire, Paul de Samosate tombait dans une
autre erreur, christologique, en réduisant la dignité de Jésus-
Christ à celle d'un simple homme habité par la puissance et
la sagesse de Dieu.
Ce bref rappel était nécessaire pour comprendre les dis
positions prises par les Pères de Nicée. Aux termes de leur dé
cret, on devait rebaptiser les paulianisants qui rentreraient
dans l'Église. Les clercs devaient également être réordonnés
après leur nouveau baptême, si toutefois ils jouissaient d'une
bonne réputation et n'avaient pas encouru de condamnation.
S'il s'agissait de clercs indignes, ils devaient être simplement
déposés. Le même traitement s'appliquait aux diaconesses et
généralement à tous les anciens disciples du groupe de Paul.
D'ailleurs, il ne fallait pas oublier de rappeler aux diaconesses
qu'elles n'avaient reçu aucun ordre sacré, mais qu'elles appar
tenaient au laïcat.
Le problème de la réitération du baptême aux hérétiques
convertis à l'Église catholique fut à l'ordre du jour pendant
tout le m" siècle. Saint Cyprien en Afrique, Firmilien en Cap-
padoce et généralement les Orientaux de l'Asie Mineure, main
tenaient l'usage de les rebaptiser sans distinction. Cette pra
tique était en opposition avec celle de Rome, celle de Césarée
de Palestine et probablement aussi celle de l'Égypte où l'on
n'exigeait que l'imposition des mains. La controverse devint
très âpre entre le pape Étienne et saint Cyprien. Ce dernier

* Cf. ci-dessus, p. 34, 84.


114 NICÉE

soutenait, en effet, que le baptême des hérétiques ne pouvait


avoir aucune valeur, étant donné que le Saint-Esprit, auteur
de l'effet sacrementel, ne se trouve que dans sa véritable
Église et ne veut certainement pas se servir d'un hérétique
comme ministre de sa grâce. D'ailleurs, toujours d'après saint
Cyprien, le baptême était inconcevable détaché de la vraie foi.
A ces raisons, Rome opposait l'antique usage de ne pas réité
rer le baptême, et l'argument que l'effet du sacrement ne
pouvait dépendre de la foi ou de la dignité du ministre qui le
conférait. C'est le nom de Jésus-Christ qui nous fait renaître
dans le baptême, et ce nom garde toute sa vertu, même in
voqué par un hérétique. Mais la question ne fut pas totalement
clarifiée; la distinction entre baptême valide et baptême effi
cace n'était pas encore suffisamment établie.
Finalement Rome et Carthage parvinrent à un accord sur
le baptême des hérétiques. Saint Cyprien accepta la règle
édictée par le pape Sixte II. A en juger par le 8e canon du
synode d'Arles, il fallait s'enquérir préalablement de la foi de
l'hérétique. S'il confessait sans confusion la Trinité, on devait
le recevoir dans l'Église sans le rebaptiser, en lui imposant
simplement les mains. Dans le cas contraire, il fallait le
rebaptiser.
Le concile de Nicée promulgua la même loi pour toute
l'Église. Les Pères n'exigent pas le baptême des novatianistes,
mais l'imposent pourtant aux adeptes de Paul convertis. La
raison n'en peut être que celle que nous venons de donner. Il
est vrai, comme le dit Athanase, que les paulianisants nom
maient la Trinité dans leur formule de baptême, mais par ail
leurs on savait qu'ils ne croyaient pas en trois Personnes divines
distinctes. D'où la nécessité de réitérer le baptême. Cette
législation de Nicée affirme implicitement que, pour que le
baptême donné au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
selon le précepte du Seigneur, soit valable, il est absolument
nécessaire que celui qui le reçoit croie au dogme de la Trinité
divine.
Quant à l'ordination des clercs venant de cette hérésie, rien
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 115

de plus naturel qu'elle fût réitérée, si leur baptême était déjà


invalide. On pourra noter la sévérité plus grande du synode
d'Elvire dont le 9e canon interdit d'admettre dans le clergé les
anciens hérétiques. L'esprit de Nicée est plus large ; il ne
méprise pas ces hommes que l'on peut récupérer.
La fin du canon contient quelques phrases sur les diaco
nesses. Cette institution, dont l'origine remonte aux temps apos
toliques, exerçait des fonctions auxiliaires, surtout dans le rite
du baptême *. Le canon de Nicée étend aux diaconesses les
dispositions prises au sujet des clercs venus du paulinisme.
Ceci est bien clair. Ce qui semble moins clair, c'est la pres
cription de rappeler aux diaconesses qu'elles n'ont pas reçu
l'imposition des mains et qu'elles appartiennent par consé
quent au laïcat. Si cette disposition se réfère exclusivement
aux diaconesses converties du paulinisme, elle veut simplement
dire que, le baptême ayant été invalidé, l'imposition des mains
qui les a agrégées dans les rangs des diaconesses l'a été éga
lement et qu'elles doivent se considérer comme de simples
séculières, tant qu'elles n'ont pas été réhabilitées après leur
conversion et leur nouveau baptême. Si, au contraire, on veut
voir dans cette phrase une disposition générale concernant
toutes les diaconesses, il sera difficile de comprendre com
ment on peut nier qu'elles aient reçu l'imposition des mains qui
constituait précisément le rite de la collation du diaconat. Il
est vrai, il a été parfois nécessaire de rappeler aux diaconesses
que, dans leur cas, il ne s'agissait point d'une véritable ordi
nation, comparable à celle des diacres. Mais, si telle était l'in
tention du canon, il eût été plus logique de ne pas opposer
l'imposition des mains à l'état laïc, vu que l'imposition des
mains (keirothésia) n'était pas un geste uniquement lié à la col
lation des ordres sacrés.

* Voir H. Leclercq, art. Diaconesses, DACL IV, 725-733 ; Forget,


art. Diaconesses, DTC IV, 685-703 ; A. Kalsbach, Die altchristliche
Einrichtungen der Diakonissen, Freiburg, 1926 ; C. C. Ryrie, The place
of women in the Church, New-York, 1958.
116 NICÊE

Les prescriptions liturgiques (canons 18 et 20).

Le 18e canon rapporte que certains diacres, dans quelques


régions et villes, commettent l'abus de donner l'Eucharistie
aux prêtres ou de la recevoir avant les évêques. Cet abus doit
cesser, car les diacres, serviteurs des évêques, possèdent une
dignité inférieure à celle des prêtres. Ils doivent donc commu
nier après eux et recevoir l'Eucharistie des mains d'un évêque
ou d'un prêtre. D'autre part, ils n'ont pas le droit de siéger
parmi les prêtres. Le canon menace de suspense ceux qui
n'obéissent pas à cette norme.
Cette disposition suppose ce que le synode d'Arles exprimait
dans son 18e canon, à savoir, que les diacres des villes étaient
trop présomptueux et qu'ils ne rendaient aux prêtres ni l'hon
neur ni l'obéissance, comme il aurait fallu.
Le 20e et dernier canon de Nicée reprend ceux qui, les
dimanches et les jours qui vont de Pâques à la Pentecôte,
restent agenouillés pendant les prières liturgiques, et les invite
à garder fidèlement la règle de prier Dieu debout. Les Églises
orientales observent jusqu'à nos jours cette posture, dont té
moignent pour l'Église de Rome de nombreuses peintures des
catacombes. Les genuflectentes constituaient le second degré
des catéchumènes, auquel s'adjoignaient quelques pénitents,
et il pouvait y avoir un inconvénient à voir observer la même
attitude par les fidèles admis au sacrifice.
*
* *
C'était la première fois que les évêques de l'Orient et de
l'Occident délibéraient ensemble. Les canons disciplinaires
qu'ils promulguèrent ne constituent nullement un essai de
codification générale, ni même une synthèse quelque peu
méthodique. Il s'agit de simples normes dispersées qui peuvent
être groupées en quelques chapitres.
Les Pères de Nicée voulurent résoudre définitivement quel
ques problèmes difficiles déjà anciens, comme celui de la réad
LES DÉCRETS DISCIPLINAIRES 117

mission des novatianistes schismatiques ou des hérétiques pau-


lianisants. La question du renouvellement du baptême était
liée à cette dernière. Dans un esprit plutôt large, qui contraste
avec la sévérité dont font preuve les canons d'Elvire, à Nicée,
l'Église impose une pénitence moins lourde aux apostats de
l'époque des persécutions qui allait appartenir au passé. Non
moins remarquable est le pardon et la communion offerts
absolument à tous les repentants au moment de mourir.
Parmi les tendances dont témoignent les canons de Nicée,
domine le souci d'assurer au sacerdoce une dignité publique
qui le rende inattaquable. Sans imposer aux prêtres la conti
nence parfaite, on les veut sans mutilation corporelle, au-dessus
des soupçons que provoquerait leur cohabitation avec des
jeunes femmes, et purs du vice odieux de l'usure. Si l'on ne
parle pas de leur formation, on insiste par contre sur leur choix
qui doit être sérieux. Aussi bien pour ce qu'elles disent que
pour ce qu'elles taisent, les lois de Nicée supposent une
atmosphère de bon esprit et de dignité comme il convenait
à des prêtres ayant supporté héroïquement de longues et san
glantes persécutions.
On observe enfin, en ce Ier concile œcuménique, le souci
sage et ferme d'assurer la solidité des structures encore primi
tives qui avaient soutenu l'Église durant les temps de la
clandestinité. Il n'y manque pas une certaine préoccupation
devant l'instabilité locale des évêques et des prêtres, contre
laquelle les canons réagissent en assujettissant strictement les
uns et les autres à leurs Églises respectives, comme si l'on crai
gnait que le nouveau régime de liberté disperse le clergé dans
un va-et-vient de déplacements nuisibles.
Sans avoir fait un travail méthodique ou synthétique, les
Pères de Nicée firent preuve, dans leurs prescriptions cano
niques, d'une ampleur de vue universelle, en s'appliquant à
résoudre des problèmes communs à l'Orient et à l'Occident.
Les canons du premier synode général ont été la règle fon
damentale qui servit de modèle aux conciles locaux et œcu
méniques ultérieurs dans les dispositions qu'ils prirent.
CHAPITRE VI

LE CONCILE DE NICÉE,
SIGNE DE CONTRADICTION

Y eut-il une seconde réunion du concile de Nicée?

Tous les Pères n'avaient pas souscrit avec la même sincérité


à la profession dogmatique du concile. En particulier, l'évêque
de Nicomédie, Eusèbe, et celui de Nicée, Théognis, renièrent
quelques mois plus tard leur adhésion au symbole et ils le
firent savoir à l'empereur. Indigné d'une telle attitude, Cons
tantin considéra les deux rebelles comme déposés et excom
muniés ipso facto et écrivit immédiatement à leurs diocèses
respectifs, les invitant à élire de nouveaux évêques. Du point
de vue juridique, il était légitime de tenir pour excommuniés
ipso facto ceux qui rejetaient publiquement ce que le concile
avait promulgué comme dogme de foi, même si Constantin,
dont Eusèbe dit qu'il « confirma les sentences promulguées
dans les synodes des évêques », n'était pas l'autorité la plus
indiquée pour le déclarer 74. Dans le cas précis, il était im
possible d'appliquer à la lettre les dispositions des canons du
concile de Nicée, car il s'agissait justement d'une défaillance
du métropolitain, Eusèbe, à qui son office donnait la charge
de confirmer l'élection. Les nouveaux élus furent Amphion,
pour le siège de Nicomédie, et Chrestos pour celui de Nicée.
Eusèbe et Théognis furent l'un et l'autre exilés en Gaule
par Constantin. Un document associe à ces personnages
l'évêque Maris de Chalcédoine, et la chose ne manque pas de
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 119

probabilité ; mais il faudrait alors expliquer pourquoi son suc


cesseur sur ce siège n'est pas mentionné.
Peu de temps après, Constantin intervint en envoyant une
lettre très énergique à l'évêque de Laodicée de Syrie, Théo-
dote, qui commençait à manifester une sympathie mal dissi
mulée pour Arius et ses amis. En le rappelant à l'ordre, l'em
pereur menaçait l'évêque de l'exil qui avait châtié ses collègues
Eusèbe et Théognis. Ces sévères interventions de Constantin
suffirent à faire taire pour un moment toutes les réactions
contraires au concile de Nicée. L'Église n'avait jamais été dé
fendue jusqu'alors par l'épée victorieuse d'un empereur romain.
Mais nous voici en 328. Le vieil Alexandre d'Alexandrie
vient de mourir. Son successeur est son sage et courageux auxi
liaire, Athanase, le plus décidé des défenseurs du concile de
Nicée et de son symbole. Selon Philostorge, en cette même
année, Eusèbe et Théognis rentrèrent de l'exil et réoccupèrent
leurs sièges. Quelques auteurs modernes, Seeck et Schwartz
notamment * tiennent pour authentique et véridique un « livret
de repentir » (biblion metanoias), texte qui est certainement
antérieur au v" siècle. Dans ce document, Eusèbe et Théognis
déclarent leur accord avec l'œuvre du concile ; s'ils n'ont pas
signé la condamnation d'Arius, ce fut parce qu'ils le croyaient
de bonne foi. Maintenant, pour s'innocenter de toute tache
d'hérésie, ils demandent la permission de se présenter devant
le synode et d'y faire profession de leur foi catholique. Ils se
sentent en droit d'attendre la bienveillance des Pères qui ont
réhabilité celui qui fut la cause de leurs erreurs — il s'agit
d'Arius — et leur demandent d'user de leur influence auprès
de Constantin.
Ceux qui admettent l'authenticité et la sincérité de ce docu-

* Voir O. Seeck, Untersuchungen zur Geschichte des nicànischen


Konzils, ZNTW 17 (1896), 1-71 ; E. Schwartz, Zur Geschichte des Atha-
nasius, NGW Gôttingen, VIII, 380-386 ; et, à l'opposé, G. Bardy, La
réitération du concile de Nicée (327), RSR 23 (1933) 430-450, ainsi que
Bardenhewer et Tixeront.
120 NICÉE

ment pensent que le concile de Nicée s'est réuni à nouveau


en 327 sur Tordre de Constantin, et que l'appel de Théognis et
d'Eusèbe pour obtenir leur pleine réhabilitation se réfère à
cette seconde célébration. Cependant, la plupart des auteurs
modernes ont tendance à considérer comme faux ou peu sûr
un écrit qui comporte quantité d'invraisemblances ou d'erreurs.
Car il n'est pas exact qu'Eusèbe et Théognis n'aient pas sous
crit au symbole et, par conséquent, à la condamnation d'Arius.
La lettre synodale parlait de Second de Ptolémâis et de
Théonas de Marmarique comme des seuls partisans d'Arius
qui se soient obstinés jusqu'à la fin, et Théodoret affirme ex
pressement l'adhésion d'Eusèbe. D'autre part, comment Arius
pourrait-il avoir été réadmis antérieurement à ses deux dis
ciples ? Comment les Pères pourraient-ils l'avoir rappelé d'un
exil imposé par Constantin ? Il existe, par ailleurs, deux lettres
de Constantin aux ariens et aux fidèles d'Alexandrie, écrites
en 332-333, dans lesquelles l'empereur condamne et déplore
les erreurs d'Arius, sans mentionner son absolution.
A toutes ces raisons vient s'ajouter celle du silence que
gardent les sources sur cette nouvelle réunion du concile, dont
personne n'ose affirmer qu'il ait siégé pendant deux ans. Or,
un second concile ou une seconde convocation du premier
aurait dû laisser dans les documents des traces aussi impor
tantes que la réunion de 325.

Les défenseurs de cette seconde réunion prétendent que le


silence des sources n'est pas aussi complet qu'on le croit. Ils
en appellent au témoignage d'Eusèbe qui, dans sa Vie de
Constantin75, raconte qu'il y eut de nouveaux conflits en
Égypte après le synode de Nicée et que, pour les apaiser, Cons
tantin convoqua « les Pères et prophètes de Dieu », les combla
de présents et leur donna des conseils dans une lettre qui con
firmait les « dogmes du synode », en invitant tout le monde à la
concorde. Soulignons, en passant, qu'il s'agit ici d'une querelle
locale et qu'on ne dit pas que l'assemblée se soit tenue à Nicée.
Cette querelle pourrait bien être l'agitation des méléciens im
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 121

médiatement après la mort d'Alexandre ; ils s'étaient alliés


secrètement avec Eusèbe, déjà rendu à Nicomédie. C'est Atha-
nase qui nous donne tous ces renseignements.
C'est justement sur un de ces passages que les partisans d'un
second concile de Nicée veulent fonder leur thèse. Athanase
rapporte, en effet, dans son Apologie contre les ariens 76,
que le concile de Nicée anathématisa l'hérésie d'Arius et
admit sous condition les méléciens. « Le bienheureux Ale
xandre mourut cinq mois plus tôt » et les méléciens ne tar
dèrent pas à provoquer la discorde. S appuyant sur ce texte, les
auteurs déjà mentionnés raisonnent de la manière suivante :
Alexandre mourut en 328, donc le concile auquel Athanase
fait ici allusion dut se terminer vers la fin de 327. Mais c'est
là une interprétation du texte qui le force à dire ce qu'il ne
dit pas. Le concile qui condamna Arius est, sans aucun doute,
celui de 325. Le passage en question ne dit pas qu'Alexandre
mourut peu après la fin de ce concile, mais que les méléciens
commencèrent à s'agiter cinq mois après la mort d'Alexandre.
Il faut croire que les méléciens, traités avec douceur par le
concile de Nicée, se maintinrent dans une attitude assez paci
fique jusqu'après la mort de leur principal accusateur, Ale
xandre d'Alexandrie.
Tout ce que nous venons d'exposer rend inadmissible une
seconde célébration du concile de Nicée qui ne trouve pas un
appui suffisamment solide dans les documents.

Machinations contre Nicée jusqu'à la mort de Constantin.

Eusèbe de Nicomédie, Théognis de Nicée et probablement


aussi Maris de Chalcédoine, retournant d'exil, recouvrèrent
leurs sièges en 328. A qui durent-ils cette faveur ? Sans doute
à la nouvelle situation qui était en train de se créer autour de
Constantin. Les sources anciennes rapportent que ce fut
Constantia, demi-sœur de Constantin et veuve de Licinius, qui
exerça son influence auprès de l'empereur en faveur d'Eusèbe.
Peu à peu, celui-ci non seulement fut réhabilité aux yeux de
122 NICÉE

l'empereur, mais il devint encore son conseiller intime, rem


plaçant ainsi Osius qui probablement était définitivement parti
pour l'Occident après le concile. A l'influence de Constantia
s'ajouta celle de ses dames de cour et de ses eunuques. On
n'oubliera pas non plus les bons offices d'Eusèbe de Césarée
que son érudition extraordinaire, sa rhétorique brillante et sa
servilité de courtisan toujours désireux de jouer un rôle avaient
fait entrer dans les bonnes grâces de Constantin. Eusèbe, per
sonnage opportuniste, ne s'était pas engagé aussi loin qu'Eu-
sèbe de Nicomédie dans son amitié avec Arius, tout en ayant
signé avec réticence le symbole de Nicée. D'autre part, il n'y
aurait rien d'étonnant à ce qu'Eusèbe ait été bien vu d'Hélène,
à la suite des dévots pèlerinages de la mère de l'empereur aux
lieux saints. Toutes ces influences qui s'exercent dans l'entou
rage de Constantin suffisent à expliquer son changement d'at
titude à l'égard d'Eusèbe de Nicomédie, et, plus tard aussi,
à l'égard d'Arius. Mais on doit faire mention, en parlant de
ces influences qui devaient être décisives dans la politique
religieuse de l'empereur, d'un important personnage anonyme,
le confesseur de Constantia, que celle-ci, sur son lit de mort,
avait recommandé vivement à son frère.
Il faut reconnaître qu'Eusèbe se montra suprêmement habile
pour préparer la défaite des partisans de Nicée. Étant donné
la politique précédemment suivie par l'empereur et le fait
qu'il avait accordé une autorité d'ordre civil au symbole de
foi, il eut été téméraire de s'opposer directement à ses déci
sions. Le parti eusébien s'en garda bien du vivant de l'em
pereur. Pour l'heure, ce qu'il fallait, c'était éliminer les cham
pions les plus résolus de la foi de Nicée. Alexandre une fois
mort, le plus important en était levêque d'Antioche, Eustathe,
auteur d'un considérable ouvrage anti-arien aujourd'hui perdu.
Encouragés toujours plus par le nouvel ascendant qu'ils
prenaient, les eusébiens, notamment Eusèbe de Césarée, à qui
s'étaient joints, outre les évêques de Nicomédie et de Nicée,
Aèce de Lydda et Théodore de Laodicée, se conjurèrent contre
Eustathe et réussirent à le faire passer aux yeux de Constantin
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 123

pour un perturbateur de l'ordre et de la paix religieuse. L'em


pereur autorisa la faction semi-arienne à se réunir en synode
à Antioche, en 330, pour juger leur propre évêque. Les calom
nies jetées contre celui-ci par les eusébiens étaient variées :
elles allaient de la violence dont il avait usé contre sa mère
à la souillure de l'hérésie sabellienne ! Eustathe fut déposé par
le conciliabule et Constantin ratifia la sentence en exilant
l'héroïque défenseur de la foi de Nicée à Trajanopolis en
Thrace. Après avoir réussi ce coup, Eusèbe de Césarée eut
l'élégance de refuser le siège d'Antioche qui lui était offert,
en rappelant hypocritement les canons de Nicée sur les trans
ferts des évêques.
A l'élimination d'Eustathe succédèrent celles des évêques
Eutrope d'Hadrianopolis, Euphrasion de Balanée, Cimacius de
Palte, Cyrus de Bérée, Diodore de Ténédos, Domnion de
Smyrne, Asclépiade de Gaza et Elanicus de Tripolis. Ainsi le
problème de la foi se posait-il maintenant sur le plan des
questions personnelles et Constantin se laissait entraîner dans
cette voie sans se douter de la mauvaise foi de sa toute-
puissante camarilla.

La prochaine victime des eusébiens devait être le jeune suc


cesseur d'Alexandre au siège d'Alexandrie, Athanase, dont
l'énergie si dévouée à Nicée les dérangeait de plus en plus.
Le plan des eusébiens évitait toute accusation de caractère
dogmatique. L'alliance des méléciens que décevait amèrement
la droiture d'Athanase, n'était pas non plus négligeable. En
333, Athanase fut donc accusé d'avoir fait assassiner Amésius,
évêque mélécien d'Ipsélé. Mais dès le début de l'enquête on
découvrit Arnésius, bien vivant, dans un monastère.
En 335, dix ans après le concile de Nicée, les eusébiens
étaient tellement les maîtres de la situation qu'ils inclurent
dans leur programme, en sus de la défaite d'Athanase, rien de
moins que le retour et la réhabilitation d'Arius. Constantin se
prêtait au jeu ; d une part, on ne touchait pas à la foi de Nicée,
et d'autre part, l'empereur pouvait voir dans ce groupe nom
124 NICÉE

breux et actif d'évêques commandés par les deux Eusèbe, les


représentants authentiques de la majorité de l'Église orientale,
puisqu'il n'avait pas séjourné en Occident depuis 326. De leur
côté, les eusébiens ne perdaient pas l'occasion de souligner leur
importance et assumaient les principaux rôles dans les synodes
réunis par l'empereur pour la solution des questions débattues.

Peu avant l'été de l'an 335, Constantin certainement poussé


par son conseiller Eusèbe de Nicomédie, invita Arius à venir
à la cour pour la révision de son cas. Les eusébiens avaient
sans doute réussi à faire croire à l'empereur qu'Arius avait été
condamné pour des doctrines qu'il n'avait pas réellement
professées. Dans sa défense, Arius produisit une formule de
foi qui est parvenue jusqu'à nous : elle dit très peu de chose
et ne touche en aucune façon à la question définie à Nicée,
dont les articles de foi sont passés sous silence *. Cette formule
neutre et anodine satisfit pourtant Constantin qui la jugea suf
fisamment orthodoxe pour en confier l'examen à un synode
futur qui accorderait l'absolution à celui qui, dix ans aupara
vant, avait été excommunié et exilé. Les étapes de la réhabili
tation d'Arius coïncidaient d'ailleurs, comme il est naturel,
avec la progression de la campagne qui amènerait la condam
nation d'Athanase.
On accusait ce dernier d'avoir brisé un calice et d'avoir
ordonné de fouetter Arsénius et quelques autres évêques mélé-
ciens. Constantin convoqua un synode à Césarée de Palestine
pour juger Athanase, mais celui-ci se refusa de comparaître
devant cette assemblée, allégant qu'elle était exclusivement
composée de ses adversaires et accusateurs. Alors l'empereur,
qui avait invité de nombreux évêques de l'Orient à l'inaugu
ration de la nouvelle basilique construite par ses soins à Jéru
salem sur le Calvaire et le Saint Sépulcre, donna aux prélats
l'ordre de s'arrêter d'abord à Tyr pour tenir leur réunion.
C'était au début de l'été 335. Eusèbe nous a conservé la lettre

Cf. Texte IX, p. 265.


LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 125

adressée par Constantin aux évêques. Comme d'habitude, il


leur recommandait la paix et la concorde sur la base de « la
loi ecclésiastique ».
En matière d'orthodoxie et de justice, le synode de Tyr ne
promettait rien de brillant, ses chefs de file étant Eusèbe de
Nicomédie avec ses suffragants de Nicée et de Chalcédoine,
Eusèbe de Césarée et Flacillus d'Antioche. Deux autres per
sonnages venus de la Pannonie, où Arius les avait gagnés à
sa cause pendant son exil, étaient Valens de Mursa et Ursace
de Singidunum, personnages turbulents qui devaient par la
suite mener l'opposition anti-nicéenne. Enfin, pour enlever au
synode la moindre apparence d'équité, c'était le comte Flavius
Dionysius, dévoué de tout cœur aux adversaires d'Athanase,
qui représentait l'empereur au concile. Une délégation formée
par des ariens connus fut envoyée en Égypte pour vérifier offi
ciellement les accusations portées sur Athanase. Quant aux
amis de ce dernier, on les tenait soigneusement écartés de ce
« synode ». Sachant d'avance que le tribunal serait partial et
que des accusations insultantes seraient portées contre lui,
Athanase réussit à s'échapper sur un bateau. Arrivé à Constan-
tinople, il eut la chance de rencontrer Constantin au cours
d'une promenade à cheval. Il lui exposa son cas et lui demanda
justice.
L'empereur rappela à l'ordre les membres du concile de Tyr
et les convoqua à Constantinople. Seuls s'y rendirent les plus
célèbres adversaires d'Athanase, les deux Eusèbe, Ursace et
Valens. Afin d'arracher à l'empereur la condamnation d'Atha
nase qu'ils voulaient à tout prix, ils inventèrent une nouvelle
accusation d'ordre politique contre levêque d'Alexandrie.
Athanase, d'après eux, sabotait les décrets impériaux en em
pêchant qu'on exportât le blé d'Égypte vers la nouvelle capi
tale de l'Empire d'Orient. Il est remarquable qu'une accusation
si absurde et si calomnieuse ait pu impressionner l'empereur.
Non moins remarquable est le fait qu'écrivant sur les événe
ments quelques années plus tard, Athanase non seulement ne
parle pas durement de Constantin, mais souligne encore la
126 NICÉE

modération de celui qui, pouvant punir de la mort l'accusé


d'un crime de lèse-patrie, se contenta de l'exiler à Trèves dans
les Gaules.
Dans l'entre-temps les évêques s'étaient transportés de Tyr
à Jérusalem, où ils examinèrent la cause d'Arius, dont ils
déclarèrent orthodoxes les enseignements et dont ils levèrent
l'excommunication, eu égard à la formule de foi, — bien insuf
fisante —, qu'il avait présentée.
Le départ d'Athanase produisit en Égypte une forte réaction
de la part des meilleurs éléments et le grand Antoine écrivit
à Constantin. L'empereur répondit aux fidèles et au célèbre
ermite en leur recommandant le calme et en justifiant l'exil
d'Athanase, cet « arrogant perturbateur de la paix » ; un synode
si nombreux et d'une telle autorité ne pouvait s'être trompé en
condamnant l'évêque d'Alexandrie77. On peut supposer que
la ville d'Athanase reçut aussi froidement la lettre des évêques
de Tyr et de Jérusalem qui exhortait les fidèles d'Alexandrie
à accueillir avec bienveillance Arius, qui avait été naguère
membre de leur Église. Quelques sources moins anciennes
assurent qu'Arius voulut effectivement s'installer à Alexandrie,
mais que les tumultes suscités par sa présence et par sa
doctrine inclinèrent Constantin à l'appeler près de lui à
Constantinople.

Nous sommes en l'an 336. Athanase qui devait normalement


passer par Rome avant d'être confiné à Trèves, dut répandre
l'alarme et la tristesse dans l'Église d'Occident, complètement
ignorante de tout ce qui arrivait en Orient. Eusèbe de Nico-
médie et ses partisans pressaient l'empereur pour obtenir enfin
qu'Arius fut réadmis à concélébrer à une date particulièrement
solennelle, celle de Pâques 336. L'évêque de Constantinople,
Alexandre, ne partageait pas la doctrine des eusébiens ; bien
conscient de l'erreur d'Arius, il priait Dieu de ne pas permettre
qu'un tel sacrilège s'accomplît. Athanase nous a raconté de
quelle manière le Seigneur punit Arius, juste à la veille du jour
où il devait être admis à la liturgie solennelle. Au cours d'une
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 127

promenade en compagnie de quelques amis, Arius eut besoin


d'entrer dans des latrines publiques et il y expira, probable
ment à cause d'une hémorragie intestinale que les sources
qualifient d'« expulsion des entrailles », peut-être pour faire
allusion à la fin de Judas.
La mort tragique d'Arius ne semble pas avoir paralysé les
manœuvres de ses amis contre Nicée. Mais la mort de Constan
tin, survenue en 337, exerça une influence plus décisive en
cette affaire.

Constantin avait partagé l'Empire entre ses trois fils, Cons


tantin II, Constant et Constance II. A la suite d'une série de
crimes, Constance II garda finalement la partie orientale de
l'Empire, tandis que Constant régnait sur l'Occident. Cette
division est de souveraine importance pour ce dont nous trai
tons. Constance, qui n'était pas lié comme son père au concile
de Nicée, allait favoriser ouvertement les plans de la faction
semi-arienne dirigée par Eusèbe, qui était finalement passé
de Nicomédie à Constantinople, tandis qu'Eusèbe de Césarée
était mort en 339. L'empire d'Orient avec Constance sera nette
ment anti-nicéen. L'Occident, par contre, tant qu'il sera gou
verné par Constant, défendra passionnément l'œuvre et le
symbole de Nicée. De cette façon, la division de l'Empire va
faciliter la division disciplinaire et dogmatique de l'Église en
deux partis contraires.

Les luttes autour du nicénisme sous Constance II (337-361).

N'ayant pas à écrire ici l'histoire de l'arianisme, notre récit


sera sommaire. Il tiendra compte uniquement des événements
qui se rattachent aux préliminaires du premier concile de
Constantinople, dont l'histoire et l'idéologie sont étroitement
unies au concile de Nicée.
Au début du règne de Constance, on put avoir l'impression
que sa politique religieuse allait favoriser les orthodoxes. En
128 NICÉE

337, l'empereur, peut-être influencé par son frère Constant,


permit à Athanase de réintégrer son siège d'Alexandrie, tou
jours vacant. Après un voyage exfcraordinairement compliqué
à travers les Balkans, la Cappadoce et Antioche, Athanase
entra triomphalement à Alexandrie. Naturellement les eusé-
biens n'éprouvèrent aucune joie du retour de leur adversaire
et émirent la prétention inouïe de le faire déclarer intrus par
Rome, en alléguant qu'il avait été condamné et déposé par le
synode de Tyr. Mais Athanase ne restait pas non plus inactif,
et, en 338, il réunit à Alexandrie un synode de tous les évêques
égyptiens, qui confirmèrent leur obéissance à leur ancien
évêque et la refusèrent à Pistos, un évêque arien peu presti
gieux que Second de Ptolémaïs avait consacré pour le siège
alexandrin.
Pour comprendre la conduite des eusébiens ou semi-ariens,
il faut remarquer qu'ils ne souscrivaient pas à tous les points
de la doctrine d'Arius, pour qui le Verbe n'était qu'une simple
créature. Mais ils ne se ralliaient pas non plus à la définition
nette du symbole de Nicée, comme l'aurait exigé la logique.
D'ailleurs, les semi-ariens ne formèrent jamais un système ou
une école proprement dite, et ils n'exposèrent pas dans des
ouvrages leur idéologie hésitante et confuse.
Les évêques eusébiens lui ayant demandé de condamner
Athanase, le pape Jules voulut réunir un concile à Rome pour
juger le cas. Il y convoqua les principaux métropolitains ;
seul celui d'Alexandrie répondit à l'appel. Les autres, notam
ment ceux de Césarée de Cappadoce, d'Antioche et de Cons-
tantinople, voilèrent sous des phrases polies à l'égard de
Rome leur désaccord sur le fait que le pape veuille juger une
affaire exclusivement orientale et sur laquelle les évêques
réunis à Tyr avaient décidé. Malgré cette opposition, le concile
eut lieu à Rome pendant l'automne de 340. Après un examen
sérieux de la question, on jugea que la déposition d'Athanase
était une injustice et l'on se prononça de même en faveur des
autres évêques condamnés par les eusébiens. C'était le cas de
Marcel, évêque d'Ancyre, que son zèle anti-arien avait entraîné
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 129

à des phrases d'apparence sabellienne, mais qui pouvaient


aussi être interprétées dans un sens orthodoxe.
Cependant, les semi-ariens avaient installé à Alexandrie
l'évêque intrus Grégoire de Cappadoce. C'était un acte arbi
traire opposé à tous les canons de Nicée ; mais ce qui comptait
pour ses auteurs, c'était d'avoir avec eux le bras séculier. Le
pape Jules écrivit aux Orientaux pour défendre la légitimité
d'Athanase, mais les semi-ariens ne voulurent rien entendre et
poursuivirent leurs manigances, tandis que l'évêque d'Alexan
drie dirigeait ses lointains fidèles du fond de son exil.

En 341 eut lieu le concile « de la dédicace » qui vit les


semi-ariens se réunir à Antioche. I) s'agissait du premier
d'une longue suite de synodes dont le but était d'enterrer le
symbole de Nicée, nettement afati-arien, sous une série de for
mules de foi qui, au bout de quelques années, étaient déjà
une bonne douzaine. Ces formules, dans lesquelles on cherche
rait en vain Yhomoousios et d'autres phrases anti-ariennes,
n'étaient pourtant pas généralement hérétiques. On pourrait les
qualifier plus exactement de tendancieuses et d'anti-nicéennes,
et encore davantage par ce qu'elles omettent que par ce
quelles affirment. Le synode semi-arien d'Antioche, qui ras
sembla une centaine d'évêques, approuva trois symboles, dont
le second, attribué par quelques-uns à Lucien d'Antioche, est
le plus important. Les membres du concile se défendirent
contre le soupçon d'être partisans d'Arius, lequel n'était enfin
qu'un simple prêtre.
Un an plus tard, l'empereur orthodoxe d'Occident, Constant,
dont la puissance s'était accrue depuis la mort de Constantin II,
voulut se faire une idée de la situation doctrinale de l'Orient.
Trèves, où se trouvait la cour de Constant, vit bientôt arriver
une légation de semi-ariens avec une formule de foi — la
quatrième — contenant des expressions orthodoxes et anti
ariennes. Parmi elles, on trouvait que le Fils n'était pas sorti
du néant et qu'il n'y avait pas eu un temps où il n'existait pas.
Cette légation produisit une bonne impression à Rome, tant
130 NICÉË

et si bien que le pape Jules, encouragé dans son espoir d'ar


ranger les choses, obtint que Constant invitât son frère à réunir
une assemblée générale d'évêques orientaux et occidentaux
à Sardique, à la frontière de l'Empire d'Occident. Ce concile,
dont peu s'en fallut qu'il ne fût œcuménique, se proposait de
porter une sentence définitive sur la cause d'Athanase ainsi
que sur toutes les différences qui divisaient en deux camps
opposés l'Occident et l'Orient.
Le synode de Sardique s'ouvrit, selon l'opinion la plus cou
rante, à l'automne de 343. Osius s'y trouva ; son intégrité rap
pelait les temps de Nicée. Il faut nommer aussi, parmi d'autres
participants, les représentants du siège romain, Archidame et
Philoxène, prêtres, et le diacre Léon. Il y avait encore les
prélats occidentaux de Trèves, Lyon, Milan, Aquilée, Ravenne,
Vérone, Capoue et Carthage. Le groupe des quatre-vingts
Orientaux était présidé par les prélats d'Antioche, d'Éphèse, de
Césarée de Palestine, de Césarée de Cappadoce, d'Héraclée et
de Chalcédoine, appuyés par les balkaniques Ursace et Valens.
Les semi-ariens, qui n'étaient pas prêts à perdre la partie,
exigèrent que Marcel d'Ancyre et Asclépiade de Caza fussent
exclus de l'assemblée. Ces deux évêques, et moins encore
Athanase ne pourraient siéger au synode. Avant toute autre
chose, ils l'exigeaient absolument, puisque pour eux ces
évêques avaient été légitimement déposés. Osius lui-même, qui
ne se refusait pourtant pas à un compromis, ne parvint pas à
faire fléchir l'intransigeance des Orientaux qui, après une
séance qu'ils tinrent entre eux, profitèrent de la nuit pour
partir. Ils avaient laissé une lettre dans laquelle ils décrivaient
les choses à leur manière et qu'ils terminaient en condamnant
le pape Jules, Osius et tous ceux qui gardaient la communion
avec Athanase et Marcel. Ils amenaient ensuite leur inévitable
formule de foi, la quatrième, à laquelle avait été ajouté quel
que nouvel anathème. Cette rupture entre les Orientaux et
les Occidentaux allait prolonger pendant plusieurs dizaines
d'années la controverse arienne.
Les Occidentaux poursuivirent donc presque seuls les travaux
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 131

du concile de Sardique. Ils affirmèrent la justice de la cause


d'Athanase, d'Asclépiade et même de Marcel, dans les écrits
de qui ils n'avaient pas encore découvert d'erreurs. Touchant
l'injuste conduite des Orientaux, ils excommunièrent les
évêques qui avaient usurpé les sièges d'Alexandrie, d'Ancyre et
de Gaza, ainsi qu'Étienne d'Antioche, Acace de Césarée de
Palestine, Ménophante d'Éphèse, Narcisse de Néroniade, Théo
dore dHéraclée, Ursace et Valens. Osius et quelques autres
proposèrent au concile d'édicter une nouvelle formule de foi
dont nous conservons une première esquisse contenant des
expressions qui devaient vieillir en moins d'un siècle, comme
celle qui faisait du Père et du Fils une seule hypostasis, ou
celle affirmant que ce ne fut pas Dieu qui subit la mort, mais
l'homme assumé par Dieu dans le sein de Marie. Heureuse
ment le jugement d'Athanase s'imposa : pour contrecarrer et
déceler les erreurs, il suffisait bien du symbole de Nicée, sans
qu'il fut besoin d'en proclamer un autre.

L'échec de Sardique ne signifia cependant pas une rupture


totale entre l'Orient et l'Occident. L'année suivante, arriva à
Antioche une ambassade composée de deux évêques occiden
taux munis d'une lettre de Constant en faveur du retour
d'Athanase. Un peu plus tard, parvinrent à Milan quatre
évêques orientaux portant une nouvelle formule, celle qu'on a
appelée « la macrostique », dans laquelle on condamnait une
fois de plus l'arianisme, mais aussi les erreurs de Marcel
d'Ancyre et celles plus audacieuses de son disciple Photin.
Dans les écrits de ce dernier, le sabellianisme détruisait la
Trinité des Personnes divines et l'Incarnation était considérée
comme un état passager destiné à disparaître après le Juge
ment dernier.
Les Occidentaux comprirent finalement que la doctrine de
Photin était hétérodoxe. Athanase, dont l'autorité était indiscu
table, intervint et annonça à Marcel d'Ancyre qu'il le tenait
pour hérétique et qu'il rompait la communion avec lui. Les
rapports entre l'Occident et l'Orient en furent quelque peu
132 NICÉE

améliorés, suffisamment pour qu'à la mort, à Alexandrie, de


l'intrus Grégoire, Constance demandât et obtînt le retour
d'Athanase à son siège. Ce retour à travers Rome, Antioche,
Césarée de Palestine et Jérusalem, fut triomphal. A son entrée
à Alexandrie, en octobre 346, Athanase contempla un spectacle
qui ressemblait à un fleuve de gens, à un « Nil aux vagues
dorées » 78. Ce fut un véritable dimanche des Rameaux, au
quel devaient succéder encore les douleurs du Vendredi-Saint.

La mort de Constant, en 350, fut suivie de près par l'ex


tension du domaine de Constance II à l'Empire d'Occident.
L'événement eut des conséquences funestes pour la cause de
Nicée, surtout après la mort, en 352, du pape Jules, auquel
succéda son diacre Libère. Ses meilleurs appuis manquaient à
Athanase au moment où Constance commençait à faire le jeu
des semi-ariens dans tout l'Empire.
Ce furent d'abord les évêques réunis à Arles, en 353-354, qui,
menés par Ursace et Valens, décidèrent la déposition de
l'évêque d'Alexandrie. Deux ans plus tard, un synode tenu à
Milan vint appuyer la cause des semi-ariens, suivi à une année
de distance par le synode de Béziers, malgré l'énergique oppo
sition d'Hilaire de Poitiers. Le pape Libère résistait encore aux
toute-puissantes machinations de Constance et continuait de
maintenir l'autorité d'Athanase. L'empereur décida alors d'em
ployer des moyens plus efficaces. L'un après l'autre, il envoya
en exil le pape Libère qui là-bas fléchit sinon dans sa foi, du
moins dans l'appui qu'il portait à Athanase; le vieil Osius,
qui plus tard souscrira à une formule hétérodoxe, pour s'en
rétracter peu après ; Athanase, le valeureux champion, qui fut
remplacé par l'usurpateur Georges ; Hilaire de Poitiers et
Eusèbe de Verceil. Dans cette terrible situation, l'Église, dé
solée par la persécution impériale, courait le risque de s'écarter
de sa foi traditionnelle, n'eût-elle pas compté sur l'assistance
divine. C'est cette période que saint Jérôme caractérisa dans sa
phrase désolante : « La terre toute entière gémit et s'étonna
d'être arienne » 78.
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 133

Tout n'était pourtant pas perdu quand Julien l'Apostat suc


céda à Constance II, en 361. Athanase, traqué et caché, pour
suivait néanmoins la lutte dans ses écrits, secondé par Hilaire
lui aussi exilé. D'autre part, les adversaires du concile de Nicée
s'étaient divisés en trois partis depuis le concile de Sirmium
(351) ; le parti des ariens purs ou « anoméens », ainsi appelés
parce qu'ils faisaient le Fils inégal (anomoios) au Père ; le parti
des semi-ariens ou « homéousiens » qui appelaient le Fils
homoiousios (semblable par son essence) au Père ; enfin, le
parti des « homéens » qui optaient pour 1 epithète anodine de
homoios (semblable). A la tête de ces derniers, partisans de la
tactique diplomatique, se trouvait Acace, évêque de Césarée
de Palestine. Les ariens purs reconnaissaient comme chefs
d'abord le vieil Aèce, puis Eunomius et Eudoxe, dont la dia
lectique et les écrits, surtout ceux d'Eunomius, donnèrent un
nouvel aspect à la discussion en y introduisant davantage
d'éléments philosophiques empruntés à la logique. Basile,
évêque d'Ancyre, commandait les semi-ariens, mais les nou
velles positions doctrinales l'obligeaient à lutter plutôt contre
les ariens que contre les défenseurs de Nicée. En réalité, de
nombreux semi-ariens continuaient de rejeter le symbole de
Nicée uniquement à cause de quelques expressions, comme
celle d'homoousios, mais professaient au fond une doctrine qui
s'écartait très peu ou pas du tout de l'orthodoxie. Cette proxi
mité doctrinale permettra plus tard la généreuse tactique
d'Athanase qui, voulant gagner les semi-ariens à la vraie foi,
admettra finalement la possibilité de différentes terminologies
trinitaires.
D'ailleurs, la Providence préparait déjà de nouveaux et
solides renforts aux défenseurs de Nicée : le pape Damase et
les trois Pères cappadociens, Basile, Grégoire de Nazianze et
Grégoire de Nysse. Leur vigoureuse intervention dans la polé
mique, en dépit des conditions politiques extrêmement défa
vorables, assura la victoire définitive de la cause de Nicée,
comme nous le verrons dans la seconde partie. Mais au
moment où ce récit s'interrompt, à la mort de Constance II,
134 NICÉE

l'œuvre du premier concile œcuménique semblait humaine


ment condamnée à l'échec.
*
* *

Le concile de Nicée inaugure la période de la paix entre


l'Église et l'Empire. En cette assemblée se célèbre, pourrait-on
dire, une sorte de mariage entre le pouvoir de l'empereur, jus
qu'alors pontife suprême des religions de l'État, et l'Église
chrétienne, heureuse de se voir sous la protection de ceux qui
l'avaient soumise à d'incessantes persécutions, mais incapable
par ailleurs de s'opposer à l'interventionnisme exagéré en
matière religieuse du tout-puissant Constantin. Cette union
offre à la fois des avantages et des inconvénients. Au nombre
des avantages, il faut compter la valeur sur le plan civil des
décisions ecclésiastiques et l'appui efficace que le pouvoir
impérial prête aux accords du concile. Le principal inconvé
nient de ce césaro-papisme est que l'Église et ses problèmes
dogmatiques sont à la merci des fluctuations de la politique
impériale. Cette situation se prolongera pendant bien des
siècles.

Le premier concile œcuménique fut convoqué et célébré


pour porter une sentence définitive sur la dispute qui opposait
Arius à son évêque Alexandre d'Alexandrie. Auparavant le
magistère ecclésiastique, si nous laissons de côté les doctrines
gnostiques non officielles, avait manifesté épisodiquement des
hésitations sur la théologie du Fils de Dieu. Un évêque d'An-
tioche, Paul, et un évêque d'Alexandrie, Denys, avaient été
accusés, au in* siècle, de certaines déviations doctrinales sur ce
terrain. Arius, élève de la déficiente école d'Antioche où en
seignait Lucien, hérita de plusieurs de ces déficiences et, tout
en gardant les expressions bibliques sur le Fils unique du Père
et sur sa dignité supérieure à celle de toutes créatures, finit
par affirmer nettement que le Verbe n'était pas coéternel au
LE CONCILE, SIGNE DE CONTRADICTION 135

Père ni son égal, mais qu'il avait été créé du néant par le
Dieu unique. Ce Dieu unique ne pouvait engendrer personne
d'une vraie génération, car cela supposait une perte et une
modification chez le générateur, ce qui répugnait ouverte
ment à l'essence immuable et infinie de Dieu. Le Verbe était
donc simplement le Fils du Père par adoption, non par nature
— il ne procède pas de l'essence divine mais d'un décret de
la volonté du Père, qui n'eut pas son effet de toute éternité,
mais qui est postérieur à l'existence du Père. Il n'est pas diffi
cile de déceler dans ces assertions logiquement fondées sur une
base erronée une négation de la vraie divinité du Verbe, qui
devient ainsi la première des créatures. L'Église comprit tout
de suite qu'elle devait porter une sentence nette et définitive
en faveur de la divinité du Verbe. Le symbole de Nicée fut
le fruit le plus riche du concile. Ayant pour base un symbole
antérieur, mais lui ajoutant des précisions directement opposées
aux erreurs d'Arius, cette formule de foi proclame que le Verbe
est vrai Fils du Père, engendré de son essence, non fait, possé
dant la même nature que le Père, divine comme celle du Père.
Le Fils a en commun avec le Père la même nature divine.
Pour clarifier et préciser les expressions bibliques, le symbole
n'hésite pas à employer des termes empruntés au langage
philosophique, tels quousia et homoousios. Ce dernier terme
particulièrement constitue le point névralgique et le mot décisif
qui garantit l'orthodoxie de la foi.

Le symbole de Nicée est la première définition dogmatique


du magistère de l'Église. Dans les discussions dogmatiques
postérieures, il sera le critère essentiel pour juger la vérité ou
la fausseté d'une doctrine. L'Église, remarquons-le, ne se
contente plus d'exercer un magistère oral, elle formule par
écrit les articles de sa foi, avec des mots auxquels tout chrétien
doit adhérer tout comme à ceux de l'Écriture. L'Église, fidèle
au dépôt de la foi et puisant dans la tradition de son propre
magistère les vérités révélées, les enseigne en les scellant par
un jugement définitif et universel auquel la foi la plus totale
138 NICEE

est due. Voilà le sens du symbole de Nicée, première de toute


une suite de définitions dogmatiques proposées par l'Église au
cours des siècles. Personne ne mit en doute, au moment de
Nicée, le droit de l'Église à définir sa propre foi. La résistance
qui fut alors opposée au symbole fut plutôt l'effet, soit de l'opi
nion arienne qui le jugeait ambigu, soit du désir des semi-
ariens de remplacer cette formule par une autre qui susciterait
moins de difficultés.

Les décisions disciplinaires, y compris la question de la date


de Pâques, sont d'ordre secondaire comparées au symbole.
Les canons ont évidemment leur importance, eux aussi, mais
ils l'ont surtout comme témoignages sur l'organisation primitive
de l'Église et sur la dignité et le prestige du clergé. Le concile
profita également de l'occasion pour résoudre certaines ques
tions pratiques très débattues avant lui, notamment celle de la
réitération du baptême des hérétiques convertis et celles de la
discipline pénitentielle assez mitigée pour les lapsi. Cet
adoucissement correspond bien à un moment où l'on pouvait
considérer l'époque des persécutions comme définitivement
révolue.

Par suite surtout du césaro-papisme, l'effet du symbole de


Nicée ne fut pas aussi marquant qu'il eût pu l'être ; à cause
des interventions de l'État, la controverse arienne, sur laquelle
le Ier concile de Nicée avait donné sa sentence, ne sera défini
tivement close qu'au Ier concile de Constantinople.
CONSTANTINOPLE
CHAPITRE PREMIER

LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE

Un synode d'un caractère singulier.

C'est une chose étrange de trouver dans la série des conciles


œcuméniques ce synode qui porte comme titre celui de
Ier concile œcuménique de Constantinople, étant donné qu'en
réalité il ne fut ni ne voulut être universel. Il fut convoqué
par Théodose qui ne commandait qu'en Orient et ne réunit
que les évêques des provinces orientales. Si, plus tard, on lui
attribua une légitimité œcuménique, ce fut en vertu de l'inter
vention d'une autorité supérieure, comme on le verra plus
loin*.
A cause de ce même caractère limité, l'impression que pro
duisit le concile sur les auteurs contemporains fut relativement
faible. Ni Rufin ni saint Jérôme par exemple n'en parlent ; ce
qui revient à dire que les sources latines le passent sous silence.
Les sources grecques qui le mentionnent assez brièvement sont
les Histoire ecclésiastique écrites dans la première moitié du
ive siècle par Socrate, Sozomène et Théodoret. Et encore ces
écrivains se copient-ils presque littéralement dans l'ordre
chronologique où ils ont écrit ; seul, Théodoret inclut quelques
documents nouveaux d'un certain intérêt. Fort différent de
ces traités sereins est ce que saint Grégoire de Nazianze nous
rapporte sur l'assemblée, tout spécialement dans ses Poèmes
sur sa vie 80. Le poète écrit en proie au souvenir amer de tout
Cf. ci-dessous, p. 227-235.
140 CONSTANTINOPLE

ce qu'il a vécu en ces jours. Les méchantes machinations qui


l'amenèrent à renoncer au siège de Constantinople font encore
échapper à sa plume des traits ironiques dans lesquels on note
certain ressentiment personnel. Grégoire est un tempérament
d'artiste, noble et sensible. La blessure qu'a provoquée en lui
cette conjuration continue de demeurer ouverte lorsqu'il nous
décrit, plus encore que les faits mêmes, le climat de ce synode
turbulent. Saint Grégoire de Nysse, dans l'oraison funèbre
qu'il prononça pour la mort de Mélèce survenue durant le
concile, nous apporte quelques renseignements, mais en vérité
peu de chose. Plus intéressantes, pour la question discutée du
symbole de Constantinople, sont les Homélies catéchétiques
de Théodore de Mopsueste, découvertes il y a peu de temps
en traduction syriaque et auxquelles les auteurs actuels n'ont
pas prêté beaucoup d'attention81. Plus connues et plus sou
vent rappelées sont les déclarations du concile de Chalcédoine
sur le symbole promulgué par les Pères de Constantinople.
Pour compléter cet inventaire assez pauvre de la documen
tation historique, il faut ajouter que nous n'avons pas davan
tage de traces d'Actes de ce concile, bien que l'empereur
Théodose l'ait convoqué et qu'il y ait été présent. Restent
encore comme documents isolés : une liste assez précise des
évêques présents, le symbole qui doit son nom à ce synode et
les canons disciplinaires conservés par les collections cano
niques, qui sont reproduits chez les historiens les plus anciens.

Le premier concile de Constantinople fut une condamnation


rude et décisive de larianisme qui, depuis la mort de Constan
tin, n'avait fait que prospérer sous la protection de la politique
de Constance et plus encore de celle de Valens. Notons seule
ment, comme symptôme de cette victoire de l'hérésie, que le
siège de Constantinople se trouva durant quarante années
occupé par des évêques opposés à Nicée.
Si le synode qui se tint à Byzance porta à l'arianisme le coup
de grâce, il eût aussi à affronter une erreur nouvelle qui avait
surgi depuis quelques années du sein même de cette hérésie :
LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 141

la doctrine qui, tout en concédant la nature divine au Fils, la


refusait à l'Esprit-Saint, et qu'on appelait « macédonianisme »
ou des « pneumatomaques » (adversaires de l'Esprit). L'hérésie
lancée par Macédonius et soutenue par quelques évêques
de personnalité marquante avait creusé un sillon assez profond
durant la persécution de Valens. Comme le Ier concile de Nicée
avait eu mission de définir la divinité du Verbe, ainsi le
Ier concile de Constantinople promulgua son symbole pour
défendre de manière particulière la divinité de l'Esprit-Saint.
Comme si ces problèmes dogmatiques ne suffisaient pas, il y
avait aussi, à l'arrière-plan, une question de très grande im
portance, qui, dans cette première assemblée, commencera
seulement d'apparaître pour n'y recevoir qu'une solution pro
visoire : celle de la dignité de la nouvelle Rome, Constanti
nople, vis-à-vis des autres Églises, apostoliques, d'Alexandrie,
d'Antioche et de Jérusalem, pour ne rien dire de l'indiscutable
prééminence de Rome. Il fallait en effet reconnaître une
position particulière à l'évêque de la nouvelle capitale de
l'Empire oriental. C'est cette question, qui touchait à la poli
tique et à la vie ecclésiastique, qui donnera leur intérêt su
prême aux canons de ce synode.
Il y avait encore d'autres nœuds à dénouer ou à trancher.
Constantinople se trouvait pratiquement sans évêque ortho
doxe, et il était urgent de lui en donner un. Le schisme d'An
tioche, qui avait envenimé imprudemment les relations entre les
Asiatiques, les Égyptiens et les Occidentaux, semblait destiné
à empirer toujours davantage au fur et à mesure que les camps
devenaient plus nombreux et croissaient en fanatisme. Le siège
d'Alexandrie lui-même, depuis la mort de saint Athanase, avait
été assailli par les ariens assurés de l'appui de l'empereur
Valens.

C'est donc pour résoudre de graves conflits que le Ier concile


de Constantinople fût célébré. A cinquante-six années de dis
tance de celui de Nicée, les protagonistes du drame ont beau
coup changé. Il y a certes un notable parallélisme entre la
142 CONSTANTINOPLE

politique religieuse de Théodose et celle de Constantin. Mais


les champions de l'orthodoxie, en Orient, s'appellent mainte
nant Grégoire de Nazianze et Grégoire de Nysse; ils sont
appuyés par d'autres épigones parmi lesquels figurent Cyrille
de Jérusalem, Amphiloque d'Iconium et Diodore de Tarse,
Pères du concile, et aussi par Épiphane de Constantia et
Didyme l'Aveugle qui ne participèrent pas au synode. Deux
années auparavant, une mort prématurée avait fait disparaître
le grand artisan de la victoire de l'orthodoxie, saint Basile de
Césarée, en Cappadoce, et huit années auparavant, à Alexan
drie, saint Athanase, le lutteur infatigable, avait expiré.

Un élément nouveau et notable en cette phase de disputes


dogmatiques est le rôle qu'y joue le siège de Rome. A Libère,
que la très violente politique de Valens avait fait souffrir,
va succéder, dans une ambiance de liberté politique, puis de
faveur décidée envers l'orthodoxie de la part de Valentinien Ier
et de Gratien, le courageux et prudent pape saint Damase.
Bien qu'il n'ait pas participé au concile de Constantinople,
Damase exerça son influence sur ses travaux, particulièrement
par l'intermédiaire de Théodose, espagnol comme lui, pour qui
l'orthodoxie s'identifiait pratiquement avec la doctrine ensei
gnée par le successeur de saint Pierre à Rome.
Après avoir esquissé brièvement ces lignes d'orientation,
il nous faut maintenant expliquer avec quelques détails les
questions et les sujets sur lesquels statua l'assemblée de
Constantinople.

Les dernières phases de la dispute arienne.


On l'a déjà noté en traitant du Ier concile de Nicée : ses
conséquences se prolongent jusqu'au concile de Constanti
nople qui est, pour ainsi dire, la liquidation de la controverse
arienne. Il convient donc de renouer les fils que nous avons
abandonnés lorsque nous terminions l'exposé de la crise
arienne, à la mort de l'empereur Constance II en 361. Les
LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 143

règnes de Julien l'Apostat et de Jovien ne durèrent que peu de


temps, mais cette parenthèse retarda de deux ans le progrès
de la réaction anti-nicéenne. A la mort de Jovien, en 364, l'Oc
cident passa sous l'autorité de l'empereur Valentinien I", qui
instaura une politique de neutralité confessionnelle, tandis que
l'Orient tombait au pouvoir de Valens, persécuteur forcené de
l'orthodoxie contre laquelle il alla jusqu'à employer les armes,
et si éhonté promoteur de l'arianisme, qu'il inclut dans ses
vexations les macédoniens et les semi-ariens eux-mêmes.
En 362, mettant à profit la trève survenue dans la persécu
tion, Athanase avait réuni à Alexandrie un synode d'évêques
orthodoxes revenus d'exil dont les égyptiens composaient la
majorité, encore qu'il faille signaler parmi eux la présence du
palestinien Astérius de Pétra, de l'italien Eusèbe de Verceil et
des représentants de Lucifer de Cagliari, d'Apollinaire de
Laodicée et du prêtre d'Antioche, Paulin. Leur incorruptible
attachement à Nicée avait valu l'exil à Astérius et à Eusèbe.
Lucifer, tempérament impulsif et extrémiste, soutenait à An-
tioche la cause du groupe resté fidèle à la mémoire du grand
Eustathe, à la tête duquel se trouvait le prêtre Paulin. Ce
groupe avait la faveur du siège d'Alexandrie et, par contre
coup, celle de tout l'Occident; la raison en était qu'ils ne
s'étaient pas décidés à reconnaître l'arien Euzoïus, le vieux
rebelle qui, dès le commencement, s'était, à Alexandrie, rangé
du côté d'Arius, pas plus qu'ils ne reconnaissaient l'évêque
Mélèce à qui l'on reprochait d'avoir reçu l'ordination des mains
des adversaires de Nicée et d'avoir signé la formule * ano-
méenne » de Rimini *. Apollinaire le jeune avait été élu évêque
de Laodicée, l'emportant sur un autre candidat qui avait mar
qué moins d'attachement pour Nicée. Avec son père, ils étaient
de grands amis d'Athanase et formaient une cellule de résis
tance éprouvée contre les ariens. Malheureusement, ils mê
lèrent par la suite à leurs doctrines anti-ariennes une grave
erreur qui allait les transformer en coryphées d'une nouvelle

* Cf. ci-dessous, p. 157-158.


144 CONSTANTINOPLE

hérésie qui n'admettait pas dans le Christ l'âme rationnelle et


qui fut appelée apollinarisme.
Nous aurons l'occasion de faire plus ample connaissance
avec la difficile situation d'Antioche. Ici, il nous faut louer
l'ouverture dont firent preuve en leur jugement les Pères du
synode d'Alexandrie : étant donné la gravité de la situation, et
peut-être la menace de nouvelles persécutions, ils tinrent à
former un front unique de tous ceux qui acceptaient la foi de
Nicée et la divinité du Saint-Esprit, ainsi que la parfaite
humanité de Jésus-Christ. Ceci équivalait à tendre la main à
de nombreux semi-ariens qui, dans le fond, confessaient que
le Verbe n'était pas une créature, et tendait à éliminer des
disputes dogmatiques les intérêts et les rivalités personnels qui
s'y étaient mêlés et qui empêchaient la bonne intelligence
entre orthodoxes. La lettre synodale d'Alexandrie, appelée
Tome aux Antiochiens *, admettait qu'il restait des incertitudes
dans la terminologie trinitaire, puisque, tandis que les uns
concevaient hypostasis comme synonyme d' « essence »,
d'autres l'identifiaient avec « personne » ; si bien qu'il était
licite de parler, selon le sens qu'on donnait à ce mot, d'une ou
de trois hypostases dans la Trinité 82.
Les semi-ariens, furent probablement les premiers à faire
l'expérience de la politique persécutrice de Valens. Ils avaient
tenu à Lampsaque, dans l'Hellespont, à l'automne de 364, une
réunion dirigée contre l'arianisme d'Eudoxe, l'évêque de Cons-

* Cf. Texte XII, p. 269.

L'EMPEREUR VALENS ►
Détail d'une monnaie d'or (B. N. Pari»), frappée à Antioche,
agrandie 1 500 fois. Le prince, dont la tête est ceinte d'un
diadème, porte la cuirasse, recouverte du paludamentum.
(Cliché Orante — Bablin).
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LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 145

tantinople, et contre ses alliés, les politicards d'Acace qu'on


appelait « homéens ». Ceux-ci déclaraient que le Fils était
semblable en substance au Père ; mais ils n'admettaient pas
le terme nicéen d'hotnoousios ou « consubstantiel », et lui pré
féraient celui d'homoiousios (semblable en essence), afin de
mieux distinguer la diversité des Personnes divines. Avec une
assez grande ingénuité, les semi-ariens eurent une entrevue
avec Valens, pour lui demander sa faveur. L'empereur, qui
n'entendait que par les oreilles d'Eudoxe, envoya les délégués
sur le chemin de l'exil. Ce qui n'empêcha pas les semi-ariens,
comme un seul homme, de mander leurs envoyés au pape
Libère et à l'empereur Valentinien.

Tandis qu'ils voyagent, arrêtons-nous un instant pour exami


ner l'intéressante discussion qui s'était ouverte entre le nouveau
protagoniste de l'arianisme, Eunomius, et le champion de l'or
thodoxie, saint Basile. Eunomius, dialecticien habile, d'idées
passablement rationalistes, était resté fidèle à son maître Aèce
en professant le pur arianisme. A telle enseigne que cet im
pudent arien n'avait pas été supporté par les chrétiens de
Cyzique où Eudoxe l'avait envoyé comme évêque. Il passait
maintenant sa vie dans la ville de Chalcédoine, tout entier à
ses études et à ses livres. Il avait récemment composé une
œuvre intitulée Apologie dans laquelle il systématisait l'aria
nisme au moyen d'un raisonnement plus philosophique que
celui qu'il avait présenté au temps d'Arius, encore que les
arguments bibliques n'y manquassent point. L'acuité d'esprit

4 TRAITE SUR LE SAINT-ESPRIT


Le Traité sur le Saint-Esprit de saint Basile a connu une
rapide diffusion. Voici un fragment d'un manuscrit syriaque
du v* siècle qui paraphrase l'oeuvre du théologien de Césarée.
(Cliché British Muséum).
146 CONSTANTINOPLE

de son auteur y était visible dans le syllogisme qui serpentait


à travers son livre. L' « agénésie » ou existence indérivée et
primordiale, est l'essence du Père; le Fils ne tient pas cette
« agénésie » du Père, mais il a été engendré par lui ; dès lors
l'essence du Fils est diverse de celle du Père. Basile, avec son
profond savoir théologique et la formation dialectique qu'il
avait reçue à l'université d'Athènes, était un digne rival d'Eu-
nomius. Le prêtre de Césarée écrivit contre lui trois livres
magistraux dans lesquels il détruisit un tel syllogisme en mon
trant que 1' « agénésie », terme négatif, terme relatif, dû à la
réflexion, ne signifiait pas l'essence divine du Père, mais sa
propriété personnelle, sa note caractéristique. Une fois réfutée
la majeure du syllogisme, la conséquence demeurait sans effi
cacité. L'œuvre de saint Basile fut un rempart pour l'ortho
doxie ; on la doit comparer aux meilleurs ouvrages anti-ariens
de saint Athanase.

L'ambassade des semi-ariens, composée d'Eustathe de Sé-


baste, de Sylvain de Tarse et de Théophile de Castabala, parla
au pape, qui les invita à renoncer à des hérésies contraires au
Credo de Nicée. Et comme les délégués déféraient à sa
demande, Libère les pourvut de lettres de recommandation
pour tous les évêques orientaux en se faisant le garant de leur
doctrine. En passant par la Sicile, les délégués entrèrent en
communion avec les évêques de la région et ils reçurent des
lettres amicales des évêques d'Italie, d'Afrique et des Gaules.
Lorsque, de retour, ils se retrouvèrent à Tyane de Cappadoce
avec ceux qui les avaient mandés, la satisfaction fut générale
et l'on décida de tenir un synode à Tarse pour ratifier ce que
nous pourrions appeler l'union entre les semi-ariens et les
orthodoxes face à l'ennemi commun, l'arianisme. Mais Eudoxe
veillait à Constantinople et il obtint de Valens que l'assemblée
fut interdite.

Trois années suivirent, de 366 à 369, au cours desquelles


Valens ne put poursuivre sa politique religieuse, obligé qu'il
LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 147

était de guerroyer d'abord contre l'usurpateur Procope et en


suite contre les Goths dont la pression s'exerçait sur le Danube.
Durant ces années de trève, les semi-ariens furent désor
ganisés par des dissentiments internes : certains rejetèrent
Yhomoousios que l'on appliquait au Fils ; d'autres allèrent
grossir le parti des macédoniens en niant la divinité du Saint-
Esprit.
Cette nouvelle erreur se répandait, comme une sérieuse
menace. Mais en ces mêmes années l'orthodoxie s'affirmait,
spécialement en Cappadoce avec l'équipe exceptionnelle que
formaient saint Basile, devenu en 370 évêque de Césarée, son
frère Grégoire, choisi plus tard par Basile comme évêque de
Nysse, et leur ami commun Grégoire, fils et conseiller de
levêque de Nazianze et ensuite son successeur. Cette re
marquable triade fut complétée par un autre frère de Basile,
Pierre, plus tard évêque de Sébaste, et par Amphiloque d'Ico-
nium. A Basile d'Ancyre, chef des semi-ariens, avait succédé
Athanase, qui était resté fidèle à la foi de Nicée.

Peu après son retour à Constantinople, Valens résolut à sa


manière, brutale et fanatique, la question de la succession
d'Eudoxe. Il n'hésita pas à installer sur le siège de Byzance
ce Démophile, arien bon teint, qui, lorsqu'il était évêque de
Bérée, avait été le gardien et l'espion du pape Libère en exil.
Le peuple protesta contre cette élection ; ce fut en vain. L'em
pereur écarta les quatre-vingts délégués qu'on lui avait en
voyés pour présenter les doléances de la foule et il est probable
que, sur son ordre, ils furent jetés à la mer.
Valens inaugurait une période d'extrême dureté contre les
orthodoxes. Us étaient maintenant ses ennemis, et il allait les
terroriser par la force des armes. La première expédition fut
dirigée contre la place forte de Cappadoce. Basile ne voulut
pas traiter avec le capitaine Euippius, qui arriva en avant-
coureur, car il le savait hérétique. Dans l'entre-temps, Valens
avec une armée, sortit de Constantinople, traversa la Bithynie
qu'il dévasta et la Galatie qui se soumit facilement. Il emme
148 CONSTANTINOPLE

nait comme commandant des troupes un arien exalté du nom


de Modeste. Lorsque l'armée arriva à Césarée en novembre
371, Basile affronta Modeste avec décision et héroïsme, re
poussant ses menaces qu'il jugeait inutiles. Rien ne devait le
faire céder, ni les spoliations, ni la mort même. Modeste, stu
péfait par une résistance aussi insolite, dit à saint Basile
que jamais on ne lui avait parlé de cette façon ; à quoi le saint
répondit en une phrase lapidaire que c'était parce que, jus
qu'alors, il n'avait jamais rencontré un véritable évêque. Lorsque
Modeste raconta à Valens son dialogue avec l'évêque de
Césarée, l'empereur eut une réaction où se mêlaient l'admi
ration et le dépit. Il entra en personne dans l'église de Césarée
alors que Basile officiait en la fête de l'Epiphanie, et telle fut
son impression, en contemplant ce personnage si majestueux
puis en l'entendant personnellement au cours d'une conver
sation discrète qu'il eut avec lui et Grégoire de Nazianze, que
le terrible persécuteur préféra rester à distance sans insister et
ne pas déposer de son siège ce redoutable adversaire. Ainsi
donc, ce même respect que lui avait inspiré le vieil Athanase, —
qu'il avait maintenu sur son siège d'Alexandrie jusqu'à sa
mort —, il l'éprouvait de nouveau en 373. Néanmoins, pour
diminuer l'autorité de saint Basile, Valens divisa en deux les
provinces civiles de Cappadoce ; l'évêque de Césarée répondit
en multipliant les diocèces dans le territoire de la première
Cappadoce, à la tête desquels il mit des évêques qui jouissaient
de sa confiance.

Au printemps de 373, Valens est en Syrie et il établit sa


résidence à Antioche pour plusieurs années. Avec l'empereur la
terreur vint. L'évêque Mélèce dut aller pour la troisième fois
en exil. Les prêtres Diodore et Flavien se mirent à la tête de
ses fidèles, qui pratiquement se contentaient de célébrer les
réunions de leur culte dans les environs, cependant que l'arien
Euzoïus occupait le siège épiscopal d'Antioche, Les martyrs
ne manquèrent pas dans ces années tourmentées, et les exils
d'évêques demeurèrent à l'ordre du jour.
LES PRELIMINAIRES DU SYNODE 149

Athanase étant mort en 373, l'Égypte eût à son tour les


honneurs de l'épreuve. Les fidèles lui avaient élu comme suc
cesseur son frère Pierre, mais les autorités civiles ne permirent
pas son intronisation. Avec le concours de la force militaire et
en présence du vieil Euzoïus, venu expressément d'Antioche,
Lucius fut installé. Il était lui aussi arien et candidat officiel.
La soldatesque s'abandonna au plus honteux désordre contre
le clergé et contre les vierges qui s'opposaient à ces excès. Le
comte Magnus envoyé par Valens parcourut les diocèses
d'Égypte pour contraindre par la force ces prélats et les assu
jettir à la politique impériale. Douze évêques et plus de cent
prêtres et moines furent exilés en Palestine. Quelques naïfs
qui s'étaient rendus à Antioche pour protester devant Valens
se virent condamnés à l'exil dans les abruptes régions du Pont.
L'évêque légitime Pierre, voyant qu'il lui était impossible
d'exercer sa charge, réussit à s'échapper en direction de Rome
où il fût reçu par le pape Damase avec tous les honneurs.

Cette même année 373 enregistre la mort d'Auxence, évêque


arien de Milan, auquel succéda saint Ambroise. Avec celui-ci
et avec la mort de Germinius de Sirmium, survenue plus tard,
l'Occident se voit libéré des derniers foyers d'arianisme qui
y brûlaient encore. En 375, à la mort de Valentinien Ier,
Gratien, le jeune neveu de Valens, prend en charge l'Empire
occidental, dont une partie est confiée à Valentinien II, son
demi-frère, alors âgé de quatre ans ! Tout d'abord, Gratien
suit la politique de neutralité de son père ; mais conseillé par
saint Ambroise, il se fait peu à peu à l'idée de refuser au
paganisme toute aide de l'État et, ce qui était d'importance
pratique plus grande, de faire pencher la balance du côté de
l'orthodoxie nicéenne. En de pareilles circonstances, il était
très logique qu'un homme de larges perspectives et d'intense
dynamisme comme l'était saint Basile, mandât des ambassa
des diverses en Occident, spécialement au pape Damase, pour
établir avec l'Église d'Occident et avec son empereur une
alliance défensive contre les violences persécutrices de Valens.
150 CONSTANTINOPLE

Il nous faut reconnaître avec tristesse que deux hommes aussi


grands et aussi saints que l'étaient Basile et Damase n'arri
vèrent pas à s'entendre. Il est probable que l'obstacle majeur
à cette entente, si l'on met à part la difficulté de connaître
exactement la situation à une aussi grande distance, résida
dans la divergence des deux hommes à propos du schisme
d'Antioche. Saint Basile qui avait été ordonné diacre par Mé-
lèce, soutenait sa légitimité et refusait celle de Paulin. Damase,
au contraire, avec l'Occident et Alexandrie, était pour Paulin
contre Mélèce.

Finalement, en 378, poussé par les attaques des Goths, par


les conseils des militaires orthodoxes et d'un philosophe, —
toutes choses dont nous parlent les historiens anciens 83 —,
Valens adoucit son régime de violence et permit la rentrée
dans leurs diocèses des évêques exilés. A peine furent-ils privés
de l'appui impérial, les ariens et les anoméens donnèrent des
signes de faiblesse. Lucius, par exemple, n'eut plus qu'à fuir
Alexandrie, où se présenta Pierre qui venait de Rome avec de
larges lettres de recommandation de Damase : ses fidèles le
reçurent triomphalement. Antioche vit le retour de Mélèce.
A Constantinople, où l'orthodoxie avait été décimée, le petit
groupe de ceux qui demeuraient fidèles à la foi de Nicée
appelèrent à leur aide Grégoire de Nazianze, le zélé et élo
quent docteur. Grégoire accourut et il commença à attirer
magistralement l'attention de tous par ses célèbres Discours
théologiques sur la divinité du Père, du Fils et du Saint-
Esprit84. Énorme fut l'impression produite par ses sermons
anti-ariens, inaugurés dans la chapelle particulière qui servait
aux orthodoxes et portait le titre d'Anastasis, — ce qui veut
dire « Résurrection » — et qui se continuèrent dans un autre
lieu plus vaste. Les partisans ariens de Démophile s'irritèrent
devant cette attaque et, un jour, ils firent irruption dans la
chapelle de YAnastasis en lançant des pierres aux fidèles. Mais
Grégoire n'en fut pas intimidé et pratiquement fit office
d'évêque de Constantinople, bien que son véritable siège, qui
LES PRELIMINAIRES DU SYNODE 151

lui avait été donné par Basile, eût été Sasimes. Nous raconte
rons en son temps l'issue de cette dramatique situation de
Grégoire, un maître dans la formulation transparente d'une
doctrine parfaitement catholique *.
Au-delà du Danube, les Goths s'étaient divisés en deux
bandes conduites respectivement par Fritigemes et Athanaric.
Ce dernier était le plus fort ; mais les autres, avec l'aide des
Romains, le vainquirent. Par respect pour lui et grâce à l'auto
rité de leur savant évêque Ulfila, les Goths de Fritigernes
embrassèrent le christianisme arien et furent pour ce motif
persécutés par Athanaric. Quand les Huns venus du Nord
molestèrent les Goths, ceux-ci se réconcilièrent et demandèrent
à entrer dans l'Empire, en deçà du Danube. Valens leur con
céda gracieusement la Thrace, dans l'espoir de les assimiler et
ensuite de se servir d'eux comme fidèles défenseurs de la
frontière. Mais les Goths commencèrent à exagérer et vou
lurent se faire maîtres de la situation. Il ne restait plus à
Valens qu'à aller leur livrer bataille. L'empereur revint du
front à Constantinople ; mais, hué par le peuple, il n'eût qu'à
retourner sur le champ de bataille où il mourut le 9 août 378,
à Andrinople, probablement au cours d'un incendie provoqué
par les Barbares. Les Goths, en poursuivant sans relâche les
Romains, parvinrent jusqu'au pied des murailles de la capitale,
dont ils dévastèrent les faubourgs. Le peuple réagit, aidé par
les Sarracènes qu'avait envoyés Moravia, et exhorté au combat
par Dominique, la veuve de Valens.

Il est difficile de trouver une logique dans la politique reli


gieuse de Valens. En vérité, lorsqu'il prit l'Empire en main
il trouva devant lui des chrétiens divisés. A n'en pas douter,
la majorité de l'Orient professait encore la foi de Nicée. C'était
le cas de l'Égypte, d'Antioche, de la Palestine, pour ne rien
dire de l'inexpugnable bastion érigé en Cappadoce. Pourtant,
il ne donna pas son appui à la croyance de la majorité, mais

Cf. ci-dessous, p. 177.


152 CONSTANTINOPLE

à celle de la minorité instable et insignifiante des « homéens »,


à l'abri desquels prospéraient les ariens d'Eunomius. On ne
comprend pas davantage logiquement que, dans ces conditions,
au lieu d'adopter la politique neutraliste de Valentinien, il
se soit adonné à la violence, envoyant ses troupes pour
contraindre et exiler les évêques, instaurant un régime de
persécution ouverte contre les défenseurs de Nicée. Tout cela
doit nous faire admettre que Valens avait peu de sens poli
tique, qu'il était un esprit peu compréhensif et peu généreux.

L'hérésie contre YEsprit-Saint.


Dans toute la première moitié du IVe siècle, la dispute avait
eu comme objet exclusif la divinité du Verbe. On a vu que
le symbole de Nicée s'était limité à professer la foi « dans
l'Esprit-Saint » *, formule réduite au minimum et qui révèle de
ce fait l'absence de problèmes ou d'intérêt théologiques à
propos de l'Esprit-Saint. En bonne logique, les ariens, qui
niaient la divinité du Fils en le réduisant à une simple créature,
devaient nier a fortiori la dignité divine de l'Esprit. Pourtant la
controverse sur la troisième Personne ne surgit pas jusqu'au
moment où certains qui défendaient la divinité du Verbe com
mencèrent à nier celle du Saint-Esprit. Ils n'étaient pas à
proprement parler des ariens et se trouvaient en règle avec
le symbole de Nicée ; si bien qu'au début on ne les distinguait
pas dans le groupe, assez peu défini, des semi-ariens.

La première mention que nous ayons de cette hérésie se


trouve dans la troisième lettre de saint Athanase à l'évêque
égyptien de Thmuis, Sérapion 85. Cette correspondance a dû
être écrite du désert et par conséquent vers l'année 360. C'est
précisément au conciliabule de Constantinople célébré cette
année-là, que les homéens qui y assistèrent destituèrent du
siège de Byzance l'évêque Macédonius dont le nom servit pour

* Cf. ci-dessus, p. 71.


LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 153

désigner ces nouveaux hérétiques : « Macédoniens ». Selon


Sozomène, qui nous donne le plus d'informations sur la nouvelle
secte, dite aussi des « pneumatomaques », Macédonius ensei
gnait que l'Esprit-Saint, à la différence du Fils qui est vrai
Dieu, n'avait pas la même dignité, mais qu'il était un ministre
et un interprète et une sorte d'ange 86. On ne connaît aucune
œuvre de Macédonius écrite à l'appui de sa théorie, si bien
qu'il est très difficile d'arriver à savoir la raison pour laquelle
son nom fût donné à la nouvelle secte. Celle-ci se répandait
non seulement en Égypte mais encore dans tout le reste de
l'Orient. A Alexandrie, le concile de 362 faisait proclamer
explicitement l'égalité du Saint-Esprit avec le Père et le Fils.
Saint Basile, dans ses ouvrages contre Eunomius publiés avant
370, se sent obligé d'argumenter en faveur de la divinité de
l'Esprit contre cette nouvelle erreur.
Au dire de Sozomène, la doctrine macédonienne se répandit
surtout à Constantinople, en Thrace, en Bithynie et dans
l'Hellespont. Ses principaux auteurs, que nous présenterons
dans la suite, avaient une conduite irréprochable et obser
vaient une discipline quasi monastique, ils parlaient agréable
ment et intelligemment. Nous connaissons une formule de foi
pneumatomaque dans laquelle on condamne à la fois Arius,
l'hérésie des sabelliens, celles de Marcion, de Photin, de Marcel
d'Ancyre, de Paul de Samosate 8T, et aussi la formule ano-
méenne de Rimini dirigée contre Nicée88 sans compter celle
que signèrent les Pères du synode de Constantinople en 361,
et qui provenait du village de Nikê, en Thrace89.
Nous avons vu que trois semi-ariens, qui, de fait, étaient
aussi macédoniens, étaient allés chercher un appui en Occident
où ils furent bien reçus par le pape Libère en 365. Ils pro
mirent d'admettre que l'Esprit-Saint a la même dignité et la
même essence que le Père. Ces garanties données permirent
aux macédoniens d'être confondus avec les orthodoxes, ce qui
dut favoriser la propagation de leurs idées. Ce n'est que
lorsque Gratien donna aux diverses confessions la liberté de
154 CONSTANTINOPLE

s'organiser, comme nous le verrons, que les pneumatomaques


se séparèrent officiellement des orthodoxes.

Les trois principaux promoteurs de l'hérésie contre l'Esprit-


Saint furent Eustathe de Sébaste, Eleusius de Cyzique et
Marathonius. Eustathe, initiateur de la vie monastique en
Arménie et en Cappadoce, est une figure assez difficile à
comprendre. Adonné à l'austérité, il est d'abord rejeté par
tous les partis, qui mettent en doute son orthodoxie. Tandis
que saint Basile l'honore de son amitié, Eustathe observe à
l'égard de Basile un comportement peu loyal. En 356, il fut
élu évêque de Sébaste et poussa alors les orthodoxes contre
les purs ariens. En 360 il signa la formule anti-nicéenne de
Constantinople, ce qui ne l'empêcha pas d'être exilé ; il ne
revint pas avant la mort de Constance. Au retour de son
ambassade à Rome auprès du pape Libère, il se camoufla
parmi les orthodoxes et réalisa à Sébaste de remarquables
œuvres de bienfaisance en favorisant de tous ses moyens la vie
monastique. Sa doctrine sur le Fils était juste et sa défense
du dogme de Nicée contribua à dissimuler son erreur à propos
de la divinité du Saint-Esprit, qu'il n'affirmait ni ne niait.
Ce climat de confusionisme se reflète très bien dans les évé
nements de Césarée auxquels font allusion Basile et Grégoire
de Nazianze. Dans les premiers temps de son pontificat,
Basile eût quelques réticences sur le Saint-Esprit qui sur
prirent plus d'une personne et spécialement quelques moines
qui opposaient cette politique trop discrète à la franchise
avec laquelle Grégoire de Nazianze défendait la divinité de
la troisième Personne. Grégoire rapporta à son ami Basile
les commentaires défavorables qu'il avait entendus à ce sujet 90.
Il est probable que les critiques parvinrent à Alexandrie,
puisque Athanase en parle dans une lettre qui, par ailleurs,
recommande de faire crédit à l'orthodoxie de saint Basile.

En 374, quelques évêques qui avaient participé à la litur


gie lors de la fête de saint Eupsyque entendirent saint Basile
LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 155

prononcer une certaine doxologie : « Gloire au Père avec le


Fils, avec le Saint-Esprit », à la place de la formule : « Gloire
au Père par le Fils dans le Saint-Esprit ». La nouvelle doxo
logie qui mettait sur le même pied le Père, le Fils et le
Saint-Esprit, parut étrange à divers évêques qui manifes
tèrent leur étonnement. Pour cette raison, Amphiloque d'Ico-
nium, qui était présent, demanda à l'évêque de Césarée d'écrire
un livre pour commenter et justifier cette formule. Telle fut
l'origine du petit traité Sur le Saint-Esprit, dans lequel saint
Basile démontra la légitimité de sa doxologie, et prouva en
même temps la dignité divine de l'Esprit-Saint *. Cette même
année, saint Épiphane, évêque de Chypre, dans son ouvrage
Ancoratus, apporta une multitude de textes bibliques en faveur
du même dogme. Un peu plus tard, mais avant le concile de
Constantinople, le catéchiste aveugle d'Alexandrie, Didyme,
écrivit son ouvrage Sur le Saint-Esprit 91. Ce livre, malgré son
style ampoulé, est la monographie la plus complète qui existe
sur le sujet : c'est d'elle que s'inspirèrent saint Ambroise et
saint Jérôme, qui la traduisit en latin sur l'ordre du pape
Damase.
Tandis que la persécution de Valens se faisait plus cruelle,
le contraste s'accentuait entre la doctrine orthodoxe et l'erreur
macédonienne, comme on peut en juger en considérant la
tension croissante, — qui aboutit à la rupture, — entre Eus-
tathe de Sébaste et Basile, et ce en dépit des intentions pacifi
ques de leur ami commun, Eusèbe de Samosate.

Un autre champion de la doctrine macédonienne fut Éleu-


sius, qui milita d'abord dans les rangs des semi-ariens à la
suite de Basile d'Ancyre. Macédonius lui-même l'avait fait élire
au siège épiscopal de Cyzique, jusqu'à ce que le conciliabule
de Constantinople de 360 l'ait déposé de ce siège pour le
remplacer par le grand chef de l'arianisme, Eunomius. Ce der
nier dut un peu plus tard quitter son siège parce que les fidèles

Voir Texte XIII, p. 275.


156 CONSTANTINOPLE

n'admettaient pas sa doctrine hétérodoxe. Ce qui permit à


Eleusius detre une nouvelle fois le bienvenu. Il vacilla quel
que peu, semble-t-il, sous la pression de la persécution de
Valens et demanda pardon à ses fidèles en abdiquant sa
charge ; mais, pour ce geste, sa communauté lui renouvela sa
confiance et il demeura sur son siège.

Le troisième coryphée du macédonianisme était Maratho-


nius, qui avait exercé d'abord les fonctions d'employé du pré
toire et qui, étant très riche, put quitter son service et employer
tous ses biens à soulager les malades et les pauvres dans un
hôpital qu'il avait fondé. Ensuite, sur le conseil d'Eustathe,
il se fit moine et fonda un monastère à Constantinople. Mara-
thonius exerça une grande influence par son ascendant per
sonnel et sa fortune qui permirent à l'hérésie pneumatomaque
de pousser de profondes racines.
Il ne reste pas de traces d'œuvres de quelque importance
écrites par les macédoniens en faveur de leur doctrine. Le
cas est d'ailleurs différent de celui de la dispute arienne.
Les Pères, qui intervinrent rapidement pour défendre le dogme
avec une science théologique poussée et érudite, ne citent pas
de textes et mentionnent à peine les arguments suggérés par la
lutte avec leurs adversaires. Cette déficience dans l'élabora
tion de la doctrine fut une des causes de la rapide décadence
et de la brève durée du macédonianisme.

Le « guêpier » cCAntioche.

Le « schisme d'Antioche », comme on l'a appelé sans hyper


bole, durait déjà depuis un demi siècle*. Lorsque l'astuce des
semi-ariens leur eut permis d'obtenir, comme nous l'avons ra
conté **, leur première victoire, par la destitution en 330 dTSus-

* Voir l'ouvrage classique de F. Cavallera, Le Schisme cTAntioche,


Paris, 1905.
** Cf. ci-dessus p. 123.
LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 157

tathe d'Antioche et son remplacement par Euphronius, un


grand nombre de chrétiens se refusèrent à le reconnaître afin
de demeurer fidèles à Nicée et à son défenseur, Eustathe. Ils
s'appelèrent les eustathiens et eurent à leur tête un prêtre, Pau
lin. Ce groupe représenta l'orthodoxie dans son inflexibilité.
Paulin continua toujours à donner au mot hypostasis le sens de
« substance », ce qui fit que son affirmation qu'il y avait en
Dieu une seule hypostasis fût suspecte aux Pères cappado-
ciens. Le synode d'Alexandrie de 362 admettait lui aussi qu'il
était possible de donner à hypostasis le sens en question ;
mais peu à peu l'habitude se prenait, spécialement grâce aux
Pères de Cappadoce, d'employer hypostasis à la place de
« personne ». Il n'est pas étrange que pour les Pères orientaux
habitués à cette équivalence : hypostasis = personne, la
terminologie trinitaire de Paulin semblât pleine de danger
et proche du sabellianisme de Marcel d'Ancyre et de Photin.
Il y avait un obstacle supplémentaire pour s'entendre avec lui :
c'était un simple prêtre.
Au début du conciliabule de Constantinople de 360 où les
« homéens » conduits par l'évêque Acace furent vainqueurs, on
décida de destituer l'évêque arien d'Antioche, Eudoxe, qui
était peu aimé, et l'on posa les yeux sur Mélèce qui avait signé
une formule d'inspiration anti-nicéenne et avait été élu en
358 au siège de Sébaste pour remplacer Eustathe. Mélèce avait
pour lui la fidèle amitié des trois Pères de Cappadoce. Saint
Basile correspondait avec lui et s'employa avec grande insis
tance, bien que sans succès, à faire reconnaître par Rome sa
légitimité et son orthodoxie. Saint Grégoire de Nazianze chante
ses vertus et particulièrement sa douceur « melliflue », en
jouant sur l'étymologie de son nom. Saint Grégoire de Nysse
le comblera de louanges dans l'oraison funèbre qu'il prononça
à ses funérailles 92. Le fait aussi que Mélèce affirmait en Dieu
trois « hypostases », en donnant au mot le sens de « personne »,
contribuait à le faire bien voir des Pères orientaux, sauf des
égyptiens. Et cependant, il faut reconnaître que le fait d'avoir
été élu évêque sur l'initiative des gens du clan d'Acace et celui
158 CONSTANTINOPLE

d'avoir souscrit à leur formule étaient des précédents qui pou


vaient provoquer une certaine suspicion à l'égard de Mélèce ;
ni les fidèles eustathiens d'Antioche ni les alexandrins, avec
Athanase et son frère Pierre, ne pouvaient les lui pardonner.
Ce qui le confirme c'est que, lorsque les acariens instal
lèrent Mélèce à Antioche, ils le firent en croyant qu'il était
totalement d'accord avec leurs idées, opposées à Yhomousios
de Nicée. Ils voulaient bénéficier de la grande vertu et du
renom de sainteté qui étaient les siens et qui pouvaient neu
traliser le souvenir amer laissé par Eudoxe. Chose curieuse :
Mélèce fut reçu par une foule nombreuse où se trouvaient
mêlés eustathiens et acariens, chacun des partis croyant qu'il
lui appartenait 93. L'empereur Constance était aussi présent. Au
début, Mélèce ne traita dans ses homélies que des sujets de
morale ; mais assez rapidement l'empereur l'invita à commen
ter, avec l'arien Georges d'Alexandrie et ITioméen Acace de
Césarée de Palestine, le fameux texte des Proverbes (8, 22)
cité mille et mille fois par les ariens : « Le Seigneur me
créa comme commencement de ses chemins ». La réponse de
Mélèce, conservée par les tachygraphes, nous montre que sa
manière de parler était celle des hommes qui proclamaient
la divinité du Verbe et son égalité avec le Père, et qui évi
taient cependant les phrases du symbole de Nicée — homo-
ousios, « de Yousia du Père » — de sorte que d'un côté il prê
tait le flanc aux attaques des ariens et que, d'un autre, il ne
pouvait absolument pas plaire à ceux qui défendaient à tout
prix la formule de Nicée. En fait, la doctrine de Mélèce déplut
aux partisans d'Acace et pour cette raison l'évêque d'Antioche
dut, après un mois, abandonner son siège pour prendre le
chemin de l'exil. Il en revint à la mort de Constance, bien
qu'à Antioche se trouvât Euzoïus, un alexandrin qui s'était
rangé au parti d'Arius dès sa première condamnation. Il y a
donc maintenant trois communautés chrétiennes à Antioche
présidées respectivement par Euzoïus, Mélèce et Paulin.

Le synode alexandrin de 362, où se trouvaient deux délé


LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 159

gués de Paulin, édicta des règles pacifiques pour arriver à


un accord avec les méléciens. Mais lorsque Eusèbe de Verceil
et Astérius de Pétra vinrent à Antioche mandés par ce concile,
ils éprouvèrent une désagréable surprise. Le fougueux et ex
trémiste Lucifer de Cagliari les y avait précédés et, sans trop
se soucier des canons, avait consacré Paulin évêque. Eusèbe
jugea plus prudent de ne pas se compromettre et sans entrer
en communion avec l'un ou l'autre clan, il quitta Antioche et
repartit en Occident. Quand il vit qu'Eusèbe ne reconnais
sait pas la consécration de Paulin et que ses propres délégués
avaient signé la lettre synodale d'Alexandrie, lettre très paci
fiste, Lucifer fût dépité, et ce fut l'occasion de voir se former
à Antioche une aile intransigeante et fanatique, les lucifériens,
qui se trouvèrent contre Paulin à partir du moment où celui-ci
signa également le document d'Alexandrie.
Mélèce et d'autres évêques de ses amis envoyèrent peu
après à l'empereur Jovien une lettre dans laquelle ils admet
taient la formule de Nicée, à condition que l'homoousios pût
être compris dans le sens d'une égalité du Fils avec le Père
sans courir le danger de supposer des changements dans la
génération divine. Cette déclaration diminuait la distance entre
Mélèce et Paulin, mais il y avait encore des motifs personnels
qui la maintenaient. On en eût une preuve dans le fait, —
regretté par saint Basile dans une de ses lettres —, que lorsque
le vieil Athanase vint à Antioche en 363 et demanda à Mélèce
sa communion, celui-ci ne voulut pas la lui accorder ; attitude
qui indigna à juste titre l'évêque d'Alexandrie et l'amena à
ratifier sa communion avec Paulin en le reconnaissant comme
légitime évêque.

En 365, Valons destitua Mélèce, comme tous les anciens exi


lés par Constance. Paulin resta à son poste, faisant exception à
la règle, et probablement aussi à cause de sa réputation et
de son âge94. Mélèce, qui était revenu lors de la trêve de
la persécution, fut à nouveau exilé par Valens en 372, lorsque
160 CONSTANTINOPLE

le régime des violences reprit. Ses fidèles, qui constituaient


la majorité des orthodoxes, eurent alors deux guides fort cou
rageux en la personne des prêtres Diodore de Tarse, un « ruis
seau transparent et abondant », d'après Théodoret 95, et Flavien,
le futur évêque d'Antioche. Tandis que Diodore prêchait, Fla
vien lui préparait les arguments : « il lui tirait les flèches de
son carquois », comme le dit un peu plus loin le même histo
rien. Dans l'entre-temps les paulianisants, les alexandrins et
l'Occident continuaient d'ignorer Mélèce, ce qui déconcertait
saint Basile. On le voit bien dans les lettres qu'il envoie à
Alexandrie et à Rome, dans lesquelles il demande un accord
avec tous les Orientaux pour entrer en communion avec Mé
lèce. Pour les ambassades que l'initiative de saint Basile en
voya aux principaux sièges d'Italie, le problème d'Antioche
était d'importance. Il est instructif et triste à la fois de voir de
véritables saints divisés jusqu'à la fin de leurs jours sur le
jugement que méritaient de très dignes évêques morts en
renom de sainteté.

Comme si Antioche n'était pas déjà un guêpier où bourdon


naient les factions, il arriva qu'il s'y forma un autre clan
absolument hérétique, celui des apollinaristes, partisans d'Apol-

GREGOIRE DE NAZIANZE ET »-
L'EMPEREUR THEODOSE LE GRAND
Saint Grégoire de Nazianze, nimbé d'or, vêtu d'une longue
tunique bleuâtre à bandes pourpres, recouvert d'un grand
manteau, manifeste à l'empereur son désir de quitter le siège
de Constantinople, afin de permettre à Théodose de rétablir la
concorde entre les Pères du concile. L'empereur, descendu de
son trône, est debout au centre du tableau, avec un nimbe d'or
cerclé de pierreries, portant une couronne rouge ornée d'un
double rang de perles blanches et d'une grande émeraude.
Vêtu d'une tunique bleue à larges parements d'or chargée de
broderies et de pierres précieuses, il est drapé dans un ample
manteau pourpre, couvert de broderies et rehaussé d'or et de
perles on aperçoit à droite une des quatre colonnes d'or ter
minées par des globes portant chacun un aigle et sur lesquelles
repose le baldaquin qui abrite le trône impérial. Au bas du
trône, un des deux officiers qui accompagnent Théodose. Cette
miniature est extraite du manuscrit Parisinus Graecus 510,
qui provient de la bibliothèque royale de Constantinople. Il
fut commandé par Basile le Macédonien (t 886) et comporte
cinquante-deux sermons de Grégoire de Nazianze. (Cliché B. N.
Paris).
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LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 161

linaire de Laodicée, qui niaient en Jésus-Christ lame ration


nelle humaine, en alléguant que le Verbe avait fait fonction
de guide dans les activités humaines du Seigneur. Les apol-
linaristes d'Antioche eurent aussi leur évêque, Vital, qui fut
consacré par Apollinaire. Voilà donc maintenant quatre
évêques chrétiens à Antioche : Euzoïus, que remplaça ensuite
Dorothée, Mélèce, Paulin et Vital, sans compter la toute petite
communauté des « lucifériens » exaltés.
En 379, après la mort de Valens, Gratien, le nouvel empereur,
donna l'ordre de faire revenir les évêques exilés et de leur
restituer leurs églises. Pour exécuter cet ordre il envoya à
Antioche son général, Sapor. Socrate, l'historien de Byzance, et
Théodoret, celui d'Antioche, ne sont pas d'accord dans leur
récit et leur estimation de ce qui arriva lorsque Mélèce revint
de son troisième exil 96. D'après Socrate, Mélèce trouva l'évêque
Paulin en un certain état de décrépitude. D'aucuns émirent
l'idée absurde que les deux évêques pouvaient continuer à
gouverner le diocèse ; mais Paulin persista à ne pas reconnaître
Mélèce pour la raison qu'il avait été consacré par les ennemis
de Nicée. Le peuple voulut que Mélèce s'établît en un autre
siège voisin d'Antioche, ce qui provoqua un grand tumulte. A
la fin, on s'accorda. Six prêtres parmi les plus dignes, au

4 LE CONCILE DE CONSTANTINOPLE
Provenant du même manuscrit que la précédente (Parlsinus
Graecus 510), cette peinture représente le 1er concile de Cons-
tantinople. Sur un trône entièrement doré, couvert de pier
reries et de perles, et tendu d'une étoffe pourpre bordée de
vert, est posé, ouvert, le livre des Evangiles. Au bas et à
gauche est assis au premier rang l'empereur Théodose (Theo-
dosios o megas) nimbé d'or, revêtu des ornements impériaux.
A ses côtés ou en face sont assis les Pères du concile. Au bas
des gradins, un autel de forme cubique peint en bleu sur
lequel est posé, entre deux rouleaux, un livre fermé. Plus bas
encore, un genou en terre, la tête légèrement renversée et un
bras étendu dans la direction de l'empereur, se tient l'héré
siarque Macédonius (Mecaidonios), vêtu d'une longue tunique
bleue à bandes pourpres. La partie inférieure droite de la
miniature a été enlevée ; au témoignage de Bauduri, on y
voyait jadis un autre hérésiarque, Apollinaire, condamné par
le même concile. (Cliché B. N. Paris).
162 CONSTANTINOPLE

nombre desquels figurait Flavien, firent serment que le pre


mier qui mourrait, de Paulin ou de Mélèce, serait laissé sans
successeur : c'était le moyen de réduire ce long schisme. Ainsi
se fit la paix, à laquelle seuls les fanatiques « lucifériens » s'op
posèrent. Cette version de Socrate a l'avantage de bien cadrer
avec le bref récit de Sozomène; selon ce dernier les fidèles
de Mélèce l'établirent dans un faubourg, puis l'accord se fit
entre les deux clans et Mélèce partit pour Constantinople, où
nous le verrons en effet aider Grégoire de Nazianze97. Au
contraire, selon Théodoret, lorsque le général Sapor vint à
Antioche pour voir à qui il assignerait les églises, il réunit
Paulin, Mélèce et Apollinaire. Paulin dit qu'il tenait la doc
trine de Damase. Le prêtre Flavien lui répliqua : « Damase
parle d'une ousia et de trois hypostaseis en Dieu ; toi, au
contraire, tu t'opposes aux trois hypostaseis ». Ensuite, se tour
nant vers Apollinaire il lui dit qu'il s'étonnait de son impu
dence, puisque Damase soutenait la parfaite humanité du
Christ. Mélèce intervint alors pour dire à Paulin que, puisque
ils étaient d'accord sur la doctrine, il convenait de réunir en
un seul leurs deux groupes. Mettons les évangiles dans la
chaire, dit-il, ils sont la figure du Christ ; le premier d'entre
nous qui mourra n'aura pas de successeur. Paulin n'accepta
pas cette proposition, et continua de son côté. Le général
Sapor restitua l'église principale à Mélèce. On le voit, les affir
mations de Théodoret et de Socrate sont discordantes sur un
point sérieux : selon le premier, la paix ne put se conclure par
la faute de Paulin. Au contraire le second nous dit que la paix
se fit. Lequel rapporte objectivement la vérité ? Pour deux
raisons, nous préférons la version de Socrate, qui, comme
byzantin, est moins intéressé à la question. Comme nous le
verrons, à la mort de Mélèce, il lui fut donné un successeur en
la personne de Flavien. Si le pacte avec la clausule dont on a
parlé fut conclu, la consécration de Flavien apparaît comme
une ambition déloyale, chose qui ne pouvait plaire à un antio-
chien admirateur de Mélèce, de Diodore et de Flavien,
comme l'était Théodoret. Observons en outre que les paroles
LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 163

mises dans la bouche de Flavien, à savoir que Damase parlait


de trois « hypostases » et non d'une, comme Paulin, se trouvent
en contradiction avec tout ce qu'écrit alors saint Jérôme à son
ami saint Damase, en s'indignant de ce qu'à son arrivée à
Antioche on ait exigé de lui, un romain, qu'il proclame trois
« hypostases ». Et saint Jérôme notait que, d'après les lettres
profanes, hypostasis est synonyme de ousia ou « substance » 98.
En réalité, et pour être exact, les Occidentaux parlaient aussi
de trois « personnes ». Le fait même que Mélèce soit parti en
suite pour Constantinople paraît indiquer son désir de ne pas
troubler par sa présence une paix acquise au prix de tant de
fatigues. Et il ne reviendra jamais à Antioche.

La situation à Constantinople et à Alexandrie.

A Constantinople, les choses n'étaient pas aussi compliquées.


Sans doute, à un certain point de vue, la situation comportait-
elle plus de difficultés puisqu'il s'agissait du siège de la nou
velle Rome, en continuel essor, et que, depuis bien des années,
cet évêché était à la merci d'évêques ariens ou acaciens, de
toute manière opposés à l'orthodoxie de Nicée. Cela durait
depuis 342 exactement ; cette année là, l'évêque Paul, après
être rentré d'un premier exil, avait été de nouveau appréhendé
et successivement exilé à Singar, Emèse et Cucuse, où on
l'avait martyrisé en l'étranglant. Macédonius, que nous avons
déjà présenté comme le coryphée des pneumatomaques, avait
alors occupé le siège épiscopal. Mais le conciliabule de Constan
tinople l'avait déposé en 360 et lui avait donné pour successeur
l'arien Eudoxe, favori de Valens, à qui il avait administré le
baptême. A la mort d'Eudoxe, en 369, les orthodoxes eurent
l'intention de se donner un évêque en la personne d'un certain
Évagre, assez peu connu. Comme on pouvait s'y attendre, la
tentative se heurta à la politique arianophile de Valens. Évagre
partit en exil et l'empereur approuva le transfert à Constanti
nople de l'arien Démophile, qui était jusqu'alors évêque de
Bérée en Syrie. Les ariens étaient donc maîtres absolus de la
164 CONSTANTINOPLE

situation : ils occupaient toutes les églises existant dans la


capitale. Lorsque, en 378, les évêques exilés commencèrent à
revenir et les orthodoxes à respirer, ceux qui, à Constantinople,
étaient demeurés fidèles à la doctrine de Nicée cherchèrent à
se donner un évêque ; ils trouvèrent un insigne Père de
l'Église et un brillant orateur en la personne de saint Grégoire
de Nazianze, qui vivait alors en ermite. Il faut dire que son
ami intime, saint Basile, l'avait déjà consacré évêque et le des
tinait au nouveau siège de Sasimes, un « poussiéreux relais de
voitures », important seulement parce qu'il constituait une
étape de voyage. Mais Grégoire avait été saisi d'une si affreuse
impression à la pensée de vivre dans ce misérable trou, qu'il
n'avait même pas voulu le voir et qu'il s'en était allé à
Nazianze aider son père, évêque, à l'administration pastorale.
D'après les canons de Nicée, il était interdit de procéder à un
transfert de siège ; dans le cas de Grégoire, il s'agissait en outre
de passer d'un « diocèse » civil à un autre, du Pont à la
Thrace. Grégoire, néanmoins, vint à Constantinople et l'œuvre
extraordinaire qu'il commença à y accomplir ne tarda pas à
exciter la colère de Démophile, l'évêque arien de la capitale.

Fait plus notable encore : Pierre d'Alexandrie, lui non plus,


ne voyait guère d'un bon ceil l'ascendant que Grégoire de
Nazianze exerçait à Constantinople. Ce sentiment s'explique.
Alexandrie se rendait bien compte que le prestige croissant de
la capitale nouvelle, signifiait implicitement le déclin de sa
propre autorité, jusqu'alors reconnue officiellement comme pri
mordiale en Orient, par le concile de Nicée. Dans ces condi
tions, tout ce qui se produisait dans l'évêché byzantin la tou
chait de très près, et elle essaya, au moins pendant tout le
iv* siècle, d'obtenir que les évêques de Constantinople fussent
ses créatures et ne se recrutassent pas dans d'autres régions,
tel Grégoire. Ajoutons que, ce dernier n'était pas d'accord non
plus avec Alexandrie au sujet de Mélèce. On comprend dès
lors comment Pierre d'Alexandrie se prêtera — nous ne savons
pas avec quelle conscience — aux lamentables intrigues d'un
LES PRÉLIMINAIRES DU SYNODE 165

« philosophe » du nom de Maxime, que faisait remarquer


sa toison canine ou « cynique », qui ne prétendait rien de
moins que de s'emparer de 1 evêché de Constantinople. Il y a
ici une ombre au tableau. Pierre prit le soin d'envoyer d'Alexan
drie quelques évêques aux fins de consacrer Maxime et de
lui faciliter ainsi la réussite de ses ambitions. Le fait était
contraire à tous les canons et suscita la protestation du pape
Damase. On comprend facilement que Grégoire de Nazianze
ait parlé en termes méprisants de cette ordination indigne et
abusive d'un homme qui conspirait contre son prestige et sa
dignité. L'empereur Théodose eût plus de sens que les gens
d'Alexandrie : il ne voulut pas donner son approbation à la
consécration irrégulière de Maxime, venu à Thessalonique
pour le supplier. Toutefois, même si Grégoire était en fait
le pasteur de la communauté orthodoxe de Constantinople, son
droit à être considéré comme le véritable évêque de ce siège
n'était pas des plus clairs, tant à cause de la contradiction avec
le canon de Nicée, dont nous avons déjà parlé, que parce
qu'une autorité compétente ne l'avait pas encore investi de
cette charge.

A Alexandrie la situation était clarifiée depuis que Lucien,


l'évêque arien, s'était enfui à Constantinople en l'an 378. Pierre,
dont nous venons de parler, lui avait succédé. A sa mort, en
381, il avait été remplacé par Timothée qui fut présent au
concile de Constantinople. Tandis que les diocèses orientaux
étaient exposés à beaucoup de confusion par suite de la multi
plicité des confessions doctrinales et de la politique persé
cutrice de Valens, en Occident, avec Valentinien Ier et surtout
avec Gratien, Ja paix et la régularité régnaient. Une fois
éliminée l'enclave arienne de Milan, on peut affirmer que le
monde chrétien occidental formait un bloc compact, favorable
à la foi de Nicée, sans tergiversations et sans doutes. La chose
est d'importance étant donné que, nous le verrons, Théodose,
le nouvel empereur d'Orient, était, de par sa naissance, ses
idées religieuses et son orientation politique, un occidental.
CHAPITRE II

LA CÉLÉBRATION DU CONCILE

La politique religieuse de Théodose le Grand.

A la mort de Valens, l'Empire oriental passa dans les mains


de Gratien qui étendit au nouveau territoire les mesures favo
rables à l'orthodoxie déjà promulguées en Occident. Les
évêques exilés par Valens revinrent à leurs sièges et recou
vrèrent leurs églises.
Pressé en ce même temps par les Alamans dans les Gaules
et par les Goths au-delà du Danube, Gratien, qui était alors
à Sirmium, décida d'appeler à son aide le duc Théodose,
général aguerri, qui était alors en Espagne, sa patrie. Théo
dose, à la tête de l'armée, battit les Goths. Gratien l'éleva
alors à l'Augustat et lui confia le mandat sur l'empire orien
tal pendant qu'il venait lui-même sur le Rhin contenir la
pression des Germains. Le nouvel empereur commença à gou
verner au début de 379. Il avait des critères très orthodoxes
en accord avec la doctrine du pape Damase. C'est pourquoi
lorsqu'il se vit en péril de mort à Thessalonique, il voulut que
l'évêque de ce siège, Ascolios, le baptisât, mais il s'assurât
d'abord de sa foi nicéenne. Son premier décret de politique
religieuse, donné le 28 février 380, reflète très bien la menta
lité du nouvel empereur ; il ordonne à tous de professer « la
religion que l'apôtre Pierre a enseignée en d'autres temps aux
Romains et que confessent maintenant le pontife Damase et
LA CÉLÉBRATION DU CONCILE 167

Pierre, évêque d'Alexandrie, homme de sainteté apostolique »,


doctrine qui enseigne la divinité du Père, du Fils et du Saint-
Esprit ".

La politique de Théodose, diamétralement opposée à celle


de Valens, peut se comparer à celle de Constantin ; elle devait
cependant se révéler encore plus favorable à l'orthodoxie ca
tholique. Au-delà du neutralisme de Valentinien et de la
faveur que Gratien avait de suite accordée à l'orthodoxie,
Théodose en arriva en effet à reconnaître comme seule confes
sion chrétienne légitime celle que l'on professe à Rome, parce
qu'elle est celle-là même que saint Pierre enseigna. Il n'y aura
donc pas de tolérance pour l'arianisme et pour les autres
hérésies. Ainsi, la politique de Constantin et celle de Théodose
ne se différencient pas seulement par l'appui plus grand qu'ap
porte le second à la foi orthodoxe, mais encore par le fait que
l'empereur espagnol adopte comme critère la foi romaine, celle
de Pierre et de Damase, à laquelle aussi s'accordait celle
d'Alexandrie. C'était d'ailleurs se ranger tout simplement du
côté de la majorité du monde chrétien, ce qui avait été déjà le
critère de la politique constantinienne. Nous ne savons rien
sur la position de Théodose vis-à-vis d'Antioche et de Mélèce.
Il est toutefois probable qu'il partageait l'opinion des Occiden
taux, peu favorable à ce dernier. Si le songe que raconte le
crédule Sozomène et dont fait mention Théodoret s'est vrai
ment produit, songe dans lequel Théodose vit qu'un évêque,
— qui fut plus tard identifié avec Mélèce —, lui imposait les
insignes impériaux, on pourrait lui assigner une date posté
rieure 100
Dans l'intervalle, Théodose eut le temps d'apprendre à con
naître de près la situation de l'Église en Orient. Il put se
rendre compte qu'un des plus solides piliers de l'orthodoxie
était, après la mort prématurée de saint Basile, saint Grégoire
de Nazianze. Lorsque, le 24 novembre 380, l'empereur fit son
entrée à Constantinople, il ne tarda pas à expulser de son
168 CONSTANTINOPLE

siège l'arien Démophile et à donner des ordres pour que l'on


expulsât d'Alexandrie Maxime, l'aventurier qui prétendait à
l'épiscopat. Socrate nous donne des détails intéressants sur
cette affaire 101. Grégoire s'était éclipsé à l'entrée de l'empe
reur, qui se trouva rapidement face à face avec Démophile.
Théodose lui demanda s'il tenait pour Nicée, pour la paix
et pour la concorde entre les chrétiens. En voyant que Démo
phile persistait dans sa doctrine, l'empereur lui répliqua : « Si
tu fuis la paix et la concorde, je t'ordonne de fuir également
des églises ». Alors l'évêque arien réunit les siens et leur dit
que, selon le conseil du Seigneur, si on les chassait d'un en
droit, ils devaient fuir en un autre, et qu'ils se réuniraient hors
de la cité. Ainsi firent-ils et Lucius, l'évêque arien qui avait
fui Alexandrie, se joignit à eux. Le 27, Théodose fit introniser
Grégoire dans la basilique des Saints-Apôtres, avec l'espérance
certaine de réussir à faire convalider le fait par les autorités de
l'Église. Ainsi, en présence de Théodose lui-même, toutes les
églises demeuraient à la disposition des défenseurs de Nicée.
C'était une mesure des plus efficaces pour ruiner à la longue
toutes les confessions contraires.

Il y avait déjà bien des années qu'était apparue la nécessité


de célébrer un concile universel qui combattrait les erreurs
nouvelles. Saint Basile, par exemple, le disait aux délégués
mandés par lui en 377 à Rome, qui s'étaient trouvés dans la
capitale alors qu'un important synode y était réuni. Puisque
réunir un concile œcuménique était à l'époque impossible,
Basile demandait la condamnation d'Eustathe, parce qu'il
niait la divinité du Saint-Esprit, d'Apollinaire parce qu'il
ne voulait pas admettre l'humanité complète du Christ et celle
de Paulin d'Antioche (!) suspect de sabellianisme à la manière
de Marcel d'Ancyre, celle enfin de ce dernier parce qu'il par
lait d'une « hypostase » en Dieu. Le pape Damase et son
conseil avaient répondu aux Orientaux en confirmant la divi
nité du Saint-Esprit, en conformité avec Nicée dont on devait
conserver intégralement la foi. Plus tard, Damase lança d'autres
LA CÉLEBRATION DU CONCILE 169

anathèmes qui condamnèrent précisément les erreurs apolli-


naristes et pneumatomaques *.
Dans les années suivantes on avait à nouveau parlé de
l'utilité d'un concile pour régler d'autres raisons de moindre
importance. Finalement la guerre des Goths et des Alamans
avait paralysé semblables intentions.
Théodose se décida alors à réunir un concile des évêques
appartenant à son Empire oriental ; c'est à lui qu'on en doit
l'idée et le décret de convocation dont nous ignorons et le texte
et la date. Il est probable qu'il a été promulgué à la fin de 380
ou au commencement de 381. Dans la lettre synodale du con
cile byzantin de 382, document qui nous sera de grande uti
lité ** car il fut rédigé pour sa majeure partie par des évêques
qui avaient assisté au concile de l'année précédente, on dit
qu'il se tint un synode « œcuménique ». Cependant, il est
évident que, dans ce texte, le mot n'équivaut pas à « univer
sel », qu'il ne désigne pas toute l'Église, y compris l'Occident,
mais seulement 1' « ensemble » de l'Empire oriental ; c'est dans
le même sens que, bien des siècles plus tard, on attribuera le
titre d' « œcuménique » au patriarche de Constantinople.

Présentation des Pères du concile.

Le premier concile « œcuménique » de Constantinople fut


inauguré au mois de mai et dura jusqu'au début de juillet.
D'après les indications des sources, il fut ouvert dans le pa
lais impérial ***.
Au total quelque cent-cinquante évêques se réunirent ; c'est

* La chronologie des documents de Damase n'est pas complètement


clarifiée. Le Tome de Damase, avec ses anathèmes, semble être de 382.
Sur ce point voir P. Galtier, Le « Tome de Damase », date et origine,
RSR 26 (1936), 385-418 et 563-578. Le texte a été donné en édition
citique par C. H. Turner dans Ecclesiae occidentalis monumenta juris
antiquissima, (1913), 1/2, 1, 283 sv.
** Cf. Texte XVI, p. 286.
*** On notera que dans son pathétique discours d'adieux, quand il
quitte le concile, Grégoire de Nazianze semble refléter l'ambiance de
Sainte-Sophie.
170 CONSTANTINOPLE

ce chiffre qui a souvent servi à désigner le concile. Tous


venaient des diocèses orientaux. Il y avait parmi eux des Pères
insignes, célèbres par leur doctrine et leur apostolat. Les plus
éminents de tous étaient Grégoire de Nazianze, Grégoire de
Nysse, Mélèce, Cyrille de Jérusalem, Diodore de Tarse, et
Pierre de Sébaste. Nous connaissons déjà Grégoire de Nazianze
et Mélèce. Grégoire de Nysse, frère de saint Basile, était le
penseur et le philosophe du groupe des trois grands cappado-
ciens. Son frère nous l'avoue : il n'avait pas de don pour
l'apostolat pratique, mais en échange c'était un grand esprit
et un très efficace défenseur de l'orthodoxie sur les sujets qui
étaient alors à l'ordre des débats. Il écrivit des traités remar
quables aussi bien contre Eunomius que contre l'hérésie apol-
linariste. Basile l'avait établi évêque d'une petite localité d'où
il fût expulsé pour sa foi au temps de Valens. Grégoire de
Nysse était, parmi les théologiens du rve siècle, une remar
quable figure, une étoile de première grandeur.

Cyrille, évêque de Jérusalem, avait été l'objet de soupçons


quant à sa foi nicéenne. Lorsque, déjà évêque, il adressa à ses
catéchumènes ses délicieuses homélies, qui sont encore au
jourd'hui un modèle du genre, il devait être orthodoxe en son
for intérieur, mais il n'était pas suffisamment aguerri pour
répéter, à propos du Fils, les expressions définies par le concile
de Nicée. Cependant, si ses formules n'étaient pas toujours
nicéennes, sa doctrine l'était certainement comme la lecture
de ses homélies suffit à le prouver. Des cas comme celui de
Cyrille furent assez fréquents dans ces années de persécution.
L'évêque de Jérusalem obtint un témoignage irréfutable de son
orthodoxie : il fut exilé aux temps de la persécution arienne.
C'est pour cette raison qu'au concile de Constantinople sa
renommée était intacte.

Nous avons rencontré Diodore de Tarse aidant Mélèce du


rant la bourrasque déchaînée par Valens. Diodore était issu
d'une des principales familles d'Antioche et il avait vécu
LA CÉLÉBRATION DU CONCILE 171

comme moine dans un monastère dont il avait été supérieur.


Comme prêtre d'Antioche, puis comme évêque de Tarse, consa
cré par Mélèce, il s'avéra un redoutable adversaire de l'aria-
nisme et un adepte très décidé de l'orthodoxie de Nicée. Il
soutint contre l'apollinarisme l'intégrité de l'humanité de Jésus-
Christ. A cette époque et jusqu'à sa mort, Diodore fut admiré
comme un véritable paladin de la foi chrétienne. Ce n'est que
plus tard, lorsque les germes du nestorianisme se furent déve
loppés en son disciple Théodore de Mopsueste et en Nesto-
rius, que l'on s'aperçut que les œuvres de Diodore n'en étaient
pas exemptes, et c'est pour cette raison que Cyrille d'Alexan
drie condamna ces erreurs en matière christologique. Il ne fut
coupable pourtant ni d'arianisme ni d'apollinarisme, les héré
sies du moment. Il mourut peu d'années après le concile de
Constantinople.

Amphiloque était un humaniste, disciple de Libanios à


Antioche, puis avocat aux tribunaux de Constantinople. Plus
tard, le désir de la solitude monastique monta en lui et il se
rapprocha de son ami et confident saint Basile qui l'installa
comme évêque d'Iconium, en Cilicie. Amphiloque appartenait
à l'équipe des Pères cappadociens et il lutta avec eux, par
ses écrits et son apostolat, contre l'arianisme et le macédonia-
nisme. Dans ce qui nous reste de ses œuvres, nous reconnaissons
certaines formules particulièrement heureuses sur la Trinité
et la Vierge Marie. Si donc Amphiloque ne fut pas un homme
de premier plan, il fut certainement un collaborateur estimé.

Nous pourrions en dire autant de Pierre de Sébaste, frère


de Basile et de Grégoire de Nysse. Au moment du concile,
il dirigeait le diocèse de Sébaste, qui avait été occupé précédem
ment par Eustathe et Mélèce. Nous n'avons pas de trace des
écrits attribués à Pierre ; nous ne saurions douter cependant de
sa position orthodoxe à l'égal de ses illustres frères.

Du point de vue de la répartition géographique, nous savons


172 CONSTANTINOPLE

que soixante et onze évêques originaires de diocèses civils de


l'Orient assistèrent au concile, guidés par Mélèce qui présida
les premières réunions. Ce n'était pas Grégoire de Nazianze,
son ami, qui allait s'opposer à cette présidence, lui dont l'ins
tallation comme évêque de la capitale n'était pas encore rati
fiée. Quant à Timothée d'Alexandrie il n'arriva pas à temps
pour l'inauguration de l'assemblée. H ne semble pas, enfin,
que Paulin d'Antioche soit venu dans la capitale ; les listes,
qui d'ailleurs ne sont sans doute pas tout à fait exactes, ne
le mentionnent pas. Dès lors, la présidence du concile pouvait
être considérée comme réglée : ce serait Mélèce. Théodose
l'accepta sans difficulté et, si le récit de Théodoret a quelque
fondement, il ne voulut pas qu'on lui dise le nom du président
pour voir s'il l'identifierait avec l'évêque qu'il avait vu en
songe. Il le reconnut effectivement parmi tous les autres et lui
baisa les yeux, la bouche, la poitrine, la tête, et cette main
droite qui l'avait couronné dans ses rêves 102.

Il n'est pas possible de citer tous les noms des évêques


présents. Méritent du moins une mention particulière : Ascolios,
évêque de Thessalonique, qui avait baptisé Théodose ; Euloge
d'Edesse, dont les vertus ont été célébrées par saint Ephrem
dans ses Carmina Nisibena; Acace de Bérée, plus tard véné
rable arbitre entre les antiochiens et saint Cyrille d'Alexandrie ;
Gélase de Césarée de Palestine, connu pour ses écrits histo
riques.
En plus des cent-cinquante évêques orthodoxes, se trou
vèrent présents au début, sur ordre de l'empereur, trente-six
macédoniens dirigés par Eleusius de Cyzique et Martien de
Lampsaque. A Nicée aussi, on avait admis Arius et ses parti
sans en espérant les convertir.
Théodose salua tous les Pères aimablement et les pria de le
conseiller dans les affaires à traiter. Les sources ne nous ont
conservé aucun discours qu'aurait prononcé à cette occasion
l'empereur d'Orient.
LA CÉLÉBRATION DU CONCILE 173

Les questions dogmatiques.

Nous aimerions posséder des informations plus détaillées


que celles que nous devons tirer des sources jusqu'à mainte
nant conservées. La lacune la plus considérable à déplorer est
celle des Actes du concile.
Nous savons que Théodose, présent et actif, et la majorité
des évêques, s'efforcèrent d'attirer à la foi orthodoxe en la
divinité du Saint-Esprit Eleusius, Martien et les autres évêques
qui étaient opposés à cette doctrine. Ils leur rappelèrent com
ment ils avaient été à Rome chercher l'appui du pape Libère,
et comment, au début de ce voyage, ils avaient vécu en com
munion avec les orthodoxes de foi nicéenne : s'ils avaient
considéré comme juste la doctrine de ceux qui, avec la foi de
Nicée, maintenaient la divinité de l'Esprit-Saint, ils feraient
maintenant mal en l'abandonnant. Ces paroles si autorisées
n'obtinrent aucun résultat. Dès lors, les pneumatomaques aban
donnèrent Constantinople, en recommandant de tous les côtés
à leurs partisans de ne pas céder à Yhomoousios. On demeure
déconcerté en considérant l'étrange obstination de ces gens
qui, après avoir admis la divinité du Fils, s'opposaient avec
tant de ténacité à celle de l'Esprit-Saint, tout en prévoyant
qu'aller à l'encontre de la volonté impériale, déjà exprimée
dans le décret de l'année précédente, équivaudrait à prendre le
chemin de la clandestinité et de la défaite. Auraient-ils subi,
un peu avant, l'influence des ariens purs ? En tout cas, aucune
source ne dit expressément qu'ils arrivèrent à confesser la
consubstantialité du Fils.

Dans ce contexte du débat doctrinal, le concile devait pro


mulguer un Tome dans lequel les Pères professeraient leur
foi plus en détail et qui contiendrait quelques anathèmes
contre les hérésies récentes. Cette indication nous vient de la
lettre synodale du concile de Constantinople célébré en 382 *.

* Cf. Texte XVI, p. 286.


174 CONSTANTINOPLË

De quel Tome s'agit-il ? Nous ne le savons pas avec certitude.


Comme nous le dirons plus tard, on ne peut nier que les Pères
de Constantinople promulguèrent un symbole spécial qui con
tient de manière très explicite la profession de la divinité de
l'Esprit-Saint et que nous appelons « Symbole de Constanti
nople », le fameux Credo qui est professé aujourd'hui encore
par presque tous les chrétiens. L'explication la plus logique
est que le Tome comportait ce Credo, à la manière du décret
dogmatique du concile de Chalcédoine qui contient en sa fin
un symbole nouveau composé à cette occasion. Il y avait aussi
dans ce Tome des anathèmes contre les hérésies récentes. En
étudiant les canons du concile, nous verrons que le premier
d'entre eux condamne principalement ces hérésies, sans toute
fois entrer dans beaucoup de détails. Cependant, une condam
nation aussi brève, à notre avis, ne rend pas compte de ce que
nous dit la notice de la lettre synodale dont nous parlons. Les
Pères en majorité présents à notre concile expliquent qu'ils y
confessèrent que le Père, le Fils et l'Esprit-Saint ont une
essence (ousia), une même dignité et un empire co-éternels
en trois « hypostases ». Ils ne sont pas d'accord avec Sabellius
qui confond les « hypostases » et élimine leurs propriétés (idio-
tètés), ni avec les eunomiens ou les ariens qui combattent
l'Esprit-Saint et divisent Yousia ou physis (nature) de la divi
nité, en mettant à la place de la Trinité incréée, consubstan-
tielle et éternelle, une nature créée et hétérogène (hétérousia),
dans le Fils et dans le Saint-Esprit. Cette référence de la lettre
synodale n'est probablement pas complète, puisqu'elle ne fait
nulle allusion à la condamnation de l'apollinarisme et à celle
de l'erreur de Marcel et de Photin qui sont expressément men
tionnés dans le premier canon.
Il y a quelques canons arabes attribués à notre concile
et qui sont conservés, dans la collection de Michel de Da-
miette *, au milieu d'une liste d'anathèmes qui condamnent les

* Voir W. Riedel, Die Kirchenrechtsquellen des Patriarchats Alexan-


drien, Leipzig, 1900, 94-97.
LA CÉLÉBRATION DU CONCILE 175

hérésies de l'arianisme, du macédonianisme, de l'apollinarisme,


du photinisme et du sabellianisme. La question s'obscurcit lors
que l'on veut prouver que ces vingt-quatre canons sont préci
sément ceux que l'on attribue au pape Damase et, qui furent
publiés, semble-t-il, en 382, — le Tome de Damase —, si bien
que le problème attend encore sa solution.
Nous traiterons plus à loisir des décisions théologiques du
premier concile de Constantinople lorsque nous étudierons
son symbole et son 1er canon.

La mort de Mélèce et ses tristes conséquences.

Une fois terminé l'examen des problèmes théologiques, l'élec


tion de l'évêque de Constantinople revint sur le tapis. En ce
premier débat où ni les évêques égyptiens ni Ascolios n'étaient
présents, la solution fut facile et intervint rapidement. A l'una
nimité, on déclare invalidée l'élection du « cynique » Maxime, et
d'un même cœur on reconnut Grégoire de Nazianze comme
légitime évêque de la capitale. Les Pères prirent bien en consi
dération le fait que Grégoire avait été élu antérieurement
évêque de Sasimes ; mais ils se délivrèrent de ce scrupule
en faisant remarquer qu'il n'avait jamais pris possession de
son diocèse et qu'un tel « transfert » n'était pas contraire à
l'esprit des canons de Nicée *. Le terrain étant ainsi débar
rassé de toute objection, Mélèce ne tarda pas à introniser
officiellement le nouvel élu.
Quelques jours plus tard, avant la fin du mois de mai, le
vieux Mélèce expira. On lui rendit des honneurs solennels.
Théodose en personne assista aux funérailles. Il y eut une
masse d'éloges funèbres, en plus du discours officiel prononcé
par Grégoire de Nysse, dans lequel aucune pointe ne fut
épargnée à Paulin son rival.

La mort de Mélèce ouvrait une crise dangereuse, surtout

* Cf. ci-dessus, p. 98.


176 CONSTANTINOPLE

si l'on songe que Paulin demeurait au loin, à Antioche, alors


qu'à Constantinople étaient réunis les évoques suffragants
de Mélèce et aussi le prêtre Flavien. Allait-il fonctionner, ce
pacte signé par les principaux « épiscopables », parmi lesquels
figurait Flavien, et qui prévoyait que tous reconnaîtraient le
survivant, Paulin, comme unique évêque d'Antioche ? Grégoire
de Nazianze, avec une générosité et une noblesse dignes
d'éloges, proposa comme candidat au siège d'Antioche Paulin,
qu'il avait jusqu'alors rejeté comme illégitime. Mais la propo
sition du nouvel évêque de Constantinople provoqua une agi
tation passionnée chez les Méléciens qui voulurent passer
au-dessus du pacte et se réserver l'élection d'un nouvel évêque
pour leur retour à Antioche.

La plume de Grégoire se charge de l'encre la plus noire


quand il décrit l'indigne résistance des évêques qui refusèrent
ses propositions : « Les évêques jacassaient comme une bande
de pies rassemblées, un vacarme d'enfants, un atelier tout neuf,
une rafale de poussière, un vrai ouragan ; aucun de ceux
qui sont parfaits dans la crainte de Dieu et dans l'épiscopat
n'aurait osé leur dire une parole. Ils discutaient sans ordre et,
comme des guêpes, fonçaient droit au visage, en même temps.
La vieillesse vénérable, bien loin de corriger les jeunes, les
suivait 103. » Enlevons la passion qui colore ce tableau et il
demeurera cependant pas mal d'infamie et de désordre chez
ceux qui disputaient avec tant de chaleur.
Il est naturel que le tempérament sensible de Grégoire soit
resté blessé par une opposition aussi violente à la candidature
qu'il avait proposée. Mais ce qui le fit sortir de ses gonds
est que Timothée, un autre évêque égyptien, et Ascolios de
Thessalonique, arrivés tous deux avec un certain retard, se dé
clarèrent opposés à sa promotion au siège de Constantinople,
parce que contraire aux canons de Nicée ; pour cette même
raison, les Égyptiens la déclarèrent invalide, et allèrent jus
qu'à refuser d'assister à la liturgie pontificale de Grégoire. Le
point important en cette affaire, et qui pèsera beaucoup sur
LA CÉLÉBRATION DU CONCILE 177

l'esprit de Théodose, est que le pape Damase lui-même, qui


était opposé à l'élection de Maxime, ne reconnaissait pas non
plus celle de Grégoire ; il était peu désireux de voir violer
avec tant de légèreté les accords pris au concile de Nicée.

Exaspéré par ces deux échecs moraux, Grégoire de Nazianze


prit une décision, à la fois noble et passionnée. Il se retira,
laissant ainsi la possibilité de choisir un « troisième homme ».
La renonciation de Grégoire au siège si convoité de Constanti-
nople est passée dans l'histoire comme un exemple de désinté
ressement personnel commandé par la considération du plus
grand bien de l'Église. Il était dans le tempérament de ce
très éloquent orateur de donner un aspect dramatique à ce
geste inattendu ; cela nous a valu cette œuvre maîtresse qu'est
l'homélie où Grégoire, vibrant d'émotion et encore triste des
humiliations reçues, prend congé de Constantinople et du
concile. Nous ne résistons pas à la tentation d'en transcrire
quelques passages :
« Donnez-moi la récompense de mes travaux : Quelle récom
pense ? Non pas celle à laquelle pensent ceux qui toujours
pensent mal, mais celle qu'en toute sécurité je peux deman
der. Libérez-moi de ces immenses fatigues : considérez ces
cheveux blancs, respectez notre condition d'étranger. Placez-en
un autre qui souffrira pour vous, dont les mains soient pures,
dont la parole soit élevée, qui pourra vous plaire en toute
chose et partager les soucis de l'Église, puisque les temps le
réclament. Vous voyez bien comment mon corps se voûte sous
le poids de l'âge, de la maladie et du labeur. A quoi vous
servirait un vieillard timide et faible puisque, comme on le
dit, chaque jour il agonise non seulement en son corps, mais
encore par ses soucis ? Déjà c'est à grand peine que je peux
vous adresser ces paroles . . . Mettez à la tête un autre qui
plaise au peuple ; donnez-moi la solitude, du champ, Dieu à
qui seul nous pouvons plaire par notre bonne conduite . . . Ah 1
par cette même Trinité que nous honorons et que vous hono
rez, par notre commune espérance et par la cohésion de ce
178 CONSTANTINOPLE

peuple, concédez-moi cette grâce ; renvoyez-moi avec des


prières, et que cela soit leloge de la lutte que j'ai menée ;
donnez-moi congé comme les empereurs le donnent à leurs
soldats, et si vous voulez, comme un bon témoignage qui vau
dra pour mon honneur, et si vous ne le voulez pas, comme
il vous plaira le mieux . . . Adieu, Anastasis [« Résurrection », le
titre de sa première chapelle] titre d'orthodoxie, puisque tu
nous as ressuscité une fois encore le Verbe qui se trouvait mé
prisé ; siège de la victoire commune, nouvelle Silo, dans la
quelle pour la première fois nous plaçons l'arche qui durant
quarante années a été transportée errante dans le désert !
Adieu, à toi aussi noble temple, nouvel héritage, qui reçoit ta
grandeur du Verbe [Ste Sophie = Verbe] ; tu étais placé devant
Jébus et nous avons fait de toi Jérusalem ... ! Adieu, Apôtres
[l'église était ainsi nommée], belle maison, maîtres de mon com
bat, que j'aurais voulu célébrer bien davantage . . . Adieu,
chaire, sommet envié et périlleux, concile de hiérarque re
haussé par la majesté et l'âge des prêtres, tous ceux qui
servent Dieu autour de ce saint autel qui vous approchait si
près de Dieu ! . . . Adieu, vous qui aimiez mes discours, adieu
cet empressement, ce concours de la foule, ces stylets que je
voyais et que je ne voyais pas, et les grilles que forçaient ceux
qui se bousculaient en quête de la parole ! Adieu, empereurs
et palais et tous les serviteurs et toute la maison du souverain,
êtes-vous fidèles à votre roi ? Je l'ignore ; je sais que bien des
fois vous n'êtes pas loyaux envers Dieu. Battez des mains, criez
à tue-tête, applaudissez votre prédicateur. Il va réduire au
silence sa langue mauvaise et bavarde ; cependant elle ne se
taira pas tout à fait, elle luttera par la main et par l'encre.
Pour aujourd'hui, elle se tait. Adieu, grande cité amante du
Christ . . . Adieu, Orient et Occident à qui et pour qui nous
sommes attachés . . . Adieu, anges qui gardez cette église . . .
Adieu, Trinité, ma prière et mon enchantement . . . » 104
Après ce solennel et pathétique congé, Grégoire abandonna
Constantinople et se retira à Nazianze, où il écrivit d'admi
rables lettres et de longs poèmes de facture toute classique.
LA CÉLÉBRATION DU CONCILE 179

Nectaire, nouvel évêque de Constantinople.

L'abdication sentationnelle de Grégoire et le rejet de


Maxime contraignirent à chercher un homme que ses dons, ses
antécédents rendissent acceptable pour tous. Dans ce cas, il
est habituellement utile de trouver un personnage jusqu'alors
inconnu, étranger aux compromis et aux luttes antérieures et
de tempérament peu combatif.
La découverte, si l'on en croit Sozomène 105, ce fut Diodore
de Tarse qui la fit. Un de ces jours-là, le sénateur Nectaire
vint le voir ; il était de Tarse et se préparait à retourner
en sa ville. Sa visite n'avait pas d'objet important : il venait
voir si Diodore avait quelque message pour là-bas. En le
voyant, Diodore fut frappé d'une idée subite. Ce bon vieillard
vénérable, si digne, si paisible, ne pourrait-il pas faire un
évêque de Constantinople? Il confia son idée à Mélèce, qui
sourit en entendant ce nom inconnu, mais qui appela Nectaire
pour le sonder. Quelques jours après, Théodose demanda aux
évêques de lui donner par écrit une série de candidats parmi
lesquels il se réservait de choisir l'évêque de Constantinople.
Mélèce mit le nom de Nectaire à la fin de la liste surtout
pour faire plaisir à Diodore. L'empereur, en la parcourant, s'ar
rêta sur ce nom qu'il pointa du doigt, il relut la liste, fit réfle
xion et décida qu'il choisissait Nectaire. Tous demeurèrent
déconcertés devant ce candidat inconnu, qui n'était même pas
baptisé. Ce dernier détail était d'ailleurs ignoré de Diodore.
Théodose obtint son élection, au prix évidemment d'une cer
taine résistance, qui devait s'effriter peu à peu. Fraîchement
baptisé, et encore revêtu de ses habits blancs, Nectaire fut
consacré évêque de Constantinople *.
* Dans ce récit, auxquels ces détails humains donnent une garantie
suffisante de vérité, gît une certaine difficulté, qu'il est probablement
possible de résoudre : comment concilier sa chronologie avec celle que
donne Grégoire, témoin des protagonistes ? D'après Grégoire il semble
que l'élection de son successeur n'eut heu qu'après la mort de Mélèce
à laquelle fit suite sa propre renonciation. Il se peut que la candidature
de Nectaire soit restée secrète au début entre Diodore et Mélèce et que
180 CONSTANTINOPLE

Le nouvel évêque allait vivre jusqu'en 397 sans laisser une


trace profonde dans l'histoire, tout au plus l'un ou l'autre ser
mon médiocre comme patrimoine littéraire.

Les Pères du concile s'occupèrent ensuite des questions


juridiques. Fruits de leur travail sont les canons à l'étude des
quels nous consacrerons un chapitre *.
Le Ier concile de Constantinople se termina le 9 juillet 381.
Ses membres écrivirent une lettre synodale à Théodose en
rendant grâce à Dieu et à l'empereur, son instrument, qui avait
procuré la paix et l'intégrité de la foi. Désormais, ils se sen
taient un cœur unanime en confessant la doctrine de Nicée
et condamnaient tous ceux qui s'y opposaient. Ils priaient
Théodose de ratifier leurs délibérations.
L'empereur ne se fit pas attendre. C'est de lui qu'émane
l'édit du 30 juillet de cette même année, dans lequel il insiste
pour que l'on rende aux orthodoxes leurs églises 106. Dans son
ordonnance politiquement pratique, bien qu'un peu liée aux
circonstances, il définit que seraient considérés comme ortho
doxes ceux qui étaient en communion avec Nectaire de Cons
tantinople, avec Timothée d'Alexandrie, avec Pelage de Lao-
dicée et Diodore de Tarse, avec Amphiloque d'Iconium et
Optime d'Antioche de Pisidie, avec Hellade de Césarée en
Cappadoce, avec Ofreius de Mélitène et Grégoire de Nysse,
avec Térennius de Scythie et Martyrius de Marcianopolis. On
ne parle pas de l'évêque d'Ephèse, étant donné qu'il était ma
cédonien, ni de celui d'Antioche, le successeur de Mélèce
n'ayant pas encore été élu.
A ce propos, il convient de noter que les méléciens lors de
leur retour à Antioche n'observèrent pas le pacte conclu à
Constantinople. Ne voulant pas reconnaître Paulin, ils élurent
ce soit seulement après la mort de celui-ci et le départ de Grégoire
qu'elle arriva à son point de maturation. Quoi qu'il en soit, il est certain
que l'élection de Nectaire fut tout simplement un compromis.
* Cf. ci-dessous, ch. IV, p. 206.
LA CÉLÉBRATION DU CONCILE 181

Flavien successeur de Mélèce. Rome, cependant, reconnaissait


en 382 la légitimité de Paulin, dont les adeptes diminuèrent
malgré tout peu à peu. Le schisme se termina avec l'extinc
tion de ces partisans.
CHAPITRE ni

LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE

Le symbole est-il Tœuvre du Ier concile de Constantinople ?

Au concile œcuménique de Chalcédoine, soixante-dix ans


après celui de Constantinople, lorsque les commissaires impé
riaux insistèrent pour que les Pères composassent une nouvelle
formule de foi qui dirigerait les discussions christologiques,
les évêques répondirent qu'une rédaction n'était ni permise
ni nécessaire, puisque la formule avait déjà été donnée au
concile de Nicée. Alors, les Pères comme les commissaires don
nèrent ordre qu'on lut le symbole de Nicée. Ensuite, et sur
l'initiative des commissaires, on lut un autre Symbole qui fut
attribué par eux au concile des cent cinquante évêques réunis
à Constantinople. L'allusion à notre concile est évidente. Ce fut
alors qu'on donna publiquement lecture du symbole qui suit :

Nous croyons en un Dieu, Père tout-puissant,


créateur du ciel et de la terre,
de toutes les choses visibles et invisibles ;
et en un Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu,
l'Unique, engendré du Père avant tous les siècles,
lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré, non fait, consubstantiel au Père,
par qui tout a été fait,
qui, pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu
des cieux,
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 183

s'est incarné par le saint Esprit de la Vierge Marie,


s'est fait homme, a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate,
a souffert, a été enseveli,
est ressuscité le troisième jour selon les Écritures,
est monté aux cieux et siège à la droite du Père,
il reviendra en gloire juger les vivante et les morts,
son règne n'aura pas de fin ;
et en l'Esprit Saint, Seigneur, qui vivifie,
qui procède du Père,
qui avec le Père et le Fils est conjointement adoré et glorifié,
qui a parlé par les prophètes ;
et en une Église sainte, catholique et apostolique.
Nous confessons un baptême pour la rémission des péchés.
Nous attendons la résurrection des morts
et la vie du siècle à venir. Amen.

On peut discuter ici ou là l'un ou l'autre détail du texte


ici présenté *. L'antique traduction latine des Actes de Chal-
cédoine, faite par le diacre Rusticus au milieu du vr3 siècle à
partir d'anciens manuscrits de Constantinople, ajoute à l'ex
pression « lumière de lumière » celle de « Dieu de Dieu » ; et
sur ce point les autres recensions du Credo dans les liturgies
latine, arménienne, syriaque antiochienne et maronite sont
d'accord ; cette expression, au contraire, ne se rencontre pas
dans les autres liturgies, ni dans les manuscrits grecs.
Lors de la 5e session du concile de Chalcédoine on transcri
vit de nouveau le symbole de Constantinople pour lui donner
par une définition valeur œcuménique, comme nous le ver
rons plus loin. Ce qui nous intéresse ici, c'est de remarquer
que certains manuscrits grecs et la version autorisée de Rus
ticus omettent « lumière de lumière », et « sainte » à propos
de l'Église. Mais les mêmes témoins lisent comme nous l'avons
dit le symbole au cours de la troisième session, à l'exception
de « sainte », qui est encore alors omis par Rusticus. Nous ne

* Voir J. N. D. Kelly, Early Christian Creeds, 296-367.


184 CONSTANTINOPLE

croyons pas que les variantes antérieures reposent sur une base
très solide, étant donné l'accord existant entre la 3e session,
la confirmation apportée par les anciennes liturgies, et aussi
par quelques manuscrits grecs de la 5e session. Le « sainte »,
en revanche, reste un objet de discussion *.

Après cette brève notation critique, venons-en à une question


plus importante. Bien qu'à deux reprises on ait lu à Chalcé-
doine ce symbole et qu'il ait été attribué officiellement au
concile de Constantinople sans qu'aucun des Pères ne mette
publiquement en doute cette attribution, il est aujourd'hui
des critiques qui pensent que le concile de Constantinople est
étranger à ce Credo. C'est la thèse défendue par Harnack**
et à laquelle, plus récemment, s'est rallié Bardy ***. Comme
nous l'avons déjà noté, les Actes du concile de Constantinople
n'existent plus ; s'ils avaient été conservés, ces disputes n'au
raient aucun objet. Il est certain que la première source offi
cielle qui attribue le symbole à Constantinople est postérieure
de soixante-dix ans au concile. Il est également certain qu'un
symbole presque littéralement identique à celui que nous étu
dions peut être lu dans une espèce de conclusion qui termine
le livre de YAncoratus écrit par saint Epiphane en 374, c'est-à-
dire sept années avant le synode de Constantinople.

Harnack avait d'abord lancé l'hypothèse que le symbole, dit


c de Constantinople », et rapporté par Epiphane, était une
édition nouvelle et revisée du symbole de Jérusalem que nous
connaissons à travers les homélies de son évêque saint Cyrille.

* Le « sainte » se trouve dans le symbole de Constantinople cité au


me concile de Constantinople (Mansi, XI, 633) et au he concile de Nicée
(Mansi, XIII, 729). On notera également que « sainte » figure dans le
rbole « des Apôtres », dont fut composé, nous le verrons, le symbole
Constantinople (cf. ci-dessous, p. 188 ss.).
** A. Harnack, Konstantinopolitanisches Symbol, Realenzycl. fur
Protest. Theol., XI, 12-28 ; qui, dans cette théorie, a été précédé par
F. J. A. Hort, Two Dissertations, Cambridge, 1816.
*** Voir Histoire de TEglise (Fliche et Martin), III, 287 n. 5.
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 185

Selon cette opinion, le concile de Constantinople ne fit pas


autre chose que de compléter ce symbole avec des éléments
empruntés à celui de Nicée. Nous verrons en faisant l'analyse
du symbole de Constantinople que la théorie de Harnack ne
repose pas sur une base solide. Plus grave est le fait qu'elle
jette par dessus bord le témoignage des nombreux Pères de
Chalcédoine et ignore une source, découverte plus tard et
oubliée par Bardy, les Homélies catéchétiques de Théodore de
Mopsueste (mort en 428) qui ont été prêchées à la fin du
iv8 siècle ou au début du v8. Il s'agit d'un disciple de Diodore
de Tarse présent à notre concile. L'évêque de Mopsueste, qui
explique dans sa IXe homélie la doctrine sur le Saint-Esprit,
observe que les évêques de Nicée, dans leur symbole, se sont
contentés de l'énoncer, mais que leurs successeurs nous ont
transmis une doctrine complète sur la troisième Personne. « En
premier lieu, dit-il, les évêques occidentaux se réunirent en
concile parce qu'ils ne pouvaient pas venir en Orient, à cause
de la persécution des ariens en cette région : la grâce de
Dieu ayant fait cesser la persécution, les évêques orientaux
aussi accueillirent avec joie la doctrine transmise par ce
concile d'Occident . . . Mais quant au complément qui fut
ajouté dans la suite à leur enseignement sur l'Esprit-Saint, . . .
on trouvera que la cause en fut fournie par ces bienheureux
réunis de toute la création en la ville de Nicée en ce premier
concile ... Et comme avaient fait leurs pères pour la profes
sion de foi au Fils, en combattant l'impiété d'Arius, ainsi firent
ceux-ci au sujet de l'Esprit-Saint, en réfutant ceux qui le
blasphèment ... Ce fut donc bien, pour ces raisons et en cette
considération, que nos pères bienheureux dans leur Credo pro
clamèrent qu'avec le Père et le Fils, l'Esprit-Saint est nature
divine et l'addition de brèves paroles confirma l'enseignement
véridique de l'Église » 107. Théodore continue d'énumérer, dans
la Xe homélie, comme additions faites par les Pères orientaux :
« un » (Esprit-Saint), « qui procède du Père », « Esprit vivi
fiant », « une Église catholique », « la rémission des péchés »,
« la résurrection du corps et la vie éternelle » 108. En entrant
186 CONSTANTINOPLE

dans le détail nous verrons bientôt que cet « un » n'est pas


inclus dans le symbole de Constantinople, mais que les autres
incises le sont, y compris certaines que l'évêque de Mopsueste
ne signale pas. Une hypothèse valable est que Théodore ne
voulait pas expliquer toutes les phrases contenues dans le
symbole de Constantinople, mais seulement celles qui suffi
saient pour compléter la doctrine du symbole de Nicée qu'il
commente à ses catéchumènes parce qu'il était le Credo bap
tismal. En plus, le témoignage de Théodore nous confirme de
diverses manières que les Pères de Constantinople, — l'allu
sion à ce concile est claire —, ajoutèrent au symbole de foi
les compléments nécessaires pour proclamer la divinité du
Saint-Esprit, et entre autres : « qui procède du Père » et
« vivifiant ». C'est dire que le concile de Constantinople pro
mulgua un symbole plus complet que celui de Nicée. Or, il
n'en existe pas d'autre qui cadre avec ces exigences que celui
de Constantinople.
Cette argumentation peut suffire pour déclarer inacceptable
l'hypothèse d'Harnack. Schwartz, pour sa part, a accordé
crédit au témoignage des Pères de Chalcédoine et a attribué
le symbole discuté au Ier concile de Constantinople *. Mais il
ne s'est pas contenté d'affirmer que c'est en ce lieu qu'on le
promulgua, il a cru aussi nécessaire d'ajouter que c'est là qu'on
le rédigea. Et comme, pour son hypothèse, il était gêné par le
fait que selon tous les manuscrits YAncoratus d'Épiphane le
contenait déjà sept années auparavant, il préféra penser que
l'œuvre d'Épiphane en son état primitif ne contenait pas le
symbole de Constantinople mais celui de Nicée, puisque la
clausule se réfère à la doctrine des Pères de Nicée. Nous
pensons que cette violence faite à la tradition des manuscrits
est peu critique et, du reste, inutile : on peut très bien sauver
les témoignages de Chalcédoine et de Théodore de Mopsueste
en admettant que les Pères du concile de Constantinople pro-

* E. Schwartz, Dos Nicaenum und dos Constantinopolitanum auf der


Synode von Chalkedon, ZNTW 25 (1926), 38-88.
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 187

mulguèrent ce symbole sans pour autant le composer eux-


mêmes. Épiphane lui-même ne prit pas part à l'assemblée,
nous l'admettons, mais il y avait quatre évêques de Chypre
qui, à défaut des autres, ont très bien pu porter cette
formule 109.

Qui a pu être son auteur ? Épiphane propose certes ce


Credo comme une formule autorisée, déjà existante et conforme
à la foi de Nicée ; cependant, une lecture sommaire suffit pour
fixer le terminus post quem à l'année 360, car dans le symbole
on trouve des formules dogmatiques très bien élaborées pour
proclamer la divinité du Saint-Esprit. Or, nous l'avons vu, ce
n'est qu'à cette époque que la discussion fut ouverte et que
l'on commença à publier des œuvres théologiques sur cette
question. Saint Épiphane était un homme assez érudit pour
avoir pu connaître ces œuvres, à même de nourrir une pro
fonde réflexion personnelle, abondamment attestée par les
pages qu'il consacre dans YAncoratus, à démontrer par l'Écri
ture les noms, les fonctions et les qualités divines de l'Esprit-
Saint. Nous jugeons donc comme très probable qu'Épiphane
a composé le symbole, même si cela n'est pas démontré avec
certitude. Ce qui, par contre, nous paraît certain, c'est que le
symbole de Constantinople existait en tant que formule avant
le Ier concile de Constantinople, ce que montre son inclusion
dans YAncoratus.

Ce qu'on vient de dire permet de considérer comme briève


ment mais suffisamment éclaircies les questions du texte, de
l'auteur, et du premier promulgateur du symbole de Constan
tinople. L'examen de sa structure, qui nous introduira métho
diquement dans son intelligence, et le commentaire qui le
suivra nous donneront de nouvelles lumières *.

* Voir I. Obtiz de Urbina, La struttura del simbolo Constantinopoli-


tano OCP 12 (1946), 275-285.
188 CONSTANTINOPLE

De quels éléments est constitué le symbole?

Il est extrêmement intéressant de démonter les pièces qui


constituent le symbole : une telle analyse de sa structure nous
aidera beaucoup à connaître son caractère et son origine.

Disons d'abord que dans le symbole de Constantinople tout


le symbole de Nicée est inclus et incorporé à l'exception des
trois expressions suivantes : « c'est-à-dire de la substance du
Père », « ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre » et « Dieu
de Dieu » *. Les deux premières incises se trouvent dans le
symbole rapporté par Épiphane ; la troisième, par contre, n'y
est pas. D'autre part, le mot « unique » n'est pas au même
endroit que dans le symbole de Nicée, mais il n'est pas omis.
Il est facile de trouver une raison à l'omission des deux der
nières incises. « Dieu de Dieu » peut être passé sous silence
puisque on affirme « vrai Dieu de vrai Dieu ». La phrase « ce
qui est au ciel et ce qui est sur la terre » est dite d'une
autre manière puisque l'on confesse que le Père est « créateur
du ciel et de la terre », ce qui par contre ne se trouvait pas
affirmé de la même manière dans le symbole de Nicée. Le
motif pour lequel est omis « de la substance du Père » est
moins clair. Le « consubstantiel » l'implique certainement.

Un autre symbole qui se retrouve presque entièrement dans


celui de Constantinople est celui qui porte le titre de « sym
bole des Apôtres ». Pratiquement, il était en usage à Rome et
en Occident, et on le connaissait en Orient dans une recension
que nous a conservée Marcel d'Ancyre, cité par Épiphane. Les
deux textes diffèrent un peu l'un de l'autre ; le symbole de
Constantinople ne dit pas qu'il ressuscita « d'entre les morts » ;
à la place du natus latin, il dit « incarné », « fait chair » ; à la
place de « résurrection de la chair » du symbole romain, on
lit « résurrection des morts », et à la place de « vie éternelle »

* Cf. ci-dessus, p. 70.


LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 189

il dit « vie du siècle à venir ». Le « symbole des Apôtres »


appelle l'Église « sainte », épithète qui, comme nous l'avons
dit, est douteuse pour le symbole de Constantinople. Ce sym
bole est donc une espèce de symbole double, un lac dans le
quel ont conflué le symbole de Nicée et le « symbole des
Apôtres ». Mais, en plus de ces deux éléments, nous recon
naissons facilement une série d'incises placées à la suite de
« en l'Esprit-Saint » qui ne se trouvent dans aucun autre
symbole connu jusqu'à maintenant, à l'exception de « qui a
parlé par les prophètes », que l'on trouve dans le symbole de
Jérusalem expliqué par saint Cyrille vers 350*. Ces affirma
tions sur l'Esprit-Saint sont l'élément propre et original du
symbole de Constantinople. Nous leur consacrerons un examen
théologique.

Outre ces trois éléments, le symbole de Constantinople


contient quelques phrases qui se retrouvent également dans
celui de Jérusalem. Les voici : « avant tous les siècles », « du
ciel et de la terre », « en gloire », « dont le règne n'aura pas
de fin », « qui a parlé par les prophètes », « une (Église) »,
« un baptême ». La plus intéressante de toutes ces inclusions
est le « son règne n'aura pas de fin », expression dite par l'ange
à Marie (Lc 1, 33). Contre quelle erreur a-t-on pu affirmer
l'éternité du règne du Christ ? Aucun doute : c'est contre la
récente doctrine de Marcel d'Ancyre et de Photin, qui préten
daient qu'après le Jugement dernier l'union hypostatique du
Verbe avec son Humanité serait dissoute et, avec elle, le
mystère de l'Incarnation et l'étemité du Christ comme Dieu-
Homme. Cette affirmation est probablement passée du sym
bole de Jérusalem à celui de Constantinople. Au cas où Épi-
phane aurait été le rédacteur de ce dernier, il a pu utiliser le
symbole de Jérusalem qu'il devait connaître puisque il avait
séjourné en Palestine. On dira la même chose de la phrase
« qui a parlé par les prophètes », encore que celle-ci ait été

Cf. Texte X, p. 266.


190 CONSTANTINOPLE

déjà prononcée au 11e siècle par Irénée contre les marcionites,


selon lesquels l'Esprit qui inspira les prophètes de l'Ancien
Testament n'était pas le même que celui qui avait inspiré le
Nouveau uo. Dans quelle intention le proclama le symbole de
Jérusalem ? Les marcionites avaient déjà pratiquement cessé
d'exister. Cherchait-on à insinuer la divinité de l'Esprit qui
prédisait l'avenir? Cette intention demeure fort douteuse en
un temps où les premières étincelles de l'hérésie pneuma-
tomaque n'avaient pas encore jailli.
Les phrases du symbole de Constantinople « avant tous les
siècles » et « en gloire » se retrouvent aussi dans le symbole
de Césarée de Palestine qui avait été présenté au concile de
Nicée et qu'Épiphane connaissait *. L'épithète « une (Église) »
était employée à Alexandrie au début du siècle. Il suffit de
lire les écrits d'Alexandre et d'Arius qui n'étaient pas ignorés
d'Épiphane. Le « baptême de pénitence » de Jérusalem est
devenu dans le symbole de Constantinople un simple « bap
tême » ; l'affirmation se trouve déjà au m" siècle dans la
Tradition Apostolique d'Hippolyte de Rome. Par contre, « selon
les Écritures » n'a pas d'antécédent jusqu'à Épiphane.
Ce que l'on vient de dire permet de déduire que ces incises
communes aux symboles de Jérusalem et de Constantinople
ont pu arriver à ce dernier par d'autres canaux, à l'exception
toutefois de « son règne n'aura pas de fin » et de c qui a parlé
par les prophètes », expressions empruntées directement, selon
toutes probabilités, au symbole de Jérusalem.
Il est sûr que la formule de Jérusalem a incorporé pas mal
d'éléments qui composaient le c symbole de Apôtres ». Ceci
pourrait amener à supposer, comme l'a fait Harnack, que le
symbole de Constantinople a reçu ses éléments par l'inter
médiaire de celui de Jérusalem. Mais cette théorie n'est pas
acceptable parce que le symbole de Jérusalem accuse, lui,
l'influence du « symbole des Apôtres », comme l'accuse aussi
un autre symbole qui transparaît dans une des lettres

* Cf. Texte V, p. 256.


LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 191

d'Alexandre d'Alexandrie ; il y a pourtant de notables diffé


rences entre l'un et l'autre. Concrètement, le « symbole des
Apôtres » se trouve dans le symbole de Constantinople en un
état plus pur et plus complet que dans celui de Jérusalem.
Mettons ces trois symboles en parallèle :

Symbole Symbole Symbole


€ des Apôtres » de Jérusalem de Constantinople

Engendré de Apparu dans la Fait chair de


l'Esprit-Saint et chair l'Esprit-Saint et
de Marie Vierge de Marie
et fait homme et fait homme
crucifié crucifié crucifié
pour nous
sous Ponce Pilate sous Ponce Pilate
il a souffert
et enseveli et enseveli et a été enseveli

La structure du symbole de Constantinople offre donc les


éléments suivants qu'il intègre : le symbole de Nicée -f- le
symbole « des Apôtres » + certaines incises, empruntées peut-
être au symbole de Jérusalem -f- d'autres incises, nouvelles et
originales, à propos de l'Esprit-Saint.
Cette analyse interne nous fait admettre, sur le plan chrono
logique, que la formule n'est pas antérieure à 360 ; elle n'est
pas non plus postérieure au concile d'Éphèse de 431, puisque,
en nommant la Vierge Marie, on n'ajoute pas son titre de
« Mère de Dieu » ou Theotokos.
Nous avons déjà expliqué antérieurement le sens théolo
gique du symbole de Nicée en ce qu'il offre de plus spécifique
pour proclamer la divinité du Verbe. Point n'est besoin de
le répéter *. Il convient, en revanche d'expliquer, à la lumière

* Cf. ci-dessus p. 73 sv.


192 CONSTANTINOPLE

de la doctrine contemporaine des Pères, ce que le symbole de


Constantinople a proclamé sur l'Esprit-Saint et sur sa dignité
divine. De bout en bout, ces affirmations ont été la plus pré
cieuse contribution apportée non seulement par le symbole
mais par tout le Ier concile de Constantinople à la vie de
l'Église *.

La divinité du Saint-Esprit.

Pour proclamer que la troisième Personne de la Trinité


est Dieu, il n'était pas possible de partir, comme dans le cas
du Verbe, de la filiation divine proprement dite qui impliquait
une véritable génération à partir de l'essence du Père et par
conséquent l'égalité de l'essence. Origène avait, il est vrai,
rangé parmi les doctrines sujettes à discussion celle qui disait
que l'Esprit-Saint procédait par génération. La théorie resta
seule de son espèce ; elle est un évident contraste avec le titre
d' « Unique » que l'Écriture donne au Verbe m.
Jusqu'à l'époque dont nous avons parlé et, de manière pré
cise, jusqu'à ce que surgit le macédonianisme, la théologie de
l'Esprit-Saint se maintint à un stade primitif, embryonnaire.
Personne n'écrivait expressément sur le sujet. On le touchait
en passant, lorsque l'on mentionnait la Trinité, et les quelques
observations faites à ce propos n'étaient pas toujours exemptes
d'inexactitude ou d'obscurité. Les imprécisions de la termi
nologie, que nous avons signalées en parlant de l'arianisme et
de ses origines, se retrouvaient toutes et parallèlement dans le
traité sur l'Esprit-Saint, dont l'élaboration et la discussion
restaient à faire.

* Il n'est peut-être pas superflu d'observer que le nom qui est


fréquemment donné à notre symbole : « Nicée-Constantinople » est peu
exact et favorise la confusion. Il n'est pas en effet une simple réédition
du symbole de Nicée, nous l'avons vu ; il n'est pas un composé de Nicée
et d'un symbole de Constantinople. Pourquoi dès lors ne pas l'appeler
« de Constantinople » puisque c'est ce concile qui l'a fait sien et qui l'a
promulgué ?
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 193

Ce fut chose providentielle, pour éclaircir le problème et


arriver à la définition de Constantinople, que la dispute macé
donienne, entraînée dans le sillage de l'arianisme, se manifesta
davantage par des discussions orales que par des écrits. Si,
comme on l'a indiqué plus haut, les pneumatomaques ne pu
blièrent pas d'ouvrages à l'appui de leurs thèses, dans l'autre
camp, saint Athanase, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze,
saint Épiphane et Didyme l'aveugle, illustrèrent au moyen
d'arguments puisés dans l'Écriture et par des analogies théo
logiques la dignité de l'Esprit-Saint égale à celle du Père et
du Fils *. Les notations propres au symbole de Constantinople,
que nous allons maintenant commenter, sont comme une cris
tallisation condensée de ses enseignements. C'est la raison pour
laquelle nous avons pensé que la meilleure méthode pour
clarifier ces inclusions était de les lire à la lumière des œuvres
patristiques auxquelles nous avons déjà fait allusion.

« Seigneur ».
Il n'est certes pas superflu de noter que, dans le texte grec,
on emploie l'article neutre (to) alors que le mot Kyrios est
masculin. La même manière de faire se répétera quand il sera
question d'autres attributs. Le sens du mot n'est pas que le
Saint-Esprit est un Seigneur, en donnant à ce mot « Seigneur »
la signification commune qu'il a dans le dictionnaire quand on
l'attribue à un homme d'une certaine dignité et d'un certain
rang. On ne dit pas davantage : « le Seigneur », car alors on
ne voit pas pourquoi l'article ne serait pas masculin. « Le
Seigneur » tout court était déjà, dans la terminologie du Nou
veau Testament et dans le même symbole, un titre qui était
donné à Jésus-Christ avec la même force qu'il avait dans
l'Ancien Testament. On se rappellera que dans la version des
Septante on traduit par Kyrios des noms strictement divins **.

* Cf. Textes XI, XIII et XIV, p. 266, 275, 281.


** Voir W. Baudissin, Kyrios als Gottesname im Judentum, Ciessen,
1926-29.
194 CONSTANTINOPLE

Dans le symbole de Nicée, maintenant incorporé à celui de


Constantinople, on donne à Jésus-Christ le titre d' « unique
Seigneur », pour l'appeler d'un nom divin et parce que lui-
même se l'est attribué délibérément dans l'Évangile (Jn 13, 13).
C'est peut-être pour ces raisons, afin d'éviter des confusions et
de ne pas changer une terminologie déjà accréditée, que le
symbole de Constantinople n'appelle pas l'Esprit « le Sei
gneur » avec un article masculin. Il n'est pas facile de traduire
ce « to Kyrion » avec un article neutre. Une périphrase ap
prochée pourrait le rendre par : « celui qui est de la catégorie
de Seigneur ». Cette exégèse peut se fonder sur des considé
rations théologiques.

Saint Basile en écrivant son IIIe livre contre Eunomius, après


avoir cité le texte important de Matthieu 28, 19 qui mentionne
la formule du baptême, s'oppose à ce que l'Esprit ait une
nature de troisième ordre. « Puisque, dit l'évêque de Césarée,
il y a deux classes de choses, la Divinité et la création, la
Seigneurie et la servitude, la Puissance sanctificatrice et l'être
sanctifié, celle qui, de nature, tient la puissance et celle qui
la reçoit, dans quelle catégorie mettrons-nous l'Esprit ? Parmi
les sanctifiés ? C'est Lui qui est la sainteté ! ... Parmi les
serviteurs ? Mais autres sont les esprits qui servent et qui ont
été envoyés pour le ministère. Il ne nous est donc pas permis
d'appeler « compagnon de servitude » celui qui, par nature,
domine, ni de mettre au nombre de la création celui qui est
associé à la divine et bienheureuse Trinité » 112. La séparation
stricte que Basile introduit ici entre Dieu, unique Seigneur
par nature, et la création, de nature servile, nous permet de
comprendre que le mot « Seigneur », attribué à l'Esprit, l'est
au sens strict et technique de la souveraineté divine. Dieu seul
est par essence Seigneur ; la création a été faite pour le servir.
Saint Basile, toujours en son traité Sur le Saint-Esprit, cite
quelques textes du Nouveau Testament dans lesquels on parle
du « Seigneur » et qui ne peuvent se référer qu'à l'Esprit-
Saint 113 : « Que le Seigneur dirige vos cœurs vers l'amour de
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 195

Dieu et la patience du Christ dans les tribulations » (2 Th 3, 5).


« Le Seigneur » qui est ici distinct du Dieu-Père et du Christ
ne peut être que l'Esprit. Saint Basile s'exprime de même façon
sur le passage suivant : « Que le Seigneur vous fasse croître
et abonder dans l'amour que vous avez les uns envers les
autres et envers tous, comme nous-même envers vous. Qu'il
affermisse ainsi vos cœurs dans une sainteté sans reproche
devant Dieu, Notre Père, lors de l'avènement de Notre
Seigneur Jésus avec tous ses saints » (1 Th 3, 12-13). Basile
voit encore l'équivalence Seigneur = Esprit dans la IIe épître
aux Corinthiens (3, 17) : « Car le Seigneur, c'est l'Esprit ». Et
si l'Apôtre nous appelle temples parce que l'Esprit habite en
nous, argue le saint, « une demeure d'esclaves a-t-elle jamais
été honorée par lui du nom de « temple » ? » 114
Nous pouvons conclure des textes cités que lorsque le sym
bole de Constantinople dit de l'Esprit qu'il est « de la catégorie
de Seigneur » il veut lui décerner un titre strictement divin
qui se trouve plus fréquemment associé avec le Père et le Fils,
mais qui convient aussi à la troisième Personne puisque celle-ci
n'appartient pas à la catégorie servile des créatures *.

« Celui qui vivifie ».

Bepartons de l'étude de saint Basile dans son IIIe livre


contre Eunomius. Il est en train d'expliquer la fonction de
maître que le Christ en personne a attribuée à l'Esprit qu'il
allait envoyer aux Apôtres. De cette fonction sanctificatrice,
la sienne, qui se manifeste dans la distribution de ses dons et
de ses grâces, on conclut son pouvoir divin. Aucun autre, sinon
Dieu, ne peut pénétrer au plus intime de l'âme. « En outre,
poursuit-il, il nous procure la vie par le Dieu (Père) par le
Christ dans le Saint Esprit. Car Dieu vivifie, comme dit saint
Paul : je t'envoie devant le Dieu qui vivifie tout. Le Christ
pour sa part nous donne la vie ; car mes brebis, dit-il, enten-

* Cf. Texte XIII, p. 277.


196 CONSTANTINOPLE

dent ma voix et je leur donne la Vie éternelle. Mais nous som


mes aussi vivifiés par l'Esprit, comme dit saint Paul : « celui
qui a ressuscité le Christ d'entre les morts, vivifiera aussi vos
corps mortels grâce à son Esprit qui habitera en vous
[Ro 8, 11] » 115.
Saint Basile répète ces mêmes textes dans son traité Sur le
Saint-Esprit, et poursuit : « C'est l'Esprit qui vivifie. Et de
nouveau : « c'est l'Esprit qui est vie pour la justice [Ro 8, 10] ».
Le Seigneur témoigne que c'est l'Esprit qui vivifie : « la chair
ne sert de rien [Jn 6, 63]. » Comment donc, si nous dépouil
lons l'Esprit de sa puissance vivificatrice, l'apparenterons-nous
avec la nature qui a besoin de la vie ? Qui sera si disputeur,
qui sera si étranger au don céleste et assez peu capable de
goûter les belles paroles de Dieu, qui sera si démuni d'espé
rance éternelle que d'aller mettre sur le rang de la créature
l'Esprit qu'il aura arraché à la Divinité » lie ? Certes, l'Esprit est
un don du Père ; mais c'est un don de vie. Saint Grégoire de
Nazianze en accumulant les noms divins que l'Écriture donne
à la Troisième Personne, écrit dans son V" discours théolo
gique : « Celui qui révèle, Celui qui donne la lumière et la
vie ; bien plus, Celui qui est la lumière elle-même et la Vie
elle-même » m. L'Esprit ne reçoit pas la Vie, mais il la donne ;
c'est de là que l'on conclut sa divinité. Celui qui n'est pas
assujetti à la loi essentielle de la créature n'a besoin de recevoir
ni vie ni quoi que ce soit. Saint Athanase dévoile un peu pour
la première fois cette pensée lorsqu'il écrit dans sa Ire lettre
à Sérapion : « Les paroles de l'Écriture que nous avons pro
posées montrent avec évidence que l'Esprit-Saint est participé,
mais qu'il ne participe pas . . . Les anges et le reste des choses
créées participent à l'Esprit. Et c'est là aussi la raison pour
laquelle ils peuvent se séparer de celui auxquels ils participent.
Au contraire, l'Esprit est toujours le même parce que il n'est
pas de ceux qui participent, mais que tous participent à lui. Si,
par conséquent, il est toujours le même et qu'il est participé et
que les créatures participent à lui, l'Esprit-Saint ne peut être
ni un ange ni en aucune façon une chose créée, mais il est
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 197

quelque chose de propre au Verbe, qui le donne, lorsqu'il est


participé par les créatures » 118. Dans les écrits dont nous
venons de parler et en d'autres, parallèles, l'accent est mis sur
la causalité vivifiante de l'Esprit dans l'ordre surnaturel,
comme auteur de la vie spirituelle, de la sainteté, de la vertu.
Si les créatures se sanctifient, c'est par la communication de
l'Esprit qui n'a pas besoin d'être sanctifié, puisqu'il est la
source de la sainteté. Tout ceci revient à attribuer à l'Esprit
Saint une propriété et une fonction divines : dès lors, il est
Dieu.

« Qui procède du Père ».


Les adversaires de la divinité du Saint-Esprit avaient pré
tendu qu'il était un être créé et fait par le Fils seul. Ce sera
une des raisons pour lesquelles le symbole de Constantinople,
en transcrivant la parole du Seigneur dans l'évangile de saint
Jean (15, 26 ; 14, 26), inculque que le Saint-Esprit « procède
du Père ». Il procède, mais sans être engendré. Tout en n'étant
pas engendré, procéder du Père prouve et implique sa nature
divine égale à celle du Père. Avec une remarquable clarté,
saint Grégoire de Nazianze a exposé cette doctrine dans son
Ve discours théologique. Ses adversaires avaient proposé le
dilemme suivant : pour être Dieu l'Esprit devrait être ou «in
engendré », ce qui veut dire « sans principe », ou « engendré » :
mais il n'est ni inengendré ni engendré ; dès lors il n'est pas
Dieu. Il ne peut pas être « inengendré », parce qu'alors nous
aurions deux principes en Dieu, le Père et l'Esprit. Il n'a pas
été davantage engendré, parce que s'il l'a été par le Père, il
nous faudrait dire que l'Esprit est le frère jumeau du Verbe.
Et s'il avait été engendré par le Fils, il serait le petit-fils du
Père. Toute cette argumentation, saint Grégoire de Nazianze
la rejette, en admettant qu'outre l'inengendré et l'engendré, il
y a en Dieu celui qui procède du Père. Et qu'il faille le
mettre en cette catégorie, c'est Jésus-Christ lui-même qui nous
le dit, comme le montre la citation de saint Jean (15, 26). « En
198 CONSTANTINOPLE

tant qu'il procède de lui, poursuit saint Grégoire, il n'est pas


une créature ; en tant qu'il n'est pas engendré, il n'est pas
le Fils ; en tant qu'il est entre l'inengendré et l'engendré, il est
Dieu. Ainsi ayant échappé aux pièges de tes syllogismes, il
apparaît clairement Dieu, plus puissant que tes distinguos.
Mais qu'est cette procession ? Dis-moi comment se fait Y « agé-
nésie » du Père et je t'expliquerai la génération du Fils et la
procession de l'Esprit, et tous les deux nous délirerons en fixant
nos yeux sur les mystères de Dieu. Et cette recherche, qui la
mènera ? Nous, qui ne pouvons pas connaître ce qui est à nos
pieds, ni compter le sable de la mer, ni les gouttes de la pluie,
ni les jours des siècles et qui, moins encore, sommes capables
de pénétrer les abîmes de Dieu et de comprendre une nature
si ineffable et si supérieure à la raison » 119. Les adversaires in
sistent en disant que rien ne manquerait à l'Esprit pour être
Fils s'il recevait la nature du Père. A quoi Grégoire réplique
que la question n'est pas qu'il manque quelque chose à l'Esprit,
pas plus qu'il ne manque quelque chose au Fils pour être
Père ou au Père pour être Fils. La diversité de leurs relations
est entre les Trois ce qui fonde la diversité des noms avec
lesquels nous les caractérisons, de sorte qu'il y a une distinc
tion sans confusion des trois hypostases dans l'unique nature
et dignité de la Divinité. Avec logique et franchise, il accepte
la conclusion : « Et alors, l'Esprit est Dieu ? En tout et pour
tout. Et par conséquent consubstantiel (homoousios) ? Puisqu'il
est Dieu » 120. Dans le même texte, saint Grégoire de Nazianze
rejette l'objection pneumatomaque qui dit que l'Esprit, pour
être Dieu, devrait avoir été Fils ; s'il ne l'a pas été, comment
pourra-t-il être consubstantiel au Père ? Et Grégoire répond
par l'exemple d'Adam. Eve et Seth furent de sa même subs
tance, mais Seth le fut comme fils, Eve, en revanche, ne fut
pas engendrée par le premier homme121.

Dans sa version latine, le symbole de Constantinople fut


complété par la célèbre ajoute du Filioque, que l'on doit à
l'Espagne. C'est là qu'à la fin du vi* siècle, il commença d'être
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 199

chanté dans la liturgie latine, en sa version mozarabe, peut-


être en s'inspirant de l'exemple de Constantinople, que saint
Léandre avait connu tandis qu'il vivait dans la capitale byzan
tine *. Comme on le sait, le Filioque, intercalé dans le symbole,
fut une pierre de scandale pour les byzantins qui, depuis
Photius et après lui, attaquèrent l'orthodoxie de l'Église ro
maine. Il suffit de l'avoir rappelé ici, où l'on ne prétend pas
faire l'histoire du symbole de Constantinople. Il est certain que
ni l'auteur du symbole ni les Pères du concile qui le promul
guèrent ne dirent que l'Esprit-Saint « procède du Père seule
ment ». Dès ce moment-là pourtant, était en usage parmi les
Pères Grecs la formule théologique que l'Esprit « procède du
Père par le Fils », ou encore qu'il « procède du Père et du
Fils ». Cette dernière formule a été moins employée en Orient
que la première : mais Épiphane lui-même, auteur probable
du symbole de Constantinople, l'utilise plusieurs fois. On a
montré également au concile de Florence que les deux for
mules expriment le même contenu théologique avec toutefois
des nuances diverses 122.
Il demeure que le symbole de Constantinople n'a jamais
connu chez les Orientaux, catholiques ou séparés, aucune
ajoute se rapportant au Fils.

« Qui, avec le Père et le Fils, est conjointement adoré et


glorifié. »

Si le terme était français, on voudrait pouvoir employer « co-


adoré », car il correspond exactement au mot grec du texte :
symproskynoumenon. L'expression de la version latine utilisée
dans la liturgie : simul adoratur n'est pas aussi précise, car elle
signifie formellement tout au plus la coïncidence dans le
temps. En revanche, le vocable grec dit que : dans une même
adoration nous adorons le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Paral
lèle, et cette fois exactement traduit, est le mot conglorificatur.

* Voir A. Palmieri, art. Filioque, DTC V, 2309-2343.


200 CONSTANTINOPLE

Ici la « gloire » se réfère surtout à la liturgie. C'est la doxa


qui, dans le culte, se rendait à Dieu. D'où le terme technique
de « doxologie ». Ce qu'affirme le symbole de Constantinople,
c'est que le culte d'adoration et de glorification qui est rendu
dans l'Église à l'Esprit-Saint est le même que celui qui est
rendu au Père et au Fils. Le même comme dignité, mais, en
outre, le même comme acte. En adorant Dieu, nous adorons
le Père, le Fils et l'Esprit conjointement, sans les séparer ni
distinguer entre le culte dû à l'un et à l'autre. Ce n'est pas
dire autre chose que ceci : l'Esprit-Saint a la même dignité
et la même majesté que le Père et le Fils, ce qui dès lors
montre qu'il appartient aussi à la substance divine et qu'il
n'est pas d'une catégorie inférieure. Très opportun dans ce
contexte est le souvenir de l'épisode que nous avons raconté
plus haut, où l'on voyait saint Basile, face aux réactions éton
nées de certains évêques, défendre dans son livre la légitimité
d'une doxologie où l'Esprit-Saint était placé sur pied d'égalité
avec le Père et le Fils : « Gloire au Père, avec le Fils, avec le
Saint-Esprit 123.

Dans son traité Sur le Saint-Esprit, au chapitre 24e, saint


Basile polémique contre ceux qui dénient à l'Esprit la
« gloire », la doxa, en arguant qu'aux justes aussi on donne
une certaine gloire. « Soit, disaient-ils, qu'il soit glorifié ; mais
pas avec le Père et le Fils. Quelle raison d'imaginer une autre
place pour l'Esprit, en négligeant celle qu'a fixée le Seigneur ;
pourquoi enlever la communauté de gloire à celui qui partout
est uni à la Divinité : dans la confession de foi, dans le bap
tême de rédemption, dans l'accomplissement des miracles, dans
l'inhabitation chez les saints, dans les grâces qu'il répand en
ceux qui lui obéissent ? Car il n'est aucun don qui vienne
à la créature sans l'Esprit-Saint, puisque personne ne peut dire
même un simple mot pour défendre le Christ sans l'aide de
l'Esprit, comme nous l'avons appris de notre Seigneur et Sau
veur dans les Évangiles. Si donc, méprisant tout cela et, ou
bliant la communauté complète dans laquelle il est avec le
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 201

Père et le Fils, nous le séparons d'eux, je ne sais pas si quel


qu'un qui a part au Saint-Esprit en sera d'accord » 124.

L'adoration qui doit être rendue au Saint-Esprit est traitée


par saint Basile dans son chapitre 26e. Son point de départ est
la parole dite par le Seigneur à la Samaritaine (Jn 4, 24).
« Abusée par la coutume du pays, elle croyait que l'adoration
se faisait dans un lieu, et le Seigneur pour la détromper lui dit
qu'il fallait adorer en esprit et en vérité, en s'appelant très
évidemment lui-même la Vérité. De même en effet que nous
affirmons l'adoration dans le Fils comme dans une image de
Dieu le Père, de même aussi nous l'affirmons dans l'Esprit,
comme celui qui manifeste en lui-même la Divinité du Sei
gneur. C'est pourquoi dans l'adoration, l'Esprit-Saint est in
séparable du Père et du Fils *. Car si tu es hors de Lui, tu ne
l'adoreras pas du tout, au contraire, si tu es en Lui, tu ne
le sépareras aucunement de Dieu pas plus que tu ne sépares
les choses que tu vois de la lumière, car il est impossible de
voir l'image du Dieu visible sinon dans la lumière de
l'Esprit » 125.

Avec plus de force s'il est possible, saint Grégoire inculque


l'adoration que l'on doit à la troisième Personne. « Mais qui,
disent-ils, a adoré l'Esprit ? Qui parmi les anciens ou les fidèles
récents ? Qui l'a prié ? Où est-il écrit qu'il faut l'adorer ou le
prier ? D'où a-t-on tiré cela ? Nous donnerons plus loin une
raison plus complète quand nous parlerons des dogmes non
écrits. Qu'il suffise maintenant de dire : « l'Esprit est celui en
qui nous adorons et par qui nous prions ». Et après avoir cité
les textes de saint Jean, 4, 24, de Ro 8, 26 et 1 Co 14, 15, il conti
nue : « Adorer ou prier par l'Esprit, cela me semble vouloir dire
que c'est lui qui présente à lui-même la prière et l'adoration.

* Cf. Texte XIII, p. 277, où l'Esprit-Saint est présenté par saint Ba


sile comme inséparable du Père et du Fils, dans l'Incarnation, dans
l'Église et dans le Jugement dernier.
202 CONSTANTINOPLE

Qui, parmi les hommes qui vivent en Dieu et qui savent vrai
ment, n'approuverait que l'adoration d'un seul est l'adoration
de tous les Trois puisqu'en tous les Trois la dignité est égale et
aussi la divinité ? » 126 Un peu plus loin, dans ce même discours
théologique, saint Grégoire insiste encore sur l'adoration due
à l'Esprit : « car s'il n'est pas adorable, comment me divinise-
t-il dans le baptême ? et s'il est adorable, comment ne serait-il
pas digne d'un culte ? Et s'il est digne d'un culte, comment
n'est-il pas Dieu ? » m
L'adorabilité de l'Esprit, égale à celle du Père et à celle du
Fils, paraît proclamée spécialement contre les pneumatoma-
ques qui admettaient la divinité et par conséquent l'adoration
du Fils. Les premiers défenseurs de cette adoration de l'Esprit
s'étaient appuyés sur la formule du baptême et sur d'autres
textes du Nouveau Testament qui justifient eux aussi l'usage
liturgique de glorifier par la même doxologie le Père, le Fils
et l'Esprit-Saint.
Fort intéressant pour ce que nous venons de dire, est le
jugement que porte encore Grégoire sur ce que nous pourrions
appeler la progression de la révélation trinitaire : « L'Ancien
Testament a annoncé clairement le Père et le Fils plus obscu
rément. Le Nouveau a révélé le Fils et a insinué la divinité de
l'Esprit. Maintenant l'Esprit est parmi nous et il se manifeste
plus ouvertement. Il n'était pas sûr, en effet, de prêcher
clairement le Fils alors que la divinité du Père n'était pas
encore confessée ; ni de nous charger, si je puis dire, du far
deau plus lourd du Saint-Esprit, alors que la divinité du Fils
n'était pas encore admise. Autrement, comme des hommes
alourdis par des nourritures trop fortes ou dont la lumière du
soleil ne ferait que gâter davantage la vue malade, nos capa
cités auraient été compromises. Mais il fallait plutôt que par
des développements, par des ascensions, pour parler comme
David, par des avancées et des progrès de clarté en clarté
toujours plus brillants, jaillisse éclatante la lumière de la Tri
nité > 128. Le caractère progressif de cette illumination divine
permet à Grégoire d'expliquer contre les adversaires de l'Esprit
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 203

la raison pour laquelle le Nouveau Testament ne donne pas


d'affirmation abondante et évidente de sa divinité *.

« Qui a parlé par les prophètes ».

Comme on l'a déjà dit, cette expression, qui avait au


me siècle une orientation absolument anti-gnostique, opposée en
particulier à l'erreur de Marcion, semble, dans le texte du
symbole de Constantinople, confirmer la divinité de l'Esprit-
Saint proclamée déjà par les incises antérieures. Il est utile de
lire à ce sujet les phrases suivantes de saint Athanase dans sa
IIIe lettre à Sérapion : « L'Esprit est si inséparable du Fils que
ce que nous avons dit antérieurement ne permet pas d'en
douter. Car lorsque la Parole était dite au prophète, le pro
phète parlait dans l'Esprit ce qu'il recevait du Verbe ». Ceci
se prouve par différents passages de rÉcriture dans lesquels
il est affirmé que l'Esprit a parlé par les prophètes. Parce que
l'Esprit n'est pas en dehors du Verbe, mais qu'il est dans le
Verbe, c'est par lui qu'il est en Dieu (le Père) ; par lui les
grâces sont données dans la Trinité. Parce que dans leur distri
bution, comme il est écrit dans la Ire épître aux Corinthiens [12,
6, 11], c'est le même Esprit et le même Seigneur et le même
Dieu qui opère tout en tous. Parce que le Père lui-même fait
et donne tout par le Fils dans l'Esprit » 129. De la part active
que l'Esprit a avec le Verbe dans l'inspiration des prophètes
on conclut sa divinité.

Un regard synthétique sur toutes ces confessions qui affir


ment la divinité de l'Esprit-Saint nous permet de reconnaître
que pour atteindre ce but, le symbole de Constantinople n'a
pas voulu et ne s'est pas senti obligé d'employer des formules
aussi décisives que : € il est Dieu », ou : « il est consubstantiel
au Père et au Fils ». Nous ne pouvons pas trouver la raison
dernière de cette attitude. Nous pouvons aventurer quelques

Cf. Texte XIV, p. 281.


204 CONSTANTINOPLE

conjectures, à partir d'une réflexion sur la théologie du temps.


Nous avons vu qu'à Nicée le point de départ des déclarations
anti-ariennes en faveur de la divinité du Verbe, a été sa filia
tion naturelle à partir du Père. Ce même « Dieu de Dieu »
était une résultante de cette génération. Ici, il faut prendre un
autre chemin. On attribue au Saint-Esprit : 1°) un nom divin,
celui de « Seigneur », dans une signification élevée ; 2°) des
fonctions divines, celle qui consiste à donner une vie qu'il
possède par nature et celle qui consiste à inspirer l'avenir aux
prophètes ; 3°) une origine immanente à partir du Père, qui
n'est pas la création, acte transitoire, mais la « procession »,
terme mystérieux que le symbole de Constantinople n'explique
pas, puisque, dans la théologie d'alors, il signifiait la note
caractéristique de l'Esprit, sa venue immanente du Père, puis
qu'il est une substance avec lui et avec le Fils ; 4°) un culte
suprême égal à celui rendu au Père et au Fils, une même
adoration et une même doxologie qui est rapportée conjointe
ment aux Trois, sans distinction de degré.
Si l'on y fait bien attention, ces quatre affirmations de la
divinité de l'Esprit-Saint valent aussi bien contre les ariens
que contre les pneumatomaques qui acceptaient la divinité du
Fils. Pour ces derniers, la quatrième affirmation qui met sur
pied d'égalité l'Esprit et le Fils de Dieu pourrait avoir plus
de force.
Ces vérités étaient contenues dans l'Écriture, comme nous
avons pu le voir d'après les fragments des Pères. La proces
sion à partir du Père est exprimée en toutes lettres dans le
Nouveau Testament. Ces affirmations du symbole de Constan
tinople n'ont pu contenir le riche arsenal de textes bibliques et
d'arguments en faveur de l'Esprit que nous trouvons dans les
œuvres des Pères qui les ont précédées. Par exemple, en éla
borant l'argument de la divinité tiré des noms divins, que
l'Écriture attribue à la troisième Personne, saint Épiphane
et saint Grégoire de Nazianze opèrent une compilation de
listes interminables qu'il aurait été impossible de répéter dans
une formule destinée à des usages pratiques. Le concile de
LE SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE 205

Constantinople s'est contenté de mentionner un seul nom. Il


n'a pas voulu insister sur le nom de « Saint-Esprit », bien qu'il
fut mentionné par les Pères, parce que l'expression figurait
déjà dans la confession trinitaire primitive, commune et anté
rieure à tous les symboles de foi, et de ce fait ne montrait pas
à l'évidence qu'il y avait quelque chose de spécialement déli
béré et ajouté par le symbole de Constantinople pour s'opposer
aux erreurs des pneumatomaques.
La clarté et l'orthodoxie indiscutables de ces incises qui
définissent la divinité du Saint-Esprit firent que le macédo-
nianisme ne relèvera plus la tête, mais se décomposera comme
un groupe hérétique.
Nous parlerons plus loin de la valeur dogmatique du sym
bole de Constantinople.
CHAPITRE IV

LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES

La condamnation des hérésies (canon 1).

Combien de canons a promulgués le premier concile de


Constantinople ? Les collections canoniques grecques lui en
attribuent sept. Les latines, elles, ne lui en attribuent que
quatre. Ces dernières ont un titre d'objectivité : elles sont
plus anciennes, — comme la Prisca, la version de Denys le
Petit, la version d'Isidore et un codex de Lucques —, et elles
coïncident, tout en étant indépendantes les unes des autres.
Cependant, si l'on peut leur accorder crédit, cela vient surtout
de ce que Socrate 130 et Sozomène m, en rapportant les décrets
du concile de Constantinople, font des allusions claires au
contenu des quatre premiers canons alors qu'ils ne disent rien
des trois autres. Il y a donc de bonnes raisons d'affirmer que
les canons 5 et 6, s'ils sont eux aussi de Constantinople, pro
viennent du synode qui s'est réuni dans la capitale orientale
en 382. Quant au canon 7, qui est omis par diverses sources
grecques, il est soit inspiré, soit emprunté à une lettre
écrite vers le milieu du Ve siècle par l'Église de Constantinople
à l'évêque d'Antioche Martyrius.

La forme dans laquelle est rédigé le 1er canon attire l'at


tention : « On ne doit pas abroger la foi des trois cent dix-huit
Pères réunis à Nicée de Bithynie, mais elle doit demeurer en
vigueur et l'on doit anathématiser toute hérésie ; spécialement
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 207

celle des eunomiens ou anoméens, et celle des ariens ou eu-


doxiens, et celle des semi-ariens ou pneumatomaques, et celle
des sabelliens, et celle des marcelliens, et celle des photiniens,
et celle des apollinaristes ».
Cette forme indirecte : « on doit anathématiser », et le fait
qu'absolument rien n'indique en quoi consistent les erreurs
des hérésies ici nommées, suggère une hypothèse qui nous
paraît probable. Ces canons ne seraient-ils pas un état, un
résumé des anathèmes que, d'après la lettre synodale de 382,
les Pères de 381 lancèrent dans leur Tome? Ajoutons que les
canons, habituellement, n'ont pas de contenu dogmatique,
comme celui-ci, mais qu'ils traitent de sujets disciplinaires.

En ce qui touche le contenu de ce 1er canon, on notera, avant


toute autre chose, que les Pères conciliaires de Constantinople
ratifièrent finalement le symbole de Nicée qui, pendant tant
d'années, avait été combattu ou ignoré par les ariens et
les semi-ariens. Cette ratification, confirmée aussi dans le
symbole de Constantinople qui inclut celui de Nicée, a mis
le point final à la controverse arienne. Dans l'Empire ro
main, grâce aussi à la politique de Théodose, l'arianisme
s'éteignit rapidement. Il ne survécut que chez les Goths, où,
quelques années auparavant, il avait été introduit par Ulfila ;
devenu leur religion officielle, ceux-ci l'introduisirent en Italie
et en Espagne. Mais ce n'est déjà plus qu'un arianisme aussi
incapable de produire des œuvres que d'entreprendre une
polémique. Il se maintint surtout par l'appui que lui donnèrent
les premiers rois ostrogoths et wisigoths.

Assez surprenante est la classification opérée par le canon


qui distingue entre eunomiens, anoméens, eudoxiens et ariens.
Les ariens et Eudoxe, l'évêque de Constantinople, avec eux,
étaient aussi des anoméens, mais comme Eunomius, puisqu'ils
soutenaient une différence essentielle entre le Père et le Verbe
(anomoios = « dissemblable »). On a supposé qu'Eudoxe, pro
tégé de Valens, représentait l'aile gauche de l'arianisme. Nous
208 CONSTANTINOPLE

dirions plutôt le contraire, parce que tandis qu'Eudoxe, venant


du camp semi-arien, en arrivait à signer une formule acacienne,
Eunomius lui, disciple d'Aèce, et qui setait trouvé parmi les
premiers partisans d'Arius avant detre l'héritier de ses idées,
se présentait toujours comme un arien endurci. A telle enseigne
que lorsqu'Eudoxe l'envoya comme évêque à Cyzique, il dut
abandonner ce diocèse parce que les fidèles ne supportaient
pas son arianisme outrancier. Il est également à noter que,
durant le gouvernement de Julien l'Apostat, Eunomius formera
à Constantinople une communauté arienne contre la volonté
d'Eudoxe. Quoi qu'il en soit, le canon anathématise tous les
fauteurs de l'arianisme pur.

L'attention est également attirée par l'expression de « semi-


ariens ou pneumatomaques ». La première dénomination a eu
sans aucun doute beaucoup plus d'ampleur que la seconde,
puisque elle embrassait tous ceux qui, sans être ariens dans
le fond, n'étaient pas d'accord avec la formule absolue de
Nicée. Il est exact que les pneumatomaques, qui niaient la
divinité du Saint-Esprit tout en admettant celle du Fils, étaient
sortis des rangs du semi-arianisme à partir de 360. Il est égale
ment très probable que de nombreux semi-ariens ayant été
récupérés par l'orthodoxie nicéenne à partir de 362 et surtout
de 378, quand la persécution de Valens mollit, il n'existait
pratiquement pas de groupes considérables de semi-ariens en
dehors des pneumatomaques ou des macédoniens. Si, comme
on l'a vu, le symbole de Constantinople fut promulgué par
notre concile, il est évident que ces Pères ne se contentèrent
pas d'un anathème négatif en face de l'hérésie pneumato-
maque.

Nous avons déjà évoqué l'erreur de Sabellius au me siècle,


erreur qui réduisait la différence entre le Père, le Fils et
l'Esprit-Saint à une diversité de noms, d'aspects ou de moda
lités d'un Dieu pratiquement unipersonnel. Marcel, évêque
d'Ancyre, ardent adversaire de l'arien Aèce, écrivit contre lui
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 209

quelques pages dans lesquels les semi-ariens reconnurent un


nouveau surgeon du sabellianisme que, pour leur part, les
Occidentaux n'y voyaient pas, Marcel étant un partisan résolu
de Nicée. Selon Marcel, Dieu est une seule Personne. Il est
exact que, uni au Père de toute éternité, existe le Verbe qui
lui est consubstantiel et identique en son essence. Lorsque le
Dieu unipersonnel commença de créer, son Verbe se fit « éner
gie drastique » et donna lieu à la première « économie ». La
seconde fut l'Incarnation. Par elle, le Verbe commença à être
Fils et résuma en lui toute l'humanité pour la racheter et la
libérer de la corruption et de la mort. Mais cette chair humaine
sera complètement superflue pour le Verbe après le Jugement
dernier et il faut croire qu'alors il l'abandonnera. Pareillement,
l'Esprit-Saint qui, depuis la Pentecôte, est renfermé dans le
Père et le Fils, se répand à partir de ce jour, extension de
l'extension précédente du Verbe.

Photin, évêque de Sirmium, demeura fidèle à la doctrine de


son maître Marcel. Selon lui également, il n'y a pas en Dieu
plus qu'une hypostase, celle-ci étant toutefois douée de parole
ou de raison. Cette force est renfermée dans le Dieu-Père
jusqu'au moment de la création, et c'est alors qu'elle se mani
feste : la Parole est prononcée. L'Esprit-Saint est aussi propa
gation du Dieu unique. Jésus-Christ en arrive à être, pour
Photin, un pur homme dans lequel ont habité, à un degré très
exceptionnel, la Puissance et la Vertu divines ; c'est dire que
nous retrouvons une nouvelle fois l'erreur de Paul de Samosate,
dont nous avons déjà parlé *. Il fut assez facile aux Occiden
taux de reconnaître l'hérésie de Photin et de remonter, très
lentement, à travers elle jusqu'à celle de son maître Marcel.
Photin avait été condamné déjà par un synode à Milan, en 347.
Au contraire, Marcel mourut vers 375, sans que Rome l'ait
condamné. Ce fut un des principaux obstacles qui s'opposèrent
à ce que saint Basile, qui réclamait expressément qu'on anathé-

Cf. ci-dessus, p. 84.


210 CONSTANTINOPLE

matisât Marcel, s'entendît avec le pape Damase, qui ne pouvait


s'y résoudre. Il est probable que ces hésitations venaient de ce
que Marcel avait été condamné à plusieurs reprises par des
synodes semi-ariens. N'était-il pas, dès lors, peu opportun de
s'associer à une condamnation de ce genre, même si on la
portait au nom de motifs différents ? Dans les dernières an
nées de sa vie, Marcel avait signé une formule qui mêlait de
l'eau au vin de ses anciennes théories, sans pour autant les
contredire ouvertement. Ce geste de l'ancien évêque a très
bien pu faire différer son excommunication. Et, effectivement,
il mourut en paix avec l'Église orthodoxe. La condamnation de
Constantinople est donc la première qui proscrivit non plus
seulement la personne mais aussi la doctrine de l'ancien évêque
d'Ancyre, disparu alors. Nous avons noté aussi plus haut l'in
cise du symbole : « dont le règne n'aura pas de fin », qui est
dirigée contre Marcel et contre Photin.

Très proche est le cas de l'évêque de Laodicée, Apollinaire


le jeune, lui aussi ardent défenseur de la foi de Nicée. Si Arius
fut un alexandrin formé à la mode d'Antioche, Apollinaire
l'Ancien, père de l'hérésiarque, était un disciple d'Alexandrie
qui était venu s'établir à Laodicée. La mentalité alexandrine est
visible dans la théologie de son fils, qui, très préoccupé de
maintenir le schéma christologique « Verbe + chair », et d'évi
ter aussi que l'on pût penser que le Verbe n'était pas l'unique
responsable dans le Christ, jugea que l'on ne pouvait concevoir,
au service du Verbe, une humanité complète, car alors on
aurait un homme fait et doté d'autonomie et de responsabilité,
ce qui donnerait lieu à deux personnes. Où était le remède ? Il
était de supposer que le Verbe s'était incarné, mais qu'il n'avait
pas assumé la partie principale de l'homme, l'âme rationnelle.
Cette erreur qui ouvrait le chemin au monophysisme de plus
tard en mutilant la nature humaine du Christ en sa partie la
plus essentielle, ne pouvait pas ne pas scandaliser surtout des
écrivains antiochiens qui, comme Diodore, tendaient, à l'ex
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 211

trême opposé, à trop distinguer entre le Fils de Dieu et le


Fils de Marie.
Le premier effet de l'apollinarisme, nous pouvons le dé
couvrir dans le Tome aux Antiochiens du synode d'Alexandrie
de 362 *. L'erreur devait s'étendre jusqu'à Corinthe, comme
en témoigne la lettre de saint Athanase à Epictète, évêque de
cette ville, vers 371. Rome eut vent de cette nouvelle hérésie
lorsque, en 375, Vital vint d'Antioche pour obtenir la commu
nion de Paulin qu'appuyait le pape Damase. Obligé de confes
ser que le Christ avait assumé « corps, âme et sens, c'est-à-
dire tout Adam », le disciple d'Apollinaire refusa de le faire.
Peu après, Vital et un certain Timothée furent consacrés
évêques par Apollinaire, qui constitua ainsi une véritable héré
sie. Un concile tenu à Rome en 377 condamna Apollinaire
et Timothée pour leur doctrine hérétique. Le pape Damase
invoquait une raison théologique qui fut une arme efficace
contre l'apollinarisme, à savoir que seul a été racheté ce qui
a été assumé dans l'Incarnation. L'apollinarisme qui refusait au
Christ l'âme humaine rationnelle privait celle-ci, et par consé
quent l'homme, de la rédemption donnée par le Sauveur. Un
concile tenu à Alexandrie en 378 et un autre célébré proba
blement à Antioche en 379 ratifièrent la sentence de Rome.

En dépit de sa brièveté laconique le 1er canon de Constan-


tinople nous permet donc de savoir que les Pères de ce concile
condamnèrent toutes les hérésies trinitaires du rve siècle et la
première hérésie christologique. L'unique secte de quelque
importance qui échappa à l'excommunication fut celle des
novatiens.
L'excellent travail qu'accomplit le concile de Constantinople
sur le terrain dogmatique se réalisa dans des conditions favo
rables, parce que les Pères qui s'y réunirent représentaient une
théologie assez homogène et coulée dans une terminologie
commune. Pour les cappadociens tout comme pour les antio-

* Cf. Texte XII, p. 269.


212 CONSTANTINOPLE

chiens de Mélèce, — et c'était là les deux courants prépondé


rants —, les trois hypostases en Dieu constituaient une seule
essence commune aux trois Personnes, ce qui ne permettait pas
de dissimuler l'erreur sabellienne rajeunie par Marcel d'Ancyre.
En outre, convaincus de la parfaite Humanité du Christ, ils ne
pouvaient tolérer l'hérésie de l'apollinarisme. Pour que tous,
— y compris les méléciens —, refusassent toute erreur qui di
minuerait ou supprimerait la divinité du Fils ou du Saint-
Esprit, l'orthodoxie bien attestée et bien défendue des Pères
de Cappadoce, d'un Diodore et de bien d'autres, offrait une
bonne garantie.
On l'a dit, l'influence de la doctrine de Rome sur l'esprit
des Pères du concile byzantin fut positive et efficace pour ce
qui touche à l'arianisme, au photinianisme et à l'apollinarisme,
qui avaient déjà été anathématisés par les papes. En revanche,
dans la condamnation des pneumatomaques et de Marcel, les
Pères de Constantinople eurent probablement le mérite d'être
les premiers.

Ce canon, comme les autres, n'eut pas, comme nous le ver


rons, l'approbation formelle de l'Église occidentale. Le concile
de Chalcédoine, qui donna une autorité œcuménique au sym
bole de Constantinople, ne ratifia pas ce premier canon, qui
n'eut par conséquent qu'une autorité locale. Il convient de
noter cependant que toutes formes d'arianisme, de macédo-
nianisme, de marcellianisme et de photinianisme étaient am
plement et clairement condamnées comme hérétiques à travers
la définition de la doctrine contraire qui se trouve dans le
symbole de Constantinople. L'apollinarisme, même s'il n'a pas
été mentionné, est aussi ouvertement condamné dans le sym
bole de Chalcédoine, du concile du même nom, qui définit
que le Christ fut « vrai homme, doué d'une âme rationnelle
et d'un corps », « consubstantiel à nous en son humanité ».

La victoire de l'orthodoxie au concile de Constantinople eut


un épilogue significatif. L'empereur Théodose fit venir d'An
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 213

cyre les restes de saint Paul, l'évêque de Constantinople que le


préfet Philippe, à cause de sa foi attachée à Nicée, avait exilé
à Cucuse et fait étrangler, pour regagner les bonnes grâces de
Macédonius. Son corps reçut de solennels honneurs et fut
déposé dans l'église qui porta bientôt son titre et où, aupara
vant, avaient officié les macédoniens 132. C'était là une réhabi
litation aussi juste que symbolique !

Que les évéques ne sortent pas des limites de leurs


« diocèses » (canon 2).
Le texte du 2e canon est ainsi rédigé : « Que les évêques
d'un diocèse n'interviennent pas dans les Églises qui leur sont
étrangères ni ne mettent de désordre dans les Églises ; mais
que, conformément au canon, l'évêque d'Alexandrie administre
seulement les affaires de l'Égypte, les évêques de l'Orient,
seulement celles du diocèse oriental, en maintenant les préro
gatives reconnues par les canons de Nicée à l'Église d'An-
tioche ; que les évêques du diocèse d'Asie administrent seule
ment les affaires de l'Asie, ceux du Pont, seulement celles du
Pont, et ceux de la Thrace, seulement celles de la Thrace.
S'ils ne sont pas appelés, les évêques ne sortiront pas de leur
diocèse pour imposer les mains ou pour d'autres fonctions
ecclésiastiques. Si on observe ce canon, il est clair que le
synode de leparchie est compétent dans son éparchie, selon
les déterminations de Nicée. Quant aux Églises de Dieu qui
sont parmi les peuples barbares, il convient qu'elles soient ad
ministrées selon la coutume mise en vigueur par les Pères ».

Fort intéressant est bien sûr ce que dit expressément ce


canon, mais aussi ce qu'il se contente d'insinuer. Il marque
une évolution dans la structure ecclésiastique par rapport aux
6e et 7° canons de Nicée. On ne doit, bien évidemment, pas
comprendre par le mot « diocèse » ce qu'il signifie dans le
langage moderne, c'est-à-dire un territoire administré par un
évêque. « Diocèse » signifie ici le groupement administratif de
214 CONSTANTINOPLE

provinces variées ; c'était un organisme déjà introduit par Dio-


clétien. Le canon énumère les diocèses civils existant en
Orient : la Thrace et sa capitale Héraclée, puis Constantinople ;
l'Asie et sa capitale Ephèse ; le Pont et sa capitale Césarée
de Cappadoce ; l'Orient et sa capitale Antioche ; l'Égypte
et sa capitale Alexandrie. Le concile de Nicée avait parlé
de provinces ou d'éparchies présidées par un métropolitain,
il avait reconnu à l'évêque d'Alexandrie une certaine auto
rité sur toute l'Égypte, des privilèges d'honneur à Antioche,
mais concrètement pas grand chose. Le canon de Constanti
nople complète celui de Nicée. Ce dernier n'autorisait pas
un évêque à intervenir hors de son territoire, exception faite
pour les attributions du métropolitain dans sa propre éparchie
ou dans sa province lorsqu'il était assisté d'un synode pro
vincial. Ici, ce sont d'autres limites qui sont tracées, plus
amples, mais aussi plus définies. Aucun évêque ne pourra
exercer ses fonctions ecclésiastiques hors du diocèse civil dans
lequel est enclavé son territoire.

Étant donné la mentalité du concile de Constantinople et


ses circonstances historiques, il est évident que ce canon
veut censurer d'abord la conduite de Pierre d'Alexandrie,
qui, en cachette avait fait consacrer Maxime évêque de Cons
tantinople et cela à Constantinople. C'était là une scanda
leuse interférence du diocèse d'Égypte dans celui de Thrace,
qu'aggravait encore la clandestinité. Le cas de Grégoire de
Nazianze était aussi objectivement contraire à ce canon. On
lui avait confié l'administration du siège de Constantinople,
alors que son évêché était dans le diocèse du Pont. Et si
ce canon fut rédigé après l'abdication et le départ du grand
cappadocien, il n'est pas exclus que ses auteurs aient voulu
l'enfermer lui aussi dans les restrictions qu'ils formulaient.
Les chrétientés orientales qui existaient en dehors de l'Em
pire romain étaient reliées à l'Église par des rapports avec
les grands sièges les plus proches de ceux d'où était partie
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 215

leur évangélisation. Ainsi la communauté d'Éthiopie était


comme une annexe d'Alexandrie ; l'Église de Perse était en
communion avec Antioche et aussi en relation avec l'Arménie ;
et l'on peut croire que l'évêque du Bosphore, avec ses chré
tiens de Crimée, était surtout en relation avec ses collègues
de Thrace. Ces rapports étaient souvent rendus fort précaires
par les guerres continuelles qui faisaient rage aux frontières
de l'Empire romain.
Le canon porte une décision négative en considérant les
limites des diocèses civils. Mais il ne structure pas ce nouveau
cadre en mettant à la tête de chaque « diocèse » une autorité
ecclésiastique qui ait quelque compétence sur lui. C'est beau
coup, en vérité, qu'il commence par proposer un cadre, qui
sera bientôt rempli. L'unique « diocèse » que l'on peut consi
dérer comme vraiment structuré est celui d'Alexandrie ; le
privilège lui avait déjà été reconnu par le concile de Nicée.
Très significatif est ce qu'on lit entre les lignes de ce canon.
Il se borne à calquer les circonscriptions ecclésiastiques sur
celles de l'État. C'est une tendance qui conduira à la formation
des patriarcats orientaux.
Il serait sans doute téméraire de voir dans le canon que
nous venons de commenter un refus pratique de toute espèce
d'ingérence du siège de Rome dans les affaires des Églises
orientales. En effet, si nous nous rappelons que le concile était
tenu par les seules Églises orientales et qu'il légiférait unique
ment pour elles, il est évident qu'il eut l'intention de condam
ner les récentes et assez odieuses interventions commises par
des évêques dans l'Empire oriental. Qu'on veuille bien égale
ment considérer que ce canon ne restreint pas ces interférences
avec plus de rigueur que ne l'avaient fait les canons de Nicée,
canons que l'Église romaine ne fit jamais de difficulté à ac
cepter.
Ce que nous avons noté en commentant les canons de
Nicée* vaut également pour cette période. De Nicée à Cons-
Cf. ci-dessus, p. 101-102.
216 CONSTANTINOPLE

tantinople, le siège de Rome a pris une part active aux disputes


dogmatiques qui agitèrent surtout l'Orient. L'intervention ro
maine se manifesta à l'égard des doctrines par leur appro
bation ou leur condamnation ; à l'égard des évêques ou des
auteurs ecclésiastiques, par l'entrée en communion avec eux ou
par leur excommunication. Rome, par exemple, reconnaissait
Paulin comme le légitime prélat d'Antioche et n'admettait
pas Mélèce ; mais elle n'alla jamais jusqu'à consacrer pour son
compte un évêque oriental. Jusqu'à la fin du iv* siècle, l'Orient
mena sa vie ecclésiastique sans que le siège de Rome intervint
en ses affaires d'administration ordinaire. Son autorité suprême
s'exerçait, comme nous venons de le dire, en jugeant en appel
les causes qui pouvaient lui parvenir d'une partie quelconque
de l'Église. Dans ce régime primitif, où l'ingérence de Rome
dans le gouvernement des évêques orientaux est restreinte, et
où l'on ne connaît aucun cas qui ait suscité des protestations
dans ce sens, supposer que les auteurs du 2" canon aient eu
l'intention de blâmer les interventions du siège de Rome est
dépourvu de fondement.

Le primat d'honneur du siège de Constantinople (canon 3).

Voici, sans aucun doute, le plus intéressant et le plus original


des décrets du concile ; c'est un premier jalon sur un chemin
qui, des siècles plus tard, aboutira au schisme entre la pre
mière et la « seconde Rome ».
Le canon déclare : c L'évêque de Constantinople doit avoir
la primauté d'honneur après l'évêque de Rome, car cette ville
est la nouvelle Rome ».
La circonstance la plus favorable à l'exaltation soudaine du
nouveau siège byzantin a pu être ce moment où, après la
mort de Mélèce, Alexandrie n'avait au concile qu'une faible
représentation et se trouvait humiliée par le rejet de Maxime,
son candidat au siège de la capitale. Constantinople alors
s'élève et parvient d'un seul coup au sommet de l'Église orien
tale, au-dessus même d'Alexandrie, alors qu'elle est une ville
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 217

toute nouvelle, que n'a pas consacrée la prédication ou le


magistère d'un Apôtre. L'unique titre présenté pour révolu
tionner cet équilibre des structures ecclésiastiques est un motif
éminemment politique : Constantinople est la nouvelle Rome.
Il est dit par là que son siège épiscopal doit prééminer sur ceux
d'Alexandrie et d'Antioche. L'autre aspect de cette élévation
improvisée est que, pour Constantinople, on crée un sommet
qui n'existait pas jusqu'alors dans l'échelle des honneurs. Au
cun canon n'avait conféré à aucun siège, pas même à celui
d'Alexandrie, la primauté d'honneur sur toute l'Église orientale.
On aperçoit dans ce décret la pression vigoureuse de Théodose
le Grand, qui, plein d'amour pour Constantinople, y avait
fixé définitivement le siège de son gouvernement, alors que ses
prédécesseurs, Valens par exemple, s'en étaient absentés pen
dant de longues années pour aller résider à Antioche. Sur ce
point comme sur beaucoup d'autres, Théodose semble l'héritier
spirituel de Constantin.
Maintenant que sa cour est à Constantinople, Théodose
trouvera beaucoup d'avantages à ce que son évêque précède
tous ceux de son Empire, même si c'est simplement dans l'or
dre des honneurs. On évitera ainsi les inconvénients dont on
avait fait peu de temps auparavant l'expérience, tels que la
chute du siège aux mains des ariens et les discordes graves
entre Alexandrie et Antioche. Un évêque constitué dans la
dignité suprême sera un excellent instrument qui permettra
d'unifier et de donner efficacité à cette inspection vigilante
des affaires ecclésiastiques qui a été depuis Constantin, et
qui sera encore durant des siècles, une des règles de la
politique de l'Empire.
On avait bien raison de dire que la nouvelle ville fondée
par Constantin était une « nouvelle Rome », avec ses temples
et ses édifices splendides, avec son Sénat, avec sa cour fas
tueuse, avec sa remarquable situation sur le Bosphore. Cette
vive conscience de supériorité trouve son écho dans deux pas
sages d'une prédication faite par saint Grégoire de Nazianze.
218 CONSTANTINOPLE

Il appelle Constantinople « l'œil du monde (de l'oikouménè),


la cité très puissante sur mer et sur terre, le nœud et le lieu
des côtes orientales et occidentales dans lequel confluent les
extrémités de toutes les parties de l'Empire comme en un
marché commun de la foi » 13S. En une autre occasion, par
lant au public byzantin, si païen, de sa ville, il lui adresse ces
mots : « Vous, la grande cité, les premiers après la première :
même cela vous ne l'acceptez pas ; montrez-vous à moi
comme les premiers non pas dans le mal, mais dans la vertu,
non pas dans le désordre des mœurs, mais dans la discipline.
Quelle honte ce serait que de surpasser les autres cités pour
être ensuite surpassés par les plaisirs ! De manifester tant
de sagesse en tant de choses, mais d'être si fous pour les che
vaux, les théâtres, les stades et les parties de chasse ; que cela
soit le point le plus important de la vie et que la première
entre toutes les villes soit une ville de joueurs, comme il serait
bien mieux qu'elle soit un modèle aussi en toutes choses ! » 134.
Phrases révélatrices du complexe de supériorité des habitants
de Constantinople, qui ne se résignaient pas à n'être que la
deuxième ville de l'Empire !

Du point de vue juridique, le canon ne concédait pas grand


chose au siège de Constantinople. Seulement une préséance
d'honneur. Aucune juridiction. Pas même un titre honorifique.
Avec une base documentaire insuffisante, on a voulu interpré
ter ce décret comme s'il contenait déjà la concession du patriar
cat à l'évêque de Constantinople. Mais ni dans le canon précé
dent ni dans celui-ci, il n'est question de patriarches, même si
Socrate utilise le mot. Ce qui est vrai, nous l'avons noté plus
haut, c'est qu'en ce concile se préparèrent les cadres qu'en
suite remplirent les patriarcats. Et l'on peut aussi reconnaître
qu'avec cette prééminence donnée au siège de Byzance, le
chemin était frayé aussi bien pour le futur titre de « patriarche
œcuménique » que son titulaire ensuite allait s'approprier,
que pour cette fonction de « siège-pilote » que devait effecti
vement remplir Constantinople dans les siècles postérieurs par
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 219

rapport aux autres Églises orientales, notamment grâce à son


«synode permanent».
Ce que la lettre et l'esprit de ce décret pouvaient faire
comprendre pleinement, c'est que dorénavant, dans le « dio
cèse » de Thrace auquel appartenait la capitale, ce ne serait
plus Héraclée, mais Constantinople qui serait le siège pri-
matial.

Nouveau et pernicieux était par dessus tout le motif que


l'on invoquait pour attribuer à la capitale le primat d'honneur
après Rome. Constantinople était « la nouvelle Rome ». Ce
n'est pas là une raison ecclésiastique, mais bien politique. Le
principe affirme que l'importance d'un siège vient de la place
que la ville a sur le terrain politique. Principe qui s'explique
dans ce régime où l'Église et un empire césaro-papiste étaient
en interférence, mais qui allait devenir un germe dangereux
de sécularisation de l'Église. De cette semence, allait surgir
peu à peu toute une série de prétentions de supériorité du
patriarcat byzantin, qui finirait par aboutir au schisme et à
la répudiation du principe d'unité établi par Jésus-Christ dans
le siège de saint Pierre : Rome. Ce canon était inadmissible
et l'Église occidentale l'ignora et le refusa, comme nous le ver
rons plus tard, tout comme le 28e canon du concile de Chal-
cédoine, produit légitime de celui de Constantinople *. Elle
avait de même ignoré le 9" canon du conciliabule semi-arien
d'Antioche tenu en 341, selon lequel la dignité des sièges épis-
copaux était à la mesure du rang politique des cités. On
comprend mieux comment ce germe de rivalité et de divisions
a pu fructifier si l'on considère, d'une part, que le primat de
Rome dans l'Église orientale, pratiquement indépendante en
sa vie ordinaire, se faisait alors peu sentir, et d'autre part, que
plusieurs évêques avaient pris l'habitude nuisible de s'aligner
sur la politique changeante des empereurs, de Nicée à Constan-

* Voir P.-Th. Camelot, Ephèse et Chalcédoine (HCO 2), 161-172.


220 CONSTANTINOPLE

tinople. On ne pouvait presque pas concevoir que les évêques


fissent œuvre efficace sans l'empereur, et moins encore contre
ses décisions. C'est la raison pour laquelle le canon que nous
commentons est une victoire du césarisme dans l'Église. D'un
point de vue secondaire, il est aussi une victoire de Constan-
tinople sur Alexandrie. Le résultat en fut que le siège égyptien
se trouvera désormais psychologiquement fort loin de Constan-
tinople et n'aura plus avec elle que de mauvaises relations :
Théophile contre saint Jean Chrysostome, saint Cyrille contre
Nestorius, l'Église monophysite contre l'Église byzantine.

On s'explique, une fois concédée à l'évêque de Constanti-


nople une dignité semblable à celle de l'évêque de Rome,
qu'ait promptement surgi, peut-être à l'imitation des évêques
suburbicaires qui assistaient le pape, ce « synode permanent »
(endémousa), composé de prélats voisins de la capitale, qui,
au début du v8 siècle se réunissent en tribunal pour juger et
condamner leur propre évêque saint Jean Chrysostome.
Il serait exagéré de croire que notre canon affirme que le
primat du siège de Rome était seulement honorifique dans
l'esprit des Pères du concile. Il faudrait des documents plus
explicites pour éclaircir ce problème. Le canon de Constanti-
nople précise que le primat d'honneur de l'évêque byzantin ne
lui donne pas la même dignité qu'à celui de Rome ; c'est dire
que dans le protocole de préséance, l'évêque de Rome vient
avant celui de Constantinople, parce que sa dignité est plus
grande.

En résumé, ce canon est un mauvais précédent : surtout pour


l'organisation ecclésiastique, moins par ses dispositions concrètes
concernant le primat d'honneur du siège de Constantinople dans
tout l'Orient ; il l'est aussi par le principe politique qu'il in
voque. Ce principe devait être plus ou moins suivi d'effet
dans la vie du patriarcat byzantin et le pousserait à diviser en
deux l'Église du Christ.
LES QUATRE CANONS CONCILIAIRES 221

Maxime, prétendant au siège de Constantinople, est un faux


évêque (canon 4).

Ce canon est lui aussi dirigé contre Alexandrie. Il est ainsi


rédigé : « A propos de Maxime le Cynique et des désordres
qui, à cause de lui, se sont produits à Constantinople [nous
déclarons] que Maxime n'a jamais été et qu'il n'est pas évêque,
ni que ceux qu'il a ordonnés à quelque degré du clergé ne
l'ont été ; toute ce qui a été fait à son égard ou qu'il a fait
lui-même est sans valeur. »
Nous avons déjà décrit le cas de Maxime *. Pierre d'Alexan
drie l'avait fait consacrer évêque de Constantinople subrep
ticement en se servant d'évêques égyptiens qu'il avait envoyés
dans la capitale à cette fin. Les autres Orientaux ne voulurent
pas avaliser cette infraction aux canons de Nicée. La juris
prudence canonique d'alors n'opérait pas une distinction claire
entre un acte illicite et un acte invalide. C'est la raison pour
laquelle le canon déclare sans plus que la consécration de
Maxime a été nulle. En conséquence on décidait que les
Ordres conférés ensuite par « le cynique » étaient également
nuls.
Les données qui nous permettraient de comprendre les rai
sons qui poussèrent le siège d'Alexandrie à présenter l'ambi
tieux Maxime à la candidature de Constantinople ne sont pas
très nombreuses. L'homme devait avoir un certain brillant ou
un certain pouvoir de convaincre puisque Grégoire de Na-
zianze en personne n'hésita pas à faire son éloge en un sermon
public, avant d'avoir appris à connaître ses intrigues. Il écrivit
un traité contre les ariens qu'il remit à Milan à l'empereur
d'Occident, Gratien, et ce fut peut-être une des raisons qui
incita saint Ambroise à défendre la cause de Maxime contre
celles de Grégoire de Nazianze et de Nectaire. Le pape Da-
mase lui-même qui, dans deux lettres adressées à Ascolios de
Thessalonique avait commencé par rejeter les prétentions de

* Cf. ci-dessus, p. 164.


222 CONSTANTINOPLE

Maxime, dut plus tard se faire à l'idée d'Ambroise et appuya


le « philosophe ». Il existe une lettre synodale envoyée par des
Occidentaux à la fin de 381 à Théodose, dans laquelle ils se
font l'écho de ses intentions 13B. Mais les Orientaux ayant con
tinué à refuser Maxime et à soutenir Nectaire, comme le
montre le concile de Constantinople de 382, l'Occident finit
par reconnaître la légitimité de Nectaire et par répudier Ma
xime. Il est probable qu'était alors déjà en vigueur la tactique
habituelle au siège de Rome de se ranger du côté d'Alexandrie
dans les procès surgis entre Orientaux.

Il est aussi très probable que l'adoption du 4' canon se


fit au début du concile de Constantinople, avant que l'on pro
cédât à l'élection définitive de l'évêque de la capitale. Après
cette grave censure, la figure curieuse de Maxime s'évanouit
dans l'ombre.

Les canons de Constantinople reflètent, pour ainsi dire,


le travail hétérogène du concile. Le premier, de caractère dog
matique, est excellent par son orthodoxie et son audacieuse
vigueur. Les trois autres accusent une rivalité ouverte entre
Alexandrie et Constantinople et une ambition, mêlée d'inté
rêts politiques, qui tend à élever le siège de la capitale au-
dessus des autres sièges orientaux, et cela pour des raisons qui
ne sont pas religieuses. Un décret lourd de conséquence est le
troisième canon qui, imitant la division de l'Empire en deux
parties, enfonce le coin qui divisera aussi en deux blocs,
oriental et occidental, l'Église du Christ. Peu à peu, et de plus
en plus, on sera persuadé que l'Église orientale, elle aussi, a
« sa Rome », la « nouvelle Rome ».
CHAPITRE V

LE CONCILE DE CONSTANTINOPLE
ACQUIERT
VALEUR ŒCUMÉNIQUE

Silence jusqu'au concile de Chalcédoine (451).


Les Pères du Ier concile « œcuménique » de Constantinople
n'avaient eu ni la conviction ni la prétention d'avoir tenu un
synode universel de toute l'Église, mais tout au plus un
synode des Églises situées en Orient. Un autre synode
se réunit dans la même ville en 382. Dans la lettre
que les Pères du synode envoyèrent alors au pape Damase et
aux principaux évêques de l'Occident *, ils s'excusent de ne
pas venir au concile de Rome où ils ont été invités et auquel
ils ont délégué Cyriaque, Eusèbe et Priscien. Ils parlent ensuite
du premier concile qu'ils avaient célébré l'année précédente
et recommandent une fois encore le symbole de Nicée, for
mulation insurpassable. Ils confessent ensuite leur foi en
l'unique ousia et en la triple hypostasis du Père, du Fils et de
l'Esprit-Saint, et affirment qu'ils ne sont ni avec Sabellius qui
confond les hypostases et néglige leurs propriétés, ni avec les
eunomiens et les ariens qui mettent dans la Trinité une nature
créée et diverse de celle du Père. Pour plus de clarté, ils se
réfèrent à ce qu'a promulgué dans son Tome le synode d'An-
tioche de 379, et « à ce qui a été promulgué l'an dernier à
Constantinople par le synode œcuménique » dans lequel ils ont
Cf. Texte XVI, p. 286.
224 CONSTANTINOPLE

abondamment confessé la foi et où ils ont rédigé un écrit


contre les hérésies récemment apparues. Ceci suppose que les
Pères du Ier concile, ou plus tard ceux du concile de 382, en
voyèrent à Rome une copie du Tome dogmatique. Les mem
bres du synode continuent en disant que, selon Nicée, les
évêques de chaque province, et avec leur permission ceux des
régions frontières, font les ordinations, en se référant proba
blement par ce texte au 2e canon du concile. Ils racontent en
suite, au sujet de la « nouvelle », pour ainsi l'appeler, Église
de Constantinople, maintenant tirée de la gueule du lion arien,
que le synode de 381 a élu à l'unanimité Nectaire et que tout
le clergé et tout le peuple ont approuvé son élection. Pour la
« très ancienne et vraiment apostolique Église d'Antioche », les
évêques de la province et du « diocèse » d'Orient réunis ont
élu canoniquement Flavien avec le consentement de toute
l'Église. Cette ordination légitime a été confirmée par le
concile « œcuménique ». L'évêque de Jérusalem, la « mère de
toutes les Églises », est Cyrille qui a dû lutter beaucoup contre
les ariens. Au début de cette lettre synodale on demande aux
Occidentaux de féliciter, — et en même temps de reconnaître,
— ceux qui furent canoniquement élus par leur province.
Les évêques réunis à Constantinople ne disent pas qu'on
ait envoyé à Rome les écrits dogmatiques du concile « œcu
ménique » dans l'intention de les faire approuver, mais bien
pour les communiquer fraternellement. On n'a donc pas de
trace positive que les canons aient été envoyés. En fait de
ratification positive, la seule chose qui intéresse les évêques
byzantins c'est que l'Occident, y compris Rome, soit en
communion avec Nectaire et Flavien. Ils avaient leurs raisons
d'insister, car Ambroise et Damase étaient, à cette époque,
davantage en faveur de Maxime pour Constantinople et, pour
Antioche, de Paulin, qui, cette même année 382, prit part au
synode romain.
Ensuite, le silence s'étend sur le symbole et les canons du
premier concile « œcuménique » de Constantinople. Silence
impressionnant, à peine rompu par les références que donne
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 225

Théodore de Mopsueste dans ses Homélies catéchétiques, où


figure comme symbole baptismal non pas le symbole de Cons-
tantinople, mais celui de Nicée.
En 428, Nestorius, installé évêque à Constantinople, com
mence à prêcher contre le titre de theotokos (Mère de Dieu)
que l'on attribuait à la Sainte Vierge, ce qui suscite une grande
agitation et un grand scandale. Avant que cette réaction ne
se produise, Nestorius avait écrit au pape Célestin en lui mon
trant clairement le caractère étrange de cette dénomination
mariale qui, à son avis, est contraire au symbole de Nicée. Il
est très notable que lui, l'évêque de Constantinople, ne men
tionne en nulle façon le symbole de Constantinople mais cite
au contraire celui de Nicée. Le même fait se reproduit un
peu plus tard, lorsque la controverse épistolaire éclate entre
Nestorius et Cyrille. L'un et l'autre assurent que leur manière
respective de penser et de parler est conforme à la doctrine
de la foi de Nicée. Notons d'ailleurs que dans les citations
de Nestorius, le symbole de Nicée comporte quelques variantes
qui coïncident avec le texte de Constantinople, à savoir « avant
tous les siècles », « de Marie vierge », « crucifié », « enseveli ».
Nestorius croit très certainement qu'il est en train de citer
fidèlement le symbole des « trois cent dix-huit Pères ». Les
mêmes variantes se trouvent dans le € Nicéen » qu'explique
Théodore de Mopsueste dans ses homélies.
Beaucoup plus important et de bien plus grande significa
tion est le silence qui recouvre le Ier concile de Constantinople
lors du concile œcuménique d'Éphèse, célébré en 431. La
lre session se tient sous la présidence de Cyrille d'Alexandrie,
tandis que Nestorius et ses partisans les plus acharnés refusent
de comparaître et que les antiochiens ne sont pas encore arri
vés, peut-être pour des raisons diplomatiques. Il s'agit d'abord
dans cette session de décider qui est orthodoxe, de Nestorius
ou de Cyrille. Après lecture de la seconde lettre de Cyrille à
Nestorius et de la seconde lettre envoyée par Nestorius à
Cyrille, on lira le symbole de Nicée, afin de pouvoir « déter
miner » quelle est celle des deux lettres qui est d'accord avec
226 CONSTANTINOPLE

le symbole de Nicée, pris comme pierre de touche de l'ortho


doxie dans la foi ? » Du symbole de Constantinople il n'est pas
fait la plus légère mention.

En se fondant sur cette comparaison, le concile d'Éphèse


définit comme orthodoxe la doctrine de Cyrille et comme héré
tique celle de Nestorius. Il y eut cependant des remous à pro
pos du nicénisme des doctrines respectives, lors des négocia
tions qui eurent lieu entre les alexandrins et les antiochiens
et qui sont postérieures au concile d'Éphèse.

Une nouvelle dispute se rallume en 448. Eutychès a sur


l'humanité du Christ, des idées qui ne sont ni claires ni saines.
On le juge et on le condamne la même année dans une session
du « synode permanent » de Constantinople. Rome intervient
et saint Léon rédige son célèbre Tome à Flavien, alors évêque
de Constantinople, dans lequel il blâme Eutychès de ne s'être
conformé ni à l'Écriture ni au symbole. Mais la citation semble
indiquer que le pape se réfère au symbole « des Apôtres >
considéré, par lui comme la formule baptismale que les néo
phytes entendent « dans le monde entier ».
En 449, les évêques se réunissent à Éphèse pour ce qui
aurait pu être un concile authentiquement œcuménique, mais
qui finit en « brigandage ». Eutychès, qui y obtint sa réhabi
litation, y présenta un libellus confessionis qui commence par
le symbole de Nicée.

Le silence continue jusqu'au concile de Chalcédoine, réuni


par l'empereur Marcien en 451 ; si alors est invoqué et lu
le symbole de Constantinople, c'est surtout sur l'initiative des
commissaires impériaux. On a donc l'impression que, jusqu'à
cette époque, le document gisait dans les archives impériales,
parmi les Actes officiels d'un concile que Théodose le Grand
avait convoqué et honoré de sa présence. Et si l'on tient
compte du fait que ni Nestorius ni Eutychès ne se réfèrent à
ce concile, alors qu'ils résidaient dans la capitale même où il
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 227

s'était tenu, on peut en conclure que le symbole de Constan-


tinople n'était effectivement pas entré dans l'usage liturgique
et qu'avant le concile de Chalcédoine il n'était guère connu.
Le décret qu'avait rendu le concile d'Éphèse et qui inter
disait de rien ajouter au symbole de Nicée considéré comme
formule définitive de la foi, avait pu aussi contribuer à faire
tomber tous les autres symboles dans l'oubli.

Le concile de Chalcédoine définit le symbole de Constan-


tinople.

Le concile de Chalcédoine a donc eu, entre autres mérites,


celui d'avoir tiré de la poussière des archives impériales le
symbole de Constantinople, et de l'avoir patronné au point
d'en faire une définition dogmatique. C'est ainsi, en vertu de
l'indéniable cecuménicité du concile de 451, que le symbole
de Constantinople changea de catégorie et devint un symbole
œcuménique qui s'impose à toute l'Église.
Pas plus que pour Éphèse, ce n'est ici le lieu de raconter
toutes les incidences du concile de Chalcédoine*. La seule
chose qui intéresse est de suivre l'histoire du concile de
Constantinople.
Dans la 2e session de Chalcédoine, célébrée le 10 octobre
451, les commissaires impériaux proposèrent aux Pères que,
pour éviter à l'avenir les disputes dogmatiques, on se mette
d'accord sur une formule de foi que tous reconnaîtraient. Il
fallait qu'on sache que l'empereur Marcien comme eux-mêmes,
les juges, soutenaient et croyaient la doctrine « transmise par
les trois-cent dix-huit saints et par les cent cinquante saints,
comme aussi par les autres très saints et très glorieux Pères ».
Les commissaires, et non les évêques, ont ainsi pris l'initiative
de mettre comme base de la foi non seulement le symbole
de Nicée mais encore celui de Constantinople. La réaction des
évêques fut véhémente et négative. On ne composerait en au-

* Voir P.-Th. Camelot, Ephèse et Chalcédoine (HCO 2), 79-182.


228 CONSTANTINOPLE

cime façon de nouvelles formules I Les Pères ont déjà parlé et


on ne saurait rien dire de plus. Cécropius, évêque de Sébasto-
polis, dans le Pont, observe que le pape Léon a déjà écrit sur
Eutychès ; il fait allusion au Tome à Flavien. Les commissaires
insistent pour que l'on forme une commission qui comporterait
les patriarches de chaque « diocèse », avec un ou deux évêques
de chaque province qui seront les uns et les autres les auteurs
du nouveau Credo. Les évêques refusent énergiquement de le
rédiger, alléguant qu'il existe un nouveau canon disant que tout
a déjà été exposé et qu'on n'a nul besoin d'un nouvelle for
mule ; c'est une claire allusion au décret d'Éphèse. Ensuite,
le même Cécropius intervient pour dire que la foi a déjà été
bien exposée par les trois cent dix-huit Pères et par Athanase,
Cyrille, Célestin, Hilaire, Basile, Grégoire et récemment par
Léon, et que, dès lors, il suffit de lire et le symbole de Nicée
et le Tome de Léon. Il est très important de noter que Cécro
pius a omis de mentionner le symbole de Constantinople, que
suggéraient pourtant les commissaires impériaux. Ceux-ci
donnent ordre de lire le symbole de Nicée ; Eunomius, évêque
de Nicomédie, s'acquitte de cet office. La formule nicéenne est
accueillie par des acclamations concordantes et chaleureuses
comme la « foi des catholiques », dans laquelle tous croient
et ont été baptisés, comme la foi de Cyrille et de Léon.

Derechef, sur l'initiative des commissaires, va briller la


lumière du symbole de Constantinople. Sans qu'aucune péti
tion des évêques l'ait réclamé, « les très glorieux juges et
le très magnifique Sénat dit : qu'on lise aussi ce qui a été
exposé par les cent cinquante saints Pères. Aèce, archidiacre de
l'Église de Constantinople, lut alors dans le codex le symbole
des cent cinquante Pères. La sainte foi qu'ont exposée les cent
cinquante Pères concorde avec le saint et grand symbole de
Nicée». La lecture terminée, « tous les révérends évêques
crièrent : c'est la foi de tous ! c'est la foi des orthodoxes ! tous
nous croyons ainsi » 139.
Ensuite et sur l'initiative du même archidiacre Aèce et
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 229

avec la permission des commissaires, on lut deux lettres de


saint Cyrille, la seconde à Nestorius et celle qu'il avait adres
sée, en 433, à Jean d'Antioche et qui porte le titre de Laetentur.
Les deux documents furent accueillis par des acclamations
égales aux précédentes « tous nous croyons ainsi ! », « ainsi
croit le pape Léon ! ». Ensuite, et cette fois sur initiative des
commissaires, on donna lecture du Tome de Léon qui fut
acclamé avec enthousiasme. *

Il convient maintenant de se demander quel motif a pu


amener les commissaires à tirer de l'oubli le symbole de Con-
tantinople et à le faire approuver par toute l'assemblée. Peut-
être ne sera-t-on pas loin de la vérité en pensant que pour la
chancellerie impériale, le symbole de Nicée accepté par Cons
tantin, et celui de Constantinople accepté par Théodose le
Grand, avaient une valeur authentique et étaient considérés
comme des formules tout à fait adaptées pour l'ordre public,
étant donné que la première avait dirimé la controverse
arienne et que la seconde avait liquidé le macédonianisme. Et
comme on le voit au cours de cette même session de Chalcé-
doine, il entrait pleinement dans la politique pratique des
empereurs de trancher des querelles dogmatiques au moyen
de formules concrètes dont la signature garantissait officiel
lement l'orthodoxie.

Lorsque la 5e session du concile fut célébrée le 22, et en


dépît de la résistance obstinée des Pères qui ne voulaient pas
formuler un nouveau symbole, une commission réduite dirigée
par les commissaires impériaux, élabora un décret dogmatique
qui est le morceau le plus important de tout le synode. Le
symbole de Constantinople y est inséré.
Le document commence en affirmant que la paix établie
par Jésus-Christ requiert que personne ne soit en désaccord
* Ces documents sont présentés dans P.-Th. Camelot, Êphèse et
Chalcédoine (HCO 2), Textes I, VII, VIII, p. 191, 211, 216.
230 CONSTANTINOPLE

avec son prochain « dans les dogmes de l'orthodoxie ». Malgré


tout, le diable ne cesse pas de semer la zizanie, pas plus que ne
manquent ceux qui lancent des nouveautés « contre la vérité ».
C'est pourquoi le Seigneur a suscité un empereur très pieux
et très fidèle qui a réuni le concile pour déraciner tout men
songe et donner vigueur aux plantes de la vérité. C'est, disent-
ils, ce que nous avons fait, « en repoussant d'un vote unanime
les dogmes de l'erreur, et en renouvelant la foi infaillible des
Pères, en prêchant à tous le symbole des trois cent dix-huit
Pères et en accueillant comme nôtres les Pères qui ont reçu
ce symbole de la foi, c'est-à-dire les cent cinquante qui
s'étaient réunis dans la grande Constantinople et qui avaient
souscrit à la même foi. Nous gardons donc nous aussi l'ordon
nance et toutes les formules de foi du saint synode qui s'est
tenu jadis à Éphèse, sous l'autorité de Célestin de Rome et de
Cyrille d'Alexandrie, tous deux de sainte mémoire, et nous
décidons de faire briller l'exposé de la foi orthodoxe et irré
prochable des trois cent dix-huit saints et bienheureux Pères réu
nis à Nicée sous l'empereur Constantin de pieuse mémoire, et de
maintenir ce qui a été défini à Constantinople par les cent
cinquante saints Pères, pour supprimer les erreurs qui s'étaient
élevées alors et pour affermir la même foi catholique et apos
tolique qui est la nôtre ». On insère ensuite directement le
symbole de Nicée et le symbole de Constantinople. Puis le
décret dogmatique continue : « ce sage et salutaire symbole
suffirait par la grâce de Dieu à faire connaître parfaitement
et à affermir la vraie foi : il donne en effet un enseignement
parfait sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit et à ceux qui le
reçoivent avec foi il présente l'Incarnation du Seigneur. Mais
puisque ceux qui entreprennent de ruiner l'enseignement de la
vérité ont, par leurs hérésies particulières, mis au jour des doc
trines vaines, les uns osant défigurer le mystère de l'Incarnation
(c économie ») du Seigneur pour nous, et refusant à la Vierge
le nom de Theotokos, les autres introduisant mélange et
confusion, imaginant follement que la chair et la divinité ne
sont qu'une seule nature, et supposant monstrueusement qu'à
VALEUR ŒCUMENIQUE 231

cause de ce mélange, la nature divine du Fils unique est


capable de souffrir, — pour cela, voulant fermer la porte à
toutes leurs machinations contre la vérité, le saint et grand
Concile œcuménique ici présent, enseignant la doctrine iné
branlable prêchée depuis le commencement, a décidé avant
tout que la foi des trois-cent-dix-huit Pères doit rester en
dehors de toute atteinte. Et il confirme aussi l'enseignement
donné plus tard sur l'essence de l'Esprit par les cent cinquante
Pères réunis dans la ville impériale à cause des pneumato-
maques : ils faisaient connaître à tous qu'ils ne voulaient rien
ajouter à l'enseignement de leurs prédécesseurs, comme s'il y
manquait quelque chose, mais ils exposaient clairement leur
pensée sur l'Esprit-Saint, par les témoignages de l'Écriture,
contre ceux qui tentaient de rejeter sa Seigneurie ...» Le
document continue en qualifiant les lettres de Cyrille d' « in
terprétation » authentique du symbole, et le Tome de Léon
de « colonne contre les dogmes pervers ». Puis il définit
en un nouveau symbole la doctrine qui concerne les natures et
la personne du Christ, objet de la controverse présente. Le do
cument solennel se termine ainsi : « Tout ceci ayant été fixé et
formulé par nous avec toutes les précisions et l'attention pos
sibles, le saint et œcuménique Synode a décidé qu'il n'est
permis à personne de professer, de rédiger, de composer une
autre formule de foi, ou de l'enseigner à d'autres. Quant à
ceux qui oseraient composer une autre foi, ou proposer, ensei
gner ou transmettre un autre symbole à ceux qui désirent se
convertir de l'hellénisme, du judaïsme ou d'une hérésie quel
conque à la connaissance de la vérité, ceux-là, s'ils sont évêques
ou clercs, ils sont exclus, les évêques de l'épiscopat, les clercs
de la cléricature ; s'il sont moines ou laïcs, ils sont anathèmes. »

Les Pères de Chalcédoine ont-ils voulu définir comme


dogme le symbole de Constantinople ? Les phrases que nous
avons citées, confirmées par tout ce qui s'est dit à la 2e session
déclarent clairement que comme critère d'orthodoxie et for
mule de foi catholique qu'on doit professer, l'autorité par ex
232 CONSTANTINOPLE

cellence est le symbole de Nicée auxquelles doivent s'ajuster


toutes les autres formules. Le symbole de Nicée est la défini
tion authentique de la foi chrétienne, et en un certain sens
il la dit toute entière. On peut lire entre les lignes le souci
d'observer le décret d'Éphèse qui recommande de ne pas
altérer le symbole de Nicée. Toute cette prééminence du
symbole de Nicée n'empêche pas que les Pères décident qu'on
maintiendra en vigueur celui de Constantinople dont l'effica
cité pour supprimer toutes les racines d'hérésies est proclamée,
ainsi que son caractère de € confirmation » de la foi catholique.
Le symbole de Constantinople confirme le symbole de Nicée,
qu'il inclut presque entièrement. En se référant aux deux
symboles récemment transcrits, les Pères déclarent que de
vraient suffire des symboles si sages et si salutaires de la
grâce divine pour le plein consentement (Nicée ?) et la pleine
confirmation (Constantinople ?) de l'orthodoxie, puisqu'ils
donnent un enseignement parfait sur la Trinité et également
sur l'Incarnation. Les nouvelles erreurs ayant malgré tout
surgi. Les Pères procèdent à une nouvelle définition en décré
tant qu' « avant tout demeure » la foi de Nicée et que « soit
confirmée la doctrine » donnée par le concile de Constanti
nople sur l'Esprit-Saint contre les pneumatomaques, doctrine
qui n'indiquait pas une lacune dans le symbole de Nicée, mais
qui se présentait comme une « explication » de celui-ci. Nous
avons déjà vu qu'en fait l'élément original et nouveau dans le
symbole de Constantinople est constitué par les incises qui
proclament la divinité du Saint-Esprit. Le reste, c'est dans sa
plus grande partie le symbole de Nicée, les expressions du
symbole « des Apôtres » ou cette phrase dirigée contre le mar-
cellianisme qui est tirée de l'Écriture. Bien entendu, pour les
Pères de Chalcédoine, le symbole de Nicée sera toujours la
pierre de touche et la mesure officielle de l'orthodoxie, mais
les expressions qui accompagnent la citation du symbole de
Constantinople font apparaître que ce symbole aussi exprime
la foi catholique en éclairant ce qui a trait à l'Esprit-Saint et en
confirmant ce qui a déjà été défini à Nicée.
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 233

C'est ce qui permet de dire que les Pères voulurent définir


comme dogme de foi le symbole de Constantinople. Ce para
graphe qui interdit de formuler « une autre foi » que celle
proclamée dans le décret, quel sens et quelle importance
a-t-il ? Il vient immédiatement après le nouveau symbole de
Chalcédoine. Se rapporte-t-il seulement à celui-ci ? On ne
peut le croire, car avant tout c'est le symbole de Nicée au
quel on ne peut toucher. Mais nous croyons volontiers qu'il
embrasse tout le décret et les documents qui y sont inclus
avec la force d'approbation qu'on lui attribue. On ne peut
concevoir cette inaltérabilité en un sens purement littéral,
lorsque ces mêmes Pères, dans ce même décret confirment le
symbole de Constantinople, qui est le symbole de Nicée en
richi d'autres éléments, et rédigent un symbole nouveau qui
est pourtant composé d'éléments pris dans des documents
antérieurs. Il s'agit dès lors, si nous ne voulons pas supposer
de graves contradictions dans l'attitude des Pères du concile,
d'une inaltérabilité idéologique, dogmatique.

Les délégués romains, suivis par quatre cent quarante-six


Pères, signèrent le décret dogmatique que Marcien avait aussi
approuvé. Il y eut ensuite d'autres sessions et en l'une d'elles,
plus que douteuse en sa légitimité, on approuva le 28' canon
sur la prééminence du patriarcat de Constantinople. Léon le
Grand reçut et étudia à loisir les Actes du concile. A la fin,
dans une lettre du 21 mars 453, il écrivait officiellement :
« Je n'en doute pas, tous mes frères savent que j'ai embrassé
de tout mon cœur les définitions du saint Synode qui a été
célébré dans la cité de Chalcédoine pour confirmer la foi,
car il n'eût pas été raisonnable qu'après m'être lamenté de
ce que l'unité de la foi catholique avait été troublée par les
hérésies, je ne me réjouisse pas plénièrement de ce qu'elle
avait été rétablie complètement137. Cette confirmation du
pape concerne ce qui est dit « dans la seule question de la
foi », puisque Léon faisait en pratique de graves réserves sur
ce qui avait été décrété dans le 28e canon.
234 CONSTANTINOPLE

Divers faits significatifs advenus postérieurement confirment


la valeur de dogme défini que le symbole de Constantinople
reçut du concile de Chalcédoine. Le Decretum Gelasianum,
de la fin du V siècle, met le Ier concile de Constantinople parmi
les « œcuméniques », non pas certes pour ses canons, qui n'ont
pas été confirmés, mais pour sa foi qui a été solennellement
approuvée à Chalcédoine. Le symbole de Constantinople fut
lu et invoqué comme critère d'orthodoxie au VIe concile œcu
ménique, le IIP de Constantinople, et au IIe concile de Nicée.
Un autre argument en faveur de l'œcuménicité du symbole
de Constantinople et de son équivalence, comme définition, à
celui de Nicée, est fourni par le fait que ce Symbole est entré
dans les liturgies comme Credo officiel de l'Église*.
Très significatif est ce que déclare Jean de Biclar, selon
lequel l'empereur Justin II, dans la première année de son
gouvernement (567 ?), décida que dans la messe grecque on
réciterait, à la place du symbole de Nicée, celui de Constanti
nople 138. L'usage de réciter en toute occasion le symbole de
Nicée était en vigueur par suite d'un décret de Timothée de
Constantinople (512-518) ; auparavant on ne le récitait que le
dimanche de la Passion et le Vendredi-Saint pour les catéchu
mènes présents. A la suite de cette initiative, et se souvenant
de l'expérience personnelle qu'il avait eue à Byzance, saint
Léandre, au concile de Tolède de 589, introduisit la même
coutume dans le rite mozarabe, coutume qui se répandit en
suite dans les autres régions de l'Occident. Les Arméniens le
récitèrent avec de légères variantes à partir du début du
vu* siècle et parfois même dès le milieu du vr3. Le nestorien
Narsai de Nisibe connaît dans sa Messe, au début du vr3 siècle,
un symbole de Constantinople qui comporte des gloses. En
revanche, il n'y a rien d'étrange à ce que les jacobites, si
rebelles au concile de Chalcédoine, aient gardé le symbole
de Nicée sans le remplacer par celui de Constantinople. On

* Voir J. M. Hanssens, lnstUution.es Liturgicae de ritibus orientalibus,


III 2, Roma, 1932.
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 235

doit penser que les coptes firent de même pour de semblables


raisons.
La prédominance du symbole de Constantinople dans l'usage
liturgique, ainsi acquise en partie aux dépens du symbole de
Nicée, peut s'expliquer. Le symbole de Constantinople contient
le symbole de Nicée et il exprime plus complètement les
principaux dogmes de la foi chrétienne. Aucun chrétien ne
manquera aujourd'hui de reconnaître que le symbole de Cons
tantinople, en usage dans presque toutes les communautés, —
catholiques, orthodoxes, anglicanes, etc. —, est la formule la
plus universellement acceptée du dogme chrétien. Catholiques
aussi bien qu'orthodoxes, nous la considérons comme une
stricte définition dogmatique de l'Église. Lorsque les Pères de
Constantinople le promulguèrent, il ne pouvait avoir cette
valeur puisque ces Pères n'avaient pas l'autorité pour définir
un dogme. Il l'acquit en revanche par l'autorité du magistère
épiscopal dans l'acte extraordinaire du concile œcuménique de
Chalcédoine qui avait été célébré et confirmé avec le plein
accord du siège romain.

Difficulté dans Tapprobation des canons.

Le lecteur comprendra que, des quatres canons de Constan


tinople, le premier ne pouvait se heurter à des obstacles pour
son acceptation puisqu'il condamnait les hérésies récentes,
pas plus que le second qui confirmait les limitations de Nicée
imposant aux évêques de ne pas exercer leurs fonctions hors
des « diocèses » ; pas plus même que le quatrième qui décla
rait invalide la consécration de Maxime, que l'Orient finit lui
aussi par abandonner à son malheureux sort. Mais le troisième
canon, avec ses motivations aussi périlleuses qu'ambitieuses,
Rome ne pouvait absolument pas l'admettre.
Au concile de Chalcédoine encore, trente canons furent ré
digés et approuvés par la signature de quelques deux cents
évêques. Les délégués romains et les commissaires n'assis
236 CONSTANTINOPLE

taient pas à la session, peut-être parce qu'ils étaient informés


de ce qui se tramait. Le 28e de ces canons adoptait le troi
sième canon de Constantinople, l'approuvait et en s'appuyant
sur lui augmentait davantage encore l'autorité du siège byzan
tin. Jusqu'alors, c'était la première place d'honneur après le
siège de Rome qui lui avait été conférée ; maintenant, son
patriarche se réservait de consacrer les exarques, ou les
évêques des capitales des diocèses d'Asie (Éphèse) et du Pont
(Césarée de Cappadoce), tout comme les métropolitains des
mêmes diocèses et de la Thrace. Le moment avait été oppor
tunément choisi, les Romains étant absents de cette session,
ainsi que Thalassius, évêque de Césarée de Cappadoce ; quant
au siège d'Éphèse, il n'était pas représenté non plus, son
évêque n'ayant pas encore fait l'objet d'une élection. Au début
de la séance, une dispute éclata dans une autre session entre
les légats romains et les Orientaux en présence des commis
saires. Les Orientaux lurent les quatre canons de Constanti
nople, à quoi les légats romains répondirent que ces décrets
ne figuraient pas parmi les « canons synodaux », ce qui
revenait à les déclarer invalides. Et, sur le champ, les envoyés
du pape manifestèrent leur énergique opposition, aussi bien
contre le 3e canon de Constantinople que contre le 28* de
Chalcédoine qui n'était autre qu'une nouvelle édition, augmen
tée, du précédent.
Saint Léon en personne devait écrire plus tard au patriarche
byzantin Anatole, pour lui dire, au sujet du 3e canon, que ce
fragment « composé par quelques évêques » n'avait jamais
été notifié au siège de Rome139. Ce qu'assure Eusèbe de
Dorylée n'est donc pas certain, quand il dit que lui-même, à
Rome, avait informé saint Léon du 3e canon et que celui-ci
ne l'avait pas rejeté. Ce qui est plus probable, c'est que le
pape, qui ne savait pas le grec, n'avait même pas pris connais
sance du contenu ou de l'origine de ce canon. Même attitude
de refus lorsque saint Léon écrit à Pulchérie. Dès lors, il n'y
a rien d'étrange à ce que le pape Félix III, écrivant en 485
aux moines de Constantinople, n'ait pas mis dans la liste des
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 237

conciles universels celui de Constantinople li0. En revanche, il


figure dans le décret de Gélase, son successeur immédiat.

Saint Grégoire le Grand était plus précis lorsque, au début


du vit3 siècle, il écrivait que l'Église romaine n'avait ni reçu ni
approuvé jusqu'alors les canons de Constantinople ; que ce
qu'elle avait approuvé était la définition qu'il portait contre
Macédonius 141. Ce qui n'empêcha pas que Grégoire lui aussi,
imitant ses successeurs Vigile et Pelage II, mettra le concile
de Constantinople au nombre des conciles œcuméniques.
On pourrait avoir l'impression que finalement Rome admit
le 3e canon et cela en 1215 au IVe concile de Latran 142. Mais
a priori, il est vraiment peu probable qu'après le schisme
byzantin et après avoir vu les effets pernicieux du 28e canon
de Chalcédoine, fils naturel du 3e canon de Constantinople,
le siège romain ait approuvé sans plus ce dernier. Voici ce
que nous lisons exactement dans les actes de ce XIIe concile
œcuménique : « Renouvelant les antiques privilèges des sièges
patriarcaux, avec l'approbation du saint synode œcuménique,
nous décrétons qu'après l'Église romaine, qui par disposition
du Seigneur a la primauté de puissance ordinaire sur toutes
les autres, comme mère et maîtresse de tous les chrétiens,
l'Église de Constantinople tient le premier rang, l'Église d'Alex
andrie, le second ; l'Église d'Antioche, le troisième ; l'Église
de Jérusalem, le quatrième, la dignité propre de chacune
d'entre elles étant sauve ». Chacun des patriarches recevra
le pallium des mains du pape après avoir prêté serment de
fidélité et d'obéissance. Dans ce décret, qui proclame de ma
nière si claire le primat romain de juridiction sur les pa
triarches orientaux, on trouve effectivement quelque chose du
contenu du 3e canon, à savoir que le patriarche byzantin a la
préséance sur ceux d'Alexandrie et d'Antioche ; mais on n'y
retrouve pas le dard empoisonné du principe politique qu'il
exprimait. Ce principe, ni Rome ni l'Église ne pouvaient l'ad
mettre sous peine de trahir leurs propres principes. En re
vanche, l'ordre de préséance, une fois sauf le primat romain,
238 CONSTANTINOPLE

était un fait qui dépendait de l'Église elle-même. Il est impor


tant de noter que lorsque le canon du concile de Latran parlait
du patriarche byzantin, un empereur et un patriarche latins
s'étaient déjà installés à Constantinople, occupée en 1204 par les
Croisés. En outre, lorsque cette déclaration fut faite il y avait
déjà bien des siècles que jouait ce que nous pourrions appe
ler le droit coutumier en faveur de la primauté de Constanti
nople en Orient. Sans vouloir nier absolument l'influence dans
ce fait de la montée du siège de Byzance, il faut aussi se
rappeler qu'Alexandrie et Antioche passèrent d'une manière
décisive au monophysisme, et comment plus tard l'invasion
arabe les rendit prisonnières, ainsi que Jérusalem. Il était
évident pour tous les Occidentaux, plusieurs siècles avant le
schisme byzantin, que le siège principal de l'Orient était Cons
tantinople, sans que cela put être considéré comme un argu
ment en faveur du 3e canon.

Comment a-t-on pu considérer comme œcuménique un con


cile qui ne Ta pas été?

Nous nous trouvons devant un fait singulier. L'Église a


rangé au nombre des conciles œcuméniques le Ier concile de
Constantinople, qui ne l'a pas été. Cette correction juridique
n'a pas été le fait de l'ignorance, car il était clair à la fin
du ve siècle que le synode célébré sur l'initiative de Théodose
le Grand avait eu un caractère limité, puisque seuls y avaient
été invités les évêques de l'Empire oriental. Ni Rome, ni les
autres évêques occidentaux ne s'y trouvaient présents.
Cette « œcuménisation » postérieure n'a pas non plus été
un acte illégal et arbitraire, pour peu que l'on comprenne
bien son aspect juridique. L'intention de l'Église n'a pas été,
et n'a pas pu être, de déclarer que le concile de Constantinople
remplissait historiquement les conditions requises pour un
concile œcuménique, entre autres celle de comporter des repré
sentations de toute l'Église, et notamment du siège de Rome
appelé à le présider et à le confirmer. Aucune déclaration
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 239

postérieure ne saurait détruire l'histoire telle qu'elle s'est dé


roulée.
Dès lors, l'insertion du concile de Constantinople parmi
les conciles œcuméniques a une portée juridique mais non
exactement historique. Cette espèce de sanatio in radiée
du synode byzantin a eu pour objet la reconnaissance de la
valeur universelle et œcuménique de son œuvre pour toute
l'Église. Non pas de toute son œuvre, il est vrai ; car on a vu
l'opposition systématique de Rome à son 3e canon. Dans
l'œuvre de ce concile, ce dont on a déclaré la valeur œcumé
nique et la qualité de définition dogmatique a été son sym
bole, et spécialement tout ce qu'il a proclamé en faveur de
la divinité du Saint-Esprit, niée par les macédoniens.
Cette promotion juridique d'un synode interdiocésain à la
qualité de concile œcuménique, seul pouvait la faire un des
organismes suprêmes de l'Église. En l'occasion, ce fut un con
cile œcuménique légitime, celui de Chalcédoine, célébré léga
lement avec ce caractère et approuvé pour toutes ses décisions
doctrinales par le pape saint Léon. Si le symbole de Constan
tinople n'avait pas été élevé au rang de symbole ou de défini
tion de portée universelle, il n'aurait pas eu valeur pour toute
l'Église ; en d'autres termes, il n'aurait jamais eu que cette
autorité réduite dont il jouissait jusqu'à 451.
Puisque ce fut le concile œcuménique de Chalcédoine qui,
en définissant pour la première fois le symbole de Constanti
nople, lui conféra la qualité œcuménique, comment se fait-il
que la qualité œcuménique ait été aussi attribuée au concile
lui-même, célébré en 381, c'est-à-dire soixante-dix années au
paravant ? Comment se fait-il que l'Église ne se soit pas
contentée de l'œcuménisme du concile de Chalcédoine ? Il est
évident que cet œcuménisme rétroactif donnait finalement
pour base juridique au concile de Constantinople le fait que le
symbole qui a été défini à Chalcédoine avait été promulgué
par les Pères de Constantinople. C'est en ce sens que l'on
pourrait affirmer que l'œcuménisme du Ier concile de Constan
tinople est une fiction juridique qui a pour fondement la défi
240 CONSTANTINOPLE

nition dogmatique de son symbole, ou encore la valeur œcu


ménique qui lui fut donnée pour la première fois dans l'as
semblée de Chalcédoine.
C'est là un cas singulier dans l'histoire du droit ecclésias
tique. Si singulier qu'aucun autre n'a été enregistré dans les
mêmes conditions.

Le premier concile de Constantinople, célébré comme sy


node interdiocésain de l'Empire oriental, est dans la ligne de
Nicée dont il ratifie et complète l'œuvre. Théodose le Grand
fait renaître la politique de Constantin et contribue très effi
cacement au triomphe de l'orthodoxie nicéenne après 40 an
nées au cours desquelles avaient prédominé ariens et semi-
ariens. Le concile de Nicée avait, lui, défini clairement la
divinité du Verbe, mais il avait trouvé en Orient de nombreux
adversaires qui ne voulaient pas accepter certaines de ses
expressions plus frappantes. A ce fond anti-nicéen il faut ajouter
depuis 360 une nouvelle hérésie, celle des macédoniens pneu-
matomaques, qui, tout en acceptant la divinité du Verbe, re
fusaient celle du Saint Esprit en le réduisant à être une créa
ture du Fils. Nicée n'avait rien dit sur ce sujet puisque le
problème lui-même n'existait pas. Ce fut le mérite du concile
de Constantinople — son plus grand mérite indubitablement
— non seulement de ratifier énergiquement la validité du
symbole de Nicée en ignorant la formule semi-arienne —
autant de feuilles mortes ! — mais aussi de promulguer un
nouveau symbole, déjà rédigé probablement auparavant par
saint Épiphane, qui offrait l'avantage de réunir en lui-même
celui de Nicée et le symbole « des Apôtres » et de contenir
des phrases d'inspiration biblique claire par lesquelles on con
fessait la vraie divinité de l'Esprit-Saint, puisqu'on lui attri
buait un nom, une fonction, une origine immanente et un culte
divins.
VALEUR ŒCUMÉNIQUE 241

L'œuvre du synode byzantin a été si énergique, que tout


en n'ayant pas été universel, il donna le coup de grâce à
l'arianisme, que quarante années de liberté et la nouvelle dia
lectique d'Eunomius avaient rendu très fort, et qu'il trancha
absolument le dangereux surgeon du macédonianisme. Les
conciles de Nicée et de Constantinople ont clarifié de ma
nière définitive la théologie de la Très Sainte Trinité.
Cette efficacité bénéfique du Ier concile de Constantinople
sur le terrain dogmatique s'est accrue jusqu'à transformer son
symbole en une authentique définition dogmatique lorsque, au
concile de Chalcédoine, il fût proclamé l'expression sûre de la
foi de Nicée, sa révision et sa confirmation autorisées. Depuis
lors, le symbole de Constantinople ne cesse de trouver un
écho toujours plus grand dans le magistère et dans la liturgie
de l'Église. Et une fois que le symbole a été élevé à la suprême
catégorie de dogme défini et œcuménique, c'est tout le concile
de Constantinople qui figure depuis la fin du ve siècle pour
l'Occident, et avant pour l'Orient, sur la liste des conciles
œcuméniques, par suite d'une fiction juridique aussi intéres
sante qu'exceptionnelle.
Si le mérite du synode byzantin sur le terrain dogmatique
a été aussi excellent, le travail disciplinaire qu'il a fourni et
qui se cristallise dans les quatre canons et dans la solution
donnée aux crises locales de Constantinople et d'Antioche,
mérite un autre jugement. Les élections de Nectaire et de
Mélèce, suivies de celles de Flavien, ne furent pas des modèles
de prudence ni de liberté d'esprit, même si l'on concède que
la situation était un maquis où foisonnaient les difficultés de
caractère personnel et local.
A la charge du concile de Constantinople, on devra bien
inscrire qu'il ait déposé dans son 3e canon le germe du schisme
entre Rome et la « seconde Rome ». La soudaine élévation du
siège épiscopal de Constantinople pour un motif politique de
césarisme, sous lequel fermentait l'ambition de prééminence,
fût un désastre sans précédent pour l'Église orientale. C'était
donner de nouvelles ailes au césaro-papisme des empereurs qui
242 CONSTANTINOPLE

déjà s'était trop prodigué. C'était introduire le jeu politique


dans les relations et les structures de l'Église. De ce 3e canon
naquit spontanément le 28e du concile de Chalcédoine, qui
prépara le milieu et fraya le chemin vers la scission définitive
entre Constantinople et Rome. Le premier accroc dans la tu
nique indéchirable est ce 3e canon de Constantinople.

Avec ses mérites, avec ses échecs, le Ier concile de Constan


tinople est un jalon important dans l'histoire de l'Église. Il
renforce notablement le catholicisme dans l'Empire romain,
non seulement par la proscription du paganisme, mais aussi
par celle des hérésies, de sorte qu'à partir de ce moment il
y aura une unique religion officielle, la religion catholique,
garantie par Nicée et Constantinople. D'un autre côté, l'im
portance et la grandeur de la nouvelle capitale de l'Orient va
engendrer un complexe de supériorité qui envahit les valeurs
propres de l'Église et commence à rejeter dans l'ombre les
privilèges de supériorité de diocèses vénérables par leur origine
apostolique, tels qu'Antioche, Jérusalem et surtout Alexandrie.
La prédominance de Constantinople se réalise principalement
aux dépens de la capitale égyptienne, qui était jusqu'alors la
première en Orient. Le synode byzantin est le premier épisode
de quelque envergure dans le combat que vont se livrer les
deux sièges ; ce combat sera rendu plus facile par la sépa
ration complète qui s'établira entre les deux villes : avant
moins d'un siècle, Alexandrie et avec elle Antioohe prendront
comme cause ou comme prétexte pour la consommer la doc
trine nouvelle du monophysisme.

Il était évident que Constantinople devait monter les degrés


des honneurs ecclésiastiques ; mais pour le faire, elle eût l'idée
discutable de s'appuyer sans vergogne sur le pouvoir politique
profane. L'expérience des jours que nous vivons nous montre
clairement combien faible fut cet appui qui avait pu paraître
inébranlable.
RÉFÉRENCES

1. Eusêbe, H. E. V, 16, 23, 24 ; 14. Philostorge, H. E. I, 7, PG


PG 20, 464 sv, 489 sv, 508; 65, 464 ; GCS 21, 8.
GCS 9/1, 463, 489, 491 ; SC 41, 15. Eusèbe, V. C. III, 6, PG 20,
49, 66, 69. 1060 ; GCS 7, 79. Socrate,
2. Eusèbe, H. E. V, 15 ; PG 20, H. E. I, 8, PG 67, 61. Sozo-
464 ; SC 41, 49. mène, H. E. I, 17, PG 67, 912.
3. Cyprien de Carthage, Ep. 19, Rufin, H. E. I, 1 PL 21,
CSEL II, 526; éd. Bayard 467 ; Gélase de Cyzique, H. E.
(coll. Budé) I, 52. II, 5, PG 85, 1229; GCS
4. Eusèbe, H. E. VI, 43, VII, 4, 28, 44.
8 ; PG 20, 616, 641, 652 ; GCS 16. Eusèbe, V. C. III, 6, PG 20,
9/2, 612, 638, 646 ; SC 41, 153 1060 ; GCS 7, 79.
sv, 168, 173. 17. Mansi XI, 661.
5. Eusèbe, H. E. VII, 30 ; PG 20, 18. Liber Pontificalis I (éd. Du-
709; GCS 9/2, 704; SC 41, chesne) XXXIV, Silvester, Paris,
213 1935, 171.
6. Eusèbe, H. E. VII, 30 ; PG 19. Cf. Athanasius Werke (H. G.
20, 709 ; GCS 9/2, 644 ; SC 41, Opitz) III, 1, 41.
215. 20. Athanase, Apologie contre les
7. Eusèbe, H. E. VII, 29-30, Ariens III, 67, PG 26, 464.
PG 20, 708-721 ; GCS 9/2, 704- 21. Photius, Bibliotheca CXIX, PG
714; SC 41, 213-219. 103, 399; éd. Henry (coll.
8. Alexandre d'Alexandrie, dans
byzant.) II, 72.
Théodoret, H. E. I, 3 ; PG
82, 900; GCS 9/1, 18. 22. Photius, Bibliotheca CXIX, PG
9. Eusèbe, V. C, PG 20, 905- 103, 399; éd. Henry (coll.
1440 ; GCS 7, 1-148. byzant.) II, 92.
10. Optât de Milève, Libri VU, 23. Cf. Athanase, Ep. de sen-
App. III et IV, CSEL 26, tentiis Dionysii, PG 25, 479-
204-208. 522 ; Athanasius Werke III, 1,
11. S. Augustin, Contre Cresconius 46-47.
III, 71, PL 43, 541. 24. Êpiphane, Panarion II, II, 69,3,
12. Eusèbe, V. C. II, 64-72, PG PG 42, 205 ; GCS 37, 154.
20, 1037-1048; GCS 7, 67-71. 25. Alexandre d'Alexandrie, Ep.
13. Eusèbe, V. C. III, 5, PG 20, ad episcopos 1-2, dans Théo
1057-1060 ; GCS 7, 79 sv. doret, H. E. I, 3, PG 82, 889 ;
244 RÉFÉRENCES 26-62

GCS 20, 9 ; Athanasius Werke 46. Eusèbe, V. C. III, 15, PG


III, 1, 6-10. 20, 1072.
26. Épiphane, Panarion II, II, 69, 47. Eusèbe, V. C. IV, 24, PG 20,
3, PG 42, 206-207; GCS 37, 1172 ; GCS 7, 126.
154. 48. Eusèbe, V. C. III, 20-21, PG
27. Sozomène, H. E. 1, 15, PG 20, 1080-1084; GCS 7, 87-88.
67, 906. 49. Socrate, H. E. I, 9, PG 67,
28. Epiphane, Panarion II, II, 69,
78 sv.
6, PG 42, 211 : GCS 37,
156-157 ; Athanasius Werke. 50. Eusèbe, V. C. III, 17-20, PG
III, I, 1-3. 20, 1073-1080 ; GCS 7, 84-87.
29. Ibid. 7-8, PG 42, 214 ; GCS 37, 51. Eusèbe, V. C. IV, 27, PG 20,
157-159 ; Athanasius Werke, 1176 ; GCS 7, 127-128.
III, 1, 12-13. 52. Grégoire le Thaumaturge, Ex-
30. Alexandre d'Alexandrie, Ep. positio fidei, PG 10, 983-
ad Alex., dans Sozomène, 988.
H. E., I, 6, PG 67, 43-51; 53. Athanase, Contre les païens
Athanasius Werke, III, 1, 19- 6, PG 25, 13 ; SC 18, 119.
29. 54. Eusèbe, H. E. I, 2, PG 20, 56 ;
31. Eusèbe, H. E. V, 24, PG 20, GCS 9/1, 12 ; SC 31, 9.
497-503 ; GCS 9/1, 494-496 ; SC 55. Novatien, De Trinitate 15,
41, 70. PL 3, 940; Acta Thomas 47
32. Ibid. SC 41, 69-70. (éd. Lipsius-Bonnet, 2, 164) ;
33. Cf. Eusèbe, H. E., VI, 22, Grégoire le Thaumaturge, Ex-
PG 20, 573 ; GCS 9/1, 568 ; SC positio fidei, PG 10, 984 ;
41, 122. Lactance, Institutions divines
34. De Pascha computus, CSEL IV, 29 (Brandt-Laubmann 392-
III, 3, 248-271. 394) ; Origène, Commentaire
35. Eusèbe, V. C. III, 6, PG 20, du Cantique des Cantiques,
1060 ; GCS 7, 80. Prol. GCS 33, 69.
36. Rufin, H. E. I, 3, PL 21, 469. 56. Athanase, Ep. de sententia
37. Sozomène, H. E. I, 17, PG Dionysii, 20 ; PG 25, 509 ;
67, 914. Athanasius Werke III, 1, 61.
38. Sozomène, H. E., I, 17, PG
57. Basile de Césarée, Ep. 210,
67 913
PG 32, 776; éd. Courtonne
39. Eusèbe,' V. C. III, 10-13, PG
(coll. Budé) II, 195.
20, 1064-1069; GCS 7, 81-84.
40. Eusèbe, V. C. III, 12, PG 20, 58. Grégoire le Thaumaturge, Ex-
1068-1069 ; GCS 7, 82. positio fidei, PG 10, 988.
41. Eusèbe, Ep. ad Caesarienses, 59. Basile de Césarée, Contre
2, PG 20, 1537. Eunomius II, 20, PG 29, 616-
42. Rufin, H. E. I, 5, PL 21, 617.
472. 60. Hilaire de Poitiers, De synodis
43. Philostorge, H. E. I, 10, 81, PL 10, 534.
PG 65, 465 ; GCS 21, 11. 61. Basile de Césarée, Ep. 52, 1,
44. Socrate, H. E. I, 10, PG 67, PG 32, 395, éd. Courtonne (coll.
100-101. Budé) I, 135 et Athanase, De
45. Socrate, H. E. I, 11, PG 67, synodis 45, PG 26, 772-773.
101-104. 62. Eusèbe, Ep. ad Caesarienses
RÉFÉRENCES 63-99 245

7, PG 20, 1541 ; Athanasius 82. Mansi III, 345-353, spéciale


Werke III, 1, 29. ment 350.
63. Athanase, Lettres à Sérapion 83 Socrate, H. E. IV, 32, PG 67,
II, 3, PG 26, 612; SC 15, 552 ; Sozomène, H. E. VI, 40,
150. PG 67, 1416; Théodoret,
64. Athanase, Apologie contre les H. E. IV, 28-30, PG 82, 1192-
Ariens 23 et 25, PG 25, 286, 1193 ; GCS 19, 270-271.
290.
84. Grégoire de Nazianze, Dis
65. Dans Socrate, H. E. IV, 12, cours théologiques, PG 36,
PG 67, 492.
12-172 ; trad. P. Gallay.
66. Dans Sozomène, H. E. VI, 23,
PG 67, 1352 et Théodoret, 85. Athanase, Lettres à Sérapion
H. E. II, 17, PG 82, 1053; III, PG 26, 623-638; SC 15,
GCS 19, 149. 163-174.
67. Damase, Fragmentum H ep. 86. Sozomène, H. E. IV, 27, PG
II, PL 13, 353. 67, 1199.
68. Cf. Mansi, VII, 109. 87. Sozomène, H. E. VI, 11, PG
69. Théodore de Mopsueste, Ho 67, 1320-1321.
mélies catéchétiques I-IX (éd. 88. Athanase, De synodis 8, PG
Tonneau-Devreesse), 3-281. 26, 692 ; Athanasius Werke
70. Mansi II, 470 ; Hefele-Le- III, 1, 235-236.
CLERCQ 1/1, 280. 89. Socrate, H. E. II, 37, PG 67,
71. Eusèbe, V. C. III, 18, PG 20, 305 sv. C'est la troisième for
1074-1075 ; GCS 7, 85-86. mule de Sirmium.
72. Socrate, H. E. I, 9, PG 67, 90. Grégoire de Nazianze, Ep.
81-84. 58, PG 37, 113-114.
73. Théodoret, H. E. I 7, PG 82, 91. Didyme l'Aveugle, Sur TEsprit-
925 ; GCS 19, 37 ; Gélase de Saint, PG 39, 1033-1086.
Cyzique, H. E. II, 31, PG 85, 92. Grégoire de Nysse, Oraison
1320-1336; GCS 28, 112-118; funèbre sur Mélèce, PG 46,
Mansi II, 889-905. 852-864.
74. Eusèbe, V. C. IV, 27, PG 20,
93. Sozomène, H. E. IV, 28, PG
1176 ; GCS 7, 127-128. 67, 1201-1205.
75. Eusèbe, V. C. IV, 23, PG 20,
1083 ; GCS 7, 88-89. 94. Socrate, H. E. V, 5, PG 67,
76. Athanase, Apologie contre les 569.
Ariens 59, PG 25, 357. 95. Théodoret, H. E. IV, 22,
77. Cf. Sozomène, H. E. II, 31, PG 82, 1184; GCS 19, 263-
PG 67, 1024-1025. 264.
78. Grégoire de Nazianze, Dis 96. Socrate, H. E. V, 5, PG 67,
cours 29, PG 35, 1116. 569-572 ; Théodoret, H. E. V,
79. Jérôme, Dialogue contre les 3, PG 82, 1200-1201 ; GCS 19,
Lucifériens 19, PL 23, 181. 279, 282.
80. Grégoire de Nazianze, Poèmes 97. Sozomène, H. E. VII, 3, PG
v. 1546-1949, PG 37, 1136- 67, 1421.
1166; trad. P. Gallay, 91-114. 98. Jérôme, Ep. 15, PL 22, 357 ;
81. Théodore de Mopsueste, Ho éd. Labourt (coll. Budé) I,
mélies catéchétiques (éd. Ton 47-48.
neau-Devreesse). 99. Codex Théodosien, XVI, 1, 2.
246 RÉFÉRENCES 100-142

100. Théodoret, H. E. V, 6, PG cours théologique V, 8, PG


82, 1205-1208 ; GCS 19, 285. 36, 141 ; trad. P. Gallay, 183.
101. Socrate, H. E. V, 7, PG 67, 120. Ibid. 10, PG 36, 144 ; trad.
573-574. P. Gallay, 184-185.
102. Théodoret, H. E. V, 7, PG 121. Ibid 11, PG, 36, 145; trad.
82, 1208 ; GCS 19, 286. P. Gallay, 186.
103. Grégoire de Nazianze, Poè- 122. DZ 691 ; trad. FC 227.
mes v. 1680 sv., PG 37, 123. Basile de Césarée, Sur
1145-1146 sv ; trad. P. Gallay, TEsprit-Saint I, PG 32, 72 ;
101. SC 17 109.
104. Grégoire de Nazianze, Ho- 124. Ibid. 24, PG 32, 171 ; SC 17,
mélie « Supremum vale », PG 216.
36, 481-489. 125. Ibid. 26, PG 32, 185 ; SC 17,
105. Sozomène, H. E. VII, 8, PG 230-231.
67, 1433-1436. 126. Grégoire de Nazianze, Dis
106. Codex Théodosien, XVI, 1, 3. cours théologique V, 12, PG
107. Théodore de Mopsueste, Ho 36, 145 ; trad. P. Gallay, 188-
mélies catéchétiques IX (éd. 189.
Tonneau-Devreesse), 215, 217, 127. Ibid. 28, PG 36, 165; trad.
237 P. Gallay, 213.
108. Ibid. X, 257, 263, 269, 277. 128. Ibid. 26, PG 36, 161-164;
109. Mansi III, 570. trad. P. Gallay, 209-210.
110. Irenee, Adversus haereses IV, 129. Athanase, Lettres à Séra
24-25, PG 7, 1083-1087 pion III, 5-6, PG 26, 631-634 ;
(Harvey, LVI-LVII, 269-276). SC 15, 170-171.
111. Origene, De principiis I, 4, 130. Socrate, H. E. V, 8, PG
PG 11, 117-118; GCS 22 67, 576-581.
(Koetschau), 9-11. 131. Sozomène, H. E. VII, 9,
112. Basile de Césarée, Contre PG 67, 1436-1440.
Eunomius III, 2, PG 29, 132. Socrate, H. E. V, 9, PG
659. 67, 581.
113. Basile de Césarée, Sur 133. Grégoire de Nazianze, Dis
TEsprit-Saint, 56-57, PG 32, cours 42, 10, PG 36, 469.
173; SC 17, 217-218. 134. Ibid. 36, 12, PG 36, 280.
114. Ibid., 21, PG 32, 166 ; SC 17, 135. Ambroise de Milan, Ep. 13,
208, 210. PL 16, 990-993.
115. Basile de Césarée, Contre 136. ACO II, I, 2, 80-81.
Eunomius III, 4, PG 29, 137. Léon le Grand, Ep. 114, PL
663. 54, 1027-1028; ACO II, iv,
116. Basile de Césarée, Sur 70.
TEsprit-Saint, 56-57, PG 32, 138. Jean, abbé de Biclar, Chro-
173 ; SC 17, 217-218. nicon, PL 72, 863.
117. Grégoire de Nazianze, Dis- 139. Léon le Grand, Ep. 106, 5,
cours théologique V, 29, PG PL 54, 1005-1007 ; ACO II, rv,
36, 168 ; trad. P. Gallay, 216. 61.
118. Athanase, Lettres à Sérapion 140. Mansi VII, 1140.
I, 27, PG 26, 594; SC 15, 141. Grégoire le Grand, Ep. 34,
132. PL 77, 893.
119. Grégoire de Nazianze, Dis- 142. Mansi XXII, 989-992.
TEXTES
I

LETTRE D'ALEXANDRE D'ALEXANDRIE


AUX ÉVÊQUES *
(vers 319)

Aux chers et très vénérés collègues de l'Église


partout catholique, Alexandre, Salut dans le
Seigneur.

Le corps de l'Église catholique étant un et le commandement


des Saintes Écritures prescrivant de garder le lien de la concorde
et de la paix [Eph 4, S], il est bon de nous écrire et de nous
avertir les uns les autres de ce qui se produit chez ohacun, pour
que, si un membre souffre ou s'il se réjouit, nous puissions à notre
tour souffrir ou nous réjouir avec lui [1 Co 12, 26]. Dans notre
diocèse se sont donc récemment dressés des hommes mauvais,
ennemis du Christ, qui enseignent une apostasie qu'on pourrait
justement considérer et qualifier de signe avant-coureur de l'Anti-
Christ. Je voulais ensevelir le fait dans le silence pour que le mal
pût se résorber uniquement entre les apostats, de peur que, pas
sant en d'autres lieux, il ne souille les oreilles des simples. Mais
puisqu'Eusèbe, celui qui est maintenant à Nicomédie et qui ipense
que les affaires de l'Église dépendent de lui, après avoir quitté
l'église de Béryte pour usurper celle de Nicomédie sans que per
sonne ne l'en punisse, protège ces apostats et a entrepris d'écrire
de tous côtés pour entraîner les ignorants dans la dernière des
hérésies, si hostile au Christ, j'ai jugé nécessaire, sachant ce qui est
écrit dans la Loi, de ne plus me taire davantage et de vous infor
mer tous, pour que vous connaissiez les apostats et les expressions
lamentables de leur hérésie. Ainsi, au cas où Eusèbe écrirait, vous
ne tiendriez nul compte de lui. Dans son désir de renouveler par
eux son ancienne malignité que le temps avait recouvert de silence,
il se donne les allures de celui qui écrit en leur faveur, mais en
* Socrate, H.E. I, 5, PG 67, 44-52 ; H. G. Opitz, Athanasius Werke I,
3, 6-11 ; trad. G. Dumeige.
250 TEXTES

réalité il montre, en agissant ainsi, que c'est pour lui qu'il travaille.
Voici donc ceux qui sont apostats : Arius, AchiUas, Aithales, Car-
pon, un autre Arius, Sarmate, Euzoïus, Lueius, Julien, Menas, Hel-
ladius, Gaius, et avec eux Second et Théonas, autrefois appelés
évêques. Et voici ce qu'ils imaginent de dire contrairement aux
Écritures : Dieu n'a pas toujours été Père, mais il y a eu un temps
où Dieu n'était pas Père. Le Verbe de Dieu n'a pas toujours été,
mais il a été créé du néant. En effet, le Dieu qui est a fait celui
qui n'est pas du néant. C'est pourquoi il y a eu un temps où il
n'était pas. Le Fils est une créature et une œuvre. Il n'est pas
semblable, selon la substance, au Père ; il n'est ni en vérité ni par
nature le Verbe de Dieu, ni sa vraie Sagesse, mais il est une des
œuvres et des créatures. C'est abusivement qu'on l'appelle Verbe
et Sagesse : il existe lui aussi par le propre Verbe de Dieu et par
la Sagesse qui est en Dieu, en qui Dieu a fait toutes choses et lui
aussi. C'est pourquoi il est, de nature, sujet au changement et à
l'altération, comme tous les êtres raisonnables. Le Verbe est étran
ger à Dieu et en diffère et il est tout à fait séparé de la substance
de Dieu. Le Père est indicible pour le Fils. Le Fik ne connaît pas
parfaitement ni exactement le Père et il ne peut le voir parfaite
ment. Et même le Fils ne connaît pas quelle est sa propre subs
tance. II a été fait pour nous, afin que Dieu nous crée par lui,
comme par un instrument. Et il n'aurait pas existé si Dieu n'avait
pas voulu nous créer. Quelqu'un leur ayant demandé si le Verbe
de Dieu pouvait être changé comme l'a été le diable, ils n'ont pas
craint de dire : « Oui, il le peut ». Sa nature est en effet sujette
au changement puisqu'il peut être engendré et qu'il est sujet au
changement.
Nous, avec les évêques d'Egypte et de Lybie, réunis au nombre
d'une centaine, nous avons condamné les partisans d'Arius qui
proféraient ces affirmations en toute impudence, eux et tous ceux
qui sont avec lui. Ils ont été accueillis par Eusèbe et se sont em
ployés à mêler le mensonge à la vérité, l'impiété à la piété. Mais
ils ne l'emporteront pas. La victoire est à la vérité et il n'y a
pas de communauté entre la lumière et les ténèbres, pas d'accord
entre le Christ et Bélial. Qui a jamais entendu pareilles choses ?
Qui, maintenant qu'il les entend, ne bouchera pas ses oreilles pour
empêcher d'y parvenir ces ignobles paroles ? Qui, en entendant
Jean dire : «Au commencement était le Verbe» [Jn 1, 1] ne
condamnera pas ceux qui disent : « Il fut un temps où il n'était
pas » ? Qui encore, entendant ces mots de l'Évangile « Fils unique
de Dieu» [Jn 1, 3] et «Par lui tout a été fait» [Jn 1, 18], ne
haïra pas ceux qui affirment que le Fils est une des créatures ?
ALEXANDRE AUX ÉVÉQUES 251
Comment peut-il être égal à ce qui a été fait par lui ? Comment
peut-il être Fils unique, celui que l'on range avec toutes les
choses, dans leur catégorie ? Comment viendrait-il du néant alors
que le Père dit : « Mon cœur a produit une bonne Parole »
[Ps 45, 2] et « De mon sein, avant l'aurore, je t'ai engendré »
[Ps 106, 3] ? Comment serait-il en sa substance dissemblable du
Père, lui qui est l'image parfaite et la splendeur du Père [2 Co 4, 4 ;
He 1, 3] et qui dit : « Qui me voit, voit le Père » [Jn 14, 9] ?
Comment, si le Fils est le Verbe et la Sagesse du Père, y eut-il un
temps où il n'était pas ? C'est comme s'ils disaient qu'il y eut un
temps où Dieu fut sans Parole et sans Sagesse. Comment est sujet
au changement et à l'altération celui qui dit de lui-même : « Je
suis dans le Père et le Père est en moi » [Jn 10, 38] et « Moi et le
Père, nous sommes un » [Jn, 10, 30], et qui a dit par le prophète :
« Voyez-moi ; je suis et je ne change pas » [Ml 3, 6] ? Même si
l'on pense que cette parole peut être dite du Père lui-même, il
serait cependant 'plus à propos maintenant de la juger dite du
Christ, parce que devenu homme, il ne change pas, mais, comme
dit l'Apôtre « Jésus-Christ hier et aujourd'hui, le même à jamais »
[He 13, 8]. Qui les pousse à dire que c'est pour nous qu'il a été
fait, alors que saint Paul dit : « Pour lui et par lui toutes choses
existent » [He 2, 10] ? Quant à leur affirmation blasphématoire
que le Fils ne connaît pas parfaitement le Père, on ne saurait s'en
étonner. Car une fois qu'ils se sont décidés à combattre le Christ,
ils méprisent aussi les paroles du Seigneur lui-même qui dit :
« Comme le Père me connaît, je connais aussi le Père » [Jn 10, 15].
Si donc le Père ne connaît que partiellement le Fils, il est évident
que le Fils ne connaît que partiellement le Père. S'il n'est pas permis
de parler ainsi et si le Père connaît parfaitement le Fils, il
est évident que, comme le Père connaît son Verbe, le Verbe
connaît aussi son Père. En disant cela et en déployant les Saintes
Écritures, nous les réfutons souvent. Mais ils changent de nouveau
comme des caméléons, cherchant à s'approprier ce que dit l'Écri
ture : « Quand l'impie en est venu au plus profond du mal, il est
méprisant [Prov. 18, 3]. Bien des hérésies, certes, se sont produites
avant eux ; plus audacieuses qu'il ne convenait, elles sont tombées
dans la démence. Mais ceux-ci, en s'efforçant de renverser par
toutes leurs paroles la divinité du Christ, les ont justifiées autant
qu'ils ont pu, en étant plus proches de l'Anti-Christ. C'est pour
cette raison qu'on les a déclarés retranchés de l'Église et frappés
d'anathème. Leur perte nous afflige, certes, surtout parce qu'ils
rejettent aujourd'hui la doctrine de l'Église qu'ils avaient autrefois
apprise, mais elle ne nous étonne pas. Ce malheur est arrivé à
252 TEXTES

Hyménée et à Philete, [2 Ti 2, 17] et, avant eux, Judas, après


avoir suivi le Sauveur, l'a ensuite trahi et abandonné. Sur eux,
les prémonitions ne nous ont jamais fait défaut. Car c'est le Sei
gneur qui a dit : « Prenez garde qu'on ne vous séduise. Beaucoup
viendront en mon nom disant : c'est moi et le temps est proche.
Ils en induiront beaucoup en erreur. Ne les suivez pas » [Mt 24, 4] .
Et Paul, qui l'a appris du Sauveur, écrit : « Dans les derniers temps,
certains renieront la saine foi, pour s'attacher à des esprits d'er
reur et à des doctrines diaboliques [I Ti 4, 1] détournant de la
vérité ». Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ayant fait lui-
même cette recommandation et l'ayant expliquée à leur sujet par
l'Apôtre, c'est avec raison que nous nous avons, comme nous le
disions, prononcé l'anathème contre ces hommes dont nous avons en
tendu nous-mêmes l'impiété et que nous les avons déclarés étrangers
à l'Église catholique et à la foi. Nous en informons Votre Piété,
compagnons de ministère aimés et très vénérés, pour que vous ne
receviez aucun d'eux, s'ils venaient vous trouver, et pour que vous
ne croyiez ni Eusèbe ni personne qui écrirait en leur faveur. Nous
qui sommes chrétiens, nous devons nous détourner de tous ceux
qui parlent ou pensent contre le Christ : ce sont des ennemis de
Dieu, des corrupteurs des âmes, et ne pas même échanger avec
eux un salut, pour n'avoir jamais part à leurs crimes, comme le
bienheureux Jean nous l'ordonne.
Saluez les frères qui sont avec vous. Ceux qui sont avec nous
vous saluent.

II

PROFESSION DE FOI D'ARIUS ET DE SES


COMPAGNONS A ALEXANDRE D'ALEXANDRIE*
(vers 320)

A notre bienheureux pape et évêque, les


prêtres et les diacres, salut dans le Seigneur.

La foi que nous avons reçue de nos ancêtres et que nous avons
apprise de toi, très bienheureux père est celle-ci : nous connaissons
* Athanase, De synodis, 16 PG 26, 708-712 ; Ëpiphane, Panarion,
69, 7, PG 42, 213-216 ; H. G. Opitz, Athanasius Werke, I, 3, 12-13 ;
trad. G. Dumeige.
ARIUS A ALEXANDRE 253

un Dieu seul inengendré, seul éternel, seul sans principe, seul vrai,
immortel, seul sage, seul bon, seul tout-puissant, seul juge, modé
rateur et gouverneur de toutes choses, immuable et sans change
ment, juste, bon, à la fois Dieu de la Loi et des prophètes ainsi
que du Nouveau Testament, qui a engendré avant les temps
éternels son Fils unique, par qui il a fait les siècles et toutes choses.
(Fils) engendré non en apparence, mais en vérité, subsistant par
un effet de sa volonté, immuable et sans changement, créature
parfaite de Dieu, mais non comme une des créatures ; produit,
mais non comme un parmi les choses produites ; non pas, comme
l'affirme Valentin, le produit qui serait une émission du Père ;
non pas, comme Manichée l'a dit, le produit qui serait une partie
consubstantielle de Dieu ; non pas, comme Sabellius l'a dit, qui
divisait l'unité en appelant le Fils Père ; non pas comme Hiéracas,
pour qui il est lumière d'une lumière ou comme une torche divisée
en deux ; non pas comme si celui qui était d'abord était ensuite
devenu ou avait été créé de nouveau dans le Fils. C'est ainsi que
toi-même, bienheureux pape, au milieu de l'église et de l'assem
blée, tu as plus d'une fois réfuté ceux qui affirmaient ces choses.
Mais, comme nous le disons, il a été créé avant les temps et avant
les siècles et il a reçu du Père la vie et l'être et les splendeurs de
gloire que le Père lui a conférées. En effet, en lui donnant l'héri
tage de toutes choses, le Père ne s'est pas privé de ce qu'il a en lui-
même, d'être sans principe. Car il est la source de tout.

C'est pourquoi il y a trois hypostases, le Père, le Fils et le Saint-


Esprit. Dieu, qui est justement cause de tous les êtres, est absolu
ment seul à être sans principe. Le Fils, engendré hors du temps
par le Père, créé et fondé avant les siècles, n'était pas avant d'être
engendré, mais, engendré hors du temps avant toutes choses, seul
il a été produit par le Père seul. Il n'est ni éternel, ni coéternel et
ne partage pas d'être inengendré comme et avec le Père. Il n'a pas
l'existence avec le Père, comme certains le disent de l'un et l'autre,
en affirmant deux principes inengendrés. Mais comme unité et
principe de tout, Dieu est avant toutes choses. C'est pourquoi il
est aussi avant le Christ, comme nous l'avons appris de toi quand
tu prêchais en pleine église. Dans la mesure donc où son être, sa
vie et sa gloire et tout ce qui lui a été conféré lui viennent de Dieu,
Dieu est son principe. Il lui est supérieur comme son Dieu et il a
son être avant lui ; lui, le tient de Dieu, Et si des phrases comme
« Dès le sein » [Ps. 110, 3] et « Je suis sorti du Père et je vais »
[Jn 16, 28] sont interprétées par certains comme exprimant une
partie consubstantielle et comme une émission, le Père est composé,
254 TEXTES

divisé, sujet au changement, corporel, selon eux. Et pour ce qui


dépend d'eux, ce qu'éprouvent les corps, le Père incorporel y est
assujetti.
Nous te souhaitons bonne santé dans le Seigneur, bienheureux
pape.
Arius, Aithales, Achilles, Carpon, Sarmate, Arius, prêtres ; les
diacres, Euzoïus, Lucius, Julius, Menas, Helladius, Gaius. Les
évêques, Second de Pentapole, Théonas de Lybie, Pistos [que les
ariens ont mis à Alexandrie].

III

FRAGMENTS DE LA « THALIE » D'ARIUS *


(après 320)

1. Selon la foi des élus de Dieu, qui comprennent Dieu, enfants


saints, droits, possédant le Saint Esprit de Dieu, voici ce que j'ai
appris des participants à la sagesse, distingués, enseignés de Dieu,
sages parfaits. Sur leur trace, je me suis avancé, pensant comme
eux, moi l'illustre qui a souffert beaucoup pour la gloire de Dieu ;
enseigné par Dieu, j'ai appris la sagesse et la science . . .
2. Dieu ne fut pas toujours Père ; il fut un temps où il n'était
pas Père encore ; ensuite, il est devenu Père. Le Fils n'a pas toujours
été. Toutes choses ont été faites du néant ; toutes choses sont
créatures et œuvres, et le Verbe de Dieu lui-même a été fait du
néant ; il y eut un temps où il n'existait pas. Il n'existait pas avant
d'être fait. Il commença lui aussi d'être créé. Car Dieu était seul.
Le Verbe et la Sagesse n'existaient pas encore. Dans la suite, quand
il voulut vous produire, il fit un certain être et l'appela Verbe,
Sagesse, Fils, pour nous produire grâce à lui . . .
3. Il y a donc deux Sagesses : l'une propre qui coexiste à Dieu.
C'est en cette Sagesse que le Fils a été fait, c'est en y participant
qu'il est seul appelé Sagesse et Verbe. Car la Sagesse a existé par
la Sagesse, grâce à la volonté du Dieu de Sagesse. De même, il y
* Dans Saint Athanase, Apologie contre les Ariens, I, 5-6, PG 26,
21-24 ; trad. G. Dumeige.
LA « THALIE » D'ARIUS 255

a eu en Dieu un autre Verbe à côté du Fils ; en participant à ce


Verbe, le Fils, à son tour, est appelé Verbe et Fils par grâce . . .
4. Il y a diverses puissances. L'une est par nature, propre à Dieu
et éternelle. Le Christ, lui, n'est pas la vraie puissance de Dieu,
mais une parmi celles qu'on dit puissances, comme la sauterelle et
la chenille ; il n'est pas appelé seulement puissance, mais grande
puissance. Il y a beaucoup d'autres puissances semblables au Fils,
que David désigne dans le Psaume quand il dit : « Seigneur des
puissances » [Ps 24, 10] . . .
5. Par nature, le Verbe est, comme nous tous, sujet au change
ment, mais libre de lui-même, autant qu'il veut, il demeure bon.
S'il le veut, il peut changer comme nous, puisqu'il est, par nature,
sujet au changement. C'est pourquoi Dieu, prévoyant qu'il serait
bon, lui a donné par avance cette gloire, qu'en tant qu'homme, il
conquit ensuite par sa vertu. Ainsi, c'est parce que Dieu avait
prévu ses œuvres qu'il l'a fait naître tel . . .

6. Le Verbe n'est pas vrai Dieu. Bien qu'on l'appelle Dieu, il


ne l'est pas vraiment, mais seulement par participation de grâce ;
comme tous les autres, lui-même n'est dit Dieu que nominalement.
De même que toutes choses sont par essence étrangères à Dieu
et différentes de lui, de même le Verbe est absolument étranger à
l'essence et à la propriété du Père ; il est de l'ordre des œuvres
et des créatures : il est l'une d'elles . . .
7. Le Père est invisible pour le Fils ; le Verbe ne peut ni voir ni
connaître parfaitement et exactement son Père. Ce qu'il connaît
et voit, il le connaît et le voit selon sa mesure, comme nous-mêmes
connaissons selon notre propre force. Et non seulement le Fils ne
connaît pas exactement le Père, il lui manque de le comprendre —
mais le Fils ne connaît pas son essence . . .
8. Divisées par nature, éloignées, disjointes, étrangères et sans
échanges entre elles sont les essences du Père, du Fils et du Saint-
Esprit : ils sont totalement dissemblables en essence et en gloire,
à l'infini. Donc, il n'a pas une gloire et une essence semblables ; il
diffère totalement du Père et du Saint-Esprit ... Le Verbe de soi
est séparé du Père et n'a absolument rien de commun avec lui.
256 TEXTES

IV

RÉCIT DE L'OUVERTURE DU CONCILE DE NICÉE *

Tous ceux qui composaient le concile s'étaient trouvés au jour


qui avait été choisi pour décider les questions. Ils entrèrent dans
la grande salle du palais et s'assirent selon leur rang sur des sièges
qui leur avaient été préparés. Ils demeurèrent dans un grave et
modeste silence, en attendant l'arrivée de l'empereur. Incontinent
après, trois de ses parents entrèrent l'un après l'autre. On vit
paraître ensuite non ses gardes selon la coutume, mais ceux seule
ment de sa cour qui faisaient profession de notre religion. Dès
qu'on entendit le signal qui avertit de son arrivée, tous les évêques
se levèrent et, à l'heure même, il entra au milieu d'une troupe de
personnes de qualité et parut comme un ange de Dieu. Il éblouis
sait les yeux par l'éclat de sa pourpre et par la splendeur de l'or
et des pierreries dont elle était relevée ; voilà quels étaient ses
ornements extérieurs. Pour ce qui est des intérieurs, il paraissait
très clairement, par la modestie avec laquelle il tenait les yeux
baissés, par l'honnête pudeur qui se faisait remarquer sur son
visage, par son mouvement et sa démarche, par l'avantage de sa
taille, par sa bonne humeur, par sa constitution forte et robuste,
que son âme avait des vertus dont l'excellence ne peut être assez
relevée par les éloges qu'on pourrait en faire. Lorsqu'il fut arrivé
à hauteur des sièges, il s'arrêta. Quand on lui eut apporté un siège
bas, qui était d'or, et que les évêques lui eussent fait signe de
s'asseoir, il s'assit et ils s'assirent après lui.

CREDO DE L'ÉGLISE DE CÉSARÉE**

Nous croyons en un Dieu, Père tout-puissant,


le créateur de toutes les choses visibles et invisibles ;
et en un Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu,

* Eusèbe, Vita Constantini, III, 10 ; la traduction, un peu large, mais


savoureuse en sa solennité, est celle effectuée par le Président Louis
Cousin, dans son Histoire de TEglise écrite par Eusèbe . . . Paris 1675.
** Socrate, H.E. I, 8, PG 67, 69 ; trad. G. Dumeige.
SYNODALE DE L'ÉGLISE D'ALEXANDRIE 257

Dieu de Dieu, lumière de lumière, vie de vie,


Fils unique, premier-né de toute la création,
engendré du Père avant tous les siècles,
et par qui tout a été fait,
qui, pour notre salut, s'est incarné et a habité parmi nous,
a souffert, est ressuscité le troisième jour,
est monté vers le Père et reviendra en gloire juger les vivants et
les morts ;
Nous croyons aussi en un Esprit Saint,
croyant que chacun d'eux est et subsiste,
que le Père est vraiment Père, et le Fils vraiment Fils, et le
Saint Esprit vraiment Saint Esprit, comme notre Seigneur l'a dit
en envoyant prêcher ses disciples : « Allez, enseignez toutes les
nations. »

VI

LETTRE SYNODALE DE L'ÉGLISE D'ALEXANDRIE


AUX ÉGLISES D'ÉGYPTE *
(Juin 325)

Les évêques réunis à Nicée, pour le grand et


saint concile, à la grande et sainte Église des
Alexandrins et aux frères d'Egypte et de Lybie
et de la Pentapole, salut dans le Seigneur.

La grâce de Dieu et le très pieux empereur Constantin nous


ayant assemblés de diverses villes et provinces pour la célébration
du saint et grand synode de Nicée, il nous a semblé nécessaire
d'envoyer une lettre du saint concile à vous aussi, afin que vous
puissiez savoir ce qui fut proposé et examiné, ce qui fut décrété
et décidé. Avant tout on examina, en présence du Très Pieux em
pereur Constantin, ce qui concerne l'impiété et la perversité d'Arius
et de ses adhérents, et à l'unanimité il fut décidé de frapper d'ana-
thème sa doctrine impie ainsi que les locutions blasphématoires,
* Socrate, HE, I, 9, PG 67, 77 ; Théodoret, HE, I, 9 ; CGS (Par-
mentier) 38-42 ; H. G. Opitz, Athanasius Werke, I, 3, 47-51 ; traduction
G. Fritz, DTC XI : 1, 416-417.
258 TEXTES

dont il se servait pour blasphémer en disant que le Fils de Dieu est


du néant, qu'il fut un temps où il n'était pas, qu'il est capable de
se décider pour le bien et pour le mal, qu'il est une créature ; tout
ceci le saint concile l'a frappé d'anathème, ne voulant pas même
entendre cette impie et folle doctrine, ni ces paroles blasphéma
toires. Et ce qui a été décrété contre lui, vous l'avez entendu ou
vous l'entendrez, afin que nous n'ayons pas l'apparence d'insulter
un homme qui a reçu une juste récompense de sa faute. Son im
piété a eu une si grande force qu'il a entraîné avec lui Théonas
de Marmarique et Second de Ptolémaïs. Tous deux ont eu le même
sort que lui. Après que la grâce de Dieu nous eût délivrés de cette
erreur impie, ainsi que des personnes qui avaient osé introduire
le trouble et la dissension dans le peuple de Dieu qui auparavant
était en paix, il restait l'affaire de la contumace (audace) de Mélèce
et de ceux qui furent ordonnés par lui : nous vous faisons savoir,
très chers frères, ce que le concile a décidé sur ce point. Il fut
décrété, le concile étant porté à la clémence envers Mélèce, quoi-
qu'en vérité il ne méritât aucun pardon, il fut donc décidé qu'il
devait demeurer dans sa ville, sans avoir aucun droit pour imposer
les mains ou pour élire ; sans paraître à la campagne ou dans une
autre ville pour pareil cas, se contentant du seul titre et de l'hon
neur (d'évêque). Ceux qui ont été établis par lui, après avoir été
confirmés par une imposition des mains plus sainte, pourront être
admis à la communion, en ce sens qu'ils conserveront titre et
ministère, mais qu'ils seront en second rang après ceux qui dans
chaque paroisse et église auront été éprouvés et ordonnés par
notre très honoré confrère Alexandre ; en outre, ils n'auront aucun
droit de proposer ou de suggérer les noms de ceux qui leur plaisent
(pour être ordonnés), ni de faire quoi que ce soit sans le consente
ment de l'évêque de l'Église catholique soumis à Alexandre. Ceux
qui par la miséricorde de Dieu et grâce à vos prières n'ont été
convaincus d'aucun schisme, et qui ont persévéré sans reproche
dans l'Église catholique, ceux-là conservent le droit d'élire et de
proposer les noms de ceux qui sont dignes d'être admis dans le
clergé, et aussi celui de tout faire selon la loi et le canon ecclé
siastique. S'il arrive que quelqu'un meure de ceux qui sont (en
dignité) dans l'Église, on pourra élever à leur place ceux qui ont
été reçus récemment, à condition qu'ils en semblent dignes, que le
peuple les élise, et que l'évêque d'Alexandrie donne son appro
bation et sa confirmation. Cette concession est faite à tous. A l'égard
de Mélèce, une autre décision fut prise à cause de son ancienne
indiscipline et de son caractère violent et téméraire, afin que nul
pouvoir, nulle faculté ne fussent attribués à un homme qui pour
DÉCRET SUR PAQUES 259

rait de nouveau provoquer les mêmes désordres. Voilà les décisions


propres à l'Egypte et à la très sainte Église d'Alexandrie.
Si quelque autre décision fut prise en présence de notre très
saint collègue et frère Alexandre, il vous en donnera à son retour
des explications plus détaillées, lui qui a pris une part considérable
aux délibérations. Nous vous donnons la bonne nouvelle de l'unité
qui a été rétablie quant à la fête de Pâques. Tous les frères de
l'Orient qui autrefois célébraient la Pâque avec les Juifs, la célé
breront désormais avec les Romains, avec nous et avec tous ceux
qui en tout temps l'ont célébrée en même temps que nous.
Pleins de joie et de bonheur à cause de l'heureuse issue des événe
ments, et à cause de la paix et de la concorde générale, et parce
que l'hérésie a été extirpée, recevez avec plus d'honneur et plus
grande bienveillance notre collègue, votre évêque Alexandre, qui
par sa présence nous a causé une grande joie et qui à son âge a
supporté tant de fatigue pour le rétablissement de la paix parmi
nous. Priez aussi pour nous tous, afin que ce qui nous a semblé
être juste demeure sans changement, par le Dieu tout-puissant et
Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit. A lui gloire dans
tous les siècles. Amen.

VII

DÉCRET SUR LA CÉLÉBRATION DE PAQUES *

Du saint Synode de Nicée sur la sainte Pâque.

Il a été fait comme il a paru bon à tous ceux qui s'étaient réunis
dans le saint Synode au temps du religieux et grand empereur
Constantin, qui non seulement a rassemblé dans l'unité les évêques
ci-dessus inscrits en faisant la paix dans notre race, mais encore,
présent à leurs réunions, a examiné avec eux les mesures utiles à
l'Église catholique. Après donc qu'on eût délibéré pour savoir s'il
fallait que toute l'Église qui est sous le ciel célébrât unanimement
la Pâque, on vit que trois parties de l'Univers étaient d'accord avec
* J.-B. Pitra, Juris ecclesiastici Graecorum historia et monumenta, I,
Rome 1864, 435-436 ; trad. G. Dumeige.
260 TEXTES

les Romains et les Alexandrins et que seule une région de l'Orient


était en désaccord ; il a été jugé bon, toute question et contradic
tion étant mises à l'écart, que les frères de l'Orient célébreraient
aussi la Pâque comme les Romains, les Alexandrins et tous les autres,
pour que tous, en un seul jour, d'une voix unanime, fassent monter
leurs prières en ce saint jour de la Pâque. Tous ceux de l'Orient
ont signé, car leur avis différait des autres.

VIII

CANONS DU CONCILE DE NICÉE *


(325)

1. Si quelqu'un a été mutilé par les médecins durant une maladie,


ou bien par les barbares, qu'il reste dans le clergé ; mais si quel
qu'un étant en bonne santé s'est mutilé lui-même, qu'on l'exclue
du clergé dont il fait partie et à l'avenir on ne devra pas ordonner
celui qui aura agi ainsi. Mais comme il est évident que ce qui vient
d'être dit ne regarde que ceux qui ont agi ainsi avec intention et
qui ont eux-mêmes voulu se mutiler, ceux qui l'auront été ou par
les barbares ou par leur maître pourront, conformément au canon,
rester dans la cléricature s'ils en sont dignes par ailleurs.
2. Soit par nécessité, soit à cause des instances de quelques per
sonnes, plusieurs choses contraires à la règle ecclésiastique se sont
produites ; ainsi, on a accordé le bain spirituel et avec le baptême,
la dignité épiscopale ou sacerdotale à des hommes qui avaient à
peine passé de la vie païenne à la foi, et qui n'avaient été instruits
que pendant très peu de temps ; il est juste qu'à l'avenir on n'agisse
plus ainsi, car il faut du temps au catéchumène (en vue du baptême)
et après le baptême une plus longue épreuve (en vue des ordres).
Elle est sage la parole de l'Apôtre disant (I Tim 3, 6) que
l'évêque ne soit pas néophyte, de peur que par orgueil il ne tombe
dans le jugement et dans le piège du démon. Si dans la suite un
clerc se rend coupable d'une faute grave, constatée par deux ou
trois témoins, il doit cesser d'appartenir au clergé. Celui qui agit
* Gélase de Cyzique, H.E., II, 32, PG 85, 1320-1336 ; GCS 28, 112-
118 : trad. (très légèrement modifiée) de G. Fritz, DTC XI, 408-416.
CANONS DE NICÉE 261

contre cette ordonnance et qui se montre désobéissant à l'égard


de ce grand concile est en danger de perdre sa cléricature.
3. Le grand Concile défend absolument aux évêques, aux prêtres,
aux diacres, en un mot à tous les membres du clergé d'avoir (avec
eux) une personne du sexe, à moins que ce soit une mère, une
sœur, une tante, ou enfin les seules personnes qui échappent à
tout soupçon.
4. L'évêque doit être établi par tous ceux (les évêques) de
l'éparchie (province) ; si une nécessité urgente, ou la longueur du
chemin s'y oppose, trois (évêques) au moins doivent se réunir et
procéder à la cheirotonie (sacre), munis de la permission écrite des
absents. La confirmation de ce qui s'est fait revient de droit dans
chaque éparchie, au métropolitain.
5. Pour ce qui est des excommuniés clercs ou laïques, la sentence
portée par les évêques de chaque province doit avoir force de loi,
conformément à la règle prescrivant que celui qui a été excom
munié par l'un ne doit pas être admis par les autres. Il faut cepen
dant s'assurer que l'évêque n'a pas porté cette sentence d'excom
munication par étroitesse d'esprit, par esprit de contradiction ou
par quelque sentiment de haine. Afin que cet examen puisse avoir
lieu, il a paru bon d'ordonner que dans chaque province, on tînt
deux fois par an un concile, qui se composera de tous les évêques
de la province ; ils feront toutes les enquêtes nécessaires pour que
chacun voie que la sentence d'excommunication a été justement
portée pour une désobéissance constatée et jusqu'à ce qu'il plaise
à l'assemblée des évêques d'adoucir ce jugement. Ces conciles de
vront se tenir l'un avant le carême, pour que, ayant éloigné tout
sentiment peu élevé, nous puissions présenter à Dieu une offrande
agréable ; et le second dans l'automne.
6. Que l'ancienne coutume en usage en Egypte, dans la Lybie
et la Pentapole soit maintenue, c'est-à-dire que l'évêque d'Alexan
drie conserve juridiction sur toutes (ces provinces), car il y a le
même rapport que pour l'évêque de Rome. On doit de même
conserver aux Églises d'Antioche et des autres éparchies (provinces)
leurs anciens droits. Il est bien évident que, si quelqu'un est
devenu évêque sans l'approbation du métropolitain, le Concile lui
ordonne de renoncer à son épiscopat. Mais l'élection ayant été faite
par tous avec discernement et d'une manière conforme aux règles
de l'Église, si deux ou trois font opposition par pur esprit de
contradiction, ce sera la majorité qui l'emportera.
262 TEXTES

7. Comme la coutume et l'ancienne tradition portent que l'évêque


d'Aelia doit être honoré, qu'il obtienne la préséance d'honneur sans
préjudice cependant de la dignité qui revient à la métropole.

8. Au sujet de ceux qui s'appellent eux-mêmes les cathares


(les purs), le grand concile décide que s'ils veulent entrer dans
l'Église catholique et apostolique, on doit leur imposer les mains,
et ils resteront ensuite dans le clergé ; mais avant tout ils pro
mettront par écrit de se conformer aux enseignements de l'Église
catholique et apostolique, c'est-à-dire qu'ils devront communiquer
avec ceux qui se sont mariés en deuxièmes noces et avec ceux qui
ont faibli dans la persécution mais qui font pénitence de leurs
fautes. Ils seront donc tenus de suivre en tout l'enseignement de
l'Église catholique. Par conséquent, lorsque, dans les villages ou
dans les villes, il ne se trouve que des clercs de leur parti, ils
doivent rester dans le clergé et dans leur charge ; mais si un
prêtre ou un évêque catholique se trouvait parmi eux, il est évident
que l'évêque de l'Église catholique devra conserver la dignité
épiscopale, tandis que celui qui a été décoré du titre d'évêque par
les cathares n'aura droit qu'aux honneurs réservés aux prêtres, à
moins que l'évêque ne trouve bon de le laisser jouir de l'honneur
du titre (épiscopal). S'il ne le veut pas, qu'il lui donne une place de
chorévêque ou de prêtre, afin qu'il paraisse faire réellement partie
du clergé, et qu'il n'y ait pas deux évêques dans une ville.

9. Si quelques-uns ont été, sans enquête, élevés à la prêtrise, ou


si, au cours de l'enquête, ils ont avoué leurs crimes, l'imposition des
mains faites contrairement à ce que le canon ordonne, n'est pas
admise, car l'Église catholique veut des hommes d'une réputation
intacte.

10. Les lapsi qui auront été ordonnés soit que ceux qui les or
donnaient ne connussent pas leur chute, soit qu'ils la connussent,
ne font pas exception aux lois de l'Église ; ils seront exclus dès
que l'on aura connaissance de cette illégalité.

11. Quant à ceux qui ont faibli pendant la persécution de Lici-


nius, sans y être poussés par nécessité ou par la confiscation de
leurs biens ou par un danger quelconque, le Concile décide qu'on
les traitera avec ménagement, quoique, à la vérité ils ne s'en soient
pas montrés dignes. Ceux d'entre eux qui sont véritablement re
pentants et qui sont déjà baptisés, doivent faire pénitence pendant
trois ans avec les audientes et sept ans avec les substrati ; ils pour
CANONS DE NICÉE 263

ront pendant les deux années suivantes assister avec le peuple au


saint sacrifice, mais sans prendre part à l'offrande.

12. Ceux qui, appelés par la grâce ont d'abord proclamé leur foi
abandonnant le ceinturon, mais qui ensuite, semblables à des
chiens retournant à leurs vomissements, vont jusqu'à donner de
l'argent et des présents pour être réintégrés dans le service public,
ceux-là devront rester trois ans parmi les audientes et dix ans
parmi les substrati. Mais pour ces pénitents, il faut avoir soin
d'étudier leurs sentiments et leur genre de contrition. En effet, ceux
d'entre eux qui, avec crainte, larmes, patience et bonnes œuvres,
montrent ainsi par des faits la sincérité d'un retour réel, après avoir
accompli le temps de leur pénitence parmi les audientes pourront
être admis avec ceux qui prient, et il dépend même de l'évêque
de les traiter avec encore plus d'indulgence. Quant à ceux qui
supportent avec indifférence (leur exclusion de l'Église) et qui
pensent que cette pénitence est suffisante pour expier leurs fautes,
ceux-là seront tenus à faire tout le temps prescrit.

13. On doit continuer à observer à l'égard des mourants l'an


cienne règle de l'Église, qui défend de priver du dernier et du
nécessaire viatique celui qui est près de la mort. S'il ne meurt pas
après qu'on l'a pardonné et qu'on l'a admis à la communion, il
doit être placé parmi ceux qui ne participent qu'à la prière. De
même l'évêque doit donner l'Eucharistie après l'enquête nécessaire
à celui qui, au lit de mort, demande à la recevoir.

14. Le saint et grand Concile ordonne que les catéchumènes qui


ont failli soient seulement audientes pendant trois ans ; ils pourront
ensuite prier avec les autres catéchumènes.

15. Les troubles nombreux et les divisions ont fait trouver bon
d'abolir la coutume qui, contrairement à la règle, s'est établie dans
certains pays, c'est-à-dire de défendre aux évêques, aux prêtres et
aux diacres de passer d'une ville dans une autre. Si quelqu'un osait
agir contre la présente ordonnance et suivre l'ancien errement, la
translation serait frappée de nullité, et il devrait revenir dans
l'Église pour laquelle il avait été ordonné évêque ou prêtre.

16. Les prêtres, les diacres, ou en général les clercs qui, par
légèreté, et n'ayant plus sous les yeux la crainte de Dieu, aban
donnent au mépris des lois ecclésiastiques, leur Église, ne doivent,
en aucune façon, être reçus dans une autre ; on doit les forcer de
264 TEXTES

toutes manières à revenir dans leur diocèse, et s'ils s'y refusent, on


doit les excommunier. Si quelqu'un ose, pour ainsi dire, voler un
sujet qui appartient à un autre (évêque) et s'il ose ordonner ce
clerc pour sa propre Église sans la permission de l'évêque auquel
appartient ce clerc, l'ordination sera non avenue.

17. Comme plusieurs clercs, remplis d'avarice et d'un esprit


d'usure et oubliant la parole sacrée : « Il n'a pas donné son argent
à intérêt » (Ps 15, 5), exigent en véritables usuriers un taux d'in
térêt par mois, le saint et grand Concile décide que si quelqu'un,
après la publication de cette ordonnance, prend des intérêts pour
n'importe quel motif, ou fait ce métier d'usurier de n'importe quelle
autre manière, ou s'il réclame la moitié et plus, ou s'il se livre à
quelque autre manière de gain scandaleux, celui-là doit être chassé
du clergé et son nom rayé de la liste.

18. Il est venu à la connaissance du saint et grand Concile que,


dans certains endroits et dans certaines villes, des diacres distri
buaient l'Eucharistie aux prêtres, quoiqu'il soit contraire aux canons
et à la coutume de faire distribuer le Corps du Christ à ceux qui
offrent le sacrifice par ceux qui ne peuvent l'offrir ; le Concile a
appris également que quelques diacres recevaient l'Eucharistie,
même avant des évêques. Tout cela doit cesser ; les diacres doivent
se tenir dans les limites de leurs attributions, se souvenir qu'ils sont
les serviteurs des évêques, et ne viennent qu'après les prêtres. Ils
ne doivent recevoir la communion qu'après les prêtres, ainsi que
l'ordre l'exige, que ce soit un évêque ou un prêtre qui la leur
distribue. Les diacres ne doivent pas non plus s'asseoir parmi les
prêtres, cela est contre la règle et contre l'ordre. Si quelqu'un refuse
d'obéir aux présentes prescriptions, il sera suspendu du diaconat.

19. A l'égard des Paulianisants qui veulent revenir à l'Église


catholique, il faut observer l'ordonnance portant qu'ils doivent être
rebaptisés. Si quelques-uns d'entre eux étaient auparavant mem
bres du clergé, ils seront ordonnés par l'évêque de l'Église catho
lique après qu'ils auront été baptisés, à la condition toutefois qu'ils
aient une réputation intacte et qu'ils n'aient pas subi de condam
nation. Si l'enquête montre qu'ils sont indignes, on doit les déposer.
On agira de même à l'égard des diaconesses, et en général la
présente ordonnance sera observée pour tous ceux qui sont sur le
tableau de l'Église. Nous rappelons aux diaconesses qui sont dans
cette situation qu'elles n'ont pas été ordonnées, et qu'elles doivent
être simplement comptées parmi les laïques.
PROFESSION DE FOI D'ARIUS 265

20. Comme quelques-uns plient le genou le dimanche et au jour


de la Pentecôte, le saint Concile a décidé que, pour observer une
règle uniforme, tous devraient adresser leurs prières à Dieu en
restant debout.

IX

PROFESSION DE FOI REMISE PAR ARIUS


A CONSTANTIN *
(327)

Nous croyons en un Dieu, Père tout-puissant ;


et en (le) Seigneur Jésus-Christ, son Fils,
qui a été engendré de lui avant tous les siècles,
par qui tout a été fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur terre,
qui est descendu, s'est incarné,
a souffert, est ressuscité,
est monté aux deux,
et reviendra juger les vivants et les morts ;
et en l'Esprit-Saint ;
en la résurrection de la chair,
en la vie du siècle à venir,
en un royaume des cieux ;
et en une Église catholique de Dieu
étendue d'une extrémité (du monde) à l'autre.
Cette foi, nous l'avons reçue des saints Évangiles, le Seigneur
disant à ses disciples : « Allez, enseignez toutes les nations, les
baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. »
Si ce n'est pas ainsi que nous croyons ces choses et si nous ne
recevons pas vraiment le Père et le Fils et l'Esprit, comme toute
l'Église catholique et les Écritures l'enseignent, elles par qui nous
croyons absolument, que Dieu soit notre juge maintenant et au
jugement futur.

* Sozomêne, H.E. II, 27, PG 67, 1012 ; Sochate, H.E. I, 26, PG 67,
149-151 ; trad. G. Dumeige.
86 TEXTES

X
CREDO DE L'ÉGLISE DE JÉRUSALEM *
(350)

Nous croyons en un Dieu, Père tout-puissant,


créateur du ciel et de la terre,
de toutes les choses visibles et invisibles ;
[et] en un Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu,
engendré du Père vrai Dieu avant tous les siècles,
par qui tout a été fait,
[qui s'est incarné et] fait homme de la Vierge et du Saint Esprit,
a été crucifié [et enseveli], est ressuscité [des morts] le troisième
jour,
est monté aux cieux, a siège à la droite du Père,
et viendra en gloire juger les vivants et les morts,
son règne n'aura pas de fin ;
et en un Saint Esprit, le Paraclet,
qui a parlé par les prophètes ;
et en un baptême de pénitence pour la rémission des péchés ;
et en une Église sainte, catholique ;
en la résurrection de la chair
et en la vie éternelle.

XI
IIP LETTRE D'ATHANASE A SÉRAPION **
(vers 359-360)

L'Esprit-Saint n'est pas une créature.


... « Toutefois, pour mettre en lumière, par des preuves plus
nombreuses, la réfutation opposée aux impies, il sied de montrer
par les considérations mêmes d'où il ressort que le Fils n'est pas
une créature, que l'Esprit n'est pas non plus une créature.
Les créatures sont tirées du néant et elles ont un commencement
de leur existence, car « au commencement, Dieu a fait le ciel et
* G. Hahn, Bibliothek der Symbole, Breslau, 1897, 132.
** Athanase, Lettres à Sérapion, III, 2-5, PG 26, 628-633 ; trad.
Lebon SC 15, 165-171. (Ed. du Cerf, Paris).
ATHANASE A SÊRAPION 267

la terre » [Gn 1, 1] et ce qui y est renfermé. L'Esprit-Saint, lui,


est et est dit « de Dieu », comme dit l'Apôtre. Si donc parce que
le Fils n'est pas tiré du néant, mais de Dieu, il est naturel qu'il
ne soit pas une créature, il faut bien que l'Esprit-Saint ne soit
pas non plus une créature, car on confesse qu'il [vient] de Dieu,
tandis que les créatures sont tirées du néant.
En outre, l'Esprit est appelé et est onction et sceau. En effet,
Jean écrit : « Pour vous, l'onction que vous avez reçue de lui
demeure en vous, et vous n'avez pas besoin qu'on vous instruise ;
mais, comme son onction, son Esprit vous instruit de toutes choses »
[1 Jn 2, 27] ; dans le prophète Isaïe, il est écrit : « L'Esprit du
Seigneur est sur moi ; c'est pourquoi il m'a oint » [Is 61, 1], et Paul
écrit : « En lui aussi, après avoir cru, vous avez été marqués d'un
sceau» [Ep 1, 13], et encore : «N'affligez pas l'Esprit-Saint, dans
lequel vous avez été marqués d'un sceau pour le jour de la rédemp
tion » [Ep 4, 30] . Mais les créatures sont, en lui, ointes et marquées
d'un sceau. Que si les créatures sont, en lui, ointes et marquées
d'un sceau, l'Esprit ne peut pas être une créature, car ce qui oint
n'est pas semblable à ceux qui sont oints. Cette onction, en effet,
est le souffle du Fils, de sorte que celui qui possède l'Esprit puisse
dire : «Nous sommes le parfum du Christ» [2 Co 2, 15], et le
sceau représente le Christ, de sorte que celui qui est marqué du
sceau puisse avoir la forme du Christ, l'Apôtre disant : « Mes petits
enfants, pour lesquels je souffre une seconde fois les douleurs de
l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous »
[Gai 4, 19]. Mais si l'Esprit est le parfum et la forme du Fils, il
est clair que l'Esprit n'est pas une créature puisque le Fils, qui
existe dans la forme du Père [Ph 2, 6], n'est pas non plus une
créature. Et en effet : de même que celui qui a vu le Fils, voit le
Père [Jn 14, 9], ainsi celui qui possède l'Esprit-Saint, possède le
Fils et, le possédant, est le temple de Dieu, puisque Paul écrit :
« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que
l'Esprit de Dieu habite en vous ? [1 Co 3, 16] » et que Jean dit :
« Nous connaissons que nous demeurons en Dieu et qu'il demeure
en nous, en ce qu'il nous a donné son Esprit » [1 Jn 4, 13] . Mais
si l'on confesse que le Fils, qui est dans le Père et en qui le Père
est également, n'est pas une créature, de toute nécessité l'Esprit
non plus n'est pas une créature, car le Fils est en lui et il est dans
le Fils : c'est pourquoi encore celui qui reçoit l'Esprit est appelé
temple de Dieu.
Il est bon de s'éclairer encore par la considération suivante : si
le Fils est le Verbe de Dieu, il est unique comme le Père, car
288 TEXTES

« il n'y a qu'un Dieu, de qui tout vient, et un Seigneur Jésus-


Christ » [1 Co 8, 6] ; c'est pourquoi il a été appelé et dit dans
l'Écriture Fils Monogène [Jn 1, 18]. Au contraire les créatures sont
multiples et variées : anges, archanges, chérubins, principautés,
puissances, et les autres, comme il a été dit. Si donc, parce que le
Fils n'est pas [un] d'entre beaucoup, mais est unique comme le
Père est unique, il n'est pas non plus créature, sans aucun doute
l'Esprit — car il faut tirer également du Fils la connaissance de
l'Esprit, — n'est pas non plus une créature, car il n'est pas [un]
d'entre beaucoup, mais il est unique, lui aussi.
L'Apôtre le savait bien lorsqu'il écrivait : « Mais tout cela, c'est
l'unique et même Esprit qui l'opère, distribuant en particulier à
chacun comme il lui plaît [1 Co 12, 11] » ; et peu après : « Tous
nous avons été baptisés en un unique Esprit, pour faire un corps
unique, et tous nous avons été abreuvés d'un unique Esprit [1 Co
12, 13]».
Et puisqu'il faut prendre du Fils la connaissance de l'Esprit, il
convient de lui en emprunter aussi les preuves. Or donc le Fils est
partout, puisqu'il est dans le Père et que le Père est en lui. En
effet, il tient et contient toutes choses, et il est écrit que c'est en
lui que toutes choses, visibles ou invisibles, subsistent, et qu'il est
lui-même avant toutes choses [Col 1, 16-17]. Au contraire, les
créatures sont en des lieux déterminés : le soleil, la lune et les
autres corps lumineux au firmament, dans le ciel les anges, et les
hommes sur la terre. Que si le Fils, parce qu'il n'est pas présent
[seulement] en des lieux déterminés, mais est dans le Père, est
présent partout, et si, parce qu'il est en dehors de toutes choses,
il n'est pas une créature, il s'ensuit que l'Esprit non plus n'est pas
une créature, puisqu'il n'est pas [seulement] en des endroits déter
minés, mais remplit tout et est en dehors de toutes choses. En effet,
c'est ainsi qu'il est également écrit : « L'Esprit du Seigneur a
rempli l'univers [Sg 1, 7] », et que David chante : « Où irai-je
[pour me dérober] à ton Esprit [Ps 139, 7] », en tant que l'Esprit
n'est pas [seulement] en un lieu, mais est en dehors de toutes
choses et est dans le Fils, comme aussi le Fils est dans le Père.
Pour cela, en effet, il n'est pas, lui non plus, une créature, ainsi
qu'il a été démontré.
Outre toutes ces raisons, voici qui davantage encore condamne
l'hérésie arienne et tire à nouveau du Fils la connaissance de
l'Esprit. Le Fils est créateur comme le Père ; il dit, en effet : « Ce
que je vois faire au Père, je le fais moi aussi [Jn 5, 19] » ; ainsi
TOME AUX ANTIOCHIENS 269

donc, « tout a été fait par lui et, sans lui, absolument rien n'a été
fait Qn 1, 3] ». Mais si, en tant que créateur comme le Père, le
Fils n'est pas une créature, et si, parce que tout a été fait par lui,
il n'est pas du nombre des êtres créés, il est clair que l'Esprit non
plus n'est pas une créature, puisqu'il est également écrit à son sujet,
dans le psaume CIIIe : « Tu leur retireras le souffle et ils expire
ront, et ils retourneront dans leur poussière ; tu enverras ton Esprit
et ils seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre » [Ps 103,
29-30].
L'Écriture s'exprimant ainsi, il est clair que l'Esprit n'est pas
une créature, mais qu'il intervient dans l'acte créateur : car le
Père crée toutes choses par le Verbe dans l'Esprit, puisque là où
est le Verbe, là aussi est l'Esprit, et les choses créées par l'inter
médiaire du Verbe tiennent de l'Esprit par le Verbe la force d'être.
C'est ainsi, en effet, qu'il est écrit dans le psaume XXXIIe : « Par
le Verbe du Seigneur les deux ont été fermement établis et par
l'Esprit de sa bouche toute leur vertu. [Ps 32, 6] »
Assurément, l'Esprit est tellement inséparable du Fils qu'il ne
reste aucun doute après ce qui vient d'être dit.

XII

TOME AUX ANTIOCHIENS *


(362)

A nos chers et très désirés compagnons de


ministère dans les choses saintes, Eusèbe,
Lucifer, Asterius, Kymatius et Anatolius, Atha-
nase et les évêques d'Italie, d'Arabie, d'Egypte
et de Lybie présents à Alexandrie ; Eusèbe,
Asterius, Gaius, Agathus, Ammonius, Agaiho-
démon, Dracontius, Adelphius, Herméon,
Marc, Théodore, André, Paphnuce, un autre
Marc, Zoïle, Menas, Georges, Lucius, Macaire
et les autres, Salut dans le Christ.
Nous sommes persuadés que, ministres de Dieu et bons inten
dants, vous êtes capables d'ordonner en tout point les affaires de
Mansi, III, 345-353 ; trad. G. Dumeige.
270 TEXTES

l'Église. Mais comme il nous a été rapporté que beaucoup, qui


s'étaient antérieurement séparés de nous par goût de la dispute,
souhaitent maintenant la paix ; que beaucoup aussi abandonnent la
secte des Ariomaniaques et désirent la communion avec nous, il
nous a paru nécessaire d'écrire à Votre Piété ce que nous et nos
chers Eusèbe et Astérius avons déterminé, à vous qui aussi nous
êtes chers et qui êtes nos compagnons de ministères très désirés.
Nous nous réjouissons beaucoup de ces nouvelles, mais nous
désirons, si quelqu'un demeure encore bien loin de nous et si
quelqu'un semble encore vouloir faire groupe avec les Ariens, qu'il
abandonne leur folie, si bien que tous puissent à l'avenir dire
partout : « Un seul Seigneur, une seule foi » [Ep 4, 5] . Qu'y a-t-il
d'aussi bon et d'aussi agréable pour des frères que d'habiter en
semble, comme dit le psalmiste. [Ps 133, 1] Car notre demeure est
l'Église et notre esprit doit être unanime. Nous croyons en effet
que le Seigneur habitera aussi avec nous, qui a dit : « J'habiterai
chez eux et je serai parmi eux. Là j'habiterai parce que je l'ai
choisi [Ez 43, 9]. » Mais où est ce « là », sinon là où une seule foi
et une seule religion sont prêchées ?
Nous d'Egypte, nous voudrions bien avec nos chers frères Eusèbe
et Astérius aller chez vous pour bien des raisons, et d'abord pour
jouir de cette paix et de cette concorde dont nous parlions. Mais
parce que, comme nous l'avons indiqué dans d'autres lettres et
comme vous pouvez le savoir de nos compagnons de ministère,
les nécessités de l'Église nous retiennent, ce dont nous ressentons
une vraie peine, nous avons cependant voulu que nos collègues
Astérius et Eusèbe aillent vous trouver de notre part. Nous rendons
grâces à leur piété de ce que, alors qu'il leur était permis de se
hâter de retourner dans leurs diocèses, ils ont préféré avant tout
se rendre chez vous, en considération de l'urgente nécessité de
l'Église. Ils ont donc déféré à notre désir et nous en avons été
consolés. Eux étant présents, nous pensons que nous aussi nous
y sommes.

Tous ceux donc qui veulent vivre en paix avec nous et spéciale
ment ceux qui s'assemblent dans la vieille Ville et aussi ceux
qui sont revenus de l'arianisme, appelez-les à vous et recevez-les
comme des pères reçoivent leurs fils, ouvrez-leur les bras comme
des maîtres et des tuteurs. Joignez-vous entre-temps à notre cher
Paulin et à ses compagnons et n'exigez d'eux rien de plus qu'ils
condamnent l'hérésie des Ariens et qu'ils confessent la foi des
saints Pères promulguée à Nicée. Qu'ils condamnent aussi ceux
qui disent que l'Esprit-Saint est une créature et qu'il est une divi
TOME AUX ANTIOCHIENS 271

sion de la substance du Christ. Car c'est vraiment se séparer de la


faction impie des Ariens que de ne pas diviser la Sainte Trinité
et de ne pas dire qu'il y a du créé en elle. En effet, ceux qui
font semblant de professer la foi de Nicée et qui osent en même
temps blasphémer contre l'Esprit-Saint ne font rien d'autre que de
nier en paroles l'hérésie arienne tout en lui restant fidèle en pensée.
Que soient aussi frappés d'anathème l'impiété de Sabellius et de
Paul de Samosate, la folie de Valentin et de Basilide, et la démence
des Manichéens. Si l'on agit ainsi, il n'y aura plus de suspicion et
seule la foi de l'Église catholique apparaîtra dans sa pureté.
Que nous tenions cette foi, nous et ceux qui demeurent en per
pétuelle communion avec nous, nous pensons que cela est clair
pour vous ou pour quiconque. Par ailleurs, puisque nous nous
réjouissons avec ceux qui veulent être réunis avec nous, et spéciale
ment avec ceux qui se rassemblent dans la vieille Ville, et parce
que nous glorifions par-dessus tout le Seigneur pour toutes choses
et pour leur bon propos, nous vous exhortons à établir la concorde
sur ces bases, en sorte que vous n'exigiez rien au delà de ce qui
a été dit de la part de ceux qui se rassemblent dans la vieille
(Église), ni que ceux qui sont avec Paulin proposent autre chose
que ce qui se trouve dans les décrets du concile de Nicée.

Cette formule de foi que certains vantent comme si elle avait été
rédigée par le synode de Sardique, ne permettez absolument pas
qu'on la lise ou qu'on la publie, car le synode n'a rien défini de
tel. Certains ont en effet voulu une formule de foi comme si le
concile de Nicée avait été incomplet, et ils se sont hâtés de l'entre
prendre. Mais le saint Synode qui s'est réuni à Sardique s'en est
indigné et a décrété qu'on n'écrirait rien sur la foi, qu'on se conten
terait de la foi confessée par les Pères à Nicée, à laquelle rien ne
manquait et qui était pleine de piété, et qu'il n'était pas nécessaire
de formuler un second Credo, de crainte que celui rédigé à Nicée
n'apparût comme imparfait et pour ne donner aucun prétexte à
ceux qui veulent toujours définir et écrire sur la foi. C'est pourquoi,
si quelqu'un repropose cette formule ou une autre, arrêtez-le et
persuadez-le plutôt de garder la paix. Nous ne pouvons voir en eux
rien d'autre que le désir de disputer.

Quant à ceux que certains accusaient de parler de trois hypos-


tases, parce que la phrase n'est pas dans l'Écriture et dès lors
suspecte, nous avons jugé juste de ne rien leur demander de plus
que la confession de Nicée. Mais puisqu'il y avait eu contention,
nous nous sommes enquis de savoir s'ils entendaient par là, comme
272 TEXTES

les Ariomaniaques, que les hypostases étaient autres, étrangères et


différentes les unes par rapport aux autres et que chaque hypostase
était par elle-même divisée des autres, comme c'est le cas pour les
créatures et pour celles qui naissent de l'homme, ou comme le sont
différentes substances telles que l'or, l'argent ou le bronze ; ou si,
comme d'autres hérétiques, ils voulaient dire trois principes et trois
dieux quand ils parlaient de trois hypostases. Ils nous ont assuré
qu'ils n'avaient jamais pensé ni parlé ainsi. Comme nous leur avons
demandé : « Qu'entendez-vous par cela ou pourquoi employez-vous
ces expressions », ils ont répondu parce qu'ils croient en une
Sainte Trinité, non pas une Trinité purement nominale, mais une
Trinité existante et subsistante réellement ; et ils ont reconnu
« un Père vraiment existant et subsistant, et un Fils vraiment
substantiel et subsistant et un Saint Esprit subsistant et réellement
existant. » Ils n'ont jamais dit qu'il y avait trois dieux ou trois
principes et ils ne voulaient absolument pas tolérer qu'on dise ou
qu'on pense quelque chose de ce genre, mais ils savaient qu'il y a
une Sainte Trinité et une divinité et un principe et que le Fils est
consubstantiel au Père, comme l'ont dit les Pères, et que le Saint-
Esprit n'est ni une créature ni quelque chose d'étranger, mais bien
propre à l'essence du Père et du Fils et inséparable d'elle.

Après avoir accepté l'interprétation de ces hommes et la défense


de leur terminologie, nous avons examiné ceux qui étaient accusés
par eux parce qu'ils parlaient d'une hypostase, pour savoir s'ils
employaient l'expression dans le sens de Sabellius, en niant le Fils
et le Saint-Esprit ou comme si le Fils n'était pas substantiel ni le
Saint-Esprit subsistant. Mais ils nous assurèrent à leur tour qu'ils
n'avaient jamais dit ni pensé cela. « Nous employons « hypostase »,
pensant que c'est la même chose de dire « hypostase » ou « es
sence », mais nous tenons qu'il y a une hypostase, parce que le
Fils est de l'essence du Père et parce qu'il a une unique et même
nature. Car nous croyons qu'il y a une divinité et qu'elle a une
nature, et non qu'il y a une nature du Père de qui celle du Fils
et du Saint-Esprit sont distinctes. » Alors, ceux qui avaient été accu
sés parce qu'ils disaient qu'il y avait trois hypostases, furent d'ac
cord avec les autres, tandis que ceux qui avaient parlé d'une
essence confessèrent aussi la doctrine des premiers, comme ceux-ci
l'interprétaient. Arius fut anathématisé par les deux parties comme
adversaire du Christ, Sabellius et Paul de Samosate comme impies,
Valentin et Basilide comme hors de la vérité et Manichée comme
un fauteur de maux. Et tous, par la grâce de Dieu, après avoir
expliqué leur langage que nous avons rappelé, furent d'accord que
TOME AUX ANTIOCHIENS 273

la foi exposée par les saints Pères à Nicée était meilleure et plus
exacte et qu'il serait mieux de se contenter d'employer le langage
de cette foi.

Mais comme certains aussi semblaient en discussion à propos de


l'Incarnation du Sauveur, nous nous sommes informés des deux
côtés. Ce que les uns confessèrent, les autres l'admirent, disant que
le Verbe du Seigneur n'avait pas, comme lorsqu'il était venu dans
les prophètes, habité dans un homme saint à la consommation des
siècles, mais que le Verbe lui-même s'était fait chair [Jn 1, 14]
et qu'étant de forme divine il avait pris la forme d'un serviteur
[Ph 2, 7], et que de Marie, selon la chair, il était devenu homme
pour nous et qu'ainsi en lui la race humaine a été parfaitement et
totalement libérée du péché ; vivifiée de la mort, elle a accès au
Royaume des cieux. Ils confessent aussi que le Seigneur n'avait pas
un corps sans âme, privé de sens ou d'intelligence, car il n'était
pas possible, le Seigneur s'étant fait homme pour nous, que son
corps ait été sans intelligence. Le salut réalisé dans le Verbe lui-
même n'a pas été le salut du corps seulement, mais aussi de l'âme.
Et étant vraiment Fils de Dieu, il est devenu aussi fils de l'homme ;
et étant le Fils unique de Dieu, il est devenu le premier-né d'un
grand nombre de frères. [Ro 8, 29]. Dès lors, il n'y a pas eu un
Fils de Dieu avant Abraham et un après Abraham ; pas plus qu'il
n'y en a eu un qui a ressuscité Lazare et un autre qui a posé des
questions à son sujet, mais c'était le même qui a dit comme homme :
« Où Lazare se trouve-t-il ? », et qui comme Dieu l'a ressuscité
[Jn 11]. Le même qui, corporellement comme homme a fait de la
salive, mais qui divinement comme Dieu ouvrit les yeux de
l'aveugle-né [Jn 9]. Et tandis qu'il a souffert dans la chair, comme
dit Pierre, [1 P 4, 1] comme Dieu, il a ouvert le tombeau et res
suscité les morts. Cest pour ces raisons que comprenant dès lors
de la même manière tout ce qui est dit dans l'Évangile, ils affir
mèrent qu'ils pensaient de même sur l'Incarnation du Verbe et sur
sa venue dans l'homme.

Ces choses ayant donc été ainsi confessées, nous vous exhortons
à ne pas condamner hâtivement ceux qui font une telle profession
et qui expliquent ainsi les mots dont ils se servent, ni à les rejeter,
mais plutôt à les accueillir puisqu'ils désirent la paix et présentent
leur défense. Au contraire, rejettez et repoussez ceux qui refusent
de faire cette profession et d'expliquer leur manière de parler. Du
reste, puisque vous refuserez de tolérer ces derniers, conseillez aux
autres qui s'expliquent et qui sont orthodoxes de ne pas continuer
274 TEXTES

à enquêter sur les opinions les uns des autres, ni à combattre sur
des mots sans aucune utilité, ni à discuter à propos des phrases
citées plus haut, mais à exprimer un même accord dans un esprit
de piété. Car ceux qui n'ont pas ce sentiment, mais qui veulent
seulement discuter sur ces petites phrases en cherchant au delà
de ce qui a été décrété à Nicée ne font rien d'autre que de donner
à boire à leurs voisins du poison qui les enivre [Ha 2, 15], en
hommes ennemis de la paix qui n'aiment que la discorde. Mais vous,
hommes bons et fidèles servants et intendants du Seigneur, arrêtez
et rejetez ceux qui provoquent le scandale et sont étrangers (à la
foi) et mettez au-dessus de toutes choses la paix qui vient d'une
saine foi. Peut-être Dieu, nous prenant en pitié, unira-t-il ce qui est
divisé et nous reformera-t-il en un seul troupeau [Jn 10, 16] où
nous aurons tous un chef, notre Seigneur Jésus-Christ.
C'est donc de ces choses, encore qu'il n'y eût nul besoin d'aller
chercher plus loin que le synode de Nicée ni de tolérer des paroles
de dispute, que nous nous sommes enquis, pour le bien de la paix
et pour éviter qu'on rejetât des hommes qui désirent professer la
foi orthodoxe. Ce qu'ils ont confessé, nous l'avons mis brièvement
par écrit, nous qui sommes demeurés à Alexandrie, en communion
avec nos compagnons de ministère, Astérius et Eusèbe. Car la
plupart d'entre nous sont repartis dans leurs diocèses. Mais vous,
en commun, veuillez faire lire ceci en daignant inviter tout le
monde. Car il est juste de lire d'abord la lettre et que ceux qui
désirent et préfèrent la paix soient d'accord. Alors, lorsque ceux-ci
seront réunis à l'endroit que le peuple jugera le meilleur, en
présence de Votre Courtoisie, qu'on célèbre des assemblées et
que le Seigneur soit glorifié par tous. Les frères qui sont avec moi
vous saluent. Portez-vous bien et faites mémoire de nous près du
Seigneur. Tous les deux, moi et Athanase, ainsi que les autres
évêques assemblés, signons et aussi Lucifer, évêque de l'île de
Sardaigne, deux diacres, Hérennius et Agapet ; et du groupe de
Paulin, Maxime et Calemeros, diacres également. Étaient présents
certains moines d'Apollinaire évêque, envoyés par lui pour ce
propos.
Les noms des différents évêques auxquels la lettre est adressée
sont : Eusèbe de Verceuil, en Gaule, Lucifer, de l'île de Sardaigne,
Asterius de Petra en Arabie, Kymatius de Paltus en Coelé-Syrie,
Anatolius d'Eubée.
Mandants : le pape Athanase et ceux qui étaient présents avec
lui à Alexandrie, c'est-à-dire : Eusèbe, Asterius et les autres, Gaius
de Paratonium près de la Lybie, Agathus de Phragonie et une
BASILE DE CÉSARËE 275

partie de l'Éléarchie d'Egypte, Ammonius de Pachnemunis et le


reste de l'Éléarchie : Agathodaemon et Schedia et Menelaitis,
Dracontius d'Hermopolis inférieure, Adelphius d'Onuphis chez les
Lychnéens, Hermion de Tanis, Marc de Zygris, près de la Lybie,
Theodore d'Athribis, André d'Arsinoé, Paphnuce de Sais, Marc de
Philae, Zoïle d'Andros, Menas d'Antiphra.

XIII

TRAITÉ « SUR LE SAINT-ESPRIT » DE


BASILE DE CÉSARÉE
(vers 375)

Les fonctions divines de l'Esprit-Saint *

Examinons maintenant les notions courantes que nous avons de


l'Esprit : celles que nous avons recueillies des Écritures à son
sujet et celles qui nous ont été transmises par la tradition non-écrite
des Pères.

Tout d'abord, qui donc, en entendant les noms de l'Esprit n'est


soulevé en son âme, qui n'élève sa pensée vers la nature la plus
haute ? Car on le dit « Esprit de Dieu », « Esprit de la Vérité qui
procède du Père» [Jn 15, 26], «Esprit sans détours», «Esprit qui
régit» [Ps 51, 12-14]. «Esprit Saint est par excellence son nom
propre, celui de l'être le plus incorporel, le plus purement imma
tériel et le plus simple qui soit. Aussi le Seigneur apprend-il à la
femme qui croyait devoir adorer Dieu en un lieu que l'Incorporel
est sans limites : « Dieu, dit-il est esprit » [Jn 4, 24] . Celui qui
entend dire « Esprit » ne peut donc se figurer une nature bornée,
soumise aux changements et sujette aux variations, en tous points
semblables à la créature. Au contraire, celui qui s'élance en sa
pensée vers la plus haute essence a nécessairement dans l'idée une
substance intelligente, infinie en puissance, illimitée en grandeur,
échappant à la mesure des temps et des siècles, prodigue de ses
propres biens.
Vers lui se tournent tous ceux qui ont besoin de sanctification,

* Basile de Césarée, Traité du Saint-Esprit, IX, 22-23, PG 32, 108-


109 ; trad. B. Pruche SC 17, 145-148 (Ed. du Cerf, Paris).
276 TEXTES

vers lui s'élance le désir de tous ceux qui vivent selon la vertu et
qui sont comme « rafraîchis » par son souffle, secourus dans la
poursuite de la fin conforme à leur nature. Capable de parfaire les
autres, lui-même ne manque de rien : non pas vivant qui doit
refaire ses forces, mais « chorège » de vie. Il ne s'accroît pas par
additions, mais il est en plénitude tout de suite, solide en lui-même,
et il est partout. Source de sanctification, lumière intelligible, il
fournit par lui-même, à toute puissance rationnelle, pour la décou
verte de la vérité, comme une sorte de clarté. Inaccessible par
nature, il se laisse comprendre à cause de sa bonté. Il remplit tout
de sa puissance mais ne se communique qu'à ceux-là seuls qui en
sont dignes, non pas suivant une mesure unique, mais en distri
buant son opération à proportion de la foi. Simple en substance,
il manifeste sa puissance par des miracles variés [He 2, 4], présent
tout entier à chaque être, tout entier partout ; « impassiblement »
il se partage, « indéfectiblement » il se donne en participation, à
l'image d'un rayon solaire dont la grâce est présente à celu" qui en
jouit comme s'il était seul, et qui éclaire la terre et la mer et se
mêle à l'air. Ainsi l'Esprit est-il présent à chacun des sujets capables
de le recevoir, comme s'il était seul, et, demeurant intact, émet la
grâce, suffisante pour tous. Ceux qui praticipent à l'Esprit jouissent
de lui autant qu'il est possible à leur nature mais non pas autant
qu'il peut, lui, se donner en participation.
Quant à l'intime union de l'Esprit à l'âme, elle ne consiste pas
dans un rapprochement local (comment pourrait-on s'approcher cor-
porellement de l'Incorporel), mais dans l'exclusion des passions qui
finissent par assaillir l'âme par suite de son amour pour la chair
et la séparent de l'intimité de Dieu. Se purifier par conséquent
de la laideur contractée par les vices, revenir à la beauté de la
nature, restituer pour ainsi dire à l'image royale sa forme primitive,
par la pureté, à cette condition seule on s'approche du Paraclet.
Et lui, comme un soleil s'emparant d'un œil très pur, te montrera
en lui-même l'Image de l'Invisible ; dans la bienheureuse contem
plation de l'Image, tu verras l'ineffable beauté de l'Archétype.
Par lui les cœurs s'élèvent, les faibles sont conduits par la main,
les progressants deviennent parfaits. C'est lui qui, en illuminant
ceux qui se sont purifiés de toute souillure, les rend « spirituels »
par communion avec lui. Comme les corps limpides et transpa
rents deviennent étincelants lorsqu'un rayon lumineux les frappe
et par eux-mêmes diffusent un autre éclat, ainsi les âmes qui
portent l'Esprit, illuminées par l'Esprit, deviennent « spirituelles »
et répandent sur les autres la grâce.
BASILE DE CÉSARÉE 277

C'est de là (que tout découle) : la prévision de l'avenir — l'in


telligence des mystères, la compréhension des choses cachées, la
distribution des charismes, la participation à la vie du ciel, le
chant en cœur avec les anges, la joie sans fin, la demeure perma
nente en Dieu, la ressemblance avec Dieu, enfin le suprême dési
rable : « devenir Dieu ».

Telles sont donc au sujet du Saint-Esprit, pour n'en citer qu'un


petit nombre entre autres, les notions que nous avons apprises des
enseignements mêmes de l'Esprit sur sa grandeur, sa dignité, ses
opérations. Maintenant il faut en venir aux contradicteurs pour
tâcher de réfuter les objections qu'ils nous opposent au nom d'une
fausse science.

L'Esprit-Saint, inséparable du Père et du Fils *.

Quant à Y « économie » établie pour l'homme par notre magni


fique Dieu et Sauveur Jésus-Christ, [Tt 2, 13] selon la bonté de
Dieu, qui donc en refusera la pleine réalisation à la grâce de
l'Esprit ? Que l'on considère le passé, les bénédictions des Pa
triarches, l'aide apportée par le don de la Loi, les « types », les
prophéties, les actions d'éclat à la guerre, les miracles accomplis
par les justes ou les dispositions relatives à la venue du Seigneur
dans la chair, tout fut réalisé par l'Esprit.

II fut d'abord présent à la chair du Seigneur, lorsqu'il s'en fit


1' « onction » et l'inséparable compagnon, comme il est écrit :
« Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et se poser, c'est mon
Fils Bien-Aimé » [Jn 1, 33, — Lc 3, 22] et « Jésus de Nazareth,
que Dieu a oint de l'Esprit-Saint » [Ac 10, 38]. Puis toute l'acti
vité du Christ se déroula en présence de l'Esprit. Il était là même
lorsqu'il fut tenté par le diable, car il est écrit : « Jésus fut conduit
au désert par l'Esprit pour y être tenté» [Mt 4, 1], Il était avec
lui encore, inséparablement, quand Jésus accomplissait ses miracles,
« car si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons ...»
[Mt 12, 28]. Il ne l'a pas quitté après sa résurrection d'entre les
morts : Quand le Seigneur, pour renouveler l'homme et pour lui
rendre, car il l'avait perdue, la grâce reçue du souffle de Dieu,

* Basile de Césarée, Traité du Saint-Esprit, XVI, 39-40, PG 32, 140-


144 ; trad. B. Pruche SC 17, 180-183 (Ed. du Cerf, Paris).
278 TEXTES

quand le Seigneur souffla sur la face de ses disciples, qu'a-t-il dit ?


« Recevez l'Esprit-Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils
leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront
retenus» [Jn 20, 22-23].

Et l'organisation de l'Église ? N'est-ce pas évidemment, et sans


contredit, l'œuvre de l'Esprit ? Car, suivant saint Paul, c'est lui
qui a donné à l'Eglise « premièrement des Apôtres, deuxièmement
des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite le don des mi
racles, puis des charismes de guérison, des secours, des gouverne
ments, des langues diverses» [1 Co 12, 28]. L'Esprit distribue
cet ordre-là suivant la répartition de ses dons.

On en conclura peut-être, à condition de bien raisonner, que,


même au temps où se produira du haut du ciel l'apparition attendue
du Seigneur, l'Esprit-Saint ne sera pas inutile, comme certains le
pensent, et qu'il sera là, lui aussi, au jour de la révélation du Sei
gneur [Ro 2, 5], quand le bienheureux et seul Souverain [1 Ti 6, 15]
jugera toute la terre en justice. De fait, qui peut être assez ignorant
des biens préparés par Dieu à ceux qui en sont dignes, pour ne
pas voir dans la couronne des justes la grâce de l'Esprit, offerte
alors plus abondante et plus parfaite, quand la gloire spirituelle sera
distribuée à chacun en proportion de ses actes de vertu ? Dans les
splendeurs des saints il existe en effet de nombreuses demeures
chez le Père [Jn 14, 2] , c'est-à-dire diversité d'honneurs : « Comme
une étoile diffère d'une étoile en éclat, ainsi en est-il de la résur
rection des morts » [1 Co 15, 41-42]. Or ceux qui ont été marqués
du sceau de l'Esprit-Saint [Ep 1, 13-14] pour le jour du rachat, et
qui ont su conserver intègres et pures les prémices de l'Esprit
qu'ils ont reçues, ce sont ceux-là qui s'entendront dire : « C'est bien,
bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, je te
mettrai à la tête de beaucoup» [Mt 25, 21]. De même ceux qui
ont chagriné l'Esprit-Saint par la perversité de leurs mœurs, ou
qui n'ont pas fait fructifier le don reçu, seront dépossédés de ce
qu'ils avaient reçu ; le bienfait en passera alors à d'autres, ou bien,
d'après l'un des évangélistes, ils seront entièrement coupés en
deux. « Être coupé en deux » doit s'entendre d'une complète sépa
ration d'avec l'Esprit. Un corps ne se partage pas afin que l'une
des parties soit livrée au châtiment et l'autre renvoyée libre ; cela
relèverait de la fable, ce ne serait pas d'un juste juge, de ne
châtier que la moitié quand le tout est coupable. L'âme non plus
ne peut se couper en deux ; toute entière elle possède totalement
la pensée coupable et s'aide du corps pour faire le mal. « Être
BASILE DE CESARÉE 279

coupé en deux », c'est pour l'âme, comme je l'ai dit, être séparé de
l'Esprit de façon définitive. Maintenant, bien que l'Esprit ne soit
pas mêlé aux indignes, il semble pourtant qu'il soit présent d'une
certaine manière à ceux qui furent un jour marqués du sceau,
attendant patiemment leur salut de leur conversion ; mais alors il
sera totalement coupé d'avec l'âme qui aura profané sa grâce.
Aussi n'y a-t-il personne à louer Dieu en enfer, ni dans la mort
quelqu'un à se souvenir de Dieu [Ps 6, 6], parce que le secours de
l'Esprit n'est plus là.
Comment penser que le « Jugement » pourrait s'effectuer sans le
Saint-Esprit, quand la Parole montre qu'il doit être la récompense
des justes, lorsque le total aura été payé à la place des arrhes, et
qu'il doit être aussi la première condamnation des pécheurs, quand
ceux-ci seront dépouillés de cela même qu'ils paraissaient avoir ?

Les opérations de VEsprit-Saint *.

Quelles sont ces opérations ? D'une inexprimable grandeur, elles


sont multitude innombrable. Comment concevoir ce qui est anté
rieur aux siècles, quelles étaient ses opérations avant que fût la
créature intellectuelle, le nombre de ses bienfaits à l'égard des
créatures, sa puissance par rapport aux siècles à venir ? Car il
était, et il préexistait, et il était présent avant les siècles avec le
Père et le Fils. Si tu concevais par conséquent quelque chose
(existant) au-delà des siècles, tu la trouverais postérieure à l'Esprit.
Penses-tu à la création ? Les puissances des cieux ont été affermies
par l'Esprit et cet affermissement s'entend, bien entendu, d'une
stabilisation dans l'habitude du bien, car l'intimité avec Dieu, l'in
différence au mal, la permanence dans la béatitude leur viennent
de l'Esprit. La venue du Christ ? L'Esprit la devance aussi ; sa
présence dans la chair ? L'Esprit en est inséparable. Miracles et
dons de guérison ont été produits par l'opération de l'Esprit-Saint.
Les démons ont été chassés dans l'Esprit de Dieu. Le diable a
perdu son pouvoir en présence de l'Esprit. Les péchés sont par-
donnés dans la grâce de l'Esprit, car « vous avez été lavés et sanc
tifiés dans le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit-
Saint » [1 Co 6, 11]. L'intimité avec Dieu s'établit par l'Esprit,
car « Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils en nos cœurs, pour y crier :
Abba, Père ! » [Ga 4, 6] . La résurrection des morts s'opère par
* Basile de Césarée, Traité du Saint-Esprit, XIX, 48-49, PG 32, 156-
160 ; trad. B. Pruche SC 17, 200-203 (Ed. du Cerf, Paris).
280 TEXTES

l'Esprit, car « tu enverras ton Esprit et ils seront créés, et tu renou


velleras la face de la terre» [Ps 104, 30]. Si l'on entend cette
« création-là » de la reviviscence des êtres dissous, comment n'est-
elle pas puissante, l'opération de l'Esprit qui nous dispense la vie
provenant de la résurrection et réadapte notre âme à cette vie
spirituelle ? Mais si par cette « création » on entend la transfor
mation dès ici-bas, en un état meilleur, de ceux qui sont tombés
par le péché (ce qui est bien dans la manière de l'Écriture, par
exemple lorsque Paul dit : « Si quelqu'un est dans le Christ, il y
est comme une créature nouvelle») [2 Co 5, 17], si l'on entend
par « création » le renouvellement qui s'opère dès ici-bas et le chan
gement de cette vie terrestre et passible en une vie céleste, œuvre
de l'Esprit en nous, elle met, cette création, notre âme au comble
de l'admiration. Faudra-t-il craindre d'aller au-delà de son mérite,
par des honneurs excessifs, ou plutôt d'en rabaisser au contraire la
notion, quand bien même nous penserions lui appliquer les plus
beaux noms qui soient sortis d'une pensée et d'un langage hu
mains ? Ainsi parle le Saint-Esprit (comme : « ainsi parle le Sei
gneur ») : « Descends, marche avec eux sans hésiter parce que
c'est moi qui les ai envoyés [Ac 10, 20] . « Sont-ce là paroles d'un
être de basse condition que paralyse la frayeur ? « Séparez-moi
Barnabe et Saul pour l'œuvre à laquelle je les ai appelés. [Ac, 13,
2] » Un esclave parle-t-il ainsi ? « Le Seigneur m'a envoyé et son
Esprit» [Is 48, 16], proclame Isaïe, et «l'Esprit est descendu
d'auprès du Seigneur et les a guidés ». Et ne prends pas encore
cette action de guider pour un humble office car c'est l'œuvre de
Dieu même, la parole l'atteste : « Tu as guidé, dit-elle, ton peuple
comme un troupeau » [Ps 77, 21] et « c'est lui qui guide Joseph
comme une brebis » [Ps 80, 1] ; « il les a guidés dans l'espérance
et ils n'ont pas eu peur » [Ps 78, 53] . Quand tu entends dire :
« Lorsque viendra le Paraclet, celui-là vous rafraîchira la mémoire
et vous guidera vers la vérité tout entière» [Jn 14, 26; 16, 13],
conçois l'action de guider comme tu viens de l'apprendre, ne la
calomnie pas.

Mais « il intercède aussi pour nous » [Ro 8, 26-27], dit saint


Paul ! C'est donc que l'Esprit est aussi loin de Dieu, en dignité,
qu'un suppliant de son bienfaiteur ! — Eh quoi, n'as-tu jamais
entendu dire du Monogène qu'il est à droite de Dieu et qu'il in
tercède pour nous [Ro 8, 34] ? Ne va pas, parce que l'Esprit est
en toi (s'il est vrai qu'il est bien en toi) ni parce que nous, les
aveugles, il nous enseigne à choisir ce qui est profitable et qu'il
nous guide, ne va pas porter atteinte à la doctrine pieuse et sacrée
GRÉGOIRE DE NAZIANZE 281

que nous avons à son sujet ! Ce serait, certes, le comble de l'im


pudence de faire de la libéralité du bienfaiteur une occasion d'in
gratitude ! Ne chagrinez donc pas l'Esprit-Saint [Ep 4, 30]. Enten
dez ce que disait Etienne, le premier des martyrs, lorsqu'il repro
chait au peuple son indocilité et son insoumission : « Vous, vous
résistez toujours à l'Esprit-Saint » [Ac 7, 51] ; et Isaïe : « Ils ont
irrité l'Esprit-Saint, alors il s'est changé pour eux en ennemi »
[Is 63, 10] ; ailleurs : « La maison de Jacob a irrité l'Esprit du
Seigneur ». N'est-ce point là signe d'une souveraine puissance ?
Je laisse aux lecteurs de juger ce qu'il faut penser en entendant ces
affirmations : sont-elles dites d'un instrument, d'un sujet, d'un
être de « même honneur » que la créature et qui est notre « com
pagnon d'esclavage » ? Ne serait-il pas tout à fait insupportable
à des gens pieux d'insinuer, ne fût-ce qu'en paroles, un pareil blas
phème ? Tu dis que l'Esprit est esclave ? Mais le Seigneur a dé
claré que l'esclave ne sait pas ce que fait son maître [Jn 15, 15],
or l'Esprit sait les choses de Dieu comme l'esprit de l'homme sait
ce qu'il y a dans l'homme [1 Co 2, 11].

XIV

Ve DISCOURS THÉOLOGIQUE DE
GRÉGOIRE DE NAZIANZE

(380)

Les illuminations successives données aux hommes sur le Saint-


Esprit *.

Il se communique progressivement aux Apôtres, se mesu


rant à leur capacité : suivant qu'on est aux premiers temps de
l'Évangile, après la Passion, ou après l'Ascension, il perfectionne
leurs aptitudes, il leur est insufflé [Jn 20, 22], où il apparaît sous
forme de langues de feu [Ac 2, 3]. Et Jésus ne révèle l'Esprit que
peu à peu ; tu le remarqueras, si tu prêtes attention aux textes.
Il dit d'abord : « Je demanderai au Père et il vous enverra un
second Consolateur (Paraclet), l'Esprit de vérité» [Jn 14, 16-17].

* Grégoire de Nazianze, Discours théologique, V, 26-27, PG 36, 163-


164 ; trad. P. Gallay, 210-212 (Vitte, Lyon 1942).
282 TEXTES

Il s'exprime de la sorte pour qu'on ne croie pas qu'il est en désac


cord avec Dieu et qu'il parle sous l'influence d'une puissance étran
gère. Il dit ensuite : « Le Père l'enverra », mais « en mon nom »
[Jn 14, 26] ; il laisse ainsi de côté la demande pour retenir seu
lement que le Père enverra l'Esprit. Après quoi, il déclare : « Je
l'enverrai » [Jn 16, 7], montrant ainsi sa propre autorité. Il dit
enfin : « Il viendra » [Jn 16, 8], ce qui indique la puissance de
l'Esprit.
[27]. Tu vois les illuminations successives qui ont éclairé notre
esprit, et l'ordre qu'il convient de garder en théologie, en évitant
de révéler la vérité d'une façon indiscrète, mais sans s'obstiner à
la cacher. La première manière de faire serait maladroite ; la
seconde, contraire à la piété ; l'une pourrait froisser ceux qui sont
étrangers à notre foi, l'autre pourrait nous aliéner ceux qui sont
des nôtres.
Je veux maintenant ajouter une idée, qui est peut-être venue à
d'autres, mais je crois qu'elle est un fruit de mes réflexions. Le
Sauveur avait sans doute enseigné bien des choses, mais il restait
certaines vérités dont les disciples, disait-il, ne pouvaient porter
le fardeau [Jn 8, 12], probablement pour les raisons que j'ai indi
quées ci-dessus. Il ne les révélait donc pas, mais l'Esprit enseigne
rait tout quand il serait venu parmi nous [Jn 8, 13]. L'un de ces
mystères était, je le crois, la divinité même de l'Esprit : elle devait
être révélée plus tard, lorsqu'on serait mieux préparé à accepter
ce dogme, lorsque le Sauveur se serait rétabli dans sa gloire, car
on ne pouvait lui refuser créance après ce miracle. Y avait-il, en
effet, quelque chose de plus grand qu'il pût promettre ou que
l'Esprit pût enseigner ? S'il est quelque chose que l'on doive regar
der comme grand et comme digne de la magnificence divine, c'est
bien ce que le Christ promettait et ce que l'Esprit devait enseigner.

Comment l'Écriture parle de TEsprit : il est Dieu *.

Tels sont les arguments que l'on pourrait faire valoir si


l'on concédait qu'il n'est pas question dans l'Écriture de la divi
nité de l'Esprit. Mais voici une foule de témoignages qui prou
veront que cette vérité se trouve fréquemment dans l'Écriture, —

* Grégoire de Nazianze, Discours théologique, V, 29-30, PG 36, 165-


169 ; trad. P. Gallay, 213-217 (Vitte, Lyon 1942).
GRÉGOIRE DE NAZIANZE 283

à ceux du moins, qui ne sont pas déraisonnables ni trop étrangers


à l'Esprit. Regarde : le Christ naît [Lc II, 7)], l'Esprit le précède
[Lc I, 35] ; il est baptisé [Lc 3, 21], l'Esprit rend témoignage
[Lc 3, 22] ; il est tenté [Lc 4, 2], l'Esprit le fait revenir en Gali
lée [Lc 4, 14] ; il accomplit des miracles, l'Esprit l'accompagne
[Lc 4, 18-19] ; il est élevé au Ciel [Ac 1, 9], l'Esprit lui succède
[Ac 2, 4]. Y a-t-il un des prodiges accomplis par Dieu auquel l'Esprit
ne participe ?

Parmi les noms que l'on donne à Dieu, en est-il un qui ne con
vienne à l'Esprit ? Il faut exclure ceux d'engendré et d'inengendré,
car le Père et le Fils doivent garder leurs propriétés distinctives,
pour qu'il n'y ait pas de confusion dans la Divinité qui fait régner
l'ordre et l'harmonie en toutes choses. Je frémis, pour ma part, en
songeant à la richesse des appellations que l'on outrage, et à tous
les noms divins que l'on blasphème quand on attaque l'Esprit !
Car l'Écriture l'appelle : Esprit de Dieu [1 Co 2, 11], Esprit du
Christ, Intelligence du Christ [Ro 8, 9], Esprit du Seigneur [Sg 1,
7], Seigneur lui-même [2 Co 3, 17], Esprit d'adoption [Ro 8, 15],
de vérité [Jn 14, 17; 15, 26], de liberté [2 Co 3, 17], Esprit de
sagesse, d'intelligence, de conseil, de force, de science, de piété,
de crainte de Dieu [Is 11, 2] ; il est, en effet, auteur de toutes
choses [Jnd 16, 17], emplissant tout de son essence [Sg 1, 7] ; il
contient tout ; il emplit le monde par son essence [Sg 1, 7] mais
le monde ne peut borner sa puissance ; il est bon [Ps 143, 10],
il est droit [Ps 51, 12], il dirige [Ps 51, 14], il sanctifie par nature
et non par une faveur [1 Co 6, 11] ; il mesure, mais il n'est pas
mesuré [Jn 3, 34] ; il se communique [Ro 8, 15], mais il ne participe
pas aux autres ; il emplit les choses [Sg 1, 7], mais les choses ne
l'emplissent pas ; il contient [Sg 1, 7], mais il n'est pas contenu;
il est reçu en héritage [Ep 1, 13-14], il est glorifié [1 Co 6, 19-20],
il est compté avec le Père et le Fils [Mt 28, 19], à son sujet on
fait une menace redoutable [Mc 3, 29], il est le doigt de Dieu
[Lc 11, 20], il est un feu [Ac 2, 3], comme Dieu [Dt 4, 24], pour
montrer, sans doute, qu'il est consubstantiel ; il est l'Esprit qui
crée [Ps 104, 30], qui donne une seconde naissance par le baptême
[Jn 3, 5], par la résurrection ; il est l'Esprit qui connaît toutes
choses [1 Co 2, 10], qui enseigne [Jn 14, 26], qui souffle où il
veut et autant qu'il veut [Jn 3, 8], qui conduit [Ps 143, 10], qui
parle [Ac 13, 2], qui envoie [Ac 13, 4], qui met à part certains
Apôtres [Ac 13, 2], qui s'irrite [Jb 4, 9], qui est tenté [Ac 5, 9],
qui révèle [Jn 16, 13], qui illumine [Jn 14, 26], qui donne la vie
[Jn 6, 63], ou plutôt, qui est lui-même lumière et vie. Il fait de
284 TEXTES

nous ses temples, il nous déifie [1 Co 3, 16], il est notre perfection,


si bien qu'il précède le baptême et qu'on a besoin de lui après le
baptême ; il fait tout ce que fait Dieu [1 Co 12, 4-6] ; il s'est
manifesté sous forme de langues de feu [Ac 2, 3], il distribue ses
dons [1 Co 12, 11], il fait les Apôtres, les Prophètes, les Évan-
gélistes, les Pasteurs et les Docteurs [Ep 4, 11] ; il est intelligent,
multiple, clair, pénétrant, sans souillure, il ne connaît pas d'obs
tacle [Sg 7, 22],— ou en d'autres termes, il est la Sagesse suprême,
il manifeste son action sous mille formes, il explique et révèle tout,
il est son propre maître, il est immuable. Il est aussi tout-puissant,
il veille sur toutes choses, il pénètre tous les esprits [1 Co 2, 10],
ceux qui sont intelligents, purs, subtils, — je veux dire les puis
sances angéliques, — aussi bien que les esprits des Prophètes et
des Apôtres, et cela au même instant et dans les lieux les plus
divers, puisque ces esprits sont dispersés ici et là. Il est donc certain
qu'il n'est pas limité par aucun lieu.

Quand on emploie toutes ces expressions et qu'on les en


seigne, quand on y ajoute les appelations de Second Consolateur
(Paraclet) [Jn 14, 16] et, pour ainsi dire, de Second Dieu, quand
on sait que le blasphème contre l'Esprit est le seul péché irré
missible [Mt 12, 31], quand on connaît la flétrissure sévère qui
marqua Ananie et Saphire parce qu'ils avaient menti à l'Esprit-
Saint, c'est-à-dire menti à Dieu et non aux hommes [Ac, 5], —
crois-tu qu'alors on proclame la divinité de l'Esprit ou quelque
chose d'autre ? Combien faut-il que tu aies l'intelligence épaisse
et que tu sois loin de l'Esprit, si tu doutes de cela et s'il faut
qu'on te l'enseigne ! Tu vois donc à quel point ces noms sont nom
breux et vivants. Pourquoi faut-il te citer à la lettre ces témoi
gnages ?

Quant aux termes plus humbles qu'on lit dans l'Écriture :


l'Esprit est donné [Lc 11, 13], il est envoyé [Jn 16, 7], il est dis
tribué [He 2, 4], il est une grâce [1 Co 12, 30], il est un don
[Ac 2, 38], il est un souffle [Jn 20, 22], il est une promesse [Ga 3,
14], il est un intercesseur [Ro 8, 26], et d'autres expressions du
même genre, — car je ne veux pas tout énumérer, — il faut rap
porter tous ces termes à la Cause première. On voit ainsi de qui
vient l'Esprit et l'on ne risque pas d'admettre trois principes dis
tincts, ce qui ferait plusieurs dieux. Car c'est une égale impiété
de confondre (les personnes) comme Sabellius ou de séparer (les
natures) comme Arius.
CANONS DE CONSTANTINOPLE 285

XV

CANONS DU CONCILE DE CONSTANTINOPLE *

1. On ne doit pas abroger la foi des trois cent dix-huit Pères


réunis à Nicée de Bithynie, mais elle doit demeurer en vigueur, et
l'on doit anathématiser toute hérésie ; spécialement celle des Eu-
nomiens ou Anoméens, et celle des Ariens ou Eudoxiens, et celle
des Semi-ariens ou Pneumatomaques, et celle des Sabelliens, et
celles des Marcelliens, et celle des Photiniens, et celle des Apolli-
naristes.
2. Que les évêques d'un diocèse n'interviennent pas dans les
Églises qui leur sont étrangères ni ne mettent de désordre dans
les Églises, mais que, conformément aux canons, l'évêque d'Ale
xandrie administre seulement les affaires de l'Egypte, les évêques
de l'Orient, seulement celles du diocèse oriental, en maintenant les
prérogatives reconnues par les canons de Nicée à l'Église d'An-
tioche ; que les évêques du diocèse d'Asie administrent seulement
les affaires de l'Asie, ceux du Pont, seulement celles du Pont, et
ceux de la Thrace, seulement celles de la Thrace. S'ils ne sont pas
appelés, les évêques ne sortiront pas de leur diocèse pour imposer
les mains ou pour d'autres fonctions ecclésiastiques. Si on observe
ce canon, il est clair que le synode de l'éparchie est compétent
dans son éparchie, selon les déterminations de Nicée. Quant aux
Églises de Dieu qui sont parmi les peuples barbares, il convient
qu'elles soient administrées selon la coutume mise en vigueur par
les Pères.
3. L'évêque de Constantinople doit avoir la primauté d'hon
neur après l'évêque de Rome, car cette ville est la nouvelle Rome.
4. A propos de Maxime le Cynique et des désordres qui, à cause
de lui, se sont produits à Constantinople, [nous déclarons] que
Maxime n'a jamais été et qu'il n'est pas évêque, ni que ceux qu'il
a ordonnés à quelque degré du clergé ne l'ont été ; tout ce qui a
été fait à son égard ou qu'il a fait lui-même est sans valeur.

* Mansi, III, 558-559 ; Hefele-Leclercq, II/l, 20-27 ; trad. G.


DUMEIGE.
286 TEXTES

XVI

LETTRE SYNODALE DE CONSTANTINOPLE *


(382)

Aux très honorés seigneurs et très révérends


frères et compagnons de ministère, Damase,
Ambroise, Britton, Valérien, Acholius, Ane-
mius, Basile et aux autres évoques réunis dans
la grande ville de Rome, le saint Synode des
évêques orthodoxes qui se sont réunis dans
la grande ville de Constantinople, Salut dans
le Seigneur.

Il semble superflu d'apprendre et de représenter à Votre Révé


rence, comme si vous les ignoriez, la multitude des calamités que
nous avons dû subir de la domination des Ariens. Nous ne pen
sons pas, en effet, que Votre Piété fasse si peu cas de nos affaires
qu'il soit besoin de vous en informer ; elles méritaient qu'on y
compatisse. Les tempêtes qui nous ont assailli n'étaient pas si
petites qu'elles aient pu échapper aux regards. Le temps encore
proche des persécutions en maintient le souvenir présent non seu
lement pour ceux qui les ont souffertes, mais aussi pour ceux dont
la charité s'est associée à ceux qui les souffraient. Hier, pour ainsi
dire, et aussi avant-hier, certains, libérés des liens de l'exil, sont
retournés à leur église à travers mille périls, et de ceux qui sont
morts en exil on a ramené les restes ; certains, encourant, après
leur retour d'exil la fureur encore bouillonnante des hérétiques,
ont enduré de pires traitements en leur patrie que sur la terre
étrangère, accablés de pierres, comme le bienheureux Etienne
[Act, 7, 58] ; d'autres, épuisés par divers supplices, portent encore
les stigmates du Christ [Ga 6, 17] et les marques des fouets en leur
corps. Les amendes financières, les peines arbitraires des cités, les
confiscations de biens privés, les embûches, les violences et les
prisons, qui pourrait les compter ? En vérité, toutes les afflictions
se sont multipliées sur nous au delà de toute mesure, peut-être pour
que nous expiions la peine de nos péchés, peut-être parce que
Dieu qui nous aime a voulu nous exercer par cette masse
* Théodoket, H.E., V, 9, PG 82, 1212-1217 sv ; GCS 29, 289-294 ;
trad. G. Dumeige.
SYNODALE DE CONSTANTINOPLE 287

d'épreuves. Grâces donc soient rendues à Dieu qui a instruit ses


serviteurs par tant d'afflictions [Ps 50, 3] et qui, dans son innom
brable miséricorde, nous a ramenés au lieu du rafraîchissement [Ps
66, 12].
Certes, pour restaurer les Églises, un effort continu, beaucoup
de temps et de travail étaient nécessaires ; il fallait guérir à force
de soins par de patients remèdes, comme après une longue mala
die, le corps de l'Eglise et le ramener à sa vigueur première. Même
s'il semble que nous ne soyons pas tout à fait libérés de la violence
des persécutions, et que nous avions récupéré les églises longtemps
occupées par les hérétiques, cependant ces loups pour nous dan
gereux, même chassés des bercails, attaquent les troupeaux de
brebis dans les bois, célèbrent hardiment des réunions d'opposi
tion, excitent les soulèvements populaires et ne négligent rien enfin
de ce qui peut nuire aux Églises. Il nous était donc nécessaire,
comme nous l'avons dit, de travailler sans relâche pendant bien du
temps. Maintenant donc que, manifestant votre amour fraternel
pour nous, vous nous avez invités par des lettres du Très Religieux
Empereur, comme vos propres membres, au synode que vous réunis
sez, par la permission divine, à Rome, pour que, si en un temps nous
avons supportés seuls les tribulations, maintenant vous ne régniez
pas sans nous [1 Co 4, 8] en cette concorde due à la piété des
empereurs, mais que nous régnions avec vous, selon le mot de
l'Apôtre, nous aurions désiré, si la chose était possible, tous en
semble laisser nos Églises et plutôt suivre notre désir que la néces
sité. Qui nous donnera des ailes comme à la colombe pour voler
et nous reposer près de vous ? [Ps 55, 7]. Mais cela priverait
totalement des Églises qui sont en leur renouveau et la chose est
absolument impossible. Nous nous sommes, en effet, assemblés à
Constantinople, conformément aux lettres envoyées par Votre Ré
vérence au Très Religieux Empereur Théodose l'année après le
concile d'Aquilée. Nous ne nous sommes préparés que pour le
seul voyage de Constantinople et n'avons apporté à ce synode que
le consentement des évêques qui sont restés dans les éparchies,
n'ayant pas envisagé la nécessité d'un plus long voyage ni n'en
ayant pas entendu parler avant de venir à Constantinople. En
outre, la proximité du terme assigné ne laisse pas le temps ni de se
préparer pour un plus long voyage ni d'avertir les évêques de
notre communion qui sont dans leurs éparchies ni de recueillir
leur assentiment. Cela et bien d'autres raisons encore ayant donc
empêché la venue d'un grand nombre, ce qui était plus pressant,
pour remettre en ordre les affaires et pour manifester notre bon
vouloir à votre égard, nous avons instamment prié nos très rêvé
288 TEXTES

rends et très honorés frères et compagnons de ministère Cyriaque,


Eusèbe et Priscien, de bien vouloir prendre la peine de se rendre
chez vous. Grâce à eux, vous verrez clairement notre volonté qui
ne veut que la paix, qui ne vise qu'à l'unité et notre zèle pour la
saine foi. Nous avons, en effet, supporté de la part des hérétiques
les persécutions, les tourments, les menaces impériales, la cruauté
des juges et toutes sortes d'épreuves pour la foi évangélique éta
blie par les trois cent dix-huit Pères à Nicée de Bithynie. C'est bien
cette foi que vous, nous et tous ceux qui ne pervertissent pas la
parole de la vraie foi, nous devons approuver : n'est-elle pas la plus
ancienne et conforme au baptême, elle qui nous apprend à croire
au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, si bien d'ailleurs
que l'on croie aussi une divinité, une puissance et une substance
du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et une égale dignité et un
empire co-éternel en trois hypostases parfaites ou en trois Per
sonnes parfaites ; de sorte que la peste de Sabellius ne saurait
trouver de place, qui confond les hypostases et supprime les pro
priétés, pas plus que les blasphèmes des Eunomiens, des Ariens et
des Pneumatomaques ne sauraient trouver de force, qui déchirent
la substance ou nature et la divinité, et qui introduit dans la Tri
nité incréée, consubstantielle et éternelle une nature sur-venue,
créée ou d'une substance diverse. Nous gardons aussi sans la faus
ser la doctrine de l'Incarnation du Seigneur et n'admettons pas une
venue dans la chair qui se soit réalisée sans âme ou sans intellect
ou de manière imparfaite. Mais nous savons que le Verbe de Dieu
absolument parfait avant les siècles a été fait homme parfait en
ces derniers jours pour notre salut. Ces vérités sont en résumé
toute la foi que nous confessons sans détour. Vous pourrez en
éprouver une joie plus grande si vous daignez regarder le Tome
d'Antioche rédigé par le synode qui s'y est réuni, et celui qui a
été publié l'an dernier par le Synode œcuménique de Constanti-
nople. Nous y avons exposé plus au long notre foi et nous y avons
souscrit une condamnation contre les hérésies qui se sont récem
ment manifestées.

A propos de l'administration particulière des Églises, comme vous


le savez, sont en vigueur un usage et une définition des saints
Pères de Nicée réglant que les évêques d'une province, et, s'ils le
veulent, ceux qui leur sont limitrophes, peuvent faire dans chaque
province des ordinations, selon l'utilité. C'est d'après cette ordon
nance, sachez-le, que toutes les Églises sont administrées et qu'ont
été établis les prêtres des très illustres Églises. C'est ainsi que nous
avons consacré évêque de la nouvelle, pour ainsi dire, Constan
SYNODALE DE CONSTANTINOPLE 289

tinople, récemment arrachée par la miséricorde de Dieu, au blas


phème des hérétiques comme à la gueule du lion, le Très Révérend
et Très Religieux Nectaire, dans le concile œcuménique, d'un com
mun consentement et en présence du Très Religieux Empereur
Théodose, de tout le clergé, avec l'assentiment de toute la cité.
Pour la très ancienne et vraiment apostolique Église d'Antioche de
Syrie, où pour la première fois le vénérable nom des chrétiens a
été en usage, c'est le Très Révérend et Très Vénérable évêque
Flavien que les évêques de la province et du diocèse d'Orient
réunis ont canoniquement ordonné, du consentement de toute
l'Église, comme si on avait voulu l'honorer d'une voix unanime.
Cette ordination, tout le synode l'a reçue comme légitime. Nous
vous informons que le Très Révérend et Très Religieux Cyrille est
évêque de Jérusalem, la mère de toutes les Églises. Il a été autre
fois ordonné canoniquement par les évêques de sa province et il
a combattu en divers lieux contre les Ariens. Nous demandons donc
à Votre Piété de féliciter ces hommes qui ont été établis légiti
mement et canoniquement. Que la charité spirituelle intercède,
que la crainte du Seigneur réprime toute affection humaine et mette
au-dessus des penchants et des relations d'amitié avec les parti
culiers, l'édification des Églises. Ainsi, la doctrine de foi étant una
nime et la charité chrétienne confirmée en nous, nous cesserons de
dire ce qui a été condamné par les Apôtres : « Moi, je suis pour
Paul, moi pour Apollos, moi pour Céphas » [1 Co 1, 12], et tous,
montrant que nous sommes pour le Christ qui en nous n'est pas
divisé, nous conserverons sans séparation, par la faveur de Dieu,
le corps de l'Église et nous comparaîtrons avec confiance au tribu
nal de Dieu [Ro 14, 10].
CHRONOLOGIE

268 2e synode d'Antloche. Condamnation de Paul de


Samosatc. Lettre synodale.
300 Pierre, évêque d'Alexandrie.
303 automne Trois édits de persécution de Dioclé-
tien. Fuite de Pierre d'Alexandrie.
304 avril Édit général de persécution.
305 Le siège de Rome est vacant jusqu'en 308.
En Afrique, débuts du donatisme.
306 Constantin et Maxence établissent la
liberté du culte chrétien dans leurs
possessions.
En Egypte, début du schisme mélétien, provoqué
par Mélèce de Lycopolis.
308 Marcel, pape.
309 Eusèbe, pape.
310 Hiltlade, pape. Édit de tolérance de Galère.
311 25 nov. Mort de Pierre d'Alexandrie, martyr.
312 Rescrit de tolérance de Maximin
Daïa.
Mort de Lucien d'Antloche.
28 oct. Constantin vainqueur de Maxence au
Pont Milvius.
313 Alexandre, évêque d'Alexandrie.
printemps Les clercs sont dispensés des « munera civilia ».
milieu « Édit de Milan » (connu par le rescrit donné par
Licinius pour l'Orient).
octobre Synode de Rome. Condamnation des donatistes.
311 SI Janv. Silvestre, pape.
août Concile d'Arles. Condamnation des donatistes. Sy
nodale au pape Sylvestre et 22 canons.
316 10 nov. Sentence de Constantin contre les donatistes.
318 c Difficultés entre Alexandre et Arius à Alexandrie,
provoquées par la prédication d'Arius.
320 ou 321 Synode d'Alexandrie. Une centaine d'évêques con
damne Arius qui se retire à Césarée, puis à Nico-
médie. Lettre synodale.
Profession de foi d'Arius. La Thalie.
CHRONOLOGIE 291
324 18 sept. Batailles d'Hadrianopolis et de Chry
sopolis. Constantin, vainqueur de
Licinius, tué.
Concile de Nicomédie contre les ariens et les col-
luthiens.
fin Synode d'Antioche (?). Élection d'Eustathe, Condam
nation d'Arius.
fin Osius de Cordoue porte à Alexandre une lettre de
Constantin.
324 fin
325 début Constantin convoque un concile à Nicée.
25 mai Séance d'ouverture du concile, après l'arrivée de
Constantin.
Questions dogmatiques. Condamnation d'Arius. Dis
cussion sur une formule de foi. Proposition du
Credo de Césarée comme base des travaux. Symbole
de Nicée. Question du schisme mélétien. Question
de la date de Pâques. Vingt canons disciplinaires.
19 juin ? Clôture du concile.
Exil d'Eusèbe de Nicomédie, de Théognis de Nicée
et de Maris de Chalcédoine, qui ont retiré leur
signature.
327 Nouvelle convocation du concile ?
A Jérusalem, construction de la basilique de
l'Anastasis.
328 18 avril A Alexandrie, mort d'Alexandre. Athanase, élu
évêque, lui succède.
Retour d'exil d'Eusèbe de Nicomédie et de Théo
gnis de Nicée.
330 Synode semi-arien d'Antioche. Déposition d'Eustathe
d'Antioche, nicéen, exilé en Thrace.
Inauguration de Constantinople.
333 fin Les Mélétiens accusent Athanase devant Constantin.
335 printemps Retour d'Arius.
juillet Synode arien de Tyr, dont les évêques d'Egypte
sont exclus. Déposition d'Athanase, exilé ensuite
à Trêves, et de divers autres évêques nicéens.
Le synode se transporte à Jérusalem pour la dédi
cace de l'Anastasis. Il déclare Arius orthodoxe.
Synode de Constantinople. Eusèbe de Nicomédie
remplace Paul de Constantinople, déposé.
31 déc. Mort de Silvestre ? Marc, pape.
336 Veille de Mort d'Arius, qui allait être réadmis dans la com
Pâques munion de l'Église.
337 6 février Jules I", pape.
22 mai Mort de Constantin, baptisé par Eu
sèbe de Nicomédie. Ses fils, Constan
tin II, Constance II et Constant lui
succèdent. Constance commande en
Orient.
23 nov. Retour d'exil d'Athanase.
292 CHRONOLOGIE

338 Synode d'Alexandrie en faveur d'Athanase.


340 9 avril Constant commande en Occident
après la mort de Constantin II.
340 automne Synode de Rome. Athanase reconnu comme évêque
légitime, mais exilé pour la deuxième fois. Lettre
du pape Jules aux Orientaux.
Synode « de la Dédicace » (in Enca eniis) k An-
tioche, où sont proposées quatre formules de foi
non hérétiques qui ne contiennent pas l'homoousios.
342 Mort d'Eusèbe de Nicomédie.
343 automne ? Concile de Sardique qui réédite Nicée. Osius pré
sident. Les Orientaux n'y siègent pas et rédigent
une Lettre (quatrième formule d'Antioche). Lettres
synodales et 19 canons disciplinaires.
Constance bat les Perses.
345 Synode de Milan. Photin de Sirmium condamné par
les Occidentaux.
346 octobre Retour d'exil d'Athanase.
350 Mort de Constant. Magnence, usur
pateur.
351 hiver Concile arien de Sirmium. Première formule
(= quatrième formule d'Antioche) et 27 anathèmes.
352 12 avril Mort de Jules Ier.
11 mal Libère, pape.
353 Constance, seul empereur.
10 août Synode arien d'Arles, qui reprend Sardique, contre
fin Athanase. Exil de Paulin de Trêves.
355 Synode arien de Milan. Libère, qui soutient Atha
nase, est exilé en Thrace. Osius et Hilaire de Poi
tiers exilés. Georges, « évêque » d'Alexandrie.
356 Félix II, antipape, remplace Libère.
A Alexandrie, Athanase doit s'exiler une troisième
fois et part en Thébalde.
357 été Concile arien de Sirmium — 2e formule anoméenne,
qui rejette l'homoousios et l'homotousios, signée
par Osius. Lettres de Libère, qui rentre à Rome.
358 avant Synode d'Ancyre. Les Orientaux condamnent l'ano-
Pâques méisme, professent l'homoiousios, et se rapprochent
de l'orthodoxie.
Concile de Sirmium. 3e formule, signée par Libère.
fin Hilaire de Poitiers écrit son De synodts.
359 début
359 22 mat « Credo daté », formule homéenne destinée à pré
parer le concile de Séleucie.
été Concile de Rimini (Occidentaux) orthodoxe, dont
les délégués capitulent à Nikê de Thrace en adop
tant la formule homéenne, que signe la grande
majorité du concile.
CHRONOLOGIE 293

27 sept. Concile de Séleucle (Orientaux). Affrontement


entre Acaciens, Homéousiens et Anoméens sur
diverses formules de foi.
fin Athanase écrit son De synodis Arimini et Seleu-
ciae et ses IV Lettres à Sérapton.
360 janv. Synode de Constantinople. Confirmation de la for
mule de Rimini. Acace de Césarée et les ariens
triomphent des orthodoxes et des homéousiens.
A Antioche, Eudoxe, arien, devient évêque de
Constantinople.
été ? Synode de Paris, anti-arien.
361 A Antioche élection de Mélèce, exilé peu après.
3 non. Mort de Constance, baptisé par Eu-
zoîus d'Antioche, Julien, empereur.
Persécution.
362 22 fév. Retour d'exil d'Afhanase.
printemps Concile d'Alexandrie « des confesseurs ». Restau
ration de l'orthodoxie. Les évêques déposés, dont
Mélèce d'Antioche, reprennent leur siège. Quatrième
exil d'Athanase. Schisme des Lucifériens rigoristes.
Paulin, consacré évêque d'Antioche par Lucifer de
Cagliari, Antioche a trois évêques. Tome aux Antio-
chiens.
363 Retour d'exil d'Athanase.
363-365 Basile écrit ses III livres contre Eunomius.
26 juin Mort de Julien. Jovien, empereur.
364 11 fév. Mort de Jovien.
26 fév. Valentinien Ier, empereur d'Occident,
s'adjoint Valens pour l'Orient.
Libère rappelle les exigences de l'orthodoxie à
une délégation d'homéousiens.
365 printemps Édit de Valens, exilant les évêques
rétablis sous Julien. Exil de Mélèce
et cinquième bref exil d'Athanase.
22 nov. Mort de l'antipape Félix II.
366 Damase, pape. Ursin, antipape.
Valens, empereur. Les guerres me
nées contre les Goths l'obligent à dé
laisser la politique religieuse. La per
sécution diminue.
369 Basile résiste à Valens.
370 Basile, évêque de Césarée de Cappadoce.
372 Schisme d'Antioche. Exil de Mélèce.
373 Persécution militaire contre les ortho
doxes.
2 mal Mort d'Athanase. Pierre, son frère est évincé par
l'arien Lucius.
374 Ambroise, évêque de Milan, succède à l'arien Au-
xence.
375 c. Basile de Césarée publie son traité Sur le Saint-
Esprit.
375-377 Basile de Césarée envoie plusieurs délégations au
pape Damase.
294 CHRONOLOGIE

378 juil. Concile de Sirmium.


Valen» lutte contre le» Goths sur le
Danube.
La persécution se relâche.
9 août Bataille d'IIadrianopolis. Mort de
Valens.
379 1 Janv. Mort de Basile de Césarée.
début Théodose, empereur d'Orient.
Restauration des exilés. Les églises
sont rendues aux orthodoxes.
Pierre, frère d'Athanase, évêque d'Alexandrie.
S août Lois de Théodose proscrivant l'hé
résie.
automne Synode d'Antioche. Les Orientaux d'accord, ad
hèrent à l'enseignement de Damase.
24 nov. Démophile expulsé du siège de Constantinople.
27 nov. Grégoire de Nazianze, évêque de Constantinople.
380 28 fév. Édit de Théodose. Le christianisme
religion d'État.
381 (fil,
fin Théodose convoque par lettre le synode de Constan
I début
dét tinople.
10 Janv. Exclusion des basiliques de ceux qui
ne professent pas la fol de Nicée.
mai Synode de Constantinople. 150 évêques. 30 Pneuma-
tomaques refusent de siéger.
Problèmes théologiques. Définition dogmatique.
Tome, Symbole de Constantinople.
fin mai Mort de Mélèce, dont Grégoire de Nysse prononce
l'oraison funèbre.
Répudiation de Maxime comme candidat au siège
de Constantinople. Abdication de Grégoire de Na
zianze. Nectaire, agréé par Théodose, élu. Questions
disciplinaires et canoniques. 4 canons.
9 Jull. Fin du concile.
30 juil. Édit de dévolution des églises aux
orthodoxes.
A Antioche, élection de Flavien en remplacement
de Mélèce.
382 Synode de Rome. Profession de foi contre les Apol-
linaristes. Tome de Damase.
Synode de Constantinople. Lettre synodale dans la
quelle le concile de 381 est appelé « œcuménique ».
Théodose convoque les chefs des égli
ses et détruit les professions de foi
hétérodoxes.
Juil. et sept. Lois interdisant les réunions des héré
tiques.
384 11 déc. Mort de Damase.
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

NICÉE

SOURCES ANCIENNES ET ÉDITIONS.

Les Actes du concile de Nicée n'existent pas. Le « Liber Dalmatii »,


utilisé pas Gélase de Cyzique dans son Commentaire des Actes du
concile de Nicée, PG 85, 1191-1360, n'offre pas de garanties d'au
thenticité suffisantes. II faut dire de même des Actes conservés dans
une version copte : E. Revillout, Le concile de Nicée d'après les
textes coptes et les diverses collections canoniques (2 vol.), Paris, 1876-
1898 ; ce qui est confirmé par F. Haase, Die koptischen Quellen zum
Konzil von Nicaea, Paderbom 1920.
Ont été conservés : le Symbole ; les canons ; la liste des évêques parti
cipants ; une lettre synodale envoyée à l'église d'Alexandrie ; le décret
sur la Pâque.
Le Symbole et son appendice contenant les anathèmes a été cité
intégralement par des témoins comme Eusèbe de Césarée, Athanase
d'Alexandrie et les disciples d'un autre témoin, Marcel d'Ancyre.
Saint Hilaire de Poitiers et Grégoire d'Elvire en ont donné une version
latine. Tous, témoins et versions, manifestent leur accord sur un texte
indubitablement authentique. C'est seulement dans les 5e et 6e sessions
du concile de Chalcédoine qu'on rencontre quelques recensions grecques
et latines un peu différentes. Contre la théorie de E. Schwartz, qui
préfère cette recension (Dos Nicaeanum und Constantinopolitanum auf
der Synode von Chalkedon, Zeitschrift fur NT Wissenschaft 25 (1926)
38-88), cf. I. Ortiz de Urbina,EZ simbolo niceno, Madrid 1947, 12-16 ;
édition du symbole, 21 ; H. G. Opitz, Athanasius Werke, III, 1, Berlin-
Leipzig 1934, où l'on trouvera un dossier fort utile avec tous les docu
ments intéressant la première phase de la controverse arienne. H. Lietz-
mann soutient dans ses Symbolstudien XIII (Texte und Untersuchungen
74) 240-260, que le symbole de Nicée a pour base le symbole de
Jérusalem.
Les canons authentiques ont été conservés dans les collections grecques
et latines. Us sont édités, par exemple, dans Hefele-Leclerq, Histoire
des conciles 1/2, Paris 1907, 528-620. A la traduction qui en est donnée,
296 ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

on préférera celle de G. Fritz art. Nicée (1er concile de) DTC XI 399-
416. La critique du 6e canon est faite par H. Chadwick, Faith and Order
at the Council of Nicaea : a note on the Background of the sixth Canon,
The Harvard Theological Review 53 (1960) 171-195.
La liste des évêques est conservée en latin, en grec, en copte, en
syriaque, en arabe et en arménien. Elle est éditée par H. Gelzer —
H. Hilgenfeld — O. Cuntz, PatTum nicaenorum nomina, Lipsiae 1898.
Voir plus récemment : E. Honigmann, Une liste inédite des Pères de
Nicée, Byzantion 20 (1950) 63-71.
La lettre synodale ne pose pas de problèmes critiques. On la trouvera
dans H. G. Opitz, Athanasius Werke, III, 1, 47-51.
Le décret sur la Pâque a été édité par J.-B. Pitra, Juris ecclesiastici
Graecorum historia et monumenta I, Rome 1864, 435-436. Cf. également
H. Leclerq, art. Pâques, DACL XIII, 1549.
L'œuvre historique qui est la source la plus abondante sur Nicée est
YIn vitam beati imperatoris Constantini d'Eusèbe de Césarée, PG 20,
905-1440 ; GCS 7 (I. A. Heikel, Leipzig 1902) 1-148. Citée comme l'œuvre
d'Eusèbe par des historiens de la première moitié du ve siècle, son
authenticité a donné lieu à une grande et vive discussion. Elle semble
sûre et est reconnue de nos jours par des auteurs comme H. Baynes,
P. Franchi de' Cavalieri, J. R. Palanque, J. Vogt, K. Aland, B. Altaner.
Elle a été récemment confirmée par un papyrus (Papyrus London 878)
écrit peu après 320. Sont contraires à l'authenticité spécialement
H. Grégoire, G. Downey, Petersen. La bibliographie de la polémique est
considérable. On consultera B. Altaner, Précis de Patrologie, Paris-
Toumai, 1961, 339-340, 744, et J. Quasten, Initiation aux Pères de
TEglise, III, Paris, 1963, 456-459.
D'autres historiens ou auteurs anciens sont aussi des sources, surtout
saint Athanase dans sa Lettre à Ionien (PG 26, 813-835) et dans le
De Decretis nicaenae synodi (PG 25, 415-476 ; H. G. Opitz, Athanasius
Werke, III, 1, 1-45) ; également Arius et Alexandre d'Alexandrie, Hilaire
de Poitiers dans son De synodis (PL 10, 471-546), Épiphane de Salamine
dans son Panarion (PG 42, 202-336 ; GCS 37 K. Holl, Leipzig 1933),
Rufin d'Aquilée dans sa continuation de YHistoire ecclésiastique d'Eusèbe
(PL 21, 461-540), Socrate et Sozomène dans leur Histoire ecclésiastique
(PG 67, 29-842 ; 843-1630). Théodoret a aussi écrit une Histoire ecclé
siastique (PG 82, 879-1286) ; GCS 19 (L. Parmentier, Leipzig 1911) et
un Résumé des fables hérétiques (PG 83, 335-556). Les documents de
Gélase de Cyzique dans son Commentaire des Actes du concile de Nicée,
PG 85, 1186-1360 ; GCS 28 (G. Loeschcke — M. Heinemann, Leipzig
1918) suscitent parfois le doute. De YHistoire ecclésiastique de l'arien
Philostorge subsistent un certain nombre de fragments (PG 65, 459-624 ;
GCS 21 L. Bidez, Leipzig 1913). La Chronique de Sulpice Sévère
(PL 20, 95-160) n'a rien de très original. A titre d'étude, on pourra
consulter G. Bardy, L'Occident et les documents de la controverse
arienne, Recherches de Science religieuse 20 (1940) 28-63.
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 297

OUVRAGES GÉNÉRAUX.

Fondamental, bien que vieilli, Hefele-Leclerq, Histoire des Conciles,


I, Paris 1907, 335-632. Suivant l'Histoire ancienne de TÉglise II, Paris
1908, tout en le corrigeant : G. Bardy, dans YHistoire de TÉglise
(A. Fliche et V. Martin) t. III, Paris 1936, 69-176. Bon, sans être
complet, est l'article « Nicée » de G. Fritz DTC, XI 399-416. Beaucoup
plus dense : M. Goemans, Het algemeen Concilie in de merde eeuw,
Nijmegen 1945, c. II et III.

études particulières.

L'aspect dogmatique et surtout le symbole sont étudiés dans I. Ortiz


de Urbina, El simbolo niceno, Madrid 1947 et J. N. D. Kelly, Early
Christian Creeds, London [1950] 205-230.
Sur Arius, G. Bardy, a écrit un livre fondamental : Recherches sur
Saint Lucien d'Antioche et son école, Paris 1936.
Sur Osius on peut lire V. C. de Clercq, Ossius of Cordova, Washing
ton 1954.
Sur Constantin, voir E. Peterson, Der monotheismus als politisches
Problem, Leipzig 1935. L'article de I. Ortiz de Urbina, La politica di
Costantino nella controversia ariana a été publié dans Atti del V Con-
gresso internazionale degli Studi Bizantini, Studi Bizantini e Neoellenici 5
(1936) 284-288.
Diverses questions historiques ont été discutées par E. Schwartz, dont
les théories n'ont pas toujours été acceptées dans ce volume. En plus de
l'étude citée à propos du texte du Symbole, on peut lire : Zur Geschichte
des Athanasius, Nachrichten der Gesellschaft der Wissenschaften zu
Gottingen (1004-1095) (1908) (1911). Sur l'histoire de l'Église au iv" siècle
cf. Zeitschrift fur NT Wissenschaft 34 (1935) 129-213. E. Schwartz
a également étudié la liste des évêques : Vber die Bischofslisten der
Synoden von Chalkedon, Nicaea und Konstantinopel (Abhandlungen der
Bayer. Akademie der Wissenschaften, Phil. Hist. Klasse 13) Mùnchen
1937. De son côté, E. Honigmann propose une interprétation différente :
Recherches sur les listes des Pères de Nicée, Byzantion 11 (1936), 429-449.
Sur les canons, outre Chadwick, cité plus haut, cf. J. Schmid, Die
Osterfrage auf dem allgemeinen Konzil von Nicaea, Wien 1905 ; H. Le-
clercq, art. Pâques, DACL XIII 1521-1553 ; S. Salaville, La fête du
concile de Nicée et les fêtes des conciles, Échos d'Orient 24 (1925) 457 sv.

CONSTANTINOPLE

sources anciennes et éditions.

Elles sont assez peu abondantes, les Actes n'ayant pas été conservés.
Les anciens auteurs latins disent très peu de chose sur le concile. Ce
298 ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

sont les Histoire ecclésiastique de Socrate, Sozomène et Théodoret, qui


fréquemment se copient, dans lesquelles on trouve davantage d'infor
mations. Grégoire de Nazianze dans les Poèmes sur sa vie (PG 37, 1033-
1166 ; traduction française de P. Gallay, Lyon-Paris 1942) nous a laissé
un tableau quelque peu passionné et pessimiste de l'ambiance qui fut
celle du concile après la mort de Mélèce. A ce dernier, Grégoire de
Nysse a dédié un Éloge funèbre (PG 46, 852-864). Les Homélies catéché-
tiques de Théodore de Mopsueste (traduction, introduction, index par
R. Tonneau, O. P. en collaboration avec R. Devreesse, Città del Vati-
cano, 1949, Studi e Testi 145) contiennent un petit nombre d'indications
sur le Symbole, qui sont par ailleurs intéressantes. A défaut d'Actes, la
lettre synodale que résume Théodoret (H.E. V, 9, PG 82 1212-1217 ;
GCS 19 (L. Parmentier, Leipzig 1911, 289-294) présente une importance
toute particulière. Tout en provenant d'un concile de Constantinople
tenu en 382, elle fait un certain nombre d'allusions à ce qui avait été
décrété au concile de l'année précédente, auquel avaient assisté nombre
d'évêques présents en 382.
Le symbole et les canons du concile ont seuls été conservés.

Les Actes du concile de Chalcédoine sont la source officielle par


laquelle nous pouvons connaître le symbole. Au cours de la 2" session
et sur les instances des commissaires impériaux on lut en public comme
Credo des « cent cinquante Pères » réunis à Constantinople, le Symbole
dont l'authenticité ne fut combattue par aucun des évêques présents. Ce
symbole fut inclus dans le Décret dogmatique au cours de la 5* et de
la 6e session. L'édition se trouve dans E. Schwartz, ACO II, I, 2 127
[323] — 128 [324]. Nous avons mentionné certaines variantes légères
relevées en confrontant les recensions grecques et les versions latines,
ainsi que les liturgies anciennes.

Pour connaître les événements et les discussions antérieurs au concile,


spécialement la polémique contre les pneumatomaques, il faut lire avant
tout les quatre Lettres à Sérapion de Thmuis écrites par Athanase
d'Alexandrie (PG 26, 525-681 ; édition, introduction et traduction de
J. Lebon, Sources Chrétiennes 15, Paris 1947) ; les trois livres contre
Eunomius de Basile de Césarée (PG 29, 498-670) et son Traité sur le Saint-
Esprit (PG 32, 67-218 ; édition, introduction, traduction et notes de
B. Pruche, O. P., SC 17, Paris 1947) ; le Ve Discours théologique de
Grégoire de Nazianze (PG 36, 133-172 ; traduction française de P. Gallay,
Lyon-Paris 1942, 173-232). Mentionnons enfin le Panarion, dans lequel
Épiphane de Salamine dresse un catalogue des hérésies (PG 41 et 42 ;
GCS 25, 31, 37, K. Holl), spécialement pour ce qui concerne l'arianisme
GCS 37, 152-232, ainsi que YAncoratus (PG 3, 17-236, GCS 25, K. Holl,
Leipzig 1915, 1-149) du même auteur.
Les canons sont conservés dans les collections grecques et latines. Les
collections grecques donnent sept canons. Les latines, quatre seulement.
Ces dernières ont pour elles que Socrate et Sozomène ne mentionnent
que le contenu de quatre canons. Les trois autres viennent du synode
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 299

de 382. Les collections latines — la « Prisca », celle de Denys le Petit,


celle d'Isidore et celle du codex de Lucques — sont concordantes et plus
anciennes. Les canons ont été édités dans Hefele-Leclercq, Hist. des
conciles II/l, Paris 1908, 18-40 et dans les grandes collections conciliaires,
par exemple Mansi III, 557-564. Cf. également Conciliorum oecumeni-
corum decreta, Bâle-Barcelone-Fribourg-Rome-Vienne, 1962, 27-31.

OUVRAGES GÉNÉRAUX.

On a déjà mentionné Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, Paris 1908,


1-48. Les notes théologiques de H. Leclercq ne se distinguent pas par
leur clarté. J.-R. Palanque et G. Bardy ont traité du concile dans
l'Histoire de TÉglise (A. Fliche et V. Martin) III, Paris 1936, 277-298.
M. Goemans y consacre les chapitres IX et X de son Het algemeen
Concilie in de vierde eeuw, Nijmegen 1945.

études particulières.

Sur le symbole la meilleure étude est aujourd'hui J. N. D. Kelly,


Early Christian Creeds, London [1950] 296-367. Lire aussi I. Ortiz de
Urbina, La struttura del simbolo Costantinopolitano, Orientalia Christiana
Periodica 12 (1946) 275-285 ; A. Harnack, Konstantinopolitanisches
Symbol, Realencyclopadie fur Protestantische Theologie XI, 12-28 ;
E. Schwartz, Das Nicaenum und dos Constantinopolitanum auf der
Synode von Chalkedon, Zeit. fur NT Wissenschaft 26 (1926) 38-88.

Sur le fond théologique de la question en général, cf. J. Tixeront,


Histoire des dogmes II, Paris 1921, 85-132 ; J. N. D. Kelly, Early
Christian doctrines, London [1958] spécialement les chapitres X et XI.

Sur les canons : J. Bois, art. Nicée, DTC III, 1231 ; V. Monachino,
Genesi storica del canone 28° di Calcedonia, Gregorianum 33 (1952),
261-292 ; R. Vancourt, art. Patriarcats, DTC XI, 2253-2297 ; E. Herman,
Chalkedon und die Ausgestaltung des konstantinopolitanischen Primats
dans Das Konzil von Chalkedon (A. Grillmeier — H. Bacht) II, 459-463.
SIÈGES EPISCOPAUX
REPRÉSENTÉS A NICÉE

iKTItVHT

Sièges initialement favorables â l'arianisme

*""« sièges *
INDEX *

Acace de Bérée, 172. Antioche : ville, 148 ; siège, 94-95,


Acace de Césarée de Palestine, 102-103, 148, 158-163, 175-176,
131, 133, 157-158. 180-181, 213, 215-217, 224, 237-
Acecius, 64. 238 ; synode (252), 16 ; synode
Aece, arien, 133, 208. (268), 17-18, 34, 83, 84 ; synode
Aelia, v. Jérusalem. douteux (324/325), 43-44 ; synode
Agénnètos, 45, 145-146. (330), 123; synode (341), 129,
Aguirre, cardinal, 96. 219 ; synode (379), 223 ; École,
Ammonios Saccas, 31. v. Lucien d'Ant.
Ancyre 28-29 ; synode (vers 315), Apollinaire de Laodicée, 143, 160,
95, 100, 110. 162, 168, 207, 210-211.
Anomoios, 133. Arius (arianisme) : les origines, 23-
Amphion de Nicodémie, 118. 26, 35-38, 38-40, 40-42; ses
Alexandre d'Alexandrie, sa vie, écrits, 42, 44, 252-254, 265;
24-26, 27, 36, 37, 38-40, 41-42 ; sa doctrine, 30-35, 44-46, 48, 76-
sa doctrine, 46-48, 119, 121, 249- 77, 81-82; à Nicée, 57-58, 63,
252. 66, 67, 102 ; réhabilité, mort,
Alexandrie : École, 37 ; siège, 51- 124-127 ; l'arianisme chez les
52, 94, 101-102, 213, 215, 216- Goths, 151. v. Eunomius.
217, 220, 222, 236, 237-238, 259- Arles : synode (313), 23, 93, 95,
261 ; synode (vers 320), 39 ; 98, 100, 107, 110, 114; synode
synode (338), 128 ; synode (362), (354), 132.
143-144, 153, 211, 269-275; Arménie, 215.
synode (378), 211. Arsénius, égyptien, 123-124.
Ambroise de Milan, 94, 149, 155, Asclépiade de Gaza, 130-131.
221-222, 224. Ascolios de Thessalonique, 166,
Amphiloque d'Iconium, 142, 155, 172, 176.
171, 180. Asie, « diocèse » civil, 213.
Anastasis, église de Constantinople, Asterius de Pétra, 41, 143, 159.
150, 178. Athanase : les origines, 31, 53, 56,
Anatole d'Alexandrie, 52. 57 ; à Nicée, 62, 69, 71, 76-77 ;
Anatole, patriarche, 236. après Nicée, 119, 123-126, 128-
Anicet, pape, 50. 134, 142, 143-144, 149, 152, 158-
• Sans prétendre être complet, cet index relève les noms de tous les
personnages de quelque importance, ainsi que les « mots-clés », historiques
ou doctrinaux.
304 INDEX

159, 193, 203, 211 ; ses écrits : 180, 221-222, 224, 236-238; sy
Tome aux Antiochiens, 211, 269- node (360), 152-153, 155, 157,
275 ; Lettres à Sérapion, 266- 163; concile (381) : «Tome»
269. 173-174; canons 174-175, 206-
Audius, hérétique, 95. 222, 236-238, 287 ; symbole, 182-
Auxence de Milan, 149. 205, 227-233, 234-235; synode
(382), 223-224, 288-291.
Baptême : controverse sur la vali Corneille, pape, 16, 112.
dité, 17, 113-115. Cyprien de Carthage, 16-17, 112-
Basile d'Ancyre, 133. 114.
Basile de Césarée, 69, 142, 145- Cyrille d'Alexandrie, 171, 225-
146, 147-148, 149-150, 153-155, 226, 229-231.
160, 167-168, 170-171, 193-196, Cyrille de Jérusalem, 142, 170,
200-202, 209-210 ; ses écrits, 275- 224.
281.
Bérylle de Bostra, 32. Damase, pape, 89, 142, 149-150,
Béryte, 40. 162, 164, 166-167, 211, 221-222,
Bible et Tradition, 90-91. 224 ; « Tome », 175.
Béziers : synode (357), 132. Démétrius d'Alexandrie, 51, 106.
Bosphore, 215. Démiurge, 30-31.
Démophile de Constantinople, 147,
Cappadoce, 147-148. 163-164, 168.
Carthage : synodes du me siècle, Denys, pape, 83.
16-17. v. Cyprien. Denys d'Alexandrie, 17, 32-33, 37,
Catharisme, 111-112. 51-52, 80, 83, 102.
Cécilien de Carthage, 22-23, 55. Diaconesses, 113, 115.
Célibat du clergé, 107. Diacres, 116.
Césarée de Palestine, 40, 103 ; Didyme d'Alexandrie, 142, 155, 193.
symbole, 61-62, 71-73, 190, 256- Dieu : Père, 74-75 ; Lumière, 78-
257. 79.
Chalcêdoine, concile, 89, 140, 182- Diodore de Tarse, 142, 148, 160,
186, 212, 219, 227-233, 236-237, 170-171, 179-180.
239-240. Domnus d'Antioche, 18.
Chrestos de Nicée, 118. Donat, 22-23.
Clément d'Alexandrie, 82.
Clergé : célibat, 107 ; dignité, 105- Echellensis Abraham, 96.
109. Eglise, protégée par Constantin,
Constance II, 127-134, 158-159. 20-23 ; magistère, 90-92.
Constantia, demi-soeur de Cons Egypte, 101-102, 213.
tantin, 44, 121. Éleusius de Cyzique, 155-156, 172-
Constantin le Grand : sa politique 173.
religieuse générale, 20-23 ; en Elvire, synode, 95, 98, 100, 107-
face du donatisme, 22-23 ; aux 110, 115.
origines de l'arianisme, 23-29, Êphèse : concile (431), 89, 225-
27-29, 44; à Nicée, 58-65, 67, 226 ; brigandage (449), 229.
93-94. 118-119 ; après Nicée, Ephrem d'Edesse, 172.
122-123, 127, 167, 229. Épiphane, 142, 155, 184, 186-187,
Constantinople : ville, 151, 217- 190, 193, 204.
218; siège, 150, 163-165, 176- Esprit-Saint : Divinité, 192-205,
INDEX 305

268-271, 274, 277-286; erreurs, Grégoire de Nazianze, 99, 139-


152-158, 208. v. Macédonius. 140, 142, 147-148, 150-151, 154-
Ethiopie, 215. 155, 157, 163-165, 167-168; à
Etienne I, pape, 17, 113-114. Constantinople, 175-178, 193,
Étienne d'Antioche, 131. 196-198, 201-204, 214, 217-218,
Eudoxe de Constantinople, 133, 221 : écrits 281-284.
144-145, 146-147, 157, 163, 207- Grégoire de Nysse, 140, 142, 14V.
208. 157, 170, 175, 180.
Euloge d'Edesse, 172. Grégoire le Thaumaturge, 72, 80.
Eunomius, 133, 145-146, 155-156,
170, 207-208. Hélénus de Tarse, 16-17.
Eunuques, 105-106. Hélène, 122.
Eusèbe de Césarée, 40, 43, 54, 59, Hérétiques, réadmission, 113-115.
61-62, 69, 122-127. Hilaire de Poitiers, 20, 69, 132.
Eusèbe de Nicomédie, 40, 41, 44, Hippolyte, 51, 190.
55, 61, 98, 118-120, 121-127. Homoiousios, 133, 145.
Eusèbe de Verceil, 132, 143, 159. Homoousios, 32, 33, 82-87, 133,
Eustathe d'Antioche, 43, 54, 59, 145, 173.
98, 122-123, 143, 156-157. Hyiopater, 34.
Eustathe de Sébaste, 146, 154-155, Hypostasis, 31, 32, 77-78, 131, 144,
168, 171. 157, 162, 223.
Eutyches, 226.
Euzoïus, arien, 40, 42, 143, 148,
158. Idiotes, 174.
Évêque : stabilité dans son dio- Irénée de Lyon, 16, 50.
cèse, 97-98 ; métropolitain, 99, ,
101 ; discipline, 213. MIJacoues de Nisibe, 55
Excommunication, 100-101. Jacobites, 234.
Jérôme, 53, 162.
Fabius d'Antioche, 16. Jérusalem : siège, 103, 224, 237-
Félix III, pape, 236-237. 238 ; synode (vers 190), 15 ;
Filioque, 198-199. synode (335), 126 ; symbole, 71-
Fils de Dieu, 79-87. v. aussi Verbe. 72, 184, 189-191, 266.
Firmilien de Cappadoce, 113. Jovien, 143.
Jules Ier, pape, 88, 128-132.
Flavien d'Antioche, 148, 160, 162,
176, 181, 224. Julien l'Apostat, 133.
Florence, concile, 199. Justin II, 234.

Gélase de Césarée de Pal., 172. Ktiston, 79-81.


Georges de Laodicée, 41. Kyrios, 193-194.
Gnosticisme, 30-31.
Goths, 151, 166, 169, 207. Lampsaque, synode (364) 144.
Gratien, 142, 149, 153-154, 161, Lapsi, 108.
165, 166, 221. Latran, concile (1215), 237.
Grégoire le Grand, pape, 237. Léandre de Séville, 199, 234.
Grégoire d'Alexandrie, arien, 129, Léon I, pape, 70, 226, 228-233,
132. 236 ; Tome à Flavien, 226, 228-
Grégoire de Béryte, 40, 43. 231.
Grégoire d'Elvire, *>9. Léonce d'Antioche, 41, 106.
306 INDEX

Léonce de Césarée de Cappadoce, 92, 188, 206-207, 225-226, 228,


55. 230, 234 ; canons, 95-117, 213,
LlBANIOS, 171. 260-265.
Libère, pape, 88, 132, 145-147, 153, Nicolas de Myre, 55.
173. Nicomédie, 23, 26, 44 ; synode
Licinius, 20, 37-38, 44, 55, 110. arien (vers 322), 42.
Liturgie, canons de Nicée, 116. Novat, 112.
Lucien d'Antioche, 34-36. Novatien, 16, 112.
Lucifer de Cagliari, 69, 143, 159.
Lucius d'Alexandrie, 40, 42, 149, Origène, 19, 32, 82, 106.
150, 165, 168. Osius de Cordoue : à Nicée, 24,
Lybie, 36, 101-102. 27, 43, 54, 57-58, 61, 71, 122;
à Sardique, 130-131, 132.
Macaire de Jérusalem, 40, 54. Ousia, 32, 76-78, 162, 174, 223.
Macédonius (Macédoniens), 141,
152, 153-156, 163, 213. Pâques, date, 15-16, 26, 49-52, 63,
Marathonius, 156. 93-95, 259-260.
Marcel d'Ancyre, 55, 69, 128-129, Paphnuce d'Egypte, 55, 64, 107.
131, 157, 168, 189, 207-210, 212. Paul de Constantinople, 163, 213.
Marcien, 226. Paul de Néo-Césarée, 55.
Marcion, 203. Paul de Samosate, 17-18, 34, 83-
Maris de Chalcédoine, 41, 118. 84, 101, 113-115, 209.
Martien de Lampsaque, 172-173. Paulin d'Antioche, 143, 150, 157-
Maruta de Maïferkat, 96. 163, 168, 172, 175-176, 180, 224.
Maxime de Jérusalem, 55. Paulin de Tyr, 40, 43.
Maxime, le « Cynique », 164-165, Pénitence publique, 109-111.
168, 177, 214, 221-222. Pentapole, 34, 36, 101-102.
Mélèce d'Antioche, 140, 143, 148, Perse, 215.
150, 157-163, 164, 167, 171-172, Philogone d'Antioche, 40.
175-176, 179, 181, 212. Physis, 174.
Mélèce de Lycopolis, 37, 66, 121. Photin, 131, 157, 189, 207, 209-
Michel de Damiette, 174. 210.
Milan : synode (347), 209 ; synode Pierius d'Alexandrie, 19.
(356), 132. Pierre d'Alexandrie, frère d'Atha-
Miltiade, pape, 22. nase, 149, 150, 158, 164, 165, 167,
Modeste, arien, 148. 214, 221-222.
Monarchianisme, 33-35. v. Sabel- Pierre d'Alexandrie, martyr, 37.
lius, Paul de Samosate. Pierre de Sébaste, 147, 171.
Pistos, 40, 42, 128.
Narcisse de Néronias, 41, 43. Plotin, 31.
Narsai de Nisibe, 234. Pneumatomaques, v. Macédonius,
Nazianze, 178. Esprit-Saint (erreurs).
Nectaire de Constantinople, 179- Poièma, 79-81.
180, 221, 224. Polycarpe de Smyrne, 50.
Néo-Césarée : synode (vers 315), Polycrate d'Éphèse, 15.
95, 108, 110. Pont, diocèse, 213.
Néoplatonisme, 31. Porphyre, 31.
Nestorius, 225-226. Presbéia, 103.
Nicée : ville, 57 ; symbole, 20, 69- Protopaschistes, 95.
INDEX 307

Quartodécimans, 50-51. Théognis de Nicée, 41, 118-120,


121-127.
Rome : siège, 19, 51-52, 88-89, 94, Théognoste d'Alexandrie, 32.
101-102, 105, 160, 215-220, 222, Théodote de Laodicée, 40, 43, 119,
237-238 ; synode (340), 128-129 ; 122.
synode (377), 168, 211; synode Théonas de Marmarique, 36, 40,
(382), 224. 42, 63, 66, 102, 120.
Rusticus, 183. Théotokos, 191.
Thrace, diocèse, 213.
Sabellius, 34, 102, 174, 208-209. Timothée d'Alexandrie, 165, 172,
Sapor, général, 161-162. 176-177, 180.
Sardique, concile, 96, 130-131. Tolède, concile (589), 234.
Sasimes, 163. Torrès Francisco (« Turrianus »),
Schismatiques, réadmission, 111- 96.
112. Tradition et Bible, 90-91.
Second de Ptolémaïs, 36, 38, 40, Tyr, synode (335), 124-125.
42, 63-64, 67, 102, 120.
Séléucie-Ctésiphon, synode (410), Uda, v. Audius.
96. Ulfila, 151, 207.
Sixte II, pape, 114. Ursace de Singidunum, 125.
Sol salutis, 79.
Sylvestre, pape, 28. Valens, empereur, 141, 146-152,
Symbole des Apôtres, 62, 188-191, 159, 163, 165, 217.
226. Valens de Mursa, 125.
Synode permanent, 219-220. Valentinien I, 142-143, 145, 149,
165.
Valentinien II, 149.
Théodore de Mopsueste, 90, 140, Valésiens, 106.
171, 185-186, 225. Vital d'Antioche, 89, 211.
Théodoret, 162. Verbe : d'après Arius, 45 ; d'après
Théodose I, 140, 142, 165, 166- Alexandre d'Alex., 46-48 ; doc
169, 173, 175, 179-180, 207, 212- trine pendant le me siècle, 31-35.
213, 217, 222, 229. Victor I, pape, 15, 50.
TABLE

Avant-Propos par Gervais Dumeige, s. j.

NICEE

Chapitre premier. Le premier concile œcuménique .... 15


Les synodes à l'époque des persécutions, 15. Constantin, Pontife
Suprême, 20. La politique impériale en face de l'arianisme, 23.
La convocation du concile de Nicée, 27.

Chapitre II. Les origines de l'arianisme 30


Les déficiences antérieures dans la théologie du Verbe, 30. Arius
et son exégèse, 35. Le début de la dispute, 38. Le contraste
idéologique entre Arius et Alexandre d'Alexandrie, 44. Le désac
cord sur la date de Pâques, 49.

Chapitre III. Le déroulement du concile de Nicée 53


Les Pères du concile, 53. Les discussions préalables, 57. L'inau
guration solennelle, 59. Les débats sur l'arianisme, 61.

Chapitre IV. La foi de Nicée 69


Le symbole de Nicée, 69. Le Fils engendré par le Père, 73. Le
Fils n'est pas une créature, 79. Le Fils « homoousios » (consubs-
tantiel) au Père, 82. La première définition dogmatique de
l'Eglise, 87.

Chapitre V. Les décrets disciplinaires 93


La date de Pâques, 93. Les canons de Nicée, 95. Les structures
de l'Eglise (canons 4, 5, 6, 7, 15, 16), 97. La dignité du clergé
(canons 1, 2, 3, 9, 10, 17), 105. La pénitence publique (canons
310 TABLE

11, 12, 13, 14), 109. La réadmission des schismatiques et des


hérétiques (canons 8 et 19), 111. Les prescriptions liturgiques
(canons 18 et 20), 116.

Chapitre VI. Le concile de Nicée, signe de contradiction 118


Y eut-il une seconde réunion du concile de Nicée ? 118. Machi
nations contre Nicée jusqu'à la mort de Constantin, 121. Les
luttes autour du nicéisme sous Constance II (337-361), 127.

CONSTANTINOPLE

Chapitre premier. Les préliminaires du synode 139


Un synode d'un caractère singulier, 139. Les dernières phases
de la dispute arienne, 142. L'hérésie contre l'Esprit-Saint, 152.
Le « guêpier > d'Antioche, 156. La situation à Constantlnople
et Alexandrie, 163.

Chapitre II. La célébration du concile 166


La politique religieuse de Théodose le Grand, 166. Présentation
des Pères du concile, 169. Les questions dogmatiques, 173. La
mort de Mélèce et ses tristes conséquences, 175. Nectaire, nouvel
évéque de Constantlnople, 179.

Chapitre III. Le symbole de Constantinople 182


Le symbole est-il l'œuvre du Ier concile de Constantinople 7 182.
De quels éléments est Constitué le symbole 7 188. La divinité du
Saint-Esprit, 192. « Seigneur », 193. « Celui qui vivifie », 195.
« Qui procède du père », 197. « Qui, avec le Père et le Fils, est
conjointement adoré et glorifié », 199. € Qui a parlé par les pro
phètes », 203.

Chapitre IV. Les quatre canons conciliaires 206


La condamnation des hérésies (canon 1), 206. Que les évêques
ne sortent pas des limites de leurs € diocèses » (canon 2), 213.
Le primat d'honneur du siège de Constantinople (canon 3), 216.
Maxime, prétendant au siège de Constantinople, est un faux
évéque (canon 4), 221.

Chapitre V. Le concile de Constantinople acquiert valeur


œcuménique 223
Silence jusqu'au concile de Chalcédoine (451), 223. Le concile de
Chalcédoine définit le Symbole de Constantinople, 227. Difficulté
dans l'approbation des canons, 235. Comment a-t-on pu consi
dérer comme oecuménique un concile qui ne l'a pas été 7 238.

Références 243
TABLE 311

TEXTES

I. Lettre d'Alexandre d'Alexandrie aux évêques .... 249


II. Profession de foi d'Arius et de ses compagnons à
Alexandre d'Alexandrie 252
III. Fragments de la * Thalie » d'Arius 254
IV. Récit de l'ouverture du concile de Nicée 256
V. Credo de l'Église de Césarée 256
VI. Lettre synodale de l'Église d'Alexandrie aux Églises
d'Égypte 257
VII. Décret sur la célébration de Pâques 259
VIII. Canons du concile de Nicée 260
IX. Profession de foi remise par Arius à Constantin . . . 265
X. Credo de l'Église de Jérusalem 266
XI. IIP Lettre d'Athanase à Sérapion 266
L'Esprit-Saint n'est pas une créature
XII. Tome aux Antiochiens 269
XIII. Traité c Sur le Saint-Esprit > de Basile de Césarée 275
Les fonctions divines de TEsprit-Saint 275
L'Esprit-Saint, inséparable du Père et du Fils 277
Les opérations de TEsprit-Saint 279
XIV. Ve Discours théologique de Grégoire de Nazianze 281
Les illuminations successives données aux
hommes sur le Saint-Esprit 281
Comment TÉcriture parle de TEsprit : il est
Dieu 282
XV. Canons du concile de Constantinople 285
XVI. Lettre synodale de Constantinople 286
312 TABLE

Chronologie 290

Orientations bibliographiques 295

Carte : Sièges épiscopaux représentés à Nicée 300

Index 303
Ce volume a été achevé d'imprimer
le 30 juin 1963 sur les presses
de l'Imprimerie Savernoise et relié
dans ses ateliers.

Dépôt légal 2« trimestre 1963.


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