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ISSN 0151 0282 La nouvelle histoire de nos origines HORS-SÉRIE - N° 285 - décembre 2018

déc em br e 20 18 t rim es t r iel

285

D’OÙ VENONS-NOUS ?

HISTOIRE DE

POURQUOI ONT-ILS TOUS DISPARU ?


LA NOUVELLE
NOS ORIGINES

NEANDERTAL, DENISOVA, FLORES…


BEL : 6 € - ESP : 6 € - GR : 6 € - DOM S :
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HORS
SÉRIE
Une publication du groupe
Édito DÉ MB
285
2018

Président : Ernesto Mauri


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Une histoire sans


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DIRECTEUR ADMINISTRATIF ET FINANCIER
Hervé Godard Il y a 40 000 ans, Homo sapiens explorait la planète presque entière, ornait
FINANCE MANAGER
Renaud Terrade
ÉDITEUR de fresques les parois des grottes, taillait des pierres et chassait des
Mondadori Magazines France
Siège social : 8, rue François-Ory mammouths. Surtout, il côtoyait d’autres humanités : des dénisoviens
92543 Montrouge Cedex
D : Carmine Perna
A : Mondadori France SAS et des néandertaliens, dont on sait aujourd’hui qu’ils ont même échangé
I : Elcograf - Italie
N° ISSN : 1966-9437
N° de commission paritaire : 1020 K 79977 des gènes avec notre espèce. Il y a 40 000 ans, c’était il y a seulement…
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S&V Hors Série • 3


Sommaire285
HORS
SÉRIE LE TEMPS
DE LA TERRE
6 Les grandes ères qui font
l’histoire de la planète.

LE TEMPS
DE LA VIE
8 Les chemins évolutifs qui
ont mené aux différentes
espèces vivantes.
2

LE TEMPS
DES HUMAINS
E E

10 Toutes les espèces qui


R

ont participé à l’histoire


B

de la lignée humaine.
E M

D’OÙ VENONS-
D É C

NOUS ?
14 Sur la trace
de nos ancêtres
À chaque découverte, le portrait
des différentes espèces qui
ont participé à l’histoire de
l’humanité s’affine peu à peu.

36 La fin du berceau
unique
Homo sapiens n’est pas né en
Afrique de l’Est : il est apparu
en divers lieux d’Afrique, du
métissage de plusieurs groupes.

46 Pourquoi sapiens
est-il seul ?
De toutes les lignées humaines
qui ont existé, il ne subsiste
plus que la nôtre, Homo sapiens.
Recevez Science & Vie Qu’est-il donc arrivé aux autres ?

56
et ses Hors-Série
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4 • S&V Hors Série


OÙ ALLONS-NOUS ?
102 Notre espèce a-
t-elle fini d’évoluer ?
La médecine a rendu les
humains moins sensibles aux
pathologies, mais d’autres
facteurs d’adaptation existent.

110 Un monde qui


change trop vite ?
Notre environnement s’étant
transformé rapidement,
certains de nos instincts
ne sont plus du tout adaptés.

116 La diversité éclairée


par la génétique
Le séquençage du génome
humain a révélé une grande
diversité entre les individus.
Une réalité qui souligne
l’urgence de traitements
médicaux adaptés à chacun.

LES OUTILS DE LA PALÉONTOLOGIE


74 La prospection : 88 L’analyse ADN : faire
repérer les sites parler les génomes
fossilifères préhistoriques
La connaissance du climat Grâce aux progrès du
et de la géologie du passé séquençage, les chercheurs ont
permet d’orienter précisément accès aux génomes complets
la recherche des fossiles. de nos ancêtres. Une mine
d’informations sur l’histoire
80 Les fouilles : l’étape génétique des espèces.
clé du terrain 96 La reconstitution :
Mettre au jour des restes
anciens est un exercice redonner chair
éminemment délicat, qui exige à nos ancêtres
de la rigueur, mais aussi Les techniques d’imagerie
une bonne dose de créativité. médicale sont devenues un outil

84 La datation : l’art
indispensable de la recherche.
Non seulement elles rendent
de remonter le temps
SHUTTERSTOCK - F. VINKEN

aux fossiles leur apparence


Il existe diverses méthodes extérieure, mais elles en
pour estimer l’âge de fossiles, révèlent la structure interne.
dont l’emploi est souvent dicté
par les spécificités du terrain.

S&V Hors Série • 5


Le temps
Extinction
Permien-Trias

de la Terre
Le système solaire, et la Terre avec lui, s’est formé
voici 4,5 milliards d’années (Ga), soit un peu
plus de 9 milliards d’années après la naissance de 248 Ma
l’Univers. Assez vite (il y a 3,8 milliards d’années),
alors que la planète s’est couverte d’eau,
la vie apparaît, à l’état cellulaire. Des plaques
continentales se forment, qui se mettent à dériver,
changeant peu à peu la morphologie de la planète.
Il y a 2 milliards d’années, les premières cellules
à noyaux (eucaryotes) se forment, puis la vie
mien
se développe et se diversifie, surtout à partir r
du Cambrien (– 570 millions d’années). Pe
On sait aujourd’hui que l’histoire de la vie et celle
de la Terre sont imbriquées, qu’elles ont coévolué :
les êtres vivants ont façonné la Terre autant qu’elle
leur a permis d’apparaître et qu’elle a conditionné
leur environnement – et donc leur évolution.
Le développement de la vie jusqu’à aujourd’hui
est ainsi ponctué de cinq extinctions massives

e
ifèr
(il y a 438, 360, 248, 213 et 65 millions d’années),

bon
souvent liées aux humeurs de la planète
(volcanisme notamment), dont la dernière fit

Car
disparaître les dinosaures après 175 millions
d’années de règne. Les premiers primates
apparaissent il y a 60 millions d’années, et les
premiers hominines il y a 7 millions d’années. Extinction
À l’échelle de la Terre, c’était il y a quelques du Dévonien
poignées de secondes à peine. 360 Ma
PALÉOZOÏQUE
Dévonien

1,2 Ga :
premières
algues
400 Ma :
premières
plantes
terrestres
Columbia, – 1,8 Ga Pangée, – 200 Ma
Silu
enri

438 Ma
Or
do
vic
ien
Rodinia, – 800 Ma La Pangée disloquée, – 120 Ma

Extinction
Ordovicien-
Silurien

Pannotia, – 550 Ma Aujourd’hui

6 • S&V Hors Série


Extinction
Trias-Jurassique
240 Ma :
premiers
dinosaures
225 Ma :
premiers
mammifères

213 Ma
Trias

Jur
as
MÉ siq
SO ue
ZO
ÏQ
UE

2 Ga :
premiers
eucaryotes

Crét
acé

4,5 Ga :
formation
de la Terre
3,8 Ga : Extinction
apparition Crétacé-Tertiaire
de la vie 65 Ma

60 Ma :

Tertiaire

premiers
N

primates
OZOÏQU
N
RIE

E
B
AM
ÉC
PR

7 Ma :
-na ater

premiers
Qu
ire

hominines

Cambrien

570 Ma
B.BOURGEOIS

S&V Hors Série • 7


Champignons Mollusques

Bactéries
Protistes Vers

Éponges
Archées
Plantes Arthropodes

–20 Cnidaires Amphibiens


Premier 00 M
ancêtre a*
commun – 90
0M
a Poissons
– 70
L’homme 0M
a
est… un
– 60
eucaryote 0M
a
Au même titre
que les champi- – 35
gnons et les … un 0M
a
plantes, l’homme bilatérien
fait partie des Comme la plu- – 310
eucaryotes, Ma
part des animaux
des organismes (et à la différence – 177
constitués d’une des éponges ou … un Ma
ou de plusieurs des méduses), tétrapode
cellules, qui l’homme est
possèdent toutes À la différence
bilatérien : il des poissons
un noyau. présente une (vertébrés, eux
symétrie bilaté- aussi), les tétra-
… un rale, c’est-à-dire podes que nous
métazoaire un côté droit et sommes arborent
L’homme est un côté gauche. deux paires
en outre un de membres … un
métazoaire, ou et utilisent, amniote
plus simplement, … un
un animal : vertébré leune plus souvent, L’homme est un
respiration amniote, c’est-à-
un eucaryote L’homme se pulmonaire. dire un tétrapode
multicellulaire classe parmi les
hétérotrophe, bilatériens verté- dont l’œuf, abrité
c’est-à-dire brés, des animaux dans un utérus
se nourrissant munis d’un ou dans une
de constituants squelette osseux coquille, permet
organiques ou cartilagineux à l’embryon un
préexistants interne, et dont développement
(à la différence la colonne verté- en milieu aqueux
des plantes brale abrite le sans qu’il ne soit
ou des système nerveux pondu dans l’eau
champignons). central. D’autres (à la différence
bilatériens ont des grenouilles).
une carapace
(arthropodes),
une coquille
(mollusques), ou
sont dépourvus
de parties
dures (vers).

* Millions d’années

8 • S&V Hors Série


Oiseaux Le temps
Éléphants de la vie
Tous les êtres vivants ont un seul et même ancêtre
Crocodiles commun, apparu il y a environ 3,8 milliards
d’années. Les descendants de cet ancêtre ont
emprunté des chemins évolutifs différents,
Carnivores qui aboutissent à la foison d’espèces présentes
aujourd’hui sur terre. C’est la taxonomie, c’est-
Tortues à-dire la branche de la biologie qui regroupe les
espèces dans différentes catégories (ou « taxons »),
qui s’applique à classer et à décrire ces espèces.
Rongeurs L’une d’entre elle est Homo sapiens, qui, comme
indiqué ci-dessous, est défini comme un hominine,
Lézards les hominines faisant partie des homininés
(avec les chimpanzés, dont la branche s’est
séparée de la nôtre il y a 7 millions d’années), qui
sont des hominidés (comme les gorilles), donc
Lémuriens des hominoïdes (qui incluent les orangs-outans),
qui sont eux-mêmes membres du groupe des
primates. Si l’on remonte encore plus loin dans
Marsupiaux la classification, on peut dire que les primates sont
des euthériens, des mammifères, des amniotes,
Capucins des tétrapodes, des vertébrés, des bilatériens,
des métazoaires et, enfin, des eucaryotes dont
les premiers représentants furent directement
Monotrèmes engendrés par notre ancêtre commun universel !
Voici en résumé comment l’histoire du vivant
Babouins peut être retracée à partir de la taxonomie.

– 10
5M
a
– 74
… un Ma
mammifère – 30 Gibbons Orangs- Gorilles Chimpanzés
Contrairement Ma outans
aux autres
– 20
amniotes (lézards, … un Ma
oiseaux…), primate
les mammifères, – 16
dont nous faisons Parmi les euthé- Ma
partie, présentent riens, nous
des mamelles, un nous rangeons
cœur à 4 cavités, dans la catégorie … un –9 M
a
un système des primates : hominoïdé
des plantigrades Les hominoïdés –7 M
nerveux et a
encéphalique (animaux mar- rassemblent … un
développé, ainsi chant en posant les hominoïdes hominidé
qu’une tempé- … un toute la plante à l’exclusion Les pongidés
rature interne euthérien
du pied au sol) des gibbons. (orangs-outans) Hominine
constante. au cerveau … un Les seuls homi- se sont séparés … un
Les euthériens développé et hominoïde noïdés présents des autres
sont placentaires : dont le pouce Les hominoïdes sur Terre aujour- hominoïdés
homininé
ils accouchent est opposable. désignent d’hui sont les il y a environ Enfin, les
de juvéniles, l’ensemble orangs-outans, 16 millions d’an- représentants
à la différence des grands singes les gorilles, nées, laissant des lignées
des marsupiaux (les singes les chimpanzés les hommes, des chimpanzés
qui accouchent qui ne possèdent et les hommes. les gorilles et et des hommes
de larves ou pas de queue) les chimpanzés se sont séparés
des monotrèmes des gorilles il y a
B.BOURGEOIS

et les hommes. former la banche


(ornithorynque), des hominidés. 8 à 10 millions
qui pondent d’années, formant
des œufs. les homininés.
S&V Hors Série • 9
– 50 000 ANS

– 200 000 ANS

Les paranthropes
Également surnommés
« australopithèques
– 500 000 ANS
robustes », ils se situent
sur une branche sœur de
celle des australopithèques. Les australopithèques
Ils sont contemporains
des premiers représentants Ces hominines présentent
du genre Homo. à la fois des caractères archaïques
(notamment un petit cerveau) et
– 1 MILLION D’ANNÉES (Ma) modernes (l’aptitude à la bipédie,
par exemple). On y adjoint souvent
K. platyops, dont le genre fait
encore débat. Le plus célèbre sque-
lette d’australopithèque est celui
de Lucy, découvert en Éthiopie.
Australopithecus
sediba
– 2 Ma
Paranthropus Paranthropus
robustus boisei Australopithecus
garhi Homo
rudolfensis

Australopithecus
– 3 Ma Paranthropus prometheus
aethiopicus (Little foot)
Australopithecus
deyiremeda
Australopithecus
africanus
Australopithecus
Australopithecus bahrelghazali (Abel)
afarensis (Lucy)
– 4 Ma

Les premiers Australopithecus


hominines Ardipithecus anamensis
Une de ces quatre ramidus
espèces est peut-
– 5 Ma être la plus ancienne
représentante de
la lignée humaine.
Laquelle ? Leurs Ardipithecus
découvreurs respec- kadabba
tifs en débattent.

– 6 Ma

Orrorin
tugenensis

Sahelanthropus
– 7 Ma tchadensis (Toumaï)

10 • S&V Hors Série


Homo floresiensis

Homo
sapiens
Denisova
Homo naledi
Homo
neanderthalensis Homo
rhodesiensis
Homo
heidelbergensis

Homo Le genre Homo


antecessor Ce genre regroupe toutes
les espèces anatomique-
ment proches d’Homo
sapiens, qui se sont révé-
Homo lées bien plus nombreuses
georgicus qu’imaginé ! Il y a seule-
ment quelques dizaines
de milliers d’années, au
Homo Homo moins quatre humanités
erectus ergaster se côtoyaient.

Homo habilis

Kenyanthropus
platyops

Le temps de l’humanité
À ses débuts, la paléoanthropologie donnait au pluriel ! Car s’il n’en reste qu’une aujourd’hui,
de l’évolution humaine une vision très linéaire : de nombreuses espèces d’humains se sont côtoyées
Homo erectus avait évolué pour devenir Homo et ont échangé au cours de leurs migrations.
neanderthalensis, qui lui-même était à l’origine Les fossiles retrouvés jusqu’à présent font d’ailleurs
d’Homo sapiens. Chaque fossile trouvé était alors état d’une diversité remarquable entre – 4 millions
considéré (non sans difficulté) comme un chaînon d’années et – 200 000 ans. Après cette période,
manquant entre deux espèces de la lignée humaine. Homo sapiens, né en Afrique, commence à coloniser
Le paradigme a complètement changé aujourd’hui. toute l’Eurasie et l’Océanie. Il rencontre et se mêle
On sait désormais que notre histoire est bien à l’occasion aux autres espèces, puis finit par les
plus complexe (certaines branches se sont éteintes, remplacer. Les récentes et spectaculaires décou-
d’autres se sont enchevêtrées) et remonte beaucoup vertes d’Homo naledi ou de Denisova ont permis
plus loin que ce que l’on imaginait au X Xe siècle. aux chercheurs de compléter notre histoire. Mais
L’humanité est devenue un véritable « buisson ». les découvertes futures ne manqueront pas d’ajouter
B.BOURGEOIS

Il faudrait d’ailleurs plutôt parler d’humanités de nouvelles branches au buisson de nos origines.

S&V Hors Série • 11


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D’OÙ
VENONS-NOUS ?

14 Sur la trace de nos


ancêtres
36 La fin du berceau unique
46 Pourquoi sapiens est-il
seul ?
56 Quel est le propre
UNIV. MALAGA

de l’homme ?
S&V Hors Série • 13
SUR LA TRACE DE
NOS
Australopithecus, Homo
habilis, Homo erectus,
Homo naledi… (ici, recons-
titués par la plasticienne
Élisabeth Daynès) forment
avec notre espèce, Homo
sapiens, la lignée humaine.

14 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

ANCÊTRES
S’il n’en reste qu’une aujourd’hui, la nôtre, de nombreuses
P. PLAILLY, E. DAYNES/LOOK AT SCIENCES

espèces ont participé à l’histoire de la lignée humaine.


Science & Vie en dresse le portrait, à partir des dernières
découvertes des paléoanthropologues.

S&V Hors Série • 15


D’
où venons-nous ? La question a-t-elle seule- bouleversements environnementaux. Il n’y a
ment un sens ? Lorsque l’on s’interroge sur donc pas toujours consensus dans la commu-
les origines de l’homme, de qui parle-t-on ? nauté scientifique sur l’attribution des fossiles
De sapiens, apparu il y a quelques centaines à telle ou telle espèce .
de milliers d’années ? Du genre Homo, surgi Les théories évoluent elles aussi au fil des
vers 3 millions d’années ? De toute la lignée découvertes et des nouvelles études faites sur
humaine ? En général, on fait commencer des ossements trouvés précédemment. D’autant
notre préhistoire à la bifurcation avec les autres plus que la paléoanthropologie (l’étude des fos-
grands singes, il y a au moins 8 millions d’an- siles humains) a considérablement progressé
nées. « Mais la limite entre les dernières popu- avec le perfectionnement des techniques d’ima-
lations de singes non humains et les premières gerie et des méthodes de datation. Elle s’est sur-
populations de la lignée humaine est très com- tout enrichie, ces dernières années, des apports
pliquée à définir », avertit Roberto Macchiarelli de la génétique, qui lui ont permis d’accéder
paléoanthropologue à l’université de Poitiers. à un nouveau type d’informations. L’étude des
Pour les scientifiques, la pratique de la bipé- génomes de fossiles de néandertaliens, de déni-
die ou la morphologie des dents (notamment soviens et d’Homo sapiens a notamment montré
la réduction des canines) sont des caractéris- des hybridations entre ces trois espèces.
tiques qui permettent néanmoins de faire une Ces hybridations questionnent d’ailleurs
distinction entre l’homme et les autres homi- elles aussi la pertinence de la notion d’espèce
noïdes (c’est-à-dire les grands singes). Les au sein de la lignée humaine. Pourquoi les
fiches qui suivent présentent donc, espèce par Homo sapiens, les néandertaliens et les déni-
espèce, nos principaux ancêtres hominines, soviens, dont on sait désormais qu’ils se sont
leurs caractéristiques et leur « actualité » scien- hybridés, ne pourraient-ils pas être considérés
tifique, du célèbre Toumaï jusqu’à nous. comme une seule et même espèce ? En biolo-
gie, la notion d’espèce est en effet déterminée
UN BUISSON FOISONNANT par la possible interfécondité, ce qui tendrait ici
Mais, pour bien aborder ce catalogue généa- à les rassembler. Mais l’idée ne séduit pas les
logique, il faut avoir à l’esprit que – de l’aveu paléoanthropologues. « À quel moment peut-
même des paléontologues  – contraindre des on dire qu’il y a deux espèces plutôt qu’une ?
fossiles à se répartir dans des cases bien défi- C’est quasiment impossible. Le contenu d’une
nies est un exercice qui trahit parfois la réalité. espèce est comme un nuage, il change en per-
Les chercheurs sont en effet obligés de fixer des manence, même s’il reste un nuage. Et à un
limites à chaque espèce pour y ranger les restes moment, le nuage peut se scinder en deux »,
osseux. Or, l’évolution est continue : il n’y a pas illustre Martin Pickford, du Muséum national
de saut évolutif d’une espèce à l’autre, ni même d’histoire naturelle. « Pour un paléoanthropo-
d’un genre à l’autre ! L’arbre généalogique logue, le concept biologique de l’espèce ne
qu’elle dessine est en fait un buisson touffu, sert à rien », renchérit Florent Détroit. Car, en
dont les branches poussent en tous sens, où dehors des rares espèces bien conservées dont
de nombreuses espèces coexistent, s’unissent le génome peut être analysé, il est impossible
et se séparent au gré des migrations et des de tester l’interfécondité des fossiles ! La déli-
mitation des espèces en paléontologie se fonde
donc uniquement sur des caractères morpho-
logiques, selon des critères qui sont toujours
discutables et souvent remis en question.
« C’est juste une question d’expérience », juge
Martin Pickord. Malgré toutes les réserves et

16 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

les remises en question, séparer les espèces pas exploitables. Mais il se pourrait plus sim-
les unes des autres est essentiel. « Il faut rester plement que certains fossiles de la lignée des
pragmatique : le concept d’espèce est très utile chimpanzés soient en fait souvent attribués à
pour comprendre et expliquer », rappelle Martin tort à la lignée humaine ! Il est, en effet, plus
Pickford. De plus, cette notion d’espèce n’est valorisant de répondre à la question de l’origine
pas le principal défi auquel fait face la paléo- de l’homme que de celle du singe.
anthropologie dans la quête de nos origines. Reste à espérer que, dans les prochaines
années, de nouveaux sites de fouilles et de
DES DÉCOUVERTES TROUBLANTES nouveaux outils permettront des découvertes
En fait, chaque nouvelle découverte est suscep- spectaculaires et éclairantes. Le développement
tible de bouleverser un scénario patiemment de la paléogénétique est extrêmement promet-
élaboré et qui aura mis du temps à s’imposer ! teur. Des fragments de fossiles déjà décou-
Les découvertes récentes d’Homo floresiensis, verts attendent d’être séquencés et analysés,
un tout petit homme de la taille d’un australopi- comme ceux de la désormais célèbre grotte de
thèque, ayant vécu il n’y a même pas 100 000 ans Denisova. La mise au jour de nouveaux osse-
en Indonésie, puis celle d’Homo naledi, qui pré- ments avec de l’ADN exploitable permettra
sente à la fois des caractères d’australopithèque peut-être des avancées aussi spectaculaires que
et d’autres plus modernes, en Afrique du Sud la découverte des dénisoviens en 2008. Mais les
(respectivement en 2003 et en 2013), en sont de
bons exemples : elles ont suscité une grande
méfiance dans la communauté scientifique et
peinent à s’intégrer dans le modèle d’évolu-
Le contenu d’une
tion actuellement en vigueur. Il faut dire que la
espèce est comme
un nuage, il change
discipline attire volontiers des « chasseurs de
gloire », sous forme d’explorateurs intrépides et

en permanence
peu scrupuleux, et que la méfiance des spécia-
listes n’est pas toujours déplacée. Mais même
lorsque les découvertes sont sérieuses, celles
qui vont à l’encontre du schéma général ont
quelque mal à se faire accepter d’une commu- fossiles assez bien conservés pour que du maté-
nauté scientifique assez conservatrice. riel génétique en soit extrait sont rares. Les pro-
En outre, l’origine de l’être humain n’est rien chaines années connaîtront probablement un
d’autre qu’une quête de soi… Et la fascination essor de l’analyse d’ADN trouvé directement
que nous avons de nous-mêmes peut facile- dans des sédiments, sans véritables fossiles.
ment introduire des biais dans la démarche Cependant, la limite majeure que rencontre la
scientifique. On peut ainsi légitimement s’éton- paléogénétique est la barrière du temps. Il n’est
ner du fait que l’on ne connaisse que très peu donc pas envisageable de se passer des osse-
de fossiles attribués aux ancêtres des chimpan- ments et des fouilles traditionnelles, même si
zés, notre plus proche parent actuel, alors que ces dernières sont incertaines, chronophages et
le registre fossile des gorilles est plus docu- demandent des moyens importants. Des lieux
menté. Une première explication est que les encore inexplorés, car peu accessibles (pour des
terrains où il est possible d’en trouver ne sont raisons de sécurité, par exemple), renferment
sans doute des trésors paléoanthropologiques.
L’érosion de certains terrains révélera peut-
être aussi de nouveaux lieux de fouilles. Mais
on peut aussi rêver de futures découvertes
tout simplement issues des collections de fos-
siles réexaminés sous un nouveau jour. D’où
qu’elles viennent, les futures découvertes ne
manqueront pas de bousculer l’ordre établi et
de complexifier l’histoire de nos origines.  •
S&V Hors Série • 17
EN T RE –7 ET –5 MI LLI O NS D’A NNÉ ES

Trois candidats au titre d’ancêtre

Sahelanthropus
tchadensis (ci-contre)
DÉCOUVERTE
En 2001, au Tchad, par l’équipe de
Michel Brunet. Baptisé Toumaï, son
crâne est daté à 7 millions d’années.
MORPHOLOGIE
Capacité crânienne : env. 360 cm³
Taille : de 1 m à 1,15 m
Poids : 35 kg
Alimentation : végétarienne
RESTES RETROUVÉS
Ossements d’au moins 6 individus.

P. PLAILLY, E. DAYNES/LOOK AT SCIENCES A. BEAUVILAIN J. FUSS, UNIV. TÜBINGEN

Orrorin tugenensis Ardipithecus


DÉCOUVERTE DÉCOUVERTE
En 2000, au Kenya, par l’équipe de En Éthiopie, en 1992 par l’Américain
la Française Brigitte Senut et du Bri- Tim White pour A. ramidus, et en
tannique et Kényan Martin Pickford. 1999 pour A. kadabba par l’Éthio- Tchad
SAHELANTHROPUS
Il est daté à 5,9 millions d’années. pien Yohannes Hailé-Sélassié. Ils
ARDIPITHECUS
MORPHOLOGIE sont datés à 5 millions d’années. Éthiopie
ORRORIN
Capacité crânienne : inconnue MORPHOLOGIE Kenya
Taille : de 1,10 m à 1,35 m Capacité crânienne : 300
Poids : de 35 à 55 kg à 350 cm³
Alimentation : végétarienne, Poids : environ 50 kg
peut-être omnivore Alimentation : frugivore
RESTES RETROUVÉS et probablement omnivore
Les restes de ces hominidés anciens,
Ossements appartenant à au moins RESTES RETROUVÉS nos plus vieux ancêtres connus, ont
5 individus. Ossements d’au moins à 36 individus. tous été mis au jour en Afrique.

18 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

LA BIPÉDIE, UNE CAPACITÉ DIFFICILE À ÉTABLIR


Toumaï. Orrorin. Ardi. De ces trois véné-
rables hominidés ayant vécu en Afrique il y
a respectivement 7, 6 et 5 millions d’années,
lequel peut-il se targuer d’être l’ancêtre de
la lignée humaine ? La réponse est simple :
celui dont la bipédie sera prouvée.
Mais la démonstration est un casse-
tête, surtout dans un contexte de compé-
tition entre équipes scientifiques. Depuis
quelques années, la candidature des ardipi-
thèques, plutôt considérés comme ancêtres
des chimpanzés, semble écartée. Quant à
Toumaï (Sahelanthropus tchadensis), il
pâtit des vives critiques que suscite son du Muséum national d’histoire naturelle, En 2001, l’équipe
de Michel Brunet
découvreur, Michel Brunet, de l’université qui a participé à l’identification d’Orrorin.
découvrait au Tchad
de Poitiers. Celui-ci s’est en effet focalisé en « Orrorin est un candidat légitime à la lignée un crâne datant de
2001 sur le crâne de l’individu, sans remar- humaine », abonde Roberto Macchiarelli. Il 7 millions d’années :
Toumaï. Il pourrait
quer un fémur retrouvé au même moment est vrai que son fémur long aux caractéris- être notre plus ancien
par son équipe. C’est Roberto Macchiarelli, tiques humaines plaide en sa faveur. ancêtre… si sa bipédie
était démontrée.
spécialiste du comportement locomoteur Pour trancher, il faudrait d’autres fossiles.
des primates dans la même université, qui Mais ils sont rares. « Jusqu’aux années 2000,
le repère par hasard avec une étudiante on pensait que la bifurcation entre la lignée
dans le laboratoire dès 2004. Mais, à son humaine et les autres grands singes se si-
grand dam, cet os qui pourrait trancher la tuait vers 4,5 millions d’années. On ne cher-
question de la bipédie de l’espèce n’a tou- chait donc pas avant cette période », note
jours pas donné lieu à publication. « Tou- Martin Pickford. De plus, on connaît très
maï n’a pas grand-chose à faire dans la peu de gisements du Miocène (entre – 23
lignée humaine », estime Martin Pickford, et – 5 millions d’années) accessibles.

UNE NOUVELLE ÉTUDE RELANCE L’HYPOTHÈSE « BACK TO AFRICA »


C’est une hypothèse déjà ancienne, dentaire de cette espèce la placerait Pickford. « Il n’y a aucun argument
mais très controversée : il y a plus en effet dans la lignée humaine, selon pour nier la présence d’hominines
de 8 millions d’années, les ancêtres les chercheurs. Mais ils sont loin de dans le sud de l’Europe vers 7 millions
de la lignée humaine seraient sortis faire consensus. « Le registre [c’est- d’années, mais l’évolution en Afrique
d’Afrique pour explorer le sud d’une à-dire le nombre d’éléments] reste reste l’hypothèse la plus simple »,
Europe alors chaude et humide, avant trop faible pour être convaincant », ajoute Roberto Macchiarelli. Pour
de revenir en Afrique. Cette théorie, commente Roberto Macchiarelli. « Il Brigitte Senut, du Muséum national
dite « Back to Africa », a trouvé en faudrait des caractères post-crâniens, d’histoire naturelle, « localiser l’ori-
2017 un nouveau soutien avec l’étude en particulier les jambes, pour savoir gine de l’homme en Europe, c’est nier
des restes de l’espèce Graecopithecus s’il était bipède », renchérit Martin tout ce que l’on a trouvé en Afrique ».
freybergi : un fragment de mandibule L’analyse de la
et une dent, découverts respective- dentition de Graeco-
pithecus freybergi
ment en Grèce, en 1944, et en placerait cette es-
Bulgarie, en 2011, datés de plus pèce, présente en
Europe il y a 7 mil-
de 7 millions d’années. Révélée par lions d’années, dans
microtomographie, la morphologie la lignée humaine.

S&V Hors Série • 19


ENTRE –4 E T –2 MILLIONS D’ANNÉE S

Australopithecus
DÉCOUVERTE
Le premier australopithèque a été
découvert en 1924, en Afrique
du Sud, par l’Australien Raymond
Dart. Depuis, de nombreux fossiles
ont été mis au jour, comme la
célèbre Lucy (en 1974, en Éthiopie,
par le Français Yves Coppens, entre
autres) ou Little Foot (en 1994, en
Afrique du Sud, par le Britannique
Ronald J. Clarke). On en connaît à
ce jour huit espèces : A. afarensis,
A. africanus, A. anamensis, A. bah-
relghazali, A. deyiremeda, A. garhi,
A. prometheus, A. sediba.
MORPHOLOGIE
Très variable selon l’espèce.
Capacité crânienne : de 385
à 550 cm³
Taille : de 1 m à 1,50 m
Poids : de 29 à 50 kg
Alimentation : végétarienne et, à
l’occasion, omnivore pour certains.
APTITUDES
On les connaît mal. Certaines
espèces ont pu fabriquer des outils.
RESTES RETROUVÉS
Au total plus d’un millier de restes
(plus de 500 pour afarensis, un seul
E. DAYNES/LOOK AT SCIENCES S. HARMAND/STONY BROOK UNIV. L. BRUXELLES/INRAP
pour bahrelghazali).

FOSSILES
DÉCOUVERTS

Aire de répartition
Les australopithèques étaient
présents sur une grande partie
de l’Afrique.

20 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

LITTLE FOOT : UN SQUELETTE DE 3,7 MILLIONS


D’ANNÉES COMPLET À 90 %
C’est le squelette d’australopithèque le plus
complet au monde : il a pu être reconstitué
à 90 % (contre 40 % seulement pour Lucy),
après plus de vingt ans de travail. Surnom-
mée Little Foot (les premiers os dégagés
appartenaient à son pied gauche), cette
australopithèque de 3,7 millions d’années a
été découverte en 1994 à Sterkfontein, en
Afrique du Sud. Elle était probablement âgée
d’une trentaine d’années, lorsqu’elle fit une
chute de 30 mètres dans l’une des grottes
du site. Dans cette zone exempte de charo-
gnards, son ensevelissement rapide sous les
sédiments permit l’excellente conservation
de son squelette, dans sa position initiale :
un bras en l’air, la main refermée sur son
pouce, l’autre bras contre le corps.
Présenté fin 2017 à l’université du Witwa-
tersrand, à Johannesburg, le fossile génère
aujourd’hui une intense activité scienti-
fique : « Il remet en valeur l’espèce Australo-
pithecus prometheus et permettra de mieux
comprendre les relations de parenté, notam-
ment avec Australopithecus africanus »,
estime Sandrine Prat, paléoanthropologue
au Muséum national d’histoire naturelle.

Préservé durant 3,7 millions d’années dans


une gangue de pierre, le squelette a nécessité
plus de vingt ans de travail pour être exhumé.

LES OUTILS NE SONT PLUS L’APANAGE DU GENRE HOMO


Publiée en 2015 dans la revue Nature, correspond à cette période et qui sont
la découverte d’outils en pierre estimés attribués à Australopithecus afarensis,
à 3,3 millions d’années, près du lac Tur- mettent en évidence une anatomie
kana, au Kenya, a bouleversé le cours permettant une préhension précise. »
de la préhistoire. Car elle réfute l’hypo- La conception d’outils en pierre ne serait
thèse selon laquelle seul le genre Homo donc plus l’apanage des lignées Homo.
(qui n’apparaît qu’après 3 millions « Nous nous étions déjà faits à l’idée
d’années) sait élaborer des outils. que les australopithèques fabriquaient
Qui donc a fabriqué ces pierres taillées ? des outils, relativise Hélène Roche, coau-
« Elles sont contemporaines de certains teure de l’étude et directrice émérite de
australopithèques et de Kenyanthropus recherche au CNRS. En 1975, en Éthiopie,
playtyops, dont les restes ont été décou- nous avions déniché des outils datés
verts dans la même région, indique de 2,6 millions d’années. Or, à l’époque,
Des australopithèques ont pu fa-
briquer ces outils de pierre taillée
Sandrine Prat, coauteure de l’étude. De il n’y avait pas de restes fossiles attribués
vieux de 3,3 millions d’années. plus, des restes de main, dont la datation au genre Homo pour cette période. »

S&V Hors Série • 21


ENTRE –2,4 E T –1,6 MILLION D’ANNÉE S

Homo habilis
DÉCOUVERTE
Les premiers fossiles ont été trou-
vés en 1960 sur le site d’Olduvai,
en Tanzanie, par Jonathan Leakey,
le fils des paléontologues Louis
et Mary Leakey.
MORPHOLOGIE
Il y a une grande variabilité anato-
mique entre les individus. Mais
leur face est moins projetée
vers l’avant et plus plate que
celle des australopithèques.
Capacité crânienne : de 500
à 850 cm³
Taille : de 1,15 m à 1,50 m
Poids : de 30 à 40 kg
Alimentation : omnivore.
Le régime d’habilis était
diversifié et opportuniste.
APTITUDES
Habilis était partiellement arbori-
cole. Il savait s’adapter à des envi-
ronnements et à des climats variés,
et utilisait des outils en pierre.
RESTES RETROUVÉS
Près de 200 fossiles sont attribués
à habilis, tous découverts dans des
sites de la vallée du Rift. Ce sont
principalement des dents isolées ;
crânes et mandibules sont rares. S. ENTRESSANGLE, E. DAYNES/LOOK AT SCIENCES UNIV. MALAGA

FOSSILES
DÉCOUVERTS

Aire de répartition
Homo habilis était présent en Afrique
orientale et en Afrique australe.

22 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

RUDOLFENSIS DISPUTE À HABILIS LE TITRE


DE PREMIER REPRÉSENTANT DU GENRE HOMO
Dans l’esprit de ses découvreurs des an-
nées  1960, habilis, le plus vieux repré-
sentant du genre Homo, est le premier
hominine à nous ressembler vraiment. Il
est bipède et son cerveau est assez gros
pour lui conférer une intelligence respec-
table. Pour eux, c’est lui, cet « homme ha-
bile », qui fabrique pour la première fois
des outils ; l’Homo naît en quelque sorte
avec cette rupture technologique.
Les plus vieux ossements du
genre Homo, mis au jour en 2015
en Éthiopie, sont estimés à
2,8 millions d’années. De cette
date jusqu’à 1,9 millions d’an-
nées, les restes retrouvés
sont très fragmentaires,
mais ils montrent claire-
ment une grande variabilité
anatomique. À tel point que, paléoanthropologue du CNRS au Muséum
depuis les années  1990, des national d’histoire naturelle. Certains cher-
paléo anthropologues proposent cheurs avancent même aujourd’hui l’idée
l’existence de deux  espèces au lieu D’abord confondu que ce serait Homo rudolfensis, et non
d’une : Homo habilis et Homo rudolfensis. avec Homo habilis, Homo habilis, qui serait l’ancêtre d’Homo
Homo rudolfensis
Elles auraient vécu au même moment, en en diffère par une ergaster, et donc le nôtre. « C’est possible,
Afrique orientale. « Elles se différencient face plus large commente Sandrine Prat, mais il est dif-
et moins avancée
au niveau de la face par une multitude de (ci-dessus, un crâne ficile de mettre en évidence les relations
caractères, en particulier par sa largeur trouvé au Kenya). de parenté avec le peu de restes osseux
et son avancée », précise Sandrine Prat, dont nous disposons. »

LA DIFFICILE DÉFINITION DU GENRE HOMO


Comment définir le genre Homo ? En fut Homo neanderthalensis. Au fur et et fabriquaient probablement des
2015, les spécialistes américains Ian à mesure des découvertes, d’autres outils. Les frontières entre le genre
Tattersall, de l’American Museum of espèces ont suivi et ont complexifié Australopithecus et les premiers
Natural History, et Jeffrey Schwartz, la définition du genre, en particulier Homo, comme habilis, se sont donc
de l’université de Pittsburgh, débat- Homo habilis. « La définition d’Homo révélées poreuses. Cependant, rap-
taient dans la revue Science de cette est alors devenue encore plus obs- pelle la paléoanthropologue Sandrine
question, en repartant des premières cure », écrivent les chercheurs. La Prat, « d’un point de vue anthropolo-
découvertes de fossiles de la lignée fabrication d’outils, la bipédie et une gique, la définition du genre Homo est
humaine. Au départ, le genre Homo a capacité crânienne importante ont uniquement faite sur des caractères
été créé pour nous, les Homo sapiens, longtemps été considérées comme anatomiques. Comme il est difficile
afin de nous distinguer des autres des spécificités du genre Homo. Mais de définir le genre Homo à partir de
mammifères. La première espèce les capacités crâniennes de certains caractères anatomiques particuliers,
à intégrer (non sans difficulté) australopithèques atteignent celles c’est une association de caractères qui,
cette catégorie censée nous mettre des plus petits Homo ; en outre, finalement, permet de dire si un indi-
à l’écart du reste du monde vivant ils étaient partiellement bipèdes vidu est ou non dans ce genre. »

S&V Hors Série • 23


E N T R E – 2 M I L L IO N S D ’A N N É E S E T – 3 0 0 0 0 0 A N S

Homo erectus

S. ENTRESSANGLE, E. DAYNES/LOOK AT SCIENCES ZOLLIKOFER, PONCE DE LEON/UNIV. ZURICH


DÉCOUVERTE Poids : de 45 à 65 kg
En 1891, l’anatomiste néerlandais Alimentation : omnivore
Eugène Dubois met au jour sur l’île APTITUDES
de Java, en Indonésie, une calotte Parfaitement bipède, c’était un
crânienne et un fémur. Il nomme grand voyageur (on pense qu’il est
alors cette nouvelle espèce Pithe- le premier à avoir colonisé l’Asie).
canthropus erectus, rebaptisée Il était aussi bon chasseur, taillait
depuis Homo erectus. des outils en pierre et faisait déjà
MORPHOLOGIE usage du feu, il y a 400 000 ans.
Elle présente de nombreuses RESTES RETROUVÉS
similitudes avec celle d’Homo Plusieurs centaines de restes ont FOSSILES DÉCOUVERTS
sapiens, mais s’en distingue été mis au jour. Pour certains cher-
par une mâchoire puissante, cheurs, il ne faut parler d’Homo Aire de répartition supposée
des os épais, l’absence de menton erectus que pour les fossiles Homo erectus au sens strict était
et un front fuyant et aplati. retrouvés en Asie. Mais d’autres présent dans une grande partie
Capacité crânienne : de 800 regroupent sous ce terme Homo de l’Asie. Mais si l’on inclut Homo
ergaster, son aire de répartition
à 1 200 cm³ erectus et Homo ergaster, ce dernier s’étend alors à l’Afrique.
Taille : de 1,50 m à 1,70 m étant, lui, présent en Afrique.

24 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

ET SI ERECTUS, ERGASTER, RUDOLFENSIS Ces crânes trouvés


en Géorgie à partir

ET HABILIS N’ÉTAIENT QU’UNE ESPÈCE ? de 1991 présentent


une étonnante variété
morphologique.
D’abord associés à
La définition d’Homo erectus n’a jamais fait très forte variabilité morphologique, cer- une nouvelle espèce,
consensus. En 1894, la découverte à Java des tains ayant des caractères proches d’habi- Homo georgicus,
ces fossiles remettent
premiers fossiles de cette espèce par l’anato- lis, d’autres d’ergaster, d’autres encore de en question les fron-
miste Eugène Dubois (qui la voyait comme rudolfensis, et d’autres d’erectus. Cette di- tières entre erectus,
ergaster, rudolfensis
un « chaînon manquant » entre l’homme et versité de traits typiques d’autres lieux et et habilis.
le singe) fut accueillie avec scepticisme par d’autres époques existe même au sein d’un
la communauté des savants, réticente aux seul georgicus ! D’où la proposition radicale
idées encore neuves de l’évolution. Mais plus de certains scientifiques de rassembler tous
de cent vingt ans plus tard, la place d’erectus les fossiles datés entre 2,8 millions d’an-
au sein des lignées humaines est toujours nées et 800 000 ans, trouvés en Afrique ou
débattue. Un courant scientifique soutenu ailleurs, sous le nom d’Homo erectus. Erec-
par les Américains prône le regroupement tus, ergaster, rudolfensis, mais aussi habilis
d’erectus et d’ergaster sous une même es- ne formeraient donc qu’une espèce, avec
pèce, tandis qu’un second, plutôt européen, une très forte diversité !
réserve le terme d’erectus aux fossiles trou-
vés en Asie : « On sépare les deux espèces « SAVOIR DE QUOI L’ON PARLE »
car on considère qu’ergaster a pu évoluer « Cette conclusion n’a pas fait l’unanimité »,
vers erectus, mais aussi vers sapiens, justifie tempère Dominique Grimaud-Hervé. Pour
Dominique Grimaud-Hervé, paléoanthropo- la majorité des paléoanthropologues, en
logue au Musée de l’Homme. L’idée est de attendant d’en savoir plus, Homo georgi-
disposer de nombreuses “petites boîtes” cus reste une espèce à part, avec une forte
pour mieux comprendre les migrations et variété naturelle. Et erectus, ergaster, ru-
les interactions entre les populations. » dolfensis et habilis demeurent des espèces
Et les choses se sont encore compliquées distinctes. « Il paraît plus intelligent de don-
entre 1991 et 2005, avec la mise au jour de ner des noms différents à des groupes bien
cinq crânes sur le site de Dmanissi, en Géor- identifiés, cela permet de savoir au moins
gie. Dans les premières années de fouilles, de quoi l’on parle, renchérit Florent Détroit,
les chercheurs ont proposé la création d’une paléoanthropologue au Muséum national
nouvelle espèce pour ceux-ci : Homo geor- d’histoire naturelle. Il ne faut pas oublier
gicus. Mais au fur et à mesure des décou- que c’est l’homme qui donne des noms à
vertes, il est apparu que ces crânes, datés des espèces : la taxonomie n’existe pas
à 1,77 million d’années, présentaient une dans la nature, c’est une convention. »

S&V Hors Série • 25


ENTRE – 335 000 ET – 236 000 ANS

Homo naledi

DÉCOUVERTE Capacité crânienne : de 465


En 2013, Lee Berger, de l’université à 560 cm³
sud-africaine du Witwatersrand, Taille : 1,50 m
déniche 1 550 ossements, représen- Poids : de 45 à 56 kg
tant au moins 15 individus, dans une Alimentation : probablement
chambre des grottes de Rising Star, végétarienne
près de Johannesburg. En 2017, APTITUDES
une seconde découverte, réalisée On ignore encore ce qu’elles
par John Hawks, de l’université pouvaient être. Une hypothèse
GROTTES
DE RISING
américaine du Wisconsin-Madison, (peu partagée) suggère que naledi STAR
complète la collection, avec environ pratiquait des rites funéraires. Afrique du Sud
J. GURCHE R. CLARK/NAT. GEO/GETTY

130 ossements correspondant


RESTES RETROUVÉS
à au moins 3 individus.
Plus de 1 600 ossements, appar- Aire de répartition supposée
MORPHOLOGIE
tenant à au moins 18 individus C’est uniquement dans les grottes
Sa morphologie atypique a créé au total, ont été découverts de Rising Star, à proximité de
la surprise. Certains de ses carac- dans deux chambres différentes Johannesburg, en Afrique du Sud,
tères le rapprochent des australo- des grottes de Rising Star. que des fossiles d’Homo naledi
pithèques, d’autres des Homo. ont été retrouvés.

26 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

UNE DÉCOUVERTE SENSATIONNELLE, Les ossements


d’Homo naledi (ici,

MAIS CONTROVERSÉE la reconstitution d’un


squelette) ont révélé
un étonnant mélange
de caractères anciens
Un chiffre astronomique de 1 550 ossements déplore Florent Détroit, du Muséum natio- et d’autres plus typi-
trouvés en une fois, une morphologie sur- nal d’histoire naturelle, car la découverte quement humains.
prenante, évoquant tantôt les australopi- est extraordinaire ». « Il y a eu des mala-
thèques, tantôt les Homo, et des conditions dresses, admet Antoine Balzeau, égale-
de fouilles spectaculaires (il a fallu faire ment du Muséum, mais le problème vient
appel à six  jeunes femmes scientifiques, surtout de la réaction des chercheurs lors
surnommées « astronautes du sous-sol », de chaque nouvelle découverte. C’est une
pour se faufiler dans les étroites entrailles discipline très conservatrice ! »
des grottes de Rising Star, à 30  m sous
terre), l’apparition d’Homo naledi en 2015 UNE MORPHOLOGIE ATYPIQUE
a fait sensation ! De plus, si l’âge des ossements avait été es-
Mais elle n’a pas fait consensus chez les timé dans un premier temps entre 1 et 2 mil-
chercheurs. Le délai très court entre la mise lions d’années, une nouvelle datation, en
au jour des ossements et la première publi- 2017, l’a établi aux alentours de 300 000 ans.
cation, ainsi que le choix du journal en libre « Or, une date aussi récente est très surpre-
accès eLife plutôt qu’une revue reconnue nante compte tenu de la morphologie ob-
ont alimenté les controverses. Une partie de servée », souligne Antoine Balzeau. Alors,
la communauté scientifique reproche aussi Homo ou australopithèque ? Pour l’heure,
à son auteur, Lee Berger, de l’université différentes études, dont une publiée par
sud-africaine du Witwatersrand, d’utiliser Lee Berger et Joel Irish en 2018, rapprochent
les médias à outrance. « C’est dommage, plutôt naledi des autres Homo africains.

S&V Hors Série • 27


ENTRE –100 000 ET –60 000 ANS

Homo floresiensis
DÉCOUVERTE
En 2003, par une équipe dirigée
par l’Australien Mike Morwood
et l’Indonésien Radien Soejono,
sur l’île de Flores, en Indonésie.
MORPHOLOGIE
Les étranges proportions des
fossiles ont surpris les paléoanthro-
pologues : l’homme de Flores
ne mesure qu’un peu plus de 1 m
à l’âge adulte, soit la taille d’un
enfant sapiens de 4 ou 5 ans, et
ses pieds sont aussi longs que ses
tibias. Certains de ses caractères le
rapprochent des australopithèques,
d’autres des erectus et d’autres
encore des sapiens.
Capacité crânienne : 426 cm³
Taille : 1,10 m
Poids : de 16 à 28 kg
Alimentation : supposée omnivore
APTITUDES
L’établissement d’une population
sur l’île de Flores implique que ses
ancêtres ont été capables de navi-
guer. On ignore encore s’il maîtri-
sait le feu et s’il utilisait des outils.
RESTES RETROUVÉS
Les os d’au moins 10 individus.
E. DAYNES/LOOK AT SCIENCES A. IBRAHIM/AP/SIPA

ÎLE DE FLORES
Indonésie

Aire de répartition supposée


Jusqu’à aujourd’hui, c’est uniquement
sur l’île indonésienne de Flores,
que des fossiles d’Homo floresiensis
ont été retrouvés.

28 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

DES ORIGINES ENCORE DÉBATTUES Cette espèce Homo


découverte en 2003
dans une grotte
de l’île de Flores pré-
Dès l’annonce de la découverte du « Hobbit » éléments choisis dans cette étude tirent sente des caractères
de Flores, la question de ses origines a vers une ressemblance avec des caractères qui la rapprochent des
australopithèques,
donné lieu à d’intenses débats. Une pre- primitifs », relève Florent Détroit, qui admet
mais aussi des erectus
mière hypothèse le présentait comme un cependant : « Les similitudes entre les fos- asiatiques.
Homo sapiens frappé d’une maladie. Mais, siles retrouvés à Flores, âgés au maximum
pour Antoine Balzeau, paléoanthropologue de 100 000 ans, et les australopithèques, qui
au Muséum national d’histoire naturelle, elle ont disparu il y a 2 millions d’années, sont,
ne tient pas : « L’étude de la forme du crâne a il est vrai, étonnantes. »
permis d’exclure son attribution à sapiens. »
Un deuxième scénario le fait descendre des UN DESCENDANT D’ERECTUS ?
Homo erectus asiatiques. « C’est l’hypo- Alors ? De qui Flores est-il le descendant ?
thèse la plus vraisemblable, la plus simple, « Pour le moment, nous ne disposons pas
considère Florent Détroit, également du d’assez d’éléments pour trancher, estime
Muséum, même si elle implique qu’erectus Antoine Balzeau. Sa morphologie le rap-
ait pu naviguer jusqu’à l’île. » proche certes d’Homo erectus, mais de
Dans un article publié en 2017, l’Austra- nombreux scénarios peuvent être imaginés
lienne Debbie Argue et ses collègues esti- à partir de cela. » En 2014, des outils et des
ment quant à eux qu’Homo floresiensis ossements estimés à 700 000 ans ont été mis
descendrait directement de représentants au jour sur un autre site de l’île de Flores.
africains précoces de la lignée Homo (juste Déjà très petits, ces ancêtres probables
après les australopithèques et avant erec- d’Homo floresiensis pourraient renforcer le
tus). Sauf que, « volontairement ou non, les scénario de descendants d’erectus.

S&V Hors Série • 29


ENTRE –400 000 ET –40 000 ANS

L’homme de Denisova

T. PARG/WIKIMEDIA COMMONS I. CARTWRIGHT 2015/OXFORD UNIV. SPL/RIANOVOSTI/BIOS


DÉCOUVERTE Poids : inconnu
En 2008, par une équipe d’archéo- Alimentation : probablement
logues dirigée par Michael Shunkov carnivore pour une grande part. Sibérie
et Anatoli Derevianko, de l’Acadé- Son régime alimentaire devait être GROTTE DE DENISOVA
mie des sciences de Novossibirsk, similaire à celui de Neandertal.
en Russie. Les fossiles ont été trou- APTITUDES
vés dans les montagnes de l’Altaï, Inconnues
au sud de la Sibérie, dans la grotte
RESTES RETROUVÉS
de Denisova, par ailleurs bien
connue pour abriter des restes Seule une phalange d’auriculaire et
de sapiens et de néandertaliens. quelques dents lui sont aujourd’hui
clairement attribuées, le tout appar-
MORPHOLOGIE
tenant à 4 individus. Une maigre
Le dénisovien était proba blement collecte, mais qui a suffi à extraire Aire de répartition supposée
grand et robuste, mais le peu de l’ADN et à identifier l’espèce. Des fossiles dénisoviens ont été
de fossiles mis au jour ne permet Un premier séquençage du génome retrouvés uniquement dans la grotte
pas d’être plus précis. mitochondrial a été réalisé en 2010, de Denisova, mais l’étude de leur ADN
suggère que les dénisoviens devaient
Capacité crânienne : inconnue qui a été suivi de celui du génome être répandus en Asie orientale.
Taille : inconnue nucléaire en 2012.

30 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

Une activité humaine ancienne


en Australie
Sur le site de Madjedbebe, dans le parc national
de Kakadu, au nord de l’Australie, ce sont des
traces d’une occupation humaine (de nombreux
outils et des pigments) qui ont été relevées. Elles
indiquent que les ancêtres des aborigènes sont
arrivés dans le pays il y a au moins 65 000 ans.

I S R A Ë L Grotte de Misliya
UN MAXILLAIRE DATÉ
DE 180 000 ANS

UNE OCCUPATION
HUMAINE REMONTANT Madjedbebe
À 65 000 ANS
AU S T R A L I E
I. HERSHKOVITZ, TEL AVIV UNIV. - GUNDJEIHMI ABORIGINAL CORPORATION - CLARKSON ET AL.

Coppens de Lucy, un australopithèque vieux de conduit beaucoup plus tard jusqu’à sapiens. Alors
3,2 millions d’années, alors considéré (à tort) qu’à l’ouest, plus humide, la forêt aurait, à l’in-
comme un ancêtre bipède de l’espèce humaine, verse, favorisé un comportement arboricole ayant
donne alors du crédit à une théorie formulée abouti aux grands singes.
quelques années plus tôt, baptisée East Side Story.
Son fondement : près de la Corne de l’Afrique, la DES AUSTRALOPITHÈQUES ARBORICOLES
formation de la vallée du Grand Rift, une série de L’histoire est séduisante, mais ce modèle est rapi-
failles géologiques de 6 000 km de longueur sur- dement pris en défaut par des découvertes qui
venues il y a environ 10 millions d’années, aurait ne s’y inscrivent pas parfaitement. Comme des
été suivie d’une différenciation climatique et envi- ossements d’australopithèques trahissant des
ronnementale. À l’est de cette vallée, le climat sec comportements arboricoles et, surtout, des aus-
et aride aurait modifié la végétation au profit de tralopithèques comme Abel (Australopithecus
la savane et progressivement poussé les espèces bahrelghazali), vieux de 3 à 3,5 millions d’années,
emprisonnées par cette barrière naturelle, les aus- mais retrouvés au Tchad, en Afrique centrale,
tralopithèques comme Lucy, à passer progressive- bien à l’ouest du Grand Rift. « Le berceau de l’hu-
ment à la bipédie pour se déplacer et repérer les manité se promène », titre d’ailleurs à l’époque
proies et les prédateurs dans les herbes hautes. le journal Libération. La découverte de Toumaï
Une adaptation dont l’une des branches aurait (Sahelanthropus tchadensis), en 2001, enfonce le

S&V Hors Série • 41


Deux modèles d’évolution NEANDERTAL DENISOVA

de la lignée humaine 430000 ans

LE MODÈLE OUT OF AFRICA


Si l’origine africaine des Homo fait aujourd’hui
globalement consensus dans la communauté
scientifique, deux modèles d’évolution humaine,
à partir d’Homo ergaster, coexistent.
HEIDELBERGENSIS
600000 ans

L’ORIGINE AFRICAINE

Selon ce modèle, Homo heidelbergensis aurait évolué


1,8 million d’années en néandertaliens en Europe et en denisoviens au nord
de l’Eurasie. Les hominines découverts en Chine
pourraient également en être issus.
1,7 million d’années
NEANDERTAL DENISOVA
430000 ans
HOMO ERGASTER
LE MODÈLE ALTERNATIF POPULATION
1,5 million d’années SOURCE
FORMES TRANSITOIRES
900000–125000 ans
HEIDELBERGENSIS
600000 ans
Depuis Toumaï (le plus ancien spécimen connu plus proche
de l’homme que du singe), il y a 7 millions d’années, différents
hominines se seraient succédé en Afrique pour aboutir, il y a un
peu plus de 2 millions d’années, aux premiers Homo : habilis, Dans ce modèle, ce sont les descendants
rudolfensis, erectus (rebaptisé ergaster en Afrique)… Il y a d’Homo erectus établis au Moyen-Orient qui ont
2 millions d’années environ, Homo ergaster aurait commencé conduit à différents groupes d’Homo en Europe,
à sortir d’Afrique pour coloniser l’Europe, l’Asie, puis l’Indonésie. en Asie de l’Est et en Afrique.

clou. Ce bipède affichant l’âge vénérable de 7 mil- rope, l’Asie, puis l’Indonésie. Plusieurs vagues
lions d’années, considéré comme le plus ancien de sorties d’Afrique se seraient ensuite succédé,
spécimen connu plus proche de l’homme que du donnant naissance aux différents Homo (hommes
singe, lui aussi exhumé au Tchad, donne le coup de Neandertal en Europe, de Denisova au nord de
de grâce au modèle East Side Story. l’Eurasie, de Florès en Indonésie…) qui seront au
Si l’Est a depuis été remis en question (lire final remplacés par sapiens.
encadré page de droite), l’origine africaine des Mais, depuis quelques années, la découverte
Homo continue toutefois rallier la majorité des d’ossements et d’outils anciens en Asie redonne

Plusieurs travaux récents tendent à vouloir repousser le centre


de gravité du berceau de l’humanité vers l’Asie
suffrages. Selon la théorie la plus communément du souffle à une théorie minoritaire dite multi-
admise, depuis Toumaï se sont succédé en Afrique régionale, née dans les années  1980 et basée
différents hominines comme Orrorin tugenensis sur l’hypothèse que la lignée des humains serait
(6 millions d’années), puis des australopithèques apparue en Afrique il y a 2 millions d’années, en
(entre 5 millions d’années et 2 millions d’années). serait sortie et aurait ensuite évolué en parallèle sur
Pour aboutir, il y a un peu plus de 2 millions tous les continents. Ce qui signifie que des popu-
d’années, aux premiers Homo : habilis, rudol- lations d’Asie ne seraient pas le résultat d’un rem-
fensis, erectus (rebaptisé ergaster en Afrique)… placement tardif par des sapiens venus d’Afrique et
Il y a 2  millions d’années, Homo ergaster aurait qu’elles auraient, elles aussi, pu migrer et participer
commencé à sortir d’Afrique pour coloniser l’Eu- à l’expansion de sapiens sur la planète.

42 • S&V Hors Série


D’où venons-nous ?

45 000 ans
120 000-
80 000 ans La découverte de nombreux fossiles d’hominidés,
dont les plus anciens remontent à 7 millions
60 000 ans d’années, dans la vallée du Grand Rift, a largement
contribué à la croyance d’un berceau est-africain
SAPIENS de l’humanité dans cette région à cheval sur
Descendants le Kenya et l’Éthiopie. Elle a même donné naissance
d’heidelbergensis africains 60 000 ans
à un modèle baptisé « East Side Story », popularisé
par la découverte en 1974 de l’australopithèque
Lucy en Éthiopie par l’équipe d’Yves Coppens. Mais
Homo sapiens aurait émergé en Afrique il y a 200 000 ans cette « preuve » géographique est une illusion d’op-
et atteint le Moyen-Orient il y a 120 000 à 80 000 ans. tique, un biais lié au fait que cette région est géolo-
Il se serait plus tardivement répandu en Europe et en Asie giquement propice à la conservation des ossements
par vagues successives. (lire p. 74), à l’origine d’une véritable ruée vers l’os
qui dure encore aujourd’hui. « Il est vrai que 90 %
45 000 ans des fossiles trouvés se situent à l’est (au Kenya, en
120 000- 60 000 ans Éthiopie, en Tanzanie…) et un peu au sud (en Afrique
80 000 ans du Sud), relate Jean-Jacques Hublin, le découvreur
120 000- de l’Homo sapiens le plus ancien trouvé à ce jour
80 000 ans (315 000 ans), au Maroc. Mais c’est parce que
SAPIENS les conditions de conservation y sont exceptionnelles.
Descendants des hominines Il y avait probablement des populations ailleurs, mais
du Moyen-Orient 60 000 ans
leurs traces sont plus rarement parvenues jusqu’à
nous. C’est un peu l’histoire de l’ivrogne qui cherche
sa clé perdue sous le réverbère parce que c’est là
Les Homo sapiens seraient apparus en Afrique, issus qu’il y a de la lumière : ça ne veut pas dire qu’elle n’est
d’Homo heidelbergensis ou d’autres hominines dérivés pas ailleurs. » Dans de nombreuses autres régions
de ceux du Moyen-Orient, et se seraient dispersés d’Afrique, l’érosion et la présence de forêts,
en Eurasie selon plusieurs vagues. synonymes de sols acides agressifs pour les fossiles,
se sont opposées à la conservation des traces. Ce
qui ne signifie pas que celles-ci n’ont jamais existé !
Plusieurs travaux récents tendent ainsi à vou- Par ailleurs, on sait maintenant que la branche
loir repousser le centre de gravité du berceau de à laquelle appartenait Lucy n’a pas donné naissance
l’humanité vers l’Asie. Comme cette étude publiée à la lignée humaine : non seulement le berceau
en juillet dernier dans Nature par une équipe n’était pas à l’est, mais ce n’était pas un berceau !
chinoise qui estime que des outils taillés (carac- Jean-Jacques Hublin explique l’illusion d’un
téristiques du genre Homo) retrouvés au nord berceau unique de l’humanité par les conditions
exceptionnelles de conservation des fossiles en
du pays, sur le plateau de Lœss, remonteraient Afrique de l’Est.
à 2,1 millions d’années. Soit une sortie d’Afrique
précoce qui amènerait à reculer la date d’appari-
tion d’Homo en Asie, alors que les traces les plus
anciennes (1,85 million d’années) d’Homo hors
d’Afrique avaient jusqu’ici été trouvées à Dmanisi,
en Géorgie. Ou cette autre étude publiée fin 2017
dans l’American Journal of Physical Anthropology
sur le crâne de Dali, trouvé en Chine en 1978, vieux
de 260 000 ans, qui estime que certains de ses traits
sont assez proches du sapiens du Djebel Irhoud
(315 000 ans) et qui émet l’hypothèse que l’Eura-
P. GROLLIER/PASCO

sie pourrait avoir été le berceau d’un sapiens local.


Mais cette thèse à contre-courant, que certains
chercheurs associent volontiers à une volonté
nationaliste de la Chine de tordre l’histoire de

S&V Hors Série • 43


D’où venons-nous ?
En juillet 2018,
une équipe
chinoise a annoncé
avoir décelé sur
le plateau de Lœss,
au nord du pays,
des outils taillés
qui dateraient
de 2,1 millions
d’années. Cette dé-
couverte reculerait
l’apparition
d’Homo en Asie.

l’humanité à des fins politiques, reste loin de faire allons de visions simplistes et caricaturales vers
l’unanimité. Car certaines des datations restent une réalité plus subtile et compliquée », résume
sujettes à caution. « Des outils de 2 millions Jean-Jacques Hublin. « Le modèle d’une popula-
d’années en Chine ? Je ne suis guère convaincu, tion ancestrale issue d’un berceau bien localisé
estime un paléoanthropologue. C’est un site pro- prête à confusion, abonde Lounès Chikhi, car cela
blématique, un canyon bordé d’une pente raide sur suppose un peuple originel unique, comme dans
laquelle le matériel a pu se déplacer, ce qui fausse certaines idéologies douteuses. Et si, en réalité,
toute datation. » Sans compter que pour l’heure, les populations s’étaient connectées, déconnectées
les données issues de la génétique restent têtues. et reconnectées à de multiples reprises à l’échelle
« Les fossiles découverts en Asie suggèrent que du continent africain : un grand mélange et une
des êtres humains y ont vécu plus tôt qu’on ne le humanité sans cesse renouvelée ? »
pensait. Reste qu’ils n’ont pas contribué au patri- « On passe progressivement d’un modèle linéaire
moine génétique actuel, c’est un fait solidement à quelque chose de plus buissonnant, qui part un
établi jusqu’à preuve du contraire », tranche Lounès peu dans tous les sens. Les migrations se sont sûre-
Chikhi. « Certains travaux, dont les miens, recon- ment faites de façon graduelle, continue, et dans
naissent les revendications croissantes concernant les deux  sens, hors d’Afrique et vers l’Afrique,

« On passe progressivement d’un modèle linéaire à quelque


chose de plus buissonnant, qui part un peu dans tous les sens »
XINHUA - Z. ZHU, CHINESE ACADEMY OF SCIENCE

des fossiles anciens de type sapiens en dehors de depuis 2 millions d’années », estime lui aussi
l’Afrique. D’autres ont tendance à réfuter totale- Antoine Balzeau, paléoanthropologue au Muséum
ment ces revendications. Il n’y a pas de consensus national d’histoire naturelle. Quand et dans quels
clair pour le moment », résume Chris Stringer. sens ces échanges entre l’Afrique et le reste du
Ces différentes découvertes complexifient monde se sont-ils déroulés ? Comment les coha-
toutefois un peu le paysage et appellent à des bitations qu’ils ont créées se sont-elles passées ?
approches plus nuancées. « Il faut abandonner la Comment ont-elles fini par donner naissance à
vision linéaire de l’évolution des espèces au profit sapiens ? Bref, d’où venons-nous ? La réponse
d’une vision buissonnante, même s’il ne reste plus paléoanthropologique à cette question existentielle
qu’une seule brindille de ce buisson : sapiens. Nous est encore loin d’être tranchée. •
44 • S&V Hors Série
Neandertal s’est éteint
après 300 000 ans d’occupation
BCA/RUE DES ARCHIVES

de l’Eurasie, alors que sapiens


se déployait sur ses terres…
(image extraite, comme celles
des pages suivantes, du film
Ao, le dernier Neandertal).

46 • S&V Hors Série


D’où venons-nous?

POURQUOI
SAPIENS
EST-IL SEUL ?
De tous les Homo,
sapiens est le dernier à
exister encore aujourd’hui.
Pourquoi ? Quel rôle a-t-il
D es centaines d’espèces différentes de
méduses, des milliers d’espèces de papil-
lons… et une seule d’hommes. Homo
sapiens est aujourd’hui l’unique représentant du
genre Homo. Pourtant, il y a des dizaines de mil-
liers d’années, la situation était très différente.
L’autre spécimen humain le plus connu à ce jour est
joué dans la disparition l’homme de Neandertal, ou Homo neanderthalen-
sis, dont de nombreux fossiles ont été retrouvés
des autres espèces et, dès le XIXe  siècle. D’abord considéré comme une

notamment, dans celle étape ultime avant Homo sapiens dans la chaîne
évolutive, il a été reconnu dans les années  1970
de Neandertal, dont il a comme une espèce à part entière, qui a cohabité
avec sapiens. Grâce à des moyens d’investigation
été le contemporain ? de plus en plus performants comme la paléobiogéo-

Un scénario se dessine. chimie (qui reconstitue l’histoire des êtres vivants


du passé en lien avec leur environnement) ou l’ana-
PAR OLYM E DELMA lyse ADN, d’autres branches parallèles à la nôtre
et à celle de Neandertal se sont ensuite greffées
dans l’arbre du vivant. Depuis les années 2000 se

S&V Hors Série • 47


D’où venons-nous?
sont ajoutés à la liste l’homme de Flores, l’homme
de Denisova et Homo naledi. Si ces espèces ont
été rangées dans la case « hominines » ou appar-
tiennent au genre Homo, c’est parce qu’elles ont
acquis la bipédie, qu’elles ont un gros cerveau et
une réduction de la face associée à celle de la taille
des molaires. Ce qui les différencie : des spécificités
dans le génome et, anatomiquement, des caractères
dérivés uniques, comme le menton osseux qui n’est
présent que chez sapiens.

NEANDERTAL, DENISOVA, FLORES…


Mais si tant d’autres espèces ont existé, pour-
quoi sommes-nous si seuls aujourd’hui, et même
depuis plusieurs dizaines de milliers d’années ?
Rembobinons le fil de la préhistoire. Selon la théo-
rie « Out of Africa », l’homme moderne apparaît en
Afrique vers – 300 000  ans. Du fait d’une densité
de population croissante, il quitte le continent pour
gagner le Proche-Orient. Il se déplace ensuite en d’homme-singe en raison de sa petite taille, de
Océanie : une présence d’Homo sapiens est attes- sa mâchoire prognathe et de son nez large, on lui
tée en Australie, au lac Mungo, entre – 60 000 et attribue ensuite le rôle d’une forme intermédiaire
– 45 000 ans. Son arrivée en Europe est plus tardive, aux capacités cognitives inférieures aux hommes
vers – 40 000 ans, comme le dévoile le plus ancien modernes. Certains avancent même que, contrai-
crâne de sapiens européen découvert sur le site rement à sapiens qui aurait concentré l’investisse-
d’Oase, en Roumanie. En moins de dix mille ans, ment neuronal dans les adaptations sociales, les
les hommes modernes atteignent les limites occi- néandertaliens pourraient avoir adopté une straté-
dentales de l’Ancien Monde (Europe, Asie, Afrique), gie alternative. Celle-ci aurait impliqué une vision
de l’Angleterre à Gibraltar. améliorée associée à la conservation de la robus-
Alors qu’Homo sapiens s’étend à l’échelle mon- tesse de leur ancêtre heidelbergensis, mais pas
diale, d’autres espèces sont déjà présentes sur le de cognition sociale supérieure. On a même long-
territoire : l’homme de Neandertal occupe l’Europe temps pensé que les néandertaliens n’étaient pas

À mesure que sapiens avançait sur de nouveaux territoires,


il semble avoir remplacé les populations présentes avant lui
et l’Asie centrale ; l’homme de Denisova, la Sibérie ; capables d’un langage articulé et ne s’exprimaient
l’homme de Flores, une île d’Indonésie, et Homo que par des grognements.
naledi, l’Afrique du Sud. Mais les néandertaliens et L’arrivée du puissant Homo sapiens (« celui qui
les dénisoviens s’éteignent vers – 40 000 ans et les sait ») qui met fin à son rival néandertalien trop
dernières traces de l’homme de Flores remontent bête pour survivre… Il est désormais admis que
à – 60 000 ans. À mesure que sapiens avançait sur cette vision est totalement biaisée. « On a supposé
les territoires européens et asiatiques, il semble que sapiens était supérieur à Neandertal, parce
avoir « absorbé » et remplacé les populations pré- qu’au Paléolithique supérieur (entre – 40 000 et
sentes avant lui. Car si ces espèces humaines ont – 10 000 ans) il a fait des industries très différentes :
bien disparu, la génétique montre que sapiens a de l’art, de l’outillage en os, en bois… Mais c’était
eu des échanges de gènes avec les néandertaliens après que Neandertal et les autres eurent disparu !
L. H. FAGE - CHRISTOPHE L.

et les dénisoviens, gènes que l’on retrouve dans C’est comme comparer l’homme d’aujourd’hui et
certaines populations actuelles. celui du Moyen-Âge, et en déduire que l’on est plus
Mais alors, aurions-nous poussé les autres vers intelligent parce que l’on a Internet. Cela n’a pas
l’extinction ? La question se pose depuis longtemps de sens ! », s’insurge Antoine Balzeau, chercheur au
en ce qui concerne Neandertal. D’abord qualifié CNRS et au Muséum national d’histoire naturelle.

48 • S&V Hors Série


NEANDERTAL
N’ÉTAIT PAS
UNE BRUTE ÉPAISSE
Il serait l’auteur de
peintures rupestres
découvertes en
Espagne et datées
de plus de 60 000 ans,
et, dans la grotte
française de Bruniquel
(ci-dessus), il aurait
même élaboré des
structures à partir de
stalagmites cassées il y
a plus de 170 000 ans.

Une étude approfondie des fossiles a permis de des épieux en bois et des lances. Quant au langage,
montrer que Neandertal n’était pas la brute que la génétique a montré la présence chez les néander-
l’on croyait et, depuis quelques années, il fait l’objet taliens du gène FoxP2, qui est associé au langage
d’une véritable campagne de réhabilitation. « Parler articulé chez nous. De plus, Neandertal, tout comme
de cognition inférieure est totalement dépassé sapiens, enterrait ses morts, sans hiérarchie de
aujourd’hui », considère Marylène Patou-Mathis, sexe ou d’âge, et procédait à des rituels funéraires
directrice de recherche au CNRS rattachée au complexes. « Les néandertaliens savaient diversi-
Muséum national d’histoire naturelle. Pour preuve, fier leur alimentation et leurs techniques d’acqui-
les néandertaliens auraient été à l’origine de la sition de la nourriture (notamment du gibier), ils
technique de débitage de la pierre dite « Levallois », connaissaient parfaitement leurs territoires d’ap-
qui sert à créer des objets spécifiques tels que les provisionnement et ils avaient une grande capa-
racloirs. Les hommes modernes l’auraient même cité d’adaptation à différents environnements »,
copiée. Neandertal fabriquait également des armes : résume Marylène Patou-Mathis. Rappelons que les

S&V Hors Série • 49


néandertaliens ont connu tous les climats, résisté significative campagne de nettoyage ethnique de
aux longues périodes glaciaires et occupé un ter- l’histoire », écrit l’historien israélien Yuval Noah
ritoire immense. « Il ne faut pas oublier qu’ils ont Harari, dans Sapiens, une brève histoire de l’hu-
vécu plus de 350 000 ans ! », insiste la chercheuse. manité. La population néandertalienne aurait éga-
Mais alors pourquoi Neandertal, après 300 000 ans lement été mise à mal à cause des changements
d’occupation du territoire eurasien et malgré toutes climatiques provoqués par le réveil d’un super-
ses capacités cognitives et d’adaptation à son envi- volcan dans la région des Champs Phlégréens (à
ronnement, a-t-il disparu ? De nombreuses explica- l’ouest de Naples), vers – 36 000 ans.
tions ont été avancées ces dernières années. « Le
problème c’est qu’elles partent encore souvent de VACHE FOLLE, ULTRAVIOLETS, FUMÉE…
l’idée présumée que sapiens est meilleur parce qu’il Autre proposition : la population néandertalienne
est toujours là », relève Antoine Balzeau. Pour cer- aurait déjà été en déclin lorsque les hommes
tains, les néandertaliens n’auraient pas résisté aux modernes sont arrivés sur son territoire, facilitant
parasites ou aux pathogènes apportés par sapiens. l’installation de ces derniers. L’analyse de l’ADN
Pour d’autres, la rencontre entre les hommes mitochondrial d’un enfant néandertalien d’il y a
modernes et les néandertaliens se serait soldée 100 000  ans a révélé un appauvrissement de la
par un génocide : « Dans les Temps modernes, diversité génétique au sein de la population néan-
CHRISTOPHE L. - MUSEUM TOULOUSE

une petite différence de couleur de peau, de dia- dertalienne. « Un pareil phénomène ne peut s’expli-
lecte ou de religion a suffi à pousser un groupe quer que par l’érosion de diversité qu’entraîne une
de sapiens à en exterminer un autre. Les anciens chute démographique », relèvent Silvana Condemi,
sapiens auraient-ils été plus tolérants envers une paléoanthropologue à l’université d’Aix-Marseille
espèce humaine entièrement différente ? Il se et directrice de recherches au CNRS, et François
peut fort bien que la rencontre des sapiens et des Savatier, dans leur livre Neandertal, mon frère ;
Neandertal ait donné lieu à la première et la plus 300 000 ans d’histoire de l’homme.

50 • S&V Hors Série


D’où venons-nous?

DES ÉCHANGES CULTURELS


ONT EU LIEU ENTRE SAPIENS
ET NEANDERTAL
Des transferts de techniques
sont intervenus entre les deux
espèces, comme en atteste
l’adoption par sapiens d’une
méthode de taille de la pierre
néandertalienne permettant
d’obtenir des éclats caractéris-
tiques, appelés pointes
Levallois (ci-contre).

Enfin, d’autres hypothèses, plus farfelues, ont suffisamment nombreux pour qu’une petite partie
été émises : « Certains avancent que Neandertal du génome de Neandertal soit transmise à travers
était cannibale et qu’il est mort de la maladie de les générations jusqu’à aujourd’hui.
la vache folle. D’autres pointent les changements La thèse d’un déclin démographique chez nos
cosmologiques qui se sont produits à l’époque où cousins éloignés est aujourd’hui discutée. « Une
sapiens est arrivé en Europe : Neandertal n’au- baisse démographique a pu arriver, mais nous
rait pas supporté les rayons ultraviolets. Mais on n’avons pas assez de données pour l’affirmer. De
se demande alors pourquoi sapiens si », ajoute, plus, leur grande expansion géographique montre
amusée, Silvana Condemi. Une alimentation trop que les néandertaliens n’ont pas eu de problèmes
spécialisée, pauvre en oméga 3 et trop riche en de reproduction pendant 300 000  ans. Pourquoi,
protéines animales, ou même la fumée des foyers d’un seul coup, auraient-ils arrêté de se repro-
ont aussi été évoquées comme autant de causes duire ? », questionne le chercheur. Si une baisse
possibles de son extinction… de la population néandertalienne n’est pas avé-
Quelle hypothèse privilégier ? Si elle paraît plau- rée, la progression démographique de son cousin
sible, la piste d’une éradication de Neandertal sapiens paraît, elle, indiscutable. « Pour preuve, il
par la violence ne tient pas. « Les génocides sont sort d’Afrique et va conquérir d’autres territoires »,
rapides, ils ne prennent pas entre cinq  mille et souligne Silvana Condemi.
dix mille ans. Or, c’est à peu près le temps de dis- C’est finalement le scénario d’une « absorp-
parition des néandertaliens après une cohabitation tion » génétique des néandertaliens par l’homme
avec sapiens. Même si des conflits et de la vio- moderne qui se révèle aujourd’hui le plus fondé.
lence ont pu avoir lieu localement, il y a surtout Dès son arrivée en Europe, l’homme moderne

De nombreuses explications, plus ou moins farfelues, ont été


avancées pour expliquer la disparition de Neandertal
eu des échanges », considère Silvana Condemi. s’adapte bien à son environnement. Il occupe
Des échanges culturels, comme avec la méthode d’abord les zones vacantes, puis côtoie les néan-
de taille Levallois, mais aussi génétiques. Le fait dertaliens. En plus d’une concurrence territoriale,
que les eurasiatiques actuels possèdent entre 2 % il exerce une pression de prédation supplémentaire
et 4 % d’ADN néandertalien est la preuve ultime sur les ressources préférées de ses voisins. « Dans
de contacts non violents. « Bien qu’il soit impos- l’Europe pléistocène, les néandertaliens vivaient en
sible de l’exclure, il est peu probable qu’il n’y ait exploitant d’immenses espaces naturels où ils tra-
eu que des unions non consenties, vu le nombre de quaient les grands herbivores. L’arrivée de sapiens
cas de métissage », estime Antoine Balzeau. Les semble avoir gêné ce mode de vie. L’irruption dans
hybrides qui sont nés de ces métissages ont dû être leur environnement d’une espèce humaine aussi

S&V Hors Série • 51


expansive territorialement et démographiquement génétiquement dilués pour finir par s’éteindre »,
que sapiens a été, à l’échelle géologique, l’équiva- conclut Marylène Patou-Mathis.
lent d’une explosion », explique Silvana Condemi. Quant aux hommes de Denisova, si les données
En outre, si sapiens s’est reproduit avec sont encore insuffisantes pour avancer des causes
Neandertal, la génétique ne paraît pas avoir été de leur disparition, il est probable qu’ils aient connu
à l’avantage de ce dernier. Aujourd’hui, aucun le même destin que les néandertaliens. Comme
ADN néandertalien n’est présent sur le chromo- eux, les dénisoviens ont laissé une trace de leur
some Y de nos contemporains. L’une des théories présence dans le génome sapiens : les Mélanésiens
pour expliquer cette absence est que le chromo- actuels partagent 4 à 6 % de leur ADN. C’est lors
some Y néandertalien aurait été hautement incom- de leur passage à travers l’Asie du Sud-Est et la
patible avec la grossesse d’une sapiens : celle-ci Mélanésie que sapiens les aurait en quelque sorte
n’aurait pas pu mettre au monde d’hybride mâle. « absorbés » génétiquement.
Seules les unions entre hommes sapiens et femmes
néandertaliennes auraient laissé des descendants FLORES, VICTIME DE CONSANGUINITÉ ?
mâles. Cela aurait constitué un avantage pour les Les causes de l’extinction d’une espèce sont néan-
sapiens qui auraient pu revitaliser leur groupe en moins multiples : « Plein de petites choses accu-
y intégrant des néandertaliennes, alors que les mulées vont faire que l’espèce va décroître : un
néandertaliens n’auraient pas pu renforcer leur virus à un endroit, du volcanisme à un autre, une
clan en y incorporant des femmes sapiens. « Petit concurrence, le hasard dans les nouveaux carac-
à petit, beaucoup moins nombreux que sapiens, tères qui apparaissent et qui pourront permettre
les  néandertaliens se seraient en quelque sorte à une espèce d’être mieux adaptée… », détaille

52 • S&V Hors Série


D’où venons-nous?
« Hobbit » : le climat, le volcanisme et les hommes
modernes. « La dernière période glaciaire (entre
DES UNIONS MIXTES PEU FERTILES – 70 000 et – 12 000 ans) a été une période de rapides
Pour expliquer la disparition des néan- changements climatiques, plus importants et plus
dertaliens, des chercheurs avancent un abrupts que lors des 10 000 dernières années, rela-
déclin démographique, avant même leur
rencontre avec sapiens. Quoi qu’il en soit, tivement stables. De plus, Flores est une île volca-
leur union avec des femmes sapiens ne nique et une grande éruption aurait pu facilement
pouvait déboucher sur des descendants
mâles, apparemment en raison d’une in- anéantir une petite population de floresiensis.
compatibilité avec leur chromosome Y Quant aux hommes modernes, ils ont pu les déci-
(ci-dessous, les chromosomes X et Y vus
au microscope à balayage électronique).
mer par prédation directe et mise à mort, par com-
pétition pour les ressources ou en modifiant leur
environnement nourricier », estime le chercheur.

SAPIENS AUSSI A FAILLI DISPARAÎTRE


Il peut être difficile d’accepter que des lignées
humaines, et surtout une lignée d’humains
intelligents comme les néandertaliens, aient pu
s’éteindre. Pourtant, « il n’y a pas de raisons que
des êtres intelligents ne soient pas contraints
par leur environnement. À l’instar d’autres êtres
vivants, ils ont certainement tous disparu du fait de
contraintes environnementales », insiste Antoine
Balzeau. L’homme reste une espèce vivante
parmi d’autres et, comme les autres, l’espèce
se développe, atteint un maximum puis décroît,
pour finir par disparaître.
« Même si l’extinction de nos frères néanderta-
liens nous touche, il s’agit bien d’un phénomène
banal à l’échelle de l’histoire évolutive de la pla-
nète. Elle est à mettre sur le même plan que la fin
de l’écureuil roux d’Europe au Royaume-Uni à la
Antoine Balzeau. La disparition de l’homme de suite de l’arrivée de l’écureuil gris d’Amérique »,
Flores en est certainement un bon exemple. Pour relativisent Silvana Condemi et François Savatier
le moment, il n’est pas prouvé qu’il ait rencontré dans leur livre. Et sapiens n’a pas dérogé aux règles
sapiens, car les fossiles retrouvés de l’homme de l’évolution, puisqu’au même moment que les
de Flores (datés de 100 000 à 60 000  ans) sont autres, notre espèce a failli disparaître : « La géné-
plus vieux que ceux de sapiens trouvés sur l’île tique nous montre qu’il y a eu un goulet d’étrangle-
(11 000 ans). Cependant, la présence de l’homme ment chez Homo sapiens il y a 50 000 à 60 000 ans.

« Même si l’extinction des néandertaliens nous touche, c’est un


phénomène banal à l’échelle de l’histoire évolutive de la planète »
moderne en Océanie entre – 60 000 et – 45 000 ans Nous savons aujourd’hui que les populations
laisse planer le doute d’une potentielle rencontre. anciennes de notre espèce qui se sont déplacées
Plusieurs facteurs ont pu amener ces hommes à depuis l’Afrique il y a 200 000 ans et qui étaient
s’éteindre. Étant isolés sur une île, les hommes de au Proche-Orient et en Asie il y a 100 000  ans
CHRISTOPHE L. - SPL/COSMOS

Flores auraient-ils décliné à cause de la consangui- n’ont pas contribué au patrimoine génétique de
nité ou de ressources limitées ? l’humanité actuelle. C’est une seconde vague
Pour Nick Scroxton, chercheur au département d’Homo sapiens, arrivée il y a 60 000 ans depuis
de géosciences de l’université Massachusetts, l’Afrique, qui explique la diversité actuelle », ajoute
aux États-Unis, il y a trois  candidats possibles Antoine Balzeau. De quoi relativiser la prétendue
pour expliquer la fin de celui que l’on surnomme le supériorité de sapiens… •
S&V Hors Série • 53
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56 • S&V Hors Série


D'où venons-nous ?

QUEL EST LE
PROPRE DE
L’HOMME ?
Le constat est rude pour l’ego humain : plus
on étudie l’homme et ses ancêtres, plus ce qui nous
distingue des autres animaux nous échappe.
Qu’est-ce qui nous définit, finalement ? La bipédie ?
Le langage ? La création d’outils ? La maîtrise
du feu ? La spiritualité ? La pratique artistique ?
Ou la conjugaison de tout cela ? Les explorateurs du
passé tentent de dater l’apparition de nos différentes
capacités et d’en apprécier la singularité.

S&V Hors Série • 57


LA BIPÉDIE
UNE APTITUDE INSCRITE
DANS LE SQUELETTE
C’est une scène banale, qui s’est jouée il y
a 3,6 millions d’années, dans une plaine de
l’actuelle Tanzanie. Deux australopithèques
marchent l’un à côté de l’autre sur une
épaisse couche de cendres volcaniques. Un
troisième les suit, mettant soigneusement
ses pas dans les leurs. Ce qui n’est pas
banal, c’est que cette scène soit parvenue
jusqu’à nous sous forme d’empreintes
parfaitement conservées. Si elles nous
semblent si familières, ces émouvantes
traces, c’est que c’est la bipédie distingue
clairement l’homme des autres primates.
Elle est d’ailleurs pour les paléontologues
la condition sine qua non que doit remplir
un fossile pour être intégré dans la lignée
humaine. On sait aujourd’hui que la
bipédie a précédé l’émergence du genre
Homo : les australopithèques et même
leurs probables ancêtres la pratiquaient
aussi, du moins une partie du temps.
« Les premiers hominines, comme Orrorin,
il y a 6 millions d’années, étaient encore
partiellement arboricoles, mais quand ils
étaient au sol, ils étaient debout », précise
Martin Pickford, paléoanthropologue
au Muséum national d’histoire naturelle.
Ceci dit, les traces de pas bien conservées
sont rares et leur datation parfois sujette
à caution. Comment, alors, prouver qu’un
fossile provient d’un individu allant sur
ses deux jambes ? En analysant la morpho-
logie de certains os. Un long fémur et une
longue tête fémorale, par exemple, sont
des indices de station debout. Son articula-
tion avec le bassin, plus large et plus bas
chez les bipèdes, est également un indica-
teur fort, tout comme la forme de la voûte
plantaire, la position des orteils ou les
traces laissées sur les os par les muscles,
comme les fessiers. La forme de la colonne
vertébrale et la position, à la base du
GETTY INSTITUTE OF ARCHEOLOGY, HEBREW UNIV.

crâne, du trou occipital (qui permet


le passage du bulbe rachidien) sont aussi
à examiner de près : plus le trou occipital
se situe au centre du crâne, plus il est clair
que le spécimen étudié était bipède. L.H.

Découvertes en Tan-
zanie dans de la cendre
volcanique durcie, ces
traces de pas datent de
3,6 millions d’années.

58 • S&V Hors Série


D'où venons-nous ?

Des restes de
silex, de bois et
de graines brûlés
(ci-contre, de l’oli-
vier sauvage et
un grain d’égilope
vus au micros-
cope) ont été
trouvés à Gesher
Benot Ya’aqov,
en Israël. Répartis
en des endroits
spécifiques du
site, ils seraient
les vestiges de
foyers allumés il y
a 790 000 ans…

LA MAÎTRISE DU FEU
DES FOYERS D’AU MOINS 400 000 ANS
Le feu a changé la vie de l’homme. vont bien plus loin : des graines brûlées
Il l’a sorti de l’obscurité, lui a permis trouvées à Gesher Benot Ya’aqov, en Is-
d’améliorer sa nourriture et ses outils, raël, feraient remonter les premiers
de voyager vers les régions froides… foyers à 790 000 ans. D’autres traces,
Savoir où et quand sa maîtrise est sur des sites kényans et sud-africains
apparue est ainsi un débat brûlant en particulier, suggèrent qu’Homo
chez les spécialistes. Ils en cherchent erectus utilisait déjà le feu entre – 1,6
les plus anciennes traces archéolo- et – 1 million d’années. Mais il s’agissait
giques, mais peinent à déterminer probablement d’une utilisation ponc-
si elles témoignent d’une utilisation tuelle de feu naturel, ce qui n’est pas
intentionnelle. Les chercheurs s’ac- strictement le propre de l’homme : en
cordent toutefois sur des preuves Australie, certains rapaces relancent ou
claires de sa domestication il y a déplacent des feux naturels au moyen
400 000 ans, dans des sites en Europe, de brindilles enflammées, pour mieux
en Asie et au Proche-Orient. Et certains chasser leurs proies effrayées. L.H.

S&V Hors Série • 59


D'où venons-nous ?
LA CRÉATION D’OUTILS
LA TAILLE DE PIERRE,
LE PLUS VIEIL ARTISANAT
L’homme a longtemps considéré qu’il était
le seul animal capable d’utiliser des outils.
Jusqu’à ce que, au début des années 1960,
les primatologues observent des grands
singes se servir de brindilles pour attraper
des termites, et de pierres pour casser des
noix. On sait désormais que les corbeaux
sont eux aussi très ingénieux et que
les loutres savent casser des coquillages
en les frappant sur une pierre posée sur
leur ventre ! L’utilisation d’outils n’est donc
pas propre à notre espèce. Il est toutefois
évident que l’homme a façonné et perfec-
tionné ses outils à un point inégalé, et ce,
il y a déjà plusieurs millions d’années.
Les chercheurs estimaient jusqu’à récem-
ment que c’était les premiers représen-
tants du genre Homo, les habilis, qui
étaient les tout premiers « artisans ».
Mais la découverte au Kenya, en 2015,
de pierres taillées datées de 3,3 millions
d’années (voir p. 21), a montré que les aus-
tralopithèques savaient déjà produire des
éclats tranchants à partir d’un bloc de lave,
selon la technique dite « sur enclume »
(à l’aide d’un percuteur frappant le bloc
à tailler posé sur un socle) et selon celle
« sur percuteur dormant » (le bloc à tailler
étant directement frappé sur l’enclume).
La taille de pierre s’est ensuite sophistiquée,
avec le développement de la percussion
directe au percuteur de bois ou d’os (il y a
environ 1 million d’années), notamment
pour façonner les bifaces. Ceux-ci, véri-
tables couteaux suisses préhistoriques,
pouvaient servir à dépecer et à désarticuler
des animaux, à gratter des peaux,
à couper, à écorcer… et nécessitaient
le recours à une technique relativement
élaborée. Leur mode de fabrication s’est
diversifié et perfectionné avec le temps.
La méthode dite « Levallois », par exemple,
qui permet d’obtenir des éclats tranchants
et des pointes (ci-contre), nécessite une
taille préalable minutieuse du nucleus
qui sera ensuite débité. Elle fut utilisée
M. KAMAL, MPI EVA, LEIPZIG/CC

par Neandertal et Homo sapiens. C.B.

Seuls les humains


façonnent des outils,
comme ces pierres
trouvées au Maroc avec
des restes de sapiens
datés de 300 000 ans.

60 • S&V Hors Série


S&V Hors Série • 61
62 • S&V Hors Série
D'où venons-nous ?
LES SÉPULTURES
L’APPARITION
DU RESPECT DES MORTS
L’homme est le seul animal qui enterre ses
morts, et ce, depuis au moins 100 000 ans.
Pour quelles raisons ? La question divise
les préhistoriens. Certains s’interdisent
de parler de religion pour des périodes
aussi reculées. Mais pour d’autres, ces
sépultures impliquent une conception
métaphysique : enterré, le mort est séparé
des vivants. Il est protégé. Homo sapiens
autant que néandertaliens, les hommes
qui ont creusé ces tombes ont choisi ceux
qu’ils y ont enterrés. Chez les néander-
taliens notamment, près de la moitié
des découvertes concernent des enfants
de moins de 3 ans (dont des nourrissons
et même un fœtus), ce qui indique une
préoccupation symbolique particulière
vis-à-vis des plus jeunes. Dans de rares
cas, des objets déposés dans les tombes
pourraient être interprétés comme des
offrandes faites aux défunts. C’est le cas
de Qafzeh-11 (ci-contre), l’une des plus
anciennes sépultures connues, découverte
en 1969 sur le site de Qafzeh, en Israël,
et datée de 92 000 ans. L’enfant sapiens
de 12-13 ans qu’elle abrite est inhumé
dans un sédiment meuble dont les parois
ont été renforcées par des blocs de cal-
caire. Il repose sur le dos, ses jambes sont
fléchies, ainsi que ses bras, de telle sorte
que les mains se présentent de part et
d’autre de la tête. Les bois d’un cervidé ont
été déposés sur sa poitrine, près de son
crâne. S’agit-il d’un simple geste d’atten-
tion envers le défunt, ou faut-il y voir une
valeur métaphysique, magique, religieuse ?
Pour que ces dépôts d’objets puissent être
interprétés comme des offrandes inscrites
dans une pratique rituelle, il faut qu’ils
se reproduisent dans un même environne-
ment. Or, cette répétition n’apparaît qu’il
y a environ 29 000 ans. Dans de nombreux
cas, la mise en scène des défunts par les
vivants est alors incontestable (position
du corps, parures, vêtements, armes…).
Pour les périodes anciennes, hélas, elle est
impossible à démontrer. D’après L.B.

Il y a 92 000 ans ce jeune
sapiens de 12-13 ans était
inhumé avec les bois d’un
cervidé. Une marque d’at-
GETTY

tention envers le défunt.

S&V Hors Série • 63


LA NAVIGATION
SUR LA PISTE
DES PREMIERS MARINS
L’homme, cet infatigable explorateur,
est la seule espèce terrestre capable
de traverser intentionnellement
les mers. D’autres animaux ont certes
pu franchir des étendues d’eau, parfois
très vastes, au gré de la dérive de débris.
Mais aucun autre animal que l’être
humain ne construit des embarcations
destinées à voyager. La navigation
est donc propre à l’homme. Mais quel
homme ? Depuis quand navigue-t-on ?
On sait qu’il y a 65 000 ans, Homo
sapiens, qui est déjà arrivé en Asie
par les terres, a réussi à accoster en
Australie. Des fouilles réalisées sur le site
de Madjedbebe, au nord du continent,
dont les résultats ont été publiés
en 2017, l’ont prouvé sans ambiguïté,
reculant de 20 000 ans les précédentes
estimations de présence humaine
en Australie. Mais ces Homo sapiens
peuvent-ils réellement être considérés
comme les premiers marins ? La plupart
des scientifiques estiment en tout cas
que seul sapiens dispose des capacités
cognitives suffisantes (notamment
la maîtrise d’un langage élaboré)
pour naviguer sur de longues distances.
Sauf que la découverte en 2003 d’une
étrange nouvelle espèce d’hommes,
datés de 100 000 à 60 000 ans, sur
la petite île indonésienne de Flores,
laisse penser que c’est probablement
Homo erectus qui aurait atteint l’île
indonésienne avant d’évoluer pour
devenir le petit Homo floresiensis.
Autre découverte, encore controversée,
celle de pierres taillées mises au jour
en 2008 à Plakias, sur la côte sud-ouest
de la Crète, face à la Libye, et datant
de 130 000 ans, les plus vielles jamais
retrouvées sur l’île. Constituent-elles
la preuve que d’anciens sapiens, voire
des erectus, aient pu naviguer jusque- Ces coquillages datant de 75 000 ans, trouvés dans
là ? C’est la théorie que défendent la grotte de Blombos (Afrique du Sud), témoignent d’une
pensée symbolique. Ces objets de parure remplissent
les découvreurs, sous la direction de en effet des fonctions symboliques qui requièrent un
Thomas Strasser du Providence College, langage et des capacités cognitives proches des nôtres.
dans le Rhode Island, aux États-Unis.
Sans faire consensus pour le moment.
Les fouilles devraient s’intensifier
dans la région pour tenter de confirmer
cette hypothèse. C.B.

64 • S&V Hors Série


D'où venons-nous ?

LE LANGAGE
UN APANAGE DE L’HOMME DIFFICILE À RETRACER
Certes, les animaux communiquent sentations artistiques plus anciennes entre taille du cerveau et aptitude
et certains de façon très élaborée. Mais conduisent à la repousser. Gravures au langage : faut-il un minimum de 400
seuls les hommes ont inventé, avec abstraites de plus de 70 000 ans à 500 cm3, comme chez les australo-
un nombre limité de sons, une infinité et parures de coquillages colorés pithèques ? Ou de 600 cm3, comme
de mots qui s’emboîtent pour créer de 85 000 ans révèlent la présence chez Homo habilis ? La morphologie
du sens, grâce à la syntaxe. Le langage probable d’un langage sophistiqué il y a de la boîte crânienne peut-elle aider
est donc clairement propre à l’homme : au moins 100 000 ans, c’est-à-dire à y voir plus clair ? Celle des australo-
« Nous sommes même passés d’un au moment de l’expansion des sapiens. pithèques gahri laisse déjà poindre
primate incapable de parler à un primate l’empreinte d’une asymétrie, mais c’est
incapable de se taire ! », plaisantait Jean- SAPIENS, MAIS PAS UNIQUEMENT surtout à partir d’habilis que la région
Louis Dessalles, chercheur à ParisTech, D’ailleurs, il y a 100 000 ans, d’autres temporale gauche, qui contient les aires
dans les colonnes de Science & Vie espèces peuplaient la Terre, dont du langage, apparaît véritablement
en 2011. Comment et quand s’est-il Neandertal. Or, au vu de ce qu’il a laissé développée. Peut-on en déduire
imposé chez les humains, alors que comme traces, (outils, œuvres d’art…), qu’habilis parlait ? Peut-être. Mais plus
d’autres primates sont restés muets ? nul doute qu’il savait parler. Peut-on, que la taille, à un instant t, c’est son
Les paléoanthropologues peinent dès lors, imaginer l’émergence du lan- augmentation qui attire l’attention
à répondre à la question, les fossiles gage chez des espèces antérieures ? des spécialistes. En un million d’années,
étant peu bavards sur ce sujet. Leur Les outils sophistiqués de 1,7 million les hominines sont passés d’un cerveau
première piste : tenter de dater d’autres d’années ne supposent-ils pas un re- de 400 cm3 à 1 000 cm3, ce qui coïncide
signes de l’émergence d’une pensée cours à un niveau d’abstraction que seul avec l’émergence d’Homo erectus,
symbolique, comme la fabrication le langage autorise ? La domestication premier humain capable de quitter
D’ERRICO/HENSHILWOOD

d’outils sophistiqués, la pratique du feu, il y a 400 000 ans, ne révèle- l’Afrique et de s’adapter à nouvel envi-
de sépultures ou l’expression artistique. t-elle pas l’existence d’un système ronnement. Un succès évolutif qui
La date de 40 000 ans, qui correspond de communication perfectionné ? laisse penser qu’il avait acquis une arme
à une explosion artistique en Europe, Ces questions sont largement débat- prodigieuse. Le langage ? Un proto-
a longtemps prévalu. Mais des repré- tues, tout comme celle du rapport langage ? Peut-être… D’après A.G.

S&V Hors Série • 65


LA SPIRITUALITÉ
DE MONUMENTAUX LIEUX DE CULTE
Quel humain préhistorique a-t-il ce qui exclut un usage d’habitation. aient non seulement éprouvé le besoin
ressenti en premier la présence imma- D’après Klaus Schmidt, qui a dirigé de représenter des animaux, mais sur-
térielle d’un dieu ou d’un esprit ? Lequel les fouilles de Göbekli Tepe, cette tout eu le courage de descendre dans
a envisagé pour la première fois un découverte exceptionnelle indiquerait des grottes obscures et parfois difficiles
« au-delà » de la mort ? Et comment que, contrairement à ce que l’on d’accès pour le faire, tend à prouver
l’idée du divin s’est-elle ensuite diffusée croyait jusqu’ici, la religion aurait qu’il s’agissait, sinon d’une religion,
dans un groupe jusqu’à constituer une précédé l’agriculture (apparue il y a du moins d’un acte hautement symbo-
religion ? Impossible de répondre à ces environ 11 000 ans), et l’aurait peut- lique. D’ailleurs, les animaux les plus
questions. Mais une chose est certaine, être même engendrée, par la nécessité représentés (des chevaux et des bisons)
ou presque : il y a 11 500 ans, les d’organiser des stocks de nourriture n’étaient pas les plus fréquemment
hommes pratiquaient déjà une forme à proximité des temples. chassés. Ils étaient donc sans doute
de culte. En 1995, à Göbekli Tepe, dans chargés de significations, porteurs
le sud de la Turquie, ont été mises au UN ACTE HAUTEMENT SYMBOLIQUE d’une croyance particulière. Et encore
jour des constructions monumentales Et avant le Néolithique ? Les magni- avant ? À mesure que l’on s’éloigne
du début du Néolithique, qui consti- fiques parois décorées des grottes dans le temps, le sens du sacré des
tuent probablement le plus ancien de Lascaux, peintes il y a 17 000 ans, et hommes préhistoriques se fait de plus
temple jamais construit. À l’appui de Chauvet, réalisées il y a 30 000 ans, en plus insaisissable. Sans traces
de cette hypothèse, des obsidiennes témoignent-elles d’une forme de reli- de lieux de culte ou de représentations
(des roches volcaniques ressemblant gion ? C’est l’hypothèse que soutient graphiques, la quête de ses origines
à du verre) retrouvées sur le site, mais le préhistorien Jean Clottes, qui voit est particulièrement délicate. Sauf
provenant de volcans parfois distants dans ces dessins l’illustration des diffé- à considérer que les toutes premières
de plusieurs centaines de kilomètres et rentes étapes de la transe chamanique. inhumations, qui apparaissent voici
qui constituent un indice probable de Une interprétation largement débattue 100 000 ans, signent la naissance
pèlerinage. D’ailleurs, aucune source dans la communauté scientifique, d’une pensée empreinte de spiritualité
d’eau ne se trouve à proximité du site, certes ; mais le fait que des hommes chez nos ancêtres. D’après L.B.

66 • S&V Hors Série


D'où venons-nous ?

Le site de Göbekli Tepe, dans le sud-est de la Turquie,


est le plus ancien temple jamais découvert. Il a été
construit il y a environ 11 500 ans, loin de toute source
d’eau, ce qui exclut son usage comme habitation.

Le site néolithique a livré des bâtiments exceptionnels


structurés par des centaines de piliers colossaux
en forme de « T », presque tous couverts de bas-reliefs
animaliers (fauves, sangliers, oiseaux, serpents…).
SHUTTERSTOCK

S&V Hors Série • 67


68 • S&V Hors Série
D'où venons-nous ?
L’ART
DES FRESQUES
INNOMBRABLES
À contempler les incroyables peintures
de la grotte Chauvet, on ne se contente
plus de louer l’ingéniosité de nos ancêtres
ou de s’étonner de leur bravoure. On
admire simplement, d’égal à égal, leur
talent artistique. Leur capacité à nous
émouvoir alors que 32 000 ans nous
séparent. Pourtant, l’expression artistique
n’est pas le propre de sapiens. Il faut
remonter bien plus loin dans le temps
pour la voir s’annoncer : le plus vieux
dessin n’est pas attribué à sapiens, mais
à Homo erectus ! Daté de 500 000 ans, il a
été gravé sur un coquillage en Indonésie,
probablement avec une dent de requin. En
apparence très simple (peut-être trop pour
être qualifié d’art), il n’en est pas moins, de
l’avis des spécialistes, intentionnellement
réalisé. Également attribuée à Homo
erectus, la plus ancienne figurine relevant
plus clairement de l’œuvre d’art, sur-
nommée la Vénus de Berekhat Ram, est
âgée de 230 000 ans et a été découverte
en Israël. Mais certains scientifiques
pensent qu’il peut s’agir d’une forme natu-
relle. La plus ancienne preuve d’art pariétal
remonte quant à elle à 66 700 ans, en
Espagne. Cette fois, c’est Neandertal qui
en est l’auteur. De nombreuses autres
grottes d’Europe abritent des peintures
ou des gravures attribuées à Homo
sapiens, en particulier la fameuse grotte
Chauvet, qui recèle plus d’un millier
de peintures et gravures, ou encore celle
d’El Castillo, datée de 41 000 ans, renfer-
mant environ 3 000 dessins sur différents
supports. Mais l’art préhistorique ne se
limite pas à l’Europe, et si de nombreuses
peintures y sont découvertes, c’est en
grande partie grâce aux bonnes conditions
de conservation que procurent les grottes.
On trouve par exemple des peintures
rupestres dans le parc national de la Serra
da Capivara, au Brésil, datées autour
de 40 000 ans, ainsi qu’en Australie,
sur le site Nawarla Gabarnmang,
datées d’environ 28 000 ans. L.H.
Réalisé au charbon de
bois de pin il y a plus de
30 000 ans, le panneau
des Chevaux de la grotte
Chauvet démontre une
CC SYCPA

maîtrise de l’estompe
et de la perspective.

S&V Hors Série • 69


La domestica-
tion des animaux
(ici, la gravure ru-
pestre de la Vache
qui pleure, en
Algérie) s’est faite
sur plusieurs
continents,
il y a environ
12 000 ans.

L’ÉLEVAGE
DES ANIMAUX
À NOTRE SERVICE
Le premier animal apprivoisé par l’homme
fut le loup, qui devint ainsi le chien,
il y a probablement plus de 14 000 ans.
S’ensuivit une longue phase de contrôle
des animaux sauvages, entre – 12 000
et – 9 000, qui précéda les débuts
de la domestication. Au moment
de l’apparition de l’agriculture, sapiens
se met à élever de nombreuses espèces,
dont des ossements ont été exhumés
lors de fouilles archéologiques au Proche-
Orient : chèvres, moutons, cochons
et bovins. Le même processus se produit
à la même époque de manière indépen-
dante en Amérique du Sud (lamas,
alpacas, cochons d’Inde, canards
de barbarie) et du Nord (dindons),
en Extrême-Orient (cochons, chèvres,
buffles, coqs), en Afrique (ânes et peut-
être bovins), en Asie centrale (chevaux et
chameaux) et même en Europe (cochons).
Dans de nombreuses régions du globe,
plantes et animaux domestiqués
ont formé très tôt un système intégré,
les seconds étant nourris avec des déchets
agricoles, menés sur les champs après
les récoltes pour les régénérer grâce
à leur fumier, et fournissant viande,
graisse, peaux, poils et produits laitiers.
L’utilisation des bovins pour leur force
motrice dans l’agriculture ne s’est
développée, elle, que plus tardivement,
vers le e- e millénaire. D’après P.T.-V.

70 • S&V Hors Série


D'où venons-nous ?

L’AGRICULTURE
UNE RÉVOLUTION NÉE AU PROCHE ORIENT
C’est un événement majeur de (avec les piments, les courges, les
l’histoire de l’humanité. Il y a environ haricots et le maïs), en Afrique et en
11 000 ans, sapiens, qui vivait en petites Océanie (avec les bananes, les cannes
communautés se déplaçant sans cesse à sucre et les ignames), où des cultures
pour se nourrir, s’est organisé en sont apparues entre les V e et e millé-
sociétés fixes et productrices. Une révo- naires avant notre ère. Aucune trace,
lution, car maîtriser la culture de nom- en revanche, de quelque centre
breuses plantes (dont les céréales, qui de primo-domestication d’espèces
fournissent aujourd’hui les trois-quarts végétales en Australie, en Sibérie
des calories alimentaires de l’humanité) et au Groenland. Quant à l’Europe,
a permis une augmentation specta- l’agriculture n’y a pris racine, entre
culaire des ressources disponibles, les V e et Ve millénaires avant notre ère,
une croissance démographique sans que grâce à des variétés initialement
précédent et, par la suite, l’émergence cultivées au Proche-Orient. Des travaux
des premières cités. Les plus anciennes en génétique des populations humaines
traces de culture se situent au Proche- suggèrent que ce sont des agriculteurs
Orient (vigne sauvage et blé en Israël, venus du Proche-Orient avec leurs
orge et blé en Égypte), au e millénaire plantes et leurs modes de vie qui ont
avant notre ère. Mais au moins converti les populations autochtones
dix autres aires de domestication des à l’agriculture. La diffusion des langues
plantes ont déjà été repérées, en Asie indo-européennes a d’ailleurs suivi
(avec le riz et le millet), en Amérique le même chemin. D’après P.T.-V.

La culture
des plantes,
et surtout celle
des céréales (ici,
le fossile d’un épi
d’orge carbonisé
retrouvé en Ar-
AKG IMAGES G. WILLCOX

ménie), a permis
une croissance
démographique
sans précédent.

S&V Hors Série • 71


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de votre part, il vous suffit de nous prévenir par simple courrier.
LES OUTILS
DE LA
PALÉONTOLOGIE
74 La prospection : repérer
les sites fossilifères
80 Les fouilles : l’étape clé
du terrain
84 La datation : l’art
de remonter le temps
88 L’analyse ADN : faire parler
les génomes préhistoriques
SHUTTERSTOCK

96 La reconstitution : redonner
chair à nos ancêtres
S&V Hors Série • 73
La vallée du Rift (visible ici sur
une image radar), en Afrique, a
livré de nombreux fossiles. Cette
région connaît en effet un climat
sec depuis des millénaires, favo-
rable à la conservation des os.
Les outils de la paléontologie

LA PROSPECTION

Repérer
les sites
fossilifères
Le choix d’un site
de fouille est le résultat
d’un minutieux travail
de recherche sur le climat,
C’ est la base même de l’archéologie et de
la paléontologie : fouiller dans l’espoir
de trouver des traces laissées par nos
ancêtres ou leurs cousins. Des pierres taillées, des
outils façonnés, des parures et, bien sûr, des sque-
lettes. Le tout suffisamment bien conservé pour es-
pérer identifier l’espèce à laquelle ils appartenaient
la géographie et la géo- et la situer dans la grande histoire de l’évolution. Une
chasse au trésor loin d’être gagnée, pour laquelle les
logie du passé. Objectif : archéologues choisissent soigneusement leur site de

identifier les rares lieux fouilles, afin d’optimiser leurs chances de succès.
Première étape : identifier un endroit où une popu-
susceptibles d’avoir lation primitive aurait pu vivre sur une durée assez
longue ou répétée. Soit, le plus souvent, à proximité
conservé les fragiles traces d’une source d’eau potable. « Il est essentiel de

de nos lointains ancêtres. chercher près de l’eau, car c’est là que les sociétés
s’installaient », résume Benjamin Lans, géologue
NGA/JPL/NASA

à l’université de Pretoria, en Afrique du Sud, et au


laboratoire Traces de l’université de Toulouse. Sauf
qu’à cette échelle de temps (on parle ici de plusieurs

S&V Hors Série • 75


D’anciens sédiments à perte de vue
C’est sur la rive ouest du lac Turkana, au Kenya,
où des sédiments anciens affleurent, que l’équipe
de Sonia Harmand (la 3e à d.) a découvert en 2015
les pierres taillées les plus vieilles au monde.
Les scientifiques repèrent sur des vues aériennes
du site les secteurs les plus intéressants à fouiller.
Une fois sur place, ils plantent de petits drapeaux
jusqu’à nous. Ce qui, pour des matières organiques
à côté des éléments qui méritent examen.
aussi fragiles que le bois, le cuir ou l’os, est une vraie
gageure, souligne Benjamin Lans : « On estime gé-
dizaines de milliers à plusieurs millions d’années), néralement que sur 1 000  fossiles potentiels, 999
le climat et la géographie évoluent : les cours d’eau ne se conservent pas, si bien qu’un seul parvient
et les lacs se sont asséchés ou se sont déplacés. jusqu’à nous. Et sur ceux qui n’ont pas disparu,
La paléohydrographie permet alors d’identifier les nous n’en trouvons qu’une infime partie, peut-être
lieux où se situaient lacs et rivières dans un passé là encore un sur mille. Tomber sur un fossile, c’est
lointain. Une vallée peut, par exemple, indiquer l’an- donc avoir une chance sur un million ! »
cienne présence d’un glacier ou d’un cours d’eau.
Un relief très plat trahit, quant à lui, des dépôts la- ENTRE CHAROGNARDS ET SOLS ACIDES
custres. Des variations d’essences de bois dans la Il faut en effet que de nombreux paramètres se
végétation peuvent aussi signaler la présence d’un conjuguent pour contrer la destinée qui tend natu-
ancien méandre asséché. « Ça se voit assez bien sur rellement les bras aux fossiles : disparaître à tout ja-
les images satellites », indique Benjamin Lans. Les mais. Car de multiples agressions peuvent conduire
paléontologues vont alors diriger en priorité leurs à leur perte. S’il n’est pas rongé et dispersé aux
recherches vers les collines, des formations qui ont quatre vents par des charognards, un squelette doit
résisté à l’érosion et dont la base peut avoir abrité ensuite résister aux aléas météorologiques. « Exposé
une plage sur laquelle une population a pu se fixer. aux intempéries, le squelette est détruit par l’eau
« La légère houle à la surface d’un lac laisse des et le soleil, le gel, les alternances chaud-froid qui
traces caractéristiques sur les pentes des collines. Il créent des cycles de dilatation-contraction. Les os
suffit de remplir virtuellement le lac, par simulation tombent alors en poussière en moins de dix ans »,
numérique, pour déterminer ses anciens contours », reprend Benjamin Lans. Seuls les ossements rapi-
explique Laurent Bruxelles, de l’Institut national de dement recouverts d’une couche de protection
recherches archéologiques préventives (Inrap). (poussières, dépôts calcaires, sédiments, cendres
Mais localiser l’endroit où des individus ont pu volcaniques, glace…) « et qui restent au sec jusqu’à
MPK-WTAP

séjourner ne suffit pas. Encore faut-il que leurs leur découverte », précise Francesco d’Errico, anthro-
éventuelles traces aient réussi à traverser le temps pologue aux universités de Bordeaux et de Bergen,

76 • S&V Hors Série


Les outils de la paléontologie
comme le Sahara. Si bien qu’une grande partie de
son sous-sol n’a aucune chance d’avoir conservé
des ossements fossilisés. Charge aux archéologues
d’identifier les exceptions à cette règle, comme la
vallée du Rift, à l’est du continent, caractérisée par
un climat sec depuis plusieurs centaines de milliers
d’années. Une singularité qui explique que l’on y
ait retrouvé de nombreux fossiles relativement bien
conservés, comme celui de l’australopithèque Lucy
en 1974, complet à 40 %.

LE BOIS ET LE CUIR, FRAGILES MATÉRIAUX


Si les os ont une faible espérance de vie, les paléo-
anthropologues peuvent toujours essayer de mettre
la main sur des outils, moins fragiles. Mais la proba-
bilité de tomber sur de très vieux artefacts dans une
autre matière que la pierre sont tout aussi ténues,
confie Sonia Harmand, archéologue à la Stony Brook
University, à New York, et découvreuse, au Kenya,
des plus vieux outils jamais dénichés à ce jour, à
savoir des pierres taillées vieilles de 3,3 millions
d’années (voir ci-contre) : « On suppose qu’il exis-
tait des outils en bois très anciens, mais on n’en
rencontre pas, car la matière organique se conserve
en Norvège, ont une chance de nous parvenir. Voilà très mal. » Pour que le bois ou le cuir soient pré-
qui réduit considérablement les possibilités. Et ce servés, ils doivent être protégés de l’oxygène, ce
n’est pas tout. Même si le squelette est enfoui, il faut qui peut arriver dans des tourbières, par exemple.
encore que la composition chimique du milieu ne se Autrement dit, dans des cas exceptionnels. La
charge pas de le ronger totalement. « Si vous enter- flèche la plus vieille au monde (10 000 ans), en bois
rez un corps dans la terre en France, il est fortement de pin, a ainsi été mise au jour dans une tourbière
probable que vous n’en détectiez plus aucune trace en Allemagne. « Pour les époques antérieures à
au bout de cinquante ans », estime Benjamin Lans. 1,5 million d’années, les deux principaux types de
Car, comme le bois et le cuir, les os sont par nature matériels culturels que nous débusquons sont des
biodégradables. Pour éviter ce processus destruc- objets en pierre taillée (nucléus, éclats…), et des
teur, l’eau n’est pas la bienvenue, car l’humidité est traces de découpe sur les os, signes de comporte-
favorable aux bactéries et à certains insectes, comme ments alimentaires, ajoute la chercheuse. Mais ces
les termites, qui s’attaquent aux os. derniers sont beaucoup plus rares. »

« Exposés aux intempéries, à l’eau, au soleil et au gel, les os


d’un squelette tombent en poussière en moins de dix ans »
Les archéologues évitent également les zones Heureusement, à l’instar de la vallée du Rift, il
longtemps recouvertes de végétation. Car celle-ci existe des lieux particuliers qui offrent plus de
génère du dioxyde de carbone, ce qui entraîne une chances de trouver des traces anciennes. Parmi
acidification des sédiments nocive aux minéraux les plus recherchées depuis quelques années : les
qui composent les os, qui finissent là encore par se grottes. Ces espaces couverts, à l’abri des intempé-
désagréger en quelques années. Un phénomène qui ries et de l’humidité, étaient non seulement d’inté-
pose particulièrement problème en Afrique, sou- ressants refuges pour nos ancêtres et de magnifiques
vent considérée comme le berceau de l’humanité supports pour leurs dessins, mais aussi de parfaits
(lire p. 36), mais qui a été à de nombreuses reprises écrins pour la conservation de leurs restes. « À part
presque totalement recouverte par une végétation quelques rares spécimens qui étaient recouverts de
dense, y compris dans des zones aujourd’hui arides cendres en Afrique de l’Est, la plupart des fossiles

S&V Hors Série • 77


les plus anciens ont été décelés dans des grottes »,
relève Benjamin Lans. La liste (non exhaustive) de
ces découvertes, dont beaucoup ont marqué l’his-
toire de la paléontologie, parle d’elle-même : Homo
naledi en Afrique du Sud, l’homme de Flores en
Indonésie, l’homme de Denisova en Sibérie, les plus
anciens fossiles d’Homo sapiens mis au jour hors
d’Afrique en Israël, les 28 néandertaliens extraits de
Sima de los Huesos, en Espagne, sans oublier Little
Foot, l’australopithèque retrouvé complet à 95 %
en Afrique du Sud et vieux de 3,67 millions d’an-
nées ! Ce qui ne doit rien au hasard, selon Laurent
Bruxelles, qui a participé à la datation de Little Foot :
« Les grottes sont idéales pour la conservation des
fossiles, car ils y sont à l’abri de la lumière, de la
végétation et de la pluie. Si le spécimen était mort
en surface, il n’aurait pas laissé de trace. » La paléohydrologie au secours
des paléontologues
L’INVENTION DE L’HOMME DES CAVERNES
Pour identifier les régions qui, par le passé,
« Les grottes sont le meilleur exemple de piège à ont pu accueillir des populations humaines,
fossiles, confirme Jean-Jacques Hublin, directeur les chercheurs s’appuient sur des modèles paléo-
du département d’évolution humaine au Max-Planck hydrologiques, qui retracent l’évolution des
Institute de Leipzig, en Allemagne. Ce qui a d’ail- systèmes fluviaux sur de larges périodes de temps
(ici, les rivières qui traversaient le Sahara dans
leurs donné naissance au concept d’homme des ca-
la région de Koufra, il y a environ 100 000 ans).
vernes, laissant penser qu’ils n’habitaient que dans
des grottes. En fait, ils vivaient aussi ailleurs, mais on
n’en détecte pas souvent de traces aussi bien conser- ne soient pas trop près de la surface, où ils peuvent
vées. » Les cavités naturelles sont d’ailleurs une véri- avoir été déplacés ou endommagés », ajoute le géo-
table aubaine pour les paléontologues qui travaillent archéologue. Car mettre la main sur un fossile en bon
sur des spécimens antérieurs aux Homos, dont on état ne suffit pas, il faut aussi pouvoir le dater avec
pense – jusqu’à preuve du contraire – qu’ils ne maî- précision, le plus souvent en étudiant les couches de
trisaient ni le feu ni la fabrication d’outils, et dont on sédiments qui l’entourent (lire p. 84). Ce qui suppose
ne peut donc espérer retrouver que des ossements. que le fossile soit « dans sa couche », dans le jargon
« Des populations comme les australopithèques, archéologique, c’est-à-dire « que les restes soient in-
vieux de plus de 2 millions d’années, avaient une sérés dans des formations géologiques. C’est le cas
influence très faible sur leur environnement, analyse de tous les fossiles mis au jour en Afrique de l’Est,
Benjamin Lans. La seule possibilité d’en trouver des comme Lucy », note Jean-Jacques Hublin, découvreur
traces, c’est dans des grottes. » du plus vieux spécimen connu d’Homo sapiens, au

« Les grottes sont idéales pour la conservation des fossiles, car


ils y sont à l’abri de la lumière, de la végétation et de la pluie »
Pour repérer les sites les plus intéressants, les Maroc, qu’il a pu dater précisément à 315 000 ans
paléontologues s’entourent de plus en plus souvent grâce à ce type de configuration.
d’un bataillon de spécialistes de différents domaines Les sédiments sableux sont donc à éviter, car les
de la géologie, qui vont s’assurer que les critères re- fossiles ont pu s’y déplacer. Tout comme les dépôts
quis pour un bon filon sont remplis. À commencer argileux, qui gonflent et dégonflent selon la quantité
par la profondeur des sédiments. « En archéologie, d’eau et font bouger les objets qui y sont emprison-
on souhaite que les fossiles ne soient pas trop pro- nés. « Nous évitons aussi de fouiller le lit des rivières,
fonds, pour qu’ils ne soient pas trop difficiles à ex- car beaucoup de choses y sont enfouies, mais qui
traire », résume Laurent Bruxelles. L’idéal : à moins de se sont déplacées au fil du temps et sont donc inex-
trois mètres de profondeur. « Mais il faut aussi qu’ils ploitables, indique Sonia Harmand. C’est même la

78 • S&V Hors Série


Les outils de la paléontologie

DE CONTRAINTE GÉOPO ITIQUE


Quand ils doivent choisir où fouiller, les archéo-
logues font face à une contrainte initiale majeure :
cette activité est aujourd’hui difficile, voire
impossible à mener dans certains pays touchés
par des difficultés sociales ou politiques. Comme
en Syrie, en proie à la guerre civile, mais aussi
dans une grande partie de l’Afrique (Libye, Mali,
Mauritanie…). « Il n’y a actuellement aucune équipe
européenne en Algérie », déplore ainsi Francesco
d’Errico, anthropologue aux universités de
Bordeaux et de Bergen, en Norvège. « Certains
chercheurs émettent des hypothèses intéressantes
sur la Zambie, mais n’y vont pas car le pays est trop
instable », ajoute Benjamin Lans, géologue aux
universités de Toulouse et de Pretoria, en Afrique
du Sud. La communauté scientifique est toutefois
dans les starting-blocks pour lancer ou reprendre
les fouilles dès que ce sera possible, comme en son
temps en Afrique du Sud, à la fin de l’apartheid,
avec le succès que l’on sait. « Bien souvent, quand la
France reprend des échanges diplomatiques ou com-
merciaux avec un pays, les premiers arrivés sur place
sont les archéologues », sourit Francesco d’Errico.

première chose que les chercheurs regardent quand route, de l’eau, de l’électricité… », rappelle Benjamin
une découverte est publiée : le contexte du lieu et sa Lans. « En Namibie, il y a des endroits où l’on pense
configuration, pour vérifier s’il est probant ou non. » avoir une bonne chance de tomber sur des austra-
Reste ensuite à situer les sédiments correspondant lopithèques, explique Laurent Bruxelles. Mais c’est
à l’époque ciblée. Outre les géologues, spécialisés à 400 km de la première route, en autonomie totale,
dans l’origine des roches souterraines, les paléon- au milieu des lions et des éléphants. Le potentiel est
tologues font aussi souvent appel à des géomorpho- bon, mais le site n’a pas encore été fouillé. »
logues, spécialisés dans la formation des paysages Tout le potentiel de découvertes est donc loin
et des reliefs. Leur rôle : trouver les endroits où des d’être épuisé. D’autant que, depuis quelques an-
sédiments anciens affleurent, sous l’effet de la tec- nées, les archéologues s’aperçoivent que des tré-
tonique des plaques, comme c’est le cas en Afrique, sors se cachent dans des endroits où ils n’auraient
dans la vallée du Rift, où les couches géologiques se pas pensé à creuser. « En France, depuis une quin-
sont soulevées et apparaissent désormais à la sur- zaine d’années et l’obligation légale de faire des
face, en oblique, comme un véritable livre ouvert sur fouilles préalables le long des chantiers de chemins
le passé. Les paléontologues font aussi appel à des de fer ou d’autoroute, on trouve dix fois plus de sites
karstologues, spécialisés dans la formation et l’évo- que dans les années  1950 », constate Francesco
lution des grottes, pour trouver des cavités formées d’Errico. « Environ 90 % des sites découverts sont
T. COULTHARD, UNIV. OF HULL, UK M. SOHIM

aux époques recherchées. Il y en a probablement issus de l’archéologie préventive, à des endroits


encore beaucoup qui attendent d’être découvertes, où l’on ne serait pas spécialement venu fouiller »,
car les roches calcaires et les dolomies (roches sédi- conmplète Laurent Bruxelles. La preuve qu’il est
mentaires carbonatées) dans lesquelles elles se for- possible de faire mentir les probabilités en élargis-
ment sont nombreuses sur la planète, et seuls les sant le champ des recherches. La preuve aussi que
endroits les plus faciles d’accès ont été explorés pour la science de la localisation des sites de fouilles est
l’instant. « Les lieux situés à vingt heures de route en encore loin d’être exacte, et que les plus belles vic-
voiture ne sont pas prioritaires. Quand on choisit un toires des archéologues dans leur farouche combat
site de fouille, on tient compte du fait qu’il faut une contre le temps sont peut-être à venir. •
S&V Hors Série • 79
Les chantiers de fouilles (ici,
sur les rives du lac Turkana,
au Kenya) sont quadrillés puis
explorés méthodiquement. Car
l’emplacement de chaque fossile
a son importance et doit pou-
voir être précisément indiqué.
Les outils de la paléontologie

LES FOUILLES

L’étape clé
du terrain
La mise au jour de fossiles
n’a rien d’improvisé.
C’est une succession
d’opérations strictement
O n l’imagine bien, mi-aventurier mi-
savant fou, passant son temps le nez
dans les cailloux, en train de dégager
minutieusement le fémur ou le crâne de la future
star du passé qui fera sa gloire. Pourtant, le paléon-
tologue consacre davantage de temps à prospec-
ter (une étape théorique à base de recherche
définies pour garantir documentaire et de cartographie), à interpréter
des données et à rédiger des articles qu’à fouil-
la collecte d’un maximum ler véritablement. Et, quand il le fait, la démarche

d’informations. Ce qui s’avère très rigoureuse. « Avant de commencer à


creuser le terrain choisi, il est nécessaire d’effec-
n’exclut pas une certaine tuer un carroyage, c’est-à-dire de diviser la surface
à fouiller en carrés bien délimités, à l’aide d’une
dose de créativité… carte topographique », indique François Giligny,
professeur à Paris-1-Panthéon-Sorbonne, spécia-
PAR SIMON DE O
lisé dans les enseignements méthodologiques.
C’est seulement une fois cette grille délimitée que
MPK-WTAP

les équipes commencent à sonder le terrain pour


évaluer le réel potentiel de la zone.

S&V Hors Série • 81


Les outils de la paléontologie

Les sondages consistent à creuser sous la sur- S’adapter aux contraintes du site
face à intervalles réguliers avec, selon la nature En 2013, une nouvelle espèce humaine appelée
du sol, une pelle mécanique, un carottier ou des Homo naledi était découverte en Afrique du Sud,
tarières manuelles (des spirales métalliques qui dans le réseau de grottes Rising Star. Supervisée
s’enfoncent dans le sol). Quelques innovations depuis l’extérieur au moyen de caméras par le pro-
fesseur Lee Berger, la collecte des fossiles a été
moins invasives sont également de plus en plus
effectuée par des femmes assez menues pour se
utilisées, comme le radar à pénétration de sol,
faufiler dans l’étroite fissure conduisant à la salle
qui permet de visualiser les différents milieux
qui abritait les fragments d’os (ci-contre, à droite).
souterrains à l’aide d’ondes électromagnétiques.
Dès qu’une structure intéressante est décelée, les
chercheurs sortent alors les traditionnels pelles, prélèvements plus ou moins réguliers. » La princi-
truelles, seaux et autres brosses. pale problématique pour les professionnels sur le
terrain consiste à « sentir » à quel moment et à quel
DE PRÉCIEUX SÉDIMENTS ENVIRONNANTS endroit un échantillon doit être pris. Car le coût et le
C’est là que cela devient vraiment délicat. Car temps que représentent les prélèvements limitent
fouiller un sol, c’est comme lire un livre en brû- la tentation de les multiplier à l’infini.
lant chaque page au fil de la lecture : pour accéder Différentes techniques sont utilisées afin de
à ce qui est enfoui, parfois à plusieurs mètres de conserver les informations sur les différentes
profondeur, les archéologues doivent se débarras- couches de sédiments rencontrées. « C’est le cas
ser des couches du dessus. « Or, l’environnement de la photogrammétrie, qui consiste à prendre un
autour duquel est trouvé un objet ou un fossile est grand nombre de photos du chantier au fil de son
au moins aussi important que l’objet lui-même, avancement pour, ensuite, mettre au point des
indique Jean-Jacques Bahain, professeur au modélisations  3D de celui-ci », ajoute François
Muséum national d’histoire naturelle. Ce fameux Giligny. Mais la véritable révolution des dernières
“contexte” renferme en effet une quantité phéno- décennies aura sans aucun doute été l’utilisation
ménale de renseignements nécessaires pour dater d’ordinateurs sur les sites de fouille. « Ils augmen-
ou étudier plus généralement ce qui a été décou- tent considérablement la quantité et la qualité
vert. » Il est donc essentiel de recueillir le maximum des informations recueillies par les équipes sur le
BARCROFT MEDIA/GETTY - GETTY

d’informations sur les couches sédimentaires tra- terrain, indique Shannon McPherron, de l’Institut
versées lors de la fouille avant de les détruire pour Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de
de bon. « En premier lieu, détaille François Giligny, Leipzig, en Allemagne. Couplés à des GPS ou à
il faut procéder à une analyse qualitative des sédi- des lasers télémètres, des logiciels spécialisés
ments (nature et densité de la couche, types d’in- peuvent enregistrer et cartographier un endroit du
clusions rencontrées,  etc.) avant de réaliser des site en trois dimensions en un temps record. Les

82 • S&V Hors Série


archéologues gagnent ainsi de précieuses heures, Des systèmes de codes-barres reliés directement à
qui sont libérées pour creuser. En outre, les ordi- un logiciel ont remplacé les vieux carnets de notes
nateurs permettent la saisie instantanée des infor- que les archéologues remplissaient parfois à la fin
mations recueillies sur place et leur comparaison de la journée, sans se souvenir précisément de
directe avec les bases de données existantes. l’endroit où avait été trouvé chaque objet. »
« Nous fouillons sur des surfaces moins grandes Toutefois, bien que les machines jouent un rôle
qu’auparavant, admet Shannon McPherron. En de plus en plus important dans le procédé de
revanche, nous pouvons aujourd’hui extraire beau- fouille, aucun risque de voir des robots archéo-
coup plus d’informations sur un espace de quelques logues remplacer les humains sur les chantiers
mètres carrés que sur des chantiers immenses il dans les années qui viennent. « C’est une tâche
y a quelques décennies. Aussi incroyable que ça qui demande encore d’excellentes connaissances
puisse paraître, il est désormais possible d’extraire théoriques et pratiques, ainsi qu’une bonne
des quantités infimes d’ADN ancien contenu dans capacité d’adaptation à toutes les situations,

L’utilisation d’ordinateurs sur le terrain a considérablement


augmenté la quantité et la qualité des informations recueillies
la terre. » Pour le chercheur, l’avenir est très pro- souligne François Giligny. On ne peut pas savoir
bablement à la « micro-archéologie », qui permet à l’avance comment seront les couches souter-
l’étude quasi individuelle des grains sédimentaires raines ni ce  qu’on va y trouver. Ainsi, les tech-
présents dans un bloc prélevé sur un chantier. niques et même les équipes peuvent changer en
Enfin, lorsque les équipes sont chanceuses et plein milieu d’un chantier : par exemple, si un tom-
mettent la main sur un fossile, ou tout autre objet beau est trouvé par hasard au cœur d’une fouille,
intéressant, la démarche à suivre est également très nous appelons directement un anthropologue qui
stricte. Avant d’être placé dans de bonnes condi- se chargera de l’étude de l’objet. » Sur ce point,
tions de conservation, celui-ci se voit attribuer un les clichés que l’on peut avoir sur notre archéo-
numéro. « Là encore, la technologie a permis d’amé- logue savant fou tiennent la route : sur le terrain,
liorer cette étape, reconnaît Shannon McPherron. la débrouillardise est encore de mise ! •
S&V Hors Série • 83
La datation par luminescence
stimulée optiquement (ici, un
disque contenant divers échan-
tillons) permet de déterminer
la date à laquelle des minéraux
ont été exposés pour la dernière
fois à la lumière du jour.
Les outils de la paléontologie

L A DATAT I ON

L’art de
remonter
le temps
Depuis l’invention de la
datation au carbone 14,
d’autres méthodes ont été
développées pour estimer
L a datation est une étape décisive des
recherches en paléoanthropologie. Elle peut
faire d’une banale trouvaille une véritable
révolution, et inversement. Ainsi, la découverte du
crâne de Toumaï au Tchad, en 2001, n’aurait pas
quitté la sphère des spécialistes s’il n’avait été daté
à 7 millions d’années, ce qui le consacra comme
l’âge d’un fossile. Le choix plus ancien représentant de la lignée humaine.
Mais la datation ne va pas de soi et certains fossiles
de l’une d’entre elles étant gardent farouchement le secret de leur grand âge. Si

souvent dicté par le lieu plusieurs méthodes existent, aucune n’est exempte
de défauts, aussi les chercheurs s’emploient à les
de la découverte. Le point perfectionner et à en inventer de nouvelles.
Parmi les procédés les plus utilisés, la datation par
sur ces différents outils le carbone 14, mise au point dès les années 1950, est
R. SHONE/SPL/COSMOS

de chronologie. le plus célèbre. « Elle repose sur le fait que les êtres
vivants disposent tous d’un stock connu de l’iso-
PAR SIMON DE O tope 14 du carbone », détaille Emmanuelle Delqué-
Koli du Laboratoire de mesure du carbone 14, à
Saclay. Plus précisément, l’air que nous respirons

S&V Hors Série • 85


et les aliments que nous mangeons contiennent
du carbone en abondance, dont une infime pro-
portion (environ un atome sur 1 000 milliards) se
trouve sous cette forme « 14 » radioactive, en rai-
son du rayonnement cosmologique qui bombarde la
Terre en permanence. Lorsqu’un organisme meurt,
il n’absorbe plus le carbone de l’environnement et
l’isotope 14 disparaît peu à peu en se désintégrant.
Mesurer son taux restant dans un fossile permet
donc d’en déduire approximativement son âge.
« Mais cette méthode présente deux limites prin-
cipales, poursuit Emmanuelle Delqué-Koli . Elle
nécessite la destruction d’une partie de l’objet
étudié et, surtout, elle ne peut remonter à plus
de 50 000 ans dans le temps. »

ÉTUDIER LA COUCHE DE SÉDIMENTS


Les avancées technologiques ont résolu le premier
problème : aujourd’hui, quelques milligrammes voire
quelques dizaines de microgrammes de carbone suf-
fisent, là où il fallait encore plusieurs grammes il
y a quelques années. En revanche, la limite d’âge
est indépassable : en 50 000 ans, tout le carbone 14
a disparu. Pour dater des fossiles plus anciens, les
chercheurs ont donc recours à d’autres procédés,
dont certains reposent sur un principe similaire de
radiométrie. C’est le cas, par exemple, de la data-
tion par l’uranium-thorium, qui utilise la désintégra- précision la quasi-totalité des âges géologiques
tion lente de l’uranium 238, présent dans certains jusqu’à la naissance de la Terre ! Autre possibilité :
matériaux comme l’émail des dents, pour remonter repérer la trace des régulières inversions du champ
jusqu’à 750 000 ans avec une assez bonne précision. magnétique terrestre. « Le paléomagnétisme se sert
Néanmoins, ces méthodes de datation directe ne du fait que certaines roches présentes à proximité
sont pas applicables aux fossiles trop anciens ou des fossiles contiennent un enregistrement de la
trop dégradés, pour lesquels il faut exploiter les direction et de l’intensité de ce champ au moment
informations de l’environnement. Comme l’explique de leur formation », précise le géologue.

C’est grâce à la variété des méthodes que tous les fossiles


trouvés par les archéologues peuvent aujourd’hui être datés
Jean-Jacques Bahain, du Muséum national d’his- La faune trouvée dans les couches voisines peut
toire naturelle : « Nous disposons d’un large panel également fournir des indices temporels : pour
de méthodes indirectes de datation centrées sur montrer que l’homme de Petralona (un crâne fos-
l’étude de la couche de sédiments dans laquelle se sile du genre Homo retrouvé en Grèce) était plus
trouve le fossile. La dent de lait découverte en 2018 vieux que 500 000 ans, les chercheurs se sont basés
à Tautavel, dans les Pyrénées-Orientales, a ainsi pu sur la découverte, dans les couches sédimentaires
être estimée à 560 000 ans [c’est le plus ancien reste supérieures, de squelettes d’espèces dont on savait
J. KING-HOLMES/SPL/COSMOS

humain découvert en France] car elle a été retrou- qu’elles avaient disparu depuis un demi-million
vée dans un sol archéologique dont les chercheurs d’années au moins. Reposant sur des événements
connaissaient l’âge. » Pour dater l’âge d’un sol, les de longue durée (extinction ou apparition d’une
scientifiques recourent là encore à des méthodes espèce, intervalle entre deux inversions du champ
radiométriques, comme la mesure de l’argon 40, magnétique…), ces méthodes stratigraphiques ne
d’origine volcanique. Elle couvre avec une bonne donnent néanmoins qu’une estimation imprécise.

86 • S&V Hors Série


Les outils de la paléontologie

environnementale. La thermoluminescence, par


La datation au carbone 14
pour les fossiles « jeunes » exemple, arrive à restituer cette dose accumulée
par la chauffe des échantillons. La datation par lumi-
Cette célèbre méthode ne permet
d’estimer l’âge d’un fossile (ci-dessus, nescence stimulée optiquement, elle, va envoyer
un échantillon est prélevé et sa concen- une longueur d’onde lumineuse sur un échantillon
tration en carbone 14 mesurée par un afin d’exciter les électrons qu’il contient. Et peut
accélérateur à spectrométrie de masse) ainsi dater la dernière exposition à la lumière d’un
que s’il ne remonte pas à plus de grain de quartz avant son enfouissement.
50 000 ans. En effet, dans des fossiles C’est grâce à cette variété de méthodes que tous
plus anciens, il ne reste plus aucune
les fossiles trouvés par les archéologues peuvent
trace de cet isotope de carbone.
aujourd’hui être datés, de façon plus ou moins pré-
cise. « Le choix de la méthode est souvent dicté par
D’autres méthodes indirectes dites « chimiques » l’environnement, souligne Jean-Jacques Bahain.
mobilisent nos connaissances sur certaines molé- Sur le site de la Sima del Elefante, en Espagne, c’est
cules ou certains éléments pour dater un fossile. Il la présence d’outils en quartz qui donna l’idée aux
est par exemple possible de mesurer la quantité de chercheurs d’utiliser une datation par deux  iso-
fluor dans un fragment d’os, un élément qui a ten- topes radioactifs naturels, le béryllium 10 et l’alu-
dance à s’y accumuler avec le temps. Mais la plus minium 26. Pour dater Lucy, ce sont des minéraux
célèbre de ces méthodes est la datation par « racémi- volcaniques présents dans les couches entourant
sation des acides aminés ». Elle consiste à examiner le niveau fossilifère qui conduisirent à une datation
la configuration géométrique de certaines molécules radiométrique argon-argon. Et en Afrique du Sud,
présentes naturellement dans les os et dont la confi- où la faune est dense et bien documentée, c’est plu-
guration évolue après la mort d’un organisme. Ces tôt une méthode stratigraphique qui sera utilisée. »
méthodes ne sont toutefois pas applicables à tous L’emploi de diverses méthodes permet, en outre,
les échantillons. Leur fiabilité dépend beaucoup de consolider l’estimation de l’âge d’un fossile (si les
de l’environnement dans lequel ont été retrouvés résultats concordent) et de retracer la chronologie
les fossiles : la température, la teneur en eau ou en d’un site archéologique afin d’en savoir plus sur ses
cuivre influent sur les résultats, et tous les gisements occupations successives. « Le plus gros challenge
ne sont pas toujours propices à leur utilisation. pour l’avenir sera certainement la réduction de la
taille des échantillons que l’on veut dater, conclut
COMPTER LES ÉLECTRONS PIÉGÉS Jean-Jacques Bahain. Avec les nouvelles technolo-
Parmi les méthodes les plus en vogue, celles gies, des éléments de plus en plus petits, comme
dites de paléodosimétrie, comme la « résonance des grains de pollen ou des fibres de tissu, peuvent
de spin électronique » (ESR) ou celles basées sur être datés. Mais il y a encore beaucoup à faire pour
la luminescence, consistent à mesurer dans un améliorer la datation de si petits échantillons, en
échantillon l’accumulation d’électrons piégés sous particulier parce que les risques de contamination
l’effet des rayonnements issus de la radioactivité lors du prélèvement sont considérables ! » •
S&V Hors Série • 87
S’il est en bon état, l’ADN
ancien contenu dans ce fossile
révélera notamment le sexe, la
couleur de peau et des yeux de
l’individu, ainsi que la lignée hu-
maine à laquelle il appartenait.
Les outils de la paléontologie

L’A NALYSE A DN

Faire parler
les génomes
préhistoriques
Grâce aux progrès
du séquençage, il est
possible d’accéder au
génome complet de nos
É té 2008, sud de la Sibérie. L’équipe du
paléontologue russe Anatoli Derevianko
met au jour dans une caverne, la grotte de
Denisova, un minuscule os humain. Il s’agit d’une
phalange d’auriculaire. Sa petite taille indique qu’il
a appartenu à un enfant qui vivait là il y a environ
40 000 ans. Difficile d’en dire plus… L’histoire aurait
lointains ancêtres. Une pu s’arrêter là si le paléontologue n’avait pas envoyé
ce petit bout d’os au laboratoire de Svante Pääbo,
mine d’informations sur directeur du département de génétique de l’Institut

les individus et les croise- Max-Planck de Leipzig, en Allemagne. En 2010, les


résultats de l’analyse réalisée par ce dernier sont
ments entre populations, publiés et font l’effet d’une bombe. Le chercheur est
parvenu à extraire de l’ADN de ce fragment d’os, l’a
mais qui n’est lisible qu’à séquencé et constaté qu’il appartenait à une lignée

certaines conditions… humaine inconnue jusqu’alors !


La découverte est extraordinaire et ce n’est
pas la seule de cette année 2010, qui se révélera
F. VINKEN

comme une année charnière. En février, l’équipe


d’Eske Willerslev, à l’université de Copenhague, au

S&V Hors Série • 89


Danemark, publiait le premier génome complet issu
d’ADN ancien, en l’occurrence celui d’une boucle de
cheveux ayant appartenu à un individu groenlan-
dais mort il y a environ 4 000 ans. Puis, en mai, celle
de Svante Pääbo publiait le premier génome complet
de l’homme de Neandertal, ce frère d’Homo sapiens
mystérieusement disparu il y a environ 30 000 ans.
Depuis, entre 2010 et 2017, pas moins de 684 gé-
nomes ont été séquencés, au moins partiellement,
à partir de restes anciens d’humains. Et ce chiffre
ne cesse d’augmenter : rien qu’en février 2018, une
seule publication annonçait avoir séquencé le gé-
nome de 400 Européens ayant vécu au Néolithique,
à l’âge du cuivre et à l’âge du bronze.

PREMIERS RATÉS AVEC LES DINOSAURES


En seulement quelques années, les paléontologues
se sont donc retrouvés avec des données totalement
inédites issues d’une technologie qui l’était tout au-
tant. Mais, pour en arriver là, le chemin a été long et
semé d’embûches. L’histoire de la paléogénétique
(devenue paléogénomique lorsque l’on est passé
du séquençage de quelques gènes ou de fragments
d’ADN à celui de génomes complets) débute en
1984, lorsque des chercheurs parviennent à séquen-
cer de l’ADN issu d’un animal taxidermisé. Dans la
décennie qui suit, maints scientifiques se lancent
dans l’aventure de la paléogénétique : Svante Pääbo qui endommagent l’ADN. Et la température : plus il
lui-même annonce avoir séquencé de l’ADN de mo- fait chaud, plus il se dégrade vite. » C’est pour cette
mies égyptiennes, et d’autres iront jusqu’à publier raison que les restes d’ADN ancien les plus vieux
EL SIDRON RESEARCH TEAM - C. ANDREASEN - MAX PLANCK INSTITUTE FOR EVOLUTIONARY ANTHROPOLOGY

de l’ADN de dinosaures ! Hélas, nombre de ces résul- sont ceux que l’on a trouvés congelés dans le per-
tats se révéleront par la suite faux, y compris celui mafrost. En l’occurrence, le record est détenu non
des momies égyptiennes de Pääbo et, bien sûr, celui pas par des ossements humains, mais par ceux d’un
de l’ADN des dinosaures. équidé, vieux de 700 000 ans.
Et pour cause ! À peine un être vivant est-il mort Ce sont donc les conditions climatiques de la
que son ADN commence à se dégrader. « Dans des Sibérie qui ont permis d’y faire de fructueuses dé-
ossements anciens, la quantité d’ADN qui reste couvertes. Avec son climat tempéré, l’Europe offre
est infime et sous forme de très petits fragments », encore des conditions de conservation acceptables,
explique Eva-Maria Geigl, responsable de l’équipe en particulier dans les grottes où la température
Épigénome et Paléogénome à l’Institut Jacques reste relativement fraîche et constante. Ainsi, « le
Monod (CNRS/université Paris-Diderot). Pire, cer- plus vieux reste humain dont l’ADN a été séquencé
tains nucléotides (les briques constitutives de appartient à un Homo heidelbergensis, un ancêtre
l’ADN) sont remplacés par d’autres. Aussi, lorsque de Neandertal, trouvé dans la grotte de Sima de los
l’on compare une séquence d’ADN ancien à celle Huesos, en Espagne, et daté d’environ 400 000 ans »,
d’ADN contemporain et qu’elles diffèrent, il est diffi- indique Eva-Maria Geigl. Mais les choses se com-
cile de dire si cette différence est réelle ou si elle est pliquent clairement en Afrique où la température
seulement le fait d’une « mutation » post-mortem. est bien plus élevée : entre 2010 et 2017, seuls 30 gé-
« Le niveau de dégradation de l’ADN dépend essen- nomes africains anciens ont été séquencés et les
tiellement de deux paramètres, précise Céline Bon, plus vieux n’avaient que 8 000 ans.
chercheuse en anthropologie évolutive au Muséum Un autre obstacle vient compliquer l’analyse géné-
national d’histoire naturelle. Le temps : plus il s’en tique. Les squelettes sont principalement enfouis
écoule, plus se succèdent des réactions chimiques dans le sol. Or, « au fil du temps, les micro-organismes

90 • S&V Hors Série


Les outils de la paléontologie

Un matériel fragile et vite contaminé


L’ADN ancien est endommagé par la chaleur. C’est
pourquoi les chercheurs en ont trouvé les plus
vieux restes dans des grottes ou dans le permafrost
(ici, des fouilles en Espagne et au Groenland). Il
peut aussi être contaminé par l’ADN de son envi-
ronnement naturel et humain. D’où l’emploi de
blouses et de gants, et de hottes à flux laminaire
en laboratoire, pour réduire ce risque au maximum.

présents dans ce sol pénètrent dans l’os. Si bien que, niveau de contamination et/ou discriminer l’ADN
dans la majorité des ossements retrouvés, 99 % de ancien. Par exemple, sachant que certaines modifi-
l’ADN que l’on extrait n’est autre que de l’ADN en- cations de l’ADN sont caractéristiques de la dégra-
vironnemental, entre autres bactérien ! », prévient dation post-mortem, ils utilisent uniquement l’ADN
Eva-Maria Geigl. Autre risque de contamination, où sont visibles ces modifications.
celui qui provient de l’ADN humain de tous ceux En même temps que les scientifiques élaboraient
qui sont amenés à manipuler les ossements. « Pour des protocoles de plus en plus stricts pour valider
l’éviter sur les chantiers de fouilles, il faut privilégier l’authenticité de leurs résultats, la technologie a elle
les prélèvements sous conditions aseptiques avec aussi évolué. À partir de 2005, des machines ont

À peine un être vivant est-il mort que son ADN commence à se


dégrader. On n’en retrouve souvent que de très petits fragments
des blouses et des gants », détaille Eva-Maria Geigl. permis de séquencer l’ADN beaucoup plus vite. Il
Ensuite, dans les laboratoires où sont extraits puis est alors devenu possible d’en étudier bien plus et
séquencés les fragments d’ADN, les conditions de à des coûts plus faibles. Avec, à la clé, le franchisse-
travail sont encore plus drastiques : gants, blouses, ment pour les chercheurs d’une nouvelle étape. En
eau de Javel, hottes à flux laminaire, pièce sous lé- effet, avant l’arrivée de ces outils de séquençage à
gère pression pour éviter la circulation d’air, et donc haut débit, les paléogénéticiens se contentaient de
de particules d’ADN, de l’extérieur vers l’intérieur, l’ADN mitochondrial. Beaucoup plus court que l’ADN
etc. Grâce à toutes ces précautions, les contami- nucléaire (il ne compte que 16 500 paires de nucléo-
nations qui avaient abouti aux résultats aberrants tides contre 3,2 milliards pour l’ADN du noyau)
des années 1990 sont désormais évitées en grande et présent en grande quantité (chaque cellule de
partie et, lorsqu’elles surviennent, les scientifiques notre corps compte des centaines de mitochondries,
disposent désormais de techniques pour évaluer le mais un seul noyau), il était plus facile à séquencer.

S&V Hors Série • 91


La magie du séquençage
À partir de l’ADN extrait de fossiles, des millions
de nucléotides peuvent être séquencés simultané-
ment. C’est ainsi que l’équipe de Svante Pääbo, à
l’Institut Max-Planck de Leipzig (ci-dessus), a dé-
Problème, il ne porte qu’une fraction infime de notre voilé en 2010 le premier génome de Neandertal.
génome et, surtout, les mitochondries ne sont trans-
En le comparant à celui d’humains contemporains,
les chercheurs ont découvert que nous possédons
mises d’une génération à l’autre que par la mère (lors
entre 2 % et 4 % d’ADN néandertalien !
de la fécondation, seul l’ovule apporte les siennes).
L’histoire décrite par l’ADN mitochondrial n’était
donc que très parcellaire. D’où la révolution de 2010 peau, des cheveux et des yeux », indique Eva-Maria
avec le séquençage des premiers génomes complets Geigl. Et Céline Bon de préciser : « Les deux allèles
(de l’ADN nucléaire, donc) d’humains disparus, rapi- principalement associés avec la peau claire chez les
dement suivis de dizaines d’autres. Européens apparaissent avec les premières popula-
tions néolithiques, il y a environ 8 000 à 10 000 ans.
UNE PEAU FONCÉE ET DES YEUX BLEUS Quant à la couleur des yeux, on sait que la mutation
Nombre d’informations sur nos ancêtres et sur l’évo- codant pour les yeux bleus est antérieure ; elle était
lution humaine ont été révélées par ces génomes même très répandue chez les chasseurs-cueilleurs
anciens. En les comparant aux génomes d’humains de la fin du Paléolithique et du Mésolithique. » D’où
contemporains, il est devenu possible de déduire l’étonnant portrait de Cheddar Man, cet ancêtre
quelques traits physiques de nos ancêtres qui des Britanniques vieux de 10 000 ans, révélé en fé-
échappaient jusqu’alors aux paléontologues et aux vrier 2018 : selon toute vraisemblance, il aurait eu
anthropologues. Si les ossements en eux-mêmes la peau noire et les yeux bleus.
permettent de reconstituer la morphologie (grande Grâce à l’ADN ancien, les paléogénéticiens sont
ou petite, chétive ou charpentée…), l’ADN apporte également parvenus à établir les dates de diver-
des informations sur la couleur de la peau, des che- gence entre les différentes lignées humaines. Ainsi,
veux ou des yeux. « En Europe, que ce soit pour les entre 300 000 et 750 000 ans, la lignée d’Homo sa-
néandertaliens ou pour les Homo sapiens, la quasi- piens aurait divergé de la lignée à l’origine des
F. VINKEN

totalité des allèles que l’on a examinés montrent que hommes de Denisova et de Neandertal. Puis, plus ré-
nos ancêtres avaient une forte pigmentation de la cemment, entre 200 000 et 470 000 ans, Denisova et

92 • S&V Hors Série


Les outils de la paléontologie
en 2010, si la publication du génome de Neandertal
par l’équipe de Svante Pääbo a fait grand bruit, ce
n’est pas tant en raison de la prouesse technique
réalisée ni de ce que ce génome nous a appris de
Neandertal, mais pour ce qu’il nous a appris sur
nous-mêmes. En le comparant au génome d’humains
contemporains, les chercheurs ont en effet montré
qu’à l’exception des Africains, chaque être humain
sur Terre possède dans son génome environ 2 %
d’ADN néandertalien. Autrement dit, lorsqu’Homo
sapiens est arrivé en Europe, la rencontre avec
Neandertal a parfois été des plus intimes, donnant
naissance à des métis qui, au fil des générations,
nous ont transmis des fragments d’ADN néanderta-
lien. Et comme ceux-ci ne sont pas les mêmes d’un
individu à l’autre ni d’une population à l’autre, si
l’on met bout à bout tous ces fragments éparpillés
dans la population humaine actuelle, on parvient à
reconstituer 20 % du génome de Neandertal.

UNE DIFFUSION CULTURELLE ET GÉNÉTIQUE


Ce phénomène de métissage s’est également pro-
duit entre sapiens et Denisova, si bien qu’il est
possible d’identifier des morceaux de l’ADN de ce
dernier dans le nôtre. Dans certains cas, ces trans-
ferts de gènes se sont révélés bénéfiques pour les
populations qui les recevaient. Parmi ceux hérités
Neandertal se sont, à leur tour, séparés. Néanmoins, de Neandertal se trouvent, par exemple, des gènes
ces estimations manquent de précision. « Elles ont du système immunitaire. Ils ont probablement aidé
été obtenues à partir de ce que l’on appelle une hor- sapiens, venu d’Afrique, à résister aux pathogènes
loge moléculaire, explique Étienne Patin, chercheur répandus en Europe et contre lesquels Neandertal,
en génétique évolutive à l’Institut Pasteur. En se présent depuis bien plus longtemps, avait su s’adap-
basant sur les différences entre l’ADN humain et ter. Denisova, quant à lui, a légué aux Tibétains une
l’ADN du chimpanzé, qui ont divergé il y a 6 à 7 mil- mutation dans le gène EPAS1 qui rend moins sen-
lions d’années, on a calculé qu’à chaque génération, sible à la raréfaction de l’oxygène en altitude.
il se produit environ 70 mutations. En regardant le Plus les chercheurs ont séquencé d’ADN ancien,
nombre de mutations entre deux lignées, on peut plus cette révélation s’est confirmée : partout dans
donc en déduire le nombre de générations et donc le monde, à chaque fois que l’être humain s’est

Les découvertes les plus notables obtenues à partir des génomes


anciens sont celles qui concernent le métissage des populations
le temps qui s’est écoulé. Le problème, c’est que déplacé, il s’est mélangé aux populations locales.
ce taux de mutation par génération n’est pas forcé- L’une des grandes questions de la paléontologie
ment exact et a pu varier au cours du temps. Autre et de l’archéologie était enfin résolue : lorsqu’une
source d’incertitude, le temps écoulé entre deux gé- culture apparaît dans un lieu, cette diffusion n’est
nérations. Là aussi, il n’est pas forcément identique pas uniquement le résultat d’échanges culturels
d’une lignée à l’autre et a pu également varier. » entre deux  populations distinctes, mais le fruit
De fait, les découvertes les plus remarquables d’une migration de population, qui apporte à
obtenues à partir des différents génomes anciens l’autre non seulement sa culture, mais aussi ses
sont plutôt celles concernant le métissage des diffé- gènes. « En Europe, ce ne sont pas les chasseurs-
rentes populations, voire espèces, humaines. Ainsi, cueilleurs qui se sont mis à faire de l’agriculture au

S&V Hors Série • 93


Les outils de la paléontologie
Néolithique, mais ce sont des agriculteurs en pro-
venance d’Anatolie qui se sont installés en Europe
et se sont métissés avec les populations locales,
illustre Céline Bon. Puis une deuxième vague migra-
trice a déferlé sur l’Europe il y a environ 4 500 ans,
venue des steppes d’Europe de l’est. »
Si l’on regarde les gènes situés sur le chromosome
sexuel X, l’ADN ancien apporte même des informa-
tions sur la façon dont se sont rencontrées ces popu-
lations : y a-t-il métissage avec des hommes et des
femmes à parts égales ou n’était-ce que des hommes
qui sont arrivés dans la population ? Comme l’ex-
plique Céline Bon, « la transmission des chromo-
somes sexuels diffère selon le sexe des parents : à
chaque génération, les femmes transmettent leur
chromosome X, tandis que les hommes ne le trans-
mettent, en moyenne, qu’une fois sur deux. En
comparant l’ADN hérité de chacune des deux popu-
lations sur ce chromosome aux autosomes (les chro-
mosomes non sexuels transmis de la même façon
par le père et la mère), il est possible de montrer si le
métissage a été biaisé, ou non, en fonction du sexe. »

DES HOMMES DES STEPPES ARRIVÉS SEULS


Si l’apport de nouveaux gènes est identique sur le
chromosome X et sur les autosomes, cela signifie
que les femmes de cette nouvelle population se
sont autant mélangées avec les locaux que leurs
congénères masculins. C’est ce qui s’est passé
entre chasseurs-cueilleurs européens et agricul-
teurs anatoliens. En revanche, si les autosomes
présentent un excès de gènes nouveaux compa-
rativement au chromosome X, comme c’est le cas
pour la deuxième vague de métissage, cela signifie L’ÉTU E E IGNÉE HUMAINE A TOUT AUTANT
que peu de femmes immigrées ont transmis leurs
« Nous n’avons pas attendu à 50 groupes ou sous-groupes
gènes : ce sont donc essentiellement des hommes
de trouver et de séquencer sanguins. Ces travaux, se
des steppes qui ont déferlé sur l’Europe et ont eu
de l’ADN ancien pour retracer basent sur une réalité toute
des enfants avec des femmes agricultrices. « On l’histoire de l’humanité avec simple : plus deux populations
est probablement face à une colonisation plus les outils de la biologie présentent de différences
guerrière », avance Céline Bon. et de la génétique », souligne génétiques, plus elles sont
Cela signifie-t-il pour autant que les hommes des Évelyne Heyer, du Muséum éloignées d’un point de vue
steppes ont décimé les hommes avant de voler national d’histoire naturelle. évolutif, ce qui signifie aussi
SHUTTERSTOCK L. P. RIDET/HANS LUCAS E. PATIN

leurs femmes ? « Pas forcément, répond Évelyne Dès 1963, l’Italien Luigi Luca qu’elles se sont séparées
Heyer, anthropologue généticienne au Muséum Cavalli-Sforza, considéré d’autant plus tôt.
national d’histoire naturelle. Peut-être les hommes comme l’inventeur de la géo- « Les résultats obtenus jusque
des steppes ont-ils tout simplement eu un meilleur
graphie génétique, a établi dans les années 1980-1990
le premier arbre évolutif se faisaient au prix de certaines
succès reproducteur que les hommes agriculteurs. »
des populations humaines simplifications, précise Étienne
Car, aussi puissant que soit l’ADN, il ne dit pas tout.
en utilisant la répartition dans Patin, de l’Institut Pasteur. On
Il ne dit rien de la politique qui a pu s’établir entre les différentes populations postulait qu’après la séparation
ces différents peuples. D’où le nécessaire dialogue humaines d’une vingtaine des populations il n’y avait ni
entre cette nouvelle discipline qu’est la paléo- de gènes correspondant métissage ni sélection naturelle
génomique et l’anthropologie, ou l’archéologie. •
94 • S&V Hors Série
Les génomes contemporains sont également à l’ori-
gine de découvertes. À partir de ceux de 2 055 Africains
actuels issus de 57 populations d’Afrique subsaharienne
(ici, au Lesotho), une équipe de l’Institut Pasteur dirigée
par Lluis Quintana Murci (ci-dessous) a pu retracer le
chemin migratoire des peuples de langues bantoues.

BE OIN ’A N CONTEMPORAIN QUE ’A N ANCIEN


[les recherches ultérieures plus de 2 000 génomes d’in- de génomes. Et quand bien c’est que lorsque plusieurs
ont montré que c’était dividus contemporains issus même on s’y essaye, cette épisodes de métissage ont eu
largement le cas]. Ensuite, de 57 populations d’Afrique histoire reste parcellaire lieu, on voit essentiellement
on a beaucoup utilisé l’ADN subsaharienne. Grâce à ces et globale. Impossible de voir le plus récent. » Les épisodes
mitochondrial ou le chromo- données, le chemin migra- les phénomènes locaux », précédents sont dilués,
some Y. Néanmoins, malgré toire des peuples de langues souligne Céline Bon, du masqués par les gènes
ces simplifications, ces résul- bantoues a pu être retracé. Muséum national d’histoire du métissage le plus récent,
tats restent cohérents. » naturelle. En Afrique, où le surtout s’il est important.
Désormais, grâce au séquen- UNE MANNE DE DONNÉES nombre de génomes anciens Ainsi, en raison de l’apport
çage du génome complet La force de l’ADN contempo- retrouvés et séquencés est massif de gènes européens
de milliers d’individus com- rain, c’est qu’un nombre extrêmement faible, les in- à partir du e siècle, il est
biné à la puissance de calcul important de génomes sont formations obtenues à partir difficile de retracer l’histoire
des ordinateurs, les cher- disponibles. En comparaison, d’ADN contemporain sont des Amérindiens avant
cheurs parviennent à des celui des génomes anciens d’autant plus intéressantes Christophe Colomb à partir
résultats plus précis. Ainsi, est relativement faible. pour les chercheurs. En de l’ADN d’Amérindiens
l’année dernière, l’équipe « Or, on ne peut pas résumer revanche, reconnaît Étienne actuels. ADN ancien et
de Lluis Quintana-Murci toute l’histoire humaine Patin, « l’un des points faibles contemporain sont donc
et d’Étienne Patin a étudié à partir de quelques centaines de l’ADN contemporain, tout aussi précieux.

S&V Hors Série • 95


Le crâne d’un homme
de Neandertal sur le point
d’être scanné au Muséum
national d’histoire naturelle.
L’examen permettra sa nu-
mérisation, son exploration
et sa modélisation en 3D.
Les outils de la paléontologie

LA RECONSTITUTION

Redonner
chair à nos
ancêtres
Les techniques d’ima-
gerie médicale ont révo-
lutionné la reconstitution
des fossiles. En plus de
E n dépit du grand nombre de campagnes de
fouilles menées chaque année sur la pla-
nète, les paléoanthropologues ne mettent
que rarement la main sur de nouveaux fossiles. Et,
lorsqu’un crâne ou quelques ossements miraculeu-
sement conservés dans une couche de sédiments
sont dénichés, ils sont souvent fragmentaires et
leur rendre leur apparence usés par le temps. Il faut dont les reconstituer.
« Une reconstitution n’est par essence jamais
d’origine, elles donnent exacte, prévient Amélie Vialet, paléoanthropologue

accès à quantité d’infor- au Muséum national d’histoire naturelle. C’est une


interprétation proposée à partir du matériel dis-
mations nouvelles. De quoi ponible qui permet de construire des hypothèses
sur un mode de vie passé. »
affiner les hypothèses Les squelettes étant rarement complets, les pre-

sur la vie de nos ancêtres. mières reconstitutions, destinées aux musées,


étaient réalisées à partir d’éléments provenant
P. GOETGHELUCK

PAR SIMON DE O d’individus différents. Ce qui produisait une


étrange chimère, souvent très éloignée de la réalité
scientifique. Mais l’apparition des outils d’image-

S&V Hors Série • 97


Les outils de la paléontologie
rie du corps humain, il y a une vingtaine d’années,
a changé la donne. Les paléoanthropologues se
sont emparés des scanners médicaux pour passer
leurs fossiles aux rayons X. Leur reconstitution en
volume est ensuite effectuée par un logiciel, qui
assemble les nombreux clichés pris par le scan-
ner, interprète l’objet en trois dimensions et recrée
numériquement ses parties manquantes. Dans le
cas d’un crâne, cela donne une estimation assez
précise du volume encéphalique du fossile.

DES DONNÉES AUPARAVANT INACCESSIBLES


Ce recours à la tomographie aux rayons X a boule-
versé la connaissance scientifique. « Auparavant,
lorsqu’ils interprétaient des fossiles anciens, les
paléoanthropologues s’appuyaient principalement
sur leurs connaissances des Homo sapiens actuels,
indique Antoine Balzeau, paléoanthropologue au
Muséum national d’Histoire naturelle. Mais nous
ne sommes en aucun cas un étalon de l’humain !
Cette démarche totalement biaisée a été remise en
question grâce aux techniques récentes de recons-
titution, qui ont permis de mieux décrire l’évolution
de différents caractères physiologiques sans pla-
cer sapiens comme une finalité absolue. » Ainsi,
c’est principalement la reconstitution du crâne de
Toumaï, retrouvé complètement écrasé sous le
poids des sédiments, qui a permis aux chercheurs
d’avancer la probable bipédie de l’individu. Sans
cette modélisation, impossible d’avoir une carac- Pour leurs recherches les pointues, les paléo-
térisation précise des propriétés du crâne qui dis- anthropologues collaborent de plus en plus souvent
tinguent les hominidés bipèdes des autres, comme avec les physiciens spécialistes des accélérateurs
la position avancée du trou occipital de Toumaï, qui de particules que sont les synchrotrons. Les élec-
a été déterminante pour cette analyse. trons qui circulent à très grande vitesse à l’intérieur
Les techniques d’imagerie donnent accès à des de ces instruments produisent un faisceau sem-
parties du squelette auparavant inatteignables. blable à un laser de très haute énergie qui pénètre
Ainsi, c’est grâce à la microtomographie (qui étudie à l’intérieur des objets étudiés. Si le recours aux

Grâce à la microtomographie, il est devenu possible d’étudier


le labyrinthe de l’oreille interne de certains crânes anciens
des échantillons de quelques centimètres à peine) accélérateurs n’est  pas encore très courant en
qu’il est devenu possible d’étudier le labyrinthe paléoanthropologie, les informations qu’ils pro-
de l’oreille interne de certains crânes anciens et curent en font clairement une technique d’avenir.
d’en apprendre plus sur l’évolution du maintien Enfin, depuis quelques années, les chercheurs
de l’équilibre. Une quantité astronomique d’infor- modélisent les tissus mous (notamment les mus-
mations totalement nouvelles peut désormais être cules et les ligaments) pour en savoir plus sur
extraite des fossiles. « Pour ce qui est des dents, l’anatomie de nos ancêtres disparus. « L’idée est de
par exemple, l’imagerie médicale permet d’accé- s’appuyer sur l’immense base de données récoltées
der virtuellement aux couches internes de l’émail, sur les espèces actuelles pour tenter de reconsti-
qui révèlent l’âge de l’individu », précise la paléo- tuer, à partir des ossements, des tissus mous qui,
anthropologue Amélie Vialet. eux, ne se conservent pas, explique Gilles Bérillon,

98 • S&V Hors Série


Une connaissance anatomique fine
La modélisation en 3D révèle les structures internes
des fossiles (à g., un crâne de Cro-Magnon laisse
voir, en jaune, l’endocrâne, l’empreinte laissée par le
cerveau). Ce qui permet d’émettre des hypothèses
sur les capacités cognitives, motrices ou senso-
directeur de recherche CNRS au Muséum national rielles de nos ancêtres (ci-dessus, Antoine Balzeau
d’histoire naturelle. Grâce à cette approche à la avec des prototypes, agrandis, des os de l’intérieur
du temporal qui servent à l’audition, réalisés
fois comparative et morphométrique, nous pou-
d’après la modélisation d’un crâne de Neandertal).
vons, par exemple, tenter d’en apprendre plus
sur les diverses formes de bipédie présentes chez
nos ancêtres et cousins. » pour dire que l’arrivée des techniques d’image-
rie mettrait fin à l’un des plus grands problèmes
DES OBSTACLES AVANT TOUT HUMAINS de la paléoanthropologie : le manque de partage
Si les techniques d’imagerie ont révolutionné le de données entre laboratoires. « C’est quelque
travail des paléoanthropologues, elles n’ont pas chose qui a toujours existé dans notre domaine :
résolu tous les problèmes liés à l’étude des fossiles. lorsqu’une équipe déniche un fossile, elle l’étudie
Les biais liés à l’interprétation par les chercheurs généralement dans son coin et partage uniquement
ont été amoindris, mais ils existent toujours. « On ses interprétations dans une publication scienti-
pourrait croire que, pour chaque fossile, il n’existe fique. Le temps passant, certains objets restent
désormais qu’une reconstitution unique, propo- inaccessibles aux confrères souhaitant les exa-
A. BALZEAU/MNHN-CNRS - C. FRÉSILLON/CNRS PHOTOTHÈQUE

sée par un logiciel parfait, mais c’est faux, insiste miner, regrette Antoine Balzeau. La création d’un
Amélie Vialet. Il s’agit toujours d’un travail d’inter- immense fonds commun d’imagerie fossile aurait
prétation des chercheurs, aidés par les machines. Il pu aider à dépasser ces barrières. Mais, pour l’ins-
subsiste une pluralité de reconstitutions, souvent tant, la plupart des chercheurs sont réfractaires au
contradictoires. C’est d’ailleurs en comparant nos partage des informations et préfèrent garder pour
approches que nous avançons. » Sans oublier les eux les reconstitutions qu’ils effectuent, afin de
biais techniques liés au fonctionnement des logi- conserver l’exclusivité de la découverte. »
ciels, notamment lors du passage de la 2D à la 3D Plus qu’une innovation technique, c’est un boule-
(des vues en coupes à la reconstitution en volume). versement dans la manière de travailler et dans la
Enfin, certaines difficultés actuelles découlent mentalité des chercheurs qui permettra de dépasser
non pas des techniques, mais du fonctionnement ces problèmes. Des changements qui, malheureuse-
de la discipline elle-même. Il y a une vingtaine ment, ont tendance à se faire sur des temps beau-
d’années, la plupart des spécialistes s’accordaient coup plus longs que les avancées techniques… •
S&V Hors Série • 99
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ALLONS-NOUS ?

102 Notre espèce a-t-elle fini


d’évoluer ?
110 Un monde qui change
trop vite ?
SHUTTERSTOCK

116 La diversité éclairée


par la génétique
S&V Hors Série • 101
Notre espèce
a-t-elle fini
d’évoluer ?
102 • S&V Hors Série
Où allons-nous ?

Grâce aux progrès de


la médecine, les humains
sont moins sensibles
aux pathologies. Au point
L’ espèce humaine en est-elle venue à stopper
sa propre évolution ? On serait tentés de le
croire en constatant à quel point la méde-
cine a fait reculer les pathologies mortelles
et contrôle la reproduction. Car longévité et profu-
sion de la descendance sont deux facteurs clés de la
diffusion des gènes dans une population. Revenons,

de ne plus être soumis pour comprendre, aux lois de l’évolution : elles sti-
pulent que des petites variations de caractères (dues
à la sélection naturelle ? à des mutations génétiques) apparaissent au hasard
chez les nouveaux êtres et se transmettent de géné-
Ce serait nier la diversité ration en génération, faisant « évoluer » l’espèce. Au

génétique actuelle et hasard des contraintes environnementales, les indi-


vidus dont les taux de survie et de reproduction sont
oublier le rôle des facteurs les meilleurs voient leurs traits s’imposer au sein
de leur espèce, par le biais de leur descendance. En
environnementaux… agissant sur son espérance de vie et sur son taux de
reproduction, l’homme a donc changé les règles du
GETTY

PAR CORA INE LOI EAU jeu. Mais sans pour autant arrêter la partie.

S&V Hors Série • 103


D D
Aujourd’hui, la taille moyenne d’un individu Fléau mondial, l’obésité touche désormais
est de 175 cm en Europe. Elle dénote une plus de 30 % de la population des pays
hausse relativement récente de stature, du industrialisés. Ce phénomène peut être vu
fait de meilleurs soins de santé et de l’amé- comme une maladaptation de notre espèce
lioration de notre alimentation, qui relève à un changement récent dans l’alimenta-
plus de l’adaptation que de l’évolution. tion, qui n’a jamais contenu autant de sucre.

En effet, la culture (les pratiques médicales ou groupe plus important, lois de la statistique obligent,
alimentaires, par exemple) ne stoppe pas l’évolu- ce trait se frayera un chemin chez plus d’individus
tion, elle se contente d’en affecter les directions. Ce et pourra s’installer durablement dans la population.
phénomène, les chercheurs l’ont baptisé « évolution Toutefois, ces modifications génétiques révélées
bioculturelle ». L’histoire récente compte d’ailleurs par les chercheurs ne sont jamais que des adapta-
nombre de ces changements visibles dans notre tions locales : elles ne concernent que des lignées
génome : les chercheurs en décrivent de nouveaux s’adaptant aux conditions particulières d’une
chaque année (voir encadrés pages suivantes). Le région. Pour qu’un caractère se répande dans
fleurissement de ces nouveaux traits de caractères toute l’espèce, il faudrait que les barrières entre les
chez l’humain, nous le devons en partie à la grande populations tombent. Or, si les déplacements sont
taille de la population humaine. « Plus une popula- facilités aujourd’hui, « il semble difficile de dire si

Pour qu’un caractère se répande dans toute l’espèce humaine,


il faudrait que les barrières entre les populations tombent
tion est grande, plus des traits qui ne sont que fai- l’on va assister à une homogénéisation de l’espèce
blement avantageux auront des chances d’être tout humaine. Les migrations et les mélanges génétiques
de même sélectionnés », explique Michel Raymond, ont beaucoup augmenté depuis un siècle, note
chercheur à l’université de Montpellier, spécialiste Michel Raymond, mais est-ce suffisant pour homo-
de la biologie évolutive humaine. Dans un petit généiser l’espèce ? Les migrations n’entraînent pas
groupe d’humains, les caractères les plus détermi- forcément des mélanges : les populations africaines
nants dans la survie et la reproduction seront favori- emmenées en Amérique du Nord, il y a quelques
sés et un trait ne présentant qu’un avantage minime siècles, ne se sont toujours pas complètement
ne sera que très peu sélectionné. Tandis que dans un mélangées génétiquement avec les blancs améri-

104 • S&V Hors Série


Où allons-nous ?

D D V X
La concentration des spermatozoïdes chez Alors que l’espérance de vie n’était que de
l’homme est en baisse, avec une diminution 35 ans en 1800, elle atteignait 64 ans en
de 52,4 % depuis 1973 dans les pays occi- 1990 et sera de 72 ans en 2020, dans les
dentaux, impactant la fertilité. Est-ce une pays occidentaux. Le résultat de meilleures
évolution naturelle ? Les facteurs environ- conditions de vie, d’une accidentabilité plus
nementaux sont ici probablement en cause. faible et de meilleurs traitements médicaux.

cains. » En effet, d’autres barrières contribuent à l’organisme, mais elle a le mérite d’inhiber la crois-
isoler un groupe : la langue, la religion, le mode de sance du parasite Plasmodium falciparum ! Si être
vie… En cette matière, prévoir est ardu. homozygote SS, et donc atteint de drépanocytose,
Pour prendre la mesure du nombre de facteurs est délétère pour la survie (en l’absence de traite-
impliqués dans notre évolution et des conséquences ment), être hétérozygote (c’est-à-dire n’avoir qu’un
inattendues qui découlent de leur intrication, pre- allèle S) permet à la fois de conserver une hémo-
nons l’exemple de l’interaction entre drépanocytose, globine saine et de disposer d’une hémoglobine S
manioc et paludisme. La drépanocytose est une protégeant contre le parasite ! L’apparition d’indi-
maladie génétique qui affecte les homozygotes (les vidus homozygotes dans la population n’est donc
personnes ayant reçu les deux allèles mutés) et qui qu’un « dégât collatéral » fâcheux, d’une mutation
est caractérisée par la production d’une hémoglobine par ailleurs avantageuse contre Plasmodium.
dite S qui donne aux globules rouges une forme de
faucille, les rendant moins fonctionnels. Plasmodium UNE SÉLECTION SOUS CONTRAINTES
falciparum, lui, est un parasite transmis par les mous- C’est là qu’intervient un troisième paramètre : la
tiques qui est responsable du paludisme. Aucun lien consommation locale de manioc. Modérée, cette
évident entre les deux, a priori. Pourtant, la carte de ingestion apporte des « glucosides cyanogénétiques »
répartition de falciparum se superpose avec celle de qui inhibent la déformation de l’hémoglobine S chez
la drépanocytose. Le fait est assez intrigant. Avec les porteurs de l’allèle délétère : les homozygotes
l’évolution, ces deux pathologies auraient pu dispa- qui en consomment sont donc moins pénalisés.
GETTY SHUTTERSTOCK

raître, l’une par la sélection génétique des allèles Parallèlement, l’avantage conféré par un seul allèle S
codant pour l’hémoglobine fonctionnelle, l’autre chez les hétérozygotes pour lutter contre falciparum
par le développement d’une résistance au parasite. est au contraire réduit. Toutefois, si l’on considère la
Mais la réalité est plus complexe : l’hémoglobine S population globale, la baisse de la nocivité de l’hémo-
n’assure certes pas bien sa fonction principale dans globine S est plus importante que la réduction de son

S&V Hors Série • 105


Où allons-nous ?
avantage : l’hémoglobine S tend alors à augmenter en
fréquence dans la population. Cette histoire montre
que la sélection et la conservation d’un trait de carac-
tère se font selon la balance des avantages et des
désavantages qu’il procure à son porteur. C’est pour-
quoi prévoir comment l’espèce humaine évoluera
pour répondre aux contraintes actuelles relève plus
du pari hasardeux que de la science.
Peut-on ainsi considérer que si nous sommes de
plus en plus grands, de plus en plus gros et que nous
vivons de plus en plus vieux, il s’agit d’évolution ? Ce
serait oublier que ces changements phénotypiques
sont le fruit d’une double contrainte : celle de notre
génome et celle de notre environnement. En 2015,
une étude d’une équipe emmenée par le chercheur
en santé des populations Gert Stulp, et publiée dans
la revue Royal Society, soulignait que la hausse
rapide de la taille des Néerlandais (en augmentation
moyenne de 20 centimètres au cours des 150 der-
nières années) était due à une amélioration de l’ali-
mentation et des soins médicaux, en interaction
avec la sélection de caractères génétiques.

LE SUCRE, NOUVEAUTÉ ENVIRONNEMENTALE


Cette interaction entre génétique et environnement
est peut-être plus marquée dans la vague d’obésité
qui touche actuellement la population mondiale.
Selon Michel Raymond, c’est une pure bascule
environnementale qui aurait initié le mouvement :
« Le sucre est une nouveauté dans notre alimenta-
tion, quantitativement parlant : la consommation
moyenne par habitant n’a jamais été aussi élevée
dans notre histoire. Cela a mis en évidence des dif-
férences génétiques qui préexistaient dans notre
population, sans avoir jusque-là d’effets notables. » DES CHILIENS QUI SURVIVENT
Des profils génétiques peu remarquables aupara-
vant sont devenus de vraies bombes à retardement Le désert n’est pas l’Atacama recèlent en
dans le monde de l’alimentation moderne. Si notre l’environnement le plus moyenne 1 microgramme
premier réflexe est d’accuser ce génome délétère,
favorable aux humains. de poison par litre, 100 fois
Pourtant, ce n’est pas le plus ! De quoi créer une
c’est à tort. « Aujourd’hui, comme il existe des
manque d’eau, mais l’eau grave crise sanitaire chez
gens qui, en mangeant tout le sucre qu’ils veulent, elle-même qui, dans le n’importe quelle popula-
ne grossissent pas, et ce, pour des raisons géné- désert d’Atacama, au Chili, tion. Mais pas chez celle de
tiques, on en déduirait volontiers que l’obésité a est le piège le plus sour- la Quebrada Camarones.
une cause génétique, reprend le chercheur. Or c’est nois. Les seules sources D’après une étude de
bien le changement environnemental qui a mis en accessibles sont fortement chercheurs de l’université
SHUTTERSTOCK IOANNA KAKOULLI

exergue ces différences génétiques, et c’est donc là contaminées à l’arsenic, du Chili parue en 2017
la véritable origine de l’obésité actuelle. » issu des roches volcaniques dans l’American Journal
De façon plus générale, l’être humain est connu lavées par les eaux souter- of Physical Anthropology,
pour être le primate qui stocke le mieux les graisses.
raines. Alors que le seuil de des individus présentaient
sécurité prôné par l’OMS une mutation sur le gène
Peut-être une conséquence de notre histoire évolu-
est de 0,01 microgramme AS3MT de leur chromo-
tive, héritage d’une époque où Homo sapiens a connu
par litre, les puits de some 10. Ce qui leur
de longues périodes de privation, durant lesquelles

106 • S&V Hors Série


DES INDIVIDUS APTES À VIVRE PRÈS DU DANGER
Vivre sur les flancs d’un gulière des allèles du gène comportementale : ils sont
volcan en activité, un truc DRD4, codant pour les bien moins enclins à la prise
de casse-cou n’est-ce pas ? récepteurs de la dopamine. de risque que les homo-
À moins que ce ne soit le La dopamine est un neuro- zygotes 4R-4R ou 2R-2R.
contraire, comme le montre transmetteur impliqué Selon les chercheurs, une
une étude publiée en 2017 dans le système du plaisir, aversion au risque confére-
dans Scientific Reports. qui renforce les comporte- rait un avantage pour vivre
Deux équipes françaises se ments « désirables » par dans un environnement
sont intéressées à sept vil- une récompense chimique. dangereux : plus prudents
lages indonésiens éparpillés L’un des allèles possibles, ou mieux préparés aux
autour du Merapi, connu le 4R, est le plus courant éruptions, les individus
pour ses fréquentes coulées dans la population humaine de ce phénotype auraient
pyroclastiques. Plus précisé- en général. Dans les zones mieux assuré leur survie
ment, seule la pente sud/ sûres du Merapi, il est d’ail- et propagé leur allèle 2R.
sud-ouest est une zone par- leurs bien le plus représenté Toutefois, les hétérozygotes
ticulièrement dangereuse ; (fréquence de 59 %). Mais étant les seuls à présenter
au nord, les habitants sont dans les zones à risque, cette tendance de com-
relativement en sécurité. il est tout au plus aussi portement particulière,
À peine 90 km séparent fréquent qu’un autre allèle, la fréquence de l’allèle 2R
les deux villages les plus le 2R (48 %). Résultat : les aurait augmenté sans
éloignés : une distance trop hétérozygotes 4R-2R sont outrepasser celle de l’allèle
faible pour que l’on puisse les plus nombreux à vivre 4R. Ainsi, le fait de vivre
normalement repérer une dans les zones à risque, loin dans un environnement à
différence génétique signifi- devant les homozygotes risque a-t-il produit, assez
cative entre les populations. 4R-4R et 2R-2R. Or les contre-intuitivement, une
Pourtant, les chercheurs ont hétérozygotes 4R-2R pré- population ayant une plus
observé une répartition irré- sentent une particularité grande aversion au risque.
Les populations les plus exposées
aux éruptions du volcan Merapi, en
Indonésie, présentent une spécificité
génétique qui les rend prudentes.

À L’INGESTION D’ARSENIC
confère l’avantage énorme de ce gène muté s’est
de produire une enzyme opérée, notamment du fait
décomposant l’arsenic en que l’empoisonnement
deux molécules, le rendant chronique à l’arsenic aug-
moins toxique pour l’orga- mentait le risque de fausses
nisme. Il faut dire que l’ex- couches chez les femmes
position à ce poison dans dépourvues du gène muté.
le nord du Chili ne date pas Si bien qu’aujourd’hui
d’hier : comme l’a montré la 68 % des habitants des
chercheuse Ioanna Kakoulli, Camarones ont un génome
à partir de cheveux prélevés leur apportant un semblant
sur une momie (ci-contre), de protection à l’arsenic.
les populations vivant
dans cette région il y a plus C’est une mutation géné-
de 3 000 ans étaient déjà tique qui protège une com-
munauté chilienne d’une
empoisonnées. Au fil des pollution à l’arsenic qui,
générations, une sélection autrement, lui serait fatale.

S&V Hors Série • 107


Où allons-nous ?
seuls les plus à même de faire des réserves auraient
pu survivre. « Beaucoup de changements récents
observés chez sapiens sont l’expression de change-
ments environnementaux, analyse Michel Raymond.
On pourrait les appeler des maladaptations. »
Ces maladaptations n’étant que le reflet de
contraintes nouvelles dans notre histoire évolutive,
leur disparition n’est-elle donc qu’une simple ques-
tion de temps ? Dans les faits, c’est à la fois une ques-
tion de temps et une question de stabilité dans le
temps : pour donner lieu à des adaptations, la pres-
sion de sélection doit perdurer suffisamment, sur
plusieurs générations, avant que ne se répande un
changement notable. À cela s’ajoute une autre condi-
tion : que l’innovation technologique et médicale ne
vienne pas contrer les effets délétères avant que la
nature n’ait fait elle-même le tri dans les popula-
tions. « Dans le cas de l’obésité, la médecine semble
pour l’instant compenser les effets délétères sur la
survie, car l’augmentation du nombre d’obèses ne
s’est pas accompagnée en Europe d’une baisse de
l’espérance de vie. Mais c’est le cas dans certaines
régions des États-Unis », relève le chercheur.

UNE DÉPENDANCE TECHNOLOGIQUE


Ces solutions d’appoint humaines deviennent alors
partie intégrante de notre système d’évolution et
du maintien de notre espèce. Au risque de ne plus
jamais pouvoir nous en défaire ? « Un exemple très
simple, illustre Michel Raymond, c’est la taille du
nouveau-né à la naissance : s’il est trop grand, il y
aura un problème à l’accouchement, ce qui compro-
met ses chances de survie, et celles de la mère. Or,
maintenant que l’on pratique la césarienne (dans cer- DES PEUPLES ACCOUTUMÉS
tains pays, le taux d’accouchements par césarienne
dépasse les 50 %), il n’y a plus de pression de sélec- L’espèce humaine a ceci insuffisante de l’hémo-
tion pour limiter l’augmentation de taille des bébés. » de particulier qu’elle globine. Chez la plupart
a colonisé un nombre des humains, la réponse
S’il s’avérait que les bébés gros étaient avantagés en
incroyable de niches du corps à cette priva-
matière de survie, on pourrait donc observer à l’ave-
différentes sur la pla- tion est compensée
nir un déplacement de caractère : si bien que, dans nète. Parmi les plus par une stimulation
quelques millénaires, on ne pourrait plus accoucher extrêmes, on trouve de la fabrication
sans césarienne, les bébés étant devenus trop gros. les régions de haute des globules rouge, une
Mais on entre là dans le domaine des extra- altitude, comme augmentation du taux
polations. En ce qui concerne l’évolution future les plateaux éthiopiens, d’hémoglobine dans le
de l’homme, le conditionnel est plus que jamais la chaîne des Andes ou sang et une accélération
C. BEALL, S. CRAIG, G. CHILDS PHANIE

de mise, car les sélections opérées ne peuvent les montagnes du Tibet. des fréquences car-
être observées que de manière rétrospective. Il Dans chacune de ces diaques et respiratoires.
faut plusieurs siècles ou millénaires pour qu’une
zones, les populations Mais c’est une réaction
ont développé des adap- temporaire et l’essouf-
mutation se répande dans une population : l’homme
tations particulières au flement n’est jamais
du présent nous renseigne sur son évolution
manque d’oxygène, qui loin, sans compter
passée. Pour son évolution présente, rendez-vous entraîne une saturation les risques de throm-
dans quelques milliers d’années. •
108 • S&V Hors Série
UNE FLORE INTESTINALE
ADAPTÉE À L’ALIMENTATION
Les changements du bétail, induisant
culturels déclenchent un changement ali-
parfois des change- mentaire pour utiliser
ments biologiques : cette ressource désor-
c’est l’évolution mais à disposition,
bio-culturelle. le lait. Pouvoir le digérer
Un argument végan apportait un avantage
en vogue consiste à dire – dont la nature est
que l’homme adulte encore discutée – favo-
n’a pas à boire du lait, risant la propagation
que c’est un aliment des gènes associés.
destiné en premier lieu Il aura fallu 5 000 à
aux petits des mammi- 7 000 ans de ce régime
fères. Voilà qui était alimentaire pour que
sans doute vrai il y a la mutation s’installe
quelque 10 000 ans. de façon conséquente.
Pourtant, dans plu- Ainsi, en Europe,
sieurs populations la fréquence de cette
distinctes autour du tolérance au lactose
globe, un pourcentage s’élève à 50 % des
important des adultes individus au Sud et,
maintient une lactase au Nord, à… 90 % !
active spécialement À titre de comparaison,
dédiée à cette consom- la population non-
mation de produits pastorale de la Chine
laitiers. Cette nou- ne comporte que 1 %
veauté remonterait d’individus dotés
à la domestication de cette capacité.
Avec la domestication du bétail, la consommation
de lait (vu ici au microscope) par les adultes s’est ré-
pandue et, avec elle, le maintien d’une lactase active.
AU MANQUE EN OXYGÈNE
bose et d’œdème pulmo- Réponse à l’altitude,
naire liés à ces réponses ! le flux sanguin (mesuré ici
par Cynthia Beall) est plus
L’équipe de l’anthropo- élevé chez les Tibétains.
logue américaine Cynthia
Beall a montré en 2007 molécule d’hémoglobine
que les Tibétains ont, eux, est toujours sous-saturée
développé un flux sanguin en oxygène, mais la
plus élevé, mais sans qu’ils concentration en hémo-
soient pour autant plus globine est plus forte,
sujets à l’hypertension. sans pour autant
Par la suite, d’autres causer de thrombose !
chercheurs ont mis en Quant aux Éthiopiens
évidence chez eux des des plateaux, l’oxygène
facteurs génétiques a beau être rare, leur
augmentant la saturation hémoglobine en est tout
en oxygène de l’hémo- de même saturée. Mais
globine. Chez les Andins, le mécanisme exact n’a
en revanche, chaque pas encore été mis à jour.

S&V Hors Série • 109


L’évolution rapide de notre environ-
nement (changement climatique, pollu-
tion…) met à l’épreuve notre capacité
à nous y adapter (ici, lors de la Marche
pour le climat, à Paris, le 13 octobre 2018).
Où allons-nous ?

Un monde
qui change
trop vite ?
Les transformations
récentes de notre
environnement rendent
certains de nos instincts,
N otre vie est gouvernée par des décisions
que nous croyons prendre de façon
consciente, mais qui sont motivées par
des mécanismes inconscients, implantés dans notre
cerveau par des milliers d’années d’évolution. Des
milliers d’années au cours desquels nos caractères
sont apparus, d’abord fortuitement, au hasard des
façonnés par des milliers modifications génétiques à chaque génération, puis
ont été passés au tamis de l’environnement. Seuls
d’années d’histoire les caractères les plus adaptés ont persisté (nous

humaine, inadéquats. Une permettant aujourd’hui d’arborer, par exemple,


des yeux, un pouce opposable, un appareil pho-
maladaptation comporte- natoire performant, etc.), tandis que les plus délé-
tères ont disparu. Un processus qui débouche sur
mentale que la psychologie un constat sans appel : l’évolution a nécessairement

peut parfois compenser. un temps de retard sur l’environnement. Lorsque


les deux changent à peu près à la même échelle
PAR CORA INE LOI EAU de temps, tout se passe pour le mieux. Mais avec
J. WITT/SIPA

l’évolution de ses pratiques culturelles, l’homme


a bouleversé son mode de vie et son habitat, son

S&V Hors Série • 111


Où allons-nous ?

L’environnement
a changé
trop vite pour
que notre
comportement
social et notre
organisme soient bien
adaptés à la vie moderne
NICO S B UM R
C ’ÉV
À ’I J -N ,ÀP

rapport au monde, à un rythme sans précédent. Un les années  1990 l’hypothèse d’un « décalage
phénomène qui s’accélère de façon criante depuis évolutionnaire ». Des caractères autrefois adap-
la révolution industrielle, au point de faire dire à tatifs deviendraient maladaptatifs, c’est-à-dire
certains spécialistes que nous sommes entrés dans carrément nuisibles. Nous sommes certainement
une nouvelle ère géologique, celle de l’« anthropo- nombreux à en faire les frais en ce qui concerne
cène ». « L’environnement a radicalement changé en l’alimentation : on a beau savoir qu’il faut « man-
cent cinquante ans, alors que la vitesse d’adapta- ger sain », il est difficile de résister aux tentations.
tion se compte en dizaines de générations, voire en D’autant plus que ces tentations ont été inscrites
centaines de générations, indique Nicolas Baumard, dans notre cerveau bien avant l’invention de la
chercheur en psychologie de l’évolution à l’Institut pâtisserie ou des barres chocolatées.
Jean-Nicod, à Paris. Il est donc impossible que notre « Dans les environnements ancestraux, les goûts
comportement social et notre organisme soient sucrés étaient associés à des nourritures comme
bien adaptés à la vie moderne. » les fruits ou le miel », écrivent en 2017 Mark van
Le fossé s’est-il creusé trop rapidement entre Vugt et ses collègues du département de psycho-
nos modes de vie et nous ? C’est le soupçon de logie expérimentale et appliquée de l’Université
nombreux chercheurs, qui développent depuis libre d’Amsterdam (Pays-Bas), alors qu’ils passent

DE NOMBREUSES ESPÈ ES PRISES ANS ES « PIÈGES ÉVOLUTIONNAIRES»


L’humanité a transformé ainsi certaines espèces. dans leur estomac ! La date de ponte n’a donc
son environnement Les tortues luth, par Au Pays-Bas, la mésange pas bougé depuis des
parfois à ses propres exemple, ont pour instinct charbonnière est quant décennies. En revanche,
dépens, mais parfois de chasser les proies à elle victime du réchauf- la végétation a réagi
également aux dépens transparentes qui flottent fement climatique : sa aux changements de
des autres êtres vivants. entre deux eaux : si, fenêtre de reproduction, température, avec pour
En 2002, le biologiste à l’origine, ce compor- basée sur la longueur conséquence une arrivée
Martin Schlaepfer recensait tement résultait du jour, faisait coïncider plus précoce du printemps :
dans la revue Trends en la consommation la naissance des oisillons le pic d’abondance de
in Ecology & Evolution les de méduses, ce sont avec le moment de nourriture se fait désormais
« pièges évolutionnaires » désormais plutôt des sacs l’année où la nourriture bien avant l’éclosion
dans lesquels se retrouvent plastiques qui finissent est la plus abondante. des œufs de mésange.

112 • S&V Hors Série


Dans les
environnements
ancestraux,
les goûts sucrés
étaient associés
aux fruits
ou au miel. Les préférer
s’avérait alors bénéfique
M K V G
P F Y L GI ÉV L I NNI
À L’UNIV I É LI ’AM M (P Y -B )

en revue la littérature scientifique consacrée à Si, dans le cas du sucre, le mismatch est assez clair,
ces « mismatchs évolutifs ». « Des aliments qui faire le tri entre les traits qui sont toujours adapta-
présentent naturellement des niveaux utiles en tifs et ceux qui ne le sont plus n’est pas toujours
glucides et en nutriments. En conséquence, la règle aussi simple. Ne maudissons ainsi pas trop vite nos
de décision de préférer et de manger les choses instincts alimentaires : le sentiment de dégoût, par
les  plus sucrées menait à une consommation exemple, n’est pas une expérience agréable, mais il
bénéfique de ces nourritures. » Mais, aujourd’hui, peut nous sauver la vie. Cette sensation est le reflet
d’autres aliments sucrés sont à portée de main : d’une capacité innée à détecter les pathogènes.
des produits industriels contenant de forts taux C’est elle qui nous retient de manger de la viande
de sucres raffinés et pauvres en nutriments. On avariée ou des aliments moisis, et qui, dans les cas
est loin des fruits. « Cela conduit à des maladies extrêmes, nous fera vomir les potentiels poisons que
comme le diabète, notent les chercheurs, parce nous avons eu le malheur d’avaler. En dépit de son
que les mécanismes physiologiques impliquant côté déplaisant, cet instinct est donc adaptatif.
l’insuline et le glucagon n’ont pas évolué pour
métaboliser de façon répétée des quantités de LUTTER CONTRE CERTAINS INSTINCTS
sucre aussi anormalement élevées. » Mais ce n’est pas le cas de notre consommation
problématique de sucre, qui pourrait cependant
être résolue par la voie de la psychologie. En effet,
pour éviter ce risque nouveau de nos sociétés
modernes, il s’avère impossible de compter sur ce
que nous dicte notre instinct. Il faut donc choisir
son alimentation consciemment, en dépit de nos
préférences inconscientes. Ce qui n’est pas un exer-
cice facile ! « Si je vous dis : “Il ne faut pas consom-
mer de sucre, c’est mauvais pour la santé”, ça ne
changera rien du tout à votre envie d’en manger,
relève Nicolas Baumard. Notre cerveau n’a pas
évolué pour prendre des décisions alimentaires en
DR SHUTTERSTOCK

fonction d’informations explicites. » Au contraire,


nous possédons un détecteur interne de niveau de
glycémie et ce sont des processus inconscients qui
président à nos choix. Processus qui ne sauraient

S&V Hors Série • 113


Où allons-nous ?
guère être impactés par la raison ! Heureusement,
les psychologues de l’évolution ont quelques idées
pour aider à résoudre le problème. « Il faut parler au
cerveau dans un langage qu’il comprend, souligne
Nicolas Baumard. C’est un langage “rationnel”,
mais qui est adapté aux situations dans lesquelles
notre espèce a évolué. La meilleure façon de com-
battre un mismatch psychologique, c’est de “taper”
dans un autre bouton psychologique qui, lui, a du
sens au regard de notre évolution. »

DES TECHNIQUES D’INFLUENCE


Pour atteindre ce but, les dernières décennies ont
vu fleurir des « nudges » (littéralement « coup de
pouce »). Un concept développé par le Prix Nobel
d’économie Richard Thaler dans les années 2000
pour décrire des techniques utilisées pour inciter
des personnes à changer leur comportement ou à
faire certains choix, sans contrainte et sans impli-
quer de sanction. Les nudges peuvent nous faciliter
la tâche quand le comportement que nous devrions
adopter (pour notre propre bien ou pour celui de la
collectivité) n’est pas celui suggéré par notre ins-
tinct. « Les humains ont besoin d’un nudge quand
leurs intérêts ne s’alignent pas avec la psychologie
dont nous a dotés l’évolution : quand il existe un
fossé entre l’environnement ancestral et l’environ- de la cafétéria sont ainsi exploitées depuis bien
nement actuel », délimite Nicolas Baumard. longtemps dans les supermarchés pour maxi-
Un des nudges les plus célèbres concerne jus- miser les ventes de certains produits, selon des
tement notre faible jugeote alimentaire. Richard finalités commerciales qui n’ont rien à voir avec
Thaler note en 2008 que, dans une cafétéria, le pla- les enjeux de santé alimentaire.

Les « nudges » peuvent nous aider lorsque le comportement que


nous devrions adopter n’est pas celui suggéré par notre instinct
cement des plats importe. Le fait de positionner Dans les nudges mis en œuvre jusqu’à pré-
un item en début de file augmente la probabilité sent dans des grandes campagnes sanitaires ou
qu’il soit choisi par rapport à un item placé en fin écologiques, en revanche, il n’y a guère trace d’in-
de file. Placer un item sur une file à l’écart de la tentions fourbes. Et l’on peut difficilement contester
file principale diminue encore sa probabilité d’être leur utilité, notamment pour la conservation de
pris. Quant aux items placés à hauteur d’yeux, ils l’environnement. Mark van Vugt défend leur
seront favorisés. Positionner avantageusement les usage : « Les tentatives d’induire des compor-
nourritures les plus saines – moins loin ou de façon tements de conservation ont rencontré peu de
plus visible – améliore ainsi l’équilibre nutritionnel succès, principalement parce que la conservation
des plateaux composés par les utilisateurs. elle-même est nouvelle dans l’histoire humaine. Les
L’idée d’un nudge n’est donc pas de supprimer humains ont évolué en consommant les ressources
les autres possibilités, mais d’en favoriser une locales sans retenue, car les populations étaient
aux yeux de l’individu : les inventeurs du concept alors petites et les pollutions résultantes faibles,
parlent d’« architecture du choix ». Cette forme de et la migration vers un nouveau lieu d’habitat fai-
manipulation douce, compromis entre interdiction sable. Les stratégies à l’œuvre aujourd’hui sont
formelle et laisser-faire, n’est toutefois pas sans similaires, mais elles ont de grandes répercussions
côté sombre. Les règles qui régissent le nudge sur la santé et la durabilité. »

114 • S&V Hors Série


Notre cerveau étant programmé pour préférer le
sucre, il est difficile de résister aux aliments sucrés. Mais
une manipulation douce peut favoriser la consommation
de produits sains : il suffit de les mettre en avant.

Le relevé des compteurs électriques devait ensuite


indiquer aux chercheurs si l’information avait eu
des répercussions sur la consommation des foyers.
Quatre messages furent utilisés aléatoirement. Ceux
vantant une économie sur la facture d’électricité,
moins d’émissions de gaz à effet de serre ou simple-
Les problèmes liés au climat et à la pollution ment le comportement social le plus responsable,
peinent particulièrement à motiver une réaction n’eurent aucun effet notable. Mais le quatrième
chez les humains. Tout d’abord parce qu’ils sont entraîna une baisse de 10 % de la consommation
indétectables à échelle individuelle et que chacun en électrique. Le message prétendait juste que 77 % de
est réduit à croire la parole des scientifiques. Là où leurs voisins préféraient déjà le ventilateur à la clim.
une menace directement sensible provoquera une Donnant-donnant ! « Évidemment, les gens sont d’ac-
réaction, nous nous montrons assez indifférents aux cord pour polluer moins, mais ça ne suffit pas à chan-
problèmes impalpables. « Ajoutez à cela que l’évo- ger leur comportement, commente Nicolas Baumard.
lution ne travaille pas pour le bien de l’espèce ou En revanche, leur dire que les autres le font, si ! Les
le bien du groupe, complète Nicolas Baumard. Elle informations qui entrent dans le cerveau en utilisant
favorise les gènes, et donc l’individu. » la façon dont il a été façonné par l’évolution ont beau-
coup plus d’impact que celles qui sont pour lui plus
LA RÈGLE DU DONNANT-DONNANT abstraites. » Et ce, même si les intéressés ne seront
Lorsque l’on gère un bien collectif, il ne suffit donc pas capables de vous expliquer pourquoi c’est un
pas de pointer l’intérêt général. Car nos instincts argument qui compte beaucoup pour eux !
de coopération ont beau exister, ils sont soumis à L’évolution ne nous a pas façonnés comme des
J. GREENBERG/AGEFOTOSTOCK - SHUTTERSTOCK

bien des conditions. « Nous sommes capables de créatures raisonnables et critiques. Au contraire,
coopérer, mais seulement si c’est donnant-donnant, bon nombre de nos comportements sont gouvernés
réciproque. Si l’on a les moyens de savoir que les par nos instincts. Lorsqu’ils ne sont plus à même
autres se comportent eux aussi moralement », pré- de nous guider correctement dans un monde qui a
cise le chercheur. Les nudges ont peut-être ici un rôle changé trop vite, donner un « coup de pouce » à notre
à jouer. En 2008, une équipe de chercheurs améri- cerveau peut se révéler plus efficace que d’en appe-
cains a étudié l’impact d’un simple message adressé ler à la raison. Pas magiques pour autant, les nudges
aux habitants de San Marcos, en Californie. Le but : sont un outil qui pourrait donner un nouveau souffle
les inciter à utiliser des ventilateurs plutôt que la aux politiques mises en place pour lutter contre les
climatisation, afin de consommer moins d’énergie. nouvelles menaces de l’anthropocène. •
S&V Hors Série • 115
Où allons-nous ?

La diversité
éclairée par
la génétique
Le séquençage du
génome humain a révélé
qu’humanité rime avec
diversité. Une évidence qui
G rand, blond, roux, noir, trapu, yeux
bleus… Quoi de plus banal, dans notre
société mondialisée, que la diversité
de nos semblables ? Et quoi de plus superficiel que
ces différences ? Car la science n’a cessé de le répé-
ter depuis plus de cinquante ans : ces variations
apparentes masquent une profonde uniformité de
ne doit plus être niée si l’on l’espèce humaine. Cette vision d’une espèce hu-
maine homogène est née du poids de l’histoire :
veut comprendre l’histoire alors que le  siècle venait de connaître un de

humaine. Et qui implique ses plus terrifiants génocides au nom de la diffé-


rence et de la prétendue « supériorité » de certains,
aujourd’hui de réfléchir la science s’est mobilisée pour démontrer que toute
ANGELICA DASS HUMANAE PROJECT

théorie faisant état de la supériorité ou de l’infério-


à l’égalité dans le cadre rité intrinsèque d’une population donnée était sans

de cette diversité. fondement scientifique. Ce discours à même de pro-


mouvoir l’égalité de tous mettait en avant la très
grande uniformité de l’espèce humaine, reléguant
la diversité biologique au second plan, comme un
épiphénomène de notre évolution. Le 12 juillet

S&V Hors Série • 117


Où allons-nous ?
2018, cette idée marquait même la Constitution cela n’avait pas d’importance : un génome humain,
française de son empreinte : les députés décidaient « le » génome humain, était désormais disponible et
d’en bannir le mot « race ». il dirait tout ce qu’il restait à découvrir sur nous. Sauf
Aujourd’hui, après une quinzaine d’années de qu’en comparant différents génomes au début des
découvertes génétiques tous azimuts, le regard années 2000, on a commencé à voir des groupes.
des scientifiques sur cette question a changé. Qui plus est, des groupes qui retombent assez
Généticiens et paléoanthropologues veulent désor- bien sur les anciennes subdivisions : Européens,
mais rendre à notre espèce son droit à la diversité. Africains, Asiatiques… ! De quoi réveiller les vieux
Avec un mot d’ordre : la diversité est une richesse ! démons du racisme ? Non, car ces groupes ne sont
Oui, nous sommes tous des métis appartenant à pas des races qui sous-tendent une hiérarchisation,
une unique grande famille et nos génomes sont des inégalités. Il est impossible de leur superposer
similaires, mais cela ne veut pas dire qu’on n’y les traits et les caractéristiques qu’on pouvait soi-
trouve pas de différences : non seulement ce n’est disant leur associer. Comme le note le biologiste
pas grave, mais c’est même mieux ! Bertrand Jordan, dans son ouvrage L’Humanité au
pluriel, la génétique ne fait que retracer des groupes
UN SUJET SCIENTIFIQUE COMME UN AUTRE d’ascendance aux frontières floues. Aucun gène ni
Ces travaux tâchent de parler de nos différences aucune caractéristique physique ne peuvent être
sans tabou ni arrière-pensée morale, en faisant de spécifiquement associés à un groupe donné : tous
nos origines, de notre histoire et de notre place existent dans chaque groupe, mais en des propor-
au sein du vivant un sujet scientifique comme tions et des combinaisons différentes.
un autre. Il ne faut donc pas y voir un retour en Par ailleurs, la diversité à l’intérieur de chaque
arrière ou une caution de l’existence de « races » groupe est largement plus grande que d’un groupe
humaines dont certaines seraient supérieures à à un autre. Il a ainsi été calculé que si une seule
d’autres. Un discours sur la diversité ne peut pas des populations humaines identifiées survivait,
être mis sur le même plan qu’un discours sur l’iné- elle conserverait 85 % de notre diversité globale.
galité : alors que le second est d’ordre moral, le Ce qui signifie que 15 % seulement des différences
premier est d’ordre scientifique. La diversité, ça observées entre deux humains découlent de leur
se mesure, ça se compare. Et c’est justement en appartenance à des groupes distincts. Chacun
mettant au point des techniques capables de lire des 7 milliards d’humains dispose donc d’un patri-
les milliards de lettres de notre génome que les moine génétique unique, quoique composé des
chercheurs ont vu apparaître un panorama de la mêmes gènes. La véritable diversité humaine est
diversité humaine singulièrement différent de celui donc bien plus profonde, riche et subtile que celle
dressé jusqu’ici. Un nouveau portrait de l’humanité issue de concepts inégalitaires dépassés. Mais faut-
se dessine, où les différences biologiques entre les il s’en étonner ? L’uniformité est tout sauf naturelle !

Les techniques capables de lire les milliards de lettres de notre


génome ont fait apparaître une diversité longtemps niée
individus, longtemps minimisées voire niées, ont Elle signe même, en biologie, la mort programmée
toute leur place. Un portrait sous-tendu par l’idée d’une espèce. Car c’est bien de la différence entre
que les individus n’ont pas besoin d’être identiques ses individus qu’une population tire la possibilité de
pour avoir les mêmes droits. s’adapter à des situations nouvelles et de résister
Dans les années 1990, un projet prométhéen ras- à un climat plus chaud ou à des pathogènes incon-
sembla les meilleurs laboratoires du monde. Le nus. Telle est la loi de l’évolution. Alors, nous qui
séquençage de 3,5 milliards de paires de bases (les avons colonisé la planète et dont la démographie
lettres de l’ADN) fut publié en février 2001 simulta- n’a jamais été aussi florissante, comment aurions-
nément dans Nature et Science. Pour des raisons nous pu être si semblables ?
techniques, il ne s’agissait pas du génome d’un seul Sachant que nous disposons tous des mêmes
individu, mais de portions obtenues chez plusieurs gènes placés dans le même ordre le long des mêmes
volontaires d’origine européenne, et agrégées. chromosomes, d’où vient cette diversité ? Le pre-
Mais, pensait-on alors, il y avait si peu de différences mier ressort de variabilité génétique tient à la « mu-
entre nous et elles étaient si peu significatives, que tation », au changement aléatoire d’une des lettres

118 • S&V Hors Série


1 janvier 2015

C O NS T I T U T I O N

Le Gouvernement de la République, conformément


à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, a proposé,

Le peuple français a adopté,

Le Président de la République promulgue la loi


constitutionnelle dont la teneur suit :

PRÉAMBUL E

Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de


l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la
Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de
1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de
2004.

au niveau d’une séquence donnée. Gènes et chro- Le 12 juillet 2018, En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la
République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer
des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de

mosomes sont en effet composés d’ADN, un pro- l’Assemblée nationale fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique.
________

a voté la suppression
gramme long de 3,5 milliards de paires de bases. Or,
ARTICLE PREMIER . La France est une République indivisible, laïque,

du mot « race » démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son
organisation est décentralisée.

notre machinerie cellulaire peut se tromper en le du- de l’article 1er de la La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales.

Constitution, au nom
pliquant. Si cette erreur se produit lors de la forma- de l’égalité entre les
tion de nos gamètes (spermatozoïdes et ovocytes),
1
groupes humains.
elle sera transmise à notre descendance. Commun à
toutes les espèces, ce moteur de diversité injecte ré- global. Elles interviennent généralement dans les
gulièrement et au hasard des variations dans notre parties de génomes qui assurent la régulation des
programme interne. D’énormes projets de recherche gènes ou dans les immenses portions d’ADN dont
internationaux (comme HapMap lancé en 2002 ou on ne connaît pas encore le rôle. La partie codante
1 000 Genomes en 2008) se sont donnés pour but de du génome, les gènes et leurs séquences régula-
traquer chez nous ces petits changements appelés trices nous renseignent sur notre histoire adapta-
SNPs (Single Nucleotid Polymorphism). Et ils en ont tive. Alors que le génome non-codant nous raconte
trouvé des millions ! Les génomes de deux individus notre histoire démographique, nos migrations, qui
pris au hasard sont similaires à 99,9 %. Ils ont donc, est parti d’où… Et c’est cette longue histoire, qui
en gros, une différence toutes les 1 000 bases, soit a façonné notre diversité actuelle, que révèlent
3 millions sur environ 3 milliards de paires de bases, depuis dix ans les généticiens.
alors qu’avec un chimpanzé, notre différence est
de une toutes les 100 bases. L’AFRIQUE, TERRE DE BRASSAGE GÉNÉTIQUE
Ces innombrables SNPs racontent des histoires Alors qu’elle a offert les fossiles les plus emblé-
différentes en fonction de leur place dans le gé- matiques de notre lignée et s’est imposée comme
nome. Ils peuvent toucher les gènes codant les pro- la terre de nos origines, l’Afrique a dû attendre
téines qui nous composent. Mais la plupart de ces 2006 le séquençage d’un de ses représentants. En
mutations ne sont pas gardées par la sélection natu- vertu de l’accumulation des mutations au fil du
relle, car les protéines ne peuvent pas beaucoup temps, le berceau africain avait forcément beau-
SHUTTERSTOCK

varier sans perdre leur fonction. Les SNPs tombent coup à nous apprendre sur notre passé lointain. La
en fait le plus souvent à côté de ces sacro-saints richesse entrevue a confirmé le potentiel de cette
gènes qui constituent moins de 5 % de notre ADN terra incognita génétique. Professeur en médecine

S&V Hors Série • 119


Où allons-nous ?
sont des mosaïques de nos deux  génomes. qu’ils ont des choses à dire. En Afrique, les restes
Quelques mois plus tard, la même histoire se répé- osseux d’Omo Kibish, d’Iwo Eleru et d’Ishango ont
tait, mais avec une double découverte : celle d’un été témoins de l’origine de notre lignée ; eux et leurs
Homo inconnu, aujourd’hui disparu, identifié uni- contemporains encore inconnus pourront demain
quement par son génome d’un type nouveau et sur- nous dire quelle était alors la diversité réelle de
nommé d’après la grotte sibérienne de Denisova où « l’homme » il y a 150 000 ans. En Europe, en Asie, ce
il fut trouvé. Son analyse génétique révéla que des sont les hybrides de sapiens et de Neandertal, jugés
fragments de son ADN se retrouvaient aujourd’hui impossibles il y a peu, qui attendent d’être identifiés.
chez certaines populations d’Asie de l’Est et jusqu’à L’exploration de notre diversité est loin d’être
près de 6 % pour les Mélanésiens ! achevée. Depuis 2007 et la multiplication des gé-
nomes entiers séquencés, les spécialistes sont sur
LA TRACE GÉNÉTIQUE DE NOS ANCÊTRES la piste d’autres variations, plus longues (des di-
Cette diversité d’outre-tombe n’épargne pas zaines, voire des centaines de bases) et moins bien
l’Afrique. Mais cette fois, ce ne sont pas les traces connues que les SNPs. L’enjeu de ces découvertes
génétiques de néandertaliens ou de dénisoviens qui dépasse la dimension purement scientifique. Alors
ressortent, puisqu’ils n’y ont jamais mis les pieds, que le  siècle a mis en avant les similitudes entre
mais les vestiges ADN de sapiens très anciens, dont les individus, le ne doit plus avoir peur d’inté-
les lignées se sont taries. De quoi brouiller un peu grer leurs différences : au lieu de nier la diversité
plus l’idée d’une lignée simple et directe allant de pour mieux défendre l’égalité, il s’agit aujourd’hui
« l’ancêtre » jusqu’à « nous ». Le signe le plus mar- de réfléchir à l’égalité dans le cadre de la diver-
quant de ces adjonctions ancestrales se trouve sur sité. Car prendre en compte cette diversité, c’est
le chromosome  Y. En analysant certaines de ses notamment garantir une médecine mieux adaptée
séquences chez des Africains actuels, des généti- à chacun (lire encadré ci-dessous).
ciens de l’université de l’Arizona ont montré que Cette diversité que l’on découvre raconte notre
le chromosome Y est plus vieux que notre espèce ! histoire commune et multiple, comment nous nous
Âgé de 300 000 ans, il remonte aux hominidés ar- sommes adaptés à une terre si vaste et si chan-
chaïques qui nous ont précédés. Chaque portion de geante, et comment nous serons capables de le
notre génome pourrait ainsi avoir un ancêtre diffé- faire demain face aux conséquences du réchauffe-
rent… Notre diversité repousse donc même le cadre ment. Chercher ce qui nous distingue, ce n’est pas
de notre humanité actuelle, elle va au-delà ! discriminer : c’est essayer d’oublier la norme pour
Tous ces mélanges, toutes ces humanités qui retrouver l’individu, c’est tenter de réconcilier cha-
sortent de l’oubli poussent les chercheurs à réinter- cun avec son histoire individuelle tout en rendant
roger certains fossiles de crânes ou fragments de cohérente l’histoire collective. Ce qui est au cœur
squelettes déterrés dans les années 1960 ou 1970 et de la déclaration de l’Unesco de 1950 : « Chaque
mis de côté, car inclassables dans la vision linéaire être humain n’est qu’une parcelle de l’humanité, à
que nous avions de notre lignée. Désormais, on sait laquelle il est indissolublement lié. » •
SOIGNER C CUN EN FONCTION E E PÉCIFICITÉ
Qui dit spécificités physio- noires soulignent la néces- de ce médicament était mentait les inégalités. Car
logiques dit besoins sité de prendre en compte peu efficace pour la popu- les médicaments sont
différents, mais aussi réac- les particularités de chaque lation en général, elle généralement mis au point
tions différentes aux groupe humain. réduisait la mortalité de sur des échantillons de
médicaments et risques Signe du changement : le 43 % pour les patients population non représenta-
différents de développer premier médicament d’origine africaine qui, par tifs de la diversité réelle, où
des maladies. Alors que la réservé à une population a ailleurs, réagissent mal aux les Européens sont souvent
majorité des traitements été officiellement mis sur le traitements convention- surreprésentés. Regarder la
ont jusqu’à présent été éla- marché aux États-Unis en nels. Les raisons d’une telle diversité en face permet en
borés pour des populations 2005. Il s’agit du BiDil, un différence avaient beau ne l’occurrence de vérifier si
blanches, des spécialistes vasodilatateur soutenu par pas être comprises, le BiDil les médicaments sont effi-
qui travaillent aujourd’hui l’Association des cardiolo- démontrait que refuser de caces pour tous, Asiatiques,
auprès de populations gues noirs. Si la molécule la prendre en compte aug- Africains ou Amérindiens.

122 • S&V Hors Série


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