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La pensée politique dans l’Occident médiéval

Bibliographie

Ouvrages généraux

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Sources (ordre chronologique)


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Traduction : Béatrice Leroy, Éduquer le roi en Castille aux XIVe et XVe siècles. La
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Prosistas del siglo  XV, I. Ed. Marío Penna, Madrid: Atlas (BAE), 1959.
Le passage du monde antique aux réalités médiévales ne s’est pas fait d’une façon brutale et
parler de « l’effondrement de l’empire romain », comme on a pu le faire à une certaine
époque, est une grossière erreur. Dans le monde occidental en particulier, la nouvelle réalité
politique, marquée par l’installation de royaumes dits « barbares », germaniques dans leur
majorité, qui donneront naissance au concept de royauté territoriale tel qu’il s’imposera au
cours du moyen âge, se construit progressivement, à travers collaborations et conflits entre
des institutions (l’Église, l’Empire –double réalité, selon que l’on parle de l’empire byzantin
ou du Saint empire romain germanique, les pouvoirs locaux ou « nationaux »…), dont il faut
rendre compte pour saisir l’évolution de la pensée politique pendant les dix siècles
médiévaux.

Le pape et l’empereur (Empire byzantin)

Toute la littérature politique médiévale s’est construite autour de deux conceptions du pouvoir
et de sa possible hiérarchie : celle qui, héritée de l’antiquité romaine, place l’empereur au-
dessus de tous les autres dirigeants terrestres (dans cette conception, l’empereur participe du
divin et on lui rend un culte) et celle qui s’est progressivement construite autour de l’évêque
de Rome, devenu aux yeux des chrétiens occidentaux l’autorité absolue, sur le plan spirituel
mais aussi, pour beaucoup d’entre eux, sur le plan matériel également.

Avant le règne de Constantin, les chrétiens sont le plus souvent indifférents, voire hostiles, à
l’Empire, au nom de principes évangéliques tels que « Mon royaume n’est pas de ce monde ».
Quelques chrétiens, cependant, servent l’Empire, mais sans attachement particulier (« rendez
à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »). Tout change au IVe siècle, après la
reconnaissance du christianisme par Constantin et, plus encore, après que Théodose, par l’édit
de Thessalonique, eut imposé cette religion à l’ensemble des citoyens romains. Dorénavant,
les deux réalités, impériale et chrétienne, auront partie liée, sous l’autorité suprême de
l’Empereur (partagée avec les prélats en ce qui concerne les questions spirituelles), et, après la
disparition de l’empire romain d’Occident, c’est cette situation qui va évoluer vers
l’établissement de nouveaux pouvoirs politiques sur le territoire de la Romania.

La situation postérieure à 476 est très différente en Orient et en Occident, et l’évolution des
deux ensembles sera également très différente : en Orient, l’Empire se maintient sous la forme
de l’empire byzantin, et la conception antique de l’exercice du pouvoir évolue vers ce que
l’on a appelé le « césaro-papisme » (l’empereur, en tant qu’empereur, est aussi d’une certaine
façon le chef de l’Église1), une doctrine qui ne va guère évoluer après le VI e siècle et l’œuvre
juridique de Justinien, à la base du Corpus iuris civilis, qui sera transmis à l’Occident, sous
une forme rénovée, au XIIe siècle seulement. Le Corpus, qui comprend trois grandes parties,
regroupe des lois d’époque différente, certaines remontant à la fin de la République, d’autres à
l’époque du Principat, d’autres enfin étant d’origine byzantine. À l’origine, la langue du
1
Les relations entre l’empereur et les autorités ecclésiastiques sont complexes. Justinien reconnaît la
primauté du pape et du patriarche de Constantinople en matière de gouvernement de l’institution.
L’empereur n’est pas un prêtre, et l’onction n’est introduite dans le rituel d’intronisation qu’au XII e
siècle.
Corpus est le latin, mais sa diffusion au sein de l’empire byzantin se fait essentiellement dans
une version, dite basilica, royale, qui en est une traduction grecque.

Du côté de la papauté, dès le IVe siècle se fait jour une affirmation selon laquelle le pape
possède non seulement l’autorité spirituelle mais aussi une forme de pouvoir séculier. On
s’appuie pour cela sur l’apostrophe de Jésus à Pierre (« Tu es Pierre et sur cette pierre je
bâtirai mon Église […]. Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, tout ce que
délieras sur la terre sera délié dans les cieux »). Outre une interprétation de ces paroles qui ne
limite pas le pouvoir de Pierre à la sphère spirituelle, les papes établissent que l’apôtre a
transmis ce « mandat » à son successeur et que tous les souverains pontifes, héritiers de
Pierre, reçoivent de lui ce pouvoir. Le pape Gélase I er établit une séparation entre pouvoir
spirituel et pouvoir séculier et considére que chaque pouvoir a sa sphère propre et ne doit pas
empiéter sur l’autre. Cela dit, les papes successifs se reconnaissent sujets en droit de
l’empereur jusqu’au VIIe siècle, moment où la situation de fait (montée du pouvoir lombard)
met fin à ce lien de dépendance et oblige la papauté à revendiquer son autonomie.

La naissance des royautés occidentales (Ve-VIIIe siècle)

En Occident, la législation de l’époque romaine ne survit, avant le XII e siècle et l’œuvre de


restauration des juristes de Bologne, qu’à travers ce qu’en ont conservé des codes de lois
élaborés au sein des royaumes germaniques qui se sont progressivement établis sur le
territoire de l’ancien empire : la loi burgonde, notamment, et les codes wisigothiques rédigés
avant la disparition du royaume de Toulouse (code d’Euric, bréviaire d’Alaric) et après celle-
ci (Liber Iudicum, élaboré entre le règne de Léovigild et celui de Receswinthe). Avant le
couronnement de Charlemagne en 800, il n’y a plus d’autorité politique suprême en Occident
En revanche, l’évêque de Rome acquiert une autorité de plus en plus forte, du point de vue
spirituel mais aussi d’un point de vue plus politique. Même après 800, les partisans de la
papauté considèrent que l’autorité du pape l’emporte sur celle de l’empereur : après tout, c’est
bien Léon III qui a pris l’initiative de ressusciter l’Empire en la personne du roi des Francs,
assez mécontent de la dépendance ainsi établie.

Au VIIe siècle, l’action conquérante de l’Islam met à mal la relative unité du bassin
méditerranéen et distend les liens qui s’étaient maintenus (au moins théoriquement) entre les
rois barbares d’Occident et l’empereur byzantin dont ils affirmaient reconnaître l’autorité
(Clovis se définit encore volontiers comme consul romain). La rupture est plus forte encore
pour la péninsule Ibérique, où le pouvoir wisigoth disparaît en quelques semaines et où la
domination musulmane s’affirme directement. Pour la royauté wisigothique, il ne fait aucun
doute que Byzance et son empereur ont joué un rôle de modèle : le roi adopte la pourpre
impériale dès l’époque de Léovigild, il gouverne son royaume avec l’aide de conciles
nationaux qu’il se charge lui-même de convoquer, qu’il préside et dont il fait appliquer les
décisions que son intervention convertit en lois. Mais ce système prend fin avec le royaume,
après 711.
Une autre conception de la royauté a influencé les monarchies occidentales : celle qui se
dégage des textes bibliques et qui fait de Dieu la source de toute autorité. Cette vision est à
l’origine, dès le VIe siècle, de la formule qui sera utilisée pendant tout le moyen âge et au-delà
(pouvoir d’origine divine) dans tout l’Occident : « roi par la grâce de Dieu ». Les conceptions
bibliques en matière de légitimation divine du pouvoir sont aussi à l’origine de la pratique de
l’onction royale lors de l’intronisation : nous avons vu que cette pratique, en Orient, est
tardive ; en Occident, elle apparaît dès le VII e siècle chez les Wisigoths, de façon ponctuelle
(Wamba), et sera reprise par les Carolingiens au IXe siècle, puis par leurs successeurs
capétiens et par beaucoup d’autres (Guillaume le Conquérant, lorsqu’il est couronné roi
d’Angleterre, reçoit cette onction). En Castille, on n’en trouve trace que dans le récit du
couronnement d’Alphonse XI, en 1332, ce qui ne manque pas de susciter des questions sur
l’image du souverain dans ce royaume.

Dans deux royaumes européens, l’image d’un roi sacré et oint donne naissance à celle d’un
roi thaumaturge. Ces deux royaumes sont d’abord la France, où dès le X e-XIe siècle, le roi
(Robert le Pieux puis son petit-fils Philippe Ier), après avoir été oint, est supposé avoir le
pouvoir de guérir les écrouelles ou scrofules (adénite tuberculeuse), et, comme on pouvait le
supposer, l’Angleterre, où les rois s’empressent de revendiquer le même pouvoir au XII e
siècle (Henri Ier Beauclerc)2. Cette croyance n’existe pas dans la Péninsule, surtout pas en
Castille, dont l’un des souverains les plus attachés à l’idée d’autorité royale, Alphonse X,
n’hésite pas à se gausser de cette croyance dans l’une de ses cantigas à la Vierge (à une
femme qui le suppliait de guérir sa fille d’une tumeur à la gorge, le roi répond : “Ca [si ?]
dizedes que vertude ei, dizedes neicidade”).

Il ne faut pas croire, cependant, que l’onction transforme celui qui la reçoit en prêtre, car cette
onction n’est pas copiée de l’onction épiscopale (qui pourrait justifier cette transformation)
mais de l’onction du baptême. Le roi n’acquiert aucune capacité sacramentelle ; s’il est prêtre,
c’est dans l’ordre de la juridiction (autorité sur l’Église en tant qu’institution), comme on le
voit chez les Wisigoths ; c’est un prêtre de l’ordre de Melchisédech, ce personnage
mystérieux de la Genèse qui était à la fois roi de Salem et prêtre du Très-Haut. Nous verrons
que cette conception du rôle du roi sera à l’origine de nombreux conflits entre l’Église et le
pouvoir royal laïque (querelle des investitures…).

Cette conception d’une royauté théocratique explique que le roi ait été vu comme participant
de la nature divine (Alphonse X), et souvent qualifié de « vicaire de Dieu ». Le peuple qu’il
gouverne n’est pas la source de son autorité : il lui a été confié par Dieu, il n’a donc aucun
droit à contester son autorité, il est composé de « sujets » soumis à l’autorité d’un
« souverain » (terme utilisé pour évoquer le pouvoir de Dieu). Cependant, le roi n’est pas tout
puissant dans la mesure où son gouvernement a un but, qui lui a été assigné par Dieu : œuvrer
pour le « bien commun » du royaume, en assurant notamment l’exercice de la justice, vertu
essentielle pour tout pouvoir royal tout au long du moyen âge, et la recherche de la paix. Dans
la Péninsule, ces idées, qualifiées d’augustinisme politique, sont particulièrement développées

2
Marc Bloch, Les rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale,
particulièrement en France et en Angleterre (1924), nouvelle édition, préface de Jacques Le Goff,
Paris : Gallimard (« Bibliothèque des histoires »), 1983.
par Isidore de Séville, dont les écrits auront une diffusion et une influence considérables sur
les penseurs postérieurs [« rex eris si recte agis »]. Cette idée a un double corollaire : d’une
part, le roi est considéré comme le « tuteur » de son peuple (renforcement de l’autorité royale)
mais, d’autre part, cela implique que le peuple a une existence propre, indépendante de sa
soumission au pouvoir royal (idée qui aura son importance dans l’évolution de la conception
du pouvoir).

Pour exercer le mandat que lui a confié Dieu, le roi doit d’abord se voir agréé par le peuple
qui lui est confié (ou par une partie supposée représentative de celui-ci) : dans les premiers
siècles du moyen âge –et bien au-delà dans la Péninsule–, il existe une forme d’élection du
roi : élection au sens fort dans l’Espagne wisigothique, par une assemblée constituée de
prélats et de représentants de la noblesse guerrière (les élites sociales), modèle d’une
monarchie élective qui montre vite ses limites (conflits entre clans) et sombre avec le
royaume en 711 ; acclamation du souverain par « son peuple » (les guerriers, les hommes
libres…) de façon diverse (coups d’épée sur les boucliers, formules traditionnelles criées dans
l’espace public…). En Castille, la pratique de l’acclamation se maintient jusqu’à la fin du
moyen âge (lors de l’accession d’Isabelle la Catholique au trône de Castille, des crieurs
publics [pregoneros] placés dans des endroits stratégiques poussent, dans toutes les villes
castillanes, le cri traditionnel : « Castille, Castille pour la reine Isabelle »). Ainsi, le roi est
d’abord proclamé avant d’être, parfois tardivement, couronné. En France, la formule
consacrée, criée publiquement, est « Le roi est mort ; vive le roi », ce qui symbolise la
permanence de la royauté au-delà de la disparition d’un individu particulier, conformément à
la conception des « deux corps du roi »3.

Une autre limitation du pouvoir du roi, qu’il convient de ne pas oublier, est que ce pouvoir
s’exerce dans un cadre prédéterminé qui est celui de la loi coutumière. On ne connaît
qu’imparfaitement cette tradition coutumière, dans la mesure où la coutume est originellement
exprimée oralement ; les seules traces que l’on en conserve sont celles qui ont été recueillies
dans les codes de lois écrits, qui sont par ailleurs des textes d’origine royale. De plus,
l’existence de la coutume n’implique pas pour les sujets le droit de contester le pouvoir d’un
roi qui ne la respecte pas. Mais il est un fait que la connaissance, par le roi, de son existence
est l’un des facteurs contribuant à l’impossibilité d’un pouvoir royal absolu.

Assez rapidement, le choix du roi se fait au sein d’une famille, une dynastie, qui a vocation à
régner (les Mérovingiens puis les Carolingiens dans le monde franc, les descendants du roi
Pélage et du duc Pierre de Cantabrie dans les Asturies-León), mais ce choix n’est pas
prédéterminé, d’où les nombreux conflits intrafamiliaux que l’on relève tout au long de
l’existence de la dynastie léonaise (du VIIIe au XIe siècle) et, dans une période où les règles de
succession semblent pourtant mieux établies, les conflits entre le roi, ses frères et/ou ses
oncles (Alphonse X et ses successeurs jusqu’à Alphonse XI compris).

3
Le roi possède un corps physique, condamné à disparaître un jour, mais aussi un corps mystique, qui
se perpétue de génération en génération. Cf. Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi (1957), réédité
dans Œuvres, Paris : Gallimard (collection « Quarto »), 2000.
Pour assurer leur descendance selon leur volonté (le plus souvent au profit de leur fils aîné),
les souverains européens mettent en place des pratiques souvent assez semblables : les
Capétiens, jusqu’au XIIe siècle, font couronner leur fils aîné de leur vivant et l’associent au
pouvoir ; c’est ce que fait aussi le roi Henri II d’Angleterre en faisant couronner son fils aîné,
connu dès lors comme « Henri le jeune roi ». Les rois de Castille font voter leur fils ou fille
aîné(e) héritier(e) de la couronne par les cortès dès sa naissance. Ce n’est que dans le cas d’un
décès prématuré ou, pour les filles, de la naissance postérieure d’un fils, que la procédure est
renouvelée au profit d’un autre enfant. Ces mesures ne garantissent pas l’absence de
problème, notamment lorsque l’héritier présomptif, ou le « jeune roi », meurt avant son père
(Henri le Jeune en Angleterre, Philippe, fils aîné de Louis VI le Gros en France, Ferdinand de
la Cerda en Castille…).

Le retour du concept d’empire en Occident

Ce retour se fait via diverses étapes et prend différents aspects. En tout premier lieu, la notion
d’empire est liée, aux IXe et Xe siècles, à la dynastie des Carolingiens et au royaume franc. Le
titre d’empereur est attribué pour la première fois à Charlemagne en 800 (initiative papale) et
perdure jusqu’en 924, même si la réalité n’est pas aussi glorieuse qu’il y paraît : l’empire est
miné par les divisions familiales dès la fin du règne de Louis le Pieux (fils de Charlemagne) et
bien que Charles le Simple reçoive le titre à la fin de sa vie, celui-ci est devenu une coquille
vide plutôt lié à l’Italie, qui n’empêche pas le roi d’être chassé de son trône par ses
adversaires en 923. Il n’en reste pas moins que la conception du pouvoir politique dans les
siècles suivants reste marquée par les caractéristiques de cet empire lorsqu’il était à son
apogée (onction royale, intervention de l’Église dans le gouvernement –même si le clergé
n’obtient pas le degré d’autonomie dont il rêve, et qui devrait lui permettre de contrôler
l’empereur–, consentement des grands laïcs qualifiés de fidèles de l’empereur [consensus
fidelium] annonçant déjà la réalité féodale du siècle suivant). Le double engagement des
fidèles envers l’empereur (qu’ils s’engagent à servir en échange du bienfait qu’ils ont reçu)
mais aussi de l’empereur envers ses fidèles (accomplir les devoirs d’un prince chrétien envers
le peuple qui lui a été confié et envers l’Église) n’est pas un facteur de légitimation
supplémentaire mais renforce la position du souverain et consolide son pouvoir effectif « Le
modèle théocratique-seigneurial, qui apparaît distinctement dans la Francie occidentale du IX e
siècle, devait devenir la forme caractéristique de gouvernement monarchique séculier dans
l’Europe occidentale et centrale au Moyen Âge » (Canning, p. 86). On peut penser que cette
pratique est à l’origine de ce que l’on a appelé le « pactisme aragonais », caractérisé par un
double serment du roi à son peuple et du peuple (la noblesse) à son roi, avec la célèbre
formule (établie tardivement et, comme souvent, travestie en tradition immémoriale) que les
représentants de la noblesse sont supposés avoir prononcé à chaque « élection » d’un
souverain : « Nous, qui individuellement sommes aussi puissants que toi et collectivement
sommes plus puissants, nous t’acceptons pour roi si tu t’engages par serment à respecter nos
droits et privilèges et les lois traditionnelles du royaume. Et sinon, non [Y si no, no] ».
En 962, naît un nouvel empire, appelé celui-là à une longue existence, puisqu’il ne disparaîtra
qu’en 1806, à l’initiative de Napoléon Ier. Il s’agit de ce que l’on va appeler en France au XIX e
siècle, pour rappeler ses différents héritages, le saint empire romain germanique (les premiers
empereurs se définissent comme « empereurs des Romains » ; c’est Frédéric Ier qui ajoute, au
XIIe siècle, l’adjectif « saint » ; au XVe siècle, on parle du saint empire romain « de la nation
teutonique »). Le territoire sur lequel s’exerce directement le pouvoir de l’empereur
germanique comprend la « Germanie » (constituée de principautés dont les plus importantes
sont les duchés de Saxe, de Franconie, de Souabe et de Bavière), l’Italie septentrionale et
centrale jusqu’aux États pontificaux et le « royaume d’Arles » (dénomination du XIIIe siècle)
–anciens royaumes de Provence et de Bourgogne. Le roi de Germanie est naturellement, en
tant que tel, candidat à l’empire mais ne porte que le titre de « roi des Romains » tant que le
pape ne lui a pas conféré la dignité impériale en le coiffant lui-même de la couronne
impériale. La première dynastie à occuper le trône en est la dynastie saxonne des Ottoniens
(de 962 –couronnement d’Otton Ier par le pape Jean XII– à 1024) à qui succède la dynastie
salienne ou franconienne (Conrad II et ses successeurs). Aux XIIe et XIIIe siècles, ce sera le
tour des Hohenstaufen de monopoliser le pouvoir impérial (Conrad III, Frédéric Ier
Barberousse, Frédéric II, Conrad IV…).

C’est avec cet empire romain germanique que s’amorce très vite la querelle qui va opposer la
papauté à l’empire, le pouvoir spirituel au pouvoir temporel (chacun prétendant avoir la
primauté sur l’autre). Un faux document historique, la donation de Constantin (rédigé entre
750 et 850, sans doute pour faire pièce aux prétentions byzantines), est utilisé par la papauté
pour préserver le patrimoine des papes et affirmer leur pouvoir impérial sur tout l’Occident
(l’empereur Constantin est supposé en avoir fait don au pape Sylvestre Ier) ; les empereurs, de
leur côté, traitent les papes comme leurs sujets, les obligeant à se présenter devant leurs
représentants avant leur élection ou déposant ceux qui leur déplaisent (Jean XII est déposé par
Otton Ier en 963, Henri III, par son intervention au concile de Sutri en 1046, contribue à la
démission d’un pape –Grégoire VI– et à la déposition de deux autres prétendants ; il fera
nommer successivement quatre papes allemands).

Mais le concept d’empire ne se limite pas à l’existence de cet empire centré sur Rome :
« L’Imperator Romanorum existait à côté de plusieurs empereurs royaux » (Canning, p. 110) ;
on retrouve en effet ce concept d’empereur appliqué à d’autres rois occidentaux, en France
(utilisation des attributs impériaux et de la titulature correspondante par les premiers
Capétiens, « empereurs des Francs »), en Angleterre (« empereurs d’Albion ») et dans la
péninsule Ibérique (« empereurs de León », peut-être sous l’influence des Carolingiens mais
aussi par rivalité avec le califat de Cordoue). Aucun roi de León ne semble, dans la pratique,
avoir exhibé dans un document officiel ce titre qui était plutôt une revendication d’héritage et
un programme de gouvernement (reconstitution à leur profit de « l’empire » wisigoth) –seul
Alphonse III le Grand est qualifié d’empereur par son fils Ordoño II, mais le document où
apparaît ce titre est très postérieur à sa mort. En revanche, les rois de Castille qui leur
succèdent au XIe siècle, d’origine navarraise puis navarro-bourguignonne, n’hésiteront pas à
franchir le pas (Alphonse VI et Alphonse VII).
La réforme grégorienne du XIe siècle et ses conséquences

Même si cette réforme de l’Église doit son nom au pape Grégoire VII (1073-1085), elle ne se
réduit pas aux décisions de ce seul pontife. Son idée directrice est d’établir une division claire
entre le monde ecclésiastique et le monde laïc (ce qui n’était pas le cas auparavant :
« l’Église » pouvait désigner l’ensemble des chrétiens, les prêtres avaient femmes, concubines
et enfants sans que cela choque personne) et, par la même occasion, d’assurer au clergé une
autonomie vis-à-vis du pouvoir temporel et une véritable primauté face à celui-ci. La première
attitude, acceptée aussi par les partisans de l’empire, à cela près que ceux-ci considèrent les
rois comme des membres du clergé (des évêques d’un genre particulier) lorsque Grégoire et
ses partisans les traite comme de simples laïcs, soumis à l’autorité du pape, est appelée
« dualisme » par les historiens ; la seconde position, propre au pape, est qualifiée de
« hiérocratique » (c’est-à-dire favorable à un « gouvernement des prêtres ») : le pape a une
autorité supérieure à celle de tous les laïcs, y compris l’empereur, et il a le pouvoir de les
nommer ou de les déposer s’ils ne remplissent pas leur tâche correctement. C’est sur le
fondement de cette interprétation divergente du fonctionnement politique de la société (pas
d’autonomie du clergé pour les partisans de l’empereur, pas d’autonomie du « politique » laïc
pour les partisans du pape) que vont naître les grands conflits des XI e-XIIIe siècles (querelle
des investitures entre 1075 et 1122, conflits avec les deux Frédéric), et leurs conséquences
pour la royauté castillane sous Alphonse X. Deux citations de Grégoire VII illustreront
l’âpreté de la lutte :

Qui ne sait que les rois et les ducs ont été créés par ceux qui, ignorant Dieu, par orgueil,
rapine, perfidie, meurtres et, finalement, toutes sortes de crimes, à l’instigation du démon,
le prince de ce monde, ont cherché avec un désir aveugle et une présomption
insupportable à dominer leurs égaux, à savoir d’autres hommes ? (cité par Canning, p.
124-125) ;

Qui douterait que les prêtres du Christ sont considérés comme les pères et les maîtres des
rois, des princes et de tous les fidèles ? (ibid. ; ils sont « les yeux de Dieu »).

Au cours de ces conflits est également développée la fameuse théorie des deux glaives
(pouvoir spirituel / pouvoir temporel), sur le fondement d’un texte évangélique (Luc, 22-38)
déjà utilisé, mais d’une autre manière, par Alcuin au bénéfice de Charlemagne, une image
susceptible d’interprétations diverses, et donc utilisée par les deux camps en présence (égalité
entre les deux glaives, utilisés dans deux sphères différentes, ou possession des deux glaives
par un seul pouvoir, l’héritier de Pierre, qui délègue une partie de son pouvoir à ses serviteurs
laïcs).

La conception du pouvoir papal de Grégoire VII ne s’arrête pas à cette opposition à un


pouvoir laïc autonome : elle s’exprime aussi dans le gouvernement de l’Église par une
affirmation prononcée du pouvoir monarchique du souverain pontife face au pouvoir
épiscopal (le pape, selon Grégoire, a le pouvoir de déposer les évêques, même en leur absence
–ce que ne permettait pas le droit canon– et un concile général ne peut être convoqué que par
le souverain pontife). Cette vision aura des conséquences dans les siècles qui suivront, et
notamment lors du Grand Schisme d’Occident et des tentatives de résolution de cette crise du
gouvernement de l’Église.
Deux autres conséquences du conflit entre Grégoire VII et Henri IV (l’empereur) sont à
souligner : d’une part, il en ressort une conception plus « laïcisée » du pouvoir royal (puisque
celui-ci voit son pouvoir limité au temporel) ; d’autre part, en avançant que le pape a le
pouvoir de déposer un roi ne remplissant pas ses obligations, Grégoire ouvre la voie à une
possible contestation du pouvoir royal et à la possibilité d’une rébellion contre lui, non
seulement de la part du pouvoir papal, mais aussi de la part du « peuple », entendu comme la
noblesse qui le représente en théorie.

Quant à la querelle des investitures, sa solution passe par un accord sur la séparation entre la
dimension spirituelle du pouvoir épiscopal (les spiritualia d’un évêché, qui dépendent du seul
pouvoir papal) et sa dimension temporelle (regalia, dispensés par l’empereur ou le roi et
créant des liens de fidélité entre l’évêque et ce dernier).

Le retour de l’antique - La récupération du droit civil romain

Dès la fin du XIe siècle se dessine une récupération de certains textes de l’Antiquité, qui
s’affirmera au siècle suivant pour ce qui est des textes de droit (civil) et au XIII e siècle pour
les textes philosophiques (œuvres d’Aristote et Platon).

L’une des premières conséquences de cette redécouverte est une nouvelle conception de la
nature, débarrassée de connotations morales ou religieuses (« naturalisme »). Dans le domaine
politique, l’un des tous premiers auteurs à suivre cette voie nouvelle est Jean de Salisbury
(1115/1120-1180). Il est aussi l’auteur d’une description « organique » de la société
(respublica) parmi les plus complètes, dans laquelle le roi est la tête de cette société (dont les
pieds sont les paysans) et le clergé en est l’âme (position supérieure à celle de la tête). Cette
vision organique, diversement interprétée, sera reprise par de nombreux auteurs, quel que soit
le camp dans lequel ils militent. Un autre point abordé par Jean de Salisbury dans son
Policraticus est la possibilité de contrôler et de sanctionner les actions du mauvais roi, du
tyran ; en apparence, notre auteur va jusqu’à envisager la possibilité d’un tyrannicide.
Cependant, il entoure cette solution de tant de conditions (pas d’utilisation du poison,
interdiction de pratiquer ce tyrannicide pour tous ceux qui ont passé un serment féodal avec le
roi, c’est-à-dire pour tous ses sujets…) que cette menace reste très théorique, déposée entre
les mains de Dieu.

À la fin du XIe siècle aussi apparaît à Bologne une école de juristes, proposant une approche
nouvelle tant du droit canon que du droit civil justinien. Ces deux types de droit, clairement
distingués l’un de l’autre, finiront par être réunis dans ce que l’on appellera au XIII e siècle le
« droit commun » (ius commune). Pourtant, l’approche des deux est nécessairement différente
dans la mesure où le droit canon est un droit qui continue d’évoluer (les papes promulguent
des « décrétales » de plus en plus nombreuses) alors que le droit justinien n’évolue plus guère
depuis le VIe siècle. Les spécialistes du droit civil sont d’abord les glossateurs, dont l’activité
est liée à la redécouverte du texte complet du Corpus iuris civilis (trois parties principales : le
Digeste de cinquante livres [lois du IIe au IVe siècle], retrouvé en Italie du sud en 1070, les
Institutes, court manuel d’introduction pour les étudiants [4 livres] et le Code proprement dit
[12 livres, dont les trois derniers sont réutilisés au XII e siècle] complété par les Novelles). Les
travaux des glossateurs culminent avec la glose ordinaire d’Accurse, des années 1230.

L’étude scientifique du droit canon s’articule quant à elle autour du Decretum de Gatien
(1139/1140), manuel de référence pour tous ceux que l’on va, pour cette raison, appeler les
« décrétistes ». Le corpus des décrétales papales a quant à lui été réuni en collections par les
papes Innocent III et Honorius III au XIIIe siècle, et étudié par les « décrétalistes ». Parmi les
souverains pontifes de l’époque, les plus célèbres « décrétalistes » sont Innocent III, dont les
positions quant à la prééminence du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel n’ont pas été
exprimées avec clarté, mais dont on sait qu’il a eu la volonté de s’entremettre dans les affaires
du pouvoir temporel, et son homonyme Innocent IV, le pape qui a déposé en 1245 l’empereur
Frédéric II.

Les royautés territoriales s’affirmant au cours de ces siècles centraux du moyen âge, une
nouvelle source de conflits, entre la prétention universaliste de l’empire et ces royautés, se
développe nettement (plus qu’avec la papauté, dont la position est finalement plus souple que
celle de l’empire). C’est alors que les juristes favorables aux rois territoriaux affirment que
« le roi, en son royaume, est empereur de son royaume [rex in regno suo est imperator regni
sui] » et que « le roi ne reconnaît aucun supérieur ». En l’occurrence, cette deuxième formule
se trouve à l’origine dans une décrétale d’Innocent III, sous la forme « puisque le roi [en
l’occurrence, il s’agit du roi de France] lui-même ne reconnaît aucun supérieur en matière
temporelle », qui reprend une affirmation de Philippe Auguste dans une demande adressée au
pontife. Face à ces formules, les juristes canonistes s’interrogent sur le fait de savoir si le
pouvoir du roi est de iure ou de facto, tandis que les civilistes, à l’exclusion des Français,
considèrent que seul l’empereur possède le pouvoir de iure. Une autre façon de justifier
l’indépendance du roi en termes de droit romain est d’affirmer, comme le Napolitain Marinus
de Caramanico (mort en 1288), que l’Empire romain est fondé sur la force et non sur le droit,
et que l’empereur n’a d’autorité que là où il peut effectivement exercer le pouvoir ; ailleurs,
les monarques exercent le pouvoir en vertu du « droit des gens » (ius gentium).

Il n’en reste pas moins que l’affirmation par Innocent III du droit du pape à intervenir dans le
gouvernement d’un royaume pour en condamner (et en excommunier) le monarque « en
raison du péché » est la source de conflits papauté / royauté au XIIIe siècle : excommunication
de Philippe Auguste, condamnation de l’union incestueuse Alphonse IX de León / Bérengère
de Castille, excommunication de Sanche IV de Castille après sa rébellion de 1282…

Saint Thomas d’Aquin et l’aristotélisme

Une nouvelle étape de la réflexion politique en Occident s’ouvre avec le recouvrement de


certaines œuvres d’Aristote que l’on ne possédait plus, si ce n’est sous forme d’allusions ou
de fragments, notamment l’Éthique à Nicomaque et la Politique. Au XIIIe siècle, ces textes
sont traduits en latin à partir de leur version grecque (même si les commentaires des auteurs
arabes, et notamment ceux d’Averroès, sont pris en compte dans leur étude), le premier par
l’évêque Robert Grosseteste vers 1246-1247, le second par Guillaume de Moerbeke en 1265.
La redécouverte de ces ouvrages permet une nouvelle approche du domaine politique conçu
comme un domaine autonome, ce qui ne peut que favoriser une conception séculière de celui-
ci. Le monde universitaire naissant a accueilli avec enthousiasme, quoique de manière
progressive, les théories aristotéliciennes ; parallèlement, les résistances à ces théories au sein
de l’Église se sont fortement manifestées, comme le prouve la condamnation de thèses
« naturalistes » jugées inconciliables avec l’enseignement de l’Église, par l’évêque de Paris en
1277, condamnation qui englobe quelques thèses de saint Thomas d’Aquin.

En effet, parmi les premiers commentateurs d’Aristote on relève les noms des dominicains
Albert le Grand et (surtout) Thomas d’Aquin, son disciple. Ce dernier a commencé à rédiger
un commentaire (inachevé) de la Politique, qui a été achevé par Pierre d’Auvergne. La
question politique n’est pas, pour le dominicain, une question essentielle, et il apparaît assez
clairement qu’il est indifférent quant à la forme idéale de gouvernement (une question
abordée par Aristote), même si, en général, la forme monarchique lui semble préférable à
toute autre parce qu’elle préserve la notion d’unité, mise à mal par la démocratie (régime
condamné par Aristote). En fait, notre auteur est le premier au Moyen Âge à reprendre la
thèse défendue par de nombreux auteurs antiques (dont Aristote) selon laquelle le régime
idéal est un régime mixte, soit une monarchie tempérée d’aristocratie et de démocratie,
regimen commixtum inspiré de la constitution donnée par Dieu à Moïse. Après lui, nombreux
seront les auteurs à adopter cette position.

Thomas d’Aquin est aussi l’auteur d’un « miroir des princes » inachevé (ou plutôt, là encore,
achevé par un autre, son disciple Ptolémée de Luques), le De regno, qu’il rédige pour le roi de
Chypre. Le XIIIe siècle et le début du XIVe sont en effet l’époque de la rédaction de ces
miroirs des princes destinés à l’éducation des princes séculiers : Gilles de Rome, figure
majeure de l’ordre des Augustins, rédige ainsi vers 1280, pour l’éducation du prince Philippe
de France, futur Philippe IV le Bel, son fameux De regimini principum, rapidement traduit
dans de nombreuses langues européennes, y compris le castillan : une version vernaculaire
glosée a en effet été rédigée (par Juan García de Castrojeriz) autour de 1344, à la demande de
l’évêque Barnabé d’Osma, pour l’éducation de l’infant Pierre de Castille, futur Pierre Ier le
Cruel.

Dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, l’œuvre d’Alphonse X et de ses collaborateurs


témoigne à la fois de la réception, en Castille, du droit romain, que le monarque s’efforce
d’acclimater à travers, notamment, la rédaction des Siete Partidas, et la réception des
ouvrages politiques d’Aristote.

Le Moyen Âge tardif

Évolution et crises de la papauté


La fin du XIIIe siècle ouvre pour la papauté une période de crise qui ne s’achèvera qu’au XV e
siècle. La première expression de cette crise est le double conflit qui oppose, dans les
dernières années du XIIIe siècle et les premières années du siècle suivant, le pape
Boniface VIII au roi de France Philippe le Bel. La première cause de conflit est la décision du
roi de taxer les membres du clergé afin de payer les frais de la guerre l’opposant à Édouard Ier
d’Angleterre (1296). Cette taxation du clergé est contraire aux décisions du IV e concile du
Latran qui l’interdit sans accord préalable du pape. Boniface VIII refuse tout compromis et
sort finalement vaincu de ce premier affrontement avec Philippe IV. En 1301, le roi fait
arrêter et juger en sa présence l’évêque de Senlis pour blasphème, hérésie et trahison. Ce
traitement allait contre le droit canon, qui stipulait que seul le pape pouvait juger un évêque.
Une nouvelle fois, Boniface VIII alla à l’affrontement, développant dans une bulle une
conception clairement hiérocratique des rapports entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel.
Il décida même de convoquer tous les prélats français à un concile pour y discuter de la
sauvegarde de la liberté de l’Église, de la réforme du royaume, de la correction des écarts
passés du roi et du bon gouvernement de la France. Il rappela à « son plus cher fils » le roi de
France que son pouvoir était subordonné à celui du pape. La royauté française riposta par un
appel à l’opinion publique et une accusation d’hérésie contre Boniface VIII ; on sait que le
souverain pontife finira emprisonné par les Français et, dit-on, giflé par l’envoyé du roi de
France.

Cette première crise provoque la rédaction de plusieurs traités de nature et de contenu divers.
Parmi ceux-ci, on peut signaler le traité rédigé par Gilles de Rome, De ecclesiastica potestate
(1302), qui constitue en quelque sorte la suite du De regimini principum. Celui-ci ne traitait
guère que du pouvoir séculier sans s’intéresser plus que cela à sa relation avec le pouvoir
spirituel. Le second traité adopte une position résolument hiérocratique, qui subordonne le
pouvoir des rois territoriaux à celui du pape. Le traité est centré sur le concept de dominium
ou seigneurie : Gilles de Rome considère que l’Église (confondue avec le pape) possède un
dominium absolu en matière de pouvoir et en matière d’avoir : puisque le corps est
subordonné à l’âme, la possession de biens matériels est subordonnée à l’autorisation de
l’Église et du pape, vicaire du Christ. Aucun pécheur ne peut en droit posséder quoi que ce
soit, du fait de son éloignement de Dieu. Et comme tous les hommes sont pécheurs, tous les
biens dont ils usent sont propriété de l’Église (du pape), qui est celle qui peut réconcilier les
pécheurs avec Dieu : « L’Église a plus de droits sur vos biens que vous n’en avez-vous-
même ». Un tel « papalisme » se retrouve, trente ans plus tard, dans le traité De planctu
ecclesiae du franciscain Álvaro Pelayo (1330-1332), un canoniste galicien pénitencier du
pape Jean XXII

À l’opposé de ces traités hiérocratiques, on peut citer celui que rédige, en 1302/1303 Jean
Quidort, ou Jean de Paris, De regia potestate et papali, dans le but de protéger la monarchie
des prétentions pontificales en définissant les limites du pouvoir du pape. Le pouvoir temporel
était abordé dans une perspective naturaliste (l’homme, animal politique, éprouve le besoin de
se réunir avec ses semblables) et considéré comme parallèle au pouvoir spirituel (et non
subordonné). Le pouvoir spirituel est universel, le pouvoir temporel ne l’est pas (pluralité des
formes de gouvernement). Le pouvoir du roi vient de Dieu et du peuple (entité non définie) et,
si le pape peut déposer le souverain, c’est indirectement, en poussant le peuple à lui retirer son
obéissance (l’empereur peut agir de la même façon vis-à-vis du pape). L’auteur rejette
l’historicité de la donation de Constantin, tout en soulignant que cette donation, même si elle
avait existé, n’aurait pas concerné les Francs qui, à l’époque, n’étaient pas soumis au pouvoir
de l’Empire romain.
Au XIVe siècle, la crise du pouvoir papal prend une autre forme, avec l’établissement de la
papauté d’Avignon par Clément V. Pendant soixante-dix ans, des papes d’origine française
vont se succéder dans la ville rhodanienne, au grand dam des Italiens, pour qui cette période
est vécue comme « l’exil à Babylone » (Pétrarque). Cette période est caractérisée par
l’affirmation du pouvoir temporel des papes, qui s’appuient sur une « bureaucratie » de plus
en plus complexe et inquisitoriale.

En 1378 commence le « grand schisme d’Occident », qui voit deux papes rivaux (puis trois)
s’affronter en se traitant respectivement de schismatiques : celui de Rome, celui d’Avignon et
–pendant quelques années– celui de Pise. Cette situation nuit à l’image de l’Église et, plus
encore, à celle de la papauté. Chacun des pontifes en présence est tributaire des royaumes
territoriaux qui le soutiennent (particulièrement la France pour le pape d’Avignon et
l’Angleterre pour celui de Rome). Comment savoir quel pape possède encore le pouvoir
spirituel que tous reconnaissaient auparavant à la papauté ? Cette crise illustre parfaitement
diverses questions soulevées dans les siècles précédents par les théoriciens du pouvoir : qui a
le pouvoir de déposer un pape ? Un concile général ? Mais alors, qui peut le convoquer,
puisque c’est une prérogative papale ? Quel rôle peut jouer l’empereur dans la résolution de la
crise ?

Les thèses conciliaires sont nées au moment du conflit de Boniface VIII et Philippe le Bel,
notamment sous la plume de Guillaume Durand, contraint par Clément V de revenir à des
thèses favorables à la papauté après avoir affirmé que la réunion d’un concile tous les dix ans
devrait être une obligation liée au bon gouvernement de l’Église, le pape ne pouvant
promulguer aucun texte ayant force de loi en dehors du concile. Le théoricien suivant, en
matière de conciliarisme, est Marsile de Padoue, dont nous avons déjà parlé : le concile est
pour lui le législateur humain, représentant de l’Église, dont la légitimité doit s’imposer au
pape lui-même (qui n’a plus aucun pouvoir ni aucun droit chez ce penseur extrémiste). Le
concile de Constance, dont il est question ci-après, promulgue deux décrets destinés à instituer
une automaticité de la réunion des conciles œcuméniques pour un bon gouvernement de
l’Église, le concile suivant celui de Constance devant se réunir cinq ans après lui [ce sera le
concile de Sienne] et le suivant sept ans plus tard (concile de Bâle), la périodicité passant
ensuite à dix ans.

Finalement, c’est le pape de Pise (Jean XXIII) qui mettra fin à la crise du grand schisme,
précisément en acceptant de convoquer un concile général (et pas seulement de ses partisans)
avant de s’enfuir dans l’espoir de décrédibiliser le concile, puis de se voir contraint à
démissionner. Les prélats réunis pourront ensuite prononcer la déposition du pape de Rome
(Grégoire XII) et celle du pape d’Avignon (Benoît XIII, « le pape Lune »). Et comme ce
dernier refuse cette décision, c’est l’empereur Sigismond II qui parvient à persuader les
derniers royaumes reconnaissant encore la papauté d’Avignon (notamment l’Aragon) de
retirer leur obédience. Même si les prélats castillans tardent eux aussi à rejoindre le concile,
c’est finalement l’ensemble des évêques, archevêques et cardinaux européens réunis à
Constance qui, en 1417, mettent un terme à la crise en élisant un pape reconnu par tous
(Martin V).
La papauté n’en est pas pour autant libérée de toute crise de gouvernement : les pères
conciliaires, ayant pris goût au pouvoir, développeront au temps du concile de Bâle (convoqué
par Martin V en 1431) une thèse selon laquelle les décisions prises par un concile général
doivent s’imposer à tous, y compris au pape, qui est subordonné au concile. Eugène IV, qui ne
voit pas ce concile d’un bon œil, y met fin dès 1438 pour ouvrir le concile de Ferrare puis de
Florence, qui doit traiter des relations avec l’Église orthodoxe. Mais les plus extrémistes des
participants se maintiennent à Bâle (1439) et entrent en rébellion contre le pape, allant jusqu’à
le déposer au profit d’un éphémère Felix V, qu’Eugène IV excommunie en 1440. Il y a en
effet une grande différence entre le concile de Constance, constitué en fonction des
hiérarchies et trouvant sa légitimité dans la présence en son sein des plus hauts dignitaires de
l’Église, à l’exception du pape, et le concile de Bâle, avec une forte présence du bas clergé.
Parmi les défenseurs du conciliarisme, on relève le nom de Jean de Ségovie, représentant de
l’université de Salamanque. Pour les tenants de cette conception du pouvoir, le pape ne
représente que le bras exécutif, le « ministre principal » du concile, qui possède le pouvoir
législatif parce qu’il représente toute l’Eglise (entendue comme entité corporative, cf. plus
bas). Les conciliaristes, comme Marsile de Padoue avant eux, considèrent que le concile ne
peut pas errer en matière doctrinale et que le pape, par conséquent, doit lui être soumis. Le
concile a par voie de conséquence le pouvoir de démettre un pape devenu hérétique, car lui
aussi, comme le souverain pontife, tient son pouvoir de Dieu. En outre, le pape est élu par des
hommes, il peut donc être démis par des hommes, dès lors que ceux-ci sont la représentation
légitime de la « corporation » ecclésiale.

Bien entendu, les souverains pontifes ne l’entendent pas de cette oreille et s’efforcent de
réaffirmer leur autorité face à ces dérives. Des auteurs prennent parti dans cette querelle, et en
particulier l’évêque castillan Rodrigo Sánchez de Arévalo, monarchiste dans l’âme,
ambassadeur d’Henri IV à Rome, référendaire papal et gouverneur du château Saint-Ange.
Cet auteur d’une Suma de la política sur laquelle nous reviendrons défend, dans de nombreux
opuscules en latin, la prééminence du pouvoir papal sur celui des pères conciliaires.

La défense de l’empire  : le cas italien


Bien que l’empire soit lui aussi en crise après le XIII e siècle (querelles de succession entre les
derniers Hohenstaufen et la maison d’Anjou…), il n’a pas cessé d’être, et le conflit qui oppose
les empereurs aux papes a des conséquences bien réelles en Italie, où s’affrontent guelfes et
gibelins. Les conceptions politiques italiennes continuent à se centrer sur Rome, siège de la
papauté légitime et de l’empire. Les auteurs italiens du XIV e siècle sont tous des adversaires
des thèses de la papauté, une papauté cupide et ambitieuse qu’ils jugent responsable de l’état
de guerre dans lequel ils vivent. Favorables au pouvoir séculier, ils adoptent quant à eux des
thèses favorables à l’empire ou bien aux républiques urbaines qu’ils servent parfois. Parmi ces
auteurs, on peut citer Ptolémée de Lucques, dont on a déjà parlé (favorable au pape mais
aussi, pour ce qui est du temporel, au « pouvoir politique »), mais aussi Dante, exilé de
Florence par les « guelfes noirs », dont les idées politiques apparaissent dans la Divine
Comédie mais aussi dans son traité Monarchia. Le Florentin considère que l’empire ne doit
pas son pouvoir à la papauté, qui n’a pas reçu du Christ le pouvoir temporel, et rejette
absolument la donation de Constantin.
Les deux grands théoriciens du pouvoir impérial au XIV e siècle sont Marsile de Padoue et
Guillaume d’Occam. Le premier commence par défendre des thèses plutôt républicaines dans
son Defensor Pacis puis, après avoir subi une peine d’exil qui l’amène à se réfugier à la cour
de l’empereur Louis IV, des thèses favorables au pouvoir impérial dans son Defensor minor.
Dans le système défendu par Marsile, le pouvoir législatif est détenu par le « législateur
humain [fidèle] », autorité ultime de toute la corporation des citoyens, qui élit lui-même la
partie exécutive ou dirigeante (pars principans), qui peut être réduite à un seul, à quelques-
uns ou à un grand nombre. C’est cette partie dirigeante qui nomme aux autres fonctions de la
société. Quant au législateur humain, Marsile l’identifie à l’empereur. L’autorité spirituelle
n’a pas part au pouvoir temporel et doit se consacrer à son domaine propre. Ce sont les
intromissions de la papauté dans les affaires temporelles qui ont détruit la paix en Italie.
Quant à Guillaume d’Occam, lui aussi réfugié à la cour de Louis IV, c’est un Anglais formé à
Oxford devenu franciscain et pleinement engagé contre le pape Jean XXII et ses successeurs
dans la querelle sur la pauvreté. Ce n’est pas un penseur politique, mais un chercheur de vérité
qui ne fait guère confiance dans les gouvernements, quelle qu’en soit la forme. Nominaliste, il
défend les droits de l’individu, qui est pour lui la seule réalité ; il cherche à définir les limites
du pouvoir papal, à qui il reconnaît l’autorité pastorale. Contrairement à Marsile de Padoue, il
ne reconnaît pas l’infaillibilité du concile, et rejette la théorie corporative du ius commune,
l’autre grand mouvement intellectuel de l’époque.

La pensée juridique
Les juristes du ius commune s’efforcent d’adapter les textes du droit civil, du droit canon et du
droit féodal aux réalités de leur époque. En ce qui concerne le droit civil, le mouvement naît
en France (« commentateurs » utilisant les méthodes d’approche aristotéliciennes dans leur
interprétation du Corpus) puis passe en Italie, où se succèdent trois grandes figures : Cynus de
Pistoia (1270-1337), Bartole de Sassoferrato (1313-1357) et Balde de Ubaldis (1327-1400)
(en Castille, au XVe siècle, les juristes ne jurent que par le second ; Jean II proclamera :
« nemo jurista nisi bartolista »). Parmi les canonistes, on retrouve Balde de Ubaldis et
quelques autres, dont « le Panormitain » (Nicolas de Tudeschis, 1386-1445). Enfin, l’époque
est marquée par l’apparition d’un nouveau genre d’écrits juridiques, les opinions d’experts
(consilia), dont l’importance dans la pensée politique est indéniable.

Les juristes civilistes du XIVe siècle, en annexant le droit féodal (concrètement, puisque les
Libri feudorum lombards ont été ajoutés au Corpus iuris civilis comme un dixième livre de
l’Authenticum), sont amenés à se pencher sur la réalité du pouvoir des états territoriaux
(communes italiennes et royaumes) installés dans l’ancien empire romain, à sa légitimité et au
lien éventuel unissant ces états à l’empereur. Les coutumes féodales sont traitées comme si
elles constituaient, elles aussi, un cadre législatif normatif limitant le pouvoir des dirigeants à
travers les contrats féodaux et les privilèges octroyés, garantis par la loi naturelle et le ius
gentium. Même le lien de fidélité liant l’empereur au pape est considéré par la papauté comme
un lien féodal impliquant des devoirs, mais aussi des droits (résistance à des décisions
contraires à ce « contrat »). Il est établi, notamment, que la réception de la « citation à
comparaître » par celui qui se trouve accusé d’un crime est un droit naturel lié à la possibilité
de se défendre. Territorialement, l’autorité de l’empereur est limité aux territoires ayant, à un
moment ou un autre, appartenu à l’empire (de ce fait, les souverains espagnols ne sont pas
subordonnés à cette autorité). La légitimité des gouvernements territoriaux (républiques
urbaines ou royaume) est liée à la notion de « corporation » (universitas) possédant le droit de
s’autosaisir de ses intérêts propres et de déléguer ses pouvoirs à des dirigeants désignés par
elle.

On retiendra surtout que les juristes de l’époque, jonglant avec les pouvoirs de iure et de
facto, développent aussi, pour définir la corporation, l’idée de « persona ficta », une entité
juridique abstraite, dont l’existence dépasse celle des individus qui peuvent l’incarner. C’est
parce qu’elle est aussi une réalité abstraite que la « corporation » a une existence pérenne et
peut transmettre une forme de légitimité à des instances dirigeantes (municipe ou roi) qui,
elles non plus, ne se confondent pas avec les individus qui les incarnent à un moment donné.
Dans ces conceptions nouvelles commence à se dessiner l’idée d’un État moderne :

Balde en particulier, pour autant qu’il considérait les cités et royaumes territorialement
souverains comme des entités transpersonnelles et abstraites distinctes de leurs membres
ou de leur gouvernement, contribua de manière décisive au développement de ce qui est
généralement considéré comme caractéristique de la conception de l’État des débuts de
l’époque moderne. Pourtant, dans la mesure où il admettait un rapport entre la corporation
comme entité abstraite et le substrat concret de membres humains qui la constituaient […]
il restait encore une étape à franchir dans le sens de la conception abstraite tout à fait
moderne de l’État comme lieu abstrait ou appareil de pouvoir entièrement distinct de tous
les êtres humains, qu’il s’agît des membres ou des dirigeants (Canning, p. 235-236).

Il n’y a pas en fait de véritable rupture entre moyen âge et époque moderne (persistance de la
scolastique, renaissance du thomisme au XVIe siècle). L’évolution de la pensée politique
au XVe siècle favorisera la transition des réalités médiévales vers les réalités modernes (perte
de prestige de la papauté, qui se replie sur ses États et abandonne ses prétentions à
l’universalité, consolidation de la monarchie avec l’élaboration de concepts appelés à devenir
ceux des royautés absolues (de la monarchie théocratique, on passe à la monarchie de droit
divin, l’affirmation que le pouvoir s’exerce à l’intérieur d’un cadre normatif est la base du
constitutionnalisme et de l’affirmation des droits de l’individu…).

La littérature politique en Castille

Avant le règne d’Alphonse X, elle se réduit aux codes de lois (droit coutumier et germanique :
Libro de los fueros de Castilla, Fuero viejo de Castilla, Fuero juzgo léonais) et à quelques
œuvres didactiques, gnomiques ou exemplaires, issues de traditions orientales (Calila et
Dimna, bien que la traduction en soit déjà due au futur Alphonse X).

C’est sous le règne d’Alphonse X que la Castille, comme le reste de l’Occident et aussi vite
que lui, redécouvre le droit civil justinien et la pensée politique d’Aristote. Ces deux courants
d’évolution se trouvent à l’origine de la rédaction des codes de lois alphonsins (Fuero real,
Setenario, Espéculo), et tout particulièrement de celle des Siete partidas.

À la fin du XIIIe siècle est rédigé un « régime des princes » destiné, d’après son titre, à
l’éducation et à l’édification de l’infant Ferdinand, futur Ferdinand IV : il s’agit des Castigos
de Sancho IV. La tradition des « régimes des princes » naît de l’œuvre de Thomas d’Aquin et
en particulier du De regno. L’ouvrage de Gilles de Rome est rapidement diffusé en Espagne
(il est cité par don Juan Manuel dans le Libro de los Estados, comme il le sera un peu plus
tard par Pero López de Ayala dans le Rimado de Palacio) traduit et glosé en castillan dans la
Glosa castellana al «  Regimiento de príncipes » attribuée à frère García de Valladolid. Au
XVe siècle, le genre est notamment représenté par l’Exhortación de la paz de Diego de Valera
et le Vergel de príncipes de Rodrigo Sánchez de Arévalo. Malgré son titre, le Doctrinal de
príncipes de Diego Valera relève aussi de cet ensemble.

Parallèlement à la formation des princes, divers ouvrages sont rédigés pour l’éducation des
nobles, jeunes et moins jeunes : dès le XIVe siècle, on peut citer le Libro enfenido de don Juan
Manuel, rédigé pour son fils, Au siècle suivant, on relèvera le Libro del regimiento de los
señores de frère Juan de Alarcón, le Cirimonial de príncipes et le Breviloquio de virtudes,
tous les deux rédigés par Diego de Valera, et la Carta e breve compendio de Pedro de
Chinchilla.

Du point de vue doctrinal, peuvent être cités le Libro de los estados de don Juan Manuel, le
Duodenarium d’Alfonso de Cartagena, la Suma política de Sánchez de Arévalo et l’anonyme
Qûistión entre dos cavalleros. À l’inverse, des ouvrages de circonstances contiennent des
propositions politiques dignes d’intérêt : c’est le cas des Allegationes super conquesta
Insularum Canarie, rédigé par Alfonso de Cartagena dans le cadre d’un conflit entre Castille
et Portugal sur la question de la possession des Canaries, ou –surtout– de la Proposición
contra los ingleses du même auteur, rédigé dans le cadre du concile de Bâle, dans laquelle il
ressuscite la thèse néo-gothique.

Relevant aussi du domaine politique au sens large, les traités de chevalerie se succèdent,
depuis le Libro del cavallero et del escudero de don Juan Manuel jusqu’au Tratado de las
armas de Diego de Valera, en passant par le Doctrinal de los cavalleros d’Alfonso de
Cartagena et la réponse de ce dernier à la question que lui adresse Íñigo López de Mendoza
sur la chevalerie romaine. Ces œuvres se distinguent des traités sur la noblesse (Espejo de
verdadera nobleza de Diego de Valera, Cadira de honor de Juan Rodríguez del Padrón) avec
lesquels elles conservent néanmoins de nombreux liens. Nous aurons l’occasion de revenir
plus longuement sur cette littérature et sur les thèses opposées qui s’y expriment.

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