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Annales.

Economies, sociétés,
civilisations

La Banque protestante en France, de la révocation de l'édit de


Nantes à la Révolution
Herbert Luthy, La banque protestante en France, de la Révocation de l'Édit
de Nantes à la Révolution. Tome 1 : « Dispersion et regroupement (1685-
1730) » ; Tome 2 : « De la banque aux finances (1730-1794) »
Jean Bouvier

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Bouvier Jean. La Banque protestante en France, de la révocation de l'édit de Nantes à la Révolution. In: Annales. Economies,
sociétés, civilisations. 18ᵉ année, N. 4, 1963. pp. 779-793;

doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1963.421053

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1963_num_18_4_421053

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LA BANQUE PROTESTANTE EN FRANCE

de la Révocation de l'Edit de Nantes à la Révolution

1 315 pages à typographie dense : cela fait un ouvrage énorme x ; mais


un grand ouvrage, sans nul doute. Pas toujours construit avec aisance
et clarté : digressions, parenthèses, appendices, retours en arrière,
changements de registre se succèdent sans interruption. Mais,
finalement, le lecteur est emporté dans le courant, il suit avec plaisir — et c'est
l'essentiel. L'auteur sait brosser des fresques, juger largement, tailler à la
loupe des mi его -analyses très réussies ; et comme il a le style vif, la plume
un peu acide, non seulement le lecteur suit, mais il se détend — chose bien
nécessaire au cours d'une route aussi longue.
Bibliographie et sources tiennent à peine en huit pages. C'est que le but
de Herbert Lu thy n'est pas de faire «exactement» de l'histoire
économique, ou religieuse, mais bien de retracer le destin « d'un groupe social
qui, par la situation constamment fausse ou ambiguë qui lui a été faite
— ambiguë du point de vue de son statut légal, de sa nationalité, de son
appartenance religieuse, même de son état-civil — a joué un rôle à part
dans la société d'Ancien Régime ».
A travers l'analyse sociale il s'agit de faire le tour du « mythe » de la
banque protestante « internationale » ou « cosmopolite », groupe à ne pas
confondre avec celui des financiers, officiers de finances, fermiers-généraux,
traitants qui ont été, eux, « les animateurs, les gérants, et parfois les
maîtres de l'économie de l'Ancien Régime », tous personnages auxquels
l'auteur, chemin faisant, ne fera que de brèves allusions ; son objet d'étude,
ce ne sont pas les Paris, mais les Samuel Bernard ou les Necker. D'où la
recherche scrupuleuse des individus, des noms, des généalogies, des familles
— des mille liens unissant individus et groupes, lesquels se resserrent ou
se relâchent selon le développement même des affaires et les besoins de
la conjoncture, économique aussi bien que politique. L'ouvrage est ainsi

1. Herbert Luthy, La banque protestante en France, de la Révocation de VÉdit de


Nantes à la Révolution. Tome I : « Dispersion et regroupement (1685-1730) » ; Tome 2 :
« De la banque aux finances (1730-1794) », S.E.V.P.E.N., Collection « Affaires et gens
d'affaires », n° 19 et 19 bis ; 454 et 861 pages ; avec tables alphabétiques des noms et
des raisons sociales, 1959 et 1961.

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ANNALES

une quête perpétuelle, et qui apparaît totale, de ce groupe « marginal »


dont l'histoire, au xviiie siècle est passée par quelques «phases longues»
de développement. Or, sur le thème ainsi entendu, il existe fort peu
d'études antérieures, sinon les défrichements d'A. E. Sayous, dont les études
ont ouvert la voie à tant de recherches valables d'histoire économique
et sociale ; et les travaux de J. Bouchary, mais qui ne touchent qu'à, la
période prérévolutionnaire et révolutionnaire. H. Luthy a travaillé, a dû
travailler à coup d'archives neuves : archives d'État de Genève et Zurich,
archives de la ville de Saint-Gall, fonds privés qui ont livré, en Suisse,
quelques pièces originales dues à des banquiers du temps, et surtout
Archives Nationales de Paris, en particulier les papiers de notaires et le
fonds du séquestre, auxquels il faut ajouter, aux Archives
départementales de la Seine, les fonds de faillite de l'ancienne juridiction consulaire de
Paris. Soit, au total, une immense recherche et un immense panorama.
Deux tomes, entendez deux tranches chronologiques : 1685-1730 ;
1730-1794. En fait, trois grandes phases : constitution et renforcement
de l'internationale huguenote du fait de la révocation de l'Édit de Nantes,
entrée des banquiers huguenots dans les affaires financières de France à, la
fin du règne du Grand Roi ; c'est le temps de Bernard et des débuts cVIsaac
Thellusson, et l'objet du premier tome de H. Luthy ; le second tome, bien
plus volumineux, s'attache à l'inventaire des deux autres périodes : celle
du maintien des firmes huguenotes à Paris et de leurs liens internationaux
au cœur du « siècle de Louis XV », et celle de leur redémarrage à l'époque
de Necker : comment en est-on arrivé à hisser un « self made man »,
mécréant par surcroît, à la tête des finances publiques ? Et quelle fut la
place exacte des religionnaires dans l'orgie financière de l'Ancien Régime
finissant ?

Quoiqu'un compte rendu ne soit pas un résumé détaillé, nous voudrions


dans une certaine mesure, suivre l'auteur à la trace, au long de son
cheminement ; ainsi éviterons-nous peut-être, à ses futurs lecteurs,
l'impression assez désagréable d'être lâchés en plein océan.
Dans une substantielle Introduction au premier volume, l'auteur brise
quelques lances, après d'autres, sur le thème «
protestantisme-capitalisme ». Il faudra revenir là-dessus, puisque Herbert Liithy y reviendra
lui-même dans ses conclusions ultimes. Retenons, en tout cas, qu'en tant
que tel, le calvinisme n'a pas prédisposé a priori ses fidèles à la banque et
à la finance « ni dans sa doctrine, ni dans sa pratique ». La « banque
internationale » n'est pas une création huguenote ; elle est née du commerce
des traites et remises de place à place, commerce lié lui-même au grand
négoce, et chacun sait que les Médicis (entre autres) n'ont pas attendu
Calvin pour faire des affaires à l'échelle continentale. Le groupe de la

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BANQUE PROTESTANTE

« banque protestante », avec ses caractères propres, a essentiellement des


racines historiques, non strictement religieuses. Son terrain nourricier, en
effet, c'est le « refuge », la dispersion des huguenots français due au réveil
des persécutions à la fin du xvne siècle, puis leur participation obligée
(ou peu s'en faut) aux grandes affaires internationales de changes et de
transferts de fonds, toutes affaires greffées sur les guerres européennes, les
subsides, les fournitures et approvisionnements des armées. Guerre et
donc détresse financière des États, et spécialement de la France — et
exode religieux, voilà les conditions de « l'internationale huguenote » ;
d'autant que le huguenot français du xvne siècle, en raison d'une situation
sociale ambigiie, ne pouvait trouver à faire véritablement carrière que dans
le commerce, la banque, et la manufacture. Ni l'épée, ni la robe ne lui
étaient véritablement ouvertes. Et, après 1685, moins que jamais.
L'événement a donc fait la banque protestante : la conjonction^ toute
historique, de l'exode huguenot et de la détresse du budget royal, « porte
mal gardée », dit Ltithy, par où passeront un Écossais et un Genevois,
(et quelques autres).
De la fin du xvne siècle datent aussi le premier « réseaux » de la
banque protestante française, alors secret, à la faveur de liens de famille
et d'affaires dans toute l'Europe de l'Ouest, du Centre, et des rivages nord-
méditerranéens ; cette organisation trouve naturellement appuis,
positions de repli et champs d'activité — et même nouvelles bases de
départ, — dans les marchés protestants, fort évolués parfois, d'Allemagne,
des Provinces-Unies, d'Angleterre et des Cantons Suisses.
Des trois formes du calvinisme français après 1685 — le « désert » et le
Midi, tournés vers Genève ; le protestantisme bourgeois, replié dans sa vie
privée, de la région parisienne et regardant vers Amsterdam et Londres ; le
« refuge » enfin — c'est cette troisième et dernière qui est l'objet de l'étude
de Herbert Ltithy : une «internationale » de banquiers privés, pour laquelle
sera utilisé le terme à la fois commode et flou de « banque genevoise » ;
un a milieu » fait de relations, d'alliances, de connivences, hors de France,
et en France « embrassant à la fois une minorité nationale pénalisée, une
minuscule République souveraine, et une société cosmopolite aux
ramifications multiples ». L'auteur termine son Introduction par une analyse de
la situation des religionnaires en France après la révocation de i'Édit de
Nantes. Il montre ces familles « partagées entre l'abjuration, l'obstination,
l'exil » et, devant le spectacle de ces groupes désimis, se demande s'il
s'agit là « d'une séparation des consciences ou d'un partage des tâches » ;
il vise le cas de ces fils de protestants envoyés en Hollande, Suisse,
Allemagne, Angleterre pour faire leur apprentissage d'affaires ; et les
abjurations de la foi native — telle l'abjuration de Samuel Bernard —- qui n'en
laissaient pas moins intacts les liens avec ceux qui avaient fui les
dragonnades. D'où l'explication de la puissance de certains banquiers en France,
et de S. Bernard en premier lieu : garants et gardiens des biens et fortunes

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ANNALES

des émigrés, des bannis, ils disposaient dans toute l'Europe, du fait même
de l'émigration, de correspondants, d'amis, d'obligés, de créanciers, de
débiteurs... Louis XIV dut en passer par eux et leurs services
bancaires pour ses paiements et transferts ; en somme Samuel Bernard ne fait
qu'annoncer Necker, entendez « l'emprise croissante de la banque hugue
note sur les finances françaises ».

LE tome I s'articule en trois chapitres imposants : les « points de


départ » ; les opérations financières de la guerre de Succession
d'Espagne ; la Régence et l'expérience de Law.
Les « points de départ », c'est-à-dire la constitution des groupes de
banquiers religionnaires à Genève, Lyon, puis Paris : Lyon ayant été
« l'étape intermédiaire dans la remontée des Genevois vers Paris ». L'auteur
suit, ici, les destinées des individus, des familles, des associations, et
rattache leurs activités de banquiers, de négociants en lettres de change,
à la vie économique de ces villes d'affaires mais surtout aux circonstances
politiques et aux besoins financiers de l'État. Alors Genève est devenu
« un entrepôt de contrebande et une banque extra- territoriale de la
France », sa haute bourgeoisie choisissant les gros profits du commerce
international et de la banque et sacrifiant, dans une large mesure, les
industries locales. Alors Lyon voit se « gripper » les mécanismes de ses
célèbres « paiements », venus en droite ligne des « foires de changes » des
xve, xvie siècles ; comme les emprunts de l'État français se déguisaient
finalement en fausses traites de foire — fausses parce q u'il leur manquait la
base — marchandises de toute traite normale — il y avait «cavalerie »,
émission inflationniste de monnaie fiduciaire dont les seuls gages étaient
représentés par « les prommesses d'un Trésor notoirement insolvable » :
aussi bien les opérations de compensation des « quatre paiements » durant
les années 1700-1709 se révélèrent de plus en plus difficiles en raison de Ja
« masse des engagemente en boule de neige des financiers et banquiers de la
Cour et de leurs traitants et sous-traitants » ; d'où le recul, indéfiniment
renouvelé, des échéances d'un « paiement » sur le suivant — reculs qui
aboutissent à la grande crise de 1709, coup de grâce pour le rayonnement
international de Lyon. Cette catastrophe explique la concentration des
activités de banque et de finance, dès lors, à Paris. A Paris où, en 1685,
soixante-trois banquiers et négociants protestants parisiens avaient
abjuré, chez Seignelay, leur protestantisme et où les premiers « Genevois »
— Mallet, Tourton, Guiguer — apparaissent en 1705. A propos des Tourton
et Guiguer, H. Liithy esquisse la monographie passionnante — le livre
en est parsemé — d'un des premiers circuits internationaux à partir du
« refuge ». Là apparaît, dès ses premiers débuts, Isaac Thellusson.
Les dispositifs et les positions de la banque huguenote ainsi fixés, notre

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BANQUE PROTESTANTE

auteur la montre en activité dans deux chapitres excellents : Les opérations


financières de la guerre de Succession ď Espagne ; La régence et V expérience
de John Law.
Suit l'étude des grandes étapes de l'histoire du Royaume à travers les
affaires de finances et de banque, la lumière revenant sans fin sur la place
considérable qu'y tinrent les hommes d'affaires de la R.P.R. Sous le titre
modeste de « Coup d'œil sur la situation monétaire et financière », notre
guide fait de suggestives mises au point à propos de la pénurie de
numéraire, des mutations monétaires, des techniques de crédits utilisées par
l'État, et de l'organisation administrative des affaires de finance. La
France alors n'a pas de banques publiques comme il en existe en Italie,
à Hambourg, à Amsterdam, à Londres. Dans ces conditions « les
mécanismes des compensations restent le seul amortisseur des pénuries
monétaires », pénuries qui tiennent dans une grande mesure au « resserrement »,
à la thésaurisation, et pas seulement à la diminution, réelle, du stock
monétaire français des années 1680 aux années 1710. « Aussi la tentation
du papier-monnaie ne pouvait pas ne pas se présenter » : les « billets de
monnaie » de 1701 et années suivantes annoncent les remèdes fiduciaires:
de Law. La conjoncture monétaire commande par ailleurs aux rapports
étroits, établis par les négociants de Saint-Malo, entre « les deux volets du
commerce mondial » : le commerce d'Espagne, et celui d'Extrême-Orient,
le problème étant le ravitaillement en moyens de paiement en argent
comptant pour solder le négoce des Indes.
Quant au gouvernement, il multiplie les mutations monétaires — une
quarantaine entre 1686 et 1709 — à la fois « un effacement partiel des
dettes, un expédient fiscal, et un artifice de trésorerie » ; à ces vieux
procédés insuffisants, d'autres aussi anciens et néfastes à long terme,
s'ajoutent : ainsi les émissions de rentes « la plus ordinaire des ressources
extraordinaires ».
Ce qui manquait traditionnellement à la Monarchie, c'était en
définitive, un véritable « volant de trésorerie » pour faire face aux besoins
urgents ou imprévus, spécialement en temps de guerre : d'où le recours
aux financiers — dont H. Luthy négligera volontairement l'étude par la
suite — et aux banquiers. S'il existe bien deux types de financiers — les
« officiers » d'une part, les « fermiers » et « traitants » de l'autre — il y a
unité de la vaste famille des « publicains » : les uns maniant les fonds, les
autres les recouvrant — sauf les impôts directs, comme on le sait. Des
deux côtés, dans les offices, les fermes, les traités, les mêmes noms se
rencontrent ; népotisme, monopoles de situation, accaparement des
« fonctions publiques » triomphent ici sans vergogne.
Mais le système n'est aberrant qu'à nos yeux ; il correspondait à des
nécessités contraignantes et pratiques, à la structure sociale et politique,
en dernière analyse, à tout un système fiscal dont le rendement restait
fonction des récoltes. La question la plus épineuse, à propos des financiers ?

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ANNALE S

Celle assurément de leur propre crédit : d'où tiraient-ils leurs ressources ?


Herbert Liithy insiste sur le rôle des « billets au porteur », instrument de
crédit favori des gens de finance, qui leur servaient à drainer les fonds
initiaux des « affaires du roi » : ventes d'offices, innombrables fermes
particulières à côté de l'immense « ferme générale »... Mais ces billets, à la
fin du règne de Louis XIV, partageaient le discrédit des papiers publics
eux-mêmes.
Alors interviennent les banquiers, « négociants plus ou moins
spécialisés dans le commerce des changes ». Leur intervention n'est pas nouvelle ;
depuis qu'il y a obligation de paiements lointains, donc de transferts
d'argent, les hommes d'affaires ont toujours été au service des Princes,
Papes, Rois ou Empereurs... La fonction proprement nouvelle, «
spécifique », des banquiers, à la fin du règne de Louis XIV, apparaît à H. Ltithy
comme celle de « l'escompte des effets publics et semi-publics » par les
hommes d'affaires ; achat plutôt qu'escompte, car l'emploi de ce dernier
mot pourrait faire croire à l'utilisation en France, dès la fin du xvne siècle,
de l'escompte commercial de type moderne, pratiqué alors en Angleterre
seulement. Les banquiers prennent en paiement ou en dépôt les promesses
du Trésor et de ses agents, ils leur en font l'avance, utilisant à cet effet
« plus ou moins abusivement l'argent de leurs clients et correspondants »,
grâce aux mécanismes de la lettre de change, instrument de crédit ; ils
puisent alors « dans la masse flottante des disponibilités commerciales »,
inondent les places de change, à commencer par Lyon, de leurs « traites
de cavalerie », papiers qui ne sont gagés sur aucune négociation de
marchandises, sauf sur les seules promesses de l'État. Tel fut le métier de
Samuel Bernard, de Hogguer, et de bien d'autres huguenots, convertis ou
non. Le commerce classique et normal des lettres de change se trouve
« envahi » par une véritable inflation fiduciaire : la dette publique est
transformée, prolongée en une dette flottante de forme privée. Somme
toute, un camouflage d'inflation. Le système, en définitive, reposait sur
des bases fragiles, Je « crédit immense » de tel ou tel banquier ou muni-
tionnaire — S. Bernard, ou les Paris — et qui tenait à leur seule réputation
d'être mieux placé que d'autres dans l'entourage royal pour obtenir le
paiement effectif de leurs créances. Bases fragiles, que révélèrent les
catastrophes « lyonnaises » de 1709.
H. Liithy illustre cette analyse de mécanismes par l'étude du « rôle de
Samuel Bernard ». Il a été, « hypothèse plausible », le banquier des
protestants émigrés, d'où ses liaisons, son crédit « international » ; de 1701 à
1708, il a régné, presque sans partage, sur les paiements extérieurs d'un
gouvernement français aux abois qui avait un insatiable besoin de fonds à
l'étranger pour ses armées hors des frontières, et la distribution de subsides
à ses alliés. S. Bernard a été (l'exception confirmant la règle) constamment,
exclusivement associé dans ses affaires à des huguenots et à des Genevois ;
il n'a jamais emprunté en France, mais toujours à l'étranger, chez les

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BANQUE PROTESTANTE

banquiers protestants dont de nombreux réfugiés récents ; « ce qui était


peut-être à l'origine un dispositif d'évasion de capitaux est devenu un
puissant réseau de banque et de change ». L'origine de sa fortune, les
mécanismes de ses affaires n'étaient pas conformes au « modèle accoutumé
et sans mystère du fermier ou traitant enrichi »... « Sa puissance c'est le
premier triomphe de la banque, par surcroît cosmopolite et huguenote,
sur les financiers vieux style, relégués dans le rôle plus modeste de
collecteurs de fonds. » D'où l'hostilité, les soupçons les jalousies contre le
« banquier des religionnaires », qui expliquent, après 1709, la réaction
contre S. Bernard, sous Desmaretz, et le retour aux « financiers ».
Ceci dit, des pages 126 à 275, Hubert Ltithy multiplie les micro-analyses
dont il a le goût sur les groupes bancaires protestants et leurs opérations
avec le Trésor, de la guerre de la Ligue d'Augsbourg jusqu'aux dernières
années du Grand Roi. Les passages les plus significatifs concernent le rôle
du marché genevois comme point de contact entre le Trésor français et le
dehors ; la pénétration de la « banque protestante » dans la Manufacture
Royale des Glaces de France — ancêtre de « Saint-Gobain »; la brouille
entre Samuel Bernard et Huguetan, protestant d'origine lyonnaise émigré
en Hollande, après 1685, puis en Suisse et en Angleterre et qui finira une
aventureuse carrière en 1749 comme baron d'Empire ; l'histoire de
l'association de S. Bernard et du banquier genevois Nicolas : ici, un fort
intéressant développement sur les projets de « banque d'émission » qui se
rattachent directement à la position difficile du banquier, lequel tentait, en vain,
de rendre crédit aux papiers royaux dont la dépréciation faisait sa perte.
Au dernier chapitre du tome I, H. Ltithy réécrit l'histoire de Law, qui,
reconnaît-il après Harsin, « est loin d'être faite ». « Les historiens, ajoute-
t-il, ont étudié Law sans chercher qui s'agitait autour de lui. » Or si Law
eut le soutien des négociants des ports atlantiques, il a groupé contre lui
Ja plupart des financiers et des banquiers. H. Ltithy en donne des raisons
convaincantes dans leur diversité même. Il est problable ainsi, au cas où
les projets de Law seraient arrivés à maturité, que c'en était fini, pour une
grande part, de certains profits des financiers et banquiers du Roi ! Mais
Law est venu trop tôt ; la conjoncture économique et politique française
ne pouvait lui permettre de réussir, alors que, seule, paradoxalement, elle
avait fait de lui un homme indispensable.
L'auteur esquisse un parallèle entre la débâcle finale du « Mississipi »
et les tristes affaires de la compagnie (anglaise) des Mers du Sud. S'il y a
eu, d'un côté de la Manche, débâcle complète, de l'autre, simplement
secousse, c'est que la structure française alors ne pouvait supporter
certains chocs ; l'Angleterre, en avance à tous les points de vue, avait la
possibilité de traverser un « krach » sans que la confiance dans la Banque
d'Angleterre disparût aussitôt.
En France, rien de tel : il ne pouvait en être autrement en raison de
l'absence d'un crédit public sain, et de l'inexistence d'un contrôle parle-

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Aîtnalbs (18« année, juillet-août 1963, n° 4) 11


ANNALES

mentaire du budget et d'un système monétaire solide. Quant aux banquiers


huguenots — quarante-quatre Genevois et Suisses banquiers à Paris en
1714-1716 — après avoir échappé aux périls de la Chambre de Justice de
1716-1717 qui atteignit les financiers — pour la plupart ils se lançaient à
fond dans les opérations et spéculations accompagnant le « Système ».
Du fait de leurs engagements en papiers royaux, les banquiers, surtout
genevois, furent entraînés à échanger ces papiers contre les actions
« Law » (Banque générale, Compagnie du Mississipi), à spéculer sur les
nouveaux titres, et finalement à en retirer du profit. H. Liithy peut
reconstituer certains mécanismes des engagements de groupes huguenots
dans le « Système », en utilisant en particulier les Cahiers du Genevois
Calandrini : beaucoup eurent la prudence de « réaliser » à temps leurs
spéculations. Seule exception, celle de Thellusson : il eut devant le «
Système », l'attitude d'un « banquier conservateur aux principes prudents et
rigides », il resta à l'écart de la spéculation et se rangea, avec efficacité,
dans le camp des ennemis de l'Ecossais.
Bref, par son intervention dans les finances royales durant les quelque
vingt dernières années du règne de Louis XIV, la « banque protestante »,
essentiellement genevoise, a été amenée, par étapes, à se fixer à Paris.
Après la chute du « Système » les affaires de finance retrouvent une
certaine léthargie, elles reviennent à leurs formes traditionnelles, mais
l'implantation de « l'internationale huguenote » est un fait acquis.

Le tome II veut « jeter un pont » entre les travaux d'A -E. Sayous et
ceux de J. Bouchary à travers « ce grand vide qu'est encore, pour
l'histoire économique, le xvine siècle français ». Le fil directeur reste le
destin de nos groupes de banquiers hugenots. Cette fois H. Liithy
commence par une longue parenthèse (chapitre premier : Contours du siècle
de Louis XV) pleine de vues pénétrantes sur les années de prospérité qui
marquent le cœur du règne du Bien Aimé ; on se reportera utilement et avec
plaisir à son commentaire du Tableau économique de Quesnay et à
l'utilisation qu'il en fait pour définir l'ordre social de l'Ancien Régime, un ordre
dont les « parties prenantes » sont représentées par l'ensemble de la
« classe des propriétaires » — des propriétaires du sol, des offices, des
dignités.
Plus proches de son thème central sont encore les pages consacrées aux
conditions nouvelles dans le domaine des prix, de la monnaie, du change
— donc des activités bancaires. Le grand fait c'est la stabilité monétaire
acquise (1719 en Angleterre, 1726 en France). Or, avec la convalescence de
l'économie et la stabilité des monnaies, le commerce des lettres de change
perd ce caractère aventureux qu'il avait du temps des pénuries et des
instabilités : la spéculation devient moins rentable lorsque les oscillations

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BANQUE PROTESTANTE

des changes autour des parités sont faibles. L'escompte, né empiriquement


sur le marché intérieur anglais du xvne siècle, peut s'acclimater sur le
continent. Réglé, régulier, le gain d'escompte est modeste. Mêmes
modifications dans le commerce des espèces d'or et d'argent qui dans la période
précédente avait été l'un des terrains favoris de l'activité des banquiers
internationaux. Ce commerce continue, réglé désormais entre des limites
assez stables. Aisance monétaire, aisance budgétaire au temps de Fleury...
C'est alors la période des «vaches maigres... pour l'agiotage boursier et
financier ». La fiscalité royale suffit aux besoins. Les Samuel Bernard sont
moins nécessaires. Les frères Paris, symbole de la Finance traditionnelle
intégrée à la Monarchie, contrôlent ainsi toutes les opérations financières
de la guerre de Succession d'Autriche. Dans le secteur des « affaires du
Roi », « la banque protestante connaît une éclipse à peu près complète au
milieu du xvme siècle ». Il en va autrement, à l'époque, dans le grand
commerce maritime et colonial ; mais il faudra attendre la fin de la Guerre
de Sept Ans pour apercevoir à nouveau « l'incroyable montée au pouvoir
des groupes jusqu'alors marginaux, genevois en tête, et où l'initiative
commence à échapper à la société monarchique constituée ».
En 300 pages denses, d'une extrême richesse (chapitres II et III) est
conduite la quête des activités « en ordre dispersé » des banquiers
protestants entre 1726 et 1763, « série d'historiques, de Firmengeschichte ».
Tout d'abord une description de la Genève économique et financière du
milieu du siècle, devenue place d'émission d'emprunts étrangers. Dans les
années soixante, les placements genevois sont heureusement équilibrés
entre titres britanniques (actions de la Banque d'Angleterre, des grandes
compagnies de commerces, titres d'emprunts de l'État) et titres français.
Après 1770 commence à se produire « la déviation étrange et assez
malsaine » des placements genevois sur les fonds exclusivement français.
Second aspect de Genève : le développement du « réseau genevois dans le
commerce international » appuyé sur les divers essaims huguenots en
Europe ; l'auteur envisage particulièrement le carrefour marseillais
— et ici ses travaux, on le sait, sont prolongés par ceux de M. Dermigny ;
le groupe huguenot de Gênes — (très bonnes pages sur les André) ; les
« associations genevoises » à Cadix et aux Amériques. Dans toutes ces
pages, un grouillement de maisons, d'individus, d'opérations ; le tout
permet de voir d'une manière concrète et vivante combien, à l'échelle
internationale, banque, négoce marchand, placement maritime, change
sont unis dans la pratique professionnelle.
Viennent ensuite les grands noms des « banques et groupes d'affaires »,
entre l'époque de Thellusson et celle de Necker, étudiés surtout dans le
cadre parisien. Vers 1770, à côté du groupe catholique des Lecouteulx,
voilà les deux firmes protestantes Thellusson, Necker et Cie, et Tourton et
Baur, les principales maisons de la capitale. Le personnage de Thellusson
est suivi de fort près (p. 177-205) ; après sa mort, en 1755, la continuité de

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ANNALES

sa firme est assurée par l'association de son fils, Georges Thobie, et de


Jacques Necker — qui a fait ses débuts chez Isaac Vernet, à Paris. (Sur les
origines de Necker, excellente mise au point p. 228-232.) Thellusson,
Necker et Cie ouvrent des crédits au commerce maritime, gèrent des dépôts
et comptes courants d'environ 350 clients étrangers en 1759, dont la
plupart engagés dans les emprunts de la Monarchie française : c'est l'amorce
d'opérations qui prendront, ultérieurement, une ampleur considérable.
Très tôt Necker se trouve en relations avec une clientèle internationale
de capitalistes rentiers dont, plus tard, il saura jouer.
L'entrée en scène de Necker élucidée, à la veille même des années où
il va commencer « à prendre figure d'homme public et à viser plus haut
que le guichet de sa banque », l'auteur consacre une série de monographies
à des maisons moins importantes alors mais dont certaines auront de
glorieuses postérités : en particulier les Mallet (p. 246-273), attirés à Paris
dès 1711 par les affaires du Roi, et à propos desquels l'auteur peut
commenter quelques documents fort intéressants : statuts, éléments de
comptabilité pour 1770-1771.
Avec le chapitre IV (L'apogée, 380 pages), on parvient au cœur du livre :
la résurrection de la banque protestante menacée « d'anémie », Ja carrière
de Necker, la crise financière, la crise tout court de l'Ancien Régime, les
emprunts et agiotages des années quatre-vingts.
Ainsi voilà « un homme sans origine, sans titre, sans attaches, sans
office, sans carrière de commis du Roi... Étranger et hérétique par
surcroît... donc un homme radicalement étranger à la société monarchique
constituée » et qui arrive à la fin de l'année 1776, d'abord comme directeur
du Trésor royal, puis, en juillet 1777, comme Directeur général, à la tête
des finances publiques. Quelle est l'explication fondamentale de cette
étonnante « montée » ?
Le banquier-ministre était l'homme indispensable qui pût écouler
« dans une clientèle internationale de capitalistes les emprunts d'un Trésor
obéré que ni l'impôt, ni la finance traditionnelle n'arrivent plus à
alimenter ». Necker est fils de ses œuvres, son arrivée au pouvoir tient à ses
capacités de technicien, à sa clientèle. Quant aux « cheminements obscurs de
son étonnante candidature dans l'entourage du roi », H. Liithy croit en
trouver la « clef » dans le rôle que Necker a joué à l'intérieur de la
Compagnie des Indes, cette « société de fermiers plutôt que des négociants » selon
l'abbé Raynal (p. 376-397). Chemin faisant, se précise un trait fort
important du rôle de Necker, banquier privé. En janvier 1772 l'abbé Terray,
alors Contrôleur général, lui écrivait : « Nous vous supplions de nous
secourir dans la journée. Daignez venir à notre aide pour une somme
dont nous avons un besoin indispensable. Le moment presse et vous êtes
notre seule ressource ». Voilà qui explique bien des choses.
Toutes les pages sur Necker, sur le rôle de sa femme dans sa carrière,
sur ses écrits, laissent voir le peu de sympathie que l'auteur nourrit pour

788
BANQUE PROTESTANTE

le Genevois. Le portrait qu'il en esquisse n'est pas une charge, peu s'en
faut parfois. L'original, évidemment, se prête à bien des traits. Necker
aurait été à sa place dans les compositions « bourgeoises » de Chardin.
Après Necker, voici le personnage d'Isaac Panchaud, qui pourfendra
Necker de ses pamphlets, Panchaud, l'un des fondateurs de la Caisse ď
Escompte (mars 1776) avec tout un groupe de banquiers huguenots de Suisse.
Mais la Caisse naît tout à la fin du Ministère Turgot, et apparaît à H. Liithy
comme « le deuxième effort depuis Law pour faire passer dans la coutume
la technique de l'escompte ». Or elle est en partie détournée de son
principe initial par Necker lui-même qui, ministre, y voit un instrument
commode pour sa politique d'emprunts ; elle tient en tout cas le rôle de
banque des banquiers privés, qui lui emprunteront à 4% pour prêter à
6%, et jouer par là un rôle dans les « grandes vagues des spéculations des
années 1780 ». Le mot de Panchaud à son égard : « Une caisse d'emprunt
plutôt qu'une caisse d'escompte », est à retenir.
H. Luthy place alors la partie de son ouvrage qui, de toute évidence,
lui a donné le plus de plaisir à écrire (p. 464-591) : l'analyse des « emprunts
viagers et des trente immortelles de Genève », c'est-à-dire de la technique
d'emprunt appliquée par Necker avec l'aide de ses liaisons huguenotes :
« II réussit l'apparent tour de force de combler le déficit et de financer la
guerre d'Amérique sans impôts nouveaux, en laissait à ses successeurs le
soin de payer la note ». Necker remplit ici le rôle — limité — pour lequel
on l'a appelé ; il est placeur d'emprunts, sans plus ; ayant eu la naïveté
de se croire indispensable, il fut ensuite congédié. Non que Necker fût sot ;
en matière d'emprunts, il aurait voulu que l'impôt pût à lui seul assurer le
service de la dette ; mais le système fiscal français n'était pas celui de
l'Angleterre en fait de régularité et d'efficacité. Necker laissa finalement
à ses successeurs une dette publique accrue de 500 à 600 millions et son
célèbre compte rendu « maquillé », dit H. Luthy.
La plupart des emprunts de Necker — 386 sur 530 millions de livres —
furent lancés sous forme de constitution de rentes viagères. Necker ne fut
certes pas l'inventeur de cette combinaison ; elle correspondait aux
habitudes de ses amis et clients, et lui fournissait « des souscripteurs empressés
à portée de main » tant à Genève même que parmi les banquiers genevois
de Paris. Immense est la vogue du viager en Suisse, à Lyon, en Hollande ;
innombrables les modalités curieuses de spéculation sur la durée de la vie
humaine. « On parie sur la longévité des têtes comme, on parie sur les
chevaux de course » ; la « formule genevoise » consistera à transformer le
viager en un « effet de grande série uniforme » grâce à l'intervention du
banquier centralisateur et organisateur de la formule, intermédiaire entre
les rentiers et l'État emprunteur. Le mouvement d'emprunts ainsi lancé,
la politique de Calonne, Necker une fois disparu, est plus explicable,
car le mouvement ne pouvait être que poursuivi ; le viager continua d'y
tenir une place prépondérante et les banquiers huguenots (dont Girardot,

789
ANNALE S

Haller et Cie — l'ancienne maison de Necker — Delessert, Mallet, Bon-


temps, Lullin, de Candolle, Calandrini) les premiers rôles.
Dans la crise financière qui est à l'origine immédiate des événements
de 1789, les emprunts tenaient la vedette : au printemps le service de la
dette publique consommait à lui seul plus de la moitié des revenus de
l'État, service dor>t la plus forte part revenait aux emprunts viagers à la
genevoise. Mais la « banqueroute insidieuse par l'inflation », puis la
conversion édictée par Cambon, en 1793, vinrent interrompre les savants calculs
sur la longévité des jeunes filles genevoises — les « trente immortelles » —
sur les têtes desquelles reposait la combinaison du viager : grands malheurs
des rentiers en France mais catastrophes à Genève où « millionnaires » et
petite bourgeoisie avaient bourré leurs portefeuilles de rentes françaises :
« Genève rentière vit comme un corps parasite sur le Trésor français ». Un
échafaudage de crédit s'étant bâti sur le règlement des rentes, une série de
faillites frappa à partir de 1792 nombre de familles et de banquiers.
Dans les deux derniers développements de l'immense chapitre IV
(L'apogée), H. Ltithy cherche à caractériser les activités huguenotes hors des
affaires d'État, durant les années qui précédèrent 1789 : commerce et
finance pendant la Guerre d'Indépendance des États-Unis, vus à travers
la correspondance de Louis Greffulhe, banquier à Amsterdam, mais
genevois d'origine — et les affaires de banquiers tels que Grand, qui sera à Paris
l'un des soutiens de Franklin, ou Haller, lequel, associé à Girardot, prend
la suite de Necker durant l'été de 1777. Sur sa lancée l'auteur trace la
chronique de Girardot, Haller et Cie, maison à laquelle se substituent à
Paris, au printemps de 1789, Greffulhe, Montz et Cie ; l'histoire de cette
firme sous la Révolution (p. 631-642) est celle, particulièrement édifiante,
d'hommes qui peuvent, pendant un temps, s'adapter au cours nouveau,
soutenir le duc d'Orléans dans ses ambitions politiques, spéculer sur les
biens nationaux et les marchandises, et que l'on voit un beau jour céder
à la grande peur sociale de la bourgeoisie d'affaires ; en mars 1793,
Greffulhe a émigré à Londres : il réintégrera Paris en 1810,
considérablement enrichi, à l'époque où le tout jeune James de Rothschild s'y
installe.
La parenthèse Greffulhe, Montz et Cie une fois fermée, notre auteur
revient aux séquelles de la guerre d'Amérique et aborde le commerce
maritime et la nouvelle Compagnie des Indes dans les années 80 : études
un peu diverses et mises bout à bout, chacune intéressante en soi, sur
l'extension de « l'indiennerie » en France et sur la Compagnie des Indes,
qui fut « l'objet de convoitises et de luttes de clans de plus en plus
internationaux ».
Les derniers développements du chapitre IV portent sur « le grand
agiotage et le crépuscule de la société d'Ancien Régime ». Selon l'auteur « la
dernière orgie de l'Ancien Régime a été réellement... (celle) de sa haute

790
BANQUE PROTESTANTE

société constituée, de ses agents et de ses cadres financiers ». Les


polémiques des dernières années sur la Compagnie des Indes, les Eaux de Paris,
la Caisse d'Escompte, la Banque de Saint-Charles — polémiques où se sont
illustrés Mirabeau, Brissot et leur « bain- trust » genevois, dont Clavière —
ne doivent pas faire oublier que les « vrais manieurs d'argent du Royaume »
ne sont pas les banquiers huguenots, mais les «manieurs des finances du Roi
et de la Gour... la haute finance d'office... la Ferme générale... les
Trésoriers de la Guerre et de la Marine... les financiers des Grands »,
Or sur ces milieux totalement intégrés à l'ancienne société, sur cette
finance officière et officielle, on sait peu de choses. Ce que l'auteur tient
par contre pour assuré, c'est que « ni la banque genevoise, ni
l'internationale huguenote, ni la finance internationale sous quelque aspect qu'on
les conçoive, n'ont joué un rôle déterminant dans les derniers ébats de la
monarchie finissante ». Ne voulant pas répéter Bouchary, H. Liithy s'en
tient à « rétablir un certain sens des proportions et des hiérarchies ». Les
boursicoteurs, petits ou grands, de l'agiotage sous Calonne (et les
huguenots ne se privèrent pas de spéculer) ne sont pas à considérer comme les
fossoyeurs de l'Ancien Régime. La faillite budgétaire finale est due à un
endettement progressif, non gagé sur des ressources croissantes ; la
conjoncture des années 80 présente des traits contrastés : prospérité
factice des industries de luxe, des grands ports, de la Bourse ; crises
agricoles et marasme de l'ensemble industriel et commercial 1. On a trop prêté
attention aux « francs tireurs » de l'agiotage et perdu de vue que les grandes
spéculations du temps, immobilières et mobilières, demeuraient contrôlées
et accaparées, pour l'essentiel, par les éléments dirigeants de l'Ancien
Régime. Panchaud, transformé par d'anciens auteurs en tuteur de Calonne,
n'a été, selon Luthy, qu'«une mouche du coche » ; la Caisse ď Escompte,
à ses débuts «syndicat de banquiers privés de promotion néckérienne », a
été pénétrée ensuite de financiers — dont le fermier-général Lavoisier.
Luthy donne sur ce thème une foule d'analyses, puis termine en revenant
sur le destin des banquiers huguenots sous la Révolution ; à la différence
des financiers, ils ont traversé la tourmente sans trop de dommages.
Et d'ailleurs, le Comité de Salut Public n'eut-il pas son banquier —
Perrégaux ? Le gouvernement révolutionnaire ne pouvait tout à fait se
passer de fournisseurs de devises et de traites pour ses achats au dehors :
il n'était pas question, pour l'étranger, d'accepter l'assignat en paiement.
Quant aux affaires courantes de banque, les circonstances les réduisirent
à l'extrême ; une fort intéressante Note sur un établissement de banque et
de commerce, rédigée par le banquier Montz en mars 1795, et qu'H. Liithy
cite intégralement (p. 731-732) recommande de restreindre tout engage-

1. A la page 690, H. Liithy s'égare en croyant ironiser à bon compte sur « l'énigme »
de la sous-consommation agricole et sur les difficultés de toute étude statistique du
xvme siècle. Il enfonce des portes ouvertes.

791
ANNAL ES

ment — réflexe classique de tout banquier en période de crise : « Les terres,


les biens-fonds, les objets stables qui ne craignent rien du choc des
événements possibles sont à peu près les seuls emplois que l'on pourrait choisir »,
écrit Montz. Après la tourmente, en l'an V, les raisons sociales d'avant la
Révolution réapparaissent : Cottin, Delessert, Girardot, Fulchiron,
Hottinguer, Lecouteulx, Mallet, Perrégaux, Tourton. Les banquiers du
xixe siècle ne seront pas des hommes nouveaux — pas même les
Rothschild.

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1. Voir les études sur « La première Renaissance française » (1925) et « Capitalisme


et Réforme » (1934), rééditées dans Pour une histoire à part entière, S.E.V.P.E.N.,
1962.

792
BANQUE PROTESTANTE

digérées, transformées en nourriture pour eux » ; les bourgeois, les premiers


parmi ces hommes du temps, ont altéré la Réforme, mais la Réforme, en
même temps, a réagi sur la mentalité bourgeoise. « Elle renforce, précise
et accentue en eux un certain sens capitaliste des affaires » (L. Febvre).
Et il est profondément vrai, qu'à telle ou telle époque n'importe quelle
idée nouvelle ne saurait triompher. Les théologiens protestants ne l'ont,
au départ, ni voulu, ni prévu : mais leurs messages, religieux
fondamentalement, ont rencontré des échos, à la fois amplifiés, déformés, et assimilés,
parce que société et économie étaient en train de muer ; il y a eu
fécondation réciproque de la Réforme et du capitalisme, rapports réciproques
entre idéologie et économie-société.
H. Liïthy retrouve un sol plus ferme dans les excellentes pages où il
oppose Finance et Banque, et où il analyse le « fait social » qu'a,
incontestablement, représenté l'internationale huguenote (p. 773-777). Si le
« complot protestant », explicatif de 1789 selon certains, n'est que
« légende », « le protestantisme français pris en bloc était du Tiers-État, et
même de l'élite libérale du Tiers ». Le fait est explicable si l'on analyse le
groupe huguenot en tant que groupe : la « diaspora » de la fin du xvne
siècle, le renforcement des réseaux bancaires internationaux qui
l'accompagna, la séparation forcée d'avec la terre et le passage à des formes
mobilières de la fortune firent que, dans leur masse — et cela signifie
qu'il exista des cas individuels aberrants, mais explicables — les banquiers
huguenots ne furent pas « dans le régime » (comme la Finance
traditionnelle, celle du Roi) mais « hors du régime ». De ce point de vue l'arrivée de
Necker aux affaires publiques est bien une nouveauté capitale : un banquier
à la tête des Finances. Et Necker, pour l'historien, c'est en quelque sorte
l'avenir, un certain avenir. La finance d'Ancien Régime disparaît corps et
biens après 1789. Quant à la Banque, en ce monde de 1963, elle est
toujours présente, bien présente. Ce qui donne aux travaux de Herbert Liithy
un intérêt extrêmement actuel. Pour finir, formulons un vœu : à quand
un ouvrage équivalent sur les finances et les financiers du xvnie siècle
français ?

Jean Bouvier,
Ecole des Hautes- Etudes.

793

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