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Bulletin de la Classe des sciences

Un Marronnier centenaire privé d'écorce. II. Racines et Mycorhizes


Pierre Martens

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Martens Pierre. Un Marronnier centenaire privé d'écorce. II. Racines et Mycorhizes. In: Bulletin de la Classe des sciences,
tome 58, 1972. pp. 40-52;

doi : https://doi.org/10.3406/barb.1972.60416

https://www.persee.fr/doc/barb_0001-4141_1972_num_58_1_60416

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Résumé
Cette étude fait suite à la relation de la survie extraordinairement prolongée d'un Aesculus
hippocastanum, après une décortication basale complète du tronc. Des greffes ou soudures naturelles
avec des racines d'arbres voisins de même espèce n'ont pas été trouvées. Par contre, les radicelles de
l'arbre décortiqué, croissant à proximité de la surface du sol, sont, en grande abondance, de type
mycorhizique endotrophe ; elles sont courtes, vésiculeuses, non ramifiées, privées de coiffe, de
méristème terminal et de poils absorbants (fig. 1). Leur anatomie révèle une abondante infection
mycélienne extra-et surtout intracellulaire dans le cortex (réseau de Hartig et arbuscules), sans
pénétration dans la stèle (fig. 2-8).
A part l'infection mycélienne, la morphologie et la structure de ces radicelles correspondent
exactement aux descriptions données, pour les radicelles de la même espèce, par Klein & Szabo ou
Waage (1880, 1891) ; ces auteurs y voyaient un type radiculaire original et non des racines
mycorhizées.
Les radicelles d'un Marronnier voisin et normal présentent, en surface, la même allure, la même
structure interne et la même infection mycélienne corticale (fig. 9-13). L'espèce peut donc être admise
comme normalement mycorhizée.
On s'est demandé si — et dans quelle mesure — la présence de mycorhizes pourrait justifier la survie
pratiquement indéfinie de l'arbre décortiqué. La difficulté réside ici dans le bilan physiologique, admis le
plus généralement entre les deux partenaires de la symbiose, et selon lequel les sucres photo-
synthétisés par l'hôte constitueraient le bénéfice principal du champignon. Or c'est précisément de
sucres qu'une décortication devrait surtout priver les racines, si le liber reste la seule voie normale de
descente de ces produits. Néanmoins certaines données expérimentales vont dans un autre sens et
nous n'excluons pas une intervention possible et limitée des mycorhizes dans la nutrition glucidique
des racines. Qu'elle ait pu suffire à justifier la survie constatée est, selon nous, exclu ; et il ne pourrait
s'agir, en tout cas, que d'un éventuel appoint. Car la persistance de l'accumulation massive d'amidon
dans toute la colonne de bois dénudé reste un témoignage plus concret de la descente abondante de
glucides solubles par cette voie.

Abstract
The present study follows the relation of an exceptional and continued survival of a Horse Chestnut
tree (Aesculus hippocastanum), after a complete basal decortication of the trunk, Natural root grafts
with adjacent trees of the same species were not found. But, on the girdled specimen, most of the
terminal rootlets growing near the soil surface were of characteristic mycorrhizal and endotrophic type :
short, vesiculous, not branched, devoided of root cap, root hairs and apical meristem (fig. 1).
Anatomical study reveals numerous inter-and intracellular mycelial hypha in the cortex (Hartig net and
arbuscula), without penetration in the stele (fig. 2-8).
Except for the fungus infection, the morphology and anatomy of these rootlets correspond exactly to
the descriptions given, for the same species, by Klein & Szabo and Waage (1880, 1891) and
interpreted by them as an original root structure, and not at all as mycorrhiza.
The surface rootlets of an adjacent and normal Chestnut tree give the same appearance and the same
structure (fig. 9-13). Thus Aesculus hippocastanum may be considered as a mycorrhized species. The
question then arises : Can the mycorrhiza adequately explain the nutrition of the root apparatus and
consequently the long survival of the tree ? The prominent difficulty is the physiological balance
between the two partners, most commonly accepted by the authors. According to it, the sugars
elaborated by the host constitute the principal benefit of the fungus in the symbiose. And precisely the
lack of sugars in the roots must be the principal result of the girdling, if the phloem is their only normal
and descending way.
However, according to several other data, the balance would be some¬ what different and we cannot
absolutely exclude an eventual intervention of mycorrhiza in the glucidic root nutrition. Nevertheless
and in any case, a complementary supply would only be acceptable ; for the persistent and massive
accumulation of starch in the whole naked trunk remain a more concrete evidence of a descending flow
of carbohydrates along the xylemian way.
Institut Carnoy, Louvain. Laboratoire de Botanique et de Cytologie.
BOTANIQUE

Un Marronnier centenaire privé d'écorce

H. Racines et Mycorhizes
par P. MARTENS

Introduction

Nous avons présenté récemment, ici même, le cas fort extraor¬


dinaire d'un Marronnier d'Inde {Aesculus hippocastanum L.), résistant
efficacement à une décortication basale complète de son tronc,
et cela depuis plus d'un demi-siècle (*). Dans un « Addendum
nécrologique » à cette étude, il était annoncé que l'arbre en cause
venait d'être malencontreusement abattu, par les soins imprévus
et trop diligents d'un service officiel, et que cette initiative regret¬
table rendrait du moins possible une analyse du système radiculaire
de la victime. On trouvera ci-après quelques résultats de cet examen
complémentaire (2).
Rappelons d'abord que l'arbre était dépouillé de toute écorce,
depuis sa base jusqu'à 1,70 m. au-dessus du sol {I.e. fig. 1-4) et qu'observé
régulièrement dans cet état depuis une quarantaine d'années, sa
vitalité et sa croissance s'étaient maintenues absolument normales.
D'autre part, des prélèvements de bois, à diverses hauteurs et profon¬
deurs du tronc ligneux dénudé, y avaient montré une accumulation
massive d'amidon dans les rayons parenchymateux, équivalente à
celle du bois intact au-dessus de l'annélation. Ce résultat ne se justifiait
guère qu'en admettant qu'une partie des glucides solubles, descendant
des feuilles par la voie normale, corticale et phloémienne, avait dû

(*) Cf. ce Bulletin, 1971, n° 2, pp. 65-84, 9 fig.


(2) Notre collègue, L. Waterkeyn, a réalisé, pour nous, les photographies reproduites
ici. Nous l'en remercions vivement.

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emprunter la voie xylémienne à partir du niveau supérieur de l'anné-


lation, assurant ainsi la continuité indéfinie de la nutrition radiculaire.
Néanmoins, deux autres facteurs de cette nutrition pouvaient être
invoqués ou supposés, celui de greffes naturelles avec des racines
d'arbres voisins et celui de l'intervention possible de mycorhizes.

Observations

1. La durée de survie et les cernes annuels

La récupération du tronc abattu a donné lieu à une première véri¬


fication, déjà sommairement annoncée en P.S. de l'article précité.
Dans une section transversale du cylindre ligneux intact, au-dessus
de la blessure (soit à + 2m au-dessus du sol), 147 cernes annuels
ont été dénombrés. Une section réalisée dans le bois nu, sous le
bourrelet supérieur de la blessure, en a montré 92 dans les secteurs
où la surface externe de la colonne ligneuse était apparemment
intacte. A la fin de sa période de croissance de 1970, l'arbre avait
donc, sur la partie intacte du tronc, continué à produire régulièrement
des cernes ligneux pendant 55 ans après la décortication. Le dénom¬
brement était fait au microscope binoculaire sur de minces tranches
de bois polies, de façon à repérer chaque cerne avec précision, ainsi
que le niveau de la moelle et des premiers cernes formés O-
Les 147 couches annuelles ont été dénombrées à la hauteur moyenne
atteinte par un individu de 2-4 ans. On peut donc accorder à l'arbre
abattu un âge «arrondi» de 150 ans, fort vénérable pour l'espèce
et dans nos régions (2).

(*) Ces observations ont été réalisées au Laboratoire Forestier de l'Institut Agrono¬
mique de l'Université de Louvain et nous remercions vivement son directeur, notre
collègue et ami, le Professeur R. Antoine, de l'aide qu'il nous a prêtée, à cette occasion.
(2) Selon ces numérations, l'arrêt de croissance diamétrale du tronc dénudé se situe
donc en 1915. Or une curieuse légende, dont nous n'avons eu que tout récemment
connaissance, a circulé dans certains milieux louvanistes. Au cours du « sac » de Louvain
et de l'incendie d'une grande partie de la ville par l'armée allemande, en août 1914,
des cavaliers uhlans, campants sur le boulevard extérieur où croissaient nos Marronniers
(entre la « Porte de Parc » et la « Porte de Namur »), y auraient attaché leurs chevaux
et ceux-ci auraient profondément rongé l'écorce de plusieurs de ces arbres. Ainsi
expliquait-on, dans le « quartier », les décortications partielles ou totales, constatées
ensuite. A un cerne près (mais il n'est pas exclu que le cambium, mis à nu, ait pu encore
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L'examen de la section transversale du tronc intact, au-dessus de


la blessure, permet aussi une comparaison significative de la crois¬
sance ligneuse après et avant la décortication. Les cernes extérieurs,
formés après celle-ci (dans le bourrelet ligneux surmontant la colonne
de bois nu) ont une épaisseur moyenne de 0,5 mm à peine; celle des
cernes plus profonds, antérieurs à la décortication (et donc normaux),
est cinq à dix fois plus élevée (2,5 à 5 mm). La continuité de l'épaissis-
sement annuel, avec alternance de bois « de printemps » et « d'été »,
allait donc de pair avec un ralentissement considérable de la synthèse
ligneuse. Et ce ralentissement s'est maintenu pendant toute la durée
de la survie.

2. Greffes naturelles radiculaires?

Nous avons tenté de vérifier s'il y avait, ou non, de ces soudures


avec des racines des Marronniers les plus proches. Le résultat a été
négatif, mais la vérification n'a pu être que partielle, vu les moyens
dont nous disposions et l'interdiction de couper complètement la
voie publique en ce lieu. De plus, la tranchée limitée, creusée à la
base de la souche, n'était peut-être ni assez étendue, ni assez profonde.
Nous ne pouvons donc pas tirer de conclusion formelle, sur ce point.

3. Racines mycorhizées?

Nous avons recueilli de nombreuses racines et radicelles, tant en


surface qu'en profondeur, sur la souche de l'arbre annelé ainsi que
d'autres, pour comparaison, sur un Marronnier voisin de la même
avenue. Dans chacun des deux lots, les racines récoltées à une cer¬
taine profondeur présentent, à leurs extrémités, une majorité de
radicelles normales, longues, cylindriques, ramifiées à leur tour, et
un petit nombre d'autres très courtes, renflées et non ramifiées. Par
contre, les racines très proches de la surface du sol se ramifient sur¬

élaborer une dernière couche ligneuse après la blessure, et encore moins que l'inter¬
vention militaire ait eu lieu en 1915), la légende s'accorde singulièrement avec le dénom¬
brement effectué un demi-siècle plus tard. Notre Marronnier aurait été un authentique
« mutilé de guerre », doué d'une extraordinaire vitalité, malgré de graves blessures
infligées par l'ennemi! Que ce soit précisément l'État Belge qui ait récompensé ce « résis¬
tant » exemplaire par une condamnation définitive ajoute à l'amère saveur du paradoxe!
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Fig. 9-13. Arbre normal, — Fig. 9. Radicelle vésiculeuse croissant près de la surface
du sol; coupe transversale; cortex envahi par les hyphes. X 145.
Fig. 10. — Détail d'un secteur de la même coupe. X 360.
Un Marronnier centenaire privé d'écorce

tout selon un plan horizontal et quasi toutes leurs ramifications


ultimes sont du même type, court, vésiculeux et non ramifié. Ces
radicelles renflées sont étonnamment abondantes, leurs insertions
étant souvent continues sur la même radicelle mère, de type normal
(fig. 1). Dès le premier examen, elles se présentaient comme de type
mycorhizique (*), étant dépourvues, à la fois, de coiffe et de poils
absorbants. Toutefois aucune accumulation mycélienne ne recouvre
les pointes radiculaires et, si mycorhizes il y avait, elles ne pouvaient
être que endotrophes.

A. Arbre annelé

Les coupes à main levée étant peu démonstratives, les radicelles


furent incluses dans la paraffine et débitées en coupes sériées et
colorées. Ce matériel s'est révélé d'un traitement malaisé; inclusions
et sections ont dû être recommencées plusieurs fois. L'assise radi-
culaire externe est pourvue d'une paroi fort épaisse, lignifiée et très
cassante (fig. 3-4). La lignification affecte préférentiellement les couches
internes des parois externes et peut s'étendre irrégulièrement à une
assise corticale plus profonde. La stèle primaire est diarche.
Des filaments mycéliens furent alors mis en évidence de façon
inéquivoque dans le tissu cortical, sans pénétration dans la stèle.
La coupe longitudinale de la fig. 2 est à peu près axiale. La stèle,
fort colorée et très sombre, s'achève abruptement et n'est prolongée
par aucun méristème. Certaines cellules du cortex contiennent des
hyphes, surtout à proximité de la base d'insertion (flèches).
La coupe transversale de la fig. 3, plus agrandie, est prise à proxi¬
mité de l'apex et la stèle, centrale, est très réduite. Deux plages de
cellules corticales sont occupées par des filaments mycéliens (flèches).
La fig. 4 montre le détail du cortex dans une autre radicelle, avec
de gros hyphes intracellulaires, recoupés transversalement. L'épais-
sissement des parois externes et radiales du rhizoderme est bien
apparent.
La coupe de la fig. 5 est longitudinale-tangentielle dans le cortex
et on peut suivre les hyphes ramifiés de cellule en cellule. La fig. 6
montre la même plage plus agrandie et on y distingue, par places,

(*) Pour l'arbre annelé, ceci avait pu être sommairement annoncé par une note
ajoutée en cours d'impression dans l'article précédent.

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des hyphes intercellulaires étroits (réseau de Hartig, flèche), souvent


douteux ou difficiles à mettre en évidence.
La fig. 7, également dans une coupe longitudinale, permet de
distinguer le noyau d'une des cellules corticales de l'hôte, au milieu
du peloton mycélien.
Enfin, dans les cellules corticales de la fig. 8, l'enchevêtrement
mycélien est si dense que sa nature filamenteuse se révèle malaisé-
sément et correspond peut-être déjà à un stade tardif de désagrégation
intracellulaire.
Il s'agit donc bien d'un champignon endophyte et sa présence
s'accorde avec les autres caractères (absence de coiffe, de poils absor¬
bants, de méristème apical actif, différenciation dermatogénique
accentuée) pour nous permettre d'attribuer à ces radicelles le caractère
de mycorhizes endotrophes (*). Avouons pourtant que cette identi¬
fication ne nous avait pas paru évidente d'emblée. Dans plusieurs des
premières radicelles examinées, l'infection mycélienne était si dispersée
et si limitée que nous hésitions, non à la constater, mais à y voir
un caractère mycorhizique suffisamment régulier et propre à l'ensemble
de ce type radicellaire. Mais nous avons bien dû nous rendre à l'évi¬
dence, après l'analyse répétée de nouvelles coupes (2).
Ajoutons que nos inclusions ont retenu parfois une radicelle moins
vésiculeuse et s'achevant, à l'inverse des autres, par un méristème
normal. Nous n'y avons pas décelé d'hyphes. Les deux radicelles
plus allongées et désignées par une flèche sur la fig. 1 appartenaient
probablement à ce type.

B. Arbre normal

Les radicelles vésiculeuses, prélevées sur un Marronnier voisin,


ont révélé une condition similaire de mycorhizes endotrophes (fig.
9-13). L'identité organographique se retrouve donc aussi dans la
structure interne. Dans les limites de notre examen, l'infection du
cortex nous a même paru plus abondante et plus généralisée sur
l'arbre normal.

(*) Outre les arbuscules et pelotons d'hyphes typiquement mycorhiziques, certaines


radicelles vésiculeuses présentaient aussi quelques autres formes d'infection, qu'on ne
détaillera pas ici.
(2) Nous savons gré à notre collègue Fr. Went (Reno, Nevada) d'avoir contribué
à écarter nos réticences.
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L'envahissement n'est donc aucunement une suite de l'annélation


et nous considérons Aesculus hippocastanum comme une espèce
normalement pourvue de radicelles mycorhizées.
La fig. 9 montre une coupe transversale de radicelle (à contour
externe déformé par la déshydratation), prise à un niveau plus élevé
que celui de la fig. 3 ; la stèle est plus différenciée. Le détail d'un secteur
de la coupe est donné par la fig. 10. L'envahissement mycorhizique
intracellulaire du cortex est abondant et généralisé.
Le détail de la fig. 11 (autre racine, coupe transversale) montre,
comme sur la fig. 7, le noyau de deux cellules hôtes, étroitement
enveloppé par les hyphes(1).
La fig. 12, prise dans une coupe longitudinale, montre qu'avec
l'âge la paroi des hyphes peut s'épaissir sensiblement; elle se colore
alors intensément par la safranine et paraît s'imprégner de lignine.

C. Observations anciennes

L'infection mycélienne venait d'être mise en évidence dans nos


premières sections microtomiques lorsque notre attention fut attirée
par deux publications fort anciennes, celles de Klein & Szabo (1880)
et de Waage (1891) sur les «haubenlose Wurzeln von Aesculus
hippocastanum ». Sur des racines de cette espèce, obtenues principa¬
lement en partant de semis, ces chercheurs avaient noté l'allure courte
et vésiculeuse des radicelles, leur abondance particulière en surface,
l'absence de coiffe et de méristème. Les dessins qu'ils en donnaient
(vues extérieures et coupes) correspondent fort exactement à nos
propres observations et il n'y a aucun doute quant à l'identité des
deux sortes d'organes. Sauf sur un point pourtant, d'un intérêt
particulier pour nous. En 1 891 (mais non encore en 1 880), les mycorhizes
étaient bien connues. Or Waage précise (I.e. p. 151) que les radicelles
vésiculeuses se sont montrées « frei von symbiotischer Verpilzung »,
malgré une relative abondance des « Mycorhiza-Pilzfaden » dans le
milieu ambiant. On comprend, dès lors, qu'il n'y ait point identifié
des mycorhizes, mais bien un type radiculaire tout particulier , compa¬
rable à celui d'autres végétaux dont les racines sont aussi plus ou
moins reconnues comme privées de coiffe ou de poils absorbants

hyphes,
(1 ) La mérite
persistance
d'êtrederelevée.
la vitalité cellulaire, dans les cellules corticales envahies par les

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(Lemna , Salvinia , etc). Constatant l'absence de cette forme vésiculeuse


en milieu liquide, Waage y voyait des organes spéciaux et fonctionnels
d'absorption d'eau, probablement propres à toutes les espèces du
genre C1).
Sur le point essentiel de l'envahissement mycélien, nos constatations
s'opposent donc nettement à celles de Waage et l'attribution à des
radicelles mycorhizées doit être maintenue. Ce fait réduit évidemment
l'originalité anatomique invoquée par cet auteur et la valeur des
comparaisons tentées.

Interprétation et conclusions

Si l'absence de greffes radiculaires constatées n'autorise pas de


conclusion négative assurée (cfr. p. 42), la réponse concernant les
mycorhizes est formelle. Leur présence a été vérifiée, sous la forme
endophyte, dans les radicelles de l'arbre privé d'écorce et sur un
arbre voisin et normal de même espèce (2).
L'étude précédente (pp. 71-72) a rappelé sommairement l'opinion
des auteurs sur la possibilité d'intervention de ces associations sym¬
biotiques dans la nutrition radiculaire. Aux références citées, on pourrait
en ajouter bien d'autres, car le problème est fort complexe et la
littérature sur les mycorhizes extrêmement étendue. Nos observations
nous permettent seulement d'affirmer que ces formations étaient, de
fait, en mesure d'intervenir au cours de la période de survie de notre
Marronnier.
Démontrer que cette intervention a eu lieu et déceler le sens dans

C1) Ces données sont rappelées dans la monographie de Pax (1896). Mais avant même
Klein & Szabo, les radicelles vésiculeuses d' Aesculus avaient été observées sommaire¬
ment par Resa (1877) qui, selon Waage, les avaient précisément comparées aux racines
mycorhizées de Pin. Elles furent signalées aussi en 1886 par Brunchorst — qui les
comparait aux tubercules radiculaires des Légumineuses — puis par Van Tieghem &
DouLiOT(sans observations personnelles) en 1888. Enfin, dans les deux éditions successives
de son traité sur la racine des Angiospermes (1940, 1968), Guttenberg rappelle les
observations de Klein & Szabo et de Waage et reconnaît la ressemblance de ces
structures avec celles de racines mycorhizées.
D'autre part, ces structures ne sont pas relevées dans les deux traités d'anatomie
systématique où l'on s'attendrait à les trouver (Solereder, 1899, Metcalf & Chalk,
1950).
(2) Celle-ci, déjà citée incidemment, dans ce sens, par Stahl (1900, p. 548), peut donc
être ajoutée à la liste donnée notamment par Asai (1935).
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lequel elle se serait exercée est un tout autre problème. Toute expéri¬
mentation in vivo étant désormais exclue, il ne peut être question de
le résoudre correctement. Notons pourtant qu'en bonne orthodoxie
physiologique, c'est avant tout de glucides solubles qu'une décorti-
cation basale est censée priver le système radiculaire. Or, si la fourni¬
ture de sels et d'ions H aux racines, par voie mycorhizique, est bien
démontrée et admise depuis assez longtemps, celle de glucides (dont
les éléments seraient puisés dans le sol par le champignon) est une
hypothèse fertile en difficultés et en contradictions expérimentales.
Selon Björkman et son école, appuyés par nombre de chercheurs,
une concentration accrue en sucres dans les radicelles est une condition
préalable de l'infection mycélienne. Celle-ci n'apparaît, dans les
plantules de Pin, qu'après le développement des feuilles et elle est
favorisée par une photosynthèse rapide. Qui mieux est et inversement,
r étranglement des plantules la fait régresser; et cette opération est
physiologiquement fort comparable à une annélation, puisqu'elle doit
avoir pour effet de collapser les tubes criblés et d'arrêter ou de freiner
ainsi la descente de la sève organique.
Ces données vont toutes dans le même sens. Elles tendent à prouver
que, dans la symbiose mycorhizique, c'est le champignon qui prélève,
à son profit, des glucides photosynthétisés par les feuilles et transloqués
dans les racines, — et non l'inverse! « The mycorrhiza fungi parasitize
the roots for carbohydrates », écrit Björkman O. Le traité de Hawker
(1950), tout en reconnaissant qu'aucune des tentatives de dresser le
bilan physiologique des deux partenaires n'est entièrement satisfai¬
sante, conclut aussi que les glucides de l'hôte (et des hormones)
représentent le bénéfice principal du champignon.
S'il en est bien ainsi, on acceptera malaisément que, dans le mar¬
ronnier décortiqué, ce soit le champignon qui devienne capable de
fournir aux racines les sucres qu'au contraire il doit en tirer dans la
symbiose normale.
Cependant — on l'a dit plus haut — les contradictions ou les
données inverses ne manquent pas. Une vie saprophytique plus ou
moins prolongée de segments de racines mycorhizées, dans le sol,
(Me Dougal & Dufrenoy, Went) implique évidemment l'obtention de
glucides non phytosynthétisés. En outre, certains résultats de Björkman

1965;
O Cf.
etc. Björkman, 1942, 1944; Melin, 1953; 1959; Harley, 1956; Lewis & Harley,

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P. Martens

ont été récemment mis en doute. Selon quelques chercheurs, la con¬


centration élevée des sacres dans les racines serait, non plus la condi¬
tion ou la cause, mais le résultat de l'infection (x). Quoique le bilan
actuel des recherches nous paraisse encore globalement favorable à
la thèse générale de Björkman, la question reste donc posée, et d'autant
plus que la diversité de nature et de comportement des mycorhizes
invite à se défier de toute généralisation des résultats expérimentaux (2).
A ce point de vue, nous estimons qu'aux mycorhizes purement
endotrophes de notre Aesculus décortiqué, on ne peut guère attribuer
cet accroissement de la surface d'absorption radiculaire, si fréquem¬
ment invoqué à l'actif des mycorhizes et, par là, un remplacement
efficace des poils absorbants normaux. Sans doute, il n'est pas interdit
d'imaginer que l'absence de toute gaine extérieure ectotrophique
(cf. fig. 1) pourrait n'être que temporaire. Mais même dans cette
hypothèse, l'épaisseur marquée et la lignification des parois rhizo-
dermiques (cf. fig. 3-4) s'opposeraient à une liaison filamenteuse
quantitativement abondante avec le milieu extérieur.
Si nous admettons néanmoins une fourniture éventuelle de nour¬
riture glucidique par le champignon mycorhizique de notre Marron¬
nier, rien ne nous permettrait évidemment d'en évaluer l'ampleur.
Mais qu'elle puisse, à elle seule, justifier la survie constatée de 55
ans est, selon nous, hors de question. Car nous avons à tenir compte
d'une donnée de fait, correctement établie et déjà légitimement expli¬
cative, à savoir — on l'a vu — la persistance de l'accumulation
d'amidon dans toute la colonne de bois dénudé et, par voie de déduc¬
tion, la descente de glucides solubles vers les racines par cette unique
voie disponible. On ne peut oublier, au surplus, que la présence régu¬
lière de mycorhizes, chez nombre d'autres espèce arborescentes, ne
les empêche aucunement de périr inéluctablement après quelques
années, en cas d'annélation basale non suivie de rejets. Et c'est aussi
le sort d'autres Marronniers qui ont subi ou subiront ce traitement
(Trécul 1855).
En conclusion, nous ne pourrions raisonnablement attribuer qu'un
rôle éventuel d'appoint à l'intervention mycorhizique, dans le cas
particulier analysé ici.

(*) Cf. Schmucker, 1965; Schweers & Meyer, 1970.


(2) Björkman et son école ont surtout étudié les mycorhizes ectoîrophes des Conifères.

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Un Marronnier centenaire privé d'écorce

On pourrait, sans doute, poser aussi la question du mécanisme de


cette descente glucidique par voie xylémienne. Mais ce problème n'est
plus propre à notre Marronnier, puisque les physiologistes s'accordent
à reconnaître la possibilité occasionnelle de faibles déplacements
glucidiques xylémiens, soit ascendants, soit descendants, en proportions
toujours physiologiquement non significatives (Swanson 1959,
Bollard 1960, etc.). Ce n'est donc pas la nature du déplacement, mais
son ampleur quantitative, sa continuité, son caractère nécessairement
massif, qui marquent l'originalité du cas; et il ne s'impose peut-être
pas de s'inquiéter d'un mécanisme différent, — sauf pour des recherches
expérimentales nouvelles, qui ne manqueraient certes pas d'intérêt.
Il est vraisemblable aussi que la diffusion y joue son rôle et utilise la
masse énorme des substances membranaires de la texture ligneuse,
la canalisation intravasculaire pouvant ainsi rester libre pour l'ascen¬
sion du flux transpiratoire minéral en période adéquate (*).

RÉSUMÉ

Cette étude fait suite à la relation de la survie extraordinairement prolongée


d'un Aesculus hippocastanum, après une décortication basale complète du
tronc. Des greffes ou soudures naturelles avec des racines d'arbres voisins
de même espèce n'ont pas été trouvées. Par contre, les radicelles de l'arbre
décortiqué, croissant à proximité de la surface du sol, sont, en grande abon¬
dance, de type mycorhizique endotrophe; elles sont courtes, vésiculeuses,
non ramifiées, privées de coiffe, de méristème terminal et de poils absorbants
(fig. 1). Leur anatomie révèle une abondante infection mycélienne extra-
et surtout intracellulaire dans le cortex (réseau de Hartig et arbuscules),
sans pénétration dans la stèle (fig. 2-8).
A part l'infection mycélienne, la morphologie et la structure de ces

(*) Dans cet ordre d'idées, notre confrère J. Lebrun nous fait judicieusement remarquer
que, pendant la longue période annuelle d'inactivité circulatoire, le cylindre ligneux d'un
tronc à bois non duraminisé constitue une importante colonne d'eau libre et pratique¬
ment immobile. Dès lors, à partir du niveau supérieur de l'annélation, une partie des
sucres ayant déjà migré normalement de l'écorce dans le bois, mais non encore condensée
en amidon, ne pourrait-elle diffuser lentement vers le bas durant cette période, dans
cette eau libre imprégnant le bois nu, et atteindre ainsi les racines? La pression de
diffusion pourrait ici jouer normalement et c'est la longue durée de cette phase inactive
qui assurerait un débit suffisant, nul mouvement liquide ascendant (intramembranaire
aussi bien qu'intravasculaire) ne contrariant alors le mouvement inverse de descente.
Sciences. — 1972. — 49 — 4
P. Martens

radicelles correspondent exactement aux descriptions données, pour les


radicelles de la même espèce, par Klein & Szabo ou Waage (1880, 1891);
ces auteurs y voyaient un type radiculaire original et non des racines
mycorhizées.
Les radicelles d'un Marronnier voisin et normal présentent, en surface,
la même allure, la même structure interne et la même infection mycélienne
corticale (fig. 9-13). L'espèce peut donc être admise comme normalement
mycorhizée.
On s'est demandé si — et dans quelle mesure — la présence de mycorhizes
pourrait justifier la survie pratiquement indéfinie de l'arbre décortiqué. La
difficulté réside ici dans le bilan physiologique, admis le plus généralement
entre les deux partenaires de la symbiose, et selon lequel les sucres photo-
synthétisés par l'hôte constitueraient le bénéfice principal du champignon.
Or c'est précisément de sucres qu'une décortication devrait surtout priver
les racines, si le liber reste la seule voie normale de descente de ces produits.
Néanmoins certaines données expérimentales vont dans un autre sens et
nous n'excluons pas une intervention possible et limitée des mycorhizes
dans la nutrition glucidique des racines. Qu'elle ait pu suffire à justifier la
survie constatée est, selon nous, exclu ; et il ne pourrait s'agir, en tout cas,
que d'un éventuel appoint. Car la persistance de l'accumulation massive
d'amidon dans toute la colonne de bois dénudé reste un témoignage plus
concret de la descente abondante de glucides solubles par cette voie.

SUMMARY

The present study follows the relation of an exceptional and continued


survival of a Horse Chestnut tree (Aesculus hippocastanum), after a complete
basal decortication of the trunk, Natural root grafts with adjacent trees
of the same species were not found. But, on the girdled specimen, most of
the terminal rootlets growing near the soil surface were of characteristic
mycorrhizal and endotrophic type : short, vesiculous, not branched, devoided
of root cap, root hairs and apical meristem (fig. 1). Anatomical study reveals
numerous inter- and intracellular mycelial hypha in the cortex (Hartig
net and arbuscula), without penetration in the stele (fig. 2-8).
Except for the fungus infection, the morphology and anatomy of these
rootlets correspond exactly to the descriptions given, for the same species,
by Klein & Szabo and Waage (1880, 1891) and interpreted by them as
an original root structure, and not at all as mycorrhiza.
The surface rootlets of an adjacent and normal Chestnut tree give the
same appearance and the same structure (fig. 9-13). Thus Aesculus hippo¬
castanum may be considered as a mycorrhized species.
— 50 —
Un Marronnier centenaire privé d'écorce

The question then arises: Can the mycorrhiza adequately explain the
nutrition of the root apparatus and consequently the long survival of the
tree? The prominent difficulty is the physiological balance between the
two partners, most commonly accepted by the authors. According to it,
the sugars elaborated by the host constitute the principal benefit of the
fungus in the symbiose. And precisely the lack of sugars in the roots must
be the principal result of the girdling, if the phloem is their only normal
and descending way.
However, according to several other data, the balance would be some¬
what different and we cannot absolutely exclude an eventual intervention
of mycorrhiza in the glucidic root nutrition. Nevertheless and in any case,
a complementary supply would only be acceptable; for the persistent and
massive accumulation of starch in the whole naked trunk remain a more
concrete evidence of a descending flow of carbohydrates along the xylemian
way.
Institut Carnoy, Louvain. Laboratoire de Botanique et de Cytologie.

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