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AVRIL 2023 - N°916
 ÉDITO
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Président-directeur général et directeur de la publication :
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 laude Perdriel. éparation. Le 15 février 2022, le Parlement adoptait un
Directeur général : P hilippe Menat.
Directeur éditorial : M
 aurice Szafran. projet de loi à destination des harkis, reconnaissant les
Directeur éditorial adjoint : G
 uillaume Malaurie. « conditions indignes » de l’accueil qui leur fut réservé
RÉDACTION ainsi qu’à leurs familles lors de leur arrivée en France
Rédacteur en chef : É ric Pincas (19 39). aux lendemains des accords d’Évian de mars 1962.
Rédacteur en chef adjoint chargé du Grand Angle : 
Victor Battaggion (19 40). A ssistante : F lorence Jaccot (19 23). Soixante ans plus tard, 50 000 d’entre eux devraient
Premier secrétaire de rédaction :Xavier Donzelli (19 45). ainsi percevoir une indemnisation. Un geste de contrition étatique tar-
Secrétaires de rédaction :Alexis Charniguet (19 46) ;
Nathalie-Anne Soumaire (19 47).
dif, s’inscrivant dans la droite ligne du discours d’Emmanuel Macron du
Directeur artistique : S téphane Ravaux (19 44). 20 septembre 2021 : « Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui
Rédacteur graphiste : N  icolas Cox (19 43).
Rédactrices photo : G  hislaine Bras (19 42),
ont subi la prison, je leur demande pardon. »
Anne-Laure Schneider (19 07). Une mesure qui risque de ne pas suffire à apaiser les douleurs et les trau-
Conception graphique : D  ominique Pasquet.
Comité éditorial : J ean-Yves Boriaud, Olivier Coquard,
matismes de ces 200 000 à 400 000 supplétifs algériens, sans compter
Bruno Dumézil, Bruno Fuligni, Jean-Yves Le Naour, leur parenté, qui, après avoir servi aux côtés de l’armée française pen-
Catherine Salles, Thierry Sarmant, Laurent Vissière. dant la guerre d’Algérie, ont été, avec leurs proches, relégués, oubliés,
La rédaction est responsable des titres, intertitres,
textes de présentation, illustrations et légendes. par de Gaulle et ses ministres Louis Joxe et Pierre Messmer. Considérés
Responsable administratif et financier : Jaye Reig. comme des traîtres sur leur terre natale, nombreux ont été massacrés au
Directeur des ventes et promotion :
V
 aléry-Sébastien Sourieau (19 11) ; moment de l’indépendance. Ce terme « harki », qui désignait pendant la
Ventes messageries : F rédéric Vinot – 01 42 36 80 52. guerre d’Algérie un statut administratif et militaire, demeure une marque
Agrément postal Belgique n° P207 231.
Diffusion librairies : P  ollen/Dif’pop’. au fer rouge, dont les générations d’après
Tél. : 01 43 62 08 07 ; fax : 01 72 71 84 51. continuent à ressentir le feu, comme le CONSIDÉRÉS COMME
Responsable marketing direct : A  rmelle Behelo (19 14).
Responsable de la gestion des abonnements : M  agali Viette (19 12).
raconte si bien Alice Zeniter dans son ro- DES TRAÎTRES SUR
Fabrication : S arah Rabbah. man L’Art de perdre. Au printemps 1962,
Rédactrice Web : V éronique Dumas (vdumas@historia.fr).
Cellule numérique : S hady Menard, Rim Saffar.
près de 40 000 harkis ont fui leur pays LEUR TERRE NATALE,
Activités numériques : B  ertrand Clare (19 08). pour chercher refuge en France. Ils se NOMBREUX ONT ÉTÉ
RÉGIE PUBLICITAIRE
sont retrouvés parqués dans des camps de MASSACRÉS LORS
Mediaobs : 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris. transit et de reclassement, confinés dans
Directeur général : C
 orinne Rougé (01 44 88 93 70,
des hameaux de forestage ou ghettoïsés DE L’INDÉPENDANCE
crouge@mediaobs.com). É quipe commerciale : R omain Provost
(01 44 88 8927, rprovost@mediaobs.com) ; Antoine Kodio dans des cités urbaines. Une ségrégation
(01 44 88 97 79, akodio@mediaobs.com). E xécution : C  édric Aubry qui a perduré dans certains cas jusque dans les années 1990. Aujourd’hui,
(01 44 88 89 05, caubry@mediaobs.com).
Impression : B
 LG (Toul). Imprimé en France/Printed in France. l’enjeu mémoriel demeure pour beaucoup la priorité. Plus encore, une
Dépôt légal : avril 2023. nécessité : celle de transmettre l’histoire de ces « indésirables », qui se réfu-
© Les Éditions Croque Futur. Commission paritaire :
n° 1026 K 80413. ISSN : 1270-0835. Historia est édité gièrent souvent dans le silence après leur rapatriement en France. C’est
par Les Éditions Croque Futur. dans cette perspective de transmission de la connaissance que nous avons
Ce numéro comporte un encart Sophia Boutique montre
ainsi qu’un encart Liriade et un encart l’Éléphant sur une conçu ce dossier d’Historia. Mieux comprendre qui furent les harkis, leur
partie de la diffusion abonnés. rôle et leurs missions dans le conflit, les raisons de leurs choix… Pour que
PHOTOS DE COUVERTURE :
ce peuple des ombres, né de la complexité des destinées individuelles au
Tallandier/Bridgeman Images cœur de la guerre d’Algérie, resurgisse enfin de l’oubli. u
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3 - Historia n° 916 / Avril 2023

 SOMMAIRE N° 916 / Avril 2023

8
MÉMENTO
8 L’infographie du mois :
Le cochon médiéval : 100 % écolo !
10 L’actualité de l’Histoire
16 L a chronique d’Emmanuel de Waresquiel

18
DOSSIER
HARKIS, UNE SI LONGUE TRAGÉDIE
L ’histoire de ces supplétifs qui ont combattu aux côtés
des Français lors de la guerre d’Algérie. Un choix payé
par l’exil, la relégation, les calomnies et les massacres.
Denis Peschanski
22 L es mots pour comprendre
26 L es dates clés
28 D evenir harki
Tramor Quemeneur
30 Des missions militaires… et civiles

18
F
 rançois-Xavier Hautreux
34 Ce que les Algériens leur reprochent
AFP or licensors

T
 ramor Quemeneur
38 Ceux qui les ont abandonnés
Houria Delourme
40 F uir ou mourir… Jacques Frémeaux
En avril sur www.historia.fr  eux qui les ont aidés H
44 C  ouria Delourme
 LA BATAILLE DE la prédominance résistent à 2 000  DE NOUVELLES 46 I ntellectuels : le grand malaise
RAVENNE ( 11 avril en Italie. Mexicains et VIDÉOS et des
1512). Le dimanche Extraits choisis par Fatima Besnaci-Lancou
écrivent la légende podcasts sur des
de Pâques, les  160 ANS DE 48 Une relégation au long cours
de la Légion. sujets inédits,
armées françaises CAMERONE 
(30 avril 1863).  L’ŒUF DE
sans oublier des K
 atia Khemache
et de la Sainte-Ligue chroniques
s’affrontent pour 60 légionnaires PÂQUES  52 E ntretien avec Fatima Besnaci-Lancou
exclusives.
 es réussites harkies Tramor Quemeneur
53 D

CONTRIBUTEURS
DR

DR

DR

DR

TRAMOR QUEMENEUR
Docteur en histoire,
spécialiste de la guerre
d’Algérie, il vient de codiriger
un Dictionnaire de la guerre
d’Algérie (Bouquins, 2023).
FRANÇOIS-XAVIER JACQUES FRÉMEAUX HOURIA DELOURME  KATIA KHEMACHE D  octeure
HAUTREUX D  octeur Professeur des universités, Elle a cosigné, avec Fatima en histoire, professeure
en histoire, auteur spécialiste de l’histoire Besnaci-Lancou, Ils ont dit d’histoire-géographie, elle
de La Guerre d’Algérie coloniale, il publie ce mois-ci non à l’abandon des harkis : a publié Harkis : un passé qui
des harkis : 1954-1962 Les Empires coloniaux : une désobéir pour sauver ne passe pas (Cairn, 2018),
(Perrin, 2013). histoire-monde (CNRS éd.). (Loubatières, 2022). ouvrage adapté de sa thèse.

5 - Historia n° 916 / Avril 2023

 SOMMAIRE N° 916 / Avril 2023

58
RÉCITS
58 DU PAIN ET DES PEURS
Steven Laurence Kaplan
64 CONSTANTINOPLE, LA FIN D’UN MONDE
F
 rédéric Hitzel
68 OVIDE, POUR UN ART D’AIMER PARTAGÉ
L
 aure de Chantal

72
CULTURE
72 EXPOS
Joëlle Chevé
76 Manet, le génie de la modernité
Francois Kollar/Bibliotheque Forney/Roger-Viollet

Élisabeth Couturier
78 ÉCRANS
Sorties ciné, scène, jeux vidéo… sans oublier

58
les rendez-vous radio à podcaster.
82 LIVRES
Spécial Kafka et la sélection polar, essai,
BD et jeunesse.
90 VOYAGE
Laeken, les trésors verts du roi Léopold

72 90
V
 éronique Dumas
94 GASTRONOMIE
Paris, Musee Conde/Michel Urtado/RMN-Grand Palais

Et Dieu créa le beurre

P
 atrick Rambourg
96 MOTS CROISÉS
98 La chronique
Karin Borghouts/SP

d
 e Guillaume Malaurie

CONTRIBUTEURS
DANIEL JANIN/AFP

Philippe MATSAS
DR

DR

DR

STEVEN LAURENCE KAPLAN
Universitaire, il travaille sur
l’histoire de l’alimentation
et a signé notamment
Pour le pain en 2020,
aux éditions Fayard.
FRÉDÉRIC HITZEL 
Chercheur au CNRS et à
l’EHESS, spécialiste des arts
et de l’histoire ottomane, il
vient de publier La Turquie au
XXe s. (Belles-Lettres, 2023).
LAURE DE CHANTAL DENIS PESCHANSKI VÉRONIQUE DUMAS
Normalienne et agrégée de Historien, directeur de Journaliste, elle supervise
lettres classiques, elle a écrit recherche au CNRS, il travaille notamment la newsletter
plusieurs ouvrages sur la sur la mémoire collective de d’Historia et nous fait
mythologie, dont Les Neuf la Seconde Guerre mondiale découvrir l’un de ses coups de
Vies de Sappho (Stock, 2023). et de la guerre d’Algérie. cœur du patrimoine européen.

6-H
 istoria n° 916 / Avril 2023
L’infographie du mois
LE COCHON MÉDIÉVAL :
100% ÉCOLO !
Données : Henriette Casaubieilh − Design : Studio WARFOG

Si le cochon apparaît aujourd'hui, du fait de l'élevage industriel, comme un pollueur

des terres, des nappes phréatiques, des littoraux bretons avec les algues vertes, celui
du Moyen Âge était 100% écolo ! Omnivore, c'était le recycleur des déchets dans les
villes comme dans les campagnes, de même que l'on consommait tout dans le cochon,
soit en alimentation, soit en matière première transformable en objets courants.

À la fin du XII siècle,

e

Restes struire
Philippe Auguste fait con
alimentaires enc ein te aut our du cimetière
une
hons
des Innocents car les coc
avaient même tendance
...
Alimentation à fouiller dans les tombes
de la forêt

LE COCHON
RECYCLEUR
Sous-produits
céréaliers
ET ÉBOUEUR
(meuniers, brasseurs...)

Excréments
d’autres animaux

SA CONSOMMATION AU COURS DE L’ANNÉE

JANV. FÉVR. MARS AVR. MAI JUIN JUILL. AOÛT SEPT. OCT. NOV. DÉC.

Plat classique = pois + lard sous forme de soupe ou de bouillie

8 - Historia n° 916 / Avril 2023

8-H  istoria n° 916 / Avril 2023
 TOUT EST BON DANS LE COCHON
« GARDE-MANGER » SUR PATTES POUR L’HIVER

VIANDE MAIGRE
+ GRAISSES
Pâté, rillette, lard

BOYAUX ET INTESTINS
Saucisson, saucisse, VIANDE FUMÉE
VIANDE SALÉE boudin... Saucisse et saucisson
ET FUMÉE (selon les régions)
Jambon GRAS
Cuisson
(principal apport en gras)

TOUT EST BON DANS LE COCHON

USAGES NON COMESTIBLES

Fumier Vessie soufflée Graisse Poils/soie Peau = cuir Os

Engrais et séchée Pommade pour Brosses, Chaussures... Colle, ustensiles...
organique Poche de les maux de dents, pinceaux...
conservation savonnette...

Redynamisation de
MOYEN ÂGE l’élevage de cochon
grâce à l’introduction de
la culture de la pomme de
DIMINUTION D’ÉLEVAGES terre qui nourrit les bêtes
DE COCHON DÉFORESTATION à moindre coût
PROGRESSIVE

8000 1960
ANS av. J.-C. Au moins un cochon dans toutes les fermes
Ier IIe IIIe IVe Ve VIe VIIe VIIIe IXe Xe XIe XIIe XIIIe XIVe XVe XVIe XVIIe XVIIIe XIXe XXe XXIe Siècles

1er élevage de cochons en Asie Mineure Professionnalisation Industrialisation

(puis Afrique, puis Europe) Création • BOUCHER • CHARCUTIER de l’élevage de l’élevage
des corporations • TRIPIER (viande cuite)
SOURCE PRINCIPALE : Michel PASTOUREAU, Le Cochon. Histoire d’un cousin mal aimé. Découvertes Gallimard.

9 - Historia n° 916 / Avril 2023

9 - Historia n° 916 / Avril 2023
 Mémento RUBRIQUE COORDONNÉE PAR VÉRONIQUE DUMAS

POLITIQUE

Députés, zéro de conduite ?

Les prises de bec au Parlement n’ont pas attendu la réforme des retraites. Ces « séances de
chambard », comme on les appelait, furent des exceptions mais sont restées dans les annales.

R
ien ne dépasse la vio-
lence des assemblées
révolutionnaires,
où les députés siégeaient
armés ! « Votre fureur est
indigne d’hommes libres ;
mais je ne crains rien sous
le soleil », lança Marat à ses
collègues de la Convention
qui s’apprêtaient à le décré-
ter d’accusation. Tirant,

Stefano Bianchetti/Bridgeman Images

à ces mots, un pistolet de
sa poche et l’appuyant sur
son front, il déclara que si
le décret était approuvé, il
se brûlerait la cervelle à la
tribune ! De 1789 à 1795,
ce Parlement naissant est
monocaméral ; en rapide
surchauffe, il légifère sous
la pression de tricoteuses
et de sans-culottes qui
s’invitent dans les débats.
Ainsi, le 20 mai 1795, c’est
après avoir massacré le
député Féraud que les
citoyens interrompent la
séance : le président Boissy
d’Anglas se lève pour saluer
la tête de son défunt col-
« Votre fureur
est indigne
d’hommes libres… »
Marat, le 25 septembre 1792
LE POING SUR L’AFFAIRE En 1898, le député antidreyfusard de Bernis agresse Jean Jaurès à la tribune de la Chambre.
lègue, qu’on lui présente au
bout d’une pique. Le bica-
mérisme ainsi qu’une nette
séparation entre les élus
et le public ont contribué
à pacifier les débats, mais
l’injure continue de frap-
per au long du XIXe siècle.
À l’Assemblée nationale de
1871, siégeant à Versailles,
Victor Hugo doit subir cette
attaque du vicomte de Lor-
aa
aa
geril, royaliste breton et
poète raté : « L’Assemblée
refuse la parole à M. Victor
Hugo, parce qu’il ne parle
pas français ! »
Débat et des baffes
Le 19 janvier 1892, le
député nationaliste Francis
Laur insulte si gravement
le ministre de l’Intérieur,
Constans, que celui-ci le
cueille à la descente de la
tribune et lui administre
une paire de claques : scène
suivie d’une bagarre géné-
rale dans l’hémicycle… À
la Chambre des députés, en
rès est attaqué par le comte
de Bernis, député monar-
chiste du Gard, le 22 janvier
1898 : « Vous êtes du syn-
dicat ? » lui demande-t-il,
suggérant ainsi qu’il s’est
vendu… « Monsieur de Ber-
nis, vous êtes un misérable
et un lâche ! » riposte Jau-
rès, bientôt cogné à la tri-
bune par son contradicteur.
Le député Gérault-Richard,
ami de Jaurès, « traverse
l’hémicycle, s’élance sur
M. de Bernis et le frappe.
– Tumulte prolongé »,
indique le compte rendu.
L’injure est alors tempérée

à la Convention pleine affaire Dreyfus, Jau- par la perspective d’un

a aa
aa

10 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Confidentiel L a réalisatrice Anne Fontaine prépare un biopic sur Maurice Ravel (1875-1937),incarné par Raphaël
Personnaz. Ce film se situera en 1928, année de composition du célèbre Boléro et explorera les circonstances de sa création.
Le tournage a lieu en partie à Paris, Bruxelles et dans les Côtes d’Armor. Sortie prévue en 2024. MATHILDE SAMBRE

LA CHRONIQUE DE
« Vous êtes NOTA BENE
un misérable
TTTTTTTTTTTTTT

et un lâche. » Retrouvez chaque mois dans nos colonnes

Jean Jaurès, le 22 janvier 1898 le billet de Benjamin Brillaud, vidéaste n° 1
TTTT
T TT

à la Chambre des députés des chaînes d’histoire sur le Web,

TT T
TT

ainsi que sa vidéo sur www.historia.fr

D.R.
duel. Dès 1790, le capitaine
de Cazalès, député de la
en vertu du principe de la
séparation des pouvoirs,
DES JEUX ET DE L’OR !

noblesse, se bat au pisto-
let contre Barnave, député
du tiers. C’est le civil qui
gagne, comme au siècle
suivant : le 13 juillet 1888,
Charles Floquet, ministre
de l’Intérieur, entame le
prestige du général Boulan-
ger en le blessant à l’épée.
Silence ou au trou !
Quand éclate, fin 1892, le
scandale de Panama, c’est
au pistolet que Clemen-
ceau réplique à Déroulède,
le poète nationaliste et
député d’Angoulême qui
l’a accusé de corruption.
En 1967 encore, c’est à
l’épée que se vide une que-
relle née dans l’hémicycle :
« Taisez-vous, abruti ! »
aurait lancé le socialiste
Gaston Defferre au gaul-
liste René Ribière. Cette
exclamation, perdue dans
le bruit, ne figure même
ils ne peuvent être sanc-
tionnés que par le Bureau
de l’Assemblée nationale :
l’insulteur risque, au maxi-
mum, une exclusion tem-
poraire de quinze jours.
En 1879, Léon Gambetta
avait fait aménager au
Palais-Bourbon une cellule
pudiquement appelée le
Petit Local, où le président
de la Chambre pouvait
faire enfermer vingt-quatre
heures un député trop vin-
dicatif. Cette mesure ne
s’appliqua qu’une fois, en
1880, au comte de Baudry
d’Asson, député royaliste
de la Vendée : elle fit une
telle publicité au trublion
que cette solution tomba en
désuétude… BRUNO FULIGNI
AAAAAAAAA
L
« es footballeurs ? Bien trop payés ! »
Que vous soyez d’accord ou pas avec
ce discours, l’idée que le sport puisse
être au cœur d’enjeux économiques n’est
pas vraiment nouvelle. Prenez l’exemple des
gladiateurs et de leur business très lucratif. Il
y a 2 000 ans déjà, ces sportifs de haut niveau
enflammaient les arènes.
Contrairement à ce que certains clichés veulent
nous faire croire, il ne s’agissait pas d’esclaves
que l’on envoyait au casse-pipe, mais bien de
combattants formés et précieux, que l’on tentait
de préserver au maximum pour en tirer de
juteux bénéfices. Tout comme avec nos stades
modernes, il fallait d’abord construire des
infrastructures capables de recevoir les athlètes
et le public. Ces amphithéâtres sont devenus
un symbole de l’Empire romain : on en recense
plus de 200 ! Le Colisée de Rome a nécessité
près de dix ans de travaux : autant de main-
d’œuvre et de matières premières, financées
par l’Empire et quelques riches particuliers.
Les écoles de gladiature fleurissent partout, on
forme les combattants et on les équipe avec
du matériel haut de gamme. On développe
également des produits dérivés, – lampes à huile,
manches de couteau sculptés, bijoux, jouets

pas au compte-rendu, mais etc. – vendus dans des boutiques tout autour des
A AA

l’insulté en demande répa- amphithéâtres. Parfois, un objet porte même

A AA
A AA
AA

ration par les armes et sera le nom d’une des stars de l’arène, comme un
A

d’ailleurs battu. Jugé ana- médaillon au nom de Xantus et Eros ! Reste

chronique, ce duel de 1967 « Taisez-vous,
est le dernier du genre. abruti ! »
Les propos tenus dans  aston Defferre,
G
l’hémicycle n’étant pas le 18 avril 1967 à
passibles des tribunaux, l’Assemblée nationale
ensuite à programmer les milliers d’événements
qui s’étalent parfois sur plusieurs jours. Pas sûr
que l’Antiquité ait grand-chose à envier à notre
époque, les sesterces coulaient déjà à flot ! u

11 - Historia n° 916 / Avril 2023

Mémento
Confidentiel S teven Spielberg a annoncé travailler sur une adaptation en série téléviséedu scénario original du
biopic sur Napoléon Ier écrit dans les années 1960 par Stanley Kubrick. Cette fresque historique s’annonçait grandiose mais n’a
jamais pu voir le jour. Le projet actuel prendrait la forme d’une production en sept épisodes pour la chaîne américaine HBO. M. S.

LA PHOTO DU MOIS
Les obsèques de Sarah Bernhardt

L
e 29 mars 1923, les
obsèques de Sarah
Bernhardt ont attiré
plus de monde dans
Paris que celles de
Johnny Hallyday le 9 décembre
2017 ! Un million de personnes se
pressent sur le passage du cercueil
de la comédienne, entre son
domicile, au 56, boulevard Pereire
(17e arr.), l’église Saint-François-
de-Sales et le cimetière du Père-
Lachaise. Le corbillard passe par
la rue Royale, la rue de Rivoli, la
place de l’Hôtel-de-Ville et marque
un arrêt devant le théâtre Sarah-
Bernhardt. Pour tout savoir sur le
centième anniversaire de la mort de
celle pour laquelle Cocteau inventa
l’expression « monstre sacré » :
www.2023sarahdanstoussesetats.fr

BNF/Gallica
JEAN-PIERRE GUÉNO

CLIMAT Les Hittites victimes d’un coup de chaud « Le plus puissant

En février dernier, des scientifiques
ont publié, dans la revue Nature, un
article étudiant l’impact du changement
climatique, en l’occurrence la sécheresse,
sur l’effondrement de l’Empire hittite
(v. 1 200 av. J.-C.), l’un des plus puissants
du Moyen-Orient antique pendant cinq
siècles. À son apogée, son aire d’influence
s’étendait sur toute l’Anatolie et une
grande partie de la Syrie, ce qui le
mettait en concurrence avec l’Égypte
pharaonique. L’analyse des cernes de
troncs de genévriers a révélé des épisodes
de détresse hydrique longs et récurrents,
particulièrement sévères entre 1198 et
1196 av. J.-C. Cette période sèche, marquée
par une famine, coïncide avec l’abandon
de la capitale Hattusa, située au centre de
l’actuelle Turquie et, ajoutée à d’autres
facteurs, comme des tensions politiques
internes et des affrontements avec des
peuples venus de la mer, serait l’un des
éléments déterminants l’ayant affaibli.
VÉRONIQUE DUMAS
instrument
de culture
de la civilisation
moderne »
Ainsi s’exprimait Jean Giono à propos du
« Livre de Poche », collection dont on cé-
lèbre le 70e anniversaire. Plus d’un milliard
d’exemplaires édités dans ce format se sont
vendus depuis lors. Et le succès perdure, car
six « Livres de Poche » figuraient en 2022
dans le top 10 des meilleures ventes en
France. De quoi faire taire les grands noms
des lettres qui fustigeaient là une forme de
« déclassement » de la littérature. X. D.

12 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Confidentiel L ’actrice américaine Gillian Anderson (X-Files, The Crown) interprétera la journaliste britannique
Emily Maitlis dans une création pour la plateforme Netflix. Cette présentatrice a mené pour la BBC, en 2019, l’interview du
prince Andrew qui précipita la chute du duc d’York, en mettant en lumière ses liens avec le criminel sexuel Jeffrey Epstein. M. S.

RETRAITE LES PÉPITES DE LA BNF-GALLICA https://gallica.bnf.fr/

LA CGT, VICHY

ET DE GAULLE Quand la France célèbre
l’amitié franco-soviétique
région normande, dont
les côtes seront le décor
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO

du Débarquement et le
Niémen, fleuve se jetant
dans la Baltique. Le
bataillon peut s’enorgueil-
Un consensus existe dans lir de 273 victoires sur le
le débat sur la retraite : front russe. Mais les 869
le maintien du régime dit combats aériens menés
de répartition. En clair, les jusqu’en 1945 ne sont pas
actifs financent la retraite sans lourdes pertes pour
des retraités. Qui est à cette soixantaine de mili-
l’origine de ce système ? taires (pilotes et mécani-
René Belin (ci-dessus), un ciens) : 42 tués ou portés
dirigeant de la CGT, promu disparus et 4 prisonniers.
ministre du Travail à Vichy La vaillance exception-
en 1940. Il reprend alors nelle de ces soldats reste
une revendication du parti légendaire. En témoigne
communiste, la « retraite ce timbre français, des-
des vieux ». Depuis 1910, siné et gravé par Pierre
c’était, en effet, le système Gandon. Toute l’amitié
de la capitalisation qui franco-russe d’alors y est
prévalait. Si Vichy instaure représentée : un avion
russe, le Yak-3, décoré
BNF/Gallica

la répartition, le 14 mars
1941, c’est notamment d’une étoile soviétique et
parce que les quatre de la Croix de Lorraine

L
dévaluations du franc a revue Icare,
depuis 1936 ont rogné conservée au musée
la valeur des pensions. Air France, révèle
Attention : cette loi de bon des pilotes héroïques, à
sens ne concernait que l’instar de ceux du régi-
les assurés du commerce ment de chasse « Nor-
et de l’industrie. Ce sera mandie-Niémen », célèbre
le 19 octobre 1945 que le unité de la France libre.
gouvernement de Gaulle La rupture du pacte de
instituera le régime général non-agression germa-
de la Sécurité sociale et la no-soviétique par Adolf
généralisation de la retraite Hitler en 1941 conduit
par répartition. les Alliés à affréter une
GUILLAUME MALAURIE unité aérienne en Union
des républiques socia-
listes soviétiques. En
février 1942, le comman-
dant Pouliquen prépare
son escadrille au Liban.
L’aventure du « Norman-
die-Niémen » débute et
ne cessera qu’en 2009,
lorsqu’il sera mis en
sommeil. Le nom même
de cette escadrille sym-
bolise un combat qui
touche les plus lointaines
frontières de l’Europe : la
et, autour de l’engin,
un pilote français et un
mécanicien russe. Ce
timbre prouve que l’éloge
du courage se joue des
paradoxes géopolitiques
de l’Histoire : il est édité
et mis en circulation en
1969, année où la guerre
froide bat son plein !
 SOPHIE BERTRAND
Cheffe du service de la Coopération
numérique et de Gallica au département
de la Coopération

13 - Historia n° 916 / Avril 2023

Place aux lecteurs
Commentaires, rectifications, précisions et témoignages : cette
rubrique est la vôtre, afin de prolonger la réflexion autour des
articles publiés dans le magazine comme sur son site Internet.
NEWSLETTER
HISTORIA :
MAHOMET OU
MUHAMMAD ?
En français, muhammad
signifie le « digne de
louanges », le « béni ».
D’ailleurs, lorsque les
musulmans·e·s prononcent son
nom, ils invoquent la « paix et
la bénédiction de Dieu sur lui ».
Vous les entendrez murmurer
SallAllahou alayhi wa salam et
vous les verrez écrire sws ou
pbsl, l’abréviation des formules
que nous venons de citer. Mais
qu’en est-il de l’origine du
terme mahomet ? Cela vient de
ma houmid et signifie l’inverse
de muhammad : l’ « indigne
de louanges », le « non-loué »,
voire l’« exécré ».
BOCHRA RGUIGUE
Réponse : notre lecteur
n’a pas tort si l’on en croit
l’excellente mise au point
publiée par le journal Le
Monde du 13 avril 2021 sous
la signature de Assma Maad
et William Audureau. Depuis
la Chanson de Roland, le nom
francisé « Mahomet » s’impose
avec quelques variantes
balbutiantes : « Mahmet »,
voire « Malphumet » ou
« Mahumet », tel que l’emploie
l’abbé de Cluny, Pierre le
Vénérable, dans sa première
traduction en latin du Coran
en 1142. Puis Luther, bien
plus tard, en 1543. Y aurait-il
préméditation malveillante ?
Rien de moins sûr. D’abord
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14 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
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Courrier des lecteurs
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UNE VACHE TRANSGENRE DANS HISTORIA ?
Lecteur assidu d’Historia et abonné à votre revue, j’en apprécie toujours le contenu. C’est
donc avec une pointe d’humour, et sans aucune méchanceté, que le rural que je suis vous
alerte quant à l’article « Une vache martienne », paru p. 17 du numéro 915 de mars 2023.
En effet, contrairement au commentaire de la photo, il ne s’agit pas d’une vache mais
d’un taureau (ou alors s’agit-il déjà d’une vache transgenre ?). Je sais bien que la ruralité a
tendance à se transformer sous l’influence de citadins éclairés, et peut-être que, sur Mars,
les choses seront différentes, mais à l’heure du salon de l’Agriculture, il me paraissait
important de pointer cette « petite » erreur.
FRÉDÉRIC LEPRETRE
Réponse : Merci pour votre remarque pleine d’humour et… exacte ! L’erreur de description
de cette photo ne date pas d’aujourd’hui comme l’indique la notice dans Gallica. Elle provient
vraisemblablement soit du photographe lui-même, soit de l’archiviste de l’Agence ROL
qui a procédé initialement à la description de la photo. Mais ce qui est sûr, c’est que mâle ou
femelle, la bête est photogénique dans ce moment de gloire éphémère.
FANNY VERDIER, COORDINATRICE DE LA MÉDIATION NUMÉRIQUE DE GALLICA
parce que les arabisants processus de « purification » ! apparaît, Clemenceau se tourne
distingués capables de En commençant par « Jésus » vers son voisin, son fidèle chef
telles subtiles malveillances qui devra laisser la place à de cabinet Georges Mandel
linguistiques étaient plutôt l’hébreu Yeshoua. et lui glisse : « Vous voyez
rares chez les Francs ! Pour GUILLAUME MALAURIE Mandel, cet homme, pour le
autant, il est exact qu’en faire avancer, il a fallu que je
anglais ou en allemand, ce CLEMENCEAU / lui colle une baïonnette dans le
sont les transcriptions les plus PÉTAIN, SUITE cul ! » Du Clemenceau pur jus
proches de l’arabe qui sont Échange intéressant – et quand on connaît la liberté de
courantes : « Muhammad » surtout amusant – dans votre langage du personnage !
ou « Mohammed ». Exact précédent numéro sur les XAVIER GIRARD
mais… les kabyles préfèrent rapports entre Clemenceau
« Mohand », les Proche- et Pétain. Que votre lecteur
Orientaux « Mahmoud » et les n’oublie pas que Clemenceau
subsahéliens « Mamadou ». considérait Pétain comme un
Et, en turc, c’est « Mehmet » homme dépourvu d’initiative,
qui tient la corde. Faut-il un défenseur, un « immobile »
revenir coûte que coûte à une (pour mémoire, Verdun, ou
orthographe originelle pour plutôt Douaumont, ne fut pas
prévenir tout malentendu ? une bataille mais un siège).
Il faudrait alors bien mesurer Enfin, l’anecdote qui dit tout :
les conséquences de la mise sur la tribune, le 14 juillet 1919,
à jour. Soit un interminable quand Pétain qui monte en tête
 NOUVEAU
HISTORIA GRAND ANGLE,
c’est un rendez-vous de
référence avec les meilleurs
TRIMESTRIEL historiens, un point de vue
qui cerne l’essentiel, une grille
chronologique, un lexique
pour ne jamais perdre pied et
un traitement visuel privilégié :
nombreuses infographies
et illustrations.
Ce sont aussi des rubriques
inédites : fait divers,
BD, textes bruts,
récit gastronomie,
fact-checking…
Des histoires au service
de l’Histoire.

CHEZ VOTRE
MARCHAND
DE JOURNAUX
ET CHEZ
VOTRE LIBRAIRE

En 1653, alors que Louis XIV sort triomphalement de la Fronde, dernière grande révolte
contre l’absolutisme, l’Angleterre est déjà une république depuis quatre ans ! Une république
parlementaire qui a exécuté son roi, Charles Ier, et promu à la tête de l’État un soldat, Oliver
Cromwell, lord-protecteur du Commonwealth, « bien commun » de l’Angleterre, de l’Écosse
et de l’Irlande. Cromwell naît de la guerre civile, de l’effervescence puritaine et protestante,
et de débats philosophiques et théologiques d’une rare qualité. On écrit un projet de
Constitution. Mais la révolution sombre vite dans la dictature et la terreur…
La chronique D’EMMANUEL DE WARESQUIEL

Antoine Moreau Dusault

ÉLOGE DE LA DISTRACTION

S
ouvenez-vous du lapin d’Alice au pays des mer- femme était montée dans le train avec son portable. Je
veilles, dans la version animée de Walt Disney. n’en ai pas, je le lui emprunte et arpente fébrilement le
Il se promène tranquillement dans la forêt et, quai tout en donnant des instructions très précises à la
tout à coup, le voilà qui s’agite et regarde sans pauvre amie qui allait jouer les supplétives. Tout va bien !
cesse une espèce de grosse pendule qu’il tient Je me retourne. Plus de train, il était parti. Ma femme, ma
dans les mains : « Je suis en retard, je suis en fille et mes bagages avec lui. Le prochain train était dans
retard, j’ai rendez-vous quelque part ! » Et Alice, de s’éton- trois heures. Le seul qui ait rigolé, c’est le chef de gare.
ner : « Ce lapin est en retard, mais pour quoi faire ? » C’est Voilà ce que c’est que la distraction, quelque chose qui
bien toute la question. Pourquoi est-on distrait ? Un distrait ressemble aux gags de Buster Keaton. On se souvient
est un étourdi, dit Furetière dans son dictionnaire. C’est du jour et de l’heure exacte d’un rendez-vous, mais on se
aussi quelqu’un qui s’échappe dans ses trompe de mois ou de semaine, on prend
rêves. La Rochefoucauld compare leur quelqu’un pour un autre et on lui parle
esprit aux chimères de la nuit : « Ils errent longtemps avant qu’un léger doute ne
à l’aventure sur les traces du cerveau. » rende la conversation absurde. La dis-
Au fond, il y a mille façons de tourner le UN DISTRAIT NE PEUT traction conduit tout droit à l’extrava-
dos au monde tel qu’il est, à ses horloges gance. Lisez La Bruyère. Il pensait au
PAS ÊTRE MÉCHANT
et à sa raison. Giraudoux l’avait compris poète Racan, un autre grand distrait,
en choisissant pour titre aux cinq confé- PUISQU’IL PENSE À AUTRE lorsqu’il fit de lui l’un de ses « carac-
rences qu’il avait prononcées en 1936 sur CHOSE. LA DISTRACTION tères » les plus savoureux, sous le nom
Jean de La Fontaine : La Fontaine ou la de Ménalque : « Ménalque descend son
VOUS COURT APRÈS
distraction volontaire. « Il est impos- escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la
sible, commence-t-il, de raconter cette D’UN BOUT À L’AUTRE referme ; il s’aperçoit qu’il est en bonnet
vie autrement que comme une épopée de DE VOTRE VIE ET ON S’EN de nuit, et, venant à mieux s’examiner,
la simplicité et de la distraction. » Un dis- il se trouve rasé à moitié ; il voit que son
DÉBARRASSE AUSSI
trait ne peut pas être méchant puisqu’il épée est mise du côté droit, que ses bas
pense à autre chose. DIFFICILEMENT QUE sont rabattus sur ses talons, et que sa
On se prend les pieds dans sa distrac- LE SPARADRAP DU chemise est par-dessus ses chausses. […]
tion. Elle vous court après d’un bout à On lui perd tout, on lui égare tout ; il de-
CAPITAINE HADDOCK !
l’autre de votre vie. On s’en débarrasse mande ses gants, qu’il a dans ses mains.
aussi difficilement que le sparadrap du Il entre à l’appartement, et passe sous un
capitaine Haddock dans L’Affaire Tournesol. Je me sou- lustre où sa perruque s’accroche et demeure suspendue ;
viens d’un soir d’été sur le quai de la gare de Tours. Il tous les courtisans regardent et rient, Ménalque regarde
faisait doux, nous rentrions ma femme et moi d’un week- aussi et rit plus haut que les autres ; il cherche des yeux
end bucolique chez une amie. Le train nous attendait. dans toute l’assemblée où est celui qui montre ses oreilles,
Tout à coup, surprise et damnation, je me rends compte et à qui il manque une perruque. »
que le livre rare dont j’ai absolument besoin pour mes Raoul Vaneigem a eu raison de publier son Éloge de la
recherches est resté sur une table de nuit. Ce genre d’ou- paresse. Pour écrire celui de la distraction, il ne faut pas
bli me plonge toujours dans des angoisses existentielles. l’être ! Je me prends tout de même à rêver. Quelques dis-
Qu’à cela ne tienne, je vais appeler mon amie et lui de- traits de plus, le monde serait moins triste. Avez-vous
mander de me l’envoyer par la poste. Entre-temps, ma remarqué que les dictateurs ne le sont jamais ? u

16 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
RAMSÈS II
PHARAON IMMORTEL
 DOSSIER

HARKIS
UNE SI LONGUE
TRAGÉDIE
Un seul mot évoque des centaines de milliers d’êtres humains aux
destins différents, souvent dramatiques. Ils tentent, depuis plus de
soixante ans, de construire une mémoire collective avec la France
pour y puiser, enfin, la reconnaissance.

Par Denis Peschanski

18 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Liberté… Les harkis et leurs enfants manifestent pour attirer l’attention sur leurs conditions de vie indignes. • C amp de Saint-Maurice-l’Ardoise, juin 1975.
U
AFP or licensors
n passé qui ne passe
pas. Plus d’un garde
en tête le titre du livre
qu’Henry Rousso et Éric
Conan ont consacré à la
mémoire de Vichy. La
formule à succès rendait bien compte
de la difficulté qu’eut longtemps la
société française à intégrer cet épisode
de son histoire et à se confronter à ce
double choix de la Révolution natio-
nale, fondement du régime autoritaire,
et de la collaboration avec l’occupant
nazi. La question mémorielle ne se
pose plus dans ces termes dans la
France d’aujourd’hui.
Elle s’applique, en revanche, parfai-
tement aux harkis, à leur histoire, au
sort qu’ils ont connu en Algérie et en
métropole après les accords d’Évian
de mars 1962, mais aussi pendant la
guerre d’Algérie elle-même. À leur
histoire donc, mais aussi à leur mé-
moire : par un geste qui fera date, le
20 septembre 2021 à l’Élysée, le pré-
sident de la République, Emmanuel
Macron, a demandé « pardon » aux
harkis au nom de la France.
Honneur et déshonneur
Concrètement, il a aussi annoncé un
projet de loi de reconnaissance et de
réparation. C’est une étape impor-
tante dans un long cheminement de la
mémoire – mémoires collectives des
Français, des harkis et des Algériens,
mémoires individuelles d’hommes et
de femmes qui subissent dans leur
âme et dans leur chair les aléas de
cette histoire. Le dossier qui est pro-
posé ici réunit les meilleurs spécia-
listes du sujet et témoigne de la qua-
lité des travaux et des réflexions qui
se sont multipliés au cours des deux
dernières décennies. Ils permettent
de répondre à quelques questions ma-
jeures. Ainsi, qu’entend-on par le mot
« harki » ? Il regroupe des catégories
différentes, dont les « harkis » propre-
ment dits. Ces supplétifs de l’armée
française et leurs familles comptent
pour quelques centaines de milliers
– le chiffre reste à établir.
Mais quelles furent leurs fonctions ?
Le pluriel s’impose. Dans des ana-
lyses fines, on prend évidemment en
compte la dimension strictement mi-
litaire de cette forme d’enrôlement.
On doit aussi évoquer la dimension
politique, voire géopolitique, l’objec-
tif étant, aussi et peut-être d’abord,
de montrer à la France et au monde
que ces populations voulaient, en
fait, rester dans des départements
français. Quel a été leur sort en Al-
gérie après les accords d’Évian puis
l’indépendance de l’Algérie ? On le
sait depuis l’origine : malgré les enga-
gements écrits, les massacres ont été
nombreux même si la majorité des
harkis ne fut pas touchée. Il était
19 - Historia n° 916 / Avril 2023
DOSSIER LES HARKIS
impératif de sauver ceux qui étaient
menacés, et ils étaient nombreux.
Le déshonneur de la France fut alors
de les abandonner. L’honneur de plu-
sieurs officiers, qui sont l’honneur de
la France, fut de tout faire, légalement
ou pas, pour sauver leurs hommes et
leurs familles en leur permettant de re-
joindre la métropole. Ne citons que l’un
d’entre eux, le général François Meyer,
dont le profil est d’autant plus intéres-
sant qu’il s’était refusé à rejoindre les
généraux putschistes. Quelques mois
avant de mourir, il a été élevé au titre
de grand-croix de la Légion d’honneur
à l’occasion de la cérémonie du 20 sep-
tembre 2021. François Meyer continua
à se battre pour ses harkis en essayant,
pour le mieux, de favoriser leur inté-
gration en métropole. Mais plusieurs
dizaines de milliers d’hommes, femmes
et enfants se retrouvèrent relégués
dans des camps du sud de la France.
On pense à Bias, à Saint-Maurice-l’Ar-
Ils ont souffert sur place, dans l’exil, dans l’accueil,
ils sont les oubliés de la mémoire collective.
Oubliés pour les uns, stigmatisés par beaucoup
Le grand pardonLe 20 septembre 2021, à l’Élysée, Emmanuel Macron rendait hommage aux harkis
et leur présentait des excuses au nom de la France, reconnaissant leurs souffrances et les fautes de l’État.
20 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
doise, à Rivesaltes où une majorité Vidal-Naquet. Mais, chez nombre d’in-
– plus de 22 000 – se retrouva, entre dépendantistes algériens comme de
1962 et 1964, d’abord sous des tentes militants de gauche de la métropole, ils
puis dans des bâtiments, mais toujours étaient vus comme des collaborateurs
reléguée. L’intégration se fit ensuite, de la puissance coloniale. On sait ce
souvent via l’Office national des forêts, que ce mot pèse vingt ans après la Se-
dans des hameaux forestiers. conde Guerre mondiale. Pour d’autres,
à l’inverse, ils étaient vus et rejetés
comme des Arabes.
Double peine Dans quel grand récit trouvaient-ils
Mais pourquoi furent-ils ainsi mis à leur place ? Quand on subit un trau-
l’écart ? Pourquoi la société et la mé- matisme, il est clair que l’absence de
moire collective mirent tant de temps relais des drames individuels dans la
à les intégrer ? C’est bien d’une double mémoire collective fragilise grande-
peine dont il faut parler : ils ont souffert ment les âmes et les corps. Les révoltes
sur place et dans l’exil ; les harkis sont des années 1970 disent cela, mais sans
les oubliés de la mémoire collective. marquer de tournant dans l’opinion, ni
Oubliés pour les uns, stigmatisés par dans ses souvenirs. Elles vont même si-
beaucoup. On compta bien sûr des sou- gner, à l’inverse, le sentiment qu’il est
tiens dans la société, et souvent de per- compliqué d’intégrer ces populations.
sonnalités qui s’étaient engagées pour Il faut donc d’abord créer une forme de
l’indépendance de l’Algérie, comme convergence mémorielle entre les di-
André Wormser, ancien officier SAS vers protagonistes de la guerre d’Algé-
devenu banquier, ou l’historien Pierre rie. Tous doivent se retrouver dans un
grand récit partagé. C’est peu dire qu’il
y a du chemin à parcourir. Ensuite,
nous devons construire des lieux de
souvenir et de connaissance (lire l’in-
terview p. 52 de Fatima Besnaci-Lan-
cou à propos du futur mémorial de
Saint-Maurice-l’Ardoise).
En voici un, au mémorial du camp de
Rivesaltes, dont l’histoire longue offre
la possibilité de remplir pleinement
les deux objectifs indiqués : ce camp a
été marqué par les deux grands trau-
matismes du second XXe siècle, la Se-
conde Guerre mondiale et la guerre
d’Algérie. C’est une chance unique
pour les harkis de voir reconnue leur
histoire dans le cadre d’un grand mu-
sée-mémorial, mais aussi pour des
visiteurs qui viennent, a priori, parce
qu’on y trouve les descriptions de l’exil
espagnol ou de l’internement et de la
déportation des Juifs de France et qui
découvrent, à cette occasion, un autre
récit d’indésirables qu’a connu Rive-
Gonzalo Fuentes/AP/SIPA
saltes, celui des harkis. C’est au fond
ce message universaliste et humaniste
qui doit nourrir une construction et
une reconnaissance mémorielles. Ce
dossier y contribue ô combien. u
La harka
avant les
harkis
À la source étymologique du
terme, point de « traître ».
Depuis au moins le
XVIIIe siècle, « harki » désigne
avant tout un soldat.

Par Tramor Quemeneur

L
e terme harki provient de l’arabe et
de la racine HRK. Le mot haraka
signifie « mouvement », et celui de
harka « troupe en mouvement ».
Un harki est ainsi un soldat qui fait
partie d’une troupe en expédition. On
le trouve en tamazight (langue berbère)
sous la forme herrek et avec le sens
« partir en expédition militaire » ou
Artefact/Alamy Stock Photo

« faire la fantasia ». Rien à voir donc

avec le sens de « traître » dans lequel il
est maintenant employé en Algérie et,
parfois, en France. Cette même racine a
aussi donné le mot hirak, le mouvement
de manifestation qui a secoué l’Algérie
en 2019, mais aussi le Maroc. C’est d’ail-
leurs dans ce pays que le terme harka a
été le plus employé. Dès le XVIIIe siècle,
les sultans marocains, à la tête de l’État
(maghzen), doivent s’imposer face aux
tribus récalcitrantes (bled al-siba) et
lever périodiquement l’impôt. Pour ce
faire, ils s’appuient sur des harkas.
Du Maroc à l’Algérie
Un pacha ou un caïd peuvent égale-
ment diriger une telle troupe. Lorsque
celle-ci devient très importante, le mot
mehalla lui est parfois préféré. Le sul-
tan Moulay Slimane détient le record
du nombre de harkas, avec 46 expédi-
tions réalisées entre 1797 et 1816. Elles
Protection rapprochéeMoulay Abd er-Rahman (v. 1835) sort de son palais de Meknès, entouré de sa
garde et de ses officiers.• Le Sultan du Maroc, par Eugène Delacroix (1845), musée des Augustins (Toulouse).
ne sont pas toutes couronnées de suc-
cès, puisqu’il échoue, en mai 1819, à
Lenda devant les Izayyan. Mais au Ma-
roc la défaite du sultan ne signifie pas
forcément son renversement : son pou-
voir peut être contesté mais pas sa fi-
gure. Certains sultans meurent parfois
au cours de ces harkas, comme Moulay
Hassan Ier, en juin 1894 à Tadla.
Le terme continue à être employé sous
le Protectorat français au Maroc. Le
pacha de Marrakech, Thami al-Glaoui,
a effectué plusieurs harkas en 1916 et
en 1918. Il a même mené une harka de
15 000 soldats vers le Tafilalet en 1919.
Les Français emploient aussi le mot,
par exemple en 1929, au moment des
combats d’Aït Yacoub, au sud de Fès,
pour désigner les 2 000 à 3 000 hommes
levés par les tribus des Aït Haddidou et
des Aït Yahia. Ce sont plus particuliè-
rement les officiers des Affaires indi-
gènes du Maroc qui utilisent le terme.
Or, il arrive que ces officiers circulent
entre le Protectorat du Maroc et l’Al-
gérie. C’est le cas du général Parlange,
qui commande des tirailleurs maro-
cains de 1919 à 1924, puis passe aux
Affaires indigènes jusqu’en 1943. Après
guerre, il devient commandant de plu-
sieurs régions marocaines, comme Ta-
filalet et Agadir, avant d’être muté en
Algérie, en avril 1955. C’est là, dans les
Aurès, qu’il crée les premières unités
de harkis, qui allaient vite prendre une
tout autre ampleur. u

21 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS

Les mots pour

comprendre
par Tramor Quemeneur

Aassès
En français « gardiens », ce groupe de
supplétifs est créé à la fin de l’année
1960, une fois les unités territoriales
dissoutes après leur participation à la
« semaine des barricades ». Or, après

Jean-Pierre TARTRAT/GAMMA RAPHO via Getty Images

les événements de mai 1958, le nombre
d’Algériens a singulièrement augmenté
dans les UT. Ils sont donc réintégrés,
toujours au sein de l’armée française,
dans le nouveau corps des Aassès, et
ont la même solde que les harkis. Ils
s’occupent en particulier de garder les
bâtiments et de surveiller les axes de
communication. Le corps des Aassès est
supprimé en novembre 1961, la plupart
Camp de transit
de ses membres rejoignent les harkis. À la suite du rapatriement des harkis sur le sol français en 1962, six camps
de transit et de reclassement sont mis en place. Le premier est celui du
Larzac (Aveyron). Il est suivi par ceux de Bias (Lot-et-Garonne), Bourg-
Bleus de chauffe Lastic (Puy-de-Dôme), La Rye-Le Vigeant (Vienne), Rivesaltes (Aude)
et Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard). Les conditions de vie dramatiques
Groupe créé par le capitaine Paul-
entraîneront la fermeture de quelques-uns. Mais certains harkis et leurs
Alain Léger en 1957, constitué
familles passeront toute leur vie dans certains de ces camps.
d’anciens militants nationalistes
« retournés » pour noyauter la
structure du FLN pendant la bataille
d’Alger. Ils sont vêtus de bleus de
chauffe, d’où leur surnom. Persuadé
que son groupe est infiltré [on
Commando Georges
Il tient son nom de son fondateur : le lieutenant Georges Grillot [un ancien
nommera « bleuite » l’opération
d’Indochine rompu aux méthodes de contre-guérilla]. La troupe n’est
de manipulation effectuée par les
constituée que d’Algériens, dont d’anciens membres du FLN « retournés ».
bleus pour démanteler le FLN], le Créé en février 1959, il comprend jusqu’à 250 hommes (un commando n’en
commandant de l’ALN Amirouche comportant normalement qu’une centaine). Il a opéré en Oranie et s’est fait
effectue des purges dans ses rangs. connaître pour sa valeur au combat mais aussi pour ses méthodes brutales.

22 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Les harkis de Paris
Ces musulmans algériens, aussi
surnommés Calots bleus, s’engagent
volontairement dans la Force de
police auxiliaire, et sont
commandés par un pied-noir, le
capitaine Raymond Montaner.

Force de police
auxiliaire
Créée à Paris en novembre 1959 par
le préfet de police, Maurice Papon,
la FPA est sous le commandement
d’un militaire, et est composée de
supplétifs algériens pour lutter contre
le FLN sur le sol français. De fait,

Les calots bleus la FAP

Maurice Papon a fait venir d’Algérie
des combattants extrêmement
aguerris, et aux méthodes violentes.

Force locale Groupe d’autodéfense (GAD)

Fondée dans le cadre des accords
d’Évian, cette force militaire sous
les ordres de l’exécutif provisoire
en Algérie, entre le cessez-le-feu
et l’indépendance algérienne, est
formée de membres des Groupes
mobiles de sécurité (GMS) ; mais
nombreux sont ceux qui désertent
et rejoignent les rangs de l’ALN,
créant une vacance de l’autorité
autorisant tous les débordements.
Les groupes d’autodéfense (GAD) sont constitués de civils armés par les
autorités françaises pour défendre leur village. S’ils pouvaient obtenir
certains avantages en nature (priorité de recrutement sur les chantiers, aide
médicale, nourriture…), ils ne signaient pas de contrat et ne touchaient pas
de rémunération, rendant leur comptabilisation pour le moins incertaine.
Leur armement était très rudimentaire : des fusils Lebel de la Première Guerre
mondiale, voire des fusils de chasse. Si le commandement a cherché, en 1959
et 1960, à promouvoir les GAD afin de montrer le ralliement de nombreux
villages aux autorités françaises, leur désarmement a commencé dès 1961 et
s’est achevé peu après les accords d’Évian.

GMPR (ou Jean-Pierre, ou Goumiers)

Les Groupes mobiles de police rurale (les GMPR, appelés
aussi, par glissement sémantique, les Jean-Pierre)
ont été créés le 24 janvier 1955 par Jacques Soustelle
(nommé gouverneur général de l’Algérie en février). Ils
sont 34 pour l’ensemble du pays. Formés de musulmans
supposés bien connaître le terrain, ils devaient opérer
dans les campagnes peu peuplées, à cheval ou en camion.
Néanmoins, beaucoup d’entre eux sont restés cantonnés
à un secteur dans lequel ils patrouillaient par sections
d’une trentaine d’hommes plutôt bien armés. En 1958, ils
prennent le nom de Groupes mobiles de sécurité (GMS)
et ont désormais une vocation de forces militaires. Leurs
membres perçoivent la même solde que les harkis et les
moghaznis, ainsi que quelques avantages supplémentaires.
Après la signature des accords d’Évian, ils sont intégrés à
la Force locale.

23 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS

Hameau de forestage Rapatriement

Créés dans les forêts pour accélérer la fermeture des camps de transit, Faire venir les harkis en France n’est
ils sont au nombre de soixante-neuf, et établis surtout dans le sud-est de pas prévu : ils sont considérés comme
la France. Ils permettent d’héberger les anciens supplétifs, désormais difficilement adaptables au marché du
travail et ce sont des musulmans, dont
employés par l’Office national des forêts (ONF). Mais ces hameaux sont
les autorités veulent limiter le nombre
isolés, refermés sur eux-mêmes et fonctionnent avec une discipline quasi-
dans l’Hexagone. Les massacres qui
militaire. Leurs habitants sont de ce fait ostracisés, marginalisés. commencent après le cessez-le-feu ne
changent pas la donne : le rapatriement
ne doit être qu’exceptionnel. Mais
certains militaires désobéissent et
protègent leurs anciens supplétifs.
En France, les autorités considèrent
cependant que ce sont des réfugiés
et non des rapatriés (c’est-à-dire des
personnes dont la nationalité est
française). Il faut attendre une loi de
1973 pour que la pleine nationalité
française leur soit reconnue à tous.

JEAN PUECH/SIPA

Harkis
Dès le début de la guerre, le terme
harki est employé pour désigner des
auxiliaires aidant l’armée française
près de leur village. Leur création
officielle intervient le 7 août 1956.
Ce sont alors des contractuels, mais
beaucoup d’entre eux ne signent pas
de contrat. Ils sont employés bien sûr
comme combattants, mais aussi en
tant que traducteurs, pisteurs, guides,
CCIAMP/LA COLLECTION
cuisiniers ou même jardiniers ! À
partir de 1958, plusieurs milliers de
harkis servent dans des commandos,
mais leur nombre diminue à compter
de 1961 : les désertions se multiplient
Unité territoriale
et le commandement commence à les Ce sont des unités supplétives, mais
démobiliser, notamment par crainte qui ne sont au départ constituées
de désobéissance avec violences. Ils
que d’Européens. Elles sont mises
sont désarmés et abandonnés après
en place à la suite de l’insurrection
le cessez-le-feu.
du Nord-Constantinois d’août 1955.
Les Européens d’Algérie participent
ainsi à leur propre défense. À la suite

Moghaznis des événements de mai 1958 et la

volonté de « fraternisations » entre
Leur unité est créée en septembre 1955. Ce sont des groupes communautés, les UT comprennent
d’une trentaine d’hommes (le maghzen) dépendants d’une Section un nombre croissant de « Français
administrative spécialisée (SAS). Celles-ci, au nombre de 700 environ, ont musulmans ». La participation des
été créées pour juguler la sous-administration de l’Algérie en créant des UT à la « semaine des barricades » à
écoles, des dispensaires, et servir de centres sociaux, tout en effectuant Alger [affrontements entre partisans
du renseignement, en surveillant les populations voire en les réprimant. de l’Algérie française et forces de
Les moghaznis sont démilitarisés en 1961, et leur nombre ne cesse de l’ordre] en janvier 1960 conduit à leur
diminuer jusqu’à leur disparition après le cessez-le-feu. dissolution. u

24 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
200 000 à 400 000 supplétifs
 énombrer précisément les Algériens engagés aux côtés de l’armée française entre 1954
D
et 1962 est aujourd’hui impossible. Concernant les auxiliaires, on peut estimer qu’à leur
point culminant, entre la fin de l’année 1959 et 1961, ils étaient entre 120 000 et 150 000.
Au même moment, plusieurs milliers de « Français de souche nord-africaine » servaient
également au sein des unités régulières (appelés et engagés). Si l’on veut recenser avec
justesse ces hommes à l’échelle de la durée de la guerre, il serait nécessaire de tenir compte
des licenciements, des départs, des décès. Sans chercher une précision illusoire, il est
crédible d’avancer que plusieurs centaines de milliers de « Français musulmans »
combattirent avec l’armée française. par François-Xavier Hautreux

156 900
5 500
Évolution des effectifs 9 100
Aassès
Groupes mobiles de protection rurale 122 000
Groupes d’autodéfense
Moghaznis
Harkis
Total
80 000 65 850

62 000
68 000
51 000
20 000
10 000
9 000 19 450
60 000 60 000 18 000
14 000
40 000
13 950 28 000 57 000

4 750
3 500
INFOGRAPHIE JULIEN PELTIER - DONNÉES TRAMOR QUEMENEUR

3 500
2 200

Janv. Déc. Fév. Mars

1957 1958 1959 1960 1961 1962

25 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS

Les dates clés

De la création des unités supplétives en 1954 au pardon de la France aux harkis
en 2021 pour leurs souffrances en Algérie comme en métropole, le chemin fut long.

par Tramor Quemeneur – Design : Julien Peltier

1954
DÉCEMBRE
1955
JANVIER
1956
7 AOÛT
1957
1ER JUILLET
1958
MARS
1959
30 NOVEMBRE
1961
31 OCTOBRE
Premières Création des Circulaire créant Les harkis passent Les GMPR passent Création à Paris de Décret
constitutions Groupes mobiles officiellement sous l’autorité sous l’autorité la Force de police définissant
d’unités de protection les harkas militaire. militaire et auxiliaire (FPA) des contrats
supplétives, rurale (GMPR). et les Groupes prennent le nom par le préfet de un mois
notamment 26 SEPTEMBRE d’autodéfense. de Groupes de police pouvant être
dans les Aurès. Création officielle Mobiles de Maurice Papon. portés à six
des Sections Sécurité (GMS). mois dans
administratives les harkas.
spécialisées (SAS)
et, par suite,
des moghaznis.

1983 1976 1975

OCTOBRE- 31 DÉC. MARS
1974
SEPTEMBRE
1973
9 JANVIER
1971
Création
DÉCEMBRE Fermeture Grèves de la faim Grève de la faim Loi permettant du Mouvement
Des enfants participent du camp de à Évian. d’anciens harkis de réintégrer dans d’assistance et
à la Marche pour St-Maurice- MAI-SEPTEMBRE et de leurs fils la nationalité de défense
l’égalité et l’Ardoise. Révoltes avec prises devant l’église de la française les des rapatriés
contre le d’otage dans les camps Madeleine à Paris. personnes qui d’Afrique du Nord

1987
16 JUILLET
racisme. de Bias et St-Maurice-
l’Ardoise.
9 DÉCEMBRE
Carte du
ne l’avaient pas
demandée
(Madran),
première
6 AOÛT combattant (notamment association
Première loi Décision de fermer étendue à ceux celles qui étaient de rapatriés
d’indemnisation les camps de transit et ayant combattu détenues en musulmans.
comportant des dispositions les hameaux de forestage. en Afrique du Nord. Algérie).
en faveur des anciens harkis
(60 000 francs d’indemnisation
forfaitaire pour les biens laissés
en Algérie).

1994 1999 2000 2001 2002 2003

1991
16 JUILLET
11 JUIN
Reconnaissance
30 DÉCEMBRE
Troisième loi
16 JUIN
Dans un
25 SEPT.
Création de
5 DÉC.
Création du
20 FÉVRIER
Création
de la République en faveur des discours, la Journée Mémorial d’un Haut
Nouvelle loi d’indemnisation envers les anciens harkis le président d’hommage national de Conseil aux
pour les rapatriés (dont quelques anciens harkis et de leurs A. Bouteflika aux harkis. la guerre rapatriés.
mesures pour les harkis). rapatriés. familles. compare les d’Algérie. 28 FÉVRIER
ÉTÉ 1991 Création du harkis aux Création d’une
Manifestations statut de victime « collabos » allocation pour
de fils de harkis. de la captivité de la Seconde les anciens
(avec droit Guerre supplétifs et
à pension). mondiale. leurs femmes
ou veuves.

26 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
6 NOVEMBRE
Décret définissant 1962
FÉVRIER
AVRIL
Nouveaux massacres de harkis.
12 MAI
le statut de harki.
Les autorités veulent Dissolution officielle des SAS. Interdiction de tout rapatriement
rassurer les harkis quant 18 MARS de harkis en-dehors de la voie officielle.
à leur reclassement Signature des accords d’Évian. 16 MAI
après la guerre. 19 MARS Louis Joxe annonce que les supplétifs débarqués
8 NOVEMBRE Premier massacre d’une douzaine seront renvoyés en Algérie (non suivi d’effet).
Suppression de moghaznis à Saint-Denis-du-Sig. 18 MAI
du corps des aassès. 20 MARS Le bachaga Boualam et sa famille arrivent à Istres.
26 DÉCEMBRE Décret sur les conditions de démobilisation des 26 MAI
Loi Boulin définissant harkis : ils peuvent rester engagés dans l’armée française Premier camp de harkis dans le Larzac.
le statut de rapatrié. ou rejoindre leur foyer avec une prime. 1ER JUIN
Ouverture du camp de Bourg-Lastic
3 JUILLET
Reconnaissance de
l’indépendance algérienne.
8 AOÛT 5 JUILLET
1970
5 DÉCEMBRE
1968
MARS
1966
DÉCEMBRE
1964
31 JANVIER
Décret créant les camps
de transit, les cités
Fête de l’indépendance.
Massacre de pieds-noirs à Oran.
Premières Nouvelles Libération Circulaire d’accueil et les hameaux 21 JUILLET
forestiers. Les personnes originaires d’Algérie
manifestations libérations de 500 anciens du ministre
19 SEPTEMBRE perdront la nationalité française
de harkis dans d’anciens supplétifs des Rapatriés
Nouvelle autorisation en l’absence de démarche
les camps supplétifs encore détenus dans stipulant que
de Bias et détenus dans les prisons les harkis et de rapatriement de harkis. avant le 1er janvier 1963.
OCTOBRE JUILLET-AOÛT
St-Maurice les prisons algériennes. leurs familles
Reprise des massacres Multiplication
l’Ardoise pour algériennes. Rapatriement ne seront logés
de harkis. des massacres
protester en France. dans des HLM
29 OCTOBRE de harkis.
contre leurs qu’après les
conditions pieds-noirs. Ouverture du camp
de vie. de Saint-Maurice-l’Ardoise.

2004
10 JANVIER
2005
23 FÉVRIER
2016
25 SEPTEMBRE
2018
OCTOBRE
2021
20 SEPTEMBRE
2022
23 FÉVRIER
Manifestation Loi reconnaissant les souffrances Le président Le Conseil Emmanuel Loi de
de femmes éprouvées par les rapatriés et les François Hollande d’État Macron reconnaissance
et de filles anciens supplétifs, vivement critiquée reconnaît « les condamne demande et de pardon pour
de harkis pour son article 4 sur les « aspects responsabilités l’État français pardon les harkis et leurs
à Paris. positifs » de la colonisation. des gouvernements pour les aux harkis familles ayant vécu
8 SEPTEMBRE français dans conditions et annonce dans des camps
Le président algérien l’abandon de vie dans la création de transit après
A. Bouteflika reconnaît des harkis ». les camps d’une loi de l’indépendance.
avoir commis des erreurs de transit. reconnaissance
à l’encontre des familles et de pardon.
et des proches de harkis.

27 - Historia n° 916 / Avril 2023

 DOSSIER LES HARKIS
Photographe inconnu/ECPAD/Défense
Devenir harki
Au début du conflit, de nombreux Algériens ne
savent quel camp rejoindre et cherchent à limiter
les risques. Choisir la France se fait pour diverses
raisons : économiques d’abord, mais aussi
par peur du FLN, voire par conviction.
Par Tramor Quemeneur
S
’engager dans l’armée fran-
çaise pour devenir supplétif
pendant la guerre d’Algérie
ne correspond pas à un
chemin tout tracé. Il existe
une multitude de causes. La
principale est économique. Pendant
la guerre, les campagnes algériennes
sont ravagées par le chômage. Beau-
28 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Engagez-vous !Des jeunes « Français
musulmans » postulent pour intégrer l’armée
française au bureau de Palestro en Kabylie, en
septembre 1959. Ils vont ensuite recevoir leur
paquetage, leur solde et leur fusil.
coup de fellahs (paysans) travaillent
comme journaliers dans l’agriculture.
Or, celle-ci est de plus en plus mécani-
sée et embauche de moins en moins.
Dans les campagnes, la misère règne, au
point que l’ethnologue Germaine Tillion
parle, en 1957, de « clochardisation »
des Algériens. À cette période, l’Algé-
rie fait aussi face à un très fort exode
rural. Certains bidonvilles dépassent les
10 000 personnes comme celui de Dar
Mahieddine à Alger. L’armée française
demande de plus en plus de moyens
(humains, financiers et matériels) pour
juguler l’insurrection. Elle recrute des
journaliers et des contractuels pour dif-
férentes tâches, civiles et militaires. Les
soldes sont bien supérieures aux faibles
revenus de l’agriculture : recruter des
supplétifs devient facile.
Double contrainte
Par ailleurs, au début du conflit, les
combattants du FLN et de l’ALN ne
sont pas forcément connus locale-
ment et peuvent paraître suspects. De
plus, le prélèvement de l’impôt révolu-
tionnaire, l’hébergement et l’apport de
nourriture pour les militants clandes-
tins suscitent des oppositions. Certains
villageois demandent à être protégés
ou armés par les autorités françaises,
afin de constituer des Groupes d’auto-
défense (GAD). C’est par exemple le
cas de trois villages du douar Ihadjad-
jen en Kabylie qui demandent leur mise
en autodéfense. L’ALN a, en effet, tué
107 personnes qui ont refusé d’appli-
quer certains ordres, sans compter
des « droits de cuissage » (comprendre
des viols), des menaces, des égorge-
ments d’animaux et des destructions
matérielles. L’autoprotection de ces
trois villages conduit à une tension
grandissante avec l’ALN, qui finit par
effectuer une « nuit rouge », du 13 au
14 avril 1956 : tous les habitants du
village d’Ifraten sont tués, soit entre
490 et 1 200 personnes d’après des es-
timations controversées (voir Histo-
ria n°903, « Spécial guerre d’Algérie,
le choc des mémoires »). En fait, il
s’agit d’un véritable conflit de légitimi-
té qui oppose les autorités françaises
et le FLN. Face à l’incertitude de leur
avenir et aux multiples dangers, les fa-
milles algériennes cherchent à limiter
les risques. Si un fils a gagné les maquis
indépendantistes, un cousin peut re-
joindre les rangs de l’armée française,
ou inversement. De cette manière, la
double contrainte (double bind) pesant
sur les familles se fait moins lourde,
et elles peuvent conserver une marge
de négociations avec l’une ou l’autre
Le massacre de Melouza – plus de 300 hommes
ont été tués – conduit des centaines de personnes
originaires du village à s’engager comme harkis
pour se venger de l’Armée de libération nationale
des autorités. Mais la balance penche
de plus en plus en faveur du FLN, en
raison des méthodes répressives des
forces françaises, dont les Algériens
font largement les frais. Comme il
s’agit d’une guérilla, les combattants
sont cachés au sein de la population ;
tout le monde devient suspect. Le FLN
cherche aussi à s’imposer face à ses
opposants, tout comme les partisans
de Messali Hadj, fondateur du Mouve-
ment national algérien (MNA). Une vé-
ritable guerre oppose les « frontistes »
aux « messalistes » qui vont, pour cer-
tains, se rapprocher temporairement
des forces françaises.
Fausses fraternisations ?
C’est le cas après le massacre dit de
Melouza. Il s’agit plus précisément du
douar de Beni-Illemane, en Kabylie, où
toute la population masculine (plus de
300 personnes) du village de Kasbah
est massacrée le 29 mai 1957. Cette
tuerie conduit plusieurs centaines de
personnes originaires du douar à s’en-
gager comme harkis pour se venger
de l’ALN. L’événement entraîne aussi
le rapprochement du messaliste Mo-
hammed Bellounis avec l’armée fran-
çaise : il forme l’Armée nationale du
peuple algérien (ANPA) soutenue par
le gouvernement français. Bellounis des « fraternisations » du 13 mai 1958,
reste cependant convaincu de l’indé- quand certains « Français musulmans »
pendance algérienne et ne se « rallie » ont pensé que l’arrivée du général de
pas. Peu après, il est d’ailleurs « lâché » Gaulle allait profondément modifier
par l’armée française et assassiné dans les relations en Algérie et permettre
des circonstances douteuses, le 14 juil- une véritable égalité. Néanmoins, ces
let 1958. D’autres Algériens sont, au « fraternisations » ont pu être instru-
contraire, favorables à l’« Algérie fran- mentalisées, certains Algériens y étant
çaise », même s’ils sont minoritaires. conduits par la Section administrative
urbaine (équivalent de la Section ad-
ministrative spécialisée dans les cam-
pagnes) tandis que des femmes ont
participé à des opérations montées de
toutes pièces au cours desquelles elles
ont enlevé leur voile. Enfin, des Algé-
riens ont intégré les rangs des troupes
supplétives par allégeance à des chefs
de tribu ayant des responsabilités po-
litiques dans le pouvoir colonial. C’est
le cas dans le massif de l’Ouarsenis, où
Les nombreuses personnes avec des Saïd Boualam, dit le bachaga Boualam,
responsabilités diverses dans l’admi- a mis sur pied une harka d’un millier
nistration coloniale, comme les caïds, d’hommes et fait barrage à l’ALN.
ne faisaient pas partie des troupes En huit années de guerre, certains sup-
supplétives mais sont représentatives plétifs ont pu jouer double jeu et don-
de cet état d’esprit. Par ailleurs, le FLN ner des renseignements à l’ALN, voire
a menacé ou exécuté des individus organiser des désertions massives.
qu’il jugeait trop favorables au pou- D’autres, au contraire, ont déserté les
voir colonial ou compromis avec lui, rangs de l’ALN pour rejoindre l’armée
poussant leurs proches à se rappro- française. De multiples chemins ren-
cher des forces françaises. Un des mo- dant difficile une lecture binaire des
ments les plus emblématiques est celui choses, entre « traîtres » et « héros ». u
Saïd Derrough
J’ai commencé au FLN
Je suis né en 1935 dans le département de Sétif. Avant
la guerre, je travaillais comme docker. J’ai commencé
par soutenir le FLN dès le début de la guerre. Mais, un jour, j’ai intégré
l’armée française au sein d’une SAS [Section administrative spécialisée]
comme moghazni, pour protéger ma famille menacée par le FLN. J’avais
même demandé aux responsables FLN de m’expliquer en quoi toute
leur violence était juste […] À l’indépendance de l’Algérie, j’ai été
emprisonné par le FLN pendant trois ans […] Arrivé en France avec ma
famille, on a été parqué dans les baraquements du château de Lascours,
une annexe du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise dans le Gard. »
Extrait d’un entretien réalisé le 12 mars 2011
par l’historienne Fatima Besnaci-Lancou.
29 - Historia n° 916 / Avril 2023
DOSSIER L ES HARKIS
Des missions
militaires…
et civiles
Les supplétifs remplissent des fonctions policières
et guerrières, mais aussi administratives comme
le prélèvement d’impôt ou le recensement. Ils peuvent
également être interprètes, guides, cuisiniers,
mécanos et même jardiniers.
Par François-Xavier Hautreux
E
ntre 1954 et 1962, l’armée
française engagea à ses côtés
plusieurs centaines de mil-
liers d’Algériens au sein de
différentes unités supplétives
– c’est-à-dire auxiliaires – de
l’armée régulière, pour la seconder.
Cette forme de recrutement était d’un
usage courant au sein des forces armées
impériales européennes. En Afrique
comme en Asie, la domination coloniale
reposait sur l’implication d’« indigènes »
aux opérations de maintien de l’ordre.
De ces parcours, la mémoire collective
a conservé un mot : « harki ».
Un mot qui hante l’imaginaire fran-
çais depuis soixante ans. Un mot qui
se transmet, génération après généra-
tion. Un mot devenu identité. Réguliè-
rement, l’actualité ramène sur le devant
de la scène médiatique une histoire non
pas oubliée, mais sans doute négligée
et méconnue. En France, les images et
les discours contemporains proposent
une image fascinante, puissante, mê-
lant « honneur » et « trahison », dont il
s’agit à la fois de percevoir la force nar-
rative mais aussi les limites. En Algérie,
le « harki » fait, hélas, toujours figure de
30 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Police montée
Ces harkis en intervention
à cheval prêtent main-forte
à l’armée française pour
assurer la sécurité des
personnes et de leurs
biens dans les campagnes
algériennes. Pour ce faire,
on leur a fourni des
fusils Lebel.
repoussoir politique instrumentalisé.
Pour comprendre l’histoire des harkis,
il est pourtant nécessaire d’oublier.
Oublier ces récits à rebours, écrits de-
puis 1962, et se replonger dans l’his-
toire de l’Algérie rurale au mitan des
années 1950. Confrontées à une forte
Jean-Louis SWINERS/Gamma-Rapho
insécurité en Aurès et en Kabylie, les
autorités françaises envisagèrent, dès
l’été 1954, de créer un nouveau corps
auxiliaire pour le maintien de l’ordre
rural. À partir de janvier 1955, trente-
quatre Groupes mobiles de police ru- auxiliaires, les groupes avaient voca-
rale (les GMPR) furent ainsi recrutés, tion à opérer à cheval ou par moyens
soit environ 3 000 hommes. motorisés, en réserve d’intervention.
Leurs missions générales étaient d’as-
surer « la protection des campagnes,
Armer les paysans algériens des biens et des personnes », ainsi que
Les GMPR étaient, dans les premiers de « prêter main-forte aux autres ser-
temps, encadrés par des inspecteurs vices de sécurité ». Ils étaient équipés
de police, puis par des sous-officiers, d’armes relativement modernes – fu-
qui avaient en commun leur origine sils de guerre et pistolets-mitrailleurs.
européenne. Chaque groupe comptait Avec l’extension de l’insurrection, les
75 hommes, qui signaient des contrats missions confiées aux GMPR se di-
d’un an renouvelable. Ils étaient en par- versifièrent. En 1958, ils participaient
tie recrutés dans leur région d’opéra- pour la plupart au quadrillage du bled
tion, et presque exclusivement parmi par sections de 20 à 30 hommes et se
les anciens combattants. Considérés distinguaient peu d’unités régulières.
à leur création comme des policiers On dénombrait jusqu’à 10 000 hommes
engagés dans ces unités entre 1959 et
1962, répartis dans 94 groupes.
Rapidement, l’appoint des GMPR pa-
rut toutefois insuffisant. Parallèlement
au rappel des réservistes et à l’apport
du contingent, l’armée française cher-
cha à accroître l’engagement armé
des paysans algériens. Cet ainsi que
naquirent en septembre 1955 les mo-
ghaznis, des soldats auxiliaires asso-
ciés aux Sections administratives spé-
cialisées (SAS) – nouveau programme
militaire visant à résoudre le problème
de la sous-administration chronique
des campagnes, dans l’inspiration
des bureaux arabes de la conquête.
Chaque maghzen (groupe composé
d’environ 30 moghaznis) était dirigé
par un officier européen des Affaires
algériennes, chargé de remplir des
missions traditionnellement dévolues
aux administrateurs civils : recense-
ment, prélèvement d’impôt, ouverture
de chantiers…
Protéger les villages
À ces tâches civiles furent associées
des fonctions policières et militaires :
renseignement, accompagnement des
unités en opération ou encore surveil-
lance des « points sensibles » (mar-
chés, chantiers…). Dans les faits, les
missions remplies par les moghaznis
dépendaient entièrement de l’offi-
cier chef de SAS. Elles allaient d’une
simple police rurale – la règle géné-
rale – jusqu’à un usage comme troupe
offensive associée aux opérations.
Les moghaznis étaient recrutés par
le chef de SAS lui-même, parmi des
hommes ayant déjà l’expérience des
armes, en théorie à proximité de la
SAS. Ils signaient des contrats de six
mois renouvelables. Fin 1959, on en dé-
nombrait jusqu’à 20 000. Parallèlement
à ces deux groupes, la France armait
localement des troupes de paysans
pour accompagner les opérations ou
monter la garde dans certains villages,
en fonction des besoins. Ceux-ci
31 - Historia n° 916 / Avril 2023
DOSSIER L ES HARKIS
étaient recrutés parmi les anciens
combattants ou parmi les familiers de
chefs traditionnels associés à la pré-
sence française. C’est, par exemple,
le cas dans les Aurès, autour de l’agha
Merchi, rendu célèbre par l’ethnologue
Jean Servier (Dans l’Aurès, sur les pas
des rebelles, 1955). Citons ailleurs la
harka des Beni-Boudouane, constituée
en 1956 autour du bachaga Saïd Boua-
lam, dans le massif de l’Ouarsenis.
Jusqu’en 1957-1958, les rares archives
à mentionner ces groupes évoquent
un appoint de quelques milliers
d’hommes. Selon les contextes locaux,
la souplesse de leur recrutement per-
mettait de les employer comme guides,
pisteurs, ou gardes. En août 1956,
les autorités coloniales décidèrent
de donner un cadre réglementaire à
cette forme d’engagement. Furent ain-
si créés deux groupes distincts : les
Groupes d’autodéfense (GAD) et les
harkas, constituées de harkis. Ces for-
mations se distinguaient par leurs mis-
32 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
sions : mobiles pour les harkis, chargés
d’accompagner les opérations dans
leur secteur de recrutement ; statiques
pour les GAD dont la vocation était
la défense des villages (lire Les Mots
pour comprendre p. 23). De quelques
milliers en 1957, leur nombre atteint
officiellement 60 000 gardes, armés de
28 000 fusils à la fin 1960.
Un mois, six mois, trois ans
Les harkis, quant à eux, signaient
des contrats journaliers – sortes de
contractuels de la guerre au cœur des
campagnes algériennes. La fiction ad-
ministrative de leur engagement quoti-
dien fut entretenue jusqu’en 1961, per-
mettant d’éventuels renvois de harkis
ne donnant pas satisfaction, mais aussi
des départs inopinés du côté des auxi-
liaires. Au sein des unités, si la rotation
des effectifs est impossible à mesurer,
KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO
différentes sources invitent à ne pas les
négliger : on pouvait être harki un mois,
six mois, trois ans. En théorie, on avait
le droit de quitter le service pour une
saison agricole et le retrouver quelques
Vétéran Certains harkis étaient recrutés mois plus tard.
parmi les anciens combattants. Ceux-ci avaient Les harkis passèrent de 2 000 hommes
les compétences techniques pour utiliser
des armes complexes, comme les automitrailleuses
en janvier 1957 à 28 000 fin 1958. À
(ci-dessus).• Janvier 1961. partir de cette date, leur nombre aug-
mente en flèche : on compte jusqu’à
M’hamed Boudjemaa
J’étais français
Je suis né en 1939 dans le département d’Orléansville.
Je travaillais la terre avec mon père quand la guerre a
commencé. La vie était très dure pour nous. Je suis rentré dans l’armée
en tant que harki, volontairement, parce que j’étais français. En juillet
1962, je devais choisir entre la tombe ou la France. J’étais célibataire et
je suis parti sans jamais revoir ma famille restée en Algérie. En France,
j’ai d’abord connu la vie difficile dans le camp de Rivesaltes avant
d’aller travailler à Metz dans une usine qui fabriquait des rails pour les
trains et les bateaux. »
Extrait d’un entretien réalisé le 15 décembre 2022
par l’historienne Fatima Besnaci-Lancou.
 Recruter des harkis
visait à montrer aux
Français, aux Algériens
et au monde entier que
les « indigènes »
étaient favorables à la
présence française

60 000 harkis entre 1959 et 1961. Au-

cune règle précise d’emploi ne leur
fut jamais appliquée par l’armée : les
harkis pouvaient participer à toutes
les tâches incombant aux unités régu-
lières chargées du maintien de l’ordre.
La plupart étaient cependant mal ar-
més, une limite à leur apport offensif.
Les fusils de chasse sont progressi-
vement remplacés par des armes de
guerre, mais souvent des modèles da-
tant de la Première Guerre mondiale.

Un service local avant tout

D’ordinaire, les harkis complétaient les
unités en charge du quadrillage défen-
sif du territoire algérien. Leurs missions
se confondaient alors avec celle des ap-
pelés, entre « liaisons », « opérations de
ratissage », embuscades, gardes… Des
harkis purent faire office d’interprètes,
au même titre que des moghaznis, ou de
guides. Certains d’entre eux servirent Jean Marquis/Roger-Viollet

au sein d’unités de type « commando » :

ils recevaient alors un armement plus
moderne (fusils et pistolets-mitrail-
leurs). Si les commandos retiennent
l’attention, ils ne furent que quelques
milliers, tout au plus. À l’opposé, on
trouva tout au long de la guerre des
harkis cuisiniers, plantons, jardiniers,
mécaniciens… Ils touchaient une
solde allant de 825 à 1 320 francs par
mois en 1958 – un appoint non négli-
geable dans des campagnes paupéri-
sées avant même le début de la guerre.
De ces différents types d’unités supplé-
tives, au-delà de leurs différences, re-
Aide humanitaireDans les camps de regroupement, des harkis distribuent de la semoule aux
populations déplacées à cause de la guerre. Ici à El-Meridj, à l’est des Aurès. •
 Photo de Jean Marquis, 1958.
levons quelques traits communs : l’en- centaines de milliers d’auxiliaires al-
gagement dans une unité auxiliaire de gériens ne tenait pas tant à leur intérêt
l’armée française s’inscrivait dans la ré- opérationnel qu’à des motivations psy-
alité des campagnes algériennes entre chologiques visant à montrer aux Algé-
1954 et 1962. Leur service était avant riens, aux Français et au monde entier
tout local : ils vivaient parmi la popula- que les « indigènes » étaient favorables
tion – ou au moins à son contact dans au maintien de la présence française…
des quartiers réservés. Les raisons qui et ainsi à nier la possibilité même de
poussèrent l’état-major à recruter des l’indépendance algérienne. u

33 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS

Ce que les Algériens

leur reprochent
Même si les fonctions militaires des harkis ne représentent qu’une fraction
de leurs missions, certaines unités sous commandement français ont été
très violentes avec la population. Et, malgré la complexité de cet épisode
de l’histoire, les Algériens, restés au pays comme ceux de la diaspora,
ont le sentiment d’avoir été trahis par une partie des leurs…

Par Tramor Quemeneur

L
e 16 juin 2000, lors de sa
visite officielle en France,
Avoir manipulé l’ALN
le président Abdelaziz
L’unité des Bleus de chauffe (voir s’être engagé dans l’armée de libéra-
Bouteflika (1937-2021)
Les Mots pour comprendre p. 22) a tion pendant la Seconde Guerre mon-
déclarait à la télévision
été créée par le capitaine Paul-Alain diale, il intègre les services secrets
que « les conditions pour
Léger, né en 1921 au Maroc. Après français (le SDECE) et participe à
des visites de harkis en Algérie
ne sont pas encore venues. C’est
exactement comme si on demandait
à un Français de la Résistance de
toucher la main d’un collabo. »
Quelque temps plus tard, il s’excusait
auprès des femmes et des enfants
de harkis, expliquant que cela ne
s’appliquait pas à eux. Il n’en reste
pas moins que cette déclaration est
emblématique de la manière dont
une grande majorité d’Algériens
considère les harkis, à tel point que
le mot « harki » a changé de sens :
alors qu’il signifie originellement un
soldat d’une troupe en campagne,
il est aujourd’hui synonyme de
« traître » ou de « collabo » en Algérie
et parfois en France (lire p. 21). Or,
cette conception très stigmatisante
considère sur un même pied des
réalités très différentes : quel point
Archives Jeune Afrique-REA

commun existe-t-il entre un harki qui

a servi comme cuisinier et un autre
qui a pris part aux combats ?

34 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
la guerre d’Indochine. Là, il crée une
unité parachutiste en partie constituée
d’anciens prisonniers viêt-minh « re-
tournés ». Il récidive en Algérie avec
les Bleus de chauffe. Il dirige alors le
Groupe de recherche et d’exploitation
(GRE), qui « retourne » des militants
du FLN et les emploie dans la bataille
d’Alger, qui est en fait une vaste opé-
ration de police menée par l’armée
pour enrayer la vague d’attentats qui
a ensanglanté la ville. Cela consiste à
quadriller Alger pour retrouver les mili-
tants clandestins du FLN. Les Bleus de
chauffe noyautent également les struc-
UPI/AFP

tures de l’organisation pour la détruire

de l’intérieur. La bataille d’Alger est
marquée par la pratique récurrente de
la torture pour trouver des renseigne-
ments, ainsi que les exécutions som-
maires et les disparitions d’Algériens.
Autant d’éléments qui suscitent un très
fort ressentiment en Algérie.
Mais le capitaine Léger ne s’arrête pas
là. Fort de ses résultats, il gagne le
bled avec ses unités. En Kabylie (la wi-
laya 3), il parvient à tromper le colonel
Amirouche, en faisant croire que des
agents français se sont infiltrés dans
l’ALN, ce qu’il raconte dans son livre
Aux carrefours de la guerre. Le colonel
Amirouche, tombant dans une crise pa-
ranoïaque, commence alors à mener de
vastes purges dans ses rangs. C’est ce
que l’on a appelé la « bleuite », du nom
des Bleus de chauffe. Si les chiffres
manquent sur ces « épurations », il
est certain qu’elles ont été très impor-
tantes, avec pratique de la torture pour
découvrir les « traîtres » puis les exécu-
ter. La crainte d’avoir été infiltrés par
des Algériens, dont certains pouvaient
être d’anciens combattants de l’ALN et
du FLN, a ainsi favorisé le rejet des har-
kis en Algérie.
Le « loup de l’Akfadou » dupé
Le colonel Amirouche, de l’ALN, bête noire de la
France, fait torturer et exécuter de vrais patriotes
algériens, sans doute plusieurs milliers, pensant
qu’ils ont été « retournés » par les Français. Le
capitaine Léger a réussi son coup : c’est la « bleuite ».
Tournée des popotesLe président Charles de Gaulle vient saluer les membres du commando
Georges en août 1959, en Oranie. La troupe est essentiellement formée d’anciens du FLN ralliés à la France.
Avoir pratiqué
la guérilla avec succès
En février 1959, le lieutenant Georges Grillot du 3e régiment de parachutistes
coloniaux dirigé par le colonel Bigeard, crée un commando de chasse harki
qui porte son prénom : le commando Georges. En Indochine, Grillot avait créé
une troupe similaire, composée de Vietnamiens. Les membres du commando
ne sont pas tous d’anciens du FLN, mais ils le sont en partie. C’est notamment
le cas du second, Youcef Ben Brahim, ancien commissaire politique du FLN
recruté alors qu’il était interné dans un camp français à Saïda. Ce commando
comprend au départ 145 soldats, puis 250 à partir de 1960.
Bien armés, ils interviennent d’abord dans le secteur de Saïda, puis dans toute
l’Oranie. Les combattants sont regroupés en trois puis quatre katibas (sec-
tions) de 31 hommes et sont dirigés par des « commissaires politiques », sur le
modèle de l’ALN. Chacune des katibas est subdivisée en sticks de 10 hommes,
dont deux dits de « voltige », un d’« appui », un de commandement et un autre
dit « de choc ». Le commando prend pour devise « Chasser la misère », repre-
nant un thème de la propagande française critiquant les responsables du FLN
à l’abri à l’étranger et disposant d’importants moyens financiers, alors que les
militaires français œuvrent à apporter l’égalité et du travail. Le commando
Georges pratique la guérilla pour se tenir au plus près des combattants algé-
riens et leur infliger les coups les plus durs. À l’instar des autres commandos,
il nomadise pendant de longues journées, jusqu’à 10 ou 15 jours, recherchant
le contact avec les unités de l’ALN, et effectuant aussi des missions d’infiltra-
tion en se faisant passer pour un groupe de maquisards algériens. Il est aussi
connu pour ses méthodes brutales et l’utilisation de la torture.
Militairement, il remporte de nombreux succès, conduisant même à ce que les
membres du commando soient décorés par le général de Gaulle en personne.
Mais, du côté algérien, son action a suscité beaucoup d’acrimonie. D’ailleurs,
après le cessez-le-feu, certains membres sont enlevés et très probablement
exécutés. Le commando Georges est officiellement dissous par l’armée fran-
çaise en avril 1962.

35 - Historia n° 916 / Avril 2023

 DOSSIER L ES HARKIS

Leurs exactions sur les civils

Outre le commando Georges, d’autres
unités font subir d’importantes pertes
aux combattants algériens : les com-
mandos de chasse. Le général Challe
prévoit d’en créer un par secteur d’opé-
ration, soit 70 sur tout le territoire al-
gérien, mais leur nombre grandit au
fur et à mesure et atteint 137 en août
1960. Le commando Georges et le
commando Partisans dans la vallée du
Cheliff (encadré par la gendarmerie)
font partie des très rares formations
composées en quasi-totalité de har-
kis. En règle générale, ces derniers ne
constituent qu’un tiers, voire la moi-
tié des effectifs d’un commando. Ces
troupes sont donc composées d’une
centaine d’hommes et divisées en trois
ou quatre sections, dont une de com-
mandement. Celle-ci comprend aussi
un groupe administratif et un groupe
de renseignement, majoritairement
composés de harkis, pour leur connais-
sance de la langue.
C’est une des raisons pour lesquelles
les Algériens vont associer les harkis
aux pires excès de l’armée française
en Algérie. Les harkis des sections de
combat sont, quant à eux, de plus en
plus apparentés à des militaires ré-
guliers : leur activité, mais aussi leurs
armes et leur équipement, sont si-
milaires aux autres soldats. Mais ce
n’est pas le cas de leur solde, ce que
dénoncent des chefs de corps. D’après
une directive du 18 mars 1959, « la vo-
cation des commandos de chasse est
d’aller débusquer les rebelles dans leur
zone d’implantation ». Leur but n’est
donc pas tant de chercher le combat
que de permettre à d’autres unités d’in-
tervenir ensuite pour détruire l’unité
de l’ALN. L’efficacité des commandos
conduit à leur rejet par une grande
partie de la population algérienne,
d’autant qu’ils sont violents : civils mal-
menés, torturés et exécutés ; viols per-
pétrés, biens matériels et bétail volés.
Si tous les soldats ne le font pas, ces
pratiques peuvent être systématiques
au sein de certaines unités.

Avoir déserté
leur camp
Une partie des harkis est considérée comme
des « ralliés » par l’armée française. Ce terme
regroupe une variété de situations : parfois,
c’est un village entier qui demande la protec-
tion de l’armée française, parfois c’est un an-
cien combattant de l’ALN qui va être considé-
ré comme tel. Dans ce cas, il peut s’agir d’un
déserteur de l’ALN ou d’un prisonnier détenu
dans un camp d’internement qui parvient à
être « retourné ». Fin 1960, il y aurait envi-
ron 3 000 « ralliés » parmi les harkis. Or, dé-
serter son camp est souvent vu comme une
forme de trahison : celui dont on était proche
s’avère quelqu’un qui pensait différemment et
qui nous abandonne. Ce même phénomène a
existé du côté français. Ce sentiment de tra-
hison a aussi contribué au rejet des harkis
par les Algériens. Mais celui qui trahit, c’est
aussi celui qui tend la main à l’autre et qui
construit un pont entre les communautés.
Collection IM/Kharbine-Tapabor

Pub de guerre« Ils refusent de se soumettre à la loi

des égorgeurs. » Cette photo montrant des Algériens ralliés à
la France a été prise en 1958 pour la propagande française.

36 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Georges Azenstarck/Roger-Viollet
RatonnadesLe 17 octobre 1961, le FLN organise à Paris une manifestation pacifique à laquelle sont conviés tous ceux qui sont favorables à l’indépendance de
l’Algérie. Cet événement sera réprimé dans le sang (plusieurs dizaines de morts) sous les ordres du préfet de police, Maurice Papon, avec la participation de la FPA.
Leur participation à la
répression d’Algériens à Paris
La Force de police auxiliaire (FPA) a
été mise en place par Maurice Papon.
Beaucoup plus connu pour son rôle
dans la déportation de Juifs pendant la
Seconde Guerre mondiale, ce dernier
est ensuite devenu préfet de Constan-
tine jusqu’en 1958. Nommé préfet de
police de Paris, il importe en France
les méthodes employées en Algérie à
partir de février 1959. Le colonel Mon-
taner, qui travaille sous ses ordres,
a participé à la bataille d’Alger avant
d’être muté à Paris au sein du Service
d’assistance technique aux Français
musulmans d’Algérie (SAT-FMA). Son
action consiste à lutter contre l’implan-
tation du FLN, en particulier dans le bi-
donville de Nanterre, en y employant
les techniques de la guerre contre-ré-
volutionnaire éprouvées en Algérie.
Les 400 agents de la FPA sont consti-
tués pour une part des Calots bleus,
qui sont des militaires en tenue. Du fait
de leur visibilité, ce sont surtout eux
qui ont été désignés comme les « har-
kis de Paris ». Ils s’appuient aussi sur
des agents et des indicateurs en civil,
chargés d’infiltrer le FLN et de donner
des renseignements. Les Calots bleus
étaient d’abord implantés dans le
13e arrondissement puis dans le quar-
tier de la Goutte-d’Or, dans un hôtel
réquisitionné. C’est là, dans les caves,
que des tortures étaient pratiquées, ce
que montre d’ailleurs le documentaire
de Jacques Panijel, Octobre à Paris
(1963). De même, la journaliste et mi-
litante anticolonialiste Paulette Péju,
dans Les Harkis à Paris, dénonce
les pratiques récurrentes de tortures,
s’appuyant notamment sur les témoi-
gnages de prêtres, de pasteurs et de mi-
litants locaux. Par exemple, le collectif
d’action du 13e pour la paix négociée
en Algérie publie un communiqué qui
dénonce : « Depuis l’installation de ces
supplétifs, de nombreux témoignages
de personnes vivant aux alentours ont
été recueillis. Il en ressort que des inter-
rogatoires violents, des voies de faits,
des exactions et même des tortures
auraient eu lieu dans les caves et les
locaux occupés par ces policiers. » Ces
dénonciations conduisent à la ferme-
ture des « centres d’interrogatoire » de
la FPA à Paris et à leur repli au sein du
Fort de Noisy. Les Calots bleus pour-
suivent leurs patrouilles et les fouilles
brutales qui sont notamment réalisées
au sein des bidonvilles de Nanterre. Le
FLN ne se laisse évidemment pas faire
et livre une bataille acharnée contre
la FPA. Celle-ci réplique d’autant plus
durement, en particulier lors des évé-
nements d’octobre 1961, au cours des-
quels plus de cent manifestants paci-
fiques algériens ont été assassinés par
les forces de l’ordre sous le comman-
dement de Maurice Papon. u
37 - Historia n° 916 / Avril 2023
DOSSIER L ES HARKIS
Ceux qui les ont
abandonnés
Alors que les exactions se multiplient contre les harkis
dès les accords d’Évian, les plus hauts responsables de l’État français
ne les rapatrient qu’au compte-gouttes.
D
ès la signature des accords
d’Évian, le 18 mars 1962,
de nombreux supplétifs
subissent des actes de
violence. Des officiers
demandent alors le rapa-
triement des harkis avec leurs familles.
Mais les implacables décisions de l’État
français vont rendre possible l’aban-
don des harkis à leur sort. Qui sont les
responsables de ce drame ? L’histoire
retient principalement Louis Joxe,
Pierre Messmer et de Gaulle.
Fin 1960, dans les négociations vers la
paix, Louis Joxe pose déjà la question
de la protection des supplétifs. Or, en
janvier 1961, pour Paris, leur rapatrie-
ment n’est « ni à prévoir ! Ni à souhai-
ter ! Encore moins à encourager. » Le
ministre d’État chargé des Affaires
algériennes est aujourd’hui encore ac-
cusé d’avoir entravé le sauvetage des
harkis en 1962. A-t-il été naïf de croire
au respect des accords d’Évian ? C’est
lui qui, le 12 mai 1962, adresse au
haut-commissaire de la République en
Algérie la note où il réclame de « faire
rechercher », dans l’armée et dans
l’administration, « les promoteurs et
les complices » des « rapatriements
prématurés ». Lui aussi qui envoie le
télégramme du 16 mai 1962, « très se-
cret, priorité absolue » : « Les supplétifs
débarqués en métropole en dehors du
plan général de rapatriement seront
38 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Par Houria Delourme
en principe renvoyés en Algérie. […] Interpellé plus tard sur le sujet, Mess-
Éviter de donner la moindre publici- mer s’abrite derrière les ordres reçus.
té à cette mesure. » Aiguillonné par de Il a obéi aux ordres du chef de l’État,
Gaulle, il explique au Conseil des mi- pour qui l’Algérie était un enjeu majeur
nistres du 24 mai que les départs en
masse de harkis risquent de favoriser Louis Joxe
l’arrivée d’« éléments indésirables ».
Dans cette responsabilité collective,
Pierre Messmer, alors ministre des
Armées, est aussi en bonne place. Le
22 février 1962, il rappelle à tous les of-
ficiers en Algérie « le devoir d’apporter
aux Français musulmans en service
dans les forces armées et supplétives
la garantie que leurs intérêts légitimes
de soldats et de citoyens seront sauve-
gardés ». Il fera tout le contraire.
Les déclarations ambiguës
du chef de l’État
D’abord en défendant un plan trop res-
trictif (pour 5 000 harkis alors qu’ils
sont encore près de 60 000 en service)
et limité au 30 juin 1962, soit quelques
jours avant l’indépendance. Dans une
note de service, il interdit aux mili-
taires toute initiative : « Effectuer sans
délai enquête en vue déterminer condi-
tions départ d’Algérie de ces groupes
incontrôlés et sanctionner officiers qui
pourraient en être à l’origine. [S]eront
refoulés sur l’Algérie tous anciens sup-
plétifs qui arriveraient en métropole
sans autorisation de ma part […]. »
de sa présidence. Au nom d’impératifs
économiques et culturels, de Gaulle
impose sa politique à ses ministres.
Avait-il un plan conçu à l’avance, qu’il
aurait appliqué une fois au pouvoir ?
Ses déclarations entretiennent l’am-
biguïté. En effet, en juin 1955, lors
d’une conférence de presse, de Gaulle
émet l’idée d’association de l’Algérie à
la France. Le 6 juin 1958, dans la ville
de Mostaganem, quelques jours après
son investiture, il crie « Vive l’Algérie
française ! ». Alors comment expliquer
sa volte-face de 1959, lorsqu’il lâche le
mot « autodétermination » et proclame
le « libre choix que les Algériens vou-
dront bien faire de leur avenir », tout
en poursuivant les enrôlements de sup-
plétifs ? Indifférent au sort des harkis,
il dira seulement : « Ils souffriront ! » Le
3 avril 1962, lors de la séance du comi-
té des Affaires algériennes, de Gaulle
De Gaulle n’a jamais
considéré comme de
« vrais » Français
les harkis qu’il juge
inadaptables car
pauvres et peu instruits
décrète qu’« il faut se débarrasser sans
délai de ce magma d’auxiliaires qui
n’ont jamais servi à rien », puis donne
l’ordre de désarmer les harkis, oubliant
son discours du 4 juin à Alger – « Dans
toute l’Algérie, il n’y a que des Français
à part entière. » En réalité, il n’a jamais
considéré comme de « vrais » Français
les harkis, qu’il juge inadaptables car
pauvres, pas instruits et sans qualifica-
tions professionnelles. Est-il conscient
que ces déclassés sont les produits du
système colonial ? Alain Peyrefitte rap-
porte, dans C’était de Gaulle (Fayard),
le 25 juillet 1962, qu’à Messmer, qui
lui demande de prendre une position
de principe car « des harkis […] se
disent menacés, d’où des demandes
qui viennent à la fois des autorités ci-
viles et militaires », il répond qu’on ne
peut parler de « rapatriement » pour
eux puisque la France n’est pas leur
terre, ce sont des « réfugiés ». Cette dé-
claration traduit non seulement sa sur-
dité au déchaînement de violence dont
les harkis sont victimes, mais aussi
sa volonté réitérée de les déposséder
de la nationalité française. Les harkis
devront souscrire à une « déclaration
recognitive » auprès des autorités, en
France, alors que tout est mis en place
pour les maintenir en Algérie. u

Pierre Messmer Charles de Gaulle

IngratitudeQuelle part de responsabilité le ministre des Affaires algériennes, le ministre des Armées et le président de la
République (de g. à dr.) ont-ils eu dans l’abandon des harkis après la proclamation de l’indépendance algérienne ? Ont-ils sous-
estimé l’ampleur du danger que ces supplétifs couraient? Ont-ils fermé les yeux pour se débarrasser à bon compte de cette troupe
désormais encombrante ? Quoi qu’il en soit, en s’abstenant de rapatrier, malgré leur demande, de nombreux auxiliaires en France,
ils les ont laissés aux mains du FLN et d’une population vengeresse. Et les accords d’Évian n’ont rien pu y faire.

39 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS
Fuir ou mourir…
Indésirables en France, « traîtres » en Algérie, les harkis qui ne réussissent
pas à quitter leur pays après la proclamation de l’indépendance deviennent,
dans le meilleur des cas, des citoyens de seconde zone ; mais beaucoup
sont torturés et exécutés sommairement.
Par Jacques Frémeaux
L
e sort des Algériens fidèles
à la France n’échappe pas
aux autorités et, en particu-
lier, celui des supplétifs de
l’armée française, désignés
généralement du nom de har-
kis. On en évalue le nombre à environ
250 000 hommes, ce qui constitue, avec
les familles, un nombre respectable, qui
pourrait tourner autour du million de
personnes. Les autorités françaises pré-
voient leur licenciement, en proposant
à ceux qui le souhaitent un contrat dans
l’armée régulière, ou un départ pour la
métropole pour les plus menacés. Par
ailleurs, ils insistent pour obtenir des
garanties des représentants du FLN.
Les accords d’Évian du 18 mars 1962
posent nettement le principe de l’ab-
sence de représailles, selon la formule
« nul ne peut faire l’objet de mesures
de police ou de justice, de sanctions
disciplinaires ou d’une discrimination
quelconque » en raison d’actes commis
avant le cessez-le-feu du 19 mars.
Une période d’anarchie
Cette déclaration est-elle sincère ? On
sait en tout cas que les représentants
du Gouvernement provisoire de la Ré-
publique algérienne (GPRA), qui ont
signé les accords d’Évian, sont immé-
diatement contestés lors du congrès
de Tripoli (juin 1962) par les militaires,
dirigés par Houari Boumédiène, rejoint
par Ahmed Ben Bella. Des propos in-
40 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
quiétants tenus par des cadres du FLN en Algérie. Du côté algérien, l’exécutif
en Algérie font apparaître une évidente provisoire, chargé d’assurer la transi-
volonté de vengeance. Enfin, la pro- tion, n’a aucune autorité en dehors de
clamation de l’indépendance (3 juillet celle que lui reconnaît Paris. Le GPRA,
1962) ouvre une période d’anarchie. Le qui lui succède, se trouve très vite im-
gouvernement français, désireux d’évi- puissant face à ses compétiteurs, et
ter de relancer la guerre, n’entend plus l’autorité de Ben Bella, appuyée sur
engager son armée dans des opérations l’armée des frontières, ne s’impose en
Ahmed Bouteldja
J’allais être exécuté
Le 5 juillet 1962, vers 22 heures, une dizaine d’hommes
se sont présentés chez moi pour m’arrêter […].
Rapidement, j’ai fini par leur échapper et je me suis caché dans une
forêt. Malheureusement, dès le lendemain matin vers 9 heures, je me
suis fait reprendre par les mêmes hommes […]. Ils m’ont frappé et
fait avaler deux boîtes de tabac à priser […]. Une vieille femme et sa
fille sont venues me voir pour m’apporter à manger et m’annoncer
que j’allais être exécuté le lendemain matin. Je me suis de nouveau
évadé et j’ai passé la nuit dans un cimetière […]. J’ai dormi à plusieurs
reprises dans la rue. J’ai de nouveau été rattrapé par mon destin et
emprisonné par l’ALN pendant onze mois. J’y ai vu mes compagnons
mourir ; certains partaient déminer des terrains. Beaucoup ont trouvé
la mort dans ces lieux. Lorsque la Croix-Rouge internationale est
venue nous contrôler, les chefs FLN ne montraient qu’une dizaine de
prisonniers : ceux qui étaient physiquement présentables. Les autres,
des centaines, restaient cachés. Je me suis évadé une dernière fois […]
Pour rester en vie, j’ai quitté l’Algérie pour la France le 20 août 1963. »
Extrait d’un entretien réalisé le 27 juillet 2005
par l’historienne Fatima Besnaci-Lancou.
 AGIP/Bridgeman Images

Le grand départEn juin et juillet 1962, les harkis et leurs familles, du moins ceux qui le souhaitent et le peuvent, embarquent pour la France. Ils sont considérés
comme des réfugiés et non des rapatriés, contrairement aux pieds-noirs, car ils ne sont citoyens français que de droit local et non de droit commun.

droit qu’en septembre 1962. Le pays se
trouve en proie aux rivalités des pou-
voirs locaux plus ou moins autoprocla-
més, dans une atmosphère favorable
au crime et à la délinquance.
Dans un premier temps, les représen-
tants du FLN se conforment, du moins
globalement, aux promesses données,
prenant contact avec les harkis pour
les faire déserter, ou se contentant
d’exiger d’eux des contributions fi-
nancières. Cette politique rencontre
un certain succès, peu de harkis de-
mandant le départ pour la France. En
même temps, le gouvernement fran-
çais procède à leur désarmement. À
partir de juin, et surtout du 3 juillet, les
harkis font l’objet de représailles mas-
sives exercées par leurs anciens en-
nemis du FLN, et par les « marsiens »
(surnom donné en référence au mois
de signature des accords d’Évian et
du cessez-le-feu), qui cherchent à faire
oublier leur passé par un activisme
sectaire. Un moment atténuées à la
fin de l’été, ces brutalités reprennent
d’octobre 1962 à février 1963. Nombre
d’Algériens en difficulté avec le FLN
(élus, petits fonctionnaires, cadres
divers), sont au nombre des victimes.
Ces actions sont présentées par leurs
auteurs comme l’exercice d’une jus-
tice révolutionnaire, ou comme de

41 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS

en femmes, nez, oreilles et lèvres cou-

Lieutenant Bernard Martin pés, émasculés, enterrés vivants dans
la chaux ou même dans le ciment ou
brûlés vifs à l’essence ». Ces violences,

Sauver les harkis déjà bien présentes dans les méthodes

du FLN, ne trouvent que trop de pré-
« En juillet 1962, mes chefs du 151e régiment textes dans la mémoire toute fraîche
d’infanterie motorisé, me chargent d’une mission de la guerre impitoyable menée par les
spéciale. Il s’agit de prendre contact avec les forces de l’ALN, qui sont troupes françaises.
dans la région de Souk Ahras, pour leur expliquer comment est miné
le barrage tunisien et organiser les unités des deux armées, algérienne
et française, pour qu’elles ne se tirent pas dessus. À cette occasion,
Employés au déminage
j’ai reçu la visite d’un ex-officier SAS. Il était à la recherche de ses Il n’est pas possible de donner le
moghaznis, qui avaient disparu. Je lui dis qu’il est fort probable qu’ils nombre précis des personnes arrêtées,
soient à l’hôpital parce que l’ALN les récupérait pour leur faire déminer torturées et massacrées, mais il est
le barrage tunisien avec des baïonnettes de MAS 36. Bien sûr dès qu’ils certainement, au bas mot, de l’ordre de
touchaient une mine, elle explosait sur eux. Sur le bord d’une route, plusieurs dizaines de milliers. De plus,
j’ai rencontré une infirmière de la Croix-Rouge qui m’a dit : « Mon petit un certain nombre d’anciens supplétifs
lieutenant, on va travailler ensemble. Je suis là pour sauver des harkis. » sont emprisonnés. En 1965, la Croix-
Extrait d’un entretien réalisé le 14 octobre 2022 Rouge les estimait à 13 500 personnes,
par l’historienne Fatima Besnaci-Lancou. ce qui n’exclut pas un nombre bien plus
élevé. Parmi ceux-ci, plusieurs milliers,
dont beaucoup ne revinrent jamais,
furent employés au déminage des bar-
justes vengeances, à l’encontre des qualité d’ambassadeur depuis le 6 juil- rages aux frontières entretenus par
« collaborateurs », des « traîtres à la let, parle de « traitements d’une cruau- l’armée française entre 1957 et 1962, et
cause nationale ». té inouïe infligés aux harkis et souvent qu’il s’agissait de démanteler.
La répression n’est pas générale. Une à leurs familles ». Sans s’étendre sur Depuis l’indépendance, les musulmans
partie des harkis (ou assimilés) a pu ce chapitre, on peut citer un extrait du sont considérés par les responsables
demeurer en Algérie en fonction de compte rendu rédigé par le sous-pré- français comme des citoyens algériens,
facteurs divers (liens antérieurs avec fet d’Akbou (Kabylie) : « Un conseiller à moins qu’ils n’optent pour la nationa-
des personnalités du FLN, versement général, arrêté le 1er août après avoir lité française, mais exclusivement en
d’argent aux responsables…). Le pays assumé les fonctions de maire jusqu’à territoire métropolitain. S’ils viennent
n’en est pas moins le théâtre de véri- cette date à la demande de l’ALN » en France, ce ne peut être qu’à titre
tables massacres. Les populations sont est « enterré vivant le 7 août, la tête de « réfugiés » et non de « rapatriés »
largement associées aux exactions, dépassant et recouverte de miel, le comme les Européens. Les autorités de
surtout les jeunes, avec des déporte- visage mangé par les abeilles et les Paris s’imposent donc la plus grande
ments peu imaginables. Jean-Marcel mouches ». Ce rapport signale que discrétion pour venir au secours de ces
Jeanneney, qui représente la France en des harkis sont « promenés habillés « étrangers » de la veille. On note seule-

Les La double ségrégation

dates
le rapatriement en France
1962 des supplétifs. en dehors du plan
1999 2012
De part et 12 mai 16 mai de rapatriement. 5 avril 12 janvier
d’autre de la Interdiction par Louis Joxe, 8 août Loi algérienne Loi algérienne
Méditerranée, les Pierre Messmer, ministre des Affaires Décret créant, supprimant les droits retirant aux harkis
harkis ont fait ministre des Armées, algériennes, annonce en France, des camps civiques et politiques le droit de fonder
l’objet de lois de toute initiative le renvoi en Algérie pour les harkis. des harkis. un parti politique.
discriminantes. individuelle pour des harkis arrivés

42 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023

Exclus Ces tombes de harkis sont alignées le long d’un chemin communal à Aït Chaffa. C’est l’interdit de l’ALN de mettre en terre les « traîtres » dans les cimetières
musulmans qui explique cet emplacement incongru. La forme de la pierre tombale, frappée de l’étoile et du croissant, est une création de l’armée française.
ment des interventions de l’ambassade jor interarmées en Algérie précise aux
de France en août 1962, et des menaces officiers qu’il ne faut « procéder en au-
de Louis Joxe, ministre des Affaires al- cun cas à des opérations de recherche,
gériennes, à l’automne, d’interrompre dans les douars, de harkis ou de leurs
les facilités financières nécessaires à familles » (note du 24 août 1962). Un
l’Algérie indépendante pour établir ses nombre équivalent parvient en France
premiers budgets. Les initiatives prin- en dehors de ce dispositif, souvent
cipales consistent à procéder à l’éva- avec l’aide d’officiers ou de personna-
cuation d’environ 40 000 personnes, en lités agissant de leur propre initiative,
organisant l’accueil des victimes plutôt malgré le désaveu des hautes autorités.
qu’en allant à leur secours. L’état-ma-
Se taire sur les massacres
La directive de Louis Joxe du 12 mai
1962 prévoyait en effet de sanctionner
les « promoteurs et les complices » des
de la possibilité rapatriements et renvoyer les supplé-
2020 de se présenter tifs débarqués en dehors des voies ré-
Décembre aux suffrages gulières. Pierre Messmer, ministre des
Article 87 présidentiels. Armées, a cependant refusé de faire
de la Constitution appliquer cette disposition. Le bilan
algérienne privant total (morts, prisonniers et évacués)
les harkis, ainsi représenterait environ 150 000 per-
que leurs enfants, sonnes. Les dirigeants français n’ont
pas su ou voulu anticiper les troubles
JEAN-CLAUDE WIDMANN
qui devaient résulter du passage brutal
à l’indépendance, puis ont préféré se
taire sur les massacres. Messmer re-
grettait de n’avoir pas insisté person-
nellement auprès du général de Gaulle
pour obtenir de lui une déclaration
condamnant les exactions et exigeant
leur arrêt. « Je ne sais quel aurait été
le résultat, mais au moins l’honneur
eût été sauf ». Quant aux dirigeants
algériens, ils se sont refusés à conce-
voir l’unité de leur pays en dehors de
l’élimination des opposants et des sus-
pects, et à faire un geste de concorde.
L’ambassadeur Jeanneney se plaignait
au début de 1963 que les représailles
continuent à être pratiquées contre les
anciens supplétifs, « sans qu’une seule
fois à ma connaissance le gouverne-
ment algérien ait dénoncé publique-
ment un tel comportement ou fait pu-
nir les responsables ». Si l’État français
a, depuis, exprimé ses regrets pour son
attitude, il n’y a, du côté algérien, guère
de signes de changement. u
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DOSSIER LES HARKIS

tune, près d’un millier de personnes

débarquent le 11 juin 1962 à Marseille.

Ceux qui L’Amicale de la DBFM, officiellement

créée, permet l’installation de ces fa-
milles à Largentière (Ardèche). Domi-

les ont aidés

nique Roze, enseigne de vaisseau, reste
une figure emblématique de cette opé-
ration. À l’instar d’autres sauveteurs,
il est épaulé par sa jeune épouse. Le
couple renonce à son voyage de noces
Contre l’avis des autorités françaises et malgré la et Magali se transforme en infirmière
menace de sanctions, des hommes et des femmes ont pour soigner la population alors dé-
tenté, souvent clandestinement, de sauver les harkis… pourvue de couverture sociale.
Le sort des harkis après la dissolution
des harkas déclenche aussi l’indigna-
Par Houria Delourme tion des officiers SAS (Sections ad-
ministratives spécialisées). Le 12 mai,

E
leur inspecteur général leur ordonne
n 1961, le gouvernement tive en avril 1962, et du renvoi pur et de « s’abstenir de toute initiative iso-
français négocie en sous-main simple des supplétifs, dix officiers se lée ». Mais contre les consignes de leur
l’indépendance de l’Algérie. dressent : « Si vous ne rapatriez pas les hiérarchie, ils décident d’évacuer eux-
Mais que faire des supplé- harkis, on ne part pas non plus ! » Ils mêmes les harkis et leurs familles car
tifs de l’armée française ? se replient sur Mers el-Kébir, le temps le programme prévu est trop restrictif.
Au printemps 1962, des de réunir les harkis et leurs familles, et Le 14 mai 1962, un groupe d’officiers
soldats français en Algérie savent que d’obtenir, grâce au soutien de person- SAS fonde l’Association des anciens
ces auxiliaires algériens subiront des nalités de l’état-major de la marine à des Affaires algériennes (AAAA). Par-
répressions s’ils ne sont pas transférés Paris, les autorisations nécessaires et mi eux, François Reverchon, André
en métropole. Les autorités françaises des places dans un navire. Après deux Wormser et Yvan Durand. Ce dernier
décident, malgré tout, de les désarmer mois regroupés dans un camp de for- quitte l’armée pour avoir les mains
et de les renvoyer dans leurs douars.
Les premiers assassinats de harkis sont
perpétrés dès la signature des accords
d’Évian. Des officiers vont alors tâcher, Vincent Zaragoza
plus ou moins clandestinement, de sau-
ver leurs compagnons d’armes.
Exfiltrations après 1962
« On ne part pas non plus ! » Pour sauver des familles de harkis de la mort, d’avril à
août 1963, j’ai pris le risque d’être tué par les forces de
Au péril de leur carrière, de leur vie
l’ordre algériennes puisque le pays était indépendant, ou d’être fusillé
parfois, certains agissent seuls. C’est
en France pour acte de désobéissance à l’armée. En quelques mois,
le cas de Daniel Abolivier, ou de Fran-
j’avais mené une dizaine d’« opérations Colis », nom de code donné à ce
çois Meyer qui décide d’exfiltrer par
sauvetage de familles de harkis que j’exfiltrais de leurs fermes isolées.
ses propres moyens ses hommes et
Je me suis longtemps demandé ce qui m’avait conduit à braver les
leurs familles. Il fera appel à son ami
autorités françaises et à me mettre hors la loi, alors qu’avant d’arriver
l’abbé de La Morandais pour média-
en Algérie je ne connaissais même pas le mot « harki ». Sans doute
tiser la cause des harkis en France et
mon jeune âge – j’avais 20 ans – et aussi parce que ces familles aux
réunir des fonds. À partir d’août 1962,
enfants dépenaillés me faisaient penser à moi à leur âge. Mes parents,
tous deux les feront accueillir en Lo-
républicains espagnols, avaient fui l’Espagne de Franco en 1939 et
zère dans les « Villages du renouveau ».
s’étaient retrouvés dans une situation similaire, à vivre dans la misère. »
En parallèle, des filières de plus grande
envergure s’organisent. Ainsi, à l’an- Extrait de l’entretien réalisé le 26 mai 2018 par l’historienne Fatima Besnaci-Lancou.
nonce de la dissolution de la demi-bri-
gade de fusiliers marins (DBFM), effec-

44 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
libres et organiser, en dehors du plan
officiel, le transfert de 2 500 personnes
de la région de Palestro.
André Wormser, lui, est déjà retourné
à son métier de banquier quand il est
contacté en 1962 par les officiers du
commando Georges dont plus de 60
membres viennent d’être assassinés. À
titre personnel et par fidélité au com-
bat républicain de son père, ami et chef
de cabinet de Georges Clemenceau, il
n’hésite pas à leur prêter main-forte.
Avec André Wormser, ami de Simone
Veil, on est obligé de balayer les rac-
courcis selon lesquels un banquier,
sympathisant de la cause algérienne,
ne pourrait pas abriter chez lui des
harkis dès lors que l’armée française
va être déloyale avec eux.

Formidable chaîne humaine

En juillet 1962, après la déclaration
d’indépendance, face au drame hu-
main qui se joue sous leurs yeux, des
officiers ayant servi en Algérie fondent
olivier coret/divergence

le Comité national pour les musulmans

français (CNMF), ou comité Parodi,
du nom de son président. Ce comité
compte d’autres responsables, dont le
colonel Schœn et Nicolas d’Andoque.
Ce dernier aussi quittera l’armée afin
d’agir librement. C’est d’ailleurs grâce
à ses prises de position auprès des au-
torités françaises et de la presse que
les familles arrivées à Marseille ne se-
ront pas renvoyées en Algérie.
Ces acteurs, issus d’horizons très di-
vers, témoignent de la complexité
de cette guerre franco-algérienne et
brisent les stéréotypes. Non, ceux qui
ont sauvé les harkis ne sont pas néces-
DR

sairement « Algérie française », encore

moins partisans de l’OAS. Tous se sont Sauveurs Le général de brigade
impliqués pour déployer une formi- François Meyer (ci-dessus),
Alexandre Parodi, ancien résistant,
dable chaîne humaine des deux côtés vice-président du Conseil d’État
de la Méditerranée et sauver plus de à partir de 1960 (à g.) et André
43 000 personnes. Au-delà des clivages, Wormser, banquier et président du
Comité national pour les musulmans
économiques, religieux, sociaux, ou français à partir de 1974 après Parodi
des désaccords politiques, ces hommes (à dr.) ont, tous trois, œuvré pour
et ces femmes, souvent dans l’ombre, rapatrier en France des harkis
et leurs familles, les soustrayant
ont dit non à l’abandon des harkis et se aux représailles du FLN après les
ressemblent par leur humanité. u accords d’Évian en mars 1962.
AFP

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 DOSSIER LES HARKIS

Intellectuels :
le grand malaise
Le 20 septembre 2021, à l’Élysée, Emmanuel Macron, président de la République,
demande « pardon », au nom de la France, aux familles de harkis et reconnaît la
singularité de leur histoire. Son discours semble faire écho aux paroles prononcées
depuis quelques années par des intellectuels français, de manière parfois
inattendue. En effet, lors de la guerre, ces personnalités avaient été actives,
à des degrés divers, pour l’indépendance de l’Algérie ou pour la protection
des prisonniers du FLN. Et sont passées à côté de la tragédie.

Extraits choisis par Fatima Besnaci-Lancou

‘‘entendre
On ne peut ‘‘ LA GUERRE D’ALGÉRIE A ÉTÉ AUSSI
Ulf Andersen/Aurimages

ou lire UNE GUERRE CIVILE OÙ DE TRÈS

NOMBREUX ALGÉRIENS SONT MORTS
sans indignation les DU FAIT D’INITIATIVES ALGÉRIENNES
JEAN LUC BERTINI/FIGAROPHOTO

récits sur l’abandon ET LA REPENTANCE, DANS CE CAS, EST

des harkis par VALABLE POUR TOUT LE MONDE. NOUS AVONS TOUS À
l’armée française DEMANDER PARDON AUX HARKIS. CE QUE JE FAIS ICI. »
au moment de l’indépendance ; Jean Daniel, éditorialiste du Nouvel Observateur, « France-Algérie : pardon aux harkis »,
Le Figaro des 17 et 18 juin 2000.
les subterfuges utilisés pour
les désarmer, en prétextant
« M’étant beaucoup investie pour améliorer la
une inspection d’armes. Car la
STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

condition des prisonniers du FLN […], je [peux]

France désarmait ses partisans aborder une autre page tragique de notre
avant de les livrer à leurs histoire […]. Pour nombre d’officiers français,
bourreaux […]. On a un peu ce fut un déchirement d’abandonner à leur sort
des hommes qui avaient partagé leurs combats.
de peine à le dire, mais hélas !
Certains décidèrent leur rapatriement en métropole.
il faut le dire : la livraison des Après y avoir un temps consenti, […] les autorités françaises [y
harkis à leurs bourreaux est une mirent] fin. La plupart des harkis durent ainsi rester en Algérie,
tache sur l’honneur du général en butte à l’opprobre et souvent à d’horribles représailles […].
La tragédie de ces familles entières abandonnées laisse en tout
de Gaulle. »
cas une tache indélébile sur notre histoire contemporaine. »
Jacques Julliard, journaliste, historien, « Harkis : le temps de la honte »,
Le Nouvel Observateur, 6 septembre 2001. Extrait du discours de réception de Simone Veil à l’Académie française, le 18 mars 2010.

46 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 ‘‘quiDeonttoutes les tragédies collectives
affligé notre temps depuis la L’avis de
Shoah, celle qu’ont vécue les harkis
d’Algérie est peut-être pour nous la l’historien
plus douloureuse – parce que rien et ancien
Ulf Andersen/Aurimages

n’en paraît marquer la fin. » dirigeant

du FLN,
Extrait de la préface de Jean Lacouture et Jean Daniel au livre de Fatima Besnaci-Lancou
Fille de harki (Les Éditions de l’Atelier, 2003, rééd. 2005).

Mohammed
« JE SUIS EN TRAIN DE ME BATTRE POUR Harbi

Michel Monteaux/Opale.photo
LES HARKIS. CAR QUARANTE ANS APRÈS
LA GUERRE, LA PERMANENCE DU REJET ET « On ne peut pas ne pas tenir
DE L´INTOLÉRANCE, CE SONT DES BÊTISES compte de l’existence, en
NOIRES ! POURQUOI LES HARKIS N´AURAIENT- Algérie, après cent trente
ILS PAS EU LE DROIT D´ÊTRE HARKIS ? […] QU´EST-CE QUE CELA VEUT ans de colonisation et un
statut de « département
DIRE D´OPPOSER, COMME ON L´ENTEND PARFOIS, LES HARKIS AUX
français », de forces sociales
RÉSISTANTS ? HARKIS ET RÉSISTANTS, CELA VA TRÈS BIEN ENSEMBLE !
indifférentes à l’idée
IL FAUT RÉSISTER AU MAL, IL NE FAUT PAS RÉSISTER AU BIEN. » nationale. Une anthropologie
Germaine Tillion, propos recueillis par Marie-Christine Ray, « Harkis et résistants vont bien ensemble », La Croix, 3 avril 2003. de la construction de la nation
algérienne est indispensable
pour comprendre le
phénomène harki. L’enjeu
Dans Les Temps modernes d’avril 1961, Claude est d’importance, car, dans
Lanzmann signe un article extrêmement violent la situation actuelle, il peut
contre les harkis qu’il traite de « chiens ». En 2011, être un des chemins qui mène
il publie l’article « Les parias de la guerre d’Algé- à l’invention démocratique.
rie », dans lequel il revient sur les propos tenus. […] Une gestion condamnable
Frederic SOULOY/GAMMA

‘‘
[du FLN] des rapports avec
Que, pour le cinquantenaire des la population paysanne, le
accords d’Évian, Les Temps modernes peu d’attention accordé à
consacrent un numéro entier au destin des harkis sa situation matérielle, les
atteintes au code de l’honneur
semblait hautement improbable. On le sait, la revue ont permis à l’armée française
avait, dès le début du conflit, embrassé la cause de – la crise rurale, des situations
l’indépendance algérienne […]. Il est nécessaire parfois proches de la famine,
d’affiner l’histoire des harkis […] et d’en finir avec enfin les pressions aidant –,
de recruter et d’armer des
les simplifications grossières de la doxa du FLN et groupes en leur sein […]. Ce
la nôtre, qui n’a pas contribué à la recherche et à qui est à noter – et c’est là une
l’établissement de la vérité. Ce numéro spécial tente dimension essentielle pour
comprendre ces phénomènes,
de dire la vérité, réparant par là même une grande c’est que les harkis ne
injustice […]. Nous espérons du fond du cœur [que nourrissaient aucun projet
cela] permettra aux harkis de mieux respirer en politique, ni pour eux-mêmes
France, comme nous le pûmes nous-mêmes après la ni pour les populations dont ils
étaient originaires. »
parution de Réflexions sur la question juive, par un « Dire enfin que la guerre est finie »,
certain Jean-Paul Sartre. » Le Monde, 4 mars 2003.
« Les parias de la guerre d’Algérie », dans Les Temps Modernes n° 666 (2011) : « Harkis 1962-2012, les mythes et les faits », p. 3-5.

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 DOSSIER L ES HARKIS

Une relégation
au long cours Derrière les
barreaux
Bias, Saint-Maurice-l’Ardoise, Rivesaltes… Dans ces camps On compte de
grillagés, les harkis, décidément bien encombrants pour l’État nombreux enfants
parmi les 1 300
français, ont été parqués à l’abri des regards pendant des années. personnes « inaptes au
travail » recluses dans
le camp de Bias entre
1963 et 1975.
Par Katia khemache • Août 1975.
Jean-Pierre TARTRAT/GAMMA

48 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 tions, près de 90 000 personnes par-
viendront à se réfugier en France par le
biais de l’armée française, des filières
semi-clandestines, ou de l’immigration
économique des années 1960.
Leur transfert en France n’a pas été
voulu par le gouvernement français,
qui se retrouve donc totalement im-
préparé. D’où l’utilité des camps qui ré-
pondent au besoin urgent de loger ces
réfugiés. Enfin, leur « recasement » ré-
PHOTOPQR/SUD OUEST/Delporte Lucien/MAXPPP

pond à un double impératif : veiller à la

sécurité de l’État qui craint un rappro-
chement des vaincus (OAS et harkis)
et assurer la sécurité des harkis eux-
mêmes face aux Algériens pro-FLN.
Mais l’existence de ces camps ne peut
se comprendre qu’en gardant à l’esprit
Le peuple des que l’État mène une politique de re-
indésirables
À la suite des classement différenciée à l’égard des
Espagnols, en 1936, populations repliées d’Algérie, dans la
des résistants sous lignée des inégalités institutionnalisées
l’Occupation, des
par la colonisation.
Vietnamiens après Diên
Biên Phu, les premiers
harkis intègrent Bias
en janvier 1963. « Irrécupérables »
• Février 1963.
De plus, la crainte des incidents qui
pourraient survenir en cas de cohabita-
Au pied levé
Après la proclamation tion Européens et « musulmans » ava-
de l’indépendance lise la ségrégation spatiale. Ainsi, entre
algérienne en juillet 1962 et 1964, près de 42 000 personnes
1962, de nombreuses
familles de harkis transitent par l’un des six camps : Le
fuient leur pays. Plus Larzac (Aveyron), Bourg-Lastic (Puy-
de 5 000 personnes sont de-Dôme), La Rye-Le-Vigeant (Vienne),
accueillies en urgence
Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), Bias
Journal La Montagne

et dans des conditions

précaires au camp de (Lot-et-Garonne) et Saint-Maurice-L’Ar-
transit de Bourg-Lastic doise (Gard). Les plus vulnérables,
dans le Puy-de-Dôme.
ceux que l’administration nomme les

S
imone Veil écrivait : « Je
n’oublierai jamais le moment
où, pour la première fois, j’ai
senti et compris la tragédie de
la colonisation […]. Depuis
ce jour, je ne peux pas ren-
contrer un Indochinois, un Algérien,
un Marocain, sans avoir envie de lui
demander pardon. » Est-ce le même rai-
sonnement qui a conduit le président de
la République en exercice à demander
pardon aux harkis le 20 septembre 2021 ?
Aux lendemains du soixantenaire de
l’indépendance algérienne, l’histoire
de ces populations que l’on appelle
aujourd’hui abusivement « harkis », les
conditions sinistres de leur départ de la
terre natale et les espaces de relégation
où une minorité d’entre eux fut reca-
sée en France, renvoie à notre histoire
coloniale et postcoloniale.
Dans l’Algérie de l’immédiate après-
guerre, les harkis font partie des vic-
times de ce que l’historien Guy Per-
villé a appelé ces « lendemains qui
déchantent ». Enlèvements, détention
dans des camps, tortures et massacres
se succèdent. Tentant de fuir ces exac-
« irrécupérables » : blessés, handica-
pés, veuves et orphelins, sont dirigés
vers les cités d’accueil de Saint-Mau-
rice l’Ardoise et Bias, centres à voca-
tion disciplinaire d’après les anciens
hébergés, à vocation sanitaire selon les
autorités publiques de l’époque.
Isolé à un kilomètre du village, le camp
de Bias a abrité, derrière ses barbelés,
diverses populations. Réfugiés espa-
gnols, résistants, Indochinois ont laissé
leur place, à partir de 1963, aux harkis
avec la création du Centre d’accueil
des rapatriés d’Algérie (CARA). De
janvier à juillet, le commandant Ta-

49 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS

rot est responsable de ces quelque

1 300 âmes qui y résident. Jusqu’en
1975, la population moyenne est de
l’ordre d’une centaine de familles re-
présentant environ 700 personnes. Il
s’agit de chefs de famille malades ou
invalides (33 % de la population hé-
bergée), d’enfants de moins de 16 ans
majoritairement (47 % de la popula-
tion du camp) ; 20 % des résidents du
CARA constituent le groupe le plus
vulnérable désigné sous l’appellation
de « célibataires » : des hommes seuls
blessés ou handicapés. La sécurité de
l’État combinée à la protection des har-
kis eux-mêmes, à laquelle s’ajoutent les
représentations postcoloniales domi-
nées par l’idée d’une incompatibilité

PHOTOPQR/SUD OUEST/Delporte Lucien/MAXPPP

supposée des systèmes socioculturels,
conditionnent une gestion autoritaire
du centre et la militarisation du quo-
tidien. Le règlement mis en place est
une copie de l’arrêté Morlot de 1959
portant règlement intérieur du Centre
Table sans matièreLes logements sont souvent trop petits pour les familles. Les couchages, voire d’accueil des rapatriés d’Indochine de
les chaises, sont en nombre insuffisant. Mais, durant l’hiver 1962-1963, c’est surtout le froid qui va faire des la commune voisine de Sainte-Livrade.
ravages parmi les plus jeunes, d’autant que la nourriture est rudimentaire. • Camp de Bias, février 1963.
Nous sommes donc bel et bien dans
des espaces de contrôle totalitaire.

Un hébergement révocable
À la fin des années 1960, l’environne-
ment est décrit par Marie-Madeleine
Pouvreau, doctorante au dispensaire :
« Dans une enceinte d’environ 15 hec-
tares, entièrement clôturée de hauts
grillages, sont édifiés 21 bâtiments
préfabriqués, de plain-pied, dont 16
servent à l’hébergement. Les cinq
autres bâtiments sont destinés aux
services administratifs et sociaux, à
l’école, au dispensaire et au logement
d’une fraction du personnel astreinte à
résider sur place. Chaque logement est
PHOTOPQR/SUD OUEST/Delporte Lucien/MAXPPP

doté d’un poste d’eau courante froide

dans la pièce servant de cuisine […] »
Les sanitaires et douches, à l’extérieur,
sont autorisées une fois par semaine.
Le personnel du CARA tend à infanti-
liser ces familles à qui il est retiré, des
Leçons de vieLes enfants de harkis auraient dû être mêlés aux enfants « de France » pour accélérer subsides fournis par l’État, la part due
leur intégration et leurs progrès en langue française. Dans les faits, ils étudient dans le camp et non dans les à l’administration pour l’hébergement.
villages alentour, et ne bénéficient pas d’une éducation complète.• Camp de Bias, février 1963. Il faut garder à l’esprit que les chefs de

50 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023

famille vivent sous la menace perma-
nente d’un renvoi – car, dans le règle-
ment, l’hébergement est défini comme
« révocable » – ou d’une hospitalisation
à l’hôpital psychiatrique d’Agen. Là, le
nombre colossal d’internés venant de
Bias peut s’expliquer par le profil psy-
chiatrique des hébergés, mais demeure
dénoncé par les anciens résidents
comme un outil de répression.
En outre, l’enseignement par les « mo-
nitrices de promotion sociale » de la
cuisine « à l’occidentale » aux mères al-
gériennes, ainsi que la suggestion voire
l’obligation de franciser les prénoms
des nouveau-nés sont des marques
de cette mise sous tutelle à visée as-
similationniste. L’enfermement de ces
femmes reflète un paradoxe dans la
gestion des familles harkies considé-
rées comme inadaptées à la société
française à qui les pouvoirs publics
ne proposent pourtant que des tra-
vaux saisonniers et un quotidien cloi-
sonné. Ces pratiques administratives
montrent que les mentalités sont loin
d’être décolonisées, d’autant que les
employés des camps sont souvent des
ex-coloniaux qui ont eu l’opportunité
d’être reclassés dans ces centres.
Les premiers temps d’installation
passés, les harkis de Bias et d’ail-
leurs disparaissent des préoccupa-
tions publiques jusqu’au printemps
Le péril jeune En juin 1975, treize ans
après leur arrivée dans le camp de Saint-Maurice-
l’Ardoise, ce sont les jeunes qui se révoltent. Le
centre d’accueil sera fermé quelques mois plus tard.
blique et prises d’otages. Après 1975
et l’annonce gouvernementale de la
fermeture des deux derniers camps,
la majorité des enfants de harkis s’in-
sère dans le tissu social français alors
qu’une minorité reste épisodiquement
médiatisée lors d’émeutes de quartiers
ou de grèves de la faim. Bias est sou-
vent un dénominateur commun aux
acteurs du mouvement contestataire
et du monde associatif. Les popula-
AFP or licensors
tions des cités Astor et Paloumet, nées
sur les ruines du camp de Bias portent
ainsi toutes en elles les stigmates de la
1975, au moment du soulèvement des guerre d’Algérie. L’histoire de ce camp
jeunes issus des camps de Bias et de s’inscrit dans une tradition historique
Saint-Maurice-L’Ardoise. Leur révolte de l’enfermement, une manière d’oc-
se caractérise par une violence iné- culter et de régler provisoirement la
dite : occupation des locaux adminis- question des « indésirables » tout en
tratifs, manifestations sur la voie pu- noyant les responsabilités. u
Abila Toualbia
Ma drôle de maison
Enfant, avec ma famille, on a été écartés de la
vie normale parce que les autorités françaises ne
savaient pas quoi faire de nous. Après nous avoir enfermés dans le
camp de Saint-Maurice-l’Ardoise et ensuite dans celui de Bias, elles
ont eu l’idée effroyable de nous parquer dans la prison de Cognac. Les
cellules étaient sombres et sales. On était malade à cause de l’humidité
qui coulait le long des murs. L’épaisseur des portes et surtout les
œillères aux portes pour regarder les prisonniers m’impressionnaient.
Il faut dire que je n’avais que 11 ans. On se demandait ce qu’on faisait
là. Au sous-sol, il y avait de grandes fenêtres avec des barreaux. Et dans
la cave, quand on s’amusait entre gosses, on découvrait des chaînes
accrochées au mur avec des traces de sang séché. Je cachais « ma drôle
de maison » à mes copines de classe. J’avais honte. Avoir été enfermée
dans une prison comme si c’était banal d’habiter là reste à jamais une
douleur indescriptible. J’ai appris que d’autres familles de harkis ont
été enfermées, en 1963, dans la prison de Nantes. J’ai mal pour eux !»
Extrait d’un entretien réalisé le 24 octobre 2009 par l’historienne
Fatima Besnaci-Lancou.
51 - Historia n° 916 / Avril 2023
DOSSIER LES HARKIS
Entretien
BIENTÔT UN MÉMORIAL
À SAINT-MAURICE-L’ARDOISE
HISTORIA – P  lusieurs milliers de personnes
sont parquées dans le camp de Saint-Maurice-
l’Ardoise entre 1962 et 1976. Qui sont-elles
et quelles étaient leurs conditions d’accueil ?
FATIMA BESNACI-LANCOU – I l s’agit de familles
de harkis. À la fin de la guerre d’Algérie, près de
43 000 personnes sont rapatriées en France par
l’armée française et entassées dans des camps
de transit dressés dans l’urgence, dont celui de
Saint-Maurice (Gard). Près de 6 000 d’entre elles
grelottent sous des tentes durant l’hiver rigou- FATIMA
reux de 1962-1963. Seuls les harkis qui trouvent BESNACI-
un travail et un logement pour leur famille
peuvent quitter ces camps – qui fermeront en
LANCOU
Historienne,
décembre 1964. Ainsi, de début 1965 à fin 1975,
co-fondatrice de
les personnes inaptes au travail ou les femmes
l’association Harkis et
seules avec enfants sont regroupées dans l’un
droits de l’homme
des deux camps rebaptisés « centres d’accueil » :
Bias (Lot-et-Garonne) et Saint-Maurice. Selon des rapports
de médecins ou d’observateurs extérieurs, les conditions de
vie y sont alarmantes. Une citoyenne suisse écrit au CICR
que le quotidien y est « en dessous de ce que l’on peut ad-
mettre pour des êtres humains ». En 1975, après plusieurs
révoltes menées par des enfants de harkis, le Conseil des
ministres du 6 août 1975 décide de fermer ces camps.
Il a fallu près d’un demi-siècle pour voir naître le projet
d’un mémorial. Quels obstacles avez-vous dû franchir ?
Par le passé, quelques élus avaient promis de faire de cet es-
pace un lieu de mémoire. Mais rien n’a été réalisé jusqu’à ce
que le président de l’agglomération du Gard rhodanien, Jean
Christian Rey, porte concrètement ce projet de mémorial.
Un long travail de concertation a été nécessaire tant avec
les associations harkis du territoire qu’avec le ministère des
Armées pour trouver un modus operandi. Je pense aussi que
la demande de « pardon » aux familles de harkis par le pré-
sident de la République a permis de surmonter les obstacles.
Comment est composé le conseil scientifique que vous
présidez et quels sont les travaux que vous menez ?
Il est composé de dix personnes : historiens, pédagogues,
personnalités qualifiées et un philosophe. D’ores et déjà,
l’historien Didier Lavrut, à partir des archives départemen-
tales du Gard, est chargé d’établir deux rapports qui ser-
viront de support de réflexion aux architectes retenus par
l’agglomération du Gard rhodanien. Le premier document
recensera les noms des personnes parquées à Saint-Mau-
52 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
rice et dans les annexes du château de Lascours,
entre 1965 et 1970. Les enfants inhumés illégale-
ment à proximité du camp seront également lis-
tés. Le second document proposera un contenu
historique, validé par le conseil scientifique, en
vue de la réalisation de panneaux pédagogiques.
Avez-vous déjà une idée précise de ce que pour-
CAMILLE MILLERAND
ront y découvrir les visiteurs ?
Une des pistes est d’ériger un mur portant les
noms des personnes ayant transité par ces lieux
ainsi qu’un parcours avec des panneaux présen-
tant le contexte historique du site et décrivant la
vie des familles de harkis de 1962 à 1975. On at-
tend également les projets des architectes pour
affiner les propositions.
Des descendants de harkis expriment des
inquiétudes comme le fait que le mémorial
fasse mention des soldats du FLN…
L’histoire de ce lieu ne commence pas avec l’arrivée des fa-
milles de harkis en 1962. En effet, pendant la guerre d’Algé-
rie, de 1958 à 1961, près de 600 nationalistes (FLN et MNA)
y sont internés. Puis, de janvier à juillet 1962, des activistes
de l’OAS y sont enfermés. Cette période sera inévitablement
indiquée dans l’histoire du lieu mais le projet est bien de
construire un mémorial harki. Il n’y a aucun doute.
Quelle a été la genèse des fouilles entreprises pour
retrouver les corps de ces enfants, enterrés illégalement
dans la périphérie du camp ?
Le souvenir de ces corps d’enfants reste gravé non seule-
ment dans la mémoire des familles touchées par ces deuils
mais aussi dans la mémoire collective des personnes qui ont
transité par ce camp. Des responsables d’associations, tel
que Hacène Arfi, ont, de nombreuses fois, tenté d’attirer l’at-
tention des autorités locales. En vain. Il a fallu attendre 2019,
après qu’une descendante de harki a découvert un dossier
d’archives de la gendarmerie évoquant ce drame, pour que
le sujet soit examiné. Entre 1962 et 1964, près de 70 per-
sonnes, dont 60 enfants, meurent à Saint-Maurice. Depuis
peu, une équipe de l’INRAP tente de retrouver les corps. Se-
lon Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée de
la Mémoire et des Anciens Combattants, « tout cela doit être
dit, connu et reconnu comme une faute de la République ».
L’agglomération du Gard rhodanien partage cet avis et tient
à ce que ce drame ait toute sa place dans le mémorial. u
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉRIC PINCAS
 Des réussites harkies
Sport, culture, milieux associatifs et politiques… malgré leur marginalisation
pendant des décennies, les descendants des supplétifs se sont brillamment
intégrés dans des secteurs variés de la société française. par Tramor Quemeneur

Toumi Djaïdja Boussad Azni

Fils de harki, Né en 1959 à Tizi Ouzou, il arrive en France en 1963 avec sa famille dans le camp de
né en 1962 et Bias. Il y vit jusqu’en 1973. Commerçant ambulant, il devient président du Comité de
exfiltré avec sa liaison des harkis. En 2001, il fait partie des plaignants devant le tribunal de grande
Mohamed LOUNES/GAMMA

instance de Paris pour crime contre l’humanité et publie, en 2002, Harkis, crime
famille par la
d’État : généalogie d’un abandon. Vice-président du Haut Conseil aux rapatriés, puis
Croix-Rouge, conseiller du secrétaire d’État aux anciens combattants, il meurt en 2012.
il vit dans une
cité de transit en Ardèche, puis à
Vénissieux. Il devient animateur
et président de l’association SOS
avenir Minguettes. Le 20 juin
Alice Zeniter Mohand
Astrid di CROLLALANZA/opale.photo

1983, il est gravement blessé par Née en 1986 à

Clamart, elle obtient
Hamoumou
un tir de la police alors qu’il tente
le prix Goncourt des Fils de harki
de protéger un jeune attaqué
lycéens en 2017 pour né en 1956 en
par un chien de patrouille. Cela
Lemouton Stephane/Pool/ABACA

son quatrième roman, Kabylie, il a

conduit au lancement de la L’Art de perdre, qui raconte l’histoire
mêlé réflexion
marche pour l’égalité et contre d’une famille de harkis sur trois
intellectuelle et
le racisme, dite « marche des générations. Elle a publié son premier
livre en 2003, à l’âge de 16 ans, avant engagements
beurs », qui part le 15 octobre
de suivre des études à l’École normale associatif et politique. Cet
1983 de Marseille et arrive à
supérieure de la rue d’Ulm. Elle a mis instituteur a poursuivi ses études
Paris le 3 décembre avec plus de
en scène plusieurs pièces de théâtre à l’École des hautes études en
100 000 manifestants. Six des dix
et participé à l’écriture d’un long sciences sociales (EHESS) et
initiateurs de cette marche sont métrage, Fever. Elle vient de publier,
obtenu un doctorat de sociologie
des enfants de harkis. en 2022, Toute une moitié du monde.
sur les harkis, publié sous le
titre Et ils sont devenus harkis,
en 1993. Il a également impulsé
l’Association justice, information,
Dalila Kerchouche réparation pour les harkis
(AJIR) puis Agir pour une juste
Née en 1973 dans le camp de Bias (Lot-et-Garonne), elle est
Pascal Ito/Flammarion

devenue journaliste à L’Express puis à Madame Figaro. En 2003,

intégration dans la République.
elle sort également un livre autobiographique : Membre du Haut Conseil à
Mon père, ce harki qui la fait connaître du grand public. Outre l’intégration de 2009 à 2012, il a
différentes enquêtes, elle vient de sortir ce film documentaire très personnel également été maire de Volvic
Bias : le camp du mépris, qui s’appuie sur la mémoire de quatre femmes de harkis. de 2008 à 2020.

53 - Historia n° 916 / Avril 2023

DOSSIER L ES HARKIS
Abdelmajid
Bourebbou
Né le 16 mars 1951 à Arris
dans les Aurès, il arrive en
France en 1963 avec ses
parents. Son père est harki.
Il grandit à Rouen, joue au
football et accumule les
victoires. Avec le FC Rouen,
il joue d’abord en 2e division
avant d’accéder à la D1 en
1977. La même année, son
équipe tombe en huitièmes
de finale de la coupe de
France contre l’AS Saint-
Étienne, alors leader du
championnat. Il joue ensuite
à Laval, où il est désigné
meilleur ailier de D1. Il est
suivi par le sélectionneur de
l’équipe de France, Michel
Hidalgo, mais c’est l’équipe
d’Algérie qui fait appel à lui
en 1982, bien qu’il ne cache
pas les origines harkies de
sa famille. Cela ne lui est
d’ailleurs pas reproché. Il fait
partie de l’équipe algérienne
du mondial 1982, offrant une
passe décisive lors du match
contre le Chili (victoire 3-2).
Et aussi…
Ajoutons encore d’autres
figures comme le poète
stéphanois Messaoud Gadi ;
Hadjila Kemoum (photo 1),
DR
auteure de Mohand
le harki et présidente
d’une association pour
la solidarité inter et
intracommunautaire ;
Hacène Arfi (photo 2) et
Abdelkrim Klech (photo 3),
infatigables lutteurs pour
54 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Bernard Goutta
Fils d’un ancien harki d’origine kabyle, il naît à
Perpignan le 28 septembre 1972. Il joue d’abord au
rugby à XIII avant de passer au rugby à XV comme
troisième ligne aile à l’USA Perpignan où il fait la
majeure partie de sa carrière. Il détient le record du
plus grand nombre de matchs joués dans cette équipe
Thierry Breton/Panoramic
(298) et en est le capitaine à 128 reprises. En 2003, il
échoue en finale de coupe d’Europe contre le Stade
toulousain (22-17). L’année suivante, il participe à
un match de l’équipe de France contre le Canada, au cours duquel il marque un
essai. Il met un terme à sa carrière de joueur en 2007 et devient entraîneur. Il est
actuellement manager de l’équipe du SU Agen.
Michel Ahmed Talata
Cet artiste plasticien est issu d’une famille kabyle. Son père,
ancien harki, est arrivé en France en août 1962 avant d’être
rejoint par sa mère. Le couple vit d’abord au camp de Rivesaltes
puis s’installe à Dreux où naît Michel Ahmed en 1971.
Diplômé des Beaux-Arts, ce dernier réalise en 2012 une
exposition à L’Ar(t)senal, un centre d’art contemporain de
Dreux, dans laquelle il présente 14 toiles autour d’un livre
Martine Pitou/ECHO REPUBLICAIN Photo
onirique sur les harkis intitulé Le Choix de l’ogre, rue des harkis
(coécrit avec François Benoît, ancien directeur des Affaires
culturelles de Dreux). Cette exposition se nomme « Harki-Ikrah »
(en arabe, ikrah signifie « contrainte »). Il a aussi réalisé un film
sur les harkis et créé une société d’infographie et de design.
en 1986 (sur une liste du
Front national), ou encore
Hamlaoui Mekachera,
1 2 3 officier de l’armée française
DR
DR
devenu secrétaire d’État
la cause harkie. D’autres El Hajj Mohamed Laradji aux Anciens Combattants
personnes ne sont pas à et instigateur des révoltes de 2002 à 2007. Ce dernier
proprement parler des de 1975 ; Soraya Djebbour, appartient même à la
enfants de harkis mais fille du député Ahmed première génération
leurs parcours en sont Djebbour, première femme puisqu’il a participé à la
proches, comme M’Hamed musulmane élue au conseil guerre d’Algérie sur la
Laradji, neveu du député régional d’Île-de-France frontière algéro-tunisienne.
En résumé
PAR ALECOS PAPADATOS Écrivain et
illustrateur de BD, il vient de sortir un
Aristote (Dargaud) et a signé Logicomix
(Vuibert, 2010, rééd. 2018), un livre devenu
culte sur l’histoire des mathématiques.

DR

55 - Historia n° 916 / Avril 2023


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RÉCIT SOCIÉTÉ
BOULANGER, QUELLE HISTOIRE !
Du pain et
des peurs
Cet artisan, qui occupait une place essentielle dans
notre société, est aujourd’hui menacé par les
changements alimentaires et les aléas économiques .
par Steven Laurence Kaplan
L
a vraie crise de la boulange-
rie, qui la mine insensible-
ment, n’a rien à voir avec
la montée vertigineuse du
prix de l’énergie – même si
c’est un coup terrible – mais
provient de la chute de la
consommation de pain,
sans interruption depuis 1900, pas-
sant de 600 à 75 g par tête et par jour.
Tout en mangeant de moins en moins
de pain, nous continuons à célébrer
le boulanger, le personnage préféré
des Français après le pompier et les
membres du Samu. Certes, en ville, les
boulangeries restent nombreuses mais,
dans bien des régions, les populations
villageoises vivent très mal la perte de
leur boulangerie (pour cause de retraite,
faillite, etc.). Des disparitions presque
aussi douloureusement ressenties que
l’absence d’un médecin ; les communes
font donc tout pour attirer un(e) jeune
dans l’espoir de redémarrer le fournil.
Même si le réseau artisanal s’est consi-
dérablement rétréci (57 000 boulange-
ries en 1950, 31 000 aujourd’hui), il est
le plus dense au monde. Commerce de
58 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
proximité, espace d’une sorte de com-
munion profane, la boulangerie contri-
bue à tisser le lien social et construire
l’ordre quotidien.
Dernière scène d’un meurtre
Francois Kollar/Bibliotheque Forney/Roger-Viollet
La vie du boulanger n’est pas facile,
même si le fournil n’est plus le « cachot
sombre » qu’évoquait George Sand ;
l’artisan n’est plus un « troglodyte » su-
bissant un « esclavage nocturne » et le
pétrisseur, travaillant à la main, n’émet
plus une « sorte de cri douloureux »,
qui suggérait à l’écrivaine la « dernière
PanadeAvant la mécanisation (ici vers
scène d’un meurtre ». Moins pénible
1930), le travail au fournil équivaut, selon
que jadis, grâce à une mécanisation
George Sand, à un « esclavage nocturne ».
partielle, à la pratique de la fermenta-
tion différée et à une fermeture d’un
ou deux jours par semaine, le métier
demeure néanmoins exigeant, voire transition du pain, denrée de première
éreintant quand l’artisan n’a pas les nécessité, au pain optionnel, choisi
moyens de recruter les ouvriers dont il pour le plaisir et la santé. Depuis plu-
aurait besoin ou n’en trouve pas. sieurs décennies, la boulangerie arti-
Depuis la Libération, l’évolution de sanale s’est segmentée : des virtuoses
la boulangerie artisanale n’est pas un d’esprit créatif et entrepreneurial ont
long fleuve tranquille. De nombreux su créer des marchés de niche, basés
boulangers n’ont pas su négocier la sur des pains spéciaux, au détriment
de la baguette blanche, dépourvue de
tout intérêt gastronomique. Arc-boutée
sur ce dernier produit, la majorité des
boulangers a ouvert une large brèche à
la concurrence industrielle, qui occupe
à l’heure actuelle 40 % [!] du marché du
pain que les artisans tenaient à 100 %
en 1960. Affolée par la baisse de la
consommation et de la qualité du pain,
dans le dernier quart du XXe siècle, une
partie de la meunerie assez visionnaire
a décidé de redonner du souffle à la
boulangerie grâce à des pratiques inno-
vantes (tant du côté des recettes de pa-
nification que du marketing) en créant
des « enseignes » que nous connaissons
tous (Banette, Rétrodor, Baguépi etc.)
et qui ont sans doute sauvé la boulan-
gerie artisanale.
Baguette ou tradition ?
La boulangerie « officielle » – syndi-
cale – remet enfin en question la quali-
té du pain dans ses états généraux au
milieu des années 1980 et collabore, au
cours de sept années de discussions,
avec tous les éléments de la filière
blé-farine-pain, à la préparation du
décret pain du 13 septembre 1993 : ce
dernier crée la baguette de tradition,
sorte d’antibaguette blanche, dont
la recette interdit additifs et surgéla-
tion et impose une longue première
fermentation, qui assure au pain une
forte charge aromatique et un goût
envoûtant, quand il est bien fabriqué.
Les syndicats hésitent initialement à la
promouvoir, car cette baguette est
59 - Historia n° 916 / Avril 2023
 RÉCIT SOCIÉTÉ

Le compagnon de toutes les crises

1
Collection JEAN VIGNE/KHARBINE TAPABOR

akg-images
1 Du pain, du vin… 2
 ette miniature (XV s.),
C e

qui illustre l’un des récits du

Décaméron de Boccace,
représente le boulanger Cisti,
qui vend du pain, excellent,
et possède, en outre, des vins
des plus délicats.

2 Fournée 
Sous l’Ancien Régime,
la famine menace toujours.
Et elle frappe quand les prix
de la farine augmentent,
comme en 1693, poussant
le gouvernement à établir,
devant le Louvre, des
distributions de pain.

60 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Collection Grob/KHARBINE-TAPABOR
Collection KHARBINE-TAPABOR

3 4

Arnaud HEBERT/REA
3 Gâché  5
Le boulanger attire autant la
sympathie que la réprobation,
car on le suspecte vite de
profiter des disettes. Gare au
pillage alors, comme en 1775,
quand une série de mauvaises
récoltes frappe le royaume.

4 Pétrin 
Même dans la France du XXe s.,
le pain reste une denrée de
première nécessité et se
retrouve souvent affiché dans
les revendications,
comme ici, lors des « marches
de la faim » de 1933.

5 Manne 
Coup de tonnerre en 1986 :
l’État met fin au contrôle
du prix du pain. On passe
d’un aliment nécessaire
à un aliment « plaisir »,
qui se décline désormais
en quantité de produits.

61 - Historia n° 916 / Avril 2023

RÉCIT SOCIÉTÉ

bien plus difficile à fabriquer. Elle

deviendra néanmoins le produit phare
de l’artisanat, même si à peine 30 % des
Français l’adoptent comme leur pain
quotidien. Le brouillage entre les deux
types de baguette provoqué par l’adou-
bement de l’Unesco à la fin de 2022 ne
favorise pas sa conquête. Mais son avè-
nement rappelle l’existence de la fron-
tière entre l’industrie, pour laquelle la
tradition est doublement inaccessible,
matériellement et métaphoriquement,
et l’artisanat, ancré dans les pratiques
anciennes ; il accélère aussi la lente
érosion des enseignes meunières et
l’éclosion d’artisans revendiquant
leur autonomie et, enfin, encourage la
Confédération boulangère (CNBPF) à
proposer aux artisans un projet d’en-
gagement un peu incantatoire, mais
ciblant la qualité (temps de pétrissage,
plafond sur l’usage du sel). La CNBPF
fulmine toujours contre la concur-
rence, hier des terminaux de cuisson,
aujourd’hui des chaînes de boulange-
ries artisanales, souvent franchisées,
composées de 200 à 700 boutiques.

Farines et révoltes
Collection JEAN VIGNE/KHARBINE-TAPABOR

Pour contrecarrer la concurrence,

regardée comme déloyale, la boulan-
gerie artisanale a fait appel à maintes
reprises à l’État, tant au XVIIIe siècle
qu’au XXe siècle. Pourtant, les relations
entre la boulangerie et l’État étaient
MiettesLes gouvernements
fréquemment tendues, notamment en surveillent, voire rationnent (comme ici
procédait de la même manière. Cepen-
ce qui concerne la volonté tenace de Vichy en 1942), cet aliment stratégique. dant, elle était hypervigilante, n’osant
ce dernier de protéger les consom- pas prendre de risques pour le ravi-
mateurs en fixant le prix du pain, pra- taillement d’une énorme population
tique dénoncée par les artisans, dans la pendant la disette des grains en 1725 à capable de réagir violemment quand
deuxième moitié du XXe siècle jusqu’à Paris, comme durant les soulèvements son bien-être était menacé et ainsi
son abolition à la fin de 1986, comme contre la faim, dits « la guerre des fa- ébranler le gouvernement royal, tenu
une forme de démagogie, l’exploita- rines », en 1775, dans la capitale et dans comptable de cette trahison du contrat
tion d’un « symbole périmé ». La pos- d’autres villes). social. L’administration traitait la ques-
ture boulangère n’était pas totalement Pour l’approvisionnement des grains tion énergétique avec la même atten-
sincère car, pendant le XIXe siècle, de et des farines, le système de régula- tion que celle des matières premières
nombreux artisans appréciaient la pro- tion sous l’Ancien Régime était décen- pour la panification. Le commerce du
tection que la fixation leur procurait tralisé : sauf lors des crises aiguës, les bois (comme celui de la farine), ter-
– ils vendent au prix officiel – contre la autorités locales s’en occupaient, sou- riblement vulnérable aux aléas mé-
fureur populaire qui les tenait parfois vent « laissant faire » – sous-traitant téorologiques, dépendant notamment
responsables des hausses soudaines aux forces embryonnaires du marché. des cours d’eau, était soumis à une
du prix du pain (pillage des boutiques Habituellement, la police parisienne surveillance permanente et son prix

62 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023

À sa manière, Emmanuel Macron n’est pas
moins boulanger que Louis XVI, à juger par
son robuste engagement dans la campagne
pour l’apothéose de la baguette par l’Unesco
ordinairement fixé pour ne pas trou-
bler la cuisson quotidienne de 1 200
boulangers (autant que dans Paris à
l’heure actuelle, quatre fois plus peu-
plé). Le bois est le seul combustible
disponible à l’époque ; stimulé par des
expériences de Benjamin Franklin et
des exemples prussiens, Parmentier,
éminent chimiste, expérimente sans
aboutir avec des fours à charbon.
Dans des périodes de stress, la police
mobilise les boulangers eux-mêmes
pour maintenir des stocks de bois. La
corporation des maîtres boulangers,
se souciant du prix du bois aussi bien
que de celui du pain, est censée négo-
cier avec le pouvoir, tant à Versailles
qu’à Paris. Des révoltes de boulangers
éclatent quand ces artisans mettent
en question l’efficacité de leurs chefs,
comme en septembre 1785 quand un
groupe frondeur, ahuri par la montée
du prix du bois, dénonce ouvertement
l’incurie de ses chefs.
Un service public ou pas ?
Pendant des siècles, enrégimentés
par les autorités, les boulangers prati-
quaient la protestation discrète, héritée
de l’époque des corporations, touchant
presque toujours le prix du pain autori-
sé, parfois une concurrence sans cesse
gênante, quelquefois le stock obli-
gatoire de farines. Jusqu’aux années
1860, un boulanger dans les grandes
villes n’avait pas le droit d’arrêter de
cuire sans permission administrative.
Le boulanger était traité moins comme
un commerçant que comme un agent
(forcé) du service public.
Au XXe siècle, la Confédération na-
tionale de la boulangerie a constam-
ment préféré la négociation à l’action
directe, toujours regardée comme une
sorte de subversion sociale. Un des
moments rarissimes de manifestation
nationale, où explosa la colère, a eu
lieu le 16 décembre 1953 : fermeture
des boutiques partout pendant vingt-
quatre heures pour dénoncer le refus
de l’État de prendre en compte, depuis
plus de deux ans, des augmentations
spectaculaires dans le prix de revient :
loyer +100 %, équipement +20 %, assu-
rance +30 %, levure +25 %, chauffage
des fours au gaz +16 % et au charbon
+25 %. Des affiches distribuées par-
tout, sur un ton de lamentation, dif-
fusaient le message suivant : « Qu’on
ne nous reproche pas de manquer de
patience. Nous nous excusons très
sincèrement auprès de vous de cette
manifestation de fermeture à laquelle
nous avons dû recourir pour amener le
La colère fermenteMalgré la reconnaissance d’un savoir-faire unique, le secteur est
notamment menacé par la hausse des coûts de production, dénoncés en janvier dernier.
gouvernement à prendre les décisions
qui s’imposent [à propos] de votre pain
quotidien. » À sa manière, Emmanuel
Macron n’est pas moins boulanger
que Louis XVI, à juger par son robuste
engagement dans la campagne pour
l’apothéose de la baguette par l’Unes-
co, par sa conscience de l’enjeu du pain
comme question autant culturelle que
commerciale et ses récentes mesures
pour aider les boulangers à résister à
la hausse calamiteuse du prix de l’éner-
gie. La Confédération boulangère, syn-
dicat moins représentatif que dans le
temps, croit à sa diplomatie politique
pour protéger les intérêts des artisans.
La manifestation, le 23 janvier dernier,
de plusieurs centaines de boulangers
dits indépendants, alertant sur le péril
de « mort » de la profession, rappelant
la mutinerie de septembre 1785, sou-
ligne que la voie syndicale n’est pas
suffisante. Aussi paniqués qu’autre-
fois, les boulangers sont désormais
plus populaires et moins soumis ; ran-
gé massivement de leur côté, le public,
sans croquer un quignon de plus, est
néanmoins inquiet à l’idée de perdre
quelque chose de précieux pour sa vie
quotidienne, voire pour son identité. u
Linsale Kelly/BePress/ABACA
63 - Historia n° 916 / Avril 2023
RÉCIT MOYEN ÂGE
LA CHUTE DE CONSTANTINOPLE
La fin d’un
monde
Des siècles d’attente et de préparatifs sont nécessaires aux
armées musulmanes pour s’emparer de la capitale de l’Empire
byzantin. C’était il y a 570 ans…
Par Frédéric Hitzel
À
la veille de sa prise
par les troupes de
Mehmed II, Constan-
tinople n’est plus le
centre économique
et artistique qu’elle
a été. Elle conserve
toutefois un rôle
géopolitique majeur – maritime, en
contrôlant les détroits pour le passage
vers la mer Noire, et la route terrestre,
entre l’Asie et l’Europe. Ce contrôle
n’est plus totalement entre les mains des
Byzantins, mais est passé entre celles
des Vénitiens et des Génois implantés
dans la capitale, au nord de la Corne
d’Or, dans le quartier de Galata.
Constantinople conserve aussi une di-
mension symbolique : capitale plus que
millénaire, ville éternelle pour les or-
thodoxes, elle est l’objectif ultime des
musulmans, comme le proclame un
hadith du Prophète : « Constantinople
sera conquise assurément. Qu’il sera
beau le commandant qui la conquerra,
qu’elle sera valeureuse son armée ! »
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois
64 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
que les Byzantins voient des troupes
musulmanes sous leurs murs. On ne
dénombre pas moins de cinq expédi-
tions arabes contre la capitale byzan-
tine menées depuis le premier siècle de
l’Islam. La conquête de Constantinople,
comprise comme un succès promis à
l’Islam, fait depuis longtemps partie
des rêves des musulmans. Aussi, le
sultan Mehmed II et son armée ont-ils
conscience d’accomplir un acte en tout
point décisif en prenant la ville.
Un blocus raté par les Turcs
Pour s’emparer de Constantinople,
Mehmed II, qui a succédé à son père
Murad II, mort brusquement le 3 fé-
vrier 1451, prend son temps et ses
précautions. Il impose sa suzeraineté
en Anatolie et auprès des janissaires
tout en assurant ses arrières : en 1451,
un traité est conclu avec le despote
serbe Georges Brankovitch ; la même
année, la paix avec Venise est renou-
velée et une trêve de trois ans ratifiée
avec les Hongrois. L’année suivante est
consacrée aux préparatifs. De retour
dans sa capitale Andrinople (Edirne),
Mehmed II prépare méticuleusement
l’attaque de la cité impériale : il réor-
ganise son armée en adjoignant, aux
12 000 janissaires, un corps nouveau
de 7 000 hommes, les segbân ; de gigan-
tesques canons sont fondus avec l’aide
d’un ingénieur hongrois, Urbain, tandis
que des bateaux sont armés dans l’arse-
nal de Gallipoli (Gelibolu). Enfin, pour
assurer le blocus de la capitale, il fait
construire, en à peine cinq mois (avril-
août), le château de Roumélie (Rume-
li Hisarı) sur la côte européenne du
Bosphore, à l’endroit le plus resserré
du détroit. Il empêche ainsi tout ravi-
taillement de la ville par la mer Noire.
Au printemps 1453, soit un peu plus
de deux ans après son avènement,
Mehmed II est prêt à entreprendre la
conquête de Constantinople.
Pendant ce temps, les Églises grecque
et romaine continuent de se querel-
ler. Le recours à l’Occident est pour-
tant, aux yeux de l’empereur byzantin
Constantin XI, la seule chance de sa-
Dernière séance Mehmed II conduit la
sixième expédition musulmane sous les
murs grecs ; il entend bien, cette fois, mettre
toutes les chances de son côté. • La chute de
Constantinople, par Panagiotos Zografos (1836),
akg-images
musée d’Histoire nationale, Athènes.
lut. Pour toute réponse, le 26 octobre
1452, deux légats du pape arrivent à
Constantinople avec 200 soldats. Mal-
gré les opposants, l’Union des Églises
est solennellement proclamée, le
12 décembre 1452, à Sainte-Sophie en
présence de l’empereur. Les réactions
sont violentes dans le clergé et la popu-
lation. L’Église byzantine aborde ainsi
le siège de Constantinople dans un état
de profonde division. Sur le plan mili-
taire, les seuls secours extérieurs sont
700 mercenaires génois qui arrivent le
26 janvier 1453, sous le commande-
ment de Giovanni Giustiniani Longo.
L’empereur le nomme responsable de
la défense terrestre. Quant aux navires
vénitiens qui ont amené les deux lé-
gats, ils s’enfuient de nuit, enfreignant
l’ordre impérial de rester sur place. Au
total, Constantin XI dispose d’environ
10 000 hommes et de 26 navires.
Le 4 avril 1453, l’armée ottomane arrive
sous les murailles de la ville après avoir
occupé tous les villages des environs.
Elle dispose le gros de ses troupes et
de son artillerie tout au long des mu-
railles terrestres, plus particulièrement
entre la porte de Charisios (porte d’An-
drinople, ou Edirne), la porte Saint-Ro-
main (Topkapı, la « porte du Canon ») et
la porte de Pegae ; d’autres troupes sont
stationnées sur les hauteurs de Péra,
tandis que la flotte patrouille dans le
Bosphore et en mer de Marmara.
Du 12 au 18 avril, les canons pilonnent
les murs. Les Byzantins concentrent
leurs forces près de la porte Saint-Ro-
main, défendue par les mercenaires gé-
nois. Ils disposent du feu grégeois, et
ont pris la précaution de bloquer l’ac-
cès de la Corne d’Or par une chaîne. Le
siège est d’abord indécis. Les premiers
assauts ottomans sont repoussés. L’ar-
tillerie endommage les murailles, mais
les assiégés sont en mesure de les répa-
rer. La marine ottomane est incapable
d’assurer un blocus total. Le 20 avril,
elle ne peut empêcher l’arrivée de
trois navires génois, avec à leur bord
des mercenaires qui escortent un na-
vire byzantin chargé de grains venus
de Sicile. Mehmed II lance contre eux
sa flotte, repoussée après plusieurs
heures de combat. La nuit, des galères
vénitiennes parviennent à les faire re-
morquer jusque dans la Corne d’Or. Les
équipages et les mercenaires sont aus-
sitôt affectés à la défense de la ville.
Ne pouvant pénétrer dans la Corne
d’Or, Mehmed II recourt à un strata-
gème : dans la nuit du 22 au 23 avril, il
fait tirer plusieurs navires du Bosphore
vers la Corne d’Or sur une chaussée de
madriers de bois construits au-dessus
de Péra, ce qui permet à sa flotte d’at-
taquer les murailles maritimes et les
65 - Historia n° 916 / Avril 2023
RÉCIT MOYEN ÂGE

bâtiments latins mouillés dans les
eaux de la Corne d’Or. Cinq jours plus
tard, les Vénitiens tentent d’incendier
les navires ottomans qui ont jeté l’ancre
dans la Corne d’Or. Prévenu de leur pro-
jet, Mehmed II envoie des bombardes
qui détruisent la flotte vénitienne.
Jeûne, prières et pillage
Au fil des jours, les assiégés com-
mencent à manquer de vivres. Ils es-
pèrent une aide de l’Occident ; mais
rien ne vient. Par crainte de la possible
arrivée d’une flotte de secours véni-
UN SIÈGE QUI CHANGE LE COURS DE L’HISTOIRE
Pont de
bateaux
BLA
pour répartir les secteurs d’attaque
et ordonne un jeûne solennel de trois
jours et trois nuits. Les deux camps
sont en prière. Constantin XI fait cé-
lébrer un office à Sainte-Sophie tandis
que des processions sillonnent la ville.
Les défenseurs tentent une ultime
sortie par la Kerkoporta ; elle échoue.
Avant l’assaut final, conformément à
la loi islamique, Mehmed II propose
une reddition honorable. L’empereur
et les grands dignitaires seraient libres
de partir avec leurs biens, le pillage se-
rait épargné à la ville et ses habitants.
Constantin XI et ses hommes refusent.
70 navires ottomans
après le 23 avril
sitions, Constantin XI adresse un der-
nier discours aux défenseurs. Le 29 mai
1453, vers trois heures du matin, l’as-
saut général est lancé en trois vagues
successives. À l’aube, au prix de durs
combats, les janissaires parviennent
à gravir l’avant-mur effondré vers la
porte Saint-Romain ; un autre groupe
réussit à s’infiltrer plus au nord par la
Kerkoporta et un troisième par la porte
de Charisios. Les défenseurs sont pris à
revers ; Giustiniani, blessé, abandonne
les combats et s’enfuit sur un navire.
Où est l’empereur ?
Une incertitude demeure sur le des-
tin de Constantin XI. La plupart des
sources s’accordent à dire qu’il est mort
au combat, peut-être après avoir jeté
ses insignes impériaux pour ne pas être

reconnu et fait prisonnier ; plusieurs

CH

Porte
dignitaires byzantins meurent aussi.
ERN

d’Andrinople C
Chaussée de bois Côté murailles maritimes, les assiégés
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Mehmet II
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Giustiniani sont bientôt débordés. Désormais, rien

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Porte de Empereur GALATA- ottomane n’arrête la progression des Ottomans

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St-Romain Constantin XI PÉRA qui convergent vers Sainte-Sophie, où

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s’est réfugiée une partie de la popula-

aîn
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B o s p hore

us
de

tion, persuadée par une ancienne pré-

c
Mur

Porte de CONSTANTINOPLE diction d’y être miraculeusement pro-

Rhésios Sainte- tégée. Vers midi, assuré de sa victoire,
triomphale
Voie Sophie
Mehmed II fait son entrée à cheval dans
Porte de la ville et se rend à Sainte-Sophie, où il
Pegae Palais fait réciter une prière. Selon certaines
impériaux
sources, le pillage qui devait durer trois
Porte de MER NOIRE
Xylo- Constantinople jours est interrompu dès la première
kerkos Mer de ASIE journée sur ordre du sultan.
Flotte ottomane Marmara GRÈCE MINEURE
Porte d’Or Flotte byzantine Le 29 juin, la nouvelle de la chute de
HUGUES PIOLET

Ports 1 km Constantinople parvient à Venise.

tienne et d’une armée hongroise, les
Ottomans intensifient leurs bombar-
dements. Trois attaques sont lancées,
en particulier dans le secteur du palais
impérial ; en vain. De même, les sapes
des murailles – sept au total – sont sys-
tématiquement déjouées. Du côté de la
Corne d’Or, un pont de bois flottant sur
des tonneaux n’a pas plus de succès.
Les assiégés tiennent bon.
À l’aube du 26 mai, un épais brouillard
recouvre la ville. Mehmed II en profite
MER MÉDITERRANÉE
Au cours des deux nuits qui suivent,
les assiégés ne peuvent fermer l’œil,
effrayés par les clameurs, les sons
des trompes et les roulements de tam-
bours provenant du camp ottoman. Le
28 mai, Mehmed II fait proclamer l’as-
saut final pour le lendemain avec pro-
messe de récompenses aux premiers
à franchir les murailles ; trois jours de
pillage sans limite sur les personnes et
leurs biens sont promis aux troupes.
Tandis que celles-ci gagnent leurs po-
L’événement suscite en Occident
un grand concert de lamentations.
À Rome, le pape Nicolas V adresse
une bulle à tous les souverains chré-
tiens, leur enjoignant de mobiliser
les hommes et de réunir les moyens
financiers nécessaires pour délivrer
Byzance du joug ottoman. Malgré
toute son ardeur, le projet de croisade
n’aboutit pas. Constantinople devient
pour longtemps la nouvelle capitale de
l’Empire ottoman sous le nom de Kos-
tantiniyye ou Istanbul (du grec eis tin
polin, « vers la ville »). u

66 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Une défaite symbole
de la désunion et du déclin
Malgré la menace turque, catholiques et orthodoxes se vouent mi les grandes métropoles du bassin
une haine inextinguible, tandis que Constantinople, épuisée méditerranéen : la Grande Peste noire
(1346-1351), les épidémies de 1416 et
par les guerres et les épidémies, semble à bout de souffle.
de 1447-1448, puis les incendies dé-
vastateurs, comme celui qui détruit
une grande partie du quartier des Bla-

C
onstantinople n’aurait pas été beaucoup plus de vide que de plein. » chernes en janvier 1434, ont considé-
aussi rapidement prise par les Quant à l’Espagnol Pero Tafur, en rablement réduit la population. On ne
Ottomans, le 29 mai 1453, après 1437, il s’émeut devant les dégrada- compte que 40 000 habitants.
un mois et demi de siège, sans tions du temps : « le palais impérial a D’un côté en proie à la haine du Latin,
la désunion du monde chrétien. Depuis dû être magnifique, mais aujourd’hui de l’autre face à la menace que font pe-
longtemps, les Latins entretiennent il est dans un tel état qu’il montre, ser les Turcs, les habitants de Constan-
en effet une haine féroce à l’égard comme la ville, les malheurs que le tinople sont ainsi bien isolés. Ils ne
des Grecs qu’ils détestent, méprisent, peuple a souffert et qu’il endure en- peuvent compter que sur eux-mêmes
d’où leurs efforts, encore à la veille de core. La condition d’empereur est pour faire face à l’infanterie turque,
la conquête, pour imposer l’Union des toujours splendide, et l’on n’omet rien forte de 60 000 soldats bien entraînés,
Églises au patriarche œcuménique de des anciennes cérémonies, mais à y soutenue par une artillerie qui est alors
Constantinople et à l’empereur byzantin bien regarder il est comme un évêque la meilleure du monde et par une flotte
Constantin XI. Faute d’accord, les Latins sans siège. » La cité grecque n’occupe qui ne rassemble pas moins de 80 na-
voyaient dans la chute prochaine de la désormais plus le premier rang par- vires bien équipés… u F. H.
ville impériale le résultat de l’infidélité
des Grecs à Rome et à sa foi. De fait,
l’aide tant espérée des Latins n’arrivera
jamais. Quelques années avant la prise
de la ville par les Turcs, la cité est déjà
dans un triste état. Nous en avons
conservé un témoignage direct, celui de
l’ambassadeur de Castille, Ruy Gonzalez
de Clavijo, en route pour la cour de
Tamerlan, qui passe par Constantinople
à la fin de l’année 1403.

Un palais en ruine
dans une cité dépeuplée
Si le quartier de Galata-Péra, qui se
trouve au nord de la Corne d’Or, lui,
paraît animé, ce n’est pas le cas de la
vieille ville impériale, dont un grand
nombre de maisons, d’églises et de
monastères tombent en ruine. L’am-
CAN KADIR/SIPA

bassadeur du duc de Bourgogne Phi-

lippe le Bon, Bertrandon de La Bro-
quière, qui séjourne dans la capitale à Brèche La redoutable artillerie ottomane, en pilonnant les murailles, emporte la décision.
l’automne 1432, note pour sa part que L’Empire romain d’Orient, qui n’était plus que l’ombre de lui-même, a cessé d’exister.
« cette cité est faite de villages et il y a

67 - Historia n° 916 / Avril 2023

RÉCIT HISTOIRE ANTIQUE
Ovide
Pour un art
d’aimer partagé
Le poète s’insurge contre ces dieux qui usent et
abusent des déesses et des jeunes filles. Dans ses
œuvres, il défend, non sans danger, le plaisir féminin
et dénonce les abus de la société patriarcale romaine.
Par Laure de Chantal
O
vide (43 av. J.-C. - 17 apr.
J.-C.) appartient à l’âge
d’or de la poésie, une
époque glorieuse pour
les arts mais honteuse
pour la condition
féminine. À l’époque
d’Ovide, une femme est tenue, toute
sa vie, pour une éternelle mineure,
sous l’autorité d’un père, d’un mari,
d’un frère, d’un maître ou d’une maî-
tresse pour celles qui, en plus d’être
dominées, ne sont pas libres. Gare à
celles qui s’émanciperaient : l’empereur
Auguste donne l’exemple en châtiant
sa fille. Les femmes n’ont pas leur mot
à dire ou alors il faut que ce soit « oui ».
Par rapport à son époque – et même
parfois à la nôtre –, le discours d’Ovide
tranche de manière révolutionnaire.
Puisant à son érudition, qui est colos-
sale, il s’inspire de la mythologie pour
montrer des femmes, divines, qui disent
non. Dans le monde merveilleux des
68 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Métamorphoses, Ovide se Apollon ne fait pas battre
Ghigo Roli/Photo12
sert des dieux pour dénon- le cœur de Daphné, qui ne
cer les travers des hommes, se prive pas de le lui dire
la société enchantée de franchement. Pis, plus il
l’Olympe servant de miroir est amoureux, plus elle
à la société réelle. Prenons l’exècre ; plus il est siru-
l’exemple de Daphné, une peux, plus il la répugne :
jeune nymphe qui se change Daphné s’enfuit à belles en-
en laurier pour échapper à jambées dans les forêts de
l’étreinte d’Apollon, après Thessalie. Le récit d’Ovide,
une course-poursuite ef- Roi de cœur s’il serait exagéré de dire
frénée. La scène est large- Le poète Ovide qu’il est féministe, est, pour
ment exploitée par les ar- dénonce une le moins, féminin : le poète
tistes, qui mettent tout leur morale hypocrite se place du côté de Daphné
génie à représenter une et subira les épinglant ce dieu frimeur
jeune femme en situation foudres de qui, dès qu’il constate que
de faiblesse et, de préfé- l’empereur ni les flatteries, ni les sup-
rence, dénudée : une scène Auguste. pliques, ni les promesses,
odieuse, une scène de viol, ni même les larmes n’y suf-
splendidement évoquée firont, en vient aux insultes
par Rubens, Le Bernin, Waterhouse et et à la menace physique et, de doux
tant d’autres, sauf qu’il n’est nullement éphèbe enamouré se change en pré-
question de viol chez Ovide, du moins dateur à l’affût. Non seulement Apol-
dans ce récit-là. lon échoue mais il ne touche même
 EnfumageDans la mythologie comme
dans la vie, les femmes sont d’abord des
proies. Le peintre Corrège, vers 1530,
représente avec génie un Zeus qui,
métamorphosé en nuage, s’empare de Io,
prêtresse d’Héra « et lui ravit son honneur ».

pas la nymphe. Daphné est sauvée :

d’Apollon, elle ne sent que l’haleine
sur sa nuque car elle se transforme en
laurier, inaccessible au dieu harceleur
qui, malgré tous ses pouvoirs, ne pour-
ra jamais violer une plante… qui plus
est, est toxique.
Ce sont donc les représentations plus
récentes du mythe qui l’ont transformé
en récit de viol, pas le récit tel qu’il est
composé par Ovide. Nous avons méta-
morphosé la métamorphose et changé
une femme indomptable en une femme
victime. Comment un tel tour de passe-
passe est-il possible ?

Daphné, l’amour toxique

Comment, par exemple, alors que
Daphné est, dans le texte d’Ovide, le
personnage principal qui conduit l’ac-
tion, devient-elle, dans quantité de tra-
ductions, une victime ? N’allons surtout
pas y voir un complot, une misogynie
en bande organisée, mais plutôt le
penchant inconscient à justifier nos
propres stéréotypes sexistes. Toutes
n’ont pas la chance de Daphné : un des
grands mérites d’Ovide est de montrer
à quelles brutalités les femmes, même
divines, sont confrontées. La jolie Io
est la fille du fleuve Inachos et Jupi-
ter la convoite, l’invitant tout de go
dans les bois, dans la noire nuée qu’il a
créée pour eux. Quelle est la réaction
d’Io face à ce sordide enfumage ? Elle
tourne les talons et s’enfuit, laissant le
dieu seul avec sa vanité. Mais Io court
moins vite que Daphné et Jupiter la rat-
trape, la forçant dans l’ombre, avant de
la transformer en génisse pour qu’elle
Artothek/LA COLLECTION

ne puisse pas parler. À l’école des

violeurs, il n’est pas le seul, les Méta-
morphoses en dénoncent à chaque

69 - Historia n° 916 / Avril 2023

 RÉCIT HISTOIRE ROMAINE
akg-images
livre : Callisto, Europe, Proserpine,
Méduse, autant de femmes violées par
Jupiter, Pluton ou Neptune, et qui en
payent cher le prix ou qui doivent se
protéger, comme Méduse qu’Athéna
dote d’une chevelure venimeuse pour
lui éviter d’être approchée.
En plus de peindre la difficile condi-
tion des femmes, Ovide laisse entendre
leurs voix dans les Héroïdes, splendide
recueil de lettres, où le poète se fait tour
à tour Phèdre, Ariane, Didon ou Médée.
Les lettres sont fictives mais toutes les
héroïnes ne le sont pas, Ovide y ajou-
tant la poétesse grecque Sappho (lire
l’encadré). Ovide a écrit ces lettres tout
au long de sa vie, preuve de sa passion
constante pour les femmes, de l’em-
pathie et de l’admiration qu’il éprouve
pour elles. Non seulement les femmes
y ont la parole mais elles peuvent tout
dire, tous les reproches, les amertumes
et les désillusions, petites et grandes,
les tourments inutiles et rongeurs, tout
l’inacceptable qu’elles ont accepté à
regret. Les héroïnes peuvent tout dire,
sans crainte et sans détour : Ovide est
de leur côté et, avec une langue pareille,
70 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
ViolsEn parlant des dieux, Ovide
évoque d’abord les hommes de son temps
qui, comme Jupiter (ici encore avec Io),
se moquent du consentement féminin.
avec la conviction de la rhétorique et la
force de la poésie, le lecteur, homme
ou femme, le sera aussi et les entendra.
Surtout, les héroïnes peuvent tout être,
même des astres sombres comme l’im-
pitoyable Médée ou la sinistre Phèdre
qui invite son beau-fils à l’inceste. En-
fin, et c’est sans doute un motif majeur
à son exil, le poète enjoint les femmes
à prendre librement du plaisir, quitte à
tromper les lois et leurs maris.
Jouir sans entraves
Il est de bon ton de considérer Ovide
comme un auteur badin, ce qui lui vaut
de ne guère être pris au sérieux. C’est
une erreur, à mon avis, car le dandy
maniéré et charmant tient des pro-
pos profondément révolutionnaires
pour son temps. Parmi eux, l’éloge du
plaisir féminin et l’égalité nécessaire
à une sexualité épanouie ne sont pas
les moindres. Dans L’Art d’aimer, ma-
nuel pour une vie sentimentale réussie,
Ovide le répète : le secret c’est l’égalité.
Dans le premier livre, Ovide s’adresse
aux hommes, leur demandant de faire
le premier pas et, s’il n’est pas question
de consentement, il faut, au moins, re-
cueillir l’assentiment de l’autre : « Si tu
la veux, demande ! Elle ne désire rien
davantage que cette demande […],
mais si jamais tu sens que tes prières
se heurtent au mépris et au dégoût, ar-
rête-toi et bats en retraite. » Le livre II
présente les moyens pour que l’amour
dure. Pour ce faire, les deux sexes
doivent se cultiver, s’entretenir et jouir
également : « Ce qui donne le plaisir est
porté à parts égales par la femme et par
l’homme. » La femme vient en premier
dans la bouche d’Ovide, qui continue :
« Je hais les étreintes qui ne satisfont
pas les deux. » Dans le troisième livre,
destiné aux femmes, Ovide va plus
loin. Non seulement elles ont, autant
que les hommes, la liberté de séduire,
mais elles ont aussi celle de tromper
leurs partenaires. Ovide répète expli-
citement pour les femmes les conseils
 clame le poète. Voilà qui donne une tout
autre saveur aux conseils de séduction,
notamment ceux concernant l’entre-
tien du corps, la toilette ou la conduite
en société, prodigués par Ovide dans
L’Art d’aimer mais aussi dans d’autres
de ses poèmes, Les Amours ou les Pro-
duits de beauté pour le visage de la
femme : leur visée est le plaisir person-
nel de la femme. En d’autres termes,
crus, une femme ne se fait pas belle
Universal History Archive/UIG/Bridgeman Images

pour son partenaire mais pour jouir un

qu’il a donnés dans les deux livres pré-
cédents, faisant de l’adultère le secret
d’une vie sentimentale réussie, pourvu
qu’il soit discret et accessible aux deux
sexes. À une période particulièrement
sourcilleuse en matière de mœurs
– depuis la promulgation, en 18 av. J.-
C., des lois Julia pénalisant le célibat,
punissant l’adultère et l’impudicité –,
Ovide savait qu’il se condamnait à des
représailles sévères. Il lui aurait pour-
tant été aisé de dire la même chose,
mais à propos de personnages de la
mythologie, qui auraient fourni un pa-
ravent élégant et lui auraient évité le
ÉgalitéÀ Rome, plaisir et sensuelle
domination féminine sont voués aux
prostituées. L’écrivain revendique
pourtant la liberté sexuelle pour toutes.
pire : placées sur un plan fictif, les his-
toires, surtout les histoires d’adultères,
semblent toujours moins dangereuses
quand elles arrivent aux autres.
Il n’en fit rien, choisissant de dire aux
femmes de son temps (et aux hommes
qui liraient le livre III) qu’elles aussi
pouvaient être adultères, aimer pour
leur plaisir : « Que la femme sente la
jouissance de Vénus jusqu’à la moelle »
maximum, sans doute aussi pour elle,
pour satisfaire son ego, dans tous les
cas pour son bon plaisir.
Divines ou mortelles, tristes ou cruel­
les, jeunes ou vieilles, bien ou mal
aimées, les femmes sont le cœur du
monde d’Ovide. Loin d’être d’éter-
nelles « numéros deux », elles y ont la
première place, qui est parfois la meil-
leure, et toujours la belle part. Mais ne
nous y trompons pas non plus en enga-
geant Ovide dans nos luttes féministes,
certains de ses vers restent choquants
pour nous : « Phébé fut violée, sa sœur
fut violée, et toutes deux ravies furent
reconnaissantes à leurs ravisseurs. ». Il
n’empêche qu’Ovide a joué sa tête et
fut payé d’exil pour avoir réclamé la li-
berté et l’égalité sexuelle des femmes.
Ex aequo ad libitum, voilà le pro-
gramme ovidien et une bonne raison
de se (re)mettre au latin ! u

Un Romain amoureux de Sappho

« “Sappho c’est moi”, aurait pu écrire Ovide […] tant, dans
la quinzième lettre des Héroïdes, le lecteur se demande si
la menace de suicide finale ne correspond pas au désir du
poète, exilé malheureux loin de tout […]. Quelle est cette
histoire d’amour qui invite Sappho-Ovide à la mort ? […]
Depuis que Phaon est parti, sans un mot, sans une trace,
l’autrice ne peut plus rien écrire. Il ne reste plus que la
menace et la vengeance par le suicide : si le jeune homme
s’est débarrassé d’une amante devenue encombrante, il
aura toujours sa mort sur la conscience. Le lieu est tout
choisi : ce sera Leucade, une île aux hautes falaises de
craie blême qui, selon la légende, accueille les amants
malheureux car survivre au « saut de Leucade » est la
promesse d’un amour éternel, et, dans tous les cas, la fin
des tourments qu’il inflige. Sappho aurait plongé pour
trouver la mort ou l’amour pérenne. Voilà qui est bien
beau, et bien romantique, mais qui ne correspond guère
aux poésies qui nous sont parvenues sous le nom de
Sappho […]. Ovide [crée un mythe de toute pièce] et pour
longtemps car la légende du saut de Leucade, à l’origine
issue d’une pièce de théâtre perdue, finit par faire partie
intégrante de la vie de la poétesse, désormais mystique :
le plongeon devient le symbole du passage vers une
nouvelle vie, éternelle. »
Extrait du livre Les Neuf Vies de Sappho, de Laure de Chantal
(à paraître chez Stock, le 29 mars).

71 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Ex os
72. Expos
78. Écrans
82. Livres
90. Voyage
PAR JOËLLE CHEVÉ
94. Gastronomie

DES ANNÉES DE FER ET DE SANG

 Deux expositions, à Paris et à Chantilly, revisitent les guerres
de Religion et leurs acteurs, qui s’entretuent en toute bonne « foi ».

A
près la mort
d’Henri II, en
1559, alors que
le traité du
Cateau-Cambrésis annonce
une période de paix inédite
entre puissances euro-
péennes, les guerres de Reli-
gion embrasent la France.
L’exposition de Chantilly
illustre la guerre des images
qui fait alors rage, à travers
dessins, estampes, libelles et
pamphlets imprimés. Ainsi le
massacre de Wassy, en 1562,
qui sonne le début de la guerre
civile, est mis en scène par
des gravures dénonçant la
cruauté des catholiques, dont
la Saint-Barthélemy constitue
l’acmé. Héritier des archives
des Montmorency et des
Condé, le duc d’Aumale les
a complétées au XIXe siècle
par une série de portraits
dessinés, peints ou gravés,
la plus importante au monde
pour cette période. Sous le
crayon, la plume ou le pinceau
virtuose de François Clouet
(1515-1572), peintre de la cour,
surgissent, avec un réalisme et
une surprenante beauté, ces
ombres d’un des plus noirs
épisodes de notre histoire.
Violence et haines
Entre prosélytisme huguenot,
incarné par Louis de Condé ou
Gaspard de Coligny, fanatisme
catholique représenté par les
Guises, volonté d’apaisement
par Catherine de Médicis, res-
tauration de la majesté royale
par Henri III ou conquête du
trône par Henri de Navarre,
ils sont tous là. Et aussi
quelques femmes de la cour,
aussi ravissantes qu’influentes,
qui embrassèrent très tôt la
Réforme, telles la comtesse
de Laval ou la comtesse de
Beauvais, redonnant à ce qui
apparaît dans l’imaginaire
national comme un bloc de
violence, toutes ses nuances

TANGENTE Odet
de Coligny, cardinal
de Châtillon (peint
par François Clouet en
1548), se convertit à la
Réforme, avant de fuir
en Angleterre et
d’y finir empoisonné.
IRHT, CNRS, Musee Conde/Pierre Hamouda/SP

Paris, Musee Conde/Adrien Didierjean/RMN-Grand Palais

IDÉAL E n 1578, Henri III fonde un nouvel ordre de chevalerie, celui du Saint-
Esprit, afin de réaffirmer l’autorité royale, malmenée par les insurrections.

72 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023

Visages des guerres
de Religion
CHÂTEAU DE CHANTILLY (60)
JUSQU’AU 21 MAI. 
Rens. : 03 44 27 31 80
et www.chateaudechantilly.fr
La haine des clans. Guerres
de Religion, 1559-1610 
MUSÉE DE L’ARMÉE
(PARIS, 7 e) jusqu’au 30 juillet.
Rens. : 0810 11 33 99
et www.musee-armee.fr
de foi sincère, d’engagement
individuel et collectif, de
loyauté monarchique ou de
traîtrise, et d’ambition per-
sonnelle ou dynastique.
À travers plus de 150 œuvres
et de prêts exceptionnels, tel
celui du manuscrit de l’Édit
de Nantes, sorti de l’armoire
de fer des Archives natio-
nales, le musée de l’Armée
retrace les guerres de Reli-
gion dans leur cadre chro-
nologique et géographique.
Du règne d’Henri II à celui
d’Henri IV, et de la France et
de la Pologne aux Pays Bas
et aux colonies du Nouveau
CADRÉ L es troubles du XVIe s. fournissent nombre de sujets aux peintres
comme Paul Delaroche et son fameux Assassinat du duc de Guise (1834).
Histoire vivante
PAR ÉRIC TEYSSIER
Monde, se déroule une série
de crises politiques et reli-
gieuses majeures, ponctuées
par des épisodes de violence
inouïe – 10 000 morts pour la
seule Saint-Barthélemy –, et
deux régicides.
Les magnifiques armures du
musée, notamment celles du
prince de Condé et d’Henri II
affrontées dos à dos sur
Randa Ardesca
l’affiche de l’exposition,
donnent le ton de leur haine
inextinguible. Portraits des
différents protagonistes, CHEZ LES GAULOIS
dont l’amiral Gaspard de
Coligny, première victime de
DE RANDA ARDESCA
L
la Saint-Barthélemy, armures orsque l’on parle de village gaulois, on
d’acier noirci des lansquenets pense aussitôt à un coin d’Armorique.
et reîtres étrangers venus au Pourtant, c’est dans le sud de l’Ardèche
secours des calvinistes fran- que se trouve le village de Randa Ardesca.
çais et qui ont semé la terreur Cet archéosite original existe depuis dix ans grâce
dans le Sud-Ouest, estampe aux bénévoles de l’association Helviorum, qui ne
évoquant une tentative de reçoivent aucune aide publique. Ces passionnés y
colonisation de la Floride par présentent la culture gauloise et tout particulièrement
deux capitaines protestants… celle du peuple helvien qui vivait du Ve au Ier siècle
Des événements exception- av. J.-C. sur le territoire ardéchois. À partir de la
nels par leur intensité, leur fête de Beltaine, célébrée cette année fin avril, le
déraison ou leur singula- parc ouvre ses portes au public pour des visites
rité, qui interrogent sur le libres ou guidées.
fanatisme religieux, le droit Le visiteur peut alors découvrir une dizaine de bâti-
légitime de désobéir à un ments construits en torchis ou en briques crues, et
tyran et le concept naissant chaque construction reproduit fidèlement un édifice
de tolérance. u étudié par les archéologues sur les sites de la région.
Le site est ouvert durant toute la saison estivale, des
bénévoles et des artisans professionnels y présentent
la fabrication du verre ou des céramiques, la métal-
lurgie, la tabletterie ou la lutherie. Les projets de
l’association ne manquent pas. Ainsi, la construction
d’une enceinte en pierres sèches, caractéristique
des oppida du sud de la Gaule, est prévue pour les
Paris, Musee Conde/Michel Urtado/RMN-Grand Palais
prochaines années. Avec Randa Ardesca, la civilisa-
tion gauloise reprend vie sous nos yeux grâce à une
démarche résolument ludique et didactique. Alors,
pour tomber dans le chaudron de l’histoire vivante et
de l’archéologie expérimentale, une visite s’impose
dans les bois de Saint-Alban-Auriolles !
hhttps://randaardesca.fr/
73 - Historia n° 916 / Avril 2023
 Expos
ET AUSSI
LE GÉNIE DU CLASSIQUE FÉMININ Égypte,
éternelle passion
 Exposée d’abord à Orsay, la grande rétrospective Musée royal de Mariemont
(Belgique), jusqu’au 16 avril.
consacrée au sculpteur Maillol est à découvrir à Roubaix. n
Flaubert,

A
corps et âme
près le musée d’Orsay, Aristide inexpressivité des visages – sa Méditerranée Musée Flaubert et d’histoire
Maillol investit La Piscine de méditative est une réponse sereine aux traits de la médecine, Rouen (76),
jusqu’au 21 mai.
Roubaix. Un cadre magnifique tourmentés du Penseur de Rodin… Et même
n
pour ce sculpteur de nus fémi- lorsqu’il s’agit d’honorer un grand homme, il Thomas Demand
nins – les modèles masculins étaient très choisit une allégorie féminine. Un nouveau Musée du Jeu de Paume,
coûteux, et lui-même écrivait : « Je relève les regard sur le classicisme intemporel de cet P aris (8e), jusqu’au 28 mai.
jupes de ma femme et je trouve un bloc de artiste inclassable, infatigable dessinateur n
marbre » ! Un sculpteur tardif, d’abord peintre, de mémoire, dont la découverte de Kimono
Musée du Quai Branly-Jacques
proche des Nabis, céramiste et même carnets inédits rend compte du Chirac,Paris (7e), jusqu’au 28 mai.
concepteur de tapisseries et de broderies. processus créatif. u n
Les promeneurs des Tuileries sont fami- n Aristide Maillol (1861-1944). Hiroshige et
liers de ses grands bronzes offerts La quête de l’harmonie. l’éventail 
Musée Guimet, P aris (16e),
par sa dernière modèle, Dina La Piscine-Musée d’art et d’industrie,
jusqu’au 29 mai.
Vierny, fondatrice du musée 23 rue de l’Espérance, Roubaix 
n

Maillol à Paris. Pour autant, (59), jusqu’au 28 mai. Picasso

il reste méconnu au-delà Rens. : 03 20 69 23 60 et la Préhistoire
de son Roussillon natal et www. roubaix- Musée de l’Homme, P aris (16e),
jusqu’au 12 juin.
et alors même que ses lapiscine.com

n
contemporains, notam- Au cœur de la
ment Picasso, lui vouaient jungle indienne
une grande admiration. Museum et jardin botanique,
 ordeaux (33),
B
Simplicité des formes,
jusqu’au 17 septembre.
charpentées, sensuelles, 
n

L’argent dans l’art

MÉDITATION A  ristide Monnaie de Paris, P
 aris (6e),
Maillol (1861-1944) jusqu’au 24 septembre.
réalise, en 1905, 
n
ce modèle en plâtre, Vermeer
Femme, connu plus Rijksmuseum, Amsterdam
tard sous le nom
(Pays-Bas), jusqu’au 4 juin.
de Méditerranée.
Musee d’Orsay/T. Ollivier/RMN-Grand Palais/SP

Les Templiers renaissent de leurs cendres !

 Après neuf ans d’interruption, la ville de Biot, dans les Alpes-Maritimes, célèbre pour
ses verres à bulles, est en… ébullition ! Elle fête le retour des Templiers, dont la commanderie,
du XIIe au XIIIe siècle, était l’une des plus puissantes de Provence. Pendant trois jours, la
petite cité, animée par la troupe locale des Blancs Chevaliers et par une vingtaine de troupes
françaises et étrangères comptant plus de 500 figurants, va vivre à l’heure médiévale. Choc des
armes, chants des troubadours, jeux, son et lumière et embrasement de la cité, bal mais aussi
conférences d’historiens, démonstrations de vieux métiers, marché médiéval… Une plongée
dans l’histoire qui vaut tous les spectacles 3D : vrais chevaux, vrais cavaliers, vrais artisans,
vrais rapaces, vraies ripailles de daubes de bœuf à l’hypocras et de sanglier à la bière et vraies
lampées d’hydromel ! u
n Biot et les Templiers, l’héritage du XIIIe siècle, C
 ité des verriers, Biot (06), 7e édition du vendredi 31 mars à 18 heures jusqu’au
DR/SP

dimanche 2 avril à 20 heures. Rens. : Office du tourisme de Biot, tél. : 04 93 65 78 00 et www.biot.fr

74 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
New wave, new look
 Les années 1980 ont opéré un tournant
dans la mode, le design et le graphisme, au fil de
bouleversements politiques inédits, de l’arrivée
de la gauche au pouvoir avec François Mitterrand
en 1981, à la chute du mur de Berlin en 1989. Plus
de 700 œuvres, objets, mobiliers, photographies,
pochettes de disques, vêtements, etc., illustrent
la frénésie de ces années en « -isme », où les
idées et les formes se télescopent, chez les
couturiers – Gaultier, Mugler, Montana, Thomas –,
les designers – Starck, Gagnère, Garouste –, les
concepteurs publicitaires et télévisuels – Goude,
Robial. L’heure est aux grands travaux, à la Fête
de la musique, au street art, high-tech, new wave,
hip-hop et revival, Palace et Bains Douches…
Un vent de fête et de liberté qui se conclut par
le grand défilé anniversaire de la Révolution de

Jean-Paul Goude /SP

1789 par Jean-Paul Goude. u
n Années 80. Mode, design et graphisme en France 

Musée des Arts décoratifs, Paris (1er), jusqu’au 16 avril.

Rens. : 01 44 55 57 50 et www. madparis.fr OH DEAR Lors du défilé de 1989, Goude joue des clichés, comme ces Anglais forcément sous la pluie.

75 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Expos

MANET, LE GÉNIE DE LA MODERNITÉ

 Inspiré par les maîtres classiques, il multiplie pourtant les scandales
par ses audaces picturales, libérées de toute mythologie.
par Élisabeth Couturier

S
« ’agit-il du dernier ments majeurs. Pourtant la beauté hérités de la Grèce
grand peintre Manet, qui déclenche le scan- antique. Effacé, également,
classique ou du dale avec deux toiles jugées le prétexte mythologique ou
premier des révo- obscènes et sulfureuses, allégorique. La modernité des
lutionnaires ? » interroge paraît le premier étonné situations et des personnages
dans un essai consacré à des réactions virulentes que représentés par Manet rend
Édouard Manet la conserva- celles-ci suscitent. insupportable, aux yeux de
trice et spécialiste Françoise Amoureux de la tradition, ses contemporains, le regard
Cachin : « Bien évidemment grand connaisseur de l’his- effronté que ses figures fémi-
tout cela à la fois, et dans toire de l’art, son Déjeuner nines lancent aux spectateurs.
des proportions dont seules sur l’herbe (1863) réinterprète Manet / Degas De même, certains portraits de
les alternances du goût sont ni plus ni moins, selon lui, la MUSÉE D’ORSAY, PARIS ses proches paraissent sans
juges », ajoute-t-elle. La récep- fameuse toile du Titien Le Du 28 mars au 23 juillet affect : ils nous observent
tion de l’œuvre du peintre au Concert champêtre (1510). en nous renvoyant à notre
milieu du XIXe siècle repré- De même pour son Olympia humaine condition.
sente un parfait exemple des (1865), prend-il pour modèle L’exposition compare aussi,
fluctuations de l’appréciation une autre œuvre du Titien, La correspondent à ceux de son pour la première fois, les
esthétique à une époque où, Vénus d’Urbin (1538). Alors, époque. Exit l’effet de subli- œuvres de Degas et de Manet.
comme la nôtre, tout change pourquoi tant d’émoi ? Les mation qui crée de la distance Elle souligne la singularité de
rapidement dans les domaines nus féminins de Manet seront et grâce auquel les corps de celui qui ne cherchera jamais
économiques, sociaux et tech- jugés trop réalistes, d’autant femmes dévêtues paraissent à plaire. Il y paraît, en effet,
nologiques. Et où, de fait, la plus qu’ils figurent dans des irréels et inaccessibles, car plus radical, même lorsqu’il
peinture opère des change- scènes où décors et costumes idéalisés selon les canons de s’agit de les mesurer autour
de thèmes consensuels comme
les fleurs ou les chevaux. La
sensualité de Manet reste
DES SCANDALES QUI MÈNENT toujours présente. Son regard

À LA LÉGION D’HONNEUR sur les femmes n’a rien de

Musee d’Orsay/A. Brand/RMN-Grand-Palais

concupiscent. Au contraire,
Né à Paris en 1832 dans un milieu privilégié, Manet échoue il leur donne le beau rôle. Du
au concours de l’École de la Marine. Il s’oriente vers une moins comme objet du désir
carrière artistique. Entre 1850 et 1856, il étudie dans l’atelier pour ces messieurs, révé-
de Thomas Couture, grand peintre académique. En 1861, lant l’envers du décor de la
les peintures qu’il présente au Salon sont jugées austères. morale bourgeoise du Second
Le premier scandale éclate en 1863 avec Le Déjeuner sur l’herbe. En 1865, nouveau Empire et de la IIIe République.
scandale avec Olympia et Zola prend alors sa défense. Si Manet fréquente la bande des Un miroir insupportable.
impressionnistes, il refusera de participer à leur première exposition. À partir de 1868, Cependant, Manet obtiendra
la peinture de Manet est mieux acceptée. En 1881, le Portrait d’Henri Rochefort obtient la reconnaissance officielle
une médaille au Salon et l’artiste est décoré de la Légion d’honneur par son ami Antonin tant recherchée. N’avait-il pas
Proust, devenu ministre des Beaux-Arts. Atteint de la syphilis, Manet voit son état de déclaré « les premières places
santé se dégrader et il décède à Paris le 30 avril 1883, à 51 ans. ne se donnent pas, elles se
prennent »… u

76 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Berthe Morisot  Assise
1 appuyée contre la balustrade,
elle occupe le premier plan. Elle est
vêtue d’une robe blanche vaporeuse.
À ses pieds se tient un petit chien
avec une balle et un vase. Ses traits
sont très précis, sa robe travaillée.
Son regard noir dégage une grande
2
intensité. C’est la première fois
3 qu’elle pose pour Manet. Elle
deviendra ensuite son modèle
privilégié.

La musicienne Fanny
2 Claus et le peintre
Guillemet  Parfaite
1 représentante de la bourgeoisie,
Fanny Claus est, elle aussi, vêtue de
blanc. Élégante, elle porte un bibi,
tient une ombrelle et enfile ses
gants. Derrière elle, le peintre
Guillemet, légèrement bedonnant,
est vêtu de noir avec une chemise
blanche sur laquelle ressort une
cravate bleue. Il tient un cigare à la
main, signe de distinction sociale.

Les couleurs  La palette

3 joue sur les contrastes forts,
par exemple entre les robes blanches
3 et la pénombre de l’intérieur où l’on
devine un quatrième personnage.
Ajoutons le vert vif des persiennes,
de la balustrade et de l’ombrelle
ainsi que des touches de bleu très
marquées, notamment pour la
cravate et les hortensias. La lumière
blanche arrive de face.
Herve Lewandowski/RMN-Grand Palais/SP

Une scène de la vie

bourgeoise C e genre de scène,
alors à la mode, n’en respecte pas les
codes. Inspirée de l’œuvre de Goya
(1746-1828), Majas en el balcon, elle
LE BALCON,Entre 1868 et 1869, huile sur toile, 170 x 125 cm, musée d’Orsay, Paris. intrigue par la pose figée des
protagonistes, tous amis proches de
Manet. Ni récit ni anecdote ne s’en
C’est en songeant à Goya que Manet réalise cette toile dégagent. Aussi, au Salon de 1869,
énigmatique, dans laquelle les personnages représentés l’incompréhension domine.
fixent étrangement les spectateurs. Une originalité « Fermez les volets ! » ironise le
caricaturiste Cham, tandis qu’un
insupportable pour les critiques, qui se déchaînent lors critique s’attaque à Manet, qui fait,
de la présentation de l’œuvre au Salon de 1869. dit-il, « de la concurrence aux
peintres en bâtiment ».

77 - Historia n° 916 / Avril 2023


Graeme Hunter/Pathe Productions ltd/SP
RECHERCHE RICHARD III, DÉSESPÉRÉMENT
 Adapté de faits réels, The Lost King raconte la quête improbable
d’une mère de famille anglaise pour retrouver la dépouille de ce roi maudit.
The Lost King
FILM DE STEPHEN FREARS
Durée 108 min,
sortie le 29 mars
78 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Écrans
S
on court règne (1483-1485) et sa mort
au champ d’honneur ont marqué l’his-
toire anglaise. Sa silhouette a traversé
les siècles et forgé notre imaginaire.
Au théâtre comme au cinéma, depuis
Shakespeare, les réalisateurs et scénaristes ont
dépeint Richard III, dernier roi d’Angleterre de la
maison d’York, comme un tyran machiavélique. Une
réputation, largement fabriquée par les Tudors, à
laquelle s’attaque le réalisateur anglais.
Début des années 2000, Philippa accompagne son
jeune fils, sans enthousiasme, lors d’une sortie
scolaire, à une représentation de Richard III. Phi-
lippa se prend de passion pour le personnage. Le
soir même, devant le père d’un élève consterné
par la soudaine euphorie de cette maman d’ordi-
naire discrète, Philippa remet en cause la légende
maléfique qui colle à la peau du frère cadet du roi
Édouard IV. Souffrant d’un syndrome de fatigue
chronique, Philippa peine à s’épanouir. Mais elle
trouve dans le destin de Richard III un écho à
son propre mal-être. Le fantôme de l’acteur ne la
quitte plus. Il hante ses rêves. Il guide chacun de
ses pas. Elle, qui refusait jusqu’alors la moindre
activité, trouve subitement un appétit insatiable
pour redorer le blason de ce roi impopulaire et
retrouver ses ossements. Son audace effraye son
ex-mari (formidable Steve Coogan). Où va-t-elle
le soir ? Aurait-elle des aventures amoureuses ?
L’époux inquiet est loin de se douter qu’elle
compulse les biographies et a rejoint le club des
admirateurs « richardiens », qui l’accueillent au pub
par ces mots : « Pourquoi une femme comme vous
souhaite-t-elle intégrer notre cercle ? Vous avez
l’air normale ? –Non, je ne lui suis pas », répond-
elle. Elle partage son projet farfelu avec eux. Mais
il faut des sous pour déterrer les ossements de
Richard III que Philippa situe sous un parking
à Leicester. Elle organise une collecte en ligne,
sollicite des rendez-vous en mairie, auprès des
archéologues… Sally Hawkins incarne à merveille
ce singulier personnage auquel Stephen Frears
rend hommage, et qui permit à l’Angleterre d’or-
ganiser le 26 mars 2015 des funérailles royales à
Richard III, dans la cathédrale de Leicester, cinq
siècles après sa mort.  YETTY HAGENDORF
CINÉMA DOCUMENTAIRE
Un pour tous, tous pour rien ?
 Photographier la guerre, ou pas…


 Après Eiffel, Martin Bourboulon se frotte aux Trois  8 juin 1972.
Mousquetaires qu’il traite en deux films : D’Artagnan, puis Une fillette de 9 ans
Milady l’hiver prochain. Le premier volet respecte, globalement, court nue et terrorisée,
les temps forts du roman de Dumas, pour un résultat séduisant le corps brûlé au
sur la forme, parfois moins sur le fond. Son budget – 70 troisième degré par
millions d’euros pour les deux films – crève l’écran. Tourné dans une bombe au napalm.

SKOPIA FILMS/SP
l’Hexagone en décors réels, D’Artagnan est une somptueuse
chevauchée patrimoniale qui se donne les moyens de séduire à
l’international. La reconstitution est, avec son casting de fines
lames, son atout majeur. Mais le film aurait gagné à creuser
ses personnages. Est-ce pour satisfaire l’air du temps que les
scénaristes font de Porthos (Pio Marmaï) un bisexuel ? Athos
(Vincent Cassel) est mieux servi, mais pourquoi l’imaginer
protestant ? L’attentat – de pure fiction – qui ensanglante les
noces de Gaston d’Orléans illustre la
priorité du film : le spectacle à tous
crins. Il manque à ce D’Artagnan
l’âme que Rappeneau avait insufflée
à son Cyrano ou la modernité dont
Giannoli a irrigué ses magistrales
Illusions perdues. Bref, ces
mousquetaires font le job, à défaut
de faire date. STÉPHANIE GATIGNOL
n Les Trois Mousquetaires. D’Artagnan, d e
Martin Bourboulon (121 min).
Photographe, Nick Ut
saisit le calvaire de
Kim Phuc avant de l’emmener à l’hôpital. Son cliché fera
le tour du monde et reste le symbole des horreurs de
la guerre du Vietnam. Après avoir resitué l’image dans
son contexte, ce documentaire décrypte la façon dont
elle fut prise, recadrée, publiée. Il rappelle son impact
sur l’opinion mondiale, sans oublier de mentionner que
le régime communiste l’a, par la suite, utilisée à des fins
de propagande. En filigrane, Patrick Cabouat soulève
des questions éthiques d’actualité. Comment concilier
le souci de témoigner et le risque de l’info-spectacle ?
La presse doit-elle tout montrer ? Son récit sensibilise
chacun à la force de frappe des images, à leur caractère
hautement malléable et à l’impérieuse nécessité de les
soumettre à une lecture approfondie. Surtout à l’heure
où une autre guerre peut se jouer dans les médias. S. G
n La Petite Fille au napalm : histoire d’une photographie, d ocumentaire de
Patrick Cabouat. (52 min). Diffusion le dimanche 9 avril à 22 h 40 sur France 5.

LES RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE

Vatican. La cité
qui voulait devenir
éternelle
SAMEDI 1er AVRIL 20 h 50
D
 oc. de Marc Jampolsky
et Marie Thiry (Fr., Jap, Vat.,
2022, 90 min).
Scientifiques et historiens retracent
le fantastique destin architectural
et artistique du Vatican.
n
Mystères d’archives
LES VENDREDIS 10 h 55
 ollection documentaire de Serge
C américaine au pôle Sud.
Viallet (Fr., 2022, 5 x 26 min).
Redécouverte des images connues
ou inédites qui témoignent de
notre histoire.
Vendredi 7 avril :
1936. Le président Roosevelt
en campagne.
Vendredi 14 avril :
1949. Mao proclame la République
populaire de Chine.
Vendredi 21 avril :
1959. Nixon - Khrouchtchev
à Moscou.
Vendredi 28 avril :
1929. Première expédition
Vendredi 5 mai : 1959.
Départs pour la Corée du Nord.
Les Évangéliques à la Résistances
conquête du monde MARDI 25 AVRIL 20 h 55
MARDI 4 AVRIL 20 h 55 S érie doc. de Patrick Rotman
S érie doc. écrite par Thomas (Fr., 2022, 4 x 52 min).
Johnson et Philippe Gonzalez, La vie (et la mort) de résistants
(Fr., 2023, 3 x 52 min). et l’histoire des mouvements
Récit de l’ascension de ce clandestins, des services de
mouvement, devenu une répression et celle de l’opinion.
implacable machine politique. Épisode 1 : Le bricolage héroïque

n (été 1940-juin 1941).
Égypte, enquête Épisode 2 : Tournants
sur la nécropole (juin 1941-novembre 1942).
des taureaux sacrés Épisode 3 : Unification
SAMEDI 8 AVRIL 2
 0 h 50 (novembre 1942-juin 1943).
 oc. de Frédéric Wilner
D Épisode 4 : Libérations
(Fr., 2022, 90 min). (juin 1943-automne 1944).

79 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Écrans

JEU VIDÉO THÉÂTRE

L’enfer du front sud
 Marcel côté planches


 La Seconde
Guerre mondiale a
toujours été une source
d’inspiration pour
les créateurs de jeux

Jean-Louis Fernandez, coll. Comedie Francaise

DR/SP

vidéo. Les Canadiens de

Relic comptent parmi les spécialistes du genre et, avec
Company of Heroes 3, remettent au goût du jour une des
franchises les plus populaires, pourtant délaissée depuis
dix ans. Ce troisième opus se focalise sur deux théâtres
d’opérations, l’Afrique du Nord (côté Axe) et l’Italie (côté
Alliés). La reproduction des armées a profité d’un grand
soin et beaucoup de précisions permettent l’équilibre des
forces. Des libertés ont été prises côté balistique afin de
préserver l’aspect ludique : si Company of Heroes tranche
ici avec le réalisme exacerbé des purs wargames, il offre
de jolies options tactiques, et ce, que l’on joue seul,
en coopératif ou en multijoueur sur Internet. Un futur
classique. GUILLAUME TUTUNDJIAN.
n Company of Heroes 3, R
 elic Entertainment et SEGA sur PC, 59,99 euros.
À LA PAGE U
 n Proust version rock and roll pour explorer le côté de Guermantes.
 Relevant le pari, osé, d’adapter Proust au théâtre,
Christophe Honoré propose une savoureuse promenade du
côté de Guermantes, qui illustre à merveille l’inadaptation
de la noblesse à la veille de la Première Guerre mondiale.
Incarné par l’excellent Stéphane Varupenne, Marcel surgit,
interprétant Lady d’Arbanville de Cat Stevens. C’est l’esprit
de Proust, plutôt que la fidélité au texte, qui transperce
cette adaptation du troisième tome d’À la recherche du
temps perdu. Se jouant des anachronismes avec élégance,
entre rock and roll et Belle Époque, les onze comédiens
dessinent un monde romanesque et futile. Des scènes
fortes cadencent la pièce : la dispute entre Saint-Loup
et Rachel ou la rencontre avec Oriane de Guermantes,
incarnée par l’éblouissante Elsa Lepoivre. Y. H.
n Le Côté de Guermantes, a daptation et mise en scène de Christophe Honoré.
Jusqu’au 14 mai à la Comédie-Française, salle Richelieu. Tél. : 01 44 58 15 15.

RADIO

À PODCASTER
PAR PAUL-FRANÇOIS TRIOUX

S 21 : L’horreur khmer La catastrophe

F rance Culture
www.radiofrance.fr/franceculture/
podcasts/une-histoire-particuliere-
un-recit-documentaire-en-deux-
parties/
 aîtres du Cambodge le 17 avril
M Le Batavia, navire de la
1975, les Khmers rouges décident
d’éliminer les ennemis du
nouveau régime. C’est à la prison
S 21 de Phnom Penh que Douch
va exercer. Son bilan ? 15 000
morts. Les survivants ne sont plus
que deux à ce jour.
du Batavia en 1629
F rance Inter
 ww.radiofrance.fr/franceinter/
w
podcasts/naufrages-une-histoire-
vraie/
Compagnie néerlandaise des
Indes orientales fait naufrage
au large des côtes australiennes.
Parmi les 300 rescapés
règne un psychopathe
mégalomane et sanguinaire :
Jeronimus Cornelisz.

80 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Livres
KAFKA, MÉTAMORPHOSE D’UN INCONNU
 Une vie brève dans une Europe chamboulée et des chefs-d’œuvre littéraires.
Pour le centième anniversaire de sa mort, une magistrale biographie en trois volets
retrace l’existence de l’écrivain « tchèque de langue allemande. » par Gérard de Cortanze

de Max Brod, sobrement inti-

DUO L’unique cliché de tulé Franz Kafka (1937), reste,
l’auteur au côté de sa à ce jour, le seul témoignage
compagne, Félice Bauer.
complet sur la vie de l’écrivain.
D’autres se penchèrent sur la
vie du Praguois, dont la vaste
littérature eut une influence
décisive sur l’évolution du
roman moderne : Marthe
Robert, Gilles Deleuze, Pierre
Kafka. Le Temps des décisions Mertens, Roberto Calasso,
DE REINER STACH Pietro Citati, pour ne citer
(Le Cherche midi, 937 p., que les plus connus. Force
29,50 euros) est de constater qu’aucune
biographie de Kafka n’exis-
tait en Allemagne avant que
ne paraisse celle de Reiner

L
es livres sur Kafka Stach. Certaines mauvaises
(1883-1924) sont langues émettant l’hypothèse
légion. À com- qu’un auteur austro-hongrois
mencer par celui de religion juive n’avait guère
de son ami et exécuteur tes- de place dans le panthéon de
tamentaire Max Brod, auquel la deutsche Literatur…
il avait demandé de détruire Toujours est-il que l’« oubli »
tous ses manuscrits inachevés est réparé et de la plus belle
– la majorité de son œuvre –, des manières. Ne mâchons
ordre que ce dernier décida pas nos mots : la biographie
DR/SP

de ne pas exécuter. Le livre de Kafka par Reiner Stach est

Du Procès aux « messieurs du château »

Écrit en 1914-1915, Le Procèsest l’histoire
de Monsieur K., arrêté sans savoir de
quoi on l’accuse et qui passe toute sa
vie de liberté provisoire à essayer de se
défendre avant que ses bourreaux ne
l’égorgent. Deux ans avant sa mort, Kafka
écrit, quasiment au fil de la plume, Le
Château, dans lequel il raconte le long et
harassant combat d’un autre Monsieur K.,
géomètre, qui cherche par tous les moyens
à être accepté par les fonctionnaires de la
mystérieuse forteresse. Kafka a écrit de
nombreux récits, nouvelles, romans, pour
la plupart inachevés. Ainsi, son Journal,

82 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 SP AF
ÉC KA
K

IA
L
un chef-d’œuvre auquel l’au- KAFKA EN CINQ DATES
teur a consacré plus de quinze
années de sa vie. Publiée en 1883Naissance 1902Études de 1912-1917 1917On lui 1924Il décède
Allemagne en 2002 et enfin tra- à Prague, alors cité droit ; il se lie d’ami- L’écrivain noue une diagnostique une le 3 juin, et son
duite en France, elle le sera de l’Empire tié avec le poète Max relation compliquée tuberculose. Malade, corps est enterré au
austro-hongrois, Brod, qui publiera avec Félice Bauer. il quitte son travail à nouveau cimetière
en trois fois. La première dans une famille la plus grande partie Deux fiançailles la compagnie d’assu- juif à Žižkov, un
aujourd’hui, « Le Temps des juive originaire de l’œuvre de Kafka qui se concluent rances des Accidents quartier de Prague.
décisions » ; la deuxième, « Le de Bohème. après sa mort. par une rupture. ouvriers. STEFAN SPIVAK
Temps de la connaissance »,
en novembre 2023 ; la troi-
sième, « Les Années de jeu- Juifs d’Europe, pour reprendre
nesse », paraîtra en mai 2024 une partie du titre du terrible
pour le centenaire de sa mort. ouvrage de Hilberg, tout cela
a sombré dans la grande catas-
Un monde d’hier trophe des guerres qui ont
Ce premier tome couvre les ensanglanté l’Europe.
années 1910-1915, durant Il y a quelque chose du Monde
lesquelles Kafka écrit sa pre- d’hier de Stefan Zweig dans
mière grande nouvelle : Pré- la façon qu’a Stach d’abor-

Giancarlo Costa/Bridgeman Images

paratifs de noce à la cam-
pagne ; mais aussi Le Verdict,
La Métamorphose, L’Amé-
rique, Le Procès, le Discours
sur la langue yiddish ; où il
commence son Journal, et
rencontre Félice Bauer. On
y découvre un Kafka fasciné
et repoussé par Prague, fiancé
timoré et séducteur impéni-
tent, hypocondriaque et spor-
tif accompli, Juif mécréant
passionné par la culture yid-
dish et le sionisme, tenté par
le voyage vers la Palestine,
amoureux de la vie et hanté
par la mort.
der un genre littéraire qui a
si mauvaise presse. Entre
Marx, qui reproche à la bio-
graphie d’accorder à l’indi-
vidu trop de place dans une
AU VOL Kafka, les poètes Albert Ehrenstein, Otto Pick et Lise Weltsch (de g. histoire déterminée par les
à dr.) posent dans une baraque photographique du Prater à Vienne en 1913. forces collectives et Sartre,
qui fustige les préjugés méta-
La force de cette biographie à quel point tout ce qui fait physiques qu’elle nourrirait sur
réside dans une approche l’originalité de Kafka, tout ce la nature humaine, Stach choi-
très personnelle de la vie et sur quoi son œuvre s’appuie, sit de la replacer au centre de
de l’œuvre, indissolublement tout cet ancrage profond, cette l’Histoire. Et si son livre est un
mêlées, de l’auteur, mais aussi histoire intime et cette grande grand livre – on plonge dans
dans le lien permanent que Histoire des peuples et des lan- les méandres d’une œuvre et
cette vie et cette œuvre tissent gues ont aujourd’hui disparu : les troublantes profondeurs de
avec l’histoire de leur temps. l’Autriche-Hongrie, la Prague Kafka – c’est surtout parce qu’il
Reiner Stach nous montre germanophone, le monde des est un grand livre d’Histoire. u

rédigé sans souci chronologique à partir de

1910, qui n’est nullement une biographie
intérieure mais plutôt la recension
désordonnée d’impressions instantanées.
Rappelons enfin que Kafka n’a publié de
son vivant que sept livres, très minces,
parmi lesquels D ans la colonie pénitentiaire
et La Métamorphose, 73 courtes pages
inoubliables, parues en 1915. G. C.

83 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Essai

DE FIL EN AIGUILLE… S’ACCROCHER À LA VIE

 Tout talent pouvait être une chance de survivre aux camps. Ainsi, à Auschwitz,
des jeunes femmes ont échappé à la mort en réalisant des tenues pour les épouses de SS.

leurs tenues dans les maga-

zines de couture disposés dans
la petite usine.
« L’atelier de couture produi-
sait le genre de tenues que les
dames SS n’auraient probable-
ment pas imaginées dans leurs

dpa picture alliance/Alamy Stock Photo

rêves les plus fous », se sou-
vient Hunya Volkmann. Voilà
une histoire qui n’est pas cou-
Les Couturières d’Auschwitz sue de fil blanc, mais finement
 E LUCY ADLINGTON
D brodée, avec en toile de fond
(Payot, 380 p., 23 euros) le bruit des machines, non loin
ESCLAVES Les femmes d’Auschwitz sont conduites à leurs tâches par les SS. des crématoires, et le moindre
accroc peut vous conduire

E
lles s’appelaient Marilou Colombain. Pour sur- dans le seul but de gagner du illico à la mort. Pourtant, il
Marta, Irène, vivre, leur seule chance a tenu temps. L’historienne britan- apparaît au milieu de ces atro-
Renée, Hunya, dans une aiguille, celle qu’elles nique de la mode Lucy Adling- cités une formidable solidarité
Alice, Borishka savaient manier avec dexté- ton déroule les témoignages chez ces femmes admirables
ou Bracha. Elles venaient de rité du bout de leurs doigts. et l’incroyable récit prend qui ont tenu bon avec l’espoir
Tchécoslovaquie, de Pologne, Repérées pour leurs talents forme. Les étoffes provenaient de sortir de ces falbalas aux
de Hongrie ou de France. par Hedwig Höss, la femme du « Canada » – l’endroit où enfers avec élégance. Et l’on
La plupart étaient juives, du directeur du camp, Rudolf étaient stockés à leur arrivée comprend d’autant mieux le
toutes se sont retrouvées à Höss, qui aimait le luxe et les tous les éléments personnels succès mérité de cet ouvrage
Auschwitz comme les deux tissus, elles sont devenues « les des déportés – pour habiller poignant qui a figuré sur la
prisonnières communistes couturières d’Auschwitz ». les femmes et les enfants des liste des best-sellers du New
françaises Alida Delasalle et Esclaves, elles travaillaient officiers SS qui choisissaient York Times.u LAURENT LEMIRE

1953 : l’insurrection d’un goulag De la théorie de l’évolution du chat

 Ce « roman vrai » de la révolte du
goulag de Norilsk en 1953 donne la chair
de poule. La condition des forçats du
Kremlin fait vomir. Et on reste pantois
devant leur inconscience. Ce soulèvement
est la preuve que la pire des terreurs ne
tue pas la vie car les âmes mortes des
milliers de camarades déportés enfouis
dans le permafrost sibérien viennent en
renfort. En écrivant à la première personne, le journaliste très
documenté Nicolaï Komonov entre dans la peau de Sergueï
Soloviev, engagé dans la résistance au garde-chiourme en
chef des camps : le sinistre Beria. GUILLAUME MALAURIE
n La Révolte, d e Nikolaï Komonov (Éditions Noir sur Blanc, 400 p., 24,50 euros).
 La thèse de l’historien Éric
Baratay va donner une assise scientifique
aux gigatonnes de vidéos gnangnan
exhibant des félins humanoïdes, ces
membres à part entière de la famille
occidentale d’aujourd’hui au point que
leur profil à moustache devienne celui
du maître sur Facebook. Bref, le chat de
Kipling qui « s’en va tout seul et pour qui
tout lieu se vaut et qui n’a ni ami ni serviteur », ce serait fini.
En quelques générations, le chat serait devenu un « chat-
chien » à force de sélections domestiques. La théorie « trans »
est hardie. Plausible. Effrayante. G. M.
n Cultures félines (XVIIIe-XXIe siècle), d’Éric Baratay (Seuil, 295 p., 23 euros).

84 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Hommes bleus contre
petits hommes verts
 Les disciplines qui fascinent sont
celles qui attirent le plus de faussaires.
L’archéologie est bien placée dans le
palmarès des infox. Dans cette édition
augmentée d’un livre paru en 2009,
l’auteur démonte, avec humour, les
grandes supercheries. Et l’on constate que, parfois, ce sont
des scientifiques eux-mêmes, des amateurs peu éclairés ou
des Indiana Jones rêveurs qui se sont laissés berner sur
leurs propres découvertes. LAURENT LEMIRE
n Des Martiens au Sahara. Deux siècles de fake news archéologiques, 
de Jean-Loïc Le Quellec (Éditions du Détour, 450 p., 23,90 euros, à paraître le 30 mars).
Tout droit venu
de Rome !
 Raconter et problématiser 2 500 ans
d’histoire du droit en Europe de façon
vivante est un exercice pour le moins
difficile. Tamar Herzog, professeure
d’histoire à Harvard, « lassée des pavés
chargés de détails mais trop légers lorsqu’il
s’agit d’expliquer les changements », réussit son pari. Forte
de sa double expérience d’enseignante en Europe et aux
États-Unis, l’auteure montre comment le droit romain est à
la base de la culture juridique du vieux continent. Ce droit
perdure tout au long du Moyen Âge et influence aussi les pays
de common law avant de ressurgir à la Renaissance et de
s’affirmer pleinement dans l’Europe moderne. MARC SEMO
n Une brève histoire du droit en Europe, d
 e Tamar Herzog (Anacharsis, 384 p., 24 euros).
Ruban rouge
pour croix gammée
 La France a-t-elle décerné la
Légion d’honneur à d’anciens nazis ?
Oui, et en connaissance de cause. C’est
la révélation de Michel Tedoldi. Dans le
sillage de son documentaire en attente
d’un diffuseur, il raconte comment, après
1945, la France (comme les États-Unis) a déroulé le tapis
rouge à des ingénieurs allemands pour reconstituer son
industrie aéronautique. En matière d’avion et de fusée, ces
techniciens qui avaient travaillé pour le Reich ont permis au
pays de rattraper le temps perdu dans cet épisode où l’État
s’affranchit de la morale au nom de l’efficacité. L. L.
n Un pacte avec le diable, d e Michel Tedoldi (Albin Michel, 250 p., 21,90 euros).
LE BILLET D’HUMEUR
DE JOËLLE CHEVÉ
IL ÉTAIT UNE FOIS UN
PAUVRE PETIT PRINCE…
L
es révélations fracassantes sur la famille
royale britannique qu’annonçait cette auto-
biographie sont minces. Le prince en a
supprimé la moitié, trop sulfureuses, dit-il,
pour lui être pardonnées. No comment ! Considérons
plutôt ce livre pour ce qu’il est : une mise en accusa-
tion de sa famille pour non-assistance à personne en
danger. En l’occurrence, ne pas l’avoir défendu des
médisances des médias. Et de
déclarer : « J’ai écrit cela, non
pas comme le prince que je
suis né, mais comme l’homme
que je suis devenu. » Il n’y
aurait pas eu « ce » livre cepen-
dant s’il n’avait été prince et
très conscient de l’être. Son
obstination à porter la barbe
n’est pas anodine, qui accen-
tue sa ressemblance avec les
descendants de Victoria, George V ou Nicolas II. A
heir and a spare : « un héritier et un suppléant ». Le
syndrome des cadets royaux s’est parfois résolu à leur
avantage par sélection naturelle. Jean sans Terre, cin-
quième fils d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine, a succédé
à Richard Cœur de Lion. Et les cadets n’ont pas eu le
monopole des frasques, pour ne citer qu’Édouard VII
et sa « chaise de volupté ». Ainsi la faute de Harry
n’est pas tant de révéler ses faiblesses ou celles de
sa famille, que de se poser en réformateur de l’insti-
tution : « Il ne s’agit pas d’essayer de faire s’effondrer
la monarchie, il s’agit de les sauver d’eux-mêmes […],
avouez et nous pourrons tous passer à autre chose » !
On comprend qu’il ait attendu la mort d’Élizabeth II
pour publier ces pages… La grande parade des funé-
railles ou du couronnement exprime encore la puis-
sance symbolique et unificatrice de la monarchie, et
ses membres en sont collectivement garants. Alors
on ne coupe plus la tête des fils rebelles, tel le duc
de Monmouth, fils légitimé de Charles II, mais on les
exile, tel le duc de Windsor, ou on ne les retient pas…
n Le Suppléant, p ar le prince Harry (Fayard, 541 p., 26,50 euros).
85 - Historia n° 916 / Avril 2023
 Bon sang viking
ne saurait mentir
 « Tel sera mon destin ! » s’exclame
Sigurlina Brandsdottir en quittant, en 1897,
l’Islande du jour au lendemain pour devenir
la secrétaire d’un riche érudit américain
passionné d’archéologie. Débarquée à New
York, la jeune aventurière trace sa route au
gré des coups du sort, jusqu’à ce qu’une fibule lui fasse renouer
le fil échevelé de son existence. C’est l’histoire d’une double
émancipation, celle d’une femme, mais aussi d’un petit pays
prenant conscience de son patrimoine. Un coup de tête en
forme de joli coup littéraire ! ISABELLE MITY
n Un coup de tête, d e Sigrún Pálsdóttir (Métailié, 192 p., 19 euros).
Dans le silence
des forêts canadiennes
 Dans son précédent livre, Les
Danseurs de l’aube, Marie Charrel,
journaliste au Monde, nous plongeait
dans l’Europe centrale des années
1930. L’Histoire est son domaine – mais
revisitée, troublée, sulfureuse. Avec Les
Mangeurs de nuit, elle retrace les destins de Jack, chasseur
d’ours en Colombie-Britannique, et d’Annah, enfant de la
première immigration japonaise au Canada. Leur rencontre
est celle de deux mondes : celui des contes japonais et des
légendes amérindiennes. Mystérieux et envoûtant. G. C.
n Les Mangeurs de nuit, d e Marie Charrel (L’Observatoire, 303 p., 21 euros).

SÉRIE TRÈS NOIRE La mer du Petit Père

des peuples
CHEZ LES NAZIFASCISTES  En 1948, Staline, âgé de 70 ans,
malade, enfermé dans son bunker, nourrit
 Bologne, été 1943. En faisant une descente dans un projet fou : lancer un grand plan de
une maison abandonnée, le commissaire De Luca et son transformation de la nature. Le premier
équipe avaient bien prévu de tomber sur un trafiquant, acte consiste à vider la mer d’Aral de tout
mais pas sur un corps sans tête en sus de leur suspect. son sel et de toute son eau ! Mission est
Un peu plus tard, une tête réapparaît. Mais ce n’est pas donnée au camarade ingénieur Leonid Borisov. Tout semble se
celle du cadavre ! Et voilà le limier encombré de deux dérouler aussi bien que possible sur cette terre paradisiaque
macchabées incomplets, vraisemblablement victimes des modelée par le communisme, jusqu’au jour où le camarade
mêmes tueurs. L’affaire, qui s’annonce d’autant plus corsée ingénieur commence à nourrir des doutes. Et si les habitants
qu’elle révèle la compromission de policiers avec toutes du lac se rebellaient, et si la Géante, qui vit dans ses abysses,
sortes de malfrats, progresse par à-coups, au rythme des se réveillait et si un drame écologique était en train de se
bouleversements marquant l’année 1943 en Italie. Avec jouer ? Hilarant, inquiétant, nécessaire. G. C.
le remplacement de Mussolini par Badoglio le 25 juillet n Staline a bu la mer, d e Fabien Vinçon (Anne Carrière, 267 p., 19 euros).
1943, De Luca respire. Mais la libération du Duce par les
Allemands et leur mainmise sur de nombreuses institutions
sonnent (provisoirement) le glas de sa carrière policière.
Le polar italien s’habille
Une cendrillon russe
presque toujours en noir pour très à la page
mieux dénoncer l’empreinte  Qualifiée par Voltaire de
fasciste au long cours sur la « Cendrillon du XVIIIe siècle », l’épouse
société. Lucarelli en est l’un de Pierre le Grand, impératrice sous le
des meilleurs représentants nom de Catherine Ire de 1725 à 1727, eut
actuels. Son commissaire De le bon goût de racheter la bibliothèque
Luca, ballotté par l’Histoire, du philosophe – la seule d’un auteur du
mène sa propre guerre pour Siècle des lumières à avoir été intégralement préservée. Le
la vérité et la justice. Une destin de la souveraine, aussi tolérante qu’éclairée, et aux
stratégie de survie au milieu origines si modestes qu’elles furent longtemps un secret
du chaos, qui le rend d’autant d’État, méritait qu’on le narrât avec panache. Kristina
plus attachant. I. M. Sabaliauskaité est une voix majeure de l’Europe littéraire
n Péché mortel, d e Carlo Lucarelli d’aujourd’hui et son roman se lit dans la fièvre. G. C.
(Métailié, 256 p., 21 euros). n L’Impératrice de Pierre, d e Kristina Sabaliauskaité (Quai Voltaire, 383 p., 24 euros).

86 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 BD

ET POURTANT
ELLE TOURNE

LE PLUS GRAND
 Tout tourne ici
autour de l’hypothèse

DES PHARAONS héliocentrique et, dans

l’univers dépouillé de ce
manga, se soulèvent les
 Au XIIIe siècle av. J.-C., Ramsès II conduit questions essentielles
l’Égypte à son apogée. Guerrier, diplomate, ce qu’elle implique pour le
pharaon n’oublie jamais de se mettre en scène, en monde post-médiéval
commandant une série de monuments démesurés, où Copernic a lancé sa
dont témoignent par exemple les géants d’Abou Simbel… C’est cette image, révolution. Ce qui est en
patiemment construite de son vivant, qui a traversé les siècles ! En proposant question, c’est donc le rôle
sa biographie en BD, Wyctor (nom d’artiste de Victor Battaggion, rédacteur en crucial de l’Université et de
chef adjoint d’Historia), auteur déjà d’une Cléopâtre, s’attaque à un personnage l’Église dans le dévoilement
« monumental ». Mais il en profite pour mener une subtile réflexion sur la nature du – ou la dissimulation – des
pouvoir. Sous sa plume, Ramsès redevient un être humain, avec ses doutes et son nouvelles « vérités » qui
orgueil. À peine monté sur le trône, le jeune pharaon doit affronter les Hittites lors viennent mettre à mal le
de la bataille de Qadesh, aussi sanglante qu’indécise, mais dont les propagandistes système de Ptolémée. Mais
égyptiens font une immense victoire. Et l’on voit Ramsès diriger cette réécriture tout cela vient s’imbriquer
de l’histoire. La BD permet ainsi de mettre en scène des personnages secondaires, dans une « intrigue »
comme le très attachant scribe Amenemhat, qui sert de conscience au pharaon. Un humaine fort bien menée, où
récit très original et l’un des meilleurs de la collection ! LAURENT VISSIÈRE Hubert et le trop intelligent
n Ramsès II, de Wyctor, Michael Malatini et Juan Carlos Moreno-García (Glénat, coll. « Ils ont fait l’Histoire »), 56 p., 14,95 euros. Faral apprennent à jouer
avec les failles d’un système
où le géocentrisme officiel
Une flèche qui rate sa cible rassure les consciences. Mais
quand on s’apprête « à faire
 En 1943, les planches de Flash Gordon ne pouvaient plus bouger la terre », ce système
paraître dans l’Europe occupée : Edgar P. Jacobs prit la relève sait se défendre… L’auteur
avec Le Rayon U, son premier opus, désormais mythique. parvient remarquablement
L’histoire, cependant, se finissait abruptement, attendant à mettre en scène l’un des
une suite que son auteur ne donna jamais, et c’est J. Van bouleversements les plus
Hamme qui la propose enfin aujourd’hui. La Flèche ardente tragiques qui aient agité
expose comment l’empire austradien envahit les îles noires et l’histoire des mentalités
comment la belle Sylvia finit par succomber au prince Nazca. occidentales.
Le pastiche est amusant, mais, avouons-le, ni le scénario ni le JEAN-YVES BORIAUD
dessin ne sont finalement bien convaincants. L. V. n Du mouvement de la Terre, d’Uoto
n La Flèche ardente,de Jean Van Hamme, Christian Cailleaux et Étienne Schréder (Ki-oon, 156 p., 7,95 euros).
(éd. Blake et Mortimer, 48 p., 16,50 euros).

88 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 « Maître » Halimi, les
années de formation
 Comment devient-on une
avocate célèbre pour ses combats
en faveur de la cause des femmes ?
Ce roman graphique s’attache
aux premières années de Gisèle
Halimi, née en Tunisie en 1927. À
sa mère, respectueuse de la tradition juive – une fille n’a
pas besoin de faire des études et ne doit penser qu’à être
une épouse dévouée –, elle lance : « Je ne me marierai
jamais, je veux étudier ! » Elle obtiendra satisfaction, et
partira pour Paris à 18 ans… Au fil des pages, servies par
un dessin très expressif, nous la voyons s’affirmer, sous
le signe de la révolte, de la soif de vivre et d’apprendre.
Un album mené tambour battant, avec en toile de
fond les relations entre communautés et la montée du
mouvement nationaliste tunisien. DENIS LEFEBVRE
n Gisèle Halimi. Une histoire tunisienne, d e Danièle Masse et Sylvain Dorange
(Delcourt / Encrages, 135 p., 17,95 euros).
Devenez le Zeus
du panthéon grec
 En quatorze épisodes, cette
jubilatoire BD retrace, sur le mode
plaisant, la complexe histoire des dieux
et des héros tels que les concevaient
les Grecs anciens. Les auteurs sont
allés puiser les trames aux meilleures
sources (Hésiode, les Métamorphoses d’Ovide...), pour les
illustrer à leur manière. Tour de force : les personnages, tous
aimablement caricaturés, parlent – au prix de savoureux
anachronismes – la langue d’aujourd’hui, mais sans jamais
tomber dans la vulgarité. On se plaît à retrouver ici l’art
des Dingodossiers de Gotlib et Goscinny, qui fait aimer les
« héros » en les rendant doucement loufoques ou largement
décalés : manière, ici, de les humaniser, sans les trahir, pour
que le lecteur, profane ou expert, s’éprenne d’Andromède ou
sympathise avec le malheureux Œdipe. Une réussite. J.-Y. B
n L’Incroyable Histoire de la mythologie grecque, d e Catherine Mory, Philippe
Bercovici et Christian Lerolle (Arènes BD, 305 p. 25 euros).

« Un film d’où s’élèvent les voix de l’Histoire,

les blessures de la mémoire, le paradoxe des survivances,
pour toucher au sublime de la vérité qui se fait
au lieu de se fabriquer »
POSITIF

« Un grand moment de cinéma »

L’OBS

LES HARKIS
DISPONIBLE
EN DVD
ET EN VOD
UN FILM DE PHILIPPE FAUCON

89 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Voyage
LES TRÉSORS VERTS DU ROI LÉOPOLD
De somptueuses serres, qui abritent une extraordinaire collection botanique, s’élèvent
dans le parc du château de Laeken, la résidence des souverains au nord de Bruxelles.
Par Véronique Dumas

À
cinq kilomètres
au nord de
Bruxelles, au
printemps,
chaque année, il est un ren-
dez-vous à ne pas manquer,
une tradition vieille d’un
siècle, attirant des millions
de visiteurs. Les serres du
domaine royal de Laeken,
joyau du patrimoine bruxel-
lois, considéré comme l’un
des principaux monuments
du XIXe siècle en Belgique,

Karin Borghouts/SP
ouvrent leurs portes au
public pour trois semaines, 1

cette année du 14 avril au

7 mai. L’entrée, par la grille
d’honneur de l’avenue du Parc-
Royal, donne le ton. Ici, tout
n’est que calme, sérénité et
romantisme.
Très vallonné, laissant appa-
raître au sud la capitale bruxel-
loise, le parc de 194 ha a été
dessiné au XVIIIe siècle par
le paysagiste anglais Lance-
lot Brown (1716-1783) puis
réaménagé, dans les années
1890, par un Français, Élie
Lainé, qui en conservera le
caractère de jardin à l’an-
glaise, parsemé de fabriques.
Au bout de l’allée principale,
se détache la façade classique
du château, résidence privée
des souverains belges. Le par-
cours proposé peut varier. Le
plus long, d’une durée de deux
heures, comprend une prome-
nade au sein du parc, puis une
découverte des serres. Le plus
court – comptez une heure et
demie –, se limite, si l’on peut
dire, à leur visite.
Pour le rejoindre, il faut suivre
une allée sableuse conduisant
à l’entrée par l’orangerie. Édi-
fiée en 1817 par le roi Guil-
laume Ier des Pays-Bas, elle
est, à l’époque, l’une des plus
grandes d’Europe et abrite
des orangers importés par
les archiducs Albert et Isabelle
de Habsbourg au XVIIe siècle.
Sur les cent cinquante de la
collection d’origine, il en reste
aujourd’hui une quarantaine,
installés à la mi-avril sur l’es-
planade de ce bâtiment et aux
abords du château pour une
durée de six mois en com-
pagnie de lauriers, mimosas
et autres rhododendrons.
Ce complexe, éclairé par la
lumière naturelle, dont la
superficie actuelle au sol
est de 1,5 ha, la longueur de
700 mètres et qui comprend
1 500 m 2 bâtis de verre et
d’acier dont 2,5 ha de surface
vitrée, prolonge l’aile gauche
du château et est constitué de
deux parties reliées par une
série de galeries, de pavillons
et de serres de culture.
« Palais de la Nation »
Il est édifié progressive-
ment entre 1874 et 1905 à la
demande de Léopold II, sur-
nommé le Roi-Bâtisseur, en
raison de sa volonté d’équi-
per son pays d’infrastruc-
tures modernes. Plus de
trois décennies pendant les-
quelles il supervise de près
la construction de la « cité de
verre » de ses rêves. Lorsqu’il
succède à son père, Léopold
de Saxe-Cobourg-Gotha, pre-
mier souverain du nouveau
royaume de Belgique créé en
1831, Léopold II veut faire du
château de Laeken un « Palais
de la Nation » où se tiendront
les événements importants de
la monarchie belge.
Les serres royales font partie
de ce programme de rayon-
nement national. Les progrès
industriels ont rendu possible
la création de verrières gigan-
tesques, entièrement consti-
tuées d’éléments fabriqués

90 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
 Karin Borghouts/SP
3

Veronique Dumas
Philippe Clement/Belpress/Andia

Lois GoBe/Alamy Stock Photo

2 5

PLANTES ET TRANSPARENCES (1) L’utilisation du métal et du verre, rendue célèbre par le Crystal Palace de Londres lors de l’Exposition universelle de 1851, inspire les
serres de Laeken. (2) et (3) Grâce à ces nouveaux matériaux, le Français Alphonse Balat, qui a signé ce jardin d’hiver – coiffé d’une extraordinaire coupole surmontée
d’une couronne royale – se permet, en 1876, toutes les audaces architecturales. (4) Intérieur de la serre dite du Théâtre. (5) Pavillons et coupoles bourgeonnent dans
l’imposante serre dite du Congo, qui abritait des collections exotiques provenant de cette région d’Afrique, alors propriété personnelle du roi Léopold II (1835-1909).

91 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Voyage

en série et démontables. serre du Théâtre, jouxtant

L’édifice le plus célèbre de l’orangerie, édifiée en 1905 par
l’époque, devenue le nec l’un des successeurs de Balat,
plus ultra de l’architecture l’architecte français Charles
moderne, est alors le gigan- Girault, le concepteur du Petit

Werner Lerooy/Alamy Stock Photo

tesque Crystal Palace, œuvre
de Joseph Paxton, jardinier du
duc de Devonshire, construit
en six mois. Star de l’Exposi-
tion universelle de Londres de
1851, il a ébloui les visiteurs
MEISE, L’AUTRE par ses dimensions et son
et du Grand Palais, quelques
spécimens de camélias spec-
taculaires, si hauts que leurs
têtes frôlent le sommet de la
verrière. Les plus anciens ont
au moins 160 ans et plusieurs
datent du règne de Léopold II.

JARDIN BOTANIQUE esthétique révolutionnaire.

Réalisé en fer pour la solidité
Situé à une dizaine de kilomètres de Bruxelles, et la portée, en verre pour la
le jardin botanique de Meise est l’un des plus transparence et en bois pour
vastes (92 ha), des plus anciens (1756) et des maintenir les carreaux, il va
plus renommés au monde, en raison de son rôle fortement inspirer l’architecte
de conservatoire végétal à la pointe du progrès Alphonse Balat, chargé de la
scientifique. Les chercheurs qui y travaillent conception d’un jardin d’hiver
ont pour mission d’étudier la diversité végétale à Laeken pour y installer les
planétaire et de prévoir les effets du réchauffement collections botaniques royales.
climatique sur la végétation. Il dispose d’un herbier
comptant environ quatre millions de spécimens, Théâtre de nature
d’une banque mondiale de semences, d’une Léopold II voue une passion
bibliothèque botanique ancienne riche de plus de aux camélias, originaires de
200 000 ouvrages, de plusieurs serres ouvertes à Chine et du Japon, et dont
la visite et cultive plus de 18 000 sortes de plantes, la culture a été développée
dont certaines en voie de disparition. Le parc au XIXe siècle en Europe et
abrite la première serre conçue par Alphonse Balat notamment en Belgique, à
en 1854. Construite à l’origine pour abriter des Gand. Il en possède un mil-
nénuphars géants d’Amazonie, elle se trouvait au lier, de 314 variétés, et fait
parc Léopold à Bruxelles, puis est déplacée vers construire pour les abriter la
le jardin botanique de la capitale avant d’être serre des Camélias, qui sera
installée à Meise dans les années 1940. Environ démolie après sa mort en 1909.
200 000 personnes s’y promènent chaque année. V. D. Actuellement, les visiteurs
peuvent contempler dans la
Pour poursuivre la visite, il
faut ressortir et faire un détour
par le parc avant de rejoindre
la zone des serres royales dite
du Plateau des palmiers.
Voici l’occasion de profiter
du paysage et de quelques
mises en scène splendides,
tel ce point de vue réunissant,
en un même coup d’œil, un
sophora du Japon en fleurs,
qui disperse au moindre
souffle ses pétales, avec, au
second plan, une pièce d’eau
et la Tour japonaise. Déjà,
apparaît la serre du Débar-
cadère ou serre d’Entrée, en
partie dissimulée derrière une
glycine surchargée de grappes
mauves à l’entêtant parfum.
Nous pénétrons ensuite dans
la serre subtropicale des
Palmiers, une cathédrale de
verre rectangulaire, dotée en
son centre d’un haut transept

Adresse
Serres royales du château
de Laeken, avenue du Parc-
VOTRE SÉJOUR
gare du Nord. Arrivée à n 9, rue Léopold, 1000 Bruxelles. profiter, aux beaux jours,
la gare de Bruxelles-Midi. www.thedominican.be de sa terrasse.
Prendre le tram, ligne 3, les n 44, boulevard de Waterloo,
bus 136 et 53 ou un taxi. Restaurants 1000 Sint-Gillis.
The Dominican

Royal, 1020 Bruxelles. La Fabrique en Ville www.lafabriqueresto.be

www.monarchie.be/fr/
patrimoine/serres-royales-
de-laeken
Ouverture cette année
du14 avril au 7 mai.
Y aller
De Paris, prendre le Thalys
hôtel
The Dominican S itué
à l’emplacement d’une
ancienne abbaye, cet
hôtel de charme offre
des chambres calmes,
spacieuses, un restaurant
raffiné et un bar. La façade
Situé dans le parc d’Egmont
au cœur de Bruxelles, entre
Sur les traces de David…
le Sablon et le boulevard
de la maison où vécut de Waterloo, idéal pour y
et mourut le peintre David déguster un brunch fait
en 1825, sise au n° 7, a été maison les samedis et
conservée et intégrée dans dimanches ou pour une
le bâtiment actuel. pause déjeuner ou goûter et
Pop-Up Sablon,
Incontournable pour son
accueil et ses savoureux
classiques de la cuisine belge
revisités (carbonade de bœuf
à la flamande, croquettes de
crevettes grises, gaufres de
Bruxelles)…

92 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Look and Learn/Bridgeman Images

MONDE ET BEAU MONDE D  ès le début du XXe s., le palais et son parc abritent
les grands événements de la cour. En 1900, lors de l’Exposition universelle de Paris,
Léopold II découvre une tour japonaise qu’il fait reproduire à Laeken.

ovale où se dressent les spéci- de jeunesse, comme celui

mens les plus hauts caressant
de leurs palmes l’armature de
la coupole. Entre les palmiers
bordés de fougères géantes,
s’épanouissent des bananiers
plantains et des ficus sur un
tapis végétal d’un vert tendre,
formé de sélaginelles denticu-
effectué en Orient en 1860.
Les trésors du Congo
La serre des Azalées date des
années 1880. Dans une longue
galerie en verre, où s’épanouis-
sent géraniums géants, fuch-
sias aux coloris inouïs, hautes

lées originaires, entre autres,
des îles Canaries.
Cette serre gigantesque, bâtie
en 1884 et 1885 sur les plans de
Balat avec le pavillon attenant
des Palmiers, où Léopold II se
retirera à la fin de son règne,
est destinée à accueillir des
collections botaniques offertes
par les sociétés d’horticulture
belges ou étrangères ou rame-
nées par le roi de ses voyages
n 15, place du Grand-Sablon,
1000 Bruxelles.
www.popupsablon.be/
 À voir
Les Floralies de Bruxelles
 visiter, du 1er avril au 4 mai
À plusieurs brochures
2023, avec ses parterres de
tulipes multicolores et ses
topiaires, dans le parc du
château du Grand-Bigard,
un joyau de la Renaissance
flamande dont les origines
fougères et hortensias opu-
lents, nous avançons jusqu’à
la serre de l’Embarcadère, où
arrivaient les invités lors des
réceptions. Elle a été édifiée
de 1886 à 1888, comme la serre
du Congo voisine.
Ce bâtiment carré, surmonté
d’une grande coupole octo-
gonale et de quatre petites
coupoles carrées, est des-
tiné, à l’origine, à acclimater
remontent au XIIe siècle.
n Château du Grand-Bigard,
5, Isidoor Van Beverenstraat,
1702 Groot-Bijgaarden.
www.floralia-brussels.be/fr/
VisitFlanders p ropose
thématiques téléchargeables
(www.visitflanders.com/fr),
pour des séjours de
vacances ou des week-ends
pour tous budgets, en Flandre
et à Bruxelles.V. D.
les végétaux rapportés de cet
État, propriété personnelle de
Léopold II de 1885 à 1908. En
suivant son allée principale,
nous entrons dans la serre
annexe des Palmiers débou-
chant dans le jardin d’hiver
où s’épanouit une collection
de palmiers, plantes et fleurs
exotiques, point d’orgue de la
promenade.
Cette serre est la toute pre-
mière de la cité de verre
construite en 1876 par Balat.
Dotée d’une spectaculaire
rotonde, elle est constituée
d’une couronne de verre de
près de 25 mètres de hauteur
et de 57 mètres de diamètre,
surmontée d’un lanternon lui-
même coiffé d’une couronne
royale, et d’une ossature en
Philippe Clement/Belpress/Andia
acier de 36 arcs reposant sur
des colonnes doriques en
pierre, disposées en cercle,
qui garantissent la solidité de
l’ensemble. Une performance
technologique et architectu-
rale qui aura, comme tout le
complexe des serres royales,
une grande influence sur l’ar-
chitecture belge et en particu-
lier bruxelloise, à travers l’Art
nouveau. Un style moderne
rompant avec l’ordonnance-
ment classique et privilégiant
le passage de la lumière, qui
sera porté par l’architecte et
décorateur Victor Horta, un
élève de Balat. De Bruxelles,
promue au rang de capitale
sous le règne de Léopold II, ce
mouvement se diffusera dans
toute l’Europe. u

93 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Gastronomie
Incontournable jusqu’à l’arrivée de la « nouvelle cuisine », ce corps gras des
jours maigres s’est s’imposé pour des raisons religieuses puis gustatives.
A
ujourd’hui, les
matières grasses
animales, à
l’exemple du
saindoux et du beurre, n’ont
généralement pas bonne
réputation. À la différence
des huiles végétales, que
l’on dit meilleures pour la
santé. Pour autant, il n’en
a pas toujours été ainsi, car
le beurre a longtemps été la
graisse de prédilection de la
cuisine. Dans les recueils de
recettes aristocratiques de la
fin du Moyen Âge, la graisse
de porc prédomine ; le beurre
étant perçu comme une den-
rée du pauvre.
À cette époque, le quotidien
des chrétiens est rythmé par
les jours maigres, interdits à la
consommation de viande ainsi
que des matières grasses ani-
L’arrivée de la « nouvelle
cuisine » dans les années
1970-1980 change le
statut du beurre. Dans une
société où l’on prône la
diététique et le culte du
corps, le beurre devient
l’ennemi à abattre. En
1976, Michel Guérard
publie La Grande Cuisine
minceur et, en 1981,
André Guillot sort La
Vraie Cuisine légère. Pour
94 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
ET DIEU CRÉA LE BEURRE
PAR PATRICK RAMBOURG - ILLUSTRATION ANTOINE DUSAULT
L’ENNEMI À ABATTRE
ce dernier, les corps gras
sont nuisibles : « On a trop
longtemps identifié la
bonne cuisine aux matières
grasses qu’elle utilisait.
Et pourtant, le gras est
l’ennemi de la santé »,
écrit-il. Pour lui, une sole
cuite « sur des algues, sur
des pierres chauffées ou
un barbecue, ou bien à
la vapeur d’un bouillon
parfumé d’aromates et
Guérard divise la quantité
de beurre qui entre dans
sa confection par deux
boucherie-maison-ginisty.fr
pour obtenir une sauce
plus légère. Il emploie des
fromages blancs et des
yaourts à 0 % de matière
grasse, de la crème fraîche
d’herbes » a autant de à 20 %, voire de la purée
saveur qu’une sole au de légumes. Et cette
beurre noisette. Le roux qui recherche de légèreté
sert à lier les sauces est se fait au détriment du
de plus en plus contesté. beurre. P.R.
males, et les jours gras, où l’on
peut en manger. Mais l’Église
finit par autoriser l’utilisation
du beurre en période maigre,
notamment dans les régions
« beurrières », où l’huile est
rare et chère. Cette dispense
religieuse, qui s’adresse avant
tout aux plus modestes, va
jouer un rôle important dans
l’évolution du beurre en cui-
sine, puisqu’il est désormais
possible de l’employer tous les
jours. On le constate dans les
recettes « maigres » du Vian-
dier de 1486, où le beurre est
souvent proposé en rempla-
cement d’une autre matière
grasse et considéré comme
l’équivalent de l’huile.
La progression du beurre est
rapide dans les recueils de
recettes : il est le corps gras le
plus utilisé dans le Livre fort
excellent de cuysine (1555).
Le bon goût du beurre devient
alors recherché. Celui de
Vanves, en région parisienne,
est apprécié pour son parfum
et sa saveur. Pour le médecin
de François Ier, Jean Bruyé-
rin-Champier, celui des mon-
tagnes du Lyonnais est « très
savoureux et toujours d’une
belle couleur ». La Bretagne
et la Normandie sont déjà de
grandes productrices de ce
produit. L’agronome Olivier
de Serres conseille, dans
 son Théâtre d’agriculture et
mesnage des champs (1600),
le beurre « du mois de mai à
tout autre, pour sa couleur
dorée et [sa] grande délica-
tesse ». Cette progression du
beurre traduit une mutation
du goût qui tend vers plus
de douceur par rapport à la
cuisine épicée et acide de la
période médiévale.
Dans Le Cuisinier de Pierre
de Lune (1656), il est princi-
palement employé dans les
préparations de légumes et
de poissons, ce qui n’a rien
d’étonnant puisqu’il a d’abord
été perçu comme un corps
gras des jours maigres. Il entre
aussi dans la confection de
nombre de pâtisseries.
Blanc ou roux
Surtout, il s’affirme dans les
sauces, plus particulièrement
dans les sauces au beurre qui
accompagnent le poisson,
comme la « sauce blanche »,
la « sauce rousse », qui est plu-
tôt un beurre fondu roux dans
lequel on incorpore notam-
ment du persil haché et des
câpres, ou encore le beurre
blanc, dont le principe appa-
raît à cette époque. On prendra
aussi l’habitude de terminer les
sauces avec un petit morceau
de beurre manié (mélange
de farine et de beurre). Si on
assiste aussi à une progression
du lard, principalement dans
l’apprêtement des viandes,
le beurre n’en continue pas
moins son ascension, devenant
l’incontournable corps gras de
la grande cuisine française
du XIXe siècle. Son usage est
quasi général dans les plats.
Le morceau de beurre frais
que l’on ajoute à la fin d’une
préparation est la norme.
Sa présence sur la table des
convives le rend encore plus
visible. Les beurres composés
(beurre maître d’hôtel, beurres
de homard, de caviar, de
moutarde, etc.), que l’on peut
ajouter dans les légumes, les
potages ou les sauces, fixent
« d’une façon définitive la
saveur propre et particulière
de ces préparations », écrit
le grand Escoffier. Il ajoute
aussi que le beurre est un
absorbeur de « particules
savoriques et aromatiques »,
qu’il diffuse en fondant dans
le mets auquel il a été incor-
poré. Et jusqu’aux dernières
décennies du XXe siècle, le
beurre demeurera la référence
en cuisine. u

"HALLUCINANT,
FASCINANT, INOUBLIABLE"
L’OBS

"LE CINÉMA RUSSE

DANS CE QU’IL A DE MEILLEUR"
LE FIGARO MAGAZINE

"UNE CHASSE
À L’HOMME HALETANTE"
THE GUARDIAN

UN FILM DE
NATALIA MERKOULOVA ET ALEXEÏ TCHOUPOV
AVEC
YURIY BORISOV
RÉVÉLÉ DANS COMPARTIMENT N°6

AU CINÉMA LE 29 MARS 95 - Historia n° 916 / Avril 2023

 Mots croisés PAR PASCAL WION
en partenariat avec www.cruciverbiste.club

HORIZONTALEMENT : A. Personnage en illus- 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

tration. Héros grec qui a inspiré Joachim Du
Bellay. Il fut l’un des principaux acteurs de la A n n
révolution mexicaine de 1910. – B.Dumas
père ou fils. Vallée des Pyrénées. Il réalisa
B n n
près de Paris la première photographie aé-
C n n n
rienne en 1858, à 80 mètres d’altitude. – D n
C. Nom donné à la troisième période de l’ère
primaire. Théoricien socialiste allemand
E n n n n
(1820-1895). Académie des Beaux-Arts. ­– D. F n
Météorologue français qui découvrit l’exis-
tence de la stratosphère en 1902 (en trois
G n n n n
mots). Enfant de Virginie. ­– E.Les archives
H n n n
du PAF. On peut le lire sur un parchemin. I n
Paulo en Amérique. Elle prit fin à la majorité
de Louis XV.­– F.Spécialité des troupes japo-
J n n
naises. Ancienne monnaie du Pérou. Mélange K n n
n n n n

Look and Learn/Bridgeman Images

de bitumes.­– G.Peintre français qui a repré-
senté Bonaparte au pont d’Arcole. Dans la
Marne ou au bord du Tarn. Héritage du passé.
­– H. Paisible dans l’œuvre de Cholokhov.
Dieu grec du Soleil. ­– I.Virgile, Properce et
Horace lui doivent beaucoup. Telles cer-
taines Églises orientales. ­– J.Au bord de
l’océan Atlantique ou de la mer Noire. Néga-
tion. Coupe de France. ­– K.Son Roman est
une compilation de récits animaliers médié-
vaux. Historien romain à qui l’on doit une Vie
d’Agricola. Roi de Lydie qui fut vaincu par
Cyrus le Grand. ­– L.Personnage de Spiel-
berg. Déesse grecque de la Mer. Travaillais
avec des bottes. Accord de Madrid.­– M.Ville
du Calvados. Ville de Russie qui fut la pre-
mière cité slave implantée sur la Volga. Pays
SUDOKU
Le 26 juin de cette année-là, Antoine de Ville
effectue la première ascension du
Mont Aiguille, dent du massif du Vercors qui
s’élève à une altitude de 2087 mètres,
un exploit considéré comme l’acte de
naissance de l’alpinisme ».
3 4 5 porte son nom. Photographe français adepte
8 9 6 4
9 7 5 1 6 Noire près d’Odessa. Gangster américain qui
L
M n
N n n n n
O n
de Caroline. ­– N.Grande école. Saint nor-
mand. A cours en Afrique. Napoléon Bo-
naparte y signa un traité de paix avec l’Au-
triche le 17 avril 1797. ­– O.Personnage de
Molière. Épouse d’Athamas. Nom donné par
les Anciens à la terre la plus septentrionale
du monde connu.
VERTICALEMENT : 1.Bataille où ce person-
nage a été vaincu et tué. Elles se manifestent
souvent par des manifestations.­– 2. Elle fut
reine de France, puis reine d’Angleterre. Est
souvent organisé pendant une campagne
électorale. – 3.Fit la jonction. Théâtre pari-
sien. Il s’est substitué au RMI le 1er juin 2009.
– 4.Alexandre le Grand traversa ce fleuve
pour se rendre en Sogdiane. Orateur athénien
qui ne cessa d’appeler les Grecs à l’union
pour lutter contre les Perses.– 5.Physicien
danois qui découvrit l’effet acoustique qui
du calotype (1820-1880). Chauffeur de Cléo-
pâtre. – 6.Fleuve qui se jette dans la mer
n n
n
groupie du pianiste ! Déjanire en fut jalouse.
– 12.Abbé de Saint-Denis. Gendre de Maho-
met.– 13.Divinité grecque personnifiant les
ténèbres. Commune du Morbihan où l’on
peut visiter la forteresse de Largoët. – 14.
Bien dit. Était là pour Attila. Sujet de polé-
mique. – 15.Le massacre de plus de 8 000
Bosniaques y fut perpétré en juillet 1995 du-
rant la guerre de Bosnie-Herzégovine. – 16.
Tranche d’âge. De quoi faire sauter la banque !
Étape de la Longue Marche. Ethnologue fran-
çais qui a créé le musée de l’Homme en 1937.
– 17.Dieu grec des bergers. Ennemis d’Ho-
race. Poussé par surprise.– 18. C omblés de
louanges. Bien enlevés. Un père pour Alfred
Jarry.– 19.Tantale. Calliope ou Clio. Ville de
Corrèze où l’on peut admirer l’hôtel Ven-
tadour. – 20.Déesse grecque. Satrapie de
l’empire perse dont Suse était la capitale. u
SOLUTION DU No 915
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

5 3 1 6 fut l’un des principaux hommes de main d’Al

A A U G U S T E B L A N Q U I n L A T I N
B R D A n E U n R E N O U n O K I N A W A

4 1 3 9 Capone. – 7.Nom de guerre. Institut de C M I R A B E A U n J n A U S O N E n A D

D A N I n A Z I N C O U R T n L E n I N A
France. Astrophysicien américain qui a in-
2 7 6 5
E N E G U S n N E n U N T E R W A L D n R

venté le spectrohéliographe en 1891.– 8.Il F D n L n T C n H E L I E E n

O Z nA F A R
2 6 9 7 4
G B R I G I D E
faut passer par elles pour s’exprimer en bon H A N A H E I M D I E n I N O
Français. Région des Alpes partagée entre I R E N A N n P E n T E X E L
4 2 1 3 l’Autriche et l’Italie.– 9.Longe le canal. Pas-
J B n O N n P E S E I Nn S A
K E Y n A G A D I R n C A P n N E S S n N

3 5 8 9 sage de la Berezina. Crache sur des Japonais. L S P A n U N O n O S I R I S n M O N O D

M n R U D E n C O S E T T E n A B R I S n
– 10.Maître d’ouvrage italien. Écrivain fran- N F E D E R A L I S T En C N I L n F E R
SOLUTION DU N° 915 : 1783 çais à mystères.– 11.Muse de Musset ou la O I S E R E n E L I EnO K An E N F E U

96 - H
 istoria n° 916 / Avril 2023
Des destins individuels qui font l’histoire de la Résistance.
Une série événement de Patrick Rotman
Diffusion sur ARTE mardi 25 avril à 20h50
et sur ARTE.TV dès le 18 avril

Un livre
SEUIL
© Gaël Baillau et Éric Deleporte
La chronique DE GUILLAUME MALAURIE

DR
SACRÉ CHARLES III !

L
e couronnement de Charles III, le 6 mai, c’est sceptre, tenu de la main gauche, surmonté d’une colombe
mieux qu’un film de cape et d’épée. L’héritier du (le Saint-Esprit) ; le second est assorti d’une croix et tenu
trône d’Angleterre est, en effet, le seul souve- de la main droite. N’oubliez pas le globe terrestre inauguré
rain européen qui ait encore le privilège d’être par le roi viking Knut (1016-1035) et les trois épées : une
« sacré ». Et donc de pouvoir porter une couronne pour la justice temporelle, l’autre pour la spirituelle et la
et, mieux encore, d’être intronisé chef d’une Église dernière pour l’État. Passons enfin sur l’anneau, qui scelle
dès son avènement. Une tradition composite, verrouillée l’alliance avec le Très-Haut. Ce que beaucoup ignoraient,
par Guillaume le Conquérant (1066), puis par Jean sans c’est que nos amis d’outre-Manche ont copié les rois de
Terre (1199) pour le principe héréditaire, et par Henri VIII France en adoptant le rite de l’onction au saint chrême.
(1509) pour le magistère spirituel de « Gouverneur suprême Une recette anglaise… à l’huile issue d’un mélange d’oli-
de l’Église d’Angleterre ». Ailleurs, les autres monarchies ves cultivées au mont des Oliviers, à Jérusalem, au pied
parlementaires ont peu à peu laissé tomber la royale quin- des monastères de Marie-Madeleine et de l’Ascension. Le
caillerie. Le dernier roi couronné en Norvège fut Haakon VII pressage à froid a eu lieu à Bethléem, indique Buckingham,
en 1906, mais Harald V (1991) a remisé le couvre-chef au suivi par un assaisonnement aux aromates : sésame, rose,
musée. Pour la monarchie danoise, le couronnement est jasmin, cannelle et fleur d’oranger. Dernière touche : la béné-
aboli dès 1840. Idem pour la couronne espagnole, diction de l’huile par le patriarche grec orthodoxe
exposée telle une pieuse antiquité dans la salle Theophilos III et l’archevêque anglican de Jérusalem,
du trône au palais royal de Madrid. Pour tous ces Hosam Naoum. Franchement, ça en jette.
pays, il ne s’agit plus de « sacrer » le roi ou la reine Mais rappelons tout de même que, selon la tradition
mais de les « proclamer ». Comme on le fait d’un des rois de France, un chouia légendaire certes, le
Retrouvez
président ou d’un chef de gouvernement. la chronique saint chrême est associé depuis Clovis à l’huile de
Charles III d’Angleterre est donc bien le dernier podcast la sacro-sainte Ampoule, apportée du ciel par une
de Guillaume
des rois à garder toute la panoplie sacramentelle, colombe à l’évêque Remi de Reims pour baptiser
Malaurie
appelée regalia. À commencer par la couronne en vous abon- Clovis. Sauf le respect de Sa Majesté Charles III,
inaugurée par Édouard le Confesseur (1045) puis nant à la news- ç’est tout de même plus classe d’avoir en direct le
letter gratuite
utilisée par Guillaume, son successeur, à son propre Saint-Esprit que de rajouter des épices à la louche…
d’Historia.
couronnement (1066). Continuons : un premier Mais God Save the King quand même ! u

Le mois prochain, dans votre numéro

Dossier : L A RUSSIE CONTRE LE RESTE DU MONDE :

LA GUERRE DE CRIMÉE, 1853-1856
Récits :  ADAME CENT KILOS, OU LES SOMBRES DESSOUS DE LA BELLE ÉPOQUE ;
M
CABRERA, L’ENFER DES SOLDATS DE NAPOLÉON ;
LA MYSTÉRIEUSE SARAH WINCHESTER
Et notre guide expos, livres, écrans et voyage.
En kiosque à partir du 20 avril 2023
 IS LEONETTI
IE : LES LO
FIN DE V
gendarme
& sécurité,
toute une
histoire !
du 16 mars
au 18 juin
2023