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Dossiers

POUR
SCIENCE LA

ÉDITION
FRANÇAISE
DE
SCIENTIFIC
AMERICAN

DINOSAURES

Édité sous la direction de


Eric Buffetaut

Directeurde rechercheau CNRS


Couverture :
L'illustration dépeint un Allosaure chassant dans une aurore boréale du pôle
Sud. Ces animaux ont vécu en Australie, quand ce continent était, il y a 100
millions d'années, à l'intérieur du cercle antarctique. Ce spécimen est un des
plus petits allosaures et un des derniers survivants des dinosaures. Les dino-
saures autraliens ont survécu plus longtemps au cataclysme qui a anéanti
l'espèce parce qu'ils étaient déjà adaptés au froid et à l'obscurité.

Pour la Science 1977 à 1993

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégrale-


ment ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du
Centre Français d'exploitation du droit de Copie (3, rue Hautefeuille-75006
Paris)

ISBN 2-9029-1891-7 ISSN 1246-7685


4

Table des matières

1 L'histoire scientifique des dinosaures


Eric Buffetaut

2 Les oeufs et les nids de dinosaures 14


John Horner

3 La course des dinosaures 22


McNeill Alexander

4 La queue du Sauropaude 29
Jean Le Loeuff et Eric Buffetaut

5 Les dinosaures d'Amérique du Sud 30


JoséBonaparte

6 La paléontologie moléculaire 41

7 Les premiers dinosaures 42


Gilles Cuny

8 Plateosaurus 43
Gilles Cuny et Jean-Michel Mazin

9 Les dinosaures polaires 44


Patricia Vickers-Rich et Thomas Rich

10 Les derniers dinosaures du Sud de la France 50


Jean Le Lwuff et Eric Buffetaut

11 La première découverte d'oeufs de dinosaures 59


Eric Buffetaut et Jean Le Lcruff

12 L'archéoptéryx 60
Peter Wellnhofer

13 Pourquoi les dinosaures ont-ils disparu ? 74

14 Un impact d'origine extraterrestre 76


WalterAlvarez et Frank Asaro

15 Une éruption volcanique? 84


Vincent Courtillot

16 La disparition des dinosaures 93


Eric Robin et Robert Rocchia

17 Bibliographie 95
L'histoire scientifique

des dinosaures

ERIC BUFFETAUT

Les paléontologues ont, depuis 150 ans, examiné sous forme de questions
les fascinantes caractéristiques de ce groupe de reptiles disparus.
Comment pouvaient-ils survivre avec une aussi grande taille ? Etaient-ils

a sang chaud ou à sang froid ? Quels sont leurs descendants actuels ?


Quelle est la cause de leur disparition ?

nique Lorsque le paléontologue britan- de coquilles d'oeufsde dinosaures dont lées, dont quelques restes avaient été
Richard Owen utilisa elles faisaient des colliers. Quand le let- trouvés non loin d'Oxford, où il ensei-
pour la première fois le nom tré chinois Chang Qu, vers le IIIe siècle gnait. Un an plus tard, en 1825,Gideon
Dinosauria, en 1842,il n'imaginait cer- de notre ère, dissertait sur les os d'un Mantell, chirurgien à l'esprit tourmenté
tainement pasque ce terme scientifique dragon tombé du ciel dans le comté de et passionné de paléontologie, annon-
deviendrait un jour un mot du vocabu- Wucheng, au Sichuan, peut-être évo- çait la découverte dans le Sussex d'un
laire courant dans la plupart des quait-il les restes de dinosaures nom- énorme reptile herbivore auquel il
langues.Pourtant, aujourd'hui, les ½ter- breux dans la région. Et quand le Révé- attribuait le nom d'Iguanodon. Quel-
ribles lézards d'Owen font partie de la rend Robert Plot, en 1676,décrivait un ques années plus tard, il révélait au
culture populaire internationale, dans morceau de fémur d'une « extravagante monde scientifique un contemporain de
les pages des romans, sur les écrans de grandeurs trouvé près d'Oxford et l'Iguanodon, peut-être plus étrange
cinéma et de télévision, et dans les l'attribuait à un homme ou une femme encore, I'Hylaeosaurus, au corps cou-
magasins de jouets. Derrière cette d'une taille gigantesque, c'était bien vert de plaques et épines osseuses.
image et l'engouement qu'elle suscite,il d'un os de dinosaure qu'il s'agissait: le
y a cependant, ne l'oublions pas, des dessin qu'il nous en a laissé ne permet L'âge des reptiles
animaux qui vécurent des dizaines de pas le doute.
millions d'années avant l'apparition du Mais il fallut le savant allemand Blu- Comment pouvait-on interpréter ces
premier hominidé, et dont l'existence menbach, et surtout Cuvier, à la fin du grands reptiles disparus dont on ne
passée était encore complètement XVIIIe siècle,pour que le concept même connaissait encore que des restes bien
insoupçonnée il y a deux siècles.Grâce d'extinction desespècesfût enfin admis fragmentaires ? On lessavait contempo-
aux efforts de générations de paléonto- par la grande majorité des savants (La- rains d'autres reptiles étranges,marins
logues, les uns célèbres, les autres marck, plutôt rétrograde, fit, il est vrai, comme les ichthyosaures et les plésio-
obscurs, voire oubliés, les dinosaures de la résistance). Dès lors, et pas avant, saures, ou volants comme les ptéro-
sont aujourd'hui plus vivants, pour l'existence d'êtres sansaucun représen- saures,et Mantell avait popularisé l'idée
beaucoup d'entre nous, que bien des tant dans la nature actuelle, tels que les d'un « âgedes reptiles», durant lequel
créatures de notre monde actuel. Mais dinosaures,devenait admissible.Encore des créatures monstrueuses avaient
la vision que nous avons d'eux n'est pas fallait-il découvrir et interpréter leurs dominé le monde.
celle d'Owen en 1842, pas plus qu'elle restes. Les premières reconstitutions
n'est celle de sessuccesseursde 1892,ou Dès 1808, Cuvier avait eu entre les paléontologiques, réalisées durant ces
de 1942.Plus peut-être qu'aucun autre mains quelques vertèbres de dinosaure premières décenniesdu XIXe siècle, pré-
groupe d'animaux disparus, les dino- carnivore trouvées près de Honfleur, et sentaient desanimaux évoquant plus les
saures ont connu des interprétations y avait vu-ce qui n'était pas absurde- dragons traditionnels que des êtres de
variéeset changeantes,au fil des décou- celles d'un crocodile d'un type très par- chair et de sang. Owen, dont on a dit
vertes et des conceptionssuccessivesdes ticulier. C'est d'Angleterre, toutefois, beaucoup de mal, mais qui fut un grand
paléontologues. que vinrent les découvertes décisives, anatomiste et un grand paléontologue,
Avant qu'Owen ne leur donne un auxquelles Cuvier, après quelques hési- fut un des premiers à comprendre l'ori-
nom, les dinosaures, ou plutôt leurs tations, apporta sa caution scientifique. ginalité des dinosaures (son contempo-
restes fossiles, avaient attiré l'attention En 1824, William Buckland, géologue rain allemand Hermann von Meyer,
des hommes.Nous ne sauronsjamais ce aussi brillant qu'excentrique, décrivait administrateur des finances du Bundes-
que pensaient les populations préhisto- sous le nom de Megalosaurusun ½grand tag et brillant paléontologue, le précéda
riques du désert de Gobi desmorceaux lézard » auxdents tranchantes et crénc- en fait de plusieurs années, mais ne fut
1. DANS SON OUVRAGE sur l'histoire naturelle de l'Oxfordshire, 2. GEORGES CUVIER (1769-1832)fut un des premiers paléontolo-
publié en 1676, Robert Plot figure pour la première fois un os de gues à examiner des restes de dinosaures (en bas, dessin d'après
dinosaure fa gauche de la deuxième rangée sur la planche reproduite Cuvier, d'une vertèbre provenant deNormandie) Il crut reconnaître
ici). Il s'agissait de l'extrémité d'un fémur de dinosaure carnivore. d'abord des crocodiles, avant de comprendre, à la suite de décou-
Plot y vit, pour sa part, un os de géant. vertes faites en Angleterre, qu'il s'agissait de reptiles particuliers.

3. RECONSTITUTION du ½pays de l'Iguanodon» par l'artiste de dinosauresà t'aspect de dragons fabuleux illustre bien les concep-
anglais John Martin, sousla direction de Gideon Mantell. Ce combat tions du début du XIXe sièclesur l'«âge des reptiles».
pas suivi par ses collègues-s'il l'avait
été, nous parlerions de ½pachypodes&NR; et
non de dinosaures).
En 1842, donc, le terme « Dinosau-
ria» apparut pour la première fois. Il ne
regroupait que le Megalosaurus de
Buckland et l'Iguanodon et l'Hylaeo-
saurus de Mantell, mais Owen, à partir
des restes fragmentaires de ces animaux,
avait mis en évidence certains des carac-
tères les plus distinctifs des dinosaures.
De prime abord, on a peine à le croire
en contemplant les statues de brique et
de ciment érigées dans le parc de Syden-
ham, dans la banlieue londonienne, par
le sculpteur Waterhouse Hawkins, sous
la direction d'Owen, en 1854. Iguano-
don, Megalosaurus et Hylaeosaurus y
sont présentés comme de lourds qua-
drupèdes au tronc et aux membres mas-
sifs, qui évoquent plus des rhinocéros
écailleux que les dinosaures tels que
nous les voyons aujourd'hui. Au-delà
des incertitudes dues au caractère frag-
mentaire des fossiles connus à l'époque,
une constatation essentielle demeure :
les dinosaures avaient une locomotion
différente de celle des reptiles d'aujour-
d'hui. C'est en fonction de la structure
de leur bassin et de leurs membres
qu'Owen les avait séparés des autres rep-
tiles, et, aujourd'hui encore, c'est à par-
tir surtout de leur appareil locomoteur
que nous définissons les dinosaures.
Les reptiles actuels, étymologique-
ment, rampent, leur corps ne pouvant
guère être soulevé au-dessus du sol par
des membres écartés du tronc. Les dino-
saures, mauvais reptiles à cet égard,
avaient des membres ainsi faits que, pla-
cés à peu près verticalement, ils soute-
naient le corps au-dessus du sol et per-
mettaient une locomotion rappelant soit
4. L'ANATOMISTE et paléontologue britannique Richard Owen (1804-1892)proposa, en les grands mammifères quadrupèdes,
1842, le terme «Dinosauria» («terribles lézards») pour designer un groupe bien particulier soit les grands oiseaux bipèdes. Plus de
de reptiles fossiles-encore mal connus à cette époque.
150 ans après la définition d'Owen, nous
ne voyons certes plus les dinosaures
de la même façon que lui, mais le bien-
fondé de certaines de ses observations
demeure : les dinosaures sont bien un
groupe très spécial de reptiles.
Pour mieux comprendre les dino-
saures, il fallait d'abord surtout mieux
les connaître, et donc trouver des restes
plus complets. Jusqu'aux années 1870,
les livres consacrés à la paléontologie,
qu'ils soient destinés au grand public ou
aux spécialistes, nous montrent surtout,
de façon un peu répétitive, les trois
dinosaures recensés par Owen, et des
reconstitutions inspirées de celles de
Hawkins, quand elles ne nous présen-
tent pas des êtres d'aspect plus mytholo-
gique que biologique. Dès 1858, pour-
tant, le paléontologue américain Joseph
5. MANDIBULE PROVENANT DU JURASSIQUE de Stonesfield, près d'Oxford, décrite
Leidy, étudiant un squelette incomplet
en 1824sousle nom de Megalosauruspar William Buckland. Megalosaurus estun desgenres de dinosaure trouvé dans le New Jersey,
indus par Owen dans sesDinosauria en 1842.Les dinosauresn'étaient alors connusque par
desrestes fragmentaires. conclut que l'animal pouvait adopter
une posture bipède, évoquant ainsi un dinosaure. Rien d'étonnant dès lors à ce dans une compétition dont l'enjeu était,
gigantesque kangourou. En 1878, ce fut que l'Iguanodon soit devenu en quelque en grande partie, la découverte des
au tour de l'Iguanodon, rendu célèbre sorte le «dinosaure national» belge, au dinosaures les plus grands, les plus
par Mantell, d'être réinterprété de fond point de susciter des complaintes où la complets et les plus étranges.
en comble. Le 1er avril de cette année-là, rivalité entre Wallons et Flamands s'ex- L'Ouest américain offrait d'im-
des mineurs belges travaillant à plus de primait déjà. menses étendues où les roches fossili-
300 mètres de profondeur dans le char- fères affleuraient à merveille, sous un
bonnage de Bernissart, dans le Hainaut, Des dinosaures couvert végéta ! souvent plus que réduit.
rencontrèrent dans une poche d'argile Encore fallait-il s'y aventurer, dans les
dans le monde entier
remontant au début du Crétacé années 1870, bien loin de la civilisation,
d'énormes ossements, que les savants Durant le dernier quart du XIXe siè- alors que les guerres indiennes faisaient
bruxellois ne tardèrent pas à attribuer à cle, les découvertes d'ossements de encore rage. Néanmoins, à la fin de leurs
Iguanodon. Mais l'Iguanodon de Ber- dinosaures se multiplièrent, en Europe carrières dans les années 1890, Marsh et
nissart, représenté par une trentaine de bien sûr (où les paléontologues britan- Cope, à peu près ruinés financièrement,
squelettes à peu près complets, ne res- niques montrèrent à cet égard plus d'ar- pouvaient présenter un bilan scientifi-
semblait guère au massif quadrupède deur que leurs collègues parisiens), mais que impressionnant. Les découvertes de
cornu reconstitué par Owen et Hawkins. aussi dans nombre d'autres régions du squelettes nombreux et assez bien
La corne nasale se révélait être la der- monde, de l'Inde à l'Argentine en pas- conservés commençaient à révéler te
nière phalange du pouce, transformée sant par l'Afrique du Sud. Mais ce furent monde des dinosaures dans sa variété, sa
en éperon. Surtout, d'après les travaux les découvertes effectuées dans l'Ouest bizarrerie et son développement au
du paléontologue Louis Dollo qui américain qui révélèrent vraiment la cours du temps. Le gigantisme des sau-
consacra une grande partie de sesétudes diversité des dinosaures et le rôle pré- ropodes, au long cou et à la longue
aux fossiles de Bernissart, Iguanodon, pondérant qu'ils avaient joué dans les queue, t'étrangeté des stégosaures aux
lui aussi, pouvait adopter une posture faunes terrestres du Mésozoïque. La énormes plaques osseuses, la férocité
bipède. Les squelettes qui furent montés rivalité et la haine-créatrices en présumée des grands théropodes carni-
au Musée de Bruxelles dès le début des l'occurrence-entre deux hommes, vores, les énormes crânes hérissés de
années 1880, fermement dressés sur Edward Drinker Cope et Charles cornes des cératopsiens, ne tardèrent
leurs pattes postérieures et appuyés Othniel Marsh, y furent pour beaucoup. pas à passer des monographies scientifi-
sur leur longue queue, montraient pour Ces deux éminents paléontologues, aux ques aux ouvrages de vulgarisation.
la première fois au public l'ossature caractères diamétralement opposés, L'«âge des reptiles&NR; prenaitune forme
complète, et donc bien plus parlante que n'hésitèrent devant aucun coup bas et nouvelle, à mesure que les grands
les fragments connus jusque-là, d'un engloutirent leurs fortunes personnelles musées Nord-américains, vers le début

6. CARICATURE de Punch, montrant un jeune garçon des années Waterhouse Hawkins. Ces statues grandeur nature illustrent la
1850peuenthousiasmé par lesreconstitutions de dinosaures et autres vision qu'avait Owen des dinosauresIguanodon (en haut a gauche),
reptiles fossilesérigées dans le pare de Sydenham par le sculpteur MegaloNaurUN (en haut Li droite)
et Hylaeosaurus (en bas a droite).
du XIXe siècle, emplissaient leurs salles se devait de faire avancer la science et meaux et voitures automobiles, pour y
de squelettes spectaculaires. de contenter le public en récoltant et en trouver des dinosaures. Le but scientifi-
Il y eut alors une première vogue des exposant des squelettes de dinosaures. que était autre : il s'agissait de vérifier
dinosaures, qui prit sa source aux États- Le gouvernement canadien, lassé de les prédictions du directeur de l'Ameri-
Unis. Les peintures, artistiquement voir ses trésors paléontologiques pren- can Museum, le paléontologue Henry
excellentes et conformes au savoir de dre le chemin de New York, envoya ses Fairfield Osborn, personnage aussi mé-
l'époque, de Charles Knight, étaient propres équipes de chercheurs de fos- galomane que dynamique, qui pensait
reproduites ou copiées dans nombre siles sur les extraordinaires gisements de trouver en Asie centrale le berceau des
d'ouvrages plus ou moins spécialisés. l'Alberta. Quant à l'Allemagne impé- principaux groupes de mammifères, y
Les squelettes eux-mêmes, ou du moins riale, elle donna toute sa mesure dans sa compris et surtout, celui de la lignée
leurs copies, étaient diffusés à travers le colonie de l'Est africain (devenue Tan- humaine. Les récoltes furent plus que
monde. Lorsque l'industriel Andrew ganyika, puis Tanzanie). Des centaines maigres dans le domaine de la paléonto-
Carnegie eut obtenu pour son musée de d'ouvriers indigènes, sous la direction logie humaine, mais fort riches en ce qui
Pittsburgh un squelette (composite, il des paléontologues allemands W. concernait les dinosaures. Le chef des
est vrai) de Diplodocus, il inonda litté- Janensch et E. Hennig, passèrent plu- expéditions, le zoologue Roy Chapman
ralement les grands de ce monde de l'im- sieurs années à extraire, des gisements Andrews, comprit vite qu'il lui fallait
pressionnant moulage en plâtre de ce du Tendaguru, des tonnes d'ossements changer son fusil d'épaule vis-à-vis de la
squelette long de plus de 20 mètres. qui vinrent constituer à Berlin une des presse de l'époque : les dinosaures, et
Aujourd'hui encore, de La Plata à Saint- plus belles collections du monde. non l'homme fossile, seraient les
Pétersbourg, en passant par Londres, Après la Première Guerre mondiale, vedettes des expéditions en Asie cen-
Paris, Madrid, Vienne et Berlin, le c'est vers l'Asie que se tournèrent les trale.
paléontologue voyageur retrouve cette regards. Les expéditions de l'American L'apothéose survint lorsque les
vieille connaissance, Diplodocus carne- Museum of Natural History dans le paléontologues américains découvri-
giei, dans les salles des musées qu'il désert de Gobi, durant les années 1920, rent, dans les couches continentales du
visite. firent parler d'elles dans la presse du Crétacé supérieur de Mongolie, des
Dans les années qui précédèrent la monde entier. Elles n'étaient d'ailleurs oeufs de dinosaures. La nouvelle fit le
Première Guerre mondiale, un état qui pas parties pour ces régions inhospita- tour du monde : on savait enfin
se respectait et qui en avait les moyens lières, en combinant caravanes de cha- comment se reproduisaient ces mons-
tres du passé. N'en déplaise à Andrews
et à ses collègues, des coquilles d'oeufs
de dinosaures avaient été trouvées dans
l'Ariège par l'abbé Pouech, chanoine de
Pamiers, bien des décennies aupara-
vant, dans les années 1850 ;il est vrai que
Pouech, mis sur de fausses pistes par
les savants parisiens, n'avait pas attri-
bué ses oeufs à des dinosaures, et avait
même douté de leur nature. Puis, en
1869, le géologue marseillais Matheron
avait trouvé d'autres oeufs en Provence,
et les avait attribués à un reptile géant.
Hélas les discrètes découvertes fran-
çaises ne pouvaient rivaliser avec l'ava-
lanche de publicité qui entoura les tra-
vaux de l'American Museum en
Mongolie. Il ne suffisait plus de trouver
des dinosaures, il fallait aussi les «ven-
dre » au public, comme on dirait aujour-
d'hui.
Pendant que les Américains sillon-
naient le Gobi dans leurs automobiles,
le géologue chinois Tan et le paléonto-
logue autrichien Otto Zdansky décou-
vraient, dans la province du Shandong,
en Chine orientale, des squelettes de
dinosaures tout aussi intéressants que
ceux de Mongolie, et qui font aujour-
d'hui l'ornement du Musée d'Uppsala.
Mais ce bailleur de fonds plus discret
n'avait pas le même goût de la publicité
qu'Osborn, et les dinosaures du Shan-
dong restèrent dans l'ombre, connus des
seuls spécialistes, alors que le grand
public se passionnait pour les aventures
mongoles d'Andrews...
7. LES TIMBRES ÉMIS EN GRANDE-BRETAGNE pour célébrer le 150'anniversaire du
On peut considérer que, vers 1930,
motDinosauria portent la date de l'année 1841; cet anniversaire était un peu anticipé : Owen
utilisa le mot pour la première fois en 1842. Parmi ces quatre dinosaures, seul Iguanodon une certaine vision des dinosaures
faisait partie des genres inclus par Owen dans les Dinosauria en 1842. s'était imposée, chez la plupart des
paléontologues d'abord, puis dans le ney (1940), témoignent bien d'une Les nouveaux dinosaures
public. Elle devait se perpétuer, sans image, véhiculée aussi par de nombreux
grands changements, jusque vers la fin livres et articles de vulgarisation, mais C'est vers la fin des années 1970
des années 1960. On connaissait assez de qui était aussi celle de la plupart des qu'une vision nouvelle des dinosaures
squelettes bien conservés, provenant de spécialistes de l'époque. Corollaire de commença à s'imposer, non sans résis-
nombreuses régions du monde, pour cette vision des dinosaures, ces grosses tances. Au départ de cette révision, il y
avoir une idée de la diversité du groupe. bêtes, n'étant guère que des erreurs de eut un regain des recherches sur le ter-
On pouvait aussi réfléchir sur le mode l'Évolution, étaient certes propres à rain. Après les Américains et les Russes,
de vie de ces animaux-et, curieuse- agrémenter les musées et à y faire venir les Polonais, avec leurs collègues mon-
ment, revenir à certaines idées émises au les visiteurs, mais les paléontologues gols, se lançaient eux aussi à la recherche
début du XIXe siècle, lorsqu'on ne avaient des sujets autrement importants des richesses paléontologiques du
connaissait des dinosaures que quelques à traiter, de l'origine des vertébrés à la désert de Gobi, découvraient des dino-
débris. De l'avis de la plupart des sortie des eaux, de l'émergence des saures inconnus, et donnaient à leurs
paléontologues, beaucoup de dino- mammifères à celle de l'homme. Les découvertes une publicité méritée. Aux
saures devaient être aquatiques, ou au dinosaures ne quittèrent jamais les États-Unis aussi, certains paléontolo-
moins amphibies. Les grands sauro- pages des ouvrages de vulgarisation, gues se tournaient de nouveau vers les
podes, disait-on, étaient beaucoup trop mais ils furent réduits à la portion gisements de la région des Rocheuses.
lourds pour avoir pu soutenir leur congrue dans les articles scientifiques et Mais aux découvertes nouvelles se joi-
énorme masse sans le secours de la pous- les manuels paléontologiques. Dans l'uni- gnait un regard nouveau sur les dino-
sée d'Archimède : ils devaient passer versité française du début des années saures. Un exemple révélateur est celui
leur temps plus ou moins complètement 1970, les étudiants en paléontologie de Deinonychus antirrhopus, un dino-
submergés dans des lacs et des maré- n'entendaient parler de dinosaures que saure carnivore de taille moyenne trou-
cages, où ils se nourrissaient de tendres de façon fort succincte. Les quelques vé dans le Crétacé inférieur du Montana
plantes aquatiques, seule végétation 160 millions d'années de leur « règne » en 1964. La description de cet animal
adaptée à leurs faibles dentures. De n'étaient guère qu'un intermède paral- par le paléontologue John Ostrom en
même, les hadrosaures, avec leur ½bec lèle à l'évolution vraiment importante, 1969 marque à certains égards un tour-
de canards», devaient, comme les celle qui menait du poisson à l'homme. nant dans l'interprétation des dino-
canards, chercher leur nourriture au
fond des marais, dont ils fendaient l'eau
gracieusement, propulsés par leur lon-
gue queue et leurs pattes palmées. D'au-
tres dinosaures, les carnivores notam-
ment, mais aussi les formes cuirassées et
cornues, étaient sans doute plus terres-
tres, mais ce monde animal du Méso-
zoïque était généralement replacé
dans des paysages fort humides, vastes
plaines marécageuses à la luxuriante
végétation tropicale.
Quelques paléontologues allaient
plus loin encore : ainsi, au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale, le cher-
cheur allemand Wilfarth les voyait-il
habitant tous d'immenses espaces litto-
raux balayés chaque jour par des marées
de centaines de kilomètres d'amplitude,
et passant donc le plus clair de leur
temps immergés dans les eaux marines
peu profondes.
Les dinosaures, de toute façon,
étaient un peu des erreurs de la nature,
un triomphe provisoire de la vie pure-
ment végétative, des êtres stupides
devenus, à la suite de phénomènes évo-
lutifs menant à une hyperspécialisation,
trop grands ou trop bizarres pour survi-
vre au moindre changement de leur
milieu de vie. Voués de la sorte à l'ex-
tinction, ils avaient logiquement laissé la
place aux mammifères, bien plus actifs
et plus intelligents (et qui avaient le mé-
rite supplémentaire d'inclure, dans leurs
rangs, l'espèce humaine).
Les dinosaures remarquablement
animés par Willis O'Brien dans King
8. PREMIÈRE EXPOSITION au publie du squelette monte d'un dinosaure, à Bruxelles en
Kong en 1933, ou ceux qui vivent et 1883. Il s'agit d'un des nombreux squelettescomplets d'Iguanodon trouvés dans la mine de
meurent sur la musique du Sacre du Bernissart quelques annéesauparavant, qui contribuèrent beaucoup à modifier l'image des
Printemps dans le Fantasia de Walt Dis- dinosauresdans l'esprit des paléontologueset du public.
saures : cet animal aux pieds armés mifères et les oiseaux, dont le métabo- comme des oiseaux, ni comme des mam-
d'une énorme griffe était présenté lisme élevé leur permet de conserver mifères. Penser ainsi, c'est un peu battre
comme un prédateur redoutable et une température constante en dépit des en brèche un des dogmes des sciences de
agile, capable de poursuivre rapidement fluctuations externes ? J. Ostrom fut un la Terre en vigueur depuis plus de 150
ses proies et de se jeter sur elles, bien des premiers à suggérer une telle possi- ans, celui de l'actualisme, selon lequel
différent donc des géants lourds et stu- bilité, jugée fort révolutionnaire à l'épo- « le présent est la clé du passés. C'est
pides de la paléontologie classique. que. Son collègue Robert Bakker devait aussi reconnaître que l'on doit affronter
D'autres travaux devaient mener lui emboîter le pas, et surenchérir. Ainsi une difficulté redoutable-mais certai-
J. Ostrom à cette réinterprétation fon- se déclencha, vers 1970, la grande nement pas insunmontable - dans l'ef-
damentale des dinosaures : les controverse portant sur les « dinosaures fort de reconstitution qui est la base
empreintes de pas de ces animaux à sang chaud». Il fut fait appel aux argu- même du travail du paléontologue. Plus
(connues depuis le début du XIXe siècle, ments les plus variés : histologie des tis- que jamais, l'imagination est nécessaire,
lorsque certains y voyaient les traces sus osseux fossilisés, rapport entre le pour proposer des « modèles »(le mot est
laissées par le corbeau de Noé) révé- nombre des proies et celui des préda- à la mode, mais il s'applique bien ici) du
laient ainsi des dinosaures se déplaçant teurs dans les faunes de dinosaures, réin- métabolisme des dinosaures. Quoi qu'il
en troupeaux, et donc des comporte- terprétation des caractères anatomiques en soit, les interprétations originales de
ments grégaires, voire sociaux. les plus fondamentaux (concernant J. Ostrom et les « hérésies »(le terme est
La conséquence la plus révolution- notamment la posture et la locomotion), de son propre choix) de R. Bakker ont
naire de ces découvertes et observations hypothèses plus ou moins fondées sur le conduit à une remise en cause profonde
nouvelles était d'ordre physiologique : comportement... La question, aujour- de notre vision des dinosaures, et les ont
ces«nouveaux dinosaures»,actifs, rapides, d'hui, n'est pas entièrement réglée. Cer- replacés au centre d'un des grands
aux comportements complexes, pou- tains arguments se sont révélés ambigus, débats de la paléontologie.
vaient-ils avoir eu un métabolisme de d'interprétation difficile ; certaines J. Ostrom devait contribuer aussi à
reptile «normale», d'animal « à sang interprétations étaient clairement cette remise en cause en modifiant notre
froid», c'est-à-dire en fait à la tempéra- outrancières. Suivant une opinion assez conception de la place des dinosaures
ture interne variable en fonction de celle répandue parmi les paléontologues, la dans l'évolution du monde vivant. Il ne
du milieu extérieur? Ne fallait-il pas plu- physiologie des dinosaures leur était faisait d'ailleurs en cela que reprendre
tôt leur prêter une physiologie rappe- propre, elle n'a pas d'équivalent exact une idée défendue au XIXe siècle par des
lant celle des animaux endothermes et dans la nature actuelle, ils ne ½fonction- paléontologues aussi éminents que
homéothermes d'aujourd'hui, les mam- naient&NR; nicomme des crocodiles, ni T. Huxley et 0. Marsh : c'est parmi les

9. LES FOUILLES allemandes en Afrique orientale avant 1914 jurassiques. Ici, le paléontologue berlinois Janenschpose en compa-
livrèrent de nombreux et spectaculaires squelettes de dinosaures gnie d'ouvriers indigènes aux côtes d'un énorme os de sauropode.
dinosaures qu'il faut chercher l'origine moins «du reptiles. Phénomène de le mystère de leur disparition demeure,
d'un des groupes de vertébrés les plus mode ? En partie sans doute, mais ce rendu plus incompréhensible encore par
divers et les plus abondants du monde n'est pas toute l'explication, et la popu- ce long triomphe antérieur, cette solu-
actuel, les oiseaux. L'idée avait été assez larité actuelle des dinosaures n'est pas tion à la fois originale et diverse aux
généralement abandonnée durant les seulement le résultat des publicités des problèmes de la vie sur la terre ferme.
premières décennies du XXe siècle, sur fabricants de jouets et des cinéastes.
la base de quelques détails anatomiques. Les dinosaures, au XIXe siècle, pri- Un débat au coeur
Mais le réexamen par J. Ostrom des rent peut-être le relais des dragons des Sciences de la Terre
rares spécimens du plus ancien oiseau mythologiques et légendaires dans
connu, le célèbre Archaeopteryx des cal- l'imagination-ou l'inconscient-du Ici, les dinosaures se trouvent au
caires lithographiques de Bavière, repo- public. Aujourd'hui, sans doute conser- coeur d'un débat qui dépasse les limites
sait la question, et la description d'un vent-ils en partie ce rôle, personnifiant de la paléontologie, puisqu'il implique
nouveau squelette de cet animal par le la force brutale et malfaisante à laquelle géologues, géochimistes, géophysiciens
paléontologue bavarois Peter Wellnho- se mesurent de nouveaux Saints et astrophysiciens, mais qui demeure es-
fer répondait par l'affirmative : Georges et de nouveaux Siegfrieds, sentiellement paléontologique, car il
Archaeopteryx était bien un oiseau par mêms s'ils sortent d'Hollywood ou de s'agit de celui de l'extinction des es-
ses plumes, mais son squelette n'était studios de dessins animés japonais. Mais pèces, qui fit la gloire de Cuvier et qui
guère différent de celui d'un petit dino- ils ont pris une autre dimension, qui troubla Darwin. La question de la dispa-
saure carnivore. À cet égard aussi, la n'est pas nécessairement négative (en rition des dinosaures à la limite entre le
controverse fit ragedurant quelquesannées, témoignent d'ailleurs les gentils dino- Crétacé et le Tertiaire, il y a quelque 65
mais le consensus paraît maintenant éta- saures en peluche que l'on n'hésite pas millions d'années, est un vieux pro-
bli : les dinosaures ne se sont pas éteints à offrir à des enfants en bas âge). blème, mais il n'est abordé de façon sys-
sans descendance, et, suivant le mot Les conceptions actuelles des tématique et approfondie que depuis re-
de P. Wellnhofer, leurs descendants paléontologues, en effet, nous montrent lativement peu de temps. Depuis la fin
volent au-dessus de nos têtes. des dinosaures actifs et efficaces (et du XIXe siècle jusque vers 1980, le pro-
La reprise de débats scientifiques d'autant plus dangereux, à l'occasion), blème central de la paléontologie fut
autour d'eux a relancé la recherche sur qui ne sont plus les monstres voués à celui de la transformation des espèces,
les dinosaures d'une façon considérable. l'extinction que l'on imaginait volon- de l'origine des grands groupes et des
Ils ont, depuis 20 ans, retrouvé le devant tiers il y a encore 30 ans. On verrait grands types d'organisation, bien plus
de la scène, qu'ils n'occupaient plus volontiers en eux un succès de l'évolu- que celui de leur disparition. Les dino-
guère depuis les années 1920. Cela s'est tion, car le groupe domina les continents saures ne s'étaient transformés en rien
traduit par un regain des recherches sur pendant plus de 150 millions d'années, (puisqu'on les avait écartés provisoire-
le terrain, qui, en paléontologie, sont la ce qui n'est certes pas négligeable. Mais ment de l'ascendance des oiseaux), et
source première de tout progrès scienti-
fique. Les grands sites classiques de
l'Ouest américain et canadien ou de la
Mongolie sont réexploités, avec leur lot
de découvertes importantes. Des
régions jusqu'ici mal connues, de la
Thaïlande à l'Antarctique, nous révè-
lent des dinosaures inconnus, et parfois
éclairent d'un jour nouveau des
périodes jusqu'ici obscures de l'histoire
de ces animaux, qu'il s'agisse des très
anciens dinosaures du Trias d'Argen-
tine, ou de ceux du Jurassique moyen de
Chine qui nous renseignent sur une
période cruciale de l'histoire du groupe.
Même les régions que l'on pourrait
croire les mieux connues à cet égard
réservent des surprises de taille : l'An-
gleterre de Buckland, Mantell et Owen
ne livre-t-elle pas en 1983 le squelette
d'un dinosaure jusque-là tout à fait
inconnu, au museau de crocodile et sans
doute mangeur de poissons, auquel
l'énormité de certaines de ses griffes
vaudra le nom de Baryonyx.
Les dinosaures ont de nouveau droit
de cité dans la littérature et les congrès
paléontologiques, où ils bousculent un
peu certains des thèmes les plus à la
mode il y a une vingtaine d'années. Dans
les universités française où, en 1975, les
étudiants en paléontologie voulaient
avant tout se pencher sur les mystères de 10. LES EXPÉDITIONS AMÉRICAINES dans le désert de Gobi vers 1920 permirent la
l'évolution de l'homme, on souhaite découverte de nombreux oeufsfossiles, attribués au dinosaure Protoceratops (comme le
aujourd'hui ½faire du dinosaures», ou du montre cette reconstitution). Ce résultat inattendu fit l'objet d'une abondante publicité
leur destin était un mystère sans intérêt terrestre de cet iridium. Banni comme veulent être pris au sérieux, que de répon-
spécial pour un chercheur sérieux. Tout un gros mot du vocabulaire des géolo- dre avec des arguments concrets et pré-
au plus brodait-on sur leur gigan- gues et paléontologues depuis environ cis. Et face à l'hypothèse d'une cata-
tisme, leur évolution vers des formes 1840, le catastrophisme revenait en force. strophe globale, il ne suffit pas de
aberrantes, leur incapacité à s'adapter Beaucoup de paléontologues choisi- généraliser les observations et conclu-
aux changements du milieu... et on propo- rent d'abord de hausser les épaules face sions faites sur quelques beaux gise-
sait ainsi maintes hypothèses, remarqua- à ce qu'ils voyaient comme des fantaisies ments de dinosaures de)'Ouest améri-
bles surtout par leur faible base factuelle. de géochimistes et d'astrophysiciens. cain. Il faut recueillir des documents
Si, depuis une douzaine d'années, les Mais l'idée d'un événement catastrophi- aussi nombreux et précis que possible
articles sur l'extinction des dinosaures se que à la limite Crétacé-Tertiaire a fait sur la fin des dinosaures partout où cela
sont multipliés d'une façon aussi extra- son chemin, et a eu le mérite immense est faisable, des Corbières à la Chine. Il
ordinaire dans les pages des revues d'obliger à se poser de façon sérieuse la faut aussi que les paléontologues tien-
scientifiques, des magazines et même de question des extinctions de cette épo- nent dans le débat la place qui leur
la presse quotidienne, on le doit à une que. Cela signifie, entre autre, retourner revient, qu'ils proposent des méca-
découverte à l'origine fort peu paléon- sur le terrain, reconstituer les derniers nismes expliquant comment on passe
tologique, celle de l'enrichissement millions d'années des dinosaures et des d'un phénomène physico-chimique
notable en iridium de la couche argi- autres victimes avec une minutie nou- (qu'il soit catastrophique ou non) à
leuse qui marque, un peu partout dans velle, et ne plus se contenter des vagues l'événement biologique majeur qu'est
le monde, la limite entre le Crétacé et le considérations et spéculations d'autre- une ½extinction en masses. Même si
Tertiaire. Point n'est besoin de rappeler fois, que l'on soit « pour » ou « contre » l'hypothèse de l'impact d'un objet extra-
ici en détail le vaste débat scientifique l'idée d'un impact d'astéroïde à la fin du terrestre, ayant provoqué indirectement
qui a fait suite à la publication en 1980 Crétacé. Face aux calculs des physiciens, la rupture de nombreuses chaînes ali-
de l'article de L. Alvarez, W. Alvarez, les paléontologues, qui sont les premiers mentaires, paraît de plus en plus proba-
F. Asaro et H. Michel sur l'origine extra- concernés, n'ont d'autre ressource, s'ils ble, il serait faux de croire que l'extinc-

11. LES GRANDS DINOSAURES SAUROPODES furent long- capablesdese déplacersur la terre ferme et qu'ils avaient desmoeurs
temps considéréscomme contraints par leur énorme poids à une vie essentiellementterrestres, comme le montre cette reconstitution de
semi-aquatique. On pense aujourd'hui qu'ils étaient parfaitement Mamenchisaurus, du Jurassique supérieur de Chine.

12. DINOSAURES DU CRÉTACÉ d'Amérique du Nord. À gauche, Le Crétacé supérieur, contrairement à ce que l'on a parfois écrit, ne
le théropode Albertosaurus poursuitun hadrosaure (dinosaure à bec fut nullement une période de déclin des dinosaures, mais fut au
de canard). À, droite un groupe de Monoclonius, dinosaure cornu. contraire marqué par une importante diversification du groupe.
tion des dinosaures est un sujet désor-
mais éculé. Presque tout reste à faire
pour comprendre les modalités précises
de l'événement, pour expliquer pour-
quoi certains organismes survécurent
alors que les dinosaures et bien d'autres
s'éteignaient, pour reconstituer vrai-
ment cette crise considérable de l'his-
toire du monde vivant.
S'ils ont bien été les victimes d'une
catastrophe que rien ne laissait prévoir,
les dinosaures nous apparaissent sous
un jour différent. Le réexamen de leur
anatomie, la réinterprétation de leur
physiologie et de leur mode de vie, nous
les montraient déjà comme des succès
plutôt que comme des échecs de l'évo-
lution. Dans les hypothèses catastro-
phistes actuelles, leur disparition s'ex-
plique mieux : elle n'était pas inscrite
dans leurs gènes, dans une infériorité
fondamentale par rapport aux mammi-
fères qui « reprirent le flambeau » au Ter-
tiaire. Il fallut un événement très natu-
rel, mais hors du commun pour mettre fin
à 160 millions d'années de succèsdes dino-
saures-et donner leur chance aux mam-
mifères. Vues sous cet angle, l'histoire et à
la En des dinosaures deviennent cohérentes.

Mythologie ou publicité?
Au terme de cette revue des idées
changeantes au sujet des dinosaures,
comment interpréter leur succès actuel
auprès du public ? Par un attrait de l'es-
prit humain pour les «monstres», sans
doute, qui faisait déjà assimiler les dino-
saures aux dragons de la fable par nos
ancêtres du XIXe siècle. Lorsque les
monstres ont réellement vécu, ont été
13. CETTE RECONSTITUTION DU DINOSAURE THÉROPODE Deinonychus bondis-
des créatures de chair et de sang, ils n'en sant sur sa proie (un petit dinosaure omithopode) illustre les conceptions actuelles sur les
exercent que plus de fascination. De dinosaures carnivores, considérés comme des animaux actifs et agiles (Musée National des
façon plus anthropomorphique, aussi, SciencesNaturelles de Taiwan.)
l'histoire des dinosaures est un peu un
drame, celui d'un groupe d'êtres puis-
sants qui connaît un succès prodigieux
pendant des dizaines de millions d'an-
nées, avant de périr dans une cata-
strophe mondiale. Cela aussi peut trou-
ver une résonance dans l'esprit humain.
Non, l'intérêt envers les dinosaures n'est
pas simplement le résultat de cam-
pagnes publicitaires bien «ciblées», mais
l'étude psychologique et sociologique
de la place qu'ont prise les dinosaures
dans la culture humaine reste à faire.
Pour l'instant, puissent les paléonto-
logues répondre à la demande de la
société. Leur science n'a guère d'appli-
cations, sa justification est avant tout
culturelle. Si c'est à partir des dino-
saures que peut pénétrer dans le public
une meilleure connaissance de l'histoire
de la Terre et des êtres vivants, de ses
modalités et de ses mécanismes, il serait 14. GRAFFITI sur un mur d'Oxford : «Souviens-toi de ce qui est arrive au dinosaure!» La
bien dommage de ne pas profiter de disparition brutale des dinosaureséveille dans l'imagination humaine des échoscorrespon-
cette occasion de propager le savoir. dant à des préoccupations fort actuelles.
Les oeufs et les nids

de dinosaures

JOHN HORNER

À la suite de la découverte, dans le Montana, de nombreux oeufs

et squelettes de jeunes dinosaures, on sait mieux interpréter


la vie sociale de ces reptiles disparus.

De tous les animaux fossiles,les la plaine était hachée par les embou- paléontologue attaché à l'Institut Smi-
dinosauressont ceux qui nous chures de nombreux fleuves, les deltas, thsonian au début de ce siècle,avait tiré
sont les plus familiers. On a les marais et les marécages ;la végéta- toutes les conséquences d'une de ses
trouvé des milliers de squelettes, tion était luxuriante, sans doute très propres découvertes. Ch. Gilmore avait
complets ou partiels, sur la plupart des semblable à celle que l'on trouve encore récolté denombreux spécimensde dino-
continents ; ces squelettes étaient dis- aujourd'hui sur la côte Sud de la Loui- saures dans des roches du Montana
persés parmi des couches géologiques siane. Des cyprès chauves,desséquoias occidental,datant du Crétacé supérieur: :
déposéespendant environ 140 millions toujours verts et de nombreux arbres à la formation Two Med&NR;cine. Dans ses
d'années.Ils nous ont permis de connaî- larges feuilles proliféraient sous le cli- carnets, il avait noté l'abondance de
tre assez précisément l'aspect de ces mat subtropical humide. fragments d'oeufsde dinosaures.Par ail-
animaux. En revanche, on ne savait pas Ce milieu était peuplé de poissons, leurs, beaucoup de ces spécimens,qu'il
comment ils vivaient et quels étaient d'amphibiens, de tortues aquatiques et pensait être des espèces nouvelles,
leurs comportements. Au cours de ces de petits mammifères primitifs. Plu- s'avérèrent être de jeunes dinosaures
cinq dernière années,on a découvertdes sieursespècesde dinosauresétaient pré- appartenant à des espècesconnuesdont
oeufset des squelettes de dinosauresen sentes: deshadrosaures(des dinosaures on trouvait les fossiles dans les sédi-
deux sites du Montana ; la façon dont ils à bec de canard), des cératopsiens (ou ments situés plus à l'Est.
sont rassemblésfournit desindices sur le dinosaures à cornes) et de nombreux Les sédiments de la formation Two
comportement social des trois types de carnosauresde grande et petite taille. Il Medicine diffèrent de ceux qui contien-
dinosaures dont on a trouvé les sque- est donc curieux de constater que des nent les restes des dinosaures adultes :
lettes dans ces gisements. sédimentsne recèlent que de rares frag- ils furent déposésle long du réseau flu-
Essayons d'imaginer le continent ments d'oeufset d'ossements de jeunes vial adjacent aux jeunes montagnes
Nord-Américain il y a 80 millions d'an- dinosaures. Les restes concassésqu'on Rocheuses et, en grandes quantités, au
nées. Ce continent était alors coupé en peut y trouver semblent provenir d'ail- fond des lacs. La nature de ces sédi-
deux par une mer peu profonde nom- leurs. ments indique que le climat était assez
mée Mer intérieure occidentale du Cré- sec à certains moments de l'année. Par-
tacé. Les Montagnes Rocheuses, en La disparition des fossiles mi les nombreux restes d'animaux
cours de formation, ainsi que quelques découverts, l'abondance des oeufs de
massifsvolcaniquesisolés,constituaient La rareté desfossiles de jeunes dino- dinosaures et des squelettes de jeunes
les hautes terres de « l'Amérique occi- saures dans les régions où les adultes dinosaures est particulièrement frap-
dentale», tandis que les Appalaches vivaient nombreux semble paradoxale pante. De tous lesfossiles contenusdans
constituaient les hautes terres de et nombre de paléontologistes en ont ces sédiments, les débris de coquilles
«l'Amérique orientale». recherchéla cause.Certains ont supposé d'oeufs sont les plus courant et environ
Sur la large plaine côtière qui s'éten- que les dinosaures déposaient leurs 80 pour cent des ossementsde dino-
dait du pied du versant Est des oeufsdans desmilieux soumis à l'érosion sauresproviennent de jeunes animaux.
Rocheuses jusqu'à la rive Ouest de la plutôt qu'à la sédimentation. Pour d'au- Précisons que l'épaisseur de la for-
mer se déposaientles sédiments prove- tres chercheurs, les dinosaures s'éloi- mation Two Medicine est d'environ 650
nant de l'érosion des montagnes. Dans gnaientde la plaine côtière pour pondre. mètres ;la formation comprend diverses
la partie de cette plaine, qui est aujour- Pour d'autres spécialistes enfin, les zones sédimentaires correspondant à
d'hui le Montana et le Sudde l'Alberta, dinosauresvivaient très longtempset ils plusieurs types d'environnements. Le
la plaine atteignait 400 kilomètres de n'avaient donc pas besoin de se repro- site que j'ai étudié n'est qu'un de ces
large, mais cette largeur variait en fonc- duire beaucouppour assurerla pérénité environnements ; Ch.Gilmore en étudia
tion desfluctuations du niveau de la mer. de leurs populations. un autre. Bien que ces deux environne-
Tout le long de la côte et jusqu'à une Il y a longtemps que le problème ments aient entre eux plus de points
certaine distanceà l'intérieur desterres, aurait été résolusi Charles Gilmore, un communs qu'ils n'en ont avec les envi-
1. DANS UN NID, quelques petits hadrosaures (ou dinosaures à bec parents (au moins l'un d'entre eux) devaient leur apporter des
de canard) qui viennent d'éclore sont représentesdans cette scène graines, des baies, des pousseset des feuillages. Les adultes mesu-
imaginaire peinte par Doug Henderson. Les restes découverts dans raient environ sept mètres de long et les jeunes, à l'éclosion, 30
le Montana font penser que les jeunes dinosauresrestaient au nid centimètres. La découverte de nids de dinosaures dans le Montana
jusqu'à l'âge oit ils allaient paître avecles adultes. Avant cet âge, les servira, on t'espère, à attribuer les oeufsdéjà connus.
ronnements situés vers l'Est, ils ne sont
pas identiques.
Le site où j'ai travaillé s'appelle l'an-
ticlinal de Willow Creek. Il mesure
moins de deux kilomètres de large et sa
section verticale exposée est d'environ
150 mètres. Le site fut découvert en 1978
par Marion Brandvold, une paléontolo-
gue amateur de Bynum. M. Brandvol
étudia ce qui s'avéra être un nid conte-
nant de jeunes hadrosaures. Au cours
des cinq dernières années, les cher-
cheurs de l'Université de Princeton et de
l'Université du Montana ont mis au jour
les restes de près de 300 oeufs ou frag-
ments d'oeufs de dinosaures appartenant
à au moins trois espèces différentes ;
on a aussi trouvé les restes de plus de 60
squelettes de dinosaures, entiers ou par-
tiels, de nombreux restes de lézards et
de tortues, un grand ptérosaure (reptile
volant) et de nombreux restes d'Inver-
tébrés terrestres. Dans ce site, contraire-
ment à la plupart des autres où l'on a
trouvé des restes de dinosaures, la
majorité des oeufs occupent la position
exacte où ils furent pondus et la plupart
des squelettes sont apparemment à l'en-
droit et dans la position où les animaux
sont morts. Sauf à un endroit, les restes
ne semblent pas avoir été démantelés ou
éparpillés par les eaux.
Parmi les trois types d'oeufs de dino-
saures que recèlent les sédiments de
l'anticlinal de Willow Creek, certains
semblent être des oeufs d'hadrosaures :
les fragments étaient en effet dans des
nids occupés par de jeunes hadrosaures.
Ces oeufs ont été reconstitués ; ils mesu-
rent environ 20 centimètres de long et
ont une forme ovoïde ; leur surface
comporte des côtes et le petit bout de
l'oeuf est en bas, dans le sol. La plupart
des fragments sont disposés en rond, ce
qui incite à penser que les nids étaient
circulaires.
Les oeufs du deuxième type, plus
allongés, mesurent 15 centimètres et
portent des stries longitudinales à peine
visibles. Ce sont ceux d'un dinosaure
bipède primitif semblable à Hypsilo-
phodon. Les oeufs,jusqu'à 24 par ponte,
occupent un cercle d'environ un mètre
de diamètre. Les oeufs sont tous plantés
debout dans le sédiment, plus ou moins
droits avec leur bout étroit tourné vers
le bas ; ils ne se touchent pas, sauf quand
ils se sont couchés sur le côté.
On ignore quel animal a pondu les
oeufs du troisième type. Ces oeufs mesu-
rent à peu près dix centimètres de long
2. UNE MER PEU PROFONDE divisait le continent Nord américain au Crétacé, il y a et leur forme est plus symétrique. Leur
environ 80 millions d'années. La large plaine côtière, qui s'étendait du versant oriental des surface est granuleuse, couverte de pe-
jeunes montagnesRocheusesjusqu'à la rive occidentale de cette mer intérieure était peuplée tites bosses qui ne semblent pas se répar-
par de nombreuses espècesd'animaux primitifs, notamment des dinosauresdont les restes tir de façon particulière. On a trouvé ces
fossibles ont été trouvés récemment sur l'anticlinal de Willow Creek, dans l'Ouest du oeufs couchés horizontalement en deux
Montana (dans la zone délimitée par le petit rectangle dans la carte supérieure). On a
représentéen bas le site des gisementsde façon plus détaillée dans une vue panoramique du rangs parallèles. Ils paraissent avoir été
paysagede l'Ouest américain au Crétacé. complètement ensevelis sous les sédi-
ments, contrairement aux oeufsdes nids les bosses des coquilles n'auraient-elles bonne évacuation des gaz ; tes oeufs qui
circulaires qui semblent n'avoir été que pas pour fonction d'écarter les sédi- étaient complètement enfouis dans les
partiellement enfouis. ments et de les empêcher d'obstruer les sédiments auraient eu besoin de ces
pores ? structures quelle que fut leur taille. De
Pourquoi certains oeufs portent-ils grands oeufs, trouvés en France et attri-
La forme des oeufs
des stries orientées, alors que d'autres bués au sauropode Hypselosaurus, por-
Richard Mellon, de l'Université de comportent des bosses disposées au tent des bosselures semblables (1semble
Princeton, s'est intéressé aux rapports hasard? R. Mellon a observé que les qu'ils aient été aussi pondus en rangées).
entre les reliefs de la surface des oeufs ovoïdes qu'on trouvait toujours Pourquoi toutes les pontes de dino-
coquilles et la façon dont sont disposés debout, plus ou moins verticaux dans saures sont-elles disposées soit en rond,
les oeufs dans les nids. Il pense que ces des nids circulaires, étaient ceux qui por- soit en rangées? Sans doute en raison de
reliefs sont peut-être des adaptations taient des stries orientées. Pour de petits l'organisation sociale de ces animaux.
permettant d'assurer l'évacuation des oeufs, comme ceux que l'on attribue aux Quand les pontes sont circulaires, les
gaz. Le métabolisme de l'embryon pro- Hypsilophodontes, de petites stries au- oeufssont concentrés sur une petite sur-
duit en effet du dioxyde de carbone qui raient suffi à dégager les pores, car, seule face ; quand elles sont linéaires, les oeufs
s'évacue à travers les pores de la une faible partie de leur surface est en sont éparpillés sur une plus grande éten-
coquille. Quand l'oeuf est partiellement contact avec les sédiments. En due de terrain. Si, comme les faits le
ou complètement enfoui dans le sédi- revanche, la surface des gros oeufs des suggèrent, les pontes circulaires
ment, comment peut-il assurer convena- hadrosaures imposait des structures n'étaient que partiellement recouvertes
blement cette évacuation? Les stries et plus importantes pour assurer une de sédiments, les parents (du moins l'un

3. L'ANTICLINAL DE WILLOW CREEK comporte plusieurs aires ments de coquilles d'oeufsou d'ossementsprès de la surface du soL
de pontes d'hadrosaures.Là, les paléontologuesrecherchent les frag- Les cerclesorangéssur le sol correspondentà l'emplacementdes nids.
d'entre eux) devaient s'en occuper afin exposée des oeufs, comme le font de chances d'éclore étaient sans doute
d'en assurer l'incubation et les protéger nombreux Crocodiliens actuels et beau- moindres. En effet, dans les pontes
contre les prédateurs. Cette tâche néces- coup d'oiseaux végétaux qui nidifient au linéaires, on trouve beaucoup d'oeufs
sitait une certaine dépense d'énergie de sol. Les tissus végétaux, en fermentant, non éclos, contrairement aux pontes cir-
la part des parents, mais les oeufsavaient dégagent une chaleur qu'il est possible culaires où la plupart des oeufs semblent
ainsi plus de chance de parvenir à l'éclo- de faire varier en retirant ou en rajou- avoir éclos.
sion. tant des débris végétaux. Les oeufs pon-
Les dinosaures assuraient sans doute dus en rangs n'étaient probablement
Les relations interspécifiques
l'incubation des pontes circulaires en incubés que par la chaleur du Soleil ;
recouvrant de débris végétaux la partie dépendant du seul beau temps, leurs Sur le site de l'anticlinal de Willow
Creek, les nids d'une même espèce sem-
blent regroupés. Par exemple, les pontes
d'Hypsilophodontes se trouvent sur
deux petites collines que l'on a appelées
la montagne aux oeufs et l'île aux oeufs.
Sur la montagne aux oeufs, tous les nids
occupent une zone d'environ 70 mètres
de diamètre. Ils sont répartis sur trois
«horizons», c'est-à-dire trois couches
sédimentaires différentes, qui s'éta-
gent sur trois mètres de hauteur. Les
nids d'un même horizon sont séparés les
uns des autres par une distance de deux
mètres. Comme les adultes de cette es-
pèce atteignaient environ deux mètres
de longueur, leurs nids étaient donc
assez serrés. Le fait qu'on les trouve
dans des horizons différents indique que
l'espèce nidifia dans ces parages pen-
dant de nombreux siècles.
4. ON A TROUVÉ TROIS TYPES D'OEUFSde dinosauresdans les gisementsdu Montana. Les ossements trouvés sur le site pro-
La grande forme ovoïde, à gauche, est une reconstitution d'un oeuf d'hadrosaure ; cette
viennent de 20 à 25 Hypsilophodontes
reconstitution estfondée sur les fragments de coquilles récoltésdans desnids où setrouvaient
des ossementsde jeunes hadrosaures. L'oeuf mesure environ 20 centimètres de long et sa d'âges divers. Les restes des jeunes
surface comporte des côtes proéminentes orientées longitudinalement. L'oeuf du milieu, un récemment éclos ne sont pas dans les
peu moins grand et plus allongé, est sans doute celui d'un dinosaure bipède primitif nids, mais dispersés autour ; tous les
appartenant au groupe des Hypsilophodontes.Les stries longitudinales qui ornent sa surface fonds de coquille sont intacts dans les
sont moins saillantes. L'oeuf de droite, d'origine inconnue, a une surface granuleuse. La nids. Il est donc fort improbable que les
plupart desdeux premiers types d'oeufssont posésverticalement et seulementpartiellement jeunes aient été nourris et soignés au nid
enfouisdans les sédiments; les oeufsdu troisième type sont généralementcouchésselon deux
rangéeset complètement recouverts par des sédiments. car, dans ce cas, les coquilles auraient été
écrasées. Alors pourquoi trouve-t-on
des individus de différentes tailles dans
les aires de nidification ? Si les jeunes
quittaient le site juste après l'éclosion,
un ou deux jeunes auraient pu mourir
par hasard avant d'avoir eu le temps de
s'éloigner, mais pas 20 à 25 ! Il est possi-
ble que les jeunes dinosaures, comme
certains oisillons, qui nidifient au sol,
soient restés groupés dans les parages.
Les sédiments sont tels qu'à l'époque où
les dinosaures y nidifiaient, le site était
soit une île, soit une péninsule bordée
par un grand lac. Si les jeunes trouvaient
à manger sur le rivage, rien ne les pres-
sait d'aller plus loin.
Sur la montagne aux oeufs, les fouilles
se poursuivent, couche par couche ; on
met ainsi au jour ce qui reste des groupes
d'animaux qui y vécurent successive-
ment. Dans les sédiments en contact
avec la plupart des nids d'Hypsilopho-
dontes, on trouve des amas d'objets
ellipsoïdaux ressemblant aux nymphes
des bousiers actuels. Si ces objets sont
bien des nymphes de bousiers, ces coléo-
ptères devaient certainement se nourrir
5. UNE PONTE DE 24 RUFS a été retrouvée intacte dans un nid d'Hypsilophodontes, sur des cadavres des jeunes dinosaures et
une colline que l'on appelle la montagne aux oeufs.La barrette mesure cinq centimètres. d'autres charognes ainsi que des liquides
qui restaient au fond des coquilles saures : les Ornithischiens (en majorité l'exceptionnel avantage d'éclore sur le
d'oeufs après l'éclosion. herbivores) et les Saurischiens (généra- site même où nidifiait des dinosaures
On trouve aussi, sur la montagne aux lement carnivores). Les Hypsilopho- non prédateurs.
oeufs, des restes de lézards prédateurs, dontes, les dinosaures à bec de canard,
surtout de varans. Les varans actuels les dinosaures à cornes et d'autres sont L'île aux oeufs et Willow Creek
déterrent les oeufs des Crocodiliens et des Ornitischiens ; les dinosaures carni-
volent les oeufsdes oiseaux qui nidifient vores et les Sauropodes sont des Sauris- L'île aux oeufs, comme son nom l'in-
au sol. Ces lézards comptaient proba- chiens. dique, est complètement entourée de
blement parmi les plus efficaces préda- Les oeufs attribués au dinosaure cor- sédiments lacustres. Le lac qui l'entou-
teurs des oeufs de dinosaures. Un troi- nu Protoceratops (de Mongolie) se trou- rait n'était peut-être pas très profond à
sième prédateur dont on a trouvé vent dans des nids circulaires, tout l'époque où les dinosaures nidifiaient
quelques restes est Troodon, un petit comme ceux attribués aux Hypsilopho- sur l'île, mais offrait néanmoins une cer-
dinosaure carnivore qui s'attaquait dontes. Les pontes circulaires et les taine protection contre les prédateurs.
peut-être aux jeunes Hypsilopho- structures de la coquille des oeufs des Le site fut découvert en 1983, au cours
dontes. hadrosaures nous incitent à penser de la dernière semaine de la saison de
C'est presque exclusivement sur la qu'eux aussi avaient des nids circulaires. fouilles. On y a néanmoins exhumé,
montagne aux oeufs que l'on trouve les Le sauropode Hypselosaurus, un Sauris- dans deux horizons différents, trois
pontes linéaires d'oeufs de dinosaures. chien trouvé en France, pondait, sem- pontes d'Hypsilophodontes. L'une
Bien que l'on ait déjà récolté un grand ble-t-il, ses oeufspar rangées. Il se pour- d'elles se composait de 19 oeufs non
nombre d'oeufs, il n'est pas toujours rait donc que les Ornithischiens aient éclos contenant chacun les restes d'un
facile, étant donné la façon dont ils sont pondu en rond et les Saurischiens en squelette d'embryon. Les squelettes ont
distribués, de déterminer le nombre de long. Peut-être les pontes linéaires trou- tous la même taille, ce qui suggère que
pontes qu'ils représentent. Il se peut que vées sur la montagne aux oeufs provien- les oeufs furent tous pondus au même
la ponte linéaire soit un des traits qui nent-elles du petit Saurischien préda- moment et auraient éclos en même
distinguent les deux ordres de dino- teur Troodon, qui aurait bénéficié là de temps.

6. SUR CE SCHEMA DE LA MONTAGNE AUX OEUFS, plusieurs dans des cuvettes sont des pontes d'Hypsiolophodontes. Les petits
niveaux contiennent des restesde nids et de squelettesde dinosaures. ovales noirs sont des oeufsd'un dinosaure d'espèce inconnue. Les
Les parties coloréesreprésententles zonesfouillées ; les parties grises squelettesaux longs membres inférieurs appartiennent à des Hypsi-
montrent les zonesencore recouvertes de sédimentsou celles où les lophodontes. Les autres squelettes sont ceux de lézards, peut-être
sédimentsont été emportéspar t'érosion. Les oeufsdisposésen rond prédateurs. Sur cette figure, l'échelle verticale est dilatée.
Sur l'anticlinal de Willow Creek, on des nids, mal conservé, contenait plu- cas de danger. Il a été montré indépen-
a cependant découvert un troisième site sieurs jeunes de 45 centimètres de long ; damment par James Hopson, de l'Uni-
fossilifère, encore plus intéressant que la l'autre contenait 15 individus d'environ versité de Chicago, David Weishampel,
montagne aux oeufs et l'île aux oeufs. À un mètre (à l'éclosion, les hadrosaures de l'Université de Floride, et moi-mme
environ un kilomètre de la montagne mesuraient entre 30 et 35 centimètres de que ces animaux étaient capables
aux oeufs,dans des alluvionnements plus long). d'émettre des sons puissants.
anciens, on a trouvé à ce jour huit nids Les hadrosaures étaient des herbi-
d'hadrosaures. Ils appartiennent tous au vores bipèdes qui ne disposaient d'au- Les comportements des dinosaures
même horizon sédimentaire et ont donc cun moyen de défense notable, hormis
dû coexister dans le temps. l'éventuelle possibilité de ruer et de pié- Je ne m'attends pas à ce que ces
Les hadrosaures étaient beaucoup tiner l'agresseur avec leurs pattes posté- hypothèses soient admises d'emblée par
plus grands que les Hypsilophodontes et rieures : ils n'avaient ni cornes, ni pla- tous les paléozoologistes spécialisés
les adultes mesuraient en moyenne sept À dans les Dinosauriens. Je pense que la
ques, ni épines protectrices. en juger
mètres de long. Leurs nids aussi étaient par leurs squelettes, ils n'étaient pas plus nidification par groupes, la surveillance
plus grands : ils avaient à peu près deux taillés pour la course à pied qu'un des oeufs et les communications vocales
mètres de diamètre et un mètre de pro- canard de Barbarie. Tout semble indi- entre adultes ne soulèveront pas trop de
fondeur. Édifiés partir du sol, semble- quer qu'ils devaient être tragiquement contestations du fait que l'on retrouve
t-il, avec de la boue comme matière pre- vulnérables, surtout quand ils étaient ces comportements chez les Crocodi-
mière principale, ils avaient la forme jeunes. Pourtant, l'abondance de leurs liens actuels. Le partage de la nourriture
d'une cuvette et paraissaient destinés à restes dans les sédiments de la fin du est plus sujet à controverse, car c'est un
recevoir une ponte circulaire. À en Crétacé montre qu'ils comptaient alors comportement que l'on rencontre sur-
croire les dimensions respectives du nid parmi les dinosaures les mieux adaptés. tout chez les oiseaux et les mammifères.
et des oeufs, et en supposant que les Pour quelle raison ? De nombreux chercheurs pensent que
hadrosaures disposaient leurs oeufs à Les hadrosaures se rassemblaient nous attribuons aux dinosaures une phy-
peu près comme les Hypsilophodontes, pour nidifier en vastes et denses colonies siologie et des comportements plus
il semblerait que les pontes devaient et protégeaient leurs oeufs. Après l'éclo- complexes que ceux qu'ont pu avoir des
compter entre 20 et 25 oeufs. sion, les adultes continuaient à protéger reptile ; les spécialistes rejetteront donc
Chez les hadrosaures comme chez les leur descendance et à la nourrir. Comme sans doute l'hypothèse d'un partage de
Hypsilophodontes, les nids sont très chez les oiseaux nidicoles, dont les la nourriture, car ce comportement est
proches les uns des autres, séparés seu- jeunes sont incapables de se nourrir rarissime chez les reptiles actuels.
lement par une distance égale à la lon- seuls, les petits hadrosaures restaient au Finalement, la question est donc la
gueur approximative des adultes. En nid, et n'en sortaient que lorsqu'ils suivante : les reptiles actuels sont-ils
revanche, si chez les Hypsilophodontes étaient capables d'accompagner leurs incapables d'avoir de tels comporte-
le fond des coquilles d'oeufs est intact, parents à la recherche de nourriture. ments ou bien ne les manifestent-ils pas
les nids des hadrosaures sont tapissés de Il semble que les hadrosaures adultes parce qu'ils n'en ont pas besoin ? Selon
débris de coquilles. Deux des nids conte- aient eu les moyens d'avertir les autres de nombreux chercheurs, les comporte-
naient aussi des restes de jeunes : l'un membres de la colonie ou du groupe en ments fondamentaux se transmettent de

7. LES RECONSTITUTIONS DES SQUELETTES d'un hadro- figure à la même échelle LesHypsilophodontes, plus petits, semblent
saure et d'un Hypsilophodonte adultes sont représentéessur cette avoir été des coureurs plusrapides que les hadrosaures.
8. DE JEUNES HADROSAURES à la sortie du nid sont en train de possible qu'ils paissaient aussi avecd'autres membres du troupeau.
se nourrir en compagnie d'un adulte, probablement leur mère. B est La hthographie est de D. Henderson.

génération en génération par les gènes. toute leur existence). Dans six sites dif- plus probable que, sans ce comporte-
Même quand un animal ne manifeste férents, les restes permettent de suppo- ment, la mortalité des jeunes aurait été
pas un comportement fondamental par- ser l'existence d'une association entre très importante. Les squelettes des nou-
ticulier, il est capable d'en faire usage si les adultes et les jeunes. Du fait que ces veau-nés ne diffèrent de ceux des
les circonstances l'exigent. Ainsi, des jeunes ne dépassaient jamais la moitié adultes que par la taille, si bien qu'ils ne
animaux tels que les Crocodiliens, pour- de la longueur des adultes, on pense que devaient pas être plus capables que leurs
raient partager la nourriture, mais n'ont les jeunes adultes (mesurant entre trois parents de fuir ou de se défendre. Il est
aucun besoin de le faire. Les Crocodi- et six mètres) quittaient le groupe pour vraisemblable que les jeunes survivaient
liens sont des prédateurs agressifs, explorer d'autres lieux. parce que les adultes les nourrissaient
même jeunes. Manifestement, de jeunes Ces interprétations sont certes très par dessus le bord du nid et que la den-
dinosaures herbivores comme les hypothétiques, mais elles correspon- sité de la colonie leur assurait une pro-
hadrosaures n'étaient non seulement dent bien aux gisements. La simple pré- tection. La formation de ces troupeaux
pas agressifs, mais encore fort vulnéra- sence, dans les nids, de jeunes hadro- résultait sans doute du comportement
bles aux attaques de nombreux préda- saures ayant tous la même taille permet grégaire des hadrosaures.
teurs. Les parents devaient donc par- de tirer beaucoup plus de conclusions En ce qui concerne les Hypsilopho-
tager leur nourriture avec leur que si les fossiles avaient été déplacés dontes de la montagne aux oeufs, il est
progéniture et veiller à leur protec- par les eaux. Les jeunes semblent être possible que l'alimentation des jeunes
tion. morts sur place et rien n'indique qu'ils au nid n'ait pas été une nécessité. La
Les sédiments de l'anticlinal de Wil- aient été tués par des prédateurs. Quand morphologie de leur squelette indique
low Creek indiquent aussi que les hadro- les oiseaux nidicoles abandonnent leurs que ces animaux étaient de bons cou-
saures vivaient en troupeaux ou quelque petits au nid, ceux-ci meurent de faim. reurs. La rapidité de leur fuite était
autre forme de groupement social, pen- Pour les dinosaures, l'alimentation des probablement leur principale défense
dant une grande partie de leur vie (sinon jeunes au nid est une hypothèse d'autant contre les prédateurs.
La course des dinosaures

McNEILL ALEXANDER

Les géants du Mésozoïque avançaient-ils à pas lents


ou étaient-ils de formidables machines de course? Des concepts empruntés
à l'hydrodynamique et à la mécanique nous apportent des éléments de réponse.

Les éléphants ne cabriolent pas et La masse était surtout celle de la et la structure dessystèmesmécaniques.
ne bondissent pas comme des peau, de la chair et des viscères,qui ont Considérons deux animaux de tailles
gazelles : leur taille le leur inter- disparu depuis longtemps et qui sont différentes, mais de forme semblable : si
dit. Comment certains dinosaures bien aujourd'hui difficiles à préciser. On le plus grand est deux fois plus long que
plus grands que les éléphants se dépla- l'estime d'après les maquettes des pa- le plus petit, par exemple, il est égale-
çaient-ils ? Leurs pattes, trop faibles léontologues : plongées dans l'eau, ces ment deux fois plus large et deux fois
pour soutenir leur poids énorme, leur maquettes déplacent un volume d'eau plus haut. Alors le volume du plus gros
imposaient-elles de vivre dans des lacs, égal au leur ; en multipliant ce volume est égal à huit fois celui du plus petit
où l'eau les portait ? Et si leurs membres par le facteur d'échelle estimé, on ob- (2 x 2 x 2 = 8) ; si les deux animaux ont
étaient suffisamment puissants pour tient le volume de la créature réelle. la mêmemassevolumique, le plus grand
assurerune locomotion analogueà celle Ainsi le volume des maquettes au 1/40 est huit fois plus lourd.
des éléphants,quelle vitessemaximale doit être multiplié par 403 (longueur Cette augmentation du poids en
se déplaçaient-ils? x hauteur x largeur), soit 64 000. Enfin, proportion du cube des dimensions
Les dinosaures ayant disparu, nous en multipliant encore ce volume formi- linéaires pose des problèmes physiolo-
ne pouvons explorer ces questions par dable par la massevolumique de l'eau, giques : bien que le volume de l'animal
des observations directes ; toutefois la qui est approximativement celle descro-
physique et, notamment, la mécanique codiles et des mammifères (1000 kilo-
nous apportent des réponses qui sem- grammespar mètre cube), on obtient la
blent satisfaisantes.L'art de la construc- massevraisemblable des dinosaures.
tion navale, l'étude des forces et des Ces calculs indiquent une masse
contraintes appliquées sur diverses supérieure à sept tonnes pour le Tyran-
structures et l'observation de la vie sau- nosaure, soit dix fois le poids d'un ours
vage nous indiquent quelques lois phy- polaire adulte, le plus grand prédateur
siques s'appliquant aux mouvements terrestre du XXe siècle.Le Brachiosaure,
des dinosaures. le plus grand dinosaure herbivore, dont
En associantcette approche mécani- on a reconstitué un squelette quasi
que et l'étude des os fossiles ou des complet, était encore plus gigantesque:
traces de pasdes dinosaures, nous pou- sa masse,de 50tonnes, aurait été dix fois
vons savoir si cesanimauxgéantsétaient celle d'un éléphant d'Afrique mâle
agilesou lents. Le Triceratops-un qua- adulte ou une fois celle d'un cachalot.Le
drupède cornu-galopait-il ou avançait- Brachiosaure était certainement un ani-
il péniblement? Le Tyrannosaure-le roi mal impressionnant, avec ses13 mètres
des carnivores bipèdes-était-il plus de hauteur-deux fois la hauteur d'une
habile ou plus rapide que le Triceratops girafe adulte-, mais il n'était sansdoute
qu'il chassait ? pas le plus grand : le Supersaureet l'Ul-
trasaure, connus seulement par quel-
Du Chien au Dinosaure ques os, devaient être encore plus
étonnants.
Nous connaissons essentiellement Quelle est la taille maximale des ani-
les dinosaures par leurs squelettes, qui maux terrestres ? La question a été
nous indiquent leurs tailles, mais lesfos- posée pour la première fois par Galilée,
silesne nous renseignentpas sur le poids au début du XVif siècle,quand il analy-
que cessquelettes,notamment les mem- sa lesrelationsentre la taille, la résistance
bres, devaient supporter. Les hauteurs
et longueurs ne nous aident pasnon plus
à comparer les dinosaures entre eux. Il
1. TYRANNOSAURUS, un carnivore,poursuit
nous manque la donnée la plus utile : la un herbivoreà trois cornes,le Triceratops.A
massecorporelle. quellevitesse ?
le plus grand soit multiplié par huit, la des dinosaures et de calculer leur vitesse La loi sous-jacente concerne la simi-
résistance de ses pattes l'est seulement de course. litude dynamique, une généralisation de
par quatre. En effet, cette résistance Bien que je ne l'aie pas vu immédia- la similitude géométrique. Deux formes
étant proportionnelle à la section des tement, l'expression v²/gl avait été utili- sont géométriquement équivalentes
membres, les pattes sont seulement qua- sée pour la première fois, des 1831, par quand on passe de la première à la
tre fois plus fortes (un facteur deux pour Ferdinand Reech, professeur à l'École seconde en multipliant toutes les lon-
la longueur, et un facteur deux pour la d'architecture navale de Paris. Elle a gueurs par une même valeur (la hauteur,
largeur). Ainsi Galilée avait remarqué cependant été attribuée ultérieurement la largeur et la longueur sont alors,
que chaque forme animale a sa taille à l'architecte naval William Froude. notamment, augmentées dans les
maximale, à partir de laquelle elle ne se Afin d'éviter des erreurs onéreuses, mêmes proportions). De même, deux
soutient plus. Froude avait cherché à estimer, grâce à mouvements sont dynamiquement sem-
des maquettes, la puissance de propul- blables quand on passe du premier au
Similitude dynamique sion qui serait nécessaire pour faire second par une transformation uni-
et similitude géométrique avancer un navire en projet. Comme la forme des échelles de longueur, de
vague d'étrave, à l'avant des navires, est temps et de force. Des animaux de tailles
Afin d'analyser le déplacement des la principale résistance à l'avancée, différentes, par exemple, peuvent être
dinosaures à l'aide de telles considé- Froude comprit que la hauteur de cette dynamiquement semblables quand ils
rations, on doit étudier les animaux vague d'étrave, devant la maquette, de- trottent ou quand ils galopent.
modernes et chercher notamment les vait être proportionnelle à celle qui agi- Deux vagues, deux animaux qui cou-
relations entre leur taille et leurs modes rait sur le navire réel. Il calcula alors la rent et deux systèmes quelconques sou-
de locomotion. Ayant étudié pendant vitesse à laquelle le modèle devait être mis à la pesanteur sont dynamiquement
plusieurs années les mécanismes de la testé et il en déduisit une expression sans semblables quand leurs nombres de
course et du saut chez les grenouilles, les dimension pour caractériser la marche Froude sont égaux. On le comprend en
chiens, les kangourous et d'autres ani- du navire : ce que l'on nomme aujour- calculant l'énergie de ces systèmes :
maux, j'ai été amené à chercher, à l'oc- d'hui le nombre de Froude, égal à v/#gl. lorsqu'une vague-ou un membre -
casion d'une conférence, une relation Ainsi un test ne donne d'indication descend, l'énergie potentielle est trans-
entre la taille des animaux et leur mode utile que si le nombre de Froude du formée en énergie cinétique ; inverse-
de locomotion. Lors de ce travail, où je modèle est identique à celui du navire ment, lorsque la vague ou la patte
m'intéressai surtout à la course, je re- qui sera construit. Dans le calcul de s'élève, l'énergie cinétique diminue au
trouvai constamment l'expression v²/gl, Froude,l'était la hauteur de la coque, et profit de l'énergie potentielle. Deux sys-
où v est la vitesse de course, g l'accélé- non la longueur d'une patte, mais l'ex- tèmes sont dynamiquement semblables
ration de la pesanteur (9,8 mètres par pression de Froude s'applique de façon quand le rapport entre leur énergie ciné-
seconde) et l la longueur des membres. générale : dans le cas contraire, elle ne tique (mv²/2 pour un corps de masse m
Finalement cette expression m'a permis m'aurait été d'aucune utilité, les dino- se déplaçant à la vitesse v) et leur éner-
d'estimer aussi les capacités athlétiques saures ne ressemblant pas à des navires. gie potentielle (mgh, où h est la hauteur)
sont égaux. Ce rapport, v²/2gh, est pro- hanches sont à 0,09 mètre du sol, leur la longueur de foulée relative et le nom-
portionnel au carre du nombre de nombre de Froude est égal à 1,5/#0,09g, bre de Froude est le même pour les
Froude. soit 1, 596. De même, un rhinocéros bipèdes-l'Homme ou le Kangourou-
Grâce à ce nombre, j'ai appliqué les passe du trot au galop à 5, 5 mètres par et pour les quadrupèdes-le Chien ou le
observations des constructeurs navals à seconde ; sa hauteur de hanche est égale Cheval : ces deux types de locomotion
d'autres aspects de la similitude dynami- à 1,2 mètre, et son nombre de Froude à ont une certaine similitude dynamique ;
que. J'ai notamment supposé que des 1, 603. nos jambes sont comme les pattes posté-
animaux de géométrie semblable, mais J'ai également étudié la longueur des rieures d'un petit poney.
de tailles différentes, couraient presque foulées, c'est-à-dire la distance entre J'ai utilisé cette relation afin d'esti-
de la même façon si leurs vitesses étaient deux empreintes successives du même mer la vitesse de course des dinosaures,
telles que leurs nombres de Froude pied ; plus un animal court vite, plus sa d'après la longueur de leur foulée, me-
soient égaux. La similitude dynamique foulée est allongée. Dans l'hypothèse surée sur les empreintes fossiles. Un
n'est pas parfaite, car des animaux de d'une similitude dynamique, des ani- grand nombre d'empreintes de pas de
tailles différentes n'ont pas exactement maux dont les nombres de Froude sont dinosaures ont été conservées dans la
la même morphologie. égaux font des foulées proportionnelles boue, progressivement transformée en
à la longueur de leurs membres. Les pierre. Ces traces montrent que les dino-
Une loi quasi universelle longueurs relatives de foulée, c'est-à- saures marchaient comme les mammi-
dire la longueur des foulées divisée par fères et les oiseaux, et non comme les
Cette hypothèse est généralement la longueur des membres, devaient va- reptiles modernes : leurs pattes étaient
vérifiée. Elle m'avait conduit à prévoir rier régulièrement en fonction du nom- sous le corps ; elles n'étaient pas reje-
que des animaux de tailles différentes bre de Froude pour le Chat, le tées sur les côtés, et j'en ai conclu que la
adopteraient les mêmes allures pour les Chameau, le Furet ou le Rhinocéros. relation entre la longueur des foulées et
mêmes nombres de Froude : de fait, les Cependant cette relation n'est vala- le nombre de Froude obtenue pour les
furets et les rhinocéros passent du trot ble que pour les animaux de taille supé- mammifères s'appliquait aussi aux dino-
au galop à des vitesses très différentes, rieure à celle du chat ; elle s'applique saures. On ne doit pas estimer la vitesse
mais la transition s'effectue au même moins bien aux petits mammifères, tels des dinosaures en les comparant aux
nombre de Froude. Les furets changent les rats, car ils courent souvent accrou- reptiles modernes.
d'allure quand leur vitesse atteint 1, 5 pis, très différemment des grands mam- La plus grosse trace connue, de 1, 3
mètre par seconde ; comme leurs mifères. En revanche, la relation entre mètre de diamètre, a été découverte en
Espagne ; des empreintes plus petites
ont été découvertes dans d'autres ré-
gions du monde. Les plus petites, qui
mesurent entre 0, 9 et 1 mètre de dia-
mètre, ont été découvertes au Texas.
Les paléontologues ont déduit de la
taille et de la forme de ces empreintes
que des sauropodes, herbivores géants
au long cou et à longue queue, vivaient
dans cette région. Des bipèdes à trois
orteils, proches des tyrannosaures, lais-
sèrent également des traces à proximité
et, sur une piste, on a même trouvé simul-
tanément les traces d'un sauropode et
d'un bipède du genre tyrannosaure (voir
la figure 4). Cette chasse a-t-elle été
conclue par une mise à mort ? Ces ani-
maux se sont-ils poursuivis avec lenteur
et difficulté, ou sont-ils passés l'un à la
suite de l'autre, comme deux bolides ?
2. LA LONGUEUR DE FOULÉE estla distanceentre deux empreintessuccessives du mêmepied.
Le dinosaurereprésentéici est Compsogrzathus,
un carnivorede la taille d'un poulet. Des animaux lents?

En utilisant le nombre de Froude et


la longueur des foulées relevées sur les
pistes, j'ai tenté d'évaluer la vitesse des
dinosaures. En supposant que la lon-
gueur des pattes était environ quatre
fois supérieure à celle des empreintes,
j'ai calculé la foulée relative des dino-
saures. Connaissant la foulée relative,
j'ai ensuite utilisé la courbe pour en
déduire le nombre de Froude ; de celui-
ci et de la longueur des pattes, j'ai déduit
la vitesse. Les résultats ne sont sans
doute pas très précis, car les points sur
la courbe sont assez dispersés et les cal-
3. LES NOMBRES DE FROUDE deskangourous,desêtreshumainset dequadrupèdes,comme culs résultent de comparaisons
les rhinocérossont représentésen fonction de la longueur des foulées.On a utilisé une échelle avec des
logarithmique afin de représenterdes nombresde Froude compris entre 0, 01et 5. animaux modernes.
Tous comptes faits, les grands dino- hommes, des chiens, un mouton et un dée sur la similitude dynamique et quel-
saures devaient être assez lents : toutes kangourou) pendant qu'ils marchaient, ques résultats de mécanique des struc-
les empreintes de grands sauropodes couraient, sautillaient ou sautaient. tures.
correspondent à des vitesses de l'ordre Nous avons ensuite rapproché ces résul- Les forces qui s'exercent sur les os se
de un mètre par seconde, soit celle d'un tats des films de courses animales et des transmettent par leurs extrémités (aux
Homme qui marche lentement ; c'est données anatomiques, afin de calculer articulations), mais exercent des
peu pour des animaux dont les pattes les contraintes exercées au cours de la contraintes dans toute leur partie cen-
postérieures mesuraient trois mètres de locomotion sur les os des membres. trale ; on peut les décomposer en une
long. Aucune empreinte des très grands force axiale, Fax, qui agit selon l'axe de
dinosaures bipèdes ne semble corre- La dynamique des dinosaures l'os, et une force transversale, Ftrans, per-
spondre à des vitesses supérieures à 2, 2 pendiculaire à la précédente. Quand elle
mètres par seconde, une marche hu- Nous avons aussi filmé des animaux agit seule, la force axiale produit une
maine rapide. sauvages, comme des buffles, que nous contrainte uniforme-Fax/S, où S est la
Si les grands dinosaures semblent ne pouvions pas amener jusqu'à notre section de l'os (le signe moins indique
avoir marché, les plus petits couraient. laboratoire et, sous réserve de quelques qu'il s'agit d'une compression). À cette
Les traces des animaux les plus rapides hypothèses, nous avons évalué les force s'ajoutent les contraintes dues à la
-relevées au Texas-sont celles d'un contraintes exercées sur leurs os. Nous force transversale. Ces contraintes
bipède d'une demi-tonne environ, le aurions pu procéder de la même façon transversales varient, dans l'épaisseur
poids approximatif d'un cheval de avec les dinosaures, mais la reconstitu- de l'os, de-Ftransx/Z, à une extrémité de
course, et celles d'un autre, plus petit. tion de leurs mouvements aurait néces- l'os, à +Ftransx/Z, à l'autre ; x est la
Ces traces correspondent à des vitesses sité des calculs compliqués et beaucoup distance de la section à l'extrémité de
de 12 mètres par seconde, supérieures à d'imagination. J'ai préféré utiliser une l'os et Z le module de la section, une
la vitesse de pointe des meilleurs cou- méthode plus rapide et plus facile, fon- propriété géométrique de la section,
reurs humains (11 mètres par seconde),
mais bien inférieures aux vitesses maxi-
males des chevaux de course (15 à 17
mètres par seconde).
L'absence d'empreintes de course ne
signifie pas que les grands dinosaures ne
couraient pas, mais seulement qu'ils se
déplaçaient généralement en marchant,
du moins sur les terrains qui ont conser-
vé leurs empreintes. Si l'on étudiait les
empreintes de pas humain un jour de
neige, on ne trouverait probablement
que de petites enjambées, caractéristi-
ques de la marche, mais vous auriez tort
de conclure que les êtres humains ne
peuvent pas courir. Aussi une autre ap-
proche s'impose-t-elle pour préciser les
vitesses maximales des grands dino-
saures.
Plus un animal court vite, plus ses
pattes exercent des pressions impor-
tantes sur le sol, et plus ses membres
doivent être robustes : à grande vitesse,
chaque pied repose sur le sol pendant un
temps proportionnellement plus bref
par rapport à la durée d'une foulée, de
sorte qu'il doit exercer une force maxi-
male supérieure pour soutenir le poids
du corps et exercer la poussée intense
qui transmet le mouvement vers l'avant.
Ainsi la force maximale exercée par un
pied humain, égale au poids du corps au
cours d'une marche lente, est multipliée
par 3, 5 lors d'une course rapide. Les os
des animaux rapides doivent être plus
résistants que ceux des animaux lents.
L'analyse des forces exercées par les
pieds de divers animaux nous a fait
mieux comprendre les modes de loco-
motion des dinosaures. Avec mes collè-
gues de l'Université de Leeds, nous
avons utilisé un panneau encastré dans
le sol et muni de capteurs de pression,
4. LES TRACES FOSSILISÉESDE DINOSAURES, oùl'on mesurela longueur desfoulées,nous
afin de mesurer les forces appliquées par
ont permis d'estimer leur vitesse.Un petit carnivore àtrois orteils a apparemmentpoursuivi un
les pieds de divers organismes (des sauropodeplus grossur ce chemin texandécouvertpar Ronald Bird en 1944.
fournie par des tables de mécanique des tionnelles au poids du corps, P. Les bivore massif-bien que le poids de
structures. contraintes causées par les forces trans- l'éléphant repose essentiellement sur les
Une contrainte trop forte risque de versales sur les os des membres membres antérieurs, et celui de l'Apato-
provoquer la rupture de l'os. Or les cal- (Ftransx/Z) sont proportionnelles à Px/Z. saurus sur les postérieurs.
culs effectués sur les os des animaux Imaginons deux animaux semblables Après avoir déterminé un indicateur
modernes qui courent ou sautent ont de tailles différentes se déplaçant de de robustesse des os des membres pour
montré que la contrainte Ftransx/Z était façon dynamiquement semblable. Les les principaux gros mammifères actuels
généralement supérieure à Fax/S: les os contraintes exercées sur les os des mem- et pour les dinosaures, nous avons mon-
sont plus sensibles aux contraintes bres sont moins importantes pour l'ani- tré que les dinosaures étaient sans doute
transversales qu'aux contraintes axiales. mal caractérisé par les valeurs PxlZ les aussi rapides que n'importe quel mam-
Autrement dit, il est plus facile de casser plus faibles. mifère actuel ayant les mêmes indica-
un bâton, un os ou tout autre barre lon- L'inverse du rapport précédent, teurs de robustesse.
gue et fine en lui appliquant des forces ZlPx, est un indicateur de robustesse Cette conclusion repose sur l'hypo-
transversales que par des forces axiales. plus simple à manipuler : plus il est élevé, thèse que les os des animaux résistent tous
Comme nous ne cherchons qu'à estimer plus l'animal pouvait être rapide. Pour aux mêmes contraintes, ce que confirment
approximativement les contraintes être encore plus précis, on peut utiliser les tests effectués sur des os d'oiseaux et
exercées sur les os, nous pouvons négli- le rapport Z/aPx, où a est la proportion de mammifères. Nous ne pouvons, hélas,
ger la contrainte axiale et ne considérer du poids du corps supportée par les pas vérifier que les os de dinosaures
que la contrainte transversale. pattes postérieures, par exemple. Cette avaient la même robustesse que les os
Pour les animaux de tailles diffé- expression, où intervient la répartition modernes, car la fossilisation a considé-
rentes, mais qui courent de la façon du poids, nous permet de comparer les rablement changé leurs propriétés.
dynamiquement semblable, toutes les éléphants et, par exemple, le bronto- Pour conclure que des animaux
forces agissant sur les os sont propor- saure Apatosaurus-un dinosaure her- agiles ont des indicateurs de robustesse
élevés, on doit également supposer que
ROBUSTESSE DES OS DE GRANDS ANIMAUX l'évolution a façonné les os de tous les
animaux avec le même facteur de sécu-
rité. En mécanique, le facteur de sécuri-
té d'une structure est le rapport entre la
force qu'il faut lui appliquer pour la cas-
ser et la force maximale qu'elle subit lors
des utilisations courantes (les ingénieurs
utilisent généralement des facteurs de
sécurité supérieurs à deux, afin de
réduire les risques de catastrophe).
Dans le cas des dinosaures, nous
avons difficilement obtenu les indica-
teurs de résistance. Nous avons d'abord
calculé la valeur du module de la section
(Z) de leurs os. Pour ce faire, nous avons
dû mesurer précisément les sections à
des distances connues, x, de l'extrémité
des os (le module de la section, dont
l'expression est complexe, fait interve-
nir l'aire de la section et la distance à
l'axe de l'os de tous les points qui la
composent). Nous avons notamment
utilisé des dessins précis publiés par les
paléontologues.
Pour mener à bien nos calculs des
indicateurs de forces, il nous restait à
évaluer le poids (P) des dinosaures et,
pour ceux qui étaient quadrupèdes, la
proportion (a) du poids supporté par les
membres postérieurs (nous avons déjà
rappelé que le poids des dinosaures est
estimé à partir du volume de leurs
maquettes).
Afin de calculer la répartition du
poids sur les membres, nous devions dé-
terminer le centre de gravité des ani-
maux. Nous y sommes parvenus en
suspendant chaque maquette au bout
d'une corde, d'abord par le nez pour que
la maquette pende verticalement, puis
par le dos pour qu'elle soit horizontale.
Nous avons photographié chaque mo-
dèle dans les deux positions, en prenant
soin de placer l'axe de l'appareil photo-
graphique perpendiculairement au plan tion du centre de gravité. Comme les os tre) le centre de gravité des dinosaures,
de la maquette. On évitait que la ma- des dinosaures étaient répartis dans tout nous avons calculé la répartition du
quette ne tourne sur elle-même en utili- le corps, leur absence ne devait pas poids entre les pattes antérieures et pos-
sant un fil de nylon plutôt qu'un fil de modifier notablement la position du térieures. Par exemple, pour un animal
coton ou de laine, qui se déroule. centre de gravité. En revanche, la cavité dont le centre de gravité se situe deux
Comme le centre de gravité des dino- pulmonaire était située tout à l'avant du mètres en arrière des membres anté-
saures suspendus était situé à l'aplomb tronc, de sorte que nous avons dû effec- rieurs et un mètre en avant des posté-
du point de suspension, la corde poin- tuer une correction (en supposant que rieurs, ceux-ci supportent les deux tiers
tait, sur chaque photographie, vers le les poumons occupaient la même pro- du poids. Après ces préparatifs, nous
centre de gravité. En superposant les portion du volume corporel que chez les avons calculé les indicateurs de robus-
deux photographies, nous avons obtenu reptiles et les mammifères actuels) ou en tesse Z/aPx pour les différents membres
le centre de gravité. creusant un trou, dans les maquettes, de des dinosaures. Rappelons que plus
Contrairement aux vrais dinosaures, volume approximativement égal à celui la valeur de l'indicateur est élevée, plus
qui avaient des poumons remplis d'air et des poumons. l'animal peut être rapide.
des os plus denses que la chair qui les Cette correction déplaça peu le cen- Nous avons ainsi pu rapprocher
entourait, les maquettes, en plastique tre de gravité : de moins de 20 centimè- l'Apatosaurus, un très gros dinosaure de
rigide, étaient de densité homogène, ce tres pour un sauropode de 20 mètres. la famille des sauropodes généralement
qui décalait sans doute un peu la posi- Connaissant alors (ou croyant connaî- connu sous le nom de brontosaure, et

5. L'ÉLÉPHANT et le brontosaureherbivoreApatosaurusont approxi- cette similitude laissesupposerque le géantdisparu courait commeun


mativementlesmêmesindicateursde robustesse
pour lesos desmembres: éléphant

6. LE TRICÉRATOPSse déplaçaitsansdoute commele Rhinocérosblanc qui galopeà septmètrespar seconde.


l'Éléphant : les valeurs des indicateurs ment ni le poids du Diplodocus, ni celui
de robustesse, comprises entre 7 et 11, du Triceratops, car les paléontologues
pour les éléphants d'Afrique, sont ne se sont pas accordés sur des reconsti- Mécanisme d'action des forces
proches de celles d'Apatosaurus, tutions.
sur les os.
comprises entre 6 et 14, dont les os, plus Les indicateurs de robustesse du Tri-
gros, avaient les mêmes proportions. ceratops sont supérieurs à ceux des deux
Les éléphants peuvent courir lente- sauropodes et compris entre ceux des Lorsqu'un animal se déplace, les
forces qui s'exercentsur ! es extrémités
ment, mais ne galopent ni ne sautent (un éléphants et ceux d'animaux plus
fossé étroit suffit à les maintenir dans rapides, tel le buffle d'Afrique. Le Tri- de ses os engendrent des contraintes
dans toute la masse des os. La résul-
l'enclos d'un zoo). Nos calculs indiquent ceratops était vraisemblablement plus tante des forces appliquéespeut se dé-
que les Apatosaurus avaient le même rapide qu'un éléphant : il aurait galopé composer en une force axiale (Fax)et
mode de locomotion. Quelle vitesse comme un buffle ou comme un rhinocé-
atteignaient-ils ? C'est difficile à savoir, ros. Nous possédons un film de rhinocé-
car les données concernant la vitesse des ros blanc adulte, pesant environ deux
éléphants ne sont généralement que des tonnes, qui court à sept mètres par
estimations subjectives, parfois exagé- seconde ; pour que son nombre de
rées. À partir d'un film, nous avons Froude soit égal à celui du Triceratops,
mesuré que la vitesse de course d'un celui-ci aurait dû se déplacer à neuf
éléphanteau atteint au moins cinq mètres par seconde (environ 32 kilomè-
mètres par seconde (une course tres à l'heure).
humaine lente). Apatosaurus aurait eu Dans le cas de Tyrannosaurus, nos
une course caractérisée par le même calculs deviennent d'interprétation très
nombre de Froude s'il avait atteint sept difficile, car c'était un bipède bien plus
mètres par seconde. grand que tous les bipèdes actuels.
Le Diplodocus, un sauropode plus Aucun bipède moderne ne déplace ses
petit, semble avoir eu un indicateur de pattes d'une façon qui aurait pu conve-
une force transversale(l-trans).Dans la
robustesse inférieur, du moins pour le nir à Tyrannosaurus. Nous pouvons seu- section S, la force axiale produit une
fémur (le seul os pour lequel nous avons lement constater que l'indicateur de contrainte de compression-Fax/S (né-
obtenu une section). Il était prob- robustesse d'un fémur de tyrannosaure gative, car il s'agit d'une compression).
ablement moins rapide, capable de mar- est faible, de l'ordre de celui d'un élé- Cette contrainte est inférieure à celle
cher sur la terre ferme sans le secours de phant. que produit la force transversale,
la poussée d'Archimède, mais sans Les calculs qui nous ont permis d'es- FtransX/Z, où Z représente le module de
doute incapable de courir. Malheureu- timer l'agilité des dinosaures sont fon- lasection, un terme qui décrit la section.
sement nous ne connaissons précisé- dés sur la physique. La similitude

dynamique, issue de la constructior


navale, puis appliquée en aérodynami
que, en génie thermique et dans d'autre ;
domaines des sciences physiques, nous a
été très utile. De plus, la théorie des
contraintes dans les poutres constam
ment utilisée par les ingénieurs des
structures, nous a beaucoup servi.
Nous sommes tout à fait conscient :
des limites de nos calculs : j'espère avoir
mis en évidence toutes les sources
d'erreur possibles. Ces réserves posées
il semble que si les dinosaures les plus
grands marchaient lentement, la plupar
des autres étaient capables de courir
rapidement mais qu'aucun d'entre eux
n'avait besoin d'eau pour soutenir sa
masse.
Les empreintes fossiles laissent sup-
poser que si nous avions vécu avant le
Crétacé et si nous en avions eu le cou
rage, nous aurions pu accompagner un
sauropode ou un tyrannosaure, et le dis
tancer sans difficulté. Les calculs fondés
sur les dimensions des os indiquent que
les sauropodes étaient vraisemblable
ment aussi agiles que des éléphants, et
que le tricératops était un peu plus puis
7. LONGUEUR DES MEMBRES des dinosaures(Albertosauruset Centrosaurus)comparés à sant. Je suis heureux de ne pouvoir véri-
celles de deux thérapsides (Cygnognathuset Struthiocephalus) qui vivaient, à des époques
différentes, dansle mêmeenvironnement.Les membresdesdinosauresétaientnotablement plus fier que j'aurais sans doute été assez
longs et lesmusclesplus importants : les dinosauresétaientmieux adaptésl'exercice physique, rapide pour échapper à un tyranno
notammentà la course.Les nomsdes dinosauressontindiqués en rouge. saure.
La
queue

du Sauropode

La reconstitution

d'un dinosaure impose

des études de biomécanique.

Les squelettes de dinosaures, les


vedettes des musées d'histoire natu-
relle, révèlent les conceptions scientifi-
ques en vigueur à l'époque où on les a
réassemblés pour les exposer au public.
Comment cet assemblage peut-il expri-
mer l'idée que les paléontologues se font
aujourd'hui de la posture et de la locomo-
tion de ces animaux ?
La question s'est posée lors de la pré-
paration de l'exposition permanente qui a
ouvert ses portes, d6butjuillet 1992, dans
le musée nouvellement construit de la
petite ville d'Espéraza (Aude), à une qua-
rantaine de kilomètres au Sud de Carcas-
sonne. Depuis 1989, lafouilledesterrains Lesquelette de titanosaure en coursde montage au Laboratoire de paidontologie d'Espdraza
du Crétacé supérieur de la région avait (Aude). Les vertèbres de la queue ont été placéesde façon à ce que celle-ci soit en position à
livré de nombreux ossements de dino- peu près horizontale, bien au-dessus du sol, conformément aux conceptions actuelle sur la
saures, dont la plupart appartiennent à posture des dinosaures sauropodes.
des représentants du groupe des titano-
saures : lorsque la municipalité et les
instances départementales et régionales de ces reconstitutions datent de la pre- L'ostéologie de ces animaux confirme
décidèrent d'ouvrir à Espéraza le premier mière moitié de notre siècle et correspon- qu'ils ont redressé leur queue pour mar-
musée français consacré totalement aux dent à une conception des dinosaures qui cher. L'étude des surfaces d'insertion
dinosaures, l'idée de présenter au public voyait en ces animaux des «reptiles» musculaire sur le bassin, le fémur et les
un squelette monté de titanosaure s'im- comparables à ceux que nous connais- premières vertèbres de la queue montre
posa naturellement. sons aujourd'hui, en plus gros. Depuis que des muscles puissants, dans cette
Cependant les ossements fossiles une vingtaine d'années, notre vision des région, devaient maintenir la queue dans
sont trop lourds et trop fragiles pour être dinosaures a changé : ! es paléontologues une position plus ou moins horizontale, ce
eux-mêmes aisément montés en posi- considèrent ces animaux comme des qui était facilité par la nature des articula-
tion de vie : comme dans la plupart des créatures beaucoup plus actives et tions entre les vertèbres. La très longue
musées modernes, c'est un modèle gran- mobiles qu'on ne l'imaginait naguère. queue d'un sauropode, si elle avait traîné
deur nature d'un tel squelette qui est Même les énormes sauropodes ne sont sur le sol, aurait sans doute gêné l'animal.
reconstitué. Chaque os a été copié dans plus considérés comme des géants inac- Tenue au-dessus du sol, elle pouvaitfonc-
une mousse de polyuréthane, et les quel- tifs passant le plus clair de leur temps tionner comme un contrepoids équili-
ques parties non encore découvertes vautrés dans des marécages : ils vivaient brant le poids du cou, également allongé
dans les gisements de l'Aude ont été sur la terre ferme et, lorsqu'ils se dépla- Mécaniquement, une queue horizontale
reconstituées à partir de fossiles prove- çaient, ils tenaient vraisemblablement est donc plus plausible qu'une queue traî-
nant d'autres régions. Les reproductions leur queue en position plus ou moins nant sur le sol pour ces animaux aux longs
d'os ainsi obtenues peuvent ensuite être horizontale, sans contact avec le sol. membres.
montées sur un support métallique dans Un des arguments les plus puissants C'est donc avec la queue tenue bien
une position aussi réaliste que possible, en faveur de cette conception est tiré de au-dessus du sol que le titanosaure de
les os originaux étant présentés séparé- l'étude des empreintes de pas laissées l'Aude figure au nouveau musée d'Espé-
ment dans des vitrines. par des sauropodes qui ont été décou- raza, accompagné d'une reconstitution
Dans quelle posture convient-il de pré- vertes dans diverses régions du monde, de t'anima ! à !'état de vie, dans une pos-
senter un titanosaure ? Ces grands ani- notamment aux États-Unis, en Alle- ture conforme aux vues actuelles des
maux du groupe des Sauropodes (le magne, en Corée et au Maroc. Les pistes paléontologues, parmi ossements, oeufs
squelette reconstitué mesure une dou- de ces dinosaures, si elles montrent clai- fossilisés et dioramas qui présentent aux
zaine de mètres de long), quadrupèdes au rement les empreintes des pattes anté- visiteurs la vie des dinosaures à l'empla-
long cou et à la longue queue, sont le plus rieures et postérieures, ne montrent pra- cement des actuelles Corbières, il y a
souvent montrés avec ta queue traînant tiquement jamais le sillon central quelque 70 millions d'années.
sur le sol, comme celle d'un crocodile ou qu'aurait dû laisser la queue si elle avait
d'un varan actuels. Cependant la plupart traîné sur le sol humide. Jean LE LOEUFF
et Eric BUFFETAUT
Les dinosaures

d'Amérique du Sud

JOSÉ BONAPARTE

Les fossiles de cette région mettent en evidence des changements de la faune


entre le Trias et le Jurassique, indiquent des voies de migration
et fondent une hypothèse sur l'origine géographique des sauropodes.

en Amérique découvertesfossilesréalisées
Les téristiques des faunes continentales du une signification large, englobant aussi
du Sud suggèrent Mésozoïque, ont prospéré, se sont d'autres tétrapodes : crocodiles, ptéro-
que ce continent a été peuplé diversifiés et... se sont éteints. Tout au saures,anoures (batraciens), ophidiens
par des dinosauresdès le début de leur long de cette Ère, ces faunes se sont (serpents), lacertiliens (lézards), quel-
évolution, vers le milieu du Trias, jus- modifiées, et des types adaptatifs très ques oiseaux, mammifères primitifs et
qu'à la fin du Crétacé. Cet intervalle de différents sont apparus, carnivores et reptiles marins (plésiosaures et croco-
temps d'environ 160 millions d'années herbivores. diles marins). L'ensemble, avec ses
représente presque toute la durée du Si, parmi les vertébrés terrestres du interactions écologiques évolutives,
Mésozoïque. Celui-ci comprend les Mésozoïque, les dinosaures ont été les constitue les faunes de dinosaures.
deux périodes mentionnées ci-dessus, formes dominantes, ils ne furent pas L'histoire de cesfaunes est assezbien
entre lesquelles s'intercale le Jurassi- seuls. Avec eux, vivaient de multiples connue car l'on dispose,depuis le siècle
que. espèces animales appartenant à des dernier, d'un abondant registre fossile
Durant ce laps de temps, les dino- lignées complètement différentes. Aus- en Europe et en Amérique du Nord. On
saures,ces tétrapodes fascinants,carac- si, l'expression ½faunede dinosaures »a peut citer les associationstriasiques du

1.LAGOSUCHUS TALAMPAYENSIS, petitthéeodonte dela famille et lessaurischiens.Sonapparition


transition entreles thëeodontes
desLagosuchidae, provientdu Triasmoyende La Rioja, en Argen- dansle registrefossileestimmédiatementantérieure,à trois millions
tine.Il possèdedescaractèresanatomiquesintermédiairesentreles d'années près, à celle de Staurikosaurus unpricei,
desdinosauresles
thécodontes etlesdinosauressaurischiens. La forme du pubis(osdu plus anciensconnus.Lagosuchustalampayensis est représentépar
bassin)et du tarse(osdela cheville),la divisiondela régionprésacrée plusieurssquelettesarticulésincomplets.Le tarse,la disparitédes
de la colonnevertébrale en trois zonesdistinctes,la forme et la extrémitéset la forme des vertèbres présacréesévoquentune
positiondela crêtedeltoïdiennedel'humérus,ainsi quela disparité démarchebipède,tandisque sadentitionet sapetite taillesuggèrent
entrelesmembresantérieurset postérieurs,sontdescaractèresde un régimeinsectivore.
Sud de l'Allemagne, celles du Jurassi-
que de Solnhofen (Allemagne), d'An-
gleterre et du Portugal et enfin celles du
Crétacé (Wealdien) d'Angleterre et de
France. En ce qui concerne l'Amérique
du Nord, on notera les faunes du Trias
de l'Arizona et du Connecticut, les asso-
ciations jurassiques si variées de la for-
mation Morrison (États du Wyoming,
Colorado et Utah) et enfin les faunes
crétacées de la partie centre-Ouest des
États-Unis et de l'Ouest du Canada. Ces
gisements ont fourni des informations
précieuses concernant la composition et
l'évolution de ces faunes. L'Afrique et
l'Asie ont aussi apporté leur lot de
richesses paléontologiques. Citons les
associations du Trias supérieur de l'Afri-
que du Sud, du Jurassique supérieur du
Tendaguru (Tanzanie) et du Crétacé
inférieur du Niger, ainsi que les gise-
ments du Crétacé de Mongolie.
C'est à partir des études de Richard
Lydekker (1893) et surtout de F. von
Huene (1929), concernant du matérial
fossile de Patagonie, que les faunes de
dinosaures du Crétacé supérieur sont
« apparues » en Amérique du Sud.
Depuis 1960, ce continent est devenu un
immense réservoir à vertébrés mésozoï-
ques.
L'assemblage le plus ancien de dino-
saures a été découvert sur ce continent,
à partir des fossiles provenant des for-
mations Santa Maria (fin du Trias
moyen, Sud du Brésil) et Ischigualasto
(Trias supérieur, Ouest de l'Argentine).
Ces deux faunes sont dominées par les
thérapsides, souche primitive de reptiles
mammaliens dominants pendant tout le
Permien (Paléozoïque supérieur) et une
partie du Trias (Mésozoïque inférieur).
Durant la dernière partie du Trias supé-
rieur, ces thérapsides ont décliné à cause
de la prolifération des archosaures, thé-
codontes et dinosaures saurischiens,
pour finalement leur laisser la place.
De cette étape critique dans l'évolu-
tion et le remplacement des assemblages
fauniques ayant lieu au début du Méso-
zoïque, l'Amérique du Sud a gardé des
traces paléontologiques. Celles-ci ont
mis en évidence les principales phases
de ces événements paléozoologiques.
Les paléontologues ont découvert des
formes intermédiaires entre les théco-
dontes et les saurischiens, et étudié le
passage de la faune dominée par les thé-
rapsides à la faune de dinosaures, qui
valent la peine d'être détaillées avant
d'examiner les dinosaures jurassiques.

Les ancêtres des dinosaures

Peut-on parler d'ancêtre potentiel


des dinosaures ? Un petit archosaure de
l'ordre des thécodontes, découvert dans
les riches dépôts du Trias moyen de La
Rioja, en Argentine, pourrait être con-
sidéré comme tel (les thécodontes
représentent le groupe souche des
autres archosaures tels que les sauris-
chiens, les ornithischiens, les crocodi-
liens et les ptérosaures). Il s'agit de
Lagosuchus talampayensis Romer,
connu à partir de plusieurs squelettes
incomplets. Lagosuchus présente des
caractères intermédiaires entre les The-
codontia et les Saurischia, notamment
concernant la structure des vertèbres et
du tarse (os de la cheville) ainsi que les
caractères du bassin et de l'humérus.
Les deux différences fondamentales
entre les saurischiens et leurs ancêtres
thécodontes sont la structure de l'aceta-
bulum (cavité articulaire du bassin) et
du tarse. Chez les thécodontes, l'aceta-
bulum est fermé du côté interne tandis
qu'il est ouvert chez les saurischiens. Le
tarse est de type crocodiloïde (crurotar-
sal) chez les thécodontes et de type
mesotarsal chez les saurischiens.
L'acetabulum de Lagosuchus talam-
payensis représente l'étape initiale dans
l'ouverture de la paroi interne tandis
que le tarse est de type mesotarsal.
Lagosuchus conserve néanmoins quel-
ques caractères primitifs, situés notam-
ment au niveau du tibia. Lagosuchus
talampayensis n'atteignait pas 50 centi-
mètres de longueur et possédait plu-
sieurs innovations anatomiques spécia-
lement adaptées pour la prédation et la
course. Son successeur dans le temps et
morphologiquement parlant est Stauri-
kosaurus pricei Colbert, un dinosaure
saurischien, qui provient du Trias
moyen-supérieur du Brésil. De nou-
veaux dinosaures plus anciens ont été
découverts (voir l'article de Gilles Cuny
page 40). Enfin, les riches sédiments de
la formation Ischigualasto (Argentine)
ont livré les restes d'un autre saurischien
primitif, Herrerasaurus ischigualastoen-
sis Reig. Ce dinosaure provient de la
partie inférieure du Trias supérieur et
est donc un peu plus récent que Stauri-
kosaurus pricei. Tous deux présentent
des relations de parenté et font partie de
la même famille des Herrerasauridae.
En plus de ces données qui nous
éclairent sur l'origine des dinosaures
saurischiens, la riche faune triasique
d'Argentine et du Brésil fournit des
pistes intéressantes quant aux modalités
de remplacement des faunes à cette épo-
que. Tout d'abord, comment est-on pas-
sé d'une faune dominée par les thérap-
sides à une autre dominée par les
archosaures et ensuite, quelle a été la
cause déterminante de ce changement ?
Durant le Trias moyen et une grande
2. LES GRANDS TRAITS DE L'ÉVOLUTION DES ARCHOSAURES, groupe de vertébrés
partie du Trias supérieur (environ 20
auquel appartiennent les dinosaures. Des thécodontes,groupes très divers de reptiles ayant
vécu surtout au Trias, sont issus les crocodiliens, les ptérosaures (reptiles volants) et les millions d'années) la persistance de
dinosaures. Ceux-ci se sont rapidement divisés en deux sous ensembles,les ornithischiens et conditions environnementales humides
les saurischiens. Les oiseauxsont issus de petits dinosaures saurischiens. a entraîné la prospérité d'une impor-
tante association floristique connue L'extinction virtuelle des thérapsides mammifères occupaient vraisemblable-
sous le nom de «flore à Dicroidium» (qui se concrétisa au début du Jurassi- ment des niches de type insectivore.
Celle-ci a remplacé la «flore à Glosso- que) laissa de nombreuses niches écolo- Les dépôts jurassiques continentaux
pteris», typique du Paléozoïque supé- giques vacantes. Celles des formes her- ayant livré des restes de dinosaures sont
rieur. bivores furent occupées en partie par les relativement peu fréquents en Améri-
L'expansion de la «flore à Dicroi- thocodontes cuirassés appelés Aeto- que du Sud. Ils ont été recensés en
dium» coïncida avec la propagation saures, par les dinosaures ornitischiens Argentine, dans le centre et le Sud de la
d'espèces de tétrapodes, voire stimula de la famille Heterodontosauridae et Patagonie (formations Roca Blanca,
leur développement. Ceci se reflète tant par les dinosaures prosauropodes. À la Cerro Carnerero, La Matilde et Cana-
dans l'ancienne faune de thérapsides fin du Trias, les niches écologiques de don Asfalto) et au Sud du Bésil, dans
que dans la nouvelle faune d'archo- type carnivore furent presque totale- l'État de Sâo Paulo (formation Botuca-
saures. Une telle prolifération d'espèces ment occupées par des archosaures, tan- tu). Quant aux dépôts marins côtiers
créa de multiples types adaptatifs qui dis que les thérapsides et les premiers ayant livré des reptiles, ils sont limités à
entrèrent en concurrence. Ainsi, parmi
les thérapsides (Cynodontia et Dicyno-
dontia), on retrouve de nouvelles
espèces de cynodontes herbivores d'une
famille particulière, les Traversodonti-
dae. Ceux-ci sont munis d'un système
masticateur et de remplacement den-
taire complexes. Parmi les dicyno-
dontes, on trouve de nouvelles espèces
dans les familles Kannemeyeriidae et
Stahleckeriidae, sans toutefois que ne
soient apparus (d'un point de vue ostéo-
logique) des types adaptatifs différents
de ceux du Trias inférieur.
Parmi les archosaures, le développe-
ment de nouveaux types adaptatifs a été
plus drastique, avec l'apparition d'es-
pèces complètement différentes de
celles du Trias inférieur. Ainsi ont surgi
les Rauisuchidae, prédateurs de taille
considérable ; les Ornithosuchidae, car-
nivores de petite taille ; les Lagosuchi-
dae, carnivores ou insectivores de petite
taille, spécialisés pour une démarche
rapide ; les Cerritosauridae et leurs des-
cendants les Proterochampsidae, à
moeurs amphibies ; les Trialestidae,
formes sveltes et véloces, possédant des
caractères crocodiliens au niveau de la
ceinture pectorale et du carpe (os du
poignet) ; les Stagonolepidiidae, formes
cuirasséesà possibles moeurs omnivores ;
les premiers dinosaures saurischiens tels
que les Herrerasauridae ; enfin, les pre-
miers dinosaures ornithischiens, comme
Pisanosaurus. Cet assemblage hétéro-
gène d'archosaures présente une ten-
dance évolutive dominante : le dévelop-
pement de caractères osseux ayant pour
but l'amélioration de l'appareil locomo-
teur, avec une préférence pour la posi-
tion bipède qui permet un déplace-
ment rapide.
De la compétition entre les divers 3. LES DIFFÉRENCES OSSEUSES LES PLUS NOTABLES entre les thécodonteset leurs
thérapsides pourvus d'un appareil loco- descendantsles dinosaures(saurischienset ornithischiens) concernentles caractéristiques de
l'acetabulum (cavité articulaire du bassin) et du tarse (osde la cheville) Les dessinsde gauche
moteur primitif et les archosaures pos- représentent le bassin en vue latérale et le pied de Riojasuchus tenuisceps, thécodonte
sédant des spécialisations évoluées au argentin. Les croquis dedroite montrent les parties correspondantesdeRiojasaurus incertus,
niveau des membres, résulta une extinc- dinosaure prosauropode d'Argentine. L'acetabulum des thécodontes est peu profond et
tion quasi totale des premiers. Seule une possèdeun bord interne développé, de sorte que ! a cavitéest presque «fermée». Chez les
espèce de dicynodonte et deux familles dinosaures, l'acetabulum est profond et ouvert. En ce qui concerne le tarse, celui des
de petits cynodontes (Tritylodontidae et thécodontesest de type crurotarsal, comme chez les crocodiles actuels et fossiles, avec les
Pachygenelidae) ont survécu jusqu'à la plans d'articulation situésentre la fibula et le calcanéum, l'astragaleet les métatarsesinternes
et, entre l'astragale et le calcanéum (cette caractéristique du tarse a déterminé les moeurs
fin du Trias à côté des premiers mammi- plantigrades des thécodontes).Le tarse des dinosaures est, au contraire, de type mésotarsal,
fères présents en Europe, Afrique et avecle plan d'articulation principal passant sousle calcanéum et l'astragale, particularité
Asie, mais pas en Amérique du Sud. qui facilité la démarche digitigrade, cequi setraduit par une meilleure spécialisationdu pied.
4. LES ASSOCIATIONS FAUNIQUES du début du Trias supérieur, Ischigualasto, enArgentine) où les dinosauressont peu représentes:
du temps des premiers dinosaures, sont différentes de cellesque l'on A, dicynodontesKannemeyeriidae ; B, cynodontes Traversodontidae ;
retrouve à la fin de cette période, où les dinosauresprédominent. Sur C, rhynchosaures Rhynchosauridae ; D, aetosauresprimitifs Stago-
la page de gauche, on distingue les principaux composants de la nololepidiidae ; E, thëcodontes Rauisuchidae ; F, dinosaures
«faune de thérapsides du début du Trias supérieur (formation saurischiens primitifs Herrerasauridae ; G, dinosaures ornithis-

une bande qui s'étend du Nord du Chili Sans offrir une information aussi on a découvert des restes fragmentaires
(Antofagasta) vers le Sud, jusqu'à la riche et variée que pour le Trias, notre d'un sauropode Cetiosauridae de taille
province de Neuquén, en Argentine. connaissance des faunes de dinosaures moyenne, provenant de la province de
Toutes les formations continentales du Jurassique d'Amérique du Sud pro- Chubut, dans le centre de la Patagonie.
ayant livré des restes de dinosaures sont gresse. La Patagonie, région australe du Les restes de ce sauropode ont été
étroitement liées à un volcanisme continent, si prolifique en fossile (et en dates du Jurassique inférieur.
intense qui affecta le continent au Juras- vents !), a permis d'obtenir des spéci- En ce qui concerne le Jurassique
sique et qui culmina au Crétacé. Les mens de dinosaures ou de formes asso- moyen, les découvertes effectuées en
témoins en sont aujourd'hui de gigan- ciées, provenant de trois époques diffé- Patagonie montrent que, sur la terre
tesques coulées basaltiques qui cou- rentes du Jurassique. Le registre fossile ferme, de grands dinosaures herbivores
vrent des surfaces considérables au Sud permet de connaître les faunes éteintes, de la famille Cetiosauridae ont coexisté
du Brésil, à l'Est de l'Argentine, au d'ébaucher leurs relations et, par consé- avec des formes carnivores de la famille
Paraguay et en Uruguay. Au Crétacé quent, les liens géographiques entre Megalosauridae tandis que sur le littoral
inférieur, simultanément à cette phase l'Amérique du Sud et l'Afrique, l'Amé- du Pacifique vivaient des ptérosaures et
volcanique, s'est produite la fractura- rique du Nord et l'Europe. Il permet des crocodiles marins. En Patagonie
tion entre l'Amérique du Sud et 4'Afri- aussi d'obtenir des informations sur la centrale, on a retrouvé, dans la forma-
que. Celle-ci a donné naissance à continuité des faunes en Amérique du tion Canadon Asfalto, des restes impor-
l'Atlantique Sud et a mis fin à la conti- Sud, ainsi que de connaître les liens exis- tants de grands sauropodes et de carno-
nuité physique entre ces deux conti- tants entre les faunes jurassiques et les saures.
nents, qui existait depuis le Cambrien faunes triassiques précédentes et les Un des gisements est située près du
(début de l'ère primaire), voire avant. faunes crétacées ultérieures. village de Cerro Condor, sur la rive
Pendant le Jurassique, l'Amérique du L'association de tétrapodes la plus droite du fleuve Chubut. Les sédiments
Sud et l'Afrique étaient liées, ce qui ne ancienne du Jurassique Sud-américain correspondent à un ancien milieu allu-
laisse aucun doute quant à l'existence provient de la formation Roca Blanca, vial et renferment une grande quantité
d'échanges faunistiques fluides, dont le au Sud de la Patagonie. Cette formation d'os de dinosaures. Les spécimens sont
résultat est une faune commune pour les est datée du Jurassique inférieur (Lias) complètement désarticulés, mais gar-
deux régions. La connexion physique grâce à l'abondante flore d'Otozamites dent un degré d'association tel que les
entre l'Amérique du Nord et du Sud découvertes dans ces niveaux par ossements peuvent souvent être attri-
aurait, en revanche, été moins perma- R. Herbst. Cette formation a aussi livré bués à un individu ou à un autre.
nente, l'Amérique centrale étant une les restes de l'anoure (batracien) le plus Ce premier gisement a livré plusieurs
région instable, tour à tour couverte et ancien connu, Vieraella herbstii Reig spécimens incomplets appartenant à
découverte par la mer, ce qui a limité la (Ascaphidae primitif d'environ 28 milli- trois espèces de dinosaures. Il s'agit
possibilité d'échanges fauniques directs. mètres de long) ainsi que d'un petit rep- d'une forme carnivore de taille modeste,
Les migrations entre ces continents se tile, Protolacerta patagonica, interprété Piatnitzkysaurus floresi (fémur de 60
seraient effectuées à travers l'Afrique. comme un lacertilien (lézard). De plus, centimètres de long) apparenté à Allo-
chiens Heterodontosauridae ; H, cynodonte Chiniquodontidae. Sur C, thécodontes Rauisuchidae ; D, aetosaures Stagonolepidiidae ;
la page de droite, les principaux composants de la ½faunede dino- E, crocodiles Protosuchidae ; F, cynodontes Tritylodontidae ;
saures&NR; definladu Trias supérieur (formation Los Colorados, en G, cynodontesPachygenelidae; H, dinosaures«coelurosaures» indé-
Argentine) où les dinosaures prosauropodessont prédominants : A, terminés. Les animaux herbivores sont indiqués en bleu et les
prosauropodesMelanorosauridae; B, thécodontesOrnithosuchidae ; animaux carnivores, en rouge.

saurus fragilis du Jurassique supérieur spondylus du Jurassique moyen de groupes : anoures, mammifères, dino-
d'Amérique du Nord. Certaines diffé- Madagascar. saures, mais aussi ichthyosaures, croco-
rences au niveau des vertèbres et du L'autre gisement de la formation diles et tortues marines. Plusieurs loca-
bassin suggèrent néanmoins que l'es- Canadon Asfalto est localisé cinq lités situées à l'Est de la province de
pèce de Patagonie présente des carac- kilomètres au Nord du village de Cerro Santa Cruz ont livré les restes d'un
tères plus primitifs. Les deux autres es- Condor. Les fouilles réalisées sur le site anoure de taille considérable, d'environ
pèces sont des sauropodes primitifs de de Cerro Condor Norte ont livré une 20 centimètres. Notobatrachus degiustoi
la famille Cetiosauridae. Patagosaurus quantité considérable de restes apparte- (famille Ascaphidae) provient de la for-
fariasi, de taille considérable, possède nant à quatre exemplaires de taille mation La Matilde, qui est datée de
des vertèbres dorsales de 80 centimètres variée de Patagosaurus fariasi. Les l'Oxfordien. Les spécimens sont asso-
de hauteur, avec d'énormes expansions squelettes étaient tous mélangés et dis- ciés dans le sédiment à d'abondants
du canal neural sur trois des cinq vertè- persés sur une aire de 15 mètres sur 6, ce petits crustacés phyllopodes et à une
bres sacrées et une succession qui suggère qu'il s'agissait d'un trou- flore qui a permis la datation.
d'énormes vertèbres cervicales à épines peau ou d'une structure familiale.
neurales non bifurquées. L'expansion Une autre localité du Jurassique
Les traces des dinosaures
du canal neural au niveau du sacrum moyen est située dans la province de
forme une sorte de réceptacle de plus de Neuquén, au Nord-Ouest de la Patago- Un ensemble de traces magnifiques
2 500 centimètres cubes, occupé en par- nie. Les sédiments correspondent à un conservées dans un grès du Jurassique
tie par du tissu médullaire nerveux qui ancien milieu marin côtier de la forma- supérieur, d'une localité située au Nord-
devait probablement jouer un rôle pour tion Lotena, datée du Callovien de par Est de la province de Santa Cruz, a per-
résoudre les problèmes moteurs des sa faune d'invertébrés. Les restes d'un mis d'attester la présence de petits dino-
extrémités postérieures et de la queue. ptérosaure de taille moyenne, Herbsto- suares et d'un mammifère. La couche
Cette grande expansion neurale aurait saurus pigmaeus Casamiquela, ont été fossilifère révèle des rangées de traces
pu avoir d'autres fonctions d'ordre phy- mis au jour. Le spécimen fut confondu entrecroisées appartenant à quatre
siologique : elle pouvait contrôler le lors de sa description originelle avec un espèces différentes (les traces fossiles,
fonctionnement de certaines organes petit dinosaure « coelurosaure ». Enfin, appeléesichnites, font l'objet d'une clas-
abdominaux et, pourquoi pas, le du matériel fossile d'un grand intérêt sification à part, car il est très difficile de
comportement sexuel. Enfin, Volkhei- paléobiogéographique, appartenant au les rapporter à un animal connu par des
meria chubutensis est fondée sur un seul crocodile marin Metriorhynchus casa- ossements ; ainsi le suffixe-ichnus est
squelette de taille modeste (fémur 65 miquelai Gasparini & Chong, a été utilisé lors de la définition des traces
centimètres) et montre des caractères découvert dans la province d'Antofa- fossiles). Un des types de traces le plus
plus primitifs et une morphologie diffé- gasta (Nord du Chili). abondant de ce gisement correspond à
rente des vertèbres dorsales par rapport Les restes de tétrapodes (os et traces) un petit mammifère, Ameghinichnus
à Patagosaurus. Volkheimeria présente du Jurassique supérieur de l'Amérique patagonicus Reig, qui avait les pattes
quelques ressemblances avec Bothrio- du Sud correspondent à plusieurs avant et arrière de taille similaire (envi-
ron neuf à dix millimètres de diamètre) férentes et correspondent à de petits tres, ce qui suggère que ce petit dino-
et portant cinq doigts de formule pha- dinosaures carnivores ( « coeturo- saure devait faire à peine 30 centimètres
langienne 2-3-3-3-3. Selon la forme et la saures&NR;).
Ainsi, Delatorichnus goyene- de hauteur. Un autre type de traces est
disposition des tracesde ce petit mam- chei Casamiquela devait être quadru- interprété comme étant celui d'un dino-
mifère primitif, il pouvait marcher à pède et posséder trois doigts sur le pied saure «coelurosaure» bipède, Wildei-
quatre pattes comme un chat ou se et vraisemblablement aussi sur la main. chnus navesi, ayant trois doigts fonction-
déplacer en sautant comme un lièvre. La trace du pied mesure 30 millimètres nels. Les traces du pied mesurent
Les trois autres formes sont très dif- de long et celle de la main 24 millimè- environ 40 millimètres de longueur, ce

5. SCÈNE DU JURASSIQUE MOYEN (Callovien), de la formation de poissons, de dinosaures earnosaures et sauropodes. Sur cette
CanadonAsfalto, en Patagoniecentrale. Cette formation s'est consti- reconstitution, on distingue au premier plan un earnosaure mégalo-
tuée après un volcanisme intense à l'échelle régionale qui aurait eu sauridé, Piatnitzkysaurus floresi, et un sauropode, Volkheimeria
lieu pendant une grande partie du Jurassique moyen. Lemilieu de chubutensis. Derrière, un groupe d'autre sauropodes cetiosauridës
sédimentationdes niveaux contenant des dinosaurescorrespondrait de l'espècePatagosaurus fariasi. Volkheimeria,mesurait environ 1, 80
à des plaines d'inondation d'un fleuve. Les restes fossiles de la mètre de hauteur au niveau deshanches et avait des caractères plus
formation Canadon Asfalto représentent une association hétéro- primitifs et une morphologie des vertèbres dorsales différente de
gènecomposéed'une mégaflore, d'algues,de crustacés phyllopodes, celle de Patagosaurus.
qui suggère que l'animal ne devait pas registre fossile du Trias supérieur est partie inférieur de la série de Lufeng en
dépasser 50 centimètres. Enfin, Sar- représenté par des assemblages fauni- Chine, la formation Maleri en Inde, la
mientichnus scagiali Casamiquela avait ques variés. On peut citer les Red Beds formation Forest Sandstone de l'Ouest
une taille plus grande que les autres, et Cave Sandstones d'Afrique du Sud, la du Zimbabwe, les formations Chinle,
comme le montre une trace du pied de
140 millimètres. Il présente en outre une
hypertrophie du doigt interne, avec un
doigt externe réduit et un coussinet
plantaire externe. L'aspect de cette trace
relativement étroite évoque un pied à
forte tendance vers la monodactylie, ce
qui n'est pas sans rappeler l'autruche
africaine.
Cet assemblage de petites traces fos-
siles témoigne, en l'absence de restes
osseux, de l'association de dinosaures
quadrupèdes et bipèdes dans les
couches de grès laminés de la formation
La Matilde. Les sédiments de ces
niveaux indiqueraient des conditions
climatiques arides. L'âge estimé à partir
de la flore fossile connue dans d'autres
niveaux équivalents est Oxfordien
(Jurassique supérieur).
D'autres restes de tétrapodes du
Jurassique supérieur ont été trouvés
dans les dépôts marins côtiers du bassin
de Neuquén, situé au Nord-Ouest de la
Patagonie. Des spécimens du crocodile
marin Geosaurus araucanensis Gaspari-
ni &Dellape et de la tortue marine
Notoemys laticentralis sont connus.
Cette dernière est représentée par une
grande partie de la carapace dorsale.
Les deux espèces proviennent de la for-
mation Vaca Muerta du Jurassique ter-
minal ou Tithonien. Des niveaux équi-
valents localisés un peu plus au Nord,
dans la province de Mendoza, ont livré
un crâne d'un crocodile marin de la 6. LE TRAVAIL DE TERRAIN des paléontologuesest varié. Il va de l'extraction des @@@es
famille Metriorhynchidae. Enfin, les (un fémur de dinosaure du Jurassique de Patagonie, à gauche) jusqu'à l'étude des traces
restes d'ichthyosaures (reptiles possé- (couchesfossilesavecdes traces du petit mammifère Ameghinichnus patagonicus, A droite).
dant des adaptations très poussées à la
vie marine) sont assez fréquents dans
plusieurs localités du Chili et de l'Ouest
de l'Argentine.
Le registre fossile des tétrapodes
jurassiques d'Amérique du Sud nous
permet de mieux comprendre quelques
aspects liés à l'histoire des faunes terres-
tres mésozoïques de ce continent, aux
échanges fauniques avec d'autres conti-
nents du Gondwana (le supercontinent
de l'hémisphère Sud) et de la Laurasie
(continent formé par l'Europe, l'Améri-
que du Nord et l' Asie) et à la dispersion
des formes marines côtières. De même,
ces données sont primordiales en ce qui
concerne l'origine géographique des
sauropodes.
En Amérique du Sud, de même que
dans le reste du monde, le registre fossile
des faunes de vertébrés du Jurassique
inférieur est très fragmentaire. Aussi les
discussions ayant trait à la continuité des
faunes entre les assemblages continen-
taux de la fin du Trias supérieur et celles 7. PATAGOSAURUS FARIASI,sauropode du Jurassique de Patagonie,mesure 14 mètres de
du Jurassique sont-elles limitées. Le long et possèdedes vertèbres dorsalesde 80 centimètres de hauteur.
Moenave et Kayenta de l'Ouest des Le berceau des sauropodes témoignerait d'une distribution généra-
États-Unis, la partie supérieure du lisée sur le continent d'associations de
et des carnosaures
groupe Newark de l'Est des États-Unis, petits coelurosaures avec un mammifère
le Stubensandstein d'Allemagne, les Au Jurassique moyen, le registre fos- primitif. On ne connaît pas de grands
Grès d'Elgin d'Ecosse, les remplissages sile, plus complet, est composé de dino- dinosaures dans le Jurassique terminal
de fissures dans la région du canal de saures carnosaures et de grands sauro- d'Amérique du Sud, peut-être à cause
Bristol et, en Amérique du Sud, les for- podes qui vivaient dans un milieu de la dégradation climatique. Sur le lit-
mations Los Colorados et El Tranquilo continental proche du littoral. Les restes toral du Pacifique, proliféraient les cro-
d'Argentine. En revanche, la pauvreté trouvés dans la partie centre-Ouest de la codiles metriorhynchidés trouvés dans
du registre au Jurassique inférieur fait Patagonie plaident en faveur d'une les provinces argentines de Neuquén et
que les faunes, connues pour la plupart population nombreuse, dans une région Mendoza et les tortues primitives (Am-
à partir des assemblages du Jurassique où la sédimentation se faisait en milieu phichelydia) de la famille Plesiochelyi-
supérieur et dans une moindre mesure réducteur. Même si notre connaissance dae. Cet ensemble correspondrait à une
de ceux du Jurassique moyen, apparais- de l'histoire évolutive des dinosaures à troisième ½faune de dinosaures».
sent presque sans rapport avec celles du l'échelle mondiale est loin d'être satis-
Trias supérieur. Quelques découvertes faisante, le registre fossile d'Amérique Histoire des dinosaures
dans les formations Kota en Inde, Ohm- du Sud antérieur au Jurassique moyen
den au Sud de l'Allemagne et Roca permet de supposer que ce continent On peut déjà avancer certaines idées
Blanca en Patagonie, offrent des repères aurait été, avec d'autres masses conti- sur l'histoire biogéographique des
plus clairs quant à la transition entre nentales, le berceau possible des carno- faunes Sud-Américaines : (a) dès le
Trias et Jurassique. saures et des sauropodes. Dans cette Jurassique inférieur, le continent fut
L'extinction de la fin du Trias entrai- optique, l'abondant registre du Trias su- peuplé par des anoures, des sauropodes,
na disparition de l'ordre varié et nom-
la périeur d'Argentine et la présence voire des lacertiliens et des crocodiles
breux des Thécodontes et des dino- d'Amygdalodon sont des éléments marins ; (b) les faunes du Jurassique
saures Prosauropodes, dominants à la significatifs étayant cette hypothèse. moyen auraient été plus spectaculaires
fin de la période, ainsi que des formes Le littoral était peuplé de ptéro- et variées, avec des sauropodes et des
plus rares telles que les dicynodontes, saures, de crocodiles marins de la carnosaures de taille considérables sur
rhynchosaures, procolophonidés et la famille Metriorhynchidae, y compris la terre ferme, et des crocodiles marins
presque-totalité des labyrinthodontes. Metriorhynchus, un genre trouvé aussi associés à des ptérosaures sur le littoral ;
Cette extinction aurait provoqué une en Europe, ce qui suggère des échanges (c) le Jurassique supérieur comporte un
chute de diversité qui affecta notam- fauniques directs. Cette deuxième assemblage particulier de traces fossiles
ment les espèces de grande et de ½faune de dinosaures » serait donc qui témoignent de la présence de plu-
moyenne taille. Par la suite, les faunes se composée de carnosaures de la famille sieurs types de dinosaures « coeluro-
rétablirent progressivement jusqu'à Megalosauridae, de sauropodes de la saures » spécialisés et largement répan-
atteindre leur apogée au Jurassique famille Cetiosauridae, de ptérosaures et dus ; (d) durant tout le Jurassique, il y
supérieur comme en témoignent les de crocodiles marins Metriorhynchidae. aurait eu des échanges de faune entre
nombreuses espèces découvertes Durant le Jurassique supérieur, le cli- l'Amérique du Sud et d'autres conti-
notamment dans la formation Morris- mat de l'Amérique du Sud s'est profon- nents, tels que l'Afrique, et à partir de
États-Unis, Tendaguru ce dernier, vers l'Amérique du Nord et
son des en Tan- dément dégradé. Au Brésil, à l'Est de
zanie, Chine, etc. l'Argentine et en Uruguay se sont accu- l'Europe.
Lepanorama est similaire en Améri- mulés des dépôts éoliens qui alternent Il est difficile d'interpréter les décou-
que du Sud où les fossiles demeurent avec les ½basaltes de Serra Géral», au vertes en terme de voies possibles de
rares au Jurassique inférieur tandis cours d'un processus qui se prolongea migration empruntées par les faunes
qu'ils sont plus abondants vers la fin de jusqu'au Crétacé inférieur. La résul- continentales pour peupler les diffé-
cette période. Au début du Jurassique, tante est l'un des paléodéserts le plus rents continents. Le registre fossile
les anoures de la famille Ascaphidae, important que l'on connaisse. Sur la actuellement disponible est très frag-
qui possèdent des représentants actuels côte, les dépôts de gypses de la forma- mentaire, tant en Amérique du Sud que
en Amérique du Nord et en Nouvelle- tion Auquinco témoignent de l'ampli- sur les continents voisins (Afrique et
Zélande, et qui sont par ailleurs connus tude de cette dégradation climatique qui Amérique du Nord), notamment en ce
au Lias et à l'Oxfordien en Patagonie, aurait épargné la Patagonie australe. qui concerne les associations fauniques
auraient eu pour berceau les continents Néanmoins, les études paléoclimatiques antérieures au Jurassique supérieur.
du Gondwana. Avec l'Ascaphidae Vie- montrent qu'en Patagonie, les fluctua- En revanche, la situation est diffé-
raella du Lias, on retrouve de petits tions climatiques du Jurassique rente pour les reptiles marins côtiers,
tétrapodes tels que Protolacerta patago- incluaient des étapes humides et des tels que les crocodiles thalattosuchiens
nica et vraisemblablement le plus ancien périodes arides. Pendant les phases et les tortues plésiochelyidés, ainsi que
dinosaure Cetiosauridae du continent, humides, les forêts de conifères, les pour les ptérosaures, que l'on retrouve
Amygdalodon, qui provient d'une for- anoures et les phyllopodes auraient été associés aux premiers. Ces animaux
mation intercalée dans les couches du abondants tandis que pendant les offrent des informations sur les voies
Lias marin de la Patagonie. périodes arides se seraient déposés probables de migration et, à petite
Le littoral était déjà peuplé par des des grès portant des traces de petits échelle, sur les aires d'origine. Ainsi,
crocodiles Teleosauridae, dont des dinosaures « coelurosaures et d'un l'ouverture de l'Atlantique Nord, classi-
restes fragmentaires ont été retrouvés mammifère ne montrant pas de réduc- quement considérée comme ayant eu
au Nord du Chili. On aurait ainsi une tion des doigts. lieu au Jurassique moyen, aurait pu
première ½faune de dinosaures » jurassi- Curieusement, une association simi- débuter durant le Jurassique inférieur.
que composée d'anoures Scaphidae, laire à celle trouvée dans la province de De la sorte, des bras de mer se seraient
de probables lacertiliens, de sauro- Santa Cruz et provenant de la forma- formés de la partie occidentale de l'Eu-
podes Cetiosauridae primitifs et de tion Botucatu dans l'État de Sao Paulo, rope (France, Angleterre et Allemagne)
crocodiles marins Teleosauridae. au Sud du Brésil, a été signalée. Ceci vers le Sud-Ouest de l'Amérique du
8. DEUX ASPECTS DE LA GÉOGRAPHIE MONDIALE au début séparés les uns des autres et de nouvelles connexions océaniques sont
conséquences sur la répartition des
du Crétacé (-135 millions d'années) et à la fin du Crétacé (-65 apparues, avec d'importantes
millions d'années). Entre ces deux époques, les continents se sont faunes et des flores.
tique. Jusqu'à récemment, on ne pou-
L'ÉVOLUTION DES DINOSAURES SAUROPODES vait avancer aucune hypothèse fondée
sur des faits concernant l'origine géogra-
douteesles sauropodes
plus sont sans nul ropodes primitifs du Jurassique phique du groupe, mais des découvertes
connus des dino- moyen. Les genres Shunosaurus et dans le Jurassique inférieur de l'Inde et
saures. Leur silhouette caractéristique Omeisaurus sont désormais parmi les dans le Jurassique moyen de la Patago-
-membres en forme de colonnes mas- mieux connus des sauropodes, et nous nie ont ouvert des perspectives nou-
sives, long cou et queue tout aussi renseignent sur un stade jusqu'ici mal velles.
longue-est celle qu'évoque, dans l'es- connu de l'θvolution
Aujour-
du groupe. Les données paléontologiques dispo-
prit du public, le mot «dinosaure». d'hui il est difficile de placer l'origine nibles suggèrent la présence d'un seul
L'évolution de ce groupe de dino- des sauropodes soit dans le Gondwa- genre de sauropode dans le Jurassique
saures reste en partie énigmatique : les na, soit en Laurasie-peut-être est-ce inférieur (Lias) des continents de l'hé-
gisements ayant livré des squelettes d'ailleurs ! àun faux problème, puisque misphère Nord, Ohmdenosaurus, pro-
complets et bien conservés de sauro- ces deux super-continents restèrent venant du Sud de l'Allemagne. En
podes ont longtemps été assez peu connectés pendant la plus grande par- revanche, le Lias du Gondwana a livré
nombreux, et restreints à quelques tie du Jurassique. Barapasaurus provenant d'Inde et
périodes bien déterminées des temps Les stades plus tardifs de l'histoire Amygdalodon d'Argentine. En ce qui
géologiques. Jusqu'à une date ré- des sauropodes sont aussi documen- concerne le Jurassique moyen, la diffé-
cente, les meilleures données paléon- tés : les sauropodes n'ont pas connu un rence est notable : les continents de l'hé-
tologiques concernant les sauropodes déclin généralisé au Crétacé. Cette misphère Nord ont livré plusieurs
provenaient principalement du Jurassi- interprétation n'est qu'une généralisa- espèces du seul genre Cetiosaurus
découvert en Europe, tandis que cinq
que supérieur de l'Ouest américain tion hâtive fondée sur les gisements du
(Formation Morrison) et d'Afrique Crétacé supérieur du Nord de l'Améri- genres sont connus dans les continents
orientale (gisements du Tendaguru). du Gondwana : Cetiosaurus du Maroc,
que du Nord, où les sauropodes sont
Les restes de sauropodes provenant absents. Mais les découvertes faites Rhoetosaurus d'Australie, Bothriospon-
d'autres parties du Jurassique et du depuis déjà longtemps dans les conti- dylus de Madagascar et enfin Patago-
Crétacé, et d'autres régions du monde, nents du Sud, de l'Argentine à l'Inde saurus et Volkheimeria d'Argentine.
étaient nombreux, mais fragmentaires. Ainsi, les trois quarts des sauropodes
en passant par Madagascar, montrent
Depuis 1980, la situation a changé, que les sauropodes de la famille des connus avant le Jurassique supérieur
proviennent du Gondwana, ce qui
à la suite de la découverte de nouveaux Titanosauridae y furent les dino-
représente un bon argument pour consi-
gisements fossilifères qui ont contribué saures herbivores dominants jusqu'à dérer que l'origine géographique des
à combler nos lacunes. II s'agit, entre la fin du Crétacé. La reprise des travaux
sauropodes est à rechercher sur ce
autres, des gisements du Jurassique sur les dinosaures du Crétacé supé- supercontinent.
moyen de Patagonie, qui ont livr6 Pata- rieur d'Europe indique aussi que les
Cette hypothèse est renforcée par
gosaurus et Volkheimeria, mais aussi sauropodes jouèrent un grand rôle
deux découvertes supplémentaires.
de ceux de la province du Sichuan, en dans les faunes continentales de cette
L'une, faite dans la partie inférieure
Chine. Plusieurs dizaines de squelettes région jusque très tard dans le Crétacé
des Red Beds d'Afrique du Sud, d'âge
bien conservés de sauropodes y ont En Asie aussi, les gisements mongols
Trias terminal, consiste en des traces de
été découverts, et offrent aux paléon- et chinois révèlent la persistance des type sauropode ; l'autre, provient de la
tologues une vision nouvelle des sau- sauropodes au Crétacé supérieur.
région du lac Kariba (Zimbabwe) dans
des niveaux proches de la limite Trias-
Jurassique. Il s'agit d'un squelette
incomplet d'un dinosaure quadrupède,
Sud. Une fois établie la connexion des en Amérique du Sud. En l'état actuel probablement prosauropode, mais
mers épicontinentales, les faunes de rep- des connaissances du registre fossile eu- montrant quelques caractères typiques
tiles marins se seraient dispersées entre ropéen et Sud-américain, on peut sup- des sauropodes d'après Raath qui appe-
l'Europe et la côté Ouest de l'Amérique poser que l'Europe a été le centre de la l'animal Vulcanodon karibaensis, tels
du Sud. La découverte, au Nord du Chi- dispersion de cette faune de reptiles ma- qu'une grande taille, la morphologie de
li, d'un crocodile marin de la famille rins. Il est intéressant de signaler que les certains os appendiculaires tels que l'ul-
suggère donc que cette voie de migra- reptiles marins du littoral pacifique té- na (ou cubitus), le tarse et le métatarse.
tion aurait pu être fonctionnelle dès le moignent d'une voie de dispersion em- Le registre le plus abondant des sau-
Jurassique inférieur. Il existe des pruntée au Jurassique inférieur, tandis ropodes est celui du Jurassique supé-
preuves paléontologiques significatives que ceux du littoral atlantique suggè- rieur (Kimméridgien-Thitonien). Plu-
de cette dispersion au cours du Jurassi- rent plutôt une voie de dispersion débu- sieurs genres sont connus, notamment
que moyen et supérieur, avec la pré- tée au Crétacé inférieur (Aptien), dans la formation Morrison (États-
sence simultanée en Amérique du Sud comme cela est attesté par les restes de Unis) et dans les couches du Tendaguru
et en Europe des crocodiles Metriorhyn- ptérosaures de la formation Santana, au (Tanzanie), qui réunissent une associa-
chus et Geosaurus, de tortues marines Nord-Est du Brésil. tion hétérogène de grands sauropodes
de la famille Plesiochelyidae, et enfin Les découvertes de sauropodes tels que Haplocanthosaurus, Apatosau-
des ptérosaures, très abondants dans les jurassiques, tant en Amérique du Sud rus, Barosaurus, Brachiosaurus,
sédiments littoraux d'Europe et repré- que dans le reste du monde, permettent Dicraeosaurus, etc. ainsi que plusieurs
sentés jusqu'à présent en Amérique du de supposer que ces dinosaures auraient formes chinoises encore inédites. Une
Sud par une seule espèce à affinités eu pour berceau les continents du telle variété est clairement le reflet de
floues, Herstosaurus pigmaeus. D'autres Gondwana. Les sauropodes, le plus sou- l'expansion florissante des sauropodes,
espèces de plésiosaures, pliosaures et vent de taille spectaculaire, ont évolué documentée à cette époque tant dans
ichthyosaures typiques du Jurassique pendant 140 millions d'années sur tous l'hémisphère Nord que dans les conti-
supérieur d'Europe, ont été retrouvés les continents, à l'exception de l'Antarc- nents du Gondwana.
appliquer la technique d'amplification de extrémités d'un gel où le mélange a été
La paléontologie
gènes (PCR)à des restes humains anciens, déposé.
en amplifiant l'ADN mitochondriale d'un Très sensible, la PCR est aussi très
moléculaire cerveau conservé en Floride, il analysa délicate : si, au cours des manipulations,
des tissus vieux de 7000 ans. En 1989, une seule cellule de peau du manipula-
une équipe anglaise, une équipe japo- teur tombe dans le milieu réactionnel, la
naise et l'équipe de Dominique Stéhélin, PCR amplifie l'ADN de cette cellule de
de l'Institut Pasteur de Lille, ont réussi à sorte que l'electrophorèse ne révéle que
fiquesDans le film Jurassic
reconstruisent l'ADNPark, les scienti- extraire, à analyser et à séquencer de les secrets génétiques de l'expérimenta-
des dino- l'ADN de restes osseux vieux de 5000 ans. teur. L'ADN de matériaux anciens est gé-
saures à partir du sang d'un moustique La technique d'amplification de gènes néralement si dégradé qu'il ne contient
préservé dans de l'ambre, moustique qui est une sorte de photocopie de l'ADN. que de courts fragments : comme la PCR
aurait piqué un dinosaure. Cela n'est pas Tout d'abord on sépare les deux brins de n'amplifie que les fragments d'ADN peu
totalement de la science-fiction : il est la double hélice d'un fragment d'ADN : dégradés qui sont présents en très faible
possible de reconstituer l'ADNde fossiles puis une enzyme polymérase reconstruit quantité dans les échantillons anciens,
d'une centaine de millions d'années. Ce les brins complémentaires aux brins toute bande intense correspondant à un
qui est encore une utopie, c'est de pré- d'origine à partir des bases (adénosine, fragment de masse moléculaire élevée
tendre reconstituer les animaux à partir cytosine, guanine et thymine) incorpo- est suspecte.
de ces morceaux d'ADN. rées dans le milieu réactionnel : on L'ADNest une molécule très stable qui
En 1984, Russel Higuchi a été le pre- obtient deux molécules d'ADN identiques résiste bien au temps et que l'on peut
mier à identifier des gènes dans des tis- à la première. En répétant l'opération on récupérer par les méthodes usuelles de
sus anciens, en clonant l'ADN d'échantil- duplique à l'infini la molécule d'ADN. la biologie moléculaire
lons de peau de cuagga taxidermisé, un Les traces d'ADN qu'aucune méthode Actuellement la technique d'analyse
mammifère proche du zèbre qui s'est n'aurait détectées il y a dix ans apparais- de l'ADN est surtout utilisée pour identifier
éteint en Afrique au XIXe siècle.Un an plus sent aujourd'hui sous formes de bandes les restes humains. Le silence des
tard, en 1985, Svante Paabo, de l'Univer- bien visibles sur les gels d'61ectropho- tombes est aujourd'hui une métaphore
sité de Munich, a ctoné ('ADN d'une rèse. L'électrophorèse permet de séparer périmée. Loin d'être muets, les vestiges
momie égyptienne qui a vécu il y a plus des molécules de type différent par appli- sont d'éloquents témoins, notamment
de 4000 ans. En 1988, il fut le premier à cation d'un champ électrique aux deux en génétique des populations.

L ADNest formé de deux brins composés de bases de quatre types, chaque base,puisésdans la solution et fixés par une enzyme,recons-
enchaînés les uns aux autres. Dans la technique d'amplification de tituent les séquences complémentaires, doublant ainsi chaque
gènes, les deux brins d'ADN sont séparés et les compléments de séquenceinitiale.Le processus est répété autant de fois qu'on le désire.
Les premiers tion remonterait au Trias moyen (235 mil- celles des Prosauropodes (Sauropodo-
lions d'années), mais, pour l'instant, au- morphes). Ce mélange de caractères
cun reste squelettique n'a corroboré confirme que cet animal se situe tout
cette hypothèse. près de la base de ! a ! ignée
dinosaurienne
dinosaures
La découverte la plus importante date et livre une bonne idée du dinosaure pri-
d'octobre 1991 et a eu lieu à nouveau mitif.
dans ! a même Formation Ischigualasto. Toutefois, à cette époque (Carnien
Le plus ancien dinosaure Là, le paléontologue argentin Ricardo moyen), les grandes lignées de dino-
Martinez a trouvé le squelette quasiment saures semblent individualisées : les Thé-
connu témoigne complet d'un petit dinosaure carnivore ropodes (Carnivores) avec Herrerasau-
d'une remarquable faculté d'environ un mètre de long, totalement rus, Staurikosaurus au Brésil et Walkeria
inconnu jusqu'à présent. Ce nouveau en Inde, les Prosauropodes (Sauropodo-
d'innovation. venu a été baptisé Eoraptor par le cher- morphes, végétariens) avecAzhendosau-
cheur américain Sereno, en l'honneur rusau Maroc, et les Ornithischiens (Dino-
d'Eos, la déesse grecque de l'aurore et saures végétariens à bassin d'oiseau)
Raptor qui signifie voleur. Ce «Voleur de avec Pisanosaurus en Amérique du Sud
L Les paléontologues s'intéressent plus l'Aube» a été étudié par l'Américain et Technosaurus en Amérique du Nord.
à la fin brutale des dinosaures qu'à P. Sereno et éveillé la curiosité de la Malheureusement, ces fossiles, mis à
leur apparition nécessairement plus pro- communauté scientifique. Eoraptor pré- part maintenant Herrerasaurus, sont tous
gressive. Pourtant, ces dernières années, sente la plupart des caractères qui défi- incomplets et de nombreuses incerti-
notre connaissance des premiers dino- nissent les dinosaures : les doigts quatre tudes demeurent quand à leur apparence
saures a beaucoup progressé et cinq de la main sont réduits, il possède et à leur mode de vie. Ainsi certains
Des recherches dans la Formation une crête delto-pectorale importante sur auteurs doutent que Walkeria soit réelle-
argentine Ischigualasto, âgée d'environ l'humérus, trois vertèbres sacrées, une ment un dinosaure. Les dinosaures les
225 millions d'années (Carnien moyen, station complètement érigée et un pro- plus primitifs, et donc les plus proches de
Trias supérieur), ont permis la décou- cessus ascendant sur l'astragale, mais il leur ancêtre ornithosuchien présumé
verte, en 1988, du crâne d'Herrerasaurus, ne présente aucune spécialisation per- Lagosuchus, sont Eoraptor, Herrerasau-
un prédateur de trois mètres de long. Ce mettant de le rapprocher de l'une ou l'au- rus et Staurikosaurus. Ces derniers pro-
dinosaure, considéré comme l'un des tre des grandes lignées de Dinosaures : viennent tous d'Amérique du Sud, le ber-
plus primitifs depuis plus de 30 ans, Théropodes, Sauropodomorphes ou ceau présumé des dinosaures.
n'était connu jusqu'à présent que par Ornithischiens. Cependant, ses dents Cependant, maigre cette impression
trois squelettes incomplets L'étude de tranchantes, ! es capacités d'hyperexten- de diversité, les dinosaures ne représen-
ce crâne et du matériel qui lui était asso- sion de ses mains et sa station complè- tent qu'une faible partie des faunes à
cié permet de rapprocher cet animal des tement bipède le rapprochent des Théro- cette époque (environ deux pour cent).
Théropodes. II partage en effet avec ce podes, mais il ne possède pas de En Amérique du Sud, les grands carni-
groupe de dinosaures carnivores ! a pré- vertèbres pneumatisées comme les vores sont représentés surtout par les
sence d'un joint intra-mandibulaire autres membres de ce groupe ni même Rauisuchidés comme Saurosuchus, qui
mobile : les deux branches mandibu- de joint mobile intra-mandibulaire comme peut atteindre cinq mètres de long, et les
laires ne sont pas soudées l'une à l'autre Herrerasaurus. herbivores par les reptiles mammaliens
au niveau de la symphyse. Le fait qu'Her- L'un des caractères les plus int6res- Traversodontidés comme Exaeretodon
rerasaurus puisse déjà être inclus sants de ce petit dinosaure est proba- et les Rhynchosaures comme Scaphonyx
dans l'un des trois grands groupes de blement sa denture. Ses dents anté- (des cousins des Archosaures). À la fin du
dinosaures (Théropodes, Sauropodo- rieures sont en forme de feuilles Carnien cependant, pour des raisons cli-
morphes, Ornithischiens) indique que la finement crénelées tandis que celles plus matiques, une vague d'extinction va frap-
base de ! a ! ignée est plus ancienne, postérieures sont comprimées, recour- per ces faunes dominantes. Les dino-
remontant au moins au Carnien basal bées vers l'arrière et crénelées sur leur saures vont avoir le champ libre pour
(230 millions d'années). bord postérieur. Ces dents postérieures exprimer leurs capacités adaptatives et
L'étude des traces de pas de ces rappellent celles des Théropodes tandis conquérir les niches écologiques
animaux incite à penser que leur appari- que ! es antérieures ressemblent à vacantes. De deux pour cent des faunes,
ils en représenteront ainsi 80 pour cent à
la fin du Norien (l'étage suivant, 210 mil-
lions d'années) : ils vont ainsi asseoir un
règne qui durera 145 millions d'années,
mais leur réussite ne fût qu'opportuniste.
En Europe, les dinosaures ne sont pas
connus avant 215 millions d'années
(Norien). Le plus ancien squelette à peu
près complet était celui de Procompso-
gnathus mais une révision récente de ce
spécimen a montré que ce dinosaure que
l'on pensait bien connaître était en fait un
hybride composé d'un squelette postcrâ-
nien de Théropode auquel on avait asso-
cié par erreur un crâne de Sphénosuchien
(ancêtre des crocodiles). Les spécimens
avaient en effet été trouvés au début du
1. Crâne d'Eoraptor, le «Voleur de l'Aube»,un des premiers dinosaures. XXe siècle par des carriers à Weisser
animaux étaient digitigrades tandis que
les crocodiles actuels sont plantigrades.
Cette association de petits dinosaures
carnivores et de crocodiles terrestres
pose cependant une question intéres-
sante : comment deux groupes de petits
prédateurs terrestres ont-ils pu coexister
dans une même niche écologique? Une
compétition directe entre les deux
groupes était inévitable. Dès la base du
Jurassique cependant, les crocodiles
vont jouer un rôle de prédateurs terres-
tres de plus en plus réduit et s'orienteront
vers un mode de vie amphibie, niche
écologique laissée vacante par la dispari-
tion des Phytosaures et des grands
amphibiens temnospondyles à la fin du
Trias. Leur station bipède et complète-
ment érigée a permis aux petits dino-
saures d'évincer définitivement leurs
rivaux crocodiliens.
De nouvelles découvertes permettent
donc de nous faire une bien meilleure
idée des dinosaures primitifs et Eoraptor
confirme, une fois de plus, que les ani-
maux à la base d'une lignée nouvelle, les
dinosaures dans le cas présent, sont de
petits carnivores, peu spécialisés et pos-
sédant de ce fait un très important poten-
2. Phytogénie des premiers dinosaures. tiel d'évolution. Leur développement
semble ensuite se faire en deux étapes.
Steinbruch (Württemberg, Allemagne). fallu attendre 1992 pour qu'une étude Une étape opportuniste à la fin du Car-
Le directeur de la carrière, G. Mayer, avait très fine du spécimen indique que le nien, puis une phase de compétition du-
vendu ces fossiles en 1909 au Staatliches squelette post-crânien appartenait à un rant le Norien où leurs avantages locomo-
Museum für Naturkunde de Stuttgart. petit dinosaure Théropode assez spécia- teurs leur ont permis de prendre le
Comme personne n'avait été témoin des lisé tandis que le crâne appartenait à un dessus sur leurs rivaux. Lorsqu'on voit le
conditions dans lesquelles les trois blocs ancêtre des crocodiles du nom de Salto- succès des dinosaures, on ne peut qu'être
contenant le fossile avaient été trouvés, ,oosuchus étonné par le potentiel évolutif d'Eorap
E. Fraas, le conservateur du Musée, avait, La lignée des crocodiles est en effet tor, ce petit prédateur d'aspect anodin au
bien sûr, cru en toute bonne foi que le apparu un peu après les dinosaures, mais milieu de la faune argentine.
crâne qu'on lui avait apporté faisait partie à cette époque elle était représentée par Gilles CUNY
intégrante du squelette de la taille d'un de petits animaux quadrupèdes très Lab. de Paléontologie des Vertébrés
pigeon compris dans le même lot. Il aura agiles sur la terre ferme. De plus, ces Université Pierre et Marie Curie

Plateosaurus en Allemagne et en 1862, en France, dans vation de son squelette permettent de


le Jura. Plateosaurus poligniensis est tirer des conclusions quant au mode de
connu par des restes de plusieurs indivi- dépôt. De plus, la préparation du chantier
dus découverts au siècle dernier près de a mis en évidence une série de couches
Plus vieux dinosaure français. Poligny. géologiques couvrant vraisemblablement
Des paléontologues amateurs de toute la fin du Trias. Or, si cette période
Lons-le-Saunier découvrirent, il y a quel- de temps, appelée Rhétien, est assez
tels Certains
Tyrannosaurus,
dinosaures sont populaires,
Triceratops ques années, des restes osseux en contre- bien connue dans ses dépôts marins, elle
ou bas d'une route et, comme l'extraction est objet de controverses en ce qui
Diplodocus, d'autres moins. Qui connaît était difficile dans les sédiments mar- concerne ! es dépôts continentaux euro-
Plateosaurus, un herbivore massif de six neux, ils prévinrent les milieux universi- péens, dont l'exactitude des successions
mètres de long pour environ deux tonnes, taires, et le CNRSdépêcha une équipe. Le est discutée. Les études de l'environne-
qui pouvait aussi bien se déplacer en pos- fossile fut rapidement identifié : il s'agis- ment de Plateosaurus, réalisées à partir
ture quadrupède que se dresser sur ses sait de Plateosaurus qui vivait il y aenviron des fossiles de Lons-le-Saunier, ont per-
membres postérieurs? Avec sa tête de 210 millions d'années dans l'île englobant mis d'identifier différents requins et pois-
dimensions modestes au bout d'un cou l'Est de la France, une partie de l'Alle- sons osseux caractéristiques, et des
assez étiré, il préfigurait ce que furent, magne, de l'Autriche et de la Suisse. microrestes dentaires de reptiles mam-
quelques dizaines de millions d'années C'est, d'après l'âge de la couche sédi- maliens cynodontes, groupe proche des
plus tard, ! es géants au long cou appelés mentaire où ces animaux ont été trouvés, premiers mammifères qui apparaissent à
Sauropodes, si caractéristiques du monde le plus ancien dinosaure connu en France. cette époque charnière de la fin du Trias
des dinosaures. Les premiers restes de Le spécimen n'est pas étudié isolé- continental en Europe.
Plateosaurus ont été découverts, en 1834, ment. Sa position, le bon état de conser- Gilles CUNY et Jean-Michel MAZIN
Les dinosaures polaires

PATRICIA VICKERS-RICH THOMAS RICH

Comme ils étaient adaptés aux régions froides du Globe et avaient une
excellente vision nocturne, les dinosaures polaires d'Australie auraient pu
survivre aux rigueurs climatiques qui ont déclenché l'extinction des dinosaures.

Durant le Crétacé inférieur, toria, était situéebien à l'intérieur du situer dans le domainetempéré,bien
il y a environ 100 millions Cercleantarctique.En ce temps-là,la que le Soleil ne brillât pas durant les
d'années, l'Australie était région abritait un ensembled'animaux longsmoisd'hiver.
attenanteà l'Antarctique, qui, comme etdeplantesquivivaientdansdescondi- Plusieurslignéesde dinosauresont
aujourd'hui, était à chevalsur le pôle tions climatiques sans équivalent survécu dans cet environnement
Sud.L'extrémitéSud-Estdel'Australie, moderne.Il s'avèreque la température étrange alors qu'elles s'étaient déjà
qui constitueaujourd'huil'état de Vic- moyenne, quoique faible, devait se éteintesdanslesautreszonesdu Globe.

LEAELLYNASAURA ALLOSAURUS MUTTABURRASAURUS

1.LESDINOSAURES D'AUSTRALIEprospéraient au Suddece Cercleantarctique.Cettepeinturereprésente six espèces


qui ont
continent,
auCrétacé
inférieur,quandla région était à l'intérieur du
laissédesfossiles
dansle Sud-Estdu Victoriaet uneseptième-Je
Si, comme l'ont suggéré plusieurs pa- verte, les premiers spécimens d'un fabu- ces débris flottants au fond de petites
léontologues, le refroidissement général leux gisement d'ossements de dino- rivières peu profondes. Ces dépôts sont
du climat a effectivement tué les dino- saures enfouis dans des grès et marnes apparus le long de la côte Sud du Victo-
saures, ce sont les espèces australiennes durs, datant du Crétacé inférieur. ria, car c'est ta que l'attaque permanente
qui étaient les plus à même de survivre Ces découvertes-qui ont eu lieu au des vagues a mis au jour les sédiments
le plus longtemps. Leurs adaptations à Sud-Est de Melbourne à seulement une déposés dans le rift qui s'est formé lors-
un climat hostile les a-t-elles aidées à heure et demie en voiture-ont incité les que l'Australie et l'Antarctique se sont
survivre au brusque refroidissement qui paléontologues à prospecter d'autres séparés, comme l'ont fait les autres frag-
a pris au dépourvu les espèces vivant sur sites côtiers. En 1980, nous avons décou- ments du Gondwana, l'ancien super-
d'autres continents ? vert un important gisement dans la région continent (voir la figure 2).
Alors que l'on étudie les plantes fos- d'Otway, que le gouvernement du Vic- A l'intérieur des terres,
on n'a trouvé
siles du Sud-Est de l'Australie depuis toria a depuis, sur notre suggestion, bap- que deux sites fossilifères de la même
plus d'un siècle, la plupart des animaux tisé la Crique des dinosaures (Dinosaur période, dont l'un au sein de sédiments
de cette région sont longtemps restés Cove). Là nous avons passé trois mois déposés, dans des conditions beaucoup
introuvables. Vers 1900, le géologue par an à ciseler, marteler et creuser, à plus calmes, au fond d'un ancien lac. De
William Fergusson trouva deux osse- l'occasion, des galeries dans les couches ce fait, ce site continental a fourni des
ments qui ont orienté les travaux ulté- contenant les fossiles (voir la figure 5). spécimens extraordinairement bien
rieurs de paléontologie-la dent d'un Ce projet a été au centre de nos vies et conservés On connaît les dinosaures du
dipneuste et la griffe d'un dinosaure car- de celles de nos collaborateurs, de nos Sud-Est australien grâce à 5 000 osse-
nivore attribuée au genre théropode enfants et même de nos parents (deux ments individuels et deux squelettes
Megalosaurus. Pendant les 70 années d'entre eux sont paléontologues). incomplets. Seules quelques centaines
qui suivirent, en l'absence d'autres La Crique des dinosaures et les de ces ossements peuvent être attribuées
découvertes, ces ossements furent autres sites analogues se sont formés à une espèce ou à un genre donnés ; bien
oubliés dans une vitrine du musée du quand les violents courants saisonniers qu'en faible nombre, ces ossements sont
Victoria. En 1978, deux étudiants, Tim ont emporté les amoncellements d'osse- d'un grand intérêt scientifique
Flannery et John Long, trouvèrent, près ments et de flore qui gisaient dans les Tous les efforts d'interprétation tour-
du site où W. Fergusson fit sa décou- vastes plaines inondables et ont déposé nent autour du problème de l'évaluation

PTÉROSAURE
(ENVOL) ANKYLOSAURE ATLASCOPCOSAURUS ORNITHOMIMOSAURE

grand iguanodontidé Muttaburrasaurus-qui aété trouvéeseulement dinosaurespolaires peut être le reflet d'une réelle absenceou simple-
dans le Queensland, loin vers le Nord. Cette absence de grands ment d'une conservation sélectivedes ossementsde petite taille.
2. LE SUPERCONTINENT AUSTRAL a commenceà se morceler lesossementsrassembléspar les crues. Cesossements,mélangesavec
il y a plus de 100millions d'années,quand un rift a séparel'Australie l'argile et le limon, ont créé les formations contenant les fossiles de
de l'Antarctique (à gauche). De petites rivières du rift ont recueilli la Crique des dinosaures (à droite).

de la température, que l'on a réalisée par que ces chutes massives aient été provo- espèces et les genres fussent locaux, ils
deux méthodes. Robert Gregory et ses quées par l'obscurité ou le froid ; la appartenaient à des familles cosmopo-
collaborateurs ont reconstitué le paléo- sécheresse, toutefois, n'a probablement lites. Leurs adaptations sont néanmoins
climat australien d'après le rapport de pas été la cause systématique de cette frappantes, et certains ont ainsi survécu
l'oxygène 18 et de l'oxygène 16contenus défoliation-tes données sédimentaires au-delà de l'extinction de leurs familles
dans les roches anciennes. D'après leurs et l'abondance des fougères indiquent dans d'autres endroits.
résultats, la température moyenne que l'atmosphère était relativement Les amphibiens labyrinthodontes,
annuelle avoisinait zéro degré, mais il humide, excepté peut-être en hiver. ancêtres des amphibiens actuels et des
n'est pas impossible qu'elle ait atteint Si la plus haute estimation de la tem- reptiles, sont un exemple de ces ana-
jusqu'à 8 °C. De telles températures pérature est correcte, l'Australie était à chronismes animaux, parfois appelés
sont aujourd'hui observées dans la baie la fois tempérée et sujette chaque année fossiles vivants. La plupart des paléon-
d'Hudson, au Saskatchewan (0 °C), et à à une période d'obscurité continue tologues croyaient que ce groupe s'était
Minneapolis et Toronto (8°C). -une combinaison qui n'a aucun équi- éteint avant le Jurassique, il y a environ
Indépendamment Robert Spicer et valent dans les temps modernes. La nuit 160 millions d'années. Au cours des 15
Judith Parrish ont estimé la température hivernale durait entre six semaines et dernières années, Michael Cleeland et
à partir de la structure de plantes quatre mois et demi selon la paléolati- Lesley Kool ont néanmoins trouvé trois
anciennes, obtenant une température tude. Puisque la température minimale mâchoires appartenant à ce groupe dans
moyenne annuelle de 10 °C, légèrement aurait été bien inférieure à la moyenne, des sédiments de l'État de Victoria
supérieure à la précédente estimation. la plupart des vertébrés préservés à datant du Crétacé inférieur. Deux de ces
Leurs recherches ont montré que l'Aus- l'état de fossile ont vécu assez près de mâchoires ne pouvaient pas ne pas être
tralie polaire possédait des conifères, leurs limites thermiques. Certains, reconnues puisque l'émail de leurs dents
des ginkgos, des fougères, des cycadales comme les dipneustes, ne peuvent pas à était fortement plissé, caractéristique
et des bryophytes, mais seulement quel- l'heure actuelle se reproduire dans des qui donne son nom au groupe. L'une au
ques angiospermes ou plantes à fleurs, eaux à moins de 10°C. moins des grandes espèces de labyrin-
identifiables par leur pollen. À cette Si, en revanche, la plus basse estima- thodontes vivait en Australie polaire il y
époque, les angiospermes commen- tion de la température est correcte, la a 115 millions d'années, soit plusieurs
çaient tout juste à envahir d'autres compréhension du fonctionnement de millions d'années après l'extinction du
niches. C'est peut-être en exploitant les cette communauté fossile lance un défi. groupe ailleurs.
écosystèmes existant dans les rifts, qui se Toutefois, avant de s'attaquer sérieuse- Comment ont-ils survécu? Nous sug-
sont formés lorsque le supercontinent ment à ce problème, les scientifiques gérons que la fraîcheur du climat a pro-
s'est morcelé, qu'ils ont commencé à se doivent démontrer qu'il existe. Pour tégé les animaux de la concurrence des
développer. affiner l'estimation de la température crocodiles, probablement mal adaptés
Les plantes à feuilles persistantes, qui annuelle moyenne, une équipe pluridis- aux conditions du Sud-Est australien
fournissaient du fourrage en toute sai- ciplinaire compare actuellement les jusqu'au début du réchauffement
son, avaient des cuticules épaisses et témoignages floraux, géochimiques ou climatique qui a eu lieu pendant les cinq
d'autres caractéristiques qui indiquent d'autre sorte. derniers millions d'années du Crétacé
une adaptation au froid ou à la séche- inférieur. Cette hypothèse repose sur le
resse (peut-être due au gel hivernal). Les faunes survivantes fait que les crocodiles contemporains ne
Les plantes à feuilles caduques nous vivent pas dans des eaux à moins de
livrent une autre indication sur le climat : Rien dans cette faune n'est aussi 10°C, alors que certaines grenouilles et
il semble qu'elles aient perdu toutes caractéristique de la région que ne l'est salamandres modernes peuvent s'ada-
leurs feuilles d'un seul coup. Il se peut le koala aujourd'hui, car bien que les pter à l'eau issue de la fonte des neiges.
Un autre survivant tardif fut le bien comme les gazelles du monde des dino- silophodontidés. Ces animaux, pour la
connu Allosaurus, un théropode cami- saures, capables d'échapper aux préda- plupart à peine plus grands qu'un pou-
vore. Dans les autres endroits du teurs et de foncer sur leur proie. Les let, étaient des bipèdes taillés pour la
monde, cet animal atteignait jusqu'à ornithomimosaures sont vraisemblable- vitesse, avec de grands membres posté-
cinq mètres de hauteur, alors que dans ment originaires du Gondwana et se rieurs, des mains petites mais bien déve-
le Sud-Est australien les spécimens ne sont répandus vers le Nord pour rejoin- loppées, une queue de taille notable et
faisaient pas plus de deux mètres de haut dre les faunes du Crétacé supérieur de -dans l'ensemble-des habitudes herbi-
-ils 6taient donc à peine plus grands l'Amérique du Nord et de l'Asie, où ils vores. Ils ressemblaient donc aux walla-
qu'un être humain. Ce «pygmée» est le ont prospéré. bies tant par leur forme que par leur rôle
dernier allosaure connu qui ait survécu. Deux théropodes très petits sont écologique.
On ne sait toujours pas si cette espèce encore non identifiés, mais l'un d'entre Du milieu du Jurassique à la fin du
devait, elle aussi, sa longévité quelque eux ressemblerait à un oviraptosaure Crétacé, la famille des hypsilophodonti-
niche que le climat froid aurait créé pour mangeur d'oeufs, qui n'est, jusqu'à ce dés était répandue à travers le monde,
elle. La découverte de formes juvéniles jour, connu qu'à partir des fossiles de mais son importance atteignit un pic
(mais pas encore de coquilles) suggère roches crétacées plus jeunes d'Améri- absolu et relatif dans les sédiments vic-
fortement que ces dinosaures n'étaient que du Nord et d'Asie. Il se peut que ces toriens. Non seulement, ils constituent
pas des visiteurs occasionnels mais qu'ils groupes soient eux aussi originaires du les principaux restes de dinosaures, mais
vivaient au contraire la plus grande par- Gondwana. ils sont de plus représentés par quatre à
tie de l'année près du pôle, qu'ils utili- Un autre groupe de dinosaures,
saient comme une nursery pendant la récemment identifié, appartient aux
période d'ensoleillement maximal. néocératopsiens, ou dinosaures cornus.
Contrairement aux allosaures, la plu- L'identification fondée seulement sur
part des dinosaures australiens n'étaient deux cubitus (partie de l'avant-bras), est
pas les derniers de leur lignée ; certains provisoire, mais l'analogie avec Lepto-
pourraient même être les premiers. ceratops, un herbivore de la taille d'un
Deux au moins, et peut-être même qua- mouton, est troublante. Jadis, tous les
tre familles de dinosaures, ont été iden- spécimens de néocératopsiens dataient
tifiées, dont certains représentants sont du Crétacé supérieur et, à l'exception de
le ou l'un des plus anciens de leur quelques ossements découverts en
espèce. Par exemple, les omithomimo- Argentine, provenaient de l'hémi-
saures, des carnivores ayant la taille et sphère Nord. Cette famille de dino-
l'apparence d'autruches, sont manifes- saures pourrait, elle aussi, être apparue
tement primitifs et parmi les plus dans le supercontinent austral.
anciens de leur groupe : seule une D'autre part, des espèces qui étaient
espèce de l'Afrique de l'Est datant du encore en plein essor dans d'autres
Jurassique supérieur précède le type régions, se sont modifiées au cours du
australien. À cause de leurs membres Crétacé inférieur australien. Le groupe
postérieurs allongés et élancés, les qui eut de loin le plus de succès dans
espèces australiennes sont considérées cette voie est celui des dinosaures hyp-

3. UNE BONNE VISION NOCTURNE DE CERTAINS DINO- dominer un environnement marqué par une obscurité saisonnière.
SAURES est suggéréepar les yeux et le cerveau de Leaellynasaura Cela expliquerait les immenseslobes optiques visibles à l'arrière de
amicagraphica,un hypsitophodontidé représenté en taille réelle (en cette empreinte decerveau, laquelle s'est formée quand le limon s'est
haut, à droite). Ces grands yeux ont peut-être aidé le groupe à solidifié à l'intérieur d'un crâne, qui a depuis disparu.
cinq genres, suivant les critères taxino- relevée chez un hypsilophodontidé. l'a noté, mais ils avaient tous des lobes
miques utilisés, et cinq à six espèces Comment interpréter ces lobes hyper- optiques hypertrophiés.
D'autres endroits, dont certains sont trophiés? Nous suggérons qu'ils aug- Si les animaux fourrageaient la nuit,
plus richement dotés d'espèces de dino- mentaient ! a faculté des animaux à voir c'est qu'ils pouvaient s'activer A 0'C on
saures, n'ont jamais abrité plus de trois dans l'obscurité, ce qui aurait permis à en dessous. Cet exploit se situe bien au-
sortes d'hypsilophodontidés à la fois. II ces derniers de fourrager efficacement delà de la tolérance au froid de tout
ne fait aucun doute que quelque chose a pendant les longs mois d'hiver. Les her- reptile moderne, même du tuatara de
favorisé la diversification de ce groupe bivores pouvaient vivre de plantes à Nouvelle-Zélande, Sphenodon puncta-
en Australie polaire. feuilles persistantes et du tapis de feuil- tus, qui supporte une température de
lage caduc, et les carnivores pouvaient 5 &NR;Cpour peu qu'il s'expose au Soleil.
Une bonne vision chasser les herbivores. Leaellynasaura aurait pu survivre uni-
Cette hypothèse explique aussi pour- quement en maintenant constante la
Une adaptation particulièrement quoi ce groupe dominait l'environne- température de son corps et en man-
intéressante d'une des espèces au moins ment polaire. Les hypsilophodontidés geant souvent, comme le font les
d'hypsilophodontidës polaires est sug- de tous les coins du monde avaient de oiseaux en hiver.
gérée par l'empreinte, extrêmement grands yeux et, vraisemblablement, une Les ptérosaures, reptiles volants, et
bien conservés, du cerveau du Leaelly- bonne vision. C'est ce trait qui leur a les ankylosaures, dinosaures lourde-
nasaura am&NR;cagraphica. Le cerveau, peut-être permis de prendre pied en ment cuirassés, apparaissent aussi, mais
anormalement large pour un dinosaure Australie polaire. Une fois établis dans leurs restes sont si fragmentaires qu'ils
de cette taille, porte les marques de cet environnement «protégé», les hypsi- n'apportent pas beaucoup de renseigne-
lobes optiques, dont la taille relative est lophodontidés se seraient fait concur- ments. On peut, cela dit, récolter des
de loin la plus grande qui ait jamais été rence et se seraient diversifié comme on informations d'une poignée de dents,

4. DE L'OSSEMENT AU FOSSILE : Leaellynasauratel qu'il aurait sementstiré d'un seul individu aurait pu sefossiliser de cette manière
pu apparaître lors du processusde fossilisation. Un ensembled'os- si la petite rivière avait ëtë obstruée, formant un bras mort.
5. LA DURETÉ DES ROCHES rend difficile le travail des paléon- d'exploitation minière (à gauche) pour extraire les blocs qui se
tologues. On se sert d'explosifs (à droite) et de techniques fracturent le long des plans recelant les plus beaux fossiles.

quand elles proviennent de plésio- ment de taille réduite, le protocératop- mieux, pu profiter d'une heure de soleil
saures. Ces reptiles au long cou, qui sidé et l'ankylosaure ne sont pas plus par jour en hiver. La migration n'aurait
n'étaient pas des dinosaures, évoluaient grands qu'un mouton. Un fragment uni- eu que peu de sens pour de si petits
habituellement dans les mers, mais ici ils que d'une griffe constitue notre seule animaux.
habitaient les eaux douces de l'ancienne trace d'un spécimen-un carnivore, Des barrières moins exceptionnelles
vallée entre l'Australie et l'Antarctique. apparemment semblable au Baryonyx enfermaient les dinosaures d'un autre
Ils évoquaient ainsi les dauphins du d'Angleterre-qui pourrait avoir mesu- site polaire riche en fossiles : le versant
Gange, l'un des rares cétacés vivant en ré jusqu'à huit mètres de long. Nord de l'Alaska. Les dinosaures y dis-
eau douce. Cet exemple contredit les lois posaient d'un couloir Nord-Sud par
Seuls les sauropodes sont absents. d'échelle formulées par Bergmann et lequel ils pouvaient migrer facilement.
Ces géants, dont le plus bel exemple est Allen au XIXe siècle. D'après ces lois, les Le fait que ces dinosaures fussent
Brontosaurus ou Apatosaurus, vivaient animaux d'une lignée donnée ont ten- grands-au moins de la taille du caribou,
au Nord de l'Australie. Aucun n'a été dance à devenir plus grands et plus du gnou et des autres animaux migra-
trouvé au Sud dans aucun des neuf sites compacts à mesure que la température teurs modernes - est significatif.
de dinosaures polaires crétacés identi- moyenne de leur environnement La question qui reste posée est la
fiés à ce jour dans les deux hémisphères. décroît. On peut illustrer cette tendance suivante : un hiver artificiel, résultant
Le seul sauropode polaire découvert est en comparant les pumas du Canada avec d'un cataclysme à la limite Crétacé-
plus ancien (Jurassique inférieur), il ceux d'Amérique centrale et les popula- Tertiaire, aurait-il entraîner l'extinction
s'agit de Rhoetosaurus qui vivait dans le tions humaines dans les zones subarcti- d'animaux si bien adaptés au froid et à
Nord-Est de l'Australie. ques et tropicales. l'obscurité? Il a été suggéré qu'un cata-
La restriction apparente de ces D'autres facteurs déterminent les clysme, tel qu'une collision avec une
grands dinosaures aux latitudes les plus dimensions corporelles, parmi lesquels comète ou un astéroïde, ou une série
basses de ce qu'était l'Australie au Cré- la taille du territoire où vit la population. d'éruptions volcaniques, aurait répandu
tacé est soit réelle, soit un artefact dû à Les individus que l'on rencontre dans les dans l'atmosphère un nuage de pous-
l'échantillonnage. Cette question nous îles sont souvent plus petits que leurs sière bloquant la lumière solaire et fai-
inquiète car les eaux diluviennes qui ont homologues du continent. II y avait par sant mourir de faim ou de froid la plu-
débordé des rivières en crue auraient pu exemple des éléphants nains dans les part des animaux.
recueillir les ossements de petite et anciennes îles méditerranéennes, et on II nous semble, cependant, qu'aucun
moyenne taille et laisser les grands. Le a récemment trouvé des mammouths hiver artificiel n'aurait pu tuer les dino-
corps d'un sauropode aurait pu rester pygmées dans des sédiments vieux de saures à moins qu'il n'ait duré long-
échoué au lieu de flotter vers les 4 000 ans dans des îles au large de la côte temps, certainement plus que quelques
endroits où de nombreux spécimens Nord de la Sibérie. L'évolution vers des mois ; sinon quelques-uns au moins des
étaient concentrés dans de petites espèces naines résulterait de la pression dinosaures polaires auraient survécu.
rivières, qui n'avaient pas plus de cinq à de sélection : celle-ci accroît le nombre Arthur Conan Doyle rêvait jadis
dix mètres de largeur et 20 à 30 centimè- d'individus afin d'assurer un réservoir d'un plateau en Amérique du Sud que
tres de profondeur. de gènes assez diversifié pour que les le temps aurait oublié et où les dino-
Néanmoins, nous avons l'impression espèces puissent survivre sur des super- saures auraient continué à vivre. Des
que, dans ces régions polaires, les ani- ficies restreintes. On a également obser- informations, au début de l'année,
maux avaient une nette tendance à évo- vé cet effet dans des péninsules-et d'après lesquelles des mammouths
luer vers de petites tailles corporelles. l'ancien Sud-Est australien était une nains auraient survécu jusqu'au début
Rappelons en effet qu'aucun des hypsi- péninsule du Gondwana. des temps historiques, dans des îles au
lophodontidés n'était plus grand qu'un Les dinosaures de cette péninsule large de la côte sibérienne, étayent de
être humain, et que la plupart étaient à étaient en fait coincés à l'extrémité du telles spéculations. Si les dinosaures ont
peine plus grands qu'un caniche. territoire. La voie vers le Nord était blo- trouvé un havre similaire où ils auraient
L'Allosaurus nain est aussi petit que le quée par une vaste mer intérieure, qu'ils survécu au reste de leur groupe, alors
plus petit spécimen que nous ayons n'auraient pu contourner qu'en allant à nous pensons que le Gondwana
trouvé dans les collections d'Amérique des centaines de kilomètres à l'Ouest. À polaire, est un endroit plausible pour le
du Nord. L'omithomimosaure est égale- l'issue de tels efforts, ils auraient, au chercher.
Les derniers dinosaures

du Sud de la France

JEAN LOEUFF ERIC BUFFETAUT

Il y a 70 à 65 millions d'années, sur les terres émergées du Sud de la France,


vivaient de nombreuses espèces de dinosaures. La composition de cette faune
s'était profondément modifiée, juste avant sa disparition.

Pour percer le mystère de la dispa- France. Du département du Var à celui France des restes de « grands sauriens »
rition des dinosaures, il faut de la Haute-Garonne, plusieursdizaines provenant du Var. Il fallut attendre 1869
connaître leurs derniers instants. de gisements fossilifères ont livré leurs pour que le géologue marseillais Phi-
Quels furent les stadesultimes, les der- ossementset leurs oeufs.Certains de ces lippe Matheron identifie comme un
niers millions d'années de la longue his- gisements sont connus depuis le début dinosaure un animal dont les os avaient
toire (165 millions d'années) de ces du XIXe siècle,mais ce n'est que récem- été trouvés dans les roches du Crétacé
animaux ?Comment les faunesde dino- ment que des fouilles de grande ampleur supérieur lors du percement du tunnel
sauresréagirent-elles aux changements ont été organisées. de la Nerthe, et auquel il donna le nom
de l'environnement à la fin du Crétacé ? de Rhabdodon.
Longtemps, pour répondre à cette Savants et amateurs : Un peu plus tard, en 1877,le paléon-
question, les paléontologues se sont les premières découvertes tologue Paul Gervais signalait les pre-
tournés presque exclusivement vers les miers restes de dinosaures découverts
riches gisements de l'Ouest des États- Il a fallu 150 ans pour parvenir à dans la vallée de l'Aude. Puis,vers 1900,
Unis et du Canada. Si riches soient-ils, notre connaissance actuelle des dino- le paléontologue lyonnais Charles
ces gisements ne nous renseignent que sauresdu Crétacé terminal français. Les Depéret décrivit les ossementsde dino-
sur les événements survenus dans cette auteurs des premières découvertes ne saures trouvés dans la région de Saint-
partie du Globe. Nous savons aujour- surent pas toujours les interpréter : ainsi Chinian (Hérault) par un géologueama-
d'hui que le monde de la fin du Crétacé le géologueCoquand signalait-il en 1840 teur, Jean Miquel. En 1947, l'abbé de
était varié, que l'on ne rencontrait pas « deux fémursde mastodontes en Pro- Lapparent publiait un mémoire qui fai-
partout les mêmestypes de dinosaures. vence, dans des terrains dont l'âge fait sait le point sur les dinosauresdu Créta-
Aussi faut-il compléter notre connais- penser qu'il devait s'agir de dinosaures ; cé supérieur du Midi de la France,et qui
sancedesderniers dinosauresen les tra- il estvrai que ce mot ne fut crééque deux a longtemps servi de référence sur le
quant partout où ils se trouvent. ans plus tard ! sujet. Puis l'attention des paléontolo-
Les gisements correspondant à cette Quelques décenniespassèrent,et un gues se porta surtout sur les oeufs de
époque ne sont pastrès nombreux.Tou- infatigable prêtre ariégeois, l'abbé dinosaures,si abondants de la Provence
tefois, on sait, depuis le siècle dernier, Pouech, mal conseillé par certains pa- aux Corbières et à l'Ariège ; cesoeufsont
que les sédiments continentaux formés léontologues du Muséum de Paris, attri- suscitéune littérature qui se signale par
dans le Sud de la France à la fin du buait encore à de grands mammifères son abondance plus que par sa rigueur
Crétacé renferment des restes de dino- certains des nombreux restes de dino- scientifique.
saures.Les prospections et les fouilles sauresqu'il découvrait dans la région du Toutefois, jusqu'à une date récente,
que nous avons entreprises sur cessites Mas-d'Azil. Plus tard encore, en 1892, à l'exception de quelques tentatives,
longtemps délaissés révèlent ce que Isidore Gabelle, agent voyer à Couiza, dues entre autres à Lapparent, les gise-
furent les derniers dinosaures de dans l'Aude, commettait la même er- ments de dinosaures du Crétacé supé-
France,dans quel milieu ils vécurent, et reur à propos des ossementsqu'il avait rieur de France n'avaient guère fait l'ob-
comment ils évoluèrent avant de dispa- trouvés près de ce village. Dès 1842, jet de fouilles systématiquesà grande
raître. L'histoire ainsi reconstituée est cependant, Doublier et Panescorsepré- échelle. Pour mieux connaître lesfaunes
différente de celle que racontent les sentaient à la Société géologique de de cette époque,et les replacer dans leur
gisementsnord-américains.
À la fin du Crétacé, il y a 70 à 65
millions d'années,sur une terre émergée 1. DEUXHADROSAURESdu genreTelmatosaurus menacéspar un crocodile.Cettescène
qui s'étendait de l'emplacement de la est fondéesur les découvertesrécemmenteffectuéesdans les couchesdu Maastrichtien
Provence actuelle jusqu'à la région où supérieurde Fontjoncouse,dans les Corbièresorientales.À la fin du Maastrichtien,les
s'élèveraient, plus tard, les Pyrénées, hadrosauressemblentavoir été les dinosauresherbivoresles plus abondantsen Europe
vivaient les derniers dinosaures de occidentale,audétrimentdestitanosaures,
qui dominaientau Maastrichtieninférieur.
milieu, pour, en fait, reconstituer les éco- donnent aux coteaux audois une teinte assez lourd (marteaux-piqueurs, par
systèmes d'alors et leurs modifications particulière, au point qu'en 1868, le géo- exemple), une minutieuse préparation
au cours du temps, ni le simple ramas- logue toulousain Alexandre Leymerie au laboratoire est nécessaire, les os fria-
sage des fossiles en surface, ni de petites proposa pour ces couches un nouveau bles devant être soigneusement consoli-
excavations ponctuelles ne suffisent. À nom d'étage, le Rubien, qui ne devait dés ; l'identification et la reconstitution
la suite de nouvelles découvertes dans la pas s'imposer ; ce sont les limons d'une des spécimens préludent ensuite à une
haute vallée de l'Aude, autour de la ancienne plaine alluviale. Quant aux étude systématique.
petite cité chapelière d'Espéraza, dues à grès et aux conglomérats, ils fossilisent La faune de ces dinosaures est domi-
deux chercheurs amateurs de la région, le cours d'anciens fleuves qui drainaient née par de grands herbivores du groupe
Pierre Clottes et Christian Raynaud, alors la plaine audoise. Les calcaires, des sauropodes, les titanosaures. Dans
nous avons entrepris en 1989 dans le enfin, se sont déposés dans des lacs et le riche gisement de Bellevue, à Cam-
département de l'Aude, des prospec- des marais. Ailleurs, de l'Ariège au Var, pagne-sur-Aude, les restes de ces ani-
tions et des fouilles systématiques, qui des dépôts sédimentaires similaires maux constituent environ 80 pour cent
s'ajoutent au réexamen des collections. dénotent des paysages du même type : des ossements découverts. Ces dino-
vastes plaines parcourues de rivières et saures quadrupèdes, au long cou et à la
Dans les plaines du Maastrichtien parsemées de lacs, sous le climat tropical longue queue, qui pouvaient atteindre
ou subtropical que nous indiquent l'é- 15 à 20 mètres de longueur, vivaient pro-
Les gisements du Sud de la France tude des pollens et celle des sédiments. bablement en troupeaux. Leurs
nous renseignent principalement sur les L'Europe était alors un archipel, et les mâchoires portaient quelques dizaines
dinosaures des deux derniers étages du terres émergées du Sud de la France de dents cylindriques qui constituaient
Crétacé, le Campanien, (83 à 72 millions faisaient partie d'une grande île, qui une sorte de peigne servant proba-
d'années) et le Maastrichtien (72 à 65 s'étendait du Portugal à la Provence (la blement à effeuiller les hautes branches.
millions d'années). On connaît un cer- péninsule ibérique est d'ailleurs riche en Les os du titanosaure de Campagne-sur-
tain nombre de restes de dinosaures gisements de dinosaures contemporains Aude ont permis de le différencier des
d'âge campanien, notamment au Beaus- de ceux de France). autres formes connues et de l'attribuer
set, en Provence et à Villeveyrac, dans Nos fouilles à Campagne-sur-Aude, à un nouveau représentant de cette fa-
l'Hérault, mais la plupart des décou- Rennes-le-Château et Espéraza ont mille, Ampelosaurus atacis («le dino-
vertes ont été faites dans les couches porté sur plusieurs gisements remontant saure du vignoble de l'Aude»). Les tita-
maastrichtiennes. Si, à Maastricht où il au début du Maastrichtien. Les restes nosaures sont les dinosaures classiques
a été défini, le Maastrichtien se compose (os et dents) de dinosaures-et ceux, des continents situés, au Crétacé, au Sud
de craie, roche déposée en milieu marin, plus rares, d'autres animaux-se trou- de l'océan téthysien (Amérique du Sud,
il présente dans le Sud de la France un vent dans des marnes et dans des grès. Afrique, Inde, Madagascar).
aspect différent. Dans la vallée de Ils ont été transportés avant d'être Deux autres dinosaures herbivores
l'Aude, à une quarantaine de kilomètres enfouis et fossilisés ; de ce fait, les sque- au moins coexistaient avec Ampelosau-
au Sud de Carcassonne, les niveaux lettes ont été disloqués, et il est rare que rus dans les plaines du Sud de la France.
maastrichtiens, épais de plusieurs cen- l'on retrouve les os en connexion anato- Rhabdodon priscus était un petit dino-
taines de mètres, sont constitués de mique. Après une extraction souvent saure du groupe des ornithopodes, de
marnes rutilantes, de grès, de conglomé- laborieuse, car la dureté de la gangue trois à quatre mètres de longueur. Les
rats et de calcaires. Les marnes rouges rocheuse impose l'emploi d'un outillage nombreux restes découverts dans
l'Aude ont précisé les caractères anato-
miques de cet animal qui, on l'a vu, fut
décrit pour la première fois par Mathe-
ron en 1869. Letroisième dinosaure her-
bivore identifié dans l'Aude n'est connu
à ce jour que par quelques restes frag-
mentaires : il s'agit d'un ankylosaure,
c'est-à-dire un dinosaure au corps cou-
vert d'une cuirasse de plaques osseuses,
dont les affinités sont encore troubles.
Quant aux dinosaures carnivores,
bien plus rares dans les gisements que
les herbivores, les restes découverts jus-
qu'ici dans la vallée de l'Aude ne per-
mettent guère de les identifier. Heureu-
sement, en Provence, dans des niveaux
d'âge équivalent, les paléontologues
amateurs Patrick et Annie Méchin ont
découvert des restes particulièrement
importants de ces animaux (en Pro-
vence comme dans le Languedoc, des
chercheurs amateurs particulièrement
actifs et coopératifs ont joué un grand
2. CETTE CARTE PALEOGEOGRAPHIQUE montre la répartition des terres et des mers rôle dans les progrès récents de la
dans la region de l'Europe méridionale et de l'Afrique du Nord à la fin du Crétacé, il y a connaissance des dinosaures). Ces fos-
environ 65millions d'années.La fermeture de t'océan Téthys, qui séparait les deux continents
à la fin du Jurassique (il y a 135 millions d'années), a permis à de nombreux groupes de siles, que leurs découvreurs ont aima-
vertébrés terrestres (dont un certain nombre de dinosaures) de se répandre d'un continent blement mis à notre disposition, ont pré-
à l'autre au cours du Crétacé supérieur. L'Europe, à cette époque, était un archipel dont les cisé les affinités des dinosaures
nombreusesîles étaient séparéespar des bras de mer peu profonds. carnivores du Crétacé supérieur euro-
péen. Un maxillaire a ainsi été rapporté de nommer un autre Abelisauridé, Ta- que du Nord et en Asie. Ces animaux,
à la famille des Abelisauridés, qui rascosaurus salluvicus, le « lézard taras- dont le plus célèbre est Deinonychus,
croyait-on, n'existait qu'en Amérique que du pays des Salluves» (une tribu du Crétacé inférieur d'Amérique du
du Sud, en Inde et à Madagascar. Des antique de Provence). D'autre part, Nord, étaient d'agiles prédateurs munis
restes découverts dans des niveaux un deux vertèbres et un fémur ont apparte- d'une énorme griffe à chaque patte pos-
peu plus anciens (datant du début du nu à un représentant de la famille des térieure. Le dromaeosaure provençal
Campanien, il y a 80 millions d'années), Dromaeosauridés, petits dinosaures est proche du genre Saurornitholestes,
également en Provence, nous ont permis carnivores connus jusque-là en Améri- du Crétacé supérieur du Montana.

3. ARBRE PHYLÉTIQUE DES DINOSAURES. Les paléontologues herbivores, les prosauropodes et les sauropodes (Cetiosauridae,
s'accordent à diviser les dinosaures en deux grands ensembles, Titanosauridae, Euhelopodidae, Diplodocidae, Camarasauridae et
Ornithisehiens et les Saurisehiens.Les Ornithischiens comprennent Brachiosauridae) et un groupe varié de carnivores, les théro-
les trois grands groupes de dinosauresherbivores : les ornithopodes podes(Ceratosauria,Abelisauridae, Carnosauria, Ornithomimosauria,
(Heterodontosauridae, Hypsilophodontidae, Iguanodontia, Hadro- Maniraptora), dont descendent les oiseaux. Les couleurs corres-
sauridae), les Marginocephalia (Psittacosauridae, Neoceratopsia, pondent aux trois grandes périodes de l'ère mésozoïque,le Trias
Pachycephalosauria)et les Thyreophora (Stegosauridae,Nodosauri- (mauve),le Jurassique (bleu)et le Crétacé (vert). Les groupesindiqués
dae, Ankylosauridae). Les Saurischiens comprennent des par un point rougeétaient présentsen Europe à la fin du Crétacé.
De la Provence au Pays Basque espa- les dinosaures herbivores dominants Pour retrouver des créatures plus habi-
gnol, en passant par l'Aude et l'Ariège, sont les hadrosaures, ou « dinosaures à tuelles, il lui eût fallu se diriger vers le
les faunes dinosauriennes étaient sem- becdecanard», suivi par les dinosaures Sud : en Amérique du Sud, en Inde, à
blables au début du Maastrichtien : les cornus les cératopsiens. Les sauropodes Madagascar,et sansdoute aussien Afrique.
herbivores dominants sont les titano- sont absents dans les gisements du Ca- D'un point de vue zoologique, le
saures ; l'ornithopode Rhabdodon pris- nadaetduNorddes&NR;tats-Unis;cen'est monde du Crétacé supérieur était beau-
cus est présent dans la plupart des gise- que dans ceux des états du Sud-Ouest coup plus varié qu'il ne l'avait été à des
ments ; enfin, quelques ankylosaures, de des États-Unis, de l'Utahau Nouveau- périodes antérieures de l'histoire des
la famille des Nodosauridés, sont plus Mexique, qu'ontététrouvésdes restes dinosaures. Lorsque ces animaux appa-
rares. Les théropodes comprennent de d'un titanosaure, Alamosaurus. Quant rurent, au Trias, il y a quelque 230 mil-
grands Abetisauridés et de petits Dro- aux carnivores, si on trouve des Dro- lions d'années, les continents étaient
maeosauridés. macosauridés, les Abetisauridés sont encore réunis en un ensemble unique, la
absents ; te rôle de grands prédateurs est Pangée, et les faunes de dinosaures
Une faune aux affinités diverses joué par les célèbres Tyrannosauridés. étaient semblables dans les différentes
Les faunes contemporaines en Asie cen- parties du monde. Avec la séparation de
La composition de cette faune du trale sont comparables à celles d'Amé- la Rangée en deux grands blocs, la Lau-
Maastrichtien inférieur appelle quel- rique du Nord, à ceci près que les Céra- rasie au Nord et le Gondwana au Sud,
ques commentaires, surtout lorsqu'on la topsiens étaient moins nombreux. puis par la dislocation progressive de ces
compare aux faunes de dinosaures, Un voyageur européen venu dans ensembles, la géographie mondiale s'est
du Crétacé supérieur d'Amérique du l'Ouest de l'Amérique du Nord au rapprochée, au cours du Jurassique et
Nord. Dans les grands gisements de début du Maastrichtien y eût donc ren- du Crétacé, de celle d'aujourd'hui. Les
l'Ouest des États-Unis et du Canada, contré des dinosaures peu familiers. dérives des continents ont séparé les

STRUTHIOSAURUS

RHABDODON

4. CARTE DES PRINCIPAUX GISEMENTS


de dinosauresdu Maastrichtien inférieur (en
brun) et supérieur (en violet) du Sud de la
France. Les reconstitutions sont celles de
trois dinosaures présents dan les gisements
du Maastrichtien inférieur. Rhabdodon est
AMPELOSAURUS un petit herbivore (famille Hypsilophodonti-
dae) qui pouvait atteindre trois à quatre
mètres de long. L'espèceRhabdodonpriscus
est fréquente dans les gisements de la-
Provence, de l'Aude, et de l'Ariège.
Struthiosaurus est un Nodosauride, au corps
cuirassé de plaques osseuses,qui pouvait at-
teindre 3, 50 mètres de longueur. Seuls
quelques restes ont été trouvés en France, et
cette reconstitution est fondée sur les spéci-
mens plus nombreux trouvés en Autriche et
en Transylvanie. Ampelosaurus est un dino-
saure sauropodeappartenant à la famille des
Titanosauridae. Les ossementsde ce grand
herbivore pouvant atteindre une quinzaine
de mètres de longueur ont été récemment
découvertsen abondancedans la haute vallée
de l'Aude, au point que la reconstitution de
cet animal orne aujourd'hui les étiquettes de
Blanquette de Limoux !
faunes et les flores, et leur ont permis
d'évoluer séparément et de se diversi-
fier.
Quelle était la situation à la fin du
Crétacé ? Depuis une dizaine d'années,
les spécialistes des vertébrés crétacés
(en particulier l'Argentin J.-F. Bona-
parte et la Polonaise Z. Kielan-Jawo-
rowska) ont défini deux « paléobiopro-
vinces » : à une faune « asiaméricaine » à
tyrannosaures, cératopsiens et hadro-
saures s'opposait une faune ½gondwa-
nienne» à titanosaures et abélisaures
Dans ce schéma, les faunes de l'archipel
européen occupent une position origi-
nale : nos travaux ont montré qu'elles
étaient mixtes, avec à la fois des élé-
ments «gondwaniens» (titanosaures,
abelisaures) et «asiaméricains» (dro-
maeosaures)-plus certaines formes
non connues ailleurs, comme Rhabdo-
don. L'importance des éléments gond-
waniens incite à penser que la Téthys,
cet océan qui séparait les masses conti-
nentales du Nord de celles du Sud,
n'était pas, au Crétacé supérieur, une
barrière infranchissable pour les verté-
brés terrestres : des échanges eurent lieu
à cette époque entre les îles euro-
péennes et l'Afrique.

OEufs, os et extinction

La diversité géographique des éco-


systèmes continentaux à la fin du Créta-
cé, que confirment nos études sur les
faunes du Sud de la France, pose d'une 5. FOUILLES PALÉONTOLOGIQUES dans les couches du Maastrichtien inférieur de
façon nouvelle un des grands problèmes Campagne-sur-Aude,dans la haute vallée de l'Aude. Un os de dinosaure sauropodea été mis
de la paléontologie d'aujourd'hui : l'ex- au jour et consolidé. Les fouilleurs creusent une rigole autour de l'os avant de l'envelopper,
avec la gangue qui l'entoure encore, dans une coque plâtrée qui permettra son transport
tinction des dinosaures. Les récentes jusqu'au laboratoire, où la préparation du fossile sera achevée.
hypothèses sur la nature catastrophique
des grandes extinctions ont suscité un
regain d'intérêt pour cette question. Les
dinosaures ont-ils connu une longue
période de déclin avant leur disparition
finale à la fin du Crétacé, il y a 65 mil-
lions d'années ? Ou, au contraire, leur
extinction fut-elle brutale, ce qui serait
compatible avec les hypothèses cata-
strophistes ? Le débat fait rage, avec
pour particularité d'être fondé sur des
données relativement restreintes. En
effet, les endroits du monde où les
couches géologiques ont conservé les
restes des derniers dinosaures, ceux des
derniers millions d'années du Crétacé,
sont rares. C'est dans l'Ouest des États-
Unis et du Canada que l'on connaît les
meilleures successions de faunes dino-
sauriennes, du Campanien à la fin du
Maastrichtien, et c'est à partir de ces
gisements que le débat sur les modalités
de l'extinction des dinosaures s'est
développé. 6. DES RESTES DE PETITS DINOSAURES carnivores de la famille desDromaeosauridae
ont été découvertsen Provence. Cette reconstitution d'un de cesanimaux, à peu près de la
La qualité des données Nord-améri- taille d'un homme, est visible au Muséedes dinosauresd'Espéraza (Aude), où sont présentés
caines a souvent fait oublier leurs limi- les résultats de dix ans de recherches sur les dinosaures del'Aude ainsi qu'un panorama des
tations géographiques, et beaucoup ont dinosaures dans le monde et des reconstitutions grandeur nature de dinosaures, comme
succombé à la tentation de généraliser à celle-ci, réaliséespar le sculpteur Claude Moreno, sousla direction des auteurs deCetarticle.
l'ensemble du monde les observations les derniers stades de l'histoire des dino- d'années du Crétacé. Jusqu'à une date
faites sur quelques sites Nord-améri- saures ; le Sud de la France est un des récente, si les gisements attribuables au
cains. Or, les dinosaures, à la fin du Cré- quelques endroits au monde où s'offre Maastrichtien inférieur étaient nom-
tacé, étaient présents sur tous les conti- cette possibilité. breux en France, de la Provence aux
nents, et les différentes régions du Encore faut-il disposer d'une succes- Pyrénées, ceux du Maastrichtien supé-
monde n'étaient pas habitées par les sion de gisements étalés dans le temps et rieur l'étaient beaucoup moins-en tout
mêmes formes. Dans ces conditions, il permettant donc de suivre les étapes de cas pour ce qui concerne les osse-
faut chercher, hors d'Amérique du l'histoire des faunes au cours du Maas- ments.
Nord, des sites où peuvent être étudiés trichtien, pendant les derniers millions Les oeufsde dinosaures, en effet, sont
parfois abondants dans les couches
maastrichtiennes du Sud de la France, et
cela sur toute l'épaisseur de l'étage. Le
premier chercheur au monde à avoir
découvert des coquilles d'oeufs de dino-
saures fut l'abbé Pouech qui, dès les
années 1850, en trouva des fragments
aux environs du Mas-d'Azil. Sans les
attribuer à des dinosaures, il supposa
avec raison qu'if s'agissait de morceaux
de coquilles d'oeufs de grande taille.
Toutefois il eut ensuite le tort de se
rallier à l'opinion des paléontologues du
Muséum de Paris, auxquels il avait sou-
mis ses découvertes, et qui suggérèrent
qu'il pouvait s'agir de débris de tests de
crustacés. La découverte de l'abbé
Pouech tomba dans l'oubli : il fallut
attendre 1869 pour que Matheron signa-
lât des débris d'oeufs dans le Crétacé
supérieur de Provence. Il les attribua
soit à un oiseau gigantesque, soit au
grand reptile qu'il venait de découvrir et
de nommer Hypselosaurus priscus-un
titanosaure qu'il n'avait cependant pas
7. CE MAXILLAIRE DE DINOSAURE CARNIVORE, aux dents pointues et tranchantes,
identifié comme un dinosaure. Gervais
découvert en Provencepar Patrick et Annie Mechin, a permis d'identifier un représentant
de la famille des Abelisauridae. Ces dinosaures n'étaient connus jusqu'ici que sur les devait aussi s'intéresser aux oeufs fos-
continents situés au Sud de l'océan Téthys (Amérique du Sud, Inde, Madagascar), et leur siles du Sud de la France, mais ce n'est
découverte en Europe a démontré l'existence de « voiesde passagetranstéthysiennes». que bien plus tard que la richesse des
gisements provençaux et languedociens
devint manifeste, avec notamment les
travaux de deux chercheurs du Musée
d'histoire naturelle d'Aix-en-Provence,
R. Dughi et F. Sirugue.
Du fait de leur abondance, les oeufs
de dinosaures du Sud de la France ont
suscité bien des articles, et on a voulu
chercher dans leur étude la clé de l'ex-
tinction du groupe : pour certains
paléontologues, les oeufs anormaux, à
coquille trop mince ou au contraire trop
épaisse, devenaient de plus en plus
abondants à mesure que l'on approchait
de la limite entre le Crétacé et le Ter-
tiaire, traduisant ainsi la dégénéres-
cence des dinosaures, prélude à leur
extinction. Des études plus précises ont
montré que cette interprétation n'est
pas fondée : les oeufs anormaux ne
deviennent pas vraiment plus fréquents
au cours du temps. Qui plus est, l'attri-
bution de ces oeufs à un type ou à un
autre de dinosaures se heurte à
8. DANS UN BLOC DE GRÈS MAASTRICHTIEN de la haute vallée de l'Aude, trois oeufs d'énormes difficultés,
car le seul moyen
de dinosauresapparaissenten coupe.Au fond de chaqueoeufonvoit desfragments decoquille fiable d'identifier oeuf fossile, c'est de
tombés à l'intérieur lors de l'éclosion Les oeufsde dinosauressont fréquents dans les couches un
du Crétacé supérieur du Sud de la France. Ils fournissent des indications intéressantessur trouver dedans un embryon lui-même
la façon dont les dinosaurespondaient et agençaientleurs nids. Cependant, on n'a pas encore identifiable, ou au moins les restes asso-
trouvé en France de restes d'embryons associésà ces oeufs, et il est donc très difficile de ciés d'un nouveau-né. De telles décou-
déterminer par quel type de dinosaure les diverses sortes d'oeufsont été pondues. vertes ont été faites, notamment en
Amérique du Nord, en Mongolie et en représenté par plusieurs individus. mâchoire d'hadrosaure trouvé en
Roumanie, mais aucun des oeufs trouvés Comme l'indiquent très clairement plu- Haute-Garonne dans un calcaire marin
en France n'a encore livré de tels sieurs morceaux de mâchoires, il s'agit du Maastrichtien supérieur fut identifié,
indices. d'hadrosaures, ces « dinosaures à bec de il y a une vingtaine d'années, par notre
Dans ces conditions, les tentatives canard » fréquents dans les régions collègue Philippe Taquet, du Muséum
d'identification fondées sur la micro- « asiaméricainesH au Crétacé supé- national d'histoire naturelle.
structure de la coquille sont pour le rieur. Le gisement de Montplaisir se
moins hasardeuses. Tout au plus, peut- Ces animaux possédaient des «bat- trouve, lui, dans des roches d'origine
on proposer une classification des types teries dentaires» bien particulières, cha- continentale, déposées dans une plaine
de structure, et leur attribuer des noms, que demi-mâchoire portant un grand alluviale, donc dans un environnement
comme vient de le faire Monique Via- nombre d'alvéoles dentaires, où les comparable à celui qui a été reconstitué
ney-Liaud, de l'Université de Montpel- dents se remplaçaient successivement pour les sites du Maastrichtien inférieur
lier. Mais cela ne nous enseigne pas au fur et à mesure de leur usure durant de la haute vallée de l'Aude. Mais les
grand-chose sur les types de dinosaures la vie de l'animal, constituant ainsi un faunes dinosauriennes de ces gisements
qui ont pondu les oeufs en question : appareil masticateur efficace. Une séparés par quelques millions d'années
aussi ces fossiles étonnants et souvent mâchoire même incomplète d'hadro- sont bien distinctes : alors que les hadro-
spectaculaires ne peuvent-ils guère saure est donc un fossile bien caractéris- saures paraissent absents dans le Maas-
apporter d'informations précises sur les tique, permettant d'identifier sans ris- trichtien inférieur, où les titanosaures
transformations des faunes de dino- que d'erreur cette famille de dinosaures. dominent, ils semblent seuls présents
saures en France durant les derniers mil- A Fontjoncouse, nous avons trouvé des dans le Maastrichtien supérieur. Cette
lions d'années du Crétacé. os d'hadrosaures de tailles très diverses : expansion des hadrosaures, au détri-
nous avons là apparemment à la fois des ment, semble-t-il, des titanosaures, indi-
Les hadrosaures des Corbières restes d'adultes et des restes de jeunes. que qu'un important renouvellement
Ils sont proches de Telmatosaurus faunique a eu lieu en Europe occiden-
Pour étudier les faunes de dinosaures transsylvanicus, un hadrosaure tale au cours du Maastrichtien.
du Maastrichtien terminal (entre 68 et décrit en 1900 par le paléontologue D'où viennent ces hadrosaures qui
65 millions d'années environ), il nous austro-hongrois Franz Nopcsa, qui en pullulent à la fin du Maastrichtien ?
fallut quitter la haute vallée de l'Aude découvrit de nombreux restes dans les Peut-être ont-ils évolué sur place, à par-
et ses gisements du Maastrichtien infé- gisements du Maastrichtien supérieur tir d'ancêtres locaux du Maastrichtien
rieur, pour nous déplacer d'une cin- de Transylvanie. inférieur-qui devaient être alors fort
quantaine de kilomètres vers le Nord- D'autres restes d'hadrosaures, relati- discrets, puisqu'on n'a pas signalé leurs
Est, dans les Corbières orientales. À une vement peu nombreux, ont été décou- restes dans les riches gisements de cette
vingtaine de kilomètres au Sud-Ouest verts en Europe, parfois dans des époque. Peut-être sont-ils au contraire
de Narbonne, près du village de Font- niveaux marins fort bien datés, notam- venus d'ailleurs, mais d'où ? Les hadro-
joncouse, Robert Rocchia, du Centre ment en Crimée, dans le Limbourg néer- saures du Crétacé supérieur en Améri-
des faibles radioactivités de Gif-sur- landais et belge, et en Catalogne. Dans que du Nord et en Asie étaient beau-
Yvette, avait en effet trouvé, il y a quel- le Sud de la France, un morceau de coup plus évolués que Telmatosaurus, et
ques années, à la surface d'un banc de
marnes rouges, quelques petites vertè-
bres de dinosaures en mauvais état,
presque indéterminables. Il avait fait
cette découverte dans le cadre de ses
recherches sur les événements de la
limite Crétacé-Tertiaire en milieu conti-
nental, qui l'ont conduit à examiner un
grand nombre de coupes stratigraphi-
ques en France et en Espagne, dans le
but notamment d'y rechercher un enri-
chissement en iridium marqueur d'un
éventuel événement catastrophique
(impact d'astéroïde ou paroxysme vol-
canique).
La coupe de Montplaisir, près de
Fontjoncouse, ne devait pas révéler
d'enrichissement significatif en iridium,
mais les vertèbres de dinosaures avaient
le grand intérêt de provenir d'un niveau
marneux situé très haut dans le Maastri-
chtien, et donc proche de la limite Cré-
tacé-Tertiaire. Cette position stratigra-
phique est démontrée par la proximité
de bancs de calcaire lacustre contenant 9. CE MORCEAU DE MANDIBULE, découvert à Fontjoncouse dans les Corbières orien-
des restes d'algues calcaires typiques de tales, appartient à un hadrosaure du genre Telmatosaurlls. Les nombreux sillons visibles à
la fin du Maastrichtien. Nos premières sa surface sont des alvéoles qui contenaient des séries de dents superposées, les deux
dernières de chaque série étant fonctionnelles en même temps. Cette « batterie dentaires
fouilles à Montplaisir furent riches d'en-
efficace permettait aux hadrosaures de broyer les végétaux coriaces. De nombreux restes
seignements : tous les restes de dino-
d'hadrosaures ont été trouvés dans le Maastrichtien supérieur de Fontjoncouse, alors que
saures découverts à ce jour appartien- cesanimaux sont inconnus dans les gisementsdu Maastrichtien inférieur de la haute vallée
nent à un même type de dinosaure, de l'Aude.
terminal du Montana ; leur conclusion
est sans ambiguïté : dans cette région au
moins, les restes de dinosaures récoltés
à différents niveaux du Maastrichtien ne
témoignent d'aucune diminution de la
diversité du groupe. Quant à nos décou-
vertes dans les Corbières, elles montrent
qu'en Europe la régression marine qui
eut lieu il y a environ 68 millions d'an-
nées provoqua certes des modifications
dans les faunes de dinosaures, mais
n'entraîna pas leur extinction.
Si les faunes de dinosaures du Maas-
trichtien montrent ainsi une adaptation
aux changements de leur environne-
10. FOUILLES PALÉONTOLOGIQUES sur le gisement de dinosaures de Bellevue (Aude), ment, il est hautement improbable
où abondent les fossilesde titanosaures. qu'elles aient disparu à la suite d'une
modification du milieu comparable à
celles auxquelles elles avaient survécu
ce n'est pas dans ces régions qu'il faut sédimentologiques. Ces modifica- auparavant. Autrement dit, les données
chercher l'origine de cet animal. Sur une tions de l'environnement pourraient actuellement disponibles suggèrent for-
autre île de l'archipel européen, corres- être liées à une importante régression, tement que les causes invoquées par les
pondant à l'actuelle Transylvanie, Tel- une baisse du niveau des mers, qui est gradualistes, notamment une régression
matosaurus était fréquent, et associé à bien attestée à cette époque. marine, n'expliquent pas l'extinction
des titanosaures et à Rhabdodon, mais Venant des horizons les plus variés des dinosaures qui avaient survécu à
les sites roumains datent du Maastri- des sciences de la Terre, les éléments du bien des vicissitudes du même type.
chtien supérieur, et nous ignorons quelle puzzle s'emboîtent donc peu à peu. Il est Nous pensons donc que les hypothèses
fut l'histoire antérieure des dinosaures possible que la régression marine qui se catastrophistes, qui font appel à des évé-
dans cette région. Le mystère reste donc produisit il y a environ 68 millions d'an- nements rares et relativement rapides
entier quant à l'origine des hadrosaures nées ait entraîné une détérioration cli- de l'histoire de la Terre expliquent la
de l'Ouest européen. Il reste que leur matique en Europe. Ce passage à un disparition des dinosaures d'une façon
expansion, si notable à Montplaisir, climat plus tempéré paraît enregistré plus convaincante.
témoigne d'un événement biologique dans les palynoflores du Maastrichtien Pour l'instant, cependant, il est fort
méconnu mais important durant le supérieur. Ces nouvelles conditions éco- difficile pour le paléontologue de choisir
Maastrichtien. logiques auraient alors facilité le déve- entre les deux principales hypothèses
loppement des hadrosaures (en même catastrophistes concurrentes, celle de
Modification du milieu temps que la baisse du niveau marin l'impact d'une météorite et celle du vol-
renouvellement faunique facilitait peut-être leur immigration), canisme paroxysmique, car les effets sur
et
parce que leurs batteries dentaires l'environnement de ces deux types
Des études récentes de palynologie étaient mieux adaptées aux nouveaux d'événements pourraient avoir été très
et de sédimentologie permettent de cer- types de végétation que les dents plus comparables-avec notamment une
ner les mécanismes et les causes de cet simples des titanosaures, qui auraient de dévastation mondiale des végétaux et la
événement tardif de l'histoire des dino- ce fait décliné. rupture consécutive d'un grand nombre
saures européens. A. Ashraf et Cette capacité des dinosaures, consi- de chaînes alimentaires, dont celles aux-
H. K. Erben,de l'Université de Bonn, dérés dans leur ensemble, à s'adapter quelles appartenaient les dinosaures.
ont publié en 1986 les résultats d'une aux conditions climatiques changeantes Sans doute l'argument décisif vien-
étude sur les spores et grains de pollen de la fin du Crétacé repose la question dra-t-il d'une autre discipline; &NR;ric
contenus dans les sédiments de la fin du de leur disparition au terme de cette Robin et Robert Rocchia, du Centre des
Crétacé dans le Sud de la France, et en période. Les hypothèses dites ½gradua- faibles radioactivités, pensent l'avoir
particulier dans le bassin d'Aix-en-Pro- listes » font appel à des phénomènes trouvé dans la présence, à la limite Cré-
vence. habituels et graduels de l'histoire de la tacé-Tertiaire, de magnétites nickeli-
Reconstituant l'histoire de la végéta- Terre, qui auraient provoqué un lent fères, qui sont des marqueurs spécifi-
tion dans cette région, ils ont signalé un déclin des dinosaures, se terminant par ques de la matière météoritique
changement de flore important, mar- leur extinction totale. Proposée dès 1964 chauffée et oxydée dans l'atmosphère et
quant le passage d'un climat tropical à par le paléontologue français L. Gins- témoigneraient d'une origine extrater-
un climat plus tempéré AR Ashraf et burg, l'idée suivant laquelle une régres- restre.
H. K. Erben considéraient que ce chan- sion marine, en provoquant une détério- Quoi qu'il en soit, si l'étude des der-
gement correspondait à la limite entre le ration climatique, fut la cause du déclin niers dinosaures de France apporte
Crétacé et le Tertiaire, mais des études et de la disparition des dinosaures, a d'ores et déjà un élément supplémen-
magnétostratigraphiques plus récentes beaucoup d'adeptes parmi les gradua- taire important au dossier concernant la
indiquent qu'il est en fait plus ancien, et listes. Le déclin graduel des dinosaures fin des dinosaures, elle est loin d'avoir
se placerait plutôt vers le début du vers la fin du Crétacé est pourtant loin atteint son terme. L'étude de leur dispa-
Maastrichtien supérieur, il y a quelque d'être démontré. rition a placé les dinosaures au coeur des
68 millions d'années. La sédimentolo- En 1991, un groupe de chercheurs travaux de bien des spécialistes des
l'École des mines américains (P. Sheehan, D. Fastovsky,
gue Isabelle Cojan, de branches les plus variées des géo-
de Paris, a attiré l'attention sur ce point, R. Hoffmann, C. Berghaus et D. Gabriel) sciences. Quel paléontologue se plain-
et montré que ce changement de flore a publié les résultats de longues drait d'une si belle démonstration de la
est associé à d'importants phénomènes recherches sur le terrain dans le Crétacé vitalité de sa discipline ?
La première découverte ne désespère pas d'en recueillir encore
d'autres dans le même lieu. »
A posteriori, cette description ne
d'oeufs de dinosaures laisse guère de doute : !'abbé Pouech
avait bien découvert des coquilles d'oeufs
de dinosaures au Mas-d'Azil. À l'époque,
cependant, son interprétation ne fut pas
acceptée. ll avait notamment soumis ses
Lorsque de nombreux oeufs de dino- devait devenir célèbre à cause des spécimens au vicomte d'Archiac, qui oc-
saures furent trouvés en Mongolie au découvertes archéologiques faites dans cupait la chaire de paléontologie du Mu-
début des années 1920 par les exp6di- sa grotte. t ! s'était particulièrement séum national d'histoire naturelle, mais
tions de l'American Museum of Natural intéressé aux couches du crétacé supé- celui-ci n'avait pas confirmé la supposi-
History, cette découverte fut saluée par rieur où il avait trouvé non seulement tion du paléontologue ariégois, et avait
la presse internationale comme une de nombreux ossements brisés difficiles jugé incertaine l'origine des fragments.
grande première paléontologique Cer- à déterminer, mais aussi des objets plus L'abbé Pouech en vint même à supposer
tains spécialistes ne tardèrent cepen- inhabituels encore : « Enfin, ce qu'il y que ces objets énigmatiques pouvaient
dant pas à rappeler que dès 1869 le a sans doute des plus remarquable, avoir appartenu à « des parties solides de
paléontologue marseillais Philippe Ma- écrivit l'abbé Pouech ce sont des frag- tatous ou de chéloniens». À de très rares
theron avait signalé, dans le crétacé du ments de coquilles d'oeufs de très exceptions près, personne ne devait plus
bassin d'Aix-en-Provence. des oeufs fos- grandes dimensions. J'avais d'abord mentionner les découvertes de !'abbé
siles, dont il avait supposé qu'ils pou- pensé que ce pourrait être des plaques Pouech jusqu'à aujourd'hui.
vaient appartenir soit à un oiseau géant, tégumentaires de reptiles, mais leur Nous avons eu la chance de retrouver
soit à un gigantesque reptile dont il avait épaisseur partout égale entre deux sur- à la fois le gisement où !'abbé Pouech
recueilli les ossements et qui se révéla faces parfaitement parallèles, leur struc- avait découvert ses fragments de co-
être un dinosaure sauropode. Les oeufs ture fibreuse, normalement aux sur- quilles, et ! es spécimens eux-mêmes qui
de dinosaures de Provence sont de- faces, et surtout leur courbure si régu- l'avaient tant intrigué Lors d'une pros-
venus célèbres, et le rôle de Matheron lière, me font définitivement penser que pection paléontologique aux alentours
dans leur découverte est reconnu. Mais ce sont des coquilles d'oeufs énormes, du Mas-d'Azil, nous avons en effet
il avait eu un précurseur, qui, lui, est ayant eu un volume égal à quatre fois trouvé, dans des argiles grises affleurant
demeuré presque complètement mé- au moins celui des oeufs d'autruches. dans un fossé, plusieurs fragments de
connu : t'abbé Jean-Jacques Pouech Leur surface convexe est granulée coquilles d'oeufs de dinosaures, à l'as-
(1814-1892), archéologue et géologue, comme une écorce d'orange. Le grand pect très caractéristique. Le gisement se
qui fut directeur du grand séminaire de développement de la courbure, et, par- trouve dans la zone où !'abbé Pouech
Pamiers et un des pionniers de 1'explora- tant, celui du volume qui en résulte, est situe sa découverte, et il se confirme
tion scientifique de son département la seule raison qui m'a fait naître donc que les couches du crétacé supé-
natal, l'Ariège. quelque doute ; tous les autres carac- rieur du Mas-d'Azil renferment bien des
L'abbé Pouech écrivit de nombreux tères, surtout l'épaisseur partout égale oeufs de dinosaures. Qui plus est, l'un
carnets dont les derniers datent de (environ deux millimètres), rappellent de nous a pu retrouver une grande
1889 ; dès 1859, il publia à la Société celle des coquilles d'oeufs. Malheureu- partie des collections paléontologiques
géologique de France le résultat de ses sement, je possède de trop petits frag- amassées par !'abbé Pouech, et qui
recherches sur la géologie des environs ments pour prétendre dès à présent à étaient souvent considérées comme per-
de la petite ville du Mas-d'Azil, qui une démonstration rigoureuse, mais je dues. Entreposées jadis au grand sémi-
naire de Pamiers, elles sont aujourd'hui
conservées au collège Jean XXIII de
cette ville. Outre les fragments de
coquilles d'oeufs décrites par Pouech,
elles contiennent un grand nombre
d'ossements et de dents de reptiles.
Cette collection, qui est en cours de
restauration et d'étude, est d'autant plus
importante que les gisements explorés
par !'abbé Pouech au siècle dernier sont
pour la plupart devenus inaccessibles,
car complètement recouverts par la
végétation, ce phénomène étant favo-
risé par le recul des terres cultivées dans
cette région. Les nombreux fossiles
découverts par ce précurseur injuste-
ment méconnu en prennent une valeur
scientifique accrue, d'autant plus que
l'abbé Pouech a aussi laissé de nom-
breux carnets inédits qui fournissent des
indications très précieuses sur les gise-
ments qu'il découvrit

Cartegéologiquede la régiondu Mas-d'Azil,dessinéepar l'abbé Pouech. Eric BUFFETAUTet Jean LE LOEUFF


ii
L'archéoptéryx

PETER WELLNHOFER

Les fossiles de l'archéoptéryx témoignent de l'évolution des oiseaux. Les

écailles des reptiles sont transformées plumes et toute la morphologie


se en
de l'animal s'est adaptée au vol.

premierès sa découverte, le fossile du londonien des plumes d'oiseaux borateurs de Fred Hoyle ne se laisse-
premier archéoptéryx a attiré contemporains. L'exemplaire londo- ront cependant pas aisément convain-
l'attention des paléontologues ; nien ayant été British cre : leur propre vision compte plus,
moitié reptile, moitié oiseau, il cristal- Museum en 1862, très peu de temps à leurs yeux, que toutes les évidences
lisa les affrontements entre partisans après sa découverte, le seul faussaire scientifiques.
et adversaires de la théorie de l'Évolu- possible était son vendeur, le médecin
tion établie par Charles Darwin (1809- Carl Häberlein qui, par souci d'appor-
1882). Malgré le bruit des contesta- ter une preuve de la théorie darwi-
tions, le fameux ancêtre des oiseaux nienne et par esprit de lucre, avait créé
corrobore indéniablement la théorie ce faux.
de l'Évolution. Selon sir Fred Hoyle, la plume soli-
La rareté des découvertes fait de taire et le deuxième archéoptéryx de
chaque fossile un objet précieux ; le Berlin étaient également des faux, et
sixième et dernier en date fut décou- toutes empreintes de plumes sur les
vert en automne 1987 dans une autres fossiles, inexistantes. Pour Fred
carrière de calcaire lithographique de Hoyle, l'archéoptéryx n'était donc pas
Solnhofen, en Bavière. Parallèlement, un oiseau, mais un petit dinosaure,
la controverse de 1985 selon laquelle Compsognathus, et, par conséquent,
l'exemplaire londonien serait un faux, l'opinion largement répandue selon la-
mit l'archéoptéryx en vedette. quelle l'archéoptéryx constituait le
chaînon manquant entre les reptiles et
les oiseaux, un pur mensonge. Les créa-
La légende du faux,
tionnistes étaient réconfortés par
d'après sir Fred Hoyle
l'hypothèse de Hoyle ; en Grande-Bre-
Tout au long de l'histoire, des tagne, on appela l'archéoptéryx. Pilt-
chercheurs et des paléontologues se down chicken, le poulet de Piltdown.
sont laissés prendre par des faux, en L'importance du sujet et son reten-
commençant par les « pierres men- tissement incitèrent le Musée britanni-
fossiles fantastiques décou-
teuses &NR;, que d'histoire naturelle à organiser, en
verts et ensuite décrits par le médecin 1987, une exposition sur l'oiseau fos-
Adam Beringer (1667-1740) dans la sile, où les deux points de vue diffé-
Lithographica wirceburgensis, jusqu'au rents furent mis en lumière. De 1. LE NOUVEL EXEMPLAIRE D'AR-
CHAEOPTERYX LITHOGRAPHICA de
« crâne du premier Homme », multiples expériences réalisées au
Solnhofen, découvert en 1987 dans une
découvert en 1912 dans une carrière cours de l'exposition, ainsi que les collection privée (a droite). Il est conservé
près de Piltdown (Sussex). Comme on analyses microscopiques des em- au Musée Biirgermeister Mnller, à Solnho-
l'a démontré 40 ans plus tard, il preintes fossiles confirmèrent l'au- fen. Le squelette n'est pas intact ; il manque
s'agissait d'un assemblage habile de thenticité des fossiles, bien que les des parties du crâne, de la colonne verté-
brale, des pattes antérieures, de la patte
restes d'un crâne humain et d'une plumes ressemblaient étrangement à postérieuregaucheet de la queue.Elles ont
mâchoire d'orang-outang. celles d'oiseaux modernes. De plus, les disparu lorsqu'on a fendu la plaquecalcaire
De ce fait, on comprend l'émoi deux plaques de calcaire étaient identi- dans la carrière ; l'extrémité de la queue
entretenu par le célèbre astronome ques, ce qui n'aurait pas été le cas si fut complétée ultérieurement. Après ta
britannique sir Fred Hoyle et ses mort de l'animal, la queue a été repliée
une couche de ciment avait été ajoutée derrière le bassin. Des empreintes de
collaborateurs : ceux-ci prétendaient ultérieurement. plumes sur le membre antérieur gauche
que les empreintes de plumes sur les Vu l'ignorance complète des parti- attestent que l'animal était recouvert d'un
plaques portant le fossile de l'archéop- sans de Fred Hoyle sur la fossili- plumage. L'empreinte d'une plume, décou-
téryx étaient des faux et que les sation, le compactage, la compaction verte en 1860dans la carrière de Solnhofen,
grossissements de photographies et la minéralisation du squelette a constitué la première preuve de l'exis-
tence d'un oiseau du Jurassique. Sa forme
prouvaient que le ou les faussaires fossile, il était facile de tailler en asymétrique ressemble beaucoup à celle
avaient enfoncé autour du squelette pièces la théorie des faux. Les colla- d'une rémige d'oiseau moderne.
Interprétations erronées le docteur Häberlein. Andreas Wa- s'agissait d'un véritable oiseau.
de nature idéologique gner, le directeur du Musée de paléon- Wagner, bien que paléontologue, in-
tologie de Munich de l'époque, publia terprétait les fossiles en s'appuyant sur
Dès sa découverte, l'archéoptéryx une étude sur l'archéoptéryx cette les récits bibliques de la Création :
fut l'exemple idéal permettant de même année 1862. Häberlein vendit l'existence d'un oiseau datant du
justifier la théorie de l'Évolution des l'oiseau et une grande partie de sa Jurassique était invraisemblable.
espèces. Rassemblant des caractéristi- collection de fossiles au British Mu- Ainsi, dès la première découverte de
directeur, Richard Owen, l'archéoptéryx, les idéologies s'affron-
ques anatomiques de deux classes seum. Son
animales, l'archéoptéryx constituait le le prépara et écrivit un article en 1863 tèrent ; dans de tels débats, on oublie
chaînon manquant entre les reptiles (voir la figure 3). trop souvent que la paléontologie est
et les oiseaux. La découverte de Opposés à la théorie darwinienne, une science naturelle et qu'elle se fonde
l'oiseau fossile dans les carrières de ni Wagner ni Owen n'admirent que uniquement sur des faits démontrés ;
calcaire lithographique de Solnhofen, l'archéoptéryx était un chaînon man- son rôle n'est pas de donner des ré-
en Bavière, peu de temps après la quant entre deux espèces. Wagner le ponses aux questions religieuses ou
parution de l'oeuvre de Darwin, tomba considéra comme un reptile, en dépit idéologiques.
à point nommé pour les darwinistes. de son plumage, et l'appela Gripho- L'exemplaire londonien ne fut pas
Le squelette et ses empreintes de saurus (saurien énigmatique). Pour la première preuve de l'existence d'un
plumes furent aussitôt récupérés par Owen, les plumes témoignaient qu'il oiseau ayant vécu au Jurassique. En

2. LES EXEMPLAIRES D'ARCHÉOPTÉRYX ont été décou- ne sont parfois visibles qu'en lumière rasante La carte géologique
verts dans la vallée de l'Altmühl, au Sud du Jura franconien. La montre la répartition actuelle des calcaires lithographiques de
plume solitaire et les exemplaires de Londres et du Maxberg furent Solnhofen (en bleu) et des récifs plus anciens (en violet) Les
découverts dans les carrières de Solnhofen-Langenaltheim; les calcaires lithographiques résultent de la compressionde sédiments
exemplaires de Berlin et d'EichstΣtt, et peut-être celui de qui se sont accumulés au fond d'une lagune, il y a 150 millions
Solnhofen, dans les carrières d'EichstΣtt
; et l'exemplaire de d'années; ils constituent aujourd'hui des documents uniques,
Haarlem, près de Riedenburg. Les empreintes de plumes (en ocre) témoins d'une phase très importante de l'évolution animale.
1860, des ouvriers travaillant dans les Les conditions géologiques dans région au centre de la Bavière, était
carrières de Solnhofen découvrirent lesquelles se sont formées les couches un lagon tropical, divisé en « bas-
l'empreinte d'une plume (voir la figure rocheuses de Solnhofen sont excep- sins » par d'anciens récifs d'éponges
1, à gauche). Les oiseaux fossiles les tionnelles. Durant le Jurassique infé- sous-marins ; au Nord se trouvait ce
plus anciens connus jusqu'alors rieur, il y a environ 150 millions qui est aujourd'hui l'Allemagne cen-
dataient du Tertiaire : ils étaient de d'années, la Franconie méridionale, trale et, au Sud, séparé du lagon par
100 millions d'années plus jeunes que
l'exemplaire de Solnhofen; aussi la
découverte de cette petite plume soli-
taire fit sensation. En 1861, le paléon-
tologue Hermann von Meyer, de
Francfort, conclut dans son étude
« que la plume solitaire était un
véritable fossile du schiste lithographi-
que et qu'elle correspondait en tous
points à une plume d'oiseau. » Dans
ce même rapport, il mentionnait déjà
la découverte de l'exemplaire londo-
nien, affirmant que « le squelette quasi
intact d'un animal couvert de plumes
a été trouvé dans le schiste lithogra-
phique. II est quelque peu différent de
nos oiseaux vivants. Je publierai des
figures précises de la plume que j'ai
étudiée. Selon moi, la dénomination
Archaeopteryx lithographica lui
conviendrait parfaitement. » C'est
ainsi que naquit le nom scientifique de
l'oiseau de Solnhofen. Plus tard on a
admis, comme von Meyer, que la
plume et le squelette avaient appar-
tenu à la même espèce et que, par
conséquent, l'exemplaire londonien
constituait la référence type de l'es-
pèce. Progressivement la dénomina-
tion Archaeopteryx lithographica est
devenu usuelle et a pris place dans la
nomenclature zoologique ; pourtant
Owen avait auparavant supposé que
la plume solitaire et le squelette
appartenaient à différentes espèces du
même genre, et, en 1862, donné au
fossile le nom d'Archaeopteryx
en raison de sa queue
macrura,
composée de nombreuses vertèbres. Il
reste cependant impossible, même au-
jourd'hui, de savoir si la plume et le
squelette appartiennent à une seule ou
à différentes espèces, à un seul ou à
différents genres.
La dénomination du genre Ar-
chaeopteryx signifie « plume an-
cienne », alors que celle de l'espèce
lithographica fait allusion à la roche
calcaire de Solnhofen. L'invention de
la lithographie par Alois Senefelder y 3. LITHOGRAPHIE DE L'ARCHÉOP
TÉRYX londonien découvert en 1861,
joue un rôle important : seule la roche
publiée en 1863 dans un article de Richard
de Solnhofen est assez dure, dense et Owen, directeur du département d'histoire
fine pour pouvoir être utilisée comme naturelle du British Museum. Les em-
support dans cette méthode d'impres- preintes des plumesdes ailes et de la queue
sion à plat. sont bien visibles. La fourchette (en bas,
a gauche) est en excellent état : il s'agit
La finesse du grain de cette roche
d'un os caractéristique des oiseaux, qui
explique également le parfait état de résulte de la fusion des deux clavicules et
conservation des fossiles. En plus des qui est relié à la ceinture scapulaire. Le
os, on distingue souvent les parties fossile ne dispose cependant pas encore
molles, la peau ou dans le cas de d'hypocléide, prolongement de la four-
chette présentchez les oiseaux actuels. La
l'archéoptéryx, les plumes, parties du photographie a été prise par Franz Höck,
corps difficilement conservables. de Munich.
des récifs coralliens, un océan, la taient parfois ces animaux et ces avis; les fragments qu'il a découverts
Téthys. Toutefois l'eau du lagon avait végétaux vers le lagon, où ils mou- laissent cependant place à d'autres
une teneur élevée en sel et une teneur raient et s'enfouissaient. Comme dans interprétations, car toute trace de
en oxygène trop faible pour que la vie le lagon aucune vie n'était possible, il plumage est absente. D'autres fossiles
y fut possible. Des raz-de-marée ou n'y avait même pas de nécrophages ou découverts au Colorado et datant du
des tempêtes venant du Sud amenaient de micro-organismes capables de Jurassique supérieur attestent l'exis-
une multitude d'animaux et de décomposer les cadavres accumulés ; tence de reptiles volants : ce ne sont
plantes : méduses, poissons, crabes, c'est pourquoi ceux-ci sont demeurés pas, comme on l'avait d'abord cru, des
seiches, lis de mer, varechs et ammo- intacts. fossiles d'oiseaux.
nites ; ces animaux périssaient rapide- Les oiseaux les plus anciens, les six Nos connaissances actuelles sur les
ment et coulaient au fond de la mer, fossiles d'archéoptéryx connus, ont plus anciens oiseaux connus se fondent
où des couches de boue calcaire les tous été découverts dans la région de sur les exemplaires de Solnhofen;
recouvraient. Au Nord de l'Alle- Solnhofen et datent du Jurassique aussi toute nouvelle découverte d'ar-
magne vivaient des insectes, des sau- supérieur (150 millions d'années). En chéoptéryx précise les origines et
riens terrestres, des oiseaux primitifs 1986, le paléontologue américain San- l'évolution des oiseaux en général,
de la taille d'une poule ou d'une kar Chatterjee, de l'Université Texas ainsi que le comportement en vol, la
corneille, et poussaient des fougères Tech, à Lubbock, aurait identifié un biologie, l'anatomie et la morphologie
et des conifères ; des tempêtes empor- fossile triasique plus ancien, le Proto- osseuse de l'archéoptéryx.

Les exemplaires de Londres,


de Berlin et du Maxberg

Sur l'exemplaire londonien, décou-


vert en 1861, la boîte crânienne et des
parties dentées de l'avant de la
mâchoire sont bien conservées. Aux
empreintes clairement visibles du plu-
mage des ailes et de la queue s'ajoute
une autre particularité : la fourchette
(voir la figure 3, en bas). Cet os résulte
de la fusion des clavicules, phénomène
très rare chez les reptiles. Le deuxième
squelette fut découvert en automne
1876, dans une carrière du Blumen-
berg, près d'Eichstätt. Quand Ernst
Haberlein, fils de Carl Haberlein,
l'acheta, il pensa qu'il s'agissait d'un
reptile volant ; le fossile dégagé, les
empreintes de plumes particulière-
ment bien conservées révélèrent qu'il
s'agissait d'un oiseau (voir la figure 4).
Haberlein essaya de vendre, sans
succès, l'exemplaire à différents
musées allemands et américains ; ils
n'avaient pas les moyens de payer
36 000 marks en or. Après avoir baissé
le prix à 20 000 marks, le Musée des
sciences naturelles de l'Université
Humboldt (aujourd'hui à Berlin-Est)
acquit ce deuxième exemplaire d'ar-
chéoptéryx, l'industriel Werner von
Siemens ayant prêté l'argent néces-
saire à la Prusse.
L'exemplaire berlinois est mieux
conservé que celui de Londres. Lors
de sa fossilisation dans la boue du
lagon de Solnhofen, le squelette était
quasi intact. Le crâne, au bout du cou
recourbé, montre bien les caractères
reptiliens de la denture.
Une des particularités des cadavres
d'oiseaux est d'être recroquevillés,
phénomène dû au relâchement des
4. L'ARCHÉOPTÉRYX BERLINOIS fut découvert en automne 1876 dans une carrière muscles ; on observe également cette
près d'Eichstätt, sur le Blumenberg. Les empreintes de plumage des ailes et de la queue caractéristique chez deux autres exem-
sont très bien conservées.Contrairement à l'exemplaire londonien, le crâne du fossile plaires d'archéoptéryx, sur un fossile
berlinois est intact. Le cou de l'animal fut fortement replié vers l'arrière à la suite du
relâchement des muscles, phénomènetypique des cadavres d'oiseaux. L'exemplaire est de Compsognathus et sur nombre de
exposé au Musée des sciences naturelles de l'Université Humboldt, à Berlin-Est. reptiles volants de Solnhofen.
Les empreintes de plumage de Les exemplaires de Haarlem rieures; les autres parties du corps
l'exemplaire berlinois sont symétri- et celui d'Eichstatt avaient déjà été perdues, en 1855, lors
ques. Les trois doigts, munis de griffes du dégagement du fossile dans une
acérées et recourbées, étaient encore Depuis plus d'un siècle, le qua- carrière près de Riedenburg, en
mobiles chez l'oiseau, alors que les trième exemplaire est conservé au Bavière. Les os et les griffes des pattes
doigts des oiseaux modernes ont ré- Musée Teyler de Haarlem, aux Pays- sont en très bon état (voir la figure 13,
gressé, sont en partie fusionnés Bas. Ce n'est qu'en 1970 que John à gauche).
et dépourvus de griffes. La longue Ostrom, paléontologue de l'Université Le cinquième squelette d'archéopté-
queue, qui ressemble à celle d'un de Yale à New Haven, États-Unis, ryx, très petit mais bien conservé,
reptile, présente un plumage déve- observa chez le fossile les caractéristi- provient d'une carrière de Workers-
loppé. Les détails des empreintes de ques des os propres aux archéoptéryx. zell, dans la région d'Eichstätt. Son
plumes sont plus nets sur la contre- Il avait été qualifié de reptile volant acheteur pensait qu'il s'agissait d'un
plaque que sur la plaque principale depuis 1857 (voir la figure 6). petit reptile de la taille d'une poule,
(voir la figure 8). Il ne subsistait que les os du bras ressemblant à Compsognathus (voir la
Comme l'exemplaire berlinois est gauche, du bassin et des pattes posté- figure 12, a gauche). Cette erreur est
plus petit et plus gracile que celui de
Londres, son descripteur Wilhelm
Dames l'a classé dans une autre
espèce : Archaeopteryx siemensi, afin
de le différencier d'Archaeopteryx
lithographica. Le philosophe et pa-
léontologue de Belgrade, Branislav
Petronievics, pensait même être en
présence de représentants de deux
genres différents. II appela donc
l'exemplaire berlinois Archaeornis,
mais son opinion ne prévalut pas.
Il fallut attendre 80 ans, c'est-à-dire
1956, pour qu'un autre exemplaire fût
découvert dans la carrière de Solnho-
fen, sur la Langenaltheimer Haardt,
très près du lieu de la première
découvertte. Florian Heller, paléonto-
logue d'Erlangen, identifia ce fossile
comme un squelette d'archéoptéryx
(voir la figure 5).
De toute évidence, le squelette a dû
séjourner longtemps dans l'eau, car le
crâne et la queue se sont séparés du 5. L'ARCHÉOPTÉRYX DU MAXBERG, découvert en 1956 près de Langenaltheim,
reste du corps avant d'être enfouis et près de l'endroit où avait été trouvé l'exemplaire de Londres. En 1959, le paléontologue
déposés plus loin. Les pattes posté- d'Erlangen, Florian Heller, l'a identifié comme étant un archéoptéryx. Son squelette était
rieures ainsi que les deux ailes ne se déjà décomposélors de la fossilisation ; te crâne et la queue n'existent plus. L'empreinte
trouvaient plus dans leurs positions montre bien le plumage des ailes. Jusqu'en 1974, l'original se trouvait dans un musée
initiales, mais elles restaient attachées sur le Maxberg, près de Solnhofen. Aujourd'hui il fait partie d'une collection privée et
n'est pas disponible pour des études scientifiques. Cette photographie a été prise par John
au corps par des tendons, comme le Ostrom, de l'Université Yale.
montre l'orientation des empreintes
des rémiges. Les restes fossiles ont été
séparés lors du clivage des plaques, de
sorte que sur la contreplaque subsis-
taient non seulement des empreintes,
mais aussi des restes osseux. Des radio-
graphies faites par le physicien et
paléontologue Wilhelm Stürmer, d'Er-
langen, montrent clairement certaines
structures osseuses telles que celle de
la patte postérieure, présentant
l'amorce d'une légère fusion des os
métatarsiens. Chez les oiseaux moder-
nes, ces os ont complètement fusionné.
D'après Heller, il s'agissait d'un
Archaeopteryx lithographica, car cet
exemplaire présentait les mêmes
caractéristiques que celui de Londres.
Il doit son nom, « exemplaire du 6. L'ARCHÉOPTÉRYX DE HAARLEM, du Musée Teyler, à Haarlem, aux Pays-Bas.
Maxberg », à un musée situé sur le Seulesles parties du squelette correspondantaux extrémités ont été conservées. Découvert
Maxberg, près de Solnhofen, où il fut en 1855dans une carrière près de Riedenburg, il fut faussementidentifié, en 1857, comme
un reptile volant. La figure montre l'original de la lithographie publiée en 1859 par le
exposé jusqu'en 1974 ; aujourd'hui il paléontologue Hermann von Meyer. Ce n'est qu'en 1970 que John Ostrom reconnut qu'il
fait partie d'une collection privée. s'agissait d'un oiseau primitif. La photographie est due à Franz Höck.
compréhensible, car le lien de parenté (voir le bas de la figure 7). Le crâne spécimens sont morts de la même
entre ce petit dinosaure et l'archéopté- de l'archéoptéryx d'Eichstâtt est le façon et ont connu le même type de
ryx a été démontré plus tard. De plus, mieux conservé Des tomographies ont fossilisation.
contrairement aux autres exemplaires, récemment montré que le fossile dis- L'exemplaire d'Eichstâtt n'est sûre-
la plaque portant le fossile ne montrait posait déjà d'un os carré à double tête ment pas mort de vieillesse : des
pas de traces de plumage (voir le assurant l'articulation entre le crâne parties de son squelette indiquent qu'il
haut de la figure 7). Une étude plus et la mâchoire inférieure, comme chez n'avait pas termine sa croissance. Les
détaillée a prouvé qu'il s'agissait d'un les oiseaux modernes. Son cou forte- os métatarsiens ne montrent aucune
archéoptéryx et, à la lumière frisante, ment replié, sa conservation et sa fusion, comme c'est le cas sur l'exem-
on a pu mettre en évidence des traces position, similaires à ceux de l'exem- plaire plus grand du Maxberg. De
de plumage sur les ailes et sur la queue plaire berlinois, suggèrent que les deux plus, la fourchette, os typique des
oiseaux, fait défaut. Pourquoi un seul
os aurait-il été perdu alors que le
squelette est presque intact ? L'expli-
cation la plus simple est la suivante :
la fourchette était, sur l'individu jeune,
formée de substances cartilagineuses
et non osseuses, qui ne fossilisent pas.
Ce petit archéoptéryx dispose de
pattes postérieures particulièrement
longues : il est donc fort possible que
cette partie du squelette se soit déve-
loppée plus rapidement que les autres,
phénomène appelé allométrie positive.
Dans la jeunesse de l'animal, les pattes
postérieures étaient probablement
d'une importance primordiale, car sa
capacité de vol, limitée, ne s'affirmait
que très progressivement.
Ces différences furent considérées
par certains comme les caractéristi-
ques d'une espèce ou même d'un genre
à part ; l'exemplaire d'Eichstätt a été
baptisé Jurapteryx recurva, en raison
de ses dents recourbées qui le distin-
guaient des exemplaires de Londres et
de Berlin (voir la figure 10).
On ignore toujours si la croissance
de cet oiseau reptile ressemblait à celle
d'un reptile ou à celle d'un oiseau.
Alors que les reptiles grandissent toute
leur vie, les oiseaux atteignent assez
rapidement leur taille adulte. Leurs
centres de croissance se trouvent aux
épiphyses des os longs. Aux stades
juvéniles, ces épiphyses sont cartilagi-
neuses ; à la fin de la croissance d'un
oiseau, elles s'ossifient, mais des su-
tures restent longtemps visibles à la
limite avec la diaphyse, jusqu'à ce
qu'elles disparaissent chez l'oiseau
adulte.
Aucun des archéoptéryx découverts
ne présente cependant de telles sutures
sur ses os longs. Si l'on suppose que
la croissance de l'archéoptéryx était
de type oiseau, la classification en
différentes espèces ou différents genres
se justifie. D'autre part, les caractéris-
tiques ostéologiques des divers
archéoptéryx coïncident au point qu'on
peut les regrouper dans une même
espèce : Archaeopteryx lithographica.
7. L'ARCHÉOPTÉRYX D'EICHSTÄTT. De la taille d'un corneille, il constitue à la Cela implique toutefois que leur crois-
fois le plus petit exemplaire et probablement le plus jeune archéoptéryx découvertjusqu'à sance a suivi le modèle des reptiles,
présent. Il fut tout d'abord considéré comme un petit dinosaure du type Compsognathus.
à savoir que la croissance commence
En lumière rasante, on distingue les traces de plumes (dessinées sur la figure en bas).
Le crâne, situé à l'extrémité du cou recourbé, est remarquablementbien conservé,bien aux diaphyses et non pas aux épi-
qu'aplati par la pression de la roche. physes. Le squelette, qui présente
avant tout les caractéristiques de celui septembre 1988). Appelé exemplaire intact : des parties importantes du
d'un reptile, confirme cette hypothèse. de Solnhofen, il est maintenant exposé squelette, comme par exemple des
On peut supposer qu'au Jurassique au Musée Biirgermeister Müller (voir éléments du crâne, des vertèbres cervi-
supérieur vécurent plusieurs espèces la figure 1, à droite). Pourquoi l'identi- cales, du carpe, de la patte gauche et
ou genres d'oiseaux primitifs dans la fication de ce fossile a-t-elle été si de la queue, ont été perdues. Le fossile
région des lagons de Solnhofen. On ne longue ? Quand le collectionneur Frie- fut apparemment enfoui avec ses
dispose cependant d'informations drich Millier acheta les plaques fossili- parties molles et son plumage, avant
exactes que sur deux exemplaires. Les fères, elles n'étaient pas encore de s'être décomposé.
six archéoptéryx découverts jusqu'à complètement dégagées et les mor- À la lumière rasante
se dessinent des
présent ont probablement vécu à ceaux étaient éparpillés. C'est rainures partant de la patte antérieure.
différentes époques, mais les paléonto- seulement au printemps 1987 qu'il II s'agit sans doute des empreintes des
logues ignorent si plus de 100 000 commença à dégager et ensuite à axes des plumes de l'aile. L'absence
années séparent la durée exacte qui les préparer le squelette. d'empreintes de l'aile droite et de la
sépare, et si elle est suffisante pour On n'a pu mettre en évidence queue s'explique facilement. Après sa
avoir permis une évolution sensible. aucune empreinte de plumes et il ne mort, l'oiseau s'est enfoncé sur le côté
Les spécialistes ignorent également restait que des fragments du crâne. gauche, dans le lagon de Solnhofen, de
quelles différences séparaient les Les longues et fortes pattes posté- telle façon que l'aile gauche était plus
archéoptéryx mâles des femelles ; tou- rieures ainsi que la queue aux nom- protégée par la boue que l'aile droite et
te distinction fondée sur les couleurs breuses vertèbres pouvaient faire pen- la queue ; pendant la décomposition
du plumage est aujourd'hui impossi- ser qu'il s'agissait du squelette d'un des parties molles, les plumes de ces
ble. Le mâle et la femelle étaient Compsognathus, petit dinosaure dont parties ont ensuite été emportées par
probablement de tailles différentes, et un seul squelette a été découvert dans des courants d'eau.
les caractéristiques relatives aux sexes la région de Solnhofen. D'un point de Le fossile de Solnhofen est éton-
auraient dû apparaître sur le squelette, vue scientifique, la découverte d'un namment grand. Son envergure dé-
notamment dans la région du bassin. deuxième Compsognathus aurait cer- passe de dix pour cent celle de
Or la fossilisation a rendu ces carac- tainement été plus importante que l'exemplaire londonien, de 13 pour
tères totalement méconnaissables. celle d'un sixième archéoptéryx. cent celle de ceux du Maxberg et de
Ces paramètres liés à la position L'exemplaire de Solnhofen n'est pas Haarlem, de 25 pour cent celle du
stratigraphique, à la croissance, au
sexe, à l'espèce ou au genre montrent
combien il est difficile de définir une
espèce ou un genre en paléontologie.
LaLa définition biologique d'une espèce,
selon laquelle elle se compose de
populations d'animaux pouvant se
croiser entre eux, n'apporte aucune
information que puisse utiliser le
paléontologue. Pour une détermina-
tion, les paléontologues ne peuvent pas
faire d'expériences en laboratoire et ne
se fondent que sur la morphologie du
squelette. Par conséquent, une espèce
« biologique » ne correspond pas
toujours à une espèce « paléontologi-
que » ; on ne dispose pas d'un nombre
suffisant de fossiles d'archéoptéryx
pour les classer avec précision. Des
connaissances plus approfondies de la
morphologie des oiseaux actuels facili-
teraient sans doute la tâche, mais les
quelques travaux dont on dispose
datent du siècle dernier, car les orni-
thologues actuels ne s'intéressent
guère à la morphologie.

Le nouvel exemplaire
de Solnhofen

La découverte du sixième archéop-


téryx démontre à quel point il est
délicat d'identifier les fossiles. Ce n'est
qu'en automne 1987 que Gunther
Viohl, directeur du Musée du Jurassi-
que à Eichstatt, découvrit le squelette
d'un oiseau fossile dans une collection
8. EMPREINTE DU PLUMAGE DE LA QUEUE de l'archéoptéryx berlinois (grossie
privée (voir Le premier nom d'oiseau, cinq fois). Le grain de la roche est suffisamment fin pour que les moindres détails de
Pour la Science n° 131, page 8, la structure des plumes soient visibles.
fossile de Berlin et même de 50 pour qui ressemble beaucoup à celle d'un
cent celle du spécimen d'Eichstatt. Sa reptile, n'est pas reliée non plus au
taille correspondait donc à la taille sternum, comme chez les oiseaux
d'une poule. modernes. Le coracoïde, penché vers
le bas, était en effet trop court pour
pouvoir servir de liaison.
La capacité de vol
L'exemplaire de Solnhofen dispo-
Malgré sa taille, le sternum de sait tout de même d'une fourchette,
l'exemplaire de Solnhofen n'est pas os caractéristique des oiseaux contem-
ossifié, ce qui semble prouver qu'un porains. Le muscle pectoral s'attache
tel os n'était pas encore développé à cette zone et, par conséquent,
chez archéoptéryx : ceci est important l'archéoptéryx avait une surface
pour juger de sa capacité de vol. Chez (assez petite) susceptible de dévelop-
les oiseaux modernes, le sternum per ce muscle indispensable au vol.
ressemble à un « bouclier osseux » De ce fait, sa capacité de vol était
s'élargissant vers l'arrière, jusqu'au limitée.
bassin ; pendant le vol, il soutient les I1 y a quelques années encore, les
intestins (voir la figure 12, d droite). experts pensaient que seuls les oiseaux
De sa crête osseuse médiane partent disposaient d'une fourchette. On a
les muscles permettant les battements cependant observé sa présence chez
des ailes. certains dinosaures du Crétacé,
De toute évidence, l'archéoptéryx notamment chez les Théropodes, qui
ne disposait pas de tels muscles. À la ont un lien de parenté proche avec
place du sternum se trouvaient, l'archéoptéryx.
comme chez ses ancêtres, les reptiles, Tout porte à croire que l'archéopté-
des côtes ventrales : ces minces struc- ryx n'était pas particulièrement bien
tures osseuses n'étaient pas reliées aux adapté au vol. Les poumons des
autres parties du squelette (voir la oiseaux contemporains sont très déve-
partie centrale de la figure 12). Elles loppés et l'air insufflé dans des « sacs
existent toujours chez les lézards et les aériens » leur permet de couvrir leur
crocodiles, et étaient présentes chez les besoin en oxygène pendant le vol. Or
premiers amphibiens et reptiles. Ni les 9. RADIOGRAPHIE DE LA PATTE chez l'archéoptéryx aucune trace de
mammifères ni les oiseaux ne dispo- DROITE du fossile de Solnhofen. Les tels sacs n'a pu être identifiée, ce qui
métatarsiens sont en partie fusionnes et ont
sent aujourd'hui de ces restes d'une remet en question la présence de
une fonction analogue à celle des pattes
carapace qui protégeait apparemment d'oiseaux modernes,danslesquellesils sont poumons d'oiseau.
le ventre et soutenait les intestins : il entièrement fusionnés. Le premier orteil, De surcroît, rien n'indique qu'il y
est peu probable qu'elle constituait recourbé vers l'arrière, avec une griffe ait eu fusion des os métacarpiens, qui
acérée et repliée, lui permettait de s'agrip-
pour l'archéoptéryx une surface d'at- servent de support aux ailes des
tache des muscles. per aux arbres. Cette radiographie a été oiseaux modernes. Les trois doigts
mise à notre disposition par Johannes
La ceinture scapulaire du fossile, Mehl, de l'Université d'Erlangen. étaient encore très développés, mobiles

10. MÂCHOIRES de l'archéoptéryx d'Eichstatt. La grande raison de sesdents recourbées; cette classification a été contestée,
ouverture ovale correspond aux narines externes ; derrière se car il s'agit probablement d'un jeune Archaeopteryx lithogra-
trouvent les ouvertures préorbitaires, qui ressemblentétrangement phica. L'image a été prise par Renate Liebreich, au microscope
à celles des dinosaures théropodes (voir la figure 11, en haut et électronique à balayage, à partir d'un moulage en résine syn-
au milieu). On a appelé cet exemplaire Jurapteryx recurva, en thétique du crâne (grossissementégal à 6,5).
et pourvus de longues griffes acérées
(voir la figure 13, à droite). Il semble
que les rémiges de l'archéoptéryx
n'étaient pas encore définitivement
liées au squelette des ailes. Cela
explique le faible développement des
muscles de ses ailes et de sespoumons.

Les aptitudes à la course


En revanche, la morphologie du
bassin et des pattes postérieures de
l'archéoptéryx incite à penser qu'il
était un bon coureur. Son bassin
ressemble à celui des reptiles en
général et, en particulier, à celui de
Compsognathus, dinosaure bipède car-
nivore du groupe des Théropodes. Les
os pubiens s'élargissent chez ceux-ci
à leur extrémité et sont dirigés vers
l'avant (voir la figure 12, à gauche) ;
ils servaient vraisemblablement aussi
à soutenir les intestins.
Lors de la marche, la position des
pattes postérieures de l'archéoptéryx
s'apparentait plus à celle des dino-
saures théropodes qu'à celle des
oiseaux. Son fémur est en position
quasi verticale. La queue de l'archéop-
téryx équilibrait le reste du corps ;
presque aussi longue que l'ensemble
du corps, elle est formée de 23
vertèbres : relativement mobiles pour
les premières, elles sont de plus en plus
bloquées vers l'extrémité ; cette dispo-
sition est commune chez les dino-
saures bipèdes, ainsi que chez les
reptiles volants à longue queue du
Trias et du Jurassique. Il semble que
la queue jouait le rôle d'un gouvernail,
grâce auquel l'animal pouvait diriger
son vol ou sa course. A cela s'ajoute
que, chez l'archéoptéryx, le plumage
de la queue offrait une large surface
horizontale et rendait ainsi sa morpho-
logie plus aérodynamique.
Les oiseaux modernes disposent
d'un pygostyle, formé par fusion des
vertèbres caudales, typique de ces
animaux. Chez les oiseaux primitifs
descendants de l'archéoptéryx, le cen-
tre de gravité du corps a dû se déplacer
vers l'avant, en raison du raccourcisse-
ment progressif de la queue. Cela fut
en partie compensé par une transfor-
mation des muscles du bassin et
l'agrandissement consécutif de la sur-
face des ailes. Lors de cette transfor-
mation, le bassin s'est scindé et ne sert
donc plus de soutien aux intestins ;
cette fonction est assurée par un
sternum plus ossifié
Notons que l'amélioration des per-
formances de vol englobe non seule-
ment l'évolution morphologique du
squelette, mais également celle de la 11. RECONSTITUTION D'UN ARCHÉOPTÉRYX s'apprêtant à atterrir et d'un autre
grimpant sur un arbre à la recherche d'insectes. Selon la théorie du grimpeur volant, les
musculature, des systèmes pulmonaire battements d'ailes sont apparus après le vol plané. À cette fin, l'oiseau utilise ses talents
et cardiaque, en un mot, du métabo- de grimpeur pour accéder à ta cime des arbres. Dessins de Manfred Reichel.
lisme générât. L'ouverture du bassin a Le plumage de l'archéoptéryx sou- mais il ne s'agit probablement que d'une
directement permis l'augmentation de la lève deux questions importantes : quel feuille de fougère.
taille des oeufs et, par conséquent, de était le mode de vie de cet oiseau reptile L'animal inconnu avait été appelé
celle des oisillons. Or, au stade d'évolu- et quelle fut l'évolution générale du vol Praeornis. Les plus anciennes plumes
tion de l'archéoptéryx, l'ouverture du des oiseaux ? Une troisième question s'y connues sont celles de l'archéoptéryx ;
bassin était encore si étroite que la taille rattache : quelle est l'origine des plumes leur structure correspond bien à
de ses oeufs correspondait plutôt à celle d'oiseau ? Aucun vertébré, excepté les celles des oiseaux modernes, mais
des oeufs de reptiles qu'à celle des oeufs oiseaux et l'archéoptéryx, ne dispose de elles ne livrent pas d'informations sur
d'oiseaux. véritables plumes, et il est certain que leurs propres origines. Cette modernité
Grâce à de nombreuses radiogra- celles-ci ont joué un rôle décisif lors de des plumes avait incité Fred Hoyle à
phies des archéoptéryx, on a observé le l'évolution du vol des oiseaux. crier au faux.
passage progressif d'un individu jeune D'après des examens embryologi-
plutôt coureur, dont les os métatarsiens Les plumes et le vol ques effectués sur des poules, le premier
étaient encore bien distincts (exem- stade de formation des plumes et des
plaire d'Eichstätt), à celui d'un adulte, L'opinion selon laquelle les plumes écailles est identique ; les pattes et les
plus proche à cet égard des oiseaux, proviennent d'écailles de reptiles n'est orteils sont d'ailleurs couverts d'écailles.
comme l'exemplaire de Solnhofen (voir pas étayée par des découvertes paléon- Des examens histochimiques montrent
la figure 9). Au cours de l'Évolution, les tologiques. On avait interprété une toutefois que la plume correspond peut-
os métatarsiens ont eu tendance à plume fossile découverte dans le Ka- être seulement à la facette extérieure de
fusionner en un seul os, pour aboutir à zakhstan et datant du Jurassique comme l'écaille. Aujourd'hui l'opinion selon
la morphologie actuelle d'une patte étant une forme intermédiaire entre laquelle l'écaille du reptile est « l'ancê-
d'oiseau. l'écaille reptilienne et la plume avienne, tre» de la plume est bien ancrée.

COMPSOGNA THUS (PETIT DINOSAURE) ARCHAEOPTERYX (OISEAU PRIMITIF)

12. LA COMPARAISON DES SQUELETTES de l'archéoptéryx beaucoup plus longs ; à la différence des oiseaux contemporains,
et d'un dinosaure théropode démontre la parenté des deux l'archéoptéryx ne disposaitpas desternum ossifié,de bassinallongé,
animaux : à gauche, Compsognathus,un petit dinosaure bipède; ni de pygostyle,partie résultant d'une atrophie de la queue.Sescôtes
au milieu, l'archéoptéryx et à droite, une poule. Comparés à ceux ventrales, indépendantesdu squelette, occupaient l'emplacement
de Compsognathus,les membresantérieurs de l'archéoptéryx sont du sternum actuel. Une fourchette était déjà développée. La
Le parfait plumage de l'archéoptéryx ont déjà une forme asymétrique et griffes des hiboux, des rapaces et des
incite à penser que son prédécesseur, aérodynamique, caractère typique des oiseaux coureurs sont différentes. Une
l'hypothétique Proavis, était déjà pour- oiseaux modernes. Ces rémiges se des conclusions majeures du Congres
vu d'une sorte de plumage. Une question superposent de telle sorte que pendant international sur l'archéoptéryx, qui
se pose : quelle était donc la fonction le battement de l'aile vers le bas, elles s'est tenue à Eichstatt en 1984, fut que
initiale de ces plumes ? Servaient-elles sont étanches aux courants d'air ; cet oiseau fossile grimpait aux arbres.
de protection contre le froid chez des quand elles sont déployées, elles lais- Les prédécesseurs de l'archéoptéryx
reptiles qui étaient déjà à sang chaud, ou sent passer l'air, lorsque l'aile bat vers furent probablement d'aussi bon grim-
de protection contre la chaleur chez des le haut : l'archéoptéryx les a sûrement peurs (voir la figure 11, en bas), ce qui
animaux à température variable ? L'ar- utilisées afin de voler. corrobore l'hypothèse du vol plané.
chéoptéryx utilisait-il ses pattes anté- Deux théories sur l'évolution du vol Les oiseaux grimpeurs modernes utili-
rieures emplumées pour combattre, des oiseaux s'opposent : la première sent les griffes de leurs orteils pour
faire sa parade nuptiale ou attraper des part du principe que les premiers grimper aux arbres ; l'archéoptéryx
insectes ? Les ailes avaient-elles pour oiseaux ont d'abord grimpé aux arbres pouvait également utiliser les griffes
rôle d'atténuer les reflets trop éblouis- pour se lancer en vol plané, puis ont de ses pattes antérieures ; son premier
sants de l'eau lors de la recherche d'une appris à battre des ailes. Selon la doigt (voir la figure 13, à droite),
nourriture aquatique, ou de protéger deuxième opinion, un animal s'est mis particulièrement mobile, lui était très
l'animal contre l'eau ? à poursuivre sa proie, des insectes utile pour s'agripper aux troncs des
Toutes ces hypothèses demeurent, volants, en courant, voire en sautant. arbres ; il utilisait aussi sa longue
mais ne sont appuyées par aucune C'est à ce moment-là qu'il commença queue comme soutien.
découverte. Une chose est néanmoins à utiliser ses ailes afin d'agrandir la
sûre : chez l'archéoptéryx, les régimes longueur de ses sauts ; des ailes Un compromis paléontologique
progressivement plus puissantes lui
permirent de transformer ses sauts en En conclusion, il nous semble que les
vol plané. ancêtres de l'archéoptéryx étaient de
Cette deuxième opinion s'appuie sur petits dinosaures bipèdes, capables de
l'excellente adaptation à la course du courir ; proches des Théropodes, ils ont
bassin et des pattes postérieures. Elle commencé à dormir, nicher et chasser
est parfois contestée, car en début de dans les arbres, pendant le Trias supé-
vol, la rapidité d'une telle course et rieur ou le Jurassique inférieur. Une vie
les battements d'ailes nécessitent une arboricole allait de pair, chez ces ani-
forte dépense d'énergie ; d'autre part, maux, avec l'apparition d'un métabo-
dans le processus d'envol, l'animal lisme « sang chaud >) et l'évolution
doit lutter contre l'attraction terrestre. d'un plumage comme protection
La descente en vol plané est énergeti- contre la chaleur. Pour mieux s'orien-
quement plus favorable, surtout quand ter dans l'espace, ils devaient d'autre
l'oiseau bat des ailes : en perfection- part améliorer grandement leur vision
nant son vol plané, l'animal a adapté stéréoscopique.
ses ailes. Les écureuils volants actuels Les plumes amortissaient les chu-
consomment moins d'énergie en grim- tes ; le développement de la partie
pant et en planant qu'ils ne le font couverte de plumes a permis au
lorsqu'ils courent. Proavis de survivre et a favorise la
On ne trouve pas de traces indi- formation des ailes. Le saut de l'ani-
quant l'existence de grands arbres mal a pris de l'ampleur, s'est trans-
dans les couches fossilifères de Solnho- formé en vol plané, puis en vol
fen, mais il ne faut pas oublier que ce soutenu par les battements d'ailes. La
n'est pas là que les archéoptéryx habi- possibilité de continuer à utiliser les
taient ; il faudrait étudier l'habitat des pattes pour courir a été un facteur
prédécesseurs de l'archéoptéryx, les positif de sélection naturelle, non
hypothétiques Proavis, qui vécurent seulement chez les Proavis, mais aussi
peut-être des millions d'années avant chez l'archéoptéryx. Pour planer entre
lui. La rareté même des spécimens les arbres et atterrir sur des troncs ou
d'archéoptéryx confirme que ces ani- des branches, il faut diriger parfaite-
maux vivaient loin de la lagune de ment son vol et développer par consé-
Solnhofen. quent une coordination sensorielle et
Dans l'hypothèse du vol plané, motrice impeccable. Les Proavis atter-
on admet que les Proavis savaient rissaient probablement suivant le prin-
grimper aux arbres. Étaient-ils outillés cipe du parachute, car ils ne pouvaient
À terre, ils
pour cela ? Examinons les griffes des se poser sur un arbre.
archéoptéryx, leurs descendants. Sur couraient sur deux pattes jusqu'à
certains fossiles, les griffes ont été l'arbre le plus proche et y grimpaient
bien conservées ; elles étaient forte- pour se cacher, nicher, attraper des
GALLUS(POULE) ment courbées, très pointues, effilées insectes ou dormir.
sur la partie intérieure et arrondies Cette théorie de l'évolution du vol
morphologie de sa boite crânienne atteste sur la partie extérieure (voir la des oiseaux s'appuie surtout sur le
égalementque t'archéoptéryx constitue une figure 13). Ces griffes ressemblent à modèle du vol plané, tout en expli-
étape de transition entre les reptiles et
les oiseaux. L'archéoptéryx et Compso- celles des grimpeurs, comme les pics, quant l'adaptation à la course bipède.
gnathus ont un ancêtre commun. les chauves-souris et les écureuils. Les On pourrait appeler cette théorie
13. LES GRIFFES DE L'ARCHÉOPTÉRYX, recourbéeset très ryx de Haarlem, qui ressemblent à celles du pic. Sur la
pointues, permettaient à l'oiseau de grimper avec aisance.La figure photographie de droite, on observeles griffes des doigts de la patte
de gauchemontre les griffes des pattes postérieures de l'arehéopté- antérieure de l'archéoptéryx de Solnhofen.

! a théorie du coureur grimpeur. Il sem- datent tous du Crétacé supérieur. II lithographiques de Las Hoyas (pro-
ble que l'archéoptéryx avait déjà dé- s'agit d'oiseaux, en partie piscivores, vince de Cuenca, au centre de l'Es-
passé ce stade. Il était de toute évidence dotés d'une denture. Faire descendre pagne), réunit à la fois les caractères
capable de voler en battant des ailes, ces oiseaux de l'archéoptéryx parais- d'un oiseau primitif et ceux d'un
mais sur de courtes distances ; en outre, sait presque impossible ; en consé- oiseau plus moderne (voir la figure 14).
il restait un bon coureur. Âgé de 125 millions d'années, il est
quence, les experts ont souvent consi-
déré ce fossile comme le représentant le « petit frère » de l'archéoptéryx.
La place de l'archéoptéryx d'une branche d'oiseaux disparus. Son bassin et ses pattes postérieures
La découverte récente de restes l'assimilent aux oiseaux primitifs ; la
dans la généalogie des oiseaux
d'oiseaux fossiles dans des couches du ceinture scapulaire rattachée au ster-
L'archéoptéryx est-il l'ancêtre de Crétacé inférieur, en Espagne, a dé- num ossifié, ainsi que la fourchette qui
tous les oiseaux ? Pour répondre à montré l'existence d'un animal inter- se prolonge et se termine en hypo-
cette question, observons des fossiles médiaire entre l'archéoptéryx et les cléide, l'apparentent plutôt aux
du Crétacé : les squelettes pratique- oiseaux modernes. Un exemplaire mis oiseaux modernes. Cependant sa ca-
ment complets que l'on a découverts au jour en 1984, dans les calcaires ractéristique la plus marquante de-
meure sa queue, constituée de la fusion
de 10 à 15 vertèbres ; elle est bien plus
longue que celle des oiseaux actuels
(quatre à dix vertèbres fusionnées),
mais beaucoup plus courte que celle
de l'archéoptéryx (23 vertèbres).
Le fossile de Las Hoyas représente
le « groupe frère » des oiseaux actuels,
Ornithurae. Il témoigne également de
l'aisance et de la rapidité avec laquelle
les oiseaux, au début de leur évolution,
se sont adaptés aux exigences du vol.
D'autre part, il confirme la théorie,
formulée pour la première fois par le
zoologue anglais Sir Gavin de Beer, à
propos de l'archéoptéryx : selon lui, les
caractéristiques propres au reptile et à
l'oiseau sont réparties comme dans une
mosaïque et se sont développées suc-
cessivement, selon les exigences de la
sélection.
Le fossile du Crétacé inférieur mon-
tre comment l'évolution des oiseaux
s'est poursuivie après l'archéoptéryx.
14. UNE DES DÉCOUVERTES LES PLUS IMPORTANTES de cesdernières années: Était-il vraiment l'ancêtre direct de
un oiseau datant du Crétacé inférieur, découvert à Las Hoyas (province de Cuenca, au
centre de l'Espagne).Il est de quelque 25 millions d'annéesplus jeune que l'archéoptéryx tous les oiseaux ultérieurs ? Les restes
et il présenteà la fois les caractéristiques d'un oiseau primitif et celles d'un oiseau moderne fossiles découverts ne donnent pas de
(sternum ossifié, fourchette et hypocléide). Les vertèbres de la queueont déjà la forme d'un réponse absolue, mais les six exem-
pygostyle. Toutefois celui-ci n'est pas aussiprononcé quechezles oiseauxactuels. Le bassin plaires d'archéoptéryx découverts et
et les pattes postérieuresressemblentà ceux de ses ancêtres.Le crâne n'est pas conservé
L'oiseau de Las Hoyas n'a pas encorereçu denom scientifique, maistémoignede l'évolution la plume solitaire éclairent l'évolution
des oiseaux depuis l'archéoptéryx. La photographie a été prise par Gerardo Kurz. des oiseaux modernes.
LES GRANDES EXTINCTIONS
Pourquoi les dinosaures

ont-ils disparu ?
I1 y a 65 millions d'années, la faune du monde Ces fossiles sont riches de renseignements, et
changea : les reptiles qui avaient dominé le Globe l'épaisseur et la composition chimique des strates
terrestre disparurent, et avec eux, plus de la moitié sédimentaires racontent l'histoire de la Terre.
des espècesvégétales et des espècesanimales, terrestres Cependant cette histoire semble dépendre du lo-
et marines, s'éteignirent. Généralement les espèces cuteur. Pour Walter Alvarez et Frank Asaro, de
survivent même quand elles sont décimées ; s'il y en l'Université de Californie à Berkeley, le responsable
eut tant qui ont disparu à la fin du Crétacé, c'est que serait une énorme météorite, et les couches sédimen-
la Terre devait être devenue particulièrement taires de l'Appennin, en Italie, auraient conservé la
inhospitalière. mémoire de son impact sur la Terre. Vincent
Pourtant les mammifères ont survécu. Colonisant Courtillot, de l'Institut de physique du Globe, à Paris,
les niches écologiques délaissées par les dinosaures, ils y voit la preuve d'un monde dévasté et pollué par les
devinrent le groupe dominant parmi les grands énormes éruptions volcaniques survenues dans les
animaux : une espèce de ces mammifères étudie traps du Deccan, en Inde. Et pendant ce débat, les
aujourd'hui les fossiles de ses lointaines origines. sauriens disparus gardent leur mystère.
impact
Un

' extraterrestre
d'origine

WALTER ALVAREZ FRANK ASARO

Les indices s'accumulent : les extinctions du Crétacé

ont été causées par un astéroide ou une comète.

Il y a environ 65 millions d'années,


quelque semblent les disculper. Cependant ment appelée limite KT, K étant
chose détruisit la moitié certaines questions restent posées: où l'initiale de Kreide, Crétacé en alle-
de la vie sur la Terre : les a eu lieu l'impact ? Y a-t-il eu un choc mand, et T celle de Tertiaire).
dinosaures, jusque-là les maîtres in- ou plusieurs ? Se sont-ils produits à Nous avons commencé l'étude de
contestés du règne animal, disparu- intervalles de temps réguliers ? Quel la limite KT par une question simple :
rent, laissant la place aux modestes est le rôle de telles catastrophes dans en combien de temps les espèces
mammiferes d'aujourd'hui, leurs héri- l'Évolution ? ont-elles disparu ? L'extinction a-t-elle
tiers. Les êtres humains, actuels des- été soudaine - quelques années ou
cendants de ces survivants, s'interro- quelques siècles - ou progressive -
Des extinctions très rapides
gent : quelles ont été les causesde cette plusieurs millions d'années? La majo-
décimation ? Comment leurs lointains Une extinction massive est une rité des géologues et des paléontolo-
ancêtres ont-il réussi à survivre ? énigme qui présente certaines simi- gues avaient admis qu'elle avait été
Au cours des dix dernières années, litudes avec un assassinat: despreuves lente (par tradition, ces disciplines
des chercheurs de tous pays, des existent-des anomalies chimiques, n'apprécient guère les hypothèses ca-
paléontologues aux astrophysiciens, des grains minéraux et des rapports tastrophiques). Comme les fossiles de
ont réuni leurs talents d'observateurs, isotopiques qui remplacent le sang, les dinosaures sont relativement rares,
leur ingéniosité d'expérimentateurs et empreintes digitales ou le carnet leur âge nous renseigne peu sur la
leur imagination de théoriciens pour d'adresses déchiré-, mais elles sont rapidité de leur disparition : on pou-
répondre à ces questions. Pendant de dispersées à la surface du Globe. vait supposerque l'extinction avait été
longs mois, nous avons fait des me- Cependant il ne subsisteaucun témoin lente.
sures minutieuses,nous avons traversé oculaire, et l'on n'a aucune chance de Pourtant, lorsque les paléontolo-
des phases de doute et beaucoup ont recueillir des aveux. Plusieurs millions gues ont examiné desfossilesde pollen
fait preuve de perspicacité. Finale- d'années ont détruit ou endommagé ou ceux d'animaux marins unicellu-
ment nous avons vécu des moments la plupart des preuves, ne laissant que laires, les foraminifères, ils découvri-
d'intense excitation lorsque les élé- des indices tenus. rent que cette extinction avait été très
ments du puzzle se sont emboîtés. En outre, comment déterminer avec rapide ; les petits organismesont laissé
Nous pensons avoir résolu le mys- certitude quels sont, parmi les fossiles d'abondants fossiles et les reconstitu-
tère : il y a quelque 65 millions que l'on a retrouvés, ceux des animaux tions des différents événements sont
d'années, un astéroïde ou une comète qui ont disparu à cause du cata- plus précises
gigantesquea jailli du ciel et a heurté clysme ? Pourtant les paléontologues L'étude des fossiles des animaux de
la Terre à une vitessesupérieure à dix savent qu'il y a eu de nombreuses taille moyenne, comme les invertébrés
kilomètres par seconde. L'énorme victimes, car les roches sédimentaires marins, a donné la même réponse. La
énergie libérée lors du choc a déclen- qui contiennent ces fossilesprésentent meilleure banque de données fossiles
ché d'innombrables cataclysmes, des une discontinuité marquée, il y a 65 pour les ammonites (des parents des
tempêtes et des raz de marée, le froid millions d'années. Des créatures nautiles d'aujourd'hui, qui disparu-
et la nuit, puis un réchauffement par comme les dinosaures et les ammo- rent à la fin du Crétacé) est constituée
effet de serre, des pluies acides et des nites, abondantespendant desdizaines par les affleurements côtiers de la baie
incendies planétaires. Lorsque le de millions d'années,disparurent subi- de Biscaye, à la frontière franco-
calme revint, la moitié de la faune et tement et irrémédiablement ; nombre espagnole.
de la flore avait péri. Une page de d'espècesanimales et végétalesfurent En 1986, Peter Ward et ses collè-
l'histoire de la Terre était tournée. également éradiquées. gues de l'Université de Washington
D'autres accusés du meurtre des Cette discontinuité définit la fron- ont étudié minutieusement ces affleu-
dinosaures-par exempleles modifica- tière entre le Crétacé, la période de rements à Zumaya, en Espagne. Ils
tions du niveau desocéans,un change- suprématie des dinosaures, et le Ter- découvrirent que les ammonites
ment climatique ou une éruption tiaire, le début de la domination des avaient disparu petit à petit, une
volcanique-possèdent des alibis qui mammifères (cette frontière est égale- espèceaprès l'autre, sur une épaisseur
de 170 mètres, ce qui correspond à est épaisse d'un centimètre environ. Nous savions que la concentration
cinq millions d'années. Pourtant en Dans les années 1970, l'un de nous en iridium dans la croûte terrestre est
examinant, en 1988, deux zones voi- (W. Alvarez) travailla avec une équipe très faible-environ 0, 03 partie par
sines situées en France, P. Ward qui découvrit que cette argile se trouve milliard-, tandis qu'elle atteint
observa que ces espèces d'ammonites à l'intérieur d'une couche calcaire 500 parties par milliard, par exemple,
avaient survécu jusqu'à la limite KT. épaisse de six mètres, formée en dans les météorites pierreuses primi-
L'extinction progressive observée à 500 000 ans-durant la période 29R tives, appelées les chondrites carbo-
Zumaya n'était due qu'à une insuffi- de champ magnétique inverse. Nous nées. La concentration dans la croûte
sance dans le nombre des fossiles. Si en avons déduit que la couche d'argile terrestre est faible, car l'essentiel des
ces organismes, dont les fossiles sont et l'extinction massive qu'elle indique atomes d'iridium de la Terre se
bien conservés, disparurent brusque- correspondent à une durée inférieure combinent aux atomes de fer du
ment, il est vraisemblable que d'autres à 1000 ans environ. noyau.
organismes qui périrent vers la même Jan Smit, de l'Université d'Amster- Nous pensions que les sédiments
époque - par exemple, les dinosaures dam, a étudié des sédiments à Cara- pélagiques-comme ceux de Gubbio-
dont les restes ont été plus rarement vaca, dans le Sud de l'Espagne, où les s'enrichissaient en iridium par l'inter-
conservés-s'éteignirent tout aussi données stratigraphiques sont encore médiaire de la pluie continue de
brusquement. plus précises, et il a estimé que l'extinc- micrométéorites, la poussière cosmi-
Ainsi l'extinction fut rapide-en tion s'était déroulée sur 50 ans. À que. Cette précipitation constante de-
termes géologiques-, mais comme la l'échelle géologique, c'est instantané ! vait être une horloge géologique : la
datation d'une roche à un million quantité d'iridium contenue dans une
d'années près constitue déjà un Un indice couche sédimentaire est proportion-
exploit, on ignore en combien d'années : l'iridium nelle au temps que la couche a mis
ces espèces se sont éteintes. L'incerti- Nos travaux sur la limite KT ont pour se déposer. En outre, l'activation
tude sur la datation des dépôts géolo- commencé à la fin des années 1970 neutronique permet de doser des
giques est d'environ 10000 ans, une lorsque, avec nos collègues de Berke- traces d'iridium activé par des
:
durée supérieure à celle de la civilisa- ley, Luis Alvarez et Helen Michel, neutrons, l'iridium devient radioactif
tion humaine ! nous avons essayé de déterminer en et on mesure ainsi sa concentration.
On peut estimer plus précisément combien de temps la couche d'argile Nous avons supposé que la couche
la durée de cette extinction massive. de Gubbio s'était formée. Nos efforts d'argile de la limite KT s'était formée
Dans les calcaires déposés en eaux ont échoué, mais ils nous ont fourni en 10 000 ans environ, lorsque les
profondes, à Gubbio, en Italie, une un premier indice essentiel sur l'iden- organismes à coquilles calcaires dispa-
mince couche d'argile sépare les sédi- tité du responsable de l'extinction. rurent et qu'en conséquence, il n'y eut
ments crétacés et tertiaires. Cette Comme les détectives, les scientifiques plus de dépôt de carbonate de calcium
couche, découverte par Isabella Pre- doivent beaucoup travailler et avoir un (qui compose la majorité des cal-
moli Silva, de l'Université de Milan, peu de chance. caires). A Gubbio, la plupart des

1. LES PREUVES D'UN IMPACT GÉANT à l'origine des on a découvert de grandes quantités d'iridium dans les sédiments
extinctions massivessurvenuesà la fin du Crétacé sont dispersées de la limite Crétacé-Tertiaire (la limite KT) ; une météorite
sur toute la surface du Globe. Cette carte situe les continents tels volumineuse de dix kilomètres de diamètre aurait creusé un cra-
qu'ils étaient à l'époque de cette extinction, il y a 65 millions tère de 150 kilomètres de diamètre, mais on ne l'a pas encore
d'années.Outre descristaux de quartz formés lors de la collision, localisé
couches contiennent environ 95 pour couche d'argile et celle de calcaire divers sites confirment l'hypothèse du
cent de carbonate de calcium et 5 pour adjacente contenaient bien plus d'iri- choc météoritique.
cent d'argile ; la limite KT contient 50 dium qu'aucune de nos hypothèses ne Les rapports isotopiques égale-
pour cent d'argile. Si notre hypothèse le prévoyait : une quantité comparable ment : Jean-Marc Luck, de l'Institut
était correcte, la proportion d'iridium à la totalité de l'iridium déposé pen- de physique du Globe, et Karl Ture-
dans l'argile devait être identique dans dant les 500 000 ans de la période 29R. kian, de l'Université Yale, ont montré
la limite KT et dans les couches Un tel dépôt ne provenait évidem- que la plus grande partie de l'osmium
inférieures et supérieures. Si les vi- ment pas de la poussière cosmique. présent dans les échantillons de la
tesses de dépôt de l'argile et du Pendant un an, nous nous sommes limite KT prélevés au Danemark et au
carbonate de calcium avaient diminué interrogés sur l'origine de cette Nouveau-Mexique ne pouvaient avoir
ensemble, la proportion d'iridium de- concentration anormale, émettant des une origine continentale, car la
vait être plus forte dans la limite KT hypothèses et les rejetant les unes concentration en osmium 187 y est
que dans les couches adjacentes. après les autres. En 1979, nous avons trop faible. Le rapport osmium
En juin 1978, nous avons obtenu émis l'hypothèse qui a résisté toutes 187/osmium 186 est plus élevé dans
nos premiers dosages de l'iridium dans les attaques : une comète ou un les roches continentales que dans les
les sédiments de Gubbio. Imaginez astéroïde gigantesque, de dix kilo- météorites ou dans le manteau terres-
notre étonnement et notre confusion mètres de diamètre, avait heurté la tre, car ces roches sont relativement
lorsque nous avons découvert que la Terre et libéré une énorme quantité riches en rhénium, dont l'isotope
d'iridium dans l'atmosphère. radioactif, le rhénium 187, se désintè-
Depuis lors, l'hypothèse du choc gre en osmium 187. Ainsi l'osmium
cosmique s'est trouvée confortée par contenu dans les échantillons de la
tant d'indices que la majorité des limite KT est peu concentré et provient
scientifiques travaillant sur ce sujet soit d'une météorite, soit du manteau
sont convaincus de son bien-fondé. de la Terre.
Plus de 100 scientifiques de 21 labora- En plus de leur composition, la
toires situés dans 13 pays différents minéralogie des roches de la limite KT
ont découvert des quantités d'iridium renforce l'hypothèse de l'impact. En
anormalement élevées dans la limite 1981, J. Smit découvrit, autre indice
KT de quelque 95 sites disséminés à éloquent, des sphérules minérales de
la surface du Globe. Cette anomalie un millimètre de diamètre, présentes
existe tant dans les sédiments marins dans l'argile de la couche KT de
que continentaux, dans des affleure- Caravaca. Alessandro Montanari, de
ments terrestres que dans des carottes Berkeley, en a aussi trouvées en Italie.
de sondages océaniques. En outre, À l'origine, ces sphérules étaient des
nous avons analysé suffisamment d'au- gouttelettes de roches basaltiques qui
tres sédiments pour savoir que ces ont fondu sous le choc, se sont
anomalies sont extrêmement rares. rapidement refroidies lors de leur vol
Nous pensons que l'anomalie de la balistique hors de l'atmosphère, puis
limite KT est unique. ont subi une modification chimique
D'autres éléments ayant un dans la limite KT. Elles sont l'équiva-
comportement chimique analogue à lent basaltique des tectites et microtec-
l'iridium-comme le platine, l'os- tites vitreuses plus riches en silice qui
mium, le ruthénium et l'or-sont résultent d'impacts limités. La chimie
également très abondants dans la des basaltes nous laisse supposer que
couche limite et dans les météorites, l'impact s'est produit sur la croûte
ce qui semble confirmer l'hypothèse océanique.
de l'impact météoritique. Une de nos Bruce Bohor, du Service géologique
collaboratrices, Miriam Kastner, de de Denver, et Donald Triplehorn, de
la Fondation Scripps d'océanographie, l'Université d'Alaska, ont découvert,
a calculé que le rapport entre l'or en plus des sphérules, des grains de
et l'iridium dans la limite KT de quartz choqués : les études minu-
Stevns Klint, au Danemark, corres- tieuses de E. Foord, Peter Modreski
pond à cinq pour cent près, à ce- et Glen Izett, de Denver, montrent
lui de la plupart des météorites primi- que ces grains présentent de multiples
tives (les chondrites carbonées de « lamelles »-des bandes de déforma-
2. L'ANOMALIE DE L'IRIDIUM type I). tion-caractéristiques de chocs à très
constatéedans certains sédimentscalcaires
Les rapports entre les éléments du grande vitesse. On ne trouve ces grains
est une preuve d'un impact d'origine
extraterrestre. L'iridium est peu abondant groupe platine situés dans la limite KT que dans les cratères d'impacts, sur
dans la croûte terrestre, et seul un objet témoignent en faveur de l'origine les sites d'essais nucléaires, dans les
extraterrestre pourrait y avoir déposé extraterrestre. George Bekov, de l'Ins- matériaux soumis artificiellement à
celui que l'on trouve à la limite KT. titut de spectroscopie de Moscou, et des chocs violents et dans la limite KT.
D'autres hypothèsesvisant à expliquer les
extinctions ont été proposées(courbes en l'un de nous (F. Asaro) ont découvert Il existe, situé sous les dépôts
couleur) : par exemple, la vitesse de que les abondances relatives de ruthé- glaciaires de Manson, dans l'Iowa, un
sédimentation du calcaire aurait varié nium, de rhodium et d'iridium per- cratère dont le sous-sol est riche en
tandis que l'iridium d'origine cosmique mettent de distinguer les météorites quartz et dont la position permettrait
continuait à se déposer à un rythme pierreuses des échantillons terrestres. d'expliquer la répartition de ces grains
constant. Cependant aucune de ces hypo-
thèses n'explique une telle abondance de Les échantillons de limite KT prélevés de quartz ; pourtant avec ses 32 kilo-
l'iridium. à Stevns Klint, en Turkménie et en mètres de diamètre, ce cratère est trop
petit pour avoir été formé par le corps réchauffement par effet de serre en serait dans l'atmosphère, non seule-
céleste censé être à l'origine des seraient responsables. ment de la poussière, mais aussi de la
extinctions massives. Cependant son vapeur d'eau. Cette vapeur entraîne
âge semble identique à celui de la L'hiver d'impact un effet de serre important, car elle
limite KT, et il détient probablement piège la chaleur émise par la Terre,
certaines clés de l'énigme. Dans notre article original, nous et comme elle reste en suspension dans
avons émis l'hypothèse que la pous- l'atmosphère plus longtemps que la
Cent millions de mégatonnes sière dégagée par l'impact avait obs- poussière, l'hiver d'impact aurait été
curci la planète et fait périr d'innom- suivi d'un réchauffement par effet de
Comment un choc météoritique brables animaux. En 1980, Richard serre.
aurait-il dispersé des matériaux fondus Turco, Brian Toon et leurs collègues Récemment, John O'Keefe et Tho-
partout à la surface du Globe ? Un de la NASA ont simulé le phénomène mas Ahrens, de l'Institut de technolo-
astéroïde de dix kilomètres de diamΦ- et ils ont trouvé que la poussière gie de Californie, ont émis l'hypothèse
tre se déplaçant une vitesse supé- propulsée dans l'atmosphère par l'im- que l'impact a eu lieu dans une zone
rieure à dix kilomètres par seconde pact d'une météorite de dix kilomètres calcaire, libérant du dioxyde de car-
formerait un énorme trou dans l'at- de diamètre obscurcirait tant l'atmos- bone en abondance, autre gaz à effet
mosphère. Au moment du choc avec phère que, pendant plusieurs mois, on de serre. Nombre de plantes et d'ani-
le sol, son énergie cinétique serait ne verrait pas-au sens propre-plus maux qui avaient survécu au froid
transformée en chaleur et l'explosion loin que le bout de son nez. extrême de l'hiver d'impact auraient
serait 10000 fois plus violente que Sans soleil, la photosynthèse s'ar- disparu lors de l'été caniculaire qui lui
celle de toutes les bombes nucléaires rête, les chaînes alimentaires s'inter- succéda.
existant aujourd'hui. Quelques restes rompent, les températures chutent : Simultanément John Lewis, Hamp-
vaporisés de l'astéroïde et de quel- c'est un hiver d'impact. Après avoir ton Watkins, Hyman Hartman et
ques roches du sol proches de l'im- étudié les effets de l'impact, R. Turco, Ronald Prinn, de l'Institut de techno-
pact auraient été éjectés par le B. Toon et leurs collègues se sont logie du Massachusetts, ont calculé
trou d'air creusé dans l'atmosphère, intéressés à l'hiver nucléaire, phéno- que le réchauffement brutal de l'at-
avant que l'air n'eût le temps de le mène voisin qui, tout comme l'hiver mosphère lors de l'impact aurait élevé
combler. d'impact il y a 65 millions d'années, suffisamment la température pour que
La boule de gaz incandescent en- entraînerait aujourd'hui des extinc- l'oxygène et l'azote de l'air se
gendré par l'explosion aurait égale- tions massives. combinent. L'oxyde d'azote résultant
ment propulsé de la matière hors de En 1981, Cesare Emilliani, de l'Uni- serait retombé sur Terre sous forme
l'atmosphère. Le nuage d'une explo- versité de Miami, Eric Krause, de d'une pluie d'acide nitrique. Ce méca-
sion nucléaire atmosphérique s'enfle l'Université du Colorado, et Eugene nisme expliquerait la disparition mas-
jusqu'à ce que sa pression soit égale Shoemaker, de Denver, firent remar- sive des plantes et des animaux marins
à celle de l'atmosphère environnante, quer qu'un impact océanique propul- invertébrés, dont les enveloppes de
puis il s'élève jusqu'à ce que sa densité
soit égale à celle de l'air. Ce nuage,
dont l'altitude est alors de l'ordre de
dix kilomètres, se déploie latéralement
et dessine le classique champignon
nucléaire.
Les simulations informatiques
d'explosions de 1000 mégatonnes
-une énergie 20 fois supérieure à celle
des plus puissantes bombes nucléaires,
mais 100 000 fois inférieure à celle de
l'impact météoritique - ont montré
que le nuage de l'explosion n'atteint
jamais la pression d'équilibre avec
l'atmosphère environnante. Au
contraire, à mesure que la pression
atmosphérique diminue, l'ascension
s'accélère et le gaz quitte l'atmosphère
à des vitesses suffisantes pour échap-
per à l'attraction gravitationnelle de
la Terre. Le nuage résultant de l'im-
pact d'un astéroïde volumineux quitte-
rait l'atmosphère, entraînant avec lui
tous les débris qu'il pourrait déposer
n'importe où sur la Terre.
Une comète qui s'écraserait sur la
Terre et creuserait un cratère de
150 kilomètres de diamètre, tuerait
évidemment toutes les espèces aux
alentours, mais comment déclenche-
rait-elle des extinctions massives à
3. LES FOSSILES MARINS témoignent de la soudaineté des extinctions du Crétacé.
l'échelle du Globe ? L'obscurité, le Une analyse précise des fossiles revête que la quasi-totalité des espèces disparurent
froid, le feu, les pluies acides et le simultanément. Chaque groupe de bandes accotées représente une espèced'amonites.
carbonate de calcium sont solubles Des acides aminés extraterrestres orbite les uns autour des autres. La
dans les acides dilues. Terre a peut-être été heurtée par
Wendy Wolbach, Ian Gilmore et Nous regrettons beaucoup que per- plusieurs grands éclats d'un noyau de
Edward Anders, de l'Université de sonne n'ait trouvé le cratère de comète.
Chicago, ont proposé un autre méca- 150 kilomètres de diamètre qu'aurait La désintégration d'un noyau de
nisme après avoir découvert d'impor- dû creuser un objet de dix kilomètres comète qui aurait placé d'importants
tantes quantités de suie dans l'argile de diamètre. Peut-être est-il caché éclats sur une orbite croisant celle de
de la limite KT. Si cette argile s'était sous la calotte glaciaire de l'Antarcti- la Terre aurait donné lieu à des
déposée en quelques années, la suie que ou s'est-il formé sur une des zones impacts multiples pendant de longues
contenue dans la limite KT serait la qui se sont par la suite enfoncées dans périodes. Des impacts aléatoires au-
preuve de l'embrasement soudain les zones de subduction, à la frontière raient également pu se produire si le
d'une végétation équivalant à la moitié des plaques océaniques, et qui repré- nombre de comètes dans le Système
des forêts mondiales d'aujourd'hui. sentent 20 pour cent de la surface du solaire interne avait augmenté, pour
Avec ses collègues de l'Université Globe. Les indices concernant sa une raison quelconque. Aucune de ces
d'Arizona, Jay Meos a calculé que le position sont contradictoires : les hypothèses ne prévaut aujourd'hui,
rayonnement infrarouge émis par les sphérules basaltiques présentes dans mais les impacts multiples sont certai-
projections incandescentes retombant l'argile de la limite KT sont en faveur nement plus probables qu'on ne le
sur Terre aurait pu déclencher des d'un impact sur le fond de l'océan, croit.
incendies sur toute la surface du tandis que les grains de quartz sem- La théorie météoritique s'est trou-
Globe. blent révéler un impact continental. vée renforcée par la découverte de
Les sédiments de la limite KT Selon une hypothèse récente, aussi matériaux localisés à proximité de la
détiennent d'autres indices qui nous invraisemblable qu'elle paraisse, limite KT et qui semblent d'origine
permettront d'élucider les mécanismes l'extinction du Crétacé-Tertiaire résul- extraterrestre. Mexun Zhao et Jeffrey
d'extinction. Ainsi les structures de terait de deux, voire de plusieurs Bada, de l'Université de San Diego,
dissolution qui existent dans le cal- impacts quasi simultanés. E. Shoema- ont analysé des couches de craie
caire italien montrent que les eaux ker et Piet Hut, de Princeton, ont situées juste au-dessus et au-dessous
profondes devinrent acides immédia- proposé plusieurs mécanismes abou- de la limite KT au Danemark. Il y ont
tement après l'extinction. Avec Wil- tissant à des impacts multiples surve- découvert des acides aminés absents
liam Lowrie, de Zurich, nous avons nant soit le même jour, soit en des organismes terrestres vivants, mais
montré que ces eaux passèrent très quelques années. I1 existe notamment, présents dans les chondrites carbo-
rapidement de leur état oxydant nor- sur la Terre et sur la Lune, des cratères nées. Les acides aminés ne résiste-
mal à un état réducteur, probablement doubles ou multiples qui prouveraient raient vraisemblablement pas à la
à cause de l'extinction massive des que certains astéroïdes sont constitués chaleur dégagée lors d'une violente
organismes marins. de deux ou de plusieurs objets en collision ; ils ne sont d'ailleurs pas
présents dans la limite KT elle-même.
Selon Kevin Zahnle et David Grins-
poon, de la NASA, la poussière issue
de la désintégration d'une comète
serait retombée sur Terre pendant une
longue période, apportant avec elle ces
acides aminés extraterrestres. Durant
cette période, l'impact d'un important
débris de comète aurait provoqué
l'extinction de la limite Crétacé-
Tertiaire.

Des extinctions périodiques ?

D'autres études apparemment sans


relation avec les précédentes et plus
statistiques que chimiques ont permis
d'élaborer une hypothèse sur les im-
pacts météoritiques périodiques.
Après avoir étudié de nombreux fos-
siles, David Raup et John Sepkoski,
de l'Université de Chicago, publièrent
leurs conclusions en 1984 : les extinc-
tions massives se seraient produites à
des intervalles de 32 millions d'années.
Comme les autres spécialistes de la
limite KT, nous fumes très sceptiques.
Pourtant, après avoir réexaminé les
données de D. Raup et J. Sepkoski,
l'astrophysicien Richard Muller, de
4. DES SPHÉRULES BASALTIQUES ont été découvertes en plusieurs endroits sur l'Université de Berkeley, s'est
Terre ; elles sont incluses dans les argiles de la limite KT. Ces sphérules, dont les
caractéristiques chimiques se sont modifiées au cours du temps, étaient initialement des convaincu de la réalité de cette
particules de sous-sol océanique fondu qui ont été disperséesun peu partout à la surface périodicité.
de la planète par le choc d'impact survenu au Crétacé. Avec Marc Davis, de Berkeley,
R. Muller et P. Hut ont émis l'hypo- cela n'expliquerait pas, par exemple, des traps du Deccan a jailli au cours
thèse qu'une pâle étoile compagnon, l'extinction simultanée des foramini- de la même période, correspondant à
dénommée Némésis, mais que l'on n'a feres marins et des ammonites. une inversion de la polarité géomagné-
pas encore détectée, orbiterait autour Stefan Gartner, de l'Université du tique (l'éruption aurait commencé à
du Soleil avec une période de 32 mil- Texas, a émis l'hypothèse que la vie la fin de la période de polarité normale
lions d'années et perturberait périodi- marine avait été anéantie par un précédente et se serait achevée au
quement les orbites des comètes si- brusque raz de marée d'eau douce début de la période de polarité nor-
tuées à la périphérie du Système provenant de l'océan Arctique-à la male suivante); Cette période d'inver-
solaire. Ces perturbations déclenche- fin du Crétacé, l'Arctique était appa- sion géomagnétique correspondrait à
raient, durant un million d'années, remment une mer fermée d'eau douce. l'intervalle 29R durant lequel s'est
une pluie de comètes dans le Système Cet ingénieux mécanisme n'explique produite l'extinction du Crétacé, mais
solaire interne, ce qui augmenterait cependant pas l'extinction des dino- il pourrait tout aussi bien s'agir de
considérablement la probabilité d'un saures, et la disparition de nombreuses l'une ou l'autre des périodes d'inver-
impact violent (ou d'impacts multi- espèces de plantes terrestres. sion qui l'ont immédiatement précédé
ples) sur la Terre. D'autres suspects ont comme alibi ou suivi.
Lorsque R. Muller me montra leur emploi du temps : la chronologie. Les traps du Deccan ayant
l'article suggérant l'existence de Né- Certains détectives scientifiques ont commencé au cours d'une période de
mésis, je fus extrêmement méfiant. Je tenté de faire porter la responsabilité polarité normale pour s'achever au
me souviens lui avoir dit que c'était des extinctions massives à des modifi- début de la suivante, les éruptions qui
« une solution ingénieuse à un pro- cations de climat ou du niveau de la leur ont donné naissance ont certaine-
blème qui n'en était pas un » : je mer ; accusation non fondée, car ces ment duré plus de 500 000 ans, ce qui
n'étais pas convaincu par les argu- variations auraient été beaucoup trop a conduit nombre de chercheurs tra-
ments de D. Raup et J. Sepkoski lentes, elles ne semblent pas avoir vaillant sur ces extinctions du Crétacé
prônant la périodicité des extinctions coïncidé avec les extinctions et se sont à innocenter le volcanisme, le meurtre
massives. Si cette hypothèse était répétées plusieurs fois durant l'histoire ayant manifestement eut lieu en 1000
correcte, les cratères d'impact de- de la Terre, sans être accompagnées ans au plus. Certains pensent que,
vaient présenter la même périodicité d'extinctions. contrairement à ce que « disent » les
et, pour la plus grande joie de R. Mul- Certains font du volcanisme le fossiles, les extinctions du Crétacé se
ler et à ma stupéfaction, nous avons suspect numéro un. Le principal in- sont déroulées sur plusieurs milliers
découvert que les cratères présentaient dice : les traps du Deccan, une énorme d'années, et que le volcanisme expli-
effectivement une périodicité quasi coulée de lave basaltique apparue en querait la présence des grains de
identique. Cette hypothèse devait Inde il y a environ 65 millions quartz, des sphérules et des anomalies
donc être prise au sérieux. d'années. Vincent Courtillot (voir Une de l'iridium.
Toutefois il est très difficile de éruption volcanique ?, page 84) et ses En 1983, William Zoller découvrit,
trouver une pâle étoile rouge au collègues de l'Institut de physique du avec ses collègues de l'Université de
voisinage du Soleil lorsqu'on n'a au- Globe, ont étudié le paléomagnétisme Maryland, des concentrations élevées
cune idée de l'endroit où elle se trouve. de cette région et ont confirme des en iridium dans des aérosols prove-
Saul Perlmutter, de Berkeley, et résultats antérieurs : la majeure partie nant du volcan Kilauea, à Hawaï, et
R. Muller ont entrepris la recherche
télescopique assistée par ordinateur de
Némésis ; ils pensent qu'il leur faudra
encore deux ans pour achever ce
travail. Depuis, de nouvelles analyses
portant sur l'âge des cratères et sur
les dates d'extinction ont ébranlé
l'hypothèse de la périodicité. Le petit
nombre des événements et l'informa-
tion limitée dont nous disposons ne
permettent pas de trancher.

Impact contre volcanisme

En présence d'un suspect, on re-


cherche toujours le mobile, l'arme et
l'heure du crime. Un impact a certai-
nement pu provoquer les extinctions
du Crétacé-voilà pour l'arme - et
l'heure était bien choisie. De plus,
l'hypothèse du choc d'impact fournit,
sinon le mobile, du moins un méca-
nisme responsable du crime. Quels
sont les alibis des autres suspects ?
Certains sont indiscutables : les sus-
pects n'auraient pu tuer tous les
organismes qui sont morts pendant la
limite KT. Pendant longtemps, on a
5. CE GRAIN DE QUARTZ présentedes déformations lamellaires caractéristiques d'une
prétendu que les mammifères avaient collision à très grande vitesse. On trouve ce type de quartz dans les laboratoires, sur
mangé les oeufs des dinosaures, mais les sites d'essais nucléaires et au voisinage des cratères d'impact.
collectés sur des filtres éloignés de moins violent, elles n'auraient pu être cher un volcanisme basaltique
50 kilomètres, mais les rapports entre disséminées sur toute la surface du grande échelle.
l'iridium et d'autres éléments rares des Globe. Depuis quelques années, le débat
aérosols volcaniques ne correspondent Trois éléments semblent disculper opposant les partisans de ces deux
pas à ceux de la limite KT : ainsi le le volcanisme et accuser les impacts hypothèses s'est radicalisé, les tenants
rapport entre l'or et l'iridium des météoritiques : les anomalies de l'iri- de la théorie de l'impact ignorant les
aérosols du Kilauea est 35 fois supé- dium, les grains de quartz choqués et traps du Deccan, et ceux du volca-
rieur à celui de la limite KT à Stevns les sphérules basaltiques. Les érup- nisme détournant les témoignages en
Klint. tions se produisent à la base de faveur de l'impact au profit du volca-
Une éruption volcanique explosive l'atmosphère, et la matière qu'elles nisme. Nous sommes face à une
produit-elle des grains de quartz ana- projettent atteint au mieux la haute dialectique hégélienne, où la thèse
logues à ceux que nous avons trouvés ? stratosphère. Les sphérules et les - l'impact - et l'antithèse - le volca-
Des explosions volcaniques engen- grains de quartz, s'ils provenaient nisme-s'affrontent à la recherche de
drent des déformations, mais seuls des d'une explosion, seraient freinés par la synthèse encore floue. Même s'il
chocs d'impact semblent capables de l'atmosphère et retomberaient rapide- n'est pas élucidé, le mystère de
façonner les lamelles multiples carac- ment sur le sol. l'extinction massive du Crétacé ap-
téristiques des quartz de la limite KT. Bien sûr, les énormes éruptions res- porte un certain nombre d'enseigne-
En outre, John McHone, de l'Univer- ponsables des traps du Deccan se sont ments. À la fin du XVIIIe siècle et au
sité de l'Arizona, a découvert que ces produites durant une période qui cou- début du XlXe, l'étude de la Terre était
grains contiennent de la stishovite, une vre celle des extinctions massives ; bien encore une science balbutiante, et on
forme de quartz n'apparaissant qu'à sûr, elles représentent le plus grand assista à une longue bataille opposant
des pressions très supérieures à celles déversement de lave continental des les catastrophistes, pour qui des événe-
des éruptions volcaniques. Afin de 250 derniers millions d'années (bien ments soudains et de grande envergure
déterminer l'origine des grains de la que de plus grands volumes de magma ont conditionné l'évolution de la pla-
limite KT, Mark Anders, de l'Univer- s'échappent continuellement des dor- nète, et les uniformitaristes qui expli-
sité Columbia, et Michael Owen, de sales océaniques) ; et aucun chercheur quaient toute l'histoire en termes de
l'Université St. Lawrence, ont utilisé ne doit négliger ces coïncidences. changements graduels.
la luminescence cathodique-du Peut-être est-ce l'impact qui a dé- Selon Steven Gould, de l'Université
quartz soumis à un champ électrique clenché le volcanisme du Deccan ? Harvard, le triomphe des uniformita-
s'illumine : ils ont trouvé que les Quelques minutes après la collision ristes fut tel que des générations
couleurs des grains ne sont pas carac- d"un objet volumineux avec la Terre, d'étudiants en géologie ont appris que
téristiques d'une éruption volcanique, le cratère aurait été profond de le catastrophisme était antiscientifi-
mais plutôt d'un impact sur un grès 40 kilomètres, et les roches brûlantes que. Cependant l'Univers est violent,
sédimentaire. du manteau sous-jacent, débarrassées l'astronomie l'a démontré, et la Terre
De plus, les sphérules basaltiques de la chape qui les maintenaient sous n'a pas été à l'abri de catastrophes.
contenues dans la limite KT témoi- pression, auraient pu fondre. Cepen- L'impact géant présumé coupable
gnent contre tout volcanisme explosif : dant les spécialistes de l'origine des des extinctions survenues à la fin du
même si elles peuvent avoir été engen- régions volcaniques s'expliquent mal Crétacé a revalorisé le point de vue
drées par un mécanisme volcanique comment un impact pourrait déclen- catastrophiste. Les géologues de de-

6. LES « LACS JUMEAUX"de Ciearwater, au Canada, sont existent. Il est vraisemblable qu'au moins deux collisions rappro-
deux cratères prouvant que les impacts multiples sur la Terre chéesdansle temps ont été responsables des extinctions du Crétacé.
main libres de penser en termes à la fois Stanford pensent même qu'au début de tacé. Parmi les heureux survivants de
uniformitaristes et catastrophistes, l'histoire de la Terre, alors que les colli- l'extinction du Crétacé figurent les pre-
comprendront mieux l'histoire de la pla- sions étaient plus fréquentes, la vie nais- miers mammifères du Tertiaire, nos
nète. sante a été anéantie à plusieurs reprises. ancêtres.
Les catastrophes ont également un Les catastrophes d'impact ont peut- Lorsque les dinosaures étaient les maî-
rôle important à jouer dans la pensée être réorienté l'Évolution : l'étude des tres, les mammifères sont restés petits
évolutionniste. Si un choc d'impact sur- fossiles révèle qu'en temps normal, cha- et insignifiants. Leur sang chaud, leur
venu par hasard, il y a 65 millions que espèce s'adapte de mieux en mieux petite taille, leur grand nombre sont
d'années, a détruit la moitié de la vie sur à son environnement, interdisant cette quelques-unes des caractéristiques qui
Terre, la survie du plus apte n'est pas le niche écologique à tout autre espèce. ont pu leur permettre d'endurer les
seul facteur qui règle l'Évolution. Les L'Évolution ralentit inévitablement. rudes conditions imposées par l'impact
espèces doivent non seulement être bien Après une collision, de nombreuses -ou peut-être ont-ils eu plus de chance.
adaptées, mais elles doivent aussi avoir espèces disparaissent, mais les survi- Avec la disparition des grands reptiles,
de la chance. vants peuvent évoluer dans les niches les mammifères connurent une phase
Si un cataclysme fortuit anéantit de écologiques libérées (les chercheurs d'évolution explosive qui aboutit à l'in-
temps à autre des familles entières comprendront aisément cette situation telligence humaine. Détectives cherchant
d'organismes bien adaptés, l'histoire de en pensant aux excellentes perspectives à élucider un mystère vieux de 65 mil-
la vie n'est plus fixée à l'avance. Les professionnelles qui s'ouvriraient à eux lions d'années, nous nous prenons de
progrès inéluctables conduisant néces- si tous les professeurs titulaires étaient temps en temps à méditer et à songer
sairement à une vie intelligente-aux soudain renvoyés). Les fossiles témoi- que nous devons notre existence d'êtres
êtres humains-sont un leurre. Norman gnent de cette accélération de l'Évolu- pensants à l'impact qui détruisit nos
Sleep et ses collègues de l'Université tion immédiatement après la fin du Cré- antécédents sur Terre, les dinosaures.
Une éruption volcanique ?

VINCENT
COURTILLOT

Quel est l'événement dramatique qui a causé, il y a 65 millions


d'années, la disparition de la plupart des espèces vivant sur la Terre ?
Il s'agirait d'une éruption volcanique massive.

Il y a 65 millions d'années dispa-


raissaient, les deux cas, des nuagesde poussières
toutefois pouvoir distinguer l'une de
assez brutalement, la et des changements dans la composi- l'autre, à cause de la durée très
plupart des espècesqui vivaient à tion chimique de l'atmosphère et desdifférente qu'elles impliquent. Les der-
la surface de la Terre. Pour expliquer océansauraient, par deseffets écologi-
nières analyses montrent que les
cette mystérieusehécatombe, les cher- ques en cascade,condamné un grand extinctions se sont produites sur plu-
cheurs ont avancé des théories très nombre de familles animales et végé-sieurs dizaines, voire plusieurs cen-
différentes : l'une d'elles invoque l'im- tales. Les données géologiques sem- taines de milliers d'années. Cette
pact d'un gros astéroïde,une autre des blent en assez bon accord avec les durée semble bien être celle d'un
éruptions volcaniques massives.Dans deux hypothèses que l'on devrait épisode volcanique particulièrement
intense qui s'est produit en Inde,
précisément au moment des extinc-
tions. De plus, les principales périodes
d'extinctions plus anciennes semblent
aussi correspondre - grossièrement -
à des périodes d'activité volcanique
majeure (voir la figure 1).
Les grandes divisions de l'histoire
des temps géologiques reflètent les
principales crises de l'évolution des
espècesbiologiques. C'est ainsi que les
extinctions massives qui se sont. pro-
duites il y a 65 millions d'années
définissent la fin de l'ère secondaire
(ou Mésozoïque),pendant laquelle les
reptiles foisonnèrent sur Terre, et le
début de l'ère tertiaire (ou Cénozoï-
que), où les mammifères commencè-
rent à jouer un rôle dominant. Le
dernier étage du Mésozoïque est le
Crétacé, et la plus récente des extinc-
tions en massea reçu le nom de limite
Crétacé-Tertiaire (ou KT) (voir la
figure 2).
Cet événement est certes marqué
par la disparition desdinosaures, mais
aussi par celle de 90 pour cent des
genres de protozoaires et d'algues.
John Sepkoski et David Raup, de
l'Université de Chicago, estiment que
60 à 75 pour cent des espècesvivantes
s'éteignirent à la limite KT ; il n'en
reste pas moins que de nombreuses
espèces,et parmi elles les ancêtres des
êtres humains, ont survécu.
En 1980, Luis et Walter Alvarez
(père et fils), de l'Université de Berke-
1. LES PRINCIPALES PÉRIODES D'EXTINCTION sontconcomitantes de traps(ou ley, et leurs collègues Frank Asaro et
couléesdebasaltescontinentaux).Dans la colonnede droite,l'auteur a indiquélespoints Helen
chauds-l'originedescoulées-quiseraientresponsablesdestrapsindiquésdansla colonne Michel découvrirent des
du milieu. concentrations anormalement élevées
d'iridium (de 10 à 100 fois les valeurs pu être instantanées, mais devaient toire de la Terre. Certaines coulées
habituelles) dans des roches datant correspondre à une durée comprise recouvrent plusieurs dizaines de mil-
précisément de la limite KT, en Italie, entre 10 000 et 100 000 ans et, selon liers de kilomètres carrés, et leur
au Danemark et en Nouvelle-Zélande. eux, ces anomalies chimiques étaient volume dépasse 10000 kilomètres
L'iridium est un métal très rare dans en faveur de l'hypothèse volcanique cubes ; l'épaisseur des coulées est en
la croûte terrestre, mais il peut être et non de l'astéroïde. moyenne comprise entre 10 et 50 mè-
plus abondant dans certaines compo- Une controverse subsistait : quel tres, mais certaines atteignent 150 mè-
santes du Système solaire (et dans les intervalle de temps représentait exac- tres ; dans la partie occidentale de
parties plus profondes de la Terre). Le tement la couche d'argile de la limite l'Inde, l'épaisseur totale des traps
groupe de scientifiques de Berkeley KT épaisse de quelques centimètres ? dépasse 2400 mètres (la moitié de la
conclut que l'iridium était d'origine On ne sait dater une roche vieille de hauteur du mont Blanc). À l'origine,
extraterrestre : l'hypothèse de l'asté- 100 millions d'années qu'à 100 000 ans l'ensemble devait recouvrir plus de
roïde était née. près : or le débat sur la limite KT deux millions de kilomètres carrés et
L'impact d'un gros astéroïde aurait oppose deux hypothèses, l'une où le volume de lave, dépasser deux
dispersé autour de la Terre un nuage l'argile de'la couche limite s'est millions de kilomètres cubes.
de poussière, obscurcissant l'atmo- déposée en moins d'un an (pour les Il était indispensable de déterminer
sphère, empêchant la photosynthèse, tenants de l'astéroïde), et l'autre où précisément l'âge et la durée du
désorganisant les chaînes alimen- le mécanisme a duré quelques dizaines volcanisme du Deccan et de les
taires ; il aurait été responsable, en fin de milliers d'années (pour ceux du comparer à celles de la limite KT. La
de compte, des extinctions en masse. volcanisme). méthode de datation fondée sur la
L'iridium est concentré dans une décroissance radioactive de l'isotope
mince couche d'argile dont la compo- La durée de l'éruption du Deccan 40 du potassium contenu dans les
sition chimique est distincte de celle laves a montré qu'elles avaient entre
des couches qui l'entourent. Le groupe La dimension des traps du Deccan 30 et 80 millions d'années : cette
de Berkeley considéra que l'argile était suggère que la formation de ceux-ci fourchette était-elle liée à la durée des
un résidu issu de l'altération des a été un événement majeur de l'his- émissions ou ne traduisait-elle que les
cendres projetées par l'impact. Selon
ce scénario, la couche limite aurait été
déposée en moins d'un an, c'est-à-dire
instantanément à l'échelle des temps
géologiques. D'autres découvertes
dans cette couche limite, notamment
celle de cristaux minuscules de quartz
qui semblent avoir été soumis à des
ondes de choc considérables, vinrent
apparemment étayer l'hypothèse de
l'impact d'astéroïde.
Une hypothèse différente avait été
envisagée quelque temps auparavant.
Dès 1972, Peter Vogt, du Laboratoire
de recherche navale à Washington,
avait fait remarquer qu'un volcanisme
très abondant, notamment en Inde,
semblait coïncider avec la limite KT.
Ce volcanisme a produit d'immenses
empilements de lave, connus sous le
nom de traps du Deccan (trap signifie
« escalier)) en néerlandais, et Deccan
désigne le Sud en sanskrit). P. Vogt
se demandait si les traps n'avaient pas
une relation avec les nombreux chan-
gements qui ont marqué la fin du
Crétacé (voir la figure 2).
Au milieu des années 1970, Dewey
McLean, de l'Institut polytechnique
de Virginie, émit l'hypothèse que le
volcanisme avait entraîné les extinc-
tions massives en injectant dans l'at-
mosphère de grandes quantités de gaz
carbonique, déclenchant ainsi des
changements climatiques intenses et
modifiant la composition chimique des
océans. En analysant des sédiments de 2. DIVERSITE DES ESPECES MARINES et Séquence des inversions du champ
la limite KT, Charles Officer et Charles magnétique terrestre (les données antérieures à 165 millions d'années sont plus
Drake, de l'Université de Dartmouth, incertaines) : deux longues périodes sans aucune inversion se sont produites, l'une avant
conclurent que l'enrichissement l'extinction qui marque la limite Permo-Trias, il y a 250 millions d'années,l'autre avant
en l'extinction qui marque la limite Crétacé-Tertiaire, il y a 65 millions d'années. II est
iridium et les autres anomalies chimi- vraisemblable qu'il existe une relation de cause à effet entre la dynamique du noyau, où
ques observées à cette limite n'avaient est engendré le champ magnétique, et les extinctions en masse.
incertitudes liées à la méthode ? avons remarqué que 80 pour cent des bert Duncan et D. Pyle, de l'Univer-
Comme nous l'ignorions, nous avons échantillons prélevés au Deccan sité de l'Oregon, utilisèrent une mé-
décidé, en 1985, de mettre en commun avaient une polarité inverse de la thode souvent plus fiable et plus
les moyens de plusieurs laboratoires polarité actuelle, dite normale. Si le précise (dite méthode argon 39-argon
pour tenter d'élucider cette question. volcanisme avait vraiment duré de 40) pour déterminer depuis quand le
Premier indice : les laves du Deccan -80 à-30 millions d'années, nous potassium 40 des laves avait
sont des basaltes riches en magnésium aurions dû observer sensiblement au- commencé à se désintégrer. Leurs
et en fer et assez fortement aimantés. tant d'échantillons normaux que résultats confirmèrent que les coulées
Quand la lave basaltique se refroidit, d'échantillons inverses, plusieurs di- du Deccan s'étaient déposées pendant
l'aimantation des cristaux microscopi- zaines d'inversions s'étant produites une période assez brève : leurs estima-
ques d'oxydes de fer et de titane pendant ces 50 millions d'années. tions sont groupées entre 63 et 68 mil-
qu'elle contient s'aligne dans la direc- Or les coupes continues les plus lions d'années, et l'essentiel de la
tion du champ magnétique de la épaisses des traps, qui dépassent dispersion des résultats semble due à
Terre. De temps à autre, la polarité 1000 mètres d'épaisseur, ne contien- l'altération des échantillons ou à des
de ce champ s'inverse et les pôles nent jamais plus de deux inversions. différences entre les étalons des divers
Nord et Sud (magnétiques) s'interver- En 1986, nous avons conclu que laboratoires.
tissent. le volcanisme du Deccan avait Bien qu'il soit très difficile de dater
Ces inversions durent environ commencé au cours d'une période très précisément les roches sédimen-
10 000 ans et se déclenchent de ma- normale, avait culminé pendant la taires, des observations paléontologi-
nière aléatoire ; leur nombre a varié période inverse suivante, pour finale- ques récentes d'Ashok Sahni, de l'Uni-
d'une inversion en moyenne par mil- ment s'achever dans l'intervalle nor- versité de Chandigarh, de Jean-
lion d'années à la fin du Crétacé, à mal suivant (voir la figure 4) : étant Jacques Jaeger, de l'Université de
environ quatre par million d'années donné la durée des inversions magnéti- Montpellier, et de leurs collègues
lors des périodes récentes. La polarité ques à cette époque, ce volcanisme ne permettent de réduire l'incertitude sur
de l'aimantation des basaltes acquise pouvait guère avoir duré plus d'un l'âge des traps du Deccan. Les sédi-
au moment de leur refroidissement est million d'années. ments déposés immédiatement au-
bien sûr conforme à celle du champ La dispersion des âges trouvés par dessous des premières coulées de lave
magnétique terrestre du moment. la méthode potassium-argon devait renferment des fragments d'ossements
Avec mes collaborateurs Jean Besse donc être erronée. Henri Maluski, de de dinosaures qui datent du Maes-
et Didier Vandamme, de l'Institut de l'Université de Montpellier, Gilbert trichtien, la dernière subdivision du
physique du Globe de Paris, nous Féraud, de l'Université de Nice, Ro- Crétacé, qui a duré environ huit
millions d'années.
On a également trouvé des dents de
dinosaures et de mammifères, et des
fragments d'oeufs de dinosaures, tou-
jours d'âge Maestrichtien, dans des
couches sédimentaires stratifiées entre
les coulées. Le volcanisme du Deccan
a donc commencé pendant le tout
dernier étage du Crétacé.
Des forages pétroliers sur la côte
Est de l'Inde ont précisé les données
paléontologiques : ces forages ont
traversé trois minces coulées des traps,
séparées par des couches sédimen-
taires. La coulée inférieure repose sur
des sédiments qui contiennent une
faune planctonique caractérisée par le
fossile Abatomphalus mayaroensis, qui
a vécu pendant le dernier million
d'années du Crétacé, et les couches
stratifiées entre les coulées contiennent
des fossiles de la même période. On
ne retrouve pas cette faune dans les
couches qui recouvrent la dernière
coulée.
Abatomphalus mayaroensis est ap-
paru pendant la période de polarité
magnétique normale qui précède la
limite KT et a disparu précisément à
cette limite, qui se situe dans l'inter-
valle de polarité magnétique inverse
suivant.
La conclusion la plus raisonnable
à laquelle conduisent l'ensemble de ces
observations est que le volcanisme du
3. LES TRAPS DU DECCAN, en Inde, sont d'énormesempilementsde couléesbasaltiques
émises au moment de la limite Crétacé-Tertiaire, quand la dernière extinction massive Deccan a commencé pendant le der-
d'espècesbiologiques s'est produite. nier intervalle magnétique normal du
Crétacé (connu sous le nom de 30N à Stevns Klint, au Danemark, Craw- limite KT ressemblait autant à celui
dans la séquence bien répertoriée des ford Elliott et ses collaborateurs de de certaines météorites qu'à celui du
inversions du champ magnétique), a l'Université de Case Western Reserve, manteau terrestre.
culminé pendant l'intervalle inverse et Birger Schmitz, de l'Université de L'une et l'autre des deux hypothèses
suivant (29R, dont on sait par ailleurs Göteborg, ont conclu que cette argile justifient plusieurs anomalies de na-
qu'il renferme la limite KT) et s'est est une espèce particulière de smectite ture physique détectées dans des
achevé dans le premier intervalle et qu'il s'agit bien de cendre volcani- échantillons de la limite KT. Ainsi les
normal du Tertiaire (29N). que altérée. couches de la limite contiennent une
Ainsi les études magnétiques et L'argile de la limite KT est compo- grande quantité de petites sphérules.
paléontologiques réduisent la durée du sée d'un mélange de dix parties de Certaines d'entre elles sont constituées
volcanisme à environ 500 000 ans, la composants de la croûte terrestre et de minéraux argileux qui semblent
meilleure résolution que l'on puisse d'une partie de matériau météoritique provenir de l'altération de gouttelettes
obtenir avec les techniques actuelles. Cependant le manteau terrestre situé de basalte fondu, mais il n'est pas
Le volcanisme du Deccan fut sans au-dessous de la croûte a la même possible de dire s'il s'agit d'ejecta
doute l'un des événements volcaniques composition que les météorites silica- d'origine volcanique ou de fragments
les plus intenses des 250 derniers tées et pourrait être à l'origine des de croûte océanique fondus lors d'un
millions d'années, et il coïncide avec mêmes anomalies chimiques. Karl impact.
la limite KT (avec la précision la Turekian, de l'Université Yale, et En outre, quelques-unes de ces sphé-
meilleure que l'on puisse atteindre Jean-Marc Luck, de l'Institut de rules sont des fossiles d'algues micros-
aujourd'hui). Nous en avons naturelle- physique du Globe, ont montré que copiques, et d'autres, des oeufs d'in-
ment déduit que la formation des traps le rapport entre les isotopes du rhé- sectes récents, observation qui a, pour
du Deccan et les extinctions en masse nium et ceux de l'osmium contenus certains, jeté le doute sur la nature
du Crétacé étaient liées. dans des échantillons provenant de la volcanique de toutes les sphérules...

Plusieurs « preuves » ambiguës


Après avoir établi la simultanéité
probable des traps et des extinctions
de la fin du Crétacé, il nous restait à
découvrir si une éruption volcanique
rendait bien compte des diverses ob-
servations faites dans les couches de
la limite KT. Une énorme éruption
volcanique ou l'impact d'un gigantes-
que astéroïde pouvaient, l'une comme
l'autre, causer la plupart des anoma-
lies observées.
Le dépôt apparemment simultané
sur tout le Globe d'une couche anor-
malement riche en iridium n'a pas
nécessairement une origine extrater-
restre. William Zoller, Ilhan Olmez et
leurs collègues de l'Université du
Maryland ont ainsi découvert que les
particules émises par le volcan Ki-
lauea, à Hawaï, étaient particulière-
ment enrichies en iridium. Plus récem-
ment, J.-P. Toutain et G. Meyer, de
l'Institut de physique du Globe de
Paris, ont trouvé de l'iridium dans les
produits émis par un autre volcan, le
Piton de la Fournaise, à la Réunion,
qui (comme on le verra plus loin) est
relié au volcanisme du Deccan. On a
également recueilli de la poussière
volcanique riche en iridium dans les
glaces de l'Antarctique, à des milliers
de kilomètres des volcans qui en sont
la source.
La composition de l'argile à la
limite KT diffère de celle de l'argile
localisée au-dessus et au-dessous. Le 4. LES ROCHES SÉDIMENTAIRES, prises en «sandwich» entre les contées
minéral habituel de l'argile, l'illite, y volcaniques du Deccan, contiennent des fragments de dinosaures et d'autres fossiles du
est remplacé par la smectite, qui se Crétacé supérieur, absents des couches qui recouvrent ces coulées. Les extinctions en
forme lors de l'altération d'une roche massese sont produites lorsque les coûtées semettaient en place (a droite). Les variations
basaltique. dans le temps de l'activité volcanique proposées par l'auteur (a gauche) permettent
d'expliquer les extinctions multiples et les anomalies chimiques observéesà la fin du
Après leurs études récentes de la Crétacé. Les inversions magnétiques permettent de synchroniser les couches observées
minéralogie des argiles de la limite KT et le comportement volcanique supposé
Bruce Bohor et Glen Izett, de cède souvent les périodes de volca- marins qui furent décimés à la fin du
l'Institut de géologie à Denver, ont nisme basaltique relativement calmes, Crétacé.
découvert des grains de quartz dé- caractéristiques des basaltes continen- Les êtres vivants auraient aussi été
formés, choqués, au sein de la limite taux comme ceux du Deccan et au soumis à d'abondantes pluies acides
KT, argument généralement considéré cours desquelles de puissantes coulées dues, selon l'hypothèse, à de l'acide
comme le plus fort en faveur de de basaltes s'échappent en général nitrique résultant d'une chaîne de
l'hypothèse de l'impact. On ne sans explosion majeure. La plupart des réactions chimiques atmosphériques
connaissait jusqu'alors de tels grains grandes provinces de basaltes conti- déclenchées par l'onde de choc et la
que dans les cratères avérés d'impact nentaux comportent entre 10 et 15 chaleur de l'impact, ou à de l'acide
(comme le cratère Météore, en Ari- pour cent en volume de laves acides, sulfurique provenant des émissions
zona) et dans les sites d'explosions qui peuvent avoir été déversées par des riches en soufre des éruptions. L'im-
nucléaires. explosions. Un panache ascendant de pact climatique des éruptions riches
Les « figures de choc » sont pro- magma chaud provenant du manteau en soufre peut être important même
duites par des ondes de choc dyna- atteindrait la croûte continentale acide lorsque ces éruptions sont limitées ;
miques où la pression est égale à qu'il ferait fondre partiellement, libé- ainsi, en 1783, l'éruption du Laki, en
plus de 100 000 fois la pression atmo- rant alors des magmas acides qui Islande, tua 75 pour cent du bétail et
sphérique. Cependant des contraintes déclencheraient un volcanisme 24 pour cent de la population, pour
plus faibles, mais appliquées plus explosif. une coulée de 12 kilomètres cubes de
longtemps, sur une roche chauffée Les anomalies tant physiques que basalte seulement. L'éruption fut sui-
(comme cela pourrait être le cas chimiques rencontrées dans les cou- vie d'étranges brouillards secs, puis
lors d'une éruption volcanique), ches de la limite KT existent partout d'un hiver anormalement froid dans
pourraient engendrer des effets de par le monde. Un impact d'asté- tout l'hémisphère Nord.
semblables. roïde aurait sans doute pu propulser En utilisant les éruptions du Ki-
Quand le magma s'élève vers la le matériel broyé dans la stratosphère lauea comme modèle, Terrence Ger-
surface, il subit une décompression, et et en assurer aussi le transport à lach, du Laboratoire Sandia, aux
les gaz dissous sont relâchés. Pendant l'échelle du Globe. États-Unis,
a estimé que les traps du
ce dégazage, la lave se refroidit et Cependant Richard Stothers et ses Deccan avaient injecté dans la basse
devient plus visqueuse. Si le refroidis- collaborateurs de la NASA ont atmosphère, pendant quelques cen-
sement est rapide, les gaz ne peuvent construit un modèle qui simule la taines d'années, environ 30000 mil-
plus s'échapper, la pression monte et façon dont la poussière et les débris liards de tonnes de dioxyde de car-
provoque parfois une explosion et des sont projetés dans l'atmosphère par les bone, 6000 milliards de tonnes de
ondes de choc. Les contraintes engen- fontaines de lave basaltique comme soufre et 60 milliards de tonnes
drées pourraient avoir eu une intensité celles du Kilauea. Ce modèle, utilisé d'halogènes (comme le chlore et le
telle que la température et la durée de à l'échelle des coulées du Deccan, fluor).
la surpression aient 6t6 suffisantes montre que des quantités considéra- Les émissions de l'éruption du Laki
pour que les cristaux de quartz soient bles d'ejecta fins peuvent atteindre la semblent avoir été bien supérieures
modifiés. stratosphère ; la circulation atmosphé- aux prévisions du modèle du Kilauea,
Les magmas plus siliceux sont plus rique redistribue ce matériel entre les et les chiffres ci-dessus sont sans doute
visqueux et conduisent plus fréquem- deux hémisphères, quel qu'en soit le sous-estimés. Le soufre et la poussière
ment à des éruptions explosives ; c'est lieu d'émission. émis par une coulée de 1000 kilo-
le cas du Vésuve ou du mont Saint mètres cubes pourraient abaisser de 3
Helens. En 1986, Neville Carter et ses à 5°C la température moyenne de la
Des conséquences identiques
collègues de l'Université du Texas ont basse atmosphère.
découvert des minéraux choqués dans En fait, les conséquences climati- Cependant d'autres facteurs peu-
des échantillons provenant d'explo- ques et écologiques d'un impact et vent engendrer des modifications in-
sions de volcans acides récents, celles d'un volcanisme à grande verses. Marc Javoy et Gil Michard,
comme celle de Toba, à Sumatra, il échelle seraient assez semblables. La de l'Institut de physique du Globe et
y a 75 000 ans. En utilisant la micro- première serait l'obscurité due à l'in- de l'Université de Paris, pensent,
scopie électronique par transmission, jection de grandes quantités de pous- comme l'avait suggéré D. McLean,
Jean-Claude Doukhan, de l'Université sière-éjecta de l'impact ou cendres que le dioxyde de soufre émis par les
de Lille, a observé que les caractéristi- volcaniques-dans l'atmosphère. volcans du Deccan a acidifié la surface
ques les plus fines des minéraux Cette obscurité aurait ralenti, voire des océans, tuant le plancton qui y vit.
choqués provenant d'impacts de mé- arrêté la photosynthèse, causant Normalement les algues microscopi-
téorites, d'expériences de laboratoire l'effondrement des chaînes alimen- ques fixent le gaz carbonique de
et de la limite KT étaient toutes taires fondées sur les plantes ; elle l'atmosphère, l'incorporent dans leur
différentes et, notamment, que la aurait aussi pu conduire à une période squelette et l'entraînent dans les fonds
ressemblance entre minéraux choqués de froid intense. Les espèces fossiles océaniques après leur mort. Des eaux
d'impact et de laboratoire avait été témoignent de ces traumatismes écolo- océaniques plus acides auraient rejeté
exagérée. giques. Pour Eric Buffetaut, du Centre dans l'atmosphère une partie du gaz
Les défauts cristallins liés aux chocs national de la recherche scientifique, carbonique déjà dissous sous forme de
observés dans les échantillons de la les créatures d'eau douce furent moins carbonates. La concentration du gaz
limite KT sont décorés de bulles perturbées que les espèces terrestres carbonique dans l'atmosphère aurait
microscopiques absentes des échantil- ou marines, peut-être parce qu'elles ne atteint huit fois sa valeur actuelle, et
lons d'impact, qui indiquent une tem- se nourrissaient pas de plantes vas- la température aurait augmenté de
pérature de formation plus élevée et culaires (comme le font de nombreuses 5 OC.
compatible avec une origine volcani- espèces terrestres) ni de plancton Les refroidissements dus à la pous-
que. photosynthétique, une source impor- sière et les réchauffements dus au gaz
Un volcanisme explosif acide pré- tante de nourriture pour les vertébrés carbonique se seraient produits à des
moments différents, et ces change- volcaniques prévoient de tels refroidis- indices font penser que les extinctions
ments climatiques brusques et intenses sements et réchauffements successifs. en masse et les mécanismes physiques
auraient été très néfastes aux or- Les observations décrites jusqu'ici étranges de la fin du Crétacé se sont
ganismes vivants. L'hypothèse de semblent en accord avec les deux produits sur une période de temps
l'astéroïde comme celle des éruptions hypothèses. Cependant de nombreux prolongée, compatible avec ! a durée

5. L'IRIDIUM destraps peut avoir été émisà la suite d'un impact d'environ 500 000 ans. Or un impact d'astéroïde aurait produit une
d'astéroïde ou lors d'une éruption volcanique massive. Les fortes élévation bien définie de la concentration en iridium. Au contraire,
concentrations en iridium descouchesde la limite KTau Danemark, les éruptions du Deccan semblent avoir persisté pendantune durée
en France, en Espagne et en Italie s'étendent sur une durée compatible avec la répartition de l'iridium.

6. LES BASALTES CONTINENTAUX, ou traps, recouvrent des chaud on l'activité volcanique se poursuit dans une position
provinces très étendueset portent témoignagede bouleversements géographique approximativement fixe, tandis que les plaques
géologiquespassés.Chaque région de traps est reliée à un point Hthosphériquesdérivent.
du volcanisme du Deccan et peu Une des études les plus complètes de t'oxygène (respectivement les iso-
conciliable avec un impact soudain de cette signature a été publiée par topes léger et lourd de ces éléments)
d'astéroïde. Gerta Keller, de l'Université de Prin- dépendent de la température et de
ceton ; en observant des coupes parti- l'acidité des océans et du nombre
Des extinctions massives culièrement bien conservées de la d'espèces qui y vivent ; or leur abon-
étalées dans le temps limite KT en Tunisie et au Texas, dance varie de façon anormale au
G. Keller a constaté une première passage de chacun des multiples ni-
Plusieurs paléontologues ont fait phase d'extinctions (présente égale- veaux d'extinction. La répartition de
remarquer que les extinctions de la fin ment dans les faunes de fossiles ces extinctions et les fluctuations de
du Crétacé ne se sont pas produites macroscopiques) 300 000 ans avant la la concentration en carbone 13 dans
simultanément au cours d'une période couche riche en iridium, et une autre la coupe de Zumaya, en Espagne,
brève. La vitesse d'extinction aurait phase 50 000 ans après la limite ; la correspondent aux intervalles de pola-
commencé à augmenter plus d'un première extinction coïnciderait avec rité magnétique 30N, 29R et 29N, et
demi-million d'années avant la limite la baisse du niveau des mers et un sont en excellent accord avec la
KT. Même à proximité de la limite, refroidissement global. Étonnamment, séquence magnétique normale-in-
la séquence des extinctions n'est pas la coupe du Texas ne présente aucune verse-normale observée dans les traps
uniforme. Par exemple, les foramini- extinction dans la couche la plus riche du Deccan.
feres planctoniques et le nanoplancton en iridium. L'iridium lui-même présente des
(des algues calcaires microscopiques) D'autres observations confirment fluctuations au voisinage de la limite
ne présentent pas la même signature que la Terre a subi non pas une KT (voir la figure 5). Robert Rocchia
d'extinction et de reprise évolutive catastrophe unique, mais des désor- et ses collègues du Commissariat à
(cette séquence discontinue est connue dres multiples à la fin du Crétacé. On l'énergie atomique et du CNRS, à
sous le nom d'extinctions en masse sait, par exemple, que les concentra- Gif-sur-Yvette et à Saclay, ont trouvé
échelonnées). tions en isotopes 13 du carbone et 18 des pics secondaires d'iridium à la fois

7. LE POINT CHAUD VOLCANIQUE qui est maintenant situé des volcans sous-marinsqui s'étendent au Sud de l'Inde augmente
sousle Piton de la Fournaise, à ttte de la Réunion, était sousl'Inde régulièrement de la Réunion jusqu'aux traps du Deccan, où cette
quandles traps du Deccansont entrésen éruption (à gauche). L'âge activité volcanique a commencé droite).

au-dessus et au-dessous du pic princi- volcanisme intense à l'échelle globale, logiques anormaux, de courte et de
pal, en Espagne et au Danemark, de modifications importantes du ni- longue durée, apparemment corrélés,
correspondant à des intervalles de veau des océans et de mouvements qu'en invoquant une cause commune
temps de l'ordre de 10 000 ans. considérables de tout le manteau. interne.
Avec R. Rocchia et nos collègues, C'est aussi, avec le Jurassique qui l'a
nous avons découvert que l'enrichisse- précédé, une période de fracturations Un énorme panache de magma
ment anormal d'iridium à Gubbio continentales importantes. Entre
recouvrait une période de près de -120 et-85 millions d'années, le Quelle serait cette cause commune ?
500 000 ans. Cet étalement ne semble champ magnétique de la Terre ne s'est La théorie des points chauds du
pas dû à une diffusion secondaire de pas inversé, mais environ 15 à 20 mil- manteau, théorie principalement éla-
l'iridium dans l'argile, car une telle lions d'années avant la limite KT, le borée par Jason Morgan, de l'Univer-
diffusion ne pourrait expliquer une champ a recommencé à s'inverser, de sité de Princeton, fournirait une ré-
anomalie retrouvée sur quatre mètres plus en plus rapidement. La fréquence ponse (voir la figure Péter Oison
d'épaisseur sédimentaire. N. Carter et de ces inversions, qui est un indicateur et Harvey Singer, de l'Université
C. Officer ont trouvé que les grains de l'activité dans le noyau fluide de Johns Hopkins, et David Loper et
de quartz choqués, objets de tant de la Terre et à la limite du manteau et George Buzyna, de l'Université d'État
controverses, sont également répartis du noyau, n'a cessé de croître assez de Floride, ont construit des modèles
sur la même épaisseur de la coupe de régulièrement depuis lors, pour attein- numériques et analogiques qui peu-
Gubbio. dre quatre ou cinq inversions par vent rendre compte de l'activité volca-
James Zachos, de l'Université de million d'années (ce rythme est très nique persistante des régions de traps
Rhode Island, a mesuré avec ses irrégulier, et la dernière inversion date basaltiques. Un panache de matériel
collègues la composition chimique de de 700 000 ans). chaud, moins dense et moins visqueux
fossiles microscopiques du fond du L'ensemble de ces phénomènes que les roches qui l'entourent, peut
Pacifique Nord et ils ont trouvé que s'explique bien par un épisode de s'élever en formant une tête quasi
la productivité des organismes marins convection énergique du manteau in- sphérique, reliée par un fin cordon
vivant en plein océan avait chuté férieur qui se serait déclenché une ombilical à la couche d'origine, lequel
brusquement au moment de la limite dizaine de millions d'années avant la traverse le manteau froid et visqueux.
KT et était restée très faible pendant limite KT : on ne peut expliquer la La tête du panache croît tant qu'elle
les 500 000 ans suivants ; ils en ont superposition de phénomènes géo- est alimentée par le cordon.
déduit que d'importantes modifica- dynamiques, géologiques et paléonto- Avec R. White et Dan McKenzie,
tions de l'environnement, notamment
un refroidissement marqué, avaient
commencé au moins 200 000 ans
avant la limite.
Quelques partisans de l'hypothèse
de l'impact, notamment Piet Hut et
ses collègues de Princeton, ont tenté
d'expliquer ces observations en subs-
tituant à l'impact d'un unique asté-
roïde une série d'impacts cométaires.
Pour tenter de réconcilier l'ensemble
de ces idées, certains n'ont pas hésité
à proposer que les traps du Deccan
avaient été le site de l'impact. Cette
idée ingénieuse soulève en fait de
nombreuses difficultés : on n'a, par
exemple, pas retrouvé de traces d'im-
pact datant de cette époque sur la
croûte indienne.
Robert White, de l'Université de
Cambridge, a montré que même un
astéroïde volumineux ne pouvait dé-
clencher un volcanisme massif, sim-
plement parce que la partie plastique
du manteau supérieur (l'asthéno-
sphère), située juste au-dessous de la
plaque lithosphérique (la croûte et la
partie rigide du manteau supérieur),
ne contient pas de vastes réserves de
magma fondu. De plus, le volcanisme
du Deccan a commencé pendant un 8. MODÈLE DES PANACHES du manteau schématisésur une coupe de la Terre. La
chaleur provenant de la partie supérieure du noyau épaissit la couche inférieure du
intervalle géomagnétique normal,
manteau, appeléeD" ; la production d'instabilités par la convection dansle noyau diminue,
quelques centaines de milliers d'an- et les inversions du champ magnétique cessent. La couche D" finit par se désorganiser
nées avant l'intervalle de polarité et produit d'énormes panachesascendants. Les inversions du champ reprennent alors.
inverse qui contient la limite KT, la L'absence d'inversions pendant le Crétacé pourrait correspondre à une période
couche d'argile et la principale anoma- d'épaississementde la coucheD qui aurait, il y a 85 millions d'années,émis des panaches
chauds; ceux-ci, en atteignant la surface il y a 65 millions d'années, auraient produit
lie d'iridium. les traps du Deccan. Le Piton de ! a Fournaise représenterait la position actuelle de la
Le Crétacé final est une période de queue de ce panache.
Mark Richards, Robert Duncan, de le volcanisme violent du Deccan mar- sans doute que deux modes extrêmes
l'Université d'Orégon, et moi-même querait l'apparition de ce point chaud du refroidissement de la Terre.
pensons que lors de l'ascension du à la surface de la Terre. Si tel est bien le mode de fonctionne-
panache dans le manteau, la croûte L'activité géodynamique interne as- ment de la Terre, nous devrions
sus-jacente se soulève et s'étire, sociée à la montée d'un panache de retrouver la trace d'autres catastro-
conduisant à une déchirure continen- taille exceptionnelle issu du manteau phes comparables. En effet, les
tale (voir Le volcanisme de rift, par profond explique aussi le comporte- grandes périodes d'extinction des 250
Robert White et Dan McKenzie, Pour ment du champ magnétique au Cré- derniers millions d'années semblent,
la Science n° 143, septembre 1989). Le tacé. La convection lente des zones pour la plupart, liées à une éruption
matériel du panache est décomprimé externes du noyau de fer liquide de basaltique majeure. Ainsi la plus
à l'approche de la surface et la Terre-à la vitesse de dix kilomètres longue période connue dépourvue
commence rapidement à fondre (en par an-produit (par un phénomène d'inversion magnétique s'est terminée
moins d'un million d'années). La tête de dynamo auto-entretenue) le champ par la plus grande extinction en masse,
du panache soulève une vaste zone de magnétique terrestre. Les inversions celle qui marque la fin de l'ère
croûte et quand le magma arrive enfin sont probablement dues à des instabi- primaire, ou Paléozoïque : plus de 95
à la surface, les puissantes coulées lités convectives siégeant à la limite pour cent des espèces marines disparu-
s'écoulent rapidement sur des dis- entre le noyau et le manteau (voir la rent. Les traps de Sibérie, vieux de
tances considérables. figure 8). 250 millions d'années, sont peut-être
Les éruptions du Deccan ont peut- La chaleur qui s'échappe du noyau responsables de cette extinction.
être marqué l'arrivée d'un tel panache élève la température des couches les L'hypothèse de l'impact comme
à la base de la lithosphère. Ce volca- plus profondes du manteau (surnom- celle du volcanisme démontrent que
nisme aurait été rapide et épisodique. mées D") et leur densité et leur des catastrophes naturelles brèves à
La mise en place d'une seule coulée viscosité s'abaissent. La couche l'échelle des temps géologiques jouent
n'aurait pris que quelques jours ou s'épaissit, devient elle-même instable, un rôle essentiel dans l'évolution de
quelques semaines, la coulée suivante et forme des panaches convectifs de la vie sur la Terre. Cette constatation
se produisant quelques années, voire magma. Les périodes longues dépour- semble en contradiction avec le prin-
quelques milliers d'années plus tard. vues d'inversion du champ, comme cipe de l'uniformitarisme qui, depuis
Les conséquences écologiques des plus celle qui a duré de-120 à-85 le début du xixe siècle, guide la
grosses coulées expliqueraient les millions d'années, semblent corres- géologie et stipule que l'état présent
extinctions en masse échelonnées. pondre à une faible activité des cou- du monde résulte des mécanismes
L'énorme panache qui produisit les ches externes du noyau et à un géologiques actuels ayant agi sur de
traps du Deccan aurait dû laisser épaississement considérable de la cou- très longues périodes. Pourtant si les
depuis d'autres traces structurales et che D". éruptions volcaniques et les impacts
dynamiques. En 1987, le Programme de météorites sont des phénomènes
international de forages océaniques Catastrophistes fréquents, l'événement vécu par les
profonds, dans une phase conduite par derniers dinosaures est resté sans
contre uniformitaristes ?
R. Duncan, a permis d'explorer et de équivalent pendant les 250 derniers
dater la chaîne des volcans sous- Il y a 80 millions d'années environ, millions d'années.
marins qui s'étend du Sud-Ouest de cette couche D"se serait effondrée, Les inversions du champ géomagné-
l'Inde, près des traps du Deccan, éjectant vers le haut d'énormes pana- tique dans le noyau et l'éruption
jusqu'au volcan actif du Piton de la ches chauds. L'amincissement consé- d'énormes panaches dans le manteau
Fournaise, à la Réunion, à l'Est de cutif de la couche D"aurait accru le résultent peut-être de ce que la Terre
Madagascar. flux de chaleur passant du noyau vers est un énorme système dynamique qui
La Réunion est un volcan de point le manteau et aurait ainsi redéclenché fonctionne de façon chaotique. Les
chaud, alimenté par un flux de maté- les inversions du champ magnétique. variations de la fréquence des inver-
riel chaud provenant du manteau Les panaches auraient progressé sions et les périodes de dérive des
profond, qui a laissé sa trace sur les pendant quelques millions d'années à continents au cours des dernières
fonds océaniques créés par la sépara- une vitesse caractéristique de l'ordre centaines de millions d'années suggè-
tion de l'Inde et de l'Afrique. L'âge du mètre par an, auraient atteint la rent que ce système est quasi périodi-
de ces volcans sous-marins augmente lithosphère et provoqué, après dé- que : les épisodes volcaniques catastro-
régulièrement de 0 à 2 millions d'an- compression, un volcanisme explosif phiques sont espacés de quelque 200
nées à la Réunion même, jusqu'à 55 acide, puis la mise en place des traps millions d'années, tandis que des
à 60 millions d'années au Sud des basaltiques. Des panaches secondaires événements moins dramatiques sem-
traps du Deccan. plus petits n'auraient pas atteint la blent se reproduire à des intervalles
Avec M. Richards et R. Duncan, surface, mais ils auraient accéléré la de 30 millions d'années.
nous pensons que le point chaud de convection du manteau, entraînant la Il est tentant de supposer que l'aube
la Réunion serait situé au-dessus de dérive des continents, les modifica- du Paléozoïque, il y a 570 millions
la « queue &NR; toujours active de mag- tions du niveau des mers et les autres d'années, qui marque l'apparition des
ma chaud du panache dont la tête phénomènes géologiques observés premières formes de vie multicellu-
aurait engendré les traps et, avec pendant le Crétacé. laires, résulte d'une précédente catas-
J. Besse et D. Vandamme, nous avons Une telle révolution géologique se- trophe. Les périodes d'extinction en
vérifié que le point chaud aujourd'hui rait une conséquence naturelle du fait masse ont ouvert de nombreuses ni-
situé sous la Réunion était situé que la Terre est une machine thermi- ches écologiques dans lesquelles de
précisément à l'aplomb des traps du que active, complexe et composée de nouveaux organismes se sont déve-
Deccan, à la fin du Crétacé (voir la couches aux propriétés physiques et loppés ; certains désastres écologiques
figure 7). chimiques très différentes. La convec- auraient ainsi été indispensables à
II n'y a pas de trace de point chaud tion calme et régulière du manteau et l'évolution de formes de vie de plus
en surface antérieur à la limite KT, et l'éjection brutale de panaches ne sont en plus élaborées.
La disparition ! es cratères d'impact de météorites et
dans ! a matière éjectée au cours de cer-
taines explosions volcaniques.
En revanche, l'étude récente des
des dinosaures
magnétites nickélifères semble éliminer
!'hypothèse du volcanisme (voir Robin et
al., Earth PlanetScience Letters, vol. 108,
Les magnétites nickélifères pp. 181-190, 1992 et vol. 107, pp. 715-
721, 1991). Présentes dans les sédi-
témoignent de plusieurs
ments de la limite Crétacé-Tertiaire, les
impacts de météorites. magnétites nickélifères n'ont pas d'équi-
valent dans la matière terrestre Leur
composition chimique et leur degré
d'oxydation élevé sont incompatibles
La disparition des dinosaures, à la fin avec une origine magmatique : les pres-
du Crétacé, a-t-elle été provoquée par sions d'oxygène, dans les magmas, sont 2.Sphérule trouvée à la limite
duCrétacé-Tertiaire
du
fa collision de la Terre avec un astéroïde toujours inférieures à 10-6 atmosphère sitede Petriccio
(Italie)et contenant
desmagnétites
géant ou par un volcanisme intense ? alors que le degré d'oxydation des nickélifèreformes brillantes).Cettesphérule,ob-
servéeaumicroscope électronique
à balayage,
me-
Cette question agite la communauté magnétites nickélifères correspond à sureenviron300micromètresde diamètreet est
scientifique depuis que l'on a découvert, une pression d'oxygène comprise entre vraisemblablement le rested'uneparticule cosmi-
dans les sédiments déposés il y a 65 10 et 1 atmosphère. D'autre part, ces que.
millions d'années, des concentrations minéraux sont systématiquement pré-
anormalement élevées en iridium, élé- sents dans les croûtes de fusion des
ment chimique rarissime dans l'écorce météorites, dans les micrométéorites, et concentration maximale en iridium et
terrestre mais abondant dans ! es météo- dans les produits d'impact qui caractéri- avec la diminution de la concentration en
rites et dans le panache de volcans de sent certains niveaux sédimentaires du carbonates qui a résulté de la crise planc-
type hawaïen ou de point chaud. Jurassique ou du Pliocène supérieur. Ce tonique. Cette coïncidence montre que
Au cours des analyses des prélève- sont donc des marqueurs spécifiques de les bouleversements biologiques de la
ments, il est apparu que les autres ano- ! a matière météoritique chauffée et oxy- ! imite Crétacé-Tertiaire sont bien la
malies chimiques de ta limite Crétacé- dée dans l'atmosphère sous des pres- conséquence d'un événement cosmi-
Tertiaire ne permettaient pas de trancher, sions d'oxygène relativement élevées. que.
pas plus que la présence de minéraux Dans les sédiments marins de la limite En outre, la répartition stratigraphique
présentant un métamorphisme de choc, Crétacé-Tertiaire, l'apparition de ces des magnetites nous renseigne sur la
semblables à ceux que l'on trouve dans minéraux coïncide exactement avec la durée et, par conséquent, la nature de cet

1. Distribution stratigraphique des magnétites nickélifères (enethaut)


des dansl'océanIndien).Le niveauderéférence note 0correspond
à a positionde
carbonates (en bas) à la limite Crétacé-Tertiaire
des sitesde El Kef (Tunisie), l'événement
s'il avait été enregistré
en l'absencede brassagedessédiments
Caravaca (province
d'Alicante,enEspagne) et H-761C (aulargede l'Australie, marinsparles animaux fouisseurs.
événement. Contrairement à l'iridium, ments biologiques majeurs de la limite particulière, ayant pénétré profondément
métal capable de diffuser dans le sédi- Crétacé-Tertiaire. Cependant la nature dans l'atmosphère : plusieurs impacts
ment et dont les concentrations anorma- exacte de cette catastrophe nous sont nécessaires pour expliquer les
lement 6) ev6es s'observent sur une échappe encore. En effet, les magnétites observations.
épaisseur de plus d'un mètre, les magné- nickélifères de la limite Crétacé-Tertiaire Si l'on croit avec Vaiéry que ½Tout ce
tites nickélifères sont concentrées dans ont des compositions chimiques et des qui est simple est faux», les nouveaux
les tout premiers centimètres des sédi- degrés d'oxydation variables selon les résultats nous font progresser, puisque
ments du Tertiaire. L'iridium, marqueur sites. Les magnétites provenant des les deux hypothèses initialement oppo-
chimique mobile, pourrait témoigner d'un sites du Pays basque, par exemple, ne sées-impact d'un astéroïde unique ou
événement de longue durée, mais les ressemblent pas à celles des sites d'An- volcanisme - sont aujourd'hui rempla-
magnétites, marqueurs solides, cimen- dalousie ni à celles qui sont remontées cées par une question plus complexe :
tés dans les sédiments, indiquent claire- du fond de l'océan indien. Les diffé- comment plusieurs impacts ont-ils pu se
ment un événement bref. Les réparti- rences sont difficiles à expliquer si l'on produire en moins de 100 ans, ou encore
tions que nous avons observées en considère un impact unique. l'objet qui est entré en collision avec la
milieu marin s'expliquent par l'enregistre- Dans tous les cas, les magnétites de Terre s'est-il fragmenté avant l'impact ?
ment d'un phénomène ayant duré moins la limite Crétacé-Tertiaire ressemblent On a trouvé sur le Globe plusieurs cra-
d'une centaine d'années en présence plus aux magnétites de croûtes en fusion tères ayant l'âge de la limite Crétacé-
d'un brassage des sédiments par les ani- de météorites qui s'oxydent dans la Tertiaire, mais aucun n'a la taille suffi-
maux fouisseurs (bioturbation). basse atmosphère qu'aux magnétites sante pour expliquer à lui tout seul
Seule une catastrophe cosmique peut des micrométéorites, qui se forment à l'ampleur de la catastrophe : l'hypothèse
ainsi rendre compte de l'ensemble des très haute altitude. Chaque province de plusieurs impacts se renforce.
observations associées aux bouleverse- semble porter la marque d'une météorite Éric ROBINet Robert ROCCHIA
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