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la PSYCHOlOGIE aujOurd’HuI LES GRANDS DOSSIERS DES SCIENCES HUMAINES / tRIMEStRIEL N° 42 - MARS - AVRIL - MAI 2016

Ce document est la propriété exclusive de FREDERIC HESELMANS (fred@heselmans.net) - 10-04-2016

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PSψCHOLOGIE

PSyCHOLOGIE dE LA SAntÉ
n° 42
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Le pouvoir Remerciements à Caroline de Maigret, Yarol Poupaud et Bertrand le Pluard/photographe. Création SHORTLINKS
Partout dans le monde, les femmes doivent avoir
le pouvoir de décider et d’agir, aussi bien dans
leur vie personnelle que professionnelle. CARE,

des femmes
ONG de solidarité internationale, accompagne
tous les jours les femmes vers l’autonomisation
économique et le renforcement de leurs droits.
Nous sommes convaincus que c’est ensemble,

est aussi
femmes et hommes, que nous devons lutter contre
les injustices. Vous aussi, devenez acteurs et
actrices de ce changement !

une affaire
d’homme Signez la pétition !
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#lepouvoirdesfemmes
é ditor ial

état des lieux à la croisée des chemins


Dans Google, le mot « psychologie » renvoie à 52 700 000
résultats. « Psychology » à 246 000 000. Imaginez si l’on
ajoute ceux qui se rapportent à des notions voisines de la
psychologie comme « psychothérapie », « troubles men-
taux », « psychanalyse », « psychiatrie », « personnalité »,
« développement personnel », et tant d’autres… Rien que
pour se tenir au courant des nouvelles recherches en
neurosciences, il faudrait lire (et comprendre, et rete-
nir !) une centaine d’articles scientifiques par jour. Même
en s’efforçant de trier le bon grain de l’ivraie, aucun spé-
cialiste ne peut donc se prétendre expert de toute la
psychologie, avec ses racines profondes, ses bourgeon-
nements parfois exubérants, ses ramifications toujours
multiples. Autant dire qu’un état des lieux comme celui
que nous vous proposons ici nous semble le bienvenu. Il
est nécessaire. Mais est-il suffisant ? Vous l’aurez com-
pris, présenter l’ensemble de la psychologie à l’instant T
réclamerait une encyclopédie… qui deviendrait en partie
caduque d’ici dix ans. Nous faisons cependant le pari de
cerner les grandes lignes, repérer les tendances, dissi-
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per les malentendus, débusquer les clichés. En un mot,


restituer la vitalité d’une respectable mais imprévisible
vieille dame qui ne cesse de se régénérer. À la croisée
des chemins entre tradition et modernité, alors que le di-
van voisine tant bien que mal avec l’imagerie cérébrale,
la psychologie pourrait hésiter, piétiner, tourner en rond.
En un mot, se perdre. Au lieu de cela, elle explore. Et
c’est ce que nous allons faire ensemble. l

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Dossier coorDonné par Jean-François MarMion

46 À quoi sert 66 La santé sous l’œil des psychologues


la neuropédagogie ? Cyril tarquinio
oliVier houdé
70 Psychologie positive, la science du
48 Les grandes familles bien-être
des psychothérapies reBeCCa shankland
MarC olano
72 Le développement personnel :
52 Addictions : du neuf avec du vieux ?
les nouvelles pistes niColas Marquis
isaBelle VaresCon
74 Malaise dans la recherche
Jean-François MarMion

76 Épidémiologie : de quoi les Français


souffrent-ils ?
ViVianne koVess-MasFéty
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54 « Dys », du diagnostic à la
prise en charge
MiChèle Mazeau

56 Autisme : les tendances


récentes
laurent Mottron

58 La mécanique des troubles


alimentaires
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reBeCCa shankland

60 L’explosion des risques


psychosociaux
PatriCk légeron
la psychologie aujourd’hui
Bridgeman

George Underwood, The Headland, 2004.

Psychologie :
état des lieux
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Bien que vigoureuse, elle souffre en permanence de débats


et contradictions. Faiblesse ou vigueur ?

n jean-françois marmion n

E
lle sait d’où elle vient. Mais qui revendiqué dès les années 1870-1880 sitaires en général, tout en se voyant
elle est et où elle va, c’est une dans les univers académiques amé- enseignée sous le label des sciences du
autre histoire. Parmi toutes les ricains et européens, et son versant vivant, et non des sciences humaines,
disciplines des sciences humaines plus littéraire, parfois philosophique au Collège de France.
peut-être, la psychologie apparaît encore, accordant davantage d’im-
comme celle la plus propice aux portance à la subjectivité, et dont la Une psychologie plurielle
paradoxes. psychanalyse constitue l’exemple le De la psychologie sociale à la cli-
D’abord, s’agit-il bien d’une science plus connu. Cette ambivalence reste nique, auprès des patients, du modèle
humaine ? Rameau rebelle puis indé- particulièrement vivace en France psychanalytique au virage sans cesse
pendant de la philosophie du 19e siècle, où la psychologie demeure souvent plus prononcé vers les neurosciences,
elle n’a cessé de souffrir de tiraille- imprégnée d’influence freudienne et de la psychopathologie à la psycholo-
ments entre son versant expérimental, lacanienne dans les milieux univer- gie de la santé en passant par la psy-

6 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


chologie positive, du développement, viserait à accélérer la clarification des montrera toujours capable du meil-
de la consommation, du sport et bien droits et devoirs des professionnels leur comme du pire, qui lui-même
d’autres, toutes ces branches se voyant concernés, l’immense majorité des cherchera toujours à comprendre qui
elle-même divisées en une multitude praticiens s’y refusent. Au risque que il est. La psychologie s’avère plutôt
de spécialisations, il semble de plus en l’illisibilité soit le prix à payer pour la trop humaine que pas assez, et c’est
plus intenable d’évoquer la psycholo- liberté. bien le moins. Elle ressemble à un
gie au singulier. On ferait sans doute édifice séculaire dont certains pans
mieux de parler des psychologies. Les portes qui claquent se lézardent, s’effritent, prennent la
Placez un neuropsychologue et un cli- Les arguments ne manquent pas poussière, tandis que d’autres sont
nicien adepte de Melanie Klein dans la pour alimenter un constat sévère. rebâtis, renouvelés. Des portes se
même pièce, il n’est pas certain, à sup- Que d’interminables querelles intes- condamnent, des façades s’ouvrent,
poser qu’ils soient de bonne volonté tines, que de cohue et de brouhaha ! on ne sait plus s’il s’agit d’une cathé-
et sans préjugés, qu’ils aient l’impres- Peut-être… Mais si cette perpétuelle drale ou d’un labyrinthe, d’un palace
sion de parler la même langue. Ils agitation, ces portes qui claquent ou d’une pétaudière, d’un cul-de-
partageront pourtant le même titre et ces pointilleuses interrogations basse-fosse ou d’un monument. Un
de psychologue, obtenu suite à un identitaires étaient signes de vigueur ? état des lieux s’impose. Sans prétendre
enseignement universitaire où ils L’objet de la psychologie porte après à l’exhaustivité, sans se risquer à des
ont bénéficié d’un tronc commun. Il tout sur un sujet aussi complexe que paris sur une destinée imprévisible,
est d’ailleurs difficile de trouver deux l’être humain qui pense, qui agit avec on se souviendra que la carte n’est pas
psychologues qui s’entendront sur les autres, qui grandit, qui aime, qui se le territoire, mais on tâchera au moins
ce que devrait être la formation d’un bat pour survivre et qui lui-même se d’avancer avec une boussole. l
bon psy, la meilleure pratique pos-
sible de son métier, voire la définition
même de celui-ci. Un psychologue
s’occupe-t-il d’analyser les pensées
ou les comportements d’autrui ? Est-il
n La psychologie chassée du lycée
L’enseignement de la psychologie a complètement disparu des
là pour guérir, accompagner, conseil-
ler ? Le paradoxe est encore plus programmes du lycée (philosophie) depuis 2003 (BO2003 n° 25 du
prononcé auprès du grand public : 19 juin 2003), malgré l’importance de la psychologie contemporaine au
la psychologie n’a jamais été aussi plan international (100 000 publications par an depuis les années 2000),
populaire, mais entre psychologues, son utilité dans de nombreux aspects de la vie sociale (santé, justice,
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psychanalystes, psychiatres, psycho- éducation, industrie, management, marketing, etc.), et le fait qu’elle attire
praticiens, psychothérapeutes, sans un grand nombre de bacheliers à l’université en toute méconnaissance de
oublier une foultitude de néologismes ce qu’est réellement cette science. Ainsi, tous les lycéens, futurs citoyens,
ronflants, comment s’y retrouver ? Et dont certains deviendront chefs d’entreprise, enseignants, médecins,
comment s’étonner que les études journalistes, hommes politiques… arrivent en fin d’études secondaires sans
de psychologie soient prises d’assaut avoir abordé aucun thème de la psychologie contemporaine.
par des bataillons de bacheliers per- Jusqu’aux années 1970, la psychologie représentait un quart du programme
suadés qu’elle se résume au Sigmund de philosophie en terminale, avec les thèmes classiques de la perception,
Freud effleuré en terminale pendant la mémoire, l’intelligence, les émotions, le langage, l’attention, la
les cours de philosophie, et qui se personnalité, les relations sociales, les pathologies, les méthodes de la
retrouvent parachutés au beau milieu psychologie, etc. Elle a disparu du lycée, sans concertation. Il est possible
de statistiques, de neurosciences, de que les enseignants de philosophie se soient sentis en difficulté pour
modèles cognitifs (encadré) ? Cette l’enseigner, compte tenu de son développement important : plus de 150
difficulté, souvent cette réticence, à catégories dans la base bibliographique internationale PsyCinfo. On ne
parler d’une seule voix se retourne cesse de s’y référer dans tous les domaines de la vie sociale, sur la base
contre les psychologues. On les a vus des recherches actuelles issues des différentes branches de la discipline
se déchirer pendant dix ans à propos (neuropsychologie, psychologie cognitive, développementale, sociale et
de la légalisation du statut de psycho- clinique). La psychologie fait partie de l’enseignement de base dans de
thérapeute, et se retrouver contraints nombreux pays (Belgique, Suisse, États-Unis, Canada, Écosse, etc.). Alors,
de renégocier après coup un décret à quand son retour au lycée en France et dans quel enseignement ? l
bancal qui les désavantage au profit Agnès Florin
des médecins. Quant à un Ordre qui

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 7


la psychologie aujourd’hui
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Psychologie
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du développement :
quoi de neuf depuis Piaget ?
On ne voit plus l’enfant comme un adulte en
nagnès FLorin
Professeure émérite en psychologie de l’enfant et de moins bien, qui acquiert l’une après l’autre les
l’éducation à l’université de Nantes, elle a publié entre
autres Introduction à la psychologie du développe-
étapes de l’intelligence. Grâce à de nouvelles
ment, Dunod, 2013, et Le Développement du langage, méthodes d’observation, la vie fœtale même se
Dunod, 2013.
révèle riche en surprises.
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L
a psychologie du développe- complètement mature. Ces capacités veauté : après l’avoir habitué à un
ment représente plus de 10 000 perceptives se développent avant et stimulus (auditif, visuel…), on lui
publications annuelles dans après la naissance, d’abord le toucher présente un stimulus distinct et on
la base bibliographique internatio- (3e mois de vie fœtale), puis l’olfaction enregistre s’il a perçu la différence.
nale de référence PsycInfo, et davan- et la gustation (25e semaine), l’audi- À partir de ces observations, on com-
tage si l’on inclut des articles sur les tion (28e semaine), enfin la vision. prend mieux aujourd’hui les compé-
enfants et les adolescents classés dans Les nourrissons mémorisent saveurs, tences cognitives, sociales et émo-
d’autres rubriques (psychopathologie, odeurs, sons et séquences de sons tionnelles. Les bébés sont capables de
psychologie cognitive, psychologie présents pendant leur vie fœtale ou discrimination : repérer les différences
sociale, neuropsychologie, etc.). juste après la naissance ; ils s’apaisent entre deux stimuli, tels des séquences
Les avancées ont été nombreuses au en reconnaissant l’odeur de leur mère de sons comme babi/biba. Ils catégo-
cours des dernières décennies pour ou la voix d’une personne familière. risent, repérant ce qui est identique
mieux comprendre la psychologie Pour comprendre la perception des malgré les différences (parmi des
des bébés, puis les différents aspects changements de son environnement photos, distinguer un visage féminin
du développement jusqu’à l’ado- par le bébé, les chercheurs utilisent de plusieurs visages masculins). La
lescence : cognition et imagination, des indices physiologiques (rythme permanence de l’objet apparaît vers
relations affectives et attachements, cardiaque, activité électrique céré- 5 mois, bien plus tôt que le pensait
théorie de l’esprit. Longtemps, on brale…), ainsi que ses mouvements Jean Piaget. Un objet continue à exis-
a considéré les enfants comme des et mimiques, ses réactions à la nou- ter pour eux lorsqu’il disparaît derrière
êtres immatures, des adultes inache-
vés, définis par leurs incapacités plus
que par leurs compétences, comme si
l’âge adulte, achèvement du parcours,
était un état stable.
Or, la personne évolue tout au long
n Le cerveau des adolescents
n’est pas terminé
de la vie, à travers des changements
et des continuités, et les enfants, L’adolescence constitue, après la petite enfance, une deuxième période
même les plus jeunes, sont comme de transformations importantes du cerveau et de ses connexions, en
les chercheurs : ils développent leurs particulier des structures frontales impliquées dans la planification des
connaissances et leurs savoir-faire actions, la compréhension des règles sociales et la prise de risque
en réalisant des expériences, ils font (anticipation des conséquences de ses comportements) ; c’est aussi une
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des jugements probabilistes quant phase d’élagage neuronal et de disparition des connexions en surnombre.
aux résultats attendus, et ils utilisent Le cerveau des adolescents n’est pas terminé ! Cette plasticité cérébrale
les statistiques pour construire des (apparition de nouveaux neurones et de nouvelles connexions, leur
théories intuitives, tant sur le monde maintien ou leur disparition) correspond à des interactions complexes
physique que mental. Ils ne sont pas entre des contraintes sociales (changement de statut, d’exigences
des êtres passifs, mais les acteurs de scolaires), internes (changements corporels, maturité sexuelle) et les
leur développement. histoires de vie de chacun. C’est une seconde étape de recherche de
La neuropsychologie nous a appris nouveaux équilibres, d’une nouvelle adaptation, avec des fragilités et des
que les expériences cognitives, émo- risques spécifiques : décrochage scolaire, conduites à risques, dépression,
tionnelles, sociales contribuent au dépendances. Même si la majorité des adolescents la dépasse sans
développement du cerveau, via la drame, cette transformation est source de difficultés : par exemple
plasticité cérébrale et les réseaux pour les familles qui tendent à vouloir maintenir les équilibres atteints
de neurones qui se développent ou auparavant ; ou en milieu scolaire, alors que se jouent les décisions
disparaissent, tant dans la petite d’orientation qui déterminent grandement la trajectoire ultérieure des
enfance que dans les étapes ulté- adolescents, et sans qu’on leur donne davantage de prise sur leur
rieures de la vie. scolarité qu’auparavant, que ce soit dans le choix des enseignements ou
dans le fonctionnement de l’établissement. Le collège est d’ailleurs la
La psychologie des bébés période scolaire la moins appréciée des jeunes, selon l’Institut national de
Grâce à de nouvelles méthodes d’in- prévention et d’éducation à la santé (1). l a.f.
vestigation, nous savons désormais (1) Inpes, rapport sur l’enquête « Health behavior in school-aged children » sur les jeunes de 11 à 15 ans dans les
que le fœtus possède des capacités pays de l’OCDE, 2012.
perceptives avant que le cerveau soit

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 9


la psychologie aujourd’hui
Phanie
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un écran : ils orientent leur regard vers longtemps l’événement impossible nouveaux bien avant de les produire,
l’endroit où l’objet va réapparaître, que l’événement possible. en suivant le regard d’un adulte pour
en tenant compte de sa trajectoire. Vers 6-8 mois, les bébés peuvent deviner de quoi il parle. À 2 ans, ils
Vers 4 ou 5 mois, ils manifestent un distinguer les sons de toutes les lan- ont une connaissance des catégories
début de connaissance du nombre gues, y compris de celles qu’on ne grammaticales nom et verbe et de
(1 + 1 = 2 et 2 - 1 = 1, ou 1 + 1 + 1 = 3 et leur parle pas ; cette discrimination leurs contextes d’utilisation.
3 - 1 = 2), comme le montrent diverses sera ensuite restreinte aux langues Un bébé ne vit pas dans la confusion
expériences depuis les années 1990, qu’ils entendent. Vers 16 mois, ils entre soi et le monde. Dès les premiers
souvent reproduites. Dans un petit utilisent l’intonation et le rythme de jours, il manifeste une représentation
théâtre de marionnettes par exemple, la parole (la prosodie) pour détecter d’un soi différencié d’autrui, en dis-
on présente au bébé un personnage les frontières entre les groupes de tinguant les informations perceptives
(comme Mickey) que l’on cache, puis mots (le garçon/attrape la balle) et de son propre corps (ma main touche
une main visible amène un deuxième en reconnaître certains dans d’autres mon visage et mon visage sent ma
Mickey derrière le cache ; on enlève le énoncés (balle dans la balle est rouge) main : c’est le « toucher double ») de
cache, et deux situations sont propo- et ils identifient les mots grammati- celles qui proviennent de l’environne-
sées : deux Mickey (événement « pos- caux fréquents (articles, auxiliaires, ment (la main d’une autre personne
sible ») ou un Mickey, l’autre ayant été terminaisons de verbes), souvent en touche mon visage). Cette représen-
enlevé à l’insu du bébé (événement position identique dans les énoncés. tation s’est construite dès la vie fœtale,
« impossible »). Le bébé, percevant Ils analysent le contexte de l’interac- lorsque le bébé, en suçant son pouce,
l’erreur de comptage, regarde plus tion pour apprendre le sens de mots construit des expériences multisen-

10 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


sorielles. Le nourrisson développe par d’autres, dont il intègre le regard langagières. Les premiers attache-
ce que le professeur de psycholo- au sien : c’est aussi le début de la col- ments sont établis avec une personne,
gie Philippe Rochat appelle « le sens laboration avec autrui, de la pensée en général la mère, première « don-
écologique de soi » : le sens du corps symbolique et de la représentation neuse de soins ». Mais J. Bowlby et
comme distinct du monde extérieur, des désirs et des pensées d’autrui d’autres chercheurs à sa suite ont
situé par rapport aux autres objets, (encadré p. 12). montré que la plupart des enfants
pouvant agir sur l’environnement. développent et manifestent déjà vers
Il commence à partager des expé- Le développement affectif 2-3 ans des attachements multiples et
riences avec autrui : sourire social, et l’attachement différenciés, sécurisés ou pas, avec une
alternance des tours de « parole », D è s l a n a i s s a n c e, l e s b é b é s ou plusieurs personnes très proches,
attentes sociales dans ses rapports aux recherchent proximité et protection. selon le mode de vie de l’enfant : le père,
autres et quelquefois anxiété envers Ce besoin primaire (au sens de pre- une nourrice ou un grand frère, etc.
des inconnus. Ce sont les premières mier) d’attachement, défini par l’étho- Avec l’âge, les comportements d’atta-
étapes de la « conscience de soi », qui logue et psychanalyste John Bowlby, chement deviennent moins percep-
se manifeste véritablement lorsque, est une relation qui s’établit avec une tibles, et la nature des relations aux
vers 18 mois, il reconnaît son image personne capable de
dans un miroir, puis manifeste un partager vos émo-
certain embarras devant celle-ci, tions. Lorsqu’elle est nous savons désormais que
prenant conscience de soi par rap- sécurisée, elle faci-
port aux autres (« coconscience ») : il lite l’accès à l’auto- le fœtus possède des capacités
cache alors son visage ou se détourne, nomie, la socialisa-
comme s’il voulait disparaître du tion et l’engagement perceptives avant que le cerveau
regard d’autrui. Il commence à com- de l’enfant dans les soit complètement mature.
prendre que son soi est aussi évalué tâches cognitives et

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Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 11


la psychologie aujourd’hui

n Le développement de la théorie de l’esprit


Les enfants mettent des années à comprendre le monde physique. Mais
mis dans les relations avec l’enfant. Les
enfants développent, à partir de leurs
premières relations d’attachement, des
modèles internes opérants : des repré-
ils découvrent aussi en parallèle le monde mental, celui des pensées :
c’est le développement des théories de l’esprit, objet de nombreuses
sentations qui orientent leurs relations
recherches récentes. L’enfant comprend les états mentaux et interprète
avec leurs partenaires. L’attachement
les pensées d’autrui en plusieurs étapes : d’abord, entre 18 mois et 3
sécurisé facilite les relations avec les
ans, il apprend que l’on ne désire pas forcément la même chose que lui ;
pairs et les apprentissages, alors que les
ensuite, vers 5 ans, que chacun peut développer ses propres croyances ;
attachements insécurisés sont souvent
enfin, vers 8 ans, il est capable de se représenter correctement les
associés à des difficultés : passivité,
pensées et niveaux de connaissances des autres. Ce processus se
agressivité ou retrait, grande dépen-
poursuit jusqu’à l’adolescence : vers 12 ans, les enfants analysent les
dance à l’égard des adultes, anxiété.
actions d’une personne en fonction de sa personnalité, des relations
Mais des relations positives et sécuri-
qu’elle entretient avec autrui, et des circonstances.
sées avec d’autres personnes peuvent
Diverses expérimentations permettent d’explorer la façon dont l’enfant
modifier ces représentations : en exa-
perçoit les idées d’autrui. La plus célèbre sans doute fait appel à des
minant les relations d’attachement
poupées. Par exemple, la poupée Sally range une bille dans un panier,
d’enfants de 30 mois-3 ans, en crèche
puis s’en va. La poupée Anne retire la bille et la cache dans une boîte.
ou à l’école maternelle, plus de la moitié
Sally revient : où va-t-elle chercher la bille ? Jusqu’à 4 ans, les enfants
de ceux qui étaient insécurisés à leur
répondent que Sally va la chercher dans la boîte. Ensuite, ils ont compris
mère étaient sécurisés à l’adulte de
que Sally n’est pas censée savoir que la bille a changé de place. Ils ont
référence dans leur mode d’accueil, que
construit une première théorie de l’esprit : ils savent que les personnes
ce soit la crèche ou l’école maternelle (1).
agissent en fonction de ce qu’elles croient, et pas forcément de ce Les modes d’accueil de la petite enfance
qu’ils croient eux-mêmes ou de la réalité. Ils peuvent différencier leur et l’école peuvent assurer des fonctions
état mental de celui d’autrui. Cette compréhension, en lien avec le de protection aux enfants insécuri-
raisonnement moral, est à l’interface du développement cognitif, mais sés dans leur famille. Différents outils
aussi langagier et social. On voit bien toute l’importance à lui accorder en ont été créés pour évaluer les relations
éducation : il est primordial d’aider, dès l’école maternelle, à interpréter d’attachement, selon l’âge, et suivre
correctement les attitudes d’autrui, à comprendre ses émotions et leur évolution, de la petite enfance à
celles des autres, pour mieux faire face aux situations conflictuelles l’âge adulte.
rencontrées en milieu scolaire et ailleurs. Ces compétences sociales ont
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été développées dans des programmes scolaires au Québec, avec des Le développement cognitif
supports pédagogiques pour la classe. l a.f. et l’imagination
La notion de stade de développe-
ment tel que l’avait envisagée Piaget est
aujourd’hui remise en cause. En effet,
nombre de compétences cognitives
parents change, lorsque l’enfant élargit lorsqu’il recherche ou évite le contact, des bébés étaient ignorées au temps de
ses perspectives sociales grâce aux ami- selon le moment (il peut être boule- Piaget, et le développement pendant
tiés qu’il construit avec des pairs. Les versé lors d’une séparation sans être l’enfance et l’adolescence n’est pas
2/3 des enfants environ, dans toutes réconforté par le retour du parent) ; linéaire. Le développement avance
les cultures, développent un attache- désorganisé, lorsqu’il a des réactions plutôt de façon « biscornue », selon le
ment sécurisé à leur(s) parent(s) : ils contradictoires, incompréhensibles terme d’Olivier Houdé, ou comme
recherchent le contact avec eux, sont ou incohérentes, fréquentes s’il a été « des vagues qui se chevauchent », selon
heureux de les retrouver après une victime de maltraitance ou de violence Robert Siegler, les vagues désignant
absence et soulagés par eux en cas de de la part de ses figures d’attachement. les stratégies cognitives ou les façons
difficulté ; ils préfèrent nettement leurs Plusieurs éléments déterminent la sécu- de penser. Pour effectuer un calcul
figures d’attachement à des personnes rité de l’attachement : la sensibilité du mental, les adultes continuent à utili-
inconnues. Les autres manifestent parent aux signaux émis par l’enfant ser et combiner des stratégies qui sont
un attachement insécurisé, selon des quant à ses émotions, leur interpréta- celles des stades antérieurs : compter
formes différentes : résistant, lorsque tion plus ou moins correcte et le fait de sur ses doigts, par exemple. Plusieurs
l’enfant évite le contact avec son parent, leur apporter des réponses appropriées, stratégies de raisonnement peuvent
surtout après une absence ; ambivalent, une capacité de contrôle et de compro- entrer en concurrence et il faut pouvoir

12 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


inhiber des biais perceptifs, bloquer explorées dans des situations écolo- qui pèsent sur leur développement :
les automatismes et les mauvaises giques, afin de mieux comprendre les handicap, maladies, précarité ou dif-
réponses, pour accéder à une réponse différences interindividuelles et de les ficultés familiales. Pour cela, elle doit
logique : face à deux rangées de jetons prendre en compte en éducation. alimenter une formation actualisée
en nombre égal, mais plus ou moins Les jeunes enfants pensent logique- des professionnels de l’enfance et de
écartés, il faut attendre l’âge de 6 ou ment et ne confondent pas réel et ima- l’éducation. Elle aurait aussi beau-
7 ans pour considérer qu’il n’y a pas ginaire : utiliser leur imagination leur coup à apporter dans la formation
plus de jetons dans la rangée la plus permet de mieux comprendre, de pen- des jeunes eux-mêmes, si elle était
longue. Un déficit d’inhibition cogni- ser et raisonner sur des choses qu’ils réintroduite dans l’enseignement
tive peut être source de difficultés dans n’ont jamais vécues. L’imagination secondaire. l
les apprentissages. témoigne des capacités représentation-
Dès l’école maternelle, certains com- nelles des enfants et contribue à leur
portements, comme la capacité à main- développement cognitif et affectif (3).
tenir son attention, à s’organiser face Les enfants ont changé, avec les évo-
à une tâche scolaire et à contrôler son lutions de la société, de leurs condi-
(1) Agnès Florin et Solène Mainterot, « Relations
activité, sont liés aux performances tions de vie et des technologies, et le
d’attachement des jeunes enfants dans la famille et en
scolaires et prédictifs des performances regard que les chercheurs portent sur crèche », in Chantal Zaouche Gaudron (dir.), Précarités et
ultérieures. Ces « capacités d’autoré- eux avec de nouvelles méthodologies, éducation familiale, Érès, 2011.
gulation » (ou « fonctions exécutives »), dans des situations écologiques. La (2) Blandine Hubert et al., « Indirect and direct relation-
étudiées surtout dans les pays anglo- psychologie doit les aider à grandir et ships between self-regulation and academic achievement
during the preschool/elementary school transition of
saxons, jouent un rôle important dans à développer leurs compétences pour
French students », Early Education and Development,
la capacité des enfants à réguler leur demain, tout autant qu’à les protéger vol. XXVI, n° 5-6, 2015.
activité et à acquérir une certaine auto- et mieux assurer leur qualité de vie, (3) Paul Harris, L’Imagination chez l’enfant . Son rôle cru-
nomie (2). Elles commencent à être quelles que soient les contraintes cial dans le développement cognitif et affectif, Retz, 2007.

Comprendre l’humain et la société


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• La violence se développe t-elle vraiment ?


Pourquoi ?

• Dans quel(s) contexte(s) émergent


les comportements agressifs ?

• Peut-on s'en protéger ?

• L'éducation non violente relève-t-elle


de l'utopie ?

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Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 13


la psychologie aujourd’hui

Lucia Lambriex/Getty
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Vieillissement :
entre déclin et ressources
La psychologie du vieillissement
ne s’intéresse plus seulement aux
performances des personnes
nVaLérie Pennequin
et cLaude Ferrand
âgées : elle étudie aussi la sagesse
Toutes deux sont professeures de psychologie et issue de l’expérience, qui
chercheuses dans l’équipe Psychologie des âges de
la vie à l’université François-Rabelais (Tours).
compenserait certains déficits
cognitifs.
14 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016
M
ieux comprendre le pro- pas les mêmes erreurs, et n’utilisent les structures qui sous-tendent le rai-
cessus de vieillissement est pas les mêmes stratégies de raisonne- sonnement seraient détruites.
un enjeu important, étant ment que les enfants. De même, on ne Nous avons mené des recherches afin
donné l’augmentation croissante de peut pas simplement dire que les per- d’identifier les facteurs cognitifs, mais
personnes âgées de plus de 65 ans dans sonnes âgées raisonnent moins bien aussi environnementaux et psycho-
nos sociétés occidentales, et même son que les adultes jeunes : elles éprouvent sociaux, expliquant le déclin observé
doublement d’ici 25 ans. La manière plutôt des difficultés à raisonner, tout lors du vieillissement (1). Les résultats
de l’appréhender a évolué : le vieil- particulièrement dans les situations observés auprès de personnes âgées
lissement est vu aujourd’hui comme où il existe un conflit entre la logique de 40 à 98 ans confirment que les per-
une période ultime de développement pure et leurs croyances sur le monde, formances sont sous la dépendance
avec ses processus et caractéristiques où il s’agit d’inhiber efficacement la de facteurs cognitifs, telles la vitesse
propres. croyance, de ne plus y prêter attention. de traitement de l’information et la
Mais si croyances et logique ne sont capacité d’inhiber les données non
Le vieillissement cognitif : pas en conflit, aucun déclin de raison- pertinentes. Toutefois, cette perfor-
un ensemble de déclins ? nement n’est constaté. mance dépend également de facteurs
Les recherches sur le développe- De plus, entre 60 et 80 ans, le déclin environnementaux et émotionnels : un
ment vie-entière des processus cogni- des performances semble davantage bon niveau de bien-être, un bon niveau
tifs (comme la mémoire, le raison- de nature fonc-
nement, l’attention) nous apportent tionnelle : les
aujourd’hui trois grands résultats :
• le vieillissement cognitif est loin de
fonctions dites
« exécutives »,
au quotidien, le jardinage,
se caractériser comme un ensemble qui permettent la lecture, la visite à
de déclins ; de passer d’une
• il n’est pas l’inverse du développe- stratégie à des amis optimisent
ment cognitif chez l’enfant. On ne
retombe pas en enfance ;
l’autre, d’inhiber
une stratégie ou
les processus de pensée et
• il se caractérise par une grande hété- u n e c roy a n c e le bien-être.
rogénéité : en effet, les personnes ne non pertinente,
suivent pas les mêmes trajectoires de résister à une
développementales tout au long de interférence, de traiter rapidement une d’autonomie, un niveau d’études élevé
l’âge adulte. Certaines personnes de information, ont une efficience moins et une fréquence d’activités élevée
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plus de 70 ans font preuve d’aussi grande, ce qui explique les erreurs et les sont tenus pour des facteurs de pro-
bonnes capacités que les adultes plus difficultés à mettre en œuvre un raison- tection du déclin cognitif. Concernant
jeunes, d’autres au contraire ont des nement correct. Ce déficit fonctionnel les activités, il ne s’agit pas de passer
performances beaucoup plus faibles. est remédiable par des séances d’en- des heures à faire des mots croisés ou à
De nombreuses recherches portent traînement, ce que nous avons expéri- apprendre des listes de mots : au quo-
donc sur les facteurs pouvant expli- menté dans notre laboratoire : il serait tidien, le jardinage, la lecture, la visite
quer cette diversité. donc lié à un fonctionnement cognitif à des amis optimisent tout autant les
À première vue, les effets du vieillis- sous-optimal, c’est-à-dire que les per- processus de pensée et le bien-être.
sement sur la cognition, notamment le sonnes âgées n’utiliseraient qu’une
raisonnement, vont plutôt dans le sens partie de leurs ressources cognitives, Rôle des connaissances et
d’un déclin. Nos propres recherches et qu’il existerait une réserve latente de expériences de la vie
confirment que la personne âgée, dès capacités. Après l’âge de 80 ans toute- Les mesures standard de raisonne-
l’âge de 60 ans, éprouve fréquemment fois, le déficit observé semble plus de ment reflètent mal les prises de déci-
des difficultés à raisonner dans l’abs- nature structurale, correspondant à sion lors de problèmes quotidiens,
trait, à élaborer des stratégies nouvelles des facteurs endogènes du vieillisse- marquées plutôt par un autre type
dans les situations complexes, avec ment qui deviennent prépondérants : de raisonnement, dit « de sagesse ». Il
une accélération après 75 ans. Sur diminution du débit sanguin dans s’agit d’un raisonnement pragmatique
des tâches de raisonnement abstrait, le cerveau, mort neuronale, raréfac- (et non abstrait), s’appuyant sur les
les performances des plus de 60 ans tion des dendrites, ces ramifications expériences de la vie, et situé dans un
sont parfois comparables à celles des des neurones recevant les signaux contexte social : les stratégies de réso-
enfants en fin de primaire. Pour autant, d’autres neurones… Dans ce cas, cette lution dites « sages » sont prosociales
les personnes âgées ne commettent régression serait irréversible puisque et aident à résoudre des problèmes

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 15


la psychologie aujourd’hui

n Problèmes quotidiens :
importants dans la vie quotidienne.
Elles prennent en compte les variations
de contexte, le fait que les valeurs et les
à chaque âge ses solutions buts varient selon les personnes, qu’il
existe une certaine part d’incertitude
Anne est dans du propriétaire, de des connaissances dans la vie. Plus précisément, six capa-
son bureau quand la police) ; au cours de la vie. cités sont importantes dans ce type de
Tom arrive. Elle lui • solutions qui Parallèlement à cette raisonnement :
demande comment changent la vie de mesure de résolution • considérer les différents points de
il va, et il répond Tom (déménager, de problèmes vue des partenaires de l’interaction
que ça va mais qu’il mettre des boules quotidiens, les sociale ;
est fatigué. Elle Quiès) ; chercheurs ont • reconnaître les possibilités de
reconnaît qu’il a les • solutions extrêmes proposé aux changement ;
traits fatigués et lui (tuer les chiens) ; participants des • reconnaître qu’un conflit peut être
demande pourquoi. Il • solutions non tâches « exécutives » résolu de différentes façons ;
a de nouveaux voisins pertinentes ou faisant appel à la • reconnaître les limites de sa
qui ont emménagé incomplètes (« les mémoire de travail propre connaissance et accepter
au-dessus de chez gens ne devraient (mémoire maintenant l’incertitude ;
lui il y a 15 jours. Ils pas avoir de chien l’information • rechercher des compromis ;
sont gentils mais ils en appartement »). une vingtaine • prédire la résolution du conflit.
ont des chiens qu’ils de secondes et Ce raisonnement de sagesse aug-
enferment dans la Solutions permettant de mente lors de l’avancée en âge. En
cuisine la nuit qui se meilleures chez la manipuler), à effet, les participants plus âgés ont
situe juste au-dessus les gens âgés l’inhibition, à la tendance à changer leurs priorités vers
de la chambre de Les personnes flexibilité mentale des buts interpersonnels et à déve-
Tom. Chaque nuit âgées de 60 à (changement de lopper de meilleures compétences
et toute la nuit, les 80 ans génèrent stratégie), et à émotionnelles. Les personnes les plus
chiens sautent et moins de solutions des tâches de âgées (60-90 ans) présentent de plus
aboient. Il lui est que les jeunes (de raisonnement grandes compétences à résoudre des
impossible de dormir. 19 à 37 ans), mais abstrait. Les problèmes sociaux que les participants
Il en a parlé aux celles-ci sont de personnes les plus les plus jeunes de 25-40 ans, ainsi que
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nouveaux voisins et, meilleure qualité. âgées utilisent des ceux de 41-59 ans. Prenons l’exemple
bien qu’ils semblent Les personnes plus stratégies différentes d’une réunion de famille ajournée :
très raisonnables, ils âgées ont également des plus jeunes une grand-mère pourra faire des efforts
ont dit qu’ils n’avaient tendance à être plus pour générer le pour planifier à nouveau cette réunion
pas d’autre endroit satisfaites de leurs plus de solutions à un autre moment, car elle pour-
où mettre les chiens solutions que les possible : elles suit un but de maintien des relations
vu qu’ils habitent un jeunes. Cela atteste sélectionneraient intergénérationnelles. En revanche,
immeuble. d’une plus grande et verbaliseraient sa petite-fille, poursuivant plutôt un
confiance en son uniquement les but d’autonomie (but intrapersonnel),
Les participants propre jugement solutions de haute pourra déployer des efforts pour ne pas
doivent donner le lors de l’avancée qualité, contrairement reporter cette réunion de famille. Les
plus de solutions en âge, ce qui est aux plus jeunes qui recherches montrent que les buts que
possible pour plutôt justifié vu la auraient tendance se fixe la personne pour résoudre un
résoudre le plus grande qualité à verbaliser toutes problème quotidien sont importants
problème. Exemples de leurs solutions les solutions qui pour expliquer les différences dans les
de solutions : proposées. Ce leur viennent à stratégies choisies selon l’âge.
• négocier une résultat est à mettre l’esprit, sans les trier La résolution de problèmes complexes
solution avec ses en lien avec la plus mentalement au dans la vie quotidienne nécessite des
voisins ; grande expérience préalable selon leur capacités exécutives, mais aussi l’utili-
• se plaindre (auprès et l’augmentation qualité. l v.p. et c.f. sation des connaissances. D’une part,
les fonctions exécutives jouent un rôle
essentiel pour envisager des solutions,

16 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


sélectionner et prendre en compte les de plus de 65 ans pour décrire les pré- • que chez les hommes les scores de
aspects pertinents de la situation, et dicteurs du bien-être (concept difficile symptômes dépressifs se main-
juger de l’adéquation de la solution à définir car recouvrant des notions tiennent faiblement dans le temps.
choisie. D’autre part, l’acquisition d’ex- diverses, mais apparaissant comme Ces résultats sous-tendent que la santé
périence et de connaissances contri- une mesure clé du « bien-vieillir »). Plus décline avec l’âge au fur et à mesure que
bue particulièrement à résoudre des de 900 personnes à travers le territoire le temps passe, mais que la satisfaction
problèmes quotidiens, qui se différen- français ont répondu à un ensemble de de vie n’est pas affectée par l’âge, et
cient des problèmes abstraits par le questionnaires avec un suivi de onze qu’elle augmente de façon significative
fait qu’ils sont « ouverts » : c’est-à-dire ans (3). Plusieurs thématiques ont été en onze ans (surtout chez les femmes).
qu’il n’y a pas de solutions complète- abordées, mais les résultats de trois tra- Enfin, si les personnes âgées se per-
ment correctes ou incorrectes, mais jectoires développementales relatives çoivent peu dépressives, néanmoins
que plusieurs sont possibles et que à la santé, à la satisfaction de vie et aux les symptômes dépressifs augmentent
l’on peut difficilement les classer par symptômes dépressifs, peuvent illus- dans le temps avec des trajectoires dif-
ordre de pertinence. En effet, une solu- trer une réflexion sur le bien-vieillir (4). férenciées hommes/femmes.
tion jugée adaptée pour une personne – En ce qui concerne la santé (telle Concernant la satisfaction de vie,
peut être jugée moins bien adaptée qu’en parlent les participants eux- ces résultats se démarquent d’autres
par quelqu’un d’autre. Une solution mêmes (5)), nous avons observé une recherches qui sur un suivi de vingt-
peut être également adaptée dans un diminution globale avec le temps mais deux ans ont montré une augmenta-
contexte et moins dans un autre pour aussi des disparités suivant l’âge : si, au tion de la satisfaction de vie jusqu’à
un problème de structure identique. départ, les plus
La pertinence de la solution est jugée jeunes s’esti-
selon les données du problème bien ment en meil- Le vieillissement apparaît comme
sûr, comme pour un problème abstrait, leure santé
mais dépend également des motiva- que les plus un processus d’individuation et de
tions, des émotions de la personne, de âgés, les trajec-
la faisabilité de cette solution et de ses toires diffèrent
personnalisation où les expériences
conséquences sur le monde et autrui (2). ensuite. En de la vie font évoluer
L’expérience confère donc un avan- effet, les plus
tage aux participants âgés pour la réso- jeunes voient le fonctionnement cognitif.
lution de problèmes quotidiens, ce qui leur santé
n’est pas le cas pour les tâches plus diminuer tan-
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abstraites (exécutives ou de raisonne- dis que celle des plus âgés se stabilise. 60-70 ans puis un déclin ensuite (6),
ment). Comment les personnes âgées Des analyses complémentaires ont ou que la satisfaction de vie diminue
compensent-elles leur déficit de fonc- montré que les hommes et les femmes pour des participants âgés entre 78 et
tions exécutives par leur expérience ne diffèrent pas dans l’évaluation de 98 ans (7). Nos résultats contribuent
pour résoudre des problèmes quoti- leur santé. à apporter un éclairage différent sur
diens ? Elles feraient plus appel à leurs l Concernant la satisfaction de vie, la complexité du processus de vieil-
réseaux de connaissances des solu- celle-ci augmente avec le temps et un lissement, tout en n’excluant pas les
tions possibles pour résoudre le pro- effet de genre apparaît. Les hommes limites de nos travaux. En effet, nous
blème actuel. Les adultes plus jeunes ont toujours une meilleure satisfaction ne pouvons ignorer que celles qui ont
suivraient une démarche différente, de vie que les femmes, et ceci quels que répondu étaient les personnes âgées
en collectant davantage de données du soient les temps de mesure. les plus en forme. De plus, nos conclu-
problème quotidien à résoudre pour l Enfin, en ce qui concerne les symp- sions ne peuvent être généralisées à la
générer la solution. Le vieillissement tômes dépressifs, nos résultats ont population française, car notre étude
apparaît donc comme un processus montré : a recensé des personnes âgées qui ont
d’individuation et de personnalisation • que cette population est globale- exercé des responsabilités, et appar-
où les expériences de la vie font évoluer ment peu dépressive, même si la tiennent à la part élevée de la classe
le fonctionnement cognitif. présence de symptômes dépressifs moyenne ou aux classes supérieures de
augmente avec le temps ; la stratification sociale. Mais l’enquête
Le bien-être dans le • que les femmes présentent des symp- européenne SHARE (Survey on Health,
vieillissement normal tômes dépressifs plus importants Ageing and Retirement in Europe), base
Nous avons mis en place une étude que les hommes au départ et avec le de données longitudinale, multidis-
longitudinale sur des personnes âgées temps ; ciplinaire et internationale, conduite

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 17


la psychologie aujourd’hui

n° 4, 2012 ; Nathalie Bailly, Kamel Gana, Catherine


dans vingt pays européens (80 000 per- longitudinales présentent un intérêt Hervé, et Michel Joulain, « Does flexible goal adjustment
sonnes âgées de 50 ans et plus), et réa- certain. Elles visent à donner des éclai- predict life satisfaction in older adults? A six-year
lisée tous les deux ans depuis 2004, cor- rages différenciés et enrichissants, et longitudinal study », Aging & Mental Health, vol. XVIII,
robore une partie de nos résultats. Par contribuent à souligner le dynamisme n° 5, 2014.
(4) Voir Nathalie Bailly, Caroline Giraudeau et Gérard
exemple, plusieurs études ont montré et la complexité du vieillissement. l
Chasseigne, Gérontologie et vie quotidienne, Publibook
que les personnes âgées en bonne Université, 2015.
santé, avec un haut niveau d’éducation (1) Fabienne Lauverjat, Valérie Pennequin et Roger (5) La cohorte étudiée s’est estimée en bonne santé
et mariées avaient une forte probabilité Fontaine, « Vieillissement et raisonnement : ressources et (44,9 %) et même en très bonne santé (autour de
d’être peu dépressifs. L’aspect pluri- déficits », L’Année psychologique, vol. CV, n° 2, 2005. 29,6 %). Les maladies les plus souvent rencontrées sont
(2) s. Crawford et S. Channon, « Dissociation between l’arthrite et les rhumatismes (57 %), l’hypertension (27,5 %)
factoriel (socioéconomique, culturel,
performance on abstract tests of executive function les troubles digestifs (22,3 %) et les troubles cardiaques
environnemental, physique, psycho- and problem solving in real-life-type situations in normal (18 %).
logique, relationnel…) du processus du aging », Aging & Mental Health, vol. VI, n° 1, février 2002. (6) Daniel Mroczek et Avron Spiro III, « Change in life
vieillissement n’est plus à démontrer. (3) Daniel Alaphilippe, Nathalie Bailly, Kamel Gana satisfaction during adulthood. Findings from the veterans
De très nombreuses recherches y font et Bettina Martin, « Les prédicteurs de l’adaptation chez affairs normative aging study », Journal of Personality and
l’adulte âgé », L’Année psychologique, vol. CV, n° 4, Social Psychology, vol. LXXXVIII, n° 1, 2005.
référence. Une réflexion reste à faire
2005 ; Nathalie Bailly, Daniel Alaphilippe, Catherine (7) Åsa Enkvist, Henrik Ekstrom et Sölve Elmstahl,
sur les outils méthodologiques, qui Hervé et Michèle Joulain, « Coping with negative life « The what factors affect life satisfaction (LS) among the
peuvent entraîner parfois des inter- events in old age. The role of tenacious goal pursuit and oldest-old ? », Archives of Gerontology and Geriatrics,
prétations différentes, mais des études flexible goal adjustment », Aging & Mental Health, vol. XVI, vol. LIV, n° 1, janvier-février 2012.

Vieillir en prison
Le nombre de personnes incarcérées particulièrement handicapants
de plus de 50 ans pour une adaptation à la vie en
augmente sensiblement depuis détention, pour établir des relations
une quinzaine d’années. avec le personnel pénitentiaire ou
Elles représentent actuellement entre détenus.
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11,2 % de la population carcérale. Il faudrait tenir compte de cette


Les causes sont l’allongement des vulnérabilité particulière chez
peines, le durcissement de les détenus prédéments ou déments
la législation, la pénalisation afin de les protéger des autres
constante des infractions à caractère détenus, et notamment des violences
sexuel, mais aussi l’augmentation sexuelles. Les pratiques de soins ou
du nombre d’actes criminels. encore les modalités de surveillance
Les résultats de notre étude (1) ou de suivi social des condamnés
montrent que les détenus âgés se âgés doivent subir de profonds
Nicole Cremon/Signatures

distinguent de la population générale ajustements. l v.p. et c.f.


de même âge par
un niveau élevé de troubles
mentaux (2), des performances
cognitives plus faibles, une santé et Fouille à l’entrée de l’infirmerie
une qualité de vie perçue également de la prison de Melun.
plus faibles.
Près de 20 % des détenus évalués (1) Nicolas Combalbert (coord.), « Étude transversale multicentrique de l’état de santé mentale des détenus âgés et de
ont un score qui dépasse le seuil leur prise en charge judiciaire, médico-psychologique et pénitentiaire » (en partenariat avec l’École nationale de la magis-
de diagnostic de démence de type trature et l’École nationale d’administration pénitentiaire).
(2) Ce résultat corrobore d’autres études montrant une prévalence des troubles mentaux (Dressing, Kief, & Salize,
Alzheimer. Les troubles mnésiques,
2009 ; Falissard et al., 2006 ; Fazel & Danesh, 2002 ; Fazel & Lubbe, 2005), mais aussi en montre l’importance
d’orientation spatiale ou de langage (70 % de la population étudiée a des troubles mentaux) avec 34 % de dépression majeure associée à un fort taux de
chez ces sujets peuvent être risque suicidaire (46,38 % des détenus âgés étudiés) et 19 % d’anxiété généralisée.

18 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


Meshaphoto/Getty
Les émotions :
des facettes inépuisables
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Qu’il s’agisse de les ressentir, les reconnaître, les exprimer


ou les réguler, les émotions donnent lieu à des recherches
toujours plus nombreuses et diversifiées.

C
omment faire le point sur la Émotions primaires et
recherche actuelle dans le secondaires
noLivier Luminet
Professeur de psychologie à l’Université catholique
domaine des émotions et iden-
tifier quelques tendances émergentes,
Une première tendance est d’ordre
conceptuel. Elle dépasse l’opposition
de Louvain et à l’Université Libre de Bruxelles, quand on sait qu’en moyenne pas traditionnelle entre valence (plaisir
directeur de recherches au Fonds belge de la moins de 9 000 articles contenant les ou déplaisir éprouvé) et intensité de
recherche scientifique, il a publié, avec Nicolas termes « émotion », « sentiment », ou l’émotion. Elle distingue émotions pri-
Vermeulen et Delphine Grynberg, L’Alexithymie. « affect » dans leur titre ont été publiés maires et secondaires : si bien souvent
Comment le manque d’émotions peut affecter notre chaque année depuis trois ans ! Face à deux personnes confrontées au même
santé, De Boeck, 2013, et coordonné Psychologie des cette abondance de matière, j’ai décidé événement éprouvent la même émo-
émotions, Nouvelles perspectives pour la cognition, la de privilégier une évaluation des ten- tion la plus intense (émotion primaire),
personnalité et la santé, De Boeck, 2013. dances actuelles. il est probable qu’elles en éprouvent

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 19


la psychologie aujourd’hui

simultanément d’autres, associées à Comme il est difficile d’évaluer soi- conséquences sur autrui. Ces commu-
cette émotion dominante mais d’un même ses compétences, plusieurs nautés ne sont pas fondées sur une seule
autre ordre (émotions secondaires). équipes ont travaillé sur des tests. Un émotion dominante, mais plutôt sur
Par exemple, si plusieurs personnes instrument récent comme le Geneva une constellation d’émotions. À partir
éprouvent la même émotion primaire Emotion Recognition Test (GERT) per- des termes émotionnels employés, par
de colère, certaines sentiront aussi des met notamment d’étudier des émo- exemple les métaphores liées aux émo-
émotions secondaires de honte ou de tions subtiles comme la fierté ou le tions, B. Rosenwein a notamment étudié
découragement, tandis que d’autres se soulagement. Alors que les tests ordi- de façon approfondie les communautés
sentiront fières ou même joyeuses. Ces naires souffrent de certaines faiblesses émotionnelles présentes à la cour des
associations entre émotion primaire et (par exemple, ils présentent le plus ducs de Bourgogne au 15e siècle. Elle a
émotions secondaires aident à com- souvent des émotions exprimées par aussi montré que différentes émotions
le seul visage), le ont pu dominer dans des institutions
GERT présente des militaires, scolaires, judiciaires ou reli-
des facteurs émotionnels vidéos combinant gieuses du 19e et du 20e siècle. Différents
et cognitifs rendent des informations types de tensions ont pu être mis en
visuelles et audi- évidence, largement pertinents pour les
plus vulnérables aux troubles tives. Les premiers approches contemporaines en psycho-
résultats sont logie des émotions. Par exemple, dans
alimentaires encourageants, et des institutions belges pour délinquants
montrent qu’il est juvéniles des années 1920, l’expression
même possible de de la colère était sévèrement réprimée.
prendre le sens que les gens retirent développer ses compétences de recon- En réaction, les jeunes filles échangaient
individuellement ou collectivement naissance émotionnelle. des billets clandestins dans lesquels
d’une expérience émotionnelle. Avec l’intensité de leurs émotions contrastait
ses collègues, Jozefien De Leersnyder, Les émotions dans l’histoire avec le contenu très contrôlé des lettres
de l’Université catholique de Louvain, L’étude des émotions dans un contexte qu’elles envoyaient à leurs familles : « Je
a, par exemple, comparé des Turcs historique connaît aussi un essor impor- hais tous mes bourreaux. Ils m’ont tout
vivant en Turquie, des immigrés turcs tant (voir notamment Jan Plampers, The pris : liberté, famille, joie. Mais ce qu’ils
vivant en Belgique depuis une ou deux History of Emotions, 2015). Alors que ne savent me prendre, c’est mon cœur,
générations, et des Belges établis de l’anthropologie regarde si le lieu de vie mon imagination… Non, jamais ils ne
longue date sur le territoire belge. Les et l’appartenance ethnique déterminent m’empêcheront d’aimer.»
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immigrés turcs de la première généra- certaines variations dans le ressenti et


tion paraissent émotionnellement très l’expression des émotions, les historiens Émotion et nutrition
proches des Turcs qui vivent en Turquie ; des émotions examinent leurs variations On connaît l’essor sans précédent des
en revanche, ceux qui font partie de à travers le temps. Les approches histo- recherches actuelles sur la nutrition et
la deuxième génération ressemblent riques et psychologiques sont ici com- la santé. Dans ce domaine également,
davantage aux Belges sur ce point. Les plémentaires : par exemple, les notions l’étude des facteurs émotionnels se
émotions peuvent être affectées par des de connaissance émotionnelle ou de révèle essentielle. La notion d’emotional
mécanismes d’acculturation. régulation émotionnelle, familières aux eating désigne la propension à modi-
psychologues, recouvrent en partie des fier son alimentation sous le coup de
Compétences émotionnelles concepts d’historiens comme les « pra- l’anxiété plutôt qu’en réponse à la faim.
Une autre tendance récente implique tiques émotionnelles » (l’émotion en L’humeur négative réduit par exemple la
des tests pour évaluer les capacités contexte social), théorisées par Monique flexibilité cognitive des patients souffrant
émotionnelles. Ces recherches s’ins- Scheer, de l’université de Tübingen, ou d’hyperphagie (boulimie sans vomis-
crivent dans l’engouement pour les encore les emotives (ou expressions ver- sements), particulièrement s’ils sont
« compétences émotionnelles », à bales de l’émotion) décrites par William dépressifs. Ce qui entraîne, dans un
savoir les différences individuelles Reddy, de la Duke University. L’histo- second temps, la sensation de perdre
dans la manière dont les individus rienne Barbara Rosenwein, de l’univer- le contrôle de sa consommation ali-
identifient, comprennent, expriment, sité Loyola à Chicago, avance une hypo- mentaire. Des facteurs émotionnels et
utilisent et régulent leurs émotions thèse particulièrement intéressante : cognitifs rendent donc plus vulnérables
et celles d’autrui. Ces compétences une communauté émotionnelle partage aux troubles alimentaires (p. 56). Un
permettraient de mieux s’adapter des normes sur la valeur accordée à autre domaine en vogue examine les
aux variations de l’environnement. certaines émotions, leur expression, les biais attentionnels liés à l’alimentation :

20 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


quand on présente un aliment parmi influencent les coureurs de marathon : ment le lien entre le ressenti et l’expres-
des objets neutres, un biais attentionnel l’envie bénigne semble liée à de meil- sion de l’émotion, entre le psycholo-
pour la nourriture se manifeste. Surtout leures performances sportives que l’en- gique et le physiologique.
s’il s’agit d’un aliment malsain, comme vie malicieuse. Une explication tient Une question importante concerne
un gâteau très riche en sucre, par com- dans les buts poursuivis, une simple les difficultés des personnes alexithy-
paraison avec un aliment sain comme attente du succès dans le premier cas, miques à intégrer les différents canaux
un légume… Les sujets lambda sont mais une peur de l’échec dans le second. (verbaux ou non verbaux, internes ou
naturellement plus attirés par des ali- Méfiez-vous donc de votre envie mali- externes…) susceptibles de les rensei-
ments riches et néfastes pour la santé cieuse, mais continuez à cultiver votre gner sur leur état émotionnel. Une per-
s’ils sont consommés de façon exces- envie bénigne, surtout si vous avez des sonne alexithymique pourra ressentir
sive. Mais parmi les hommes, un score ambitions de marathonien ! de la détresse et de l’anxiété sans pour
élevé d’emotional eating entraîne une autant manifester le moindre signe
préférence plus importante pour des La régulation de la colère au niveau de son visage, de ses gestes
aliments néfastes pour la santé. C’est Un autre domaine d’évolution impor- ou de l’intonation de sa voix. Une des
un résultat logique : une consommation tant concerne la régulation émotion- conséquences majeures de ce décalage
accrue suite à des émotions négatives nelle. Des gens qui expriment facile- est qu’elle bénéficiera peu de soutien
conduit à privilégier des nourritures très ment leur colère sont plus attirés par social. En effet, aucun signe non verbal
caloriques. Chez les femmes, on observe des visages colériques. Cette tendance ne conduit ses proches à s’inquiéter. Et
un effet inverse, avec une focalisation naturelle peut être cependant contre- sa confusion à propos de ses propres
accrue sur les aliments sains en cas de carrée si des tendances à l’évitement émotions l’empêche de demander de
score élevé d’emotional eating. Peut-être sont suggérées de façon implicite : par l’aide. Dans les couples hétérosexuels,
à cause d’une préoccupation plus élevée exemple, en tournant le dossier du siège la femme alexithymique est très vulné-
pour une consommation d’aliments vers l’arrière (évitement) ou vers l’avant rable, car son conjoint ne lui apporte pas
moins caloriques : elles compenseraient (approche) ! Avec un siège orienté vers le soutien nécessaire pour faire face à ses
par une attention accrue envers la nour- l’arrière, la colère porte moins à l’agres- déficits émotionnels. En revanche, dans
riture saine. Ici, un élément a priori mau- sivité. Autrement dit, en modifiant le cas où l’homme est alexithymique,
vais pour la santé n’exerce pas les mêmes simplement le mobilier, vous pouvez sa conjointe compense son déficit en le
effets chez tout le monde, et peut même rendre moins agressif quelqu’un d’iras- soutenant bien davantage.
conduire à une meilleure alimentation. cible. Une astuce à retenir si vous devez Parmi les mesures utilisées classique-
cohabiter avec ce genre de collègue ! ment pour évaluer la régulation émo-
Les deux formes de l’envie Enfin, s’entraîner à éviter des visages tionnelle, la variabilité de la fréquence
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Un autre développement intéressant colériques réduit le nombre de souve- cardiaque est un indice important. Une
concerne les liens entre personnalité nirs personnels en lien avec la colère : alexithymie élevée est justement liée à
et émotions dominantes. Par exemple, autrement dit, vous pouvez réduire une moindre variabilité, ainsi qu’à une
l’envie est généralement décrite comme substantiellement le nombre de pensées persistance de la réponse de sursaut
une émotion d’hostilité et de ressen- agressives liées à ce collègue colérique. (réponse défensive automatique en
timent à l’égard d’autrui. Or des cher- cas de stimuli menaçants, mesurable
cheurs de Cologne, Jan Crusius et Jens L’alexithymie ou l’émotion notamment par le clignement des pau-
Lange, ont proposé de distinguer deux indéchiffrable pières). Enfin, les marqueurs inflamma-
formes d’envie, bénigne vs malicieuse, Les recherches dans ce domaine sont toires sont particulièrement fréquents
en fonction de leurs motivations et en croissance spectaculaire, avec pas chez des personnes alexithymiques.
de leurs conséquences. Dans l’envie moins de 100 publications nouvelles L’émotion affecte ainsi les comporte-
bénigne, la personne est motivée à faire chaque année depuis 2010. L’alexithy- ments, les cognitions et la santé des êtres
mieux qu’un autre, mais sans hostilité, mie est un trait de personnalité qui se humains. Comment ne pas comprendre
au contraire : elle utilise son ressenti caractérise par des difficultés à identi- dès lors qu’elle soit plus que jamais
pour essayer d’égaler les performances fier et verbaliser des états émotionnels, un thème majeur de la psychologie
de quelqu’un qu’elle admire et consi- par une vie imaginaire réduite, et un contemporaine ? l
dère comme un modèle. En revanche, mode de pensée tourné vers les aspects
dans l’envie malicieuse, l’évaluation concrets de l’existence au détriment Les recherches mentionnées dans cet article ont été
d’autrui est clairement négative, et on des aspects affectifs. Ce qui augmente présentées à l’occasion de deux congrès majeurs or-
ganisés en 2015 : celui de l’International Society for
observe une volonté explicite de le dimi- les risques de développer des troubles Research on Emotion (ISRE), qui s’est déroulé à Genève
nuer. Les chercheurs ont évalué dans psychopathologiques et somatiques… et a accueilli 500 participants venant de 33 pays dif-
férents, et de Tilburg aux Pays-Bas en octobre 2015,
quelle mesure ces deux types d’envie L’alexithymie interroge donc directe- dont l’axe principal était « Émotion, bien-être et santé ».

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 21


la psychologie aujourd’hui

L’intelligence…
plus intelligible
Comment l’intelligence est-elle organisée ? Est-elle stable
au fil de la vie ? Comment comprendre la progression
régulière du QI au sein des pays développés ?

1. La structure de la perception visuelle), l’intelligence Les études de neuroimagerie montrent


de l’intelligence générale intervenant dans toutes les que l’intelligence ne peut être identifiée
Le débat sur la structure de l’intel- activités intellectuelles. à une zone cérébrale spécifique, mais
ligence a été longtemps dominé par Charles Spearman, qui avait observé qu’elle implique des zones corticales
l’opposition entre le modèle global les intercorrélations entre toutes les largement distribuées dans le cerveau,
(proposé par Alfred Binet : l’intelligence mesures d’aptitudes dès le début du interagissant de manière intensive.
est unitaire) et des modèles analytiques 20e siècle, avait proposé le concept de
(comme ceux de Louis Leon Thurstone « facteur g » pour désigner ce facteur 2. Stabilité et changement
ou de Joy Paul Guilford : le système commun, faute de pouvoir en clarifier La valeur prédictive des mesures de
cognitif est composé d’aptitudes indé- la véritable nature. De nombreux cher- l’intelligence a été amplement confir-
pendantes les unes des autres). Depuis cheurs se sont depuis penchés sur cette mée : les corrélations entre le QI et les
une vingtaine d’années, un rappro- question. Les travaux les plus récents performances scolaires se situant en
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chement entre ces deux modèles s’est ont mis en évidence le rôle crucial de moyenne entre 0,50 et 0,60. Cette valeur
toutefois opéré au sein de modèles la mémoire de travail et de l’attention prédictive du QI, également constatée
hiérarchiques de l’intelligence. Le plus dans toutes les activités intellectuelles. à propos des performances profession-
influent est, sans nul doute, celui déve- En particulier, la capacité de la mémoire nelles, s’appuie sur une relative stabi-
loppé par John Carroll (1916-2003), de travail semble jouer un rôle essentiel lité des compétences intellectuelles. Ce
qu’il appelle « three-stratum theory » et stable dans les différences interindi- constat a stimulé un grand nombre de
(modèle en trois strates) : les aptitudes viduelles d’intelligence observées d’un recherches à propos du degré de stabi-
élémentaires (analyse spatiale, estima- individu à l’autre. lité de l’intelligence et des facteurs qui
tion des grandeurs…) composent des Le modèle de J. Carroll peut être mis en la sous-tendent. La plus marquante est
aptitudes de plus grande étendue (par correspondance avec un autre modèle, sans aucun doute celle conduite par Ian
exemple, l’analyse spatiale ou encore celui de Raymond Cattell et John Horn Deary, de l’université d’Édimbourg, qui
l’estimation des grandeurs font partie développé sur d’autres bases. La simi- a utilisé les résultats d’une étude réalisée
litude entre ces deux modèles est si en 1932 en Écosse. Cette année-là, qua-
nJacques grégoire
Professeur de psychologie à l’Université catholique
grande qu’ils sont aujourd’hui intégrés
au sein d’un modèle général appelé
siment tous les enfants âgés de 11 ans
avaient passé le même test d’intelligence.
de Louvain, il a publié notamment L’Examen clinique « CHC » (acronyme de Cattell-Horn- En 2000, une partie des survivants, alors
de l’intelligence de l’adulte, Mardaga, 2004, L’Examen Carroll), devenu la référence des prin- âgés de 79 ans, répondirent là encore à
clinique de l’intelligence de l’enfant, nouv. éd., Mardaga, cipaux tests d’intelligence. un même test. La corrélation entre les
2009, ou, avec Dany Laveault, Introduction aux Les études de l’intelligence utilisant deux séries de résultats, récoltés à 68 ans
théories des tests en psychologie et en sciences de l’imagerie cérébrale confirment le d’intervalle, est de 0,73.
l’éducation, 3e éd., De Boeck, 2014. caractère complexe et multidéterminé Une telle stabilité des performances
de toutes les mesures intellectuelles. intellectuelles ne permet toutefois pas

22 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


de trancher quant aux rôles respectifs
de facteurs génétiques et environne-
mentaux. On peut en effet argumenter
que la stabilité des performances intel-
lectuelles n’est que l’effet cumulatif
des opportunités éducatives dont a
bénéficié le sujet depuis son enfance,
les avantages initiaux plaçant celui-ci en
position favorable pour tirer profit des
nouvelles expériences. Cette explication
est en accord avec la « théorie de l’exper-
tise » défendue par Anders Ericsson, de
l’université de Floride. Selon ce dernier,
les personnes qui atteignent un haut
niveau de performance, en particulier
dans les activités intellectuelles, ne
sont pas nées avec un don, mais ont
développé leurs aptitudes grâce à une
pratique intensive qu’il évalue à une
dizaine d’années. Par conséquent, si des
différences interindividuelles de perfor-
mances intellectuelles se maintiennent
sur de longues périodes, elles seraient
iStock/Getty
simplement dues à des différences dans
l’exercice des aptitudes intellectuelles
au cours du temps. au cours du temps dans les pays déve- un impact sur l’effet Flynn. Enfin, un
La théorie de l’expertise d’Ericsson a loppés. Il a chiffré ce gain à environ dernier facteur explicatif important est
été critiquée par plusieurs chercheurs 0,33 point de QI par an. L’effet Flynn l’amélioration de l’état sanitaire des
qui font remarquer que les différences a été observé par de nombreux autres populations concernées.
interindividuelles de vitesse d’appren- chercheurs dans un grand nombre L’effet Flynn nous montre que le
tissage peuvent être très grandes. Par de pays. De multiples études ont été développement intellectuel est
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ailleurs, l’influence des facteurs géné- consacrées à ses causes. Mais aucun influencé par de multiples facteurs
tiques sur l’intelligence est aujourd’hui facteur ne peut à lui seul expliquer environnementaux. L’intelligence
bien documentée. Ce pourcentage ce phénomène, qui résulte en fait de trouve, certes, ses racines dans un
varie selon les études, mais il n’est l’interaction de plusieurs variables. patrimoine génétique qui en consti-
jamais nul. Parmi celles-ci, l’élévation du niveau tue son potentiel, mais c’est en fonc-
éducatif de la population joue un tion des conditions bioenvironne-
3. L’effet Flynn : le niveau rôle indubitable. L’amélioration de mentales de développement que ce
intellectuel moyen l’éducation concerne non seulement potentiel va se révéler à des degrés
augmente l’accès à l’école maternelle et l’allon- divers. Dans les pays développés, les
La mesure de l’intelligence ne peut gement de la scolarité, mais se mani- conditions de développement de l’in-
être réalisée que par la comparaison feste aussi dans le cadre familial. Des telligence n’ont cessé de s’améliorer,
entre des performances individuelles familles avec moins d’enfants, dont conduisant à une élévation du niveau
et celles d’un groupe de référence. Il les parents sont eux-mêmes plus édu- intellectuel moyen des populations.
s’ensuit que les mesures de l’intelli- qués et consacrent plus de temps et Cette élévation va-t-elle perdurer ?
gence sont, par essence, relatives : elles de ressources à leurs enfants, sont des Les données actuelles sont contra-
ne nous informent que de la position éléments favorables au développe- dictoires, certaines indiquant une
d’un individu au sein de sa population ment intellectuel. Par ailleurs, le travail stagnation, d’autres une continuation
d’appartenance. En mesurant l’évo- dans les pays développés est devenu de la croissance. Mais, comme les
lution des résultats au test au fil du de moins en moins physique et de arbres ne montent pas jusqu’au ciel,
temps, le psychologue néo-zélandais plus en plus cognitif. La nécessité de il est vraisemblable qu’une limite au
James Flynn s’est rendu compte que le devoir apprendre tout au long de la développement intellectuel sera un
niveau intellectuel moyen augmentait vie professionnelle a certainement eu jour atteinte… l

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 23


la psychologie aujourd’hui

Le langage,
d’hier à aujourd’hui

L’apprentissage du langage,
le bilinguisme, les aphasies…,
nos connaissances s’affinent
grâce à la technologie.
Susan Barr/Getty

I
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maginez qu’un matin, quand vous en ce début de 21e siècle. Cependant, dû au fait que le langage est une faculté
ouvrez les yeux – et les oreilles –, une situation similaire s’est produite humaine très spéciale !
vous ne reconnaissiez pas la langue le jour de votre naissance ! Sans télé- Tout d’abord, l’apprentissage du lan-
que parle votre entourage. Situation portation certes, mais bel et bien dans gage est inné. Les enfants apprennent
bien embarrassante qui peut s’expli- un monde nouveau où l’on parlait une tous à parler. Quel que soit son envi-
quer soit parce que vous avez été télé- langue inconnue. En moins de trois ronnement, à 2 ans l’enfant connaît la
porté pendant votre sommeil dans un ans, le bébé que vous étiez a appris à phonologie de sa langue, maîtrise la
pays inconnu, soit parce que vous avez parler et à comprendre cette langue, grammaire et vit la période de l’explo-
eu un accident vasculaire cérébral pen- le français, par exemple. Cet appren- sion lexicale, c’est-à-dire qu’il apprend
dant la nuit et que vous vous réveillez tissage s’est fait sans difficulté et sans plusieurs nouveaux mots par jour ! Mais
avec une aphasie. enseignement explicite. Personne ne l’enfant fait même mieux que ça : si la
vous a expliqué que dans la phrase langue qu’il entend autour de lui est un
Une faculté humaine très « Ernest photographie Louise », c’est pidgin, il va l’adapter et la transformer
spéciale Ernest qui fait la photo alors que dans en langue grammaticale dans le sens
Considérons tout d’abord la pre- la phrase « Ernest est photographié par qu’elle respecte les contraintes de la
mière hypothèse, farfelue, qui a peu de Louise », c’est Louise… En quelques grammaire universelle. Un exemple
chances de se produire, tout au moins mois, vous êtes devenu un locuteur frappant est celui de l’apparition de la
du français avec une connaissance langue des signes du Nicaragua. Les
ncHarLotte Jacquemot
Chercheuse dans l’équipe de Neuropsychologie
implicite de la grammaire du français
(encadré p. 26). Pourquoi est-il si facile
langues des signes sont, au même titre
que le français, l’italien ou le japonais,
interventionnelle du département d’études cognitives, d’apprendre à parler alors que les lan- des langues à part entière. La seule
à l’École normale supérieure. gues semblent si complexes ? Cela est différence est qu’au lieu d’utiliser des

24 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


sons, elles vont utiliser des gestes. La recherches actuelles montrent qu’il n’en nements où une seule langue est parlée.
phonologie va donc décrire des diffé- est rien, bien au contraire ! L’idée répan- Le cerveau du jeune enfant va aisément
rences gestuelles et non pas sonores. due que, dans les familles où plusieurs faire la différence entre les différentes
Excepté cette différence, on retrouve langues sont parlées, il faut associer un langues qu’il entend et les apprendre
les mêmes niveaux que dans les autres parent à une langue, n’est plus d’actua- individuellement sans plus de difficultés
langues, morphologie, syntaxe, lexique, lité de nos jours. En réalité, à l’échelle du que pour l’acquisition d’une seule. Par-
etc. Au Nicaragua, jusque dans les monde, les environnements bilingues fois, lors de la période d’apprentissage,
années 1970, il n’y avait pas de commu- sont bien plus fréquents que les environ- si la confusion est présente, elle n’est
nauté sourde. Puis, les enfants sourds

n
ont été regroupés dans une école : les
professeurs qui n’étaient pas sourds,
eux, communiquaient avec les enfants Les grands tournants de la linguistique
à l’aide de gestes rudimentaires. Petit
à petit, les élèves ont développé de Les théories du début du 20e siècle Comment parler du langage
nouveaux signes et de nouvelles règles proposaient que le langage comme s’il n’existait qu’une
pour parler entre eux. Une nouvelle soit acquis par un processus langue unique alors que plus de
langue était née : la langue des signes d’apprentissage classique de type 5 000 langues sont présentes dans
du Nicaragua. Ce qui est resté pendant essai/erreur. Le langage était conçu le monde ? L’enfant naît avec la
quelques années un mystère s’explique comme un processus d’imitation. capacité d’apprendre n’importe
aujourd’hui par la capacité innée des Mais le linguiste Noam Chomsky a quelle langue, et il va apprendre
jeunes enfants à apprendre la gram- observé que le répertoire de phrases celle qui est parlée autour de
maire du langage et par conséquent produites était infini et que chaque lui. Comment le cerveau peut-
n’importe quelle langue qui s’inscrit phrase était une combinaison il être prédisposé à apprendre
dans cette grammaire universelle. potentiellement nouvelle de mots. Le 5 000 langues différentes ? En
L’enfant naît donc avec la capacité répertoire de réponses à des stimuli fait, malgré leur diversité, les
d’apprentissage de la grammaire qui étant infini, un processus d’imitation langues du monde se ressemblent,
va être le squelette du langage. Pour ne pouvait fonctionner pour le et surtout elles sont toutes
que cet apprentissage se fasse, il faut langage. Noam Chomsky a ainsi structurées de la même façon :
bien sûr que l’entourage de l’enfant lui proposé le concept de grammaire toutes comprennent un ensemble
parle, mais aussi interagisse avec lui. En dite générative. fini d’unités qui vont être agencées
effet, des études récentes ont montré La grammaire générative est selon des règles. Ces règles,
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que l’interaction sociale constitue un l’ensemble des règles qui même si elles diffèrent au sein des
facteur majeur pour l’apprentissage du permettent de décrire une langue, différentes langues, suivent toutes
langage. Ce que l’enfant apprend avec et de produire des phrases jamais des contraintes universelles : c’est
quelqu’un qui lui parle et qui interagit produites jusque-là mais qui, malgré ce qu’on appelle la grammaire
avec lui, il ne l’apprend pas lorsqu’il cela, vont être comprises. C’est universelle. Certaines vont être
regarde une vidéo de quelqu’un qui lui grâce à la connaissance – implicite – présentes dans certaines langues,
parle. Pourquoi ? En fait, les interactions de ces règles qu’un locuteur du d’autres dans d’autres langues.
sociales sont un excellent moyen d’agir français sait que dans « Octave C’est ce qui va différencier les
sur la motivation et l’attention de l’en- aime son frère. Octave l’aime très langues entre elles. Pour faire
fant, deux mécanismes très importants fort », « Octave » et « l’» sont deux une analogie avec un jeu de dé,
pour l’apprentissage. personnes différentes, mais que quand le dé est jeté, on sait que le
dans « Octave, son frère l’aime résultat sera entre 1 et 6. Jamais
Le bilinguisme favorise très fort », « Octave » et « l’» sont la 0 ou 7. Une langue peut avoir
la souplesse mentale même personne. Cette grammaire la règle 2, une autre la règle 6,
Il est très facile d’apprendre une langue générative est le squelette du une autre les règles 1 et 4. Mais
à la naissance, mais qu’en est-il lorsque langage. C’est un concept différent aucune langue n’aura jamais la
l’enfant se trouve dans un environne- de ce que l’on appelle grammaire règle 7. Les règles qui ne sont pas
ment où il entend parler non pas une à l’école et qui fait la liste des possibles n’apparaîtront jamais
langue autour de lui mais deux, voire irrégularités de la langue française : dans les langues, par exemple
trois ? Ceci était autrefois perçu comme « vous disez » n’est pas correct et se il n’y a aucune langue sans nom
un handicap pour l’enfant et un risque dit « vous dites », etc. commun. l c.j.
de retard d’acquisition du langage, les

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 25


la psychologie aujourd’hui

Sciences du langage : combien de divisions ?


Le nombre de niveaux que l’on ordre défini par la syntaxe de la langue. phrase prononcée par un piéton à son
peut décrire dans le langage ne fait › La sémantique s’attache à la compagnon signifie qu’ils peuvent
actuellement pas consensus. compréhension du sens. Le lexique traverser puisque les voitures sont
Une description simple du langage, telle décrit les mots du vocabulaire. Par arrêtées. C’est le contexte qui permet
que la faisait Ferdinand de Saussure en exemple, « parler » est un mot du de comprendre le sens de cet énoncé.
1916, le présente comme une structure lexique, mais « garouster » n’en est pas Dans cet échange :
dichotomique avec d’un côté le un. Cependant, comprendre le sens « Viens-tu à la fête ce soir ?
signifiant ou image sonore, et de l’autre d’une phrase ne signifie pas additionner – Je travaille. », un simple décodage
le signifié ou concept (figure a). Cette le sens des mots. Le même mot peut sémantique ne permet pas de connaître
vision du langage a évolué au cours avoir différents sens en fonction des la réponse à la question. Or nous
du temps. Suite aux travaux de Noam autres mots de la phrase : « un texte interprétons tous la réponse comme
Chomsky, la grammaire est apparue d’une grande clarté » signifie un texte « non, je ne viendrai pas à la fête ».
comme l’élément majeur du langage tout à fait compréhensible, alors Dans les années 1980, Dan Sperber
(figure b). De nos jours, même s’il est qu’« une maison d’une grande clarté » et Deirdre Wilson ont proposé la
acquis que la grammaire est la structure signifie une maison avec beaucoup théorie de la pertinence pour expliquer
constituante du langage, il est évident de lumière et que dans « un lac d’une
que d’autres niveaux sont impliqués les mécanismes d’interprétation
grande clarté », on fait cette fois
(figure c). de ce type de phrases. Selon cette
référence à la transparence de l’eau.
› La phonétique décrit les théorie, deux individus qui
propriétés acoustiques des communiquent partagent une
sons de la parole et concerne intention informative, et la
la prononciation. Par exemple, transmission d’informations
pour prononcer « b », les se fait en optimisant le ratio
cordes vocales vibrent alors entre quantité d’informations
que pour prononcer « p », fournies et pertinence de
les cordes vocales ne vibrent l’information fournie.
pas. des niveaux qui forment
• La phonologie fait un tout ! Enfin, cette
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l’inventaire des sons ou description du langage avec


phonèmes utilisés dans une plus ou moins de niveaux
langue donnée et décrit la induit une fausse impression.
façon dont ils sont agencés Celle d’un système avec
au sein des mots. Par exemple, « r » et › La pragmatique s’intéresse différents niveaux bien cloisonnés.
« b » sont deux phonèmes du français, et à la question de la transmission Or, ils interfèrent en permanence. La
les mots peuvent commencer par « br » d’informations entre individus qui même suite de mots (lexique + syntaxe)
mais pas par « rb ». dépend non seulement du lexique et prononcée avec différentes intonations
› La morphologie décrit les de la syntaxe mais aussi du contexte, (phonologie) peut avoir une
morphèmes – les plus petites unités des connaissances partagées ou signification complètement différente
qui ont un sens – et la façon dont ils non, de l’intention de la personne qui (sémantique). Par exemple, le sens
sont agencés pour former des mots. parle… La pragmatique renvoie aux de la phrase suivante diffère selon
Par exemple, « in » est un morphème qui informations qui sont transmises mais
permet d’exprimer le contraire, comme l’intonation avec laquelle elle est
qui ne sont pas codées dans la phrase. prononcée : « C’est Isidore qui porte
dans « inconscient », « indépendant »,
Elle permet d’expliquer comment les le sac ? » est une question ; on ne sait
« incompréhensible »…
individus vont pouvoir s’affranchir des
› La syntaxe décrit les règles qui ambiguïtés présentes dans les énoncés.
pas qui porte le sac ; « C’est Isidore qui
combinent les mots au sein des porte le sac ! » est une injonction, c’est
Par exemple, la phrase « c’est rouge »
phrases. Par exemple, on dit « je mange à Isidore que l’on demande de porter
que le passager dit au conducteur
une pomme » et non pas « pomme je le sac ; « C’est Isidore qui porte le sac. »
de la voiture signifie que ce dernier
une mange ». Pour que la phrase ait un est une constatation, c’est Isidore qui
doit s’arrêter, alors que cette même
sens, les mots sont dans un certain porte le sac. l c.j.

26 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


que transitoire. En revanche, les effets l’aphasie. Le type d’aphasie varie en dynamique des connexions entre les
du bilinguisme ne sont pas transitoires, fonction de la région lésée. Cependant, différentes aires cérébrales et non plus
eux. On sait aujourd’hui que le bilin- l’idée encore répandue il y a quelques vers l’étude du fonctionnement d’une
guisme augmente les performances années, selon laquelle une lésion de aire cérébrale indépendamment des
du système exécutif impliqué dans le l’aire de Broca produit une aphasie de autres. Ces découvertes s’appuient sur
mécanisme d’attention, de sélection Broca avec des difficultés pour parler, des techniques récentes d’imagerie
d’information, d’inhibition… Il semble cérébrale qui permettent de visuali-
donc que le bilinguisme favorise la sou- ser les faisceaux de fibres connectant
plesse mentale. les différentes aires cérébrales, et les
Considérons maintenant notre réseaux d’aires cérébrales qui s’activent
deuxième hypothèse de départ, celle en même temps. Les résultats récents
de l’aphasie, qui explique que vous montrent que pour comprendre com-
ne compreniez plus ce que dit votre ment le cerveau traite le langage, il est
entourage. Votre propre langue vous nécessaire de considérer les différentes
semble une langue étrangère. La pré- aires cérébrales en interaction les unes
disposition à apprendre le langage avec les autres.
repose sur certaines régions cérébrales, Ces nouvelles techniques d’imagerie
mais pas n’importe lesquelles ! En effet, cérébrale couplées à la description de
chez tous les individus ou presque, ce et qu’une lésion de l’aire de Wernicke plus en plus fine des niveaux de langage
sont les mêmes qui sont dédiées au produit une aphasie de Wernicke avec permettront sans doute de mieux com-
langage, principalement dans l’hémis- des difficultés pour comprendre le prendre cette capacité unique et propre
phère gauche du cerveau. Plusieurs langage, est aujourd’hui remise en à l’espèce humaine qu’est le langage, et
aires distinctes sont impliquées et question… Plus nuancée, la position de développer de nouveaux outils pour
si l’une d’entre elles est lésée, c’est actuelle s’oriente vers l’étude de la rééduquer les patients aphasiques. l
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Un bilan du parcours
intellectuel de Freud
et de la diffusion
de ses théories

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Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 27


la psychologie aujourd’hui

La mémoire :
une construction collective
On ne mémorise pas seul, mais sous l’influence
d’un contexte social : la formation et l’oubli des souvenirs
personnels sont tributaires de notre culture.

L’
étude de la mémoire en neu- difficilement conciliables. Pourtant, plan méthodologique de dissocier un
ropsychologie et en neu- des études récentes sur la mémoire processus mnésique de son contexte.
rosciences cognitives a fait collective ont montré la possibilité Aujourd’hui, l’étude de la mémoire est
l’objet récemment d’un « tournant d’interactions transdisciplinaires abordée dans des contextes d’interac-
social ». Il correspond à la prise en entre la psychologie, les neuros- tions avec un environnement, comme
compte croissante de l’influence ciences et les sciences sociales : il c’est le cas pour l’éducation ou la rela-
des rapports interpersonnels et de s’agit là d’un changement théorique tion thérapeutique. Le terme omni-
l’environnement sur la formation de majeur. Pour en comprendre la por- présent de « cognition sociale » rend
nos représentations mnésiques. Une tée, revenons aux sources des études compte de cette influence détermi-
première approche, qui relève de la sur la mémoire. nante du contexte social : elle contri-
psychologie et des neurosciences, bue à définir le cerveau comme un
favorise la description de la mémoire Une mémoire partagée système biologique lui-même inséré
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au niveau de l’individu mais en l’inté- Pendant longtemps, l’étude de la dans un univers social.
grant dans un contexte collectif. Une mémoire a porté sur des processus Les travaux du sociologue Maurice
seconde approche, qui relève plutôt psychologiques individuels. À la fin Halbwachs qui publia, en 1925, Les
des sciences sociales, s’intéresse aux du 19e siècle, Hermann Ebbinghaus, le Cadres sociaux de la mémoire, sont
ressources sociales et culturelles de la père de la psychologie scientifique de considérés comme pionniers. Dans
mémoire. la mémoire, étudiait sur lui-même la son livre, il soulignait déjà que les
Ces deux approches, l’une centrée mémorisation de syllabes sans signi- souvenirs familiaux étaient entrete-
sur l’individu et l’autre englobant le fication. Essayer de mémoriser des nus par les récits, les albums photos,
corps social et culturel, semblaient listes de syllabes était censé isoler les les anniversaires. Que la mémoire des
capacités de mémorisation indépen- groupes (classes, nations) était façon-
damment de la nature du matériel, de née par les cérémonies ou monu-
nFrancis eustacHe
Directeur d’études à l’École pratique des hautes
ses aspects émotionnels… Ces diffé-
rentes contraintes furent prolongées,
ments que l’on appellerait plus tard
« lieux de mémoire ».
études, professeur de neuropsychologie à l’université plus ou moins explicitement, lors du
de Caen-Normandie et président du conseil développement de la psychologie et Le schéma comme concept
scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, des neurosciences cognitives dans la fédérateur
il a notamment dirigé Mémoire et oubli, Le Pommier, deuxième moitié du 20e siècle. La mémoire se trouve constamment
2014, et Les Troubles de la mémoire : prévenir, Cette conception réductrice, fondée aux prises avec deux impératifs a priori
accompagner, Le Pommier, 2015, et coécrit, avec sur l’« isolement » du sujet et de l’objet contradictoires : d’une part, une sta-
Béatrice Desgranges, Les Chemins de la mémoire, d’étude, s’est fragmentée progres- bilité qui permet aux souvenirs d’être
Le Pommier, 2012. sivement : il est illusoire sur un plan conservés dans le temps, et, d’autre
théorique et quasi impossible sur un part, une flexibilité pour intégrer de

28 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


Xavier Popy/Rea

Paris, place de la République, 18 novembre 2015. Hommage aux victimes des attentas du 13 novembre.
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nouvelles informations. Le concept de endroit particulier de son environne- Chez l’animal comme chez l’humain,
schéma semble répondre à ces deux ment. En laboratoire, par exemple, s’il les schémas s’affinent au fil des nou-
impératifs de stabilité et de flexibi- sent une odeur de banane, il devra se veaux souvenirs. Cette définition du
lité. Selon Frederic Bartlett (1932), un rendre à un emplacement précis pour schéma constitue une étape impor-
schéma désigne un ensemble orga- être récompensé par de la nourriture. tante de la psychologie de la mémoire :
nisé de représentations issues d’expé- Ce type d’apprentissage d’un événe- l’évocation d’un souvenir n’a pas pour
riences passées, qui jouent un rôle ment spécifique s’effectue grâce à l’hip- fonction d’accéder à l’expérience telle
de régulateur face aux expériences pocampe, avant une phase de consoli- qu’elle a été vécue initialement, mais
nouvelles et à l’anticipation des expé- dation du souvenir dans le néocortex, de l’intégrer à notre vision du monde,
riences futures. Par exemple, le schéma où se construisent des représentations quitte à lui faire subir une déformation,
« manger au restaurant » renvoie à des plus générales. À mesure que l’environ- d’ailleurs.
séquences d’actions stéréotypées (voir nement se complexifie, avec davan- Un souvenir ne peut donc être disso-
le serveur, s’installer, lire le menu, com- tage d’odeurs associées à davantage cié de son contexte, ni des liens qu’il
mander, etc.) : l’ensemble forme un d’emplacements, une nouvelle odeur entretient avec d’autres souvenirs.
« schéma mental » structuré qui va sera mémorisée directement et très Les souvenirs historiques (la prise de
contribuer à organiser nos compor- rapidement dans le néocortex, en sau- la Bastille, l’appel du 18 juin) consti-
tements, mais aussi nos savoirs sur le tant l’étape de l’hippocampe. La carte tuent des moments essentiels de
monde et nos souvenirs. mentale produite par le néocortex fait l’identité du groupe. Les événements
L’influence des schémas s’observe ici office de schéma facilitant l’acqui- contemporains majeurs relèvent à
même chez l’animal. Un rat peut ainsi sition d’un souvenir, et son intégration la fois d’une dimension épisodique
apprendre à associer une odeur avec un dans une représentation du monde (1). (l’événement tel qu’on l’a vécu) et

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 29


la psychologie aujourd’hui

n Comment un souvenir crée l’oubli


Les recherches se sont d’abord intéressées aux mais aussi des intérêts présents et futurs d’une société
mécanismes qui permettent la conservation des (par exemple, l’évocation de Jeanne d’Arc pour un parti
souvenirs collectifs, mais toute représentation du passé politique). l f.e.
n’est pas souhaitée par les individus et les sociétés. Au
contraire, la mémoire, individuelle comme collective, est (1) Michael Anderson, Robert Bjork et Elizabeth Bjork, « Remembering can cause
contrainte de façon importante par une fonction d’oubli. forgetting. Retrieval dynamics in long-term memory », Journal of Experimental Psy-
chology. Learning, memory, and cognition, vol. XX, n° 5, septembre 1994.
Ainsi, les groupes humains peuvent partager la volonté
(2) Charles Stone et William Hirst, « (Induced) Forgetting to form a collective
de ne pas faire réapparaître certains souvenirs (des memory », Memory Studies, vol. VII, n° 3, juillet 2014.
défaites, des « pages sombres » de l’histoire nationale) et
d’en inscrire d’autres dans leurs ressources culturelles
(commémorations).
En neuropsychologie, la mémoire et l’oubli sont parfois
présentés comme les deux versants
d’une distinction conceptuelle, alors que l’oubli est
pourtant indissociable du fonctionnement normal
de la mémoire.
Une forme d’oubli qui s’inscrit bien dans ce cadre
des neurosciences sociales est l’oubli induit par la
récupération. Le simple fait d’accéder à une information
peut conduire à l’oubli progressif d’autres souvenirs qui
lui sont liés, mais ne sont pas évoqués. Par exemple,
après avoir appris une liste de noms de fruits, se
souvenir avec insistance du mot « banane » peut faire
oublier que le mot « orange » figurait également dans
la liste (1). L’oubli intervient parfois davantage pour
des informations qui ne sont pas mentionnées lors
d’une discussion, que si la discussion n’avait pas eu
lieu ! L’oubli peut être paradoxalement rapproché de
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la fonction d’anticipation de la mémoire : les réseaux


cérébraux impliqués dans la récupération des souvenirs
sont, dans une large mesure, superposables avec ceux
responsables de la projection mentale dans le futur. iStock/Getty
De même, la conservation d’un souvenir collectif ne
relève pas seulement de sa signification historique,

d’une dimension sémantique (qui donc pas simplement à partager Les perspectives ouvertes
lui attribue du sens au-delà de notre des représentations, mais aussi des par le tournant social
expérience personnelle) : les attentats significations : elle intègre un évé- Le concept de schéma permet de
du 11 septembre 2001 ou de Paris nement nouveau à la continuité de mieux comprendre l’inscription des
en 2015 mélangent des éléments ceux qui l’ont précédé, c’est-à-dire représentations collectives dans les
épisodiques (comment j’ai appris à un schéma, d’ordre culturel cette structures cognitives et dans le cer-
la nouvelle, ce que j’ai éprouvé) et fois. Un schéma culturel est hérité veau, objectif qui n’aurait même pas
sémantiques (comment ils semblent de l’expérience directe du sujet, mais été envisagé il y a quelques années.
s’inscrire dans l’histoire et révéler aussi de représentations d’origines La mémoire collective ne repose pas
quelque chose de l’état du monde). plus anciennes que les souvenirs uniquement sur un socle de souvenirs
La mémoire collective ne consiste acquis à l’échelle d’une vie humaine. communs, mais sur une compré-

30 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


hension commune des souvenirs : tion de l’objet d’étude, qui n’est plus gies (autisme, schizophrénie…). Ces
cette « mémoire sémantique collec- un système biologique isolé mais découvertes sont à l’origine de nou-
tive » prend sa source à la fois dans les au contraire dépendant d’interac- veaux modes de prises en charge. De
structures préexistantes en mémoire, tions avec un environnement social nombreuses études insistent égale-
mais aussi dans l’effort exercé par le et culturel. ment sur l’importance des relations
sujet pour relier et réduire les évé- Les neurosciences sociales ont aussi sociales pour prévenir ou atténuer les
nements nouveaux à d’autres repré- permis des évo-
sentations, individuelles ou cultu- lutions notables
relles, d’événements passés. Les dans le domaine La mémoire collective ne consiste
souvenirs individuels et les représen- clinique. Déjà,
tations culturelles, loin d’être hétéro- une littéra-
donc pas simplement à partager
gènes, renvoient ici à deux états de la t u re c o n s i d é - des représentations, mais aussi
mémoire collective qui s’enrichissent rable explore la
mutuellement. construction du des significations.
De telles évolutions théoriques ont soi en relation à
des implications multiples, pour les l’autre. La neuropsychologie s’intéresse troubles de la mémoire liés au vieillis-
sciences humaines et sociales, que particulièrement à la théorie de l’esprit sement, voire différer les symptômes
nous avons seulement esquissées (la capacité à lire les états mentaux de maladies neurodégénératives. l
dans cet article et qui sont majeures de soi et d’autrui), et à ses altérations
dans nos sociétés en pleine mutation. pouvant expliquer des troubles du (1) Dorothy Tse et al., « Schemas and memory
En neurosciences, elles n’entraînent comportement et des relations inter- consolidation », Science, vol. CCCXVI, n° 5821, 6 avril
rien de moins qu’une transforma- subjectives dans différentes patholo- 2007.

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28/01/2016 31
10:11
n° 42
la psychologie aujourd’hui

Analogie et créativité :
la richesse du connu
Si les recherches sur l’analogie se multiplient, c’est qu’elles illustrent
une partie de notre fonctionnement quotidien : inconsciemment, nous nous
appuyons sur l’expérience pour appréhender la nouveauté, et parfois la créer.

L
e problème des 9 points consiste couper »). presque tous les plans. Il repose néan-
à trouver comment les relier sans On peut aborder la créativité par le moins intégralement sur des concepts
lever le stylo, par 4 segments de biais de la découverte, de l’imagination qui, eux, sont totalement les nôtres. Cette
droite. ou de l’originalité. On peut l’écrire avec dépendance au connu de l’être humain
Nous avons tous un « c » minuscule lorsqu’elle se déploie pour appréhender son environnement
spontanément ten- à échelle locale, ne débordant pas l’indi- explique l’engouement que les travaux
dance à faire preuve vidu qui la vit, ou avec un « C » majuscule, sur l’analogie ont connu ces quatre der-
d’un effet de fixation, quand elle bénéficie de larges reconnais- nières décennies. Caractérisable par
connu de longue date sance et influence sociétales. Mais elle « l’appréhension d’une situation dans
des psychologues. En suppose la nouveauté, ce qui l’oppose, les termes d’une autre (1) », l’analogie
l’occurrence nous cherchons en « res- de fait au connu. Le philosophe Jiddu est un phénomène adaptatif, dans la
tant dans le carré », alors que la solution Krishnamurti a incarné cette position mesure où il met à profit l’expérience
requiert d’en sortir. L’expression « thin- selon laquelle tout regard neuf demande passée dans une situation nouvelle. La
king outside the box », de mettre ses concepts de côté : le titre plupart des analogies sont inconscientes
une tarte à la crème d’un de ses ouvrages, Se libérer du connu et participent à la routine du quotidien,
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lorsqu’il s’agit de créa- (1975), constitue à lui seul un plaidoyer traduisant la fluidité de la cognition
tivité, tire d’ailleurs son pour cette position. humaine par de multiples ajustements
origine de cet effet de qui échappent à son acteur comme
fixation. Prenons un autre L’expérience passée dans lorsqu’il utilise une nouvelle douche,
problème, celui de la bougie : sa résolu- une situation nouvelle pénètre dans un nouvel ascenseur ou
tion requiert qu’une boîte d’allumettes Certes, nos concepts brident notre ima- dans un nouveau supermarché.
soit vidée de son contenu et convertie gination car prendre une perspective sur Lorsque Talia, âgée de 7 ans, déclare :
en socle. Ou celui des deux cordes : des une situation au travers d’un concept, « L’école, c’est comme un escalier, chaque
tenailles doivent être utilisées non pour c’est en ignorer d’autres. L’opposition classe, c’est une marche », ou qu’Henri
leur pouvoir coupant, mais pour leur entre le connu et le nouveau est cepen- Poincaré relate que « l’idée me vint (…)
masse permettant de nourrir un mou- dant peu tenable car il n’y a d’alternative, que les transformations de formes qua-
vement de balancier. Là encore, l’ima- pour s’affranchir de concepts, que de dratiques ternaires indéfinies étaient
gination est limitée par des « fixations » s’appuyer sur d’autres : percevoir une identiques à celles de la géométrie non
inconscientes sur des fonctions typiques tenaille rend saillante sa fonction cou- euclidienne », l’un comme l’autre mobi-
(« contenant d’allumettes », « destiné à pante au détriment de sa masse, mais, lisent l’existant sous une perspective
sans concept de masse, impossible de qui cesse d’être anodine, par le biais
n e mmanueL sander
Professeur de psychologie du développement et de
prendre en compte cette dernière. Ovni
littéraire extrêmement créatif, le Codex
d’analogies tout autant appuyées sur le
connu que les plus prosaïques d’entre
l’éducation à l’université Paris-VIII, il est l’auteur de Seraphinianus de Luigi Serafini (1981) elles, mais selon un lien non encore
L’Analogie, du naïf au créatif. Analogie et catégorisation, décrit, sous forme d’une encyclopédie rebattu. Ces analogies reposent sur des
L’Harmattan, 2000, et, avec Douglas Hofstadter, de illustrée dans une écriture inventée, abstractions émergentes qui en font
L’Analogie. Cœur de la pensée, Odile Jacob, 2013. un monde fictif qui diffère du nôtre sur la nouveauté et la pertinence : celle de

32 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


un contexte social et des préconcep-
tions dans le champ scolaire, et, d’autre
part un connu, source d’inspiration qui
en forme la face créative. Par exemple,
n
Les liens cachés
des mathématiques
avant l’invention de la souris, on com- Albert Einstein a fait reposer sa
muniquait avec les ordinateurs par le théorie de la relativité restreinte
biais d’un langage de commande, ce qui sur une analogie entre pans entiers
alourdissait toute requête. Il a fallu que de la physique, appuyée par son
Douglas Engelbart, le père de la souris, « instinct d’unité cosmique (1) » :
conçoive les objets immatériels comme « L’idée qu’un principe ayant
analogues aux objets matériels par le fait une généralité tellement large
que l’on peut agir sur eux. Cette analogie puisse valoir précisément dans un
était extrêmement simple en un sens domaine de la physique mais en
car elle revenait à généraliser aux objets même temps ne pas valoir dans un
informatiques la possibilité d’être un autre domaine me frappa comme
support d’action, mais elle était aussi a priori assez peu probable (2) »,
FMR

extrêmement audacieuse car depuis la écrivait le physicien pour soutenir


nuit des temps les concepts de matériel l’analogue électromagnétique du
et d’immatériel séparent le monde des principe de relativité galiléenne
sens et celui de l’esprit, le concret et l’abs- établi en mécanique. Tout
trait, la matière et le vide, l’observable et récemment, le mathématicien
l’invisible, la réalité et le rêve, le tangible Cédric Villani (3) témoigne en
et l’intangible. Dans ce contexte, l’idée première personne de sa qualité
de traiter une entité immatérielle de de découvreur d’analogies
manière analogue à une entité maté- cachées, portées par la conviction
rielle transgressait l’ordre établi de nos de l’existence d’harmonies sous-
rapports au sensible. jacentes. « Ce sont les liens
cachés entre différents domaines
Sur des domaines mathématiques qui ont fait ma
conceptuels proches réputation de chercheur. Ces liens
Contrairement à une idée reçue, la sont si précieux ! Ils permettent
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créativité n’est donc pas tributaire de d’éclairer l’un et l’autre des


champs d’inspiration éloignés. Les ana- domaines impliqués, dans un jeu
logies scientifiques reposent généra- de
Illustration extraite du codex Seraphinianus, lement sur des domaines conceptuels ping-pong où chaque découverte
sorte d’encyclopédie extraterrestre proches et les analogies distantes ne se sur une rive en entraîne une sur
rédigée vers la fin des années 1970 avec révèlent pas plus fécondes que les autres l’autre (…). Je développais la
une écriture inventée par l’auteur, Luigi Serafini,
dans le champ de l’innovation. Il semble théorie de l’hypocoercivité, fondée
et publiée en 1981.
qu’une connaissance intime et profonde sur une nouvelle analogie (…).
des domaines, liée à leur fréquentation Soupçonnant quelque harmonie
progression hiérarchisée par étapes est quotidienne parfois obsessionnelle, en cachée, je devinais (…) un lien
en germe dans la réflexion de l’éco- fasse des sources d’analogie plus riches qui semblait sorti de nulle part
lière, et l’analogie de Poincaré a vite que des champs lointains. Cependant, (…). Et puis une ferme croyance
prouvé sa fécondité. Dans une tâche même si les chemins de traverse jouxtent en la recherche d’harmonies
classique en psychologie de la créativité, souvent les sentiers battus, la difficulté préexistantes (…). Le monde
comme celle d’inventer un maximum des cheminements analogiques qu’ils est tellement plein de liens
d’usages originaux à un objet, on montre supposent est attestée par leur rareté : les insoupçonnés. » l e.s.
la potentialité de certaines analogies
(1) Keith Holyoak, et Paul Thagard, Mental Leaps. (1) Banesh Hoffmann, Albert Einstein. Créateur et
de fluidifier l’inventivité (2). Ainsi peut-
Analogy in creative thought, MIT Press, 1995. rebelle, Seuil, 1975.
on contraster, d’une part, un connu (2) Albert Einstein, La Théorie de la relativité res-
(2) Marianne Habib, Anaëlle Camarda et Emmanuel
formant la face naïve des analogies, qui Sander, « The impact of type of examples and analogical treinte et générale, 1916, rééd. Dunod, 2012.
se manifeste dans les effets de fixation, reasoning on creativity in adolescents », Flux Congress, (3) Cédric Villani, Théorème vivant, Grasset, 2012.
dans la prégnance des stéréotypes dans Leiden (Pays-Bas), septembre 2015.

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 33


la psychologie aujourd’hui

La conscience
redécouverte
La conscience a fait l’objet d’un retour remarqué en psychologie.
Quand est-elle apparue dans l’évolution ? À quoi sert-elle ?
Est-elle propre aux humains ?

n jean-françois dortier n

D
epuis le début des années 1990, extérieur. Sur la plage, les qualia cor- premiers à proposer une « biologie de
la conscience est devenue un respondent à la chaleur du soleil telle la conscience »), les humains ne sont
domaine d’étude très proli- que je la sens sur ma peau, au goût du pas les seuls à disposer de conscience
fique où recherches et théories pul- sel dans ma bouche. Cette conscience primaire (2). Celle-ci appartient à la
lulent : troubles de la conscience, méca- primaire a plusieurs caractéristiques. plupart des animaux dotés d’organes
nisme de l’attention, liens décisions Elle est d’abord reliée à l’attention : si, sensoriels sophistiqués et d’un cerveau
conscientes/inconscientes, etc. Dans allongé sur la plage, je me plonge dans complexe. Elle remonte donc loin dans
ce corpus, on commence à y voir un la lecture d’un roman, très vite le bruit l’évolution, bien avant l’apparition du
peu plus clair sur ce mystère : qu’est- des vagues va sortir de mon champ langage ou de la conscience réflexive
ce que la conscience ? Quand est-elle de conscience ; je ne l’entends plus qui, eux, sont propres aux humains. Les
apparue ? Quelles sont ses bases neuro- même si les ondes sonores continuent mammifères, les oiseaux, les reptiles,
biologiques ? Et à quoi sert-elle ? à entrer dans mes oreilles et leur écho à les poissons en sont sans doute dotés.
se propager dans les méandres de mes Sa théorie se fonde sur la façon dont le
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Qu’est-ce que la conscience ? neurones. Cette information continue cerveau élabore des « scènes visuelles ».
D’abord, il faut s’entendre sur les mots, à être traitée hors de ma conscience, La conscience est conçue comme
ce qui est déjà un exercice périlleux tant même si je me trouve plongé dans mon une fenêtre sur le monde, permettant
le vocabulaire a longtemps fluctué d’un roman. Mais qu’un bruit anormal me de visualiser à distance les objets et
auteur à l’autre. Les uns identifiant parvienne aux oreilles, une vague plus d’en construire une vue cohérente.
la conscience à la subjectivité (le fait bruyante que les autres par exemple, et, Imaginons un chat poursuivi par un
de ressentir les choses), d’autres à la immédiatement, mon attention est sol- chien. L’animal se sauve en explorant
conscience de soi (le fait de sentir son licitée et ma conscience focalisée sur ce à toute vitesse son environnement. Il
corps), d’autres encore à la conscience bruit. En même temps, le cours de ma perçoit tout à coup un tronc d’arbre :
réflexive (le fait d’observer ses propres lecture s’interrompt. Et c’est la seconde c’est l’issue ! Le chat grimpe après le
pensées et actions). Depuis quelques caractéristique de la conscience : elle tronc et le voilà hors de portée : les
années, il y a tout de même une clari- ne cesse de sauter d’un centre d’intérêt chiens ne grimpent pas aux arbres,
fication conceptuelle (1). La plupart des à un autre. William James a parlé de c’est bien connu des chats. Que s’est-il
auteurs s’accordent par exemple pour « flot de conscience » pour exprimer ce donc passé dans sa tête ? En courant, le
distinguer la conscience primaire de la mouvement incessant de la pensée qui matou a scanné son environnement,
conscience réflexive. La conscience pri- bondit en permanence d’un sujet de repéré une forme furtive (le tronc) et
maire renvoie tout simplement au fait préoccupation à un autre. l’a aussitôt rapportée à l’image men-
de ressentir quelque chose : le goût du tale d’un arbre. Dans son cerveau, la
chocolat, la chaleur, la douleur ; les phi- Théorie de la sélection catégorie « tronc » renvoie à « arbre »,
losophes de la conscience phénomé- des groupes de neurones « branches » et « refuge ». La « scène
nale appellent « qualia » les impressions Pour le professeur Gerald Edelman, mentale » que le chat a en tête résulte
subjectives qui émanent du monde prix Nobel de médecine 1972 (l’un des de l’organisation spontanée de stimuli

34 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


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qui activent des schémas mentaux Les catégories
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(chien, arbre, mur…) connus parce que (couleur marron, sur la plage, les qualia
stockés en mémoire. Le tout forme une forme de tube)
scène visuelle dans laquelle le chat peut correspondent correspondent à la chaleur
se mouvoir. Pour rendre compte de la à des groupes de
formation de catégories élémentaires neurones qui vont
du soleil telle que je la sens
(comme le tronc de l’arbre), G. Edel- s’interconnecter sur ma peau.
man a forgé une « théorie de la sélection par des boucles
des groupes de neurones » (TSGN). d’interaction que G. Edelman nomme ceptifs (la vision principalement) et la
Selon cette théorie, encore appelée « réentrance » : l’ensemble produit une mémoire. Surtout, cette théorie attribue
« darwinisme neuronal », les catégories scène visuelle. Et c’est ainsi que le chat à la conscience une fonction adapta-
(les « cartes mentales ») sont le produit reconnaît l’arbre à son seul tronc ou que tive : la conscience primaire n’est pas
d’une double sélection des connexions le baigneur détecte les vagues unique- qu’un épiphénomène qui se surajoute
neuronales : l’une est programmée ment à leur bruit. à des réactions physiologiques, elle
par le développement génétique (les sert à se représenter le monde et à s’y
circuits neuronaux de la vision sont en Tout commence avec la soif mouvoir.
partie programmés génétiquement) ; La théorie de G. Edelman envisage Récemment Derek Denton, spécia-
l’autre est due à l’expérience qui vient donc la conscience dans une optique liste de physiologie animale, a pro-
renforcer ou éliminer certaines liaisons naturaliste et évolutionniste. Phéno- posé une théorie rivale (3). G. Edelman
synaptiques. C’est ainsi que se forgent mène très répandu dans le monde a forgé sa théorie de la conscience à
des cartes mentales élémentaires (les animal, la conscience phénoménale partir de la vision, D. Denton à partir
fameux qualia des philosophes) dans le ne suppose ni langage ni réflexivité. des émotions (et particulièrement
cerveau du chat ou de l’humain. Elle s’appuie sur les mécanismes per- ce qu’il nomme les « émotions pri-

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 35


la psychologie aujourd’hui

mordiales »). Tout commence avec la action volontaire et intentionnelle : portements complexes, non automa-
soif, dont D. Denton est le spécialiste se rendre à un point d’eau, regar- tisés, supposant une réaction flexible
mondialement connu. Pour le profes- der s’il n’y a pas un prédateur. Pour et orientée vers un but.
seur australien, une sensation comme D. Denton, la conscience primaire
la soif est une réaction subjective qui de la soif correspond donc à deux Où la conscience se
provient de l’intérieur de l’organisme. phénomènes (qu’il ne distingue pas situe-t-elle dans le cerveau ?
Cette perception interne émane de toujours : l’alerte que le corps adresse Reste à savoir où se situe la
récepteurs internes (D. Denton parle au cerveau et l’intentionnalité, c’est- conscience dans le cerveau : pro-
« d’intérocepteurs ») qui déclenchent à-dire le fait de piloter ses gestes pour blème connu des spécialistes sous
une émotion primordiale. La soif en atteindre le point d’eau). Voilà la dif- le nom de « corrélats neurologiques
est un exemple, mais la douleur ou férence entre les êtres vivants dotés de la conscience » (NCC en anglais).
le désir sexuel en sont d’autres. La de conscience et ceux qui n’en ont Plusieurs hypothèses ont été avan-
soif suppose un état physiologique pas : la méduse, qui a besoin d’eau, cées depuis une quinzaine d’an-
(manque d’hydratation) qui se tra- la pompe automatiquement dans nées à ce sujet. Francis Crick, prix
duit par une sensation subjective de le milieu extérieur. Dans des orga- Nobel de médecine et découvreur
manque. C’est toute la différence avec nismes plus complexes, la quête de avec James Watson de la structure
la respiration. Les animaux terrestres nourriture, d’eau suppose un but de l’ADN, s’est lancé lui aussi dans
ont besoin d’oxygène comme ils ont intentionnel. la recherche des fondements biolo-
besoin d’eau pour survivre. Mais la La plupart des neurobiologistes giques de la conscience. Au début des
respiration se fait de façon automa- s’accordent d’ailleurs sur ce point. La années 1990, il annonce avoir décou-
tique et sans sensation subjective conscience a une fonction adaptative vert, avec Christof Koch, que le phéno-
associée alors que boire suppose une centrale. Elle apparaît avec les com- mène de la conscience correspondait
à une certaine fréquence d’oscillation
des neurones du cortex. Cette hypo-

n La conscience, fille des émotions


Dans L’Autre moi-même. La les mêmes choses, mais à un
thèse de « l’oscillation 40-hertz » ne
tiendra pas longtemps. Aujourd’hui,
C. Koch et F. Crick reviennent avec
une nouvelle piste : il faudrait cher-
construction du cerveau conscient niveau plus simple. Avec mon tronc cher les NCC dans « la voie centrale du
(Odile Jacob, 2010), Antonio cérébral, je ne peux vous voir avec cortex temporal inférieur et des aires
Damasio, professeur adjoint au beaucoup de détails relatifs à adjacentes ».
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Salk Institute de votre visage ou à la profondeur de Entre-temps, d’autres hypothèses


La Jolla et directeur du Brain and champ, mais je peux réagir à votre avaient été formulées par d’autres cher-
Creativity Institute de l’université présence et construire la sensation cheurs (4). Une équipe française a fait
de Californie du Sud, développe que je suis ici, vivant, grâce à toute une découverte décisive dans ce sens.
l’idée que la conscience ne serait une série de petites émotions et Claire Sergent, chercheuse en neuros-
pas le produit sophistiqué des sentiments constituant l’arrière- ciences à l’unité CEA/Inserm d’image-
régions les plus récentes et les fond de notre conscience. Nous ne rie cérébrale d’Orsay, dirigée par Sta-
plus évoluées de notre cerveau, pouvons pas être conscients sans nislas Dehaene, a mis au point une
mais des plus anciennes, là où réaction émotionnelle à des objets, expérience consistant à observer ce qui
naissent… les émotions. « Certes, des situations, des événements se passe dans le cerveau de sujets lors
nous explique-t-il, le cortex nous extérieurs au cerveau, d’une expérience visuelle consciente (5).
confère l’aspect le plus humain que ce soit dans notre corps ou Le dispositif vise à décrire les substrats
de notre comportement, nous au-dehors. Et l’émotion commence neuronaux de la « conscience d’accès »
permettant de dresser des cartes dans le tronc cérébral, lequel est qui correspond au fait de percevoir
neuronales détaillées, avec des en dialogue permanent avec le consciemment un stimulus visuel
possibilités de mémoire, de cortex. » l donné : en l’occurrence la reconnais-
raisonnement et de langage. Mais Jean-François MarMion sance d’un mot sur un écran. L’expé-
tout cela ne fonctionne que parce rience montre que plusieurs centres
qu’il y a dans une partie beaucoup cérébraux sont excités à ce moment
D’après « La conscience est née des émotions »
plus ancienne, le tronc cérébral, entretien avec Antonio Damasio publié dans précis ; il s’agit des zones frontale, pré-
la possibilité de faire exactement SH 224. frontale et cingulaire antérieure du
cortex.

36 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


Le modèle neurologique de la ce que B.J. Baars nomme « l’espace de (1) Ned Block, « On a confusion about a function of
conscience d’accès de C. Sergent et travail global conscient ». consciousness », Behavioral and Brain Sciences,
vol. XVIII, n° 2, 1995.
S. Dehaene est inspiré du modèle L’espace de travail global relie entre
(2) Gerald Edelman, Biologie de la conscience, Seuil,
d’un psychologue américain, Bernard elles toutes les informations traitées 1994, et Wider than the Sky. The phenomenal gift of
J. Baars, qui fut lui-même influencé par en sous-main par les modules incons- consciousness, Yale University Press, 2004.
la théorie de la conscience du philo- cients et automatiques. Seules les infor- (3) Derek Denton, Les Émotions primordiales et l’Éveil
sophe Jerry Fodor (6). L’idée générale est mations qui pénètrent dans cet espace de la conscience, Flammarion, 2005.
(4) David Chalmers, « What is a neural correlate of
la suivante. Dans le cerveau, les infor- de travail sont conscientes. Pourquoi
consciousness ? », in Thomas Metzinger (dir.), Neural
mations peuvent être traitées selon certaines informations requièrent-elles Correlates of Consciousness. Empirical and conceptual
deux circuits différents. Le premier cir- un traitement conscient ? Le recours questions, MIT Press, 2000 ; Stanislas Dehaene,
cuit implique des processus cérébraux à des processus conscients intervient The Cognitive Neuroscience of Consciousness, MIT
rapides, automatisés et non conscients. lorsque l’information doit être trai- Press, 2001 ; Alva Noe et Evan Thompson, « Are
there neural correlates of consciousness ? », Journal
Ainsi, lorsque j’écris cet article sur mon tée de façon souple, ajustée et que les
of Consciousness Studies, vol. XI, n° 1, 2004 ; Axel
ordinateur, je n’ai pas besoin de réflé- dispositifs automatiques ne sont plus Cleeremans, « L’unité de la conscience », in Michel
chir à la place des lettres sur le clavier. suffisants. La conscience serait, selon Cazenave (dir.), De la science à la philosophie. Y a-t-il
Tout cela se fait de façon quasi auto- cette hypothèse, reliée à la nécessité une unité de la connaissance ?, Albin Michel, 2005.
matique (même s’il en résulte beau- de ne plus agir sous « pilotage auto- (5) Claire Sergent, Sylvain Baillet et Stanislas
Dehaene, « Timing of the brain events underlying access
coup de fautes…). Mais la construction matique », mais de faire appel à un
to consciousness during the attentional blink »,
du sens et l’interprétation de la signi- système de traitement de l’information Nature Neuroscience, vol. VIII, n° 10, octobre 2005.
fication de chaque phrase, elles, ne flexible gérant l’imprévu et capable de (6) Bernard J. Baars, A Cognitive Theory of
peuvent se faire de façon inconsciente. piloter à vue. C’est ce qui permet au Consciousness, Cambridge University Press, 1988,
Elles requièrent toute mon attention (et chat de grimper à l’arbre pour échap- et Jerry Fodor, La Modularité de l’esprit. Essai sur
la psychologie des facultés, Minuit, 1986.
plus tard celle du lecteur). Cette partie per au chien, ou au vacancier de lire un
consciente de la lecture se réalise dans roman sur la plage. l

Le changement
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personnel
Un panorama critique
En librairie
Sous la direction de Nicolas Marquis
Avec les contributions de : C. André, V. Caradec, N. Catheline, A. Collognat,
L. Côté, J. Cottraux, B. Cyrulnik, F. Danvers, M. Darmon, M. Declerck,
D. Demazière, A. Ehrenberg, P. Graziani, C. J-D Javary, M. Lacroix,
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Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 37


la psychologie aujourd’hui

Pour une maîtrise de


l’attention
À l’heure du multitâche, les recherches se multiplient
pour comprendre ce qu’est l’attention et comment la maintenir.

D
ans le cerveau, le système un enseignant s’interrogeant sur les Contre vents et marées
attentionnel a pour fonction moyens d’améliorer la concentration L’activité à laquelle vous vous consacrez
principale de privilégier tem- de ses élèves. en ce moment est un bon point d’en-
porairement un élément du monde Pourtant, une synthèse de ces trée. Quand vous lisez avec attention,
extérieur (par exemple les lignes que recherches est possible en revenant l’information visuelle transmise depuis
vous êtes en train de lire) ou de notre à une compréhension incarnée de l’œil au cerveau se propage au sein de
monde intérieur (une envie qui me l’attention : ce que cela me fait à celui-ci pour atteindre ses régions les
vient tout à coup à l’esprit) pour que « moi », sujet vivant et seul témoin de plus antérieures, chargées de la com-
celui-ci bénéficie de l’essentiel de nos mon expérience
ressources cognitives. Chaque mou- consciente, de
vement de notre attention est donc un faire attention.
choix qui révèle, plus que tout autre L’attention appa- seul reste le vague écho d’une
aspect de notre comportement, ce qui raît alors à nou-
compte pour nous. veau comme un
voix féminine qui est « entrée par
phénomène uni- une oreille et ressortie par l’autre ».
L’attention aujourd’hui fié, et toutes les
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Mais à cause de cette ancienneté, études la concer-


l’étude de l’attention a fini par éclater nant semblent s’agencer comme les préhension et de la mémorisation : vous
en une multitude de sous-domaines pièces d’un puzzle. comprenez et vous retenez ce que vous
de recherche hautement spéciali- On réalise alors qu’il est important êtes en train de lire. Votre cerveau est
sés et totalement indépendants les de comprendre à la fois : 1) comment littéralement envahi par le texte, objet de
uns des autres. Par exemple, il n’y a se déplace l’attention dans l’espace, votre attention. Dans le cas d’une lecture
plus aucun rapport entre l’étude des 2) comment ces déplacements sont distraite, votre cerveau ne réagit qu’à
mécanismes neuronaux permettant déviés (par une publicité, par exemple) sa périphérie : vous voyez bien le texte
le déplacement de l’attention visuelle et enfin 3) comment cette capture sous vos yeux, mais vous n’en faites rien.
dans l’espace, et celle des causes pro- attentionnelle peut changer d’un L’inattention ne rend pas aveugle, mais
fondes de la distraction. L’immense seul coup le cours de nos actions (et elle masque l’essentiel, et il en est de
majorité des chercheurs étudiant provoquer un accident au volant, par même pour l’audition : quelqu’un vous
l’attention n’aurait rien à répondre à exemple). L’étude approfondie d’un a parlé, c’est sûr, mais seul reste le vague
aspect de l’attention ne doit pas se faire écho d’une voix féminine, qui est « entrée
au détriment d’une compréhension par une oreille et ressortie par l’autre »,
nJ ean-PHiLiPPe LacHaux
Directeur de recherche à l’Inserm au Centre de
globale. On revient alors aux questions en atteignant votre cerveau, certes, mais
de bon sens, qui sont peut-être les plus sans pénétrer au-delà de la périphérie
recherche en neurosciences de Lyon, il a publié intéressantes : à quoi sert l’attention, des aires sensorielles.
Le Cerveau attentif. Contrôle, maîtrise et lâcher-prise et pourquoi est-il si difficile de la maî- Il est donc essentiel de maîtriser son
et Le Cerveau funambule. Comprendre et apprivoiser triser ? Et les neurosciences cognitives attention. Mais pourquoi est-ce si
son attention grâce aux neurosciences (Odile Jacob, commencent à apporter des réponses difficile ? Pourquoi l’attention ne se
2011 et 2015). convaincantes à ces questions. pose-t-elle pas comme un galet sur le

38 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


sable, jusqu’à ce que l’on décide de la
déplacer ailleurs ? Parce qu’elle est sou-
mise à des forces, comme justement
ce galet lorsque la marée l’atteindra.
Trois grands systèmes viennent contrô-
ler l’attention, et interviennent pour
influencer ses déplacements à chaque
instant ou presque.
Le premier de ces systèmes oriente
l’attention vers ce qui est saillant : la
sirène d’un camion de pompier, la veste
jaune fluo d’un cycliste, le bruit d’une
porte qui claque, la porte ouverte d’un
bureau… Des réseaux de neurones spé-
cialisés dans ce type de stimuli signalent
Alexander Heimann/Bongarts/Getty

immédiatement leur présence et pro-


voquent des vagues d’activation neuro-
nale jusqu’aux zones de contrôle de l’at-
tention, afin de capturer celle-ci. C’est ce
système qui vous fera éviter une voiture
filant droit vers vous, mais c’est aussi lui
qui vous interrompra dans votre lecture
si une mouche survole ces pages. l’attention fermement captive. L’atten- aux commandes, grâce au lobe frontal
Un deuxième système vient ensuite tion est donc ballottée par des forces qui n’arrive d’ailleurs à pleine maturité
attirer ou détourner notre attention en violentes, parfois incontrôlables, que qu’en fin d’adolescence. Avec lui, l’atten-
fonction de la force émotionnelle de cherchent à maîtriser tous ceux qui tion est stable ou presque, car encore
ce qui nous entoure, ou de ce que nous vivent de notre attention, comme les faut-il n’avoir qu’un seul objectif en tête :
avons dans la tête. Quand une pensée médias ou les agences publicitaires. si nous cherchons, volontairement, à
nous obsède, c’est bien parce qu’elle Ces forces sont aussi le ressort de notre faire plusieurs choses à la fois, l’attention
concerne des événements qui nous attirance frénétique pour les nouvelles se perdra à nouveau.
touchent sur le plan émotionnel. Nous technologies, car le circuit de récom- C’est la raison pour laquelle on recom-
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perdons alors de vue notre environ- pense affectionne particulièrement ce mande d’éviter le multitâche. Mais est-
nement immédiat, alors qu’un réseau qui est nouveau et stimulant. Est-ce ce encore possible dans notre monde
particulier de régions cérébrales, appelé bien vous, d’ailleurs, qui avez décidé de si dynamique où l’hyperréactivité est la
réseau par défaut, prend le pouvoir regarder votre portable à l’instant, ou cet règle ? Oui, à condition d’avoir toujours
selon un principe de vases communi- écran publicitaire, en quittant des yeux clairement en tête ce que l’on cherche
cants, pour diffuser les petites publici- quelques instants cet article ? Personne à faire, même et surtout quand il faut
tés et bandes-annonces mentales qui ne vous y a forcé physiquement, c’est basculer d’une activité à une autre. Ce
nous sont si familières. Mais le véritable sûr, mais la manipulation de l’atten- n’est pas un truc, mais une technique,
moteur à l’origine de la distraction, il tion par un objet extérieur peut laisser qui peut s’apprendre à force de persé-
faut le chercher dans d’autres régions aussi peu de liberté qu’une contrainte vérance, et d’observation patiente des
du cerveau. Tout ce qui nous a procuré physique. Face à ces contraintes, il est mouvements de l’attention.
du plaisir dans le passé a été soigneu- temps que la résistance s’organise. Justement, l’apport essentiel des neu-
sement enregistré par notre circuit de rosciences n’est peut-être pas tant la
récompense, tapi au fond du cerveau, Vers un contrôle doux de découverte de molécules capables
qui nous incitera à y porter attention l’attention d’agir sur l’attention, vendues en pilules
dès que l’occasion se présentera, même Un troisième système attentionnel par millions, que la possibilité nouvelle
si cet objet du désir n’est encore qu’une entre en jeu. Car l’attention peut heureu- d’éclairer une démarche introspec-
vague évocation mentale. Et d’autres sement être dirigée de manière volon- tive d’observation de sa propre atten-
structures cérébrales, comme l’amyg- taire, vers ce qui nous apparaît, après tion, et des forces qui la dirigent, pour
dale, jouent un rôle analogue pour réflexion, comme vraiment important : apprendre à les utiliser plutôt qu’à les
signaler les dangers éventuels, jusqu’à ce que nous avons à faire. C’est alors la combattre et parvenir enfin à apprivoi-
créer de véritables obsessions tenant partie avant de notre cerveau qui est ser l’attention plutôt qu’à la droguer. l

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 39


la psychologie aujourd’hui

Manipulation
du cerveau :
une aventure risquée
Stimuler le cerveau, le réparer, l’augmenter chez un individu sain…,
ce n’est plus tout à fait de la science-fiction. Surtout quand les entreprises
les plus intéressées par un tel marché s’appellent Google et Apple.

L
a physique a progressé à pas de biologique dans l’évolution de l’huma- labe → mot) et accès à sa sémantique
géant à partir des années 1940, nité qui pourrait alors entrer dans l’ère et au cortex frontal (lecture). Un dys-
quand la Seconde Guerre mon- du posthumain. fonctionnement sur telle ou telle partie
diale a poussé l’ensemble des grands du réseau va donc générer des troubles
pays belligérants à engager des moyens Agir sur le cerveau par de lecture différents, d’où le caractère
humains et financiers considérables à le comportement : enjeu, la multiforme de la dyslexie. L’enjeu pour
son service. Au début de ce troisième remédiation neurocognitive la recherche en ce domaine (comme
millénaire, ce sont les sciences du cer- Inspirée par le Discours de la méthode pour les autres troubles cognitifs ou
veau qui bénéficient des efforts finan- (1637), dans lequel René Descartes mentaux) est d’établir une cartogra-
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ciers et logistiques des pays industria- propose de séparer le cogito et le phie neurocognitive des dysfonction-
lisés et des grands consortiums privés. corps, la science psychologique du nements observés afin d’élaborer des
Comme nous le verrons, l’enjeu scien- 20e siècle s’est construite en dehors du techniques de remédiation. Ce n’est pas
tifique est de simuler sur ordinateur, cerveau, considéré comme une boîte une mince affaire car un réseau neu-
dans les vingt ans à venir, le fonction- noire guère pénétrable. L’avènement ronal n’est pas quelque chose de figé
nement du cerveau ; l’enjeu technolo- de l’imagerie par résonance magné- mais de dynamique, et les différences
gique de le réparer et le compléter par tique fonctionnelle (IRMf ) dans les interindividuelles au niveau cérébral
neuroprothèses, de l’interfacer avec des années 1980 a radicalement modifié ce sont grandes. Cette complexité néces-
machines ou d’autres cerveaux. Cette point de vue, en permettant de corréler site de développer une approche théo-
perspective, si elle se réalise, signe pour activité cérébrale et activité cognitive rique synthétisant les nombreux cas
certains une rupture ontologique et ou émotionnelle. individuels observés dans un modèle
L’un des apports importants des simulant le cerveau.
études en neuroimagerie fonctionnelle
est de montrer qu’une fonction men- Agir sur le cerveau par la
n cHristian marendaz
Professeur de psychologie cognitive à l’université
tale n’est pas localisée dans une partie
restreinte du cerveau, mais met en jeu
pensée : enjeu, le dialogue
cerveau-machine
Grenoble-II, il a écrit Du regard à l’émotion : la vision, un réseau neuronal distribué sur toute Un réseau neuronal se caractérise
le cerveau, l’affectif, Le Pommier, 2009, une partie du cerveau. Par exemple, la non seulement par les zones du cer-
Comment voyons-nous ?, avec Sylvie Chokron, lecture mobilise un vaste réseau corti- veau mises en jeu mais également par
Le Pommier, 2010, et Peut-on manipuler notre cal allant du cortex occipital (vision) au le rythme d’activité (de décharges)
cerveau ?, Le Pommier, 2015. cortex temporal (étapes de reconnais- des neurones concernés. Ces rythmes
sance des formes du mot – lettre → syl- sont repérables par différentes tech-

40 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


niques d’enregistrements électroencé-
phalographiques (EEG). Une personne
disposant d’une information sur ses
rythmes cérébraux peut-elle les modi-
fier… par la pensée ? L’expérience fut
tentée pour la première fois dans les
années 1970 avec une patiente, Mary,
qui souffrait d’épilepsie sévère réfrac-
taire (encadré p. 42). Le neurofeed-
back comme approche thérapeutique
est maintenant utilisé pour d’autres
pathologies (addictions, troubles de
l’attention, régulation émotionnelle,
insomnie, etc.). Mais l’enjeu scien-
tifique de ces prochaines années est
technologique : interfacer par cette
technique cerveau et machine afin
de piloter des systèmes artificiels, que
ce soit pour se distraire (consoles de
jeux) ou améliorer sa santé, comme
illustré lors de l’ouverture de la Coupe
du monde de football 2014 où un jeune
paraplégique muni d’un exosquelette
a, par intention mentale, mis en jeu le
ballon d’ouverture.

Gary Waters/Getty/Ikon
Agir sur le cerveau par
stimulation transcrânienne :
enjeu, moduler le cerveau
Dans les exemples ci-dessus, le cer-
veau est « manipulé » indirectement via
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n
des activités comportementales ou la
pensée. Peut-on agir directement sur les
neurones du cerveau sans pour autant Les hippocampes
devoir le pénétrer chirurgicalement ?
La réponse est oui : les premiers outils
de Londres
existent. Le mode opératoire des neu- Dans les années 2000, une expérience princeps de neuroimagerie
rones est électrique. Agir sur les neu- fonctionnelle a porté sur les chauffeurs de taxi londoniens qui, pour
rones revient donc à les stimuler électri- obtenir leur licence, doivent durant quatre ans apprendre à mémoriser
quement. C’est possible en implantant l’emplacement des 25 000 rues et des très nombreux sites touristiques
dans le cerveau des électrodes qui, sur de Londres. Le suivi IRMf de cet apprentissage montre, chez les
(télé)commande, excitent les neurones chauffeurs performants, un développement marqué de la partie
ciblés. Il s’agit là d’une technique inva- postérieure droite de l’hippocampe, structure nerveuse sous-corticale
sive lourde, destinée à la clinique, le dont les prix de Nobel de physiologie et de médecine 2014, John
plus souvent pour traiter les symptômes O’Keefe et May-Britt et Edvard Moser, avaient montré l’implication dans
moteurs de la maladie de Parkinson l’apprentissage spatial des lieux chez l’animal. Suite à cette expérience,
(Alim-Louis Benabid, de Grenoble, a l’outil IRMf va être massivement utilisé pour étudier les soubassements
reçu en 2014 le prix Lasker de médecine cérébraux des fonctions mentales (perception, mémoire, raisonnement,
pour la mise au point de la méthode). langage, attention, reconnaissance des objets, visages, etc.), et avancer
Depuis peu, une technique non inva- dans la compréhension cérébrale d’états liés à la sphère émotionnelle
sive a été mise au point : la stimulation (tristesse, joie, empathie, compassion) ou à la conscience (coma,
magnétique transcrânienne (SMT). hypnose, méditation). l c.m.
Une bobine posée sur le scalp génère

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 41


la psychologie aujourd’hui

n nique SMT est coûteuse et complexe,


mais il se met en place sur le marché
américain une technique de stimu-
lation électrique à faible coût, censée
produire des effets similaires (ce qui
n’est pas encore clairement démontré).
Si véridique, qui résistera à l’usage per-
sonnel de cette technique ?

Human Brain Project : enjeu,


le connectome du cerveau
Amélie-Benoist/BSIP

humain
En fait, agir sur le cerveau de manière
plus précise nécessite deux choses :
Dans un cabinet de neuroofeedback.
le modéliser/simuler pour mieux le
comprendre, et développer des neu-
La technique de neurofeedback rotechnologies nouvelles et miniaturi-
Les données issues de travaux sur l’animal suggéraient qu’un rythme sées. C’est l’objet des programmes de
particulier (dit rythme SMR) dysfonctionnait dans l’épilepsie. L’idée recherche d’envergure lancés récem-
a été d’apprendre à Mary à produire elle-même ce rythme cérébral ment en Europe et aux États-Unis et
par la technique de neurofeedback. Mary était munie d’un casque par certains consortiums privés. Le
d’électrodes EEG, et l’expérimentateur analysait en continu son activité projet européen, lancé en 2013, s’inti-
cérébrale. Lorsque Mary produisait spontanément le rythme cérébral tule Human Brain Project (HBP). Il ras-
SMR, l’expérimentateur le lui indiquait en allumant une lumière verte semble des milliers de chercheurs, 90
(neurofeedback). Le but était que Mary apprenne à allumer volontairement instituts de recherche répartis dans 22
la lampe, donc à produire des rythmes SMR, en découvrant pays, avec une dotation de 1,2 milliard
empiriquement par elle-même quelles attitudes ou pensées développer. d’euros sur dix ans. Initiative Brain et
Mary parvint ainsi à réduire de 65 % ses crises de grand mal. l c.m. Restoring Active Memory (RAM) sont
des projets américains. Même si leur
philosophie de mise en œuvre n’est
un champ électromagnétique qui tra- corticale donnée, celle-ci peut être pas la même que celle du HBP, le but
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verse le crâne et stimule électriquement inhibée ou suractivée, autrement dit est identique : comprendre et réparer
les neurones corticaux sous-jacents. neuromodulée. L’intérêt clinique de le cerveau. Il s’agit plus précisément
Si les neurones étaient engagés dans cette possibilité est majeur, notam- de simuler le fonctionnement du cer-
une fonction cognitive ou émotion- ment pour certaines pathologies psy- veau sur ordinateur afin de modéliser
nelle, la stimulation va les empêcher chiatriques où le patient ne répond ses dysfonctionnements, et d’élaborer
momentanément de fonctionner : cette plus aux médicaments (pharmaco- de nouveaux outils pour soigner les
technique permet ainsi de mieux com- résistance). Par exemple est en cours pathologies neurologiques qui, du fait
prendre quelle zone du cortex fait quoi d’étude en Europe l’usage de la SMTr notamment du vieillissement général
et quand. On peut montrer que l’accès pour traiter la dépression profonde des populations, deviennent un pro-
à la conscience visuelle de l’objet que pharmaco-résistante, en neuromodu- blème de santé publique majeur au
nous regardons nécessite une activité lant par des cures de SMTr une zone niveau mondial. En termes plus scienti-
du cortex occipital visuel environ cent du cortex frontal souvent en hypofonc- fiques, il s’agit d’établir le « connectome
millisecondes après le début de la per- tionnement dans cette maladie. Des du cerveau ».
ception, qu’une stimulation du cortex essais similaires sur d’autres zones sont Par analogie au génome qui décrit
frontal altère l’attention et les fonctions en cours pour les toc, les addictions, l’ensemble du matériel génétique d’un
exécutives, ou encore que la stimulation l’hyperactivité, etc. Si l’on peut soigner individu ou d’une espèce codé dans
de la jonction des cortex temporal et par cette méthode une zone corticale son ADN, l’objet du connectome est
pariétal altère le jugement moral dans défaillante, peut-on alors, chez le sujet de décrire la cartographie anatomique
sa composante émotionnelle, etc. sain, améliorer ses compétences par et fonctionnelle du système nerveux
Mais la technique SMT peut faire plus. neuromodulation corticale, ou préve- d’un organisme donné (ici le cerveau
En répétant les stimulations (SMTr) nir le vieillissement cognitif ? Certaines humain) à différentes échelles, macros-
rapidement ou lentement sur une zone recherches montrent que oui. La tech- copique (aires corticales et structures

42 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


sous-corticales), microscopique réclamant du transhumanisme s’orga- trielle ne se réalisent pas au détriment
(synapses et réseau de neurones d’une nise aux États-Unis depuis une ving- du bien-être de l’humanité.
aire corticale), moléculaire et nucléaire. taine d’années sous l’impulsion des
Cela requiert la coopération étroite philosophes Nick Bostrom et David Simulation du cerveau :
entre biologistes (de la biologie molé- Pearce, qui ont fondé l’Association les deux obstacles majeurs
culaire aux neurosciences intégrées en transhumaniste mondiale (sigle WTA Parviendra-t-on à implémenter sur
passant par la génétique), mathémati- en anglais). Le premier congrès de la ordinateur le fonctionnement « réel »
ciens (pour modéliser la cartographie société française de transhumanisme d’un cerveau humain ? Mon avis est que
du connectome), ingénieurs et cyber- s’est tenu à Paris fin 2014. Schéma- ce n’est pas certain, pour deux raisons
néticiens (pour inventer les super- tiquement, ce mouvement prône la principales.
calculateurs capables d’intégrer les nécessité de développer la synergie l Le cerveau de l’homme n’est pas un
millions de données neuroscientifiques scientifique NBIC afin de disposer mécanisme mais un organisme évolutif
actuelles et à venir et d’implémenter le d’outils biotechnologiques (prothèses qui s’adapte en continu à l’environne-
connectome), neuropsychologues et contrôlées par la pensée, organes bio- ment, adaptation dans laquelle struc-
spécialistes de l’intelligence artificielle niques, neuroprothèses, exocerveau) ture et fonction s’autodéterminent en
(pour comprendre/modéliser les rela- permettant de réparer les capacités fonction de contraintes génétiques et
tions entre cerveau et comportement). physiques et cognitives de l’homme épigénétiques. Comment implémenter
La science du cerveau au 21e siècle souffrant, ou de les augmenter chez cette dynamique adaptative ? Modéli-
échappe donc à la seule biologie : elle l’homme sain (d’où le symbole H+ ser, simuler nécessitent de simplifier la
est intrinsèquement pluridisciplinaire, maintenant utilisé par ce mouvement). complexité bioneuronale, ce qui n’est
pluridisciplinarité parfois résumée Pour certains, tel Ray Kurzweil (ingé- et ne sera jamais aisé, car dans le vivant
sous le sigle de NBIC (nanosciences, nieur en chef de Google), les avancées plus qu’ailleurs, le diable, comme disait
biologie, sciences de l’information et biotechnologiques et de l’intelligence Nietzsche, réside dans les détails.
de la cognition). artificielle de ces prochaines années l Déterminer la cartographie du
seront si importantes et si innovantes connectome du cerveau ne suffit pas
Neurotechnologies, GAFA, qu’elles engendreront à l’horizon pour comprendre ce qui en émerge
transhumanisme 2050 une singularité technologique au niveau fonctionnel. Caenorhabdi-
Par ailleurs, le projet HBP (et ceux qui opérera une rupture ontologique tis elegans est un petit ver d’un mil-
d’outre-Atlantique) devrait permettre et même génétique dans l’évolution limètre qui contient exactement 302
des avancées technologiques majeures de l’humain, en modifiant l’essence neurones et moins de 10 000 synapses.
en informatique et dans les biotech- même de sa nature (posthumanisme). Sa transparence et les techniques de
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niques. L’importance de cet enjeu a Futurologie fantasque ou prospective fluorescence ont permis aux neurobio-
amené les entreprises privées comme plausible ? Probablement les deux, d’où logistes d’établir en détail, depuis une
Google, Apple, Facebook, Amazon l’urgence d’une réflexion bioéthique trentaine d’années, son connectome,
(GAFA) et IBM à investir massivement approfondie et indépendante. et de le voir fonctionner in vivo. Pour
dans ce domaine, guidées par la pers- Le 21e siècle sera probablement mar- autant, on ne sait toujours pas simu-
pective que la plus avancée d’entre qué du sceau de la révolution scienti- ler l’ensemble des propriétés fonc-
elles dominera ce qui constituera le fique sur la façon de conceptualiser, de tionnelles du réseau. Cette difficulté
marché majeur du 21e siècle. Cet objec- réparer, d’interagir avec, de simuler le réside en partie dans la complexité, qui
tif n’est pas sans poser des questions cerveau. Cette révolution est en cours, échappe au savoir, de la dynamique
éthiques, d’autant que certains des scientifiquement fascinante à suivre, d’expression des gènes, le Caenorhab-
programmes recherche et dévelop- avec un bénéfice clinique à venir cer- ditis elegans en possédant presque
pement de ces entreprises se situent tain. Les innovations neurotechnolo- autant que l’homme… doté quant
explicitement dans le cadre de la doc- giques sont sans cesse plus nombreuses à lui d’une centaine de milliards de
trine « transhumaniste ». On attribue (neurone artificiel, optogénétique, neurones cérébraux et d’un million de
ce mot-valise compactant les termes c’est-à-dire la possibilité de rendre des milliards de synapses. Cela signifie qu’il
« humain transitoire » au frère de l’au- neurones sensibles à la lumière), et les y a, et il y aura probablement encore
teur du Meilleur des mondes (1932), le risques de « dérapage technologique » pour longtemps, une discontinuité
biologiste Julian Huxley (1957), pour existent, d’où la nécessité de mettre en entre la structure nerveuse et l’entité
qui ce concept désignait un homme place au niveau sociétal une réflexion fonctionnelle qui en émerge, autre-
à la nature humaine transcendée par éthique globale, permettant un enca- ment formulé et par extension, entre
l’usage d’innovations réalisées dans drement de ces recherches et veillant à le cerveau et l’esprit… Un espoir pour
ce but. Un mouvement de pensée se ce que des enjeux de prospérité indus- l’humain 1.0 ? l

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 43


la psychologie aujourd’hui

Les neurosciences
au secours de l’économie
Expliquer nos comportements économiques
à travers notre fabrique neuronale,
telle est la tâche que s’est donnée
la neuroéconomie.

du social au biologique, sans accroisse- une firme). Mais qu’en est-il du point
ment de l’autonomie du sujet. de vue de l’économie elle-même ? À cet
La neuroéconomie mesure les activi- égard, trois réponses sont possibles, qui
tés cérébrales impliquées par des com- forment une sorte de « bilan et perspec-
portements (choisir, acheter, spéculer, tives », en 2016, de la neuroéconomie.
coopérer) ou des processus mentaux La neuroéconomie renvoie d’abord
(décider, calculer, évaluer des chances) l’économie à ses sources psycho-
Gary Waters/Getty/Ikon

à la base de ce que modélise la science logiques, avant sa phase d’extrême


économique. Différents outils sont mathématisation. Elle prolonge et
disponibles pour étudier ces soubas- radicalise le retour de l’économie à la
sements neuronaux. Le plus usité a psychologie entamé après les travaux
été jusqu’ici l’imagerie par résonance d’Amos Tversky et Daniel Kahneman

L
a neuroéconomie est appa- magnétique fonctionnelle (IRMf) qui dans les années 1970.
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rue au cours des années 2000. permet de localiser les aires du cerveau Elle apporte ensuite des données nou-
Son développement a coïncidé associées à ces processus et compor- velles pour trancher entre différents
avec la crise la plus aiguë qu’a connue tements. Les bases de la motivation modèles. Par exemple, on observe des
l’économie capitaliste, et la perte de (ganglions de la base), de la récompense activités cérébrales distinctes selon
confiance dans la capacité de la macro- (striatum ventral), de la décision et de qu’un individu décide dans un contexte
économie à expliquer et réguler le la planification (lobes frontaux), des de risque (la probabilité d’un résultat
capitalisme financier. D’où peut-être comparaisons interpersonnelles (insula est connue) ou d’incertitude (cette pro-
la tentation de chercher un éclairage antérieure) ou encore de l’aversion à babilité n’est pas connue), ce qui tend
sur l’économie dans des mécanismes l’incertitude (amygdale) figurent parmi à valider cette différence théorique au
inscrits au plus profond de notre fonc- les résultats les plus marquants. sein d’un modèle de décision.
tionnement biologique. On passe ainsi Mais le développement a priori le plus
du supraindividuel à l’infraindividuel, Bilan et perspectives prometteur dans les prochaines années
c’est-à-dire notre fabrique neuro- En quoi la mise en évidence de telles sera l’étude conjointe de l’apparition et
nale… sur laquelle nous n’avons pas corrélations entre une aire du cerveau du développement des environnements
davantage de contrôle. Il faut situer la et un comportement économique économiques (le passage à la monnaie,
neuroéconomie dans ce déplacement peut-elle nous importer ? Pour les neu- à l’économie marchande, à l’économie
rosciences, la neuroéconomie permet virtuelle, etc.), d’une part, et de notre
nsacHa Bourgeois-gironde
Professeur d’économie, à l’université Paris-II et à
d’étudier des réactions du cerveau dans
des situations peu explorées, dans la
évolution neurobiologique passée, pré-
sente ou future, d’autre part. Il s’agira de
l’ENS, il a publié La Neuroéconomie. Comment le mesure où l’économie fournit des cadres rendre compte des possibles décalages
cerveau gère mes intérêts, Plon, 2008, et, Comment expérimentaux et théoriques inédits (par d’adaptation fonctionnelle entre activi-
l’argent vient à l’esprit, Vrin, 2009. exemple penser au cerveau comme à tés cérébrales et activités économiques. l

44 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


Portrait du cerveau
en esthète
Pourquoi aimons-nous l’art ? Peut-être parce que grâce à lui, et malgré notre
passivité apparente, notre cerveau peut se mettre dans tous ses états…

L
a neuroesthétique est une tenta- versa. Le sentiment du beau trouverait duit en écho : devant une création de
tive d’approche scientifique qui ses racines dans la partie la plus évoluée Lucio Fontana, nous percevons les coups
recherche des corrélats neurobio- de notre cerveau. Il s’appuierait sur des de cutter que l’artiste a donnés en lacé-
logiques à la perception et à l’apprécia- acquis culturels mais aussi sur l’appré- rant sa toile. Le phénomène est retrouvé
tion de la beauté, particulièrement dans ciation de proportions équilibrées, un avec la littérature. Des connexions s’éta-
l’art, domaine pour le moins subjectif sens de la symétrie, alors que l’affect pas- blissent avec la sensorialité évoquée
jusqu’alors réservé aux philosophes. Il serait par la mémoire autobiographique par les mots lus : par exemple, s’il s’agit
est possible d’enregistrer des réponses et le cerveau « dionysiaque ». La mémoire de « jasmin », le cerveau olfactif s’active.
neurophysiologiques provoquées par est également impliquée pour l’appré- Après quelques jours, le renforcement
une émotion esthétique avec des tech- ciation d’une œuvre. En musique, il faut de ces circuits sensorimoteurs persiste,
niques simples (mesure de la résistance se souvenir de ce que l’on vient d’en- comme si les personnages de la fiction
cutanée, pouls, pression artérielle…), tendre pour anticiper ce qui va arriver, habitaient désormais notre cerveau, lui
de mesurer les mouvements oculaires quitte à se faire agréablement surprendre faisant partager leurs perceptions, leurs
explorant une œuvre d’art (eye-trac- par le compositeur. Plus généralement, actions et leurs émotions.
king), et de tenter d’interpréter des la mémoire confère une impression de L’œuvre d’art prend donc possession
données fournies par la neuroimagerie familiarité qui concourt à l’intérêt porté du spectateur ouvert et sans défense et
fonctionnelle. à une œuvre. s’incarne en lui. Véritable simulateur
Le pionnier de la discipline, Semir Zeki, d’émotion, elle l’entraîne vers des ter-
est un spécialiste du décryptage des L’empathie esthétique ritoires inexplorés, l’aide à se connaître
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données visuelles. Pour lui le cerveau, Le rôle des neurones miroirs (qui réa- et à mieux comprendre le monde. Un
comme l’artiste, doit éliminer les infor- gissent à une action observée comme effet thérapeutique est même possible,
mations qui ne sont pas essentielles pour si nous l’accomplissions nous-mêmes) de façon parfois spectaculaire : c’est ce
accéder à une véritable connaissance couplés aux circuits du plaisir et de la qu’Aristote, avant Sigmund Freud, appe-
des objets. Moins ambitieuse, Margaret récompense fournit une piste pour expli- lait « catharsis ». l
Livingstone s’appuie sur la neurobio- quer la possibilité d’entrer en résonance
logie de la luminance et de la stéréos- avec une œuvre, de la ressentir de l’inté-
copie pour nous expliquer le sourire de rieur, ainsi que le prévoyaient des philo-
La Joconde. sophes comme Maurice Merleau-Ponty,
La mise en route des systèmes céré- ou encore Robert Vischer qui donna
braux du plaisir et de la récompense un nom au processus en 1872 : « l’em-
quantifie l’hédonisme, plus que le sen- pathie esthétique ». À l’écoute d’une
timent esthétique au sens strict, et des musique, notre cerveau fonctionne
divergences peuvent apparaître : une comme s’il chantait et dansait, même
œuvre peut être jugée belle sans pour si nous demeurons immobiles. Les arts
autant être aimée d’un spectateur, et vice visuels sont reconnus comme lorsque
l’on se trouve face à un être humain,
nPierre Lemarquis avant d’être incorporés par nos neurones
Gilles Bassignac/Gamma

Neurologue, il a publié Sérénade pour un cerveau miroirs qui miment les gestes entrevus
musicien, Odile Jacob, 2009, Portrait du cerveau en et leur attribuent un sens. Lorsqu’il s’agit
artiste, Odile Jacob, 2012, et L’Empathie esthétique. d’art abstrait, c’est le mouvement qui a Devant la Vénus
de Milo au Louvres.
Entre Mozart Michel-Ange, Odile Jacob, 2015. donné naissance à l’œuvre qui est repro-

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 45


la psychologie aujourd’hui

à quoi sert
la neuropédagogie ?
Elle a pour ambition de mieux comprendre ce qui se joue
dans le cerveau d’un enfant qui apprend, et d’améliorer ainsi
les méthodes d’apprentissage.

G
râce aux neurosciences, en (avant) du cerveau qui est activée car bant les automatismes habituels. C’est
particulier l’imagerie céré- la mise en place des habiletés néces- « apprendre à résister (1) » .
brale, il existe aujourd’hui une site un contrôle et un effort cognitif
véritable science des apprentissages : (mémoriser par cœur une liste de mots, Pédagogie du cortex
c’est la « neuropédagogie », terme que par exemple). Ces habiletés s’automa- préfrontal
j’ai introduit en France en 2006. Elle tisent avec l’apprentissage : c’est la par- À l’école, depuis toujours, on apprend
aide à expliquer pourquoi certaines tie postérieure du cerveau, ainsi que les surtout par la répétition, la pratique et
situations d’apprentissage sont effi- régions sous-corticales, qui prennent l’automatisation. C’est très bien mais,
caces, alors que d’autres ne le sont le relais. Dans le cas inverse (désau- comme on vient de le voir, le cerveau
pas. En retour, le monde de l’éduca- tomatisation), il s’agit d’apprendre à des élèves doit aussi apprendre à raison-
tion, informé qu’il est de la pratique inhiber les automatismes acquis pour ner par le schéma inverse : inhiber ses
quotidienne – l’actualité de la pédago- changer de stratégie cognitive. L’ima- automatismes. Il serait donc très utile de
gie –, peut suggérer des idées originales gerie cérébrale a permis de montrer développer à l’école une pédagogie du
d’expérimentation. Ainsi, se développe le changement qui se produit dans le cortex préfrontal, notamment l’exercice
aujourd’hui un aller-retour du labo à cerveau des élèves lorsque, sous l’effet de la capacité d’inhibition du cerveau.
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l’école. Ces découvertes commencent d’un apprentissage, ils passent, au L’inhibition est, en effet, une forme de
aussi à être enseignées aux étudiants cours d’une même tâche de raison- contrôle attentionnel et comportemen-
des nouvelles Écoles supérieures du nement, d’un mode perceptif facile, tal qui permet aux enfants de résister
professorat et de l’éducation (ESPE). automatisé mais erroné, à un mode aux habitudes ou automatismes, aux
logique difficile et exact. Les résultats tentations, distractions ou interférences,
Automatisation et contrôle indiquent un basculement très net et de s’adapter aux situations complexes
L’imagerie cérébrale a ainsi permis des activations cérébrales, de la partie par la flexibilité. C’est un signe d’intelli-
de démontrer l’existence, chez l’enfant postérieure du cerveau au cortex pré- gence. Le défaut d’inhibition peut expli-
comme chez l’adulte, de deux formes frontal – dynamique cérébrale inverse quer des difficultés d’apprentissage
complémentaires d’apprentissage de l’automatisation. (erreurs, biais de raisonnement, etc.) et
neurocognitif : l’automatisation par la Le premier type d’apprentissage d’adaptation tant cognitive que sociale.
pratique et le contrôle par l’inhibition. – l’automatisation par la pratique – Par exemple, une erreur massive
Dans le cas de l’automatisation, correspond aux connaissances géné- observée à l’école élémentaire concerne
c’est initialement la partie préfrontale rales, bien établies, apprises par la les problèmes dits « additifs » à énoncé
répétition, la mémorisation, et qui verbal : « Louise a 25 billes. Elle a 5 billes
n oLivier Houdé
Professeur à l’Université Sorbonne Paris Cité
doivent être connues de tous, comme
les programmes à l’école, par exemple.
de plus que Léo. Combien Léo a-t-il
de billes ? » La bonne réponse est la
où il dirige le Laboratoire de psychologie du À l’inverse et complémentairement, soustraction 25 – 5 = 20, mais souvent
développement et de l’éducation de l’enfant du le second type d’apprentissage – le les enfants ne parviennent pas à inhi-
CNRS, il a notamment écrit La Psychologie de contrôle par l’inhibition – fait appel à ber l’automatisme d’addition déclen-
l’enfant, 7e éd., Puf, coll. « Que sais-je ? », 2015, et l’imagination, à la capacité de changer ché par le « plus que » dans l’énoncé,
Apprendre à résister, Le Pommier, 2014. de stratégie de raisonnement en inhi- d’où leur réponse erronée : 25 + 5 = 30.

46 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


Un autre exemple concerne la lecture. rangée, l’enfant, jusqu’à 7 ans environ,
Les apprentis lecteurs, comme les lec- considère qu’il « y a plus de jetons là où
teurs experts, doivent toujours éviter c’est plus long » (rangée la plus écartée),
de confondre les lettres dont l’image en ce qui est une erreur d’intuition percep-
miroir constitue une autre lettre : par tive. La réussite après 7 ans (réponse :
exemple, b/d ou p/q. Cette difficulté est « même nombre de jetons dans les deux
renforcée par le fait que pour apprendre rangées ») traduisait selon Piaget le pas-
à lire, le cerveau humain recycle des sage d’un stade perceptif prélogique au
neurones initialement utilisés pour stade de la pensée logico-mathéma-
identifier les objets de l’environne- tique concrète. Cette tâche a été reprise
ment : les animaux, par exemple (2). Or de façon informatisée en imagerie par
un animal est le même quelle que soit résonance magnétique fonctionnelle
son orientation par rapport à un axe de (IRMf) avec des enfants d’école mater-
symétrie. Pour discriminer les lettres nelle et élémentaire, révélant qu’elle
en miroir, notre cerveau doit donc mobilisait non seulement les régions
apprendre à inhiber ce biais cognitif (3). du cerveau dédiées au nombre (le cor-
Comme les enfants, les adultes, incon- tex pariétal), mais aussi les régions du
sciemment, doivent toujours résister à cortex préfrontal dédiées à l’inhibition
la généralisation en miroir. des automatismes : ici, l’automatisme
La pédagogie du cortex préfrontal selon lequel en général la longueur varie
est donc une
pédagogie
pour la vie ! Il
ne suffit pas de
même la théorie de Jean Piaget
connaître les a pu être récemment revisitée par
règles, il faut en
permanence l’imagerie cérébrale.
inhiber nos
automatismes.
Tant en France qu’au Canada (l’équipe avec le nombre. Cela amène à réviser la
d’Adele Diamond à Vancouver, notam- théorie de Piaget en y ajoutant le rôle clé
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ment), des expériences d’interventions de l’inhibition cognitive comme méca-


pédagogiques pilotes de ce type sont nisme positif du développement de
aujourd’hui menées dans les écoles l’intelligence chez l’enfant.
pour exercer le « contrôle cognitif » : Autant d’exemples qui illustrent
inhibition, flexibilité, etc. (4). combien la neuropédagogie est une
nouvelle science en plein développe-
Une science en plein ment depuis dix ans. Il faut toutefois
développement départager cette vraie science du char-
Même la célèbre théorie du psycho- latanisme qui se développe parfois
logue suisse Jean Piaget (1896-1980) a autour du label « neuroéducation ».
pu être récemment revisitée par l’ima- Seuls quelques laboratoires au monde
gerie cérébrale dans notre laboratoire en peuvent réellement s’en revendiquer. l
France. Au 20e siècle, la théorie des stades
de l’intelligence de Piaget a profondé- (1) Olivier Houdé, Apprendre à résister, Le Pommier,
2014.
ment marqué la psychologie, le monde (2) Voir Stanislas Dehaene, Les Neurones de la lecture,
de l’éducation et le grand public. On sait Odile Jacob, 2007.
qu’une tâche emblématique de Piaget (3) Grégoire Borst et al., « The cost of blocking the
pour tester l’intelligence de l’enfant était mirror-generalization process in reading », Psychonomic
Brand New Images/Getty

la conservation du nombre. Devant deux Bulletin & Review, vol. XXII, n° 1, février 2015.
(4) Adele Diamond et Kathleen Lee, « Interventions
rangées de jetons de même nombre shown to aid executive function development in children
(5 jetons, par exemple) mais plus ou 4 to 12 years old », Science, vol. CCCXXXIII, n° 6045,
moins écartés spatialement dans chaque 19 août 2011.

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 47


la psychologie aujourd’hui

Les grandes familles


des psychothérapies
Entre 5 et 11 % des Français entameraient une
psychothérapie au cours de leur vie. Il existerait près
de 400 méthodes de prise en charge différentes,
et de nouvelles apparaissent chaque année.
Mais on peut les regrouper par familles.
n marc oLano n

Les thérapies
d’inspiration
psychanalytique
La psychanalyse, élaborée par Sig-
mund Freud à partir de la fin du
19e siècle, est une méthode d’investi-
gation de l’inconscient qui implique
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de la part du patient un travail d’in-


trospection. Il doit évoquer le plus
spontanément possible les idées qui
lui traversent l’esprit et les émotions
qui s’y rattachent. Le thérapeute va Will & Deni McIntyre/Getty
alors interpréter ces différents élé-
ments et tenter d’établir des liens
avec l’histoire personnelle du patient.
Les psychanalystes sont de plus en
plus réticents à considérer l’analyse
comme une thérapie : elle vise plutôt
une transformation en profondeur charge, la psychothérapie psychanaly- Lacan ou Melanie Klein pour n’en
du sujet, à défaut de sa « guérison ». tique. Ici, le patient et le thérapeute se citer que les plus connues. La psycha-
Dans sa forme pure, la cure psycha- retrouvent en face-à-face. Les séances nalyse reste toujours la référence prin-
nalytique, le patient est allongé sur sont moins fréquentes et la durée de la cipale des thérapeutes français, même
un divan. Le thérapeute se place der- thérapie plus courte. Elle vise surtout si elle semble en perte de vitesse ces
rière pour rester dans une position la réduction des symptômes et l’amé- dernières années.
la plus neutre possible. La psycha- lioration du quotidien du patient. Il
nalyse s’étend en général sur plu- y a en France actuellement environ Les thérapies cognitives et
sieurs années au rythme d’une à trois 5 000 psychanalystes issus d’écoles comportementales (TCC)
séances par semaine. Mais il existe différentes : celles de Sigmund Freud, Elles se sont développées à partir
également une autre forme de prise en Carl Gustav Jung, Alfred Adler, Jacques des années 1950-1960. Elles s’inté-

48 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


ressent plus particulièrement aux
processus de pensée (les cognitions)
et aux comportements inadaptés
à l’origine des difficultés. Pour les
thérapeutes comportementaux, les
comportements problématiques ont
été appris tels quels, souvent dans
l’enfance. On peut les modifier en
apprenant d’autres comportements
mieux adaptés. Les thérapies cogni-
tives, quant à elles, s’intéressent aux
processus de pensée. Leur objectif :
identifier, puis modifier les pensées
inadaptées. Les TCC sont des théra-
pies brèves qui peuvent se limiter à
un traitement de quelques semaines
ou quelques mois. Elles sont orien-
tées vers des objectifs définis au
départ et se veulent pragmatiques et
interactives. Le thérapeute peut, par

Gary Waters/Getty/Ikon
exemple, demander au patient de
faire des exercices entre les séances.
Le bon déroulement de la prise en
charge est évalué à échelles régulières
à travers des tests. De nombreuses
études scientifiques ont tenté d’éva-
luer leur efficacité. D’après celles-ci, niques de méditation bouddhiste, à tion et de pleine conscience, mais
il semblerait que les TCC se montre- l’image de la thérapie cognitive basée s’adresse plus particulièrement aux
raient le plus efficaces pour le trai- sur la pleine conscience (MBCT). personnes manifestant des compor-
tement des troubles anxieux (pho- Ici, le thérapeute propose au patient tements autoagressifs.
bies sociales, trouble panique, stress des séances de méditation, souvent
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posttraumatique, troubles obses- en groupe, pour lui permettre de se Le courant humaniste


sionnels compulsifs), les troubles du recentrer sur ses perceptions brutes, Inspiré de la philosophie existentia-
sommeil, les troubles alimentaires ses pensées et affects. Et ce dans l’idée liste, le courant humaniste cherche
ou les dépressions. Le nombre de de prendre de la distance face à son à se démarquer de la psychanalyse
thérapeutes TCC en France est en vécu, afin de ne plus être englouti par et des TCC en réaffirmant l’homme
augmentation ces dernières années. des sentiments négatifs. La thérapie comme seul maître de son destin.
basée sur la pleine conscience a fait Il remet en question l’idée d’un
Les thérapies cognitives et ses preuves dans le traitement de la sujet conditionné par son environ-
comportementales de la dépression ou des troubles anxieux, nement familial ou des automa-
troisième vague mais elle est aujourd’hui également tismes immuables. Les premières
Ces nouvelles TCC apparaissent utilisée auprès d’enfants et adoles- thérapies humanistes ont vu le jour
dans les années 1990. Après les théra- cents avec des troubles de l’attention. aux États-Unis dans les années 1950
pies comportementales, puis cogni- D’autres thérapies s’inscrivent dans la sous l’impulsion de praticiens tels
tives, cette troisième vague s’intéresse troisième vague, comme la thérapie qu’Abraham Maslow, Carl Rogers ou
davantage à la relation de l’indi- d’acceptation et d’engagement (ACT) : Fritz Perls. Actuellement, environ
vidu à ses symptômes, en bref aux en plus de l’acceptation des pensées, 50 % des psychothérapies pratiquées
aspects émotionnels. Observer ses souvenirs ou émotions désagréables, en Europe seraient de type huma-
émotions sans les juger, les accep- elle met l’accent sur l’engagement niste. Il existe différentes méthodes,
ter sans essayer de les nier ou de les dans des actions en harmonie avec notamment l’approche centrée sur
transformer, est le leitmotiv de ces ses valeurs. La thérapie comporte- la personne (ACP). Pour les théra-
méthodes. Certaines thérapies de la mentale dialectique (TCD) intègre peutes s’inspirant de ce courant, c’est
troisième vague s’inspirent des tech- également ces notions d’accepta- la personne elle-même qui sait le

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 49


la psychologie aujourd’hui

mieux par quel moyen sortir d’une nos propres parents. Cette méthode des thérapies familiales pour ce qui
impasse. Ils parlent d’ailleurs plutôt peut aider à mieux comprendre ce concerne les troubles schizophré-
de « clients » que de « patients ». Leurs qui se joue dans une situation rela- niques, les troubles du comportement
interventions sont qualifiées de non tionnelle. D’autres méthodes citées alimentaire, l’addiction à l’alcool ou
directives. Le client est acteur de sa plus loin font également partie du les troubles du comportement chez
thérapie, c’est à lui de déterminer vers courant humaniste, comme la plupart l’enfant.
où il veut aller : le thérapeute va l’aider des thérapies psychocorporelles, le
à se recentrer sur ses objectifs et à se psychodrame ou encore l’hypnose Les thérapies intégratives
libérer des contraintes extérieures ericksonienne. ou multiréférentielles
qui l’empêchent de les atteindre. Une Les thérapies intégratives ont
autre forme de thérapie humaniste Les thérapies systémiques recours à des outils de différentes dis-
est la Gestalt-therapie, une approche Elles s’intéressent en priorité au ciplines. Un psychanalyste peut être
holistique, c’est-à-dire s’efforçant groupe (ou système) dans lequel évo- amené par exemple à utiliser des élé-
d’intégrer à la fois les aspects cor- lue la personne pour mieux com- ments des thérapies systémiques pour
porels, émotionnels, psychiques et prendre son mal-être : il peut s’agir de avancer dans un travail auprès d’un
socioculturels de l’être humain. Elle son milieu professionnel ou scolaire, patient toxicomane. Certaines théra-
se caractérise par un travail résolu- d’un groupe d’amis ou bien de sa pies se sont construites en associant
ment pragmatique ancré dans « l’ici famille. Issu des recherches de l’école des éléments de différents courants.
et maintenant ». À noter aussi, la de Palo Alto sur la communication, ce La thérapie des schémas, par exemple,
programmation neurolinguistique, courant apparaît dans les années 1950 combine des notions de la Gestalt-
aux États-Unis. Il therapie et de la théorie de l’attache-
semble bénéficier ment avec les TCC. Une autre thérapie
environ 50 % des psychothérapies d’un regain d’inté- intégrative est la thérapie EMDR, ou
rêt en France ces désensibilisation et retraitement par
pratiquées en europe dernières années. les mouvements oculaires, qui intègre
seraient de type humaniste. Son application la des éléments de l’hypnose et des thé-
plus connue est rapies analytiques. Elle s’intéresse aux
la thérapie fami- mouvements oculaires rapides du
liale : elle explore sommeil paradoxal qui permettraient
une méthode utilisée bien au-delà comment les différents membres de mémoriser les vécus de la journée
du champ psychothérapeutique, d’une famille interagissent et dans et de créer des liens avec d’autres
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quoique très discutée. C’est une forme quelle mesure le symptôme de l’un expériences passées. L’EMDR a été
de thérapie brève qui met l’accent sur de ses membres (une addiction, des validé par la Haute Autorité de santé
la communication à travers ses diffé- comportements autoagressifs, des (HAS) comme démarche thérapeu-
rents canaux (auditif, visuel, kinesthé- troubles du comportement…) permet tique pour le traitement des victimes
sique). Son objectif : reprogrammer de garantir l’équilibre de l’ensemble. de traumatismes. Après avoir identifié
nos manières de ressentir, penser, agir, Ce type de thérapie nécessite une par- le traumatisme subi, le thérapeute
pour modifier les comportements qui ticipation active des autres membres va proposer au patient de produire
posent problème. Enfin, beaucoup de de la famille et parfois une remise en des mouvements oculaires réguliers
thérapeutes humanistes travaillent question de leur fonctionnement. En suivant la trajectoire de son doigt tout
également à partir de l’analyse tran- travaillant sur l’ensemble du groupe en évoquant son traumatisme, dans
sactionnelle, une approche qui, sché- familial, le thérapeute va chercher à l’optique d’en diminuer l’impact. Les
matiquement, part du principe que modifier leur perception de la pro- thérapies intégratives se sont surtout
tous nos échanges sont régis par trois blématique de départ et tenter de développées dans les pays anglo-
types de rôles que nous empruntons réinstaurer un dialogue souvent mis à saxons, et peinent à s’imposer en
en fonction des situations : l’adulte, mal. On parle aussi de thérapies stra- France.
l’enfant ou le parent. Lorsque l’on réa- tégiques, où le thérapeute va insuf-
git de manière adaptée aux situations, fler des alternatives au fonctionne- Les thérapies
on se comporte en adulte. Quand on ment actuel. Il arrive qu’il prescrive psychocorporelles
reproduit des réactions enfantines, des tâches concrètes à accomplir à Elles font intervenir le corps du
c’est l’enfant en nous qui parle. On se domicile pour faire avancer la pro- patient comme médiateur. Il en existe
comporte en parent si l’on reprend blématique. Les études scientifiques de multiples approches telles les tech-
les termes, gestes ou intentions de indiquent une certaine efficacité niques de relaxation, l’artthérapie ou

50 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


Infirmière relaxologue et patiente en même difficulté. Ils peuvent alors se
séance de thérapie EMDR. rendre compte que chacun a aussi sa
propre stratégie pour y faire face. Le
cadre du groupe facilite notamment
le travail sur les difficultés relation-
nelles, les problèmes d’intégration ou
le manque de confiance. Il existe des
groupes à thème, comme les groupes
de paroles de patients alcooliques, et
ceux qui abordent des thématiques
variées. Les séances sont souvent asso-
ciées à des thérapies individuelles qui
permettent de revenir sur le vécu des
séances groupales.

Les thérapies de couple

Burger/Phanie
Dans les thérapies de couple, le thé-
rapeute aborde des difficultés rela-
tionnelles ou intimes d’un couple
en présence des deux conjoints. Il va
la bioénergie. Cette dernière s’inté- quement les problèmes d’insomnies, tenter de rétablir l’écoute et le dia-
resse aux défenses physiologiques, d’addiction, les phobies, ou des pro- logue entre deux partenaires dont la
comme la tension musculaire, une blèmes psychosomatiques (eczéma, relation se trouve dans une impasse.
posture courbée ou une respiration spasmophilie). La technique la plus Les thérapies de couple peuvent s’ins-
bloquée, qui peuvent indiquer un en vogue actuellement est l’hypnose pirer de différents courants de pensée.
mal-être plus global. Le thérapeute ericksonienne créée par le psychiatre Dans les thérapies d’orientation ana-
va alors tenter, grâce à des exercices américain Milton Erickson : il s’agit lytique, le thérapeute va plutôt abor-
physiques, d’aider le patient à libérer d’une forme d’hypnose plus douce der l’histoire individuelle de chacun et
ses émotions et apaiser ses tensions. où le thérapeute n’agit pas par injonc- la difficulté à faire lien avec l’autre. Les
L’artthérapie englobe des activités tions directes, mais plutôt par des thérapeutes systémiques travaillent
artistiques aussi variées que le théâtre, métaphores et où le patient participe davantage les problèmes de com-
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la peinture, la musique, la danse ou activement au processus. munication au sein du couple et ce,


l’écriture, qui serviront de médiateur dans un contexte familial plus large.
au thérapeute pour travailler sur la Les thérapies de groupe Dans les TCC de couple, il sera sur-
problématique du patient. La psychothérapie se pratique dans tout question des comportements ou
près de 90 % des cas en individuel, perceptions problématiques. Enfin,
L’hypnothérapie mais il existe également des approches lorsque le thérapeute est spécialisé
Déjà Sigmund Freud, dans ses pre- groupales. Les thérapies de groupe se sur les questions d’entente sexuelle,
mières tentatives d’exploration de présentent sous forme d’échanges avec on parle de sexothérapie. l
l’inconscient, s’était inspiré de l’hyp- plusieurs patients à la fois. Elles sont
nose. De nos jours, cette forme de trai- animées par un ou plusieurs psycho- Pour aller plus loin
tement semble redevenir populaire. thérapeutes. Elles utilisent essentielle- • « usage des psychothérapies en France:
En plaçant le patient dans un état ment la parole comme médiateur, mais résultats d’une enquête auprès des mutualistes
intermédiaire entre veille et sommeil, parfois aussi le corps, comme dans le de la mgen »
Viviane Kovess, David Sapinho, Xavier Briffault et Michaël
le thérapeute cherche à mobiliser psychodrame, la relaxation ou encore
Villamaux, L’Encéphale, vol. XXXIII, n° 1, février 2007.
son inconscient et à faire revenir à l’artthérapie. Le but de ces groupes est • site de la Fédération française de psychothérapie
la conscience des souvenirs enfouis. d’instaurer une dynamique entre les et psychanalyse
De récentes études scientifiques ont participants, susceptible d’accélérer la www.ff2p.fr/
redonné une certaine crédibilité à prise de conscience de leurs difficultés • « Psychothérapie : trois approches évaluées »
Rapport Inserm, 2004.
cette méthode qui montre des résul- et donc du processus thérapeutique. Le
• « The efficacy of cognitive behavioral therapy. a
tats intéressants dans la réduction de groupe permet aux patients de sortir review of meta-analysis »
la douleur ou de l’anxiété. Les hypno- de l’isolement et de s’apercevoir qu’ils Stefan G. Hofmann et al, Cognitive Therapy and
thérapeutes traitent aussi plus spécifi- ne sont pas seuls à rencontrer une Research, vol. XXXVI, n° 5, octobre 2012.

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 51


la psychologie aujourd’hui

Addictions :
les nouvelles pistes
Émotions, personnalité, prise de décision, croyances, motivations…
Les déterminants psychologiques sont au cœur des recherches
sur l’addiction, et influencent les prises en charge.

D
epuis les années 1990 sont présentent des troubles de l’humeur D’autres composantes cognitives,
désignés comme « addictions » ou des troubles anxieux, ainsi qu’un telles que les croyances irrationnelles
des actes répétitifs qui pro- niveau élevé d’alexithymie (difficulté à ou dysfonctionnelles, font elles aussi
curent du plaisir mais sont marqués reconnaître et exprimer ses émotions). l’objet d’études. Qu’elles soient de
par la dépendance à un produit ou à Étudier la façon dont les personnes type soulageantes, permissives ou
une situation. Les conduites addictives ressentent, identifient, expriment leurs anticipatoires (« si je bois, je serai amu-
avec substance (alcool, tabac, drogues, émotions et tentent de les réguler doit sant »), ou encore qu’elles illustrent
sexuelle) ou sans (addiction aux jeux, à permettre de les aider à trouver des une illusion de contrôle dans les
Internet, aux achats) sont entrées dans ressources psychologiques pour y faire pratiques de jeu, les croyances irra-
le vocabulaire médical, psychologique face (encadré). tionnelles ne semblent pas liées à un
et social. Toutefois, la personnalité reste un manque de connaissance ou d’infor-
Actuellement, c’est davantage l’in- facteur de vulnérabilité fort étudié. mation, mais plutôt à l’intensité de
tensité de la conduite que l’on tente Il n’existe pas forcément un profil de la pratique addictive. L’état psycho-
de saisir pour rendre compte du pro- personne à risque : on considère plu- logique aurait une influence sur le
cessus addictif. C’est dans ce sens que tôt que les facteurs de personnalité développement et le maintien des
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le Manuel diagnostique et statistique s’inscrivent sur un continuum allant distorsions cognitives, témoignant
des troubles mentaux (DSM-V), traduit du normal au pathologique. Il en va ainsi d’une interaction forte entre
et publié en français en 2015, s’ins- ainsi de l’impulsivité, par exemple. les émotions et les cognitions. Ces
crit. En effet, les notions d’abus et de La littérature internationale confirme croyances jouent donc un rôle certain
dépendance ont disparu pour laisser globalement son lien avec les problé- dans l’apparition, le développement
place à la notion de troubles plus ou matiques addictives, selon des méca- et le maintien des problématiques
moins marqués, liés ou non à une nismes psychologiques qui restent à addictives.
substance. cerner. Parallèlement, l’étude des motiva-
Les recherches actuelles en psy- tions à consommer ou à jouer étaye
chologie portent notamment sur la « Si je bois, je serai amusant » la thèse que le comportement est le
régulation émotionnelle : le risque de Par ailleurs, des travaux se sont centrés résultat de motivations diverses. Bien
développer une dépendance est en sur l’étude des mécanismes cognitifs qu’elles semblent varier selon le type de
effet plus élevé chez les personnes qui de l’addiction. Les études en neuros- population étudiée, plusieurs motiva-
ciences cognitives ont révélé l’implica- tions intrinsèques ou extrinsèques sont
tion précise de zones particulièrement retrouvées assez systématiquement
ni sabeLLe Varescon
Professeure de psychologie clinique et
activées chez les personnes présentant
une addiction. C’est le cas avec l’alté-
dans la littérature : le plaisir, la lutte
contre l’ennui et la routine, l’excitation,
psychopathologique, directrice du Laboratoire de ration des aires responsables des fonc- le défi, le gain financier dans le cadre
psychopathologie et processus de santé, université tions exécutives (le lobe préfrontal), du jeu, la tentative d’échapper à des
Paris-V, elle a dirigé Les Addictions comportementales. qui nous permettent de contrôler nos états émotionnels négatifs… L’étude
Aspects cliniques et psychopathologiques, Mardaga, comportements et ainsi influencer la des caractéristiques motivationnelles,
2009, et Le Psychologue en addictologie, In Press, 2015. prise de décision. longtemps mise à l’écart, permet ainsi

52 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


rement sur les émotions et les cogni-
tions (p. 19), proposent des thérapies
du type pleine conscience ou thérapies
d’acceptation et d’engagement qui
permettent une offre de soins supplé-
mentaire et ciblée pour les personnes
présentant une addiction.
Par ailleurs, une place grandis-
sante est laissée à la psychoéduca-
tion et notamment aux programmes
d’éducation thérapeutique, centrés
notamment sur les connaissances des
Pascal Deloche/Godong/Corbis

addictions, l’ajustement au traitement


proposé et à la qualité de vie.
Grâce aux nouvelles technologies
(Internet ou applications smartphone),
on voit aussi apparaître de nouvelles
modalités d’aide. Qu’ils soient auto-
nomes ou proposés avec la partici-
pation d’un professionnel, différents
une compréhension plus complète des et le programme de prévention des programmes d’informations, d’éduca-
conduites addictives. rechutes sont à présent très pratiqués tion et d’interventions brèves existent à
L’intérêt des recherches menées par les professionnels. Les thérapies présent en ligne, et vont probablement
dans le champ des addictions est sans cognitivo-comportementales dites de connaître un développement croissant
aucun doute d’apporter des connais- la troisième vague, centrées particuliè- dans les années à venir. l
sances dans le but à la fois de prévenir

n
et d’améliorer les prises en charge des
personnes qui en ont besoin.
Actuellement, dans le cadre des
addictions aux substances, l’absti-
Une prise en charge
nence n’est plus le seul objectif pro- pluridiscplinaire
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posé aux patients. Comme pour les


Les données épidémiologiques, quand elles existent, varient en fonction
opiacés et le tabac, des traitements
du type d’addiction. Avant d’avancer quelques chiffres, il est prudent de
médicamenteux considérés comme
rappeler qu’ils varient selon les méthodes utilisées (critères diagnostiques,
des aides ou des substitutions sont
instruments d’évaluation retenus et lieu d’investigation) et les sources
aussi proposés dans le cadre de l’al-
de publication. Par exemple, en France, 2 à 8 % de personnes seraient
coolisme. Se pose encore la question
concernées par l’addiction aux achats ; la prévalence d’anorexie mentale
de comment conjuguer de nouveaux
varierait de 1,6 % à 4 % et la boulimie de 2 % à 5 %. 8 à 10 % auraient un
ou anciens traitements pharmacolo-
usage nocif d’alcool, plus de 25 % seraient dépendants du tabac, et moins
giques aux méthodes psychothéra-
de 1 % présenteraient une dépendance aux opiacés.
peutiques. Pour les addictions sans
Actuellement, différentes modalités de soins et d’aide peuvent être
substance, la question ne se pose pas
proposées en fonction de l’état physique et psychique, des souhaits et
car aucun traitement ciblé spécifique-
des potentialités de la personne. Le plus souvent, dès le début de la
ment sur l’addiction n’existe.
prise en charge et en fonction du type d’addiction, l’hospitalisation pour
sevrage, l’aide sociale si besoin, la psychothérapie et les traitements
Une place grandissante
médicamenteux (traitements de substitution pour certaines addictions
pour la psychoéducation
aux substances, traitements spécifiques pour les troubles associés) sont
Récemment, et parallèlement aux
proposés. Il existe des centres spécialisés dans la prise en charge des
prises en charge plus traditionnelles,
addictions, et chaque centre hospitalo-universitaire (CHU) propose des
sont apparues des méthodes appli-
consultations en addictologie. Une prise en charge pluridisciplinaire est
quées spécifiquement au champ des
fortement recommandée. l i.v.
problématiques addictives. À titre
d’exemples, l’entretien motivationnel

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 53


la psychologie aujourd’hui

« Dys » : du diagnostic
à la prise en charge
Dyslexie, dyspraxie, dysphasie, dyscalculie…
Les « dys » semblent se multiplier plus vite que les professionnels
s’y forment. D’où vient leur vogue ?

L
es troubles du développement que l’on avait imaginée jusqu’alors (p. 8). peuvent donner, à tort, l’impression
neurocognitif de l’enfant (les On découvre au contraire que le cer- d’une liste sans fin ! Cela provient du
« dys »), issus des avancées des veau du bébé est d’emblée constitué de fait que toutes les fonctions cogni-
neurosciences cognitives, ont émergé réseaux de neurones certes très imma- tives sont susceptibles de connaître
dans les années 1980-2000. Depuis tures mais fonctionnels. Ces modules, un dysfonctionnement y compris les
ils ont diffusé d’une façon assez large souvent comparés à des « boîtes à fonctions exécutives (qui permettent
mais souvent superficielle, donnant outils » spécialisées (pour le langage, de contrôler notre comportement), les
lieu à maints quiproquos qui aggravent le nombre, l’espace, etc.), permettent mémoires et les gnosies (perception
la confusion, tant des professionnels que le bébé extraie des informations et identification des stimuli senso-
que des enfants et leurs familles. Les de son environnement, les analyse, les riels), fonctions encore mal connues
enfants dys représentent 3 à 5 % d’une relie et construise des connaissances. du public (et des cliniciens !). Il ne s’agit
classe d’âge. 1 % souffrent d’un dys On n’apprend pas à partir de rien. Il donc pas d’une « mode », mais d’une
sévère et ce, de façon identique dans est donc devenu évident que certains appréhension récente de certains
toutes les classes sociales. troubles des apprentissages découlent troubles du développement cognitif
de singularités ou dysfonctionnements de l’enfant, progressivement mis à jour.
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« Les dys », qu’est-ce que de certains de ces réseaux : on parle


c’est ? alors de troubles cognitifs spécifiques Comment repérer
Dans les années 1980, l’essor de la (1). Les causes premières de ces troubles les enfants avec un dys ?
« bébologie » (étude des capacités pré- ne sont pas connues même si beaucoup Tous les enfants en délicatesse avec
coces des nourrissons) a mis en évidence d’éléments pointent vers des anomalies le langage, la motricité ou les appren-
les incroyables capacités des bébés, génétiques. Leurs conséquences (les tissages scolaires ne sont pas dys. Il y a
dans quasiment tous les domaines de troubles spécifiques des apprentissages) évidemment toujours des enfants non
la cognition. Il n’était plus possible de se découvrent progressivement, au fil psychologiquement disponibles pour
continuer à penser que le cerveau du des années et des exigences du milieu. les apprentissages, et d’autres défi-
nouveau-né était cette ardoise vierge L’ensemble de ces pathologies est com- cients (sensoriels, mentaux). On sait
munément décliné sous le terme géné- aussi que la précarité, le faible niveau
rique de « dys » : dysphasies (troubles socio-économique de la famille sont
nm icHèLe mazeau
Médecin de rééducation, spécialisée en
du développement du langage oral),
dyspraxies (troubles du développement
des éléments qui influent défavora-
blement sur les apprentissages, et pro-
neuropsychologie infantile, elle a entre autres écrit, gestuel et spatial (2)), dyslexies (troubles bablement plus encore en France que
avec Claire Le Lostec, L’Enfant dyspraxique et les d’acquisition du langage écrit). dans d’autres pays, comme l’a montré
apprentissages. Coordonner les actions thérapeutiques Depuis une dizaine d’années se sont le récent rapport Pisa (OCDE, 2012).
et scolaires, Elsevier Masson, 2010, avec Alain Moret, ajoutés les dyscalculies (troubles du Plusieurs travaux validés ont souligné
Le Syndrome dys-exécutif chez l’enfant et l’adolescent, sens du nombre, d’accès à la numé- l’intérêt d’un renforcement pédago-
Elsevier Masson, 2013, et, avec Bruno Gaie, Claire Le ration) et les troubles du dévelop- gique (en tutorat ou en petits groupes)
Lostec, Alain Puhet et Anne-Marie Toninato, Dyspraxie pement des systèmes attentionnels dans des zep, avec des résultats très
et troubles non-verbaux, Elsevier Masson, 2014. (TDA/H (3)). Ces nouvelles pathologies positifs (4). Ces programmes déter-

54 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


minent des progrès conséquents et
durables pour environ 15 % des enfants
initialement les plus faibles. Seuls les
5 % qui ne bénéficient pas (ou peu) de
ces interventions sont suspects d’un
dys. Mais l’association « trouble dys
+ difficulté psychosociale », fréquente,
ne doit pas être méconnue : il est très
important que les difficultés psycho-
sociales ne fassent pas écran au dia-
gnostic de dys.
Il faut donc être alerté lorsque l’en-
fant présente un décalage significatif (5)
dans son développement langagier,
gestuel ou scolaire, un « retard » d’ap-
prentissage intense (c’est-à-dire que
comparé aux enfants du même âge et
même niveau que lui, il se situe dans
les 2 à 5 % les plus faibles) et durable

B. Boissonnet/BSIP
(depuis plus de six mois).

Diagnostic et prise en
charge
Le diagnostic comporte deux phases :
d’abord, éliminer la responsabilité diagnostiqués et pris en compte à temps
(exclusive ou principale) d’un trouble
psychodynamique, de difficultés liées et de façon adaptée, ces enfants
au contexte psychoéducatif, d’un
trouble du spectre de l’autisme ou
intelligents et motivés peuvent prétendre
d’une déficience intellectuelle. Ensuite, à des apprentissages satisfaisants.
mettre en évidence des signes carac-
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téristiques d’une atteinte du dévelop-


pement neurocognitif. Cette stratégie référents (6), contribuant à allonger naissance de ces troubles : restaurer
est longue et complexe, nécessitant encore des délais de consultation déjà leur confiance en eux de ces enfants et
l’intervention de différents profession- conséquents (quatre à huit mois). préserver leur avenir. l
nels (selon les cas : médecin traitant, Comment aider ces jeunes ? Ils ont
pédiatre, médecin scolaire, psycho- surtout besoin que l’on identifie pré- (1) Par opposition aux troubles cognitifs globaux :
logue, neuropsychologue, orthopho- cisément les processus cognitifs pré- déficience intellectuelle, troubles du spectre de l’autisme…
niste, ergothérapeute, psychomotri- servés (points forts), sur lesquels il (2) Aussi appelé TAC : trouble d’acquisition de la
coordination.
cien, ophtalmo, orthoptiste, ORL…). convient de s’appuyer pour favoriser
(3) Trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans
Cela impose donc une synthèse qui ne les apprentissages, versus les proces- hyperactivité.
peut être conduite que par un clinicien sus atteints constituant des obstacles (4) Voir Michel Zorman, « programme Parler », 2009,
rompu à la neuropsychologie infantile. aux apprentissages (points faibles) consultable sur www.cognisciences.fr, ou Frank Vellutino
Or il faut bien reconnaître qu’il existe qui, eux, doivent être en grande partie et Donna Scanlon, « The interactive strategies approach
to reading intervention », Contemporary Educational
encore un important déficit de pra- palliés ou contournés (compensations,
Psychology, vol. XXVII, n° 4, 2002.
ticiens véritablement expérimentés. adaptations). Il s’agit de favoriser les (5) Au regard des fourchettes habituelles de la norme
Cela rend compte de deux difficul- apprentissages et la scolarité en dépit dans le domaine considéré (ce qui suppose l’utilisation de
tés actuelles : 1) on constate certains du dys. tests étalonnés).
surdiagnostics erronés alors même Diagnostiqués et pris en compte à (6) Centre référent troubles du langage et des
apprentissages : petite équipe médicale et paramédicale
que d’autres jeunes véritablement temps et de façon adaptée, ces enfants
d’experts, mise en place dans chaque région. Leur
dys ne sont toujours pas reconnus intelligents et motivés peuvent pré- mission vise les enfants qui présentent des pathologies
comme tels, et 2) beaucoup trop de tendre à des apprentissages satisfai- rares, complexes, multiples. Les centres référents ne
ces jeunes sont adressés aux centres sants. C’est là tout l’enjeu de la recon- devraient donc pas être sollicités en première intention…

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 55


la psychologie aujourd’hui

Autisme :
les tendances
récentes
Qu’il s’agisse de sa définition,
de sa prise en charge, de son
origine présumée, tout ce que l’on
croyait savoir sur ce trouble est
remis en question depuis le début
Amélie-Benoist/BSIP

du siècle.

L’
arrivée du DSM‑5 (le manuel dans le tableau clinique a diminué, Les limites de l’explication
de psychiatrie édité par l’Asso- en revanche le poids des comporte- sociale
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ciation américaine de psychia- ments répétitifs (gestes stéréotypés Ces changements du DSM‑5 enté-
trie et qui fait référence dans les pays caractéristiques de l’autisme comme rinent l’incapacité des neurosciences à
anglo-saxons, p. 74) a concrétisé des le balancement d’avant en arrière) a trouver les bases biologiques, ou sim-
changements dans la définition même augmenté. La disparition du syndrome plement cognitives, de l’autisme. Des
de l’autisme : les trois anciens critères d’Asperger laisse place à une seule modèles en cascade ont dominé pen-
diagnostiques du DSM‑IV (altération catégorie (autisme ou non), modulé dant quinze ans, en faisant découler
des interactions sociales, de la commu- par quatre spécificateurs cliniques les signes cliniques d’un déficit socio-
nication, et comportements et intérêts (intelligence, langage, comorbidité cognitif unique, en l’occurrence l’alté-
restreints et répétitifs), ont été réduits à et sévérité). Ces nouveaux critères ration de la théorie de l’esprit (capacité
deux (altérations des interactions et de sont plus spécifiques. Cependant, ils à attribuer des états mentaux à autrui).
la communication ont été regroupées). peuvent être appliqués « en double » Mais ces modèles se sont effondrés,
Le poids relatif du sociocommunicatif associés à d’autres diagnostics. Ceci tant il est amplement démontré que
laisse ouverte la question de la défini- c’est un vaste ensemble de domaines
tion de l’autisme. Doit-elle être phéno- sociaux et non sociaux qui est altéré.
typique (axée sur les caractéristiques Et particulièrement la perception : les
observables) ou mécanistique (axée surfonctionnements des systèmes de
n Laurent mottron
Professeur de psychiatrie, clinicien et titulaire de la
sur une cause spécifique) ? Des travaux
récents montrent une stabilisation de
manipulation de forme et d’expertise
perceptive, et la présence d’altérations
chaire de neurosciences cognitive de l’autisme à la prévalence, c’est-à-dire du nombre dans de multiples domaines de l’extrac-
l’université de Montréal, il est l’auteur de L’Autisme : de cas dans la population générale. Ce tion du signal perceptif dans les deux
une autre intelligence, Mardaga, 2004. qui mettra un terme, on l’espère, au modalités perceptives, sont maintenant
mythe de l’« épidémie autistique ». bien établis.

56 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


Une nouvelle génération d’études sonnement. Après des conclusions trop qualité des travaux qui avaient répandu
regagne, expérience par expérience, le rapides dans les années 2000, les études le cliché de « seule technique d’interven‑
terrain conquis par l’explication sociale : de connectivité entre aires cérébrales tion démontrée scientifiquement », au
une multitude de capacités sociales en sont à l’inventaire des différences, moment même où les rapports retar-
sont normales en laboratoire, alors distribuées sur toutes les fonctions et dataires (comme celui de la HAS en
même que leur altération est prépondé- les domaines de traitement. Les alté- France) se décident à la recommander.
rante à l’âge préscolaire. Un paradoxe, rations de la connectivité entre aires Avec un décalage qui suggère que la
actuellement non résolu… De même, de la perception et les autres fonctions Manche est plus profonde qu’on croit,
l’intérêt pour les compétences des cérébrales se retrouvent au centre des le rapport du NICE anglais (National
sujets autistes était auparavant limité à résultats et des modèles. Institute for Health and Care Excellence)
l’autisme savant (appelé aussi autisme • La génétique enfin a fait des progrès ne mentionne même pas l’ABA dans les
de haut niveau) où une compétence conceptuels majeurs ces quinze der- recommandations pour l’apprentis-
exceptionnelle (mnésique ou mathé- nières années. Contre le dogme de l’au- sage. Il n’existe en effet aucune étude
matique, par exemple) contraste avec tisme issu d’une interaction de gènes montrant un effet positif à long terme,
un déficit intellectuel et social géné- multiples, une découverte française et liant l’effet au nombre d’heures admi-
ral. Aujourd’hui, les forces autistiques a établi que certains tableaux autis- nistrées. C’est la fin d’un monopole. Le
deviennent un sujet de recherche en tiques pouvaient être monogéniques NICE, après un travail d’inventaire et
soi. Plutôt que se demander : « Qu’est ce et mendéliens (transmission d’un gène de revue scientifique unique au monde
qui cause le déficit social en autisme ? », unique entre génération). L’heure est par sa qualité et son absence de conflit
la science contemporaine cherche à la recherche de ce que partagent les d’intérêts, ne recommande que des
« quels sont les domaines d’information nombreux gènes susceptibles de favo- interventions ciblées, courtes, et non
que les autistes en général traitent de riser un tableau voisin. Les résultats intensives.
façon autre, inférieure ou supérieure, et convergent vers un excès et un sur- Enfin, ces dernières années ont vu
pourquoi ? » fonctionnement synaptique, sous l’in- la prise en compte grandissante de ce
fluence de causes diverses. Des avan- que les autistes adultes pensent, jugent,
Nouvelles perspectives sur cées essentielles contribuent à clarifier et condamnent. Les groupes de pres-
le cerveau autiste les différents mécanismes à l’œuvre sions expriment des demandes essen-
Du côté des neurosciences, plusieurs dans l’autisme syndromique (associé à tiellement marquées par les besoins
caractéristiques du phénotype autis- une condition neurodéveloppementale de l’enfant autiste d’âge préscolaire
tique servent de point de départ aux identifiée, et pour lequel des modèles et les craintes pour son autonomie
recherches : le sex-ratio, la macrocépha- animaux sont réalisables), et l’autisme à l’âge adulte et après la disparition
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lie, et l’évidence d’une transmission non syndromique (ou prototypique, où des parents. Or ce que demandent les
génétique. l’autisme est isolé, moins hétérogène, et autistes adultes est tout autre. l
• Le sex-ratio autistique est l’un des pour lequel les modèles animaux sont
rares faits non contestables en autisme. inexistants). Il apparaît maintenant que
Une génération d’études interrogent les mutations responsables de l’autisme
Pour aller plus loin
le fait que les garçons sont beaucoup syndromique ne se retrouvent pas dans • dsm-5. manuel diagnostique et statistique des
plus touchés que les filles (3 ou 4 gar- l’autisme prototypique, laissant ouverte troubles mentaux
çons pour 1 fille). L’imagerie cérébrale, la question de leur parenté. La neuro- American Psychiatric Association, Elsevier-Masson, 2015.
surtout anatomique, en est à l’âge des biologie reste prisonnière des modèles • «autism in under 19s: support and management»
www.nice.org.uk/guidance/cg170, traduction française
méta-analyses, devant la multiplicité animaux actuels et travaille essentiel-
https://sites.google.com/site/assop4d/nice
des travaux et leur contradiction. Le lement sur des modèles d’autisme syn- • «From the genetic architecture to synaptic plasti-
message se complexifie, ce qui n’est pas dromique. De grandes découvertes sur city in autism spectrum disorder»
une mauvaise chose : les différences des mécanismes synaptiques micros- Thomas Bourgeron, Nature Reviews. Neuroscience,
avec le cerveau typique sont distribuées tructuraux sont rapportées, mais leur vol. XVI, n° 9, septembre 2015.
• «enhanced visual functioning in autism. an aLe
sur l’ensemble du cortex, se transfor- rapport avec l’autisme non syndro-
meta-analysis»
ment au cours du développement, mique reste obscur. Fabienne Samson et al., Human Brain Mapping,
dépassent la simple macrocéphalie, vol. XXXIII, n° 7, juillet 2012.
et sont spécifiques au sexe. L’imagerie Fin de règne pour l’ABA • «Veridical mapping in the development of excep-
fonctionnelle a bien établi le surfonc- L’intervention a aussi subi des chan- tional autistic abilities»
Laurent Mottron et al., Neuroscience and Biobehavioral
tionnement des zones d’expertises per- gements majeurs. Le règne de l’applied
Reviews, vol. XXXVII, n° 2, février 2013.
ceptives et leur surimplication dans les behavior analysis (ABA) se termine • http://autismcrisis.blogspot.ca/
processus de catégorisation et de rai- devant la mise en évidence de la piètre Michelle Dawson, blog scientifique.

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 57


la psychologie aujourd’hui

La mécanique
des troubles alimentaires
Méditation, régulation des émotions, attention au corps :
ces pistes encourageantes permettent aussi une meilleure prévention.

L
es troubles des conduites alimen- une intense culpabilité, de la honte, triction que d’améliorer la régulation
taires (TCA) font aujourd’hui par- renforçant à leur tour les troubles des des émotions.
tie des préoccupations majeures conduites alimentaires en raison de la
de santé publique. L’anorexie mentale difficulté à réguler ces émotions. Conscience corporelle et
représente l’un des troubles psychia- régulation des émotions
triques les plus fortement associés au Pression envers la minceur Les sensations physiques, comme la
suicide. Parallèlement, la boulimie et et biais cognitifs sensation de faim ou au contraire de
l’hyperphagie (alimentation compul- Dans une société où l’idéal de min- satiété, de même que les émotions,
sive mais sans vomissements) génèrent ceur est largement véhiculé par les servent à adapter les comportements
une grande souffrance psychique. médias, de même que la valorisation aux besoins de l’organisme. Mais
Selon les études, l’anorexie, la boulimie du contrôle de soi (qui passe notam- l’identification et la compréhension
et l’hyperphagie concerneraient res- ment par le contrôle du poids…), de ces signaux peuvent faire défaut aux
pectivement entre 0,5 et 1 %, entre 2 et les pressions envers la minceur sont personnes souffrant de TCA. En effet,
5 % et entre 2 et 3 % de la population. multiples. Ce contexte rend les jeunes face à la consommation d’aliments,
Parmi les principaux facteurs de filles particulièrement vulnérables les personnes souffrant de TCA sont
risque et de maintien des différentes aux troubles des conduites alimen- parasitées par des pensées (souvent
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formes de TCA étudiées actuellement, taires (elles représentent 90 % des cas), des jugements, de la culpabilité) ou des
on trouve l’insatisfaction corporelle notamment en raison de la puberté qui angoisses qui les rendent moins récep-
et la présence de biais cognitifs (pen- s’accompagne chez elles d’une aug- tives aux sensations. Elles ont alors ten-
sées automatiques accompagnant mentation de la masse adipeuse, tan- dance à manger ou éviter la nourriture
ici les comportements alimentaires dis que chez les garçons l’on observe de manière automatisée. Par exemple,
inadaptés). Les difficultés de gestion un développement de la masse mus- la faim peut être interprétée comme
des émotions sont également impli- culaire. Ceci affecte l’estime de soi et signe d’angoisse ou de malaise. Être
quées : la relation à l’alimentation est entraîne des comportements de res- capable de dissocier les sensations de
vécue comme une lutte interne per- triction alimentaire parfois draconiens. faim et les signes de stress, par exemple,
manente, la perte de contrôle face à la Ainsi, dès l’âge de 12 ans, la moitié des peut améliorer la manière de répondre
nourriture (crise de boulimie) entraîne adolescentes disent avoir déjà réalisé à la situation.
un régime, dont une partie consti- Un champ de recherche s’est ainsi
tue une entrée dans les troubles des développé autour des pratiques de
conduites alimentaires. La restriction « pleine conscience » (mindfulness).
est également accrue dans le cas de La pleine conscience constitue une
n r ebecca sHankLand
Maîtresse de conférences en psychologie à l’université
personnes sujettes à ce type de trouble
en raison de biais cognitifs. D’où un
forme d’attention portée à l’instant
présent, sans jugement. Elle favorise
Grenoble-II, elle a écrit Les Troubles du comportement champ de recherche en pleine expan- une meilleure prise en compte des
alimentaire, avec Claire Lamas, Isabelle Nicolas et Julien- sion, évaluant des interventions (remé- signaux internes et réduit la tendance
Daniel Guelfi, Elsevier Masson, 2012, et Les Troubles du diations cognitives) qui améliorent la à la restriction et à l’alimentation dite
comportement alimentaire, 2e éd., Dunod, 2016. flexibilité mentale, et permettent aussi « émotionnelle » (manger sous le coup
bien de diminuer les conduites de res- de l’émotion). De plus, par le biais de

58 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


émotionnelle et comportementale tant sur la pleine conscience, une
qui en découle. L’acceptation entraîne autre forme d’intervention efficace
ainsi une réduction de l’anxiété et des consiste à remettre en question l’idéal
facteurs de risque de dépression (tels de minceur et donc l’insatisfaction
que la tendance à ressasser des pensées corporelle. Par exemple, dans un pro-
négatives). gramme appelé « Body Project » déve-
Une autre approche complémen- loppé par Eric Stice de l’Arizona State
taire à la pleine conscience concerne University aux États-Unis, il est pro-
l’alimentation dite « intuitive ». Elle se posé à des adolescentes de collège
caractérise par le développement (ou d’écrire une lettre à une amie suivant
le maintien) d’une compréhension un régime. L’objectif est de développer
et de réponses adaptées aux signaux le plus d’arguments possible allant
de faim et de satiété, et par l’absence à l’encontre des régimes et de la res-
de restriction alimentaire quantita- triction. En faisant cela, la jeune fille
tive et qualitative (éviter de faire des se convainc elle-même des aspects
régimes, de sauter des repas ou de ban- contre-productifs de ce type de com-
nir certains aliments). En minimisant portement, ce qui diminue la tendance
les aspects contextuels et émotionnels, à rechercher la minceur à tout prix.
l’alimentation intuitive réduit les biais Ce type de programme de prévention
cognitifs et les pensées récurrentes se révèle bien plus efficace que les
concernant la nourriture. De telles interventions informatives. De plus,
approches peuvent être développées la simple transmission d’informations
YinYang/Getty

en prévention des TCA, de même que sur les dangers des TCA a été démon-
dans le cadre d’une prise en charge. trée comme délétère dans deux études
publiées, puisqu’il y aurait davantage
Prévenir l’apparition de cas d’anorexie dans les classes ayant
des troubles fait l’objet d’une telle intervention. Se
l’entraînement à l’ouverture attention- D’abord inspirée par d’autres pro- centrer davantage sur les mécanismes
nelle (accueillir ce qui survient dans blématiques, la prévention des TCA impliqués dans le développement des
le champ de la conscience sans juger semble aujourd’hui avoir trouvé sa TCA permet d’agir efficacement et de
et sans réagir de manière impulsive), propre voie. En plus des travaux por- prévenir un large spectre de troubles. l
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les personnes parviennent progressi-


vement à être moins angoissées par
les sensations (même douloureuses
telles que les ballonnements), les émo-
tions (même désagréables telles que
la culpabilité) et les pensées (même
critiques vis-à-vis de soi). Cela entraîne
un apaisement des tensions et favorise
n Troubles des conduites alimentaires :
une protéine en cause ?
une meilleure régulation des compor-
tements alimentaires. Cet apaisement « Anorexie » signifie perte d’appétit. De quoi s’agit-il au juste ? D’une angoisse
peut également être apporté par les très intense face à l’ingestion d’aliments. L’individu met alors en œuvre des
approches dites « d’acceptation » : elles comportements ritualisés pour diminuer sa peur et augmenter le sentiment
permettent de modifier l’attitude de de contrôle. Toutefois, une autre explication a été découverte récemment par
l’individu par rapport à lui-même et des chercheurs de l’unité Inserm 1073 « Nutrition, inflammation et dysfonction
à ses symptômes, en augmentant la de l’axe intestin-cerveau » : une protéine (ClpB), fabriquée par certaines des
bienveillance envers soi et en percevant 100 milliards de bactéries présentes dans la flore intestinale, mimerait les
les pensées comme de simples phéno- effets de l’hormone de la satiété (mélanotropine). Sous l’effet du stress et
mènes qui transitent par le champ de la de ces bactéries, le cerveau produirait des signaux de satiété dans le cas de
conscience. Considérer que les pensées l’anorexie mentale, ou d’appétit dans les cas de boulimie et d’hyperphagie.
telles que « je suis incapable » ne sont Ces découvertes offrent ainsi des perspectives complémentaires pour
pas des faits, mais de simples pensées, l’accompagnement des personnes souffrant de TCA. l r.s.
diminue leur emprise et la cascade

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 59


la psychologie aujourd’hui
ERproductions Ltd/Getty/Blend

L’explosion
des risques psychosociaux
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Stress au travail, harcèlement,


À
partir des années 1970, le

burn-out… Les risques psychosociaux monde du travail a de moins


en moins ressemblé à celui
sont particulièrement étudiés et décrit par Émile Zola dans Germi-
nal. Les machines ont remplacé les
médiatisés en France… où leur hommes dans les activités physique-

prévention reste médiocre. ment les plus éprouvantes, les nou-


velles technologies ont simplifié de
nombreuses tâches, et le temps de
travail a régulièrement diminué. L’illu-
sion d’un effacement de la pénibilité
nPatrick Légeron
Psychiatre au centre hospitalier Sainte-Anne, il a
du travail a été éphémère : de nou-
velles formes de contraintes ont mis
notamment publié Le Stress au travail. Un enjeu de au jour la pénibilité psychologique.
santé, Odile Jacob, 2015. Dès les années 1980 et surtout 1990,
plusieurs grands organismes inter-

60 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


nationaux ont attiré l’attention sur La « science des risques » ou cindy- l’occasion de la « vague des suicides »
le développement du phénomène nique (du grec kíndunos, danger) observée et largement médiatisée dans
de stress professionnel et ses consé- définit le risque comme la probabi- les années 2006-2008 : quelles sont
quences sur la santé des travailleurs. lité qu’une exposition à un danger les véritables causes du stress au tra-
En 1993, le Bureau international du entraîne un dommage. Il importe vail, quels sont les éléments qui, dans
travail (BIT) estimait que le stress donc de bien distinguer à l’amont, les l’environnement et les conditions du
était devenu l’un des plus graves dangers porteurs de risques (les RPS travail, conduisent à la souffrance psy-
problèmes de santé de notre temps. eux-mêmes) et, à l’aval, les dommages chique des salariés et parfois, de façon
Le récent rapport de l’Observatoire causés par l’occurrence de ces risques dramatique, à leur suicide ?
européen des risques de l’Agence (les troubles psychosociaux, TPS). À la suite d’un rapport demandé par
européenne de santé et de sécurité au De nombreuses études internatio- le ministre du Travail sur les risques
travail confirme que ces importants nales font apparaître le stress comme psychosociaux en 2008, l’Insee a éla-
changements ont entraîné l’émer- le plus fréquent des RPS. Ainsi, on boré un recensement des très nom-
gence de risques nouveaux dans le estime qu’au sein de l’Union euro- breux facteurs de stress au travail,
domaine de la santé au travail : les péenne, 25 % des salariés souffrent encore appelés facteurs de RPS (4). Ces
risques psychosociaux (RPS) (1). À de stress au travail, alors que 5 % ont facteurs sont regroupés en six grandes
côté des risques physiques, biolo- subi un harcèlement et 5 % sont vic- catégories.
giques et chimiques, ils apparaissent times de violence physique (2).
aujourd’hui comme majeurs. Selon l’Agence européenne
Les RPS, à l’interface de l’individu
(le psychologique) et de l’environne-
de sécurité et de santé au tra-
vail, le stress est le problème
20 % de la population en
ment de travail (le social), font réfé- de santé le plus répandu âge de travailler présente
rence à de nombreuses situations : dans le monde du travail et le
stress, harcèlement moral, violence, nombre de personnes souf- une pathologie mentale.
souffrance, suicide, dépression, burn- frant d’un état de stress causé
out, troubles musculosquelettiques, ou aggravé par le travail croît
addictions, etc. Cette pluralité justifie- régulièrement. De son côté, l’OCDE, 1) Les exigences du travail. Le
rait peut-être que l’on utilise le singu- dans une publication intitulée Mal caractère stressant du travail peut pro-
lier, le risque psychosocial, comme on être au travail ? Mythes et réalité sur venir de son intensité ou du temps qu’il
parle du risque cardiovasculaire en se la santé mentale et l’emploi, indique nous occupe. Les exigences du travail
référant au modèle médical. que la proportion de travailleurs expo- recouvrent plusieurs dimensions. La
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sés au stress ou à des tensions sur quantité de travail et la pression tem-


Risques psychosociaux vs leur lieu de travail a augmenté dans porelle représentent une contrainte
troubles psychosociaux l’ensemble des pays au cours de la majeure. Devoir travailler vite, de façon
La grande variété des thèmes mis dernière décennie (3). hachée et en « zappant » d’une activité
sous le vocable de RPS est source Dans le monde du travail, les parte- à une autre, ou subir de nombreuses
d’ u n e e x t r ê m e c o n f u s i o n . I l s naires sociaux européens ont reconnu contraintes de rythme, est un aspect du
recouvrent les déterminants et les l’importance des RPS en signant des travail qui peut se révéler néfaste pour
effets, sans distinguer entre les causes accords-cadres sur le stress lié au la santé. La complexité du travail ou
et les conséquences. Cette confusion travail (2004) et sur le harcèlement la concentration mentale exigée sont
tient non seulement à la diversité et la violence au travail (2007). Dans d’autres dimensions des exigences
de ces risques, mais aussi à la com- la plupart des pays de l’Union euro- du travail ainsi que les problèmes de
plexité des liens qui les unissent et péenne ces accords ont été transposés conciliation entre travail et hors travail,
qui ne relèvent pas toujours de la au niveau national. C’est ainsi le cas et la difficulté à équilibrer sa vie profes-
causalité linéaire : interagissant for- en France où deux accords natio- sionnelle et sa vie personnelle.
tement entre eux, ils sont plutôt de naux interprofessionnels (ANI) ont été 2) Les exigences émotionnelles.
type circulaire ou systémique. Ainsi, signés par le patronat et les syndicats, La notion d’« exigences émotionnelles
dépression ou suicide peuvent appa- l’un sur le stress (2008) et l’autre sur du travail » regroupe en fait plusieurs
raître comme conséquences du stress, les violences et le harcèlement (2010). choses. Il peut s’agir tout d’abord de la
des violences au travail, des harcèle- Les facteurs de RPS nécessité de maîtriser ses émotions :
ments ou d’un traumatisme. Dans le La question méritait d’être posée c’est le cas des hôtesses de l’air ou des
cas des addictions, ce peut être tout depuis longtemps dans le monde infirmières, qui doivent se montrer
autant la conséquence que la cause. du travail. Elle surgit brutalement à sereines et détendues pour rassurer

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 61


la psychologie aujourd’hui

Souffrance et pathologie mentale passagers ou patients. Il s’agit aussi,


au travail : qui est touché ? pour d’autres salariés, de sourire, de
garder son calme ou de cacher ses
émotions face à une personne désa-
La souffrance mentale au travail que 20 % de la population en âge de
gréable ou même agressive. Certains
peut, dans ses formes les plus travailler présentent une pathologie
métiers sont particulièrement éprou-
sévères, se traduire par de véritables mentale (dont le quart sous une
vants émotionnellement : accompa-
pathologies. L’Institut national de forme sévère) (2). Il s’agit surtout de
gner des personnes en fin de vie, s’oc-
veille sanitaire estime ainsi qu’en jeunes adultes, de femmes et de
cuper d’enfants gravement malades,
France, environ 480 000 salariés personnes à faible niveau d’études.
intervenir auprès de victimes d’acci-
présenteraient des troubles mentaux La grande majorité d’entre eux a
dents, etc. Enfin, n’oublions pas les
liés au travail (essentiellement une activité professionnelle (entre
métiers qui confrontent aux émotions
des dépressions, des troubles 55 % et 70 %). Or, ces troubles sont
de peur : peur d’un accident matériel,
anxieux et des états de burn-out) (1). bien souvent insuffisamment pris en
d’une agression physique ou d’une
Les femmes seraient davantage charge. On estime en effet qu’entre
violence morale.
touchées que les hommes, de un tiers et la moitié des personnes
3) Le manque d’autonomie et de
même que la tranche d’âge souffrant de troubles mentaux ne
marges de manœuvre. Avoir très
des 45-54 ans et certains secteurs reçoit aucun soin (ainsi plus de la
peu de liberté pour décider comment
d’activité (les banques, les services, moitié des personnes atteintes de
faire son travail est l’une des manifes-
la santé, l’enseignement). Les dépression n’a pas de traitement
tations les plus répandues du manque
cadres sont aussi particulièrement approprié). l p.l.
d’autonomie, tout comme, par
concernés, ce qui est une donnée
exemple, ne pas pouvoir interrompre
nouvelle, car pendant longtemps (1) Imane Khireddine et al., « La souffrance psychique
en lien avec le travail chez les salariés actifs en France momentanément son travail quand
il s’agissait souvent des catégories
entre 2007 et 2012, à partir du programme MCP », on le souhaite. Travailler avec des pro-
d’employés et d’ouvriers.
Bulletin épidémiologique hebdomadaire, cédures très étroitement définies et ne
Il faut rappeler que, au-delà des n° 23, 23 juin 2015. pas pouvoir s’en échapper est un fac-
troubles mentaux occasionnés (2) OCDE., « Making mental health count », Focus on
teur de stress fréquemment identifié
directement par le travail, on estime Health, juillet 2014. www.oecd.org
dans beaucoup d’activités. L’absence
de marges de manœuvre dans l’exécu-
tion des tâches augmente considéra-
blement le stress, tout comme ne pas
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pouvoir donner son avis et exprimer


ses attentes sur l’organisation ou les
changements dans son travail. Ne pas
avoir la possibilité d’employer et de
développer ses compétences est égale-
ment un enjeu important pour la santé
mentale au travail. La monotonie et les
tâches répétitives peuvent conduire à
une souffrance psychique et au « bore-
out », syndrome d’épuisement par
ennui.
4) Le manque de soutien social
et de reconnaissance au travail.
Le travail est un lieu de socialisation
très important et les « rapports sociaux
au travail » sont des éléments détermi-
nants qui favorisent la santé au travail
ou qui, au contraire, peuvent l’altérer.
Ces rapports sociaux peuvent prendre
Getty/Uppercut

plusieurs formes. Tout d’abord la coo-


pération et le soutien social de la part
des collègues et de la hiérarchie. Mais

62 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


aussi le sentiment d’être aidé par les 5) Les conflits de valeurs. L’obli- Citons enfin une forme particulière,
autres dans la réalisation et l’exécution gation de travailler d’une façon qui mais de plus en plus répandue du
de son travail. Ensuite, la violence au heurte sa conscience professionnelle conflit de valeurs : ne pas avoir les
travail, qu’elle soit physique ou morale, peut se révéler néfaste pour la santé moyens de faire un travail de qualité
caractérisée par des mises en situation mentale. Certaines situations de travail à cause d’un souci de productivité
d’agression, d’isolement, de mépris. donnent lieu à de véritables « conflits (c’est ce que l’on nomme la « qualité
L’absence de bienveillance, au mini- éthiques » entre les exigences du travail empêchée »).
mum, ou la présence de harcèlement, et les valeurs personnelles ou pro- 6) L’insécurité de l’emploi et du
au maximum, impactent sérieuse- fessionnelles. Ainsi, devoir faire dans travail. L’insécurité de l’emploi est un
ment le bien-être et la santé men- son travail des choses que l’on désap- facteur de risque pour la santé dans
tale. La reconnaissance au travail et le prouve (une vente abusive, lancer une la mesure où elle réduit le sentiment
sentiment d’utilité du travail effectué procédure de recouvrement chez un de maîtrise de la situation ainsi que
représentent un autre élément essen- démuni, réaliser un licenciement) le sentiment d’estime de soi. Cette
tiel de protection en santé au travail induit un réel mal-être psychologique. insécurité de l’emploi peut prendre
dans le cadre professionnel. Enfin, il Travailler dans certains secteurs d’acti- plusieurs formes. Tout d’abord la peur
faut souligner le rôle du management, vité crée pour certains, en fonction de de perdre son emploi, véritable fac-
surtout en termes de communication, leurs propres valeurs, de véritables teur de stress au quotidien pour de
de cohérence et d’explicitation des conflits : centre d’interruption de gros- nombreux salariés en situation pré-
objectifs et des ordres. sesse, industrie de l’armement, etc. caire dans un monde du travail forte-

De la prévention des RPS à la promotion du bien-être


Le dernier rapport de l’Agence européenne pour la sécurité « défensive » (lutter contre les RPS) mais plus proche d’une
et la santé au travail indique qu’en matière de prévention démarche active de promotion du bien-être, s’inscrivant ainsi
des risques psychosociaux (RPS), les entreprises dans la définition de la santé donnée depuis plus d’un demi-
françaises se situent globalement en dessous de la siècle par l’Organisation mondiale de la santé, à savoir non
moyenne des 36 pays étudiés et même, pour certains pas l’absence de pathologie ou de souffrance mentale mais
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critères, dans le peloton de queue. Les résultats de cette un état total de bien-être physique, mental et social.
deuxième « Enquête européenne des entreprises sur
les risques nouveaux et émergents » font apparaître de Faible implication des entreprises françaises
grandes disparités entre les pays européens, les pays En France, nous sommes encore loin d’une telle approche.
d’Europe du Nord se trouvant largement en tête dans la Une étude réalisée au début de l’année 2015 indique certes
qualité des stratégies et des actions mises en place sur les que 80 % des salariés et 84 % des dirigeants estiment
lieux de travail pour lutter contre les RPS. La précédente que l’entreprise doit avoir pour rôle de contribuer à la
étude publiée en 2010 soulignait déjà la médiocrité du bonne santé des salariés (1). Mais la lutte contre le stress
positionnement européen des entreprises françaises en au travail n’est considérée comme une priorité que par
matière de prévention. Cette nouvelle enquête nous montre 19 % des dirigeants. Cette faible implication des directions
que la France a encore de grands progrès à réaliser au vu d’entreprise est perçue par les salariés eux-mêmes. Dans
des mauvais chiffres qu’elle fournit. Ceci est d’autant plus une vaste étude conduite de janvier 2013 à juin 2015 auprès
paradoxal que nous sommes sans doute le pays dans de plus de 50 000 salariés dans divers secteurs d’activité,
lequel la médiatisation de la souffrance au travail, des 38 % d’entre eux estimaient que leur entreprise ne se
suicides et du burn-out est la plus grande, et dans lequel souciait pas de leur bien-être (2). Plus inquiétante peut-
le nombre de rapports officiels et de recommandations sur être était la vision que ces salariés avaient du rôle confié
ces thèmes est le plus important. aux managers dans ce domaine : 39 % pensaient que les
Au Québec, un label a été créé en 2004, celui d’« Entreprise managers de leur entreprise n’étaient pas encouragés à
en santé ». Ce label, avec le soutien des pouvoirs publics, veiller au bien-être de leurs collaborateurs. l p.l.
est décerné aux entreprises qui, dans leur organisation du (1) www.harmonie-mutuelle.fr/
travail, dans le management des individus, construisent la (2) Panel Stimulus, étude conduite de janvier 2013 à juin 2015 auprès d’un échantillon de
santé des salariés. On est loin d’une approche exclusivement 54 092 salariés d’entreprises françaises. www.stimulus-conseil.com

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 63


la psychologie aujourd’hui

ment marqué par le chômage. Mais l’approche la plus efficace pour réduire des performances individuelles ou
aussi l’inquiétude de devoir changer le stress au travail (5). » Les recomman- collectives et les modalités de recon-
de qualification ou de métier. Citons dations françaises vont dans le même naissance du travail.
également la notion de « soutenabilité » sens, aussi bien celles fournies par l’ac- 2) Les programmes de préven-
du travail, c’est-à-dire le sentiment cord national interprofessionnel sur le tion secondaire. Ces programmes
d’être capable de faire le même travail stress au travail que par l’Agence natio- ont pour but d’aider les individus à
qu’actuellement jusqu’à l’âge de la nale d’amélioration des conditions gérer plus efficacement les exigences
retraite. Enfin, et évidemment impor- de travail. Ces actions de prévention et contraintes du travail en amélio-
tant facteur de stress, les situations sont ciblées aussi bien sur l’organisa- rant leurs stratégies d’adaptation aux
tion du travail, les sources de stress ou en renforçant
pratiques mana- leur résistance au stress en soulageant
Les changements, petits ou grands, gériales, que sur les symptômes associés. Ces actions
les individus peuvent prendre plusieurs aspects :
nécessitent pour l’individu de eux-mêmes. • la formation des individus à déve-
1) La préven- lopper des compétences spécifiques
s’adapter constamment. tion primaire. à mieux gérer divers types de situa-
Elle a pour objectif tions de stress (gestion du temps, des
de changement survenant dans son l’élimination ou le contrôle des fac- conflits, de l’agressivité, développe-
travail, qu’elles soient au niveau de teurs de risque présents dans le milieu ment de l’intelligence émotionnelle,
l’entreprise (réorganisation, restruc- du travail en agissant directement sur restructuration cognitive, etc.) ou à
turation, déménagement, délocalisa- les facteurs pour réduire leurs impacts développer des capacités psycholo-
tion…) ou de soi-même (changement négatifs sur l’individu. Il s’agit d’inter- giques (contrôle des émotions, atti-
de poste, modifications des procé- venir sur les causes des RPS plutôt que tudes mentales efficaces) ;
dures de travail, nouveau logiciel…). sur leurs conséquences. La démarche • la possibilité de pratiques de relaxa-
Ces changements, petits ou grands, de prévention primaire inclut plusieurs tion, de méditation, d’exercices
nécessitent pour l’individu de s’adap- composantes : physiques ou de la sieste au sein de
ter constamment, or tout processus • une évaluation précise par l’entre- l’entreprise ;
d’adaptation met systématiquement prise non seulement des facteurs de • l’amélioration de l’hygiène de vie afin
en jeu la réponse de stress. risques mais aussi des populations les d’accroître la résistance de l’orga-
plus touchées ; nisme au stress (activités sportives,
La prévention des risques • une implication des différents parte- éducation nutritionnelle, programme
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psychosociaux naires de l’entreprise ; d’aide au sevrage tabagique ou alcoo-


Pour le BIT, « les interventions pour • la mise en place d’actions correctrices lique, etc.) ;
réduire le stress au travail peuvent être visant à éliminer ou à défaut réduire • l’instauration d’espaces de dialogue
primaires (réduire les sources de stress), les sources de stress. au sein de l’entreprise et la mise en
secondaires (aider les individus à déve- Ces actions varient en fonction des place de procédures de médiation
lopper des capacités à faire face au facteurs de stress détectés : surcharge pour intervenir précocement lors de
stress) et tertiaires (prendre en charge les de travail, marge de manœuvre insuf- situations difficiles ;
individus affectés par le stress) ». Quant fisante pour faire face à la demande, • l’aide apportée aux salariés pour faire
au National Institute for Occupational pression sur des objectifs quantitatifs face à diverses contraintes de la vie
Safety and Health américain, il sou- et/ou qualitatifs, manque de soutien personnelle (crèches, conciergerie,
ligne que « d’une manière générale, les du management ou des collègues, etc.).
actions pour réduire le stress au travail reconnaissance du travail insuffisante, 3) Les interventions au niveau ter-
doivent être prioritairement orientées définition des tâches imprécise diluant tiaire. Elles ont pour objet le traitement,
vers des changements organisation- les responsabilités, etc. Les actions la réhabilitation, le processus de retour
nels pour améliorer les conditions de de prévention primaire viseront donc au travail et le suivi des individus qui
travail. Cependant, même les efforts différents objectifs : souffrent ou ont souffert de problèmes
les plus consciencieux pour améliorer • répartir plus justement la charge de de stress ou de santé mentale au tra-
les conditions de travail n’élimineront travail en fonction des effectifs, du vail (assistance psychologique, numéro
probablement pas le stress pour tous les temps de travail et des compétences ; d’appel d’aide et de soutien aux salariés,
travailleurs. Aussi, une combinaison de • redéfinir les responsabilités de consultations spécialisées, etc.).
changement organisationnel et d’aide chacun ; Cette hiérarchisation des actions de
apportée aux individus est souvent • revoir les méthodes d’évaluation prévention et de lutte contre le stress

64 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


(primaires, secondaires et tertiaires) doit
être la règle en termes de recommanda-
tions générales, même s’il appartient
aux entreprises de définir, à chacun de
ces trois niveaux, les types d’actions
susceptibles d’être réalisées et les plus
pertinentes, au vu de leur probléma-
tique spécifique. Toutes ces actions
doivent s’inscrire dans une perspective
de mise en place de « bonnes pratiques »
de réduction des RPS.
Tous les spécialistes ont souligné
l’importance des actions primaires,
c’est-à-dire celles ciblées sur les causes
mêmes du stress. Mais quelques-uns
ont dévalorisé voire refusé les actions

Chaos/Getty
secondaires ou tertiaires, en les assimi-
lant à un traitement « symptomatique »
du problème. Cela n’est évidemment
pas sérieux. Toute action de préven- Le coût du stress
tion d’un risque doit inclure ces trois
À défaut d’être sensible au bien-être de leurs salariés, les entreprises (mais aussi
niveaux de prévention. Ainsi, et en
plus largement notre pays) pourraient au moins se préoccuper du coût financier
faisant une analogie, la prévention du
du mal-être qui apparaît considérable. Le Bureau international du travail estime
risque incendie doit bien sûr faire en
en effet que les effets négatifs du stress représentent entre 3 et 4 % du PIB des
sorte qu’un incendie ne puisse pas se
pays industrialisés, soit 60 milliards d’euros (1). En Europe, le coût économique
déclencher en agissant sur les possibles
annuel du stress au travail dépasserait les 20 milliards d’euros (2). Les études
causes (isolation des circuits élec-
françaises sont rares dans ce domaine. Signalons quand même celle réalisée
triques, matériaux ininflammables,
par l’INRS qui, analysant seulement une partie de la problématique du stress,
etc.). Mais viendrait-il à l’esprit de ne
estimait que ce coût a représenté au minimum 2 à 3 milliards d’euros dans notre
pas y associer des détecteurs de fumée,
pays en 2007 (3). Dans tous ces calculs, sont pris en compte les coûts directs (les
des extincteurs, des portes coupe-feu
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dépenses de soins, l’absentéisme, le turn-over, les cessations d’activité, les décès


et des issues de secours qui, à l’évi-
prématurés) mais aussi les coûts indirects (baisse de qualité et de productivité,
dence, sont des démarches de préven-
mouvements sociaux).
tion secondaire, voire tertiaire ? l
Un challenge économique
Tous ces chiffres sont bien sûr à prendre avec beaucoup de précautions. Il en
ressort cependant une constatation importante : le stress coûte cher et aura un
poids économique de plus en plus lourd non seulement pour les entreprises
mais aussi pour l’ensemble de la communauté nationale, tant ces coûts sont
(1) European Agency for Safety and Health at Work, finalement mutualisés. Au-delà des surcoûts, il faut aussi souligner le retour sur
« Second European survey of enterprises on new and
investissement des actions de prévention, c’est-à-dire le bénéfice que peuvent
emerging risks », Office for Official Publications of the
European Communities, 2015. http://osha.europa.eu/
tirer les entreprises à lutter efficacement contre les risques psychosociaux
(2) European Agency for Safety and Health at Work, (RPS) et à promouvoir le bien-être de leurs salariés, heureux de venir travailler
« Psychosocial risks in Europe. Prevalence and strategies et déployant leurs compétences et leur créativité. On estime en effet que
for prevention ». http://eurofound.europa.eu/ chaque euro engagé à lutter contre ces risques évite d’en perdre trois, voire
(3) OCDE, « Mal-être au travail ? Mythes et réalités sur
cinq. Autant qu’un enjeu de santé, les RPS représentent donc aussi un important
la santé mentale et l’emploi », rapport de l’OCDE. www.
oecd.org.health.2012
challenge économique. l p.l.
(4) Philippe Nasse et Patrick Légeron, « Rapport sur la (1) Organisation internationale du travail, « Pourquoi le stress au travail ne doit pas être négligé », juillet 2012.
détermination, la mesure et le suivi des risques psychoso- www.ilo.org
ciaux au travail », La Documentation française, 2008. (2) European Agency for Safety and Health at Work, « Calculating the cost of work-related stress and
(5) National Institute for Occupational Safety and psychosocial risks », 2014. https://osha.europa.eu/
Health, « Stress at work », 1999. http://www.cdc.gov/ (3) Christian Trontin et al., « Le coût du stress professionnel en France en 2007 », INRS, 2010. www.inrs.fr/
niosh/docs/99-101/pdfs/99-101.pdf

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 65


la psychologie aujourd’hui

La santé
sous l’œil des psychologues
La psychologie de la santé vise à comprendre l’impact
des facteurs psychologiques sur l’installation et l’évolution
d’une maladie, mais aussi sur la bonne santé. Elle étudie
aussi les différentes techniques pour promouvoir des modes
de vie « sains » ou améliorer la vie des malades.

A
vec les avancées de la recherche essentiellement médicale et aux caracté- À travers ces thèmes, la psychologie de
médicale, la compréhension de ristiques socioéconomiques du système la santé apparaît comme un domaine
la santé et de la maladie pro- de soins basé sur des assurances privées. spécifique de la psychologie avec des
gresse… Celle des facteurs psycholo- C’est dans ce cadre que la psychologie positions et des méthodologies essen-
giques et sociaux de la santé aussi, grâce de la santé a privilégié des approches tiellement expérimentales. Il s’agit
à l’essor d’un champ de recherche nou- évaluatives des pathologies, dans une d’une discipline intégratrice qui s’est
veau : la psychologie de la santé. perspective épidémiologique, et autour construite avec l’apport de la biologie,
La psychologie de la santé a été créée de plusieurs axes principaux : des neurosciences, des théories cogni-
officiellement en 1979 par l’Associa- l la promotion des comportements tives notamment. Elle inclut d’autres
tion américaine de psychologie, et et styles de vie sains : cet axe porte orientations touchant le domaine de
ses principales orientations ont été sur les comportements à risques la santé. La psychoneuroimmunolo-
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précisées en 1985 : contribuer à la dans la survenue de différentes gie aborde par exemple l’organisme
prévention, au diagnostic et à la prise pathologies : cancers, sida, maladies humain à travers les interactions exis-
en charge de la maladie ; étudier ses cardiovasculaires, d’une part, sur la tant entre le système nerveux central et
facteurs psychologiques, sociaux, prévention et la promotion de styles immunitaire, d’une part, et les facteurs
émotionnels et cognitifs. de vie sains, notamment par rapport psychosociaux, d’autre part.
au tabac, à l’alcool ou à d’autres dro-
Approches évaluatives gues, d’autre part ; Le contexte psychosocial
des pathologies l les différentes maladies : qu’il La psychologie clinique et patholo-
La psychologie de la santé s’est d’abord s’agisse de maladies aiguës ou chro- gique repose sur des approches théo-
développée dans le contexte anglo- niques, celles-ci sont envisagées sous riques dont les unes s’inspirent de la
saxon et nord-américain, en particulier. l’angle des mécanismes psychoso- psychanalyse et sont centrées sur le
Ses objectifs ont été liés, initialement ciaux en œuvre, de l’impact du trai- vécu subjectif, tandis que les autres
du moins, à une conception de la santé tement et de la prise en charge des se réfèrent à des modèles cognitifs et
patients, et ce sous différents angles sont davantage centrées sur les états
ncyriL Tarquinio
Professeur de psychologie et directeur du centre
et selon l’évolution de la maladie :
observance (encadré p. 68), relations
émotionnels liés au stress. Ces diffé-
rentes orientations psychologiques
Pierre-Janet à l’université de Lorraine, il est notam- soignants-soignés, soins palliatifs ; dans le champ de la santé illustrent
ment l’auteur, avec Gustave-Nicolas Fischer, des l les comportements des malades : la diversité voire les clivages existant
Concepts fondamentaux de la psychologie de la santé, cet axe porte particulièrement sur entre les secteurs de la psychologie
Dunod, 2014, et Psychologie de la santé. Applications les stratégies d’adaptation, la qualité concernant la définition de la santé
et interventions, Dunod, 2014. de vie des malades, la gestion du et les interventions dans ce domaine.
stress et le soutien social. Néanmoins, ces modèles ont un point

66 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


commun : non seulement ils s’inté-
ressent aux comportements de santé
objectifs, mais ils insistent tous sur la
nécessité d’inscrire la question de la
santé et de la maladie dans une pers-
pective subjective qui tienne compte
des croyances et des représentations
que les individus se construisent de ce
qui leur arrive. Ces perceptions sont
liées non seulement à l’histoire de vie,

La psychologie de
la santé a des positions
essentiellement
expérimentales.
Fiona-Lee Quimby/Fairfax Media/Getty

à l’histoire psychique du sujet, mais


aussi au contexte psychosocial dans
lequel les sujets malades ou en bonne
santé sont insérés. C’est cette prise en
compte de la globalité du sujet et des
déterminants de ses cognitions qui
permettra une approche et une prise en
charge plus efficace des personnes. l Membres de l’association australienne Dragons Abreast, qui rassemble des femmes
qui ont survécu à un cancer du sein, lors d’une course nautique en 2007.

n
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Interactions corps/esprit :
l’exemple des maladies cardiovasculaires
La survenue des maladies cardiovasculaires (MCV) moins observants (à l’aspirine par exemple), les
n’est pas sans conséquence sur le plan psychique. conduisant ainsi à ne pas suivre correctement les
On observe par exemple entre 10 % et 15 % d’état prescriptions médicales tant en termes de prise de
de stress posttraumatique complet ou partiel après médicaments que de respect des conseils d’hygiène
un infarctus du myocarde. Entre 15 % et 25 % des de vie.
patients cardiaques souffriraient de dépression. On Il ne fait plus guère de doute aujourd’hui que les MCV
considère d’ailleurs que les sujets souffrant de MCV sont pour les malades une expérience traumatique
ont en moyenne 2,5 fois plus de risques de développer dont il convient de reconnaître la spécificité. Plus qu’un
une dépression que les autres. Par extension, les événement délimité dans le temps, c’est souvent la
conséquences de la dépression sur l’évolution des répétition subie et toujours possible d’accidents ou
MCV sont encore floues, même s’il est communément d’incidents aigus qui vont complexifier la prise en
admis qu’elles représentent un facteur de risque charge de ce type de malade. L’entrée dans la maladie
majeur de morbidité et de mortalité en période de reste de ce point de vue une épreuve violente et
postinfarctus du myocarde par exemple. Enfin, et traumatique. Une fois cette phase aiguë passée, c’est à
c’est un aspect essentiel, la dépression tout comme la dimension chronique de la maladie et à son cortège
la dimension traumatique des MCV rend les malades de symptômes auxquels il faudra faire face. l c.t.

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 67


la psychologie aujourd’hui

n L’observance thérapeutique
Dans certaines maladies, y compris constat identique se dégage des que les comportements adaptés
psychiatriques, mal suivre son travaux portant sur l’observance ou sains intervenant dans le style
traitement semble la règle plutôt que des personnes souffrant de de vie et qui ont une incidence
l’exception. C’est là que des études troubles psychiatriques, tels que sur la santé des patients. Elle est
en psychologie de la santé ont un la schizophrénie (pour laquelle parfois complétée par d’autres
rôle à jouer… 73 % des réhospitalisations sont comportements qui sont le plus
Les premières études ayant pour liées à un non-respect des prises souvent intégrés à la définition que
objet l’observance thérapeutique des médicamenteuses) ou encore la l’on donne de l’observance : venir
patients datent des années 1970, dépression (où seulement 74 % des aux rendez-vous à l’hôpital ou au
où l’on montrait que 50 % des personnes sous antidépresseurs cabinet du médecin, avoir une
patients souffrant d’hypertension prennent correctement leurs alimentation saine et équilibrée, faire
ne suivaient pas correctement les médicaments, c’est-à-dire en de l’exercice, éviter de fumer, etc.
prescriptions médicales. Depuis, respectant le nombre de prises En oncologie par exemple, les
l’étude de ce comportement de et la durée du traitement). La traitements médicamenteux se
santé s’est systématisée à toutes non-observance a souvent pour délivrent principalement par voie
les populations, qu’il s’agisse des effet de prolonger la durée des intraveineuse. Mais depuis les
enfants, des adolescents, des maladies (dans 10 à 20 % des cas), années 1990, les chimiothérapies
adultes ou encore des personnes de contribuer à l’augmentation orales, que les patients préfèrent
âgées chez qui on estime à environ des arrêts de travail pour raisons sans équivoque, gagnent du terrain.
11 % le nombre d’hospitalisations de santé (dans 5 à 10 % des Cette évolution de la thérapeutique
causées plus ou moins directement cas), d’augmenter la fréquence n’est pas sans conséquence pour
par une mauvaise observance. des visites chez le médecin ou les patients, qui d’une certaine
Il apparaît ainsi que plus de 80 % le spécialiste (dans 5 à 10 % des manière retrouvent une relative
des patients souffrant de maladies cas) et d’augmenter la durée des centralité dans le soin, encore
chroniques, telles que le diabète, hospitalisations (en moyenne de 1 à peu habituelle dans ce type de
l’asthme, ou encore l’hypertension, 3 jours). pathologie. De ce fait, ces nouveaux
ne suivent pas correctement leur L’observance se manifeste traitements contre le cancer
traitement, c’est-à-dire de façon non seulement par la prise de obligent à se poser la question de
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suffisante pour atteindre un médicaments, mais également le l’observance thérapeutique des


bénéfice thérapeutique optimal. Un suivi de régimes alimentaires, ainsi malades. l c.t.
Thomas/Eye Design/Getty

68 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


www.le-cercle-psy.fr Dans ce numéro
à lire aussi :
• Quand la science réhabilite
l’hypnose
• DSM : la psychanalyse contre-attaque
• Le bore-out :
S’ennuyer au travail à en mourir
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Le Cercle Psy est


une publication

EN KIOSQUE À PARTIR DU 5 MARS


Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 69
la psychologie aujourd’hui

Psychologie
positive,
la science
du bien-être
Symboliquement, c’est en l’an 2000
que s’est constituée cette nouvelle
Lena Paterson/Getty/Nordic

discipline axée sur nos facteurs


d’épanouissement. Avec quels résultats ?

A
u cours du 20e siècle, la psy- l’altruisme. À travers ses recherches concerne par exemple les relations
chologie a fait d’importantes empiriques, la psychologie positive entre ressources matérielles et bien-
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avancées pour accompagner constitue ainsi une orientation récente être, tant au niveau individuel (liens
par exemple la dépression, l’anxiété, les centrée sur l’étude des déterminants du entre bien-être et revenus…) que col-
troubles obsessionnels-compulsifs ou bien-être et sur les caractéristiques indi- lectif (liens entre produit intérieur brut
encore les troubles des conduites ali- viduelles, collectives et institutionnelles et santé mentale…). Or, il ne semble
mentaires. Mais en dressant le bilan de permettant de faire face aux défis ren- pas exister de lien direct entre ces
ces progrès, au tournant du millénaire, contrés par les personnes et les sociétés. variables. Par exemple les gagnants
les psychologues Martin Seligman et Par exemple, comment comprendre à la loterie, quelques mois après leur
Mihaly Csikszentmihalyi, des universi- que certains individus soient « rési- gain, ne sont pas plus heureux que les
tés de Pennsylvanie et Claremont, ont lients » (capables de réagir et d’avancer joueurs qui ont perdu. Ils semblent
souhaité impulser un nouvel élan pour de manière constructive même après même moins satisfaits de leur quoti-
la recherche : élargir les perspectives des expériences traumatiques) ? Qu’est- dien : l’abondance obtenue projetterait
en s’intéressant au développement ce qui favorise les comportements de le reste de l’existence dans la grisaille.
humain, prendre davantage en compte coopération ? Comment se fait-il que De telles recherches conduisent la
des sujets alors peu étudiés tels que certaines personnes victimes d’un acci- psychologie positive à une double prise
la créativité, l’ouverture d’esprit ou dent rapportent un degré de bien-être de conscience : d’abord, l’élévation des
aussi élevé qu’avant la catastrophe ? richesses peut avoir un effet néfaste
Autant d’énigmes auxquelles s’intéresse sur le bien-être si les inégalités sociales
nr ebecca sHankLand
Maîtresse de conférences en psychologie à l’université
la psychologie positive. se creusent ; ensuite, ce qui contribue
le plus au bonheur humain tient à la
Grenoble-II, elle a écrit, entre autres, La Psychologie L’adaptation hédonique nature des interactions sociales.
positive, 2e éd., Dunod, 2014. L’une des énigmes à laquelle la En 2010, Jordi Quoidbach, de l’uni-
psychologie positive s’est intéressée versité Pompeu Fabra en Espagne, et

70 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


ses collègues, ont cherché à identi- tés, retenir les événements les plus du sommeil, améliorant par ailleurs
fier les effets de la simple évocation angoissants diminue le souvenir des l’efficacité du système immunitaire.
de l’argent. Quand on leur a pré- sources de satisfaction du quotidien. En psychologie, le bien-être est étudié
senté une photographie de billets de Sans rechercher d’événement hors sous différentes facettes, essentielle-
banque, les sujets consacrent moins du commun, il s’agit donc de s’entraî- ment regroupées sous deux grandes
de temps à déguster un morceau ner à porter un regard renouvelé sur appellations : le bien-être subjectif et
de chocolat, et en éprouvent moins ce qui se produit de positif au cours le bien-être psychologique. Le bien-
de plaisir que les autres. De même, d’une journée. être subjectif prend en considération
une seconde étude publiée en 2015 L’une des pratiques permettant cette la satisfaction par rapport à la vie et
a montré que vivre des expériences réorientation de l’attention consiste à la présence d’émotions agréables
touristiques extraordinaires fait noter chaque soir jusqu’à cinq choses, dans le quotidien. Le bien-être psy-
déprécier des événements plus ordi- petites ou grandes, pour lesquelles on chologique est davantage centré sur
naires ou des destinations moins exo- éprouve de la reconnaissance. Cette les dimensions existentielles telles
tiques. Ceci n’est pas sans impact sur pratique du « journal de gratitude » que le sentiment d’autonomie, de
le bien-être au quotidien et illustre le a démontré, dans de nombreuses compétence, d’accomplissement et
phénomène dit d’adaptation hédo- recherches, ses effets bénéfiques sur l’impression que la vie a du sens. Or
nique : on s’adapte rapidement à un les diverses dimensions du bien-être les pratiques de gratitude agissent
degré de confort supérieur, et l’on telles que définies par l’Organisation sur l’ensemble des dimensions du
revoit ses attentes et ses standards de mondiale de la santé. Concernant le bien-être.
vie à la hausse. bien-être mental, la perception accrue Les recherches de psychologie posi-
Ce phénomène a attiré l’atten- des dimensions positives du quoti- tive peuvent inspirer non seulement
tion des chercheurs : comment se dien augmente l’optimisme et la satis- le domaine de la prise en charge thé-
fait-il que nous imaginons que tout faction par rapport à la vie, et diminue rapeutique, mais aussi celui de la pré-
ira mieux lorsque nous aurons un l’anxiété et les tendances dépressives. vention, de l’éducation et même de
logement plus grand ou lorsque La gratitude accroît le sentiment de l’économie. Ainsi, face aux limites du
nous aurons obtenu une promo- proximité sociale et la propension PIB, certains acteurs politiques s’inté-
tion au travail, alors qu’en réalité à venir en aide aux autres, tout en ressent aujourd’hui à l’évaluation du
le degré de bien-être augmente de améliorant le bien-être social (soutien bonheur intérieur brut comme indi-
manière éphémère dans les deux cas, social, altruisme, coopération), ce cateur de développement d’un pays.
et retrouve rapidement son niveau qui réduit l’impression d’isolement En avril 2015, le dernier classement
d’origine ? Nous ne sommes pas tou- et de perte du sens de la vie caracté- des pays en termes de bonheur, publié
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jours clairvoyants sur ce qui pourrait ristiques de la dépression. En termes par les Nations unies, plaçait la France
nous rendre heureux de manière de bien-être physique cette fois, ce en 29e position sur plus de 150 pays. Il
durable… type de pratique limite les manifesta- reste donc une marge de progression
tions somatiques comme les troubles importante ! l
Qu’est-ce qui nous rend
heureux alors ?
Parmi les interventions de psycho-
logie positive les plus efficaces en
termes de développement du bien-
être, figurent notamment les pra-
n La psychologie positive,
pour qui et quand ?
tiques favorisant la réorientation de
l’attention vers les aspects satisfai- Les recherches en psychologie positive sont si nombreuses et si récentes que
sants du quotidien. Les expériences, leurs résultats paraissent parfois contradictoires, et doivent être affinés. Par
les objets, les personnes côtoyées exemple s’entraîner à exprimer davantage d’émotions positives paraît globa-
sur une base régulière donnent lieu lement plus difficile pour les hommes. Pour autant, plutôt que renoncer, mieux
à une adaptation hédonique tandis vaut élaborer des techniques plus adaptées. D’autant que vu la marge de pro-
qu’à l’inverse tout ce qui apparaît gression possible des hommes, c’est pour eux qu’elles seraient les plus bé-
comme menaçant, puisque moins fré- néfiques. Ainsi, le genre, mais aussi l’âge, la personnalité, les troubles psycho-
quent, continue à attirer l’attention. logiques éventuels de chaque public doivent être mieux pris en compte pour
Bien que cette tendance à percevoir rendre plus efficaces les techniques visant à développer le bien-être. Il s’agit là
davantage les aspects négatifs puisse d’un vaste défi pour la psychologie positive. l r.s.
être utile pour anticiper des difficul-

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 71


la psychologie aujourd’hui

Le développement
personnel :
du neuf avec du vieux ?
À première vue, les techniques d’amélioration de soi n’ont
jamais été aussi nombreuses et, à en croire certains,
révolutionnaires. Mais qu’est-ce qui change vraiment ?

L
e vocabulaire de la nouveauté même. Cette répétition de la nouveauté C’est la raison pour laquelle la psy-
est inscrit dans l’ADN de la mou- semble séduire un public important, chologie positive (p. 70) et les neuros-
vance du développement per- ainsi qu’en témoignent chiffres de ciences cognitives se découvrent, dans
sonnel (DP). On y vante les percées ventes et professionnels de l’édition. le champ du DP notamment, de cha-
« inédites » dans l’univers des connais- Comment comprendre l’attrait pour toyantes affinités, comme en témoigne
sances scientifiques, réalisées grâce aux cette nouveauté ? Il faut refuser les la promotion grandissante de l’EMDR
« dernières » techniques de l’imagerie interprétations faciles et moralisantes, (psychothérapie s’appuyant sur des
cérébrale. On y fait état des découvertes consistant à considérer les lecteurs mouvements oculaires) et d’autres
« les plus récentes » sur le fonctionne- comme de braves écervelés, et/ou les techniques proches.
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ment de l’inconscient, qui permettent auteurs comme de cyniques manipu- Alors, assiste-t-on vraiment à une
« comme jamais auparavant » de se lateurs. Il serait erroné de décréter que « rupture de paradigme », comme on le
libérer des peurs du passé. On y déve- ces productions n’inventent rien de prétend parfois ? Pour ceux qui le sou-
loppe de « nouvelles » techniques de neuf. Mais tout de même. tiennent mordicus, un retour en arrière
communication avec soi ou avec autrui peut se révéler vertigineux : ne retrouve-
grâce auxquelles il est « désormais » pos- Retour à t-on pas des idées très similaires dans
sible d’éviter les conflits. On y évoque la méthode Coué ? la programmation neurolinguistique
les redécouvertes de savoirs ancestraux Si vous voulez avoir du succès dans (PNL) des années 1970, dans l’appel à la
« enfin » rendus accessibles et qui vont le DP actuel, il vaut mieux parler « cer- « positive thinking » par Norman V. Peale
« révolutionner notre compréhension veau ». Le topos le plus tendance dans (The Power of Positive Thinking, 1952)
du monde ». En réalité, cette célébration le DP aujourd’hui est de se référer aux et Émile Coué qui conquit les États-
du neuf est aussi vieille que le DP lui- découvertes des neurosciences, prin- Unis en 1923 ? Comment passer à côté
cipalement pour « prouver » le pouvoir des résonances avec les mouvements
de la pensée sur notre corps. Notre cer- New Thought et Mind-Cure (portés
nn icoLas marquis
Chercheur au Casper de l’université Saint-Louis
veau devient une fascinante machine
que l’on peut programmer ou entraî-
notamment par Phineas Quimby), dont
le succès fulgurant au 19e siècle s’est
(Bruxelles) et au Cermes3 de l’université Paris-V, ner pour éviter, par exemple, que des aujourd’hui quelque peu estompé ?
il a écrit Du bien-être au marché du malaise. La société mauvaises représentations de la réalité En réalité, tous ces auteurs et courants
du développement personnel, Puf, 2014, et dirigé ou des émotions négatives (« je suis ont répété, sous différentes formes, ce
Le Changement personnel. Histoire, mythes, réalités, foutu » ou « je suis nul ») deviennent message lancinant : nous pouvons et
Sciences Humaines, 2015. des hypothèses autoréalisatrices, des nous devons éduquer notre pensée et
causes de maladie somatiques, etc. nos émotions (aujourd’hui on dit plus

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volontiers « notre cerveau ») à la positi- vous avez, etc. « Aide-
vité, car celles-ci ont des conséquences toi, le ciel t’aidera »
très concrètes, au premier chef sur est d’ailleurs le sens
notre vie, notre santé, nos possibilités de l’expression « self-
d’actions. Nous nous enfermons dans help », forgée en 1859
des automatismes, des mécanismes par l’Anglais Samuel
de répétition qu’il s’agit de briser. La Smiles dans l’ouvrage
maladie, les malheurs sont fondamen- éponyme.
talement le résultat d’erreurs à corriger, Il y aurait tant
d’échecs à compenser ou de ressources d’autres exemples
mal utilisées. Nous sommes plus que ce que l’on pourrait
que nous croyons. prendre pour montrer
Un autre ensemble d’ouvrages et comment des ten-
de techniques sont aujourd’hui très dances « récentes » (la
bien représentés : ils portent sur ce pair-aidance, le suc-
que l’on pourrait appeler l’hygiène de cès des voyages ini-
soi. Celle-ci peut être mentale (voir tiatiques, les quêtes
ces ouvrages qui invitent à célébrer ésotériques, les tech-
les petites choses positives du quo- niques de méditation,
tidien, comme Trois kifs par jour de etc.) s’inscrivent dans

Henrik Sorensen/Iconica/Getty
Florence Servan-Schreiber, 2014, et une histoire longue.
ses « leçons de bonheur » en ligne), Est-ce que cela dis-
spirituelle (voir le succès des ouvrages qualifie le discours de
du style « une méditation par jour » ou DP ? L’enjeu n’est pas
« dessiner des mandalas pour évacuer là. En réalité, il faut
le stress du quotidien » ?). Elle peut- voir que cette répé-
être aussi organisationnelle (comme tition du nouveau
The Miracle Morning, de Hal Elrod, cache quelque chose
2012, qui nous rappelle volontiers de plus profond. du DP : il promeut une façon de vivre
que les grands de ce monde se lèvent Une réponse possible à ce paradoxe où le travail sur soi est permanent,
à 5 heures du matin). L’hygiène de soi est que le DP, ce n’est pas d’abord où il est bon de ne jamais être vrai-
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au quotidien est aussi devenue « sani- une question de science ou de pro- ment satisfait de ce que l’on est ou
taire », le succès des ouvrages et outils grès scientifique. Ce n’est pas non de ce que l’on a (même lorsqu’il nous
de « santé connectée » qui permettent plus prioritairement une question de parle d’être plus en paix avec nous-
de se coacher soi-même en sont le technique (de méditation, de com- mêmes ou d’être plus indépendant
symptôme. munication, etc.) ou de progrès tech- des valeurs superficielles de notre
nologique (l’imagerie cérébrale, par époque). En un sens, les répétitives
« Aide-toi, le ciel t’aidera » exemple). Le message du DP est avant annonces de nouveautés ne sont que
Mais ce monitoring constant de soi- tout à la fois moral et sociohistorique- des moyens, variant avec les époques
même trouve un écho pas si loin- ment situé. et leurs sensibilités, pour montrer que
tain, dans de nombreux ouvrages Il est moral parce qu’il propose une mener cette vie est possible, faisable,
« business-like » américains (Anthony conduite de vie particulière, et il se fait accessible.
Robbins, Phil McGraw, etc.), de ceux qu’aujourd’hui, celle-ci est sociale- Mais tous ces nouveaux arguments
qui, dès les années 1920, invitaient à ment et culturellement évaluée (très) ou ces nouvelles découvertes ne prou-
se nourrir plus sainement pour mieux positivement : il faut profiter de toutes veront jamais qu’une vie menée sous
se contrôler, et bien avant encore, les occasions pour se développer, les auspices du « mieux », de l’« ail-
des conseils de Benjamin Franklin pour faire reculer les frontières de ce leurs » ou du « plus » est forcément
prodigués dans son Autobiography qui nous détermine, pour augmenter meilleure qu’une vie qui se contente-
(1790) à ceux qui voulaient réussir le territoire de ce que l’on maîtrise rait de son sort. Car la définition de ce
dans la vie : ne relâchez jamais votre – sans quoi il ne faudra s’en prendre qu’est une vie qui vaut la peine d’être
attention sur vous-même, faites en qu’à soi-même. vécue est un élément qui reste et res-
sorte que chaque expérience soit pro- Voilà la trame de fond, la véritable tera du domaine du choix, individuel
ductive, réjouissez-vous de ce que nature si j’ose dire, de la mouvance et sociétal. l

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 73


la psychologie aujourd’hui

Malaise dans
la recherche
100 expériences ont été refaites à l’identique :
61 d’entre elles n’ont pas confirmé leurs
résultats. Comment l’expliquer ?
Les prétentions scientifiques de la psychologie
sont-elles discréditées ?

n jean-françois marmion n

Win-Initiative/Getty

T
ravailler avec une méthode l’effet Mozart, ou écouter Mozart était taires pour mener l’entreprise à bien.
transparente et des données censé augmenter le QI). Dans les faits, Le couperet est tombé en 2015 : sur les
accessibles à tous, faire approu- il est rare cependant, par manque de 100 expériences répliquées, 39 seule-
ver son travail par ses pairs avant temps, de moyens ou d’intérêts, qu’une ment ont confirmé leurs résultats (2).
publication, reconnaître les avancées expérience soit refaite pour vérifica- Alors même que les auteurs des études
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mais aussi les limites de ses conclu- tion (1). Comment répliquer d’ailleurs les originales avaient été systématique-
sions, accepter la discussion : telle est dizaines d’études publiées chaque jour ? ment contactés pour apporter des pré-
la démarche expérimentale. De sur- Comment sélectionner les plus impor- cisions sur leur méthode et assurer
croît, une recherche doit être repro- tantes, comment répartir le travail entre un droit de regard sur le déroulé de la
ductible. C’est-à-dire qu’en reprenant les chercheurs, avec quel budget ? Et réplication…
la même hypothèse, la même méthode puis on cherche généralement du nou- Comment expliquer ce score ?
et le même type de sujets, une équipe veau, pas à vérifier l’ancien… D’abord, désamorçons les vilaines
indépendante doit parvenir aux mêmes pensées qui nous viennent aussitôt à
résultats, avec la même marge d’erreur. Publish or perish l’esprit. Non, les conclusions initiales
En psychologie, il arrive que des répli- Aussi, en 2012, le Reproducibility des 61 études litigieuses n’avaient pas
cations confirment le résultat initial, Project de Brian Nosek, professeur été grossièrement arrangées, voire
comme avec la célébrissime expé- de psychologie à l’université de Virgi- inventées de toutes pièces. Aucune
rience de Stanley Milgram où deux nie, parut-il pharaonique : répliquer recherche répliquée n’a donné exacte-
tiers de sujets lambda, pour plaire à un 100 expériences publiées dans trois ment le contraire de ce qu’elle devait
expérimentateur incarnant l’autorité, revues de psychologie sociale ou cogni- montrer, et seules 3 d’entre elles n’ont
acceptent d’envoyer des décharges tive en 2008, Journal of Personality and finalement produit aucun effet signifi-
électriques potentiellement mortelles à Social Psychology, Psychological Science, catif. Simplement, les résultats n’étaient
un inconnu. Au contraire, certains phé- et Journal of Experimental Psychology : pas aussi clairs, aussi nets, qu’avec les
nomènes peuvent être remis en ques- Learning, Memory, and Cognition, tout scientifiques d’origine. Pourquoi ? Prin-
tion (comme l’effet Macbeth, où se laver cela grâce à la plateforme collabora- cipalement, semble-t-il, parce que les
atténuerait un sentiment de culpabilité) tive Open Science Framework. Il fal- chercheurs sont tenus de publier pour
ou infirmés par la réplication (comme lut trois ans à 270 chercheurs volon- faire avancer leur carrière et tout sim-

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plement obtenir des crédits en vue de statistique ! Les études répliquées ne d’une expérience… sans la reproduire.
nouveaux travaux. Il est préférable d’y donnent donc qu’un aperçu fragmen- En clair, une expérience qui aurait des
parvenir dans les revues les plus pres- taire du contenu des revues, et ont été chances raisonnables de confirmer ses
tigieuses, à propos des résultats les plus sélectionnées au bon vouloir des nou- résultats lors d’une réplication indé-
intéressants possible, afin d’obtenir un veaux chercheurs. pendante gagnerait une chance sup-
maximum d’écho auprès de la commu- plémentaire d’être prise au sérieux,
nauté scientifique, mais aussi de cita- Reproduire une expérience… et d’avoir de l’impact auprès d’autres
tions dans des études ultérieures. Diffi- sans la reproduire chercheurs. Mais il est difficile de déga-
cile d’obtenir tout cela avec des résultats Ensuite, en toute rigueur, il est déli- ger des conclusions bien solides. Ce qui,
en demi-teinte… Mieux encore, ce cat de décréter faux des résultats qui au plus, semble prédire qu’une étude
qui fait avancer l’édifice scientifique, n’ont pas été reproduits : la différence produira les mêmes résultats en cas de
c’est aussi montrer que les hypothèses peut être le seul fruit du hasard. Inver- réplication, c’est moins l’expertise de
sont fausses, c’est élaguer les faux-sem- sement, des expériences ont aussi pu ses auteurs que la netteté des conclu-
blants pour une meilleure recherche être confirmées par erreur ! On ne peut sions en question… Ce dont se réjouit
de la réalité. Si j’élabore une hypothèse exclure que les réplicateurs se soient B. Nosek, qui rappelle que la méthode
dont j’ai ensuite l’honnêteté de montrer trompés. Le problème des faux posi- scientifique vise précisément à passer
qu’elle est fausse, donc que je me suis tifs (expériences initiales considérées outre les arguments d’autorité, ce que ne
trompé, je fais avancer la réflexion de comme concluantes alors qu’elles ne font pas les pseudosciences : la science
mes collègues mais je ne choisis pas le sont pas) est aussi embarrassant que fait donc la preuve de sa capacité à se
le meilleur moyen d’être publié, ni de celui des faux négatifs (expériences remettre en question sans dogmatisme.
faire parler de moi… Et si je mène une répliquées considérées comme non Une de ses disciplines dût-elle y laisser
expérience pour vérifier ce qu’autres concluantes alors qu’elles l’étaient). quelques plumes… l
ont déjà découvert avant moi, je donne Faudrait-il alors répliquer les réplica-
l’impression de vouloir réinventer l’eau tions ? Le problème serait sans fin pour (1) Pour un aperçu de diverses réplications dans le
chaude. Alors, mieux vaut prendre de des effets pervers marginaux. domaine de la psychologie scientifique, consulter
www.psychfiledrawer.org/view_article_list.php
légers arrangements avec les seuils Le but de B. Nosek était aussi de cerner (2) Open Science Collaboration, « Estimating the
statistiques ? Avec un brin de cynisme, des facteurs prédictifs qui pourraient reproducibility of psychological science », Science,
on pourrait avancer que 39 expériences permettre de juger de la reproductibilité vol. CCCXLIX, n° 6251, 28 août 2015.
valables sur 100, ce n’est finalement

n
pas si mal dans un domaine où l’on
est à peu près assuré que l’expérience
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ne sera jamais répliquée ! Il paraît diffi-


cile de s’épargner une réflexion sur les
La psychologie scientifique,
comités de lecture, dont l’objectif est l’arbre qui cache la forêt ?
précisément de veiller à la rigueur des
recherches publiées. Avant de crier haro sur la touchent aussi bien à la psychologie
psychologie expérimentale, prenons expérimentale ou la psychiatrie,
Splendeurs et misères acte que quelques réplications qu’à l’anatomie cérébrale ou la
de la réplication d’études médicales ont donné neurobiologie moléculaire. Les
B. Nosek reconnaît qu’une partie des des résultats autrement plus résultats sont attendus avec un vif
nouveaux résultats pourrait s’expliquer désastreux : diverses tentatives intérêt dans des disciplines aux
par des vices de forme non pas des de réplications de recherches enjeux commerciaux massifs mais
expériences originales… mais de leur pharmaceutiques dans le domaine dont les résultats passent pour aussi
réplication même. Ceci pour plusieurs des maladies cardiovasculaires, du difficiles à produire qu’à interpréter
raisons. Toutes les expériences de 2008 cancer ou de la santé de la femme au-delà de cercles ultraspécialisés,
n’étaient pas réplicables. Elles étaient n’ont guère confirmé qu’un petit et fort restreints… l j.‑f.m.
trop nombreuses. Les chercheurs quart des recherches initiales… (1) Voir par exemple Glenn Begley et Lee Ellis,
volontaires pour la réplication ont opté Parfois même, 11 % à peine (1) ! « Drug development. Raise standards for preclinical
cancer research », Nature, vol. CDLXXXIII, n° 7391,
pour celle qui les intéressait le plus, ou Le projet Replication Studies in
29 mars 2012, ou Timothy Errington et al., « Science
qui leur offrait le plus de commodité Neuroscience Collection est d’ores forum. An open investigation of the reproducibility of
technique. Premier biais possible : il a et déjà lancé pour reproduire des cancer biology research », eLife, vol. III, 10 décembre
fallu choisir 100 expériences parmi 488, études de neurosciences, qu’elles 2014.
et encore, pour vérifier un seul résultat

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 75


la psychologie aujourd’hui

Juanmanino/Getty
épidémiologie : de quoi
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les Français souffrent-ils ?


De grandes enquêtes récentes nous renseignent
sur les troubles mentaux dont souffre
la population, mais aussi sur les lacunes
du système de soins.

n
L’
ViVianne KoVess-masféty épidémiologie est l’étude facteurs de risque et, de plus en plus,
Professeur honoraire EHESP et chercheuse associée de la santé des populations. à approcher la causalité, en mesu-
au Laboratoire de psychopathologie et processus Elle décrit les fréquences des rant les probabilités de contracter une
de santé de l’université Paris-V, elle est l’auteure maladies sur des périodes données, maladie à la suite de l’exposition à
de N’importe qui peut-il péter un câble ?, ce qui permet de suivre l’évolution un agent pathogène. Enfin, l’épidé-
Odile Jacob, 2008. des maladies tant sur le plan temporel miologie apporte des éléments sur
que spatial. Elle cherche à évaluer les les besoins de soin des populations

76 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


dans des territoires donnés, et contri- aux soins. Elle a montré, par exemple, Différences genrées dans
bue à une planification des moyens. que la prévalence des troubles anxieux l’accès aux soins
Elle a historiquement constitué une et dépressifs ainsi que des comporte- Les enquêtes épidémiologiques
méthode de choix appliquée aux mala- ments suicidaires était plus élevée en permettent de comparer utilement
dies infectieuses, pour lesquelles elle a France que dans les pays concernés les systèmes de soins, par exemple
permis les principales découvertes des par l’enquête, sans que l’on ait pu vrai- dans les pays d’Europe (5). En France,
mécanismes de contamination. Elle ment comprendre les raisons de ces les psychiatres prennent en charge
a ensuite été appliquée aux maladies différences. Malheureusement, cette les problèmes les plus fréquents, les
chroniques, dont les maladies men- enquête a été menée en 2001 et n’a pas consultations de psychologue n’étant
tales, et à d’autres aspects de la santé encore été renouvelée. pas remboursées dans notre pays, ce
mentale qui ne sont pas des troubles Une grande enquête sur la santé qui n’est pas le cas, par exemple, en
mentaux (la détresse psychologique ou mentale des enfants a été menée à Hollande où le rôle des psychologues
le mal-être), ou encore la santé men- partir d’un échantillon représentatif est essentiel. Les comparaisons euro-
tale positive (le bien-être, les capacités des enfants des écoles primaires en péennes permettent aussi de voir les
d’adaptation, l’estime de soi, l’impres- région PACA en 2005 (6 à 11 ans). Elle a différences genrées dans l’accès aux
sion de maîtriser sa vie). montré une prévalence de 7,7 % d’en- soins : les femmes recourent plus sou-
L’épidémiologie des maladies men- fants ayant des troubles suffisamment vent que les hommes aux généralistes
tales est très dépendante des classi- sévères pour être évalués par un spé- alors que l’accès aux autres profession-
fications : CIM-10 et DSM-5 (p. 74). cialiste en santé mentale. Ces troubles nels est identique. Ces différences se
Inversement, l’intégration de certains étaient beaucoup plus fréquents chez retrouvent dans la consommation de
diagnostics dans ces classifications les garçons que chez les filles, mais psychotropes déclarés dans l’enquête.
peut s’appuyer sur des données épidé- 43 % seulement
miologiques, démontrant par exemple d’entre eux ont eu
la fréquence d’un ensemble de symp- un contact avec un L’épidémiologie apporte
tômes et la pertinence de créer un psychiatre ou un
diagnostic. Elle peut aussi mesurer psychologue (2). Cette des éléments sur
l’influence qu’auront les modifications enquête a permis de
de critères sur la fréquence des mala- comparer la santé
les besoins de soin
dies, ou « prévalence ». mentale des enfants des populations dans
français avec celles
Comportements suicidaires des enfants d’autres des territoires donnés.
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plus fréquents en France pays (3) : si, en France,


En France, l’enquête nationale la plus les scores des troubles émotionnels Cependant, une fois sélectionnées les
complète : ESEMeD (European Study (anxiété et dépression) sont légère- personnes souffrant de dépression,
of the Epidemiology of Mental Disor- ment plus élevés qu’au Royaume-Uni, cette différence persiste alors que pour
ders) date de 2001. Cette enquête a ceux de l’hyperactivité sont légère- les troubles anxieux elle s’inverse : à
donné lieu à plusieurs publications sur ment plus bas et ceux des troubles de savoir que les hommes souffrant de
les données épidémiologiques fran- conduites tout à fait semblables. troubles anxieux consomment plus
çaises : la prévalence des troubles (1), les Une autre enquête réalisée sur les d’anxiolytiques que les femmes (6).
troubles post-traumatiques, le nombre bénéficiaires de l’assurance maladie a Des analyses montrent aussi les den-
de jours d’arrêt de travail pour pro- montré des taux d’utilisation élevés de sités différentes de professionnels sui-
blèmes de santé mentale. L’enquête psychotropes dans cette population : vant les régions : dans les régions les
ESEMeD a permis de collecter des 2,5 % des enfants de 0 à 17 ans ont eu plus dépourvues de psychiatres, un
informations détaillées sur les troubles une prescription de psychotropes en pourcentage important (un tiers) des
mentaux, les facteurs de risque, et l’ac- 2010 ; 1,9 % ont eu une prescription patients les plus touchés ne sont vus
cès aux soins, y compris aux psycho- d’anxiolytiques (6,1 % des filles de 15 que par les généralistes, et la moitié
tropes, d’une manière très détaillée. à 17 ans), 0,28 % ont reçu un antipsy- des psychothérapies sont faites par des
Qui plus est, grâce à sa mise en œuvre chotique (0,38 % chez les garçons), psychiatres, y compris dans les régions
européenne, elle a permis de compa- 0,23 % un psychostimulant, 0,63 % un les plus dépourvues (7).
rer la France aux pays voisins dont les antidépresseur (3,32 % chez les filles L’épidémiologie des troubles men-
systèmes de soin sont différents, tant de 15 à 17 ans) (4). La grande majorité taux utilise les méthodes de l’épidé-
sur la prévalence des problèmes et de ces médicaments sont prescrits par miologie (encadré) : elle suit les mêmes
leur âge d’apparition que sur l’accès des médecins généralistes. règles concernant la sélection des

Mars-avril-mai 2016 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 77


la psychologie aujourd’hui

n échantillons et la rigueur statistique


nécessaire pour les analyses. Elle pos-
sède ses propres instruments, échelles
et instruments diagnostiques stan-
dardisés. Elle permet d’évaluer les
populations éloignées des soins ainsi
que les soins inadaptés. Ce faisant, elle
peut contribuer à la mise en place de
l’organisation des soins sur un terri-
toire, pour autant que les décideurs
soient ouverts à son utilisation et son
développement. En France, l’épidé-
miologie est relativement développée

Hero/Getty
dans la mesure où plusieurs enquêtes
ont été conduites suivant les règles
admises par la communauté scienti-
Comment recueillir les données ? fique. En revanche, ces études ne sont
pas renouvelées, à l’exception notable
L’enquête de population est la méthode de choix, bien qu’elle ne soit pas du baromètre santé qui ne mesure
la seule, pour évaluer le taux rapporté sur la population à un moment malheureusement que les troubles
donné, sur un mois, un an ou sur la vie. D’autres méthodes sont utilisées dépressifs. l
en épidémiologie : le face-à-face où un interviewer se rend au domicile
de la personne, le téléphone, les enquêtes postales et plus récemment
par Internet. Bien entendu, les coûts et les taux de réponses ne sont pas
(1) Jean-Pierre Lépine et al., « Prevalence and
les mêmes. Dans le cas des troubles de santé mentale, on peut évaluer
comorbidity of psychiatric disorders in the French general
certains troubles dits les plus « communs », troubles dépressifs et troubles population », L’Encéphale, vol. XXXI, n° 2, mars-avril 2005.
anxieux assez volontiers rapportés par les personnes interrogées. Il n’en (2) Vivianne Kovess-Masféty et al., « Besoin de soins en
est pas de même des troubles de l’usage des substances, en particulier santé mentale versus besoin de soins en pédopsychiatrie.
de l’alcool qui est souvent dénié et très difficile à mesurer dans les Approche épidémiologique », Neuropsychiatrie
de l’enfance et de l’adolescence, vol. LVII, n° 6,
enquêtes, ainsi que les troubles des impulsions (jeu pathologique ou
septembre 2009.
kleptomanie, par exemple). (3) Taraneh Shojaei et al., « The strengths and difficulties
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Pour les troubles les plus rares dits à « basse fréquence » (les troubles questionnaire. Validation study in French school-aged
psychotiques tels que schizophrénie, troubles bipolaires ou troubles children and cross-cultural comparisons », Social
envahissants du développement), les enquêtes de population générale Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, vol. XLIV, n° 9,
septembre 2009.
se heurtent à deux obstacles : d’une part, étant donné leur fréquence, la
(4) Vivianne Kovess-Masféty et al., « Psychotropic
quantité de sujets nécessaire pour obtenir un nombre de cas significatif medication use in French children and adolescents »,
est très élevée ; d’autre part, les personnes qui souffrent de ces problèmes Journal of Child and Adolescent Psychopharmacology,
sont plus difficiles à atteindre dans des enquêtes (soit qu’elles ne vol. XXV, n° 2, mars 2015.
souhaitent pas répondre et ne sont pas à l’aise avec un enquêteur qu’elles (5) Vivianne Kovess-Masféty et al., « Differences in
lifetime use of services for mental health problems in six
ne connaissent pas, soit qu’elles sont plus difficilement accessibles dans
European countries », Psychiatric Services, vol. LVIII, n° 2,
les bases servant au tirage au sort car elles ne vivent pas dans les mêmes février 2007.
types de logement). (6) Vivianne Kovess-Masféty et al., « Are there gender
La méthode épidémiologique peut aussi s’appliquer à des populations differences in service use for mental disorders across
dites « traitées », c’est-à-dire en contact avec le système de soins : par countries in the European Union ? Results from the EU-
World Mental Health survey », Journal of Epidemiology
exemple, en France, les données dites du PMSI qui, au moyen d’un relevé
and Community Health, vol. LXVIII, n° 7, juillet 2014, et
standardisé, le « RIM psy » (résumé information médicale), recueille des Anders Boyd et al., « Gender differences in psychotropic
informations sur tous les patients hospitalisés dans le système de soin use across Europe. Results from a large cross-sectional,
psychiatrique. À ces données s’ajoutent celles de la Sécurité sociale au sein population-based study », European Psychiatry, vol. XXX,
de l’Échantillon général des bénéficiaires, ou du Sniiram (Système national n° 6, septembre 2015.
(7) Vivianne Kovess-Masféty, Gwenaëlle Lebreton-
d’information interrégions de l’assurance maladie), qui permettent de
Lerouvillois et Fabien Gilbert, « Utilisation du système
recueillir les affections de longue durée (ALD) pour troubles mentaux, les de soin en santé mentale et planification. Données
consultations spécialisées, les prescriptions et leurs prescripteurs. l v.k.‑m. régionales et intrarégionales », L’Encéphale, vol. XXXIII,
n° S5, février 2007.

78 Les grands dossiers des sciences Humaines n° 42 Mars-avril-mai 2016


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25 ❑ Les défis des sciences humaines 143 ❑ Cultures et civilisations 215 ❑ L’analogie moteur de la pensée
50 ❑ Tiers-monde : la fin des mythes 144 ❑ Les mouvements sociaux 216S ❑ Les épreuves de la vie
57 ❑ Où va le commerce mondial ? 145 ❑ Voyages, migration, mobilité 217 ❑ Les secrets de la séduction
62 ❑ L’esprit redécouvert 146 ❑ Hommes, femmes. Quelles différences ? 218 ❑ La littérature : fenêtre sur le monde.
67 ❑ Nouveaux regards sur la science 147 ❑ Où en est la psychiatrie ? 219S ❑ À quoi pensent les enfants ?
71 ❑ Comment nous voyons le monde 148 ❑ Contes et récits 220 ❑ L’autonomie, nouvelle utopie ?
80 ❑ Les sciences humaines 149 ❑ Les nouveaux visages de la croyance 221 ❑ Imaginer, créer, innover…
sont-elles des sciences ? 150 ❑ Amitié, affinité, empathie… 222S ❑ 20 ans d’idées, le basculement
82 ❑ La lecture 151 ❑ Aux origines des civilisations 223 ❑ Le retour de la solidarité
83 ❑ Du signe au sens 152 ❑ À quoi sert le jeu ? 224 ❑ La course à la distinction
84 ❑ Médiations et négociations 153 ❑ L’école en débat 225 ❑ Sommes-nous rationnels ?
85 ❑ Nouveaux modèles féminins 155 ❑ Où en est la psychanalyse ? 226S ❑ Le monde des ados
86 ❑ La liberté 156 ❑ Où va la famille ? 227 ❑ Conflits au travail
87 ❑ L’émergence de la pensée 157 ❑ Qui sont les travailleurs du savoir ? 228 ❑ L’état, une entreprise comme une autre ?
88 ❑ Anatomie de la vie quotidienne 158 ❑ Les nouvelles formes de la domination 229S ❑ Nos vies numériques
89 ❑ Violence : état des lieux au travail 230S ❑ Pourquoi apprendre ?
90 ❑ L’imaginaire contemporain 159 ❑ Pourquoi parle-t-on ? L’oralité redécouverte 231 ❑ Tous accros ?
91 ❑ L’individu en quête de soi 160 ❑ Dieu ressuscité 232 ❑ Comment être parent aujourd’hui ?
92 ❑ Les ressorts de la motivation 161S ❑ Enquêtes sur la lecture 233S ❑ Et si on repensait TOUT ?
93 ❑ Échange et lien social 163 ❑ La sexualité est-elle libérée ? 234 ❑ Inventer sa vie
94 ❑ La vie des groupes 165 ❑ Où est passée la société ? 235 ❑ Les identités sexuelles
95 ❑ Aux frontières de la conscience 166 ❑ De Darwin à l’inconscient cognitif 236 ❑ Dans la tête de l’électeur.
96 ❑ Le destin des immigrés 167S ❑ La pensée éclatée 237S ❑ Qui sont les Français ?
97 ❑ Rêves, fantasmes, hallucinations 169 ❑ L’intelligence collective 238 ❑ Comment naissent les idées nouvelles ?
98 ❑ Apprendre 170 ❑ Qui a peur de la culture de masse ? 239 ❑ Peut-on ralentir le temps ?
99 ❑ Normes, interdits, déviances 172 ❑ La lutte pour la reconnaissance 240S ❑ L’imaginaire du voyage
100 ❑ Les sciences humaines 173 ❑ Art rupestre 241S ❑ L’intelligence peut-on augmenter nos capacités ?
101 ❑ La parenté en question 174 ❑ Qu’est-ce que l’amour ? 242 ❑ Le travail. Du bonheur à l’enfer
102 ❑ Les récits de vie 175S ❑ Agir par soi-même 243 ❑ L’autorité. Les nouvelles règles du jeu
103 ❑ L’altruisme 176 ❑ Comment devient-on délinquant ? 244S ❑ 2012-2013. Les idées en mouvement
104 ❑ Un monde de réseaux 177 ❑ Le souci des autres 245 ❑ Vivre en temps de crise
106 ❑ Les sagesses actuelles 178S ❑ La guerre des idées 246 ❑ Le langage en 12 questions
107 ❑ Souvenirs et mémoire 179 ❑ Travail. Je t’aime, je te hais ! 247S ❑ Violence Les paradoxes d’un monde pacifié
108 ❑ Homme/animal : des frontières incertaines 180 ❑ 10 questions sur la mondialisation 248 ❑ Comment pensons-nous ?
109 ❑ Les logiques de l’écriture 181 ❑ Le nouveau pouvoir des institutions 249 ❑ La fin de l’homme ?
110 ❑ Cultures 182 ❑ Conflits ordinaires Quand les migrants changent le monde
111 ❑ L’école en mutation 183 ❑ Imitation 250 ❑ Faut-il se fier à ses intuitions ?
112 ❑ Les hommes en question 184 ❑ Les lois du bonheur 251 ❑ L’ère culinaire 15 questions sur l’alimentation
113 ❑ Freud et la psychanalyse aujourd’hui 185 ❑ Des Mings aux Aztèques 252S ❑ Générations numériques des enfants mutants ?
114 ❑ Travail, mode d’emploi 186 ❑ Que vaut l’école en France ? 253 ❑ Écrire Du roman au SMS
115 ❑ Les nouvelles frontières du droit 187 ❑ D’où vient la morale ? 254 ❑ Reprendre sa vie en main
116 ❑ L’intelligence : une ou multiple ? 188 ❑ Faut-il réinventer le couple ? 255S ❑ La bibliothèque des idées d’aujourd’hui
117 ❑ Autorité : de la hiérarchie à la négociation 189S ❑ Géographie des idées. 256 ❑ L’Individu Secrets de fabrication
118 ❑ La pensée orientale 190 ❑ Au-delà du QI 257 ❑ Apprendre par soi même
119 ❑ La nature humaine 191 ❑ Inégalités : le retour des riches 258 ❑ Le climat fait-il l’histoire ?
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120 ❑ L’enfant 192 ❑ Enseigner : L’invention au quotidien 259S ❑ Psychologie de l’enfant état des lieux
121 ❑ Quels savoirs enseigner ? 194 ❑ Les animaux et nous. 260 ❑ Peut-on vivre sans croyances ?
122 ❑ Le changement personnel 195 ❑ Le corps sous contrôle 261 ❑ Devenir garçon, devenir fille
123 ❑ Criminalité 196 ❑ Nos péchés capitaux 262 ❑ 15 questions sur nos origines
124 ❑ Société du risque 197 ❑ Les rouages de la manipulation 263 ❑ Éduquer au 21e siècle
125 ❑ Organisations 198 ❑ Les neurones expliquent-ils tout ? 264 ❑ Les clés de la mémoire
126 ❑ Les premiers hommes 199 ❑ Psychologie de la crise . 265 ❑ L’art de négocier
127 ❑ Le monde des jeunes 200S ❑ Pensées pour demain 266 ❑ Les grandes questions de notre temps
128 ❑ Les représentations mentales 201 ❑ Les troubles de la mémoire 267 ❑ Inégalités
129 ❑ La fabrique de l’information 202 ❑ Pauvreté. Comment faire face ? 268 ❑ La motivation
130 ❑ La sexualité aujourd’hui 203 ❑ École. Guide de survie. 269 ❑ Vieillir, pour ou contre ?
132 ❑ Le souci du corps 204 ❑ Démocratie. Crise ou renouveau ? 270S ❑ La philosophie aujourd’hui
133 ❑ Les métamorphoses de l’état 205S ❑ Changer sa vie 271 ❑ La confiance Un lien fondamental
134 ❑ La littérature, une science humaine ? 206 ❑ Repenser le développement 272 ❑ Le sport, une philosophie ?
135 ❑ Manger, une pratique culturelle 207 ❑ La nouvelle science des rêves 273 ❑ Les pouvoirs de l’imaginaire
136 ❑ Les nouveaux visages des inégalités 208S ❑ L’enfant violent. De quoi parle-t-on vraiment ? 274 ❑ L’enfant et le langage
137 ❑ Les savoirs invisibles 209 ❑ L’art de convaincre. 275 ❑ Liberté Jusqu’où sommes-nous libres ?
138 ❑ Les troubles du moi 210 ❑ Le travail en quête de sens. 276 ❑ Aimer au 21e siècle
139 ❑ Les mondes professionnels 211S ❑ Le clash des idées : 1989 à 2009 Comment faire couple aujourd’hui ?
140 ❑ Les nouvelles frontières de la vie privée 212 ❑ De l’enfant sauvage à l’autisme. 277S ❑ 25 ans Numéro anniversaire
141 ❑ La force des passions 213 ❑ L’énigme de la soumission 278 ❑ Les lois de la réputation
142 ❑ L’éducation, un objet de recherches 214 ❑ L’ère du post-féminisme 279 ❑ Violence 15 questions pour comprendre

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GRANdS dOSSIERS des sciences humaines (trimestriel)


Prix unitaire : 7,50 € (hors frais de port)
1 ❑ L’origine des cultures 16 ❑ Les ressorts invisibles 29 ❑ Un siècle de philosophie 36 ❑ Changer le travail
2 ❑ La moralisation du monde de l’économie 30 ❑ Les penseurs de la société 37 ❑ Les grands mythes
3 ❑ Les nouvelles psychologies 17 ❑ Villes mondiales 31 ❑ Histoire des psychothérapies 38 ❑ Innovation et créativité
4 ❑ France 2006 18 ❑ France 2010 32 ❑ L’amour un besoin vital 39 ❑ Élever ses enfants
5 ❑ L’origine des religions 19 ❑ Les pensées vertes 33 ❑ Vers un nouveau monde 40 ❑ Villes durables
6 ❑ Peut-on changer la société ? 20 ❑ Les troubles mentaux 34 ❑ L’art de penser 41 ❑ De la formation au projet de vie
7 ❑ Psychologie 21 ❑ Freud, droit d’inventaire 35 ❑ Le bonheur 42 ❑ La psychologie aujourd’hui
8 ❑ L’enfant du 21e siècle 22 ❑ Consommer
9 ❑ L’origine des sociétés 23 ❑ Apprendre à vivre
11 ❑ Entre image et écriture 24 ❑ L’histoire des autres mondes
12 ❑ Malaise au travail 25 ❑ Affaires criminelles
13 ❑ Paroles d’historiens 26 ❑ Guide des cultures pop
14 ❑ Idéologies 27 ❑ Transmettre
15 ❑ Les psychothérapies 28 ❑ L’histoire des troubles mentaux

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des Grands Dossiers (hors abonnement)
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1 n La guerre des origines à nos jours 12,00 € 7,20 €
2 n La nouvelle histoire des empires 8,50 € 4,50 €
4 n La grande histoire de l’Islam 8,50 € 4,50 €

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Prix unitaire hors frais de port
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2 ❑ Comprendre le monde 12,00 € 7,20 € 13 ❑ À quoi pensent les philosophes ? 8,50 € 4,50 €
4 ❑ Femmes, combats et débats 7,90 € 4,50 € 14 ❑ À la découverte du cerveau 8,50 € 4,50 €
5 ❑ L’école en questions 7,90 € 4,50 € 15 ❑ L’œuvre de Pierre Bourdieu 8,50 € 4,50 €
7 ❑ La grande histoire de la psychologie 8,50 € 4,50 € 16 ❑ La philosophie en quatre questions 9,80 € 4,50 €
8 ❑ Comprendre Claude Lévi-Strauss 8,50 € 4,50 € 17 ❑ De la pensée en Amérique 8,50 € 4,50 €
9 ❑ Les grands philosophes 8,50 € 4,50 € 18 ❑ Edgar Morin 8,50 € 4,50 €
10 ❑ Le sexe dans tous ses états 8,50 € 4,50 € 19 ❑ Michel Foucault 8,50 € 4,50 €
11 ❑ La grande histoire du capitalisme 8,50 € 4,50 € 20 ❑ Les grands penseurs des sciences humaines 8,50 € 4,50 €
12 ❑ Une autre histoire des religions 8,50 € 4,50 €
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1 ❑ Les nouveaux nouveaux mondes 31 ❑ Histoire et philosophie des sciences PSychO
3 ❑ Le marché, loi du monde moderne? 32 ❑ La société du savoir
6 ❑ La société française en mouvement 33 ❑ Vivre ensemble Prix unitaire (non abonnés) : 8,50 €
8 ❑ Régions et mondialisation 34 ❑ Les grandes questions de notre temps Prix unitaire (abonnés) : 4,50 €
Hors frais de port - 124 pages
10 ❑ Qui sont les Français ? 35 ❑ Les sciences de la cognition
11 ❑ Les métamorphoses du pouvoir 37 ❑ L’art
14 ❑ Vers la convergences des sociétés ? 38 ❑ L’abécédaire des sciences humaines
17 ❑ La mondialisation en débat 39 ❑ La France en débats
VIENT DE PARAÎTRE
18 ❑ L’histoire aujourd’hui 40 ❑ Former, se former, se transformer
19 ❑ La psychologie aujourd’hui 41 ❑ La religion
21 ❑ La vie des idées 43 ❑ Le monde de l’image
22 ❑ L’économie repensée 44 ❑ Décider, gérer, réformer
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23 ❑ Anthropologie 45 ❑ L’enfant Prix unitaire (non abonnés) : 9,80 €
24 ❑ La dynamique des savoirs 46 ❑ L’exception française Prix unitaire (abonnés) : 4,50 €
25 ❑ À quoi servent les sciences humaines ? 47 ❑ Violences Hors frais de port - 160 pages
26 ❑ La France en mutation 48 ❑ La santé
28 ❑ Le changement 49 ❑ Sauver la planète ?
29 ❑ Les nouveaux visages du capitalisme 50 ❑ France 2005

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Prix unitaire : 7,90 € hors frais de port Prix unitaire : 8,50 € - hors frais de port
1 ❑ Les psys vus par leurs patients 8 ❑ Addictions 15 Peut-on vraiment changer ?
❑ 1 ❑ Toute la psycho de A à Z
2 ❑ Trop d’enfants chez le psy ? 9 ❑ Maladies mentales 16 La société en burn-out ?
❑ 2 ❑ Qui sont (vraiment) les psychologues ?
3 ❑ Quand la tête soigne le corps 10 ❑ Violences familiales 17 Homosexualité
❑ 3 ❑ La parole aux patients !
4 ❑ Le bébé, sa vie, son œuvre 11 ❑ La nouvelle science des rêves 18 Le boom des troubles
❑ 4 ❑ Mille et une façons de guérir
5 ❑ Autisme. La guerre est déclarée 12 ❑ TCC Les meilleures thérapies ? alimentaires
6 ❑ Les vertus de la manipulation 13 ❑ Muscler son cerveau 19 ❑ Les patients dangereux
7 ❑ Les dessous du sexe 14 ❑ La nébuleuse des « dys » 20 ❑ L’enfant difficile

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SCIENCES HUMAINES ❑ La guerre, des origines à nos jours Nouveauté 272 p 19,00 €
❑ Dix questions sur le capitalisme aujourd’hui. Nouveauté 224 p 12,70 €
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❑ Le changement personnel. Nouveauté 288 p 19,00 €


HISToIRE/éCoNoMIE/GéoPoLITIQUE ❑ Un fœtus mal léché. Nouveauté 168 p 15,00 €
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❑ Révolution dans nos origines. Nouveauté 288 p 19,00 €
❑ Géopolitique de l’alimentation (édition 2012) 128 p 10,20 €
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❑ Rendre (la) justice. Les entretiens d’Auxerre 288 p 22,30 € Le d
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❑ La cinquième république 416 p 19,00 € DÉV
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Regards croisés
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Ce document est la propriété exclusive de FREDERIC HESELMANS (fred@heselmans.net) - 10-04-2016

978-2-36106-328-3 - 352 pages - 25,40 €

Avec les contributions de :


N. Alter, J.-L. Amselle, M. Behrent, P. Bouffartigue, J. R. Bowen, V. Caradec, S. Chauvier, C. Chevandier,
Y. Dürrenberger, B. Formoso, M. Gauchet, V. de Gaulejac, D. Hervieu-Léger, C. Jaffrelot, R. Kastoryano,
J.-C. Kaufmann, B. Lahire, J.-L. Laville, D. Le Breton, E. Marc, D. Martinot, R. Meyran, C. Mouzon,
G. Noiriel, D. Oberlé, C. Paradeise, E. Renault, D. Schnapper, M. Segalen, F. de Singly, J. Souty, P. Tap,
P.-H. Tavoillot, C. Taylor, S. Teixido, A.-M. Thiesse, G. Vinsonneau, D. Welzer Lang, M. Wieviorka…

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