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DOSSIER

L’ATMOSPHÈRE

L’HISTOIRE
DE L’ATMOSPHÈRE
La genèse
Les cycles
Les glaciations
Les climats

LES PHÉNOMÈNES
MÉTÉOROLOGIQUES
Les nuages
Les tempêtes
Les orages
Les aurores polaires

L’EFFET DES ACTIVITÉS


HUMAINES
Le trou d’ozone
L’effet de serre
Le soufre et le carbone
L’air de nos villes

DOSSIER HORS-SÉRIE – JUIN 1996


TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE DE GÉRARD MÉGIE 4

L’HISTOIRE DE L’ATMOSPHÈRE
La formation de la Terre, C. Allègre et S. Schneider 8
Genèse et évolution de l’atmosphère, T. Staudacher et P. Sarda 16
Les cycles de l’atmosphère, Andrew Ingersoll 24
L’origine des glaciations, Wallace Broecker 28
El Niño, l’enfant naturel du vent et de la mer, Y. Ménard et T. Delcroix 36

LES PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES


Les nuages, J. -P. Chalon et M. Gillet 40
La dépression météorologique, Alain Joly 48
Les moussons, Peter Welster 52
La naissance des tornades, Robert Davies-Jones 60
L’électrisation des orages, Earle Williams 66
Les aurores polaires, Syun-Ichi Akasofu 72
Arcs et halos célestes, David Lynch 80

L’INFLUENCE DES ACTIVITÉS HUMAINES


L’état de l’atmosphère, T. Graedel et P. Crutzen 84
L’ozone de la basse atmosphère, Gérard Toupance 91
La diminution de l’ozone stratosphérique, O. Toon et R. Turco 92
Le réchauffement de la Terre, R. Houghton et G. Woodwell 100
Les nuages et l’effet de serre, Hervé Le Treut 108
Les émissions de soufre, R. Charlson et T. Wigley 112
Les aérosols carbonés, Hélène Cachier 119
Le monoxyde de carbone, R. Newell, H. Reichle, W. Seiler 122
L’air de nos villes 128
P RÉFACE
Gérard Mégie
Trois choses influent sur l’esprit la toundra et l’augmentation ou la régions polaires, où les émissions chlo-
des hommes : le climat, diminution des surfaces inondées. rées sont inexistantes. De même, une
le gouvernement et la religion. Ainsi l’évolution est permanente. perturbation globale a des consé-
VOLTAIRE. L’atmosphère primitive n’était pas oxy- quences différentes selon les régions
dante ; elle l’est devenue lorsque la vie de la planète. Par exemple, à la suite

L’ étude de l’atmosphère est à la


fois difficile et passionnante : le
système atmosphérique évolue en
est apparue. C’est d’ailleurs ce caractère
oxydant de l’atmosphère qui aggrave
aujourd’hui l’effet des perturbations
de la réduction de la couche d’ozone,
l’augmentation du rayonnement ultra-
violet atteignant le sol variera en fonc-
permanence et met en jeu des phéno- humaines. Aujourd’hui, l’accélération des tion de la latitude. Autre exemple,
mènes de toutes natures et de toutes changements complique encore nos même si le gaz carbonique augmente
échelles temporelles et spatiales. Elle études : on veut comprendre le système, de la même façon partout, les impacts
soulève en outre des questions philo- mais il se modifie en même temps et de climatiques de cet effet de serre addi-
sophiques et éthiques, sur notre place nouveaux phénomènes apparaissent. tionnel ne seront sûrement pas les
dans la Nature et sur les décisions Prenons l’exemple de mon domaine mêmes à l’équateur et aux pôles.
économiques et politiques que nous d’étude, désormais bien connu, la dimi- Dernier exemple de couplage entre
devons prendre pour garder un envi- nution de la couche d’ozone qui nous les échelles, l’ozone est produit en excès
ronnement viable. protège des rayons solaires ultraviolets. dans la basse atmosphère, au cours de
Depuis la formation de la Terre, le Personne ne l’a prédit, simplement parce réactions photochimiques en présence
système climatique a continuellement que le système que l’on avait décrit d’oxydes d’azote : il est toxique pour les
évolué. Nous vivons aujourd’hui un auparavant a été fortement perturbé par êtres vivants, et pose un problème de
optimum climatique, mais le climat l’augmentation des concentrations de pollution locale, à proximité des sources
n’a pas toujours été clément. Il y a chlore d’origine humaine : de nouvelles d’émission d’oxydes d’azote. En outre,
20 000 ans, nos ancêtres subissaient réactions chimiques sont alors apparues. dans la basse atmosphère, l’ozone est
une période glaciaire : la calotte Du fait de la perturbation continue du un gaz à effet de serre, et l’augmenta-
polaire atteignait le Nord de la France. système, la recherche approfondie ne tion de sa teneur, observée dans l’hémi-
À cette époque, les hommes étaient réduit pas toujours les incertitudes. sphère Nord aux moyennes latitudes,
peu nombreux et étaient répartis sur introduit une différence de réchauffe-
la superficie de la Terre non recou-
verte par la calotte. À mesure que la
population augmente, l’impact des
U ne deuxième difficulté de l’étude
de l’atmosphère réside dans la
multiplicité des causes et des effets. Le
ment entre les deux hémisphères.
Ce couplage des perturbations à
diverses échelles conduit à une approche
activités humaines cesse d’être négli- système terrestre global est lui-même pluridisciplinaire du système Terre. Il y a
geable. Depuis le début de l’ère multiple : l’atmosphère interagit avec 40 ans, l’étude de l’atmosphère respec-
industrielle, il y a 200 à 250 ans, l’océan, avec la biosphère et surtout tait un découpage académique, par
l’homme perturbe sensiblement avec l’homme. On ne peut dissocier la tranches d’altitude. La troposphère, de 0
l’atmosphère et le climat. belle Nature de son méchant perturba- à 13 kilomètres d’altitude, contient plus
Par rapport à la plupart des évolu- teur, l’homme. D’ailleurs la Nature n’a de 80 pour cent de la masse de l’atmo-
tions climatiques anciennes, l’évolu- pas toujours été «belle» ; elle ne l’était sphère : c’est là que s’effectuent les
tion due à la perturbation de l’homme pas pour les contemporains du Petit échanges d’énergie. Au-dessus, la strato-
est très rapide, puisqu’elle ne couvre Âge Glaciaire, dans le Nord de l’Europe, sphère (de 13 à 50 kilomètres) est un
que quelques dizaines, voire quelques entre 1500 et 1700 de notre ère. milieu dilué : on doutait de son action
centaines d’années. Toutefois, on sait Qu’elles soient anthropiques ou sur le milieu inférieur. Aujourd’hui on
aujourd’hui que quelques évolutions naturelles comme une éruption volca- réexamine l’indépendance des éléments
naturelles et locales ont également été nique, les sources de perturbations d’un tel découpage en étudiant com-
rapides. Par exemple, l’étude des sont essentiellement locales. Les per- ment les différentes régions de l’atmo-
glaces du Groenland a révélé l’éton- turbations sont globalisées par la circu- sphère interagissent. Ainsi remet-on en
nante variabilité de la concentration lation des fluides atmosphériques. Ainsi question la distinction formelle entre la
du méthane. Ces variations résultent les chlorofluorocarbures, émis principa- troposphère et la stratosphère : ces deux
vraisemblablement de changements lement dans l’hémisphère Nord, sont régions subissent simultanément les per-
des écosystèmes autour du mélangés dans toute l’atmosphère et turbations humaines. Les émissions des
Groenland, tels que la modification de détruisent la couche d’ozone dans les avions subsoniques, qui volent dans la

4 © POUR LA SCIENCE
troposphère, interviennent dans les pro- tique n’est pas linéaire. De manière sur- méthane, des oxydes d’azote, des
cessus chimiques de la basse strato- prenante, la suppression des chlorofluo- hydrocarbures, et modifie ainsi la com-
sphère. La diminution, vers 20 kilomètres rocarbures a été décidée au moment où position chimique de l’atmosphère.
d’altitude, de la couche d’ozone modifie l’incertitude concernant leur effet sur la Aucun problème n’est indépendant
le comportement dynamique de la couche d’ozone était la plus forte. Elle a des autres. Quand un constructeur
région comprise entre 5 et 25 kilomètres cependant été trop tardive, ou inadaptée, d’avion demande si la prochaine généra-
d’altitude. De même, on comprend que car le délai de prise de décisions n’est tion de moteurs devra émettre moins
les modifications de la circulation atmo- pas infini. En 1976, les États-Unis ont d’oxydes d’azote pour éviter la formation
sphérique dans la basse stratosphère ont décidé de supprimer les chlorofluorocar- d’ozone dans la troposphère, la réponse
une action directe sur la genèse des bures des bombes aérosols : cette utilisa- est délicate : de tels moteurs émettraient
fortes dépressions aux latitudes tion représentait 30 à 40 pour cent des plus de vapeur d’eau et de particules
moyennes. Pour reprendre l’image du émissions. Les industriels ont alors vendu imbrûlées. Ils poseraient d’autres pro-
papillon de Lorenz, il suffirait d’une petite leurs chlorofluorocarbures aux pays qui blèmes d’environnement, comme la for-
perturbation dans l’écoulement du jet les autorisaient, et ils ont cherché de mation de nuages qui influeraient sur
polaire (vent fort soufflant à la base de la nouveaux débouchés. Résultat : les émis- l’effet de serre ou comme des réactions
stratosphère) et d’une intrusion d’air sions ont continué. Cette mesure était chimiques qui menaceraient l’équilibre
plus sec dans la troposphère pour inefficace, car on aurait dû réduire de de l’ozone dans la stratosphère.
déclencher une dépression. moitié la production totale. Cinq ans plus Les carburants verts sont-ils une
Ainsi l’étude de l’environnement tard, dans la mesure où la diminution de réelle solution? Non, puisqu’ils produi-
intègre de multiples échelles spatiales l’ozone perdurait, on aurait réduit de sent également des éléments chi-
et temporelles : du millimètre et de la nouveau de moitié la production. Si ces miques, dont on ne connaît pas encore
microseconde, pour les processus tur- mesures avaient été prises, on pourrait, les effets sur l’atmosphère. De surcroît,
bulents, les réactions chimiques, les aujourd’hui encore, produire environ leur culture nécessite l’utilisation de
processus microphysiques de formation 200 000 tonnes de chlorofluorocarbures nitrates dans les sols : on échange une
des nuages, jusqu’à l’échelle du Globe par an, quantité que la stratosphère est pollution de l’air dans les villes par une
et de l’année, du siècle, du millénaire. capable de digérer (en 1976, elle était de pollution des sols dans les campagnes.
Elle intègre aussi diverses disciplines : le 800 000 tonnes par an, et la production Je ne suis pas non plus un tenant
météorologue applique des résultats de maximale a atteint un million). Bien sûr, de ce que les Américains nomment
la mécanique des fluides, de la thermo- on n’aurait pas vu de trou d’ozone, et on l’ingénierie du climat, qui consisterait à
dynamique, de l’électrostatique ; quand aurait ignoré ce qu’on aurait évité : c’est modifier les sources pour contrebalan-
on étudie le bilan énergétique de la le principe de précaution. En revanche, cer les effets : quand on connaît mal les
planète, on fait appel à la thermodyna- comme ces mesures ont été prises dix interactions, c’est jouer à l’apprenti-
mique, à l’optique, à la physique ans trop tard, le système est déstabilisé sorcier! Enfin, l’attitude qui consiste à
nucléaire ; la compréhension des équi- pour 100 ans au moins. rejeter la responsabilité aux pays du
libres chimiques implique le recense- Grâce, notamment, à l’inertie des tiers-monde de forte démographie
ment des processus de transport et des océans, le réchauffement par l’effet de reste inacceptable. D’une part, l’essen-
échanges avec la biosphère. serre additionnel est plus lent que la tiel de la perturbation actuelle est due
diminution de la couche d’ozone ; aussi aux pays industrialisés du Nord. D’autre

L a réflexion résultant de l’étude du


système Terre sort souvent de son
cadre scientifique. Quand on demande
la fenêtre de décision pour éviter un
réchauffement excessif est-elle sans
doute plus longue, de 30 à 50 ans.
part, comment peut-on, à la fois, arrêter
la démographie de ces pays et les
empêcher de s’industrialiser?
à l’homme de la rue ce qu’il pense de la Toutefois, cela fait déjà 15 ans qu’on La solution aux problèmes posés
physique nucléaire ou de la médecine, hésite à agir, et les conséquences d’un réside dans un meilleur échange entre
il répond qu’il n’en pense rien et qu’il réchauffement seront graves et les communautés scientifique et poli-
se rallie à l’avis des experts. En durables : on les subira durant plusieurs tique. La nécessité d’un dialogue
revanche, tout le monde s’estime com- siècles. Quand on sera certain que le constant a amené la création de sys-
pétent pour parler de l’environnement. réchauffement observé n’est pas une tèmes d’échanges, telle la Convention de
Hélas personne ne l’est : l’expert en ce variabilité naturelle, la perturbation sera Rio, où l’on espère parvenir à des solu-
domaine n’existe pas. Les spécialistes trop forte pour être évitée. tions optimales, c’est-à-dire à mi-chemin
de diverses disciplines se rencontrent et Toutefois la solution aux problèmes entre la raison scientifique et la raison
confrontent leurs résultats. Ils débat- d’environnement n’est pas évidente. À politique et économique. La communi-
tent, en outre, avec les spécialistes de la moins d’utiliser l’énergie nucléaire, qui cation dans le grand public a aussi son
santé, les politiques, les économistes, comporte d’autres dangers, ou l’énergie rôle à jouer, d’où l’intérêt de ce dossier.
les sociologues de la décision. solaire, on ne produit de l’énergie qu’en
Lorsque le constat scientifique est transformant des éléments de la bio- Gérard MÉGIE est directeur du Service
alarmiste, il déclenche des décisions poli- masse ou en puisant dans les combus- d’Aéronomie du CNRS, directeur
tiques. Toutefois, la relation entre le tibles fossiles. Or cette transformation de l’Institut Pierre-Simon Laplace,
constat scientifique et la décision poli- produit du gaz carbonique, du et professeur à l’Université Paris VI.

© POUR LA SCIENCE 5
L’ HISTOIRE DE L ’ ATMOSPHÈRE

Comment l’atmosphère s’est-elle formée?


Comment évolue-t-elle et quels sont les mécanismes
de changements climatiques? Pour répondre
à ces questions, on analyse les gaz piégés dans les laves
des dorsales et dans les glaces des pôles.
La formation de la Terre
Claude Allègre et Stephen Schneider

L’évolution de notre planète et de son atmosphère cosmique rassemblée à l’intérieur de la


Terre. De gigantesques océans de mag-
ont permis l’apparition de la vie ; mas souterrains (à des profondeurs de
200 à 400 kilomètres) ont persisté pen-
en retour, cette vie végétale et animale a influé dant des millions d’années, approvision-
nant d’intenses éruptions volcaniques. La
sur la structuration de la Terre. jeunesse de la Terre fut cataclysmique :
la chaleur dégagée en surface par le vol-
canisme et ses épanchements de lave et
le bombardement constant d’énormes
ue de l’espace, notre planète ment rapide, sous l’effet de la gravité, planétoïdes (dont certains atteignaient la

V bleue, entourée de nuages,


semble remarquablement
stable et immobile. Les conti-
nents et les océans, entourés par une
atmosphère riche en oxygène, abritent
d’un nuage de poussière. Hypothèse
séduisante, mais fausse!

L’accrétion des planètes


taille de la Lune ou de Mars) interdi-
saient toute forme de vie.
Une des retombées indirectes du
programme Apollo a été d’inciter les
scientifiques à se préoccuper activement
discrètement une myriade de formes Au cours des années 1960, les résul- de l’histoire de la jeune Terre.
de vie. tats du programme Apollo ont montré Comment espérer comprendre l’origine
Cette vision n’est pourtant qu’une que les planètes s’étaient constituées par de la Lune sans cela? Au XIXe siècle, les
illusion résultant de la brièveté de nos étapes. L’étude des cratères lunaires a fondateurs de la géologie, tel Sir
observations humaines. À l’échelle de révélé qu’ils étaient les cicatrices des Charles Lyell, pensaient qu’une telle
temps du géologue, la Terre et son impacts d’une pluie d’objets cosmiques, reconstitution était impossible : «Pas de
atmosphère sont en perpétuelle trans- en grande abondance il y a 4,5 milliards trace originelle, pas d’indice d’une fin.»
formation. La tectonique des plaques d’années ; la fréquence des impacts a Le processus de création de la Terre,
déplace les continents, érige les mon- ensuite rapidement diminué au cours du croyait Lyell, ne pourrait jamais être
tagnes, renouvelle le plancher des temps. Cette constatation a établi l’exis- reconstitué, car les témoins rocheux de
océans, pendant que des processus tence passée de gros objets (planétoïdes) sa jeunesse turbulente avaient disparu.
multiples que l’on comprend encore et confirmé la théorie de l’accrétion pro- Le développement de la géologie isoto-
mal modifient sans cesse le climat et posée, en 1944, par le géophysicien pique, dans les années 1960, a montré
les conditions physiques qui règnent à russe Otto Schmidt : les planètes se sont que ce pessimisme était indu : inspirés
sa surface. formées par captures successives par le programme Apollo et par les
Cette perpétuelle évolution est une d’objets de plus en plus gros. résultats de l’exploration lunaire, les
caractéristique de la Terre depuis ses Les poussières cosmiques se sont ras- géologues ont tiré profit des techniques
origines, il y a 4,5 milliards d’années. semblées en particules qui se sont agglo- de la géochimie pour reconstituer l’évo-
Depuis l’époque des origines, la cha- mérées en grains, cailloux, grosses lution de notre Globe.
leur et la gravité sont les causes qui pierres et, enfin, planétoïdes, jusqu’à ce L’identification des roches «fos-
déterminent l’évolution de la planète. que les objets ainsi constitués aient la siles» par les horloges radioactives a
Progressivement, les conséquences taille de la Lune. À mesure que les pla- livré aux géologues les caractéristiques
multiples liées au développement de la nétoïdes grossissaient, leur nombre dimi- des terrains anciens. Les aiguilles des
vie se sont ajoutées à ces déterminants nuait en même temps que la fréquence de horloges radioactives sont les isotopes,
fondamentaux pour façonner la surface leurs impacts avec les planètes ou les des atomes d’un même élément chi-
de la planète telle que nous la connais- météorites. La raréfaction de ces objets
sons. Seule la recherche historique explique que le temps nécessaire à 1. L A T ERRE , THÉ Â TRE DE DRAMES .
nous permettra de comprendre com- l’agglomération d’une grosse planète ait Âgée de 100 millions d’années, il y a 4,35
ment on en est arrivé là, comment la été bien plus long que pour une petite. milliards d’années, elle était bombardée de
vie est apparue, comment elle s’est George Wetherill a calculé qu’il faut près météorites, parsemée de volcans actifs et
développée ; seule cette recherche de 100 millions d’années pour qu’un pla- entourée d’une atmosphère chargée de gaz
carbonique et de nuages lourds (en haut).
apportera des réponses à la redoutable nétoïde de diamètre initial égal à dix
Un milliard d’années plus tard, sa surface a
question : la vie a-t-elle un avenir? kilomètres atteigne, par accrétion, la été recouverte par une brume orange de
Les scientifiques ont longtemps cru taille de la Terre. méthane, émanation des premiers orga-
que les planètes internes du Système Les impacts des gros planétoïdes ont nismes (au milieu). Aujourd’hui les
solaire, la Terre, Mercure, Vénus et libéré des quantités considérables de cha- nuages, les océans et les continents sont
Mars, s’étaient formées par l’effondre- leur : cette chaleur a fondu la poussière clairement visibles (en bas).

8 © POUR LA SCIENCE
mique, mais de poids atomiques diffé- d’années. La Terre, si elle a bien com- Unis, les gneiss d’Acasta ont été datés à
rents ; un isotope se transforme en un mencé à se former à cette époque, a, en 3,96 milliards d’années.
autre isotope en un temps caractéris- revanche, continué à grossir pendant Enfin la datation systématique d’un
tique appelé période de désintégration. environ 120 ou 150 millions d’années. minéral presque indestructible, le zir-
En mesurant les concentrations de ces C’est à la fin de cette époque, donc con, a permis d’identifier des terrains
différents isotopes, on détermine l’âge entre 4,4 et 4,45 milliards d’années, que encore plus anciens. Le zircon se trouve
des roches qui les contiennent. la Terre a atteint sa taille actuelle, a habituellement dans les roches continen-
Parmi les nombreuses horloges géo- formé son atmosphère et a isolé son tales : il n’est pas dissous lors des
logiques, celles utilisant les désintégra- noyau interne. attaques de la roche par l’érosion, mais il
tions de l’uranium 235 en plomb 206, et Les continents apparurent plus tard. est transporté et déposé sous forme de
de l’uranium 235 en plomb 207, sont les Seule partie de la croûte terrestre qui ne particules dans les sédiments. Quelques
plus faciles d’emploi, car elles permet- soit pas détruite au cours du cycle géo- cristaux de zircon, qui ont ainsi survécu
tent de calculer l’âge des échantillons dynamique résultant des mouvements pendant des milliards d’années, consti-
en analysant seulement la concentration de convection dans le manteau, les tuent les témoins de la croûte continentale
en produits fils – dans ce cas, le plomb – continents gardent, enregistrée dans cer- la plus ancienne. L’étude des anciens zir-
issus du parent radioactif, l’uranium. taines roches, la mémoire de l’enfance cons commença à l’Institut de physique
de la Terre. Cette mémoire n’est cepen- du Globe de Paris, par les travaux
L’horloge terrestre dant pas complète : l’activité géolo- d’Annie Vitrac et de Joël Lancelot, de
gique et, en particulier, les effets de la S. Moorbath, d’Oxford, et de nous-
En 1953, Clair Patterson a déter- tectonique des plaques, l’érosion et le mêmes. Pourtant ce sont des chercheurs
miné l’âge de la Terre. Il a montré, à métamorphisme (la transformation des australiens, dirigés par William
l’aide de l’analyse des isotopes du roches par fusion) ont détruit presque Compston, qui touchèrent le gros lot : ils
plomb (produits des désintégrations toutes les roches les plus anciennes. découvrirent des zircons d’âge compris
radioactives de l’uranium 238 et 235), Très peu d’échantillons ont été épargnés entre 4,1 et 4,2 milliards d’années, dans
que la Terre et les météorites avaient le par cette mécanique destructrice impla- l’Ouest de l’Australie.
même âge : 4,55 milliards d’années. Ce cable, mais certains vestiges ont sub- Pour résumer, les plus vieux
résultat, sans doute l’un des plus impor- sisté, et la géochimie isotopique a per- ensembles rocheux de dimensions rai-
tants de la science géochimique, a été mis de les identifier et d’en extraire une sonnables (quelques kilomètres carrés)
précisé et nuancé par des travaux grande quantité d’informations. Ainsi ont 3,8 à 3,9 milliards d’années, mais
récents faits à l’Institut de physique du on a découvert au Groenland un terrain on est certain que des surfaces continen-
Globe de Paris. L’âge des météorites vieux de 3,7 à 3,8 milliards d’années et, tales de tailles respectables existaient
semble bien être de 4,56 milliards plus récemment, dans l’Ouest des États- déjà il y a 4,1 ou peut-être même 4,2
milliards d’années, soit seulement 200
millions d’années après la fin de
2. LES TEMPÉRATURES DU GLOBE SONT CONNUES après les 400 premiers millions
d’années grâce aux fossiles. Le climat et la vie se sont modifiés mutuellement. Une soupe l’accrétion terrestre.
primordiale s’est d’abord formée, puis les organismes primitifs, comme les méduses et les Les plus vieux restes identifiables
algues, sont apparus ; les poissons à épine dorsale ont été suivis par l’icthyodron, peut-être d’êtres vivants, les plus anciens fossiles,
la première créature à sortir de l’océan. Le reste de l’histoire est connu : les dinosaures datent de 3,5 milliards d’années. Ils ont
sont apparus, puis ont été remplacés. été mis au jour aussi bien en Australie

PRÉCAMBRIEN CAMBRIEN ORDOVICIEN SILURIEN DÉVONIEN CARBONIFÈRE


– 4 500 MILLIONS D'ANNÉES – 570 – 505 – 438 – 408 – 360
TEMPÉRATURE

AUJOURD'HUI

10 © POUR LA SCIENCE
qu’en Afrique du Sud. À l’aide de la sont chimiquement neutres : ils ne réagis- multiplie par 10 000, voire par 100 000,
mesure des compositions isotopiques du sent pas avec les autres éléments. Deux les concentrations des roches en gaz du
carbone, Manfred Schidlowski affirme d’entre eux sont particulièrement impor- manteau. La récolte de ces roches par
que la formation Isua, au Groenland, tants pour les études atmosphériques : dragage du fond de l’océan, puis leur
contient le témoignage de matrice l’argon et le xénon. L’argon a trois iso- analyse sous vide dans un spectromètre
vivante ancienne. À partir de là, on peut topes dont un, l’argon 40, est créé par la de masse très sensible, permet aux géo-
spéculer un peu. décomposition radioactive du potassium chimistes de déterminer les rapports iso-
Certes, avec la destruction de la plu- 40. Il y a neuf isotopes du xénon, dont topiques du manteau. L’interprétation de
part des enregistrements fossiles, il nous l’un, le xénon 129, a deux origines : une ces résultats montre que 80 à 85 pour
est difficile de dire quand la vie est appa- partie du xénon 129 a été fabriquée par la cent de l’atmosphère a été dégazée pen-
rue, mais si la vie existait à l’époque nucléosynthèse antérieure à la formation dant le premier million d’années ; le reste
d’Isua, pourquoi n’aurait-elle pas existé de la Terre et du Système solaire, et a été lentement libéré pendant les 4,4
aux époques antérieures dont les zircons l’autre partie de ce xénon est le produit de milliards d’années restants.
constituent les seuls témoignages, il y 4,1 la désintégration de l’iode 129, une Dans l’atmosphère primitive, le
ou 4,2 milliards d’années? La vie serait espèce isotopique présente lors de la nais- dioxyde de carbone et l’azote prédomi-
apparue dès que les circonstances sance de la Terre, mais qui s’est très vite naient ; il y avait des traces de méthane,
l’auraient permis. désintégrée et n’existe plus aujourd’hui. d’ammoniac, de dioxyde de soufre, de
Connaissant la différence de désin- chlorure d’hydrogène, mais pas d’oxy-
La composition primitive tégration entre le potassium 40 et l’iode gène ; seule l’abondance de l’eau distin-
129, et en utilisant le fait que les gaz guait la Terre de l’atmosphère de Vénus
de l’atmosphère rares lourds (argon, xénon) s’accumu- ou de Mars. L’évolution détaillée de
C’est l’évolution de la composition lent dans l’atmosphère, on peut montrer l’atmosphère terrestre reste l’objet de
chimique de l’atmosphère qui a permis à théoriquement que la connaissance de la controverse à cause, notamment, de
la vie de sortir des océans et de se déve- composition isotopique de l’argon et du notre mauvaise connaissance de l’inten-
lopper sur les continents. L’atmosphère xénon à la fois dans l’atmosphère et sité du rayonnement solaire à cette
terrestre résulte du dégazage de l’inté- dans le manteau peut résoudre la ques- époque. Quelques faits pourtant sont
rieur de la planète ; ce processus se tion de l’âge de l’atmosphère. clairement établis : il est certain que la
poursuit aujourd’hui quand un volcan Fort bien. Mais il y a un hic : com- présence de gaz carbonique a joué un
éjecte des gaz. Les scientifiques s’inter- ment trouver des roches où ces concen- rôle primordial, et il est probable que
rogent : ce dégazage s’est-il produit trations isotopiques soient mesurables? l’atmosphère primitive contenait assez
brusquement il y a environ 4,4 milliards Heureusement, au voisinage des dorsales d’ammoniac et de méthane pour engen-
d’années, quand le noyau s’est différen- médio-océaniques, les laves volcaniques drer la matière organique.
cié, ou a-t-il été progressif? amènent en surface des témoins du man- Le problème de l’intensité du rayon-
Pour répondre à cette question, nous teau. Les infimes quantités de gaz pié- nement solaire reste entier. Selon cer-
avons, à l’Institut de physique du Globe gées dans les roches du manteau sont taines hypothèses, pendant l’Archéen
de Paris, étudié les isotopes des gaz rares entraînées avec le magma et se concen- (– 4,5 à – 2,5 milliards d’années), l’inten-
(voir La genèse de l’atmosphère, par T. trent dans de petites vésicules à la limite sité du Soleil n’était que les trois quarts
Staudacher et P. Sarda, dans ce dossier). des flots de lave brusquement trempés de l’intensité actuelle. Cette valeur sou-
Ces gaz – l’hélium, l’argon, le xénon – lors du refroidissement. Ce processus lève la question dite du Soleil faible :

PERMIEN TRIAS JURASSIQUE CRÉTACÉ PALÉOCÈNE ÉOCÈNE OLIGOCÈNE MIOCÈNE PLIOCÈNE PLÉISTOCÈNE HOLOCÈNE
–245 –208 –144 –65 –58 –37 –24 –5 –1,8 –0,01 0

© POUR LA SCIENCE 11
comment la vie peut-elle avoir survécu élevée à la fin de l’accrétion terrestre, tives du processus non organique sur la
dans un climat relativement froid? En a rapidement décru pour atteindre son teneur en dioxyde de carbone pourraient
1970, Carl Sagan et George Mullen ont niveau actuel. donc contrebalancer l’augmentation de
proposé qu’un super effet de serre, créé l’intensité du rayonnement solaire.
par les grandes quantités de méthane et L’origine du dioxyde Une autre hypothèse a été proposée
d’ammoniac, avait piégé très efficace- par James Lovelock, l’un des pères de
ment le rayonnement infrarouge émis par
de carbone l’hypothèse Gaia : l’élimination biolo-
la Terre. Cette idée a cependant été criti- La compréhension des mécanismes gique du dioxyde de carbone. Selon
quée, car ces gaz sont trop réactifs pour actuels d’évolution du climat passe par la l’hypothèse Gaia, la vie sur la Terre a la
résider longtemps dans l’atmosphère. connaissance du contenu en dioxyde de capacité de réguler la température et la
À la fin des années 1970, carbone de l’atmosphère ancienne. Deux constitution de la surface terrestre, afin
V. Ramanathan, Robert Cess et Tobias écoles s’affrontent sur cette question. La qu’elle soit propice au développement
Owen ont avancé une autre hypo- première propose que les températures et des organismes vivants. J. Lovelock
thèse : la concentration en dioxyde de la teneur en dioxyde de carbone aient été remarque que les micro-organismes
carbone pourrait avoir été suffisante, régulées par la géochimie non organique ; vivant de la photosynthèse, tels les phy-
dans l’atmosphère primitive, pour la seconde pense qu’elles ont évolué en toplanctons, sont productifs dans un
créer un super effet de serre, même en fonction des besoins liés aux développe- environnement riche en dioxyde de car-
l’absence de méthane et d’ammoniac. ments biologiques. bone : ces créatures auraient progressi-
Comment connaître la teneur en James Walker, James Kasting et Paul vement extrait le dioxyde de carbone de
dioxyde de carbone de l’atmosphère Hays sont les tenants du modèle non l’air et des océans pour le convertir en
primitive? Le dioxyde de carbone est organique : ils supposent que la concen- carbonate de calcium. Les sceptiques
fixé dans les roches carbonatées tration en dioxyde de carbone était élevée rétorquent toutefois que la concentra-
comme le calcaire, mais il est difficile au début de l’Archéen et qu’elle n’a pas tion en phytoplancton a peu évolué
de savoir quand il a été piégé. diminué brusquement ; ils avancent que, alors que la vie existait sur la Terre!
Actuellement le carbonate de cal- lors du réchauffement du climat, l’aug- Plus récemment, Tyler Volk et
cium résulte surtout de l’activité biolo- mentation des quantités d’eau évaporées David Schwartzman ont proposé une
gique, mais, pendant l’Archéen, les a accru l’efficacité du cycle hydrologique variante de l’hypothèse Gaia. Ils ont
carbonates ont pu se former par des par une augmentation des précipitations constaté que les bactéries augmentent le
réactions non organiques. En effet, le et du ruissellement. Le dioxyde de car- contenu en dioxyde de carbone des sols
rapide dégazage de la planète a libéré bone atmosphérique dissous dans l’eau par dégradation des molécules organiques
d’énormes quantités d’eau du man- de pluie aurait acidifié les pluies, qui et production d’acides. Les deux activités
teau, créant les océans et le cycle auraient lessivé et érodé les roches ; les accélèrent l’érosion et l’élimination du
hydrologique ; les acides présents dans minéraux silicatés se seraient combinés dioxyde de carbone atmosphérique. Sur
l’atmosphère ont attaqué les roches avec le carbone de l’atmosphère pour pié- ce dernier point, la controverse fait rage :
pour donner des minéraux riches en ger ce carbone sous forme de carbonates certains géochimistes pensent que si,
carbonates. L’importance relative d’un dans des roches sédimentaires. La dimi- après l’Archéen, la vie a pu fixer une par-
tel mécanisme est au cœur du débat : nution du dioxyde de carbone atmosphé- tie du dioxyde de carbone de l’atmo-
Heinrich Holland pense que la teneur rique résultant aurait réduit l’intensité de sphère, les phénomènes géochimiques
en dioxyde de carbone atmosphérique, l’effet de serre. Les conséquences néga- non organiques expliquent la majeure
partie de cette élimination ; ces scienti-
fiques considèrent que les mécanismes de
100 stabilisation dus à la vie n’ont guère eu
CONCENTRATION DES GAZ (EN POUR CENT)

MÉTHANE, AMMONIAC d’effets au cours des temps géologiques.


La question du cycle du carbone est
75 au cœur d’une double question
«vitale» : l’influence de la vie sur la
ATMOSPHÈRE
INCONNUE AZOTE composition passée et actuelle de
l’atmosphère. La fixation du carbone est
50 un des préalables de l’augmentation de
la teneur en oxygène, condition sine qua
EAU non du développement de certaines
25 formes de vie. Parallèlement, le
DIOXYDE DE CARBONE réchauffement global actuel de la pla-
OXYGÈNE
nète pourrait, s’il est confirmé, résulter
de l’utilisation par l’homme des
0
4,5 4 3 2 1
diverses formes de carbone fossile.
TEMPS (EN MILLIARDS D'ANNÉES)

3. LES CONCENTRATIONS GAZEUSES montrent que la composition atmosphérique a été for- L’apparition de l’oxygène
tement affectée par la vie sur la Terre. L’atmosphère primitive contenait beaucoup d’eau,
de dioxyde de carbone et, selon l’avis de certains experts, d’ammoniac, de méthane et Pendant un ou deux milliards
d’azote. Après l’apparition des organismes vivants, l’oxygène indispensable à notre survie d’années, les algues océaniques ont
est devenu prépondérant. Aujourd’hui le dioxyde de carbone, le méthane et l’eau n’existent produit de l’oxygène, mais comme de
qu’en quantité infinitésimale dans l’atmosphère. nombreux composés oxydables étaient

12 © POUR LA SCIENCE
présents dans les anciens océans – le L’évolution du climat Nous ne connaissons pas les causes
fer par exemple –, l’oxygène produit de ces changements. Les éruptions volca-
par les créatures vivantes a été Si la teneur en oxygène de l’atmo- niques ont pu jouer un rôle important :
consommé avant de gagner l’atmo- sphère a été remarquablement constante nous avons mesuré les effets des érup-
sphère, où il aurait pu réagir. au cours du dernier milliard d’années, le tions d’El Chichon au Mexique et du
Si la vie avait évolué vers des climat a été plus capricieux : les périodes Pinatubo aux Philippines. Des événe-
formes plus compliquées pendant cette chaudes et froides ont alterné. Comment ments tectoniques comme la surrection
période anaérobie, celles-ci n’auraient pouvons-nous reconstituer l’histoire des de l’Himalaya ont pu perturber le climat
pas eu d’oxygène à leur disposition. De climats? En mesurant la composition iso- de la planète ; les impacts de comètes
plus, le rayonnement ultraviolet non topique des coquilles des planctons fos- peuvent aussi provoquer des variations
filtré les aurait probablement tuées dès siles qui vivaient près du fond de climatiques de courte durée, catastro-
leur sortie de l’océan. De nombreux l’océan : ces compositions mesurent la phiques pour la survie des espèces
chercheurs pensent que l’oxygène température des eaux profondes. D’après vivantes. Si la catastrophe planétaire, qui
atmosphérique n’a commencé à ces enregistrements, les eaux profondes a entraîné la disparition des dinosaures il
s’accumuler qu’il y a environ deux se sont refroidies de près de 15 degrés y a 65 millions d’années reste mal identi-
milliards d’années, après l’oxydation Celsius au cours des derniers 100 mil- fiée, le climat sur la Terre a été suffisam-
des minéraux marins. Alors seulement lions d’années. Le niveau de la mer a ment régulier pour permettre à la vie de
les conditions de création d’une nou- baissé de plusieurs centaines de mètres, et se développer au cours des 3,5 derniers
velle niche écologique pour l’évolu- les continents se sont éloignés. Les mers milliards d’années.
tion de la vie furent réunies. intérieures ont, pour la plupart, disparu, et Les données sur l’histoire du climat
En examinant la stabilité de cer- la température a diminué de 10 à 15 terrestre ont été recueillies dans les
tains oxydes (l’oxyde de fer et l’oxyde degrés. La calotte de glace permanente de carottes de glace prélevées au Groenland
d’uranium), Heinrich Holland a l’Antarctique est apparue il y a environ et dans l’Antarctique. Lorsque la neige
confirmé la faiblesse du contenu en 20 millions d’années. tombe sur ces continents gelés, elle piège
oxygène de l’atmosphère de Il y a deux à trois millions d’années des bulles d’air entre ses flocons ; cette
l’Archéen. Il y a consensus pour apparaissent des périodes cycliques, neige se transforme en glace sous l’effet
admettre que la concentration actuelle chaudes et froides, d’environ 40 000 ans ; de la pression, emprisonnant les gaz. Les
en oxygène (21 pour cent) résulte de la cette durée est intéressante, car elle cor- scientifiques analysent le contenu chi-
photosynthèse. Toutefois on s’inter- respond à la période de variation de mique de la glace et des bulles de gaz
roge : cette concentration en oxygène l’orientation de l’axe de rotation de la dans des carottes de 2 000 mètres de hau-
a-t-elle augmenté brusquement ou gra- Terre. Après avoir longtemps soupçonné teur, et reconstituent les contenus de
duellement? Des études récentes sem- que cette coïncidence n’était pas acciden- l’atmosphère d’il y a 200 000 ans à
blent indiquer que l’augmentation a telle, les chercheurs ont confirmé depuis aujourd’hui (voir L’origine des glacia-
commencé brusquement il y a 2,1 à peu leur intuition : ces perturbations de la tions, par W. Broecker, dans ce dossier).
2,03 milliards d’années, et que la géométrie de l’orbite de la Terre atté- Les forages de glace ont permis de
concentration actuelle était déjà nuent de près de dix pour cent la diffé- déterminer que l’air respiré par les
atteinte il y a 1,5 milliard d’années. rence entre la quantité de lumière solaire anciens Égyptiens était très semblable à
La présence d’oxygène dans reçue en hiver et en été : ces variations celui que nous respirons aujourd’hui – à
l’atmosphère entraîne une autre consé- pourraient être responsables du début ou l’exception des polluants atmosphériques
quence bénéfique pour les organismes de la fin des époques glaciaires. (principalement du dioxyde de carbone
qui essaient de vivre sur les terres Au cours de la période comprise supplémentaire et du méthane) résultant
émergées : il filtre les rayons ultravio- entre – 800 000 et – 600 000 ans, la des activités humaines depuis 100 ou 200
lets. Ceux-ci peuvent briser de nom- duré des cycles climatiques augmenta ans. En deux siècles, l’industrialisation et
breuses molécules comme l’ADN, de 40 000 à 100 000 ans, avec de la déforestation ont augmenté de 25 pour
l’oxygène (et, actuellement, les chlo- grandes fluctuations autour de cette cent la concentration atmosphérique en
rofluorocarbures qui détruisent l’ozone évolution moyenne. Cette observation dioxyde de carbone. Le développement
stratosphérique) ; ainsi les ultraviolets est aussi intéressante qu’énigmatique. de l’agriculture, l’augmentation des sur-
cassent la molécule d’oxygène en sa La dernière grande période glaciaire faces habitées et l’augmentation de la
forme atomique très instable O, qui s’est terminée il y a environ 10 000 production d’énergie ont doublé la teneur
peut se recombiner en O2 ou bien en ans ; aux moments les plus froids, il y a en méthane de l’atmosphère. Le débat
O 3, la molécule d’ozone. L’ozone, à 20 000 ans, des couches de glace de actuel sur l’évolution du climat est clair :
son tour, absorbe le rayonnement plus d’un kilomètre d’épaisseur cou- l’augmentation de la concentration de ces
ultraviolet, et la vie n’apparaît que vraient la plus grande partie de l’Europe gaz entraînera-t-elle un réchauffement
quand la concentration en oxygène est du Nord et de l’Amérique du Nord. Les global de la planète?
suffisante pour que l’ozone absorbant glaciers recouvraient les hauts plateaux Les glaces fossiles ont montré que la
se forme. L’évolution rapide de la vie, et les montagnes du monde. Une grande fluctuation naturelle de la température du
des procaryotes (organismes monocel- partie de l’eau était sous forme de glace, Globe vaut environ un degré par millé-
lulaires sans noyau) aux eucaryotes aussi le niveau des océans était-il naire. Cette variation suffit pour modifier
(organismes monocellulaires avec quelque 100 mètres au-dessous du les biotopes des espèces et contribuer aux
noyau) et aux métazoaires, s’est niveau actuel ; cette glace, qui recou- extinctions de certaines d’entre elles,
accomplie pendant le milliard vrait les terres, modifiait du tout au tout comme les mammouths ou les tigres à
d’années où l’oxygène et l’ozone ont l’écologie de la planète, en moyenne dents de sabre. Toutefois le fait le plus
été présents. cinq degrés plus froide qu’actuellement. marquant raconté par les glaces fossiles

© POUR LA SCIENCE 13
n’est pas la relative stabilité du climat selant des continents aurait fertilisé le notre impact collectif sur l’environne-
pendant les 10 000 dernières années, plancton, et cet apport de nourriture ment est peut-être la preuve d’une
mais le fait qu’au paroxysme du der- aurait favorisé le développement des coévolution dont nous devons tenir
nier âge glaciaire, il y a 20 000 ans, la espèces marines. Comme la coquille de compte pour le futur de notre planète.
teneur de l’atmosphère en dioxyde de carbonate de calcium constitue la La tendance actuelle à l’accroissement
carbone était 30 à 40 pour cent plus majeure partie du poids de ces espèces, de la population, l’exigence de niveaux
faible et celle en méthane, 50 pour leur prolifération contribuerait à extra- de vie supérieurs et, dans ce but, l’utili-
cent moindre qu’à notre époque ire du dioxyde de carbone de l’océan et sation de techniques et d’organisations
l’Holocène. finalement de l’atmosphère. Durant ces fondées sur la croissance, contribuent à
mêmes périodes glaciaires, les forêts accroître la pollution. Tant que le prix
La vie et les changements boréales, qui consomment 10 à 20 pour de la pollution sera faible et que l’atmo-
de climat cent du carbone atmosphérique, ont sphère pourra être utilisée comme un
disparu, et le carbone de ces forêts a été égout gratuit, les concentrations en
Ces résultats suggèrent une relation libéré dans l’atmosphère. dioxyde de carbone, méthane, produits
entre le dioxyde de carbone, le méthane Ainsi l’interaction positive entre le chlorofluorocarbonés, oxydes nitreux,
et les changements climatiques, et cette pompage biologique océanique du car- oxydes de soufre et autres poisons pour-
rétroaction négative est aujourd’hui bone et l’évolution du climat aurait com- ront croître.
bien analysée : lorsque le monde est pensé l’effet négatif de la destruction de la La théorie du piégeage de la chaleur
plus froid, la teneur en gaz à effet de forêt. Cependant de grandes quantités de – codifiée selon des modélisations
serre est plus faible et moins de chaleur carbone peuvent avoir été enfouies dans mathématiques du climat – montre que,
est retenue. Inversement, quand la Terre les sols, et le carbone résultant de la dispa- si le taux de dioxyde de carbone double
se réchauffe, les teneurs en dioxyde de rition de forêts n’a pas été nécessairement d’ici 2050, l’atmosphère se réchauffera
carbone et en méthane augmentent, libéré dans l’atmosphère. de un à cinq degrés. L’hypothèse la
accélérant le réchauffement. Si la vie L’étude de l’évolution de l’atmo- plus favorable de cette fourchette cor-
avait joué un rôle dans cette évolution, sphère, riche en dioxyde de carbone mais respond à un réchauffement de un
elle aurait accéléré plutôt que contre- pauvre en oxygène, de l’Archéen, à celle degré par siècle : ce taux est dix fois
carré les changements climatiques ; de l’explosion de la vie, il y a environ un plus rapide que la fluctuation «natu-
cependant, là encore, notre analyse est milliard d’années, montre que celle-ci a relle» moyenne, de un degré par millé-
incomplète. pu stabiliser le climat. À un autre naire. Dans le cas le plus défavorable,
La plupart des scientifiques pensent moment, pendant les âges glaciaires et le taux de variation de la température
que la vie pourrait être la principale les cycles interglaciaires, la vie semble serait 50 fois plus élevé que dans les
rétroaction positive entre les change- avoir eu la fonction opposée, amplifiant conditions naturelles. Un changement à
ments climatiques et les teneurs en gaz les changements plutôt que s’y opposant. ce rythme obligerait certainement de
à effet de serre. Selon une hypothèse, La vie n’est donc pas un régulateur du nombreuses espèces à essayer de sortir
quand les niveaux des mers étaient plus climat : peut-être le climat et la vie évo- de leurs niches écologiques, tout
bas, une plus grande surface des pla- luent-ils ensemble? comme elles l’ont fait lors de la transi-
teaux continentaux était exposée aux Si nous nous considérons comme tion âge glaciaire/âge interglaciaire, il y
précipitations ; aussi une plus impor- une partie du monde vivant – c’est-à- a 10 000 à 15 000 années. Non seule-
tante quantité d’éléments nutritifs ruis- dire une partie du système naturel –, ment les espèces devraient s’adapter à
des changements climatiques 10 à 50
fois plus rapides, mais leurs routes de
migration seraient plus perturbées qu’à
la fin de l’âge glaciaire et au début de
l’ère interglaciaire. C’est pour cette rai-
son qu’il est fondamental de savoir si le
doublement de la teneur en dioxyde de
carbone se traduira par un ou par cinq
degrés de réchauffement.
Pour évaluer les futurs changements
climatiques et leurs conséquences sur
les systèmes écologiques de notre pla-
nète, nous devons interroger les
archives de roches, de sédiments et de
glace, afin de recueillir le maximum
d’enregistrements géologiques, paléo-
climatiques et paléoécologiques. Ces
données nous servent à calibrer les ins-
truments grossiers que nous utilisons
pour prédire, dans un contexte difficile,
un futur de plus en plus perturbé par
notre présence.
4. SPECTROMÈTRE DE MASSE ultrasensible permettant la mesure de la composition isoto-
pique des traces de gaz rare : hélium, argon ou xénon.

14 © POUR LA SCIENCE
Genèse et évolution
de l’atmosphère
Thomas Staudacher et Philippe Sarda

On reconstitue l’histoire de l’atmosphère à eux que l’on dispose de datations


absolues ayant permis de caler
et on explique la constitution actuelle de la Terre l’échelle de temps relative fournie par
les fossiles ; c’est par leur étude que
en interprétant les mesures isotopiques des gaz rares l’on connaît l’âge de la Terre : 4,5 mil-
liards d’années. Mais les isotopes
provenant de zones différentes du manteau. contiennent plus d’informations que
de simples dates.
De même que dans les sciences de
la vie, où l’on utilise des molécules
a seconde moitié du xxe siècle de plus, les techniques modernes de la «marquées» comme traceurs pour

L aura apporté, dans de nom-


breux domaines scientifiques
et notamment dans les
sciences de la Terre, des bouleverse-
ments importants. La tectonique des
physique et de la chimie ont été mises
au service de l’étude de l’objet Terre.
Parmi les outils les plus puissants des
sciences de la Terre, on trouve ainsi
les traceurs isotopiques.
suivre et chronométrer certains trans-
ferts à l’intérieur d’organismes
vivants, les géochimistes ont mis au
point une démarche analogue pour le
système complexe qu’est notre globe
plaques, dans les années 1950, a Certains isotopes radiogéniques, terrestre dans son ensemble. Ces tech-
déclenché une révolution conceptuelle c’est-à-dire produits par désintégration niques ont été, en France, mises au
qui a affecté l’ensemble des domaines d’autres isotopes radioactifs, sont utili- point par Claude Allègre et ses colla-
de recherche des sciences de la Terre ; sés comme chronomètres. C’est grâce borateurs du Laboratoire de géochimie
et cosmochimie de l’Institut de phy-
sique du globe de Paris. Aux États-
Unis, Gerald Wasserburg, de l’Institut
de technologie de Californie, a été un
pionnier de ce type de méthode. Bien
entendu, les isotopes ne sont pas intro-
CROÛTE duits à l’intérieur de la Terre, mais
CONTINENTALE on utilise des couples d’isotopes
radioactifs-radiogéniques, présents
SUBDUCTION
DORSALE naturellement dans les matériaux qui
constituent notre planète, pour tirer
MANTEAU POINT
CHAUD
des conclusions sur la dynamique pas-
SUPÉRIEUR
sée et présente de la Terre.
MANTEAU
INFÉRIEUR Le traçage isotopique
NOYAU Les traceurs isotopiques contien-
CROÛTE
OCÉANIQUE nent, d’une part, une information per-
mettant de caractériser des réservoirs de
1. COUPE DE LA TERRE ACTUELLE où l’on a représenté les zones de dégazage. L’atmo- matière différents (lithosphère, man-
sphère provient essentiellement du dégazage du manteau supérieur (entre 10 et 670 kilo- teau, noyau) comme par une sorte de
mètres de profondeur), survenu aux premiers âges de la Terre. C’est ce que nous enseigne «couleur» isotopique et, d’autre part,
l’analyse des gaz rares dans les roches des dorsales océaniques (ces chaînes volcaniques une double information sur les transferts
sous-marines d’environ 60 000 kilomètres de longueur). Le manteau supérieur, très
de matière ayant provoqué l’individuali-
dégazé, est caractérisé par des rapports isotopiques élevés. Le manteau inférieur, entre
670 et 2 900 kilomètres de profondeur, moins dégazé, est caractérisé par des rapports
sation de ces réservoirs : l’intensité et la
isotopiques de gaz rares plus faibles que pour le manteau supérieur. Les gaz rares du chronologie de ces transferts.
manteau inférieur sont ramenés à la surface par les laves des «points chauds», tels que Ces réservoirs se sont individualisés
les îles océaniques d’Hawaï, l’Islande et la Réunion. La composition isotopique des gaz au cours du temps : c’est le point de vue
rares du noyau est encore inconnue. historique. On sait que les planètes

16 © POUR LA SCIENCE
internes, comme la Terre ou Vénus, se Le message des gaz rares : 4,55 MILLIARDS D'ANNÉES
sont probablement formées de façon rela- le dégazage
tivement homogène, par collision d’une
multitude de corps planétaires, corps ana- Les isotopes des gaz hélium, néon,
logues à certaines des météorites qui argon et xénon permettent d’identifier
tombent encore actuellement sur une hétérogénéité majeure dans le
Terre. Sous l’effet de la chaleur manteau terrestre, qui paraît constitué
qu’elles avaient emmagasinée lors de de deux couches. Le manteau supé-
leur formation et du chauffage dû aux rieur, presque entièrement dégazé,
désintégrations radioactives, ces pla- contient très peu de gaz rares. En
nètes se sont différenciées ; cette dif- revanche, une zone plus profonde, le
férenciation correspond à une redistri- manteau inférieur, recèle encore
bution des éléments chimiques à aujourd’hui une partie de ses gaz ori-
l’intérieur de la planète, et les struc- ginels. Les isotopes du xénon et de
tures réservoirs se sont formées. Le l’argon nous apprennent que le déga-
4,5 MILLIARDS D'ANNÉES
noyau s’est constitué par individuali- zage qui a formé une partie de l’atmo-
sation d’une phase de fer et nickel, qui sphère a été précoce et violent.
s’est rassemblée au centre de la pla- Environ 95 pour cent de l’argon atmo-
nète sous l’effet de la gravitation. De sphérique doit avoir été dégazé très
même, les continents se sont indivi- tôt, dans les quelques premières cen-
dualisés à la surface par agrégation des taines de millions d’années de l’his-
éléments chimiques formant les maté- toire de la Terre. La zone du manteau
riaux les plus légers, apparentés aux terrestre qui a été presque entièrement
granites, qui flottent à la surface du dégazée contient aujourd’hui des gaz
manteau. Les gaz se sont échappés et rares reliques, dont la composition iso-
ont constitué l’atmosphère. topique diffère de celle de l’atmo-
Cet article décrit les conclusions sphère, et ces différences isotopiques
tirées d’un ensemble particulier de tra- sont dues précisément à l’effet du
ceurs isotopiques, les gaz rares : dégazage.
hélium, néon, argon, krypton et xénon. Ce dégazage se poursuit 4,4 MILLIARDS D'ANNÉES
Peu réactifs, les gaz rares ne sont pas aujourd’hui encore. On se souvient des
incorporés à l’environnement qu’ils magnifiques images représentant ces
traversent et sont d’excellents traceurs sources chaudes trouvées par 3 000
pour étudier le transfert de gaz de la mètres de fond sur la dorsale des
Terre vers l’atmosphère. Nous montre- Galapagos, puis du Pacifique Est, en
rons quelles informations ils fournis- 1979. Un traceur isotopique, l’hélium,
sent concernant la genèse de l’atmo- prouve sans ambiguïté que ces
sphère et la constitution interne de la panaches hydrothermaux contiennent
Terre, et par quelles méthodes ces des gaz juvéniles, c’est-à-dire prove-
informations ont été obtenues. nant de la profondeur : l’hélium
La composition isotopique d’élé- contenu dans ces eaux est en effet
ments lourds n’est pas changée par la enrichi en isotope hélium 3, lequel est
fusion ou la cristallisation. Par quasi absent de l’atmosphère. Ces
exemple, l’argon a trois isotopes de panaches hydrothermaux résultent du
masses 36, 38 et 40, et le rapport phénomène magmatique principal qui AUJOURD'HUI
argon 40/argon 36 de l’argon contenu affecte le manteau terrestre, le volca-
dans une lave est aussi celui de la zone nisme des dorsales.
profonde qui a fondu pour donner la La quasi-totalité de l’atmosphère
lave. M. D. Kurz et B. Jenkins, de s’est formée par ce mécanisme, à
l’Institut océanographique de Woods l’exception de l’oxygène, aujourd’hui
Hole, ont montré que, dans les basaltes un gaz majeur de l’atmosphère ter-
des dorsales, il en est de même pour restre qui s’y est accumulé, car c’est
l’hélium. Comme ces roches (prove- un produit de l’activité photosynthé-
nant du manteau en fusion qui monte à tique des végétaux verts.
la surface) sont jeunes, les composi- En fait, les compositions des atmo-
tions isotopiques n’ont pas été modi- sphères des trois planètes internes qui
fiées par les désintégrations radioac- en possèdent une, Vénus, la Terre et
tives depuis leur mise en place : pour Mars, sont très similaires. Cette com-
connaître les compositions isotopiques position est simple : de l’eau, H2O, et
des gaz rares contenus aujourd’hui du gaz carbonique, CO2. Cette simili- 2. F ORMATION DE LA T ERRE à partir
dans le manteau terrestre, on analyse tude paraît contestable en ce qui des petits corps planétaires primitifs
les gaz rares piégés dans les basaltes concerne la Terre, mais elle est exacte (planitésimes) et différenciation des
des dorsales. si l’on tient compte du fait que le car- grands réservoirs.

© POUR LA SCIENCE 17
DÉGAZAGE bone est piégé sous forme de carbo-
CONCENTRATION
nates dans les sédiments calcaires
actuels, et que l’oxygène provient des
X É N O N 129
IO N E N végétaux verts. Cette composition est
EN TRAT
C ONC très différente de celle qu’aurait eue
l’atmosphère si elle avait été un simple
résidu de la nébuleuse primitive qui a
donné naissance aux planètes, comme ce
CONCENTRATION EN XÉNON 130 fut le cas de Jupiter ou de Saturne. Ces
planètes géantes sont des masses de gaz
CONCENTRATION EN IODE 129 dont la composition est très proche de
celle du Soleil : de l’hydrogène essentiel-
ta tb tc TEMPS td lement, avec un peu d’hélium. Leurs
atmosphères sont d’origine primaire.
Les atmosphères des planètes
XÉNON 130 internes, en revanche, sont secondaires :
elles proviennent du dégazage de l’inté-
XÉNON 129
rieur de ces planètes. Les gaz qui les
3. L’IODE 129 SE TRANSFORME PAR RADIOACTIVITÉ EN XÉNON 129. Aussi le rapport iso- constituent ont été retenus par les grains
topique xénon 129/xénon 130 augmente avec le temps (de ta à td). Le dégazage de la Terre solides qui ont formé les planètes, les-
au temps tc est représenté presque instantané ; il affecte aussi bien le xénon 129 que le quelles se sont ensuite dégazées.
xénon 130. Les gaz qui s’échappent à ce moment tc ont un rapport isotopique xénon
129/xénon 130 égal au rapport atmosphérique actuel. Le rapport xénon 129/xénon 130 Le xénon 129 et l’argon 40
dans les roches du manteau supérieur augmente après le dégazage, à cause de la désinté-
gration de l’iode 129 y subsistant. Ce rapport isotopique, au temps actuel td , permet de À l’Institut de physique du Globe
déterminer à quelle époque la Terre s’est dégazée pour constituer l’atmosphère, et montre
de Paris, Thomas Staudacher, avec
que le dégazage s’est produit avant la disparition complète de l’iode 129.
l’appui technique d’André Lecomte, a
mis en œuvre deux spectromètres de
masse à paroi de verre, nommés
25 000 Ar 40 / Ar 36 MANTEAU
ARESIBO I et ARESIBO II, qui permet-
TRÈS DÉGAZÉ
tent de mesurer la composition isoto-
20 000
pique de tous les gaz rares inclus dans
15 000 les roches. Ces mesures sont difficiles,
mais, grâce à ces instruments élaborés,
10 000
nous avons pu montrer, depuis 1982,
5 000 MANTEAU que les compositions des isotopes du
MOINS DÉGAZÉ
xénon (xénon 129, xénon 132, xénon
300 ATMOSPHÈRE
134 et xénon 136) des verres basal-
0 1 2 3 TEMPS (EN MILLIARDS D'ANNÉES) tiques des dorsales océaniques diffè-
4. ÉVOLUTION DU RAPPORT ISOTOPIQUE DE L’ARGON au cours du temps pour chaque grand rent de celles de l’air. L’un de ces
réservoir : atmosphère, manteau très dégazé et manteau moins dégazé. Le rapport argon isotopes, le xénon 129, est particulière-
40/argon 36 a évolué jusqu’à atteindre aujourd’hui 296 dans l’atmosphère et 4 000 dans le ment intéressant. Les plus grandes
manteau moins dégazé, mais ce rapport vaut environ 30 000 dans le manteau dégazé. valeurs du rapport xénon 129/xénon 130
observées dans nos échantillons des
dorsales sont de l’ordre de 7,7, alors que
1 PROPORTIONS DANS L'ATMOSPHÈRE la valeur atmosphérique est de 6,5. Ces
rapports élevés n’ont été détectés dans
0,8 aucune autre roche terrestre et n’exis-
ARGON 36 tent que dans des matériaux extrater-
0,6 restres, par exemple les météorites.
Le xénon 129 est un isotope radio-
0,4
ARGON 40 génique produit par la désintégration
de l’iode 129. La demi-vie de cette
0,2 réaction est de 17 millions d’années,
TEMPS (EN MILLIARDS D'ANNÉES) très courte par rapport à l’âge de la
0 Terre, si bien que l’iode 129 n’existe
0 1 2 3 4
plus aujourd’hui (on dit que cet iso-
5. ÉVOLUTION DES QUANTITÉS d’argon 36 et d’argon 40 dans l’atmosphère au cours du tope est éteint). Nous verrons que le
temps. L’argon 36 était présent à la formation de la Terre et s’est dégazé rapidement. En
revanche, l’argon 40 était absent et a été produit tout au long de l’histoire de la Terre par
rapport isotopique xénon 129/xénon
la désintégration du potassium 40. L’arrivée précoce et brusque d’argon 36 dans l’atmo- 130 élevé dans les basaltes des dor-
sphère est représentée ici : le dégazage d’environ 95 pour cent de l’isotope argon 36 sales, donc dans le manteau, signifie
s’effectue dans les premiers 100 millions d’années, alors que l’isotope argon 40 est que l’essentiel du dégazage s’est
dégazé plus progressivement. effectué avant la disparition complète

18 © POUR LA SCIENCE
de l’iode 129 : en effet, après un pre-
mier dégazage brutal, il restait encore
de l’iode 129 dans le manteau, et donc
du xénon 129 a été produit et s’y est
accumulé depuis ; si le dégazage avait
eu lieu après la disparition de l’iode
129, la composition isotopique du
xénon serait aujourd’hui la même dans
le manteau et dans l’atmosphère. On
considère qu’un isotope radioactif est
éteint lorsque plus de dix demi-vies se
sont écoulées, ici 170 millions
d’années. L’essentiel de l’atmosphère
doit donc s’être formé avant que 170
millions d’années environ ne se soient
écoulées après la formation de la Terre.
La période de l’iode 129 est si
courte que ce système d’isotopes ne
peut enregistrer les événements de
dégazage ayant eu lieu plus tard que
les 170 millions d’années en question.
Pour avoir des informations sur la
suite de l’histoire, on a la chance de
disposer d’un autre gaz rare, l’argon.
Ici il s’agit de la désintégration du
potassium 40, qui donne du calcium 6. ROCHE VOLCANIQUE DE DORSALE RECOUVERTE D’UNE ÉPAISSE COUCHE VITREUSE.
40 par réaction ß–, et de l’argon 40 par
capture électronique. La demi-vie du
potassium 40 est de 1,25 milliard
d’années, c’est-à-dire commensurable L ES DÉSINTÉGRATIONS RADIOACTIVES
avec l’âge de la Terre, si bien qu’en La radioactivité naturelle est le phénomène de désintégration spontanée de cer-
utilisant l’argon, on mesure le déga- tains noyaux atomiques (ou nuclides) dits radioactifs. Elle produit d’autres noyaux dits
zage pendant toute l’histoire de la radiogéniques. Cette désintégration est accompagnée par l’émission de particules ou
Terre. Dans notre laboratoire, nous par l’émission de rayons γ. Elle est indépendante de toutes les influences extérieures
avons mesuré des différences extrême- (pression, température, liaison chimique et dépend uniquement du temps).
ment importantes du rapport argon Trois modes de radioactivité sont importants ici.
40/argon 36. Alors que l’argon atmo- Radioactivité ß– : transformation dans le noyau d’un neutron en proton, avec
sphérique présente un rapport argon émission d’un électron e– et d’un antineutrino ν.
40/argon 36 égal à 296, on trouve fré- Radioactivité par capture d’électron (E.C.) : capture d’un électron périphérique
quemment des valeurs de l’ordre de par le noyau et transformation d’un proton en neutron, avec émission d’un neu-
20 000 dans les verres basaltiques des trino ν et d’un photon γ.
dorsales, atteignant parfois 30 000. Radioactivité α : émission unique ou série d’émissions successives d’une particule
α, en particulier par les noyaux lourds.
Les nuclides radioactifs utilisés ici sont :
Les mesures
129I RADIOACTIVITÉ ß– 129Xe T1/2 = 17,2 MILLIONS D'ANNÉES
On mesure ces différences dans les
rapports isotopiques d’argon et de – )
ITÉ ß (~ 90% 40Ca
xénon en effectuant des chauffages 40K RADIOACTIV T1/2 = 1,25 MILLIARDS D'ANNÉES
progressifs ou des broyages des échan- E.C. (~ 10%) 40Ar

tillons, méthodes qui permettent de 238U RADIOACTIVITÉ α 206Pb + 8α T1/2 = 4,6 MILLIARDS D'ANNÉES
s’affranchir au mieux de la contamina-
tion par les gaz rares contenus dans La demi-vie T1/2 représente le temps au bout duquel 50 pour cent des atomes
l’eau de mer. En effet, les basaltes des d’un élément radioactif se sont désintégrés.
dorsales se mettent en place sous la D’après les demi-vies, l’iode 129 se désintègre beaucoup plus vite que les
mer. Or l’eau de mer, en équilibre autres. La loi de désintégration radioactive s’écrit Xt = X0e–λt, où X0 et Xt représen-
avec l’atmosphère, contient en grande tent la quantité d’un isotope au temps initial (ici la formation de la Terre ou l’indivi-
quantité des gaz rares atmosphériques dualisation d’un réservoir) et au temps t ; λ est la constante de désintégration λ est
dissous qui peuvent masquer les gaz proportionnelle à la demi-vie T1/2. Ainsi on peut estimer que l’isotope iode 129,
rares magmatiques que l’on souhaite avec une demi-vie de 17 millions d’années, est complètement désintégré environ
mesurer. C’est aussi la raison pour 170 millions d’années après la formation de la Terre, tandis qu’il existe
laquelle on n’utilise comme échan- aujourd’hui encore environ huit pour cent du potassium 40 et environ 50 pour
tillon que les verres, c’est-à-dire les cent de l’uranium 238.
parties externes des coulées de lave

© POUR LA SCIENCE 19
qui, au contact direct avec l’eau de cules. Ces vésicules s’ouvrent quand on nombre d’îles et de monts sous-marins ;
mer, ont été trempées. Les parties plus chauffe le verre sous ultravide à une si beaucoup d’entre eux sont issus du
internes se sont refroidies lentement et température d’environ 1 100 à 1 200 manteau superficiel, certaines îles
ont ainsi cristallisé ; elles ont perdu degrés Celsius, et libèrent à ce moment comme Hawaï, l’Islande ou la Réunion,
leurs gaz magmatiques, ont été envahies les gaz rares magmatiques qu’elles résultent des points chauds et, sur la
par l’eau de mer, et les gaz rares dissous contiennent. Une autre méthode efficace base de divers arguments, notamment
dans l’eau se sont mélangés avec les gaz pour obtenir les gaz rares magmatiques pétrologiques, on pense que leurs laves
rares magmatiques. En revanche, les non contaminés consiste à broyer les auraient leur source dans une zone très
parties vitrifiées résistent mieux à échantillons vitreux sous ultravide, afin profonde du manteau.
l’action de l’eau de mer, et elles ont d’ouvrir directement les vésicules. Ces Comme, dans notre modèle, le
bien plus de chances d’avoir retenu deux méthodes éliminent au mieux la réservoir profond est moins dégazé,
intacts les gaz rares d’origine profonde. contamination, et, si l’on veut analyser les quantités d’isotopes produites par
Lorsqu’on analyse les gaz rares du gaz profond, il est indispensable la radioactivité, par exemple l’argon
obtenus en chauffant progressivement, d’employer l’une ou l’autre, car l’ana- 40 et le xénon 129, sont faibles par
on constate souvent que l’argon libéré à lyse de la totalité du gaz contenu dans rapport à la quantité de gaz primordial
basse température est isotopiquement chaque échantillon donne des résultats présente : effectivement, le rapport
proche de l’argon atmosphérique ; il certainement erronés (en tout cas forte- argon 40/argon 36 mesuré dans des
s’agit d’argon de contamination, faible- ment modifiés par la contamination). verres du mont sous-marin Loihi, à
ment lié à la surface de l’échantillon. Hawaï, est d’environ 4 000, donc
C’est lorsqu’on chauffe à température Un ou deux réservoirs? supérieur à celui de l’atmosphère
plus élevée, environ 1 100 ou 1 200 (296), mais bien inférieur à celui du
degrés Celsius, qu’apparaît l’argon où Si une partie superficielle du man- manteau superficiel (30 000). En ce
le rapport argon 40/argon 36 est très teau s’est dégazée pour donner nais- qui concerne l’hélium, on doit tenir
élevé, jusqu’à 30 000. Les autres gaz sance à l’atmosphère, il est logique de compte d’un autre phénomène :
rares ont un comportement analogue. penser qu’une partie plus profonde est l’hélium s’échappe continuellement de
En fait, ces laves basaltiques présen- moins dégazée. Cette question est direc- l’atmosphère vers l’espace interplané-
tent des vésicules. Ces vésicules tement liée à l’un des grands problèmes taire car il est trop léger pour être
contiennent essentiellement du gaz car- actuels concernant la structure de l’inté- retenu dans le champ gravitationnel de
bonique comme gaz majeur, ainsi que la rieur de la Terre : certains modèles du la Terre. L’atmosphère est donc
majeure partie des gaz rares, le verre manteau décrivent deux «couches» pauvre en hélium. Ce fait est ici un
lui-même étant appauvri en gaz rares. convectives concentriques, d’autres font avantage, car la contamination par
C’est parce que les gaz rares ont une appel à un seul réservoir. Les gaz rares l’hélium atmosphérique est impos-
grande affinité pour la phase gazeuse apportent-ils des renseignements? sible. Les points chauds d’Hawaï,
qu’ils s’accumulent dans les vésicules Parmi les produits volcaniques qui d’Islande ou de la Réunion sont carac-
dès que celles-ci se forment dans le arrivent à la surface de la Terre, les térisés par les plus importants enri-
magma chaud, au cours de sa remontée. plus abondants, en volume, sont les chissements en hélium 3 mesurés à la
Ainsi les gaz qui nous parviennent des laves des dorsales : elles proviennent surface de la Terre, dans des échan-
profondeurs du manteau (et qui nous directement, par fusion, du manteau tillons provenant des profondeurs. Le
intéressent) sont enfermés dans les superficiel qui se trouve sous les caractère primordial de cet hélium 3
petites «bouteilles» que sont les vési- océans. Il existe aussi, dans les océans, est indiscutable.

a b c
Ne 20 / Ne 22 Xe 129 / Xe 130 Xe 129 / Xe 130
7,8
7,7
13 7,6

7,4
12
7,2
7,2

11 7,0

6,8 6,7
10
AIR 6,6 AIR AIR
Ne 21 / Ne 22 Xe 136 / Xe 130 Ar 40 / Ar 36
9 6,4 6,2
0,02 0,03 0,04 0,05 0,06 0,07 2,1 2,2 2,3 2,4 2,5 2,6 2,7 0 10 000 20 000

7. LES ANALYSES DE NÉON, ARGON ET XÉNON sur les verres basal- comme l’argon et le xénon (c). Ces corrélations résultent surtout d’un
tiques des dorsales effectuées à l’Institut de physique du Globe de mélange des gaz rares du manteau très dégazé et des gaz rares de
Paris, révèlent des excès isotopiques systématiques par rapport aux l’eau de mer. Le manteau supérieur possède les rapports isotopiques
compositions atmosphériques. Ces excès sont caractéristiques du les plus élevés. Néanmoins, sa signature peut varier selon les sites :
réservoir source de ces laves, le manteau supérieur, très dégazé. De les rapports isotopiques argon 40/argon 36 mesurés sont toujours
même que pour les isotopes d’un seul gaz rare (a et b), il existe aussi inférieurs à 15 000 dans les verres de l’océan Indien, tandis qu’ils
des corrélations entre les rapports isotopiques de gaz rares différents dépassent souvent 25 000 dans les verres de l’Atlantique.

20 © POUR LA SCIENCE
Mélanges 40/argon 36, et le rapport isotopique du l’argon chute brutalement avant que le
strontium, strontium 87/strontium 86. rapport isotopique strontium 87/strontium
Les rapports isotopiques mesurés Ces corrélations ne sont pas nécessaire- 86 ne subisse de changement important.
dans ces basaltes vitrifiés diffèrent de ment des droites, la théorie prédit des Ainsi la courbure de la ligne de mélange
place en place, même si l’on effectue les hyperboles : leur courbure renseigne sur obtenue est une conséquence directe de
analyses en chauffage progressif ou par les concentrations des deux éléments chi- l’importance du dégazage.
broyage et qu’on ne garde que les résul- miques dans les deux matériaux qui se Cependant, comme on le voit, les
tats isotopiques maximaux. Nous mélangent. En effet, si l’on mélange deux points expérimentaux sont assez disper-
savons aujourd’hui que ces variations matériaux dont les concentrations en sés : cela pourrait résulter du fait que trois
sont principalement dues à la contami- argon sont très différentes, mais les matériaux, au moins, se mélangent dans
nation des échantillons par des gaz rares concentrations en strontium semblables, le manteau (outre la contamination). Au
atmosphériques apportés par l’eau de la composition isotopique du mélange vu des corrélations évoquées, il est clair
mer, soit dans la chambre magmatique, varie beaucoup plus vite dans le cas de que l’un de ces trois pôles correspond
soit pendant l’éruption. Tout le soin que l’argon que dans le cas du strontium. certainement à la zone dégazée du man-
nous employons en laboratoire ne suffit Dans le cas présent (voir la figure 8), le teau, caractérisée par un rapport isoto-
pas pour éliminer la contamination ; manteau supérieur est très pauvre en pique d’argon élevé et un rapport isoto-
nous ne pouvons que la minimiser. La argon (parce que dégazé), argon dont le pique de strontium bas. L’un des deux
comparaison des concentrations de gaz rapport isotopique argon 40/argon 36 est autres pôles correspond probablement à
rares dans les différents milieux montre très élevé. Si un mélange se produit avec la partie profonde, moins dégazée ; quant
la difficulté de l’entreprise : l’eau de du matériel moins dégazé provenant des au troisième, il s’agit certainement d’une
mer contient environ 1,3 x 10–6 centi- profondeurs, le rapport isotopique de zone du manteau supérieur où seraient
mètres cubes d’argon 36 par gramme et
4,5 x 10–10 centimètres cubes de xénon
130 par gramme ; dans le manteau
supérieur, ces gaz rares sont 2 000 à MANTEAU TRÈS DÉGAZÉ OCÉAN INDIEN
4 000 fois moins abondants, avec 30 000
3 x 10 –10 centimètres cubes d’argon ATLANTIQUE-PACIFIQUE
Ar 40 / Ar 36

36 par gramme et 2 x 10–13 centimètres


cubes de xénon 130 par gramme. HAWAÏ (LOIHI)

Néanmoins, nous observons des cor-


rélations entre divers rapports isoto-
piques de gaz rares lorsqu’on considère 15 000
de nombreux échantillons provenant de
toutes les dorsales. Ces corrélations
10 000
résultent de phénomènes de mélange MANTEAU MOINS DÉGAZÉ
récent entre plusieurs composants. On ET SÉDIMENTS SUBDUCTÉS
note de telles corrélations dans le cas
d’un seul gaz, comme avec les corréla-
0
tions isotopiques néon-néon ou xénon- 0,702 0,703 0,704 Sr 87 / Sr 86 0,705
xénon, qui sont linéaires, conformément
à ce que prédit la théorie. Cela est
MANTEAU TRÈS DÉGAZÉ
encore vrai dans le cas de deux gaz ATLANTIQUE
rares différents, comme la corrélation 30 000
argon-xénon (voir la figure 7). HAWAÏ (LOIHI)
Ar 40 / Ar 36

Enfin il existe des corrélations isoto-


piques entre les gaz rares et d’autres
éléments chimiques non gazeux, égale-
ment utilisés comme traceurs. Ces tra-
ceurs non gazeux (strontium, néodyme, 15 000
plomb) sont transportés du manteau
supérieur vers les continents au fur et à 10 000
SÉDIMENTS
mesure de la croissance des continents SUBDUCTÉS
aux dépens du manteau. Le manteau MANTEAU
supérieur étant appauvri en ces élé- MOINS DÉGAZÉ
ments, on y trouve des compositions 0
isotopiques différentes, selon la même 17,75 18,25 18,75 Pb 206 / Pb 204 19,25
logique que pour les gaz rares, et l’on a
identifié divers composants mantel- 8. DES CORRÉLATIONS existent entre les compositions isotopiques des gaz rares (ici argon
40/argon 36) et celles des éléments non gazeux comme le strontium (strontium 87/strontium
liques, différant par leur composition 86) ou le plomb (plomb 206/plomb 204). Pour l’argon, seules les valeurs maximales obtenues
isotopique en ces éléments. L’une des par chauffage progressif ou broyage sont utilisées. Ces corrélations appuient l’hypothèse d’un
premières corrélations mises en évi- mélange entre le manteau supérieur (très dégazé) et le manteau inférieur (moins dégazé).
dence est celle qui existe entre le rap- L’interprétation du diagramme argon-plomb (en bas) impose la nécessité d’un troisième pôle
port isotopique de l’argon, argon de mélange, avec de la croûte continentale ou océanique recyclée par subduction.

© POUR LA SCIENCE 21
stockés la croûte océanique et les sédi- Les compositions isotopiques des gaz tion en imposant comme condition que
ments injectés dans le manteau par sub- rares qui caractérisent le manteau supé- les rapports isotopiques calculés pour
duction (recyclage). Ces deux derniers rieur permettent de conclure que celui-ci le manteau dégazé soient égaux à ceux
types de matériels devraient avoir des est très dégazé. Par exemple, en ce qui que nous avons mesurés dans les
rapports isotopiques d’argon et de stron- concerne l’argon, le rapport isotopique échantillons naturels.
tium semblables, mais des concentrations maximum du réservoir dégazé est Le résultat est qu’il faut au mini-
différentes. En effet, la croûte océanique d’environ 30 000. Le rapport isotopique mum deux phases successives dans
et les sédiments sont riches en argon iso- du réservoir moins dégazé est d’environ cette histoire : une première phase
topiquement atmosphérique (argon 4000. Comme l’argon ne s’échappe pas rapide où le dégazage est très important
40/argon 36 égal à 296) et en strontium de l’atmosphère, on peut en faire un et la vitesse de dégazage décroît très
marin (strontium 87/strontium 86 élevé). bilan pour les trois réservoirs, et calculer vite ; puis une phase de dégazage lent
On obtient alors plusieurs hyperboles de ce que serait le rapport argon 40/argon qui se poursuit jusqu’à nos jours. La
mélange qu’il est difficile de distinguer 36 d’une Terre non dégazée depuis sa première phase dure environ 100 mil-
dans ce diagramme argon-strontium. formation : on trouve environ 400 pour lions d’années. Lors de la deuxième
Une autre corrélation existe entre ce système clos théorique. La concentra- phase, l’intensité du dégazage diminue
les rapports isotopiques de l’argon tion en argon 36 dans le manteau dégazé considérablement, mais elle ne doit pas
(argon 40/argon 36) et du plomb (plomb est plus faible que dans le système clos être nulle aujourd’hui. Le dégazage de
206/plomb 204) mesurés chacun sur des d’un facteur de l’ordre de 100 l’isotope argon 36, présent dès le début,
échantillons de l’océan atlantique (voir le (30 000/400). Cette valeur est minimale, s’effectue quasi totalement lors de la
bas de la figure 8). Ici la corrélation puisque, en réalité l’isotope argon 40 lui première phase, précoce et rapide. En
paraît de meilleure qualité. De plus, sur aussi a été dégazé. À cause de ce déga- revanche, l’isotope argon 40 est absent
ce diagramme, on distingue clairement zage, le contenu en argon 36 du réservoir lors de la formation de la Terre, et il est
deux pôles de mélanges, l’un caractérisé dégazé est donc devenu extrêmement produit au cours du temps par la radio-
par un rapport plomb 206/plomb 204 de faible par rapport à son contenu en potas- activité du potassium 40. Son dégazage
19,4 et un rapport argon 40/argon 36 sium 40. Ensuite, du fait de la production s’effectue donc, pour l’essentiel, non
faible, et l’autre par un rapport plomb radioactive incessante de l’argon 40, cela pas en même temps que celui de l’argon
206/plomb 204 de l’ordre de 18 et un rap- s’est traduit par des rapports isotopiques 36, mais plus tard, lorsqu’il a été suffi-
port argon 40/argon 36 élevé. Le pôle à argon 40/argon 36 bien supérieurs dans samment produit. L’action combinée de
plomb 206/plomb 204 élevé est certaine- le réservoir dégazé que dans le réservoir la radioactivité et du dégazage amène
ment le pôle recyclé, car les sédiments moins dégazé. Ainsi, au cours de l’his- ainsi à séparer le dégazage des deux iso-
subductés sont riches en uranium, lequel toire de la Terre, le rapport isotopique topes, argon 36 et argon 40.
se désintègre en plomb 206. Le pôle argon 40/argon 36 a augmenté beaucoup
moins dégazé, qui présente un rapport plus et bien plus vite dans le manteau Le néon
plomb 206/plomb 204 de 18,3 et un supérieur que dans le manteau inférieur
rapport argon 40/argon 36 faible, (voir les figures 4 et 5). Nous avons en outre mesuré précisé-
constitue certainement un troisième L’autre message des gaz rares est ment les rapports isotopiques du néon,
pôle de mélange, caractéristique de que le dégazage fut précoce. Le prin- néon 20/néon 22 et néon 21/néon 22,
Hawaï (Loihi). cipe du raisonnement en est très dans les basaltes vitreux des dorsales.
Tout cela témoigne de l’existence simple : puisque l’atmosphère se Dans ce cas, aucune radioactivité n’abou-
d’au moins trois composants différents à dégaze du manteau, pour que les rap- tit directement à des isotopes du néon. En
l’intérieur de la Terre : le manteau super- ports isotopiques xénon 129/xénon revanche, des réactions nucléaires ont
ficiel dégazé, le manteau profond moins 130 et argon 40/argon 36 dans l’atmo- lieu dans les roches du manteau, et pro-
dégazé et du matériel recyclé. Cela sphère soient aujourd’hui aussi faibles, duisent des isotopes du néon ; par
montre aussi que la systématique isoto- il faut que l’essentiel du dégazage se exemple, un atome d’oxygène 18 peut
pique des gaz rares est cohérente avec soit produit avant que les rapports iso- absorber une particule α, émettre un neu-
celle qui a été établie d’après les traceurs topiques dans le manteau ne soient tron et se transformer ainsi en néon 21 ;
isotopiques non gazeux (strontium, néo- devenus trop grands. cette réaction est notée 18O(α,n)21Ne.
dyme, plomb) qui sont appauvris dans le Mais le dégazage a dû être un phé- D’autres réactions du même type produi-
manteau supérieur ; eux aussi indiquent nomène continu, et il faut aller plus sent du néon 22 et du néon 20, mais en
l’existence d’un recyclage dans le man- loin que la simple description évoquée quantité infime. Les particules α sont des
teau par subduction. précédemment, à propos du xénon noyaux d’hélium 4, produits en abon-
129, où le dégazage était considéré dance par les chaînes de désintégration
Histoire et importance comme instantané. Pour décrire le des atomes d’uranium et de thorium 232
dégazage de façon continue, nous présents dans les roches. Ces réactions
du dégazage avons élaboré un modèle numérique : nucléaires ont été découvertes par George
Connaissant donc, grâce aux points on s’est donné une fonction paramé- Wetherill, à l’Université de Chicago.
chauds, la composition isotopique des trée décrivant la décroissance au cours Nous avons obtenu des résultats
gaz rares contenus dans le manteau du temps de la vitesse du dégazage, étonnants. Comme pour les autres gaz
superficiel très dégazé, ainsi que celle des puis on a calculé, à l’aide de cette rares, le néon contenu dans les roches
gaz rares contenus dans le réservoir fonction, les valeurs des rapports iso- des dorsales présente lui aussi de très
moins dégazé, nous avons en main tous topiques dans le manteau et dans importantes différences isotopiques par
les éléments pour reconstituer l’histoire et l’atmosphère actuels. Le jeu consiste à rapport au néon atmosphérique : les
l’intensité du dégazage. déterminer les paramètres de la fonc- deux rapports isotopiques du néon, néon

22 © POUR LA SCIENCE
20/néon 22 et néon 21/néon 22, présen-

Ne 20/ Ne 22
tent des valeurs maximales de 13,2 et
14 HAWAÏ
0,07, alors qu’ils valent 9,8 et 0,03 dans NÉON RÉACTIONS NUCLÉAIRES DORSALES
SOLAIRE (LOIHI)
l’air. De plus, ils présentent entre eux
une très belle corrélation linéaire,

E
NAMIQU
valable pour tous les échantillons des 13
dorsales, quelle que soit leur localisa-
tion (voir les figures 7 et 9).

YDRODY
Depuis 1991, une équipe australienne
de l’université de Canberra évoque une 12

EMENT H
corrélation similaire dans des roches du
mont sous-marin Loihi. Cependant, les
rapports néon 20/néon 22 et néon
11

ÉCHAPP
21/néon 22 n’excèdent pas 11,5 et 0,037.
Plus récemment, en 1995, Peter
Valbracht a rapporté de Hawaï des
échantillons exceptionnels et les a analy- 10
sés dans notre laboratoire, par broyage et AIR
par chauffage progressif. Ces verres
basaltiques proviennent d’une fissure
située au Sud du mont sous-marin Loihi, 9
et ont été recueillis entre 3 000 et 5 000 0,02 0,03 0,04 0,05 0,06 0,07 0,08
mètres de profondeur, soit bien plus pro- Ne 21/ Ne 22
fondément que la plupart des échan- 9. LE MANTEAU DE LA TERRE comprend deux réservoirs, caractérisés par des corrélations
tillons d’îles océaniques analysés isotopiques du néon distinctes : le pôle Hawaï (Loihi) et le pôle dorsales. Ces résultats, com-
jusqu’ici. Nous espérions que les gaz patibles avec l’étude des autres gaz rares, confirment l’idée que le manteau terrestre est
rares seraient mieux préservés, car, à séparé en deux couches : le manteau supérieur, fortement dégazé, est caractérisé par des
cette profondeur, la pression limite la rapports isotopiques très élevés, tels qu’on les observe aux dorsales ; le manteau inférieur,
perte de vésicules porteuses des gaz qui moins dégazé, donc plus riche en gaz rares primordiaux, est caractérisé par des rapports iso-
nous intéressent. Les résultats étaient topiques plus faibles, qu’on mesure à Loihi (à Hawaï). La différence entre le néon solaire et
effectivement extraordinaires. Nous le néon atmosphérique résulte de l’échappement hydrodynamique durant lequel les isotopes
légers se sont échappés plus vite de l’atmosphère primitive.
avons observé une parfaite corrélation
entre les rapports isotopiques néon
20/néon 22 et néon 21/néon 22. La 22 vaut au moins 13,1, et le rapport forcément solaires. On sait que l’atmo-
valeur maximale du rapport néon néon 21/néon 22 vaut environ 0,04. sphère était alors riche en hydrogène.
20/néon 22, qui vaut 13,1, est aussi éle- Nous en déduisons que le manteau Trop léger pour être retenu par la gra-
vée que celle relevée dans les roches des terrestre avait partout, à l’origine, la vité terrestre, l’hydrogène s’est
dorsales. En revanche, le rapport même signature de néon, qui était certai- échappé vers l’espace, entraînant avec
néon 21/néon 22 maximal, de 0,038, est nement celle du néon solaire (qui, elle, lui une grande partie des gaz rares pré-
bien plus bas. Ces rapports sont proches n’a pas changé depuis la formation du sents : c’est ce qu’on nomme l’«échap-
de ceux qu’on a déterminés pour le néon système solaire). Puis, durant 50 ou 100 pement hydrodynamique». Ainsi le
solaire (notamment dans les météorites) : millions d’années, le manteau s’est bruta- néon s’est appauvri en isotopes légers
13,8 pour néon 20/néon 22 et 0,0328 lement dégazé. Le manteau supérieur a (les néons 20 et 21 qui s’échappaient
pour néon 21/néon 22. perdu plus de 90 pour cent de son gaz pri- légèrement plus vite que le néon 22) :
Nous avons ainsi décelé deux corré- mordial, le manteau inférieur beaucoup les rapports isotopiques du néon ont
lations différentes pour le néon : une moins. Les réactions nucléaires que nous alors diminué jusqu’aux valeurs atmo-
pour les roches provenant des dorsales, avons décrites précédemment ont produit sphériques actuelles.
donc du manteau très dégazé (ou man- du néon 21 radiogénique (voir la figure Ainsi le néon nous a apporté la der-
teau supérieur), une autre pour les 9). Cet excès de néon 21 est important nière pierre manquante à la géochimie
échantillons provenant d’un point dans le manteau supérieur fortement isotopique des gaz rares terrestres. Les
chaud, donc du manteau profond. Si les dégazé, qui ne contient plus que très peu rapports isotopiques de tous les gaz rares
corrélations observées résultent d’un de néon primordial. Il se fait moins sentir paraissent cohérents entre eux et compa-
mélange de matériel des sources avec dans le manteau inférieur, qui contient tibles avec l’idée que l’atmosphère de la
du néon atmosphérique (dit de conta- encore beaucoup de gaz primordial. Terre s’est formée par dégazage d’une
mination), alors les signatures isoto- Il nous reste toutefois à expliquer partie du manteau. Le dégazage s’est
piques des sources correspondantes pourquoi les rapports isotopiques du effectué très tôt, essentiellement entre 4,4
sont les valeurs les plus élevées des néon atmosphérique diffèrent de ceux et 4,5 milliards d’années, et a été intense.
corrélations. Pour les dorsales ou pour du néon solaire. Le xénon et l’argon Les gaz rares nous indiquent aussi qu’une
le manteau supérieur, le rapport néon nous ont montré que l’atmosphère s’est partie de l’atmosphère a été perdue dans
20/néon 22 vaut au moins 13,2, et le formée dans les premiers 50 à 100 mil- l’espace à cette époque. Ils nous montrent
rapport néon 21/néon 22 vaut environ lions d’années après la formation de la que la Terre continue à se dégazer
0,07. Pour le point chaud ou le man- Terre. Dans cet atmosphère primitive, aujourd’hui, mais beaucoup plus faible-
teau inférieur, le rapport néon 20/néon les rapports isotopiques du néon étaient ment qu’aux premiers jours.

© POUR LA SCIENCE 23
L ES CYCLES DE L’ ATMOSPH È RE
Les gaz les plus abondants après le
dioxyde de carbone sont le néon (18 par-
ties par million) et l’hélium (5 parties par
million). La plus grande partie de l’hélium
Andrew Ingersoll est produite par la désintégration d’élé-
ments radioactifs à l’intérieur de la Terre.

L’ atmosphère terrestre est une fine pel-


licule de gaz, dont l’épaisseur ne vaut
que le centième du rayon de la Terre. Ce
La composition de l’air sec est remar-
quablement constante sur l’ensemble du
Globe, mais la quantité de vapeur d’eau
Le néon, en revanche, provient directe-
ment du nuage primordial qui s’est
condensé pour former la Terre. Les quan-
mince fluide transporte la chaleur engen- varie fortement, allant d’une petite fraction tités de néon et des autres gaz rares (kryp-
drée par le moteur thermique de la Terre : de un pour cent à quatre pour cent en ton, xénon et les isotopes non radioactifs
la majeure partie de l’énergie du rayonne- volume. L’atmosphère n’est pas le principal de l’argon) dans l’atmosphère sont elles
ment solaire est transformée en énergie réservoir d’eau, car aux températures ter- aussi probablement égales aux quantités
thermique atmosphérique avant d’être restres, l’eau est à l’état condensé. L’océan de ces gaz emprisonnés dans la Terre lors
réémise dans l’espace. Les vents dissipent contient quelque 300 atmosphères d’eau de sa formation. Libérés dans l’atmo-
plus d’énergie que les courants océaniques, (c’est-à-dire un poids d’eau égal à 300 fois sphère, ces gaz y restent puisqu’ils sont
les marées, la dérive des continents et la celui de tous les autres constituants de géochimiquement inertes et ne se conden-
convection du manteau terrestre réunis. l’atmosphère), et les argiles et autres miné- sent pas aux températures terrestres.
L’histoire de la Terre est déterminée par les raux hydratés en contiennent un peu Le seul autre gaz dont l’abondance
fluctuations à court terme du système moins : le contenu en vapeur d’eau d’une soit supérieure à deux parties par million
atmosphérique (le temps) et les fluctuations masse d’air donnée est déterminé par l’his- est l’ozone (O3). Sa concentration varie en
à plus long terme (le climat). toire de ses relations avec les réservoirs fonction de l’altitude : elle atteint un maxi-
d’eau de surface et par la pression de mum de 12 parties par million vers 30
La composition vapeur saturante de l’air à sa température. kilomètres. L’équilibre entre les réactions
de l’atmosphère qui créent l’ozone et celles qui
le détruisent fixe la quantité
Les trois principaux consti- d’ozone dans l’atmosphère. Les
tuants de I’air sec sont I’azote atomes d’oxygène formés par
(N2), I’oxygène (O2) et l’argon la photodissociation de l’oxy-
(Ar), qui représentent respecti- gène moléculaire (O 2 ) sous
vement 79 pour cent, 20 pour l’effet du rayonnement ultravio-
cent et un pour cent des molé- let se combinent avec les molé-
cules. L’azote, pratiquement cules d’oxygène pour former
inerte du point de vue géochi- l’ozone ; parallèlement plu-
mique, s’est accumulé dans sieurs réactions détruisent
l’atmosphère au cours du l’ozone : les réactions dans les-
temps. Au contraire, l’oxygène, quelles «l’oxygène impair» (soit
très actif, est un gaz migrateur O, soit O3) est consommé pro-
1. L’atmosphère est un voile léger à la surface du Globe.
qui passe et repasse de l’atmo- Cette photographie a été prise de la navette spatiale Atlantis. voquent une diminution de
sphère dans l’océan, la bio- la concentration en ozone.
sphère et les roches sédimen- L’ozone est le seul gaz atmo-
taires. La quantité d’oxygène dans Les autres constituants de l’air sont pré- sphérique qui absorbe les rayonnements
l’atmosphère dépend de la vitesse des sents en si petites quantités que l’on dans le proche ultraviolet (aux longueurs
réactions d’échange d’oxygène entre le exprime leurs concentrations en parties par d’onde comprises entre 0,2 et 0,3 micro-
réservoir atmosphérique d’oxygène libre et million plutôt qu’en pourcentage. Le plus mètre) ; il joue ainsi un rôle crucial en pro-
le petit réservoir de carbone des roches abondant d’entre eux est le dioxyde de car- tégeant la surface de la Terre d’un rayon-
sédimentaires. Avant de se décomposer bone (CO2), à la concentration actuelle de nement trop «intense».
(c’est-à-dire de s’oxyder), une petite frac- 340 parties par million de l’air sec. Le réser-
tion de matière organique est enfouie sous voir atmosphérique de dioxyde de carbone Le bilan énergétique
les sédiments ; dans le bilan du cycle de est moins important que le réservoir océa-
l’oxygène, un tel enfouissement écono- nique constitué par les ions hydrogénocar- La composition, ainsi que la distance
mise l’oxygène atmosphérique. Cette éco- bonate (HCO3–) et carbonate (CO3 – –) et au Soleil, est le facteur clé du bilan énergé-
nomie est compensée par la consomma- que le réservoir de carbone des roches cal- tique de l’atmosphère ; de ce bilan décou-
tion d’oxygène lors de la dégradation des caires, constitué pour une grande part du lent des paramètres vitaux, de la tempéra-
roches sédimentaires. carbonate de calcium (CaCO 3 ) des ture de la surface terrestre à la
L’essentiel de l’argon contenu dans coquilles d’organismes marins. Les roches configuration (le champ) de la circulation
l’atmosphère est l’isotope 40 produit par la calcaires, à elles seules, contiennent atmosphérique qui redistribue l’énergie
désintégration radioactive du potassium quelque 20 atmosphères de dioxyde de solaire sur la surface.
40 dans le manteau et la croûte terrestre carbone. Ainsi, la quantité de dioxyde de À la limite externe de l’atmosphère
et libéré dans l’atmosphère par les volcans. carbone dans l’air, comme la quantité de terrestre, quand la Terre se trouve à une
L’argon, l’un des gaz nobles, est géochimi- vapeur d’eau, est fixée par les vitesses des distance moyenne du Soleil, le flux solaire
quement inerte ; une fois libéré dans réactions d’équilibre liant le réservoir atmo- (la quantité d’énergie transportée par le
l’atmosphère, il y demeure. sphérique aux réservoirs de surface. rayonnement solaire et qui traverse per-

24 © POUR LA SCIENCE
OXYGÈNE GAZ CARBONIQUE

COMBUSTION

PHOTOSYNTHÈSE
PHOTOSYNTHÈSE
RESPIRATION

RESPIRATION

FOSSILISATION
DÉCOMPOSITION (CHARBON, GAZ,
ÉCHANGE PÉTROLE)
ÉCHANGE
AIR-EAU
AIR-EAU

AZOTE 2. L’atmosphère participe aux cycles de la vie. Les cycles


de l’oxygène et du carbone sont intimement liés : la pho-
tosyntèse des végétaux produit de l’oxygène et consomme
du gaz carbonique ; la respiration des êtres vivants
consomme de l’oxygène et produit du gaz carbonique. Le
carbone est abondant dans les roches sédimentaires et
dans les combustibles fossiles. La combustion de ces der-
niers dégage du gaz carbonique. Les principaux acteurs du
DÉNITRIFICATION cycle de l’azote sont les bactéries : les unes fixent l’azote
PAR DES BACTÉRIES
atmosphérique et produisent des nitrates, les autres
consomment les nitrates et libèrent de l’azote. Les
décharges électriques des orages transforment une très
NITRIFICATION NITRATES faible fraction de l’azote atmosphérique en ammoniaque,
DÉCOMPOSITION PAR DES BACTÉRIES entraînée par les pluies et assimilable par les plantes.

pendiculairement une surface unité) est de de la constante solaire et de l’albédo actuel thermique qui s’y trouve déjà, une autre
1 367 watts par mètre carré. Cette de la Terre, le flux moyen d’énergie partie est réabsorbée dans l’atmosphère et
«constante solaire» est en fait une variable. réémise sur le Globe est d’environ 240 enfin le reste s’échappe dans l’espace.
Des mesures par satellite et navette spa- watts par mètre carré pour que la Terre Si la quantité d’un absorbant dans
tiale ont montré qu’un groupe de taches reste en équilibre thermique. La valeur du l’infrarouge tel que le dioxyde de carbone
solaires de grandes dimensions provoque flux réémis dépend de la température : augmente, la surface de la Terre absorbe
une chute de 0,1 pour cent du rayonne- selon la loi de Stefan-Boltzmann, le flux de davantage de rayonnement et sa tempéra-
ment reçu. Sur de longues périodes, les rayonnement émis par un corps noir, un ture s’élève. En outre, une quantité
variations pourraient être plus importantes. émetteur idéal, est proportionnel à la puis- moindre du rayonnement émis par la sur-
On estime qu’une augmentation de un sance quatrième de sa température expri- face s’échappe dans l’espace et l’énergie
pour cent de la constante solaire, mainte- mée en kelvins. Ce nombre (240 watts par thermique emmagasinée par la Terre
nue pendant au moins dix ans, élèverait la mètre carré) est l’énergie émise par l’unité s’accroît ; ainsi les éléments qui absorbent
température moyenne de la surface ter- de surface d’un corps noir à une tempéra- dans l’infrarouge favorisent le réchauffe-
restre d’environ un ou deux degrés. ture de – 18 degrés Celsius. C’est la tem- ment de la Terre. Le rôle joué par l’atmo-
Le rayonnement atteignant la surface pérature moyenne de l’atmosphère à une sphère dans le réchauffement de la Terre
terrestre n’est pas absorbé dans sa totalité. altitude de cinq kilomètres. est traditionnellement appelé l’effet de
L’atmosphère et la surface de la Terre en Un corps noir à 255 kelvins émet un serre, mais ce terme est trompeur : bien
réfléchissent environ 30 pour cent vers rayonnement dans un grand domaine de que le verre d’une serre laisse passer la
l’espace. Les principaux réflecteurs sont les longueurs d’onde, avec un maximum peu lumière solaire et empêche le rayonne-
nuages, les poussières atmosphériques, les prononcé vers 12 micromètres (dans la ment infrarouge de s’échapper, l’échauffe-
molécules des gaz atmosphériques, la neige région infrarouge du spectre électromagné- ment résulte essentiellement du fait que le
et les sols arides. Le pourcentage du rayon- tique). La surface terrestre et l’atmosphère toit de verre évite la dissipation par
nement incident réfléchi vers l’espace se comportent approximativement comme convection de la chaleur.
(l’albédo de la planète) varierait notablement des corps noirs et émettent leur rayonne- La température moyenne à la surface
si le climat changeait, si davantage de pous- ment dans ce domaine de longueur du Globe (qui vaut aujourd’hui 13 degrés
sières étaient émises dans l’atmosphère par d’onde. La plus grande partie du rayonne- Celsius) est la température pour laquelle la
les éruptions volcaniques, ou si davantage ment émis par la surface est absorbée prin- surface terrestre et l’atmosphère sont en
de terres étaient déboisées. Une diminution cipalement par la vapeur d’eau, les nuages, équilibre thermique. La surface, chauffée
ou une augmentation de l’albédo conduirait le dioxyde de carbone, la poussière et par le rayonnement solaire et le rayonne-
à un réchauffement ou à un refroidissement l’ozone. Les constituants de l’atmosphère ment infrarouge réémis vers le bas par
de la Terre, car le rayonnement solaire qui qui absorbent le rayonnement infrarouge le l’atmosphère, renvoie en moyenne une
n’est pas réfléchi est absorbé. rediffusent dans toutes les directions, quantité équivalente d’énergie dans l’atmo-
La Terre réémet l’énergie solaire notamment vers la Terre. Une partie du sphère par évaporation, conduction, convec-
qu’elle absorbe sous forme de rayonne- rayonnement ainsi diffusé est absorbée à la tion et émission de rayonnement infra-
ment thermique. Étant donné les valeurs surface de la Terre, s’ajoutant à l’énergie rouge. Toutefois des déséquilibres locaux de

© POUR LA SCIENCE 25
EXOSPHÈRE CEINTURES VAN ALLEN TROPOPAUSE
500
CELLULE

ALTITUDE (EN KILOMÈTRES)


POL
AIR
E
VENTS D'EST SUBSIDENCE

CE FE
DE
THERMOSPHÈRE

LL RR
LU E
AURORES POLAIRE

LE L
RÉGIME D'OUEST
MÉSOPAUSE RÉFLEXION DES ONDES RADIO

DE H
CELL LEY
AD
VENTS D'EST

ULE
CALMES ALIZÉS
MÉSOSPHÈRE ÉQUATORIAUX

STRATOPAUSE

STRATOSPHÈRE
COUCHE D'OZONE
TROPOPAUSE
80
ÉLÉMENTS MONT ACTIVITÉ
50 TROPOSPHÈRE MÉTÉORO- EVEREST HUMAINE
LOGIQUES ASCENDANCE
13
– 140 – 60 20
TEMPÉRATURE (EN DEGRÉS CELSIUS)
3. Courbe de température de l’atmosphère en fonction de 4. Circulation générale. L’air chaud équatorial s’élève, se
l’altitude. La troposphère, où nous vivons, contient 80 pour refroidit et redescend vers 30 degrés de latitude, formant la
cent de la masse de l’atmosphère ; la température y dimi- cellule dite de Hadley. Le même mouvement circulaire
nue avec l’altitude. Elle augmente à nouveau dans la stra- engendre deux autres cellules, à plus hautes latitudes. La
tosphère, où se trouve la couche d’ozone qui absorbe les force de Coriolis due à la rotation de la Terre dévie les vents
rayonnements ultraviolets du Soleil. La mésosphère vers l’Ouest, engendrant les alizés tropicaux et les vents
absorbe peu le rayonnement solaire, et la température d’Est polaires. Sur les latitudes moyennes, les masses d’air se
y décroît jusqu’à –140 degrés Celsius. Enfin la thermo- rapprochent de l’axe de rotation de la Terre et se mettent à
sphère est très sensible au chauffage solaire. tourner plus vite qu’elle : un régime d’Ouest s’installe.

la quantité d’énergie absorbée et libérée par échelle sont méridiens (du Nord au Sud). tuations puis se creusent et s’amplifient avec
la surface créent des gradients thermiques Deux gigantesques cellules circulaires le temps, se superposent à l’écoulement
verticaux et horizontaux dans l’atmosphère. relient l’air très chaud et humide s’élevant moyen d’Ouest en Est. Les creux (thalwegs)
au-dessus de l’équateur à l’air chaud et sec de ces ondes sont les régions où le courant-
La dynamique de l’atmosphère descendant des plus hautes latitudes. L’air jet est le plus proche de l’équateur ; les
chaud qui monte vers la région appelée crêtes (dorsales) sont les régions où il est le
La Terre absorbe plus de rayonnement zone de convergence intertropicale, com- plus proche des pôles. Lorsque ces ondes se
solaire aux basses latitudes qu’aux hautes prise entre les latitudes dix degrés Nord et développent, les masses d’air froid se dépla-
latitudes. La surface de la Terre absorbe plus dix degrés Sud, se refroidit à mesure qu’il cent vers l’équateur à l’arrière (c’est-à-dire à
de la moitié de ce rayonnement ; l’atmo- s’élève, ce qui entraîne d’intenses précipita- l’Ouest) des creux des ondes et les masses
sphère emmagasine le reste. Par consé- tions. La zone de convergence intertropi- d’air chaud se déplacent vers les pôles, en
quent, l’atmosphère reçoit plus d’énergie de cale coïncide avec les forêts tropicales et les avant (c’est-à-dire à l’Est) des creux. L’aug-
la surface terrestre et du Soleil aux basses régions de fortes précipitations sur les mentation des ondes contribue ainsi au
latitudes et altitudes qu’aux hautes latitudes océans. L’air sec se dirige vers les pôles et transport de l’air chaud vers les pôles et de
et altitudes. En outre, l’atmosphère libère descend sur l’ensemble des régions subtro- l’air froid vers l’équateur. Les masses d’air
davantage d’énergie dans l’espace à haute picales, régions situées entre 10 et 35 piégées dans les creux et les crêtes sont
altitude qu’à basse altitude. En conséquence, degrés de latitude dans les deux hémi- transportées vers l’Est par le mouvement
la température de l’atmosphère décroît de sphères. Lorsqu’il atteint à nouveau la sur- des ondes de haute altitude. Ainsi, les ondes
l’équateur aux pôles et des basses altitudes face, il est encore sec ; les grands déserts caractérisent le mouvement des zones de
aux hautes altitudes. du Globe se trouvent dans ces zones. hautes et de basses pressions en surface qui
Les gradients de température sont la Aux latitudes supérieures à 35 degrés, régissent le temps sur l’ensemble des
cause de la circulation de l’atmosphère. Les la circulation est à dominance zonale régions de moyennes latitudes.
vents transportent la chaleur en sens (d’Ouest en Est) plutôt que méridienne. Notre compréhension des phéno-
inverse des gradients de température, cir- L’écoulement de l’air est dominé par le cou- mènes atmosphèriques résulte de nos
culant des régions chaudes vers les régions rant-jet de haute altitude qui serpente connaissances des cycles et circulations
froides. Les gradients de température, et autour du Globe et souffle vers l’Est à des atmosphériques, que je viens d’exposer ici.
donc la configuration à grande échelle de vitesses atteignant 45 mètres par seconde
la circulation atmosphérique, varient en (160 kilomètres par heure) dans les deux Andrew INGERSOLL est professeur
fonction de la latitude. À moins de 35 hémisphères. Les longues ondes atmosphé- de science planétaire,
degrés de latitude, les vents à grande riques, qui débutent comme de petites fluc- à l’Institut de technologie de Californie.

26 © POUR LA SCIENCE
L’origine des glaciations
Wallace Broecker

Dans le passé, les températures sur Terre ont varié


de plus de dix degrés en quelques dizaines d’années seulement.
De tels sauts climatiques se produiront-ils encore?

es 10 000 dernières années ont aucune trace de refroidissement du cli-

L été exceptionnelles dans l’his-


toire de notre planète : jamais,
depuis 100 000 ans, le climat
n’avait été si régulier ni si stable. Des
carottages dans la glace du Groenland
mat à cette période.
Pourquoi le climat s’est-il ainsi
refroidi? Le fera-t-il à nouveau, et quand?
Les climatologues pensent aujourd’hui
qu’une modification soudaine de la circu-
ont révélé, pendant la dernière glacia- lation de la chaleur et du sel, dans les
tion, une série de vagues de froid et de océans, perturberait le climat planétaire.
réchauffement d’au moins 1 000 ans Des cellules de convection géantes, sem-
chacune, qui ont élevé ou abaissé la blables à des tapis roulants, circulent dans
température hivernale moyenne, en les océans. Dans l’Atlantique, les eaux
Europe du Nord, d’environ dix degrés chaudes s’écoulent en surface, vers le
en seulement dix ans. Ces brusques Nord ; près du Groenland, l’air arctique
changements sont indiqués par les pous- qui les refroidit les fait plonger à une
sières atmosphériques et les quantités de grande profondeur et former un courant grandes
méthane et de précipitations conservées qui voyage vers le Sud jusqu’à l’océan chaînes de
dans les couches de glace. Antarctique. Là, les eaux profondes, plus montagnes
La dernière véritable période froide, chaudes et moins denses que les eaux des Amériques,
longue d’un millier d’années et nommée glacées de la surface, remontent, mais, de l’Europe et de
Dryas récent (le dryas est une fleur de comme elles sont alors refroidies jusqu’à l’Afrique, l’air s’humidifie
toundra dont l’habitat s’est beaucoup presque geler, elles replongent dans les lorsqu’il traverse le bassin
étendu à cette époque), s’est terminée il y abysses. Les courants profonds de Atlantique ; l’humidité provient de
a environ 11 000 ans. On en trouve des l’océan Antarctique, les plus denses du l’océan, dont les eaux de surface se
traces dans les sédiments marins de monde, s’écoulent vers le Nord, dans les concentrent en sel, ce qui les densifie.
l’Atlantique Nord, dans les glaciers océans Atlantique, Pacifique et Indien, Elles plongent alors dans l’Atlantique
morainiques de Scandinavie et d’Islande puis finissent par remonter en surface, et Nord et amorcent une circulation glo-
et dans les lacs et les marécages mari- le cycle se répète. Dans les océans bale qui redistribue le sel.
times du Canada et d’Europe du Nord. Pacifique et Indien, le courant de fond La circulation atlantique, dont le
Le Nord-Ouest des États-Unis a aussi dirigé vers le Nord est contrebalancé par débit est environ 100 fois supérieur à
connu un refroidissement important. un mouvement des eaux de surface vers celui de l’Amazone, transporte de la
De nombreuses observations indi- le Sud. Dans l’Atlantique, ce courant est chaleur : l’eau qui s’écoule vers le Nord
quent que le refroidissement du Dryas rapidement arrêté par le puissant tapis est, en moyenne, plus chaude de huit
récent touchait toute la planète. Le roulant qui, au fond, se dirige vers le Sud. degrés que celle qui se dirige vers le
réchauffement du plateau polaire de Sud. Le transfert de cette chaleur aux
l’Antarctique s’est interrompu pendant L’Atlantique Nord masses d’air de l’Arctique, au-dessus de
cette période, les glaciers de Nouvelle- l’Atlantique Nord, explique le climat
Zélande ont avancé et, dans le Sud de
plus salé que le Pacifique anormalement chaud de l’Europe.
la mer de Chine, les proportions des Dans l’Atlantique Nord, les eaux qui Des apports excessifs d’eau douce
diverses espèces de plancton ont arrivent du Sud s’enfoncent dans les dans l’Atlantique Nord perturberaient
changé radicalement. La concentration abysses. Dans le Pacifique, cet enfonce- cette circulation. Aux latitudes élevées,
en méthane dans l’atmosphère a dimi- ment n’a pas lieu, parce que les eaux de les précipitations et l’écoulement conti-
nué de 30 pour cent. Seuls les relevés surface de l’Atlantique sont plus salées nental sont plus importants que l’évapo-
de pollens effectués dans certaines de quelques pour cent que celles du ration : la salinité des eaux de la surface
parties des États-Unis ne montrent Pacifique : en raison de la disposition des de l’Atlantique Nord dépend donc de la

28 © POUR LA SCIENCE
rapidité avec laquelle le courant global aurait un climat équivalent à celui du Selon les simulations de Stefan
évacue les eaux douces excédentaires de Spitzberg, à 1 500 kilomètres du pôle Rahmstorf, de l’Université de Kiel,
la pluie et des rivières. Nord. En outre, une telle variation sur- l’arrêt de la circulation globale serait
De surcroît, tout arrêt de la circulation viendrait en dix ans au plus. suivi de la formation d’un autre courant,
océanique tendrait à se perpétuer : Puis, après des centaines ou des mil- moins profond, dont les eaux froides
les températures hivernales, dans liers d’années, la circulation reprendrait plongeraient au Nord des Bermudes et
l’Atlantique Nord et dans les terres avoi- parce que la diffusion de la chaleur des non près du Groenland : l’Europe du
sinantes, chuteraient brusquement d’au parties les plus chaudes de l’océan et la Nord recevrait moins de chaleur. Cette
moins cinq degrés, selon ce que les glaces diffusion du sel du fond vers la surface, circulation secondaire serait aussi arrê-
polaires ont enregistré lors des anciennes réduiraient la densité de l’eau abyssale tée par un afflux d’eau douce, mais elle
vagues de froid. stagnante jusqu’à ce que les eaux de sur- reprendrait spontanément après
Dublin face de l’une ou de l’autre des régions quelques dizaines d’années seulement.
polaires s’y mélangent à nouveau, réta- S. Rahmstorf n’explique toutefois pas
blissant le brassage de la chaleur et du comment la circulation principale se
sel. Toutefois cette circulation ne rétablirait ensuite.
serait pas nécessairement iden-
tique à celle d’aujourd’hui :
elle dépendrait de l’écoule- 1. LA CIRCULATION OCÉANIQUE GLOBALE
ment d’eau douce dans (flèches bleues) correspond à un mouve-
chaque région polaire. ment de l’eau froide et salée, initialement
formée dans l’Atlantique Nord, vers tous
les océans de la planète (à gauche). Des
eaux plus chaudes s’écoulent en direction
du Nord pour les remplacer : elles échan-
gent de la chaleur avec l’atmosphère
(flèches orange), ce qui
réchauffe le climat de
l’Europe du Nord (à
droite).

COURANT
D’AIR ARCTIQUE

EAU FROIDE ET SALÉE

EAU CHAUDE
2. U NE

Le cadmium
CIRCULATION SECONDAIRE , à la latitude de
l’Europe méridionale, ne transférerait pas de chaleur aux
vents de l’Atlantique Nord. Les températures en Europe, lors
des périodes froides où ce courant existait, étaient, en
moyenne, inférieures de dix degrés aux températures
actuelles. Cette circulation secondaire est moins profonde
que la circulation principale (à droite).

EAU FROIDE
ET SALÉE

EAU CHAUDE

et le carbone 13
COURANT D’AIR
ARCTIQUE

Deux caractéristiques du modèle


de S. Rahmstorf intéressent particuliè-
rement les paléoclimatologues. Tout
d’abord, il explique les variations, au
cours des périodes de refroidissement,
des concentrations en cadmium et en
isotopes du carbone (les différentes
formes de cet élément, dont les atomes
contiennent des nombres différents de
neutrons) dans les coquilles des fora-
minifères benthiques, animaux minus-
cules qui vivent dans les profondeurs.
Les eaux profondes de la circulation
de l’Atlantique Nord sont pauvres en
cadmium et riches en carbone 13 ;
dans les autres eaux profondes de
l’océan, c’est l’inverse. Les diffé-
y
À
€
@
;
y
À
€
@
;
PROFONDEUR (EN KILOMÈTRES)

; la proportion relative de carbone 13 et


de carbone 12 a varié à l’opposé. Ces
variations sont bien expliquées par le
modèle de S. Rahmstorf, qui stipule
que la circulation était alors à une pro-
fondeur inférieure : les eaux les plus
profondes stagnaient.
Ensuite l’existence d’une circula-
tion secondaire expliquerait la pour-
suite du transfert du carbone 14 vers
les eaux profondes, pendant les
périodes froides. Si ce transfert avait
cessé, les datations obtenues par
dosage du carbone 14 montreraient
d’énormes distorsions, ce qui n’est pas
le cas. Un quart seulement du carbone
mondial est aujourd’hui dans les
couches supérieures des océans et dans
l’atmosphère ; le reste est dans les
abysses. La répartition du carbone 14,
0

5
60 40 20
ÉCHANGE DE CHALEUR

0 20
LATITUDE (EN DEGRÉS)

CARBONE 14
CIRCULATION
40

ACTUEL
60

ATLANTIQUE ATLANTIQUE
GLACIAIRE

entraînent cet élément lorsqu’elles


plongent dans les abysses. Bien que les
eaux profondes remontent brièvement à
la surface près de l’Antarctique, peu de
carbone 14 se dissout à cet endroit.
Un ralentissement de la circulation
globale ferait notablement varier
l’abondance du carbone 14 dans
l’atmosphère et dans l’océan. La pro-
portion de carbone 14 par rapport au
carbone 12 (isotope stable, contraire-
ment au premier qui est radioactif) est,
au fond des océans, environ 12 pour
cent inférieure à celle des couches
supérieures de l’océan et de l’atmo-
sphère : le carbone 14 se désintègre
lors de son transport et de son séjour
au fond. Simultanément, les rayons
cosmiques régénèrent le carbone 14, à
raison de un pour cent du total présent
sur Terre tous les 82 ans. Si les
échanges entre les couches supérieures
et inférieures des océans s’interrom-
paient, la proportion de carbone 14
dans les couches supérieures de
l’océan et dans l’atmosphère augmen-
terait de cinq pour cent par siècle,
parce que le carbone 14 ne serait pas
entraîné dans les eaux profondes. Dans
ces conditions, après un millénaire, la
proportion de carbone 14 dans l’atmo-
sphère aurait augmenté d’un tiers.
Un tel phénomène perturberait for-
rences d’abondances sont dues à la qui est formé dans l’atmosphère par tement les résultats des datations au
respiration des organismes aquatiques, les rayons cosmiques, dépend de la carbone 14. Les paléontologues déter-
qui réduit la concentration en carbone 13 circulation océanique. Aujourd’hui, minent l’âge des fossiles en mesurant
et augmente la concentration en dans les océans, le carbone 14 atteint leur contenu résiduel en carbone 14 :
cadmium. Pendant les périodes de les eaux profondes grâce à la circula- plus il est faible, plus le spécimen est
grand froid sur l’Atlantique, la concen- tion globale des océans : pendant ancien. La quantité de carbone 14 pré-
tration en cadmium a chuté dans les qu’elles vont du Sud au Nord, les eaux sente dans une plante vivante dépend
eaux de profondeur moyenne et a aug- chaudes de surface dissolvent de l’air de la proportion de cet isotope dans
menté fortement dans les eaux de fond qui contient du carbone 14. Elles l’atmosphère ou dans les océans à

30 © POUR LA SCIENCE
l’époque où cette plante vit. Les huitième provient de l’écoulement élément se condensent en premier,
plantes qui auraient poussé pendant un d’un énorme lac. Au début des années avant d’arriver dans ces régions.
arrêt des échanges entre l’atmosphère 1980, Hartmut Heinrich, de l’Université Le huitième afflux d’eau douce est
et les eaux profondes contiendraient de Göttingen, a découvert une série de dû au lac Agassiz, qui était créé par le
plus de carbone 14 et sembleraient couches sédimentaires à structure par- poids de la calotte glaciaire en recul.
plus jeunes qu’elles ne le seraient en ticulière dans l’Atlantique Nord. Ces Jadis, l’eau du lac se déversait, par des-
réalité. Selon la datation au carbone couches, qui s’étendent de la mer du sus un rebord rocheux, dans le bassin
14, les plantes des périodes froides Labrador aux îles britanniques, résul- du Mississippi, jusque dans le golfe du
marquées par un arrêt de la circulation tent probablement de la fonte d’un Mexique, mais le recul du front gla-
globale sembleraient contemporaines nombre considérable d’icebergs venus ciaire, il y a environ 12 000 ans, a
de celles qui ont vécu 1 000 ans plus du Canada. ouvert une seconde voie d’écoulement,
tard, au cours d’une période chaude. Les débris entraînés et déposés par à l’Est : le niveau du lac a considéra-
cette armada s’amincissent vers l’Est, blement diminué. L’eau ainsi libérée
La circulation de 50 centimètres d’épaisseur dans la s’est déversée au Sud du Canada, dans
mer du Labrador à quelques centi- la vallée aujourd’hui occupée par le
du carbone 14 mètres dans l’Atlantique Est. Les plus Saint-Laurent, et a abouti dans la
Bien que la quantité de carbone 14 grosses particules contenues dans les région de l’océan où se forment
dans l’atmosphère ait un peu fluctué sédiments sont surtout issues des aujourd’hui les eaux profondes.
au cours du temps, la datation au car- roches calcaires sédimentaires et du lit
bone 14 des sédiments marins qui se de roches éruptives de la baie Des vagues de froid
sont accumulés de manière uniforme d’Hudson et de la zone avoisinante.
ne montre aucune variation brusque au Les coquilles de foraminifères sont
de plus en plus accentuées
cours des 20 000 dernières années. De rares dans ces couches, ce qui évoque La relation entre ces événements et
surcroît, des datations absolues de un océan encombré de glaces (qui les variations climatiques locales est
coraux par mesure de l’abondance de réduisent la prolifération du plancton), claire. Quatre d’entre eux correspon-
l’uranium et du thorium indiquent et la proportion réduite d’oxygène 18 dent à des changements importants du
même que, à la fin du Dryas récent, à par rapport à l’oxygène 16 dans les climat du bassin Nord-Atlantique.
l’époque où la circulation globale coquilles retrouvées prouve que les L’une des couches de S. Heinrich
aurait repris, la concentration atmo- animaux vivaient dans de l’eau moins marque la fin de l’avant-dernier cycle
sphérique en carbone 14 a augmenté. salée que la normale : la pluie et la glaciaire principal, et une autre
Cette observation semble révéler que neige contiennent peu d’oxygène 18 à indique le plus récent. Une troisième
les arrêts de la circulation globale ces hautes latitudes, parce que les couche correspondrait au début du
n’auraient pas duré plus d’un siècle et molécules d’eau qui contiennent cet Dryas récent. Chacune des quatre
qu’ils auraient été suivis par des autres couches correspond à un
périodes d’intense brassage des sous-cycle climatique. La corré-
RAYONS COSMIQUES
eaux. En particulier, au Dryas lation de ces couches et des rele-
récent, la circulation des océans a vés des carottes glaciaires du
ATMOSPHÈRE
plutôt augmenté que diminué, Groenland a révélé que les
AZOTE 14
comme on aurait pu le prévoir si refroidissements millénaires for-
un arrêt complet de la circulation ment une série caractérisée par
CARBONE 14
était responsable du froid. des vagues de froid de plus en
Toutefois si la circulation s’était plus sévères, dont la plus forte
LE CARBONE 14 EST DISSOUS
arrêtée, nous devrions envisager DANS L'EAU DE MER
correspond à une couche de S.
d’autres modes de transport du car- Heinrich. Le climat se réchauf-
bone 14 vers les eaux profondes. fait ensuite, ce qui signifiait
Si les afflux d’eau douce COUCHES qu’un nouveau cycle démarrait.
expliquent les arrêts de la circu- SUPÉRIEURES Les variations climatiques du
CHAUDES
lation globale et la survenue des Dryas récent ont été ressenties
glaciations, d’où vient cette eau LE CARBONE 14 dans le monde entier. En est-il
douce? Sans doute des calottes ATTEINT COUCHES PROFONDES FROIDES de même pour les 15 événe-
glaciaires polaires : ces brusques LES ABYSSES
LE CARBONE 14
ments similaires, antérieurs,
variations du climat semblent SE DÉSINTÈGRE EN AZOTE 14 indiqués par les carottes gla-
limitées à des périodes où (UN POUR CENT TOUS LES 82 ANS) ciaires? À ce jour, deux élé-
d’épaisses couches de glace ments seulement confirment
recouvraient le Canada et la cette hypothèse, mais ils sont
Scandinavie. convaincants. D’une part,
Nous connaissons les traces Jérôme Chappellaz, du Laboratoire
d’au moins huit afflux d’eau 3. LE CARBONE 14 est formé dans l’atmosphère par les de glaciologie et de géophysique
rayons cosmiques. Il est entraîné au fond de l’océan par les
douce dans l’Atlantique Nord : eaux qui plongent dans les abysses. La datation au carbone de l’environnement du CNRS , a
sept résultent de la libération 14 indique indirectement l’état de la circulation océanique : analysé l’air emprisonné dans
d’une armada d’icebergs par la tout arrêt prolongé de ce courant provoquerait une accu- les carottes glaciaires prélevées
partie orientale de la calotte gla- mulation de carbone 14 dans l’atmosphère, ce qui pertur- au Groenland et observé que les
ciaire de la baie d’Hudson ; la berait les datations. périodes glaciaires sont

© POUR LA SCIENCE 31
accompagnées d’une diminution relati- D’autre part, une carotte sédimentaire Un changement
vement rapide de la concentration prélevée à 500 mètres au-dessous du mondial du climat
atmosphérique en méthane. Le niveau de la mer, dans le bassin de Santa
méthane est produit surtout dans les Barbara, a révélé que des bandes de sédi- Les conséquences sur tout le Globe
marais et dans les marécages. Comme ments intacts, avec des couches annuelles des événements découverts par
ceux des régions tempérées de l’hémi- marquées, alternaient avec des sections S. Heinrich sont encore plus surpre-
sphère Nord étaient gelés ou ensevelis perturbées par des vers fouisseurs. La nantes. Selon les analyses du pollen
sous la glace, le méthane devait prove- présence de vers indique que les eaux extrait des sédiments du lac Tulane, en
nir des tropiques. Les fluctuations profondes de la région contenaient suffi- Floride, le rapport entre les abondances
dans les relevés de méthane indiquent sament d’oxygène pour permettre la vie. de pin et de chêne a brusquement aug-
que les tropiques ont connu une Ces périodes sont étrangement corrélées menté lors de chacun de ces événe-
période de sécheresse pendant chaque avec les refroidissements du Groenland : ments. Les pins prospèrent dans des cli-
période de refroidissement de l’hémi- les variations de la circulation océanique mats relativement humides, tandis que
sphère Nord. ont atteint toute la planète. les chênes préfèrent les climats secs.
Bien que la relation exacte entre l’abon-
dance des pins et les événements de
COMMENCEMENT
S. Heinrich doive être datée plus préci-
DE L'AGRICULTURE sément, ces relevés indiqueraient une
ÉCART MOYEN DE TEMPÉRATURE
PAR RAPPORT À AUJOURD'HUI

période humide par cycle. Dans l’hémi-


sphère Sud, on trouve aussi des corréla-
(EN DEGRÉS CELSIUS)

0
tions : chacun des quatre événements
climatiques de S. Heinrich qui peut être
daté par la méthode au carbone 14 cor-
respond à une extension maximale des
glaciers montagneux des Andes.
Que la fonte massive des glaciers
canadiens ait eu des conséquences sur
tout le Globe est paradoxal car, selon
–10 les modèles de circulation atmosphé-
rique, les changements dans les
100 80 60 40 20 0 échanges de chaleur entre l’atmosphère
ÂGE (EN MILLIONS D'ANNÉES)

4. LES CAROTTES DE GLACE (à droite) révèlent la variabilité du tope de l’oxygène est présente. Des photographies d’une section
climat de la Terre au cours des 100 000 dernières années (en de carotte, prises au microscope en lumière polarisée, révèlent les
haut, à gauche). Les climatologues qui ont foré jusqu’au socle cristaux de glace (en haut, à droite) et montrent les bulles d’air
rocheux, près du centre de la calotte glaciaire du Groenland (ci- emprisonnées dont l’analyse nous permet de connaître la compo-
dessus), ont mesuré les concentrations relatives en oxygène 18 et sition de l’atmosphère préhistorique (au milieu, à droite). Les
en oxygène 16 dans les échantillons. L’abondance de l’oxygène couches inférieures (en bas, à droite) ont été déformées par le
18 dans la vapeur d’eau atmosphérique dépend de la température glissement de la calotte glaciaire sur le sol rocheux du Groenland,
de l’air : plus le climat est froid, moins l’eau qui contient cet iso- rendant les relevés précis difficiles, voire impossibles.

32 © POUR LA SCIENCE
et l’Atlantique Nord ne modifient les d’autres (voir El Niño, l’enfant naturel d’altitude dans les Andes tropicales,
climats que localement. Quel méca- du vent et de la mer, par Yves Ménard contiennent 200 fois plus de poussière
nisme aurait étendu ces variations aux et Thierry Delcroix, dans ce dossier). fine que les échantillons les plus
tropiques et aux régions méridionales récents : il s’agit probablement de
tempérées, voire à l’Antarctique? «El Niño» poussière transportée par les vents qui
La répartition symétrique de ces soufflaient sur une Amazonie aride. La
variations climatiques autour de
pendant 1 000 ans glace la plus ancienne contient aussi
l’équateur souligne l’importance de ce L’assèchement des tropiques, mis moins d’oxygène 18 que celle qui s’est
qui se passe aux tropiques, et l’on en évidence par J. Chappellaz, n’est formée depuis 10 000 ans ; la tempéra-
comprend que des modifications dans pas le seul argument en faveur de ce ture était inférieure d’environ dix
la dynamique de l’atmosphère tropicale scénario. L’autre preuve spectaculaire degrés à celle d’aujourd’hui. En outre,
auraient facilement des conséquences provient du grand bassin de l’Ouest la limite des glaces éternelles dans les
globales : les cellules de convection en des États-Unis : immédiatement après Andes était 1 000 mètres plus bas
colonnes, qui se forment dans l’atmo- le dernier événement de S. Heinrich, il qu’aujourd’hui : pendant les périodes
sphère tropicale aux points de ren- y a 12 000 ans, le lac Lahontan, dans de refroidissement, les tropiques
contre des alizés, fournissent à l’atmo- le Nevada, a atteint sa taille maximale, étaient à la fois plus froids et plus secs.
sphère le principal gaz responsable de dix fois supérieure à sa taille actuelle. Notre compréhension partielle du
l’effet de serre, la vapeur d’eau. Bien Un tel lac ne subsiste que si les préci- passé ne nous permet guère de tirer
que le lien entre la circulation océa- pitations sont considérables, d’un des conclusions définitives en ce qui
nique et la convection tropicale soit niveau comparable à celui qu’a connu concerne l’avenir du climat. L’accu-
ténu, une modification de la circulation la région lors de la période «El Niño» mulation actuelle de gaz à effet de
semble modifier la quantité d’eau de l’hiver 1982-1983. Les périodes de serre modifiera-t-elle la circulation
froide qui remonte à la surface le long refroidissement passées seraient-elles océanique globale et le climat? Selon
de l’équateur, dans le Pacifique. Cette dues à des changements dans la circu- les relevés paléographiques, les
remontée des eaux modifie notable- lation océanique qui auraient fait durer brusques variations des climats passés
ment les échanges de chaleur de la «El Niño» pendant 1 000 ans? ont été limitées à des périodes où
région, donc son climat. La réduction Des découvertes plus récentes l’Atlantique Nord était entouré
de cette remontée, comme on le contribuent à confirmer que le climat d’immenses couches de glace, pendant
constate lors des épisodes «El Niño», tropical était très différent pendant les la dernière glaciation ou juste à la fin :
provoque des sécheresses dans cer- refroidissements. Des carottes de glace nous sommes loin de cette situation.
taines zones et des inondations dans ancienne, prélevées à 6 000 mètres Toutefois l’ampleur de l’effet de serre

© POUR LA SCIENCE 33
provoqué par les activités humaines
risque d’être bien plus grande qu’aucun
autre événement au cours d’un inter-
valle interglaciaire, et l’on n’a pas de
certitude que le système climatique
global reste figé dans son mode actuel
de fonctionnement.
Un arrêt de la circulation océanique
ou une autre perturbation comparable
sont improbables, mais si cela se pro-
duisait, les conséquences seraient
catastrophiques. La probabilité d’un tel
événement atteindra son maximum
dans 50 ou 150 ans, alors que la popu-
lation mondiale sera trop nombreuse,
menacée par la famine et par les mala-
dies et qu’il faudra lutter pour préser-
ver la vie sauvage de la pression tou-
jours croissante sur l’environnement.
5. LE CLIMAT DE L’EUROPE changerait considérablement si la circulation océanique Nous devons prendre cette éventualité
était perturbée. Dublin (en haut à gauche) aurait, en été, le climat que connaît au sérieux et faire tous les efforts pos-
aujourd’hui le Spitzberg (en haut à droite), et les hivers londoniens (en bas à gauche) sibles pour mieux comprendre le sys-
seraient aussi froids que les hivers actuels à Irkoutsk, en Sibérie (en bas à droite). tème climatique de notre planète.

LE MÉTHANE DANS LES GLACES

L’ analyse du méthane dans les bulles de glace polaire permet


de reconstituer l’évolution de sa concentration dans l’atmo-
sphère terrestre. Grâce au forage européen GRIP, réalisé au som-
climat exceptionnellement stable, le méthane, à caractère plus
global, montre l’existence d’événements climatiques notables. Il y
a 8 200 ans, la concentration de l’atmosphère en méthane a
met du glacier qui couvre le Groenland, nous avons mesuré la diminué d’environ 70 parties par milliard en volume, pendant
concentration en méthane des 40 000 dernières années, avec moins de 200 ans. Sur les derniers 10 000 ans, cette concentra-
une résolution temporelle comprise entre quelques dizaines et tion a diminué de plus de 20 pour cent, puis elle a réaugmenté.
quelques centaines d’années. Ces mesures détaillent un précé- Même si ces fluctuations apparaissent bien faibles par rapport à
dent enregistrement des variations de la concentration en l’apport humain des derniers 200 ans, qui a fait augmenter de
méthane de l’atmosphère qui couvre plus de 200 000 ans, 150 pour cent la concentration de l’atmosphère en méthane,
obtenu grâce au forage de Vostok, en Antarctique. elles indiquent une variabilité climatique importante, notamment
Au cours de la dernière glaciation, il y a 110 000 à 15 000 sous les tropiques.
ans environ, le climat s’est réchauffé par épisodes (qui n’ont pas Le dioxyde de carbone et l’oxygène 18 contenus dans l’oxy-
fait fondre les calottes glaciaires) de 500 à 12 000 ans chacun. gène atmosphérique apportent aussi des informations sur les
Lors de chacun de ces épisodes, la concentration en méthane a brusques changements du climat pendant la dernière glaciation.
fortement augmenté dans l’atmosphère, passant de 400 à 550 Des mesures détaillées, à partir de forages dans la calotte antarc-
parties par milliard en volume environ. Une telle augmentation tique, montrent que la concentration en dioxyde de carbone a peu
résulte d’un dégagement anormal supplémentaire de 30 à 40 varié il y a entre 20 000 et 50 000 ans : ce gaz à effet de serre n’a
millions de tonnes de méthane. Le méthane naturel provient à donc pas été responsable de l’extension globale de ces brusques varia-
75 pour cent des sols saturés en eau, marécages et tourbières, tions du climat.
qui sont aujourd’hui répartis en deux bandes de latitude, l’une L’oxygène 18 contenu dans l’oxygène atmosphérique est un
boréale, entre 50 et 70 degrés de latitude Nord, l’autre subtropi- signal global, qui a été utilisé comme marqueur pour corréler les
cale, entre 20 degrés de latitude Nord et 30 degrés de latitude couches de glace des carottes extraites au Groenland et en
Sud. Comme les zones boréales étaient couvertes de glace pen- Antarctique. On a ainsi constaté que seuls les événements groenlan-
dant la dernière glaciation, les variations rapides de la concentra- dais qui ont duré plus de 2 000 ans ont laissé une trace dans le cli-
tion en méthane indiquent de brusques changements de l’éten- mat de l’Antarctique : les conséquences des réarrangements de la
due des zones marécageuses sous les tropiques. Ainsi faut-il voir circulation dans l’Atlantique sur le climat du pôle Sud semblent
dans ces fluctuations rapides de la composition de l’atmosphère donc atténuées. De futurs efforts de calage temporel utilisant le
groenlandaise les traces d’un réarrangement bien plus global du méthane comme marqueur permettront d’élucider la relation entre
climat terrestre, à l’échelle de quelques décennies. les deux pôles au cours de ces fluctuations climatiques rapides.
L’enregistrement de la concentration en méthane sur ces
échelles de temps nous apporte d’autres enseignements impor- Jérôme CHAPPELLAZ,
tants : durant les 10 000 dernières années, alors que le contenu Laboratoire de glaciologie et géophysique
en oxygène 18 des précipitations sur le Groenland indique un de l’environnement du CNRS, Grenoble.

34 © POUR LA SCIENCE
EL N IÑO, L’ENFANT NATUREL la moitié du périmètre terrestre. Sir Walker
mesure ce transfert à l’aide d’indices carac-
téristiques. L’un d’eux, nommé indice de

DU VENT ET DE LA MER l’oscillation australe, est encore utilisé : il


représente la différence de pression atmo-
sphérique entre Darwin, au Nord de
Yves Ménard et Thierry Delcroix l’Australie, et Tahiti, en Polynésie française.
En dépit de la pertinence des travaux

E n ce début d’année 1891, sur son


nouveau bateau de pêche, le capitaine
Carillo peste contre le temps et la médio-
Des souvenirs d’enfance assaillent
Carillo : il y a 30 ans, lorsque les vieux
marins du port de Paita, au Nord du
de Sir Walker, il faut attendre l’année géo-
physique internationale de 1957-1958
pour que soit établi le lien entre l’oscillation
crité des prises. L’été austral commence et, Pérou, l’emmenaient, ils lui parlaient du australe et El Niño. On a alors pris
pourtant, un temps exécrable entrave le courant annuel côtier s’écoulant vers le conscience de l’ampleur géographique du
travail. Depuis trois jours déjà, parti du port Sud. Certaines années, ce courant était couplage entre l’océan et l’atmosphère.
de Lima, le bateau tente de remonter les particulièrement intense, les eaux plus Pour comprendre le phénomène cli-
côtes péruviennes vers Chiclayo, plus au chaudes et les pêches bien plus modestes. matique El Niño-oscillation australe, abusi-
Nord. Le vent est faible, et les voiles Ils nommaient ce courant «El corriente del vement qualifié d’anormal, détaillons le
faseyent désespérément. De surcroît, un Niño» («le courant de l’enfant Jésus»), car il fonctionnement «normal» de la machine
fort contre-courant dirigé vers le Sud se manifestait à l’époque de Noël et per- océan-atmosphère dans le Pacifique équa-
s’oppose à la progression. Chaque année, à durait quelques mois. torial. Dans la bande équatoriale, l’atmo-
cette époque, le capitaine Carillo constate Après avoir consigné ses observations sphère et l’océan reçoivent un fort rayon-
cet affaiblissement du vent et cette ren- dans son carnet de bord, le capitaine nement solaire et accumulent ainsi une
verse du courant côtier. Mais la situation Carillo repose pensivement sa plume. Un importante énergie thermique. L’air chaud
n’a jamais été aussi grave! jour peut-être les hommes comprendront de cette région, plus léger, s’élève et se
À l’horizon, entre le ciel et la mer, une ce phénomène et en tireront parti… déplace vers les tropiques. Là, en se
mince colonne tourbillonnante semble refroidissant, il perd de l’altitude, puis
vouloir aspirer l’océan. Même s’il n’a Le couple océan-atmosphère rejoint l’équateur en frôlant la surface de
jamais eu l’occasion d’en voir de près, l’océan. C’est George Hadley qui, en
Carillo a déjà entendu parler d’un tel phé- Au début du XX e siècle, Sir Gilbert 1735, imagina cette circulation méri-
nomène, et cela ne lui dit rien qui vaille. Il Walker, directeur général des observatoires dienne. Elle implique qu’une zone de
tient à s’en éloigner. Il consulte ses cartes : en Inde, cherche à prévoir les moussons. Il basse pression existe près de l’équateur,
son bateau s’approche du port de consulte toutes les observations atmosphé- où les masses d’air montent, et qu’une
Chimbote. Bonne occasion d’y faire escale. riques disponibles. Il note que, lorsque la zone de haute pression règne près des
Il ordonne à son second de virer vers la pression atmosphérique augmente à tropiques, où les masses d’air descendent.
côte, surveillant, inquiet, la lointaine pro- l’Ouest du Pacifique, près de l’Australie, elle À la surface, les vents alizés, qui résultent
gression de la mini-tornade. (Cette année- diminue à l’Est, près de l’Amérique du Sud, à la fois de la répartition des zones de
là, de janvier à avril 1891, des pluies vio- et inversement. Il décèle ainsi l’existence hautes et basses pressions et de la force
lentes et des inondations catastrophiques d’un gigantesque transfert de masse à de Coriolis due à la rotation de la Terre,
affligèrent le Nord du Pérou.) l’échelle du bassin Pacifique, soit sur près de soufflent d’Est en Ouest.

RÉGIME NORMAL SITUATION EL NINO


BOUCLE DE CONVECTION TEMPÉRATURE CONVECTION
DE L'EAU (°C) ACCRUE
28 27 26 25 24 23

ÉQUATEUR ÉQUATEUR

T T
EST ES EST ES
OU OU
LINE THERMOCLINE
RMOC
THE

1. Température des eaux de surface dans le Pacifique tro- sphérique, associée à la couverture nuageuse et aux préci-
pical. En situation dite «normale» (à gauche), l’eau est pitations. Pendant El Niño (à droite), les eaux chaudes se
chaude (28-29°C) à l’Ouest et plus froide (22-23°C) à l’Est. déplacent vers l’Est et envahissent la bande équatoriale.
En profondeur, la thermocline, couche de transition entre En profondeur, la thermocline se redresse, remonte à
les eaux chaudes et froides, est inclinée : elle s’enfonce à l’Ouest et reste sous la surface à l’Est. Corrélée au dépla-
près de 200 mètres à l’Ouest et affleure la surface à l’Est. cement des eaux chaudes, la convection atmosphérique
Au-dessus des eaux chaudes du Pacifique Ouest s’installe est accrue ; la couverture nuageuse et les fortes précipita-
la branche ascendante de la boucle de convection atmo- tions associées se déplacent vers l’Est.

36 © POUR LA SCIENCE
30° N

CYCLONES
CHAUD TROPICAUX
INHABITUELS
SEC
30° S
HUMIDE

30° E 60° E 90° E 120° E 150° E 180° 150° O 120° O 90° O 60° O 30° O

2. Variations climatiques observées pendant un événe- Outre le Pacifique tropical, de nombreuses parties du
ment El Niño. La partie Ouest du Pacifique tropical est Globe sont affectées par le phénomène. (D’après
moins arrosée, tandis que la partie Est l’est beaucoup trop. Ropelewski et Halpert.)

En exerçant une tension à la surface également la formation de cyclones dévas- Les mécanismes possibles
de l’océan, les alizés poussent les eaux de tateurs au-dessus des eaux anormalement
surface de l’Est vers l’Ouest. Il s’ensuit une chaudes des îles du Pacifique central. Six Quelle est l’origine d’El Niño? En 1975,
énorme accumulation des eaux chaudes, cyclones ont touché la Polynésie française s’inspirant des travaux de Jacob Bjerknes
de 28 à 29 degrés Celsius, dans la partie en 1982-1983 (voir la figure 2). dans les années 1960, Klaus Wyrtki montre
Ouest du Pacifique tropical (voir la figure Les événements El Niño affectent la que le vent local ne peut, à lui seul, pro-
1). Cette accumulation induit en outre une pêche, une des principales activités des duire des anomalies de température de sur-
surélévation du niveau marin d’environ 50 pays côtiers d’Amérique du Sud. Le long face au large des côtes d’Amérique du
centimètres à l’Ouest du bassin. À des côtes péruviennes, le contre-courant Sud ; il note que ces anomalies sont précé-
l’inverse, dans la partie Est, la conservation chaud interrompt les remontées normales dées par des irrégularités du vent à l’autre
de la masse fait remonter vers la surface d’eaux profondes et froides, riches en sels bout du Pacifique. Sa théorie, fondée sur
les eaux froides, de 22 à 24 degrés minéraux indispensables au développe- des observations, invoque un relâchement
Celsius. Ainsi les alizés créent un fort gra- ment du phytoplancton. Les poissons, pri- anormal des alizés, qui, certaines années,
dient de température de surface entre vés de leur nourriture essentielle, désertent libère les eaux chaudes accumulées à
l’Ouest et l’Est du Pacifique tropical, gra- ces zones, habituellement si fertiles. Les l’Ouest. Ces eaux chaudes se déplacent
dient qui influe à son tour sur le régime anchois, une des espèces les plus pêchées alors vers l’Est, le long de l’équateur.
des alizés. L’atmosphère et l’océan for- par les pays riverains, disparaissent des Les effets d’El Niño observés dans le
ment un système couplé. secteurs de pêche. Les sardines migrent Pacifique équatorial Est proviennent ainsi
dès l’apparition du courant chaud et se du Pacifique équatorial Ouest, distant de
Les effets d’El Niño réfugient plus au Sud, au large des côtes plus de 10 000 kilomètres. K. Wyrtki sug-
chiliennes. Les oiseaux marins, qui puisent gère que la transmission serait assurée par
La situation «normale» que nous leur nourriture dans la mer, souffrent, eux une onde équatoriale de Kelvin : une telle
venons de décrire, quoique stable, s’écarte aussi, de ce dérèglement. L’écosystème onde se propage à l’interface de deux
parfois de son état d’équilibre durant les marin est profondément perturbé. couches de fluides, ici la thermocline, sépa-
événements El Niño-oscillation australe. Au La circulation atmosphérique et des rant la couche d’eau chaude superficielle
cours de ces événements, l’énorme masse ondes océaniques propagent l’influence de la couche d’eau froide, plus profonde.
d’eau chaude située dans le Pacifique d’El Niño sur une grande partie du Une onde de Kelvin transiterait en deux
Ouest se déplace vers le Pacifique central Globe, au-delà du Pacifique tropical : on ou trois mois entre les bords Ouest et Est
et Est, avec son cortège de perturbations parle de «téléconnexions». Ainsi on a du bassin Pacifique. Ces idées sont confor-
atmosphériques. On a dénombré six évé- observé des corrélations significatives tées par les résultats de simulations numé-
nements El Niño durant les 40 dernières entre El Niño et des événements clima- riques d’un tel système.
années. Leurs implications socio-écono- tiques ressentis en Amérique du Nord, Toutefois, les idées de J. Bjerknes et de
miques sont importantes : ils sont la cause en Inde, au Brésil, en Argentine, voire K. Wyrtki n’expliquent pas la transition, tous
de fortes sécheresses dans la partie Ouest dans le Sud de l’Afrique. Des études les deux à sept ans, entre l’état dit «normal»
du Pacifique (en Indonésie, aux relient même les événements du et l’état El Niño. Des études plus récentes
Philippines, en Australie et en Nouvelle- Pacifique à des anomalies des circula- font intervenir, outre les ondes équatoriales
Calédonie) et des inondations désastreuses tions océanique et atmosphérique, obser- de Kelvin qui se propagent d’Ouest en Est,
au centre et à l’Est du Pacifique (notam- vées dans l’Atlantique, ainsi qu’à l’appari- des ondes équatoriales de Rossby, qui se
ment sur la côte péruvienne). Ils favorisent tion de cyclones tropicaux. propagent plus lentement, d’Est en Ouest.

© POUR LA SCIENCE 37
Selon cette théorie, dite «de l’oscillateur
retardé», la propagation des ondes dans
l’océan Pacifique ainsi que leur réflexion sur
les bords du bassin déterminent le début, la

durée et la fin d’El Niño. Les modèles numé-
riques fondés sur cette théorie reproduisent
bon nombre des observations. Néanmoins,
cette théorie se révèle encore insuffisante au 150° E 135° O 17 SEPT-25 SEPT 1994 70° O
regard des nouvelles observations, toujours 20° N
plus nombreuses et précises.

Les observations de TOPEX/POSEIDON 0°

Le Programme mondial de recherche


sur le climat fédère plusieurs études dont
l’ambition est la compréhension, voire la 20° S 27 SEPT-6 OCT 1994
prédiction, du climat de la Terre. Pour la 20° N
première fois, les chercheurs utilisent
conjointement des mesures in situ, des
observations par satellite et des simulations
numériques. Les mesures par satellite sont 0°

particulièrement utiles : elles seules don-


nent une vision de tout le bassin océanique,
englobant les échelles spatiales et tempo- 20° S 7 OCT-16 OCT 1994
relles qui caractérisent El Niño. De l’espace,
20° N
on mesure la température des eaux de sur-
face et le niveau de la mer dont on déduit
le courants de surface. Les anomalies de
température liées au phénomène El Niño 0°
atteignent trois à quatre degrés sur la moi-
tié Est du Pacifique ; les anomalies du
niveau de la mer, correspondant à la propa- 20° S 17 OCT-26 OCT 1994
gation des ondes de Kelvin et de Rossby,
dépassent parfois dix centimètres.
Un des derniers satellites en date,
TOPEX/POSEIDON, a été placé à 1 300 kilo-
mètres d’altitude, par la fusée Ariane, en 0°
août 1992. Il porte à son bord deux radars
altimètres (l’un élaboré par le CNES, l’autre
par la NASA), capables de mesurer les varia- 150° E 135° O 27 OCT-5 NOV 1994 70° O
tions du niveau de la mer au centimètre
– 12 CENTIMÈTRES –6 –4 –2 0 2 4 6 8 10 12
près. Depuis août 1992, le satellite sillonne
la surface des océans, repassant aux
mêmes points tous les dix jours et détec- 3. Propagation d’une onde de Kelvin, d’Ouest en Est, observée par le satellite
tant les moindres creux et bosses créés par T OPEX /P OSEIDON . Les couleurs indiquent le niveau marin par rapport à la
la circulation océanique. On a ainsi moyenne. L’onde de Kelvin, caractéristique d’un événement El Niño, se mani-
observé les variations saisonnières, intra- feste par une anomalie positive du niveau de la mer d’environ 13 centimètres.
saisonnières, interannuelles (El Niño) et
globales du niveau des mers. buée à un événement El Niño (voir la prendre teste notre capacité à modéliser et à
En décembre 1992, dans le Pacifique figure 3). Au début de cette année 1996, prédire les variations climatiques terrestres.
équatorial Ouest, TOPEX/POSEIDON a détecté toujours grâce à T OPEX /P OSEIDON , on a L’accumulation des observations et leur
une anomalie positive du niveau de la mer, décelé une forte anomalie négative du grande précision conduit déjà à quelques
d’environ dix centimètres. En temps quasi niveau de la mer, au centre du Pacifique raffinements de la théorie des ondes équato-
réel, on a vu cette anomalie se propager équatorial. Elle correspondait à une ano- riales. Les réseaux d’observation sont main-
vers l’Est, le long de l’équateur, et atteindre malie froide de la température de surface ; tenus. Le CNES et la NASA élaborent notam-
les côtes d’Amérique du Sud moins de deux on l’associe cette fois au début de La Niña, ment un satellite qui prendra le relais de
mois plus tard. On a vite associé ce phéno- phénomène inverse à El Niño, que l’on a TOPEX/POSEIDON en 1 999. La fiabilité de la
mène à la propagation d’une onde équato- déjà observé, notamment en 1988-1989. prédiction ne peut que s’améliorer…
riale de Kelvin, dont on a mesuré in situ Le satellite TOPEX/POSEIDON pourrait être
l’effet sous la surface. En octobre 1994, on l’instrument de mesure dont rêvait le capi- Yves MÉNARD participe
a observé la propagation d’une anomalie taine Carillo. Le phénomène El Niño-oscilla- au projet TOPEX/POSEIDON,
de même type, mais de plus forte ampli- tion australe est le plus fort signal climatique au Centre national d’études spatiales (CNES).
tude (13 centimètres). On l’a aussi attri- de la planète. Toute tentative pour le com- Thierry DELCROIX est chercheur à l’ORSTOM.

38 © POUR LA SCIENCE
L ES PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES

On parle de la pluie et du beau temps,


de nuages et de dépressions…
Sait-on comment se forment
ces structures? Comment
emmagasinent-elles
suffisamment d’énergie
pour engendrer les moussons,
les tempêtes, les orages?
Les nuages
Jean-Pierre Chalon et Marc Gillet

En combinant les lois de la dynamique des fluides cumulus, qui sont opaques aux rayonne-
ments visibles, réduisent la quantité
et de la microphysique avec les observations, d’énergie solaire atteignant le sol et
refroidissent les basses couches de
on reconstitue l’évolution des nuages, la formation l’atmosphère. Une variation de cinq pour
cent de la couverture des strato-cumulus
des précipitations, la genèse des phénomènes dangereux aurait sur la température moyenne de la
planète un impact équivalent à celui d’un
et l’impact des nuages sur le rayonnement et le climat. doublement du gaz carbonique (voir Les
nuages et l’effet de serre, par Hervé Le
Treut, dans ce dossier).

es nuages sont multiples et triques atmosphériques dépendent de la

L
La formation des nuages
variés. Certains sont pacifiques nature des hydrométéores, particules
et annoncent un temps clément. d’eau liquide ou solide (de quelques Quand on contemple une photogra-
D’autres provoquent des phéno- microns à quelques millimètres) pré- phie de la Terre prise par satellite, on est
mènes violents et désastreux tels que la sentes dans les nuages (voir la figure 3). frappé par l’aspect organisé des masses
grêle, la foudre, les coups de vent et les La microphysique s’attache à décrire nuageuses. Les nuages couvrent en per-
tornades. Ces manifestations effraient les l’évolution des hydrométéores. manence la moitié du Globe, et leurs
hommes, tant pour la sauvegarde de leurs La condensation, la glaciation et la sommets atteignent 20 kilomètres d’alti-
biens que pour celle de leurs vies. Ils dif- condensation solide de l’eau dégagent tude dans les régions tropicales et plus de
fèrent aussi par leur taille : les nuages une importante quantité d’énergie, sous 10 kilomètres en Europe. La disposition
convectifs isolés occupent quelques kilo- forme de chaleur. Ainsi, dans un cumu- et la nature des formations nuageuses
mètres carrés ; certains systèmes nuageux lus de beau temps de deux kilomètres dépendent de l’état de l’atmosphère :
s’étendent sur quelques dizaines à cubes, la condensation fournit une éner- variations de la température, de l’humi-
quelques centaines de kilomètres ; des gie d’environ 5 x 10 12 joules, en une dité et du vent en fonction de l’altitude,
systèmes multicellulaires, des amas dizaine de minutes. Cette énergie équi- vitesse verticale moyenne de l’air au-
convectifs et des lignes de grains cou- vaut à la production horaire d’une cen- dessus de la région considérée.
vrent quelques milliers de kilomètres. trale nucléaire. Une partie de cette cha- De manière simplifiée, on décrit
Les scientifiques tentent de comprendre leur se transforme en énergie cinétique, l’évolution des nuages à l’aide de lois
les nuages en étudiant l’électricité atmo- c’est-à-dire en mouvement. Dans un thermodynamiques et du concept de
sphérique, la microphysique et la dyna- nuage, les vitesses verticales peuvent «particule d’air». Considérons une «parti-
mique. Ils évaluent aussi la contribution atteindre 150 kilomètres par heure. Au cule d’air» (une poche d’air), contenant
des nuages à l’équilibre radiatif de la pla- sol, on constate des sautes de vent et de de la vapeur d’eau, qui s’élève dans
nète et à la redistribution des énergies température, rapides et violentes. l’atmosphère. Si elle est assez volumi-
entre l’équateur et les pôles. L’étude des mouvements de l’air et des neuse, les échanges de matière et de cha-
Historiquement, l’éclair est le phé- variations de température, d’humidité et leur avec l’extérieur sont négligeables. En
nomène orageux que l’on a tenté de pression qui leur sont associées est première approximation, on considère
d’expliquer en premier. Benjamin l’objet de la dynamique des nuages. Bien qu’elle est enfermée dans une enveloppe
Franklin a démontré, au XVIIIe siècle, la entendu, l’organisation dynamique agit élastique et imperméable à la chaleur : la
nature électrique de l’éclair. Depuis, nos sur l’évolution microphysique, puisque pression interne s’ajuste instantanément à
connaissances en électricité atmosphé- les vents transportent les particules d’air la pression atmosphérique environnante.
rique ont progressé, mais les difficultés dans des milieux ambiants différents. Au cours du soulèvement de la particule
de mesure in situ entravent encore Les nuages participent à l’équilibre d’air, comme la pression diminue, la tem-
l’avancement de cette sous-discipline de radiatif en réfléchissant, diffusant et pérature de la particule s’abaisse et son
la physique des nuages (voir L’électrisa- absorbant en partie les rayonnements volume augmente.
tion des orages, par Earle Williams, solaires et terrestres. Leur action radia- La masse maximale de vapeur d’eau
dans ce dossier). Heureusement, la com- tive dépend de leurs caractéristiques que peut contenir un mètre cube d’atmo-
préhension des mécanismes d’électrisa- microphysiques. Ainsi les cirrus, qui sont sphère dépend de la pression et de la tem-
tion atmosphérique n’est pas nécessaire semi-transparents aux rayonnements pérature. Pendant le soulèvement, cette
à l’étude des nuages : la microphysique visibles et réfléchissent la plupart des masse maximale autorisée s’abaisse au-
et la dynamique suffisent à leur descrip- rayonnements infrarouges, contribuent à dessous de la quantité de vapeur contenue
tion. À l’inverse, les phénomènes élec- l’effet de serre. Au contraire, les strato- dans la particule ; la vapeur excédentaire

40 © POUR LA SCIENCE
1. FRONT FROID venant de l’Atlantique,
photographié en infrarouge par le satellite
Météosat (a). Les couleurs indiquent les tem-
pératures au sommet des nuages : rouge
pour des températures inférieures ou égales
à – 40 degrés Celsius, violet pour + 20
degrés Celsius. La circulation atmosphérique
impose sa direction Nord-Sud au système. La
carte d’échos du radar Mélodi, de Bordeaux-
Mérignac (b), montre des cellules organisées
en bandes de précipitations orientées Sud-
Sud-Ouest/Nord-Nord-Est. Les zones de forte
réflectivité radar (précipitations abondantes)
apparaissent en orange et les zones de faible
réflectivité en violet. Les bandes étaient
presque immobiles, alors que les cellules se
déplaçaient vers le Nord-Nord-Est, entraî-
nées par les vents d’altitude. Cette structure
est fréquente à l’avant des fronts froids. Les
échos maxima au centre des cellules corres-
pondent à une intensité de précipitations au
sol de dix millimètres par heure.

a b
VITESSE DU VENT VITESSE DU VENT
(EN MÈTRES (EN MÈTRES
PAR SECONDE) PAR SECONDE)
5 N 5
5 5

O E

PLAN PLAN
DE COUPE DE COUPE
VERTICAL VERTICAL

INTENSITÉ DES
PRÉCIPITATIONS
(EN MILLIMÈTRES
PAR HEURE)

10 KILOMÈTRES 10 KILOMÈTRES
0,5 2,5 10

15 c d 15
VITESSE DU VENT VITESSE VERTICALE
(EN KILOMÈTRES)

(EN KILOMÈTRES)

(EN MÈTRES (EN MÈTRES


PAR SECONDE) PAR SECONDE)
ALTITUDE

ALTITUDE

15
7,5
2 3 5 6
10 KILOMÈTRES
10 KILOMÈTRES
0 0

2. LIGNE DE GRAINS observée à l’aide de radars Doppler embar- verses à la ligne de grains (les flèches). On a indiqué sur la même
qués sur deux avions (trajectoires bleues). Deux coupes horizon- coupe verticale (d), la répartition des vitesses verticales dans ce
tales (a : 1,5 kilomètre d’altitude et b : 5,6 kilomètres d’altitude) système nuageux. Le système est alimenté en air chaud et humide
et une coupe verticale (c) montrent l’intensité des précipitations par le bas et par son bord Est ; les masses d’air ressortent du sys-
(en couleurs) ainsi que les vents relatifs horizontaux et trans- tème par son bord Ouest.

© POUR LA SCIENCE 41
tion, obtenue en chauffant un fluide par le
bas (voir la figure 5) : la température du
fluide chauffé augmente et sa densité
diminue. Il monte alors, comme un ballon
de baudruche, tandis que le fluide supé-
rieur, plus froid, descend.
La convection atmosphérique est fré-
quente durant les journées ensoleillées,
quand les couches inférieures s’échauf-
fent. Des cheminées ascendantes, ou
«thermiques», apparaissent : les ama-
3. LES HYDROMÉTÉORES constituent la partie visible des nuages. Ce sont des particules teurs de vol à voile s’en servent pour
d’eau liquide ou de glace dont les tailles s’échelonnent entre quelques microns et cinq ou planer pendant de longues heures. Les
six millimètres dans le cas des gouttes de pluie, jusqu’à plusieurs centimètres sous forme de thermiques ont un diamètre de quelques
grêle. La photographie de gauche représente des gouttelettes de brouillard, dont le diamètre centaines de mètres et des vitesses
moyen est ici de 20 microns. La photographie de droite représente des cristaux de glace de ascendantes comprises entre un et trois
forme hexagonale, obtenus en ensemençant un brouillard surfondu avec du propane. mètres par seconde. À mesure que l’air
monte, il subit une détente adiabatique
et se refroidit ; il s’arrête lorsqu’il est
NUAGE CONVECTIF devenu plus froid que l’air ambiant.
Dans la plupart des cas, les thermiques
AIR REFROIDI
s’arrêtent à 2 000 mètres de hauteur.
ET SATURÉ Au-dessus du niveau de condensation,
au sommet des thermiques, des petits
cumulus se forment. La condensation
dégage une importante quantité de
AIR CHAUD
ET HUMIDE chaleur (environ 2 500 joules par
gramme d’eau liquide formée), qui
renforce la convection.
Ainsi, la nature de la couche instable
4. FORMATION D’UN NUAGE lors d’un soulèvement forcé par le relief. L’air chaud et détermine l’allure des nuages. Dans les
humide est soulevé le long de la pente. À une certaine altitude, il devient saturé en vapeur atmosphères stables, des nuages ne se
d’eau ; celle-ci se condense et forme un nuage. Si l’écoulement de l’air devient instable, il forment qu’en présence de soulèvements
se forme alors un nuage convectif. forcés, et deviennent étalés et strati-
formes. En présence d’instabilité abso-
se condense alors autour de certains aéro- diminue de quatre degrés. En revanche, lue, ils se développent verticalement, en
sols, les noyaux de condensation. toujours dans un litre de nuage, 100 000 à cumulus ou cumulonimbus. Le long des
L’atmosphère contient toujours suffisam- 5 000 000 gouttelettes d’eau liquide se côtes, les brises de mer entraînent des
ment de tels noyaux de condensation forment par condensation. Nous envisa- orages. L’échauffement solaire des
pour que le contenu en vapeur d’eau ne gerons plus loin l’impact de ces diffé- terres provoque une diminution de la
dépasse jamais la valeur de saturation de rences sur la formation des précipitations. pression atmosphérique et engendre un
plus de un ou de deux pour cent. Si la Le soulèvement d’une particule est vent, la brise de mer. Au-dessus de la
température est positive, la vapeur se soit forcé, soit spontané. Il est forcé terre, des mouvements ascendants de
condense en une multitude de gouttelettes quand de l’air humide butte sur une l’air créent une zone de convergence
d’eau liquide. Si la température est néga- chaîne de montagnes (voir la figure 4), propice à la formation de bandes nua-
tive (comme dans les cirrus), ce sont des ou bien, en terrain plat et sur la mer, geuses et au déclenchement de l’instabi-
cristaux de glace qui se forment, par quand de l’air chaud et humide rencontre lité convective (voir la figure 6).
condensation solide autour d’un autre de l’air froid : l’air froid s’enfonce en
type d’aérosols, les noyaux glaçogènes. coin sous l’air chaud, moins dense, et le Les précipitations
Lorsque la particule d’air chargée de soulève. Ainsi naissent les fronts. Quand
gouttelettes se soulève encore, elle peut les particules d’air chaud, en remontant la Nous avons vu que les nuages se for-
atteindre le domaine des températures pente froide, franchissent le niveau de ment dès que le seuil de saturation de
négatives. Les gouttelettes ne se congè- condensation, la vapeur se condense ; l’air en vapeur d’eau est dépassé.
lent pas forcément : dans l’atmosphère, dans une atmosphère stable, on observe Cependant, il y a loin entre l’apparition
les noyaux glaçogènes actifs à haute tem- alors des nuages en couches, ou nuages d’un nuage et la création d’une averse. Le
pérature (entre 0 et – 10 degrés Celsius) stratiformes. rayon d’une gouttelette d’eau dans un
sont rares, et la glace ne se forme qu’à Le soulèvement spontané produit des nuage est de dix microns, alors que celui
très basse température. À – 20 degrés nuages de type convectif, tels que les d’une goutte de pluie moyenne est
Celsius, on dénombre en moyenne un cumulus et cumulonimbus. La convection d’environ un millimètre ; or un facteur
noyau glaçogène actif par litre de nuage. apparaît dans des conditions thermodyna- cent sur la taille implique un facteur d’un
À partir de cette température, le nombre miques, que les météorologistes nom- million sur la masse!
moyen de noyaux glaçogènes actifs ment «instabilité absolue». Les cellules Dans les nuages naturels, la conden-
décuple chaque fois que la température de Bénard sont un exemple de convec- sation seule n’explique pas le passage de

42 © POUR LA SCIENCE
la gouttelette de nuage à la goutte de tion par rapport à la glace devient ainsi trices, caractéristiques du processus de
pluie. La vitesse d’accroissement du importante, et les quelques cristaux pré- Bergeron (voir la figure 7). Les som-
rayon d’une gouttelette est proportion- sents grossissent par condensation solide. mets des cellules sont à des températures
nelle au taux de sursaturation du milieu En quelques dizaines de minutes, il se basses, favorables à la croissance rapide
et inversement proportionnelle au rayon forme des cristaux de glace d’environ un des cristaux de glace, dans un milieu où
de cette gouttelette. En conséquence, les millimètre de diamètre. les gouttelettes surfondues contrôlent la
gouttelettes étant nombreuses, le taux de Un cristal de cette taille a une masse pression de vapeur saturante. Les radars
sursaturation reste faible et la croissance équivalente à celle d’une goutte de bruine météorologiques détectent fort bien les
par condensation est limitée. Dans une de 100 microns de rayon. Il a une vitesse cristaux ainsi formés, dès qu’ils ont un
ascendance de cumulus, les calculs mon- de chute suffisante (quelques décimètres diamètre de quelques centaines de
trent qu’il faut environ cinq minutes par seconde) pour collecter des goutte- microns et que leur nombre atteint un
pour atteindre la taille de dix microns et lettes d’eau surfondue (formation d’un cristal par litre. Sur l’écran radar, les tra-
plusieurs heures pour arriver à 20 cristal givré) ou d’autres cristaux (forma- jectoires de ces précipitations en cours
microns. Or une goutte d’eau ne survit tion d’un flocon de neige) ; il atteint alors de formation apparaissent comme des
pas aussi longtemps dans un nuage, et la masse d’une goutte de pluie moyenne. traînées obliques, définies par les varia-
certains cumulus parviennent au stade Si la particule de glace parvient dans une tions du vent en fonction de l’altitude.
précipitant en moins de 15 minutes. Un région où la température est positive, elle Dans les nuages stratiformes, en coupe
autre mécanisme doit intervenir dans la fond et se transforme en goutte de pluie. verticale, les échos radar se renforcent
formation de la pluie. Si elle reste à température négative, elle sur quelques centaines de mètres au-des-
Cet autre mécanisme pourrait être la atteint le sol sous forme de cristal de sous de l’isotherme zéro degré Celsius.
«collection», c’est-à-dire l’agglutination glace, de cristal de glace givré ou de flo- C’est ce qu’on nomme la «bande
d’un million de gouttelettes en une goutte con de neige. Quand le processus de brillante» : les cristaux fondent, et la
de pluie. La collection se fait en deux Bergeron est effectif, un seul cristal par pellicule d’eau liquide qui les recouvre
étapes : la collision et la coalescence. La litre suffit pour produire au sol des préci- augmente leur pouvoir réflecteur.
collision est l’étape la plus délicate. Les pitations substantielles. On a longtemps cru que le processus
grosses gouttes, qui chutent plus vite, ont de Bergeron suffisait à expliquer la for-
tendance à rattraper les plus petites. La glaciation mation des précipitations. Cependant,
Hélas, le fait qu’une petite goutte se situe dans les régions tropicales, on a observé
sur la trajectoire d’une plus grosse En hiver, à l’avant des fronts froids que la pluie apparaît aussi dans des
n’implique pas nécessairement leur colli- qui traversent notre pays, on observe cumulus qui culminent à des tempéra-
sion : la chute de la grosse goutte pro- souvent de telles précipitations, formées tures positives. Dans ces nuages, les
voque un déplacement d’air qui repousse à partir de cristaux de glace. Dès les pre- hydrométéores grossissent nécessaire-
les gouttes de taille inférieure à 20 mières utilisations du radar en météoro- ment par les seuls processus de condensa-
microns. Pour qu’il y ait collision, logie, on a détecté des cellules généra- tion et de collection. On a tenté d’expli-
quelques grosses gouttes initiatrices doi- quer la formation de gouttes initiatrices
vent être présentes dans le nuage (environ de plus de 40 microns par la présence de
une goutte de rayon supérieur à 40 noyaux de condensation géants, de
microns par litre). Toutefois, nous avons champs électriques ou de microturbu-
vu qu’en théorie, la formation de telles lences. Ces tentatives restent vaines. Des
gouttes par condensation exige des temps travaux récents de J.-L. Brenguier, au
supérieurs à la durée de vie des goutte- Centre national de recherches météorolo-
lettes de nuage. giques, montrent que, dans une même
Comment des gouttelettes de nuage particule d’air, les conditions de sursatu-
peuvent-elles produire des particules de ration fluctuent sur de courtes distances.
taille supérieure à 20 microns? Un méca- Chaque gouttelette, au hasard de sa tra-
nisme de formation, nommé processus de jectoire, évolue différemment ; ces diffé-
Bergeron, fut découvert et étudié en rences expliquent pourquoi l’on observe
Suède, à partir de 1930. Il intervient des tailles de gouttes bien plus diverses
lorsque quelques cristaux de glace et un que ne le prévoit la théorie de condensa-
grand nombre de gouttelettes en surfusion tion des gouttelettes, et elles n’excluent
cohabitent dans le nuage. Cette cohabita- plus la présence de gouttes de taille supé-
tion est fréquente aux latitudes rieure à 20 microns.
moyennes, où la température au sommet CHAUFFAGE Des observations intensives des
des nuages est souvent inférieure à – 20 nuages à l’aide des sondes aéroportées,
degrés Celsius. Aux températures néga- 5. L ES CELLULES DE B ÉNARD sont un conjuguées avec des mesures plus clas-
tives, la pression de vapeur saturante au- exemple de mouvement convectif. On les siques (température, humidité, vitesse
reproduit en laboratoire, en chauffant le
dessus de la glace est inférieure à la pres- verticale et horizontale), ont permis de
fond d’un récipient contenant un fluide :
sion de vapeur saturante au-dessus de à partir d’une certaine température, on
progresser. Cependant, certains phéno-
l’eau liquide. Cet écart s’accroît quand la observe une juxtaposition de cellules mènes, comme la formation de la glace,
température diminue. Dans un milieu polygonales (en haut). La périphérie des restent mal compris. Des mesures aéro-
comportant beaucoup d’eau liquide et cellules correspond à une zone d’ascen- portées, effectuées notamment aux États-
peu de glace, la phase liquide impose la dance et le centre (en couleur foncée) à Unis et en Australie, ont indiqué une
pression de vapeur d’eau. La sursatura- une zone de subsidence. concentration en cristaux plus de mille

© POUR LA SCIENCE 43
fois supérieure à la concentration en
RAYONNEMENT SOLAIRE noyaux glaçogènes. On a aussi constaté
une glaciation rapide et massive au som-
met de cumulus développés. Il existe
donc un processus de multiplication
capable de produire, sans noyaux glaço-
gènes, de grandes quantités de cristaux.
Ce phénomène serait rare dans les
nuages continentaux, et efficace dans des
nuages maritimes assez âgés, contenant
ÉCHAUFFEMENT ÉCHAUFFEMENT
de grosses gouttes d’eau. Selon des
RAPIDE LENT
études menées en laboratoire, cette mul-
tiplication rapide des cristaux de glace
résulterait de l’éclatement et du givrage
TERRE MER des gouttelettes entrant en collision avec
des particules de neige ou de grésil.
Une bonne description des méca-
nismes de formation de la glace est capi-
tale pour plusieurs raisons. Nous savons
que la glaciation joue un rôle détermi-
nant dans la formation des précipita-
tions. Elle fournit aussi, dans certains
cas, une énergie supplémentaire aux
nuages, sous forme de chaleur. Enfin, la
ASCENSION glaciation contrôle en grande partie la
DE L’AIR CHAUD répartition des charges électriques au
AU-DESSUS DE LA TERRE CRÉATION DE ZONE sein des nuages.
DE CONVERGENCE
AU-DESSUS DE LA CÔTE
La dynamique des nuages
À la fin des années 1940, en Floride
et en Ohio, l’une des premières études
des mécanismes orageux au moyen de
radars, le Thunderstorm Project, a abouti
BRISE DE MER à une description détaillée des cellules
convectives. On y a décrit notamment les
orages dits de «masses d’air». Ces orages
surviennent en été, dans des masses d’air
SUBSIDENCE
instables, en situation météorologique
non perturbée. Ils comportent plusieurs
cellules élémentaires qui se développent
et disparaissent tour à tour. Une telle cel-
lule évolue en trois étapes : l’étape du
cumulus, l’étape de maturité et l’étape de
la dissipation (voir la figure 8). Le cycle
total dure une trentaine de minutes, pen-
dant lesquelles le diamètre de la cellule
NUAGES ne dépasse pas dix kilomètres.
Les orages les plus dévastateurs nais-
sent dans une structure convective plus
vaste, la «supercellule», qui perdure plu-
sieurs heures, et qui s’étale sur 50 kilo-
ASCENDANCE mètres. La circulation de l’air y est sta-
tionnaire pendant que l’ascendance et la
6. LA BRISE DE MER résulte de l’échauffement de la terre par le Soleil. Le sol se réchauffe subsidence s’entretiennent mutuelle-
plus vite que l’océan. Il transmet une partie de sa chaleur à l’air des basses couches (en haut). ment (voir la figure 9). La description
Le réchauffement de l’air abaisse la pression atmosphérique sur le continent et, par consé- de ce type d’orage s’est affinée au fil
quent, aspire l’air marin (au milieu). Il en résulte une zone de convergence et l’apparition
des ans, en particulier à la suite d’ana-
d’une ascendance, au-dessus de la côte. Ces mouvements sont compensés par la formation
d’une zone de subsidence qui se développe au-dessus de l’eau. Les vitesses d’ascendance,
lyses détaillées des données radar et
même faibles, suffisent souvent pour soulever l’air jusqu’au niveau de condensation et don- grâce aux travaux de K. Browning et de
ner naissance à des nuages le long de la côte (en bas). Si l’air est instable, les nuages sont de G. Foote, aux États-Unis (voir La nais-
type convectif. On observe alors, localement, des vitesses verticales importantes. Après le cou- sance des tornades, par Robert Davies-
cher du Soleil, la situation est inversée ; les nuages se forment au-dessus de la mer. Jones, dans ce dossier).

44 © POUR LA SCIENCE
L’image radar d’une supercellule est cipitations s’évaporent et humidifient un courant d’air ascendant où se forment
caractéristique. L’ascendance est mar- l’air environnant. Cette évaporation les précipitations. La dissipation des cel-
quée par une zone d’échos faibles, entou- consomme de la chaleur, ce qui refroidit lules les plus anciennes est systémati-
rée d’échos très intenses. La vitesse verti- l’air environnant et l’alourdit. Plus cet air quement compensée par la naissance de
cale dans l’ascendance est si grande que est initialement sec, plus il se refroidit et nouvelles cellules ; ainsi le système per-
les gouttelettes n’ont pas le temps s’alourdit. Arrivé près du sol, l’air froid dure plusieurs heures et engendre des
d’atteindre une taille appréciable ; en s’étale et rencontre l’air chaud et humide phénomènes souvent plus violents que
outre, ni la pluie ni la grêle n’y pénètrent : qui alimente le nuage. Dans les cas les orages ordinaires. On a beaucoup
elles sont rejetées vers le haut ou sur les extrêmes, la différence de température étudié ces systèmes. Durant l’expérience
côtés. L’ascendance ne renferme donc atteint 10 degrés. Le pseudo-front froid COPT81, des laboratoires français et ivoi-
aucun objet susceptible d’engendrer des ainsi formé renforce encore l’ascendance. riens ont observé la structure des lignes
échos radar importants. Les gros hydro- Dans ce type d’orage, la grêle se forme de grains qui affectent les régions tropi-
météores confinés autour de l’ascendance en altitude, dans la partie de la voûte qui cales. Ces systèmes s’étalent sur 1 000
provoquent en revanche des échos devance l’ascendance. Les grêlons sont kilomètres de long et 300 à 400 kilo-
intenses qui dessinent une vaste voûte. recyclés avant d’être happés vers mètres de large. À l’avant, ils compor-
Les supercellules naissent dans des l’arrière et projetés au sol. La zone de tent plusieurs dizaines de cellules
conditions météorologiques précises, formation de la grêle est probablement convectives, sans cesse renouvelées,
caractérisées par la présence d’un fort petite. C’est pourquoi les diverses alors qu’ils forment à l’arrière une large
cisaillement vertical de vent horizontal, méthodes utilisées pour combattre ce enclume stratiforme. Ces structures se
d’air chaud et humide près du sol et d’air fléau (ensemencement des nuages, déplacent sur des milliers de kilomètres
sec en altitude. Les vents extérieurs, per- fusées anti-grêle) n’ont guère d’effet sur en plusieurs jours. Dans les régions
turbés par le nuage qui leur barre la route, l’évolution des orages de supercellules. quasi désertiques de l’Afrique sub-sahé-
engendrent des mouvements verticaux à Certains orages constituent de vastes lienne, les lignes de grains fournissent la
sa périphérie et renforcent la convection. ensembles nuageux : systèmes multicel- majeure partie des précipitations.
Lorsqu’ils augmentent avec l’altitude, la lulaires, amas convectifs, lignes de Les systèmes frontaux sont des struc-
zone d’ascendance s’incline et les préci- grains, etc. Ces systèmes comportent des tures encore plus vastes, visibles sur les
pitations s’éloignent. Une partie des pré- cellules convectives, chacune associée à images retransmises par les satellites

SOMMET DES NUAGES


CELLULES GÉNÉRATRICES (LIMITE VISUELLE)

VARIATIONS
6 000 DE LA VITESSE
DU VENT CROISSANCE
DES HYDROMÉTÉORES
PAR EFFET BERGERON
–20 °C
5 000

LIMITE DES ÉCHOS


DÉTECTÉS
ALTITUDE (EN MÈTRES)

PAR RADAR
4 000

TRAJECTOIRE
DES HYDROMÉTÉORES
3 000

CROISSANCE TRAÎNÉE
DES HYDROMÉTÉORES DE
2 000 PAR COALESCENCE PRÉCIPITATIONS
0 °C

BASE DES NUAGES

1 000

LIMITE
PLUIE DES PRÉCIPITATIONS
0

FORMATION DES PRÉCIPITATIONS ÉCHOS RADAR


7. FORMATION DES PRÉCIPITATIONS dans un nuage de type nim- acquérir une vitesse de chute appréciable, ils grossissent par agglu-
bostratus. Les nimbostratus apparaissent souvent aux latitudes tination de gouttes ou de cristaux en suspension. Au passage de
moyennes à l’avant des fronts froids. Les cristaux apparaissent à l’isotherme zéro degré Celsius, ils fondent et se transforment en
des températures très basses, dans de petites cellules convectives gouttes de pluie. Cette évolution des hydrométéores explique la
(les cellules génératrices), qui culminent au-dessus des nuages stra- structure des échos radar obtenue dans ces nuages (à droite). Ainsi,
tiformes. Puis ils grossissent rapidement dans un milieu riche en l’isotherme zéro degré Celsius est-il marqué par une bande
gouttelettes surfondues, qui imposent une pression de vapeur d’eau brillante correspondant à un accroissement de réflectivité radar, dû
nettement supérieure à la pression de vapeur saturante par rapport à la fonte partielle des cristaux de glace. Le profil vertical du vent
à la glace (à gauche). Quand ces cristaux sont assez gros pour détermine la forme des traînées de précipitations.

© POUR LA SCIENCE 45
météorologiques. Ils ont une forme de orages, jugée responsable de la grêle ; États-Unis, Bernard Vonnegut découvrit
lambda, surmonté d’un enroulement. Les c’était la méthode du «Niagara élec- que la fumée d’iodure d’argent avait un
systèmes frontaux s’organisent autour de trique». Elle n’a pas donné de meilleurs excellent pouvoir glaçogène dans les
vastes circulations ; ils résultent des forts résultats que les cloches au son grêlifuge. nuages où la température est inférieure à
gradients de température qui existent On a aussi utilisé des gouttelettes d’eau – 5 degrés Celsius. Il montra qu’il était
entre l’équateur et les pôles (voir Les pour initier la coalescence, du sel pilé possible de produire, avec cette sub-
dépressions météorologiques, par Alain pour créer des noyaux de condensation stance, une grande quantité de noyaux
Joly, dans ce dossier). Pour comprendre géants, des obus pour secouer les nuages glaçogènes (jusqu’à 10 14 noyaux par
les systèmes frontaux et améliorer la pré- et de nombreux autres moyens. gramme d’iodure d’argent). Presque en
vision des tempêtes qu’ils produisent, on Cette brève énumération montre que même temps, M. Schaeffer larguait, à
prépare une expérience internationale l’homme a dépensé une énergie considé- partir d’un avion, de la neige carbonique
nommée FASTEX (Fronts and Atlantic rable pour se défendre contre la grêle ou dans des strato-cumulus : de façon spec-
Storm Track Experiment) : elle se dérou- augmenter les précipitations. Nombre taculaire, les nuages se dissipaient en
lera en janvier et février 1997, au-dessus d’illuminés et de charlatans ont profité de précipitant de la neige. Deux ans plus
de l’Atlantique Nord. ces tentatives. L’amélioration de notre tard, la General Electric parvenait à un
compréhension des mécanismes de for- résultat similaire en employant de
La modification du temps mation et d’évolution des nuages et des l’iodure d’argent. La possibilité d’agir
précipitations n’a hélas pas modifié cet sur la formation de la glace dans les
La modification du temps est un état de fait. Dans de nombreuses régions nuages était ainsi démontrée.
vieux rêve. Pour se défendre contre les du monde, on continue à ensemencer des Depuis cette époque, les expériences
fléaux atmosphériques, l’homme a com- nuages sans évaluer les résultats éven- de modification du temps se comptent par
mencé par diriger ses armes contre le ciel. tuels, en remplaçant simplement la centaines. On a cherché à éliminer les
Hérodote rapporte que les Thraces lan- poudre des projectiles ou la fumée des brouillards, à diminuer les conséquences
çaient des flèches vers les orages «pour feux de paille par de l’iodure d’argent ou néfastes de la grêle ou à provoquer des
les menacer et faire cesser les bouleverse- des particules hygroscopiques. pluies au-dessus de régions arides ou
ments atmosphériques». Dès son inven- L’agent le plus couramment utilisé désertiques. Sans aucun doute, on sait
tion, l’artillerie a combattu la grêle. En dans les opérations visant à augmenter la aujourd’hui dissiper localement des
France, au début de ce siècle, on a installé pluie ou à réduire la grêle est l’iodure brouillards surfondus ; plusieurs aéro-
des réseaux de paratonnerres gigan- d’argent. En novembre 1946, dans les ports ont recours au procédé. Les expé-
tesques pour extraire l’électricité des laboratoires de la General Electric, aux riences visant à augmenter la pluie ou à
réduire la grêle sont moins convaincantes.
Pour augmenter les quantités de pluie,
VENT
on a envisagé trois opérations. La pre-
LIMITE DE LA TROPOPAUSE
mière consiste à déclencher le processus
ENCLUME de coalescence, en injectant de gros
noyaux de condensation ou des gouttes
d’eau qui capturent des gouttelettes en
suspension dans le nuage. La deuxième
méthode vise à susciter le processus de
Bergeron, en introduisant quelques cris-
taux de glace dans un milieu peuplé de
gouttelettes d’eau surfondues. La troi-
sième méthode tend à provoquer une gla-
ciation massive du sommet du nuage, en
y introduisant de grandes quantités
d’iodure d’argent ou de neige carbo-
nique ; c’est la méthode dite d’«ense-
PRÉCIPITATIONS mencement dynamique», où l’on stimule
ÉTAPE DU CUMULUS ÉTAPE DE LA MATURITÉ ÉTAPE DE LA DISSIPATION le développement vertical du nuage en
8. L’ORAGE DE MASSE D’AIR est composé de cellules convectives, de courte durée de vie
libérant la chaleur latente de glaciation.
(une trentaine de minutes). Il évolue en trois étapes. Pendant la phase de développement, L’évaluation des modifications obte-
l’organisation dynamique évoque une cellule de Bénard, avec une ascendance centrale nues sur l’aire d’ensemencement est diffi-
humide, entourée d’une région de subsidence en air clair ; c’est l’étape du cumulus. Le cile : le comportement des systèmes com-
sommet du nuage s’élève d’une dizaine de mètres par seconde, les vitesses verticales au sein battus est varié, les situations favorables
de l’ascendance atteignent 20 mètres par seconde. Dans l’air clair entourant le nuage, les sont rares et, surtout, les méthodes utili-
vitesses descendantes sont bien plus faibles. La deuxième étape (étape de la maturité) est sées sont peu ou pas efficaces. Rares sont
associée à la pluie, qui crée un fort courant descendant : l’air est entraîné vers le bas à la les faits établis, qui résistent aux critiques
fois par le poids des hydrométéores en suspension et par le refroidissement dû à l’évapora-
des experts. Nous ne mentionnerons ici
tion partielle des gouttes. Le sommet du nuage atteint alors la tropopause, à près de 20 kilo-
mètres d’altitude sous les tropiques et aux environs de 10 kilomètres sous nos latitudes.
que deux expériences passées : le projet
Pendant la troisième étape (étape de dissipation), la subsidence occupe pratiquement tout le Whitetop, réalisé aux États-Unis, dans le
volume de la cellule et coupe son alimentation en vapeur d’eau. Le sommet du nuage Missouri, entre 1960 et 1964, et une des
s’écrase contre la tropopause et s’étend en forme d’enclume sous l’effet des vents forts pré- expériences israéliennes qui s’est dérou-
sents en altitude. Le nuage perd de sa vigueur et se dissipe. lée entre 1961 et 1967.

46 © POUR LA SCIENCE
ALTITUDE (EN MÈTRES)
DÉPLACEMENT DE L’ORAGE

LIMITE VISUELLE DU NUAGE LIMITE DES ÉCHOS DÉTECTÉS PAR RADAR

15 000

VOÛTE
10 000
AIR SEC ZONE DE FORMATION
DE LA GRÊLE

TRAJECTOIRE
5 000 DES GRÊLONS
E
E NC FR
ID
BS O
NT
PLUIE SU
ET FR
O AIR CHAUD ET HUMIDE
GRÊLE ID
0

-20 -10 0 10 20 30 40 50 0 10 20 30 40 50
VENT MOYEN MESURÉ PAR RAPPORT À L’ORAGE DISTANCE (EN KILOMÈTRES)
(EN MÈTRES PAR SECONDE)

9. L A SUPERCELLULE produit un orage dévastateur, qui se située à l’avant de la supercellule (zone embryonnaire) que se
déplace sur plusieurs centaines de kilomètres. L’air chaud et forme la grêle. Les mouvements probables des grêlons épousent
humide, provenant des basses couches de l’atmosphère, monte la forme de la voûte. Les hydrométéores qui s’échappent vers
vers le sommet du nuage. Au cours de leur ascension, les hydro- l’arrière de l’ascendance atteignent le sol, sous forme de pluie ou
météores n’ont pas le temps de grossir : les échos radar (en grisé) de grêle. Leur évaporation partielle au contact de l’air sec d’alti-
demeurent faibles. Les particules liquides ou solides sont rejetées tude (flèche bleue) refroidit l’air et renforce la vigueur du cou-
au sommet ou sur les côtés de l’ascendance, qui est entourée rant subsident (en vert). Arrivé au voisinage du sol, ce courant
d’échos intenses : ceux-ci forment une voûte. Au sommet de cette s’étale et engendre un pseudo-front froid ; ce dernier fait obs-
voûte, les hydrométéores liquides gèlent, ceux qui retombent vers tacle à l’air chaud et humide, le repousse dans l’ascendance et
l’avant sont recyclés dans l’ascendance. C’est dans cette région renforce la convection.

Le projet Whitetop devait accroître, précipitations de 10 ou 20 pour cent quantités de grêle. Or, on ne connaît pas
en plaine, les précipitations issues de semble possible. Hélas, les résultats obte- de technique d’ensemencement assez
cumulus d’été. L’ensemencement se fai- nus en Israël n’ont pas été reproduits dans précise pour éviter une dispersion des
sait au moyen d’un avion équipé de brû- d’autres régions du monde. noyaux glaçogènes. Les ensemence-
leurs à iodure d’argent. Parmi les nom- Les tentatives de réduction des préci- ments ont été suspendus dès 1975 car, au
breuses analyses statistiques faites sur pitations de grêle, pour la plupart, exploi- total, l’expérience avait enregistré plus
ces données, certaines indiquent un tent la compétition entre grêlons lors de de grêle et moins de pluie lors des situa-
résultat incertain, mais une majorité leur croissance. On suppose qu’un ajout tions ensemencées. On craignait une
montre une diminution des pluies de 20 de noyaux glaçogènes limite la quantité diminution des précipitations sur ces
à 60 pour cent. Les nuages ensemencés d’eau liquide collectée par chaque grê- régions arides, où celle-ci aurait plus
étaient de type maritime, et la coales- lon. Ceux-ci deviennent plus nombreux, d’impact économique qu’une modifica-
cence y jouait probablement un rôle mais plus petits : ils chutent moins vite et tion des quantités de grêle.
important dans la formation de la pluie ; fondent partiellement avant d’atteindre le Ces mauvais résultats ont été
or la multiplication des noyaux de sol. Dans les années 1970, pour vérifier confirmés par ceux de l’expérience
condensation gêne la coalescence, ce la crédibilité de ces résultats, le National Grossversuch, effectuée en Suisse, de
qui expliquerait ce résultat négatif. Hail Research Experiment a conduit un 1977 à 1981. Après ces vaines tentatives
L’expérience israélienne portait sur programme de recherches sur la grêle, pour modifier le temps, la communauté
des nuages de type continental, donc plus dans le Colorado, aux États-Unis. Après scientifique reste prudente. Une meilleure
riches en noyaux de condensation : la trois ans d’opérations intensives, le résul- compréhension des mécanismes en jeu et
coalescence et la multiplication de la tat des ensemencements restait incertain. un raffinement des méthodes d’ensemen-
glace devaient y jouer un rôle mineur. Un Dans le Colorado, les chutes de grêle cement se révèlent nécessaires. De nou-
avion dispersait de l’iodure d’argent au proviennent essentiellement de supercel- velles techniques d’observation et de
vent de la zone de mesure. Les précipita- lules : la grêle se forme en altitude, en simulation nous aideront à prendre en
tions des nuages ensemencés étaient 15 avant de la zone d’ascendance. Un ense- compte les nuages dans la prévision des
pour cent plus abondantes que celles des mencement dans cette région serait effi- précipitations, dans l’étude du bilan
nuages non ensemencés. Ce résultat est cace, à condition d’être massif ; s’il est radiatif de la planète et dans la compré-
significatif. Ainsi, un accroissement des insuffisant, il risque d’augmenter les hension des évolutions climatiques.

© POUR LA SCIENCE 47
LA DÉPRESSION
exprimé la nécessité d’introduire ces élé-
ments de causalité, isolant ainsi les phéno-
mènes météorologiques dans le zoo des

MÉTÉOROLOGIQUE mouvements fluides. Il a alors introduit les


ondes élémentaires, que nous décrirons plus
loin. Auparavant, énumérons les diverses
sources de mouvements atmosphériques.
Alain Joly
Les vents cherchent l’équilibre

C omment le baromètre de Monsieur


Tout-le-monde, qui ne mesure que la
pression atmosphérique, indique-t-il le
La description de l’évolution de l’atmo-
sphère relève des lois de la mécanique des
fluides. Ces lois se fondent sur les prin-
Nous savons que les dépressions
météorologiques naissent aux latitudes
«temps-qu’il-fait», c’est-à-dire une combinai- cipes de la physique, tels que la conserva- supérieures à 40 degrés, et qu’elles s’éta-
son de vent, de température, d’état du ciel tion de l’énergie et de la masse. Associées lent horizontalement sur environ 1 000 à
et de précipitations? L’efficacité du baro- à l’étude des changements d’état de l’eau, 2 000 kilomètres, occupant une épaisseur
mètre tient à une propriété étonnante de à l’examen des échanges turbulents avec de huit à dix kilomètres. Dans ses mouve-
l’atmosphère : pluies, rafales et brusques la surface et aux échanges de rayonne- ments horizontaux, l’air atmosphérique
changements de température accompa- ment, elles dépeignent avec réalisme les subit l’action de deux forces principales : la
gnent presque toujours les basses pressions. processus météorologiques. Leur expres- force qui résulte des différences de pres-
Pourquoi? Quel mécanisme fait-il, à la fois, sion mathématique empêche toute sion et la force de Coriolis. Cette dernière
chuter la pression, souffler le vent, soulever approche analytique, mais l’ordinateur pal- s’exerce sur les corps en mouvement à la
d’épais nuages et tomber l’eau salutaire? lie cette difficulté. Ainsi calcule-t-on, surface de la Terre du fait de leur inertie et
Les dépressions sont de gros tour- chaque jour, dans les services météorolo- de la rotation du Globe autour de son
billons qui apparaissent à nos latitudes. giques modernes, l’évolution de l’atmo- axe : un mouvement rectiligne dans un
L’histoire de la météorologie aboutit sphère pour les jours à venir. repère galiléen devient courbe dans un
aujourd’hui à une bonne description de Malheureusement, cette approche repère tournant comme la Terre.
leur formation. En particulier, on comprend numérique ne nous procure pas le senti- La déviation des corps par la force de
qu’elles naissent au voisinage d’un vent fort ment de comprendre les phénomènes Coriolis a une conséquence importante :
d’altitude, le courant-jet, et qu’elles résultent qu’elle représente avec succès. Comprendre le vent, qui naît des différences horizon-
du couplage de deux anomalies de tempé- signifie découper le système atmosphérique tales de pression, s’enroule autour des
rature et de vent, l’une à la surface de la en éléments associés par des liens de causes dépressions et anticyclones, au lieu d’aller
Terre, l’autre à l’altitude du courant-jet. à effets. En 1939, Carl Gustav Rossby a des unes vers les autres. Ce vent dévié
par la force de Coriolis est nommé vent
géostrophique. On observe effectivement,
tout au long de l’évolution d’une dépres-
sion, que le vent géostrophique est une
bonne approximation du vent réel hori-
zontal. Bien sûr, vent réel et vent géostro-
phique ne coïncident pas parfaitement :
un équilibre interdirait, par définition,
toute évolution. Toutefois, l’hypothèse du
vent géostrophique introduit une idée
extrêmement riche, un puissant levier vers
la compréhension cherchée : l’atmosphère
évolue au voisinage d’un équilibre entre
différence horizontale de pression et rota-
tion de la Terre.
Examinons la dimension verticale.
L’atmosphère est formée d’un empilement
de couches, qui se distinguent par les
variations verticales de température (voir la
figure 3 de l’article Les cycles de l’atmo-
sphère, page 26) : dans chaque couche, la
température varie presque linéairement
1. Structure d’une dépression, photographiée par le satellite METEOSAT : ces cap- avec l’altitude ; en revanche, les zones de
teurs de lumière infrarouge sont sensibles au contenu en vapeur d’eau de la haute transition d’une couche à l’autre compor-
troposphère (la couche atmosphérique où nous vivons). Les régions sombres indi- tent de fortes hétérogénéités verticales. On
quent l’air stratosphérique sec (au-dessus de dix kilomètres d’altitude) qui
s’intéresse ici à la troposphère, la couche
s’enfonce dans la troposphère. Les régions claires sont des régions humides éle-
vées. La ligne bleue souligne le courant-jet, vent d’altitude d’intensité maximale à
inférieure où nous sommes, surmontée
l’interface entre la troposphère et la stratosphère, interface nommée tropopause. par la stratosphère. Les couches de transi-
Les lignes orange matérialisent la dépression en altitude, un peu comme les lignes tion sont la surface de la Terre (à la base
d’isopression des cartes météorologiques habituelles, si ce n’est qu’elles ne repré- de la troposphère) et la tropopause, limite
sentent non pas la pression, mais la rotation de l’air sur lui-même (le «tourbillon»). entre la troposphère et la stratosphère. La

48 © POUR LA SCIENCE
tropopause est une surface mobile et Comme la coulée d’essence qui ali- Au passage, la dépression et celles qui
flexible, située entre 8 et 10 kilomètres, mente les flammes, le courant-jet constitue à l’accompagnent entraînent le courant-jet
selon la latitude et la saison. la fois le réservoir d’énergie des dépressions vers 60 degrés de latitude, et lui assignent
Les dépressions qu’indique le baro- et leur guide. Réservoir d’énergie : autour et une configuration qui orientera les dépres-
mètre occupent toute l’épaisseur de la tro- sous le courant-jet, un refroidissement doux, sions suivantes pendant une semaine ou
posphère, mais, on l’a vu, cette épaisseur de un degré pour 100 kilomètres, est dirigé deux. En 1988, Robert Vautard et Bernard
est infime comparée à leur extension hori- de l’équateur vers le pôle. Bien que faible, ce Legras ont dénommé régime de temps
zontale. Cette forme aplatie conduit à gradient de température se maintient sur une configuration persistante du courant-jet
considérer que les deux forces verticales toute l’épaisseur de la troposphère, de la et l’ont expliquée. L’évolution de cette
existantes, l’attraction gravitationnelle et la surface à la tropopause, ce qui représente configuration dépend du couplage entre le
poussée d’Archimède, se compensent. On un formidable potentiel énergétique suscep- courant-jet et les dépressions ; ce couplage
nomme équilibre hydrostatique cette com- tible d’engendrer des vents horizontaux. bilatéral illustre l’importance des rétroac-
pensation verticale. Guide des dépressions : en progressant, tions dans la dynamique de l’atmosphère.
Le maintien de ces deux équilibres, les dépressions consomment l’énergie ther-
hydrostatique et géostrophique, régit, en mique disponible. Toutefois, elles perturbent Ondes et ondées
partie, le fonctionnement des dépressions. également le jet : de même qu’un train
Leur évolution dépend aussi de la réparti- lancé trop vite dans une courbe arrache son Pour comprendre comment, dans ce
tion d’énergie dans l’atmosphère. rail au ballast, les dépressions déplacent vers couplage, le courant-jet favorise les dépres-
le pôle le courant-jet qui les guide. Chaque sions, considérons le cas de l’organisation
dépression bouscule plus ou moins le jet la plus simple qui puisse persister dans
Le courant-jet
selon son intensité, sa taille, sa configuration. l’environnement du jet, et qui servira ainsi
La répartition de l’énergie solaire est Ainsi les dépressions évoluent dans le de précurseur à une dépression (voir la
inégale à la surface de la Terre : en raison voisinage du courant-jet. Elles marquent, figure 2a). Dans les couches de transition
de la rondeur de la planète, l’équateur reçoit durant un jour ou deux, le temps qu’il fait. de l’atmosphère (telles que la surface ou la
plus d’énergie que les pôles. L’atmosphère
et les océans se meuvent pour rééquilibrer
ces différences entre les bandes de latitude. a TROPOPAUSE COURANT-JET
George Hadley a imaginé, au XVIIIe siècle, OUEST EST
deux «cellules» de circulation atmosphé-
rique, où l’air équatorial, chaud et humide,
se soulève par convection, se déplace vers
les pôles, se refroidit, redescend et revient VENTS
VERTICAUX
vers l’équateur (voir Les cycles de l’atmo-
sphère, page 26). Toutefois la Terre tourne, ISOTHERMES
entraînant l’atmosphère dans son mouve-
ment. Les masses d’air qui avancent vers un NORD
pôle s’approchent de l’axe de rotation de la
Terre et tournent de plus en plus vite ; le PROPAGATION
SUD
patineur utilise le même phénomène phy- DU TOURBILLON
sique pour tourner plus vite sur lui-même, SURFACE TERRESTRE VENT HORIZONTAL ANOMALIE DE TEMPÉRATURE
en ramenant les bras le long du corps. À la
limite de la cellule de Hadley, soit vers 30 b ANOMALIE DE TEMPÉRATURE
degrés de latitude, les masses d’air tournent
plus vite que la Terre ; cet effet se traduit
par un vent fort, soufflant d’Ouest en Est,
sur plusieurs dizaines de degrés de longi-
8 À 10 KILO-
MÈTRES

tude et moins de 1 000 kilomètres de large,


à l’altitude de la tropopause. On nomme
courant-jet ce tube de vent fort.
Le courant-jet crée un environnement
propice au développement des dépres-
sions météorologiques. Celles-ci poursui- S
T RE
vent l’échange d’énergie, amorcé par la MÈ
ILO
circulation de Hadley, entre l’équateur et 0 0K
3 000 À 4 000 KILOMÈTRES 15
le pôle. Seulement, à cause de la rotation
de la Terre, la zone d’échange n’apparaît 2. Le courant-jet, associé à une variation horizontale modérée de la tempéra-
plus comme une simple bande ceinturant ture (du Nord au Sud), favorise l’émergence des dépressions. Une anomalie de
température à la surface peut constituer le précurseur d’une dépression (a) : le
la Terre (la partie ascendante de la cellule
vent tourne autour de cette anomalie thermique et forme un tourbillon. Ce
de Hadley) : elle prend l’allure de gros
dernier se déplace, soumis à diverses contraintes, dont celles qu’impose la rota-
tourbillons, les dépressions. Avant d’expli- tion de la Terre. Ces contraintes et les variations de température forcent des
quer comment les dépressions fonction- mouvements verticaux. Le même type de perturbation élémentaire se propage
nent, examinons pourquoi le courant-jet en altitude, sur la tropopause (b). Les lignes orange indiquent un tourbillon
favorise leur existence. d’altitude semblable à ceux qu’on observe par satellite (voir la figure 1).

© POUR LA SCIENCE 49
COUPLAGE DES ANOMALIES ANOMALIES AMPLIFIÉES Tant que l’onde de surface est en aval
de l’onde d’altitude, la région ascendante
surplombe la région descendante : les
colonnes contenant la base de l’ascendance
perdent beaucoup de masse. La pression
INCLINAISON diminue rapidement. De plus, dans cette
DU VENT
ASCENDANT configuration, la région ascendante relie les
anomalies chaudes des deux ondes, et la
PLUIES
zone descendante joint les anomalies
froides : l’énergie thermique du jet se
transforme en vent, avec un excellent ren-
dement. Les deux ondes, unies en une
dépression active, respectent ainsi le lien
géostrophique entre la pression et le vent :
3. Une dépression apparaît quand deux ondes élémentaires interagissent à travers le vent croît quand la pression baisse. Si,
la troposphère, et tant que l’onde d’altitude se tient en aval de l’onde de surface. d’aventure, l’onde d’altitude passe en aval
de l’onde de surface, la dépression meurt,
parce que la zone descendante surplom-
tropopause), le brusque changement de d’air où ils se meuvent ; il s’ensuit une bant l’ascendance apporte de l’air en alti-
propriétés, combiné au faible gradient variation de la pression. La pression d’une tude : la pression augmente. Les corréla-
horizontal, autorise la propagation d’une colonne d’air diminue quand le mouve- tions entre anomalies thermiques et
anomalie de température. À la surface, ment vertical évacue par les côtés plus mouvements verticaux se dégradent aussi :
une telle anomalie thermique peut résulter d’air qu’il ne lui en faut pour l’alimenter. le système perd de l’énergie.
d’une interaction particulière avec le sol. Une situation propice à la baisse de pres- Nous avons montré qu’une dépression
Elle peut aussi provenir d’une dépression sion se présente avec un courant d’air met en jeu une interaction entre la surface
précédente, notamment en altitude, où ascendant incliné : l’air d’une colonne pla- et la tropopause, d’une part, et le courant-
aucun frottement ne vient l’éroder. La plu- cée dans un tel courant incliné est aspiré à jet d’autre part. L’absence de la compo-
ralité des sources de précurseurs entraîne la base et évacué par un bord. Les météo- sante d’altitude (ou de surface) limite les
une diversité des évolutions possibles des rologues norvégiens Jakob Bjerknes et précurseurs à dix millibars environ. Les
dépressions, que nous ne détaillons pas ici. Jorgen Holmboe ont proposé ce méca- dépressions les plus violentes se forment à
Équilibres géostrophique et hydrosta- nisme de chute de pression dès 1944. partir de deux ondes initialement indépen-
tique imposent une corrélation entre vent Toutefois, dans un précurseur confiné à dantes. Toutefois, il arrive qu’une onde
horizontal et température ; un vent horizon- la surface, les courants verticaux, trop d’altitude, arrivant dans le jet, induise la
tal s’enroule autour de cette anomalie ther- modestes, ne s’inclinent pas. L’onde élémen- création d’une onde de surface bien placée,
mique, formant une sorte de tourbillon. Les taire de surface se propage, mais ne peut se légèrement en aval. C’est en 1947, que
composantes Nord-Sud de ce vent poussent développer. Elle ne donne qu’un petit sys- Reginald Sutcliffe a noté l’importance d’un
les isothermes à l’Est et les remettent en tème nuageux inoffensif. Dans quelles précurseur en altitude. Une onde de sur-
place à l’Ouest. L’ensemble, anomalie de conditions un tel courant d’air ascendant face peut développer aussi sa composante
température et tourbillon, persiste et se pro- s’incline-t-il pour engendrer une dépression? d’altitude qui se formera un peu en amont.
page d’Ouest en Est : c’est ce que C. Rossby Après avoir situé les dépressions dans
a nommé une onde élémentaire. Une rencontre tumultueuse l’économie générale de l’atmosphère, nous
Cependant, la propagation de l’onde avons décrit la phase la plus spectaculaire
élémentaire perturbe les équilibres. À cette Nous avons considéré un tourbillon se de leur existence, celle de la chute de
action (menace des équilibres), l’atmo- propageant à la surface, constituant une pression et de son amplification. L’évolu-
sphère répond par de lents mouvements onde élémentaire. Une onde de même tion ultérieure des dépressions, comme la
verticaux, qui modèrent l’action des vents nature, accompagnée des mêmes mouve- formation des fameux «fronts» atmosphé-
horizontaux. C’est l’hypothèse de l’exis- ments verticaux, peut se propager à la tro- riques, est tout aussi fascinante.
tence d’un quasi-équilibre qui permet de popause, à l’altitude du courant-jet (voir la Cependant, leur origine nous réserve
séparer ainsi les causes (mouvements hori- figure 2b). Poussée par le jet, elle se déplace encore plus de surprises, que l’on com-
zontaux) des effets (mouvements verti- plus vite, mais ne grandit pas davantage. mence seulement de découvrir. En outre,
caux). Nécessairement forcés, les mouve- Cette situation calme bascule lorsque la clé de l’origine des dépressions fournit la
ments verticaux, qui engendrent les deux ondes élémentaires se rencontrent, clé de la prévision. L’hiver prochain, un
nuages, puis la pluie, réclament une source l’une à la surface, l’autre à la tropopause vaste projet européen et américain,
d’énergie. Dans notre exemple, l’élévation (voir la figure 3). Quand elles ont une exten- nommé FASTEX, rassemblera les données
de l’air chaud et la descente de l’air froid sion spatiale suffisante, elles interagissent à nécessaires sur l’Atlantique : combien de
maintiennent les équilibres, ébranlés par la travers la troposphère. Alors, les mouve- jours à l’avance peut-on prévoir la localisa-
propagation de l’onde : un cycle thermody- ments verticaux de chacune se conjuguent tion d’une dépression donnée? Pour le
namique moteur s’auto-alimente. Dans et forment un couple montée/descente plus savoir, on observera la naissance de tem-
d’autres configurations, le courant-jet four- profond et plus intense. Fait important, les pêtes, comme on ne l’a jamais fait.
nit l’énergie nécessaire, ce qui le ralentit. régions des mouvements verticaux combi-
Poursuivons la dissection de l’onde élé- nés s’inclinent facilement : il suffit pour cela Alain JOLY est chercheur
mentaire. Certains mouvements verticaux que les ondes génératrices restent décalées de Météo-France, au Centre National
forcés modifient la masse de la colonne par rapport à la verticale. de Recherches Météorologiques.

50 © POUR LA SCIENCE
Les moussons
Peter Webster

En entraînant vers les terres l’énergie d’origine Un phénomène planétaire


solaire reçue par l’océan, les vents saisonniers Bien que la caractéristique essentielle
de la mousson soit sa périodicité saison-
apportent l’eau à la moitié de la population du Globe. nière, on observe aussi des fluctuations
de plus courte durée de un à dix jours.
Ces fluctuations brèves comprennent non
seulement les phases active et dormante
maginons une Terre simplifiée, signifie saison, désigne les changements de la saison des pluies, mais aussi des

I couverte d’un continent unique sur


la majeure partie de son hémi-
sphère Nord et d’un vaste océan
partout ailleurs : le climat dans les
régions côtières de ce continent différe-
saisonniers qui affectent les zones litto-
rales de l’océan Indien ; en particulier,
on nomme ainsi le système de vents qui
soufflent, en mer d’Oman, du Sud-Ouest
durant six mois de l’année, et du Nord-
perturbations du climat se manifestant
durant la phase active. Au cours de cette
dernière, le temps est instable, avec des
grains orageux fréquents, entraînant les
déluges classiquement associés à la
rait peu du climat qui règne sur trois des Est les six autres mois. On a généralisé mousson. La phase dormante se caracté-
masses continentales de notre Terre ce terme à tout cycle climatique annuel rise par un temps sec, chaud, stable et par
réelle. Il y aurait deux saisons princi- doté d’une inversion saisonnière des l’absence de phénomènes pluvio-ora-
pales dans la plaine côtière : l’une sèche, vents, entraînant généralement des étés geux. Sur des périodes beaucoup plus
l’autre humide. Durant la saison humide, humides et des hivers secs. Cependant, longues, on observe des variations telles,
des périodes d’abondante pluviosité c’est dans les régions où elles ont été dans les précipitations annuelles, qu’elles
alterneraient toutes les semaines – ou baptisées que se manifestent les mous- peuvent entraîner des années de séche-
toutes les deux semaines – avec sons les plus longues et les plus impor- resse ou d’inondation. On connaît encore
d’égales périodes d’ensoleillement. Les tantes : ces régions sont les continents trop mal le fonctionnement de ces longs
populations des zones côtières et de la asiatique, australien et africain, ainsi que cycles pour les prévoir ; on note cepen-
région Sud de ce continent fictif les espaces maritimes qui les bordent. dant qu’une année sur trois environ cor-
seraient accoutumées à des cycles sai- respond à une sécheresse importante ou
sonniers parfaitement réguliers. au contraire à une inondation, difficile-
La vie sur cette planète fictive diffé- ment supportables par la population.
rerait radicalement de la nôtre sur un VAPEUR ÉVAPORATION L’expérience vécue des phénomènes
point au moins : on pourrait y prévoir (– 600) de mousson et leur périodicité ont joué un
avec précision les variations climatiques grand rôle économique et social dans les
CONDENSATION
importantes. Un fermier pourrait choisir (+ 600) SUBLIMATION
civilisations orientales. Longtemps avant
les moments les plus favorables aux (– 680) l’arrivée des Européens, les marchands
semis et profiter au maximum des préci- sillonnaient des routes maritimes entre
pitations. Pour les deux milliards l’Asie et l’Afrique orientale et adaptaient
d’hommes de notre Terre qui dépendent EAU leur commerce au rythme saisonnier des
des pluies saisonnières, tant pour l’eau LIQUIDE vents. En 1498, un navigateur arabe
potable que pour l’agriculture, des prévi- GLACE guida l’explorateur portugais Vasco de
sions d’une telle exactitude joueraient un Gama sur la route qui reliait l’Inde à la
(+ 80) FUSION
rôle essentiel dans la vie quotidienne. CONGÉLATION (– 80) côte Est de l’Afrique ; à la suite de cette
En fait, ce modèle de planète fictive exploration, des échanges culturels et
permet de simuler des phénomènes cli- économiques – fort lucratifs – s’établirent
matiques globaux et de prévoir le entre l’Orient et l’Occident. Marchands et
déclenchement de la saison des pluies, 1. UNE SOURCE EXTÉRIEURE DE CHALEUR aventuriers européens rentraient chez eux
l’alternance des phases dites «actives» est nécessaire pour faire passer l’eau de son avec des informations sur les vents de
(humides) et «dormantes» (sèches) à état solide à son état liquide, et de son état Sud-Ouest des périodes estivales et les
l’intérieur de cette saison des pluies et le liquide à son état gazeux. Les chiffres indi- vents de Nord-Est de la saison d’hiver.
quent l’énergie consommée ou cédée, en
moment approximatif de l’arrêt des pré- Nantis de ces renseignements sur le
calories. Comme l’énergie se conserve, elle
cipitations en début de saison sèche. est emmagasinée sous forme de chaleur
climat des basses latitudes, les savants
Les équivalents terrestres des phéno- latente dans la phase de haute température. européens s’intéressèrent à la circula-
mènes climatiques simulés sur la planète La température d’un corps reste constante au tion atmosphérique à l’échelle du Globe
fictive sont les moussons. Le terme cours d’un changement d’état, même si de terrestre. Ainsi, Edmund Halley et
«mousson», de l’arabe mausim qui l’énergie est échangée durant le processus. George Hadley étudièrent ces phéno-

52 © POUR LA SCIENCE
mènes dès la fin du XVIIe siècle et au forme de chaleur. Ainsi, au cours de nuages et en pluies libère l’énergie
début du XVIIIe siècle. Halley attribua la tout changement d’état, de l’énergie est stockée dans la phase vapeur, ou cha-
circulation de la mousson aux diffé- ajoutée ou soustraite à un corps sans leur latente. Ainsi, dans la circulation
rences de réchauffement et de refroidis- modification de sa température. atmosphérique liée à la mousson, une
sement entre la terre et l’océan. Ce Observez des cubes de glace dans un partie de l’énergie solaire collectée par
contraste, expliqua-t-il, devait créer des verre d’eau : s’il fait chaud dans la l’énorme réservoir océanique est libé-
différences de pression dans l’atmo- pièce, ils fondent, mais la température rée sur les terres lors des processus de
sphère, que les vents tendaient à niveler. de l’eau reste constante tant qu’il y a de condensation. C’est cette énergie qui
Hadley, quant à lui, remarqua que la la glace dans le verre. est à l’origine de l’intensité et de la
rotation de la Terre devait modifier la Le sixième de l’énergie solaire inci- durée de la saison des pluies, ainsi que
direction de ces vents ; ceux qui se diri- dente parvenant à la surface du Globe des variations internes à cette saison,
geaient vers l’équateur étaient déviés sert à évaporer une partie de l’eau des avec alternance de phases sèches et de
vers la droite dans l’hémisphère Nord, océans. La condensation de cette eau en phases humides.
vers la gauche dans l’hémisphère Sud.
Ces deux processus sont toujours consi-
dérés comme les causes fondamentales
du phénomène de la mousson.
Un troisième facteur, lié à la physique
de l’eau, détermine la spécificité des
moussons. Sur la majeure partie de la sur-
face de la Terre, les températures et ten-
sions (pressions) de vapeur d’eau sont
proches de celles du point triple de l’eau.
Le point triple d’un corps désigne des
conditions de température et de pression
favorables à la coexistence des phases
solide, liquide et gazeuse de ce corps. Le
point triple de l’eau se situe à une tempé-
rature de 0,01 degré Celsius et à une pres-
sion de 0,006 atmosphère. Les molécules
d’eau, dont les conditions d’environne-
ment se rapprochent du point triple, pas-
sent librement de l’un à l’autre de ces
trois états ; au contraire, les molécules de
gaz carbonique ne peuvent passer à l’état
liquide aux températures et aux pressions
qui règnent habituellement à la surface du
Globe ; la pression doit s’élever considé-
rablement avant que le gaz carbonique
solide (la neige carbonique) ne fonde, au
lieu de passer directement, par sublima-
tion, à la phase gazeuse.

Stockage et transfert
d’énergie
Pour comprendre la formation des
moussons, il importe de connaître les
processus de changement d’état de l’eau
dans l’atmosphère : la condensation,
l’évaporation, la liquéfaction et la cris-
tallisation. Le passage de l’état solide à
l’état liquide dépense une certaine quan-
tité d’énergie ; il faut briser la structure 2. LA CIRCULATION DE LA MOUSSON D’ÉTÉ au-dessus de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est
cristalline de la glace pour obtenir le transfère l’air humide de l’océan équatorial vers les terres (en haut). Cette circulation est
désordre dynamique du liquide. De créée par des différences de pression atmosphérique entre l’air chaud des terres et l’air
même, il faut une certaine quantité froid de l’océan. L’intensité de cette circulation augmente lorsque la vapeur d’eau conte-
nue dans l’air et transportée sur le continent se condense en libérant de l’énergie. En hiver,
d’énergie pour évaporer de l’eau
ou saison sèche, la circulation change de sens et la couverture nuageuse au-dessus de la
liquide. Cette énergie est stockée sous la terre diminue fortement (en bas). Les moussons ne sont pas un phénomène spécifique de
forme d’énergie cinétique dans les l’océan Indien ; elles se produisent partout où un renversement saisonnier des vents est dû
molécules de vapeur d’eau ; lorsque ces à un réchauffement différentiel de l’atmosphère. Les deux photographies ci-dessus sont des
molécules se condensent à nouveau, reconstitutions par ordinateur à partir de données collectées par le satellite NOAA-5 le 3
l’énergie cinétique est libérée sous août 1977 et le 1er décembre de la même année.

© POUR LA SCIENCE 53
Pour mieux comprendre la circula- qui transportent l’eau réchauffée vers rature entre l’atmosphère et la surface.
tion de la mousson, revenons sur le les profondeurs ; cette couche de sur- En s’élevant, l’air chaud se mélange
mécanisme de base proposé par Halley face est remplacée par des eaux froides avec l’air plus froid, et le réchauffe.
en 1686. Le fait que les zones terrestres venues des niveaux inférieurs et qui, à Cette forme de réchauffement est nom-
tendent à être plus chaudes que les leur tour, subissent le même processus. mée transfert de chaleur sensible car le
océans en été et plus froides en hiver, En hiver, la chaleur accumulée durant corps chauffé doit obligatoirement se
entraîne un réchauffement différentiel de l’été dans l’épaisseur océanique est libé- trouver au contact de la source de cha-
l’atmosphère. Terres et océans répondent rée par le processus inverse : à mesure leur. C’est la chaleur sensible, qui
différemment au rayonnement solaire, et que la couche de surface se refroidit, engendre le chauffage différentiel initial
ceci pour deux raisons. La première est alors que diminue le rayonnement de l’atmosphère au-dessus de l’océan et
la grande capacité calorifique de l’eau, solaire, elle s’enfonce et est remplacée au-dessus de la terre, et qui produit
nettement supérieure à celle de la plupart par l’eau plus chaude qui s’élève des l’énergie potentielle nécessaire au sys-
des autres corps. La chaleur massique niveaux inférieurs. tème de la mousson.
d’un corps est une mesure de sa capacité Les vents de mousson sont créés par
calorifique : c’est la quantité d’énergie Le chauffage différentiel la conversion d’une partie de cette éner-
nécessaire pour élever la température gie potentielle en énergie cinétique.
d’un gramme de ce corps de un degré. Or En raison de la grande inertie du L’énergie potentielle d’un système sou-
la chaleur massique de l’eau vaut plus du système, les maxima et minima des mis à la gravitation est proportionnelle à
double de celle de la terre. C’est pour- températures de surface sont décalés l’altitude de son centre de gravité par
quoi, en réponse à une même quantité de d’environ deux mois par rapport aux rapport à un niveau de référence, par
rayonnement solaire, la température maxima et minima correspondants du exemple la surface de la Terre. On aug-
d’une masse continentale donnée aug- rayonnement solaire. En outre, du fait mente l’énergie potentielle d’un système
mente deux fois plus que celle d’une de la chaleur massique élevée de l’eau en élevant son centre de gravité, ce qui
masse équivalente d’océan. et de ces processus turbulents, la tempé- peut se faire soit en captant l’énergie
Le second mécanisme, expliquant rature de l’océan en surface varie moins cinétique de ce système – et donc en
les grandes possibilités de stockage que celle de la terre. réduisant son mouvement –, soit en four-
énergétique par les océans, est constitué Au printemps, début du cycle annuel nissant de l’énergie à partir d’une source
par les transferts verticaux d’énergie de la mousson, l’énergie thermique qui extérieure. Inversement, si l’on abaisse le
thermique dans la masse océanique : la atteint la surface de l’océan ou de la centre de gravité, l’énergie potentielle
chaleur est répartie sur une grande terre est réinjectée vers l’atmosphère diminue et une quantité correspondante
épaisseur d’eau, à partir de la surface. sous l’effet de mouvements ascendants. d’énergie cinétique se trouve disponible
En été, la tension du vent à la surface de Le taux d’échange thermique est alors pour le déplacement du fluide de compo-
l’eau induit des mouvements turbulents proportionnel à la différence de tempé- sition, en l’occurrence l’air.

a b
TEMPÉRATURE DE L’AIR

TRÈS CHAUD CHAUD

FRAIS FROID

CONDUCTION
ET CONVECTION
CONDUCTION
ET CONVECTION ÉVAPORATION

30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD 30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD

3. LA MOUSSON D’ÉTÉ résulte de l’interaction entre l’humidité et sur l’océan ; cet air moins dense s’élève et est remplacé dans les
le vent. La terre et l’océan, réchauffés par le rayonnement solaire, basses couches par l’air plus dense venant de l’océan et porteur
réchauffent à leur tour, par conduction, l’air sus-jacent qui de l’humidité marine (b). Cette humidité stocke l’énergie solaire
s’élève et se détend (a). L’air se réchauffe plus vite sur terre que sous forme de chaleur latente (points blancs). Lorsque l’air

54 © POUR LA SCIENCE
Durant la mousson d’été, le chauf- Le retournement voisin commence à baisser.
fage différentiel augmente l’énergie hivernal des vents Simultanément, certaines régions de
potentielle du système terre-océan en l’hémisphère Sud, en particulier
établissant une différence de pression La circulation des vents de mousson l’Archipel indonésien, deviennent le
entre les masses d’air des deux régions. est déviée par une force due à la rotation centre d’un réchauffement maximal. À
Comme l’air situé au-dessus de l’océan de la Terre, dite force de Coriolis. Celle- mesure que l’écart de température entre
est initialement froid, il reste plus dense ci n’intervient pas dans le phénomène les terres et les océans environnants se
que l’air situé au-dessus de la terre. La des brises marines diurnes, vents côtiers réduit, l’énergie potentielle du système
force engendrée par le gradient de pres- qui se forment et disparaissent eux aussi chute. On dit alors que la mousson se
sion – qui tend à égaliser les pressions – à la suite d’un réchauffement différentiel, retire et, dans l’hémisphère Nord, c’est le
fait que l’air plus dense et plus froid de mais trop rapidement pour être influen- début de la saison sèche hivernale.
l’océan se déplace vers la terre, pour cés par la rotation terrestre. Hadley Avec l’arrivée de l’hiver, les terres et
entrer en contact avec l’air chaud des observa l’influence de la force de les océans de l’hémisphère Nord perdent
terres. L’air chaud, léger, est alors rejeté Coriolis pour des vents circulant des de la chaleur par rayonnement. Ces pertes
en altitude par l’air froid, plus dense. pôles vers l’équateur ; en fait, on sait que par rayonnement sont atténuées par les
Ce jeu des masses d’air tend à abais- cette déviation s’applique à tous les vents nuages ; cependant la couverture nua-
ser le centre de gravité du système atmo- quelles que soient leurs directions : la geuse est habituellement moins impor-
sphérique, de sorte que les mouvements force de Coriolis dévie les vents vers la tante au-dessus des terres qu’au-dessus de
de l’air libèrent de l’énergie potentielle droite dans l’hémisphère Nord, vers la l’océan. Dès lors, les pertes de chaleur
et la convertissent en énergie cinétique. gauche dans l’hémisphère Sud. L’ampli- importantes sur les terres, associées à la
Dans le même temps, l’apport régulier tude de cette déviation est proportion- plus grande capacité calorifique de
d’énergie solaire tend à élever l’énergie nelle au sinus de la latitude à laquelle cir- l’océan, restaurent les différences de tem-
potentielle en raison du chauffage diffé- cule le vent considéré ; elle est maximale pérature du système et élèvent à nouveau
rentiel continu de la terre et de l’océan. aux pôles et nulle à l’équateur. l’énergie potentielle. L’air froid et dense
Les vents de mousson résultent finale- La mousson d’été se poursuit théori- situé au-dessus de l’Asie du Nord se
ment de la tendance de l’atmosphère à quement jusqu’à ce que l’équilibre entre déplace alors en direction de l’équateur
minimiser le gradient de pression entre l’énergie potentielle engendrée par le de façon à rétablir l’équilibre ; il est natu-
la terre et l’océan. C’est pourquoi, d’un rayonnement solaire et la libération de rellement dévié vers la droite au cours de
point de vue énergétique, on considère cette énergie potentielle par le système son mouvement par la force de Coriolis.
ces vents comme le résultat de conver- atmosphérique soit rompu. En Asie, par Cette masse d’air froid, originaire du
sions successives, de l’énergie solaire en exemple, le réchauffement solaire dimi- Nord-Est et qui «coule» dans la tropo-
énergie potentielle et de l’énergie poten- nue notablement après l’équinoxe sphère inférieure, rencontre l’air chaud
tielle en énergie cinétique. d’automne, et la température de l’océan venant du Sud et se dirigeant lui-même

c d

PRÉCIPITATIONS
PRÉCIPITATIONS

TERRES HUMIDES
REFROIDISSEMENT
PAR
ÉVAPORATION

30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD 30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD

humide parvient au-dessus de la terre, il s’élève à son tour ; sa rique ; cette dernière renforce les vents et intensifie le flux de
vapeur d’eau se condense et libère de la chaleur latente (c). Cet mousson. Les pluies refroidissent le sol ; par conséquent, la zone
apport thermique entraîne une détente de l’air, un renforcement de réchauffement maximal pénètre à l’intérieur des terres, suivie
des mouvements ascendants et une baisse de pression atmosphé- par la zone de précipitation maximale (d).

© POUR LA SCIENCE 55
JANVIER JUILLET

MOUSSON
DE NORD-EST
DES VENTS
CE
ZONE D EN
G
MOUSSON EC ON V E MOUSSON

R
ÉQUATEUR DE NORD-OUEST DE SUD-OUEST
ZO
NE

MOUSSON
E DES VENT
ENC D'AFRIQUE
D

E RG
E

C OCCIDENTALE
O NV

S
MOUSSON
DE SUD-EST

4. LE RENVERSEMENT SAISONNIER des vents caractérise le phéno- direction sous l’action de la rotation de la Terre. La zone où les
mène de mousson dans le monde entier, mais surtout autour de vents de surface convergent se situe dans l’hémisphère Sud en jan-
l’océan Indien. Les vents, en traversant l’équateur, changent de vier, puis elle se déplace vers le Nord, suivant le Soleil, en juillet.

vers le Nord dans la troposphère supé- tion des pressions correspond à une dila- Ces mécanismes nous permettent de
rieure. La force de Coriolis dévie cet air tation de l’air. Pour se dilater, la masse concevoir que les températures dans la
chaud vers l’Est, créant ainsi, au-dessus d’air doit effectuer un certain travail : troposphère supérieure au-dessus de
de l’Asie et du Japon, un puissant cou- cette action se traduit alors par une perte l’Asie du Sud sont beaucoup plus élevées
rant-jet, axe de vents forts dont la vitesse d’énergie cinétique pour la masse d’air dans les zones subtropicales qu’à l’équa-
atteint couramment 100 mètres par élevée adiabatiquement, ce qui entraîne teur. Il en résulte un gradient de pression
seconde (360 kilomètres par heure). Ce une diminution de la température. À dirigé vers l’équateur à haute altitude, de
courant-jet devient souvent instable en l’inverse, lors du réchauffement adiaba- sens opposé au flux qui s’exerce dans les
atteignant le centre du Pacifique Nord et tique, la température d’une masse d’air basses couches de l’atmosphère. La force
favorise les violentes tempêtes hivernales qui s’affaisse vers la surface augmente à de Coriolis dévie vers l’Ouest le flux
se développant au sein des basses pres- mesure que cette masse est comprimée d’air du niveau supérieur, créant ainsi un
sions qui prévalent aux hautes et par son environnement, et ce même si violent courant-jet de direction Est-Ouest,
moyennes latitudes dans cette zone. aucune énergie thermique n’est ajoutée dans lequel les vents atteignent des
La mousson hivernale de Nord-Est (ou soustraite) à cette masse d’air. vitesses de 50 mètres par seconde (180
continue à régner avec une régularité Une masse d’air qui amène avec elle kilomètres à l’heure). Ce courant-jet tra-
comparable à celle de la mousson esti- l’humidité océanique et qui touche les verse l’océan Indien et l’Afrique, passe
vale de Sud-Ouest, jusqu’à ce que le terres est réchauffée au contact de celles- l’équateur et vient se mêler aux vents
réchauffement solaire, au début du prin- ci et soumise à des courants ascendants d’Ouest de l’hémisphère Sud.
temps, dissipe l’énergie potentielle de convection. L’air s’élève alors en Finalement, les vents s’affaissent au-des-
génératrice de cette mousson hivernale. direction de couches atmosphériques de sus de la ceinture subtropicale de haute
Lorsque la température de la terre pression inférieure. Au cours de ce mou- pression formée dans l’hémisphère Sud
dépasse à nouveau la température de vement, la masse d’air se refroidit adiaba- durant l’hiver. Halley, par déduction
surface de l’océan, l’énergie potentielle tiquement et sa vapeur d’eau se condense logique, avait prédit correctement les
s’accumule et le cycle recommence. sous forme de gouttelettes d’eau. Lors de caractéristiques générales de ce flux de
cette condensation, l’énergie solaire qui retour de l’air en altitude.
L’effet de l’humidité maintenait l’eau dans son état gazeux est L’influence de l’humidité atmosphé-
libérée ; cette chaleur latente est récupé- rique est particulièrement sensible dans
Quel rôle l’humidité atmosphérique rée par les molécules d’air, entraînant de la chronologie des événements qui
joue-t-elle dans le cycle annuel de la ce fait une hausse de température non constituent la mousson saisonnière. Les
mousson? Durant la mousson d’été, l’eau adiabatique dans la masse d’air. mécanismes liés à l’humidité permettent
de l’océan s’évapore et l’air progresse La chaleur libérée de cette façon de prévoir virtuellement la date d’arri-
vers la terre. Si une masse d’air s’élève, engendre une forte poussée qui vée de la mousson ; ils en déterminent
de sorte que de l’énergie thermique ne s’ajoute aux autres facteurs d’ascen- l’intensité maximale et ils commandent
puisse ni la quitter ni la pénétrer, la tem- dance. La masse d’air monte, réduisant son retrait. La période des précipitations
pérature et la pression au sein de cet air encore la pression au-dessus des débute assez brutalement quelques
subissent une transformation dite adiaba- terres, et un violent flux d’air compen- semaines avant le solstice d’été, la cir-
tique. En s’élevant, cet air pénètre dans satoire humide arrive alors de l’océan. culation n’atteignant cependant son
une couche de pression plus basse. En conclusion, l’une des conséquences intensité maximale que huit à dix
Un gradient de pression s’établit alors des processus liés à l’humidité atmo- semaines plus tard.
entre cette masse d’air et son nouvel sphérique est d’accroître l’intensité de Ce retard s’explique par le fait que la
environnement et le processus d’égalisa- la circulation de la mousson. quantité de précipitations touchant une

56 © POUR LA SCIENCE
zone terrestre dépend de la température dans l’hémisphère Nord et vers la fin Nous avons ainsi reconstitué le
de la mer. Plus la température de sur- du mois de mars ou le début du mois mécanisme global du cycle des
face de l’océan est élevée, plus l’air d’avril dans l’hémisphère Sud. moussons. Il reste à comprendre les
situé au-dessus peut transporter de Le retrait de la mousson se traduit fluctuations de courte durée ou les
vapeur d’eau. Dans ces conditions, une par la cessation progressive des précipi- variations d’une mousson à la sui-
plus grande quantité d’énergie pourra tations quelque temps après l’équinoxe vante. Ces brefs changements clima-
être libérée lorsque les nuages se for- d’automne. À ce moment-là, non seule- tiques résultent d’interactions avec des
meront au-dessus des terres, et la circu- ment le réchauffement différentiel caractéristiques géophysiques locales,
lation de la mousson se trouvera aug- océan-continent diminue, mais encore telles des hauts reliefs, ou des courants
mentée d’autant. Comme les océans, l’air au contact de l’océan, devenu plus océaniques profonds.
en été, atteignent leur température froid, admet moins de vapeur d’eau, de Nous améliorons notre compréhen-
maximale environ deux mois après le sorte que la chaleur latente libérée au sion des phénomènes de mousson par
solstice d’été, la concentration en moment des formations nuageuses et simulations numériques, en traitant ces
vapeur d’eau des vents de mousson est des précipitations au-dessus des terres interactions comme des perturbations au
maximale vers la fin du mois d’août décroît elle-même graduellement. modèle global que nous avons décrit.

LES CIRCULATIONS ATMOSPHÉRIQUES ET OCÉANIQUES

L es moussons sont des phénomènes météorologiques d’impor-


tance : elles apportent de profondes modifications à l’écoule-
ment atmosphérique, avec de nombreuses retombées socio-éco-
La Niña sont abondantes. Toutefois la relation n’est pas uni-
voque, et on observe parfois des situations inverses.
Comment les circulations atmosphérique et océanique du
nomiques. En Inde, en Asie du Sud-Est, en Chine méridionale, Pacifique influent-elles sur celles de l’océan Indien? Les perturba-
aux Philippines et jusqu’au Japon, la mousson contrôle l’existence tions dues à l’oscillation australe sont quasi planétaires. Par un
de près de la moitié de l’humanité. Des phénomènes semblables, mécanisme complexe, le refroidissement des eaux du Pacifique
mais moins intenses, comprenant des cycles saisonniers caracté- Ouest lors d’El Niño implique un réchauffement des eaux de
ristiques de réchauffement, des changements de direction des l’océan Indien équatorial ; la différence thermique avec le sous-
vents, des pluies torrentielles, concernent également l’Afrique continent est alors réduite, la circulation atmosphérique amoindrie,
sub-saharienne, le Nord de l’Australie et même le Sud-Ouest de l’évaporation de surface et les pluies continentales affaiblies.
l’Amérique du Nord. Toutefois, la prévision de la mousson par cette approche reste diffi-
Les modèles météorologiques, utilisés sur les plus puissants cile, en raison notamment de l’instabilité du système couplé océan-
ordinateurs, sont les outils irremplaçables de la prévision du atmosphère sur le Pacifique, à l’origine de l’oscillation australe.
temps. Ce sont aussi des «laboratoires numériques» où l’on étu- Au cours d’une même saison, les vents et les pluies de mous-
die l’influence des nombreux mécanismes des moussons. On a son présentent des cycles d’activité et de calme. On pense qu’ils
ainsi identifié les paramètres qui semblent contrôler l’établisse- dépendent de l’oscillation dite de Madden-Julian : tous les 30 à 60
ment, la durée, l’intensité des moussons : les plus importants sont jours, sur les océans Indien et Pacifique, des zones pluvio-nua-
la végétation, le cycle hydrologique de surface, le couvert nei- geuses de quelques milliers de kilomètres de diamètre, nommées
geux saisonnier et, surtout, les perturbations de la température «superamas nuageux», se déplacent vers l’Est, à une vitesse de
de surface des océans tropicaux. quelques degrés de longitude par jour. Cette période concorde
Les météorologues indiens, qui souhaitent prévoir l’arrivée de avec l’alternance des phases actives et calmes des moussons
la mousson à quelques semaines d’échéance, ont développé des indienne et australienne. Le déplacement des zones de pluie est
méthodes statistiques originales à partir des champs météorolo- cependant plus nettement dirigé vers le Pôle au-dessus des conti-
giques observés à la fin de l’hiver boréal ; ils surveillent notam- nents que sur les régions océaniques. Ces superamas comportent
ment le flux de haute troposphère, la dépression thermique du des systèmes pluvio-orageux de moyenne échelle (quelques
Sud de l’Asie, la différence de pression entre le continent et dizaines à quelques centaines de kilomètres) assez semblables à
l’océan, l’intensité du flux transéquatorial sur l’océan Indien, la ceux observés partout dans le monde lors de la saison chaude.
circulation atmosphérique sur l’Est de la mer d’Arabie. Hélas, les Enfin les moussons purement océaniques du Pacifique Nord-
résultats obtenus sont difficiles à interpréter : ces prévisions statis- Ouest et, dans une moindre mesure, du Sud-Ouest de l’océan
tiques étaient assez bonnes au cours des années 1960 et 1970, Indien jouent un rôle considérable dans la formation, l’intensifica-
mais elles se sont dégradées au cours des années 1980, sans que tion et la canalisation des cyclones tropicaux. La situation météoro-
l’on en connaisse la raison. logique et océanique est ici encore plus complexe en raison de
La variabilité des moussons d’une année sur l’autre soulève l’absence de contrainte externe par le contraste continent-océan ou
également d’intéressantes questions. Elle pourrait résulter d’une par le relief. La mousson de l’Afrique de l’Ouest pourrait égale-
interaction avec l’«oscillation australe», qui se manifeste par le ment influer sur l’activité cyclonique de l’Atlantique tropicale. Il
passage d’«El Niño» : tous les deux ou trois ans, les eaux chaudes semble en effet que des pluies sahéliennes soutenues, comme
du Pacifique équatorial Ouest migrent vers l’Est, tandis que les celles qui se sont abattues dans les années 1960 et 1970 et depuis
vents alizés diminuent nettement ; dans la phase inverse, «La la fin des années 1980, favorisent le développement de cyclones
Niña», les eaux chaudes repartent vers l’Ouest et les alizés se intenses qui frappent les Caraïbes et l’Amérique du Nord.
renforcent. En général, les pluies de la mousson indienne après
une année d’El Niño sont déficientes, alors que celles qui suivent Franck ROUX, Laboratoire d’aérologie du CNRS, Toulouse.

© POUR LA SCIENCE 57
La naissance des tornades
Robert Davies-Jones

On a identifié les caractéristiques des orages Dans les années 1960, en assem-
blant des observations radars, le météo-
qui engendrent des tornades, rologue britannique Keith Browning
reconstitua les étapes de formation
mais les mécanismes de formation de ces violents d’une tornade. La plupart des tornades
naissent dans des orages étendus et vio-
tourbillons restent mystérieux. lents, qu’il nomme supercellules et qui
comportent des éléments caractéris-
tiques : un nuage à haute altitude, ou
«dôme», une colonne d’air ascendante,
e printemps 1995 a été prodigue Les supercellules un cisaillement de vent, un nuage en

L de tornades aux États-Unis. Au


mois de mai, 484 tornades ont
tué 16 personnes et causé plu-
sieurs millions de dollars de dégâts. À la
moindre alerte, mes collègues et moi
La plupart des tornades sèment la
désolation sur une bande large de 150
mètres environ ; elles se déplacent à
environ 50 kilomètres à l’heure et ne
«enclume», et un «mur» (voir l’encadré
page 62). Ces puissantes structures se
produisent dans un environnement très
instable où les vents changent beaucoup
avec l’altitude et où une masse d’air
quittions nos bureaux pour explorer les durent que quelques minutes. Les plus froid et sec surplombe une masse d’air
orages en Oklahoma et au Kansas. Nous destructrices atteignent deux kilomètres chaud et humide. Entre ces deux masses
ne rentrions que tard dans la nuit, mais de large, se déplacent à près de 100 d’air, vers 1 500 mètres d’altitude, une
nous nous retrouvions à neuf heures du kilomètres à l’heure et survivent plus mince couche stable empêche les mou-
matin : malgré la fatigue, nous étions d’une heure. Dans l’hémisphère Nord, vements ascendants. Lorsque ce cou-
prêts à repartir pour collecter de nou- les tornades dévastatrices des États- vercle saute, la situation devient propice
velles données sur les tornades. Unis, du Nord-Est de l’Inde et du à la formation d’une tornade.
Le mardi 16 mai, les conditions Bangladesh tournent presque toujours Le couvercle saute lorsque le Soleil
météorologiques étaient propices aux dans le sens inverse des aiguilles d’une chauffe la couche inférieure ou
tornades dans le Kansas. Vers 17 heures, montre – quand on les regarde du des- lorsqu’une perturbation météorologique
un orage a éclaté, alimenté par des vents sus. C’est le sens «cyclonique». Les tor- le frôle : front froids ou chauds, cou-
du Sud, chauds, humides et tourbillon- nades de l’hémisphère Sud, comme rants-jets (vents forts qui soufflent
nants. Il était structuré en «supercellule», celles de l’Australie, tournent générale- d’Ouest en Est, entre 8 000 et 12 000
configuration idéale pour la formation ment dans le sens inverse. mètres d’altitude), perturbations de
des tornades. Nous approchions de Comment les tornades se forment- haute altitude, fréquents dans ces
l’orage par le Sud-Est, à bord de notre elles? La compréhension que nous en plaines pendant la saison des tornades.
voiture-laboratoire Probe 1. Soudain avons aujourd’hui s’est forgée en Les forçages externes soulèvent des
nous avons aperçu, à environ 100 kilo- quelques décennies. En 1949, en étu- masses d’air instables de basse altitude.
mètres, le monstrueux sommet de diant les enregistrements de pression En s’élevant, l’air chaud se détend et se
l’orage, qui s’élevait à près de 16 kilo- atmosphérique de stations météorolo- refroidit, tandis que la vapeur d’eau
mètres d’altitude ; il se déplaçait vers le giques situées près des tornades, le qu’il contient se condense en fines gout-
Nord-Est à 50 kilomètres à l’heure. météorologue américain Edward Brooks telettes ; elle produit la base horizontale
Alors que nous n’en étions plus qu’à une comprit que les tourbillons se forment à du nuage. En se condensant, la vapeur
quinzaine de kilomètres, la sombre base l’intérieur d’énormes masses d’air en libère de la chaleur latente qui réchauffe
nuageuse nous est apparue. Quelques rotation, nommées «mésocyclones». En l’air environnant. Ces paquets d’air
kilomètres plus loin, nous avons vu un 1953, le radar de la ville d’Urbana, dans réchauffés s’élèvent à nouveau, à une
tourbillon, telle une trompe d’éléphant l’Illinois, a décelé un mésocyclone, qui vitesse qui peut atteindre 200 kilomètres
suspendue à l’arrière du nuage principal. exhibait un énorme crochet, à l’extré- à l’heure, et s’accumulent dans le
Nous l’avons perdu de vue en tentant de mité Sud-Ouest de l’orage : la forme en «dôme» qui couronne l’orage. Sous le
nous en approcher par des petites routes, crochet indique que les pluies (qui réflé- dôme, la colonne d’air ascendante
puis nous l’avons retrouvé six kilomètres chissent les micro-ondes du radar) sont s’incline vers le Nord-Est sous l’effet
plus loin vers le Nord-Ouest : ce tube entraînées dans un courant cyclonique. du «cisaillement de vent» : un vent
horizontal et fin, traîné par les nuages, se En 1957, à partir de photographies et de
courbait à angle droit pour rejoindre le films d’amateurs, Theodore Fujita, de 1. UNE TORNADE, telle que celle qui s’est
sol. La masse d’air froid qui descen- l’Université de Chicago, montra que la abattue le 12 avril 1991 dans le Nord de
dait de l’orage l’éloignait du nuage totalité de la masse nuageuse participe à l’Oklahoma, sème la désolation sur un
principal ; sa fin approchait. cette ronde cyclonique. sillon large d’un kilomètre.

60 © POUR LA SCIENCE
© POUR LA SCIENCE
faible du Sud domine dans les basses supercellule, et le fait chuter. C’est le dans un état à la fois intense et quasi
couches, tandis qu’un fort vent d’Ouest courant froid associé. Sous l’effet de la stationnaire, propice à l’apparition de
souffle en altitude. rotation de l’orage, le courant d’air froid tornades. Une colonne ascendante de un
Dans tout phénomène de convec- et la pluie finissent par s’enrouler autour à cinq kilomètres de rayon commence à
tion, un courant froid s’oppose au cou- de la colonne ascendante. L’air froid tourner avec des vents de 70 kilomètres
rant chaud. En effet, l’ascension des étant plus humide que l’air environnant à l’heure ou plus, et constitue un méso-
masses d’air est ralentie par le poids des dans les basses couches, il condense à cyclone. Lorsque le mésocyclone est
gouttelettes d’eau qui coalescent en plus bas niveau et forme un nuage à établi, l’orage peut engendrer un tour-
gouttes de pluie ou en cristaux de glace. plus faible altitude : c’est le «mur». billon à basse altitude, voire une tornade
Cela a deux conséquences : d’une part, À la différence de la plupart des – en général du côté Sud-Ouest de la
l’air ascendant s’arrête dans la strato- orages, où plusieurs courants ascendants colonne montante et à proximité d’un
sphère, puis redescend vers 12 000 et descendants interagissent, les super- courant descendant.
mètres d’altitude où il s’étale en cellules ne contiennent qu’une ou deux Finalement le courant d’air froid
«enclume», nuage caractéristique de cellules de convection, avec chacune sectionne la colonne ascendante au ras
l’orage ; d’autre part, la pluie qui tombe leur propre courant descendant et une du sol, et le mésocyclone meurt, enve-
de la colonne refroidit l’air sec à mi- large colonne ascendante en rotation. loppé dans son linceul de pluie. Dans
hauteur, sur le côté Nord-Est de la Cette structure maintient la supercellule les supercellules les plus faibles, un

U n orage forme une supercellule


lorsque de l’air chaud et humide
monte à travers une couche stable d’air
A NATOMIE D’UN ORAGE À TORNADES

froid et sec. Dans l’hémisphère Nord, la


colonne ascendante est inclinée vers le
DÔME
Nord-Est, et tourne dans le sens inverse
des aiguilles d’une montre (quand on la
regarde du dessus). L’air chaud monte ENCLUME
jusqu’à la stratosphère, puis retombe et
s’étale dans l’«enclume». Au Nord-Est
de l’orage, la pluie tombe de la colonne
ascendante, refroidit la couche d’air sec
à mi-hauteur et fait chuter cet air
refroidi. La rotation de la supercellule
entraîne une partie de la pluie et de l’air
froid vers le côté Sud-Ouest de l’orage.
Près du sol, l’air chaud et l’air refroidi se
rencontrent le long d’une frontière tur-
bulente, nommée front de rafales. Les MÉSOCYCLONE
tornades naissent le long de ce front,
sous de lourds nuages formant le
«mur», et autour d’une bosse marquant
le centre de rotation de l’orage.

VENT À MI-HAUTEUR

COURANT ASCENDANT

MUR

FRONT DE RAFALES

COURANT REFROIDI PAR LA PLUIE

VENT RASANT
nouveau mésocyclone peut se reformer chés dans les champs, sectionnés à Anatomie d’un tourbillon
sur le front de rafales (la frontière entre quelques dizaines de centimètres au-des-
les masses d’air chaud et froid) à sus du sol. Une puissante tornade devait Outre l’armée de véhicules que j’ai
quelques kilomètres au Sud-Est de celui se cacher dans la pluie, au Nord-Est (le décrite, notre laboratoire utilise deux
qui agonise. Ce jeune mésocyclone peut lendemain, nous avons appris que près de avions capables d’approcher les orages,
alors engendrer une nouvelle tornade. 150 pylônes avaient été fauchés). À envi- ainsi que trois autres véhicules équipés
ron 45 kilomètres à l’Est, nous avons d’un radar Doppler, instrument qui four-
La chasse aux tornades repéré le mur nuageux, tel un piédestal nit de précieuses informations sur les
large de quelques kilomètres, tournant et mouvements de l’air au sein des orages.
Afin de préciser ce modèle d’appari- descendant du nuage principal. C’est Les radars à effet Doppler émettent des
tion des tornades, nous avons cherché à alors qu’une mince tornade jaillit, non micro-ondes qui se réfléchissent sur les
en observer quelques unes de près. Nous pas du mur nuageux, comme à l’habitude, gouttes de pluie et sur les cristaux de
avons d’abord analysé des films afin de mais d’une couche nuageuse supérieure. glace ; on compare les ondes émise et
déterminer les vitesses des vents et d’éta- Ce tourbillon est resté le plus clair de son réfléchie pour déterminer la vitesse des
lonner les observations des radars. Ce temps (quelques minutes) sous la forme cibles. Ainsi, lorsque les gouttelettes se
travail a révélé que les tornades se for- d’un entonnoir suspendu dans les airs, et déplacent en direction du radar, la lon-
ment souvent dans les zones orageuses il n’a que brièvement touché le sol, soule- gueur d’onde de l’écho est plus courte
exemptes de pluie et d’éclairs, ce qui vant quelques débris. que celle de l’onde émise, et la différence
réfute les théories qui considèrent la Un nouveau mur, impressionnant par dépend de la vitesse des gouttes (la gen-
pluie et les éclairs comme sources sa taille et par sa faible altitude, grossissait darmerie utilise des appareils semblables
d’instabilités déclenchant les tornades. au Nord-Est, mais il ne produisait aucune pour traquer les chauffards).
Enfin, l’observation d’une tornade anti- tornade. Un jeune orage se développait au En 1971, les premières mesures
cyclonique, en 1975, a démontré que les Sud de celui que nous suivions. Nous Doppler ont confirmé que les vents d’une
rotations observées n’étaient pas déter- avons continué vers le Nord pour nous structure «en crochet» tournent à une
minées par celle de la Terre. assurer que notre vieil orage ne produirait vitesse de 80 kilomètres à l’heure. Cette
Quelle est donc l’origine de la rota- plus de tornades, puis nous avons foncé circulation apparaît à environ 5 000
tion des tornades? Équipés de véhicules- vers le Sud pour rejoindre le nouveau. mètres d’altitude ; puis elle engendre une
laboratoires, guidés par les météoro- rotation à plus basse altitude, qui précède
logues du Centre de Norman, nous avons toute tornade intense. En 1973, dans
VITESSE DU VENT
étudié l’environnement des supercellules. (EN KILOMÈTRES PAR HEURE) l’Oklahoma, on a observé une petite ano-
Cinq véhicules transportaient des ballons malie dans la distribution des vitesses
destinés à sonder l’atmosphère autour de 50 d’un orage au même instant et au même
l’orage, tandis que 12 autres portaient une endroit que l’apparition d’une violente
station météorologique sur le toit. Placés 25 tornade. Le radar n’avait pas la résolution
à trois mètres de hauteur, bien au-dessus suffisante pour déceler la tornade, mais il
des perturbations dues aux véhicules, ces 0 a enregistré de brusques changements de
instruments étaient reliées aux micro- direction des vents. Un tel tourbillon
ordinateurs embarqués. Un des 12 véhi- apparaît à 300 mètres d’altitude environ,
-25
cules disposait d’une caméra vidéo. Deux 10 à 20 minutes avant de rejoindre le sol.
autres possédaient neuf capteurs de tem- Il s’étire alors vers le haut et vers le bas,
pérature et de pression, nommé «tortues» -50 et atteint parfois 10 000 mètres de haut.
à cause de leur armature qui leur permet On peut s’appuyer sur cette signature des
RÉFLECTIVITÉ RADAR (EN DÉCIBELS)
de résister aux tornades ; placés tous les 70,0
tourbillons pour avertir les populations
100 mètres environ, ces capteurs renfor- menacées et leur conseiller de se mettre
cés devaient caractériser la perturbation 60,4
en lieu sûr (cave ou pièce protégée), mais
au sol et à l’avant de la tornade. Les neuf 41,2 on ne la décèle que sur des distances infé-
autres véhicules étaient chargés de rele- 31,6 rieures à 100 kilomètres. Pour des dis-
ver des données météorologiques en des 22,0
tances de l’ordre de 200 kilomètres, on
régions choisies de l’orage. Ainsi notre déclenche l’alerte quand les radars
12,4
véhicule, Probe 1, mesurait les gradients Doppler détectent un mésocyclone.
de température dans l’environnement 2,8 En 1991, à l’aide d’un radar Doppler
Nord du mésocyclone, où les chutes de -6,8 portable, on a décelé des vents de tornade
grêle sont les plus intenses ; à deux -16,4
soufflant à plus de 400 kilomètres à
reprises, cette année, des grêlons de la l’heure à proximité d’une puissante tor-
-26,0
taille de balles de tennis ont fait voler en nade. Bien que très élevées, ces vitesses
éclats notre pare-brise. 2. L A SIGNATURE D ’ UNE TORNADE est sont loin des 750 à 800 kilomètres à
Le mardi 16 mai, dans le Kansas, détectée par des radars à effet Doppler, 20 l’heure qu’on invoquait, il y a 40 ans,
minutes avant qu’elle ne touche le sol. Quand
alors que le tourbillon agonisait à l’arrière pour expliquer, par exemple, que des
les vents changent brusquement et sur de
de l’orage, nous avons filé vers l’Est pour courtes distances, ils annoncent l’existence morceaux de paille puissent se planter
rejoindre un nouveau mésocyclone. Nous d’un tourbillon, voire d’une tornade comme dans des troncs d’arbres (on suppose
zigzaguions sous la pluie, sur la route celle du 16 mai 1995, dans le Kansas (en aujourd’hui que le vent ouvre les fibres
gravillonnée, quand nous avons vu deux haut). Ce mésocyclone, en forme de crochet du bois, qui se referment ensuite en pié-
rangées de pylônes à haute tension cou- (en bas), renferme la même tornade. geant la paille).

© POUR LA SCIENCE 63
Dans les années 1980, nous avons
a b confirmé cette théorie, proposée en 1963
par K. Browning. Elle explique comment
la colonne ascendante tourne à mi-hau-
teur, mais n’explique pas comment elle
se met à tourbillonner près du sol. En
1985, les simulations de J. Klemp et de
Richard Rotunno ont montré, à notre
grande surprise, que la rotation à basse
altitude dépend du courant descendant
de la supercellule, qui contient de l’air
refroidi par la pluie.
c d Au Nord du mésocyclone, à mi-hau-
teur, le courant descendant s’enroule,
dans le sens cyclonique, autour de la
colonne ascendante : une partie de l’air
froid se dirige vers le Sud, avec, à sa
gauche, l’air chaud pénétrant dans la
supercellule et, à sa droite, de l’air plus
froid. L’air chaud soulève le flanc gauche
de ce courant, alors que l’air froid de
droite le bascule vers le sol. Ainsi com-
3. SUPERCELLULE ET TORNADE simulées à partir des équations hydrodynamiques pour l’eau mence le mouvement hélicoïdal de l’air
et l’air en tout point d’un réseau tridimensionnel. Quand l’orage évolue (a : 101 minutes après froid autour de son axe de déplacement.
le début de la simulation), on diminue le pas du réseau jusqu’à 100 mètres dans les zones de
Comme cet air descend, son axe de rota-
rotation intense. On voit en contre-plongée (b : 103 minutes) le cœur tourbillonnant de l’orage.
Par souci de clarté, la pluie tombant des nuages sombres n’est pas représentée. On a aussi
tion est dévié vers le bas, ce qui donne
rendu transparent le mur de nuages qui descend jusqu’au sol. Un tourbillon blanc se forme une rotation anticyclonique. En 1993,
dans les nuages (c : 104 minutes) et s’abat sur la terre (d : 107 minutes). nous avons montré que la rotation de ce
courant descendant s’inverse avant qu’il
n’atteigne la surface : une circulation
Si un seul radar Doppler suffit à la entre la glace, le liquide et la vapeur). d’air cyclonique apparaît près du sol. Cet
prévention, l’étude des phénomènes en Dans ce monde numérique, des supercel- air froid rasant est aspiré dans la partie
nécessite un deuxième, disposé à 50 lules se forment dans un état initial Sud-Ouest de la colonne ascendante. À
kilomètres : on mesure alors la vitesse de homogène, ce qui réfute l’idée selon mesure que l’air converge vers cette
la pluie dans deux directions différentes. laquelle les tornades violentes résulte- colonne, la rotation s’accélère, de même
En utilisant des équations de conserva- raient de collisions entre masses d’air. En qu’une patineuse tourne plus vite quand
tion de la masse de l’air et en évaluant la omettant dans les équations la rotation de elle ramène les bras le long du corps.
vitesse relative de la pluie par rapport à la Terre, les programmateurs ont montré
l’air en mouvement, on reconstruit dans que celle-ci n’avait qu’un faible effet, L’effet des frottements
l’espace le champ de vitesses du vent et limité aux premières heures d’existence
on calcule des paramètres tels que la dis- d’un orage. C’est plutôt la rotation du Nous cernons mieux comment nais-
tribution des tourbillons dans l’orage. vent autour d’un axe vertical qui déter- sent les vents tournants dans le mésocy-
Ces études ont confirmé qu’une tor- mine le sens du tourbillon. clone, mais il nous reste à montrer pour-
nade naît sur le flanc de la colonne Dans l’environnement habituel des quoi les tornades se forment.
ascendante, à côté d’un courant des- supercellules, le vent tourne avec l’alti- L’explication la plus simple est qu’elles
cendant, et que l’air qui circule dans un tude : au ras du sol, il souffle du Sud-Est, résultent des frottements sur le sol.
mésocyclone s’enroule autour de la à 800 mètres d’altitude, il souffle du Sud Cette explication semble paradoxale,
direction de son déplacement. et, à 1 500 mètres d’altitude, il vient du puisque les frottements ralentissent les
Sud-Ouest. De tels vents qui changent de vents. Toutefois, un tel effet est connu
Une spirale infernale direction avec l’altitude engendrent une dans une tasse de thé que l’on remue.
rotation. Imaginons en effet un mât verti- Dans le liquide en rotation, un équilibre
L’année 1978 marque un progrès cal flottant librement dans l’air (sans s’instaure entre la force centrifuge et la
dans la compréhension des rotations dans point d’attache avec le sol). En moyenne, force de pression centripète due à la
les orages : des chercheurs du Centre le mât se déplace vers le Nord, mais son dépression créée au centre. Au fond de
américain de recherches atmosphériques, sommet est poussé vers l’Est, tandis que la tasse, le frottement réduit les vitesses,
ont simulé sur ordinateur des supercel- sa base est poussée vers l’Ouest : il et donc la force centrifuge. Au fond de
lules réalistes, qui présentaient des zones tourne dans un plan vertical autour d’un la tasse, le liquide se déplace alors vers
de précipitations en forme de crochet. À axe Nord-Sud, telle une hélice. Lorsque le centre, comme en attestent les feuilles
des temps successifs, en tout point d’un ce courant hélicoïdal pénètre dans une de thé qui se rassemblent sur le fond et
réseau tridimensionnel représentant colonne ascendante, son axe de rotation au centre de la tasse. Cependant, en rai-
l’espace, leur programme calculait les est dévié vers le haut. Il communique son de cette convergence et de «l’effet
variations de température, de vitesse du ainsi à la colonne ascendante un mouve- patineuse», la rotation du liquide s’accé-
vent et de changement d’état de l’eau ment de rotation cyclonique. lère et un tourbillon apparaît le long de

64 © POUR LA SCIENCE
l’axe de la tasse. Stephen Lewellen, de Le contact avec le sol des champs de maïs, plusieurs sillons
l’Université de Virginie, en déduit que, croisés d’épis décapités. Ces tourbillons
dans une tornade, les vents les plus Le 16 mai, nous avons eu la chance frénétiques suivent un chemin cycloïdal,
rapides soufflent dans les 300 premiers d’observer nombre des comportements identique à celui d’un point de la jante
mètres au-dessus du sol. caractéristiques des tornades. Nous nous d’une roue qui roule.
Les frottements maintiennent en dirigions vers le nouveau foyer orageux, Nous fuyions devant la tornade,
vie les tourbillons. Une tornade crée au Sud, mais la nuit tombait et notre quelque peu inquiets, car nous étions
un vide partiel en son cœur, car les traque allait se terminer. Toutefois, le presque à court de carburant et nous ne
forces centrifuges empêchent l’air d’y centre météorologique nous annonça la connaissions pas l’état de la piste. La
pénétrer. En 1969, l’Australien Bruce présence, dans notre voisinage, d’un mur tornade n’était qu’à un kilomètre et
Morton a indiqué comment le vide se nuageux tournant rapidement. Alors que demi et nous semblait immobile, ce qui
maintient : des forces d’Archimède les sirènes d’alarme hurlaient, une étroite indiquait qu’elle se dirigeait droit vers
intenses empêchent l’air de pénétrer tornade serpenta et s’abattit à cinq kilo- nous, à une vitesse de 50 kilomètres à
par le haut. Près du sol, le frottement mètres au Sud-Est de notre véhicule. l’heure. Un équipier vint à notre secours
réduit la vitesse tangentielle de l’air, Nous sommes repartis vers le Nord en nous indiquant par radio une route au
de même que les forces centrifuges, ce pour lui barrer la route. Dans notre exci- Nord, que nous avons empruntée avec
qui autorise l’arrivée d’un courant tation, nous avons heurté le bas-côté et soulagement. Nous nous sommes arrê-
d’air dans le cœur. Cependant le frot- endommagé notre station météorolo- tés deux kilomètres plus loin pour regar-
tement limite aussi cette alimentation gique. Sans nous en soucier, nous nous der passer la tornade. Elle avait raclé la
et ne laisse pas passer assez d’air pour sommes engagés sur une piste vers l’Est terre sur 20 kilomètres et avait mainte-
remplir le cœur. Lorsqu’elles entrent pour rejoindre le côté Nord de la tor- nant la forme classique d’un tuyau de
en contact franc avec le sol, les tor- nade. Elle s’était gonflée de poussières, poêle. Elle nous a dépassés au Sud et a
nades s’intensifient et se stabilisent, reliant le sol à une masse nuageuse en disparu dans l’obscurité, à l’Est.
car l’alimentation se réduit alors à une forme de bol, émergeant de la base du Nous avons regagné nos pénates, la
mince couche d’air. La théorie des nuage principal. Comme nous nous en voiture endommagée, les mesures incer-
frottements n’explique toutefois pas approchions, elle se divisait en plusieurs taines et le cœur palpitant, pressés de
pourquoi le tourbillon qui constitue la tourbillons qui tournaient furieusement découvrir le merveilleux butin des
signature des tornades apparaît en alti- autour de l’axe de la tornade. En 1967, radars embarqués. À la réflexion, nous
tude, dans les nuages, et précède par- T. Fujita avait deviné l’existence de tels aurions dû suivre la tornade au lieu de la
fois de 10 à 20 minutes le contact tourbillons secondaires en observant dépasser et de nous transformer, nous
d’une tornade avec le sol. que certaines tornades laissaient, dans les chasseurs, en gibier.

LES TORNADES EN F RANCE

L e centre des États-Unis est un paradis pour les chasseurs de tor-


nades, car les orages puissants y sont fréquents. Ces phéno-
mènes naturels frappent l’imagination : on se souvient du mons-
En France, deux situations atmosphériques favorisent le dévelop-
pement d’orages à tornades : la première, assez semblable à celle
décrite par R. Davies-Jones, est constituée d’un flux de Sud d’air
trueux orage et de la puissante tornade du Kansas qui emporta Judy instable méditerranéen surplombé d’air atlantique plus frais et plus
Garland, alias Dorothée, vers le pays coloré du «Magicien d’Oz». rapide ; la deuxième situation, qui engendre l’essentiel des tornades
Le Britannique K. Browning a conçu le premier modèle de d’automne ou d’hiver, concerne des fronts froids très actifs, emportés
«supercellule», à partir des observations par radar d’un orage anglais. dans un puissant flux d’Ouest.
Toutefois les supercellules apparaissent surtout aux États-Unis. En Les trois quarts des tornades surviennent de mai à septembre, en
Europe, notamment en France, elles ne représentent que dix pour fin d’après-midi ou en soirée. Bien que moins fréquentes et moins
cent environ des orages de printemps et d’été. On observe plus sou- dévastatrices que leurs cousines américaines, les tornades européennes
vent des orages isolés, des amas de cellules peu structurés, des causent chaque année des dégâts matériels importants, voire des
lignes de grains, des bandes de pluie associées aux fronts froids. pertes en vies humaines. En France, une ou deux tornades faibles se
Dans ces systèmes moins énergétiques, les tornades éventuelles forment par an et par département ; elles sont peu destructrices et, en
résultent de la concentration par la dynamique nuageuse d’un tour- pleine campagne, certaines passent inaperçues.
billon ambiant préexistant. Une telle rotation de l’air peut provenir En revanche, une étude de J. Dessens et J. Snow sur l’occurrence
des discontinuités locales de température ou de vent (courants de des tornades en France de 1860 à 1988 a établi que de violentes tor-
densités, fronts de rafales), des effets orographiques (collines ou val- nades frappent principalement deux régions : le Nord-Ouest, au Nord
lées) ou des contrastes de terrain (rivages, lacs ou forêts). Les d’une ligne allant de Bordeaux à Metz, et la côte méditerranéenne.
trombes marines, fréquentes près des côtes méditerranéennes, sont Ces tornades dévastatrices sévissent en moyenne une fois tous les cinq
un exemple de systèmes souvent peu dangereux, mais toujours ans. On se souvient ainsi des tornades meurtrières de La-Charité-sur-
spectaculaires. Loire (dans le Cher) du 17 août 1986 ou de Palluel (dans le Nord) du
Il faut tordre le cou au concept de «mini-tornade» amplement uti- 24 juin 1967. Ici comme ailleurs, la prévention dépend d’une
lisé dès que des vents d’orages violents provoquent des dévastations. meilleure connaissance des tornades.
La signification météorologique de ce terme reste à définir. Je préfère
utiliser le mot «tornade», car il désigne des phénomènes précis. Frank ROUX, Laboratoire d’aérologie du CNRS, Toulouse

© POUR LA SCIENCE 65
L’électrisation des orages
Earle Williams

Si l’on sait, depuis deux siècles, que les éclairs Après les observations de
Benjamin Franklin, il était naturel de
et la foudre sont une forme d’électricité, supposer que la répartition de charges
dans les nuages pluvieux était
les processus microphysiques responsables de la charge conforme au modèle le plus simple
possible : des charges positives
électrique des nuages restent débattus. s’accumuleraient dans une région du
nuage et des charges négatives se
regrouperaient dans une autre région,
formant ce que l’on nomme un dipôle.
au nombre de charges négatives ; ces Pour expliquer cette structure dipolaire
a foudre est l’un des phéno- charges sont réparties uniformément hypothétique des nuages orageux, les

L mènes naturels les plus courants


et les plus spectaculaires :
depuis que Benjamin Franklin a
démontré, il y a 200 ans, qu’elle est une
gigantesque décharge électrique, nom-
dans l’ensemble de l’objet, que l’on dit
électriquement neutre, ou non chargé.
Certains processus microphysiques pro-
voquent la séparation des charges, si
bien qu’une région peut comporter plus
chercheurs ont invoqué deux modèles
très différents : l’hypothèse de la pré-
cipitation et celle de la convection.

Précipitation
breux sont les chercheurs qui l’ont étu- de charges positives ou négatives qu’une
diée. Pourtant l’origine des éclairs et le autre, l’objet restant globalement neutre :
ou convection
mécanisme d’électrisation des nuages on dit alors que l’objet est chargé, ou L’hypothèse de la précipitation,
pluvieux nous échappent encore. La diffi- électrisé. La séparation des charges est proposée par les physiciens allemands
culté provient de la multiplicité des une tension, mesurée en volts ; plus la Julius Elster et Hans Geitel en 1885,
échelles impliquées : la gamme des séparation est grande, plus la tension, ou repose sur un phénomène que l’on
échelles couvre 15 ordres de grandeur «différence de potentiel», est grande. observe en regardant fonctionner
(1015). D’un côté, les phénomènes ato- Lorsque vous traversez une pièce, celle- n’importe quel arroseur rotatif de jardin :
miques qui amorcent l’électrisation du ci reste globalement neutre, mais les plus grosses gouttes d’eau tombent du
nuage orageux se produisent à une l’action de vos chaussures peut donner jet, tandis qu’un brouillard des particules
échelle de 10–13 kilomètre ; de l’autre, au tapis une charge d’une polarité, et à reste en suspension dans l’air, avant
la circulation atmosphérique dans vos chaussures et à votre corps une d’être balayé par le vent. De même, selon
l’ensemble du nuage orageux, qui charge de polarité opposée. Cette sépa- l’hypothèse de la précipitation, les
achève le processus de charge, concerne ration des charges peut engendrer une gouttes de pluie, les grêlons et les parti-
plusieurs dizaines, voire plusieurs cen- différence de potentiel de 100 000 volts cules de grésil (les petits grains de glace)
taines de kilomètres. sur quelques centimètres ; vous la perce- tombent par gravité vers le bas du nuage,
Benjamin Franklin avait mis le vez parfois, en saisissant la poignée au-dessous des gouttes d’eau et des cris-
doigt sur l’une des difficultés fonda- métallique d’une porte! taux de glace de taille inférieure, qui res-
mentales du problème. En 1752, il La foudre résulte d’une différence tent en suspension. Les collisions entre
observa que «les nuages d’une ondée de potentiel de plusieurs centaines de les grosses particules et le brouillard de
orageuse sont le plus souvent dans un millions de volts, et peut transférer plus corpuscules seraient responsables de
état d’électricité négative, mais parfois de 10 coulombs vers le sol ; c’est la l’électrisation du nuage, les particules qui
dans un état d’électricité positive». charge électrique que transportent 1020 tombent acquérant une charge négative
Cette ambiguïté résultait d’observations électrons (le transport d’une charge (tout comme une charge est transferée du
incorrectes mais, depuis ces mots, on d’un coulomb pendant une seconde est, tapis vers les chaussures) tandis que, du
admet que la foudre est un transfert de par définition, un courant d’intensité un fait de la conservation de la charge, le
charges électriques, soit positives, soit ampère). Une décharge de foudre brouillard serait chargé positivement.
négatives, d’une région d’un nuage à constitue donc un courant bien supé- Par conséquent, une charge négative
une autre, ou entre le nuage et la Terre. rieur à 10 ampères puisqu’il est plus s’accumule dans la partie inférieure du
Pour que ce transfert de charge ait lieu, bref qu’une seconde. Les nuages ora- nuage et une charge positive dans la par-
il faut que le nuage soit électrisé, c’est- geux de taille moyenne produisent tie supérieure formant un dipôle positif
à-dire que les charges positives et néga- quelques éclairs par minute et quelques (voir la figure 2).
tives soient séparées. Comment les centaines de mégawatts, soit la puis- L’hypothèse de la convection, for-
charges se séparent-elles? sance d’une petite centrale nucléaire. mulée par Gaston Grenet, à Paris en
Dans les objets courants, tel un stylo, Quel mécanisme physique produit-il de 1947, puis par Bernard Vonnegut, de
le nombre de charges positives est égal telles tensions et de telles puissances? l’Université d’Albany, en 1953, fait

66 © POUR LA SCIENCE
une analogie avec le générateur de van nuage et se fixent aux gouttes d’eau et dipôle positif. À la même époque,
de Graaf. Dans ce dispositif, une charge aux cristaux de glace, formant ainsi une Simpson, mesurant la charge des précipi-
électrique est déposée sur une courroie en «couche écran» chargée négativement. tations pluvieuses d’un nuage orageux, en
caoutchouc qui transporte les particules Les courants d’air descendants de la déduisit que la région la plus basse d’un
chargées (les ions) vers une borne haute périphérie du nuage entraînent ensuite nuage orageux était positive tandis que la
tension. Selon le modèle de la convec- les charges négatives de la couche écran région supérieure était négative ; il s’agis-
tion, deux sources externes fournissent vers le bas, où ils constituent, là encore, sait donc d’un dipôle négatif.
les charges électriques du nuage. La pre- une structure dipolaire positive. Aujourd’hui, on sait que l’on ne peut
mière est constituée par les rayons cos- déduire la charge à partir d’une mesure
miques, qui frappent les molécules d’air Dipôle positif ou négatif? du champ électrique autour du nuage. Un
situées au-dessus du nuage et les ionisent. champ électrique au voisinage d’un corps
La seconde source est le champ élec- L’hypothèse de la précipitation et le chargé attire ou repousse les objets char-
trique intense au voisinage des objets phénomène de convection sont indépen- gés suivant leur polarité ; mais lorsqu’il y
pointus à la surface de la Terre, qui pro- dants. Néanmoins comme nous l’avons a plus d’un corps chargé, la structure du
duit une «décharge Corona» d’ions posi- vu, une ambiguïté subsiste : la charge en champ électrique est complexe. De plus,
tifs : quand le potentiel de l’objet pointu haut du nuage est-elle positive ou néga- une grande variété de configurations de
est suffisant, un champ électrique intense tive? Cette question suscita une contro- charges peuvent créer un champ sem-
produit l’excitation et l’ionisation des verse entre Charles Wilson et George blable : aussi une seule mesure du champ
molécules d’air avoisinant. Ces ions posi- Simpson sur la structure de charge des électrique ne peut déterminer de façon
tifs sont entraînés par l’air chaud qui, nuages. Le débat est instructif : il illustre unique la répartition des charges. L’un
s’élevant par convection, agit comme la la difficulté de recueillir des informations comme l’autre, Wilson et Simpson
courroie du générateur de van de Graaf. significatives sur les orages. n’avaient fait des mesures que dans une
Lorsqu’ils ont atteint les régions Dans les années 1920, Wilson seule position, ce qui est insuffisant.
supérieures du nuage, ces ions positifs (l’inventeur de la «chambre de Wilson») Depuis la controverse entre Wilson et
attirent les ions négatifs formés par les observa à distance plusieurs d’orages et Simpson, un demi-siècle d’observations a
rayons cosmiques au-dessus du nuage. en conclut que la structure fondamentale établi que la structure fondamentale d’un
Les ions négatifs pénètrent dans le d’un nuage orageux était celle d’un nuage orageux n’était pas dipolaire, mais

1. LA FOUDRE EST TOMBÉE SUR SEATTLE au cours d’un violent courant maximal pouvant atteindre 10 000 ampères. Un orage moyen
orage, le 31 juillet 1984. Un éclair type résulte d’une différence de produit une puissance électrique de plusieurs centaines de mégawatts,
potentiel de plusieurs centaines de millions de volts ; il transfère une celle d’une petite centrale nucléaire. Chaque jour, 44 000 orages écla-
charge d’environ 1020 électrons en une fraction de seconde, pour un tent, en moyenne, libérant huit millions d’éclairs à travers le monde.

© POUR LA SCIENCE 67
tripolaire : une région principale de vapeur – coexistent. Les champs élec- certains nuages, une seconde couche de
charge négative, au centre du nuage, est triques les plus intenses dans le nuage charge négative, d’une centaine de
entourée d’une région de charge positive, règnent aux frontières supérieure et mètres d’épaisseur, surplombe la région
au-dessus d’elle, et d’une seconde région inférieure de cette couche négative supérieure de charge positive. Cette
positive, plus petite, au-dessous d’elle. La principale (voir la figure 3). couche résulte des ions négatifs produits
couche négative principale a la forme La région supérieure positive est au-dessus et à l’extérieur du nuage, puis
d’une galette : épaisse de moins d’un moins chargée que la couche négative : fixés sur les gouttelettes et cristaux du
kilomètre, elle s’étale sur plusieurs elle s’élève sur plusieurs kilomètres, aussi nuage ; c’est la couche écran prévue
kilomètres ; elle est située à une alti- haut que le nuage lui-même. En dans l’hypothèse de la convection.
tude d’environ six kilomètres, où la revanche, la région inférieure positive est Cependant, quelle que soit son origine,
température est voisine de – 15 degrés si petite, que le champ électrique à la sur- la couche écran est une caractéristique
Celsius. Dans cette zone, les trois face de la Terre est fréquemment dominé secondaire qui ne modifie pas la struc-
phases de l’eau – glace, liquide, par la charge négative principale. Dans ture tripolaire, fondamentale, du nuage.
La structure tripolaire des nuages
orageux explique les résultats contradic-
toires de Wilson et Simpson. Wilson a
observé les nuages de loin ; l’effet élec-
trique de la petite région positive située à
la base du nuage était masqué par celui
de la région négative principale. Pour lui,
il s’agissait d’un dipôle positif. En
revanche, Simpson a fait ses observa-
tions juste au-dessous du nuage ; la
charge négative centrale masquant la
région positive supérieure, Simpson a
détecté un dipôle négatif.

L’électrisation
2. LA STRUCTURE ÉLECTRIQUE THÉORIQUE DES NUAGES ORAGEUX est un bipôle positif. La structure tripolaire des nuages ora-
Selon l’hypothèse de la précipitation (à gauche), les gouttes de pluie et les grêlons tombent geux impose une révision du modèle élé-
sous les gouttes d’eau et cristaux de glace plus légers, qui restent en suspension. Les colli- mentaire de la précipitation, qui
sions entre particules transmettraient une charge positive au brouillard et une charge néga- n’explique que la formation d’un dipôle
tive aux particules plus lourdes. Comme les grosses particules chutent, la partie inférieure simple. En revanche, le modèle convectif
du nuage se charge négativement et la partie supérieure, positivement. Selon le modèle conduit plus naturellement à une structure
convectif (à droite), des courants d’air chaud transportent jusqu’au sommet du nuage des
tripolaire puisqu’il suppose qu’une
charges positives libérées à la surface de la Terre. Les charges négatives, produites par les
rayons cosmiques au-dessus du nuage, sont attirées à la surface du nuage par les charges
décharge corona, produite par les objets
positives qu’il contient. Là, elles se fixent au nuage pour former une «couche écran» néga- pointus à la surface de la Terre, engendre
tive. Enfin les courants descendants transportent les charges négatives vers le bas du nuage. un flux de charges positives vers la base
du nuage. Hélas ce flux est dix fois trop
faible pour expliquer le taux de charge du
FORMATION DISSIPATION nuage. On a délaissé, en partie pour cette
14 KILOMÈTRES
TROPOPAUSE
raison, le modèle convectif, et on a tenté
12 T = –65°C d’améliorer le modèle de la précipitation.
Le modèle naïf de la précipitation ne
10 rend pas compte de la présence de la
région positive inférieure ni du fait que la
8
pluie porte en général une charge posi-
6 T = –15°C tive. Simpson proposa le premier une
modification du modèle pour expliquer
4
ces observations. Par l’étude des chutes
2 T = +10°C d’eau, on sait que les plus grosses gouttes
GRÊLE ET PLUIE acquièrent sélectivement une charge posi-
EFFET DE CHARGE CORONA tive lors de leur séparation. Cependant les
mesures montrent que les «particules» de
3. LA STRUCTURE RÉELLE DES NUAGES ORAGEUX n’est pas dipolaire, mais tripolaire, avec précipitation portent des charges nette-
une région principale négative prise en sandwich entre deux régions positives. La région ment supérieures à celles produites au
négative principale (à gauche) est à environ six kilomètres du sol, et sa température avoisine
cours du processus de fragmentation des
– 15 degrés Celsius. Elle n’est épaisse que de quelques centaines de mètres, ce qui lui donne
une forme de galette. La région positive supérieure s’étend jusqu’à la tropopause, à 13 kilo- gouttes dans les chutes d’eau. Du reste, la
mètres d’altitude. Au sommet du nuage, une mince couche négative, la «couche écran», est plupart des «particules» chargées positi-
due aux rayons cosmiques qui ionisent les molécules d’air. Une seconde région positive, plus vement qui chutent sont des particules de
petite que la première, occupe la base du nuage. Lorsque l’orage se dissipe (à droite), la grésil et non des gouttes d’eau.
région positive inférieure précipite avec de violents courants descendants. Les autres tentatives d’explication

68 © POUR LA SCIENCE
de la structure tripolaire des le haut, mais vers le bas. Les
nuages orageux mettent en précipitations sont chargées
jeu la glace. Les particules de positivement, ce qui indique
glace acquièrent, en fondant, que la région inférieure de
une forte charge. Toutefois, charge positive est conduite
si la fonte de la glace justifie vers le sol pendant la phase de
l’existence d’une charge micro-explosion. L’activité
positive à des altitudes infé- électrique (les éclairs) intranua-
rieures à 4 000 mètres (l’alti- geuse, comme l’inversion du
tude à laquelle la glace des champ électrique, devraient
nuages commence à fondre avertir les contrôleurs aériens
aux latitudes moyennes), cet de l’existence de conditions
argument n’est plus valable dangereuses dans la zone ora-
pour des altitudes supé- geuse. Étant donné que ces
rieures. Or on observe égale- puissants courants de convec-
ment des particules chargées tion sont caractéristiques des
positivement à des altitudes 4. LES ÉCLAIRS INTRANUAGEUX sont en réalité bien plus fréquents orages, le modèle convectif
que les coups de foudre partant du nuage vers le sol, mais on les
supérieures à 4 000 mètres. observe moins souvent car les nuages diffusent la lumière visible. devrait expliquer certains
La fonte de la glace Pour les étudier, les chercheurs utilisent des radars, des radiogonio- aspects de l’électrisation des
n’explique pas la structure mètres et des microphones qui «voient» à travers les nuages. nuages.
tripolaire observée, mais les L’hypothèse de la convec-
collisions entre les cristaux tion se heurte toutefois à une
de glace et les particules de grésil jouent nières années dans la compréhension observation : la région négative princi-
manifestement un rôle fondamental. Au des phénomènes électriques orageux. pale se trouve à une altitude et à une tem-
cours de ces 20 dernières années, de pérature à peu près constantes. Selon le
nombreux chercheurs ont montré que modèle convectif, les courants d’air des-
lorsque des particules de grésil entrent
La convection cendants entraînent les particules néga-
en collision avec les cristaux de glace, Même si le modèle convectif rend tives de la couche écran vers le bas sur
la polarité de la charge transférée aux peu compte de l’importance de la région des distances de plusieurs kilomètres.
particules de grésil dépend de la tem- positive inférieure, il est manifeste que Pourquoi, dans ce cas, la charge négative
pérature. Au-dessous d’une tempéra- les orages sont le siège de puissants cou- est-elle concentrée dans une région en
ture critique, dite température d’inver- rants d’air ascendants et descendants ; il forme de galette de quelques centaines de
sion de charge, c’est une charge se produit indiscutablement un phéno- mètres seulement d’épaisseur? Comme
négative qui est transférée ; aux tem- mène de convection. On a observé que nous l’avons vu, cette particularité
pératures supérieures (correspondant à les fréquences maximales d’éclairs s’explique mieux par le phénomène
des altitudes inférieures dans le étaient liées au mouvement ascendant des microphysique de l’inversion de charge.
nuage), la charge transférée est posi- particules de grésil au-dessus de la région Cette observation constitue sans doute la
tive. La valeur de la température négative principale. Par ailleurs, les cou- principale objection au modèle convectif.
d’inversion de charge se situerait entre rants ascendants alimentent la réserve de Pour résumer la situation, le modèle
– 20 et – 10 degrés Celsius. gouttes d’eau surfondue au-dessus de de la précipitation permet d’expliquer un
Diverses observations des nuages l’altitude d’inversion de charge. Ces plus grand nombre de caractéristiques de
ont déterminé que la couche principale gouttes d’eau assurent la croissance des l’électrisation des nuages que le modèle
négative se trouve à une température particules de grésil responsables de convectif, mais il ne tient pas compte
d’environ – 15 degrés Celsius. l’électrisation, et, selon les expériences de d’un facteur essentiel : la convection! On
L’hypothèse de l’inversion de charge laboratoire, leur présence est indispen- devra probablement combiner les
explique la rareté des charges néga- sable au transfert de charge entre parti- meilleurs aspects des deux modèles pour
tives sous cette altitude : les particules cules de grésil et cristaux de glace. construire une théorie globale complète.
de grésil acquièrent une charge posi- Les courants descendants des orages
tive en tombant et en se heurtant aux constituent une préoccupation croissante Les éclairs
cristaux de glace en suspension dans pour la sécurité de la navigation
l’air ; ces charges positives forment la aérienne : des courants descendants vio- Quand la charge du nuage est suffi-
région positive inférieure du tripôle. lents, nommés microbursts (micro-explo- sante pour que le champ électrique
De plus, la quantité de transfert de sions), sont responsables de plusieurs dépasse la rigidité diélectrique locale
charge par collision mesurée au labo- désastres aériens. Ces courants descen- de l’atmosphère (c’est-à-dire la résis-
ratoire est suffisante pour rendre dants suivent de cinq à dix minutes la tance de l’atmosphère à ce champ),
compte de la charge transférée par les période de courant ascendant maximal et l’éclair jaillit. Au moment de la
éclairs dans les nuages d’activité élec- d’activité électrique intranuageuse maxi- décharge, le champ électrique est de
trique moyenne. La détermination male ; ils sont également liés à une forte l’ordre d’un million de volts par mètre
d’une température d’inversion de précipitation, consécutive à la disparition et, en moins d’une seconde, la foudre
charge en accord avec les résultats des du courant ascendant. Les mesures mon- transfère la charge de 1020 électrons et
expériences de laboratoire et avec les trent également qu’à cet instant, la direc- fournit une puissance équivalente à
observations des nuages constitue le tion du champ électrique au sol celle d’environ 100 millions
progrès le plus décisif de ces 20 der- s’inverse ; le champ n’est plus dirigé vers d’ampoules électriques ordinaires.

© POUR LA SCIENCE 69
5. L’ESSAI D’UNE BOMBE À HYDROGÈNE DE 10 MÉGATONNES, l’Institut de Technologie du Massachusetts (en bas) dans un bloc de
réalisé en 1952, a produit des éclairs moins de 10 millisecondes plastique isolant. On crée un champ électrique similaire au voisi-
après l’explosion. Le rayonnement intense émis par l’explosion nage du sol, mais avec trois répartitions de charge différentes. Seul
dépouille les molécules d’air de leurs électrons par diffusion le troisième modèle reproduit la configuration d’éclairs de la
Compton ; les électrons, plus légers, sont emportés loin des molé- bombe; c’est donc bien la distribution de charge et non le champ
cules d’air, devenues positives. Il en résulte une séparation de qui détermine la trajectoire d’un éclair. L’éclair est déclenché au
charges. La symétrie hémisphérique de l’explosion permet de simu- point du sol où le champ électrique est le plus fort, puis il se pro-
ler la distribution de charge au laboratoire, comme cela a été fait à page vers le haut à travers la région de plus grande charge négative.

Durant cette fraction de seconde, l’éner- de fois. connaissance de la répartition de la charge


gie électrostatique de la charge accumu- Les premières études des phénomènes électrique et celle de la configuration du
lée est transformée en énergie électroma- électriques orageux portaient sur les éclairs champ électrique local sont deux informa-
gnétique (le phénomène lumineux et des «nuage-Terre», car ils sont plus accessibles tions différentes. De plus, la répartition de
rayonnonements), en énergie acoustique aux observations visuelles ou photogra- charge et le champ ne sont pas statiques,
(tonnerre) et en chaleur. phiques. Pourtant les éclairs sont bien plus mais dynamiques ; à mesure que l’éclair
Presque tous les éclairs naturels com- importants et plus fréquents à l’intérieur naît et croît, il modifie le champ, ce qui
mencent à l’intérieur du nuage et se déve- des nuages, dont l’opacité rend le phéno- complique la modélisation du phénomène.
loppent comme des arbres «à deux têtes», mène invisible. On a utilisé des radars, des En fait, tout indique que le «tronc de
dont l’une se fiche dans les régions de radiogoniomètres et des microphones afin l’arbre» de l’éclair suit les lignes de plus
charge négative et l’autre dans les régions de déterminer la trajectoire des éclairs et grande concentration de charges. Selon de
de charge positive. Dans le cas d’une de la relier à la structure des nuages. On nombreuses observations, les éclairs se for-
décharge du nuage vers la Terre, l’extré- observe des éclairs à la fois dans des ment surtout à l’intérieur de la région néga-
mité négative de l’arbre devient une prédé- régions où il y a précipitation et dans tive principale. Le rôle de la répartition de
charge qui progresse par bond et qui des régions sans précipitation, à l’inté- la charge dans l’espace est confirmé par
conduit un courant négatif de quelques cen- rieur et à l’extérieur des nuages, et leurs l’étude des éclairs produits par les explo-
taines d’ampères vers la Terre. Lorsque la trajectoires sont chaotiques. sions nucléaires. Les photographies
prédécharge est à une centaine de mètres du Les modèles théoriques ont souvent d’essais de bombe H réalisés dans les
sol, il se produit un coup en retour, qui ren- mis l’accent sur le rôle du champ électrique années 1950 montrent que la «boule de
voie vers le nuage un courant d’une dizaine : on pensait que l’intensité et la direction du feu» est souvent environnée d’éclairs (voir
de kiloampères, soit une charge positive de champ électrique local déterminaient la tra- la figure 5). Dans ce cas, on connaît bien le
10 000 coulombs par seconde. C’est ce jectoire de l’éclair. On s’intéressaient peu à mécanisme fondamental de séparation de
coup en retour lumineux que l’on voit : la charge électrique elle-même. Or c’est la charge : le flux radial de photons de grande
lorsque l’on parle d’éclair partant d’un charge qui crée le champ et on a vu qu’un énergie émis par la boule de feu dépouille
nuage vers le sol, il faut conserver présent à champ électrique peut être produit locale- les molécules d’air environnantes de leurs
l’esprit que l’éclair se propage dans les ment par une multitude de répartitions de électrons, par un phénomène de diffusion
deux sens, quelquefois plusieurs douzaines charges différentes. Par conséquent, la Compton. Les électrons, porteurs d’une

70 © POUR LA SCIENCE
charge négative, se concentrent alors dans de plastique isolant qui «piège» la charge une répartition de charge tout à fait diffé-
une couche hémisphérique autour du «point dans une configuration conforme au rente : les figures obtenues pour les
zéro», laissant derrière eux une région de modèle théorique envisagé. Le champ élec- éclairs ne ressemblent pas à celles obser-
charge positive dans la boule de feu. trique résultant est suffisant pour déclen- vées lors des essais nucléaires ; cela
Grâce à la symétrie hémisphérique de cher des décharges de type «éclair». montre bien que c’est surtout la réparti-
l’explosion, on peut construire des modèles L’éclair naît près du point zéro tion de charge qui détermine la trajectoire
théoriques et expérimentaux simples de la simulé, là où le champ électrique est des éclairs.
répartition de charge, et étudier les consé- le plus intense ; puis il se propage vers le En dépit de nombreuses questions
quences de cette répartition sur la trajec- haut à travers la région de plus grande non résolues, un tableau d’ensemble de
toire des éclairs. Nous avons réalisé de charge négative. La figure obtenue res- l’électrisation des nuages commence à
telles simulations au Laboratoire d’étude semble à celles que l’on observe sur les se dessiner ; ce tableau relie la sépara-
des hautes tensions de l’Institut de photographies d’essais nucléaires. tion de charge à l’échelle atomique aux
Technologie du Massachusetts ; on trans- D’autres modèles donnent la même confi- éclairs, qui se propagent sur plusieurs
met une charge à un anneau dans un bloc guration de champ électrique au sol, avec kilomètres.

LE RôLE DES GOUTTELETTES DE NUAGE

C omme l’explique E. Williams, les échanges de charge qui


accompagnent les collisions entre particules de glace de diffé-
rentes tailles (grésil et cristaux) sont les processus essentiels de l’élec-
On sait maintenant comment s’électrisent les orages, mais des
incertitudes demeurent quant au mécanisme de formation des éclairs
qui neutralisent les zones de charges opposées. Pour produire un
trisation. Outre la température à laquelle se produisent ces interac- éclair, le champ électrique doit atteindre la valeur de claquage dans
tions, la quantité d’eau liquide, présente sous forme de minuscules l’air, soit environ trois millions de volts par mètre ; or, selon les mesures
gouttelettes surfondues, joue un rôle important. Les gouttelettes de réalisées à l’aide de ballons instrumentés à l’intérieur des orages,
nuage modifient la température à laquelle s’inverse la polarité des l’intensité du champ électrique ne dépasse jamais quelques centaines
charges échangées entre particules de grésil et petits cristaux : cette de milliers de volts par mètre. La solution se trouve-t-elle dans les
température d’inversion augmenterait, si cette relation était confir- gouttes de pluie? On peut le supposer. Lors de leur chute, soumises
mée, avec la quantité d’eau liquide dans le nuage, passant de – 15 aux forces aérodynamiques, les gouttes s’aplatissent ; par effet de
degrés Celsius pour 0,5 gramme d’eau liquide par kilogramme d’air pointe (les lignes de champs ne pouvant pénétrer dans la goutte, elles
sec, à – 10 degrés Celsius pour un gramme par kilogramme. se resserrent considérablement au voisinage des extrêmités), le champ
On considère actuellement que la structure électrique dépend électrique se renforce sur le bord des gouttes et peut atteindre locale-
des altitudes relatives de deux zones importantes : d’une part celle ment le seuil de claquage.
où coexistent les différents types d’hydrométéores (grésil, petits cris- Ainsi, la présence de particules de glace est indispensable à la
taux, gouttelettes surfondues) dont l’interaction provoque les trans- génération de charges électriques dans les orages, et les précipitations
ferts de charge, d’autre part celle où s’inverse la polarité de ces trans- liquides le sont tout autant à la production d’éclairs. Cette hypothèse
ferts. Quand l’atmosphère est très instable, les fortes vitesses expliquerait notamment la relative rareté et la forte intensité des éclairs
verticales au sein des nuages orageux entraînent des gouttelettes produits par les orages d’hiver (fréquents à proximité des courants
surfondues et des particules de grésil à haute altitude, bien au-dessus océaniques chauds) : ces orages produisent des charges électriques
du niveau d’inversion de charge. Dans cette situation, le grésil et les comparables à celles des orages d’été, mais ils ne les neutralisent que
petits cristaux acquièrent, lors des collisions, des charges homogènes sporadiquement ; la raison en serait l’insuffisance de précipitations
respectivement négatives et positives. L’orage présente alors une liquides et l’inefficacité des précipitations glacées, pas assez défor-
structure électrique dipolaire classique et les éclairs qui frappent le sol mables pour être à l’origine des décharges électriques.
neutralisent essentiellement des charges négatives. En revanche, Des campagnes d’observations et des simulations numériques ont
dans une instabilité orageuse moindre, c’est-à-dire des vitesses verti- précisé les relations entre l’activité électrique des orages, mesurée par
cales et des contenus en eau liquide inférieurs, la séparation de ces l’intensité du champ électrique ou par le nombre d’éclairs émis, et des
deux zones inverses est floue. Les charges acquises par les hydromé- paramètres tels que l’instabilité orageuse de l’atmosphère, l’intensité
téores lors des collisions ne sont plus homogènes et la juxtaposition des mouvements verticaux, les contenus en eau liquide et en glace, les
de petites régions chargées électriquement avec des polarités diffé- précipitations au sol, etc. En 1997, le satellite américano-japonais TRMM
rentes conduit à des neutralisations locales qui inhibent l’électrisation (Tropical Rainfall Mapping Mission) emportera le premier détecteur spa-
macroscopique du nuage. Parfois, quand l’instabilité est faible ou tial d’éclairs, destiné à observer les systèmes orageux de la ceinture
nulle, la zone de coexistence des hydrométéores se situe sous le intertropicale. D’autres systèmes détecteront non seulement les coups
niveau d’inversion de polarité ; cette situation est fréquente dans de foudre au sol, mais aussi l’ensemble des décharges entre les
les orages d’hiver et dans les nuages étendus de type «stratus» nuages ; ces données intéressent notamment l’aviation civile.
qui entourent ou succèdent aux développements orageux les Enfin, parmi les «impossibles de la physique de l’atmosphère», il
plus intenses. La structure électrique correspond alors à un dipôle faut évoquer la foudre en boule et les éclairs ascendants, qui joignent
inversé, le grésil emportant vers les basses couches une charge les sommets orageux à l’ionosphère. Des témoignages attestent ces
globale positive, les cristaux de glace entraînant vers le sommet phénomènes rares et inexpliqués. Cela laisse des champs d’investiga-
du nuage une charge négative. Pour cette raison, les éclairs neu- tion encore peu explorés aux chercheurs passionnés par les orages…
tralisant des charges positives sont plus fréquents en fin de vie
des orages, lorsque les nuages stratiformes dominent. Franck ROUX, Laboratoire d’aérologie du CNRS, Toulouse.

© POUR LA SCIENCE 71
La dynamique
des aurores polaires
Syun-Ichi Akasofu

La rencontre du champ magnétique terrestre solaire étire le champ magnétique ter-


restre en une «queue magnétique» dont
et du vent solaire crée un gigantesque générateur la longueur est supérieure à 1 000
rayons terrestres. La magnétosphère se
électrique dont l’énergie est rayonnée aux pôles. compose de plasmas de densités et de
températures diverses, apportés par le
vent solaire et par l’ionosphère.
Au début des années 1960, les astro-
es premiers physiciens qui solaire et la source d’énergie qui physiciens commencèrent à comprendre

L observèrent des aurores


boréales crurent que ces phé-
nomènes spectaculaires, dans
le ciel arctique, étaient analogues à des
arcs-en-ciel : les rayons solaires se
engendre les aurores et d’autres per-
turbations du champ magnétique ;
nous comprenons également mieux les
effets de l’activité du Soleil sur le vent
solaire. On espère mettre au point un
que le vent solaire étirait le champ
magnétique de la couronne solaire
jusqu’aux confins du Système solaire :
ce «champ magnétique interplanétaire»
est une extension du champ magnétique
seraient réfractés dans l’atmosphère, et programme informatique qui prévoira solaire. James Dungey, du Collège
les chatoiements de lumière auraient l’intensité des aurores. Ces prévisions impérial de Londres, supposa que ce
résulté de l’agitation de l’air. sont importantes, car les aurores per- champ magnétique fusionnait avec le
Aujourd’hui les physiciens auroraux turbent beaucoup les communications champ magnétique originaire de la
savent que les aurores sont la manifes- par ondes radio, notamment celles qui région polaire terrestre ; cette «recon-
tation lumineuse des chocs entre les transitent par les satellites ; elles nui- nexion magnétique» est facilitée lorsque
électrons provenant du Soleil et les sent également au bon fonctionnement le champ magnétique du vent solaire est
atomes et les molécules de l’ionosphère des réseaux de distribution de l’électri- orienté vers le Sud, c’est-à-dire en sens
terrestre, à plus de 70 kilomètres d’alti- cité et de certains systèmes de défense. inverse du champ magnétique terrestre.
tude. Ce ne sont pas les turbulences Plus nous coloniserons les régions On a cru que cette reconnexion
atmosphériques qui agitent les rideaux polaires et l’espace, plus nous devrons était stable, mais, vers 1973,
de lumière des aurores, mais les chan- tenir compte des aurores. Christopher Russell, de l’Université de
gements de conditions électromagné- Los Angeles, découvrit que des
tiques : comme dans le tube cathodique Le générateur «bottes» de lignes de champ magné-
d’un téléviseur, les variations rapides tique sont entraînées dans la magnéto-
d’un champ magnétique dévient les
de la magnétosphère sphère, vers la queue magnétique ; ces
électrons émis vers l’écran. La compréhension des aurores décrochements ont lieu même quand le
Quel est le «tube cathodique» des résulte d’une révolution dans l’étude champ magnétique interplanétaire est
aurores polaires? Quelle est la source du champ magnétique terrestre. On a régulier et orienté vers le Sud ; en fait,
d’énergie? Pourquoi l’intensité de cette longtemps supposé que ce champ était ce champ magnétique change
source varie-t-elle? Il y a environ dipolaire, comme celui d’un aimant constamment d’intensité et de direc-
25 ans, on a découvert que les faisceaux cylindrique, avec des lignes de champ tion. Lou-Chuang Lee, de l’Université
d’électrons qui bombardent l’iono- magnétique formant un circuit fermé de Fairbanks, a compris les méca-
sphère et forment les aurores boréales du pôle Sud au pôle Nord. Cependant nismes de cette instabilité à l’aide de
sont produits lors de l’interaction com- la Terre n’est pas dans un vide absolu : simulations sur ordinateur.
plexe du vent solaire et de l’enveloppe elle est constamment balayée par le Lorsque les particules du vent
externe du champ magnétique terrestre. vent solaire, un plasma dilué d’ions solaire longent la limite de la magné-
Les vols spatiaux ont confirmé la nature hydrogène et d’électrons émis par la tosphère (la magnétopause), elles tra-
géomagnétique des aurores : de grands couronne solaire. versent le champ magnétique dans la
ovales lumineux entourent les pôles Le vent solaire confine le champ zone de reconnexion. Les ions positifs
magnétiques de la Terre ; celui du pôle magnétique terrestre dans un volume en et les électrons, de charges électriques
Nord est l’aurore boréale ; celui du pôle forme de comète : la magnétosphère. opposées, sont déviés dans des direc-
Sud, l’aurore australe. Du côté du Soleil, la magnétosphère ne tions opposées par ce que l’on appelle
Récemment nous avons trouvé une s’étend que jusqu’à dix fois le rayon ter- la force de Lorentz (associée à la
relation quantitative entre le vent restre, mais du côté «nuit», le vent «règle des trois doigts»), perpendicu-

72 © POUR LA SCIENCE
laire à la direction du déplacement des pause, à l’Est de la zone éclairée par le Les courants alignés joignent la
particules et à la direction du champ Soleil, et atteignent un pôle positif ; les magnétopause à l’ionosphère au voisi-
magnétique : il en résulte des courants électrons sont repoussés vers le «cou- nage de la Terre : les charges qui des-
électriques qui parcourent la magnéto- chant», au pôle négatif. Dans les plas- cendent vers le levant de la magnéto-
sphère (voir la figure 3). La magnéto- mas diffus traversés par un champ pause gagnent le levant de l’ovale
pause constitue ainsi un générateur magnétique analogue à celui de la auroral, et les charges du couchant de
géant, le «générateur auroral», qui magnétosphère, les électrons se dépla- la magnétopause s’écoulent vers le
transforme l’énergie cinétique des par- cent selon des trajectoires hélicoïdales couchant de l’ovale. Le premier bord
ticules solaires en énergie électrique ; autour des lignes de champ magnétique. se charge positivement, et le second,
sa puissance est supérieure à un mil- Akira Hasegawa, des Laboratoires négativement. La différence de poten-
lion de mégawatts! AT&T Bell, a étudié la formation de ces tiel est égale à 100 000 volts environ.
courants alignés le long des lignes de Les courants alignés sont plutôt
Les courants champ magnétique ou «courants ali- des courants d’électrons que des cou-
gnés». Thomas Potemra, de l’Université rants de protons, car ces derniers, plus
de la magnétosphère Johns Hopkins, et Takesi Iijima, de lourds, sont moins mobiles. Autrement
Les ions positifs du vent solaire l’Université de Tokyo, ont directement dit, les électrons descendent en direc-
s’écoulent vers le côté «levant» (côté où observé ces courants grâce à des tion de la Terre vers le couchant de
débute l’éclairement) de la magnéto- magnétomètres placés sur orbite. l’ovale et remontent vers la magnéto-

1. UN ARC LUMINEUX d’une aurore en activité se déplace vers


l’Ouest dans le ciel nocturne de Fairbanks. La lumière vert pâle
de l’aurore est émise par les atomes d’oxygène ; les molécules
d’azote ionisées confèrent une teinte rose à la frange inférieure de
la draperie. Lorsque le satellite Dynamics Explorer a photogra-
phié cet ovale auroral (à gauche), il se trouvait au-dessus du pôle
Nord, à trois rayons terrestres de la Terre ; il a enregistré les
rayonnements émis par les atomes d’oxygène, à une longueur
d’onde de 130 nanomètres. Le gros croissant brillant de gauche
est la face éclairée de la Terre.

© POUR LA SCIENCE 73
pause à partir du levant. Comme les inférieurs et que les ions se recombi- Les draperies de l’espace
aurores apparaissent lors de la chute nent avec des électrons libres, des
des électrons sur les couches de rayonnements sont émis sur une large De la Terre, les aurores apparais-
l’ionosphère, on peut se demander bande spectrale (de l’ultraviolet sent comme des draperies lumineuses,
pourquoi les aurores brillent égale- lointain à l’infrarouge). aux couleurs chatoyantes. Elles des-
ment au levant. La grande conductivité La longueur d’onde la plus com- cendent d’environ 100 kilomètres à
électrique de l’ionosphère est à l’ori- mune du rayonnement auroral est quelques centaines de mètres d’alti-
gine du phénomène : les charges élec- égale à 557,7 nanomètres : elle corres- tude, là où l’atmosphère devient si
triques s’écoulent dans l’épaisseur du pond à une lumière verte émise par les dense qu’elle arrête la plupart des élec-
cylindre que forment les aurores ; au atomes d’oxygène. Parfois on observe trons. Leur épaisseur est inférieure à un
levant, les électrons remontent vers une belle lueur rose due à l’excitation kilomètre, mais elles s’étendent sur des
l’espace en formant un courant secon- des molécules d’azote. Les autres milliers de kilomètres de longueur.
daire en sens inverse du courant pri- atomes et molécules émettent Pourquoi cette forme de draperie?
maire. Ce sont ces électrons du cou- des rayonnements ultraviolets et Il est déjà surprenant que les courants
rant secondaire qui provoquent des infrarouges, invisibles et absorbés alignés atteignent la basse ionosphère ;
émissions aurorales au levant. par l’atmosphère. Avec les photogra- comme d’autres particules chargées élec-
Quand les faisceaux d’électrons phies prises par le satellite suédois triquement et piégées autour de la Terre
heurtent l’ionosphère, ils excitent ou Viking dans l’ultraviolet lointain, dans les ceintures de Van Allen, les élec-
ionisent les atomes et dissocient des on a découvert avec surprise que les trons descendent vers la Terre en hélices
molécules en atomes excités. Lorsque aurores sont considérablement plus dont le pas diminue progressivement,
les électrons des atomes excités actives du côté ensoleillé que du côté parce que l’intensité du champ magné-
retombent à des niveaux énergétiques obscur de la Terre. tique augmente. Bien au-dessus de

ONDE DE CHOC CHAMP MAGNÉTIQUE RECONNEXION DES LIGNES


DU VENT SOLAIRE DE CHAMP MAGNÉTIQUE
VENT SOLAIRE

MAGNÉTOPAUSE

ANNEAU
DE COURANT

CEINTURE
DE VAN ALLEN
PLASMASPHÈRE

COUCHE DE PLASMA

RECONNEXION
CÔTÉ «JOUR»

2. LE VENT SOLAIRE, un plasma diffus de protons et d’électrons pro- terrestres (plus de six millions de kilomètres). La magnétopause est la
venant du Soleil, confine le champ magnétique terrestre en une forme limite de la queue magnétique. Lorsque le champ magnétique qui
de comète appelée magnétosphère. Du côté éclairé de la Terre, la accompagne le vent solaire (en rouge) est orienté vers le Sud, il se
magnétosphère ne s’étend que jusqu’à dix rayons terrestres de dis- reconnecte aisément avec le champ magnétique terrestre (en bleu).
tance ; du côté opposé, le vent solaire étire le champ magnétique ter- Les particules du vent solaire entrent dans la magnétosphère en spira-
restre en une queue magnétique, qui s’étend sur plus de 1 000 rayons lant autour des lignes de champ. Les lignes de champ magnétique du

74 © POUR LA SCIENCE
l’ionosphère, le pas de l’hélice devient est le premier à avoir soupçonné la de tourbillons, en raison des champs
nul : les électrons ne décrivent plus que présence d’une telle double couche au- électriques antiparallèles de la struc-
des cercles, puis sont réfléchis vers dessus des aurores. ture de potentiel auroral : selon les
l’espace. L’existence des aurores prouve On sait qu’une structure analogue à régions de cette structure, les électrons
cependant que les électrons pénètrent cette double couche apparaît à la sur- sont accélérés vers le haut ou vers le
profondément dans l’ionosphère. face de l’électrode négative des tubes bas (de même, des tourbillons appa-
Ce phénomène résulte du regrou- à néon, mais la nature de celle de la raissent lorsque deux liquides s’écou-
pement des courants alignés en de haute atmosphère terrestre est contro- lent en sens inverse). Des caméras
minces feuillets. Par un mécanisme versée. Le champ électrique de la vidéo très sensibles, pointées vers le
encore mal compris, quand l’énergie double couche semble accélérer les zénith, sous les draperies, ont capté
pompée dans la magnétosphère et électrons vers le sol : leur énergie aug- des images de ces tourbillons ; on a
l’intensité électrique des faisceaux mente de plusieurs milliers d’électron- retrouvé des structures très semblables
d’électrons sont suffisantes, un champ volts pendant la traversée de la struc- à celles observées lors de modélisa-
électrique, appelé structure de poten- ture de potentiel auroral, de sorte tions par ordinateur des mécanismes
tiel auroral, s’établit autour des fais- qu’ils pénètrent les couches denses de de formation de tourbillons.
ceaux, entre 10 000 et 20 000 kilo- l’atmosphère, où ils provoquent des Avec des instruments embarqués
mètres d’altitude. Cette structure émissions lumineuses visibles à l’œil sur des fusées et des satellites, on a
semble se constituer de couches char- nu. C’est la forme aplatie des struc- beaucoup étudié les relations entre
gées positivement et négativement qui tures de potentiel qui confère aux l’énergie des électrons auroraux et la
engendrent un champ électrique aurores leur allure de draperie. répartition spatiale des structures de
intense (voir la figure 4) ; Hannes Les faisceaux électroniques des- potentiel. Les chercheurs de la Société
Alfvén, de l’Université de San Diego, cendent dans l’ionosphère sous forme Lockheed ont montré que la structure

LIGNE DE CHAMP
MAGNÉTIQUE
OVALE AURORAL
QUEUE MAGNÉTIQUE
LEVANT

VENT
SOLAIRE

IONS
PLASMOÎDE POSITIFS
COUCHANT

PÔLE POSITIF
COURANT
ALIGNÉ
ÉLECTRONS

COURANT PRIMAIRE COURANT


COURANT SECONDAIRE ÉLECTRIQUE

PÔLE NÉGATIF

lobe Nord de la queue magnétique sont 3. LORSQUE LE VENT SOLAIRE traverse le champ magnétique de la magnétopause, les pro-
orientées vers la Terre ; celles du lobe Sud, tons sont déviés vers le «levant» de la magnétosphère et les électrons vers le côté «cou-
vers l’espace. La reconnexion des lignes de chant». Un courant électrique circule entre ces deux régions ; un autre, moins intense, suit
champ magnétique, dans la queue magné- les lignes du champ magnétique en direction d’une large zone ovale de l’ionosphère. Les
tique, détache parfois des parties de plasma, électrons excitent les atomes et leur font émettre les rayonnements qui constituent les
appelés plasmoïdes, et les éjecte. aurores. Des courants secondaires suivent des trajets parallèles aux courants primaires.

© POUR LA SCIENCE 75
de potentiel auroral accélère aussi les
LIGNE ions positifs vers le haut ; ces ions
DE CHAMP
MAGNÉTIQUE
constituent parfois une grande partie
du plasma magnétosphérique.
Dans la structure de potentiel auro-
ral, les particules interagissent avec les
ÉLECTRON
ondes électromagnétiques qui se pro-
POINT DE pagent dans les plasmas : elles engen-
RÉFLEXION STRUCTURE
(MIROIR) DE POTENTIEL
drent des ondes radioélectriques
intenses qu’étudie Donald Gurnett, de
l’Université d’Iowa. Ces émissions
M
0K sont si intenses que des extraterrestres
100
les détecteraient bien avant de perce-
voir la Terre. Elles ne brouillent
cependant pas nos émissions radio, car
l’ionosphère les réfléchit vers
l’espace, alors qu’elle réfléchit les
émissions radio terrestres vers le sol.
AURORE

Électrojets
100 et orages magnétiques
KM
L’existence de la structure de
potentiel auroral intéresse vivement les
4. LES ÉLECTRONS des courants alignés de la magnétosphère ont des trajectoires hélicoï- astrophysiciens et les spécialistes du
dales autour des lignes de champ magnétique. À mesure qu’ils descendent vers l’ionosphère, Soleil, car on pense que, dans les plas-
le pas de l’hélice diminue, s’annule, puis s’inverse : les électrons sont réfléchis vers l’espace mas raréfiés, les champs électriques
(à gauche). Dans certaines situations, un champ électrique particulier, appelé structure de
intenses ne seraient pas stables le long
potentiel auroral, s’établit autour des lignes des courants électroniques (à droite). Les élec-
trons sont accélérés par la structure potentielle et pénètrent plus profondément dans l’iono- des lignes de champ magnétique, et
sphère : leur interaction avec les basses couches de l’ionosphère crée les aurores. La struc- qu’ils ne pourraient donc pas accélérer
ture de potentiel est très mince dans la direction Nord-Sud, mais s’étend sur des milliers de des particules chargées. Cependant
kilomètres, d’Est en Ouest, conférant aux aurores leurs formes de draperie. l’observation d’un tel champ, associé
aux aurores, indique qu’il pourrait en
ION OXYGÈNE ATOME exister d’analogues dans divers objets
ÉLECTRON D’OXYGÈNE astronomiques comme la nébuleuse du
Crabe, par exemple, dont la densité de
COLLISION
plasma et l’énergie sont proches de
IONISATION
RAYONS X celles de la magnétosphère.
FREINAGE L’ionosphère dissipe l’énergie
qu’elle reçoit du générateur auroral
OXYGÈNE sous forme de deux courants élec-
EXCITÉ triques, l’un s’écoulant vers l’Ouest,
l’autre vers l’Est. Ces courants suivent
MOLÉCULE l’ovale auroral dans la basse iono-
D’AZOTE
sphère ; ils échauffent l’atmosphère et
DISSOCIATION favorisent la formation de vents à
AZOTE EXCITÉ grande échelle dans la haute atmo-
sphère polaire.
Quelle est l’origine de ces électro-
MOLÉCULE jets? Des courants alignés circulent
EXCITÉE AURORE
entre les bords internes et externes de
l’ovale auroral ; ces courants sont dus
à un champ électrique parallèle à la
surface de la Terre et, par conséquent,
perpendiculaire au champ magnétique
terrestre, au niveau des pôles (voir la
figure 6). Les particules chargées sont
5. LES ATOMES ET LES MOLÉCULES de la basse ionosphère émettent des rayonnements
lorsqu’ils sont heurtés par les électrons accélérés par la structure de potentiel auroral ; les
entraînées de la face nocturne vers la
électrons, ralentis par les collisions, émettent des rayons X. Les collisions dissocient les face diurne par une force appelée E-
molécules en atomes excités qui émettent des rayonnements, pour retrouver un état d’éner- croix-B ou E x B, quelle que soit leur
gie inférieur; les électrons arrachés par les électrons de l’espace ionisent à leur tour charge électrique.
d’autres atomes, qui émettent également des rayonnements. L’oxygène et l’azote émettent Dans la haute ionosphère, les parti-
respectivement dans le vert et le rose. cules se déplacent toutes à la même

76 © POUR LA SCIENCE
vitesse, de sorte que le courant élec- LIGNE DE CHAMP MAGNÉTIQUE
trique résultant est nul ; elles heurtent
les particules neutres, les mettent en CHAMP ÉLECTRIQUE
mouvement et participent ainsi à la for-
mation des vents. Dans la basse iono-
sphère, cependant, les protons ne circu-
lent pas selon la force E x B, car ils
heurtent très fréquemment les particules
neutres ; seuls les électrons ont une cir-
culation régulière – et forment un cou-
rant électrique – le long de l’ovale auro-
ral : ils s’écoulent vers l’Ouest, au ÉLECTRON
levant et vers l’Est, au couchant. ÉLECTROJET
Avec les photographies prises pen- VERS L’EST PROTON
dant l’année internationale de la géo- ÉLECTROJET
physique, en 1957-1958, on découvrit 300 KM VERS L’OUEST
un phénomène jusqu’alors inconnu dans
l’activité aurorale : les sous-orages
magnétiques. Le premier signe de ces
phénomènes est un brusque éclat de la
draperie de l’aurore, qui débute en fin
de soirée et se prolonge jusqu’à minuit.
Cet éclat s’étend rapidement à toute la
draperie ; en quelques minutes, toute la
partie de l’aurore située dans l’hémi-
sphère obscur s’illumine. 100 KM
Dans le secteur de minuit, la draperie
lumineuse commence à se déplacer vers JOUR
le pôle, à une vitesse de quelques cen-
taines de mètres par seconde : souvent NUIT
une partie de la draperie se bombe ; ce
bourrelet ondule d’abord à son extré-
mité Ouest, puis les frémissements se 6. LES COURANTS «ALIGNÉS» induisent des champs électriques en travers des ovales auro-
propagent vers l’Ouest, à une vitesse raux, perpendiculaires au champ magnétique terrestre. Le champ électrique et le champ
d’un kilomètre par seconde (voir la magnétique dévient les électrons et les protons dans la même direction : c’est la dérive
figure 1). À mi-distance du pôle, au E-croix-B. Au-dessus de la calotte polaire, cette dérive s’effectue en sens inverse de celle qui
levant, la draperie tombe en lambeaux. s’exerce dans l’épaisseur du cylindre auroral, parce que les champs électriques sont opposés.
Le déplacement vers le pôle dure Dans la haute ionosphère, les électrons se déplacent à la même vitesse que les protons : le
courant électrique résultant est nul. Dans la basse ionosphère, les protons subissent de nom-
généralement entre 30 minutes et une
breuses collisions et se déplacent dans la direction du champ électrique plutôt que selon la
heure ; dès qu’elle atteint sa plus haute dérive E-croix-B ; la circulation des électrons forme d’intenses courants : les «électrojets».
latitude, l’aurore s’éteint progressive-
ment. Ces sous-orages durent en géné- MIDI MIDI
ral entre une et trois heures.
Les sous-orages magnétiques sont la
manifestation des sous-orages magnéto-
sphériques qui se produisent quatre
10 HEURES T.U.

à cinq fois par jour. Ces derniers renfor-


9 HEURES T.U.

cent les électrojets et provoquent de


ce fait d’intenses perturbations magné-
tiques : les sous-orages magnétiques
polaires. Grâce à une collaboration inter-
nationale, plus de 70 magnétomètres
répartis le long de six rayons partant du
pôle Nord magnétique ont enregistré un
tel orage, le 18 mars 1978. À l’aide de
gros programmes informatiques, Yosuke MINUIT MINUIT
Kamide, de l’Université de Tokyo, et
7. LES COURANTS IONOSPHÉRIQUES enregistrés le 18 mars 1978, pendant un sous-orage
Yasha Feldstein, de l’Académie sovié-
(à droite), sont beaucoup plus forts que ceux enregistrés une heure plus tôt (à gauche). On
tique des sciences, ont déterminé la cir- a représenté ici l’aurore au-dessus du pôle Nord magnétique ; les petites flèches bleues
culation des courants électriques à partir indiquent les directions et les intensités des courants. Pendant le sous-orage, un électrojet
des enregistrements magnétiques, et ils orienté vers l’Ouest est apparu dans le secteur «nuit» de la Terre, et un électrojet orienté
ont estimé l’énergie thermique dégagée vers l’Est fut enregistré dans le secteur correspondant à l’après-midi. L’intensité du rouge
par ces courants ionosphériques. est proportionnelle à la quantité de chaleur dégagée par l’activité électrique.

© POUR LA SCIENCE 77
La dynamique
des sous-orages
De nombreux chercheurs pensent
que ces orages ont leur origine dans la
«queue magnétique». Le générateur
électrique de la magnétopause engen-
drerait deux courants circulaires,
s’écoulant en sens inverses autour des
lobes Nord et Sud de la queue magné-
tique ; ces courants induiraient des
champs magnétiques antiparallèles, le
long de la queue magnétique. Ces
champs se reconnecteraient spontané-
ment et de façon explosive : l’énergie
80° libérée engendrerait les sous-orages.
On découvre aujourd’hui que la
70° croissance et le déclin des orages
magnétosphériques dépendent de
60° l’accroissement ou de la diminution de
l’énergie produite par le générateur.
Vers 1970, avec Paul Perreault, nous
avons étudié les relations entre la puis-
sance du générateur et les caractéris-
tiques du vent solaire ; nous avons sup-
posé que l’énergie totale dissipée dans
la magnétosphère était égale à l’éner-
gie injectée dans la magnétosphère par
le vent solaire, et nous avons cherché
8. LES DÉTAILS DE L’OVALE AURORAL sont visibles sur cette image de la Terre vue d’au-des- si les fluctuations de l’énergie dissipée
sus du pôle Nord géographique. Une aurore diffuse et mince entoure le pôle, de l’après-midi dépendaient des caractéristiques du
au secteur de minuit (à gauche) ; pour les observateurs au sol, la luminosité est constante au
vent solaire, mesurées par les satellites.
couchant et souvent assez large pour occuper tout le ciel. Des draperies se séparent de la face
interne diffuse de l’aurore. Lors des sous-orages magnétiques, des formes brillantes s’avancent Nous avons découvert que la puis-
vers le pôle aux environs de minuit. Dans le secteur du matin (en haut à droite), la partie dif- sance du générateur est proportionnelle
fuse semble se désintégrer en plis et festons, à l’extérieur de l’ovale. au produit de trois facteurs : la vitesse
du vent solaire, le carré de l’intensité
20 du champ magnétique du vent solaire
COMPOSANTE NORD-SUD DU CHAMP MAGNÉTIQUE

et la puissance quatrième du sinus de la


15
moitié de l’angle polaire (l’angle entre
DU VENT SOLAIRE (EN NANOTESLAS)

10 PASSAGE
le champ magnétique solaire et le
DU TEMPS MAGNÉTIQUE
5 champ magnétique terrestre, au pôle
0 Nord). Par conséquent, quand le champ
–5
magnétique du vent solaire est dirigé
vers le Nord, la puissance du généra-
–10
1 2 3 4 5 6
teur est nulle, parce que l’angle polaire
10
est nul (le sinus d’un angle nul est nul).
TEMPS (EN HEURES)
Inversement, quand le champ magné-
a b c d e tique est orienté vers le Sud, la puis-
sance est maximale, parce que l’angle
polaire est égal à 180 degrés et que le
sinus de la moitié de cet angle est
maximal (il est égal à un).
Mikhail Pudovkin, ses collègues de
9. LORSQUE LE CHAMP MAGNÉTIQUE du vent solaire est orienté vers le Nord, le diamètre l’Université de Leningrad et d’autres
de l’ovale auroral est petit et contient une lueur à peine visible (a). Lorsque le champ bas- physiciens ont déduit la même formule
cule en sens inverse, il s’oriente dans le même sens que celui de la Terre ; l’ovale brille et de considérations théoriques, en sup-
se dilate rapidement ; une lueur quasi imperceptible ne subsiste que dans une zone étroite, posant que la magnétosphère se com-
à l’intérieur de l’ovale (b). Environ une heure plus tard, un sous-orage magnétique portait comme un générateur magnéto-
débute ; des draperies brillantes s’avancent vers le pôle. Le sous-orage culmine une ou
hydrodynamique. P. Reif et ses
deux heures après son déclenchement (il dure en général entre une et trois heures) (c).
Lorsque le champ magnétique s’oriente à nouveau vers le Nord, l’aurore pâlit et des drape- collègues ont montré que les variations
ries s’allongent selon le méridien midi-minuit, au-dessus de la calotte polaire (d). Lorsque de la différence de potentiel de part et
le champ magnétique est intense et orienté vers le Nord pendant plusieurs heures, l’ovale d’autre de la calotte polaire sont liées
peut disparaître et se réduire à une lueur couvrant toute la région polaire (e). à la puissance calculée par notre équa-

78 © POUR LA SCIENCE
tion ; en outre, chaque crête de puis- dans la queue magnétique, et divers lièrement vastes pendant la phase de
sance supérieure à 10 000 mégawatts phénomènes accompagnent les sous- déclin d’un cycle de taches solaires ;
était non seulement associée à un orages magnétiques. On espère mieux souvent deux grands trous apparaissent
accroissement de la différence de connaître ces phénomènes grâce au simultanément, l’un à partir du pôle
potentiel, mais aussi à une intensifica- projet international de physiques Nord du Soleil, l’autre à partir du pôle
tion des sous-orages magnétiques. solaire et terrestre, qui associera de Sud. Chaque trou produit un vent
Nous avons également observé que nombreux satellites. solaire important sous forme de jet.
le diamètre des aurores varie en fonc- Comme le Soleil tourne sur lui-
tion de la puissance fournie par le géné- Les ondes de choc même en 27 jours, il agit comme un
rateur auroral, qui dépend lui-même de système d’«arrosage circulaire» : une
la composante Nord-Sud du champ La puissance du générateur auroral bouffée de vent solaire arrive sur la
magnétique interplanétaire. De telles dépend de l’activité du Soleil et, Terre ; puis une autre bouffée nous par-
observations indiquent que les sous- notamment, d’événements transitoires vient deux semaines plus tard. La Terre
orages se produisent plus souvent quand telles que les éruptions solaires et les reçoit chaque faisceau pendant une
le champ magnétique du vent solaire est éjections massives de gaz coronaux, semaine environ : le générateur est
orienté vers le Sud : ils seraient dus au dont les ondes de choc se propagent alors puissant et variable. Comme les
vent solaire plutôt qu’à des événements avec le vent solaire. Juste derrière le trous de la couronne solaire subsistent
spontanés dans la magnétosphère. front d’onde, le vent solaire s’écoule à souvent de nombreux mois, il y a deux
On ignore encore le mécanisme une vitesse comprise entre 500 et périodes d’activité aurorale, d’une
exact des sous-orages magnétiques. 1 000 kilomètres par seconde ; le semaine chacune tous les 27 jours, pen-
Notamment on ne comprend pas pour- champ magnétique est comprimé, et dant la phase de déclin d’un cycle de
quoi les augmentations de puissance du son intensité augmente. taches solaires. Le vent solaire semble
générateur font briller soudainement les Lorsque l’onde de choc heurte la être plus rapide lorsqu’il provient des
aurores. Joseph Kan, de l’Université de magnétosphère, l’énergie du généra- hautes latitudes de la couronne solaire ;
Fairbanks, suppose que ces éclats résul- teur atteint jusqu’à dix millions de voilà peut-être pourquoi l’activité auro-
tent d’une amplification des courants ali- mégawatts. rale augmente au printemps et à
gnés dans l’ionosphère, lorsque la force Cette rencontre peut engendrer une l’automne, lorsque la Terre est aux plus
E x B est renforcée par les accroisse- tempête géomagnétique : l’ovale auro- hautes latitudes héliographiques.
ments de puissance du générateur. ral se dilate anormalement et l’émis- L’étude des aurores révélera peut-
Qu’arrive-t-il quand, au lieu d’être sion rouge de l’oxygène atomique (à être certains mystères à propos du
orienté vers le Sud, le champ magné- une longueur d’onde de 630 nano- Soleil. Comme les aurores, les érup-
tique est dirigé vers le Nord et qu’il est mètres) s’intensifie considérablement tions solaires sont des draperies
intense pendant une longue période? dans de telles aurores, peut-être parce brillantes dues à la désexcitation lumi-
La puissance du générateur auroral que l’énergie thermique libérée excite neuse d’atomes excités ; elles se for-
décroît, l’aurore pâlit et les électrojets les atomes d’oxygène. Simultanément, ment sans doute de façon analogue. On
s’affaiblissent. De surcroît, plusieurs dans la ceinture de Van Allen, les cou- a longtemps supposé que l’énergie des
draperies lumineuses se déploient au- rants renforcés créent des champs éruptions solaires provenait de la
dessus de la calotte polaire, parallèle- magnétiques intenses même aux basses reconnexion du champ magnétique
ment au méridien midi-minuit, et des latitudes et jusqu’au sol. solaire ; cette hypothèse était fondée
festons d’aurore à peine visibles déri- Nous avons récemment essayé de sur l’existence de «champs magné-
vent au-dessus du pôle, dans la même comprendre l’effet des ondes de choc tiques libres de force», identiques aux
direction. Ces aurores très particulières solaires sur la magnétosphère. Une champs des courants alignés de la
ne résultent pas seulement d’un affai- éruption au centre du disque solaire magnétosphère terrestre. Il est essentiel
blissement du générateur ; nous ne engendre une onde de choc qui se pro- de découvrir le mécanisme du généra-
considérerons pas ici leur mécanisme. page selon l’axe Soleil-Terre ; le front teur qui fournit la puissance électrique
Jusqu’ici nous n’avons tenu compte d’onde heurte de plein fouet le «nez» de ces champs libres de force et des
que de la reconnexion magnétique sur de la magnétosphère, le champ magné- éruptions solaires ; ce sont peut-être,
la face ensoleillée de la magnéto- tique interplanétaire est fortement com- comme dans l’ionosphère terrestre, des
sphère ; or le générateur magnétosphé- primé et son intensité s’accroît. La mouvements de gaz qui libèrent l’éner-
rique devrait également commander puissance du générateur augmente alors gie nécessaire, à la surface du Soleil.
une reconnexion dans la queue magné- beaucoup. Quand une éruption survient J’espère que l’étude des aurores
tique. Au Laboratoire américain de pro- près du bord du disque solaire, l’onde aidera à comprendre divers phéno-
pulsion aéronautique, James Slavin et de choc se propage perpendiculaire- mènes astrophysiques. On trouve des
Bruce Tsurutani ont découvert une cor- ment à l’axe Soleil-Terre, son flanc plasmas diffus traversés par des
respondance entre l’intensité des élec- frôle le nez de la magnétosphère et le champs magnétiques dans beaucoup
trojets et la vitesse du plasma qui comprime peu. Dans ce cas, même si d’objets astronomiques ; il est probable
s’éloigne de la Terre jusqu’à environ l’éruption solaire est intense, les modi- qu’ils interagissent fréquemment avec
200 rayons terrestres de celle-ci ; on fications aurorales sont minimes. l’atmosphère de corps qui possèdent un
pense que l’écoulement du plasma est Les «trous» de la couronne solaire, champ magnétique comme les étoiles,
dû à l’énergie libérée par la recon- dans les régions dépourvues de taches les planètes ou les comètes… Les
nexion dans la queue magnétique. solaires, agissent également sur les aurores constituent le moyen de tester,
Lorsqu’une aurore se met à briller, aurores : ils engendrent des «torrents» par des observations directes, les théo-
les feuillets de plasma s’amincissent de vent solaire. Ces trous sont particu- ries décrivant ces interactions.

© POUR LA SCIENCE 79
A RCS ET HALOS CÉLESTES
altitudes comprises entre 9 000 et 15 000
mètres, dans des régions où les tempéra-
tures sont inférieures au point de congéla-
tion de l’eau. L’air est alors sursaturé en
David Lynch vapeur d’eau qui se condense pour former
des nuages, les «cirrus». C’est pourquoi les

Q uiconque aime observer le ciel a déjà


vu, autour du Soleil ou de la Lune,
un anneau brumeux, ou halo. Dans les
sant tout le tour du ciel : c’est le cercle par-
hélique. Il passe par le Soleil, par les parhé-
lies et, lorsque ceux-ci sont visibles, par
halos qu’on voit dans ces nuages sont les
ravissants précurseurs du mauvais temps.
Puisque la glace dans les nuages est
croyances populaires, ce halo est le signe l’anthélie (tache blanchâtre opposée au responsable des effets optiques, il importe
précurseur d’un orage. En fait, ce n’est que Soleil) et par les paranthélies (d’aspect sem- d’examiner sa structure. Les cristaux de
l’un des nombreux phénomènes optiques blable à l’anthélie, ils sont situés par rapport glace de l’atmosphère se forment directe-
dus à la réflexion et à la réfraction de la au Soleil à des azimuts de plus ou moins ment à partir de la vapeur contenue dans
lumière dans les cristaux de glace en sus- 120 degrés). Plus rarement, on observe le l’air sursaturé, sans passer par une phase
pension dans l’air. Chaque fois que se for- halo circonscrit et l’arc circumzénithal. Le liquide. Le type de cristal obtenu dépend
ment des nuages de type cirrus ou des halo circonscrit est situé à l’extérieur du petit de la température de l’air, et du degré de
brouillards glacés, des arcs lumineux appa- halo et présente par rapport à ce dernier saturation de l’air en glace. Les délicats flo-
raissent dans le ciel, tissant à travers le une symétrie bilatérale. Il est tangent en cons de neige montrent que les cristaux
voile des cirrus une superbe variété de haut et en bas du petit halo. L’arc circumzé- de glace sont hexagonaux. Ils ont quatre
motifs en cercles, arcs et points. nithal a la forme d’un arc-en-ciel inversé, axes de symétrie : trois axes a coplanaires
Le phénomène le plus fréquent est le centré au zénith et faisant face au Soleil. dont les intersections font des angles de
petit halo, dit aussi halo de 22 degrés, parce La théorie des halos, comme celle des 120 degrés et un axe c perpendiculaire au
que son rayon angulaire est de 22 degrés ; arcs-en-ciel, n’est pas seulement du ressort plan des axes a (voir la figure 3). En
une taille angulaire d’un objet est mesurée de l’optique classique. Ces phénomènes optique météorologique, les quatre formes
par l’angle entre les demi-droites joignant optiques atmosphériques font également cristallines importantes sont la plaquette
l’œil de l’observateur au contour apparent intervenir la polarisation et la diffraction de hexagonale, la colonne (ou prisme à base
de l’objet. Le petit halo est un anneau de la lumière, ainsi que ses propriétés corpus- hexagonale), la colonne surmontée d’un
lumière étroit, centré sur le Soleil (voir la culaires. C’est pourquoi leur étude fascine capuchon et la balle de revolver (un
figure 1). Il est souvent flanqué de deux aujourd’hui encore. prisme surmonté d’une pyramide). Les
«faux soleils» disposés de chaque côté : ce angles entre les différentes faces des cris-
sont des taches lumineuses brillantes. Leur Les cristaux des nuages taux sont toujours les mêmes : 120 degrés
nom savant est parhélie, ce qui signifie en entre deux faces adjacentes du prisme, 0
grec «à côté du Soleil». Parfois, le halo à 22 La croyance populaire selon laquelle ou 60 degrés entre deux faces non adja-
degrés est accompagné d’un halo moins un halo annonce l’arrivée du mauvais centes du prisme et 90 degrés entre les
lumineux, mais plus large, d’environ 46 temps est fondée. La chute du baromètre bases et les faces latérales. Les faces for-
degrés d’ouverture. Lorsque la couverture résulte de l’avancée d’un système de mant entre elles des angles de 60 et 90
nuageuse est uniforme, on peut voir un basses pressions. De violents courants de degrés sont responsables de pratiquement
anneau lumineux parallèle à l’horizon et fai- convection portent alors l’air humide à des tous les phénomènes de halo.

1. Le halo est dû aux cristaux de glace présents dans les cir- tographié un système de halos, comprenant le petit et le
rus et orientés dans toutes les directions. Le halo ordinaire grand halo, le cercle parhélique et ses parhélies, l’arc supé-
autour du Soleil, ou petit halo, a une ouverture angulaire de rieur de Parry et l’arc circumzénithal. Cette diversité révèle
22 degrés (à gauche). Près du Pôle Sud (à droite), on a pho- les nombreuses formes et orientations des cristaux des cirrus.

80 © POUR LA SCIENCE
La grande diversité des halos résulte des déviation est important en optique géomé- tion de la couleur de la lumière, c’est-à-dire
différentes orientations des cristaux de glace. trique et s’applique à de nombreux phéno- avec sa longueur d’onde. Cette propriété
Les tout petits cristaux (de diamètre inférieur mènes météorologiques, dont celui de l’arc- s’appelle la dispersion : la lumière blanche
à 20 micromètres) sont soumis au mouve- en-ciel. Comme deux faces non adjacentes est décomposée et chaque composante tra-
ment brownien sous l’action des collisions d’un cristal forment entre elles un angle de verse le cristal dans une direction légère-
aléatoires avec les molécules d’air, les cris- 60 degrés, il suffit de comprendre comment ment différente de celle des autres compo-
taux s’agitent continuellement, si bien que la lumière traverse un prisme dans un plan santes (ce phénomène est à l’origine de
toutes les orientations existent. Lorsque la perpendiculaire à l’axe c pour comprendre l’arc-en-ciel). C’est pourquoi l’angle du mini-
taille des cristaux atteint 50 à 500 micro- comment se crée le petit halo. mum de déviation est légèrement différent
mètres, la poussée aérodynamique L’angle entre le rayon incident et le pour chaque couleur, la déviation la plus
l’emporte sur le mouvement brownien et rayon émergent, nommé angle de dévia- faible correspondant à la lumière rouge. Le
maintient les cristaux dans certaines posi- tion, mesure le changement de direction de halo est donc composé d’un ensemble
tions privilégiées par rapport à la direction la lumière dans le cristal. Lorsque l’angle continu de halos superposés, chaque halo
de leur chute. Si toutes les particules de d’incidence augmente de 0 (rayon perpen- ayant une couleur et une taille spécifiques.
glace sont du même type, elles s’alignent. diculaire à la face d’entrée) à 90 degrés, Le grand halo (ou halo de 46 degrés)
Imaginez des milliards de prismes alignés et l’angle de déviation décroît d’abord de façon est dû au même phénomène ; dans ce cas
étincelants dans le Soleil, chaque prisme continue, atteint une valeur minimale, puis cependant, le prisme de réfraction est formé
produisant sa propre famille de minuscules augmente. Au voisinage du minimum de par une base du prisme et une face latérale.
halos ; c’est ainsi que se forment la plupart déviation, toute variation de l’angle d’inci- Ces deux surfaces se coupent sous un angle
des halos. Quand les cristaux de glace attei- dence ne produit plus qu’une faible variation de 90 degrés (angle au sommet du prisme)
gnent une taille de 0,5 à 3 millimètres, ils de la déviation. La lumière est ainsi concen- au lieu de 60 degrés. D’autres halos, plus
tendent à tourner sur eux-mêmes lors de trée au voisinage de l’angle de déviation rares, sont également dus à la déviation
leur chute. Ces cristaux tourbillonnants pro- minimal et forme un cercle (le petit halo), car minimale des rayons issus du Soleil dans
duisent un autre type de halo. les cristaux ont toutes les orientations pos- des cristaux orientés, dans toutes les direc-
sibles. Comme l’angle de déviation de la tions possibles. Les cristaux de glace res-
La déviation de la lumière lumière peut être supérieur à 22 degrés, ponsables de ces halos sont les prismes
mais jamais inférieur, le halo a en fait la surmontés de pyramides. Les halos ainsi
Le passage de la lumière du Soleil à tra- forme d’une couronne : le bord intérieur du formés sont au nombre de six et leurs
vers les cristaux dont les faces forment un halo, net et brillant, correspond à la dévia- ouvertures varient de 8 à 32 degrés.
angle de 60 degrés crée le petit halo. tion minimale et la zone extérieure, diffuse,
Comment un nuage composé d’innom- correspond aux rayons qui traversent le cris- Les cristaux orientés
brables cristaux d’orientations indépen- tal sous d’autres angles ; s’il n’y avait que ce
dantes peut-il réfracter la lumière sous un phénomène optique, l’intérieur serait noir. Quand les cristaux sont orientés, on
angle de 22 degrés? Cet effet s’explique par Deux facteurs déterminent l’angle de observe d’autres phénomènes ; les plus fré-
une accumulation de lumière au voisinage déviation minimale : l’angle entre les faces et quents sont les parhélies. Les cristaux res-
du minimum de déviation du prisme consti- l’indice de réfraction. L’indice moyen de ponsables de ces «faux soleils» sont les
tué par deux faces du cristal. Le phénomène réfraction de la glace vaut 1,31. Comme colonnes avec capuchon, les balles de revol-
d’accumulation de lumière au minimum de dans tout solide, il varie légèrement en fonc- ver et les plaquettes. Tous ces cristaux sont

N
ZO
RI
HO LA MODÉLISATION DES HALOS
LIQUE
ARHÉ

ERCL
EP
ANTHÉLIE
L’ intérêt de l’étude des halos n’est pas seulement esthétique.
Les cirrus, nuages de cristaux de glace, ont un rôle climatolo-
C

gique important : du fait de leur altitude élevée et de leur grande


PARENTHÉLIES étendue, leur contribution à l’effet de serre est significative.
Pour évaluer l’impact des cirrus sur le bilan radiatif global de
ARC la planète, on simule sur des ordinateurs la diffusion de la lumière
CIRCUMZÉNITHAL
dans ces nuages. Une nouvelle méthode, nommée lancer de pho-
ZÉNITH tons, donne des résultats réalistes. On simule un rayon lumi-
ARC
LO SUPÉRIEUR neux composé de plusieurs millions de photons, et on examine
HA DE PARRY l’effet de son passage à travers des cristaux de glace orientés au
ND
HALO hasard. Les trajectoires des photons sont calculées à l’aide des
A
GR

CIRCONSCRIT
lois de Descartes, et l’énergie et l’état de polarisation, à l’aide
des lois de Fresnel ; un calcul de diffraction de Fraunhofer
SOLEIL
PARHÉLIES donne l’allure du halo résultant.
ARC Les modélisations sont certes moins poétiques que la réalité,
DE LOWITZ
PE mais elles conviennent aux impatients…
TIT H ALO
ARC INFÉRIEUR ARC TANGENT
DE PARRY INFÉRIEUR Gérard BROGNIEZ, Laboratoire d’Optique atmosphérique de Lille.
2. Les halos les plus fréquents sont situés près du Soleil.
Ce schéma est centré sur le zénith de l’observateur.

© POUR LA SCIENCE 81
130 V III IV II I II VI vateur, la lumière semble donc provenir
c c de tous les points de l’espace de même
%
0 altitude. Le cercle parhélique apparaît
10
À
125 E comme un anneau horizontal passant par
AL
ÉG le Soleil et parallèle à l’horizon. On le voit
SATURATION EN EAU (EN POUR CENT)

c
U
EA rarement en entier, car les nuages ne
D'
I ON recouvrent pas uniformément tout le ciel.
120 AT
c R La colonne solaire est un phénomène
c
E NT
NC plus courant. C’est une sorte de pilier
CO lumineux vertical qui se dresse au-dessus
115 du Soleil. On l’observe le plus souvent au-
dessus du Soleil levant ou du Soleil cou-
chant. Elle est due à la réflexion de la
110 II lumière sur les bases des plaquettes et des
colonnes à capuchon. Lorsque les cristaux
c
c VII descendent dans l’air comme des feuilles
105 VII c qui tombent (avec leurs axes a verticaux),
a a ils oscillent autour de leur position
a moyenne. L’image réfléchie est alors
brouillée verticalement. Ces halos en
100
0 –5 – 10 – 15 – 20 – 25 – 30 colonnes prouvent que les cristaux de
TEMPÉRATURE (EN DEGRÉS CELSIUS) glace sont orientés et qu’ils oscillent. Bien
3. La forme du cristal dépend de la température de l’air et de son degré de que ces colonnes ne produisent pas de
saturation en eau. Les chiffres romains indiquent les régions où se forme couleurs elles-mêmes, elles prennent la
chaque type de cristal (les formes irrégulières ne sont pas indiquées). couleur du Soleil et apparaissent souvent
orangées ou rouges. Quand la colonne, le
cercle parhélique et le petit halo apparais-
orientés de façon que leur axe c soit vertical. se déploie pour former un arc de cercle sent en même temps, leurs intersections
Comme précédemment, la lumière traverse coloré, centré au zénith et faisant face au forment des croix dans le ciel. Ce phéno-
les faces latérales verticales non adjacentes Soleil. Bien que l’arc circumzénithal ne soit mène a conduit certaines personnes à voir
qui forment entre elles un angle dièdre de pas un phénomène lié au minimum de dans les halos des signes du Ciel.
60 degrés. Quand le Soleil est au-dessus de déviation, son éclat est maximal lorsque la Enfin, quelques halos apparaissent sous
l’horizon, la lumière du Soleil pénètre dans lumière du Soleil traverse le cristal au mini- l’horizon. Pour les voir, on doit regarder les
le cristal obliquement et le plan de traversée mum de déviation. C’est ce qui se passe cristaux de glace d’au-dessus, du sommet
de la lumière n’est plus perpendiculaire à lorsque la hauteur du Soleil est de 22,1 des hautes montagnes, des falaises élevées
l’axe c. Il n’existe alors plus de vrai mini- degrés. Dans ce cas-là, le grand halo et ou d’un avion. En avion, quand on voit un
mum de déviation, mais un «quasi-mini- l’arc circumzénithal sont tangents. soleil inférieur (ou subsoleil), c’est le signe
mum», car quelques rayons obliques ont Les arcs supérieur et inférieur de certain qu’il existe des sub-halos à proximité.
une déviation encore plus faible ; toutefois, Parry, ainsi nommés en hommage à Au-dessus du Canada, je vis une fois (et ne
la lumière se concentre encore autour de ce l’explorateur britannique Sir William Parry pris hélas aucune photographie) un soleil
quasi-minimum. En outre, l’angle de dévia- qui les décrivit en 1821, sont formés, inférieur entouré de deux sub-parhélies.
tion est toujours supérieur à 22 degrés, de comme les arcs circumzénithaux, à partir Il n’y a que peu de domaines de la phy-
sorte que les parhélies apparaissent à l’exté- des dièdres de 60 degrés. Ces arcs appa- sique où un coup d’œil rapide sur une
rieur du petit halo. Les conditions du véri- raissent juste au-dessus et au-dessous du expérience révèle autant de détails phy-
table minimum de déviation n’existent que petit halo. Les cristaux responsables de ces siques. Lorsque l’on voit un halo, dans le
quand le Soleil est sur l’horizon : les parhé- phénomènes sont des colonnes orientées laboratoire glacé que constituent les
lies sont alors sur le petit halo. dont l’axe c est horizontal et dont deux nuages, on connaît immédiatement la tem-
L’un des plus jolis membres de la faces latérales sont aussi horizontales, l’une pérature du nuage, l’état physique de l’eau,
famille des halos est l’arc circumzénithal. Il étant sur le dessus et l’autre en dessous. la taille, la forme et l’orientation des cristaux
est moins fréquent, car il n’apparaît que si Le cercle parhélique et la colonne de glace. Si l’on observe plusieurs arcs, on
la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon solaire résulte d’une réflexion externe de en sait encore plus. L’observation des halos
est inférieure à 32,2 degrés. Cet arc se la lumière sur des cristaux orientés : ce stimule l’esprit et la sensibilité, car elle nous
forme lorsque la lumière pénètre dans le sont donc des phénomènes non colorés. renseigne à la fois sur l’environnement
cristal par la face horizontale supérieure et Le cercle parhélique est dû à la réflexion physique du nuage et sur notre acuité
en ressort par une face latérale verticale. de la lumière sur les faces latérales verti- d’observation de la Nature. Du chaos des
Pour des hauteurs de Soleil supérieures à cales des colonnes à capuchon et des pla- milliards de cristaux microscopiques, inco-
32,2 degrés, la lumière est totalement quettes (axes c verticaux) et sur les bases lores et anguleux, la Nature tisse de
réfléchie à l’intérieur du cristal. À 32,2 des colonnes horizontales. Comme il n’y a grandes courbes gracieuses et colorées,
degrés, la lumière émerge et ressort du aucune orientation azimutale privilégiée, offertes à tout observateur qui prend le
cristal verticalement vers le bas ; l’arc cir- les faces latérales réfléchissent la lumière temps de lever les yeux…
cumzénithal apparaît alors comme un dans toutes les directions horizontales, tan-
point brillant au zénith. Lorsque le Soleil dis que la composante verticale de la David LYNCH travaille
descend davantage vers l’horizon, le point lumière n’est pas modifiée. Pour un obser- à l’Institut de Technologie de Californie.

82 © POUR LA SCIENCE
L’ INFLUENCE DES ACTIVITÉS HUMAINES

Les multiples activités techniques de l’homme perturbent


l’équilibre chimique et énergétique de l’atmosphère :
destruction de la couche d’ozone qui nous protège
des rayons solaires ultraviolets, réchauffement
par un surplus de gaz à effet de serre, excès d’éléments
toxiques, tels que l’ozone et les oxydes de soufre.
Il est temps de faire la part des choses et les connaissances
scientifiques sont une aide pour déterminer
les principes de précaution.
L’état de l’atmosphère
Thomas Graedel et Paul Crutzen

Les activités humaines modifient la composition (les 10 à 15 kilomètres inférieurs de


l’atmosphère) et dans la stratosphère
de l’atmosphère. Les pluies acides et le smog (entre 10 et 50 kilomètres d’altitude).
Néanmoins les activités humaines sont
sont les premiers effets de la dégradation responsables de la plupart des modifica-
tions survenues au cours des deux der-
atmosphérique ; d’autres surprises suivront peut-être. niers siècles : l’atmosphère a été boule-
versée en raison de la production
d’énergie à partir des combustibles fos-
siles (charbon, pétrole), diverses pra-
atmosphère de la Terre n’a l’atmosphère : le dioxyde de soufre tiques industrielles et agricoles, le brûlage

L’ jamais été stable : depuis la


formation du Globe, la com-
position, la température et
les capacités d’épuration de l’atmo-
sphère ont beaucoup évolué. Cependant
(SO 2 ), deux oxydes d’azote – le
monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde
d’azote (NO2) – et plusieurs chlorofluo-
rocarbures (des composés contenant du
chlore, du fluor, du carbone et parfois
de la végétation et le déboisement.

Les dépôts acides


Ces faits sont clairs, mais il reste de
cette évolution s’est accélérée au cours de l’hydrogène). nombreuses interrogations. Quelles acti-
des deux derniers siècles ; l’atmosphère Le dioxyde de soufre, par exemple, vités engendrent quelles émissions?
se modifie bien plus vite que pendant est en quantité rarement supérieure à 50 Comment les modifications des concen-
n’importe quelle autre période de l’his- parties par milliard, même dans les zones trations des gaz en quantités faibles ont-
toire humaine. Les manifestations les où l’on en rejette le plus ; pourtant ce elles des conséquences si variées? Quelle
plus alarmantes de l’évolution actuelle composé joue un rôle important dans les est la gravité du problème? Quelles en
sont les dépôts acides, provenant des dépôts acides, dans l’altération des sont les conséquences? Les réponses res-
pluies ou d’autres phénomènes, la cor- roches, dans la corrosion des métaux et tent incomplètes, mais chimistes, météo-
rosion des matériaux, le «smog» urbain dans la réduction de la visibilité. Les rologues, astrophysiciens, géophysiciens,
et l’amincissement de la couche strato- oxydes d’azote, également en faibles
sphérique d’ozone qui nous protège des quantités, contribuent aussi à la formation
rayonnements ultraviolets dangereux. des dépôts acides et du smog, ce 1. L’ AUGMENTATION RÉCENTE
des concentrations atmosphériques en gaz
On craint également un réchauffement brouillard dû à des réactions chimiques
polluants résulte principalement de l’utili-
de la Terre par «effet de serre», car cer- catalysées par la lumière solaire. Les sation des combustibles fossiles et des feux
tains gaz atmosphériques absorbent le chlorofluorocarbures, dont la concentra- de végétation tropicale. Cette dernière pra-
rayonnement solaire infrarouge réfléchi tion dans l’atmosphère est égale à une tique, destinée à créer des terres cultivables,
par la surface du Globe. Les change- partie par milliard, sont les principaux dégage de la suie et divers gaz, tel le dioxyde
ments climatiques dus au réchauffement responsables de la destruction de de carbone (CO2), le monoxyde de carbone
pourraient avoir des effets catastro- l’ozone stratosphérique. Enfin les quan- (CO), des hydrocarbures, du monoxyde
phiques (voir Le réchauffement de la tités croissantes de chlorofluorocar- d’azote (NO) et du dioxyde d’azote (NO2).
Terre, par R. Houghton et G. Woodwell, bures, de méthane (CH4), de protoxyde Depuis deux siècles, cette modification de
dans ce dossier). d’azote (N2O) et de dioxyde de carbone l’atmosphère perturbe l’environnement ;
elle engendre des dépôts acides et l’amincis-
Ces phénomènes importants ne résul- (CO2) – de loin le plus abondant parmi
sement de la couche d’ozone, qui nous pro-
tent pas d’une modification des consti- les constituants mineurs, avec une tège des ultraviolets solaires. L’accumula-
tuants les plus abondants de l’atmo- concentration d’environ 350 parties par tion des gaz à effet de serre, qui piègent le
sphère : à l’exception de la vapeur d’eau, million – amplifient l’effet de serre. Le rayonnement infrarouge, risque en outre de
dont la proportion est variable, les radical hydroxyle (OH), très réactif, a réchauffer notre atmosphère. Les villes pol-
concentrations en azote (N2), en oxygène également des conséquences atmosphé- luées, comme São Paulo, au Brésil, souf-
(O2) et en gaz nobles non réactifs sont riques considérables, bien que sa frent du «smog», un brouillard photochi-
quasi constantes depuis longtemps ; bien concentration soit inférieure à 0,00001 mique. Le smog se forme quand le
avant que l’homme apparaisse, ils consti- partie par milliard. Il participe au «net- rayonnement solaire agit sur les oxydes
d’azote et sur les hydrocarbures des gaz
tuaient déjà plus de 99,9 pour cent de toyage» de l’atmosphère, mais sa
d’échappement rejetés dans l’atmosphère.
l’atmosphère. Les phénomènes atmo- concentration pourrait diminuer. Le produit principal, l’ozone (O3), irrite les
sphériques actuels sont, en revanche, la Divers phénomènes naturels font yeux et attaque les voies respiratoires. En
conséquence de variations (souvent des varier les concentrations des constituants France, on envisage de réduire les émis-
augmentations) de la concentration en atmosphériques : les volcans libèrent des sions d’hydrocarbures et d’oxydes d’azote
gaz présents à l’état de traces dans gaz chlorés et soufrés dans la troposphère de 30 pour cent d’ici l’an 2 000.

84 © POUR LA SCIENCE
© POUR LA SCIENCE 85
biologistes et écologistes progressent. fumée (des particules de carbone). acide nitrique (HNO3) et en acide sulfu-
Une collaboration pluridisciplinaire est D’autres activités industrielles, comme rique (H 2 SO 4 ) ; la précipitation des
indispensable, car le comportement des la métallurgie, libèrent également du gouttelettes où ces acides sont dissous
gaz atmosphériques, leur réactivité et dioxyde de soufre, des chlorofluorocar- endommage les forêts et les lacs.
leurs interactions avec la biosphère sont bures ou des métaux toxiques. L’agricul- Comme les gouttelettes d’eau quittent
complexes. Les réactions auxquelles les ture pollue aussi l’atmosphère. Dans les rapidement l’atmosphère par précipita-
composés participent dans l’atmosphère régions tropicales et subtropicales, le tion, les pluies acides sont des phéno-
dépendent de la composition locale, de la brûlage des forêts et des savanes crée mènes régionaux ou continentaux. En
présence de particules, de la température, des pâturages et des terres cultivables, revanche, plusieurs autres gaz, comme
de l’intensité lumineuse, de la nature des mais libère dans l’atmosphère du le méthane, le dioxyde de carbone, les
nuages, des précipitations et des vents, monoxyde de carbone, du méthane et chlorofluorocarbures ou le protoxyde
qui entraînent les composés chimiques desoxydes d’azote. Les sols dénudés et d’azote persistent plus longtemps dans
horizontalement ou verticalement. les champs fertilisés par des engrais azo- l’atmosphère : leurs effets sont globaux.
Inversement, les vitesses de réactions tés dégagent du protoxyde d’azote. Depuis le début de la Révolution
déterminent la durée de séjour des gaz L’élevage est une source importante de industrielle, au milieu du XVIIIe siècle,
dans l’atmosphère et des conséquences méthane (produit par les bactéries anaé- l’acidité des précipitations a augmenté
qu’eux-mêmes ou les produits formés robies de l’appareil digestif des rumi- dans de nombreuses régions. Dans le
lors des réactions exercent sur l’environ- nants), de même que la culture du riz, Nord-Est des États-Unis, elle a quadruplé
nement, localement ou globalement. aliment de base de nombreuses popula- depuis le début du siècle, parallèlement
Les recherches ont notamment tions tropicales et subtropicales. aux émissions de dioxyde de soufre et
révélé quels sont les produits libèrés par Les recherches récentes permettent d’oxydes d’azote. Elle a également aug-
les activités humaines. La production également de mieux comprendre les menté dans les autres zones industriali-
d’énergie, à partir de combustibles fos- conséquences d’un accroissement des sées, voire dans des régions tropicales
siles, dégage des quantités considérables émissions dues aux activités humaines. non industrialisées, où elle résulte essen-
de dioxyde de soufre (surtout dans le cas On sait aujourd’hui que les «pluies tiellement des oxydes d’azote et des
du charbon), d’oxydes d’azote (par réac- acides» (terme qui désigne l’ensemble hydrocarbures dégagés par la combustion
tion de l’azote et de l’oxygène, à haute des précipitations acides) résultent de la biomasse.
température) et de dioxyde de carbone. d’interactions atmosphériques aux- Les acides nitrique et sulfurique de la
Quand la combustion est incomplète, quelles participent les oxydes d’azote et troposphère ne retombent pas uniquement
elle produit également du monoxyde de le dioxyde de soufre. Diverses réactions, avec les précipitations. Ils se déposent
carbone (CO), divers hydrocarbures notamment la combinaison avec le radi- également par voie «sèche», c’est-à-dire
(notamment du méthane) et du noir de cal hydroxyle, transforment ces gaz en par simple contact entre les gaz et le sol

STRATOSPHÈRE
d TROPOSPHÈRE

a c j

g PRODUITS i PARTICULES k PLUIES m PARTICULES


GAZ FORMÉES
GAZEUX ACIDES ÉMISES
DANS L'UNIVERS

b h e f l

ÉMISSIONS

3. L ES COMPOSÉS CHIMIQUES ÉMIS DANS L ’ ATMOSPH È RE sphère (g), activés notamment par le radical hydroxyle (OH). Les pro-
réagissent de façons variées. Les gaz inertes et insolubles dans l’eau duits gazeux formés (flèches violettes) retombent parfois directe-
(flèches oranges) se répandent dans la troposphère, les 10 à 15 kilo- ment vers le sol (h), mais comme ils sont généralement plus
mètres inférieurs de l’atmosphère, et parfois dans la stratosphère, solubles que leurs précurseurs, ils se déposent sur des particules
jusqu’à 50 kilomètres d’altitude (a) ; les végétaux, les sols et les plans humides (i), et tombent sous la forme de pluies acides, en se dis-
d’eau en captent une partie (b). Les gaz solubles dans l’eau sont éga- solvant directement (g) ou indirectement (k) dans la vapeur d’eau.
lement piégés à la surface des particules atmosphériques (c) ou dans Ces produits sont donc éliminés rapidement de l’atmosphère (e, f) et
la vapeur d’eau des nuages (d) ; les particules et les gouttelettes diffusent peu dans la stratosphère. Les particules injectées dans
entraînent alors ces gaz vers le sol (flèches vertes), soit directement (e), l’atmosphère (flèches noires) suivent des parcours analogues à ceux
soit par l’intermédiaire de la pluie, de la neige, du brouillard ou de la des gaz. Elles se redéposent directement (l) ou sont piégées par les
rosée (f). La plupart des gaz réagissent chimiquement dans l’atmo- vapeurs d’eau (m), puis entraînées par les précipitations (f).

86 © POUR LA SCIENCE
ou par l’intermédiaire de particules concentrations sont deux à quatre fois tion du rayonnement ultraviolet qui
solides. Or la voie sèche semble aussi supérieures ; elles sont dix fois supé- baigne la Terre augmenterait les risques
dévastatrice que la voie humide. rieures en Californie, dans l’Est des de cataracte et de cancer de la peau chez
Les dépôts acides endommagent de États-Unis et en Australie. l’homme, endommagerait les cultures et
nombreux écosystèmes. On comprend Les régions tropicales et subtropi- détruirait le phytoplancton, c’est-à-dire
encore mal leurs interactions avec la cales ne sont pas épargnées par le smog, les algues microscopiques à la base de la
faune lacustre, les sols et divers types de surtout en raison des brûlages pério- chaîne alimentaire, dans les océans.
végétation, mais on sait qu’ils sont res- diques de la savane ; en effet, on brûle L’amincissement de la couche d’ozone
ponsables de l’acidification des lacs de parfois les mêmes zones chaque année! stratosphérique est inquiétant au-dessus
Scandinavie, du Nord-Est des États-Unis Comme cette pratique libère beaucoup de l’Antarctique : depuis 1975, à chaque
et du Sud-Est du Canada : ils y ont réduit de gaz précurseurs du smog et que printemps austral, l’ozone se raréfie dans
les populations de poissons ainsi que leur l’ensoleillement de ces régions favorise une grande zone ; depuis une dizaine
diversité spécifique. Les dépôts acides les réactions photochimiques, la concen- d’années, la concentration en ozone,
participent aussi au dépérissement des tration d’ozone atteint cinq fois la mesurée pendant cette période au-dessus
forêts d’Europe et du Nord-Est des États- concentration normale. Avec l’accroisse- de l’Antarctique, a diminué d’environ
Unis. Ils attaquent également les équipe- ment des populations, les zones d’air 50 pour cent (voir La diminution de
ments extérieurs, les bâtiments et les pollué risquent de s’étendre ; la menace l’ozone stratosphérique, par O. Toon et
ouvrages d’art, notamment dans les zones est grande, car les écosystèmes de ces R. Turco, dans ce dossier). On a exper-
urbaines ; rien qu’aux États-Unis, la régions sont plus vulnérables au smog tisé la couche d’ozone stratosphérique et
réfection et le remplacement des équipe- qu’ils ne le sont sous nos latitudes. constaté que, depuis une vingtaine
ments coûtent plusieurs centaines de mil- On limiterait les dégâts écologiques d’années, pendant l’hiver et au début du
liards de francs chaque année. Les parti- si l’on réduisait la concentration en printemps, la couche d’ozone s’amincit
cules contenant des ions sulfate (SO42–) ozone, au niveau du sol, mais une dimi- de deux à dix pour cent, aux moyennes et
ont d’autres effets : elles diffusent forte- nution de la quantité d’ozone stratosphé- aux hautes latitudes ; l’amincissement est
ment la lumière et réduisent la visibilité. rique serait dangereuse : une intensifica- maximal aux hautes latitudes.
Modifiant ainsi la réflexion de la lumière
solaire par les nuages (leur «albédo»),
elles modifient sans doute les climats.
LES RÉACTIONS CHIMIQUES DANS L’ ATMOSPH ÈRE
L’ozone et le smog • L’action détergente des composés oxydants. Les molécules qui déclenchent la
plupart des réactions chimiques dans l’atmosphère sont oxydantes : elles agissent
Le smog (une contraction des mots
comme des détergents en transformant les gaz en molécules solubles dans l’eau, faci-
anglais smoke et fog, qui signifient litant ainsi leur élimination par les précipitations. L’ozone (O3) est un oxydant qui par-
«fumée» et «brouillard»), le brouillard ticipe à la formation du radical hydroxyle (OH). Ce dernier interagit avec presque
photochimique qui baigne les villes, est toutes les molécules de l’atmosphère. Nombre de gaz émis seraient encore dans
un autre inconvénient de la vie l’atmosphère si ces radicaux n’existaient pas. La dissociation de l’ozone par le rayon-
moderne. Ce mélange de gaz, nocif, se nement ultraviolet (hν) libère un atome d’oxygène (O), très réactif, qui se combine
forme dans la basse troposphère lorsque ensuite avec une molécule d’eau et produit les radicaux hydroxyle :
le rayonnement solaire agit sur les

oxydes d’azote et les hydrocarbures des a) O3 O. + O2 b) O. + H2O 2 OH
gaz d’échappement des automobiles.
L’ozone (O3) est l’un des principaux
• Création et destruction de l’ozone stratosphérique. Le rayonnement ultra-
produits de ces réactions photochi- violet produit l’ozone en dissociant une molécule d’oxygène (O2) ; les atomes
miques ; il irrite les yeux, engendre des d’oxygène résultants se combinent ensuite avec des molécules d’oxygène :
maladies respiratoires et endommage hν
les arbres et les cultures. La gravité du a) O2 O+O b) O + O2 O3
smog dépend de la concentration en
ozone au niveau du sol. Le même com- Les atomes de chlore provenant des chlorofluorocarbures émis dans l’atmosphère
posé est ainsi vital dans la stratosphère jouent un rôle majeur dans le cycle catalytique de destruction de l’ozone dans la stra-
(qui contient 90 pour cent de l’ozone tosphère. Ce cycle commence quand un atome de chlore dissocie une molécule
atmosphérique), car il absorbe des d’ozone en formant du monoxyde de chlore (ClO) et une molécule d’oxygène :
rayonnements ultraviolets, et dangereux
a) CI + O3 CIO + O2
près de la surface du sol.
Depuis la fin du XIX e siècle, on Quand le monoxyde de chlore réagit avec un atome d’oxygène (produit par la
mesure la concentration atmosphérique photodissociation d’une autre molécule d’ozone), il libère du chlore, qui peut cata-
en ozone au niveau du sol et dans lyser un nouveau cycle :
l’atmosphère à l’aide d’instruments aéro-
portés. Il y a un siècle environ, la station a) CIO + O CI + O2
de mesure du parc de Montsouris, à
Paris, enregistrait une concentration Les oxydes d’azote détruisent l’ozone, mais ils bloquent également le cycle
précédent, catalysé par le chlore. Le dioxyde d’azote, notamment, élimine le
«naturelle» en ozone égale à dix parties
monoxyde de chlore en formant du nitrate de chlore (ClNO3).
par milliard à proximité du sol ;
aujourd’hui, en Europe de l’Ouest, les

© POUR LA SCIENCE 87
MONOXYDE DIOXYDE MÉTHANE OXYDES PROTOXYDE DIOXYDE CHLORO- OZONE
GAZ DE CARBONE DE CARBONE (CH4) D'AZOTE D'AZOTE DE SOUFRE FLUORO- (O3)
(CO) (CO2) (NO ET NO2) (N2O) (SO2) CARBURES

EFFET + + + – + +
DE SERRE

DÉSTRUCTION
DE L'OZONE +/– +/– +/– +/– +
STRATOSPH.

DÉPÔTS
ACIDES + +

+
SMOG +

CORROSION +

RÉDUCTION +
DE LA VISIBILITÉ +

RÉDUCTION
DU POUVOIR – –
AUTONETTOYANT + +/–
DE L'ATMOSPH.

SOURCES Combustibles Combustibles Combustibles Combustibles Engrais azotés, Combustibles Aérosols, gaz Moteurs
ANTHROPIQUES fossiles fossiles et fossiles, fossiles déforestation fossiles et réfrigérants, d'automobiles
PRINCIPALES et biomasse déforestation rizières, marais, et biomasse et biomasse métallurgie mousses
élevages
ÉMISSIONS
ANTHROPIQUES 700 5 500 300 à 400 20 à 30 6 100 à 130 ~1
(EN MILLIONS
DE TONNES)

ÉMISSIONS
TOTALES 2 000 ~ 5 500 550 30 à 50 25 150 à 200 1
(EN MILLIONS
DE TONNES)

quelques
TEMPS MOYEN jours à
DE SÉJOUR quelques 100 ans 10 ans quelques 170 ans quelques 60 à 100 ans
DANS L'ATMOSPH. mois jours semaines
CONCENTRATION
MOYENNE Hémisph. S.
IL Y A 100 ANS 40 à 80 (sites 290 000 900 0,001 (air pur) 285 0,03 (air pur) 0
(EN PARTIES non pollués)
PAR MILLIARD)
CONCENTRATION Hémisph. N.
MOYENNE 100 à 200 0,001 (air pur) 0,03 (air pur) Environ
ACTUELLE Hémisph. S. 350 000 1 700 à 50 (sites 310 à 50 (sites 3 atomes
(EN PARTIES 40 à 80 (sites industriels) industriels) de chore
PAR MILLIARD) non pollués)
CONCENTRATION 0,001 (air pur) 0,03 (air pur)
ESTIMÉE EN 2030 Augmentation 400 000 2 200 3 à 6 atomes
probable à 550 000 à 2 500 à 50 (sites 330 à 350 à 50 (sites de chore
(EN PARTIES industriels) industriels)
PAR MILLIARD)

4. CERTAINS GAZ EN FAIBLES CONCENTRATIONS dans l’atmo- Nord. La concentration de beaucoup de ces gaz devrait augmenter
sphère ont des effets considérables et variés (en haut). Le signe + considérablement dans les 50 prochaines années (en bas). On a
indique une aggravation de l’effet considéré ; le signe – désigne estimé les concentrations moyennes des gaz qui séjournent plu-
une amélioration ; le symbole +/– indique que l’effet dépend des sieurs années dans l’atmosphère. Les concentrations des oxydes
conditions locales. Le dioxyde de carbone et les oxydes d’azote ont d’azote et du dioxyde de soufre devraient peu augmenter au-
des effets différents sur la couche d’ozone, selon l’altitude. dessus des régions fortement industrialisées ; en revanche, le
Généralement le méthane modère la destruction de l’ozone, sauf nombre de sites pollués risque d’augmenter, surtout dans les pays
dans le «trou» d’ozone ; en modifiant l’abondance du radical en développement. Enfin on a pondéré les concentrations en chlo-
hydroxyle, il réduit les capacités «autonettoyantes» de l’atmo- rofluorocarbures par le nombre de leurs atomes de chlore (qui
sphère dans l’hémisphère Sud et l’augmente dans l’hémisphère catalysent la destruction de l’ozone).

88 © POUR LA SCIENCE
Les chlorofluorocarbures sphériques polaires. Ces particules favori- outre, les conséquences de ce réchauffe-
sent la libération du chlore de l’acide ment rendront difficile, voire impos-
Les chlorofluorocarbures comme le chlorhydrique (HCl) ou du nitrate de sible, l’adaptation des écosystèmes et
CFC-11 (CFCl3) et le CFC-12 (CF2Cl2) chlore (ClNO3), qui ne réagissent habi- des sociétés humaines.
sont les principaux responsables de la dis- tuellement pas directement avec l’ozone. L’accumulation des gaz à effet de
parition de l’ozone. On fabrique ces com- Même si l’on arrête dès aujourd’hui les serre apparaît quand on compare les
posés depuis quelques décennies, et leurs émissions de chlorofluorocarbures, les concentrations actuelles de ces gaz à
concentrations dans l’atmosphère ont réactions chimiques détruisant l’ozone se celles du passé. On a comparé notam-
rapidement augmenté. Ils servent de réfri- poursuivront pendant au moins un siècle : ment le dioxyde de carbone – respon-
gérants, de gaz propulseurs d’aérosols, de les composés destructeurs subsistent sable de la moitié de l’effet de serre pro-
solvants et d’agents soufflants dans la longtemps dans l’atmosphère et ils conti- duit par les gaz en faibles concentrations
fabrication des mousses. Leur réactivité nueront de diffuser, de la troposphère dans l’atmosphère – et le méthane, qui
est très faible dans la basse atmosphère : vers la stratosphère, longtemps après absorbe davantage le rayonnement infra-
ils n’ont aucune toxicité directe. l’arrêt de leur production. rouge, mais qui est présent en quantité
Cependant cette caractéristique des bien inférieure. On étudie les variations
chlorofluorocarbures leur permet L’effet de serre passées du dioxyde de carbone et du
d’atteindre la stratosphère, où le rayonne- méthane en déterminant les concentra-
ment ultraviolet les dissocie. Les atomes Les chlorofluorocarbures semblent tions de ces composés dans les bulles
de chlore qui sont alors libérés détruisent être les seuls produits industriels respon- d’air piégées à l’intérieur des glaces de
l’ozone en catalysant sa transformation sables de la diminution progressive de la l’Antarctique et du Groenland. Ces gaz
en oxygène moléculaire (O2). Or un cata- couche d’ozone ; en revanche, plusieurs étant stables dans l’atmosphère, leur
lyseur accélère une réaction chimique gaz nous menacent d’un réchauffement répartition est assez uniforme autour du
sans être consommé : chaque atome de rapide de la Terre par effet de serre. On Globe, et les échantillons polaires indi-
chlore permet la destruction de plusieurs ignore quelle sera l’amplitude du quent les concentrations moyennes glo-
milliers de molécules d’ozone. Du fait de réchauffement, mais on sait que le phé- bales au cours du passé.
l’émission des chlorofluorocarbures, les nomène est inévitable : depuis quelques On constate ainsi que les concentra-
composés chlorés sont aujourd’hui quatre décennies, on libère des quantités consi- tions atmosphériques en dioxyde de car-
à cinq fois plus abondants que jadis dans dérables de dioxyde de carbone, de bone et en méthane sont restées quasi-
la stratosphère, et leur concentration aug- méthane, de chlorofluorocarbures et de ment constantes, respectivement égales
mente d’environ cinq pour cent par an : protoxyde d’azote, qui absorbent le à 260 parties par million et à 700 parties
les activités humaines bouleversent la rayonnement infrarouge. par milliard, de la fin de la dernière gla-
chimie de la stratosphère. L’effet de serre est un phénomène ciation, il y a 10 000 ans, jusqu’au
L’ozone stratosphérique se forme vital : sans lui, la Terre serait trop froide XVIIIe siècle. Il y a environ 300 ans, la
lorsque les molécules d’oxygène absor- pour être habitable. Pourtant un concentration en méthane a commencé
bent des rayonnements de courte lon- réchauffement rapide de quelques à augmenter, puis l’augmentation a été
gueur d’onde et se dissocient en deux degrés serait inquiétant, car personne ne très rapide pour les deux gaz il y a une
atomes d’oxygène ; en se combinant peut en prévoir les conséquences sur centaine d’années : l’atmosphère
ensuite à une autre molécule d’oxygène, l’environnement. Comment la pluvio- contient aujourd’hui 350 parties par
chaque atome forme une molécule métrie sera-t-elle modifiée? De combien million de dioxyde de carbone et 1 700
d’ozone. Normalement les réactions pho- le niveau des océans montera-t-il? En parties par milliard de méthane. Des
tochimiques catalysées par les mesures effectuées depuis
oxydes d’azote détruisent CONCENTRATION EN MÉTHANE (EN PARTIES PAR MILLIARD) une dizaine d’années mon-
l’ozone au même rythme que trent que la concentration en
les réactions de photodissocia- 1 750 méthane de l’atmosphère
tion le forment, mais la catalyse augmente plus vite (d’environ
par le chlore est de plus en plus 1 500 un pour cent par an) que celle
importante ; elle détruit cet du dioxyde de carbone.
équilibre naturel et diminue la 1 250 L’accumulation de ces
quantité totale d’ozone. deux gaz au XX e siècle est
Au-dessus de l’Antarctique surtout due aux activités
et, dans une moindre mesure, 1 000 humaines : les émissions de
au-dessus de l’Arctique, les dioxyde de carbone provien-
basses températures empêchent 750 nent de l’utilisation des com-
les oxydes d’azote de limiter bustibles fossiles et du déboi-
l’action catalytique du chlore sement des régions tropicales ;
500
(les oxydes d’azote détruisent les émissions de méthane pro-
10000 5000 2000 1000 500 200 100 50 20 10
l’ozone, mais leur présence ÂGE (EN ANNÉES) viennent de la culture du riz,
dans la stratosphère réduit de l’élevage du bétail, de la
5. L ES BULLES D ’ AIR contenues dans la glace prélevée au
moins la quantité d’ozone que Groenland renseignent sur les concentrations en gaz dans le passé. combustion de la biomasse
le chlore). Liés aux molécules La concentration moyenne en méthane dans l’atmosphère du Globe dans les forêts tropicales et les
d’eau, les oxydes d’azote for- est restée proche, de 700 parties par milliard, de la dernière glaciation savanes, de l’activité micro-
ment les particules de glace (il y a 10 000 ans) jusqu’au XVIIIe siècle ; elle a beaucoup augmenté bienne dans les décharges et
constituant les nuages strato- depuis une centaine d’années. des fuites de gaz lors de

© POUR LA SCIENCE 89
l’exploitation des gisements 500 mats. Les changements cli-
DIOXYDE DE SOUFRE
de charbon, de pétrole et de (EN PARTIES PAR MILLIARD) matiques et l’accumulation
gaz naturel. La concentration de gaz polluants dans l’atmo-
atmosphérique en méthane 100 NORD-EST sphère constituent une expé-
pourrait doubler au siècle 50 DES ÉTATS-UNIS rience hasardeuse dont cha-
prochain, en raison de cun de nous est responsable.
l’accroissement de la popula- 20 En chargeant l’atmosphère
tion mondiale, qui s’accom- 10 EUROPE de produits dont on connaît
pagnera de l’augmentation de 5
mal les interactions avec les
la demande énergétique, des matériaux et avec les orga-
besoins en riz et en viande. PLAINE DU GANGE nismes vivants, nous risquons
Le méthane et les autres gaz 1 des surprises désagréables. Le
en faibles concentrations 1890 1920 1950 1980 2030 trou d’ozone de l’Antarctique
pourraient participer autant 6. CONCENTRATION EN DIOXYDE DE SOUFRE mesurée depuis 1890 est un exemple particulière-
que le dioxyde de carbone au dans le Nord-Est des États-Unis, en Europe et dans la plaine du ment sinistre : sa gravité inat-
réchauffement climatique. Gange, dont l’industrialisation est récente. Les pointillés indiquent tendue nous démontre que
Comment les concentra- les prévisions les plus pessimistes, dans l’éventualité d’une régle- l’atmosphère est sensible à des
tions atmosphériques des mentation laxiste concernant les émissions. Bien qu’inévitable, perturbations chimiques
autres gaz varieront-elles? l’accumulation de dioxyde de soufre peut être ralentie par une mineures, et que les consé-
réglementation stricte et par une coopération internationale.
Nous avons étudié cette ques- quences de ces perturbations
tion en extrapolant, à partir de se manifestent beaucoup plus
données climatologiques passées et de soufre devrait augmenter encore, car rapidement que prévu.
actuelles, et en tenant compte des prévi- les combustibles pauvres en soufre se Néanmoins on peut encore prendre
sions démographiques et énergétiques : raréfient. Les contrôles stricts des rejets des dispositions : une réduction notable
les concentrations atmosphériques de industriels pourraient stabiliser la pollu- de l’utilisation de combustibles fossiles
tous les gaz en faibles concentrations tion par le soufre, aux États-Unis et en ralentirait le réchauffement par effet de
augmenteront au cours des 100 pro- Europe, mais elle devrait s’accroître en serre, réduirait le smog et les dépôts
chaines années, si l’on ne met pas au Inde et dans les pays en développement, acides et améliorerait la visibilité. On
point de nouvelles techniques et si l’on où les charbons riches en soufre sont pourrait également réduire les émissions
continue de brûler des charbons riches abondants et bon marché. La production de méthane, en limitant sa libération
en soufre, afin de produire de l’énergie. d’énergie devra être réglementée si l’on dans les décharges, en améliorant
veut éviter que le dioxyde de soufre l’exploitation des combustibles fossiles
Dioxyde de soufre n’atteigne des concentrations excessives ou en adoptant des techniques de gestion
au cours du siècle prochain. des déchets qui ne libèrent pas de
et monoxyde de carbone Le monoxyde de carbone est un autre méthane dans l’atmosphère. La prise de
La concentration atmosphérique en gaz dont l’abondance pourrait également conscience actuelle est encourageante :
dioxyde de soufre a augmenté en augmenter dans l’atmosphère ; or il réduit en 1987, des dizaines de nations ont rati-
Europe entre 1890 et le milieu des les capacités «autonettoyantes» de celle- fié le Protocole de Montréal, qui vise à
années 1900, puis n’a pas ou peu dimi- ci. Les émissions de monoxyde de car- réduire de moitié les émissions de chlo-
nué, car le contrôle des rejets indus- bone devraient augmenter parallèlement à rofluorocarbures d’ici la fin du siècle.
triels est resté longtemps moins strict l’utilisation des combustibles fossiles, à Certaines nations signataires du
qu’aux États-Unis. Entre 1890 et 1940, la combustion de la biomasse et aux réac- Protocole de Montréal envisagent une
la concentration atmosphérique en tions atmosphériques où le méthane inter- «loi internationale de l’atmosphère», qui
dioxyde de soufre a beaucoup aug- vient. Le monoxyde de carbone réduit les limiterait les rejets de plusieurs gaz à
menté aux États-Unis, parallèlement au capacités autonettoyantes de l’atmo- effet de serre ou chimiquement actifs
développement d’industries polluantes sphère parce qu’il diminue la concentra- (dioxyde de carbone, méthane, dioxyde
et de nombreuses centrales thermiques. tion en radical hydroxyle : ce dernier de soufre et oxydes d’azote).
Elle s’est ensuite stabilisée et a même réagit avec presque tous les gaz en faibles Nous pensons qu’une collaboration
diminué dans les années 1960 et au concentrations et même avec des compo- plus étroite entre scientifiques, citoyens et
début des années 1970, lorsque ce pays sés généralement inertes. Sans radicaux gouvernements du monde entier pour-
a produit plus d’énergie à partir du hydroxyle, la plupart de ces gaz seraient raient résoudre les problèmes d’environ-
pétrole (pauvre en soufre) et a appliqué en concentrations bien supérieures à leur nement. Les pays industrialisés devront
des législations limitant la pollution valeur actuelle, et les propriétés chi- réduire leur consommation de ressources
atmosphérique par le soufre. Enfin, au- miques, physiques et climatiques de naturelles, aujourd’hui excessive ; avec
dessus de la plaine du Gange, dont l’atmosphère seraient très différentes. leur aide, les pays en développement
l’industrialisation est récente, la Si l’homme continue à rejeter des devront adopter des techniques et des
concentration en dioxyde de soufre, quantités importantes de gaz polluants stratégies économiques saines, adaptées
quasi nulle en 1890, a atteint en cer- dans l’atmosphère, l’avenir risque de à leur croissance démographique et à
tains endroits des valeurs proches de devenir bien sombre. La croissance de leurs besoins énergétiques. Si nous pre-
celles que l’on observe aujourd’hui au la population humaine et le développe- nons soin de notre atmosphère, nous
Nord-Est des États-Unis. ment économique modifieront la chimie pourrons peut-être stabiliser sa composi-
Au-dessus de ces trois régions, la de l’atmosphère et provoqueront un tion et préserver l’équilibre écologique
concentration atmosphérique en dioxyde réchauffement sans précédent des cli- de notre planète.

90 © POUR LA SCIENCE
L’OZONE EN BASSE ATMOSPHÈRE relles aujourd’hui), les régions de l’atmo-
sphère où la formation d’ozone est favori-
sée se sont considérablement étendues, et
sa concentration a atteint le niveau actuel.
Gérard Toupance
La variabilité

L’ ozone, ou trioxygène (O 3 ), est le


composant le plus paradoxal de
l’atmosphère terrestre : on s’inquiète de sa
part des émissions, naturelles ou anthro-
piques, sont des espèces chimiques peu
oxydées (hydrocarbures, sulfures) à
des concentrations d’ozone

Dans l’atmosphère libre de l’hémi-


diminution dans la stratosphère et, en moyennement oxydées (dioxyde de sphère Nord, la variation annuelle de la
même temps, de son augmentation dans soufre, aldéhydes, oxydes d’azote, concentration d’ozone présente un maxi-
la troposphère. Dans la stratosphère, monoxyde de carbone). S’il n’existait mum au printemps et un minimum en
l’ozone nous protège des rayonnements aucun processus naturel d’épuration de automne. Quelle en est l’origine? En hiver,
ultraviolets de longueur d’onde inférieure l’atmosphère, ces composés s’accumule- comme la photochimie est peu active, les
à 290 nanomètres, mortels pour la plupart raient, au détriment de l’environnement. précurseurs de l’ozone que sont les hydro-
des formes de vie. Sa diminution, observée Leur oxydation totale en dioxyde de car- carbures et les oxydes d’azote s’accumu-
depuis dix ans, est donc inquiétante. bone et en acides sulfurique et nitrique lent dans l’atmosphère. Au printemps,
En revanche, dans la troposphère, du assure l’équilibre du milieu, puisque la lorsque le rayonnement solaire croît, les
sol à 12 kilomètres d’altitude, l’ozone photosynthèse recycle le premier tandis conditions propices à la formation d’ozone
agresse les espèces vivantes : il irrite les que les deux autres sont lessivés par les sont réunies : on observe alors un maxi-
muqueuses et nécrose les tissus végétaux. précipitations, puis réassimilés par les sols. mum de concentration. En été, la photo-
Il est souhaitable que sa concentration reste Le radical OH attaque le monoxyde de chimie étant très active, les émissions sont
faible. Hélas, dans l’hémisphère Nord, la carbone ou les composés organiques pour oxydées près des sources et ne peuvent
concentration en ozone dans la tropo- former des radicaux peroxyle (RO 2 ou diffuser dans l’atmosphère : les hydrocar-
sphère générale a plus que triplé depuis la HO2). En l’absence d’oxydes d’azotes, les bures et les oxydes d’azote sont donc
fin du siècle dernier et, depuis la fin des radicaux peroxyle réagissent entre eux et consommés lors de la formation de
années 1950, la fréquence des pics de pol- donnent des hydroperoxydes organiques l’ozone et ne sont pas renouvelés ; le bilan
lution photochimique, où l’ozone est le pol- ou de l’eau oxygénée, qui sont éliminés de de l’ozone devient négatif, et sa concentra-
luant principal, augmente dans les grandes l’atmosphère par lessivage. Dans ces condi- tion décroît dès juin, jusqu’au minimum
villes. La teneur d’ozone dans l’atmosphère tions, la formation de radicaux OH par pho- observé à la fin de l’automne.
libre de l’hémisphère Nord (c’est-à-dire loin tolyse de l’ozone consomme celui-ci, et la Dans l’atmosphère continentale,
des continents), de 80 à 100 micro- troposphère se comporte comme un puits l’ozone présente au contraire un maxi-
grammes par mètre cube, excède déjà le d’ozone. Avant la révolution industrielle, les mum en été, car, près des sources, le
niveau considéré comme dangereux pour faibles concentrations d’oxydes d’azote pro- milieu, riche en précurseurs de l’ozone et
la végétation (60 microgrammes par mètre venaient des seules sources naturelles alors très bien irradié, produit de l’ozone
cube) et s’ajoute, dans les villes, à l’ozone (orages et microbiologie des sols). Cette qui s’ajoute à celui déjà présent dans
formé par l’agglomération elle même. situation déficitaire prévalait sur la majeure l’atmosphère libre. Symétriquement, en
partie de la planète, équilibrant aisément les hiver, le milieu faiblement irradié produit
L’oxydation apports stratosphériques et conduisant à peu d’ozone, et c’est sa consommation qui
une teneur moyenne d’ozone de 30 micro- l’emporte. Cette modulation locale dépend
D’où vient l’ozone troposphérique? grammes par mètre cube environ. de l’intensité des émissions et donc du site.
Outre l’injection directe depuis la strato- En présence d’oxydes d’azote, le En Europe, sur la façade atlantique, on
sphère, la seule source d’ozone dans la tro- schéma est différent, car les radicaux mesure un profil de concentration de
posphère est la combinaison d’une molécule peroxyle réagissent avec NO pour donner l’ozone semblable à celui de l’atmosphère
d’oxygène (O2) avec un atome d’oxygène NO2 et un radical OH. Cette réaction a libre, avec un maximum en avril-mai, suivi
(O). Ce dernier est issu de la photolyse du deux conséquences : elle régénère le radi- d’un minimum en automne. En revanche,
dioxyde d’azote (NO2), c’est-à-dire de la dis- cal OH, qui poursuit alors la dégradation à l’intérieur du continent et à faible alti-
sociation de ces molécules par la lumière. La des composés émis dans l’atmosphère, et tude, on relève un large maximum d’été
photolyse de NO2 produisant, en outre, une elle recycle NO en NO2. La photolyse de centré sur juillet-août. Les sites d’altitude,
molécule de monoxyde d’azote (NO), le NO2 forme alors, par la réaction 1, une plus éloignés des émissions de surface,
bilan est NO2 + O2 + photon → NO + O3, nouvelle molécule d’ozone et du NO, qui présentent un léger maximum en mai,
que nous nommerons réaction 1. peut encore recycler HO 2 en OH. La suivi d’un quasi-plateau jusqu’à l’automne.
Cependant, à elle seule, cette réaction ne boucle est bouclée et l’ozone s’accumule. On a compris que la diminution, néces-
produit pas de grandes quantités d’ozone : La troposphère est donc très sensible à saire, de la concentration de l’ozone tropo-
elle épuise NO2, et NO formé réagit à son la concentration de NO : c’est un puits sphérique n’ira pas sans une réduction des
tour avec O3. Pour former des quantités d’ozone lorsque la concentration de NO émissions d’oxydes d’azote, toutes sources
notables d’ozone, le milieu doit donc recy- est infime, inférieure à un gramme pour confondues. De grandes décisions s’impo-
cler NO en NO2 sans consommer d’ozone. 100 millions de mètres cubes d’air, et sent aussi en ville, où les concentrations
Un tel recyclage fait intervenir des hydrocar- devient une source d’ozone quand la d’ozone atteignent des niveaux dangereux.
bures et des radicaux OH et peroxyle. concentration de NO excède cette valeur.
Le radical OH, produit notamment au Du fait de l’augmentation des émissions Gérard TOUPANCE travaille au Laboratoire
cours de la photolyse de l’ozone, est le fac- anthropiques d’oxydes d’azote au cours du Interuniversitaire des Systèmes
teur majeur d’oxydation des gaz. La plu- siècle dernier (trois fois les émissions natu- Atmosphériques (LISA), à Créteil.

© POUR LA SCIENCE 91
La diminution de l’ozone
stratosphérique des pôles
Owen Toon et Richard Turco

Les rares nuages qui se forment dans la stratosphère En 1985, Joseph Farman et ses col-
lègues de la Mission antarctique britan-
antarctique, très sèche, favorisent la destruction nique observèrent pour la première fois
que la quantité d’ozone surplombant
de I’ozone par Ies chIorofluorocarbures. l’Antarctique avait notablement diminué
depuis la fin des années 1970. Grâce à
des mesures du satellite Nimbus 7, Arlin
Kmeger, de la NASA, montra ensuite que
n septembre 1987, à Punta niers et ne sont pas irisés. Ces trois le trou d’ozone se creusait d’un prin-

E Arenas, au Chili, une vingtaine


de météorologues s’embarquè-
rent dans un DC-8 de la NASA
qui mit le cap au Sud dans le ciel rou-
geoyant de l’aurore antarctique. L’avion
types de nuages sont globalement dési-
gnés sous le nom de «nuages strato-
sphériques polaires».

La beauté du diable
temps austral à l’autre. Environ 70 pour
cent de la quantité d’ozone surplombant
l’Antarctique (soit près de trois pour cent
de la quantité totale d’ozone entourant la
Terre) disparaissent entre les mois de
s’éleva bien au-dessus de la péninsule septembre et d’octobre, la dégradation de
antarctique jusqu’à la stratosphère, la La beauté féérique et la nature ces molécules ayant surtout lieu entre 12
couche atmosphérique située entre 10 et étrange de ces nuages font oublier leur et 30 kilomètres d’altitude, c’est-à-dire
50 kilomètres d’altitude. En pénétrant danger : les nuages stratosphériques dans la basse stratosphère.
dans la région appauvrie en ozone, déjà polaires sont à l’origine de la diminution On a avancé de nombreuses théories
bien connue à l’époque, le DC-8 ren- de l’ozone de la stratosphère arctique et pour expliquer la formation du trou
contra un nuage de taille imposante, contribuent aussi à la formation du trou d’ozone, mais les mesures effectuées lors
semblable à un œil à l’iris rouge vif d’ozone dans la stratosphère antarctique. des expéditions ont permis d’en éliminer
entouré d’une pupille verte. Avec un En réalité, ce «trou» dans la couche beaucoup. Ainsi certains météorologues
autre avion spécialement conçu pour d’ozone n’est pas un véritable trou, mais pensaient-ils que le trou d’ozone résultait
les vols en haute altitude, l’ER-2, le seulement une région où la concentration uniquement d’un changement progressif
DC-8 transportait des appareils mesu- en ozone est anormalement basse. Près des grands mouvements atmosphériques
rant la dynamique des aérosols, des gaz du sol, l’ozone (une molécule formée de au-dessus des pôles : aujourd’hui des
et de l’atmosphère de ces nuages et de trois atomes d’oxygène, de formule chi- vents ascendants souffleraient sur les
la stratosphère environnante. Ces expé- mique O3) est dangereux à respirer, mais pôles au printemps, remplaçant l’air
riences devaient expliquer la relation, sa présence dans la stratosphère protège riche en ozone de la stratosphère par l’air
observée deux ans auparavant, entre le les organismes terrestres : en concentra- pauvre en ozone de la troposphère sous-
trou de la couche d’ozone et la tion égale à une partie par million, il jacente (qui comprend les couches atmo-
présence de ces curieux nuages. absorbe la plupart des rayonnements sphériques situées au-dessous de dix
Depuis une centaine d’années, on a ultraviolets du Soleil. kilomètres d’altitude).
périodiquement observé la formation de Ceux-ci sont dangereux parce qu’ils Cette hypothèse s’est révélée
nuages stratosphériques au-dessus de perturbent la croissance et la reproduc- fausse, car selon les modèles de circu-
chacun des deux pôles, à une vingtaine tion du phytoplancton, le premier lation atmosphérique avancés dans
de kilomètres d’altitude. Ces nuages maillon de la chaîne alimentaire dans cette théorie, les gaz rares de la surface
mesurent 10 à 100 kilomètres de long et les océans. De plus, une exposition de la Terre devraient être également
plusieurs kilomètres d’épaisseur. excessive aux ultraviolets déclenche transportés vers la basse stratosphère :
Comme leurs irisations évoquent celles chez l’homme des cancers de la peau, la comme on n’en décèle que d’infimes
de certains coquillages, on les nomme cataracte et des déficiences immuni- quantités, cela signifie que l’air situé
parfois «nuages de nacre». taires. Même s’il ne semble pas nous au niveau du trou d’ozone provient de
Deux autres types de nuages évo- menacer directement, en raison de sa la haute stratosphère, où la quantité
luent dans la stratosphère antarctique : localisation polaire, le trou d’ozone de d’ozone est normale.
les uns sont constitués d’acide nitrique l’Antarctique est préoccupant : certains D’autres météorologues avançaient
et non pas d’eau, et les autres sont for- modèles mathématiques du climat indi- que des réactions chimiques décompo-
més d’eau, comme les nuages de nacre, quent que les masses d’air appauvries saient l’ozone stratosphérique. Dans une
mais ils sont plus grands que ces der- en ozone se déplacent vers le Nord. de ces hypothèses chimiques, on propo-

92 © POUR LA SCIENCE
sait qu’une intensification de l’activité vient essentiellement des chlorofluorocar- forme du nitrate de chlore (de formule
solaire et de la circulation atmosphé- bures (CFC), des composés chimique- chimique ClONO2).
rique avait notamment accru la concen- ment inertes (ils subsistent entre 50 et 100 Les réservoirs de chlore ne sont pas
tration en composés azotés à proximité ans dans l’atmosphère), qui servent à la directement responsables de la destruc-
du trou d’ozone, et que ces composés fois de fluides réfrigérants dans les sys- tion de l’ozone, car le chlore y est chimi-
avaient détruit l’ozone comme ils le tèmes de climatisation et les réfrigéra- quement inerte ; de fait, les premiers
font dans la basse stratosphère. teurs, de gaz propulseurs dans les bombes modèles de simulation numérique de ces
Plus précisément, l’accroissement de aérosols, de solvants pour le nettoyage réactions chimiques concluaient que les
l’activité solaire aurait formé les com- des cartes électroniques et d’agents CFC interagissaient peu avec la couche
posés azotés dans la haute stratosphère, moussants dans les mousses isolantes. En d’ozone, puisque le chlore libre issu des
au-dessus du pôle Sud ; puis les vents quelques années seulement, les CFC émis CFC ne pouvait détruire que de faibles
descendants auraient transporté ces en un point du Globe sont dispersés par quantités d’ozone.
composés dans la basse stratosphère, les vents dans toute la stratosphère et, Quel phénomène libérait de grandes
où ils auraient engendré le trou après quelques dizaines d’années, ils quantités de chlore à partir de ces réser-
d’ozone. Cette théorie a cependant été montent dans la moyenne stratosphère, à voirs inertes? En 1986, Susan Solomon
réfutée lorsque l’on a découvert que les une altitude d’environ 30 kilomètres ou et ses collègues du Centre américain de
molécules azotées étaient rares à proxi- plus, où ils sont détruits par les rayonne- recherches sur les océans et l’atmo-
mité du trou d’ozone. ments ultraviolets du Soleil. sphère (NCAR), et Michael McElroy, de
La destruction des molécules de l’Université Harvard, émirent l’hypo-
Les réactifs chlorés CFC libère du chlore, dont une partie thèse suivante : puisque la disparition de
réagit avec l’oxygène pour former du l’ozone a lieu quand les nuages strato-
J. Farman et ses collègues ont alors monoxyde de chlore (ClO). Le chlore et sphériques polaires sont présents, c’est
proposé une seconde hypothèse chi- le monoxyde de chlore, très réactifs, se probablement que des réactions chi-
mique, fondée sur les travaux de Mario combinent à d’autres molécules pour miques, à la surface des particules de
Molina et de Sherwood Rowland, de donner des composés stables nommés glace de ces nuages, libèrent une partie
l’Université d’Irvine : la formation du «réservoirs de chlore» : en réagissant du chlore piégé dans les réservoirs.
trou d’ozone serait due non pas à des avec des gaz atmosphériques abondants Initialement cette théorie des nuages
molécules azotées, mais à des molécules comme le méthane, le chlore libre semblait improbable parce que l’on
chlorées. Cette théorie rallie la majorité forme du chlorure d’hydrogène (HCl) et croyait les nuages de la stratosphère très
des spécialistes de l’atmosphère. Elle sti- en se combinant avec le dioxyde rares : à ces altitudes, l’humidité rela-
pule que le chlore de l’atmosphère pro- d’azote (NO2), le monoxyde de chlore tive moyenne ne dépasse guère un pour

1. LES NUAGES STRATOSPHÉRIQUES se forment au-dessus des d’acide nitrique sont les minces bandes orange foncé, et les nuages
régions polaires lorsque l’air est suffisamment froid durant l’hiver. de glace sont blanchâtres. De tels nuages amorcent les réactions
Sur cette photographie prise à Stavanger, en Norvège, les nuages chimiques détruisant l’ozone.

© POUR LA SCIENCE 93
cent, et la concentration en vapeur des montagnes créent dans la troposphère créées par les montagnes montent dans la
d’eau, inférieure à quelques parties par des ondes stationnaires dites «sous le stratosphère : les nuages de nacre se for-
million, est 1 000 fois moins abondante vent». Dans les parties ascendantes de ces ment par condensation de la vapeur d’eau
que dans la troposphère, où se forment ondes, l’air subit une détente rapide et se sur les aérosols au sommet des ondes.
la plupart des nuages. refroidit ; quand son humidité est suffi- Parce qu’ils sont produits par un
Récemment encore, on pensait que sante, la vapeur d’eau se condense sur les réseau d’ondes stationnaires, lui-même
les seuls nuages de la stratosphère étaient particules en suspension dans l’air (les créé par les montagnes, les nuages de
des nuages de nacre, qui se forment entre aérosols), formant les nuages. nacre sont immobiles malgré les vents
15 et 30 kilomètres d’altitude et consti- permanents qui les traversent. Ces vents
tuent l’équivalent stratosphérique des Les nuages de nacre alimentent constamment les nuages en
nuages lenticulaires (en forme de lentille) vapeur d’eau, qui se condense sur les
de la troposphère, fréquents dans les Quand les couches d’air sont stables cristaux de glace jusqu’à ce que le dia-
régions montagneuses ventées. En effet, et que la vitesse du vent stratosphérique mètre de ces derniers atteigne environ
les vents rapides qui soufflent au-dessus ne change pas, les ondes stationnaires deux micromètres (10 – 6 mètre). Quand

TROPOSPHÈRE STRATOSPHÈRE
REFROIDISSEMENT LENT REFROIDISSEMENT RAPIDE

CHALEUR RAYONNÉE DANS L’ESPACE

10 KILOMÈTRES

MASSES D’AIR

REFROIDISSEMENT LENT REFROIDISSEMENT RAPIDE

0,1 MICROMÈTRE PARTICULES


D’ACIDE SULFURIQUE
TEMPÉRATURE (EN DEGRÉS CELSIUS)

-78
PARTICULES DE TRIHYDRATE < 1 MICROMÈTRE
D’ACIDE NITRIQUE
1 MICROMÈTRE

-83
PARTICULES DE GLACE

10 MICROMÈTRES

2 MICROMÈTRES

2. LES NUAGES STRATOSPHÉRIQUES POLAIRES se forment lorsque degrés Celsius, des particules de trihydrate d’acide nitrique se conden-
l’air est assez froid pour que la vapeur se condense. L’air refroidit len- sent sur les aérosols d’acide sulfurique, formant des nuages d’acide
tement lorsque la stratosphère rayonne sa chaleur dans l’espace ou nitrique. Quand la température est inférieure à – 83 degrés Celsius, la
qu’elle est soulevée par des masses d’air sous-jacentes (en haut à vapeur d’eau se condense sur les particules de trihydrate d’acide
gauche). Il refroidit vite quand des vents soufflent au-dessus des mon- nitrique et sur toutes les particules d’acide sulfurique restantes,
tagnes, créant un réseau d’ondes stationnaires qui monte dans la stra- engendrant des nuages de glace. Quand le refroidissement est rapide,
tosphère (en haut à droite). Quand la température descend sous – 78 davantage de particules servent de germes de condensation.

94 © POUR LA SCIENCE
ces cristaux descendent dans les creux sition devait différer de celle des nuages glisse sous la stratosphère polaire, sou-
des ondes sous le vent, l’air est com- de nacre, exclusivement constitués d’eau levant et refroidissant ainsi davantage
primé et s’échappe : la glace s’évapore. condensée sur des aérosols. Or l’ozone ne l’air de cette région. Quand ces deux
Les nuages de nacre mesurent entre 10 peut être détruit que si les composés azo- phénomènes abaissent la température
et 100 kilomètres de long, et l’énergie tés sont éliminés de l’atmosphère : s’ils vers – 78 degrés Celsius, les nuages de
des ondes stationnaires peut en former étaient présents, ils piégeraient le chlore trihydrate d’acide nitrique se forment
plusieurs en série. sous forme inerte de nitrate de chlore, autour des aérosols d’acide sulfurique,
Pourquoi les nuages de nacre sont-ils l’un des principaux réservoirs de chlore. qui jouent le rôle de «germes» de
irisés? Parce que les particules de glace y C’est pourquoi nous avons supposé que condensation. Ces derniers proviennent
sont distribuées de façon hétérogène : les les nuages nouvellement découverts pié- des gaz sulfurés, d’origine biologique
particules les plus petites sont situées au geaient l’azote sous forme de trihydrate ou humaine, qui sont transportés de la
front et aux bords de fuite des nuages, où, d’acide nitrique (HNO 3 , 3H 2 O), où troposphère vers la stratosphère sous
respectivement, les cristaux commencent chaque molécule d’acide nitrique HNO3 l’effet de la circulation atmosphérique
à se former et finissent de s’évaporer ; les est entourée de trois molécules d’eau globale. De plus, les éruptions volca-
particules les plus grosses se trouvent au H2O. Cette hypothèse avait également niques explosives rejettent parfois des
centre. Comme les particules de glace l’avantage d’expliquer pourquoi ces gaz sulfurés directement dans la strato-
diffractent la lumière solaire selon leur nuages se forment à des températures sphère, où les particules d’acide sulfu-
taille et selon la longueur d’onde lumi- supérieures : le point de congélation du rique, d’environ 0,1 micromètre de dia-
neuse, les nuages de nacre se parent de trihydrate d’acide nitrique est supérieur mètre, sont alors abondantes durant
couleurs vives lorsqu’on les observe sous à celui de l’eau pure. plusieurs années. Ainsi, en 1982,
un angle faible par rapport à la direction l’éruption du volcan El Chichón, au
du Soleil. Ces couleurs suivent les Les nuages Mexique, a expulsé cinq millions de
contours des nuages, selon la distribution tonnes de soufre dans la stratosphère.
des tailles des particules.
d’acide nitrique Le lent refroidissement de l’air
La présence des nuages de nacre Notre théorie fut ensuite confirmée engendre parfois de très gros nuages
indique que la stratosphère est suffisam- par plusieurs équipes, qui montrèrent stratosphériques. P. McCormick,
ment froide, du moins dans les régions que ces nouveaux nuages se forment Edward Browell et leurs collabora-
polaires, pour que la vapeur d’eau se par un lent refroidissement de l’air. En teurs de la NASA ont cartographié cer-
condense en cristaux de glace. En raison hiver, au cours de l’interminable nuit tains nuages stratosphériques à l’aide
de l’extrême sécheresse de la strato- polaire, la stratosphère rayonne son de radars laser aéroportés («lidars»), et
sphère, la température doit être infé- énergie dans l’espace, refroidissant ils ont ainsi découvert que les nuages
rieure à – 83 degrés Celsius pour que ainsi de vastes régions ; en outre, sous d’acide nitrique comportaient souvent
cette condensation ait lieu : de tels l’effet des régimes de pression atmo- plusieurs couches de un kilomètre
froids ne règnent longtemps que durant sphérique, l’air de la troposphère se d’épaisseur sur parfois plusieurs cen-
l’hiver antarctique. Dans la stratosphère
arctique, les nuages de nacre sont plus
rares, car les températures moyennes 80
hivernales sont supérieures à celles de
la stratosphère antarctique.
Les instruments embarqués dans des
satellites ont révélé aux chercheurs des
VITESSE DU VENT (EN MÈTRES PAR SECONDE)

phénomènes invisibles de la Terre.


Patrick McCormick, de la NASA, détecta
ainsi des aérosols dans la stratosphère
grâce au système SAM II qui, à bord du ZONE DE
satellite Nimbus 7, observait la lumière CONFINEMENT
DU TROU
solaire éclairant le limbe de la Terre. On D’OZONE 30 KM
découvrit alors que des nuages évoluaient
dans la stratosphère antarctique même à
ANTARCTIQUE
des températures voisines de – 78 degrés
Celsius, pourtant trop élevées pour que 10 KM
des nuages de nacre puissent se former : AFRIQUE
un autre phénomène devait être à l’ori-
gine de ce nouveau type de nuages strato-
sphériques, qui étaient d’ailleurs trop
étendus pour avoir été formés par les
vents soufflant au-dessus des montagnes.
Nous avons étudié ces nuages en col- AMÉRIQUE DU SUD
0
laboration avec Paul Crutzen, de l’Institut
Max Planck de chimie, à Mayence, et 3. LE TOURBILLON POLAIRE ANTARCTIQUE confine la zone appauvrie en ozone au-dessus
Frank Arnold, de l’Institut Max Planck de du pôle Sud. Les vitesses des vents sont représentées par des couleurs différentes à l’inté-
physique nucléaire, à Heidelberg. En rieur du disque. Ce diagramme a été établi à partir d’une image de synthèse conçue par
1986, il nous est apparu que leur compo- Mark Schoeberl et Leslie Lait, de la NASA.

© POUR LA SCIENCE 95
NUAGES STRATOSPHÉRIQUES POLAIRES
HCI + CIONO2 CI2 + HNO3

JUIN JUILLET AOÛT

•L’hiver antarctique commence. •Les nuages stratosphériques polaires dénitrifient et déshydratent la stratosphère.
•Le tourbillon d’air se développe •L’acide chlorhydrique et le nitrate de chlore interagissent à la surface
et l’air se refroidit suffisamment des nuages pour libérer du chlore.
pour que les nuages
stratosphériques se forment. •La température hivernale est minimale.

taines de kilomètres de longueur. plus gros, parfois supérieurs à dix ces derniers entrent à nouveau dans le
Cependant ces nuages sont moins massifs micromètres. C’est parce que leur den- «cycle catalytique ClO-ClO» pour
et moins denses que les nuages de nacre : sité de particules est moindre que ces détruire de nouvelles molécules
on les détecte difficilement à l’œil nu. nuages réfléchissent moins bien la d’ozone (voir la figure 4).
lumière et sont moins visibles que Si du dioxyde d’azote (NO2) était
Le troisième leurs cousins nacrés. présent, il se combinerait rapidement
Les trois types de nuages stratosphé- au monoxyde de chlore pour piéger le
type de nuages riques polaires jouent un rôle déterminant chlore sous forme de nitrate de chlore
Le troisième type de nuages strato- dans la disparition de l’ozone antarctique, (CIONO 2), ce qui stopperait alors le
sphériques polaires, constitués de glace, parce que leur surface active le chlore et cycle catalytique. Malheureusement
se forment à des températures infé- qu’ils piègent les molécules azotées, inhi- les nuages stratosphériques polaires
rieures à – 83 degrés Celsius, durant bant la formation des réservoirs inertes de empêchent cette réaction en transfor-
l’hiver antarctique : lorsque l’air refroi- chlore. Le chlore actif réagit alors avec mant le dioxyde d’azote en acide
dit, la vapeur d’eau se condense sur cer- l’ozone qu’il détruit. Par ailleurs, les nitrique (HNO3).
tains aérosols. Les germes de ces nuages nuages de glace du troisième type et les James Anderson et ses collègues
sont les particules d’acide nitrique du nuages d’acide nitrique risquent d’élimi- de l’Université Harvard, et Robert
deuxième type de nuages, qui se sont ner totalement l’azote de la stratosphère. deZafra et Philip Solomon, de
elles-mêmes formées sur des particules En laboratoire, M. Molina et Ming- l’Université d’État de New York, ont
d’acide sulfurique. Taun Leu, de la NASA , et Margaret découvert des quantités importantes de
Consitués de glace, comme les Tolbert, de l’Institut de recherches inter- monoxyde de chlore dans le trou
nuages de nacre, ce troisième type de nationales de Stanford, ont montré que d’ozone de l’Antarctique : ce composé
nuages stratosphériques polaires ne se l’acide chlorhydrique et le nitrate de y est 500 fois plus abondant qu’au-des-
distingue des nuages de nacre que par chlore (les deux composés qui constituent sus des latitudes moyennes, à la même
leur vitesse de formation, beaucoup le réservoir inerte de chlore) réagissent à altitude. Le cycle catalytique ClO-ClO
plus lente que celle de ces derniers. En la surface des cristaux de glace ou de tri- joue donc probablement un rôle prépon-
raison des très basses températures hydrate d’acide nitrique pour former du dérant dans la destruction de l’ozone.
auxquelles ils se forment, ces deux chlore moléculaire (Cl2) et de l’acide De fait, un seul atome de chlore est
types de nuages de glace sont moins nitrique. En revanche, en l’absence des capable de détruire des milliers de
fréquents que les nuages d’acide particules solides de ces nuages, la vitesse molécules d’ozone avant de rencontrer
nitrique, surtout au pôle Nord. de cette réaction est négligeable. un composé azoté ou hydrogéné qui
Contrairement aux nuages de nacre, l’inactivera. Les chimistes étudient
les nuages de glace du troisième type Le cycle de destruction aujourd’hui l’ensemble de ces réactions
sont à peine visibles du sol : ils contien- en laboratoire, afin de déterminer les
nent autant d’eau, mais leurs particules
de l’ozone étapes et les vitesses réactionnelles.
de glace sont moins nombreuses et plus Au cours du printemps antarctique, Le chlore actif libéré par les
volumineuses que celles des nuages de les rayonnements solaires dissocient le nuages stratosphériques polaires parti-
nacre. En effet, lors du refroidissement chlore moléculaire en atomes de cipe également à une autre réaction
rapide de l’air, tous les aérosols servent chlore, très réactifs, qui catalysent la catalytique qui fait intervenir des
de germes de condensation, tandis que destruction de l’ozone. En effet, à atomes de brome. Diverses activités
lors du lent refroidissement de l’air, peine formés, les atomes de chlore humaines rejettent du brome dans
seule une faible proportion des aérosols réagissent avec les molécules d’ozone l’atmosphère ; notamment, le brome
est utilisée comme germes de condensa- pour produire de l’oxygène molécu- est un des principaux constituants des
tion. Par conséquent, les nuages de nacre laire (O 2) et du monoxyde de chlore mélanges pour extincteurs. Après
renferment un très grand nombre de (ClO). Ces molécules de monoxyde de avoir découvert d’importantes quanti-
petits cristaux de glace (d’environ deux chlore, à l’état gazeux, forment des tés de monoxyde de brome (BrO) dans
micromètres de diamètre), alors que les dimères (Cl2O2), qui sont décomposés le trou d’ozone de l’Antarctique, on a
nuages du troisième type contiennent, en par le rayonnement solaire en oxygène calculé que les réactions auxquelles le
quantités moindres, des cristaux de glace moléculaire et en atomes de chlore ; brome participe contribuent à environ

96 © POUR LA SCIENCE
CIO + CIO 2CI + O2
CIO + BrO CI + Br + O2
O3

TEMPS
SEPTEMBRE OCTOBRE NOVEMBRE
•Au début du printemps austral, •La quantité d’ozone chute •Le tourbillon polaire disparaît.
le retour des rayons solaires réchauffe l’air à son niveau le plus bas.
et les nuages stratosphériques •L’air riche en ozone des latitudes
polaires disparaissent. moyennes s’infiltre dans la stratosphère
antarctique.
•Les cycles catalytiques
CIO-CIO et CIO-BrO détruisent l’ozone. •L’air pauvre en ozone s’étend
sur tout l’hémisphère Sud.

20 pour cent de la destruction de dans l’Arctique, où la stratosphère est paru depuis longtemps au retour du
l’ozone polaire. dénitrifiée, mais pas déshydratée. En printemps (en mars et en avril).
Le cycle catalytique où le brome outre, grâce à des mesures effectuées à Un mécanisme de rétroaction
intervient (le cycle ClO-BrO) commence l’aide de lidars, E. Browell a montré semble prolonger le tourbillon de
quand le brome capte un atome d’oxy- que certaines particules des nuages l’Antarctique. En effet, l’ozone absorbe
gène de l’ozone pour former du d’acide nitrique ont un diamètre effec- les rayonnements solaires et réchauffe
monoxyde de brome, qui réagit ensuite tivement supérieur à un micromètre. l’atmosphère ; aussi, quand l’ozone est
avec le monoxyde de chlore pour pro- La théorie actuelle des nuages stra- détruit, l’air est refroidi, favorisant
duire une molécule d’oxygène, un atome tosphériques polaires et des chlorofluo- ainsi la formation des nuages strato-
de brome et un atome de chlore. Ces rocarbures explique la formation du sphériques polaires qui stabilisent à
deux atomes sont alors recyclés pour trou d’ozone et de nombreuses autres leur tour le tourbillon. On a découvert
détruire de nouvelles molécules d’ozone. observations. Par exemple, les chloro- qu’au cours de la dernière décennie, le
fluorocarbures sont essentiellement tourbillon s’est refroidi et sa durée de
La dénitrification libérés dans l’hémisphère Nord, mais ils vie a augmenté. Par ailleurs, Lamont
détruisent aussi l’ozone de l’hémisphère Poole et ses collègues de la NASA ont
de la stratosphère Sud parce qu’ils séjournent longtemps montré que les nuages stratosphériques
Non seulement les nuages strato- dans l’atmosphère, où ils se répartissent polaires se forment plus rapidement
sphériques polaires activent le chlore uniformément. Le trou d’ozone de lorsque l’air se refroidit.
et inactivent l’azote, accélérant ainsi la l’Antarctique apparaît au printemps, La disparition précoce du tour-
destruction de l’ozone, mais ils élimi- parce que le chlore actif n’est libéré billon arctique complique l’évaluation
nent aussi l’azote de la stratosphère. qu’au contact des nuages stratosphé- de la destruction de l’ozone dans
Cette dénitrification est essentielle- riques, qui se forment uniquement en l’hémisphère Nord, mais à 18 kilo-
ment due aux nuages de glace du troi- hiver ; ensuite les rayonnements mètres d’altitude, les quantités de
sième type (à refroidissement lent) : solaires du printemps déclenchent les chlore actif sont à peu près les mêmes
les particules de glace de ces nuages, réactions qui détruisent l’ozone. dans les tourbillons des deux pôles :
qui se forment sur des germes d’acide La destruction de l’ozone est plus apparemment les conditions qui
nitrique, absorbent aussi parfois de rapide dans l’Antarctique que dans règnent dans la stratosphère arctique
l’acide nitrique gazeux. Lorsqu’elles l’Arctique, car il y fait plus froid : favorisent la destruction de l’ozone.
atteignent dix micromètres de dia- davantage de nuages se forment, sur- De fait, on a observé, en 1989,
mètre et qu’elles tombent sous forme tout aux altitudes inférieures à 20 kilo- qu’au-dessus de 18 kilomètres d’alti-
de neige, elles dénitrifient et déshydra- mètres ; davantage de chlore actif est tude, de vastes régions de la strato-
tent la stratosphère antarctique. Les libéré et davantage de dioxyde d’azote sphère arctique ont perdu environ six
nuages de nacre ne semblent pas parti- est capté. pour cent de la quantité totale d’ozone
ciper à ce processus : les vents rapides surplombant l’Arctique. Cette destruc-
qui les traversent évaporent la glace Le tourbillon antarctique tion d’ozone, environ dix fois inférieure
avant que celle-ci ne précipite. à celle de la stratosphère antarctique, est
En revanche, les nuages d’acide La différence la plus importante limitée par les températures trop élevées
nitrique semblent aussi dénitrifier la entre les deux pôles est peut-être la lon- aux altitudes inférieures à 18 kilo-
stratosphère. Leurs particules mesu- gévité supérieure, dans l’Antarctique, mètres, qui empêchent la formation des
rent généralement moins de un micro- d’un tourbillon stable qui confine le nuages stratosphériques polaires. À
mètre de diamètre (ce qui leur permet trou d’ozone. Ce tourbillon subsiste l’avenir, cependant, l’accumulation de
de rester en suspension dans l’air), car tout au long de l’hiver polaire chlore dans l’atmosphère devrait aggra-
la stratosphère contient peu d’acide jusqu’au milieu du printemps, et la ver la destruction de l’ozone arctique.
nitrique. Cependant certains de ces destruction de l’ozone commence en À moins que l’Arctique ne se refroi-
nuages croissent si lentement que leurs septembre, quand l’intensité solaire disse notablement, la diminution de
particules d’acide nitrique dépassent augmente, pour culminer en octobre. l’ozone n’y sera jamais aussi importante
un micromètre de diamètre et précipi- En Arctique, la circulation de l’air est que dans l’Antarctique, où la tempéra-
tent. Le phénomène a été découvert très différente, et le tourbillon a dis- ture hivernale moyenne est inférieure et

© POUR LA SCIENCE 97
EN L’ABSENCE DE NUAGES a EN PRÉSENCE DE NUAGES b

RAYONS ULTRAVIOLETS CIONO2 O3 O2


CI CIO O2
O3 NO2 CI2 O3
CIO CIONO2 CI CIO
HCI
CI RÉSERVOIRS
CH4
HNO3 CI2O2
HCI
CFC O2

4. DESTRUCTION DE L’OZONE. Les rayonnements ultraviolets du chlore moléculaire (Cl2) à l’origine du cycle catalylitique ClO-
Soleil détruisent les chlorofluorocarbures (a). Le chlore ainsi ClO. Les atomes de chlore réagissent avec l’ozone pour former
produit (Cl) reste libre ou s’associe avec l’ozone (O3) pour for- du ClO et de l’oxygène moléculaire (O 2 ). Le ClO forme des
mer du monoxyde de chlore (ClO). Les gaz de l’atmosphère, tels dimères (Cl 2O 2), qui sont rapidement dissociés par les rayons
le dioxyde d’azote (NO2) et le méthane (CH4), réagissent avec solaires en Cl et en O2. Les atomes de chlore attaquent à nou-
ClO et Cl pour piéger le chlore sous forme inerte de nitrate de veau l’ozone. En outre, les nuages stratosphériques polaires
chlore (ClONO2) et d’acide chlorhydrique (HCl), qui constituent empêchent la formation des réservoirs de chlore en enlevant
les réservoirs de chlore. La destruction d’ozone est minimale. Les l’azote de l’atmosphère, lorsque l’acide nitrique tombe sous
nuages stratosphériques polaires (b) favorisent les réactions chi- forme de précipitations. Le brome détruit aussi l’ozone au cours
miques qui libèrent le chlore des réservoirs pour former du du cycle catalytique ClO-BrO (non représenté).

favorise la formation de nuages stables atmosphérique. La masse des aérosols aurait cependant doublé d’ici à la fin
à haute altitude. Malgré tout, les cher- de soufre éjectés dans l’atmosphère du XXIe siècle.
cheurs de tous les pays s’associent lors de cette éruption était à peu près Depuis que les chercheurs ont mon-
pour collecter les données qui leur per- égale à celle des particules de trihy- tré le rôle déterminant des réactions chi-
mettront de développer des modèles de drate d’acide nitrique des nuages stra- miques et, notamment, du chlore dans la
la destruction de l’ozone arctique. tosphériques polaires. Si une violente formation des trous d’ozone, les pays
Comme le trou d’ozone ne se forme éruption volcanique se produisait au industrialisés ont reconnu l’urgence des
qu’en présence de nuages stratosphé- début du siècle prochain, lorsque la mesures à prendre. En 1990, ils ont
riques polaires et d’un tourbillon stable, quantité de chlore atmosphérique aura décidé un arrêt total de la production
il est nécessairement confiné au-dessus beaucoup augmenté, elle entraînerait des chlorofluorocarbures en l’an 2000.
des deux pôles, où la population est sans doute une diminution globale Les concentrations en chlore dans
heureusement faible. Toutefois la dimi- importante de l’ozone atmosphérique. l’atmosphère n’en continueront pas
nution de l’ozone n’est pas seulement moins d’augmenter au cours des pro-
limitée à ces régions. Comment stopper chaines décennies : en effet, les réfrigéra-
Lorsque le tourbillon de l’Antarctique teurs, les systèmes de climatisation et les
s’affaiblit, l’air appauvri en ozone
la destruction de l’ozone? mousses utilisés aujourd’hui contiennent
s’étend sur tout l’hémisphère Sud, Les spécialistes de l’atmosphère ont encore de grandes quantités de chloro-
diminuant la concentration moyenne aujourd’hui compris pourquoi les aéro- fluorocarbures, dont la majeure partie
en ozone de toute cette moitié du sols de la stratosphère détruisent sera rejetée dans l’atmosphère. La mise
Globe. De plus, le tourbillon polaire l’ozone. En revanche, on ne disposera au point de substituts inoffensifs des
joue le rôle d’un réacteur chimique, en probablement pas, dans un proche ave- chlorofluorocarbures prendra probable-
aspirant l’air riche en ozone et en nir, des moyens techniques pour arrêter ment encore au moins dix ans.
expulsant l’air appauvri en ozone dans la destruction de l’ozone. La quantité de chlore atmosphé-
tout l’hémisphère Sud. Pour remplacer l’ozone perdu rique devrait être maximale au cours de
Les réactions chimiques qui détrui- chaque année (dont la masse équivaut à la première décennie du XXIe siècle. En
sent l’ozone atmosphérique ne sont pas celle de la population mondiale), on raison de la longue durée de vie des
confinées aux régions polaires. Dans devrait dépenser une énergie au moins chlorofluorocarbures dans l’atmo-
toute la stratosphère, des particules égale à cinq pour cent de la production sphère, cette quantité ne reviendra pro-
d’acide sulfurique catalysent la destruc- énergétique de la France, sans compter bablement pas avant le milieu du XXIe
tion de l’ozone en libérant du chlore que cet ozone devrait être transporté siècle à son niveau initial, avant la for-
actif à partir des réservoirs inertes et, dans le tourbillon antarctique. mation des trous d’ozone.
surtout, en transformant les composés Il semble plus raisonnable de Par conséquent, la destruction de
azotés en composés inertes, ce qui réduire la production des chlorofluoro- l’ozone s’aggravera encore au cours
inhibe la formation des réservoirs de carbures. En 1987, divers pays indus- des prochaines décennies, et la taille du
chlore. Cependant les particules d’acide trialisés signaient l’Accord de trou d’ozone de l’Antarctique pourrait
sulfurique détruisent moins d’ozone que Montréal sur les substances détruisant même doubler. La société a parié que la
les nuages stratosphériques polaires, car la couche d’ozone, qui prévoyait de destruction accrue de l’ozone
leur masse et leur taille sont inférieures réduire la production de chlorofluoro- atmosphérique perturbera moins les
à celles des particules nuageuses. carbures, avant l’an 2000, à la moitié écosystèmes et les activités humaines
Par ailleurs, le nuage volcanique de la production totale en 1986. Dans que la réduction rapide de la produc-
produit par l’éruption d’El Chichón a les conditions définies par cet accord, tion de chlorofluorocarbures. Seul
notablement réduit la quantité d’ozone la quantité de chlore atmosphérique l’avenir dira si ce choix est fondé.

98 © POUR LA SCIENCE
Le réchauffement de la Terre
Richard Houghton et George Woodwell

Le gaz carbonique et le méthane que nous relâchons actuel ; les organismes vivants font
notablement varier leur concentration,
dans l’atmosphère modifient les climats. et l’on n’arrêtera le réchauffement
atmosphérique que si l’on réduit les
On n’arrêtera ce phénomène que si l’on prend émissions de dioxyde de carbone.
Au début du siècle, le Suédois Svante
des mesures radicales. Arrhenius et l’Américain Thomas
Chamberlin prévirent que l’accumulation
des gaz opaques aux infrarouges, dans
l’atmosphère, entraînerait l’effet de serre
atmosphère se réchauffe : a augmenté d’environ 25 pour cent parce et réchaufferait l’atmosphère ; cependant

L’ les glaciers fondent, le


niveau de la mer s’élève et
les zones climatiques se
déplacent. Le réchauffement s’accélé-
rera rapidement si le gaz carbonique, le
que la combustion du charbon, du
pétrole et du bois a libéré dans l’atmo-
sphère plus de dioxyde de carbone que
les océans et la photosynthèse n’en ont
absorbé (voir la figure 2).
on n’a étudié l’accumulation du dioxyde
de carbone qu’après 1958 : Charles
Keeling, de l’Institut océanographique
Scripps, mesure ainsi depuis 30 ans la
concentration en gaz carbonique de
méthane et certains autres gaz conti- Comme le gaz carbonique ne consti- l’atmosphère, dans diverses stations,
nuent de s’accumuler dans l’atmo- tue que 0,03 pour cent du volume de notamment à Mauna Loa, dans les îles
sphère. Le monde entier doit lutter l’atmosphère, l’augmentation de sa Hawaï (voir la figure 3).
contre le réchauffement du Globe, et concentration paraît insignifiante.
cette collaboration sera naturellement Cependant la température de l’atmo- Un réchauffement
difficile à obtenir : il faudrait réduire de sphère dépend beaucoup du dioxyde de
moitié la consommation de carburants carbone et d’autres gaz encore plus rares,
manifeste
fossiles, arrêter la déforestation et lan- car même en faible quantité, ils absorbent Mesurer une «température générale»
cer un programme de reboisement les rayonnements infrarouges (l’azote et de la Terre est difficile : c’est seulement
général. l’oxygène, constituant 99 pour cent de en 1988 que l’on a établi, à partir de
Nous n’avons pas le choix : un l’atmosphère, sont «transparents» à ces mesures de températures dans le monde
réchauffement rapide et continu serait rayonnements) ; ils agissent comme le entier, que la Terre s’échauffait. James
fatal à l’agriculture, détruirait nos forêts, vitrage d’une serre, qui laisse entrer les Hansen et ses collègues de l’Institut
réduirait nos réserves d’eau et provoque- rayonnements solaires, mais bloque les Goddard d’études spatiales, de la
rait l’inondation des zones côtières. Si les infrarouges réémis : la serre s’échauffe NASA, ont analysé les températures
glaces arctiques fondaient, le climat de parce que l’énergie est ainsi piégée. relevées depuis 1860 et observé que la
tout le Globe serait bouleversé. Ces pré- Comme la concentration de ces gaz à température moyenne avait augmenté
visions sont-elles fiables? Le réchauffe- «effet de serre» est faible, elle varie plus de 0,5 à 0,7 degré, depuis cette date. Le
ment observé est-il provoqué par des facilement. Or plus ces gaz sont abon- réchauffement s’est accéléré au cours de
modifications de la composition de dants, plus l’atmosphère retient la chaleur la dernière décennie ; cette accélération,
l’atmosphère? Des controverses subsis- solaire : la température à laquelle l’atmo- statistiquement significative, concorde
tent, mais les climatologues admettent sphère est en équilibre augmente égale- avec les modèles climatiques globaux.
tous que l’accumulation de gaz piégeant ment. Ces dernières années, les climato- Indépendamment Thomas Wigley et
la chaleur du Soleil sera la principale logues ont constaté une forte ses collègues, de l’Université d’East
cause de réchauffement atmosphérique augmentation de la concentration en Anglia, ont également observé le
dans les prochains siècles. Les perspec- divers gaz accentuant l’effet de serre : le réchauffement. Celui-ci n’a pas lieu
tives sont si sombres que de nombreux méthane (CH 4), le protoxyde d’azote partout : Kirby Hanson et son équipe de
scientifiques, citoyens et hommes poli- (N2O) et les chlorofluorocarbures (CFC). l’Administration américaine d’océano-
tiques réclament une action immédiate. Ces divers gaz se sont tant accumulés graphie et de météorologie n’ont décelé
dans l’atmosphère que, depuis le milieu aucun réchauffement des États-Unis.
Les gaz à «effet de serre» des années 1980, leur effet de serre est Cela n’est pas surprenant, car ce pays
comparable à celui du gaz carbonique. ne couvre que deux pour cent de la sur-
L’accumulation des gaz piégeant la Dans cet article, nous considérons face totale du Globe : l’écart entre la
chaleur, dans l’atmosphère, est indubi- surtout le rôle du dioxyde de carbone et température des États-Unis et celle du
table. Depuis la deuxième moitié du XIXe du méthane, car ces gaz sont les princi- Globe pourrait n’être qu’une fluctuation
siècle, la quantité de dioxyde de carbone paux responsables du réchauffement normale.

100 © POUR LA SCIENCE


1. AU PIED DE CE GLACIER DE L’ALASKA, le sol est strié et jon- sement du permafrost (le sol gelé en permanence) indiquent que
ché de moraines (débris rocheux abandonnés lors du retrait du nous sommes dans une période de réchauffement presque
glacier), et la végétation n’a pas eu le temps de pousser. C’est le continu depuis la dernière glaciation. On ne connaît pas l’origine
signe que la régression du glacier est récente. Le même phéno- de ce réchauffement, bien antérieur à l’accumulation actuelle
mène, pour de nombreux autres glaciers du monde, et l’amincis- des gaz à effet de serre.

2. LE GLACIER DU RHÔNE, en Suisse, est bordé par quatre dépôts de 1818, le troisième de 1826 et le quatrième de 1848 ; cette succes-
morainiques successifs, visibles sur la lithographie exécutée sion indique que le glacier se retire de la vallée depuis au moins
d’après une aquarelle de Henri Hogard datée de 1848 (à gauche). 250 ans. La photographie (à droite) représente le glacier en 1970 :
Le dépôt le plus à gauche (le plus ancien) date de 1602, le second son recul est l’indice d’un réchauffement global récent.

© POUR LA SCIENCE 101


Le réchauffement atmosphérique du ment du Globe : le permafrost (le sol en gaz à effet de serre, dans l’atmo-
Globe est irrégulier et ne résulte pas gelé en permanence) s’est aminci dans sphère, témoigne que la prévision
seulement de l’accumulation des gaz à les régions arctiques de l’Alaska et du émise par Arrhenius il y a un siècle
effet de serre dans l’atmosphère. Par Canada ; la température moyenne des était fondée.
exemple, entre 1940 et 1965, la tempé- lacs canadiens a augmenté ; la superficie
rature moyenne du Globe a diminué, maximale des banquises Antarctique et La carotte de Vostok
alors que la concentration en gaz à effet Arctique semble diminuer ; et les gla-
de serre continuait d’augmenter. ciers continentaux ont reculé. L’étude des variations climatiques
Cependant la température moyenne a Les observations sont conformes passées nous renseigne sur les change-
augmenté de 0,5 degré depuis le début aux prévisions théoriques. Bien que les ments à venir. Il y a 15 000 ans, les gla-
du siècle ; les six années les plus analyses fondées sur les divers modèles ciers couvraient une grande partie de
chaudes, par ordre décroissant, furent de la circulation atmosphérique géné- l’Amérique du Nord et de l’Europe. Des
1988, 1987, 1983, 1981, 1980 et 1986. rale diffèrent dans le détail, les modifications de la composition atmo-
Une élévation de température de 0,5 prévisions générales sont en bon accord sphérique furent-elles la cause des
degré semble négligeable, mais en avec la théorie et les observations : le périodes glaciaires et interglaciaires? On
1816, alors que la température moyenne réchauffement devrait être maximal n’a pas de certitude, mais l’un des der-
du Globe avait diminué de moins de un – le double de la moyenne globale – en niers grands progrès de la climatologie
degré, des gelées pendant le mois de hiver, aux hautes latitudes ; la haute fut la détermination de la composition de
juin amoindrirent dramatiquement les atmosphère devrait se refroidir à l’atmosphère du passé, à partir de minus-
récoltes en Europe, au Canada et en mesure que la basse atmosphère se cules échantillons d’air piégés dans la
Nouvelle-Angleterre ; le prix du fro- réchauffera. Dans les régions tempé- glace. Une équipe franco-
ment augmenta tant, en France, que des rées, les précipitations devraient se soviétique a notamment prélevé une
émeutes firent rage. La chaleur et la raréfier, et l’humidité du sol diminuer. carotte de glace, près de la station
sécheresse qui affligent l’Amérique du On a effectivement observé toutes ces Antarctique de Vostok, et déterminé la
Nord et diverses autres régions du tendances lors des dernières années. composition de l’air dans les périodes de
monde semblent résulter d’un réchauf- Les observations peuvent toujours progression et de régression glaciaires.
fement général de notre planète. être améliorées, réinterprétées et com- La «carotte de Vostok» a une lon-
Selon Arthur Lachenbruch et Vaughn plétées. Les climatologues continuent gueur de 2 000 mètres ; sa partie la plus
Marshall, de l’Observatoire américain de d’amasser les données et d’affiner les ancienne date d’il y a 160 000 ans et elle
géologie, d’autres observations confir- analyses, mais l’ensemble des mesures révèle des fluctuations de température de
ment l’accélération récente du réchauffe- de la température et des concentrations 10 degrés (voir la figure 4). Dans les

ACCROISSEMENT ANNUEL DANS L'ATMOSPHÈRE : 3

5 50 2 50 100
COMBUSTIBLES RESPIRATION DÉFORESTATION RESPIRATION DIFFUSION
FOSSILES VÉGÉTALE DES SOLS PHYSICO-
CHIMIQUE

PHOTOSYNTHÈSE
100

DIFFUSION
RÉSERVES DE CARBONE PHYSICO-
(EN MILLIARDS DE TONNES)
CHIMIQUE
VÉGÉTATION 560 104
ATMOSPHÈRE 735
SOLS 1 500
OCÉANS 36 000
COMBUSTIBLES FOSSILES 5 000 À 10 000

3. LES ÉCHANGES ANNUELS DE CARBONE sont indiqués en mil- tion libèrent respectivement cinq et deux milliards de carbone. Les
liards (109) de tonnes. Chaque année, la photosynthèse capte dans réactions physico-chimiques à la surface des océans libèrent 100
l’atmosphère environ 100 milliards de tonnes de carbone sous milliards de tonnes de carbone et en absorbent environ 104. Au
forme de gaz carbonique ; la respiration des plantes et la décompo- total, l’atmosphère reçoit un excédent d’environ trois milliards de
sition des substances organiques, dans les sols, en relâchent envi- tonnes par an. Le tableau, en bas à gauche, indique le volume des
ron autant. L’utilisation des combustibles fossiles et la déforesta- principaux réservoirs mondiaux de carbone.

102 © POUR LA SCIENCE


sédiments marins, les abondances en oxy- 0,6
VARIATION DE LA TEMPÉRATURE
gène 18 et en oxygène 16 reflètent des AUTOUR DE LA MOYENNE
0,4
variations du volume des glaces polaires (EN DEGRÉS CELSIUS)
et, par conséquent, les températures rela- 0,2
tives. Dans la glace, le rapport isotopique
donne directement la température, au 0
moment de la précipitation.
– 0,2
Cette carotte révèle également com-
ment les concentrations en gaz atmosphé- – 0,4
riques ont varié, au cours des 160 000
dernières années : plus la température – 0,6
était élevée, plus la concentration en gaz
carbonique était importante, et vice versa. – 0,8
1850 1870 1890 1910 1930 1950 1970 1990
Cette correspondance n’indique pas si les
350
modifications de la composition atmo- CONCENTRATION EN CO2
sphérique sont responsables des réchauf- 340 (EN PARTIES PAR MILLION)
fements et refroidissements successifs, ou
si les variations de température, au 330
contraire, modifient l’atmosphère. On sait
320
seulement que la concentration en gaz
carbonique est approximativement pro- 310
portionnelle à la température, pendant les
périodes de réchauffement, et qu’elle 300
montre un retard au début des périodes de
refroidissement. 290

En dépit de l’étroite correspondance 280


statistique entre la température et la 1850 1870 1890 1910 1930 1950 1970 1990
concentration en dioxyde de carbone, 1,7
CONCENTRATION EN MÉTHANE
pendant ces 160 000 ans, les variations de 1,6
(EN PARTIES PAR MILLION)
température sont 5 à 14 fois supérieures à 1,5
ce que l’on prévoit quand on ne tient
compte que du rôle du dioxyde de car- 1,4

bone : aux variations de concentration en 1,3


gaz à effet de serre s’ajoutent probable- 1,2
ment d’autres phénomènes qui amplifient
la réaction thermique de l’atmosphère, 1,1
par rétroaction positive. L’absorption de 1
la chaleur par les nuages ou la vapeur
0,9
d’eau et la réflexion des rayonnements
par les glaces continentales ou océa- 0,8
1850 1870 1890 1910 1930 1950 1970 1990
niques pourraient participer à cette ampli-
6
fication. PRODUCTION ANNUELLE
La carotte de Vostok indique aussi la 5
DE CARBONE
concentration en méthane : celle-ci suit (EN MILLIARDS DE TONNES)

de près les courbes de température et de 4


concentration en gaz carbonique ; elle a
presque doublé, par exemple, entre 3
l’avant-dernière glaciation et le dernier
interglaciaire, elle a plus que doublé au 2
cours des trois derniers siècles et elle
continue d’augmenter rapidement. Bien 1
que la concentration atmosphérique en
méthane soit plus de 100 fois inférieure à 0
celle du gaz carbonique, son effet sur le 1850 1870 1890 1910 1930 1950 1970 1990
climat est important, car il absorbe 20
fois plus la chaleur que le gaz carbonique. 4. AU COURS DES 140 MILLIARDS DERNIÈRES ANNÉES, la température moyenne du Globe a
Selon le modèle radiatif-convectif de J. varié parallèlement aux concentrations en gaz à effet de serre et aux émissions de dioxyde
Hansen, qui tient compte des rétroactions de carbone. La courbe a représente la température moyenne annuelle (points noirs) et la
température moyenne sur cinq ans (courbe grise). Les courbes b et c indiquent respective-
chimiques, le méthane contribua pour 25
ment la concentration en gaz carbonique et en méthane dans l’atmosphère. On a obtenu les
pour cent au réchauffement qui provoqua valeurs antérieures à 1958 en analysant les bulles d’air piégées dans la glace de divers
le dernier recul glaciaire, il y a 8 000 à endroits du monde. On a indiqué, en d, la quantité de carbone libérée chaque année par la
10 000 ans. combustion de carburants fossiles (en noir) et les modifications de la gestion des sols (en
couleur) ; les données utilisées proviennent de documents historiques.

© POUR LA SCIENCE 103


PROFONDEUR (EN MÈTRES)
500 1 000 1 500 2 000 Respiration
et photosynthèse
– 420 VARIATION DE L'ABONDANCE VARIATION
0,1
DU DEUTÉRIUM DE LA TEMPÉRATURE Comment une élévation de la tem-
(EN POUR CENT)
0 pérature du Globe libérerait-elle du gaz
– 440 carbonique et du méthane dans l’atmo-
– 0,2
sphère? Par la photosynthèse, les végé-
– 460 – 0,4
taux terrestres absorbent environ 100
milliards de tonnes de carbone atmo-
– 0,6 sphérique par an, soit approximative-
– 480 ment 14 pour cent du carbone atmo-
– 0,8 sphérique total. La respiration végétale
–500 et la décomposition des matières orga-
1 niques rejettent dans l’atmosphère une
VARIATION DE L'ABONDANCE quantité de carbone équivalente.
DE L'OXYGÈNE 18 Comme ces quantités constituent une
0,5 (EN POUR CENT) proportion notable du gaz carbonique
contenu dans l’atmosphère, une varia-
tion de quelques pour cent de la photo-
0 synthèse ou de la respiration modifierait,
vite et beaucoup, la quantité de dioxyde
de carbone, dans l’atmosphère. Les
– 0,5 réchauffements du Globe déséquilibrent-
ils le métabolisme des plantes?
On ignore probablement la
–1
réponse… jusqu’à ce que le climat
300
CONCENTRATION
change encore plus, mais le mécanisme
280 EN DIOXYDE DE CARBONE est sans doute le suivant. L’intensité de
(EN PARTIES PAR MILLION) la photosynthèse dépend notamment de
260 la quantité de lumière, d’eau et d’élé-
ments nutritifs dont disposent les
240 plantes ; elle est peu modifiée par les
variations de température, contrairement
220 à la respiration et à la décomposition de
la matière organique : une variation d’un
200
degré modifie de 10 à 30 pour cent
l’intensité de la respiration végétale.
180
Le réchauffement atmosphérique
800 accélère probablement la décomposition
CONCENTRATION de matières organiques sans modifier la
700 EN DIOXYDE DE CARBONE
(EN PARTIES PAR MILLION) photosynthèse : au total, davantage de
dioxyde de carbone passe dans l’atmo-
600
sphère. Le réchauffement accroîtra éga-
lement la quantité de méthane dans
500
l’atmosphère, car le méthane est produit
par la respiration des végétaux dans les
400
milieux pauvres en oxygène libre
(marais, marécages, sols humides). Ces
300
ÂGE (EN ANNÉES)
dernières années, la concentration en
200 méthane a augmenté de plus de un pour
0 50 000 100 000 150 000 cent par an. Comme le méthane piège
5. LA CAROTTE DE VOSTOK, prélevée dans la glace, révèle une correspondance entre la 20 fois mieux la chaleur que le gaz car-
concentration en certains gaz et la température, au cours des 160 000 dernières années. bonique, cette augmentation rapide est
Cette carotte de glace, longue de 2 200 mètres, renferme des bulles d’air, piégées aux diffé- importante. Le méthane semble surtout
rentes époques de formation de la glace (échelle inférieure) ; on les retrouve aujourd’hui à provenir de la décomposition anaérobie
différentes profondeurs (échelle supérieure). Par des méthodes indépendantes, on a établi de matières organiques dans les sols
que la concentration en deutérium dans la glace était proportionnelle à la température (a). humides. Le réchauffement global actuel
On utilise généralement l’isotope 18 de l’oxygène pour déterminer la température ; la a certainement stimulé cette décomposi-
courbe b ressemble à la courbe a. La correspondance remarquable de la courbe c, qui
tion anaérobie et favorisé le dégagement
indique la concentration atmosphérique en dioxyde de carbone, et de la courbe a, montre
que la quantité de dioxyde de carbone est un bon indicateur de la température moyenne du de méthane et de gaz carbonique.
Globe. Les concentrations en méthane, recueillies en 1985 et 1986 dans plusieurs stations On a estimé l’augmentation de la
météorologiques (d), confirment l’existence d’une correspondance entre les concentrations production de carbone. Une partie
des gaz à effet de serre et la température. notable (de 20 à 30 pour cent) de la res-

104 © POUR LA SCIENCE


piration végétale sur Terre s’effectue Loa et au pôle Sud, indiquent une accu- absorbé sera stocké ou relâché du fait de
dans les forêts et la toundra des mulation de gaz carbonique, au cours la respiration, également renforcée.
moyennes et hautes latitudes, là où le des années 1988 et 1989, d’environ 2,4 La toundra, steppe des régions arc-
réchauffement semble maximal. Si la parties par million, équivalant à cinq tique et subarctique, pourrait réagir de
température moyenne y a augmenté de milliards de tonnes de carbone. Selon façon surprenante au réchauffement,
un degré, la respiration végétale et la C. Keeling, cette poussée pourrait être avec notamment une augmentation de la
décomposition des matières organiques transitoire, comme celle de 1973 et production de carbone et de son sto-
dans les sols ont dû beaucoup augmenter. 1974. Elle semble néanmoins résulter ckage dans des tourbes. La réaction
Un accroissement de 5 à 20 pour cent de des températures élevées observées dépendra en grande partie de l’humi-
la respiration sous ces latitudes (où depuis une dizaine d’années, avec un dité : humide, la toundra accumulerait
s’effectue entre 20 ou 30 pour cent de la décalage correspondant au temps néces- plus de carbone ; sèche, elle en libérerait
respiration globale) augmente la respira- saire pour réchauffer le sol. Cette inter- parce que les matières organiques du sol
tion totale de 1 à 6 pour cent. Si le rejet prétation reste à vérifier. (gelé pendant une grande partie de
annuel de carbone dans l’atmosphère est Les variations climatiques modifient l’année) se décomposeraient davantage.
de 100 milliards de tonnes et que la pho- probablement la fixation du carbone par Selon Dwight Billings, de l’Université
tosynthèse n’a pas changé, le réchauffe- la faune et la flore terrestres, notamment Duke, le réchauffement du Globe accé-
ment actuel aurait déjà fait passer un à par les forêts et les sols. Si le réchauffe- lérera la décomposition de la tourbe et
six milliards de tonnes de carbone par an ment est plus lent que le développement l’érosion karstique, thermique, de la
dans l’atmosphère. Depuis le début du des forêts vers des régions de climat toundra ; les eaux de pluie et de fonte
siècle, 20 à 30 milliards de tonnes de car- plus favorable, la capacité de stockage des glaces provoqueraient son effondre-
bone auraient été ainsi libérées. du carbone par les forêts augmentera ; ment sous forme de grands blocs. La
Ce rejet est probablement suréva- mais si le réchauffement est plus rapide toundra serait dévastée, et des quantités
lué : le réchauffement moyen est peut- que la migration des forêts, l’ensemble considérables de gaz carbonique et de
être moins important qu’on le pense, et de la végétation risque de dépérir. Ce méthane, stockées sous forme de tourbe,
la photosynthèse réduit peut-être la libé- dépérissement augmenterait sans doute seraient libérées dans l’atmosphère.
ration du gaz carbonique. Cependant la davantage la libération de gaz carbo- Apparemment un réchauffement
surévaluation ne dépasse probablement nique, du fait de la décomposition des rapide de la planète activerait plus la res-
pas un facteur deux ; elle permet en plantes, des animaux et des matières piration que la photosynthèse ; il favori-
outre de souligner l’importance des organiques dans les sols. serait la libération de gaz carbonique et
réactions biotiques. La quantité de gaz carbonique qui de méthane dans l’atmosphère. Plus le
serait ainsi libérée dépendrait étroite- réchauffement serait rapide, plus la
Le pétrole et la forêt ment de la vitesse du changement cli- quantité de carbone libéré serait impor-
matique dans les forêts des moyennes et tante. L’étude de la carotte de Vostok est
Quelles sont les proportions de car- hautes altitudes. On ne peut pas calculer en accord avec cette prévision, même si
bone libérées par la respiration et précisément cette quantité, mais on peut elle n’en prouve pas l’exactitude.
quelles sont les autres sources de rejet? estimer une limite supérieure : la quan-
La combustion des carburants fossiles tité totale de carbone présent sous ces Un consensus rarissime
dégage environ 5,6 milliards de tonnes latitudes est égale à 750 milliards de
de carbone par an ; la déforestation tonnes, soit à peu près la même quantité Quelles seraient les conséquences
ajoute entre 0,4 et 2,5 milliards de de carbone qu’il y en a actuellement d’un réchauffement prolongé du Globe?
tonnes par an. La quantité totale de car- dans l’atmosphère. En 1985, lors d’un colloque organisé
bone libérée dans l’atmosphère par ces Un réchauffement global favorise- par l’Organisation météorologique mon-
deux sources et par la respiration végé- rait-il le développement des forêts? Si diale et l’Organisation des Nations
tale supplémentaire est supérieure à six les forêts migraient vers les hautes lati- unies, un groupe de météorologues a
milliards de tonnes et atteint peut-être tudes, le dioxyde de carbone serait démontré que sans les réactions respira-
10 milliards de tonnes par an. davantage absorbé et fixé dans les sols. toires décrites précédemment, l’effet de
La libération de carbone due à une Cependant l’extension des forêts est serre réchaufferait la Terre de 1,5 à 4,5
modification de la respiration végétale improbable : il faut des siècles pour que degrés en moyenne avant le milieu du
peut fluctuer considérablement ; un les forêts se développent, surtout dans siècle prochain. Une cinquantaine de
réchauffement progressif, comme celui les régions où les sols sont minces et chercheurs, réunis à Villach, en
qui a lieu depuis le début du XXe siècle, pauvres en éléments nutritifs, le climat Autriche, ont confirmé cette conclusion.
change si lentement la respiration végé- doit être stable et les graines abondantes. On a rarement vu un tel consensus
tale que les variations annuelles sont L’évolution actuelle du climat est rapide scientifique à propos d’un grand pro-
imperceptibles, mais un réchauffement et pourrait durer longtemps ; elle ne blème d’environnement. Si nous ne lut-
ou un refroidissement soudain, en favorise pas le développement des forêts. tons pas contre le réchauffement, celui-ci
quelques années, ferait probablement Le réchauffement stimulera-t-il le sera rapide, avec des conséquences
beaucoup varier la concentration en stockage du carbone dans les plantes et variables selon les régions du monde. Le
dioxyde de carbone dans l’atmosphère. les sols des forêts existantes? Peut-être, réchauffement hivernal, aux moyennes et
Ces 15 dernières années, la proportion car la forêt boréale et les autres forêts de hautes latitudes, sera probablement deux
de gaz carbonique a augmenté de 1,5 conifères semblent capables de s’adap- fois supérieur au réchauffement moyen
partie par million et par an, équivalant à ter au réchauffement, par une photosyn- mondial. Si la température moyenne glo-
trois milliards de tonnes de carbone. Les thèse et une croissance supérieures. On bale s’élève de deux à trois degrés d’ici
mesures de C. Keeling, sur le Mauna ignore toutefois si le carbone ainsi l’an 2030, elle pourra atteindre quatre à

© POUR LA SCIENCE 105


trialisés sont responsables de 75 pour
AVIGNON
cent de ces émissions, ces pays devront
être les premiers à prendre des mesures.
BEAUCAIRE Selon une étude récente de José
NÎMES TARASCON
Goldemberg, de l’Université de Sao
Paulo, les pays développés pourraient
ARLES
réduire de moitié leur consommation de
carburants fossiles s’ils cherchaient
MONTPELLIER AIGUES-MORTES
simplement à les économiser et à amé-
LA GRANDE MOTTE CAMARGUE
liorer les rendements énergétiques.
FOS/MER
Bien que les pays en développe-
ment rejettent moins de gaz carbo-
SÈTE
SAINTE-MARIE-DE LA MER nique que les autres, leurs émissions
croissent et deviendront considérables
si leur développement économique
s’effectue normalement. Pour stabili-
ser la concentration des gaz à effet de
serre, on devra également réduire
6. LA FONTE DES CALOTTES GLACIAIRES POLAIRES provoquerait une élévation du niveau l’emploi des carburants fossiles.
des océans. La figure représente une inondation de la Camargue, dans l’hypothèse d’une La déforestation, dans les pays tro-
élévation du niveau de la mer d’environ cinq mètres (vert) au-dessus de son niveau actuel picaux essentiellement, est une autre
(bleu). Le démantèlement de la banquise antarctique sous l’effet d’un réchauffement global grande source de gaz carbonique. Vers
élèverait le niveau de la mer, de telle sorte que bon nombre de villes côtières seraient inon- 1980, on déboisait chaque année
dées, ainsi que Arles et une partie de Tarascon et de Beaucaire.
11 000 kilomètres carrés : 0,4 à 2,5
milliards de tonnes de carbone (sous
forme de gaz carbonique) ont été libé-
six degrés sur le 40e parallèle, et donc Des mesures rées dans l’atmosphère. Le déboise-
augmenter de un degré tous les dix ans. ment s’est accéléré pendant la dernière
Les températures estivales augmente-
draconiennes décennie. Si l’on suppose que la défo-
raient également, mais moins. Une varia- Comment ralentir l’évolution cli- restation actuelle libère 2,5 milliards
tion de température de un degré équivaut matique actuelle? Dans l’immédiat, on de tonnes de carbone, l’arrêt du proces-
à un changement de latitude de 100 à 150 doit stabiliser la concentration en gaz à sus stabiliserait immédiatement la
kilomètres. La limite entre la prairie et la effet de serre, dans l’atmosphère. Au composition atmosphérique.
forêt migrerait vers le Nord à un rythme cours des dix dernières années, trois Des reboisements favoriseraient
de 100 à 150 kilomètres par décennie ; en milliards de tonnes de carbone se sont cette stabilisation ; si l’on reboisait un à
l’an 2030, elle serait 400 à 600 kilo- accumulées, chaque année, dans deux millions de kilomètres carrés (soit
mètres plus au Nord qu’aujourd’hui. l’atmosphère (le reste a été absorbé par à peu près la superficie de l’Alaska), on
Les transformations de notre planète les océans, ou stocké dans les forêts et immobiliserait un milliard de tonnes de
risquent de nuire à l’humanité tout les sols). Si l’on réduisait les émissions carbone par an. Cette superficie est
entière. Si le réchauffement se poursuit, actuelles de trois milliards de tonnes, importante, et les terres productives
l’adaptation aux variations climatiques la concentration en dioxyde de carbone sont très recherchées sous les tropiques,
devra être permanente. De surcroît, les se stabiliserait pour quelques années. mais 8,5 millions de kilomètres carrés
modifications climatiques sont irréver- Cependant cette stabilisation ne serait aujourd’hui sans arbres étaient jadis
sibles à l’échelle de la vie humaine ; nous pas définitive, car l’accumulation du couverts de forêts : on pourrait reboiser
ne pouvons ni refroidir la Terre, ni abais- carbone dans les océans dépend de la 3,5 millions de kilomètres carrés si
ser le niveau des mers, ni même restaurer vitesse d’absorption du dioxyde de l’agriculture permanente remplaçait les
la composition de l’atmosphère. Réduire carbone ; or cette vitesse dépend de la assolements, et l’on pourrait – en prin-
les émanations actuelles est notre différence de concentrations en gaz cipe – reboiser immédiatement cinq
meilleur moyen d’intervention. Si nous carbonique entre l’atmosphère et millions de kilomètres carrés de terrain
prenons des mesures immédiates, nous l’océan. Plus on libère de dioxyde de aujourd’hui inutilisés. Naturellement
limiterons le futur réchauffement à un carbone, moins l’absorption océanique on devrait protéger ces forêts reconsti-
peu plus de un degré, en raison des gaz est efficace, car la différence de tuées contre les agents toxiques ou les
déjà présents dans l’atmosphère. concentration se réduit ; on devra modifications climatiques et on devrait
Enfin les conséquences d’un réchauf- continuer à réduire les émissions de ne pas les exploiter.
fement ne sont pas complètement déter- gaz carbonique pour débarrasser
minées. Dans la plupart des modèles l’atmosphère de ses excédents, même Des intentions
actuels, on considère un doublement de la quand les échanges seront stabilisés.
proportion de dioxyde de carbone atmo- La source principale de gaz carbo-
aux accords
sphérique, mais cette proportion pourrait nique émis par l’homme est la combus- Chaque mesure que l’on prendrait,
augmenter. Les réserves estimées de car- tion de carburants fossiles : nous relâ- afin de stabiliser l’atmosphère, aurait
burants fossiles exploitables suffiraient à chons chaque année environ 5,6 d’autres conséquences salutaires à
multiplier par 5 à 10 la concentration en milliards de tonnes de carbone dans l’échelle de la région et du pays. Une
gaz carbonique dans l’atmosphère. l’atmosphère. Comme les pays indus- meilleure utilisation de l’énergie, mesure

106 © POUR LA SCIENCE


que l’on aurait dû prendre depuis long- pays ont signé un traité de cessation des raient beaucoup à utiliser l’énergie
temps, profiterait économiquement et essais d’armes nucléaires dans l’atmo- solaire. L’hydrogène produit par électro-
matériellement aux individus comme sphère. Ce traité fut efficace, et même lyse de l’eau à partir de l’énergie solaire
aux états : nous dépendrions moins des les pays non signataires (la France et la est une source d’énergie intéressante
carburants fossiles ; on émettrait moins République Populaire de Chine) ont pour les voitures ou les autres machines.
d’oxydes de soufre et d’azote et moins cédé à la pression internationale ; leurs Dans la plus grande partie de
d’autres produits toxiques, les pluies essais nucléaires sont désormais souter- l’Amérique du Nord, par exemple,
acides seraient réduites. L’arrêt du rains. D’autre part, la Convention de l’énergie solaire peut chauffer avanta-
déboisement préserverait en outre la Vienne pour la protection de la couche geusement les bâtiments pendant la plus
diversité génétique des espèces vivantes d’ozone et le Protocole de Montréal, grande partie de l’année. En outre,
de notre planète, limiterait l’érosion, sta- ratifié en 1987, devraient permettre de aucun pays ne gagne à détruire ses
biliserait les climats locaux et régio- limiter le rejet de chlorofluorocarbures forêts.
naux, purifierait l’air et l’eau, et amélio- dans notre environnement. Les pays en développement cher-
rerait l’environnement de nos On pourrait fort bien limiter l’utili- chent de nouveaux types de croissance.
descendants. sation de combustibles fossiles et la L’innovation technique pourrait jouer un
Une seule mesure ne suffirait pas à déforestation. À l’Institut de recherches rôle fondamental dans l’amélioration
limiter les concentrations en dioxyde de de Woods Hole, 50 diplomates et des rendements énergétiques, l’utilisa-
carbone et en méthane dans l’atmo- juristes internationaux se sont rencontrés tion de l’énergie solaire, etc. Cependant
sphère. Si l’accumulation de gaz carbo- en 1989, afin de définir des mesures les nations en développement ne peu-
nique persiste, les excédents de carbone envisageables à court terme. Le pro- vent supporter, seules, la charge consi-
passeront de trois à cinq milliards de blème principal sera de convaincre les dérable que constitue la stabilisation de
tonnes par an ; le problème sera alors pays en développement, dont la crois- l’atmosphère ; les pays industrialisés,
encore plus difficile. Ces mesures nous sance s’accompagne d’une augmenta- dont la responsabilité est notable, doi-
concernent tous : elles doivent être tion considérable de la consommation vent absolument prendre des mesures.
locales et internationales. D’autres pro- d’énergie. Ces pays pourraient cepen- Le problème du réchauffement du Globe
blèmes d’environnement ont déjà fait dant se développer différemment des persistera pendant le XXI e siècle ; il
l’objet d’une collaboration internatio- pays déjà industrialisés. Les pays des pèsera dans tous les choix techniques,
nale. En 1962, par exemple, plusieurs basses latitudes, par exemple, gagne- scientifiques et politiques.

LA RÉPONSE DE L’ ATMOSPH ÈRE AUX PERTURBATIONS ANTHROPIQUES

L’article de G. Woodwell et R. Houghton date de plus de six de modèles ont réalisé le même exercice de simulation détaillée
ans, mais la substance principale de leur message reste d’actualité. de la décennie 1979-1988.
Le problème de l’augmentation des gaz à effet de serre dans Ce travail considérable a confirmé les résultats antérieurs : la
l’atmosphère apparaît aujourd’hui bien plus complexe que certains multiplication des gaz à effet de serre risque de réchauffer la pla-
n’avaient pu le penser, tant est longue la liste des processus qui nète. Le montant de la hausse de température se situe dans une
interviennent dans la réponse du système climatique : on doit large fourchette que nous ne savons pas préciser. Après un refroi-
considérer le rôle des nuages, l’albedo de la surface couverte de dissement consécutif à l’éruption du Pinatubo, l’année 1995 a
végétation ou de neige, l’hydrologie des sols, les processus océa- renoué avec les records de températures, en dépassant les valeurs
niques, etc. L’étude du cycle du carbone se révèle également diffi- atteintes durant les années 1980. De même, s’il apparaît difficile
cile : on a bien du mal à équilibrer les sources et puits du bilan de préciser le taux d’une éventuelle élévation du niveau des mers,
atmophérique de gaz carbonique. Or cette étude est nécessaire à le risque associé reste d’actualité.
l’évaluation de la future hausse du gaz carbonique dans l’atmo- Quelques éléments nouveaux illustrent davantage la fragilité
sphère et au contrôle des mesures de limitation des émissions. et l’instabilité des systèmes naturels. On a complété les enregistre-
Enfin l’intérêt porté aux interactions entre chimie et climat a ments paléoclimatiques dans les glaces de Vostok par deux
grandi, en même temps que la contribution à l’effet de serre de forages, l’un européen et l’autre américain, dans des glaciers du
certains gaz réactifs, tels que l’ozone troposphérique. Groenland. Ces deux nouveaux forages confirment les résultats de
Pour prendre en compte cette complexité, des modèles cou- Vostok, mais y ajoutent la démonstration de fluctuations très
plent l’océan et l’atmosphère, la biosphère et le climat, ou la chi- rapides du climat passé. En outre, des modélisations montrent que
mie et le climat. Dans le même temps, la communauté scientifique la circulation atlantique peut être très instable.
s’est organisée plus efficacement, et réévalue régulièrement Ces divers résultats réfutent l’hypothèse systématique de bien
l’ampleur de l’effet de serre. Ainsi l’IPCC (International Panel on des modélisations effectuées jusqu’ici : ces derniers supposaient
Climate Change, en français : GIEC), groupe formé par le pro- que la réponse du climat était linéaire (à petite perturbation, petite
gramme Environnement des Nations unies et l’Organisation réponse). Cela est sûrement faux, et il importe de perturber le
Météorologique Mondiale (OMM), a rédigé quatre rapports suc- moins possible un système aussi complexe, interactif, et difficile à
cessifs en 1990, 1929, 1994 et 1995. L’OMM, au travers de son maîtriser qu’est notre environnement global.
programme climatique, a aussi favorisé des exercices de validation
et de comparaison des modèles : pour l’expérience AMIP Hervé LE TREUT, Laboratoire de météorologie dynamique
(Atmospheric Models Intercomparison Pogramme), une trentaine du CNRS , École normale supérieure et École polytechnique.

© POUR LA SCIENCE 107


L ES NUAGES
l’eau dans les nuages, l’atmosphère
recueille l’énergie perdue par le sol. Ce
transfert d’énergie est prépondérant dans

ET L’ EFFET DE SERRE les régions tropicales, et son efficacité se


manifeste par des systèmes explosifs, tels
que les cyclones ou les typhons.
Une deuxième voie de chauffage
Hervé Le Treut indirect de l’atmosphère par la surface
de la planète consiste en l’émission du

U ne large communauté scientifique


s’est fixé pour objectif la compré-
hension de notre environnement global
allant de quelques micromètres pour la
nucléation des gouttes d’eau, jusqu’à
quelques milliers de kilomètres pour une
rayonnement infrarouge. Les nuages
jouent, là encore, un rôle considérable,
puisqu’ils participent, aux côtés de gaz
et la prévision de son évolution. L’aug- perturbation météorologique aux tels que la vapeur d’eau et le gaz carbo-
mentation de la concentration atmosphé- moyennes latitudes, en passant par nique, à ce qu’on nomme l’effet de
rique en gaz, tels que le dioxyde de car- quelques kilomètres pour la formation de serre : ils absorbent le rayonnement
bone, le méthane, les oxydes nitreux, cellules nuageuses convectives (voir Les infrarouge, et réémettent, dans toutes les
l’ozone, les chlorofluoro-carbones, risque nuages, par J.-P. Chalon et M. Gillet, directions un rayonnement infrarouge
de modifier l’équilibre radiatif de notre dans ce dossier). En outre, les nuages d’intensité d’autant plus faible que le
planète et d’influer sur le fonctionnement rétroagissent sur les écoulements atmo- nuage est froid. Ainsi, vue de l’espace, la
du système climatique dans son sphériques, à toutes les échelles : ils planète émet moins d’énergie qu’elle
ensemble. Toutefois la complexité de dégagent de la chaleur latente lors de la n’en reçoit, puisque l’émission moins
l’environnement global contrarie l’appré- condensation de l’eau, et ils modifient les énergétique des nuages s’est substituée
ciation quantitative de ce risque clima- flux radiatifs solaire et terrestre. Le nuage à celle du sol. La différence d’énergie est
tique, notamment à l’échelle régionale. est le lieu de rencontre et d’équilibre transmise vers le sol, et produit un
Parmi les difficultés à surmonter, la d’un grand nombre de processus phy- réchauffement. L’effet de serre des
détermination du rôle des nuages se siques. Pour comprendre l’évolution du nuages limite donc le refroidissement
révèle essentielle. climat, il est nécessaire d’appréhender radiatif infrarouge de la planète. On
Ce constat peut surprendre. S’il non seulement cet équilibre, mais surtout estime, toujours au moyen de mesures
semble naturel que le rôle de la circula- la manière dont il est perturbé, ce qui satellitales, l’échauffement par effet de
tion océanique profonde, si difficile à constitue une tâche bien plus ardue. serre à environ 30 watts par mètre carré :
mesurer, entrave l’avancée de la en valeur absolue, cet effet est inférieur au
recherche en climatologie – et c’est bien Le bilan radiatif de la planète refroidissement signalé précédemment.
le cas –, l’idée que les nuages, qui nous Les nuages affectent aussi la dyna-
sont si familiers, recèlent autant de mys- On peut représenter le système clima- mique globale du système climatique. En
tères est bien moins intuitive. Cela tient à tique comme une gigantesque machine effet, à grande échelle, les mouvements
plusieurs facteurs. D’abord, les processus thermique, qui reçoit de l’énergie du de l’atmosphère résultent de deux fac-
de formation des nuages sont complexes Soleil, et réémet vers l’espace un rayonne- teurs essentiels : la rotation de la Terre et
et occupent diverses échelles spatiales, ment infrarouge. Le flux solaire absorbé la différence de température entre les
par la planète et le flux terrestre infra- régions de haute et de basse latitudes.
rouge émis s’équilibrent. Cependant, entre Cette différence est en partie maintenue
RAYONNEMENT ces deux états ultimes, l’énergie subit des par la présence des nuages. De même,
SOLAIRE
transformations considérables, où inter- en contrôlant l’entrée du rayonnement
viennent les nuages. Les nuages réfléchis- solaire dans l’océan, les nuages intervien-
sent de 10 à 20 pour cent environ du nent dans l’organisation des circulations
RAYONNEMENT
TERRESTRE
rayonnement solaire qui arrive au sommet océaniques.
de l’atmosphère ; ce faisant, ils ont un
effet refroidissant, qu’on estime, au moyen Le rôle des nuages
de mesures satellitales, à – 50 watts par dans l’effet de serre
mètre carré environ. Le rayonnement
solaire non réfléchi est absorbé par la Afin d’élaborer des modèles numé-
Terre : une petite part chauffe directement riques capables de prédire l’évolution du
l’atmosphère et le restant chauffe le sol, climat, on doit préciser l’image générale
continental ou océanique. que nous venons d’ébaucher. Quelques
Le sol restitue ensuite à l’atmosphère chiffres permettent d’évaluer la précision
l’énergie reçue ; dans cette étape aussi, requise. Durant la première moitié du
les nuages interviennent. Le chauffage siècle prochain, les activités humaines
indirect de l’atmosphère par les conti- provoqueront un doublement du gaz car-
1. Les nuages contribuent à
nents ou les océans s’effectue par plu- bonique atmosphérique. Selon divers
l’absorption du rayonnement solaire
et à l’émission du rayonnement sieurs voies. La première voie exploite modèles, cette perturbation anthropique
infrarouge terrestre. L’importance l’effet des changements de phase de entraînera un chauffage additionnel de la
relative de ces deux effets antago- l’eau : l’évaporation de l’eau, notamment planète d’environ quatre watts par mètre
nistes dépend de l’épaisseur et de la au-dessus des océans ou des forêts, carré. En valeur absolue, ce chauffage est
composition du nuage. refroidit le sol ; lors de la condensation de élevé : il a pour conséquence une hausse

108 © POUR LA SCIENCE


de température de la planète de deux à du climat. C’est pourquoi il semble tion précoce des gaz à effet de serre?
cinq degrés, aux conséquences socio- impossible de se prononcer sur une Cette augmentation conduirait, tous gaz
économiques considérables. En valeur rela- valeur précise de réchauffement. confondus, à un surplus d’environ deux
tive, il est faible, puisque le rayonnement watts par mètre carré du bilan radiatif de
solaire moyen au sommet de l’atmosphère Les climats anciens la planète. Si la réponse est positive,
est de 360 watts par mètre carré environ. l’amplitude du réchauffement est-elle
En outre, la valeur de quatre watts par On tente toutefois de réduire la four- compatible avec les modèles? Dans un
mètre carré est proche de la limite de pré- chette de cette prédiction. Une démarche premier temps, il est apparu que le
cision des données satellitales – un satellite consiste à chercher dans le passé ce que réchauffement mesuré était inférieur aux
ne voit pas tout, tout le temps. le futur n’a pas encore révélé, et de véri- prévisions des modèles, même en tenant
L’étude quantitative est encore com- fier la capacité des modèles à reproduire compte de l’inertie thermique de l’océan.
pliquée par la diversité des nuages. Les des variations anciennes du climat. Selon ces résultats, les modèles les moins
nuages les plus hauts possèdent un effet Plusieurs périodes retiennent l’attention. sensibles seraient les plus réalistes, et la
de serre notable du fait de leur tempéra- La première correspond aux climats plupart des modèles exagéreraient la
ture très basse, et sont transparents au très anciens et très différents du nôtre, tels réponse climatique à l’effet de serre.
rayonnement solaire parce qu’ils contien- que le dernier âge glaciaire ou les transi-
nent peu d’eau : ces nuages réchauffent tions glaciaires-interglaciaires. À ces Les aérosols
la planète. Les nuages plus bas sont plus échelles de temps, on parvient à reconsti-
chauds, souvent plus épais et opaques : tuer nombre de variations, de l’ensoleille- Au cours des dernières années, de
ils refroidissent le sol. ment, des couvertures de glace, de la com- nouvelles études ont remis en cause cette
Comment les nuages interviennent-ils position chimique de l’atmosphère, de la idée. Tout au long du siècle écoulé, l’émis-
dans un scénario de réchauffement global circulation océanique, des températures de sion de gaz à effet de serre, n’a pas été la
du climat? Dans le cas d’une augmenta- surface. Toutefois, on ne connaît aucun seule intervention humaine susceptible de
tion anthropique des gaz à effet de serre, indice direct sur les nuages ; on n’appré- modifier le climat : il faut y ajouter, par
les modèles prédisent d’abord une éléva- hende leurs effets que de manière indi- exemple, la déforestation et l’émission de
tion moyenne du niveau de la couverture recte, avec une grande incertitude. poussières ou d’aérosols (petites particules
nuageuse, ce qui revient à remplacer des Une deuxième période, plus récente, liquides ou solides en suspension dans
nuages bas plutôt refroidissants par des couvre le XXe siècle. Elle n’est pas sans l’atmosphère) par l’activité industrielle, par
nuages hauts plutôt réchauffants et à ambiguïté, mais cette ambiguïté contient la combustion des forêts ou encore par
amplifier le réchauffement initial. En ne tout le problème : depuis le début du l’érosion des sols, accélérée dans les régions
considérant que cet effet, les modèles siècle, la température a augmenté de cultivées. Le climat dépend aussi de mani-
concluent le plus souvent à un réchauffe- quelques dixièmes de degré. Peut-on festations naturelles, telles que les éruptions
ment d’environ quatre degrés Celsius, en attribuer ce réchauffement à l’augmenta- volcaniques ou la variabilité de la source
réponse à un doublement du solaire. Pour comprendre son
gaz carbonique atmosphérique. évolution, on doit considérer
Toutefois, cet effet est loin tous ces éléments.
d’être le seul. Outre l’extension Les aérosols ont peut-être
horizontale et l’altitude des masqué la manifestation initiale
nuages, on doit aussi considé- de l’effet de serre, dû à
rer l’impact du changement de l’homme, car ils refroidissent le
leur contenu en eau. Ainsi les système terrestre, soit par
nuages faits de gouttelettes réflexion directe du rayonne-
d’eau et les nuages de cristaux ment solaire, soit par l’augmen-
de glace (les cirrus) ont des tation du nombre de noyaux de
comportements distincts : en condensation dans les nuages.
cas de réchauffement clima- En présence d’un plus grand
tique, une partie des nuages nombre de noyaux de conden-
de glace peuvent se transfor- sation, les nuages comportent
mer en nuages d’eau, plus des gouttes d’eau plus nom-
épais et plus réfléchissants, sus- breuses et plus petites, qui réflé-
ceptibles de refroidir le sys- chissent davantage le rayonne-
tème terrestre. Il est donc ment solaire ; ces nuages ont
nécessaire de comprendre les un effet refroidissant.
processus microphysiques qui À la différence des gaz à
conditionnent la formation et effet de serre, qui perdurent
la précipitation des gouttelettes dans l’atmosphère plusieurs
d’eau ou des cristaux de décennies, les aérosols ne sont
2. Épaisseur des nuages déduite d’une image du satellite
glace : nucléation des gouttes pas censés s’accumuler dans
METEOSAT . La mesure donne accès à l’absorption de la
ou des cristaux, croissance par l’atmosphère : ils sont précipi-
lumière, dont on déduit l’épaisseur de la couverture nua-
collision ou accrétion, évapora- geuse. Les cumulonimbus de la région équatoriale (en tés par la pluie, souvent au
tion, etc. Une mauvaise des- rouge et jaune) absorbent beaucoup la lumière, tandis que bout de quelques semaines.
cription de ces effets amplifie les stratocumulus, visibles au large de la Mauritanie ou de Au siècle prochain, la pertur-
l’incertitude sur la prédiction l’Angola (en bleu), l’absorbent peu. bation par l’effet de serre

© POUR LA SCIENCE 109


concernent une courte période. L’archive
satellitaire des couvertures nuageuses
60°N
commence en 1983 (programme ISCCP).
Les mesures du bilan radiatif de la planète
30°N par la mission ERBE de la NASA ont com-
mencé en 1985, pour s’arrêter en 1990.
La mission franco-germano-russe ScaRaB
0° (prononcer «scarabée») a fourni une année
supplémentaire de données. Enfin, depuis
1987 seulement, le capteur micro-onde
30°S
SSMI d’un satellite militaire américain permet
d’estimer le contenu en eau des nuages. Il
60°S est impossible, sur l’échelle de temps de
moins de une décennie, de déceler des ten-
120°O 60°O 0° 60°E 120°E dances lentes de la couverture nuageuse,
que l’on pourrait attribuer à un réchauffe-
ment climatique commençant.
60°N
En revanche, pour vérifier que les
modèles simulent correctement la
30°N
réponse des nuages, on examine d’autres
types de modifications climatiques, plus
familières et plus rapides, telles que le
0° cycle saisonnier ou les fluctuations inter-
annuelles du climat tropical. L’étude des
variations saisonnières ou interannuelles
30°S présente, en outre, un intérêt intrin-
sèque : la prédiction de l’évolution du
système couplé océan/atmosphère
60°S
semble accessible, au moins en zone tro-
picale. Les variations saisonnières de la
2 4 6 8
couverture nuageuse et de ses propriétés
AUGMENTATION DE LA TEMPÉRATURE
MOYENNE ANNUELLE (EN DEGRÉS CELSIUS) traduisent divers processus : les structures
météorologiques transitent vers le Nord
3. Deux simulations du réchauffement de la Terre en réponse à un doublement
durant l’hiver de notre hémisphère ; les
du gaz carbonique dans l’atmosphère. Ces simulations reposent sur des hypo-
thèses différentes concernant la couche nuageuse : la précipitation de l’eau contrastes entre continents et océans
condensée dans les nuages est plus brutale dans le modèle du haut que dans varient ; des régimes spécifiques tels que
celui du bas. D’importantes différences locales apparaissent, notamment en les moussons se succèdent ; enfin des
Europe du Nord et au Sud du cap Horn. Ces différences illustrent la difficulté petits systèmes nuageux sont corrélés
d’une prévision régionale des changements climatiques. aux variations des températures à la sur-
face. Pour comprendre ces relations, on
analyse les données satellitales en sépa-
constituera probablement la perturbation température a été plus forte et plus régu- rant les divers effets.
principale du système climatique. lière dans l’hémisphère Sud que dans Les nuages constituent l’un des
Toutefois l’augmentation des aérosols l’hémisphère Nord, qui s’est même refroidi exemples les plus représentatifs de la
depuis le début de l’ère industrielle, diffi- après la Seconde Guerre mondiale. Ces complexité de notre milieu naturel. Les
cile à évaluer avec précision, a peut-être résultats confirmeront, après confirmation, modélisateurs, qui tentent de simuler
diminué le bilan radiatif de la Terre que le refroidissement dû aux aérosols cette complexité, disposent d’études
d’environ un watt par mètre carré. En ce compense presque le réchauffement par détaillées de la structure fine des nuages
cas, le petit réchauffement déjà constaté les gaz à effet de serre. (grâce, notamment, aux campagnes de
est la réponse à un forçage climatique mesures telles que TOCA / COARE dans le
encore faible, et la prédiction d’un Les observations par satellites Pacifique, ASTEX dans l’Atlantique, EUCREX
réchauffement important par les modèles en Europe). En outre, les données satelli-
les plus sensibles reste plausible. Les satellites constituent une source tales favorisent l’étude statistique du
La dissymétrie de l’évolution des tem- inestimable de données. La masse d’obser- développement de la couverture nua-
pératures dans les deux hémisphères, au vations accumulées sur les nuages geuse et de son organisation à l’échelle
long du XXe siècle, appuie l’idée que les concerne à la fois leur couverture spatiale du Globe, ainsi qu’une validation des
aérosols y jouent un rôle important. En et leurs propriétés optiques, voire la taille modèles. Les perspectives ouvertes dans
effet, les gaz à effet de serre émis par les des gouttes ou cristaux qu’ils comportent. ce domaine de la recherche climatique
pays industriels de l’hémisphère Nord Ces mesures sont souvent indirectes, et sont riches et multiples.
atteignent facilement l’hémisphère Sud, où impliquent de fortes incertitudes, mais des
ils augmentent l’effet de serre ; ce n’est campagnes de mesures in situ ou par Hervé LE TREUT travaille au Laboratoire
pas le cas des aérosols, qui retombent trop avion ont levé quelques ambiguïtés. de Météorologie Dynamique du CNRS,
vite pour aller si loin. Or l’augmentation de Malheureusement, les données recueillies à l’École Normale Supérieure.

110 © POUR LA SCIENCE


Les émissions de soufre
Robert Charlson et Tom Wigley

Le soufre rejeté par les industries forme de serre en diffusant la lumière solaire :
pour définir des politiques industrielles
des particules qui réfléchissent le rayonnement cohérentes, on doit utiliser des modèles
climatiques qui tiennent compte à la
solaire vers l’espace et masquent l’effet de serre fois des gaz à effet de serre, qui
réchauffent l’atmosphère, et des aéro-
dans certaines régions du monde. sols, qui la refroidissent.
Les aérosols industriels ne sont pas
les seules particules qui contribuent au
refroidissement. Les poussières conti-
es géophysiciens ne doutent la surface de la planète. Ces aérosols, nentales, le sel ou les sulfates marin,

L pas de l’existence de l’effet de


serre : le rayonnement solaire
traverse l’atmosphère, et, après
avoir atteint la surface du Globe, il est
partiellement réfléchi ; certains gaz
dont le diamètre des particules est com-
pris entre 0,1 et 1 micromètre, sont par-
ticulièrement concentrés au-dessus des
régions industrialisées de l’hémisphère
Nord. Si l’on savait depuis longtemps
sont des aérosols naturels, mais leurs
concentrations, leur répartition et leurs
propriétés n’ont vraisemblablement
guère varié au cours des 100 dernières
années : leur influence sur les variations
atmosphériques, tels le dioxyde de car- qu’elles acidifient les pluies, qu’elles climatologiques observées aujourd’hui
bone et le méthane, retiennent alors la sont irritantes et qu’elles embrument les est minime. De même, les aérosols
chaleur rayonnée par le sol. paysages, on découvre seulement d’origine volcanique n’ont sans doute
Aujourd’hui, la température moyenne, aujourd’hui qu’elles s’opposent à l’effet pas d’effets à long terme : les refroidis-
sur Terre, est de 17 degrés Celsius envi-
ron ; sans les gaz à effet de serre, elle
serait inférieure d’environ 33 degrés. La
plupart des études du réchauffement de
la Terre concluent que les gaz stables 1. Principales sources : industries et phytoplancton.
engendrés par les activités industrielles
s’ajoutent aux gaz atmosphériques natu- 2. Par temps clair, formation d’aérosols de sulfates.
rels et que la Terre est plus chaude
qu’elle ne le serait en leur absence ; tou- 3. Par temps couvert, oxydation du dioxyde de
tefois les observations ne sont pas tou-
soufre par le peroxyde d’hydrogène dans les nuages,
jours en accord avec les prévisions
qui se chargent alors d’acide sulfurique. GOUTTELETTES
théoriques : le réchauffement de l’atmo- DANS LES NUAGES
sphère est inférieur à celui que laisserait
prévoir l’accumulation des gaz à effet
de serre dans l’atmosphère. De plus, le
réchauffement n’est pas identique dans
toutes les régions du monde. Pourquoi?
Ironie du sort, les activités humaines
qui produisent les gaz à effet de serre EFFET DE SERRE
rejettent également des molécules sou-
E
frées qui, dans des aérosols, réfléchis- UFR
E SO
sent la lumière solaire vers l’espace D
YLE
avant qu’elle n’atteigne et ne réchauffe ÉTH
DIM

1. LE SOUFRE ATMOSPHÉRIQUE refroidit


la Terre en formant de minuscules parti-
cules qui diffusent la lumière solaire et en
renvoient une partie vers l’espace. Le
PHYTOPLANCTON
refroidissement résultant compense partiel-
lement le réchauffement dû à l’effet de
serre. Les composés soufrés sont également
responsables des pluies acides, de la forma-
tion de brumes et de la raréfaction de
l’ozone atmosphérique.

112 © POUR LA SCIENCE


4. Refroidissement de la Terre par réflexion du rayonnement solaire.

5. Introduction des sulfates volcaniques dans la stratosphère,


où ils détruisent la couche d’ozone.

6. Dégradation des lacs et des forêts par l’eau de pluie acide.

RAYONNEMENT
ULTRAVIOLET

RARÉFACTION DE LA COUCHE D’OZONE


5

AUGMENTATION
DU POUVOIR
DE RÉFLEXION
DES NUAGES

4
BRUME D’AÉROSOLS

ÉVAPORATION DE L’EAU
3 DES GOUTTELETTES

DIOXYDE REJETS
DE SOUFRE INDUSTRIELS

LESSIVAGE PAR LES PLUIES

© POUR LA SCIENCE 113


sements qui ont suivi les éruptions pluies acides. D’autres substances for- nombreux paramètres interviennent : la
gigantesques du Tambora, en 1815, du ment des aérosols au moins aussi quantité de soufre et sa répartition dans
Krakatoa, en 1883, et du Pinatubo, en importants : la suie résultant de la com- l’atmosphère, le mécanisme de forma-
1991, n’ont duré que quelques années. bustion des produits pétroliers, la pous- tion des aérosols, le pouvoir de
Au contraire, les aérosols atmosphé- sière des sols désertifiés et la fumée des réflexion des particules et leurs effets
riques d’origine humaine sont beaucoup cultures sur brûlis. sur les nuages. Des prévisions précises
plus abondants depuis l’industrialisation Dans un système aussi complexe nécessitent des hypothèses mieux fon-
et, surtout, depuis les années 1950. Les que le climat terrestre, le calcul de la dées que dans les premières modélisa-
aérosols d’origine humaine les mieux contribution au refroidissement des tions : ainsi, on admettait, à tort, que la
connus sont les sulfates, associés aux aérosols de sulfates est difficile, car de brume, observée à l’extérieur des villes,
était un aérosol naturel.
De même, on supposait que tous les
aérosols provenaient de la surface de la
terre, ce qui n’est pas le cas pour deux
types de particules : celles qui sont intro-
duites dans l’atmosphère par le vent, tels
le sel marin et la poussière de sol, et
celles qui résultent de phénomènes de
combustion, telles les fumées des usines
ou des feux de forêt. Or, au cours des
dix dernières années, on a montré que
les aérosols de sulfates résultent surtout
de réactions entre les gaz soufrés et
l’atmosphère. Ces réactions se produi-
sent dans la troposphère, la couche qui
s’étend sur une dizaine de kilomètres au-
dessus de la surface du Globe.
Afin d’étudier l’accumulation du
soufre dans la troposphère, les climato-
logistes se fondent sur les quantités de
fumées rejetées par les industries. Les
débits de rejet leur permettent d’estimer
l’évolution des concentrations atmo-
sphériques moyennes en aérosols de
sulfates, en fonction du temps. Comme
les gaz soufrés et les sulfates qu’ils
engendrent ne restent que quelques
jours dans la troposphère, leur concen-
tration moyenne dans l’atmosphère est
proportionnelle au produit du débit
d’émission de ces substances par leur
durée de vie. Par conséquent, la réparti-
tion des aérosols doit ressembler à celle
des sources qui rejettent du soufre.
Plus des deux tiers des gaz soufrés de
la troposphère (principalement sous la
forme de dioxyde de soufre SO2) sont
d’origine humaine, et près de 90 pour
cent de ces gaz sont produits dans
l’hémisphère Nord. Là, les émissions de
gaz soufrés d’origine humaine sont cinq
fois supérieures aux émissions d’origine
naturelle, tandis que, dans l’hémisphère
Sud, elles sont trois fois inférieures aux
GAIN MOYEN DE CHALEUR, JUILLET 1993 (EN WATTS PAR MÈTRE CARRÉ) émissions naturelles. Le principal vec-
teur naturel de soufre est le diméthyle de
–1 0 1 2 3
soufre ((CH3)2S), produit par le phyto-
plancton. En l’absence de toute pollution
2. LES CONSÉQUENCES DE L’ACTIVITÉ HUMAINE SUR LE CLIMAT apparaissent sur ces
cartes de l’augmentation de la chaleur globale au cours de l’été de l’hémisphère Nord.
humaine, le diméthyle de soufre est la
Pendant le mois de juillet, les gaz à effet de serre réchauffent la terre d’environ 2,2 watts principale source de particules infé-
par mètre carré (à gauche). Lorsqu’on tient compte de l’action des aérosols de sulfates, rieures au micromètre. Une faible quan-
l’effet de serre est seulement de 1,7 watt par mètre carré (à droite). Le refroidissement est tité de soufre (sous la forme soit de
surtout important dans les régions industrialisées de l’hémisphère Nord. dioxyde de soufre, de sulfure d’hydro-

114 © POUR LA SCIENCE


gène, ou des deux) provient des volcans, laisse une solution très concentrée en sul- Les particules de sulfates présentes
des marais et des tourbières. fates, présente sous forme de particules dans la troposphère rafraîchissent le cli-
Le dioxyde de soufre reste générale- dont la taille est inférieure au micromètre. mat de deux façons : soit en réfléchis-
ment dans l’hémisphère où il a été pro- L’aérosol produit est chimiquement iden- sant une partie du rayonnement solaire
duit : la durée de vie moyenne du tique à celui que libère la conversion de incident lorsque le ciel est clair, soit en
dioxyde de soufre ou des aérosols de l’acide sulfurique gazeux en particules. augmentant le pouvoir réfléchissant des
sulfates qu’il produit est notablement L’affinité de l’acide sulfurique et de nuages lorsque le ciel est couvert.
inférieure au temps qu’il faut aux deux ses sels d’ammonium pour l’eau a des Par temps clair, les particules diffu-
moitiés de l’atmosphère pour échanger conséquences sur le pouvoir de diffu- sent la lumière solaire : la quantité de
leur chaleur et leurs composants, c’est- sion de la lumière de ces aérosols. rayonnement solaire atteignant la terre
à-dire environ une année. Toutefois, Lorsque les minuscules gouttelettes de diminue. On estime la proportion d’éner-
bien que les aérosols de l’hémisphère solution sulfatée se mélangent à l’air gie solaire perdue de deux façons : on la
Nord n’atteignent pas l’hémisphère Sud, humide (par exemple, au-dessus de calcule d’après la taille des particules et
ils influent peut-être sur le climat de zones continentales humides ou au-des- d’après leur indice de réfraction, ou
l’autre hémisphère, comme une couver- sus des océans), elles absorbent de l’eau d’après la relation qui existe entre la
ture nuageuse locale agit sur l’albédo – et grossissent. Diffusant davantage la quantité d’aérosol dans l’atmosphère et la
ou pouvoir de réflexion – moyen de la lumière visible, ces grosses particules perte d’énergie due à la diffusion de la
Terre. La moitié des gaz soufrés libérés sont responsables de l’aspect brumeux lumière (voir l’encadré page 000). De
quittent l’atmosphère : entraînés par les par temps humide. Une même quantité telles analyses indiquent qu’aujourd’hui
pluies, ils réagissent avec les plantes, le de sulfate produit une brume deux fois les sulfates d’origine humaine diffusent
sol ou l’eau de mer. Le reste réagit avec plus dense lorsque l’humidité relative environ 3 pour cent du rayonnement
les différents composés de la tropo- est voisine de 80 pour cent (la valeur solaire direct. Entre 15 et 20 pour cent de
sphère et produit des aérosols ; la quasi- moyenne pour l’air au voisinage du sol) cette quantité est renvoyée vers l’espace,
totalité des gaz soufrés réagit avec les que lorsque l’air est sec. ce qui représente une perte totale d’envi-
oxydants, tel le radical hydroxyle (OH).

La formation des aérosols LE SOUFRE , LES PLUIES ACIDES


Deux grandes catégories de réac- ET LA COUCHE D ’ OZONE
tions produisent des aérosols de
sulfates : les mécanismes de ciel clair et
ceux de ciel nuageux. Au cours des pre-
miers, le dioxyde de soufre et le dimé-
L es composés soufrés de l’air refroidissent la Terre, acidifient les eaux de pluie
et dégradent la couche d’ozone stratosphérique. Les pluies deviennent acides
en raison de l’oxydation du dioxyde de soufre dans l’atmosphère, qui engendre
thyle de soufre réagissent avec la de l’acide sulfurique, puis des aérosols. Dans la troposphère, les particules de ces
vapeur d’eau, engendrant de l’acide sul- aérosols, de diamètre inférieur à un micromètre, absorbent l’eau et servent de
furique (H2SO4) gazeux après une série germes pour la condensation des nuages. Les gouttelettes des nuages se char-
complexe de réactions. gent en composés acides qui seront déposés sur la Terre sous forme de pluie ou
L’acide sulfurique forme des parti- de neige. Les industries acidifient les pluies sur des centaines de kilomètres.
cules d’un micromètre de diamètre en Les particules de sulfates contribuent à la destruction de l’ozone lorsqu’elles attei-
se condensant sur des particules pré- gnent la stratosphère, la couche
existantes ou en interagissant avec des de l’atmosphère située au-dessus
molécules d’eau ou avec d’autres molé- de la troposphère. Les particules
cules d’acide sulfurique. Puis l’acide de soufre y sont projetées par les
sulfurique réagit avec des quantités infi- éruptions volcaniques les plus vio-
nitésimales d’ammoniac pour former lentes et offrent un support aux
des sulfates d’ammonium ((NH4)2SO4), composés chimiques qui détrui-
variablement hydratés. En outre, le sent l’ozone. Cependant ces effets
diméthyle de soufre peut réagir pour sont partiellement compensés par
former de l’acide méthyle sulfoné les aérosols de sulfates, dans les
(CH3SO3H). Si cet acide n’a guère de couches inférieures de l’atmo-
conséquences par les aérosols qu’il sphère : les aérosols bloquent le
forme, il sert de traceur : on a, par rayonnement solaire ultraviolet
exemple, mesuré la concentration de sa même quand la quantité qui les
forme fossile dans des carottes de glace. atteint augmente en raison de
Les aérosols de sulfates se forment l’appauvrissement de la couche
également dans les nuages. Le dioxyde d’ozone (cet effet est évidemment
de soufre commence par se dissoudre limité aux régions où les parti-
dans les gouttelettes d’eau, au sein des cules de sulfates sont abondantes).
nuages ; le peroxyde d’hydrogène
(H 2O 2), formé par la combinaison de Mémorial en bronze décoloré
deux radicaux hydroxyles, l’oxyde en par les pluies acides.
acide sulfurique et en sulfates d’ammo-
nium dissous. L’évaporation de l’eau

© POUR LA SCIENCE 115


ron 0,5 pour cent. Toutefois la réduction États-Unis, elles font perdre deux watts rafraîchissement qui leur est imputé
moyenne réelle de l’ensoleillement est par mètre carré. La valeur moyenne cal- est réel, et s’il apparaît dans les don-
environ deux fois inférieure, car les culée pour l’hémisphère Nord, d’après nées enregistrées. La meilleure façon
nuages recouvrent en moyenne la moitié les émissions de dioxyde de soufre de le savoir consiste à comparer les
de la Terre. Ainsi, la réduction de l’enso- enregistrées en 1980, est égale à 1,1 modifications climatiques survenues
leillement semble comprise entre 0,2 et watt par mètre carré, un résultat en dans l’hémisphère Nord et dans
0,3 pour cent de l’ensoleillement total. accord avec les estimations précédentes. l’hémisphère Sud. Pour l’ensemble du
En outre, les aérosols de sulfates Globe, la température moyenne a aug-
Les aérosols refroidissent la terre en augmentant menté de 0,5 degré au cours des 100
l’albédo des nuages : quand elles sont dernières années (voir Le réchauffe-
de l’hémisphère Nord piégées dans les nuages, certaines parti- ment de la Terre, par R. Houghton et
Cette diminution a-t-elle des consé- cules forment des germes de nucléation, G. Woodwell, dans ce dossier). Si
quences tangibles? Le rayonnement dont la densité détermine le nombre et l’effet de serre (c’est-à-dire le réchauf-
solaire qui atteint la couche de brume la taille des gouttelettes dans les fement résultant de l’activité humaine)
de sulfates proche du sol correspond à nuages et, par conséquent, leur albédo. est le seul mécanisme de forçage cli-
une énergie d’environ 200 watts par Une augmentation de 30 pour cent de matique, l’hémisphère Nord devrait se
mètre carré, de sorte que la perte l’albédo des nuages, uniquement au- réchauffer un peu plus vite que l’hémi-
atteint 0,4 à 0,6 watt par mètre carré. dessus des océans, suffirait à équili- sphère Sud, où se trouvent la plupart
Comme la concentration en aérosols brer le réchauffement moyen dû au gaz des océans et dont l’inertie thermique
est supérieure dans l’hémisphère Nord, carbonique d’origine humaine libéré est supérieure.
le «forçage» moyen y est sans doute depuis 100 ans.
supérieur, et proche d’un watt par Malheureusement cet effet indirect
Aérosols contre gaz
mètre carré. Les climatologistes nom- des particules de sulfates n’a pu être
ment forçage l’action que des facteurs correctement estimé. Bien que l’on
à effet de serre
extérieurs à l’atmosphère et aux océans observe une augmentation des germes Or les observations révèlent que,
ont sur les modifications de l’équilibre depuis 1940, l’hémisphère Nord s’est
de nucléation au-dessus des régions très
énergétique de la planète. réchauffé moins vite que l’hémisphère
industrialisées, les climatologistes n’ont
Si une telle perte d’énergie inci- Sud. Le réchauffement qui s’est pro-
pas encore réussi à relier le nombre de
dente semble faible, elle n’est pas duit au début du X X e siècle dans
germes et les modifications de la quan-
dénuée de conséquences. L’accumula- l’hémisphère Nord a cessé entre les
tité d’aérosols d’origine humaine. C’est
tion du dioxyde de carbone dans pourquoi on ne sait pas encore quanti-années 1940 et le milieu des années
l’atmosphère provoque un gain de 1,5 fier les conséquences indirectes des 1970, bien que les émissions de gaz à
watt par mètre carré (en tenant compte effet de serre aient continué à augmen-
aérosols. Les observations par satellite
des autres gaz à effet de serre, tels les ter durant cette période. Cette interrup-
semblent indiquer que cet effet indirect
oxydes d’azote et le méthane, le gain tion du réchauffement résulte peut-
est faible, mais les calculs théoriques
atteint 2 à 2,5 watts par mètre carré). montrent qu’il pourrait être du même être, en partie, de l’effet opposé des
Ainsi le rafraîchissement dû aux aéro- ordre que celui du forçage direct. aérosols de sulfates. De même, plu-
sols de sulfates est du même ordre que le La modélisation des effets météo-sieurs modèles climatologiques avaient
réchauffement dû au dioxyde de car- rologiques des aérosols étant impar- prévu un réchauffement supérieur à ce
bone, du moins dans les régions indus- faite, on pourrait se demander si le que les enregistrements des données
trielles, où les bancs de brume météorologiques ont montré.
sont les plus concentrés. Bien que les modifica-
Naturellement ces calculs tions observées soient
sont approximatifs. Pour compatibles avec l’effet pré-
améliorer la précision, les cli- sumé des aérosols, elles ne
matologistes utilisent un prouvent pas que les aérosols
modèle créé à l’Institut Max sont responsables des effets
Planck de Mayence, qui tient observés (le fait que deux
compte de la production chi- hémisphères se soient
mique des aérosols (à partir réchauffés quasiment de la
du dioxyde de soufre d’ori- même façon au cours du XXe
gine humaine) et de leur siècle fixe une limite supé-
transport par le vent. Ils ont rieure à la contribution poten-
ainsi établi une carte des tielle de ces particules, et à
modifications thermiques celle de l’albédo des nuages).
dues uniquement aux sulfates Pour comprendre pour-
anthropogéniques. Ce modèle quoi, le concept de «sensibi-
a montré trois grandes masses lité climatique» est utile.
de brume sur l’hémisphère Lorsqu’ils simulent l’évolu-
Nord. Sur l’Europe et sur le tion des climats, les météo-
Moyen-Orient, ces masses 3. C ES PARTICULES ATMOSPHÉRIQUES CONTIENNENT DES rologues doublent la concen-
font perdre quatre watts par SULFATES. Au microscope électronique, on voit que leur diamètre tration en gaz carbonique et
mètre carré ; sur l’Est des est environ égal à 0,1 micromètre. laissent leur système clima-

116 © POUR LA SCIENCE


tique modélisé atteindre un nouvel de serre est plus important au-dessus du réchauffement global observé.
équilibre (plus chaud). La variation de des océans et des déserts subtropicaux L’hypothèse est difficile à confirmer,
la température globale moyenne (le dioxyde de carbone se répartit dans car les effets observés jusqu’à présent
reflète la sensibilité de la température toute l’atmosphère). sont du même ordre de grandeur que
globale moyenne aux forçages exté- De surcroît, les deux types de for- les variations climatiques naturelles.
rieurs. Par cette méthode, on a calculé çage évoluent différemment au cours
que la température pourrait varier de du temps. Le dioxyde de carbone Deux effets antagonistes
1,5 à 4,5 degrés, avec une estimation piège la chaleur quasiment de la même
moyenne égale à 2,5 degrés. Quand on façon quelle que soit l’heure de jour- C’est également le cas pour les aéro-
compare les données fournies par les née et tout au long de l’année, tandis sols. Les climatologistes n’ont pas
observations avec celles des modèles que les aérosols agissent surtout encore trouvé la preuve irréfutable de
climatiques destinés à évaluer les durant l’été, et seulement de jour. l’action refroidissante des aérosols.
conséquences du forçage exercé par Ainsi les températures moyennes Toutefois la cohérence de l’hypothèse
les gaz à effet de serre, on constate annuelles minimales ont augmenté aux de la théorie des aérosols nous persuade
que la sensibilité climatique doit être États-Unis, dans l’ex-Union soviétique que l’effet est une réalité ; en outre,
légèrement inférieure à 1,5 degré. et en Chine, mais les températures l’accord entre les résultats et les prévi-
Autrement dit, l’estimation empirique maximales n’y ont pas varié. Les aéro- sions est correct, et il n’existe aucune
de la sensibilité climatique est infé- sols compenseraient le réchauffement preuve contradictoire. Deux zones
rieure de plus de un degré aux estima- dû à l’effet de serre pendant le jour, d’ombre demeurent : nous ignorons
tions théoriques. lorsque les températures sont le plus encore les mécanismes fondamentaux
Ces valeurs indiquent que le élevées, mais pas durant la nuit, du changement climatique global et
réchauffement du Globe par effet de lorsqu’elles sont les plus fraîches. nous ne savons pas prédire l’évolution
serre est supérieur au 0,5 degré Pour savoir si les aérosols ont bien des émissions de dioxyde de soufre
constaté, mais qu’il a été partiellement une action refroidissante, le mieux est dans les années à venir. L’incertitude
compensé par un phénomène de refroi- sans doute de reprendre des études ana- sur l’action des aérosols d’origine
dissement ; ce phénomène est interne logues à celles qui sont entreprises humaine les mieux connus, les sulfates,
(la variabilité naturelle du climat) ou dans le cas des gaz à effet de serre. Les est supérieure à celle qui concerne
externe. Ainsi quand on introduit un instances internationales recomman- l’effet de serre : pour les sulfates, les
facteur de refroidissement lié à la pré- dent une diminution des émissions de estimations de l’abaissement de la tem-
sence des aérosols dans les modèles, on dioxyde de carbone, sans avoir pour- pérature varient du simple au double,
obtient une valeur de la sensibilité cli- tant réussi à prouver que l’augmenta- tandis que le réchauffement dû aux gaz
matique qui est située dans la gamme tion des concentrations atmosphériques à effet de serre est connu avec une pré-
des températures prévues. Toutefois ces en gaz à effet de serre est responsable cision de 10 à 20 pour cent.
conclusions indirectes doivent être soi-
gneusement confirmées.
Si l’on ne réussit pas encore à quan- 90
QUANTITÉ DE SOUFRE ÉMISE CHAQUE ANNÉE (EN MILLIONS DE TONNES)

tifier les conséquences des aérosols, on


a la conviction qu’ils agissent autant
80
sur le climat que les gaz à effet de
serre. Entre 1880 et 1970, les aérosols
ont peut-être compensé l’augmentation 70
de l’effet de serre sur l’hémisphère
Nord. Même si, depuis 1970, les émis-
60
sions de gaz à effet de serre ont aug- SOUFRE REJETÉ
menté plus rapidement que celles des PAR L'HOMME
aérosols, le refroidissement qui leur est 50
dû dépasserait, dans certaines régions
du Globe, le réchauffement par effet de
serre ; ce serait le cas dans le Sud de 40
l’Europe centrale, dans l’Est des États-
Unis et en Chine orientale.
30
Cependant il est incorrect de dire CONCENTRATION NATURELLE
que le refroidissement par les aérosols ENSOUFRE (SUR TERRE)
«compense» l’effet de serre, car leurs 20
caractéristiques les empêchent de CONCENTRATION NATURELLE EN SOUFRE
s’annuler exactement. Tout d’abord, (DANS L'HÉMISPHÈRE NORD)
10
les phénomènes de réchauffement et
de refroidissement ne se produisent
pas dans les mêmes régions du
monde : le refroidissement dû aux ANNÉE 1860 1880 1900 1920 1940 1960 1980
aérosols de sulfates se produit surtout 4. LES ÉMISSIONS DE SOUFRE D’ORIGINE HUMAINE dépassent notablement les émissions
au-dessus des zones industrielles de naturelles, dues, par exemple, au phytoplancton. Aujourd’hui les activités humaines rejet-
l’hémisphère Nord, tandis que l’effet teraient chaque année dans l’atmosphère entre 65 et 90 000 tonnes de soufre.

© POUR LA SCIENCE 117


Q UELLE EST LA QUANTITÉ DE LUMIERE RÉFLÉCHIE PAR LES AÉROSOLS?

D ans l’atmosphère, les aérosols de sulfates diffusent le


rayonnement solaire dans toutes les directions. Entre
15 et 20 pour cent de la lumière solaire est renvoyée vers
l’atmosphère terrestre est close ; comme la durée de vie des
aérosols de sulfates est faible, on calcule B à partir de la
somme Q de toutes les sources de sulfates, de leur durée de
l’espace. Le pouvoir de diffusion d’un aérosol (α) est élevé vie t dans l’atmosphère, et de la surface de la Terre :
même lorsque l’humidité est faible : chaque gramme B = Qt / surface de la Terre.
d’aérosol correspond à une surface particulaire d’environ La moitié du dioxyde de soufre d’origine humaine se
cinq mètres carrés. En présence d’humidité, le pouvoir de transforme en aérosols de sulfates : chaque année, 35 mil-
diffusion d’un aérosol augmente, parce que les particules lions de tonnes de soufre, sous forme de dioxyde de soufre,
absorbent de l’eau et grossissent. Pour une humidité rela- sont convertis en sulfates. Comme la masse moléculaire de
tive globale moyenne, ce pouvoir double, atteignant 10 ces sulfates est environ trois fois supérieure à celle du soufre,
mètres carrés par gramme. On utilise cette valeur pour esti- la masse totale Q vaut 100 millions de tonnes par an. En étu-
mer l’effet direct des sulfates d’origine humaine. diant les sulfates des pluies acides, on a montré que leur
À un niveau donné de l’atmosphère, la proportion de durée de vie moyenne dans l’air est de cinq jours environ.
lumière solaire perdue loi est égale au produit de la masse Enfin la surface de la Terre est voisine d’un demi-milliard de
d’aérosol M par le pouvoir de diffusion : σ = αM. Quand on kilomètres carrés. En remplaçant toutes les variables par leur
considère toute la hauteur de l’atmosphère (z représente valeur, dans l’équation de B, on calcule que la quantité totale
l’altitude), on obtient une profondeur optique d’aérosols (δ) : de sulfates est de 2,8 milligrammes par mètre carré.
Cette faible quantité de matière modifie cependant la
∞ ∞ profondeur optique des aérosols. En considérant un pouvoir
δ = ∫ σ dz = α ∫ M dz = αB de diffusion a égal à cinq mètres carrés par gramme, que l’on
0 0
double pour tenir compte de l’augmentation du coefficient de
Dans cette relation, B est la quantité mondiale moyenne diffusion lié à l’humidité relative, on calcule une modification
d’aérosols de sulfates d’origine humaine, dans une colonne de la profondeur optique due aux activités humaines égale à
d’air (en grammes par mètre cube). On utilise la profondeur 5 x 2 x (2,8 x 10–3), soit 0,03 environ.
optique calculée dans la loi de Beer-Lambert qui indique la Ainsi les sulfates résultant de l’activité humaine détournent
quantité l de lumière transmise par une couche de matière trois pour cent du rayonnement solaire, qui n’atteignent pas la
en fonction de l’intensité initiale l0 : l/l0 = e–δ, où e est la surface de la Terre. Comme 15 pour cent environ de la lumière
base des logarithmes népériens 2,71828… solaire est renvoyée vers l’espace, c’est environ 0,5 pour cent
Dans le cas le plus simple, où la profondeur optique est (0,15 x 3 pour cent) qui se perd ainsi. Cette diffusion se produit
bien inférieure à un, δ est la proportion totale de la lumière au-dessus des régions du Globe où le temps est clair ; comme
solaire perdue par diffusion. la Terre est toujours à moitié couverte de nuages, on considère
Quelle est la proportion due aux seuls sulfates d’origine que la perte globale du rayonnement solaire due à la présence
humaine? On estime cette quantité en considérant que des sulfates anthropogéniques est de 0,2 à 0,3 pour cent.

Malgré les incertitudes, nous pou- ment dû au dioxyde de carbone conti- climat sont si mal connues que toute
vons faire quelques prévisions géné- nuerait encore pendant plusieurs politique de limitation des rejets atmo-
rales. Comme les aérosols de sulfates dizaines d’années. Au contraire, la sphériques est illusoire. Nous pensons
d’origine humaine sont essentiellement diminution des émissions de dioxyde toutefois que cette attitude est mau-
libérés dans l’hémisphère Nord, le de soufre provoquerait un arrêt rapide vaise. Certes aucune solution miracle
réchauffement dû à l’effet de serre du refroidissement, car les aérosols de ne résoudra la question des variations
devrait surtout se poursuivre dans sulfates ont une durée de vie brève du climat terrestre : la seule réduction
l’hémisphère Sud et dans les zones dans l’atmosphère. Ainsi, une moindre des émissions de soufre, en diminuant
rurales de l’hémisphère Nord. Le niveau utilisation des combustibles fossiles les pluies acides, accélérerait le
des océans pourrait augmenter, comme réchaufferait d’abord le climat, surtout réchauffement de l’atmosphère ter-
prévu, de quelques dizaines de centi- dans les zones industrialisées. restre. Pour agir efficacement, nous
mètres au cours des 50 prochaines Les effets climatiques des émis- devrons d’abord mieux connaître et
années, en raison notamment de sions de soufre restent très mal mieux comprendre les phénomènes cli-
l’expansion thermique de l’eau réchauf- connus. D’autres sources d’aérosols, matiques, et agir prudemment.
fée. Les autres conséquences sont moins telle la combustion d’une abondante Nous avons de nombreuses raisons
claires, car elles dépendent des bilans biomasse, dans les régions tropicales, de réduire la consommation des com-
locaux des effets antagonistes des aéro- n’ont-elles pas été sous-estimées? bustibles fossiles et de réduire les émis-
sols et des gaz à effet de serre. Comment l’atmosphère réagit-elle au sions de dioxyde de soufre et de
Quelles seraient les conséquences forçage par les sulfates (ou par les gaz dioxyde de carbone. Il faut agir vite, car
de la réduction simultanée des émis- à effet de serre) qui ne sont pas uni- les gaz industriels émis aujourd’hui
sions de dioxyde de soufre et de formes sur toute la Terre? auront encore un effet dans plusieurs
dioxyde de carbone? Comme le cycle On serait tenté de conclure qu’en dizaines d’années : plus on tardera à
du carbone et le système climatique raison de telles incertitudes les consé- limiter efficacement les rejets, plus les
ont une grande inertie, le réchauffe- quences de l’activité humaine sur le conséquences seront graves.

118 © POUR LA SCIENCE


L ES AÉROSOLS CARBONÉS
ont formé un rideau de fumée, transfor-
mant le jour en nuit et faisant chuter les
températures diurnes de 10 degrés. Ce
phénomène n’a duré que le temps de la
Hélène Cachier-Rivault combustion des puits. Il est demeuré local,
car les sources n’étaient pas assez intenses

L’ intérêt porté aux particules atmosphé-


riques, également nommées aérosols,
est récent : il ne date que de deux décen-
aérosols de combustion lorsque Paul
Crutzen et Robert Turco ont proposé leur
modèle d’hiver nucléaire. Selon ce modèle,
pour perturber la troposphère globale, ni
pour atteindre la stratosphère.

nies. On s’est d’abord occupé des particules les effets climatiques d’un accident nucléaire Les feux de végétaux
soufrées, responsables du phénomène des majeur seraient plus importants que l’aug-
pluies acides, si bien que les études concer- mentation de la radioactivité : l’émission de Durant les années 1980, on a compris
nant les particules carbonées sont encore plus particules et de fumées consécutives à que les pollueurs ne sont pas toujours les
récentes. Ces dernières ont pourtant un effet l’explosion occulterait la lumière du Soleil et payeurs ; la pollution voyage hors des
notable sur le climat, et méritent notre atten- refroidirait l’atmosphère. Un effet semblable régions de production. Elle peut même se
tion. Elles résultent principalement de la com- serait responsable de l’extinction des grands transformer. Ainsi, après quelques minutes
bustion des fiouls fossiles et de la biomasse animaux, à la fin du Crétacé : un embrase- ou quelques jours, les gaz soufrés (principa-
des régions tropicales, et leurs effets se font ment généralisé de la couverture végétale, lement du dioxyde de soufre) ou azotés (les
surtout sentir dans l’hémisphère Nord. très dense à cette époque, aurait produit oxydes d’azote), émis lors des combustions
Avant les années 1980, on s’intéressait une épaisse fumée, suivie d’un brutal chan- de fiouls fossiles (charbon, diesel), se trans-
peu aux aérosols. On connaissait surtout les gement climatique. À l’appui de cette théo- forment en espèces acides, les sulfates et les
particules d’origine naturelle : les particules rie, l’Américain Edward Anders a montré nitrates, qui se fixent sur les aérosols. Ils aci-
crustales provenant des déserts et donnant, que certains sédiments datant de la limite difient alors l’atmosphère et les gouttelettes
loin de leurs sources, des pluies colorées du Crétacé et de l’ère tertiaire contiennent nuageuses, loin des régions émettrices.
telles les «pluies de sang», et les particules des suies carbonées en quantité. Parmi les «bénéficiaires» des activités anthro-
marines, éjectées dans l'atmosphère par des À une échelle bien moindre, la com- piques en Europe figurent les pays scandi-
réactions chimiques à la surface de la mer. bustion des puits de pétrole au Koweït, naves, dont les lacs se sont considérable-
Les particules émises par les volcans ont durant la crise du Golfe, en 1990, illustre ment acidifiés, et le bassin méditerranéen
aussi suscité nombre de recherches, car le l’effet climatique des aérosols : les feux ont oriental, où l’on mesure des concentrations
caractère cataclysmique de certaines érup- émis de nombreux polluants, dont les plus record de sulfates en atmosphère de bruit
tions ne laisse pas indifférent. Les plus vio- visibles étaient les aérosols. Ces particules de fond, c’est-à-dire loin des sources.
lentes éruptions ont des effets planétaires :
lorsque les particules soufrées atteignent la
stratosphère, à dix kilomètres d’altitude, elles – 120° – 60° 0° 60° 120°
réchauffent cette région haute de l’atmo-
sphère et refroidissent la partie basse où
nous vivons, la troposphère. Dans certaines 60° 60°
régions, le climat peut se refroidir de plu-
sieurs degrés durant quelques mois, voire
quelques années. Ainsi l’éruption d’un vol- 30° 30°
can islandais, dans les années 1780, a créé
un refroidissement qui s’est ajouté au Petit
Âge Glaciaire. Une année particulièrement
0° 0°
froide aurait favorisé la Révolution française
en affamant la population des campagnes.
En outre, les particules soufrées injectées
dans la stratosphère catalysent la destruction – 30° – 30°
de l’ozone au-dessus des pôles ; les études
consécutives à la dernière éruption volca-
nique importante, celle du Pinatubo, aux – 60° – 60°
Philippines, en 1991, ont confirmé cet effet.
Les aérosols d’origine humaine résultent
de combustions industrielles ou domes- – 120° – 60° 0° 60° 120°
tiques, et restent confinés dans la tropo- 0 0,5 1 5 10 100 250 500 1 000 2 500 5 000
sphère. Pour des raisons de santé publique,
on s’est longtemps préoccupé de leurs effets
polluants locaux, notamment en ville et dans
les zones industrialisées : on connaît le phé- 1. Courbes d’isoconcentrations de carbone-suie atmosphérique à la surface de la
Terre. En juillet, les régions les plus polluées par les particules de combustions
nomène de «smog» urbain, un brouillard
sont les pays tropicaux de l’hémisphère Sud, où c’est la saison des feux, et les
qui se forme le jour, quand la lumière pays tempérés de l’hémisphère Nord, à cause des transports et industries. La pol-
solaire transforme les polluants gazeux en lution diminuera probablement en Europe et aux États-Unis, tandis qu’elle aug-
particules. Les scientifiques… et les profanes mentera dans les pays asiatiques, en plein développement et peu contrôlés.
se sont intéressés aux effets globaux des (D’après Liousse, Penner et collaborateurs, Lawrence Laboratory de Livermore.)

© POUR LA SCIENCE 119


CARBONE-SUIE (EN NANOGRAMMES CARBONE-SUIE (EN NANOGRAMMES synthèse du couvert végétal, qui repousse
PAR MÈTRE CUBE) PAR MÈTRE CUBE) rapidement. D’autres composés émis sont
200 RADON (EN BECQUEREL dits «mineurs» ou «en trace», mais ils ont
20 PAR MÈTRE CUBE) un effet chimique ou radiatif important.
0,6 Dans l’atmosphère, l’abondance des com-
15 posés ne doit pas laisser préjuger de leur
impact : ainsi les chlorofluorocarbures, en
0,4
très faible concentration (une molécule
10 100 pour 1012), ont un effet de serre seule-
ment 10 fois moindre que celui du gaz
carbonique, pourtant bien plus abondant
0,2
5 (une molécule pour 104). Enfin, les com-
bustions émettent des aérosols, notam-
ment carbonés.
0 0 0
JAN 91 JAN 92 JAN 93 JAN 94 JOURNÉE DU 20 AU 21 JUILLET 1991
Lors d’une bonne combustion à haute
température, le carbone est libéré à 95 pour
2. Relevés de concentrations atmosphériques de carbone-suie à l’Île cent sous la forme de dioxyde de carbone,
d’Amsterdam. Située à des milliers de kilomètres de l’Afrique du Sud et de deux pour cent en monoxyde de carbone,
Madagascar, l’île reçoit toute l’année des polluants en provenance du continent, deux pour cent en hydrocarbures gazeux et
notamment durant la saison des grands feux de brousse, comme le montrent les un peu moins d’un pour cent sous forme
moyennes mensuelles (a). Lors de certains épisodes, les concentrations de car-
d’aérosols. Les combustions de végétaux
bone-suie relevées toutes les deux heures montrent des bouffées de pollution (b) :
les polluants émis arrivent si vite, qu’ils n’ont pas le temps de se disperser et res- sont moins bonnes que les combustions
tent en couches concentrées. Les mesures de radon, qui est émis principalement industrielles ; bien qu’elles brûlent moins de
par les continents, confirment l’origine continentale des polluants, car l’île est trop combustible, elles produisent plus de com-
petite pour produire du radon. Les grosses quantités de radon montrent que le posés mineurs. Globalement, les combus-
transport des masses d’air est rapide, car ses concentrations décroissent rapide- tions industrielles produisent entre 15 et
ment par radioactivité (sa demi-vie est de 3,8 jours). 40 x 1012 grammes de carbone d’aérosols,
et les feux de végétaux, entre 20 et
30 x 1012 grammes de carbone.
À la même époque, un travail pionnier la consommation annuelle de fiouls fossiles Toutes les combustions produisent les
de Wolfgang Seiler et Paul Crutzen, du atteint 5 x 1015 grammes de carbone et mêmes particules carbonées. On ne peut
Max Planck Institute de Mayence, a montré celle de végétaux, 4 x 1015 grammes de distinguer, ni sur des critères chimiques ni
que la pollution atmosphérique n’est pas le carbone. La répartition des émissions est sur des critères morphologiques, les suies
fruit des seules activités des pays industriali- inégale : la majeure partie de la biomasse de diesel des suies émises par les feux de
sés. Au Brésil, pendant la saison sèche, ils végétale est consumée (80 pour cent) dans savanes. On ne peut non plus leur attribuer
ont détecté une importante pollution les régions tropicales, dont 40 pour cent de formule chimique précise, car elles sont
gazeuse, vraisemblablement due aux nom- sur le continent africain. Les feux tropicaux formées de carbone organique à divers
breux feux (de la forêt amazonienne et de sont, pour moitié, des feux de savanes. états de polymérisation. Le stade ultime de
la savane) déclenchés en cette saison. Ces Cette proportion n’est pas surprenante : la condensation est le graphite, carbone élé-
feux de végétation, mais aussi les feux les savanes occupent une immense surface mentaire arrangé en molécules cycliques.
domestiques qui brûlent du bois, du char- et repoussent tous les ans après la saison Le graphite ne représente qu’une part
bon de bois, voire des bouses séchées d’ani- des pluies. L’autre moitié des feux tropi- infime des aérosols de combustion. Les
maux, constituent une autre source majeure caux inclut les feux de forêts (déforestation aérosols sont constitués d’un cœur de gra-
de pollution gazeuse ou particulaire. Au vu de la forêt vierge d’Amazonie, déboise- phite, entouré d’une pellicule qui présente
de la population de notre planète, il est cer- ment de la jungle asiatique pour la culture, de nombreuses fonctions organiques oxygé-
tain que ces pratiques agricoles et domes- etc.), des feux domestiques et des feux nées. Ces fonctions de surface caractérisent
tiques produisent une quantité non négli- agricoles. Toutes ces combustions sont les aérosols. Quand ces fonctions sont abon-
geable de polluants, surtout dans les pays déclenchées par l’homme. dantes, les particules sont incolores ou faible-
très peuplés. Depuis les deux conférences ment colorées : on a alors du carbone orga-
organisées en 1990 et 1995 par Joel Les émissions nique particulaire. Quand c’est le noyau de
Levine, de la NASA, la prise de conscience du de particules carbonées graphite qui domine, les particules sont
rôle de la combustion de végétaux est mon- grises ou noires, constituant le carbone-suie.
diale : on sait que ces phénomènes de com- Les combustions de fiouls fossiles et La qualité de la combustion détermine la
bustion ont lieu partout à la surface de la celles de végétaux émettent les mêmes quantité globale de particules émises, mais
Terre et que leurs effets atmosphériques composés. Le plus abondant d’entre eux aussi l’abondance relative de carbone-suie.
concernent la totalité de la troposphère. est le gaz carbonique, célèbre composé à Les effets chimiques et climatiques
De nombreuses expériences, au sol ou effet de serre. On distingue les combus- des deux types d’aérosols, carbone-suie
en avion, et des mesures de concentrations tions «irréversibles» (l’usage des fiouls fos- et carbone organique, diffèrent singuliè-
d’espèces gazeuses et particulaires, effec- siles et la déforestation) des combustions rement. La coloration noire du carbone-
tuées au Brésil, au-dessus de l’Atlantique d’herbes : les premières constituent un suie lui confère un pouvoir absorbant du
Sud et en Afrique, ont précisé l’impact sur flux net de gaz carbonique ; pour les rayonnement solaire, tandis que les parti-
l’atmosphère de la combustion de végé- deuxièmes, l’émission ponctuelle de gaz cules organiques diffusent le rayonne-
taux. À l’échelle planétaire, on estime que carbonique est compensée par la photo- ment vers l’espace.

120 © POUR LA SCIENCE


Le transport des aérosols
M ESURER LES CONCENTRATIONS
Les aérosols de combustion sont sou- D ’ AÉROSOLS CARBONÉS
vent inférieurs à un micromètre. Par consé- On commence par recueillir les Quand on veut séparer le carbone
quent, ils sédimentent peu et, avant que les particules en filtrant l’air au travers organique du carbone-suie, on chauffe
pluies ne les entraînent au sol, ils se dépla- d’une membrane exempte de carbone l’échantillon d’air recueilli : le carbone
cent loin des sources. Le temps de vie (en fibres de quartz ou de verre). On organique est plus volatil. On peut
moyen de ces aérosols est de sept jours : traite ensuite les particules à l’acide aussi doser directement le carbone-
c’est assez pour explorer la moitié de la tro- pour éliminer les carbonates. Puis on suie en mesurant le noircissement
posphère, mais trop court pour contaminer les brûle sous oxygène à 1 000 degrés d’un filtre où sont accumulées les par-
l’autre hémisphère. Ainsi, même si leur Celsius : on transforme ainsi tout le ticules atmosphériques. On mesure de
concentration diminue quand on s’éloigne carbone, quelle que soit sa forme chi- préférence les teneurs en carbone-
des continents, les aérosols sont partout, mique, en gaz carbonique. Il reste suie, car il n’a pas d’autre source natu-
même au-dessus de l’Antarctique (voir la alors à doser ce gaz carbonique à relle : il est donc un traceur de la pol-
figure 1). Toutefois, les concentrations de l’aide d’un analyseur à infrarouges. lution de combustion.
bruit de fond, c’est-à-dire loin des conti-
nents, sont 10 fois supérieures dans l’hémi-
sphère Nord que dans l’hémisphère Sud. de kilomètres des côtes de l’Afrique du l’atmosphère. Elles sont en quantité suffi-
Cette différence provient de la localisation Sud. Les moyennes mensuelles montrent sante (de 0,1 à 10 microgrammes de
des sources de combustion : 90 pour cent une augmentation notable des apports de soufre par mètre cube d’air) pour réfléchir
des activités industrielles et environ 60 pour carbone-suie à la saison sèche ; lors de cer- une partie du rayonnement solaire vers
cent des combustions de végétaux ont lieu tains épisodes, elles peuvent augmenter l’espace. Elles ont en outre la faculté de
dans l’hémisphère Nord. d’un facteur 50 (voir la figure 2). Nous condenser la vapeur d’eau atmosphérique
Les activités industrielles étant concen- avons aussi étudié la teneur de radon, un en gouttelettes nuageuses. À travers cette
trées dans les pays développés, les aéro- radioélément émis principalement par les nucléation, elles renforcent le pouvoir
sols carbonés de combustion imprègnent continents : la demi-vie de cet élément réflecteur des nuages et contribuent au
surtout la bande de latitude tempérée de radioactif étant brève (3,8 jours), il est un refroidissement. Or les aérosols de combus-
l’hémisphère Nord, sans influence saison- traceur des apports rapides des continents. tions présentent les mêmes caractéristiques
nière notable. À l’inverse, les feux de On montre que les pics de concentration que les aérosols soufrés industriels : mêmes
végétations sont liés aux climats et aux sai- résultent de la conjonction de deux concentrations, même taille, même pro-
sons. C’est ce que révèlent les carottes de facteurs : l’intensification des sources de priété de nucléation. Leur présence dans
glaces prélevées au Groenland dans le combustion, mais aussi l’établissement d’un l’atmosphère a probablement les mêmes
cadre du programme européen Eurocore : transport favorable à partir des sources. effets. Au-dessus de l’Amazonie, lors de la
la neige qui s’accumule sur ce site enre- saison sèche, l’observation par satellite des
gistre, en strates saisonnières, les apports Les effets climatiques nuages a révélé une évolution depuis 20
naturels ou industriels provenant de plus ans : autrefois semblables à de gros cumu-
basses latitudes. En été, les feux naturels Les combustions produisent autant de lus, ils ont maintenant l’aspect d’un voile
de la forêt boréale de Sibérie ou du particules carbonées que de particules sou- opaque et continu couvrant toute la région.
Canada se superposent au bruit de fond frées. Les propriétés géochimiques de ces Les sulfates empêchent une quantité
de la pollution particulaire industrielle. Ces particules sont similaires. Pourquoi alors est- d’énergie comprise entre 1,2 et 1,8 watts
incendies de forêt boréale se déclarent par on resté si longtemps indifférent aux parti- par mètre carré d’atteindre la surface de la
temps sec ; leur nombre peut varier d’un cules carbonées? Peut-être la réponse se Terre. Le groupe de l’Américaine Joyce
facteur 10 d’un été à l’autre. trouve-t-elle dans notre égocentrisme : Penner, de Livermore, attribue un effet du
Les feux tropicaux s’intensifient pen- nous limitons notre horizon à nos régions, même ordre aux aérosols carbonés de
dant la saison sèche, qui a lieu en hiver. et nous donnons la priorité à nos propres combustions. En additionnant les effets
Dans l’hémisphère Nord, la concentration problèmes. Les aérosols carbonés sont peu des deux types d’aérosols, on évalue la
d’aérosols de combustion augmente entre toxiques (sauf en ville, où les émissions des perte d’énergie à la surface de la Terre de
novembre et mars, tandis que ce maxi- moteurs diesels deviennent inquiétantes) ; 2 à 3,4 watts par mètre carré, en
mum est atteint entre juin et septembre ils interviennent peu dans les cycles com- moyenne ; cette perte refroidirait la sur-
dans l’hémisphère Sud. La zone tropicale plexes d’oxydation, qui conduisent à la for- face de la Terre de deux à trois degrés. Ce
est donc polluée alternativement par les mation d’ozone troposphérique et à la des- refroidissement compenserait le réchauffe-
grands feux de l’un ou de l’autre des hémi- truction des radicaux OH, les «nettoyeurs» ment dû aux gaz à effet de serre. Les rele-
sphères. Sur l’équateur, dans la forêt du de l’atmosphère (ils pourraient toutefois les vés de températures effectués depuis de
Nord Congo, nous avons recueilli les parti- catalyser). En revanche, l’intensification pro- nombreuses années à la surface de la
cules carbonées des pluies : cette forêt, bable des sources de combustion tropicale Terre semblent confirmer cette hypo-
bordée de deux grandes savanes, chacune pourrait perturber notre climat. thèse : le réchauffement mesuré paraît
dans un hémisphère, reçoit les polluants Depuis une dizaine d’années, sous plus important dans l’hémisphère Sud que
des grands feux tous les six mois environ. l’impulsion de R. Charlson, à Seattle, aux dans l’hémisphère Nord, où les aérosols
Les polluants des grands feux imprè- États-Unis, de nombreux chercheurs tentent sont plus nombreux.
gnent toute l’atmosphère. Nous avons d’évaluer l’effet des particules de sulfates
relevé les concentrations de carbone-suie à industriels sur la quantité d’énergie reçue à Hélène CACHIER-RIVAULT est chercheur
l’Île d’Amsterdam, petite île perdue au la surface de la Terre et sur le climat. Ces au Centre des faibles radioactivités
milieu de l’océan Indien, à plusieurs milliers particules ne se contentent pas d’acidifier (CNRS-CEA), à Gif-sur-Yvette.

© POUR LA SCIENCE 121


Le monoxyde de carbone
Reginald Newell, Henri Reichle et Wolfgang Seiler

Les incendies des forêts tropicales Après cette découverte de concentra-


tions notables en monoxyde de carbone
dégagent autant de monoxyde de carbone dans l’hémisphère Sud, les spécialistes
ont recherché d’autres sources que les
que les transports et les industries. combustibles fossiles. Ils ont notamment
étudié les réactions chimiques atmosphé-
riques où intervient le radical hydroxyle
(OH), très réactif. Ce radical résulte de la
l y a 20 ans seulement, les spécia- est généralement de plusieurs centaines réaction des molécules d’eau de l’atmo-

I listes supposaient que la quasi-


totalité du monoxyde de carbone
rejeté dans l’atmosphère provenait
des industries et des transports ; la com-
bustion du charbon, du gaz naturel et du
de fois inférieure aux concentrations
toxiques. En revanche, la présence du
gaz révèle de graves menaces écolo-
giques. D’une part, les concentrations
élevées en monoxyde de carbone confir-
sphère avec des atomes d’oxygène exci-
tés, issus de la décomposition de l’ozone
par la lumière solaire à faible altitude. Du
fait de sa forte réactivité, le radical
hydroxyle «nettoie» l’atmosphère, en
pétrole serait localisée dans les pays ment que l’on détruit rapidement les oxydant le méthane, par exemple.
industrialisés, soit dans l’hémisphère forêts tropicales ; cette destruction pro- En 1971, des chercheurs de
Nord. Le monoxyde de carbone était voquera probablement des modifica- l’Université Harvard ont supposé que,
censé recouvrir les régions productrices tions climatiques désastreuses, locale- lorsque les radicaux hydroxyle oxydent le
et rester dans la couche de l’atmosphère ment et à l’échelle mondiale. D’autre méthane dans l’atmosphère, ils déclen-
proche de la surface. Peu de ce gaz part, une augmentation importante de la chent une série de réactions qui libèrent
serait monté en altitude par convection, concentration en monoxyde de carbone de grandes quantités de monoxyde de
puis retombé dans l’hémisphère Sud. semble favoriser l’accumulation carbone. Le méthane étant uniformément
Ces idées étaient fausses : les d’ozone, très toxique pour les végétaux, réparti autour du Globe, on calcula qu’il
fumées industrielles et les gaz d’échap- et de méthane, qui réchauffe l’atmo- pouvait être une source de monoxyde de
pement des véhicules ne sont pas les sphère par effet de serre. carbone plus importante que les combus-
seules sources importantes de ce gaz tibles fossiles ; de ce fait, on pouvait aussi
incolore et inodore qu’est le monoxyde De nouvelles sources trouver du monoxyde de carbone dans
de carbone ; ils n’en sont peut-être l’hémisphère Sud.
même pas la source principale! Nous Comme on a longtemps pensé que le Le monoxyde de carbone ne reste pas
avons participé à la mise au point d’un monoxyde de carbone n’était produit que indéfiniment dans l’atmosphère : il dispa-
instrument qui, lors de deux vols à bord dans l’hémisphère Nord, il semblait peu raît après un séjour compris entre dix
de la navette spatiale, a déterminé la probable d’en trouver de fortes concen- jours et quelques mois, une partie du gaz
répartition du monoxyde de carbone sur trations dans les régions tropicales et dans étant absorbée par le sol. En outre, Hiram
une partie notable de la Terre. Ces l’hémisphère Sud. Encore récemment, les Levy, de l’Observatoire d’astrophysique
mesures, combinées à celles qui sont mesures des concentrations atmosphé- de Cambridge, avait déjà montré que les
effectuées à partir d’avions ou du sol riques de ce gaz près du sol ou de la sur- radicaux hydroxyle éliminent le
depuis dix ans, montrent que le brûlage face des océans confirmaient cette hypo- monoxyde de carbone atmosphérique en
des forêts tropicales et des savanes thèse. Lors d’une campagne dans le transformant en dioxyde de carbone.
dégage au moins autant de monoxyde l’Atlantique Sud en 1969, l’un d’entre Malgré ces progrès théoriques, on ne
de carbone que la consommation des nous (W. Seiler) et Christian Junge, de savait pas d’où provenait et comment dis-
combustibles fossiles. l’Institut Max Planck de Mayence, ont paraissait le monoxyde de carbone, car on
Cette découverte est alarmante, mais analysé des échantillons d’air à diverses ignorait sa répartition dans l’atmosphère.
ce n’est pas la toxicité du monoxyde de latitudes : la concentration en On espérait que l’étude de régions où il
carbone qui inquiète, bien que l’on monoxyde de carbone était supérieure abonde en indiquerait les sources, et que
sache depuis longtemps qu’en se fixant au Nord de l’équateur. Vers la même l’étude des régions où il est en faibles
à l’hémoglobine, le gaz réduit l’oxygé- époque, des prélèvements par avion, à concentrations révélerait les mécanismes
nation vers les tissus et que lorsque l’air dix kilomètres d’altitude, entre de son élimination, mais comment établir
en contient 20 molécules par million Francfort et Johannesburg, indiquaient une carte détaillée de la répartition de ce
(concentration qui peut être atteinte des concentrations semblables dans les gaz? Même si l’on avait disposé d’une
dans un tunnel ou une rue encombrée), deux hémisphères : on avait supposé importante flotte aérienne, le travail
les facultés mentales sont amoindries ; que l’air provenant de l’hémisphère aurait duré des mois, voire des années, et
au-dessus des forêts tropicales, la Nord se mélangeait à l’air de l’hémi- l’on n’aurait pas détecté les variations
concentration en monoxyde de carbone sphère Sud, à haute altitude. rapides des concentrations.

122 © POUR LA SCIENCE


La radiométrie infrarouges, de longueur d’onde proche cellules remplies de monoxyde de car-
à filtre gazeux de 4,67 micromètres (le profil de la bone à des pressions différentes. Les
courbe d’absorption dépend de la tem- signaux émis par les photodétecteurs sont
Des équipes envisagent d’utiliser pérature et de la pression). traités et l’on stocke dans l’ordinateur de
des satellites pour avoir une vue Pour mesurer la concentration en bord le signal du détecteur placé derrière
d’ensemble du monoxyde de carbone monoxyde de carbone en un point de la la cellule vide et les différences entre ce
dans le monde. Des instruments embar- Terre, on dirige l’objectif de l’instru- signal et celui du détecteur placé derrière
qués effectueraient en quelques jours ment vers ce point et l’on enregistre le la cellule contenant du gaz.
des mesures quasi simultanées des rayonnement de l’ensemble Terre- Les deux différences situent le
concentrations, aux diverses latitudes atmosphère. Le rayonnement est spectre variable de l’atmosphère par rap-
et longitudes. De fait, on peut mesurer «haché» par un disque rotatif, qui laisse port aux spectres constants des deux
les concentrations de monoxyde de passer, en alternance, le rayonnement détecteurs à gaz (voir la figure 4).
carbone à partir d’un satellite, grâce à infrarouge émis par une plaque d’alu- Lorsque l’atmosphère contient très peu
la radiométrie à filtre gazeux. On a minium noire, de température contrô- de monoxyde de carbone, les différences
déjà utilisé cette technique pour mesu- lée. Cette plaque, appelée corps noir, sont importantes, et plus le monoxyde de
rer la température de l’atmosphère à émet un spectre dépourvu de pics carbone est abondant, plus les diffé-
partir du satellite Nimbus IV. d’absorption ; à partir de cette réfé- rences diminuent. Connaissant les pres-
Au Centre de recherche Langley de rence, on détermine la quantité de sions et les températures à l’intérieur des
la NASA, nous avons formé une équipe rayonnement absorbé par l’atmosphère. cellules à gaz, on déduit la proportion de
scientifique afin de mettre au point une Le rayonnement analysé est alternati- monoxyde de carbone contenue dans
expérience destinée à une mission de la vement celui de l’atmosphère et celui du l’air : le rapport de mélange.
navette spatiale. Cette expérience, bap- corps noir ; il traverse un filtre qui bloque Le spectre du monoxyde de car-
tisée «mesure de la pollution de l’air à toutes les longueurs d’onde, excepté bone variant avec la pression, les
partir de satellites» (MAPS), a été propo- celles qui sont proches de 4,67 micro- détecteurs assurent une bonne sensibi-
sée en 1976 pour l’un des vols d’essai mètres. Des lames semi-réfléchissantes lité du radiomètre, quelle que soit
en orbite de la navette. Notre radiomètre dirigent le rayonnement sélectionné vers l’altitude où le gaz est analysé : le
à filtre gazeux tire parti de l’absorption trois photodétecteurs. L’un d’entre eux, détecteur situé derrière la cellule où la
de certains rayonnements infrarouges placé derrière une cellule transparente et pression est égale à 0,35 atmosphère
par le monoxyde de carbone. En mesu- vide, mesure l’intensité absolue du rayon- est particulièrement sensible aux gaz
rant l’absorption de la lumière par l’air, nement infrarouge provenant alternative- entre trois et huit kilomètres ; celui qui
on détermine la concentration de ce gaz. ment de l’atmosphère et du corps noir ; est placé derrière la cellule où le gaz
Le monoxyde de carbone absorbe les les deux autres sont placés derrière des est à une pression de 0,1 atmosphère

60°N

40°N

20°N

20°S

40°S

60°S
180° 160° 140° 120° 100° 80° 60° 40° 20° 0° 20° 40° 60° 80° 100° 120° 140° 160° 180°

1. L’AIR EST ENRICHI DE MONOXYDE DE CARBONE (CO) au-dessus des régions tropicales, où l’on
25 35 45 55 65 75 brûle les forêts et les savanes. Il y a 15 ans, on croyait que le monoxyde de carbone n’était produit
que par les transports et l’industrie ; les mesures effectuées en octobre 1984, à bord de Challenger,
75 85 95 105 115 125 ont montré que cette idée était fausse. Cette carte indique les concentrations moyennes en
monoxyde de carbone, dans la partie de l’atmosphère située entre 3 à 18 kilomètres d’altitude. Les
ABONDANCE DU MONOXYDE vents décalent les panaches de monoxyde de carbone par rapport à leur source. Chaque carré de
DE CARBONE DANS L’AIR couleur correspond à cinq degrés de latitude sur cinq de longitude ; la couleur représente la valeur
(EN PARTIES PAR MILLIARD) moyenne de plusieurs mesures effectuées dans le carré.

© POUR LA SCIENCE 123


monoxyde de carbone par milliard de
OH
OH molécules d’air. Au-dessus de la mer
CH3OOH CH3O2 d’Oman, près de l’équateur, où l’air de
HO2 02 + M
ULTRAVIOLETS l’hémisphère Sud entre dans la circula-
NO
O2 tion d’air de la mousson, les rapports
CH2O CH3O CH3
OH de mélange sont bien inférieurs : ils
ULTRAVIOLETS sont d’environ 80 molécules par mil-
CHO OH liard de molécules d’air.
Progressivement les analyses ont
OH CO2 CH4 ainsi révélé que le monoxyde de car-
N
IO bone apparaissait également dans des
SIT
PHOTOSYNTHÈSE PO régions peu industrialisées. En août et
COM
CO DÉ en septembre 1980, des météorologues
ANIMAUX
de l’Université de Boulder et l’un
VÉGÉTAUX
ABSORPTION
d’entre nous (W. Seiler) ont étudié la
répartition de divers gaz au-dessus du
Brésil, lors de la saison sèche : dans la
basse atmosphère, au-dessus des forêts
SOL vierges tropicales, on a trouvé des rap-
ports de mélange qui atteignent 400
2. LE MONOXYDE DE CARBONE se forme naturellement dans l’atmosphère à partir du
méthane libéré par les animaux et les végétaux. Les radicaux hydroxyle (OH) produits par
molécules de monoxyde de carbone
le rayonnement solaire oxydent le méthane (CH4) et participent à plusieurs autres réactions par milliard de molécules d’air. Lors
du cycle du monoxyde de carbone ; ils le transforment notamment en dioxyde de carbone du survol d’une savane brésilienne en
(CO2). D’autres gaz réagissent avec les radicaux hydroxyle, mais plus le monoxyde de car- feu, le détecteur a même été saturé.
bone est abondant, notamment à cause des incendies de forêts, plus il consomme ces radi- On a alors recherché de nouvelles
caux, les accaparant et les empêchant donc de réagir avec les autres gaz. théories afin d’expliquer pourquoi les
forêts dégagent tant de monoxyde de
est adapté à des altitudes supérieures ; gaz dégagée par le trafic routier rive- carbone. Paul Crutzen, de l’Institut
le détecteur placé derrière la cellule rain aux heures de pointe : au-dessus Max Planck, a supposé que de grandes
vide réagit principalement au rayonne- de Chicago et de Milwaukee, des quantités de monoxyde de carbone sont
ment provenant du sol. En interprétant panaches de gaz contenaient en libérées au-dessus des forêts vierges
les signaux des détecteurs, on a une moyenne 260 molécules de monoxyde tropicales par oxydation photochi-
indication de l’altitude où l’on a de carbone par milliard de molécules mique d’hydrocarbures autres que le
mesuré le monoxyde de carbone. d’air ; c’est une valeur élevée, mais méthane ; ces hydrocarbures provien-
Pour déterminer les rapports de pas surprenante. draient des résines et des huiles essen-
mélange du monoxyde de carbone, on Alors qu’on voulait tester la sensi- tiellement produites par les arbres.
doit tenir compte d’autres caractéris- bilité du radiomètre aux faibles Alain Marenco, du Centre de physique
tiques atmosphériques, qui modifient la concentrations, on a découvert des atomique de Toulouse, et Jean-Claude
propagation des rayonnements : les concentrations élevées en monoxyde Delauny, du Laboratoire de physique
conditions météorologiques, la hauteur de carbone dans des régions peu atmosphérique d’Abidjan, sont récem-
du Soleil au moment des observations industrialisées. Pendant l’été de 1979, ment parvenus aux mêmes conclusions
et le pouvoir de réflexion du sol. Nous notre radiomètre a servi à étudier la à partir de mesures effectuées au-
corrigeons notamment nos mesures de mousson en Inde, lors du Programme dessus des forêts tropicales africaines.
l’effet de la vapeur d’eau, du dioxyde international MONEX : embarqué dans P. Crutzen et W. Seiler pensent
de carbone, de l’ozone et du protoxyde un avion volant à 12 kilomètres d’alti- également que la combustion de la bio-
d’azote, qui absorbent tous l’infrarouge tude, il détermina la concentration en masse (le défrichage par le feu ou le
aux environs de 4,67 micromètres. monoxyde de carbone pendant un long chauffage à la bouse, par exemple) est
Les nuages peuvent également vol au-dessus de la mer d’Oman ; pour une source importante de carbone
fausser les résultats. Lors des pre- vérifier les mesures, on prélevait des atmosphérique. Seule une partie de ce
mières expériences MAPS à bord de la échantillons d’air, qui furent analysés carbone se transforme en monoxyde de
navette, une caméra parallèle au radio- ultérieurement. carbone ; la majeure partie s’oxyde en
mètre photographiait la Terre pendant dioxyde de carbone ou se diffuse sous
les mesures. Ultérieurement on a Les incendies pollueurs la forme de particules carbonées. On a
dépouillé toutes ces images, une à une, calculé que la combustion de la bio-
afin d’éliminer les mesures effectuées Les résultats ont été surprenants : masse libérerait ainsi deux à quatre
au travers de nuages. dans la basse atmosphère, au-dessus milliards de tonnes de carbone par an
On a testé la sensibilité du radio- de l’Arabie Saoudite et de la plaine du dans l’atmosphère. Hélène Cachier et
mètre dans des conditions variées. Gange, les concentrations en ses collègues du Centre des faibles
Afin de connaître ses réactions quand monoxyde de carbone étaient supé- radioactivités, à Gif-sur-Yvette, ont
l’air contient beaucoup de monoxyde rieures à celles qui avaient été mesu- également montré que les aérosols car-
de carbone, nous l’avons embarqué rées au-dessus de Chicago aux heures bonés des forêts tropicales apportent
dans un avion qui a survolé le lac d’affluence, avec des rapports de autant de particules de carbone dans
Michigan et mesuré la quantité de ce mélange dépassant 300 molécules de l’atmosphère que les activités indus-

124 © POUR LA SCIENCE


trielles (voir Les aérosols carbonés, des systèmes de refroidissement, l’ins- longitude ; nous avons gommé les
par Hélène Cachier, dans ce dossier). trument n’a fonctionné que pendant variations des données en faisant la
Un grand nombre de ces aérosols sont 11 heures, effectuant 10 000 mesures du moyenne des diverses mesures effec-
émis au cours de la saison sèche, quand monoxyde de carbone, à des altitudes tuées à l’intérieur de chaque carré.
ont lieu la plupart des incendies. comprises entre 3 et 12 kilomètres. L’analyse des données a fait appa-
Les régions observées sont situées raître une étonnante répartition du
Les preuves de l’espace de part et d’autre de l’équateur, entre monoxyde de carbone. Le moins surpre-
37 degrés de latitude Nord et 37 degrés nant fut l’observation de rapports de
Afin de vérifier les résultats surpre- de latitude Sud. À 260 kilomètres d’alti- mélange faibles (environ 40 molécules
nants et les théories récentes, on a tude, le radiomètre enregistrait les par milliard de molécules d’air) dans le
embarqué le radiomètre à bord de la rayonnements de zones de 20 kilo- Sud-Est du Pacifique et au-dessus de
navette spatiale lors de son second vol mètres de large, à la surface de la Terre. l’Argentine, où les vents d’Ouest ont
d’essai, en novembre 1981. Du fait On regroupe ces zones en carrés de cinq balayé de grandes surfaces océaniques.
d’avaries des générateurs d’énergie et degrés de latitude sur cinq degrés de Comme les travaux précédents ne

MIROIR

DISQUE ROTATIF DÉTECTEUR A


(À FILTRE)
∆ SIGNAL
CELLULE À GAZ 1 A-C
DÉTECTEUR B
DIVISEURS (À FILTRE)
SIGNAL DU
OPTIQUES
DÉTECTEUR C

RAYONNEMENT ∆ SIGNAL B-C


ATMOSPHÉRIQUE

OBJECTIF CELLULE À GAZ 2 AMPLIFICATEUR


ÉLECTRONIQUE
CORPS FILTRE
NOIR SÉLECTIF CELLULE VIDE

DÉTECTEUR C
SIGNAUX ÉLECTRIQUES (SANS FILTRE)
SIGNAUX INFRAROUGES

3. LE RADIOMÈTRE embarqué sur la navette spatiale Challenger. Les lames semi-réfléchissantes dévient le faisceau vers trois détecteurs.
rayonnements provenant de l’atmosphère y sont «hachés» par un L’un d’eux, situé derrière une cellule vide (en bas), mesure l’intensité
disque rotatif, percé de fentes ; quand le rayonnement atmosphérique totale du rayonnement ; les deux autres sont placés derrière des cel-
est arrêté par le disque, le rayonnement d’un corps noir de référence lules contenant du monoxyde de carbone à des pressions différentes.
est réfléchi vers le système de mesure. Un filtre optique ne laisse pas- Grâce aux signaux de ces trois détecteurs, on peut calculer la concen-
ser que les longueurs d’onde avoisinant 4,67 micromètres : ce sont tration en monoxyde de carbone sans connaître sa pression ni sa tem-
ces rayonnements que le monoxyde de carbone absorbe le plus. Des pérature (voir la figure 4).

RAYONNEMENT ATMOSPHÉRIQUE RAYONNEMENT DU CORPS NOIR


INTENSITÉ

INTENSITÉ

DÉTECTEUR
SANS FILTRE

DÉTECTEUR
DÉTECTEUR DÉTECTEUR À FILTRE
SANS FILTRE À FILTRE
B

FRÉQUENCE FRÉQUENCE

4. L’ABONDANCE du monoxyde de carbone dans l’atmosphère est l’atmosphère, ou aucune absorption quand le rayonnement provient
calculée par comparaison du spectre de l’atmosphère et du spectre du corps noir. La différence A entre les deux courbes, lorsque les
de référence. Un détecteur placé derrière une cellule remplie de deux détecteurs observent l’atmosphère (à gauche), est proportion-
monoxyde de carbone fournit un signal faible et quasi constant, le nelle à la différence de concentration en monoxyde de carbone dans
gaz absorbant la majeure partie du rayonnement à 4,67 micro- l’atmosphère et dans la cellule. La différence B (à droite) vient de la
mètres. À cette longueur d’onde, le détecteur placé derrière une cel- comparaison de l’émission du corps noir et de l’absorption dans la
lule vide mesure une absorption partielle du rayonnement par cellule à gaz : elle permet de calibrer le radiomètre.

© POUR LA SCIENCE 125


200 rendre compte des mesures effectuées
lors du premier vol de la navette. Nous
espérions que celles que l’on effectue-
rait lors d’un second vol confirme-
HÉMISPHÈRE NORD raient et compléteraient les premières
(HAWAÏ) 19°N découvertes.
150

Deux sources majeures


Avant la seconde mission spatiale,
on a ajouté au radiomètre un système
automatique de détection des nuages.
100 Dans cette nouvelle version, une seule
cellule contenait du monoxyde de car-
bone : la détermination de l’altitude des
panaches de ce gaz était moins précise,
mais restait acceptable. L’autre cellule
était remplie de protoxyde d’azote
50 (N2O), gaz présent dans l’air en propor-
HÉMISPHÈRE SUD tion constante (305 molécules par mil-
(POINTE DU CAP) 30°S
liard de molécules d’air) jusqu’à 12
kilomètres d’altitude. Comme le
monoxyde de carbone, le protoxyde
d’azote absorbe des infrarouges de lon-
gueurs d’onde voisines de 4,67 micro-
J F M A M J J A S O N D mètres. Ainsi modifié, l’appareil pou-
vait mesurer le rapport de mélange du
5. DES VARIATIONS SAISONNIÈRES de la concentration en monoxyde de carbone dans
l’atmosphère ont été observées dans l’hémisphère Nord, à l’observatoire Mauna Loa monoxyde de carbone et du protoxyde
(Hawaï) et dans l’hémisphère Sud, au cap de Bonne-Espérance. Les concentrations d’azote. Comme la proportion de pro-
moyennes mensuelles sont calculées à partir d’un enregistrement continu, pendant cinq toxyde d’azote est quasi constante, les
ans. Dans les deux hémisphères, les rapports de mélange sont maximaux au printemps : les variations révéleraient les obscurcisse-
arbres libèrent peut-être de grandes quantités d’hydrocarbures, lesquelles, par oxydation, ments du champ par des nuages. On
forment du monoxyde de carbone. pouvait ainsi éliminer les mesures faus-
sées du monoxyde de carbone.
En octobre 1984, la navette emporta
comptaient pas les océans parmi les l’estimation est peut-être faussée par le notre instrument pour la seconde fois.
principales sources de monoxyde de petit nombre de mesures). Prévu initialement pour le printemps, le
carbone, les observations cadraient D’où vient le monoxyde de carbone vol avait été reporté : c’était regrettable,
bien avec les prévisions. dans ces régions peu industrialisées? En car nous espérions compléter les don-
Nous avons observé des rapports de étudiant les cartes des vents et l’inten- nées recueillies en novembre 1981 par
mélange supérieurs (environ 75 molé- sité de la convection atmosphérique des mesures effectuées au printemps,
cules par milliard de molécules d’air) dans ces régions pour le mois de afin de connaître les variations
au-dessus de l’Est de la Méditerranée novembre, nous avons constaté que le annuelles des concentrations en
et des terres contiguës. Dans ces monoxyde de carbone, transporté à une monoxyde de carbone. À partir de sta-
masses d’air qui avaient auparavant altitude de 10 à 12 kilomètres au-dessus tions au sol, réparties dans les deux
survolé l’Europe de l’Ouest et avaient de l’Amérique du Sud et au-dessus de hémisphères, W. Seiler et ses collègues
été fortement brassées par le mauvais l’océan Atlantique équatorial, provenait avaient auparavant observé une varia-
temps, les fortes concentrations prove- de la basse atmosphère surplombant les tion saisonnière importante de la
naient probablement de l’utilisation de forêts tropicales. L’air analysé au- concentration en monoxyde de carbone,
combustibles fossiles. dessus de la Chine était passé, la veille, avec notamment un maximum au prin-
La grande surprise fut l’observation sur les forêts tropicales du Nord-Ouest de temps de chaque hémisphère.
de concentrations maximales au-dessus la Birmanie. En Afrique centrale, la basse Les observations du second vol ont
de régions très peu industrialisées, dans atmosphère qui contient le monoxyde de cependant été plus intéressantes que
l’hémisphère Sud et dans les régions carbone recouvre des herbages et des les premières, car la navette a survolé
tropicales. Dans la partie septentrionale savanes, et la forêt équatoriale est pré- une zone bien plus vaste, de 57 degrés
de l’Amérique du Sud, en Afrique cen- sente à moins de 500 kilomètres. de latitude Nord à 57 degrés de lati-
trale et dans l’Est de la Chine, l’atmo- Dans ces régions, le monoxyde de tude Sud. En neuf jours, on a effectué
sphère contient plus de 100 molécules carbone n’est pas d’origine industrielle ; 86 heures de mesures, dont on a tiré
de monoxyde de carbone par milliard des forêts tropicales sont toujours à deux cartes de répartition du
de molécules d’air (la concentration proximité et les feux de brousse sem- monoxyde de carbone ; chaque carte
maximale a été mesurée au-dessus du blent contribuer à l’accumulation du représente la concentration moyenne
golfe de Guinée, le long de la côte gaz. Autrement dit, les théories de sur des périodes de quatre et de cinq
Ouest de l’Afrique équatoriale, mais P. Crutzen et de W. Seiler pouvaient jours consécutifs.

126 © POUR LA SCIENCE


Les observations d’octobre 1984 ont bone dans l’hémisphère Nord, alors que chaleur en se condensant sous la forme
confirmé celles de novembre 1981. On la combustion de la biomasse est celle de pluie. Cette transmission de chaleur
a mesuré des rapports de mélange supé- qui prédomine dans l’hémisphère Sud et en altitude gouverne les climats et les
rieurs à 100 molécules par milliard de les régions tropicales. circulations d’air autour du Globe. On
molécules d’air au-dessus de l’Amérique prévoit mal les conséquences des chan-
du Sud, du Pacifique Nord, de Les végétaux gements de ces processus.
l’Afrique du Sud, de l’Europe, de la On ignore également comment les
Russie, de la Chine et du Sud de
et l’atmosphère grandes quantités de monoxyde de car-
l’océan Indien. Les concentrations La quantité de monoxyde de carbone bone produites par la combustion de la
étaient minimales au-dessus du dégagée par les incendies, surtout dans biomasse modifieront les climats, en
Pacifique tropical, de l’Atlantique les pays en développement, pose des pro- transformant la chimie de l’atmosphère.
Nord, du Sahara et de l’Argentine. blèmes graves. À quelle vitesse les incen- Comme les radicaux hydroxyle réagissent
Des photographies prises en orbite dies de forêt dégagent-ils du carbone dans facilement avec le monoxyde de carbone,
ont confirmé que des panaches de l’atmosphère? À quelle vitesse les végé- l’augmentation des émissions de
monoxyde de carbone étaient associés taux le captent-ils par photosynthèse et monoxyde de carbone risque de les épui-
aux grands incendies. La fumée respiration? Quelles sont les consé- ser : ils risquent alors de moins réagir
d’incendies localisés près de l’embou- quences écologiques de la libération du avec les autres molécules, comme le
chure du Zambèze, en Afrique, s’est carbone dans l’hémisphère Sud? méthane. Cette perturbation de l’équi-
déplacée vers l’intérieur des terres, Dans les pays en développement, le libre chimique de l’atmosphère peut
poussée par un vent d’Est ; par convec- bois est le principal combustible ; les expliquer en partie l’accumulation du
tion, cette fumée a atteint des altitudes habitants de ces pays brûlent également méthane dans l’atmosphère depuis
de cinq à dix kilomètres, et le radio- la végétation afin de créer des pâtures, quelques années. Or le méthane,
mètre a détecté le panache de des terres cultivables ou des zones comme le dioxyde de carbone, est un
monoxyde de carbone. d’habitation, ces pratiques étant accélé- gaz à effet de serre : il retient dans
Pour calibrer les mesures de 1984, rées par les pressions économiques et l’atmosphère la chaleur rayonnée par
l’équipe de W. Seiler a observé d’avion les pénuries de combustible. la Terre. Récemment on s’est surtout
l’océan Atlantique pendant le vol de la À partir de données statistiques, inquiété de l’effet de serre dû aux
navette. Les instruments de mesure, en W. Seiler et P. Crutzen ont estimé que quantités considérables de dioxyde de
contact direct avec l’air, étaient sensibles 0,50 à 0,75 pour cent des forêts tropi- carbone dégagées dans l’atmosphère,
à des rapports de mélange inférieurs à cales brûlent chaque année. À mesure mais l’augmentation des concentra-
une molécule de monoxyde de carbone que la productivité des terres forestières tions en monoxyde de carbone, et par
par milliard de molécules d’air (l’avion a diminue et que l’on brûle de plus en plus voie de conséquence en méthane,
effectué un aller et retour entre Francfort de forêts, la proportion des forêts pourrait aggraver le problème.
et São Paulo, à environ dix kilomètres détruites augmente rapidement. Certaines L’accumulation du monoxyde de car-
d’altitude). Bien que les mesures effec- se reforment, mais celles qui sont défri- bone favorise la formation d’ozone à
tuées en orbite et à partir de l’avion cor- chées au profit de l’agriculture sont basse altitude. Ce dernier filtre efficace-
respondent parfaitement, les résultats dif- perdues à jamais. ment les rayonnements solaires dange-
fèrent systématiquement de 40 pour cent ; La destruction des forêts tropicales reux et compense ainsi la destruction de
on cherche aujourd’hui pourquoi les risque de transformer les climats en la couche d’ozone stratosphérique par les
mesures effectuées en avion sont si supé- modifiant les phénomènes d’évaporation chlorofluorocarbures, mais il menace la
rieures à celles du radiomètre satellisé. et de circulation de la chaleur. Pendant la végétation et ralentit peut-être la crois-
Toutes les études récentes montrent journée, les feuilles des arbres perdent sance de certaines forêts de bois durs.
que, notamment en automne dans une grande quantité de vapeur d’eau. Les études du monoxyde de carbone
l’hémisphère Nord, les forêts tropicales Lorsque l’on détruit les arbres, le ruissel- sont vitales : nous devons chercher com-
et les savanes sont des sources de lement des eaux de pluie augmente : les ment le gaz est produit, comment il cir-
monoxyde de carbone au moins aussi racines ne sont plus là pour pomper l’eau, cule et comment il est éliminé. Le radio-
importantes que les combustibles fos- et la quantité d’eau évaporée diminue, car mètre MAPS a déjà détecté, à haute
siles. Les incendies et l’oxydation des la disparition des feuilles provoque une altitude, le monoxyde de carbone prove-
hydrocarbures ont le même effet. Les réduction de la surface d’évaporation. En nant de sources naturelles, de la combus-
concentrations maximales sont du outre, comme l’évaporation absorbe de tion de la biomasse ou de l’utilisation des
même ordre de grandeur dans tous les l’énergie, elle limite l’échauffement du combustibles fossiles. Si l’on réitérait les
cas, bien que plusieurs mécanismes pro- sol par le Soleil. Si les forêts disparais- mesures aux diverses périodes de l’année,
duisent le monoxyde de carbone. sent, la température augmentera. on pourrait étudier les variations saison-
L’effet des divers processus dépend Les conséquences de la destruction nières de la concentration en monoxyde
de leur zone d’action. La combustion des des forêts ne seront pas uniquement de carbone atmosphérique ; il serait éga-
hydrocarbures, notamment du méthane, locales, car les processus d’évaporation lement intéressant de mieux connaître la
produit une quantité considérable de et de condensation transfèrent efficace- répartition du gaz au-dessus des océans.
monoxyde de carbone dans les deux ment l’énergie thermique à des altitudes On cherche également à améliorer les
hémisphères ; en revanche, les réactions élevées. Si l’évaporation n’avait pas détecteurs afin d’accroître la sensibilité
biochimiques dans le sol et dans les lieu, la chaleur terrestre serait directe- au monoxyde de carbone présent dans les
végétaux en produisent peu. L’utilisation ment transmise à la basse atmosphère. couches inférieures de l’atmosphère : on
des combustibles fossiles constitue la Or la vapeur d’eau monte de deux à huit estimerait directement et plus précisé-
source principale de monoxyde de car- kilomètres d’altitude avant de libérer sa ment les émissions locales de ce gaz.

© POUR LA SCIENCE 127


L’ AIR DE NOS VILLES L’INDICE DE POLLUTION
Tous les jours, environ 12
réseaux de surveillance publient un
indice de pollution, compris entre
1 et 10, auquel correspondent
quelques conseils de prudence pour
N ous savons tous que l’activité
humaine émet des polluants plus ou
moins nocifs. Pour évaluer les risques et
trales à combustion de fioul et de char-
bon. Les pics de pollution par les oxydes
de soufre en hiver dépendent aussi du
la population sensible, comme les
enfants et les asthmatiques. Cet
indice, fondé sur la mesure des trois
prendre des mesures de protection, fonctionnement des centrales thermiques polluants principaux, le dioxyde de
on définit des seuils de tolérance nucléaires. Ainsi les années 1990 à 1992 soufre (SO2), l’oxyde d’azote (NOx) et
– c’est le rôle des épidémiologistes et sta- ont connu de forts taux d’émission de l’ozone (O3), est maximaliste ; il est
tisticiens – et on surveille l’évolution des soufre ; plusieurs centrales nucléaires égal au plus mauvais indice de ces
émissions et concentrations : en France, étaient en arrêt de maintenance, et on a polluants. Supposons que l’indice
c’est le rôle de l’Agence de l’environne- dû utiliser des centrales conventionnelles, SO2 vaille 5, celui de NOx 6 et celui
de O3, 4 ; alors les réseaux de sur-
ment et de la maîtrise de l’énergie plus polluantes. Les conditions météorolo-
veillance publient l’indice 6 du NOx.
(ADEME), sous la tutelle des ministères de giques, comme le bon fonctionnement des
l’environnement, de l’industrie et de la centrales nucléaires, sont des paramètres à
recherche. L’ADEME gère une taxe sur la prendre en compte dans les analyses.
pollution atmosphérique, selon le prin- teur, on mesure l’absorption du rayonne-
cipe «pollueur payeur», et finance les Les techniques de mesure ment émis, et on en déduit la teneur de
associations françaises de surveillance de l’élément observé.
l’air, telles que Airparif à Paris. Elle centra- Comment mesure-t-on les polluants? Chaque méthode de mesure res-
lise l’ensemble des données françaises Par une méthode optique, en phase pecte les normes nationales et internatio-
collectées par ces associations, elle les sèche et gazeuse. On collecte l’air dans nales, décrites par l’Association française
analyse et elle publie un rapport annuel un entonnoir renversé, et on l’achemine de normalisation (AFNOR). Le ministère de
sur la qualité de l’air. dans un long tuyau vers une cellule de l’Environnement et l’ ADEME , ont créé le
Ses mesures concernent une petite mesure. Celle-ci est constituée d’un laboratoire central de surveillance de la
dizaine de polluants : oxyde de soufre, émetteur de rayonnement et d’un récep- qualité de l’air, qui élabore des procé-
oxyde d’azote, ozone, particules en sus- teur, placés de part et d’autre d’une dures de mesure, teste le matériel et
pension, hydrocarbures, plomb… L’évo- chambre aux parois transparentes. L’air calibre les appareils. Les méthodes de
lution annuelle des polluants dépend de récolté traverse la chambre et reçoit le calibrage seront bientôt harmonisées
la météorologie de l’année en question, rayonnement de longueur d’onde adap- entre les pays. Malheureusement, les cri-
notamment de la température : quand tée au polluant que l’on souhaite étudier : tères de localisation des stations diffèrent
l’été est chaud, la pollution à l’ozone est l’oxyde de carbone absorbe des rayonne- entre les pays, ce qui rend difficile la
importante ; quand l’hiver est froid, on ments dans l’infrarouge ; l’ozone et le comparaison des résultats de différentes
observe des pics de pollution par des dioxyde de soufre absorbent des rayon- provenances : doit-on mesurer près des
oxydes de soufre, pollution due aux cen- nements ultraviolets. À l’aide du récep- usines, près des voies de circulation, ou

OXYDES D'AZOTE (NOx) DIOXYDE DE SOUFRE (SO2)


NIVEAU
NORMAL 22 7

MOYEN 43 23

ÉLEVÉ 78 77

TRÈS
122 107
ÉLEVÉ

EFFETS
Maux de tête, affections des voies respiratoires Affections respiratoires, maux de tête, asthme,
inférieures, asthme accidents cardio-vasculaires

PARTICULES FINES OU FUMÉES NOIRES OZONE (O3)


NIVEAU 11 3
NORMAL
MOYEN 26 20

ÉLEVÉ 74 81
TRÈS
111 103
ÉLEVÉ

EFFETS Asthme, maux de tête, accidents cardio-vasculaires Maladies respiratoires, pathologies de l'œil

1. Concentrations de polluants (en microgrammes par On indique également les effets sur la santé, par ordre
mètre cube) mesurées en Île-de-France lors de situations d’importance décroissante (d’après l’Observatoire régional
normales ou de pollution moyenne, élevée et très élevée. de santé d’Île-de-France).

128 © POUR LA SCIENCE


RÉCEPTEUR RÉFÉRENCES DES ILLUSTRATIONS
Couverture : FOTOGRAM-STONE (P. Jason). P. 7 : ZEFA (Icelandic).
P. 9 : Jack Harris/Visual Logic, D. Schidlosky, p. 10 et 11 (haut) :
R. Osti, (bas): L. Grace. P 12 : I. Worpole, p. 14 : C. Allegre,
p. 16, 19, 22 (haut) : Institut de physique du Globe, p. 17, 18, 20,
21, 22 : PLS. P. 24 : NASA. P. 25 et 26 : PLS. P. 28, 29 et 30
(à gauche) : Barry Ross. P. 30 (droite), 31 et 32 (haut) :
Jana Brenning. P. 32 et 33 (bas) : Richard B. Alley. P. 34 (haut,
gauche) : Norman Tomalin, Bruce Coleman Inc. ; (haut, droite) :
Stefan Lundgren, The Wildlands Collection ; (bas, gauche) :
Fridmar Damm, Leo de Wys. ; (bas, droite) : Boris Dmitriev. P. 36
à 38 : PLS. P. 39 : FOTOGRAM-STONE (R. Kaylin). P. 41 (haut) :
Marc Gillet, (bas) : Chong et Campos, p. 42 (haut) : PLS,
p. 42(bas), 44, 45, 46, 47 : Pierre Gay. P. 48, 49 : Alain Joly.
P. 52 : Pierre Gay, p. 53 : National Oceanic and Atmospheric
Administration, p. 54, 55 : Pierre Gay, p. 56 : PLS. P. 61 :
FAISCEAU
COLLECTEUR Howard B. Bluestein, p. 62 : T. Narashima, p. 63 : Jerry Straka,
DE LUMIÈRE Joshua Wurman, Eric Rasmussen, University of Oklahoma,
p. 64 : Mathew Arrott, Wedge Studio et Robert Wilhemson,
University of Illinois. P. 67 : Greg Gilbert, The Seattle Time.
P. 68 : Pierre Gay. P. 69 : Gordon Gerber. P. 70 :
Los Alamos National Laboratory. P. 73 : Syun-Ichi-Akasofu, p. 74
ÉMETTEUR ASPIRATION à 79 : I. Worpole. P. 80 : D. Lynch. P. 81 et 82 : PLS. P. 83 : ZEFA
(Zeebra-Vision). P. 85 (haut) : R. O. Bierregaard, Jr., Photo
2. Dispositif employé pour évaluer les teneurs de polluants dans l’air. Les gaz Researchers, Inc. ; (bas) : B. Barbey, Magnum Photos, Inc. P. 86,
88, 89, 90 : H. Iken, PLS. P. 93 : NASA, p. 94 à 98 : I. Worpole.
polluants absorbent certains rayonnements, infrarouges ou ultraviolets. On uti- P. 101 : Fred Hirschmann (haut), Marcus Aellen, Swiss Federal
lise ces rayonnements pour éclairer l’air collecté. L’absorption du rayonnement Institute of Technology (bas), p. 102 à 106 : PLS. P. 108 :
par l’échantillon d’air mesure la quantité de gaz polluant. PLS, p. 109 : Z. X. Li, G. Seze, p. 110 : Z. X. Li.
P. 112, 113 : R. Osti ; p. 114 : J. Kiehl, B. Briegleb, National Center
for Atmospheric Research, J. Küffer ; p. 115 : Runk/
Schoenberger, Grant Heilman Photography, Inc. ; p. 116 :
T. Anderson, University of Washington ; p. 117 : PLS. P. 119 :
loin des sources polluantes? Le bon sens l’oxygène de l’air qui pénètrent dans le Liousse, Penner et collaborateurs, Lawrence Laboratory de
voudrait que l’on place ces stations près moteur se combinent. Certes les pots Livermore, p. 120 : PLS. P. 123, 124 : Thomas C. Moore, p. 125,
126, 128, 129 : PLS.
des sites vitaux : dans des cours d’écoles catalytiques et les diesels limitent l’émis-
et autour des hospices, car les enfants et sion de dioxyde d’azote, mais cette dimi- PUBLICITÉ France : Chef de Publicité :
les personnes âgées sont des populations nution est compensée par l’augmenta- Susan Mackie, assistée de Anne-Claire Ternois,
sensibles aux pollutions atmosphériques. tion du parc automobile. Les oxydes 8, rue Férou, 75006 Paris
Tél (1) 46 34 21 42. Télex : LIBELIN 202978 F.
Paris dispose d’un appareillage pour d’azote sont responsables de nombreux Télécopieur : 43 25 18 29
lequel l’émetteur et le récepteur sont dis- phénomènes négatifs pour l’homme et Étranger : John Moeling, 415 Madison Avenue,
New York N.Y. 10017 – Tél (212) 754 02 62
tants de quelques centaines de mètres, l’environnement : le dioxyde d’azote est SERVICE DE VENTE RÉSEAU NMPP
l’un sur la tour Saint- Jacques, l’autre sur toxique, le protoxyde d’azote est un gaz DIFFUSION DE LA BIBLIOTHÈQUE POUR LA SCIENCE
Canada : Modulo, 233, avenue Dunbar, Mont-Royal,
un immeuble près de Bercy. Sur son tra- à effet de serre, enfin les oxydes d’azote Québec, H3P 2H4 Canada.
jet optique, cet appareil mesure trois pol- participent au phénomène de pluies Suisse : GM Diffusion, 27, chemin du Grand-Mont, 1052 Le
Mont-sur-Lausanne.
luants à la fois, dioxyde de soufre, acides et catalysent la production Autres Pays : Éditions Belin, B.P. 205, 75264 Paris Cedex 06.
dioxyde d’azote et ozone. d’ozone par photochimie. Il importe Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le
public français ou francophone, les textes, les photos, les
donc de diminuer leur teneur. dessins ou les documents contenus dans la revue «Pour la
Les tendances Les études sur l’ozone, trop récentes, Science», dans la revue «Scientific American», dans les livres
édités par «Pour la Science» doivent être adressées par
sont difficiles à analyser. L’ozone est un écrit à «Pour la science S.A.R.L.», 8, rue Férou, 75006 Paris.
La pollution citadine est principale- polluant secondaire produit par des réac- POUR LA SCIENCE Directeur : Philippe Boulanger.
ment le fait des automobiles. On observe tions chimiques complexes en présence Rédaction : Philippe Boulanger (Rédacteur en Chef), Hervé
This (Rédacteur en Chef Adjoint), Luc Allemand, Françoise
néanmoins les effets positifs de certaines d’oxydes d’azote, de composés orga- Cinotti, Yann Esnault, Bénédicte Leclercq, Philippe Pajot.
mesures sur la qualité des carburants et niques volatiles, de rayons ultraviolets et Secrétariat : Annie Tacquenet, Pascale Thiollier. Direction
Marketing et Publicité : Henri Gibelin, assisté de Séverine
sur les pots catalytiques. Ainsi, la teneur de températures élevées ; aussi les résul- Merviel. Direction Financière : Pierre Lecomte. Fabrication :
en dioxyde de soufre, qui résulte de la tats varient-ils beaucoup avec les condi- Jérôme Jalabert, assisté de Delphine Savin. Directeur de la
publication : Olivier Brossollet. Dossier réalisé par
combustion de fioul et de charbon, tions météorologiques. Bénédicte Leclercq. Maquette : Marion Aguttes.
baisse d’année en année ; le programme Enfin, les particules atmosphériques, SCIENTIFIC AMERICAN Editor : John Rennie. Board of edi-
nucléaire et l’utilisation de gazole désul- en particulier celles produites par les tors : Michelle Press (Managing Editor), Timothy Beardsley,
Wayt Gibbs, Marguerite Holloway, John Horgan, Kristin
furé pour les moteurs diesel ont porté moteurs diesel, sont en augmentation. Leutwyler, Madhusree Mukerjee, Sacha Nemecek, Corey
leurs fruits. La teneur du plomb baisse Les plus fines d’entre elles pourraient Powell, Ricki Rusting, David Schneider, Gary Stix, Paul
Wallich, Philip Yam, Glenn Zorpette. Publisher : John Moeling.
également, grâce à la réduction du être dangereuses pour la santé. Chairman and Chief Executive Officer : John Hanley. Co-
plomb dans l’essence. L’oxyde de car- Malheureusement, on ne mesure pas Chairman : Pierre Gerckens. Corporate officers : John
Moeling, Robert Biewen, Anthony Degutis, Linnéa Elliot,
bone, qui est un bon traceur de la pollu- tout. L’air urbain est une vaste soupe. Il Martin Paul.
tion des automobiles à essence, décroît contient aussi du benzène, produit can- © POUR LA SCIENCE 1981 à 1996 ISSN 1246-7685
aussi ; les pots catalytiques et de cérigène et traceur de la pollution auto- Tous droits de reproduction, d’adaptation et de représentation réser-
vés pour tous les pays. La marque et le nom commercial «Scientific
meilleurs réglages pour réduire la mobile : on est incapable de décrire son American» sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accor-
dée à «Pour la Science S.A.R.L.». Le code de la propriété intellectuelle
consommation des automobiles ont fait évolution dans l’air. On ne mesure pas autorise «les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage
privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» (article
leur œuvre. encore les teneurs en hydrocarbures L. 122-5) ; il autorise également les courtes citations effectuées dans un
On ne détecte aucune tendance, ni à polyaromatiques, grosses molécules, éga- but d’exemple et d’illustration.
En revanche, «toute représentation ou reproduction intégrale ou
la hausse ni à la baisse, pour les oxydes lement cancérigènes. On ne connaît pas partielle, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou
ayants cause, est illicite» (article L. 122-4).
d’azote, produits essentiellement par les non plus les teneurs des métaux lourds Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce
soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploi-
moteurs des voitures : en présence de la tels que le cadmium, qu’il faudrait sans tation du droit de copie (3, rue Hautefeuille, 75006 Paris), constitue-
rait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et sui-
température élevée du cylindre, l’azote et doute mesurer. vants du Code pénal.

© POUR LA SCIENCE 129


AUTEURS ET BIBLIOGRAPHIES
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ISSN 0 153-4092 – Directeur de la Publication et Gérant : Olivier Brossollet.

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