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3’:HIKRQF=[U[ZU\:?k@l@b@a@g";
L’AUTOCOMPASSION,
UNE VOIE VERS
LA GUÉRISON ?
”
Le chocolat
est-il vraiment
bon
pour la santé ?
Pourquoi
un dîner
entre amis
rend-il joyeux ?
Faut il éviter
le gluten,
,
diminuer la viande
exclure le sucre ?
N° 110
p. 14-18
Boris Cheval et Matthieu Boisgontier SÉBASTIEN
Chercheurs en neuropsychologie
de la santé à l’université de Genève, et en
BOHLER
neurosciences à l’université de la Colombie- Rédacteur en chef
Britannique, au Canada, leurs travaux portent sur
notre tendance parfois délétère à la sédentarité…
Le canapé
p. 44-50
Alix Cosquer
Chercheuse en psychologie environnementale
de la pensée
au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive
(Cefe, CNRS), à Montpellier, elle s’intéresse
aux bienfaits de la nature et aux facteurs qui
conditionnent nos rapports avec elle.
L
’autre jour j’étais dans mon canapé sans rien faire, fatigué du
train-train quotidien, du travail, des factures à régler. Paresseu-
sement, j’ai allumé la radio. Encore des « gilets jaunes » déchaî-
nés. Je suis allé sur Internet. Il y avait des vidéos de casseurs. Le
moteur de recherche m’en proposait plein. La cause était enten-
p. 52-57 due. J’ai ouvert le paquet de chips à côté de moi.
Thérèse Jonveaux Par ailleurs je devais mettre le four à préchauffer pour préparer le repas.
Neurologue à l’hôpital Saint-Julien, à Nancy, elle a créé Et alors je me suis dit : « Ce serait tout de même bien que j’aie une appli pour
un jardin thérapeutique rattaché à l’établissement allumer mon four sans me lever. » Ça a été le déclic. J’ai compris que j’étais
et mené de multiples projets de recherche, qui ont mis
en évidence des retombées positives variées
prêt à tout pour minimiser mes efforts. J’ai appris par la suite que nous
sur les patients et leur famille. avons des neurones qui nous poussent au moindre effort (page 16). Et que
font ces neurones à part nous clouer au canapé ? Eh bien, quand vous avez
une théorie sur le monde (par exemple, les « gilets jaunes » sont violents),
ils prennent toutes les informations que votre moteur de recherche leur
propose et qui vont dans le même sens. Si j’avais commencé par chercher
une information sur les violences policières, j’aurais été abondamment
conforté dans cette vision, de la même façon.
Quand vous fonctionnez comme cela pendant des années, vous devenez
p. 64-67 incapable d’intégrer des éléments contradictoires à votre pensée. Et vous
Claire Leconte portez au pouvoir des gens qui vous renvoient vos opinions, aussi arbitraires
Professeure honoraire de psychologie de l’éducation soient-elles, en miroir (page 94). Pour éviter cela ? Penser contre soi-même.
à l’université Lille 3, chercheuse en chronobiologie, Ce dont un grand scientifique, John Eccles, nous donna l’exemple en batail-
membre de la Fédération française des psychologues
et de psychologie (FFPP), elle est spécialiste
lant contre sa propre théorie. Le résultat ? Une découverte majeure des
des rythmes de l’enfant et de l’adolescent. neurosciences (page 30). Voilà la condition pour ne pas sombrer dans l’obé-
sité mentale. Sortons du canapé de notre pensée ! £
SOMMAIRE
N° 110 MAI 2019
p. 14 p. 22 p. 30 p. 36
p. 43-62
Dossier
p. 6-40 p. 43
DÉCOUVERTES COMMENT
p. 6 ACTUALITÉS p. 22 C
AS CLINIQUE LA NATURE
FAIT DU BIEN
Notre cerveau est-il sensible
au champ magnétique ?
De l’art de faire repousser sa tête GRÉGORY MICHEL
La société bride le goût du risque
des femmes À NOTRE
L’enfant qui voulait
CERVEAU
Ces émotions qui éteignent
le cerveau social
Parkinson : vers une thérapie ? flirter avec la mort
Lucas, 12 ans, aime les sensations fortes.
À travers le jeu du foulard, il espère défier p. 46 N
EUROSCIENCES
p. 12 FOCUS
Une simple prise la mort et montrer ce dont il est capable. LES BONNES ONDES
de sang pour p. 30 G
RANDES EXPÉRIENCES DE LA NATURE
DE NEUROSCIENCES Au contact de la nature, notre cerveau
diagnostiquer La volte-face génère des ondes bénéfiques.
Alzheimer ? du professeur Eccles Alix Cosquer
Un biomarqueur sanguin pourrait enfin C’est en détruisant ses propres théories
ouvrir la voie à un dépistage précoce. p. 52 I NTERVIEW
que John Eccles découvrit que les
Bruno Dubois neurones communiquent chimiquement. LES JARDINS
p. 14 NEUROSCIENCES
Jean-Gaël Barbara THÉRAPEUTIQUES
Tous paresseux ? p. 36 N
EUROSCIENCES – BONNES FEUILLES
RESTAURENT LES
Des gènes ancestraux nous pousseraient Dans le cerveau RYTHMES BIOLOGIQUES
à minimiser nos efforts. En psychiatrie, le contact des patients
Boris Cheval et Matthieu Boisgontier des psychopathes avec la verdure aide à leur guérison.
Quand une chercheuse en neurosciences Thérèse Jonveaux
p. 20 LA QUESTION DU MOIS plonge dans le monde des psychopathes,
frisson neuronal garanti… p. 58 D
ÉVELOPPEMENT
Qu’est-ce que
la mémoire collective ?
Abigail Marsh
COMMENT LA NATURE
Astrid Erll NOURRIT LE CERVEAU
DES ENFANTS
Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho, jeté en cahier intérieur
Mémoire, concentration, émotions : tout
de toute la diffusion kiosque et posé sur toute la diffusion abonné. s’épanouit chez l’enfant en milieu naturel.
En couverture : © Orla/shutterstock.com
Betty Mamane
p. 94
p. 64 p. 68 p. 70 p. 78
p. 92
p. 64 R
ETOUR SUR L’ACTUALITÉ p. 70 P
SYCHOLOGIE p. 92 S ÉLECTION DE LIVRES
Heures d’hiver Tout ce qu’on Des têtes bien faites
La Peur du futur
et d’été : faut-il ne raconte pas Une histoire des sexualités
les abandonner ? Nos secrets en disent long sur nous-mêmes.
Klaus Wilhelm
Psychologie : une exploration
L’étude des biorythmes montre qu’il La Dernière Étreinte
est préférable de ne plus changer d’heure.
p. 78 L ’ÉCOLE DES CERVEAUX À nous la liberté !
Et, quitte à choisir, rester à celle d’été.
Claire Leconte
p. 94 N
EUROSCIENCES ET LITTÉRATURE
JEAN-PHILIPPE
p. 68 PSYCHO CITOYENNE LACHAUX
SEBASTIAN
DIEGUEZ
Quand le cerveau
CORALIE CHEVALLIER
ET NICOLAS BAUMARD
joue à faire Les Ubus au pouvoir
Le paradoxe des « comme si » Fantastique pièce, qu’Ubu roi, d’Alfred Jarry !
En simulant la réalité, nos neurones Ou comment des personnages outranciers
droits de succession nous permettent de mieux apprendre. et stupides sont portés au pouvoir
Les droits de succession réduisent les par des peuples dupes d’eux-mêmes.
inégalités. Les Français voudraient moins p. 82 P
SYCHOLOGIE
d’inégalités, mais n’aiment pas les droits
de succession. Cherchez l’erreur !
L’autocompassion,
l’art d’être indulgent
avec soi-même
Cette attitude d’inspiration bouddhiste
apporte résilience, apaisement et lien social.
Marina Krakovsky
p. 90 B
IEN-ÊTRE
Cerveau bercé,
cerveau heureux
Hamacs ou berceaux améliorent…
la mémorisation !
Bret Stetka
Actualités
Par la rédaction
NEUROBIOLOGIE
NEUROBIOLOGIE
V
l’orientation du champ magnétique petits grains seraient alors animés
avait un effet sur l’activité céré- de mouvements à l’intérieur des
brale. Car de telles modifications, membranes des neurones, provo-
si elles existent, ne sont probable- quant le passage d’ions à travers les
ment pas conscientes : avez-vous membranes et l’apparition de cou-
l’impression de « sentir » la direc- rants électriques.
tion du nord ? Homo sapiens a beaucoup migré ous avez plus de 85 ans ? Pas de pro-
Mais l’appareil à électroencé- au cours de son histoire. Se pour- blème. Vous pouvez encore fabriquer des neu-
phalographie a détecté ce change- rait-il qu’il ait tiré parti de cette apti- rones frais comme des nouveau-nés. Et ce, dans
ment. Le cerveau réagit en dimi- tude à « sentir » le nord ? Détail inté- une région de votre cerveau essentielle au fonction-
nuant fortement (de plus de 50 %) ressant : les expérimentateurs ont nement de la mémoire et du repérage dans l’espace,
l’amplitude de ses ondes alpha, des constaté que cette « perception » n’a l’hippocampe. Des chercheurs de l’université de
oscillations d’une fréquence de lieu que lorsqu’on applique un Madrid ont analysé des échantillons de cerveaux
10 hertz environ qui constituent un champ magnétique orienté vers le post mortem chez des sujets âgés de 43 à 87 ans,
marqueur de l’activité cérébrale de bas, ce qui est le cas du champ en repérant la formation des jeunes neurones grâce
base dans un état relaxé, comme magnétique dans l’hémisphère à un procédé spécial qui traque une protéine expri-
lorsque nous sommes assis tranquil- Nord. Un indice que la détection des mée uniquement par les neurones immatures.
lement sur une chaise. lignes de champ magnétique aurait Résultat : des milliers de neurones nouveau-nés
On ignore encore comment le une fonction adaptée au milieu, détectés dans le cerveau… de vieillards.
champ magnétique est perçu par le l’expérience ayant été réalisée dans En utilisant la même méthode consistant cette
cerveau. Plusieurs hypothèses sont l’hémisphère Nord. fois à disséquer le cerveau de patients décédés et
évoquées : le champ pourrait provo- Nos très lointains ancêtres, atteints de la maladie d’Alzheimer, l’équipe espa-
quer des courants électriques dans engagés dans des déplacements à gnole a constaté que la production de nouveaux
les neurones par le phénomène d’in- longue distance pour s’approvision- neurones dans l’hippocampe était fortement
duction, ou en déplaçant des charges ner avant de rejoindre leur groupe, réduite, pour ne pas dire absente. Autrement dit,
électriques dans des protéines auraient pu être bien aidés par un les difficultés de mémoire, de plasticité cognitive
comme les cryptochromes, ou sens du magnétisme qui aurait com- ou de repérage dans l’espace pourraient résulter
encore exercer des microforces sur plété les cartes mentales tirées de de cette panne de production. Celle-ci semble inter-
© Ermolaev Alexander / shutterstock.com
des particules de magnétite (oxyde l’observation de leur environne- venir alors même que les fameuses plaques amy-
de fer) présentes dans les neurones. ment. Il y a un an, des chercheurs loïdes, qui font tant de mal aux neurones existants,
L’hypothèse d’une pure induction et munichois ont d’ailleurs découvert ne sont pas encore très répandues. La baisse de
d’une action sur les cryptochromes la présence de magnétite dans des production serait un facteur à prendre au sérieux
semble écartée, car ces mécanismes cerveaux humains post mortem. Elle pour expliquer le développement de la maladie. Et
sont indifférents à la polarisation du était préférentiellement concentrée une piste thérapeutique efficace pourrait consister
champ, or celle-ci joue un rôle dans dans le cervelet, qui contrôle l’équi- à relancer le processus. En attendant, on sait que
cette expérience. Les champs libre et la coordination des mouve- l’activité sportive régulière, les interactions sociales
magnétiques agiraient donc sur des ments… £ ou une alimentation adaptées sont probablement
particules de magnétite : ces tout Sébastien Bohler de bons stimulants de la neurogenèse. £ S. B.
NEUROSCIENCES
De l’art de
faire repousser
sa tête
E. Zattara et al., Proceedings
of the Royal Society B, le 6 mars 2019.
27 %
contraire… Et 54 % des travailleurs
au boulot préféreraient même un salaire plus
bas pour un travail moins ennuyeux.
Or ce phénomène, le bore-out, n’est
PSYCHOLOGIE SOCIALE
La société bride
le goût du risque
Alcool : attention des femmes
aux publicités E. M. Liu et S. X. Zuo, PNAS, en ligne le 18 mars 2019.
subliminales
E nviron 20 % des sommes sponsorisées dans
le sport viennent de l’industrie des alcools.
Panneaux publicitaires lors de manifestations
sportives, logos sur des dossards, panneaux
rotatifs lors des matchs de football ou de rugby :
le plus souvent nous n’y prêtons pas attention.
Mais le psychologue Laurent Bègue,
D
de l’université Grenoble-Alpes, et ses collègues
des universités Paris-Dauphine et de Monash,
en Australie, viennent de montrer que cela ne
change rien. Plus on est exposé à ces stimulations
visuelles de façon répétée et prolongée, même
sans y prêter attention, plus notre attitude
vis-à-vis des marques de boissons alcoolisées ans nos sociétés, les ces deux ethnies, l’une matriarcale,
a tendance à devenir favorable et ouverte… femmes ont généralement un com- l’autre patriarcale. Elles leur ont pro-
à la consommation. Or l’alcool est aujourd’hui portement moins risqué que les posé de choisir entre six jeux de lote-
la quatrième cause mondiale d’invalidité. £ S. B. hommes. Avec des conséquences rie plus ou moins risqués. L’un de ces
positives – seuls 8 % des accidents jeux permettait par exemple de
mortels provoqués par un conduc- gagner 3 yuans à tous les coups, tan-
« Moi ? Je n’ai teur alcoolisé sont de leur fait –,
mais aussi négatives : selon cer-
dis qu’un autre, plus aléatoire, don-
nait 50 % de chances de rafler
jamais tort » taines études, cette aversion au
risque les pousserait parfois à
10 yuans et 50 % de chances de ne
rien gagner du tout.
renoncer à certains choix de car- Résultat : à leur entrée à l’école
narcissiques de ces derniers avaient moins appris revanche, c’est la femme qui est le des Han : au fil des années, elles se
de leurs erreurs que les autres, en particulier pilier de la maison. Et qui prend des montraient de plus en plus pru-
quand le coût social – perte de statut et risques. Deux chercheuses, Elaine dentes. Et à partir de l’âge de 11 ans,
d’influence – était important. Probablement car Liu, de l’université de Houston, et sa leur goût du risque était passé en
ce coût posait une menace trop élevée à leur ego collègue Sharon Zuo, ont étudié plu- dessous de celui des garçons de
pour qu’ils puissent accepter d’avoir eu tort. £G. J. sieurs centaines d’enfants issus de leur ethnie. £ G. J.
NEUROSCIENCES
Ces émotions confiance en elles, selon des travaux menés par Jan Engelmann
et ses collègues de l’université de Zürich.
qui éteignent
Les chercheurs ont d’abord provoqué un état d’anxiété
chez les participants, en leur infligeant de légers chocs élec-
triques. Puis ils ont mesuré la confiance qu’ils accordaient spon-
le cerveau social tanément aux autres, dans un jeu de rôle : ils devaient décider
quelle somme d’argent confier à un investisseur inconnu,
sachant que ce dernier choisirait ensuite librement ce qu’il leur
reverserait en retour.
J . B. Engelmann et al.,
Les participants anxieux ont alors donné moins d’argent
Science Advances, 13 mars 2019.
que les sujets témoins. La mesure de leur activité cérébrale par
S
IRMf a en outre montré que l’émotion négative déclenchée chez
eux diminuait l’activité de régions essentielles pour imaginer
ce que pensent les autres (comme la jonction temporopariétale)
ou pour estimer s’ils représentent une menace. Prudence, donc,
quand vous êtes stressé, anxieux ou énervé : c’est tout le fonc-
tionnement de votre cerveau social qui est perturbé.
ans que vous en ayez forcément conscience, une Les chercheurs voient dans ces résultats une piste pour
influence pernicieuse s’exerce sur vos relations sociales tout mieux comprendre certaines pathologies psychiatriques,
au long de la journée : celle des émotions négatives dites « inci- comme la dépression ou la phobie sociale. En effet, ces troubles
dentes ». Ces émotions n’ont rien à voir avec la personne avec se caractérisent à la fois par une susceptibilité extrême aux
qui vous interagissez – c’est par exemple l’énervement que émotions incidentes et par une difficulté à se fier aux autres.
vous éprouvez lorsque vous êtes coincé dans un embouteillage Les mécanismes cérébraux mis en évidence suggèrent alors
avec votre famille –, mais elles diminuent pourtant votre que ces deux symptômes sont étroitement liés. £ G. J.
21 mai
Blessures : réapprendre les gestes
par la simulation mentale
par Claire Calmes, Institut national du sport,
de l’expertise et de la performance.
28 mai
Endurance : les enfants nous mettent KO
par Sébastien Ratel, université Clermont Auvergne.
4 juin
Biomécanique : améliorer la performance,
réduire les risques
par Philippe Rouch, Institut de biomécanique
©Agefotostock
AVEC LE SOUTIEN DE
Parkinson :
75014 Paris
Directrice des rédactions : Cécile Lestienne
Cerveau & Psycho
Rédacteur en chef : Sébastien Bohler
vers une
Rédactrice en chef adjointe : Bénédicte Salthun-Lassalle
Rédacteur : Guillaume Jacquemont
Conception graphique : William Londiche
thérapie ?
Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Raphaël Queruel,
Ingrid Leroy
Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble
Développement numérique : Philippe Ribeau-Gésippe
Community manager : Aëla Keryhuel
Marketing et diffusion : Arthur Peys
A. Whone et al., Brain, Chef de produit : Charline Buché
vol. 142, pp. 512-525, mars 2019. Direction du personnel : Olivia Le Prévost
A. Whone et al., Journal of Direction financière : Cécile André
Parkinson’s Disease, en ligne Fabrication : Marianne Sigogne, Olivier Lacam
le 26 février 2019. Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
L
Ont également participé à ce numéro :
Chantal Ducoux, Sophie Lem et Séverine Duparcq
Anciens directeurs de la rédaction :
Françoise Pétry et Philippe Boulanger
Presse et communication
Susan Mackie
susan.mackie@pourlascience.fr – Tél. : 01 55 42 85 05
a maladie de Parkinson symptômes moteurs. Or, si on ignore
est la deuxième pathologie neurodé- la cause de la mort de ces neurones, Publicité France
stephanie.jullien@pourlascience.fr
générative la plus fréquente, avec on sait, d’après des études réalisées
environ 200 000 malades en France. in vitro ou chez l’animal, que des fac- Espace abonnements
Or aucun traitement curatif n’existe. teurs produits naturellement par le https ://boutique.cerveauetpsycho.fr
Adresse e-mail : cerveauetpsycho@abopress.fr
Jusqu’à aujourd’hui peut-être… ? Des cerveau les protègent, tel le GDNF. Tél. : 03 67 07 98 17
chercheurs et médecins de l’univer- Seul problème jusqu’à présent : Adresse postale :
sité de Bristol ont en effet trouvé un le GDNF administré par voie san- Cerveau & Psycho - Service des abonnements
19, rue de l’Industrie – BP 90053 – 67402 Illkirch
moyen de « guérir » directement les guine ne parvenait pas à traverser Cedex
neurones « malades » des patients. la barrière hématoencéphalique
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Les premiers résultats de leur essai pour atteindre le cerveau. D’où Contact kiosques : À juste titres ; Stéphanie Troyard
clinique sont très encourageants. l’idée de l’injecter directement dans Tél : 04 88 15 12 43
L’administration du « médica- la substance noire. Titre modifiable sur le portail-diffuseurs :
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très technique. Les scientifiques ont spectaculaires : les patients ont recou- Abonnement France Métropolitaine :
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d’implant muni de quatre tubes à pla- s’ils étaient diagnostiqués depuis seu- Europe : 67,75 € ; reste du monde : 81,50 €
Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public
cer directement dans la région céré- lement deux ans, et surtout leurs neu- français ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les
brale d’intérêt (voir la photographie). rones de la substance noire se remet- documents contenus dans la revue Cerveau & Psycho doivent
Dans leur essai clinique, 41 per- taient à fonctionner normalement, en être adressées par écrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 162, rue du
Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris.
sonnes souffrant de la maladie de libérant de la dopamine. © Pour la Science S.A.R.L.
Parkinson depuis plus de 5 ans ont Pour l’instant, cette technique ne Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de
été greffées avec cet implant, qui leur semble pas présenter d’effets indé- représentation réservés pour tous les pays. Certains articles de
ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum der
a délivré le traitement, à savoir le fac- sirables. Reste à améliorer la durée
© S. Gill et A. Whone et al., Brain, 2019.
BRUNO DUBOIS
Professeur des universités et praticien hospitalier,
il dirige le Centre des maladies cognitives
et comportementales et l’unité Inserm U610,
à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES
DOSER LES BIOMARQUEURS atteinte ou non de la maladie. Mais ce mer dans la mesure où celle-ci se
DE LA MALADIE travail avait un inconvénient majeur : caractérise par la présence de pro-
Une étude menée par Zhicheng pour identifier les protéines, il fallait téines bêta-amyloïdes et tau anor-
Chen et ses collègues, impliquant plu- mettre en œuvre une technique males dans le cerveau des patients.
sieurs équipes internationales, dont « lourde » (la spectrométrie de masse), Jusque-là, les biologistes avaient
celles de l’école de médecine de ce qui n’était pas envisageable dans la essayé de mesurer toutes les formes
Harvard, de l’UCL et de l’université pratique courante en clinique. C’est de la protéine tau dans le sang, mais
N° 110 - Mai 2019
13
N° 110 - Mai 2019
14
Tous
paresseux ? Par Boris Cheval et Matthieu Boisgontier.
C
EN BREF plaisir de jouer, d’expérimenter, d’apprendre, ou
££La loi du moindre encore de créer des liens avec d’autres enfants. En
effort se serait gravée revanche, marcher pour se rendre jusqu’au parc
dans nos gènes et dans n’a pas d’intérêt en soi et, dans ce cas précis, est
notre cerveau au cours facultatif puisque mes bras étaient libres et prêts
’était un samedi matin comme un de l’évolution grâce à l’emploi. Dans de telles conditions, pourquoi
au processus de
autre dans ma vie de jeune papa. Je m’apprêtais sélection naturelle. dépenserait-il son énergie ? Autant éviter les
à sortir de chez moi pour aller tranquillement au efforts inutiles et garder des forces pour plus tard.
parc avec mon fils. Mais, à peine franchi le seuil ££Cette loi s’exprime Et là, assis sur mon banc, je me demandais si cette
de la porte, ce dernier a usé de ses tactiques habi- notamment par une tendance à la minimisation des efforts ne serait
tendance à minimiser
tuelles pour que je le porte jusqu’au parc, situé les efforts physiques. pas inscrite dans son cerveau.
pourtant à une cinquantaine de mètres tout au Pour contrer notre
plus de chez nous. Il a commencé par me soudoyer attraction automatique LA LOI DU MOINDRE EFFORT
affectivement en prétextant une envie soudaine vers cette minimisation, Cette tendance à la minimisation énergétique
notre cerveau
de câlins, puis a feint la fatigue, pour enfin jouer doit mobiliser plus ne se limite évidemment pas à nos chères têtes
son dernier atout : la blessure. Après l’avoir laissé de ressources. blondes. Nous, les adultes, privilégions par
se rouler sur le sol pendant cinq bonnes minutes, exemple l’utilisation des ascenseurs ou des escala-
j’ai finalement capitulé et l’ai porté jusqu’au parc. ££L’échec des politiques tors aux escaliers. Plus précisément, dans une
Arrivé à destination, ce pauvre petit enfant fatigué de santé publique étude ayant examiné plus de 45 000 situations de
à endiguer la pandémie
et blessé se mit à courir, sauter, et grimper pen- d’inactivité physique choix entre escalier et escalator, l’escalator rem-
dant plus d’une heure. En le surveillant, je me pourrait trouver porte le combat haut la main : 85 % des personnes
demandais pourquoi refuser de faire quelques pas son origine dans ces le choisissent. Nous utilisons aussi quotidienne-
quand on a l’énergie pour se dépenser sans comp- processus cérébraux. ment des objets qui nous permettent de réduire
ter pendant plus d’une heure ? L’explication m’a nos efforts physiques, comme les portes de garage,
semblé assez évidente. Au parc, les mouvements vitres, trottinettes et autres vélos électriques, ou
ont un but en soi, ils sont associés au plaisir. Le encore les skateboards électriques comme le
hoverboard. Pour les plus high-tech, peut-être soyons incapables de transformer cette intention
avez-vous même installé dans votre maison un d’être actif en action ?
assistant vocal vous permettant de tout gérer bien Dans un article publié dans la revue Sports
tranquillement assis au fond de votre canapé ? Medicine, nous avons récemment émis l’hypo-
Nous avons aussi tous tendance à chercher la place thèse que ce paradoxe de l’activité physique
la plus proche de l’entrée du supermarché dans le résulte d’une lutte entre notre raison, d’une part,
but d’économiser quelques petits pas. À tout ceci et une attraction automatique vers la minimisa-
s’ajoutent les services de livraison à domicile qui tion de l’effort, d’autre part.
nous permettent, sans le moindre effort, de rece-
voir tout ce que nous désirons. Et puis, soyons LE PARADOXE DE L’ESCALATOR
honnêtes, nous avons maintes fois cédé à l’appel Pour illustrer ce paradoxe, nous prenons sou-
du canapé alors que nous avions prévu une petite vent l’exemple de personnes utilisant un escalator
séance de sport. Mais pour en revenir à mon fils, pour se rendre à la salle de sport. Ce comporte-
au-delà de ces anecdotes, existe-il des preuves ment est difficilement compréhensible, à moins
scientifiques qui démontrent que nous avons une que quelque chose dans leur cerveau les attire
tendance à minimiser les efforts physiques ? inconsciemment vers cet escalator. Afin d’étudier
cette hypothèse, nous avons testé 29 jeunes
UN SENSEUR DE FATIGUE adultes désirant être actifs physiquement sans for-
1,4
AU CŒUR DU CERVEAU cément y parvenir. Soixante-quatre électrodes
De nombreux travaux de recherche prouvent posées sur leur crâne permettaient de lire et d’en-
que nous minimisons nos dépenses d’énergie. registrer les signaux électriques produits par leur
Imaginez la situation suivante. Un chercheur cerveau. Dans la tâche expérimentale que nous
vous installe sur un tapis roulant sans consigne avions confectionnée pour eux, les participants
particulière, mis à part celle de ne pas chuter. Le devaient prendre le contrôle d’un avatar situé sur
tapis démarre, vous commencez à marcher. La un écran d’ordinateur en utilisant les touches du
vitesse du tapis augmente lentement. À un clavier. Plus précisément, leur tâche consistait, MILLIARD
moment donné, vous vous mettez à courir. Si dans une première condition, à rapprocher cet
vous ne savez pas vraiment pourquoi vous êtes avatar le plus rapidement possible d’images repré-
spontanément passé de la marche à la course, le sentant une activité physique (course à pied, vélo, de personnes sur Terre
chercheur peut vous l’expliquer. Ce passage, qui natation, etc.) et à l’éloigner d’images représentant ne pratiquent pas
d’activité physique.
survient lorsque la vitesse du tapis se situe entre une activité sédentaire (lecture, télévision, hamac,
La sédentarité cause
2 et 3 m/s, permet de réduire le coût énergétique etc.). Dans une seconde condition, les participants 3,2 millions de décès
associé au déplacement. Si vous aviez continué devaient faire l’opposé (s’approcher la sédentarité chaque année.
de marcher, le coût énergétique aurait été large- et s’éloigner de l’activité physique).
ment supérieur à celui de la course. En vous met- Les temps de réactions enregistrés lorsque les
tant à courir, vous avez donc minimisé votre participants effectuaient cette tâche montrent
dépense d’énergie. En 2015, une étude cana- qu’ils étaient en général plus rapides à éviter les
dienne a confirmé cette tendance des êtres images de sédentarité que les images d’activité
humains à optimiser le coût énergétique de la physique, et ceci d’autant plus qu’ils étaient actifs
marche. Dans cette étude, les chercheurs ont fixé physiquement. Ces résultats confirment que les
une structure motorisée sur les membres infé- participants avaient bien l’intention d’être actifs.
rieurs des participants. Cet exosquelette permet- Cependant, les signaux électriques collectés au
tait d’appliquer plus ou moins de résistance aux niveau du cerveau racontaient une autre histoire.
mouvements des jambes lors de la marche. Les En effet, pour s’éloigner des images de sédenta-
participants se sont rapidement adaptés à ces dif- rité, le cerveau devait faire appel à plus de res-
férentes résistances et convergeaient vers la fré- sources, c’est-à-dire qu’il devait augmenter son
quence de marche la moins coûteuse en énergie. intensité de travail. Une des zones du cerveau qui
Pour les auteurs, ces résultats apportent la preuve s’activait davantage pour éviter la sédentarité
physiologique de notre tendance inhérente à la était située dans le lobe frontal et était connue
paresse, ou plutôt, devrait-on dire, à l’efficience. pour son implication dans la gestion des conflits.
Cette tendance pourrait expliquer les résultats de Dans ce cas précis, le conflit en question oppose
nombreuses études antérieures mettant en évi- vraisemblablement, d’une part, la volonté de
dence un écart paradoxal entre l’intention d’être s’éloigner des images de sédentarité, et d’autre
actif et la mise en place effective de comporte- part l’attraction automatique vers ces images
ments d’activité physique. Mais que peut-il bien associées à une faible dépense énergétique. À
se passer dans notre cerveau pour que nous l’appui de cette interprétation, on constate la mise
en action d’une autre région du lobe frontal, cette Biographie britannique portant sur plus de 700 paires de
fois associée à l’inhibition des comportements « vrais » et « faux » jumeaux (mono et dizygotes) a
automatiques : autrement dit, s’éloigner des montré que le temps passé dans les activités
images de sédentarité nécessite de faire taire sédentaires était beaucoup plus variable entre les
notre penchant naturel pour la sédentarité. Enfin, Boris Cheval, faux jumeaux (qui partagent la moitié de leur
contrairement aux résultats obtenus sur les temps chercheur en patrimoine génétique) qu’entre les vrais jumeaux
de réaction, l’activité du cerveau ne variait pas neuropsychologie (qui partagent quasiment la totalité de leur patri-
significativement en fonction du niveau d’activité de la santé à l’université moine génétique). En utilisant cette différence
de Genève, en Suisse.
physique, signe que les mécanismes cérébraux qui observée au niveau des comportements, les cher-
s’opposent à notre intention de faire de l’exercice cheurs ont estimé qu’environ 30 % de notre ten-
pourraient être mis en jeu, quel que soit notre Matthieu Boisgontier, dance à la sédentarité serait expliquée par notre
niveau d’activité physique. chercheur en patrimoine génétique…
Ces mécanismes actionnés automatiquement neurosciences Une autre étude conduite la même année aux
par notre cerveau pourraient expliquer notre dif- à l’université États-Unis avait classé des souris en fonction de
ficulté à adopter un style de vie actif et, par consé- de la Colombie leur quantité d’activité physique spontanée
quent, l’échec des politiques de santé publique à Britannique (UBC), (nombre de tours de roue par jour). Les chercheurs
endiguer la pandémie d’inactivité physique. au Canada. de cette étude ont ensuite séparé les souris actives
des souris inactives pour les laisser se reproduire
GÈNES DU FARNIENTE sur dix générations. Ils ont observé qu’au fur et à
À ces résultats cérébraux s’ajoutent des résul- mesure des générations, la lignée de souris actives
tats génétiques montrant que cette attraction vers devenait de plus en plus active, alors que la lignée
la minimisation de la dépense énergétique serait de souris inactives devenait de plus en plus inac-
non seulement inscrite dans notre cerveau mais tive. Pour finir, les souris de dernière génération
aussi dans nos gènes. En 2013, une étude issues de la lignée inactive passaient dix fois moins
de temps à courir que les souris de la lignée active.
Plus important encore, dans une étude complé-
mentaire, ces chercheurs ont montré que cette
différence d’activité physique était expliquée par
une différence de maturation des neurones du
noyau accumbens, une région du cerveau qui joue
un rôle important dans le système de récompense
et dans l’activation motrice. En somme, tous ces
résultats expérimentaux montrent que les diffé-
rences de niveau d’activité physique pourraient bel
et bien être inscrites dans nos gènes et dans notre
cerveau. Mais pourquoi aurions-nous hérité d’une
tendance générale à minimiser les efforts
physiques ?
UN HÉRITAGE ENCOMBRANT
DE L’ÉVOLUTION
Cette tendance à la minimisation des efforts
pourrait être le fruit de l’évolution. Dans nos
sociétés occidentales, la tendance à minimiser
nos dépenses énergétiques a des conséquences
néfastes sur notre santé. En 2016, un quart de la
population mondiale, soit environ 1,4 milliard de
personnes, était physiquement inactive et cette
inactivité physique est en train de nous tuer.
Le paradoxe Selon l’Organisation mondiale de la santé, chaque
de l’escalator : année dans le monde, 3,2 millions de décès sont
dans les salles attribuables au manque d’activité physique, ce
© E+/Getty Images
de sport,
des escaliers qui représente tout de même un décès toutes les
roulants proposent 10 secondes. Cependant, au temps de nos
aux adhérents…
de minimiser ancêtres, cette minimisation permettait au
leurs efforts. contraire d’augmenter les chances de survie et de
DE LA SCIENCE
DES DÉCOUVERTES
DE LA CURIOSITÉ
EN PARTENARIAT AVEC
ABONNEZ-VOUS AU PODCAST
DE L’ÉMISSION
20 DÉCOUVERTES L
a question du mois
PSYCHOLOGIE SOCIALE
Qu’est-ce que
la mémoire collective ?
LA RÉPONSE DE
ASTRID ERLL
Professeure de cultures et littératures anglophones,
fondatrice de la plateforme des études sur la mémoire de l’université de Francfort.
camarades, voire avec des scènes de une nation. Le sociologue souligne qu’il breuses cultures migrantes, est alors
films. faut éviter de confondre de tels souve- caractérisé par une pluralité de
Le cadre social défini par Halbwachs nirs communs avec l’histoire au sens mémoires collectives. Ce qui donne
repose sur deux éléments : notre entou- scientifique. Car ils ne reflètent pas le naissance à des mémoires transcultu-
rage, qui nous aide à nous remémorer passé de manière complète ni fidèle. Ils relles, partagées par de nombreuses
les événements et qui leur donnent représentent des images ou des concepts cultures, comme c’est le cas du récit des
forme, et les éléments de notre cadre de qui sont pertinents pour la représenta- tours jumelles, ou des attentats de 2015
vie et de notre milieu social. Ces tion du groupe à un moment donné. à Paris. £
N° 110 - Mai 2019
21
Bibliographie
A. Erll, Travelling
memory, Parallax,
vol. 7, pp. 4-18, 2011.
M. Halbwachs,
Les Cadres sociaux
de la mémoire,
Alcan, 1925.
N° 110 - Mai 2019
22
L’enfant qui
voulait flirter
avec la mort
© Angela Hawkey/Shutterstock.com
N° 110 - Mai 2019
DÉCOUVERTES C
as clinique 23
GRÉGORY MICHEL
Professeur de psychopathologie et de psychologie
clinique à l’université de Bordeaux, psychologue
et psychothérapeute en cabinet libéral.
EN BREF
££Après sa rentrée
en 5e, Lucas change
brutalement de
comportement et ne
réussit plus à l’école.
C ’était il y a un an. Je me
souviens de cette maman qui m’appelle pour
me demander de rencontrer rapidement son fils
Lucas. Très inquiète, elle me confie qu’il a com-
plètement changé de comportement ces der-
niers temps, que ses résultats scolaires sont en
££Sa mère découvre chute libre depuis la rentrée en 5e et qu’elle a
des mégots de cannabis, découvert non seulement des mégots de joints de
ainsi qu’une ceinture cannabis, mais surtout la ceinture de sa sortie-
de peignoir sous de-bain sous le matelas de son lit…
son matelas…
Nous prenons rendez-vous. Quelques jours
££En consultation, après, Lucas et sa mère se présentent dans ma
Lucas avoue qu’il aime salle d’attente. C’est un jeune homme plutôt fluet
les sensations fortes et mais décontracté, souriant et très à l’aise, qui se
pratique le jeu du foulard
depuis la rentrée. Cela présente à moi. Sa doudoune débardeur sur son
lui permet de se sentir sweat à capuche et, autour du cou, un chèche lui
« exister » et le rassure. confèrent une allure à la fois sportive et BCBG.
Son sac de marque en bandoulière parachève une
££Une psychothérapie identité casual chic. Sa maman m’informe que son
axée sur l’estime
de soi et l’anxiété l’aide père est retenu pour son travail et qu’il arrivera
à se libérer de ce jeu avec quelques minutes de retard… Nous com-
potentiellement mortel. mençons donc sans lui.
Lucas et sa mère me suivent dans le cabinet
et s’installent l’un à côté de l’autre. Le garçon
attend que sa mère prenne la parole : « Comme je
vous l’ai dit au téléphone, nous souhaitons que
Lucas puisse vous parler car son père et moi-
même avons noté plusieurs changements de com-
portement depuis la rentrée… » Le garçon se
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24 DÉCOUVERTES C
as clinique
L’ENFANT QUI VOULAIT FLIRTER AVEC LA MORT
N° 110 - Mai 2019
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deux, alors que c’est rare que mon père puisse se adolescents dépassent alors leur peur et tentent
libérer de son travail ; il travaille beaucoup vous cette pratique extrêmement risquée : deux d’entre
savez. – Et donc ? – Et bien, je ne sais pas, ils eux, dont Lucas, ne ressentent rien, alors que les
pensent que j’ai peut-être un sérieux problème. » deux autres éprouvent des sensations bizarres.
Au moment où Lucas prononce cette phrase, il C’est alors le début d’une pratique répétée.
7
présente une sorte de dysmimie, des expressions et Aujourd’hui, cela dure depuis plus de trois mois.
des mimiques du visage inadaptées ou en contra-
diction avec ce qu’il dit ou ce qu’il vit réellement. À LA RECHERCHE DE SENSATIONS FORTES
Par exemple, le jeune adolescent sourit largement L’examen psychologique que je décide ensuite
alors qu’il suggère que ses parents sont inquiets de pratiquer avec Lucas s’inscrit dans une démarche
pour lui (il devrait donc sembler triste). Cela révèle holistique, du grec holos signifiant entier. Le
un malaise psychique lié à une discordance entre holisme est un néologisme qui définit l’être humain
ce qu’il souhaite montrer de lui et ce qu’il ressent dans sa globalité, et l’approche holistique en psy-
vraiment au fond de lui. Il tente ensuite de banali- chopathologie est intégrative, car elle prend en
ser ce qu’il vient de dire, et je comprends alors que charge les dimensions affective, psychique, biolo-
la tentative de dissimulation n’en est que plus évi- gique, génétique, mentale, familiale et sociale du
dente. Je décide donc de saisir ce moment de patient. Il s’agit d’une technique centrée sur la per-
11 %
déstabilisation pour lui demander s’il a d’autres sonne, dans laquelle on tient également compte
choses importantes à me raconter. Évidemment, À des aspects contextuels de la relation entre soi-
j’ai en tête ce que sa maman m’a rapporté au télé- gnant et soigné. Ainsi, assez simplement, Lucas me
phone concernant cette ceinture de sortie-de-bain DES rapporte son goût pour les activités à risques :
dissimulée sous le matelas de son lit… COLLÉGIENS « Mon père a raison, j’ai toujours adoré grimper aux
arbres, faire des cascades avec mes copains… En
LE JEU DU FOULARD fait, on m’a toujours dit que j’étais un casse-cou. »
Mais Lucas ne dit rien. J’aborde donc explici- auraient déjà joué au jeu Son attrait pour le danger semble avoir nourri
tement le sujet. Bien que très embarrassé et sur- du foulard. L’objectif : diverses conduites à risques. Par exemple, le
pris, le garçon ne tente pas de dissimuler ce fait. s’étrangler jusqu’à jeune adolescent me raconte que, chez son copain
Puis il ajoute qu’il a déjà joué à ce que ses copains l’évanouissement Édouard, ils montent souvent tous les deux sur le
appellent le « jeu du foulard » : « En début d’année, pour éprouver toit de l’appartement par le velux de sa chambre :
mon copain Édouard nous a parlé de plusieurs des hallucinations. « On aime bien se balader sur les toits. » De façon
jeux qu’il avait vus sur Internet. Certains pou- impertinente, il ajoute que lui et ses amis aiment
vaient faire peur et provoquer de “drôles” de sen- faire ce qui est interdit et donc souvent ce qui est
sations. » Lucas a commencé à jouer au collège dangereux. En évoquant ses conduites de
avec son groupe d’amis : « La première fois, nous consommation, avec une certaine jubilation, il
étions derrière le gymnase. Édouard, Romain, m’explique qu’il a essayé en CM1 de fumer du
Aristide et moi. Édouard avait vu des vidéos dont tabac, puis en 6e du cannabis, et qu’il a déjà eu
certaines se déroulaient aux États-Unis. Il fallait quelques expériences d’ivresse alcoolique cette
serrer le cou de son copain pour empêcher l’air année avec ses copains. Quant aux joints, retrou-
de passer. Nous avions tous peur, car cela ressem- vés par sa mère, il ne les a pas fumés seul…
blait à un étranglement. » Mais les quatre C’était avec ses amis, en l’absence de ses parents.
D’ailleurs, je constate que ses conduites de
consommation sont soit des essais, soit des excès,
mais jamais régulières. Ce qui explique toutes ses
conduites à risques : l’objectif est de se procurer des
sensations fortes. Il le dit lui-même : « Ce que je
recherche, c’est l’adrénaline. » Et donc, l’intensité
des sensations nouvelles plus que le plaisir lié à
l’activité elle-même.
Il fallait serrer le cou Lucas présente une personnalité de « recherche
de notre copain jusqu’à ce qu’il de sensations ». Un profil décrit dès 1964 par le psy-
chologue américain Marvin Zuckerman (1928-
s’évanouisse. Nous avions tous 2018). Le tempérament de recherche de sensations,
qui repose en partie sur des bases biologiques, cor-
peur, mais nous avons tous respond à un besoin d’expériences et de sensations
variées, complexes, pouvant conduire le sujet à
tenté l’expérience. s’engager dans des conduites de désinhibition, ainsi
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as clinique
L’enfant qui voulait flirter avec la mort
Ensemble
des jeux dangereux
(ou activités
ludico-violentes)
Jeux
d’agressions Jeux de défis
(par exemple, s’en prendre (par exemple, monter
à plusieurs à un seul sur le toit de trains
camarade) en marche)
Jeux
de non-oxygénation
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L’enfant qui voulait flirter avec la mort
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30
La volte-face
du professeur Eccles
© Illustrations de Lison Bernet
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DÉCOUVERTES G
randes expériences de neurosciences 31
JEAN-GAËL BARBARA
Chercheur en histoire des neurosciences au CNRS,
au laboratoire Neuroscience Paris-Seine et Sorbonne-
Paris-Cité – laboratoire Sciences, philosophie, histoire.
EN BREF
Q uoi de plus difficile que de
reconnaître que l’on a tort ? Pire : comment par-
venir à adopter le point de vue de ses adver-
££John Eccles, le saires en attaquant ses propres positions ? C’est
chercheur qui a montré
que les neurones pourtant de cette façon qu’a eu lieu une des
communiquent par des découvertes les plus fondamentales des neuro
substances chimiques, sciences : le fait que les connexions entre neu-
avait commencé par rones (les synapses) fonctionnent avec des molé-
combattre ardemment
cette théorie. cules chimiques et pas seulement avec des
courants électriques.
££Son revirement doit La nouvelle fait l’effet d’un coup de tonnerre.
beaucoup à sa rencontre Lors de la réunion de la Physiological Society de
avec Karl Popper, Londres en 1951, l’éminent neurophysiologiste
le philosophe qui avait
Jusqu’en 1945, établi qu’une théorie australien John Eccles renie publiquement sa
John Eccles voit doit être réfutable propre théorie sur le fonctionnement des synapses.
dans l’électricité pour être scientifique.
la seule source Une théorie qui stipule que nos neurones sont cen-
de la communication sés communiquer entre eux par des phénomènes
neuronale. Puis il décide ££Cet épisode marquant
de l’histoire des sciences électriques directs au niveau des synapses. Sous
d’attaquer sa propre
théorie... et la pulvérise. montre que, pour les yeux de l’assistance médusée, lui le plus ardent
Il bascule alors vers atteindre la vérité, défenseur de cette théorie, l’adversaire déclaré de
une vision chimique nous devons critiquer
de la transmission tous ceux qui soutenaient un mécanisme chimique
nos propres opinions.
de l’influx nerveux. de neurotransmission, reconnaît que ce sont eux
qui avaient raison.
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32 DÉCOUVERTES G
randes expériences de neurosciences
LA VOLTE-FACE DU PROFESSEUR ECCLES
N° 110 - Mai 2019
33
L’histoire est faite d’imprévus et se nourrit Eccles, en quête de critères pour trancher la
autant de sciences et d’idées que d’argent, de poli- polémique sur la nature de la neurotransmis-
tique et de mariages. En 1937, Eccles prend la sion, est sensible à cette vision. Il invite Popper
décision de retourner en Australie, pour deux rai- en 1945 à donner une série de conférences dans
sons. D’abord, il peine à obtenir des crédits de sa faculté. Puis, suivant sa méthode, il s’attache
recherche ; ensuite, il estime que les Alliés tardent dès lors à présenter ses idées théoriques de
à faire front contre la montée du nazisme. De là manière à ce qu’elles semblent résister aux pro-
il s’installe en Nouvelle-Zélande, en 1943, suivant cédures expérimentales classiques de réfuta-
le conseil de son épouse néo-zélandaise. Il pour- tion. Il propose notamment une théorie chimique
suit alors ses recherches sur les potentiels synap- faisant intervenir des ions chlorure – théorie
tiques dans la moelle épinière à l’université de réfutable expérimentalement, car il est possible
Dunedin, en Nouvelle-Zélande. Et, là encore, il de remplacer les ions chlorure par d’autres ions
acquiert une belle notoriété en défendant la théo- et d’observer si la transmission de l’influx est
rie électrique. Pour l’instant, tout porte encore à modifiée ou non.
croire que cette théorie ne fera que s’affermir.
Mais c’est compter sans une rencontre décisive. QUAND UNE THÉORIE S’EFFONDRE
Or au sein même de son laboratoire, Steve
UNE RENCONTRE CAPITALE Kuffler et son jeune collègue Bernard Katz
Un de ses collègues, Steve Kuffler, émigré mènent des recherches visant à tester directe-
hongrois, introduit Eccles dans les cercles de ment la théorie chimique de la neurotransmis-
réfugiés d’Europe en Australie, puis en Nouvelle- sion à la jonction neuromusculaire (où les neu-
Zélande. Parmi ceux-ci, un philosophe viennois rones moteurs de la moelle épinière sont reliés
d’ascendance juive, Karl Popper. Popper est phi- aux fibres musculaires dont ils commandent les
losophe des sciences. Selon lui, aucune théorie contractions). Kuffler et Katz testent le rôle de
scientifique ne peut être tenue pour vraie une fois molécules chimiques dans la transmission de cet
pour toutes parce qu’elle aurait été vérifiée par influx nerveux, et ils utilisent pour cela une tech-
des expériences. Une théorie n’est scientifique nique proche de celle de l’ennemi juré, Dale. Et
que si elle prend la forme d’un énoncé qui peut voilà qu’à la surprise générale, à force de vouloir
être non pas vérifié, mais réfuté… contredire la théorie de la maison, ils y arrivent !
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34 DÉCOUVERTES G
randes expériences de neurosciences
LA VOLTE-FACE DU PROFESSEUR ECCLES
microélectrodes en verre. Eccles met un peu de cette course. Lui que l’on surnomme à Dunedin
temps à comprendre tout l’intérêt de cette tech- Synaptic Jack, le spécialiste mondial des synapses,
nique, mais il finit par se dire que s’il arrivait à ou encore The Great White God en raison de sa
enregistrer la différence de potentiel électrique puissance et de son ardeur au travail, ne peut man-
entre l’intérieur et l’extérieur d’un neurone, par quer une telle occasion de se mettre en valeur. Il
N° 110 - Mai 2019
35
DANS
LE CERVEAU
DES PSYCHOPATHES
Dans un ouvrage récent paru aux éditions Humensciences,
Abigail Marsh, professeure de psychologie à l’université
de Georgetown, raconte sa plongée dans le monde des
psychopathes, et comment elle a percé à jour
le fonctionnement de leurs neurones.
Ce qui l’a aussi amenée sur le chemin
L
d’altruistes extraordinaires.
a psychopathie est un moins dix livres ont été écrits sur Ridgway (le
trouble psychique qui enlève au cerveau plus grand tueur en série de l’histoire des États-
humain toute capacité de compassion. Elle se Unis, n.d.l.r.), dont l’un par son avocat, Tony
caractérise par la combinaison d’une insensibilité Savage, et un autre par Ann Rule, la reine des
aux autres, d’un contrôle de soi limité et de com- crimes les plus marquants. Pourquoi une telle
portements antisociaux comme la manipulation fascination ? Je ne sais pas très bien moi-même,
ou la duperie. Tous les psychopathes ne sont pas mais je pense que c’est dû en partie au fait que
violents mais c’est le cas de beaucoup d’entre eux. les psychopathes, particulièrement ceux qui
Si seulement 1 à 2 % des Américains étaient de sont vraiment horribles comme Ridgway, sont à
vrais psychopathes, ceux-ci représenteraient la fois terrifiants et très difficiles à repérer.
néanmoins près de la moitié des criminels vio- Même les psychopathes qui commettent des
lents. Ils se caractérisent par leur tendance à être meurtres en série d’une cruauté inimaginable
spontanément agressifs, à perpétrer des actes ont souvent l’air tout à fait normaux. Et pas nor-
violents non à la suite d’un emportement mais maux au point que cela en paraît louche.
d’une manière délibérée et réfléchie. [... ] Vraiment normaux. Du genre à saluer de la main
Les gens sont avides de détails concernant Cet article est extrait leur voisin en partant travailler. [...]
du livre d’ Abigail Marsh,
les psychopathes. Si je veux entamer une longue Altruistes et Tony Savage (l’avocat de Ridgway, n.d.l.r.) a
conversation avec quelqu’un que je ne connais psychopathes, traduit souligné ce point dans un entretien qu’il a eu avec
pas, je me suis aperçue qu’il suffit de lui men- par Pierre Kaldy, éditions l’animateur de télévision Larry King en 2004.
Humensciences, 2019.
tionner que j’étudie la psychopathie (et si je veux 398 pages, 24,50 e
« Larry, a-t-il dit, comme je le dis toujours, vous
rester tranquille, je dis que je suis professeure pourriez vous asseoir et discuter avec ce type au
en psychologie, ce qui fait fuir les gens). Au bar et prendre une bière avec lui, puis vingt
capables de déceler les expressions de crainte qu’il faisait souvent des crises de colère. Mais un
offraient plus d’argent et de temps pour aider Katie trouble de l’humeur ne pouvait pas provoquer de
Banks, la femme en difficulté que je jouais dans telles crises chez Dylan.
l’entretien radio. Les autres études révélaient que D’abord, Dylan avait douze ans à l’époque,
les participants qui réussissaient le mieux à recon- âge où normalement les vrais accès de colère font
naître la peur sur le visage des autres estimaient partie du passé. Normalement, c’est dans les
avec plus d’indulgence l’apparence physique d’in- années qui précèdent l’école que ces crises sont
connus s’ils pensaient que ces derniers allaient les plus fréquentes. Et, si elles peuvent être embê-
recevoir leur évaluation, et qu’ils exprimaient aussi tantes ou déstabilisantes à l’âge de deux ans, elles
s’avèrent rarement un problème sérieux. elle avait donné un coup avec un jouet à un cama-
Maintenant, imaginez une telle crise chez un gar- rade tellement fort qu’il eut plusieurs points de
çon de 1,60 m et de 54 kg qui peut se servir de suture. Et, comme beaucoup de sujets de notre
n’importe quel objet à la maison comme d’une étude, elle manipulait les gens, mentait, volait
arme (couteau, allumette, accessoire de sport, des affaires, et niait l’avoir fait. [...]
etc.) et qui reste dans cet état une heure ou deux. Heather était juste incroyablement douée
Terrifiant, n’est-ce pas ? C’était Dylan. Il suffisait pour tromper son monde, la meilleure que nous
de peu de chose, être énervé de ne pas avoir eu ayons rencontrée. Si nous nous étions contentées
ce qu’il voulait ou puni en raison d’un petit écart de ses entretiens, nous ne l’aurions jamais rete-
de conduite, pour qu’il fasse une crise de rage nue pour notre étude. Suite à l’entretien, je l’au-
Biographie
avec des cris, le visage tout rouge, et des scènes rais facilement prise comme assistante de
pouvant aller jusqu’à des menaces de violences et recherche ou pour garder des enfants. Pourtant,
Abigail Marsh
de destruction, voire des passages à l’acte. Durant son évaluation faite, elle obtint un score large-
les pires moments, il avait menacé ses parents de ment supérieur au seuil requis. Pour nous, c’était
Professeure
les battre, fait des dégâts dans les murs ou les encore une leçon d’apprise. [...]
au département
portes à coups de poing ou de pied, et même de psychologie
répandu une fois ses excréments sur les murs de de l’université DANS LE CERVEAU DES PSYCHOPATHES
la pièce où il avait été enfermé. Une autre fois, il de Georgetown, Nous allions utiliser l’IRMf pour voir l’acti-
avait menacé sa mère d’un couteau. Cette fois-là, aux États-Unis, vité de régions du cerveau d’adolescents psycho-
et à d’autres reprises, sa mère avait dû emmener elle dirige le laboratoire pathiques qu’il aurait été difficile de déceler
ses plus jeunes sœurs passer la nuit chez un voisin de neurosciences autrement, notamment celles de la partie infé-
de peur que Dylan ne mette vraiment ses menaces affectives et sociales. rieure du cortex préfrontal qui se situe juste au-
à exécution. Elle a étudié pendant dessus des yeux et une autre région appelée
Ces détails nous indiquaient qu’il ne s’agissait plus de dix ans amygdale. L’amygdale (du latin « amande ») est
le comportement et le
pas seulement d’un trouble de l’humeur. [...] une structure paire formée de graisse et de
cerveau de psychopathes
et, à l’opposé, fibres d’un peu plus de 1 centimètre de diamètre
HEATHER, OU LA CRUAUTÉ À L’ÉTAT BRUT de personnes dotées enfouie sous les couches du cortex qui recouvrent
Heather fut parmi nos sujets les plus difficiles d’un extraordinaire les tempes. Elle est si petite et située si loin du
à évaluer. Selon son père, c’était une terreur. niveau d’altruisme. cuir chevelu que ni le PET scan ni l’EEG ne
Comme Dylan, elle partait dans de violentes peuvent mesurer correctement son activité. Sa
colères qui pouvaient parfois durer des heures et taille réduite ne doit pas faire oublier son impor-
la laissaient ensuite amorphe et épuisée. Elle tance. Elle joue, entre autres choses, un rôle
pouvait aussi prendre l’initiative d’une agression crucial dans la reconnaissance des expressions
assez subtile pour qu’elle puisse ensuite affirmer de peur sur les visages. [...]
n’avoir rien fait de mal. Son père souffrait sou- Nous avons fini par réunir assez de données
vent de migraines et Heather se mettait à claquer utilisables de nos douze enfants avec traits psy-
les portes et à allumer des lumières fortes chaque chopathiques qui étaient non hospitalisés, pas
fois qu’il avait une crise, prenant visiblement trop remuants et, pour les filles, pas enceintes,
plaisir à voir la douleur qu’elle provoquait ainsi. ainsi que de vingt-quatre enfants comparables
Il lui arrivait d’être violente à l’école, et une fois pris comme témoins (douze en bonne santé et
douze n’ayant qu’un TDAH, ou trouble de l’atten-
tion avec hyperactivité). Ensuite, leur analyse
nous a encore pris des semaines en raison de
l’énorme quantité d’informations collectées par
les scans d’IRMf du cerveau entier ainsi que du
nombre de transformations qu’elles doivent
subir avant de pouvoir être analysées. Au terme
de ce long processus, j’ai finalement effectué des
Une caractéristique tests statistiques pour comparer l’activation de
des psychopathes est que l’amygdale entre les trois groupes d’enfants pen-
© Université de Georgetown
l’amygdale à la vue de ces expressions. J’ai com- avons demandé à quoi ressemblait leur peur, ils
mencé à explorer l’image et je suis arrivée en n’ont pas mentionné les changements physiques
retenant mon souffle sous les volutes du cortex intenses ressentis par les enfants bien portants
dans les profondeurs du cerveau temporal comme d’être tendus, de trembler ou d’avoir du
jusqu’à l’amygdale, avec l’espoir d’y voir une dif- mal à respirer. Deux enfants psychopathiques
férence d’activation. Et elle était bien là ! Une nous ont même déclaré qu’ils n’avaient jamais
petite tache rougeoyante témoignait d’une dif- éprouvé de peur de leur vie, ce qu’aucun autre
férence d’activation entre les groupes d’enfants, enfant sain n’a dit.
exactement à l’endroit attendu. Voici peut-être la réponse que je préfère
Nos enfants psychopathiques ne présentaient, concernant l’expérience de la peur que m’a don-
en moyenne, aucune activation, zéro, de l’amyg- née un enfant de notre étude. Cette jeune fille de
dale droite quand ils regardaient le visage d’une quatorze ans a tenu à rajouter son commentaire :
personne ayant une peur intense. La vue d’une « (Rien ne m’effraye !) #RIEN ». [...]
autre personne en détresse n’imprimait rien dans Et si quelqu’un ne comprend pas ce que signi-
cette partie de leur cerveau. C’était très différent fie avoir peur, comment peut-on s’attendre à ce
de ce que nous voyions chez les enfants sains ou qu’il ait de l’empathie avec cette émotion chez les
avec TDAH qui présentent dans ce cas, en autres ? Il s’avère, comme nos études successives
moyenne, une augmentation de l’activité de le suggèrent, qu’il en est tout simplement inca-
l’amygdale comme chez la plupart des adultes. pable. Sans un fonctionnement normal de l’amyg-
Notre résultat, qui a été reproduit plusieurs fois dale, des adolescents psychopathiques, et a priori
par différents laboratoires, nous aide à com- aussi des adultes, ne reconnaissent pas la peur
prendre pourquoi des enfants aux traits psycho- chez les autres pour ce qu’elle est, ne com-
pathiques ont de telles difficultés à reconnaître prennent pas ce que peut ressentir une personne
la peur chez les autres personnes, pourquoi la vue qui a peur, et par conséquent ne discernent pas
de la détresse que leur violence et leurs menaces ce qui pose un problème à faire ressentir cette
causent aux autres a si peu d’effet pour inhiber émotion chez les autres. Des études plus récentes
leur cruauté. C’est parce que cette région du cer- que j’ai menées avec mon étudiante Élise
veau cruciale pour identifier et répondre précisé-
ment à ces expressions est défaillante. Il en
résulte que ces enfants luttent littéralement pour
comprendre ce qu’ils voient. [...]
UNE « PURE MACHINE À TUER »
UNE ABSENCE TOTALE DE PEUR
Globalement, les enfants avec des traits de
psychopathie ont rapporté qu’ils ne ressentaient
que rarement et faiblement de la peur. Quand il
leur était demandé, par exemple, combien de
G ary Ridgway purge actuellement une peine de
prison à vie pour quarante-neuf meurtres attestés
et il a affirmé en avoir commis des dizaines d’autres.
fois ils éprouvaient de la peur sur une échelle Sa première tentative de meurtre a eu lieu en 1963,
d’intensité allant de 1 à 7, la réponse moyenne année où par une simple coïncidence de la vie
des enfants sains était légèrement supérieure Milgram effectuait ses expériences sur l’obéissance.
à 4. Deux de ces enfants, Michael et Amber, ont Gary avait environ quatorze ans et se rendait à pied à
chacun entouré « 1 ». Leur réponse a corres- son cours de danse de salon. En traversant un secteur
pondu à ce que nous avions entendu au cours boisé, il rencontra un petit garçon de six ans. Sans
des entretiens. Michael se blessait en perma- vraiment réfléchir, il l’attira dans les fourrés et, avec
nence à vouloir faire des exploits physiques un couteau qu’il portait toujours sur lui, le poignarda
comme du vélo sur le toit de son école. La mère dans le thorax, lui perçant un rein. Il retira rapidement
d’Amber se rappelait que lorsque sa fille était le couteau et regarda le sang jaillir de la blessure. Puis il repartit, le laissant mourir
encore en maternelle elle s’échappait parfois en ou presque. [... ] Lorsqu’il devint adulte, les choses prirent une tournure beaucoup
courant et qu’on la retrouvait à jouer seule dans plus sinistre. Un désir de sexe permanent apparut. Ces pulsions, combinées à son
l’obscurité complète d’une cave sinistre de leur insensibilité et au plaisir de pouvoir tuer qu’il avait déjà, firent de Ridgway un
immeuble. Certains enfants de l’étude ont rap- sadique sexuel insatiable qui a violé et tué au moins quarante-neuf filles ou
© Wikimedia Commons
porté qu’ils ont ressenti de la peur quand, par femmes. C’étaient pour la plupart des adolescentes en errance ou des prostituées
exemple, ils se sont retrouvés coincés sur des autour de la ville de SeaTac dans les années 1980. [... ] Même comparé à d’autres
montagnes russes ou qu’ils ont vu un arbre meurtriers, Ridgway était un individu particulièrement dépravé, « une pure
s’abattre et manquer de peu d’écraser leur mai- machine à tuer » comme il s’appelait lui-même.
son lors d’un ouragan. Mais, lorsque nous leur
N° 00 - Mois 2000
Dossier
SOMMAIRE
p. 44
Les bonnes ondes
de la nature
p. 52 Interview
Les jardins thérapeutiques
restaurent les rythmes
biologiques
p. 58
Comment la nature nourrit
le cerveau des enfants
COMMENT
LA NATURE
FAIT DU BIEN Avec plus de 50 % des gens qui vivent
aujourd’hui dans des espaces urbains (80 % en France),
il est devenu vital de s’interroger : à quel point avons-
À NOTRE
nous besoin de nature ? De plus en plus, les données
issues de la psychologie et des neurosciences
convergent vers le même constat : déconnecté du mi-
lieu qui l’a façonné pendant des milliers d’années,
CERVEAU
notre cerveau se développe moins bien et fonctionne
de façon moins efficace et moins apaisée.
Nombre d’études alertent d’ailleurs sur le caractère
massif des maladies mentales dans nos sociétés mo-
dernes. L’artificialisation de nos cadres de vie n’est évi-
demment pas seule en cause, mais elle semble jouer un
rôle. Toutes ces recherches invitent donc à se reconnecter
à la nature. En s’y immergeant régulièrement, mais aussi
en la réintroduisant au cœur de nos villes, de nos lieux de
travail, de nos hôpitaux, de nos écoles… Et, bien sûr, en la
préservant des multiples dégradations dont elle est l’ob-
jet. Car la protéger, c’est nous protéger nous-mêmes. À la
crise mentale et environnementale, la solution est peut-
être en partie commune.
Guillaume Jacquemont
LES BONNES
ONDES
DE LA NATURE
N° 110 - Mai 2019
45
Ê
EN BREF
££De nombreuses
recherches prouvent
aujourd’hui les bienfaits
de la nature.
££Celle-ci agit sur notre
corps et notre cerveau
par le biais de multiples tes-vous un adepte du shinrin yoku ?
mécanismes, améliorant Cette pratique des « bains de forêt », venue du Japon, est
notre état physique très en vogue aujourd’hui en France. Elle consiste à s’immer-
et psychologique. ger dans une forêt en prêtant attention à ses sens et au moment
££Les forêts sont présent. L’idée est de rapprocher l’humain de la nature afin de
particulièrement profiter de cette interaction. On parle même de sylvothérapie,
bénéfiques, mais car cette expérience peut relever de la médecine, notamment
le moindre élément préventive. Une marche « attentive » en forêt favoriserait la
de nature nous fait relaxation, la réduction du stress, les fonctions immunitaires…
du bien.
Ces bienfaits s’inscrivent dans ceux, plus larges encore, que
££L’homme doit prodigue la nature.
donc protéger son Dans Les Rêveries du promeneur solitaire, Jean-Jacques
environnement aussi Rousseau évoquait déjà ce bien-être et ce sentiment de
parce que son bonheur
en dépend. connexion suscités par une observation immersive et attentive
de la nature : « Plus un contemplateur a l’âme sensible, plus il
se livre aux extases qu’excite en lui cet accord [l’harmonie des
trois règnes]. Une rêverie douce et profonde s’empare alors de
ses sens, et il se perd avec une délicieuse ivresse dans l’immen-
© Xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
N° 110 - Mai 2019
46 DOSSIER C OMMENT LA NATURE FAIT DU BIEN À NOTRE CERVEAU
LES BONNES ONDES DE LA NATURE
de la planète par une diversité de processus écolo- Ces bénéfices ne se limitent pas au bien-être :
giques et écosystémiques. Cependant, elle renvoie le contact avec la nature favorise également les Regardez bien ces deux
aussi à notre vulnérabilité. Elle peut représenter fonctions cognitives (concentration, apprentis- images. Quel effet
produisent-elles sur
un espace d’insécurité, voire de prédation. En sage…), en réduisant la fatigue et en restaurant vous ? Les recherches
France, les contes qui ont pour théâtre une sombre les capacités d’attention. Dès les années 1990, montrent que la simple
forêt hantent encore nos imaginaires. Rachel Kaplan, de l’université du Michigan, aux vue d’un paysage
naturel, sur une
Historiquement, les humains se sont regrou- États-Unis, avait montré que des scènes de nature photographie ou par
pés et ont progressivement organisé le contrôle (comme le vent dans un feuillage ou l’eau d’un la fenêtre, apaise et
suscite un sentiment
de leur environnement, notamment grâce à torrent qui s’écoule) attirent notre attention de bien-être, là où les
l’agriculture. Les forêts ont régressé et ont laissé d’une façon douce et discrète, permettant un scènes urbaines activent
la place à des espaces aménagés. Désormais plus repos et un rétablissement cognitif. Dans une les zones cérébrales de
l’anxiété. Bien sûr, l’effet
de la moitié de la population mondiale vit dans meilleure disposition, le cerveau génère alors de la nature est plus
un espace urbanisé et plus des trois quarts des davantage d’idées nouvelles : dans une expé- important quand on peut
Français habitent en ville. rience menée en 2012 par Ruth Atchley, de l’uni- s’immerger dedans,
se promener dans
versité du Kansas, et ses collègues, les perfor- une forêt par exemple.
EXTINCTION DE L’EXPÉRIENCE DE NATURE mances des participants à un test de créativité
Parallèlement, nos styles de vie ont évolué. ont augmenté de 50 % après quatre jours de ran-
Nous bougeons moins qu’avant et passons beau- donnée dans les grands parcs américains.
coup de temps devant des écrans (près de quatre Les bienfaits des bains de nature ne sont pas
heures par jour en moyenne pour les Français, seulement psychiques, ils sont aussi physiques.
selon l’Insee). Nos interactions avec la nature ont Plusieurs études ont montré qu’ils réduisent la
changé : champs et forêts disparaissent des espaces douleur et accélèrent la guérison de certains
de vie, et nous vivons principalement dans des patients, ou encore préviennent certaines mala-
environnements pensés et construits par l’homme. dies. En 2006, Qing Li, de l’École de médecine
Les rencontres avec la diversité animale et végétale japonaise, à Tokyo et ses collègues ont ainsi
se raréfient. Plusieurs spécialistes, par exemple découvert que les phytoncides, des huiles essen-
Robert Pyle, écologue américain, parlent à ce sujet tielles émises par les arbres, favorisent l’activité
© Jay Si-Quick Shot /Shutterstock.com
d’une « extinction de l’expérience de nature ». des « cellules NK » – qui, chez l’homme, traquent
Pourtant, les études qui mettent en lumière et tuent les cellules infectées par des virus.
ses bienfaits s’accumulent. Ainsi, les relations Des bénéfices sociaux ont aussi été observés.
avec l’environnement naturel entraînent une Richard Mitchell, de l’université de Glasgow, a par
diminution du stress (mesurable par la baisse du exemple montré que l’accès à des espaces verts
rythme cardiaque, de la pression artérielle et du atténue les inégalités en termes de santé causées
taux de cortisol dans la salive), atténuent la par la disparité des revenus ; c’est en quelque sorte
dépression, améliorent l’estime de soi et un « soin gratuit pour tous ». En outre, les environ-
accroissent le sentiment de bonheur. nements naturels favorisent le calme, la maîtrise
N° 110 - Mai 2019
47
de soi et réduisent les sentiments de frustration désigne une grande diversité de composants
et de colère. Ce faisant, ils contribuent au déve- chimiques. La concentration atmosphérique de ces
loppement de comportements prosociaux et à une phytoncides dans une forêt dépend de nombreux
atmosphère de coopération. facteurs, tels que la saison, le climat ou la compo-
À l’inverse, plusieurs études associent en partie sition en essences forestières. Plusieurs travaux
le développement de certaines pathologies ont mis en évidence les effets de certaines de ces
(dépression, allergies, troubles de l’attention, obé- molécules. Ainsi, en 2003, Samantha Dayawansa,
sité…) à des environnements trop artificiels, ou à de l’université Toyama, au Japon, a montré que
des contacts trop rares avec l’environnement natu- l’inhalation de cédrol diminue la fréquence car-
rel. Dans le contexte trépidant de notre vie essen- diaque, amène à respirer plus lentement et plus
tiellement urbaine, les bienfaits apportés par les profondément, et réduit la pression artérielle. Et
arbres et les plantes apparaissent comme un dans les forêts de conifères, l’a-pinène (une subs-
contrepoint nécessaire aux sollicitations mentales tance antibactérienne produite par les arbres)
et sociales répétées. Mais quelle nature privilé- favorise quant à elle la relaxation.
gier ? Y a-t-il des environnements particulièrement Visuellement, la nature n’est pas avare de
bénéfiques ? Et si oui, comment l’expliquer ? bienfaits : ainsi, l’attention douce induite par les
espaces forestiers facilite une restauration des
LA FORÊT DANS TOUS LES SENS fonctions cognitives et invite à l’apaisement. C’est
La palme revient aux promenades en forêt, ce que révèlent les travaux réalisés par l’équipe
qui proposent un contexte très immersif. Au de Yoshifumi Miyazaki, de l’université Chiba, au
milieu des arbres, les signes de l’activité humaine Japon, en 2018 : les participants de cette étude
se font rares, voire disparaissent. À la place, la ont vu leur sentiment de confort et de relaxation
forêt se donne tout entière à voir, à sentir, à augmenter après seulement une minute et demie
entendre, à toucher, à goûter… Le paysage, le à contempler des photographies de forêt, par rap-
balancement du feuillage, les troncs qui se port au groupe contrôle qui devait regarder des
répètent à l’infini, les odeurs de sous-bois et de environnements urbains.
résine, le chant des oiseaux et le bruissement des Continuons notre ballade des cinq sens par
feuilles, la rugosité des écorces… ces éléments l’ouïe : les sons de la nature, et notamment les
produisent une expérience multisensorielle. Les bruits émis par les oiseaux, seraient particulière-
informations perçues par les sens sont analysées ment efficaces pour diminuer le stress et restau-
par le cerveau et y influent sur l’activité des aires rer l’attention. En 2010, Jesper Alvarsson et ses
dédiées au contrôle psychique et physique. collègues de l’université de Stockholm ont ainsi
L’expérience olfactive dans l’environnement montré, grâce à diverses mesures physiologiques,
forestier est notamment liée à des substances que l’on s’apaise plus vite après une tâche stres-
nommées phytoncides. Ce terme est générique et sante lorsqu’on écoute ce type de bruits. Selon les
travaux de l’équipe d’Eleanor Ratcliffe, de l’uni-
versité du Surrey, en Grande-Bretagne, certains
Lors d’une
chants d’oiseaux accroissent aussi le sentiment de
connexion à la nature.
forêt, chaque sens avec le tronc des arbres nous ferait du bien, selon
plusieurs études. Dans des expériences, des cher-
particuliers.
entraînait un abaissement bénéfique de la pres-
sion sanguine.
Ainsi, lors d’une immersion en forêt, chaque
N° 110 - Mai 2019
48 DOSSIER C OMMENT LA NATURE FAIT DU BIEN À NOTRE CERVEAU
Les bonnes ondes de la nature
D urant des milliers d’années, nos ancêtres ont vécu dans la nature.
C’est là que, génération après génération, l’évolution a fait son
œuvre, forgeant nos gènes et nos systèmes neuronaux. Aujourd’hui
importance. Les fractales sont des formes qui font apparaître des motifs
similaires à différentes échelles de taille : par exemple, une branche d’arbre
ou une simple ligne droite (quand on zoome, on obtient toujours une ligne).
encore, notre cerveau y serait adapté. Toute une série d’études en Or les fractales « naturelles » sont plus rugueuses, plus imprécises, que
neurosciences montrent ainsi que ses performances sont meilleures celles présentes dans les environnements artificiels. Les motifs ne sont pas
et qu’il en résulte un état psychologique plus positif au sein d’un exactement les mêmes aux différentes échelles et les formes sont
environnement naturel. globalement plus irrégulières, ce qui se traduit mathématiquement par une
L’optimisation des performances commence au niveau le plus élémentaire, dimension fractale supérieure. C’est cette imprécision des motifs qui
celui de la perception. Les recherches suggèrent ainsi que notre cortex semble retenir l’attention des observateurs. Et elle serait d’autant plus
visuel est particulièrement efficace pour analyser les scènes naturelles, grande que la nature est préservée : en 2018, Paul Stevens, de l’université
parvenant mieux à détecter les éléments élémentaires de l’image de Derby, au Royaume-Uni, a montré que plus la biodiversité d’un site est
(l’orientation des lignes, les contrastes, les formes…). En 2016, Florian riche, plus sa dimension fractale est élevée et plus ce site inspire des
Mormann, de l’université de Bonn, en Allemagne, et ses collègues ont en émotions positives à ceux qui le regardent.
outre montré que certains neurones du gyrus parahippocampique humain Cet état psychologique agréable se voit dans le cerveau. En 2015,
sont spécialisés dans le traitement de scènes extérieures ; cette région Caroline Hägerhäll, de l’université suédoise des sciences agricoles, et ses
étant étroitement connectée à l’hippocampe, un centre de la mémoire, collègues ont mesuré par électroencéphalographie l’activité cérébrale de
elle pourrait aider à mieux mémoriser les endroits, en particulier naturels, participants qui regardaient soit des formes fractales présentes dans la
lors de la formation d’un souvenir. nature, soit des fractales exactes. Les chercheurs ont alors constaté que
Mais l’effet de la nature ne se limite pas à la perception. Dans une étude l’exposition à des fractales naturelles entraîne la production d’ondes
menée en 2015 par Zheng Chen, de l’université Tongji, à Shanghaï, et ses alpha, caractéristiques d’un état de relaxation.
collègues, les participants devaient s’asseoir 20 minutes dans un
environnement soit construit, soit naturel, tandis que leur activité
cérébrale était enregistrée par électroencéphalographie. Les chercheurs
ont alors constaté que les différentes régions cérébrales interagissent
davantage quand nous sommes entourés de verdure. Selon eux, c’est le
signe que le cerveau est globalement plus performant.
N° 110 - Mai 2019
49
N° 110 - Mai 2019
50 DOSSIER C OMMENT LA NATURE FAIT DU BIEN À NOTRE CERVEAU
Les bonnes ondes de la nature
L’être humain
chacun, les types d’environnements et les moda-
lités d’interaction (camping, randonnée, simple
photographie de forêt affiché dans le salon…). La
« dose de nature » reçue, autrement dit la durée,
la fréquence et l’intensité de l’exposition, importe
aussi probablement. Imaginez que l’on vous
a une tendance
remette un jour l’ordonnance suivante : « Vous
prendrez trois heures de forêt et quatre bains de innée, inscrite
génétiquement,
mer ». Cela supposerait certainement de réorga-
niser notre mode de vie, mais apporterait des
bénéfices plus durables que quelques pilules.
à rechercher
Il faudra aussi adapter les prescriptions à l’âge
du sujet : une étude menée par Jo Barton, de l’uni-
versité d’Essex, en Grande-Bretagne, a montré que
l’activité physique en plein air (comme une marche
dans un parc) améliore plus fortement l’estime de
soi chez les jeunes, et agit davantage sur l’humeur
les connexions
chez les personnes plus âgées. Les bénéfices des
interactions avec la nature sont aussi très impor-
tants chez les enfants et leur étude constitue une
avec la nature.
catégorie de recherche particulièrement dévelop-
pée (voir l’article de Betty Mamane, page 58). Barlow estimaient que notre cerveau s’est adapté
À mesure que se dévoilent les mécanismes qui à l’environnement naturel, au sein duquel il fonc-
sous-tendent l’amélioration du bien-être, on s’inter- tionne mieux. Ce que les neurosciences modernes
roge aussi sur les fondements de ces effets : pour- tendent à confirmer (voir l’encadré page 48). Bibliographie
quoi réagissons-nous si fort au contact à la nature ? Culturellement, la relation avec la nature nous
L’explication la plus simple est que nous définit aussi en tant qu’humains. Les interactions M. Kondo et al., Does
sommes intrinsèquement des êtres de nature, en avec l’environnement naturel peuvent émerveil- spending time outdoors
reduce stress ? A review
ce sens où nous sommes reliés à l’environnement, ler, susciter le sentiment de faire partie d’un tout
of real-time stress
à la fois physiquement, génétiquement et cultu- – conduisant à un élargissement des valeurs à response to outdoor
rellement. Les recherches suggèrent d’ailleurs l’ensemble du monde vivant – et sous-tendre une environments, Health
que plus le sentiment de connexion est fort, plus démarche spirituelle, par exemple à travers un and Place, vol. 51,
les bienfaits sur la santé et le bien-être sont questionnement sur la signification de l’existence. pp. 136-150, 2018.
importants. Contrairement à une doxa contemporaine, le bon- M. Hansen et al.,
Physiquement, nous sommes en contact per- heur ne se trouve pas nécessairement dans la Shinrin-Yoku (Forest
manent avec ce qui nous entoure. À travers l’air satisfaction de besoins hédonistes, mais peut-être Bathing) and Nature
que nous inspirons, molécules et microbes qui s’y à travers la recherche et la construction d’une vie Therapy : A State-of-
trouvent interagissent avec notre corps, tantôt faisant sens, plus axée sur des valeurs telles que the-Art Review, Int.
pour notre plus grand bien (l’exposition à une le développement personnel, la contribution J. Environ. Res. Public
source diversifiée de microbes permettant un sociale et la protection de l’environnement. Health, vol. 14(8),
acclimatement de la communauté microbienne En réalité, la préservation de la nature et du p. 851, 2017.
de l’organisme), et tantôt à notre détriment (si bien-être humain sont les deux faces d’un même S. Clayton et al.,
l’environnement est pollué). De même, la nourri- processus de conservation écologique. Seul un Transformation of
ture que nous absorbons peut tour à tour favori- changement des comportements aidera à faire experience : Toward a
ser ou dégrader notre santé. face aux bouleversements d’origine anthropique. new relationship with
Nature, Conservation
Mais pour que les gens acceptent de changer, il
Letters, vol. 10(5),
LE SENTIMENT DE FAIRE PARTIE D’UN TOUT faudra maintenir, voire retrouver, le lien avec la pp. 645–651, 2017.
L’espèce humaine a évolué au contact de la nature. Relever ce défi est un choix de société,
nature et ce contact a forgé nos préférences. qui doit se traduire par des actions concrètes : D. Bowler et al.,
A systematic review of
L’hypothèse de la biophilie, développée par le d’une part, nous avons tout intérêt à multiplier
evidence for the added
biologiste britannique Edward Wilson dans les les expériences de nature riches et diverses, pour benefits to health of
années 1980, postule que l’être humain a une nous comme pour nos enfants ; d’autre part, nous exposure to natural
tendance innée, inscrite génétiquement, à devons préserver les espaces naturels existants, environments, BMC
rechercher les connexions avec la nature et mais aussi en développer de nouveaux, plus Public Health, vol. 10,
d’autres formes de vie. Mais dès les années 1950, proches des habitations. Et ainsi mettre la nature p. 456, 2010.
des chercheurs comme Fred Attneave ou Horace au cœur de nos vies et de nos villes. £
N° 110 - Mai 2019
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4 MERCI DE JOINDRE
IMPÉRATIVEMENT UN RIB Partie réservée au service abonnement. Ne rien inscrire
52
INTERVIEW
THÉRÈSE
JONVEAUX
NEUROLOGUE À L’HÔPITAL SAINT-JULIEN, À NANCY,
CHERCHEUSE AU LABORATOIRE LORRAIN DE PSYCHOLOGIE ET
DE NEUROSCIENCES DE LA DYNAMIQUE DES COMPORTEMENTS.
LES
JARDINS
THÉRAPEUTIQUES
RESTAURENT LES
RYTHMES BIOLOGIQUES
Vous avez mis en place
un jardin thérapeutique à
l’hôpital de Nancy il y a plus
de dix ans. De quoi s’agit-il
exactement ?
Un jardin thérapeutique ne se définit
pas par des critères « matériels »,
comme un nombre d’arbres ou une
surface donnés, mais en termes de
projet : c’est tout simplement un es-
pace vert qui est intégré dans un pro-
jet de soin, avec des équipes formées
et motivées pour l’utiliser. Le spectre
des pathologies auxquelles il peut
N° 110 - Mai 2019
53
Les bienfaits
Au-delà des patients, les soignants en
bénéficient aussi. Au cours d’une
étude menée au sein de trois établis-
des jardins
sements, nous avons montré que les
jardins atténuent leur stress. Un atout
précieux quand on sait les risques de
sont multiples !
burn-out auxquels ils sont exposés.
N° 110 - Mai 2019
54 DOSSIER C OMMENT LA NATURE FAIT DU BIEN À NOTRE CERVEAU
LES JARDINS THÉRAPEUTIQUES RESTAURENT LES RYTHMES BIOLOGIQUES
Le jardin thérapeutique
aménagé au CHRU
(Centre hospitalier
régional et universitaire)
de Nancy est accessible
en permanence aux
patients et à leurs
familles.
rielles, ne serait-ce qu’en raison des fique pour ces malades qui se Outre ces bénéfices
normes d’hygiène. Vous pouvez bien sentent souvent passifs et impuis- « transversaux », y en a-t-il
sûr changer la couleur des murs, sants. Ce sont en outre des activités d’autres, plus spécifiques
mais vous n’aurez jamais quelque pour lesquelles ils ont déjà ou ac- à certaines maladies ?
chose d’aussi riche qu’un jardin ! quièrent rapidement des compé- Bien sûr, et c’est en ce sens que le jar-
Les couleurs, le vent, les parfums, les tences, de sorte qu’ils se sentent din doit être adapté au projet de soin.
différentes textures de feuillage, valorisés. Il offre par exemple un espace pré-
voire le goût des pommes et des Au final, cela stimule l’estime de soi. cieux pour les exercices de rééduca-
fraises quand on peut en faire pous- Or celle-ci est atteinte dans beaucoup tion, dans le cas des troubles qui pro-
ser… Cet environnement est profon- de pathologies : l’autisme, la dépres- voquent des difficultés motrices. En
dément stimulant pour les fonctions sion, la maladie d’Alzheimer… phase avancée, il est important de se
cognitives et améliore l’humeur. En Enfin, les jardins thérapeutiques fa- confronter à la réalité, au monde ex-
2006, Jess Nithianantharajah et An- cilitent la communication. Il y a tout térieur : se réentraîner à marcher sur
thony Hannan, de l’université de le temps quelque chose qui bouge, du gazon, du goudron, du gravier…
Melbourne, en Australie, ont passé dans ces espaces ! Un oiseau qui On travaille aussi la motricité fine à
en revue toute une série d’études s’envole, les nuages qui passent, une travers les activités de jardinage.
analysant l’impact de l’exposition à fleur qui s’ouvre… Autant de sujets Dans le cas de la maladie d’Alzhei-
un environnement enrichi chez l’ani- de conversation pour les patients, mer, nous cherchons à stimuler les
mal. Ils ont montré que cette exposi- qui communiquent davantage que fonctions cognitives atteintes par la
tion augmente la formation de nou- dans un intérieur figé et statique. pathologie, notamment en sollici-
veaux neurones dans l’hippocampe Plus généralement, les jardins per- tant la mémoire. Même les citadins
(un centre cérébral de la mémoire) mettent de maintenir les liens so- les plus endurcis ont des souvenirs
et atténue les dysfonctionnements ciaux avec l’extérieur. Une enquête de nature : une balade en forêt, un
cognitifs liés à l’âge. menée après la mise en place du tour au parc municipal… Les jar-
© L.Verger/CHRU Nancy – Février 2019
Nous proposons aussi des activités nôtre a révélé que les visiteurs dins, avec leur profusion d’images,
de jardinage, adaptées aux capaci- viennent plus souvent, restent plus de sons et d’odeurs, ont une capacité
tés des patients. Et à partir du mo- longtemps et amènent davantage inégalable pour les évoquer.
ment où ils ont planté une graine, leurs enfants. C’est un lieu de ren-
ils viennent la voir, ils s’en occupent, contre idéal pour les familles. Les Les jardins ralentissent-ils
ils regardent comment la plante enfants peuvent y jouer et faire la alors la progression de
évolue… Ils retrouvent ainsi une joie de leurs grands-parents. Sou- la maladie d’Alzheimer ?
capacité à prendre soin d’un autre vent, des familles en rencontrent Non, n’exagérons rien. Les jardins
être vivant, profondément béné- d’autres. ne guérissent pas la maladie
N° 110 - Mai 2019
55
9 %
par exemple une patiente qui ne Mais le plus important, je le répète,
parvenait plus à trouver le mot est d’adapter le jardin au projet
« rose » quand une orthophoniste lui thérapeutique, ainsi qu’au site et à
montrait un dessin ou une photo- la région. Par exemple, lorsqu’on
graphie de cette fleur. Après une souhaite solliciter la mémoire dans
promenade avec elle dans le jardin, le cadre de la maladie d’Alzheimer,
son époux est revenu tout heureux DE TEMPS
il faut être attentif à la végétation :
en nous confiant qu’elle s’était ex- D’HOSPITALISATION
ce ne sont pas les mêmes plantes
clamée : « Quelles belles roses ! ». EN MOINS
qui poussent à Marseille et à Nancy,
Toucher les pétales et sentir le par- et vous ne réveillerez pas les souve-
fum des fleurs avait réactivé le sou- nirs d’un patient lorrain avec des
venir de leur nom dans son esprit. après une opération fleurs méditerranéennes. La
chirurgicale lorsque conception du jardin doit donc in-
Vous dites qu’un jardin la fenêtre de la chambre troduire des références culturelles
thérapeutique ne se définit donne sur des arbres. partagées dans une région. Les jon-
Source : R. S. Ulrich, Science, 1984.
pas par des critères matériels, quilles sont ainsi très caractéris-
mais doit-il tout de même tiques de la Lorraine, il y a de nom-
respecter certaines règles ? breuses fêtes de la jonquille dans
Il y a quelques principes généraux. les Vosges ; quand ces fleurs sortent
L’idéal est d’ouvrir au maximum les dans notre jardin, les patients en
espaces communs, comme la salle à parlent, se racontent leurs souve-
manger, sur le jardin. Il faut aussi nirs de ces fêtes…
s’assurer que ce dernier soit acces- Dans cet esprit, il faut toujours rester
sible aux personnes à mobilité ré- attentif aux souhaits des patients et
duite (notamment en mettant des des soignants. À Nancy, nous avons
plans inclinés pour les fauteuils rou- réalisé quatre enquêtes auprès d’eux :
lants). La structuration de l’espace la première avant l’aménagement du
doit être simple et faciliter l’orienta- jardin, la deuxième pendant
N° 110 - Mai 2019
56 DOSSIER C OMMENT LA NATURE FAIT DU BIEN À NOTRE CERVEAU
Les jardins thérapeutiques restaurent les rythmes biologiques
Le jardin est
un lieu privilégié de
socialisation : les patients
aiment s’y retrouver, bien
plus que dans une salle
à manger « statique ».
Au premier plan, on
distingue un vitrail
typique de la Lorraine.
De telles œuvres d’art
évoquent souvent des
souvenirs aux patients,
notamment ceux touchés
par la maladie
d’Alzheimer, et stimulent
ainsi leur mémoire.
les travaux et les deux dernières un tous les bienfaits. Concrètement, Y a-t-il des limites
peu plus tard. Cela nous a inspiré nous avons introduit une série de et des contre-indications ?
quelques ajustements, notamment sculptures et d’autres éléments artis- Il faut bien sûr prendre quelques pré-
au niveau du mobilier : adapter la tiques, grâce à la collaboration du cautions. L’autonomie des patients
hauteur des jardinières, acquérir des médecin et designer Reinhard Fes- doit être évaluée, en particulier leur
tables et des bancs plus légers pour charek. Ces éléments enrichissent la capacité de marche, pour éviter qu’ils
pouvoir les déplacer à l’ombre ou au dimension sensorielle du jardin, se blessent. Certaines maladies
soleil selon la saison… qu’ils rendent plus attrayant, notam- peuvent aussi donner lieu à des re-
Nous avons d’ailleurs développé un ment l’hiver, où la végétation se dé- commandations particulières. Après
outil interactif, qui est en phase finale pouille. Ils suscitent une impression une chimiothérapie, par exemple, la
de test. Reposant sur une série de de beauté et d’harmonie, aidant les lumière est parfois néfaste ; on
questionnaires, il vise à permettre patients, les familles et les soignants conseille alors aux patients de privi-
aux établissements de santé de faire à se sentir bien. Ils permettent en légier les zones d’ombre.
le bilan et le cahier des charges de outre d’introduire des références
leur projet, tout en ouvrant le dia- culturelles régionales : nous avons Où en sommes-nous dans
logue à tous les niveaux. par exemple installé un vitrail, qui l’implantation des jardins
Autres nécessités : communiquer correspond à une industrie tradi- thérapeutiques ? Sont-ils
auprès du public et former les tionnelle en Lorraine et est donc sus- fréquents en France ?
équipes pour qu’elles accompagnent ceptible d’évoquer des souvenirs aux En l’absence de recensement, il est
les patients. De nombreux jardins patients. difficile de répondre à cette question.
réalisés sans cette démarche ne sont Enfin, ils instaurent une notion de Mais on constate un vrai engoue-
© L.Verger/CHRU Nancy – Février 2019
hélas pas utilisés en pratique permanence, qui rassure une partie ment. En particulier depuis 2008, où
des patients, en particulier ceux a été lancé un « plan Alzheimer » qui
Vous avez aussi introduit touchés par la maladie d’Alzheimer. recommandait la création de ce type
une dimension artistique S’il est bénéfique que le jardin varie de jardins. L’association Jardins et
dans votre jardin. Quel était au rythme des saisons, afin de don- santé, dont je fais partie, attribue tous
l’objectif ? ner des indices sur la période de les deux ans des bourses pour cela.
C’est une idée que nous avons pio- l’année, il faut aussi que certains Nous recevons aujourd’hui plus de
chée dans la littérature scientifique éléments soient stables, pour facili- 100 demandes à chaque session,
anglo-saxonne, qui en démontre ter l’orientation dans le jardin. contre quelques dizaines il y a dix ans.
N° 110 - Mai 2019
57
extérieur et pour
(qui se traduit par au moins trois mois
d’arrêt de travail), les coûts d’aména-
gement de votre jardin sont couverts.
N° 110 - Mai 2019
58 DOSSIER C OMMENT LA NATURE FAIT DU BIEN À NOTRE CERVEAU
COMMENT LA
NOURRIT
LE CERVEAU
DES ENFANTS
© Keng Merry Paper Art/Shutterstock.com
NATURE
Au contact de la nature,
le cerveau des enfants
« pousse » mieux. Résultat :
de meilleures capacités de
mémoire, de concentration,
de régulation émotionnelle.
Et moins de troubles
mentaux.
C
EN BREF
££Les enfants qui sont
en contact régulier avec
la nature ont moins
de problèmes de
concentration et sont
moins victimes de
maladies mentales
plus tard dans leur vie.
££On constate en outre ’est le souvenir vivace d’une
des changements
structurels dans leur course dans les dunes, d’une promenade en
cerveau, susceptibles forêt, d’un plongeon dans les vagues. Le plaisir,
d’expliquer ces bienfaits. gravé dans notre mémoire, d’un premier herbier,
d’une gorgée bue à une source d’altitude, du goût
££Il est alors nécessaire
de développer leur des cerises cueillies sur l’arbre… Nous sommes
relation à la nature, nombreux à garder en nous l’empreinte d’expé-
en famille mais aussi riences précoces avec la nature, dont Baudelaire
grâce à l’école. célébrait les bienfaits sur « les transports de l’es-
prit et des sens ». Et notre conviction est faite :
ces expériences nous ont été profondément
bénéfiques.
Alors, que s’est-il passé à ce moment dans
notre cerveau ? Quelle est la profondeur de l’em-
preinte et nous aide-t-elle à mieux vivre
aujourd’hui ? Surtout : faut-il intégrer cet élément
comme un ingrédient fondamental du dévelop-
pement cérébral et affectif de nos enfants ?
55 %
à l’adolescence ou à l’âge adulte décroît proportion-
nellement au temps que nous avons passé entourés
de verdure entre la naissance et l’âge de dix ans »,
affirme ainsi Kristine Engemann. Cette chercheuse
danoise, rattachée au département de Biosciences
de l’université Aarhus, est forte de l’étude qu’elle a
conduite sur plus de 900 000 personnes. Après
avoir rassemblé des données sur leur santé mentale DE MALADIES MENTALES EN PLUS
actuelle et passée, ainsi que sur leurs premiers chez les personnes les moins exposées à la nature pendant leurs dix premières années
lieux d’habitation, elle a évalué la richesse en de vie, par rapport aux personnes les plus en contact avec des espaces verts.
espaces verts de leur quartier durant leurs dix pre- Source : K. Engemann et al., Residential green space in childhood is associated with lower risk of psychiatric disorders
from adolescence into adulthood, PNAS, en ligne le 25 février 2019.
mières années de vie grâce à l’analyse de données
satellitaires. Résultat : le risque de contracter une
pathologie mentale est supérieur de 55 % chez
ceux qui ont été les moins exposés à un environne-
ment naturel dans cette période de l’enfance, par publiée fin 2014, montrent tout d’abord que les
rapport à ceux qui ont été les plus exposés. enfants vivant à proximité d’espaces verts et ceux
passant le plus grand nombre d’heures dans la
UN CIRCUIT DE RÉGULATION DU STRESS nature chaque année rencontrent moins de pro-
QUI SE DÉVELOPPE MOINS BIEN blèmes de concentration et sont moins sujets au
De fait, les statistiques pointent régulièrement trouble déficitaire de l’attention. Ce lien restait
une proportion plus élevée de ces maladies au sein vrai même quand on prenait en compte les varia-
de la population urbaine. Avec, en tête de liste, les UN JARDIN tions de niveau socio-économique
dépressions, les troubles anxieux ou la schizophré- SUSPENDU POUR
nie. Plusieurs mécanismes pourraient intervenir, REDONNER DU SENS LA MÉMOIRE DE TRAVAIL AIME LA VERDURE
mais l’une des clés serait une moins bonne gestion Dans une seconde étude, les chercheurs ont
du stress. En 2011, Florian Lederbogen et ses col- Des fragments de nature établi une corrélation entre les compétences
lègues de la faculté de médecine de Mannheim, en peuvent s’insérer partout. cognitives des écoliers et la proximité géogra-
Allemagne, ont observé les mécanismes cérébraux À l’hôpital Robert-Debré, phique de leur habitation avec des espaces verts.
en cause grâce à l’imagerie par résonance magné- à Paris, Anna Six, étudiante Ceux qui vivent au plus près d’un environnement
tique fonctionnelle (IRMf). En temps normal, paysagiste, et l’équipe de naturel affichent ainsi une meilleure mémoire de
lorsque nous sommes stressés, le cortex cingulaire Corinne Deparis, cadre de travail. Or celle-ci joue un rôle central dans l’ap-
antérieur perigénual (une zone du cerveau située santé puéricultrice, ont prentissage : elle est associée à l’acquisition de
sur la face interne des hémisphères) régule l’acti- transformé une terrasse compétences cognitives complexes, comme la
vité de l’amygdale, une structure cérébrale pro- sans âme en potager, compréhension du langage, la lecture, l’écriture,
fonde impliquée dans les émotions négatives. Mais avec le soutien financier le calcul ou le raisonnement.
chez les personnes ayant grandi en agglomération, de l’association Jardins En février 2018, les chercheurs ont poursuivi
ces deux zones du cerveau sont moins bien connec- et santé. Si les bénéfices ces travaux en effectuant des IRM du cerveau de
tées. Autrement dit, le circuit de régulation du restent à évaluer 253 de ces jeunes participants. Les images révèlent
stress est moins efficace. rigoureusement, ils sont des différences remarquables. Les enfants ayant
« Il est évident que nous avons été façonnés déjà palpables : sur ce grandi entourés d’espaces verts présentent un
par l’évolution pour vivre dans un autre milieu que jardin suspendu, une jeune volume plus important de matière grise au niveau
celui que l’industrialisation nous propose, relève adolescente déprimée s’est du cortex préfrontal et de l’aire prémotrice gauche.
David Meary, du Laboratoire de psychologie et fait surprendre à danser Ils affichent par ailleurs davantage de matière
neurocognition, à l’université Grenoble-Alpes. Le au soleil. Et un petit blanche au niveau du cervelet, de l’aire préfrontale
cerveau humain est une incroyable machine à bonhomme de droite et de la région prémotrice gauche. Des par-
s’adapter, mais le monde qui nous entoure évolue 2 ans et demi, nourri ticularités qui expliquent, selon les chercheurs, les
beaucoup plus vite que notre cognition ». exclusivement par sonde, scores élevés de ces écoliers aux tests évaluant la
Est-ce à dire que le contact avec la nature est venu respirer des mémoire de travail et l’attention.
nous rend mentalement plus performants ? C’est feuilles de menthe, comme Pour l’épidémiologiste Payam Dadvand, auteur
ce que suggère une série de travaux menés par le parfum d’un monde principal de l’étude, « être exposé aux espaces
l’équipe de Jordi Sunyer, à l’Institut de Barcelone retrouvé… verts tôt dans la vie peut entraîner des change-
pour la Santé globale en Espagne, sur un échan- ments structurels bénéfiques dans le cerveau ».
tillon de quelque 2 900 écoliers âgés de 7 à Outre ces changements, dont les mécanismes
10 ans. Les conclusions d’une première enquête, exacts restent à clarifier, le chercheur catalan
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64 ÉCLAIRAGES
p. 64 Heures d’hiver et d’été : faut-il les abandonner ? p. 68 Le paradoxe des droits de succession
CLAIRE LECONTE
Professeure honoraire de psychologie de l’éducation, de l’université de Lille 3,
et spécialiste des rythmes des enfants et des adolescents.
Heures d’hiver
et d’été :
faut-il les
abandonner ?
L e 4 février 2019, la commission
des Affaires européennes a lancé une consulta-
tion pour savoir si les citoyens souhaitent conti-
nuer à changer d’heure en hiver et en été. Sans
aucune valeur contraignante, cette enquête a pris
La majorité des Français fin le 3 mars et son résultat a été transmis aux
institutions européennes. Selon la commission,
faut rester toute l’année deux fois par an. De plus, les derniers résultats
montrent que 59,17 % des votants choisissent de
N° 110 - Mai 2019
65
perturbe notre horloge interne qui contrôle nos pas vrai : le nombre de crises cardiaques ne dimi-
différents rythmes biologiques. […] Lors du pas- nue pas lors du retour à l’heure d’hiver. En réalité,
sage à l’heure d’été [on perd une heure, ndlr], chez les personnes vulnérables, le passage à
le manque de sommeil peut provoquer une chute l’heure d’été augmenterait le risque d’infarctus de
de l’attention, occasionner de la somnolence, de 25 % pour une raison principale : la perte de som-
la nervosité, ou dégrader l’humeur ». Toutefois, meil engendre du stress, un facteur de risque des
nous avons prouvé que les performances des pathologies cardiaques.
élèves sont encore plus mauvaises au retour des
vacances de Printemps qu’après le week-end de LE CHANGEMENT D’HEURE TUE
changement d’heure. Quant à la transition à l’heure d’hiver, elle est
surtout délétère sur les routes ; les chiffres sont là
ENCORE UNE HEURE DE SOMMEIL EN MOINS aussi inquiétants. Le passage à l’heure d’hiver est
En effet, et c’est bien le problème aujourd’hui, responsable d’une hausse des accidents, par
cette perte d’une heure de sommeil s’inscrit dans exemple d’une augmentation de 30 % de la morta-
un cadre plus général de manque chronique de lité des piétons et des cyclistes. En cause ? L’avancée
sommeil qui inquiète les médecins. En 2009, un de la tombée de la nuit, coïncidant alors avec le
sondage BVA réalisé auprès de 1 000 personnes de retour des piétons (écoliers compris) et cyclistes à
tout âge pour l’Institut national du sommeil et de leur domicile. Moins visibles, ces derniers sont plus
la vigilance (INSV) a révélé que les Français d’au- vulnérables. Entre 2008 et 2017, 43 % des piétons
jourd’hui dorment 1 h 30 de moins qu’en 1960. tués l’ont été entre octobre et janvier.
Alors qu’en est-il vraiment ? Quels sont les effets de Par ailleurs, d’après la plupart des spécialistes
ces changements d’heures sur nos organismes ? du sommeil, le passage à l’heure d’été perturbe-
Certaines études ont montré que le change- rait surtout le rythme des enfants. Or, si on res-
ment d’heure est mauvais, et dans les deux sens. pecte le seul décalage d’une heure, il n’y a aucun
© Assemblée Nationale
Vers l’heure d’été, d’abord. Une étude suédoise problème sur le long terme. En effet, comme on
en 2008 (dans le News England Journal of Medicine) connaît la date du changement, on peut s’y pré-
a constaté une augmentation des infarctus du parer en avançant le moment du coucher d’un
myocarde chaque année, au moment du passage quart d’heure, pendant quelques jours avant.
à l’heure d’été, à la fin mars. Mais l’inverse n’est Mais sait-on seulement à quelle heure s’endort
N° 110 - Mai 2019
66 ÉCLAIRAGES R
etour sur l’actualité
HEURES D’HIVER ET D’ÉTÉ : FAUT-IL LES ABANDONNER ?
vraiment son enfant ? Je ne pense pas. La plupart épidémiologiques ont confirmé que la période de
du temps, l’heure de coucher ne tient pas compte ce rythme varie d’un individu à l’autre : un faible
du bon moment de l’endormissement. Combien pourcentage de personnes a un rythme de
de parents se plient à la requête de leur enfant : 20 heures, mais un autre un rythme de 28 heures.
« Le Soleil n’est pas encore couché, donc moi non Nos rythmes sont génétiquement program-
plus. » Or il suffit de fermer les volets ou d’appli- més et leur typologie se met en place dès le plus
quer du papier noir sur les fenêtres de la chambre, jeune âge pour perdurer toute la vie : dès un an,
un rituel qui aide à l’endormissement, pour que les enfants acquièrent leur besoin de sommeil, et
les enfants s’adaptent à la nouvelle heure. l’on constate qu’il y a déjà des petits, des moyens
On a donc tendance à penser que les 83,71 % et des gros dormeurs.
des répondants à la consultation ont raison de À l’adolescence, se met en place une deuxième
souhaiter la fin des changements d’heure deux typologie des rythmes biologiques, à savoir la ten-
fois dans l’année, même si cet abandon aura un dance à être plutôt du soir (la vespéralité) ou du
« impact important » sur l’industrie de l’aviation matin (la matinalité). Contrairement aux idées
et ses passagers, comme l’ont alerté quatre orga- reçues, tous ne se couchent pas très tard pour se
nisations représentatives du secteur fin 2018, lever après midi… Ayant beaucoup travaillé avec
recommandant le statu quo. En effet, l’absence de
changement d’heure imposera aux compagnies
une « immense reprogrammation » des vols, ce
qui prendra du temps pour éviter un « chaos »
dans le transport aérien. S’il devait y avoir une D’OÙ VIENNENT L’HEURE
modification, ce secteur demanderait un délai,
avec une application à l’été 2021 seulement.
D’ÉTÉ ET L’HEURE D’HIVER ?
Mais quelle heure choisir ? Les chiffres sur les
accidents ne sont pas suffisants pour trancher.
Joëlle Adrien, spécialiste du sommeil à l’Hôtel-
Dieu de Paris, déclare qu’« a priori, on est quand
L ’idée de mettre en place un horaire estival pour économiser
les chandelles, en reculant les horloges d’une heure par rapport à la
position du soleil, revient à Benjamin Franklin, l’inventeur du paratonnerre.
même fait pour vivre avec le Soleil ». Certes, on Lors d’un séjour à Paris, il envoya une lettre au Journal de Paris qui la publia
peut vivre aux heures du Soleil, mais que cela le 16 avril 1784. Il y faisait des propositions afin de réveiller les gens plus tôt,
signifie-t-il ? À partir du 15 juin, le soleil se lève car à l’époque la société était encore largement agricole et vivait au rythme
à 4 h 42 sur le méridien de Greenwich (et 6 h 42 du Soleil. Par la suite, le développement des transports ferroviaires unifia
en restant à l’heure d’été). Tout le monde va-t-il les horaires sur l’ensemble du territoire français : en 1891, l’heure de Paris
se lever à 4 h 30 pour être en phase avec le Soleil ? (UTC + 1) devint l’heure nationale toute l’année. Mais l’idée de Franklin
Certainement pas. À partir du 23 juin, le Soleil fut reprise en 1907 par William Willett, entrepreneur anglais, qui souhaita
se couche à 20 h 20, puis on perd une minute tous avancer et retarder les montres deux fois par an pour économiser l’énergie
les soirs : le 1er août, il se cache à 19 h 50, le destinée à produire l’éclairage artificiel.
15 août, à 19 h 25 ! Imagine-t-on être dans le noir
avant 20 heures en pleine saison estivale… ? PARIS À L’HEURE DE BERLIN
L’Allemagne instaura ce changement en avril 1916, l’Angleterre en mai 1916,
CHACUN SON RYTHME BIOLOGIQUE ! et la France en 1917, à l’initiative d’André Honnorat, député des Basses Alpes.
Pour aborder cette question de façon sensée, Ce système perdura jusqu’à la Seconde guerre mondiale et l’occupation
il faut se pencher davantage sur le fonctionne- allemande : en juin 1940, du fait qu’on était à l’heure d’été en France (UTC + 1)
ment de nos horloges et de nos rythmes biolo- et à l’heure « d’hiver » à Berlin, les Allemands imposèrent leur loi, de sorte que
giques. Les expériences dites hors du temps, réa- la zone occupée passa à UTC + 2 et se retrouva avec une heure d’été à « l’heure
lisées auprès de jeunes adultes dans les allemande ». Tout le pays s’aligna en février 1941 : de 1941 à 1945, toute la France
années 1950 et 1960 pour valider l’existence de vivait donc à l’heure allemande (heure d’été allemande et heure d’hiver
ces horloges, ont montré que le rythme de allemande). À la libération, un décret fit repasser le pays à UTC + 1 toute l’année,
24 heures n’est rien d’autre qu’un rythme social, soit à l’heure d’hiver allemande, et ce, jusqu’en 1976, où Giscard d’Estaing
imposé à la naissance. En effet, ces études ont instaura à nouveau l’heure d’été à la suite du choc pétrolier de 1973. Depuis,
prouvé que le rythme circadien naturel est en la France est à nouveau à l’heure allemande, hiver comme été, avec deux
moyenne plus proche de 25 heures que de 24. changements par an. Introduite dans tous les pays de l’Union européenne,
Michel Siffre, qui a réalisé plusieurs de ces expé- l’harmonisation des dates de changement (pour faciliter les transports au sein
riences, a estimé à l’époque que la périodicité de de l’UE) a été décidée en 1998 et appliquée par la directive 2000/84/CE
son horloge endogène – interne, génétiquement du Parlement européen et du Conseil du 19 janvier 2001.
programmée et donc indépendante de l’environ-
nement – était de 25 h 18. Toutes les études
N° 110 - Mai 2019
67
N° 110 - Mai 2019
68 ÉCLAIRAGESPsycho citoyenne
CORALIE CHEVALLIER
ET NICOLAS BAUMARD
Chercheurs en sciences comportementales
au Laboratoire de neurosciences cognitives
de l’École normale supérieure (ENS).
LE PARADOXE DES
DROITS DE SUCCESSION
Les Français ne veulent pas de cet impôt, alors qu’il
permet de lutter contre les inégalités, ce que tout le
monde souhaite ! Une solution à ce dilemme a peut-
être été trouvée par les sciences du comportement…
UNE ÉTRANGE CONTRADICTION tage dans la perpétuation – voire l’accen- Linné, en Suède, et Daniel Waldenström,
Mais il est un impôt qui reste impopu- tuation – de ces inégalités. S’ils ignorent de la Paris school of economics, ont réa-
laire, c’est celui sur les successions. Ce que les inégalités résultent en grande lisé une expérience sur plus de 5 000 élec-
rejet n’est d’ailleurs pas spécifiquement partie des héritages et que la plupart des teurs suédois représentatifs de la popula-
français. Les droits de succession sont par- gens très riches doivent leur fortune à tion. Ils ont divisé au hasard les
tout impopulaires, dans les pays leurs ancêtres, comment espérer qu’ils participants en deux groupes. Le premier
Bibliographie
S. Bastani
et D. Waldenström,
Salience of inherited
wealth and the support
for inheritance taxation,
Si les gens WID, Working Paper,
savaient 2019.
que l’héritage
groupe recevait des informations sur l’ori- explique 50 % sous-estiment systématiquement la frac-
gine de la richesse en Suède à travers
trois informations très brèves (toutes fon- des inégalités, tion de la richesse héritée : elles esti-
ment en moyenne que l’héritage
dées sur les statistiques les plus récentes) :
1) « La richesse héritée représente envi-
ils penseraient explique 30 % des inégalités, alors qu’il
en explique 50 %.
ron la moitié de toute la richesse de la
population », 2) « Ceux qui ont les revenus
autrement. On comprend alors comment l’infor-
mation fournie aux participants les
les plus élevés héritent le plus » et 3) « Une Comme conduit à changer d’avis. C’est bien
majorité de milliardaires suédois ont
hérité leur fortune. » Le second groupe ne toujours, la simple, le changement de perception dû
à l’information fournie par les cher-
recevait aucune information (c’est ce
qu’on appelle le groupe contrôle).
difficulté est cheurs augmente mécaniquement l’ap-
probation des droits de succession : leur
Les auteurs ont ensuite testé l’effet de
ces informations sur l’opinion des partici-
d’informer. approbation monte de 24 à 32 % dans le
cas de la taxe de base, et de 40 % à 45 %
pants à propos des droits de succession. dans le cas de la taxe sur les gros
Les participants devaient indiquer s’ils héritages, la hausse est plus faible, de héritages.
étaient d’accord ou non avec les deux pro- l’ordre de 10 %. Fait intéressant : l’infor-
positions suivantes : 1) « Un impôt sur les mation a un effet sur l’ensemble des par- FOOTBALLEURS ET GRANDS
successions devrait être introduit » et ticipants, quelle que soit leur classe PATRONS
2) « Une taxe uniquement sur les gros sociale, leur niveau de revenu, leur édu- On comprend alors la nécessité de
héritages devrait être introduite. » cation ou leur affiliation politique. faire passer des messages d’information
Le premier enseignement de cette Les auteurs ont ensuite cherché à pour sensibiliser les gens à ces ques-
étude est que les citoyens sont bien plus comprendre par quel mécanisme l’infor- tions. De tels messages devraient com-
favorables aux droits de succession sur les mation donnée contribuait à changer muniquer l’idée, par exemple, que les
grandes fortunes que sur les droits de l’opinion des participants à propos de salaires des joueurs de football, des
succession en général. Cela suggère qu’il l’impôt sur les successions. Ils mettent grands patrons ou des chanteurs ne sont
n’y a pas d’opposition de principe à taxer d’abord en évidence, dans leur échantil- que la partie la plus visible des inégalités
les héritages, mais plutôt une opposition lon, une corrélation très nette entre l’esti- et qu’en réalité, l’héritage explique une
à taxer les héritages modestes. mation qu’ont les gens de la part de la grande partie de ces dernières.
richesse due à l’héritage et leur opinion L’étude de Bastani et Waldenström
VENIR AU MONDE DÉJÀ RICHE sur l’impôt sur les successions : plus on suggère qu’il est possible de faire évoluer
Les analyses montrent ensuite que le pense que la richesse individuelle est l’opinion des personnes. Trois informa-
soutien à l’impôt sur les successions aug- héritée, plus on est favorable à cette taxe. tions très simples sur le rôle de l’héritage
mente fortement en réponse à l’informa- Ils ont ensuite comparé l’estimation dans la reproduction des inégalités suf-
tion donnée sur l’origine de la richesse. Le de la part de la richesse héritée dans le fisent à informer durablement les
soutien à cette taxe est 30 % plus élevé groupe ayant reçu des informations et citoyens. De quoi mesurer toute l’impor-
dans le groupe expérimental que dans le dans le groupe contrôle, et constaté tance des chercheurs et des médias pour
groupe contrôle. Pour la taxe sur les gros que les personnes non informées la bonne marche de la société. £
N° 110 - Mai 2019
71
Tout ce qu’on
ne raconte pas
Par Klaus Wilhelm, biologiste et journaliste scientifique.
P
EN BREF
£ En étudiant les secrets
de milliers de personnes,
les chercheurs ont montré
que ceux-ci se rapportent
prioritairement à la vie
sentimentale et familiale.
£ En moyenne, nous our Michael Slepian, les secrets
aurions 13 secrets, dont n’ont pas de secrets, c’est même son métier. Il
5 que nous ne révélons en a analysé entre 10 000 et 15 000 à l’université
à personne.
Columbia, à New York, tout au long de sa car-
£ Cacher certains faits rière. Depuis des années il cherche à comprendre
permet de nouer des ce que les hommes et les femmes tendent à garder
alliances et de rehausser pour eux, et dans quelle mesure cela représente
notre statut, mais une charge pour eux.
se révèle aussi coûteux en
termes d’énergie mentale La souffrance liée à la dissimulation peut
conduire à se punir soi-même, ont découvert
© Nulinukas/Shutterstock.com
et même physique.
Slepian et son collègue Bastian Brock de l’univer-
sité de Melbourne, en 2017. Pour cette étude, ils
ont recruté des participants par l’intermédiaire
d’une plateforme d’annonces professionnelles en
ligne. Cette méthode a deux avantages.
Premièrement, elle donne accès à des personnes
N° 110 - Mai 2019
72 VIE QUOTIDIENNE Psychologie
TOUT CE QU’ON NE RACONTE PAS
50 %
Alors que dans la plupart des études en labora-
toire, on ne recueille que des étudiants qui
désirent gagner un peu d’argent en participant
– l’échantillon n’est alors pas très représentatif de
la population. Ensuite, les participants devaient
divulguer s’ils avaient déjà trompé leur parte-
naire du moment, et dans l’affirmative, s’ils
l’avaient avoué ou non. Et pour la communication
de telles informations, l’anonymat d’Internet est DES PERSONNES INFIDÈLES
un avantage décisif. En outre, les sujets devaient gardent ce secret pour elles. Elles peuvent le vivre mal si elles passent beaucoup
indiquer comment ils se sentaient en présence ou de temps à y repenser lorsqu’elles sont seules.
en l’absence de leur partenaire, par exemple dans
une situation où ils recevaient un beau cadeau de
sa part ou bien allaient dîner avec des amis.
Sur les 1 500 personnes interrogées, 105 ont l’insatisfaction vis-à-vis de son propre corps, la
reconnu avoir trompé au moins une fois leur par- croyance à une idéologie (être franc-maçon, par
tenaire actuel. Plus de la moitié des sujets infidèles exemple), les comportements inhabituels (refaire
avaient caché leur conduite. Et ce sont ceux-là qui, ses lacets trois fois le matin), les mauvaises perfor-
selon Slepian, ne parvenaient plus à réellement mances au travail, certaines grossesses, les secrets
apprécier les plaisirs simples de la vie. « Ils se de famille, les situations financières défavorables,
punissent en quelque sorte et veulent ressentir de les ruptures de confiance, etc. Cette analyse repré-
la douleur », selon le psychologue. Pourtant, ils ne sente la classification la plus complète, à ce jour, du
se sentent pas plus coupables que ceux qui ont monde des secrets (voir la figure page ci-contre).
confessé leur écart de comportement. Car, aussi étonnant que cela puisse paraître,
Alors, pourquoi se punir soi-même ? Pour le bien que les secrets représentent une part impor-
savoir, les chercheurs ont manipulé les souvenirs tante de notre vie, ils ont fait l’objet de peu de
des participants dans d’autres expériences. recherches scientifiques. Ainsi, les concepts
Certains d’entre eux devaient noter des choses comme la dissimulation ou le silence dont on
qu’ils cachaient. Cela se rapproche de la réflexion recouvre certains faits, ont donné lieu à un
privée que l’on peut avoir sur nos propres secrets,
lorsqu’on se trouve seul. Résultat : après avoir
couché ces événements sur le papier, on tend à se
punir davantage. « Mais ce n’est qu’à propos de
secrets réellement pesants, qui nous préoccupent CE QUI EST SECRET EST
réellement, que se développe une tendance à
l’autoflagellation », résume Slepian. Et ce n’est pas
« FORCÉMENT IMPORTANT »
le sentiment de culpabilité mais le ressassement
des faits cachés qui en est la cause.
L es individus ont généralement tendance à surestimer l’importance
de ce qu’ils tiennent pour des données ou des documents secrets,
comme l’a montré une équipe de recherche de l’université du Colorado.
INFIDÉLITÉS, DETTES, ACTIVITÉS
OCCULTES… Nous considérons de telles informations comme plus précises, fiables
Tout un chacun porte en soi un petit ou un gros et d’une valeur supérieure à celles qui sont en libre accès. Dans leur
secret. Qu’il soit inoffensif, comme la recette du expérience, les psychologues ont présenté à des volontaires deux
meilleur Tiramisu qu’on ne partage pas avec ses documents gouvernementaux rendus publics – l’un émanant du ministère
amis, ou dramatique, comme des dettes abyssales, des Affaires étrangères, l’autre issue d’un conseil de sécurité des États-Unis.
l’implication dans un crime ou une double vie. En Il y était question d’une intervention militaire dans laquelle les États-Unis
moyenne, a découvert Slepian, chaque personne bloquaient les échanges commerciaux entre d’autres pays par des frappes
aurait 13 secrets, dont 5 n’ont jamais été révélés à aériennes. Le premier document, leur dit-on, était resté secret pendant de
personne. Le psychologue américain a collecté, au longues années ; le second, en revanche, avait toujours été public. Résultat :
fil de multiples études, environ 13 000 secrets qu’il les participants ont considéré que le premier document était beaucoup
a répartis en 38 catégories : les mensonges, les infi- plus correct, réfléchi et novateur que le second. Dans une autre expérience,
délités sexuelles, les infidélités émotionnelles (les les participants ont déclaré que les décisions basées sur des
flirts), l’orientation sexuelle, la consommation de documents confidentiels étaient meilleures que celles fondées
drogues, les hobbies cachés (collectionner des sur des données publiques.
insignes militaires…), les vols, les traumatismes,
N° 110 - Mai 2019
73
Secret pour tous Secret pour certains Secret passé Jamais un secret
Désirer une autre personne que son partenaire
Comportement sexuel (pornographie)
Infidélité émotionnelle (flirt)
Vol
Événement de vie personnel que l’on cache
Trahison
Aspirations dans la vie
Comportements insolites
Infidélité sexuelle
Escroquerie professionnelle
Être amoureux (en étant célibataire)
Absence de vie sexuelle
Mensonge
Histoires cachées dans la famille
Liaison avec une personne déjà engagée
Automutilation
Avoir blessé quelqu’un physiquement
Hobby non avoué
Activités illégales
Situation financière
Habitudes mal assumées/addictions
Insatisfaction dans le couple
Relation cachée
Trauma
© Gehirn und Geist/Source : Pers. Soc. Psychol., vol. 113, pp. 1-33, 2017.
Interruption de grossesse
Insatisfaction vis-à-vis de son propre corps
Santé mentale
Orientation sexuelle
Mauvaises performances au travail
Grossesse cachée
Croyance ou idéologie
Insatisfaction professionnelle
Consommation de drogues illicites
0 25 50 75 100
Pourcentage des participants ayant fait cette expérience ou eu cette pensée
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74 VIE QUOTIDIENNE Psychologie
Tout ce qu’on ne raconte pas
N° 110 - Mai 2019
75
Vol
1 40 50 60 70 80
Escroquerie
professionnelle
0
© Gehirn und Geist/Source : M. L.Nach Slepian et al., The experience of secrecy, J. of Pers. and Soc. Psy., vol. 113, pp. 1-33, fig 3, 2017.
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Nombre de dissimulations actives face à un tiers, au cours du mois écoulé
Celle-ci est malheureusement, dans bien des De la même façon, il semble que moins un
cas, justifiée. Les cachotteries permanentes des jeune raconte de choses à ses parents, plus de
adolescents nuisent dans bien des cas à leur relation risques il court de développer un trouble psycho-
avec leurs parents, ce qui a été effectivement logique. Un fait qui coïncide avec l’idée, large-
observé par Finkenauer et son équipe dans leurs ment répandue dans la population, selon laquelle
études. La relation parents-enfants pâtit d’autant les personnes ont à payer un prix pour leur
plus que ces derniers dissimulent de façon régu- silence, et ce sur le long terme. Or, en moyenne,
lière, et ce avec les filles davantage qu’avec les gar- nous garderions un secret pendant deux ans et
çons. Une confiance réciproque est indispensable demi, selon les études réalisées sur ce thème ;
dans cette période de la vie. nous partagerions au moins deux secrets sur trois
avec au moins une personne.
De nombreux travaux montrent que les non-
dits ont effectivement un impact sur l’humeur, sous
forme de stress, de peur, de dépression, de solitude
ou de manque d’estime de soi. Les capacités cogni-
tives en pâtissent aussi, comme l’ont montré
Le secret est un grand acquis Clayton Richter, de l’université de Californie à
N° 110 - Mai 2019
76 VIE QUOTIDIENNE Psychologie
Tout ce qu’on ne raconte pas
N° 110 - Mai 2019
78 VIE QUOTIDIENNEL’école des cerveaux
JEAN-PHILIPPE
LACHAUX
Directeur de recherche à l’Inserm, au Centre
de recherche en neurosciences de Lyon.
QUAND LE CERVEAU
JOUE À FAIRE
« COMME SI »
Nos neurones ont la capacité d’être tantôt
en prise avec le réel, tantôt « en roue libre ».
Mais étonnamment, ils continuent à respecter
les lois du réel, ce qui leur permet de faire
des hypothèses sensées. Un ressort à actionner
L
dans les situations d’apprentissage !
N° 110 - Mai 2019
79
duisent des motifs qui seraient observés de chaque région du cerveau, les motifs
lors de vraies rotations continues de la temporels créés par l’activité autonome
tête. Dans le mode virtuel, donc, ces des neurones obéiraient à un vocabulaire
neurones – et ceux de bien d’autres sys- et une syntaxe dérivés du mode contraint.
tèmes perceptifs ou moteurs – s’activent En filant la métaphore, on pourrait dire
selon des séquences qui ont un sens, que si ces motifs étaient des suites de
parce que la connectivité du réseau qu’ils lettres, on n’observerait jamais, au repos,
N° 110 - Mai 2019
80 VIE QUOTIDIENNE L’école des cerveaux
QUAND LE CERVEAU JOUE À FAIRE « COMME SI »
de séquences sans signification comme de la réalité, à partir de ce que nous démarche scientifique, car cela permet
« fsldokv », mais seulement de vrais mots observons. Ce système de prédiction d’amener les élèves à concevoir l’intérêt
voire de vrais bouts de phrases. On ne permettrait d’envisager différents scéna- d’une expérience test pour confirmer ou
sort pas indemne d’années d’immersion rios et de prédire quelles seront leurs infirmer les anticipations de leur mode
constante et quotidienne dans un monde conséquences sans avoir à les réaliser partiellement contraint. Car finalement,
gouverné par des lois. réellement, juste en les simulant menta- la connaissance est un aller-retour per-
Cette contrainte s’accompagne d’un lement : tel comportement de ma part se manent entre théorie et observation.
phénomène extrêmement important traduira par telle conséquence. Cela per- C’est-à-dire, entre mode contraint et
pour la perception et l’apprentissage, le met au cerveau de simuler plusieurs scé- mode autonome. £
pattern completion (que l’on pourrait tra- narios et d’anticiper leurs conséquences
duire par « complétion de motif ») qui afin de déterminer les meilleures
intervient dans les situations intermé- manières de se comporter dans telle ou
diaires entre le mode contraint et le telle situation, et donc d’apprendre. C’est
mode autonome : il s’agit de ce qu’on un apprentissage où le cerveau joue à
pourrait appeler un mode partiellement faire « comme si ». On conçoit tout de
contraint, qui correspond à une stimula- suite l’utilité d’un tel mécanisme, qui
tion incomplète du réseau de neurones permet d’apprendre sans avoir réelle-
par le monde extérieur, où certains neu- ment à vivre toutes les expériences pos- Ce système
rones reçoivent une information précise
et d’autres non (un fragment de mot
sibles – et ne pas avoir à mettre les doigts
dans la prise ou longer le bord d’une permet
dans une conversation, dont le reste
vous a échappé par exemple). Dans ce
falaise pour constater que ce n’est pas
une bonne idée.
à l’élève
cas, le réseau va réagir par un motif réa-
liste qui s’emboîte le mieux avec les LAISSEZ L’ENFANT FAIRE
de faire des
bribes d’informations perçues : il com- SES PROPRES ESSAIS hypothèses,
plète ces fragments du mieux qu’il peut
afin de deviner ce qui a été dit. Nous
La question qui se pose alors est de
savoir comment stimuler ce mécanisme puis de vérifier
nous en rendons compte quand ses pré-
dictions tombent à côté… Ne vous est-il
chez un élève, pour qu’il prenne l’habi-
tude de guetter les motifs qui struc-
si elles
jamais arrivé de prendre un bout de turent le domaine que le professeur est correspondent
corde perçu du coin de l’œil dans l’herbe
du jardin pour un serpent ? C’est votre
en train d’enseigner, et qui une fois
appris lui permettront de deviner juste. à la réalité.
mode partiellement contraint qui a Comment l’amener à formuler sans cesse
extrapolé la forme d’un serpent à partir des prédictions, à constater leur justesse
d’un bout de bois tordu. ou leur défaillance et à les corriger pour
en faire de meilleures à chaque fois ?
SI LE GLAÇON FOND DANS LE VERRE, Comment l’amener par exemple à ima-
QUE VA-T-IL SE PASSER ? giner ce qui va se passer dans une expé-
Quel intérêt tout cela a-t-il pour l’ap- rience de physique ou à anticiper un
prentissage ? Nous l’avons déjà dit, un élément d’explication, au lieu d’écouter
apprentissage réussi est un apprentis- de manière passive ? Je me contenterai Bibliographie
sage actif. Il n’y a rien de plus inefficace de proposer une petite piste : puisque les
que d’assister à un cours magistral où deux modes autonomes et contraints K. Friston et G. Buzsáki,
l’on pense avoir tout compris, puis de semblent exclusifs, les neurones ne The functional anatomy
ressortir sans être capable de remettre peuvent pas faire des prédictions s’ils of time : What and
when in the brain,
ensemble les pièces du puzzle, d’utiliser sont stimulés en permanence à une
Trends in Cognitive
les notions du cours ou de faire un exer- cadence élevée. Cela m’inciterait person- Sciences, vol. 20,
cice en situation. Or le mode partielle- nellement, si j’étais enseignant, à ralen- pp. 500-511, 2016.
ment contraint est justement ce qui per- tir parfois le fil d’une explication pour
G. Buzsáki, A. Peyrache
met à notre cerveau de faire lui-même le laisser le… temps aux… neurones de et J. Kubie, Emergence
cours (de façon guidée, certes) ! Ce fonc- faire leur… travail de… prédiction et of cognition from
tionnement de nos neurones est en effet favoriser ainsi l’engagement actif. action, Cold Spring
capable de deviner la suite probable d’un Certains enseignants le font déjà, par Harb. Symp. Quant.
début d’explication ou d’une situation de des questions comme : « À votre avis, Biol., pp. 79,
départ. C’est un système d’anticipation, qu’est-ce qui va se passer ? » C’est d’ail- pp. 41-50, 2014.
qui établit des prolongements possibles leurs une très bonne formation à la
N° 110 - Mai 2019
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L’autocompassion,
l’art d’être indulgent
avec soi-même
Par Marina Krakovsky, journaliste spécialisée
en psychologie, sociologie et économie.
l’importance de la compassion dans les échanges – égocentrique, faible ou complaisant ? Les cher-
y compris la compassion envers soi-même. Ce fut cheurs ont examiné cette question et la réponse
un déclic. est un « non » franc et massif. Comme le
L’autocompassion, au sens le plus basique du montrent de plus en plus d’études, l’autocom-
terme, invite à se traiter soi-même avec autant de passion est une source de bienfaits à la fois per-
gentillesse et de compréhension qu’on le ferait sonnels et interpersonnels : non seulement elle
avec un ami. Ceux qui peinent à appliquer ce renforce l’équilibre émotionnel sans nuire à la
concept ne manquent pas nécessairement de
compassion envers leurs semblables, mais ils
attendent plus d’eux-mêmes que de toute autre
personne. Développer leur autocompassion leur
permettrait de reconnaître et d’accepter leur
propre ressenti plutôt que de chercher à se mettre
sans cesse au défi de faire « encore mieux ».
51 %
DE TEMPS DE RÉVISION EN PLUS
chez les étudiants qui ont appris à ne pas se juger trop sévèrement lors d’examens difficiles.
Source : J. Breines et al., Self-compassion increases self-improvement motivation, Personality and Social Psychology Bulletin, 2012
acceptaient mieux d’avoir besoin d’aide », explique montré d’autres travaux, publiés la même année
Allen. La conscience de ses peines, une composante et portant sur 115 vétérans américains des
de l’autocompassion, conduit en effet à voir et à guerres en Irak et en Afghanistan. Les militaires
accepter la réalité telle qu’elle est, sans biais émo- qui faisaient preuve d’autocompassion présen-
tionnel. La composante humaniste – la souffrance taient des symptômes bien moins sévères que les
vue comme inhérente à la condition humaine – est autres, pour un même niveau d’exposition aux
également un atout, aidant à reconnaître l’exis- combats. « Cela conforte l’idée que ce n’est pas ce
tence de limites physiques pour chaque âge. qui vous arrive qui prévaut, assure Neff, mais
À l’inverse, ceux qui n’ont pas cette attitude plutôt votre perception de vous-même lors des
« épuisent leur énergie dans les émotions néga- événements difficiles. »
tives » au lieu de l’utiliser pour traiter les pro- L’autocompassion semble favoriser la guérison
blèmes, selon le psychologue Mark Leary, qui a dans d’autres pathologies psychiatriques, comme
participé à ces travaux. En outre, nier une diffi- le trouble de personnalité borderline ou la bouli-
culté – par exemple en refusant le déambula- mie. Dans ce dernier cas, la psychologue améri-
teur – risque d’en amener d’autres, comme une caine Alison Kelly indique qu’il faut non seulement
fracture de la hanche. accepter les phases de compulsion, où l’on se rue
En 2014, Leary et ses collègues ont mené une sur la nourriture sans le moindre contrôle, mais
étude sur 187 volontaires atteints du sida. Les aussi penser à la façon de rebondir après une crise.
résultats ont montré que les patients dotés d’une « Si, tel un sergent instructeur ou un professeur
plus grande autocompassion vivent mieux leur pointilleux, vous vous menacez ou vous punissez
maladie que les autres : ils ressentent moins de vous-mêmes dès que vous échouez, vous aurez du
stress, ont moins honte de leur état – qu’ils mal à vous sentir apaisé et confiant, explique Neff.
acceptent davantage de révéler – et sont moins réti- Et vous perdrez souvent la capacité de réfléchir à
cents à suivre un traitement médical approprié. ce qui vous arrive et d’apprendre de vos échecs. »
En 2015, une métaanalyse portant sur On pourrait croire que l’autocompassion va
3 252 participants et publiée dans Health de pair avec une bonne estime de soi, mais ce
Psychology a montré que l’autocompassion est n’est pas toujours le cas. Elle sert même parfois
associée à bien d’autres bénéfices pour la santé. de béquille lorsque ce sentiment fait défaut.
Les personnes qui adoptent cette attitude men- Dans une étude publiée en 2015, Sarah Marshall,
tale ont ainsi des habitudes plus saines dans des de l’université catholique australienne, et ses
domaines comme l’alimentation, le sport, le collègues ont suivi un groupe de 2448 étudiants
sommeil ou la gestion du stress. qui passaient du collège au lycée. Résultat : ceux
qui avaient une bonne estime d’eux-mêmes ont
UNE PROTECTION CONTRE LE STRESS eu moins de problèmes de santé mentale par la
ET LES MALADIES PSYCHIATRIQUES suite, mais ceux chez qui ce n’était pas le cas ont
Cette attitude augmenterait également la
résilience psychologique et la capacité à retrouver
son équilibre émotionnel après une épreuve.
Ainsi, les personnes qui font preuve d’autocom-
passion récupèrent plus vite d’un divorce que
FICHEZ-VOUS LA PAIX !
celles qui portent un regard autocritique ou api- Cinq conseils de spécialistes
toyé sur cet échec relationnel (« Pourquoi moi ? »), pour développer l’autocompassion
selon une étude conduite en 2012 sur 109 adultes.
- Prenez conscience que l’autoflagellation ne vous aide pas à atteindre
Ces bienfaits sur l’équilibre émotionnel sont
vos objectifs, mais vous freine.
particulièrement utiles lorsqu’on accompagne au
- Si l’autocompassion vous effraie (peut-être à cause d’une maltraitance
quotidien une personne touchée par une patho-
dans l’enfance), envisagez de consulter un spécialiste.
logie lourde. Éduquer un enfant autiste, par
- Si vous êtes parent ou enseignant, sachez à la fois célébrer les réussites
exemple, est parfois éprouvant psychologique-
des enfants et les aider à comprendre que les échecs font aussi partie de la vie.
ment. Si le niveau de stress et de découragement
- Explorez les différentes formes de pratique d’autocompassion, pour trouver
varie selon la gravité des symptômes, une étude
celle qui vous convient. Des exercices ciblés sont disponibles sur le site internet
menée en 2015 sur 51 parents d’enfants autistes
de la psychologue Kristin Neff : http://self-compassion.org/category/exercises
a révélé que leur degré d’autocompassion importe
- Si vous vous sentez mal à l’aise avec ces exercices d’autocompassion,
encore plus, influant davantage sur leur niveau
restez patient et compréhensif avec vous-même. Mieux vaut ne pas
de bonheur.
les pratiquer qu’en faire une source de stress et d’insatisfaction.
Un pouvoir protecteur qui vaut également
pour le stress post-traumatique, comme l’ont
UN MEILLEUR ÉQUILIBRE
DANS LES RELATIONS SOCIALES
Des recherches récentes suggèrent que ce sen-
timent est aussi un atout pour les relations
sociales. En 2013, Neff a analysé les interactions
au sein de 104 couples. Elle a constaté que les
hommes et les femmes ayant des scores élevés
d’autocompassion sont en général considérés par
leur partenaire comme plus attentifs et plus américain de la recherche, qui a porté sur
aidants que ceux qui obtiennent des scores bas. Si après une crise 506 étudiants. Ces personnes résolvaient mieux
En outre, ils cherchent moins à contrôler l’autre de boulimie, vous vous les conflits, étaient plus épanouies dans leurs
et manifestent moins d’agressivité verbale. accablez de reproches, relations et se montraient moins tourmentées de
vous risquez de vous
Lors de cette étude, la psychologue a aussi enfoncer dans les idées manière générale.
montré que la plupart des gens compatissent plus noires et de perdre Ces résultats ont des conséquences notamment
la capacité d’apprendre
facilement envers les autres qu’envers eux- de vos erreurs. pour les personnels soignants. On sait que ceux-ci
mêmes. Ce que confirme son observation des À l’inverse, sont particulièrement exposés au risque de « fatigue
adeptes de la méditation bouddhiste metta, ou l’autocompassion de compassion », une usure psychologique liée à un
aide à rebondir
méditation de l’amour bienveillant, dans laquelle après un échec. surinvestissement, en particulier s’ils ont un tem-
on commence par se souhaiter le meilleur pour pérament très empathique. Mais si ce caractère
soi-même avant de diriger cette empathie vers ses s’accompagne d’une forte autocompassion, le
proches, le monde et l’univers : les pratiquants risque de développer cette forme particulière de
réservent en général peu de temps à la première fatigue n’augmente pas, révèle une étude de 2016
partie et se focalisent plutôt sur la bienveillance portant sur 280 infirmiers portugais.
envers les autres. D’autres travaux attestent éga-
lement d’une déconnexion entre ces deux formes FORMER À L’AUTOCOMPASSION
de compassion, qui ne semblent pas (ou peu) aller Si l’autocompassion est bénéfique, peut-on
de pair. Être compatissant à l’égard de soi-même apprendre à se traiter avec plus de bienveillance ?
n’offre pas la garantie de l’être vis-à-vis des C’est en tout cas dans ce but que Neff et le psycho-
autres. Et réciproquement. logue clinicien Christopher Germer ont développé
Mais alors, comment expliquer les bienfaits une intervention prometteuse. Il s’agit d’un pro-
de l’autocompassion sur le couple ? Ils ne gramme de formation de huit semaines en médita-
découlent pas d’un oubli de soi : selon Neff, être tion d’autocompassion (MSC, pour mindful self-
plus attentionné avec les autres qu’avec soi ne compassion), qui présente les principaux résultats
favorise pas forcément les relations à long terme. de recherche sur le sujet et propose différents exer-
« Si vous donnez tout à votre partenaire et rien à cices : prendre le temps de savourer les expériences
© Photomak/Shutterstock.com
vous-mêmes, vous ne pouvez pas maintenir une plaisantes, s’apaiser par le toucher, utiliser un
relation saine », affirme-t-elle. timbre de voix chaleureux et doux, s’écrire à soi-
Au contraire, les personnes ayant une bonne même une lettre qu’un ami imaginaire et aimant
autocompassion parviennent mieux à maintenir aurait pu envoyer… Dans une étude exploratoire
l’équilibre entre leurs propres besoins et ceux de publiée en 2013, Neff et Germer indiquent que les
leur entourage. C’est ce que montre une étude 25 participants d’un programme MSC (pour la plu-
publiée en 2013 par Lisa Yarnell, de l’institut part, des femmes autour de la quarantaine) ont
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90 VIE QUOTIDIENNE B
ien-être
Cerveau bercé,
cerveau heureux
Par Bret Stetka, biologiste et journaliste scientifique.
B
du sommeil, mais aussi la mémorisation.
Chez les petits, les grands… et même les souris !
ercer les bébés pour les EN BREF acclimater à leur nouvel environnement ; la
endormir – à la fois pour calmer leurs gémisse- seconde, à les placer dans un lit à bascule ; la
££Un lien étonnant
ments et préserver la santé mentale de leurs vient d’être découvert troisième, une semaine plus tard, dans un lit fixe.
jeunes parents – est une pratique vieille comme entre les mouvements Même chez les personnes qui dormaient déjà
le monde. De même, les mouvements rythmiques des berceaux, hamacs bien, le balancement a raccourci le temps néces-
d’un wagon de train amènent beaucoup d’adultes et autres balançoires, saire pour que les sujets s’endorment et qu’ils
à s’endormir instantanément. Ces petits moments et notre cerveau. atteignent une phase de sommeil profond, ce qui
de détente et d’abandon nous en disent long sur ££Bercé, on s’endort plus correspond à une meilleure qualité de sommeil.
le fonctionnement de notre cerveau. Deux nou- vite, plus profondément Les individus bercés ont également eu moins
velles études publiées récemment dans Current et on consolide ses d’éveils nocturnes et ont conservé un sommeil
Biology suggèrent que notre cerveau serait en fait souvenirs. profond pendant une plus longue période.
programmé de façon évolutive pour réagir favo- ££Le mouvement de Curieux de savoir si le bercement pouvait
rablement au balancement. Et ces recherches balancier crée des ondes avoir une quelconque influence sur la mémoire,
montrent que chez les humains et les souris, le cérébrales impliquées les sujets de l’étude ont également été chargés de
fait de se bercer pour s’endormir peut avoir des dans la mémorisation. mémoriser 46 paires de mots aléatoires. Après
effets bénéfiques importants sur la santé, comme une nuit de sommeil – bercée ou non – on leur a
une meilleure qualité de sommeil et même une ensuite présenté le premier mot de chaque paire
meilleure formation de la mémoire à long terme. en leur demandant de se rappeler le second. Les
nuits bercées conduisaient à un taux de rappel
UN SOMMEIL PLUS PROFOND ET PLUS LONG trois fois supérieur aux nuits « fixes ».
Dans la première de ces deux études, Aurore Enfin, le balancement a également permis de
Perrault et ses collègues de l’université de Genève synchroniser les ondes cérébrales pendant le
ont utilisé des enregistrements d’électroencé- sommeil profond au sein des réseaux thalamo-
phalographie pour analyser l’activité électrique corticaux du cerveau, un système connu pour
du cerveau de 18 jeunes adultes en bonne santé être impliqué à la fois dans le sommeil et la
qui avaient passé trois nuits dans un laboratoire consolidation de la mémoire, le processus noc-
du sommeil. La première nuit était destinée à les turne pendant lequel le cerveau traite et stocke
Rocking promotes
Mieux : les animaux bénéficient du même sleep in mice through l’association entre le bercement vestibulaire et le
effet, ce qui en dit long sur le côté ancestral de rhythmic stimulation sommeil étaient complètement inconnus. » Il note
cette prédisposition. En effet, la deuxième of the vestibular system, que les nouvelles découvertes ouvrent la porte à
étude publiée sur le bercement a révélé que, Current Biology, vol. 29, la mise à l’essai d’interventions comportemen-
du moins chez la souris, c’est le cas. Comme pp. 392-401, 2019. tales non invasives chez les personnes dont le
dans l’étude menée sur des volontaires sommeil et la mémoire sont altérés. £
A N A LY S E SÉLECTION
Par Guillaume Jacquemont
SEXUALITÉ
CULTURE & SOCIÉTÉ D es têtes bien faites Une histoire des
de Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée (dir.) Puf sexualités
de S ylvie Steinberg (dir.)
Puf
S
i la guerre de l’information a toujours existé, l’arrivée
d’Internet a instauré une véritable course aux armements.
D’un côté, les contre-vérités, manipulations et théories
du complot ont envahi le Web. Mais de l’autre, les initiatives PSYCHOLOGIE
A u Moyen Âge, la
notion d’adultère était
plus large qu’aujourd’hui :
de fact checking et de diffusion de l’esprit critique se sont La Peur du futur il suffisait d’étreindre son
multipliées. Cet ouvrage collectif, réunissant philosophes, d’Alain Braconnier épouse avec trop
Odile Jacob
chercheurs en sciences cognitives, enseignants, vidéastes de passion pour en être
et journalistes, s’inscrit dans cette riposte nécessaire. accusé, tant l’idée de
Sa force vient notamment de la diversité de ses angles d’attaque.
D’une grande richesse théorique, il expose les multiples biais
qui affectent nos raisonnements, tout en disséquant la notion
B ouleversements
écologiques,
mutations du monde
plaisir était condamnée.
C’est ce qu’on apprend
dans cet ouvrage collectif,
de preuve et en analysant la façon dont Internet – où l’on trouve du travail, révolution qui décrit notre relation
des « preuves » sur n’importe quoi – peut fausser la donne. À cette numérique… Face à des au sexe depuis l’Antiquité
largeur d’analyse s’ajoute un louable souci d’affronter les défis changements qui jusqu’à nos jours : les
sociétaux que pose la désinformation. Certains chapitres sont par semblent toujours pratiques considérées
exemple consacrés à la façon de répondre au discours s’accélérer, le psychiatre comme normales,
climatosceptique ou à la diffusion de l’esprit critique. Alain Braconnier constate l’importance du genre
L’école doit être un relais de poids dans cette diffusion, si l’on veut que les préoccupations et de l’orientation sexuelle
éviter qu’une « fracture cognitive » s’instaure entre ceux qui ont accès de ses patients ont dans la définition de
à ces informations et les autres. Plusieurs enseignants se sont attelés évolué : « Ceux qui l’identité, les violences…
à la tâche, et l’on découvre avec un certain émerveillement à quel viennent me consulter Les auteurs nous offrent
point les enfants sont réceptifs dès le plus jeune âge. Ainsi de aujourd’hui viennent non ainsi un grand recul
ce jeune écolier de primaire, qui ne se laisse pas impressionner par plus pour me parler historique, toujours
la musique mélodramatique censée renforcer l’impact d’une vidéo de leur passé ou de leur précieux sur un sujet qui
conspirationniste : « Si on avait mis la musique de Oui-Oui à la place, enfance mais de leur suscite tant de normes
ça ferait tout de suite moins sérieux ! » angoisse du futur. » Dans et de passions. Même si
Non content de nous apprendre à lutter contre nos failles cognitives, cet ouvrage, il délivre le caractère fragmentaire
ce livre nous rend donc un peu plus optimistes. Après tout, les alors une série de des sources empêche de
attaques modernes ont jeté une lumière sans précédent sur l’esprit conseils pour retrouver lever tous les mystères :
critique et sur les dangers auxquels son absence nous expose. un peu de sérénité face on ne saura sans doute
Même s’il reste du chemin à faire – notamment en matière à l’avenir – et ainsi éviter jamais à quoi ressemble
d’évaluation des initiatives visant à l’enseigner –, peut-être notre de se laisser paralyser la « position de la lionne
époque débouchera-t-elle en effet sur des « têtes bien faites », par sa peur. sur la râpe à fromage »,
armées comme jamais contre ces dangers. qu’évoquait le poète grec
Guillaume Jacquemont Aristophane au ve siècle
est journaliste à Cerveau&Psycho. avant notre ère…
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COUP DE CŒUR
Par Rebecca Shankland
PSYCHOLOGIE
ANIMALE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL À nous la liberté !
La Dernière Étreinte de C
hristophe André, Alexandre Jollien et Matthieu Ricard
de F rans de Waal L’iconoclaste – Allary
Les liens qui libèrent
PSYCHOLOGIE
Psychologie :
une exploration
de J ean-François
Marmion (dir.)
L a puissance
émotionnelle n’est
pas toujours la qualité
première d’un texte
scientifique. Elle est
Q ui ne s’est jamais senti esclave de ses émotions
ou prisonnier de ses habitudes ? Il existe pourtant des
pratiques permettant de retrouver une plus grande liberté
intérieure, pratiques que les trois auteurs de cet ouvrage
– un psychiatre, un philosophe et un moine bouddhiste – ont
Sciences Humaines pourtant bien présente amplement contribué à diffuser. Ils en discutent dans cet ouvrage,
dans cet ouvrage, tant tout en conversant sur les moyens d’avancer vers plus d’humanité.
l’auteur, éthologue Ainsi, ils nous invitent à les accompagner sur « un joyeux chemin, sorte
P sychologie sociale,
neuropsychologie,
psychothérapie,
de renommée mondiale,
parvient à nous toucher
et à nous faire sourire.
de jeu de piste où se traquent les erreurs, les faux pas, sans esprit
de sérieux ni psychodrame ». Au fil de la lecture, nous découvrons
ce qui entrave notre liberté et ce que nous pouvons mettre en œuvre
psychanalyse… Le champ Entre chimpanzés en pour la retrouver. Il ne s’agit pas d’apprendre à « faire ce qu’on veut »,
de la psychologie est si deuil, oies triomphantes en développant un sentiment d’indépendance, voire de supériorité,
vaste qu’il est parfois et éléphants empathiques, à l’égard des autres. L’objectif est plutôt de se détacher des
compliqué de s’y repérer. il nous convie à un voyage automatismes qui nous poussent à agir d’une manière potentiellement
Cet ouvrage synthétique, fascinant à travers les contre-productive pour nous, mais aussi pour nos relations avec autrui.
dans lequel un émotions animales. Tout Œuvrer dans cette direction pourrait même contribuer à enrayer
représentant de chaque en nous invitant à rester l’épidémie de narcissisme identifiée par certains travaux américains.
branche présente sa au plus près de Simple et accessible, ce livre s’appuie sur les données des recherches
spécialité, devrait vous l’observation, pour trouver scientifiques et sur de nombreuses expériences personnelles des trois
permettre d’avoir les le difficile équilibre entre amis. Nous nous sentons conviés à écouter et échanger avec
idées claires. Sur les anthropocentrisme et eux, et cela nous donne envie d’en parler à notre tour avec nos
disciplines qui étudient « anthropodéni » : « Quand proches, afin de mieux connaître leur propre fonctionnement
l’esprit humain, mais aussi, on voit à quel point les et la façon dont ils se dépêtrent des états difficiles qu’ils affrontent.
par ce biais, sur les animaux agissent comme Très touchant par la sincérité des récits et l’affection palpable entre les
différents facteurs qui nous, ont les mêmes auteurs, l’ouvrage n’oublie pas d’être pragmatique : à la fin de chaque
influencent votre vie réactions physiologiques, chapitre, on trouve une « boîte à outils » pour lutter contre ce qui nous
intérieure et sur les façons les mêmes expressions entrave – la dépendance, la peur, le découragement… – et développer
de prendre soin de votre faciales et possèdent ce qui nous libère – la motivation, la paix intérieure, la bienveillance…
santé mentale. le même type de cerveau, On ressort de cette lecture avec une foule d’idées pour diminuer
n’est-ce pas étrange l’impact de « radio Mental FM », cette petite voix intérieure qui nous
de penser que leurs souffle des pensées négatives, et pour vivre sa vie non pas détaché
expériences intérieures de tout, mais avec les liens que l’on a choisis.
sont radicalement Rebecca Shankland est maîtresse de conférences
différentes ? » en psychologie, à l’université Grenoble-Alpes.
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LIVRES N
eurosciences et littérature 95
SEBASTIAN DIEGUEZ
Chercheur en neurosciences au Laboratoire
de sciences cognitives et neurologiques
de l’université de Fribourg, en Suisse.
Les Ubus
au pouvoir Il faut relire Ubu roi, la pièce d’Alfred Jarry !
Elle nous montrait, bien avant l’heure, la façon dont
des personnages outranciers, ridicules et souvent
stupides peuvent en venir à être élus par tout un peuple.
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eurosciences et littérature
LES UBUS AU POUVOIR
parce qu’il ne craint pas de transgres- « décerveler » son peuple, créer une
ser les règles de l’establishment. guerre, passer « à la trappe » ses
Ubu est au départ un personnage magistrats et les responsables des
né de l’imagination de lycéens ren- « phynances », le tout en disant
nais qui chahutaient leur professeur « merdre » à toute tentative de discus-
de physique, un certain Félix- sion ou de raisonnement. C’est le
Frédéric Hébert. Devenu successive- spectacle grand-g uignolesque d’un Pour le leader
ment le Père Hébert (PH), le Père
Ebé et, enfin, tout naturellement, le
incompétent au pouvoir, incapable de
se remettre en question, paniqué à la populiste, mentir
« Père Ubu », on en inventa les aven-
tures et on en fit des spectacles de
moindre contrariété, pleurnicheur et
revanchard, aussi immature que pré-
en public est une
marionnettes dès 1888. En 1896,
Alfred Jarry, passé aussi par le lycée
tentieux, impulsif que susceptible.
Jarry souhaite provoquer. Tendre
manière de montrer
de Rennes, en fait une œuvre et la au public le miroir de ses propres ten- qu’il ne fait pas
présente sur une scène de théâtre. dances ubuesques et de sa fascination
pour le pire. En 1897, il écrit : « Il n’est partie de l’élite.
INCOMPÉTENT ET PRÉTENTIEUX pas étonnant que le public ait été stu-
La pièce fait sensation. D’Ubu, péfait à la vue de son double ignoble,
l’écrivain Catulle Mendès (1841- qui ne lui avait pas encore été entiè- du populisme. Celle-ci a tout de la
1909) dit immédiatement qu’« il rement présenté. » Jarry aurait-il mis pataphysique du Père Ubu, discipline
existe désormais, inoubliable ». Plus le doigt sur un mécanisme fondamen- dont il est l’inventeur et le maître
qu’une satire du pouvoir, Ubu est tal qui explique pourquoi certains absolu, et qui se définit comme « la
alors perçu comme une attaque électeurs « se reconnaissent » dans science des solutions particulières et
contre la bourgeoisie bien-pensante. des figures populistes qui sont osten- imaginaires » (ou encore « la science
Pourtant, Ubu roi raconte bien l’as- siblement désagréables et peu des exceptions »), et tient pour socles
cension au pouvoir d’un usurpateur fiables ? théoriques l’idée que les contraires
lâche, vulgaire et sans scrupules, qui Pour comprendre ce mécanisme, sont identiques, ainsi que le postulat
va exploiter, t y ranniser et il faut saisir la logique fondamentale d’universelle analogie, qui soutient
que tout est pareil et indifférent. Elle
tient aussi de la « machine à décerve-
ler », autre invention du Père Ubu,
EXTRAIT dont la fonction est d’extirper les
idées et les croyances pesantes et
UN DÉMAGOGUE EN ACTION pénibles, ainsi que les faits objectifs
et contradictoires, de notre crâne, et
nous permettre ainsi d’agir et de nous
La cour du palais pleine de Peuple
exprimer en toute légèreté, sans le
PEUPLE : Voilà le roi ! Vive le roi ! hurrah !
moindre souci des conséquences pos-
PÈRE UBU, jetant de l’or : Tenez, voilà pour vous. Ça ne m’amusait guère de vous donner
sibles, et surtout sans trop réfléchir.
de l’argent, mais vous savez, c’est la Mère Ubu qui a voulu. Au moins, promettez-moi de bien
payer les impôts.
À BAS LES ÉLITES
TOUS : Oui ! Oui !
Parmi les nombreuses définitions
CAPITAINE BORDURE : Voyez, Mère Ubu, s’ils se disputent cet or. Quelle bataille.
et présentations du populisme, on
MÈRE UBU : Il est vrai que c’est horrible. Pouah ! en voilà un qui a le crâne fendu.
retient généralement l’idée d’une
PÈRE UBU : Quel beau spectacle ! Amenez d’autres caisses d’or.
opposition entre le « vrai peuple » et
CAPITAINE BORDURE : Si nous faisions une course.
les « élites déconnectées » et « cor-
PÈRE UBU : Oui, c’est une idée.
rompues », avec une forte compo-
Au peuple.
sante volontariste de la part du pre-
Mes amis, vous voyez cette caisse d’or, elle contient trois cent mille nobles à la rose en or,
mier, lequel devrait « se faire
en monnaie polonaise et de bon aloi. Que ceux qui veulent courir se mettent au bout de la cour.
entendre » et « reprendre le pouvoir »
Vous partirez quand j’agiterai mon mouchoir et le premier arrivé aura la caisse. Quant à ceux
à ceux qui le leur ont confisqué. C’est
qui ne gagneront pas, ils auront comme consolation cette autre caisse qu’on leur partagera.
pourquoi le populisme se présente
TOUS : Oui ! Vive le Père Ubu ! Quel bon roi ! On n’en voyait pas tant du temps de Venceslas.
comme une force politique dotée
Ubu roi, acte II, scène 7, in « Tout Ubu », édition établie par Maurice Saillet,
d’un « nouveau visage » capable de
Le Livre de Poche, 1985, pp. 62-64.
régler tous les problèmes par la seule
force de sa détermination. Et il est
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À retrouver dans ce numéro
MAGNÉTITE SENSATIONS
p. p.
6 22
Notre cerveau contiendrait des microcristaux Le profil psychologique dit « à recherche
de magnétite, un oxyde de fer dont on fait de sensations », en partie déterminé
les aimants. Sensible au champ magnétique terrestre,
ce composé susciterait des courants électriques
biologiquement, se retrouverait chez
dans les neurones, ce qui nous permettrait les personnes qui ont le goût du risque
de sentir le champ ambiant. – dont certains adolescents qui pratiquent
des jeux dangereux comme le jeu
p. du foulard, ou qui montent sur des trains
14 GÈNES PARESSEUX en marche… En cause, un manque
Le temps passé à des activités sédentaires serait de dopamine dans le cerveau,
expliqué à 30 % par notre patrimoine génétique. qui impose des situations limites
Les gènes du moindre effort auraient été
sélectionnés pour leur capacité à limiter pour se sentir exister.
les dépenses d’énergie dans un environnement
autrefois pauvre en ressources alimentaires.
p.
58 BESOIN DE NATURE
« Les enfants qui ont grandi entourés d’espaces verts ont plus de matière grise au niveau
du cortex préfrontal et de l’aire prémotrice gauche. » Jordi Sunyer, université de Barcelone.
de taux de réussite
pour un test Le passage à l’heure d’été s’accompagne d’une hausse
expérimental
de dépistage sanguin de 25 % des infarctus, à cause d’un surcroît de stress lié
de la maladie au manque de sommeil. Et le passage à l’heure d’hiver
d’Alzheimer. En cas
de résultat positif, provoque une augmentation de 30 % de la mortalité
le médecin pourrait des piétons et des cyclistes à cause de l’obscurité.
prescrire un diagnostic
de confirmation Si on gardait la même heure toute l’année ?
par IRM.
p.
2,5 ANS
p.
36 PAS PEUR 70
Imprimé en France – Roto Aisne (02) – Dépôt légal mai 2019 – N° d’édition M0760110-01 – Commission paritaire : 0723 K 83412
– Distribution Presstalis – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 19/03/0010 – Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
DEUX RÉFÉRENCES ACTUALISÉES 2
Avril 2019 • 720 pages • 9782807302402 • 63,00 € Avril 2019 • 960 pages • 9782807314924 • 75,00 €
Compléments à télécharger Version numérique NOTO offerte
Cet ouvrage présente les bases Qu’est-ce que le système nerveux ?
neurobiologiques du comportement. Comment fonctionne-t-il ? Qu’est-ce que
Très didactique, richement illustré, il est la mémoire ? Le langage ? L’intelligence ?
structuré autour d’une grande question Cet ouvrage répond à toutes ces
par chapitre (16 au total) : d’où vient questions et bien d’autres. Exhaustif
le cerveau, comment fonctionne-t-il, tout en étant accessible, il constitue
comment percevons-nous le monde, la référence tant pour les étudiants en
ou encore pourquoi rêvons-nous ? Un médecine que pour ceux de biologie, de
classique du genre ! sciences biomédicales, de psychologie
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