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Réal UE 202 / CM 2 : Les royaumes barbares (VIe-VIIe siècle) : Francs, Wisigoths, Lombards 1

II / Les royautés barbares : permanence et changements par rapport à l'empire romain

Les rois barbares, on l’a dit, sont fascinés par le modèle romain :
Ø Ils vont donc chercher à l’imiter et à le conserver :
o en se convertissant au catholicisme,
o en conservant les structures administratives,
o en s’appuyant sur les élites romaines et sur l’Église
Ø Mais en même temps, ils conservent en partie les valeurs ancestrales : fondées sur
la suprématie de la guerre et des liens d’hommes à hommes (liens de fidélité).
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A / Des rois catholiques

La conversion des rois barbares au catholicisme s’explique par la volonté d’imiter le modèle
impérial qui s’appuyait sur la religion unique pour unifier l’Empire : le roi hérite de
l’empereur le pouvoir de chef de l’Église à condition d’être catholique.
L’Église ne souffre donc pas de l’arrivée des « Barbares ». Elle devient même très
puissante à partir du moment où elle est soutenue par les élites barbares, ce qui lui permet de
poursuivre son entreprise de christianisation.

1 – Conversion des rois et de leur peuple

- Le premier à se convertir est Clovis, roi des Francs (481-511) : la date de son baptême
est débattue, soit vers 497, soit vers 507-508. Ses raisons sont politiques :
o Il a besoin des évêques (tous romains) pour gouverner, et de leur soutien pour
conquérir le royaume wisigoth (ariens).
o Sa conversion lui permet de s’allier l’aristocratie gallo-romaine contre les
Wisigoths.
o Enfin, en se convertissant, il peut jouer son rôle de chef de l’Église, comme le
faisait l’Empereur => en 511, il convoque le premier concile du royaume franc.
o Avec lui, ce sont ses guerriers qui se convertissent : les élites franques suivent
l’exemple de leur chef ce qui leur permet désormais de fusionner avec les élites
romaines (par les mariages).
- Le second à se convertir est le roi burgonde Gondebaud, au début du VIe siècle :
o Il imite Clovis dont il craint la concurrence.
o Il abandonne donc l’arianisme pour se rapprocher des évêques gallo-romains de
son royaume.
- Le roi wisigoth, Récarède, se convertira également à la fin du VIe (589) afin de
consolider son pouvoir en Espagne : sa conversion entraine l’unification de l’Église
d’Espagne sous l’autorité du roi, chef de l’Église.
- Les Lombards, ariens eux aussi, se convertissent au catholicisme vers le milieu du
VIIe siècle.
- Les rois anglo-saxons (Angleterre) se convertiront à leur tour au cours du VIIe s. sous
l’influence à la fois des moines irlandais, des missionnaires envoyés par le pape et
également des rois mérovingiens (mariages de princesses mérovingiennes avec des
souverains anglais)

ð La conversion des rois est immédiatement suivie par celle de leurs élites (les
Grands de l’aristocratie). Les conséquences politiques et sociales sont importantes :

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o Les élites germaniques fusionnent avec les élites romaines (mariages, amitié,
alliances).
o Les nobles barbares peuvent désormais accéder au haut clergé, ce qui jusque-là
était réservé à l’aristocratie romaine.
o Le christianisme catholique permet la fusion définitive des cultures réciproques
des deux populations : mêmes pratiques cultuelles et funéraires.
ð L’adhésion des élites germaniques au christianisme a donc permis une fusion des
traditions culturelles au sein de l’élite sociale. Du coup, le fossé religieux prend
une dimension sociale :
o Les élites sont chrétiennes et très investies dans la propagation du christianisme
o Les classes populaires (surtout paysannes) ne sont pas, ou mal, christianisées.

2 - Un roi protecteur de l’Église

Les rois convertis au catholicisme ont investi les fonctions de l’empereur romain : ils
sont les chefs de l’Église de leur royaume.
- A ce titre, ils convoquent les conciles qui réunissent tous les évêques du royaume :
comme par exemple, en 511 celui convoqué par Clovis, ou en 589 par Reccared
- Ils nomment officieusement les évêques à leur poste, même si théoriquement l’élection
« par le clergé et par le peuple » est maintenue ; l’approbation royale est devenue
nécessaire
- Ils octroient des privilèges et des aides financières à l’Église : donations de terres du
fisc (appartenant à l’État), exemptions d’impôts…
- Ils encouragent et accompagnent les missions d’évangélisation sur les marges de leur
royaume : vers la Frise, la Bavière…
- Ils fondent des monastères : par exemple, la reine Bathilde au milieu du VIIe fonde de
nombreux monastères comme Chelles et Corbie.
En Espagne au VIIe s., les rois convertis au catholicisme construisent une monarchie
théocratique sur le modèle impérial : les évêques sont les premiers collaborateurs du
pouvoir royal.

3 – La christianisation des populations

- Les campagnes vont être progressivement christianisées entre le VIe et le VIIIe siècle. Au
« paganus » qui désignait le « paysan » mais aussi le « païen », a succédé une paysannerie
sensible à la foi chrétienne et en particulier à sa manifestation populaire : le culte des saints =>
croyances au pouvoir de protection des saints, vénérés à travers leurs « restes » ou « reliques ».

- Deux facteurs ont contribué à cette christianisation des campagnes =


ð Le développement des églises rurales sous l’égide de l’aristocratie locale et
des évêques ;
ð La multiplication des monastères ruraux qui organisent la dévotion autour
du tombeau ou des reliques d’un saint, vers lequel les populations
environnantes se tournent pour demander aide et guérison (plus le saint est
réputé pour ses miracles, plus les gens viennent de loin).

- La christianisation des populations rurales est visible par l’archéologie : [diapo 14 et 15]
ð Jusqu’au milieu du VIIe siècle, les paysans se faisaient enterrer dans des
nécropoles en plein champ, loin des habitats, avec du mobilier dans la tombe
(objets de la vie quotidienne) selon les rites païens.

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ð A partir de la fin du VIIe, les populations se font enterrer dans les cimetières,
zones funéraires consacrées qui jouxtent l’église : c’est la preuve qu’elles sont
devenues chrétiennes. Ex. chapelle d’Hordain (milieu VIe-VIIe s.), église et
habitat de Saleux (VIIe-Xe s)

B / Un gouvernement sur le modèle romain

L'un des signes de la permanence de l’administration romaine concerne l’usage du latin et


de l'écrit dans l'administration des royaumes et l’importance du droit : [diapo 16]
Ø Imitant les Romains, les premiers rois germaniques font mettre par écrit leurs
« coutumes » ou lois :
o Ex. le code d’Euric chez les Wisigoths (vers 480),
o la loi salique rédigée sur ordre de Clovis (vers 511),
o et la loi Gombette des Burgondes (vers 515).
Ø En même temps, ils conservent le droit romain (code théodosien) pour les populations
romaines, faisant parfois des compilations de ces lois romaines :
o Le bréviaire d’Alaric (fin Ve s)
o La loi romaine des Burgondes (début VIe s)

1 – Le palais du roi

Le modèle romain était celui d’un État centralisé, incarné par un souverain, et dont le
cœur politique était le palais, doté d’une chancellerie d’où émanaient tous les ordres, les lettres,
les lois impériales, les ambassadeurs…. [diapo 17]
C’est cette structure générale que l’on retrouve dans les royaumes barbares :

- L'administration centrale :
ð Les Francs et les Wisigoths ont un palais itinérant, c’est à dire plusieurs
villas/palais qu’ils occupent quelques mois par an : la cour et les services
administratifs les suivent.
ð Mais chaque royaume a une capitale avec un palais qui sert de lieu de
représentation du pouvoir : où le roi édicte les lois, reçoit les ambassades, tient les
grandes assemblées avant une guerre…
o Ex. Toulouse, puis Tolède pour les Wisigoths ;
o Paris pour Clovis, Clotaire II et Dagobert ; [diapo 18]
o Ravenne et Rome pour Théodoric Ier ;
o Pavie pour les rois lombards …
ð L’organe central de l’administration est la chancellerie : dirigée par le
référendaire (porteur du sceau royal) avec tout un service de rédaction des lettres,
des édits et diplômes royaux (notaires)...
ð Le trésor royal : sous le contrôle du trésorier qui fait entrer les impôts (utilisant
toujours les registres fiscaux de l’époque romaine), redistribue une partie de ces
revenus sous forme de dons à ceux qui servent l’État...
ð De nombreux fonctionnaires sont employés à la cour :
o Officiers palatins s’occupent de l’administration centrale : trésorier,
référendaire (chancelier), monétaire (frappe monnaie)…
o Les officiers de la maison du roi : intendant (maire du palais), sénéchal…
s’occupent de la gestion domestique (personnel, ravitaillement, repas,
voyages)

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ð A partir du VIIe s. chez les Francs, le maire du palais (major domus) qui, au
départ, assurait la gestion domestique (sorte d’intendant), devient le chef de
l’administration centrale.

ð La cour sert aussi un centre de formation : les jeunes de l'aristocratie viennent


se former aux tâches administratives, vivent dans l’intimité du roi qu’ils
apprennent à servir et à aimer, avant d’être nommé fonctionnaires dans les
provinces => on les appelle les « nutriti » (littéralement = « nourris »). Par ex.
Didier de Cahors (v. 600-655). Cf. fascicule.

2 – Des comtes à la tête des cités

A l’échelle locale, le souverain a besoin de fonctionnaires qui le représentent et


administrent en son nom le royaume.
Les souverains francs et wisigoths ont conservé les anciennes divisions administratives
romaines : la civitas, divisée dans le Nord en pagi. [diapo 19]
Ø Le personnage officiel représentant le roi est le comte (héritier du comes civitatis)
: nommé par le roi, il exerce le pouvoir public au nom du roi dans le cadre du territoire
de la cité. C’est à lui que reviennent les trois pouvoirs régaliens :
o Lever l’impôt
o Rendre la justice
o Lever l’armée et assurer l’ordre
Ø Des fonctionnaires subalternes dépendent désormais de ces deux pouvoirs (celui du
comte et celui de l’évêque) et portent parfois encore les anciens titres
romains = curiales, édiles, questeurs, centeniers, viguiers ...
Ø L’administration locale sert de relais au roi pour assurer 2 pouvoirs essentiels :
o La levée des impôts directs et indirects :
§ Directs, sur le modèle romain : les rois mérovingiens réussissent à
contrôler jusqu’au début du VIIe s. les registres fiscaux romains
§ Indirects : taxes sur les marchandises (péages ou tonlieux) et sur les
voyageurs, d’où un contrôle étroit des centres économiques par les rois
= les ports, les villes, les voies de passage (fleuves, ponts, routes, gués)
o La justice, assurée localement par le comte qui préside le tribunal (= le mallus)
fortement marqué par le droit germanique.

3 – Des évêques au service du roi

- Au VIe siècle, les évêques sont presque tous membres de l’aristocratie romaine,
héritiers de la culture latine, qui tiennent souvent leur charge épiscopale d’oncle à neveu.
o Ils servent le roi comme ils servaient l’empereur : fidèlement
o D’autant que le roi est le chef de l’Église, qu’ils sont nommés par lui, qu’ils sont
devenus des serviteurs de la royauté.
o Leurs pouvoirs administratifs étendus font d’eux de véritables fonctionnaires au
service de la royauté.
- A partir de la fin du VIe et au VIIe siècle, l’origine des évêques est mixte (la fusion
des élites romaines et germaniques est en cours), mais ils restent tous issus de
l’aristocratie et de zélés serviteurs de l’État : [diapo 15]
o Souvent formés à la cour dans leur jeunesse comme nutriti), ils sont ensuite
nommés par le roi à leur poste où ils continuent à le servir comme magistrat
urbain et guide spirituel.

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o Leur rôle dépasse désormais les strictes fonctions religieuses : il gère souvent
les affaires municipales (ce que faisaient jusque-là les curiales) et défend
éventuellement les populations contre les abus des agents de l’État (en
particulier les agents du fisc ou le comte).
o En Espagne, les évêques participent à l’élection du roi et soutiennent la
monarchie à travers les conciles, l’enseignement (propagande), l’art…: Isidore,
évêque de Séville, devient le principal conseiller des rois de la 1ère moitié du
VIIe.

C / De nouvelles formes de pouvoir

Aux structures romaines se superposent cependant des coutumes germaniques qui


modifient en partie les modes de gouverner.

1 – Un regnum Francorum, plusieurs rois

- Chez les Francs, le royaume (regnum) reste une notion romaine indivisible, mais le
pouvoir royal est partagé entre les héritiers royaux, conformément à la loi salique
qui prévoit le partage de l’héritage en parts égales entre les héritiers. Un tel système
était censé assurer la paix entre les héritiers. En fait, il suscita surtout les conflits.
- De fait, au cours du VIe siècle, trois entités politiques se dessinent : Austrasie,
Neustrie, Bourgogne.

Chronologie rapide des partages :


è Clovis laisse 4 fils qui se partagent le royaume. [diapo 21]
è Un seul (Clotaire) survit finalement, laissant, en 561, 4 fils qui à nouveau se partagent
le royaume : les trois regna sont en place. [diapo 22]
è Or, deux d’entre eux se font une guerre impitoyable (Chilpéric roi de Neustrie et
Sigebert roi d’Austrasie) qui se poursuit sur trois générations (jusqu’en 613).
è Ce n’est qu’en 614 que Clotaire II (fils de Chilpéric et roi de Neustrie) finit par vaincre
l’autre partie (la reine Brunehaut, veuve de Sigebert, et son petit-fils) et réunifie le
royaume sous sa seule autorité. [diapo 23]
è Son fils Dagobert sera le dernier roi mérovingien à régner sur un seul royaume unifié.
Il meurt en 639 ;
è à partir de là, le royaume sera à nouveau divisé en 2 (Austrasie/Neustrie), les régions
périphériques devenant progressivement autonomes (duché d’Aquitaine, duché de
Bavière, d’Alémanie, de Thuringe…). [diapo 24]

2 – Les liens de fidélité

Autre nouveauté introduite par les coutumes germaniques : les liens de fidélité, dits aussi
« liens d’homme à homme » car ils unissent 2 hommes entre eux dans une relation verticale
(l’un étant au service de l’autre) mais réciproque (service militaire en échange de cadeaux,
selon le principe du don/contre-don). [diapo 25]

- Le roi tient son pouvoir de la guerre :


o Élu, à l'origine, par ses guerriers, le roi s'impose par les victoires et le butin qu'il
partage équitablement avec ses hommes.
o Pour gagner la guerre, il s'entoure de guerriers "fidèles" qui lui prêtent un
serment de fidélité en échange de cadeaux, d’une part du butin, ou du revenu

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foncier d’une propriété (les « bénéfices ») : les fidèles du roi sont appelés les
« leudes ».
- Ses leudes ont à leur tour des guerriers à leur solde qui sont liés à eux par des liens
de fidélité :
o Ils sont en général, logés et nourris à la table de leur seigneur.
o Mais ils sont aussi récompensés par des cadeaux et une part de butin en temps
de guerre…

G. Bürher-Thierry, L’Europe carolingienne (714-888), Paris, Armand Colin, 2001

3 – Des pouvoirs délégués à l’aristocratie

Dans ce système politique, l'aristocratie devient toute puissante, car elle cumule les
moyens de domination : [diapo 26]

Ø La puissance politique (au service des rois) = les « grands » (comme les appellent les
textes) détiennent les charges publiques (celles de comtes, de maire du palais, d’évêques,
d’officiers palatins...) et sont « fidèles » du roi qui les récompense sans cesse pour leurs
services (parts de butin, cadeaux, terres)
Ø Le contrôle du « sacré » : l’aristocratie fournit à l’Église ses cadres (évêques, prêtres,
abbés, abbesses) et ses moyens financiers (dons de terres, créations d’abbayes,
d’églises…) : c’est elle qui, associée au roi, contrôle donc l’Église, la soutient et la rend
de plus en plus puissante.

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Ø Une puissance foncière grandissante : les grands possèdent des « villas » (= domaines)
dont ils tirent l’essentiel de leurs revenus ; ils accroissent ce patrimoine privé grâce aux
dons de terres que leur font les souverains en remerciement de leur fidélité.
Ø Une puissance militaire : les nobles s’entourent de guerriers « fidèles » qui les
accompagnent dans toutes leurs expéditions militaires, gardent leurs propriétés, exécutent
les ordres, perçoivent les revenus des domaines…

o La montée en puissance de familles aristocratiques qui tiennent les postes clé


a progressivement affaibli les rois mérovingiens à partir du milieu du VIIe
siècle : les partages, les minorités des rois ont favorisé le processus ;
o Les maires du palais deviennent alors les véritables détenteurs du pouvoir royal.

Parmi eux, une très puissante famille aristocratique prend quasiment, à partir de 623, le
monopole de la mairie du palais d’Austrasie : il s’agit des Pippinides, ancêtres de la future
dynastie royale des Carolingiens.

La suite dans le chapitre suivant….

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