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Chapitre

1 : Politque, religion et société dans l’empire romain tardif.



Je donne ici quelques éléments pour comprendre ce qu’est le Bas-Empire romain, cadre de
l’installation des Barbares en Occident, en insistant sur les aspects sociaux et religieux.

Introduction : Rome, petite cité du Latium née au début du premier millénaire av. JC, s’est
étendue aux dimensions de l’Italie, puis d’un Empire de la Bretagne (actuelle Angleterre),
à l’Afrique du Nord en passant par la Gaule et la péninsule ibérique, aux Balkans, à l’Asie
jusqu’au-delà de l’Euphrate, à la Syrie-Palestine et à l’Égypte ;
• on parle de Haut Empire aux deux premiers siècles de notre ère et d’Empire romain
tardif à partir de la fin du IIIe siècle, ce dernier constituant une transition sur laquelle
nous reviendrons ;
• je vais vous présenter brièvement aujourd’hui le pouvoir et les pouvoirs dans l’Empire
romain tardif, moule constitutif de ce que seront tant l’Occident que l’Orient chrétiens.

I/ La concentration des pouvoirs
1/ l’Empereur tout puissant, un personnage sacré
• dès Jules César, assassiné en 44 av. JC, tous les pouvoirs sont concentrés en une seule
main ; le Sénat perd progressivement son rôle politique, sauf au moment des crises de
succession ;
• César avait désigné son fils adoptif, Octave (le futur Auguste), comme héritier ; un
système dynastique par adoption du successeur (choix du meilleur) va permettre à trois
dynasties de se succéder jusqu’au début du IIIe siècle ;
• toutefois, les procédures de désignation maintiennent la fiction d’une élection par
le peuple et le Sénat, et aussi l’armée : l’Empereur reste le détenteur provisoire d’une
magistrature viagère ;
• parmi les nombreuses charges que cumule l’Empereur, celle de pontifex maximus, le
chef du culte dans la religion romaine ;
• l’Empereur devient ainsi un personnage sacré ; dans une religion polythéiste, il est
même souvent considéré comme un dieu.

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2/ Le gouvernement de l’Empire
• l’Empereur concentre tout les pouvoirs dans ses mains ;
• il détient à la fois le commandement suprême (imperium) et le pouvoir civil
(potestas) ;
• il constitue auprès de lui (qui siège au mont Palatin, d’où le Palais) de véritables
bureaux dont les membres dépendent entièrement de lui et qui gèrent aussi bien la
justice que la correspondance impériale qui véhicule les ordres ou encore les finances ;
• la loi prend la forme d’édits, constitutions ou rescrits qui expriment la volonté du
prince : voilà comment s’exprime l’un des grands juristes du IIIe siècle, Ulpien : « Ce qui a
plu au prince a force de loi, car, par la lex regia qui a été votée concernant son imperium,
le peuple a conféré à lui et en lui tout son imperium et sa potestas » ;
• l’impôt levé dans les provinces permet à l’Empereur de rémunérer les fonctionnaires
qui lui obéissent du seul fait qu’il est l’Empereur.

3/ Les contre-pouvoirs
• le Sénat, même affaibli, continue à jouer un rôle ;
• l’armée, qui profite des crises de fin de dynastie pour promouvoir ses candidats ;
• les fonctionnaires locaux, de tous niveaux, notamment les gouverneurs des
provinces ;
• les cités : le monde romain antique est le monde des cités :
• jouissent d’une certaine indépendance, régie par leur sénat local ou curie, chargée
d’entretenir les bâtiments publics et de percevoir l’impôt pour le compte de l’État ;
nombreuses en Orient et dans les parties méridionales de l’Occident.

II/ Les transformations du IIIe siècle
1/ La pression aux frontières
• en Orient s’installent vers 220 les Perses Sassanides : visent à reconquérir la Haute
Mésopotamie, annexée récemment par l’Empire à tension constante sur l’Euphrate ;
• sur la frontière du Danube, poussée des Goths à partir de 238 ;
• sur la frontière du Rhin et du Haut Danube, pression des Germains : Alamans et Francs
au Nord, Vandales au Sud ;

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• pour se défendre, l’Empire incorpore dans ses troupes un nombre sans cesse croissant
de Germains et de Goths, installés ainsi sur le territoire impérial ; la défense coûte cher.

2/ Crise politique, économique et morale
• les soldats deviennent maître du jeu politique, ce qui entraîne une très forte instabilité,
d’autant que plusieurs empereurs meurent sur le champ de bataille ;
• ces règnes très courts ne permettent pas une politique suivie et déclenchent des
mouvements séparatistes, tant en Gaule qu’en Orient ;
• les villes s’entourent de murailles tandis qu’une partie des campagnes d’Occident et des
Balkans se dépeuplent ;
• profonde crise financière, avec la dévaluation catastrophique de la monnaie d’or et
d’argent ;
• face à ces difficultés, une partie de la population, y compris dans les catégories aisées,
cherche un refuge dans des religions nouvelles, orientales, dotées de cultes à mystères,
parmi lesquelles le christianisme, encore très minoritaire ;
• la religion impériale, composante du pouvoir, est ainsi contesté et les membres de
ces religions nouvelles servent périodiquement de bouc émissaire à travers des
persécutions.

3/ Dioclétien : une tentative de réforme
• réforme fiscale : Dioclétien entend asseoir le montant de l’impôts sur la quantité et la
qualité de la terre et sur ses moyens d’exploitations (personnes, animaux) ; d’où un
gigantesque travail de cadastrage, qui occupe la quasi totalité du règne (284-305) ;
• réforme administrative : reprise en main des gouverneurs des provinces, qui
deviennent des fonctionnaires exclusivement civils ; regroupées en diocèses, sous
l’autorité des vicaires, étroitement soumis au préfet du prétoire, chef de
l’administration ;

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Carte extraite de P. Périn et L.-C. Feffer, Les Francs. À la conquête de la Gaule, Paris, 1987, p.
10-11.

• réforme politique : pour pallier les difficultés de succession et rapprocher le pouvoir des
administrés et des frontières, Dioclétien instaure la tétrarchie (de tétra en grec, quatre) :
• deux empereurs (Augustes), l’un à Milan (Maximien), l’autre à Nicomédie (lui-
même) ;
• sous leurs ordres, deux Césars, l’un à Trèves, l’autre à Thessalonique ;
• les Césars succéderont automatiquement aux Augustes et désigneront de nouveaux
Césars ; pour assurer le fonctionnement du système, Dioclétien et Maximien
démissionnent en 305 ;
• en théorie, pas un partage de l’Empire : les quatre souverains constituent un
collège ;
• entend resserrer les rangs autour des empereurs divinisés à déclenche en 303-304 la
dernière et la plus violente persécution contre les chrétiens et certaines autres religions
orientales.

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III/ Constantin : une transformation décisive
1/ Le rétablissement de l’unité politique
• le système tétrarchique ne fonctionne pas : les Césars veulent devenir Augustes ;
• Constantin personnifie cet échec : fils de Constance-Chlore, César d’Occident, mort
devant York en 306, il s’y fait acclamer César sans en référer aux Augustes, notamment
celui d’Orient, Galère, et commence une longue série de guerres victorieuses qui vont lui
permettre de rétablir à son profit exclusif l’unité de commandement de l’Empire ;
• deux dates décisives :
• le 26 octobre 312, au pont Milvius, juste au nord de Rome, il triomphe de Maxence,
qui tenait la ville : il est maître de l’Occident ;
• le 18 septembre 324, il triomphe de son collègue d’Orient, Licinius, successeur de
Galère, sur la rive asiatique du Bosphore : Constantin réunifie l’Empire et abolit la
tétrarchie ;
• deux mois plus tard, il décide d’édifier sur la rive européenne du Bosphore une
nouvelle capitale, qui portera son nom, Constantinople.

2/ Les principales réformes de Constantin
• d’abord l’édification de Constantinople, la Nouvelle Rome, qu’il inaugure en 330 ;
• il se rapproche des deux frontières les plus sensibles : le Danube face aux Goths et
l’Euphrate face aux Perses ;
• se rapproche également des provinces orientales, les plus prospères et donc les
plus fiscalement productives ;
• réforme économique : il crée le sou (solidus), pièce d’or d’une grande pureté, frappée à
72 par livre de 325 g. (4,5g), qui restera stable jusqu’au XIe siècle, relançant les
échanges ;
• réforme religieuse : en fait, c’est Galère qui, en 311, a autorisé le culte chrétien, mettant
fin aux persécutions, ce que Constantin aurait confirmé par le fameux édit de Milan
l’année suivante ;
• la légende veut que, au moment de la bataille du pont Milvius, Constantin ait eu une
vision de la croix avec pour légende « par ce signe, tu vaincras » ; Constantin ne sera
baptisé que sur son lit de mort, le 11 mai 337 ;

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• une décision politique : les chrétiens se recrutent alors dans l’aristocratie, et la
persécution est mal ressentie par celle-ci ; Constantin fait le pari d’appuyer son pouvoir
sur cette partie très minoritaire, mais visiblement fort active, de la population ; pari
réussi.

3/ Les limites de la remise en ordre
• la détermination politique ne peut contrecarrer les évolutions de fond ;
• les menaces extérieures persistent ;
• la cellule de base de la pyramide des pouvoirs, la cité est en effet déjà en crise ;
• dans les zones frappées par les invasions, les campagnes, qui font vivre les cités,
sont dévastées, ruinant les membres de l’aristocratie municipale, les curiales ;
• dans les zones épargnées, des potentats locaux, souvent des militaires, imposent
aux paysans un patronage, au détriment des propriétaires urbains qui sont les membres
de la curie des cités ;
• de plus, Constantinople, en plein développement, attire, par la proximité avec le
nouveau pouvoir, les plus huppés des membres des curies provinciales ;
• la diffusion rapide du christianisme en Orient, ravive les particularisme locaux :
• la liturgie se déroule en langue populaire, entraînant la renaissance de la
conscience syriaque (en Syrie et Palestine) et copte (en Égypte) : le vernis gréco-romain,
imposé depuis Alexandre au IVe siècle av. JC, craque de toutes parts.

Conclusion : le rétablissement opéré sous Dioclétien puis Constantin est impressionnant ;
• il ne peut toutefois renverser la tendance de fond qui va donner nous faire passer de
l’Antiquité tardive au Moyen Âge, ce que nous verrons pour l’Orient la prochaine fois.

II La société

A. La hiérarchie sociale

Au sommet de la hiérarchie sociale se trouve la classe sénatoriale ; elle comprend les
membres des anciennes familles sénatoriales romaines qui résident à Rome mais aussi des

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hommes nouveaux qui ont été inscrits par l’empereur et sont souvent des fonctionnaires et
des militaires. Constantin fit passer l’effectif du sénat de Rome de 600 à 2000 en y
incorporant les élites provinciales romaines. Les sénateurs n’ont plus guère de pouvoirs
mais ils ont des fortunes fabuleuses et d’immenses propriétés foncières dans tout l’empire.
Dans les provinces de l’empire, les décurions forment un corps héréditaire de magistrats
chargés d’administrer les cités (collecte des impôts, garde des magasins de l’annone…).
Choisis parmi les moyens propriétaires fonciers, ils sont responsables de leur gestion sur
leurs biens, ce qui fait qu’ils ont tendance à fuir ces responsabilités en s’installant sur leurs
domaines ruraux ou en entrant dans l’Église ou dans l’armée. Cette « fuite des
responsabilités » entraîna de graves problèmes d’argent dans les cités ; les empereurs
successifs tentèrent d’y remédier par des mesures coercitives qui ne semblent pas avoir été
très efficaces.
En dessous de ces deux catégories vient ce qu’on appelle la plèbe, c’est-à-dire les paysans,
artisans etc…
Les petits paysans « libres » sont surtout des colons qui travaillent sur des tenures
concédées par un grand propriétaire foncier ; leur condition est héréditaire : ni eux ni leurs
enfants ne peuvent quitter leur tenure ou en être chassés ; ils peuvent, en plus de leur
tenure posséder une propriété foncière personnelle ; les petits propriétaire indépendants
sont rares et leur nombre tend à diminuer à cause du poids de l’impôt qui les fait fuir vers
d’autres carrières (armée et Église encore…) ; il existe aussi des travailleurs journaliers,
libres qui forment une main d’œuvre saisonnière et turbulente, les inquilini, ce sont souvent
de petits propriétaires ruinés ou des colons en rupture de ban, qui peuvent se transformer
en bandes de pillards ou de révoltés, appelés bagaudes en Gaule, circoncellions en Afrique.
Dans l’artisanat, les travailleurs libres existent aussi et forment des « collèges », sortes de
corporations avec des assemblées, un chef, un culte commun et des droits d’entrée.
Mais dans le monde artisanal comme dans le monde rural, une grande partie de la main
d’œuvre consiste en esclaves. Dans les grands domaines ruraux, les esclaves ne travaillent
plus en équipes mais sont « casés » sur des tenures ; leur condition sociale tend donc à se
rapprocher de celle des colons mais si leur condition juridique reste différente (propriété
du maître, ils n’ont pas le droit de mariage et ne sont pas censés faire de service militaire) ;

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les artisans-esclaves sont essentiellement au service des cités ou des manufactures d’État
(arsenaux, ateliers monétaires, mines).

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B. L’Église

Rappelons que depuis 313, le culte chrétien est autorisé dans l’empire et que, depuis
391/92, il est devenu la religion d’État dans l’Empire romain alors que le culte païen
devient interdit. Bien que les chrétiens aient adopté les cadres administratifs de l’Empire,
l’avènement du christianisme bouleverse profondément la société « romaine » : la
christianisation, accélérée par la conversion de l’empereur et combinée avec le déclin de la
vie municipale, a profondément modifié les modes de vie, la répartition des pouvoirs et le
panorama des villes et des campagnes. Des évêques apparaissent progressivement à la tête
des communautés et ils sont très inégalement répartis suivant les régions : en Gaule on a un
évêque par civitas, en Afrique, un par bourgade, parfois même pour une grande
exploitation, c’est-à-dire, dans certains cas, tous les dix kilomètres. L’episcopus devient le
premier personnage de la cité, surtout quand il est choisi, comme souvent en Gaule, dans
l’aristocratie locale. Il rend la justice, et pas seulement en matière ecclésiastique, il participe
à l’administration municipale et doit parfois veiller à la fortification et à la défense de la cité.
La cathédrale (du nom du siège de l’évêque, cathedra), centre de la communauté (ecclesia),
constitue en réalité un ensemble, avec la demeure du clergé (domus ecclesiae), le baptistère
(le baptême est au début réservé à l’évêque), les bâtiments servant à l’accueil et à
l’assistance, éventuellement plusieurs églises.
Les autres édifices cultuels sont surtout répartis hors les murs dans les cimetières (églises
mémoriales ou funéraires) ou sont destinés aux monastères (qui regroupent
essentiellement des laïcs ayant choisi de vivre dans la prière et la chasteté sous la direction
d’un abbé), qui apparaissent en Occident à partir du IVe siècle.
En contrepartie, d’anciens bâtiments publics sont transformés ou abandonnés : les temples
bien sûr (ex : le Panthéon à Rome) , mais aussi les édifices de spectacle – en dehors des
cirques, longtemps en usage pour les courses de chars, et des amphithéâtres où, à défaut
des combats de gladiateurs interdits par l’Église, ont lieu les chasses aux animaux sauvages
(venationes) –, les grands thermes, qui souffrent de la rupture des aqueducs ou du manque
d’entretien, parfois même le forum après la disparition des assemblées populaires. Dans les
campagnes aussi peu à peu, les églises s’implantent dans les vici, les villages et les grandes
propriétés.

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À partir du IVe siècle surtout, se développe le culte des saints, en particulier des martyrs,
fondé sur la croyance dans le pouvoir d’intercession des saints dans l’au-delà. Des églises
(appelées souvent basilica) sont construites pour abriter leur tombeau et permettre la
vénération des fidèles. Ceux-ci souhaitent de plus en plus se faire inhumer à leur côté pour
bénéficier de leur intercession (inhumation ad sanctos), ce qui témoigne de relations
nouvelles entre les morts et les vivants qui ne sont désormais plus géographiquement
séparés (l’interdiction d’inhumer à l’intérieur de la ville disparaît ainsi peu à peu).

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Exemple de Genève (fouilles de Charles Bonnet) : voir le site http://www.site-
archeologique.ch/contenu.php?id-node=3

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N



Chaque cité romaine est donc en principe pourvue d’un évêque avec une primauté reconnue
à l’évêque du chef-lieu de province, le métropolitain. Successeur de saint Pierre, l’évêque de
Rome revendique la primauté sur tous les autres sièges pontificaux. L’Église devient très
riche à tel point que cela suscite l’inquiétude de l’empereur qui interdit aux clercs de
recevoir des legs de la part des femmes et aux riches de se faire prêtres. Le clergé se
distingue de plus en plus de l’ensemble de la société, non seulement par sa fonction, mais
aussi par le fait que les clercs ne peuvent être jugés que par le tribunal de l’évêque.
Se pose très vite, dès l’époque de l’empereur Théodose (379-395), le problème des relations
entre le domaine laïc et le domaine religieux : les empereurs sont amenés à intervenir pour
réprimer les hérésies, mais l’Église voudrait qu’ils n’interviennent pas dans les questions
théologiques. Rançon de son succès, l’Église doit faire face à de nombreux problèmes qui
touchent le dogme, en particulier autour de la nature du Christ et de la Trinité ; avec les
invasions Barbares, c’est surtout l’arianisme (qui affirme la primauté du Père dans la
Trinité, alors que le concile de Nicée de 325 avait réaffirmé l’égalité des trois personnes, le
Père, le Fils et le Saint-Esprit dans la Trinité) qui préoccupe l’Église car certains peuples

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« barbares » en particulier les Goths et les Burgondes ont été christianisés dès le IIIe siècle
sous l’influence de missionnaires ariens. Promulgué par Théodose II en décembre 438, le
code « théodosien » se veut un bilan de toutes les lois promulguées dans l’empire romain ;
comme tel il prend en compte des lois concernant l’Église, les clercs et les moines
promulguées depuis Constantin. La plupart sont regroupées dans le livre XVI. Beaucoup des
lois copiées dans ce code concernent les propriétés des églises et le statut des hommes
d’Église.

C. L’armée

L’armée des frontières (limites) du Haut-Empire ne suffisait plus dès lors que les Barbares
pénétraient jusqu’au cœur de l’Empire. Tout en gardant des garnisons aux frontières
(limitanei), on constitua une armée de campagne, appelée comitatus parce qu’elle faisait
partie de l’entourage de l’empereur qui pouvait la commander lui-même (mais elle était
aussi placée sous la responsabilité de magistri militum, maîtres de la milice). L’armement
fut adapté aux ennemis à combattre, principalement des cavaliers et des archers, parfois
lourdement cuirassés. On abandonna les grandes unités d’infanterie lourde pour
développer la cavalerie et multiplier des unités plus mobiles, qui gardent les noms
traditionnels (legiones, cohortes) ou devinrent simplement des « unités » (numeri). Les
fortifications des frontières, qui avaient été mises à mal par les invasions, furent
reconstruites et renforcées au IVe siècle et à nouveau par Justinien au VIe siècle. Cette
architecture militaire, d’un type nouveau à cause du progrès des techniques de siège et de
l’artillerie changea complètement le paysage dans certaines régions où les villes furent
pourvues pour la première fois d’enceintes : à Rome sous Aurélien dans les années 270, en
Gaule à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle, en Afrique au début du Ve siècle à
Carthage.
L’armée de la fin de l’empire romain n’est plus guère constituée de citoyens romains ; en
effet, si le service militaire est lié à la propriété foncière, la charge pèse sur des groupes de
propriétaires qui doivent fournir des recrues ; le plus souvent, l’État demande de l’argent
pour payer des mercenaires barbares. Parmi les soldats barbares, certains constituent des

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corps d’élite et peuvent arriver aux plus hauts grades ; leurs enfants sont retenus de force à
l’armée. Il existe trois catégories juridiques de soldats barbares :
- les dedicitii (déditices) : des vaincus, transportés de force à l’intérieur de l’empire ;
c’est ainsi que des Sarmates, des Suèves, etc., forment des colonies en Gaule et en Italie ; on
les appelle aussi des gentiles,
- Les laeti (lètes) : des prisonniers qui ont été transférés de Germanie en Gaule au Ve
siècle et sont encadrés par des préfets romains.
- les fédérés : ce sont des peuples qui ont passé des accords avec l’empire romain pour
sa défense, ainsi les Francs en Batavie, les Goths dans la vallée du Danube ; à partir de la fin
du IVe siècle, ils sont aussi employés à l’intérieur de l’empire où les contingents militaires
fédérés sont dirigés par leurs propres chefs.
Dans l’armée romaine, il y a donc de plus en plus de « Barbares », surtout des Germains,
mais aussi des Huns, des Alains… et de plus en plus de cavaliers.
L’Empire a très vite compris que ces Barbares pouvaient non seulement labourer la terre
pour lui, mais encore assurer sa défense contre les autres Barbares. En effet, les autorités
romaines ayant toujours plus de mal à assurer avec leurs propres forces la sécurité de
frontières considérablement dilatées, elles la confièrent de plus en plus volontiers aux
Barbares qui avaient de bonnes armes et étaient de bons guerriers. On connaît bien, en
effet, l’armement des Germains grâce à l’archéologie funéraire, puisque les guerriers
réputés « germaniques » étaient enterrés avec leurs armes (en nombre réduit pour les
simples hommes libres, très sophistiquées pour les élites sociales). Or il apparaît que leur
métallurgie était supérieure à celle des Romains : ils avaient des casques (inspirés du
modèle romain, mais décorés à leur manière), des boucliers de bois ronds renforcés en leur
centre d’un umbo de métal, des lances, des angons (courts javelots de métal, spécialité des
Francs), des haches de jet à un seul tranchant (de nouveau spécialité des Francs), de longs
coutelas appelés scramasaxes, mais surtout, apanage de tout guerrier, d’excellentes épées à
double tranchant rapporté par soudure sur une âme alliant souplesse et résistance.
Quant à leur talent militaire, il permit à nombre d’entre eux de gravir la hiérarchie du
commandement, au point d’accéder parfois aux plus hautes fonctions militaires voire
palatines. Dès le IVe siècle des chefs militaires romains portent des noms barbares et au Ve
siècle de grands généraux sont d’origine Barbare (Stilicon, Aetius, Ricimer) et reçoivent

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même le titre de patrice (Aetius, Ricimer) jusque-là parcimonieusement décerné par
l’empereur aux membres des vieilles familles sénatoriales romaines.
Bien avant les « Grandes Invasions » du Ve siècle, le monde romain est donc en contact avec
les Barbares.

Pour aller plus loin :
- Article : « Antiquité tardive » dans l’Encyclopedia Universalis (N. Duval), disponible sur
ENT.
- B. Lançon, Le monde romain tardif (IIIe-VIIe s. ap. J.-C.), Paris, A. Colin, 1992 (col. Cursus).
- P. Chuvin, Chronique des derniers païens : la disparition du paganisme dans l’Empire romain,
du règne de Constantin à celui de Justinien, 3e éd. revue et corrigée, Paris, 2009 (1ère éd.,
1990).

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Chapitre 2 : Les « Barbares » dans l’Empire, au Ve siècle.

L’objectif de ce chapitre est d’expliquer les conditions de l’arrivée des peuples germaniques
dans l’empire romain d’Occident, les modalités et la géographie de leur installation avant
même la chute « officielle » de l’empire romain d’Occident. La conséquence de ces « grandes
invasions » est l’établissement de nouveaux peuples (gentes) et de nouveaux royaumes
(regna) : les Francs et les Burgondes sur le territoire actuel de la France, les Wisigoths en
Espagne, les Anglo-saxons en Angleterre…
NB : Barbares : mot employé par les Romains pour désigner les peuples qui ne sont ni
grecs ni romains. Ils ne sont pas pour autant des inconnus pour eux : Tacite et Pline
l’Ancien, au premier siècle de n. è. font déjà des descriptions des populations germaniques.
En outre, on l’a vu précédemment, depuis le IVe siècle, de nombreux mercenaires barbares
sont employés dans l’armée romaine, soit dans des corps spécialisés, soit comme peuples
fédérés (ayant conclu un traité d’alliance avec Rome, un foedus). Ce mot sera employé
souvent, faute de mieux, mais sans connotation péjorative !

I. Le monde « Barbare »

A. Le monde celtique

La culture celtique qui avait, au temps de l’Âge du Fer, submergé une grande partie de
l’Europe, a été assez bien préservée jusqu’au Ve siècle de notre ère à l’Ouest et au Nord-
Ouest de l’Europe :
- en Irlande et en Écosse, qui n’avaient jamais été romanisées, et où la suprématie irlandaise
acquise au très haut Moyen Âge va imposer la langue gaélique ;
- dans des finistères comme la Galice, l’Armorique, la Cornouaille et le pays de Galles, où la
romanisation n’a pas réussi à oblitérer complètement les vieilles traditions, et où les
mouvements de peuples dans l’Atlantique et la mer d’Irlande aux Ve-VIe siècles ont pu les
ranimer ; ce fut le cas en particulier de l’Armorique, où nombre de Britanniques, fuyant plus
la pression des Scots d’Irlande que des Anglo-Saxons, importèrent le christianisme, de
nombreuses petites royautés, et surtout leur langue brittonique.

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- et même dans le reste de la Grande-Bretagne, où le départ massif des Romains au début du
Ve siècle a rendu à leur identité celtique des populations qui n’avaient été que
superficiellement romanisées, et où émergèrent de petites royautés tribales bientôt
occupées à la résistance contre toutes les menaces venues de l’extérieur : Scots venus
d’Irlande, Pictes venus d’Écosse et Anglo-Saxons venus du continent.
Le caractère commun des sociétés celtiques, qui se sont épanouies dans un milieu pas du
tout ou guère urbanisé et marqué par une économie à dominante pastorale, c’est la
prééminence du clan, qui regroupe dans un espace donné et âprement défendu des familles
se réclamant d’un ancêtre commun, et dont la genèse est chantée par les filids irlandais ou
les bardes gallois et bretons dans des poèmes généalogiques ou héroïques (comme le
Mabinogion, recueil gallois mis en ordre au XIe siècle, mais qui tire sa substance de récits
remontant aux Ve-VIe siècles). Les chefs de clan, dont les plus importants se voient attribuer
le titre royal (ri en gaélique), ont une autorité tout autant politique que (avec l’assistance
des druides) religieuse. D’où, à partir de la christianisation, l’association fréquente d’un lieu
de séjour royal et d’un évêché ou plus souvent d’un monastère, l’un et l’autre étant dirigés
de près par la famille dominante.
Depuis les IVe-Ve siècles, ces terres ont été christianisées - d’abord celles qui, comme le pays
de Galles, appartenaient à l’Empire romain, puis celles qui, comme l’Irlande, étaient en
contact avec celui-ci (la tradition, fortement nimbée de légende, a en particulier retenu le
rôle du britanno-romain Patricius - Patrick), en attendant que l’arrivée des Scots d’Irlande
en Écosse et des Britanniques en Armorique n’y développe l’influence d’un christianisme
très marqué par le monachisme. Les monastères dits « celtiques » prônaient une discipline
et une culture ascétique, ainsi que la nécessité de la « pérégrination » missionnaire, qui
allaient le jour venu fortement influencer le reste de l’Occident.

B. Le monde germanique

Dans ses caractères les plus généraux, la société germanique n’est pas très différente de la
société celtique. Il s’agit également d’une société rurale à dominante pastorale. Dans la
Germanie d’outre-Rhin, la progressive sédentarisation a abouti à la création de villages
bâtis en bois et en terre. Les lois des peuples germaniques (mises par écrit plus tard, entre

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le début du VIe et le début du IXe siècle, montrent aussi bien la force des communautés
rurales que l’attachement à la propriété individuelle et familiale (dans laquelle le bétail
tient une place essentielle).
Elles montrent aussi l’importance des liens familiaux, au sein d’une parenté large (Sippe)
plus que lignagère, dont tous les membres sont solidairement responsables des faits et
gestes de chacun. Qu’un membre du groupe ait été agressé, c’est toute la parenté qui se doit
de laver l’affront par la vengeance collective (véritable vendetta, en germanique Faida =
faide), ou qui se doit, puisqu’il existe un système de compensation pécuniaire, de participer
au paiement de la composition : celle-ci (Wergeld, le prix de l’homme), varie en fonction de
la gravité de l’agression, mais aussi du rang, de l’âge ou du sexe de la victime.
Chaque groupe familial inclut père, oncles, épouses de premier et de second rang,
concubines, enfants, neveux, nièces, esclaves ... Le sentiment de descendre d’un ancêtre
commun (en dépit d’un réel défaut de mémoire généalogique), et plus encore les réseaux
d’alliance, d’amitié ou de clientèle, expliquent l’agglutination de plusieurs groupes familiaux
autour d’un groupe plus puissant que les autres, et dominé par un chef qui appartient à
l’aristocratie du peuple. Les cimetières « germaniques » de la Gaule du Nord et de l’Est et de
la Germanie transrhénane, qui prennent depuis la fin du IIIe siècle la forme de
Reihengräberfeld(er) (cimetières extensifs à rangées de tombes), montrent bien cette
hiérarchie, où les tombes de chefs, qui scandent l’évolution topographique du cimetière,
attirent autour d’elles non seulement celles de leur propre famille, mais aussi celles des
familles satellites.
C’est l’ensemble des hommes libres en armes encadrés par leurs chefs qui portent à la
royauté du peuple l’un de ces chefs de groupe, suivant un principe électif que ne contredit
pas une certaine hérédité : car est porté à la royauté celui qui a le plus de capacité à
conduire le peuple à la victoire ; or ce don, qui implique la possession du Mund, la puissance
magique du chef, est volontiers considéré comme héréditaire. La royauté germanique est en
effet avant tout une royauté guerrière (Heerkönigtum, comme disent les historiens
allemands), et les rois n’exercent la plénitude de leur autorité qu’en période de campagne
militaire.
Mais comme les chefs de guerre ont besoin du secours des dieux, ce sont eux qui bien
souvent président aux liturgies sacrificielles offertes à Wodan (Scandinave Odin, dieu de la

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magie et de la victoire), à Donnar (Scandinave Thor, dieu du tonnerre), à Freyr et Freyja
(dieu et déesse de la fécondité), à Tyw (dieu de la guerre, plus tard détrôné par Wodan) ...
tout un panthéon qui en est venu à désigner, par décalque de la tradition romaine, d’abord
les planètes, puis par ricochet les jours de la semaine dans l’ancien calendrier germanique
ou dans les actuels calendriers anglais ou allemand (par exemple à jeudi et vendredi, jours
de Jupiter et de Vénus, font écho Thursday/Donnerstag ou Friday/Freitag, jours de Donnar
et de Freyja) : c’est que les Anglo-Saxons installés en (Grande-)Bretagne d’une part, et les
Saxons, Frisons, Alamans, Thuringiens, Bavarois et autres restés dans la Germanie
continentale d’autre part, étaient restés les uns et les autres païens.
Mais il y eut d’autres peuples germaniques, dont l’itinéraire migratoire fut généralement
moins linéaire, et qui, au contact de l’Empire romain d’Orient, ont adhéré au christianisme -
mais à une forme de christianisme bientôt considérée comme hérétique, à savoir
1’ « arianisme » professé au début du IVe siècle par le prêtre égyptien Arius, selon qui le
Christ n’était qu’une créature de Dieu le Père, n’était pas de même essence ou substance
que lui, et ne bénéficiait donc pas de son éternité - ce qui, au fond, jetait un doute sur sa
divinité. Ce fut surtout le cas des Goths, venus des bords de la Baltique et installés le long de
la basse vallée du Danube aux IIIe-IVe siècles, auxquels un des leurs, Ulfila, converti à
l’arianisme à l’occasion d’un séjour dans l’Empire et consacré évêque en 341, prêcha la
nouvelle doctrine.
Le concile de Nicée réuni par Constantin en 325 avait eu beau condamner vigoureusement
l’arianisme [proclamant que « Jésus-Christ, fils unique de Dieu, est né du Père avant tous les
siècles, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, engendré et non créé,
consubstantiel au Père »], les Goths, tout comme beaucoup d’Orientaux d’ailleurs, n’en
tinrent pas compte. Quand l’ensemble des élites du peuple se furent, dans la deuxième
moitié du IVe siècle, rallié à l’arianisme, celui-ci devint pour elles un marqueur culturel,
prenant presque la valeur d’une religion nationale. Il faut dire qu’Ulfila avait traduit le
Nouveau Testament du grec en langue gotique (c’est le premier monument littéraire de
toutes les langues germaniques), et que la liturgie, dont les gestes n’étaient pas
foncièrement différents de ceux du catholicisme orthodoxe, était elle aussi célébrée en
langue gotique.

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Au fur et à mesure de leur migration, celle d’abord des Wisigoths, puis celle des Ostrogoths,
hors puis à l’intérieur de l’Empire aux IVe et Ve siècles, leur arianisme se répandit dans
d’autres peuples, spécialement les Vandales, à un moindre degré les Suèves et les
Burgondes. Au point que quand l’arianisme eut été éradiqué de l’ensemble de l’Empire
romain, notamment en Occident, il était revendiqué haut et fort par des Barbares qui
étaient nouvellement installés ou en voie d’installation dans les contrées les plus
méridionales de l’Empire d’Occident. Cela allait poser de redoutables problèmes de
cohabitation avec les populations autochtones. En même temps, des tentatives seraient
faites par les Germains « ariens » pour convertir à l’arianisme les autres peuples barbares,
les Francs du nord de la Gaule en particulier

C. Les peuples orientaux.

-Les Huns : venant des steppes de l’Asie, ils créent vers 425/434 un véritable État en
Pannonie et deviennent alors un danger grave pour l’empire romain. Le roi est héréditaire
et est entouré d’une noblesse aulique enrichie par le butin et d’un cérémonial hérité des
rois iraniens. Rompue aux techniques des guerriers orientaux, leur cavalerie est nombreuse
et infatigable.
-Les Alains : d’origine iranienne, ils sont repoussés de la région de la mer Caspienne par les
Huns en 375. Des bandes alaines errent en Europe et en Afrique du Nord au IVe siècle, puis
se fondent dans les peuples germaniques, en particulier parmi les Burgondes et les
Vandales.

II. Les invasions du Ve siècle et l’installation des Barbares.

A. La « ruée barbare » ?

Le 31 décembre 406 : des « hordes » de Barbares franchissent le Rhin gelé à hauteur de
Mayence ; il s’agit de peuples germaniques, Vandales et Suèves, et aussi d’un peuple
d’origine iranienne, les Alains, tous sont poussés par les Huns sur leurs arrières. L’armée
romaine s’avère incapable de les arrêter car de nombreuses troupes ont enlevées de cette

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région pour faire face au danger gothique (cf. plus loin). De là ils gagnent Mayence et
Trèves, qui sont détruites, puis Reims en utilisant les voies romaines. Là ils se séparent en
deux groupes, l’un se dirige vers Amiens et Tournai, l’autre vers la Loire moyenne et
l’Aquitaine.
Mais ces groupes ne constituent qu’une première vague : ils sont suivis par les Burgondes
qui s’installent entre Worms et Spire et par les Alamans en Alsace actuelle.
Le gouvernement impérial n’agit pas car il est occupé par le danger gothique. La Gaule est
défendue par l’usurpateur Constantin III qui a été proclamé empereur par les troupes de
Bretagne ; il débarque à Boulogne au printemps 407, rallie à lui les soldats romains de la
Gaule et rejette les bandes germaniques en Aquitaine ; il fait la conquête de la Provence aux
dépens des troupes restées fidèles à l’empereur de Ravenne et s’installe à Arles. Il envoie
son fils Constant lutter en Espagne contre les Barbares qui s’y sont installés (Suèves et
Vandales), il fixe une solide ligne de défense sur les Alpes, relève les fortifications du Rhin,
confie la garde de la Germanie seconde (province de Cologne) aux Francs et traite avec les
Burgondes et les Alamans. En revanche, il perd le contrôle de la Bretagne (actuelle) car les
colons d’Armorique révoltés chassent les administrateurs romains. En 411, Constantin III
doit capituler devant les troupes de l’empereur Honorius II et est assassiné.
Mais ce n’est pas le seul danger pour la Gaule : les Wisigoths (Goths de l’Ouest), menés par
Alaric, peuple fédéré, mécontents des conditions de vie qui leur étaient faites dans la vallée
du Danube se sont avancés vers Rome, l’ont assiégée à deux reprises, en 407 et en 409 puis
prise et pillée en 410 ; évènement qui a une énorme répercussion psychologique... Ensuite,
ils font route vers le Sud de l’Italie puis, le successeur d’Alaric, Athaulf décide d’emmener
son peuple vers la riche Gaule, avec l’accord de l’empereur Honorius III, et emmenant en
otage la sœur de l’empereur, Galla Placidia.

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Carte extraite de P. Périn et L.-C. Feffer, Les Francs. À la conquête de la Gaule, Paris, 1987, p.
74-75.
En 413 les Wisigoths s’installent comme guerriers fédérés en Narbonnaise ; mais comme il
ne reçoit pas les vivres promis par l’empereur, Athaulf rompt le traité et s’empare des villes
de Narbonne, Toulouse et Bordeaux. C’est le début d’un royaume wisigothique centré
autour de Toulouse. Il continue néanmoins de se dire allié des Romains et épouse, en 414,
Galla Placidia ; Honorius refuse de le considérer comme son allié et le général Constance les
attaque, bloque les côtes du Languedoc par mer, force les Wisigoths à évacuer Bordeaux et
même à se replier en partie sur l’Espagne en 416. Entre temps, en 415, Athaulf a été
assassiné ; le nouveau roi Wallia rend Galla Placidia à son frère ; elle épouse Constance en
417. La même année est signé un traité qui établit les Wisigoths en Gaule du Sud-Ouest,
dans la province d’Aquitaine seconde, une partie de la Novempopulanie et de la
Narbonnaise première, selon le régime de l’hospitalité (administration romaine qui reste en
place et une partie des terres ou du revenu des terres donnés aux Wisigoths) dont les
modalités d’application pratique sont méconnues.

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Après la mort de l’empereur Honorius (423), le jeune Valentinien III (fils de Galla Placidia et
du général Constance) confie la défense de l’empire au patrice Aetius. Il lutte tout d’abord
contre les Wisigoths qui étendaient de plus en plus leur territoire en Narbonnaise et
menaçaient d’atteindre la Méditerranée ; le royaume de Toulouse est désormais circonscrit
à l’Aquitaine. En 428, il vainc les Francs qui s’étaient avancés jusqu’à Cambrai et rejette les
Francs rhénans sur la rive droite du Rhin ; grâce à l’aide de mercenaires huns (Aetius a vécu
comme otage chez les Huns), il bat les Burgondes qui tentaient de s’avancer vers l’Ouest et
les installe en Sapaudia, entre Grenoble et Genève, en 443, sous le régime de l’hospitalité. Il
traite aussi avec les Alains restés en Gaule et en établit un groupe près de Valence, l’autre
près d’Orléans ; il entend s’en servir comme d’une réserve de mercenaires pour lutter
contre les Bagaudes en Armorique ; mais l’Armorique reste pratiquement indépendante ;
quant à la Bretagne insulaire, elle est livrée à elle-même depuis 407 puis aux envahisseurs
germaniques (Angles, Jutes et Saxons).
En Espagne, Vandales et Suèves ont été repoussés vers le sud par les Wisigoths ; les
Vandales, dirigés par Genséric, débarquent en Afrique, pillent toute la côte et s’arrêtent
devant Carthage où l’armée romaine s’est repliée ; Genséric accepte un statut de fédéré puis
attaque et prend Carthage par surprise en 439 : l’empire perd son grenier à blé et la
maîtrise de la Méditerranée.

B. L’invasion hunnique de 451 : l’alliance entre Romains et peuples germaniques.

Jusque-là, les Huns étaient à la fois les alliés du patrice Aetius et ceux de l’empire d’Orient
qui leur payait tribut. Mais en 450, le nouvel empereur d’Orient, Marcien, refuse de payer ;
Attila se tourne alors contre l’Occident ; il prend la même route que les envahisseurs de
407, assiège et détruit Metz, Reims et Troyes, fait route vers Paris mais ne l’assiège pas,
grâce aux prières de sainte Geneviève ou plutôt parce qu’il voulait atteindre le pays des
Wisigoths, et met le siège devant Orléans.
Aetius réussit à réunir autour de lui les troupes barbares de Gaule, c’est-à-dire les peuples
fédérés des Alains, des Burgondes, des Wisigoths et des Francs, installés autour de Tournai.
Attila lève le siège d’Orléans et se replie vers l’est. La bataille décisive a lieu au Campus

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Mauriacus, près de Troyes. Le roi des Wisigoths Théodoric est tué, mais les Huns, vaincus,
regagnent la vallée du Rhin.
En 452, Attila attaque l’Italie prend Aquilée (dont la population se réfugie dans une des îles
du delta du Pô, qui donnera naissance à Venise), puis Milan, Pavie et marche sur Rome. C’est
le pape Léon le Grand qui négocie alors et obtient le départ des Huns ; Attila, chargé de
butin, repart vers l’Italie, il meurt peu après et son royaume disparaît. Pour la première fois
au Ve siècle, l’armée « romaine » a arrêté des Barbares, mais grâce à d’autres Barbares ; à
Rome, un parti sénatorial hostile à cette union fomente l’assassinat d’Aetius puis de
Valentinien III.

C. La fin de l’empire romain en Occident

En Italie, après l’assassinat de Valentinien III, le patrice Ricimer, un Suève, fait et défait les
empereurs, jusqu’en 472 : Avitus (beau-père de Sidoine Apollinaire), qui abdique, puis
Majorien, assassiné en 461, puis Sévère († 465) puis en 472, Olybrius. Après la mort de
Ricimer, en 472, des empereurs fantoches, jouets des princes barbares, se disputent le
trône ; l’un d’eux Oreste fait proclamer son fils Romulus empereur ; il est surnommé
Augustulus, le petit Auguste ; un des chefs Barbares, le Skyre Odoacre assassine Oreste et
exile Romulus et, en 476, fait renvoyer les insignes impériaux à Constantinople. Désormais,
il n’y aura plus d’empereur en Occident. L’empereur d’Orient reconnaît cet état de fait en
nommant Odoacre patrice ; celui-ci s’intitule « roi des Nations », respecte les institutions
romaines traditionnelles et consacre une partie de son activité à la défense de l’Italie.

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III. Tableau géopolitique de l’Occident à la fin du Ve siècle : la mosaïque romano-
barbare

A. La coopération de l’Empire avec les Barbares

Au Ve siècle, elle prit un tour systématique, avec la multiplication des traités de fédération,
par lesquels l’autorité romaine convenait avec les chefs barbares et l’ensemble de leur
peuple de leur confier la défense d’une contrée frontalière, ou la surveillance d’un secteur
entier de l’intérieur des terres, contre la concession de moyens de subsistance. Ceux-ci
pouvaient consister en terres, suivant le principe de l’hospitalitas (hospitalité) : de même
que les armées romaines pouvaient être hébergées sur des terres réquisitionnées, de même
les armées barbares purent être cantonnées comme hospites (hôtes) dans des propriétés
publiques ou privées : à lire l’article 54 de la Loi des Burgondes (mise par écrit vers 500), il
apparaît que 2/3 des terres et 1/3 des esclaves de la Sapaudia (Savoie, en l’occurrence tout
le bassin du Rhône moyen entre Genève et Lyon) leur ont été concédés. Mais, à la suite de
Walter Goffart, on considère aujourd’hui que, plus souvent que des terres, ce sont des parts
de revenus fiscaux qui ont été affectées aux Barbares, à charge pour eux d’aller les
percevoir chez les contribuables.
Ce qui revient à dire que, dans tous les cas, les Barbares ont été amenés à vivre sur le pays,
contraignant parfois les autochtones à une pénible cohabitation. De celle-ci, l’archéologie
nous a donné l’écho (avec des cabanes rustiques installées à l’ombre des anciennes villae).
Mais certains textes en portent aussi témoignage - ainsi une lettre de Sidoine Apollinaire,
qui, toujours à la fin du Ve siècle, se plaignait d’avoir à supporter dans ses terres lyonnaises
le voisinage des Burgondes, de « leurs hordes chevelues, de leurs chansons, de leurs
cheveux enduits de beurre rance, de l’odeur infecte d’ail et d’oignon renvoyée par leurs
préparations culinaires ».
Ainsi, la géographie de l’installation des Barbares dans l’Occident romain à la fin du Ve siècle
apparaît-elle de moins en moins comme le produit de mouvements d’invasions
incontrôlées, et de plus en plus comme le produit d’une distribution des cartes voulue, ou
en tout cas acceptée, quelquefois à son corps défendant, par l’autorité romaine elle-même.
Par exemple, on a de plus en plus conscience qu’aussi bien l’immigration bretonne en

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Armorique que la grande « invasion » des Germains anglo-saxons en (Grande-)Bretagne ont
été initiées par des mouvements de troupes opérés sous l’égide de Rome au titre de la
défense côtière.

B. La situation politique à la fin du Ve siècle

Il n’y a plus d’empereur en Occident ; l’administration centrale est devenue inopérante, des
provinces entières sont à la merci des seules autorités qui détiennent la force - les autorités
militaires, spécialement Barbares.

1. L’Afrique du Nord
C’est ici que s’était épanouie, autour de Carthage, la très riche civilisation romano-berbère
(un des greniers à blé de Rome, une brillante culture dont le dernier fleuron a été saint
Augustin, mort en 430). La région était maintenant sous domination vandale. Ce peuple
avait franchi le Rhin en 406, avait traversé la Gaule, s’était installé quelque temps en
Bétique, puis, sous la houlette du roi Genséric (428-477), passa les Colonnes d’Hercule, prit
Carthage et imposa à Rome la reconnaissance d’un avantageux foedus en 435, reconduit et
élargi en 442. Mais les Vandales n’en respectèrent jamais l’esprit, allant jusqu’à lancer des
raids sur les îles de la Méditerranée occidentale, et même sur Rome, mise à sac en 455.
Leurs chefs confisquèrent les terres et professèrent un arianisme intransigeant - autant de
facteurs qui contribuent à expliquer l’écroulement de la royauté vandale devant la
reconquête de l’Afrique du Nord par les « Romains » d’Orient de l’empereur Justinien en
533-534.

2. L’Aquitaine et la péninsule ibérique
Elles sont (à l’exception de l’extrême Ouest ibérique, occupé par les Suèves jusqu’à la
reconquête gothique de la fin du VIe siècle) sous l’autorité des Wisigoths. Après leur sac de
Rome en 410 et l’échec de leur embarquement pour l’Afrique, ils revinrent vers le Nord,
puis allèrent vers le bassin de la Garonne, où un foedus convenu en 418 leur permit de
s’installer entre Toulouse et Bordeaux, avec pour mission de réprimer tous les ferments
d’insécurité, notamment les bagaudes. Ce sont ces tâches de défense territoriale qui

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servirent de prétexte à leurs rois Euric (466-484) et Alaric II (484-507) pour s’imposer de
la Loire aux Colonnes d’Hercule, et du golfe de Gascogne jusqu’à la Provence, en installant
des garnisons dans l’immensité de leur ressort, en ralliant malgré leur arianisme une bonne
partie des élites locales, et en légiférant tout autant pour leur peuple (Code d’Euric), que
pour leurs sujets romains (Bréviaire d’Alaric, ce qui veut dire abrégé - en l’occurrence du
droit romain déjà compilé dans le Code Théodosien).

3. Le grand Sud-Est de la Gaule
Provence exclue, il est occupé désormais par les Burgondes. D’abord installés le long de la
rive droite du Rhin autour de Worms, ils avaient, à la suite des Vandales, franchi le fleuve en
406 et s’étaient installés en Sapaudia, soit entre Genève et Lyon. Le foedus de 443 y
reconnut leur autorité. Parés du titre de maîtres de la milice, leurs rois Gondioc (455-474)
et Gondebaud (Gundbald, 480-516) étendirent leur autorité du Dijonnais jusqu’au Diois. Si
une bonne partie de leurs élites étaient ariennes, le christianisme nicéen (= défini par le
concile de Nicée) orthodoxe s’insinua jusque dans la famille royale (Clotilde, épouse
chrétienne de Clovis, était une nièce directe de Gondebaud), et leur valut de bons rapports
avec les autorités épiscopales en place, notamment avec les titulaires du prestigieux siège
métropolitain de Vienne. Soutenu par une partie des élites autochtones, Gondebaud légiféra
aussi, autant pour son peuple que pour les Romains de son ressort.

4. L’Italie
Odoacre, instigateur du coup d’État de 476 (v. supra), prétendit gouverner l’Italie, où il
bénéficia de l’appui d’une partie des élites, notamment sénatoriales, et dont il assura
l’intégrité territoriale, en repoussant l’agression des Alamans au Nord, en imposant son
pouvoir jusqu’en Norique (Danube moyen) et en reprenant la Sicile aux Vandales. À ce
moment-là, le plus grand danger pour l’empire d’Orient est constitué par les Goths et leur
chef Théodoric qui pillent la Thrace en 486 et assiègent Constantinople. L’empereur Zénon
songe alors à s’en débarrasser en les envoyant en Italie. En 488, est conclu un traité aux
termes duquel « après la défaire d’Odoacre, pour récompenser Théodoric de ses efforts, ce
dernier règnerait (sur l’Italie) au nom de l’empereur en attendant l’arrivée de ce dernier ».
Odoacre et son armée sont mis en fuite dès août 489, Théodoric prend Vérone puis Milan

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mais échoue devant Ravenne ; aux termes d’un traité qui fait de lui et d’Odoacre des
associés, il entre dans Ravenne le 5 mars 493 et fait assassiner Odoacre à l’occasion d’un
banquet dix jours plus tard ; en mars 493, il est proclamé roi par l’armée des Goths et est
reconnu en 497 par l’empereur Anastase qui dit « lui confier le pouvoir et la responsabilité
de la royauté ».

5. Le long des frontières du haut Rhin et du haut Danube
On trouve ici les Alamans (vers l’Ouest, notamment en Alsace et dans le très haut bassin des
deux fleuves) et les Bavarois (à l’Est). Les uns comme les autres, à cheval sur l’ancien limes,
gardent un contact étroit avec la Germanie profonde, où se distinguent au Centre-Est les
Thuringiens, influencés par leurs relations avec les peuples des steppes installés en
Pannonie, et au Nord les Frisons et les Saxons, qui gardent de nombreux contacts avec ceux
d’entre eux qui ont émigré en (Grande)-Bretagne.

6. La (Grande)-Bretagne
Les peuples « anglo-saxons » (Angles et les Jutes venus du Sud- et du Nord-Jutland, et les
Saxons et les Frisons venus de la grande plaine maritime nord-européenne) ont entamé un
vaste mouvement d’infiltration, les premiers à partir des côtes orientales de l’île, les
seconds à partir de l’estuaire de la Tamise et des côtes méridionales. En l’absence de tout
reliquat d’autorité romaine depuis le début du Ve siècle, la seule résistance que rencontrent
ces païens procède des populations brittoniques christianisées. Une multitude de petites
chefferies, celtiques à l’Ouest et au Nord, anglo-saxonnes à l’Est et au Sud, commencent à se
distinguer, d’où émergeraient dans la deuxième moitié du VIe siècle, au prix de combats
farouches opposant non seulement les Celtes aux Anglo-Saxons, mais aussi les Anglo-Saxons
entre eux, des royaumes durables au nombre limité. La même chose peut être dite de
l’Irlande, où on dénombre aux Ve-VIe siècles plus d’une centaine de royaumes claniques dits
tuatha.

7. La moitié nord de la Gaule
II faut mettre à part l’Armorique en voie de devenir Bretagne, qui présente les mêmes
caractères géopolitiques que le monde celtique insulaire.

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Dans un vaste Bassin parisien, des confins armoricains aux Vosges et de la Somme à la
Loire, le pouvoir appartient aux chefs de la grande armée romaine de Gaule Aegidius (v.
454-464) puis son fils Syagrius (464-v. 486).
Le Nord et le Nord-Est, occupés par plusieurs peuples appartenant à la confédération des
peuples « francs » constituée à la fin du IIIe siècle, et parmi lesquelles se distinguent celle
des Francs rhénans, installés le long du Rhin moyen et progressant dans le bassin de
Cologne et dans la vallée de la Moselle, et celle des Francs de l’Escaut (longtemps appelés à
tort « Saliens »), installés nombreux dans la plaine de Flandre et progressant le long de
l’Escaut en direction du Bassin parisien. La plupart des contrées occupées par les Francs ont
été depuis longtemps abandonnées par l’appareil militaire romain, et seule la région de
Trèves, ancienne capitale impériale et préfecture du prétoire, constitue un môle de
résistance de la romanité. Sans qu’on en ait la preuve écrite, il semble que les Francs aient
conclu des foedera avec Rome : en tout cas, les sources montrent l’un de leurs chefs les plus
prestigieux, le roi Childéric, fils de Mérovée, combattre entre 460 et 480 aux côtés
d’Aegidius d’abord et de Syagrius ensuite, pour tenter d’enrayer la poussée wisigothique
vers le Nord, ou pour refouler une avancée saxonne sur la Loire.

Conclusion
À la fin du Ve siècle, l’Occident est encore tout entier marqué par la civilisation romaine. La
plupart de ces chefs barbares s’enorgueillissent de porter une titulature romaine et
reconnaissent toujours l’autorité impériale : « je parais roi parmi les miens - écrivit peu
après 500 le Burgonde Sigismond, fils de Gondebaud, à l’empereur Anastase -, mais je ne
suis que votre soldat ». Il est vrai que cette reconnaissance d’une lointaine souveraineté
n’était pas très contraignante pour ces chefs d’armée qui, sur place, avaient les mains
totalement libres - ou presque, tant il est vrai que, pour gouverner dans la durée non pas un
peuple, mais un territoire, il fallait que leur autorité fût reconnue non seulement par les
hommes de leur peuple, mais aussi par les sujets romains de leur ressort, souvent beaucoup
plus nombreux.

Pour aller plus loin :
Bozoky, Edina, Attila et les Huns ; Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2012.

29
Goffart, Walter A., Barbarian Tides : the Migration Age and the Later Roman Empire,
Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2006.

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