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ISBN : 978-2-7467-4296-3

© 2016, Éditions Autrement.


17, rue de l’Université – 75007 Paris
Tél. : 01 44 73 80 00 / Fax : 01 44 73 00 12

Dépôt légal : juin 2016


Imprimé et relié en mai 2016 par l’imprimerie Pollina, France.

Tous droits réservés. Aucun élément de cet ouvrage ne peut être reproduit,
sous quelque forme que ce soit, sans l’autorisation expresse de l’éditeur et du
propriétaire, les Éditions Autrement.
INTRODUCTION

Un monde en effervescence

« Voyant le joug si pesant qui nous opprime, la tyrannie de ceux qui nous
imposent cette charge et ne considèrent nullement l’indignité à laquelle ils
nous ont réduits, poussé à bout par ladite indignité et l’impiété de ceux qui
nous y ont conduits, je me suis déterminé à secouer ce joug insupportable et à
m’opposer au mauvais gouvernement que nous subissons de la part des chefs
de l’administration. » Ces mots sont extraits d’un édit de décembre 1780
signé José Gabriel Túpac Amaru, ancien élève des jésuites au collège de
Saint-François-Borgia de Cuzco, en révolte contre l’autorité coloniale
espagnole dans les Andes. Celui qui dénonce « l’oppression de la tyrannie
des Européens » et se présente comme descendant direct du dernier Inca,
Túpac Amaru, précise qu’il a fait exécuter publiquement le corregidor, le
représentant royal local. Penser la Révolution française, pour reprendre le
titre d’un essai provocateur de François Furet, suppose de sortir de la trame
événementielle de la décennie 1789-1799, de décentrer le regard et de varier
les échelles d’observation des oscillations révolutionnaires. Certains auteurs
ont insisté sur le temps intermédiaire, par opposition à l’événement ou au
temps long cher à Fernand Braudel et à l’école des Annales, le temps de la
« transition révolutionnaire » des années 1770-1830 qui verrait la fin de
l’Ancien Régime et la naissance du monde contemporain. Aux polémiques
historiographiques, qui trop souvent nuisent à la recherche sur la Révolution,
cet atlas préfère explorer les possibilités offertes par la cartographie actuelle.
Alors que la problématique des révolutions atlantiques développée par Robert
Roswell Palmer (1909-2002) et Jacques Godechot (1907-1989) dans un
contexte d’opposition idéologique entre les deux blocs nés de la guerre froide
fait aujourd’hui l’objet d’un réexamen fécond, il est possible d’intégrer et de
croiser les apports des recherches en cours en histoire économique, culturelle,
sociale, religieuse et politique, pour mettre en évidence les circulations qui
parcourent, déstabilisent et réorganisent l’espace européen et américain des
révolutions. L’attention à la rive américaine ne se réduit pas ici aux prémices
du vent de la liberté, à la traversée de La Fayette ou à la victoire de
Yorktown, prélude atlantique à l’étude de la véritable Révolution, la
française, et au défi qu’elle pose aux anciens régimes européens, contre
lesquels elle partirait en guerre à partir de 1792. Les circulations
économiques transatlantiques bénéficient d’une attention toute particulière.
De la même manière, la Révolution batave et la proclamation des « États
belgiques unis » permettent d’interroger l’autonomie et les interactions des
processus révolutionnaires à l’oeuvre sur la rive européenne de l’Atlantique.
L’onde de choc de la Révolution française, enfin, a été envisagée sur
l’ensemble de l’espace européen et atlantique, où elle interagit avec des
dynamiques locales spécifiques.

Cet atlas met délibérément l’accent sur ces circulations, en individualisant les
parcours et les trajectoires des acteurs sociaux, culturels et politiques, comme
il met en évidence les flux commerciaux qui les recoupent. Il permet de
suivre les grandes figures comme Thomas Paine ou La Fayette comme les
moins connues, tel Agustín de Bétancourt. Des portraits de groupes sont
également esquissés au fil des pages. L’ambition de cet ouvrage est donc
clairement de restituer la décennie révolutionnaire classique dans une
perspective européenne et coloniale. Varier les échelles d’observation
conduira le lecteur à découvrir dans chaque partie le processus
révolutionnaire à l’oeuvre dans les colonies, en province, dans la sphère
éducative comme au coeur du négoce ou du monde des bureaux. L’histoire de
la Révolution ne s’écrit plus vue de la tribune de la Convention nationale ou
du club des Jacobins, même si la place qui leur est réservée dans l’atlas
témoigne de l’importance de l’impulsion parisienne. Mais dans tous les cas,
les cartes proposées permettent de jauger son impact réel sur le quotidien des
contemporains de la Révolution, de tester l’efficacité des vecteurs et des
relais et de pointer le rôle des générations. Nous avons donc choisi de varier
le type de cartes proposées au lecteur. Des cartes de synthèse scandent la
lecture de chacune des parties de l’ouvrage. Mais les cartes permettent aussi
de proposer des effets de zoom et de rendre au local toute sa signification
lorsqu’il est articulé au régional, au national en formation, voire aux enjeux
globaux. Si des représentations attendues, comme la célèbre carte de Georges
Lefebvre sur la Grande Peur de l’été 1789 ou la carte des sections
parisiennes, ont toute leur place dans cet atlas, sa réalisation était l’occasion
de croiser des données jusqu’ici dispersées au gré des travaux universitaires
français et étrangers, ou oubliées dans les archives pour faire naître des cartes
inédites, comme celle du réseau postal sous le Consulat. Au fil des pages, la
Révolution, plurielle et polyphonique, est ainsi restituée dans toute son
intensité.
Dès la Révolution française, acteurs politiques et observateurs se sont
interrogés sur les origines de ce séisme dont les effets ont créé à travers tout
l’espace européen et ses colonies un avant-1789, qualifié d’Ancien Régime,
et un après-1789.
Les historiens leur ont emboîté le pas. En 1933, Daniel Mornet interrogeait
Les Origines intellectuelles de la Révolution française 1715-1787, quand au
lendemain du bicentenaire de 1789, Roger Chartier proposait lui d’étudier
Les Origines culturelles de la Révolution française. Dans une perspective
marxiste de lutte des classes, d’autres historiens ont eux mis l’accent sur les
contradictions économiques et sociales de la France des Lumières qui
précipitent l’effondrement de l’Ancien Régime, les tentatives de réformes ne
faisant qu’accélérer le processus d’implosion. Aujourd’hui, les travaux autour
des circulations des hommes, des idées, des biens, des dynamiques et des
tensions qu’elles provoquent permettent de s’affranchir des postures
idéologiques pour comprendre les logiques de ce basculement majeur dans
l’histoire du monde.
Échanges et circulations dans l’Atlantique nord au XVIIIe siècle
Les colonies établies au XVIIe siècle par la France et la Grande-Bretagne aux
Antilles et en Amérique du Nord connaissent au XVIIIe siècle une expansion
démographique et productive considérable. Les circulations d’hommes, de
biens, de modèles administratifs et culturels à travers l’Atlantique et
l’interconnexion croissante entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique affectent
en profondeur les sociétés des trois continents.
AFRICAINS ET EUROPÉENS EN AMÉRIQUE DU NORD

D’abord limités aux rivages et aux fleuves, les établissements européens se


sont progressivement étendus vers l’intérieur du continent, non sans
engendrer des tensions entre Français et Anglais.

Les treize colonies britanniques ont profité de vagues migratoires


successives, au fur et à mesure du développement de l’économie coloniale.
La moitié des migrants sont des captifs déportés depuis l’Afrique. La majorité
des Européens arrivent dans une condition de servitude dans le cadre du
système des engagés, qui attire des volontaires d’Europe centrale et des îles
Britanniques : en échange de la traversée, le migrant s’engage à travailler
pendant plusieurs années au service de celui qui a payé son transport. Hormis
les départs des minorités religieuses persécutées, la majorité des migrants
africains et européens sont des hommes, mais la forte natalité de la
population d’origine européenne, favorisée par l’abondance des ressources, et
l’absence d’épidémies fréquentes permettent dès le début du XVIIIe siècle de
réduire le déséquilibre entre les sexes.
...

UN COMMERCE TRANSATLANTIQUE FLORISSANT

Au cours du XVIIIe siècle, le commerce entre l’Europe, l’Afrique et les


Amériques connaît une progression sans précédent. Dans le cadre des
relations imposées par les métropoles européennes, ces échanges contribuent
à l’intégration des continents bordant l’Atlantique. C’est autour du sucre, du
café, du tabac et de la morue de Terre-Neuve que se structurent les flux
commerciaux en Atlantique nord et aux Antilles. La traite négrière leur livre
au cours du siècle 4 millions de captifs africains, soit deux fois plus qu’au
Brésil. Les négociants métropolitains fournissent aussi aux colons des
produits alimentaires et manufacturés dont la production est interdite aux
colonies. Des échanges complémentaires existent au sein des empires
coloniaux, et une contrebande active relie entre eux les colons placés sous des
souverainetés diverses et souvent rivales. Des milliers de navires et des
dizaines de milliers de marins assurent ces liaisons. Un va-et-vient constant
d’hommes et de correspondances permet le fonctionnement de cet ensemble,
qu’administrateurs et négociants façonnent quotidiennement dans leurs
interactions avec les sociétés coloniales.
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La Révolution américaine
La première guerre d’indépendance coloniale naît des divergences croissantes
entre une majorité des colons des treize colonies nord-américaines et le
gouvernement britannique. Précédée et accompagnée par une abondante
production écrite et par une importante circulation d’hommes et des idées
qu’ils véhiculent à travers l’Atlantique, la Révolution américaine ouvre une
période de fermentation politique qui transforme radicalement le monde
américain et l’Europe.
PASSEURS DE RIVES

L’Atlantique des années 1770-1780 est un espace parcouru par d’intenses


circulations intellectuelles et politiques. Les débats sur l’esclavage et les
droits des colons trouvent écho en Europe. Ils participent de l’émergence
d’un espace public autonome. Benjamin Franklin fait figure de pionnier
parmi ces passeurs de rives, du Nouveau Monde vers l’Ancien. Savant
internationalement reconnu dans le monde des Lumières, entrepreneur
accompli, il représente d’abord les intérêts des colons en Angleterre. Avec la
Révolution américaine, il est accueilli triomphalement à Paris où il négocie le
soutien français aux « Insurgents ». En retour, les trajectoires d’Étienne
Clavière, banquier d’origine genevoise et futur ministre de la Révolution
française, et de Jacques Pierre Brissot de Warville, polygraphe, futur chef de
file des Girondins, connectent l’Ancien Monde au Nouveau. Leurs voyages
d’enquête aux États-Unis donnent lieu à des publications qui contribuent à la
structuration d’un espace atlantique de contestation politique. Enfin, Thomas
Paine inscrit son opposition au nouveau pharaon, George III d’Angleterre,
qui refuse d’entendre les plaintes légitimes de ses sujets américains dans une
dynamique d’émancipation globale : sujet britannique, il s’engage en faveur
de la Révolution américaine, avant de devenir citoyen français. Les initiatives
sont également collectives à travers la création de la Société des amis des
Noirs ou de la Société gallo-américaine.
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GUERRE D’INDÉPENDANCE ET IDENTITÉS ATLANTIQUES

Les sociétés coloniales américaines gardent plusieurs éléments européens :


ordre social, langue, pratiques religieuses et culturelles, système juridique. La
mise en place de plantations esclavagistes, les contacts avec les Amérindiens,
la moindre complexité et richesse de leur vie contribuent toutefois à
l’émergence d’une société créole, bien que ses membres continuent à se
penser comme des Européens. La série de conflits ponctuels qui mène à
l’indépendance des treize colonies (alors que d’autres, comme la Nouvelle-
Écosse ou Québec, refusent de se joindre au mouvement) naît du sentiment
qu’ont les colons de ne pas être considérés par leur roi comme des sujets à
part entière. C’est dans l’opposition aux mesures fiscales imposées par
Londres au lendemain de la fin de la guerre de Sept Ans (1763) que les
colons élaborent progressivement une idéologie qui les porte d’une révolte à
l’élaboration de leur déclaration d’indépendance (1776).
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UNE RÉVOLUTION ATLANTIQUE ?

La Révolution américaine entraîne d’importants déplacements au sein du


monde atlantique. Il y a ceux qui traversent l’Atlantique : volontaires qui, à
l’instar de La Fayette, accourent depuis l’Europe en aide aux rebelles
américains ; soldats et marins envoyés par l’Angleterre et, après 1778, par
Louis XVI, lorsque la défaite anglaise à Saratoga (1777) permet d’envisager
une victoire américaine et une revanche française sur la Grande-Bretagne, qui
avait vaincu la France lors de la guerre de Sept Ans (1756-1763). Il y a
ensuite les mouvements internes à l’espace américain, avec notamment
l’enrôlement par les rebelles comme par l’armée britannique de milliers
d’esclaves auxquels on promet la liberté. Certains furent en réalité rendus à
leur propriétaire ou vendus en Floride, d’autres, affranchis, embarqués pour
la Nouvelle-Écosse ou Londres. Les esclaves furent mobilisés aussi au sein
de l’empire français pour la défense des îles notamment. Enfin, la guerre
d’indépendance a aussi été une guerre civile, entre un sixième et un tiers de
colons étant restés favorables au maintien de la dépendance coloniale : un
Américain sur dix quitte les colonies à la fin de la guerre en 1783, soit un
nombre d’émigrés bien supérieur, en proportion, à celui des émigrés de la
Révolution française. Ces brassages d’hommes, la circulation des mots
d’ordre et l’expérience des armes constituent de puissants facteurs de
politisation au sein du monde atlantique, au point que les historiens Robert
Palmer et Jacques Godechot ont développé la thèse d’une « Révolution
atlantique » dont la Révolution française ne serait qu’une manifestation. Si la
notion a été critiquée depuis – d’une part parce que plusieurs phénomènes
insurrectionnels en Europe centrale et en Amérique du Sud n’ont pas de lien
évident avec l’Atlantique, d’autre part parce que le modèle ne prenait pas en
compte les spécificités de la révolte de Saint-Domingue –, elle a été très
stimulante pour la recherche.

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Frémissements révolutionnaires en Europe (1770-1789)
L’Europe des années 1770-1780 est parcourue par de nombreuses secousses
sociales. Les difficultés économiques, les tensions sur les marchés des
céréales, la pression des prélèvements seigneuriaux et fiscaux, la
concentration des terres déchirent le tissu social et les solidarités
traditionnelles. En milieu urbain, la mécanisation et la crise économique
fragilisent le petit peuple et menacent la petite bourgeoisie d’un déclassement
économique et social.
JACQUERIES PAYSANNES ET ÉMEUTES URBAINES

Dans les zones où le servage se renforce, les jacqueries se multiplient et


peuvent être très violentes comme en Bohême (1775), où plusieurs milliers
de paysans marchent sur Prague, ou en Transylvanie (1784), où plus de 200
manoirs sont pillés et incendiés.

En Russie, la révolte de Pougatchev (1772-1774) est un vrai séisme qui


conduit l’impératrice Catherine II à mener une politique de répression féroce,
de renforcement de l’autorité centrale et des privilèges de la noblesse. En
Europe occidentale, les transformations profondes du monde rural et des
cadres de production agricole ont largement paupérisé la paysannerie. Les
règles de l’économie morale sont fortement mises à mal par la recherche du
profit et de la rente foncière. En Angleterre, les paysans ne possèdent plus
que 15 % des terres, alors que quelques centaines de propriétaires se
partagent le reste. La philanthropie pointe du doigt ces injustices mais se
révèle souvent incapable d’y remédier. En ville, avec le retournement de la
conjoncture économique, les conflits liés à l’artisanat se multiplient. En
France, ils dépassent les 2 800 affaires pour les années 1770-1790, illustrant
ce que l’historien Jean Nicolas nomme « la rébellion française ». La
mécanisation et la crise économique fragilisent le petit peuple et menacent la
petite bourgeoisie d’un déclassement économique et social.

Le chômage se développe, et l’assistance traditionnelle est dépassée.


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LA RÉVOLUTION PATRIOTE AUX PROVINCES-UNIES (1780-1787)

La république des Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) est en pleine


déconfiture au début des années 1780. La guerre anglo-hollandaise (1780-
1784) est marquée par une succession de défaites et un mécontentement
croissant. Dans ce contexte, L’Appel au peuple des Pays-Bas (26 septembre
1781) du baron Van der Capellen (1741-1784) devient le manifeste des
révolutionnaires patriotes (la noblesse libérale ainsi que les petite et moyenne
bourgeoisies urbaines de plus en plus exclues des fonctions civiques par les
« régents », la grande bourgeoisie calviniste).
Les patriotes accusent la famille d’Orange et ses partisans de vouloir
transformer le stathoudérat (le commandement militaire) en levier pour
établir la monarchie. Les patriotes créent des milices civiques, les corps
francs.

En juin 1785, ces derniers réclament une véritable république. Le


4 septembre, Guillaume V d’Orange doit quitter La Haye. Le pays se divise
alors entre zones patriotes et zones orangistes et les affrontements sont de
plus en plus violents ; la guerre civile menace.

Les Britanniques soutiennent financièrement le parti orangiste, mais


l’intervention décisive est celle de l’armée de Frédéric-Guillaume II de
Prusse, qui envahit sans difficulté les Provinces-Unies. Guillaume V rentre à
La Haye, le mouvement patriote s’effondre, et 40 000 personnes quittent le
pays, une moitié s’installant dans le nord de la France.
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LA RÉVOLUTION BRABANÇONNE (1787-1790)

Dans les Pays-Bas autrichiens (actuelle Belgique), les vagues de réformes de


l’empereur Joseph II rencontrent une incompréhension quasi générale.

Le clergé belge est notamment indisposé par la création d’un séminaire


général (1786) destiné à former un clergé soumis, relayant l’État dans sa
volonté réformatrice. L’année suivante, l’empereur rationalise la carte
administrative et judiciaire. Les États de Brabant refusent d’appliquer les
édits au nom des droits de la « Nation Belgique ».

En 1789, les troupes autrichiennes tirent sur la foule. Une société secrète
prépare des soulèvements populaires. Le 11 janvier 1790, sont proclamés les
« États belgiques unis ». Les divisions intestines des révolutionnaires belges,
le changement de contexte international avec le début de la Révolution
française, la mort de Joseph II débouchent toutefois sur l’intervention d’une
armée de 30 000 hommes qui rétablit le pouvoir autrichien à Bruxelles le 2
décembre 1790.

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La crise financière de la monarchie
L’État monarchique est gangréné par une situation financière dramatique, que
chaque guerre creuse un peu plus. Toute réforme fiscale visant à élargir
l’assiette de l’impôt se révèle impossible, car la société française repose sur le
privilège, dont les parlements se font les défenseurs. La remise en cause des
privilèges fiscaux par le souverain ne peut que saper la légitimité de son
autorité auprès des élites, garantes autoproclamées des équilibres sociaux.
DES IMPOSITIONS ET REDEVANCES INÉQUITABLES

Le système fiscal et financier français se caractérise par une multitude de


prélèvements et de redevances qui pèsent, pour l’essentiel, sur la paysannerie,
qui représente plus de trois-quarts de la population française. Ces sommes
sont dirigées vers les caisses de l’État, mais aussi de l’Église et de tout
détenteur de seigneurie, noble, ecclésiastiques ou bourgeois. Si ces catégories
contribuent elles aussi par les impôts indirects et des contributions négociées
(comme le « don gratuit » pour l’Église) aux recettes de la monarchie, elles
reçoivent également, en retour, une partie des sommes dépensées par l’État
sous forme de gratifications, pensions, gages de services. Mais surtout, les
plus aisés profitent des difficultés financières de la monarchie – qui est en
déficit même dans les années de paix – pour lui prêter de l’argent et s’assurer
ainsi un placement intéressant. Le taux d’intérêt évolue en effet au fil des
besoins, particulièrement pressants lorsque la France s’engage dans un conflit
armé. Les financiers, qui s’occupent également de la perception de la plupart
des impôts indirects, dont ils gardent une partie à leur profit, sont au cœur des
circuits d’argent qui irriguent la monarchie. Grâce à leurs réseaux, ils
drainent les ressources des nantis, et les font fructifier. L’on comprend, dès
lors, que les catégories privilégiées, exemptées au demeurant de la taille et
relativement épargnées des autres impôts directs, ont tout intérêt à ce que les
difficultés financières de la monarchie ne trouvent pas une solution durable.
Dans ces conditions, toute tentative de réforme du système d’imposition se
heurte à de violentes oppositions, dont les Parlements se font les principaux,
mais pas les seuls porte-parole. Une plus grande équité fiscale affecterait
directement les privilégiés en tant que contribuables, et les priverait aussi des
gains qu’ils tirent du service de la dette.
...

L’OPPOSITION PARLEMENTAIRE

Si le roi est la seule source de loi du royaume, les parlements, cours


supérieures de justice, avaient traditionnellement, par le droit de remontrance,
la faculté de refuser l’enregistrement des lois, retardant ainsi leur application
dans le ressort du parlement. Ce droit, source potentielle de contestation de la
politique du souverain, avait été supprimé par Louis XIV, mais rétabli à sa
mort (1715) par Philippe d’Orléans, qui avait besoin de l’appui du Parlement
de Paris pour obtenir la régence. Par leurs remontrances et représentations,
les parlementaires expriment les raisons de leur opposition aux nouvelles
mesures législatives, surtout en matière fiscale. Théoriquement destinés au
roi et à son Conseil, ces textes, souvent imprimés, circulent largement et
constituent ainsi un foyer d’opposition politique. Le nombre de remontrances
est multiplié par dix entre les années 1730 et la décennie 1763-1772, rendant
impossible toute mesure s’attaquant aux privilèges fiscaux dont bénéficie
aussi la noblesse parlementaire. Face à cette opposition systématique à sa
politique, Louis XV réforme radicalement les parlements à la fin de son règne
(réforme Maupeou, 1771). Rétablis à l’avènement de Louis XVI (1774), les
parlements multiplient à nouveau leurs remontrances dans la décennie 1780,
mais libelles et brochures politiques plus ou moins séditieux concurrencent
désormais cette littérature. Le débat investit désormais l’espace public.
...

LE GOUFFRE FINANCIER

Les guerres de Louis XIV ont légué au royaume un lourd héritage, alourdi
par les conflits du XVIIIe siècle. Les recettes sont par ailleurs presque
toujours inférieures aux dépenses. À la veille de la Révolution, le déficit est
désormais considérable et la dette accablante : presque la moitié des recettes
de l’État servent à payer les intérêts sur la dette contractée, qui constituent le
premier poste de dépense, devant les frais liés au positionnement
international de la France (guerre, marine, affaires étrangères). Contrairement
aux discours entretenus par les contemporains, la cour (« Maison du roi ») ne
représente qu’une partie marginale des dépenses. La pression fiscale atteint
des niveaux inégalés et accable le petit peuple et les paysans, soumis aussi
aux redevances seigneuriales et à la dîme. Les ordres privilégiés ne
contribuent pas aux dépenses de l’État à la hauteur de leurs revenus. Face à
l’impossibilité de leur faire accepter une réforme fiscale, le roi doit se
résoudre en 1788 à convoquer les états généraux.

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Administrer et moderniser le territoire
Théâtre du roi en majesté sous Louis XIV, la place royale est au XVIIIe siècle
un manifeste en faveur de l’organisation rationnelle de l’espace urbain et du
projet modernisateur des Lumières. Le roi, père de la nation et protecteur des
arts et des manufactures, s’y affiche de manière plus humaine. Dans le même
temps, les agents du roi s’efforcent d’améliorer la gestion de l’espace et
l’administration du territoire.
LES INTENDANTS AU CŒUR DU DISPOSITIF MONARCHIQUE

Les intendants de justice, police et finances, sont des commissaires du roi,


nommés et révocables par lui. Dans leurs généralités d’affectation, ces
magistrats de formation sont présentés comme l’œil du roi et comptent
désormais plus que les gouverneurs des provinces, qui appartiennent à la
haute noblesse d’épée, mais sont des protecteurs le plus souvent éloignés. Sur
le terrain, les intendants sont en charge de très nombreux dossiers, pour
lesquels ils ont besoin du concours des élites locales et, lorsqu’ils existent,
des bureaux permanents des États provinciaux. Des ministres réformateurs de
Louis XVI comme Turgot au début du règne et Calonne à la fin, ont ainsi fait
leurs armes dans les généralités du Limousin et de Flandre. Les intendants
cherchent à améliorer les infrastructures de transport, à stimuler le commerce
et les manufactures. Avec l’essor de l’agronomie et des thèses
physiocratiques, et en raison de la croissance de la population du royaume, ils
doivent aussi mener des politiques « d’encouragement » agricole et de lutte
contre les épidémies.

Pendant les dernières décennies de l’Ancien Régime, la question de la refonte


de l’impôt agite les milieux ministériels et éclairés. Elle est directement liée à
la connaissance et à la maîtrise du territoire et de ses ressources par l’État
monarchique. En effet, les administrateurs ont bien compris que l’enjeu
majeur est celui du nécessaire consentement des populations à l’impôt.
L’obtenir passe par une connaissance précise des ressources dont disposent
les contribuables afin d’éviter que les prélèvements soient perçus comme
confiscatoires. Des généralités-test comme celles de Paris sont retenues pour
expérimenter la levée de cadastres qui pourront servir de base fiable et
actualisée aux impositions.
...

UNE AUTRE IMAGE DU ROI

Sous Louis XV et également sous Louis XVI, même si les réalisations sont
moins nombreuses, le roi et ses agents sont soucieux de présenter une autre
image que celle du « roi de guerre ». De très nombreuses gravures, de
complaisantes relations d’inauguration et des publications ambitieuses
comme celle des Monuments érigés en France à la gloire de Louis XV par
Pierre Patte (1765), dédiée au marquis de Marigny, directeur des Bâtiments,
arts et manufactures participent à la communication monarchique autour de
ces entreprises monumentales. Les statues sont en effet au cœur de
l’édification de places royales, dites places à programme, en raison du
programme architectural qui leur sert d’écrin. Si à Nancy, capitale de la
Lorraine ducale récemment annexée au royaume à la mort du beau-père de
Louis XV (1766), Stanislas Leszczynski, roi déchu de Pologne, la statue
montre un roi qui désigne et protège la frontière orientale, à Reims, le
souverain est présenté en citoyen romain. Sous Louis XVI, Paris, Nancy,
Brest et Nantes envisagent de construire des places royales pour célébrer le
nouveau roi, mais seule Nantes commence les travaux. La Révolution
s’attaque en 1792 avec violence aux statues royales, dont beaucoup
disparaissent.

Cependant, le coût d’un monument royal est élevé. Celui de Reims aurait
ainsi coûté 400 000 livres, ainsi qu’une rente viagère pour Pigalle de 4 000
livres par an. C’est donc prendre le risque de critiques de la part d’une
opinion publique en cours de formation, et de celle d’hommes des Lumières
comme Diderot qui glisse de la critique d’art naissante aux réflexions
politiques dans « Le monument de la place de Reims ».

De grandes commandes royales comme celle des 24 tableaux de ports de


France passée au peintre Joseph Vernet en 1753 (il en réalisa quinze avant
1765) permettent également non seulement d’exalter la grandeur du royaume
mais aussi d’embrasser symboliquement l’étendue de ses ressources. Comme
le roi ne va pas à la mer (Louis XV s’est seulement rendu au Havre et Louis
XVI à Cherbourg), c’est la mer qui va au roi.
...

LA VILLE DES LUMIÈRES

Si la France reste essentiellement rurale, les villes sont perçues comme les
foyers des Lumières qui doivent irradier jusque dans les campagnes.
Intendants, architectes du roi et ingénieurs des Ponts-et-Chaussées sont donc
mobilisés pour mener à bien d’ambitieux projets d’aménagement de l’espace
urbain. Lorsque les villes ne sont plus menacées par les guerres étrangères,
les emprises militaires sont réduites, permettant à de juteux projets de
spéculation foncière et immobilière de voir le jour. Dans les chefs-lieux
d’intendance, les intendants favorisent un nouvel urbanisme qui prévoit
l’ouverture de places, la création de promenades et de jardins, la
rationalisation de la circulation avec l’ouverture de nouvelles rues et
l’alignement des maisons, l’édification de lieux publics comme les bourses de
commerce et les théâtres.

Architectes, ingénieurs du roi et administrateurs s’efforcent d’utiliser ces


chantiers monumentaux comme des vecteurs de modernisation de l’espace
urbain en accord avec les idées des Lumières : favoriser la circulation de l’air,
faciliter les déplacements des personnes et des biens, assurer la protection des
populations et favoriser l’activité économique. Les autorités municipales
doivent non seulement prévoir le financement des opérations, dont elles
escomptent en retour des avantages sous forme d’allègements fiscaux, mais
aussi s’approprier l’espace urbain dans une perspective de progrès général et
de prospérité partagée.

Lorsque ces projets rencontrent, comme à Bordeaux, les attentes des


bourgeoisies locales, la métamorphose est réussie. Le château Trompette
souvenir de la méfiance que Louis XIV éprouvait pour la ville frondeuse
disparaît, une place royale est projetée, et la ville s’ouvre sur le fleuve, son
poumon économique. Le quai des Chartrons devient ainsi le symbole du
dynamisme du négoce et le Grand Théâtre le symbole des ambitions d’une
métropole provinciale.

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L’impact des Lumières
Pour le philosophe Emmanuel Kant, Sapere Aude !, « Ose Savoir ! », traduit
l’esprit des Lumières, cette floraison d’idées nouvelles et critiques qui
parcourent l’Europe. En cherchant à régénérer le lien social, en plaidant pour
un libre usage de la raison, en contestant le principe d’autorité fondé sur la
tradition, elles participent à l’ébranlement de l’Ancien Régime. La soif
d’informations augmente tandis qu’émergent de nouvelles formes de
sociabilité.
L’ESSOR DE LA PRESSE ET DU LIVRE CLANDESTIN

L’espace public en cours de formation a besoin d’une information abondante


pour provoquer les débats et les réactions. De nombreux périodiques
francophones imprimés hors du royaume, souvent par d’anciens réfugiés
protestants, accèdent ainsi au marché français, illégalement ou avec
l’autorisation des autorités qui en tirent de juteux bénéfices. La révolution
postale des années 1760 et la pratique des abonnements groupés font chuter
le coût de l’information. La presse provinciale explose littéralement à la
veille de la Révolution. Sur les marges du royaume se développe également
une industrie du livre qui alimente le marché français en contrefaçons et en
livres interdits. Les risques sont réels, notamment pour les intermédiaires,
mais la perspective de gros bénéfices est attractive. Ces ouvrages, tel le
Système de la nature du baron d’Holbach, corrodent l’idéologie monarchique
et ses piliers par l’usage de la dérision, de la raison critique, de la
pornographie, de l’irréligion et du matérialisme. Des administrateurs éclairés
et même des ministres favorisent la diffusion des Lumières et permettent à
des ouvrages interdits, comme l’Encyclopédie de Diderot – lorsque son
privilège royal est révoqué – de continuer à être diffusés. Signe des temps, la
censure, qu’on nomme alors « Librairie », est elle-même obligée de
composer. C’est la pratique de la permission tacite : l’ouvrage n’a pas de
privilège royal mais n’est pas interdit.
...

UNE SOCIABILITÉ NOUVELLE

Aux formes traditionnelles de la sociabilité d’Ancien Régime – confréries


pieuses et charitables, cénacles littéraires et mondains, académies des lettres,
sciences et arts munies de patentes royales – viennent s’ajouter de nouvelles
sociétés qui touchent un public plus large et n’ont pas de reconnaissance
officielle. Introduite en France depuis les îles Britanniques à partir des années
1720, la franc-maçonnerie réunit plus de 900 loges et 40 à 50 000 membres à
la veille de la Révolution. D’abord surveillée et même interdite, elle est
ensuite largement tolérée. Diffusée à travers tout le royaume, son succès est
sans équivalent. Elle ne fomente aucun complot révolutionnaire, mais
multiplie les démonstrations de fidélité sincère à la monarchie qui la tolère.
Cependant, elle habitue ses membres à la pratique de la prise de parole en
public, au vote, à l’élection des officiers. On y travaille à la régénération du
lien social, à transformer la bienfaisance en philanthropie, à porter un autre
regard sur l’homme et à devenir citoyen de la république universelle des
francs-maçons. Les strates supérieures du tiers état s’y pressent aux côtés de
l’aristocratie de robe et d’épée, mais le nombre élevé des loges permet aussi à
la petite et moyenne bourgeoisie d’entrer dans l’espace fraternel du temple.
Dans le même temps, suivant la mode anglaise, des clubs se créent. Les
sociétés de lecture et les bibliothèques publiques se développent tandis que
les « musées » élargissent et renouvellent l’offre de sociabilité culturelle des
académies en proposant des cours gratuits consacrés à la diffusion des
« sciences utiles ».
.
Puissance démographique et attraction urbaine en France
Avec ses 28 millions d’habitants, soit un gain de 25 % sur un siècle, la France
est toujours en 1789 le pays le plus peuplé d’Europe. Cette croissance
démographique accentue la pression sur les ressources et alimente la
croissance urbaine. La légère diminution de la mortalité infantile et l’absence
de crises de mortalité dramatiques font en sorte que la population française à
la veille de la Révolution est relativement jeune.
UN TERRITOIRE DE PLUS EN PLUS PLEIN

La France connaît au XVIIIe siècle une croissance démographique soutenue,


même si le taux est inférieur à celui d’autres pays européens. Sa population
passe de 22 à 28 millions d’habitants entre 1715 et 1789, mais surtout, la
croissance n’est plus, contrairement aux siècles précédents, interrompue par
des épidémies de peste qui effacent d’un trait le surplus cumulé au fil des
décennies. Dans ce monde de plus en plus plein, sur fond de ressources
limitées, les Français freinent la hausse démographique surtout en agissant
sur l’âge au mariage, qui ne cesse d’augmenter depuis le XVIe siècle et qui
constitue le seul moyen relativement efficace de contrôler une natalité encore
largement contenue au sein du mariage.

La croissance de la population française sur le territoire n’est pas homogène :


elle est particulièrement intense dans les provinces de l’Est, dépeuplées par
les guerres de Louis XIV, ou encore dans le Massif central, véritable désert
humain au début du siècle. À une échelle plus fine, des différences
substantielles séparent des villages à l’agriculture traditionnelle de ceux où se
pratiquent des activités proto-industrielles. En fournissant des ressources
complémentaires aux jeunes ménages, l’activité industrielle à domicile en
milieu rural contribue à son tour à accentuer la croissance démographique,
car elle assure la viabilité de nouveaux couples que l’agriculture
traditionnelle ne peut pas assurer. Pour les jeunes gens qui arrivent plus
nombreux à l’âge adulte, il ne reste le plus souvent qu’à partir en ville à la
recherche de travail.
...

COMMENT EXPLIQUER LA HAUSSE DÉMOGRAPHIQUE ?

Une hausse démographique peut s’expliquer soit par une augmentation des
naissances, soit par une baisse de la mortalité. Or, la natalité en France, de
l’ordre de 35 à 38 pour 1 000, a plutôt légèrement baissé. La mortalité
ordinaire demeure tout aussi élevée. Elle frappe surtout les enfants en bas
âge : presque un Français sur deux ne survit pas à son enfance. De légères
améliorations sont toutefois perceptibles et la peste fait sa dernière apparition
à Marseille en 1720. Ceci suffit à enclencher une hausse qui se révèle
durable. Si des crises de surmortalité existent dans les années de mauvaises
récoltes, elles n’enrayent plus la croissance.

L’amélioration climatique, de modestes gains dans la productivité agricole et


la diversification partielle des cultures ont permis aux Français de mieux
résister face à la mort, alors que seules les villes portuaires ou fluviales
bénéficient des importations depuis l’étranger en temps de crise, dont le coût
de transport par voie terrestre est prohibitif. En dépit des tentatives de
réforme, la libre circulation des grains est freinée par les difficultés liées à
leur circulation, plus encore que par les prohibitions légales.
...

L’ESSOR DES VILLES

À la veille de la Révolution française, la France demeure un pays largement


rural : quatre Français sur cinq vivent dans des agglomérations de moins de 2
000 habitants, et trois sur quatre sont des paysans. Le XVIIIe siècle voit
pourtant une croissance urbaine significative – mais guère révolutionnaire –
soutenue par la hausse démographique générale : le « trop-plein » des
campagnes se déverse dans les villes. Ce n’est que l’afflux constant de
migrants qui permet leur croissance. Paris domine, mais ce n’est pas la ville
française qui connaît la hausse la plus spectaculaire : le primat revient aux
ports insérés dans un commerce de long cours en pleine expansion. Au cours
du siècle, Bordeaux passe ainsi de 45 000 habitants à plus de 100 000
(absorbant la croissance démographique de sa généralité), Marseille récupère
rapidement les 50 000 morts de la peste de 1720 et double sa population.

Le tissu urbain français est largement hérité du passé, à l’exception du Havre,


de Lorient et de Rochefort qui ont été fondés à l’époque moderne. Si elles
dépendent pour leur survie et pour leur approvisionnement des campagnes,
les villes continuent à encadrer et dominer celles-ci.

Elles sont le siège de toutes les administrations royales, provinciales et


ecclésiastiques, et c’est vers elles que s’achemine l’essentiel de la rente
foncière et seigneuriale. Elles sont aussi le lieu par excellence de l’instruction
et de la culture savante.
...

L’ATTRACTION URBAINE

Hormis dans quelques petites villes au solde naturel positif, les villes
françaises sont peuplées en général par des individus venus d’ailleurs.

La majorité des migrants provient des alentours. Par leur importance et le


marché du travail qu’elles offrent, les grandes villes attirent toutefois sur un
rayon plus vaste. L’attraction bordelaise s’exerce sur tout le quart sud-ouest
de la France, alors que Paris recrute ses habitants essentiellement au nord
d’une ligne reliant Saint-Malo à Genève. Des immigrations spécifiques
existent toutefois, comme celle qui amène les maçons auvergnats vers une
capitale en perpétuel chantier.

Ces mouvements migratoires ne sont pas tous définitifs, ainsi les sources ne
traduisent qu’imparfaitement la circulation réelle des hommes : outre les
métiers saisonniers, liés à un calendrier agricole dominant, beaucoup de
jeunes filles se rendent en ville comme servantes le temps nécessaire à
constituer une dot.
.
La France en 1789 : une économie prospère ?
Dans les années 1780, l’agriculture nourrit tant bien que mal six millions de
Français de plus qu’au début du siècle ; la production industrielle et le
commerce extérieur ont également augmenté. L’économie française est-elle
pour autant prospère ? La crise économique de la fin des années 1780 ne
montre-t-elle pas plutôt sa fragilité ? La réponse, complexe, dépend aussi de
l’échelle spatiale adoptée : les Français n’évoluent pas dans un espace
national uniforme.
VRAIS PROGRÈS OU FAUX-SEMBLANTS ?

La production industrielle et le commerce extérieur français connaissent au


XVIIIe siècle une forte croissance. La perte de vitesse des corporations
urbaines, contestées et peu réactives aux marchés, contraste avec le
dynamisme de certains complexes industriels et de la proto-industrie, qui
approvisionnent les marchés intérieur, colonial et européen. Les toiles
françaises se retrouvent ainsi en Amérique du Sud, après avoir transité par
Cadix via Saint-Malo. Si en valeur absolue la France est un très grand
producteur textile et métallurgique, et si la qualité de ses manufactures la
place en position concurrentielle dans les marchés du luxe, la production par
tête reste inférieure à la britannique dans plusieurs secteurs clés. De plus,
alors que la Grande-Bretagne exporte surtout des produits industriels, les
exportations françaises se concentrent sur les produits agricoles (en
particulier vin, sucre et café). Les colonies occupent en effet une part
croissante dans la structure du commerce français, mais elles n’ont qu’un
faible effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie, dans la mesure où
les produits coloniaux sont le plus souvent réexportés tels quels. En revanche,
les colonies contribuent à enrichir le négoce portuaire, à redresser la balance
commerciale française, à fournir des débouchés à l’agriculture française (vin,
farine) et à son industrie, et à soutenir ainsi des milliers d’emplois.

Si le commerce extérieur n’a cessé de croître au cours du siècle, l’accès des


Français à ses produits demeure inégal, bien que les réseaux du colportage
maillent le territoire et permettent d’atteindre les populations rurales. De
fortes disparités existent d’une province à l’autre et la majorité des Français
ne peuvent pas accéder à la plupart de ces biens.
...

UNE ÉCONOMIE CÉRÉALIÈRE FRAGILE

L’économie de la France repose sur l’agriculture. Source principale de


richesse – la rente foncière, seigneuriale et ecclésiastique en dépend –, elle est
aussi fondamentale pour la survie de la population. La productivité étant
faible, seul un Français sur quatre échappe au travail agricole. Puisque le coût
de transport par voie de terre des pondéreux est prohibitif, les prix entre deux
généralités peuvent varier de un à trois. La majorité des Français produisent
localement l’essentiel des céréales nécessaires à leur alimentation. Cette
nécessité vitale influence depuis des siècles l’organisation sociale et
productive des villages et explique les limites imposées à la circulation des
grains. Les contraintes collectives portant sur la terre visent à assurer la
survie de la communauté : les cultures des labours, l’usage des terrains
incultes (pâturages, foin) et des biens communaux qui fournissent des apports
indispensables (bois, baies, champignons) sont déterminés par l’assemblée
villageoise, permettant aux plus démunis de disposer gratuitement de bois de
chauffage et de quelques ressources alimentaires. Selon le terroir et le climat,
vignes et châtaigneraies offrent des compléments alimentaires non
négligeables, alors que jardins, vergers et basses-cours permettent de
diversifier le régime alimentaire. L’équilibre est toutefois fragile, d’autant
plus que la hausse démographique accentue la pression sur les ressources. Si
les besoins d’une population plus nombreuse ont stimulé des améliorations
agricoles, les Français ne sont pourtant pas à l’abri d’une mauvaise récolte,
qui accentue les difficultés des journaliers agricoles sans terre, des petits
exploitants et des salariés urbains, incapables d’acheter des céréales dont les
prix flambent.

Bien que la pression seigneuriale, les atteintes portées aux biens communaux
ou des décisions politiques (libéralisation du commerce des grains) aggravent
la précarité, les crises agricoles sont provoquées par le climat. Des gelées au
printemps, des pluies intenses à l’été, réduisent les quantités produites. Une
fois payés l’Église (dîme), les droits seigneuriaux, la taille et les autres impôts
directs, et une fois mises de côté les semences pour l’année suivante, la part
disponible pour la consommation du paysan producteur peut se réduire au-
dessous d’un seuil perçu comme minimal. La diversification des cultures,
l’introduction plus soutenue de nouvelles plantes (pomme de terre, maïs)
permettent d’éviter de véritables famines, mais pas les difficultés
économiques liées aux mauvaises récoltes. Celles de 1787-1789 contribuent à
expliquer le climat d’insatisfaction et les tensions qui précèdent la
Révolution.
.
La France en crise
Les difficultés financières et industrielles des années 1780, et plusieurs
années de récoltes médiocres ou franchement mauvaises ont fragilisé non
seulement les couches les plus pauvres de la société française, mais aussi la
petite bourgeoisie des métiers qui redoute de se retrouver déclassée – elle
formera souvent l’ossature du mouvement sans-culotte. Dans les campagnes,
les tensions et rébellions se multiplient.
CRISE ÉCONOMIQUE ET PAUVRETÉ

Depuis 1778, les fluctuations des prix agricoles fragilisent les petits
producteurs. La sécheresse et les épizooties frappent les élevages. Avec la
baisse du profit agricole dans les grandes plaines céréalières comme le pays
chartrain, le chômage augmente en flèche parmi les ouvriers agricoles et les
salaires diminuent. Certaines branches textiles sont durement affectées par le
traité de libre-échange franco-britannique de 1786. Pour faire pression sur le
marché de l’embauche, ces chômeurs s’attroupent lors des grandes périodes
de travaux agricoles. Les débordements violents ne sont pas rares. Les
« bacchanales » désignent ces mouvements de grève pour empêcher le travail
et forcer le fermier à accepter des salaires justes. Lorsque la pauvreté explose,
la solidarité villageoise ne peut plus faire face et des bandes de mendiants se
forment, errant sur les routes. La peur du brigandage se développe alors,
notamment dans les villes mieux ravitaillées. Le développement des sociétés
philanthropiques témoigne de ce que les élites éclairées ont conscience de la
fragilité du tissu social.
...

CHERTÉ DES GRAINS ET AGITATIONS SOCIALES

Le souvenir de la guerre des Farines (1775) et de ses troubles – les émeutiers


se sont rendus jusqu’au château de Versailles – est encore très vif au milieu
des années 1780. L’absence ou la faiblesse de l’intervention de la monarchie
et de ses représentants ont largement véhiculé la thématique du « complot de
famines » et entaché la figure de père nourricier du monarque. À la liberté du
commerce des grains prônée par les libéraux et les réformateurs de l’Ancien
Régime, les partisans de l’économie morale opposent la thèse de la
singularité du marché des céréales. Il ne s’agit pas de productions ordinaires,
mais d’un « bien d’intérêt commun » qui ne peut être abandonné à la
spéculation et aux aléas du marché. La hausse des prix du grain consécutive
aux mauvaises récoltes provoque des pillages de boulangerie et des
phénomènes de « taxation » (les émeutiers imposent le prix qu’ils estiment
équitable) sur les marchés. Ces « pré-émeutes » (Steven L. Kaplan) peuvent à
tout moment dégénérer. Elles peuvent associer aux soucis de subsistance une
contestation des droits féodaux.

...

LA « RÉACTION FÉODALE » ET SES CONSÉQUENCES

Soucieux de conforter leur rente foncière, les propriétaires terriens


renégocient à la hausse les baux des terres qu’ils donnent à ferme aux
exploitants agricoles. Le poids pour les exploitants est d’autant plus lourd que
la majorité des terres ne leur appartient pas.

Dans le même temps, pour accroître leurs revenus, les seigneurs laïques et
ecclésiastiques détenteurs de droits féodaux (champarts, lods et ventes,
banalités ou dîmes) remettent de l’ordre dans leurs archives (terriers), en
engageant des feudistes (spécialistes des droits féodaux) qui exhument
d’anciens droits et exigent le paiement des arriérés. L’un d’eux en Picardie
maritime n’est autre que Gracchus Babeuf qui, par la suite, sera à l’origine de
la conjuration des Égaux et d’une forme de communisme agraire. À cette
« réaction féodale », les paysans réagissent non seulement par la violence
active ou par la résistance passive, mais aussi sur le terrain juridique. Partout,
ils exigent la production des titres de propriété estimant que la terre appartient
à celui qui la travaille. Lorsque la Révolution aura commencé, la mise à feu
des châteaux permettra de détruire les archives seigneuriales et les preuves de
redevances dues.
.
La convocation des États généraux inaugure avec l’élection des députés des
trois ordres et la rédaction des cahiers de doléances une ère nouvelle sans que
les 28 millions de Français n’aient encore conscience de rompre avec
« l’Ancien Régime ».
Comme l’écrivent les rédacteurs du cahier de doléances d’une paroisse du
futur département de la Sarthe, il s’agit alors surtout de « rouvrir la
communication directe et si désirée entre ses peuples fidèles et leur roi ». Les
appels à une régénération nationale ne datent pas de 1788-1789, et ils se
poursuivent bien après l’adoption de la Constitution de 1791. De même, des
appels à terminer la Révolution pour en sauvegarder les acquis sans précipiter
le pays dans le chaos scandent toute la décennie révolutionnaire. C’est donc
l’apprentissage d’un processus inédit de transformation radicale que font des
hommes et des femmes qui sont tous nés sous l’Ancien Régime.
Des cahiers de doléances à l’été 1789
En 1787, l’échec des tentatives de réformes est manifeste. La nécessité de
convoquer les États généraux – une première fois depuis 1614 – s’impose
chaque jour davantage. À Vizille, le 21 juillet 1788, les représentants du
Dauphiné réclament des États généraux et le doublement du nombre de
représentants du tiers état. En janvier 1789, l’abbé Sieyès publie un pamphlet
retentissant : Qu’est-ce que le tiers état ?
UNE CONSULTATION SANS PRÉCÉDENT

Sous la pression, Louis XVI finit par accepter la convocation des États
généraux et consent au doublement des représentants du tiers état, mais le
vote par ordre donne deux voix aux ordres privilégiés (clergé et noblesse),
contre une au tiers état. Seul le vote par tête équilibrerait donc le rapport de
force, or le roi se garde bien d’aborder l’épineuse question de la délibération.
Le règlement électoral du 24 janvier 1789 fixe les conditions d’élection des
députés aux États généraux.

À la base de la pyramide d’assemblées électorales, constituée par les


assemblées primaires à raison d’une par paroisse dans les campagnes, et
d’une par paroisse ou par communauté de métier dans les villes, sont
convoqués « tous les habitants [de sexe masculin, mais des veuves sont
admises comme chef de famille, et les métiers féminins ont rédigé leurs
cahiers à l’instar des communautés masculines] composant le tiers état, nés
français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq-ans, domiciliés, et compris au rôle
des impositions ». Les membres du clergé et de la noblesse sont eux
convoqués au niveau supérieur, celui des baillages.
...

LES CAHIERS DE DOLÉANCES

À côté du processus électoral, la rédaction des cahiers de doléances est l’autre


enjeu majeur des mois qui précèdent la réunion des États généraux. Les trois
ordres sont en effet invités à présenter au roi leurs doléances. On dénombre
45 000 cahiers. Pour le tiers état, à chaque étape des opérations électorales de
désignation des députés correspond la rédaction d’un cahier : à la base, les
cahiers des communautés rurales et de métiers ou des paroisses, puis un
cahier du tiers état par bailliage ; au sommet, le cahier de l’assemblée du tiers
état remis au roi. Le filtre se fait aux différents degrés de la pyramide des
assemblées électorales. Les doléances recueillies dans les cahiers des
communautés rurales sont alors diluées dans les cahiers de bailliage pour
laisser la place à de véritables programmes de réformes. La participation est
inégale. Des modèles nationaux de cahiers circulent, mais ils ne confisquent
pas la rédaction locale des cahiers, car ils sont l’objet d’emprunts partiels
plutôt que de copie passive. Les modèles proposés par les nobles et les élites
bourgeoises rivalisent.
...

LA GRANDE PEUR ET LA RÉVOLUTION MUNICIPALE

Alors que les représentants convoqués à Versailles initient une révolution


politique, au cours de l’été 1789, la peur des bandes de vagabonds se répand
sur les marchés et dans les campagnes. La rumeur enfle : les bandits et les
brigands menacent d’égorger les paysans, de brûler les villages et de piller les
récoltes. Le souvenir de la « guerre des Farines » (1775) est en effet très
prégnant et les mauvaises récoltes des années précédentes sont propices au
développement de peurs collectives. L’historien Timothy Tackett conteste
cependant la thèse classique selon laquelle la Grande Peur serait née d’une
croyance en un complot aristocratique dont les brigands seraient l’instrument.
Pour lui, l’origine principale de la Grande Peur est l’inquiétude face au vide
du pouvoir et au désordre, après la crise de juillet 1789. Dans beaucoup de
provinces, l’obsession d’un complot aristocratique ne serait ainsi apparue que
plus tard. Tackett insiste même sur les témoignages de solidarité verticale
entre nobles et paysans au cours des troubles de l’été 1789. La Grande Peur
fait craindre à l’assemblée réunie à Versailles un désordre généralisé. Les
députés débattent des moyens de réprimer les désordres avant de s’orienter
vers une réponse à la hauteur de l’événement : l’abolition solennelle et
symbolique – la plupart des droits étant rachetables – des privilèges et de la
société d’ordres. C’est la fameuse nuit du 4 août.

Pendant la même période, le territoire est secoué par la « révolution


municipale ». À Dijon, le 15 juillet, le gouverneur est arrêté. La veille, au
Havre, les « patriotes » en armes ont interdit le départ d’un convoi de grains
pour Paris. La bourgeoisie patriote s’organise en comités locaux qui prennent
le pouvoir, tantôt sans violences (Nantes), tantôt par un coup de force
(Rouen). Parfois, le pouvoir patriote coexiste avec les autorités municipales
ou fusionne avec elles (Lille, Orléans). Certaines villes demeurent cependant
aux mains des autorités en place (Aix-en-Provence, Toulouse) ou ne
deviennent « patriotes » qu’au début 1790 (Lyon, Marseille).
.
L’entrée en politique (1789-1791)
Sous l’Ancien Régime, la vie associative était organisée autour de sociétés
qui s’interdisaient de discuter de politique. Or, la Révolution voit en quelques
semaines l’irruption du politique dans le champ de la sociabilité organisée.
Fin 1789, on compte une vingtaine de clubs, réunions ou sociétés
patriotiques. Un an plus tard, leur nombre dépasse 300, et 1100 et à la fin de
l’année 1791.
LA RÉVOLUTION DE LA PRESSE

La presse parisienne et provinciale a connu une forte croissance dans les


dernières années de l’Ancien Régime, mais on assiste à une véritable
explosion dès les premiers mois de la Révolution, avec autant de titres créés
que pendant les dix années précédentes. Le phénomène s’accélère encore
avec l’adoption de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen qui garantit la liberté d’opinion et d’expression. On compte plus de
189 créations de titres pour l’année 1789 dont 140 à Paris ! On totalise 400
titres en 1790 sur l’ensemble du territoire.

La presse parisienne part à la conquête du territoire national grâce à la


pratique des abonnements. La Chronique de Paris traduit l’euphorie
ambiante, en estimant que la presse est le meilleur rempart contre les ennemis
de la Révolution : « Il n’y a pas de petits villages en France où l’on ne
reçoive quelques-uns de nos papiers publics, et où l’on ne se réunisse pour en
faire des lectures. Qui pourrait ravir la liberté à un peuple chez qui la presse
est devenue libre ? »

De nouveaux types de journaux apparaissent, traduisant l’entrée accélérée du


pays et des citoyens en politique. Si Le Moniteur universel rend compte des
débats de l’Assemblée nationale, les journaux ne se contentent plus
d’informer la population des décisions prises par les gouvernants, ils
manifestent aussi publiquement les exigences « d’en bas », transformant le
rapport au politique. Créé en août 1789, Les Révolutions de Paris prend pour
devise : « Les grands ne nous paraissent grands que parce que nous sommes à
genoux : levons-nous ! » Les opposants à la Révolution se saisissent
également de la presse comme d’une arme. La Gazette de Paris, monarchiste,
a une diffusion qui déborde largement l’Île-de-France. Ils peuvent compter
sur des plumes talentueuses comme celle de Rivarol qui excelle dans le genre
pamphlétaire et satirique qu’incarne Les Actes des Apôtres (1789-1791).

...

LE MAILLAGE DES TERRITOIRES PAR LES SOCIÉTÉS POLITIQUES


La correspondance est l’un des principaux vecteurs de communication des
formes de sociabilité du XVIIIe siècle. Les sociétés patriotiques héritent de
cette pratique épistolaire en réseaux. La Société des amis de la Constitution
de Paris, futur club des Jacobins, se donne pour but de « travailler à
l’établissement et à l’affermissement de la Constitution ». Née de la réunion
des députés patriotes de Bretagne (le Club breton), elle s’ouvre aux citoyens
capables de payer une cotisation. À son imitation, les créations de sociétés se
multiplient, soit de manière autonome, soit comme filiales de sociétés mères.
Dès février 1790, Paris entend « correspondre avec les autres sociétés du
même genre qui pourront se former dans le royaume ». En juillet 1790, à
Paris, le club des Jacobins compte 1 200 adhérents, 152 filiales en août 1790
et plus d’un millier en septembre 1791. Les formes de sociabilité apolitiques
comme les loges maçonniques font largement les frais de cette irruption du
politique dans le champ de sociabilité : la plupart d’entre elles se mettent en
sommeil, ou ne se réunissent plus qu’épisodiquement.

Les réseaux de correspondance, les adresses et les pétitions que l’on


communique aux différentes sociétés et à l’Assemblée, l’impression des
comptes rendus de séances permettent aux patriotes d’interconnecter l’espace
politique au niveau régional et national. Leurs adversaires politiques
comprennent le danger et l’enjeu des sociétés politiques et créent leurs
propres réseaux. C’est le cas notamment des « monarchiens » réunis autour
du comte Stanislas de Clermont-Tonnerre. À Aix-en-Provence, la Société des
amis de la religion, de la paix et du roi, à Strasbourg la Société des amis du
roi, à Paris la Société des amis de la Constitution monarchique affichent
clairement leur sensibilité politique. Mais elles rencontrent l’hostilité des
municipalités patriotes et des Jacobins qui poussent à leur interdiction. Les
divisions politiques des révolutionnaires sont, elles, à l’origine de la création
de clubs rivaux comme la Société de 1789 autour de La Fayette ou le club des
Cordeliers auquel appartient Danton. Sur tout le spectre politique, des
orateurs brillants – les avocats ont un avantage initial qu’ils mettent à profit
dès la convocation des états généraux – se distinguent, dont on vient écouter
les discours enflammés avant d’en lire leur retranscription. Grâce à
l’imprimé, les députés peuvent maintenir le lien avec leurs électeurs et rendre
compte des actions entreprises à l’Assemblée constituante.
.
La réorganisation du territoire
Le 15 février 1790, la Constituante décide de créer 83 départements qui se
substituent à l’armature territoriale de l’Ancien Régime dans les domaines
administratif, judiciaire, fiscal et religieux. Provinces, généralités,
parlements, bailliages, subdélégations disparaissent. Cette refondation de
l’espace national transforme en profondeur les cadres de vie des citoyens et
d’exercice des fonctions sociales et politiques.
QUEL DÉCOUPAGE ?

Les 14 et 22 décembre 1789, l’Assemblée adopte le principe du découpage


du territoire du royaume en départements, districts et cantons, et consacre
également l’existence des municipalités. L’accord se fait sur la recherche
d’un système uniforme et rationnel, élaboré à partir d’une circonscription de
base, le département, plus petite que la généralité et permettant à tout habitant
de se rendre au chef-lieu et d’en revenir en une journée de cheval. Pour le
découpage, plusieurs projets s’affrontent, notamment celui de l’abbé Sieyès,
qui propose de délimiter 81 (9 x 9) départements sous la forme de carrés
emboîtés de 18 lieues de côté, et celui soutenu par Mirabeau, qui entend tenir
compte de l’héritage historique résultant des limites des anciennes provinces
et des équilibres locaux. Sous l’impulsion de Thouret, aidé par le géographe
Cassini, l’Assemblée adopte le décret du 15 janvier 1790 qui divise la France
en 83 départements et donne pour chaque ancienne province le nombre de
départements qu’elle forme (ou contribue à former), et le décret du 16 février
1790 qui établit la liste des départements, celle des districts qui les composent
et, dans certains cas, les sièges des tribunaux. Le 10 avril 1790, la carte de la
France des 83 départements est présentée à l’Assemblée. Pour le député
Thouret, elle traduit « l’idée de partage égal, fraternel et jamais celle de
dislocation du corps politique ». Le choix des noms de département est
également l’enjeu de nombreux débats entre ceux qui sont attachés à
l’affirmation des petites patries et à la conservation des identités territoriales,
et ceux qui leur préfèrent des références géographiques, plus descriptives,
plus neutres, et donc susceptibles de faire table rase des références de
l’Ancien Régime. Les noms de fleuves sont très souvent retenus,
notamment aux extrémités de leur cour : Haut-Rhin, Bas-Rhin ; Loire, Loire-
inférieure ; Rhône, Bouches-du-Rhône, ou aux confluences : Rhône-et-Loire,
Seine-et-Marne. Autres références géographiques, les massifs montagneux
sont aussi choisis aux frontières : Jura, Hautes-Alpes, Basses-Alpes,
Pyrénées-Orientales, Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées. Enfin, aux
extrémités occidentale et septentrionale du royaume, le Finistère et le Nord
achèvent la régénération du territoire.

...
NOUVEAUX ÉQUILIBRES TERRITORIAUX

La mise en place par le décret du 16 février 1790 du découpage de chaque


département en districts (initialement au nombre de six, puis de trois à neuf
en fonction de la population et des conditions locales) et le choix des villes
où siègent les administrateurs des départements et des districts sont à
l’origine de nombreux conflits, de marchandages et de luttes d’influence.
Dans le Puy-de-Dôme, la vieille capitale parlementaire, Riom perd face à
l’ancien siège de l’intendance et de l’évêque, Clermont-Ferrand, mais dans
les Bouches-du-Rhône, c’est l’inverse : le chef-lieu du département est fixé à
Aix, et non à Marseille. Dans tous les cas, les délégations envoyées à
l’Assemblée par les anciens chefs-lieux inquiets de leur survie et les échanges
de correspondances avec le comité de division témoignent de l’importance
d’un bouleversement géographique sans précédent.

Le nouveau découpage vise à rééquilibrer l’espace national et à corriger les


inégalités. Dans le sud, où les évêchés pullulaient, ils ne sont parfois même
pas repris dans la liste des nouveaux districts. En Bretagne, dans le Lyonnais
et en Provence, où les subdélégations étaient nombreuses, plusieurs chefs-
lieux ne sont pas retenus. À l’inverse, dans les zones peu urbanisées où la
rivalité est moindre, la transition est plus facile et de nouveaux chefs-lieux
sont promus.

Face aux difficultés et aux crispations, on retient parfois le principe de


l’alternance. Ainsi pour l’Ardèche : « La première assemblée de ce
département se tiendra à Privas et pourra alterner dans les villes d’Annonay,
Tournon, Aubenas, Privas et Le Bourg ». Ce principe est finalement
supprimé par une loi du 12 septembre 1791. Au total, les districts sont
nombreux dans l’Ouest breton densément peuplé, en Lorraine ou dans des
départements méridionaux de vaste étendue (Aveyron, Dordogne). Le
maillage est moins serré au cœur du Massif central, des Landes aux Pyrénées
et dans les Alpes.
.
La régénération nationale
Député patriote, le chartreux dom Gerle, immortalisé par David dans Le
Serment du Jeu de paume, propose le 12 avril 1790 à l’Assemblée de déclarer
la religion catholique religion d’État. Après des débats vifs, sa proposition est
finalement rejetée mais un mouvement d’opinion s’emploie à soutenir la
motion de dom Gerle, notamment dans le Midi toulousain et languedocien.
La question religieuse revient en force quelques mois plus tard à
l’Assemblée.
« L’ÉGLISE EST DANS L’ÉTAT » (DÉPUTÉ CAMUS)

Le 12 juillet 1790, soit deux jours avant la fête de la Fédération, les députés
votent la Constitution civile du clergé. La carte des diocèses est désormais
calquée sur la carte administrative et politique des 83 départements. Le clergé
est salarié par l’État (le curé d’une paroisse de moins de 1 000 habitants
reçoit 1 200 livres par an) et doit se soumettre à ses obligations. Partant, les
curés sont élus par les assemblées électorales de district et les évêques par
celles de département. La mesure est proprement révolutionnaire. La
Constitution civile du clergé rend le concordat de Bologne entre la France et
le Saint-Siège caduc. Le roi approuve le texte le 24 août et les évêques se
montrent plutôt conciliants, soumettant seulement leur acceptation à
l’autorisation du pape. Mais devant la lenteur d’application de la loi,
l’Assemblée adopte le 27 novembre 1790 un décret qui radicalise la question
en renforçant l’obligation du serment civique pour tous les ecclésiastiques.
Comme l’affirme le curé de Vangues, dans le département du Cher : « Je suis
chrétien catholique. Je suis prêtre. Je suis citoyen français : trois qualités
chères à mon âme. J’ai consacré les deux premières par des serments
solennels ; je vais consacrer la troisième par un serment qui ne doit point
porter préjudice aux deux autres ». En effet, le serment touche directement au
sacré ; il implique « une insubordination virtuelle par rapport au pape » (J.-P.
Jessenne) qui finit logiquement par condamner la Constitution civile du
clergé le 10 mars 1791. Le schisme est inévitable. Dans leur déclaration, les
docteurs de la Sorbonne sont catégoriques : « le serment exigé de fidélité à la
Constitution est manifestement hérétique, schismatique, et visiblement
opposé à l’esprit du christianisme. Loin de nous, un tel serment qui ne serait à
nos yeux qu’un affreux parjure et une véritable apostasie ».

L’Église de France se divise alors profondément autour de la question du


serment. D’après T. Tackett, 52 à 55 % du clergé paroissial le prêtent (jureurs
ou constitutionnels) début 1791, et 6 % se rétractent. Les réfractaires sont
majoritaires dans l’Ouest, le Nord, le sud du Massif central, en Franche-
Comté et en Alsace. Mais une analyse plus fine montre que, dans de
nombreux districts, aucun des deux groupes ne l’emporte véritablement. Le
schisme est d’interprétation complexe, car nombre de paramètres et de «
tempéraments » (M. Vovelle) locaux entrent en ligne de compte. Des
départements majoritairement jureurs ne sont pas définitivement acquis à la
Révolution et vice-versa.
...

FÉDÉRER LA NATION

De nombreux rassemblements départementaux de gardes nationaux, comme


celui de Valence le 29 novembre 1789, manifestent la naissance d’une France
nouvelle. Les constituants fixent au 14 juillet 1790 la fête nationale de la
Fédération, mais ils entendent canaliser le mouvement et célébrer la
régénération nationale dans l’ordre. La Fayette orchestre cette célébration
civique qui doit clore le processus révolutionnaire. Sur le Champ-de-Mars, un
tertre a été élevé grâce à la terre venue de tous les départements, afin de
symboliser l’émergence d’une France nouvelle. Dessus s’élève l’autel de la
Patrie, en face du trône royal. Les gardes nationaux venus des départements
défilent sous un arc de triomphe et La Fayette prête serment : « Nous jurons
de rester fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, de maintenir […] la
Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi, de
protéger […] la libre circulation des grains et des subsistances […] et de
demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité. »
La foule répond : « Nous le jurons. » Désormais, la Nation est souveraine et
le roi, roi des Français.

Chef d’orchestre de cette grande célébration, chef de la garde nationale, La


Fayette apparaît comme l’homme fort de la Révolution. Certains craignent
d’ailleurs ses ambitions politiques, et dénoncent en lui un nouveau César.
Cette fête révolutionnaire a également une dimension pédagogique. Bien
ordonnée, elle doit montrer l’importance centrale de la bourgeoisie patriote
réunie dans la garde nationale et faire comprendre aux citoyens passifs quelle
est leur place dans le nouveau corps civique.
...

CITOYENS ACTIFS, CITOYENS PASSIFS

Dès le 20 octobre 1789, l’Assemblée constituante a en effet adopté le


suffrage censitaire. Au terme des travaux des constituants, le corps civique se
compose des citoyens actifs (hommes de plus de 25 ans payant un impôt au
moins égal à trois journées de travail, ceux qui paient un impôt au moins égal
à dix journées de travail sont déclarés éligibles) et citoyens passifs : femmes,
mineurs, domestiques, faillis, résidents depuis moins d’un an, hommes qui
n’atteignent pas le seuil censitaire. Le corps électoral est donc limité à 4
500 000 citoyens dès les assemblées primaires. Enfin, pour être éligible
comme député à l’Assemblée nationale, il faut payer un impôt égal au moins
au marc d’argent, soit 50 livres. La décision suscite un vif débat, Robespierre
estimant notamment que Jean-Jacques Rousseau n’aurait pas pu être élu : « Il
ne lui eût pas été possible de trouver accès dans une assemblée électorale !
Cependant, il a éclairé l’humanité, et son génie puissant et vertueux a préparé
vos travaux » (11 août 1791).
.
Les colonies à l’épreuve de la régénération nationale
La Révolution de Saint-Domingue doit sa réussite à la détermination des
esclaves insurgés mais aussi à la déstabilisation provoquée par la Révolution
française sur les capacités répressives de la minorité de libres. En moins de
trois ans, les révoltés poussent la République à abolir l’esclavage dans
l’ensemble des colonies françaises (1794) : c’est l’un des actes les plus
radicaux de la Révolution française, aux vastes répercussions dans l’espace
atlantique.
LA RÉVOLTE DE SAINT-DOMINGUE, UN TOURNANT DÉCISIF

De nombreuses révoltes ont lieu aux Amériques durant l’époque moderne.


Alors que celles des colons manifestent une volonté de plus grande
autonomie vis-à-vis de la métropole, ou revendiquent une meilleure prise en
compte des intérêts coloniaux, celles des esclaves ou des libres de couleur
expriment la contestation de l’ordre colonial raciste. Souvent d’envergure
limitée, les révoltes d’esclaves sont toutes vouées à l’échec. La réussite de
celle de Saint-Domingue tient à la fois à la forte concentration d’esclaves sur
un territoire réduit, au fait que vers 1790 la majorité d’entre eux sont nés en
Afrique et sont donc moins bien intégrés à l’ordre colonial et, enfin, à la
remarquable organisation des rebelles, dont les chefs, souvent issus de
« l’élite » des esclaves, s’approprient parfois, en les réinterprétant, les
concepts clés affirmés lors des révolutions américaine et française (droit
naturel, liberté). La diffusion de la nouvelle de la révolte de Saint-Domingue
donne un formidable espoir à des milliers d’esclaves aux Amériques,
encourageant leur résistance. Alors que l’Europe éclairée s’interrogeait
timidement sur l’opportunité d’abolir la traite et à terme l’esclavage, la
Révolution haïtienne en affirme l’urgence.
...

DE LA RÉVOLTE DES ESCLAVES À L’ABOLITION DE


L’ESCLAVAGE

Saint-Domingue représente en 1790 le joyau de l’empire français : l’île


produit 85 % du sucre et la quasi-totalité du café que la France réexporte
ensuite en Europe. Son développement productif après 1763 a été fulgurant ;
il repose ici comme ailleurs sur la déportation massive de captifs africains
destinés à fournir la main-d’œuvre des plantations esclavagistes. La révolte
qui éclate en août 1791 dans la partie nord de l’île gagne rapidement du
terrain, aussi parce que les capacités répressives des colons sont affaiblies par
le conflit qui oppose, ici comme dans l’ensemble des colonies françaises
postrévolutionnaires, les colons blancs aux libres de couleur autour de la
question des droits politiques. Alors que la révolte met l’île à feu et à sang,
les colons se tournent vers l’Angleterre, inquiets de la tournure radicale prise
par la Révolution et conscients que le conflit maritime contre la Grande-
Bretagne (1793) empêcherait de toute façon l’envoi de l’armée pour réprimer
la révolte. La trahison des élites coloniales pousse les commissaires de la
République envoyés sur place pour faire appliquer l’égalité des droits des
libres de couleur à s’appuyer sur les esclaves révoltés : une fois réprimée la
fronde des colons, ils finissent par octroyer la liberté à tous les esclaves de
Saint-Domingue (août-septembre 1793), même si les Anglais occupent une
partie de l’île. Lorsque la nouvelle parvient en métropole, l’émotion, les
principes et la Realpolitik concourent au décret du 4 février 1794 qui
proclame l’abolition de l’esclavage dans l’ensemble des colonies françaises.

...

DES CONSÉQUENCES SYSTÉMIQUES

L’effondrement productif de Saint-Domingue stimule la production de sucre


à Cuba, jusqu’alors marginale dans les marchés mondiaux, dans les Antilles
britanniques et au Brésil : ainsi, alors que le principal marché aux esclaves a
disparu, la traite négrière se maintient partout ailleurs : si la guerre maritime
marque un ralentissement, celui-ci est moins marqué que lors de la guerre
d’Indépendance américaine. La présence militaire accrue en temps de guerre
permet par ailleurs une répression plus efficace des tentatives de révolte des
esclaves dans les colonies britanniques et espagnoles de l’espace antillais.

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Circulations et mobilité en Révolution
La fuite de Louis XVI et de sa famille illustre l’importance des relais de
poste. Partis des Tuileries en berline dans la nuit du 20-21 juin 1791, les
fugitifs vont de relais en relais jusqu’à Clermont-en-Argonne. Des cavaliers
sont censés les escorter et sécuriser les étapes. Parti à cheval, le maître de
poste de Sainte-Menehould, Drouet, qui a reconnu le roi mais n’a pas réagi
sur-le-champ, prend de vitesse le convoi royal et permet son interception à
Varennes le 22 juin.
UNE INFORMATION INÉGALE ET FRAGMENTÉE

La cartographie des réseaux postaux permet de comprendre l’inégalité des


territoires devant l’information, la complexité du gouvernement de l’espace
français, les limites des politiques d’uniformisation des normes et des
pratiques politiques comme administratives.

Une lettre postée à Paris arrive dans les deux jours dans le Bassin parisien,
atteint les départements du Finistère et du Bas-Rhin en cinq jours, mais ne
parvient à Perpignan ou à Aix-en-Provence qu’au bout de neuf jours. Les
temps de parcours varient en outre fortement en fonction du moyen de
transport employé. Ces inégalités sont essentielles pour comprendre à la fois
les délais de réaction des départements aux décisions prises à l’Assemblée
nationale à Paris, et le temps nécessaire pour qu’une information capitale
parvienne aux extrémités du territoire. Lorsque la fuite du roi est découverte,
l’Assemblée nationale prévient par exemple immédiatement l’ensemble des
chefs-lieux de département. Lyon ou Strasbourg sont informés en deux jours,
Bordeaux ou Grenoble en trois, Perpignan ou Toulon en quatre. Les
départements les plus éloignés sont prévenus en cinq jours. En revanche, la
nouvelle de l’arrestation est relayée par des correspondances privées avant
que l’Assemblée se décide à en informer officiellement le pays. En
conséquence, dans certains chefs-lieux comme à Grenoble ou Strasbourg, la
nouvelle de la fuite et celle de l’arrestation parviennent en même temps.

À partir du 1er janvier 1792, un nouveau tarif postal est appliqué. On crée
fictivement un point central pour chacun des 83 départements, la lettre est
tarifée selon la distance, calculée à vol d’oiseau de point central en point
central. La taxe est la même pour tous les bureaux postaux du département.
Des postes locales, héritées de l’Ancien Régime, sont actives au début de la
Révolution. C’est le cas de la petite poste de Lyon créée en 1778 sur le
modèle de la petite poste de Paris (1759). Elle rayonne d’ailleurs plus loin
que celle de Paris. Le service de la poste se développe tout au long de la
Révolution, indépendamment des aléas politiques : 1 466 bureaux desservent
le territoire en l’an III contre 1 320 en 1789.
...

DU GRAND TOUR ARISTOCRATIQUE À LA DÉCOUVERTE DE LA


FRANCE EN RÉVOLUTION

Dans la tradition des voyages des élites européennes des Lumières, qui
associent voyage de formation (Grand Tour) et d’agrément, des étrangers
visitent la France dans les dernières années de l’Ancien Régime et au début
de la Révolution. Arthur Young est britannique, Nicolas Karamzine russe et
Georg Forster allemand. Ils prennent des notes, tiennent un journal,
permettant de publier, une fois rentrés au pays, des récits de voyage,
fréquemment illustrés. Les Voyages en France pendant les années 1787-
1788-1789 de Young rencontrent un réel succès tout comme les Lettres d’un
voyageur russe de Karamzine. Ces sources permettent de restituer leurs
itinéraires. Ils entrent en France par la liaison Douvres-Calais et la quittent
par Strasbourg ou par le comté de Nice. Les voyages privilégient la traversée
nord-sud du territoire par la vallée du Rhône ou par le Massif central. Avec
les débuts de la Révolution, Paris accueille de nombreux patriotes européens
qui viennent assister à l’histoire en marche. C’est le cas de Georg Forster qui
accompagne le noble prussien Alexander von Humboldt, futur grand
explorateur et savant, dans son tour de formation. Il s’enthousiasme pour les
débuts de la Révolution française tout comme Goethe qui peint en 1792 sur la
Moselle une aquarelle ou l’on voit un arbre de la liberté avec en exergue :
« Passans, cette terre est libre. »
...

POUR QUE NUL N’IGNORE LA LOI

Dans un pays très majoritairement rural, où le désenclavement routier est


inachevé, et dans un contexte de régénération politique, il est impératif pour
l’Assemblée nationale constituante puis pour l’Assemblée législative de
diffuser les décisions des représentants de la nation en direction de
l’ensemble des citoyens et des cantons du territoire.

Par exemple, dans le département du Cantal, les autorités révolutionnaires du


district de Saint-Flour ne disposent que de deux bureaux de poste pour 80
communes. Les lois parviennent de Paris à Saint-Flour par voitures. Elles
sont communiquées aux cantons de Massiac, Chaudes-Aigues et Pierrefort,
accompagnées des décisions locales, par des messagers à pied. Les cantons
de Tanavelle et Ruynes prennent connaissance de la loi par des
« commodités », c’est-à-dire des marchands ou des voyageurs connus.
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L’échec de la monarchie constitutionnelle
Si 1790 fait figure d’année heureuse de la Révolution, la réalité est plus
nuancée. Les problèmes sociaux et économiques n’ont pas été réglés ; la
suppression de nombreux cadres de l’Ancien Régime a désorganisé la vie
quotidienne. Pour les modérés au pouvoir, sincèrement attachés aux principes
de 1789, révolution politique ne rime pas avec révolution sociale. Il faut
affermir l’autorité et sanctuariser la propriété, pour conjurer les risques
d’anarchie.
UN SÉISME POLITIQUE : LA FUITE DU ROI

En quittant les Tuileries, la nuit du 20 au 21 juin 1791, le roi a laissé une


déclaration à l’intention de l’Assemblée constituante qui ne laisse aucun
doute sur son hostilité à la monarchie constitutionnelle. La Fayette,
commandant de la garde nationale, et les députés modérés voient leurs efforts
pour stabiliser le nouveau régime s’écrouler. La radicalisation politique est
très rapide, les sociétés politiques plus « démocratiques » ont le vent en
poupe. Les Cordeliers réclament la proclamation de la République, position
encore largement minoritaire à l’échelle du territoire. Pourtant, les modérés
tentent contre toute évidence d’accréditer la thèse de l’enlèvement, pour
sauver non seulement les apparences mais aussi l’équilibre politique et
institutionnel auquel ils espèrent encore parvenir. Par la suite, ils insistent sur
les pressions dont Louis XVI aurait été l’objet. Leur construction politique a
en effet besoin d’un roi, si possible docile. L’image du roi est cependant
définitivement altérée. Ses opposants le présentent désormais sous les traits
de Janus bifrons – à deux visages – afin de souligner son double jeu.

Les tensions politiques et sociales prennent un tour dramatique lors de la


fusillade du Champ-de-Mars, lieu symbolique, le 17 juillet 1791, où s’étaient
réunis 5 000 manifestants. La loi martiale est décrétée, la garde nationale
ouvre le feu dans des conditions confuses. Des membres des Cordeliers sont
arrêtés, L’Ami du peuple de Marat interdit. Le club des Jacobins implose, La
Fayette et les triumvirs (Barnave, Duport, Lameth) fondent, au centre du
spectre politique, le club des Feuillants.
...

TERMINER LA RÉVOLUTION ?

Pour le triumvirat, il est temps de terminer la Révolution pour garantir les


acquis de 1789, en évitant une radicalisation politique et sociale dont les
modérés au pouvoir ne veulent pas. Duport déclare : « la Révolution est finie.
Il faut la fixer et la préserver en combattant les excès. Il faut restreindre
l’égalité, réduire la liberté et fixer l’opinion. Le gouvernement doit être fort,
solide et stable. » Pour limiter les risques de désordres sociaux, le décret Le
Chapelier, qui interdit les coalitions ouvrières, est voté le 14 juin 1791. Plus
généralement, la liberté d’association est remise en cause de même que le
droit de pétition collective. Mais les démocrates poussent les modérés dans
leurs retranchements et obtiennent la majorité sur deux sujets importants : le
droit de vote pour les mulâtres libres ainsi que la non-reconduction des
constituants dans la future Assemblée législative. Les cartes politiques seront
donc profondément rebattues aux prochaines élections. Pourtant, les modérés
pensent avoir atteint leur but, lorsque la Constitution est officiellement votée
le 3 septembre 1791 et acceptée par le roi le 13.

...

TENSIONS ET DÉSILLUSIONS

Malgré la démonstration d’unanimisme que met en scène la fête de la


Fédération (14 juillet 1790), les tensions se multiplient en 1790-1791. La
mutinerie des régimes suisses de Châteauvieux à Nancy qui avaient formé un
conseil de soldats et s’étaient mis en relation avec les sociétés politiques
locales est réprimée dans le sang par l’Assemblée et La Fayette. Dans les
campagnes, la lenteur de la liquidation du système seigneurial et le refus de
racheter les droits réels sont à l’origine de désillusions et de troubles, au
cours desquels des châteaux sont incendiés (« illuminations ») et des
symboles des anciens privilèges détruits. Les difficultés d’approvisionnement
en grains suscitent des troubles frumentaires dans les villes et des séditions
ouvrières. Les ouvriers sont en effet touchés de plein fouet par la hausse des
prix des produits alimentaires et la désorganisation du tissu économique qu’a
provoquée la suppression des corporations.

...

ÉMIGRATION ET CONTRE-RÉVOLUTION

L’émigration débute avec la Révolution mais elle s’accentue avec la


radicalisation politique et religieuse. Frère du roi, le comte d’Artois (futur
Charles X) émigre dès le 17 juillet 1789 et s’établit à Turin avec ses
partisans, puis en juin 1791 à Coblence, où il arrive avec son frère aîné, le
comte de Provence (futur Louis XVIII), qui a attendu Varennes pour quitter
la France. La Contre-Révolution se structure et tente d’articuler non sans
difficulté réseaux de renseignement – tel celui du comte d’Antraigues –
soulèvements intérieurs et intervention extérieure d’une armée des émigrés
pour reconquérir le pouvoir. Mais en août 1790 et en février 1791, la réunion
au « camp de Jalès », aux confins des départements de l’Ardèche et du Gard,
de gardes nationaux catholiques se solde par un échec en raison de
dissensions internes et de l’intervention des gardes nationaux patriotes.

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La radicalisation révolutionnaire déchire les Français comme elle divise les
historiens. Polémiquant avec l’historiographie marxiste, François Furet a
évoqué un « dérapage ». D’autres chercheurs estiment que la radicalisation
est consubstantielle au principe-même de révolution. De fait, on a sans doute
tort d’opposer la modération des débuts, notamment de 1790 considérée
comme l’« année heureuse » au durcissement de l’après-1791, a fortiori de
l’après-1792. Lorsque certains groupes d’intérêts et sensibilités politiques
estiment que leurs objectifs d’émancipation et de libéralisation sont atteints, il
est logique qu’ils cherchent à ralentir le processus. À l’inverse, ceux qui
estiment nécessaire une révolution sociale qui rebatte profondément les cartes
et ne cantonne pas les plus modestes dans un rôle de citoyen passif,
revendiquent avec véhémence une relance révolutionnaire. Faute d’être
entendus, pire parce qu’ils s’estiment injustement muselés, ils alimentent de
leurs frustrations une phase de radicalisation de la Révolution.
La France en guerre : 1792
Le 20 avril 1792, l’Assemblée législative déclare la guerre au « roi de
Bohême et de Hongrie ». Sur le front du Nord, les premiers accrochages
tournent à la débandade. La psychose de la trahison contre-révolutionnaire
s’empare de l’opinion. Les désertions d’officiers d’Ancien Régime, comme
Rochambeau, le vainqueur de Yorktown, se multiplient. La reine est
suspectée à juste titre de livrer les plans français à l’ennemi. Le 11 juillet, la
patrie est proclamée en danger.
LA PATRIE EN DANGER

La défense de la patrie est de plus en plus associée à la déchéance du roi. Le


10 août 1792, les Tuileries sont prises d’assaut par les sections parisiennes et
les gardes qui assuraient la protection du roi et de sa famille sont massacrés.
Le roi est alors « suspendu » par l’Assemblée législative qui annonce la
convocation d’une Convention nationale. Les élections sont organisées au
cours de l’été. Tout homme âgé de plus de 21 ans, domicilié depuis un an,
vivant de son revenu ou du produit de son travail et qui n’est pas domestique,
a le droit de vote.

De leur côté, les forces coalisées austro-prussiennes passent à l’offensive,


prennent Longwy et assiègent Verdun. Leur chef, le duc de Brunswick,
menace Paris d’une « exécution militaire et une subversion totale » s’il est
fait « la moindre violence au roi et à la reine ». Il déclenche la fureur
populaire. L’annonce de la chute de Verdun, qui ouvre la route de Paris aux
Prussiens, et la peur du complot contre-révolutionnaire provoquent dans les
prisons parisiennes les massacres dits de septembre. On y tue plusieurs
centaines d’aristocrates, de prisonniers de droits communs et de prêtres
réfractaires. Quand on apprend que l’armée ennemie marche sur Paris, la
panique s’empare de l’Assemblée législative. Danton prononce alors un
discours qui passera à la postérité : « Pour les vaincre, messieurs, il nous faut
de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est
sauvée ». Mais l’essentiel tient surtout dans l’idée d’une mobilisation de
toutes les forces vives de la nation : « Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle
de combattre […]. Une partie du peuple va se porter aux frontières, une autre
va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra
l’intérieur de nos villes. »
...

RÉVOLUTION, PATRIE, RÉPUBLIQUE

Sur le front du Nord, Dumouriez remplace La Fayette qui a déserté, et a été


aussitôt décrété d’arrestation. La Commune de Paris appelle les citoyens aux
armes, convoque les volontaires au Champ-de-Mars et fait sonner le tocsin.
Le 20 septembre, Dumouriez remporte, contre les Prussiens, la bataille de
Valmy, en Argonne, sur la route de Paris. On a pu discuter la portée de cette
victoire : les troupes prussiennes étaient avant tout victimes de dysenterie,
d’où la décision de Brunswick de se replier ; les volontaires français étaient
commandés par des officiers d’Ancien Régime. Il n’empêche, le symbole est
important. Ce sont des soldats de la Révolution, galvanisés par La
Marseillaise, qui se sont portés au front pour défendre la patrie en danger. Ils
vont parcourir dans les années qui suivent des milliers de kilomètres au fil
des marches et des contremarches et s’aguerrir au feu pour former le noyau
des armées de la Révolution. Au lendemain de Valmy, la Convention
nationale déclare « qu’il ne peut y avoir de Constitution que celle qui est
acceptée par le Peuple » et « que les personnes et les propriétés sont sous la
sauvegarde de la Nation ». À l’unanimité, elle décrète que la royauté est
abolie en France. La République est proclamée. Le 25 septembre 1792, elle
est déclarée « une et indivisible ». Apocryphe ou non, le mot attribué à
Goethe à propos de Valmy est donc fondamentalement exact : « D’ici et
d’aujourd’hui débute une nouvelle époque de l’histoire du monde ».
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Divisions et déchirures
Élus par les assemblées départementales, les députés officialisent l’abolition
de la monarchie. Le lendemain, le 22 septembre 1792, constitue le premier
jour de l’an I de la République. Mais les débats sur la guerre, la déchéance de
la monarchie et l’attitude à adopter par rapport à la commune
insurrectionnelle de Paris ont profondément divisé les Jacobins. Les
Girondins et les Montagnards s’opposent violemment, tandis que la
Révolution se radicalise.
GIRONDINS ET MONTAGNARDS

Lors des élections à la Convention, les Jacobins renforcent leurs positions


autour de Paris, dans le nord-est, en Bourgogne, sur l’axe Paris-Lyon, sur le
littoral atlantique de la Vendée à Bordeaux, en Provence et dans le
Languedoc. Mais la référence au club est moins pertinente que sous la
Législative. Le clivage entre « Brissotins » – du nom de l’un des chefs de file
du groupe, Jean-Pierre Brissot –, qu’on nomme désormais Girondins – en
référence au département d’origine de plusieurs d’entre eux –, et
Montagnards, par référence à leur emplacement dans l’assemblée, l’emporte.
Il faut ajouter les députés dits « à l’écart » (Alison Patrick), qui
n’appartiennent à aucun des deux partis et qu’on nommera « la Plaine » ou
« le Marais ». Trois questions majeures divisent les députés. D’abord la
guerre : pour Danton, « la nation française a créé un grand courant
d’insurrection des peuples contre les rois » ; c’est la guerre d’expansion
révolutionnaire, soutenue par les Girondins, à laquelle Robespierre s’oppose.
Elle mène les Français en Belgique, en Rhénanie, à la réunion de la Savoie et
de Nice. Les questions intérieures divisent également. Les Girondins sont
attachés au libéralisme économique. Contre l’avis des Montagnards, ils
refusent de taxer les grains, malgré les troubles frumentaires. La question du
sort du roi, enfin, est l’objet de vifs débats. Reconnu coupable le 15 janvier
1793, Louis XVI est condamné à mort à une voix de majorité (361 contre
360), la plupart des Girondins ayant voté pour l’emprisonnement suivi
éventuellement du bannissement. Il est exécuté le 21 janvier.
...

L’ÉCHEC DES GIRONDINS

D’abord au pouvoir, les Girondins ne maîtrisent pas la situation économique.


L’assignat s’effondre et les mouvements pour obtenir la taxation des prix
s’amplifient. À l’extrême gauche, les « enragés » excitent le peuple. Après la
mort du roi, l’Angleterre entre en guerre. Le 23 février 1793, une levée de
300 000 hommes, qui ne suscite pas grand enthousiasme dans le pays, est
décidée. Afin d’en surveiller le bon déroulement, la Convention décide
l’envoi dans les départements de commissaires, disposant des pleins
pouvoirs, et crée le Tribunal révolutionnaire. Or, les commissaires sont
majoritairement montagnards. Le pays est en butte à la centralisation
parisienne. Les soulèvements ruraux se multiplient tandis que, battu à
Neerwinden par les Autrichiens, Dumouriez prépare son passage à l’ennemi.
Ses liens avec les Girondins ont un effet dévastateur sur ces derniers. Au club
des Jacobins comme à la Convention, Robespierre dénonce les complices de
Dumouriez, « et notamment Brissot », et demande qu’ils soient décrétés
d’arrestation, pour l’heure sans succès. Pendant ce temps, les manifestations
de refus de la levée s’amplifient. La Convention décrète la peine capitale
pour tout individu pris les armes à la main. La Gironde est isolée, tandis
qu’en Vendée la défaite d’une colonne militaire partie de La Rochelle devient
un événement fondateur.

De véritables armées contre-révolutionnaires se structurent et Paris taxe tout


mouvement violent au sud de la Loire de « guerre de Vendée ». Les enragés
dénoncent la collusion de la Gironde et des contre-révolutionnaires qu’ils
amalgament.

Les Girondins décident de faire arrêter Marat qui est acquitté par le Tribunal
révolutionnaire : c’est un véritable camouflet. Ils décident aussi d’éliminer la
pression sans-culotte sur la Convention en arrêtant les leaders. C’est une
erreur, car la force armée parisienne est aux mains de la municipalité et des
sections, pas de la Convention. La Montagne se rallie aux sans-culottes qui
préparent l’insurrection. Entre le 31 mai et le 2 juin 1793, le bras de fer
tourne au désavantage des Girondins. La Convention est encerclée et les
députés empêchés de sortir de l’Assemblée. Sous la pression de la foule en
armes, plusieurs dizaines de députés girondins sont décrétés d’arrestation.
Détenus à leur domicile, plusieurs d’entre eux s’échappent et regagnent leurs
départements. Ils y favorisent des soulèvements contre le centre parisien.
Mais, repris, la plupart seront exécutés le 31 octobre 1793.
.
La Terreur
Après l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, la psychose du complot
contre-révolutionnaire se renforce. Pour lutter contre les coalisés et les
ennemis de l’intérieur, la Convention décrète la levée en masse. La Terreur
est mise à l’ordre du jour. L’état de guerre est perceptible partout. Cinquante-
six armées révolutionnaires vont parcourir les deux tiers du territoire. Le 10
octobre 1793, la Convention décrète que le gouvernement sera
révolutionnaire jusqu’à la paix.
LYON, « VILLE-AFFRANCHIE »

Le 2 juin 1793, lorsque les sans-culottes parisiens éliminent les Girondins à la


Convention, le hasard veut que les sans-culottes lyonnais soient arrêtés et
exécutés par les autorités municipales, qui sont révolutionnaires, mais
légalistes et hostiles aux « anarchistes ». Ce mouvement de refus des sans-
culottes se manifeste à travers tout le pays. Ces révolutionnaires locaux,
souvent de sensibilité girondine, s’opposent aux envoyés de la Convention et
entendent garder leur autonomie par rapport à Paris. Ils ne forment pas un
mouvement homogène et se trouvent coincés entre des forces royalistes
hostiles et la Convention montagnarde. Taxés de « fédéralisme », ils sont
dénoncés comme partie intégrante du complot contre-révolutionnaire. La
Convention décide de faire un exemple en détruisant Lyon. Le 12 juillet, les
Lyonnais sont décrétés traîtres et hors la loi ; le 9 août la ville est assiégée.
Elle est débaptisée et ses habitants épurés. On compte près de 2 000
exécutions.
...

DE LA TERREUR À LA GRANDE TERREUR

À partir de l’automne 1793, les armées de la Convention desserrent l’étau


ennemi sur les frontières. Il s’agit aussi de mener une guerre sans pitié aux
ennemis de l’intérieur. Le Comité de salut public et le Comité de sûreté
générale tiennent un rôle majeur dans le gouvernement révolutionnaire. Le
Comité de salut public prend le contrôle de toutes les institutions civiles et
militaires. Les représentants en mission remplacent tous les autres envoyés.

La loi des suspects est adoptée le 17 septembre. Elle vise les parents
d’émigrés, les personnes auxquelles on a refusé un certificat de civisme, ceux
qui ne peuvent justifier de leurs moyens d’existence. Tous doivent être
arrêtés et sont passibles du Tribunal révolutionnaire. La Terreur est aussi
économique : il faut mobiliser les énergies pour la guerre et nourrir la
population. Le maximum général des prix est donc décrété. Les villes
« fédéralistes » tombent entre octobre et décembre 1793. Marie-Antoinette
mais aussi le duc d’Orléans (Philippe Égalité) et 21 Girondins sont exécutés.
La loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) renforce le dispositif répressif. Les
accusés perdent la possibilité de se défendre. La Grande Terreur se concentre
alors à Paris, où 1 400 personnes sont exécutées en six semaines. Au total, sur
500 000 suspects, on peut estimer le total des exécutions à environ 40 000 (17
000 condamnations par les tribunaux et plus de 20 000 exécutions
sommaires).
...

LA RÉPRESSION EN VENDÉE

L’armée vendéenne n’a pas réussi à prendre Nantes, mais elle tient le sud de
la Loire. À partir d’octobre, les armées républicaines, soutenues par les
régiments de Kléber et Marceau, mènent une véritable guerre contre les
Vendéens. Ces derniers, vaincus à Cholet, entreprennent alors la « virée de
Galerne » qui doit leur permettre de gagner le Cotentin, prendre un port
(Granville) pour rejoindre les troupes anglaises et les émigrés. C’est un
échec. Les « Bleus » infligent ensuite défaite sur défaite aux « Blancs », les
Vendéens. Chaque camp honore ses martyrs : Joseph Bara, âgé de 14 ans,
égorgé pour avoir refusé de crier « Vive le roi » pour les républicains,
Bonchamps, chef vendéen tué devant Cholet pour les Vendéens. La
répression est terrible. Ce sont les colonnes incendiaires de Turreau et à
Nantes les massacres orchestrés par le représentant en mission Carrier. La
guerre de Vendée a causé au total dans les deux camps quelque 200 000
morts.
.
Les sans-culottes
Encouragés par les harangues et pamphlets des « enragés », Jacques Roux ou
Varlet, les sans-culottes parisiens ont attaqué boulangeries et épiceries pour
obtenir des mesures de salut public, et envahi la Convention pour éliminer la
Gironde. Ils sont au cœur du processus de radicalisation révolutionnaire,
permettant la consolidation du gouvernement et l’organisation de la dictature
de salut public.
QUI SONT LES SANS-CULOTTES ?

Une adresse de la société des sans-culottes de Beaucaire à la Convention


nationale datée de septembre 1793 décrit la manière dont ses membres se
perçoivent : « Nous sommes des sans-culottes […] pauvres et vertueux, nous
avons formé une société d’artistes – au sens d’artisans – et paysans […] nous
connaissons nos amis : ceux qui nous ont délivrés du clergé et de la noblesse,
de la féodalité, de la dîme, de la royauté et de tous les fléaux qui composent
son cortège ».

Sur le plan vestimentaire, les sans-culottes portent le pantalon rayé qui les
distingue de l’aristocrate et de l’ensemble des strates sociales supérieures.
Les représentations les montrent armés d’une pique et coiffés du bonnet
phrygien. Pour le Père Duchesne, le journal d’Hébert, « Comme [le sans-
culotte] travaille, on est sûr de ne rencontrer sa figure ni au café ni dans les
tripots où l’on conspire, ni au théâtre. Le soir, il se présente à sa section, non
pas poudré, musqué, botté, dans l’espoir d’être remarqué de toutes les
citoyennes des tribunes, mais pour appuyer de toute sa force les bonnes
motions. Au reste, un sans-culotte a toujours son sabre pour fendre les
oreilles à tous les malveillants. »
...

LE PERSONNEL POLITIQUE DES SECTIONS PARISIENNES EN L’AN


II

La diversité sociale de la sans-culotterie se manifeste dans la composition du


personnel politique des sections. Les membres des comités civils constituent
le groupe le plus ancien, le plus aisé ; ils appartiennent à la moyenne
bourgeoisie de l’échoppe ou du commerce. Peuplés initialement de citoyens
censitaires, ces comités ont été renouvelés après le 10 août 1792, mais plus
d’un quart vivent encore de leurs biens en l’an II. D’origine plus populaire, le
personnel des comités révolutionnaires est quant à lui indemnisé, puis très
vite salarié. Des boutiquiers et artisans ruinés par la perte de leur clientèle y
trouvent des moyens de subsister ; on y rencontre des compagnons et des
anciens domestiques. Parmi les simples militants, artisans et boutiquiers
l’emportent ; les salariés représentent plus de 20 % du groupe contre 9,9 %
des membres des comités révolutionnaires, et seulement 0,8 % des comités
civils.
...

LES SANS-CULOTTES MARSEILLAIS


Michel Vovelle a étudié 5 000 sans-culottes marseillais, pour une population
adulte masculine qu’il estime à 25 000 individus et une population totale à
100 000 habitants. Il évalue entre 12 000 et 15 000 le nombre total de sans-
culottes à Marseille, ce qui représente un effectif important. Le profil du sans-
culotte marseillais est le suivant : 85 % sont mariés, avec un âge moyen assez
élevé (44 ans). La mobilisation professionnelle est variable : les franges
inférieures du salariat sont sous-représentées à la différence des strates
intermédiaires de l’artisanat et des producteurs indépendants. Si le sans-
culotte est victime de la paupérisation économique et redoute la fin de son
indépendance, il ne constitue pas un prolétariat. À propos des cadres du
mouvement, on a même pu parler à Marseille comme à Paris
d’embourgeoisement. En effet, l’artisanat et le commerce fournissent
respectivement 40 et 30 % des sans-culottes marseillais, et respectivement 28
et 39 % des cadres du mouvement. Les périodes juin-juillet 1792 et janvier-
février 1793 correspondent à des pics de mobilisation. En mars 1793, les
patriotes radicaux affirment leur volonté de provoquer une nouvelle
insurrection où « Marseille la Républicaine » s’identifierait au « mouvement
révolutionnaire » en devenant la « Montagne de la République » aux côtés de
la Montagne de la Convention (Jacques Guilhaumou) : « Frères et amis,
saisissons nos armes ! Levons-nous ! Que le peuple souverain se montre dans
toute sa force et dans toute sa majesté. Et nous aussi, nous sommes de la
Montagne. Les sans-culottes, vrais républicains de Marseille, se sont levés.
Levez-vous, armez-vous. C’est au peuple de se sauver lui-même, comme il le
fit dans les crises mémorables de notre révolution. Aujourd’hui, c’est à nous,
frères et amis, qu’il appartient d’imprimer à la France le dernier mouvement
révolutionnaire et de sauver, à notre tour, Paris, qui tant de fois nous a sauvés
tous. »
.
La déchristianisation
La déchristianisation de l’an II est le fait d’initiatives ponctuelles, qui se
déploient entre vendémiaire et brumaire an II, pour détruire les églises et
même les religions établies. Œuvre d’activistes, elle traumatise les
populations. La Convention et le gouvernement révolutionnaire ne la
reprennent pas à leur compte. Danton puis Robespierre ont dénoncé la vague
déchristianisatrice.
LA VAGUE DÉCHRISTIANISATRICE

La déchristianisation de l’an II prend des formes variées. Elle vise à éradiquer


tout ce qui tient au fanatisme et à la superstition : fermeture d’églises,
descentes de cloches, autodafés de livres saints, abdications (entre 17 000 et
20 000) et mariages de prêtres. À Reims, la sainte ampoule des sacres royaux
est brisée ; des cortèges grotesques sont organisés avec des personnages
déguisés en clercs et juchés sur des ânes. La déchristianisation ouvre aussi sur
le culte de la Raison et des martyrs de la liberté. Le mouvement est
particulièrement sensible dans le Bassin parisien, la France du Nord et dans le
Centre. Il se diffuse à travers la Bourgogne le long de l’axe Saône-Rhône. Le
quart nord-ouest et le Sud-Ouest sont moins touchés. Les adresses à la
Convention permettent de distinguer plusieurs Frances. Dans le Midi,
l’initiative revient aux sociétés populaires, en particulier en Provence et dans
la basse vallée du Rhône, tandis que les municipalités sont à la commande
dans les villages du Bassin parisien. Sur le pourtour du territoire, où la
déchristianisation, minoritaire, rencontre de fortes oppositions, elle est
significativement lancée par les administrations de département et de district.
Lorsque la déchristianisation est la plus minoritaire, comme en Bretagne, en
Lorraine ou dans le sud du Massif central, le mariage des prêtres, mesure
radicale par excellence, constitue véritablement la rupture. Quelques années
après le bicentenaire de 1789, l’historien Michel Vovelle pouvait
affirmer : « on assiste aujourd’hui à une réévaluation sensible du poids du
facteur religieux dans le processus de politisation dont la Révolution
française a été le lieu ».
...

DU TRAUMATISME À LA RÉSISTANCE
Les commissions militaires condamnent à mort plusieurs milliers de femmes
pour avoir suivi la messe d’un prêtre réfractaire. Certains représentants en
mission sont particulièrement actifs, comme Fouché dans la Nièvre, auquel
s’opposent violemment des femmes réclamant le retour de la religion. Les
partisans de Jacques-René Hébert, qui publie Le Père Duchesne marqué par
sa vulgarité et ses appels au meurtre, promeuvent, pour combler le vide laissé
par la vague déchristianisatrice, le culte des trois martyrs de la liberté : Marat,
Le Peletier et Chalier. En Alsace, l’opposition des ruraux se traduit par « la
grande fuite » de plusieurs milliers d’entre eux en Allemagne. De nombreux
prêtres émigrent, notamment en Angleterre et en Espagne, souvent dans des
conditions difficiles. Certains réussissent à maintenir le lien avec leurs fidèles
qui s’organisent pour résister et continuer à pratiquer leur foi.
...

LE CULTE DE L’ÊTRE SUPRÊME

Le 21 novembre 1793, Robespierre, conscient que la déchristianisation aliène


l’opinion à la Convention, s’oppose aux hébertistes qui soufflent sur
l’incendie : « Le fanatisme est un animal féroce et capricieux […], l’athéisme
est aristocratique, l’idée d’un grand être qui veille sur l’innocence opprimée
et qui punit le crime triomphant est toute populaire. » Six jours plus tard le 7
frimaire an II, la Convention proclame la liberté et le respect des cultes, mais
sans réussir à désamorcer le mouvement. Hébert est contraint d’assurer son
attachement à Jésus, « fondateur des sociétés sans-culottes ». Alors que
s’affrontent les « indulgents » autour de Danton et de Desmoulins avec son
journal Le Vieux Cordelier, et les « enragés » dont Hébert est le porte-parole
avec Père Duchesne, le gouvernement révolutionnaire, pris entre deux feux,
décide d’éliminer les deux « factions ». L’appel à l’insurrection d’Hébert le
14 ventôse an II (14 mars 1794) précipite sa chute. Le 24 mars, il est
guillotiné avec ses partisans ; le 5 avril, c’est le tour des dantonistes et des
Indulgents.

Face au culte de la Raison et des martyrs de la liberté, Robespierre favorise le


culte de l’Être suprême. Le 18 floréal an II (7 mai 1794), dans son rapport sur
les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans
l’administration intérieure de la République, il souligne que « l’Idée de l’Être
suprême et de l’Immortalité de l’âme est un rapport continu à la justice. Elle
est donc sociale et républicaine ». La Convention décrète que le peuple
français « reconnaît l’existence de l’Être suprême et de l’immortalité de
l’âme ». Mise en scène par David, la plus importante des fêtes en l’honneur
du « Grand Ordonnateur » a lieu à Paris le 20 prairial (8 juin). Robespierre,
élu président de la Convention la veille, embrase une allégorie de l’athéisme.
.
Une politique de guerre
La politique de guerre est centrale pour comprendre la radicalisation
politique, la dictature du Comité de salut public et la centralisation
administrative en faveur des comités de gouvernement mis en place par la
Convention. Lorsque l’étreinte ennemie se desserre avec les succès des
armées de la République, la politique de guerre ne se relâche pas. La pression
exercée par les fronts intérieurs et la psychose née des complots contre-
révolutionnaires légitiment un régime d’exception.
UNE MOBILISATION GÉNÉRALE

Les levées massives d’hommes décrétées par la Convention changent la


donne de la guerre et du rapport que les Français entretiennent avec elle.
L’impôt du sang est inégalement réparti avec un fort tropisme nord-est, de la
Haute-Normandie à la Franche-Comté. En revanche, le refus des levées est
nettement marqué dans l’Ouest, le Centre – à l’exception d’une zone couvrant
le Berry et le Limousin –, le Midi, sauf certains districts aquitains. Il s’agit
d’équiper et d’approvisionner une armée de quelque 600 000 hommes, ce qui
nécessite une logistique complexe et efficace. Les savants sont mis à
contribution dans le domaine des armes techniques : artillerie, génie, ballons
d’observation. L’impulsion décisive est donnée par le Comité de salut public.
Pour des raisons d’efficacité et de discipline, Carnot s’oppose aux Hébertistes
qui poussent leurs représentants en quelques jours au « généralat », destituent
ou exécutent des officiers de métier, et procèdent sans nuance à l’amalgame
entre troupes aguerries et volontaires. Avec le soutien de Robespierre, Carnot
maintient le professionnalisme et protège certains officiers. La discipline est
imposée et Saint-Just « jacobinise » l’armée pour s’en assurer le contrôle.
Pour Barrère qui rapporte devant la Convention au nom du Comité de salut
public le 1er août 1793, il est essentiel de protéger Paris : « Des troupes
réglées considérables et des forces de réquisition vont former des camps entre
Paris et l’armée du Nord. Il faut couvrir une cité qui a tant fait pour la liberté
dont elle est le théâtre ; il faut défendre une cité qui est l’objet des calomnies
des fédéralistes, de la haine des aristocrates et de la colère des tyrans ; il faut
protéger le centre des communications, la résidence de la première des
autorités publiques, le foyer de la révolution, le réservoir de la fortune
publique et le lieu de tous les établissements nationaux. »

La mobilisation est également intérieure ; les armées révolutionnaires


deviennent alors « l’instrument de la Terreur dans les départements », selon
l’historien anglais Richard Cobb. L’armée révolutionnaire parisienne est de
loin la plus nombreuse. Elle intervient sur 28 départements, bien au-delà du
Bassin parisien. Localement, les armées révolutionnaires peuvent compter de
1 000 à 2 000 hommes, mais parfois quelques dizaines de volontaires
seulement. Elles sont issues des initiatives prises par des représentants en
mission, des sociétés populaires et des autorités locales. Ces armées et leurs
déplacements témoignent de l’ampleur d’une politique de guerre et de la
généralisation de ces impacts sur le territoire de la République.
...

LA VICTOIRE DE FLEURUS (26 JUIN 1794)

Les armées de la République remportent une victoire décisive à Fleurus le 8


messidor an II (26 juin 1794), qui marque un tournant dans la guerre contre la
coalition. À cette occasion, un aérostat est utilisé pour la première fois à des
fins d’observation militaire. À la tête de 89 000 soldats français (dont 8 000
ne sont pas engagés), Jourdan et Kléber affrontent 52 000 Autrichiens et
Hollandais. Le duc de Saxe-Cobourg qui commande ces derniers attaque les
Français pour protéger ses arrières menacés par le siège puis la prise de
Charleroi par Jourdan, le 25 juin. Ignorant la chute de la ville, les cinq
colonnes d’attaque de Saxe-Coburg infligent de très lourdes pertes aux lignes
françaises. Mais l’armée française, plus nombreuse, parvient à résister et à
contre-attaquer. Saxe-Cobourg bat en retraite de l’autre côté de la Meuse le
lendemain, malgré des pertes deux fois inférieures à celles des Français. Un
mois plus tard, les armées de la République sont à Anvers.

...

LE FRONT INTÉRIEUR

Les cartes des départements concernés par les déplacements des armées
révolutionnaires et des lieux de combat montrent que, si le Nord et l’Est sont
directement au contact de la guerre étrangère, il en va aussi de l’ensemble des
frontières, y compris à l’Ouest avec les opérations de la marine britannique et
des forces contre-révolutionnaires. Front intérieur et front extérieur se
rejoignent alors. Le rapport de Barrère à la Convention fait expressément le
lien entre les deux menaces : « Nous aurons la paix le jour que l’intérieur sera
paisible, que les rebelles seront soumis, que les brigands seront exterminés.
Les conquêtes et les perfidies des puissances étrangères seront nulles le jour
que le département de la Vendée aura perdu son infâme dénomination et sa
population parricide et coupable. Plus de Vendée, plus de royauté ; plus de
Vendée, plus d’aristocratie ; plus de Vendée, et les ennemis de la république
ont disparu. »

L’idée d’une République acculée sur ses frontières et menacée de l’intérieur


par des ennemis mortels légitime les mesures répressives et des levées
d’hommes qui mobilisent l’ensemble du territoire cette fois. Le
développement des missions des agents du Comité de sûreté générale hors de
Paris est particulièrement significatif : il s’agit de s’assurer du contrôle de
l’axe Paris-Lyon, de maîtriser l’environnement proche de la capitale
(Picardie, Nord) et de pousser jusque dans les départements de l’Ouest qu’il
faut reprendre.
.
L’Europe des patriotes
Si 1789 a suscité dans toute l’Europe une curiosité et un intérêt non
dissimulés, la radicalisation révolutionnaire met à l’épreuve les patriotes. Il
en va de même aux États-Unis où Thomas Jefferson qui cherche à justifier la
politique de la Convention est largement critiqué. Restent seuls en course les
patriotes et radicaux, comme Cloots, Forster ou Paine qui abandonnent le
cosmopolitisme d’Ancien Régime pour un universalisme militant, et se font
élire à la Convention.
JACOBINS OU PATRIOTES ?

Avec le développement des théories de la subversion révolutionnaire, il ne


fait pas bon être taxé de jacobin. Pour Catherine II, impératrice de Russie, qui
a largement abandonné son soutien aux idées des Lumières, la Pologne est
devenue une « jacobinière ». En réalité, à la psychose du complot contre-
révolutionnaire largement répandue en France correspond en creux celle du
complot révolutionnaire. En Angleterre, la caricature politique se déchaîne
contre les radicaux. Le député James Fox est systématiquement coiffé du
bonnet rouge des sans-culottes. Si les sociétés patriotiques radicales sont
largement implantées hors de France, patriotes et radicaux se définissent
rarement comme jacobins. Ils tiennent à l’autonomie de leur engagement et
de leur projet politique et ne reçoivent pas passivement les idées
révolutionnaires françaises, mais les empruntent de manière sélective. Il
n’empêche, la radicalisation révolutionnaire et son audience justifient aux
yeux des autorités des lois d’exception contre les sociétés secrètes et une
censure renforcée. À Londres, le Parlement discute d’une loi contre les
sociétés illégales en 1799. Le « comité secret » de la Chambre des communes
prétend détenir les « preuves irréfutables d’une entreprise systématique,
mûrie de longue date et orchestrée depuis la France en relation avec des
traîtres en Grande-Bretagne, de destruction des lois, de la constitution, du
gouvernement, et de toute forme d’ordre civil ou religieux tant dans le
royaume de Grande-Bretagne que dans celui d’Irlande, et de dissolution de
l’union entre les deux royaumes ». La loi est adoptée en juillet, certaines
dispositions s’appliqueront jusqu’en 1967.
...

À L’EST, UN RECRUTEMENT ORIGINAL

Les mouvements « jacobins » sont très divers par leur intensité, leur
recrutement social et numérique, leurs objectifs et leurs actions réellement
entreprises. Ainsi, dans les États des Habsbourg, les « jacobins » viennois,
malgré leur caractère attachant et leur envergure individuelle, sont très isolés,
sans base populaire – ils se recrutent dans la noblesse, les administrations et
les cadres intellectuels –, tout comme à Prague. En Hongrie, le mouvement,
un peu plus étoffé, recrute dans la petite noblesse ou parmi les serviteurs
« intellectuels » de l’aristocratie : précepteurs et secrétaires. Il prend très vite
une dimension d’affirmation nationale que l’on retrouve au cours des
révolutions du XIXe siècle. Dans tous les cas, ceux qui se considèrent
fondamentalement comme des patriotes se sont éveillés aux enjeux
réformateurs des Lumières au sein des loges maçonniques et des sociétés de
lecture.
...

ANACHARSIS CLOOTS ET LA RÉPUBLIQUE UNIVERSELLE

La trajectoire de Jean-Baptiste « Anacharsis » Cloots illustre le caractère


tragique de la radicalisation révolutionnaire et le formidable espoir qu’elle a
représenté pour ceux des partisans des Lumières radicales qui ont prolongé
leur engagement jusqu’au jacobinisme. Gallophile assumé, installé en France
dès 1780, puis à nouveau en 1789, devenu Anacharsis, Cloots se proclame
ambassadeur puis orateur du genre humain. Citoyen français en août 1792, il
est élu à la Convention et préside même un temps le club des Jacobins. Mais
Robespierre lui reproche sa volonté d’exporter la Révolution par les armes,
qui l’avait un temps rapproché des Girondins, et son activisme
déchristianisateur. La Convention l’exclut au motif « qu’aucun individu né en
pays étranger ne peut représenter le peuple français ». Cloots est condamné à
mort par le Tribunal révolutionnaire avec les Hébertistes et exécuté le 24
mars 1794.
...

DES LUMIÈRES AU JACOBINISME


La révolution qui donne naissance à la république de Mayence n’est pas un
produit d’importation française, comme un survol chronologique trop rapide
peut le laisser croire, la fondation du club des Jacobins, la Société des amis
de la Liberté et de l’Égalité, le 23 octobre 1792, survenant deux jours
seulement après la reddition de la ville au général Custine. Les discours des
clubistes témoignent en effet de l’appropriation des messages
révolutionnaires français et de leur adaptation au contexte rhénan. Surtout,
Mayence est, dès le début des années 1780, un centre actif des Lumières
radicales grâce à l’attitude tolérante du prince-Électeur. Les Aufklärer
(hommes des Lumières) se retrouvent dans les loges maçonniques, puis dans
les rangs des Illuminaten (les célèbres Illuminés de Bavière stigmatisés par
l’abbé Barruel dans ses Mémoires pour écrire l’histoire du jacobinisme),
partisans d’une transformation radicale de la société, mais par en haut. À
Mayence comme à Bonn, ces universitaires et administrateurs animent des
sociétés de lecture (Lesegesellschaften). Ils forment le cœur du club des
Jacobins et les cadres de la république de Mayence en 1792-1793. Citons
Franz Konrad Macke (1756-1844), commissaire de police devenu procureur
de la Commune puis maire de la ville fin 1792, partisan de l’annexion de la
Rhénanie et commissaire du gouvernement près l’administration municipale
en 1798, ou Johann Heinrich Rudolf Eickemeyer (1753-1825), professeur de
mathématiques à Mayence en 1784, doyen de la Faculté en science camérale
en 1792, officier d’artillerie et ingénieur militaire, devenu en 1793 général de
brigade de l’armée française. L’envergure des individus considérés a
indiscutablement donné de la consistance aux accusations lancées contre la
franc-maçonnerie d’avoir nourri en son sein les germes révolutionnaires, et
aux Lumières d’être, plus globalement, responsables de la corrosion accélérée
de l’ordre ancien.

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Les républiques sœurs
Après Fleurus, l’invasion de la Hollande et l’avancée de Bonaparte en Italie
changent les perspectives de la guerre : d’une défense de la République et de
ses extensions « naturelles » face à l’Europe coalisée, la France passe à une
guerre de conquête. La création de « républiques sœurs » permet de
s’entourer d’États tampons qui protègent les frontières françaises tout en
alimentant les caisses de la République et de ses agents.
EXPORTER LA RÉVOLUTION ?

Désormais à l’offensive sur le plan militaire, la France du Directoire semble


envisager une sortie de la Révolution par un repositionnement fort du pays au
sein de l’Europe. Entre 1796 et 1799, la France s’entoure de républiques
sœurs, qui remplacent les souverains d’Ancien Régime et les anciennes
oligarchies aristocratiques. Leur création, dépendante de l’intervention
militaire française, repose sur la convergence momentanée d’intérêts entre la
République française, désireuse avant tout de protéger ses frontières et, après
la paix de Bâle (1795), de mieux négocier la paix avec les puissances encore
en guerre, et les patriotes locaux, souhaitant réformer leurs institutions sans
faire appel aux masses et en s’épargnant les excès de la Terreur.

Le coût de l’aide française pour « libérer » ces territoires est partout élevé :
réquisitions, contributions en nature, en argent, en hommes, « douceurs »
versées sous le manteau pour alléger le poids de l’occupation alourdissent la
facture et exaspèrent les populations. Le masque d’une guerre de libération
menée par la France tombe lors du traité de Campoformio (1797), par lequel
Bonaparte négocie la reconnaissance autrichienne de l’annexion de la
Belgique contre la cession de la Vénétie à l’Autriche, renouant ainsi avec les
pratiques de marchandage d’Ancien Régime et mettant le Directoire devant le
fait accompli. Les patriotes italiens, qui espéraient l’appui français pour créer
un État unitaire, crient à la trahison. Il reste que l’expérience, même courte,
des républiques sœurs a permis de sensibiliser et former un embryon de
classe dirigeante locale, et de mener en peu de temps des réformes passant
outre les résistances et oppositions qui les avaient empêchées pendant des
décennies.
...

LA PÉNINSULE ITALIENNE FACE À LA RÉVOLUTION (1789-1795)

La Révolution française bloque le processus réformiste qui avait été


enclenché dans plusieurs états de la péninsule dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle : les souverains redoutent la contagion des masses populaires,
potentiellement sensibles aux messages antiseigneuriaux. La Révolution
divise les élites italiennes entre adversaires farouches, qui dénoncent la
menace contre les valeurs matérielles, morales et religieuses, et les modérés
qui, tout en redoutant les « excès », ne sont pas hostiles aux projets
constitutionnels du tiers état. Si le tournant de 1792-1793 éloigne, ici comme
ailleurs en Europe, nombre de sympathisants, une minorité de bourgeois et
d’aristocrates passe à l’action : ce sont les « jacobins » ou « patriotes ». Ces
groupes dédaignent tout lien avec les masses populaires ; leurs complots
(Bologne et Naples en 1794, Palerme en 1795) sont facilement déjoués par la
police. Désormais, l’espoir des jacobins de subvertir les institutions repose
sur l’intervention des armées françaises.

...

LA CAMPAGNE D’ITALIE ET LE TRIENNIO (1796-1799)

L’invasion de l’Italie par l’armée française de Bonaparte au printemps 1796


est avant tout une diversion pour alléger le front du Rhin. Son succès ouvre
toutefois rapidement de nouvelles perspectives. Les objectifs militaires et les
ambitions politiques françaises évoluent sans plan préconçu, en fonction du
sort des armes. Si certains territoires demeurent occupés, dans l’attente des
négociations de paix, l’appui français et l’activisme des « patriotes » locaux
aboutissent ailleurs à la création des républiques sœurs. En trois ans, la carte
politique et les institutions de la péninsule sont bouleversées. Cette
expérience, avec ses élans constitutionnels, ses réformes et ses acquis
démocratiques, et la participation au gouvernement d’hommes jusque-là
exclus de la chose publique, est fondamentale pour comprendre la manière
dont le Triennio influence les attitudes des élites et des masses populaires
pendant et après l’ère napoléonienne.
...

LA CHUTE DES RÉPUBLIQUES SŒURS ITALIENNES (1799)

L’expansion française vers le Nord, en Italie et en Méditerranée (Malte,


Égypte) provoque la formation de la seconde coalition en 1798. Dépendantes
de la présence des armées françaises, les républiques sœurs italiennes
s’effondrent dès le printemps 1799 face aux succès des armées austro-russes
et des mouvements armés des masses paysannes, guidées par le clergé et
exaspérées par les exactions françaises. Naples cède en juin 1799, la
répression y est féroce : « Tout ce qu’elle renfermait de citoyens
remarquables par leurs principes, leur courage et leurs talents, fut sacrifié »,
constate Vincenzo Cuoco, l’un des rescapés, qui attribuera l’échec napolitain
à la transposition de principes français abstraits à la réalité italienne
(« révolution passive »). L’image d’une populace superstitieuse et violente
légitimera la mainmise des élites sur les structures de gouvernement avant et
après l’unité.

.
Les modifications du commerce atlantique
La révolte des esclaves à Saint-Domingue, la guerre maritime, et l’abolition
de l’esclavage dans les colonies françaises modifient radicalement les circuits
du commerce transatlantique, source de richesse des ports français avant la
Révolution. Alors que d’autres colonies prennent la relève de la production
sucrière, les marchés européens se passent, grâce aux neutres, de
l’intermédiation de la France, ce qui affecte en profondeur sa position dans le
commerce international.
UN COMMERCE COLONIAL BOULEVERSÉ

À la veille de la Révolution, la France est, grâce à Saint-Domingue et aux


autres îles antillaises, le principal producteur de sucre et de café au monde.
Ces denrées coloniales parviennent obligatoirement en France, en vertu du
régime de l’exclusif, qui interdit tout commerce direct entre les colonies et les
pays étrangers. Les ports métropolitains réexportent ensuite une large partie
de ces produits vers le reste de l’Europe et se réservent ainsi l’essentiel des
bénéfices. Ces échanges sont régulièrement bouleversés à l’occasion des
conflits, qui empêchent les négociants français de commercer en toute
sécurité avec les colons. Se mettent alors en place des circuits détournés,
avant que le retour à la paix permette de rétablir le régime de l’exclusif. La
période révolutionnaire ajoute toutefois une dimension singulière, car la
révolte des esclaves de Saint-Domingue et l’abolition de l’esclavage dans les
colonies françaises affectent en profondeur le cadre productif, et pas
uniquement les circuits du commerce. Alors que les Antilles britanniques,
Cuba et le Brésil accroissent progressivement leur production,
l’approvisionnement du continent européen est largement assuré par les
négociants et les navires neutres. Les États-Unis, en particulier, voient leur
commerce extérieur exploser à partir de 1793 : cette croissance repose
largement sur la réexportation des produits antillais, asiatiques et européens,
préalablement importés aux États-Unis pour se mettre en règle vis-à-vis des
législations contraignantes des belligérants, qui interdisent toute liaison
directe entre deux ports ennemis. Les changements dans la nature des
cargaisons des navires américains qui parviennent à Bordeaux avant et après
1793 illustrent clairement ces mécanismes de substitution. Les navires
américains sillonnent à cette époque toutes les mers de la planète, mais sont
tout particulièrement nombreux en Europe. Entre 1800 et 1810, Bordeaux
constitue la seconde principale destination européenne au départ de New
York.
...

LA RÉORGANISATION DES ÉCHANGES MARITIMES VUE DE


BORDEAUX

Principal port colonial français dans la seconde moitié du XVIIIe siècle,


Bordeaux maintient son commerce transatlantique après 1793 grâce aux
navires neutres, scandinaves et américains pour l’essentiel. Alors qu’une
quarantaine de navires nord-américains arrivent à Bordeaux en 1791, en
général chargés de tabac, leur nombre dépasse 350 en 1795. Ils transportent
alors des céréales et du riz – la France souffrant d’une grave disette en
1794 –, mais aussi et surtout des denrées coloniales. En quittant Bordeaux,
les navires américains assurent l’exportation du vin vers les marchés
européens et coloniaux, évitant à la ville l’asphyxie économique.
Nominalement neutres, navires et cargaisons sont en fait souvent la propriété
de négociants bordelais. Plusieurs négociants bordelais s’installent par
ailleurs aux États-Unis, soit en fuyant Saint-Domingue, soit dans le cadre
d’une stratégie de redéploiement familial à partir du port girondin. Les
Américains continueront à desservir massivement Bordeaux jusqu’en 1808,
lorsque l’évolution du contexte international limitera fortement la navigation
neutre. Reste que les bénéfices du commerce de réexportation des denrées
coloniales et de la traite négrière échappent désormais largement au négoce
français.
...

LA PERTE DES MARCHÉS FRANÇAIS DE RÉEXPORTATION

En 1789, Bordeaux expédiait les trois quarts du sucre et du café importés


depuis les Antilles vers les ports d’Europe du Nord : Hambourg absorbait
21 % du sucre et 46 % du café exportés par la ville girondine. Ces marchés
sont perdus après 1793 : si le port de Bordeaux continue à être approvisionné
par les navires neutres, il perd les marchés des réexportations coloniales.
Entre 1790 et 1795, les négociants de Hambourg ont changé de fournisseurs
et s’approvisionnent directement aux Antilles, à Londres ou aux États-Unis,
comme en témoigne la croissance du nombre de navires entrés en droiture à
Hambourg depuis les États-Unis. Port neutre – quoiqu’en position délicate en
raison de son appartenance au Saint Empire Romain Germanique –,
Hambourg accroît fortement son commerce dans les années 1790 et s’affirme
comme le principal entrepôt commercial du nord, favorisé par le déclin
d’Amsterdam occupé par les Français en 1795.
.
Bilan de la vente des biens nationaux
La nationalisation des biens appartenant au clergé, puis de ceux des émigrés
permet une redistribution massive, quoique inégale, de la propriété foncière,
fondement de la richesse et source de prestige dans la France d’Ancien
Régime. Ce choix permet d’absorber largement la dette écrasante léguée par
les Bourbons à la France révolutionnaire sans avoir recours aux impôts, et
attache à jamais à la cause de la Révolution tous les acquéreurs de biens
nationaux.
UN CHOIX POLITIQUE MAJEUR

Pour faire face à la crise financière avant la refonte du système fiscal, les
gouvernements révolutionnaires sont contraints d’adopter des solutions
d’urgence, dont la vente des biens nationaux et le recours aux assignats, qui
ont des conséquences énormes. La mise sur le marché des biens de l’église,
décidée en novembre 1789, puis des biens des émigrés (1792), affecte la
structure sociale et économique de la France (« l’événement le plus important
de la Révolution », Bernard Bodinier et Éric Teyssier) mais conditionne
également les équilibres politiques, liant à la Révolution les acquéreurs, mais
éloignant les catholiques jusqu’au Concordat de 1801.
...

UN PHÉNOMÈNE D’AMPLEUR INÉGALE

L’importance de la vente des biens du clergé et des émigrés ne doit pas faire
oublier que la multiplicité des situations rend peu significative toute moyenne
nationale : d’un district à un autre, voire entre deux communes limitrophes,
les surfaces mises en vente et leur valeur varient énormément, en fonction de
la richesse de l’Église et de la présence d’émigrés. De même, la possibilité de
payer les achats en assignats, dont la valeur est théoriquement garantie par les
biens nationaux, rend vaine toute velléité de chiffrer ce que l’opération a
réellement rapporté à l’État sur le plan financier, car les paiements
s’échelonnent dans le temps, avec des assignats en chute libre dès 1792. En
revanche, le bilan politique est indéniablement positif pour la Révolution, car
l’opération attache à celle-ci les acquéreurs qui, en France comme dans les
départements annexés, ont tout à craindre d’un retour de l’Ancien Régime.
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À QUI PROFITENT LES VENTES ?

La vente de biens nationaux a mis sur le marché 10 % du territoire français et


de nombreux immeubles urbains : 12 % des biens parisiens ont ainsi changé
de propriétaire. 600 000 Français en ont profité. Un tiers des biens – surtout
de petites parcelles – a été acquis par des paysans : le nombre des
propriétaires exploitants s’accroît ainsi de 10 %. Mais ce sont les
bourgeoisies urbaines qui accaparent l’essentiel. La propriété foncière devient
au même moment la base du principal impôt direct et, de ce fait, la clé
d’accès aux droits politiques sur la base censitaire bientôt introduite. Une
partie des anciens couvents est reconvertie en bâtiments industriels, facilitant
ainsi de nouvelles entreprises ou l’agrandissement d’établissements existants.
Au-delà des mesures globales, la situation sur le terrain varie énormément en
fonction de la puissance des bourgeoisies urbaines et de l’intérêt qu’elles
portent aux biens plus rentables. Dans le département de la Gironde, les
Bordelais acquièrent sans surprise la quasi-totalité des lots dans la commune
de Bordeaux, et plus de la moitié de ceux du district. Sans être majoritaires,
leurs achats sont également importants dans les districts limitrophes et
viticoles de Lesparre, Bourg et Cadillac, mais moins sensibles ailleurs, où les
ruraux et les habitants des autres villes du département ont une chance réelle
d’accéder à la propriété ou de conforter leur assise foncière.
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Le coup d’État de brumaire marque un tournant dans l’histoire de la
Révolution et ouvre sur une période marquée par un exécutif fort, qui ferme
tout débat public et réduit singulièrement les formes d’expression de la
volonté nationale introduites par la Révolution. À ce prix, la pacification de la
société française, clivée par le schisme religieux et les violents conflits
politiques de la décennie révolutionnaire, devient possible. Elle passe par la
recomposition des élites autour de la propriété foncière, et permet de faire
collaborer, au sein de l’État, anciens émigrés et révolutionnaires.
D’importants chantiers de réformes sont ainsi achevés. Après une tentative
pour aboutir à un nouvel équilibre européen qui ramènerait la paix, et
permettrait la reprise en main des colonies et le rétablissement de l’esclavage,
a France napoléonienne reprend une politique expansionniste qui transforme
durablement la carte politique de l’Europe, tout en affectant aussi le monde
américain.
La fin de la Révolution
Après le coup d’État de brumaire en 1799, le pouvoir est exercé fermement
par Bonaparte, qui limite tout débat politique et prétend incarner la volonté
générale. Si le suffrage est universel, l’élection directe des représentants du
peuple disparaît : le corps législatif est formé sur une base censitaire par le
régime, à partir des noms proposés par les électeurs. Au bout de quatre ans, la
République a à sa tête un empereur qui réintroduit une logique dynastique.
CONSTITUTIONS ET PLÉBISCITES

Après le coup d’État, la Constitution instaurant le Consulat est soumise à


l’approbation des Français par plébiscite. Sur près de 8 millions d’électeurs
potentiels, plus de 80 % s’abstiennent : il n’y a que 1,5 million de votes
favorables. Une gigantesque manipulation de chiffres est alors orchestrée par
Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur : on ajoute un demi-million de
« oui » de l’armée de terre (qui n’a pas voté) et de la Marine, et 900 000 votes
répartis sur tous les départements : 7 000 votes par département dans le Sud-
Ouest, 13 000 dans le Sud-Est. Les résultats truqués donnent 3 011 007
d’électeurs favorables et 1 562 voix contraires. En l’an X, un nouveau
plébiscite a lieu : insatisfait du sénatus-consulte du 8 mai 1802 qui prolonge
son mandat de dix ans, Bonaparte se tourne vers les Français pour leur
demander de lui attribuer le titre de consul à vie. Le résultat, favorable, est
entériné par le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802). Enfin, le
sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804) confie le gouvernement
de la République à un empereur : Napoléon. Le texte prévoit que la dignité
impériale se transmet de manière héréditaire, de mâle en mâle, mais sur cette
question – et non sur la transformation du Consulat en Empire – l’article 142
prévoit un plébiscite. Les résultats officiels donnent 3,5 millions d’électeurs
favorables et 2 568 voix contraires.
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UN POUVOIR LÉGISLATIF BRIDÉ

La constitution de l’an VIII est un texte court, sans préambule, et dépourvu


de toute déclaration des droits. Si le système représentatif est maintenu, le
pouvoir exécutif, confié à trois consuls nommés pour dix ans et rééligibles,
repose tout entier entre les mains du Premier Consul, Napoléon Bonaparte.
L’initiative des lois lui revient.

Le pouvoir législatif est réparti entre plusieurs assemblées, aux compétences


réduites. Les projets de loi, préparés par le Conseil d’État, sont discutés au
Tribunat qui exprime son avis à bulletin secret, sans pouvoir les modifier.
Après avoir entendu les avis du Tribunat et du Conseil d’État, le Corps
législatif adopte ou rejette la loi, sans pouvoir la discuter. Ces corps ne sont
pas pour autant entièrement soumis à Bonaparte et aux ministres, que celui-ci
nomme et révoque librement, comme le montre le refus essuyé par le premier
projet de Code civil, ou l’opposition vivace à la création de la Légion
d’honneur. Dans les années qui suivent, leur pouvoir est limité, et en 1807 le
Tribunat est supprimé. Napoléon gouverne en manière croissante par décret,
et en s’appuyant sur le Sénat.
...

LES SÉNATEURS, SERVITEURS FIDÈLES

D’après la Constitution de l’an VIII, il revient au Sénat de vérifier les lois et


les actes du pouvoir exécutif et de procéder à la nomination des membres du
Corps législatif et du Tribunat à partir des listes de candidats proposés par les
collèges électoraux. Toutefois, face aux lacunes de la Constitution, le Sénat
acquiert progressivement un véritable pouvoir législatif et constitutionnel via
les sénatus-consultes, décisions ayant valeur de loi dont la Constitution de
l’an X attribue l’initiative exclusive au Premier Consul. Pour récompenser
ces serviteurs fidèles, cette même constitution crée une sénatorerie dans le
ressort de chaque tribunal d’appel. Il s’agit d’un domaine comprenant
bâtiments et terres et rapportant entre 20 000 et 25 000 francs de rente par an,
ce qui double les revenus du sénateur ainsi distingué. Les domaines, pris sur
les biens nationaux, sont octroyés par le Premier Consul à l’un des trois
candidats proposés par le Sénat. Pour éviter de donner un pouvoir local réel
aux titulaires, les domaines peuvent se composer de biens situés dans des
départements différents. L’établissement des sénatoreries s’accompagne de
marques de prestige – comme l’entrée solennelle avec les honneurs militaires
dans le palais résidentiel de la sénatorerie – qui rappellent les honneurs dus
aux anciens gouverneurs, et réintroduisent l’inégalité au sein du corps social.
Mais la sénatorerie lie surtout distinction sociale et propriété foncière,
accompagnant la reconstitution des élites autour de la propriété.

...

LE RETOUR D’UN SOUVERAIN SACRÉ

Si le sénatus-consulte qui proclame l’Empire est adopté le 18 mai 1804, après


une campagne de presse savamment orchestrée, le changement
constitutionnel et le retour dans le fait au principe monarchique sont mis en
scène lors du sacre, le 4 décembre suivant. Le sacre doit permettre la
« récupération par la nation de l’intégrité de sa mémoire » (L. Mascilli-
Migliorini). La cérémonie illustre symboliquement la réconciliation entre la
France catholique (choix de Notre-Dame, présence négociée du pape) et la
République, alors que le serment constitutionnel prêté par Napoléon marque
la volonté de s’inscrire dans la continuité de la Révolution : « Je jure […] de
respecter et faire respecter l’égalité des droits, la liberté politique et civile. »
Le choix de Paris pour le sacre, par ailleurs, marque la rupture par rapport à
la dynastie des Bourbons, rupture que la récente exécution du duc d’Enghien
a soulignée à nouveau.

À l’aller, le cortège impérial, escorté par de nombreux corps militaires, quitte


le palais des Tuileries, emprunte la rue Saint-Honoré et le Pont-Neuf avant
d’arriver à Notre-Dame. Au retour, l’itinéraire est plus long : le cortège se
dirige vers la place du Châtelet, emprunte la rue Saint-Denis et les boulevards
populaires, atteint la place de la Concorde, siège du Corps législatif et de
l’École militaire, et revient aux Tuileries. Le lendemain, le serment au
Champ-de-Mars, lors de la distribution des aigles, rappelle la gloire militaire
de l’Empereur.

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Surveillance de la société civile et musellement des oppositions
Après l’instabilité politique du Directoire, le Premier Consul réduit au silence
les foyers royalistes et jacobins et élimine ainsi toute menace potentielle
contre son régime. Conscient du potentiel subversif d’un débat libre au sein
de la société civile, Bonaparte renforce la surveillance policière et impose une
censure rigide à la presse, à l’imprimerie et au théâtre. Tous les acquis de la
Révolution ne sont pas pour autant remis en question.
UN ÉTAT SOUS SURVEILLANCE POLICIÈRE

Le ministère de la Police, créé sous le Directoire, revêt après 1799 une


importance cruciale, avec le ministère de l’Intérieur, pour la surveillance des
Français. Les propos tenus dans les cercles de sociabilité ou dans les
tavernes, les réactions du public au théâtre, le contenu des affiches anonymes
placardées sur les places publiques, sont recueillis et transmis, au centre par
diverses instances. La police joue un rôle majeur dans la collecte
d’informations qui permet d’intervenir, mais aussi d’adapter la politique et
d’organiser la propagande du régime en conséquence. Après quelques
tergiversations portant sur sa structure, la police est réorganisée au lendemain
de la proclamation de l’Empire en 1804. Le territoire est alors découpé en
quatre arrondissements, à la tête desquels un conseiller d’État pilote les
commissaires de police dans les départements de son ressort. De par son
importance, Paris constitue à lui seul un arrondissement. Dans les principales
villes portuaires et frontalières, le commissaire général correspond
directement avec le ministère, étant affranchi de la tutelle du préfet à laquelle
sont soumis les autres commissaires de police. L’information qui remonte par
l’administration de police à Paris fait l’objet d’un bulletin quotidien adressé à
Napoléon. Outre cette source principale, l’Empereur ne se prive pas d’autres
sources d’information, dont les rapports des préfets. Le « cabinet noir », sorte
de bureau de police politique, contrôle les courriers transitant par l’hôtel des
postes à Paris et lui remet des rapports quotidiens.
...

DES OPPOSITIONS JUGULÉES

Cet encadrement policier est d’autant plus efficace que les oppositions ont été
jugulées. Les attentats contre Bonaparte sous le Consulat ont servi de prétexte
pour éliminer les oppositions de droite et de gauche. Commis en réalité par
les royalistes, l’attentat « à la machine infernale » de 1800, auquel Bonaparte
échappe de justesse, permet au Premier Consul de faire déporter par sénatus-
consulte hors d’Europe 130 jacobins accusés sans preuves. En 1803-1804, le
complot de Cadoudal et du général Pichegru se termine par la mise à mort de
nombreux royalistes. Il entraîne aussi la désignation du duc d’Enghien
comme commanditaire, son enlèvement sur un territoire neutre et sa mise à
mort après un procès sommaire. Après avoir rassuré les modérés en éloignant
les jacobins, il s’agit de réaffirmer, par l’exécution d’un Bourbon, que le
nouveau régime s’inscrit dans la continuité révolutionnaire en assumant
l’héritage de l’exécution de Louis XVI. La fragilité d’un régime qui repose
sur la personne du Consul, objet de plusieurs tentatives d’assassinat, est par
ailleurs exploitée politiquement par des campagnes de presse, qui préparent le
passage à un Empire héréditaire.
...

LA SURVEILLANCE DE LA PRESSE

Tout particulièrement sensible au rôle de la presse, qu’il avait magistralement


manipulée à son avantage lors de la première campagne d’Italie, Bonaparte
s’attache, après sa prise de pouvoir, à en faire un instrument à son service. Le
ralliement au Consulat de journalistes de gauche et de droite permet de faire
valoir aux lecteurs les arguments auxquels ceux-ci sont sensibles. Le nombre
des journaux parisiens autorisés à publier des nouvelles politiques est réduit
d’office au lendemain du coup d’État. Trois autres sont supprimés au cours
de l’année suivante, en raison des idées exprimées ou de leur réticence à
accepter le contrôle des agents du gouvernement. Le nombre de titres
s’amenuise encore par la suite, au point qu’il ne reste, à la fin de l’Empire,
que quatre journaux politiques à Paris, contre 77 à la fin du Directoire. En
1805, des censeurs sont rattachés à chaque journal parisien, où ils vérifient
les épreuves avant le tirage. Muselée, la presse devient un puissant instrument
de propagande. Des messages peuvent être insérés sans l’avis des rédacteurs,
alors que des campagnes de presse savamment orchestrées préparent des
changements ou des décisions importantes (passage à l’Empire, changement
de dynastie en Espagne). Le contenu insipide de la presse entraîne la
désaffection des lecteurs, comme le montre la chute du nombre de journaux
parisiens expédiés en province. Partout, la presse est constamment menacée
par une situation financière précaire, que toute hausse du droit de timbre
imposée par le régime peut accentuer. Si la plupart des départements
bénéficient de parutions régulières, avec une fréquence au moins
hebdomadaire d’un journal politique local, leur contenu est étroitement
surveillé par le préfet, qui censure toute allusion critique, tout signe de
désaffection (désertion), toute nouvelle pouvant suggérer l’existence
individuelle ou collective des difficultés (suicides, hausse des prix des
denrées agricoles).

Si la liberté de la presse, dont le principe est acquis par l’article XI de la


Déclaration des droits de l’homme de 1789 (« La libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout
citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus
de cette liberté dans les cas prévus par la loi »), avait déjà fait l’objet, sous la
Terreur et sous le Directoire, de mesures législatives restrictives, le contrôle
exercé sur les journaux sous le Consulat et l’Empire équivaut à sa
suppression. C’est que, dans le projet de réconciliation nationale, la nation est
censée se recomposer autour du chef, qui prétend l’incarner. Tout véritable
débat public devient dès lors non seulement inutile, mais aussi dangereux.
.
Réconciliation nationale et recomposition des élites
Le projet politique de Bonaparte vise à recomposer la société française post-
révolutionnaire, atomisée après l’abolition des ordres d’Ancien Régime et
déchirée par une décennie de luttes politiques entre factions opposées. Le
Concordat réconcilie les catholiques avec la République. Anciennes et
nouvelles élites, réunies autour de la propriété foncière, trouvent dès lors leur
place au sein des nouvelles institutions.
PROPRIÉTÉ FONCIÈRE ET NOTABILITÉ

Par des marques honorifiques, des postes et un positionnement sur les listes
d’éligibilité, le régime napoléonien distingue au sein du corps social les
éléments qu’il considère aptes à encadrer et discipliner le reste de la société.
Il délimite ainsi une élite – les notables – qui se démarque du peuple par son
niveau de culture et de fortune, même lorsque ses revenus sont modestes. La
notabilité napoléonienne, définie à partir de critères censitaires, se compose
de quelque 70 000 à 80 000 individus – pour l’essentiel quadragénaires,
mariés et pères de famille. Elle représente près d’un Français adulte sur cent :
une base trop exiguë pour que le régime puisse se priver, pour des raisons
politiques, d’une partie consistante de celui-ci. La réconciliation des
anciennes et des nouvelles élites est de ce fait, avant tout, une nécessité
politique. Le Concordat, le retour des émigrés, la garantie de l’irrévocabilité
de la vente des biens nationaux, le rétablissement des marques de distinction
sociale, sont autant d’éléments qui concourent à souder les détenteurs de
savoirs, de talents et de richesses au sein d’une nouvelle élite que le régime
aide à prendre forme.
...

LES NOTABLES, « MASSE DE GRANIT » DU RÉGIME

Les notables, qui doivent au régime la reconnaissance publique de leur


positionnement social, constituent des éléments de stabilisation sur le plan
politique. Lors de la création de la Légion d’honneur, Bonaparte ne se trompe
pas en les désignant comme les « masses de granit » censées asseoir la
stabilité et la pérennité du régime. Celui-ci s’appuie ainsi sur une société
hiérarchiquement ordonnée, dans laquelle il a favorisé l’émergence d’une
élite sociale recomposée, après les fractures révolutionnaires, autour de son
rapport à la propriété foncière. Sa cohésion momentanée est dès lors assurée
par le partage d’intérêts économiques et sociaux communs.

C’est aux notables que sont dévolus les postes supérieurs dans
l’administration et dans les instances censées représenter la nation. La
Constitution de l’an X prévoit en effet la confection de listes des six cents les
plus imposés dans chaque département, au sein desquelles les électeurs du
canton doivent choisir les membres du collège électoral du département, à qui
revient de proposer le nom des personnes de confiance parmi lesquels seront
choisis les membres du Corps législatif.

Sans être ouvertement censitaires, les modalités d’éligibilité consacrent ainsi


la richesse et la propriété foncière, dans la mesure où l’imposition frappe
essentiellement celle-ci. Ainsi, dans un département tel que celui de la
Gironde, on retrouve en l’an XI, parmi les trente plus imposés, une dizaine de
noms du négoce bordelais. Les fortunes commerciales, en effet, se
consolidaient traditionnellement dans la pierre et dans la terre.
...

LA FIN D’UNE DÉCHIRURE RELIGIEUSE

La Constitution civile du clergé et la déchristianisation avaient ouvert une


fracture entre la Révolution et les nombreux Français restés attachés au culte
catholique. En exigeant un serment de fidélité, elle avait produit un schisme,
auquel le Concordat signé le 26 messidor an IX (15 juillet 1801), après
d’âpres discussions, met fin. Le Concordat entérine quelques acquis
fondamentaux de la Révolution : liberté de culte, nationalisation des biens de
l’Église, nouveau découpage des diocèses. Le Saint-Siège reconnaît
implicitement la légitimité du nouveau pouvoir en France : les évêques
devront prêter serment de fidélité au gouvernement de la République. Pour
Bonaparte, c’est un indéniable succès politique : le Concordat sape l’un des
principaux arguments des royalistes. Désormais, tout bon catholique peut se
rallier au Consulat. Au prix de ces importantes concessions, le Saint-Siège
obtient à nouveau, comme sous l’Ancien Régime, l’investiture canonique des
évêques, nommés par le Premier Consul. Pour faciliter la transition, une
mesure inédite est prise : tous les évêques français, réfractaires et
constitutionnels, doivent démissionner, le pape acceptant de destituer d’office
ceux qui refuseraient. L’épiscopat de 1802 marque la rupture d’avec l’Ancien
Régime : la moitié des évêques sont des roturiers, situation impensable
auparavant. Il illustre aussi, dans sa composition, la réconciliation qu’il est
censé représenter : un quart environ avait prêté le serment constitutionnel,
plus de la moitié l’avaient refusé. Le ralliement au régime les réunit enfin :
trois évêques sur quatre assistent au sacre en 1804.

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Révolutionnaires et anciennes élites au service de l’État
Outre la réconciliation religieuse et le retour de la paix extérieure, la
stabilisation qui s’opère sous le Consulat passe par la reconstitution d’un
vivier d’administrateurs et de fonctionnaires recrutés sur la base de leurs
compétences, de leur expérience et de leur fidélité au nouveau régime, quel
qu’ait pu être leur positionnement par rapport à la Révolution. Cette
administration mène à bien une série de réformes dont les chantiers
remontent aux années 1790.
L’AMALGAME, UNE NÉCESSITÉ POLITIQUE

Dans une société où les fortunes grandes et moyennes, voire modestes, ne


sont le fait que d’un pourcentage infime de la population, et que celle-ci est
majoritairement analphabète, aucun régime ne peut prétendre avoir une assise
solide en écartant une partie de ces élites pour des raisons politiques. Sous le
Consulat, la recomposition et la réconciliation du corps social autour de la
propriété permettent de rallier la plus grande partie des détenteurs de fortune,
culture et talents, au sein desquels sont recrutés les cadres administratifs. La
fin de tout débat politique au sein des instances du pouvoir législatif, la chape
de la censure et la répression qui s’abattent sur la sphère publique contribuent
à éliminer les terrains sur lesquels ces notables auraient pu éventuellement
exprimer leurs divergences.

Cette haute administration recomposée, où régicides et anciens émigrés se


côtoient, poursuit l’effort révolutionnaire de modernisation et de
rationalisation des appareils de l’État, permettant d’achever plusieurs
chantiers ouverts sous le Directoire (codes et réforme judiciaire,
administration des finances, fiscalité, réforme de l’enseignement,
administration du territoire).
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LES PRÉFETS

L’administration du territoire, réorganisée par la loi du 28 pluviôse an VIII


(17 février 1800), conserve la subdivision en départements héritée de la
Révolution, mais modifie radicalement leur fonctionnement, avec le retour à
une très forte centralisation. À la tête du département, le préfet représente le
pouvoir exécutif. Il est secondé par deux conseils qui n’ôtent aucune parcelle
de son autorité. Les préfets correspondent avec le ministre de l’Intérieur, qui
propose leur nomination à Napoléon. Leurs compétences sont, à l’échelle du
département, aussi vastes que celles du ministère de l’Intérieur. Outre
l’administration générale (population, conscription) et communale, elles
s’étendent à l’assistance publique, aux prisons, aux travaux publics, à
l’instruction, à la surveillance des activités économiques et aux mouvements
de personnes. La circulation des préfets d’un département à un autre, ou les
fonctions qu’on leur assigne dans les États vassaux de l’Empire, contribuent
de manière efficace à l’uniformisation des pratiques administratives, en
même temps qu’elles empêchent tout ancrage des fonctionnaires dans le tissu
local. Ces hommes proviennent d’horizons différents : parmi les quatre
exemples choisis, deux sont nobles, deux roturiers. Deux sont députés aux
États généraux, l’un du tiers (Cochon de Lapparent), l’autre de la noblesse
(Lameth). Trois ont été députés à l’Assemblée législative ou à la Constituante
(dont deux régicides, qui deviennent membres du Comité de salut public), le
quatrième, le militaire Lameth, étant quant à lui passé à l’ennemi en 1792 et
émigré. Tous acquièrent des titres de noblesse sous l’Empire. Deux d’entre
eux seront pairs de France sous la Restauration, les deux régicides étant,
quant à eux contraints à l’exil.
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L’AMALGAME AU SEIN DES INSTITUTIONS LES PLUS


PRESTIGIEUSES
Le régime napoléonien ne se prive pas des hommes ayant acquis une
expérience politique grâce à la Révolution, sans récuser pour autant les
apports des élites d’Ancien Régime. Presque quatre ministres sur dix, et six
sénateurs sur dix ont siégé dans au moins une assemblée dans la décennie
révolutionnaire.

Parmi les membres du Sénat, six régicides (dont Roger Ducos, Sieyès,
Fouché) siègent à côté d’un Roederer qui avait nié le droit de la Convention à
juger le roi ; anciens feuillants, girondins et jacobins côtoient monarchiens et
émigrés ralliés (Garnier). Au-delà des clivages politiques, les institutions
napoléoniennes passent au-dessus les origines sociales, à la condition d’un
talent ou d’une fidélité au régime particuliers. Parmi les 63 sénateurs de
l’an VIII, la mixité des origines est déjà évidente : à côté des deux Bonaparte,
de la noblesse ancienne d’un Choiseul-Praslin, d’une dizaine d’autres
individus descendant de familles de la ci-devant haute aristocratie – aucun
émigré, toutefois – et de quelques membres de l’élite du négoce (Journu-
Auber), ou de la banque (Lecouteulx), la majorité est issue de la moyenne
bourgeoisie révolutionnaire. Les nominations successives comportent une
moitié environ de ci-devant nobles. Ce phénomène marque, au sein des
anciennes frontières françaises, le ralliement croissant d’une partie de
l’ancienne aristocratie, et dans les départements annexés, la volonté de
Napoléon de s’appuyer sur les élites sociales en place sans remettre en cause
les équilibres sociaux préexistants. Toutefois, la bourgeoisie reste majoritaire
au Sénat, prouvant ainsi que l’ère des privilèges de sang est entièrement
révolue.

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Bonaparte, général de la paix ?
Les paix conclues à Lunéville avec l’Autriche (9 février 1801), qui accepte la
perte des territoires belges et rhénans, et à Amiens avec l’Angleterre (25 mars
1802) laissent espérer le retour d’un équilibre entre les puissances
européennes. Elles sont rendues possibles non seulement par les victoires de
Bonaparte en Italie, attestant la position de la France dans le concert
européen, mais aussi par la fin de la Révolution, proclamée dès sa prise du
pouvoir.
L’EUROPE EN 1802

Les paix de Lunéville et d’Amiens consacrent la position de force de la


France en Europe, position que les guerres de la Révolution, puis les victoires
de Bonaparte en Italie, avaient permis d’imposer. La reconnaissance de
l’annexion des Pays-Bas autrichiens et de la rive gauche du Rhin donne
satisfaction à la France quant à ses prétendues frontières naturelles, alors que
ses principaux adversaires sur le continent trouvent des compensations
ailleurs. L’Autriche, la Prusse et la Russie se sont agrandies en achevant le
partage de la Pologne, jadis protégée par la France. L’Autriche gagne
également l’essentiel des territoires de l’ancienne république de Venise, mais
perd en revanche la Toscane, qui passe sous influence espagnole. Un nouvel
équilibre européen satisfaisant semble ainsi pour un instant atteint.

Outre la reconnaissance des territoires gagnés dans la décennie 1790, la


France renforce aussi sa position en s’entourant de républiques sœurs. La
deuxième campagne d’Italie a en effet permis le rétablissement des
républiques italienne et ligurienne. Ce renforcement français en direction de
la Méditerranée, où la mission diplomatique en Orient confiée en septembre
1802 à Sébastiani (Tunis, Tripoli, Constantinople, égypte) ravive les craintes
britanniques, mais aussi en Europe du Nord, associé à la reprise d’une
politique coloniale affichée, rompt toutefois dès le mois de mai 1803 le
délicat équilibre de la paix négociée à Amiens. L’Angleterre avait accepté le
retour à la situation d’avant le début des hostilités, et le principe d’une
restitution réciproque des colonies et territoires occupés, mais les inquiétudes
croissantes quant à la volonté hégémonique française la poussent à retarder la
restitution de l’île de Malte aux chevaliers de l’ordre de Saint-Jean,
fournissant ainsi un prétexte à la rupture. Les coalitions anti-françaises,
toutefois, ne sont plus dirigées contre la République et la Révolution, mais
contre le dessein hégémonique de Napoléon. Même si celui-ci ne répond pas
à un plan préconçu et s’il évolue au fil des circonstances, l’état de guerre
devient permanent, et les victoires sur le champ de bataille sont censées
apporter la preuve de la légitimité d’un pouvoir dont le sacre n’avait pas
entièrement effacé la tache d’origine du coup d’État.
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L’ITALIE DU NORD ET DU CENTRE

Après le Triennio révolutionnaire (1796-1799), la carte politique de la


péninsule italienne est à nouveau redessinée par la France au lendemain de la
seconde campagne d’Italie, qui s’ouvre en 1800. La France annexe ainsi le
Piémont (décision effective en 1802), puis la république de Gênes (1805). Le
sort de la Toscane et du duché de Parme est réglé entre l’Espagne et la France
en 1800-1801. La Toscane est cédée à l’héritier de Parme et érigée en
royaume. En 1808, le duché de Parme, passé sous la coupe française dès
1802, est intégré à l’Empire, tout comme la Toscane. Au nord, la seconde
République cisalpine, rétablie après la bataille de Marengo et agrandie lors la
paix de Lunéville, cède la place à la République italienne en 1802. Cette
décision est annoncée à Lyon, où Bonaparte convoque une représentation à
laquelle il impose une Constitution élaborée à Paris, calquée sur celle du
Consulat. Bonaparte est désigné président, avec quelques difficultés. La
transformation de la République italienne en royaume en 1805 découle de la
proclamation de l’Empire en France. Napoléon devient alors roi d’Italie et
nomme vice-roi Eugène de Beauharnais, fils du premier lit de son épouse
Joséphine. Le royaume d’Italie s’élargit au fil des conquêtes napoléoniennes :
Vénétie et Istrie (1805), Marches (1808) et Tyrol du Sud (1810). Si la marge
de manœuvre du vice-président de la République italienne Melzi D’Eril,
d’abord, et du vice-roi Eugène ensuite est étroite, l’œuvre politique de ces
années aboutit à la création d’un État moderne et à des réformes majeures
dans l’administration, la justice et l’armée. L’expérience napoléonienne,
commune à toute la péninsule italienne – les États de l’Église sont annexés en
1809, le royaume de Naples entre dans le giron français dès 1806 –, contribue
à former politiquement les élites italiennes. Elle leur donne un cadre
institutionnel et juridique commun, ainsi que des pratiques administratives
uniformes, qui rendront finalement envisageable la perspective unitaire.
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Un espace allemand reconfiguré
L’onde de choc provoquée par la Révolution française bouleverse la carte
politique de l’espace allemand. Les tentations expansionnistes des principaux
États allemands reçoivent une formidable impulsion sous le Consulat et
l’Empire. Ce processus, qui s’effectue aux dépens de la Pologne et de
centaines d’entités politiques allemandes rayées de la carte, aboutit à la
dissolution du Saint Empire et à l’accroissement considérable de quelques
États, notamment la Prusse.
LA MÉDIATISATION ALLEMANDE

En 1789, le Saint Empire Romain Germanique, issu de la disparition de


l’Empire carolingien, se compose d’environ 300 entités politiques
relativement autonomes, reconnaissant la suzeraineté de l’empereur élu. Il est
composé de quelques royaumes et de centaines de principautés laïques et
ecclésiastiques, comtés, prélatures ecclésiastiques et villes impériales. La
plupart de ces territoires ont une étendue très modeste, mais les plus puissants
(Autriche, Prusse, Bavière, Saxe) nourrissent des ambitions territoriales dont
saura jouer Napoléon. En 1803, la carte politique de l’espace allemand est
modifiée en profondeur, aux frais des plus petits territoires. Le traité de
Lunéville (9 février 1801) avait prévu de dédommager les souverains
allemands de la rive gauche du Rhin, en leur attribuant les territoires
ecclésiastiques, et une Diète – l’institution chargée de régler les différends au
sein du Saint Empire – est réunie à cet effet. Les modifications territoriales
élaborées sous la pression française et votées le 25 février 1803 par la Diète
vont toutefois bien au-delà de ce projet de sécularisation. Suite à ses
décisions, des dizaines d’entités politiques disparaissent. Outre les princes
ecclésiastiques, les prélats et les villes impériales – dont 6 seulement sur 51
subsistent –, la noblesse « immédiate », c’est-à-dire placée sous l’autorité
directe de l’empereur, est la grande perdante du recès impérial de 1803. Le
terme de « médiatisation » est ainsi employé pour désigner le processus
d’absorption de leurs territoires par des entités plus vastes. Le recès profite en
revanche à la Bavière, à la Prusse, qui avait déjà agrandi son territoire lors
des trois partitions de la Pologne, et au pays de Bade, qui gagne quatre fois
plus de surface et huit fois plus de sujets que les territoires cédés sur la rive
gauche du Rhin. En promouvant l’agrandissement d’États allemands rivaux
de la maison de Habsbourg, Bonaparte renforce les divisions au sein du Saint
Empire.
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LA FIN DU SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE

L’Autriche, dont le souverain est traditionnellement élu empereur du Saint


Empire, sort fortement affaiblie de la paix de Presbourg (26 décembre 1805)
que la France lui impose au lendemain d’Austerlitz : elle perd un sixième de
ses possessions et quatre millions de sujets. La Bavière et le Wurtemberg,
agrandis, augmentent leur prestige par leur élévation au rang de royaume.
Une série de mariages consacre la bonne entente entre la France et ses alliés
allemands. Le fils de Joséphine, Eugène de Beauharnais, convole avec la fille
du roi de Bavière ; une cousine de Joséphine avec le prince héritier de Bade ;
et le frère de Napoléon, Jérôme, avec la fille du roi de Wurtemberg. Ces
changements, précédés par la proclamation de l’Empire en France, et suivis
par la création à Paris (12 juillet 1806) de la Confédération du Rhin, alliance
militaire profrançaise réunissant seize États allemands, poussent François II à
déposer la couronne du Saint Empire le 6 août suivant. Le congrès de Vienne
intégrera une partie des modifications imposées par Napoléon à l’Europe,
notamment la réduction radicale du nombre d’entités politiques en Europe
centrale, devenues des États de type moderne, déliés de tout lien féodal avec
un quelconque suzerain. Si la Prusse perd le Hanovre et une partie de la
Pologne, sa position est globalement renforcée.
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L’échec de la reprise en main coloniale française aux Amériques
Alors que se déroulent les pourparlers de paix, Bonaparte envoie deux
expéditions militaires aux Antilles pour reprendre en main les colonies et y
rétablir l’esclavage, que la Révolution avait aboli en 1794. L’expédition de
Saint-Domingue provoque une révolte générale qui mène à la proclamation
de l’indépendance d’Haïti (1804), mais l’esclavage est rétabli à la
Guadeloupe, massacres et déportations à l’appui.
LE RETOUR DES AMBITIONS COLONIALES

Après avoir cédé ses colonies du continent américain en 1763, la France a


perdu dans la décennie 1790 la maîtrise de l’espace antillais. Le retour de la
paix permet à Bonaparte d’envisager la relance de l’économie de plantation
esclavagiste antillaise et de développer la Louisiane, rétrocédée par l’Espagne
à la France en 1800, en échange de la création d’un royaume d’Étrurie pour
l’héritier du duché de Parme. Une série d’expéditions militaires sont alors
envisagées vers l’Amérique.

Aux Antilles, elles sont destinées à rétablir l’esclavage, aboli en 1794, sur
lequel reposait l’économie de plantation. Dès que la perspective de la paix
avec la Grande-Bretagne se profile, et avant même le rétablissement de
l’esclavage par Bonaparte, les négociants français commencent à réarmer à la
traite. Bordeaux s’affirme alors comme le principal port négrier français et
dépasse Nantes, poursuivant l’élan des années 1780 (38 expéditions en 1789).
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L’ÉCHEC DU RÊVE AMÉRICAIN

Le rêve de reconstituer un empire colonial français en Amérique se brise face


aux résistances rencontrées à Saint-Domingue, à l’opposition des États-Unis
qui craignent la présence française à leurs frontières, et à la reprise de la
guerre contre la Grande-Bretagne en 1803.

Pour recouvrer le contrôle de Saint-Domingue, gouvernée de manière de plus


en plus autonome par Toussaint Louverture, Bonaparte confie une imposante
expédition au général Leclerc. Le général noir est arrêté et déporté en France,
où il meurt quelques mois après. La nouvelle du rétablissement de
l’esclavage à la Guadeloupe relance toutefois la volonté de résistance des
noirs : décimés par la fièvre jaune, les Français capitulent et l’île proclame
son indépendance en 1804, sous le nom d’Haïti.

La reprise du conflit avec la Grande-Bretagne et la déroute militaire à Saint-


Domingue poussent Bonaparte à vendre la Louisiane aux États-Unis pour 80
millions de francs. L’esclavage est en revanche réintroduit à la Guadeloupe.
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LE RÉTABLISSEMENT DE L’ESCLAVAGE À LA GUADELOUPE

Après la reprise de la Guadeloupe aux Anglais par Victor Hugues en 1794,


les anciennes catégories juridiques (esclaves, libres de couleur, Blancs)
disparaissent.

Si le travail forcé – salarié – s’impose sur les plantations, l’ordre raciste


s’estompe : d’anciens esclaves s’affirment dans l’armée, et les métisses
acquièrent, grâce à l’émigration des Blancs, un poids significatif dans la
société et l’administration coloniale. Après le départ d’Hugues en 1798, la
métropole manifeste toutefois sa volonté de rétablir l’ordre colonial ancien,
provoquant le mécontentement d’une partie des officiers de couleur et des
Blancs chargés de la gestion des plantations, qui craignent le retour des
propriétaires. L’expédition de Richepanse, qui arrive en mai 1802, provoque
la révolte d’une minorité d’officiers, dont Delgrès et Ignace, mais la masse
des cultivateurs noirs, méfiants vis-à-vis de l’armée, ne suit pas. Durant l’été
1802, le travail salarié disparaît, les ventes de Noirs reprennent, le préjugé de
couleur s’impose. L’arrêté de Napoléon rétablissant l’esclavage (16 juillet
1802) n’est proclamé à la Guadeloupe qu’en mai 1803, après la fin des
combats qui font au moins 3 000 morts parmi les rebelles. Les soldats de
couleur qui se sont battus à côté de Richepanse sont déportés par centaines
pour éviter toute menace. Ils sont débarqués aux États-Unis ou à Saint-
Domingue, vendus aux Anglais comme esclaves, ou acheminés vers la
France pour servir dans l’armée ou les travaux publics.
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L’éducation, un enjeu majeur de la période révolutionnaire
Les révolutionnaires estimant que l’instruction est l’une des clés de la
régénération de la nation, avaient affirmé en 1793 le principe de l’école
élémentaire gratuite et obligatoire pour tous les enfants, mais les
considérations budgétaires en avaient limité la portée. Réticent face à
l’instruction des masses, Napoléon met l’accent sur l’instruction secondaire,
réformée en profondeur. Il reste qu’en une génération, l’alphabétisation
progresse.
LES PROGRÈS DE L’ALPHABÉTISATION

À la veille de la Révolution, la majorité des Français adultes ne maîtrisent pas


l’écrit. L’instruction primaire est essentiellement dispensée dans le cadre des
écoles de la paroisse, souvent réservées aux seuls garçons et placées sous la
coupe du clergé. L’État se désintéresse de l’instruction, hormis pour imposer
la scolarisation des enfants de protestants dans des écoles catholiques. Les
parents rétribuent le maître en fonction de l’enseignement demandé (lecture,
puis écriture, puis éventuellement calcul). Dans ces conditions, une large
partie de la population est analphabète. Les historiens ont comptabilisé la
signature des actes de mariage comme indice d’une maîtrise rudimentaire de
l’écriture. L’analphabétisme est plus marqué dans les campagnes – où vivent
80 % des Français – que dans les villes ; dans le centre, l’ouest et le sud plus
que dans le quart nord-est du pays ; et chez les femmes plus que chez les
hommes. Dans une très large partie du pays, à la veille de la Révolution,
moins d’une femme sur cinq sait signer son acte de mariage. La situation des
années 1780 marque pourtant déjà un progrès remarquable par rapport au
siècle précédent. Sous la Révolution, l’alphabétisation continue à progresser.
Les révolutionnaires font de l’instruction des enfants une priorité pour l’État,
même si les moyens financiers pour la rendre gratuite font défaut.

À partir du Directoire, l’État se préoccupe surtout de l’instruction secondaire


et de la formation des élites. Au début des années 1820, la majorité des
hommes sait toutefois signer dans la plupart des départements français.
L’alphabétisation féminine a également progressé. De grandes disparités
régionales subsistent toutefois : la ligne Saint-Malo-Genève oppose un quart
nord-est plus alphabétisé à une France du centre-ouest et du sud nettement
moins développée, hormis dans les anciens bastions protestants où l’effort de
scolarisation avait été plus fort au XVIIIe siècle.
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LA CRÉATION DES LYCÉES


Le régime napoléonien réforme en profondeur l’enseignement du second
degré, afin de former les futurs fonctionnaires, administrateurs et membres
des professions libérales. La loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) crée 45
lycées. Sur les 6 400 élèves prévus – tous boursiers – l’État réserve 2 400
places aux fils de fonctionnaires, administrateurs et militaires : les autres
entrent par concours. Les études classiques sont prédominantes de la sixième
à la terminale, mais se doublent d’une formation en mathématiques pouvant
déboucher sur l’admission à l’École polytechnique. Après 1808, le
recrutement des professeurs se fait par concours (agrégation). Les écoles
secondaires municipales, moins prestigieuses, et les écoles secondaires
privées, dont les élèves fréquentent en partie les lycées comme externes,
complètent le maillage scolaire. Au total, quelque 80 000 enfants et
adolescents fréquentent l’un de ces établissements sous l’Empire.
...

L’EXEMPLE DE LA LORRAINE

Avant la Révolution, l’éducation secondaire, réservée pour l’essentiel à la


noblesse et aux bourgeoisies urbaines, est assurée par plusieurs structures.
Outre les maîtres particuliers réunissant des élèves hors de tout cadre
légalement institué, le tissu de l’enseignement secondaire se compose de
régences latines (initiation aux rudiments du latin), collèges d’humanités
(grammaire, humanités, rhétorique) et collèges de plein exercice (humanités
et philosophie). En Lorraine, ces derniers sont aux mains des jésuites jusqu’à
la suppression de l’ordre en 1763-1764. La Révolution bouleverse en
profondeur les cadres de l’enseignement et confie à l’État la tâche d’organiser
l’instruction publique, en récupérant souvent les bâtiments nationalisés des
anciens couvents. Les comités d’instruction publique, au sein de l’Assemblée
législative, puis de la Convention, sont chargés de la refonte du système
éducatif.

L’instruction secondaire trouve en 1802 sa configuration définitive.


L’exemple lorrain montre que toutes les villes pourvues d’un collège
d’humanités ou de plein exercice au XVIIIe siècle abritent un collège ou un
lycée sous l’Empire, à l’exception de Rambervillers. En revanche, le tissu de
régences latines, qui offraient une formation sur place dans les plus petites
villes, est balayé : sur dix-sept villes ayant une régence latine au
XVIIIe siècle, seules quatre conservent un collège. L’est de la Lorraine
accroît toutefois son maillage scolaire.

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Circulation des savoirs et des informations
L’essentiel des progrès, en matière de vitesse de circulation postale, avait été
réalisé entre 1760 et 1780. L’amélioration de la viabilité des routes avait alors
permis de diviser par deux le temps nécessaire pour relier Paris au reste du
royaume. Les hommes de la Révolution s’efforcent de maintenir l’efficacité
du système postal. En 1802, quelque 1 500 bureaux de poste assurent le
départ du courrier au moins trois fois par semaine.
CIRCULATIONS ADMINISTRATIVES ET SAVANTES

L’intensité des circulations savantes témoigne de la persistance de la culture


de la mobilité des élites académiques et administratives par-delà 1789.
Considéré comme un enfant prodige, François de Neufchâteau a d’abord été
pédagogue, poète, traducteur, agronome, magistrat à Saint-Domingue, avant
d’être député des Vosges, administrateur hors pair, ministre de l’Intérieur
convaincu de l’utilité de la « science statistique », acteur majeur de
l’institutionnalisation du patrimoine et des archives sous le Directoire puis
sénateur. Dessinateur, célèbre pour sa participation au volet savant de la
campagne d’Égypte, d’où il tire son Voyage dans la Basse et Haute Égypte,
et son action à la tête du musée du Louvre, Vivant Denon a d’abord été un
diplomate, que les affectations ont conduit à Saint-Pétersbourg comme à
Naples. Figure espagnole des Lumières techniciennes, Agustín de Betancourt
quitte lui Tenerife pour faire ses études à Madrid. En 1784, il poursuit sa
formation à Paris à l’École des Ponts et Chaussées, puis à Londres en 1788
où il rencontre James Watt, pionnier des machines à vapeur.
L’« intelligence » technologique, l’envoi de machines en Espagne, la
publication de nombreux essais sont les marques de fabrique des voyages de
Betancourt. En 1797, il est nommé inspecteur en chef des ports et
communications du royaume d’Espagne. Son intérêt pour l’industrie navale
l’oriente enfin vers la Russie, où il s’établit en 1808.
...

UN QUADRILLAGE POSTAL DENSE

Sous Louis XV et Louis XVI, l’amélioration de la viabilité des routes,


confiée aux ingénieurs des Ponts et Chaussées, ainsi que leur classement dans
un ensemble cohérent et hiérarchisé de voies avaient permis de diminuer par
deux le temps nécessaire pour relier Paris au reste du royaume. À l’instar des
Lumières techniciennes, les révolutionnaires sont très conscients des enjeux
liés au maillage du territoire, et à la circulation rationalisée de l’information.
Ils y ajoutent le contrôle de l’information politique, de Paris vers les
départements et retour. Sous le Consulat, presque toutes les villes françaises
de plus de 5 000 habitants ont un bureau de poste assurant le départ du
courrier au moins tous les deux jours. Des bureaux desservent également les
villes plus petites, comme le montre l’exemple du Sud-Est, où le jour de
départ laisse deviner les isochrones des routes secondaires. Seuls les
départements frontaliers, récemment annexés, ont un quadrillage postal
moins dense.
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CONCLUSION

Le legs de la Révolution

L’effondrement des empires ibériques

L’indépendance des colonies espagnoles et portugaises, plus qu’une rébellion


contre la métropole, est le résultat d’un effondrement de la monarchie, qui
affecte simultanément territoires américains et européens et conduit, entre
autres conséquences, à la désagrégation des empires. Ces derniers étaient
composés de territoires largement autonomes. Ils tenaient parce que leurs
élites convergeaient vers le roi, qu’elles érigeaient en arbitre de leurs
différends. En 1808, la fuite au Brésil de la famille royale portugaise et la
capture par Napoléon de la famille royale espagnole détruisent brutalement ce
lien. Privés de souverain, les territoires espagnols assument progressivement
les attributs, puis la réalité de la souveraineté vacante. Son exercice est
revendiqué non seulement par les capitales de province, mais aussi par un
grand nombre de microsociétés locales. Le territoire se fractionne de fait à
l’extrême. Des guerres acharnées se livrent, plus souvent pour le partage des
dépouilles de la souveraineté espagnole que pour sa destruction. Seuls les
segments les plus fortement structurés (Mexique, Pérou) échappent à
l’atomisation. Ailleurs, l’indépendance se produit en ordre dispersé, ville à
ville. Dérivée de conflits locaux plus que revendication préalablement
affirmée, elle n’est proclamée que plusieurs années après s’être produite de
fait. Les campagnes militaires, plus que des guerres contre la métropole, sont
des tentatives pour reconstituer des ensembles politiques viables. Celles-ci
échoueront souvent. Partout en revanche les sociétés resteront durablement
marquées par les conséquences d’un traumatisme où elles faillirent sombrer
corps et bien. La présence du souverain garantit le maintien de la paix civile
au Brésil, dont il fait la véritable métropole. Les tentatives du Portugal pour
reconquérir la primauté conduiront à la séparation des deux territoires,
décidée par le roi devant leur évidente incapacité à cohabiter. L’originalité de
ces développements et leur forte composante endogène autorisent à parler
d’une modalité hispanique autonome de la « Révolution atlantique ». La
Révolution française est le moteur du processus dans le sens où l’expansion
de la France révolutionnaire anéantit l’ancien système de circulation
atlantique et oblige à créer du neuf. Son idéologie en revanche n’est pas
centrale. La création des nouveaux États repose sur le développement
autonome d’une pensée politique proprement espagnole.
L’héritage de la Révolution à l’Assemblée nationale

En 1891, une pièce de théâtre, Thermidor, est interdite. Pour justifier cette
décision, Georges Clemenceau, originaire de Vendée, prend la parole à
l’Assemblée nationale le 29 janvier : « Messieurs, il a été joué à la Comédie-
Française une pièce évidemment dirigée contre la Révolution française […].
Messieurs, que nous le voulions ou non, que cela nous plaise ou que cela
nous choque, la Révolution française est un bloc […], un bloc dont on ne
peut rien distraire, parce que la vérité historique ne le permet pas. » Le
discours est entrecoupé d’interventions virulentes de députés de droite.
Clemenceau leur répond notamment : « Ah ! vous ne voulez pas du Tribunal
révolutionnaire ? Vous savez cependant dans quelles circonstances il a été
fait. Est-ce que vous ne savez pas où étaient les ancêtres de ces messieurs de
la droite ? […] Ils marchaient contre la patrie, la main dans la main de
l’ennemi et ceux qui n’étaient pas avec les armées étrangères, ceux qui
n’étaient pas avec Brunswick, où étaient-ils ? Ils étaient dans l’insurrection
vendéenne... » Ce débat est symptomatique du rapport passionnel des
Français à la Révolution.

On se souvient également lors du bicentenaire de 1789, et dans un contexte


d’effondrement du modèle communiste, du succès des thèses défendues par
François Furet dans Penser la Révolution française, qui vise à démolir la
prétendue vulgate marxiste dominante. Les affrontements concernent
l’interprétation de la Révolution mais aussi l’héritage de la Révolution et de
la Contre-Révolution. L’Assemblée nationale en est encore le théâtre.
Régulièrement, la question de la répression de l’insurrection vendéenne
revient en effet à l’ordre du jour. Neuf députés ont signé la proposition de loi
déposée par Lionnel Luca le 21 février 2007 portant comme article unique :
« La République française reconnaît le génocide vendéen de 1793-1794. »
Hervé de Charette, député du Maine-et-Loire et ancien ministre, est du
nombre. Le projet de loi insiste sur les décrets de la Convention visant à
exterminer les bandits vendéens, et se termine ainsi : « La République sera
d’autant plus forte qu’elle saura reconnaître ses faiblesses, ses erreurs et ses
fautes. Elle ne peut continuer de taire ce qui est une tache dans son histoire.
Elle doit, pour cela, reconnaître le génocide vendéen de 1793-1794 (…). »
ANNEXES
Calendrier révolutionnaire
Chronologie
1773

Oct. : révolte de Pougatchev en Russie

16 déc. : Boston Tea Party

1774

31 mars-2 juin : dans les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord, « lois


intolérables »

5 sept.-26 oct. : premier congrès continental à Philadelphie

1775

Avril-mai : guerre des Farines en France

19 avril : accrochages entre les troupes britanniques et les miliciens


américains

1776

Janv. : suppression des corporations en France (5) ; Common Sense de


Thomas Paine (10)

4 juil. : déclaration d’indépendance des États-Unis

1777

26 avril : La Fayette s’embarque pour l’Amérique

1778

10 févr. : traités d’alliance et de commerce entre la France et les États-Unis


1781

19 oct. : reddition britannique à Yorktown

1783

Mars : début de l’insurrection batave

3 sept. : paix de Paris et de Versailles

1787

17 janv. : fondation du Comité pour l’abolition de la traite des Noirs à


Londres

22 févr. : réunion de l’assemblée des notables

Sept. : fin de la Révolution batave

1788

7 juin : « journée des Tuiles » à Grenoble

21 juil. : assemblée des états du Dauphiné à Vizille

8 août : convocation des États généraux

26 août : rappel de Necker

1789

Févr.-avril : assemblées pour élire les députés et rédiger les cahiers de


doléances
26-28 avril : émeute Réveillon à Paris

5 mai : ouverture des États généraux

20 juin : serment du Jeu de paume

Juil. : début de la révolution municipale ; l’Assemblée nationale se proclame


constituante (9) ; prise de la Bastille (14) ; début de la Grande Peur (20)

Août : abolition des privilèges (4-11) ; Déclaration des droits de l’homme et


du citoyen (26)

5-6 oct. : marche sur Versailles

2 nov. : les biens du clergé sont mis à disposition de la nation

1790

11-12 janv. : proclamation des États belgiques unis

15 févr. : création des départements

Juil. : Constitution civile du clergé (12) ; fête de la Fédération (14)

29 oct. : soulèvement des mulâtres à Saint-Domingue

2 déc. : l’armée autrichienne met fin aux États belgiques unis

1791

Mars : loi d’Allarde qui supprime les corporations (2) ; le pape condamne la
Constitution civile du clergé (10)

15 mai : l’Assemblée donne le droit de vote aux hommes de couleur et aux


Noirs libres nés de parents libres Juin : levée de volontaires nationaux (13) ;
la loi Le Chapelier interdit les « coalitions » (14) ; fuite du roi avortée à
Varennes (20-21)
Juil. : création du club des Feuillants (16) ; fusillade du Champ-de-Mars (17)

Août : début de l’insurrection des esclaves à Saint-Domingue (22) ;


déclaration de Pillnitz (27)

3 sept. : adoption de la Constitution

1792

24 mars : loi donnant aux libres de couleur les mêmes droits politiques
qu’aux Blancs

20 avril : la France déclare la guerre au roi de Bohême et de Hongrie

Mai : levée de bataillons de volontaires

Juil. : la Patrie est proclamée en danger (11) ; manifeste du duc de Brunswick


(25)

10 août : assaut des fédérés et des Parisiens contre les Tuileries

Sept. : élection des représentants à la Convention nationale ; chute de Verdun


(2) ; massacres dans les prisons parisiennes (2-5) ; victoire française à Valmy
(20) ; la Convention abolit la monarchie (21) ; premier jour de la République
(22)

6 nov. : victoire française à Jemmapes

1793

21 janv. : exécution de Louis XVI à Paris

Févr. : émeutes taxatrices à Paris ; la France déclare la guerre à l’Angleterre


et à la Hollande (1er) ; la Convention décrète la levée de 300 000
« volontaires » (24)

Mars : envoi de représentants du peuple en mission pour recruter (9) ;


création du Tribunal révolutionnaire (10) ; défaite française à Neerwinden
(18) ; création des comités de surveillance (21)

6 avril : création du Comité de salut public

29 mai : début du soulèvement lyonnais contre les Jacobins

Juin : arrestation des chefs girondins (2) ; début du mouvement fédéraliste ;


Constitution et Déclaration des droits de 1793 (24)

13 juillet : assassinat de Marat à Paris

Août : la Convention décrète la levée en masse (23) ; Sonthonax,


commissaire de la Convention à Sain-Domingue, y abolit l’esclavage (29)

Sept. : la Terreur est « mise à l’ordre du jour » (4-5) ; vote de la loi des
suspects (17)

Oct. : adoption du calendrier républicain (5) ; reprise de Lyon (9) ; le


gouvernement est déclaré « révolutionnaire jusqu’à la paix » (10) ; exécution
de Marie-Antoinette (16) ; victoire républicaine contre les Vendéens à Cholet
(15-17) ; exécution à Paris de 21 Girondins (31)

10 nov. : fête de la Raison à Paris

Déc. : décret du 14 frimaire an II qui organise le « gouvernement


révolutionnaire » (4) ; reprise de Toulon (19)

1794

4 févr. : décret du 16 pluviôse an II qui abolit l’esclavage dans les colonies


françaises

24 mars : exécution des Hébertistes

5 avril : exécution des indulgents

7 mai : instauration du culte de l’Être suprême


Juin : « loi de Grande Terreur » (10) ; victoire française à Fleurus (26)

Juil. : coup de force à la Convention contre Robespierre le 9 thermidor (27) ;


exécution à Paris de Robespierre (28)

23 oct. : les troupes françaises entrent à Coblence

12 nov. : fermeture du club des Jacobins de Paris

24 déc. : abolition du Maximum

1795

1795 : troisième partage et disparition de la Pologne

Févr. : début de la Terreur blanche

Avril : émeutes populaires à Paris (1er) ; traité de Bâle et paix entre la France
et la Prusse (5)

Juil. : le rassemblement des émigrés à Quiberon est anéanti (21) ; paix à Bâle
entre la France et l’Espagne (22)

22 août : Constitution dite « de l’an III » adoptée par la Convention Oct. :


émeute royaliste à Paris (5) ; séparation de la Convention nationale (26) qui
vote une amnistie pour les « faits » de Révolution ; début du Directoire (27-
28)

16 nov. : d’anciens Jacobins ouvrent le club du Panthéon à Paris

1796

Févr. : interdiction du club du Panthéon

2 mars : Bonaparte est nommé à la tête de l’armée d’Italie

10 mai : arrestation des Babouvistes à Paris et victoire de Bonaparte à Lodi


1797

27 mars : promulgation de la Constitution cispadane

Avril : succès des royalistes aux élections

9 juillet : proclamation de la République cisalpine

4 sept. : coup d’État du 18 fructidor an V contre les royalistes

17 oct. : traité de paix de Campoformio avec l’Autriche

1798

15 févr. : les « Jacobins » romains proclament la République

11 mai : coup d’État contre les néo-Jacobins

Juil. : les troupes françaises débarquent en Égypte (1er) ; victoire de


Bonaparte à la bataille des Pyramides (21)

1er août : la flotte française détruite par les Anglais à Aboukir

5 sept. : loi Jourdan-Delbrel qui instaure la conscription

29 déc. : seconde coalition

1799

Janv. : création de la République parthénopéenne

28 avril : assassinat des plénipotentiaires français à Rastadt

5 mai : en Toscane, massacre des « Jacobins » ; les troupes françaises


évacuent Naples
18 juin : « coup d’État » du 30 prairial an VII

Août : insurrections royalistes

8 oct. : Bonaparte débarque en France

10-11 nov. : coup d’État des 18-19 brumaire an VIII

1800

Févr. : la Constitution de l’an VIII approuvée par plébiscite (7) ; création des
préfets (17)

14 mars : élection du pape Pie VII

20 mai : Bonaparte franchit le col du Saint-Bernard

14 juin : victoire française de Marengo

24 déc. : attentat de la rue Saint-Nicaise contre Bonaparte

1801

5 janv. : ordre de déportation contre 130 néo-Jacobins

9 févr. : paix de Lunéville entre la France et l’Autriche

15-16 juil. : signature du Concordat

1802

24 janv. : Bonaparte président de la République cisalpine

5 févr. : Leclerc débarque à Saint-Domingue

25 mars : paix d’Amiens entre la France, l’Angleterre, l’Espagne et la


Hollande

26 avril : amnistie en faveur des émigrés

20 mai : la France rétablit l’esclavage dans ses colonies

7 juin : Toussaint Louverture est fait prisonnier à Saint-Domingue

2 août : par plébiscite, Bonaparte est nommé consul à vie

1803

25 fév. : recès d’Empire qui réorganise l’espace germanique

3 mai : vente de la Louisiane aux États-Unis

16 mai : rupture de la paix d’Amiens par les Anglais

Juin : début de la formation du camp de Boulogne

19 nov. : les troupes françaises capitulent à Saint-Domingue

1804

1er janv. : proclamation de la République d’Haïti

18 mai : création de l’Empire en France

2 décembre : sacre de Napoléon Ier


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Sitographie
http://ageofrevolutions.com/
Biographie des auteurs
Pierre-Yves Beaurepaire

est professeur d’histoire moderne à l’université de Nice Sophia-Antipolis,


membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Ses recherches portent
sur la sociabilité, les réseaux et les circulations au siècle des Lumières. Il est
l’auteur de nombreux ouvrages, notamment l’Europe des Lumières (« Que
sais-je », PUF, 2e éd. 2013), La France des Lumières 1715-1789 (collection
« Histoire de France », Belin, 2011), La Communication en Europe de l’âge
classique au siècle des Lumières (Belin, 2014).

Silvia Marzagalli

est professeur d’histoire moderne à l’université de Nice Sophia-Antipolis et


membre de l’Institut universitaire de France. Elle s’intéresse aux réseaux
marchands et au commerce maritime aux XVIIIe et XIXe siècles. Elle est
l’auteur de nombreux ouvrages, dont Révolution, Consulat et Empire (Belin,
2009) et Bordeaux et les États-Unis, 1776-1815 : politique et stratégies
négociantes dans la genèse d’un réseau commercial (Droz, 2015).

Guillaume Balavoine

est cartographe indépendant.

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