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Les chevaliers teutoniques entre Empire et Europe centrale (1)

I. L’empire romain germanique et les Allemands en Europe centrale

1. L’empire romain germanique : un immense territoire revendiquant


l’héritage de l’empire carolingien
habité par des « ethnies » (Saxons, Francs, Bavarois, Souabes, Alsaciens, Lorrains,
Romains), sans langue germanique unifée. Mais une langue est identifiée par les non-
Allemands comme le diutisk : les « Allemands », en tant que groupe homogène, le sont
d’abord aux yeux des romanophones de Lorraine et des Italiens. Ils découvrent en Italie
qu’ils sont des tedeschi ou teutonici.
Revendication de l’héritage de l’empire de Charlemagne par Otton le Grand. La
coutume franque ne distinguant pas l’État, dont le souverain est le chef, du patrimoine,
dont il est le propriétaire, l’empire carolingien s’est morcelé entre les 3 petits-fils de
Charlemagne = traité de 843 : 3 Francie occidentale (avec 1 empereur), moyenne et
orientale. Francie orientale, ou regnum Teutonicorum, un siècle plus tard. Dans ce
territoire, l’aristocratie (Reichsaristokratie, que le service des empereurs ont pourvue
de privilèges considérables) a créé des Stämme, des ethnies, en quatre grandes unités
territoriales : la Saxe, la Souabe, la Bavière et la Franconie. Au début du X e siècle, la
montée des périls (Hongrois) oblige les « grands » du royaume à se chercher un
chef lorsque meurt le dernier carolingien et que la Francie occidentale menace de les
absorber.
911 : Conrad, duc de Franconie, est élu roi
912 : à sa mort, Conrad remet les insignes à Henri dit l’Oiseleur, le duc de Saxe
936 : son fils, Otton le Grand, prend le pouvoir à 24 ans. Renouant avec la tradition
carolingienne, il se fait sacrer par l’archevêque de Mayence. Soumet les ducs rivaux
(Franconie ; Bavière) puis conquiert l’Italie et devient « roi des Francs et des
Lombards ».
955 : victoire à Lechfeld sur les Hongrois.
962 : sacre empereur par le pape Jean XII. Lorsqu’il meurt en 973, lui succède son fils
Otton II. Le Reich est « royaume » et « empire ».
Pourquoi saint ?
XIIe siècle : l’empire devient « saint » dans le contexte de la querelle des investitures
sous le règne de Frédéric Ier Barberousse (1152-90), qui fait canoniser Charlemagne en
1165. Sous son règne, les duchés ethniques disparaissent. Sous la dynastie
Hohenstaufen (1138-1254), l’empire s’est transformé en monarchie féodale, où les
princes tiennent une place majeure. Sept électeurs (3 archevêques – Mayence, Cologne,
Trèves – et 4 princes laïcs, dont le roi de Bohême) montrent le caractère électif de
l’empire.

2. Hors de l’Empire : la colonisation allemande de l’EC (XII-XIV)


Dès la fin du XIIe siècle, la « colonisation de l’est » contribue au changement du
système social en Europe centrale, qui connaît en réalité plus globalement une période
de profondes transformations, fondées sur une modernisation économique.

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= quelques centaines de milliers, graduellement, d’abord dans les marches de l’Empire,
puis Silésie, Poméranie, Pologne, Bohême, Hongrie et l’espace baltique. Ce phénomène
va de pair avec une croissance économique forte dans les régions occidentales du
continent (défrichements, extension de l’agriculture). Hors pays baltes, la colonisation
s’opère à l’instigation des souverains de Hongrie, Bohême et Pologne, qui aspirent à
réformer le système économique de leurs territoires.
Les migrants germanophones ne sont pas seuls : Italiens de Dalmatie au XIIIe siècle
(Croatie, Hongrie, Pologne) et marchands de Venise et de Florence établissent des
colonies à Prague, Wrocław, Cracovie et Poznań, etc. ; négociants scandinaves sur les
rives méridionales de la Baltique ; Arméniens, ou les Grecs vont dans la Rus’ de Galitch
et de Pologne ; colonies juives
= apparition d’hospites (hôtes), marchands originaires de villes allemandes
(Bavière, Thuringe, Franconie) et italiennes dans de nouvelles villes qui
deviennent des centres de commerce, où ils se regroupent en communautés
juridiques avec des tribunaux subordonnés au souverain
Pourquoi ? = explosion démographique et révolution agraire du XII e siècle en Europe
occidentale : l’augmentation de la superficie des terres cultivées, l’intensification de la
production, et la révolution agraire (charrue à versoir) conduisent à l’augmentation de
la production et donc à un excédent de marchandises.
Ces grandes transformations sont bénéfiques à tous les groupes sociaux (paysans,
bourgeois, propriétaires fonciers) :
- défrichage des forêts et conquête des terres incultes, création d’une classe de
grands propriétaires fonciers bénéficiant d’immunités économiques et devenant
le conseil du roi, jetant donc les bases d’une société divisée en ordres
- début de l’exploitation des mines métallifères, le saunage, la sidérurgie –
Bohême et Moravie, des mineurs saxons sont appelés dès 1180, qui mettent en
valeur l’extraction des mines ; les mines d’argent, d’or et de cuivre en Hongrie,
et celles de plomb et d’argent en Pologne, sont exploitées par des mineurs
saxons à partir du XIIIe siècle ; migrations d’Autriche se dirigent vers la Moravie
et la Hongrie, jusqu’aux mines de Slovaquie (villes Banská). Des groupes de
colons de Saxe, Bavière et Franconie arrivent en Sépusie (Zips) et en
Transylvanie
- développement du commerce et augmentation du rôle de l’argent
- d’où urbanisation : fondation de nouvelles villes en Europe centrale, bénéficiant
de l’essor du grand commerce et de l’introduction du droit allemand, un droit
municipal qui permet aux cités royales de relever directement de l’empire, qui
garantit la liberté de ses bourgeois (burger) ; le plus célèbre est le droit de
Magdebourg, issu du droit coutumier saxon et des usages locaux. Ce modèle
pénètre en Europe centrale par l’intermédiaire des Allemands tout en étant
adapté dans les pays et provinces en fonction des besoins
- XIIIe siècle : nouveau type de villes, créées autour d’une place principale, où se
tient le marché, avec des quartiers réservés aux artisans des divers métiers (d’où
les rue des Cordonniers, des Tonneliers, des Boulangers…). Un conseil, présidé
par un bourgmestre, agit comme organe suprême, avec le tribunal de la ville, et
décide de sa politique intérieure, voire extérieure

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La modernisation de l’économie, qui accroît les revenus, permet d’adopter le modèle
de la chevalerie occidentale. On participe aux croisades, aux fêtes de cour, etc. De
jeunes Tchèques, Polonais, Hongrois, étudient dans les universités occidentales. En
Hongrie, Béla III (1172-1196) reçoit Richard Cœur de Lion et Frédéric Barberousse au
début de la 3e croisade (1189).

3. Le développement des relations commerciales : l’enjeu de la Baltique


Développement du réseau urbain  réseaux de grands échanges
(1) la Baltique, où la Hanse fonde ses activités sur la coopération des habitants des
villes des Flandres, Pays-Bas, Frise, Schleswig, Danemark, Mecklembourg,
Poméranie, Saxe, Livonie, Suède, Pologne et Rus’
(2) au sud, Venise > Niš et Košice via Dubrovnik, et via Vienne avec Buda et Prague
(3) Gênes via Constantinople jusqu’à Lviv
L’accès aux routes de la Baltique pour le contrôle et le développement des échanges
commerciaux constitue un enjeu géopolitique dès le Xe siècle avec la lutte pour la
Poméranie entre les Piast et ses voisins. Or, c’est le long de cet axe que se développe
l’une des ligues commerciales les plus importantes de l’histoire européenne, la « Ligue
hanséatique ».
Ligue hanséatique
 dates officielles : de 1158-59 : fondation de la ville de Lübeck à 1669 : dernière
Hansetag (diète de la Ligue). Mais c’est dès la fin du XIe siècle qu’on voit un
axe Ouest-Est depuis la Westphalie jusqu’à la mer Baltique et Novgorod, lié
aussi à l’Angleterre.
 1158-59 : Lübeck est fondée par le puissant duc de Saxe, Henri le Lion, sous le
règne de l’empereur Frédéric Barberousse (qui l’exilera)
= sur un isthme entre la mer du Nord et la Baltique, entre la Westphalie et la
mer Baltique. C’est avec sa fondation que les relations commerciales avec la
Russie s’accroissent, même si les pionniers dans cet échange sont les
Scandinaves, attirés par le centre commercial de Novgorod.
 dans son sillage, fondation de villes commerciales dotées de comptoirs
(bureaux), soumises pour la majorité au droit allemand de Lübeck, par des
Allemands le long de la côte Baltique : Elbing (Elblg), Thorn (Toru), Reval
(Tallinn), Riga en 1201 ou Dorpat (Tartu).
Lübeck dirige la Ligue, mais pas de rapport centre/périphérie.
Pourquoi est-ce un changement important au XIIIe siècle ? Parce les ligues reposent sur
des systèmes de confiance et se constituent en réseaux transnationaux.
 jusque là, marchands = des colporteurs voyageant avec leurs biens et les
vendant eux-mêmes. Le marchand se sédentarise : il réside dans son kontor et y
conduit ses affaires, laissant la responsabilité du transport des biens aux
capitaines de navires de commerce ou aux clercs de commerce. Le marchand du
XIIIe siècle est entouré d’assistants et d’apprentis et mène une correspondance
importante. C’est dire si les relations commerciales se fondent sur une relation
de confiance entre partenaires.
 constitution en ligues des villes pour assurer le respect de la paix publique et
et la libre circulation des biens et des personnes contre les péages illégaux et les

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Fehden, guerres privées des « sergents » (chevaliers), contre les interventions
des souverains dans les libertés des villes et contre les pirates.
= réponse au besoin de confiance en réduisant les risques commerciaux, donc
les coûts liés au commerce (vols, attaques, meurtres).
 à partir du XIVe siècle, la Ligue hanséatique s’appuie sur les dirigeants
politiques et sur la force financière des villes pour défendre ses intérêts, si
nécessaire, par la force militaire ! Attention : pas une communauté politique,
ni une puissance étatique territoriale, mais une alliance entre villes. Elle est
minée par les désaccords et par les rivalités avec les États (Angleterre, Russie,
Flandes > 1469 : guerre anglo-hanséatique, réglée sur intervention de la Pologne
et du Danemark).
Fin de la Ligue
 efforts de réorganisation. 1556 : accord de confédération signé par 63 villes,
nomination d’un directeur permanent
 mais déclin :
(4) l’Europe n’est plus le centre du monde commercial – Nouveau Monde, route des
Indes
(5) les souverains interviennent de plus en plus. Ex : Ivan III de Russie (1450-1505)
ferme le kontor de Novgorod après avoir conquis la ville en 1494
(6) rivalité de nouveaux centres de commerce : Amsterdam, Londres (marchands juifs
sépharades, protestants flamands)

II. L’impact de l’ordre de Chevaliers teutoniques

1. La fondation de l’ordre
Liée à l’histoire des croisades (1re lancée en 1096, pape Urbain II) : naissent en Palestine
des ordres militaires chargés de défendre les frontières de la religion catholique
 ordre du Temple (Templiers) ; Hôpital de Saint-Jean-Baptiste (Hospitaliers,
actuel ordre de Malte), modèles des Chevaliers teutoniques.
Source : 1re chronique de l’ordre, Narratio de primordiis ordinis Theutonici.
1- Hôpital des Allemands à Jérusalem déb. XII e siècle, rattaché dans les années 1140 à
l’ordre des Hospitaliers, disparaît quand Saladin conquiert Jérusalem en 1187
Mais :
(7) engagement dans les croisades des empereurs Frédéric Barberousse (participe à la
3e croisade et y meurt en 1190) et son fils, Henri VI
(8) 1191 : conquête d’Acre par les croisés > centre le plus important des chrétiens latins,
tous les établissements religieux présents en Palestine veulent s’y installer
2- d’où hôpital allemand en dehors des murs d’Acre qui se militarie en 1196-98
(confirmée en 1199 par le pape Innocent III), passe sous la dépendance de la grande
noblesse impériale, et reçoit des dotations de l’empereur Henri VI
= centre des pèlerins et des croisés germaniques dans la Méditerranée

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=> double règle des Hospitaliers (la guérison des malades) et de celle des Templiers
(le combat pour la religion).
3- 1217-1220 : égalité de traitement avec les Templiers et les Hospitaliers sous Hermann
de Salza (1209-39), 4e grand maître de l’Ordre, obtenue de Frédéric II et du pape
Honorius III.
4- 1226 : « bulle dorée de Rimini » (Goldenen Bulle von Rimini, 1226) concédée par
Frédéric II > les Teutoniques deviennent des vassaux de l’empereur, sur un pied
d’égalité avec les autres puissances de l’empire.
re
1 période > lutte contre musulmans, vainqueurs en 1291, d’où départ de Terre Sainte
2e période > combat contre les païens de l’Europe orientalene
 germanisation de l’ordre sous l’emprise de la noblesse allemande : littérature
teutonique en moyen haut allemand
 stabilisation de l’ordre en Prusse, Livonie et Allemagne s’accompagne de la
construction d’églises, de bibliothèques et de la création d’œuvres d’art.

2. La création de l’État prussien


Prusse = seule région dominée intégralement par les Teutoniques, qui s’installent en
1309 à Marienburg. Prusse transformée en État germanophone, lié au réseau des villes
hanséatiques de par sa position stratégique (fleuve Vistule, accès direct à la Baltique).
But de Salza : « territorialiser » les possessions de l’ordre en Europe
1- 1211-1225 : tentative ratée en Hongrie lorsque le roi hongrois appelle l’ordre
contre les tribus coumanes en échange du « Burzenland », en Transylvanie
2- 1225 : appel du duc Conrad de Mazovie pour protéger la frontière de son duché
contre les Prusses (Pologne ducale incapable de s’unir, recours à l’étranger).
Refus à cause de l’expérience hongroise, hors quelques chevaliers en 1226
installé
« Croisade » (mot du pape en 1216) contre les païens, env. 170 000 Baltes au début du
XIIIe siècle, peuple guerrier sédentarisé, dirigé par des nobles et chefs de guerre qui ont
parsemé le territoire de châteaux, et où on trouve aussi des bourgs marchands, avec
une religion mêlant animisme et polythéisme, qui a résisté à la christianisation
entamée en 997.
3- 1230 : nouvelle offre du duc de Mazovie qui inclut le pays de Kulm (Chełmno) en
Prusse occidentale
> 1230-1240 : conquête de la Prusse occidentale avec conquêtes de bourgs prussiens,
où les Teutoniques construisent des châteaux-forts à Thorn (Toruń) en 1233, Kulm
(Chełmno) et Marienwerder (Kwidzyn). Ces villes nouvelles bénéficient du privilège
promulgué en 1233 par Salza, dit droit de Chełmno. Cf. Bulle dorée de Rimini : droit
de battre monnaie, d’organiser un système judiciaire propre et des foires.
4- Après 1237-1283 : conquête de la Prusse orientale, seulement après
l’implantation en Livonie, avec l’aide de croisés venus de l’ensemble de l’Empire
romain germanique. Le roi de Bohême, Moravie et Autriche, Ottokar II Přemysl,
dit le « marteau des païens », y participe : en 1255 est construit le bourg de
Königsberg (« mont du roi ») en son honneur.

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5- 1260-1272 : insurrection prussienne et retour au paganisme, avec des succès
militaires en Prusse occidentale. Mobilisation des croisés par le pape et
répression.
 pas une expansion allemande vu les acteurs impliqués – principautés polonaises,
marchands hanséatiques, le pape et l’empereur. Enjeu principal : la voie commerciale
du nord-est, qui évite la Méditerranée en reliant Byzance et l’Asie centrale
- d’où 1243 : Pomérélie avec Danzig : lien entre l’Allemagne et la Prusse
- XIVe siècle : l’île de Gotland, carrefour des routes commerciales maritimes
 conséquence : extinction du peuple prussien. Il est d’usage de tuer les hommes et de
détruire ce qu’on ne peut emporter. Les Teutoniques ne visent pas à convertir les
infidèles mais à défendre les frontières de l’Église : on n’attache peu de prix aux
« chiens du Diable » païens. 1243 : fondation de 3 évêchés sous contrôle teutonique
(Kulm, Poméranie, Sambie) et d’un 4e à Warmie.
6- 1343-1410 : apogée économique de l’Ordre dans l’État prussien
Les chevaliers développent les installations agricoles et la circulation commerciale.
Une nouvelle identité régionale apparaît, favorisée par la formation d’une couche de
moyenne noblesse locale composée des feudataires des biens de l’ordre, ainsi que par
le renforcement du réseau des villes marchandes comme Dantzig et Memel, qui se
rattachent à la Ligue hanséatique. Puis les nobles et les citadins ont des intérêts
communs qui les opposent aux Teutoniques (cours 5 !).

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