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Nous étudierons aujourd’hui le cas du Château d’Orville, à Louvres, dans le Val-d’Oise.

Les fouilles sur


le site d’Orville ont débuté en 1999 par François Gentili, lors des travaux d’aménagement de la
Francilienne (voies rapides permettant de contourner Paris et sa proche banlieue). Des traces d’un
habitat médiéval remontant du VIIe siècle jusqu’au Xe siècle ont été retrouvées proches du château
médiéval toujours en élévation mais bien postérieur (XIII-XVe siècles). Ce petit village du VIIe siècle
comprenait des paysans et des artisans. Aux Xe-XIe siècle, une imposante maison en L est construite
sur la place du village. De 2001 à 2019, des fouilles programmées étaient organisées chaque été pour
mettre au jour cet habitat sur les parties qui ne sont recouvertes par l’autoroute. A partir de 2002, ces
chantiers programmés sont accompagnés d’un travail d’expérimentation. L’objectif est de restituer une
élévation à ces fonds de cabane et trous de poteaux. Ici, deux bâtiments ont été restitués : une cabane
à fonction artisanale, placé au lieu-même de sa découverte et un grenier surélevé décalé, lui, de son
lieu de découverte. Ce travail a été réalisé avec la coopération de Frédéric Epaud, archéologue et
chercheur au CNRS sur les techniques et structures de charpentes médiévales.

Pourquoi ne trouve-t-on que des négatifs en contexte archéologique ? Tout simplement parce que des
petits ou grands bâtiments sont construits en matériaux périssables (bois, torchis, roseaux, paille…)

➢ Cabane excavée

Ce type de structure est couramment retrouvée en contexte archéologique pas seulement dans cette
région mais dans toute la moitié nord de la France. A Orville, nombreuses sont ces cabanes retrouvées,
certaines avec des fosses d’ancrage pour des métiers à tisser.

Commençons par observer le plan : 4 trous de poteaux aux angles, insérés dans le fond excavé de la
cabane. Un trou de poteau sur un des côtés, d’autres trous plus petits dans la longueur des côtés. Deux
trous au sein de la cabane, plus gros, moins réguliers que les trous de poteaux des angles. Il s’agit, ici,
de fosses d’ancrage. Nous avons donc, le creusement pour l’emplacement du fond de la cabane, les
poteaux corniers, les trous de piquets pour les parois. Pourquoi sur deux côtés, nous ne trouvons pas
de trous de piquets ? Pour l’entrée, l’absence de trous de piquet sur un des côtés marque l’entrée dans
la cabane. Elle peut parfois être marquée archéologiquement

Ici, 2 propositions de restitution sont possibles

- restitution 1 : les 4 poteaux d’angles pour soutenir les entraits et les sablières hautes et 2 poteaux
axiaux pour soutenir une poutre faîtière. Par conséquent, si nous avons une poutre faîtière, soutenue
par deux 2 poteaux axiaux, nous avons forcément 2 murs pignons et une toiture à deux pans. A savoir
que le torchis étant un matériau périssable qui sèche sur les murs, il faut le protéger des intempéries.
Cela nécessite, donc, de réaliser une toiture avec une poutre faîtière à fort débord afin de protéger les
murs pignons. L’ossature de cette cabane était composée de grumes de châtaignier (c’est-à-dire que
l’on conserve l’écorce sur le bois) et de roseaux pour le toit. Pour ce genre d’habitat, il suffit d’utiliser
les matériaux à porter de main, si l’essence des arbres les plus proches est le châtaignier, on se procure
en châtaignier, cela peut être le chêne, le hêtre, etc. De même pour le roseau, puisque l’habitat est
installé près d’une zone marécageuse.

Cette restitution ayant brûlé, l’incendie a permis de proposer une nouvelle restitution. Ici, les poteaux
faîtiers et la poutre faîtière sont supprimés pour proposer une nouvelle hypothèse de couverture. Le
poteau axial est remplacé par un simple piquet. Vous me direz que ce trou est gros pour un simple
piquet de la cloison, cependant, dans la restitution précédente, le trou de piquet était trop petit pour
un poteau axial… Ici, des couples de chevrons forment la charpente. 2 paires de chevrons de chaque
côté sont chevillés aux sablières en partie basse et aux couples de chevrons par croisement en partie
haute.

Dans cette version, il n’y a pas de murs pignons possible, la toiture est à 4 pans. Cette restitution permet
de réduire l’utilisation de bois de construction (bois d’œuvre) car il n’y a pas de poteaux faîtiers, de
panne faîtière, de supprimer 2 chevrons, une quinzaine de lattes et tout le clayonnage et le torchis pour
réaliser les pignons. La quantité de bottes de roseaux est identique.

Sur le long terme, post construction : ce type de cabane est mieux équilibré car la hauteur est réduite
grâce à la suppression des pignons et la prise au vent moins importante. Les chevrons sont simplement
chevillés et les lattes sont fixés avec du fil de chanvre et de lin qui suffisent à maintenir l’ensemble.

En conclusion, la première restitution propose une cabane avec le recours à plus de matériaux que la
seconde restitution (donc plus coûteux) ce qui n’est pas un avantage pour ces populations agricoles. En
outre, la hauteur de la première proposition rendait la structure moins stable et donc moins pérenne.
De même, ces populations agricoles n’avaient ni le temps ni les ressources pour reconstruire
régulièrement des cabanes de ce type.

Arbalétriers/chevrons

Arbalétrier : pièce de bois oblique, formant la ferme de la charpente (le triangle) posée sur les sablières
supportant les pannes faîtière et intermédiaires quand il y en a, et les chevrons quand il y en a.

Chevrons : pièce de bois oblique qui repose sur les pannes et soutient le lattis où est posée la toiture
(tuiles, plaques d’ardoise…).

Quand il n’y a qu’une seule pièce oblique, comme ici, ce sont des chevrons-arbalétriers.

Le faîtage de la toiture était constitué d’un limon argileux avec des plantations. Le limon s’est dégradé,
les racines des plantes ne se sont pas fixées, la couche de protection du faîtage disparaissait
progressivement, rendant la structure de la toiture exposée aux intempéries. Comme aucun témoin
archéologique de type mortier, chaux, ou autre n’a été retrouvé dans ces petites structures, on suppose
que le faîtage n’en avait pas et était constitué de matériaux périssables. Il a donc été choisi de fixer des
bardeaux de chêne de chaque côté du faîtage, de réaliser une gouttière de limons avec la plantation de
plantes. Cette technique montre qu’il est possible de mixer les matériaux.

➢ Le grenier à 6 poteaux

Ce type de structure est également couramment retrouvée en contexte archéologique, pas seulement
dans cette région mais dans toute la moitié nord de la France. A Orville, notamment, plusieurs
structures de ce type ont été découvertes.

Commençons par le plan : nous observons deux rangées parallèles de trois trous de poteaux
équidistants au sol, formant une surface de 25m². D’après François Gentili, les données de révèlent
qu’il s’agit très probablement d’un bâtiment de stockage => qu’est-ce qui nous indique la fonction du
bâtiment ? les vestiges archéologiques doublés peut-être d’une analyse carpologique peuvent attester
de la présence de graines, de denrées alimentaires, etc. Cependant, pour ce genre de fonction, le
bâtiment ne peut être posé directement au sol à cause des rongeurs et de l’humidité du sol qui risque
de faire pourrir tout ce qui s’y trouve, c’est pourquoi les archéologues ont supposé que le bâtiment fût
certainement surélevé. Le plan au sol de cette structure étant carré, deux restitutions d’élévations sont
possibles. Ces trous de poteaux sont profonds de 1 m.
- restitution 1 : la panne faîtière est perpendiculaire aux alignements de trous poteaux. Je m’explique.
Cela signifie que les trous de poteaux aux angles servent pour des poteaux corniers, s’élevant pour
maintenir les pannes sablières et entraits et les trous de poteaux centraux pour les poteaux faîtiers.
Cependant, cette restitution nécessite beaucoup plus de matériaux, notamment de bois d’œuvre. Par
ailleurs, lever les pans de mur, comme pour la restitution suivante, s’est avéré plus dangereux puisque
cela nécessitait de lever des structures de toute la hauteur de poteaux faîtiers, soit 7 m, ainsi que 6 m
de panne faîtière et des chevrons fixés dessus. En outre, en observant le site, les archéologues ont
constaté que si le mur pignons était dans ce sens, selon la disposition des trous de poteaux, il aurait
été face aux vents dominants et donc un risque d’effondrement plus important.

- restitution 2 : La longueur de la structure correspond à l’alignement des trous de poteaux. Les poteaux
corniers maintiennent la charpente à ses angles tandis que les 2 trous de poteaux centraux servent à
maintenir le plancher surélevé. La charpente est à chevrons-formant-fermes. Il s’agit d’un type de
charpente. La ferme est le triangle qui constitue la charpente, c’est-à-dire que ce sont les chevrons qui
forment la charpente, il n’y a pas de panne faîtière, ils sont chevillés à leur pointe pour maintenir la
structure. Par conséquent, cette restitution est plus économe en matériaux, plus rapide à monter,
moins contraignante et moins risquée par rapport aux vents dominants.

Arbalétriers/chevrons

Arbalétrier : pièce de bois oblique, formant la ferme de la charpente (le triangle) posée sur les sablières
supportant les pannes faîtière et intermédiaires quand il y en a, et les chevrons quand il y en a.

Chevrons : pièce de bois oblique qui repose sur les pannes et soutient le lattis où est posée la toiture
(tuiles, plaques d’ardoise…).

Quand il n’y a qu’une seule pièce oblique, comme ici, ce sont des chevrons-arbalétriers.

En conclusion, la première restitution propose une structure avec le recours à plus de matériaux que la
seconde restitution (donc plus coûteux) ce qui n’est pas un avantage pour ces populations agricoles. En
outre, la disposition de la première restitution la rendait moins pérenne à cause des vents.
L’importance de la connaissance du site sous tous ses aspects (climatologique, hydrographique) est
nécessaire pour mieux comprendre la disposition des structures agricoles et donc des formes de
l’habitat. De même, ces populations agricoles n’avaient ni le temps ni les ressources pour reconstruire
régulièrement des structures de ce type. Par ailleurs, la profondeur des trous de poteaux participe à la
stabilité de la structure surélevée.

Proposition de restitution mise en place :

Nous pouvons voir sur la photo que les pans latéraux ont été assemblés entièrement au sol avant d’être
levés avec un système de cordage et de poulies. François Gentili précise que certains poteaux ont dû
être calés avec des pierres pour la stabilité, c’est pour cela qu’en contexte archéologique il arrive de
retrouver des pierres dans les trous qui servaient à bloquer les poteaux. Le bois du poteau se désagrège
mais la pierre reste. Il précise, également, qu’ils ont observé des soucis d’alignement au moment de la
fixation des poteaux aux pannes sablières, ils ne s’enfonçaient pas dans le fond du trou et pouvaient
être légèrement désaxés, d’où la nécessité de caler avec des pierres. Quand les pans latéraux sont
montés, on fixe les sommiers (pièces en bois horizontales, perpendiculaires à la longueur du plancher)
et les solives (pièces en bois horizontale, dans la longueur du plancher). Le plancher est fixé et recouvert
d’un torchis.

La charpente est constituée de moins de 10 fermes indépendantes en bouleau. Les fermes de la


charpente sont levées, une à une, à l’aide d’une perche et d’une corde. On pose l’entrait sur les sablières
et on lève la pointe de la ferme. Elles sont couvertes d’un lattis (pièces en bois horizontales fixées sur
les chevrons sur lesquelles reposent la toiture). La toiture est constituée de gerbes de roseaux (700).

Nous observons sur la restitution définitive que les parties basses sont couvertes d’un torchis alors que
les parties hautes des pignons sont constituées d’un clayonnage (technique de mur en branchages
maintenus par des piquets, peut être plus ou serré selon l’ouverture que l’on souhaite). Ici, le
clayonnage est très serré afin de laisser passer la lumière mais surtout l’air pour aérer les denrées tout
en évitant l’intrusion des volatiles.

Pour ce genre d’habitat, il suffit d’utiliser les matériaux à porter de main, c’est ainsi que l’on sélectionne
l’essence des arbres. En cas de plusieurs essences, on sélectionne celle qui s’adapte le mieux aux
besoins que l’on a, par exemple pour les fermes de la charpente, il nous fallait un bois léger, donc on
n’utilise le bouleau plutôt que le châtaignier (utilisé pour la cabane). De même pour le roseau, puisque
l’habitat est installé près d’une zone marécageuse.

En 2007, le grenier brûle, seules la charpente et la toiture sont complètement endommagées. Cela
permet aux archéologues de tenter une autre approche sur la forme de la charpente et de la toiture.
Ils conservent le système de chevrons-formant-fermes mais réduisent le nombre de fermes de 8 à 3 et
la pente du toit ce qui permet de faire des pans coupés. Par ce système, on réduit encore le bois
d’œuvre (déjà bien réduit de la restitution 1 à 2), plus de pignons droits, donc réduction du temps de
main-d’œuvre, en plus. Des jambes de force et des arêtiers (ou chevrons d’arêtes) sont ajoutés pour
rigidifier la structure. Le lattis est réinstallé.

Pour la couverture, les archéologues se lancent dans l’utilisation des bardeaux de chêne attestés dans
les textes des églises dès le Xe siècle et retrouvés en contexte archéologique sur plusieurs habitats
aristocratiques des Xe-XIIe s. Nous pouvons nous dire qu’il peut être risqué de vouloir utiliser ce
système de couverture qui n’est mentionné que sur les églises et les habitats aristocratique. Cependant,
l’habitat rural étant tellement mal connue dans les textes et commence tout juste à se faire connaître
en archéologie, on ne peut affirmer que le bardage en bois était réservé à un certain type de
construction riche. Les bardeaux sont fabriqués dans du chêne. Ils sont donc fixés sur les lattis par des
chevilles (taillées à la hache) en bois en butée. Les dimensions des bardeaux sont définies par rapport
à des découvertes archéologiques (ex Neuvy-deux-Clochers, dans le Cher), soit entre 60 et 70 cm de
long, 15 à 25 cm de large et 6mm à 2 cm d’épaisseur. Ils sont fabriqués par fendage.

Bibliographie :

EPAUD, Frédéric et GENTILI, François, « L ’Archéologie expérimentale sur les habitats ruraux
franciliens. » dans Dossiers d’Archéologie, 2011, “ Aux origines du Moyen Âge Ve-XIe s. ”, 344, pp.74-
83.
« Le chantier du grenier carolingien », in Louvres (Val d’Oise) « Château d’Orville », rapport d’activité
2009 d’opération archéologique programmée, SRA Ile-de-France, GENTILI François (dir.), Saint-Denis,
2010, p. 19-24.
EPAUD, Frédéric, GENTILI, François, SIMARD, Mélanie, « L’apport de l’expérimentation archéologique
pour la compréhension de l’architecture carolingienne à poteau planté : les exemples du chantier
d’Orville (Val-d’Oise) », in L'actualité de l'archéologie du haut Moyen-Âge en Picardie. Les apports de
l'expérimentation à l'archéologie mérovingienne. Actes des XXIX e journées internationales
d’archéologie mérovingiennes. Musée des Temps Barbare, Marle (Aisne) 26-28 septembre 2008. Revue
archéologique de Picardie, n°1-2, 2009. pp. 129-144.
NICE, Alain, « Tissage et archéologie à Goudelancourt-lès-Pierrepont (Aisne) », in Actes des XXIXe
Journées internationales d’archéologie mérovingienne. Musée des Temps Barbares, Marles (Aisne), 26-
28 septembre 2008. In La Revue archéologique de Picardie, n° 1-2 2009, pp. 55-62.

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