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Collection

« Questions de parents »
dirigée par Mahaut-Mathilde Nobécourt

ISBN 978-2-226-28460-0

© Éditions Albin Michel, 2013

Nouvelle édition, corrigée et augmentée, de :


Moi, la nuit, je fais jamais dodo…, Fleurus, 2000.
À mes grands-parents disparus dans la grande
nuit…

À Arnaud et Olympia qui m’ont éclairée dans


mon cheminement de mère.

À tous les bébés, enfants et parents qui m’ont


confié leurs nuits.
Table
Avant-propos

Introduction

1. Le sommeil

Les cycles du sommeil

Votre enfant a-t-il assez dormi ?

La sieste

Les idées fausses qu’il faut oublier

2. Sommeil et vie quotidienne de la famille

Une course contre la montre

Trop de stimulations

Le rituel du coucher aide à se séparer

3. Dans le cabinet du psy pour une consultation de sommeil

Ce qui amène à consulter

Ce qui se joue dans la famille

La sécurité de base

Remettre des mots sur l’histoire de l’enfant

Un exemple de consultation

Il n’y a pas deux consultations identiques


4. Le délicat passage du coucher

Soyez attentifs aux signes de fatigue de votre enfant

Veillez à ce qu’il ait sa dose d’affection

Accordez-lui un laps de temps bien défini

Le baiser du soir

L’histoire avant de dormir

Non au journal télévisé et aux jeux vidéo !

Non aux calmants !

Jamais sans son doudou ?

Pour ou contre la tétine ?

5. Les difficultés d’endormissement

« Quand je vois une mère avec son bébé, ça me fait toujours mal »

« La lutte à mort pour ne pas s’endormir »

Le « sacrifice d’Abraham »

« Mon lit est méchant ! »

« Cinq ans de galère… »

« Je veux être avec maman »

« On a tout essayé… »

Laissez bébé s’endormir seul

Sommeil et angoisse de séparation


L’acquisition de la permanence de l’objet d’amour

L’importance de la séparation matinale

6. Les réveils multiples dans la nuit

« Je ne fais plus que ça ! »

« Mon mari fait seulement un bisou aux enfants »

« Un bébé en kit »

« Je ne souffle jamais… »

« Il ne me laisse pas dormir depuis trois mois ! »

« La grande sœur se met dans le lit du bébé »

« Je pars le matin comme une voleuse »

« Elle touche mes jouets ! »

Des signaux à interpréter

7. La peur du noir et les rêves

Dans le silence de la nuit

Comment rassurer votre enfant ?

La capacité de rêver

8. Peur des monstres, cauchemars et terreurs nocturnes

Les monstres de la nuit

Le cauchemar

Les terreurs nocturnes


9. L’insomnie joyeuse

« C’est triste, ce désert humain dans lequel j’ai été élevée… »

« Je veux faire des trucs de grande ! »

« Nous, on a envie de dîner tranquilles »

10. Chacun son lit

Partager le lit des parents

Chacun son lit et la maison sera bien gardée

Les câlins du matin

Aménager l’espace familial

Le lit, un coin à soi

Changer de lit, oui, mais attention !

11. Les effets de la consultation

Ce que disent les parents quelques semaines après

En quoi cette consultation est-elle thérapeutique ?

Est-ce une consultation psychanalytique ?

Une seule consultation ?

En conclusion

Bibliographie

Remerciements

DU MÊME AUTEUR
Avant-propos
Mon premier berceau fut un tiroir de commode. C’était après la guerre. Mes
parents n’avaient plus rien. Ils étaient devenus tout à coup orphelins. Ils
n’avaient plus ni parents ni maison. Je suis née après ce raz de marée organisé.
Mes parents ne pouvaient parler ni de la rafle du Vél’ d’Hiv ni des camps. Ma
chambre a été hantée par les fantômes de mes grands-parents. Tantôt j’avais
envie de courir vers eux et de monter sur leurs genoux, tantôt je voyais des
squelettes hagards, errant dans les nuits gelées, qui me terrifiaient.
J’ai respecté chez mes parents leur impossibilité d’en parler et j’ai passé mon
enfance à guetter la moindre bribe de leur histoire, le moindre indice que je
pouvais obtenir. J’attendais de mes parents qu’émergent des parcelles de mes
origines, des parcelles d’émotions et de souvenirs que je recueillais alors comme
des trésors. J’espérais que les fantômes qui hantaient ma chambre reprendraient
leur vraie forme en sortant du brouillard.
M’occuper des troubles du sommeil de bébés et d’enfants, n’est-ce pas une
façon de les aider, ainsi que leurs parents, à retrouver les fantômes qui hantent
les chambres, pour mieux les en déloger ?
Introduction
« On craque. »
« On a l’impression que ça n’arrêtera jamais. »
« On se dit : c’est parce que c’est un bébé. Puis parce qu’il est malade, puis
parce qu’il sort des dents, puis parce qu’il rentre en crèche, puis parce qu’il a le
nez bouché, puis parce que j’ai retravaillé. Mais maintenant, ça suffit : ça ne
passe pas. »
« Je n’en peux plus, je vais le jeter par la fenêtre, je vais le piler sur place. »
« J’ai perdu le sommeil. »
« Les voisins vont porter plainte, ils tapent dans le mur au moindre pleur. »
« Un ange le jour, un démon la nuit. Ce n’est plus le même enfant. »
« Mon bébé fait ses nuits chez son père et pas chez moi. »
« On est tout le temps dans le stress que l’un réveille l’autre. »
« S’il continue comme ça, je serai licenciée. »
« Ça fait sept ans qu’on a un enfant dans notre lit. »
« Ça fait deux ans et demi qu’il ne dort pas et deux ans et demi et neuf mois
pour moi. »
« Certains jours, je suis comme drogué quand, pendant plusieurs nuits, elle ne
veut pas se rendormir. Ça touche à ma vie, je passe alors la journée dans un
nuage. »
« Elle a dû me faire six nuits depuis sa naissance. Ça fait deux ans. C’est un
appel au secours. »
« À cause des troubles du sommeil de mon enfant, je n’ai pas eu de deuxième.
C’est le grand regret de ma vie, j’aurais bien aimé qu’on m’aide. »
« Depuis qu’il est né, on ne dort pas. On a tout essayé. Vous êtes notre dernier
espoir. »
« Soit je me tue, soit je le tue… »
Ce sont des paroles de parents qui n’en peuvent plus. Ces parents ont tout
essayé : les bras, les câlins, la petite musique, les histoires, la porte ouverte, la
fermeté, la porte fermée, la lumière allumée, dix doudous dans son lit, la tétine,
1
la méthode 5-10-15 , la fessée, le chantage, rester à côté de lui jusqu’à ce qu’il
s’endorme, le bercer, le promener en poussette jusqu’à l’endormissement,
supprimer la sieste pour qu’il dorme mieux la nuit, lui donner un biberon de lait
ou d’eau, ajouter de la farine pour qu’il tienne toute la nuit, lui donner du sirop,
baisser les barreaux du lit ou acheter un « grand » lit, le laisser pleurer, le laisser
dans le noir, le faire dormir seul ou avec ses frères et sœurs, lui faire partager le
lit des parents… Tantôt ce sera le père qui se lèvera, tantôt la mère, ou bien les
deux se lèveront à tour de rôle ou décideront de ne pas y retourner. On accepte
tout et son contraire pour avoir la paix immédiatement, mais cela se révèle
inefficace à long terme. La fatigue vient à bout des bonnes résolutions : on
manœuvre tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, on ne tient plus le cap des
nuits, on lâche la barre. On n’arrive plus à être d’accord devant son enfant, on lui
met des jouets dans le lit alors qu’il tombe de fatigue, on le laisse s’endormir
devant la télé ou dans le lit parental pourvu qu’il dorme ENFIN et qu’on
dorme AUSSI !
Ces parents-là ont écouté les conseils des grands-mères, de la belle-mère, de la
sœur, des amis. Ils ont tout lu sur le sommeil des enfants, parcouru les forums
sur Internet, regardé l’émission « Les Maternelles », consulté leur médecin,
l’homéopathe, l’ostéopathe… Ils ne savent plus à quel saint se vouer. Alors ils
m’appellent. J’ai au bout du fil des parents exaspérés, désespérés, et inquiets, qui
demandent de l’aide.
Le sommeil d’un enfant n’est pas de tout repos pour ses parents : traverser la
nuit est l’une des épreuves de la vie et chacun apprend à l’affronter comme il le
peut. C’est une épreuve car cette traversée implique, pour un enfant, une
séparation d’avec les siens pendant de longues heures ; l’apprentissage de la
capacité à être seul ; une plongée dans le noir, avec l’angoisse que cela peut
susciter ; l’expérimentation par l’enfant de sa toute-puissance (jusqu’où peut-il
disposer de son parent ?) ; des interrogations sur la vie intime et sexuelle des
parents (que peuvent-ils bien faire quand je suis dans mon lit ?). Les problèmes
de sommeil font partie du développement normal d’un enfant. Mais quand ils
s’installent sur une certaine durée, ils peuvent être considérés comme un trouble.
Que vous dit votre enfant, de lui ou de vous, à travers son refus d’aller se
coucher, ses difficultés d’endormissement, ses éveils multiples, ses cauchemars,
ses terreurs nocturnes, son besoin incessant de vous rejoindre dans votre lit ou
2
son insomnie joyeuse ? Je répondrai à cette question en vous présentant, au fil
de ces pages, des parcours de parents avec leurs enfants. Il n’y a pas de sentier
tout tracé face aux difficultés de la nuit. Chacun trouvera son chemin qu’il
défrichera, pas à pas, en s’arrêtant, en écoutant, en regardant, en mettant en mots
des souffrances enfouies. Le prêt-à-dormir n’existe pas ! Je pourrai indiquer,
çà et là, quelques balises pour ne pas aggraver les troubles de l’enfant ou pour
renforcer le sentiment de sécurité au moment de son coucher. Mais c’est vous
qui trouverez, avec les moyens dont vous disposez et là où vous en êtes, votre
solution.
Les bébés et les enfants que vous allez croiser dans ce livre ont entre 7 mois et
10 ans. C’est une population de la région parisienne que j’ai rencontrée à
l’hôpital Robert-Debré et que j’accueille toujours dans mon cabinet de
psychologue-psychanalyste. Ces enfants, de tous milieux socioculturels, sont
issus de familles qui habitent une seule pièce ou qui vivent dans des logements
spacieux et confortables. La plupart des parents travaillent mais il arrive aussi
que la mère ne travaille pas. Les troubles du sommeil surgissent au sein des
familles monoparentales comme dans la famille nucléaire. Ils peuvent affecter le
bébé dès sa naissance ou survenir brutalement à un âge plus avancé, après un
événement particulier ou, le plus fréquemment, après une succession
d’événements, traumatisants ou non. Certains parents consultent dès l’émergence
du trouble ; d’autres attendent des mois voire des années avant d’effectuer cette
démarche, comme si les nuits bruyantes de l’enfant faisaient partie du difficile
métier de parents ! Je reçois toujours les bébés et les enfants après une visite
chez leur pédiatre, donc après avoir éliminé toute cause organique.

Nombre de consultations par tranche d’âge

Entre 6 mois et 3 ans, 25 % à 50 % des enfants ont présenté ou présentent des


troubles du sommeil. Nous vivons de moins en moins avec nos enfants dans la
journée et déléguons une partie grandissante de notre fonction de parents à des
professionnels de la petite enfance. Nos enfants, socialisés précocement, vivent
très tôt des séparations. Comment aborder avec le moins de dommages possibles
les séparations de la journée et du soir, au moment du coucher, lorsqu’on s’est
peu vus ? Nous le verrons, il existe différents moyens.
Aujourd’hui, les parents adoptent deux attitudes extrêmes face au trouble du
sommeil de leur enfant. Soit une grande tolérance : « Il est normal qu’il pleure la
nuit, il me fait payer le fait de travailler et de ne pas être très disponible » ; soit
une intolérance marquée : « La situation est intenable : on rentre fatigués par
notre journée, et après, il faut des heures pour le coucher. Il nous réveille toutes
les nuits alors que nous devons être en forme pour travailler ». Bien sûr, nous
aborderons ces deux attitudes.
Tout trouble du sommeil peut disparaître à condition de prendre le temps
de s’interroger sur le déroulement des journées, sur l’installation de l’enfant et
de son lit dans le logement, sur l’histoire familiale d’hier et d’aujourd’hui. Tel
est le parcours auquel je vous convie à présent.

Notes
1. On laisse l’enfant pleurer cinq minutes puis on revient, on le rassure, on pose sa main sur lui
puis on repart. S’il se remet à pleurer, on patiente alors dix minutes, on revient le consoler et on
repart. Si les pleurs reprennent, on attend cette fois-ci quinze minutes avant de revenir auprès de
lui. Cette méthode comportementaliste très en vogue peut aider certains parents mais ne tient pas
compte de ce que les parents ressentent devant les pleurs de leur bébé : certains ne supportent pas
de l’entendre pleurer, ne serait-ce que quelques secondes, et s’ils pensent qu’il est forcément
malheureux, ils ne le laisseront pas dans un tel désarroi.
2. Je ne parlerai pas de l’énurésie, ce qu’on appelle « pipi au lit », car l’enfant énurétique dort
très bien.
1
Le sommeil

« Quand tu dors, tu mets ta barbe au-dessus ou


au-dessous de ta couverture ? » Le barbu, chaque
fois qu’il se couchait, se posait la même question
3
et ne dormit plus .

La majorité des enfants acquiert un sommeil nocturne, stable ou réglé, entre 3


et 6 mois ; 25 % d’entre eux s’éveillent encore la nuit jusqu’à 1 an ; d’autres
continuent de se réveiller au-delà de 12 mois. Ce réglage du sommeil
conditionne la vie de tout nouveau parent. « Fait-il ses nuits ? », « Quand va-t-il
faire ses nuits ? » sont des questions fréquentes. Les parents se partagent en deux
clans : les privilégiés qui ont des bébés faisant leurs nuits très vite, quelquefois
dès le premier mois, et ceux dont les enfants n’ont pas encore franchi cette étape.

Les cycles du sommeil

Le nouveau-né connaît des phases de sommeil agité et des phases de sommeil


calme. Il s’endort toujours en sommeil profond, le précurseur du sommeil
paradoxal ou sommeil de rêve de l’adulte. Celui-ci occupe 50 % à 60 % du
temps de sommeil du nouveau-né alors qu’il n’en occupe plus que 27 % à 6 mois
et 25 % à l’âge adulte.
Le nourrisson dort en moyenne seize à vingt heures par vingt-quatre heures
comme lorsqu’il était dans l’utérus. Il ne connaît pas encore l’alternance des
jours et des nuits. Ses cycles sont de cinquante à soixante minutes. Il peut
enchaîner trois ou quatre cycles sans se réveiller. Comment repérer le sommeil
agité du nourrisson ? Alors qu’il dort calmement et respire régulièrement, yeux
et poings fermés, tout se met à changer : sa respiration devient rapide, haletante,
entrecoupée de brèves apnées. On devine, derrière ses paupières closes ou mi-
closes, des mouvements oculaires dans tous les sens ou le regard s’arrêter
comme s’il fixait quelque chose. Il a des mimiques de dégoût, de tristesse ou
4
bien fait le fameux « sourire aux anges » (premier sourire du bébé). Il peut se
réveiller, crier, grogner, chouiner, téter, mâchouiller, s’agiter et même bouger
bras, doigts ou jambes.
Cette information sur le sommeil agité du nouveau-né est capitale et devrait
être dispensée aux nouveaux parents dans toutes les maternités. Si les parents
savaient le reconnaître, s’ils savaient que malgré son agitation apparente leur
bébé dort, n’éprouve ni gêne ni malaise, de nombreux troubles du sommeil
seraient évités lors des premiers mois. Or nombreux sont les parents qui, faute
d’information, interviennent pour calmer et rassurer leur enfant alors que celui-ci
est en train de s’endormir. Ils vont le stimuler à contretemps puisqu’il dort.
Réveillé par ses parents dans son premier cycle, bébé pleure et aura du mal à se
rendormir.
En phase de sommeil calme, le nourrisson ne bouge pas ; sa respiration est
régulière, ses yeux sont fermés et sans mouvements oculaires, le visage est
immobile et inexpressif. Le bébé garde un certain tonus et dort à poings fermés.
À la fin du premier mois, le bébé peut dormir six heures d’affilée durant la
nuit. La qualité de son sommeil change : le sommeil agité va laisser place à un
sommeil plus calme, plus profond. La périodicité jour-nuit apparaît. Les éveils,
dans la journée, s’allongent, les plages de sommeil nocturne aussi.
Au troisième mois, il s’endort non plus en sommeil agité mais en sommeil
calme. Le sommeil de nuit peut atteindre huit heures d’affilée. Les cycles de
sommeil commencent à s’organiser. La mise en place des rythmes circadiens
s’ébauche. « On appelle rythmes circadiens les alternances, aux environs de
vingt-quatre heures, de certaines de nos fonctions biologiques dont le rythme
veille-sommeil est l’une des plus importantes. Dans les conditions normales,
cette alternance est synchronisée par le rythme jour-nuit, par nos périodes
5
d’activité et de repos . »
Au quatrième mois, le sommeil du bébé évolue spontanément et progresse
vers les quatre rythmes de l’adulte : endormissement, sommeil lent, sommeil très
profond et sommeil paradoxal. Le nourrisson suit mieux son horloge biologique
interne et devient plus dépendant de son environnement : les activités régulières
de la journée deviennent des repères indispensables au bébé pour ajuster son
horloge biologique et les rythmes de l’environnement extérieur. Quels sont ces
donneurs de temps ? Dans la journée il s’agit de la régularité des repas, des
moments de jeu et d’échanges, des promenades, du retour du père et de la mère ;
la nuit, il s’agit de marquer l’alternance avec le jour en respectant la luminosité
du dehors : on fait le noir, on parle doucement, on n’allume que faiblement, on
ne joue pas. Grâce aux synchronisateurs externes, ces donneurs de temps aident
le bébé à se repérer dans le temps, l’espace, la vie familiale et sociale. Des
horaires réguliers aident son organisme à adapter ses rythmes fondamentaux à la
vie. La rythmicité biologique se met en place dès les premiers mois de la vie et
induit celle de la vie entière. Le quatrième mois représente donc une période
particulièrement fragile où les réveils intempestifs, les horaires irréguliers, le
manque de sommeil, l’instabilité du quotidien risquent de générer, chez certains
bébés, de futurs troubles du sommeil, même si d’autres ne seront nullement
perturbés par une vie irrégulière.
Le bébé allaité entretient aussi une relation plus fusionnelle avec sa mère, son
père et les autres adultes étant tenus à distance : cela peut l’empêcher de suivre
les rythmes imposés par l’extérieur et retarder la régulation de son sommeil,
mais aussi favoriser l’installation de ses cycles de sommeil, si sa mère ne le
maintient pas en dehors de la vie extérieure et familiale.
À partir de 6 mois, en principe, le sommeil est réglé et atteint sa vitesse de
croisière. Le bébé ne s’endort plus en sommeil agité mais en sommeil lent léger
comme les adultes. Le sommeil de jour va s’organiser en siestes. Les cycles
s’allongent et atteignent soixante-dix minutes. Cette régulation du sommeil
constitue un véritable tour de force : alors que le fœtus dormait toute la journée
et était surtout réveillé le soir, entre 21 heures et minuit, le bébé de 6 mois
connaît un tout autre mode de vie. Ne nous étonnons donc pas des dérapages ou
difficultés d’adaptation que peuvent rencontrer certains bébés avec ces rythmes
entièrement nouveaux et les sollicitations nombreuses du monde extérieur et de
l’entourage relationnel. Il n’est pas surprenant que le réglage du sommeil du
bébé prenne du temps. Laissons-lui ce temps !
À partir de 2 ans et demi-3 ans, les cycles sont de quatre-vingt-dix à cent vingt
minutes comme chez l’adulte. Les siestes matinales et de fin d’après-midi
disparaissent. Reste la sieste de l’après-midi, maintenue lors de la scolarisation
en petite section de maternelle. Les couchers deviennent plus tardifs.
Entre 4 et 10 ans, les difficultés à se coucher se renforcent et les réveils
multiples diminuent. Les nuits peuvent être entrecoupées de cauchemars
empêchant l’enfant de se rendormir tout de suite, ou de terreurs nocturnes,
toutefois moins fréquentes, perturbant davantage les nuits des parents que celles
de leur enfant.
Le besoin de sommeil apparaît à des moments bien précis, dans la journée
et le soir, annoncé par des signes propres à chacun.
Le trouble du sommeil fait partie de la vie, notamment de celle du bébé et
de l’enfant, qui connaît des périodes de développement physique et psychique
particulièrement intenses. Ce trouble apparaît ponctuellement ou pendant
plusieurs jours ou nuits d’affilée à l’occasion de poussées dentaires, de maladies,
de douleurs, de changements importants auxquels est soumis le bébé ou
l’enfant. Il peut se développer à l’occasion de périodes charnières d’acquisitions
importantes (marche, acquisition du langage, de la propreté, entrée à la crèche ou
à l’école, période œdipienne, arrivée d’un frère ou d’une sœur, séparation des
parents, deuil, déménagement…).
Le trouble du sommeil n’est pathologique que lorsqu’il devient chronique
et entrave gravement la vie familiale et la vie de couple. Les seuils de
tolérance sont variables et fonction de l’histoire des parents, de la qualité de leur
propre sommeil. Certains parents, bons dormeurs, ne sont pas trop perturbés s’ils
sont réveillés dans la nuit car ils se rendormiront aisément ; d’autres ne pourront
plus se rendormir ou ne le feront que difficilement, ils n’auront pas leur compte
de sommeil, fonctionneront au ralenti ou dans la confusion au cours de la
journée qui suivra. Le trouble du sommeil est donc considéré comme tel en
fonction de l’appréciation et de la tolérance de l’entourage immédiat. D’aucuns
se précipitent pour demander de l’aide parce que leur bébé de 1 mois ne fait pas
encore ses nuits, alors que d’autres ne consultent qu’après une, deux ou quatre
années de nuits non paisibles : ces parents-là considèrent comme normal qu’un
bébé pleure la nuit ou qu’un petit enfant continue de se réveiller. Quelques éveils
nocturnes sont normaux, tout enfant en a, mais il importe, au fur et à mesure
qu’il grandit, de lui apprendre à les gérer seul. Ne pas s’endormir tout de suite
n’est pas grave : il est important de dédramatiser pour ne pas accroître l’anxiété
de l’intéressé, créer une culpabilité et ainsi renforcer son insomnie. Aidons
l’enfant à gérer, à mesure de sa croissance, ce laps de temps qu’il lui faut pour
s’abandonner au sommeil comme il l’entend.
« Elle a toujours assez peu dormi par rapport à ce que disent les livres », dit la
maman de Léa, 3 ans. Les enfants sont-ils inégaux devant le sommeil ? Il existe
de petits dormeurs et de gros dormeurs, des couche-tôt et des couche-tard, de
bons dormeurs et des dormeurs plus fragiles dont le sommeil se dérègle au
moindre bruit, à la moindre perturbation dans leur vie, des enfants qui éprouvent
le besoin impératif de faire la sieste aussi longtemps que cela leur sera permis et
d’autres qui s’en passeront facilement très tôt.

Votre enfant a-t-il assez dormi ?

Il a suffisamment dormi s’il est facile de le réveiller le matin, s’il est de bonne
humeur, s’il ne pleure pas et si, entre 16 heures et 20 heures, il n’est pas irritable,
excité, ou replié sur lui-même avec son doudou ou son pouce et s’il arrive, quand
il est plus grand, à se concentrer sur ses devoirs.
Pourquoi pleure-t-il au moment du coucher ? Les enfants de moins de 3 mois
qui pleurent beaucoup ne manquent pas de sommeil, même si leurs parents ont
l’impression qu’ils ne dorment jamais. Des bébés pleurent pour s’endormir. Ces
pleurs vont decrescendo pour finir par disparaître complètement. Cette veille
agitée précède leur endormissement. Il est important de repérer cette habitude et
de laisser son bébé se calmer seul et s’endormir sans intervenir. D’autres
pleurent dans leur sommeil sans se réveiller. Ils revivraient ainsi durant la nuit ce
qu’ils ont vécu dans la journée. Là encore il n’est pas utile d’intervenir.
Les pleurs du soir vers 3 à 4 semaines, entre 17 heures et 22 heures, ou les
coliques des premiers mois sont souvent difficiles à apaiser : a-t-il faim ? A-t-il
mal ? Pourquoi rien ne réussit à le calmer ? Pourquoi ces pleurs reviennent-ils
tous les soirs ? L’hypothèse souvent avancée est que c’est le moment où la
vigilance est maximale, c’est donc une phase d’éveil agité et d’extériorisation
nécessaire à certains bébés. Le bébé aurait emballé son système d’éveil et ne
6
saurait plus l’arrêter. Des auteurs comme Spitz ont montré que cela concernerait
surtout les nourrissons hypertoniques mangeant avec voracité, avec des mères
anxieuses, faisant preuve d’une sollicitude excessive ou impatientes. Quand
l’ajustement entre la mère et son bébé s’améliore après une période d’accordage
plus ou moins longue et que celui-ci a de nouvelles possibilités de décharger ses
tensions (en suçant son pouce, par exemple), les pleurs cessent. Veillez à
détendre l’atmosphère plutôt que de vous acharner à calmer votre bébé et
détendez-vous : une ambiance calme, peu lumineuse, des massages doux sur son
ventre, une berceuse ou de la musique peuvent se révéler efficaces. Pour calmer
un enfant, il est nécessaire d’être soi-même calme : on peut évoquer avec lui
des moments heureux passés ensemble. L’évocation de ce plaisir peut calmer
l’enfant et l’adulte qui le couche !
Un enfant calme au moment de l’endormissement fera une meilleure nuit que
celui qui s’endort exténué par des pleurs qui ont duré longtemps.
Pour favoriser l’endormissement et la nidation de l’enfant, quelques
conditions simples suffisent. Il faut :
– que le bébé ou l’enfant ait son coin et qu’il s’y sente bien ;
– que l’environnement sonore soit calme ou au contraire très branché sur le
monde extérieur (lorsque des voix familières, la conversation des grands, le bruit
de fond de la télévision, les bruits de la maisonnée et de l’environnement
extérieur pénètrent la chambre, au moment du coucher). Le fait que les choses
continuent d’exister le berce et le rassure. Le silence peut être signe de vide et
faire peur. Attention de ne pas transformer la maison en catafalque et de plonger
la maison dans un silence de mort. Des expériences ont montré qu’un bébé
s’endormait mieux dans les conditions qu’il avait connues in utero : s’il a
entendu les bruits des avions, le bruit des avions ne le dérangera pas ; s’il a
entendu l’un de ses parents jouer de la musique à longueur de journée, il pourra
s’endormir en l’entendant répéter. En revanche, s’il a connu le calme et le
silence in utero, il vaut mieux qu’il retrouve ce même environnement sonore.
Mme D. raconte que lorsqu’elle était petite, des voisins mettaient la musique à
fond chaque nuit. À 11 ans elle a déménagé dans un immeuble calme. C’était
moins bien qu’avant, il n’y avait plus de voisin qui faisait du bruit. M. F. se
laisse bercer par le ronflement de son chien. Et combien d’ados, aujourd’hui, ne
peuvent s’endormir qu’avec un doudou sonore dans les oreilles !

La sieste

La sieste, ou sixième heure après le lever (sexta hora des Romains), est utile
toute la vie mais nos conditions de vie nous empêchent le plus souvent de la
pratiquer. Elle est nécessaire chez les bébés et les enfants jusqu’à l’âge de 4 ans,
et plus s’ils ont du mal à « tenir ». Elle disparaît fréquemment en moyenne
section de maternelle, surtout par manque de locaux. Des instituteurs, en
moyenne ou grande section, remédient à cela en imposant une pause obligatoire
à leurs jeunes élèves. Ils leur font poser la tête sur la table, ce qui permet à
certains de bénéficier d’une pause récupératrice, ou bien leur demandent de se
reposer dans le coin-lecture s’il y en a un.
Après une période où le bébé dort la majeure partie de son temps, il réduit
progressivement son temps de sommeil. À 6 mois, il ne fait plus que trois
siestes, une en milieu de matinée, une autre en début d’après-midi et une
dernière vers 17 heures. Entre 12 et 15 mois, la sieste du soir disparaît. Puis entre
15 et 18 mois disparaît, à son tour, la sieste matinale. À partir de 18 mois
environ ne subsiste que la sieste de l’après-midi.
Forte de mes entretiens avec de nombreux parents, j’insisterai sur les points
suivants :
– Éviter la sieste ne favorise en rien un endormissement aisé et un meilleur
sommeil de nuit. Au contraire, l’excès de fatigue rend encore plus difficile
l’endormissement : l’enfant que l’on empêche de faire la sieste s’habitue à lutter
contre ses signes de fatigue et ne s’y abandonne plus. Nombreux sont les enfants
qui, après avoir retrouvé ou régulé leur sommeil, se mettent aussi à faire la
sieste, à la surprise de leurs parents ! C’est comme si le sommeil ne leur faisait
plus peur et qu’ils s’y laissaient aller avec moins de réticence.
– La sieste de l’après-midi est souvent trop éloignée du repas de midi, l’enfant
a du mal à y entrer et va dormir trop tard. Or, pour bien dormir la nuit, il faut
avoir été éveillé suffisamment longtemps dans la journée.
– Souvent la sieste est supprimée trop tôt car elle dérange les parents qui se
sentent « bloqués » une partie de l’après-midi : « À cause de sa sieste, on ne peut
rien faire le week-end ! »
– Elle peut être vécue par l’enfant comme une punition. À l’école, on entend
encore trop souvent : « Si tu n’es pas sage, tu iras à la sieste ! » ou : « Rejoins les
petits pour faire la sieste car tu es infernal aujourd’hui ! » Et à la maison :
« Puisque tu ne tiens pas en place, file au lit » ou bien : « Comme tu n’arrives
pas à te calmer, va faire la sieste ! »
Au lieu d’être vécue comme un privilège et une pause bénéfique dans
l’activité de la journée, la sieste est souvent ressentie par les enfants ou les
parents comme faisant partie intégrante du statut de bébé : « C’est un bébé car il
fait encore la sieste ! » ou : « Voyons, c’est un grand maintenant, ça fait
longtemps qu’il ne fait plus de sieste ! » Il n’est pas inutile de montrer à nos
enfants que les grands adorent aussi faire la sieste et aiment s’y adonner dès
qu’ils en ont le loisir, quelles que soient leurs raisons.

Les idées fausses qu’il faut oublier

• Un bébé, un enfant, ça pleure la nuit ; ça passera.


• Il doit faire ses nuits au sortir de la maternité.
• Lui faire sauter la sieste lui permettra de mieux dormir la nuit.
• Il faut coucher tous les enfants à la même heure.
• On ne peut laisser un bébé s’endormir seul.

Notes
3. Dans La Demoiselle impudique d’Alphonse Allais, le barbu, ne dormant plus, finit par raser sa
barbe.
4. Ce premier sourire se déclenche sans aucune stimulation extérieure, c’est un sourire réflexe.
« Toutes les mères interprètent ce premier sourire et disent : “Il me reconnaît déjà” ou bien : “Il
sourit grâce à moi” », remarque Boris Cyrulnik dans Sous le signe du lien. Cet air heureux et béat
émerveille les parents car c’est la première manifestation de bonheur et de satisfaction exprimée
directement par leur bébé et qu’ils pensent destinée à eux-mêmes, réconfortés sur leur rôle bien
rempli de bons parents.
5. Pour les références des ouvrages cités, voir la bibliographie en fin d’ouvrage. Marie Thirion et
Marie-Josèphe Challamel, Le Sommeil, le Rêve et l’Enfant.
6. René A. Spitz, De la naissance à la parole : la première année de la vie. René A. Spitz,
psychanalyste viennois ayant émigré aux États-Unis en 1938, s’est surtout intéressé au
développement des enfants pendant les deux premières années de leur vie. Il a utilisé des
méthodes d’observation sur une population de pouponnières, de homes d’enfants abandonnés, de
maternités, de foyers d’adoption, etc. Ses livres principaux sont De la naissance à la parole et Le
Non et le Oui.
2
Sommeil et vie quotidienne de la famille

« “Tante, dis-moi quelque chose, j’ai peur, parce


qu’il fait si noir.” La tante répliqua : “À quoi cela
servira-t-il puisque tu ne peux me voir ? – Ça ne
fait rien, répondit l’enfant. Du moment que
quelqu’un parle, il fait clair.” »
Sigmund Freud,
Trois essais sur la théorie de la sexualité

Quand la vie familiale se rétrécit comme une peau de chagrin, comment s’y
retrouvent les bébés, les enfants et les parents ? Les nuits résonnent alors des
chagrins du jour et des manques de la journée. Existe-t-il une relation entre la
recrudescence des troubles du sommeil et ce nouveau type de vie de famille ?

Une course contre la montre

Jessica, 24 mois, n’arrive pas à s’endormir le soir. « Vous n’auriez pas un petit sirop ? » me demandent ses
parents. Travaillant loin de leur domicile, ils réveillent leur petite fille dès 6 h 30 ; son père la conduit chez
la nourrice où sa mère la reprend à 19 heures. La soupe, le bain puis le coucher ; on se dépêche, car Jessica
se lève tôt.

Noé, 9 mois, est très agité au moment du coucher et se réveille toujours à 3 heures du matin. Il se calme
avec un biberon puis se rendort. Noé va à la crèche depuis peu de temps. Quand il en revient, il dîne
pendant que sa mère s’occupe des devoirs des grands et on le couche.

À peine éveillé, Matthieu, 4 ans, se précipite sur la télévision. Il se laisse habiller absorbé par l’écran et
prend son petit déjeuner tout en avalant ses dessins animés. Ensuite, sa mère le conduit à l’école. Le soir, il
a déjà dîné quand ses parents rentrent ; il est encore plongé dans les dessins animés. Puis il se couche. Il
s’endort difficilement et se réveille plusieurs fois par nuit.

Ces rapides portraits, que je pourrais multiplier à l’infini, illustrent quelques


scènes de la vie familiale actuelle.
Pour qu’un enfant dorme bien la nuit, il importe de respecter les trois points
suivants :
– qu’il ait reçu sa dose d’affection dans la journée ;
– qu’il apprenne à affronter séparations et moments de solitude dans la
journée pour mieux supporter celle du soir ;
– qu’il soit accompagné au lit jusqu’à ce qu’il puisse se passer sans anxiété de
7
cet accompagnement .
Or la plupart des enfants vivent actuellement peu d’échanges avec leurs
parents. Le matin, ils sont réveillés par des adultes pressés qui n’ont guère le
loisir de nouer avec eux un dialogue corporel et verbal. De plus en plus
nombreux sont les enfants qui s’habillent ou prennent leur petit déjeuner devant
le petit écran. Cela arrange tout le monde, mais quels échanges ont-ils avec leurs
parents ? Puis ils sont conduits à la crèche, chez la nourrice ou à l’école. En fin
de journée, le bébé ou l’enfant retrouve l’un de ses parents. Ce pourrait être un
moment de fête, mais ces retrouvailles ne sont pas toujours réussies. Parfois,
l’enfant ne prête aucune attention au parent qui vient le chercher : « Ça m’ennuie
qu’il ne coure pas vers moi », me confient des mères. Le parent peut en être
blessé : il se culpabilisera de n’avoir pas été présent de la journée ou ressentira
de la colère d’avoir fait l’effort d’arriver plus tôt en pure perte. Le parent s’est
rendu disponible à un moment où son enfant ne l’était pas nécessairement. Ce
dernier est souvent épuisé par sa journée en collectivité, à cause de la multitude
de stimulations auxquelles il a dû faire face, et au grand nombre d’interactions
avec des adultes ou des enfants. Au retour de la crèche, il s’endort dans sa
poussette ou la voiture, au grand regret de ses parents. C’est dans ce climat
d’épuisement, qui devient conflictuel au moindre incident, que l’enfant va devoir
trouver le sommeil.
Les vicissitudes des retrouvailles sont fréquentes, pour plusieurs raisons :
– La séparation diurne s’accroît et peut atteindre douze heures, voire
davantage.
– Les modes de garde sont multiples et de qualité variable.
– La culpabilité et l’ambivalence des mères à travailler sont encore souvent
ressenties avec force : s’autoriser d’autres investissements que celui de « femme
au foyer » ne va pas toujours de soi. Cette ambivalence et cette culpabilité
peuvent se réveiller à l’occasion du moindre dérapage ou conflit lors des
retrouvailles avec leur enfant. C’est comme s’il fallait absolument que ces laps
de temps passés ensemble soient réussis pour gommer, de manière magique, la
longue séparation diurne.
Après ces retrouvailles, la soirée est courte. Une maman fait ce constat : « Une
heure à se partager avec les deux enfants, ça fait peu ! Mais c’est comme ça… »
Ou bien les parents, exténués par leur journée professionnelle, aspirent au repos
et offrent peu de disponibilité. Combien ont encore la force d’écouter et de prêter
attention à leurs enfants ? Souvent débordés par les tâches matérielles, surmenés
ou interpellés par le téléphone, ils en oublient de communiquer avec leurs
enfants. La fatigue peut entraîner une diminution des capacités d’écoute, une
disponibilité moindre et un plaisir plus restreint aux besoins et désirs de son
enfant. Certains parents désirent profiter au maximum de lui et lui font vivre,
dans ce court laps de temps, l’équivalent d’une seconde journée. Très excité par
cette pléthore de stimulations et d’affects, l’enfant recouvre péniblement le
calme pour s’endormir. Dans ces conditions, il apparaît difficile, pour les
8
parents, de remplir une fonction de pare-excitations : ils laissent leur enfant être
submergé par les stimuli divers, ne les filtrent plus et ne peuvent les répartir de
façon équilibrée.

Trop de stimulations

L’enfant a-t-il aujourd’hui les moyens d’assumer la séparation du soir ? Le


cloisonnement actuel de gardes, d’espaces et de temps amoindrit sa capacité
d’intérioriser une image permanente de sa mère, de garder en lui-même des
images parentales continues et régulières pour se séparer d’eux sans anxiété la
journée, a fortiori le soir.
Très tôt – trop tôt, à mon avis –, l’enfant est soumis à une abondance de
stimulations pour l’occuper ou le tenir « sage » et tranquille : petit écran,
ordinateur… L’aménagement de sa journée tend à remplir tous les vides ; il n’a
plus le temps de s’ennuyer, ne sait plus s’occuper seul, jouer seul ou utiliser son
imaginaire. Le plus souvent, un appareil s’interpose entre lui et son espace
intérieur. Les DVD ou la télévision l’abreuvent dès son plus jeune âge et
colmatent les blancs de la journée. Il est important que le bébé ou l’enfant
puisse, dans la journée, bénéficier de moments de calme, de solitude, pendant
lesquels il pourra jouer seul, sans anxiété, et trouver du plaisir sans être
forcément en lien avec une personne proche. Si l’on aide les bébés et les enfants
à vivre certains moments de solitude diurne, ils supporteront plus facilement la
séparation inhérente au sommeil. En eux-mêmes, ils trouveront les moyens de se
consoler pour attendre le retour de maman, objet d’amour privilégié, en suçant
leur pouce, en tripotant leur couverture ou leurs orteils, en serrant leur doudou,
en gazouillant et, plus grands, en jouant, en se plongeant dans des rêveries ou en
ne faisant rien. Quand il parvient à se passer de l’adulte, l’enfant acquiert de la
confiance en soi car il est de moins en moins dépendant de lui.
Je constate très souvent que lorsqu’un enfant qui n’arrivait pas à jouer seul
dans la journée y parvient sur des durées de plus en plus longues, parallèlement
il se sépare plus sereinement de ses proches, le soir venu. Et ses difficultés
d’endormissement finissent par s’estomper d’elles-mêmes.

Le rituel du coucher aide à se séparer

Avons-nous encore le temps d’aider nos enfants à s’endormir et donc à se


séparer de nous ? Pouvons-nous contenir leurs angoisses ? Le rituel du coucher
constitue un moment important car il participe à la création d’une « aire
9
d’illusion » pour s’endormir, comme l’a montré Michel Soulé . Encore trop
nombreux sont les enfants qui vont au lit sans accompagnement, sans câlins,
sans paroles qui apaisent, sans berceuses, sans « contes à dormir couché », selon
la jolie expression de Michel Soulé.
Parmi les parents qui font suivre à leur enfant un rituel du coucher, certains
tentent de le raccourcir ; certains même adoptent un rituel qui permet
d’économiser du temps : le médicament ! Certes, la potion peut agir à court
terme, mais elle peut finir par ne plus exercer d’effet car la parole est court-
circuitée. Nous verrons que les nuits bruyantes de l’enfant expriment ce qu’il ne
peut dire autrement. D’autre part, des rites modernes du coucher ou des ersatz de
rituel se développent : ici un dessin animé se substitue à des échanges avec les
parents, ailleurs des CD parlent ou chantent à leur place. Seul dans son lit,
l’enfant entend une voix fabriquée qui ne change jamais. Nous trouvons le
moyen de coucher nos enfants sans être là, alors que nous avons été absents une
grande partie du jour ! Mais a-t-on le désir ou la force de s’asseoir au bord du lit
de son enfant lorsqu’on est épuisé par sa journée de travail, les heures passées
dans les transports ou qu’on ne veut pas rater le début du film à la télévision ?
10
« Où est le temps des veillées ? » se demande Alice Doumic .
À l’opposé, certains rituels du coucher n’en finissent pas. Ils durent des
heures, ce qui les vide de tout sens et supprime leur fonction rassurante de
contenant des angoisses. En ne les limitant pas, les parents confortent l’enfant
dans l’idée que la nuit est si terrifiante qu’ils ne peuvent le laisser s’y plonger.
Ainsi, certains enfants écoutent en boucle des CD : « C’est bien, me disait un
père, comme ça elle ne nous appelle plus. » Pourtant, sa fille ne réussissait pas à
s’endormir, raison pour laquelle il venait me consulter. Ces rituels interminables
épuisent surtout les parents, à tel point que certains finissent par s’endormir
avant leur enfant ! Ils révèlent l’impossibilité à se séparer, pour l’enfant ou pour
ses parents : est-il facile de se séparer lorsqu’on s’est peu vus ? « C’est tellement
agréable de l’avoir avec nous qu’on oublie de la coucher », avoue la maman de
Marguerite. Peut-on être ferme si l’on n’est pas là de la journée ? Exercer une
autorité, fixer des limites semble difficile lorsqu’on s’en veut d’avoir été trop
longtemps absent. Lors du coucher, de nombreux parents ressentent des
difficultés à faire preuve d’une fermeté affectueuse qui permette au petit de se
sentir à la fois compris et maintenu dans un certain cadre.
Nos journées sont davantage organisées en fonction de nos intérêts et besoins
qu’en fonction de ceux de nos enfants. L’aménagement de la vie d’une famille
nucléaire, où les deux parents travaillent le plus souvent, ou d’une famille
monoparentale, où le parent seul travaille, contrarie le rythme des enfants, petits
et grands. De nombreux parents, conscients que leurs enfants tombent de
sommeil au retour de la crèche ou de la nourrice, hésitent néanmoins à les
coucher immédiatement pour passer du temps avec eux. Ils sont fréquemment
confrontés au dilemme suivant : contrarier leur rythme et profiter d’eux, ou
respecter leur rythme et renoncer à profiter de leur présence.
Dans notre société gadgétisée, gouvernée par la course à la consommation et
la satisfaction immédiate des désirs, il est urgent d’apprendre à nos enfants à :
– développer leur capacité à être seuls et à gérer les séparations ;
– trouver les moyens de contenir leurs besoins et désirs, afin de les rendre
tolérables ;
– appréhender et apprivoiser leur espace intérieur, ainsi que l’ennui.
Nos enfants font les frais de la société de performance dans laquelle nous
sommes plongés. Coûte que coûte, nous supportons cette course contre la
montre, cet émiettement du temps, le harcèlement des machines et du téléphone,
les sollicitations incessantes du monde professionnel auxquelles nous devons
répondre avec une rapidité croissante, le déversement d’informations en continu.
Nous avons l’obligation d’être bien, en bonne santé, jamais fatigués, d’accepter
les réunions programmées à 18 heures au détriment du temps familial… Dans
cette vie de famille de plus en plus grignotée, qu’advient-il du temps pour soi, du
temps précieux des pauses pour « buissonner », comme nous y encourageait
Montaigne, se poser, comprendre, s’interroger, parler, écouter l’autre et en
particulier nos enfants ?

Notes
7. Nous reviendrons plus longuement sur le coucher au chap. 9.
8. C’est-à-dire de contenir et de filtrer les excitations internes (du monde intérieur) et externes
(de l’environnement) de l’enfant.
9. Didier Houzel, Michel Soulé, Léon Kreisler et Olivier Benoît, Les Troubles du sommeil de
l’enfant.
10. Alice Doumic, « Psychothérapie des insomnies précoces », ibid.
3
Dans le cabinet du psy pour une consultation de
sommeil

« Dors mon petit quinquin


Mon petit poussin
Mon gros raisin
Tu me feras du chagrin
Si tu ne dors pas jusqu’à demain. »
Berceuse picarde

Les parents que je rencontre dans mon cabinet, le plus souvent en situation
d’urgence, arrivent épuisés par les soirées qu’ils passent à endormir leur enfant
ou par les nuits trop courtes qui se sont succédé. Les bébés ou enfants qui les
accompagnent, quant à eux, m’apparaissent fringants, pleins de vie,
apparemment en rien affectés par ces nuits brèves ou agitées, même s’ils bâillent
ou ont les yeux cernés.

« Il n’a jamais fait ses nuits », dit la mère. Et le père de corriger : « Si, une seule ! » La mère poursuit : « On
a fait tout ce qu’il ne fallait pas faire : je l’ai endormi très longtemps au sein et entre nous. Puis on lui a
donné un biberon en début de nuit et lors des réveils. Il dort dans la même chambre que sa sœur, alors on le
prend dans notre lit, aussi à cause des voisins. On a tout essayé. On a changé le lit de place, enlevé la
gigoteuse : il se réveille en pleurant… Dans notre vie de famille, tout tourne autour des enfants. Nous ne
sommes plus que des supports logistiques. On n’a plus de temps pour nous deux ! Ça fait dix-huit mois que
ça dure. »

Ce qui amène à consulter

Ces parents ont essayé différentes méthodes avant de me consulter. Certains


ont tenté d’endormir leur enfant dans leurs bras ou dans la poussette en faisant le
tour du pâté de maisons. D’autres ont donné des médicaments ou des potions qui
n’ont eu aucun effet magique. D’autres, encore, l’ont installé dans leur chambre
voire dans leur lit, ou sont allés dormir avec lui dans sa chambre. Rien n’a
marché durablement. Ces parents arrivent alors en consultation sur le conseil de
leur pédiatre ou l’insistance d’amis qui ont connu la même « galère ». Ils sont
réticents : s’il ne dort pas, faut-il pour autant aller voir un psy ? Pour la plupart,
cette démarche n’est ni habituelle ni facile. Quand ils acceptent de consulter, le
plus souvent après avoir vu un homéopathe et/ou un ostéopathe, ils expliquent
ou non à leur enfant qui est cette dame qu’ils vont rencontrer. Or la façon dont
l’enfant aborde cette consultation dépend de multiples facteurs :
– Comment lui a-t-on présenté cette visite ? Lui a-t-on donné les vraies
raisons, à savoir sa difficulté à trouver le sommeil, ou à aller au lit, ou sa peur du
noir ?
– Comment les parents m’ont-ils nommée : « médecin », « psychologue »,
« dame pour les ennuis », « dame pour les cauchemars » ?
– Comment vont-ils formuler les difficultés que leur enfant rencontre le soir :
« Il est terrible, il ne veut jamais se coucher », « Le jour, c’est un ange, la nuit,
un démon » ou : « On n’en peut plus, elle ne nous laisse pas dormir » ? Si
l’enfant m’est présenté comme « vilain », il est évident qu’il fera de la résistance
pendant ma consultation et il aura raison. À moi de rétablir la situation pour
instaurer une relation plus confiante et le déculpabiliser par rapport à ce qui se
passe.

Avec certains parents, la consultation se polarise sur les troubles du sommeil
et il est difficile d’aborder d’autres sujets : « Pourquoi me posez-vous des
questions sur moi ? Pourquoi me demandez-vous quelle mère j’ai eue ? Je viens
pour mon enfant et non pour moi ! », « On vient pour les troubles du sommeil de
notre fils, je ne vois pas ce que viennent faire mes frères et sœurs ! » Entrevoir
des liens entre le symptôme de leur enfant et leur histoire personnelle, leur vie
conjugale ou leur vie familiale déconcerte certains parents, leur fait peur et les
entraîne vers des rives qu’ils ne souhaitent pas aborder, en des lieux où ils ne
s’attendaient pas à aller. Ils tiennent à maintenir séparés leur bébé et eux-mêmes
et résistent à accepter la réalité du retentissement certain de leurs angoisses ou de
leur histoire sur leur enfant, surtout quand il ne dort pas. D’autres – comme cette
mère qui s’excusait que la consultation de sommeil ait dévié sur leur couple et
leur mésentente – laissent échapper des douleurs secrètes mais se reprennent
vite, sentant leurs défenses se craqueler. « Mais on est très loin des troubles du
sommeil de notre fille ! » s’écrient-ils. D’aucuns s’étonnent que je les interroge
sur l’emploi du temps, le rythme et les événements de la journée puisque les
troubles de leur enfant n’apparaissent que la nuit : c’est pourtant en
comprenant ce qui se passe à l’état de veille que l’on peut appréhender les
troubles du sommeil.
Dans d’autres consultations, le trouble du sommeil devient un prétexte pour
dévider un écheveau de souffrances : il est vite oublié, comme mis de côté. Ce
trouble est d’emblée compris par les parents comme l’indicateur de
dysfonctionnements au sein de leur famille : ces adultes s’expriment volontiers,
associent des idées sans mon intervention ; dans ce cas, les plaies s’ouvriront, les
douleurs secrètes apparaîtront et l’abcès se videra.

Ce qui se joue dans la famille

Dans cette consultation souvent unique ou dans celles qui peuvent suivre, je
tiens compte de tout. Je suis attentive au bébé ou à l’enfant et à ses parents, aux
relations qu’ils ont devant moi, à la possibilité ou non pour eux de se séparer, de
s’éloigner les uns des autres, au fait que l’enfant va explorer sans crainte mon
bureau et ses jouets ou qu’il va rester dans les bras de ses parents. Parfois, il
s’attache à faire ce qui est implicitement interdit (ouvrir les placards et les
portes, se cacher derrière les stores, frôler l’halogène ou les lampes brûlantes,
éteindre la lumière, jouer avec les tampons sur mon bureau, mettre les pieds sur
mon bureau quand il est assis sur les genoux de l’un des parents, etc.) et nous
force, ses parents ou moi-même, à intervenir. D’autres fois, il hurle sans répit ou
se blottit dans les bras de l’un de ses parents, reste calme, voire s’endort au
grand étonnement de ses parents, lui qui a pourtant tellement de mal à
s’endormir… Certaines consultations sont entrecoupées par les questions, ou les
manifestations de l’enfant ; dans d’autres, lové contre l’un de ses parents ou
concentré sur ses jeux, il écoute attentivement tout ce qui se dit de lui et d’eux.
Je suis également très attentive au comportement des parents : vont-ils réagir
aux petits bras qui se tendent, garder leur bébé dans les bras ou le poser ? Vont-
ils intervenir alors que leur enfant joue tranquillement et ne demande rien ?
Vont-ils crier, taper, dire des petits mots doux ou durs ? J’observe tous ces
comportements et ces interactions non pour les juger, mais pour donner sens à ce
qui se joue ici et maintenant et comprendre ce qui se passe la nuit. M’appuyant à
la fois sur l’« ici et maintenant » de la consultation et les flashs du passé
émaillant cet entretien, sur l’interaction parents-enfant qui se déploie devant moi
et celles qui me sont rapportées, je cherche à comprendre ces troubles du
sommeil. Je suis à la fois dans le présent et dans l’histoire, avec l’enfant et ses
parents ; j’accueille les comportements, la communication verbale ou non de
l’ensemble de cette famille. Je tente de donner un sens à ces troubles du sommeil
qui semblent venir de nulle part. À travers cet accroc du tissu familial qui m’est
montré, j’essaie de retrouver la trame et les fils. Une fois cet accroc reprisé ou
retissé, le tissu familial risquera moins de se déchirer.
Pour cette famille en demande et en souffrance, je dois démêler les différents
liens qui l’animent, naviguer dans son comportement, sa vie psychique,
l’inconscient et le conscient de chacun, l’influence des générations passées,
l’interactionnel, les réalités affectives individuelles, les larmes lorsqu’elles
surgissent. Je suis face à un écheveau où tout se tricote tant bien que mal. En
même temps que je considère l’enfant et sa place dans cette famille, j’écoute
l’histoire des parents, je parle ou réponds à l’enfant, à ses parents, je prends en
compte la place du lit de leur enfant, l’heure de son coucher ou le temps
d’échanges lors des retrouvailles du soir. L’enfant qui joue avec des figurines
pendant la consultation donne à voir ce qui se passe à la maison et comment il
voudrait que ça marche (il retire le bébé de son berceau pour le mettre dans le lit
des parents, par exemple, ou bien il enlève l’un d’eux du lit conjugal). Aucun
facteur ne l’emporte sur l’autre ; tout importe dans ce tricotage des fils du
concret, du réel, de l’histoire et de la vie fantasmatique de chacun. Je travaille à
plusieurs niveaux à la fois, aucun n’étant supérieur à l’autre. En gardant en tête
la recommandation de Freud : « Ne pas vouloir comprendre sur-le-champ mais
accorder une sorte d’attention impartiale à tout ce qui se présente et attendre la
11
suite . »
Ce qui émerge, subrepticement ou avec fulgurance, me conduit à privilégier
une piste plutôt qu’une autre. Par exemple, quand j’apprends que Tina, 2 ans, a
encore son tour de lit qui l’empêche de voir autour d’elle lorsqu’elle est couchée
– alors qu’il n’est plus d’aucune utilité à cet âge –, je n’oublie pas pour autant la
maladie de sa grand-mère maternelle, qui plonge la famille dans une sombre
ambiance depuis quelque temps, et qui n’a pas été explicitée à Tina. En
consultation, je prends en compte toutes les strates évoquées et navigue parmi
elles, à des profondeurs différentes, pour aider les parents et leur enfant à s’y
retrouver. C’est pourquoi la consultation thérapeutique de sommeil dure deux
heures. Elle peut rester unique, comme dans la plupart des cas, ou donner lieu à
d’autres jusqu’à ce que parents et enfants trouvent la situation plus tolérable.

La sécurité de base

Pendant la consultation de troubles du sommeil, j’observe surtout les


comportements d’attachement et d’exploration de l’enfant pour repérer sa
12
sécurité de base. John Bowlby, qui a élaboré la théorie de l’attachement au
cours des années 1950, montre que le bébé est un être éminemment social
éprouvant le besoin primaire, au même titre que ses autres besoins vitaux,
d’entrer en relation et de se rapprocher de figures significatives. Le
psychanalyste anglais a observé de jeunes enfants vivant des expériences de
séparation ou de perte de leurs parents et mis en évidence une succession de
réactions, à savoir la protestation, la colère et le retrait qui va jusqu’au
détachement. Vers 12 mois, l’état de sécurité de l’enfant le conduit à explorer le
monde extérieur ; l’état d’insécurité lui fait rechercher la présence de sa mère de
façon excessive (il s’accroche à son corps ou à ses yeux) ou l’éviter de façon
évidente.
À la suite de Bowlby, la psychologue Mary Ainsworth a mis au point un
instrument de recherche toujours utilisé, la strange situation, qui permet
d’observer les réactions d’un bébé de 12-18 mois à l’absence courte de sa mère
13
et à son retour. Se distinguent trois types d’enfants :
– Après une courte réaction d’angoisse, les enfants sécures retournent à leur
activité et ont une interaction normale.
– Les enfants insécures-évitants n’expriment pas de détresse lors de la
séparation et ignorent leur mère à son retour.
– Les enfants insécures-résistants expriment une grande détresse au moment
de la séparation et ne se calment pas facilement au retour de la mère.
Cette situation permet d’évaluer la capacité du bébé à gérer la séparation
d’avec ses objets d’attachement primaires (sa mère et son père) après avoir mis
en place des modèles de fonctionnement ou « modèles opérants internes ».
Comme l’explique Franck Zigante : « La qualité du schéma d’attachement n’est
en aucun cas un facteur prédictif du fonctionnement psychique ultérieur mais
indique uniquement un mode de fonctionnement risquant de se réactiver en cas
14
de situation de vulnérabilité . »
L’enfant sécure ira vers le monde extérieur sans appréhension alors que
l’enfant insécure recherchera sa mère ou l’évitera. Si l’enfant est sécure, il sera
aisé de rassurer ses parents sur le fait qu’il peut affronter la séparation du soir
sans angoisse. Il suffit peut-être de renforcer le rituel du coucher ou de favoriser
une aire transitionnelle plus adaptée. Dans ce cas, c’est plutôt l’un de ses parents
qui a du mal à se séparer de lui, pour des raisons en rapport avec son histoire et
ses propres schémas d’attachement à ses parents. Si l’enfant est insécure, il est
primordial de trouver ce qui contribue à son insécurité. La séparation du soir ne
pourra se faire sans anxiété tant qu’il ne sera pas sécure dans la journée. Il
conviendra alors de se pencher sur ce qui se passe le jour et sur l’histoire des
parents et de l’enfant : ainsi pourront peut-être affleurer des éléments qui
développent cette insécurité de base.
Je suis également attentive aux ruptures que le bébé ou l’enfant a pu connaître
depuis sa naissance avec ses figures d’attachement. On connaît aujourd’hui
l’importance de la continuité et de la régularité des premiers liens avec les
personnages significatifs qui prennent soin de lui, pour lui assurer une sécurité
de base. Bien entendu, je tiens compte des séparations d’avec les parents, des
changements répétés de mode de garde durant la première année de l’enfant et
de ce qui lui en a été dit. Combien de troubles du sommeil se manifestent après
le départ d’une nourrice ou d’une puéricultrice référente, lorsque l’enfant n’a pas
été informé, qu’on n’a pas tenté de maintenir avec elle un lien pendant quelque
temps (par téléphone ou par le biais d’un objet) !

Remettre des mots sur l’histoire de l’enfant

Dans ces consultations familiales, je ne vois jamais l’enfant seul. Le bébé ou


l’enfant vient accompagné le plus souvent de ses deux parents, de sa mère seule,
plus rarement du père seul. Aux consultations suivantes, je revois si nécessaire
les parents ou seulement l’un d’entre eux ou celui qui n’est pas encore venu.
L’enfant assiste toujours à la consultation. Lorsque la grossesse ou la naissance
ont été difficiles ou accompagnées d’épisodes douloureux, je parle au bébé, je lui
raconte les événements, la tristesse ou l’angoisse de ses parents à tel moment de
son histoire, je lui conte ses hospitalisations s’il en a eu, pourquoi sa mère s’est
absentée à telle période de sa vie. Je parle au bébé de son histoire et de la
souffrance de ses parents si ceux-ci n’ont pu ou ne peuvent le faire, tant cela les
bouleverse. Je mets des mots sur les larmes si sa mère pleure et le rassure sur le
fait qu’il n’y est pour rien, que cela fait du bien de pleurer quand on est triste :
« Ta maman pleure car elle était triste de n’avoir pu, à ta naissance, te prendre
dans ses bras, de n’avoir pu te toucher, elle est encore très triste aujourd’hui. »
Ou bien : « Tes parents étaient très heureux de ton arrivée mais en même temps
ils étaient tristes car ton grand-père est mort quelques jours avant ta naissance. Il
ne te connaîtra donc pas. À ce moment-là, tu les as peut-être vus heureux et
tristes en même temps. » Ou encore : « Tes parents ont eu peur de te perdre, que
tu ne vives plus, tu avais des tuyaux partout pour t’aider à vivre et te soigner et
tes parents ont quelquefois encore peur. » Ce peut être aussi : « Ils étaient si
heureux, tes parents, quand tu es née ! Ta maman pleure de joie. Elle t’a attendue
longtemps, longtemps. Elle pensait qu’elle n’arriverait jamais à avoir un bébé ! »
À l’écoute de mes paroles, l’enfant peut arrêter de jouer pour se lover contre
sa mère. Petit ou grand, qu’il parle ou ne parle pas encore, il suit les fluctuations
de la consultation, ses temps forts et chargés en émotion, les informations
concernant son histoire. Il m’importe de repérer à quel moment précis l’enfant
passe d’un état à un autre, d’une activité à une autre, d’un parent à un autre, de
telle place dans le bureau à une autre et à quel moment il cherche à quitter cette
pièce, en essayant de mettre son manteau, en ouvrant la porte ou en se débattant
dans les bras de l’un de ses parents, alors qu’il était calme jusque-là. Car c’est
toujours en rapport avec ce qui vient d’être dit ou ce qui est en train de se dire.

Un exemple de consultation

Des parents tendus me rencontrent avec Clara, une gracieuse petite fille de 18 mois, qui, dans mon bureau,
ne se dirige pas vers les jouets mais reste collée à sa maman, sur ses genoux.

Le père de Clara voyage beaucoup. Il y a un mois et demi, il est parti durant quinze jours. Sa femme
commente : « Je n’aime pas quand mon mari part, il me manque mon oxygène. Ma mère vient alors vivre à
la maison, mes parents sont divorcés et ma mère n’a pas refait sa vie, elle est seule. Elle passe tout à
Clara. »

Une dame garde Clara dans sa maison avec un autre petit garçon pendant une semaine et, la semaine
suivante, elle la garde chez le petit garçon. Cette organisation fonctionne depuis que Clara a 3 mois. Elle ne
voit pas ses parents le matin car elle se réveille tard, à 9 h 30. Ils ne veulent pas contrarier ses rythmes
naturels de sommeil et apprécient ses réveils tardifs le week-end.

Quand Clara a eu 1 an, sa mère a fait une dépression postnatale, aggravée par des problèmes
professionnels : une mauvaise ambiance et un poste pas du tout en rapport avec ses diplômes et ses
aspirations. Elle a eu des crises de spasmophilie dont une importante, qui a nécessité la venue des
pompiers ; le bébé a été mis précipitamment dans son lit pour que son père puisse s’occuper de sa femme.
Clara est la première petite-fille dans les deux familles. La grossesse a été superbe mais un mois avant
l’accouchement la maman a commencé à en avoir peur et à pleurer facilement.

À ce moment de l’entretien, Clara joue bien par terre. Elle porte comme deuxième et troisième prénoms
ceux de ses deux grands-mères. Les grands-parents paternels et maternels sont divorcés. La jeune mère
poursuit : « L’année après notre mariage, on a marié la mère de mon mari, mon père et la sœur de mon
mari ! Mon père, de formation militaire, s’est fait une carapace, il ne m’a jamais dit de mots tendres,
pourtant j’avais besoin de lui. Quand je suis tombée enceinte, il espérait une fille. Désormais j’ai de ses
nouvelles tous les trois mois. »

Depuis sa naissance, Clara a toujours très bien dormi. Elle n’a jamais été couchée avant 21 heures. Devant
moi, sa mère la couvre de mots doux : « Mon cœur, mon cœur d’amour. » Actuellement, « elle fait des
colères au moment du coucher, avec des sanglots. On la sent nerveuse, on la berce. Et la nuit, toutes les dix
minutes, de minuit à 3 heures du matin, elle pleure. » Il y a un mois et demi (donc au moment où le père de
Clara s’est absenté longtemps), la nounou de l’enfant a appris qu’elle avait des kystes au sein. Elle-même,
mère d’un petit enfant, en a été très affectée et dépressive : elle n’a plus accueilli les enfants comme avant le
matin (et comment était-elle avec eux pendant le reste de la journée ?).

Quand Clara a sommeil, elle bâille et se frotte les yeux. J’apprends qu’elle est plus nerveuse la semaine où
la garde se déroule dans sa propre maison. Je m’interroge, et interroge les parents. Quand elle est gardée
dans l’autre maison, son père la réveille pour l’y conduire ; cette semaine-là, la fillette voit donc son père le
matin alors que, dans l’autre situation, elle ne voit aucun de ses parents. Devant nous, Clara joue calmement
et fait des allers-retours vers sa mère. Il est tard, 20 h 30, elle se frotte les yeux depuis une heure : n’est-ce
pas l’heure de son train du sommeil, c’est-à-dire le moment où se manifestent chez elle les signes
précurseurs de l’endormissement ? Ses parents sont calmes mais je les sens bouillonner intérieurement. Son
père fixe gentiment les limites et sa fille les respecte sans problème.

Comment se déroule le bain de la petite ? Elle le prend vers 19 h 30, dans le stress car il est tard. Ce n’est
pas un moment synonyme de plaisir : tous sont fatigués. Puis elle dîne et est couchée vers 21 heures, alors
que sa sieste s’est terminée à 15 heures.

À l’issue de cette première consultation, je donne quelques repères aux


parents. Je leur conseille d’enlever son tour de lit, inutile à 18 mois, et qui en
plus empêche l’enfant de voir autour d’elle lorsqu’elle est allongée, ce qui n’est
guère rassurant ; elle ne peut identifier les bruits de sa chambre qu’en se levant.
Je conseille aussi de coucher Clara plus tôt et de ne plus donner le bain si tard,
de laisser la nounou s’en occuper et de le donner eux-mêmes, sans stress, le
week-end. Surtout, je préconise que Clara soit réveillée le matin avant le départ
de ses parents pour bénéficier de leur présence et mieux affronter la longue
séparation diurne de dix heures.
J’élabore quelques pistes de réflexion à partir de notre entretien. Les troubles
du sommeil de la fillette auraient débuté il y a un mois et demi, quand la nounou
a eu de grosses inquiétudes de santé et a déprimé. Clara, à laquelle on n’a rien
dit, n’a pu comprendre le changement d’attitude de sa nourrice, qu’elle a pu
prendre pour un retrait ou une froideur soudaine et dont elle a pu se croire à
l’origine. Cette attitude a dû réactiver ce que Clara avait connu avec sa mère
depuis six mois. Deux figures d’attachement importantes, sa mère et sa nounou,
ont donc déprimé : cela insécurise nécessairement une petite fille à laquelle on
n’a rien expliqué et qui se sent comme moins aimée, peut-être parce qu’elle est
« vilaine ». À cela s’est ajoutée une plus longue absence du père, qui a
bouleversé fortement sa femme : comment a-t-elle pu respirer sans son
« oxygène » ? Tous ces facteurs ont ébranlé l’équilibre narcissique en
construction de cette petite fille. Comment a-t-elle aussi vécu la mise au lit
brutale par son père quand sa mère a fait sa crise de spasmophilie ? Tout le
monde était affolé et sa mère a cru qu’elle allait mourir. Clara n’a-t-elle pas eu
peur de la perdre ? Enfin, il existe une carence paternelle importante chez la
maman de Clara, peu soutenante en raison de son état dépressif.

Cette première consultation a beaucoup secoué la jeune femme. Si Clara a connu une nuit agitée le soir
même, quinze jours plus tard, ça va mieux. La fillette voit ses parents tous les matins : chacun passe tour à
tour vingt minutes avec elle et tous trois prennent le petit déjeuner ensemble. Le soir, c’est sa nounou qui
donne le bain. Elle est couchée à 19 h 30 quand elle se frotte les yeux. Les colères au coucher ont disparu.
Face à moi, Clara est sur les genoux de sa mère et joue tranquillement avec les crayons. Elle dort plus
souvent sur le ventre depuis la première consultation (comme si elle était apaisée ?). Ses nuits sont
nettement plus calmes ; rares sont celles où elle se réveille et si elle le fait, c’est seulement une ou deux fois
par nuit.

La maman de Clara dit qu’elle a très mal vécu le dernier départ de son mari pour un voyage professionnel.
Sa fille dans les bras, elle a les larmes aux yeux : « Clara a essayé de me consoler en gigotant, en faisant le
clown comme pour me distraire, ça m’a émue ! » Cette fois-ci, elle peut parler des visites de sa mère
comme de quelque chose de lourd : « Elle n’est pas très gaie, j’en ai un peu marre, quand ma mère est là je
n’existe plus en tant que mère, Clara va plus vers elle, c’est frustrant. » Puis est évoqué le partage de la
nourrice avec l’autre famille, comme une solution peu onéreuse mais parfois pesante. Par exemple, quand la
jeune femme vient plus tôt chercher sa fille, elle ne se retrouve pas seule avec elle mais avec un autre
enfant. Elle juge cette situation pénible. Sur mes conseils, les parents ont demandé à la nourrice de parler à
Clara de ses problèmes de santé. Quand cette dame l’a fait, l’enfant a poussé un gros soupir de soulagement
qui a ému sa nounou.

La mère de Clara explique longuement ce qui lui pèse quand sa mère vient en l’absence de son mari :
« C’est une aide et en même temps pas une aide, elle ne fait rien, d’où des tensions. » Elle me dit aussi que
lorsqu’elle ne réveillait pas sa fille le matin, elle était contrariée, car elle ne la voyait pas pendant
pratiquement vingt-quatre heures, de 21 heures à 19 h 30, le lendemain soir : « Je visais son sommeil avant
tout ! » Le tour de lit a été enlevé ; Clara ne se tourne plus durant la nuit comme elle le faisait pour mettre la
tête aux pieds et ainsi mieux voir son environnement. Je trouve la fillette plus vivante que la première fois,
plus à l’aise : elle fait le clown, joue, chante tout le temps et parle davantage. Elle va plus souvent vers son
père et communique bien avec lui, pendant que sa mère me raconte ses problèmes au travail ou sa gêne
grandissante quand la grand-mère vient garder Clara avec elle… À un moment l’enfant s’installe sur mon
divan avec du papier et des crayons, sort des poupons de la corbeille qu’elle nomme « bébés ». À la fin de
la consultation, elle commence à s’éteindre à l’arrivée du train du sommeil. Il se fait tard.
J’évoque devant la jeune mère sa difficulté à s’occuper seule de sa fille, son manque de confiance en elle en
tant que mère et son ambivalence envers sa propre mère. Le jeune couple pourrait-il laisser Clara à sa
grand-mère pendant huit jours, afin de se retrouver ? Telle est la dernière question des parents au cours de
cette deuxième et dernière consultation.

Il n’y a pas deux consultations identiques

La consultation se déroule selon la dynamique de la relation avec les


protagonistes que j’ai devant moi, en fonction du transfert des consultants et du
15
contre-transfert du thérapeute, en fonction de ce qui s’y passera et de ce qui y
sera réactivé. Les moments de la consultation particulièrement gorgés
d’émotions fortes sont accueillis et recueillis par le thérapeute ; ils deviennent de
véritables temps thérapeutiques en raison du sens qu’il leur insuffle. La prise de
conscience des liens entre le symptôme de l’enfant et le vécu ancien ou présent
des parents va permettre à ces derniers d’amorcer un autre type de relation avec
leur enfant, allégée du poids des affects douloureux. Ces consultations sont
comme une réaction chimique : on place dans le creuset contenant de la
consultation les différents protagonistes ; de la dynamique des interactions, de ce
qui se dit ou ne peut se dire, se développe un temps fort où s’exhalent les affects
refoulés, enfouis, tus jusque-là, d’un passé lointain ou proche.
Dans certaines consultations, les parents se plaignent de n’avoir pu retrouver
leur vie de couple depuis la naissance de leur enfant : « Cela fait six ans que
nous ne sommes pas sortis, nous ne pouvons le faire garder le soir à cause de ses
nombreux réveils », « Nous aimerions partir quelques jours mais n’osons la
confier à personne car elle ne s’endort qu’avec nous. » Combien de couples, en
raison de leur fonction parentale, se laissent dévorer par ce rôle ! Être parent ne
signifie pas demeurer disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour son
enfant. Après nos échanges, certains s’autoriseront à sortir seuls le soir ou à
partir en week-end sans lui. Ce dernier retrouvera sa place et ne sera plus tout le
temps au milieu du couple de ses parents. Le bébé ou l’enfant peut servir d’alibi
lorsque ses parents n’ont plus envie de se retrouver, surtout la nuit. Rester deux
heures auprès de son enfant jusqu’à son endormissement, se lever la nuit pour
calmer ses pleurs peut gêner certains couples mais aussi rendre service à
d’autres, qui redoutent ou fuient l’intimité. Si de nombreux parents, après la
résolution des troubles du sommeil de leur enfant, m’ont confié leur joie d’avoir
enfin des « soirées à eux », d’autres ont avoué être décontenancés par ces soirées
« libres » dont ils ne savaient que faire désormais.

Toutes les consultations ne possèdent pas nécessairement une telle densité
émotionnelle. Elles peuvent servir à recevoir l’autorisation d’un « spécialiste »
d’user de fermeté, de fixer des limites au rituel du coucher sans crainte de
retombées préjudiciables sur l’enfant : ces parents viennent s’entendre confirmer
que leur enfant n’est pas aussi fragile qu’ils le pensaient s’il a été bien sécurisé
dans la journée. Elles peuvent aussi tout simplement aider les parents à mieux
aménager le coin pour dormir de leur enfant, qu’il s’agisse d’une véritable
chambre ou d’un espace à lui : quelquefois, un remaniement de l’espace ou un
changement de chambre peut aider la maisonnée à renouer avec des nuits
sereines. L’aménagement de l’espace reflète toujours le fonctionnement
familial et la place de chacun dans la donne familiale.

Notes
11. Sigmund Freud, « Le petit Hans », in Cinq psychanalyses.
12. Voir John Bowlby, Attachement et perte.
13. Voir Yvon Gauthier, « Les premiers liens » in Au début de la vie psychique.
14. Franck Zigante, « Relance et réaménagements des enjeux précoces », Parents et adolescents,
des interactions au fil du temps.
15. Transfert : réactualisation, envers le thérapeute, des désirs inconscients éprouvés dans
l’enfance par le consultant à l’égard du père ou de la mère (sentiments tendres pouvant être
mêlés d’hostilité). Contre-transfert : ensemble des réactions inconscientes que le transfert du
patient induit chez le thérapeute.
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Le délicat passage du coucher

« “Mais non, voyons, laisse ta mère, vous vous


êtes assez dit bonsoir comme cela, ces
manifestations sont ridicules. Allons, monte !” Et
il me fallut partir sans viatique… »
Marcel Proust, Du côté de chez Swann

Il n’est pas étonnant que Proust ait utilisé ce terme de « viatique » pour
l’accompagnement au lit, lui qui en manquait terriblement et qui souffrait tant de
la séparation d’avec sa mère. Le viaticum, c’est ce qui sert à faire la route, les
provisions données à tout voyageur. Le sommeil est de fait souvent comparé à
un voyage où l’on s’aventure seul. D’où l’utilité de faire des provisions avant
d’embarquer pour le pays du sommeil. Quelles sont-elles ? Des câlins, des mots,
des moments de plaisir partagé avec ses proches, des images, des souvenirs, des
projets… Mais le viatique est aussi la communion portée à un mourant, à celui
qui part pour le grand voyage. Le sommeil est parfois assimilé à une petite mort :
allongé, les yeux clos, on se repose ; ne dit-on pas d’un mort qu’il repose ? Que
se passe-t-il après l’endormissement, où va-t-on ? Vers quels continents,
continents inexplorés de l’inconscient, démons intérieurs, désirs et pulsions ?
Va-t-on rencontrer les monstres des cauchemars ? Est-il si facile de
s’abandonner au repos ?
Le coucher représente un moment critique car il implique de se séparer de ses
parents, de se retrouver dans l’obscurité, seul avec soi-même, et risquer de voir
resurgir les tensions de la journée. Les enfants ont besoin de cet
accompagnement et de cette réassurance. C’est un soutien indispensable avant
de traverser les ténèbres de la nuit. Il est important d’apaiser au maximum le
climat familial et de prendre le temps de parler avec son enfant pour qu’il
puisse exprimer ses craintes ou angoisses si l’on veut que le moment du
coucher se passe bien.

Soyez attentifs aux signes de fatigue de votre enfant

Il bâille, il se frotte les yeux, il fait des colères, il pleurniche, a des pleurs de
fatigue qui n’ont rien à voir avec les pleurs de chagrin ou de douleur, il a les
arcades sourcilières qui rougeoient, il devient silencieux, il se replie dans un
coin, il suce son pouce, il cherche son doudou : ne ratez pas ce moment-là, ne
tardez pas à le coucher. Respectez cette période où le sommeil vient
naturellement. Si votre enfant est alors couché, il bénéficiera d’un
endormissement aisé et paisible. S’il est au contraire stimulé, il ratera son cycle
d’endormissement. Pour ne pas rater son train du sommeil, il vaut mieux
l’attendre sur le quai, c’est-à-dire être déjà dans son lit quand il arrive. De plus,
si ce rythme n’est pas respecté, l’enfant s’habituera à lutter et à contrecarrer ses
signes de fatigue. Cela peut conduire à de l’insomnie à l’âge adulte. Déchiffrer
et connaître la grammaire des signes de sommeil de chacun de nos enfants
est d’un grand secours pour les aider à bien dormir.

Veillez à ce qu’il ait sa dose d’affection

Il est aussi nécessaire, on l’a vu, que l’enfant ait reçu dans la journée une
nourriture affective suffisante, son compte d’échanges avec les personnes qui
comptent pour lui. L’enfant exprime, par ses troubles, qu’il n’a pas reçu le jour
ce dont il a besoin pour se sentir bien le jour et la nuit. Quand il se sent frustré,
oublié, rejeté ou en manque, il se rappelle la nuit au bon souvenir de ses
parents. Il ressentira comme une contrainte d’aller au lit s’il n’a pas eu sa dose
d’affection ou s’il a l’impression qu’on se débarrasse de lui. Les échanges avec
un enfant ne se limitent pas aux échanges éducatifs. Ce sont aussi tous ces
moments de soins corporels (toilette, habillement) et de repas pris ensemble. Les
bébés et les enfants adorent ces gestes quotidiens et ritualisés où il y a un
contact, des câlins, une complicité et des rires. Beaucoup en sont privés. Soit ils
ne retrouvent leurs parents qu’après le bain et le repas, soit ils partagent ces
moments dans la précipitation, le stress, le téléphone, sans temps pour se parler,
s’épancher, se rapprocher.
Accompagnez votre enfant au lit tant qu’il en a besoin et tant qu’il ne peut
s’en passer sans anxiété.
Aménagez-lui une aire transitionnelle d’endormissement :
– Avertissez-le à l’avance de l’imminence de son coucher pour ne pas le
surprendre, ni l’interrompre brusquement dans ses activités.
– Instaurez un rituel qui sera sécurisant par sa répétition, son immuabilité.
Cette façon de baliser le chemin qui mène à la séparation du soir donne des
repères connus et des donneurs de temps. Ce déroulement inéluctable du temps,
avant la séparation du soir, rassure et confirme que la nuit va se passer comme la
nuit précédente. On sait combien les enfants adorent les activités répétitives et
ritualisées : ils anticipent sur ce qui va arriver et ont l’impression de maîtriser un
peu mieux ce qui les entoure.
– Calme, sécurité, confort, gratifications affectives, évitement de tensions ou
de conflits, instauration d’un dialogue singulier permettant de mettre à nu ce qui
a pu assombrir la journée : tout cela contribue à rassurer l’enfant avant la
séparation du soir.

N’ayant pas vu leurs enfants de la journée, les parents essaient souvent d’en
profiter au maximum ; ainsi leur donnent-ils une abondance de stimulations
affectives mais qui sont parfois difficiles à intégrer, et les enfants sont tellement
excités qu’ils n’arrivent plus à s’endormir.
S’ils sont trop fatigués, les parents peuvent avoir du mal à accueillir leurs
enfants qui se précipitent vers eux avec moult demandes. Ils aimeraient parfois
pouvoir « décompresser et s’effondrer sur le canapé ». Le plus souvent, ils ne
peuvent retirer leur manteau sans que leurs enfants s’agrippent à eux, trop
heureux de les retrouver. La plupart s’adonnent en même temps aux tâches
ménagères urgentes ou/et reçoivent des coups de fil qui interrompent ou
parasitent leur relation avec eux. Réserver un temps pour l’enfant, sans
téléphone ni jeu vidéo, télévision ou internet suffit souvent à transformer
l’ambiance du coucher. Ce temps de décélération est le préambule à l’installation
de l’aire d’illusion nécessaire à l’endormissement.

Accordez-lui un laps de temps bien défini

« J’ai peur de casser quelque chose avec mes enfants si je suis sévère », me
confiait le père d’une fillette de 2 ans qui n’arrivait pas à s’endormir. La maman
d’une petite fille de 3 ans avait, elle, instauré un rituel du coucher qui durait
quatre-vingt-dix minutes : « Je crains la violence, j’ai peur d’imposer des choses
claires et nettes à ma fille, des choses sans appel. Avec ma mère, c’était une non-
discussion, une impossibilité de revenir sur les décisions. Pour ma fille, je veux
qu’il y ait une issue, une possibilité de me rappeler. » Sa fille l’avait bien
compris ; elle profitait de cette maman qui ne voulait surtout pas répéter ce
qu’elle avait vécu.
Un enfant-roi le jour ne supportera pas de ne plus l’être au moment critique de
la séparation du coucher. Si, dans la journée, l’enfant est « cadré », habitué à ce
qu’on fixe des limites à ses désirs, à ce que ce ne soit pas lui qui commande, il
supportera mieux l’injonction parentale d’aller se coucher.
En ne limitant pas le rituel du coucher, on renforce l’angoisse de l’enfant,
l’idée que la nuit est vraiment terrifiante et qu’on ne peut le lâcher de peur qu’il
n’y tombe ou ne s’y perde. On renforce également l’idée qu’il ne pourra
l’affronter seul. Aussi la fin du rituel est-elle comme une parole apaisante : « J’ai
confiance en toi, je peux te laisser seul, tu auras du plaisir à dormir et nous
sommes là pour veiller sur toi. » Le soir, un bain de paroles est indispensable à
l’apaisement d’un enfant, c’est comme s’il était bordé par les paroles parentales
et pouvait, drapé dans celles-ci, s’embarquer pour le royaume du sommeil. Il est
abreuvé et nourri par les mots de ses parents dont il se bercera pendant la phase
d’endormissement. En emportant avec lui ces mots, il emportera une image de
ses parents qui lui tiendra chaud sous sa couette… Ces paroles, dites au bord de
son berceau ou de son lit juste avant l’endormissement, il peut les savourer au
milieu des ténèbres, s’en délecter et s’y accrocher lors de l’embarquement. Les
mots diffusés par une cassette ne pourront jamais avoir cette fonction. La
fonction contenante de la voix des parents, cette enveloppe sonore, ne fait plus
de doute aujourd’hui pour les spécialistes de la petite enfance. De plus, en
polarisant l’attention de l’enfant sur des paroles ou les mots d’une histoire, on
favorise une restriction progressive des mouvements de son corps, propice à
l’endormissement.
Une mère très ferme pour le coucher de ses enfants me disait : « Moi, je me
couchais seule le soir, mes parents étant rarement là. J’avais très peur. Mes
enfants ont la chance de nous avoir au moment du coucher. Donc je ne prends
pas très au sérieux les craintes qu’ils peuvent manifester certains soirs, je me dis
qu’ils sont forcément bien puisque nous sommes là et que nous les avons
accompagnés au lit. » Mais combien de parents avouent être encore oppressés à
la tombée de la nuit, avoir besoin d’une lumière ou de bruit (paroles ou musique)
pour rejoindre les bras de Morphée et confient ne pouvoir dormir seuls. Il est
évident que ces parents-là seront de piètres consolateurs de leurs enfants
puisqu’ils ont déjà du mal à s’apaiser eux-mêmes. Et ils seront particulièrement
tolérants aux craintes de s’endormir de leur enfant ou à leurs réveils intempestifs
dans la nuit. Or « c’est dans l’arsenal des câlins, des rites doux du soir, des
histoires à dormir, des massages tendres, des berceuses, des rires apaisants que
16
se trouve la solution aux problèmes de sommeil . »

À mesure qu’il grandira, l’enfant aura une latitude de plus en plus grande à
l’intérieur du cadre fixé par ses parents. Il pourra lire un peu, écouter de la
musique, éteindre la lumière après une durée préalablement fixée. Il mettra de
plus en plus sa touche personnelle à son aire d’endormissement. Les parents
interviendront de moins en moins, tout en maintenant des limites.

Le baiser du soir

Impossible d’évoquer les rituels sécurisants du coucher sans citer Marcel


Proust, dans Du côté de chez Swann, sur l’attente du baiser de sa mère, son
bonheur de l’avoir reçu ou le désespoir qui l’accablait quand il faisait défaut.

« Ma seule consolation, quand je montais me coucher, était que maman viendrait m’embrasser quand je
serais dans mon lit. Mais ce bonsoir durait si peu de temps, elle redescendait si vite, que le moment où je
l’entendais monter, puis où passait dans le couloir à double porte le bruit léger de sa robe de jardin en
mousseline bleue, à laquelle pendaient de petits cordons de paille tressée, était pour moi un moment
douloureux. Il annonçait celui qui allait le suivre où elle m’aurait quitté, où elle serait redescendue. De sorte
que ce bonsoir que j’aimais tant, j’en arrivais à souhaiter qu’il vînt le plus tard possible, à ce que se
prolongeât le temps de répit où maman n’était pas encore venue. Quelquefois quand, après m’avoir
embrassé, elle ouvrait la porte pour partir, je voulais la rappeler, lui dire “Embrasse-moi une fois encore”,
mais je savais qu’aussitôt elle aurait son visage fâché, car la concession qu’elle faisait à ma tristesse et à
mon agitation en montant m’embrasser, en m’apportant ce baiser de paix, agaçait mon père qui trouvait ces
rites absurdes, et elle eût voulu tâcher de m’en faire perdre le besoin, l’habitude, bien loin de me laisser
prendre celle de lui demander, quand elle était déjà sur le pas de la porte, un baiser de plus… Or la voir
fâchée détruisait tout le calme qu’elle m’avait apporté un instant avant, quand elle avait penché vers mon lit
sa figure aimante, et me l’avait tendue comme une hostie pour une communion de paix où mes lèvres
puiseraient sa présence réelle et le pouvoir de m’endormir. […]

Je me promettais, dans la salle à manger, pendant qu’on commencerait à dîner et que je sentirais approcher
l’heure, de faire d’avance de ce baiser qui serait si court et si furtif tout ce que j’en pouvais faire seul, de
choisir avec mon regard la place de la joue que j’embrasserais, de préparer ma pensée pour pouvoir grâce à
ce commencement mental de baiser consacrer toute la minute que m’accorderait maman à sentir sa joue
contre mes lèvres, comme un peintre qui ne peut obtenir que de courtes séances de pose, prépare sa palette,
et a fait d’avance de souvenir, d’après ses notes, tout ce pour quoi il pouvait à la rigueur se passer de la
présence du modèle. »

Comme ceux du jeune Marcel, les parents peuvent être en désaccord sur le
rituel du coucher. Chacun possède souvent une manière particulière de gérer le
coucher, ce qui conduit à des conflits lors de ce moment critique et développe
des tensions peu propices à l’apaisement souhaité. Le père de Marcel
interrompait brutalement le rituel du coucher et empêchait sa femme de donner à
son fils ce qu’elle aurait souhaité. Il ridiculisait même les marques de tendresse
réclamées et nécessaires à la sécurisation de son fils.
Chaque parent établit le rituel du coucher en fonction des demandes de son
enfant, et de ce que lui-même a connu petit, de ce qui lui fait plaisir, de ce qu’il
tolère et peut encore donner en fin de journée. Parfois l’un des parents fixe les
limites que son conjoint ne parvient pas à imposer, ou prolonge un rituel qu’il
juge insuffisamment rempli par l’autre. La différence des rituels ainsi que leur
personnalisation sont un enrichissement pour l’enfant : au coucher il vit avec
chacun de ses parents une aventure singulière.
« Qu’est-ce qu’un rite ? » demande le Petit Prince de Saint-Exupéry. « C’est
aussi quelque chose de trop oublié, dit le renard. C’est ce qui fait qu’un jour est
différent des autres jours, une heure des autres heures. » Chaque famille établit
son rituel en fonction de ce que les enfants réclament et de ce que les parents
proposent et tolèrent : dire au revoir aux peluches, aligner les bébés-poupées,
mettre en marche le mobile ou la boîte à musique, donner le doudou, allumer la
veilleuse, regarder le ciel dans les bras d’un parent, laisser la porte entrouverte
ou fermée, etc. Avant d’aller au lit, dans les bras de son père, un petit garçon de
2 ans et demi touchait et sentait trois boules de couleur odorantes (fraise, citron,
vanille) puis les lui faisait sentir. Une fillette, elle, adorait enlever ses chaussettes
elle-même : ce rituel sonnait le moment du coucher. Un petit garçon avait bien
compris comment prolonger le rituel : avec son père, il posait des questions sur
les chevaliers car son père adorait lui apprendre des choses et à sa mère il posait
des questions sur « quand tu seras vieille, tu vas mourir ? » qui la bouleversaient
et la maintenaient encore un peu auprès de lui.
D’autres sociétés élaborent des rituels très attachants. Au Guatemala, par
exemple, les enfants confient leurs soucis quotidiens à des poupées avant de
s’endormir (un souci par poupée, chaque poupée en fil ne mesure que deux
centimètres, il y en a six) et les placent sous leur oreiller. Le lendemain matin,
les poupées ont pris à leur compte les soucis qui se sont ainsi envolés. Au
Vietnam, les fessées d’endormissement font merveille : « L’enfant est couché à
plat ventre sur les genoux de la congaï familière qui dispose sa main en creux
pour ne pas faire mal à l’enfant. Elle tape au niveau des fossettes sus-fessières,
assez fort pour que l’enfant ne puisse s’intéresser à rien d’autre, avec un rythme
parfait pour que le petit, captivé par ce métronome, attende le coup suivant. En
moins d’une minute, il s’endort, mais l’acculturation des gestes est si précoce
que lorsqu’une mère européenne veut utiliser ce procédé, l’enfant se retourne
indigné et proteste parce que, pour lui, les coups d’une mère occidentale
signifient une fessée alors que de la part d’une congaï, ils annoncent un rituel
17
d’endormissement . »

L’histoire avant de dormir

« On ne dit plus “on va au dodo” mais “on va lire des histoires” et ça


marche », me rapportait la maman de deux enfants.
Laissons la parole aux écrivains. « Depuis toujours, pour moi, livre et lit sont
associés. Cela remonte à l’âge analphabète où l’on me lisait des contes “à dormir
debout” dès que j’avais sauté dans mon petit pageot. Je me couchais sans
histoires grâce aux histoires », se souvient Annie François dans Bouquiner.
L’histoire du soir peut aussi faire le bonheur des parents, à l’instar de Daniel
Pennac :

« Pour lui, nous sommes devenus conteurs. Dès son éclosion au langage, nous lui avons raconté des
histoires… Son plaisir nous inspirait. Son bonheur nous donnait du souffle. Pour lui, nous avons multiplié
les personnages, enchaîné les épisodes, raffiné les chausse-trapes. Comme le vieux Tolkien à ses petits-
enfants, nous lui avons inventé le monde. À la frontière du jour et de la nuit, nous sommes devenus son
romancier.

Si nous n’avons pas eu ce talent-là, si nous lui avons raconté les histoires des autres, et même plutôt mal,
cherchant nos mots, écorchant les noms propres, confondant les épisodes, mariant le début d’un conte avec
la fin d’un autre, aucune importance… Et même si nous n’avons rien raconté du tout, même si nous nous
sommes contentés de lire à voix haute, nous étions son romancier à lui, le conteur unique, par qui, tous les
18
soirs, il glissait dans les pyjamas du rêve avant de fondre sous les draps de la nuit . »


Les histoires lues aident les enfants à s’approcher de leurs peurs et à les
apprivoiser de mieux en mieux. Les enfants ont besoin d’avoir peur, d’éprouver
des peurs, mais contenues par les paroles de leurs parents. Les mots interposent
un filtre qui n’existe pas avec l’image.
Certains parents éliminent les histoires avec un méchant ou un loup, une
situation d’abandon ou de séparation, croyant éviter des cauchemars à leurs
enfants. Au contraire, il importe de mettre sur son chemin des moyens de
s’approcher du monstre qui effraie – en lui –, de le regarder pour mieux
l’apprivoiser. Les livres sont un merveilleux support. « En interdisant à l’enfant
de connaître des histoires qui lui diraient implicitement que d’autres enfants que
lui ont les mêmes fantasmes, on lui laisse croire qu’il est le seul au monde à
imaginer de telles choses. Il en résulte que ses fantasmes prennent pour lui un
aspect effrayant. Par contre, s’il apprend que d’autres que lui ont les mêmes
fantasmes, l’enfant sent qu’il appartient à l’humanité et cesse de craindre que ses
idées destructrices ne le mettent au ban de la société », expliquait Bruno
Bettelheim dans Psychanalyse des contes de fées.
Comme ce sont les parents, donc des adultes, qui racontent l’histoire, l’enfant
peut être certain que ceux-ci approuvent les sentiments plus ou moins hostiles
qu’il ressent vis-à-vis des grands et croire qu’il peut l’emporter sur ces géants
que sont les grandes personnes. Il avance en toute sécurité dans ces contes car
leur fin est heureuse et optimiste. Cela lui fait espérer qu’un jour, le royaume lui
appartiendra. Et pour tout parent, c’est un instant d’enchantement que celui où
l’enfant, bouche ouverte, les yeux écarquillés, le souffle retenu, se suspend à ses
lèvres pour écouter l’histoire du soir comme une lueur dans la nuit. Quel
bonheur de réussir à le faire rêver dans le cocon de la chambre !
Certains parents à bout d’arguments ont recours au marchand de sable : il va
passer et pénétrer dans les yeux de l’enfant avec des poignées de sable doré si
celui-ci ne ferme pas les yeux et ne dort pas. Cette évocation peut être présentée
sous forme de jeu auquel se prête volontiers l’enfant en fermant vite ses
paupières. Ce jeu avec la peur a la même fonction que les contes ou les histoires
« à dormir debout ».

Non au journal télévisé et aux jeux vidéo !

Je l’ai dit : un enfant ne peut s’endormir sereinement après avoir vu des


images trop violentes. Le monde extérieur, menaçant, fait irruption dans la
maison. Les enfants ne devraient pas voir le journal télévisé avant l’âge de 8 ans.
Or 75 % des enfants de moins de 5 ans le regardent. Dans certaines familles, on
continue de se parler, dans d’autres un silence religieux est requis et celui qui
dérange est aussitôt prié de se taire. Les enfants sont de dos et ne voient pas les
images mais entendent le son et les commentaires ou bien ils sont face aux
images et ne peuvent les éviter. Qu’en reste-t-il quand ils se retrouvent seuls
dans leur lit ?
Les jeux vidéo pour les plus grands ne sont pas plus indiqués. L’enfant
désireux d’améliorer ses scores et de terrasser les monstres est dans un état
d’excitation contraire à l’apaisement indispensable à l’endormissement.

Non aux calmants !

Tisanes, hypnotiques, anxiolytiques et tranquillisants de toutes sortes peuvent


être des solutions apportées aux troubles du sommeil. Ils n’apportent toutefois
qu’une solution transitoire et rapide qui, en rétablissant des nuits plus calmes,
apaise momentanément une situation explosive et redonne son souffle à une
maisonnée exténuée. Une fois le calme revenu – s’il revient –, il devient alors
possible d’examiner le problème, d’essayer de comprendre ce qui se passe.
Résoudre un problème en absorbant une substance, quelle qu’elle soit, est une
mauvaise habitude qui peut être donnée très tôt. Plutôt que de verbaliser ce qui
se passe, de prendre en considération le sens du symptôme, les parents évacuent
ce qui est gênant pour leur enfant en lui donnant une pilule magique, comme ils
le font peut-être déjà pour eux-mêmes (n’oublions pas que les Français sont les
plus grands consommateurs de somnifères et d’anxiolytiques dans le monde). Ce
recours habituel aux tranquillisants, même s’il ne s’agit que du biberon, de tisane
ou de granules homéopathiques induit un conditionnement : la détente propice
au sommeil est alors associée à la prise d’une substance, ce qui peut conduire
plus tard certains sujets à prendre de la drogue. « L’enfant peut-il faire la
différence entre une tisane et un sirop pour dormir, le rituel n’est-il pas le
19
même ? À qui profite le crime ? »
Dès qu’une difficulté émotionnelle survient, on donne une substance pour la
faire disparaître magiquement. Mes collègues et moi-même avons même connu
des cas où les hypnotiques faisaient fonction de baby-sitter : quelques gouttes
dans le biberon ou le repas du soir… et les parents pouvaient sortir, sans crainte
d’un réveil intempestif.
Ce peut être également le signe que les parents n’ont pas suffisamment
confiance en eux, qu’ils ne sont pas certains d’être les mieux placés pour
rassurer leur enfant. Jamais aucune machine ne pourra se substituer au baiser
d’un parent attentif et à des mots murmurés doucement. Ne « zappons » plus le
moment du coucher ! Restons branchés sur Radio-Bébé ou Radio-Enfant et
écoutons jusqu’au bout l’émission de ses joies et chagrins.
Au lieu de faire absorber à l’enfant une substance, il est préférable de lui
accorder de l’attention et de la tendresse. Cela prend plus de temps, il est vrai.
Écoutons ce qui peut se dire dans la pénombre : dans ce sas entre veille et
sommeil, tous les chats ne sont pas gris ! Ayons confiance en nous et aussi
confiance en ce que l’enfant porte en lui : il peut se rassurer en utilisant ses
ressources personnelles, sa faculté de rêver ou son doudou. Il est important de
l’aider à se passer de nous et à acquérir la capacité d’être seul, si chère à
Winnicott.

Jamais sans son doudou ?

Le doudou a été décrit sous le terme d’« objet transitionnel » par Winnicott en
1951. Pour soulager l’angoisse de séparation d’avec sa mère, le bébé adopte un
objet (bord de couverture, coussin, peluche, tissu, etc.) qui prend rapidement de
l’importance et qui a pour fonction de se substituer à sa mère quand elle n’est
pas là. Bien vite, cet objet acquiert le rôle d’intermédiaire entre lui et le monde
extérieur. Il figure la présence de sa mère ou de la personne d’attachement, tout
en ne l’étant pas. Le doudou est en dehors de l’enfant mais n’appartient pas non
plus au monde extérieur ; il repose dans une aire intermédiaire, transitionnelle,
entre la mère et son bébé, une façon d’annuler la séparation d’avec elle, de
prolonger la réunion avec elle. « C’est l’usage d’objets qui ne font pas partie du
corps du nourrisson et qu’il ne reconnaît pas encore complètement comme
appartenant à la réalité extérieure… Le fait que ce n’est pas le sein (ou la mère)
20
est tout aussi important que le fait qu’il représente le sein (la mère ). »
À une époque où les bébés sont de plus en plus séparés de leurs parents dans
la journée, le doudou revêt une grande importance. Il assure le lien avec eux
malgré le cloisonnement des lieux. Qui n’a vécu la « recherche du doudou
perdu », cette course pour retrouver l’objet indispensable à l’endormissement de
certains enfants, qui les rassure lorsqu’ils sont inquiets ou loin de chez eux ?
Certains enfants n’ont pas de doudou et il ne faut pas s’en inquiéter. Ce n’est pas
une étape indispensable pour la structuration du psychisme d’un enfant.
Le doudou est-il une invention de l’adulte, un objet qu’il met à la disposition
de son enfant pour le rassurer et se rassurer pendant la séparation, ou une chose
et une relation vraiment sécrétées par le bébé ou l’enfant ? Avant 8 mois, un
objet choisi par les parents est mis auprès du bébé lorsqu’ils le laissent seul dans
son berceau : ils le choisissent en général doux, mou, soyeux comme une caresse
qui se prolongerait. À partir du huitième mois – quand l’imagination du bébé
s’organise et qu’il commence à vivre la frustration –, il peut découvrir ou
inventer un objet qui l’apaise dans les situations de tension ou de solitude dans
son lit (bout de drap, de couverture, etc.). Il l’investit de plus en plus au point
qu’il finit par devenir vital.
Certains enfants remplissent leur lit d’objets qui ne font pas vraiment fonction
de doudous : ces objets peuvent changer chaque jour. C’est le plein et le
remplissage qui importent ici, plutôt que les objets eux-mêmes. D’autres enfants
changent de doudou au gré des soirées et des circonstances, et n’investissent pas
non plus un objet particulier. Certains doudous vont être montrés à tous, traînés
partout. D’autres préfèrent le laisser à l’abri des regards et le cantonner à leur lit.
Un doudou peut finir par remplir une fonction de confident, celui auquel l’enfant
confie ses chagrins et ses colères en dehors des parents, un thérapeute à domicile
qui apparaît magiquement au gré de ses désirs et qui ne se départira pas, bien
sûr, de la neutralité bienveillante inhérente à sa fonction… Un animal familier
peut faire office de doudou : le ronflement rassurant de son chien ou la présence
de son chat qui peut se caler sur la couette.
Le doudou n’est pas à proprement parler un jouet. Cet objet qui sert à consoler
l’enfant a une odeur et une texture particulières (rappelant les relations lors des
premiers soins avec la mère). L’enfant exerce sur lui un contrôle omnipotent et
magique : il le tripote, le suce, le salit, l’abîme, peut l’aimer avec passion ou lui
faire subir des dommages violents auxquels il doit survivre. Les parents n’ont
pas à intervenir. Il en fait ce qu’il veut. Il le manipule mais il s’agit d’une
manipulation sur un objet réel et pas seulement au niveau de sa pensée. Il prend
possession d’un objet réel en dehors de lui.
La destinée d’un doudou est de disparaître progressivement. Il n’est ni détruit
ni abandonné, mais l’investissement que l’enfant fait sur lui diminue peu à peu :
les oublis du doudou se font de plus en plus fréquents et ne suscitent plus de
drame comme par le passé. Plus un enfant prend confiance en lui, moins il a
besoin de se rassurer avec cet objet et mieux il arrive à se passer de lui. Plutôt
que de l’obliger à s’en séparer, il faut lui apprendre à affronter les situations
difficiles, et à intégrer à l’intérieur de lui-même la fonction rassurante de ses
parents. Alors il n’aura plus besoin d’un objet protecteur.
En consultation, certains parents ont honte de l’état d’usure ou de saleté du
doudou de leur enfant et s’en excusent presque. Pourtant, un vrai doudou, c’est
le plus souvent informe, usé, sale, trituré, déformé, puisqu’il a accompagné
l’enfant depuis un certain temps et témoigne de sa vie affective et relationnelle.
Je suis toujours émue de rencontrer le doudou d’un enfant qui vient en
consultation. Je m’adresse à lui directement, surtout si l’enfant est anxieux et a
du mal à communiquer. Il ne me le donnera spontanément que s’il m’en
considère digne : j’approche de son trésor avec délicatesse et émotion. Il peut
être réclamé par l’enfant lors de temps forts de la consultation ou à la fin quand,
apaisé, il est prêt à s’endormir, lui qui d’habitude s’endort si difficilement… La
présence de cet objet transitionnel rassure également ses parents. « Il sera moins
seul, c’est comme si j’étais avec lui… si ça ne va pas, il pourra se consoler. C’est
moins difficile de partir le matin, entre mon bébé et moi il y a cette chose qui
n’est qu’à nous avec mon odeur. Je suis ainsi moins jalouse des puéricultrices
qui s’occupent de lui », disait une maman.

Pour ou contre la tétine ?

C’est aux parents de choisir en fonction de ce qu’ils supportent ou non, de leur


confiance en leurs propres capacités de maternage pour apaiser leur bébé. Moins
ils auront confiance, plus ils proposeront des objets ou des tétines pour renforcer
leurs conduites d’apaisement.
Pour ma part, je trouve que l’apaisement immédiat obtenu par la succion
d’une tétine donne certes un répit, mais de courte durée. Dès que la tétine
tombera, le parent devra être là pour la réintroduire dans la bouche du bébé tant
qu’il ne pourra le faire seul. Pour s’apaiser, le bébé finira par ne plus pouvoir
s’en passer et ne cherchera pas en lui-même, en grandissant, d’autres stratégies
pour se calmer. Éduquer nos enfants, n’est-ce pas les aider à se passer de nous en
élaborant des mécanismes d’attente et en trouvant en eux-mêmes les moyens de
s’apaiser ?
Or la prolifération de tétines aujourd’hui ne montre- t-elle pas des failles dans
la fonction contenante des parents ? N’évitent-elles pas de penser les séparations,
de contrebalancer la présence-absence des parents, d’offrir du matériel au bébé à
la place de mots et d’affects pour l’étayer et le contenir ? Avec l’augmentation
de l’usage des tétines, ne cherche-t-on pas à esquiver et gommer les longues
séparations et les discontinuités de la vie des bébés ? Autrefois, on les laissait
pleurer, aujourd’hui on essaie d’éteindre immédiatement leurs cris et leurs
pleurs, on ne laisse plus d’espace pour un intervalle d’échanges et de
consolation, pour qu’émergent une parcelle de frustration et donc un
cheminement pour accepter de mieux en mieux celle-ci. Et on enlève aux parents
cette faculté de consoler et d’apaiser leur enfant. Ils se reposent sur cette
fameuse tétine qu’ils leur fourguent sans chercher à l’apaiser autrement, pensant
qu’ils n’y arriveront pas aussi bien. Qui n’a pas connu des parents faisant le tour
de la ville en pleine nuit pour trouver une pharmacie et acheter une tétine en
urgence ? J’ai reçu une fillette déjà âgée de quelques années qui en avait
cinquante-quatre !
Malgré tout, si la tétine permet à l’enfant de se sentir bien, seul, séparé de
l’adulte, sans anxiété, elle devient un moyen qui lui assure quand même une
autonomisation. Il vaut sans doute mieux rester seul dans son lit avec sa tétine,
même si celle-ci nécessite la première année, voire plus longtemps,
l’intervention d’un tiers pour la redonner, que de passer la nuit dans le lit de ses
parents.

Notes
16. Marie Thirion et Marie-Josèphe Challamel, Le Sommeil, le Rêve et l’Enfant.
17. Boris Cyrulnik, L’Ensorcellement du monde.
18. Daniel Pennac, Comme un roman.
19. Hélène de Leersnyder au congrès de psychanalyse et de pédiatrie du 3 avril 1993, « La mise
en place de l’insomnie de l’adulte dans l’enfance ».
20. Donald W. Winnicott, « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels », in De la
pédiatrie à la psychanalyse.
5
Les difficultés d’endormissement

« Avant le soir, je mangeais la lumière. C’est


mon père qui m’avait appris à faire ça. Papa
s’amusait à diriger le faisceau lumineux d’une
vieille lampe de poche sur les murs de ma
chambre, les barreaux de mon lit, ma couverture,
les rayures de mon pyjama, enfin sur mon visage.
Le but du jeu consistait à attraper le plus tôt
possible la tache de lumière baladeuse. Ce n’était
pas facile. La lueur paraissait si faible, si
fuyante… Il s’agissait ensuite de la retenir
fermement dans le creux de ma main puis de la
gober d’un coup afin de l’engloutir.
“C’était bon ?” se renseignait mon père.
“Meilleur qu’hier ?” Il valait mieux émettre
quelques réserves : “Pas assez cuit, trop salé, un
peu sec…” S’assurer ainsi qu’il répéterait la scène
dès le lendemain. »
Jean-Marc Roberts, Les Seins de Blanche-Neige

De nombreux parents appréhendent le moment délicat de la séparation d’avec


leur bébé ou leur enfant pour la nuit. Certains évoquent même cette étape comme
un véritable cauchemar qui vient assombrir la soirée censée favoriser la
récupération du stress de la journée, les retrouvailles en famille et l’intimité pour
le couple. Les soirées se vivent au gré de cet endormissement réussi ou non,
rapide ou interminable. Que de plaintes entendues sur ces difficultés à négocier
la séparation du soir ! Et j’ai même reçu des parents tellement accaparés,
pendant des heures, pour endormir chaque enfant qu’ils en venaient à
communiquer entre eux par SMS !
L’endormissement connaît des fluctuations selon l’âge de l’enfant, les
événements de la journée, à la maison ou en dehors. C’est un moment-clé où on
peut parler des difficultés de la journée et amorcer un dialogue. Il ressemble à
ces consultations où des choses importantes se disent en fin de séance ou sur le
pas de la porte, phase de rupture qui autorise à dire. C’est un temps fort entre
parents et enfant, un sas entre la veille et le sommeil, entre le jour et la nuit, entre
l’extérieur et la vie intérieure, entre le non-moi et le moi. Dès les premiers mois
de son existence, l’enfant peut tenter de « tirer sur la corde », d’autant plus s’il
obtient, à cet instant de la séparation, des bénéfices. Il le fera en fonction de
l’écho que ce moment a sur son parent, en fonction de ce que cela réveille chez
ce dernier.
Chaque parent réagit selon son vécu d’adulte. Cette séparation peut réactiver
celle de la journée. S’il est douloureux de se séparer durant le jour, est-il encore
supportable de se séparer le soir ? Si l’on ne s’est pas beaucoup vus dans la
journée, accepte-t-on vraiment de se quitter ? Quelle étape difficile si l’on a été
séparé de son bébé à la naissance pour des raisons médicales, s’il a dû être
hospitalisé, si l’on a eu peur de le perdre…
Chaque parent réagit aussi selon son vécu d’enfant : était-il difficile de se
séparer de ses proches ? Avait-il peur ? Qui consolait ? Personne ? Comment
vivait-il le fait d’être seul dans son lit ? Cela correspondait-il à un isolement ou à
un moment de rêveries et de retrouvailles avec soi-même dans un nid douillet ?
Chaque parent attribue aux pleurs ou aux tentatives de l’enfant faites à ce
moment un sens, selon les affects suscités en lui à cette occasion et la résonance
qu’ils produisent sur lui. Peut-on laisser son bébé ou son enfant seul dans son lit
quand il y semble si malheureux, quand il pleure, s’accroche à vous ou vous
rappelle pour la énième fois et qu’il se calme dès que vous êtes auprès de lui ou
que vous le prenez dans vos bras ? Quel parent n’a connu ce dilemme : dois-je y
retourner ou non ? Dois-je agir ou ne rien faire ? User de fermeté ou être tendre
et rassurer ? Est-il vraiment malheureux ou agit-il par caprice ? Les réponses à
ces questions dépendent de notre histoire et de la problématique inconsciente
qu’elles réveillent en nous.

« Quand je vois une mère avec son bébé, ça me fait toujours mal »
Romain, 22 mois, met quinze à soixante minutes pour s’endormir. Il ne veut pas que ses parents sortent de
sa chambre et ne s’endort pas avant 22 heures. Il a été en réanimation pendant sept semaines après sa
naissance. Ses parents ne pouvaient le prendre dans leurs bras. Ils n’ont été vraiment rassurés qu’au bout de
cinq semaines. La maman de Romain raconte en pleurant que lorsqu’elle voit aujourd’hui une mère avec
son bébé, ça lui fait toujours mal ! Vingt-deux mois après la naissance de son fils, elle souffre toujours de la
séparation brutale et longue d’avec son bébé et de l’impossibilité de tout contact corporel avec lui à cette
période.

Vingt jours après cette unique consultation, j’apprends par téléphone que Romain ne se relève plus la
nuit. Il ne réclame plus de présence adulte pour s’endormir et demande même que la porte de sa chambre
soit fermée. Quand il lui arrive de se réveiller la nuit, il se débrouille seul et met en marche son pantin à
musique. « Vous nous avez rassurés, déculpabilisés en nous disant qu’on pouvait le laisser un peu pleurer et
se montrer fermes ! Enfin, nous avons de véritables soirées pour nous ! Sécurisé, il va se coucher avec
plaisir en emportant un livre dans son lit. Il se couche vers 20 h 30. »

La séparation du soir s’avérait difficile tant que n’avait pu émerger la


souffrance de la séparation des premières semaines pour la maman surtout,
souffrance entendue pendant cette consultation par son mari, son enfant et moi-
même. Lorsque la jeune femme s’est mise à pleurer, son mari, bouleversé, s’est
approché d’elle et l’a tendrement entourée de ses bras. Je me souviens, dix ans
plus tard, de la densité émotionnelle de cette consultation, de la souffrance de
cette mère, de ce mari qui semblait découvrir combien sa femme, deux ans après
les faits, continuait de souffrir. Une fois la douleur de cette séparation dite et
reconnue comme telle, cette mère a réussi à mieux assumer la séparation du
coucher. Cette consultation lui a comme donné le droit de laisser son fils le soir
sans qu’il soit en danger.

« La lutte à mort pour ne pas s’endormir »

Pour s’endormir, Arthur, 3 ans et demi, veut des câlins qui n’en finissent pas. « C’est la lutte à mort pour ne
pas s’endormir », me dit sa mère à la première consultation.

Dans sa famille, cette jeune femme est la seule à vivre en couple ; elle a donné naissance au premier petit-
enfant de la famille, un garçon. Quand Arthur est venu au monde, son grand-père maternel a fait une grave
dépression : « Dire que ça va devenir un vieux con comme moi ! » s’est-il écrié à sa naissance. Devenant
mère pour la première fois, la jeune femme a dû en même temps s’occuper de son père en péril. Ce dernier a
mis un an à se remettre. La situation était si préoccupante que la maman d’Arthur ne laissait jamais son père
seul avec le bébé de peur qu’il ne fasse un geste fatal. Cette situation a terni la joie que cette mère ressentait
à la naissance de son premier enfant. Être mère pouvait faire mourir son père, puisque ce dernier avait été
au bord du suicide. Elle a complètement refoulé ces lourds événements au point que deux ans plus tard, à la
naissance de son deuxième enfant, elle n’y pensait plus. Lors de cette consultation, il y a eu levée du
refoulement de cet événement traumatique enfoui jusque-là.
À la deuxième consultation, je rencontre la mère d’Arthur seule. Elle me
raconte être sortie en larmes de mon bureau la première fois, en repensant à ces
événements douloureux qu’elle avait occultés. Puis elle s’est sentie soulagée.
Depuis, Arthur joue mieux tout seul dans la journée, il est moins agressif avec
elle et se couche sans problème. La relation entre le petit garçon et sa mère n’est
plus parasitée par le poids du refoulement, et les fantômes qui hantaient sa
chambre ont disparu.

Le « sacrifice d’Abraham »

Jade est un bébé de 7 mois. Carole l’a eue à 40 ans, après deux ans d’essais infructueux ; c’est son premier
enfant. Son compagnon, 50 ans, que je ne verrai pas en consultation, a déjà deux enfants d’une première
union et n’en voulait pas d’autre : « Faut réfléchir… un enfant, tu en as pour vingt ans ! Avec la vie
professionnelle et sociale que tu mènes, je ne pense pas que tu puisses être une bonne mère ! » Pendant sa
grossesse, la future mère n’a guère eu d’échanges avec son compagnon au sujet de cet enfant qu’elle portait.
L’accouchement, elle l’a vécu seule, délibérément, et a eu une césarienne.

Jade dort dans le bureau de son père. « Il n’entend pas bouleverser l’appartement. Mais ça ne fait pas
chambre d’enfant ! » Au-dessus du lit est accroché un tableau qui représente, dit Carole, le « sacrifice
d’Abraham ». Le bébé s’endort dans les bras de sa mère ou dans la poussette après avoir absorbé un sédatif.

Dix jours après cette première consultation, j’apprends par téléphone que Jade
s’endort désormais dans son lit. Son tour de lit a été ôté sur mes conseils. Elle
met encore quarante-cinq minutes pour s’endormir. La nuit, quand elle pleure,
elle n’est plus sortie de son lit ni prise dans les bras ; ses parents la caressent et
lui parlent. Une semaine plus tard, la mère de Jade m’informe par téléphone que
la situation s’améliore nettement. Douze jours plus tard, je la revois en
consultation : elle a réussi à installer un coin pour le bébé dans le bureau de son
mari. Ses relations s’avèrent difficiles avec son compagnon, qui la déprécie. La
petite s’endort plus rapidement et a fait quatre nuits complètes… Un mois plus
tard, je reçois une lettre m’annonçant que Jade s’endort bien et ne se réveille
plus la nuit. Carole a trouvé la force d’enlever le « sacrifice d’Abraham » et de le
remplacer par « une petite fille assise avec un chat » ! « Nous sommes près de la
sérénité toutes les deux », m’écrit-elle.
L’aménagement de l’espace – ou un détail dans cet aménagement (ici un
tableau) – révèle souvent la place faite à chacun dans la famille et peut figurer
l’écran projectif des problématiques qui s’y jouent. Nous en avons ici un
exemple frappant : comment la mère de Jade conquiert peu à peu une place pour
l’enfant non désiré par le père et se permet de grignoter l’espace de son mari.
Accepter sa fille dans son bureau, n’est-ce pas pour le père une façon de se
réapproprier son enfant, de porter à son tour ce bébé ? N’a-t-il pas été exclu de
cette grossesse ou ne s’en est-il pas exclu ? On pourrait interpréter sa résistance à
faire une place à Jade comme un comportement de couvade nécessaire. Son
bureau serait un ventre qu’il prête à son bébé ; il accepterait de lui faire une
21
place au fur et à mesure de l’acceptation de sa paternité .
Qu’en est-il du tableau qui se trouve au-dessus du lit de Jade et que sa mère
appelle le « sacrifice d’Abraham » ? Il s’agit en fait du sacrifice d’Isaac. Dans
l’Ancien Testament (Genèse 22), Dieu met Abraham à l’épreuve : « Prends ton
fils Isaac, ce fils unique que tu chéris, et pars pour le pays de Moriah. Là, tu
l’offriras en sacrifice sur la montagne que je t’indiquerai… » Au moment où
Abraham étend son fils sur l’autel par-dessus le bois et prend le couteau, l’ange
de Dieu l’appelle en criant : « Abraham, ne fais aucun mal à Isaac, je sais
maintenant que tu me fais une confiance totale au point de ne pas hésiter à
sacrifier pour moi ton fils bien-aimé. » En parlant du « sacrifice d’Abraham », la
mère de Jade me fait m’interroger : qui est sacrifié dans l’histoire ? Jade ? Son
père ?

« Mon lit est méchant ! »

« Elle fait des drames pour s’endormir, alors tous les soirs elle finit dans notre lit en se mettant entre nous. »
Ainsi parle la mère de Sarah, 2 ans et demi, qui a un petit frère de 9 mois. Ses troubles du sommeil sont
apparus au moment de la reprise du travail de sa mère, il y a six mois.

Chaque enfant a sa chambre. Les parents ont la leur à l’étage au-dessus. Au moment du coucher, après un
rituel qui n’en finit pas, les lumières restent allumées et les portes ouvertes. L’endormissement mobilise les
parents durant des heures. Sarah dit que son lit est « méchant ». La petite fille est gardée à la maison faute
de place à l’école. Ses parents sont absents dix heures d’affilée et ne rentrent que vers 19 h 30. La dame qui
garde les enfants est affectueuse, mais elle ne met pas de limite et ne les sort pas de la journée. Événement
marquant durant la grossesse de la maman de Sarah, la grand-tante maternelle a disparu pendant dix-huit
mois.

Après la première consultation, il est décidé que ce serait le père de Sarah qui
interviendrait désormais la nuit. Les parents n’ont pas repéré chez leur fille de
signe de fatigue qui indiquerait l’heure la plus favorable à un endormissement
aisé. Trois jours plus tard, la mère me téléphone : Sarah s’est couchée la veille
sans problème, même si elle a essayé de revenir plusieurs fois dans leur lit.
Exceptionnellement, elle ne s’est pas réveillée tôt. L’avant-veille, son père avait
usé de fermeté malgré les hurlements et angoisses de Sarah par rapport à la peur
d’être mangée. Ce soir-là, elle s’était endormie derrière la porte de la chambre de
ses parents…
La fillette passe de bonnes nuits, se couche facilement et ne se réveille plus la
nuit. Elle va maintenant en halte-garderie tous les après-midi. Elle devait
s’ennuyer à la maison avec la dame qui la gardait. À cet âge (2 ans et demi),
l’enfant a besoin d’échanges avec d’autres enfants de son âge, de faire des
activités en groupe, de sortir. Lorsque je revois la famille, Sarah me dit, dès son
arrivée, qu’elle n’a plus de problème ! La nourrice promène désormais les
enfants chaque jour et Sarah se rend avec plaisir à la halte-garderie. Son père
m’avoue à quel point il a été mécontent de devoir, après ma consultation, se
lever jusqu’à six fois la première nuit, quatre fois la deuxième. Mais la troisième
nuit, il n’a plus eu besoin de le faire. Je trouve Sarah et son petit frère épanouis.
Je propose aux parents de montrer à leurs enfants l’endroit où ils travaillent :
cela les aidera à se représenter concrètement leur longue absence. Quand ils
penseront à leurs parents, ils pourront les imaginer dans un lieu précis. Que peut
signifier pour un petit enfant « être au travail » si ce n’est le manque, si ce n’est
un démon qui lui enlève ses parents chaque jour ? Combien d’enfants n’ont
jamais vu l’endroit où travaillent leurs parents pendant une dizaine d’heures !

« Cinq ans de galère… »

Benjamin a 17 mois. Ses troubles se sont déjà un peu atténués depuis que ses parents ont pris rendez-vous
avec la psy : il s’endort plus facilement et la fréquence des réveils nocturnes a diminué. Cette diminution ou
cessation des symptômes, après avoir pris le rendez-vous, a souvent lieu : la démarche apaise l’anxiété des
parents qui se sentent reconnus dans leurs difficultés.

Cet enfant unique comble ses parents, âgés de 30 ans. Benjamin a une mère expansive, active et attentive et
un père plus réservé, mais présent et chaleureux. Il est très investi par ses parents, qui ont connu « cinq ans
de galère avant de l’avoir » et ont craint de perdre leur bébé jusqu’au huitième mois de grossesse. Le
nourrisson a été mis sous oxygène à la naissance, il a été hospitalisé quinze jours en urgence à l’âge de 3
22 23
mois pour malaise vagal , puis a été mis sous traitement pour un reflux gastro-œsophagien jusqu’à 16
mois (ce qui implique un réveil obligatoire à 23 heures, pour la prise du médicament). Ce long parcours
d’obstacles, avant et après sa naissance, a rendu les jeunes parents anxieux et très attentifs à lui ; ils
répondent facilement à ses demandes. Il est resté avec sa mère jusqu’à l’âge de 1 an avant d’aller en crèche.

Dans mon cabinet, Benjamin est très éveillé et a un excellent contact. J’ai l’impression que sa mère se
rassure par le contact qu’elle maintient avec son fils, comme si elle ne lui permettait pas de se séparer d’elle
ou ne s’autorisait pas à se détacher de lui. Si Benjamin ne réclame rien, s’éloigne d’elle et joue un peu dans
son coin, elle intervient aussitôt ou lui donne la tétine. Elle s’étonne pourtant que son fils soit tout le temps
dans ses jambes et ne joue pas seul. On voit toute l’ambivalence de cette maman. Ce manque d’autonomie
dans la journée entraîne, bien sûr, des difficultés d’endormissement. Sa mère peut-elle le laisser sans
angoisse ? Elle vit une relation fusionnelle avec lui, qui entraîne l’emploi du pronom impersonnel pour
parler de lui : « On joue… on n’est pas content… on s’habille… » De plus, la nuit, il est souvent dans le lit
de ses parents et dort « en crapaud » sur sa mère. À qui cela fait-il le plus plaisir ?

Ne nous étonnons pas de cet hyperinvestissement de Benjamin par ses


parents : ils ont attendu cinq ans sa naissance et éprouvé de grandes inquiétudes
pour sa santé. Je conseille au jeune couple de le laisser jouer plus souvent dans
sa chambre pour que ce lieu lui devienne plus familier et lié à des moments de
plaisir, et d’ôter son tour de lit pour qu’il puisse voir ce qui se passe autour de lui
quand il est allongé. Après cette unique consultation, je n’ai plus eu de
nouvelles.

« Je veux être avec maman »

Louis, 2 ans et 10 mois, a du mal à s’endormir. Ses troubles se sont aggravés depuis le moment où sa petite
sœur Viviane, 3 mois, est arrivée dans sa chambre, après avoir partagé celle des parents. Louis réclame
beaucoup sa mère ces derniers temps. À sa naissance, il n’a pas eu la chance de Viviane. Sa mère a subi une
épisiotomie, les forceps et fait une anémie : elle a été peu disponible en raison de sa grande fatigue, et
même rejetante par périodes. Elle a refusé de confier son fils à sa propre mère et préféré le mode de garde
d’une nourrice, ce qui a provoqué de vifs conflits entre sa mère et elle. Louis est actuellement gardé à
l’extérieur alors que sa petite sœur est seule avec sa mère à la maison. C’est son père qui le conduit chez la
nourrice : il hurle en arrivant, mais dort bien chez elle. Il y a six mois, il a changé de nounou du jour au
lendemain car sa mère a appris qu’elle négligeait les enfants et les mettait des heures devant la télévision !

Comment Louis peut-il ne pas ressentir de souffrance et d’hostilité envers cette petite sœur qui accapare
leur mère ? Cette mise en nourrice n’est-elle pas vécue comme une mise à l’écart ? Louis cherche à « faire
le vilain », mais ne se sent-il pas réellement « vilain » pour vivre une telle mise à l’écart ? Sa mère est
heureuse de profiter de sa fille depuis sa naissance, ce qu’elle n’a pu faire avec son fils à cause de sa fatigue
et des conflits avec sa mère. Je trouve le petit garçon insécure ; il n’arrive pas à jouer seul et a des
manifestations de tendresse envers sa mère, comme de lui caresser les cheveux. Il exprime une forte
demande de contacts corporels avec elle. N’en aurait-il pas manqué, bébé ? Le week-end, Louis fait
beaucoup de choses avec son père, mais a-t-il suffisamment fait le plein de câlins ou d’échanges avec sa
mère ? Une semaine à peine après la naissance de sa petite sœur, il a été confié à la nourrice sur les conseils
de son médecin. N’aurait-il pas été préférable qu’il demeurât avec sa mère et sa petite sœur un peu plus
longtemps ?

Je conseille d’abord de respecter ses signes de fatigue et de le coucher dès ce


moment afin de faciliter son endormissement, de faire un rituel chargé en
échanges et en câlins. Je préconise également qu’il reste, de temps à autre, une
journée seul avec sa mère, sans sa petite sœur, pour qu’ils puissent profiter
davantage l’un de l’autre et combler un peu cette carence d’échanges et de câlins
qui a marqué sa naissance. Peu après, j’apprends qu’il est plus calme, moins
« vilain » dans la journée, mais que son endormissement demeure
problématique. Je n’en suis pas étonnée. Il aurait été utile que je revoie cette
maman seule pour parler de ses relations difficiles avec sa propre mère et de ce
que devenir mère signifiait pour elle.

« On a tout essayé… »

Alexandre a du mal à s’endormir depuis un mois. Il a eu un petit frère il y a huit mois et au même moment
l’état de santé de son grand-père paternel s’est aggravé. Jusque-là, le père d’Alexandre s’occupait beaucoup
de son fils et jouait avec lui dès son retour du travail. Or, depuis quelques mois, en raison de la maladie de
son propre père, il rentre plus tard chez lui après être allé à l’hôpital ; il revient préoccupé et moins disposé
à jouer. Alexandre est un petit garçon qui guette le retour de son papa dès le milieu de l’après-midi.
Comment cet enfant de 2 ans et demi, à qui cette situation n’a pas été expliquée, comprend-il la
disponibilité moindre de son père ? N’attribue-t-il pas ce changement à l’arrivée de son petit frère, plutôt
qu’à l’inquiétude et à la tristesse de son papa ?

Ces parents chaleureux et attentifs à leur fils ont du mal à se faire écouter et à fixer les limites. Dans mon
bureau, Alexandre fait tout ce qui est interdit et m’oblige à intervenir constamment et à m’occuper de lui. Il
ne joue pas seul et attire mon attention en faisant les quatre cents coups. À la maison c’est la même chose, il
suit sa mère partout et ne joue guère. Il n’est pas étonnant qu’il ait du mal à se séparer de ses parents le soir
puisqu’il n’a aucune autonomie dans la journée. De plus, Alexandre a dû intégrer beaucoup de
changements. Non seulement son petit frère est né il y a huit mois et la santé de son grand-père paternel
s’est aggravée, mais deux mois plus tard, la famille a déménagé : il a désormais sa chambre alors qu’il a
dormi jusqu’à 2 ans dans la chambre de ses parents. Quatre mois plus tard, il est entré à la halte-garderie à
laquelle il s’adapte très mal : il hurle et ne participe pas. Depuis peu, son petit frère commence à se déplacer
et sort de son lit car on a baissé les barreaux et on lui a enlevé sa turbulette. Comment Alexandre a-t-il vécu
tous ces changements ? N’ont-ils pas contribué à l’insécuriser ?

Cet enfant est né prématurément et a été hospitalisé dix jours à sa naissance.


Ses parents ont eu peur pour leur bébé et continuent avec lui sur ce mode.
Alexandre s’élance dans la rue, s’échappe dans les magasins. Ses parents
n’arrivent pas à le contenir, leur enfant se met souvent en danger, ce qui renforce
leur anxiété : il tolère mal les frustrations et les limites, comme je l’ai vu dans
mon bureau. Il veut tout immédiatement et accepte mal que l’on ne cède pas
d’emblée à ses désirs. Il est décidé, sur mes conseils, d’expliciter la maladie de
son grand-père et les rentrées tardives et tristes de son père. Je demande à ses
parents de ne pas satisfaire ses demandes immédiatement, mais de lui apprendre
à en différer la satisfaction. Par la suite, je n’ai plus eu de leurs nouvelles. Il
aurait été pourtant utile de comprendre pourquoi les parents d’Alexandre étaient
si peu sécurisants.

Cette palette de situations montre que les difficultés d’endormissement
peuvent diminuer et même se résorber complètement. Un enfant qui a du mal à
se séparer, dans la journée, de ses figures d’attachement ne pourra se
séparer d’elles, le soir, sans difficulté. C’est pourquoi il importe d’aider votre
enfant à maîtriser ce qui peut l’apaiser et le sécuriser dans la journée, à bien
affronter solitude et séparations diurnes pour mieux assumer celle du soir :
– N’anticipez pas les demandes de votre enfant mais laissez-lui le temps de les
formuler selon les moyens à sa disposition, qui dépendent de son âge.
– Ne répondez pas immédiatement à la moindre demande de votre bébé ou
enfant. Laissez-lui trouver en lui des stratégies d’attente, des moyens de se
consoler et de s’apaiser sans vous, pendant un laps de temps qui s’allongera avec
l’âge et suivant ce qu’il tolérera (jeu, doudou, activités auto-érotiques, rêveries,
etc.). L’apprentissage de la vie passe par des expériences solitaires et par la
maîtrise de l’inquiétude devant une situation nouvelle. Sur le plan de la vie
psychique, le bébé, puis l’enfant, va pallier le manque, dans ce temps d’attente,
par l’image ou la mentalisation de l’objet désiré et absent. C’est la naissance de
la pensée et de la symbolisation.
« Être une mère suffisamment bonne, comme la décrivait Winnicott, c’est
savoir faire attendre son bébé juste assez pour lui laisser le temps de désirer,
24
mais sans qu’il soit débordé dans ses possibilités adaptatives » et donc
traumatisé ; c’est présenter des défaillances transitoires qui ne soient jamais
supérieures à ce que l’enfant peut supporter.
« La mère suffisamment bonne (qui n’est pas nécessairement la propre mère
de l’enfant) est une personne qui s’adapte sur un mode actif aux besoins de
l’enfant ; cette adaptation décroît petit à petit au fur et à mesure que l’enfant
devient apte à admettre un défaut d’adaptation et à tolérer les conséquences de la
frustration… La mère, au début, en s’adaptant presque à cent pour cent, permet à
l’enfant d’avoir l’illusion que son sein fait partie de l’enfant… La mère aura
finalement pour tâche de désillusionner petit à petit mais elle n’y réussira que
dans la mesure où elle lui aura donné tout d’abord assez de possibilités
25
d’illusion . »
Trop de parents se précipitent au moindre pleur de leur bébé : laissez-le se
calmer seul et se rendormir, ou réitérer ses appels avec plus d’insistance.
Efforcez-vous de le laisser quelques instants dans son lit sans le prendre aussitôt,
laissez-le parvenir à un véritable réveil pour qu’il manifeste ses besoins. Lorsque
l’enfant grandit, il est bon qu’il puisse rester un peu seul dans son lit à son réveil,
26
avant que vous ne vous précipitiez .
– Enfin, ne vous inquiétez pas dès que votre enfant s’ennuie. Certains sont
tentés d’occuper leur bébé ou enfant durant tout son éveil. Il est bon de le laisser
seul s’il est bien, gazouille, joue, s’il ne demande rien.
Être parents ne signifie pas intervenir si l’enfant ne demande rien. Si vous le
sentez bien, laissez-le : grâce à ce bien-être qu’il ressentira seul, il acquerra une
confiance inestimable en lui. Être parents, c’est aider nos enfants à se passer de
nous et à être, au fur et à mesure qu’ils grandissent, de moins en moins
dépendants de nous.
Pour les plus grands, programmer des activités toute la journée ne leur rend
pas service. Leurs journées sont de plus en plus remplies par la télévision, les
activités informatiques, vidéo ou extrascolaires, ce qui ne leur donne guère
d’espace pour penser, rêver ou se familiariser avec leur monde intérieur. Et c’est
seulement au moment du coucher que certains enfants se retrouvent seuls face à
eux-mêmes, face à leur imaginaire, leurs rêveries, leurs fantasmes, leurs démons,
leurs craintes et angoisses. Gavés à longueur de journée et de soirée d’images de
tous ordres, ils ont peur de ce monde qui se manifeste à la faveur de la nuit,
craignent leurs désirs, leur agressivité ou leur culpabilité, tout ce qu’ils ne
peuvent maîtriser.
L’ennui permet de progresser dans la vie intérieure. Quand un enfant s’ennuie,
il finit par trouver quoi faire. C’est ainsi que se font jour ses goûts et que sa
créativité se développe.

Laissez bébé s’endormir seul

Si le bébé repu s’endort blotti dans vos bras, contre votre épaule ou bercé
doucement, il peut également connaître le bien-être de s’endormir dans le nid
familier de son berceau, contre son doudou ou le bord du berceau. Il deviendra
progressivement capable de se passer de vous pour embarquer dans le sommeil.
Dès les premiers jours de vie, certains bébés s’endorment seuls sans difficulté.
D’autres ont besoin d’un contact corporel avec l’un de leurs proches.
Le bébé peut être mis dans son berceau avant d’être assoupi, regarder son
mobile ou entendre sa boîte à musique et s’y endormir seul, sans vos bras, votre
odeur ou votre voix. Après s’être reposé sur vous pour s’endormir, il va
progressivement découvrir les ressources qu’il a en lui. Il ne sera pas dépendant
de vous pour trouver le sommeil mais seulement de lui-même, de son rythme, de
ses capacités à se procurer du bien-être avec son pouce, ses orteils ou sa
couverture. Lorsque vous laissez votre bébé dans son berceau, n’attendez pas
qu’il s’y endorme immédiatement. Laissez-le apprécier d’être bien seul et il
s’endormira confiant. Vous aussi, vous repérerez peu à peu ce qui le sécurise
vraiment : un doudou, une berceuse, de la musique, l’appui contre le bord de son
berceau, etc. S’il s’apaise seul ou à l’aide de stratégies autocalmantes, il pourra
se séparer de vous sans anxiété.

Sommeil et angoisse de séparation

Le ressortir de son berceau ou de son lit s’il pleure ou appelle, c’est lui dire
que le lieu où il est allongé n’est pas un lieu rassurant pour lui, c’est renforcer
son anxiété au lieu de la calmer. Le caresser, lui parler sans le prendre dans les
bras rendra plus sécurisant le lit dans lequel vous l’avez mis. Quand il sera plus
grand, l’enfant peut avoir une marge de liberté autour des limites horaires que
vous donnez : « Quand l’aiguille sera sur tel chiffre, tu éteindras », « Tu finis ta
page et tu éteins », etc. Le jeu autour de ces limites fait partie du développement
normal de l’enfant : vous donnez un cadre bien défini et, à l’intérieur de ce
cadre, il a une latitude qui l’aide à développer sa personnalité, à prendre les
choses en main, bordé par des limites définies par vous. Les parents donnent le
support de la partition et l’enfant livre son interprétation personnelle pour
parvenir à l’endormissement. Être parent n’implique pas de l’accompagner
jusqu’à l’endormissement, mais de lui donner les moyens de s’endormir
sans vous. Sa confiance se développera et se renforcera ainsi chaque jour. De
plus, s’il s’endort seul, il pourra, la nuit, entre chaque cycle de sommeil lorsqu’il
y a un micro-réveil, se débrouiller et se rendormir seul. En revanche, s’il s’est
endormi avec vous, il aura besoin de vous pour se rendormir…
Si votre enfant arrive à jouer seul dans la journée, il pourra se séparer de
vous sans problème le soir. Quand, en consultation, dans ce lieu nouveau de
mon bureau et avec une personne qu’il ne connaît pas – la thérapeute –, l’enfant
ou le bébé peut jouer seul en babillant, en explorant les jouets, en s’inventant des
histoires avec les animaux ou les personnages, je sais que cet enfant est sécure et
que son trouble du sommeil sera surmonté facilement car il n’y a pas d’angoisse
de séparation sous-jacente. Il peut s’éloigner sans anxiété de la figure
d’attachement et explorer le matériel ludique à sa disposition. Rassurés sur
l’absence d’angoisse profonde de leur enfant, les parents réussiront alors à
mettre en place des limites plus fermes. Si des troubles d’endormissement
persistent, c’est que l’angoisse de séparation touche et concerne plus l’un des
parents que son enfant. Nous travaillerons alors ensemble, s’ils le souhaitent,
pour trouver les moyens de résoudre ce problème.

L’acquisition de la permanence de l’objet d’amour

Jusqu’au 8 ou 9 mois, la personne d’attachement n’existe pour le bébé


e e

que quand il la voit. Si sa mère disparaît de son champ de vision, c’est


comme si elle n’existait plus. Ensuite, le bébé sait que la personne
d’attachement continue d’exister et qu’il peut lui conserver son
investissement préférentiel. Il va maintenir une image intériorisée et
positive d’elle, indépendamment des satisfactions ou insatisfactions qu’elle
lui procure. L’angoisse du 8 mois, décrite par René Spitz, se manifeste car
e

le bébé confronte le visage qu’il a devant lui avec les traces mnésiques qu’il
conserve de sa mère ; si ce visage ne lui ressemble pas, il l’évitera du
regard ou aura une véritable crise de panique anxieuse avec pleurs, cris et
27
décharge motrice. Jean Piaget a décrit qu’au 9 mois, la personne
e

d’attachement a une existence propre en dehors du regard de l’enfant.


Celui-ci conserve le souvenir de la personne disparue. La permanence de
l’objet d’amour est acquise, intériorisée même en l’absence de celui-ci. Si
un enfant joue en présence de sa mère et préfère poursuivre son jeu plutôt
que de la suivre quand elle quitte la pièce, c’est qu’il a acquis la
permanence de l’objet d’amour ; cela lui permet l’attente de la satisfaction
et son anticipation confiante, la tolérance à la frustration et à l’angoisse.
L’enfant devient alors autonome car il a intériorisé ce sentiment de sécurité
permanente au point de sentir ses parents en lui partout où il va, même
quand ils sont loin de lui. Il les a mis en mémoire, il peut les faire revenir
en pensée lorsqu’il est seul ou inquiet. Ayant compris qu’ils revenaient
toujours, il peut donc s’en séparer facilement.

L’importance de la séparation matinale

Bien gérer la séparation du matin rend moins difficile celle du soir. Le


réveil du corps précède celui de l’esprit. Aussi est-il recommandé de laisser à
l’enfant le temps de se réveiller et de recouvrer sa mobilité peu à peu grâce au
silence, aux contacts physiques, au temps ralenti. Faisons l’éloge de la lenteur au
réveil ! Des paroles ne se mêleront que progressivement à cet éveil du corps. Il
est donc important de réveiller son enfant suffisamment tôt pour qu’il puisse
prendre son temps, avoir un moment de câlins et d’échanges avant d’aborder la
longue séparation de la journée.
Or l’enfant doit trop souvent s’adapter au rythme des adultes. « Dépêche-
toi ! » N’est-ce pas violent pour un bébé ou un enfant, émergeant à peine des
brumes du sommeil ? Quand je suggère à la mère d’Ève, 3 ans, de passer un peu
de temps avec sa fille avant de la quitter, elle me répond : « Il faut donc que je
me lève une demi-heure plus tôt ? » Certains parents pensent qu’il vaut mieux
réveiller leur bébé ou enfant au dernier moment pour qu’il puisse dormir le plus
longtemps possible. Dans ce cas, le réveil risque de se transformer en une course
contre la montre, en un véritable parcours du combattant dans lequel les
protagonistes s’épuiseront et repartiront, chacun de leur côté, mécontents et
frustrés. Dans cette précipitation, les échanges, s’ils existent, ne peuvent être de
bonne qualité.
Remplissez ce temps avant la longue séparation de la journée, qui peut aller
jusqu’à douze, voire quatorze heures ! Pour passer une longue journée loin de
ses parents sans trop d’anxiété, le bébé ou l’enfant a besoin de s’imprégner
d’eux, de leur odeur, de leurs câlins, de leurs mots, d’échanges avec eux. Il
emmagasine en lui une réserve de vécu qui l’étaiera tout au long de la journée.
Même si le doudou l’aide à traverser cette durée et à se consoler si nécessaire,
rien ne remplace le temps passé ensemble, court, certes, mais plein. Il est
préférable qu’un enfant dorme un peu moins longtemps le matin – il se rattrapera
dans la journée avec les siestes – et ait des échanges avec ses parents avant de les
quitter. Un enfant ne peut être serein loin de ses parents sans avoir reçu des
28
« nourritures affectives ».
Notes
21. Je ne peux que formuler des hypothèses, ayant trop peu d’éléments à ma disposition et
surtout aucun élément donné par le père de Jade lui-même.
22. Perte de connaissance avec pâleur qui peut donner aux parents l’impression que leur bébé est
mort.
23. Le clapet entre l’œsophage et l’estomac ne fonctionne pas encore parfaitement, ce qui
provoque des renvois acides.
24. Bernard Golse, Le Développement affectif et intellectuel de l’enfant.
25. Donald W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse.
26. Winnicott a mis en évidence les processus qui conduisent l’enfant à acquérir la « capacité
d’être seul ».
27. Jean Piaget s’est attaché à comprendre et à étudier les mécanismes de développement cognitif
et intellectuel de l’enfant : il y a interaction permanente entre l’enfant et le monde extérieur, qui
fait de son développement une construction active qui ira vers une intégration progressive
(l’enfant ne peut accéder à un stade sans avoir intégré le stade antérieur).
28. Boris Cyrulnik, Les Nourritures affectives.
6
Les réveils multiples dans la nuit

« Ils se blanchissent leurs nuits


Au lavoir des mélancolies… »
Jacques Brel, « Les paumés du petit matin »

Les réveils multiples constituent la majorité des consultations de sommeil. Ce


sont des réveils répétitifs, dans la deuxième partie de la nuit surtout, qui
nécessitent, le plus souvent, l’intervention des parents. Le bébé ou l’enfant
appelle ou pleure et ne se calme qu’après avoir été consolé. Ces réveils peuvent
durer plus ou moins longtemps, atteindre le nombre de dix par nuit et survenir
toutes les demi-heures ou toutes les heures ! Même s’il n’y en a que trois par
nuit, ils suffisent à interrompre le sommeil des parents. S’ils durent plusieurs
mois ou plusieurs années, ils peuvent le « casser » complètement : soit l’adulte
réveillé n’arrive plus à se rendormir alors que son enfant l’est, soit il anticipe et
guette le réveil redouté, ce qui le tient éveillé. Même lorsque ces réveils
multiples disparaissent, des parents continuent à croire entendre, dans le silence
de la nuit, des pleurs ou des appels.
Accompagnés de larmes, de cris, de levers, d’allées et venues, ces réveils
finissent par susciter – par leur répétition même – l’exaspération des parents, de
l’agressivité, des réactions de rejet et même de la violence. « Jusqu’à l’âge de
5 ans, tu as pleuré toutes les nuits, c’est cinq ans de ma vie ! » lance une mère à
son fils, lors de la première consultation. Je me suis toujours demandé si les
comportements maltraitants ne se développaient pas davantage la nuit pour faire
taire les cris qui percent son silence. Les réveils multiples peuvent entraver plus
ou moins gravement la relation entre enfant et parents qui, fatigués, ressentent
les effets de ces nuits écourtées dans leur vie professionnelle. De plus, le couple
est perturbé dans son intimité : qui va intervenir et se lever en pleine nuit ?
Dans certains couples, les deux partenaires se lèvent à tour de rôle. C’est
tantôt l’un, tantôt l’autre qui gère le problème. Ils sont sur le pont en alternance.
Dans d’autres, c’est toujours le même qui se lève, soit parce que l’autre
n’entend jamais, soit parce que l’autre, s’il est réveillé, ne pourra se rendormir.
Comme ce sont la plupart du temps les pères qui n’entendent pas, je m’interroge
sur l’acuité auditive de ces derniers : les hommes auraient-ils une acuité auditive
moindre ou un sommeil plus profond ? Les biologistes nous éclaireront peut-être
bientôt sur cette différence, si elle existe ! Il est vrai cependant que certains pères
recouvrent leur acuité auditive si leur femme s’absente.
Dans certains couples, aucun consensus n’existe entre les deux partenaires.
Chacun propose une gestion du problème qui ne convient pas forcément à
l’autre, ce qui crée des contestations. L’autre réagit comme il ne le faudrait pas.
Les réveils multiples provoquent alors des conflits qui se rallument toutes les
nuits et n’aboutissent à aucun règlement de la situation. Chacun renvoie à l’autre
qu’il aggrave le problème par son attitude trop autoritaire ou trop permissive…
Par conséquent, les solutions trouvées – prendre l’enfant dans le lit conjugal ou
installer son lit dans la chambre des parents ; quitter le lit conjugal et laisser son
conjoint seul avec l’enfant ou rejoindre l’enfant dans son lit ou dans sa
chambre – peuvent entraver de façon temporaire ou durable la vie de couple. Et
l’enfant reçoit forcément de plein fouet ces tensions, ce qui ne fait qu’aggraver la
situation.
Des couples enveniment le problème car ils veulent dormir. La femme dit :
« Je vais lui donner le sein la nuit, comme ça, plus vite il aura mangé, plus vite il
se rendormira. » Et le mari de la conforter dans cette attitude : « Je veux dormir,
donne-lui à manger. » Toutes sortes de tactiques sont utilisées par les parents
pour abréger la durée de ces réveils nocturnes : donner un biberon de lait, donner
de l’eau, le sortir du lit et le prendre dans ses bras, jouer avec lui ou le mettre
devant un dessin animé pour le rendormir au plus vite. Mais en agissant ainsi, on
renforce le symptôme en créant un conditionnement ; le bébé se réveillera
d’autant plus qu’il saura ce qu’il va obtenir.
Je vous propose maintenant de suivre un échantillon d’observations concrètes,
à la lumière desquelles nous pourrons relever certains facteurs susceptibles de
déclencher les réveils multiples.

« Je ne fais plus que ça ! »


Les réveils nocturnes d’Élisa, 2 ans et 3 mois, peuvent atteindre quatre à cinq heures d’affilée. Sa mère,
44 ans, dort dans sa chambre pour la consoler et ne pas gêner son mari, âgé de 50 ans. Devant moi, Élisa
joue allègrement par terre avec les jouets à sa disposition. Elle ne montre aucune réaction d’anxiété et est
déjà autonome. La petite fille est gardée par une assistante maternelle. Elle fait la sieste de midi à 14 heures.
Sa mère la retrouve à 17 heures. De retour à la maison, elle ne joue pas avec elle mais téléphone, fait des
tâches ménagères ou classe des photos. Élisa dîne seule et n’a aucune difficulté d’endormissement. Quels
échanges a-t-elle avec ses parents ? Que partage-t-elle avec eux ?

À la deuxième consultation, une semaine plus tard, sa mère me dit se rendre disponible pour sa fille au
retour de chez la nourrice mais reconnaît manquer de sérénité : « Je ne fais plus que ça ! » Élisa a réussi à
dormir quatre nuits de suite sans se réveiller. Même si elle se réveille encore certaines nuits, cela dure
moins longtemps. Le matin, son réveil est plus paisible et dénué de pleurs. Lors de cette consultation, sa
mère me parle de son angoisse de mort, si forte qu’elle l’a conduite à n’avoir son premier enfant qu’à
42 ans. L’un de ses frères est mort à 14 mois ; elle avait 3 ans à cette époque. Pour elle, faire un enfant,
c’était prendre le risque qu’il meure comme son frère. Sa fille la rassure sur ce point en n’étant jamais
malade (et en pleurant la nuit, comme pour bien lui faire entendre qu’elle n’est pas morte, elle). Elle me
parle également de son « terrible » accouchement : forceps, côte cassée, épisiotomie, marques du forceps
sur son bébé. « Élisa n’arrivait pas à naître. » Elle a cru que son bébé serait handicapé. On lui a tout de suite
enlevé le nouveau-né, qui ne criait pas, pour le réanimer au bout de cinq minutes. Élisa est née avec une
marque sur la tête et un œil fermé. Sa mère s’est demandé ce que ces blessures apparentes cachaient : « Est-
ce un handicap cérébral ? Je pensais qu’elle serait plus amochée que ça. »

Après que la mère d’Élisa eut égrené son chapelet d’angoisses par rapport à
des souffrances récentes et anciennes, je n’ai plus entendu parler de l’enfant ni
de ses réveils nocturnes.

« Mon mari fait seulement un bisou aux enfants »

29
Depuis son hospitalisation d’une nuit, il y a six mois, pour un spasme du sanglot avec perte de
connaissance, Solène, 2 ans et 3 mois, se réveille souvent la nuit et fait des colères dans la journée. Elle a du
mal à aller se coucher et, la nuit, ne se calme qu’avec son père. Sa mère me confie : « Mon père a un cancer
généralisé, j’ai maman à la maison. » Rien n’a été dit à Solène au sujet de l’état de son grand-père. Sa mère
part pourtant chaque jour, lors de la sieste de l’enfant, voir son père malade.

Trois jours plus tard, deuxième consultation : la jeune femme explique maintenant à sa fille où elle va tous
les après-midi. Du coup, ses colères disparaissent et son sommeil s’améliore.

À la troisième consultation, quinze jours plus tard, si Solène se réveille encore de temps en temps, elle ne
montre plus de panique et se rassure dès qu’elle aperçoit son père ; elle se rallonge aussitôt et se rendort.
Alors qu’il s’occupait davantage de sa fille aînée, il prend maintenant plus soin de Solène le soir ; et la mère
d’ajouter : « Moi, avec mon père, le soir, on discutait, alors que mon mari fait seulement un bisou aux
enfants. Je ne voudrais pas qu’elles se referment sur elles-mêmes et aient avec leur père les mêmes relations
que celles qu’il a avec le sien ! »
Sur mon conseil, chaque fille a aménagé son coin dans la chambre commune.
Cette mesure m’apparaît d’autant plus indispensable que la rivalité entre elles est
forte et qu’elles ont une manière très différente de gérer l’espace et leurs
affaires…

Lou se réveille depuis deux ans toutes les nuits et encore plus souvent depuis un an. Ses parents sont à bout.
Son père en veut à son chef de ne pas prendre en compte qu’il est réveillé dix fois par nuit. Ce couple a eu
depuis un an plein de soucis et connu plusieurs décès de proches. « Mais on ne lui a rien montré ! dit la
maman, enceinte de cinq mois, sous antidépresseurs. Il est très content d’avoir un petit frère ou une petite
sœur. »

On sait que les enfants absorbent toutes les tensions et soucis des parents. On
sait aussi que ce sont seulement les parents qui se réjouissent d’avoir un autre
enfant. Celui qui est déjà là s’inquiète fortement de ce futur bébé qui accapare
déjà sa maman et dont parle toute la famille.

« Un bébé en kit »

Thomas a 20 mois et se réveille plusieurs fois par nuit en hurlant. Cela fait neuf mois que cela dure. Ses
parents ne rentrent pas avant 20 h 30. Il est gardé par une dame chez lui et va deux fois par semaine à la
halte-garderie avec enthousiasme. Sa mère part le matin vers 10 heures après s’être occupée de lui ; mais
cette heure en tête à tête est souvent interrompue par le téléphone. Le mercredi après-midi, elle reste avec
ses fils, Thomas et son frère qui a trois ans de plus que lui. Thomas se montre opposant avec sa mère, ne se
laisse pas habiller par elle, la frappe et ne supporte pas qu’elle s’occupe de son aîné. Maintenant il rechigne
à aller au lit ; « Il a une chanson et c’est tout. » Sa mère me raconte qu’un deuxième enfant, « ça a été trop
pour elle », ce qui l’a poussée à être exigeante avec lui, à lui en demander trop. Elle ne l’a pas allaité,
contrairement au premier. « Thomas est un bébé en kit… je n’ai jamais rien fait toute seule avec lui. C’est
la première fois que je vais toute seule quelque part avec lui, ici, dans votre bureau. »

Quinze jours plus tard, la mère de Thomas revient seule pour me dire que la situation s’améliore, ses réveils
intempestifs avec hurlements se sont dissipés. Il n’y a plus qu’un réveil par nuit et il a même passé deux
nuits sans réveil. Sa chambre a été aménagée avec un espace pour le jeu : il s’y plaît et y joue davantage. Il
est plus apaisé, plus câlin et fait moins de colères. Thomas et sa mère vont partir tous les deux en vacances.

Après la première consultation, la jeune mère a connu une phase euphorique : elle a « réussi à mettre des
mots sur des impressions et à y voir plus clair ». Puis elle a connu une phase de culpabilisation : « Je n’ai
pas pris de temps pour Thomas. Est-ce rattrapable ? Maintenant, je le découvre, ça me fait plaisir… À son
arrivée, j’ai eu peur que ça pose des problèmes à son frère aîné, j’avais l’impression de le trahir en ayant un
deuxième fils… J’ai très peu de photos de Thomas avec moi, plutôt des clichés des deux frères ensemble.
J’ai été déçue à sa naissance, je n’ai pas ressenti le même émerveillement. J’ai été déçue d’avoir un
deuxième garçon. »
Pour cette maman, faire une place à Thomas a été difficile. Son expression
« bébé en kit » résume son vécu par rapport à l’arrivée de ce deuxième enfant.
Quelques mois avant sa conception, elle a fait une fausse couche ; elle n’a pas
encore fait le deuil de sa petite fille perdue. Pour que Thomas parvienne à
trouver sa propre place, il est indispensable que cette maman arrive à faire ce
deuil. Il occupe, aujourd’hui encore, une place envahissante dans son psychisme.

« Je ne souffle jamais… »

Depuis sa naissance il y a neuf mois, Rémi ne dort que trois quarts d’heure d’affilée. Quand il est éveillé, il
pleure tout le temps. Il ne supporte pas de rester seul quelques instants. Il monopolise sa mère qui ne
retravaille pas ; elle n’a aucun répit et n’ose le confier à personne. Dès sa naissance, Rémi a peu dormi et
beaucoup pleuré. Il s’endort plutôt quand on le promène. On a pu mettre en évidence un reflux gastro-
œsophagien. Il a fait six malaises vagaux au cours des trois premières semaines de sa vie, dont l’un a
nécessité l’intervention du Samu. Il a subi deux longues hospitalisations. Pour des raisons médicales (il était
30
branché pendant son sommeil sur un scope qui vient d’être enlevé), Rémi a dormi dans la chambre de ses
parents jusqu’à ces derniers jours.

Sa mère n’a jamais « soufflé » depuis la naissance de son bébé, qui a plusieurs fois manqué de souffle lors
de ses malaises. Pendant ma première consultation avec ses parents, le bébé ne nous laisse pas parler, il ne
peut supporter qu’ils s’éloignent ni jouer un peu seul. Ce lourd parcours médical très angoissant ne suffit
pas à expliquer ces importants troubles du sommeil. Je m’interroge. Que se passe-t-il ?

Huit jours plus tard, je revois Rémi avec sa mère : il commence à jouer un peu seul même si elle disparaît
de son champ de vision. La nuit, il n’est plus sorti de son lit par ses parents, pleure moins longtemps, ne se
réveille que quatre à cinq fois et arrive à se rendormir. Il semble qu’il ait l’air moins angoissé en position
31
allongée . Sa mère avoue avoir abandonné l’idée de le faire dormir.

Elle me raconte ses peurs au moment des malaises de son fils : « J’étais angoissée par la mort de mon
bébé… Il devenait blanc et ramolli, j’avais très peur qu’il ne se réveille plus. » Le départ de son mari le
matin renforçait son anxiété car les troubles survenaient quand elle était seule avec Rémi. Elle me raconte
les hospitalisations, les diagnostics des médecins et les hypothèses qu’ils lui communiquaient, « tous plus
inquiétants les uns que les autres ». Elle ne pouvait pas trop partager ses angoisses avec son mari, qui
préférait ne pas en parler et intériorisait tout. Puis la mère de Rémi me raconte son enfance : sa mère s’est
séparée de son mari pendant qu’elle était enceinte d’elle et la jeune femme ne revoit plus son père depuis
longtemps. Sa mère a eu d’importants problèmes cardiaques à sa naissance et on lui avait prédit qu’il lui
restait peu de temps à vivre. Pourtant elle vit toujours ! Elle est partie aussitôt en maison de repos et a été
séparée de son bébé à la naissance. La maman de Rémi a donc été élevée par sa grand-mère maternelle
jusqu’à 8 ans, avant d’habiter avec sa mère.

Cette histoire lourde de souffrance, de ruptures brutales dès la naissance,


infiltrée par la mort et la culpabilité d’avoir failli faire mourir sa mère éclaire ce
présent vécu avec Rémi. Le fait de s’occuper elle-même de son bébé a réveillé
l’histoire de ses premières années de vie, cette vie qu’elle n’a pu avoir, bébé,
avec aucun de ses parents. « Comment une mère et un père peuvent-ils se
séparer de leur bébé ? » est une question qui la taraude. Je me demande alors
pourquoi elle a eu Rémi après quinze ans de vie commune. Quelle fonction a-t-
il ? Cicatriser les blessures anciennes ou rouvrir cette plaie toujours vive ? Lors
de cette deuxième consultation, Rémi, calme, a un bon contact. Il peut davantage
jouer seul et nous laisser parler.
Trois semaines plus tard, je revois l’enfant et sa mère. Il supporte mieux la
position allongée et ne se débat plus. Il est couché dès qu’il se frotte les yeux
(son signe de fatigue), s’endort donc plus facilement et dort bien la nuit. Mais la
journée, ça n’est pas résolu. Sa mère ne souffle pas à cause de ses pleurs sans
répit dès qu’elle le laisse : « Je suis toujours dans un brouhaha ! » De quel
brouhaha s’agit-il ? Les questions dont elle est envahie et auxquelles personne ne
répond ? Ce brouhaha ne la renvoie-t-il pas au brouhaha dans lequel elle se
démène depuis moult années ? Pour la première fois depuis la naissance de
Rémi, le couple a pris une baby-sitter pour sortir. Avant, ils emmenaient leur fils
avec eux.
Quinze jours plus tard, je rencontre Rémi et sa mère. Il commence à faire des
siestes et pleure moins quand sa mère sort de la pièce. Une dame vient trois
heures par semaine s’occuper de lui, ce qui permet à sa maman de « souffler ».
Mais il continue de se réveiller en hurlant. Sa mère évoque la non-assistance de
sa propre mère lors des problèmes médicaux de Rémi. Pourtant, cette dernière
étant soignante, sa fille attendait plus d’aide et de réconfort de sa part (comme
elle en a attendu durant toute son enfance et son adolescence). De plus, cette
grand-mère ne peut porter son petit-fils à cause de ses problèmes cardiaques
32
(comme elle n’a pu porter sa propre fille qui a manqué de holding ). Dans la
journée, Rémi lutte encore contre le sommeil mais il n’est plus nécessaire de
passer une heure et demie à l’endormir. Trois mois plus tard, j’apprends par
téléphone qu’il fait une heure de sieste, ne pleure plus et dort bien la nuit. Il
commence à marcher et sa mère… à souffler.

« Il ne me laisse pas dormir depuis trois mois ! »


Victor, qui vient d’avoir 15 mois, se présente comme un enfant vif, tonique et épanoui. Dans mon cabinet, il
se met aussitôt à jouer. Sa mère m’explique que son mari souhaitait plus qu’elle un enfant. Elle a eu Victor
à 39 ans et désire reprendre son travail, « voir autre chose ». Elle a été enceinte de Victor dix mois après
une fausse couche. La grossesse s’est bien passée mais l’accouchement fut douloureux jusqu’à ce que la
péridurale opère. Elle a allaité son enfant, mais cela la fatiguait. Elle ajoute que son mari ne s’occupe guère
de Victor et ne l’aide pas du tout. L’enfant n’est couché que vers 20 h 30 pour voir son père. S’il est déjà
endormi, son père le réveille pour jouer avec lui. Victor se frotte pourtant les yeux vers 19 heures et devrait
prendre son train du sommeil autour de cette heure. Il a encore son tour de lit qui l’empêche de voir ce qui
l’entoure quand il est couché.

Une semaine plus tard, ses réveils nocturnes ont presque disparu. Son tour de lit a été enlevé et il est couché
quand il se frotte les yeux, même si son papa n’est pas rentré.

Cette consultation a permis à sa mère de faire entendre ses regrets et ses


souhaits actuels : elle est déçue par son mari qui voulait tellement un enfant mais
ne s’en occupe guère et ne l’aide pas ; elle se sent coupable de désirer
retravailler. Les réveils de Victor ont débuté avec l’acquisition de la marche, un
stade souvent délicat à franchir tant l’autonomie nouvellement acquise est
grisante, excitante : elle permet de prendre de la distance par rapport aux parents,
au sens propre comme au sens figuré, et d’accéder à un espace élargi.

Les parents de Julie, 9 mois, « craquent » à cause de ses trop nombreux réveils nocturnes. Difficile
d’assumer des professions à responsabilité avec un bébé de 9 mois qui se réveille toutes les nuits… Julie est
la troisième enfant du couple, née quatre ans après leur deuxième enfant. Elle a été conçue quatre mois
après une fausse couche qui a bouleversé ses parents : « Jusque-là, nous n’avions connu aucun problème. »
Pendant la grossesse, ses parents n’ont cessé de trembler, d’autant qu’ils ont vécu tous deux une série de
décès dans leurs familles respectives. Au cinquième mois de grossesse est morte l’arrière-grand-mère dont
le père était très proche ; au septième mois, la grand-mère de la maman de Julie qui faisait fonction de mère
pour elle est décédée. Vu l’avancement de son état, elle a dû renoncer à accompagner sa grand-mère dans
ses derniers instants alors qu’elle y tenait beaucoup, et à aller à son enterrement. Deux aïeux, « piliers » des
familles paternelle et maternelle, ont donc disparu avant même la naissance de Julie. Sa venue au monde
s’est faite dans un climat endeuillé ; elle a reçu pour troisième prénom celui de la grand-mère maternelle
bien-aimée. Elle représente le « rayon de soleil » de cette sombre période. « Elle est en vie, c’est un
cadeau », la preuve tangible que la vie continue et celle qui permet à ses parents de ne pas s’effondrer. Deux
mois après sa naissance, deux autres décès ont ébranlé cette famille. La vie de cette enfant s’est inscrite
d’emblée dans ce jalonnement de morts et de deuils importants pour ses parents fragilisés.

La première consultation a lieu avec Julie et sa mère, la seconde avec Julie et


son père dix jours plus tard. Chaque parent parle avec émotion de cet
enchaînement de pertes, trop lourdes et trop rapprochées pour pouvoir en
ébaucher le deuil : « On aurait aimé qu’ils la connaissent, ils ne la verront
jamais… on n’a plus personne à qui envoyer des photos des enfants ! » Dans un
climat aussi pesant, on comprend que les premiers mois de la vie de Julie aient
été mouvementés. Ses parents ne la laissent jamais pleurer, contrairement à ce
qu’ils faisaient avec leurs deux autres enfants. Julie va maintenant à la crèche.
Elle en revient très fatiguée, prend son bain avec son frère et sa sœur et joue
pendant le dîner des grands. Elle s’endort dans un tel état d’épuisement qu’il
n’est pas possible d’instaurer le moindre rituel pour l’accompagner au lit. Le
mercredi, elle va à la crèche pendant que sa mère s’occupe des deux aînés. Elle
passe peu de temps seule avec ses parents. Mais entre 22 heures et 4 heures du
matin, elle réveille la maisonnée et ne se rendort qu’après avoir été bercée ou
prise dans le lit des parents.
Après ces deux consultations, les réveils nocturnes diminuent peu à peu. Julie
ne se réveille qu’une fois et se rendort après avoir bu un biberon d’eau. Elle est
couchée plus tôt, dès l’apparition des premiers signes de fatigue, et vit un rituel
de coucher assez long et riche en câlins. Dans la journée, elle partage plus de
moments seule avec l’un de ses parents. Trois semaines plus tard, ses parents
m’annoncent que Julie dort désormais de 18 h 30 à 6 h 30 du matin sans se
réveiller. Ils respectent son rythme même si, autour d’eux, on trouve que cet
horaire laisse à désirer. Julie avait sans doute ressenti le chagrin de ses parents et
la demande implicite qui lui était faite de les réconforter. Ses réveils intempestifs
ont pu rassurer ses parents sur le fait qu’elle était bien en vie dans un tel contexte
de mort. Eux ont pu, lors de ces consultations, déposer le poids de leur chagrin
par rapport à ces aïeux très investis, évoquer leur solitude nouvelle et leur
impossibilité à faire jusqu’à présent leur travail de deuil en raison de l’arrivée de
Julie, accueillie comme une reprise de la vie après pareille hécatombe.

« La grande sœur se met dans le lit du bébé »

Marie est une petite fille de 3 ans gaie et facile. Elle joue bien et imagine une foule d’histoires à cette
occasion. Elle adore aller à l’école le matin. Ses réveils intempestifs sont apparus avec le déménagement de
la famille, trois mois avant la naissance de sa petite sœur, qui a 6 mois, et se sont accentués depuis sa
rentrée scolaire. N’est-ce pas difficile d’aller à l’école lorsqu’on sait sa mère seule avec un bébé qui vient
d’arriver ? Sa mère n’ose guère s’occuper du bébé devant elle car Marie est ambivalente : tantôt elle est
mignonne avec elle, tantôt elle a des gestes de violence dont elle se culpabilise aussitôt en se mordant. De
plus, Marie est dans une problématique œdipienne affirmée : elle se met souvent en rivalité avec sa mère en
essayant de « la gagner » et ne laisse guère ses parents se parler. Sa mère joue beaucoup avec elle à la
maison mais c’est la nounou qui l’emmène au jardin avec sa petite sœur. La jeune maman reprend son
travail dans trois semaines, sans déplaisir même si cela ne correspond pas pleinement à ses aspirations.

Pendant cette première consultation avec sa mère, Marie joue beaucoup. Tandis que j’écoute sa mère,
j’entends la fillette s’écrier en brandissant deux figurines : « Voilà la mariée et son mari ! »

À l’issue de cet entretien, nous convenons de tenir compte des signes de


fatigue très clairs manifestés par Marie (elle prend son doudou – un T-shirt de
maman – et se couche par terre) pour trouver l’heure du coucher la plus proche
de son cycle biologique ; remettre sa petite sœur dans sa chambre avec elle (à
cause des réveils de Marie, ses parents l’avaient installée ailleurs).
Quinze jours plus tard, je revois Marie et sa mère : « Cela a été radical… elle
dort très bien et ne se réveille plus. Elle est beaucoup plus gaie. » Sa mère passe
plus de temps seule avec elle. Elle réussit mieux à s’occuper du bébé devant
l’aînée, même si celle-ci crie. Son père s’en charge plus le matin, il l’habille,
l’emmène à l’école et en promenade, seul à seule. Marie est ravie de l’attention
que lui accorde son papa.
Pendant que nous parlons, elle manipule des figurines, prend un dinosaure et
lui met dans la gueule un bébé qu’elle appelle Anne (le prénom de sa sœur). Elle
remet le poupon dans son lit et le dinosaure l’attrape dans sa gueule à chaque
fois. Puis une poupée va se mettre dans le lit du poupon. Ses parents la grondent
d’avoir osé prendre la place du bébé et la mettent au coin. Puis la grande sœur se
met dans le lit du bébé avec celui-ci. Elle installe deux lits, un pour le poupon et
un pour la grande sœur (comme si elle acceptait enfin la réalité de l’existence de
cette petite sœur). Les parents dansent car leurs deux enfants sont dans la même
chambre. Puis le bébé danse avec le prince charmant et avec ses parents. Pendant
ce scénario qui se joue devant sa mère et moi, le poupon Anne tombe tout le
temps de mon bureau et Marie le ramasse à chaque fois. Marie peut ainsi jouer
sa rivalité avec sa sœur ; elle décline son ambivalence, son agressivité, son désir
de la faire tomber et en même temps son désir de l’avoir dans sa chambre, son
désir de régresser, d’être ce bébé et peut-être la peur de se faire gronder par ses
parents si elle le faisait. Je pense que le fait que sa mère n’ait pas osé s’occuper
du bébé devant sa fille n’a certainement pas aidé cette dernière à intégrer cette
réalité difficile : avoir, à la maison, un bébé fille qui pouvait lui prendre sa place
et par conséquent une rivale par rapport à son père qu’elle cherche à séduire.
L’attitude de cette mère est une attitude parentale fréquente : en tentant de
préserver l’aîné de la souffrance qu’il peut ressentir à l’arrivée du cadet, on agit
comme s’il était encore un enfant unique ; l’aîné se construit alors sur un déni de
la réalité qui le fragilise et l’angoisse davantage.
Plusieurs problématiques cumulées – la rivalité fraternelle, le désir œdipien
(désir de séduire le père et rivalité avec la mère) – peuvent engendrer des réveils
multiples chez un enfant.

« Je pars le matin comme une voleuse »

Depuis huit mois, Vincent connaît un endormissement difficile, puis se réveille plusieurs fois par nuit avant
d’atterrir dans le lit de ses parents où il ne dort pas davantage. Ce petit garçon de 23 mois a dû intégrer un
trop grand nombre de changements en peu de temps.

Sa mère lui a annoncé qu’elle attendait un bébé quatre mois après son début de grossesse : il avait alors
1 an. Depuis quelque temps elle était très fatiguée et Vincent très demandeur. Ses réveils intempestifs
s’étaient accentués dès le début de la grossesse, alors que sa mère ne lui en avait pas encore parlé.

La grossesse de sa mère a été difficile. Il allait à la crèche alors qu’elle était en congé de maternité. Les
nourrices de la crèche expliquaient à Vincent que sa maman partait travailler alors qu’elle rentrait se
reposer.

Il a commencé à marcher à 15 mois, au moment où ses parents ont déménagé : il est passé d’un appartement
à une maison, d’un petit lit à un grand lit. À 16 mois, il a eu un petit frère. Il n’a plus eu droit à sa
« tototte ». Alors il s’est mis à sucer son pouce et a pris un doudou.

Combien de fois ai-je vu des enfants sachant, avant même leur mère, que
celle-ci était enceinte ! Ils posaient des questions sur l’arrivée d’un bébé,
tapaient sur son ventre ou la collaient davantage, ce qui surprenait la maman
d’autant qu’elle ignorait encore son état ; ou bien ils présentaient des troubles du
sommeil ou de comportement (colères ou pleurs) depuis le début de la grossesse.
Vincent est un petit garçon très sociable. Il ne parle pas correctement mais
joue bien et de façon déjà autonome. Sa mère est habituée à répondre
immédiatement à ses sollicitations. Elle ne diffère pas la satisfaction de ses
désirs par une stratégie d’attente. Quand il se réveille, il hurle ; elle accourt
aussitôt, peut-être pour éviter que son mari ne le recouche de façon trop
« musclée ».
Je souligne deux points importants dont ces parents peuvent tenir compte.
Leur fils montre des signes de fatigue très précis qui déterminent l’heure de
passage de son train du sommeil : il a les arcades sourcilières rouges, bâille, suce
son pouce et prend son doudou. Pas moyen de se tromper ! D’autre part, son lit
se situe dans une partie de la chambre d’où il ne peut voir la porte d’entrée,
située dans un renfoncement. Le lit doit être déplacé de telle sorte que Vincent
puisse voir cette porte et identifier immédiatement ceux qui entrent. Et la tête de
lit sera dans un coin, ce qui est plus sécurisant. Six jours plus tard, j’apprends par
téléphone que Vincent dort très bien depuis cette unique consultation. Il s’endort
beaucoup plus vite, ne se réveille plus qu’une fois dans la nuit, tout en se
rendormant rapidement.
Trois mois plus tard, je le revois avec ses parents. Après ce répit, la situation
s’est de nouveau dégradée suite à une maladie où il a eu quarante de fièvre. À
ses réveils s’ajoutent des cauchemars, sans doute en rapport avec l’hostilité à
l’encontre de son petit frère qui grandit et polarise l’attention et les soins (pour
cause d’eczéma) de sa mère et de sa grand-mère maternelle. On ne lui laisse
guère exprimer – du moins en mots – sa colère contre son cadet. Son père lui
lance : « Puisque tu dis que ton petit frère n’est pas beau, toi non plus tu n’es pas
beau ! » Il est pourtant indispensable que les parents permettent à un aîné
d’exprimer par le langage tout ce qu’il ressent envers le cadet, qu’ils
comprennent cette souffrance. D’autre part, la séparation du matin est trop
rapide : sa maman part « comme une voleuse » à 8 heures. Il serait bon de passer
un temps spécifique avec Vincent avant de le quitter. Enfin, les deux frères ont
des prénoms à consonance très proche. Il est possible que cette similitude ne
facilite pas la différenciation de chacun et renforce la rivalité de l’aîné envers
son frère cadet. Comment un petit enfant de 23 mois peut-il intégrer tant de
nouveautés et de changements dans sa vie de tous les jours ? Le rôle des parents
n’est-il pas de doser et de filtrer les stimuli internes et externes susceptibles de
provoquer trop de tensions chez leur enfant, stimuli dont il ne sait que faire et
qui l’envahissent alors complètement ?

« Elle touche mes jouets ! »

Je reçois Juliette, âgée de 3 ans, et sa mère pour une première consultation. Depuis deux mois, elle se
réveille en hurlant, vers 2 heures du matin, surtout, puis les heures suivantes. Juliette a une petite sœur de 10
mois qui commence à se déplacer et à manifester une présence grandissante : « Elle touche mes jouets ! »
me dit Juliette en colère. Un lit à barreaux vide occupe sa chambre depuis deux mois et demi : sa petite
sœur dort encore dans la chambre des parents ou dans le couloir… Il est difficile pour un enfant d’accepter
que le bébé soit dans la chambre de ses parents la nuit. Il vit cette situation comme la marque d’une
préférence ; plus on serait proche des parents spatialement, plus on serait aimé d’eux, a fortiori si l’on
partage l’intimité de leur chambre. De plus, le fait que le lit du bébé soit vide doit renvoyer cette petite fille
au souhait fantasmé de la faire disparaître (fantasme fréquent et banal chez la plupart des enfants qui voient
arriver d’un mauvais œil un bébé rival).

Juliette est gardée avec sa sœur à la maison par une dame car elle ne va pas encore à l’école. Sa mère part à
9 heures et rentre à 19 heures, son père à 20 heures. Les deux enfants dînent avec leur mère devant un film à
la télévision ou pendant qu’elle leur lit un livre ou répond au téléphone. Ce repas a lieu dans la hâte. Quels
échanges peuvent se faire ? Dès le retour du papa, la fête bat son plein : il s’occupe beaucoup de ses filles.
Puis le coucher a lieu dans la précipitation. L’injonction maternelle « Ça suffit » clôt brutalement la soirée.
La jeune femme a beaucoup de mal à se séparer de ses filles ; elle ne les appelle pas dans la journée « car ce
serait trop dur ». Son mari, lui, trouve qu’elle s’extasie trop souvent sur le bébé et qu’elle dit trop à Juliette
combien sa sœur est mignonne. Cela ne peut que contribuer à accentuer la rivalité envers la cadette.

Juliette joue bien dans mon bureau… Son père met les limites avec gentillesse et humour et sa fille les
accepte bien. Sa mère, plus anxieuse et facilement débordée, les pose plus brutalement, ce qui amène
l’enfant à se rebiffer un peu. À la fin de notre entretien, il est décidé que la petite sœur de Juliette dormira
désormais dans le fameux lit à barreaux… Le berceau vide restera encore dans la chambre des parents :
« Ma femme en a encore besoin. »

Je recommande que le repas soit pris dans une atmosphère calme et ne soit pas
interrompu par les sonneries intempestives du portable ou les images sonores
d’une vidéo ou de la télévision. Si nécessaire, il sera avancé pour que les enfants
aient le temps de jouer après. Des activités ritualisées conduisent désormais les
fillettes avec douceur vers le coucher, afin qu’elles ne soient pas surprises et
acceptent mieux la séparation du soir. Une semaine plus tard, la mère de Juliette
me téléphone : sa fille ne se réveille pratiquement plus la nuit.

Des signaux à interpréter

À la lumière de mon expérience de clinicienne, je considère les réveils


multiples comme l’équivalent d’une colère, un clignotant ou plutôt une sonnerie
d’alarme que l’enfant met en marche pour exprimer son mal-être ; il dit ainsi
qu’il n’en peut plus. Les facteurs les plus fréquents et susceptibles de provoquer
des réveils intempestifs sont :
– le cumul de changements, dans l’environnement d’un bébé ou d’un enfant,
sur une très courte période, qui lui fait perdre ses repères (naissance d’un cadet,
déménagement, maladie touchant des proches de la famille, changement de
mode de garde entraînant une rupture avec la personne de référence qui
s’occupait de lui jusque-là, changement de chambre ou de lit, reprise du travail
par la mère, perte d’emploi pour l’un des parents, etc.) ;
– un contexte de mort et/ou d’angoisse de mort (maladie grave ou décès de
l’un des parents ou des proches, maladie grave de l’un des enfants de la fratrie
ou perte d’un enfant par fausse couche ou mort subite, mort d’un proche dans
l’enfance d’un des parents qui fait toujours souffrir) ;
– le dialogue insuffisant des parents avec l’enfant au moment des retrouvailles
le soir (par exemple, les tâches ménagères et/ou des coups de fil happent les
adultes, le dîner est pris tard, ou devant la télévision, ce qui ne laisse aucun
moment de répit ou de détente avant le coucher) ;
– l’aménagement insuffisant de la séparation du soir (l’enfant est mis au lit
rapidement, sans rituel rassurant, d’où des tensions et des réactions) ;
– la modification de la donne familiale (rivalité de l’aîné plus marquée à
l’encontre d’un cadet qui empiète sur son territoire, grossesse de la maman non
dite ou venant d’être annoncée, le fait que le bébé rival dorme encore dans la
chambre des parents ou commence à se déplacer et à marcher ; les
manifestations de rivalité qui apparaissent alors sont mal acceptées par
l’entourage) ;
– enfin, pour le couple parent-enfant, ces réveils intempestifs peuvent devenir
un moyen de se retrouver la nuit alors qu’on s’est peu rencontrés durant le jour ;
ce sont des moments de partage, de complicité et de plaisir qui peuvent
contribuer à maintenir ce symptôme apparemment gênant.

Quelques repères

Bien que les problèmes nocturnes se règlent lorsqu'on se préoccupe de ce


qui se passe le jour, voici tout de même quelques recommandations pour la
nuit afin de ne pas renforcer ces troubles :

• Assurez-vous tout d'abord qu'il n'y a pas de problème de santé.
• Rassurez l'enfant en lui parlant, en le caressant, évitez de le sortir de son
lit ou de le prendre dans vos bras : il peut interpréter ce geste comme
signe que la nuit est finie.
• Évitez de lui donner à manger ou à boire à partir du moment où il est bien
réglé, qu'il ne fait plus que quatre repas et que l'alternance jour/nuit est
bien intégrée.
• Redonnez-lui son doudou ou sa tétine.
• Tamisez les lumières, parlez à voix basse.
• Soyez fermes, expliquez-lui que la nuit, tout le monde dort, que la nuit
n'est pas terminée, que papa et maman dorment ensemble et ne sont pas
contents d'être dérangés.

Notes
Notes
29. Ce trouble psychosomatique sans gravité mais impressionnant apparaît entre la première et la
troisième année. À l’occasion d’une contrariété ou d’un refus, l’enfant se met à sangloter très fort
au point d’en arriver à bloquer sa respiration. L’apnée peut se prolonger et aller jusqu’à la perte
de conscience. La crise dure de quelques secondes à une minute puis la reprise de conscience se
fait spontanément. Ensuite l’enfant est un peu abattu. Voir Léon Kreisler, Michel Fain et Michel
Soulé, L’Enfant et son corps.
30. Électrodes placées sur la poitrine de l’enfant et reliées à un écran qui enregistrent, en
permanence, ses rythmes cardiaque et respiratoire.
31. Comme tous les bébés souffrant d’un reflux gastro-œsophagien, Rémi avait été mis en
proclive pour dormir, c’est-à-dire avec une inclinaison du lit à trente degrés.
32. Façon dont l’enfant est porté, et manière d’assurer ses soins quotidiens. Le holding diminue
peu à peu au fur et à mesure de la maturation de l’enfant. Particulièrement étudié par Winnicott,
il assure une protection contre toutes les expériences angoissantes que le bébé peut éprouver dès
sa naissance.
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La peur du noir et les rêves

« La nuit s’avançait. Comme un chat qui vient


de repérer une souris et qui est sûr de la tenir sous
peu entre ses crocs. »
Philippe Claudel, Le Rapport de Brodeck

Victor Hugo, dans Les Misérables, décrit superbement les peurs qui étreignent
Cosette lorsqu’elle traverse seule la forêt pour aller chercher de l’eau :

« L’obscurité est vertigineuse. Il faut à l’homme de la clarté. Quiconque s’enfonce dans le contraire du jour
se sent le cœur serré. Quand l’œil voit noir, l’esprit voit trouble. Dans l’éclipse, dans la nuit, dans l’opacité
fuligineuse, il y a de l’anxiété, même pour les plus forts. Nul ne marche seul dans la nuit sans tremblement.
Ombres et arbres, deux épaisseurs redoutables. Une réalité chimérique apparaît dans la profondeur
indistincte. L’inconcevable s’ébauche à quelques pas de vous avec une netteté spectrale. On voit flotter,
dans l’espace ou dans son propre cerveau, on ne sait quoi de vague et d’insaisissable comme les rêves de
fleurs endormies. Il y a des attitudes farouches sur l’horizon. On aspire les effluves du grand vide noir. On a
peur et envie de regarder derrière soi. Les cavités de la nuit, les choses devenues hagardes, des profils
taciturnes qui se dissipent quand on avance, des échevellements obscurs, des touffes irritées, des flaques
livides, le lugubre reflété dans le funèbre, l’immensité sépulcrale du silence, les êtres inconnus possibles,
des penchements de branches mystérieuses, d’effrayants torses d’arbres, de longues poignées d’herbes
frémissantes, on est sans défense contre tout cela. Pas de hardiesse qui ne tressaille et qui ne sente le
voisinage de l’angoisse. On éprouve quelque chose de hideux comme si l’âme s’amalgamait à l’ombre.
Cette pénétration des ténèbres est inexprimablement sinistre dans un enfant. Les forêts sont des apocalypses
et le battement d’ailes d’une petite âme fait un bruit d’agonie sous leur voûte monstrueuse.

Sans se rendre compte de ce qu’elle éprouvait, Cosette se sentait saisir par cette énormité noire de la
nature. »

Jusqu’à environ 2 ans, l’obscurité n’angoisse pas l’enfant, contrairement à ce


que pensent certains parents quand ils entendent leur petit enfant pleurer au lit, la
nuit. Plus que le noir, c’est la séparation qui peut être angoissante pour lui. Le
premier mois de sa vie, le bébé ne distingue pas la nuit et le jour. Son sommeil
est seulement interrompu par sa soif de lait et de câlins. Lorsqu’il commence à
différencier le jour et la nuit entre le premier et le troisième mois (espacement
des repas de nuit et pleurs de fin de journée), il associe la nuit à une séparation
plus longue d’avec ses parents et non encore à l’obscurité.
Après 2 ans, la nuit devient un moment où la vie psychique de l’enfant se
développe et vient envahir sa tête et peupler sa chambre. Il peut imaginer et
transformer ce qui l’entoure (bruits, objets) en un univers persécuteur
particulièrement effrayant. L’imagination au pouvoir et surtout ses émotions le
tenaillent. Il a encore du mal à séparer son monde interne et le monde externe, à
différencier l’imaginaire de la réalité et il commence à projeter sur l’écran noir
de la nuit ses angoisses, sa culpabilité, son agressivité, son ambivalence. Ses
nuits se peuplent alors de châtiments (monstres, fantômes, voleurs, animaux
terrifiants) auxquels il croit avoir droit, en raison des colères, rages et désirs qui
l’animent et qu’il est loin de dominer. Après cette longue séparation de la nuit,
retrouvera-t-il ceux qu’il aime ? Ne vont-ils pas disparaître dans le trou noir ? De
plus, la nuit, que font ensemble papa et maman ? À la période œdipienne, c’est
difficilement supportable. Les troubles du sommeil font partie des stratégies
efficaces de l’enfant pour séparer les grands la nuit et les empêcher de se
retrouver.
Plus grand, en fin de primaire, l’enfant peut rester dans le noir sans peur ; il
s’angoisse seulement de ne pas réussir à s’endormir. Il dit ne penser à rien, il ne
s’autorise pas de rêveries, mais se polarise sur la venue du sommeil et les
conséquences désastreuses qu’aurait le fait de ne pas dormir (ne pas être en
forme le lendemain, avoir de mauvaises notes, se faire gronder). L’enfant est
comme figé, faisant barrage à tout ce qui pourrait surgir de sa vie intérieure.

Dans le silence de la nuit

Des bruits qui rassurent ou terrifient, les couvertures où on se cache pour ne


pas être dévoré par les monstres qu’on sent près de soi ou pour continuer à lire
avec sa lampe de poche malgré l’heure tardive et les interdits des parents, les
craquements du parquet, le vent qui siffle dans les persiennes, la pluie qui
tintinnabule sur les tuiles, un chien qui hurle à la mort, des voix qui transpercent
le silence, des disputes qui arrivent plus ou moins amorties, des soupirs et des
cris énigmatiques, le miaulement d’un chat, des pas dans l’escalier, des souffles
derrière la porte, des ombres inquiétantes ou magiques qui se dessinent sur les
murs, au plafond, derrière les volets, des lumières mouvantes qui surgissent du
dehors ou d’autres pièces, les objets familiers qui revêtent leurs costumes de
fantômes ou de monstres : une scénographie que les enfants connaissent où se
mêlent étroitement réalité, chimères et fantasmes, frustrations et désirs, sexualité
et pulsions agressives.
« Il craint la nuit qui engloutit les formes et les couleurs, et le jette
brutalement dans le désarroi. C’est alors qu’il étreint Magnus contre sa poitrine,
comme un dérisoire bouclier de tissu et qu’il lui susurre des bribes d’histoires
33
incohérentes à l’oreille », écrit Sylvie Germain.
Dans le noir, le familier devient autre, il y a de l’inquiétante étrangeté, les
yeux ont du mal à se fermer et les oreilles restent à l’affût des sons exacerbés.
Seul, séparé de ses parents, l’enfant se retrouve avec lui-même et ses pensées.
L’horizontalité du corps immobile peut faire penser à la mort ou être propice à la
découverte de son corps, de ses zones érogènes, et aux débuts de l’excitation
sexuelle. Dans le noir, l’enfant s’interroge aussi sur ce que font les parents
pendant ce temps-là.
Le noir, c’est également l’obscur qui est en soi, ce qui est enfoui et nous gêne
(désirs, jalousies, rages de frustrations, petites hontes, méchancetés, vilaines
pensées), la part d’inconnu de nos mondes intérieurs à la fois si proches et si
lointains. Et la peur du noir s’intensifie en fonction du degré d’hostilité, de rage
et de culpabilité que l’on ressent. Plus la culpabilité est grande, plus le noir est
menaçant : je me sens vilain de penser de telles choses et donc on va venir me
punir.

Depuis que son petit frère commence à se déplacer, Bruno a très peur du noir au point de ne plus pouvoir
s’endormir qu’avec la grande lumière. Cette peur se développe en fonction de l’hostilité grandissante qu’il
ressent pour ce petit frère qui se déplace, touche ses affaires et surtout grandit comme lui. Et tout le monde
s’extasie sur ce petit qui fait ses premiers pas…

Betty, 7 ans, a très peur du noir depuis quelques mois. J’apprends qu’elle a dû, pendant un an, aller avec sa
mère, chaque jour après l’école, voir son grand frère appareillé et en rééducation dans un centre. Elle s’y
ennuyait beaucoup. Au retour de son frère à la maison, quand la vie familiale a repris normalement, ses
parents ont fait un autre bébé garçon qui a monopolisé l’attention des parents et avec lequel elle devait
souvent jouer quand sa mère était occupée. Elle n’osait pas dire là encore qu’elle n’en avait pas envie.
Après quelques séances où Betty a pu exprimer son ressenti, son ras-le-bol, sa peur du noir a diminué et ne
l’a plus paralysée comme avant : « Ça va, ça vient. Quand je dois monter dans ma chambre et qu’il fait nuit,
je cours et je crie pour faire partir les monstres. »


Alice a 8 ans, ses parents sont séparés. Elle vit très douloureusement cette séparation et ne sait plus très bien
où elle en est. Tout s’est brutalement brisé pour elle. Son père est parti et vit avec une nouvelle compagne
qui a déjà un enfant. Alice vit chez sa mère, qui tient le coup comme elle peut. Depuis la séparation de ses
parents, Alice a beaucoup de problèmes pour s’endormir : « Le noir, ça transforme et ça déforme les
choses ! » La fillette me décrit ses peurs du noir, qui diffèrent selon le foyer où elle habite : « Chez papa,
j’ai peur la nuit mais j’arrive à me lever, à traverser l’appartement et à aller jusqu’à sa chambre pour lui dire
que j’ai peur. Chez maman, j’ai tellement peur que je ne peux même pas sortir mon bras de dessous la
couette pour atteindre l’interrupteur et allumer. Je suis figée, je ne peux pas bouger. » Du coup, Alice
n’essaie plus de dormir seule et va directement dormir dans le lit de sa mère.

Chez son père, Alice trouve que tout va bien ; il n’est jamais énervé, elle s’y amuse beaucoup et c’est
souvent la fête. Elle veut d’ailleurs aller vivre chez lui, ce qu’elle ne s’est permis de dire à personne… Mais
chez sa mère, l’ambiance manque de gaieté : elles ne font pas grand-chose les week-ends et sa mère
s’énerve tout le temps. Alice ne supporte plus le cycle disputes/réconciliations avec elle.

On voit que la peur du noir de cette petite fille est proportionnelle au degré d’agressivité qu’elle ressent.
Elle éprouve une si grande colère contre sa mère triste qu’elle craint d’en être punie fortement, et projette
alors ses peurs sur la nuit qui devient persécutrice et terrifiante. Chez son père où les relations sont
meilleures et l’atmosphère plus légère, sa colère est moindre ; elle lui en veut cependant d’être parti. Sa
peur du noir se calme rapidement, dès qu’elle peut voir ce qui se passe dans la nouvelle chambre conjugale
de son père. Les monstres qui hantent les nuits d’Alice sont ainsi plus terribles chez sa maman que chez son
papa.

Comment rassurer votre enfant ?

Dans la journée, veillez à ce qu’il puisse :


– jouer seul et rester seul dans une pièce, hors du regard d’un adulte, de plus
en plus longtemps ;
– jouer à cache-cache ;
– passer d’une pièce à l’autre sans angoisse.
Le soir, le rituel du coucher est incontournable. Il est conseillé de lire une
histoire en baissant la lumière pour s’approcher peu à peu avec lui de la
pénombre. Vous pouvez aussi faire ensemble de petits jeux calmes dans le noir.
Une veilleuse ? Pas avant 2 ans, la peur du noir n’apparaît pas avant.
N’oublions pas que la mélatonine, hormone de l’endormissement, est sécrétée
dans l’obscurité. Mettez une veilleuse de faible intensité pour que votre enfant
ne soit pas trop éclairé. Choisissez-en une qui soit seulement une petite source de
lumière et qui n’ait pas d’yeux, de nez, de bouche, ce qui effraierait votre enfant.
Attention aux grandes ombres que peut donner toute source lumineuse.
Faut-il laisser la porte ouverte ou fermée ? La porte entrouverte rassure la
plupart des enfants mais ceux qui ont tendance à voir des monstres préfèrent
qu’elle soit fermée pour les empêcher d’entrer. Si certains préfèrent la porte
fermée pour être tranquilles, d’autres auront à cœur qu’elle reste ouverte pour
entendre les bruits de la maisonnée et suivre d’une certaine façon ce qui s’y
passe pendant qu’ils sont dans leur lit.

La capacité de rêver

Le besoin que le bébé manifeste et sa non-satisfaction produisent un certain


degré de tension interne. Pour calmer cette tension si elle n’est pas trop forte et
remédier au manque, le bébé va développer des processus hallucinatoires
primaires, c’est-à-dire les premières mentalisations destinées à colmater son état
de frustration : le bébé hallucine – c’est-à-dire invente – le sein quand il ne l’a
pas. Si le biberon arrive dans la prolongation de son fantasme, une confiance se
crée. Mais pour combler le manque et être porté à halluciner, il est nécessaire
que le bébé ait connu des expériences satisfaisantes et des sensations liées aux
zones érogènes. Si les relations précoces ont été perturbées ou non satisfaisantes,
le bébé ne s’endormira pas ou se réveillera vite.
34
C’est le manque qui crée la pensée , à condition que le manque et les
frustrations ne soient pas trop importants pour que le bébé puisse les supporter et
développe ses premières mentalisations à l’origine de la rêverie. La bonne
distance mère-bébé apparaît comme un élément fondamental de la naissance de
la pensée chez le bébé. Si la mère investit trop son enfant et le comble en
permanence, celui-ci ne pourra expérimenter le manque ; il ne développera pas
de comportements autoérotiques d’apaisement ni de mentalisation hallucinatoire.
Si la mère le comble trop tard, l’enfant est détruit par ses projections agressives
sur le monde extérieur. Le rôle du père est primordial pour le développement de
la pensée de l’enfant, puisqu’il joue un rôle de séparateur du bébé d’avec sa
mère et de nomination du monde extérieur. C’est lui aussi qui vient en amoureux
reprendre la mère à l’enfant, lui signifiant qu’il n’est pas l’unique objet d’amour
de sa mère. Le fait que la mère désinvestisse un peu son bébé pour retrouver son
partenaire sexuel crée un petit manque ; le bébé hallucinera le retour de sa mère.
Pour s’endormir, l’enfant sécure va mettre en place des conduites liées au
plaisir à fantasmer, notamment la rêverie : « L’enfant se laissera bercer par ses
35
rêveries qui deviendront l’élément inducteur, nécessaire au sommeil . »
Les rêveries (appelées aussi rêves diurnes ou rêves éveillés) sont des images
qui vont progressivement s’inscrire dans des scénarios. L’enfant réalise des
fantasmes conscients où il est à la première personne et souvent à la même place.
Ce sont, la plupart du temps, des scénarios stéréotypés où reviennent les mêmes
désirs.
La rêverie au lit permet un repli sur soi avec une polarisation sur des images,
en même temps qu’une restriction progressive des mouvements du corps. Elle
assure un espace transitionnel nécessaire à l’endormissement, à mi-chemin entre
le dehors et le dedans, entre le monde extérieur et la réalité psychique. Le sujet
se retire progressivement du monde et se sépare de ses figures d’attachement.
Cette rêverie est gouvernée par le principe du plaisir, c’est une mise en images
36
de désirs conscients, une orchestration faite par l’enfant lui-même, un playing ,
c’est-à-dire un jeu où l’enfant entre dans un univers où tout se déploie librement
sans règles. La rêverie, c’est jouer sur l’autre scène et aussi aborder ce qui fait
souffrir ou rend heureux, c’est la toute-puissance, tout autoriser, tout créer, c’est
la réparation, c’est pouvoir exprimer des désirs agressifs sans se faire gronder,
c’est s’identifier plus au loup qu’au Petit Chaperon rouge, c’est jouer sur tous les
tableaux, éprouver l’arsenal des « comme si », franchir et transgresser les
interdits, chercher le trésor, trouver les clés magiques qui ouvrent ce qui est
caché et défendu. « C’est revivre le passé sous une forme absolument
satisfaisante – c’est-à-dire conforme à la toute-puissance du désir face aux
exigences de la réalité –, pouvoir revivre dans le présent un passé sans ombre ni
conflit dont on aurait gardé la nostalgie, revenir à ce temps d’avant la parole, ce
37
temps des débuts du fonctionnement psychique et de l’inconscient . »
Mais la rêverie, quand elle n’est qu’un enchaînement de ruminations
angoissées, peut empêcher la régression indispensable à l’endormissement :
l’enfant ne s’autorise pas de rêveries-plaisirs et ne développe que des thèmes
d’impuissance, d’échec, de dévalorisation, de culpabilité. Il pense aux contrôles
du lendemain, à la leçon qu’il ne sait pas bien, au copain avec lequel il est fâché,
à l’énervement de son père, etc. Ses ruminations (que l’on retrouve dans
l’insomnie de l’adulte) sont si angoissantes qu’il va difficilement réussir à se
calmer seul et recourir à l’un de ses parents pour s’apaiser.
Les rêves nocturnes, qui apparaîtraient vers 2 ans – quand l’enfant peut
verbaliser une image ou une suite d’images –, assurent la fonction de gardien du
sommeil. Le rêve nocturne réalise un accomplissement du désir et protège le
sommeil en permettant que des représentations inacceptables, des désirs refoulés
parviennent au système conscient. Chez les petits enfants, les rêves subissent peu
de déformations. Ils apportent la réalisation directe mais hallucinatoire d’un
désir, en relation avec un événement qui a eu lieu la veille. Chez les enfants plus
grands comme chez les adultes, les productions oniriques sont déguisées et font
apparaître de façon voilée, pour échapper à la censure intérieure, des
problématiques dont le sujet n’a pas conscience, grâce aux procédés mis en
évidence par Freud : la figuration (représentation d’images visuelles surtout), la
condensation (réunion en une représentation simple de plusieurs pulsions) et le
déplacement (déguisement, en représentations inoffensives, des pulsions
gênantes).

Les enfants ont-ils encore le temps de rêver ?

Ils n’ont plus le temps de s’ennuyer ; leur temps est compartimenté par
des activités extrascolaires, par leurs émissions à la télévision ou leurs
parties solitaires de jeux vidéo. De plus en plus d’enfants s’endorment
devant la télévision de leur chambre, peuvent-ils encore rêver après ?
Quand utilisent-ils leur imaginaire ? Quand sont-ils avec eux-mêmes et leur
espace intérieur ? C’est seulement au moment du coucher qu’ils peuvent se
retrouver avec eux-mêmes et voir surgir leur vie intérieure. Ne la vivent-ils
pas comme étrangère à eux-mêmes ? Les monstres sur écran vidéo leur sont
beaucoup plus familiers que les émotions fortes qu’ils ressentent comme
monstrueuses et qui les habitent. Permettons aux enfants de s’aventurer au
risque de l’ennui et d’accéder à leurs rêveries !

Notes
33. Sylvie Germain, Magnus.
34. Voir Bernard Golse, Du corps à la pensée.
35. Léon Kreisler, Michel Fain et Michel Soulé, L’Enfant et son corps.
36. Winnicott distingue deux formes de jeu : le game, avec des règles, et le playing, sans règles.
37. Sophie de Mijolla lors d’une conférence à Saint-Vincent-de-Paul.
8
Peur des monstres, cauchemars et terreurs nocturnes

« Les rêves, c’est quand ça reste dans la tête, les


cauchemars, c’est quand ça vient dans la
chambre. »
38
Un enfant de 3 ans

Vous venez de coucher votre enfant. La maison est enfin calme, vous vous
retrouvez entre adultes et tout à coup des hurlements percent le silence : « Y a un
monstre dans ma chambre ! » Votre enfant ne dort pas, une ombre ou la forme
d’un objet familier déformé par l’obscurité lui fait peur ou bien il a entendu un
craquement non identifié ! Ce sont les monstres de la nuit qui viennent lui
rendre visite au moment où il se retrouve seul dans son lit, dans la pénombre.
La soirée est bien avancée, vous n’êtes pas encore couché, votre chérubin dort
tout son soûl depuis quelques heures et, tout à coup, des hurlements fusent et
déchirent la profondeur de la nuit. Vous vous précipitez dans sa chambre, il est
hagard, comme possédé, assis, tout en sueur, il ne vous répond pas, se débat puis
se rendort comme si de rien n’était. C’est une terreur nocturne.
Vous dormez comme un bienheureux. La journée a été longue et tout le
monde se repose dans la maisonnée. La nuit est déjà avancée. Et vous entendez
dans l’épaisseur du silence : « Y a un loup, y a un loup qui veut me manger ! »
Votre enfant crie dans son lit, tremble et s’accroche à vous ou arrive en courant
dans votre chambre, bardé de son doudou et de sa tétine. Il ne veut plus vous
quitter et ne veut surtout pas retourner dans sa chambre. C’est un cauchemar.
Le lendemain, il vous en reparle et, le soir, il a peur de rester seul dans cette
chambre maudite dans laquelle le loup risque de revenir.
Entre 2 et 6 ans, période des grandes acquisitions, de la découverte du monde
extérieur et de l’autonomisation, les soirées et les nuits sont souvent agitées. Si
les cauchemars font partie de la vie normale de tout individu, petit ou grand, les
monstres et les terreurs nocturnes ne surgiront que chez certains enfants, à des
moments particuliers de leur développement.
Regardons de plus près ces manifestations d’angoisse bien différentes, trop
souvent confondues.

Les monstres de la nuit

Ce phénomène ne concerne pas tous les enfants. L’enfant, éveillé, voit ou


entend des monstres dans sa chambre, sous le lit, dans les placards, par la fenêtre
et reste terrifié dans son lit. Soit il essaie de s’en protéger en se cachant sous sa
couette, accompagné d’objets censés terrasser le monstre, soit il hurle et ne peut
s’endormir que si l’un de ses parents demeure auprès de lui.
« Même à la maison, à l’heure du coucher, le pays de l’Imaginaire devenait
toujours un peu sombre et inquiétant ; il y rôdait des ombres noires ; le
rugissement des fauves s’élevait, menaçant… Heureusement, il y avait les
veilleuses », peut-on lire dans Peter Pan.
Ces monstres surgissent principalement entre 3 et 6 ans, quand l’enfant lutte
entre ses désirs œdipiens et les interdits (le désir de se rapprocher du parent de
sexe opposé et donc de supplanter le rival de même sexe). Le monstre menaçant
qui surgit du noir figurerait le parent que l’enfant aimerait évincer et qui vient le
punir.
Faut-il vérifier dans les placards ou sous le lit si le monstre s’y cache ? La
réponse est oui… et non. Il convient de voir avec votre enfant ce qui fonctionne
le mieux et le rassure le plus. Par exemple :
– Mettre un objet qui le protège, un doudou (animal en peluche réputé fort
comme un chien ou un lion), une épée ou fusil (en plastique bien sûr).
– Poser des limites non extensibles au rituel du coucher.
– Lui rappeler que les monstres n’existent pas, que c’est son imagination qui
s’emballe et les fabrique, qu’ils sont dans sa tête et pas dans sa chambre.
– Mettre une veilleuse qui ne fasse pas de trop grandes ombres.
– Lui rappeler qu’il n’est pas tout seul, que vous êtes là et que vous l’aimez.
– Ne plus dormir avec lui (vous réaliseriez alors ses fantasmes œdipiens, ce
qui accroîtrait sa culpabilité), ne plus prendre de bain avec lui, lui laisser laver
seul ses organes génitaux et ses fesses, ne plus se montrer nu et respecter sa
pudeur, remplacer de plus en plus les gestes tendres, le contact peau à peau, les
câlins par des mots tendres, un dialogue et une écoute.
Le cauchemar

Ce rêve terrifiant ou angoissant survient le plus souvent en deuxième partie de


nuit, lorsque les périodes de sommeil paradoxal augmentent. La violence des
émotions ressenties n’est plus contenue par les images du rêve. C’est un rêve qui
tourne mal. Ce rêve d’angoisse n’est plus le gardien du sommeil mais devient
persécuteur, il réveille le rêveur au lieu de lui permettre de continuer à dormir.
L’enfant crie, pleure, appelle, se lève et peut décrire, s’il parle, ce qui lui faisait
peur. Il reconnaît ses parents et cherche à être consolé car sa frayeur se prolonge
après son réveil. Les images ont du mal à s’estomper, l’enfant, qui ne différencie
pas encore très bien la fiction et la réalité, a l’impression que ce qu’il a vu en
rêve est vrai. Aussi craint-il de se recoucher seul et éprouve-t-il des difficultés à
se rendormir. Le cauchemar apparaît très tôt mais on peut le dénommer comme
tel seulement quand l’enfant arrive à mettre en mots l’image qu’il a vue.
Le cauchemar met en scène les angoisses fondamentales des enfants :
séparation, abandon, solitude, dévoration, persécution, impuissance, mort des
parents ou de soi. Peuplé de personnages qui agressent et protègent, le
cauchemar permet à l’enfant d’exprimer ses peurs tout au long de son
développement. C’est un exutoire, il permet d’évacuer des émotions fortes et
hostiles envers les siens, ses figures d’attachement, d’exprimer des conflits et
des tensions internes. « Un rêve, ça vide la tête, un cauchemar, ça la remplit »,
me disait une fillette de 5 ans et demi.
Les cauchemars de nos enfants sont peuplés d’animaux inquiétants : loup,
ours, serpent, crocodile, araignée, chien, guêpe, abeille, animaux préhistoriques.
Se côtoient des hommes en noir, avec de grands couteaux, des vampires, des
fantômes, des sorcières, des brigands ou des monstres mi-animaux, mi-humains.
Tout ce monde habite des grottes ou des cavernes, se terre dans des greniers ou
des caves, est maître de châteaux imposants, arpente des forêts et traverse des
eaux tumultueuses ou étrangement calmes. Ça se passe le plus souvent dans la
pénombre, l’obscurité où se font entendre des bruits bizarres et où le rêveur peut
sentir des frôlements, des souffles non identifiables qui le terrifient et le
tétanisent. Parfois il essaie de s’enfuir, parfois il n’arrive plus à bouger devant
l’agresseur tout près de lui.
La période la plus propice aux cauchemars se situe entre 2 à 6 ans. Les
grandes acquisitions comme la marche conduisent le petit à s’éloigner
physiquement des parents, à se sentir donc moins protégé, à découvrir le monde
extérieur avec les interdits répétés de protection émis par les parents. C’est aussi
la période œdipienne où l’enfant cherche à conquérir le parent de sexe opposé et
à éliminer le rival de même sexe. Il peut connaître l’entrée à l’école, l’arrivée
d’un petit frère ou d’une petite sœur, un changement de garde, un
déménagement, la séparation des parents, le départ du meilleur copain, la
maladie ou la mort d’un proche. Ces étapes qui sont de grands changements dans
la vie d’un enfant peuvent entraîner une floraison de cauchemars. Et puis la vie
psychique se développe, avec le déferlement des pulsions, de sentiments
contradictoires pour ceux qu’il aime, son ambivalence, ses mauvaises pensées,
ses petites hontes.
Quand un enfant fait un cauchemar, le parent est dans l’obligation de le
rassurer et de le consoler. Même si le loup ou la sorcière ne sont pas réels, la
peur, elle, l’est bien et peut tenailler l’enfant plus ou moins fortement. L’enfant
se sentira grand quand il réussira à se débrouiller seul avec ses cauchemars et à
ne plus réveiller ses parents.
Mais comment repérer un vrai cauchemar ? « Cauchemar » peut devenir un
mot magique qui fait accourir le parent sans risque de se faire gronder, ce qui est
un gros avantage. Si votre enfant est terrifié, tremblant, parle de sa vision
horrible, c’est un vrai cauchemar. S’il est fringant et ne semble pas terrifié, ça
n’est pas du tout un cauchemar.
Les bénéfices secondaires des cauchemars sont grands : lorsqu’un enfant fait
un vrai cauchemar, un des parents accourt et le couvre de câlins, reste auprès lui.
Ainsi, l’enfant récupère de bons liens malgré l’hostilité qu’il a pu manifester
dans son cauchemar.

Margaux vient de rêver que son petit frère se faisait dévorer par un loup. Malgré l’expression inconsciente
de son hostilité ou jalousie envers ce petit frère, exprimée dans le cauchemar, elle est dorlotée par ses
parents, ce qui la conforte dans l’idée qu’elle n’est pas si « méchante » que ça et qu’ils l’aiment toujours
très fort.

« Comme je fais des cauchemars dans ma chambre, je vais dans la chambre de ma mère parce que je crois
qu’y a pas de cauchemars », dit une autre fillette de 5 ans et demi.

Doit-on lui reparler de son cauchemar ? Oui, si votre enfant le souhaite,


non, si ça lui fait peur. Mais il ne faut surtout pas chercher à le lui interpréter.
Certains enfants dessinent leur cauchemar et ça les soulage (la plupart du temps,
les monstres dessinés ne sont guère terrifiants). Les parents peuvent même
enfermer le cauchemar dans une boîte pour rassurer leur enfant.
Quand doivent-ils inquiéter ? Si ces cauchemars sont très fréquents,
plusieurs par nuit ou par semaine, s’ils sont intenses au point que l’enfant a du
mal à être consolé et à se rendormir, si les images le poursuivent dans la journée
ou s’il refuse d’aller se coucher par peur d’en refaire, si les contenus se répètent
et surtout si son comportement change dans la journée, il est bon, alors, d’aller
consulter pour mieux comprendre ce qui se passe.
Les cauchemars sont normaux et inhérents au développement et à la vie de
tout individu. Les parents sont pourtant surpris et décontenancés lorsque survient
le premier cauchemar de leur enfant, comme s’il remettait en cause leur fonction
protectrice de bons parents. Ne l’ont-ils pas suffisamment protégé, n’ont-ils pas
localisé et éliminé les sources probables de peurs et de situations
traumatisantes ? N’ont-ils pas éliminé toute histoire trop effrayante ? Un univers
meurtrier, peuplé de monstres et de méchants, vient balayer l’univers douillet
qu’ils pensaient avoir construit pour lui. Or les parents n’ont aucun pouvoir
sur les rêves de leur enfant ni sur son inconscient. Mais ils peuvent augmenter
son sentiment de sécurité en l’entourant bien, en écoutant son ressenti, dans la
journée, surtout quand survient un événement important et en faisant, au moment
du coucher, un rituel qui l’apaise. Il sera ainsi moins déstabilisé par le
cauchemar qu’il fera.

Depuis huit mois, Zoé, 8 ans, est réveillée la nuit par des cauchemars. Sa mère pense que c’est à cause des
programmes télévisés. En effet, le soir, le dîner familial se passe devant la télévision. Sa mère, qui travaille
dans la journée, reconnaît ne pas être disponible le soir pour ses enfants. Quand Zoé va chez ses grands-
parents maternels, elle n’a pas de cauchemars ; au moment du coucher, sa grand-mère discute avec elle. Zoé
est une petite fille très sociable qui travaille bien et a beaucoup de copines. Depuis quelques mois, ses
grands-parents paternels sont très malades. Ressent-elle les inquiétudes de ses parents à leur sujet et leur
moindre disponibilité ?

Les cauchemars incessants de la fillette conduisent sa mère à rester près de son lit ou à chasser son mari du
lit conjugal quand elle vient les rejoindre dans la nuit. Son père finit sa nuit dans le lit de sa fille…

Comment un enfant vit-il les repas pris devant le journal télévisé, comment
absorbe-t-il la noirceur et le catastrophisme de ce qui est présenté, en discute-t-il
ou doit-il rester muet pour ne pas déranger ? Comment cette enfant peut-elle
aller se coucher sereinement avec les images des morts du journal télévisé qui
circulent en toile de fond du repas de famille ? Cela ne renforce-t-il pas
l’angoisse existant déjà, à la maison, en raison de l’état de santé de ses grands-
parents ? Par ses cauchemars, Zoé parvient à attirer l’attention de sa mère la nuit,
trop occupée le jour pour parler avec elle.
Les terreurs nocturnes

Les terreurs nocturnes ou éveils partiels avec hurlements sont des troubles du
sommeil impressionnants mais seulement pour les parents : l’enfant n’en n’a pas
conscience et à son réveil ne s’en souvient absolument pas. Elles apparaissent
une à trois heures après le coucher, dans la période de sommeil lent profond.
L’enfant est confus et a des manifestations neurovégétatives : il est en sueur, a le
cœur qui bat très vite et s’agite. Il peut se débattre, avoir les yeux hagards,
hurler, sangloter, s’asseoir dans son lit, se lever, courir. Il ne vous reconnaît pas
et semble vivre une scène terrifiante, il est comme possédé, tourmenté, il
n’entend ni ne comprend ce que vous lui dites, il ne peut communiquer avec
vous. La crise dure quelques secondes ou quelques minutes. Et il se rendort seul.
La fréquence de survenue des terreurs nocturnes est variable.
Il ne faut surtout pas chercher à calmer ou à réveiller votre enfant à ce
moment-là, il est dans un sommeil très profond. Essayer de le calmer n’a aucun
effet et le pousse à se débattre et à s’agiter davantage. Les parents ne doivent
rien faire, ce qui leur est très difficile car ils ont l’impression que leur enfant
souffre beaucoup, mais il faut le surveiller au cas où il ferait des mouvements
trop brusques risquant de le faire tomber de son lit, au cas où il se lèverait ou
quitterait la chambre. L’interroger au réveil est inutile puisqu’il ne garde pas le
moindre souvenir de cette terreur nocturne, mais lui poser des questions sur ce
qui le préoccupe peut aider à améliorer la situation.
La terreur nocturne est essentiellement de l’« agi », elle n’obéit pas à une
élaboration mentale ni à une symbolisation, à l’inverse du cauchemar. Ce n’est
pas un rêve d’angoisse. Il n’y a pas d’images. C’est un emballement de son
système neurovégétatif. Les données électro-encéphalographiques ont permis de
préciser la période de sommeil pendant laquelle elle survenait, à savoir le
sommeil lent profond et non le sommeil paradoxal comme pour le cauchemar et
les rêves. Si les terreurs nocturnes ne disparaissent pas ou sont trop fréquentes, il
est bon d’aider l’enfant à les surmonter grâce à quelques séances auprès d’un
psy.
Il y a deux causes aux terreurs nocturnes :
– Une cause physiologique : une carence de sommeil (moins de onze heures
par nuit) ou la suppression de la sieste avant 3 ans peut entraîner des terreurs
nocturnes. L’enfant, trop fatigué, s’endort directement en sommeil lent profond,
qui est le sommeil de récupération physique, il a du mal à alléger son sommeil
entre les différents stades.
– Une cause psychologique : les enfants qui font des terreurs nocturnes sont le
plus souvent des enfants qui retiennent leurs émotions (hostilité, colère) dans la
journée, on ne sait jamais s’ils sont contents ou non, ils sont par exemple très
gentils avec leur frère ou sœur, ne s’autorisent pas à exprimer leur jalousie
envers ce bébé qui capte trop l’attention de ses parents.

Théo a 3 ans et 2 mois. Ses terreurs nocturnes ont débuté il y a quatre mois, quand ses parents ont mis sa
petite sœur de 5 mois dans sa chambre. Pourquoi cela pose-t-il problème puisque Théo est très gentil avec
elle ? Il n’exprime aucune agressivité envers elle, et pourtant !
39
Née avec une fente palatine , la petite sœur mobilise toute l’attention de sa mère pour des raisons médicales
pendant les cinq premiers mois de sa vie, au détriment de l’aîné. Au cours de la même période, Théo a
comme « perdu » son père. Jusque-là très présent, cet homme a connu des problèmes professionnels
importants qui l’ont retenu à son travail. Théo a pu attribuer l’indisponibilité de son père à l’arrivée du bébé
et se sentir insécurisé par la perte de ce fort appui paternel au moment où il en aurait eu le plus besoin,
l’appui maternel étant lui aussi défaillant en raison des nombreux rendez-vous médicaux pour la petite
sœur.

Pendant la consultation, sa mère l’appelle à plusieurs reprises « petit Théo » ; il nous interrompt
constamment alors qu’il joue, en disant : « Je ne peux pas, je suis trop petit. » Au lieu d’être valorisé
comme grand par rapport au bébé, il est considéré comme trop petit. Quelle place peut-il avoir quand ce
n’est ni celle d’un bébé ni celle d’un grand ? On comprend que l’arrivée de sa sœur dans sa chambre ait
suscité quelques remous, matérialisés dans les terreurs nocturnes. Que de chagrins, colères et manifestations
de rivalité ou d’agressivité ce petit garçon a dû contenir ! Il se peut également que Théo ait trouvé le moyen
d’attirer l’attention de sa mère en se montrant trop petit, ce qui implique inévitablement son aide.

Quinze jours plus tard, je revois Théo et sa maman. Il dort mieux, a peu de
terreurs nocturnes, une ou deux par semaine au lieu d’une par nuit. Désormais,
Théo extériorise fortement son agressivité vis-à-vis de sa petite sœur : elle n’a
plus le droit de rien faire ni de toucher ses jouets, il est même violent avec elle,
la bouscule, lui donne des coups de pied. Les terreurs nocturnes ont diminué
quand l’expression de l’agressivité est devenue possible et permise dans la
journée. La violence qui s’exprimait dans les terreurs nocturnes peut maintenant
s’adresser directement à l’intéressée, à savoir sa sœur cadette. Au cours de cette
dernière consultation, Théo joue bien tout seul et ne nous interrompt plus par ses
manifestations d’impuissance et d’appel à l’aide.

Depuis six mois, Inès a des terreurs nocturnes qui apparaissent vers 23 heures. Elle a 6 ans et travaille très
bien au cours préparatoire. Sa maîtresse se plaint de sa turbulence et du fait qu’elle « pique les copines des
autres ». Inès a deux petits frères, un de 3 ans et demi et l’autre de 10 mois. Au cours de mon unique
entretien avec sa mère, je peux mettre au jour l’origine de ses terreurs nocturnes et de sa turbulence.
Quand Inès avait 11 mois, sa mère est tombée enceinte. Elle ne l’a annoncé à sa fille qu’au cinquième mois
de grossesse. Deux mois plus tard, elle a subi une interruption thérapeutique de grossesse à cause d’une
infection virale ; le fœtus était une petite fille « très jolie ». Rien n’a vraiment été expliqué à Inès, sa mère
lui en a parlé brièvement, craignant sans doute de craquer devant sa fille (elle lui a dit que le bébé n’avait pu
rester là) et n’a manifesté devant elle aucun chagrin. Inès avait alors 18 mois. La jeune femme n’a guère été
soutenue par son mari et a vécu son deuil et son chagrin dans la solitude. Après la perte de son bébé, elle
aurait souhaité partir en voyage avec son mari pour pouvoir oublier ; cela ne s’est pas fait, à son grand
regret. La mère d’Inès a pris des antidépresseurs et changé de travail pour s’éloigner de l’endroit où elle
avait fait son avortement thérapeutique. Elle a commencé à somatiser beaucoup. Trois mois après cette
interruption de grossesse, elle était enceinte du premier petit frère d’Inès.

Aujourd’hui, elle me parle du regret d’avoir perdu cette petite fille si jolie qu’elle a vue, qui aurait été une
compagne de jeu idéale pour Inès. À la date anniversaire de la mort de ce bébé, cinq ans après, elle fond en
larmes et comprend que ce deuil n’est pas fait. Elle me parle également de la mort de ses frères jumeaux
cadets, sur la sépulture de laquelle elle devait se rendre chaque année avec ses parents. Elle me dit, à cette
occasion, l’impossibilité de faire une cérémonie pour son bébé perdu : « Je ne me sentais pas d’attaque. »
Ainsi cette jeune femme a traversé seule, tant bien que mal, le chagrin consécutif à la perte de sa deuxième
fille ; cela a réactivé le vécu en rapport avec la perte de ses frères et le bouleversement familial qui s’est
ensuivi.

On comprend pourquoi Inès « pique les copines des autres » : c’est comme si
elle cherchait à combler le vide laissé par le bébé fille disparu du ventre de sa
mère et dont on ne lui a pas vraiment parlé, vide existant en fait sur plusieurs
générations puisqu’il y a eu la mort des frères jumeaux de la mère. Comme ces
deuils n’ont pu se faire chez sa mère et peut-être chez sa grand-mère, elle
exprime, dans la réalité, ce qui n’a pu être dit. Après cette unique consultation
qui n’a concerné que sa mère, les terreurs nocturnes de la fillette ont disparu.

Cauchemars Terreurs nocturnes

Chez tous les


Oui. Non.
enfants ?

Toute la vie, occasionnellement, à partir de


À quel âge ? Entre 3 et 6 ans surtout.
2 ans.

À quelle Première partie, en sommeil lent


période de la Seconde partie, en sommeil paradoxal. profond (trois premières heures après
nuit ? le coucher).

Le cerveau continue de dormir, mais le


Nature du rêve Rêve d’angoisse qui réveille le dormeur.
corps s’agite et s’emballe.

Il s’assoit dans son lit, a l’air hagard,


Comportement Il crie, pleure, appelle, se lève. Il est terrifié
possédé comme s’il voyait une scène
de l’enfant et tremblant.
d’horreur, transpire. Son cœur bat vite.

Rien, mais surveiller que l’enfant ne


Rien, mais surveiller que l’enfant ne
Que faire ? Le réconforter, le prendre dans ses bras, lui tombe pas, ni ne se lève. Il se rendort
dire que c’est dans sa tête seulement, dans seul après quelques minutes.
son imagination, que « ce n’est pas vrai ».

Il s’en souvient, parle de l’image qui lui fait


Au réveil Aucun souvenir. Ne pas lui en parler.
peur. En reparler s’il en a envie.

Enfants qui s’expriment peu dans la


Quel type
Tous. journée, intériorisent tout, en
d’enfants ?
particulier leur hostilité et leur colère.

Arrivée d’un frère ou d’une sœur.


Arrivée d’un frère ou d’une sœur. Entrée au
Contexte Entrée au CP. Séparation des parents.
CP. Séparation des parents. Déménagement.
psychologique Déménagement. Maladie ou mort d’un
Maladie ou mort d’un proche.
proche.

Contexte
Aucun en particulier. En manque de sommeil.
physiologique

Si la frayeur persiste dans la journée et


Quand faut-il l’empêche de s’endormir ; si c’est trop Si c’est fréquent (plusieurs fois par
consulter ? fréquent ; si son comportement change dans nuit ou par semaine).
la journée.

Notes
38. Rapporté par Jean-Bertrand Pontalis dans Fenêtres.
39. Ce qu’on appelle familièrement un « bec-de-lièvre ».
9
L’insomnie joyeuse

« Il était si peu question de moi que souvent la


gouvernante oubliait de me faire coucher. »
Honoré de Balzac, Le Lys dans la vallée

D’autres troubles du sommeil comme l’insomnie joyeuse peuvent aussi attirer


l’attention. Moins spectaculaires que les monstres, les cauchemars et les terreurs
nocturnes, ils ne doivent pourtant pas être négligés par les parents.

Une petite fille de 3 ans, dont les parents, tous deux sous antidépresseurs, étaient sur le point de se séparer,
chantait dans son lit jusqu’à minuit. « J’ai peur que tu m’oublies », dit-elle un jour à ses parents pour
expliquer son activité musicale débordante, la nuit.

Cléa a presque 3 ans. La nuit, elle se réveille, ouvre toutes les crèmes qu’elle trouve et s’en barbouille, ou
bien elle promène sa poupée dans la nuit. Cléa est arrivée après deux filles et ses parents auraient bien aimé
avoir un garçon comme troisième enfant. Ils ont été déçus. Comme elle s’amuse bien seule, on ne joue
guère avec elle ou alors elle va jouer avec ses sœurs. Ses parents sont très occupés et préoccupés :
problèmes professionnels, déménagement, mort d’une sœur de son grand-père maternel très proche quand
elle avait 5 mois. Ils n’ont guère de temps pour elle. Elle va avec une baby-sitter au parc et, le soir, elle joue
seule pendant que sa mère s’occupe des devoirs des grandes. Elle a peut-être grandi trop vite dans le sillage
de ses sœurs et non à son rythme. A-t-elle eu le temps d’être le bébé de ses parents ? Comment se faire une
place après ses deux sœurs ?

Cet état d’excitation apparaît essentiellement dans la seconde moitié de la


nuit : l’enfant se réveille, joue, rit, parle, chante et parfois se lève pour aller
chercher des jouets ou de la nourriture. Cela dure plusieurs heures jusqu’à ce
qu’il se rendorme au petit matin. Cette insomnie bruyante est joyeuse : l’enfant
ne demande pas d’aide, il n’est pas angoissé mais excité. Il s’agit d’un trouble de
40
l’humeur, d’une défense maniaque contre le risque dépressif, le plus souvent
causé par une carence relationnelle entre la mère et son enfant (pas de
disponibilité réelle pour lui) et un climat familial lourd (maladie de l’un des
proches, intervention chirurgicale ou séparation d’avec la mère, parents à la vie
professionnelle et sociale très accaparante). Cette anxiété s’accompagne
fréquemment d’une opposition à l’entourage : par ses manifestations bruyantes,
l’enfant finit par réveiller tous ses proches.

« C’est triste, ce désert humain dans lequel j’ai été élevée… »

Lucas est un petit garçon de 2 ans et 9 mois qui a toujours assez peu dormi jusqu’à l’âge de 16 mois. Après
une rémission passagère, il recommence à mal dormir. Après s’être endormi facilement, il se réveille entre
minuit et 2 heures du matin, chante, discute, vient dans le lit de ses parents dans lequel il continue de
discuter. Il se rendort au petit matin, entre 5 et 6 heures et se réveille en pleine forme. Il va à l’école depuis
peu.

Il a été habitué à avoir une nourrice dans sa chambre. Aussi, dès que quelqu’un dort près de lui, il ne se
réveille pas. Treize mois seulement le séparent de son frère aîné : sa mère a dû assumer deux bébés en
même temps. Quand il est né, la jeune femme passait beaucoup de temps avec son fils aîné et voyait surtout
Lucas la nuit : « Quel plaisir que d’être seule avec lui pour lui donner le biberon ! »

Depuis trois mois, Lucas va à l’école. Son père a été opéré trois fois du cerveau. Cela fait quinze jours
seulement que ses parents sont vraiment rassurés sur la réussite des interventions chirurgicales. On
comprend qu’ils aient été très préoccupés par cette succession d’opérations graves qui les a rendus moins
disponibles. Or la première rentrée scolaire, véritable temps fort dans la vie d’un enfant, nécessite toujours
un accompagnement parental. Dans un tel climat d’inquiétude concernant la santé et l’avenir du père de
Lucas, cette rentrée, avec ses joies et vicissitudes, n’a sans doute pas été investie par les parents comme ils
l’auraient fait habituellement. Deux dames sont à la maison pour assurer l’intendance ainsi que la garde des
enfants. L’une dormait dans la chambre de Lucas pendant cette période de fortes inquiétudes. Chaque
garçon a sa chambre.

Ni l’état de santé de leur père, ni le fait qu’il ait subi de graves interventions chirurgicales n’ont été
explicités aux enfants. Ils n’ont pas vu leur papa à l’hôpital car ses absences ont été mises sur le compte de
ses voyages d’affaires habituels. Il est évident que Lucas a ressenti l’angoisse de ses parents, une angoisse
d’une autre nature que si son père était en voyage d’affaires ! Il est toujours indispensable de dire à un
enfant, si petit soit-il, ce qui touche l’un de ses parents, que ce soit une maladie ou la perte d’un proche. Si
l’on garde le silence, l’enfant se sent comme à l’origine des angoisses ou chagrins qui tenaillent ses parents,
les rendent moins disponibles et moins gais, et il s’en culpabilise.

Pour le rituel du coucher, la mère de Lucas lui raconte une ou plusieurs histoires : ce rituel est extensible car
elle se méfie des conventions strictes et rigides des nurses. Lucas s’endort pendant que sa mère lui chante
une chanson. Ses parents sortent beaucoup, « trop souvent » selon elle, « trop peu » selon son mari.
Lorsqu’ils sortent, ils ne couchent pas les enfants eux-mêmes. La vie de famille à quatre est rare : s’ils
restent à la maison le soir ou le week-end, le père invite du monde et prépare lui-même les repas. Les week-
ends, la mère sort seule avec ses deux fils, accompagnée d’une amie ou de son frère. Son mari se joint
rarement à eux. Elle se souvient que Lucas a commencé à bien dormir quand ils ont réussi à passer des
vacances tous les quatre.

La jeune femme m’explique qu’elle s’occupe de ses fils à tour de rôle, jamais des deux à la fois. Si elle en
emmène un avec elle, elle laisse l’autre à la maison. Sa propre mère travaillait beaucoup et menait une vie
mondaine et sociale très active. Elle-même a été élevée par des nurses rigides ; le mercredi était le seul jour
de la semaine où sa mère s’occupait d’elle et de son frère, elle les conduisait à leurs activités respectives,
chacun son tour ; elle appréciait ce rare moment où elle était enfin seule avec sa mère. Aujourd’hui elle
tente de restituer à ses fils ce plaisir ancien et de compenser la sévérité des nurses en choisissant des
nourrices chaleureuses et généreuses. D’autre part elle craint, en faisant preuve d’autorité, de reproduire la
sévérité de sa mère : « Quand je le suis, j’ai l’impression de l’entendre », d’où sa difficulté à mettre des
limites. Ses parents sont décédés avant ses 20 ans. Ses fils n’ont donc pas de grands-parents maternels : « Je
suis la seule transmission » et, en même temps, elle innove en s’occupant de ses enfants et s’est toujours dit
qu’elle ferait « différemment avec eux… C’est triste, ce désert humain dans lequel j’ai été élevée… le peu
de choses maternelles que j’ai reçues, c’est de ma grand-mère ».

Le père de Lucas a eu aussi des parents dont la vie professionnelle et sociale les empêchait de s’occuper
vraiment de leurs enfants. Ses parents ont divorcé quand il avait 2 ans. Son père a aujourd’hui deux enfants
de l’âge de ses petits-fils. Le père de Lucas a eu une mère très peu présente, ce dont il a beaucoup souffert.

Lors de la première consultation, je reçois Lucas et sa mère. À la deuxième,


un mois plus tard, le mari les accompagne comme je l’ai souhaité. La mère de
Lucas s’efforce d’être plus présente à son retour de l’école. Sa chambre, que je
lui ai demandé de dessiner lors de notre première rencontre, a été réinstallée :
son lit, qui tournait le dos à la porte, a été mis dans un coin d’où il voit
directement la porte. Dans sa chambre se trouvaient une bibliothèque et des
affaires de ses parents, des cartons vides, « c’était un couloir où étaient
entreposées des choses, un débarras », et Lucas avait ses jouets dans celle de son
frère, mieux aménagée. Désormais tous ses jouets se trouvent dans sa chambre.
Il y joue donc plus souvent.
Huit jours plus tard, j’apprends par téléphone que ça va beaucoup mieux :
Lucas a passé quatre nuits sans se réveiller. Ses parents reçoivent leurs amis plus
tard et ne préparent le dîner qu’une fois leurs enfants couchés. Le père joue avec
ses fils, ce qui lui arrivait très peu : il ne s’était pas rendu compte que son fils
souffrait. La mère a pris conscience du bien-fondé de la fermeté. Les colères de
Lucas diminuent : « Il va mieux, c’est impressionnant, il est plus joyeux
qu’avant et beaucoup plus souvent. Moi, je m’en occupe toute la soirée. La
première consultation m’a permis d’agrandir la place de Lucas, de l’accepter tel
qu’il était avec ses troubles et de comprendre sa souffrance. Vu le faible écart
d’âge avec l’aîné, je n’ai pas eu le temps de lui faire de la place. Je n’ai plus peur
de ses colères car je sais qu’il souffre. La prochaine fois, je n’attendrai plus aussi
longtemps pour voir un thérapeute. »
Un mois plus tard, je reçois la mère de Lucas : elle est partie seule avec ses
deux fils en vacances sans nounou. Auparavant Lucas avait passé deux
mauvaises nuits : « Nous étions sortis tous les soirs cette semaine-là, je n’avais
pas été assez présente. » Elle conclut : « Dans nos deux familles, il faut tout
reprendre et réinventer. »
On voit ici combien le trouble du sommeil d’un enfant rend compte d’une
souffrance qu’il ne peut plus contenir et fait écho à celle de ses parents,
contraints de jouer leur rôle sans modèles et de lutter contre les fantômes
douloureux qui hantent leur chambre.

« Je veux faire des trucs de grande ! »

Les parents d’Audrey n’en peuvent plus. Depuis sept mois, leur fille de 8 ans déambule toutes les nuits dans
l’appartement en duplex jusqu’à 3 heures du matin : elle joue bruyamment dans sa chambre, finit par
réveiller sa petite sœur, monte l’escalier qui mène à la chambre de ses parents, tire plusieurs fois la chasse
d’eau des WC voisins, ouvre la porte de l’alcôve conjugale : « L’important pour elle, c’est de nous
réveiller », disent ses parents. Audrey est l’aînée de trois enfants : son frère a 6 ans, sa sœur 2 ans. Trois
consultations ont lieu en l’espace de quatre jours.

Après la première consultation avec la mère seule, je demande qu’Audrey soit couchée plus tard que son
frère et sa sœur pour la valoriser et la reconnaître dans son rôle d’aînée. Lors du deuxième entretien avec la
fillette et son père, je demande à la recevoir seule un moment après qu’elle a fait ma connaissance. Nous
parlons. « J’arrive pas à rester dans mon lit, j’ai besoin de faire des choses, des choses de grande. J’ai pas le
droit de faire la cuisine, le ménage. J’ai jamais le droit d’aider ! » Ses parents travaillant beaucoup, une
nounou assure la maintenance de la maison. Elle ne laisse pas Audrey la seconder, confectionner un gâteau
ou faire son lit, comme pourrait le faire une mère. Elle est payée pour cela et ne comprendrait pas que la
fille de la maison l’aide. Les employées de maison ne peuvent pas toujours saisir ce rôle éducatif primordial
qui est de permettre aux enfants de faire pour qu’ils apprennent, réussissent à faire seuls et acquièrent de la
confiance. Audrey ajoute : « Faut bien que j’apprenne à faire quelque chose ! » En outre, quand ses parents
sont présents, ils la mettent en garde : « “Attention, t’es trop petite !” Tout le monde dit que je suis trop
petite pour tout, “tu vas en mettre partout… tu vas te couper…” Je ne peux jamais faire quelque chose toute
seule sans que quelqu’un dise : “Arrête, c’est pas pour toi !” J’ai pas le droit de m’occuper de ma petite
sœur, je veux faire des trucs de grande ! »

La revendication est claire et Audrey manifeste son mécontentement et son


désespoir en agressant ses parents par son tapage nocturne. Elle explore la
maison de fond en comble, sans personne sur le dos, faute de pouvoir le faire le
jour. À la fin de mon entretien avec Audrey seule, je la félicite. Elle vient de
faire un vrai « truc de grande » en trouvant elle-même la solution à ses
problèmes. Puis, avec son accord, j’explique à son père ce qu’elle avait si
clairement formulé et cherchait à dire dans ses insomnies actives et bruyantes.
Deux jours plus tard, ses parents arrivent sans leur fille. Elle leur a confié un
message pour moi : « Dites-lui que tout va bien maintenant ! » Ses parents la
trouvent plus gaie. Ils lui parlent différemment et la laissent faire plus de choses
à la maison quand ils sont là ; ils ont demandé à la nounou d’adopter la même
attitude. Ils se sont rendu compte du désarroi de leur fille et de leur tendance à
l’arrêter dans ses élans identificatoires d’activité et d’exploration pour grandir.
Bien sûr, on peut s’interroger sur l’attitude des parents d’Audrey. À quoi cela
renvoie-t-il dans leur propre histoire ? Mais le problème n’est pas là. Lorsque les
parents consultent le psy pour un trouble du sommeil, il ne me paraît pas
nécessaire d’aller plus loin que ce qu’eux ou l’enfant demandent. Le symptôme a
disparu, leur fille a recouvré sa gaieté. Ils n’expriment pas d’autre besoin. Il est
important de respecter le cheminement de l’enfant et celui de ses parents. Si
certains désirent poursuivre plus avant, ils engageront peut-être un jour un travail
personnel sur eux-mêmes. Le rôle du psy en l’occurrence n’est pas d’asséner une
interprétation sur un comportement ; cela serait sauvage et ne pourrait que
bloquer la situation et accroître les résistances, mais de les accompagner pour
retrouver des nuits calmes, d’écouter et d’accueillir ce qu’ils ont à dire. Il est
évident que si une demande plus personnelle surgit, le psy l’entendra et aidera à
son élaboration. Il n’est d’ailleurs pas rare que quelques mois ou quelques
années après cette consultation de sommeil, l’un des parents sollicite une aide,
cette fois-ci, de travail psychothérapeutique ou psychanalytique, pour lui-même.

« Nous, on a envie de dîner tranquilles »

Les troubles du sommeil de Lydie, tout juste 2 ans, sont très récents puisqu’ils ont commencé il y a quinze
jours : difficultés d’endormissement et réveils nocturnes sans anxiété avec désir de jouer. Depuis quinze
jours, son père travaille beaucoup, ne la voit plus le matin, ne l’emmène plus à l’école et s’éclipse les week-
ends à cause de son travail. Sa femme vit très mal cette situation et a l’impression de tout assumer seule. De
plus, le couple s’est rendu à de nombreuses soirées.

Depuis un mois, d’autres changements sont intervenus dans le quotidien de Lydie : en raison du
déménagement dans un appartement deux fois plus grand, elle dort dans une immense chambre sans sa
sœur, elle est passée d’un lit à barreaux à un lit de grande et est devenue propre la nuit. Que de changements
à intégrer en un aussi court laps de temps ! Je ne suis pas étonnée d’apprendre qu’à la crèche, il n’y a aucun
problème et que personne n’a remarqué de variations dans son comportement : Lydie est restée dans la
même crèche, le seul endroit où rien n’a bougé et elle n’a rien à y revendiquer.

Lors de la consultation, je remarque que cette enfant est particulièrement insécure. Elle ne se permet pas
d’explorer ce nouveau lieu ou d’y jouer : elle reste collée à sa mère et se love souvent dans ses bras. Elle ne
va pas du tout vers son père. Ce n’est qu’à la fin de cette longue consultation, après avoir fait le plein de sa
maman, qu’elle va vers lui pour chahuter. Par son comportement et ses pitreries, elle a tendance à attirer
notre attention pendant notre discussion. Elle n’investit aucun espace à elle et n’agit que pour provoquer des
réactions des adultes présents. Elle ne parvient pas à se séparer de ses parents, a fortiori la nuit. Elle ne joue
pas dans mon bureau, tout comme elle ne joue pas chez elle. Lydie voit sa mère peu de temps le soir, une
demi-heure d’échanges restreints qui peuvent être entrecoupés d’appels téléphoniques. Son père rentre à
l’heure où elle dort. Quand sa mère arrive, elle a déjà pris son bain et dîné. La jeune femme ne travaille pas
le mercredi : elle consacre cette journée à la sœur aînée de Lydie tandis que la plus petite va en crèche. En
effet, elle souhaite que l’aînée ne souffre pas de la venue de ce deuxième enfant qu’est Lydie.

Lydie est née quatorze mois après sa sœur. Ce faible écart entre ses deux
enfants de même sexe n’a pas aidé leur mère à les différencier. Elle les confond
quelquefois et ne peut attribuer correctement les dates d’acquisitions ou
d’événements les concernant : « Est-ce la première ou la deuxième ? » Peut-être
Lydie a-t-elle besoin de faire beaucoup de pitreries pour se distinguer de son
aînée ? Le déménagement l’a aussi propulsée brutalement dans un statut de
grande : grande chambre, dormir seule dans un grand lit, devenir propre la nuit.
Et depuis ce moment, son père qui semblait être très étayant pour sa femme et
ses filles n’a plus que très peu de temps disponible. Le rôle des parents, par leur
fonction de pare-excitation, est de doser les changements que peut subir un
enfant dans son quotidien, de les lui amener progressivement au fur et à mesure
du développement de ses capacités, afin qu’il réussisse à les surmonter au stade
auquel il est parvenu. Lydie est dans un tel état de désarroi qu’elle lutte avec des
défenses maniaques.
J’apprends qu’il y a deux mois, le doudou de Lydie a disparu à la crèche. Le
seul endroit qui semblait préservé de tout changement a, lui aussi, été touché.
Dix jours après, je revois la petite fille avec sa maman : « C’est un peu mieux
la nuit, elle ne se réveille plus qu’une fois mais ne veut toujours pas aller au lit. »
La maman rentre plus tôt du travail, joue davantage avec sa fille et Lydie adore
jouer au bébé avec elle. Nous décidons de renforcer le rituel du coucher. Puis
cette jeune mère évoque son statut difficile d’aînée (« On demande toujours trop
aux aînés ») face à une sœur cadette très proche. Leur différenciation demeure
actuellement problématique : la cadette copie tout ce qu’elle fait, elle a suivi les
mêmes études et exerce le même métier. À l’adolescence, la maman de Lydie a
souvent dû s’occuper de ses frères et sœur, tenir un rôle de maman car ses
parents travaillaient et sortaient beaucoup.
Quinze jours plus tard, les parents de Lydie me préviennent que leur fille dort
bien et qu’ils vont être, à l’avenir, plus attentifs aux signaux d’alerte qu’elle leur
manifestera.

Note
40. Déni des sensations de dépression (vide, mort, tristesse) par des sensations contraires telles la
légèreté, la bonne humeur, l’euphorie pour se rassurer.
10
Chacun son lit

« Ça veut dire qu’ici, à Milan, les tout-petits ne


dorment pas avec leurs parents ? Qui est-ce qui
s’en occupe alors ?
– Ça, c’était avant… Maintenant, c’est fini, les
médecins ordonnent qu’ils dorment seuls.
– Quelle monstruosité ! Et s’ils pleurent et s’il
leur arrive quelque chose ?… Pauvre petit, toute la
nuit tout seul ! Alors qu’il ne parle même pas !…
Et s’ils ne l’entendent pas pleurer ? Et s’il est pris
de coliques sans personne auprès de lui ou s’il
s’étouffe avec le drap ? Et s’il est mordu par un rat
ou par une couleuvre ? Enfin ici, il n’y a pas de
couleuvres, elles ne résistent pas à Milan mais il se
passe tant de choses ! Il doit y avoir plein de
sorcières et plus d’un mauvais jeteur de sorts… !
Pauvre innocent abandonné ! »
José Luis Sampedro, Le Sourire étrusque

La mortalité infantile a été très élevée jusqu’au milieu du XIX siècle. Le


e

sommeil était redouté car il pouvait apporter la mort ; aussi surveillait-on


constamment le nourrisson de crainte qu’une maladie ne vienne l’emporter. On
voulait le maintenir au chaud et entendre ses cris. Ce type d’inquiétude peut
perdurer et pousser les parents à prendre leur enfant dans leur lit.

Partager le lit des parents

En Occident et en zone urbaine, les parents tentent bien souvent de résoudre


les problèmes de sommeil de leur enfant en le prenant avec eux. Lorsque l’enfant
peut sortir tout seul de son lit, il se glisse dans la couche conjugale pendant que
ses parents dorment profondément et, sécurisé, s’y endort aussitôt. Ce co-
sleeping ou partage du lit parental peut ne pas convenir aux adultes, mais ils y
cèdent souvent, à bout de ressources. Dans notre société de concurrence, de
performance et de chômage, ils ne peuvent passer une nuit sans dormir au risque
de conséquences graves sur leur emploi. Ils s’accommodent donc de ce cododo
pour parer au plus pressé.
Les parents qui se sont laissé déborder, sans pouvoir user de fermeté, et
n’arrivent plus à enrayer seuls le processus sont souvent ceux qui consultent.
Gênés dans leur intimité de couple, ils savent que la place de l’enfant n’a pas à
être dans le lieu de leur sexualité ; ils pensent que leur enfant doit réussir à
dormir seul dans le nid douillet qu’ils lui ont construit et, n’y parvenant pas, ils
demandent de l’aide au thérapeute pour que cette situation cesse rapidement.
Dans d’autres consultations, le partage du lit des parents est énoncé avec le
plus grand naturel, sans aucune gêne ni aucun désir que cela cesse. L’enfant dort
avec ses parents, ou surtout avec sa mère, sans que le couple trouve à y redire.
Tout le monde fait comme s’il n’y avait pas de sexualité alors qu’« être au lit
avec son père ou sa mère est, pour Hans comme pour tout autre enfant, une
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source d’émois érotiques ». Il y a érotisation précoce du corps du bébé et de
l’enfant, et dormir avec ses parents lui procure des sensations érogènes fortes
d’autant que le parent de sexe opposé est le premier objet d’amour de l’enfant.
Celui-ci devient comme un partenaire sexuel de son parent. Il est mis dans une
complicité malsaine, où la différence des générations est gommée et où le tabou
de l’inceste perd de son importance. L'enfant est dans la confusion ; il n’occupe
plus sa place d’enfant. Bien qu’il n’y ait aucun passage à l’acte, ses parents
l’emprisonnent dans une relation incestuelle, « ce climat où souffle le vent de
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l’inceste sans qu’il y ait inceste ». Or le respect de la différence des générations
s’avère fondamental pour structurer un individu. En renonçant à être le
partenaire de son parent de sexe opposé – qu’il désire au moment de l’œdipe –,
l’enfant va s’intéresser aux enfants de son âge, apprendre des tas de choses à
l’école, avoir envie de devenir aussi grand que son père et sa mère pour plus tard
fonder un couple comme celui de ses parents.

Antoine, 8 ans, fait des cauchemars impressionnants. Sa mère me dit : « Je n’ai plus envie de me relever,
alors on le prend dans notre lit. » Quand son époux part en voyage, elle fait une place à Antoine dans le lit
conjugal : « Il me rassure. » Son mari cautionne son comportement en demandant au garçon de « prendre
bien soin de maman » en son absence. Ce père n’aurait-il pas déjà fait cela avec sa propre mère ? Depuis
mon intervention, Antoine dort seul. Il fait des progrès à l’école, se fait des amis et demande même à partir
en colonie : « Ça va pas être trop dur pour toi, maman ? » La relation avec son père s’est améliorée : directe,
elle ne passe plus par l’intermédiaire de sa mère.

Cette mère de trois enfants ne peut supporter la solitude dans son lit à deux places pendant les déplacements
de son mari. Il lui faut quelqu’un pour combler le vide, sous menace de faire une dépression, et elle met, à
tour de rôle, chacun de ses enfants dans son lit. Il est délogé par le père à son retour.


Les psychanalystes et spécialistes du petit enfant s’accordent sur le fait qu’un
bébé ou un enfant ne peut partager régulièrement et sur une longue période
la couche de ses parents, ou d’un parent seul, sans entraver gravement son
développement psychique (repli sur soi, inhibition, cauchemars,
culpabilisation).

« Je suis sortie un soir, me raconte la mère de Rachel, 4 ans. Elle avait peur, je l’ai mise dans notre lit avec
mon mari. Il était ravi. Elle a fait pipi alors que cela ne lui arrivait plus du tout. Son père était très heureux
de dormir avec sa fille dans les bras ! » Rachel s’est protégée comme elle a pu de cette situation incestuelle
en pleine période œdipienne.

Mélissa, elle, vomit dès qu’elle est contrariée. À 6 ans, elle dort encore dans le lit de ses parents car elle a
peur de ses nounours ; son père va dormir dans le lit de sa fille. Ses parents craignent sans doute qu’elle
vomisse le soir dans son lit s’ils la contrarient. Si sa mère a de l’autorité, son père ne veut rien lui imposer et
ne supporte pas de la frustrer : il a été trop puni dans son enfance. Quand sa femme gronde Mélissa, il
console aussitôt l’enfant. Mélissa, fille unique, est très gâtée ; elle a presque tout ce qu’elle demande et
réussit même à séparer ses parents la nuit ! Après la première consultation, elle dort dans son propre lit.
Après trois consultations, ses vomissements d’origine psychologique cessent. Elle part trois semaines en
colonie ; son séjour se passe sans qu’elle vomisse et elle dort dans un lit à elle !


Adrien, 3 ans et demi, a de gros troubles du sommeil. Depuis sa naissance, il partage allègrement le lit de
ses parents avec un arsenal lourd : biberon de lait, tétine, yaourt. Il a sa mère pour lui tout seul deux fois par
semaine, lorsque son père travaille de nuit. Malgré le portrait de son papa en uniforme militaire avec le fusil
pointé pour chasser les cauchemars de sa chambre, Adrien n’arrive pas à dormir seul.


Mais prendre un enfant ponctuellement dans son lit pour des raisons
exceptionnelles (fièvre, cauchemar, déplacement) n’est pas dramatique. Cela fait
partie des aléas de la vie de parents.
Pour ce qui est du bébé, les premiers mois après sa naissance, dans la période
d’accordage où mère et père le découvrent autant que lui les découvre, c’est
presque naturel de dormir à côté de lui, de faire une sieste auprès de lui ou dans
la même pièce. En outre, la maman qui allaite sera plus confortable si son bébé a
son lit contre le sien.
Garder le berceau de son bébé à côté de soi, dans la même pièce, ou le mettre
dans une autre pièce ? Tout le monde n’a pas la chance d’avoir ce choix. Pour
ceux qui l’ont, laissons la mère décider. Cela dépendra de la grossesse, de
l’accouchement (si elle a vu son bébé ou en a tout de suite été séparée pour des
raisons médicales), cela dépendra de son « devenir mère » avec son histoire.
Laissons-lui le temps de réussir à se séparer de son bébé la nuit sans anxiété.
Rien ne presse et si au bout de six mois elle n’y arrive toujours pas, son
compagnon pourra peut-être l’aider dans cette défusion en lui montrant son désir
d’amant. Certaines mères ne dormiront pas à côté de leur bébé dès les premiers
jours, elles sont gênées par tous les petits bruits qu’il fait. Donc, ce qui compte
avant tout, c’est le bien-être du bébé et de la maman dans cette période
postnatale délicate de bouleversement de vie.

Caroline arrive, portée dans un kangourou, la tête face à sa mère. Elle a 14 mois. Elle est enveloppée dans
un manteau de portage qui la couvre tout autant que sa maman. Elle paraît beaucoup plus, vu sa grande
taille qui frappe car sa tête, ses jambes et bras dépassent de beaucoup. Sa mère me dit d’emblée : « On fait
du cododo. » Caroline est arrivée après une longue période de vie commune où le couple a pu mener sa vie.
Sa mère a subi un licenciement économique pendant sa grossesse. Est-ce que ça expliquerait la relation très
fusionnelle de cette maman qui dure toujours : endormissement au sein jusque-là, cododo, portage, manteau
de portage, babyphone et vidéophone branchés en permanence. La mère de Caroline n’exprime aucun désir
de souffler un peu, ni d’enlever Caroline du lit conjugal. Pourtant son compagnon et elle viennent me
demander de l’aide. Elle dit ne pas supporter que sa fille pleure et évoque un souvenir d’enfance : « Je suis
dans mon lit debout, je tends les bras vers ma mère et elle ferme la porte. » Habitée par cette image très
prégnante, elle n’ose « fermer la porte » à sa fille et ne peut s’en séparer de crainte de la faire souffrir
comme elle. Elle a du mal à envisager que c’est plus positif pour un enfant de ne pas dormir avec ses
parents. Pourtant, elle a depuis quelques jours arrêté l’allaitement car Caroline n’en voulait plus. Après
notre consultation, la défusion amorcée va continuer et Caroline dormira dans son lit dans sa chambre.

Chacun son lit et la maison sera bien gardée

Dans mes consultations, j’opte pour une attitude claire et ferme, qui consiste à
énoncer cette loi fondamentale de l’interdit de l’inceste. J’aide les parents à user
de fermeté, et l’enfant à comprendre que rester dans leur lit ne l’aide pas à
grandir, qu’il n’y a pas sa place. J’insiste sur le fait que faire durer cette situation
est grave. Dans notre société occidentale, le tabou de l’inceste se matérialise en
partie à travers l’interdit du lit parental. En l’interdisant, on protège l’enfant de
ses désirs incestueux et on lui évite donc, à long terme, d’être submergé par la
culpabilité et l’angoisse qui gêneront son épanouissement et sa future vie
sexuelle. Que se passe-t-il quand on laisse un enfant venir régulièrement dans le
lit de ses parents ? On lui fait jouer – sans qu’un acte soit accompli – un rôle de
partenaire. Si, par exemple, une mère le laisse prendre la place de son mari
quand il est en voyage, le fils vivra, dans la réalité, le désir qu’il a pour sa mère.
Or c’est justement l’impossibilité de réaliser ce désir pour sa mère qui fait que le
garçon se tournera plus tard vers d’autres femmes. Si une petite fille se retrouve
dans le lit de ses parents, c’est comme s’il lui était permis de remplacer sa mère
auprès de son père. Quand le partage du lit parental perdure sans aucune gêne
pour les parents, nous devons nous interroger sur le couple parental lui-même et
sur les bénéfices secondaires qu’il tire d’une telle situation pour son intimité.
« Avant de nous séparer, me racontaient des parents, notre fils dormait avec
nous. Il servait d’alibi pour nous éviter des relations sexuelles. C’était
commode » ; maintenant ce couple s’est séparé. Ce garçon de 5 ans dort avec sa
mère alors que chez son père, il dort dans un lit bien à lui sans problème ;
l’enfant est ici utilisé par sa mère dans une position incestuelle : c’est lui faire
espérer qu’un jour, cette mère qu’il convoite tant lui appartiendra. L’enfant
arrive pourtant très bien à dormir seul.
« Pour que tu aies tes rêves à toi, il vaut mieux que tu dormes dans ton lit à
toi », peut-on dire à l’enfant.

Les parents de Fanny, 4 ans, désespèrent. Quelques heures après s’être endormie, elle arrive paniquée dans
leur chambre, monte dans leur lit, s’installe soit entre eux deux, soit du côté de son père parce que « quand
je dors, je fais des gros cauchemars ». Fanny a un frère et une sœur jumeaux de 12 mois. Avant leur
naissance, elle voulait déjà rejoindre ses parents la nuit mais ils réussissaient à l’éconduire. Actuellement ils
n’y arrivent plus. Exaspérés, ils ont fini par installer un petit lit dans leur chambre, ce qui ne les satisfait pas
et les pousse à venir me consulter. Depuis un mois, les jumeaux, qui dormaient dans la chambre des parents,
dorment dans la chambre de l’aînée ; de surcroît ils commencent à marcher. En plus de ses cauchemars,
Fanny ne peut plus rester seule dans une pièce, même en plein jour. Ses parents la sentent malheureuse,
perdue. Elle ne trouve désormais sa place nulle part. Avant l’arrivée des jumeaux, son père jouait beaucoup
avec elle dès qu’il rentrait du travail. Mais depuis leur naissance, il aide sa femme débordée et n’a plus de
temps à consacrer à Fanny. La petite fille croit-elle être punie de ses désirs œdipiens pour son père et de sa
forte agressivité envers ces deux bébés qui envahissent l’espace familial ? Cherche-t-elle à rejoindre le lit de
papa et maman pour éviter qu’ils fassent d’autres bébés ? Sa présence parmi eux n’est-elle pas la méthode
contraceptive la plus fiable ?

Après avoir, durant quatre mois de travail psychothérapique avec moi, déchargé une agressivité très forte
surtout à l’encontre de son frère, et manifesté des désirs œdipiens clairs envers son père, Fanny commence à
sortir de la confusion et à trouver sa place dans ce cercle de famille trop vite élargi. Elle réintègre sa
chambre et retrouve simultanément sa gaieté et son entrain habituels : « Je dors très bien dans mon lit à
moi. »

Tobias, 2 ans, rapporte : « La dame a dit que j’étais grand, que je peux dormir dans mon lit et que je dois
laisser la place à papa. »


Les parents de Paul, 10 ans, viennent me consulter sans leur fils. Ils n’en peuvent plus. Leur fils dort avec
eux car il n’arrive pas à s’endormir tout seul. Comme beaucoup d’enfants, Paul s’endormait dans le lit de
ses parents avec sa mère, puis son père le portait endormi jusqu’à son lit. Maintenant le garçon est trop
lourd pour être porté et reste dans le lit de ses parents. Ces derniers ont fait des essais réitérés pour qu’il
s’endorme dans son lit et dans sa chambre. C’était l’échec à chaque fois. « Il nous mange notre vie. » Un
médecin a donné des médicaments pour aider Paul à s’endormir dans son lit, c’est resté sans effet. À ce
couple que je reçois seul et que je sens attentif à leur fils, je pose l’interdit suivant : « Il est moins grave
pour Paul de ne pas dormir que de dormir avec vous. Il vaut mieux installer pour lui un matelas à côté de
votre lit » et je demande au père d’édicter cet interdit.

À la consultation suivante, je rencontre Paul, qui se présente comme un enfant très anxieux. Malgré de bons
résultats scolaires, le soir, dans son lit, il n’arrête pas de penser à ses notes et ne trouve pas le sommeil :
« Ne pas pouvoir m’endormir dans mon lit, ça me fait honte. À côté de mes parents, je me sens en
sécurité. » Depuis la première consultation, il dort sur un matelas par terre dans la chambre de ses parents. Il
me raconte qu’il aimerait sortir le soir pour faire du vélo (il habite un village), courir avec son père ou faire
du bricolage avec lui. Il se sent nerveux et pense que s’il se fatiguait le soir, il pourrait mieux s’endormir. Je
fixe directement l’interdit à Paul : « C’est moins grave de travailler un peu moins bien à l’école parce qu’on
a peu dormi que de dormir avec ses parents. »

Au bout de trois séances, je trouve dans ma salle d’attente un garçon souriant. Paul arrive maintenant à aller
se coucher seul et à dormir seul, il en est très fier. Il va à la piscine deux fois par semaine, à sa grande
satisfaction.


Le lit est le jardin secret des parents, le lieu de leur intimité. Le partager
régulièrement instaure un brouillage des générations, des identités et une
43
confusion sexuelle pour l’enfant. Anne-Marie Mairesse évoquait l’espace
secret, nécessaire au développement des enfants : « Pour que l’enfant puisse
avoir des pensées secrètes, il faut aussi que ses parents puissent en avoir, que les
parents ferment la porte de leur chambre de façon à donner envie à l’enfant
d’aller regarder par le trou de serrure. Cela suppose qu’il y ait une serrure, qu’il
y ait un espace parental qui ne soit pas confondu avec celui des enfants. » Les
parents ont besoin de vivre ensemble hors de la présence de leurs enfants. C’est
dans ce renoncement à être dans le couple de ses parents, dans cette acceptation
de leur intimité que l’enfant pourra s’épanouir.

Les câlins du matin

Moments chaleureux au cours desquels les enfants viennent chahuter sur le lit
des parents, s’y blottissent, s’y engloutissent, moments où à peine éveillé l’on
prend son bébé avec soi, moments où l’on s’étreint, où l’on rit, où l’on se sent
flotter entre sommeil et veille… Ces moments passés ensemble dans la chambre
parentale sont ponctuels, limités, considérés comme précieux parce que l’enfant
ou le bébé a, dans ce court laps de temps, accès au fameux lit des parents. Ils
signent la fin de la nuit, la fin de la longue séparation et offrent un réveil
convivial dans un lieu habituellement interdit. Ces câlins du matin dans la
tiédeur du lit conjugal se dissiperont peu à peu, à mesure que l’enfant grandira.
Plus tard, regarder tous ensemble la télévision sur le lit des parents peut devenir
un moyen de prolonger encore ces temps de câlins matinaux.
Je m’interroge sur les câlins du matin dans les familles recomposées. Il ne va
pas de soi pour des enfants d’aller dans le lit du nouveau couple le matin et d’y
retrouver la nouvelle amoureuse de papa ou le nouvel amoureux de maman. La
confirmation de la dissolution du couple parental est alors criante, surtout si
l’enfant n’a pas été préparé à la rencontre avec ce nouveau partenaire. Je me
souviens notamment d’un petit garçon de 4 ans dont les parents s’étaient séparés
brutalement. Le dimanche matin, il était allé comme à son habitude dans le lit
« conjugal » et avait découvert son père avec une amoureuse qu’il n’avait jamais
vue. Il était complètement déboussolé. Il est impensable de plonger un enfant
dans l’intimité du nouveau couple qu’a formé l’un de ses parents sans l’avoir
informé de son partenaire et sans avoir pris le temps qu’il tisse quelques liens en
dehors de la chambre « conjugale ». Cet enfant n’avait eu ni le temps de
comprendre la séparation de ses parents, encore moins le temps d’accepter qu’il
y ait une nouvelle femme en petite tenue dans le lit de son père. Dans ces
familles recomposées, il est ainsi de plus en plus fréquent que le rituel des câlins
disparaisse en raison de la souffrance que l’enfant ressent.

Aménager l’espace familial


« Entre la chambre des parents et la chambre des enfants, il n’est pas mauvais
qu’il y ait un couloir. Et chacun sait que les enfants adorent jouer dans les
44
couloirs », écrit Jean-Bertrand Pontalis.
Dans certains cas, une simple réorganisation de l’espace peut entraîner la
disparition des troubles du sommeil.

Hugo, 17 mois, m’est amené pour des difficultés d’endormissement et des réveils multiples. Au cours de
l’entretien avec ses parents, j’apprends que malgré la taille considérable de l’appartement et des chambres
individuelles pour tous, la famille vit surtout dans la chambre des parents qui revêt de multiples fonctions :
salon avec télévision, salle de jeux, etc. Hugo et sa sœur aînée ne vont dans leur chambre que pour dormir.
Sur mes conseils, la chambre parentale redevient un espace intime pour le couple ; le salon reprend sa
fonction sociale de convivialité et d’échanges familiaux, et les chambres des enfants ne sont plus seulement
des dortoirs, mais deviennent des espaces de jeux et de plaisir partagé.

Hugo a maintenant des échanges avec ses parents en dehors de leur chambre et investit de plus en plus la
sienne dans la journée pour y jouer. Cette pièce lui devient familière et associée aux moments de plaisir
qu’il y passe. Il recouvre aussitôt un sommeil normal, ne se réveille plus la nuit et fait même la sieste, ce
qu’il refusait jusque-là. Ses parents retrouvent leur intimité. Il est bien évident que le nouvel aménagement
de l’espace, qui a fait disparaître le symptôme de Hugo, n’a sans doute guère résolu la problématique de ce
couple qui ne s’autorisait pas de territoire personnel. Quels bénéfices en retirait-il ? Que réparait-il de sa
propre histoire ? Les deux adultes s’autorisaient-ils à être parents et conjoints en même temps ? Le fait que
chacun reprenne sa place crée un apaisement. Et il sera possible de parler plus tard, si les parents le
souhaitent et le demandent, de certains points de leur propre histoire. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé pour
ce couple, quelques années plus tard.

Pour un enfant, se sentir bien dans sa chambre – lorsqu’il a la chance d’avoir


un espace pour lui – dépend davantage, à mon avis, des satisfactions affectives
qu’il trouve au sein de sa famille et surtout auprès de ses parents que de la
décoration ou du dernier mobilier à la mode. Le malaise qu’il peut éprouver ne
dépend pas de la superficie de l’espace qu’il habite. Je connais des enfants
heureux et épanouis dans un tout petit espace et des enfants tristes et perturbés
dans de grands espaces, malgré une chambre à eux et quelquefois même une
salle de jeux. Je garde en mémoire l’image de cette petite fille de 5 ans, perdue
dans un immense appartement et une immense chambre, qui ne dessinait que des
petites filles versant de grosses larmes. L’ampleur de son désarroi se lisait dans
son regard qui s’accrochait à moi, et dans ses gestes avides de proximité
corporelle. Dans un décor luxueux défilaient des baby-sitters : c’était un espace
vide des présences paternelle et maternelle, et cette jeune princesse triste n’y
trouvait guère le sommeil.
Même si l’on n’a pas de pièce pour son enfant, on peut toujours essayer de lui
aménager un coin à lui avec de quoi ranger ses trésors, tout ce à quoi il tient et
qui lui est très personnel. De même, dans une chambre partagée par plusieurs
enfants, il est important que chacun d’eux puisse avoir son propre coin, son
étagère ou son tiroir auquel l’autre ne pourra accéder. Très souvent, on voit de
grands enfants en colère contre les plus petits qui détruisent leurs trésors, objets
offerts ou qu’ils ont fabriqués eux-mêmes ; ils sentent là comme une effraction
dans leur intimité. Une simple étagère à côté d’un lit en hauteur pour un aîné
suffira à le rassurer : il y posera ses objets préférés sans craindre qu’ils soient
détruits par un cadet.
En consultation de sommeil, je fais toujours dessiner par les parents la
chambre de leur bébé ou enfant avec l’emplacement du berceau ou du lit par
rapport à la porte et à la fenêtre, et par rapport à leur propre chambre. Grâce à
cette esquisse, je peux appréhender la place de chacun, l’espace de l’enfant par
rapport à celui de ses parents et de la fratrie, et apprécier la distance qui existe
entre l’enfant et ses parents.

Le lit, un coin à soi

Un berceau est une enveloppe à la taille du bébé qui le contient. Ensuite ce


dernier émigre vers un lit à barreaux plus grand : il peut se sentir perdu dans ce
nouvel espace. On peut au début le réduire avec des doudous en peluche ou un
boudin d’allaitement. Avoir son lit dans un coin le rassure car il est bordé par
deux murs dont un derrière sa tête. De plus il est rassurant que le bébé ou
l’enfant puisse, en position allongée, voir en direction de la porte sans avoir
besoin de se retourner ni de se lever : il identifie tout de suite la personne qui
entre et l’associe au bruit qu’il vient de percevoir. Cela lui permet de se rassurer
tout seul en regardant la personne qui entre.
Quant au tour de lit, combien d’enfants recouvrent le sommeil lorsque celui-
ci est retiré ! Le tour de lit est un morceau de tissu molletonné, mis à la tête d’un
lit à barreaux ou tout autour pour éviter que l’enfant ne se cogne ou ne se coince
entre les barreaux. Souvent le bébé se love contre cette paroi douillette qui peut
devenir un point d’appui s’il se sent trop perdu dans le grand espace du lit. Il
recherche un appui semblable à celui de l’utérus, où il avait la tête calée contre le
bassin de sa mère. Mais entre 6 et 12 mois, le tour de lit l’empêche lorsqu’il est
allongé de voir autour de lui et tend à se transformer en paravent anxiogène et
inutile. L’enfant se sent enfermé dans une boîte et ne distingue rien à travers ses
parois. Enlever le tour de lit qui se trouve sur le bord externe est vivement
recommandé. Combien d’enfants grands de 2, 3 ans ai-je rencontrés dont le lit ne
permettait aucune visibilité, entouré complètement de ce molleton ! C’est
d’ailleurs pourquoi pour les lits de voyage il y a intérêt à privilégier ceux dont
les parois sont en filet.
En consultation, lorsque l’enfant est plus grand, il dessine lui-même sa
chambre ou corrige et complète la description faite par ses parents. Il exprime à
cette occasion ses satisfactions, ses frustrations ou ce qu’il ressent de la place
qu’il occupe dans la constellation familiale. Des enfants éprouvant des
difficultés à parler d’eux-mêmes s’expriment plus facilement sur ce lieu qu’ils
ont dessiné au préalable et sur ce qui s’y joue.

Changer de lit, oui, mais attention !

Je n’insisterai jamais assez sur l’importance d’un coin à soi pour l’enfant :
c’est un nid, une tanière, un repaire avec des repères familiers et immuables. Il
peut alors le reconnaître comme sien et s’y blottir en toute sécurité. Ainsi un
bébé de 3 mois dormait très peu ; son berceau à roulettes était poussé dans la
chambre tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt dans un coin, tantôt au milieu, au
gré des humeurs des adultes ou des circonstances de la vie familiale. Comment
ce bébé pouvait-il s’y sentir bien et élaborer un cadre dans un environnement
sans cesse modifié ? Désemparés par l’arrivée de ce bébé, ses parents
n’arrivaient pas à lui donner une place.
On peut suivre le développement d’un enfant au gré des changements de son
lit et des divers aménagements de son coin dans le logement familial. Il passe de
son berceau à un lit à barreaux puis du lit à barreaux au fameux lit de « grand » ;
il migre de la chambre des parents à une autre chambre quand c’est possible,
partagée avec la fratrie ou non. Il faut que toutes ces étapes soient préparées et
qu’elles surviennent à mesure de ce que l’enfant est capable de supporter : il
importe d’être attentif aux réactions de son bébé ou enfant et d’agir suivant
l’adaptation de ce dernier. Par exemple, changer un enfant de lit à l’arrivée d’un
cadet peut être maladroit et violent. Il vaut mieux qu’il ait changé de lit bien
avant cette naissance pour lui éviter de vivre ce changement comme une éviction
par le bébé. Un changement de lieu ou de lit peut perturber un enfant plus qu’on
ne le croit. La préparation, l’explication et surtout un questionnement sur ce qu’il
souhaite ou exprime sont indispensables pour favoriser la réussite de ce passage
délicat.
N’oublions pas qu’il n’est pas si facile pour un enfant de grandir. Il peut en
avoir très envie tout en désirant rester le bébé de papa et maman, surtout s’il y en
a un réellement, déjà né ou à naître. Le changer de lit au fur et à mesure qu’il
grandit, oui, mais ne pas faire disparaître aussitôt son ancien lit-nid dans lequel il
a dormi jusque-là. Il pourra hésiter plus ou moins longtemps, quelques jours,
quelques semaines voire plusieurs mois avant d’accepter de l’abandonner sans
anxiété (y dormir encore pendant les siestes, y aller certaines nuits).

Notes
41. Sigmund Freud, « Le petit Hans », in Cinq psychanalyses.
42. Paul-Claude Racamier, L’Inceste et l’Incestuel.
43. Lors d’une conférence à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris.
44. Jean-Bertrand Pontalis, « La chambre des enfants », Nouvelle Revue de psychanalyse.
11
Les effets de la consultation

« Comme le Petit Prince s’endormait, je le pris


dans mes bras et me remis en route. J’étais ému. Il
me semblait porter un trésor fragile. Il me semblait
même qu’il n’y eût rien de plus fragile sur la terre.
Je regardais, à la lumière de la lune, ce front pâle,
ces yeux clos, ces mèches de cheveux qui
tremblaient au vent. »
Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Ce que disent les parents quelques semaines après

« On dort ! »
« On a été plus fermes au moment du coucher car vous nous avez rassurés sur
le fait qu’il n’était pas vraiment angoissé. »
« On est passés du cercle vicieux des nuits sans sommeil au cercle vertueux. »
« Au début, on n’y croit pas, on continue de l’entendre pleurer la nuit alors
qu’il ne pleure pas. On a du mal à retrouver notre sommeil après tant d’années. »
« On guérit progressivement au fur et à mesure qu’il redort. »
« On s’est sentis soulagés de voir que vous aviez une solution. »
« On n’a pas dormi pendant vingt mois, on était comme sur un radeau,
agrippés. On est venus, elle a dormi. »
« Ce n’est plus le même enfant dans la journée, il fait moins de crises et il dort
enfin la nuit. »
« On a osé après la consultation faire ce qu’on n’osait pas faire, sortir de sa
chambre avant qu’il ne soit endormi. »
« Il y a un avant et un après. Ce n’est plus pareil. »
« C’est maintenant mon mari qui y va la nuit et il nous appelle de moins en
moins. »
« On ne se précipite plus au moindre pleur. »
« Vous nous avez ouvert des portes, donné quelques indices et nous, on a fait
en tant que parents, avec ce qu’on sait de notre enfant, de la maison, de la
famille. »
« Ça nous a coûté deux nuits terribles mais ça valait le coup. »
« Mon mari m’aide davantage. Il a enfin réalisé à quel point j’avais été seule
quand notre enfant avait fait ses malaises. »
« Ça va mieux. Je crois que ce qui a changé les choses, c’est tout ce qu’il a
entendu pendant la consultation de notre histoire et des décès qu’on a eus ces
derniers temps plus que les modifications de l’emplacement du lit et du rituel. »
« C’est le jour et la nuit. Nos nuits étaient des jours. On récupère de
l’oxygène. »

En quoi cette consultation est-elle thérapeutique ?

Quand le trouble du sommeil est survenu en réaction à un événement, surtout


s’il est suscité et entretenu par l’anxiété de l’un des parents, il arrive que la
simple prise de rendez-vous avec le thérapeute atténue déjà le symptôme, voire
le fasse disparaître. Le fait que le parent se mobilise en se décidant à consulter
l’a fait changer d’attitude. Ce « Ça suffit, ça ne peut plus continuer comme ça »
qui conduit à la prise de rendez-vous montre que le parent a vraiment atteint ses
limites. Si les parents ne renoncent pas pour autant à cette consultation, il sera
facile de se diriger vers cette anxiété, de la faire se déployer pour en trouver le
sens.
Ce cadre de la consultation – fortement investi par les parents et donc par leur
enfant, où tout peut se dire sans crainte d’« endommager » l’autre – autorise
l’émergence des angoisses et des souffrances enfouies ou non entendues : « Pour
métamorphoser ce qui fait mal ou a fait mal, il est important de créer un lien où
s’exprime l’émotion : c’est dans la représentation de la tragédie qu’on remanie le
45
sentiment provoqué par le fracas . » Dans ce cadre instauré par le thérapeute, les
parents et leur enfant, même très jeune, déversent chacun avec leurs moyens
leurs angoisses, les événements qui leur paraissent importants, leurs relations à
leurs propres parents, des bribes de leur enfance, leurs relations fraternelles,
leurs systèmes d’attachement, leur histoire transgénérationnelle. Je peux ainsi
redonner sens à un certain nombre d’événements, restituer une cohérence à ces
parcelles de vie livrées pêle-mêle, mettre des mots sur les affects qui émergent,
apprécier si les espaces psychiques de chacun sont bien différenciés (l’enfant a-t-
il son espace transitionnel où il peut exercer sa capacité à jouer seul, à rêver ?),
et je peux requalifier, revaloriser les parents alors qu’ils doutent tellement d’eux.
En parlant de leur souffrance, en voyant comment leur enfant, à travers le jeu,
donne à voir au psy ce qui est au cœur de la problématique qui les amène, les
parents ouvrent les yeux sur les malentendus. C’est comme une mise en scène
qui se déroule en 3D devant les yeux de tous les protagonistes.

Pierre a 18 mois. Ses parents s’étonnent de le voir jouer comme ça sans crier, ils n’en reviennent pas.
D’habitude, il crie et n’arrive pas à se concentrer sur un jeu. Il joue avec des chevaux et s’est trouvé un
coin, la cheminée. Avant de jouer tout seul, il est resté un long moment dans les bras de ses parents. Il est
ici sans ses deux grandes sœurs – « c’est un troisième, on s’est moins occupés de lui que de ses sœurs ».

Un mois après, les parents me téléphonent : « Ça lui a fait du bien, à nous aussi. On a arrêté le biberon la
nuit, il s’est adapté peu à peu, il ne se réveille plus la nuit en pleurant. Il fait moins de colères et on prend
des petits moments pour lui dans la journée. Il n’est plus coléreux comme avant. Ce n’est plus le même. »

Je peux aussi pointer, pendant la consultation, des attitudes des parents qui me
semblent préjudiciables à l’acquisition de la capacité à jouer seul : « Vous lui
donnez la tétine alors qu’il n’a rien réclamé », « Vous lui caressez les cheveux
alors qu’il joue très bien tout seul et ne vous demande rien », « Vous vous
laissez interrompre tout le temps. À son âge, il peut attendre quelques
minutes ! », « Vous ne décrochez pas votre regard du sien. Aussi se sent-il happé
par lui et a du mal à aller jouer seul ou à s’éloigner de vous. »

Les consultations les plus efficaces sont celles où les deux parents sont
présents, sans doute parce que tous les deux se sentent interpellés par le
symptôme de leur enfant et d’accord pour s’interroger ensemble. Le consensus
ou le désaccord entre eux – sur leurs visées éducatives, la façon de poser les
limites et la capacité à accepter le conflit ou non avec leur cher bambin, la place
que chacun fait à son enfant – peut alors éclater au grand jour dans ce temps de
la consultation. Mais il arrive aussi que la consultation soit d’autant plus utile
que le parent venu seul peut dire des choses qu’il ne se serait peut-être pas
autorisé à formuler devant l’autre.
L’enfant, souvent après l’énonciation d’une partie de son histoire et de celle
de ses parents, s’en sent déchargé et on assiste pendant la consultation à un
comportement différent : il rejoue, parle, chantonne alors qu’on ne l’entendait
pas jusque-là. Le sourire est revenu. Ou plutôt une certaine liberté, un
apaisement, un déblocage.
Dire des choses devant l’enfant avec un tiers lui redonne le fil de son histoire
et le soulage de tous les drames familiaux. « La dame s’occupe de mes parents,
je n’ai plus à les porter, je peux mener ma petite vie, je ne suis pas responsable
d’eux ou de leurs malheurs. » L’enfant a été en quelque sorte désaliéné des
éléments douloureux non digérés de l’histoire de ses parents.

Est-ce une consultation psychanalytique ?

Oui, dans la mesure où il y a tout un travail de repérage d’angoisses ou de


dépression parentale, de deuils non faits ou de secrets enfouis, de mise au jour de
contradictions, en revenant sur l’histoire de chacun, celle de l’enfant et de son
arrivée, celles des deux familles.
Pourtant certains psychanalystes rétorqueront que ce n’est pas la réalité qui
compte mais les fantasmes. Pour moi, on ne peut en faire abstraction. C’est
pourquoi lorsque je reçois les parents, j’écoute l’articulation des inconscients
dans le groupe familial, l’histoire et l’accès aux blessures infantiles des parents
et en même temps je m’intéresse au concret, la place du lit par exemple, le
déroulement de la journée, et à ce que je vois dans la situation hic et nunc, dans
la circularité des interactions au sein de ce couple et de cette famille-là.
Serge Hefez explique dans Comment je suis devenu psy : « Il y a pour moi une
continuité entre ce qui se passe entre le nourrisson et sa mère, ce qu’il ressent
dans son corps, ce qu’il commence à forger de sa représentation de lui-même, de
sa relation à l’autre, et de ce qui se joue dans un couple, une famille, entre un
patient et moi, entre chacun et son rapport au monde. Pour moi, tous ces niveaux
s’éclairent les uns les autres. Cette variété m’est aussi reprochée. Des
psychanalystes diront que je dévoie la psychanalyse en la faisant sortir du cadre
strict de la cure et de la théorie. Moi, je pense au contraire que la vie s’écoule et
se vit à de nombreux niveaux entre lesquels il est possible de créer des
jonctions. »

Une seule consultation ?


Au cours des deux heures de cette consultation se crée peu à peu une intimité
suscitant les confidences. Le lâcher-prise peut enfin advenir après une première
phase souvent défensive qui blinde tout. C’est un temps suspendu, une
parenthèse singulière qui ouvre forcément, par son déroulé, sur quelque chose de
nouveau. Chacun s’ébroue à sa façon dans ce moment spécifique et long de la
consultation.
Il y a une contraction et une condensation du temps : dans la réalité de cette
consultation se rejouent des éléments de l’histoire et de l’inconscient
familiaux. Il faut du temps pour que les choses se dévoilent. La mère de Louise
dit au bout d’une heure et demie que, depuis quelques mois, elle n’est pas bien, a
beaucoup de travail et que son père dépressif va à nouveau mal pour la énième
fois. Dans cette longue consultation, il y a un recouvrement de trois
temporalités : celle de la consultation, celle des événements et celle de
l’inconscient (qui est une atemporalité).
Je fais confiance à l’enfant ou au bébé comme thérapeute de ses parents :
avec son corps, ses déplacements, ses réactions, ses mots, ses pleurs, il les aide à
cheminer dans les méandres de leurs difficultés.
Je fais aussi confiance aux parents. Après les remous de cette consultation,
après ces échanges d’informations et d’émotions, après ce moment de partage
entre un trio et une personne qui ne se connaissaient pas du tout, je leur demande
de m’appeler une dizaine de jours plus tard pour me tenir au courant de
l’évolution. Je les suis alors par téléphone jusqu’à ce que le problème soit réglé
et, si ça n’avance pas, je les revois. Je pense comme Winnicott que les parents, si
l’environnement est de bonne qualité, ont la ressource nécessaire pour soigner
eux-mêmes leur enfant (accompagner une régression de l’aîné au moment de la
naissance d’un cadet en étant plus tolérants, en le gâtant). Je les laisse digérer
tout ce qu’a pu soulever cette consultation et cheminer alors par eux-mêmes avec
cette pensée implicite qu’ils sont les mieux qualifiés pour aider leur enfant. Le
savoir parental existe. À nous de redonner aux parents leur inventivité et leur
créativité pour remettre du mouvement dans une situation figée et intenable.
En revanche, je n’entraîne pas les parents dans une démarche qu’ils ne
souhaiteraient pas. Ils reviendront d’eux-mêmes vers moi ou un autre psy – ou
pas. Nombreux sont ceux qui ne rappellent pas et dont je n’ai plus de nouvelles.
D’autres m’appellent en parlant de miracle et en disant que maintenant leur
enfant n’est plus le même, que « c’est le jour et la nuit », qu’ils ont retrouvé des
soirées pour eux, qu’ils récupèrent enfin. D’autres constatent que les choses ont
un peu avancé mais qu’il reste encore certains problèmes. Rares sont ceux qui
appellent pour dire que c’est pire qu’avant, ce qui en décortiquant n’est pas tout
à fait vrai.
Je pense que cette consultation leur donne un petit aperçu de l’inconscient et
que lorsqu’un problème pour un de leurs enfants ou eux-mêmes se présentera, ils
demanderont plus facilement de l’aide à un psy.
Le psy doit avoir une disponibilité, une écoute pour se laisser surprendre par
ce qui se joue et se passe tout autant qu’une attention aiguisée non-stop pour
trouver des clés qui aideront cette famille-là à sortir du tunnel des nuits sans
sommeil. C’est un peu comme une partie qu’il doit gagner pour que les choses
bougent et que l’enfant, soulagé, puisse reprendre son développement après
avoir repris sa place.
Ces consultations ne sont pas miraculeuses, elles sont, comme toute
consultation thérapeutique, le fruit d’un travail véritable entre tous les
protagonistes, les parents, l’enfant et un thérapeute. Je pense à ce garçon de
2 ans à qui en début de la consultation je demandais si c’est le petit Louis ou le
grand Louis qui venait me voir et qui m’a répondu : « Le petit grand Louis ! »
Tout était dit. Et à cet autre de 3 ans qui avait pris un petit personnage qui
embrassait une figurine maman sur la bouche et qui passait son temps à le mettre
en prison. Là aussi, cet enfant nous guidait pour y voir plus clair.

Note
45. Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, op. cit.
En conclusion
Soyez attentifs aux troubles du sommeil qui durent car ils peuvent :
– Entraver gravement la relation de votre enfant avec vous.
– Perturber l’équilibre de votre famille, gêner vos autres enfants et rejaillir sur
la vie de votre couple.
– Être à l’origine d’une violence familiale et même d’une maltraitance. Dans
le silence de la nuit, les pleurs et les cris sont comme amplifiés.
– Engendrer une insomnie à l’adolescence ou à l’âge adulte.
N’hésitez pas à consulter dès que vous vous inquiétez ou que vous ne
supportez plus cette situation.

Ne dramatisez pas. En psychopathologie de la petite enfance, on sait que « le
46
caractère bruyant du symptôme ne présage en rien de sa gravité ». Le trouble
du sommeil finit toujours par se résoudre.

Mais ne banalisez pas non plus. Ce trouble est un cri d’alarme, un clignotant
pour vous alerter sur un dysfonctionnement de la relation, sur des stimulations
peut-être excessives, insuffisantes ou incohérentes, sur un quotidien qui ne
convient plus, sur une succession d’événements, de changements ou de
traumatismes qui submergent votre enfant. Le trouble du sommeil est
l’indicateur précieux d’une situation où l’enfant ne se retrouve plus. Ne dites
surtout pas : « Ça passera » car cela ne passera pas forcément tout seul. Par son
symptôme, votre enfant cherche à vous dire quelque chose.

Soyez attentifs à ce qui se passe dans la journée de votre enfant, avec et
sans vous. Aménagez-lui des journées où il ne se sente pas comme « un colis
47
oublié dans un coin de gare ». On résout les problèmes de sommeil en se
préoccupant de ce qui se passe le jour. Si vous ne parlez pas à votre enfant ou ne
lui accordez pas un peu de temps pour qu’il puisse dire, il cherchera à vous
parler la nuit par tous les moyens, et à ménager une rencontre avec vous au
moment où toute la maisonnée dormira.

Remerciez votre enfant d’avoir ces troubles du sommeil : ils vous obligent
à vous arrêter, à vous mobiliser, à vous interroger. Tout symptôme renferme un
potentiel de vie, un appel à la vie qui permet de rebondir. Pour parodier la
moralité du Petit Poucet, je dirais que si l’un de vos enfants crie la nuit, on est
prêt à tout pour le faire taire ; quelquefois cependant c’est ce petit marmot qui
fera le bonheur de toute la famille.

Quelle place la société actuelle accorde-t-elle au sommeil des enfants ? Dans
notre société productiviste où l’on recherche la rentabilité et l’efficacité, le
sommeil fait figure d’intrus. Il est le laisser-faire, le lâcher-prise, l’ennui, la
rêverie, un temps « mort » où le dormeur ne produit rien. Y a-t-il encore place
pour les pauses ? Le noir n’existe plus grâce à la fée électricité. La télévision, la
radio, les jeux vidéo et Internet fonctionnent en continu. La profusion d’images
et d’écrans créent une surstimulation ambiante qui empêche le calme de
s’installer au moment du coucher. Dans ces conditions, comment les enfants
peuvent-ils supporter le vide apparent du sommeil, ce véritable retour à soi ?
Aujourd’hui abondent les livres sur la lenteur, la paresse, la sieste. Un
mouvement de retour se fait sur le temps des hommes, de plus en plus grignoté
par le temps des machines. L’enfant n’est pas un ordinateur, il ne suffit pas
de cliquer pour qu’il s’endorme. Les liens demandent du temps pour se tisser
en famille et en société : « Une certaine durée est nécessaire pour nous approcher
d’un autre… Les paroles plus exigeantes, plus rares n’adviennent pas
nécessairement au cours d’un entretien. Elles naissent après une période de
48
latence . » La consultation de sommeil est l’occasion de faire une pause dans la
vie familiale, en prenant le temps de s’écouter et de se comprendre. Le temps de
l’élaboration se fait doucement, dans une relation de confiance avec un
professionnel qui accueille et contient les angoisses de chacun.
Peut-être avez-vous oublié de prendre le temps de flâner avec vos enfants ?
D’être disponibles, de ne rien chercher, de les écouter, d’être émerveillés, de
vous laisser attirer par eux comme un badaud au vent, de vous laisser surprendre
comme lorsqu’on se promène dans une ville étrangère, d’échanger des émotions
49
plutôt que des informations ?
Quand une société brade l’éducation de ses enfants en empêchant leurs
parents de prendre le temps et le plaisir de leur parler, de les écouter et de les
accompagner au lit, cette société va à vau-l’au et les nuits résonnent alors des
manques de la journée. Parler avec ses enfants, cela prend du temps et nous ne
pourrons en faire l’économie, surtout quand approchent la nuit, ses ombres et ses
démons.
N’oublions pas que le sommeil est une fonction vitale essentielle et qu’un
enfant qui dort est gratifiant pour ses parents.
Nous dormons un tiers de notre vie. Aussi, pour aider nos enfants à faire de
cette traversée quotidienne un voyage dans lequel ils aimeront s’embarquer, ne
négligeons jamais ce clignotant qu’ils brandissent avec leur trouble du sommeil.
C’est une chance par rapport à tous les signes silencieux de mal-être des bébés et
des enfants.
Admirons ce petit bout de chou qui réussit le tour de force de faire venir, dans
le bureau d’un psy, toute une famille !

Et pour les parents qui ne dorment plus, rappelez-vous :

– Le sommeil est très important pour la croissance de l’enfant et la maturation de
son cerveau. Il fait partie des grands équilibres de la vie : sécrétion de
l’hormone de croissance, récupération physique, restauration de la mémoire,
de l’attention et du langage, digestion des émotions, métabolisation des
conflits psychiques.
– Un bébé ou un enfant ne sont pas des adultes, ils ont besoin d’une vie et d’un
rythme à eux, de repères stables.
– Ils n’ont pas à être brinquebalés d’un horaire à l’autre, d’une maison à l’autre.
– Avec un bébé, un enfant, on ne peut mener sa vie comme avant.
– Plus on dort, plus on a envie de dormir. À l’inverse, moins on dort, moins on
arrive à dormir.
– Il ne faut pas faire sauter la sieste avant l’âge de 3 ans.
– Un enfant qui se réveille en pleurant ou qui bâille quelques heures après son
réveil a encore sommeil.
– Pour savoir de combien d’heures de sommeil votre enfant a besoin, notez
l’heure de réveil spontané et non l’heure du coucher.
– Ça n’est pas du tout la même chose si votre enfant n’a jamais fait une nuit
depuis sa naissance que si son sommeil se dégrade brutalement.
– La quantité de sommeil lent profond (récupération physique) est indépendante
de la durée totale de sommeil, alors que la quantité de sommeil paradoxal
(rêves) est directement liée à la durée totale de la nuit de sommeil. Donc plus
on dort, plus on rêve. Le temps de sommeil paradoxal ne se rattrape que si on
a du temps, que si on a en partie récupéré physiquement.
– Apprenez-lui peu à peu à se passer de vous pour s’endormir. Marquez la
séparation et ne la gommez pas. Si un bébé n’arrive pas à s’endormir seul, il
vous réveillera la nuit. Il aura besoin de vous pour se rendormir lors des éveils
normaux à partir du neuvième mois.
– Un enfant ne supportera pas les limites données le soir s’il n’en a pas dans la
journée.
– Si un enfant n’arrive pas à jouer seul dans la journée, s’il a toujours besoin
d’être collé à un adulte ou de le solliciter, il ne pourra rester tout seul dans son
lit.

Notes
46. Rosine Debray, Bébés et mères en révolte.
47. Roland Barthes, cité par Sylvaine Giampino, « La socialisation précoce : séparations et
attachements multiples », in Développement de l’enfant et engagement professionnel des mères.
48. Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur.
49. Cette description de la flânerie est inspirée de celle de Pierre Sansot.
Bibliographie
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Julien Cohen-Solal (dir.), Développement de l’enfant et engagement
professionnel des mères, STH, 1992 ; et Bernard Golse (dir.), Au début de la
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lien, Hachette, 1997 ; L’Ensorcellement du monde, Odile Jacob, 1997 ; Un
merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999.
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Pascal Dibie, Ethnologie de la chambre à coucher, Grasset, 1987.
Françoise Dolto, Séminaire de psychanalyse d’enfants, Points Seuil, 1991.
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René A. Spitz, De la naissance à la parole : la première année de la vie, PUF,
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Hélène Stork, Les Rituels du coucher de l’enfant, ESF, 1993.
Marie Thirion et Marie-Josèphe Challamel, Le Sommeil, le Rêve et l’Enfant,
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Donald W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1989.
Franck Zigante, « Du berceau à la cité : parcours et retrouvailles », in Parents et
adolescents, des interactions au fil du temps, Fondation de France-Érès, 1999.

Sélection de livres pour enfants

Mireille d’Allancé, Compte les moutons !, L’École des loisirs, 2000. Très drôle.
Marie-Aline Bawin et Christophe Le Masne, Tom fait un cauchemar, Mango
Jeunesse, 1988.
La lecture choisie par Tom avant de s’endormir, sa peur du noir et son
cauchemar. Heureusement, ses parents sont là pour le consoler. Illustrations
ravissantes et douces.
Hubert Ben Kemoun et Isabelle Chatellard, La Nuit du Mélimos, Flammarion-
Père Castor, 2004.
Le soir, le navire Mélimos emmène les enfants en voyage dans les étoiles. On y
rencontre le coucheur de soleil, le fermeur d’yeux, le saupoudreur de rêves, le
récupérateur de doudous, etc. Une atmosphère étrange et poétique. Tout le
monde veille sur le sommeil des enfants. Rassurant.
Vincent Bourgeau, Dormir, moi ? Jamais !, L’École des loisirs, 2001.
Il était une fois un enfant-roi qui refusait de dormir, alors chaque soir c’était la
guerre pour le « clouer » au lit. Drôle, simple. Dessins gais et vifs.
Élisabeth Brami et Philippe Bertrand, Dormir, Seuil Jeunesse, 1999.
Très joli livre-accordéon avec tout ce qu’on peut aimer quand on va se coucher
et aussi tout ce qu’on peut appréhender. Juste et astucieux.
Philippe Corentin, Papa !, L’École des loisirs, 1998.
Tour à tour le petit monstre et le petit garçon font un cauchemar. Drôle et plein
de tendresse.
Lucy Cousins, Mimi va dormir, Albin Michel Jeunesse, 1996.
Livre que l’enfant peut animer lui-même. Le plaisir de retrouver tout ce qu’on
fait avant d’aller se coucher.
Joyce Dunbar et Debi Gliori, Dis, Léon, comment faire de beaux rêves ?,
Gautier-Languereau, 1998.
Un grand frère explique à sa petite sœur comment penser aux bonnes choses de
la vie avant de s’endormir. Rassurant et poétique. Des illustrations
lumineuses.
Cheli Duran-Ryan et Arnold Lobel, La Nuit de Hildilid, Grandir, 1971.
Comment Hildilid essaie par tous les moyens de chasser la nuit pour que le soleil
brille toujours au-dessus de sa cabane. Un combat étrange et poétique. Dessins
à l’encre noire qui contribuent à renforcer la noirceur de la nuit.
Kathy Henderson et Jennifer Eachus, Pleine nuit, Flammarion-Père Castor,
1997.
Pendant que bébé dort, on rend visite aux travailleurs de la nuit : boulanger,
éboueur, astronome, etc. Insolite, atmosphère mystérieuse. De très belles
illustrations.
Gyo Fujikawa, Bonne nuit, Gautier Languereau, 2011.
Un petit album merveilleusement illustré où l’on voit enfants et animaux dormir,
chacun à leur façon. Les couleurs sont chatoyantes à souhait, un album à
déguster avec les yeux. Très apaisant.
Kazuo Iwamura, La famille Souris dîne au clair de lune, L’École des loisirs,
1990.
Comment la famille Souris prépare en haut d’un arbre une plateforme pour
pique-niquer au clair de lune. Des dessins magnifiques, minutieux et colorés,
qui vous plongent au cœur de la frondaison de l’arbre, en pleine nuit.
Kochka et Thomas Baas, Le Croqueur de cauchemars, Père Castor-Flammarion,
2008.
Un croqueur de cauchemars au travail, la nuit. Plein d’humour et de poésie.
Atmosphère de la nuit très bien rendue.
Catherine Leblanc et Roland Garrigue, Comment ratatiner les monstres, Petit
Glénat, 2008.
Livre plein d’humour et de ruses pour vaincre des monstres plus cocasses que
terribles.
Didier Lévy et Gilles Rapaport, Mademoiselle Caféine, L’École des loisirs,
1999.
La petite Caféine, fille du marchand de sable, ne veut jamais dormir. Son papa
ne sait plus quoi faire…
Maryann MacDonald et Judith Riches, Sam se tracasse, Pastel-L’École des
loisirs, 1990.
Comment Sam se confie à son ours la nuit. Il lui délègue toutes ses peurs et peut
ainsi s’endormir. Atmosphère feutrée de la nuit bien rendue par les aquarelles.
Mercer Mayer, Il y a un cauchemar dans mon placard, Gallimard-Folio
Benjamin, 2010.
Le must des livres pour dédramatiser les cauchemars. Les enfants adorent ce
cauchemar pataud qui, lorsqu’il arrive dans la chambre du petit garçon,
tremble de peur et pleure. Le garçon finit par le prendre dans son lit pour le
consoler. Irrésistible.
Jean Mayle, La Brillante Histoire du petit ver trop luisant, Albin Michel
Jeunesse, 1993.
Livre phosphorescent à découvrir dans le noir. Une manière de jouer avec le noir
dans les bras de ses parents. Astucieux. C’est l’enfant lui-même qui doit
éteindre la lumière, à certains moments de l’histoire, pour chercher le petit ver
qui luit dans le noir !
Anne-Sophie de Monsabert et Stéphane Girel, La Dame du mercredi, Autrement
Jeunesse, 2000.
Quand il est nécessaire de consulter un psy, ce livre évoque sur un ton très
rassurant les rencontres de l’enfant avec la « dame pour les ennuis ». Qui est
donc cette dame qui n’est ni ma maîtresse, ni ma grand-mère, ni l’amie de
maman, ni ma marraine ?
Maurice Sendak, Max et les maximonstres, L’École des loisirs, 1999.
Aventures imaginaires d’un petit Max que sa mère envoie se coucher sans dîner.
Furieux, Max part dans un voyage imaginaire qui va faire de lui le roi des
maximonstres sur une île peuplée de monstres. Un classique depuis des
générations.
Dominique de Saint-Mars et Serge Bloch, Lili ne veut pas se coucher, Calligram,
1997.
Repousser le coucher par toutes sortes de stratégies, attraper le train du sommeil
qui fait un bruit de bâillement et s’aménager un rituel du coucher
personnalisé. L’humour et la justesse des situations rendent ce livre agréable.
Paul Showers et Wendy Watson, Dormir, Circonflexe, 1990.
Un livre sur les bienfaits du sommeil et sur l’utilité de dormir pour tous les êtres
vivants. Bonne synthèse. L’humour est dans les dessins.
Grégoire Solotareff, Toute seule, L’École des loisirs, 2000.
Sur la capacité à être seul, à affronter toutes sortes de peurs dont la peur du noir
et cette interrogation : est-ce qu’on est seul dans la vie ?
Julie Sykes et Tim Warnes, Je ne veux pas aller au lit !, Mijade, 2003.
Petit Tigre, qui ne veut pas se coucher, s’enfuit dans la brousse et ne rencontre
que des petits animaux qui vont se coucher. Une approche amusante de cette
phase incontournable qu’est le sommeil.
Cornelia et Olivier Taffin, Le Marchand de sable, Actes Sud Junior, 1999.
Comment le marchand de sable, ennemi des enfants, va devenir leur ami en leur
contant des histoires qu’il inventera chaque soir. Très jolie histoire, pleine
d’humanisme.
Bethea Verdorn et Thomas Graham, La lune brille, L’École des loisirs, 1990.
Une approche magnifiquement illustrée de ce qui se passe dans la nuit, en ville
ou à la campagne, pour les animaux ou les enfants, dans l’eau comme sur
terre, etc.
Martin Waddell et Barbara Firth, Tu ne dors pas, Petit Ours ?, Pastel, 1988.
Petit Ours a très peur du noir et Grand Ours apporte des lanternes de plus en plus
grandes pour dissiper le noir qui entoure Petit Ours. Une très belle histoire
avec une fin apaisante. Illustrations aussi belles que l’histoire.
Dan Yaccarino, Bonne nuit, Monsieur Nuit, Circonflexe, 2011.
Comment, à la tombée de la nuit, Monsieur Nuit ferme les fleurs, apaise les
animaux, calme la mer, veille sur les étoiles… Très apaisant. Graphisme
étonnant.
Remerciements
Ma gratitude s’adresse

au Dr Julien Cohen-Solal qui, le premier et pendant des décennies, m’a confié
les nuits de nombreux petits patients,

au Pr Antoine Bourrillon qui m’a donné l’occasion de faire, dans son service,
à l’hôpital Robert-Debré, des consultations et diverses communications sur les
troubles du sommeil,

aux Drs Amine Arsan, Isabelle Aubier, Martine Bailly, Véronique Baltakse,
Marie-Dominique Bazot, Nicole Beydon, Viviane Biriotti, Chantal Bourgin,
Nicole Castaing, Jacqueline Castel, Colette Chalem, Jean-Luc Cohen, Robert
Cohen, Marie-Pierre Cordier, François Corrard, Claire Couprie, Jérôme
Cressaty, Charles Cygler, Anne Delatour, Corinne Dodelin-Bricoux, Mireille
Dubosc, Édith Dupont, Annie Elbez-Rubinstein, Fabienne Feugier, Marie-
Christine Guesne-Girault, Michèle Hayat, Marie-France Heraud, Christine
Houdard, Françoise Julien, Catherine Kervoelen, Marie-Dominique Labadie,
Jacques Lacroix, Myriam Lathière, Jacques Launay, Martine Leconte, Hervé
Ledédenté, Antoine Napoly, Fabrice Quercia, Marie-Charlotte Rondeau,
Catherine Schlemmer, Marie-Christine Targuetta, Patrick Thouzery, Mona
Waché pour leur confiance précieuse,

à Michèle Taillandier, Jean Chaguiboff, Geneviève de Taisne, Paul Fuks,
Nicole Fabre, Véronique Monier, Chantal Demaria, Claudine Fournols et Rose
Fortassier pour leurs conseils judicieux,

à Agnès Guérin et Jacques Arènes qui m’ont aidée à la mise en forme et à la
relecture de la première édition de ce livre,

à Mathilde Nobécourt qui permet à ce livre de continuer d’exister et qui m’a
aidée pour sa réédition.

Que tous soient ici chaleureusement remerciés.
DU MÊME AUTEUR
Mon enfant me dévore,
Albin Michel, 2003.

Peur du noir, monstres et cauchemars,
avec Françoise Devillers, Albin Michel, 2010.
DANS LA MÊME COLLECTION
Cet enfant qui n’écoute jamais
Jean-Luc AUBERT

Les sept piliers de l’éducation – Quels repères donner à nos enfants ?


Jean-Luc AUBERT

Mes parents se séparent – Comprendre ce que ressent l’enfant


Maurice BERGER et Isabelle GRAVILLON

Petits tracas et gros soucis de 1 à 7 ans – Quoi dire, quoi faire


Christine BRUNET et Anne-Cécile SARFATI

Petits tracas et gros soucis de 8 à 12 ans – Quoi dire, quoi faire


Christine BRUNET et Anne-Cécile SARFATI

Dis bonjour à la dame !


Christine BRUNET et Aurore AIMELET

Une famille, ça s’invente – Les atouts des parents, les atouts des enfants
Hélène BRUNSCHWIG

L’autonomie, mode d’emploi – Comment lui donner envie de devenir grand


Etty BUZYN

Papa, Maman, laissez-moi le temps de rêver !


Etty BUZYN

Je t’aime, donc je ne céderai pas !


Etty BUZIN et Isabelle BAUER

La mort pour de faux et la mort pour de vrai


Dana CASTRO

Ça va pas fort à la maison – L’enfant et les soucis des grands


Dana CASTRO
Dana CASTRO

Petits silences, petits mensonges – Le jardin secret de l’enfant


Dana CASTRO

Petit manuel à l’usage des grands-parents qui prennent leur rôle à cœur
Étienne CHOPPY et Hélène LOTTHÉ-COVO

Séparons-nous… mais protégeons les enfants !


Stéphane CLERGET

Vos enfants ne sont pas des grandes personnes


Béatrice COPPER-ROYER

Peur du loup, peur de tout – Peurs, angoisses, phobies de l’enfant et de


l’adolescent
Béatrice COPPER-ROYER

Premiers émois, premières amours – Quelle place pour les parents ?


Béatrice COPPER-ROYER

Doué, surdoué, précoce – L’enfant prometteur et l’école


Sophie CÔTE

L’épanouissement de l’enfant doué


Sophie CÔTE et Dr Ladislas KISS

Parents, osez dire non !


Dr Patrick DELAROCHE

Oser être mère au foyer


Marie-Pascale DELPLANCQ-NOBÉCOURT

Amour, enfant, boulot… comment sortir la tête de l’eau


Anne GATECEL et Carole RENUCCI

Les mères qui travaillent sont-elles coupables ?


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Nos garçons. Mieux les comprendre pour mieux les élever


Michael GURIAN
Michael GURIAN

Pères solos, pères singuliers ?


Patrice HUERRE et Christilla PELLÉ-DOUËL

Pour que mon enfant réussisse – Le soutenir et l’accompagner


Monique de KERMADEC

Tracas d’ados, soucis de parents


Pr Daniel MARCELLI et Guillemette de LA BORIE

Mon enfant me dévore


Lyliane NEMET-PIER

Papa, Maman, j’y arriverai jamais ! – Comment l’estime de soi vient à


l’enfant
Emmanuelle RIGON

Turbulent, agité, hyperactif – Vivre avec un enfant tornade


Emmanuelle RIGON

Aux risques de l’adolescence


Gérard SÉVÉRIN

Qui a peur des jeux vidéo ?


Serge TISSERON

Crèches, nounous et C – Modes de garde, mode d’emploi


ie

Anne WAGNER et Jacqueline TARKIEL

Hors collection

Petites histoires pour devenir grand – À lire le soir pour aborder avec
l’enfant ses peurs, ses tracas, ses questions
Sophie CARQUAIN

Petites histoires pour devenir grand 2 – Des contes pour leur apprendre à
bien s’occuper d’eux
Sophie CARQUAIN
Petites leçons de vie – Pour l’aider à s’affirmer
Sophie CARQUAIN

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