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« La bonne politique est de faire croire

aux peuples qu’ils sont libres. »

J.-L. Chappey – B. Gainot


(Napoléon Bonaparte)

Les quelque 100 cartes et infographies aident à comprendre


une période charnière de l’histoire de France et de l’Europe,
depuis la construction de l’Empire jusqu’à son effondrement.

Atlas de l’empire
• Une analyse fine et contrastée du projet politique de Napoléon,
officiellement inspiré des Lumières mais bâti sur la conquête
et le contrôle autoritaire des populations.

1799-1815
• Les dynamiques démographiques, sociales, économiques
et culturelles : un état des lieux des grands bouleversements

napoléonien
de l’époque.
• Un héritage pérenne : création du Code civil, développement
des voies de communication, réformes de l’administration,
modernisation des villes, essor de Paris en capitale impériale…

Atlas de l’empire napoléonien


Plus de deux siècles après la chute de l’Empire, cet atlas dresse le juste
portrait d’une époque, au plus près des populations. 1799-1815

Jean-Luc Chappey est professeur d’histoire des sciences des périodes modernes
Vers une nouvelle civilisation européenne
et contemporaines (xviie -xixe siècles) à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Il dirige actuellement l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (UMR 8066).
Jean-Luc Chappey
Bernard Gainot est maître de conférences honoraire en histoire moderne à
l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, chercheur associé à l’Institut d’histoire Bernard Gainot
moderne et contemporaine (UMR 8066). Préface de Jean-Paul Bertaud
Fabrice Le Goff est géographe-cartographe indépendant.

Illustration de couverture : Prix France : 24 


ISSN : 1272-0151 Jacques-Louis David, L’empereur Napoléon ISBN : 978-2-0802-7690-2

9:HSMASA=W\[^UW:
dans son bureau des Tuileries (détail),
huile sur toile, 1812, National Gallery of Art,
Washington
www.autrement.com © Bridgeman Images. TROISIÈME ÉDITION

9782080276902_AtlasEmpireNapoleonien_CouvHD Toutes les pages 19/01/2022 14:43


Atlas de l’empire napoléonien
1799-1815

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Auteurs
Jean-Luc Chappey est professeur d’histoire des sciences
des périodes modernes et contemporaines (xviie-xixe siècles)
à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne. Il dirige actuelle-
ment l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (UMR
8066). Spécialiste de l’histoire des sciences et des savoirs au
tournant des xviiie et xixe siècle, il a publié récemment
La Révolution des sciences. 1789 ou le sacre des savants
(Paris, Librairie Vuibert, 2020) et coordonné plusieurs numéros
de revues.

Bernard Gainot est maître de conférences honoraire en


histoire moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
chercheur associé à l’Institut d’histoire moderne et contem-
poraine / Paris1 - ENS rue d’Ulm, CNRS (UMR 8066). Ses
recherches portent sur l’histoire coloniale du xviiie siècle, sur
l’histoire des conflits de la période moderne, sur l’histoire
politique et sociale des années 1795-1830. Il a publié un Atlas
des esclavages, en collaboration avec Marcel Dorigny, chez
Autrement en 2007 (nouvelle édition 2022).

Préfacier
Jean-Paul Bertaud (1935-2015) a écrit une vingtaine d’ou-
vrages sur la Révolution et l’Empire, dont l’un couronné par
l’Académie française : Les Amis du roi (Perrin, 1984). Son livre
sur Les royalistes et Napoléon (Flammarion, 2009) a reçu le
prix Premier Empire de la Fondation Napoléon en 2009. Son
dernier ouvrage, Napoléon et les Français, est paru en 2014
Remerciements
chez Armand Colin. Les auteurs dédient cet ouvrage à la mémoire de
Jean-Paul Bertaud, disparu le 21 novembre 2015.

Cartographe Ils remercient particulièrement Clémence Zacharie-


Tchakarian, docteur en droit, Malcolm Crook et John
Fabrice Le Goff est cartographe-géographe indépendant. Dunne, professeurs à l’université de Keele, à
Il a réalisé les cartes de nombreux atlas aux Éditions Strattfordshire (Royaume-Uni), pour leurs précieuses
Autrement depuis dix ans, notamment l’Atlas historique du relectures ainsi que pour les documents originaux
Moyen-Orient (2020) et l’Atlas historique de la Méditerranée qu’ils ont bien voulu mettre gracieusement à leur
(2022). www.cartographe-legoff.com disposition. Ils ont également une pensée pour
Gérard Gayot, qui fut professeur d’histoire moderne à
l’université Lille III.
Les Éditions Autrement tiennent à remercier Anick
Maquette : Agence Twapimoa
Mellina, agrégée d’histoire, inspectrice d’académie
Lecture-correction : Rachel Grunstein
honoraire d’histoire et de géographie, pour sa partici-
Coordination éditoriale : Marion Chatizel ; Anne Lacambre
pation à l’élaboration de la première édition de l’atlas
pour cette édition
et à sa relecture scientifique des textes et des cartes.
Fabrication : Élodie Conjat

ISBN : 978-2-0802-7692-6
© Autrement, un département de Flammarion, 2022
87, quai Panhard et Levassor, 75647 Paris Cedex 13
Crédits
www.autrement.com
Pages 8-9. Carte de l’Empire français en 1805,
Dépôt légal : mars 2022 Archives de l’armée de terre (cote L.3.234)
Dépôt légal des précédentes éditions : © Éditions Autrement, © SHD.
2008, 2015 Page 67. Extraits de La topographie de Paris ou plan
Imprimé et relié en janvier 2022 par l’imprimerie Pollina, France détaillé de la ville de Paris et de ses faubourgs,
publié par Maire en 1808 (impression 1816)
Tous droits réservés. Aucun élément de cet ouvrage ne peut © A. Taride éditeur, Paris.
être reproduit, sous quelque forme que ce soit, sans l’autori- Page 69. Extrait du plan cadastral, 1809
sation expresse de l’éditeur et du propriétaire, les Éditions © Archives municipales de La Roche-sur-Yon.
Autrement.

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Atlas de l’empire napoléonien
1799-1815

Vers une nouvelle civilisation européenne

Jean-Luc Chappey et Bernard Gainot


Préface de Jean-Paul Bertaud
Cartographie de Fabrice Le Goff

Troisième édition

Autrement
collection Atlas/Mémoires

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4

Atlas de l’empire
napoléonien
1799-1815

6 Préface de Jean-Paul Bertaud 33 Les dynamiques démographiques


34 La population en Europe
7 Introduction 36 La population des villes
et des campagnes
7 De la « politique de civilisation »
à la domestication des peuples 38 Les rythmes familiaux
40 Femmes, filles et épouses
8 Carte de l’Empire en 1805 42 Le monde du travail
44 La conscription
46 Soigner la société : santé
11 Territoire, territoires et populations marginales
12 L’Europe sous influence
14 Le grand Empire en 1811
49 Les dynamiques économiques
16 Des frontières mouvantes
50 Une nouvelle géographie industrielle
18 Le contrôle des communications
52 Secteurs et acteurs de l’industrie française
20 Les représentants itinérants du pouvoir
54 L’organisation industrielle de l’Empire
22 L’organisation institutionnelle
56 L’encadrement du commerce intérieur
24 Le pouvoir des élites
58 Les échanges internationaux
26 Les élections
60 La nouvelle distribution des terres
28 Le contrôle du territoire
62 L’économie agricole entre innovations
30 L’Empire d’outre-mer et fragilités

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SOMMAIRE • 5

65 Dynamiques culturelles 91 Conclusion


et résistances
66 L’urbanisme impérial à Paris
68 Les villes impériales 92 Annexes
70 Le projet d’unification intellectuelle 92 Chronologie de l’Europe napoléonienne
et artistique (1799-1815)
72 Institutions et enseignement 94 Bibliographie
74 Des lieux de sociabilité sous surveillance
76 La remise en ordre religieuse

79 L’Europe du refus
80 Insurrections et zones de résistance
en Europe
82 Insoumission et désertion
84 Les lieux de l’opposition
86 L’Europe du congrès de Vienne
88 Traces d’Empire

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6

Préface

L es auteurs, s’interrogeant sur la civilisation napoléo-


nienne, élargissent le cadre géographique habituel de
l’étude. Adoptant une vision européenne, ils se placent,
Les rentiers du sol garnissent les rangs des notables.
Les bourgeois et les gentilshommes aux fortunes conser-
vées ou reconstituées s’y côtoient sans se fréquenter.
en effet, dans l’Empire des 130 départements et font des Napoléon souhaite les unir pour en finir avec la contre-
incursions dans les pays satellisés ou en outre-mer. révolution et disposer d’intermédiaires avec le peuple.
La noblesse d’empire réussit-elle l’amalgame des élites ?
« Je suis la Révolution. » Bonaparte apporte ou maintient Les paysans forment la majorité de la population et
la liberté et l’égalité civile sur le continent mais rétablit profitent de l’abolition de la « féodalité ». Combien sont-ils
l’esclavage aux colonies. Son régime autoritaire conserve à acquérir les biens nationaux encore vendus ? Combien
la pratique du vote mais truque les plébiscites et sépare de propriétaires parcellaires, combien de fermiers et de
citoyenneté et démocratie. Napoléon prétend édifier un métayers ? Les ouvriers pourvus d’un livret sont partout
monde de paix et de fraternité. Son règne est une longue sous l’œil de la police. Combien de coalitions et de
suite de guerres et l’Europe qu’il construit reflète moins grèves durement brisées ? La misère guette le monde des
un projet préétabli que le pragmatisme d’un général « bras-nus ». Parmi eux, combien de sans-logis, de
assemblant les populations conquises. Pour celles-ci, les mendiants et de prostituées ?
personnages familiers sont, avec le porteur du Code civil,
le gendarme qui surveille, le garnisaire qui réprime. À lire les bulletins de la Grande Armée, les lycéens ont
« devant les yeux une épée nue » et Paris se couvre de
La guerre emplit l’atlas. Les voies de communication sont monuments dédiés à Mars. Vers la capitale accourent
d’abord faites pour les déplacements militaires. Les flancs artistes et savants. Dans le reste de l’Empire, les autres
de la pyramide des âges se creusent tandis que les char- villes grandissent-elles au même rythme ? Napoléon offre
niers de la Grande Armée se garnissent ou que les soldats les lauriers de la gloire aux peuples « satellisés » comme
diffusent la contraception. La France demeure la Grande aux Français. Leur résistance annonce-t-elle toujours la
Nation « riche en hommes ». Elle le doit à un corps médical naissance des nationalités ?
qui, plus étoffé et mieux armé contre les maladies, sauve
des vies qu’une alimentation plus abondante prolonge. À parcourir l’Atlas de l’empire napoléonien, le lecteur
La démographie française garde-t-elle pour autant tout son prend la mesure d’institutions qui, durant près de deux
dynamisme ? siècles, ont marqué la France et une partie de l’Europe.
Il y décèle un patrimoine plus précieux encore : le mérite
Croissance dans la guerre ? La production agricole affirmé comme critère de promotion sociale, la tolérance
augmente-t-elle par des techniques améliorées, par des religieuse et la laïcité, l’honneur enfin de servir l’État, du
surfaces cultivées accrues ou grâce à la clémence du moins quand celui-ci est tourné vers le bien commun.
climat ? Dans les ports de l’Atlantique gênés par le
blocus, les mille bruits qui disent le travail des hommes Jean-Paul Bertaud
s’estompent. Le commerce se déplace vers l’est. Tandis
que grandit le trésor de guerre, la Banque de France émet
du papier monnaie que l’on peut échanger contre des
pièces désormais de bon aloi. Le crédit est-il suffisant pour
contribuer au démarrage industriel ?

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INTRODUCTION • 7

INTRODUCTION
De la « politique de civilisation »
à la domestication des peuples
D es débats préparant le sénatus-consulte du 18 mai 1804
au sacre de Bonaparte en décembre, la notion d’Empire
envahit l’espace des discours politiques et, plus largement
En Hollande, en Italie, en Westphalie, puis en Espagne,
les souverains sont ainsi appelés à appliquer le « Code
du siècle », mais aussi à détruire les anciens abus, à
encore, le champ des productions intellectuelles et introduire les nouvelles impositions et la conscription,
artistiques. La mythologie construite autour du personnage à créer des départements et des préfectures, à aliéner les
de Napoléon Bonaparte se renforce et se transforme : le biens du clergé, à imposer le divorce, à rétablir les finances
« sauveur » et « héros » passe du statut d’imperator, c’est- et à réformer la justice. Nombreux ont été ceux qui,
à-dire de chef de guerre victorieux, à celui d’empereur, anciens patriotes bataves ou italiens, ont applaudi à cette
chef suprême de l’État. Outre le renforcement du pouvoir entreprise et ont accueilli les armées et les fonctionnaires
personnel en France, ces années se caractérisent aussi par français à bras ouverts, l’Empire apparaissant comme
la domination sur des peuples étrangers, provoquant des un rempart face à la contre-révolution et comme une
bouleversements complets qui marqueront durablement promesse d’émancipation. Or, l’introduction du Code civil,
leur histoire et leur mémoire. la francisation des élites et des pratiques administratives,
les dispositions économiques provoquent progressivement
S’écartant des aspects strictement militaires, cet ouvrage l’hostilité puis les résistances.
entend faire le point sur les nombreuses et diverses
conséquences de cette extension territoriale de l’Empire De l’unité à l’uniformité, de la volonté de civiliser à celle de
et sur le projet politique auquel elle a donné corps. Mais domestiquer les peuples, le rêve impérial se transforme
est-ce bien un réel projet ou un rêve impérial ? C’est a en entreprise de domination des peuples au bénéfice des
posteriori, dans les divers écrits et confessions de Sainte- intérêts français, les populations des États sous contrôle
Hélène, que, vaincu, Napoléon Bonaparte cherchera à subissant les mêmes formes de pouvoir et de contraintes
conférer une unité à son aventure européenne en revendi- que celles qui pèsent, en France, sur les catégories
quant un héritage des Lumières et une continuité avec la populaires. Progressivement, les agents chargés de
Révolution dont il semble pourtant se détacher en France. mettre en place le nouvel ordre cristallisent l’hostilité des
Durant les Cent-Jours, il revient sur cette idée de continuité élites et des populations qui se lèvent contre ce nouvel
et rappelle que son objectif était d’organiser « un grand impérialisme français. Les insurrections espagnoles,
système européen, […] conforme à l’esprit du siècle et calabraise et tyrolienne témoignent de cette hostilité qui se
favorable aux progrès de la civilisation ». traduit aussi, chez certains intellectuels, par une invention
des traditions, un passé censé conférer aux nations des
C’est sans doute, comme y invitent les auteurs, en fondements solides pour résister à l’Empire français.
décentrant le regard porté sur les territoires européens
et en croisant les échelles d’analyse qu’il est possible de L’antipathie pour la France impérialiste née de la Révolution
revisiter ce projet impérial dont le caractère pragmatique est-elle pour autant à l’origine de l’éveil des nationalités ?
ne doit pas être minoré. Entre système fédératif et Empire- Il faut être prudent face à ces oppositions hétérogènes
nation, une logique de construction territoriale semble dues tout autant aux mesures fiscales et militaires qu’aux
en effet particulièrement délicate à trouver. Ce projet est attachements séculaires à l’Église ou aux dynasties
largement appuyé sur l’armée et l’administration issue des traditionnelles. Les questions restent encore nombreuses
transformations révolutionnaires. Au-delà de la politique de sur la réception en France et en Europe d’un régime qui
modernisation des voies de communication, qui renforce se prétend héritier de la Révolution, sur la construction
la mobilité des informations, des hommes et des produits, des identités individuelles ou nationales à l’œuvre dans les
l’entreprise de statistique départementale ou la mobilisa- processus de refus ou d’adhésion. Cet ouvrage entend
tion de la géographie participent d’une certaine modernité apporter un éclairage original sur ces aspects.
d’un État dont les serviteurs, répartis dans les différentes
parties d’un espace de plus en plus étendu, cherchent à Jean-Luc Chappey
unifier les territoires et à détruire les particularismes. Érigée Bernard Gainot
en capitale européenne, foyer de la civilisation, Paris devait
favoriser la fusion des élites et des peuples européens,
pour former les différentes parties d’un même corps.

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8

L’EMPIRE EN 1805

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CARTE DE L’EMPIRE EN 1805 • 9

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10

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TERRITOIRE, TERRITOIRES • 11

Territoire,
territoires
À partir du moment où la présence permanente des armées
françaises se manifestait bien au-delà des frontières naturelles
qui avaient matérialisé les limites de la République jusqu’en
1802, un changement de régime devait correspondre
à ce changement d’échelle. La notion d’Empire renvoie,
à l’époque, à des réalités extrêmement diversifiées, reposant
sur trois caractéristiques majeures : l’espace administré,
le gouvernement des populations et la domination. Tandis que
les républiques sont considérées comme le régime adapté
à un territoire peu étendu et à des populations socialement
et culturellement homogènes − ce qui favorise la participation
démocratique −, l’Empire regroupe des populations
hétérogènes par les mœurs et par l’histoire, sur un vaste
territoire dont l’unité réside principalement dans la soumission
commune à une instance unificatrice. La recomposition de la
notion de souveraineté induite par l’expérience révolutionnaire
française doit en outre s’accommoder de la tradition impériale
romaine qui combine la conquête militaire (l’imperium)
et l’intégration citoyenne. L’universalité de la construction
impériale tient aussi au fait de sa globalisation effective par
les territoires coloniaux demeurés dans l’orbite métropolitaine
après 1804, et par la rivalité permanente avec l’Empire
britannique, les deux impérialismes rivaux se structurant
parallèlement par la lutte implacable qu’ils se livrent.

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12

L’Europe sous influence


Conquêtes, expansion ou influence ? On hésite encore sur le terme susceptible de définir
le processus mis en œuvre pour contrôler les différents espaces s’étendant des bouches
de Kotor (Monténégro actuel) à celles de l’Elbe, des rives du Niémen à celles du Guadalquivir.
Sans doute faut-il croiser les approches (militaire, politique, économique et culturelle) pour
rendre compte des logiques qui modèlent le territoire et le « système » impérial.

De la « Grande Nation » le cadre d’un processus de marche des dirigeants français, le vecteur essentiel
à l’Empire peuples vers le progrès universel, d’un de cette « régénération » des peuples
À l’époque du Directoire (1795-1799), il rôle de libération par le renversement était l’armée, et la victoire était le signe
était fréquent dans les discours de dési- des tyrannies féodales et cléricales, et de la justesse de la cause. Les différents
gner la France républicaine comme la d’un rôle pédagogique en apportant le agents de la diplomatie républicaine
« Grande Nation ». Héritière du messia- cadre national comme modèle de réfé- envoyés dans les territoires occupés
nisme révolutionnaire de 1792, la pre- rence pour l’apprentissage d’institutions avaient pour « mission », aux côtés des
mière République se voit investie, dans politiques représentatives. Pour les militaires et des patriotes locaux, d’ac-
compagner le processus de civilisation
des peuples, qui justifiait les spoliations
L’EUROPE APRÈS LA PAIX D’AMIENS (25 MARS 1802)
des œuvres d’art, des bibliothèques et
des collections. Le Directoire considé-
SUÈDE rait en effet qu’il était normal que les
Mer
Mer Baltique peuples « libérés » manifestent leur gra-
du DANEMARK
Nord titude envers leurs « libérateurs » en ver-
RUSSIE sant des contributions de tous ordres,
Hanovre/ (Suède)
matérielles (transferts de richesses) et
Oldenbourg symboliques (allégeances politiques et
ROYAUME-
UNI
Rép. PRUSSE diplomatiques).
batave
Dès le Consulat (1799-1804), les dimen-
OCÉA N
TERRITOIRES
sions politique (les institutions représen-
Source : P. G. Dwyer, Napoleon and Europe, Longmann, 2001.

AT L ANT IQU E ALLEMANDS tatives) et idéologique (le processus de


FRANCE
civilisation) s’estompent, sans toutefois
Confédération
helvétique AUTRICHE disparaître complètement, parallèle-
Neuchâtel

Rép. du Valais ment à la diminution de la fréquence


Parme
Piémont Rép. d’usage du terme de « Grande Nation ».
d’Italie
Rép. ligure Roy. Reste l’affirmation du rôle historique de
PORTUGAL Lucques d’Étrurie Raguse EMPIRE
Piombino États OTTOMAN la France dans l’équilibre européen.
du Monténégro
pape
ESPAGNE
ROYAUME Une construction pragmatique
SARDAIGNE L’installation du pouvoir personnel en
DE
Mer Méditerranée
Brumaire avait des implications mili-
NAPLES Îles taires et diplomatiques ; en devenant
Sicile Ioniennes
interlocuteur unique des puissances
500 km
monarchiques européennes, Bonaparte
Légende commune aux trois cartes transformait un conflit de haute inten-
Satellites ou alliés de la France sité, la guerre de la deuxième coalition,
France (frontières de 1801,
puis de 1803, puis de 1806) Quatrième coalition (1806) en guerre classique dont l’issue était
Territoires annexés par la France Royaume-Uni et alliés ou dépendances arbitrée par la négociation : paix de
(1800-1803, puis 1803-1806, (1810) Lunéville avec l’Autriche (1801), paix
puis 1806-1809)
Frontière du Saint Empire romain d’Amiens avec l’Angleterre (1802).
Territoires sous occupation germanique (1803), puis de la
ou administration française Confédération du Rhin (1810) Sensible à l’héritage des Républiques
sœurs qu’il rétablit dans un premier

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Pages 12-13 :2022-BAT3.indd 12la
L’Europe après paix d’Amiens (25 mars 1802) 14/01/2022 08:56
TERRITOIRE, TERRITOIRES • 13

temps en Italie et en Hollande, le L’EUROPE APRÈS LE TRAITÉ DE PRESBOURG (1806)


Premier consul contrôlait alors un ter-
ritoire agrandi des acquisitions révolu- SUÈDE
tionnaires (Nice, la Savoie, le Comtat) Mer
Baltique
et directoriales (Belgique, rive gauche Mer
DANEMARK
du
du Rhin, Piémont), ensemble territo- Nord
rialement cohérent, départementa-
lisé, flanqué pour sa protection de la Hambourg
(Suède)

République batave, de la République ROYAUME-


UNI Hanovre (1) PRUSSE RUSSIE
helvétique ayant Bonaparte comme Hollande

CON DU RH
médiateur, de la République italienne OCÉAN SAXE Terr. allemands

FÉD IN
en dehors
recomposée. À Bruxelles comme à FRANCE de la Confédération

ÉRA
ATL ANTIQUE
Bayreuth
Milan, la déjà longue expérience d’in-

TIO
Confédération
tégration dans l’empire des Habsbourg helvétique Salzbourg (2)

N
Neuchâtel AUTRICHE

Source : P. G. Dwyer, Napoleon and Europe, Longmann, 2001.


prépare le terrain à la mise en place de Tyrol/Vorarlberg (3)
la nouvelle administration impériale. Rép. du Valais
Parme Vénétie (4) Istrie
En 1802, cette construction était-elle Piémont Roy.
d’Italie Dalmatie
Rép. ligure
viable ? Sans doute, n’eût été la riva- Lucques Raguse EMPIRE
Piombino États OTTOMAN
PORTUGAL
lité séculaire avec l’Angleterre, militaire du
Roy. pape Monténégro
en Méditerranée, commerciale pour ESPAGNE d’Étrurie
l’accès aux marchés continentaux. Les NAPLES
SARDAIGNE
deux pays purent couvrir cette rivalité
d’arguments empruntés aux conflits Mer Méditerranée

de la période moderne : résistance à SICILE


Territoire rattaché
la domination universelle (imperium (1) à la Prusse (1806)
mundi) pour les Anglais, résistance (2) à l’Autriche (1805)
(3) à la Bavière (1805)
au tyran des mers (mare nostrum) pour (4) au royaume d’Italie (1805) 500 km
les Français.
La guerre qui reprend en 1803
entraîne l’instauration de l’Empire. LE SYSTÈME CONTINENTAL (1810)
L’organisation impériale est un mode Finlande (1)
de gestion de la durée (la France SUÈDE
renoue avec son passé monarchique Pages 12-13 : L’Europe après le traité de Presbourg
Mer (1806)
en retrouvant son statut de puissance Mer Baltique
du DANEMARK
européenne) et de l’espace (la notion Nord
d’empire est liée à la gestion d’un RUSSIE
Hanovre/États Poméranie
grand territoire). À partir du traité de hanséatiques (5) suédoise Dantzig
Presbourg (janvier 1806), le système Frise orientale
ROYAUME- Bialystok (2)
impérial est un système fédéral qui, UNI Hollande DUCHÉ
Grand- PRUSSE
DE VARSOVIE
duché
autour du centre hérité de la décennie OCÉAN de Berg Galicie
occidentale (4)
révolutionnaire, fait graviter des États ATL ANTIQUE CONFÉDÉ-
FRANCE
Tarnopol (3)
administrés par les napoléonides, RATION
Confédération DU RHIN AUTRICHE
membres de la famille de Napoléon. Il helvétique
Neuchâtel Salzbourg/
confie la couronne d’Italie à son beau- Ried (6)
Source : P. G. Dwyer, Napoleon and Europe, Longmann, 2001.

fils, Eugène de Beauharnais (fils de Rép. du Valais Tyrol du Sud/Trentin (7)


Territoires autrichiens (8)
Joséphine). Louis, le cadet, reçoit de Parme
Roy.
d’Italie Provinces
son côté le royaume de Hollande. Le Lucques illyriennes EMPIRE
Piombino Marches
système est progressivement élargi à PORTUGAL (9) OTTOMAN
ESPAGNE Roy. Rome Monténégro
mesure des conquêtes : le royaume d’Étrurie
de Naples, puis l’Espagne (1808) NAPLES
SARDAIGNE
reviennent à Joseph, l’aîné ; le grand-
duché de Berg et de Clèves, puis le Mer Méditerranée

royaume de Naples sont attribués à SICILE

Murat ; le royaume de Westphalie est Territoire rattaché


(1) à la Russie (1808) (5) à la Westphalie (1810)
confié à Jérôme. Ce système familial, (2) à la Russie (1807) (6) à la Bavière (1809)
doublé d’une politique matrimoniale, (3) à la Russie (1809) (7) au royaume d’Italie (1809)
(4) au grand-duché (8) aux provinces illyriennes (1809)
place le clan Bonaparte au cœur de la de Varsovie (1809) (9) au royaume d’Italie (1808) 500 km
construction du nouvel empire.

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14

L’EMPIRE FRANÇAIS EN 1811

Le grand Empire
en 1811
Face aux difficultés rencontrées par les napoléonides,
la centralisation s’impose. Il s’agit notamment de renforcer
le blocus continental économique et d’étendre la conscription.
Le modèle administratif départemental se généralise,
tandis que Paris aspire à devenir la grande capitale financière
et religieuse de l’Europe.

L’organisation impériale Confédération du Rhin, créée en 1806,


En 1811, le cœur du système est le royaume de Naples et le royaume
alors l’Empire français des 130 d’Italie, clés de l’édifice napoléonien
départements qui comptent près de dans la péninsule italienne.
42 400 000 habitants, chiffre qui monte La question russe. Si, en 1811,
à 80 millions si l’on y ajoute les popula- Napoléon n’a toujours pas renoncé à M a n c h e
tions des États vassaux. une invasion de l’Angleterre, c’est vers
IN
Ce vaste ensemble comprend le la Russie que les regards se tournent. Rou
MANCHE
noyau originel agrandi des annexions : Face à des difficultés économiques
St-Lô Caen
les États du pape en juin 1809, la croissantes, la Russie décide d’aban- Évre
CALVADOS
Hollande, ainsi que les territoires donner le blocus le 31 décembre 1810
ORNE
côtiers du nord de l’Allemagne sous- en ouvrant ses ports aux neutres et en St-Brieuc
Alençon
traits au royaume de Westphalie, puis instaurant un tarif visant les produits FINISTÈRE CÔTES-DU-NORD ILLE-ET-
VILAINE MAYENNE
adjoints aux anciennes villes han- de luxe importés de France. Poussé Quimper Rennes Laval Le Mans
MORBIHAN
séatiques de Hambourg, Brême et par les princes germaniques, Napoléon SARTHE
Vannes
Lübeck en juillet 1810, la petite répu- décide de bloquer la poussée vers LOIRE- Angers
INFÉRIEURE Tours
blique suisse du Valais, qui soude l’ouest de l’Empire russe illustrée par Nantes MAINE-ET- IND
LOIRE
l’ensemble le 10 décembre 1810. Ce sa mainmise sur la Finlande (1809) et ET-LO
sont dix-sept départements nouveaux sa pression sur la Pologne (printemps VENDÉE
Napoléon-
qui apparaissent, dessinant un crois- 1811). Le contentieux est encore enve- La Roche-sur-Yon
DEUX-
Poitie
SÈVRES
sant étiré pour le contrôle des rivages nimé par les vaines tractations autour Niort VIENNE
et des ports, structuré autour d’une du mariage de Napoléon avec la jeune La Rochelle
CHARENTE- CHARENTE
douane militarisée pour mener la sœur du tsar. Une question de légiti- INFÉRIEURE
guerre économique. mité rend le conflit de plus en plus OCÉAN Angoulê
Dans les départements, ou préfec- inévitable : l’influence des émigrés
ATL ANTIQUE Périgue
tures, l’ensemble de la législation fran- français en Russie, le tournant réac-
çaise s’applique désormais. Toutefois, tionnaire d’Alexandre Ier érigent en effet Bordeaux
DORDO

un échelon intermédiaire entre les pré- l’Empire russe en champion de la chré- GIRONDE LOT-ET-
fets et Napoléon apparaît avec le lieu- tienté. Peut-il y avoir deux empires en GARONN
tenant général. Ce type d’administra- Europe continentale ? LANDES Agen E
tion est étendu aux territoires placés Maintenir l’unité de cet ensemble Mont-de-Marsan Mo
GERS
sous régime militaire : les marches conduit Napoléon à juxtaposer
Auch
slaves des Provinces illyriennes, la des formes de légitimité qui ne se BASSES- Pau H
Catalogne, la Toscane. Le gouverneur recoupent qu’imparfaitement, au PYRÉNÉES Tarbes GA

militaire est relayé par des intendants à risque de la déstabilisation, sous le HAUTES-
PYRÉNÉES
la tête de provinces, qui occupent les feu des critiques des contemporains :
mêmes fonctions que les préfets. providentielle, personnelle, consti-
Restent les bribes de l’ancien sys- tutionnelle, populaire, chrétienne,
tème fédéral, au centre de l’Europe : le monarchique et militaire. Ce cumul
duché de Varsovie, organisé le 22 juil- des références permet d’accroître les
let 1807, le grand-duché de Berg et le prérogatives de Napoléon, quitte à tra-
royaume de Westphalie, qui sont voués hir son statut incertain de « fils de la 100 km
à servir de modèles pour les pays de la Révolution ».

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 14 14/01/2022 08:56


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 15

Territoires constituant
EMS- l’Empire français
M e r d u N o r d ORIENTAL Hambourg
BOUCHES- Départements français
Groningue Aurich BOUCHES- DE-L’ELBE
DU-WESER
Leeuwarden Brême Ancienne République batave
EMS-
FRISE OCCIDENTAL
Départements réunis
EMS-
SUPÉRIEUR Rhénanie
Zwolle
Amsterdam BOUCHES- Départements piémontais
ZUYDERZEE YSSEL- DE-L’YSSEL Osnabrück
Départements ligures
La Haye SUPÉRIEUR Münster
Arnhem Départements toscans
BOUCHES-DE-LA-MEUSE LIPPE
Bois-
BOUCHES-DE-L’ESCAUT le-Duc Départements romains
Middelbourg DEUX- BOUCHES-
NÈTHES DU-RHIN Provinces illyriennes
Bruges ESCAUT Anvers MEUSE- Frontières de l’Empire français
ROER
INFÉRIEURE
LYS Gand DYLE Limites de département
Maastricht Aix-
Bruxelles la-Chapelle
Lille Liège
JEMMAPES OURTHE
PAS-DE-CALAIS Mons Coblence

Source : J. Boutier, Atlas de l’histoire de France XVIe-XIXe siècle,


Autrement, Paris, 2006.
Namur
Arras SAMBRE- RHIN-ET-
NORD MOSELLE
ET-MEUSE
SOMME FORÊTS Mayence
SARRE
Amiens Mézières
SEINE- Luxembourg Trèves
INFÉRIEURE MONT-
Laon ARDENNES TONNERRE
Rouen
Beauvais AISNE MOSELLE
aen OISE MEUSE
EURE Metz
Évreux SEINE Châlons Bar-le-Duc BAS-RHIN
OS Paris Nancy
Versailles SEINE- MARNE
ORNE SEINE- ET-MARNE MEURTHE Strasbourg
Alençon Chartres ET-OISE Melun Troyes AUBE VOSGES
NE EURE-ET-LOIR Chaumont Épinal
Le Mans Colmar
Orléans YONNE HAUTE-
SARTHE LOIRET MARNE HAUTE-SAÔNE HAUT-
Blois Auxerre Vesoul RHIN
rs LOIR- CÔTE-D’OR
Tours
ET-CHER Dijon Besançon
-ET- INDRE- CHER NIÈVRE
E ET-LOIRE DOUBS
Bourges Nevers Lons
Châteauroux
le-Saunier
UX- INDRE SAÔNE-ET-LOIRE PROVINCES
Poitiers Moulins JURA
RES ILLYRIENNES
rt VIENNE ALLIER Mâcon Sion
Bourg- Genève
Guéret SIMPLON
HAUTE- AIN en-Bresse LÉMAN
NTE- CHARENTE VIENNE CREUSE
URE Clermont RHÔNE
LOIRE DOIRE
Lyon SÉSIA
Angoulême Limoges PUY-DE-DÔME St-Étienne
Chambéry Ivrée
CORRÈZE ISÈRE MONT- Verceil
Périgueux Tulle BLANC
CANTAL HAUTE-LOIRE
Grenoble Turin MARENGO Mer
Le Puy Alexandrie Parme
Aurillac PÔ
DORDOGNE TARO Adriatique
Valence HAUTES- STURA GÊNES
LOT Privas
Mende Gap ALPES
NDE LOT-ET- Cahors ARDÈCHE DRÔME Coni MONTENOTTE Chiavari
Gênes APENNINS
GARONNE Rodez LOZÈRE
Savone
TARN- Digne Pietrasanta Florence
S AVEYRON VAUCLUSE ALPES-
Agen ET-GARONNE GARD MARITIMES ARNO
Avignon BASSES-ALPES Livourne
Montauban Albi Nîmes
GERS TARN Draguignan Nice MÉDITERRANÉE Sienne
Montpellier BOUCHES-
Auch DU-RHÔNE TRASIMÈNE
Toulouse HÉRAULT VAR
au HAUTE- OMBRONE
Carcassonne Marseille Spolète
Tarbes GARONNE
HAUTES- AUDE Île d’Elbe
Foix
PYRÉNÉES
ARIÈGE
Perpignan
PYRÉNÉES-
ORIENTALES CORSE Rome
Mer ROME
M e r
Ajaccio
M é d i t e r r a n é e Tyrrhénienne

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 15 14/01/2022 08:57


16

Des frontières mouvantes


Héritier d’une conception volontariste de la Nation, Napoléon fut-il le démiurge d’entités nationales
éphémères mais annonciatrices du nouvel équilibre européen arrimé aux États-nations ?
Caractérisées par leurs frontières mouvantes, les créations géopolitiques en Allemagne, en Italie,
en Pologne ont une genèse incertaine. Les populations sont tiraillées entre l’humiliation d’être
traitées en vaincues et l’opportunité de saisir des instruments d’émancipation.

Dans la péninsule italienne rêve unitaire du Triennio, voulaient en une entité politique unique, potentielle
La géopolitique de l’Italie napoléo- découdre avec les monarchies tradi- rivale de la France. On trouve plusieurs
nienne est un héritage du Triennio jaco- tionnelles, les Bourbons de Naples et la départements et deux royaumes. Les
bin (1796-1799). La deuxième cam- papauté. Ces dernières deviennent des modifications de frontières ont surtout
pagne d’Italie et la victoire de Marengo alliées contraintes de la France. concerné le royaume d’Italie.
(juin 1800) installent de nouveau Il en va tout autrement après le traité
Bonaparte en arbitre des destinées de Presbourg de 1806 ; Ferdinand de En territoire polonais
italiennes. Une deuxième République Naples ayant rejoint la troisième coali- La Pologne historique a été démem-
cisalpine se reconstitue dans le nord, tion, les Bourbons s’exilent en Sicile, brée par la Russie, la Prusse et l’Au-
autour de Milan. Elle se transforme en sous protection anglaise. Le royaume triche. C’est après Iéna (octobre 1806)
République italienne en janvier 1802, d’Italie récupère la Vénétie. En 1808, que Napoléon eut l’intuition de jouer
après la consulte de Lyon qui avait les réticences du pape Pie VII à appli- la carte polonaise contre la Prusse.
appelé les principaux protagonistes à quer le blocus continental entraînent Il appelle la population polonaise en
un débat institutionnel, puis en royaume l’annexion des territoires pontificaux. territoire prussien à se soulever, en
d’Italie en mai 1804. Bonaparte freine L’Italie est alors théoriquement uni- novembre 1806. Mais il n’a aucun
les ardeurs de certains officiers français fiée, mais Napoléon maintient des plan établi, ni sur l’entité politique à
et des patriotes italiens, qui, fidèles au souverainetés distinctes, car il craint construire ni sur son étendue.

LES FRONTIÈRES MOUVANTES LE ROYAUME D’ITALIE EN 1812


DE LA RÉPUBLIQUE CISALPINE

La seconde République cisalpine


PIAVE PASSARIANO
de juin à septembre 1800 ALTO
ADDA ADIGE
au 13 mai 1801 TAGLIAMENTO
SERIO BACCHIGLIONE ADRIATICO
LARIO
OLONA MELLA Vérone Venise
Sondrio BRENTA
ADIGE
LARIO Trente AGOGNA Milan ALTO
PADO MINCIO BASSA
Lugano Lac PADO
Lac Mer
Adige

Majeur de Côme PANARO


SERIO Bologne Adriatique
Lac CROSTOLO
Côme Bergame RENO
de Garde
Venise RUBICONE
Brescia
Ancône
Ad
Tessin

AGOGNA
da

Milan MELLA Vérone METAURO


Ogli ADIGE
OLONA o Mantoue MUSONE
Novare Rovigo
Ses

ALTO PADO
dans la diplomatie de la seconde République

MINCIO TRONTO
ia

Pavie Crémone Pô
Source : S. Jarry, Jacobinisme et frontière

Guastalla aro Ferrare Mer


Plaisance
cisalpine, mémoire de maîtrise, 2003.

Pô n BASSA PADO
Parme Pa Adriatique
Source : F. de Dainville, J. Tulard,

Reggio Modène
Ravenne
français, Droz, Genève, 1973.
Atlas administratif de l’Empire

PANARO Bologne
Forli
Se c c hia
o

RENO
Ren

CROSTOLO
Gênes RUBICONE Mer
Méditerranée
La Spezia
Mer Li gu r i en n e Florence 50 km 100 km

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 16 14/01/2022 08:57


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 17

C’est au cours des entretiens de Tilsit LA CONFÉDÉRATION DU RHIN (1806-1813)


avec le tsar Alexandre que le compro-
mis sur la question polonaise est provi- Mer
Eutin Poméranie
suédoise
soirement établi. Les terres polonaises du Nord
de la Prusse constituent une ébauche Duchés
Duché de Mecklembourg
d’État polonais (sans le nom historique d’Oldenbourg
de « Pologne », pour ne pas froisser
Brême
les Russes) sur 103 000 kilomètres Duché
d’Aremberg ROYAU ME
carrés, comptant 2 600 000 habitants. DE PR U SSE Od
ROYAUME er

Elbe
Le duché de Varsovie est placé sous HANOVRE
DE Berlin
la souveraineté nominale du roi de WESTPHALIE
W
Saxe, ce qui permet son intégration Salm e
Lippe- ser
à la Confédération du Rhin. Le 22 juil- Em Detmold
s
let 1807, un statut constitutionnel de Duché
d’Anhalt
89 articles est octroyé. Le servage est ROYAUME
Grand- Waldeck DE
aboli mais la noblesse conserve ses duché SAXE
privilèges ; la liberté religieuse est éta- de Berg

Grand-d
Duchés
blie mais le catholicisme reste religion de Saxe
d’État. Le pays est divisé en six dépar-
uché de
Duché Isenburg
tements. Le Code civil est introduit. de Nassau Gd-duché
Grand-duché de
La réalité du pouvoir appartient au
Hesse

de Wurtzbourg Ma
in
résident français bien plus qu’à un Francfort EMPIRE
D’AUTRICHE
roi lointain ou à une diète (Sénat et
EMPIRE Neustadt
Chambre des nonces) sans réelle auto- FRANÇAIS
Rhin

nomie législative. Considéré comme


Ratisbonne
e

marche militaire, le duché doit fournir


Bad

ROYAUME
contingent de soldats et contributions DE
de

WURTEMBERG Danube

financières, converties en majorats


duc

des origines à nos jours, Points Seuil, Paris, 1998.


pour les maréchaux.
nd-

ROYAUME
Gra

En octobre 1809, la défaite de l’Au- Hohenzollern DE

Source : J. Rovan, Histoire de l’Allemagne


BAVIÈRE
triche double la superficie du duché, Salzbourg
Confédération du
avec le rattachement de la Galicie, Rhin à sa fondation
autour de Cracovie, et gagne 1 500 000 (juillet 1806)
Bâle
Extension de la Inn
habitants. Pour les Polonais, malgré S
SU
Confédération U ISS
du E
ISSE
les déceptions, ce duché représente le Rhin (1806-1810)
Domaine incorporé Provinces
noyau d’une Pologne reconstituée et à l’Empire français illyriennes
ils lui manifestent un réel attachement. (1810)
Empire français ROYAUME
en 1811 100 km D’ITALIE
À l’est du Rhin
La création de la Confédération du
Rhin, le 12 juillet 1806, porte le coup politiques variées était essentielle à qui servent à établir les dotations des
de grâce au Saint Empire romain ger- l’équilibre classique de l’Europe. Elle officiers supérieurs. Mais c’est égale-
manique. Cette nébuleuse de formes laisse place à seize, puis progressive- ment un État à partir duquel le modèle
Pages 16-17 : La Confédération du Rhin (1806-1813)
ment trente États ; certains sont des français doit rayonner en terre alle-
LE DUCHÉ DE VARSOVIE (1807-1813) royaumes traditionnels consolidés et mande : une Constitution qui établit
Mer agrandis (Bavière, Saxe), d’autres sont une représentation politique censi-
Baltique Suwalki
Dantzig des créations. Le grand-duché de Berg taire, huit départements, l’abolition du
R OYA U M E DE PRUSSE
Bialystok
est le prototype de ces nouveautés, servage et des corporations, la liberté
Bydgoszcz Torun
(Russie, 1807) formé dès mars 1806 à partir du duché religieuse pour les catholiques, les pro-
Lomza
Vis
tul RUSSIE
de Clèves, anciennement prussien, et testants et les juifs, l’introduction du
Poznan e Plock
du duché de Berg, cédé par la Bavière. Code civil.
Source : Grand Larousse
Universel, Paris, 2004.

Varsovie
Kalisz Le royaume de Westphalie est formé L’unification du marché, par la sup-
Radom Lublin en juillet 1807 à partir de territoires ori- pression des péages et la monnaie
ginellement encore plus hétéroclites, unique, doit parachever cette tentative
EMPIRE
D’AUTRICHE avec Jérôme Bonaparte pour roi. Il est de génération assistée d’une nation
200 kkm
Ville libre conçu comme une marche militaire westphalienne qui se heurte à de fortes
Grand-duché en 1807 de Dantzig contre la Prusse ; pourvoyeur de sol- réticences de la noblesse et du petit
Agrandissement de 1809 (1807-1814)
dats, il verse des indemnités de guerre peuple.

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18

Le contrôle des
communications
La maîtrise des voies de communication est essentielle pour garantir le contrôle administratif
des populations et l’unification économique des territoires. En dépit d’importantes découvertes,
les innovations dans les transports restent rares et les techniques traditionnelles. Néanmoins,
grâce à une administration efficace, un effort considérable est accompli pour améliorer
les infrastructures et accélérer les relations entre les différents points de l’Empire.

Le service aux armées le service des postes, s’appuyant sur les le territoire de l’Empire, et entretiennent
Essentielles pour la transmission des nombreux relais qui assurent l’entretien plus de 16 000 chevaux.
décisions du pouvoir central, les routes des chevaux nécessaires. Pour pallier les problèmes liés à la
ont également un rôle majeur dans Dès 1805, une organisation d’ache- lenteur et à l’espionnage, le directeur
l’organisation des armées. Alors que le minement postal strictement militaire, général des Postes, Lavalette, organise
temps de parcours a été divisé par deux jusqu’alors déficient, est mise en place. un système d’estafettes qui assure la
entre 1800 et 1815, cartographes et Le monopole des maîtres de poste est confidentialité des dépêches de cabi-
géographes sont mis à contribution pour rétabli au profit de la Société des mes- net. Chaque postillon transmet à la
fournir à l’état-major des cartes pré- sageries impériales, qui s’occupe en station suivante un livret où le nom de
cises. Le réseau dense des villes étapes priorité de la correspondance militaire chaque poste, l’heure de son arrivée
situées sur les grands axes doit pou- et officielle. Les particuliers peuvent et de son départ, sont inscrits. Ce ser-
voir accueillir un nombre important de progressivement profiter de ce ser- vice, plus rapide et plus fiable, permet
soldats. Pour garantir l’acheminement vice de malle. Au total, les maîtres de de recevoir en huit jours les lettres de
rapide des ordres, l’Empereur réorganise poste sont plus de 1 400, répartis sur Milan et en quinze celles de Naples.

LES ROUTES D’ÉTAPE EN 1812 Logistique militaire


Les étapes sont des
Hambourg éléments essentiels
Groningue Brême Route d’étape de la logistique
Mer
du Nord militaire. Ce sont des
Source : F. de Dainville, J. Tulard, Atlas administratif
de l’Empire français, Droz, Genève, 1973.

Amsterdam Hanovre jalons qui ponctuent


le déplacement
Münster des troupes ou des
Cassel conscrits en passe
Bruges Anvers Mulheim d’être incorporés.
Calais Gand Les chefs d’unités
Boulogne Lille Bruxelles Liège Coblence distribuent des
M a n c h e Arras billets d’étape qui
Mayence garantissent aux
Cherbourg Amiens Mézières
Le Havre Rouen Luxembourg soldats ou futurs
Heilbronn soldats le gîte
Châlons Metz
St-Malo
Caen Paris (chez l’habitant ou
Brest Nancy Strasbourg dans des casernes
Alençon
Chartres improvisées) et
Rennes Troyes Colmar
Quimper Le Mans Orléans Chaumont le ravitaillement
Vannes Fribourg (organisé par des
Dijon Klagenfurt fournisseurs aux
Nantes Angers Tours Besançon Agram
Nevers armées qui passent
Châteauroux Laybach des contrats avec
Poitiers Moulins
Mâcon les producteurs
La Rochelle Niort Genève Bergame locaux). Le système
Limoges
OCÉAN Clermont Lyon Chambéry Ivrée des étapes est
Angoulême Milan Mantoue censé protéger les
ATL ANTIQUE
Périgueux Mer civils des réquisitions
Bordeaux Le Puy Turin Parme
Adriatique forcées et du pillage.
Cahors Gap La gendarmerie
Rodez Gênes
Florence Ancône surveille ces
Mont-de-Marsan Agen Nîmes Livourne déplacements.
Bayonne Auch Montpellier Nice Sienne
Toulouse
St-Jean-de-Luz Pau Marseille Spolète
Narbonne Toulon
Perpignan Mer Méditerranée
200 km Rome

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 18 14/01/2022 08:57


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 19

LE TÉLÉGRAPHE EN 1813 Contrôle et aménagement


des départements
Ligne Le département de la Loire (482 000
Amsterdam télégraphique
hectares environ et près de 315 000
Mer
habitants) est organisé par un dense

Source : F. de Dainville, J. Tulard,


Atlas administratif de l’Empire français,
Droz, Genève, 1973.
du Nord
Gand Anvers réseau routier reliant les principaux
Boulogne Bruxelles centres administratifs et économiques.
Arras Lille
M a n c h e La préfecture, située à Montbrison,
les sous-préfectures de Roanne et
Châlons Metz
St-Malo Paris de Saint-Étienne sont les lieux de la
Brest Melun Strasbourg
Versailles transmission des décisions venues de
St-Brieuc
Paris, mais aussi de la remontée des
Auxerre
Dijon informations et des sollicitations. La
route principale qui traverse le nord du
Mâcon département souligne le poids du pôle
OCÉAN Venise
Lyon
Chambéry Milan Mantoue lyonnais. Capitale de la rubanerie de
ATL ANTIQUE
Mer soie, Saint-Étienne (25 000 habitants)
Turin Alexandrie Adriatique et le réseau des villes qui l’entourent,
200 km
constituent le centre économique. Ses
marchands-fabricants font vivre les
ouvriers dispersés dans les montagnes
La mobilisation des nouvelles télégraphiste » auprès de la Grande voisines. En outre, la région se taille
techniques Armée. La ligne jusqu’à Mayence est une réputation dans la fabrication des
Outil de gouvernement, le télé- achevée en mai 1813, mais la défaite fusils, des baïonnettes et de la quincail-
graphe optique, mis au point par les de Leipzig rend son exploitation lerie. Le réseau comporte encore des
frères Chappe, cristallise les rêves de impossible. En 1815, le réseau, res- faiblesses et certains villages restent
conquête. Pages 18-19 : Les lignestreint à l’Hexagone,
télégraphiques perd sa dimension
en 1812 mal desservis, facilitant parfois des
Napoléon encourage la création de européenne. attitudes de repli, voire de résistance.
nouvelles lignes mais se heurte aux
contraintes financières. En 1802, les
différents chantiers sont abandon- UN EXEMPLE LOCAL : LA LOIRE La Loire en travaux
nés. L’année suivante, il accepte le L’aménagement des
fleuves et des rivières
financement par la Loterie nationale
à l’État napoléonien, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2005.

vers
SAÔNE-ET -LOIRE concentre l’attention
et ordonne l’extension de la ligne de Moulins des autorités.
La Pacaudière Les ingénieurs des
Lille vers Bruxelles. En août 1803, ALLI ER
Charlieu Belmont Ponts et Chaussées
l’ordre est donné de créer un embran- St-Haon-
Source : P. Chambon, La Loire et l’Aigle. Les Foréziens face

sont chargés
le-Châtel
chement pour relier Lille à Boulogne Perreux RH ÔNE d’aménager les rives,
Roanne d’assurer la sécurité
et de construire deux machines télé- St-Symphorien- et d’améliorer la
Loire

graphiques de grande dimension pour de-Lay


navigation. La Loire
vers St-Just-
permettre la transmission des mes- en-Chevalet vers Lyon fait l’objet de
Clermont
nombreux travaux
sages outre-Manche. d’aménagement pour
St-Germain- Néronde
Devenu roi d’Italie en 1805, Bonaparte Laval étendre les levées et
Noirétable
fait preuve d’un nouvel intérêt pour des mieux maîtriser le lit
Boën du fleuve : il s’agit
transmissions rapides entre Paris et la Feurs vers Lyon
de lutter contre
St-Georges-
péninsule italienne. En 1807, Paris peut en-Couzan les dégradations
communiquer avec Turin, mais il faut Chazelles vers Lyon des riverains plus
Montbrison fréquentes depuis
attendre 1809 pour que le télégraphe St-Héand Rive- la suppression de
P UY- St-Rambert de-Gier
fonctionne jusqu’à Milan, puis finale- DE- DÔ M E l’administration
St-Jean-
Soleymieux St-Chamond mise en place sous
ment jusqu’à Venise à partir de 1810. Pélussin l’Ancien Régime.
La ligne détient alors le record de lon- St-Bonnet- Le Chambon St-Étienne À la tête de
gueur avec 124 postes organisés en le-Château Bourg- l’administration
Argental départementale,
douze divisions sur 850 kilomètres. vers Le Puy
St-Genest-
l’ingénieur Bouchet
H AU TE-LOIRE Malifaux
Pour faire face à la menace anglaise 20 km A RD ÈC H E favorise la
sur les côtes ouest, Napoléon ordonne, construction de
Route impériale Chemin Préfecture digues et les
le 28 mai 1809, la prolongation de la vicinal plantations dans
de première classe Chef-lieu
ligne de Bruxelles vers Anvers, puis Bac d’arrondissement le lit mineur afin
de deuxième classe de canaliser les
plus tard vers Amsterdam. Abraham Relais Chef-lieu déplacements.
de troisième classe de poste de canton
Chappe est alors nommé « attaché

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 19 14/01/2022 08:57


20

Les représentants itinérants


du pouvoir
La circulation des hommes, des marchandises et des ordres constitue une des priorités
du gouvernement qui, s’appuyant tant sur l’administration des Ponts et Chaussées que sur
la gendarmerie, ne cesse d’améliorer les réseaux de transport et d’en assurer la sécurité.
Aux déplacements des soldats et des fonctionnaires qui servent le pouvoir s’opposent ceux des
pauvres des villes et des campagnes, suspects de brigandage, que le régime cherche à contrôler.

Les pérégrinations militaires Armée de Russie en 1812 et élevé Le maillage impérial


Au fil de ses carnets, le capitaine Jean- au grade de lieutenant, il combat à Le décret impérial du 16 décembre
Roch Coignet (1776-1865) raconte ses Borisov et à la Berezina, est en Saxe 1811 distingue trois classes de routes
aventures et s’impose comme repré- en 1813, y est promu capitaine adjoint impériales qui doivent permettre
sentatif des « vieux grognards ». Après à l’état-major général et sert en France d’unifier le pays, de faciliter le pas-
une enfance pauvre, il s’engage en jusqu’à la fin de la guerre. Élevé au rang sage des troupes et la circulation des
1799 et participe à toutes les cam- d’officier de la Légion d’honneur, il est marchandises.
pagnes de l’Empire. Grenadier à pied réformé sous la première Restauration La première classe contient 14 routes
de la garde consulaire, il sert de 1804 et, employé à l’armée du Nord pendant qui, organisées en étoile, relient Paris
à 1807 en Autriche, en Prusse et en les Cent-Jours, il regagne Auxerre en aux différents points de l’Empire.
Pologne, puis passe caporal. Il se octobre 1815. Après seize campagnes Les 13 routes de la deuxième classe
bat en 1808 en Espagne, revient en et quarante-huit batailles sans avoir permettent de relier Paris à d’autres
Allemagne en 1809 et est nommé jamais été blessé, il est admis à la grandes villes de province moins
sergent. En marche pour la Grande retraite en décembre 1829. importantes.

LES AVENTURES DU CAPITAINE COIGNET ENTRE 1799 ET 1815

Moscou
Borodino
Mer Mer
Baltique Vitebsk
du
Tilsit Kaunas Smolensk
Nord Königsberg
Dantzig Friedland Vilnius
Eylau
Stettin
PRUSSE Thorn E M P I R E R U S S E
Magdebourg
Berlin Poznan Varsovie
CONFÉDÉRATION En Italie et au Portugal
Boulogne Waterloo DU RHIN GRAND DUCHÉ
Leipzig DE VARSOVIE (août 1799-mars 1802)
Francfort Erfurt Iéna
Amiens Mayence Pause à Auxerre
Reims (1802-1803)
Paris Wurtzbourg
Brünn De Boulogne à Austerlitz
Le Mans Metz Ratisbonne Austerlitz
(avril 1803-début 1806)
OCÉAN Tours Orléans Auxerre Strasbourg Vienne Aspern
Dijon
Ulm Linz En Prusse et en Pologne
ATL ANTIQUE EMPIRE (septembre 1806-août 1807)
Bourges SUISSE D ’A U T R I C H E Pause à Paris
Limoges
Bordeaux Lyon Chambéry Brescia (été 1807-octobre 1808)
Milan Vicence En Espagne et en Autriche
EMPIRE FRANÇAIS
Bayonne Turin Vérone (octobre 1808-novembre 1809)
Toulouse Marengo ROYAUME
Burgos Pause à Paris
Vitoria D’ITALIE (décembre 1809-avril 1812)
Campagne de Russie
Salamanque
(avril 1812-avril 1814)
Madrid Pause à Auxerre, en demi-
Mer solde (avril 1814-mars 1815,
Méditerranée première Restauration)
ROYAUME
D’ESPAGNE À Waterloo
(avril-juillet 1815, les Cent-Jours)
Retraite à Auxerre
Source : Les cahiers du capitaine Coignet, Arléa, Paris, 2001. 250 km (à partir de 1815)

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 20 14/01/2022 08:57


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 21

La troisième classe contient 202 routes LES ROUTES IMPÉRIALES EN 1811


formant l’armature de l’organisation
locale. Route impériale Amsterdam Hambourg
Mer du Nord
La constitution de ce maillage dense et 1 de première classe Ostende
Dunkerque Anvers Cologne
hiérarchisé s’est appuyée sur d’impor- 15 de deuxième classe Maastricht 20
Bruxelles
tants travaux de construction et d’amé- Boulogne Calais Aix-la-Chapelle
Lille Liège
1 Arras Prusse
nagement, l’administration s’attachant 2
Namur
21 Coblence
Abbeville 17 18 3
à développer les routes vers l’Italie : Cherbourg Dieppe Amiens Luxembourg
Mayence

« De tous les chemins ou routes, ceux Manche Beauvais


Le Havre
16
Laon
qui tendent à réunir l’Italie à la France 15 Rouen
Soissons Étain Metz 4
Caen 14 Reims
Évreux Paris 4 Châlons Bar-le-Duc Nancy
sont les plus politiques » (Napoléon). Strasbourg
13 5
Suivant des objectifs militaires ou Alençon 13 Chartres
Brest St-Brieuc Troyes Allemagne
Rennes 6
commerciaux, les voies passant par le Le Mans
Orléans Joigny Chaumont
27 Laval Belfort Bâle
col du Simplon vers Milan, par le col du Lorient 11 Auxerre 22
26
Vesoul
Mont-Cenis, par le col du Lautaret et Nantes Angers Tours 8 7
Dijon 6
Briançon, et le long de la côte méditer- 23 Nevers
OCÉAN Chalon-
ranéenne, sont les réalisations les plus ATL ANTIQUE Poitiers Moulins sur-Saône
12
marquantes. Œuvres des ingénieurs La Rochelle 25 Niort
Mâcon
Genève
8
des Ponts et Chaussées, ces grandes Rochefort Limoges Milan,
Source : F. de Dainville, J. Tulard, Atlas administratif

Angoulême Clermont Lyon Chambéry Naples


percées alpines participent largement
7
au mythe impérial. Périgueux
de l’Empire français, Droz, Genève, 1973.

Turin
Bordeaux Valence
La priorité donnée aux grands tra- 10 Gênes,
24 8 Florence
vaux et à l’aménagement des routes 11 Cahors
qui relient à Paris justifie sans doute Mont-de-Marsan Agen
23
Millau
8
la moindre attention portée aux routes Draguignan
Auch Aix-en-Provence Nice
Bayonne Toulouse
intérieures (à l’exception notable de la Tarbes Marseille 9
Vendée). En 1811, la plupart des routes Foix Narbonne Toulon
de deuxième niveau sont rétrogradées Madrid
Perpignan
Mer Méditerranée
et, de ce fait, leur entretien est progres- Barcelone
200 km
sivement délaissé.

Dominique Vivant Denon couronnement de l’Empereur, faire assure ne pas « dépouiller les villes de
(1747-1825) quelques incursions en Autriche et en tous les tableaux qu’elles possèdent »,
Nommé directeur du Louvre par Allemagne, souvent comme espion. ses visites suscitent souvent des
Bonaparte en novembre 1801, Denon Pages 20-21
Il visite systématiquement : Les routes
les galeries, impériales en 1811
mécontentements. Lors de sa mission
est déjà un voyageur averti. Son pre- couvents et bibliothèques des villes en Italie en 1811, il lance de grandes
mier périple le voit successivement conquises et fait répertorier les pièces entreprises archéologiques autant pour
ordonner les cérémonies funèbres à expédier à Paris pour rejoindre trouver de nouveaux trésors que pour
en l’honneur de Desaix au Grand- les collections du musée Napoléon fournir du travail à la « classe pauvre et
Saint­
-Bernard, assister à Milan au ou décorer les palais impériaux. S’il oisive » de Rome.

LES MISSIONS TERRITORIALES EN ALLEMAGNE (1806-1807), EN AUTRICHE (1809) ET EN ITALIE (1811)

Missions Dantzig Paris Départ : août 1811


Mer Bal ti que Elbing
en Allemagne Mer Retour : décembre 1811
(1806-1807) du Marienbourg
Nord
Milan
en Autriche MECKLEMBOURG
Thorn Décembre
(1809) Schwerin Pô
Hambourg PRUSSE Mer
Berlin Adriatique
Brunswick Octobre ITALIE
Potsdam
Hanovre Carrare
Wolfenbüttel Gênes
SAXE Florence
Septembre
Tib

Cassel Pise o
Mer Ligurienne Arn
re

HESSE Weimar
Volterra Pérouse Assise
E M PIRE Francfort
Mer
FRANÇ AIS M é dite rra né e Foligno
Bamberg EMP IRE D ’AUTR I C HE Spolète
Wurtzbourg ROYAUME
DE BAVIÈRE Vienne Nepi
Paris Munich Mer
Corse Tyrrhénienne Rome
Source : B. Savoy, Patrimoine annexé. Les biens culturels saisis par la France 200 km Novembre
en Allemagne autour de 1800, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2003. 100 km

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22

L’organisation institutionnelle
« Le pouvoir vient d’en haut, la confiance vient d’en bas. » Les rédacteurs de la Constitution
de l’an VIII résumaient ainsi l’esprit de la république plébiscitaire. Le 19 brumaire an VIII,
une commission législative réduite est chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Tout au long
des quinze ans de régime napoléonien, elle connaîtra des aménagements, le plus important
étant l’établissement de l’Empire, mais ses principes resteront intangibles.

Un État très centralisé législative est le Conseil d’État, qui (Sieyès, Ducos) sont rapidement écar-
Les artisans du coup d’État, derrière prépare les textes de loi et les règle- tées, le texte constitutionnel consacre
Sieyès (les révisionnistes), avaient ments administratifs. Il est également l’installation d’un régime personnel,
prévu un dispositif législatif com- un tribunal du contentieux administratif voulu par le Premier consul, intervenu
plexe dont le but était de laisser le et un recours pour les abus de pou- personnellement pour en simplifier les
pouvoir exécutif maître de la déci- voir. Bonaparte nomme les membres dispositions.
sion. Le Tribunat débat sur les textes des deux assemblées qui contrôlent le Le Premier consul nomme et révoque
de loi qui lui sont proposés, mais ne pouvoir législatif, les conseillers d’État les hauts fonctionnaires, désigne les
vote pas. Le Corps législatif approuve, et une première liste de sénateurs, magistrats (à l’exception des juges de
ou non, mais ne débat pas. Le Sénat à charge pour eux de coopter leurs paix et des juges de cassation). Il mène
juge de la conformité des textes avec collègues. la politique extérieure (avec approba-
la Constitution et autorise, au besoin, Loin de se limiter au renforcement du tion du Corps législatif). Les ministres
Bonaparte à en rectifier la formula- pouvoir exécutif voulu par les révi- ne sont que des agents d’exécution.
tion. Le véritable pouvoir en matière sionnistes, dont les figures majeures
De la représentation
L’ORGANISATION GÉNÉRALE DE L’EMPIRE (CONSTITUTION DE L’AN XII, 18 MAI 1804) à l’expertise
Pièce maîtresse du dispositif, le
Pouvoir exécutif Pouvoir législatif Conseil d’État symbolise l’effacement
Sénat progressif du régime représentatif au
Décide de la constitutionnalité des lois. bénéfice du pouvoir des experts. Au
Conseil d’État À partir de 1802, les sénateurs service de l’exécutif, il doit préparer
Rédige les lois. sont choisis par le Premier consul.
Empereur Membres choisis À partir de 1804, les princes les décrets et les projets de loi et légi-
par l’Empereur. et les grands dignitaires de l’Empereur timer les décisions devant les assem-
sont membres d’office.
Environ 140 sénateurs en 1814. blées. Celles-ci sont dédoublées entre
un Tribunat de 100 membres chargés,
sans pouvoir d’amendement, de l’exa-
Ministres Tribunat Corps législatif men des projets de loi (les velléités
Choisis par l’Empereur Discute les lois. Vote les lois.
et responsables 100 membres 300 membres de résistance de certains d’entre eux
devant lui. choisis par le Sénat choisis par le Sénat se sont soldées par son épuration en
dans la liste nationale. dans la liste nationale.
1802) et le Corps législatif, comptant
Aboli en 1807.
300 membres privés de tout pouvoir de
Collèges électoraux délibération, qui adopte ou rejette les
Préfets Sous-préfets
Processus électoral

projets par scrutin secret.


G o u ve r n e m e n t l o c a l

À la tête des départements. À la tête des arrondissements. de département


Nommés par l’Empereur Choisis par l’Empereur Parmi les 600 plus imposés Un Sénat conservateur veille sur l’en-
et responsables devant lui. et responsables du département.
devant les préfets. semble de cette organisation : ses
Collèges électoraux 80 membres nommés à vie contrôlent
d’arrondissement la constitutionnalité des lois et fixent
Parmi les 100 plus imposés
du canton. la liste nationale des notabilités. À
Maires Maires
des communes de moins des communes de plus tous les niveaux, il s’agit de réduire,
Assemblées cantonales
de 5 000 habitants. de 5 000 habitants. sinon de supprimer, toutes les formes
Choisis par les préfets Choisis par l’Empereur
dans la liste communale. dans la liste communale. Suffrage universel masculin de contre-pouvoir à la volonté de
Napoléon.
Source : C. Emsley, Napoleonic Europe, Longman, Londres, New York, 1993.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 22 14/01/2022 08:57


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 23

La clé de l’organisation L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE


territoriale D’UN DÉPARTEMENT : LA DRÔME
Le département est une création révo-
lutionnaire ; c’est la clé de voûte de Préfet
Secrétaire particulier nommé par le Premier consul
l’unification nationale par la générali-
sation d’un appareil administratif uni-
forme, agençant des cadres territoriaux Conseil général
16 membres
simples, identiques et symétriques nommés par le consul
Valence sur proposition du préfet
(cantons, municipalités). C’est égale-
Die
ment l’un des marqueurs essentiels de 3 conseillers de préfecture Montélimar
l’influence française en Europe, à tel Nyons
point que la « départementalisation »
a pu se confondre avec l’expansion
française.
La Constitution de l’an VIII achève la Secrétaire général Sous-préfet Sous-préfet Sous-préfet
simplification des fonctions ; le Conseil de l’arrondissement de Die de Nyons de Montélimar
de Valence
général est l’organe de délibération, le
préfet est l’agent unique du gouverne-
ment, et le Conseil de préfecture règle Conseil Conseil Conseil Conseil
d’arrondissement d’arrondissement d’arrondissement d’arrondissement
le contentieux administratif. 11 membres 11 membres 11 membres 11 membres
Les préfets sont nommés par nommés nommés nommés nommés
Bonaparte ; ils nomment à leur tour
les maires des villes de moins de cinq
mille habitants. Ils héritent des pou- 10 cantons 9 cantons 4 cantons 5 cantons
102 communes 118 communes 74 communes 68 communes
voirs des commissaires centraux du
Directoire, mais y ajoutent une fonc-
tion d’administrateur que ces derniers
362 maires nommés
n’avaient pas (notamment en matière
Source : J.-P. Bertaud, « Les Drômois sous Napoléon 1800-1815 », in Annales historiques de la Révolution française, n° 323.
budgétaire). La centralisation est donc
renforcée.
LES PALAIS IMPÉRIAUX
La toute-puissance impériale
Dès les débuts du régime, l’incar- Mer Palais
impérial
nation du pouvoir est marquée. En du Nord
témoignent la multiplication des Amsterdam
Pages 22-23 : L’organisation administrative
Haarlem d’un département français : la Drôme
images de Bonaparte, dont le visage Zoestdijk

Source : F. de Dainville, J. Tulard, Atlas administratif


Utrecht Loo

de l’Empire français, Droz, Genève, 1973.


est gravé sur les pièces de monnaie,
l’installation d’une vie de Cour aux Anvers
Bruxelles
Tuileries dès 1802, et plus encore les
voyages en province. Le pouvoir réel Manche
est là où est le chef de l’État : la visite Villiers
Pavillon Compiègne
départementale est constitutionnelle de Hollande Paris
et « des palais impériaux sont établis Versailles St-Cloud Strasbourg
Rambouillet Meudon
aux quatre points principaux de l’Em- Fontainebleau
pire » (article 16 de la Constitution de
l’an XII). Se rétablit l’usage du droit de
grâce, exercé après consultation d’un
Conseil privé qui va prendre de plus en OCÉAN
plus d’importance. ATL ANTIQUE
Les formes monarchiques sont donc Turin Colorto
Parme
bien présentes avant même l’établis- Bordeaux
sement de l’Empire, le 18 mai 1804. Pise Florence
Toutefois, elles s’accentuent encore Marac
Livourne
Sienne
avec la Constitution de l’an XII.
Tout passe alors par les collaborateurs
Rome
directs de l’Empereur, la correspon- Mer
M er
dance étant l’instrument essentiel de Méditerranée
200 km Tyr r h én i en n e
gouvernement.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 23 14/01/2022 08:57


24

Le pouvoir des élites


Bonaparte assimile la Révolution à un individualisme désintégrateur. Il faut donc reconstruire
du « lien social » à partir de quelques institutions socles : lycées, Légion d’honneur, Code civil.
Il rompt avec l’égalitarisme révolutionnaire, reconstituant des élites dirigeantes de notables
d’abord, puis une nouvelle noblesse, avec l’ambition de réconcilier aristocrates traditionnels
et « hommes nouveaux » de la Révolution. Ce sont les « masses de granit ».

Les notables nationale de six mille notables, produit C’est le préfet qui décide, en dernière
Le projet d’une recomposition des de cooptations à partir des listes dres- instance. Au départ, le régime consu-
élites dirigeantes autour du groupe des sées aux divers échelons administra- laire avait accordé le choix des notabi-
notables, qui se substituerait à celui de tifs, communal, puis départemental. lités communales aux citoyens actifs.
la noblesse, prend forme avec les phy- Ces listes de notables, qui dessinent Il n’en reste plus rien en 1812 lorsque,
siocrates, entre 1750 et 1770. Il s’agit les contours du corps politique, au terme d’une alchimie mêlant les
d’asseoir le pouvoir politique non plus recoupent les listes « des six cents niveaux politique et social, le préfet
sur le privilège mais sur la propriété ; contribuables les plus imposés » et établit une liste de synthèse dite « des
les notables sont les propriétaires, « des soixante propriétaires les plus personnes les plus marquantes du
quel que soit par ailleurs leur milieu distingués et par leur fortune et par département », ou « grands notables ».
d’origine, noble ou roturier. La nature leurs vertus publiques », constituées au
du pouvoir politique devait également niveau départemental à partir de 1805. La nouvelle noblesse
évoluer à travers l’instauration d’un Ainsi, la notabilité napoléonienne En dépit de la disparition de nom-
système représentatif qui associe- n’est pas mécaniquement définie par breuses fortunes dans les différents
rait ces propriétaires à la gestion des l’activité économique et le niveau de départements, le portrait de groupe
affaires du pays. Une ébauche de ce richesse. La « vertu publique », clé de la des notables fait apparaître une perma-
système apparaît en 1787 avec l’As- confiance, est fonction de la réputation, nence des anciens nobles à la tête des
semblée des notables. Concrètement, celle-ci tenant essentiellement au rôle élites promues par le régime. Obsédé
c’est bien ce programme de gouverne- que tel individu a pu jouer dans les évé- par la crainte que son œuvre civile
ment des propriétaires que les brumai- nements de la Révolution. Un riche pro- ne s’inscrive pas dans la durée, pro-
riens remettent au goût du jour : l’ad- priétaire peut être écarté de la notabilité fondément marqué par les valeurs de
mission aux assemblées législatives parce qu’il a des convictions, généra- son milieu d’origine, la petite noblesse
est soumise à l’inscription sur une liste lement républicaines, trop marquées. militaire, dont la fonction est le service

LES NOTABLES DANS LE DAUPHINÉ (1812) LES ANOBLIS D’EMPIRE (1808-1812)

Nombre de notables inscrits éman Nombre d’anoblis


sur les listes des 600 Lac L d’Empire (pour
Thonon 100 000 habitants)
10 120 Genève
LÉ M AN
Source : A. Palluel-Guiliard, Les Notables dans les Alpes du Nord,

20
150 Bonneville
Source : N. Petiteau, Élites et mobilités : la noblesse d’Empire

30
au XIXe siècle (1808-1814), La Boutique de l’Histoire, 1997.
Arv

50 300
Annecy
e

Chambéry
Rhône

MO NT - BL AN C 48,8
La Tour-
du-Pin 22-25,3
Vienne I S È R E
Moutiers 17-21,9
14-16,9
re

Ar
Isè

11-13,9
c

St-Marcellin St-Jean
Grenoble 8-10,9
RHMC, 1970.

5-7,9
2-4,9
25 km données manquantes 200 km

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 24 14/01/2022 08:57


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 25

de l’État, Napoléon souhaite consoli- LES SÉNATORERIES


der le programme de la notabilité par
la création d’une distinction nouvelle.
L’institution de la Légion d’honneur, en Mer
Hambourg
du Nord
mai 1802, fut un premier jalon ; l’objec-
tif de ce système hiérarchisé, inspiré de
l’armée, était de rassembler une élite Amsterdam
La Haye Chef-lieu de sénatorerie
diversifiée, tant civile que militaire, et maison d’habitation
autour du bien commun. Les légion- Hoogstraten Chef-lieu de sénatorerie
naires vinrent toutefois en majorité des Bruxelles
Liège Maison d’habitation
rangs de l’armée. Douai
Manche ayence
ay
Mayence

Source : F. de Dainville, J. Tulard,


Le 5 septembre 1803, un arrêté consti- Amiens Trèves

français, Droz, Genève, 1973.


Atlas administratif de l’Empire
Rouen
tuait trente et une sénatoreries, dotées Soissons Verdun
Caen Metz
territorialement à partir de biens sous- Alençon
Paris
Molsheim
Nancy
traits aux domaines nationaux. Rennes Colmar
Le sénatus-consulte du 18 mai 1804, Craon Orléans
Angers Amboise Dijon
qui établit l’Empire, restaure un sys- Besançon
Thouars Bourges
tème curial auquel sont attachées des Poitiers
« grandes dignités » et des charges de OCÉAN Limoges
« grands officiers », au premier rang ATL ANTIQUE Riom
Lyon
Chasseneuil
desquels les maréchaux. Aux titulaires Grenoble Turin
Bordeaux
sont attribués des fiefs, domaines
situés dans les pays conquis. Le titre Agen Gênes Florence
Nîmes
Montpellier
de maréchal est donc avant tout une Dax Auch Aix-en-Provence
dignité purement civile qui donne rang Pau Toulouse
Narbonne Marseille Bastia
à la cour, et non un grade suprême Rome
Mer
dans la hiérarchie militaire. Le pas Ajaccio M er
Méditerranée
décisif est franchi en mars 1808 ; 200 km
Tyr r h én i en n e

LES DOTATIONS DES


MARÉCHAUX D’EMPIRE l’attribution des titres est élargie hors l’Empire (italiens notamment), qui se
du système curial, pour services ren- constitue. Elle fait la part belle aux for-
Brune 0 dus. Mais elle a aussi pour objectif tunes consolidées par l’épisode révo-
Jourdan 0 de lier l’ancienne noblesse à la nou- lutionnaire, tout en laissant une large
Poniatowski 29 500 velle dynastie impériale. Les Pages 24-25 : Les
titulaires placesénatoreries
au mérite militaire. La noblesse
Gouvion-
30 211 peuvent acquérir des majorats, c’est- d’Ancien Régime n’est pas rétablie,
Saint-Cyr
Pérignon 40 000 à-dire la possibilité de convertir tout mais les anciennes familles aristo-
Sérurier 40 000
ou partie de leurs biens personnels en cratiques sont invitées à s’intégrer à
Suchet 45 386
dotations héréditaires. Une hiérarchie la noblesse d’Empire. Il y eut des ral-
Kellermann 55 000
est établie entre les titres, au sein de liements spectaculaires, mais, dans
Grouchy 60 882
laquelle viennent se fondre les sénato- l’ensemble, réserve ou franche hos-
Macdonald 80 000
Moncey 100 000
reries et la Légion d’honneur. tilité sont les sentiments dominants.
Marmont 120 882 C’est ainsi une noblesse de fonction, Pourtant, à partir de 1810, Napoléon
Lefebvre 155 000 étendue à tous les départements de avait franchi un pas en envisageant
Oudinot 160 437 un rapport plus étroit entre le titre et la
Victor 171 764 charge politique, ce qui ouvre la voie
Source : J.-P. Bertaud, Le Premier

au rétablissement des privilèges. Les


Dossiers Clio, PUF, Paris, 1973.

Augereau 196 764


Empire, legs de la Révolution,

Mortier 198 101 collèges électoraux, les écoles mili-


Bernadotte 236 296 taires, les préfectures ont un nombre
Lannes 250 000 de places de plus en plus important
Bessières 270 647 réservé aux vieilles familles. Cette ten-
Soult 305 777
tative de fusion accélérée multiplia
Ney 728 990
les mécontentements. Napoléon a pu
Davout 817 647
933 375 consolider le pouvoir des notables
Masséna
1 060 411 issus de la Révolution, mais il a échoué
Berthier
dans son projet de réconciliation des
0 100 000 200 000 300 000 400 000 500 000 600 000 700 000 800 000 900 000 1 000 000
Montant des dotations (en francs) élites par la noblesse d’Empire.

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26

Les élections
Le bonapartisme est défini comme un régime plébiscitaire, du fait du recours au suffrage universel
masculin pour chaque tournant majeur du régime (1800, 1802, 1804, 1815). Si les taux
d’approbation sont souvent massifs, les chiffres sont parfois manipulés, comme en 1800
par Lucien Bonaparte. Les citoyens continuent à se réunir en assemblées primaires cantonales,
avec un taux de participation de 20 à 25 % et des enjeux purement locaux.

Une « comédie électorale » ? devenue pour autant une dictature. constituent le véritable corps électoral.
Il serait abusif de réduire les consulta- À la base, le corps électoral est large ; À partir de 1802, l’assemblée primaire
tions électorales sous le Consulat et on peut parler de suffrage universel des citoyens, réunie au chef-lieu du
l’Empire à la fraude et au vote auto- masculin. L’ensemble des citoyens fut canton, choisit les membres des col-
matique. Certes, le système représen- consulté lors des quatre plébiscites du lèges électoraux, d’arrondissement,
tatif fut liquidé avec la Constitution régime et fut appelé à choisir les listes puis de département. Mais les assem-
de l’an III, mais la France n’est pas de notabilités au niveau communal qui blées primaires et les collèges électo-
raux ne sont pas convoqués simultané-
LA PARTICIPATION AUX ASSEMBLÉES PRIMAIRES DE CANTON (1803-1812) ment, le régime craignant, par-dessus
Participation
tout, les troubles qu’avait connus le
(en %) NB : 1805 et 1806 ne sont représentées par aucun département. Directoire par suite des majorités poli-
Inférieure

Orientales
Meuse-

tiques aléatoires.
Pyrénées-
Sèvres

Sarre

Moselle
Deux-

Rhin-et-
Moselle
Marne

Rhin-et-
Var

Sarre

60 Les départements annexés ont un sys-


Roer
Dyle

tème électoral identique, mais non les


Landes

50
Meuse-Inférieure
Marengo

pays vassaux qui ont des systèmes


Sésia
Marengo

Pyrénées-Orientales
Stura

40 différents, regroupant notamment les


Stura

notables selon leur statut corporatif


Marengo

Deux-Sèvres

Bouches-de-l’Yssel
Escaut

30 (commerçants, propriétaires fonciers,


Sésia

Aube

Stura
Var

fonctionnaires).
Escaut
Marne

Dyle

20
Vendée

Les électeurs des collèges choisissent


Seine

Lys

Seine

10 des candidats au Sénat, au Corps


législatif et au Tribunat, puis les séna-
0 teurs sélectionnent les représentants
1803 1804 1807 1808 1809 1810 1811 1812
Source : M. Crook, J. Dunne, L’apport des données électorales à la popularité du régime napoléonien, mars 2007. à partir de ce premier choix. Mais
Napoléon recommande préalablement

L’ASSISTANCE AUX COLLÈGES ÉLECTORAUX (1804-1812)


LE CORPS ÉLECTORAL
Assistance DANS DIX DÉPARTEMENTS
(en %)
Meuse-Inférieure
Moselle
Rhin-et-

Rhin-et-Moselle

Pourcentage de citoyens ayant le droit de voter


Yonne

Deux-Sèvres
Marengo

Sésia

80
Pyrénées-Orientales

(par rapport au nombre d’habitants) en 1801-1802


Vendée
Landes

Meuse-Inférieure

Marengo

Dyle

Yonne

24,6
Nord

Nord
Sésia

Pages 26-27 : Participation aux assemblées de cantons (1803-1812) 25


Aube

23,6
22,0 22,6 23,1
Deux-Sèvres

70
Dyle

21,2
Marne

18,7 19,3 19,8


Var

20
Landes
Vendée

60
Lys
Var

15,8
Lys

50 15

40 10

30 5

20 0
C d

ar rd

M e
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u-R al

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te- on

Se

rie
-N

os

10
Y

-du
tes

he

pe

en
uc

Al

0
ar
Bo

Ch

1804 1805 1806 1807 1808 1809 1810 1811 1812 Source : J.-Y. Coppolani, Les Élections en France à
Source : M. Crook, J. Dunne, L’apport des données électorales à la popularité du régime napoléonien, mars 2007. l’époque napoléonienne, Éditions Albatros, Paris, 1980.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 26 14/01/2022 08:57


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 27

LES PROFESSIONS DES ÉLECTEURS DANS LES COLLÈGES ÉLECTORAUX DE SIX DÉPARTEMENTS

Alpes-Maritimes (en %) Ariège (en %) Bouches-du-Rhône (en %)


8,2 13,0
0,5 3,3 17,8 18,3
29,9 28,6
0,5 0,5
7,6 7,3

Source : J.-Y. Coppolani, Les élections en France à l’époque napoléonienne, Éditions Albatros, Paris, 1980.
6,4 0,8
7,1 9,7

8,8
4,4
1,1
1,3
0,2
9,2 6,7 12,5
8,8
17,6
33,2 0,5
13,7 22,3

Cantal (en %) Nord (en %) Vienne (en %)

15,2 9,3 15,2


33,9 26,8 0,4 25,7
0,0
8,9
1,4 1,3
0,0 0,1
5,0 2,7
4,6
2,8
7,1 7,5

10,9

9,7 14,9
22,3 11,1 7,6 21,8
6,3
4,0 15,0 8,5

Élus Militaires Professions libérales Industriels Cultivateurs


Fonctionnaires Professions juridiques Intermédiaires Artisans Propriétaires
commerciaux et ouvriers et rentiers

des candidats, pour « guider » le choix à tel point qu’on a pu le définir comme dans les mêmes formes qu’en 1800,
des sénateurs. « démocratie plébiscitaire ». Les résul- c’est-à-dire par inscription sur des
tats du plébiscite sur la Constitution de registres et non par un vote en assem-
Les plébiscites l’an VIII furent proclamés après que le blée, comme sous la Révolution. Le
Le plébiscite, ou « vote populaire » sur texte constitutionnel eut été promul- plébiscite de 1804 se prononçait
l’acceptation d’un texte constitutionnel, gué, et on sait qu’ils furent largement sur le rétablissement de l’Empire.
avait déjà été expérimenté en26-27
Pages 1793 : et « corrigés » des
Les professions par électeurs
le ministre les collèges L’approbation
de l’Intérieur
dans électoraux fut aussi massive que
en 1795. Le régime bonapartiste y a Lucien Bonaparte. lors des deux précédentes consul-
recours plus systématiquement en sol- Le plébiscite de 1802 portait sur l’ac- tations. L’Ouest et les grandes villes
licitant le suffrage universel masculin, ceptation du Consulat à vie. Il eut lieu restent toutefois rétifs.

LE TAUX DE PARTICIPATION LORS DES TROIS PREMIERS PLÉBISCITES

Le vote sur la Constitution Le vote sur le Consulat à vie Le vote sur l’Empire héréditaire
(1800-an VIII) (1802-an X) (1804-an XII)

Taux de participation de 80 à 100 de 40 à 60 de 0 à 20 Source : M. Crook, J. Dunne, L’apport des données électorales
200 km (en %) de 60 à 80 de 20 à 40 à la popularité du régime napoléonien, mars 2007.

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28

Le contrôle du territoire
Pour contrôler le territoire et les populations, Napoléon hérite des rouages du Directoire.
Il accentue la lutte contre le brigandage, s’appuyant sur une force militarisée et territorialisée :
la gendarmerie. La justice ordinaire est réorganisée et les professions juridiques se reconstituent.
Toutefois, des juridictions d’exception s’installent provisoirement dans les départements troublés.

La gendarmerie, une institution 26 légions territoriales (chaque légion militaire par l’origine et l’expérience
inexportable regroupe quatre compagnies, soit des hommes qui la composent, s’ex-
La gendarmerie nationale n’est pas une compagnie par département) et plique par son efficacité dans la lutte
une création consulaire. Le Directoire une légion d’élite. De 1802 à 1811, le contre les troubles localisés et son
en avait posé les fondements avec nombre de légions fut porté à 34, pour caractère de relais du système admi-
la loi du 28 germinal an VI (17 avril couvrir l’ensemble des départements nistratif et juridique de l’État moderne.
1798). Des aménagements importants de l’Empire. Des divisions furent en Le gendarme incarne auprès des com-
complétèrent celle-ci : une inspection outre organisées en Espagne, en Illyrie, munautés locales l’impersonnalité de
générale fut créée, sous la triple auto- dans le royaume de Naples, dans le la loi. Il offre une alternative au régime
rité des ministres de la Guerre, de la royaume d’Italie, en Wurtemberg et en seigneurial, encore appuyé dans de
Police générale et de la Justice, pour Bavière. nombreux pays européens par des
la surveillance de 2 500 brigades, soit Le choix d’une force publique mixte, polices locales, soldées par les féo-
15 000 gendarmes, réparties entre civile comme auxiliaire de justice, daux ou les oligarchies. Du moins est-
ce la théorie, le pandore s’étant bien
LA GENDARMERIE souvent substitué au sbire auprès des
populations locales.

Hambourg
Mer
Groningue La police, un rouage essentiel
du Nord
33
34 du régime
Chef de légion
La police fut érigée en ministère en jan-
Amsterdam Chef d’escadron
32 vier 1796. Le ministre de la Police peut
Capitaine requérir la force publique, notamment
17 1 N° de légion la gendarmerie, pour les arrestations,
16
Liège la lutte contre le vagabondage, les
Atlas administratif de l’Empire français,

Arras Bruxelles
25 Mayence transferts de prisonniers, les escortes
Source : F. de Dainville, J. Tulard,

Manche 15
18 de voitures, les atteintes à la sûreté des
Droz, Genève, 1973.

2 1
Caen Paris Metz personnes et des biens.
Nancy Avec Fouché, désigné en 1799, la
3 19
4 Alençon Troyes
Rennes 14
fonction prend une ampleur telle
qu’elle suscite méfiances et inquié-
Angers Tours Dijon Besançon
21 20
tudes jusqu’au plus haut niveau de
5 6 13
Moulins l’État, l’Empereur lui-même. Le minis-
Genève
OCÉA N
31 tère fut supprimé entre 1802 et 1804.
ATL ANT IQU E Lyon
12
La France était divisée en trois arron-
8 Turin
Grenoble 27 dissements de police : Nord et Ouest
Bordeaux Périgueux 28
11 22 Florence d’un côté, Midi de l’autre, avec un
7 Gênes
Rodez 23 arrondissement spécial pour Paris. À
24
29 la tête de chaque arrondissement, un
Toulouse Draguignan 30
Carcassonne conseiller d’État, auquel sont subor-
9 Marseille
10 26 données des directions générales.
Rome
Mer Ajaccio M er À côté du préfet, un commissaire géné-
Méditerranée
Tyr r h én i en n e ral, puis de simples commissaires dans
200 km
les villes. La tâche essentielle des

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 28 14/01/2022 08:57


TERRITOIRE, TERRITOIRES • 29

commissaires est le renseignement, ORGANISATION DE LA POLICE DANS LE BAS-RHIN


auquel s’adonnent les agents et les
nombreux « mouchards ». Préfet

La justice Commissaire général Maire Sous-préfets


Le Code d’instruction criminelle, Popp de Strasbourg

rédigé à partir de 1801, est fixé en


Maires
1808 et appliqué à partir de 1811 : il des communes rurales
modifie la procédure d’enquête sous
une forme secrète et non contradic-
Bureau Bureau 4 commissaires Bureau Commissaires
toire en supprimant le jury d’accusa-
de police du commissaire à Strasbourg de police à Landau, Haguenau,
tion et en transformant le statut du juge de la préfecture général municipale Sélestat, Wissembourg
d’instruction.
Le Code pénal, adopté dès 1810, dur-
Commissaires Agents de police
cit globalement le système des peines de police adjoints et gardes champêtres
établi en 1791 tout en singularisant Source : É. Bedel, Police et société. Histoire de la police et de son activité en Alsace au XIXe siècle,
le châtiment par une attention plus Presses Universitaires de Strasbourg, 1999.

grande portée aux « circonstances ». Il


renforce le contrôle sur les magistrats d’assises en 1810. Les juges ne sont tribunaux d’appel, devenus cours
et fixe la carte judiciaire et le fonction- plus élus, ils sont nommés à vie depuis d’appel en 1804, puis cours impériales
nement des tribunaux. la loi du 28 ventôse an VIII (18 mars en 1810, couvrant plusieurs départe-
La justice civile est exercée par les 1800), une inamovibilité qui a néan- ments. La Cour de cassation couronne
juges de paix et les tribunaux de pre- Pages été
moins 28-29 : Organisation
suspendue par ledesénatus-
la police dans le Bas-Rhin
l’édifice. sous
Le terme le premier
« cour », qui Empire
vient de
mière instance, établis au chef-lieu consulte du 12 octobre 1807 afin de l’Ancien Régime, remplace « tribunal »,
d’arrondissement. Les tribunaux cri- permettre une épuration menée par trop révolutionnaire.
minels siègent au chef-lieu de dépar- une commission sénatoriale sur des La justice est l’une des « masses de
tement : ils deviennent cours de jus- critères de moralité et de compé- granit » les plus solides du régime.
tice criminelle en 1804, puis cours tences professionnelles. Il y a vingt-huit

LES COURS DE JUSTICE CRIMES ET DÉLITS EN FRANCE


(ENTRE 1806 ET 1810)

Mer
du Nord Hambourg Nombre de crimes et délits insérés
au bulletin de police du mois de janvier
Cour impériale 300
Amsterdam Cour d’assises
Cour de première
instance
250
Bruxelles
Source : F. de Dainville, J. Tulard,

français, Droz, Genève, 1973.

Douai
Atlas administratif de l’Empire

Liège
Manche Amiens Assassinats
Trèves
Rouen
Caen 200
Metz
Paris
Nancy Vols
Rennes
Orléans Colmar
150

Angers Bourges Dijon


Besançon Rébellions

OCÉA N Poitiers
Riom 100
AT L ANT IQU E Lyon
Limoges Grenoble Alexandrie Attaques de
Turin particuliers
Bordeaux Évasions
Florence 50
Agen Gênes Incendies Attaques
Toulouse Nîmes par de courriers Fausse
malveillance et diligences monnaie
Montpellier Aix-en-Provence
Pau
0
Rome 1806 1807 1808 1809
Mer Ajaccio
M er Infanticides Parricides Empoisonnements
Méditerranée
Tyr r h én i en n e Source : T. Lentz, Nouvelle histoire du premier Empire,
200 km Fayard, Paris, 2007.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 29 14/01/2022 08:57


30

L’Empire d’outre-mer
Lors de la paix d’Amiens (1802), influencé par le lobby colonial et esclavagiste, Napoléon,
convaincu que le retour de la prospérité passe par le rétablissement de l’esclavage, juge qu’il faut
restaurer l’ancien ordre colonial. Cette tentative est anéantie, d’abord par l’insurrection des
populations de couleur de Saint-Domingue, victorieuse en 1804, puis par la marine britannique
qui fait tomber un à un les établissements français d’outre-mer en 1809 et 1810.

La « restauration coloniale » gouvernement tricéphale est installé : ce dernier dans la guerre renaissante
L’ancienne partie française de Saint- un capitaine général pour les affaires avec l’Angleterre.
Domingue devenue indépendante sous militaires, un préfet colonial pour les Dans l’océan Indien, le capitaine géné-
le nom de Haïti (1804), il ne reste plus affaires civiles, un commissaire pour ral Decaen, installé à l’île de France,
comme colonies que la Guadeloupe, la justice. L’esclavage est maintenu rétablit la tutelle métropolitaine et redé-
la Martinique, la partie orientale de en Martinique, rétabli par la suite à la finit l’ordre colonial aux Mascareignes.
Saint-Domingue, la Guyane et les Guadeloupe et en Guyane ; logique- Esclavagistes et polygénistes. Plutôt
Mascareignes (île de France et Réunion). ment, la traite négrière est aussi réta- silencieux sous le Directoire, les théori-
Si le transfert de souveraineté s’effectue blie. Une législation raciale complète le ciens de la hiérarchie naturelle et intan-
sans gros problèmes en Martinique, les régime juridique : des dispositions par- gible des races humaines refont surface
Anglais ayant préservé tout au long de ticulières interdisent l’entrée des popu- avec force sous le Consulat et l’Empire.
leur occupation le régime juridique de lations de couleur en métropole, ainsi Derrière un Louis-Narcisse Baudry des
l’esclavage, les choses évoluent tragi- que les mariages mixtes. Lozières, auteur des Égarements du
quement à la Guadeloupe. Les autorités Les difficultés militaires, la montée nigrophilisme (1803), ils soutiennent
françaises doivent affronter une rébellion des tensions avec l’Angleterre, auront l’idée de l’infériorité de la race noire,
alimentée tant par l’humiliation des offi- eu raison de l’autre volet du grand réactualisant de vieux stéréotypes issus
ciers de couleur révoqués que par la « rêve colonial » : la souveraineté sur la de la « théorie des climats », légitimant
révolte des cultivateurs qui ne veulent Louisiane, qui aurait permis le retour ainsi les discours en faveur de l’escla-
pas revenir à la condition servile. La de la France tout au long de la vallée vage. Défendant au contraire la possi-
répression est très dure. du Mississippi. Retour qui ne dura que bilité de perfectibilité chez les popula-
Le régime des colonies découle de la deux mois, entre la rétrocession de la tions africaines, Henri Grégoire dans
loi du 20 mai 1802 ; les territoires sont colonie par l’Espagne (mars 1803) et sa son De la littérature des nègres (1807)
placés en dehors de la Constitution, vente au gouvernement des États-Unis prend courageusement position contre
à la discrétion du gouvernement. Un (mai 1803), pour prix de la neutralité de ces thèses outrancières.

LES POSSESSIONS COLONIALES DE 1804 À 1810 Ambitions réduites


Si Bonaparte eut
l’ambition, au début
du Consulat, de
restaurer un grand
empire colonial en
Amérique,
l’indépendance de
Haïti et la vente au
OCÉAN rabais de la
Santo Domingo Louisiane ruinent cet
St-Louis- PACIFIQUE
St-Martin espoir. La colonie du
Guadeloupe du-Sénégal
Martinique Cap est perdue en
1806. Il reste
Guyane quelques îles dans
les Petites Antilles
Seychelles
et deux bases
OCÉA N OCÉAN Java stratégiques
PACIF IQU E Île Maurice menées par des
ATL ANTIQUE Tamatave (île de France)
personnalités
Réunion O C ÉA N énergiques : Victor
(île Bonaparte) I N D I EN Hugues en Guyane
Colonies
françaises 2 000 km
et Charles Decaen
dans l’océan Indien.

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TERRITOIRE, TERRITOIRES • 31

LA CHUTE DE LA COLONIE FRANÇAISE DE SAINT-DOMINGUE (7 NOVEMBRE 1808-7 JUILLET 1809)

CUBA Déplacements des


La Tortue troupes françaises
Port-de-Paix OCÉAN
Monte Cristi Échec du général
Puerto Plata
ATL ANTIQUE Ferrand sur le Seibo
Cap-Haïtien
(7 novembre 1808)
Santiago
Gonaïves Cap Retraite du colonel
Samaná Aussenac
La Vega
HAÏTI Retraite du
(État indépendant Boya
La Gonâve depuis 1804) SAINT-DOMINGUE commandant Castet
(colonie française)
Zones insurgées
Port-au-Prince
Azua St-Domingue
Seibo Altagracia Débarquement et
Val d’Azua avancée des troupes
St-Louis espagnoles (don
Jacmel Juan Sánchez
Saona Ramírez)
Mer Blocus britannique
des Antilles
Débarquement des
troupes britanniques
Source : Service historique de la Défense, (Carmichael)
Mémoires sur Saint-Domingue, 1 M 1354, n°52, 1808-1809. 100 km

Les leçons d’un échec France en brèche sur le terrain où cette à toutes les garnisons françaises de
À la fin de 1810, il n’y a plus de colo- dernière s’était placée dans la décen- se replier sur la capitale, qui est sou-
nies françaises qu’en Insulinde, les nie révolutionnaire, celui de l’appel à mise à un sévère embargo britannique
Français y ayant pris le relais des la libération des peuples. À l’excep- et bientôt assiégée par les troupes de
Hollandais en 1810. Batavia Pages 30-31tion
reste : La chute dede
de l’Ile la France
colonie française de Saint-Domingue
et de quelques Sanchez Ramirez (janvier 1809).
(7 novembre 1808-7 juillet 1809)
nominalement française jusqu’en sep- Petites Antilles, l’Angleterre rétrocède à Le 27 juin 1809, le commandant
tembre 1811. La perte des colonies la France toutes ses possessions colo- anglais Carmichael débarque avec
n’est pas seulement une conséquence niales au congrès de Vienne. Mais, sur- 1 800 hommes près de Santo Domingo.
de l’absolue maîtrise des mers par la tout, l’abolition de la traite négrière fait Le 7 juillet 1809, la garnison française
Navy britannique. En 1794-1795, c’est entrer le monde colonial dans une nou- capitule.
en faisant appel aux « nègres guer- velle étape, qui préfigure la deuxième Entre-temps, les Portugais du Brésil,
riers » que les commissaires et les abolition de l’esclavage. En dépit d’un avec lesquels existait un très vieux
généraux révolutionnaires avaient pu large essor de la contrebande négrière, contentieux sur la délimitation de la
résister victorieusement aux Anglais. il devient beaucoup plus difficile de frontière avec la Guyane, le long du
En 1808-1810, le climat international renouveler la main-d’œuvre. fleuve Oyapock, débarquent un corps
est en train de changer ; la longue lutte Le ministre de la Marine et des colonies expéditionnaire, avec le soutien de la
des abolitionnistes anglais a conduit de la Restauration, Malouet, souhaitait flotte britannique (décembre 1808). Ils
en 1807 à l’abolition de la traite par la en 1814 le retour à la situation qui pré- appellent les Noirs des plantations à se
Grande-Bretagne. Désormais, la coali- valait antérieurement à la Révolution. soulever pour obtenir la liberté géné-
tion contre l’empire napoléonien bat la Ce rêve est devenu irréalisable. rale, ce qui désorganise entièrement
les lignes de défense, hâtivement pré-
L’ADMINISTRATION Comment finit un empire parées par le gouverneur de Cayenne,
COLONIALE (1802-1810) Le blocus anglais se durcit à partir Victor Hugues. Ce dernier capitule le
de 1806. Mais c’est surtout à partir 12 janvier 1809.
de mai 1808 et du déclenchement de Le 30 janvier 1809, c’est l’amiral
Capitaine général la guerre d’Espagne que les événe- anglais Cochrane qui s’empare de
Défense ments se précipitent. Une rébellion se la Martinique. Un an plus tard, la
Attributions militaires développe à Saint-Domingue, dans la Guadeloupe capitule à son tour.
région du Seibo. L’insurrection est diri- Dans l’océan Indien, la situation n’est
Préfet colonial gée par Juan Sanchez Ramirez, qui se guère meilleure pour la France. Les
Administration civile proclame général en chef de l’armée Anglais organisent le blocus des
Ordre public
espagnole au nom de Ferdinand VII Mascareignes : l’île de La Réunion est
(novembre 1808). Le capitaine général occupée en juillet 1810. Decaen orga-
Commissaire Commissaire Ferrand subit une déroute cuisante et nise la résistance à l’île de France,
ordonnateur de justice met fin à ses jours. parvient à mettre en échec une ten-
Finances Justice
Un autre foyer d’insurrection se déve- tative anglaise de débarquement à
NB : Les domaines d’attribution sont séparés, loppe à l’ouest, dans la région fronta- Grand-Port en août 1810, mais, aban-
néanmoins l’ordre ci-dessus reflète la hiérarchie lière de Haïti (Val d’Azua). Le nouveau donné à lui-même, il doit capituler le
des pouvoirs les uns par rapport aux autres. capitaine général, Barquier, demande 2 décembre suivant.

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32

EN CONCLUSION
Territoire, territoires
L’expérience impériale est une
construction éminemment pragmatique,
réunissant une grande pluralité de
peuples, avec des adaptations locales
fortes qui justifient de composer avec
les acteurs locaux. Elle s’accompagne
d’un apprentissage de l’altérité, d’une
redéfinition des relations de l’individu
à l’État et d’une réflexion imposée sur
les fondements de la société civile.

L’adhésion des élites locales a été


le cheval de bataille de Napoléon,
qui a travaillé à s’attirer les faveurs
des oligarchies en répondant à leurs
intérêts. Plus que la promotion d’hommes
réellement nouveaux, le régime conforte
pour l’essentiel les notabilités établies.
Ces 70 000-80 000 notables pour
l’ensemble de l’Empire (1 pour
400 habitants) partagent des points
communs : pères de famille, quadra-
ou quinquagénaires, rentiers du sol.
L’étude des trajectoires individuelles
confirme le poids de l’héritage, même si
certains favoris du régime, maréchaux ou
sénateurs, peuvent illustrer les possibilités
de promotion. Le « creuset » impérial reste
ainsi ouvert à quelques (rares) ascensions
individuelles.

Dans les territoires occupés et annexés


à l’Empire, la présence française a fait
naître des oppositions et des résistances
pouvant donner lieu à l’expression
d’un « nationalisme de ressentiment »
se dressant contre l’ambition impérialiste
de la France.

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LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 33

Les dynamiques
démographiques
La période impériale n’est qu’une parenthèse dans des cycles
de longue durée. Sans les contrarier, ou mieux les inverser,
elle peut cependant les corriger ou les infléchir.
Ainsi, la France napoléonienne est-elle entrée, comme
l’ensemble de l’Europe occidentale, dans la transition
démographique ; recul de la mortalité, confirmé par les progrès
indéniables de la médecine, et ralentissement de la natalité,
notamment en France avec le relâchement de l’encadrement
clérical en matière de mentalités et de pratiques sexuelles.
Ce dernier phénomène est également accentué par la guerre
qui propulse les soldats aux quatre coins de l’Europe ;
ils diffuseront les méthodes contraceptives apprises auprès des
prostituées lors de leur retour au pays. En outre, le Code civil
motive la restriction des naissances au sein de la paysannerie
par le partage égal des héritages qui incite les chefs de famille
à ne pas trop morceler leur patrimoine. Malgré ces inflexions
démographiques, les conditions de vie évoluent peu, de même
que les mentalités. La famille reste le pivot de la société,
fort peu entamée par l’individualisme révolutionnaire.
Elle véhicule son lot de solidarités et d’inégalités. La décennie
révolutionnaire n’a guère changé la condition ouvrière ;
en détruisant le cadre corporatif, ce sont les dispositifs
protecteurs de la tradition qui ont été démantelés. Le retour de
la philanthropie n’est qu’un faible palliatif à la misère populaire.

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34

La population en Europe
Pour des raisons autant militaires qu’économiques, la statistique s’impose au premier rang
des savoirs d’État et, dès 1806, se voit dotée de moyens supplémentaires que lui assure
l’administration centrale et départementale. Même si ce souci ne signifie pas que les enquêtes
et les états obtenus soient pleinement exploitables, les conquêtes napoléoniennes étendent
les enquêtes statistiques en Italie, en Hollande et en Allemagne.

Les recensements impériaux sorte que les départements « français » zones de fortes densités forment des
Le « dénombrement » de la popula- de l’Empire dépassent les 30 millions taches signalant les cuvettes (région
tion est organisé périodiquement, à d’habitants en 1811. lyonnaise, région napolitaine) et les
l’époque révolutionnaire, par tous les La France reste bien le pays le plus vallées (Rhénanie, vallées du Rhône et
régimes (1791, 1794, 1797). Le minis- peuplé d’Europe, confirmant une vita- du Pô).
tère de l’Intérieur donne une impulsion lité démographique dans laquelle on a L’équilibre est parfois au bord de la
par l’envoi de formulaires normalisés, pu voir la base de son expansion révo- rupture, lorsque la croissance démo-
à charge pour les administrations lutionnaire et impériale : importante graphique s’accentue. Des zones de
départementales de remplir les cadres. proportion de jeunes et réservoir de densité moyenne peuvent connaître
Cette entreprise resta lacunaire : elle se soldats. une surcharge génératrice de misère :
heurta à l’incompréhension des admi- Les autres pays européens sont iné- moyennes montagnes, ouest de
nistrateurs, aux déficiences des agents galement entrés dans cet « âge d’or la France, Calabre, campagnes de
communaux et au manque de temps, de la statistique ». Le premier dénom- l’Allemagne centrale. Les structures
le régime suivant remettant en chan- brement dans la République batave agraires renforcent les effets du chan-
tier avec des exigences nouvelles ce est entrepris en 1795 ; il estime la gement de régime démographique ; la
qui n’a pas pu être mené à bien par le population à un peu plus de 2 mil- pression sur les terres devient énorme
régime précédent. lions de Néerlandais. En 1815, ils sont dans les régions de grande propriété
La circulaire de Lucien Bonaparte du estimés à un peu plus de 2,2 millions (Pouilles, Sicile, centre de la France)
16 mai 1800 est conforme aux dénom- d’habitants, tandis que les anciens comme dans les régions de morcel-
brements de ses devanciers, faisant départements belges en comptent lement extrême (vallées allemandes,
cette fois reposer la tâche sur les pré- 3,5 millions (1,5 pour la Wallonie et sud du Massif central, Apennins
fets. Le dénombrement de 1801 se 2 pour la Flandre). ligures). Ce sont des régions de forte
heurte donc aux mêmes difficultés Les territoires italiens, comme les terri- émigration, de misère et de banditisme
et se contente souvent de reprendre toires allemands, appartiennent égale- chronique.
les registres antérieurs, de telle ment à « l’Europe pleine ». L’Allemagne Vers l’est de l’Europe, le régime démo-
sorte que la population française est compte environ 18 millions d’habitants graphique est traditionnel (une forte
sous-estimée. en 1800 (dans le cadre des frontières natalité combinée à une très forte
Chaptal va mener en 1805 une entre- actuelles), ce qui est aussi approxima- mortalité), tout comme les structures
prise beaucoup plus fiable, demandant tivement la population de l’Italie. Mais agraires (prédominance de la grande
à chaque commune d’enregistrer tous les entreprises de dénombrement sont propriété). Les densités sont faibles ;
les citoyens résidents, qu’ils soient variables d’un État à un autre. ce sont souvent des terres de coloni-
ou non présents lors des opérations. sation pour les populations faméliques
Cet enregistrement fait ensuite l’ob- Des contrastes qui viennent de l’Ouest.
jet d’un traitement par le Bureau de démographiques Les individus jugés dangereux sont
la statistique, dont le mathématicien L’analyse des résultats des dénombre- fichés par les autorités. À l’inverse,
genevois spécialiste des statistiques ments, département par département, une statistique personnelle s’attache
financières, Emmanuel Duvillard, est le fait apparaître des réalités contrastées. à recenser les personnalités mar-
véritable maître d’œuvre. La population Les très fortes densités de l’Europe du quantes d’un département, la carrière
des départements français est alors Nord-Ouest (des moyennes de plus de des enfants ou leur itinéraire politique
estimée en 1806 autour de 29,5 mil- 160 habitants au kilomètre carré dans pendant la Révolution.
lions d’habitants, soit une croissance les Flandres ou les provinces bataves) Des centaines de tableaux livrent ainsi
moyenne de 1 % par an. La croissance se prolongent dans les départements un condensé de savoir sur les hommes
double ensuite, entre 1806 et 1811, de du nord de la France. Ailleurs, les à surveiller ou, à l’opposé, à rallier.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 34 14/01/2022 08:58


Pages 34-35 : La densité de population des départements de l’Empire (1806)

LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 35

LA DENSITÉ DES DÉPARTEMENTS DE L’EMPIRE EN 1806

Mer Deux-
du Nord Densité de population
Escaut Nèthes Meuse- Roer (en hab./km2)
Lys Inférieure
Dyle de 13,1 à 29,9
Pas- Ourthe
Jemmapes Rhin- de 30 à 39,9
de-Calais Sambre-
Nord et-
M a n c h e
et-Meuse Moselle de 40 à 49,9
Somme Forêts de 50 à 59,9
Seine- Sarre Mont-
Inférieure Aisne Ardennes
Tonnerre de 60 à 69,9
Oise
Moselle de 70 à 99,9
Manche Calvados Meuse
Eure Marne
Seine Bas- de 100 à 1 250
Meurthe
Orne Seine- Seine- Rhin
Données non
Finistère Côtes-du-Nord Eure- et-Oise et-Marne disponibles
Ille-et- et-Loir Aube Vosges
Haute-
Vilaine Mayenne Marne
Frontières de
Morbihan Sarthe Loiret Haut- l’Empire français
Yonne Haute- Rhin
Loir- Saône en 1804
Loire- Maine-
et-Loire Indre- et-Cher Côte-d’Or
Inférieure et-Loire Doubs
Cher Nièvre

Vendée Deux- Indre Saône- Jura


Sèvres Vienne et-Loire
Allier
Léman
Creuse Ain
Charente- Haute- Rhône
Inférieure Puy- Doire
OCÉAN Vienne de-Dôme Loire Mont-Blanc
Charente Sésia
ATL ANTIQUE
Corrèze Isère
Haute- Marengo
Cantal Loire Pô
Dordogne
Gironde Ardèche Drôme Hautes-
Alpes Sturia
Lot-et- Lot Lozère
Garonne Aveyron Basses- Alpes-
Gard Vaucluse Alpes Maritimes
Landes
Tarn
Gers Bouches-
Haute- Hérault du-Rhône Var
Basses- Garonne
Pyrénées Hautes-
Aude
Pyrénées Ariège
Pyrénées- Golo
Orientales
M e r M é d i t e r r a n é e
Liamone
100 km

LA POPULATION DANS LE ROYAUME LA POPULATION EN


DE NAPLES (1812-1814) ALLEMAGNE (1815)

Mer Densité de population


Teramo Baltique (en hab./km2)
ABRUZZE- Mer moins de 30
ULTÉRIEURE ABRUZZE- Chieti
CITÉRIEURE du
Mer Nord de 30 à 70
Adriatique Lübech
MOLISE CAPITANATE
Campobasso Hambourg 70 et plus
TERRE Foggia
Elbe Od Population des villes
DE LABOUR Brême Berlin er principales (en hab.)
PRINCIPAUTÉ- Bari
Capoue ULTÉRIEURE
r

de 25 à 50 000
Wese

Avellino TERRE DE BARI


Naples Magdebourg
TERRE de 50 à 100 000
Salerne Potenza
D’OTRANTE Leipzig de 100 à 200 000
Lecce
PPR
R
PRINCIPAUTÉ- BASILICATE
Densité de population Dresde
C
CITÉRIEURE 264 000
(en hab./km2) Cologne
Golfe
tome 1, Domenico de Marco, Rome, 1988.

de 30 à 49,9 Prague
P rague
La statistica del regno di Napoli nel 1811,

de Tarente
Source : Academia nazionale dei Lincei,

Bürgernation : Deutschland 1763-1815.

CALABRE- Francfort
de 50 à 69,9
Source : H. Möller, Fürstenstaat oder

CITÉRIEURE
ain
de 70 à 89,9 M Nuremberg
Die Deutschen und ihre Nation,

Mer Cosenza
Population des TTyrrhénienne Dan
W. J. Siedler, Berlin, 1989.

ube
capitales d’intendance
n
Rhi

(en hab.) Catanzaro


Augsbourg
Munich
Vienne
de 7 à 10 000 CALABRE-
ULTÉRIEURE Mer
de 10 à 20 000 Ionienne
Inn
310 000
100 km 200 km

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 35
Pages 34-35 : La répartition de la population Pages 34-35 : La répartition de la population14/01/2022 08:58
36

La population des villes


et des campagnes
La répartition entre les villes et les campagnes ne subit pas de changements importants,
la population restant encore largement rurale. Sur près de 30 millions d’habitants, plus
de 24 millions vivent dans des communes de moins de 5 000 âmes. En dépit de cette relative
continuité, la croissance de la population urbaine et l’incidence de l’industrialisation
modifient lentement l’équilibre traditionnel entre les populations urbaines et rurales.

Un lent développement LA RÉPARTITION VILLES/CAMPAGNES EN 1806


des villes
S’il convient de rester prudent face aux
enquêtes menées par les statisticiens
de l’Empire, le taux d’urbanisation de
la France connu par le recensement de
1806 reste sensiblement comparable à
celui de l’an II. La période est marquée
par un mouvement progressif de retour

Source : J. Dupâquier, Histoire de la population française,


vers la terre qui se fait surtout au détri-

tome 3 (de 1789 à 1914), PUF, Paris, 1995.


ment des grandes villes.
L’Hexagone compte alors 76 villes de
plus de 10 000 âmes, 138 entre 5 000 et
10 000, regroupant environ 19 % de la
population totale (20,5 % en 1789).
La recomposition du tissu politique et
administratif et l’effort de guerre ont
néanmoins profondément modifié les Part de la population
hiérarchies urbaines, particulièrement urbaine dans la
population totale (en %)
au sein du maillage des petites villes
de 6,2 à 9,9
souvent en forte concurrence. Si les
de 10,0 à 14,9
grandes métropoles restent rares, la
de 15,0 à 19,9
répartition géographique divise encore
de 20,0 à 29,9
le territoire en zones contrastées,
de 30,0 à 39,9
les taux de forte urbanisation étant
de 40,0 à 49,9
concentrés dans les grandes vallées
et les régions côtières. La croissance de 50,0 à 89,3

démographique des villes s’accom- Données non disponibles


Moyenne nationale : 17,9 200 km
pagne de phénomènes originaux (for-
mation de faubourgs) qui les transfor-
ment lentement. La plupart des villes consolidées que par la hiérarchisation petits métiers et commerces itinérants.
importantes restent fidèles à leurs administrative. Le rattrapage urbain Chaque année, les travailleurs tempo-
fonctions héritées d’administration, de est surtout dû à un phénomène de raires (comme les 9 000 maçons de la
commerce et d’artisanat traditionnel, migration multiforme (saisonnière, Creuse qui s’emploient sur les chan-
continuant de vivre sur une dynamique temporaire ou définitive) dont Paris, tiers parisiens ou lyonnais) rapportent
ancienne. À Paris, le faubourg Saint- qui regagne ses 500 000
Pages 36-37habitants dès au
: La population pays du
urbaine numéraire
en France qui contribue à
en 1806
Antoine qui voit sa population passer 1806, est la seule à profiter sur une son enrichissement.
de 34 000 habitants en 1801 à 44 000 grande échelle. En 1803, le livret ouvrier refait son
en 1807, garde un aspect campagnard, Les migrations les plus régulières apparition : tout ouvrier voyageant
les terres cultivées couvrant encore la restent liées aux variations saison- sans livret est réputé vagabond et
moitié du sol. nières de l’emploi, main-d’œuvre du condamné comme tel. Il ne peut quitter
La France reste un pays de petites bâtiment pour les villes, appoints de un employeur qu’après que celui-ci a
villes dont les fonctions ne sont bras au moment des travaux agricoles, signé un quitus sur le livret (la signature

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 36 14/01/2022 08:58


LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 37

devant être certifiée par une autorité) LES VILLES FRANÇAISES EN 1809
et il ne peut quitter une commune sans Dunkerque
le visa du maire ou de la gendarmerie, Boulogne-sur-Mer Lille
St-Omer Douai
avec indication de sa destination. Tout Lens
Arras Valenciennes
Abbeville
voyageur doit en outre posséder un Dieppe Amiens Cambrai
passeport en règle, obligatoire à partir Cherbourg Le Havre Rouen St-Quentin Sedan
Beauvais
de 1810. Caen
Paris Reims Bar-
le-Duc
Metz
Strasbourg
Évreux Châlons
Brest Versailles Lunéville
Le poids des campagnes Alençon Chartres Nancy
Dans une France caractérisée par Rennes Fontainebleau
Troyes
Colmar
le poids écrasant des communes Lorient
Laval Le Mans Auxerre
Orléans
rurales, même Paris demeure le chef- Angers Blois
Nantes Dijon Besançon
lieu d’un département où la viticulture, Bourges Nevers
Tours
les cultures maraîchères, les arbres Chalon-
Poitiers Moulins sur-Saône
fruitiers côtoient les terres de grande
La Rochelle Niort Annecy
culture. Rochefort Limoges Riom
Dans les campagnes, le nombre des Clermont Lyon
St-Étienne
Angoulême
propriétaires a beaucoup augmenté, Grenoble
mais les inégalités sociales restent Le Puy
Bordeaux Aurillac
importantes et l’émiettement de la Cahors
Population des villes
propriété paysanne constitue un fac- (en hab.) Agen Avignon
Albi Nîmes
teur de fragilité sociale. de 5 à 10 000
Montauban Montpellier Aix-en-Provence Nice
Bayonne
Du côté des salariés, les journaliers de 10 à 20 000 Pau Castres Arles
Toulouse
restent à la fois exploitants parcel- de 20 à 50 000 Béziers Marseille
Carcassonne Toulon
laires, saisonniers agricoles et travail- de 50 à 100 000 Perpignan
leurs dans le textile. À l’autre bout de de 100 à 110 000
l’échelle, le gros fermier, le « coq de 200 km
580 000
village », enrichi par la guerre et l’ac- Source : J. Dupâquier, Histoire de la population française,
tome 3 (de 1789 à 1914), PUF, Paris, 1995.
quisition des biens nationaux, calque
parfois son mode de vie sur celui des
citadins et envoie son fils au lycée. LES MIGRATIONS SAISONNIÈRES
Dans les villages, il est un employeur
important, notamment lors des travaux
agricoles, employant paysans sans
terre, « brassiers » et ouvriers agricoles,
qui regardent de plus en plus vers les Pages 36-37 : Les villes françaises en 1809
villes. C’est encore parmi ces pay-
sans fortunés que le préfet choisit les
maires des petites communes avant de
se tourner vers les anciens nobles, très
présents dans les campagnes.
La condition juridique des paysans a
connu de profondes mutations du fait
de l’abolition des droits seigneuriaux,
de la suppression de la dîme et de la
réforme fiscale qui a allégé les poids
de l’impôt. Néanmoins, l’obtention de Émigration forte
à très forte (deux
l’égalité civile ne modifie pas encore fois supérieure
les habitudes, les modes de vie et de à l’immigration)
domination qui organisent toujours le Émigration
prédominante
monde paysan. Producteurs et ven-
Bilan
deurs, propriétaires exploitants et migratoire
grands fermiers profitant de la hausse équilibré
des prix agricoles et des mutations Immigration
prédominante
foncières, sont les grands gagnants de 200 km
Immigration forte à très forte
la période, ouvrant un cycle d’expres- (deux fois supérieure à l’émigration) Source : R. Béteille, « Les migrations saisonnières
sion des mécontentements de la petite Données non disponibles
en France sous le premier Empire », Revue d’Histoire
moderne et contemporaine, tome XVII, juil.-sept. 1970.
paysannerie tout au long du XIXe siècle.

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38

Les rythmes familiaux


Entre 1790 et 1815, la population française passe de 28 à 30 millions, soit un accroissement
de 9 % en vingt-cinq ans. La richesse démographique demeure le fondement de l’influence française
en Europe. Alors que le besoin d’hommes est une priorité, la croissance naturelle reste positive
en dépit des nouveaux comportements malthusiens des Français. Sur ce point, les transformations
révolutionnaires donnent
Pages 38-39 à la France
: Les mariages un visage original en Europe.
en 1806 Pages 38-39 : Les naissances en 1806

TABLEAU DÉMOGRAPHIQUE DE LA FRANCE

Nombre Nombre
de mariages de naissances
(pour 1 000 personnes) (pour 1 000 personnes)

4,3 6,3 7,1 7,6 10,0 21,5 28,9 31,3 33,5 41,0
Moyenne : 7,1 Données manquantes Moyenne : 31,3 Données manquantes

Nombre
Nombre de naissances
de décès illégitimes
(pour 1 000 personnes) (pour 1 000 naissances)

17,6 23,2 25,8 29,9 41,6 1,8 3,5 4,7 5,8 35,9 Source : Atlas de la Révolution française,
vol. 8, « Population », S. Bonin, C. Langlois
Moyenne : 26,8 Données manquantes 200 km Moyenne : 6,1 (dir.), Éditions de l’EHESS, Paris, 1995.

Pages 38-39 : Les décès en 1806 Pages 38-39 : Les naissances illégitimes en 1811
01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 38 14/01/2022 08:58
LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 39

Ordre et désordre des familles MARIAGES ET PRIX DU FROMENT LES SUICIDES À PARIS (1800-1813)
En dépit des pertes militaires (1,3 mil-
lion pour la période 1789-1815), la Nombre de suicides

du XIXe siècle sur la population », RHMC, tome XVII, juil.-sept. 1970.


relative stabilisation démographique 200

repose sur le recul parallèle de la nata-

Source : C. Rollet, « L’effet des crises économiques du début


lité (de 37 ‰ en 1780 à 31,8 ‰ en 150
1806) et de la mortalité, cette dernière
passant de 32 ‰ à 27 ‰ entre la fin de
l’Ancien Régime et l’Empire. 100

L’espérance de vie augmente, de


32 ans en 1790 à 37,5 ans en 1810. Les
50
crises de subsistance et les « chertés »
des produits agricoles n’engendrent 200 km
plus d’effets mortels directs, mais 0
Hausse du froment de plus 1800 1802 1804 1806 1808 1810 1812
agissent toujours indirectement par
de 19 francs (1809-1812)
le biais de la baisse de la nuptialité et Source : J. Tulard, Nouvelle histoire de Paris, Le Consulat
Baisse des mariages de plus et l’Empire, 1800-1815, Association pour la publication
des conceptions différées. Néanmoins, de 12,5 % (1810-1811) d’une histoire de Paris, Hachette, Paris, 1970.
les maladies comme la dysenterie ou
le typhus sont encore très fréquentes,
particulièrement dans les espaces de diffusion dans l’ensemble du corps empêcher de tester pour un individu
circulation des armées. social de pratiques de contrôle des extérieur au cercle familial, fût-il un
Si elle s’inscrit par là dans un mouve- naissances longtemps réservées aux enfant naturel du testateur. Face à
ment européen, la France entre pré- élites : la volonté de limiter le partage Pagesl’accroissement
38-39 : Les suicides du ànombre
Paris de d’aban-
1800 à 1813
cocement dans l’ère malthusienne, des propriétés dans les campagnes est dons de nouveau-nés, le « système
en dépit des politiques natalistes un facteur important. du tour », appareil qui se compose
conduites par le régime (le taux de Le nombre de mariages ne cesse d’un cylindre en bois convexe d’un
natalité passe de 35 ‰ en 1789 à 32 Pages
‰ 38-39 : Mariagesetet l’âge
d’augmenter prix duest froment (1809-1812)
en géné- côté, concave de l’autre inséré dans la
en 1811). Certes, la chute de la natalité ral plus précoce, moyen d’échapper façade du bâtiment et dans lequel les
est très variable selon les régions, mais à l’armée ou de consolider une pro- femmes viennent déposer leur enfant,
la période impériale confirme la baisse priété. Malgré la législation favorable est généralisé en 1811 dans le cadre
constatée depuis 1750. L’accélération au divorce pourtant dénoncé par les de la réorganisation des hospices.
de la chute de la fécondité s’explique publicistes en soutane, le divorce est S’il n’est pas encore question de
par une extension rapide des pra- maintenu dans un champ d’application vieillissement de la population fran-
tiques de restriction des naissances restreint (sévices, adultère). çaise, la France peut cependant moins
et de contraception (le coitus interrup- La famille est érigée en assise fon- compter sur son dynamisme démogra-
tus) qui, des villes, se diffuse dans les damentale de la société, comme le phique pour assurer sa prééminence
campagnes. montrent encore les dispositions sur politique, culturelle ou économique
Un nouveau portrait de la famille les procédures d’héritage visant à en Europe.
se dessine. Le nombre moyen des
enfants tend à reculer, signe sans UN MODÈLE DE NOTABLE EUROPÉEN ? Les « masses
de granit »
doute d’une meilleure attention por-
La figure du notable
tée aux « héritiers ». La famille compo- Part dans chaque département Part dans chaque département
(en %) (en %) s’impose dans les
sée d’un ou deux enfants se généra- « Masses départements ligures
35 (juin 1805) : les
lise, même si elle reste minoritaire, la 50 de granit »
Montenotte hommes de plus de
moyenne étant d’environ six enfants 40 Gênes 30 40 ans, mariés ou
par famille. La mortalité infantile qui Apennins veufs, propriétaires,
se rapproche du seuil de 200 ‰ pour- 30 25 avec un à trois
enfants, dominent
suit sa baisse grâce à la diffusion, lar- 20 20 les collèges
gement amorcée dans les décennies 10
électoraux, bien que
15 ce modèle n’ait pas
antérieures, de l’allaitement mater-
0 été exporté tel quel.
nel et d’un meilleur encadrement 0 1-3 4-6 7 et plus
10 Les « masses
Nombre d’enfants
des méthodes d’accouchement. Le par famille de granit »
5 s’accommodent des
« choc » de l’événement révolutionnaire rapports de force
joue sans doute moins que l’affirma- 0 locaux, du poids
21-25 26-30 31-40 41-50 51-60 61-70 71 et plus des institutions
tion de nouvelles valeurs individuelles, Âge des notables lors de leur accession au collège électoral traditionnelles, des
de même que l’assouplissement relatif postures hésitantes
Source : A. Beaurepaire-Hernandez, « Un modèle de notable européen ? Les “masses des élites.
du contrôle de l’Église et la perte d’effi- de granit” des départements liguriens et leur intégration au système impérial »,
cacité de ses directives, ou encore la in F. Antoine et alii (dir.), L'Empire napoléonien, Armand Colin, Paris, 2014.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 39 14/01/2022 08:58


40

Femmes, filles et épouses


En les associant aux grandes cérémonies ou en favorisant le mariage de plusieurs milliers
de jeunes femmes avec des vétérans de la Grande Armée, Napoléon affirme sa volonté d’associer
les femmes au consensus social et politique sur lequel il entend reconstruire la société
postrévolutionnaire. La nouvelle hiérarchie entre les sexes, fixée selon des normes naturelles,
ouvre la voie à une domination masculine qui se déploie pendant tout le XIXe siècle.

Le travail féminin d’échapper à la prostitution ou à la Le Code civil et la domination


Les statistiques sur le travail des délinquance. Les salaires des ouvrières paternelle
femmes ne tiennent pas compte de sont systématiquement minorés ; Le Code civil promulgué en 1804 doit
la main-d’œuvre des exploitations généralement, ils équivalent à la moi- être considéré comme un outil poli-
paysannes, qui constitue pourtant tié de celui des hommes. tique destiné à clore une révolution
l’écrasante majorité de la population Rétablies par le Concordat, les congré- considérée comme une période de
française. Les femmes travaillent aux gations féminines refont progressive- désordre, particulièrement en ce qui
champs, ou à domicile, dans le cadre ment surface, les religieuses réinves- concerne la famille, dont la cohésion
de la proto-industrialisation. Bien des tissant des lieux (prisons, hôpitaux, est présentée comme le fondement
jeunes paysannes prennent le che- écoles) d’où elles avaient été exclues même de l’autorité sociale et politique.
min de la ville ou de la manufacture, par la Révolution. Selon le conseiller d’État Portalis, il
ouvrières ou domestiques, afin de se Suscitant de nombreux débats et s’agit d’un « corps de lois destinées à
constituer une dot pour fonder une projets, l’éducation des filles subit diriger et à fixer les relations de socia-
famille au village. l’inflexion générale qui caractérise bilité, de famille et d’intérêts qu’ont
Les conditions de travail féminin l’ensemble des institutions pédago- entre eux des hommes qui appar-
restent particulièrement pénibles, sur- giques de la période : l’école n’est plus tiennent à la grande cité ». Alors qu’il
tout dans l’industrie textile où très peu conçue comme un espace de régéné- s’agit de figer dans le marbre les hié-
de salariées gagnent plus de 30 sous ration et de perfectionnement, mais rarchies sociales, sexuelles ou raciales,
par jour. Dans les fabriques de soie comme un cadre de conservation des le Code civil doit garantir la domina-
de Nîmes et de Montpellier, aucune identités sexuelles et sociales. L’école tion masculine et renforcer le pouvoir
ouvrière ne peut résister au régime de primaire doit ainsi permettre de former du père de famille sur les femmes et les
travail imposé plus de deux ou trois de futures ouvrières obéissantes et enfants. Selon les rédacteurs, « l’ordre
mois. Dès lors, il est souvent difficile pieuses. naturel » entraîne la « suprématie du

LA DOMESTICITÉ EN ITALIE

La domesticité dans quelques villes italiennes (1786-1814) La domesticité à Florence en 1810


Part dans l’emploi domestique (en %) Part dans l’emploi domestique (en %)
10 % 8,1 %
7,7 % des hommes des femmes
veufs veuves
12 % 60 mariés 60 mariées
célibataires célibataires
Milan
Turin Venise 50 50

Bologne 40 40
Domesticité Florence
(en % de la 13 %
population totale) 30 30

Hommes
Femmes 20 20
8,8 %
Hommes
et femmes 6,8 % 10 10
Rome
confondus

Source : M.-P. Donato, D. Armando et alii (dir.), 0 0


Atlante storico dell’Italia rivoluzionaria e Naples 100 km Moins 35-54 Plus de Âge Moins 35-54 Plus de
napoleonica, École française de Rome, 2013. de 35 ans ans 55 ans de 35 ans ans 55 ans

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 40 14/01/2022 08:58


LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 41

mari ». La justice mais aussi l’Église, L’INDIGENCE FÉMININE À PARIS (1802)


voire la littérature, diffusent les nou-
velles normes dans le corps social,

Source : Atlas de la Révolution française,


Éditions de l’EHESS, vol. 11, « Paris », 2000.
condamnant ceux ou celles qui tentent Faubourg-
d’échapper à une domination d’autant du-Nord
Mont- Faubourg-
plus difficile à combattre qu’elle est Roule Blanc Poissonnière
présentée comme « naturelle » par des Bondy
IIIe Ve
« anatomistes » pour qui le corps de la IIe
femme serait prédestiné à la maternité.
Ier Mail Ve Temple
Le père dispose ainsi d’une tutelle Champs-Élysées Butte des VIe
Moulins III e

absolue qui relègue les enfants et la


Gardes- IVe
femme (incapacité à gérer les biens, Françaises Marchés
VIIe Indivisibilité Popincourt
culpabilité plus grande en cas d’adul- Fontaine-
Louvre
Pont- Arcis Droits-de-l’Homme
tère, etc.) dans une complète subor- X de-Grenelle
e

Neuf
dination. « Titre IX : De la puissance Invalides Cité Fidélité
Théâtre- Arsenal VIIIe Montreuil
paternelle. C’est par la petite patrie, Français Fraternité
IXe
qui est la famille, que l’on s’attache à Ouest Ste-
XIe
Geneviève
la grande : ce sont les bons pères, les Jardin Quinze-Vingts
bons maris, les bons fils qui font les des Plantes
Luxembourg
bons citoyens. » Femmes
secourues* XIIe
Même les femmes des milieux aisés

Se
Ouvrières fileuses

in
sont cantonnées aux devoirs mater-

e
Femmes en couches
nels. Exclues des différents établisse-
Femmes des deux catégories Ier N° d’arrondissement
ments pédagogiques secondaires et Limite
* Les couleurs reportées indiquent
supérieurs, elles ne peuvent prétendre les divisions où les effectifs secourus
d’arrondissement
par catégorie dépassent la moyenne 1 km Limite de division
qu’à une instruction très sommaire. La
Maison de la Légion d’honneur, dirigée
par madame Campan, devient un lieu
L’ENSEIGNEMENT FÉMININ DANS LES POUILLES (1809)
de formation des bonnes maîtresses
de maison ravalées aux petits travaux
Nombre
d’entretien et à la cuisine. de communes 60
ayant répondu à
Indigentes et dames l’enquête sans préciser 50
Pages 40-41 : L’indigence féminine à Paris (1802)Mer
le type d’école
patronnesses 40
Adriatique
Dans les campagnes comme dans Rome Capitanate
Lucera Bari
les villes, l’habitat populaire est tou- ayant des écoles 30
pour garçons et filles Naples Terre
jours sordide et l’hygiène rudimen- de Bari
taire en dépit des campagnes lancées 20 Mer
Tyrrhénienne
par les médecins réformateurs. Les ayant seulement des 10
veuves sans ressources, chargées écoles pour garçons 200 km
d’enfants, sont nombreuses dans les ayant seulement des 0 Source : M.-P. Donato, D. Armando et alii (dir.),
écoles pour filles Terre Capitanate Atlante storico dell’Italia rivoluzionaria e
villes. Les naissances illégitimes aug-
de Bari napoleonica, École française de Rome, 2013.
mentent en nombre sous l’Empire, et
les « filles-mères », souvent privées
de tout moyen d’existence, aban- particulièrement encouragé dans les philanthropique et de la Société de
donnent massivement leurs enfants. écoles-ateliers. charité maternelle se recrutent au sein
Parallèlement, la prostitution s’accroît Les femmes des milieux aisés se mobi- des familles de notables (Béthune,
dans les grandes villes, phénomène lisent, les pratiques de bienfaisance Montmorency, Pastoret, Cochin,
qui fait l’objet d’un contrôle policier et étant un moyen d’affirmer l’apparte- Delessert, Dupont de Nemours). Cette
d’une réglementation administrative nance aux notables. Félicité de Genlis mobilisation ne suffit pas à enrayer le
de plus en plus pointilleuse. Pages
s’engage parmi les40-41
dames: L’enseignement féminindes
inspectrices reflux dans les Pouilles enet1809
souscriptions participa-
Selon les catégories de pensée de chargées depuis mai 1810 par la pré- tions aux œuvres philanthropiques
l’époque, le combat contre la pau- fecture de Paris de veiller au bon fonc- qui, après l’effervescence consu-
vreté féminine est conçu comme une tionnement des écoles primaires des- laire, caractérise la période impériale.
lutte contre les mauvaises mœurs. tinées aux filles. Il s’agit, là encore, de La volonté du régime d’accroître le
Il faut ainsi apprendre aux filles et « fournir des bonnes épouses et mères contrôle et les réglementations sur les
aux femmes indigentes à bien se à l’État et aux familles ». À Paris, les institutions de charité contribue aussi à
comporter, le travail manuel étant militantes réunies autour de la Société leur marasme.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 41 14/01/2022 08:58


42

Le monde du travail
Très hétérogène, le monde des travailleurs trouve son unité dans les conditions de vie très difficiles,
surtout pour les femmes et les enfants. Si le pouvoir, s’appuyant sur la peur des élites face aux
populations laborieuses, parvient à prévenir les révoltes, le mécontentement populaire reste
important. La répression et une législation favorable à l’individualisation des contrats de travail
contribuent également à la précarité générale.

L’hétérogénéité du monde profitent du déclin de l’industrie du lin très difficiles et pour des salaires
du salariat pour réutiliser la main-d’œuvre dispo- médiocres. Pour les assister et les
Dans les villes, les ouvriers des petits nible. Des contremaîtres, chargés de encadrer, l’Empereur encourage les
ateliers, à la qualification poussée, fournir la matière première, surveillent dames de la Société de charité mater-
côtoient des ouvriers d’usine et des le travail, ce qui rapproche les rythmes nelle qui échangent leurs secours
petits employés. Une enquête de 1811 du travail à domicile de ceux des contre la garantie d’une « bonne
fournit un ordre de grandeur de la manufactures. Néanmoins, la hausse conduite ». Nombreuses sont les
population ouvrière : 82 000 entreprises du salaire réel, l’amélioration relative veuves sans ressources et chargées
emploient près de 1,8 million d’ouvriers de l’alimentation et du logement valent d’enfants. Pour ces femmes, l’exode
(femmes et enfants non compris) dis- à l’Empire d’être considéré comme en ville et la prostitution temporaire
persés dans les manufactures, par- une période favorable aux travailleurs ou définitive restent souvent les seuls
ticulièrement dans le secteur textile. salariés. recours.
De très grandes filatures de coton Le textile dévore les enfants. Dans
sont ainsi établies dans les régions de Le travail des femmes les filatures, leur agilité, leur sou-
pointe comme la Normandie, le Nord et des enfants plesse, leur petite taille sont utilisées,
ou la région de Mulhouse. La concen- Si le mariage et la procréation sont par exemple, pour attacher les fils
tration touche aussi l’industrie dra- les tâches essentielles assignées aux brisés sous les métiers à tisser en
pière. Dans la sidérurgie, le développe- femmes, les plus pauvres doivent en marche, nettoyer les bobines encras-
ment est plus restreint ; on dénombre plus travailler dans des conditions sées, ramasser les fils de coton. Dans
néanmoins près de 60 000 ouvriers
travaillant dans des établissements
LE NOMBRE D’OUVRIERS À PARIS PAR SECTEUR EN 1815
métallurgiques (particulièrement des
forges rurales). Secteur d’activité
Aux côtés des manufactures, les asso-
Petite
ciations de métiers ou « corporations » métallurgie 2 000

restent des lieux essentiels de forma- Transports 3 000


Imprimerie 3 400
tion et de cohésion des groupes. Le
Objets d’art 4 800
compagnonnage est en constante
Ameublement 8 100
progression, en dépit des interdictions
Textile 10 700
portant sur les associations ouvrières. Alimentation 13 350
Les ouvriers à domicile ne connaissent Confection 13 500
pas ces formes d’organisation. Bâtiment 13 900
Développé à la campagne, où acti- 0 2 000 4 000 6 000 8 000 10 000 12 000 Nombre
d’ouvriers
vités agricoles et industrielles sont Petite métallurgie : taillandiers, machinistes, Textile : fileurs de coton, fabricants
imbriquées, le travail à domicile est mécaniciens, ferblantiers, potiers, chaudronniers de tissus, couverturiers, teinturiers
Transports : maréchaux, selliers, bourreliers, Alimentation : boulangers, bouchers, charcutiers,
également répandu dans les villes où carrossiers marchands de vin, traiteurs, restaurateurs, limonadiers,
épiciers, confiseurs, distillateurs, vinaigriers
les ouvriers en chambre sont nom- Imprimerie : imprimeurs en lettres, papetiers,
fabricants de papier peint, brocheurs, relieurs Confection : boutonniers, cloutiers, épingliers,
breux, à l’image des canuts lyonnais cordonniers, bottiers, tailleurs, perruquiers, coiffeurs,
Objets d’art : porcelainiers, faïenciers, potiers, gantiers, parfumeurs, fleuristes, chapeliers, bonnetiers
du quartier de la Croix-Rousse. Cette orfèvres, bijoutiers, ciseleurs, doreurs, batteurs Bâtiment : maçons, tailleurs de pierre, charpentiers,
activité connaît en particulier une ratio- Ameublement : horlogers, fondeurs, ébénistes, menuisiers en bâtiment, peintres, vitriers, paveurs,
tapissiers, layetiers, coffretiers, éventaillistes, carreleurs, couvreurs, plombiers, marbriers, fumistes,
nalisation à l’initiative de « patrons du tabletiers, tourneurs terrassiers, serruriers
coton » comme Oberkampf ou Richard Source : J. Tulard, Nouvelle histoire de Paris, Le Consulat et l’Empire, 1800-1815,
Lenoir qui, dans le nord de la France, Association pour la publication d’une histoire de Paris, Hachette, Paris, 1970.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 42 14/01/2022 08:58


LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 43

LES ORIGINES DES OUVRIERS MIGRANTS SAISONNIERS VERS PARIS

Ardennes
Manche Moselle
Calvados Paris Meuse
Paris Côtes- Marne Meurthe

Source : J. Tulard, Nouvelle histoire de Paris, Le Consulat


Orne

et l’Empire, 1800-1815, Association pour la publication


Tyrol du-Nord
Vorarlberg Haute- Vosges
Suisse Loiret Marne
Trentin Indre-

d’une histoire de Paris, Hachette, Paris, 1970.


et-Loire Doubs
Piémont
Indre Jura
Vienne Allier
Creuse Ain
Puy-de- Rhône Mont-
Dôme Loire
Corrèze Haute- Blanc
Pouilles
Cantal Loire Hautes-
Calabre Lot-et- Drôme Alpes
Garonne Aveyron
Département ou Landes
Gers
région d’origine Haute- Hérault
d’un ou plusieurs Garonne
500 km ouvriers migrants Ariège
saisonniers vers Paris 200 km

certaines clouteries des Ardennes, Population laborieuse Même si ses conditions de vie se
les enfants de 10 ans travaillaient de et dangereuse sont améliorées, surtout dans les pre-
3 heures du matin à 21 heures. Les La différence est infime entre l’ouvrier mières années de l’Empire, l’ouvrier,
enfants sont aussi chargés de surveiller de manufacture urbaine et un paysan traité en mineur, n’a pas la possibilité
les machines (ils doivent rester jusqu’à qui travaille en plus dans un atelier de se défendre devant les conseils de
seize heures debout), de travailler à la rural. Dans les villes, le petit patron prud’hommes (26 créés entre 1806
machine à dévider (ils sont assis sur travaille, mange, dort sous le même et 1813). L’artisanat et le monde de
des tabourets trop hauts pour eux toit que son compagnon. L’unité se l’échoppe et de la boutique, frappés
afin de les empêcher de Pages
relâcher42-43
leur :forge
Origine
dans des ouvriers des
la pénibilité migrants saisonniers
conditions à Paris par des mesures de répression
effort). Les mines et les usinesdans
métal- les de
secteurs
travail,de l’artisanat
surtout et secteur
dans le des services
de successives, font l’objet d’une surveil-
lurgiques accueillent également des la métallurgie ou dans les forges, le lance accrue. Le régime tente de cal-
enfants : manœuvres, ils descendent départ pour l’armée étant parfois un mer les mécontentements en favorisant
dans les galeries plus étroites où ils refuge. La difficulté de la vie en usine la distribution de farine à bas prix ou en
peuvent se tenir debout et pousser se retrouve dans l’industrie textile ou lançant une politique de grands travaux
des chariots. À la campagne, dès sa chimique. Anciens couvents ou établis- pour donner du travail aux ouvriers du
huitième année, l’enfant est considéré sements religieux, les bâtiments sont bâtiment menacés par la crise de 1805-
comme un adulte. Les métiers se sont peu adaptés : manque de lumière, froid 1806. Les grèves, nombreuses, s’ac-
diversifiés et les séjours dans les ate- et humidité, bruit. La discipline est compagnent de revendications tou-
liers alternent avec d’autres activités extrêmement dure : journée de qua- chant au temps de travail ou au salaire.
pénibles par la durée et la difficulté des torze heures, amendes pour retards ou En 1810, les coalitions d’ouvriers sont
tâches à accomplir. absences. interdites par le Code pénal.

LE TRAVAIL DES FEMMES (1805-1812)

Part de la main-d'œuvre féminine (%) Part des femmes par métier (%)
100,0
47,5 100
98,8
Ouvrières
40 80 88,5
35,7
30,0
30 60

20 40
28,7
Journalières 22,8
10 20
Graveuses 6,3
4,2 2,8
0 0
1805 1806 1807 1808 1809 1810 1811 1812 1805 1806 1807 1808 1809 1810 1811 1812

Source : Y. Gaulupeau, A. Dewerpe, La fabrique des prolétaires, Les ouvriers de la manufacture d’Oberkampf à Jouy-en-Josas (1760-1815), Presses de l’École normale supérieure, Paris, 1990.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 43 14/01/2022 08:58


44

La conscription
Soumises à des procédures mal maîtrisées et changeantes, les premières levées de conscrits
furent particulièrement difficiles. Les réquisitions d’hommes rappellent aux communautés rurales
la milice abhorrée. Progressivement pourtant, la « machine conscriptionnelle » se rode, le régime
faisant alterner coercition et flexibilité (comme le tirage au sort et le remplacement), et déplaçant
une partie de la charge sur les pays annexés et départementalisés.

a conscription enLa machine conscriptionnelle


Seine-Inférieure (1800-1814) LA CONSCRIPTION EN SEINE-INFÉRIEURE (1800-1814)
a conscription en Seine-Inférieure
C’est le 21 fructidor(1800-1814)
an VI (7 septembre Rapport entre le nombre de conscrits Rapport entre le nombre de conscrits
a conscription en Seine-Inférieure
1798), (1800-1814)
avec la loi Jourdan-Delbrel, que le àRapport
fournir entre
et le nombre total
le nombre dede conscrits
conscrits àRapport
fournir entre
et la population totale
le nombre de (en %)
conscrits
(en %)
à fournir
Rapport et le nombre
entre total
le nombre dede conscrits
conscrits à 0,4
fournirentre
Rapport et la population
le nombre detotale (en %)
conscrits
service militaire universel devint le mode Arrondissement de
à(enfournir
%) et le nombre 34,8
total de conscrits à fournir et la population totale (en %)

I, 1998.
la Seine-Inférieure,
non pas exclusif (le volontariat subsiste), Dieppe
Arrondissement de Rouen 0,4
(en %) 34,8

I, 1998.
deSeine-Inférieure,
Le Havre de Yvetot
Dieppe
Arrondissement Rouen 0,4
mais principal de recrutement. 30 34,8 0,3 0,38

I, 1998.
Neufchâtel

deSeine-Inférieure,
La Conscription
Le Havre
Dieppe Yvetot
Rouen

Paris
0,38
Les procédures initiales de la conscrip- 30 22,5 Moyenne
Le Havre départementale
Neufchâtel Yvetot 0,3

La Conscription
22,5

ParisParis
0,38

université
30 Moyenne départementale
22,5 Neufchâtel 0,3
tion reposent largement sur les auto-

La Conscription
22,5 Manche
20 0,2

université
22,5 22,5 Moyenne départementale
rités locales, maire et conseil munici- Dieppe
Manche

la
20 0,2

université
20,4

le département
DieppeNeufchâtel
Manche

thèse,
K. Seigan,
de la
pal, qui déterminent le contingent et 20
20,4 Yvetot 0,2

le département
DieppeNeufchâtel
SEINE-

thèse,
K. :Seigan,
10 Le Havre INFÉRIEURE 0,1 0,17
organisent les procédures de tirage au 20,4 Yvetot 0,13

département
VI-1815),
Neufchâtel
SEINE-

thèse,
: K. :Seigan,
10 Le Havre INFÉRIEURE
Rouen 0,1 0,17
Yvetot 0,13

VI-1815),
sort et de remplacement. Le pouvoir 10 SEINE-
Le Havre INFÉRIEURE
Rouen 0,1 0,17

Source
0,13

VI-1815),
0 0

ledans
leur impute les dysfonctionnements, Rouen

(an
Source
0 1800 1806 1814 0 1800 1806 1814

dansdans
les accusant de corruption et d’incom-

Source

(an (an
0 1800 1806 1814 0 1800 1806 1814
44-45 : Le contingent
pétence.en Toscane
À partir(1808-1814)
de 1804, le rouage 1800 1806 1814
LES LEVÉES EN TOSCANE (1808-1814) 1800 1806 1814
44-45 : Le contingent en Toscane (1808-1814) Contingent annuel Contingent annuel
essentiel est le conseil
44-45 : Le contingent en Toscane (1808-1814)de révision, ins-
Contingent annuel Contingent annuel
tallé au chef-lieu d’arrondissement. Le

française
2 330
Contingent annuel MÉDITERRANÉE 4 524
Contingent annuel
2 000 ARNO
4 000

française
2 330 4 524
sous-préfet est le maître d’œuvre des 2 000
MÉDITERRANÉE ARNO
12476 4 000

française
330 MÉDITERRANÉE 4 524
ARNO
opérations. Une routine bureaucratique

IV, 1992.
l’armée
2 000 1 476 4 000
1 045 997

IV, 1992.
1 000

l’armée
s’instaure à partir de 1806. 1 476 1 045 997
ARNO
Florence
3 000 2 910

1992.
l’armée
1 000 490 LivourneARNO

dans
3 000 2 910
Dans les premières années, les départs 400 1 045 997 425

IV,Paris
1 000 490 Florence
Sienne
Livourne
ARNO 2 241

dansdans
400 425 MÉDITERRANÉE 3 000 2 910

ParisParis
effectifs sont inférieurs aux quotas Florence
Italiens
0 490 Livourne Sienne 2 241 2 003
université
425 OMBRONE 2 000
400 MÉDITERRANÉE
fixés par les préfets. Napoléon orga- 0 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814 Sienne 2 241 2 003 Italiens
université
OMBRONE 2 000
Contingent annuel MÉDITERRANÉE
0 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814
Italiens
Les
OMBRONE 2 000 2 003 université
nise des réserves départementales Contingent 164 11811
1808 1809annuel
11810 215 1812 1813 1814
OMBRONE
thèse,
Les Les
: F. Frasca,

1Contingent
000 annuel
1 164 1 215 OMBRONE 1 000 927 900 811
pour encadrer cette marge. À partir de
thèse,
: F. Frasca,

1 000 1 164 1 215 587OMBRONE


503 1 000 927 900 811
1796-1814,
thèse,
: F. Frasca,

1810, les contingents de réservistes 1 000 293 200 587 503 220 1 000 927 900 811
1796-1814,
Source

sont supprimés et on a recours à des 0 293 200 587 503 220 0


1796-1814,

0 1808
293 1809 1810 1811 1812 1813 1814 01808 1809 1810 1811 1812 1813 1814
Source

200 220
« levées supplémentaires » incluant 0 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814
Source

0 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814


es conscrits et les
desréformés dans
conscrits del’Oise
plus (1805)
en plus jeunes. 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814
es conscrits et les
Enréformés dans
1813, cinq l’Oisese
appels (1805)
succèdent, la Nombre de conscrits RÉFORMÉS DANS L’OISE (1805)
LES CONSCRITS Nombre de conscrits
es conscrits et les réformés dans l’Oise (1805) Nombre 1026 de conscrits 357 Nombre deréformés
conscrits
mobilisation totalisant en une année 1 000
Nombre 1026de conscrits
350
Nombre de réformés
conscrits
357 318
un chiffre égal à celui des six années 1 000 224 350
réformés
à 1805,

1026 OISE 357


1 000 Beauvais Compiègne 318 300
350
à 1805,
I, 1998.

précédentes. 800 224 777 OISE


318 300
751 Beauvais Compiègne
1805,

Clermont
I, 1998.

800 224 OISE


deà1798

Le bilan de cette « machine conscrip- 777


160 751 Beauvais Senlis
Clermont Compiègne
238 250
300
I, 1998.

800 152 224


de 1798

777
Paris

751 Senlis 238 250


tionnelle » pour les années 1800-1814 600 445 160 152 575 Clermont 280 224 200
1798
La Conscription

ParisParis

Senlis 238 250


160
université

600 445 280


l’Oise

est de 1 940 000 hommes. La part des 152 575


128 257 224 200
La Conscription

299 Contingent 280


université

600 445
de l’Oise

575
dede

257 150
départements composant l’ancienne 128 200
Conscription

400 361 (armée + réserve)


Contingent 187
université

299
de l’Oise

128 257 177 150


400 361 (arméemais
Aptes, + réserve)
non
de maîtrise,

France est de 1 550 000 hommes ; celle


le département

299 223 Contingent 187 177 100


retenus
(armée
Aptes, dans
+ réserve)
mais non Infirmité 150
400 361
de maîtrise,
le département

223 le contingent 187


V.LaReig,

des départements annexés, autour de 200 retenusmais


Aptes, dansnon Infirmité
Difformité
177 100
de maîtrise,
département

357 223 le contingent 29


V. :Reig,

200 318 retenus dans 9 50


100
20 % au total, fut croissante : 14 % en 357 238 224 Infirmité
le contingent DéfautDifformité
Réformés de taille 18 4
: V. :Reig,

29
mémoire

200 318 48 529 434 50


238
Source

1808, 24 % en 1814. Il faudrait toute- 0 357 224 Réformés DéfautDifformité


de taille 29 18
33 050
mémoire

318 9
ledans

238 48 52 43
4
Source

0Beauvais Compiègne Clermont224


Senlis Réformés Défaut de taille Beauvais Compiègne
Arrondissements 18
33
Clermont Senlis
fois ajouter les contingents des pays 0
mémoire
dansdans

48 52 43
Source

0 Beauvais Compiègne Clermont Senlis Arrondissements Beauvais Compiègne 33


Clermont Senlis 0
alliés (royaumes italiens, pays de la Beauvais Compiègne Clermont Senlis Arrondissements Beauvais Compiègne Clermont Senlis

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 44 14/01/2022 08:58


LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 45

LA TAILLE DES CONSCRITS Sont ensuite distribués des certificats contributions sont moindres qu’à l’est.
(1782-1829) de « fin de dépôt » qui placent leurs Les départements annexés de Belgique
titulaires en fin de liste : orphelins, et du Piémont ont payé un lourd tribut.
Taille moyenne des conscrits (en mètres) aînés avec charge de famille, frères de Par département, la charge est inégale
conscrits incorporés. Mais c’est sur- selon les cantons. Les villes contribuent
1,67
tout le mariage qui déclenche l’exemp- davantage que les campagnes, à l’ex-
1,66
tion automatique après le tirage au ception notable de Paris.
1,65 sort ; ce qui provoque une véritable Individuellement, le conscrit mobilisé
1,64 course aux mariages arrangés, surtout peut, après être passé en conseil de
1,63 dans les dernières années de l’Empire. révision, demander à un suppléant,
1,62 moyennant finance, de rejoindre le régi-
1,61 Une charge inégale ment à sa place. Il passe alors devant
1,60 Alsace rurale En 1804, à la demande de l’Empereur, notaire un contrat dit de remplacement.
Brie
1,59
Limousin
Antoine-Audet Hargenvilliers établit un La proportion des remplaçants dans les
1,58 Compte général de la conscription, à levées de 1806 à 1810 est de 4,5 % en
1800 1805 1810 1815 1820 1825 1830
l’unité près, pour la période 1799-1804. moyenne et s’élève ensuite, alors que
Source : L. Heyberger, La Révolution des corps, L’analyse de ces chiffres montre que les le prix du remplaçant est multiplié par
Presses Universitaires de Strasbourg, 2005.
résistances ne sont pas moins fortes huit. La charge est socialement iné-
sous le Consulat que sous le Directoire. gale : la paysannerie propriétaire eut
Confédération du Rhin), fixés par des Toutefois, ces résistances ne sont pas massivement recours aux contrats de
conventions qui rappellent les « capi- générales ; certaines régions s’accom- remplacement. Comme les familles
tulations » de l’Ancien Régime, levés modent aisément de l’institution. Enfin, aisées bénéficiaient fréquemment des
selon des modalités qui incluent bien le prélèvement des jeunes hommes exemptions médicales, la légitimité de
Pages 44-45souvent
: La taille
la des conscrits dans trois régionspar
conscription. (1800-1829)
rapport à la population départe- la ponction par l’invocation de son uni-
mentale n’est pas uniforme ; à l’ouest versalité se lézarde dans les dernières
Les exemptés d’une ligne Amiens-Narbonne, les années du régime.
Les maires établissent les listes des
jeunes gens de 20 à 25 ans, pro- LES CONSCRITS PAR DÉPARTEMENT (MOYENNE 1800-1804)
cèdent au tirage au sort, conduisent
les conscrits au conseil de révision de
Mer
la sous-préfecture. Là, le sous-pré- du Nord
Deux-
fet écarte ceux qui n’ont pas la taille Escaut NèthesMeuse- Roer
Lys
suffisante, critère variable selon les Dyle Inférieure
Pas- Jemmapes Ourthe Rhin-
régions et les effectifs requis. La taille de-Calais
Nord
Sambre- et-
M a n c h e et-Meuse Moselle
moyenne du conscrit français était de Somme Forêts
Seine- Sarre Mont-
Aisne Ardennes

Source : A.-A. Hargenvilliers, Compte général


1,65 mètre. Inférieure Tonnerre
Oise

de la conscription, Gustave Vallée, 1937.


Le conseil de révision du département, Manche Calvados Eure Meuse
Moselle
Seine Seine- Marne Bas-
composé du préfet, du commandant Orne Seine- et-Marne Meurthe Rhin
Côtes-du-Nord Eure- et-Oise
militaire et d’un officier recruteur, est Finistère
et-Loir Aube
Ille-et- Mayenne Haute- Vosges
assisté par des officiers de santé, qui Morbihan Vilaine Sarthe Loiret Marne
Haute-
Haut-
Yonne Rhin
se prononcent sur les exemptions pour Loir- Saône
Loire- Maine- et-Cher
et-Loire Indre- Côte-d’Or
raisons physiques (un tiers des dis- Inférieure et-Loire Doubs
Cher Nièvre
penses) : infirmités spécifiques à cer- Vendée Deux- Indre Saône- Jura
taines régions, goitres et tuberculose Sèvres Vienne Allier et-Loire
Ain Léman
dans les zones montagneuses, claudi- Charente- Creuse
Haute- Puy- Rhône Doire
OCÉAN Inférieure Vienne Loire Mont-Blanc
cation et rhumatismes articulaires des Charente de-Dôme Sésia
ATL ANTIQUE Corrèze Isère
zones maritimes, pieds plats, scoliose Cantal
Haute-
Pô Marengo
Tanaro
Dordogne Loire
et ulcères tuberculeux des régions Gironde Ardèche Hautes-
Drôme Alpes Sturia
Lot
marécageuses. On dispense aussi pour Lot-et-
Aveyron
Lozère
Alpes-
Garonne Basses-
les hernies, les fractures et la myopie. Landes Gard Vaucluse Alpes Maritimes
Tarn
Le conseil de révision traque les nom- Gers
Haute- Hérault
Bouches-
Var
Basses- du-Rhône
breux cas de fraude ; onguents divers Pyrénées Hautes- Garonne
Aude
Pyrénées Ariège
pour feindre les ulcères, les altérations Pyrénées- Golo
Orientales Mer Méditerranée
des yeux ou des parties génitales,
Part des conscrits Liamone
automutilation du majeur qui empêche dans la population totale
de tirer. Les conscrits convaincus de (moyenne 1800-1804, en %) :
fraude sont automatiquement placés
0,47 0,60 0,70 0,80 0,90 1,00 1,25 Moyenne : 0,74 200 km
en tête du régiment.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 45 14/01/2022 08:58


46

Soigner la société :
santé et populations marginales
Soigner les maladies physiques, morales et sociales est l’un des mots d’ordre autour duquel
se réunissent les élites. Cette médicalisation de la société ouvre la voie à une approche
philanthropique qui permet de masquer les véritables causes des inégalités sociales.
À partir de 1810, cette thérapie ne suffit plus à prévenir les effets de la crise économique,
du poids des impôts et des levées d’hommes sur les populations.

Les progrès de la médecine indéniables (entre 1811 et 1815, près médicalisation de la société participe à
Les progrès de la médecine, liés autant de la moitié des enfants sont vacci- la remise en ordre sociale et politique.
à l’hôpital qu’à la médecine militaire, se nés). Les efforts portent également sur
doublent d’un meilleur encadrement l’amélioration de la salubrité urbaine : Le contrôle des indigents
médical rendu possible par la réforme le déplacement des cimetières hors La crise économique de 1811-1812 est
de mars 1803 qui distingue les méde- les murs des villes, les premiers tra- marquée par un retour de véritables
cins des officiers de santé. On estime à vaux d’aménagement et d’assainisse- armées de mendiants vagabonds, qui
15 000 le nombre de médecins, chirur- ment des rues témoignent autant d’un font l’objet d’une répression renfor-
giens et officiers de santé, soit un peu souci hygiéniste que d’une volonté de cée de la part du préfet et de la gen-
plus de 5 pour 10 000 habitants, les contrôler le tissu urbain. De la méde- darmerie. Mais dans le Bassin parisien
campagnes étant néanmoins moins cine criminelle à l’intérêt porté à l’hys- ou en Normandie, ces bandes dépas-
bien loties que les villes. Parallèlement, térie féminine en passant par les tra- sant parfois plus d’un millier d’hommes
l’encadrement hospitalier se développe vaux sur l’hygiène publique, cette échappent à tout contrôle. Le manque
grâce, en particulier, à la reconstitu-
tion du réseau des congrégations reli- TAUX DE MÉDICALISATION PAR ARRONDISSEMENT (1805)
gieuses (près de 540 sœurs des Filles
de la sagesse sont présentes dans
87 maisons en 1808) et des dispen-
saires où de jeunes médecins soignent
gratuitement. Seine- Somme
Inférieure Aisne Ardennes
Si les découvertes médicales
Manche Calvados Moselle
demeurent limitées (en dépit des Meuse
Seine Seine- Marne Bas-
Meurthe Rhin
réformes, l’hôpital reste mortifère), le Seine- et-Marne
Côtes-du-Nord
régime mobilise son administration et-Oise Aube
Ille-et- Mayenne Haute- Vosges
autour de grands chantiers dans le Morbihan Vilaine Sarthe Loiret Marne Haute- Haut-
Yonne Rhin
domaine de la santé. Ainsi, la vaccina- Maine-
Loir- Saône
Loire- Indre- et-Cher Côte-d’Or
tion jennérienne contre la variole (qui Inférieure et-Loire et-Loire Doubs
Cher
pouvait, avant 1789, provoquer 10 %
Vendée Deux- Indre Saône- Jura
de décès annuels) devient dès 1804 Sèvres Vienne et-Loire
Allier
une priorité du pouvoir qui encourage Creuse Ain
Charente- Haute- Rhône
la création de comités de vaccine Inférieure Vienne Loire
Charente
dans les départements : après avoir Corrèze Isère
fait vacciner tous ses soldats en 1805, Dordogne Cantal Haute-
Loire
Part des membres Ardèche Hautes-
Bonaparte fait vacciner le roi de Rome. du corps médical Drôme Alpes
Lot Lozère
En dépit des ravages provoqués par (médecins, chirurgiens, Lot-et-
Garonne Aveyron Basses-
officiers de santé) Vaucluse Alpes
le typhus dans les rangs de l’armée dans la population Landes
Tarn
en 1813, la crainte de l’épidémie (la totale (pour 10 000 Bouches-
habitants) du-Rhône Var
dysenterie encore présente) disparaît
de 0,1 à 2,9 Aude
progressivement. Ariège
de 3,0 à 4,4
Aux côtés des médecins, les préfets
de 4,5 à 5,9
et les curés font campagne en faveur 200 km
Liamone
de 6,0 à 20,2 Source : Atlas de la Révolution
d’une vaccination, inégale selon les française,vol. 8, « Population », S. Bonin,
Données non disponibles
départements mais aux résultats C. Langlois (dir.), Éditions de l’EHESS, Paris, 1995.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 46 14/01/2022 08:58


LES DYNAMIQUES DÉMOGRAPHIQUES • 47

LES VACCINATIONS À LA LA DISTRIBUTION DE SOUPES À PARIS EN 1812


NAISSANCE (1811-1815)
Pourcentage de soupes distribuées Localisation des fourneaux

Source : C. Duprat, Usage


et pratiques de la philanthropie,
Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 1996.
dans chaque secteur par rapport et découpage de Paris en secteurs

Source : Atlas de la Révolution française, vol. 8, « Population »,


Nombre de vaccinations à l'ensemble de Paris

S. Bonin, C. Langlois (dir.), Éditions de l’EHESS, Paris, 1995.


(pour 100 naissances,
en %)
9,4 13,9 %
54,0 38,0 %
8,2
Trinité
3,4 St-Anastase
14 Gros-Caillou
Petit-Crucifix 16,8 %
25 8,0 %
6,3 % St-Bernard
45
12,0
17,0 %

Se
55

in
e
65 Fer-à-Moulin 1 km
13,0
85 Fourneau permanent
de la Société 38,0 % Pourcentage d'indigents
107 philanthropique en 1812
Total de soupes par secteur par rapport
Données manquantes 200 km distribuées : 4 342 569 Fourneau supplémentaire à l'ensemble de Paris

de nourriture se double d’une malnutri-


LES INDIGENTS À PARIS (1804-1813)
tion qui fragilise les organismes. Ainsi, le
pain des villes contient souvent sciure, Nombre de personnes 121 801
116 703 117 572 103 886
fécule ou sels toxiques ; le sel de cui- 50 000 116 670

Source : J. Tulard, Nouvelle histoire de Paris, Le Consulat


et l’Empire, 1800-1815, Association pour la publication
97 874
94 262
sine est mélangé de plâtre, de terre, de 86 936 90 705
Pages 46-47 : Les vaccinations à la naissance (1811-1815)
40 000
102 806
salpêtre et même d’oxyde d’arsenic.
Pages 46-47 : La distribution de soupes à Paris en 1812

d’une histoire de Paris, Hachette, Paris, 1970.


Principales victimes des crises de
subsistance, les mendiants sont en 30 000
première ligne lors des épidémies. Les
retards de croissance, les maladies 20 000
légitiment la multiplication des cas
10 000
de réforme et, aux yeux des élites, les
critiques diverses qui pèsent sur ces
0
populations « inutiles ». Alors que le 1804 1805 1806 1807 1808 1809 1810 1811 1812 1813
régime cherche à célébrer le retour à Hommes Femmes Enfants Sans désignation 86 936 Total annuel
l’ordre, souvent en dissimulant toute
information sur les faits délictueux, des
bandes de « chauffeurs » continuent LES FILLES DE LA
CHARITÉ EN 1809
de semer le trouble dans certaines
régions, en particulier en Picardie ou
en Normandie, à l’affût des trésors plus
Source : Atlas de la Révolution française, vol. 8, « Population »,
ou moins réels des paysans, encore S. Bonin, C. Langlois (dir.), Éditions de l’EHESS, Paris, 1995.
rétifs à confier leur argent aux banques
ou aux notaires. Le brigandage se Nombre Pages 46-47 : Les indigents à Paris (1804-1813)
de religieuses
teinte d’enjeux politiques, puisant ses
1
sources dans des héritages divers
comme la chouannerie. 5
10
Le « temps des philanthropes » 25
La renaissance des œuvres et des fon-
50
dations philanthropiques constitue un
des phénomènes majeurs de la période
326
consulaire caractérisée par la création
ou la renaissance de nombreuses ins- 200 km
titutions. Au sein de la Société de cha-
rité maternelle, de l’Hospice central de pratiques de sociabilité philanthro- dons), comme si le renforcement du
la vaccine, du Comité des soupes éco- pique constituent ainsi un des fonde- pouvoir rendait la bienfaisance moins
nomiques dites « à la Rumford » et de ments de la « fusion des élites ». nécessaire. Ce moindre intérêt du gou-
la Société philanthropique se côtoient Si l’Empire profite de ce dynamisme, vernement n’implique pas pourtant l’in-
les personnalités du monde politique, les œuvres connaissent une certaine différence à l’égard d’œuvres utilisées
administratif, intellectuel et financier léthargie à partir de 1804 (reflux des comme auxiliaires ou substituts des
d’opinions parfois fort éloignées. Les souscriptions, des 46-47
Pages créations et des
: Les Filles de la secours publics.
Charité de Paris (1809)

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48

EN CONCLUSION
Les dynamiques
démographiques
À la recherche de l’unité impériale,
l’Empire, multiethnique, vise à transcender
les différences entre les populations. Mais
derrière l’unité de façade et malgré les
efforts de la propagande officielle, il reste
un conglomérat de peuples hétérogène.
Les défaites des années 1814-1815
ne feront que rendre plus évidente
cette réalité lorsque, dans la cohue des
batailles, les officiers des différents
régiments se heurteront à la grande
diversité des langues.

Seule la figure de l’Empereur, appuyée


sur le socle de l’obéissance, permet
finalement de maintenir la fragile unité
de l’Empire. À défaut de susciter un
réel sentiment d’appartenance, l’État
napoléonien tend à combattre les fidélités
concurrentes et les identités antérieures.
La Légion d’honneur est ainsi accordée
à titre français aux soldats étrangers de
la Grande Armée. Le 26 avril 1802,
un sénatus-consulte prescrit aux Français
au service d’une puissance étrangère
un serment et des renonciations
pour autoriser leur retour, après
examen de leur dossier.

Les bouleversements géopolitiques


d’après 1789 ont profondément atteint les
populations des différents territoires mais
ils se ressentent aussi dans les références
et les repères des « anciens » Français,
ainsi que dans les représentations
collectives, oscillant paradoxalement entre
orgueil patriotique et vocation impériale.
De fait, l’effort d’amalgame, social et
spatial, nourri par l’idéologie impériale,
ne fait que nourrir des ressentiments qui
s’exprimeront largement après 1815.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 48 14/01/2022 08:59


LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 49

Les dynamiques
économiques
En comparant les niveaux de développement dans ces deux
États pilotes de l’Europe occidentale, le Royaume-Uni et la
France, de nombreux historiens relèvent que, partant d’indices
sensiblement équivalents dans les années 1780, la France
accuse un retard prononcé cinquante ans plus tard.
Certains portent une condamnation sans appel des désordres
révolutionnaires (inflation, désinvestissements, ruine du
grand commerce), d’autres de la dictature napoléonienne
(guerre permanente, protectionnisme outrancier, archaïsme
technologique), voire d’un cumul catastrophique des
deux symptômes du mal français !
Les études réalisées à partir de données objectives offrent
un bilan plus nuancé. Si la comparaison France-Angleterre
s’impose, il faut bien souligner qu’il ne s’agit pas d’une
compétition entre un pôle dirigiste et un pôle libéral. Dans les
deux Empires, les considérations de puissance le disputent aux
considérations de croissance, et les réflexes protectionnistes
contrarient les aspirations libérales. Les retards sectoriels
en matière d’innovations technologiques ou de structures
agricoles sont bien antérieurs, mais ils ne sont pas comblés.
Pour les pays sous tutelle, la domination française n’est pas
partout synonyme de ruine et de chômage. Des axes européens
de développement se dessinent durablement autour des pays
rhénans et des vallées de l’Europe centrale.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 49 14/01/2022 08:59


50

Une nouvelle géographie


industrielle
Il y a une « croissance dans la guerre » entre 1800 et la crise économique de 1810-1811.
Les indicateurs de moyenne durée pour les prix et les salaires sont à la hausse. Le retournement
de tendance s’est produit en 1797, mais n’a vraiment été effectif qu’avec la paix d’Amiens
en 1802. Le moteur de cette croissance qui creuse les déséquilibres régionaux et sectoriels est
la progression de la demande, avec l’élargissement d’un marché aux dimensions européennes.

NOUVELLE GÉOGRAPHIE DE L’INDUSTRIE DANS L’EMPIRE

Mer du Nord Anvers


Dunkerque ROER
NORD

PAS-DE-CALAIS JEMMAPES Liège


Douai SAMBRE- RHIN-ET-
M a n c h e ET-MEUSE MOSELLE
Maubeuge
SOMME ARDENNES
Cherbourg FORÊTS SARRE
SEINE- La Fère Mézières
INFÉRIEURE
Le Havre
OISE MOSELLE
CALVADOS Metz
BAS-
EURE MEUSE RHIN
St-Malo
Brest
MARNE MEURTHE Mutzig
ORNE
Versailles Strasbourg
CÔTES-DU-NORD Klingenthal
EURE- AUBE
Rennes ET-LOIR
VOSGES

HAUTE-
MORBIHAN SARTHE LOIRET MARNE HAUT-
Lorient LOIR- HAUTE- RHIN
ET-CHER SAÔNE
CÔTE-D’OR
Nantes NIÈVRE
Indret INDRE-
DOUBS
OCÉAN ET-LOIRE
Guérigny Auxonne
ATL ANTIQUE Nevers
DEUX- Le Creusot
SÈVRES JURA
INDRE

Sidérurgie VIENNE
Densité de forges LÉMAN
moyenne à forte Rochefort
Ro HAUTE- AIN
CHARENTE- VIENNE*
INFÉRIEURE CHARENTE DOIRE
Fabrications de guerre Ruelle MONT- SÉSIA
St-Étienne BLANC
Manufacture de fusils ISÈRE
Tulle HAUTE-LOIRE
Manufacture d’armes Turin
blanches DORDOGNE Grenoble
Bordeaux
B St-Gervais Gênes
Fonderie de canons HAUTES-
ARDÈCHE DRÔME
ALPES
Arsenal de terre
LOZÈRE La Spezia,
Arsenal de marine TARN- Livourne
ET-GARONNE AVEYRON VAUCLUSE
Forges de la marine GARD
BASSES-
ALPES
Métiers à tisser (bonneterie
exclue, nombre par Toulouse TARN* HÉRAULT
arrondissement) Bayonne VAR
HAUTE-
7 500 HAUTES- GARONNE
PYRÉNÉES AUDE
4 000 ARIÈGE
PYRÉNÉES-
1 000 ORIENTALES
1 M e r M é d i t e r r a n é e
(*) Données par département
pour le Tarn et la Haute-Vienne
Absence de cercle = absence Source : Atlas de la Révolution française,
de métiers à tisser ou données G. Béaur, P. Minard (dir.), vol. 10, « Économie »,
manquantes 100 km
Éditions de l’EHESS, Paris, 1997.

Pages 50
01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 50-51 : Nouvelle géographie de l’industrie française (1810-1811) 14/01/2022 08:59
LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 51

Un axe « lotharingien » LES CHAMBRES CONSULTATIVES DES ARTS ET MÉTIERS


Comme le régime cultive les références
carolingiennes, on se plaît à souligner
Mer
la résurgence d’un axe continental
du Nord
de développement, de la Belgique
Anvers
à la plaine du Pô, en passant par la

in Villes et districts industriels en Europe occidentale XVIIe-XXe siècles,


Dunkerque Bruxelles
France du Nord-Est, spectre flou de la

Source : G. Gayot , « De nouvelles institutions pour les villes


Lille

Publications de l’Université François Rabelais, Tours, 2002.


et les territoires industriels de la Grande Nation en 1804 »
Lotharingie historique. Le cadre est for-
M a n c h e
tement protectionniste ; sous le bou- Amiens Mayence
clier du blocus continental, instauré par Le Havre Rouen
les décrets de Berlin (novembre 1806)
et de Milan (novembre 1807), l’indus- St-Brieuc
Paris
Strasbourg
trie cotonnière se lance dans une
substitution d’importations ayant pour
objectif de ravir le marché continental Nantes Tours
à l’industrie britannique. Cette tenta-
tive est portée par la consommation
populaire, de plus en plus tournée vers
les toiles et la bonneterie de coton, y OCÉAN Lyon Genève
compris dans les campagnes. C’est le ATL ANTIQUE

signe d’une incontestable élévation du Turin


pouvoir d’achat. La filature connaît un Bordeaux
essor spectaculaire en Belgique, dans
le Nord, en Picardie, en Alsace, dans Avignon
la région lyonnaise, en Normandie, au Bayonne Toulouse
Piémont. Carcassonne Sète
Montpellier Marseille
La commande publique joue un rôle
M e r
décisif dans le démarrage de l’indus-
Chambre de commerce M é d i t e r r a n é e
trie chimique, servi par une classe de
Chambre consultative de manufactures,
chercheurs-entrepreneurs, totalement fabriques, arts et métiers 100 km
investis dans le service de l’État, à
l’image de Chaptal. La guerre d’Es-
pagne entraîne la multiplication des est durement touché par les guerres PRODUITS INDUSTRIELS
usines qui produisent de la soude arti- de la Révolution, et plus encore par ET MANUFACTURÉS
ficielle (procédé Leblanc qui donne le blocus continental. Le marasme est
Part (en %)
l’acide sulfurique) à partir du sel, pro- encore plus grand sur la façade médi- 60
duit exonéré de taxes. Parallèlement, terranéenne, car aucun navire neutre
l’État impose des droits très élevés sur ne vient mouiller. La franchise du port 50
Pages 50-51 : Les chambres de commerce et les chambres consultatives (1802-1804)
les importations de soude végétale de Marseille est supprimée. Là où les
40 Exportations
d’origine méditerranéenne (notam- activités d’entrepôt faisaient vivre tout
ment espagnole), provoquant la ruine un arrière-pays, dans la région borde-
30
des savonniers de Marseille. laise ou la région nantaise, les rares
investissements sont fonciers. C’est la 20
Le déclin des façades « pastoralisation ». Importations
maritimes La préférence systématique accordée 10
Jusqu’en 1811, c’est l’exploitation des aux produits français par une politique
pays conquis qui finance la guerre, de douanière prohibitive provoque aussi le 0
1804 1806 1808 1810 1812 1814
sorte que la charge fiscale n’est pas déclin des activités de transformation Source : T. Lentz, Nouvelle histoire
du premier Empire, Fayard, Paris, 2007.
très lourde et que le régime peut se dans les pays satellites. Ainsi, la voca-
passer provisoirement de l’emprunt. tion industrielle naissante du royaume
Dans les limites de l’Empire des 130 de Naples fut-elle découragée, le pays
départements, les régions françaises étant voué à devenir une « colonie agri-
ne sont pas les seules à bénéficier cole » substitutive des colonies tropi-
de la croissance, mais celle-ci n’est cales pour l’approvisionnement, en
pas également répartie. Le grand coton notamment, des filatures fran- Pages 50-51 : Part des produits industriels et manufacturés
commerce atlantique, qui avait été le çaises. Livourne est asphyxiée par ledans le commerce extérieur français (1804-1815)
moteur de la prospérité du XVIIIe siècle, blocus.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 51 14/01/2022 08:59


52

Secteurs et acteurs
de l’industrie française
Les années 1800-1810 se caractérisent par une croissance industrielle inégale selon les régions
et les secteurs, mais qui préfigure la révolution industrielle. Elle concerne particulièrement
les industries cotonnières et chimiques. L’argent circule librement, il sert à l’impôt et à l’achat
de produits manufacturés, surtout textiles. Si le paysage industriel reste marqué par les petits
ateliers, les fabriques et les usines se multiplient.

Les capitaines d’industrie grande se tient à Paris en mai 1806). les couleurs qu’on y avait appliquées.
Le développement industriel s’ap- Oberkampf fabrique, à Jouy-en- L’établissement de Jouy s’étend pro-
puie sur de véritables « capitaines Josas, des cotonnades imprimées, les gressivement : en 1805, Oberkampf
d’industrie ». « toiles de Jouy ». Bavarois d’origine, emploie 1 322 personnes, imprime
Richard Lenoir, par exemple, fabrique, il s’était installé en France dès avant 1 725 000 aunes de tissu et fait des
à Paris et en Normandie, du coton filé, la Révolution, pour fonder en 1760 la bénéfices dépassant 1 650 000 francs.
des calicots, des basins et des piqués. première manufacture française de L’établissement est à son apogée
Faisant travailler plusieurs milliers d’ou- toiles peintes. Dans cet établisse- lorsque Napoléon lui rend visite, le
vriers, il dispose d’un capital de 6 mil- ment, un prisonnier de guerre anglais, 20 juin 1806. Les progrès techniques
lions de francs. Il fait partie du Conseil Robert Hendry, découvrit avec Widmer tels que l’assortiment à carder et à filer
général du commerce et participe aux le moyen de remplacer la traditionnelle que fournit l’ingénieur anglais Douglas
expositions de produits industriels teinture « à la réserve » par l’emploi de suscitent des résistances et ne peuvent
qu’organise le gouvernement (la plus rongeants qui enlevaient sur les tissus masquer les difficultés d’une branche

LA MÉTALLURGIE EN HAUTE-SAÔNE SOUS L’EMPIRE

Freland La Chaudeau
Passavant Les forges exploitées par les enfants
Pont- La Branleure
du-Bois de Jean-François Rochet, de Grandvelle
Aillevillers
Varigney
Dem andre Claude-François Rochet aîné
Betaucourt
Le Beuchot
Adrien Rochet, de Raze
Lure
Jean-Jean Rochet, d’Héricourt
Conflandey Magny-Vernois
Mailleroncourt Alexandre Rochet, de Granville
Chagey
Vauconcourt Scey-sur-Saône Claude-Pierre Dornier
Prai l eu r
Renaucourt Vesoul St-Georges NB : les ronds concernent la propriété
Trécourt Roc h e t de bois ou de domaines.
Villersexel
La Barbe Vy-le-Ferroux
D ornier Vellexon Baignes
Bonnal Fallon La Branleure
Le Crochot La Romaine Pont-du-Bois
Bley Dampierre
Millerand Estravaux Aubertans
Lœuilley Vereux Maizières
Falatieu Lure
B ureau Autrey Montureux Grandvelle Loulans
Échalonge Breurey
Gray Larians
Vauconcourt Scey-sur-Saône Chagey
Valay
Pesmes 20 km Renaucourt Vesoul Étupes
Chariez Villersexel
La Barbe Boursières
Dasle
Baignes La Petite-
Les usines et les principaux exploitants Le Crochot
Hollande
en l’an IX (1801) La Romaine Audincourt
Dampierre
Bezouotte Grandvelle Bourguignon
Atelier de grosse forge
Breurey Pont-de-Roide
Haut-fourneau Gray
Principaux exploitants, Valay
Dornier
avec leur nom Pesmes 20 km
Route principale Source : F. Lassus, « Sidérurgie haut-saônoise
Montrambert à l’époque du Consulat », G.-J. Michel (dir.),
Le Consulat en Franche-Comté 1799-1804,
Fraisans Salsa, Vesoul, 2000.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 52 14/01/2022 08:59


LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 53

dont la source espagnole d’approvi- LA MANUFACTURE DE JOUY SOUS L’EMPIRE


sionnement est compromise à partir de
1810, sans que le développement des Pavillon Période de construction
du jardin
Maison
mérinos en France ne puisse encore Maison potager
Provençal
1760-1794
Barré
s’y substituer. 1795-1804
En Alsace, les industriels Gros et 1805-1808
Citerne
Roman le concurrencent avec leurs de la grande Maison non précisée
source Rordorff
manufactures d’indiennes (tissus peints
Jardin
et imprimés) implantées à Wesserling.
Ces industriels « conquérants » n’uti-
lisent comme source d’énergie que Manège
Porte
l’eau ou le charbon de bois. Ils inves- du bastringue
du trou
Abreuvoir au son
tissent pourtant dans l’achat de
Écuries
machines, telle la mule-jenny pour le Imprimerie
filage du coton, et se suréquipent par- Passage Magasin Latrines
et lavoir de la gaude et fumier
fois, alors que les débouchés se fer-
Bâtiment Hangar de la
ment dans une Europe qui, elle aussi, des couleurs charreterie Magasin
s’industrialise et où les produits anglais Bâtiment aux cendres
Laboratoire et charbon
de chimie des toiles
de contrebande réapparaissent. blanches
Savonnerie
Magasin
Appareil du chlore Maison
Les secteurs d’activité des drogues
du pont
Blanchisserie Maison
L’industrie textile reste en pointe, de pierre
Grilloirs Bâtiment Étuve de la mairie
employant plus de la moitié des sur la rivière
Bâtiment Appareil
ouvriers. Bellanger pour les cache- de la ferraille autoclave
Maison d’habitation
Atelier de menuiserie Grand
mires, Oberkampf pour les indiennes, séchoir des Widmer
et de serrurerie
Bureaux Maison d’habitation
Lenoir pour les basins et Seghers pour Bâtiment et magasins (actuelle mairie de Jouy)
de la croix Hangar
les toiles cirées sont les véritables fleu-

Source : S. Chassagne, Le Coton et ses patrons, Éditions de l’EHESS, 1991.


d’honneur de rinçage Grande porte
Terrasse
rons de l’industrie française. Les pro- Hangar des batteries Portail d’entrée
Pigeonnier
ductions les plus traditionnelles (lin, Machine à graver Maisons de la Soupe
les rouleaux Jardin
chanvre) subissent un certain déclin ; anglais
Peuplier
Magasin du bois d’Alphonse
même la laine disparaît dans une tren- pour la gravure
Maison Banc des
taine de départements, notamment Bâtiment de la calandre Révérend quatre tilleuls
en Bretagne, en Aquitaine et dans le Abreuvoir Pavillon
centre de la France. En revanche, l’in- Maisons Tourelle
à loyers de l’ancien
dustrie du coton est en plein essor, moulin Potager
particulièrement en Normandie, dans Jardin
de Mme Émile
le Nord et autour de Mulhouse. Jardin
et chaumière Potager
Grâce aux perfectionnements tech- de M. Émile
niques (blanchiment par le chlore,
Église
impression au moyen de rouleaux de
cuivre), le prix des étoffes devient plus
accessible et l’élargissement du mar-
ché continental permet de décupler
les exportations françaises entre 1806 connaît également un essor important, les Vosges. La chimie, dans la conti-
et 1810. Alors qu’Oberkampf n’avait la croissance repartant en 1801 pour nuité des innovations scientifiques
gagné que 9 millions de francs en atteindre son apogée en 1809 (avec à liées à l’industrie de guerre, garantit
vingt-cinq ans d’Ancien Régime, ses cette date une production supérieure l’essor de secteurs aussi divers que
bénéfices nets dépassent sous l’Em- de 50 % à celle de 1789), même si l’industrie du savon, des papiers peints
Pages 52-53 : La manufacture de Jouy sous l’Empire
pire un demi-million par an au début, elle reste très en retrait par rapport à (utilisés dans les intérieurs bourgeois)
pour atteindre un million en 1804 puis la production anglaise. Parallèlement, ou dans la teinture. Mais cette crois-
1,39 million en 1805. Principaux béné- la production de houille augmente : de sance reste fragile : fin 1810, tous les
ficiaires de la vente des biens natio- 600 000 tonnes en 1789, elle passe à secteurs de l’industrie connaissent une
naux qui leur ont offert de vastes bâti- 900 000 en 1813. La production y est forte chute des commandes. À Paris,
ments, les patrons du coton sont aussi éclatée, en 1814, entre près de 1 500 environ 20 000 ouvriers se retrouvent
les grands gagnants des mesures favo- établissements employant un noyau sans travail en 1811.
risant la libération du travail. de 12 000 ouvriers secondés par En quelques mois, la crise économique
Le Consulat ayant remis de l’ordre dans 50 000 travailleurs externes, mais 900 et les défaites militaires accentuent le
l’exploitation forestière, la sidérurgie ouvriers sont réunis à Framont, dans discrédit et la décomposition du régime.

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54

L’organisation industrielle
de l’Empire
Les autorités impériales sont fortement interventionnistes en matière industrielle. Le blocus
continental mis en place entre 1806 et 1810 est certes dirigé contre l’Angleterre, mais va surtout
jouer en faveur de l’économie française. À cause de cette ambiguïté, la politique économique
impériale, qui accentue des déséquilibres antérieurs, suscite des mécontentements et échoue
finalement. Ses effets sont donc contrastés et sujets à controverses.

Le creusement des écarts de L’institutionnalisation d’un corps d’in- interrégionaux. Elle accélère, plutôt
développement en Italie génieurs des eaux et routes, calqué sur qu’elle n’interrompt, l’essor des activi-
La thèse ancienne mettant l’accent sur le Corps français des ingénieurs des tés industrielles (textiles et métaux) de la
l’exploitation quasi coloniale de l’Italie Ponts-et-Chaussées, a accompagné région située entre Gênes, Milan et Turin
par les Français (mainmise sur la pro- cette réorientation. Dans le Piémont, commencé dès le milieu du XVIIIe siècle.
duction italienne de soie grège, etc.) les industries extractives et la métallur- Dans le Véronais (soie et laine), le
doit être nuancée. À la ruine des acti- gie connaissent une croissance conti- Vicentin (laine et soie), le Bergamasque
vités portuaires s’oppose l’essor des nue liée aux réformes et à la demande (soie, laine et métaux), le Comasque
industries textiles et métallurgiques de guerre, palliant souvent les effets (laine et soie), le Brescian (chanvre et
avec le soutien de l’État (commandes de la crise dans l’industrie textile, en lin, soie et métaux), le Novarais (soie et
publiques, barrières douanières). 1807-1809 particulièrement. laine), le Milanais (chanvre et lin, coton
L’insécurité des parcours maritimes, Il faut se garder de toute vision méca- et soie), le Biellese (laine), les foyers
conséquence du blocus, a été com- niste, qui voudrait absolument faire les plus dynamiques des rares régions
pensée par la réorientation du tra- coïncider bouleversement politique d’industrie rurale s’organisent autour de
fic vers les routes terrestres, comme et développement économique. Au quelques pôles urbains, reliant l’ancien
en témoigne l’ouverture en 1810 des total, la domination française a surtout espace artisanal des villes et le nouvel
cols du Simplon et du Mont-Cenis. accentué le creusement des écarts espace productif rural.

LA PROTO-INDUSTRIALISATION DANS LE ROYAUME D’ITALIE (1806) La sériculture


en Italie
La production
de soie grège
PASSARIANO semi-travaillée est
la principale activité
Udine industrielle du
Sondrio royaume. Cette
ADDA activité n’est pas
nouvelle, mais
TAGLIAMENTO
SERIO
connaît un fort
BACCHIGLIONE Trévise ADRIATICO développement
Côme dans la période
MELLA napoléonienne. Les
LARIO Bergame ADIGE Padoue Venise
AGOGNA OLONA Vicence régions de Brescia
Collection de l’École française de Rome, Palais Farnèse, 1985.

Brescia
Mer et de Bergame en
sur la proto-industrialisation en Italie du Nord (1800-1880),

Novare Vérone Adriatique Lombardie, et de


Milan BRENTA Vicence en Vénétie
voient une diffusion
Source : A. Dewerpe, L’Industrie aux champs. Essai

ALTO PADO MINCIO BASSA PADO


Mantoue de la manufacture
Crémone dans les campagnes
(« ruralisation »).
Part du nombre d’ouvriers dans chaque secteur d’activité Le premier XIXe
par département par rapport à l’ensemble du royaume (en %) siècle est une
période charnière
Filature de la soie 50 km entre la proto-
Tissage de la soie industrialisation
Concentration de la force de travail tournée vers le
Industrie de la laine
dans les secteurs de la soie, de la laine, marché local, et
Filature du chanvre et du lin du chanvre et du lin l’insertion de l’Italie
Tissage du chanvre et du lin Centres principaux (plus de 15 %) dans la division
internationale
3-10 10-20 20-60 Centres secondaires (de 4 à 15 %) du travail.

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LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 55

LA PROTO-INDUSTRIE EN SAXE AU DÉBUT DU XIXE SIÈCLE

vers Hambourg vers Berlin vers Dantzig

Magdebourg
NIEDERL AUSITZ

Wittenberg
Dessau
vers Brunswick, KURKREIS
Hanovre, Brême

Torgau
Halle
Leipzig
THÜRINGER OBERL AUSITZ
KREIS Elb Grossenhain
vers Cassel, e
Amsterdam Grimma MEISSNER Görlitz
LEIPZIGER KREIS vers Varsovie
Naumbourg
KREIS
Zeitz Dresde
Zittau
vers Cologne, Iéna Gera
Francfort,
Strasbourg ERZGEBIRGISC HER
NEUSTÄDTER Chemnitz KREIS vers Prague,
KREIS Zwickau Vienne
HENNEBERG

Plauen

VOGTL ÄNDISC HER Laine Coton


vers Nuremberg, KREIS
Munich vers Carlsbad, Lin Soie
vers Carlsbad Prague
Industries extractives
et métallurgiques
Source : R. Forberger, Die Manufaktur in Sachsen
vom Ende des 16. bis zum Anfang des 19. Jahrhunderts, Routes de poste
Akademie-Verlag, Berlin, 1958. 50 km de Leipzig

Les contrastes septentrionaux du Nord ou de Paris, favorisés par les s’émancipant des règlements corpo-
Certaines zones ont profité de leur canaux qui ouvrent le marché parisien ratifs pour réduire les coûts du travail
intégration à l’Empire. C’est le cas des via Saint-Quentin et l’Oise, font de et de la production.
départements belges et allemands, grosses dépenses d’équipement. En Les activités industrielles débordent
particulièrement ceux de Jemmapes, 1813
Pages 54-55 : Laencore, Jemmapes,
proto-industrie du lin,ladu
Sambre- largement
coton et de la laine hors des enceintes urbaines.
de l’Ourthe et de la Roer,etdu
les Borinage
industries extractives
et-Meuse,etl’Ourthe
métallurgiques en Saxepro-
et les Forêts au début du XIXe siècle
Principaux réservoirs d’emplois et
au bloc Liège-Aix-la-Chapelle, pesant duisent un quart du fer de l’Empire. de consommateurs, les campagnes
d’un poids fort lourd dans l’ensemble La manufacture d’armes légères de accueillent les industries, en parti-
de l’appareil de production industrielle Charleville passe sous le contrôle culier le textile organisé selon le sys-
de l’Empire et tirant de leur annexion de l’entrepreneur de celle de Liège. tème de la fabrique : un fabricant four-
une rente qu’ils regretteront après le Il ne faut pas oublier les industries nit à domicile la matière première aux
morcellement territorial de 1814. sucrières dynamiques dans le Nord et ouvriers chargés de la transformer.
En Flandre, l’essor de l’industrie coton- le Bas-Rhin, secteurs où l’on retrouve Alors que les villes accueillent les der-
nière gantoise, intégrée dans le réseau des investisseurs importants comme nières innovations techniques, le travail
français, a eu pour effet une conquête Delessert, propriétaire de sucreries à dans les campagnes reste peu méca-
du marché des pays belges. En dépit Paris et à Nantes. nisé, entraînant une division du travail
de son succès et de son implantation Comme pour la péninsule italienne, ce (filateurs et maîtres tisserands dans les
parisienne, Liévin Bauwens reste lar- développement est déséquilibré et se campagnes, imprimeurs à Rouen pour
gement tourné vers le marché belge. fait au détriment des régions périphé- la filature du coton en Normandie).
En revanche, les mines, la sidérurgie riques, et surtout des villes hanséa- Ce type d’organisation concerne éga-
et les draps de la Wallonie suivent tiques du nord (Brême, Hambourg) qui lement la petite métallurgie (cloute-
une logique conquérante. En 1813, souffrent du blocus continental. rie) ou la tannerie. Ces activités four-
Jemmapes, l’Ourthe et la Sambre-et- nissent des compléments de revenus
Meuse produisent la moitié en valeur « L’industrie aux champs » et freinent l’exode rural. Très forts à
du charbon de l’Empire. Le développement industriel reste l’origine, les liens avec le milieu rural se
Les charbonnages du Hainaut, encore fortement marqué par la proto- distendent progressivement avec l’es-
appuyés par des capitaux français industrialisation, les entrepreneurs sor d’une culture ouvrière spécifique.

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56

L’encadrement
du commerce intérieur
L’accroissement de la consommation populaire et l’augmentation de la production industrielle
entraînent un essor des échanges intérieurs. Les grandes foires maintiennent leur rôle traditionnel
et l’administration réorganise leur tenue. Le Code de commerce (1807) témoigne de la volonté
du régime d’intervenir dans le secteur commercial en réorganisant les tribunaux de commerce,
des postes et messageries, et en soutenant la création des écoles commerciales.

Les institutions commerciales


LES VILLES DE FOIRES SOUS L’EMPIRE
C’est en partie pour développer le
commerce que le régime poursuit la Évolution du nombre
politique d’unification des poids et de villes de foire
(entre l’an II et 1806)
mesures, même si, en février 1812,
hausse modérée
l’Empereur doit en reconnaître les
forte hausse
limites en autorisant l’emploi de cer-
doublement du nombre
taines mesures anciennes. La signa- de foires
ture du Concordat et l’assouplissement données manquantes
dans l’application du calendrier répu- en l’an II ou en 1806 :
pas d’estimation de la
blicain permettent une réorganisation croissance
des marchés dont la liste devait être données manquantes
établie par le ministre de l’Intérieur sur en l’an II : estimation
vraisemblable de la
proposition des préfets. croissance
Théâtres traditionnels des affronte-
ments entre communautés et foyers
de transmission des rumeurs, les foires
restent sous l’étroite surveillance des Source : D. Margairaz,
Foires et marchés dans la France pré-industrielle,
autorités. Leur importance dans la 200 km Éditions de l’EHESS, Paris, 1988.
régulation de la production demeure
considérable puisque c’est suivant organisations patronales, ni succur- restent en petit nombre et les fonds
leurs ventes et leurs prévisions que les sales de l’administration, elles ne très insuffisants, particulièrement dans
manufacturiers organisent leur produc- doivent jouer aucun rôle de repré- les différentes villes de province. Si
tion. Si les foires de Lyon ne reprennent sentation sectorielle ou locale mais Napoléon tente de favoriser la création
que tardivement, celles de Beaucaire seulement informer le gouvernement de quelques banques privées à Paris
connaissent une réelle prospérité : on de l’état de l’économie. Formées (Simon, Tourton-Ravel), il ne parvient
y afflue, le 28 juillet de chaque année, d’une quinzaine de négociants, ban- pas à créer un réseau d’établissements
de tout le Midi de la France, d’Espagne quiers ou industriels, choisis par des susceptibles de répondre aux attentes
et d’Italie. Il est interdit de tenir des électeurs nommés par le préfet, puis des élites commerciales.
foires en dehors des jours établis par Pagespar
renouvelées 56-57 : Évolution
cooptation, du sont
elles nombre de villes de foire (an II-1806)
décret. Un arrêté du préfet des Côtes- composées d’hommes « nouveaux » Les limites de l’unification
du-Nord, en date du 20 avril 1807, (négociants et banquiers d’origine pro- du marché
ordonne aux maires de dissiper par la vinciale ou étrangère, amenés à Paris Malgré l’abolition des douanes inté-
force les rassemblements qui auraient par les spéculations de la Révolution rieures et la reprise des créations de
lieu sous prétexte de foires, en contra- et de l’Empire) et se spécialisent dans foires, l’unification du marché national
diction des décrets impériaux. la rédaction et la mise en application piétine. Si les effets de l’économie de
Parmi les institutions qui jouent un des règles du commerce, un travail guerre et la crainte des réquisitions
rôle majeur dans l’encadrement et la qui aboutira à la rédaction du Code de continuent à freiner les flux de produits
normalisation des activités commer- commerce (1807). agricoles, les trafics restent handica-
ciales et économiques, les chambres Une des difficultés est le manque pés par des problèmes de transport, en
de commerce, supprimées en 1791 de crédit disponible pour les com- dépit de la politique d’aménagement
et rétablies en 1802, occupent une merçants. En dehors de la Banque routier menée par le régime. Faute
place centrale. Ni corporations, ni de France, les institutions de crédit de crédits, le gouvernement impérial

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LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 57

doit recourir à la corvée (en Côte-d’Or LES MOUVEMENTS DE GRAINS À LA FIN DU PREMIER EMPIRE
en 1807) et de nombreux ponts, mal
entretenus, tombent en ruine. Belgique
Grande-Bretagne et Hollande
Si le désenclavement de certaines
Lille Rhénanie
régions est réel, la constitution d’un Mont-
véritable marché continu et natio- Tonnerre
nal est encore en chantier. Le faible
Rouen
accroissement des échanges des
produits manufacturés est lié à leur Paris

du désordre, Éditions de l’EHESS, 2002.


coût, qui reste élevé. Sur ce point, la

Source : N. Bourguignon, Les Grains


France souffre de la comparaison avec
l’Angleterre, dont la suprématie éco-
nomique se double d’une supériorité Nantes
commerciale.

La police des grains


Face aux désordres et aux troubles
Lyon
populaires qui pouvaient naître de la
cherté des grains et de « l’économie Italie
morale », l’Empereur, s’inscrivant dans Espagne Bordeaux
la continuité des politiques menées Gênes et
Livourne
sous l’Ancien Régime et la Révolution, Excédent
se montre prudent quant à la liberté exportable Toulouse
absolue du commerce des grains et Autosuffisance Marseille
des produits de première nécessité. Déficit structurel
Dès 1800, il ne cesse de prévenir les Rayon de Paris
agitations populaires de Paris en ache- Ville de plus de
50 000 habitants États Égypte
tant ou en réquisitionnant les grains barbaresques et Levant
Flux interdépartementaux 200 km
dans les départements puis dans les
régions annexées et contrôlées par ses
armées. En 1801, un arrêté sur le com- LES FOIRES EN CORRÈZE (1806)
merce de la boulangerie à Paris interdit
de s’établir ou de quitter la profession Nombre de foires Création de foires
par an en 1806
sans l’autorisation du préfet de police.
1 Routes en 1783 PU Y-
La surveillance des boulangers est DE-
de 2Pages
à 4 56-57 Nouvelles
: Les fluxroutes
de céréales à la fin du premier Empire C RE U S E D ÔME
confiée à un syndicat. Cet arrêté, qui en 1806
de 5 à 6
entraîne une diminution du nombre des
de 7 à 11 Tarnac
boulangers, empêche surtout les inno- H AU T E -
VI E N N E Eygurande
12 et plus
vations techniques. Ces mesures sont
Bugeat CORRÈZE
étendues à toutes les grandes villes à Meilhards Chamberet Confolent-
Orluc Ussel Port-Dieu
partir de 1812. Masseret Treignac Meymac
Face à la mauvaise récolte de 1811, Salon-la-Tour
Rilhac-
Treignac Pradines Bonnefond St-Exupéry
le régime semble remettre à l’honneur Ségur-
Lubersac St-Yrieix- St-Angel
le-Château Le Lonzac le-Déjalat
les mesures extraordinaires de 1793. Uzerche Péret-Bel-Air Combressol Bort-
Chamboulive les-Orgues
Par les décrets de mai 1812, il inter- Arnac-
Vigeois
Égletons
Pompadour Corrèze
Pompadour Neuvic
dit de vendre et d’acheter des grains Lagraulière
Seilhac
hors des marchés ; les commerçants St-Clément Lafage-
Juillac Voutezac St-Germain- sur-Sombre
doivent rendre publiques l’origine et Objat les-Vergnes Gimel Lapleau
Tulle
Foires et marchés dans la France pré-industrielle,

St-Robert
Allassac
la destination de leurs achats ; ils ne Ste-Féréole
St-Martial-de-Gimel Soursac
Laguenne
peuvent donc ni stocker ni spéculer. Ayen Donzenac
Chameyrat Lagarde-
La Roche-
Canillac
St-Hilaire-Peyroux Enval
Sur les marchés, seuls les habitants et Aubazine St-Martin-la-Méanne
C AN TAL
Brive-la-Gaillarde
Éditions de l'EHESS, Paris, 1988.

St-Bonnet-Elvert
les boulangers de la localité peuvent St-Chamant St-Privat
Larche Noailles Beynat
s’approvisionner. Le régime rétablit Hte-Brousse
Lissac-sur-Couze Argentat
Source : D. Margairaz,

le prix maximal des grains. Si ces Jugeals-Nazareth St-Hilaire- St-Géniez-ô-Merle


Taurieux
mesures provoquent des résistances, Turenne Meyssac Goulles
DO R DO GNE La Chapelle-
Curemonte St-Géraud Servières-le-Château
elles sont très ponctuelles puisque,
dès juin 1812, la liberté est rendue au LOT Beaulieu-
10 km sur-Dordgne
commerce des grains.

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58

Les échanges internationaux


Napoléon a toujours placé les intérêts de la France avant ceux des autres États européens,
fussent-ils ses alliés et, à plus forte raison, neutres ou ennemis. En novembre 1806, ayant brisé
la Prusse à Iéna, il décide de fermer l’Europe aux marchandises anglaises (décret de Berlin).
Désormais à l’abri d’une barrière douanière qui s’étend à toutes les côtes, à tous les ports
du continent, on peut espérer voir se développer une industrie européenne.

Le système continental Les droits de douane servent à exclure l’annexion à l’Empire des territoires
Dès 1805, la France fait appliquer la de France les produits industriels de allemands des rivages de la mer du
politique d’union douanière en Hollande ses voisins, même alliés ou dépar- Nord (1810), Napoléon exige que tout
puis en Allemagne, suscitant le mécon- tementalisés. Napoléon impose des le commerce qui se faisait par voie de
tentement de la population privée de rapports entre Paris et Milan à peu terre entre les ports hanséatiques de
certaines denrées. Selon la doctrine près de la même nature que ceux éta- Brême, Hambourg et Lübeck, désor-
exprimée en 1806 par Montgaillard, l’un blis entre l’Angleterre et l’Irlande au mais français, se fasse par la route de
des conseillers de Napoléon, la France, sein de la Grande-Bretagne par l’acte Wesel, c’est-à-dire à travers des pays
privée de ses colonies d’outre-mer, a d’union de 1800. Le royaume d’Italie qui sont en son pouvoir, et abandonne
le droit de se constituer des « colonies est réduit de facto au rôle de fournis- la route de l’Allemagne. Napoléon fait
continentales ». Elle s’y procure des seur agricole pour la France et se voit encore révoquer les traités passés
matières premières au meilleur compte privé de la soie brute du Piémont, réser- par le royaume d’Italie avec Berg et la
et y exporte des produits manufacturés. vée à la soierie lyonnaise. Peu après Bavière.
Face au blocus continental, se déve-
CHAMBRES ET BOURSES DE COMMERCE DANS L’EMPIRE loppent des circuits commerciaux de
contournement. Les décrets de Saint-
Hambourg Cloud et de Fontainebleau (1810)
Mer Emden permettent à des ports d’obtenir des
du Nord
Brême
Chambre
de commerce licences autorisant les négociants à
Amsterdam Osnabrück Bourse exporter certains produits vers l’Angle-
Middelbourg Rotterdam de commerce terre à condition de payer des taxes
Flessingue Zierikzee
Bruges
Gand
Conseil importantes. Les négociants qui spé-
Ostende Crevel de prud’hommes
Dunkerque Anvers
Roubaix Bruxelles Aix- culaient sur les produits coloniaux se
Boulogne la-Chapelle
Atlas administratif de l’Empire français,

St-Omer Lille
Arras
Tournai
Liège trouvent en difficulté. Par une réaction
Source : F. de Dainville, J. Tulard,

Manche Mons
Dieppe Valenciennes en chaîne, les banques créancières
Cherbourg Le Havre Rouen AmiensDouai Sedan
Droz, Genève, 1973.

Bayeux
subissent les contrecoups et la chute
Louviers Reims Metz
Caen de la maison Rodde de Lübeck entraîne
Morlaix St-Malo Honfleur Paris
Vire Strasbourg
Brest Troyes
des faillites à la fin de l’année 1810, à
Rennes Orléans
Mulhouse Paris comme à Lyon. Au début de
Lorient Vannes
Tours
Blois 1813, les ouvriers de Berg, réduits au
Nantes Nevers chômage, se mettent en grève.
Châtellerault

La Rochelle Niort Amplepuis Genève


Rochefort Limoges
Clermont
Thiers Tarare Les institutions bancaires
Angoulême Lyon
OCÉA N St-Étienne Grenoble Si l’Empire exploite une conjoncture
AT L ANT IQU E Turin
Libourne St-Chamond Vienne favorable, la crise de 1805-1806 liée
Bordeaux
Montauban Rodez
Alès Nîmes Gênes
aux spéculations du groupe Ouvrard
Agen Albi Castres
Toulouse Lodève Avignon Livourne Florence justifie l’importance accordée par le
Arles Nice
Auch
Bayonne
Sète
Marseille régime à l’encadrement des institu-
Carcassonne Agde
Limoux
Montpellier Toulon
tions financières et commerciales. La
Narbonne Civitavecchia
Béziers Pézenas prospérité économique relative per-
Mer Rome
Méditerranée met au régime de mener une politique
M er
Tyr r h én i en n e
de renforcement constant des impôts
200 km
indirects, qui quadruplent entre 1806

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LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 59

LES EXPORTATIONS FRANÇAISES (1806-1817) LES ACTIONNAIRES DE


LA BANQUE DE FRANCE
Valeur (en millions de francs) États d’Allemagne (1)
Royaume du Danemark
140 Royaume d’Espagne République de Suisse Manufacturiers (5) Capitalistes genevois
Royaume de Hollande Villes de la Hanse 962 et vaudois (3)
Agents de change 436
130 États-Unis Autres États italiens (2) et d’affaires (15) Banquiers
Royaume d’Italie Royaume du Portugal 3 357 (28)
120 Royaume-Uni 8 548

110 Hauts

Source : C. Emsley, Napoleonic Europe, Longman, Londres, New York, 1993.


fonctionnaires
100 civils et Métier (nombre
militaires (21) Négociants (41) d’actionnaires)
3 995 7 732 Nombre d’actions
90 NB : ces 113 actionnaires représentent 71%
du capital détenu par les 208 principaux
actionnaires et 36 % du capital total.
80
Source : L. Bergeron, Banquiers, négociants
et manufacturiers parisiens. Du Directoire à l’Empire.
70 Librairie Honoré Champion, 1975.

60

50
les activités s’élargissent à la gestion
d’une raffinerie à Passy pour traiter le
40 sucre de canne (méthode qu’il nomme
Bonmatin). Il se fait remarquer de
30
l’Empereur après avoir mis au point un
20 procédé permettant de transformer la
betteravedes
Pages 58-59 : Répartition en actionnaires
sucre. de la Banque de France en 18
10 Maire du IIIe arrondissement de Paris
(1800), il est élu au conseil de régence
0
1806 1807 1808 1809 1810 1811 1812 1813 1814 1815 1816 1817 de la Banque de France le 12 octobre
(1) États de la Confédération du Rhin, formée le 12 juillet 1806. 1802. Membre de l’ordre de la Légion
(2) Royaume d’Étrurie (jusqu’en 1809), royaume de Naples (et de Sicile après 1815), royaume de Sardaigne, États de Rome…
d’honneur (janvier 1812) puis baron
(septembre 1812), il devient une des
et 1812 et finissent par assurer le Né à Lyon le 14 février 1773, il passe personnalités les plus actives des
tiers des rentrées fiscales de l’État. La une partie de sa jeunesse en Angleterre cercles de la philanthropie parisienne
masse monétaire en circulation reste avant d’entrer à l’école d’artillerie de et est l’un des fondateurs de la Société
limitée et la Banque de France n’est Meulan en 1793. Officier, il participe d’encouragement pour l’industrie
pasPages en mesure58-59 : d’accroître
Principales destinations
sensible- des à laexportations
conquête françaises
de la Belgique(1806-1817) diri- nationale. Représentant l’industrie de
ment les moyens de paiement. gée par le général Pichegru et à plu- la Seine à la Chambre des Cent-Jours,
Dans ce contexte, seules trois banques sieurs campagnes militaires. En 1796, il est élu comme député de la Seine et
(Pérégaux-Laffitte et Cie, Vassal et Cie, il abandonne la carrière militaire pour de Saumur sous la Restauration.
Périer et Cie) voient leur capital dépas- rejoindre la banque installée depuis À sa mort, le 1er mars 1847, il laisse une
ser les 2 millions de francs. Créée 1786 à Paris (rue Coq-Héron) et une fortune évaluée à 11 millions de francs
dès son arrivée au pouvoir en 1800, filature de coton dont s’occupent son et une des plus grandes collections de
la Caisse d’amortissement permet à père et ses frères. À partir de 1801, botanique et de minéralogie.
Napoléon de pratiquer une véritable
politique d’émission de papier-mon- LE COMMERCE EXTÉRIEUR EN 1816
naie : 444 millions de bons de 1806 Importations•Exportations Balance
à 1814. Face aux prévisions d’un déficit Produits industriels
Produits
important en 1813, Napoléon impose manufacturés
G. Béaur, P. Minard (dir.), vol. 10, « Économie »,

l’émission de 200 millions, gagée sur Subsistances


la vente des biens communaux. Matières premières
Source : Atlas de la Révolution française,

Fibres textiles
Un régent de la Banque de
Éditions de l’EHESS, Paris, 1997.

Produits coloniaux
France : Benjamin Delessert
Coton
Banquier et naturaliste, membre d’une
grande dynastie d’hommes d’affaires Laine

originaires de Lyon, Benjamin Delessert Blé


est particulièrement représentatif des Métaux
« masses de granit », véritables piliers Soie
de la société impériale. Milliers de francs 150 100 50 0 50 100 - 100 - 50 0 50 100

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 59 14/01/2022 08:59


60

La nouvelle distribution
des terres
Sous l’Empire, la terre reste la base de l’organisation sociale. Tous les paysans ont le souci
de conserver leur bien acquis en héritage, fût-il minime. Depuis l’inflation, posséder une terre
paraît plus qu’avant apporter la sécurité. La propriété foncière est une des pièces maîtresses
de la stabilisation politique et sociale recherchée par Bonaparte. Les rédacteurs du Code civil
lui accordent une place essentielle.

Le règne des inégalités Révolution. Le nombre des proprié- Dans les pays annexés, les ventes
La très grande majorité des paysans taires ruraux s’est élevé de 4 millions des biens nationaux ont des effets
français possèdent une parcelle de en 1789 à 7 millions en 1810, mais près identiques à ceux que la France
terre. Garanties lors du sacre, les de 80 % des paysans sont des petits avait connus dans les débuts de
ventes des biens nationaux ne sont propriétaires qui ne peuvent vivre du la Révolution. En Rhénanie et en
pas remises en cause : près de 10 % seul travail de la terre, ce qui ne les Piémont, les ventes ne commencent
de la surface utile ont changé de empêche pas d’être très attachés à la qu’en 1804. Les modalités des ventes
mains en dix ans. D’un côté, les plus propriété. En interdisant les partages écartent les paysans les plus modestes
riches se sont enrichis : la bourgeoisie des communaux mis à disposition au profit des bourgeois. En Italie, les
s’est assurée de la moitié des terres, des communes pour renflouer leurs ventes accentuent le déséquilibre entre
notamment les meilleures, en tout finances, le régime met fin à l’espoir le nord et le sud. Dans les pays du
cas les plus accessibles depuis les des paysans de récupérer quelques centre et de l’est de l’Europe, pas plus
chefs-lieux de district puis de dépar- terres. qu’en Italie, ne se forme une couche
tement où avaient lieu les enchères.
De l’autre, les paysans ont gagné 35 LA VENTE DES BIENS
à 40 % des terres et, parmi eux, se DU CLERGÉ EN 1808
remarquent quelque 600 000 primo-
accédants. Cette classe des acqué-
reurs, dont le régime espère l’appui,
n’a guère d’unité et n’est soudée que
par la crainte d’une dépossession des
acheteurs.
Si elles ne profitent pas principalement
aux paysans, à l’exception du Nord et
dans les zones éloignées des villes,
les ventes continuent mais avec moins
d’ampleur, les lots restants étant des
terres médiocres, procurant un faible
revenu.
Du coup, des acquéreurs modestes
les achètent : l’Empire correspond à
un accroissement du nombre des pro-
priétaires de moins d’un hectare. Cette
diminution des ventes est aussi liée à
un retour des émigrés, qui récupèrent
leurs biens qui n’ont pas été vendus.
Biens du clergé
Si les autorités ont fait échouer les ten- (biens de première
tatives des émigrés de reprendre leurs origine, en % de la
surface du district)
biens par la voie judiciaire, les acqué-
moins de 5 200 km
reurs revendent ces biens, réalisant
de 5 à 10
souvent des bénéfices importants. En Source : B. Bodinier, É. Teyssier, L’Événement le plus important
plus de 10 de la Révolution :la vente des biens nationaux en France
1810, la noblesse a retrouvé près du et dans les territoires annexés 1789-1867, Société des études
données non disponibles
quart du patrimoine perdu pendant la robespierristes, Éditions du CTHS, 2000.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 60 14/01/2022 08:59


LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 61

de propriétaires libres et indépendants, LES ACHATS DE BIENS NATIONAUX


née de la décomposition de la pro- EN HAUTE-NORMANDIE EN 1808
priété foncière féodale.

Le sacre de la propriété
Le Code civil uniformise les règles DIEPPE
CANY NEUFCHÂTEL
de transmission du patrimoine.
Une grande place est accordée aux
contrats de mariage et aux problèmes
de partage des successions. Les inté-
MONTIVILLIERS CAUDEBEC
rêts des enfants légitimes l’emportent GOURNAY
sur ceux des enfants naturels. Le
Code civil, en permettant aux héritiers
de sortir de l’indivision, a contribué à
accroître le morcellement de la pro- Biens achetés par ROUEN
priété. L’Empereur ne satisfait pas là des Rouennais PONT-AUDEMER

les seuls notables mais des catégories des Parisiens


beaucoup plus larges du monde pay- Superficie par commune LOUVIERS LES
(en hectares) ANDELYS
san. Le monde des campagnes reste
moins de 20
très contrasté et c’est sur la catégorie
de 20 à 100 BERNAY
des paysans les plus aisés, proprié-
de 100 à 200
taires et indépendants, que se cris- ÉVREUX
tallise particulièrement la sollicitude de 200 à 1 000

officielle.
Limite de district VERNEUIL
La défense de la propriété et la figure
Source : B. Bodinier, É. Teyssier, L’Événement
du « propriétaire » sont des socles de la le plus important de la Révolution : la vente
cohésion sociale et de la consolidation des biens nationaux en France et dans les territoires
annexés 1789-1867, Société des études 20 km
du régime. Dans certaines régions, la robespierristes, Éditions du CTHS, 2000.
suppression du droit d’aînesse au pro-
fit d’un partage à parts égales remet
en cause des traditions bien ancrées et LA VENTE DES BIENS NATIONAUX EN
aboutit à une réorganisation profonde ALLEMAGNE SOUS LE PREMIER EMPIRE
de la structure foncière. Si la solidarité Mer Baltique
familiale sort profondément renforcée
par le Code civil, le texte durcit l’ex- Mer Pages 60-61 : Les achats de biens en Haute-Normandie
du par les Rouennais et les Parisiens en 1808
Source : B. Bodinier, É. Teyssier, L’Événement le plus important
clusion des marginaux, filles-mères Nord

Société des études robespierristes, Éditions du CTHS, 2000.


ou non-conformistes qui n’ont d’autre de la Révolution : la vente des biens nationaux en France

choix que de s’exiler vers la ville. Hambourg


et dans les territoires annexés 1789-1867,

LA PROPRIÉTÉ Brême

ARISTOCRATIQUE EN 1808 Hanovre Berlin

Cassel Dresde

Cologne

Francfort
Vente de biens nationaux
plus de 10 % du sol cultivable

Vente de biens ecclésiastiques


Karlsruhe
Nombre environ 3 % du sol cultivable
de propriétés Stuttgart environ 1 % du sol cultivable
aristocratiques Munich
9 à 12 0à2 bâtiments et biens mobiliers
6à8 données
manquantes 200 km expropriation sans vente
3à5 ou pas d’expropriation
Source : L. Bergeron, L’Épisode napoléonien, 100 km (Saxe, Autriche)
vol. 1, Aspects intérieurs, Le Seuil, Paris, 1972.

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62

L’économie agricole
entre innovations et fragilités
Les campagnes connaissent une croissance économique, qui relève davantage d’un rattrapage
que d’une réelle « révolution » agricole. En dépit des transformations liées à l’économie de guerre,
le système agricole reste encore largement dans les cadres de l’Ancien Régime (assolement,
vaine pâture, jachère, etc.) alors que les campagnes doivent nourrir des populations urbaines
et des soldats toujours plus nombreux.

Une agriculture 1809) et par le pic de 1812. La hausse La vigne connaît un essor certain,
traditionnelle des fermages se poursuit également. fondé sur la hausse du prix de l’hec-
La culture du blé l’emporte toujours La culture de la pomme de terre est tare et l’accroissement de la consom-
sur la prairie artificielle et l’élevage, venue s’insérer dans les assolements mation intérieure et des exportations.
d’autant que le prix du blé n’a cessé traditionnels depuis la période révolu- En Côte-d’Or, Beaune, grand mar-
de monter entre 1800 et 1812. La spé- tionnaire. Elle est présente sur 8 % des ché national et international des vins
cialisation de certaines régions dans terres labourables en Moselle, 5 à 6 en de crus, achemine par roulage des
des productions destinées au mar- Savoie, 2 à 3 en Creuse et en Haute- quantités de vins vers la Rhénanie et
ché urbain s’intensifie : c’est le cas du Vienne. L’usage du pain « blanc » res- les pays mosellans. Même les vins du
pays d’Auge ou du Charolais pour la tant la norme, l’extension de la pomme Sud-Ouest, qui auraient pu souffrir du
production de viande destinée à Lyon de terre est plutôt due à l’apparition blocus maritime, trouvent des débou-
ou Paris. La période est caractérisée d’une surcharge démographique, chés dans les parties septentrionales
par une hausse lente et graduelle des voire d’une paupérisation au sein de la de l’Empire et l’Europe du Nord.
prix, marquée par des creux (1804 et société rurale.
Les limites de l’innovation
Les innovations sont réelles mais limi-
L’ÉLEVAGE DE MÉRINOS EN 1813 tées dans l’espace. Les cultures indus-
trielles connaissent des succès specta-
culaires : oléagineux en Normandie et
en Picardie ; ailleurs, le colza se répand
dans la plaine de Caen et dans le pays
de Caux pour pallier l’absence d’huile
* de baleine comme d’huile d’olive, au
risque d’aggraver par son extension les
effets de la disette de 1812. La politique
volontariste est marquée par le décret
du 25 mars 1811 qui introduit la bette-
rave sucrière dans l’Empire, prévoyant
Nombre de mérinos l’interdiction pour le 1er janvier 1813
10 du sucre de canne et prescrivant pour
100 1811 l’ensemencement de 32 000 hec-
1 000 tares dans certains départements choi-
6 500 sis par les autorités. En dépit de réelles
réussites (le Bas-Rhin avec 3 500 hec-
(*) Seine-et-Oise : 57 000 tares et ses 500 000 kilos de sucre
Part des mérinos produits par 14 sucreries en 1813),
et ovins améliorés
dans le total l’expérience ne dure que quatre ans.
des ovins (en %) En général, les cultures nouvelles
moins de 0,25 (industrielles) sont encore admises
de 0,25 à 1
200 km
avec méfiance par le monde paysan.
de 1 à 10 Dans la continuité des initiatives prises
plus de 10 par Louis XVI qui achète dès 1786
Source : Atlas de la Révolution française, G. Béaur, P. Minard (dir.),
données non disponibles vol. 10, « Économie », Éditions de l’EHESS, Paris, 1997. des mérinos espagnols à son cousin

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LES DYNAMIQUES ÉCONOMIQUES • 63

LA PRODUCTION DE MAÏS (1813) ET DE POMMES DE TERRE (1817)

Source : Atlas de la Révolution française, G. Béaur, P. Minard (dir.),


vol. 10, « Économie », Éditions de l’EHESS, Paris, 1997.
Surface cultivée
en pomme de terre
Surface par rapport aux terres
cultivée en labourables (en %)
maïs ou millet
(en milliers 0,8
d’hectares)
1,5
0,4-2
2,8
2
4,8
200
450 200 km Données manquantes 200 km

Charles III, Napoléon Bonaparte pour- LA GÉOGRAPHIE DE LA CRISE (1810-1813)


suit l’introduction de cette race réputée
pour la qualité de sa laine. La valori-
sation du mérinos pour améliorer la
qualité lainière, la « mérinisation », se
Pages 52-53 : La production de maïs, de millet (1813) et de pomme de terre (1817)
poursuit ainsi sous l’Empire. La grande
ferme de Rambouillet, devenue « impé-
riale » en 1805, accueille les premiers
troupeaux. L’Empereur fait également
venir des buffles d’Italie pour la traction
et des chevaux belges et arabes.

Les crises agricoles


Une impression de mieux-être prévaut Excédents
dans les campagnes, au moins dans le
Déficits
nord de la France et dans les régions
Volume des excédents
traversées par d’importantes voies de et déficits (en 1811)
communication. Jusqu’en 1810, les 4
besoins militaires et la demande des 500
villes favorisent l’essor des produc-
1 400
tions agricoles. Les journaliers ou les
domestiques, grâce à la conscription, Données non
disponibles
trouvent plus facilement que jadis du
travail. Mais il suffit qu’une crise sur- Prix comparés
de trois productions
vienne et ils sont mendiants. (en francs)
Depuis le Consulat, les campagnes 80 1811 1812
Farine
ont profité d’une nette diminution des 60
200 km
disettes et des mauvaises récoltes, 40 Seigle
mais les difficultés n’ont pas définitive- 20
Orge Source : Atlas de la Révolution française,
ment disparu, comme le montrent les 0 G. Béaur, P. Minard (dir.), vol. 10,
J F M A M J J A S O N D J F M « Économie », Éditions de l’EHESS, Paris, 1997.
crises de 1801-1802 puis 1811-1812.
En 1810, les nombreux paysans travail-
lant pour l’industrie sont victimes de la
baisse de la production. Le retour des mauvaise récolte, particulièrement des marchés et les marchands doivent
bandes de centaines d’errants, le pas- dans le Bassin parisien, l’Ouest et le déclarer leurs stocks. Mais il ne peut
sage des armées et le développement Sud-Est, et les prix s’envolent. En prévenir une montée des méconten-
de la pauvreté favorisent la réapparition Pages 62-63
avril 1812, au moment de la: Lapériode
géographie de la crise
tements qui, (1810-1813)
suite aux défaites, s’ac-
des épidémies dans certaines régions. de la soudure, un décret instaure un cumulent au point que la chute du
En 1811, alors que se résorbe la crise maximum sur les grains ; il est inter- régime laisse en apparence les pay-
qui frappe l’industrie, survient une dit de vendre des céréales en dehors sans indifférents.

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64

EN CONCLUSION
Les dynamiques
économiques
La domination européenne de
l’économie française (dans le domaine
de l’industrie du luxe ou du textile)
s’est développée grâce à l’expansion
territoriale et au déplacement des
frontières, qui ont favorisé les exportations
et l’approvisionnement des industries
françaises en matières premières venues
des territoires conquis, même si elles ont
aussi pu faire naître des conflits d’intérêts
entre négociants.

Cette nouvelle géographie a également


permis le développement des économies
des nouvelles contrées intégrées à des
degrés différents à cette jeune dynamique
impériale. Afin de contrer la concurrence
de l’Angleterre et de compenser la ruine
des colonies françaises, les expériences
industrielles et agronomiques mises en
œuvre dans les « nouveaux territoires »
s’imposent comme des modèles à suivre
pour les paysans et les industriels de la
« vieille » France.

L’organisation des activités


de production industrielle et
agricole, encadrée par les autorités
administratives qui assurent, non
sans mal, une relative paix sociale,
contribue ainsi au façonnement de
la nouvelle entité impériale, conçue
autant comme un espace politique que
comme un espace de développement
économique. Des circuits d’échanges et
d’approvisionnement des produits sont
encore rendus possibles par l’expansion
territoriale. La chute de l’Empire et le
« repli national » qui suivra n’effaceront pas
totalement ces innovations qui perdureront
tout au long du XIXe siècle.

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DYNAMIQUES CULTURELLES ET RÉSISTANCES • 65

Dynamiques
culturelles
et résistances
Par de nombreux aspects, le régime napoléonien est un héritier
des Lumières. L’urbanisme des métropoles européennes
prolonge les perspectives de la « ville moderne », plus
fonctionnelle, plus grandiose, plus saine. Savants et artistes
sont mobilisés autour de ces projets, qui portent la marque
d’une véritable ambition de civilisation, sur le modèle de
la romanisation antique. Celle-ci témoigne aussi d’une forte
centralisation : Napoléon apparaît comme le dernier avatar
des « despotes éclairés ». Si les sciences et les arts sont
encouragés, les institutions intellectuelles sont placées sous
surveillance, avec la volonté d’en faire de véritables appareils
idéologiques d’État. Si des endroits comme les sociétés
de lecture ou les loges maçonniques prolongent la sociabilité
des Lumières, le libre débat y est proscrit. La centralisation
renforce le poids de Paris, capitale de l’Empire, réserve
l’éducation à une élite étroite liée à l’appareil d’État et confond
« civilisation » et « francisation ». Finalement, l’Empire n’a guère
les moyens de son ambition, ni financiers, ni humains (du fait
de la désaffection d’une bonne partie des élites qu’il avait
cherché à rallier). C’est dans l’opposition que se construisent
les sensibilités intellectuelles nouvelles et que se manifeste
le renouveau du sentiment religieux.

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66

L’urbanisme impérial à Paris


En matière d’urbanisme, l’Empereur s’inscrit dans le grand courant de rénovation de la ville
moderne, rompant avec son passé médiéval. Napoléon veut aussi renouer avec les ambitions
royales de mise en œuvre d’une hiérarchie urbaine par la construction de grands monuments
et de vastes perspectives, au sommet de laquelle la capitale tient naturellement une place
éminente. Assainir, contrôler, embellir, tels sont donc les objectifs de l’administration.

La « nouvelle Rome » Les autorités s’attaquent particulière- l’essentiel relève de la police munici-
Paris, ville de 622 000 habitants, est ment aux rues tortueuses et aux mai- pale, au sens traditionnel du terme :
la capitale du Grand Empire, la pre- sons entassées qui sont potentielle- privilégier les aménagements utilitaires,
mière place financière du continent, le ment des vecteurs d’épidémies. Les ordonner les flux urbains. La priorité va
baromètre des modes et des divertis- efforts pour éclairer les rues visent à à l’eau et aux fontaines, à l’alimentation
sements. Après la relégation du pape, lutter contre la criminalité. Comme (marchés et passages commerciaux au
Napoléon a même songé à en faire la l’illustrent les chantiers ouverts dans centre, abattoirs en périphérie), à la voi-
nouvelle métropole de la catholicité. Paris à l’occasion du mariage de 1810, rie (numérotation uniforme et pavage
L’administration est confiée à deux l’urbanisme est mis au service de la des rues, réverbères, ponts) et à la
préfets, le préfet de la Seine et le préfet propagande impériale. salubrité (éloignement des cimetières
de police. C’est toutefois le ministère Si de grands chantiers monumentaux dans les faubourgs). La spécialisation
de l’Intérieur qui coordonne la politique sont lancés (les arcs de triomphe, des espaces urbains s’accentue : pro-
de la ville. la Madeleine, la place Vendôme), menades, commerces, résidences.

LES CHANTIERS D’URBANISME À PARIS

Abattoirs Aqueduc
de l’Ourcq
Abattoirs

Conservatoire
1 2 de musique 5
Bourse et 3
Arc de triomphe Temple de la Gloire tribunal Marché St-Martin
de l’Étoile (Madeleine) de commerce
Opéra
Colonne d’Austerlitz Abattoirs
(place Vendôme)
Marché Halle 6
des Jacobins au blé
Rue de Rivoli Marché des Enfants-
Projet de palais (St-Honoré) Rouges (Temple)
du Roi de Rome Arc de triomphe Marché
Quai des Innocents
(colline Chaillot) des Invalides Palais du Carrousel 4 Archives impériales
du Corps Fontaine Fontaine
Pont d’Iéna législatif Pont des Arts du Châtelet
7 de la place
Obélisque du Pont-Neuf Fontaine Desaix des Vosges
(place Dauphine)
Abattoirs 10 Quai et pont St-Michel Fontaine
9
Marché St-Germain
de la Bastille 8
Quai de Montebello
Marché de la Vallée 11
Rue de Tournon Église
Ste-Geneviève
Perspective Halle aux vins
du Luxembourg Rue d’Ulm
Monuments publics Muséum
d’Histoire
Aménagements naturelle
de la Seine 12
Voirie Abattoirs
Approvisionnement Limite d’arrondissement
Se

alimentaire
in

1 N° d’arrondissement
e

Approvisionnement
en eau Limite de quartier 1 km

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DYNAMIQUES CULTURELLES ET RÉSISTANCES • 67

LA COLLINE DE CHAILLOT (PLAN MAIRE 1808)

LE QUARTIER DE LA CONCORDE (PLAN MAIRE 1808)

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68

Les villes impériales


Si Paris est le centre de l’Empire, des programmes d’urbanisme sont lancés dans les grandes villes
européennes, relayant les initiatives du XVIIIe siècle. Le temps et l’argent manquent. Certains
de ces programmes s’inscrivent dans des perspectives stratégiques, pour les ports de Boulogne,
et surtout Anvers, ou pour la création des villes nouvelles de l’intérieur (La Roche-sur-Yon)
ou de camps de vétérans en territoires annexés (Juliers, Alexandrie).

L’aménagement des embellissement des places du Tibre et napoléonienne a peu recouru aux
métropoles européennes du Panthéon. Sont encore dégagés et expropriations. Les réalisations consti-
Napoléon construit dans toutes les mis en valeur le Colisée, le Capitole, tuent une infime partie des grandioses
villes du Grand Empire, à Mayence, à la fontaine de Trevi. Des perspectives plans d’ensemble. Des fonds extraor-
Karlsruhe, à Düsseldorf, à Amsterdam. vastes sont dessinées pour l’accès au dinaires prévus pour les grands tra-
À Anvers, pièce centrale du dispositif Forum ou à la colline du Pincio. Un peu vaux sont généralement absorbés par
militaire français dans le nord de l’Eu- partout, les dégagements de perspec- les dépenses courantes, la voirie et
rope, les aménagements portuaires tives urbaines, percées de boulevards l’éclairage public en représentant une
prolongent ceux de la fin du Moyen ou la mise en valeur des monuments part significative.
Âge et orientent ce que sera le déve- sont facilités par la sécularisation des
loppement de la ville au XIXe siècle. immenses biens ecclésiastiques. Créations et restaurations
Autour des bassins, le nouvel arse- Contrairement aux opérations ulté- Napoléon fut un créateur de villes,
nal est englobé dans les fortifica- rieures d’urbanisme, l’administration auxquelles son nom a généralement
tions urbaines. Napoléon envisage la
construction d’une ville nouvelle, éga- MILAN, CAPITALE CULTURELLE
lement fortifiée, sur la rive gauche de
l’Escaut.
Mais c’est certainement dans la pénin- Porta Porta
Orientale Romana
sule italienne que les grands chantiers
urbains sont les plus nombreux. Milan,
qui tient une place particulière dans
l’épopée napoléonienne, se voit dotée
d’une grande place circulaire autour Ospedale
de la citadelle, le Forum Napoléon, Monte Maggiore
Napoleone
où convergent des boulevards pro-
Porta
menades qui aèrent une ville d’aspect Nuova Duomo
encore très médiéval. Une semblable Teatro Palazzo
alla Scala Reale
place circulaire est réalisée à Naples, Porta
devant le Palais royal. Comasina
En 1809, l’administration de Rome
annexée est confiée à un jeune pré-
fet, Camille de Tournon. Il s’attache à Castello
Sforzesco
la régénération de la Ville éternelle par Porta
Ticinese
des travaux d’« utilité publique » dont
la finalité est de restaurer sa gran- Foro Buonaparte Sant’Ambrogio
deur antique, tout en la dotant d’équi-
pements publics dignes d’une ville
moderne. Le décret de Saint-Cloud du
27 juillet 1811 fixe le plan des travaux,
alimentés par un fonds spécial d’un
million par an : fouilles archéologiques, Source : M. Roberti, Milano, Capitale napoleonica.
La formazione di uno Stato moderno, 1796-1814, Porta
perfectionnement de la navigation du Fondazione Treccani degli Alfieri per la Storia Vercellina 500 m
Tibre, achèvement du pont de Sixte et di Milano, Milan, 1946.

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DYNAMIQUES CULTURELLES ET RÉSISTANCES • 69

été donné. Sur le territoire français, les LES AGRANDISSEMENTS D’ANVERS


créations se font au cœur des régions
vers
affectées par les troubles civils ; c’est l’Allemagne
le cas de La Roche-sur-Yon, au centre et la France
de la Vendée, ou encore de la ville
impériale de Pontivy, au centre du
Morbihan, accolée au bourg dont elle
double la superficie.
Le plan de ces villes nouvelles, implan-
1860
tées pour la surveillance des com-
munications et des populations, est
calqué sur le camp militaire, géomé-
Aménagements
trique, ordonné autour des bâtiments vers la portuaires
Hollande (1810-1814)
administratifs et des places d’armes. 1410
Conçus dans des conditions difficiles,
1314
ces chantiers sont souvent loin d’être 1542
1567
achevés à la chute de l’Empire. Nouvel
1250 1124 1216
arsenal
Un lien spécial unit régime impérial et
identité urbaine, à travers le retour à Aménagement des quais

Anvers, port de mer, Bruxelles, 1885.


(1800-1814)
l’institution des « bonnes villes ». Ce

Source : P. De Wit, C. G. Haenen,


titre est accordé à trente-sept villes par
le sénatus-consulte de l’établissement Ville nouvelle Es
ca
de Napoléonville ut
de l’Empire (18 mai 1804), dans le but ou Marie-Louise
de consolider le groupe intermédiaire
des notables locaux. Il fut étendu en
1812 à quatorze autres villes, générale- 1 km
ment situées hors du territoire français,
Extension de la ville en
dont Cologne, Florence, Hambourg, Projet de 1580
Livourne, La Haye, etc. 1124 1216 1250 1314 1410 1542 1567 1860 et après Fortifications

LA ROCHE-SUR-YON : LA VILLE DE NAPOLÉON EN 1809

1 Préfecture
Pages 68-69 : Les agrandissements d’Anvers
2 L’Auberge
5 3 Grandes casernes
4 Manutention
5 Hôpital militaire et civil
6 Petites casernes
7 Quartier des fonctionnaires
6 (maisons en pisé)

4
3

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 69 14/01/2022 09:00


70

Le projet d’unification
intellectuelle et artistique
Face aux désordres que la Révolution aurait fait subir au monde culturel et intellectuel,
l’Empereur cherche à encadrer les activités des artistes, savants et écrivains pour les orienter
vers une glorification de son action. Il s’immisce dans les affaires littéraires, restructure les
institutions culturelles nationales. Mais, en France comme en Europe, « l’empire des Muses »
se montre rétif à cette domestication et engendre de nombreuses résistances.

Musées et propagande impériale LES THÉÂTRES À PARIS (1807)


Le Musée Napoléon et le Salon appa-
raissent comme les incontestables réus- Favart
sites promotionnelles d’une école fran-
Théâtre Théâtre Jeunes Artistes
çaise moderne et d’une rétrospective Louvois Feydeau Porte St-Martin/
Jeux Gymniques
encyclopédique de l’art universel. Nouveaux
Conditionnés par l’abnégation de Lucien Opéra Troubadours
et de Chaptal ainsi que par les visites Ambigu-Comique
Variétés-
de Napoléon Bonaparte, les Salons ras- Montansier Gaîté
semblent et honorent un art de luxe et Théâtre des Associés
Théâtre- (Théâtre sans prétention)
de propagande. De même, le Musée Français

Geschäftstheater in Paris, 1799-1815, Böhlan Verlag, 1999.


Napoléon, de conception royale plus
Molière
que civique, s’exprime dans la déme- Vaudeville

Source : R. Hillmer, Die Napoleonische Theaterpolitik


sure : installé au Louvre, il possède en
1810 la plupart des chefs-d’œuvre euro-
péens de la sculpture et de la peinture.
Boudoir
En 1807, Berlin donne 54 tableaux. S e in
e des Muses
Denon procède dans le même temps à
l’enlèvement à Kassel de 899 œuvres,
dont les Rembrandt. Joseph est sommé Mareux Marais
Théâtre
des Jeunes Élèves Cité/
d’alimenter le Louvre en peintres espa- Palais-Variétés
gnols. On peut admirer à Paris les sta-
tues antiques du Vatican, mais aussi des
Rubens, des Bruegel ou des Rembrandt,
Théâtre Favart Théâtre survivant
ainsi que des peintres italiens et espa- de l’Impératrice
à la loi du 29
gnols (plus de 2 000 tableaux et quelque (Odéon) 200 m juillet 1807
150 statues que le Louvre devra rendre
en 1815).
THÉÂTRES ET CONSERVATOIRES À NAPLES (1767-1815)
Cette centralisation des collections
attire de nombreux voyageurs de San Sebastiano
Théâtres royaux San Pietro
toute l’Europe. Entre souci de propa- Nuovo Poveri a Majella San
Théâtres secondaires di Gesù Cristo Ferdinando
gande et volonté pédagogique, les
San Carlino
collections de « trésors » ne sont pas Conservatoires et Fenice Sant’Onofrio
toutes concentrées à Paris. Dans les Fio
Fiore
Fi ore
Fiorentini
Pietà dei Turchini
nouveaux départements, les musées San Carlo
reçoivent une part du butin artistique : San Bartolomeo
Pages 70-71 : Les théâtres à Paris (1807)
Bruxelles, Anvers, Genève pourront Fondo
conserver après 1815 les œuvres dis-
tribuées par le nouvel Apollon.
Golfe
de Naples Santa Maria
Le dirigisme artistique di Loreto
Source : M. Traversier, Gouverner l’opéra. Le pouvoir
Successeur d’Auguste et de Louis XIV, royal et les théâtres lyriques à Naples, 1767-1815,
thèse, G. Bertrand (dir.), Université Grenoble 2, 2005. 500 m
l’Empereur souhaite associer son règne

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DYNAMIQUES CULTURELLES ET RÉSISTANCES • 71

LA PRODUCTION DE LES IMPRIMEURS À PARIS (1805-1811)


LIVRES (1810-1829)
Nombre d’imprimeurs (par arrondissement)

française, tome II, « Le livre triomphant », Fayard, Paris, 1990.


Source : P. Chartier, H.-J. Martin (dir.), Histoire de l’édition
60

française, tome II, « Le livre triomphant », Fayard, Paris, 1990.


Nombre de livres

Source : P. Chartier, H.-J. Martin (dir.), Histoire de l’édition


8 000 en 1805 (total : 85)
50
7 000
en 1810 (total : 157)
6 000 40
5 000 en 1811 (total : 80)
30
4 000
1815 : donnée manquante

3 000 20

2 000
10
1 000

0 0
1810 1813 1816 1819 1822 1825 1828 Arrond. Ier IIe IIIe IVe Ve VIe VIIe VIIIe IXe Xe XIe XIIe

LES ABONNÉS À LA PRESSE LOCALE (1811-1812) Napoléon restreint à partir de 1806 leur
liberté, rétablit la censure et fait fermer
plusieurs salles à Paris (on passe de
Mer
20 salles en 1803 à 8 en 1807) et en
Mer Baltique province. La répartition quasi sociolo-
Pages 70-71 : La productiondde livres (1810-1829)
u Nord gique instaurée (l’opéra est réservé au
« beau
Pages 70-71 : Les imprimeurs monde
à Paris ») n’empêche pas l’es-
(1805-1811)
sor de divertissements populaires de
Journaux politiques « contournement ».
Feuilles d’annonces Napoléon intervient encore en 1810
Source : A. Cabanis, La Presse sous le Consulat et l’Empire, Société des Études, Paris, 1975.

ou de littérature dans le monde de la librairie pour réta-


Nombre d’abonnés blir la censure et remettre de l’ordre
500 dans un secteur en crise. Le régime
1 000 impérial utilise enfin les grandes fêtes
Manche
dans un but de propagande.

2 000
Une organisation impériale
des sciences
3 000
Après la réorganisation, en janvier
1803, de l’Institut national des arts,
4 000 sciences et lettres, les autorités favo-
risent la mise en place d’une nou-
OCÉA N
velle organisation institutionnelle des
AT L ANT IQU E M er
A d r i a t i qu e
sciences promouvant la spécialisation
autour de véritables « patrons ».
Sous l’Empire, Georges Cuvier, qui
contrôle les collections du Muséum
d’histoire naturelle, incarne cette nou-
Mer Méditerranée
200 km velle figure du savant impérial. Aux
côtés de l’anatomie comparée, la sta-
à un « grand siècle » mais la disparition, davantage leurs conseils. Les artistes tistique, la météorologie et la science
en 1807, de la Décade philosophique sont nombreux à répondre aux com- des mines fournissent les outils théo-
et du Mercure de France témoignent mandes, à exposer aux salons et à riques et matériels au gouvernement
des difficultés rencontrées par le pou- recevoir des prix, même si leur mis- des hommes et des territoires.
voir pour domestiquer les lettres. En sion est de représenter les prouesses Alors que les mesures des crânes ou
Pages 70-71
France comme : Les abonnés
en Allemagne, à la presse
la géné- locale (1811-1812)
de l’Empereur, dont la politique de des forces musculaires permettent de
ration de Chateaubriand et de l’écrivain mécénat mérite d’être nuancée : par- légitimer de nouvelles formes de hié-
« sacré » accepte mal la subordination cimonieux, il lésine sur les sommes à rarchies sexuelles ou raciales, l’idéal de
des lettres au pouvoir politique. dépenser et son amour pour les arts régénération porté par la République
Dans le domaine des arts, Fontaine en n’est pas esthétique mais ostentatoire. tend à s’effacer au profit de l’affirma-
architecture et Denon pour les beaux- Conscient du rôle joué par les théâtres tion d’un ordre politique et social fixe
arts assistent l’Empereur qui accepte dans la politisation des esprits, et stable.

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72

Institutions et enseignement
Les réformes réalisées depuis le Consulat ont pour effet d’organiser un système de formation
et de reproduction d’élites destinées au service de l’État. Le régime napoléonien contribue
à modifier le système pédagogique et l’organisation de la recherche en France. En limitant l’accès
de l’enseignement secondaire aux enfants d’une élite restreinte et choisie, Napoléon abandonne
les idéaux révolutionnaires de démocratisation par l’école.

La fabrication des élites formés par l’École des arts et métiers. pour dénoncer le pouvoir des « pro-
Dès 1803, l’Institut national des Du Muséum d’histoire naturelle à la fesseurs » et en appeler à un retour de
sciences, arts et lettres perd son rang Bibliothèque impériale en passant l’idéal encyclopédique.
de lieu central des savoirs au profit des par l’École des langues orientales,
grandes institutions pédagogiques. ces grandes institutions, dirigées par La mise au pas de l’Université
La réforme progressive du concours de véritables « patrons » qui prennent Entre 1806 et 1811, une série de lois
d’entrée de l’École polytechnique le contrôle des instruments de dif- organisent l’Université impériale, qui
favorise le recrutement des enfants fusion des savoirs, donnent corps à instaure le monopole de l’État en
des élites sociales et transforme cet la rencontre entre un enseignement matière d’instruction et d’éducation
établissement en un laboratoire de la et une recherche de haut niveau qui publiques. Le chef de l’Université est
technocratie d’où devront sortir des renforcent le statut de Paris comme un grand maître (Fontanes), assisté
serviteurs de l’État, qui se distinguent capitale scientifique en Europe. À par- d’un Conseil, ayant sous ses ordres
progressivement des ingénieurs tir de 1810, des voix se font entendre les inspecteurs généraux.

LES UNIVERSITÉS DE L’EMPIRE EN 1808 L’ORGANISATION DE


L’UNIVERSITÉ IMPÉRIALE
Mer
Brême Napoléon I er

Administration générale
du Nord Groningue
Siège d’académie
en 1808 Grand maître de l’université
Leyden Münster Nouvelle académie Chancelier Conseil
créée par la suite de l’université de l’université
10 conseillers
Trésorier à vie
Source : F. de Dainville, J. Tulard, Atlas administratif

Bruxelles de l’université 20 conseillers


Liège
de l’Empire français, Droz, Genève, 1973.

Douai ordinaires
Manche Mayence Inspecteurs généraux
Amiens de l’université
Rouen
Metz
Caen
Recteurs des académies
Académies

Paris Strasbourg
Nancy
Inspecteurs Conseils
Rennes des académies académiques
Orléans Dijon 10 membres
Angers
Bourges Besançon
Facultés
Établissements d’enseignement

Poitiers doyens/professeurs
OCÉA N Genève
Limoges Lycées
AT L ANT IQU E Lyon
Riom proviseurs/censeurs/professeurs

Grenoble Turin Parme Collèges


Bordeaux principaux/agrégés/régents
Rodez
Agen Gênes
Nîmes Institutions
Toulouse Pise chefs d’institutions
Aix-en-Provence nomme
Pau Montpellier Pensions-pensionnats
maîtres de pension préside
Rome
Écoles primaires
Ajaccio M er maîtres d’études contrôle
Mer
Méditerranée Tyr r h én i en n e Source : T. Lentz, Nouvelle histoire du premier
200 km Empire, tome III, La France et l’Europe
de Napoléon, 1804-1814, Fayard, Paris, 2007.

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DYNAMIQUES CULTURELLES ET RÉSISTANCES • 73

Par un décret du 17 mars 1808, l’Em- LYCÉES ET COLLÈGES EN 1812


pire est divisé en 32 académies (autant
que de ressorts de cours d’appel)
dirigées par un recteur, assisté d’un Douai
conseil académique et ayant sous ses
ordres des inspecteurs d’académie.
Rouen Amiens Strasbourg
De nouvelles académies sont créées Caen
Reims Metz
entre 1808 et 1813 dans les dépar- Paris
Versailles
tements annexés. C’est à cette hié-
Nancy
rarchie administrative que sont sou- Pontivy
mis l’enseignement supérieur (facultés Rennes Orléans
de théologie, de lettres, de sciences, Angers Dijon
de droit et de médecine), l’enseigne- Bourges Besançon
Nantes
ment secondaire (lycées et collèges)
et l’enseignement primaire (écoles Poitiers
Moulins
communales). Seules Strasbourg
et Paris ont les cinq facultés (droit, Clermont Lyon
Limoges
médecine, théologie, lettres et Lycées
sciences) d’une université complète ; Collèges Bordeaux Grenoble
les autres académies n’ont que leurs Nombre de régents Cahors
facultés de lettres et de sciences. Les 1 Rodez Avignon
professeurs composent une sorte de 2 Nîmes
corporation laïque, dont les membres Nice
3 Toulouse
sont astreints à un engagement envers Montpellier
4 Pau Marseille
l’État et ne doivent pas se marier. Le
5
mot d’ordre est d’élever les géné-
6
rations successives d’après « des Source : J.-O. Boudon (dir.), Napoléon
plus de 6 et les lycées, Fondation Napoléon,
200 km
principes fixes ». Nouveau Monde Éditions, Paris, 2004.
Les professeurs ne peuvent accepter
aucune fonction publique, particu- L’ORIGINE DES LES FACULTÉS EN 1815
lière ou salariée, sans la permission du POLYTECHNICIENS (1795-1807)
grand maître. En cas d’infraction, ils
peuvent être condamnés à des peines
graves : censure, mutation, suspension Caen Rouen
Paris Strasbourg
voire radiation.
Rennes
Pages 72-73 : Les lycées et collèges (1812)
Dijon
Les lycées et le système Besançon
Poitiers
des héritiers
Lyon
Alors que l’enseignement primaire est Grenoble
Nombre
abandonné aux soins des autorités d’élèves Bordeaux
locales, l’enseignement secondaire, Aix-
1 en-Provence
Toulouse
pépinière d’officiers et de fonction- 10 Montpellier
naires de tout ordre, est favorisé. La 50 Spécialité
théologie catholique 200 km
loi du 1er mai 1802, qui supprime les 286 200 km
théologie protestante Source : J.-C. Caron,
écoles centrales et met en place les Source : Atlas de la Révolution française, É. Ducoudray, Générations romantiques
R. Monnier, D. Roche (dir.), vol. 11, « Paris », Éditions de l’EHESS, médecine lettres (1814-1851), Armand
lycées sous la tutelle de l’État, est à 2000 ; B. Belhoste, La formation d’une technocratie, Belin, 2003. droit sciences Colin, Paris, 1991.
l’origine des 45 établissements (dont
4 à Paris) fondés dans l’Empire qui
accueillent environ 10 000 élèves, les élites du nouvel État. Alors que les du monde des lycées. Les punitions
2 400 étant choisis parmi les fils de proviseurs, censeurs et régents de col- envers les élèves récalcitrants com-
militaires et de fonctionnaires. Les lèges sont soumis au célibat, les pro- portent la prison, la salle de pénitence,
bourses pour les élèves des collèges fesseurs, nommés par l’administration lesPages arrêts.72-73
Si quelques lycées
: Les facultés (1815)inquié-
préparant l’entrée au lycée sont rares dans la cohorte des ordres religieux tèrent les autorités, ils s’imposent
et ne permettent pas une Pages 72-73
réelle : L’origine
ouver- d’Anciengéographique
Régime etdes des élèves de Polytechnique
professeurs comme(1807)
les relais de la politique d’uni-
ture sociale. des écoles centrales, sont soumis à de fication politique et culturelle, en parti-
Le lycée, dont les programmes privi- nombreuses contraintes et font peser culier par le biais de la promotion de la
légient l’acquisition de la culture clas- sur les élèves une discipline militaire et culture et de la langue françaises dans
sique, sert le projet politique de former monacale, les femmes étant exclues les départements annexés.

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74

Des lieux de sociabilité


sous surveillance
Malgré les préventions du régime, la période est caractérisée par un essor important des cadres
de sociabilité intellectuelle. La renaissance des sociétés savantes et des loges maçonniques
ne peut masquer leurs profondes mutations, tant dans leur recrutement que dans leurs activités.
Alors que les notables en prennent le contrôle, les liens avec l’appareil d’État se renforcent.
Néanmoins, ces lieux ont pu servir d’espaces de débat, voire d’opposition.

Napoléon et les bibliothèques de leur fonds. Néanmoins, en décen- devienne la « plus riche du monde ».
Une vaste entreprise de réorganisa- tralisant le budget de fonctionnement L’arrivée de Barbier comme biblio-
tion des bibliothèques municipales est de ces institutions aux municipalités, thécaire en 1811 constitue une étape
menée à partir de l’arrêté du 26 jan- l’État participe à l’atonie de ces biblio- importante. Dès 1805, un crédit spécial
vier 1803 confiant aux municipalités la thèques municipales. est destiné à permettre l’acquisition des
gestion des livres des écoles centrales Le pouvoir s’intéresse à la Bibliothèque meilleurs ouvrages, des manuscrits ou
qui viennent enrichir les bibliothèques impériale, dont le déménagement au des chartes rares. Les manques sont
créées depuis janvier 1794 dans la palais du Louvre reste un projet inac- ainsi palliés par achat, réquisition ou
plupart des villes. Le 22 septembre compli, en raison de la médiocrité du confiscation aux dépens des biblio-
1806, un arrêté impose l’envoi d’un budget. Napoléon nourrit des projets thèques françaises ou étrangères.
rapport annuel sur leur fonctionne- particulièrement ambitieux pour une Comme Denon pour les arts, Chardon
ment et la confection d’un catalogue bibliothèque dont il espère qu’elle de La Rochette ou le docteur Prunelle

SOCIÉTÉS SAVANTES ET SOCIÉTÉS D’AGRICULTURE LES SOCIÉTÉS SAVANTES À PARIS

Anvers
Calais Bruxelles Maastricht
Boulogne-sur-Mer Lille
Liège
Douai Valenciennes
Manche Abbeville Cambrai Avesnes
IIe IIIe
Amiens Mézières Trèves Ve
Cherbourg Rouen Beauvais
Luxembourg Bibliothèque Opéra
Caen Soissons Ier impériale
St-Lô Metz IIIe Ve VIe
Évreux Paris Châlons Conservatoire
Strasbourg
St-Brieuc Versailles Meaux Bar-sur-Ornain des Arts
Melun Nancy Sei
Dinan Alençon n e Louvre et Métiers
Quimper Troyes IVe Palais VIIe
Chaumont des Beaux-Arts VIIIe
Le Mans
Lorient Orléans
Vesoul
Vannes Tours Blois
Dijon Xe
Nantes Angers Bourges Nevers Besançon IXe
Rue de l’École
Châteauroux Autun Lons- de Médecine
Collège
Poitiers le-Saunier de France
Moulins Mâcon
Niort Châteaumeillant Montluçon Genève
La Rochelle Bourg- XIe
Rochefort Guéret Villefranche en-Bresse
Limoges XIIe Muséum
Montbrison
Saintes
Angoulême Lyon Chambéry Ivrée d’Histoire
OCÉA N Ambert Observatoire naturelle
ATL ANT IQU E Périgueux Tulle Grenoble
Le Puy Turin
Valence Meudon Alfort
Bordeaux Privas
1 km
Gap Arcueil
Rodez Académies
Agen Montauban Orange Digne et sociétés Centres d’enseignement
Mont-de-Marsan savantes et bibliothèques
Albi Nîmes Carpentras
Avignon Draguignan
Auch Montpellier Aix scientifiques et techniques
100 km Toulouse
Tarbes Marseille littéraires et artistiques
Carcassonne Bastia
Société d’agriculture Foix Mer Toulon encyclopédiques
Société savante Perpignan Méditerranée 1 2 3-4 Nombre 1 2
Société d’agriculture Sources : F. de Dainville, J. Tulard, Atlas administratif
de l’Empire français, Droz, Genève, 1973. J.-P. Chaline, Sociabilité
Source : Atlas de la Révolution française,
et société savante É. Ducoudray, R. Monnier, D. Roche (dir.),
et érudition, les sociétés savantes en France (XIXe et XXe siècles), CTHS, 1995. vol. 11, « Paris », Éditions de l’EHESS, Paris, 2000.

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DYNAMIQUES CULTURELLES ET RÉSISTANCES • 75

sillonnent les routes pour augmenter LES IMPLANTATIONS


les collections impériales, prélevant des MAÇONNIQUES EN NORMANDIE Eu
Dieppe
ouvrages dans les plus prestigieuses M a n c h e

Source : É. Saunier, « La franc-maçonnerie à


Fécamp

l’époque de Napoléon », Napoléon et la


bibliothèques européennes comme

Normandie, Études normandes, 2002.


celle des ducs de Brunswick. Cherbourg
Cette entreprise est encore complétée Le Havre Rouen
par la fondation de la Bibliographie de Pont- Honfleur
la France confiée à Barbier, répertoire Bayeux l’Évêque
Elbeuf
périodique des productions de la libraire St-Lô Louviers
Caen
Lisieux Bernay
française qui participe de cette remise
en ordre du monde du livre mise en Granville Falaise Évreux
Vire
place à partir de la loi sur la librairie de
L’Aigle
1810. Originales, les bibliothèques por- Nombre
tatives qui le suivent durant ses cam- Domfront d’implantations
Mortagne maçonniques
pagnes militaires marquent le rapport Alençon (en 1803)
Résurgences Bellême
étroit de Napoléon avec l’imprimé. À maçonniques 1 loge
travers l’Imprimerie impériale, il cherche et fondations résurgence
2 loges
nouvelles Orient
en vain à diriger les productions pour (1804-1815) 4 loges
nouveau 50 km
former une bibliothèque idéale.

Le réveil de la franc-maçonnerie qui n’empêche pas les tensions entre contrôle des collections est l’objet
Après un moment d’essoufflement le pouvoir et le mouvement maçon- de luttes particulièrement vives entre
sous la Révolution, le mouvement nique à la fin de l’Empire. Signe du rai- les professeurs. Ces derniers rejoin-
maçonnique renaît à la fin du Directoire. dissement du régime à leur égard, cer- dront les serviteurs de l’Empereur qui,
Pages 74-75 : La franc-maçonnerie en Normandie (1803-1815)
En Normandie, où la maçonnerie s’était taines loges prennent leurs distances en retour, les intégrera dans les élites
implantée dès 1740 et avait réuni envi- dès 1808. Dans les régions annexées, sociales et administratives. Certains,
ron 2 000 membres jusqu’en 1789, la maçonnerie française (le Grand comme Georges Cuvier, utiliseront
17 loges anciennes sont recréées, aux- Orient) prend en charge les loges exis- leur position d’autorité pour tenter de
quelles s’ajoutent 18 ateliers fondés tantes et en crée de nouvelles. En Italie réduire au silence leurs adversaires
entre 1800 et 1813 (dont 13 entre 1805 ou en Allemagne, où des établisse- qui, tel Lamarck, parviendront néan-
et 1813). ments pouvaient rivaliser par la qualité moins à faire émerger certaines résis-
Moins nombreuses que sous l’Ancien de leurs membres avec les organisa- tances contre cette nouvelle organisa-
Régime et surtout concentrées dans tions françaises, les loges se tournent tion des savoirs.
les villes grandes et moyennes, ces contre l’hégémonie de la France. En En province, la période est marquée
loges restent attrayantes : près de 2 145 Normandie, les loges reconquièrent par l’essor de nombreuses socié-
Normands ont été initiés entre 1800 et leur autonomie, marquée par l’essor tés savantes (près d’une centaine en
1815, mais le recrutement est devenu des membres issus de la bourgeoisie 1810). Encadrées par l’État, elles réu-
plus homogène et exclusif. Là comme moyenne aux dépens des notables. nissent les nouvelles élites impériales
ailleurs, les loges sont prises en main autour des travaux sur l’Antiquité et
par un petit groupe de notables choi- L’essor des sociétés savantes les « trésors » locaux. La création de
sis. La disparition des femmes des La réorganisation de 1803 de l’Institut l’Académie celtique en 1805 souligne
listes du personnel est un des signes national des sciences, des arts et des la volonté de l’Empereur d’asseoir la
de ce resserrement sociologique qui lettres rend désormais caduc le pro- supériorité de la nation française sur
se traduit encore par la marginalisation jet des Idéologues de construire une les origines celtes. L’État encourage par
progressive du monde de l’échoppe et « science générale de l’homme » fondée ailleurs des sociétés dont les travaux
de la boutique. Domine donc le monde sur l’unité des savoirs. Le modèle des s’inscrivent dans les préoccupations
de la bourgeoisie constituée des institutions encyclopédiques tend pro- du régime : la Société d’agriculture de
représentants de l’État (préfets, sous- gressivement à s’effacer pour laisser la Seine et la Société d’encouragement
préfets, maires, etc.), fonctionnaires, la place à des sociétés savantes rat- pour l’industrie nationale deviennent
« propriétaires », professions libérales, tachées à une grande institution péda- ainsi des lieux de rencontre entre les
marchands et officiers. Signe de cette gogique. À partir de 1807, la Société personnalités scientifiques, les admi-
proximité de la franc-maçonnerie avec d’Arcueil, organisée autour de Laplace nistrateurs et les industriels. Les débats
l’État, près de 47 % des maçons sur et de Berthollet, s’impose comme une politiques y sont toujours proscrits mais
l’ensemble du territoire sont membres succursale de l’École polytechnique. on y discute de l’état de l’opinion, de la
du corps préfectoral. Ce mouvement de polarisation des situation militaire ou politique. Est-ce la
À Paris, les loges les plus presti- lieux de savoir renforce le statut de raison pour laquelle le Code pénal de
gieuses apparaissent comme les suc- capitale scientifique de Paris. 1810 renforce la surveillance sur ces
cursales des cabinets ministériels, ce Au Muséum d’histoire naturelle, le sociétés savantes et littéraires ?

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76

La remise en ordre religieuse


Pour Napoléon, héritier des Lumières, une société ne peut vivre sans religion. Il met un terme au
schisme qui oppose les Églises constitutionnelle et romaine. Il signe le Concordat (septembre 1801)
puis impose les « articles organiques » (avril 1802) pour infléchir les réticences, réduire
l’indépendance du clergé et organiser les consistoires juifs et protestants. Cette réorganisation
accélère le « réveil catholique », mais fait naître de nouvelles oppositions.

Le Concordat et la paix Les oppositions Si ce mouvement s’inscrit dans des


religieuse anticoncordataires traditions locales de résistance (jansé-
Le Concordat puis les « articles orga- Particulièrement hétérogènes, les nisme à Lyon, par exemple), partout les
niques » instaurent le culte catholique formes de refus du Concordat et des pratiques sont identiques : quelques
comme « religion de la grande majorité articles organiques jouent un rôle prêtres, le plus souvent d’anciens
des Français ». Ils laissent au Premier important dans la persistance d’une réfractaires, refusent de reconnaître
consul la nomination des évêques et opposition au régime impérial. À l’ori- l’évêque nommé par Napoléon et, bra-
au souverain pontife leur investiture gine de la « Petite Église » figurent des vant les interdits, disent la messe selon
canonique, redessinent la carte ecclé- évêques d’Ancien Régime réfugiés les rites anciens. S’inscrivant dans le
siastique, imposant au clergé un ser- en Angleterre ou en Allemagne qui vaste mouvement de lutte contre le
ment de fidélité au gouvernement, et refusent de donner leur démission au « brigandage », la répression est très
consacrent le caractère intangible de pape et décident de conserver leur rigoureuse contre ces oppositions qui
la vente des biens nationaux. pouvoir sur leur diocèse, continuant la apparaissent comme le bras ecclésias-
Cette réorganisation permet une lutte contre toute forme de compromis tique du comte d’Artois. Si le mouve-
reprise rapide du culte dans la plupart avec la Révolution. ment semble éradiqué en 1808, il survit
des régions, avec un contraste mar-
qué entre les « terres de chrétienté » LES DIOCÈSES
et les zones plus « déchristianisées ». Mer
du Nord
Partout, l’Église reprend en main le Archevêché
baptême, le mariage et l’enterrement. Évêché
Le renouveau des pèlerinages sou- Limite
d’archevêché
ligne l’attachement des populations Malines
Gand Limite
aux saints locaux et aux croyances Tournai Aix-la-Chapelle d’évêché
Liège Mayencee
traditionnelles, « superstitions » qui Arras Namur Limite de
Manche Cambrai département
seront combattues par les autorités Rouen Trêves
Bayeux Amiens Soissons
ecclésiastiques. L’Église conserve un Paris
Coutances Évreux Metz
rôle important par le biais des congré-
St-Brieuc Séez Meaux Châlons Strasbourg
gations religieuses, qui assurent un Versailles Nancy
Rennes Troyes
service majeur dans l’éducation, les Quimper Le Mans Orléans
Vannes Dijon
soins hospitaliers ou l’aide charitable Nantes Angers Tours Besançon
au sein desquels les femmes occupent Bourges Autun
une place centrale. Poitiers
La Rochelle
Cette vitalité catholique suscite par- Limoges Lyon
OCÉAN Chambéry
fois des conflits avec les minorités Angoulême Clermont
ATL ANTIQUE Grenoble
St-Flour
religieuses, protestantes surtout, et Bordeaux Valence Turin
Mende
inquiète le pouvoir qui interdit les mis- Cahors Gênes Florence
sions intérieures en 1809. Le régime Agen Avignon Digne Pise
Nice
Bayonne Montpellier
reste méfiant envers une institution Toulouse Aix-en-Provence
Sienne
qu’il soutient (augmentation du budget Carcassonne
des cultes, réouverture des séminaires) Mer Rome
Ajaccio
mais que Portalis, directeur des Cultes, Méditerranée M er
Source : F. de Dainville, J. Tulard, Tyr r h én i en n e
contrôle avec attention. Atlas administratif de l’Empire français,
Droz, Genève, 1973. 200 km

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 76 14/01/2022 09:01


DYNAMIQUES CULTURELLES ET RÉSISTANCES • 77

dans la clandestinité et resurgit avec LE CULTE PROTESTANT


force dès 1815. Mer
du Nord
L’Empereur et les juifs Cologne
« Je ne vois pas dans la religion le mys-
tère de l’incarnation, mais le mystère Manche Mayence
de l’ordre social. » S’inscrivant dans
l’héritage de la Révolution, Napoléon
entreprend de « régénérer » les popula-
Wissembourg
tions juives. Après avoir réuni le Grand
Strasbourg
Sanhédrin, il impose une réorganisa- Colmar
tion générale du culte.
Le 17 mars 1808, les règlements du Montbéliard

Consistoire et les « décrets infâmes »


OCÉAN
concernent l’organisation de la com-
ATL ANTIQUE
munauté : conscription obligatoire (les
juifs ne peuvent pas, comme les chré- Culte luthérien
tiens, se faire remplacer à l’armée), Chef-lieu du
consistoire
encouragement des mariages mixtes, général
suspension pour dix ans des dettes Inspection
contractées à l’égard des juifs (pour Église
les éloigner de l’usure), interdiction de consistoriale
séjourner dans certaines régions, sauf Limite de
l’Église de
pour devenir agriculteur. la confession
Ces mesures portent atteinte au prin- d’Augsbourg
Mer
cipe d’égalité de tous les citoyens Culte calviniste
Méditerranée
Source : F. de Dainville, J. Tulard,
devant la loi, mais sont justifiées au Église Atlas administratif de l’Empire français,
consistoriale Droz, Genève, 1973. 200 km
nom de la réconciliation des commu-
nautés et de la nécessaire assimilation
des populations juives. En Allemagne, compte 81 églises consistoriales serment à Napoléon. Pour rendre
où elles vivaient dans un état de grande dont 22 dans le Gard et en Lozère. attrayante cette fonction, le gouverne-
sujétion, la domination française Ces consistoires administrent près de ment crée la Faculté de théologie de
entraîne une vague d’émancipation. 70 temples, souvent d’anciens biens Montauban, octroie des bourses aux
nationaux. En Alsace, où les luthériens étudiants qui sont en outre dispen-
Pages 76-77 : Le culte protestant
L’Église réformée constituent un tiers de la population, on sés de service militaire, des mesures
La réorganisation des Églises protes- dénombre 160 paroisses luthériennes qui ne suffisent pas à pallier les fai-
tantes prévue par les « articles orga- et plus de 200 pasteurs. blesses de l’encadrement pastoral. Si
niques » de 1802 s’opère lentement. Les notables élus dans les consistoires le Concordat modifie l’organisation de
Dans les départements français, on désignent les pasteurs qui prêtent l’Église réformée, il en renforce l’unité.

LES ÉLÈVES AU PETIT SÉMINAIRE LE CULTE JUDAÏQUE LA « PETITE ÉGLISE »


(1809-1812) EN 1812 SOUS L’EMPIRE

Nombres d’élèves
Source : F. de Dainville, J. Tulard,

ecclésiastiques
français, Droz, Genève, 1973.
Atlas administratif de l’Empire

(pour 100 000 Amsterdam


habitants)
Crefeld
Bonn Mayence
Trèves
Metz Strasbourg
Paris
22 Nancy
Wintzenheim
32
50 Nombre
Bordeaux Casale
70 Turin de prêtres
Florence dissidents
Livourne
Données 1
manquantes Marseille
Rome 10
Petit séminaire 200 km Consistoire 37 200 km
Source : B. Plongeron (dir.), « Les défis de la modernité central
(1750-1840) », in J.-M. Mayeur et alii (dir.), Histoire Synagogue Limite de Source : G. Janssen, La Petite Église
du christianisme, vol. 10, Desclée, Paris, 1997. consistoriale consistoire 300 km en 30 questions, Geste Éditions, La Crèche, 1993.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 77 14/01/2022 09:01


78

EN CONCLUSION
Dynamiques
culturelles
et résistances
Mettre les arts, les sciences et les
lettres au service de sa grandeur
personnelle, voilà l’ambition du mécène
Napoléon Bonaparte. Des représentations
iconographiques aux monuments,
il s’agit de valoriser la figure du héros
et de l’imperator. Plus encore que la
peinture et la sculpture, l’architecture
donne à l’Empereur l’occasion de
formuler une esthétique. Par le biais des
académies et des pensions distribuées
par son administration, il intervient
souvent directement dans les choix
esthétiques. Mais sa soif de grandeur
et de majesté bute souvent sur les
exigences d’économie et les résistances
des artistes et écrivains, souvent rétifs à
la commande. Reste que Paris s’impose
comme la grande capitale de la civilisation
européenne, attirant, par ses musées et
ses institutions scientifiques, des visiteurs
de plus en plus nombreux.

Rompant avec le rêve encyclopédique


porté par les Lumières, le règne
de Bonaparte, en imposant une
certaine forme de dépolitisation des
arts, des lettres et des sciences,
favorise paradoxalement une certaine
spécialisation des activités artistiques
et des productions intellectuelles.
Si ce processus participe indéniablement
au reflux de l’idéal républicain et de
la volonté de faire des arts, des lettres
et des sciences des outils de régénération
des mœurs, il n’en reste pas moins que le
régime impérial joue un rôle essentiel dans
l’organisation des espaces scientifiques,
littéraires et artistiques qui caractérisent
le XIXe siècle.

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L’EUROPE DU REFUS • 79

L’Europe du refus
Les oppositions au pouvoir napoléonien se renforcent à partir
de 1808. Aux traditionnels courants souterrains du refus de
la dérive autoritaire du pouvoir personnel chez les républicains
intransigeants, ou de la contestation de l’usurpation dynastique
chez les fidèles de la cause bourbonienne, s’ajoutent
les mécontents qui se multiplient par suite des difficultés
économiques, du poids croissant des taxes sur les produits
de consommation, ou de l’impôt du sang qui arrache en masse
les jeunes conscrits à leurs familles.
Ce mécontentement, sensible dans les régions ruinées
par le blocus continental, est bien souvent attisé par un clergé
majoritairement hostile depuis l’arrestation du pape en 1809.
Mais c’est l’insurrection espagnole de 1808 qui cristallise
toutes ces oppositions diffuses. Pour les uns, c’est le
témoignage de l’invincibilité de l’alliance du trône et de l’autel.
Pour les autres, c’est la vitalité du sentiment national
et l’indice que la liberté des peuples a changé de camp.
Tous se retrouvent provisoirement autour d’une aspiration
à la paix et à la monarchie constitutionnelle, telle que
la Constitution de Cadix de 1812 semble l’esquisser.
Tournant le dos à ces aspirations, renforçant les aspects
les plus policiers de son régime, Napoléon repousse
vers l’immense Russie les limites de ses forces
et de son ambition, renforçant chez ses sujets le sentiment
que la guerre est désormais sans fin.

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80

Insurrections et zones
de résistance en Europe
Les oppositions à Napoléon furent diverses. À partir de mai 1808, l’insurrection espagnole
et l’enlisement des troupes françaises dans la péninsule marquent un tournant. Le sentiment
national se retourne contre les héritiers de la Grande Nation. Il y a d’autres soulèvements locaux :
la Calabre de 1806 à 1808, le Tyrol en 1809. Les frustrations nationales redoublent
le mécontentement envers le blocus continental, en témoigne une intense contrebande.

Le « bourbier » espagnol dévoués à Ferdinand, dont les ten- BATAILLES ET RÉSISTANCES


Pour Napoléon, la péninsule Ibérique dances absolutistes ne sont un mys-
était un maillon faible du flanc sud du tère pour personne. Les atrocités sont
blocus continental. En 1807, il envoie le lot commun des deux camps.
Junot occuper le Portugal, où la contre- C’est le corps expéditionnaire anglais
bande des produits britanniques se commandé par Lord Wellesley, duc de Empire français
développe à grande échelle. La pré- Wellington, hostile à la guerre popu- Principaux alliés de l’Empire
sence des garnisons françaises sur le laire, qui décide finalement du rapport Territoires sous contrôle
britannique
territoire espagnol exacerbe la crise de forces. En juin 1813, l’armée fran-
dynastique qui mine le pouvoir, tiraillé çaise est écrasée à Vitoria et doit éva- Insurrections populaires
(territoires insurgés)
entre le roi Charles IV, le Premier ministre cuer la péninsule.
Zones de rupture du dispositif
Godoy et l’infant Ferdinand. Napoléon impérial par les Anglais
(contrebande, espionnage,
dépose les Bourbons, exilés en France Les foyers de résistance bases militaires)
et remplacés par Joseph. Une émeute En dehors de la péninsule Ibérique, Troubles épars en Allemagne
populaire éclate à Madrid, le 2 mai l’Europe connaît d’autres foyers
Grandes offensives françaises Île
1808, suivie par une féroce répression de résistance à la domination
Campagne de 1806-1807
le 3. Le pays s’embrase, la résistance napoléonienne.
Revers d’Espagne (1808)
est organisée par des juntes politico- La Calabre. C’est tout d’abord la
Campagne d’Autriche (1809)
militaires. Les troupes françaises sont Calabre qui s’embrase dès 1806, à la B
Principales défaites
défaites à Bailén, en Andalousie, en juil- chute des Bourbons, renouant avec
Principales victoires
let 1808. Napoléon doit dégarnir le front le précédent de l’insorgenze de 1799
oriental pour entreprendre de coûteuses contre la République napolitaine ; un
opérations de reconquête. mélange détonant de brigandage tra-
Dans les années qui suivent, l’Es- ditionnel, de religion populaire et de
pagne devient un gigantesque champ légitimisme dynastique. Les Anglais OCÉAN
de bataille. La résistance espagnole tentent une jonction avec les insur- ATL ANTIQUE Astorg
P
est composite ; une forte composante gés en débarquant un corps expédi-
catholique donne au conflit une allure tionnaire à Maïda. Mais les Franco- Co
ROYAUME Som
de croisade, tandis que les politiques Napolitains réussissent à pacifier la
sont partagés entre la fidélité dynas- région, au prix de très dures opéra- Vimeiro
Madri
tique au roi « légitime », Ferdinand VII, tions punitives, tout en s’appuyant sur Lisbonne DU
Tag
et des aspirations libérales qui s’expri- une classe moyenne rurale, lasse des
ment dans la Constitution de Cadix de troubles endémiques. C’est dans ce PORTUGAL
Cordo
1812. Les partisans du « roi intrus », les contexte que naît la Charbonnerie.
josefinos, sont isolés et n’assurent un Le Tyrol. Dans le Tyrol annexé par la
semblant d’autorité que sous couvert Bavière, la même conjonction de crise Cadix
des puissants gouverneurs militaires, économique, de fidélité dynastique (à
Soult dans le sud, Suchet dans le nord. l’empereur d’Autriche en l’occurrence) Gibraltar
Les Français et leurs alliés savent jouer et de piété populaire ébranlée par la
des divisions de leurs adversaires, les sécularisation pousse contrebandiers
libéraux « éclairés » se méfiant des et paysans à prendre les armes en
bandes de partisans souvent enca- avril 1809, sous la direction de l’au- 250 km
drés par des prêtres et fanatiquement bergiste Andreas Hofer. Six mois plus

P
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L’EUROPE DU REFUS • 81

tard, la révolte est sévèrement répri- le tabac dans le département de la confins de langue allemande où le peu
mée, du fait de la brutale reconquête Moselle cristallise de vifs ressenti- d’ouverture, l’étroite soumission au
par les troupes de Lefebvre, mais ments en ce qu’il s’attaque à une clergé et l’absence de contact avec
aussi de l’abandon des insurgés par tradition culturelle bien enracinée en d’autres façons de penser rendent sou-
l’Autriche. Lorraine allemande. Dans la Roër, ce vent les habitants méfiants et peu aptes
L’Allemagne. En Allemagne, c’est sont les cantons reculés de Monschau à accepter le message de la nouveauté.
une agitation diffuse qui se produit, et de Gemünd qui enregistrent annuel- Pour certains administrateurs, « l’empa-
appuyée en sous-main par le ministère lement le plus grand nombre de délits thie germanique » constituerait ainsi un
prussien, relayée par les associations forestiers, autre forme d’expression de frein à la diffusion de la vaccination.
urbaines du Tugendbund. Les motifs mécontentements. Des révoltes sporadiques éclatent en
de révoltes sont souvent alimentés par La Westphalie et le Wurtemberg. Westphalie et dans le Wurtemberg ;
les traditions frondeuses de certaines Les innovations françaises en matière l’étudiant Staps prépare un attentat
populations : la décision du minis- administrative ou économique ne sont contre Napoléon, qui fournit le prétexte
tère des Finances en 1811 d’interdire pas toujours bien accueillies dans les à la dissolution du Tugendbund.

ROYAUME
Mer DE SUÈDE
Mer
du ROYAUME
Copenhague Baltique
ROYAU M E -UN I DE DANEMARK Tilsit Kaunas
Nord

Niémen
Friedland
Héligoland Dantzig Eylau
Lübeck
Hambourg R OYAU M E D E P R U S S E
Brême Elb EMPIRE
Weser

e Vis
Amsterdam Berlin tul
Londres
e GRAND DE
Walcheren Magdebourg Varsovie
CONFÉDÉRATION Od DUCHÉ RUSSIE
Manche Bruxelles Erfurt er
Iéna Auerstedt DE VARSOVIE
Rhin

Îles Anglo-Normandes DU RHIN


Se Bamberg
ine Prague
Paris Nuremberg
Da Olomouc
nu
Baie de Quiberon Strasbourg Tübingen be
Loire Wagram
EMPIRE Munich Vienne Essling
Bavière Budapest
F RANÇ AIS SUISSE
E M P I R E D ’A U T R I C H E
Lyon Tyrol
Bordeaux
Milan
ROYAUME P rov in c e s
Turin
e

D’ITALIE
Rhôn

Bayonne Pô illy r ie n n e s Belgrade


Astorga
Pampelune Toulouse Da
nub
Mer e
Col de Marseille
Èb

ME Somosierra
re

Saragosse
Sofia
Adriatique
Madrid ROYAUME EMPIRE
Barcelone Rome
Tage ROYAUME OTTOMAN
D’ESPAGNE
DE NAPLES
Valence Naples
Cordoue ROYAUME
Baléares DE SARDAIGNE Mer
Bailén Calabre Corfou
Tyrrhénienne
Carthagène Mer Maida
Athènes
ar Palerme
ROYAUME
DE SICILE
Médit er ranée

Malte

Pages 80-81 : Les résistances à l’Europe de Napoléon (1806-1811)


01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 81 14/01/2022 09:01
82

Insoumission et désertion
Au cours de l’année 1813, la légende de l’« ogre de Corse », venu de son île pour dévorer
des jeunes gens, se répand dans les campagnes. Les difficultés militaires et le rappel de conscrits
toujours plus jeunes grippent les rouages de la machine. Les effets immédiats sont des taux
massifs de désertion, mais il y a des variables chronologiques et régionales. La légende
de l’« ogre » est entretenue par les pertes militaires, dans des guerres incertaines et lointaines.

Une insoumission récurrente taux est beaucoup plus élevé dans les à la crainte des jeunes Italiens de mou-
mais inégale départements de l’Est. rir sans sacrements sur le champ de
La désertion (abandon de son régiment Dans les territoires non français, l’in- bataille, on crée un corps d’aumôniers
par le soldat après son incorporation) troduction de la conscription provoque militaires en 1804, mais cela provoque
est inséparable de la vie militaire. un fort taux d’insoumission. Dans les la colère des jacobins.
L’insoumission est un phénomène départements italiens, le contingent Dans les départements rhénans, à
davantage lié aux exigences nouvelles est deux fois plus élevé qu’en France l’inverse, la charge est moins lourde et
du service militaire ; c’est le refus (on et les levées militaires entraînent des l’insoumission plus faible. La désertion
parle aussi de réfractaires) de répondre révoltes dans le royaume. Raisons éco- est en revanche élevée, mais elle est
à l’appel. Les insoumis n’ont jamais été nomiques, raisons politiques (partisans motivée par le dénuement de la troupe
incorporés, ils sont toutefois compta- de l’Ancien Régime) et raisons reli- et concerne des groupes qui ont l’habi-
bilisés dans les quotas de la conscrip- gieuses se conjuguent. Pour répondre tude de passer d’une armée à l’autre.
tion, à la différence des déserteurs.
Les moyens d’échapper à l’incorpora-
tion sont multiples, de la fuite dans les LES DÉSERTEURS (1799-1805)
bois à la mutilation volontaire. Les infir-
Escaut Deux-
mités, la surdité, le rachitisme, la folie Lys Nèthes Meuse-
Roer
Dyle Inférieure
et le défaut de taille (moins de 1,48 m) Pas- Ourthe
de-Calais Jemmapes Rhin-
sont des motifs fréquents d’exemption, Nord Sambre- et-
M a n c h e et-Meuse Moselle
et il n’est pas toujours facile de débus- Seine-
Somme Forêts Sarre
Mont-
Inférieure Aisne Ardennes
quer le falsificateur. Les réfractaires Tonnerre

Source : A.-A. Hargenvilliers, Compte général


Oise

de la conscription, Gustave Vallée, 1937.


Moselle
identifiés sont envoyés dans les batail- MancheCalvados Eure
Seine Marne
Meuse
Seine- Bas-
lons disciplinaires. Il y a sept dépôts Orne Seine- et-Marne Meurthe Rhin
Côtes-du-Nord
d’insoumis en 1808. Finistère Mayenne Eure- et-Oise Aube Haute- Vosges
Ille-et- et-Loir
Les causes d’insoumission sont Morbihan Vilaine Sarthe Loiret Marne Haut-
Yonne Haute- Rhin
Loir- Saône
diverses, mais les conditions maté- Loire- Maine-
Indre- et-Cher Côte-d’Or
Inférieure et-Loire et-Loire Doubs
rielles prédominent. Le jeune homme Cher Nièvre
refuse de partir parce que, dans les Vendée Deux- Indre Saône- Jura
Sèvres Vienne Allier et-Loire
conditions de la production matérielle Léman
Charente- Creuse Ain
de l’époque, c’est prendre sa force Inférieure Haute- Puy- Rhône Doire
Charente Vienne de-Dôme Loire Mont-Blanc Sésia
de travail ; sa famille est complice de OCÉAN Corrèze
Haute- Isère Marengo
son geste. Entre également en ligne ATL ANTIQUE Dordogne Cantal Loire Pô Tanaro
Gironde Hautes-
de compte le sentiment d’injustice lié Ardèche
Drôme Alpes Sturia
Lot-et- Lot Lozère
aux tirages au sort et aux remplace- Garonne Aveyron Basses- Alpes-
ments. Certaines régions françaises Landes Gard Vaucluse Alpes Maritimes
Tarn
Gers Bouches-
sont des terrains plus favorables à Basses- Haute- Hérault du-Rhône Var
l’insoumission : le Nord, le Sud-Ouest Pyrénées Hautes- Garonne
Aude Golo
Pyrénées Ariège
et le Massif central. Globalement, les Pyrénées- Mer Méditerranée
Orientales
insoumis sont plus nombreux dans les
Part des déserteurs Liamone
zones forestières et montagneuses, dans le total d’hommes appelés
de traditions migratoires anciennes. (moyenne 1799-1805, en %)
Données
Au début du Consulat, la moyenne manquantes
0 10 20 30 40 50 60 90 Moyenne : 28 200 km
des incorporés est de 74 %, mais ce

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 82 14/01/2022 09:01


L’EUROPE DU REFUS • 83

Mourir au loin L’ITALIE DES DÉSERTEURS


La question des pertes militaires
accompagne la légende noire de Ligurie Duchés de Parme et de Plaisance
(annexée le 11 juin 1805) (occupés militairement en 1802, annexés le 21 juillet 1805
l’« ogre » : des comptes fantastiques pour former le département du Taro)
circulent en 1814. On avance le chiffre Nombre d’hommes Nombre d’hommes
portés sur les tableaux : 38 862, portés sur les tableaux : 14 975,
de 5 millions de morts ! Hargenvilliers ainsi répartis (pour 1805-1806) ainsi répartis (pour 1805-1806)
parle encore de 1 700 000 morts, alors Dispensés Dispensés
Réformés Réformés
que le nombre de conscrits incorporés de service de service
(9 519) (3 073)
(12 775) (7 690)
24,5 % 20,5 %
avoisinait les 2 millions. 32,9 % 51,4 %
Les études récentes dénombrent
900 000 pertes de 1800 à 1815. Ces
Déserteurs, Déserteurs,
pertes comprennent les morts, mais insoumis, Incorporés
insoumis,
aussi les disparus – prisonniers non réfractaires Incorporés réfractaires (3 190)
(4 911) (11 657) (1 022) 21,3 %
rentrés, déserteurs évaporés, bles- 12,6 % 30,0 % 6,8 %
sés. Les morts sont plus nombreux à
l’hôpital (15 %) que sur les champs de Île d’Elbe


bataille (6 %), mais les batailles sont (faisait partie du Grand-duché de Toscane, Plaisance
réuni à la France en 1802) TARO Parme
de plus en plus meurtrières, tandis GÊNES
G U R I E
que les hôpitaux restent des « anti- Nombre d’hommes LI Chiavari
portés sur les tableaux : 922, Savone Gênes APENNINS
chambres de la mort ». Une attention MONTENOTTE Florence
ainsi répartis (pour 1806-1810)
Mer o
croissante est portée à la médecine Dispensés Ligurienne Livourne Arn
Réformés
militaire par un corps d’officiers de de service (119) Mer
(557)
santé, mis en place au moment de la 12,9 % Méditerranée Portoferraio
60,4 %
Révolution, qui compte des personna- Corse
Île d’Elbe
lités remarquables comme Larrey ou 50 km
Desgenettes : ramassage des blessés Déserteurs,
insoumis, Incorporés
par les ambulanciers, prévention des réfractaires (177) Source : F. Frasca, Les Italiens dans l’armée française
1796-1814 : recrutement et encadrement,
épidémies par aération et fumigation (68) 19,2 % thèse de doctorat, université Paris IV,
7,5 % A. Corvisier (dir.), 1992.
des locaux, cautérisation des plaies.

Une répression au succès inégal Pour lutter contre l’insoumission, l’État bureaucratique et des mesures coer-
Vers 1810-1811, le rendement de la fait pression sur les familles en impo- citives. À partir de 1813, les difficultés
conscription atteint son maximum. Il sant le logement de garnisaires, ou anéantissent ces efforts : l’insoumis-
reste toutefois un taux incompressible en taxant les notables qui profitent de sion devient massive, de même que la
de 4 à 6 % de déserteurs. Les condam- la situation pour :employer
Pages 82-83 une des
La répartition main- désertion
conscrits dansrégions
dans trois les territoires
d’Italierattachés.
(1806)
nations lourdes (galères, peine de mort) d’œuvre bon marché. De temps à De véritables petites armées d’insou-
contre les déserteurs étant souvent autre, il a recours aux colonnes mobiles mis se forment, entretenant un brigan-
inefficaces, on a recours aux amnis- qui traquent les fugitifs. dage endémique dans les régions à
ties périodiques et aux regroupements La conscription reste impopu- l’écart des grands axes de communi-
dans des régiments disciplinaires où laire mais son meilleur rendement cation, désorganisant les arrières des
ils rejoignent d’autres réfractaires. reflète la pression cumulée de l’action lignes françaises à proximité du front.

PERTE ET RÉCUPÉRATION DES DÉSERTEURS (1811-1813) LES CONDAMNATIONS


DES DÉSERTEURS
5 000 Nombre d’hommes
Déserteurs non retrouvés Nombre d’hommes Aux travaux forcés
Déserteurs rattrapés et jugés jugés : 9 238 (3 006)
4 000 32,6 %

3 000 Acquittés
(5 275)
57,1 %
2 000

1 000 Au boulet
(695)
Condamnation À mort 7,5 %
0 (nombre d’hommes) (262)
mois 04 05 06 07 08 09 10 11 12 01 02 04 06 08 10 11 12 01 2,8 %
année 1811 1812 1813 Source : R. Choron, Les Régiments de réfractaires
Source : R. Choron, Les régiments de réfractaires et la répression de la désertion et la répression de la désertion dans l’armée impériale
dans l’armée impériale (1808-1814), maîtrise, Université Paris I, 1998. (1808-1814), maîtrise, Université Paris I, 1998.

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84

Les lieux d’opposition


L’objectif du régime est la dépolitisation, voire la disparition de l’espace public. Toute divergence
est assimilée à une manifestation d’opposition, réduite à la clandestinité. La police pratique
volontiers l’amalgame : « ni talons rouges, ni bonnets rouges ». L’opposition est pourtant diverse,
dans ses tendances et dans ses formes, des anciens brumairiens attachés aux héritages libéraux,
aux irréductibles jacobins et aux conspirateurs royalistes.

Loges militaires et Pour autant, certains piliers du régime surveillée. Là, il cherche à réaliser une
conspirations politiques ne sont pas très contents de son évo- convergence des oppositions, roya-
Lorsque Bonaparte prend le pouvoir, lution, qui lui fait tourner le dos à ses listes et jacobins, contre l’Empire auto-
les néojacobins paraissent les adver- origines. Ces militaires restés fidèles ritaire. Une tentative de coup d’État
saires les plus dangereux pour le nou- aux idéaux jacobins, comme le général se produit en octobre 1812. Pendant
veau régime. Le thème du « tyranni- Malet, se regroupent dans des struc- quelques heures, les autorités pari-
cide » est largement répandu dans tures clandestines inspirées des loges siennes hésitent ou sont neutralisées.
leurs cercles clandestins. L’affaire de maçonniques, dont Charles Nodier Si Malet et ses complices sont finale-
la « machine infernale », un attentat reconstruit l’histoire en 1815 sous le ment fusillés, cette tentative a mis en
terroriste organisé par les royalistes, nom de Philadelphes. Des sénateurs évidence la faiblesse du régime et sa
en décembre 1800, va être l’occasion cherchent une alternative à une trop trop forte personnalisation. Les conspi-
pour la police d’imputer cette tentative forte personnalisation du régime, dans rateurs ont pu faire croire à la mort de
d’assassinat de Bonaparte aux jaco- l’entourage de Sieyès, Fouché ou Napoléon en Russie et les dignitaires
bins, et de se débarrasser de leurs Servan. Une conjonction entre ces deux impériaux ont été traversés de doutes
principaux dirigeants par la déportation courants se produit en mai 1808, impli- sur sa légitimité. Aucun n’a mis en avant
ou l’intimidation. quant Malet, qui est placé en résidence la régence au profit du roi de Rome.

LE PARIS DE LA CONSPIRATION DU GÉNÉRAL MALET Une conspiration


révélatrice
Le général Malet
a élaboré un projet
d’alternance
politique qui
rassemble les
oppositions
Fbg républicaines et
Hôtel du ple
Hulin Rueu Tem
royalistes.
Madeleine d Caserne Le 23 octobre 1812,
Bourse
Rue
d es P Trésorerie de la Courtille les conjurés font
État-major etits courir la rumeur de
Place Place Cha
Vendôme mps la mort de Napoléon
de la Concorde Palais- Caserne
Rue

Tuileries Rue Popincourt à Moscou et


Royal Maison
Se in e Saint-Gilles Caamano
Louvre s’emparent de
Pop

Rue des plusieurs lieux de


Hôtel du ministre
i

Hôtel
nco

Minimes
Pav ue
ée

de la Police de ville pouvoir. Ils furent


R

urt

Caserne
ères
idSaints-Pdes

Champ Prison des Minimes Maison maîtres de Paris


Invalides Bureaux
Rue

de Mars
du ministre de la Force Dubuisson pendant trois heures,
de la Police Notre-Dame Place révélant l’étroite
i

Préfecture de la Bastille
e-M

École assise du régime,


ch

de police hors la présence


er

militaire Conseil Luxembourg


Ch

physique de
du

de guerre
e

son chef.
Ru

Sainte-
Geneviève

Lieu jouant un rôle


particulier dans la conspiration
Se

Monument
in
e

Source : S.-C. Gigon, Le général Malet, d’après les documents inédits


des Archives nationales et des archives de la Guerre, Charles Lavauzelle, Paris, 1912. 1 km

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 84 14/01/2022 09:02


L’EUROPE DU REFUS • 85

Une opposition intellectuelle LES PRISONS D’ÉTAT


Napoléon eut contre lui les grands (DÉCRET DU 3 MARS 1810)
intellectuels de l’époque : Germaine de Lieux de relégation où furent
effectivement détenus des
Staël, fille de Necker, Chateaubriand, prisonniers d’État. Les endroits
Benjamin Constant. Ils accueillirent Château où ils furent les plus nombreux
pourtant favorablement son régime, de Bouillon sont : Fenestrelle, Compiano,
Fort de Ham Forteresse Pierre-Châtel et Bicêtre.
mais s’en éloignèrent pour des motifs Le Temple de Landskronn
divers, les uns critiquant la dérive tota- Le Mont- Fort de Vincennes Lieux de détention prévus par
St-Michel Fort de Bicêtre le décret du 3 mars 1810, mais
litaire, les autres frustrés dans leurs qui ne fonctionnèrent jamais.
attentes d’une réelle restauration poli- Château Fort de Joux Le Temple fut démoli en 1808
de Saumur Forteresse et Landskronn ne fut jamais
tique et catholique. Chartreuse de Fenestrelle
aménagé.
de Pierre-Châtel
Les cercles libéraux, comme le Salon Fort
Château La Corse n’est pas comprise
d’Auteuil et les différents journaux et Château de Compiano dans le décret de mars 1810,
de Lourdes
espaces de sociabilité liés à la nébu- d’If mais ce fut un lieu de relégation
Ajaccio Corse
leuse des Idéologues, condamnèrent la 300 km politique très important.
législation d’exception, le Concordat, le
renforcement de l’exécutif et le rétablis-
LES RÉSEAUX CONGRÉGANISTES LYON-PARIS
sement de l’esclavage après 1802. Tous
dénonçaient l’abandon de l’idéal de

Source : A. Lanfrey, Résistances et associations spirituelles

Lyon sous le Consulat et l’Empire, Horace, Cardon, 2007.


AA de Louis-le-Grand Pères du Sacré-Cœur
régénération défendu par la Révolution. 1762 Le père Delpuits : (Pères de la foi) *
congrégation mariale 1794

sous l’Empire, les sociétés secrètes de séminaristes


Dans le camp adverse, Chateaubriand des jeunes gens
démissionna de son poste diplomatique AA de St-Sulpice 1801 Les Chevaliers de la foi *

et de jeunes gens à Lyon et Paris, in R. Zins,


(Rateau)
Pages- 1783
84-85 : Les prisons d’État (décret du 3(Bertier
mars de1810)
Sauvigny…)
après l’exécution du duc d’Enghien. 1810
À partir de 1810 et des lois de haute Lyon : congrégation
St-Sulpice : une AA de des jeunes gens
police, la répression se durcit. Les per- séminaristes en philosophie (Benoît Coste, Berthaud Chambéry/Annecy :
du Coin…) - 1801 une AA (Billiet, Rey Thomas)
sonnalités les plus en vue qui n’avaient (Mioland, d’Arbou…)
1805-1806
pas quitté le territoire furent éloignées AA Groupements clandestins
Turin : une AA
de la capitale. Plus de deux mille sus- d’anciens élèves (B. Lanteri)
Lyon/St-Irénée : de collèges religieux
pects, considérés comme dangereux, les amis du Cordon : * Congrégations religieuses
furent internés sans jugement dans des une AA probable clandestines Savone : le pape
(Royer, Maréchal, Mioland…) Correspondance avérée en résidence surveillée
prisons d’État.

MADAME DE STAËL, DIX ANS D’EXIL (1803-1813) Un exil engagé


Alors qu’elle
bénéficie déjà
Abo d’une très solide
Oslo St-Pétersbourg
Novgorod réputation, Germaine
Stockholm Mer de Staël voit son
Mer
B a l t i q ue 1812 ouvrage, De
du
ROYAUME Pages 84-85 : Les réseauxMoscou l’Allemagne, censuré
congrégationnistes Lyon-Paris
Nord DE SUÈDE et saisi en 1810 par
ROYAUME Toula la police impériale
DE DANEMARK Copenhague EMPIRE (l’ouvrage ne sera
DE Orel publié qu’en 1814).
R OYAU M E - U N I
ROYAU M E DE P RUSSE Elle est condamnée
Hambourg RUSSIE Koursk
1813 1804 à de longues années
Londres Berlin GRAND- Varsovie d’exil. Espérant
Amsterdam DUCHÉ
CONFÉDÉRATION
DE VARSOVIE
rallier l’Angleterre,
Manche DU RHIN
Kiev elle est finalement
1803 Weimar
Rouen Maffliers Lanzut contrainte de passer
Francfort Prague
Acosta Paris Lemberg par la Russie et
Metz séjourne à Saint-
1807 Auxerre Brünn
Blois Salzbourg Vienne Pétersbourg où elle
1810 SUISSE 1807 Budapest rencontre le baron
Coppet Innsbruck von Stein, autre
E M P I R E D ’A U T R I C H E
Aix-les-Bains fervent opposant de
E M P I R E 1811 Milan ROY. Venise Mer Napoléon. Elle
D’ITALIE Belgrade Bucarest No i re parvient à se réfugier
F RA N Ç AI S
Florence à Stockholm, auprès
ROYAUME
D’ESPAGNE Sofia de Bernadotte,
devenu Charles XIV
1806 E M P I R E O T T O M A N Istanbul
Déplacements Rome de Suède, d’où elle
de Mme de Staël ROYAUME appelle au rassem­-
Lieu de résidence ROYAUME Naples DE NAPLES blement du « monde
principale
DE SARDAIGNE M e r
libre » contre
Principales Égée « l’ennemi du genre
Mer ROYAUME
villes-étapes M é d i t e rrané e DE SICILE Athènes 500 km humain ».

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 85 14/01/2022 09:02


86

L’Europe du congrès de Vienne


L’ordre européen instauré par la paix de Westphalie (1648), fondé sur le principe de patrimonialité
dynastique, s’est effondré. Les adversaires de Napoléon pensent restaurer cet ordre perdu autour
du principe de légitimité, lors du congrès de Vienne. Mais les soulèvements populaires et le
principe des nationalités sont de puissants ferments déstabilisateurs. L’épisode des Cent-Jours
relativise cette tentative de restauration de l’Ancien Régime européen.

De l’Empire européen approuvé, qui fait de Napoléon le res-


à l’Empire-nation ponsable majeur de la poursuite de la
Après la « bataille des Nations », à guerre. Les législateurs sont les inter-
Territoires nouvellement
Leipzig (16 au 19 octobre 1813), l’Eu- prètes de la profonde lassitude de l’opi- acquis ou récupérés par
rope napoléonienne se délite avec une nion publique, qui aspire à la paix et à la Prusse
extrême rapidité. Les régiments saxons la monarchie libérale. Napoléon ajourne l’Autriche
ont donné le signal de la défection le Corps législatif et organise l’ultime
la Russie
des Allemands. Les Russes occupent effort de guerre des premiers mois de
la Suède
le duché de Varsovie. Des insurrec- 1814, effort miné par les défections et
les Deux Siciles
tions populaires se développent un l’infériorité numérique. Le Sénat y met
le Piémont-Sardaigne ROYA
peu partout. La Confédération du Rhin un terme, en votant la déchéance de Dublin
l’Espagne
est dissoute en novembre 1813. Les Napoléon le 2 avril 1814.
la Confédération
Hollandais s’engagent à leur tour dans helvétique
une insurrection libérale antifrançaise. Le congrès de Vienne
Territoires désormais
La Confédération helvétique dénonce Quatre-vingt dix États européens indépendants
l’Acte de médiation et autorise le pas- constitués se réunissent dans la capi- Frontière
sage des troupes autrichiennes. Genève tale autrichienne, à partir du 1er octobre de la Confédération
germanique M
est occupée en décembre 1813. 1814, sous la présidence du chancelier
Dans les départements belges, le refus Metternich. Mais le véritable pivot est
de l’impôt et de la conscription est le tsar Alexandre, bien davantage que
général. Un gouvernement contrôlé par Talleyrand, à l’action duquel on réduit OCÉAN Nan
les Prussiens s’installe en mars 1814, trop souvent les péripéties des négo-
ATL ANTIQUE
puis la Belgique est placée sous la ciations entre les grandes puissances
tutelle de la maison d’Orange restaurée. et les petits États. Les différends
En janvier 1814, en Italie, Murat tente portent sur l’avenir de la Pologne et de
de jouer sa carte personnelle en uni- la Saxe, et sur le sort de Murat, tou- Bordeau
fiant la péninsule sous son contrôle. jours roi de Naples.
C’est une aventure sans lendemain, L’effondrement rapide du gouverne-
ROYAUME
mais il peut provisoirement conserver ment de Louis XVIII et le retour de
Èb

son trône, tandis qu’Eugène résiste Napoléon en mars 1814 soudent les ROYAUME D’ESPAGNE
re

Sar
pendant quelques mois au nord. protagonistes autour du refus d’enta-
Madrid
L’Empire est réduit à la portion initiale mer des négociations avec le régime DU
Lisbonne Tage
du territoire, à la « Nation » dans ses impérial libéral. L’ambiance de mobili-
frontières de 1792. Comme à cette sation patriotique en France et le renou- PORTUGAL Va
Cordoue
époque, la guerre est patriotique, pour veau des symboles de 1793 mènent
la défense du territoire légué par l’His- les congressistes à une condamnation Séville
toire. Napoléon a repoussé, à la fin de sans appel de la Révolution et à la réaf- Carthag
1813, les offres de négociation des firmation du principe de légitimité. Il
coalisés sur la base des frontières telles s’agit d’un pacte de garantie mutuelle
qu’elles étaient établies en 1801. Il solli- des gouvernements installés, à condi- Rabat
cite l’appui des assemblées pour cette tion qu’ils ne soient pas le produit d’une
politique de salut public ; le Corps légis- insurrection populaire. Le document
250 km
latif rédige un rapport, très largement final est signé le 9 juin 1815.

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 86 14/01/2022 09:02 Page


L’EUROPE DU REFUS • 87

Les Bourbons sont restaurés à Madrid, l’orbite russe. L’Angleterre fait pression présenté « dans le souhait de conso-
à Naples, à Paris. La France est rame- pour l’instauration du royaume unifié lider, en maintenant inviolée l’auto-
née à ses frontières de 1790. Les ter- de Belgique et des Pays-Bas. rité royale », entérine la disparition de
ritoires allemands sont partagés entre Le nouvel équilibre européen de l’Empire. La France perd, au profit de
la Prusse qui s’étend vers l’ouest en Vienne tourne le dos aux aspirations la Prusse et des Pays-Bas, Landau,
annexant la Westphalie, l’Autriche nationales et libérales qui s’expriment Sarrebruck et Sarrelouis, Bouillon,
qui rétablit son influence sur l’Ita- en Italie, en Allemagne, en Pologne, Philippeville et Mariembourg, ainsi que
lie du Nord, et une nébuleuse appe- en Espagne. L’Angleterre, la Russie, les conquêtes territoriales des armées
lée « Confédération germanique ». l’Autriche et la Prusse concluent en révolutionnaires entre 1790 et 1792. En
Le royaume de Piémont-Sardaigne, novembre 1815 un pacte d’alliance outre, elle doit payer 700 millions de
restauré, annexe la Ligurie. Le pape qui déclenche une action commune francs d’indemnités et entretenir une
Pie VII a retrouvé sa puissance tem- contre tout mouvement révolution- armée alliée d’occupation de 150 000
porelle avec les États pontificaux. La naire en France et en Europe. Signé le soldats sur les territoires frontaliers du
Pologne et la Finlande tombent dans 10 novembre 1815, le traité de Paris, pays pour une durée de cinq ans.

LES TRANSFERTS DE SOUVERAINETÉ EN EUROPE APRÈS LE CONGRÈS DE VIENNE (1815)

St-Pétersbourg
Christiana
NORVÈGE Stockholm

Volga
Moscou
Glasgow Mer ROYAUME
du DE SUÈDE
Mer Dvina
ROYAUME - UNI Nord ROYAUME
Copenhague Baltique
Dublin DE DANEMARK

Dantzig Minsk EMPIRE


PRUSSE Niém
en
Hambourg DE

Dn
Weser

iep
Brême RUSSIE
Amsterdam
r
Berlin Poznan
Londres Varsovie
Provinces-
Unies ROYAUME
Manche Bruxelles Cologne Leipzig Kiev
Elb Od DU CONGRÈS
e er le
Rhin

CONFÉDÉRATION tu
Vis
Se Tarnopol
ine GERMANIQUE Prague Cracovie
Paris
Da
Nantes Stuttgart nu
Strasbourg be Dnie
Loire Vienne str
Munich
Neuchâtel Budapest
Confédération Odessa
FRANC E helvétique EMPIRE
Lyon D ’A U T R I C H E
Valais
Bordeaux Milan Venise Zagreb
Turin
e

Piémont/ Parme Pô
Rhôn

Bucarest M e r
Toulouse Gênes Modène
Gênes Belgrade
E Mer No i re
Lucques Florence
Marseille Grand-duché Danube
Èb

E
re

Saragosse de Toscane États


du pape Sofia
Catalogne Piombino Adriatique Monténégro
Corse (Tosc.) EMPIRE
Barcelone Rome O T T O M A N Istanbul
Ankara
Valence ROYAUME Naples ROYAUME
DE PIÉMONT-
Baléares SARDAIGNE Mer
Corfou Mer
Cagliari Tyrrhénienne DES
Carthagène M er Égée Izmir
Mer
Palerme Athènes
Ionienne
Alger DEUX SICILES
Tunis
M é d i t e r ra n é e
Malte Source : P. G. Dwyer,
Crète
Napoleon and Europe,
Longmann, 2001.

Pages 86-87 : Les transferts de 2022-BAT3.indd


01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE souveraineté en
87 Europe après le congrès de Vienne (1815) 14/01/2022 09:02
88

Traces d’Empire
Plus qu’une simple mémoire ou mythologie entretenue par les anciens combattants, la légende
impériale se forge durant tout le XIXe siècle par le biais de traces laissées par les différents
serviteurs du régime : des ingénieurs aux militaires, des artistes aux archivistes, tous sont porteurs
d’héritages divers, voire opposés, à l’image finalement du projet politique, complexe et souvent
paradoxal, incarné par Napoléon Bonaparte entre 1800 et 1815.

Inscriptions matérielles et dans leurs dépôts d’origine. En France, matérielles laissées par le travail des
spatiales de l’Empire ces collections ont en effet subi des bibliographes, des artistes et des archi-
À partir de 1815, une large partie des reclassements, des restaurations, des vistes au service de l’Empire. Ailleurs,
archives, des bibliothèques et des modifications qui, loin d’être immé- des ingénieurs, dans la continuité des
collections d’art confisquées par les diatement et totalement détruites par projets bonapartistes, sont à l’origine
armées et les administrateurs français leurs nouveaux propriétaires, consti- d’importants chantiers.
depuis le Directoire sont réinstallées tuent, après 1815, autant de traces Le projet de relier la mer Méditerranée
à la mer Rouge est repris lors de l’ex-
pédition d’Égypte. Plusieurs savants
UN NOUVEAU CHAMP DE BATAILLE : L’AMÉRIQUE LATINE
de l’Institut du Caire et ingénieurs
des Ponts et Chaussées sont chargés
Ligne du traité de 1819 Soulèvements de 1810-1814 d’étudier les possibilités de creuser
entre l’Espagne et les États-Unis
Juntes libérales
et autonomistes l’isthme de Suez. À partir de 1820, l’en-
ÉTATS-UNIS
Gouvernement treprise est portée par des membres
insurrectionnel du courant saint-simonien : un projet
Floride de Morelos (1813)
Golfe Tro piq ue
MEXIQUE
du Mexique du Ca nc er Restauration du régime de canal est présenté aux Égyptiens en
1821
HAÏTI SAINT-DOMINGUE espagnol (1815) 1833 par Prosper Enfantin, ingénieur
Honduras 1804 1821
Mexico brit. et économiste français, qui fonde la
Porto Rico (Esp.)
Acapulco HONDURAS Société d’études pour le canal de Suez
1821 Mer des Caraïbes
GUATEMALA Côte des Caracas 1810 en 1846. Au début des années 1860,
Mosquitos
SALVADOR OCÉAN
1821 NICARAGUA
(Brit.) Maracaibo avec le soutien des autorités égyp-
(1823) Angostura ATL A N TI QUE
COSTA RICA
1817 Guyanes tiennes et de Napoléon III, les travaux
Pantano de Vargas Carabobo (Brit.)
1819 Bogotá 1821 (Holl.) (Fr.)
d’aménagement du canal s’accélèrent.
Boyacá VENEZUELA Éq ua te ur
1822 Bomboná 1819 Le chantier devient alors un objet de
1822 Pichincha 1811
COLOMBIE tension entre les empires français et
1810 zone
Galapagos Quito 1813 Ama
Guayaquil ÉQUATEUR anglais.
Pernambuco
O CÉAN 1809 (Recife)
PACIFIQUE PÉROU
1821
Les vétérans, entre les prisons
Junín 1824 BRÉSIL russes et les croisades
Soulèvements de 1816-1824 Lima Ayacucho 1824 1822
Congrès
1821 libérales
La Paz
Soulèvement de 1817 BOLIVIE Favorisées par la fragilité du pouvoir
Victoires des insurgés 1825 de Joseph Bonaparte à Madrid, les
Campagne de San PARAGUAY Rio de Janeiro
guerres d’indépendance en Amérique
Martín (1817-1821) Tucumán 1811 Trop ique
1816 Asunción 1810 du Cap rico rne du Sud ont débuté avant la chute de
Campagne de Bolívar
(1817-1824) Chacabuco CHILI l’Empire en 1815. Dès les premiers

1817 1818
Para

1821 Date d’indépendance Río URUGUAY combats, elles ont attiré plusieurs
de fait Valparaíso de la Plata 1828
centaines d’anciens officiers napo-
Champ d’Asile (1819) Santiago Maipú 1818 Montevideo
1810 Buenos Aires 1810 léoniens. Ce sont plus de mille cinq
Arrivée d’officiers ARGENTINE
napoléoniens 1816 cents vétérans de la Grande Armée
Grande Colombie qui ont participé aux combats de l’in-
ie

(1819-1830) Chiloé
on

Provinces unies dépendance latino-américaine entre


tag

d’Amérique centrale Source : W. Bruyères-Ostells,


La Grande Armée de la liberté, 1810 et 1835 : 280 au Mexique et en
Pa

(1824-1839) 1 000 km Tallandier, 2009. Amérique centrale, 800 en Colombie

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 88 14/01/2022 09:02


L’EUROPE DU REFUS • 89

et au Venezuela, 200 au Brésil, 400 au et un lopin de terre ; puis ce sont les comportèrent comme une élite tech-
Chili-Argentine-Pérou. artisans et ouvriers de métier qui se nicienne structurée par le service de
En rupture avec le régime de la voient offrir le même statut. Un quart l’État, quel que soit le poste occupé.
Restauration, ces derniers viennent des Français prisonniers deviennent
combattre en faveur de la liberté et ainsi sujets du tsar (20 000 environ). La mazurka de Dabrowski
rechercher de nouvelles opportuni- En 1837, 1 500 vétérans de la Grande « La Pologne n’a pas encore disparu, /
tés de carrière que ne peut plus leur Armée étaient installés à Moscou. Tant que nous vivons / Ce que l’étranger
offrir l’armée française, en très forte nous a pris de force, / Nous le repren-
réduction d’effectifs. Il faut donc tenir Les destins des élèves-officiers drons par le sabre. / Marche, marche
compte, tant des motivations poli- de l’École militaire de Modène Dombrowski, / De la terre italienne
tiques (la haine de l’Espagne et de Sur 171 élèves admis à l’École mili- vers la Pologne ; / Sous ta direction, /
l’absolutisme) que des considérations taire de Modène entre 1801 et 1814, Nous nous unirons avec la nation /
personnelles (la quête de la gloire et le 54 passent au service du duché de Nous passerons la Vistule, nous passe-
goût de l’aventure). Si certains d’entre Modène ou de l’Autriche après 1815 ; rons la Warta, / Nous serons polonais. /
eux rejoignent les États-Unis, d’autres 46 se retirent dans la vie privée (occu- Bonaparte nous a donné l’exemple, /
s’engagent directement aux côtés pant des emplois civils de techni- Comment nous devons vaincre. »
de libertadores. Ainsi, alors qu’en ciens), 2 refusent la pension accordée Composé par le poète Józef Wybicki
Nouvelle Grenade, Simon Bolivar par l’Autriche et 5 partent en exil. Les durant la campagne d’Italie en 1797,
connaît des revers importants, il peut autres n’ont pas fait une carrière mili- l’hymne national polonais est le seul
progressivement s’appuyer, à partir de taire, mais civile : ingénieurs, entrepre- à faire mention, aujourd’hui encore,
1815, sur une filière particulièrement neurs, enseignants. du nom de Bonaparte. Ce chant fut
efficace qui lui permet de recruter des La participation aux événements du d’abord intitulé « Chant des légions
soldats expérimentés, en particulier Risorgimento fut minoritaire : 3 prirent polonaises en Italie », en l’honneur
des Allemands licenciés du service part à la révolution libérale de 1821, des légions créées au lendemain du
français et regroupés sous les ordres 10 aux mouvements de 1830, 8 aux troisième partage de la Pologne en
du capitaine Georges Elsam. Intégrés journées révolutionnaires de 1848. 1795. Sous la conduite de Jan Henrik
dans les sociétés du sous-continent Deux vécurent suffisamment long- Dabrowski, nommé général en 1797
américain, ces hommes contribuent à temps pour connaître l’unité italienne après s’être distingué à la bataille de
la lutte en faveur de la cause patrio- de 1859. Novi, une des légions est intégrée à
tique et parviennent souvent à relancer Malgré ces engagements politiques l’armée d’Italie. Cette légion entre à
leur carrière dans leur pays d’accueil. divers, les anciens élèves-officiers se Rome en mai 1798 et à Naples en 1799.
À partir de 1823, l’Espagne devient le
champ de bataille entre les conser-
vateurs, mobilisés en faveur du réta- LA GRÈCE, REFUGE DES LIBÉRAUX POURCHASSÉS
blissement de Ferdinand VII dans ses Mer
Andrinople (Edirne) Noire
prérogatives, et de nombreux vétérans Arrivée des
philhellènes 1829 Constantinople
napoléoniens qui se rangent du côté
Combats Alexandroupolis Bosphore
des libéraux, formant le plus sou- Mer
Traité Salonique de Marmara
vent les cadres des régiments fran-
Congrès
çais qui prennent part aux combats
s
lle
ne
a

en Catalogne ou au Pays basque. La


rd

Lemnos
Da

répression qui s’engage contre les


EMPIRE
libéraux oblige ces derniers à prendre Corfou
Mytilène
la fuite et à rejoindre le champ de Sporades OTTOMAN
du Nord Lesbos
bataille ouvert, dès 1821, en Grèce. Leucade
1826
Certains officiers libéraux y voient un Missolonghi Eubée Mer 1828
Céphalonie Chios Smyrne
Patras É g é e Chios (massacres de 1822)
refuge hors d’atteinte des polices euro- 1821
péennes, voire un nouveau front pour Zante Corinthe Athènes Andros
La Grande Armée de la liberté, Tallandier, 2009.

Sámos
Péloponnès e Le Pirée
poursuivre leur combat politique. Mais Nauplie Épidaure
Mer
tous les vétérans ne participent pas à (1825) 1822
Ionienne Náxos
ces aventures. Navarin Kalamata
Cyclades
En Russie, le nombre des prisonniers 1827 1821
Source : W. Bruyères-Ostells,

Dodécanèse
de guerre oscille entre 150 000 et
Cythère
200 000. La moitié seulement survivra. Rhodes

En juillet 1813, un oukase impérial offre Mer Khárpathos


à ces survivants, d’origine paysanne, Méditerranée Iraklion
la possibilité d’opter pour le statut de C rèt e
100 km
« colons étrangers », avec des aides

01-96-AtlasEmpireNapoleon-Maq3-NE 2022-BAT3.indd 89 14/01/2022 09:02


90

EN CONCLUSION
L’Europe du refus
L’aventure militaire, de plus en plus
étendue, contribue à provoquer des
rencontres inattendues, supports
d’appréhensions, de craintes et de
fantasmes alimentés par les stéréotypes
construits de longue date sur les différents
peuples. Aux marges orientales et
méridionales de l’Europe, les soldats
français, hollandais, belges ou allemands
ont l’impression d’entrer dans des pays
pauvres, arriérés et dangereux, dont les
populations ne sauraient prétendre au
statut de civilisé. Confronté à la guérilla
espagnole, un soldat d’un régiment
westphalien n’aura ainsi de cesse dans
son journal de dénoncer les « barbares ».
Réintégrés dans la vie civile, de nombreux
vétérans prendront la plume autant
pour construire la mémoire glorieuse
de l’épopée militaire bonapartiste que
pour en rappeler les souffrances.

Pour les populations des territoires


conquis ou simplement traversés,
la rencontre avec des armées plus
nombreuses, plus jeunes et parlant
des langues différentes, constitue souvent
un véritable traumatisme : les soldats,
vivant grâce aux réquisitions, apparaissent
à leur tour comme de véritables brigands
et barbares.

Dans les conditions extrêmes d’une


guerre affectant progressivement l’Europe
entière, les confrontations entre civils
et militaires constituent autant de terrains
d’expériences et de rencontres à partir
desquels se forgent les imaginaires
nationaux et transnationaux du XIXe siècle.

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CONCLUSION • 91

Conclusion

D ans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon se


présentait comme le champion de la cause natio-
nale : « L’on compte en Europe plus de trente millions de
l’Europe romantique qui s’ébauche. Et c’est bien cette
image que les vétérans de l’épopée napoléonienne vont
transmettre aux quatre coins d’un monde en mutation,
Français, quinze millions d’Espagnols, quinze millions assimilant Napoléon et l’Europe libérale. Libéralisme poli-
d’Italiens, trente millions d’Allemands ; j’aurais voulu tique, comme on le voit avec le respect formel du suffrage
faire de chacun de ces peuples un seul et même corps ou avec la sécularisation de la société civile ; mais aussi
de nation. » libéralisme économique, qui fut bien l’horizon intellectuel
des gestionnaires impériaux.
Celui qui fut toujours plus que réticent à la création d’un
État unitaire italien capable de rivaliser un jour avec la La pratique quotidienne et l’évolution de l’Empire furent
France ; celui encore qui fédéra contre lui les peuples de toutefois en contradiction avec cette orientation libérale,
l’Espagne et de l’Allemagne, put encore, de son lointain prenant l’aspect d’un régime de plus en plus policier, don-
exil tropical, se faire le prophète de l’Union européenne : nant chaque jour davantage de gages à ceux qui assimilent
« Peut-être devenait-il permis de rêver pour la grande émancipation et anarchie, qui prônent la restauration des
famille européenne l’application du congrès américain ou hiérarchies « naturelles » et des corps traditionnels. Une
celle des amphictyonies de la Grèce… Cette agglomération succession de malentendus tragiques se produit avec les
arrivera tôt ou tard par la force des choses ; l’impulsion est peuples voisins, ruinés par les taxes protectionnistes et les
donnée et je ne pense pas qu’après ma chute, il y ait en réquisitions militaires, désorientés par des réformes impo-
Europe d’autre grand équilibre possible que l’aggloméra- sées sans concertation et le départ contraint des jeunes
tion et la confédération des grands peuples. » mâles. Les gestionnaires impériaux, tant civils que mili-
taires, ne voient plus dans ces populations exaspérées que
Il pose indéniablement une formidable bombe à retarde- des sauvages à dresser, et non des humains à éduquer. Les
ment susceptible de ruiner le laborieux édifice de la Sainte- malheureux civils espagnols, calabrais, ou tyroliens, de leur
Alliance, construit sur la Tradition et une interprétation de côté, ne voient plus dans « le Français », forcément athée
la Liberté, ou plutôt des libertés garanties par les hiérar- et forcément tyrannique, qu’une réincarnation des diables
chies et les appartenances. C’est autour du contenu de de l’Enfer qu’ils contemplent depuis des générations aux
cette aspiration à la liberté que se joue le grand malen- tympans de leurs églises.
tendu qui va dominer l’histoire du XIXe siècle. Bonaparte,
renouant avec ses prises de position défendues pendant la Ce n’est donc pas sans gêne que les contemporains les
Révolution française, se présente en héritier des Lumières, plus admiratifs de l’énergie de Bonaparte, mais conscients
en champion de la cause du libéralisme, résolument tour- de ces contradictions, comme Bolivar, pouvaient évoquer
née vers l’avenir, et non vers le passé, émancipant l’indi- sa mémoire : « Je dois cacher et changer mon opinion pour
vidu de ses attaches et de ses tutelles. Il s’inscrit de plain- éviter que se répande l’idée que ma politique est l’imitation
pied en protagoniste du mouvement de l’Histoire dans de celle de Napoléon. »

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92

Chronologie de l’Europe
napoléonienne (1799-1815)
Si cet ouvrage porte sur la période impériale, les auteurs ont fait le choix de faire débuter
cette chronologie à la prise de pouvoir de Bonaparte et à la mise en place du Consulat,
mise en perspective nécessaire pour comprendre les diverses mutations de l’Empire.

1799-1803 20 mai 1802 Rétablissement de 2 décembre 1804 Couronnement et


l’esclavage aux colonies et de la traite sacre de Napoléon à Notre-Dame.
9-10 novembre 1799 (18-19 brumaire
des Noirs. 20 décembre 1804 David est nommé
an VIII) Coup d’État qui renverse
le Directoire. 11 septembre 1802 Réunion du Piémont premier peintre de l’Empereur.
à la France. 9 mars 1805 Création du Bureau de
12 décembre 1799 Bonaparte,
Sieyès et Ducos consuls. 30 septembre 1802 Bonaparte impose la presse pour la surveillance des
à la Suisse une médiation qui met un publications et des représentations.
7 février 1800 Résultats du plébiscite terme à la guerre civile.
qui entérine la Constitution de l’an VIII. 26 mai 1805 Napoléon est couronné
18 octobre 1802 Suppression du jury roi d’Italie à Milan.
17 février 1800 (28 pluviôse an VIII) dans les tribunaux. 4 juin 1805 Rattachement de Gênes
Institution des préfets. 19 novembre 1802 Vivant Denon et de la Ligurie.
14 juin 1800 Victoire de Marengo, qui directeur général du musée du Louvre.
21 octobre 1805 Bataille de Trafalgar.
restaure la présence française en Italie. 24 décembre 1802 Reconstitution
des chambres de commerce. 2 décembre 1805 Bataille d’Austerlitz.
19 octobre 1800 Départ du Havre de
l’expédition maritime du capitaine 19 février 1803 Acte de médiation 26 décembre 1805 Traité de Presbourg.
Baudin. de la Confédération helvétique.
3 décembre 1800 La victoire de Moreau 28 mars 1803 Création du franc germinal. 1806-1808
à Hohenlinden contraint l’Autriche 3 mai 1803 Vente de la Louisiane 1er janvier 1806 Le Code civil est appliqué
à entamer des négociations de paix. au gouvernement des États-Unis. dans le royaume d’Italie. Le calendrier
9 février 1801 Paix de Lunéville avec grégorien est rétabli dans l’Empire.
16 mai 1803 L’Angleterre reprend
l’Autriche. Les limites de la France sont les hostilités. 15 février 1806 Joseph, roi de Naples.
celles des frontières naturelles.
19 novembre 1803 Capitulation du corps 18 février 1806 Commande de l’arc de
16 juillet 1801 Signature du Concordat. expéditionnaire à Saint-Domingue. triomphe de l’Étoile à Jean-François
Chalgrin (terminé par Jean-Armand
14 décembre 1801 Le corps 1er décembre 1803 Rétablissement
Raymond).
expéditionnaire de Leclerc embarque du livret ouvrier.
pour Saint-Domingue. 22 février 1806 Décret qui ferme les ports
1804-1806 français aux produits anglais.
21 janvier 1802 Réunion de la Consulte
cisalpine à Lyon pour donner une 1er janvier 1804 Proclamation de 18 mars 1806 Création des conseils
Constitution à la République italienne. l’indépendance de l’État d’Haïti. de prud’hommes.
18 mars 1802 Épuration du Tribunat. 21 mars 1804 Adoption définitive 4 avril 1806 Publication du Catéchisme
du Code civil des Français. Exécution impérial.
25 mars 1802 Paix d’Amiens avec
l’Angleterre. du duc d’Enghien. 22 avril 1806 Un gouverneur nommé
18 mai 1804 Un sénatus-consulte à la tête de la Banque de France.
8 avril 1802 Réglementation des cultes
proclame Bonaparte empereur des 10 mai 1806 Fondation de l’Université
protestants.
Français. impériale (monopole de l’enseignement
1er mai 1802 Loi sur l’instruction publique. 19 mai 1804 Création de dix-huit le 17 septembre 1808).
Création des lycées, de l’école militaire maréchaux d’Empire. 8 juin 1806 Décret qui supprime plusieurs
de Saint-Cyr. théâtres à Paris.
3 juin 1804 Une société de vaccination
10 mai 1802 Un plébiscite entérine antivariolique est créée dans chaque 20 juin 1806 Oberkampf reçoit la Légion
le Consulat à vie. département. d’honneur.
19 mai 1802 Institution de la Légion 2 août 1804 Un plébiscite approuve 12 juillet 1806 Création de la
d’honneur. la création de l’Empire. Confédération du Rhin.

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ANNEXES • 93

2 août 1806 Abolition du régime féodal 4 décembre 1808 Napoléon à Madrid. 28 août 1811 Création d’un Conseil
dans le royaume de Naples. Suppression des droits féodaux et de des subsistances pour faire face
14 août 1806 Création des majorats. l’Inquisition, réduction du nombre de à la crise alimentaire.
couvents. 15 novembre 1811 Un petit séminaire
26 septembre 1806 Ouverture de
l’Exposition industrielle de Paris. 12 décembre 1808 Abolition du servage est autorisé par département.
et des corvées dans le grand-duché 2 mars 1812 Graves troubles
14 octobre 1806 Batailles de Iéna et
de Berg. de subsistances à Caen.
d’Auerstaedt.
21 novembre 1806 Décret de Berlin 18 mars 1812 Constitution libérale
1809-1812 de Cadix.
qui organise le blocus continental.
1er janvier 1809 Le Code civil est mis en 4-8 mai 1812 Décrets contre
10 décembre 1806 Réunion du Grand
vigueur dans le royaume de Naples. l’accaparement et le maximum
Sanhédrin pour l’adoption d’un statut
du prix du grain.
civil des juifs. 12 janvier 1809 Capitulation de Victor
Hugues à Cayenne. 24 juin 1812 Début de la campagne
2 mars 1807 Décret sur le statut des juifs.
de Russie.
22 juillet 1807 Création du grand-duché 30 janvier 1809 Prise de la Martinique
par les Anglais. L’exportation des fils 24 septembre 1812 De Stockholm,
de Varsovie.
de coton est autorisée en France. Mme de Staël appelle à une croisade
29 juillet 1807 Le nombre de théâtres du « monde libre » contre « l’ennemi
à Paris est réduit à huit. 9 avril 1809 Début de l’insurrection du genre humain ».
du Tyrol.
16 août 1807 Jérôme, roi de Westphalie. 22-23 octobre 1812 Coup d’État manqué
6 juillet 1809 Bataille de Wagram. du général Malet à Paris.
19 août 1807 Suppression du Tribunat.
Arrestation du pape.
11 septembre 1807 Publication du 18 décembre 1812 Napoléon est
7 juillet 1809 Capitulation de la garnison de retour à Paris.
Code du commerce.
française de Santo-Domingo.
15 septembre 1807 Création du cadastre
15 décembre 1809 Un sénatus-consulte 1813-1815
napoléonien.
prononce le divorce de Napoléon. 9 février 1813 L’armée russe occupe
16 septembre 1807 Création de la
Cour des comptes. 30 janvier 1810 Capitulation de la le duché de Varsovie.
garnison française de la Guadeloupe. 16 février 1813 La Prusse décrète
21 septembre 1807 Publication du Création du domaine extraordinaire. la mobilisation générale.
dernier volume de la Décade
philosophique. 5 février 1810 Décret sur l’organisation 3 avril 1813 Levées exceptionnelles de
de la librairie. conscrits et mobilisation des gardes
13 octobre 1807 Décret de Fontainebleau
17 février 1810 Annexion de Rome et des nationaux. Début de la campagne
qui durcit les dispositions du blocus
États pontificaux. d’Allemagne.
continental.
20 février 1810 Andreas Hofer, chef 21 juin 1813 Défaite française à Vitoria,
19 novembre 1807 Le corps dans le Pays basque, devant Wellington.
expéditionnaire de Junot envahit de l’insurrection du Tyrol, est fusillé
le Portugal. à Mantoue. 18 octobre 1813 Bataille des Nations
3 mars 1810 Décret rétablissant les à Leipzig.
1er janvier 1808 Entrée en vigueur prisons d’État. 15 novembre 1813 Rappel de 150 000
du Code de commerce.
30 mars 1810 Promulgation du statut conscrits des levées antérieures.
1er mars 1808 Sénatus-consulte qui de l’École normale supérieure. 25 janvier 1814 Début de la campagne
organise la noblesse impériale. de France.
2 avril 1810 Mariage de Napoléon
7 mars 1808 Fontanes grand maître et de Marie-Louise aux Tuileries. 2 avril 1814 Le Sénat proclame
de l’Université. la déchéance de Napoléon.
7 juin 1810 Inauguration d’un Conseil
17 mars 1808 Décret organisant des fabriques et des manufactures. 4 avril 1814 Abdication de Napoléon.
l’Université impériale. Décret organisant 3 mai 1814 Louis XVIII fait son entrée à
9 juillet 1810 Réunion de la Hollande
le culte juif. Paris. C’est la première Restauration.
à l’Empire.
2 mai 1808 Soulèvement populaire de 30 mai 1814 Le traité de Paris ramène
15 août 1810 Inauguration de la colonne
Madrid contre la garnison française. la France à ses limites de 1792.
Vendôme.
3 mai 1808 Féroce répression du 24 septembre 1810 Interdiction 1er novembre 1814 Ouverture du congrès
soulèvement. de De l’Allemagne et exil de Germaine de Vienne.
4 juin 1808 Joseph, roi d’Espagne. de Staël. 1er mars 1815 Napoléon débarque
9 juin 1808 Découverte de la première 2 décembre 1810 Decaen capitule à Golfe-Juan, près de Fréjus.
conspiration du général Malet. devant les Anglais à l’île de France. 13 mars 1815 Le congrès de Vienne met
20 juin 1808 Le Code civil est appliqué 1er janvier 1811 Mise en vigueur Napoléon au ban de l’Europe.
dans le royaume de Naples. du Code pénal. 22 avril 1815 Promulgation de l’Acte
5 juillet 1808 Décret généralisant 4 février 1811 Suppression de tous les additionnel aux constitutions de l’Empire,
les ateliers de charité. journaux parisiens, sauf quatre. qui fonde un Empire libéral.
22 juillet 1808 Défaite française de Bailén 20 mars 1811 Naissance du roi de Rome. 1er juin 1815 Résultats du plébiscite
devant les Espagnols. qui entérine l’Acte additionnel.
25 avril 1811 Convocation à Paris du
21 août 1808 Défaite de Junot à Vimeiro, concile national des évêques français 9 juin 1815 Clôture du congrès de Vienne.
près de Lisbonne, devant Wellesley. et italiens. 18 juin 1815 Bataille de Waterloo.

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94

Bibliographie
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ANNEXES • 95

Bernard Bodinier et Éric Teyssier, Nadine Vivier, Propriété collective et Daniel Robert, Les Églises réformées
L’événement le plus important de identité communale. Les biens en France, 1800-1815, Strasbourg,
la Révolution. La vente des biens communaux en France (1750-1914), Oberlin, 1975.
nationaux (1789-1867) en France Paris, Publications de la Sorbonne,
et dans les territoires annexés, Paris, 1998.
Aspects militaires et coloniaux
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Yves Bénot, La Démence coloniale sous
en France pendant la Révolution et
Marie-Noëlle Bourguet, Déchiffrer la Napoléon, Paris, La Découverte, 1991.
l’Empire, Paris, EHESS, 1984.
France. La statistique départementale à
Jean-Paul Bertaud, Quand les enfants
l’époque napoléonienne, Paris, Éditions
Aspect culturels parlaient de gloire. L’armée au cœur de
des archives contemporaines, 1988.
la France de Napoléon, Paris, Aubier,
Nicolas Bourguinat, Les Grains du Jean-René Aymes, L’Espagne contre 2006.
désordre. L’État face aux violences Napoléon. La guerre d’indépendance
frumentaires dans la première moitié Pierre Brenda et Thierry Lentz,
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Jacques-Olivier Boudon, Napoléon
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France, tome 3, Paris, PUF, 1993 (réed.). France (1763-1830), Presses
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Hervé Drévillon, Bertrand Fonck, Michel
Jean-François Lemaire, La Médecine Roucaud (dir.), Guerres et armées
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napoléonienne, Paris, Nouveau Monde napoléoniennes. Nouveaux regards,
et érudition. Les sociétés savantes
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en France XIXe-XXe siècles, Paris,
Silvia Marzagali, Les Boulevards de la CTHS, 1995. Alan Forrest, Déserteurs et insoumis
fraude. Le négoce maritime et le blocus
Jean-Luc Chappey, La Société des sous la Révolution et l’Empire, Paris,
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le divorce, de l’Ancien Régime à la France coloniale, tome 1 : Des origines
Restauration, Paris, Aubier, 1990. Jean-Luc Chappey, Carole Christen et à 1914, Paris, Armand Colin, 1991.
Igor Moullier (dir.), Joseph-Marie de
Thierry Sarmant, Napoléon et Paris. Une Alexander Mikaberidze, Les Guerres
capitale pour l’Europe, Paris, Musée Gérando (1772-1842). Connaître et
réformer la société, Rennes, Presses napoléoniennes. Une histoire
Carnavalet, 2015. globale, Flammarion, 2020.
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Romuald Szramkiewicz, Les Régents
Ute Planert (ed.), Napoleon’s empire.
et censeurs de la banque de France Annie Jourdain, Napoléon, héros,
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nommés sous le Consulat et l’Empire, imperator, mécène, Paris, Aubier, 1998.
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2016.
Genève, Droz, 1974.
Alain Pillepich, Milan, capitale
Jean Tulard, Napoléon et la noblesse napoléonienne (1800-1814), Paris,
d’Empire, Paris, Tallandier, 2003 (réed.). Lettrage distribution, 2001.

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Derniers titres parus dans la collection « Atlas »

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Marcel Dorigny

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« La bonne politique est de faire croire
aux peuples qu’ils sont libres. »

J.-L. Chappey – B. Gainot


(Napoléon Bonaparte)

Les quelque 100 cartes et infographies aident à comprendre


une période charnière de l’histoire de France et de l’Europe,
depuis la construction de l’Empire jusqu’à son effondrement.

Atlas de l’empire
• Une analyse fine et contrastée du projet politique de Napoléon,
officiellement inspiré des Lumières mais bâti sur la conquête
et le contrôle autoritaire des populations.

1799-1815
• Les dynamiques démographiques, sociales, économiques
et culturelles : un état des lieux des grands bouleversements

napoléonien
de l’époque.
• Un héritage pérenne : création du Code civil, développement
des voies de communication, réformes de l’administration,
modernisation des villes, essor de Paris en capitale impériale…

Atlas de l’empire napoléonien


Plus de deux siècles après la chute de l’Empire, cet atlas dresse le juste
portrait d’une époque, au plus près des populations. 1799-1815

Jean-Luc Chappey est professeur d’histoire des sciences des périodes modernes
Vers une nouvelle civilisation européenne
et contemporaines (xviie -xixe siècles) à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Il dirige actuellement l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (UMR 8066).
Jean-Luc Chappey
Bernard Gainot est maître de conférences honoraire en histoire moderne à
l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, chercheur associé à l’Institut d’histoire Bernard Gainot
moderne et contemporaine (UMR 8066). Préface de Jean-Paul Bertaud
Fabrice Le Goff est géographe-cartographe indépendant.

Illustration de couverture :
ISSN : 1272-0151 Jacques-Louis David, L’empereur Napoléon
dans son bureau des Tuileries (détail),
huile sur toile, 1812, National Gallery of Art,
Washington
www.autrement.com © Bridgeman Images. TROISIÈME ÉDITION

9782080276902_AtlasEmpireNapoleonien_CouvHD Toutes les pages 19/01/2022 14:43

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