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Histoire du droit et des

institutions
Prof. J. de Brouwer

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Première partie :

Les Institutions
(France, Allemagne, Angleterre)

Note : les parties du support de cours qui sont consacrées à l’espace français, à l’héritage romain et chrétien,
ainsi qu’à l’importance du rôle de l’Eglise au Moyen Age sont largement empruntées, sous une forme
résumée, de l’ouvrage de Régine Beauthier, Droit et Genèse de l’Etat, 4e éd., Bruxelles, 2011.

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Chapitre Ier
De la chute de l'empire romain au fractionnement de l’Empire
carolingien (Ve-IXe siècles)

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La compréhension des cultures institutionnelles et juridiques européennes qui sont
abordées à l’occasion du cours d’Histoire du droit et des institutions nécessite deux
préalables indispensables : saisir l’importance de l’héritage des institutions et du droit
romain, et l’importance de l’héritage de la culture et des institutions chrétiennes.

I. Préalable: héritage romain et formation de l’Eglise chrétienne

A. L'héritage romain

1. Institutions : la fonction impériale sous le Bas-Empire

L’importance institutionnelle de la notion d’empire, la renaissance de l’ « idée impériale »


sous les Carolingiens, de même que l’importance du « Saint-Empire romain germanique »
à partir des Xe-XIe siècles imposent quelques développements sur l’Empire romain, à tout
le moins sur la période dite du « Bas-Empire », soit à partir du règne de Dioclétien (285).

Le règne de Dioclétien inaugure une profonde réforme des institutions impériales et de la


conception du pouvoir de l’empereur lui-même, nécessitée par la crise que connait
l’Empire (instabilité politique, pressions aux frontières des peuples dits « barbares,
désinvestissement des élites dans l’exercice du pouvoir au sein de la cité, dépeuplement
des villes et de campagnes).

La réforme des institutions impériales se traduit principalement par une division de


l’Empire en quatre entités, dont l’administration est répartie entre quatre titulaires du
pouvoir (tétrarchie): deux Augustes et deux Césars, les seconds étant subordonnés aux
premiers. L’ensemble de l’Empire reste alors, malgré sa division administrative, sous la
domination de Dioclétien.

Le fondement du pouvoir de l’empereur évolue également. Il n’entend plus être


seulement le titulaire de la plus haute fonction politique, le plus important des organes du
pouvoir civil et militaire, mais il se présente comme différent par nature des autres
organes du pouvoir et du reste de la population. L’origine du pouvoir qu’il détient est
considérée comme divine, si bien que l’empereur fait l’objet d’un culte, qui s’accompagne
d’une sacralisation et d’une cérémonialisation du pouvoir.

L’organisation du système de la tétrarchie permettra sans doute une administration plus


efficace des territoires, mais elle porte également en elle le germe de la division, en
organisant des espaces politiques distincts. A la mort de Théodose Ier, en 395, l’Empire se
présente de facto comme divisé en deux entités distinctes, selon la division qui est connue
entre « Empire d’Occident » et « Empire d’Orient ».

L’Empire romain d’Occident disparaît progressivement au cours du Ve siècle. La date de


476 généralement citée marque la consécration de cette disparition par un événement
symbolique : la déposition du dernier empereur, Romulus-Augustule et le renvoi par
Odoacre, général romain d’origine barbare, des insignes impériaux à l’empereur d’Orient,
manifestant l’inadéquation du maintien de la fonction impériale à Rome, au sein d’un
Empire définitivement partagé entre les peuples « barbares ».

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2. Le droit romain

Le droit romain se distingue par son approche pragmatique du droit et par sa grande
technicité. Il répond essentiellement à des besoins pratiques, et se présente comme un
ensemble normatif autonome, dégagé de religion.

La sacralisation de la fonction impériale à partir du Bas-Empire entraîne des


conséquences sur la conception de la norme. L’empereur devient la seule source du droit,
il est la « loi vivante ». Aussi, l’activité normative émane dorénavant exclusivement de
l’empereur, les anciennes institutions représentatives qui participaient auparavant à
l’élaboration de la norme, comme le Sénat, étant complètement marginalisées.

Les lois édictées par l’empereur sous le Bas-Empire, aussi appelées « constitutions » se
multiplient dans une telle proportion qu’il apparaîtra nécessaire d’assurer leur mise en
ordre. Divers projets de compilation verront le jour. On retiendra l’initiative de
l’empereur Théodose II, dont le code (Code de Théodose, 438) continuera à être appliqué
jusqu’à la chute de l’Empire romain, voire au-delà. Une place particulière doit être faite
aux Compilations de Justinien (529), dont la découverte en Italie, au XIe siècle en Italie,
exercera une influence déterminante sur l’évolution des droits européens à la fin du
moyen-âge l’époque moderne. Ces compilations sont connues sous l’appellation
d’ensemble « Corpus Iuris Civilis » et forment principalement trois ensembles : le Code
(Codex, qui complète le Code de Théodose), le Digeste (recueil d’extraits de doctrine des
jurisconsultes les plus importants), les Institutes (manuel, destiné à restaurer
l’enseignement du droit).

B. Formation de l’Eglise chrétienne

Persécutés sous Dioclétien, les chrétiens bénéficient à partir du règne de Constantin de


l’Edit de Milan, appelé aussi « Edit de Tolérance » (313). Constantin entend intégrer et
mobiliser, au profit de l’Empire, un groupe qui se distingue alors par son dynamisme. En
380, par l’Edit de Thessalonique, Théodose Ier donne à la religion chrétienne le statut de
religion d’Etat. Le culte des dieux est abandonné au profit de la religion des chrétiens.

La communauté des chrétiens s’organise sous une forme hiérarchisée. Elle est placée sous
la responsabilité d’un surveillant qu’elle élit, l’évêque. Le surveillant de la communauté
des chrétiens de Rome, l’évêque de Rome (ou le « pape »), a lui-même prééminence sur
les autres évêques. Cette prééminence se limite alors à une autorité morale sur les
évêques.

L’Eglise s’organise selon le principe dit « d’accommodement », en empruntant, sur le plan


institutionnel et territorial, aux cadres administratifs de l’Empire. Les circonscriptions
administratives romaines forment le cadre géographique des diocèses et des provinces
ecclésiastiques. Cette constitution de l’Eglise chrétienne sur le modèle des institutions
impériales contribuera à la survie de la romanité (culture romaine) après la disparition
de l’Empire romain d’Occident (476).

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Par ailleurs, l’Eglise a développé son propre pouvoir de juridiction (dire le droit lorsque
le litige est en relation avec la religion). Le droit emprunte largement aux techniques et
aux formes romaines. Son développement contribue également à la survie de la romanité.

II. Les Francs : les Mérovingiens

Ce qui est communément désigné sous l’appellation d’« invasions barbares » se présente
sous une forme progressive. Les premiers déplacements ont lieu à partir du IIe siècle,
lorsque certaines tribus passent le Danube. A partir du IIIe siècle, certaines tribus, comme
les Alamans et les Francs, s’installent en Gaule. En raison de leur faiblesse numérique, ces
populations étrangères aux Gallo-romains ne constituent pas un danger pour la survie des
institutions et de la culture romaines. Mais la fin du IVe siècle est marquée par de
nouvelles incursions des peuples dit « barbares », sous la poussée des Huns (370-375).
L’installation de tribus étrangères dans l’Empire, en Gaule, est alors organisée par la
conclusion de traités qui organisent le statut de « fédérés » (foederati, de foedus : traité),
notamment par leur contribution militaire à la défense de l’Empire contre de nouvelles
incursions. Chaque groupe ethnique est soumis à un roi, jouissant d’une large autonomie
et formant par ailleurs des troupes au service de Rome.

A. Apparition et consolidation d’une dynastie

En 451, la bataille des Champs Catalauniques oppose les armées romaines et « barbares »
coalisées (parmi eux, les Francs) aux Huns de Attila. Malgré la victoire, Attila étant
repoussé, le modèle de coopération entre Rome et les tribus fédérées ne peut plus tenir
en l’état. Les tribus fédérées ont fait la démonstration de leur puissance et leur
investissement contre les nouvelles incursions paraît tellement déterminant qu’elles se
sentent en droit d’en exiger davantage. Les tribus fédérées obtiennent davantage
d’autonomie. Les Francs saliens obtiennent ainsi le gouvernement de la Belgique seconde,
l’une des plus importantes provinces de la Gaule. Childéric installe sa capitale à Tournai.
Le pouvoir du chef de tribu (roi) ne s’exerce plus seulement sur ceux qui composent son
groupe ethnique, mais il a désormais une assise territoriale.

Childéric, roi des Francs saliens, illustre la double appartenance des foederati, à la fois
groupe ethnique et groupe militaire faisant partie de l’organisation défensive romaine.
En 1653, on découvre sa tombe à Tournai : elle contient à la fois des symboles francs,
comme l’armement (par exemple la francisque), et des symboles romains (le manteau
de pourpre, symbole des généraux romains). Le contenu de la tombe sera offert par
l’empereur du Saint-Empire germanique à Louis XIV.

Childéric Ier inaugure la dynastie des Mérovingiens (du nom de Mérovée, ancêtre
mythique de Childéric). C’est surtout son successeur, Clovis, qui assurera le renforcement
de la dynastie, d’une part par une politique de conquêtes efficace, d’autre part en se
convertissant à la religion chrétienne romaine.

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1. Expansion territoriale et conversion au catholicisme

La conquête de l’Aquitaine (bataille et victoire de Vouillé en 507 sur les Wisigoths) forme
la manifestation la plus évidente de la politique de Clovis. Contrairement à la plupart des
autres rois barbares, Clovis se convertit au catholicisme en 486 (baptême à Reims par
l’évêque de Reims, saint Rémy). La population de l’Aquitaine, très majoritairement
d’origine gallo-romaine, pratique la religion catholique romaine. Elle est gouvernée par
les Wisigoths, qui sont adeptes de l’arianisme, courant de la religion chrétienne considéré
comme une hérésie. La conquête de l’Aquitaine par Clovis sera facilitée par sa conversion,
qui lui permet de favoriser les relations entre élites franques et la population gallo-
romaine.

Remarque : l’arianisme est un courant de la religion chrétienne né à Alexandrie au


Ive siècle et dont le théoricien est un moine nommé Arius. Pour l’arianisme, Jésus
Christ est le fils de Dieu mais il est essentiellement de nature humaine et seulement
en partie divine. L’arianisme conteste donc la nature divine du Christ telle qu’elle est
conçue par l’Eglise romaine.

La conversion de Clovis a une autre conséquence durable sur le plan institutionnel. Elle
permet une alliance entre les Francs et l’Eglise, qui favorise le maintien des structures
ecclésiastiques qui ont survécu au déclin puis à la disparition de l’Empire d’Occident.

2. Conception du pouvoir

Le pouvoir du roi mérovingien est un pouvoir personnel et le territoire sur lequel il


s’exerce est considéré comme un patrimoine familial. Le royaume franc est considéré
comme la propriété personnelle du roi. On est loin alors de l’idée de « bien commun », ou
de « res publica (chose publique ou bien public) qui formait le fondement du pouvoir sous
l’Empire, même si l’empereur exerçait une forme de pouvoir absolu.

Le pouvoir du roi mérovingien repose sur l’expression de la fidélité personnelle. Celle-ci


s’exprime par le serment personnel de fidélité, caractérisé alors par l’oralité. Le pouvoir
du roi barbare s’exprime sous deux formes : la mainbour et le ban. La mainbour désigne
l’autorité protectrice du souverain sur ses sujets, exprimée dans l’oralité. Le ban désigne
le pouvoir de commandement et de contrainte sur les hommes, presque sans limite, qui
se trouvent sur le territoire qu’il domine.

Par ailleurs, le roi, suivant la tradition héritée de l’Empire chrétien, est supposé entretenir
avec Dieu des relations privilégiées. S’il n’est pas lui-même de nature divine, il possède
des « vertus divines ». Ces vertus, attribuées d’une manière plus générale à la famille à
laquelle il appartient, contribuent à asseoir son pouvoir.

Selon la tradition franque, le roi est élu par les grands du royaume. Cette élection n’est pas
complètement ouverte pour autant, puisqu’elle a pour objet de choisir un roi au sein de la
famille royale, celle qui est considérée comme disposant d’un pouvoir charismatique
particulier (la « race royale »), renforcé par la relation avec Dieu.

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Enfin, la conception patrimoniale du pouvoir a pour conséquence le partage du territoire
du royaume selon le mode de transmission des terres franques, les alodes : le royaume est
divisé entre les descendants mâles du souverain décédé.

C. Administration

1. Administration centrale

L’administration centrale est constituée par le Palais, qui regroupe les familiers du roi, les
dignitaires, les conseillers. Le Palais ne forme pas un lieu de résidence permanent. Le roi
et son entourage se déplacent pour assurer l’exercice du pouvoir par le contact avec les
populations, au cours d’une période marquée par la prédominance de l’oralité et la
carence des moyens de communication.

Le personnel qui participe à l’administration du royaume exerce à la fois des fonctions


domestiques et des fonctions publiques. Il n’y a pas de personnel « spécialisé ». Aussi, le
camérier est-il celui qui s’occupe de la chambre du roi et du Trésor royal. Le maréchal a
pour mission de s’occuper des chevaux du roi mais aussi de commander la cavalerie. L’un
de ces hommes se distingue peu à peu des autres : le maire (maior domus). Sa fonction
consiste à contrôler les serviteurs du roi et les intendants chargés de mettre en valeur le
domaine royal. Celui-ci exercera une influence de plus en plus importante dans
l’administration du royaume, jusqu’à exercer les fonctions régaliennes à la place du roi.

2. Administration locale

L’exercice du pouvoir royal sur le territoire du royaume franc suppose un contrôle sur de
vastes territoires, au cours d’une période marquée par la faiblesse des moyens de
communication. La maîtrise de ces territoires s’appuie sur le découpage administratif
hérité de l’Empire. Il est divisé en circonscriptions administratives, les « pagi » (pagus),
qui correspondent encore aux circonscriptions administratives romaines.
L’administration du pagus est confiée à un comte, auquel le roi a délégué l’exercice du ban.
Nommé par le roi, en principe révocable, il est engagé dans une relation de fidélité,
manifestée par le serment. Il exerce des fonctions administratives, financières, fiscales,
militaires et judiciaires.

Les manquements des comtes, leurs abus éventuels, seront corrigés par l’intervention de
l’évêque, qui exerce une influence de premier plan dans le même cadre géographique que
le comte, les circonscriptions ecclésiastiques étant moulées sur les circonscriptions civiles
héritées de l’Empire. L’évêque, dont la désignation est largement maîtrisée par le roi, se
présente comme un véritable agent du pouvoir royal. Considéré parfois par la population
comme davantage préoccupé par l’administration et la justice que le comte lui-même,
intermédiaire entre le comte et la population, il sera alors, en cas de défaillance du comte,
appelé à exercer les droits comtaux.

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D. Organisation de la justice

La justice telle qu’elle est organisée sous les Mérovingiens doit être mise en relation avec
ce qui caractérise l’installation des populations « barbares » au sein de la Gaule. Ces
populations, malgré leur organisation en royaume, restent largement minoritaires par
rapport à la population gallo-romaine présente avant les incursions. L’exercice de la
justice prend en considération l’appartenance ethnique et la tradition juridique de chacun
des groupes présents sur le territoire du royaume. C’est en effet le principe de
personnalité des lois (voy. infra, Partie II. Les Sources) qui domine alors : le droit
applicable par les juridictions est celui du groupe ethnique auquel appartient le
justiciable.

L’organisation de la justice se caractérise par l’existence de deux types de juridictions, le


mallus et le Tribunal du Palais. La procédure est accusatoire et l’administration de la
preuve est marquée par l’intervention divine.

1. Juridictions

- Le mallus

Le mallus est le tribunal de droit commun, c’est-à-dire la juridiction


compétente pour toutes les affaires, sauf celles qui sont soustraites à sa
connaissance. Le mallus s’organise autour du comte, entouré de
rachimbourgs ou bons hommes (boni uires) choisis au sein de la population.
Itinérant, le mallus est compétent tant pour les affaires civiles que pénales,
pour l’ensemble de la population, quelle que soit l’origine ethnique. Aussi,
le mallus doit au préalable déterminer, suivant le principe de personnalité
des lois, la loi applicable avant de rendre un jugement.

- Le tribunal du Palais

Composé à la discrétion du roi, le tribunal du Palais est compétent au


premier degré pour toutes les affaires concernant le roi et ses intérêts ainsi
que pour les affaires dans lesquelles sont impliquées les personnes placées
sous la mainbour royale. Il est par ailleurs compétent pour connaitre des
cas dans lesquels un justiciable qui aurait comparu devant le mallus
reproche aux rachimbourgs un manquement grave, ou dans le cas où le
mallus n’aurait pas accompli la mission qui est la sienne, celle de rendre
justice (déni de justice).

2. Procédure et administration de la preuve

La procédure peut être qualifiée d’« accusatoire ». Les parties ont un rôle actif dans le
cours de la justice. Alors que, dans le domaine pénal, notre système de procédure
continental se caractérise par l’importance du rôle moteur du ministère public (procureur
du roi), l’initiative de l’action en justice appartient alors à la victime. L’action en justice
initiée par la victime ou sa famille tend à obtenir le paiement de la composition, c’est-à-
dire une somme d’argent déterminée correspondant au préjudice subi. La procédure se
caractérise également par l’oralité et la publicité

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Quant à l’administration de la preuve, elle se caractérise par l’irrationalité et le recours à
la divinité. Il s’agit en premier lieu du serment purgatoire, qui requiert que le jureur
rassemble en sa faveur des forces naturelles, qu’il jure sur l’autel, sur le tombeau d’un
saint ou sur des reliques. Le jureur doit également s’assurer le concours de personnes
issues de sa communauté qui sont prêtes à confirmer sa bonne réputation. En raison des
critiques, le serment purgatoire perd en importance à partir du VIIe siècle, les cojureurs
témoignant surtout leur solidarité familiale ou leur solidarité de clan, davantage que leur
connaissance véritable de la réputation de l’accusé.

Dès les VIe-VIIe siècles se sont développés d’autres modes de preuve, connus sous
l’appellation de « jugements de Dieu ». L’intervention de la divinité devient déterminante.
Les jugements de Dieu se déclinent sous deux formes, le duel judiciaire et l’ordalie. Le duel
judiciaire se présente comme un combat au terme duquel celui qui perd doit être
considéré comme la partie qui succombe au procès. L’ordalie est un mode de preuve qui
se présente en général comme unilatéral. Seul l’accusé est concerné. La partie qui
souhaite voir reconnaitre son innocence se soumet à une épreuve physique dans laquelle
Dieu est censé manifester sa puissance, sa grâce vis-à-vis de l’innocent ou son
mécontentement vis-à-vis du coupable. On connait plusieurs types d’ordalie : l’ordalie par
l’eau bouillie, l’ordalie par le feu ou le fer rouge, l’ordalie du pain et du fromage.

III. Les Carolingiens

Suivant la tradition franque, le royaume franc est divisé à la mort du roi en autant de lots
que d’enfants mâles. A la suite du décès de Clovis, le royaume franc se divise en trois regna
(regnum : le royaume) : l’Austrasie (Francs de l’Est), la Neustrie (Francs de l’Ouest) et la
Burgondie (centre, incorporée au royaume de Clovis en 535). Selon les périodes, en
fonction de aléas des successions, en raison notamment de l’absence d’héritier mâle dans
l’un des trois royaumes, le regnum originaire, celui de Clovis, est appelé à se reconstituer
puis éventuellement à se diviser à nouveau à la suite de la dévolution successorale. Le
royaume de Clovis est ainsi reconstitué sous le roi Dagobert († 639), qui rassemble sous
la même couronne, entre 629 et 639, l’Austrasie, la Neustrie et la Burgondie.

Chacun de ces trois royaumes est organisé sur le plan institutionnel selon les mêmes
principes. Un maire du Palais est donc en charge de la plus importante fonction
administrative dans chacun des trois espaces. On observe que, de plus en plus au cours
des règnes qui suivent celui de Clovis, les maires du Palais renforcent leurs pouvoirs,
jusqu’à en faire une charge héréditaire et jusqu’à exercer eux-mêmes les fonctions
régaliennes.

A. Apparition d’une dynastie

Une « dynastie » de maires du palais finit notamment par émerger en Austrasie, celle des
Pippinides. Pépin de Landen (mort en 640) est ainsi maire du palais d’Austrasie et son
successeur Pépin de Herstal, son petit-fils († 714) devient maire du palais des trois regna
à partir de 690. Son pouvoir est tel qu’il est l’arbitre de la succession au trône entre les
prétendants mérovingiens. Son fils Charles Martel († 741) lui succède comme maire du
Palais d’Austrasie et peut être considéré comme « roi de fait » des Francs. L’ascension des
Pippinides aboutit à l’accession de Pépin le Bref au trône, en 751. En 752, le dernier roi

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mérovingien, Childéric III, est définitivement écarté : il est tonsuré et envoyé dans un
monastère.

B. Fondements du pouvoir

En 751, Pépin le Bref est élu roi des Francs. Son accession au trône est suivie d’un rituel
nouveau : le nouveau roi est consacré par les évêques francs. L’Eglise franque marque
ainsi son approbation à l’accession au pouvoir de la nouvelle dynastie. Le front du
nouveau souverain est oint d’une huile sainte. L’institution du sacre, inconnue des rois
mérovingiens, inspirée de l’Ancien Testament (tradition juive) et connue des Wisigoths,
contribue à légitimer la prise de pouvoir de Pépin le Bref. Consacré par les évêques et oint
de l’huile sainte, le nouveau souverain est censé être inspiré par Dieu. Ce premier sacre
est suivi d’un second sacre, en 754, par le pape lui-même, au cours duquel ses fils Charles
et Carloman sont également sacrés. Ce second sacre renforce encore la légitimation de
l’accession au trône des Pippinides. Il scelle également l’alliance entre le roi des Francs et
la papauté. Le pape est alors menacé par les Lombards et il a besoin de la protection d’un
prince assez puissant. Pépin le Bref se voit donc attribué le titre de roi des Francs mais
aussi celui de patrice des Romains. Il est appelé à protéger le pape.

L’accession au pouvoir de Pépin marque un moment décisif dans la conception du pouvoir


royal. Le sacre confère au souverain une mission sacrée, confiée par Dieu, celle d’assurer
le salut des chrétiens. Ce rituel nouveau inaugure le développement d’une « théocratie »,
c’est-à-dire d’un gouvernement de la cité par Dieu, suivant la mission qu’il confie, celle
d’assurer la justice de Dieu. Le roi, dans cet esprit, est titulaire d’un ministère qui est à
rapprocher de la mission du prêtre. Le pouvoir royal et l’autorité spirituelle tendent à se
confondre.

Le développement de la conception de la théocratie royale est prolongé sous


Charlemagne. Son frère Carloman étant décédé, la division du royaume entre les deux
héritiers, selon la tradition franque, n’a pas lieu. Charlemagne est donc, dès 771, à la tête
d’un royaume très vaste et difficile à contrôler, dont la population est très hétérogène et
parfois indocile. Le renforcement de la légitimité du pouvoir royal reste une nécessité.
L’entourage de Charlemagne, au nombre desquels le moine Alcuin († 804), s’emploie à
ressusciter l’idée d’ « empire ». L’importance de la mission confiée au roi des Francs par
le sacre l’élève au-dessus de la condition de simple roi national. Il n’est pas un simple roi
parmi d’autres rois. Chargé de la mission d’assurer le salut des chrétiens, il est appelé à
dominer l’ensemble du monde chrétien. Le pouvoir du roi franc a donc une vocation
universelle, au-delà de toute limitation territoriale, puisqu’il a vocation à protéger tous les
chrétiens.

L’idée d’un Empire chrétien, renouvelant l’Empire romain d’occident et dominant les
royaumes nationaux, est théorisée par Alcuin. Les circonstances se prêtent à la
renaissance de l’idée impériale. Le pape Léon III est contesté par l’aristocratie romaine,
qui détient un pouvoir important au sein de l’Eglise de Rome. Sa situation est tellement
fragile qu’il en appelle à Charlemagne. La théocratie royale, et l’importance du ministère
confié par Dieu au souverain, celui de protéger les chrétiens ainsi que la papauté, s’en
trouvent renforcées par les événements. Dans le même temps, le pouvoir impérial de
Byzance connait un profond déclin. Le trône impérial byzantin se présente, aux yeux de

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l’Occident, comme vacant. La protection sur laquelle le pape aurait pu compter de la part
de l’empereur d’Orient fait défaut.
L’empereur Constantin VI, couronné en 780, est en conflit avec sa mère, Irène l’Athénienne, qui
tente un coup d’Etat en 790. Contesté par la noblesse comme par le clergé, il est complètement
isolé. Irène l’Athénienne lui fait crever les yeux en 797, le fait enfermer dans un monastère et
assume elle-même le pouvoir impérial.

Charlemagne est sacré empereur à Rome, dans la Basilique Saint-Pierre, le jour de Noël
de l’an 800. Le pouvoir du souverain carolingien et la théocratie royale connaissent leur
plein épanouissement.

C. Administration

1. Administration centrale

Le Palais reste itinérant, même s’il a tendance à se fixer, à la fin du règne de Charlemagne,
à Aix-la-Chapelle.

Soucieux de ne pas concentrer l’exercice du pouvoir dans les mains d’un seul
fonctionnaire – système qui leur a permis d’exercer peu à peu les fonctions du roi – les
souverains carolingiens mettent fin à la fonction de maire du Palais. Les fonctions
d’administration générale seront confiées à trois fonctionnaires :

- le comte du Palais, qui occupe le sommet de la hiérarchie comtale et préside le


Tribunal du Palais en l’absence de l’empereur ;

- l’archichapelain, principal conseiller ecclésiastique de l’empereur ;

- le chancelier, en charge de la rédaction des actes législatifs et administratifs.

Le rassemblement d’assemblées continue de former l’une des caractéristiques de


l’administration du royaume. Rassemblant les grands dignitaires, elles assument un rôle
de conseil et garantissent l’engagement de ceux qui y participent. Pour le souverain
carolingien, la réunion de ces assemblées lui permet de s’assurer de l’approbation de ses
orientations politiques, de l’engagement de ceux qu’elles concernent mais aussi de leur
communication et de leur diffusion. L’assemblée forme également une instance de
jugement.

Enfin, le développement intellectuel qui marque l’avènement des Carolingiens, en


particulier sous Charlemagne, entraîne la réapparition de l’écrit administratif.
Instructions, rapports et textes de loi font leur réapparition.

2. Administration locale

Les Carolingiens s’efforcent d’améliorer l’organisation héritée des Mérovingiens. Le


territoire conserve ses circonscriptions administratives anciennes, les pagi. Mais les
comtes sont désormais rémunérés par une dotation foncière, l’honor. Il perçoive
également des revenus de leurs fonctions judiciaires.

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Le comte est le représentant permanent de l’empereur dans le pagus. A ce titre, il exerce
des fonctions d’administration ainsi que des fonctions judiciaires, militaires et fiscales.

Comme sous les Mérovingiens, l’évêque reste un personnage-clé au niveau de


l’administration locale. Les relations entre le pouvoir royal (ou impérial) et la hiérarchie
ecclésiastique sont étroites et le rôle de l’évêque reste important.

L’organisation de l’administration locale se renouvelle par l’institution des missi dominici.


Pour faire face aux abus, à la négligence ou à la corruption qui se développent dans un
espace dont l’administration est difficile à maîtriser, les missi dominici sont des
fonctionnaires itinérants, chargés de faire connaitre et respecter les ordres du souverain.
Se déplaçant deux par deux – un laïc et un clerc – ils effectuent 4 tournées par an. Leurs
pouvoirs sont très étendus. Ils organisent, dans les lieux où ils séjournent, des plaids
(assemblées d’hommes libres) au cours desquels ils assurent la publication des actes
législatifs, reçoivent les plaintes de la population et exercent une activité judiciaire. Ils
assurent également le contrôle du fonctionnement de l’administration mais aussi de
l’activité religieuse.

3. Renforcement des liens entre pouvoir central et administration locale

Dans le but d’assurer un meilleur fonctionnement de l’administration au niveau local et


une maîtrise des agents locaux, les souverains carolingiens s’efforcent de multiplier les
liens personnels avec les fonctionnaires qui les servent. Il s’agit de former des réseaux
efficaces de fidèles. La valorisation de la fidélité forme l’un des instruments du pouvoir.
Le développement du serment et le développement de la vassalité en constituent deux
illustrations concrètes. Conclu entre deux personnes de condition libre, le contrat de
vasselage est un contrat au terme duquel l’une des deux parties, le vassal, s’engage au
service de l’autre qu’il reconnait pour maître, tandis que l’autre, le seigneur, lui offre sa
protection. Le phénomène de la vassalité n’était pas inconnu au cours de la période
précédente, mais il prend une dimension nouvelle sous les Carolingiens. Le contrat de
vasselage s’accompagne, s’agissant des vassaux royaux, de l’octroi d’un bien foncier. Avec
le titre de vassal, pour prix de sa fidélité au souverain, le comte reçoit ainsi un bénéfice
(ou bienfait), dont les revenus s’ajoutent à ceux qu’il perçoit de son honor.

Les Carolingiens développent également le système de l’immunité. L’immunité constitue


un privilège par lequel un territoire est soustrait au contrôle des agents royaux. Ce
système, qui laisse donc à son bénéficiaire, l’immuniste, une large liberté d’action, formera
sous les Carolingiens le régime normal des abbayes et des églises.

D. Organisation et fonctionnement de la justice

1. Organisation

Le mallus reste la juridiction de droit commun sous les Carolingiens. L’appellation


change : on parle désormais de plus en plus de « plaid comtal ». Le comte préside le mallus
ou le plaid. Mais les rachimbourgs ou bonshommes ne sont plus de simples hommes libres
choisis par le comte, comme sous les Mérovingiens. Dans la perspective d’un contrôle
plus étroit des agents locaux, ceux qui entourent le comte sont de véritables magistrats,
les scabini, des individus dont la participation à l’exercice de la justice constitue le métier.

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Les missi dominici eux-mêmes participent à l’exercice de la justice à l’occasion de la
mission de contrôle dont ils sont investis. A l’occasion de leur séjour, ils rendent la justice,
entourés du comte et de sept échevins. Ils connaissent des demandes en révision des
décisions rendues par le plaid comtal ainsi que des affaires qui ont été laissées sans
jugement (déni de justice).

Enfin, la justice est rendue au sein du Tribunal royal (Tribunal du Palais). Le Tribunal
royal, présidé par le comte du Palais, est composé des dignitaires du royaume. Il connait
des affaires dans lesquelles les fonctionnaires royaux ou les grands du royaume sont
concernés, ainsi que les cas graves de désobéissance aux ordres, par exemple la désertion.
Il connait également, au deuxième degré, des affaires que les juridictions ordinaires n’ont
pas pu trancher ou ont refusé de trancher (déni de justice) ou de toute affaire dont le
requérant estime qu’elle a été mal jugée, la décision rendue n’étant pas conforme à la loi.

2. Fonctionnement : procédure et preuves

La procédure reste accusatoire. L’initiative de l’action en justice, tant en matière civile


qu’en matière pénale, revient donc à la partie qui s’estime préjudiciée. L’initiative
n’appartient pas au comte. Toutefois, le caractère accusatoire de la procédure est tempéré
par deux éléments. D’une part, le comte a un intérêt pécuniaire à engager des poursuites
(à prendre l’initiative de l’action en justice) dans la mesure où il perçoit le fredum, une
quote-part (1/3) de la somme obtenue en justice par la partie préjudiciée. D’autre part, le
comte peut se saisir d’office dans un cas, lorsque les intérêts ou les ordres du souverain
sont en cause. Or ces cas deviennent fréquents, dans la mesure où l’activité normative du
souverain reprend sous les Carolingiens. D’une manière générale, le comte est appelé à
intervenir contre toute atteinte à l’ordre public.

Quant à l’administration de la preuve, les preuves irrationnelles dominent toujours. Le


système des ordalies et du duel judiciaire se développe. Le duel judiciaire se généralise
sous Louis le Pieux, le successeur de Charlemagne.

E. Fractionnement de l’Empire carolingien

La construction de l’Empire carolingien comme espace de protection et d’expansion de la


chrétienté se heurte à la conception que s’en fait Charlemagne lui-même. L’Empire n’est
pas conçu par Charlemagne comme une entité indivisible qui devrait lui survivre, et le
titre d’empereur n’est pas plus conçu comme étant héréditaire. Aussi, le Règlement
successoral de 806 prévoit-il la division de ses possessions selon la coutume franque,
entre ses trois fils : Pépin, Charles et Louis. Le maintien d’une unité n’apparaît pas
nécessaire et l’Empire pouvait disparaître après sa mort. L’unité du patrimoine de
Charlemagne est toutefois préservée par l’effet des circonstances. C’est à la suite du décès
de Pépin et de Charles que Louis le Pieux devient, en 814, l’unique héritier et successeur
de Charlemagne.

14
1. Le règne de Louis le Pieux

Le règne de Louis le Pieux est marqué par un renforcement des relations entre le pouvoir
royal et le monde ecclésiastique. Louis le Pieux s’entoure de clercs qui s’emploient à
consolider la restauration impériale initiée sous Charlemagne. Louis le Pieux, au contraire
de Charlemagne, qui faisait systématiquement usage de son titre de roi des Francs,
n’utilise plus que la titulature impériale.

Il s’agit pour l’Eglise de pérenniser la construction de l’Empire, et par conséquent son


unité, en développant et en systématisant l’idéologie de la théocratie royale. La doctrine
qui se développe sous Louis le Pieux a pour objet central de démontrer que la mission qui
est confiée au souverain carolingien, celle qui consiste à assurer le salut des chrétiens, ne
peut être accomplie que dans un cadre politique unitaire. La patrimonialité du pouvoir et
de l’Empire devait être remise en cause.

Cet objectif se traduit par le Règlement successoral de 817 (« Ordinatio imperii »). Louis
Le Pieux a alors 3 fils : Lothaire, Pépin et Louis. Contrairement à la coutume franque, le
Règlement successoral proclame l’indivisibilité de l’Empire au profit de son fils aîné,
Lothaire, qui héritera du titre impérial. Quant à Pépin et Louis, ils obtiendront des
territoires limités, qu’ils gouverneront sous le contrôle de leur frère aîné.

Le Règlement successoral de 817 heurte la tradition et provoque des tensions. S’y ajoute
la circonstance du remariage de Louis le Pieux en 819, et la naissance d’un quatrième fils,
Charles. L’organisation de la succession prévue par l’Ordinatio imperii de 817 est remise
en question. Les partisans de l’unité de l’Empire et les partisans de sa division s’opposent
dans une lutte ouverte. En 839, Louis le Pieux est contraint de proposer un nouveau
règlement en accord avec la tradition franque.

2. Le partage des territoires et la continuité de la fonction impériale

En 843, trois ans après la mort de Louis le Pieux, Pépin étant décédé, les trois frères
survivants concluent un Traité de partage, le Traité de Verdun, qui prévoit la division de
l’Empire en trois parties : Charles (dit Charles le Chauve) obtient la Francie occidentale,
Louis (dit Louis le Germanique) obtient la Francie orientale. Lothaire, le fils aîné, obtient
une bande de territoire située entre la Francie occidentale et la Francie orientale, la
Francie médiane, également appelée Lotharingie, incluant le berceau de la dynastie
carolingienne ainsi que l’Italie, cœur de l’empire. Lothaire hérite du titre impérial.

Le titre impérial subsiste mais la divisibilité traditionnelle, suivant une conception


patrimoniale, continue de s’imposer. La Francie médiane ou Lotharingie, à laquelle est
attachée la fonction impériale, se divise ainsi par la suite entre les trois fils de Lothaire.
Louis II hérite ainsi de l’Italie et du titre impérial (855). Le titre impérial, malgré sa
vocation à l’universalité, voit son assise territoriale de plus en plus réduite. Chacun des
trois fils de Lothaire étant mort sans descendance masculine, la transmission du titre
impériale revient ensuite à Charles le Chauve, frère de Lothaire (875), roi de Francie
occidentale. Après sa mort (877), le titre impérial revient à l’un des fils de Louis le
Germanique, Charles, dit Charles le Gros, qui est sacré empereur en 881. A sa mort, en

15
888, aucun membre de la dynastie carolingienne ne paraît capable d’assumer l’héritage
impérial. Le seul descendant légitime, Charles le Simple, est alors âgé de neuf ans.

3. Désintégration de l’Empire carolingien

Si la division de l’Empire carolingien trouve sa source dans la résistance de la tradition


franque, le déclin que connait le pouvoir carolingien après Louis le Pieux ne s’explique pas
seulement par son caractère patrimonial. Il s’agit de mettre en avant tant des causes
internes que des causes externes.

- causes internes : L’Empire carolingien apparaît comme une construction


fragile. Les moyens d’administration mis en œuvre ne suffisent pas à assurer
au souverain la maîtrise de territoires très vastes, rassemblant des peuples
différents qui ne parlent pas la même langue. Les royaumes issus de la division
de l’Empire restent vastes et leur contrôle reste difficile. Les rapports de fidélité
sur lesquels s’appuie le souverain sont fragiles, d’autant que, fondés sur le
serment, c’est-à-dire un engagement personnel, ils s’éteignent à la mort de
celui qui l’a prêté. La vassalité qui se développe également sous les Carolingiens
reste un mode fragile d’administration, dans la mesure où sa structure
hiérarchique peut conduire à faire obstacle à l’exercice d’une autorité directe
par le souverain.

- causes externes : A partir de la première moitié du IXe siècle, l’Empire


carolingien subit plusieurs vagues d’invasions : invasions musulmanes (ou
invasions « sarrasines », au début du IXe siècle), invasions scandinaves
(« vikings », vers la seconde moitié du IXe siècle), invasions hongroises (à partir
du début du Xe siècle). Les souverains carolingiens qui succèdent à Louis le
Pieux s’efforcent de repousser les invasions scandinaves, mais ils apparaissent
très désarmés. Ils doivent compter sur les grands du royaume. Certains d’entre
eux, profitant de leur faiblesse, n’entendent pas toujours leur venir en aide et y
voient une occasion d’accroître leur propre pouvoir. Les invasions scandinaves
accélèrent la désorganisation et la désagrégation des royaumes carolingiens
issus de l’Empire de Charlemagne.

Les causes de la désagrégation des royaumes carolingiens peuvent être analysées à


travers le déclin du pouvoir royal. On observe ainsi :

a. la carence du gouvernement sur le plan militaire

Les souverains carolingiens qui doivent faire face aux invasions


scandinaves font appels aux grands du royaume pour leur venir en aide sur
le plan militaire. Ils ne disposent pas eux-mêmes d’une armée suffisante. Les
grands sont devenus puissants et les souverains carolingiens sont
dépendants d’eux. Largement autonomes, les grands n’entendent pas
nécessairement répondre aux besoins du roi, et tirent parti de sa faiblesse.

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b. la dilapidation du trésor royal

La nécessité de gagner ou de conserver le soutien des grands entraîne de


larges concessions de la part du souverain (terres ou avantages divers).
Cette politique conduit à appauvrir les finances royales.

c. la perte du contrôle sur les agents

Le roi a cédé des bienfaits aux fins de renforcer l’administration du royaume


par le renforcement des fidélités et le développement de la vassalité. Il a par
ailleurs donné des honores aux comtes, en rémunération de leurs fonctions.
Le système de la fidélité accuse désormais des faiblesses. Les grands se
sentent autonomes et n’exécutent plus leurs obligations de vassaux. Quant
aux honores, ils deviennent peu à peu héréditaires. Enfin, ce système de
fidélité, largement basé sur l’octroi de domaines, conduit à une impasse : le
roi ne dispose plus d’assez de biens. Par ailleurs, le défaut d’exécution de
ses obligations par l’agent ou le vassal ne peut plus faire l’objet de sanction.
Le roi ne dispose plus de la force nécessaire pour le contraindre à respecter
ses obligations.

d. la privatisation du ban

La puissance acquise par les agents du roi, comme les comtes ou les ducs, et
la perte de contrôle qui l’accompagne, les conduits à exercer eux-mêmes les
pouvoirs issus du ban. Ils exercent pour leur compte, sans en référer au roi
ou reverser quoi que ce soit au Trésor royal, les attributions qui leur avaient
été déléguées.

e. le développement de l’hérédité des honores

L’autonomisation des espaces territoriaux confiés aux agents territoriaux a


pour conséquence de voir ces domaines échapper au roi à l’occasion des
successions. Les grands entendent transmettre leurs domaines (bénéfices
ou honores) à leurs successeurs. La tendance à l’hérédité des honores se
manifeste au cours de l’assemblée de Quierzy, en 877. Charles le Chauve, à
la veille d’un départ en campagne, conscient de la fragilité du pouvoir royal,
y fait confirmer par les grands leur fidélité tout en leur faisant une
concession importante : il définit les mesures à prendre lorsque les charges
ou bénéfices deviennent vacants par suite du décès de leur titulaire,
notamment une charge comtale. Charles le Chauve prévoit que les droits des
fils du comte doivent être protégés.

f. la médiatisation du pouvoir

L’affaiblissement du pouvoir royal et l’autonomisation des grands font


obstacle au contrôle des territoires par le roi. En raison de l’autonomisation
des grands, la hiérarchie féodale développée par les souverains carolingiens
fait obstacle à l’exercice du pouvoir. Seigneurs de leurs vassaux, les grands
ne respectent plus leurs obligations envers leur propre seigneur, le roi. En

17
cas de conflit entre le roi et l’un des grands, les vassaux de ce dernier
l’assureront de leur fidélité, contre le roi. Le roi n’a plus de pouvoir direct
sur les niveaux inférieurs de la hiérarchie. Les grands forment un « écran »
à l’exercice de l’autorité royale sur les niveaux inférieurs.

g. la rupture avec le principe d’hérédité de la fonction royale

Signe des temps, l’affaiblissement du pouvoir royal perturbe le mode


d’accession au pouvoir du roi. L’hérédité acquise sous les Carolingiens,
renforcée par le sacre, est fragilisée. Si les fonctions comtales tendent à
devenir héréditaires, c’est le contraire en ce qui concerne le roi. Ici aussi, les
grands du royaume manifestent leur pouvoir, en procédant, au besoin, à
l’élection du souverain. Il s’agit pour eux de désigner celui qui apparaît le
plus capable (notamment de protéger le royaume contre les invasions) ou
encore celui qui, par sa faiblesse, leur permettra d’asseoir ou de développer
leur pouvoir. Le retour de l’élection comme mode d’accession au pouvoir a
pour conséquence de fragiliser l’avenir de la dynastie carolingienne.

S’agissant de l’espace français, Eudes (famille des Robertiens), comte de


Paris, est élu roi de Francie occidentale en 888. Sa défense de Paris contre
les invasions scandinaves le désigne comme le candidat le plus apte, Charles
le Simple (Carolingien) étant âgé de moins de dix ans. Les Carolingiens
retrouveront à nouveau le pouvoir par le moyen de l’élection. Charles le
Simple succède à Eudes en 898. Il conserve le pouvoir jusqu’à sa mort en
922. Les grands élisent alors Robert de Neustrie, le frère d’Eudes († 923).
Les Carolingiens retrouveront le trône entre 936 et 986, pour être écartés
définitivement au profit des Robertiens.

4. Evolution du mouvement d’autonomisation territoriale

Un mouvement d’autonomisation territoriale est à l’œuvre à partir de la fin du IXe siècle.


Les grands ont donc acquis une très large autonomie et exercent pour leur propre compte
les pouvoirs liés au ban. La fin du IXe siècle est donc marquée par la formation de
nouveaux espaces politiques. A leur tête, d’anciens agents royaux qui conservent ou
prennent des titres divers : comte, duc, prince, ou même roi.

Le fractionnement géographique et politique se poursuivra au cours d’une seconde phase,


au siècle suivant, qui verra l’entité devenue autonome se désagréger à son tour.

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Chapitre II. L’Angleterre anglo-saxonne et la Conquête (Ve - XIe siècles)

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La période qui s’étend du Ve siècle au XIe siècle est celle dite de l’ « Angleterre anglo-
saxonne ». Elle prend cours à partir du retrait de l’autorité romaine, en 410, à la suite des
incursions des tribus germaniques (dites « barbares »), notamment les Angles et les
Saxons. Elle se poursuit jusqu’à la Conquête normande, marquée par la bataille d’Hastings
(1066) et l’avènement de Guillaume le Conquérant.

I. Préalable: héritage romain et christianisation

L’implantation de l’autorité romaine dans l’espace anglais qu’on connait alors sous
l’appellation de Britannia (Bretagne), est tardive et superficielle. La romanisation de la
Bretagne est faible. Aussi, les incursions des tribus germaniques entraînent le retrait des
armées romaines dès le début du Ve siècle. En 410, l’empereur Honorius (395-423)
demande aux Romains de Bretagne d’assurer eux-mêmes leur défense. Ceux qui sont
généralement appelés « Saxons », et qui rassemblent également des Angles, des Frisons et
des Jutes, multiplient les incursions, aux Ve et VIe siècles. La rencontre entre romanité et
culture germanique n’est pas celle que connait la Gaule, dans la mesure où l’implantation
de la culture romaine y est beaucoup moins importante.

L’implantation de la religion chrétienne y est également plus faible qu’en Gaule, du moins
au IVe et Ve siècle. Le contact entre l’Eglise de la Bretagne romaine et Rome se perd dès
le début du Ve siècle. Un nouveau mouvement de christianisation de se développe à partir
de la seconde moitié du VIe siècle. Vers 600, la christianisation se répand par l’ouest, sous
l’influence des missionnaires venus d’Irlande, et par le sud, sous l’influence des
missionnaires venus du continent. En 597, saint Augustin fonde l’archevêché de
Cantorbéry (angl. : Canterbury). La christianisation est assez importante pour atteindre
l’élite anglo-saxonne. Le roi Aethelbert de Kent est baptisé en 601. Il est le premier des
rois saxons à se convertir à la foi chrétienne. Dès 655, la christianisation aura atteint
l’ensemble des souverains anglo-saxons. Le dernier des rois païens, Penda, meurt en 655.
L’importance du mouvement de christianisation est telle qu’elle entraîne l’envoi de
missionnaires anglo-saxons sur le continent, dans l’espace carolingien, à partir du VIIIe
siècle.

II. Des invasions anglo-saxonnes à l’unification de l’espace anglais

La période anglo-saxonne se caractérise, jusqu’au Xe siècle, par la coexistence de


différents royaumes dont l’importance varie au cours du temps. Comme sur le continent
au cours de la même période, le roi apparaît d’abord comme un chef militaire et il exerce
d’abord sa souveraineté sur un peuple avant de l’exercer sur un territoire.

A. Royaumes anglo-saxons

Le royaume de Kent, avec le roi Aethelbert, se distingue parmi les royaumes anglo-saxons
au cours d’une première époque, à la fin du VIe siècle. La domination passe ensuite au
royaume de Northumbrie, et au roi Edwin, puis au royaume de Mercie, qui domine les
autres royaumes au cours du VIIIe siècle. Le roi de Mercie, Offa, est alors considéré sur le
continent, par Charlemagne, comme le plus important souverain de l’espace anglais.
Toutefois, dès la fin du VIIIe siècle, la suprématie du royaume de Mercie décline devant la
montée en puissance d’un autre royaume, le Wessex. Au IXe siècle, le roi Alfred de Wessex
(Alfred le Grand) s’impose parmi les autres rois qui se partagent la terre d’Angleterre.

20
B. Invasions vikings et Danelaw

Les premières invasions scandinaves ont lieu à la fin du VIIIe siècle. L’irruption des
Vikings met fin à la puissance des royaumes anglais, jusqu’à ce que leur expansion soit
arrêtée par Alfred Le Grand, roi de Wessex (victoire de Ethandun ou Edington, 878). Les
nouvelles populations scandinaves organisent leur installation dans un vaste espace,
appelé Danelaw. L’importance politique du Danelaw fait face cependant à la montée en
puissance du royaume de Wessex au cours du IXe siècle.

C. Unification de l’Angleterre

A la fin du règne d’Alfred le Grand (mort en 899), le roi de Wessex domine le Wessex lui-
même, mais également le Sussex et le Kent. La domination du roi de Wessex s’accroit au
cours du règne du successeur d’Alfred le Grand, Edouard l’Ancien, qui combat
efficacement les Danois (autre appellation pour désigner les Vikings ou Scandinaves).
Cette politique d’expansion permet au successeur d’Edouard, Aethelstan (924-939), à la
suite de la conquête de la Northumbrie, de se considérer comme le premier souverain
saxon régnant directement sur l’ensemble de l’Angleterre.

L’unité politique de l’Angleterre est considérée comme acquise sous le règne d’Edgar dit
« Le Pacifique » (959-975), couronné à Bath par l’Archevêque de Cantorbéry (Canterbury)
en 973.

L’affirmation du royaume de Wessex face aux autres royaumes au cours du Xe siècle se


manifeste également par les relations qu’entretient la maison royale de Wessex avec les
les familles qui règnent sur le Continent. Ces relations prennent une certaine importance
sous Aethelstan (924-939). L’une de ses sœurs est mariée au roi de Francie occidentale,
Charles le Simple, une deuxième de ses sœurs est mariée à Otton, futur Otton Ier du Saint-
Empire. Une troisième sœur est mariée au duc des Francs, Hugues le Grand. Une
quatrième sœur, enfin, est mariée au duc Conrad de Bourgogne.

D. Conquête normande

De nouvelles incursions scandinaves ont lieu à partir du début du XIe siècle. La


domination des rois de Wessex est ébranlée. En 1013, Sven de Danemark, dit « Barbe
fourchue », écarte Aethelred II dit « l’Irrésolu » ou « le Malavisé ». L’importance du
pouvoir scandinave se confirme sous le règne de son successeur, le roi Knut II le Grand
(1016-1035), dont le pouvoir s’étend sur l’ensemble de l’Angleterre. Knut le Grand est à
la tête d’un vaste espace, sur les deux rives de la mer du Nord. Sa domination s’étend sur
l’espace anglais, sur le Danemark, la Norvège et une partie de la Suède.

Pour assurer la consolidation de son pouvoir, Knut le Grand, après avoir défait son ennemi
anglo-saxon, épouse la veuve d’Aethelred II, Emma de Normandie. Edouard, fils
d’Aethelred II, trouve refuge auprès du duc de Normandie, son oncle (Richard II).

Seul fils de Knut le Grand et d’Emma de Normandie, Harthaknut, ou Knut III, dit « le
Hardi », devient roi d’Angleterre en 1040. Sans descendance, il invite son demi-frère,

21
Edouard dit « le Confesseur », à quitter la Normandie et à regagner l’Angleterre pour lui
succéder sur le trône (1042). Edouard, plus préoccupé par ses activités religieuses, laisse
le royaume aux mains des earls (voy. infra) . Le pouvoir royal est affaibli.

Au mois de janvier 1066, Edouard le Confesseur meurt sans descendance. Sa succession


est disputée entre plusieurs prétendants, deux principalement : l’earl de Wessex Harold
Godwinson, et le duc de Normandie, Guillaume, dit « le Bâtard », ensuite appelé « le
Conquérant ». Le premier est le beau-frère d’Edouard le Confesseur, qui l’a désigné
comme son successeur in articulo mortis. Harold monte sur le trône d’Angleterre, avec
l’approbation du wiotan (ou witenagemot, cf. infra), dès le mois de janvier 1066. Le second
est le fils (fils illégitime) du duc de Normandie, Robert dit « le Magnifique ». Il est donc le
neveu d’Emma de Normandie. Ce lien de parenté ne lui donne aucun droit à succéder à
Edouard le Confesseur. Il n’est pas un prétendant légitime, au vu de l’évolution de
l’organisation de la succession au trône telle qu’elle se présente alors en Angleterre.

Harold est vaincu à Hastings au mois d’octobre 1066. Guillaume le Conquérant est
couronné roi d’Angleterre à Londres, en l’abbaye de Westminster, au mois de décembre
suivant. Il s’agit pour le nouveau roi de consolider son accession au pouvoir et d’asseoir
sa légitimité. Il compte notamment sur l’Eglise et ses principaux représentants,
l’Archevêque d’York et l’Archevêque de Cantorbéry. Le pouvoir normand s’assure
également la maîtrise du territoire en réaffirmant l’autorité royale dans l’ensemble du
royaume, en particulier face aux earls.

A la suite de la Conquête, et après s’être assuré la maîtrise de l’ensemble du territoire, les


Normands qui ont suivi Guillaume s’installent en Angleterre. Peu à peu, ceux des nobles
anglais qui ont survécu à Hastings sont écartés du pouvoir. Groupe minoritaire, les
Normands se partagent le pouvoir et les terres conquises. L’Angleterre est soumise à un
processus de colonisation qui se poursuit jusqu’à la fin du XIe siècle. Le duché de
Normandie et le royaume d’Angleterre sont en relations étroites. Les premiers rois anglo-
normands, Guillaume et ses successeurs, se partagent entre l’Angleterre et le Continent.
Le plus souvent sur le Continent, ils s’emploient à favoriser une organisation
institutionnelle qui puisse être efficace en leur absence.

Les liens entre la Normandie et l’Angleterre finiront par se relâcher à partir du début du
XIIe siècle. L’Angleterre, peu à peu, se détache de la terre normande.

III. Conception du pouvoir

A. Qualités royales

Le roi se distingue d’abord par ses qualités militaires. Le développement de la religion


chrétienne conduit à la promotion d’autres qualités. Le bon roi est aussi celui qui apporte
la paix dans son royaume, en assurant le maintien de l’ordre par l’exercice de la justice
ainsi que par la rédaction de bonnes lois.

B. Election et acclamation

L’élection apparaît comme le mode d’accession au pouvoir sous les rois anglo-saxons. Le
sacre ne constitue pas un événement nécessaire, devant intervenir pour assurer

22
légitimation de la succession. Il marque plutôt un temps fort du règne, une confirmation
des qualités du roi. Toutefois, le champ de l’élection est restreint. Elle a lieu dans le cadre
de la famille royale. L’élection est suivie d’une acclamation.

Le cas d’Edgar le Pacifique, au Xe siècle, illustre cette particularité. Parvenu au pouvoir en


959, Edgar le Pacifique n’est sacré qu’en 973, après 14 ans de règne. Edouard le
Confesseur, quant à lui, ne sera sacré que six mois après son accession au pouvoir.

C. Hérédité et sacralisation

Le caractère héréditaire est présent, dans la mesure où c’est au sein de la famille régnante
qu’a lieu la succession. Mais le principe de la primogéniture de type masculin (premier né
de sexe masculin) ne s’impose de manière tout à fait distincte qu’à partir du règne de Jean
sans Terre (1199-1216). L’accession au trône dépend essentiellement, pendant la période
anglo-saxonne, des aptitudes de celui qui va monter sur le trône. Si l’aîné ne dispose pas
des qualités requises, le plus capable parmi les membres de la famille sera préféré. En
871, Alfred – futur Alfred le Grand – succède ainsi à son frère Ethelred. Il est préféré
aux deux fils de son frère, qui ne sont manifestement pas en âge de régner. A partir de la
fin du Xe siècle, le principe de la transmission dans la descendance masculine, du père
vers le ou les fils, se précise. Seuls les fils du roi portent le titre d’atheling, qui désigne leur
qualité d’héritier présomptif. Les fils du roi décédé sont préférés aux frères, à tout le
moins ceux qui sont assez âgés – ou le seront à bref délai –pour être apte à porter les
armes.

Si la succession a bien lieu – à l’exception de la succession d’Edouard le Confesseur – dans


la famille du roi défunt, en ligne masculine, il n’est pas rare que plusieurs prétendants
s’affrontent et fassent parler les armes. En l’absence de règles de dévolution successorale,
la force peut permettre à l’un des prétendants de s’imposer par rapport à ses concurrents.

Le couronnement d’Edgar le Pacifique marque un moment essentiel de la


cérémonialisation qui entoure le couronnement. Edgar est sacré à Bath en 973, ancienne
ville romaine (thermes) par l’Archevêque de Cantorbéry (Canterbury). A l’image du rituel
en usage sur le continent, l’onction s’impose peu à peu dans le cadre du sacre. En 787,
Offa de Mercie se fait oindre ainsi que ses deux fils, en vue préparer sa succession. En 796,
Eardwulf, roi de Northumbrie, reçoit l’onction. L’onction s’impose de manière
systématique à partir de couronnement d’Edgar le Pacifique. Le sacre d’Edgar, en 973, est
organisé selon un rituel strict qui se perpétue ensuite : approbation et acclamation par la
population ; triple serment (protéger l’Eglise, défendre la population contre les ennemis
de l’Angleterre ; assurer la justice) ; onction et couronnement.

Inspiré par l’héritage carolingien, le rituel du sacre, en particulier le moment de l’onction


par le plus important des représentants de l’Eglise, donne au règne le caractère d’un
ministère, d’une mission divine, et marque l’importance des liens qui unissent le roi et
l’Eglise. L’inspiration carolingienne se manifeste également dans la reprise d’autres
symboles, comme la couronne à fleurons.

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IV. Administration centrale

L’administration centrale se confond à l’origine, comme dans l’espace franc, avec


l’organisation du palais royal. On distingue, à partir de la fin de l’époque anglo-saxonne,
au Xe siècle, 4 « officiers » principaux, anciennement titulaires de fonctions
domestiques, qui deviennent des officiers publiques :

- le steward, qui prend en charge l’intendance du palais, également chargé , avant


l’organisation de l’impôt, de la collecte des réquisitions en nature ;

- le chamberlain, à l’origine responsable de la garde-robe du roi, chargé de


l’organisation des cérémonies et gardien du Trésor royal ;

- le staller, ensuite appelé constable, à l’origine responsable des écuries (des


chevaux) du roi, chargé des questions militaires ;

- le chancellor, reponsable de la chapelle royale, chargé des écrits royaux, et


responsable du seau royal.

Le roi est également entouré de conseillers qui forment ensemble un groupe nommé
wiotan ou witan. Le wiotan se présente comme une institution caractéristique de la
période anglo-saxonne, héritière des traditions germaniques : l’importance du pouvoir
d’un groupe d’hommes qui entourent le roi. Désignant une « rencontre de sages », le
wiotan rassemble les personnalités importantes du royaume : proches du roi, haute
noblesse, haut clergé, principaux membres de son administration.

Convoqué par le roi, le wiotan débat des questions relatives à l’organisation et


l’administration du royaume, ou encore des questions fiscales (taxes), de la justice, etc.
On voit par exemple, au milieu du IXe siècle, Burgred de Mercie, entouré par le wiotan,
faire appel au roi de Wessex pour qu’il lui vienne en aide contre les Vikings.

Le wiotan peut être conduit à s’affirmer dans les situations de crise. Ce pourra notamment
être le cas s’il y a concurrence entre prétendants ou si le roi défunt laisse un enfant
mineur. Ce sera également le cas face à l’inaptitude ou aux excès du roi. Il exerce son
pouvoir - exceptionnellement - en se prononçant pour sa déposition. Le wiotan de Wessex
dépose ainsi le roi Sigeberht en757.

L’organisation de l’administration centrale n’est pas bouleversée par la Conquête. Si les


institutions changent peu, tel n’est pas le cas de leurs agents. Guillaume le Conquérant et
ses premiers successeurs investissent les Normands des charges jusque-là exercées par
les Anglais. Les très longues absences des premiers souverains anglais – préoccupés par
leurs intérêts continentaux – entraînent pourtant un aménagement de l’exercice du
gouvernement. Guillaume le Roux (1087-1100) délègue ainsi à l’un des membres de son
entourage, Raoul Flambard, l’exercice d’une large part du gouvernement : l’exercice de sa
justice et la gestion de ses intérêts financiers en Angleterre. Cette délégation préfigure la
création de l’office de justiciar sous le règne d’Henri Ier (voy. infra)

24
V. Administration locale

Le roi, en vue d’assurer efficacement l’administration du royaume, a besoin de voir son


autorité relayée dans l’ensemble du territoire. Le roi anglo-saxon confie le gouvernement
d’une ou de plusieurs portions du territoire à des proches, membres de sa famille ou
membres d’anciennes familles royales locales. Le territoire est divisé en shires, les shires
étant eux-mêmes divisés en hundreds à la tête desquels se trouvent des agents royaux.

Comme l’administration centrale, l’organisation de l’administration locale ne subit pas de


changements fondamentaux à la suite de la Conquête. Seule l’origine des titulaires des
charges change. Les sheriffs anglais sont remplacés par des sheriffs normands.

A. Shire

Le shire est administré par un ealdorman. Apparu dès le 7e ou le 8e siècle, l’ealdorman est
chargé du commandement de l’armée, du maintien de l’ordre et de l’administration de la
justice (infra). En rémunération de ses services, il reçoit une quote-part des amendes qui
sont dues au roi et bénéficie éventuellement d’une dotation foncière.

La fonction de l’ealdorman se prolonge sous la domination danoise, au XIe siècle, sous


l’appellation de yarl, puis ensuite sous l’appellation earl.

L’office d’ealdorman étant devenu progressivement héréditaire, le roi entend s’appuyer


sur un autre agent pour assurer l’administration du shire, le sheriff (shire reeve), dont
l’office n’est pas héréditaire, et permet donc un contrôle plus efficace. L’office de sheriff
devient lui-même progressivement héréditaire à la fin de la période anglo-saxonne. Dans
un objectif de reprise en main de l’administration locale, Guilaume et ses premiers
successeurs s’emploieront - avec un succès mitigé – à nommer le sheriff pour une période
déterminée.

L’ealdorman ou earl ainsi que le sheriff sont assistés dans leurs fonctions par un conseil
composé des principaux nobles et représentants du clergé du shire.

B. Hundred

Subdivision du shire, le hundred est administré par un hundredman ou hundred reeve, qui
est l’agent de l’ealdorman ou du sheriff. Il exerce les mêmes compétences que ceux-ci dans
le ressort du hundred. Il est assisté d’un conseil dans l’exercice de ses fonctions.

VI. Organisation de la justice et procédure

A. Organisation de la justice

La justice est rendue au niveau du shire par la shire court, par l’ealdorman, entouré de
son conseil. Il exerce des compétences non seulement dans le domaine de la justice, mais
il est également chargé d’assurer l’exécution des lois et de maintenir l’ordre public. Il est
suppléé dans l’exercice de ses compétences administratives et judiciaires par le sheriff,
lequel préside le plus souvent les assemblées du shire.

25
La justice est également rendue au niveau des hundreds, par le hundred reeve entouré de
son conseil. Son activité peut faire l’objet d’un contrôle par le sheriff, qui préside lui-même,
occasionnellement, le hundred court.

Le roi rend également la justice, assisté par le groupe formé par le wiotan.

B. Procédure

1. Système accusatoire

L’initiative du procès appartient à la partie lésée. En matière pénale, l’initiative revient à


la victime ou à sa famille.

2. Administration de la preuve

Le système des ordalies s’est développé sur le sol anglais, comme au sein de tous les
groupes d’origine germanique. A la suite de la conquête normande, les ordalies sont
écartées et remplacées par le duel judiciaire.

L’administration de la preuve s’effectue également par la voie du serment purgatoire, par


lequel le jureur voit son innocence affirmée par des cojureurs ou compurgatores, lesquels
attestent de son innocence sous la foi du serment.

26
EX CURSUS N°1

La formation du duché de Brabant


IXe-XIIe siècles

27
La compréhension de l’évolution institutionnelle du Brabant au Moyen-Age ne peut se
comprendre qu’en prenant en considération le morcellement politique que connait l’Empire
de Charlemagne au cours des 9e-10e siècles, et la place particulière qu’occupe, dans cet espace,
la région qu’on nomme « Lotharingie ».

I. Division de l’Empire carolingien et formation de la Lotharingie

La division de l’Empire de Charlemagne se concrétise à la fin du règne de Louis le Pieux, par


le Traité de Verdun (843). Les trois fils (survivants) de Louis le Pieux se partagent le territoire
de l’Empire en trois parts. L’espace couvrant ce qui sera désigné sous le nom de « Francie
occidentale » est attribué à Charles le Chauve. L’espace qui sera désigné sous le nom de
« Francie orientale » sera attribué à Louis le Germanique. Quant à l’espace qui est situé entre
la Francie occidentale et la Francie orientale, qui sera désigné sous le nom de « Francie
médiane », il est attribué, avec le titre impérial, à Lothaire (Lothaire Ier).

A son tour, suivant la coutume franque, la Francie médiane se divise à la suite du décès de
Lothaire Ier. Par le Traité de Prüm (855), chacun de ses trois fils se voit reconnaitre une
portion du territoire de la Francie médiane :

- Louis II hérite d’une partie de l’espace italien et se voit attribué le titre


d’empereur qui s’y attache ;

- Lothaire II hérite de la partie nord de la Francie médiane, l’espace qui sera


dénommé « Lotharingie » ;

- Charles hérite du Royaume de Bourgogne, territoire couvrant la Bourgogne et


la Provence ;

A la mort de Lothaire II, la Lotharingie fait l’objet d’un traité entre ses deux oncles, Charles le
Chauve et Louis le Germanique (Traité de Meersen, 870). Ceux-ci se partagent la Lotharingie
sans prendre en considération les droits successoraux des frères de Lothaire ou de leur
descendance éventuelle.

En 880, le Traité de Ribemont entraîne finalement l’intégration de l’ensemble de la


Lotharingie au sein de la Francie orientale. L’espace comprenant les actuels Pays-Bas, les
territoires situés à l’est de l’Escaut ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg et une partie de
l’Allemagne sont donc intégrés à la Francie orientale, alors sous le règne de l’empereur Charles
le Gros. Le Brabant, à la suite du Traité de Ribemont, est donc intégré au sein de la Francie
orientale.

28
II. Origine de la Maison de Louvain

La maison de Louvain, dont sont issus les premiers ducs de Brabant, est elle-même issue
des comtes de Hainaut1, de la dynastie dite des « Régnier »2. Le comte de Hainaut Régnier
III s’oppose, vers 950, au roi de Francie orientale et futur empereur, Otton Ier. Vaincu,
Régnier est condamné à l’exil. Ses deux fils, Régnier et Lambert, essaient de reconquérir
le Hainaut (ca 970). Otton Ier finit par leur concéder des terres dépendantes du comté de
Hainaut, le comté de Mons à Régnier et le comté de Louvain à Lambert.

Comte de Louvain, Lambert (dit « Le Barbu », †1015) reçoit également, par mariage, en
dot, le comté de Bruxelles. Il assez puissant pour obtenir également l’avouerie sur les
abbayes de Nivelles et de Gembloux3 : cette alliance avec de puissantes institutions
ecclésiastiques, disposant d’importants domaines, contribue à étendre le contrôle de la
maison de Louvain sur l’espace brabançon. La puissance du premier représentant de la
Maison de Louvain se manifeste également sur le plan militaire. La bataille de
Hoegaarden, en 1013, remportée contre l’armée de l’évêque de Liège, lui assure le
contrôle de nouveaux territoires.

Les comtes de Louvain, Lambert Ier et ses successeurs, accroissent leurs possessions et
consolident leur pouvoir.

III. Consolidation de la Maison de Louvain : les successeurs de Lambert Ier

Godefroid Ier (1095-1139), fils du précédent, comte de Louvain et comte de Bruxelles,


landgrave4 de Brabant ainsi que marquis d’Anvers, contribuera ensuite à la consolidation
de la position de la Maison de Louvain. L’empereur (Henri V) lui octroie le titre de duc de
Basse-Lotharingie5. La maîtrise des comtes de Louvain s’affirme sur le territoire du futur
duché de Brabant.

La formation du duché de Brabant prendra encore un siècle environ. Le descendant de


Godefroid, Henri Ier (1190-1235), dit « Le Guerroyeur », à la fois comte de Louvain et
comte de Bruxelles, landgrave de Brabant et marquis d’Anvers, est reconnu formellement
comme « duc de Brabant » en 1190, lors de la Diète de Schwäbisch Hall (1190). Le règne,
ou « principat », d’Henri Ier se distinguera par une intense politique d’expansion
territoriale (guerre, achat, héritage) et d’indépendance par rapport aux princes et aux
souverains voisins.

1 Le comté de Hainaut fait partie de la Lotharingie, donc du royaume de Francie orientale.


2 Le comte de Hainaut, Régnier Ier (†915/916), exerce la fonction comtale en Hainaut au service des
souverains carolingiens. La fonction comtale est devenue héréditaire. Cf. Syllabus Partie 1.
3 L’avouerie est la protection assurée par un seigneur laïc en faveur d’une institution ecclésiastique.
4 Titre attribué dans l’Empire germanique.
5 Issu de la division de la Lotharingie, le duché de Basse-Lotharingie est créé en 959.

29
Chapitre III. L’espace français (Xe - XIe siècles)

30
I. L’avènement des Capétiens

La seconde moitié du IXe siècle est marquée, dans l’espace carolingien, que ce soit dans
l’espace français ou dans l’espace allemand qui sont en train de se former, par les
invasions scandinaves. L’insécurité engendrée par ces invasions fragilise le pouvoir royal.
Les « grands » du royaume de Francie occidentale se tournent vers celui qui apparaît
comme le plus apte à résister à l’ennemi. Parvenu pour la seconde fois devant Paris en
885, les Vikings sont repoussés par le comte de Paris, Eudes. Ses capacités militaires
conduisent les grands à l’élire roi de Francie occidentale en 888. L’élection reprend le pas
sur l’hérédité qui s’était affirmée comme mode d’accession au pouvoir sous les
Carolingiens. Eudes, comte de Paris, est un agent du roi. L’élection de 888 n’a pas lieu dans
le cadre de la famille carolingienne, mais en dehors d’elle. Elle manifeste avec éclat le
déclin de la dynastie carolingienne. Désormais, les grands du royaume sont en capacité de
désigner le roi. Ils assureront pourtant le retour sur le trône des Carolingiens, privilégiant,
si possible, la race issue de Charlemagne.

En 987, les grands du royaume élisent Hugues Capet. Le nouveau roi de Francie
occidentale s’efforce de consolider son pouvoir en assurant sa sacralisation. Il procède
comme les souverains carolingiens, comme Pépin l’avait fait dès 754, en faisant sacrer son
fils de son vivant. Il s’agit de garantir l’installation de sa descendance au pouvoir. Le sacre
anticipé sera pratiqué jusque sous le règne de Louis VIII, qui fait sacrer son fils Philippe
(Philippe Auguste) en 1179, quelques mois avant sa mort. Philippe Auguste ne fait pas
sacrer son ou ses fils anticipativement : cette forme de sécurisation de la succession au
trône n’apparaît plus nécessaire à partir de son règne.

Elu roi, Hugues Capet dispose pourtant d’un pouvoir fragile. En ce Xe siècle au cours
duquel se renforce le morcellement des terres et du pouvoir, qui voit s’installer le système
féodal, le roi de Francie occidentale ne se distingue pas des autres « grands » du royaume
par ses possessions et son pouvoir. Il n’exerce de maîtrise que sur cet ensemble de terres
et de droits formant le « domaine royal », sur lequel il est en mesure d’exercer le pouvoir
du ban. Ce qui distingue alors le roi des autres princes réside essentiellement dans l’effet
du sacre, qui lui confère un statut particulier et lui permet de compter sur l’appui de
l’Eglise, notamment dans l’exercice du gouvernement.

Le successeur d’Hugues Capet, Robert le Pieux (996-1031) est marqué par la lutte contre
les princes, les « grands » du royaume ainsi que contre les châtelains au sein du domaine
royal lui-même. Il s’allie avec l’empereur du Saint-Empire romain germanique pour
soumettre les princes récalcitrants. Mais la situation paraît pire encore que sous le règne
de son prédécesseur. La partie de la Francie située au sud de la Loire échappe
complètement au contrôle du roi. Dans son propre domaine, Robert le Pieux s’efforce de
soumettre ceux qui veulent échapper à son pouvoir, les seigneurs-châtelains. Ceux-ci
prétendent disposer du bannum, et ils défient le pouvoir royal. Enfin, contesté par les
siens, Robert le Pieux est conduit à mener la lutte contre ses propres fils.

Henri Ier (1031-1060), le successeur de Robert le Pieux, est confronté, plus encore que
Robert le Pieux, au mouvement d’autonomisation des seigneurs-châtelains au sein du
domaine. Sacré du vivant de son père, Henri Ier voit pourtant son pouvoir contesté, tant
par les grands du royaume que par son frère cadet. Le roi se présente davantage comme
un seigneur que comme le roi de Francie. Ses vassaux lui échappent complètement, et la

31
curia (curia regis) n’est plus fréquentée par les princes mais par des seigneurs issus du
domaine. Son pouvoir s’étend sur Orléans, Paris, Senlis, Bourges, ainsi que sur quelques
forteresses. Subsiste toutefois cet avantage qui peut constituer un appui profitable : les
relations privilégiées que le roi entretient avec l’Eglise, et la faculté dont il dispose de
nommer les évêques.

C’est sous le règne de Philippe Ier (1060-1108), fils d’Henri Ier, que la situation finit par
évoluer favorablement. Philippe Ier tire profit de la renaissance économique et du retour
progressif à la prospérité que connait alors l’espace français à partir de la fin du XIe siècle.
La relance de l’activité agricole, favorisée par un large mouvement de défrichement et le
renouveau des techniques agraires, permet d’assurer la subsistance des populations et la
formation de surplus alimentaires, qui intègrent les circuits commerciaux. Cette situation
favorable entraîne également un essor démographique et la renaissance des villes, ainsi
que la formation progressive de nouvelles entités urbaines. L’essor économique profite
au souverain, qui voit ses moyens financiers s’accroître, pour lui permettre de mener une
politique efficace. Il peut notamment assurer la rémunération de ses agents, et accroître
le domaine par l’achat de terres.

La reprise en main du pouvoir qui s’opère sous Philippe Ier se manifeste en 1077, par
l’envoi d’un premier mandement royal destiné au nord du royaume. Le mandement
consiste en un ordre bref du roi, qui n’est revêtu que de sa seule signature, et non plus,
comme au cours de la période qui précède, de tous ses fidèles. Le mandement prend la
forme d’une lettre, sur le ton du commandement. Désormais, s’agissant du nord du
royaume, le roi paraît pouvoir se passer de la manifestation d’approbation et de soutien
de ses fidèles. Ce qui se nomme la « souscription » n’est plus nécessaire. Le roi, peu à peu,
parvient à imposer son pouvoir, dans une partie de l’espace français qui dépasse le cadre
du seul domaine royal. Le règne de Philippe Ier est également marqué par des relations
tendues avec la papauté. Philippe Ier s’oppose à l’introduction de la réforme soutenue par
Grégoire VII, lequel entend notamment limiter ses droits à la nomination des évêques.

Philippe Ier est considéré comme le premier des rois dits « thaumaturges ». Le souverain,
à partir de Philippe Ier, serait doté de pouvoirs magiques, en relation avec la qualité de la
mission qui lui est donnée par le sacre. Le roi serait en mesure de soigner, par le seul
toucher, les « écrouelles ». La sacralité du pouvoir royal s’installe dans la représentation
populaire6.

Si les premiers Capétiens disposent d’un pouvoir très limité, ils parviennent du moins à
se maintenir au pouvoir et à consolider le caractère héréditaire de la succession au trône.
Ils bénéficient à cet égard de circonstances heureuses : cette succession est facilitée par la
naissance et la survie d’enfants mâles en ligne directe. Les historiens parlent ainsi d’un
« miracle capétien ». Quant à la pratique du sacre anticipé, elle vient renforcer ce que la
nature leur offre comme avantage.

6Cette croyance dans le pouvoir dont dispose le roi de soigner les écrouelles est également présente en
Angleterre au cours de la même période.
32
II. L’étendue du pouvoir des premiers Capétiens et leur administration

Jusque sous le règne de Philippe Ier, le roi de Francie (ou de France) est un souverain dont
le pouvoir effectif ne le distingue pas des autres « grands » du royaume. Il n’exerce de
pouvoir effectif que sur ce qui forme le domaine royal. Dans cet « espace de pouvoir »
réduit, il doit d’ailleurs faire face aux ambitions des seigneurs-châtelains qui, disposant
du ban, prétendent être maîtres dans leur seigneurie. Seul le sacre, qui unit le souverain à
Dieu et à l’Eglise, distingue le roi des autres grands du royaume.

Signe des temps, la curia, composée de ceux qui entourent le roi, l’assistent par leurs
conseils et sont appelés à approuver ses décisions, n’est plus fréquentée par les grands du
royaume, mais par les seigneurs du domaine qui sont demeurés fidèles au roi.

Les moyens d’administration dont dispose le roi sont pauvres. L’administration est tout à
fait embryonnaire. Au sein du Palais (Palatium), toujours itinérant, les principales
fonctions sont les suivantes :

- Le sénéchal, chargé de commander l’armée et de contrôler les agents du roi ;

- Le chancelier, en charge des écrits administratifs, peu à peu les actes


normatifs du roi (comme le mandement, plus tard les ordonnances). Le
chancelier est également responsable de la chapelle royale ;

- Le connétable, en charge des écuries royales, et par extension de la cavalerie.

Au niveau local, le roi peut compter sur des agents appelés « prévôts ».

III. La formation de la société féodale

A. Eléments de contexte

Les Xe et XIe siècles voient se former une société nouvelle, qui se distingue de la société
franque. Le modèle de l’homme libre qui caractérise la société franque, qui cultive sa terre,
peut prendre les armes et qui est jugé par ses pairs, décline. La répartition ethnique qui
dominait encore sous Charlemagne et Louis le Pieux fait place peu à peu à une répartition
sociale. Peu à peu la société s’organise de manière hiérarchique en trois groupes distincts :
ceux qui travaillent (laboratores), ceux qui font la guerre (bellatores) et ceux qui prient
pour le salut de leur âme (oratores). Cette division tripartite (ou tripartition) définit
chacun de ces groupes par leur fonction sociale et le genre de vie qui y est attaché. Cette
division tripartite sera soutenue et théorisée par les penseurs de l’Eglise, qui y voient la
manifestation d’un ordre harmonieux voulu par Dieu.

33
B. Division tripartie

1. Laboratores (paysans)

Le morcellement politique qui caractérise l’époque féodale, qui conduit au


fractionnement du pouvoir du ban, fait de la seigneurie-châtelaine l’entité politique
essentielle. Le repli sur soi et l’isolement qui marquent, tant au niveau politique qu’au
niveau économique, des entités géographiques parfois très restreintes, confère au
seigneur un pouvoir très important sur ceux qui vivent sous son bannum.

Le paysan perd peu à peu sa liberté. La différence entre l’homme libre et l’esclave, qui
existait auparavant, s’estompe. Cette période voit l’apparition du servage. Le paysan est
attaché à la terre du seigneur. Il est soumis à un ensemble d’exactions, les obligations dont
il doit s’acquitter au profit du seigneur. Il subit également plusieurs incapacités, qui
manifestent son attachement à la terre :

- formariage : le serf ne peut s’unir librement par mariage hors de la seigneurie.


Le mariage avec un individu issu d’une autre seigneurie est soumis à des
conditions particulières, comme l’obligation de garantir une compensation au
seigneur ;

- mainmorte : le serf ne peut librement transmettre à cause de mort. Il est


impossible pour le serf de disposer librement de ses biens meubles au moment
de son décès. Ils appartiennent au seigneur.

2. Bellatores (nobles)

Ceux qui ont vocation à faire la guerre se définissent peu à peu par référence à un groupe
social qui se ferme peu à peu, la noblesse. Les paysans ne peuvent plus faire la guerre. Elle
est réservée aux nobles. Au cours d’une période marquée par le déclin économique et
l’appauvrissement, l’équipement nécessaire pour « aller à l’ost » (participer à la guerre)
nécessite de l’argent. L’ost est ainsi réservé à ceux qui peuvent assurer le financement de
leur participation. Ceci ne signifie pas que les paysans ne prennent pas leur part dans la
guerre. Ils y participent, en assistant notamment les nobles, mais dans des fonctions
subalternes.

Faire la guerre entraîne pour les nobles des privilèges :

- fiscaux : les nobles paient « l’impôt du sang », ils sont donc exemptés de
prélèvements pécuniaires ou en nature ;

- militaire : les nobles ont le droit de prendre les armes pour se défendre. Ils
disposent du droit de « guerre privée », ou faide ;

- juridictionnel : les nobles sont jugés par leurs pairs, des nobles.

Engagé dans une relation de vassalité, le noble n’est pourtant pas dans la même situation
de dépendance que le serf. Le contrat de vasselage est un contrat de droit privé par lequel

34
un homme (vassal) s’engage sous la dépendance d’un autre homme (seigneur). Ce contrat
entraîne des obligations à charge des deux parties. Le seigneur doit assurer la protection
du vassal et lui attribuer un bien foncier. Le vassal doit assurer aide et conseil à son
seigneur. Il implique un lien de dépendance qui est librement consenti, au contraire de la
situation du paysan.

L’aide qu’apporte le vassal consiste en une aide militaire (aller à l’ost) ainsi qu’en une
aide financière, limitée à 4 cas (appelée pour cette raison « aide aux quatre cas ») :

- la rançon, destinée à assurer la libération du seigneur captif ;

- l’adoubement comme chevalier du fils ainé du seigneur ;

- la dot de la fille aînée du seigneur;

- la croisade que souhaite entreprendre le seigneur.

L’inexécution du contrat de vasselage par l’une des parties peut faire l’objet d’une
sanction. Le vassal qui ne respecte pas ses obligations peut subir la confiscation de son
fief, soit à titre temporaire (saisie), soit à titre définitif (commise). Le seigneur qui ne
respecte pas ses obligations pourra subir, à partir du 12ème siècle, le désaveu, sanction qui
entraîne la rupture du lien vassalique et permet au vassal de devenir le vassal du seigneur
de son seigneur.

3. Oratores (clercs)

Au sommet de la hiérarchie, les clercs forment le groupe de ceux qui prient pour le salut
de l’âme de ceux qui appartiennent aux deux premiers groupes, laboratores et bellatores.

Le clerc est celui qui a subi la tonsure, obtenue de l’évêque ou de l’abbé. Bâtards et serfs
ne peuvent être tonsurés.

Certains d’entre eux, les membres les plus importants du clergé, subviennent à leurs
besoins en se faisant octroyer un bénéfice, une dotation foncière attachée à leur charge
ecclésiastique, et qui leur assure la perception de revenus.

Parce qu’ils ont la charge du salut des âmes, ils sont dispensés des obligations qui pèsent
sur les nobles ou sur les paysans. Comme les nobles, ils bénéficient de privilèges. Ils sont
exemptés d’impôts et ils sont dispensés d’aller à l’ost.

Ils bénéficient également d’un privilège juridictionnel : le privilège du for, ou bénéfice de


clergie. Le clerc est jugé par une juridiction ecclésiastique, laquelle applique le droit
canonique.

Ces privilèges rendent la qualité de clerc attractive. Le mode de fonctionnement de la


justice ecclésiastique ainsi que l’application du droit canonique contribuent à cette
attractivité. La justice qui y est rendue est moins arbitraire que la justice rendue par le
seigneur. Elle s’appuie sur le droit canonique et les sentences sont plus douces.

35
On distingue le clergé séculier du clergé régulier. Les membres du clergé séculier évoluent
au sein de la société, parmi la population, au sein de la « communauté des fidèles ». Les
membres du clergé régulier évoluent à l’origine en dehors de la population. Le clergé
régulier s’organise en ordres religieux, autour d’une règle, et exercent leurs activités au
sein d’une abbaye ou d’un monastère. L’un de ces ordres, le premier d’entre eux, avait été
formé par Benoît de Murcie, qui donnera son nom à l’ordre des Bénédictins.

L’abbaye de Cluny, fondée en 910, représente toute l’importance du clergé régulier à la fin
de la période carolingienne. Cluny connait un important développement au cours des Xe-
XIe siècles, si bien que de nombreuses « filiales » clunisiennes apparaissent en Europe,
sous le contrôle de l’abbaye-mère.

Elle est à l’origine, à partir du Xe siècle, du mouvement des paix et trêves de Dieu, par
lequel elle entend restreindre le droit pour les nobles d’exercer leur privilège de mener la
faide (guerre privée). Le mouvement clunisien contribuera également, très largement, à
la réforme des structures de l’Eglise et de l’organisation de la papauté à partir de la
seconde moitié du XIe siècle (cf. infra).

La puissance du clergé régulier est d’autant plus importante qu’il est sous le contrôle
direct du pape. Leur importance, et la relation privilégiée entre Cluny et la papauté
entraîne des tensions avec la hiérarchie séculière, les évêques, qui s’opposent au
mouvement des paix et trêves de Dieu, un mouvement qui fragilise la division tripartite,
puisqu’il restreint le droit pour les nobles de mener la faide, par conséquent porte atteinte
à l’harmonie sociale souhaitée par Dieu.

36
Chapitre IV. L’espace allemand (Xe - XIe siècles)

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Le fractionnement politique que connait l’espace français se développe également dans
l’espace allemand. Le titre impérial, depuis le partage de Verdun (843), a subi l’effet des
divisions successorales. A la fin du IXe siècle, le titre est porté successivement par des
souverains issus de la dynastie carolingienne dont l’importance politique et l’assise
géographique est diminuée. La fragilisation de la fonction se manifeste dans une
succession de règnes très brefs : Guy de Spolète (roi d’Italie et empereur de 891 à 894),
Lambert de Spolète (roi d’Italie et empereur de 894 à 896), Arnulf de Carinthie (roi de
Germanie et empereur de 896 à 899), Louis l’Aveugle (roi de Provence et roi d’Italie,
empereur de 901 à 905), Bérenger de Frioul (roi d’Italie et empereur de 915 à 924). Le
titre impérial n’est plus porté lorsque disparaît Bérenger de Frioul.

Jusqu’au début du Xe siècle, le titre de roi de Francie (orientale) revient à un membre de


la famille carolingienne. Lorsqu’en 911 Louis l’Enfant, le dernier roi d’origine
carolingienne, meurt, la Francie orientale pourrait rester dans le patrimoine carolingien,
et revenir à Charles le Simple, roi de Francie occidentale. Mais les « grands » de Francie
orientale ne souhaitent pas intégrer un ensemble territorial qui serait dominé par celui
qui règne sur la Francie occidentale. Résolument, Francie orientale et Francie occidentale
forgent peu à peu leur identité propre. Les « grands » choisissent donc l’un des leurs pour
roi. En 911, réunis en assemblée, ils élisent Conrad. A défaut d’un Carolingien, Conrad est
un « grand » issu du peuple franc, le peuple dont, parmi l’ensemble composite des peuples
qui forment alors la Francie, le roi est issu depuis Childéric, le Reichsvolk.

Soutenu par l’Eglise, Conrad est sacré roi de Francie orientale par l’archevêque de
Mayence. Toutefois, malgré le sacre, Conrad ne parvient pas à imposer son autorité. Le
royaume est déchiré par les ambitions des « grands » qui s’affirment. Ils s’affirment à la
tête de puissances régionales importantes : duché de Bavière, duché de Saxe, duché de
Souabe. Il doit également faire face aux incursions hongroises.

Henri Ier, dit Henri l’Oiseleur, succède à Conrad Ier en 919. Sur son lit de mort, Conrad le
désigne pour son successeur en lui faisant remettre les insignes de la royauté. Duc de Saxe,
Henri Ier n’est pas issu, comme son prédécesseur, du peuple franc. Cette désignation est
acceptée par une assemblée rassemblant la noblesse de Franconie (territoire des Francs)
ainsi que la noblesse du duché de Saxe. L’approbation de la noblesse franque apparaît
toujours comme incontournable, dans la mesure où le peuple franc est le Reichsvolk. Henri
Ier, habilement, soucieux d’apaiser ses pairs, le duc de Bavière et duc de Souabe, prend
soin de ne pas se mettre trop en avant. Aussi, il ne se soumet pas à la cérémonie du sacre.
Henri Ier acquiert peu à peu une autorité auprès des « grands ». Ses succès contre les
Hongrois n’y sont pas étrangers. Il parvient par ailleurs à intégrer de nouveaux territoires
au sein de la Francia orientalis, en particulier – au détriment de la Francie occidentale –
une partie de ce qui formait antérieurement la Lotharingie. La Francie orientale pousse
ainsi ses frontières au sud jusqu’à l’Escaut.

Gagné par la maladie, Henri Ier rassemble les « grands » en assemblée en 936. Il leur
recommande de choisir (élire) l’aîné de ses fils, Otton. Celui-ci devient roi de Francie
orientale la même année. Le titre impérial réapparait enfin en 962 : Otton Ier (Otton le
Grand) est sacré empereur.

38
La dynastie ottonienne7 s’éteint en ligne directe avec Otton III, mort sans descendance.
Son cousin Henri II, duc de Bavière, lui succède. Lui-même meurt sans enfant en 1024. La
dynastie ottonienne s’éteint. La couronne impériale est ensuite coiffée par Conrad le
Salique (1024-1039). Celui-ci est élu roi de Germanie lors de la Diète de Mayence. Il est
également couronné à Mayence un peu plus tard. Il sera sacré empereur à Rome en 1028.
La dynastie des Ottoniens fait place à la dynastie des Saliens8.

I. La conception du pouvoir

Contrairement à Henri Ier, Otton entend se distinguer de ses pairs. Aussi se soumet-il au
cérémonial du sacre. Il est sacré roi de Francie orientale en 936. Soucieux de consolider
son accession au pouvoir royal, le cérémonial s’inscrit dans la filiation carolingienne. Il est
sacré à Aix-la-Chapelle, revêtu du costume porté par les empereurs Francs. Sacré par
l’archevêque de Mayence, il est ensuite acclamé par le peuple. Couronné, il reçoit enfin les
autres insignes du pouvoir royal : épée, manteau, sceptre, etc.

Dès 955, à la suite de sa victoire sur les Hongrois, à la bataille de Lechfeld, Otton se fait
désigner sous l’appellation d’ « Imperator ». Sa puissance et son prestige sont tels qu’il est
appelé à Rome par le pape Jean XII, qui a besoin d’un protecteur. Il est sacré empereur à
Rome, par le pape Jean XII. L’onction reste l’un des éléments essentiels du rituel du sacre.

Le nouveau souverain entend assurer la consolidation de l’accession au pouvoir de la


nouvelle dynastie. Henri Ier avait fait élire son fils comme son successeur par les
« grands » du royaume à la veille de sa mort. Otton Ier fait davantage avec son propre fils.
Il associe son fils à l’exercice du pouvoir en le faisant élire puis sacrer anticipativement.
Elu par la Diète de Worms, le futur Otton II est sacré roi de Germanie (Francie orientale)
en 961. Il est ensuite sacré empereur à Rome, du vivant de son père, par le pape Jean XIII
(967). La consolidation du pouvoir passe ainsi, sous Otton Ier, par l’élection anticipée et
le sacre anticipé, comme roi puis comme empereur. Otton II à son tour fera élire puis
sacrer son fils Otton. Agé de 3 ans seulement, le futur Otton III est élu roi de Germanie lors
de la Diète de Vérone (983). Il sera ensuite, la même année, sacré à Aix-la-Chapelle9.

La sacralisation du pouvoir est prolongée et renforcée sous Otton II et Otton III, sous
lequel elle atteint son apogée. La ritualisation du sacre et l’union du pouvoir impérial avec
l’Eglise contribuent à consolider le pouvoir des souverains ottoniens.

L’Empire est réapparu en 962 avec le consentement des princes territoriaux (ducs), qui
entendent conserver la maîtrise de la désignation de l’empereur. Le maintien de l’élection
comme mode d’accession au pouvoir impérial en est la manifestation la plus tangible. Par
ailleurs, même si les Ottoniens pratiquent l’élection et le sacre anticipés, les « grands »
continuent de faire entendre leur voix. Parallèlement à la consolidation du pouvoir

7 La dynastie ottonienne est également dite « saxonne », par référence à son origine ethnique (Saxe)
8 La dynastie salienne est également dite « franconienne », par référence à son origine ethnique (Franconie).
Le nom de « Salien » ou « Salique » dont use la dynastie franconienne apparaît au XIIe siècle est une marque
de l’importance qu’elle porte à sa filiation franque. Il rappelle, bien entendu, la tribu dite des « Francs
saliens ».
9 Le sacre devait intervenir du vivant d’Otton II, mais celui-ci meurt brutalement au mois de décembre 983.

Otton III sera donc sacré après le décès d’Otton II.


39
impérial, les Ottoniens doivent donc admettre l’importance des princes territoriaux, dont
ils reconnaissent les pouvoirs.

Les Saliens à leur tour pratiquent l’élection et le sacre anticipés. Conrad le Salique,
premier représentant de la nouvelle dynastie, fait élire son fils Henri, et le fait sacrer un
peu plus tard, à Aix-la-Chapelle (1028). A son tour, peu avant sa mort, Henri III fait élire
son fils Henri (Henri IV), qui est ensuite sacré à Aix-la-Chapelle.

La fonction impériale apparait pourtant comme une institution solide sous les Saliens.
Sous le règne d’Henri III († 1056), l’idée de l’Empire et du pouvoir impérial se distinguent
peu à peu de la personne même de l’empereur.

Mais la fin du règne d’Henri III est marquée par une certaine fragilisation. Si la fonction
impériale ne paraît pas contestée, la succession d’Henri III est l’occasion pour les princes
de faire valoir leur pouvoir et d’imposer leurs conditions. Ils n’acceptent l’élection
anticipée de son fils, le futur Henri IV, qui est encore un enfant, qu’à la condition qu’Henri
IV soit un souverain juste. Les princes territoriaux s’évertuent à étendre leur contrôle sur
l’exercice du pouvoir par l’empereur.

II. Relations avec l’Eglise

A. Relation avec la papauté

Le pouvoir dont disposent les premiers empereurs de la dynastie ottonienne est assez
important pour qu’ils soient en mesure de contrôler la papauté. Otton Ier avait été appelé
par Jean XII pour qu’il lui vienne en aide, Rome (les Etats pontificaux) étant alors occupée
par les armées de Béranger, roi d’Italie.

La situation de faiblesse de la papauté à la fin du Xe siècle est telle que les empereurs
maîtrisent la désignation du pape. La théocratie royale développée sous Charlemagne et
Louis le Pieux est à son apogée. Le pouvoir de l’empereur le conduit à déposer le pape
également. Jean XII, après s’être engagé auprès d’Otton par un serment de fidélité, l’aurait
trahi en engageant des pourparlers avec Adalbert, fils de Béranger, ainsi qu’en se
rapprochant de l’empereur de Constantinople. Otton organise un synode à Saint-Pierre de
Rome, au cours duquel le pape est accusé de sacrilège, de simonie (cf. infra), d’adultère et
d’inceste. Sacré à Rome par Jean XII en 962, Otton le Grand dépose le pape dès 963.

Le titre impérial et le contrôle de la papauté, qui s’accompagnent du contrôle des


territoires qui l’entourent, dans la péninsule italienne, entraînent pourtant l’émergence
d’un problème récurrent pour l’empereur, qui fragilise l’exercice de son pouvoir : il doit
se partager entre l’Italie et l’Allemagne, multiplier les allers et retours d’un espace à
l’autre, d’un côté et de l’autre des Alpes.

Le contrôle de l’empereur sur la désignation du pape se prolonge jusque sous le règne


d’Henri III. En 1048, Henri III porte Léon IX sur le trône pontifical. Henri III, soutenant la
réforme des structures de l’Eglise, pousse en réalité à la tête de l’Eglise un pape qui va
initier la remise en cause du contrôle exercé par l’empereur sur le pape et sur l’Eglise dans
l’espace allemand (cf. infra). La faiblesse d’Henri IV, le successeur d’Henri III, qui n’a que

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6 ans lorsqu’il monte sur le trône, et la régence d’Agnès de Poitiers (mère d’Henri IV) vont
achever de fragiliser la position de l’empereur face au pape.

B. Relation avec l’Eglise dans l’Empire

La distinction des questions temporelles et spirituelles est pour ainsi dire inexistante sous
les Ottoniens. Dans l’esprit d’une fonction impériale qui est aussi un ministère divin,
l’empereur exerce son pouvoir tant dans le domaine temporel que spirituel. Affaires
temporelles et spirituelles sont discutées au cours de synodes (assemblées de l’Eglise)
convoqués par l’empereur. Pour Henri II († 1024), l’Empire est la « maison de Dieu », et il
se considère comme son serviteur.

La nature des relations qui se développent entre les premiers Ottoniens et l’Eglise permet
aux empereurs de contrôler la nomination des évêques. Otton Ier a retiré aux princes
territoriaux (ducs) le pouvoir de nommer les évêques. Manifestation de la théocratie
impériale qui prévaut alors, l’empereur leur attribue la crosse et l’anneau, symboles du
pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.

La mise en valeur du « ministère divin » comme la maîtrise de la nomination des évêques


contribuent au renforcement de la sacralisation du pouvoir impérial.

Les premiers Ottoniens s’emploient à organiser le contrôle du territoire en faisant des


évêques leurs vassaux. Ils attribuent des fiefs (bénéfices) à des vassaux ecclésiastiques.
La charge de l’évêque est viagère. Elle ne se transmet pas. De même, l’octroi du bénéfice,
parce qu’il retourne à l’empereur au moment du décès de l’évêque, permet d’assurer une
vassalisation qui ne comporte pas les inconvénients de l’hérédité de la transmission des
fiefs. Le développement des principautés ecclésiastiques doit servir la reprise en main du
territoire de la Francie orientale par l’empereur. L’empereur soutient également la
création d’abbayes, qui contribuent également au « maillage » ecclésiastique de l’Empire.

Ex. : Notger († 1008), formé à l’abbaye bénédictine de Saint-Gall, est


nommé évêque de Liège par Otton Ier en 972. Il devient le vassal
d’Otton II, qui lui attribue la principauté de Liège en 980. Il a alors la
double qualité de « prince-évêque ».

Cette « Eglise d’Empire » qui se forme sous les premiers empereurs ottoniens contribue à
contrebalancer le pouvoir des grands féodaux (Bavière, Souabe, Franconie, Lotharingie)
mais aussi à assurer la solidité de l’administration impériale.

L’Eglise, à partir de la seconde moitié du XIe siècle, comme dans l’espace français et
suivant le mouvement initié par l’abbaye de Cluny, contribue au développement des paix
et trêves de Dieu.

41
III. Administration de l’Empire

L’empire ottonien embrasse un espace très important, formé d’importants duchés : la


Saxe, la Souabe, la Franconie, la Bavière. S’ils sont les maîtres en Saxe, les Ottoniens sont
confrontés à l’importance des autres duchés. Comme dans la Francia occidentalis – la
Francia des premiers Capétiens – l’administration centrale est embryonnaire. Quant à
l’administration locale, elle doit composer avec la puissance des ducs.

A. Administration centrale

Le Palais est itinérant. L’administration impériale apparaît comme très peu structurée.
L’appareil administratif central est encore embryonnaire. Comme dans la Francia
occidentalis – la Francia des premiers Capétiens – il existe une curia composée des grands
du royaume, nobles laïcs et grands ecclésiastiques. Les principaux offices rappellent ceux
qui assurent le fonctionnement du Palais capétien. On y retrouve notamment le
chancelier, en charge des écrits administratifs et le sénéchal, en charge du
commandement de l’armée et du contrôle des officiers locaux.

Dans cet espace composite, les institutions communes à l’ensemble de l’Empire sont peu
nombreuses. L’une des principales institutions qui se structure au cours de cette période,
le Hoftag, ou « Diète », est appelée à assurer l’élection de l’empereur ainsi qu’à assurer le
règlement de quelques questions communes à l’ensemble des principautés composant
l’Empire.

La Diète rassemble les « grands » de Germanie (princes territoriaux). Elle se réunit en vue
du règlement des questions qui nécessitent l’accord de l’ensemble des princes
territoriaux. L’institution trouve son origine dans la réunion des anciennes tribus
composant le Royaume franc, dans la tradition franque de l’assemblée.

La Diète procède notamment à l’élection du roi de Germanie et, éventuellement, à


l’élection anticipée de son successeur. En 1053, les « grands », réunis à Tribur (Diète de
Tribur), consentent ainsi à l’élection anticipée du fils d’Henri III, le futur Henri IV, qui n’a
alors que quatre ans. Ils se réservent toutefois le droit de revenir sur leur décision si celui
qui doit devenir empereur se montre incapable d’assumer ses fonctions.

La Diète peut également être conduite à se prononcer sur la déposition du souverain. Elle
se prononce également sur l’intégration de nouveaux territoires, sur les éventuelles
campagnes militaires à mener en commun, etc.

La Diète n’est pas une institution permanente, fixée dans une localité. Elle se réunit, au
cours d’une journée solennelle (« tag ») dans tel ou tel lieu, selon les circonstances
(Worms en 961, Vérone en 983, Mayence en 1024, etc).

B. Administration locale

L’Empire n’apparaît que comme un cadre permettant la cohabitation entre princes


bénéficiant d’une très large autonomie. En dehors de son domaine, pour asseoir son
pouvoir dans l’Empire, Otton Ier compte notamment sur le comte palatin. Prolongement
du « comte du Palais » connu sous les Carolingiens, le comte palatin représente à présent

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le pouvoir impérial dans les duchés. Il compte également dans les régions « frontalières » ,
à l’est de l’Empire, sur le markgraf, le margrave, dont l’office était déjà connu sous les
Carolingiens. Ceux-ci disposent de pouvoirs très étendus dans le territoire qui leur est
confié. Chargés du commandement de l’armée, ils sont également chargés de la perception
de l’impôt.

Mais Otton Ier et ses successeurs de la dynastie saxonne s’appuient surtout, pour assurer
le contrôle de l’Empire, sur l’Eglise, qui devient le principal auxiliaire du pouvoir.
L’Empereur confie de vastes territoires aux évêques qu’il nomme. Les relations
qu’entretiennent les premiers empereurs de la dynastie ottonienne avec l’Eglise assurent
la mise en place d’une véritable « Eglise d’Empire ». La maîtrise de la nomination des
évêques permet à l’empereur de s’appuyer sur l’Eglise pour administrer ses territoires.
Le pouvoir des évêques est appelé à renforcer la position de l’Empereur vis-à-vis des ducs
de Franconie, de Souabe, ou de Bavière.

Ce système de gouvernement, qui associe étroitement l’Eglise ou pouvoir impérial est


désigné sous l’appellation de Reichskirschensystem.

L’administration impériale, outre le fait qu’elle s’appuie sur la nomination des évêques,
s’enrichit également de la qualité de la formation intellectuelle des clercs. La chapelle
impériale devient une pépinière de serviteurs de l’Empire. L’Eglise est, au cours de cette
période, la clé de voûte de l’administration impériale.

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Chapitre V. Le rôle de l’Eglise (XIe-XIIIe siècles)

44
I. Eglise et société féodale

L’Eglise, depuis la fin de l’Empire romain, joue un rôle décisif dans l’espace européen, tant
dans le domaine politique que culturel. Les relations entre les pouvoirs laïcs (empereur,
roi, prince) et l’Eglise consistent en une étroite collaboration, mais aussi dans des
périodes de tensions, parfois intenses. Si cette collaboration avec l’Eglise forme souvent
un instrument de gouvernement, ou un auxiliaire de l’administration, elle conduit
également à d’importantes crispations entre la hiérarchie de l’Eglise et les pouvoirs laïcs.

Les relations qui se nouent entre les empereurs ottoniens et la papauté illustrent ces
tensions. Otton Ier est sacré à Rome en 962 par le pape Jean XII, qui avait sollicité son aide
contre le roi d’Italie, Béranger. Dans les mois qui suivent, Jean XII se rapproche du fils de
Béranger, ainsi que de l’empereur de Constantinople. A la suite de ce qu’il estime être un
parjure (violation de son serment d’allégeance à l’Empereur Otton), Otton réunit un
concile qui prononce la déposition de Jean XII. Cet épisode illustre à la fois la volonté de
l’empereur de contrôler le pape mais aussi le souhait du pape d’échapper à la domination
de tout pouvoir temporel, et d’assurer son autonomie tout en se ménageant des
protections. Le pouvoir des empereurs ottoniens sur la papauté, puis des empereurs de la
dynastie salienne, s’avère pourtant bien réel jusqu’au cours du règne d’Henri III. Henri II,
notamment, fait élire le pape Benoît VIII. Les papes Clément II et Léon IX sont également
élus sous le commandement de l’empereur. Cette maîtrise de l’élection du pape n’est
pourtant pas sans difficulté. En témoigne, la désignation de Clément II, qui est aussitôt
assassiné après être monté sur le trône pontifical. La puissance des familles nobles
romaines, et spécialement la famille des Tusculani (comtes de Tusculum), qui exerçait
traditionnellement une influence décisive sur la désignation du pape, entre en
confrontation avec la volonté impériale.

L’accession au trône pontifical de Léon IX, et plus encore celle de Nicolas II, bouleversent
peu à peu la relation qui existait jusqu’alors entre l’empereur et la papauté. La domination
impériale est fragilisée. Le pape Nicolas II accède au pontificat alors qu’Henri IV est
mineur et la régente Agnès de Poitiers est trop faible. C’est dans ce contexte que Nicolas
II modifie le mode de désignation du pape. Le pape sera élu par un collège de cardinaux
(le Sacré collège) excluant toute immixtion de l’empereur.

Le cours du XIe siècle est également marqué par une vaste entreprise de réforme des
structures ecclésiastiques. L’Eglise, qui a subi les effets des temps féodaux, le
morcèlement politique et l’instrumentalisation par les pouvoirs laïcs, a perdu le pouvoir
et le prestige qui était le sien à l’époque carolingienne. Les temps féodaux ont également
entraîné peu à peu un déclin moral des structures de l’Eglise, qui ne répondent plus à ce
qui devrait être l’esprit de sa mission divine.

La papauté intègre l’esprit de réforme qui est issu du mouvement clunisien. Les moines
de Cluny ou de ses filiales rejoignent l’entourage du pape. Léon IX († 1054) accueille ainsi
le moine Humbert de Moyenmoutier († 1061), venu de l’abbaye bénédictine de
Moyenmoutier, qui contribue à la concrétisation de la réforme dite « grégorienne ». Le
mouvement de réforme qui prend cours à partir de Léon IX entend, s’agissant de
l’organisation et du fonctionnement de l’Eglise, mettre fin

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- au népotisme, qui abandonne l’octroi de charges ecclésiastique à l’entourage
des pouvoirs laïcs (famille et amis) ;

- à la simonie, consistant dans le trafic de choses sacrées, notamment l’achat


d’une dignité ecclésiastique;

- au nicolaïsme, consistant dans la pratique d’une activité sexuelle par les


membres de l’Eglise.

L’Eglise ne poursuit pas seulement, à partir de la seconde moitié du XIe siècle, un projet
de réforme de ses structures. Elle poursuit également un projet de réforme de la société
médiévale elle-même, en s’évertuant à introduire un changement des valeurs.

Elle appuie ainsi, à travers le mouvement clunisien, le mouvement des paix et trêves de
Dieu. La paix de Dieu vise à écarter la violence de certains lieux (principalement les
églises), à en prémunir certaines catégories de personnes (clercs, paysans, personnes
faibles) ou certains biens (nécessaires au travail). Quant à la trêve de Dieu, elle vise à
établir des périodes d’exclusion de la faide (dimanche, jours de fêtes).

Ce changement de valeurs que souhaite introduire l’Eglise se marque aussi dans la


construction de la représentation de l’activité guerrière des nobles, à travers un « idéal
chevaleresque », introduisant l’idée d’une « violence positive », tournée vers la défense
des faibles. Il s’agit pour l’Eglise de canaliser, tant que faire ce peut, la violence qui
imprègne la société médiévale, et qui jusqu’alors était valorisée comme formant le
caractère de la noblesse. Cette entreprise se concrétise enfin dans l’initiative de la
croisade, qui détourne l’activité violente vers des contrées lointaines, hors de l’espace
européen. Le prétexte de la croisade est tout trouvé : les chrétiens de l’Empire d’Orient
seraient menacés et le pèlerinage vers les lieux saints, Jérusalem étant alors sous la
domination des Turcs Seljoukides, ne serait plus possible. L’appel à la croisade est lancé
par le pape Urbain II à l’occasion du concile de Clermont (France), en 1095.

II. Réforme grégorienne

La réforme qui anime la papauté et l’Eglise prend cours dès le début de la seconde moitié
du XIe siècle : elle concerne tant les relations de la papauté avec les pouvoirs laïcs que
l’esprit et les structures mêmes de l’Eglise. Elle doit son nom au pape Grégoire VII (†
1085), même si elle est initiée avant son pontificat. La part que prit Grégoire VII dans
l’opposition à l’empereur, l’importance du conflit qui l’opposa à Henri IV, a sans doute
donné à Grégoire VII une place particulière dans la mémoire de l’affirmation de la papauté.

A. Affirmation de la primauté romaine

La papauté entreprend d’affirmer la primauté de Rome sur les autres Eglises,


principalement sur les Eglises d’Orient. Le pape entend surtout démontrer la domination
de Rome sur l’Eglise de Constantinople. Cette tentative de s’imposer à la tête de la
chrétienté se heurte à la résistance du patriarche de Constantinople Michel Cérulaire. En
1054, l’ambassade conduite auprès de Michel Cérulaire par Humbert de Moyenmoutier,
peu soucieux de diplomatie, provoque la rupture définitive avec l’Eglise de

46
Constantinople. Cette rupture, ou « schisme » prend aussi, pour les catholiques, le nom de
schisme d’Orient ou de Grand Schisme d’Orient.

B. Réforme du mode d’élection du pape

En 1059, Nicolas II, profitant de la minorité de l’empereur Henri IV († 1105), prend un


décret réformant le mode d’élection du pape : l’élection sera désormais confiée au Collège
des cardinaux, ou Sacré collège, le candidat élu devant ensuite être acclamé par la
population romaine. Le décret papal, écartant l’usage de l’intervention de l’empereur,
renoue ainsi avec le mode d’élection en usage pour les évêques : élection par le clergé du
diocèse et acclamation par le peuple.

C. Condamnation des investitures laïques

Le retrait du pouvoir impérial se prolonge, après la réforme du mode de désignation du


pape, dans la condamnation des investitures laïques. Le pape entend retirer à l’empereur
ou au roi la prérogative de nommer les évêques, lesquels ne répondent plus aux exigences
de vie attendues d’un clerc, les excès les plus manifestes consistant dans la simonie et le
nicolaïsme.

L’interdiction des investitures laïques est affirmée avec force par le pape Grégoire VII en
1075. Comme pour la désignation du pape, Grégoire VII souhaite voir rétablie la
procédure canonique classique : l’élection par le clergé suivie de l’acclamation populaire.
Mais l’interdiction des investitures laïques n’allait pourtant pas de soi, dans la mesure où
le roi ou l’empereur, en vertu du sacre et du ministère qui lui est conféré à cette occasion,
pouvait peut-être légitimement prétendre aux nominations dans l’Eglise, ou en tout cas
prétendre à y être associé. De manière plus prosaïque, l’interdiction affirmée par Grégoire
VII allait à l’encontre de la pratique qui s’était développée depuis longtemps, et qui avait
permis aux souverains laïcs de s’appuyer sur l’Eglise pour asseoir leur pouvoir. Elle se
heurtait en particulier à la pratique impériale. L’empereur, fort de l’affirmation du
ministère (mission divine) dans lequel se trouve la source de son pouvoir, s’appuie
largement sur la nomination des évêques pour assurer la consolidation de son pouvoir
(voy. supra). La spécificité de la politique impériale contribuera à exacerber les tensions
entre la papauté et l’Empire, plus particulièrement entre Grégoire VII et Henri IV.

D. La Querelle des Investitures

La Querelle des investitures éclate quelques mois après que Grégoire VII se fut prononcé
contre les investitures laïques. Henri IV nomme trois évêques, au mépris de l’interdiction
papale. Le pape réplique dans un texte qui développe sa position en plusieurs points. C’est
le Dictatus Papae. Il y affirme avec force la primauté romaine. Il est le seul à disposer d’un
pouvoir universel, supérieur à celui des souverains. Le contrôle que prétend exercer le
pape sur l’usage du pouvoir par le souverain laïc y est extrêmement important. Elément
nouveau, il serait permis au pape de déposer le souverain et, à la suite de son
excommunication, de délier ses sujets de leur serment de fidélité.

En réaction au Dictatus Papae, Henri IV réunit une Diète qui prononce la déposition de
Grégoire VII (Diète de Worms, 1076). Un mois plus tard, le pape excommunie Henri IV et
délie ses sujets de leur devoir d’obéissance. Une partie des évêques et de princes se

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détournent alors de l’empereur, qui est fragilisé, si bien qu’il est forcé de se soumettre au
pape pour assurer le retour à l’apaisement et regagner la confiance des grands de
l’Empire. Henri IV est contraint de se rendre en Italie. Il se rend à Canossa pour demander
pardon et obtenir de Grégoire VII qu’il lève l’excommunication (pénitence de Canossa,
1077). Croyant avoir retrouvé son autorité en Germanie, Henri IV reprend la lutte contre
la papauté et chasse Grégoire VII hors de Rome. Mais lui-même, fragilisé malgré la levée
de son excommunication, fait face à l’opposition d’une partie des princes. Il est finalement
écarté du pouvoir par son propre fils, le futur Henri V, qui le force à abdiquer.

La Querelle des Investitures se clôt sous le pontificat de Calixte II par le Concordat de


Worms (1122), qui est conclu avec Henri V. L’accord qui est passé prévoit une distinction
entre la part spirituelle et la part temporelle de la fonction de l’évêque. Le mode
traditionnel de l’élection, suivie de l’acclamation, doit s’appliquer à la part spirituelle.
L’intervention du souverain laïc peut se porter sur la part temporelle : une fois investi
selon le mode canonique, le nouvel évêque peut être investi des biens et prérogatives
temporelles liés à l’évêché par l’empereur. Mais si la fidélité de l’évêque s’impose à l’égard
du souverain laïc, cette fidélité doit être accordée prioritairement à l’Eglise. C’est la raison
pour laquelle l’évêque ne prête pas l’hommage vassalique au souverain.

E. Une théocratie pontificale

Si le Concordat de Worms apporte l’apaisement entre le pape et l’empereur, l’accord


intervenu marque bien un déclin du pouvoir de l’empereur sur la papauté et la hiérarchie
ecclésiastique. Le partage opéré par le Concordat de Worms constitue bien une avancée
pour la papauté, au détriment de l’empereur.

Grégoire VII, à travers le Dictatus papae, avait œuvré à l’affirmation d’une théocratie
pontificale, subordonnant au pape toute puissance séculière. La puissance séculière
devait désormais être considérée comme étant sous le contrôle du pape. Grégoire VII avait
repris la distinction entre auctoritas et potestas opérée par l’un de ses prédécesseurs, le
pape Gélase (†496), d’après le verset de l’Evangile de saint Mathieu où Jésus Christ affirme
qu’il faut « [rendre] à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ».
L’auctoritas, pouvoir spirituel, revient au pape. La potestas, expression du pouvoir
temporel, revient roi ou à l’empereur, chacun disposant d’une autonomie dans sa sphère.
Il souligne que la charge du chef de l’Eglise est plus lourde, dans la mesure où il est
comptable de son action devant Dieu et responsable du salut de l’âme des hommes, en ce
compris celle des rois. Il affirme ainsi la primauté de l’auctoritas sur la potestas.
L’Empereur doit ainsi être considéré comme un fils de l’Eglise, et non comme un prêtre. Il
consacre une doctrine prescrivant l’autonomie du Pape et de l’Empereur dans leur sphère
respective, l’Empereur devant abandonner les questions spirituelles au chef de l’Eglise.

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III. Organisation de la justice ecclésiastique

L’organisation de la justice ecclésiastique telle qu’elle se présente à partir du XIIe siècle


forme un prolongement de la réforme grégorienne. La restructuration de l’Eglise et
l’affirmation de la théocratie pontificale se concrétise dans l’organisation d’un ensemble
juridictionnel hiérarchisé et d’un ensemble normatif structuré, qui se distinguent de ce
qui existe alors dans la sphère temporelle.

A. De l’officialité à la Rote : une organisation hiérarchique

La justice de l’Eglise connait un important développement à partir du XIIe siècle.


Organisée selon un principe hiérarchique, elle voit également se développer une
procédure de plus en plus technique. L’évêque, dans son diocèse, délègue l’exercice de la
justice à un official, qui est à la tête de la principale juridiction ecclésiastique, l’officialité.
Cette structuration hiérarchique a pour effet de voir apparaître, au-dessus de l’officialité
diocésaine (diocèse), une officialité métropolitaine (province), les décisions de cette
dernière étant elles-mêmes, au besoin, susceptibles de recours devant la juridiction
pontificale à Rome, le Tribunal de la Rote.

Cette hiérarchisation que connait alors la justice ecclésiastique apparaît très en avance
sur ce que connait alors la justice laïque. Cette précocité de l’organisation de la justice
dans la sphère de l’Eglise se manifeste également par les effets de la redécouverte de la
notion romaine de mandat, qui permet l’apparition de la représentation en justice. Se
distinguant du juge, apparaît alors un représentant des intérêts de l’Eglise, le promoteur,
qui préfigure le Ministère public. La notion de représentation se manifeste également par
l’apparition de procureurs (avocats), qui représenteront et assisteront les parties.

Cette structuration, de même que l’avantage tiré de l’assistance du procureur, assure


l’attractivité des juridictions ecclésiastiques. Cette attractivité est particulièrement
importante en matière pénale, parce que les peines qui sont prononcées sont considérées
comme plus mesurées que les peines prononcées devant les juridictions laïques.

B. Compétences

1. Ratione personae

Seules certaines catégories de personnes peuvent bénéficier, quel que soit l’objet du litige,
des avantages de la juridiction ecclésiastique, tant en matière civile qu’en matière pénale :
les clercs, les miserabiles, les écoliers et les croisés.

Les clercs, qu’ils soient membres du clergé régulier ou du clergé séculier, bénéficient du
privilège du for. A ce titre, ils ne peuvent être jugés que par une juridiction ecclésiastique.
Le privilège du for est d’ordre public. Il ne peut donc pas faire l’objet d’une renonciation
de la part de celui qui possède l’état de clerc.

Quant aux autres catégories de personnes concernées, elles ne bénéficient de la


compétence de l’officialité que si elles en formulent la demande : les miserabiles (pauvres,
veuves et orphelins), les écoliers (étudiants dans les Universités) ou les croisés.

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2. Ratione materiae

Il faut distinguer à cet égard entre les compétences en matière civile et les compétences
en matière pénale.

En matière civile, la compétence de l’officialité s’étend à tout ce qui concerne les biens de
l’Eglise, mais aussi aux effets des sacrements, principalement le sacrement du mariage,
l’union de l’homme et de la femme n’étant possible que sous la protection de Dieu, dans le
cadre d’un mariage catholique : validité du mariage, obligations des époux, régimes
matrimoniaux, rupture ou « relâchement » (suspension de certaines obligations) du lien
conjugal, mais aussi filiation des époux (enfants). La matière des contrats elle-même peut
faire l’objet de la compétence de la juridiction ecclésiastique, dans la mesure ou tout
contrat s’accompagne alors d’un serment, lequel porte l’engagement contractuel sous la
protection divine ou celle d’un saint. Il en est de même des testaments, dans la mesure où
ceux-ci contiennent souvent des libéralités pieuses, des manifestations de générosité au
bénéfice d’une église, d’une abbaye, etc.

En matière pénale, la compétence de l’officialité s’étend à tous les crimes contre la foi :
hérésie, sacrilège, sorcellerie, simonie, infractions à la trêve ou à la paix de Dieu, ou encore
usure (prêt d’argent accompagné d’un taux d’intérêt exorbitant, interdit par l’Eglise), ou
adultère.

C. Procédure

La procédure qui se développe devant les juridictions ecclésiastiques se démarque


également du fonctionnement de la justice laïque par son organisation ainsi que par le
développement d’un système des preuves rationnelles imprégné par le droit romain. On
distingue la procédure en matière civile de la procédure en matière pénale.

1. En matière civile

Les juridictions ecclésiastiques voient se développer la procédure romano-canonique. Le


demandeur en justice saisit la juridiction et désigne un adversaire ainsi que l’objet de sa
demande. L’official du diocèse convoque les parties et les invite à produire leurs preuves,
la preuve écrite étant privilégiée. L’official prononce alors une sentence qui peut faire
l’objet d’un recours (appel) auprès de l’officialité métropolitaine puis auprès du tribunal
de la Rote.

2. En matière pénale

A partir de 1199, à l’initiative du Pape Innocent III, apparaît une procédure de type
inquisitoire. L’initiative du procès pénal n’est plus laissée à la victime ou à sa famille,
comme dans le système accusatoire, mais peut également revenir au juge, qui peut
« poursuivre d’office », sans attendre l’intervention d’un accusateur.

L’apparition du système inquisitoire s’accompagne également du développement de


l’enquête (inquisitio), qui consiste pour le juge à rassembler les indices propres à
compléter son information, et de la disparition des modes de preuves irrationnels, tels

50
que les ordalies ou le duel. Il s’agira plutôt pour le juge d’apprécier la culpabilité au terme
d’une instruction, établie sur la base de témoignages, d’expertises, etc.

Le système inquisitoire se généralise à la suite du Concile de Latran de 1215.

IV. Développement et structuration du droit canonique10

De même que la justice, le droit applicable se distingue également de la sphère laïque par
le développement précoce de l’écrit ainsi que par la structuration de la production
normative dans des compilations. L’écrit s’étant essentiellement, au cours du Haut Moyen
Age, maintenu dans l’Eglise, la production de normes passe par l’écrit et ne cesse de
croître, en particulier à partir de la réforme grégorienne. On distingue les décisions des
conciles des décisions des synodes. Les conciles sont des assemblées d’évêques. Ils sont
soit œcuméniques (rassemblant tous les évêques de la chrétienté), soit nationaux,
régionaux ou provinciaux. Les décisions du concile prennent le nom de canons ou de
décrets. Les synodes sont des assemblées d’autorités ecclésiastiques d’un diocèse. Les
décisions du synode prennent le nom de statuts. Quant aux décisions des papes, qui
connaissent une multiplication très importante depuis la réforme grégorienne, ils
prennent le nom de décrétales.

La multiplication des sources du droit canonique conduit à la nécessité de les rassembler


et de les structurer. Si des compilations apparaissent dès le IIIe siècle, ce mouvement se
développe surtout à partir des Xe-XIe siècles. La nécessité d’assurer l’unité de l’Eglise
chrétienne, soutenue par la réforme grégorienne, passe aussi par l’affirmation d’une unité
du droit de l’Eglise.

10 Voy. aussi la partie 2 du Syllabus, relative aux sources.


51
Chapitre VI. L’émancipation urbaine (XIe - XIIIe siècles)

52
I. Un mouvement européen.

L’Europe connait, à partir du XIe siècle, une période de renouveau économique. Cette
période nouvelle aura pour effet de bouleverser l’entité politique et économique de base
qu’est la seigneurie.

L’espace européen aurait bénéficié d’une légère hausse de température qui aurait permis
une hausse du rendement de la terre. Les périodes d’assolement de la terre seraient
devenues moins importantes, permettant une exploitation plus intensive. Cette période
voit l’apparition de nouvelles techniques agraires (assolement triennal ; usage de la
charrue pour faciliter le labour ; usage du collier pour les animaux de trait).

L’augmentation de la productivité a pour effet la formation d’excédents. L’espace isolé,


refermé sur lui-même, que forme la seigneurie, s’ouvre peu à peu à la suite du renouveau
des échanges commerciaux. Les villes renaissent et de nouvelles communautés urbaines
ou rurales se forment. L’accroissement des communautés urbaines est favorisé par une
hausse de la démographie.

L’essor économique bénéficie au seigneur, du moins s’il parvient à prendre la mesure des
bouleversements en cours et s’il accepte de concéder des droits à ceux qui sont attachés
à sa terre. Dans la mesure où la productivité augmente, ce sont ses propres prélèvements
qui s’accroissent. La formation de surplus profite donc au seigneur qui, dans un premier
temps à tout le moins, s’enrichit. Des bourgs se forment autour des châteaux et
prospèrent, du moins lorsque le seigneur est assez clairvoyant pour octroyer des droits à
ces nouveaux habitants.

La ville qui s’éveille à la suite de l’essor économique connait également un renouveau


culturel. Elle se présente comme un lieu d’échanges intellectuels, concurrençant puis
supplantant les abbayes, qui s’étaient présentées jusque-là comme des espaces de l’écrit
et de la culture. Cette renaissance intellectuelle se manifeste pas la création d’universités.
Elles apparaissent dès le XIe siècle en Italie, avec l’Université de Bologne (ca 1090). En
France, l’Université de Paris apparaît dès les environs de 1150. Il en est de même de
l’Université de Montpellier. En Angleterre, les premiers enseignements auraient été
organisés à l’Université d’Oxford dès 1120. Dans l’espace allemand, l’apparition des
universités est un peu plus tardive. L’université de Prague est fondée en 1348.
L’université de Heidelberg, dans l’espace allemand, est fondée en 1386.

Profitant des bienfaits économiques et de la culture qui s’y épanouit, la ville et la vie
urbaine deviennent des objets d’admiration, voire de fascination. Un lettré anglais, Jean
de Salisbury, qui est alors secrétaire du chancelier d’Angleterre, Thomas Becket, lui écrit
en 1164 pour lui vanter les qualités de la ville de Paris. Il l’évoque comme une Terre sainte,
une nouvelle Jérusalem, marquée par la présence divine : « Vraiment Dieu est ici et je ne
le savais pas ».

A travers les trois espaces considérés – français, allemand et anglais – l’émancipation


urbaine passe par une évolution des relations avec le seigneur. L’évolution de ces
relations passe par l’octroi de libertés, qui seront bientôt fixées dans des textes. L’étendue
de ces libertés varie d’une entité à une autre, selon la nature des relations qui se nouent

53
avec le seigneur. L’accession de certaines entités à l’émancipation passe parfois par la
formation de groupements solidaires qui cherchent à obtenir l’autonomie la plus
complète possible. L’obtention d’une communia entraîne la formation d’une personnalité
juridique distincte de ses membres, pour en faire un véritable acteur politique. Ces
« communes » se développent dans une partie de l’espace français ou de l’espace
allemand. Dans l’espace formant le Saint-Empire, les villes du nord de l’Italie, qui affirment
très tôt leur autonomie, s’organisent également autour d’un pacte de solidarité. Elles sont
également désignées sous l’appellation de « communes ». Dans l’espace anglais, le
mouvement communal est manifestement moins important.

II. L’émancipation urbaine dans l’espace français

La ville n’est pas une invention des XIe-XIIIe siècles. Plusieurs villes importantes s’étaient
développées sous l’Antiquité romaine et s’étaient multipliées autour des sièges des
évêchés. Le climat d’insécurité dans lequel avait été plongée la Francia occidentalis à la
suite des invasions successives puis du morcellement féodal avait entraîné un déclin des
échanges commerciaux, un isolement suivi d’un déclin des cités. On assiste, à partir des
XIe-XIIe siècles, à une renaissance des villes. A la fin du XIIe siècle, Paris connait un tel
l’essor démographique que Philippe Auguste est contraint d’étendre la ville et de
construire une nouvelle enceinte, qui remplace l’enceinte édifiée à l’époque carolingienne.
Au-delà de la seule renaissance des villes anciennes, de nouveaux centres urbains
apparaissent. Enfin, et surtout, les villes s’affirment à présent par rapport au seigneur
pour devenir peu à peu des acteurs politiques.

A. Initiative des seigneurs

De nombreux bourgs naissent de la volonté du seigneur d’attirer sur ses terres de


nouvelles populations, lesquelles contribueront à l’essor économique de sa seigneurie et
permettront une augmentation du montant des prélèvements, donc de ses propres
revenus. Le développement des villes attire la population servile qui entend échapper aux
exactions des seigneurs. Cette dynamique conduit également le seigneur à affranchir ses
propres serfs pour favoriser l’essor urbain sur ses terres. Le comte de Blois, par exemple,
affranchit ainsi en 1196 tous ses serfs qui souhaitent habiter Blois. La perte économique
résultant du déclin de la population servile est compensée par l’essor démographique. Le
seigneur peut assurer une répartition des prélèvements sur une population plus
nombreuse de telle sorte qu’il est en mesure de réduire le prélèvement par tête.

B. Initiative des populations : le mouvement communal

Le mouvement d’émancipation urbaine est également marqué par l’initiative qui est due
aux populations elles-mêmes, formant un groupe solidaire opposant ses souhaits au
seigneur. Dans l’espace français, ce phénomène est situé entre la Loire et le Rhin. Cette
solidarité s’exprime à travers un groupement uni par un serment: assurer entre les
membres du groupe une aide mutuelle en vue d’obtenir la satisfaction de leurs intérêts,
conditionnée au premier chef par la nécessité de maintenir la paix et la prospérité dans la
ville. Le serment, la conjuratio, qui unit les membres de ce groupement à ceci de
particulier qu’il forme un engagement horizontal, qui le distingue des formes du serment
connues jusqu’alors, caractérisé par l’expression d’une fidélité à un supérieur, dans un
esprit de verticalité.

54
Ces groupements d’intérêts sont désignés sous l’appellation de « guildes » ou de
« corporations ». Guildes et corporation finissent elles-mêmes par se rassembler pour
former un groupe unique, appelé à représenter la ville en tant qu’entité juridique
distincte, la « communitas » ou « communia », également désignée sous le nom d’
« universitas ».

En 1076, les habitants de Cambrai s’unissent par un serment mutuel, une conjuratio, par
lequel ils s’engagent à se venir en aide mutuellement et à assurer la paix dont ils ont besoin
pour assurer leur prospérité. La commune de Saint-Quentin est reconnue dès avant 1081
par le comte de Vermandois. Louis VI le Gros établit lui-même une commune à Mantes.

Certaines manifestations communales prennent des formes particulièrement violentes.


C’est notamment le cas de certaines villes qui sont sous l’autorité d’un évêque. La tutelle
du pouvoir épiscopal s’exerce avec plus de rigueur et laisse moins de latitude aux
habitants. Des incidents surviennent notamment à Beauvais, Amiens, Laon. Le cas de
Laon, au début du XIIe siècle, illustre l’issue violente des tensions qui se développent entre
la population et l’évêque. Celui-ci fait face à la révolte des habitants. Il est exécuté en 1112.
La qualité d’évêque qui est celle du seigneur n’est pas anodine. La confrontation avec les
seigneurs ecclésiastiques apparaît d’autant plus importante que le mouvement communal
s’appuie sur le serment, expression du sacré dont l’Eglise tient à maîtriser l’usage. Par
ailleurs, ce mouvement de revendication perturbe l’ordonnancement tripartite de la
société soutenu par l’Eglise. Venu à Laon en 1114 pour assurer la réconciliation de la
cathédrale qui avait été souillée par le meurtre de son évêque, l’archevêque de Reims,
Raoul le Vert, dénoncent les communes qu’il juge « exécrables parce que contraires au
droit divin et humain ».

Le roi de France lui-même, après avoir encouragé le mouvement communal, en particulier


dans les terres qui échappaient à son contrôle, se ravise ensuite, au cours des premières
décennies du XIIe siècle. Dès son avènement, Louis VII interdit les communes d’Orléans
et de Poitiers. Il reconnait la communitas de Reims en 1138, pour la supprimer deux ans
plus tard, dès 1140. Il en est de même de Sens, acceptée puis supprimée presqu’aussitôt.

C. Le consulat : l’émancipation sans la confrontation

Le Sud de la France voit se développer un autre modèle d’émancipation urbaine, qui ne


passe pas par la formation d’un groupement de solidarité ni pas la confrontation avec le
seigneur. Ce modèle de développement urbain est issu d’Italie, et se répand au cours des
XIIe et XIIIe siècles en Provence et en Languedoc. Il connait une première manifestation à
Avignon, vers 1130.

Le mouvement d’émancipation urbaine est conduit non par des bourgeois, mais par la
petite aristocratie - chevaliers ou milites - qui s’est implantée dans la ville et a contribué
à son développement économique. Celle-ci entend participer à la vie politique. La petite
aristocratie des villes s’associe au seigneur et entend prendre part à l’exercice du pouvoir
dans la cité. Ils exercent les fonctions de « consuls ». A partir du XIIIe siècle, les bourgeois
accèdent eux-mêmes à la fonction consulaire. Le consulat se distingue également de la
commune par le fonctionnement collégial de son gouvernement. Il s’en distingue enfin par
le maintien d’une certaine forme de tutelle par rapport au seigneur, qui continue d’exercer

55
un pouvoir dans la cité. L’émancipation n’est pas aussi complète que dans le cas de la
commune.

D. Généralisation et diffusion du mouvement d’émancipation

Le mouvement d’émancipation urbaine se généralise dans l’espace français à partir du


XIIIe siècle. Ce mouvement d’émancipation prend une forme matérielle concrète à travers
la concession d’une charte, qui fixe les privilèges octroyés par un seigneur à une
communauté urbaine, mais également à une communauté rurale (par exemple la
suppression des incapacités liées à l’état servile, comme le formariage ou la mainmorte).
Vers 1230, la plupart des communautés urbaines ont obtenu une charte. Le mouvement
s’étend aux bourgs et villages. Entre 1150 et 1250, des chartes rurales sont octroyées. Au-
delà du phénomène de l’émancipation urbaine, ce sont donc l’ensemble des relations des
communautés d’habitants avec le seigneur qui se fixent peu à peu dans l’espace français,
limitant la manifestation de l’arbitraire qui dominait jusqu’alors.

Certains « modèles » de charte vont connaitre une certaine diffusion. Deux exemples
seront évoqués : les Etablissements de Rouen, charte urbaine, et la charte de Lorris en
Gâtinais, charte rurale.

Les habitants de Rouen auraient bénéficié d’une première charte alors que la Normandie
est encore une terre anglaise, entre 1120 et 1130, sous le règne d’Henri Ier Beauclerc. Ce
premier texte aurait été confirmé dans le contexte de la guerre que se livrent Etienne de
Blois et Mathilde l’Emperesse11. Une charte est octroyée aux Rouennais en 1144, à la suite
de la prise de la ville par Geoffroy Plantagenêt. En 1174, Henri II leur accorde une nouvelle
charte, après sa victoire contre le roi de France (Louis VII), qui faisait le siège de la ville.
On parle pour la première fois des « Etablissements de Rouen » en 1180. En 1190, au
début de son règne, le successeur d’Henri II, Richard Ier, accorde aux habitants de Rouen
une charte par laquelle il confirme les franchises, libertés et coutumes de la communia
Rothomangensis. Enfin, les Etablissements prennent une importance particulière sous le
règne de Jean sans Terre, lorsqu’il succède à son frère en 1199. Le roi reconnait à la ville
la qualité de communia et précise le caractère autonome de la ville par une série de
dispositions concernant l’exercice de la justice.

A la suite de la commise prononcée par la curia contre Jean sans Terre, le roi de France
Philippe Auguste se rend maître de la Normandie et confirme les Etablissements de Rouen
(1204).

Lorris – qui a intégré le domaine royal en 1066, sous Philippe Ier – aurait quant à elle
bénéficié d’une première charte en 1134, sous Louis VI le Gros. Cette première
consécration des droits des habitants de Lorris est confirmée par une seconde charte, en
1155 (règne de Louis VII). La charte concédée par Louis VII est perdue à la suite de
l’incendie qui ravage Lorris au cours des années 1180, sous le règne de Philippe Auguste.
Celui-ci fait rédiger, en 1187, une nouvelle charte qui reprend le contenu de la précédente.

Chacune de ces deux chartes – les Etablissements de Rouen et la charte de Lorris – servira
de modèle à la fixation des relations entre seigneur et communauté urbaine ou rurale au-

11 Sur Mathilde l’Emperesse, voy. infra et surtout le chapitre IX.


56
delà de leur lieu d’origine, pour connaitre une diffusion régionale. Les Etablissements de
Rouen forment le principal modèle de charte des villes de Normandie. Mais sa diffusion
dépasse les limites de l’ancien duché. La même charte est accordée notamment à La
Rochelle (1199), à Angoulême (1215), à Poitiers (1215), à Bayonne (1215), à Tours
(1461). Quant à la charte de Lorris, elle forme le modèle de très nombreuses chartes, dans
le Gâtinais tout d’abord (comté du Gâtinais), puis hors de celui-ci dès la fin du XIIe siècle.
Philippe Auguste en assure très largement la diffusion.

E. Franchises

Les chartes octroient des droits et libertés qui sont rassemblés sous l’appellation de
« franchises ». Celles-ci s’articulent autour de quatre axes :

- civil : obtention de la suppression de certaines incapacités, comme la


mainmorte ou le formariage ;

- militaire : suppression de la participation militaire ou limitation de cette


participation à certains cas spécifiques (guerres défensives uniquement,
défense du bourg ou de la ville uniquement, etc.) ;

- fiscal : taxes supprimées ou limitées, conditions de prélèvement fixées (date,


montant) ;

- judiciaire : obtention de garanties juridictionnelles tendant à limiter


l’arbitraire du seigneur ou de son représentant, le prévôt (tarification des
peines pour certains délits, limitation du duel judiciaire. Egalement, obtention
par les bourgeois du droit d’être jugés par leurs pairs.

Le plus souvent, les garanties obtenues s’accompagnent de la création, consacrée dans la


charte, d’une institution appelée à contrôler leur respect (un « conseil » assurant le
contrôle du respect des dispositions contenues dans la charte).

F. Organisation politique

Le degré d’autonomie politique dont bénéficie chacune des communautés urbaines ou


rurales dépend essentiellement des rapports de force entre les communautés d’habitants
et le seigneur. L’importance de l’émancipation varie ainsi d’un endroit à l’autre. Certaines
entités bénéficient d’une large autonomie tandis que d’autres fonctionnent selon un
système de participation. Ces disparités peuvent être observées selon une répartition
géographique. Les entités qui connaissent le plus haut degré d’autonomie, qui ont obtenu
d’exercer elle-même sur leur territoire le pouvoir du ban, sont les communes, qui se
trouvent dans le Nord et l’Est de l’espace français, et les consulats, dans le Sud. Un
troisième type d’entité, qui bénéficie d’un degré moindre d’autonomie, doit donc être
évoqué. Il s’agit de la ville de franchise ou de prévôté. Dans la ville de franchise ou de
prévôté, le seigneur conserve les pouvoirs du ban et les fait exercer par un agent qu’il
délègue : le prévôt. Celui-ci doit respecter les droits octroyés aux habitants et il associe
éventuellement ceux-ci à la gestion de la collectivité. C’est notamment le cas de la ville de
Lorris au XIIe siècle (cf. supra). Son administration est confiée au prévôt.

57
La relation qu’entretient le seigneur avec la ville concerne le roi lui-même. Celui-ci entend
s’appuyer sur les villes pour renforcer son contrôle sur le royaume. Se développeront
ainsi, à partir du XIIIe siècle, les « bonnes villes », qui bénéficieront d’une très large
autonomie, et relèveront directement de l’autorité royale, dans une relation
d’immédiateté, placées sous la protection spéciale du roi. Les bonnes villes sont des villes
puissantes sur le plan économique, que le roi consultera de manière régulière pour
obtenir avis et conseil sur la gestion du royaume ou sur des questions diplomatiques.

III. L’émancipation urbaine dans l’espace allemand

Certaines villes anciennes sont connues depuis le Haut Moyen-Age, certaines d’entre elles
par leur origine romaine, comme Cologne, Mayence ou Ratisbonne, d’autres parce qu’elles
se sont imposées à l’époque carolingienne, comme Bamberg, ou parce qu’elles sont
devenues des lieux de résidence impériale, comme Francfort sur le Main, Goslar ou Aix-
la-Chapelle. D’autres enfin se sont formées comme centre épiscopal, comme Hildesheim,
ou autour d’une abbaye, comme Fulda. Mais ici aussi la ville connait une renaissance et un
mouvement d’émancipation.

Si certaines villes obtiennent une part d’autonomie dès le début du XIIe siècle - comme
Cologne, qui obtient un sceau dès 1114 - l’émancipation urbaine est plus timide que dans
l’espace français et elles restent encore très largement sous la tutelle d’un seigneur. Le
développement et l’émancipation urbaine ne prend de l’ampleur qu’à partir du XIIIe
siècle. Le même phénomène que celui que connait l’espace français un peu plus tôt peut
être observé : les communautés urbaines s’affirment et deviennent peu à peu des acteurs
politiques.

A. Croissance urbaine et franchises

Le nombre de villes passe, entre 1200 et 1400, de quelques centaines à près de 2000. Cette
croissance est particulièrement remarquable au cours du XIIIe siècle, au cours d’une
période où l’espace allemand s’étend au Nord et à l’Est, au-delà de l’Elbe et vers la mer
Baltique : Riga (1201), Hambourg (1216), Rostock (1218), Dantzig/Gdansk (1224), Berlin
(1244), Gieβen (1248), Koenigsberg (1255). Cette multiplication des créations urbaines
est favorisée par l’application du ius teutonicum, selon lequel les Allemands établis au-
delà de l’Elbe sont considérés comme des individus libres.

Mais cette croissance urbaine concerne l’ensemble de l’espace allemand. En 1180, le


duché de Bavière compte une seule ville, Ratisbonne. Au milieu du XIIIe siècle, une
douzaine de villes nouvelles, émancipées, dotées de franchises, s’y développent.
Nuremberg, par exemple, obtient sa Groβe Freiheitsbriefe en 1219. Munich obtient une
charte de franchise au cours du XIIIe siècle également.

La part des habitants des villes croît rapidement, pour atteindre 20% de l’ensemble de la
population à la fin du siècle. La ville la plus peuplée de l’Empire est alors Cologne, qui
compte entre 35.000 et 40.000 habitants environ. Berlin ne compte alors pas plus de 1500
habitants.

La concession de franchises connait une croissance sans précédent à partir du XIIIe siècle.
Les seigneurs privilégient la fondation de communautés urbaines dont ils pourront tirer

58
bénéfice. La création des villes est aussi envisagée comme un moyen de défense.
L’archevêque de Cologne, par exemple, entoure ses terres d’un « cordon » de cités
fortifiées. La formation des villes est donc due principalement à l’initiative des princes
territoriaux. Des quelques 1500 villes que compte l’espace allemand en 1250, 150 environ
sont formées à l’initiative de l’Empereur. Les Landesstädte sont largement plus
nombreuses que les villes d’Empire, les Reichsstädte.

B. Reichsstädten

Les villes d’Empire (Reichsstädten) sont les villes qui ne dépendent que de l’Empereur,
caractérisées par leur immédiateté. L’immédiateté, dans le contexte féodal, entraîne la
reconnaissance d’une relation vassalique entre l’empereur et la communauté urbaine.
Elle se traduit par une relation directe à l’empereur, sans intermédiaire, concrétisée, dans
l’esprit du système féodo-vassalique, par l’hommage, l’aide et le conseil au seigneur.
L’Empereur est le seigneur des habitants de la ville et leur juge. Il en est ainsi, par exemple,
de la ville de Nuremberg. Créée par Henri III (XIe siècle), elle obtient progressivement des
libertés, qui seront étendues en 1219, dans la Groβe Freiheitsbriefe que lui octroie Frédéric
II. Il est fait mention d’un conseil (Rat) à partir de 1256.

On distinguera ensuite – la distinction se clarifie au XIVe siècle – parmi les villes d’Empire
les villes libres d’Empire, ou Freie Reichsstädten (sing. : Freie Reichsstadt). Ce phénomène
d’émancipation prend cours au XIIIe siècle. Les villes libres d’Empire sont des cités
épiscopales qui se sont émancipées de leur seigneur ecclésiastique, l’évêque, et sont
passées sous protection impériale. Comme dans l’espace français, les villes sous tutelle
épiscopale sont caractérisées par l’absence de concessions et la rigueur avec laquelle le
pouvoir est exercé. L’étendue des pouvoirs de l’évêque et l’importance de son contrôle sur
la ville conduisent à la confrontation, puis à l’émancipation sous la protection de
l’Empereur.

Les Freie Reichsstädten se distinguent des Reichsstädten en ce que la relation vassalique


est limitée : elle se limite à l’aide, sans hommage. Par ailleurs, contrairement aux
Reichsstädten, les Freie Reichsstädten ne peuvent faire l’objet d’aucun engagement au
profit d’un créancier quelconque. Très concrètement, elles ne s’acquittent pas de l’impôt
impérial (Reichssteuer). Elles contribuent par contre aux frais du couronnement impérial.
Parmi les villes « libérées » de leur seigneur ecclésiastique, on mentionnera les villes de
Worms (1247), Ratisbonne (1255), Strasbourg (1263), Cologne (1288) ou Spire.

59
IV. L’émancipation urbaine dans l’espace anglais

L’espace anglais connait lui aussi, à partir du XIe siècle et surtout du XIIe siècle un
important développement urbain. Le peuplement des villes augmente, même s’il reste
inférieur au peuplement que connaissent les grandes entités urbaines continentales,
comme Paris, ou Venise. Londres voit croître sa population de 18.000 à 35.000 habitants
environ entre la fin du XIe siècle et la fin du XIVe siècle. Bristol voit sa population passer
d’un peu plus de 2000 à un peu plus de 9000 habitants. Lincoln voit sa population passer
d’un peu plus de 3000 habitants à un peu plus de 5000 habitants. Certaines villes
connaissent une croissance extraordinaire, comme Norwich, qui voit quintupler sa
population entre la fin du XIe siècle et les premières décennies du 14e siècle, passant d’un
peu plus de 5000 habitants à environ 25.000 habitants.

Le mouvement d’émancipation urbaine est cependant moins complet dans l’espace


anglais. Le phénomène d’autonomisation et y est moins important que sur le Continent.

Le mouvement d’opposition violente qui se manifeste dans une partie de l’espace français
ou de l’espace allemand, là où le pouvoir épiscopal est tout puissant, ne se développe pas
dans l’espace anglais, de même qu’il ne se développe pas au sein du duché de Normandie.
Les évêques y ont obtenu moins de concessions que dans le royaume de France ou dans
le Saint-Empire. La tutelle des prélats sur les villes y est donc moins importante.

Si l’octroi de libertés « administratives » est moins complet dans l’espace anglais, le roi
ainsi que les seigneurs laïcs octroient néanmoins de nombreuses franchises et établissent
progressivement des organes de gouvernement urbain et des juridictions locales. Dès le
XIe siècle, Chester est dotée d’un tribunal urbain, composé de douze juges désignés parmi
les agents du roi, ceux de l’évêque et ceux du comte. Sous le règne d’Edouard le
Confesseur, Lincoln dispose de sa propre juridiction, composée de douze de ses habitants
désignés par le roi et le comte.

Progressivement, l’ensemble des villes royales et seigneuriales se voient confier des


compétences dans le domaine de la justice et des finances. Il n’en demeure pas moins
qu’un lien de dépendance – parfois étroit – avec le roi ou le seigneur subsiste. L’autonomie
politique reste moins développée au sein de l’espace anglais.

La ville de Londres se distingue des autres villes d’Angleterre en ce qu’elle forme l’une des
très rares illustrations dans l’espace anglais de ce qu’on désigne sous l’appellation de
« mouvement communal ».

A la suite de la Conquête, dès 1066, Guillaume de Normandie y installe sa capitale.


Soucieux de se faire accepter par ses nouveaux sujets, il entreprend de négocier avec les
grands du royaume mais aussi avec la communauté des habitants de Londres. Il garantit
le maintien des droits et libertés concédées par les souverains précédents, les premières
libertés ayant été octroyées sous les rois anglo-saxons. Ces libertés sont d’abord
accordées aux guildes – les corporations marchandes – dans le but de protéger leurs
activités commerciales et de promouvoir leur développement.

Dès le règne de Henri Ier , le sheriff, qui assure la principale fonction administrative dans
la ville, est désigné par le roi au sein du patriciat urbain. Gilbert Becket - père de Thomas

60
Beckett dont il sera question infra - est ainsi désigné parmi les bourgeois de Londres pour
exercer la fonction de sheriff.

En 1135, Etienne de Blois, dont le règne est contesté, est contraint de négocier et de
concéder des droits pour se faire accepter. On assiste à un échange de serments entre le
roi d’Angleterre et la communauté des habitants de Londres : ceux-ci s'engagent à
soutenir le roi, de leurs biens et de leurs forces, et le roi promet, en contrepartie, d’assurer
la paix dans le royaume.

En 1141, Mathilde l’Emperesse négocie à son tour avec la ville de Londres. Elle convoque
la communauté des habitants en assemblée. Londres envoie des représentants : la ville
est considérée comme une entité morale, dotée d’une personnalité juridique distincte de
ses membres, distincte également des guildes auxquelles étaient attachées les libertés
antérieurement octroyées.

A la suite de l’Anarchie, Henri II concède une charte qui confirme les libertés
antérieurement acquises. Le successeur de Mathilde l’Emperesse, dans l’œuvre de retour
à l’ordre et de pacification du royaume qu’il entreprend avec son chancelier, Thomas
Becket, multiplie l’octroi de chartes à d’autres communautés urbaines, notamment pour
clarifier la situation de certaines d’entre elles, qui avaient profité de cette période troublée
pour s’arroger certaines libertés. Des chartes de libertés sont ainsi octroyées aux villes de
Bristol, Hastings, Lincoln, Oxford, Winchester. Certaines de ces chartes, comme celle de
Winchester, abolissent des libertés qui avaient été usurpées. La charte octroyée à Londres
sert de modèle à un grand nombre de ces chartes. Les bourgeois d'Oxford pourront ainsi
« jouir de toutes les coutumes, libertés et lois qu'ils ont en commun avec les citoyens de
Londres ». La diffusion s’amplifie et les modèles de chartes s’enrichissent par leur
multiplication : les bourgeois de Gloucester obtiennent ainsi "les coutumes et libertés (…)
comme les citoyens de Londres et de Winchester en ont joui au mieux du temps du roi
Henri (son) aïeul".

L’octroi de chartes connait un nouvel élan sous le règne de Richard Ier (1189-1199). Ces
chartes sont octroyées à titre onéreux. Il ne s’agit pas seulement pour le roi d’encadrer le
développement des villes, mais d’assurer le financement de la croisade qu’il compte
entreprendre, ou des expéditions militaires qui sont engagées contre le roi de France.

Si la « loi de Londres » connait une diffusion de plus en plus large, Londres elle-même tire
parti du règne Richard Ier pour s’affirmer. En 1191, alors que le roi est parti en croisade,
la ville donne une nouvelle manifestation de son émancipation. Engagée dans le conflit
qui oppose le Justiciar12 Guillaume Longchamp, auquel le roi a confié l’administration du
royaume en son absence, au comte de Mortain (frère de Richard Ier et futur roi, connu sous
le nom de Jean sans Terre), la ville se rallie au comte de Mortain moyennant paiement.
Les habitants de Londres renversent Longchamp et reconnaissent pour nouveau Justiciar
Gautier de Coutances, évêque de Rouen. Le patriciat de Londres exerce désormais un rôle
un décisif dans la politique intérieure du royaume, en particulier dans les contextes de
troubles lorsqu’il peut endosser un rôle d’arbitre. La fonction de mayor apparaît à Londres
au cours de la même période. Le terme serait inspiré de l’organisation administrative de
la ville de Rouen. Richard Ier octroie une nouvelle charte aux habitants de Londres à son

12La fonction de justicier (ou justiciar) a été évoquée supra, chapitre II. Elle sera encore évoquée infra,
chapitre IX.
61
retour de captivité, lorsqu’il revient en Angleterre, en 1194. Il réduit les obligations
fiscales (les exactions) qui lui sont dues par les habitants.

Lorsqu’il accède au pouvoir, Jean sans Terre doit lui aussi accorder des droits aux
Londoniens. Les débuts de règne sont ainsi systématiquement marqués par la
confirmation des droits acquis antérieurement ainsi que par l’octroi éventuel de
nouveaux droits et libertés. En 1199, comme aux Rouennais, Jean sans Terre octroie aux
habitants de Londres une charte qui reconnait à leur ville la qualité de communia. Cette
charte, qui leur est concédée moyennant une importante somme d’argent, donne le droit
aux habitants de Londres de désigner eux-mêmes leur sheriff. Par une charte de 1215, il
leur accorde le droit de désigner eux-mêmes leur mayor. D’une manière générale, si
l’Angleterre connait un développement plus tardif de l’autonomie communale que dans le
royaume de France, ce mouvement d’autonomisation s’épanouit sous le règne de Jean
sans Terre. Outre les cas de Londres ou de Rouen, de nombreuses villes d’Angleterre ou
du Continent sous domination anglaise reçoivent une charte dans laquelle est reconnue
leur qualité de communia.

62
EX CURSUS N°2

Le duché de Brabant et l’émancipation urbaine

63
Les règnes des ducs de Brabant Jean II et Jean III sont marqués par l’importance du rôle
que jouent les villes dans la politique du duché. La consolidation de la maison de Louvain
s’appuie également, au-delà des vertus personnelles des comtes, sur leur prise en
considération de l’intérêt à encourager l’essor des communautés urbaines. Le
développement économique des villes entraînera, par l’effet des charges fiscales,
l’enrichissement des comtes de Louvain. Ce développement économique s’accompagne
progressivement d’un développement du pouvoir politique. Les ducs de Brabant vont
devoir composer avec les villes.

De manière générale, le développement des communautés urbaines se passe sans qu’il y


ait confrontation. Le comte de Louvain, bientôt duc de Brabant, conscient de l’avantage
pécuniaire qu’il peut tirer de l’émancipation urbaine, soutient le développement des
villes. Le développement économique doit entraîner un accroissement de ses propres
richesses, par la voie des rentrées fiscales13. A la fin du XIIe siècle les principales villes du
Brabant forment des circonscriptions dotées d’un droit particulier. L’émancipation
urbaine sera quasiment complète sous le règne d’Henri Ier14. Comme dans les autres
espaces européens concernés, l’émancipation urbaine implique l’octroi de libertés à des
communautés anciennement soumises aux charges serviles. Cet octroi de libertés
s’étendra peu à peu, comme dans les autres espaces, aux communautés rurales.

- En 1160, le comte de Louvain Godefroid III passe un accord avec Godescalc, abbé
d’Affligem (abbaye d’Affligem) qui dispose de larges possessions en Brabant, dans la
région de Nivelles en vue de l’octroi de libertés à deux communautés, celle de Baisy et
celle de Frasnes-lez-Gosselies. La région de Nivelles connait alors un important
développement agricole, dont le comte de Louvain et l’abbé d’Affligem peuvent
également tirer profit. La charte prévoit que le droit applicable aux deux entités sera le
droit de Louvain. La charte organise notamment un marché et exempte les habitants
de certaines obligations serviles, comme la taille ou la mainmorte.

- En 1168, la charte de Tirlemont confirme l’octroi de libertés par le comte de Louvain


Godefroid III, comme l’exemption de la taille et l’abolition de la mainmorte.

- En 1192, sous le règne d’Henri Ier, la charte de Vilvorde abolit la taille, prévoit que le
seul fait pour un individu de s’établir à Vilvorde pendant un an et un jour, et de jurer
fidélité au duc de Brabant, le place sous la protection de celui-ci. La charte de Vilvorde
prévoit également la pleine liberté de déplacement, et la liberté de vendre des biens
sans autorisation. Elle prévoit des obligations militaires limitées à la guerre défensive.
Elle prévoit aussi que les aides extraordinaires doivent être modiques et que les
corvées – résidu des obligations serviles - seront réduites à la récolte du foin. La charte
prévoit enfin que les bourgeois de Vilvorde ne pourront être jugés que par les échevins

13
Le comte de Louvain perçoit de droits fiscaux sur le déplacement des marchandises ainsi que sur les étals
des marchands. Ces rentrées sont appelées à compenser les recettes perdues en raison de l’abandon de la
taille ou de la mainmorte.
14
L’émancipation des villes sous Henri Ier se manifeste également par la construction de fortifications. Les
villes du Brabant sont presque toutes devenues des places-fortes.
64
de la ville et dans la ville, consacrant l’application du principe du jugement par les pairs
ainsi que le principe de non distraction du juge naturel15.

- En 1213, Henri Ier, à la suite de la défaite de Steps16, est affaibli et contraint de faire des
concessions. La ville de Léau (Zoutleeuw) en tire parti pour obtenir des libertés. La
charte de Léau forme non seulement le résultat d’une fragilisation du pouvoir du duc
mais elle illustre aussi l’apogée du mouvement d’émancipation urbaine. La charte,
après avoir confirmé l’exemption de la taille et du service militaire offensif, accorde des
privilèges commerciaux étendus : notamment l’obligation pour les marchands
étrangers à Léau d’emprunter la route publique conduisant à la ville, entraînant
l’obligation du paiement d’un droit de passage et l’institution d’un marché d’une durée
de sept jours. La charte prévoit également, dans le domaine de l’organisation de la
justice : la suppression du duel judiciaire dans les litiges entre bourgeois de la ville de
Léau et dans les litiges opposant les bourgeois de Léau et les étrangers à la ville ; le
traitement des plaintes relatives aux bourgeois de la ville par l’échevinage de la ville
(principe du jugement par les pairs) ; l’élection de six jurés qui assureront, aux côtés
des échevins de la ville, l’exercice de la justice pénale, ces six jurés n’étant pas, au
contraire des échevins, désignés par le seigneur (le duc de Brabant), mais élus par la
population bourgeoise. La charte prévoit également le droit pour les habitants de Léau
d’assurer leur propre défense, par la force et d’initiative, contre quiconque aurait fait
injure ou aurait commis une violence à l’encontre de l’un des leurs. La charte prévoit
qu’ils seront dans cette circonstance assistés par les hommes du duc. Les bourgeois de
Léau se voient reconnaitre ainsi un droit qui est apparenté à la prérogative féodale de
la faide.

- Concernant Bruxelles, doit être mentionnée la charte (keure) de Bruxelles de 1229,


contenant essentiellement des dispositions de droit pénal, mais surtout la charte
(keure) de 1235, par laquelle Henri Ier permet aux bourgeois de la ville d’élire eux-
mêmes leurs échevins. La charte prévoit également l’annalité de la charge d’échevin.
Jusqu’alors, les échevins étaient nommés, à vie, par le duc. La charte de Bruxelles de
1235, octroyée par le duc Henri Ier peu avant son décès, marque l’aboutissement du
processus d’émancipation urbaine : les échevins disposent désormais du droit de
désigner eux-mêmes les autorités urbaines.

15
Garantie selon laquelle son bénéficiaire ne peut être soustrait au juge qui est amené à naturellement
pouvoir le juger (celui qui réside dans sa ville et connait le droit suivant lequel ce bénéficiaire doit être jugé).
16
Bataille de Steps, au cours de laquelle l’armée du duc de Brabant est vaincue par les armées coalisées
venues en aide à l’armée de l’évêque de Liège, 1213.
65
Chapitre VII.
Le renouveau du pouvoir royal (espace français, XIIe-XIIIe siècles)

66
I. Préalable : essor des villes et renaissance intellectuelle

La réaffirmation du pouvoir royal doit se comprendre dans le contexte du renouveau


économique et celui du développement des villes, qui entraîne un nouvel essor
intellectuel et culturel. Cette période de développement intellectuel va permettre la
découverte de nouveaux outils – des concepts juridiques – propres à contribuer au
renforcement du pouvoir royal.

Le contexte du développement urbain voit en effet l’apparition des premières universités.


Le savoir et la formation intellectuelle, jusqu’alors limités à l’abbaye ou à la cathédrale,
gravitant autour de l’évêque, s’ouvre à un nouveau public. L’enseignement se libère et se
diffuse de manière informelle dans l’espace urbain, jusqu’à former de nouveaux lieux du
savoir. Ces entités, caractérisées par un rassemblement d’individus unis par un serment
de solidarité, ainsi que par une personnalité juridique propre (personnalité morale), se
voient reconnaitre la qualité d’universitas. Celles –ci se créent toutefois encore sous
l’autorité de l’Eglise, plus précisément du pape. Les premières universités apparaissent
pendant la période dite de la « réforme grégorienne ». Ces nouveaux espaces
d’enseignement forment des moyens d’assurer l’uniformisation de l’enseignement de la
théologie et par conséquent d’assurer la diffusion de l’orthodoxie catholique.

L’université émerge dans le Nord de l’Italie, avec l’Université de Bologne, dès 1088. Située
en terre d’Empire, l’université de Bologne contribuera à la recherche d’une consolidation
du pouvoir impérial. Dans l’espace français, l’Université de Paris ou l’Université de
Montpellier apparaissent dès la seconde moitié du XIIe siècle. Il en est de même dans
l’espace anglais. L’Université d’Oxford se développe dès la seconde moitié du XIIe siècle
également. L’Université de Cambridge apparaît quelques années plus tard, au début du
XIIIe siècle. Dans l’espace allemand par contre, on ne voit pas les universités apparaître
avant le XIVe siècle.

La redécouverte du droit romain – la découverte du Corpus Iuris Civilis de Justinien – se


développe dans ce cadre intellectuel nouveau. Toutefois, le développement de la
connaissance et de l’enseignement du droit romain provoque certaines crispations. En
1219, par la bulle Super Speculam, le pape Honorius III, interdit l’enseignement du droit
romain à l’Université de Paris. L’enseignement du droit romain bénéficie alors d’une telle
attractivité qu’il conduit de très nombreux clercs à délaisser la théologie. Le droit romain
est devenu un outil de connaissance qui sert le fonctionnement de l’administration laïque,
en particulier l’administration royale. Les clercs s’orientent vers ces nouvelles
opportunités qui s’ouvrent : devenir des agents royaux. La bulle Super Speculam entraîne
la création de l’université d’Orléans, ou le droit romain sera désormais enseigné.

Le droit romain avait déjà fait l’objet d’une instrumentalisation à des fins politiques
pendant la Querelle des Investitures. Il avait été exploité en vue de la consolidation du
pouvoir impérial, ou à l’inverse en vue de la consolidation du pouvoir papal. Le roi de
France lui-même va s’en servir à son tour, mais avec une certaine méfiance. Le berceau du
droit romain systématisé par Justinien est l’Empire romain. Le droit romain paraît donc
davantage appelé à servir l’affirmation du pouvoir impérial de l’empereur du Saint-
Empire que celle du roi de France.
67
Le droit canonique lui-même fait l’objet d’une instrumentalisation politique au service du
souverain laïc. La restructuration de l’église qui a été inaugurée sous la réforme
grégorienne, principalement sa réorganisation hiérarchique, constitue une source
d’inspiration certaine. Le roi s’évertuera à réorganiser son royaume en prenant appui sur
la pratique de l’Eglise. Il en est de même de la codification, des compilations ou
rassemblements des textes normatifs, processus dans lequel l’Eglise est largement en
avance sur les pouvoirs laïcs (cf. supra). L’idée de la « représentation » en justice en est
une autre illustration : le rôle du procureur, qui représente le justiciable devant le juge
ecclésiastique, ou du promoteur, qui représente les intérêts ecclésiastiques, formeront
des sources d’inspiration en vue de réformer le fonctionnement de la justice laïque.

L’étude du droit romain qui se développe à partir de la fin du XIe siècle à Bologne
connaitra, au fil des décennies à venir, différentes approches. Dans un premier temps,
l’approche qui est privilégiée est celle d’une analyse du texte du Corpus Iuris Civilis fondée
sur l’exégèse, c’est-à-dire l’étude approfondie d’un passage du texte et des mots-mêmes
qui le composent. Cette première approche est celle de l’Ecole dite des « glossateurs ».
Les commentaires sont rédigés en marge du texte et portent le nom de « gloses ».

A partir du début du 13e siècle se développe une nouvelle approche, qui privilégiera la
formation de liens entre la connaissance du droit romain et les besoins contemporains. Il
s’agit de l’Ecole des commentateurs ou post-glossateurs, qui se développe d’abord en
France, au sein de l’Université d’Orléans, puis qui gagne l’Italie, ou cette approche prend,
avec Bartole (†1347), le nom d’Ecole bartoliste ou mos italicus (trad. : « manière
italienne »).

Rem. : une troisième école verra le jour à partir de la fin du XVe siècle en Italie, à la suite
des travaux de l’humaniste Lorenzo Valla (†1457). Elle se développera en France sous le
nom d’Ecole humaniste, ou mos gallicus (trad. : méthode française), notamment avec
Jacques Cujas (†1590)17.

II. Structuration féodo-vassalique

A. Développement de théories

L’époque féodale ne connait pas d’emblée une organisation pyramidale. A partir du 12e
siècle, les rois de France, s’évertuent à consolider leur pouvoir en recourant à diverses
sources d’inspiration. La formation d’une pyramide féodo-vassalique constituera l’un des
moyens pour le roi d’affirmer progressivement son pouvoir sur les seigneurs, quelle que
soit leur importance.

Cette conception hiérarchique des relations de pouvoir qui s’établit peu à peu trouve son
inspiration dans la réforme grégorienne et le droit canonique. Mais le contexte
économique contribue lui aussi à favoriser la formation de cette pyramide. L’essor
économique n’a pas profité à tous les seigneurs. Certains d’entre eux, contraints par une
charte qui prévoit par exemple le montant des redevances qui leur sont dues par les
habitants des communautés auxquelles ils ont octroyé des libertés, ont vu leur revenus

17 Voy. infra, Partie II. Les Sources.


68
décroître en raison de la perte, au fil du temps, de la valeur monétaire. Certains seigneurs,
appauvris, trouvent protection auprès d’un plus grand qu’eux.

D’autres théories se développent, qui contribuent à consolider le pouvoir royal. La


pyramide féodo-vassalique suppose la construction d’un réseau de dépendances
personnelles. La théorie de la mouvance, quant à elle, suppose la formation d’un réseau
de dépendances réelles, construit sur l’idée que la terre du vassal dépend d’une terre plus
vaste, issue du démembrement de la terre de son seigneur, la terre de ce dernier étant
issue elle-même du démembrement de la terre de son propre seigneur.

Ce qui est à l’œuvre c’est donc une reformation progressive d’un réseau de dépendances
personnelles et réelles.

L’ensemble des éléments qui contribuent à la consolidation du pouvoir des Capétiens


peut être exposées comme suit :

1. L’idée selon laquelle les Capétiens seraient issus des Carolingiens, privilégiant
l’idée d’une dynastie dans le prolongement d’une race sacrée ;

2. Le développement de théories s’appuyant sur le renouveau intellectuel qui est


observé au cours de cette période, en particulier le développement du droit
romain. A cet égard, la personnalité de Suger, abbé de Saint-Denis, principal
conseiller de Louis VI le Gros doit être mise en avant. Suger rédige en 1144
une « Vie de Louis VI » dans lequel il s’emploie à dégager un certain nombre
d’idées destinées à renforcer le pouvoir du roi :

- La mouvance, dont il fait un instrument au service de la réaffirmation de


l’idée de royaume. Celle-ci permet d’envisager que toutes les terres de
l’espace français sont issues, par le jeu des mouvances successives, d’une
terre non divisée qui serait le royaume des francs (regnum francorum). Il
s’agit donc d’une reconstitution intellectuelle « à rebours » qui permet par
le jeu de la vassalité en cascade et de l’octroi de fiefs, de reconstituer le
royaume des Francs) ;

- La Couronne, qui désigne non pas le roi mais l’institution royale. On


parlera ainsi progressivement de fidélité à la Couronne. La notion
développée par Suger introduit une forme d’abstraction. L’abstraction se
développe également à travers la métaphore selon laquelle le royaume de
France serait le corps dont le roi serait la tête ;

- La royauté suzeraine qui prend en considération la hiérarchie féodo-


vassalique, et considère qu’il ne doit il y avoir qu’une seule tête, le roi et
personne au-dessus du roi. Le roi exercer la suzeraineté absolue. Il ne doit
rendre de compte ni au pape ni à l’empereur, mais seulement à Dieu ;

- Le renversement de la règle « le vassal de mon vassal n’est pas mon


vassal ». Suivant l’usage ancien, le vassal n’avait d’obligations que vis-à-
vis de son seigneur, et non vis-à-vis du seigneur de son seigneur. Le roi
n’avait ainsi aucune prise sur les vassaux de ses vassaux. Suger développe

69
l’idée selon laquelle le roi doit pouvoir contrôler l’ensemble des éléments
de la pyramide féodo-vassalique. Il suggère ainsi des voies de solutions,
comme le fait de favoriser la vassalité directe, donc la relation
d’immédiateté entre le roi et le seigneur. Il développe également des règles
qui permettent au roi d’être respecté par le vassal de son vassal en cas de
conflit entre le vassal et le roi. Il sera prévu ainsi que l’arrière-vassal (le
vassal du vassal) ne pourra entrer en guerre contre le roi que lorsqu’il se
sera assuré que le roi est bien en tort.

B. Reconstruction du territoire

Au-delà des moyens théoriques qui sont développés par leurs conseillers, comme Suger,
les rois de France vont s’évertuer à reconquérir des territoires. Ils disposent à cet égard
de différents moyens juridiques.

1. La commise : la commise désigne une sanction féodale, consistant dans la saisie


définitive du fief du vassal qui n’aurait pas respecté ses obligations envers son
seigneur.

L’un des exemples le plus remarquables est la commise prononcée par la curia du roi de France
Philippe Auguste à l’encontre de Jean sans Terre. Roi d’Angleterre, Jean sans Terre est aussi duc de
Normandie. A ce titre il est vassal du roi de France. Jean sans Terre avait outragé l’un de ses vassaux,
Hugues de Lusignan, en s’éprenant de son épouse et en l’enlevant. Hugues de Lusignan, arrière-
vassal du roi de France, saisit la cour de son suzerain (le seigneur de son seigneur). Philippe
Auguste convoque Jean sans Terre en 1202. Ce dernier refuse de se présenter devant la curia. La
curia constate que le vassal du roi a manqué à ses obligations ainsi que son refus de comparaître.
Elle prononce la commise de tous ses fiefs français. En 1204, Philippe Auguste, aux fins de rendre
la sanction effective, entame une campagne militaire et récupère la Normandie, le Maine et l’Anjou,
provoquant le début du démantèlement de l’Empire Plantagenêt.

2. Les effets de la patrimonialité : le caractère patrimonial du fief permet également


d’accroître les possessions royales :

- par des cessions : soit des achats, soit des libéralités.


par ex. : en 1343, le Dauphiné est ainsi acheté par le roi Philippe VI. En 1229, le comte de
Toulouse, très affaibli politiquement, cède une partie du comté au roi Louis IX.

- par des mariages


par ex. : Isabelle de Hainaut, en se mariant avec Philippe Auguste, apporte en dot l’Artois.

- par les règles successorales (par l’effet des testaments ou des successions
en déshérence)
par ex. : la Provence est transmise par testament au roi de France en 1481. En 1360, le duc
de Bourgogne étant mort sans héritier, la Bourgogne revient au roi.

Remarque :l’usage de l’octroi d’un apanage (« ad panem » : pour du pain), à titre de


consolation en faveur de ceux des enfants mâles qui ne monteront pas sur le trône en
raison du principe de primogéniture constitue un obstacle à la reconstruction du
royaume, puisque le territoire donné en apanage échappe au pouvoir royal. Il ne

70
reviendra à la Couronne que lorsque la descendance de l’apanagiste est éteinte dans les
mâles.

Ex. : la Bourgogne, qui rejoint les biens de la Couronne en 1360, à la suite du décès sans descendance
du duc de Bourgogne, est donnée en apanage par le roi Jean II le Bon en 1363 à son plus jeune fils,
Philippe, qui vient de s’illustrer la bataille de Poitiers. Le duché de Bourgogne restera en dehors du
domaine jusqu’en 1477, à la mort de Charles le Téméraire.

III. Récupération de prérogatives régaliennes

La réaffirmation du pouvoir royal passe par la récupération par le roi de certaines


prérogatives anciennes, perdues à la suite du fractionnement du pouvoir. La récupération
de ces prérogatives concernent l’ordre et la paix publiques, à travers les paix royales,
l’exercice de la justice et la capacité normative.

A. Paix royales

A partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les rois de France reprennent à leur compte
l’organisation des paix et trêves que l’Eglise avait prise en charge. Dans la lignée des
pouvoirs qui étaient ceux des rois francs, le roi de France entend être à nouveau le
« vicaire du Christ, et assumer la charge d’un ministère, d’une mission de protection de
l’ordre et de la paix publique. La faide forme ainsi l’un des obstacles à l’établissement de
la paix publique. Le roi s’emploiera à la contenir.

Louis VII entend ainsi, dès 1155, imposer une paix générale à l’ensemble du royaume,
interdisant toute guerre privée pour une durée de dix ans. Cette première tentative se
heurte aux obstacles politiques de l’époque. Le roi a besoin, pour imposer sa loi dans
l’ensemble du royaume, du consentement de chacun des princes. L’applicabilité de la
norme royale sur le territoire du prince nécessite son consentement. Or, une très large
partie du territoire français est désormais intégré, depuis le mariage d’Henri II avec
Aliénor d’Aquitaine, dans l’ «Empire Plantagenêt ». L’application de la paix générale
voulue par Louis VII sera donc limitée.

Les rois de France s’évertueront à limiter la faide par d’autres moyens, moins ambitieux
mais plus efficaces :

- la quarantaine-le-roi : procédé, vraisemblablement initié sous Philippe


Auguste, qui impose un délai de quarante jours à partir de la survenance d’un
conflit, aux fins de permettre aux parties de décider de la suite à donner à leur
différend et de peser les effets d’une éventuelle guerre privée ;

- l’assoeurement : pratique, remontant aux XIIe-XIIIe siècles, qui consiste dans


un pacte solennel de non-agression passé devant un officier royal. Requérant
à l’origine le consentement des deux parties, l’assoeurement finira par pouvoir
être imposé aux parties par l’officier royal, sans qu’aucune manifestation de
volonté ne soit requise de leur part.

- la sauvegarde : protection, issue de l’ancienne tradition de la mainbour royale,


accordée par le souverain à certaines catégories d’individus ou certains

71
établissements (l’Eglise et ses biens, les communautés villageoises ou
urbaines, marchands,…). Elle se développe sous Philippe Auguste.

B. L’exercice de la justice

Les juridictions royales connaissent un développement très important à partir de la fin du


XIIe siècle. Au XIIIe siècle, surtout à partir du règne de saint Louis, la justice royale est
devenue une institution solide. Elle se déploie au détriment des autres juridictions
concurrentes, juridictions ecclésiastiques et juridictions seigneuriales.

Dans un premier temps, au cours des XIIe-XIIIe siècle, le souverain s’attaque peu aux
juridictions ecclésiastiques. Les efforts se concentrent d’abord sur les juridictions
seigneuriales. A l’image de la réflexion qui préside à la construction de la pyramide féodo-
vassalique, les juges royaux exploitent l’idée que « toute justice est tenue en fief ou en
arrière-fief du roi ».

Plusieurs voies procédurales vont être mises en œuvre pour assurer la supériorité des
juridictions royales sur les juridictions seigneuriales, et la formation progressive d’une
hiérarchie judiciaire :

- l’appel : le recours en appel se développe à partir du XIIIe siècle,


essentiellement à partir de saint Louis. L’intervention divine dans l’exercice de
la justice, notamment à travers le duel judiciaire, excluait jusqu’alors toute
remise en cause de la sentence rendue par le juge. Le processus de
rationalisation qui est en cours sous le règne de saint Louis exclut la part de
divin dans l’exercice de la justice. Le duel judiciaire est ainsi supprimé en 1258.
Le processus permet la remise en cause de la sentence rendue par le juge ;

- la prévention : il s’agit de la faculté pour le souverain, dans le cas où un seigneur


fait preuve de négligence, de se saisir d’une affaire pour faire face au déni de
justice, au nom de la mission du roi qui est celle d’assurer le bien commun,
notamment par l’exercice de la justice ;

- les cas royaux : les cas royaux sont des cas qui doivent être réservés à la seule
compétence du roi, parce qu’ils consistent dans des atteintes à la souveraineté :
atteintes au roi (sa personne), à ses biens et à ses intérêts, mais aussi à son
autorité ou à celle de ses agents. L’idée de la souveraineté est une notion qui
peut être entendue de manière très large. Son acception s’élargit avec le temps.

C. La capacité normative

La réaffirmation du pouvoir royal passe enfin par la faculté pour le roi d’imposer
progressivement des règles (normes) qui seront appliquées sur l’ensemble du territoire.
La capacité normative du souverain avait décliné puis disparu dès la fin du 9e siècle. Son
ultime expression avait été le capitulaire dit « de Verneuil », en 884, sous le carolingien
Carloman II.

Au XIIe siècle, l’ordonnance du roi nécessite, pour être appliqué dans chacune des
principautés formant l’ensemble du royaume, le consentement chacun des princes

72
formant la curia (cf. supra). Peu à peu, au cours du XIIIe siècle, le roi parvient cependant
à imposer sa loi en obtenant l’approbation de la majorité de ses barons (grands vassaux,
princes). L’aboutissement du processus a lieu à la fin du XIIIe siècle, lorsque le roi, au sein
de son Conseil, entouré de légistes uniquement, peut se passer de l’approbation des
barons. Saint Louis (†1270) et son successeur, Philippe III (†1285), parviennent à
imposer un système dans lequel les barons ne sont tout au plus que consultés, au besoin.

V. Les institutions royales

Le renforcement du pouvoir royal s’accompagne de la formation d’institutions appelées à


soutenir le roi dans l’exercice de ses missions. La réaffirmation du pouvoir passe ainsi par
le développement d’une administration centrale dont l’organisation devient complexe.
Cette réaffirmation du pouvoir passe également par la mise en place d’un contrôle local
dont l’importance ne cesse de croître avec l’agrandissement du domaine et l’affirmation
de la mouvance royale.

A. L’administration centrale

Déserté par les grands féodaux sous les premiers Capétiens, la Curia regis est à nouveau
fréquentée par eux au cours du XIIe siècle. Mais celle-ci connait peu à peu une
spécialisation des tâches, qui va conduire à intégrer des légistes, des individus formés
dans les Facultés de droit, au détriment des nobles, qui y seront marginalisés. La Curia se
divise en Curia in consilio (le Conseil) et en Curia in parlamento (le Parlement).

1. La Curia in consilio (le Conseil)

La Curia in consilio se dégage de la Curia vers les années 1150. Ceux qui en font partie
assistent le roi de façon permanente dans la prise de décision politique. A partir des
années 1190, la composition du Conseil change. Peu à peu, les clercs ou les bourgeois,
formés dans les facultés de droit, y remplacent les barons. C’est certainement le cas à
partir de Philippe Auguste. Les légistes jouent un rôle de plus en plus important.

Comme l’indique le terme « consilium », la principale attribution du Conseil consiste dans


l’assistance au roi, par les conseils. Il l’assiste dans l’administration du royaume. Son rôle
est uniquement consultatitf : le roi est libre, à l’issue des discussions de prendre la
décision qu’il souhaite.

Le Conseil assiste également le roi dans l’exercice de la justice. Protecteur du bien public
de par la mission qui lui est dévolue, le roi est source de toute justice. Il n’exerce pas
toutefois lui-même l’ensemble de la fonction juridictionnelle. Celle-ci est très largement
déléguée. Il n’exerce en personne, au sein du Conseil, que la justice dite « retenue ».
L’exercice de la justice retenue permet au roi d’exercer lui-même la justice, puisqu’il en
est la source. Cette maîtrise exercée sur le cours de la justice s’exprimera notamment par
l’apparition, au XIVe siècle, de la pratique de l’évocation, par laquelle le roi intervient sur
un procès imminent ou interrompt un procès en cours en se saisissant d’une affaire, celui-
ci étant donc soustrait à la juridiction déléguée qui aurait normalement dû en connaitre.

73
2. La Curia in parlamento (Parlement)

L’exercice de la justice du roi avait lieu dans le cadre de la Curia. Le roi y tranchait
essentiellement les procès féodaux. La commise prononcée contre Jean sans Terre, en
1204, en forme une illustration. L’attractivité de la justice royale, les efforts entrepris par
le roi pour assurer la formation d’une forme de hiérarchie judiciaire sur le même modèle
que la pyramide féodo-vassalique, entraînent l’inadéquation de la Curia au règlement des
litiges de plus en plus nombreux qui y sont portés. Les connaissances exigées pour
résoudre les procès dépassent les qualités qui sont celles des féodaux et requièrent
l’intervention d’individus formés en droit. Les affaires judiciaires seront donc portées, à
partir du XIIIe siècle, à un organe distinct de la Curia, la Curia in parlamento. Celle-ci
disposera principalement d’attributions judiciaires, mais elle exercera aussi des
attributions extra-judiciaires.

a. Formation de la Curia in parlamento

La Curia in parlamento se distingue peu à peu de la Curia à partir de la seconde


moitié du XIIIe siècle, sous le règne de saint Louis. Les membres de la Curia
appelés à assurer l’exercice de la justice deviennent des juristes (ou
« légistes »), qui forme une section autonome au sein de la Curia et qui prend le
nom de « Curia in parlamento ». Cette organe se réunit peu à peu de façon
permanente et se fixe en un lieu, à côté du Palais royal.

Le personnel du Parlement est composé exclusivement de légistes à partir des


années 1270. L’institution se détache de la Curia. Dès la fin du règne de saint
Louis, les décisions sont prises en la présence du roi, mais le roi n’est plus
appelé, comme au début de son règne, à trancher lui-même. Sous le règne de
son successeur, Philippe III, la Cour rend ses décisions seule, en dehors de la
présence du roi. Le souverain a délégué au Parlement l’exercice de sa justice.
Source de toute justice, il reste maître toutefois de se saisir d’une affaire
(exercice de la justice retenue, au sein de la Curia in consilio)

b. Organisation en chambres

La spécialisation institutionnelle qui est à l’œuvre au cours de cette période,


ainsi que l’introduction de la procédure romano-canonique, conduit à la
division du Parlement en sections désignées sous le nom de « chambres ».
Chacune de ces subdivisions du Parlement répond à l’une des phases de la
procédure romano-canonique introduite sous saint Louis :

- la Grande-Chambre, dans laquelle les causes sont introduites, y


sont plaidées, et les arrêts rendus ;

- la Chambre des requêtes, qui statue sur la validité des demandes


du plaideur ;

74
- la Chambre des enquêtes, chargée de l’instruction de l’affaire et de
la préparation des décisions, qui entend les témoins, rédige un
rapport sur leur audition, etc.

c. Attributions judiciaires :

En première instance, le Parlement joue le rôle de cour féodale et connait de


tous les litiges concernant les vassaux du roi. Il connait également des affaires
qui lui sont portées par ceux qui disposent du privilège de committimus, dont
bénéficient certaines catégories d’individus, qui échappent ainsi aux tribunaux
ordinaires.

Le Parlement déploie l’essentiel de son activité comme juridiction d’appel, au


cours d’une période qui commence à voir l’appel se développer. Il statue ainsi
sur le recours formés contre les décisions rendues par les juridictions royales
inférieures et par les juridictions seigneuriales.

d. Attributions non judiciaires

Outre ses attributions judiciaires, le Parlement participe à l’exercice du pouvoir


normatif.

Chaque fois qu’il l’estime nécessaire, le Parlement prend des arrêts de


règlements, des actes normatifs applicable à l’ensemble de son ressort, qui
permettent de régler provisoirement un point sur lequel ni la coutume ni la
législation n’apportent de solution. Ces arrêts de règlement sont d’abord
rendus à l’occasion d’un procès : en vue de combler un vide juridique, le
Parlement entend user d’une solution qui sera valable non seulement pour la
cause qu’elle a à connaitre mais, dans un objectif de généralisation, pour tous
les cas semblables. Dans un second temps, le Parlement rendra des arrêts de
règlement, en vue de régler certains points de droit, en dehors de tout litige.

Le Parlement est appelé à procéder à l’enregistrement des textes normatifs


élaborés par le roi et son Conseil. A cette occasion, le Parlement assure un
contrôle formel sur ces textes. Cette procédure de pure forme devient
l’occasion d’assurer un contrôle sur le fond. Le Parlement saisit l’occasion de
l’enregistrement pour émettre des critiques sur le contenu du texte normatif.
Ces critiques prennent le nom de « remontrances ». Cette faculté d’adresser des
remontrances au roi est présentée comme le prolongement de l’obligation de
conseil à laquelle la Curia, dont elle est une émanation, était tenue.

e. Procédure devant le Parlement :

Les litiges portés devant le Parlement sont traités suivant une procédure de
plus en plus rationnelle et technique, dont témoigne la division du Parlement
en chambres. Louis IX privilégie la rationalisation de la justice en assurant
l’introduction de la procédure romano-canonique et en interdisant, en 1258,
le duel judiciaire (ou « gage de bataille ») comme mode de preuve : l’enquête

75
(l’instruction), dans laquelle l’écrit retrouve son importance, qui est inspirée
par le fonctionnement des juridictions ecclésiastiques, s’impose désormais.
Ce bouleversement de l’approche de la justice, la technicité nouvelle
qu’entraîne ces changements, conduit à l’apparition de nouveaux acteurs, qui
assisteront le justiciables et assureront leur représentation.

Jusqu’au milieu du XIIIe siècle, devant l’ensemble des juridictions séculières


(laïques), il est interdit aux parties de se faire représenter. Elles doivent
comparaître personnellement. Cette exigence se traduit alors par l’adage « Nul
ne plaide par procureur ». La complexification de la procédure a pour effet
d’autoriser peu à peu les parties à recourir aux services d’un avocat. Les
avocats apparaissent au sein des juridictions royales au cours des années
1260-1270 sous l’influence de la généralisation de la procédure romano-
canonique. En 1274, une ordonnance de Philippe III fixe leur statut devant les
juridictions royales en reprenant mot à mot les dispositions d’un concile qui
réglaient l’intervention des avocats devant les officialités. A la fin du XIIIe
siècle, le roi lui-même entend faire assurer la défense de ses intérêts par un
corps – les gens du roi - appelé à le représenter, préfigurant le ministère
public.

B. L’administration locale

La politique d’accroissement du domaine, de même que l’extension progressive du


contrôle royal sur les provinces (territoires des barons) conduit la nécessité d’assurer
l’organisation d’un ensemble d’agents royaux locaux. Ils seront les relais de l’autorité
royale.

1. Prévôts et bayles

A un premier niveau, le roi peut compter sur les prévôts et les bayles. Le prévôt était
connu à l’origine comme l’agent, le représentant du seigneur, dont il exerce le bannum (le
ban). La fonction perdure et le prévôt exerce les droits du roi dans les provinces. Le bayle
est un ancien agent princier ou seigneurial qui passe au service du roi lorsque celui-ci
étend son contrôle dans le Sud de l’espace français.

Les fonctions des prévôts et des bayles sont très larges : fonctions d’administration et de
police (publication des normes royales, respect de celles-ci, maintien de la paix, protection
des communautés villageoises, surveillance des marchés) ; fonctions financières
(perception des taxes, des péages,…) ; fonctions militaires (levée de l’armée) et fonctions
judiciaires (exercice de la justice du roi)

Pour éviter l’écueil de l’hérédité de la charge, qui avait porté préjudice à l’exercice du
contrôle du souverain au cours des périodes antérieures, les Capétiens mettent en place,
à partir du XIIe siècle, le système de la ferme : la charge prévôtale est mise aux enchères
et donnée à bail au plus offrant, pour une durée qui n’excède pas trois ans. La charge
prévôtale est alors à nouveau mise aux enchères.

76
2. Baillis et sénéchaux

La nécessité de contrôler l’activité des prévôts conduit à l’institution de nouveaux agents


- les baillis - vers 1180, sous Philippe Auguste. A l’origine, les baillis sont des envoyés du
roi qui effectuent ensemble des tournées dans les provinces pour surveiller l’activité des
prévôts et tenir des sessions judiciaires. A partir de 1230, leurs tournées deviennent
individuelles, plus fréquentes et plus longues. Le bailli finit, à partir de 1260, par s’établir
dans la circonscription qu’il contrôle.

Les attributions des baillis ont été définies par une ordonnance de Philippe Auguste de
1190. Ils sont chargés de la surveillance des prévôts, ils doivent faire rapport sur les
injustices qui auraient été commises et d’une manière générale sur l’administration dans
l’espace qu’ils contrôlent. Ils ont également d’importantes responsabilités financières
(collecte des profits de justice et des revenus royaux) et judiciaires (tenues d’assises
mensuelles pour entendre les plaintes).

Dans le Sud et l’Ouest, les Capétiens ont repris l’institution des sénéchaux existante
lorsqu’ils ont récupéré ces territoires. Ces officiers, délégués des princes territoriaux,
bénéficiaient d’une charge héréditaire. Les Capétiens s’emploieront à transformer
progressivement cette charge en fonction révocable. Les attributions des sénéchaux sont
à rapprocher de celles des baillis. A partir du milieu du XIIIe siècle, les deux fonctions sont
identiques, même si les deux appellations sont conservées.

Les conditions de recrutement des baillis et sénéchaux sont particulièrement strictes. Ils
sont en général recrutés au sein de la petite noblesse ou de la bourgeoisie, pour
contrebalancer l’influence des grands féodaux. Soucieux de nommer des agents
indépendants par rapport aux intérêts locaux, le roi veille à ne pas choisir un bailli ou un
sénéchal qui serait né dans la circonscription qu’il serait amené à contrôler, ou dans
laquelle il possèderait des biens. Le recrutement s’accompagne d’un serment. Il doit
également rendre des comptes au Parlement sur la manière dont il gère sa
circonscription.

Représentant le roi dans toute l’étendue de ses prérogatives, les baillis et sénéchaux
disposent d’attributions très larges, outre le contrôle sur l’activité du prévôt :

- mission d’assurer la justice, par l’organisation d’assises puis à travers une


juridiction permanente. A ce titre, ils statuent principalement sur l’appel des
décisions rendues par les juridictions royales inférieures, celles des prévôts et
des bayles ;

- mission d’administration : ils sont chargés de publier et d’exécuter les


décisions royales en les adaptant au besoin aux réalités locales ;

- mission de maintien de l’ordre et fonction de police, couvrant divers domaines


(économie avec la police des foires et marchés ; morale avec le contrôle des
tavernes et des jeux, … ; religion) ;

- mission d’agents financiers, étant chargés de la conservation et de


l’exploitation des biens royaux. Ils centralisent les recettes collectées par les

77
prévôts et les bayles ; ils font rentrer tous les impôts dont la perception n’est
pas confiée aux prévôts, etc ;

- mission d’ordre militaire : ils assurent le recrutement et la mobilisation ; ils


conduisent le contingent au lieu où l’armée royale doit se rassembler ; ils
assurent également l’exécution d’opérations locales de défense.

78
Chapitre VIII. L’espace allemand (XIIe-XIIIe siècles)

79
I. La Querelle des investitures et la réaffirmation du principe électif

Le Concordat de Worms (1122), même s’il forme un compromis entre la papauté et


l’empereur, a consacré la domination du pape. L’empereur ne peut plus pratiquer les
investitures laïques, sur lesquelles il s’appuyait pour administrer le Saint-Empire. La
Querelle des investitures a donc des effets néfastes sur le Reichskirchensystem.

L’évêque est élu par le clergé local et l’élection est avalisée par le pape. Si l’empereur – ou
son représentant – peut être présent lors de l’élection, tout au plus peut-il attribuer un
bénéfice (un bien foncier) à l’évêque.

L’affaiblissement de l’empereur à l’issue de la Querelle des investitures contribue à


renforcer le pouvoir des princes, qui vont réaffirmer le caractère électif de la fonction
impériale. Dès la fin du XIe siècle, l’excommunication d’Henri IV par Grégoire VII a affaibli
le pouvoir impérial. Excommunié, Henri IV a perdu le bénéfice de la sacralité et la qualité
de vicaire du Christ sur lequel s’appuie le pouvoir impérial. Il s’agit d’une brèche dans la
représentation du pouvoir, qui entraîne les princes à réaffirmer leur propre pouvoir par
rapport à l’empereur. Le principe électif reprend vigueur.

Ce retour du principe électif se manifeste à la mort d’Henri V. Celui-ci meurt en 1125 sans
descendance directe. Le recours à la succession héréditaire reste possible. Le neveu
d’Henri V, Frédéric (fils de Frédéric de Hohenstaufen et de sa sœur Agnès, cf. slide), se
présente comme le prétendant naturel au trône impérial. Les princes lui préfère le comte
Lothaire de Supplinburg. Lothaire III n’a pas de descendance. Le principe électif en serait
d’autant plus affirmé, puisqu’à sa propre mort, il faudrait à nouveau recourir à une
élection. Celui-ci est donc élu roi des Romains en 1125, puis couronné empereur en 1133.

Rem. : L’accession au trône impérial s’effectue en deux temps, marquant la


double qualité de l’empereur, laïque et religieuse. Le candidat est d’abord élu
roi de Germanie ou « roi des Romains » par les princes. Il doit ensuite se
rendre à Rome pour se faire couronner empereur par le pape. De nombreux
rois des Romains n’auront pas l’occasion d’entreprendre ce qui constituait
alors une expédition importante et pleine de périls.

A la mort de Lothaire, deux prétendants se présentent comme candidats au trône


impérial : d’un côté, Conrad, second fils de Frédéric de Hohenstaufen et neveu d’Henri V,
de l’autre côté le gendre de Lothaire, Henri de Bavière, dit « le Superbe », qui appartient
à la dynastie dite des Welfs, farouches partisans de l’autonomie des princes dans l’Empire,
et soutiens de la Papauté.

Henri le Superbe, duc de Bavière, est un prince puissant. Il est également, au moment de
la mort de son beau-père, margrave de Toscane et duc de Saxe. Son accession au trône
impérial en ferait un empereur puissant. Cette perspective pousse au contraire les
princes, dans le souci de contrôler l’empereur, à élire Conrad.

Ainsi, écartés au moment de la succession d’Henri V, les Hohenstaufen accèdent au


pouvoir impérial avec Conrad. Celui-ci est élu roi des Romains en 1138. A sa mort, en
1152, les princes élisent son neveu, Frédéric de Hohenstaufen, dit « Barberousse ». Celui-

80
ci s’affirmera comme un empereur puissant, tant vis-à-vis des princes que vis-à-vis de la
papauté.

Frédéric Ier étant mort en 1190, au cours de la troisième croisade, son fils Henri VI lui
succède. Elu roi des Romains dès 1165, il est sacré empereur en 1191. Epoux de Constance
de Hauteville, fille du roi de Sicile, il prend possession du sud de l’Italie et se fait sacrer
roi de Sicile en 1194. Il meurt en 1197, alors qu’il s’apprête à partir à son tour en croisade.
Henri est parvenu à négocier, en 1196, l’élection de son fils Frédéric comme roi des
Romains. Mais celui qui devrait ceindre la couronne impériale n’a que trois ans
lorsqu’Henri meurt. Les grands du Saint-Empire, qui n’entendent pas confier la couronne
à un enfant mineur, font appel au frère d’Henri, Philippe de Souabe. Celui-ci est élu roi des
Romains en 1198. Au cours d’une période marquée par l’incertitude et les lutte de
factions, le Pape entend imposer son candidat, Otton de Brunswick. Philippe de Souabe
étant assassiné en 1198, Othon finit par s’imposer, sous le nom d’Otton IV. Le Pape le sacre
empereur en 1209, avant de le désavouer – puis de l’excommunier – et de prendre
finalement le parti du fils d’Henri VI, Frédéric. Ce dernier est élu roi des Romains par une
assemblée rassemblant une partie des princes de l’Empire en 1211.

Vaincu à la bataille de Bouvines par Philippe Auguste (1214), Otton IV - allié de Jean sans
Terre - est déposé par les grands du Saint-Empire. Frédéric II de Hohenstauffen - allié de
Philippe Auguste - est couronné roi des romains à Aix-la-Chapelle en 1215. Il est sacré
empereur à Rome en 1220. II est marqué, comme le règne de Frédéric Barberousse, par
une volonté d’affirmation vis-à-vis des princes comme vis-à-vis de la papauté. Frédéric II
meurt en 1250. S’ouvre alors une longue période de fragilisation de la fonction impériale.

II. Réaffirmation du pouvoir impérial

Frédéric Ier Barberousse (†1190) entend rétablir une fonction impériale forte, non
seulement au sein de l’Empire mais également en Italie. L’Empereur doit s’imposer – et
éventuellement composer – face aux princes, face aux villes lombardes (en Italie) et face
au Pape. Cette entreprise d’affirmation impériale se prolonge, face aux mêmes acteurs,
sous le règne de Frédéric II.

Cette période de réaffirmation du pouvoir impérial passe aussi par des symboles. Frédéric
Barberousse obtient ainsi la canonisation de Charlemagne. La cérémonie, qui vise à
renforcer la sacralité de la fonction impériale, a lieu à Aix-la-Chapelle en 1165.

A. Face aux princes

Frédéric Barberousse affirme son pouvoir dans l’espace allemand, en conduisant une
politique habile de coopération avec les Princes et en favorisant la formation d’une
hiérarchie vassalique (pyramide féodo-vassalique), dont la première étape consiste à
s’imposer comme seigneur par rapport aux princes, qui doivent se considérer comme ses
vassaux.

Rem. : si l’affirmation d’une relation de dépendance personnelle est bien


possible dans l’Empire, tel n’est pas le cas de la relation de dépendance réelle
qui est affirmée dans l’espace français, et qui permet l’élaboration de la théorie
de la mouvance.

81
Cette réaffirmation du pouvoir impérial se heurte à certains princes puissants, comme
Henri Le Lion, duc de Bavière et duc de Saxe, fils d’Henri le Superbe. Dans l’espace
allemand comme dans l’espace français, le droit féodal peut constituer un instrument
politique de première importance. En 1178, un évêque dépose plainte auprès de
l’Empereur, parce que le duc de Saxe aurait aurait enlevé des biens dans son Eglise et ne
les aurait pas restitué. D’autres plaintes sont été déposées par la suite, qui font état de
spoliations commises par le duc à l’encontre de l’Eglise saxonne. Le duc ne s’étant pas
présenté devant la curia, il est poursuivi et condamné pour non-respect de ses obligations
féodales. Ses deux duchés lui sont retirés. Le duché de Saxe est partagé en deux, le titre
ducal étant confié à l’archevêque de Cologne. Quant au duché de Bavière, il est confié à
une autre famille, les Wittelsbach.

L’apaisement des relations entre l’Empereur et les princes passe également par la
création en 1180, à l’initiative de Frédéric Barberousse, d’un « ordre » des princes
impériaux, le Reichsfürstenstand, rassemblant ses vassaux directs. Tout en faisant
admettre par les princes qu’il leur est supérieur, l’Empereur reconnait leur particularité
et leur pouvoir. Il leur reconnait ainsi une autorité exclusive dans le territoire de leur
principauté et la qualité de suzerain dans leur territoire par rapport aux leurs vassaux,
dans la perspective d’un renforcement de la hiérarchie féodo-vassalique.

Les relations avec les princes comprennent également les relations avec les évêques dans
l’Empire. En 1220, l’évolution des relations entre Frédéric II et les évêques du Saint-
Empire conduit celui-ci à leur faire d’importantes concessions. Il concède, par la
Confoederatio cum principibus ecclesiasticis, d’importantes mesures visant
l’autonomisation du pouvoir des évêques. Celle-ci prévoit notamment que les biens d’un
évêque défunt ne reviendront plus à l’empereur, mais à son successeur, ou encore que les
agents impériaux n’exerceront la justice ou ne prélèveront l’impôt dans les villes
épiscopales.

En 1231, l’évolution des relations entre Frédéric II et les princes le conduit à leur octroyer
le Statutum in favorem principum, par lequel il leur garantit leur autonomie dans les
domaines de l’administration, de la justice et des douanes.

B. Face aux villes lombardes

Soucieux d’accroître son pouvoir en Italie, Fréderic Ier fait face à un large mouvement
d’opposition des villes, conduites par la ville de Milan. Celles-ci se sont depuis longtemps
affirmées comme communia et entendent défendre leur autonomie. En 1158, l’Empereur
convoque une diète à Roncaglia. Celle-ci assure, en s’appuyant sur l’apport du droit
romain – sur l’intervention de plusieurs docteurs de l’Université de Bologne - le
rétablissement des droits impériaux sur les villes lombardes. Sur la base du droit romain,
la Diète reconnait la position suprême de l’Empereur et sa capacité législative. Les
docteurs de Bologne réactivent le concept de souveraineté impériale, issu du droit
romain, qui font de l’Empereur un juge et un législateur. Concrètement, les villes perdent
une partie de leur autonomie, du système d’auto-gouvernement qu’elles avaient
développé au cours des décennies qui avaient précédé. Le conseil des consuls est
remplacé par un podestat, un magistrat unique qui n’est pas issu de la commune, chargé

82
d’administrer la cité, et au service de la politique impériale. L’impôt impérial est par
ailleurs restauré.

La Diète de Roncaglia ne consacre que très provisoirement le pouvoir de l’Empereur. Le


conflit qui oppose Frédéric Barberousse aux villes lombardes reprend bientôt. Les villes,
soutenues par le Pape, s’unissent pour former la Ligue lombarde (1167). Le Pape prend
parti pour les villes opposées à l’empereur. L’Italie du nord se divise en deux groupes, les
unes étant alliées au Pape et aux Welfs, les autres étant alliées à l’Empereur. L’apaisement
finit par être trouvé au cours de la Diète de Constance, en 1183. L’empereur fait
d’importantes concessions aux villes. Les villes jurent fidélité à l’empereur et s’engagent
à s’acquitter de l’impôt impérial. Quant au système du consulat, il est restauré, les consuls
librement élus, recevant seulement – à titre symbolique – leur investiture de l’empereur.
Les villes retrouvent le droit de s’administrer elles-mêmes.

La confrontation avec les villes du nord de l’Italie reprend avec force sous Frédéric II.
L’opposition entre partisans du Pape et des Welfs, qui prennent le nom de « Guelfes », et
partisans de l’Empereur, qui prennent le nom de « Gibelins », divise plus que jamais le
nord de l’Italie.

C. Face à la Papauté

Les règnes de Frédéric Barberousse puis de Frédéric II sont marqués par leur souhait de
réaffirmation face à la Papauté. Frédéric Ier cherche à imposer, contre la vision
grégorienne, l’idée d’un empereur qui doit être l’égal du pape. Il s’impose d’abord, dans
un premier temps, comme le protecteur de la Papauté. Il intervient pour soutenir le Pape
Adrien IV. L’empereur l’aide à reprendre le contrôle de Rome qui, suivant le mouvement
communal qui se développe en Italie, s’est émancipée de la tutelle du Pape.

La relation d’égalité qu’il entend restaurer doit avoir une conséquence concrète dans le
contrôle de l’Empire. Elle doit lui permettre d’influer sur les investitures, de telle sorte
qu’il puisse restaurer le Reichskirchensystem.

Cette réaffirmation du pouvoir impérial entraîne une nouvelle confrontation avec la


Papauté. La confrontation prend de l’importance sous le successeur d’Adrien IV, au cours
d’une période où le pape exprime son soutien aux villes lombardes opposées à
l’Empereur. Pour marquer sa domination sur la Papauté, il fait élire un anti-pape face au
successeur d’Adrien IV. Le successeur d’Adrien IV, Alexandre III, prononce en retour
l’excommunication de Frédéric Barberousse. Le conflit ne prend fin qu’en 1177, lorsque
les deux parties concluent la paix de Venise. Frédéric Ier se soumet l’autorité de Pape et
l’excommunication est levée.

Couplée à la confrontation avec les cités guelfes, la confrontation avec la Papauté reprend
avec force sous Frédéric II. A la suite des succès militaires de l’empereur, le Pape Innocent
IV est contraint de fuir Rome en 1245. Il réunit un concile à Lyon, qui prononce la
déposition de Frédéric II. Une partie des Electeurs – les évêques – élisent alors un
nouveau roi des romains. La guerre civile s’étend de l’Italie vers l’espace allemand.
Fréderic II meurt en 1250, sans être avoir réussi à reprendre le contrôle de l’Empire.

83
III. Consécration du rôle des Diètes

Le souhait d’affirmation exprimé par l’empereur n’exclut pas la réunion de ces assemblées
au cours desquelles l’empereur cherche à obtenir le soutien des grands de l’Empire. Elles
forment également, comme à Roncaglia, une occasion pour l’empereur d’imposer à
certains acteurs politiques – ici les villes lombardes – ses volontés. Mais elles forment
aussi, comme à Constance (1183), un espace de négociation, où ces mêmes acteurs
politiques – les villes lombardes – voient leurs droits reconnus par l’empereur.

La Diète de Mayence, en 1235, forme une autre illustration de l’importance des diètes au
cours des XIIe-XIIIe siècles. Au cours de cette diète sont édictées les Capitulations dites
« de Mayence », qui formeront des règles fondamentales (constitutionnelles) pour
l’Empire. Les Capitulations de Mayence comportent 29 articles concernant :

- la limitation de la faide (guerre privée) ;


- le fonctionnement des tribunaux ;
- le fonctionnement du système pénal ;
- l’organisation des ateliers de monnayage ;
- l’organisation des agents impériaux locaux ;
- l’installation d’une juridiction nouvelle, permanente, auprès de la cour
Impériale, désignée sous l’appellation de Königliches Hofgericht ou
Reichshofgericht (Tribunal aulique royal ou Tribunal aulique impérial).

IV. Rôle des ministériaux

Le ministérial est un serf auquel le seigneur attribue un office (fonction d’administration,


…). Les ministériaux sont à l’origine de dynasties d’officiers (agents) au service d’un
seigneur. L’empereur Frédéric Ier s’appuie largement sur les ministériaux. En
rémunération de leur charge, ils reçoivent un fief de service. Les ministériaux deviennent
de plus en plus puissants – parfois aussi puissants voire plus puissants que certains nobles
– malgré leur origine servile.

Ex. : Markward d’Anweiler (†1202), ministérial, devient ainsi l’un des


principaux ministres de Frédéric Barberousse puis de Henri VI. Henri VI lui
attribue plusieurs fiefs en Italie (margraviat d’Ancône, comté des Abbruzes,
duché de Romagne).

V. Le Grand Interrègne et le renforcement du pouvoir des Princes

Les efforts entrepris sous les Staufen en vue de la réaffirmation du pouvoir impérial se
heurtent à des obstacles majeurs. Si la formation d’une pyramide féodo-vassalique forme
un élément de consolidation du pouvoir impérial, celui-ci ne bénéficie pas des mêmes
conditions que le pouvoir royal en France. Il n’est notamment pas question dans l’espace
allemand de « mouvance ». Dans cet esprit, il n’est pas question non plus de voir les fiefs
qui tombés en déshérence ou qui ont fait l’objet d’une saisie définitive, revenir sous la
Couronne impériale et permettre un accroissement des possessions impériales. La
tradition du leihezwang impose à l’Empereur de « revassaliser » le fief laissé sans héritier
ou saisi.

84
La mort de Frédéric II en 1250 marque la fin de la dynastie Hohenstaufen et ouvre une
nouvelle période de fragilisation de la fonction impériale. La descendance de Frédéric
n’est pas en mesure de s’imposer18. La papauté entend réaffirmer sa domination sur la
fonction impériale et jouer un rôle dans la succession au trône. Les prétendants successifs
sont donc écartés par le pape, qui n’entend pas couronner à Rome celui ou ceux qui seront
élus rois des Romains au cours de la période qui suit. De même, les princes ne s’accordent
pas sur un candidat unique. Aussi, cette période, celle d’une disparition du titre impérial
sur lequel le pape a repris la maîtrise, est-elle généralement connue sous le nom de
« Grand Interrègne ».

La période du Grand Interrègne a pour effet de consacrer le renforcement de


l’indépendance des princes mais aussi des villes, qui s’unissent en ligues pour faire face
ensemble aux dangers liés au nouveau développement que connait la Fehde (faide) au
cours de cette période.

La formation d’un Reichsfürstenstand au cours du règne de Frédéric Ier avait


institutionnalisé les relations entre l’empereur et les Princes. Chacun d’entre eux était
appelé à participer à l’élection de l’empereur. La période troublée du Grand Interrègne a
pour effet de voir certains princes se distinguer des autres par leur importance, et qui
auront la mainmise sur l’élection : les sept Electeurs, à savoir trois princes ecclésiastiques
– l’archevêque de Mayence, l’archevêque de Cologne, l’archevêque de Trêves – et quatre
princes laïcs – le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg, le comte palatin (Palatinat du
Rhin) et le roi de Bohème. Les autres princes du Reichsfürstenstand sont plus faibles, ou
alors peu intéressés par une élection dont l’enjeu est devenu moins important, en raison
de la perte de prestige de la couronne impériale. Leur territoire (leur « Land ») les
intéresse davantage que l’avenir de la fonction impériale et le choix d’un empereur. Quant
aux sept princes-électeurs, en raison de l’absence de couronnement au cours du Grand-
Interrègne, ils vont se sentir investis de la sauvegarde de l’Empire. Ils se perçoivent peu à
peu comme les gardiens de sa continuité. Il n’en demeure pas moins que l’élection du roi
des Romains requiert l’unanimité des électeurs. Cette exigence constitue l’une des causes
de la durée de l’interrègne : les sept Electeurs ne parviennent pas à se mettre d’accord et
ils se divisent pour soutenir leur candidat.

Le Grand Interrègne prend fin en 1273, lorsque les princes s’accordent pour élire un
prince de moindre importance, mais qui s’est distingué par ses qualités militaires,
Rodolphe de Habsbourg (†1291). Soucieux d’éviter de laisser monter sur le trône un
prince trop puissant, ils repoussent la candidature du roi de Bohème, Ottokar II. Le choix
des électeurs ne rencontre plus l’opposition du pape, qui souhaite à présent un empereur
qui serait en mesure de conduire une nouvelle croisade19.

Les princes se mettent donc d’accord sur la personnalité de Rodolphe de Habsbourg. Ses
qualités militaires pourront contribuer à pacifier l’Empire. Son règne sera marqué par un
apaisement des relations avec la papauté et par une large campagne de protection de
l’ordre public. Rodolphe Ier s’évertuera à établir la paix générale en limitant la Fehde.

18 Le fils de Frédéric II, Conrad IV, meurt dès 1254. Lui-même n’a alors qu’un seul fils, connu sous le nom de
Conradin, qui est alors âgé de deux ans. Ce dernier mourra (exécuté) un peu plus tard, en 1268.
19 Le pape souhaite qu’une nouvelle croisade soit entreprise en Terre sainte. Un empereur, fort de sa qualité

de « vicaire du Christ », dont le pouvoir est renforcé par les liens qui l’unissent à la papauté, peut constituer
un atout pour conduire une croisade.
85
Elu roi de Germanie, ou « roi des Romains », Rodolphe ne fera jamais le voyage de Rome,
où il devrait être couronné par le Pape. La qualité d’empereur, outre les prérogatives
qu’elle offre à son titulaire, lui permet de présenter aux électeurs son successeur à
l’élection anticipée. Le titre impérial permet ainsi à son titulaire d’envisager la
sécurisation de sa succession et éventuellement d’assurer que sa descendance accède au
trône impérial à sa suite. Dans la négative, l’initiative du choix, à la mort de l’empereur,
appartiendra entièrement aux électeurs. Rodolphe ne parvient pas à imposer son fils,
Albert de Habsbourg. Les princes lui préfèreront Adolphe de Nassau.

86
Chapitre IX. L’espace anglais (XIIe-XIIIe siècles)

87
La période des XIIe-XIIIe siècles s’ouvre sur le règne d’Henri Ier Beauclerc (1100-1135), le
plus jeune des fils de Guillaume le Conquérant, dont l’apport sur le plan institutionnel est
particulièrement important. Décédé sans héritier de sexe masculin en ligne directe, sa
succession entraîne une période de troubles intérieures, connue sous le nom d’
« Anarchie ». Henri Ier n’a plus pour seule descendance légitime qu’une fille, Mathilde,
veuve de l’Empereur Henri V du Saint-Empire, remariée à Geoffroy d’Anjou, comte
d’Anjou et comte du Maine. Celle-ci est désignée par son père pour lui succéder mais elle
fait face aussitôt, dès la mort du roi, aux prétentions de son cousin – petit-fils de Guillaume
le Conquérant – Etienne de Blois (†1154). Celui-ci est soutenu par une large partie du
baronnage anglais et parvient à obtenir la couronne d’Angleterre à sa place.
L’insatisfaction causée par le règne d’Etienne au cours des mois et des années qui suivent
entraîne la division du baronnage et la guerre civile. Cette période de troubles intérieurs
prend fin lorsqu’Etienne et le fils de Mathilde, qui sera bientôt connu le nom d’Henri II
Plantagenêt, concluent, en 1153, un traité de paix (traité de Wallingford). Etienne y
reconnait Henri comme son héritier. Comme ses prédécesseurs, Henri II (1154-1189) est
couronné à l’abbaye de Westminster. Il inaugure un règne de pacification, de restauration
et de renforcement de l’autorité royale. Il entend récupérer terres et privilèges. Il s’impose
face aux barons. Roi d’Angleterre, duc de Normandie, Henri II est aussi comme héritier de
son père, comte du Maine et comte d’Anjou. Il épouse en 1152 Aliénor d’Aquitaine,
duchesse d’Aquitaine et comtesse de Poitiers, qui apporte à la Couronne d’Angleterre une
large partie de l’espace français. L’ensemble de leurs possessions formeront l’Empire
Plantagenêt, également connu sous le nom d’ « Empire angevin ». L’expansion territoriale
anglaise provoque des tensions importantes avec le roi de France. La période est
également marquée, à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, par la crispation des
relations avec l’Eglise, par d’importantes tensions familiales. On assiste également partir
de la fin du XIIe siècle et mais surtout au cours du XIIIe siècle, à une multiplication des
tensions entre le roi et les barons. L’octroi de la Magna Carta par Jean sans Terre, en 1215,
et la formation progressive du Parlement en forment les jalons essentiels. Le règne
d’Edouard Ier (1272-1307) apparaît, enfin, comme une nouvelle période de réaffirmation
royale.

I. Organisation de la succession au trône d’Angleterre

A. La question de l’accession des femmes au trône d’Angleterre

En 1126, sans héritier mâle légitime, Henri Ier rassemble ses barons pour leur faire
reconnaitre sa fille Mathilde comme héritière, tant du royaume d’Angleterre que du duché
de Normandie.

Mathilde, veuve du l’Empereur Henri V depuis 1125, a vécu plusieurs années dans les
terres du Saint-Empire. Elle épouse Geoffroy d’Anjou en 1127.

Malgré leur serment, le baronnage anglais se divise lorsqu’Henri Ier meurt, en 1135.
L’accession d’une femme au trône d’Angleterre est loin d’être une évidence, même si
aucune règle ne l’exclut. Au contraire même, puisque le droit féodal prévoit le droit à la
succession des filles. Les règles de succession aux fiefs que connait l’Angleterre prévoit
qu’à défaut de successeur en ligne masculine, le fief du défunt est partagé entre ses filles.

88
Mathilde fait donc face à la défiance des grands nobles anglais et normands. Non
seulement Mathilde est une femme, mais elle a également passé plusieurs années hors des
possessions anglo-normandes, dans le Saint-Empire. Elle vient d’épouser un étranger, ce
comte d’Anjou, dont les possessions sont voisines de la Normandie, et dans lesquels les
Normands voient une menace. Le neveu d’Henri Ier, également petit-fils du Conquérant,
comme Mathilde, tire parti de la situation pour faire valoir ses droits à la couronne. Il se
délie de son serment et il est couronné par l’archevêque de Cantorbéry, en lieu et place de
Mathilde.

Mathilde l’Empereresse ne renonce pas à ses droits. Soutenue par une partie du
baronnage, elle continue à revendiquer la couronne d’Angleterre. Les deux partis se
livrent une guerre qui dure jusqu’en 1153. Par le traité de Wallingford, Etienne finit par
reconnaitre Henri, fils de Mathilde et Geoffroy, comme son héritier. Mathilde abandonne
ainsi ses propres prétentions au profit de son fils, le futur Henri II.

B. La question de l’ordre de succession au trône et de la représentation

Jean sans Terre accède au pouvoir royal en 1199, à la mort de Richard Ier. Il est le
troisième fils d’Henri II. Mais il n’est pas le seul descendant direct d’Henri Ier à pouvoir
prétendre au trône. Geoffroy, le deuxième des fils d’Henri II, était décédé avait eu un fils,
Arthur, qui est duc de Bretagne par sa mère. Aussi, en 1199, le successeur de Richard peut
aussi bien être Arthur que Jean, dans la mesure où les règles de succession au trône ne
sont pas fixées. D’aucuns, suivant Glanville (†1190) - Justitiar d’Angleterre et auteur du
premier traité de droit anglais, le Tractatus de legibus et consuetudinibus regni Anglie –
reconnaissent les droits d’Arthur, tandis que d’autres, suivant la coutume normande – le
Très Ancien Coutumier – lui préfèrent Jean.

Aussi, le droit ne suffit-il pas à départager les candidats, et la position respective de l’un
et de l’autre, son âge et son expérience, ses éventuelles capacités militaires et financières,
ses soutiens parmi les barons comme parmi les souverains étrangers, assureront son
accession au pouvoir. Arthur n’a que douze ans, mais il peut compter sur les barons en
Anjou, en Poitou, dans le Maine, en Touraine ou en Bretagne, ainsi que sur le soutien du
roi de France, Philippe Auguste, avec lequel il a conclu une alliance. Jean peut compter
principalement sur le baronnage anglo-normand. Il bénéficie d’un autre avantage.
Soutenu en Angleterre, il est en mesure de recevoir la couronne d’Angleterre selon le
cérémonial consacré. Il est ainsi couronné à Westminster par l’Archevêque de Canterbury.

Après son couronnement, il regagne la Normandie – dont les barons lui sont acquis – et
engage des négociations avec Philippe Auguste. Par le traité du Goulet (1200), Philippe
reconnait Jean sans Terre comme l’héritier de Richard. Quant à Jean sans Terre, il
reconnait la suzeraineté du roi de France sur les possessions continentales des
Plantagenêts. Arthur, affaibli, obtient de Philippe Auguste que celui-ci renonce à toute
prétention sur la Bretagne. Il doit prêter hommage au roi d’Angleterre.

89
II. Organisation administrative

A. Administration centrale et organisation vassalique

Les règnes de Guillaume le Conquérant et du premier de ses fils, Guillaume le Roux,


n’entraînent pas de réels bouleversements institutionnels. Peu à peu toutefois, à partir
d’Henri Ier, second fils de Guillaume et frère de Guillaume le Roux, certains modes
d’exercice du pouvoir et certaines institutions inspirés du duché de Normandie font leur
apparition.

Le wiotan disparaît pour laisser la place à la curia regis, déclinaison sur le sol anglais de
la curia ducis normande. Le règne d’Henri Ier est marqué par création de nouvelles
institutions : l’Exchequer (Echiquier) et la Chancery (Chancellerie) ainsi que par la
formalisation de l’office de Justiciar. L’organisation de l’administration locale, sous la
responsabilité des sheriffs reste inchangée.

Un facteur paraît décisif pour comprendre l’évolution des institutions au cours de ces
premières décennies : l’intégration dans l’espace anglais du système vassalique. Si une
hiérarchie vassalique est rapidement établie, et favorise l’organisation et le contrôle du
royaume, les relations entre le roi et ses vassaux ne sont pas évidentes pour autant.. Des
tensions importantes apparaissent dès le règne de Guillaume le Roux. Son successeur,
Henri Ier, leur concède, au moment de son accession au pouvoir (1100), une charte de
libertés dans laquelle il s’engage notamment à limiter l’impôt.

1. Curia regis

Sous l’inspiration des usages normands, les familiers du roi, les membres de sa famille, les
membres du haut clergé ainsi que les grands nobles se réunissent désormais au sein de la
curia regis. La curia regis se distingue du wiotan par la nature du lien qui unit le roi à ses
membres. Vassaux du roi, ils lui doivent aide et conseil. L’obligation de conseil prend une
forme concrète dans leur participation à la curia.

Lieu de la décision politique, la curia est également, dans la mesure où le roi a pour
mission d’assurer la paix publique, l’organe au sein duquel est rendue la justice du roi.

Pour assurer l’exercice au jour le jour du gouvernement, le roi réunit ses familiers, en
conseil restreint, la Curia minor. Il réunit par ailleurs, plusieurs fois par an, l’ensemble des
barons et des grands prélats. On distingue ainsi la Curia minor de la Curia maior.

2. Exchequer et Chancery

L’administration du royaume se détache progressivement de la personne du roi. Les


officiers royaux en charge de fonctions domestiques laissent peu à peu place à une
administration plus complexe.

Le contrôle des finances royales s’exerce au sein du Palais, comme la prolongation de


l’office de chamberlain, qui était en charge du Trésor royal. Cette charge est désormais
confiée à l’Exchequer ou Echiquier, institution que connait déjà la Normandie. Outre la
charge de l’administration journalière des finances royales, celui-ci procède, deux fois par

90
an, à Pâques et à la Saint-Michel, à l’examen des comptes des sheriffs ainsi que ceux de
certains autres officiers royaux. Il connait également des litiges qui s’élèvent entre les
agents royaux concernés.

La même période voit l’organisation d’une administration des écrits royaux, la Chancery
(Chancellerie). Celle-ci se formalise progressivement en s’appuyant sur les membres de
la Chapelle royale.

3. Formalisation de l’office de Justitiar

A la fois roi d’Angleterre et duc de Normandie, Henri Ier entend faire face aux problèmes
liés à l’administration de possessions qui s’étendent de part et d’autre de la Manche. Aux
fins d’en faciliter l’administration, il crée un office permanent dans chacun des deux
espaces, le Justiciar. Le Justiciar d’Angleterre, ou Chief-Justiciar, est responsable de
l’administration royale dans l’espace anglais et il a autorité sur les agents royaux. Le
Justitiar de Normandie est responsable de l’administration royale dans l’espace normand
et il a autorité sur les agents ducaux. Délégué du roi ou du duc, chacun d’eux est en charge,
l’un dans le royaume et l’autre dans le duché, des finances et de la justice royales.

L’office de Justitiar est d’autant plus important en Angleterre que le roi séjourne très peu
sur le sol anglais. C’est le cas depuis Guillaume Ier. Il préfère se déplacer au sein de ses
possessions continentales, que ce soit en Normandie tout d’abord, puis dans le vaste
ensemble territorial que forme, à partir d’Henri II, les possessions anglaises dans
l’ancienne Francia occidentalis. Ou alors il est parti en croisade pour de longues années,
puis retenu hors de ses terres, comme Richard Ier.

La situation change à partir du règne de Jean sans Terre, lorsqu’une fois la commise
prononcée sur ses fiefs relevant du roi de France, le roi ne peut plus se déplacer librement
dans l’espace angevin. La fonction de Justitiar décline en raison de la présence du roi et de
son investissement dans le gouvernement de l’Angleterre.

B. Administration locale : le rôle des sheriffs

Les efforts de reprise en main qui sont entrepris par Henri II à la suite de l’Anarchie
conduise le roi à un renforcement du contrôle sur l’administration locale. Par l’Inquest of
Sheriffs, en 1170, Henri II établit une commission chargée d’examiner les pratiques
locales, et il reprend en main l’office de sheriff dont il s’assure l’entière soumission. La
plupart des sheriffs sont remplacés. Les nouveaux sheriffs deviennent des agents royaux
locaux, soumis à un contrôle étroit, qui assurent un rôle d’auxiliaire administratif et
judiciaire. Ils perdent leur autonomie.

III. Organisation de la justice

Guillaume et ses successeurs n’ont pas écarté l’organisation de la justice qui existait au
moment de la Conquête. La justice royale est conçue comme un système parallèle et
alternatif à l’organisation de la justice issue de la période anglo-saxonne. L’attractivité de
la justice royale, conçue comme particulièrement efficace, va entraîner le déclin progressif
de l’organisation judiciaire ancienne.

91
Ils n’ont pas davantage écarté les coutumes sur la base desquelles la justice était rendue
avant la Conquête. Mais l’établissement des Normands - leur installation durable -
conduit peu à peu à une situation inconfortable, dans la mesure où les coutumes
normandes entrent en confrontation avec les coutumes anglo-saxonnes. La solution
consistera à privilégier une voie médiane, celle de la formation d’un droit de compromis,
progressivement façonné par les juges royaux20. La multiplication des recours à la justice
royale s’accompagne de la diffusion du droit nouveau qui y est développé.

A. Justice locale

Les premiers souverains anglais ne touchent pas à l’organisation de la justice qui était
celle du shire ou du hundred. Les assemblées continuent de rendre la justice comme avant
la Conquête, si ce n’est que les offices de sheriff sont peu à peu attribués à des Normands.

La justice locale attire cependant l’attention d’Henri Ier, qui crée une nouvelle fonction,
celle de « seigneur-justicier». Les seigneurs-justiciers, ou plus simplement « justiciers »
(justitiar) sont principalement des membres de la Curia regis auxquels il donne mission
de contrôler l’exercice de la justice dans le royaume. Ces officiers peuvent être chargés
de diverses missions. Ils reçoivent « commission » par un writ (ordre écrit) délivré par le
roi. Peuvent être données, notamment, les commissions suivantes :

- commission d’eyre : ils sont alors chargés de missions d’inspection itinérantes,


en rendant justice dans les localités où ils font étape. Ils y appliquent non pas
le droit normand, celui de la puissance occupante, mais optent pour une
solution en droit en fonction de ce qu’ils connaissent et de ce qui leur paraît
opportun (droit normand, romain, danois,...). Les seigneurs-justiciers
formeront un élément fondamental de la diffusion de la Common Law ;

- commission d’assises : la commission d’assises est donnée à un justicier auquel


on demande de s’établir (assises) pour rendre justice dans telle localité. Dans
ce cadre, le justicier statue exclusivement en matière civile, à propos de litiges
relatifs à la possession de terre ;

- commission de jail delivery, prescrivant au justicier d’assurer que les prisons


soient déchargées.

A l’occasion de leurs activités, les seigneurs-justiciers rendent la justice au nom du roi,


source de la justice. Ces missions, pour importantes qu’elles fussent, n’en sont pas moins
irrégulières, et ne couvrent qu’une partie du royaume.

Henri II remet en mouvement les eyres qui avaient été initiées sous Henri Ier, mais en
systématise l’organisation : les eyres sont plus complètes et plus régulières. A partir de
1166, de véritables circuits i sont organisés chaque année et qui couvrent l’ensemble du
royaume.

La même année, en 1166, par l’Assise de Clarendon, Henri II réorganise les règles de
procédure à observer à l’occasion des eyres, et notamment l’administration de la preuve,

20 Voy. aussi Partie II. Les Sources.


92
qui devra s’effectuer devant 12 jurés issus de la population. Ce jury sera compétent en
matière civile et criminelle. Henri II systématise une institution qui aurait existé au cours
de la période anglo-saxonne. Il entend rendre en partie à la population sa participation à
l’exercice de la justice. Cette restauration permet également de contrebalancer le pouvoir
des barons.

La réorganisation des eyres donne des plus en plus d’importance aux juges royaux et
permet au roi d’assurer un contrôle plus étroit sur l’exercice de la justice.

En 1176, par l’Assise de Northampton, Henri II précise les dispositions de l’Assise de


Clarendon. Dix ans ont passé, et le royaume a souffert du conflit qui oppose le roi à ses fils.
Une nouvelle réaffirmation royale s’impose. Henri II accroit encore son contrôle sur
l’exercice de la justice en cherchant à augmenter l’efficacité des circuits qu’entreprennent
les juges royaux. Le royaume est désormais divisé en six régions, qui seront parcourues
chacune par trois juges. A côté de leur charge judiciaire, les juges royaux ont pour mission
de s’assurer du respect du droit féodal (la sauvegarde des droits du roi) et de recevoir le
serment de fidélité de tous les sujets du roi. Le roi entend donc renforcer son contrôle sur
l’exercice de la justice et l’administration locale, mais également sur ses vassaux.

B. Justice centrale

1. Curia regis et Court of Exchequer

Lieu de la décision politique, la curia est également, dans la mesure où le roi a pour
mission d’assurer la paix publique, l’organe au sein duquel est rendue la justice du roi.

En l’absence du roi, qui réside le plus souvent en Normandie et qui, lorsqu’il est sur le sol
anglais, ne cesse de se déplacer, les litiges d’ordre financier sont progressivement portés,
sous Henri Ier, devant la Court of Exchequer (Cour de l’Echiquier), qui se fixe peu à peu, de
manière permanente, à Westminster. Cette juridiction est présidée par le Justicier, assisté
de six évêques et de six barons.

2. Court of Common Pleas et King’s Bench.

La nécessité d’établir la justice royale « ordinaire » en un lieu central, accessible en dehors


de l’organisation des eyres, semble s’imposer plus encore sous le règne d’Henri II. L’attrait
de la justice royale entraîne un afflux d’affaires. Le phénomène conduit le roi à détacher
une partie des membres de la curia pour les affecter au seul exercice de la justice.

En 1178, celui-ci donne mission à cinq membres de la curia de s’établir à Westminster,


sans plus le suivre, pour entendre les plaintes issues de l’ensemble du royaume qui leur
seraient présentées. Ce writ du roi Henri II serait à l’origine de la formation de la Court of
Common Pleas. La Court of Common Pleas (Cour des Plaids communs) connaitra des litiges
entre particuliers, dans lesquels les intérêts de la Couronne ne sont pas concernés. Quant
aux autres affaires, elles continuent à être traitées au sein de la curia regis.

Le phénomène de subdivision et de spécialisation des institutions se poursuit et une


nouvelle institution se détache de la curia, une troisième institution chargée de rendre

93
justice, le King’s Bench (Banc du Roi), qui connaitra des affaires dans lesquelles les
intérêts de la Couronne sont concernés.

C. Nouvelles procédures judiciaires

L’une des innovations les plus importantes du règne d’Henri II dans le domaine judiciaire
est l’introduction des Petty Assizes, une procédure sommaire au cours de laquelle :

- un plaignant qui vient d’être dépossédé d’un bien foncier, peut être remis en
possession s’il fait la démonstration qu’il était en possession du bien en cause
et qu’il en a été illégalement expulsé. Il s’agit de l’assise de novel disseisin ou de
recent disseisin.

- un héritier peut obtenir la possession d’un bien foncier dont s’est saisi
quelqu’un lors du décès du de cuius pour peu qu’il fasse la démonstration de sa
qualité d’héritier. Il s’agit de l’assise de mort d’ancestor ;

- un propriétaire foncier établit qu’il a le dernier attribué tel bénéfice


ecclésiastique, et qu’il est donc habilité à réitérer cette attribution en cas de
nouvelle vacance. Il s’agit de l’assise de darrein presentment.

L’organisation des Petty Assizes s’écarte de la justice ordinaire. Henri II introduit des
actions possessoires, au cours desquelles le juge royal statue non pas sur le droit de
propriété, mais sur la seule possession. Elles se caractérisent par ailleurs par leur rapidité,
les parties étant tenues de se présenter devant les juges royaux de l’Echiquier ou les juges
en eyre tel jour déterminé.

IV. Relations avec l’Eglise d’Angleterre et avec la Papauté

Le XIIe siècle est marqué par d’importantes tensions entre le roi et l’Eglise ou la Papauté.
Etienne de Blois qui, reniant ses engagements, intervient à plusieurs reprises dans
l’élection des évêques ou des abbés, est en conflit avec l’Eglise d’Angleterre et avec la
papauté. Ces tensions culminent dans les relations qu’il entretient avec Thibault du Bec,
archevêque de Canterbury, qui sera par deux fois contraint à l’exil.

Le règne d’Henri II forme, dans ce domaine, le prolongement du règne d’Etienne de Blois.


Les relations avec l’Eglise et la papauté, après une brève période d’apaisement, se tendent
à nouveau. Thibaut du Bec étant décédé, le roi intervient en vue de faire élire Thomas
Becket, un proche dans lequel il a placé sa confiance et dont il a fait un peu plus tôt son
chancelier. Thomas Becket devient archevêque de Cantorbéry en 1162. Le roi Henri II, qui
entend contrôler l’Eglise d’Angleterre, croit pouvoir compter sur la docilité de Becket. Se
sentant investi par sa nouvelle mission, Thomas Becket s’oppose pourtant à la politique
d’Henri II.

La confrontation entre Henri II et Thomas Becket atteint son stade ultime à la suite des
Constitutions de Clarendon (1164), par lesquelles le roi entend soumettre les clercs aux
juridictions royales. Becket s’y oppose. Appelé à comparaître devant la curia, il n’entend
pas se soumettre à la justice du roi. L’archevêque de Canterbury trouve refuge en France,
où il est accueilli par Louis VII. En 1170, sous la menace d’une excommunication, Henri II

94
consent à voir Thomas Becket retrouver son siège archiépiscopal. Mais les relations entre
le roi et l’archevêque sont loin d’être apaisées. C’est dans ce climat de tensions
persistantes que Thomas Becket est assassiné, en 1170, dans l’abbaye de Cantorbéry.

Ces tensions réapparaissent au début du règne de Jean sans Terre, après 1199. Les
désaccords qui s’étaient révélées sous le règne d’Henri II, son père, se réveillent sous son
règne.

Le décès de l’Archevêque de Canterbury, en 1205, ouvre une nouvelle période de tensions


avec l’Eglise mais surtout avec la Papauté. Le Pape, Innoncent III, se montre
particulièrement déterminé à faire respecter la primauté romaine.

Une partie des moines de Canterbury, auxquels revient le droit d’élire son successeur,
désignent l’un d’entre eux, leur prieur. Le roi intervient lui-même pour imposer son
propre candidat, qui est élu à son tour. Les deux archevêques élus en appellent au Pape
pour obtenir qu’il les départage. Innocent III écarte les deux candidats et il pousse les
moines de Canterbury à en élire un troisième, Etienne Langton. Celui-ci est élu en
décembre 1206.

D’origine anglaise, formé en théologie à l’Université de Paris, Langton a passé la plus


grande partie de sa vie sur le Continent. Le Pape voit en lui un instrument de l’affirmation
de la théocratie pontificale dans le royaume d’Angleterre. Le roi ne prétend pas se voir
imposer le nouvel archevêque de Canterbury par le Pape. Mais s’il ne peut pas s’opposer
à son investiture, du moins peut-il faire obstacle à son arrivée et à son installation. En
1208, après plusieurs mois d’attente, le Pape jette l’interdit sur l’Angleterre 21 puis
excommunie le roi. En 1212, comme celui-ci persiste à s’opposer au choix du Pape, ce
dernier finit par prononcer sa déposition. Jean sans Terre cède finalement, au mois de mai
1213, et laisse Langton rejoindre Canterbury. Mais le roi d’Angleterre va plus loin. Il se
place sous la protection du Pape et se constitue son vassal, et comme tenant le royaume
d’Angleterre en fief de la Papauté.

V. Contrôle de l’action du roi par les barons et formation du Parlement

Quoique l’espace anglais subisse un morcellement moindre que l’espace continental, et


que l’autorité du souverain sur ses vassaux y soit plus affirmée, les tensions entre le roi et
les nobles ne sont pas inexistantes, loin s’en faut. Les nobles vont s’évertuer à limiter les
droits du roi et obtenir des garanties contre ses abus éventuels. Henri Ier consent ainsi
reconnaitre certaines libertés (charte des libertés) aux barons anglais au moment de son
couronnement, après les troubles qu’avait connu le règne de son frère Guillaume le Roux.

La période de l’Anarchie avait été suivie, sous le règne d’Henri II, par une nouvelle période
d’affirmation du pouvoir royal, tant vis-à-vis des nobles que vis-à-vis de l’Eglise. De
nouvelles tensions voient le jour sous le règne de Jean sans Terre, qui sera forcé, dans un
contexte de difficultés avec la Papauté et avec le roi de France Philippe Auguste, à faire de
nouvelles concessions dans une nouvelle charte, la Magna Carta, qui introduit notamment
une forme de contrôle du pouvoir royal par les barons.

21
L’interdit constitue une sanction canonique exclut tout service religieux (messes) , de même que les
sacrements ou les sépultures religieuses.

95
A. Développement des tensions avec le baronnage

Les tensions qui traversent les relations de Jean sans Terre avec l’Eglise d’Angleterre mais
surtout avec la Papauté s’accompagnent de tensions importantes avec les nobles. Sa
soumission au Pape affaiblit le roi. En 1213, alors qu’il souhaite monter une expédition
sur le Continent pour reprendre possession de ses terres – à la suite de la commise
prononcée par la curia de Philippe Auguste – la plus grande partie des barons lui opposent
un refus. Ceux-ci estiment que l’obligation féodale de l’ost ne s’étend pas hors des îles
britanniques, pour une durée qui serait supérieure à ce qui peut leur être ordinairement
demandé. Le roi est contraint de leur promettre des concessions pour obtenir leur
soutien. Il s’engage à restaurer les anciennes libertés perdues sous Henri II, à leur
renouveler, en la complétant, la « charte des libertés » concédée sous Henri Ier Beauclerc.

A la suite de ses engagements, accompagnés de la levée de son excommunication et du


soutien du Pape et d’Etienne Langton, il obtient d’entreprendre une campagne au cours
de l’été 1214. L’opposition renaît au sein du baronnage alors que le roi est hors
d’Angleterre. La défaite de Bouvines (juillet 1214), qui accroît encore les
mécontentements et affaiblit définitivement le roi, forme pour les barons l’occasion
d’imposer leurs exigences. Finalement, au mois d’août 1215, une partie des barons entre
en rébellion. Le contexte d’opposition auquel le roi doit faire face est désormais intenable.

B. Magna Carta (1215)

Des négociations s’engagent entre le roi et les nobles, dans lesquelles le Pape lui-même
joue un rôle décisif. Elles aboutissent, au mois de juin 1215, à un accord de paix et à la
rédaction de la Magna Carta. La Magna Carta restaure les nobles dans leurs droits et
introduit une limitation des pouvoirs du roi. Le contrôle de pouvoir royal trouve une
expression concrète originale : elle institue un conseil chargé d’assurer le contrôle du
respect de ses dispositions. Cette mission de contrôle est prolongé par la reconnaissance
d’un « droit d’insurrection » de la population dans le cas où les griefs qui ont été constatés
n’auront pas été redressés.

Les dispositions de la Grande Charte ne bénéficient pas seulement aux barons. Celle-ci
contient des dispositions destinées à garantir plus spécialement les privilèges de l’Eglise.
La ville de Londres se voit garantir ces anciennes libertés et coutumes, de même que les
autres communautés urbaines et rurales. Enfin, certaines de ces dispositions – en
particulier dans le domaine de l’exercice de la justice –garantissent les droits de la
population, du moins des « hommes libres ».

Elle dispose ainsi, notamment, que les « Common Pleas » seront à nouveau jugées dans un
lieu fixe - à Westminster – et non plus par le roi en son conseil, là où il réside. Elle dispose
enfin qu’aucun homme libre ne pourra être arrêté, détenu ou banni si ce n’est par sentence
de justice.

Jean sans Terre, aussitôt la Grande Charte signée, s’emploie à la faire annuler en recourant
au Pape. Dès le mois d’août 1215, Innocent III promulgue la bulle Et si Carissimus, par
laquelle il annule la charte. La guerre reprend entre le roi et ses barons anglais. Jean sans
Terre meurt en 1216 sans qu’il ait été mis fin au conflit.

96
C. Naissance du Parlement

La succession de Jean sans Terre s’ouvre dans un contexte de crise. La position d’Henri III
(†1272), son fils, est d’autant plus fragile qu’il n’est encore qu’un enfant. Elle est
consolidée grâce à une régence efficace et grâce au soutien de l’Eglise. La Magna Carta
connait une modification substantielle, dans la mesure où il n’est plus question, dans cette
nouvelle version, du conseil qui devait être établi en vue d’assurer le contrôle de l’action
du roi, ainsi que d’autres dispositions, dont l’existence était à mettre en relation avec le
contexte du règne de Jean sans Terre.

La négociation de cette version nouvelle de la Magna Carta ne marque qu’un « recul »


provisoire du contrôle exercé sur le pouvoir royal. Le règne d’Henri III se distingue par
l’apparition progressive d’une institution qui aura pour mission, notamment, le contrôle
de l’action du roi, le Parlement. En dehors des réunions ordinaires de la Curia minor, dans
lesquelles il réunit ses familiers, le roi convoque, plusieurs fois par an, en colloquium, une
Curia maior, rassemblant l’ensemble des grands nobles et des prélats. Ce « colloquium »,
au cours de la première moitié du 13e siècle, prend de plus en plus souvent l’appellation
de « parliamentum ». Cette assemblée va peu à peu s’institutionnaliser.

Les années 1250 voient se développer de nouvelles tensions entre le roi et les nobles, qui
dégénèrent à nouveau en guerre civile. En 1254, à la veille d’une expédition militaire,
Henri III décide de convoquer une Curia maior dont la composition se distingue des
précédentes. En plus des barons, il convoque des représentants des comtés, les Knights of
the Shires. Face au conflit qui l’oppose à la noblesse, le roi entend élargir la base sur
laquelle il peut s’appuyer. En appelant les représentants des comtés à la Curia, il entend
contrebalancer le pouvoir des barons.

L’insatisfaction des grands nobles, causée par les besoins financiers du roi ainsi que par
la place qu’occupe, au sein de la Curia minor, les conseillers étrangers, entraîne la
Première guerre des barons. Au mois de juin 1258, sous la pression de leur chef, Simon de
Montfort, le roi réunit une nouvelle curia élargie à Oxford. Cette réunion, parfois désignée
sous l’appellation de « Mad Parliament », rassemblant des barons et des chevaliers
représentant les comtés (Knights of the Shires), conduit le roi à accepter une nouvelle
forme de gouvernement, un gouvernement « en conseil ». A l’issue du parliamentum, les
Provisions d’Oxford prévoient, entre autres dispositions, qu’une partie des prérogatives
royales seront exercées par un conseil composé de 15 membres, des barons. Les
Provisions d’Oxford prévoient également la réunion, trois fois par an, à des dates
déterminées, de la Curia maior, en vue d’assurer le contrôle de l’action du conseil.

Ces résolutions sont écartées dès 1261 par Henri III, avec l’appui du Pape Innocent IV,
entraînant la Seconde guerre des barons. En 1265, à la suite de la victoire de Lewes, Simon
de Montfort provoque la réunion d’un parliamentum à Londres, au palais de Westminster.
En plus des barons, des prélats et de la présence de deux chevaliers représentants chacun
des comtés (shires), il y convoque les bourgeois des villes les plus importantes (Londres,
York, Lincoln, …), afin de renforcer sa position et de s’assurer leur soutien.

La Deuxième guerre des barons prend fin en 1266, consacrant finalement la victoire
d’Henri III. S’il retrouve le pouvoir, le roi réunit toutefois un parlement à Kenilworth – lieu

97
de la reddition des derniers barons – qui doit assurer la pacification du royaume. Le
parliamentum désigne groupe d’évêques et de barons et les charge de préparer un acte de
réconciliation. Le résultat de leurs travaux, le Dictum de Kenilworth (1266), est marqué
avant tout par la réaffirmation du pouvoir royal. Il confirme le rejet des Provisions
d’Oxford et réaffirme que la nomination des ministres appartient au roi exclusivement. Le
roi, en échange, entre autres concessions, confirme la Magna Carta telle qu’elle avait été
revue au cours des premières années de son règne.

La réaffirmation du pouvoir royal n’entraîne pas pour autant une remise en cause des
parliamenta, ou de leur composition. En 1268, Henri III convie à nouveau un
parliamentum, rassemblant les barons, les représentants des comtés ainsi que 27
représentants des communautés urbaines et rurales.

La convocation des villes et des comtés ne devient pratique régulière que sous le règne du
successeur d’Henri III, Edouard Ier (†1307). Souverain puissant et incontesté, Edouard
Ier n’en reconnait pas moins l’importance des parliamenta. En 1295, il reconnait les
prérogatives du Parlement d’Angleterre dont il fixe les contours. Il s’agit du Model
Parliament, dont la composition se stabilise et s’institutionnalise : représentants du
clergé, représentants de la noblesse, représentants des comtés (shires), représentants de
110 communautés urbaines et rurales.

98
EX CURSUS N°3

Le duché de Brabant aux XIIe-XIVe siècles

99
I. Contexte : autonomisation et expansion

Le principat d’Henri Ier (1183-1235) se distingue par une intense politique d’expansion
territoriale et d’indépendance par rapport aux princes et aux souverains voisins. En 1183,
l’Empereur élève le landgraviat de Brabant en duché de Brabant. Le titre de duc de
Brabant est reconnu à Henri Ier par la Diète de Schwäbisch Hall (1190). Il s’oppose
pourtant à l’empereur Henri VI, le successeur de Frédéric Barberousse, puis prend le parti
du Welf Otton IV de Brunswick contre le prétendant Hohenstaufen. Il participe à ses côtés
à la bataille de Bouvines (1214). Du côté des vaincus, il se rallie finalement à Frédéric II
de Hohenstaufen.

Il convient de mentionner également les règnes de Jean Ier (1267-1294) et de Jean II


(1294-1312). Le règne (principat) du duc Jean Ier est marqué par le développement
économique des villes brabançonnes. La prospérité que connait alors le duché de Brabant
lui permet de rivaliser avec le comté de Flandre et de s’affranchir du Saint-Empire romain
germanique. Le règne de Jean Ier est également marqué par les succès militaires, en
particulier au cours de la guerre de succession qui suit le décès du dernier duc de
Limbourg22. A la suite de la bataille de Worringen (1288), remportée par le duc Jean Ier,
le Limbourg est réuni au Brabant. Quant au règne de Jean II, il est principalement marqué
par l’octroi de la charte de Cortenberg. La charte de Cortenberg marque l’importance
qu’ont pris les villes du Brabant dans la vie politique du duché. Cette importance des villes
se confirme sous le principat du duc Jean III. Dernier représentant mâle de la Maison de
Louvain, Jean III s’emploie à éviter la division du duché. Il entreprend d’organiser sa
succession et de transmettre le duché entre les mains de sa fille aînée, Jeanne, et de son
gendre, Wenceslas de Luxembourg. Il prévoit une compensation en faveur des deux sœurs
de Jeanne et de leur époux : pour Marguerite, mariée à Louis de Male, comte de Flandre,
et pour Marie, mariée à Renaud III, duc de Gueldre. Le duc s’appuie sur les villes du
Brabant pour assurer l’unité du duché (intégralité territoriale) après sa mort. Il s’agit
d’éviter que les villes entre en conflit entre elles. Les villes du Brabant conditionnent leur
soutien à l’octroi d’une charte qui doit assurer le maintien d’un certain nombre de
privilèges au bénéfice des Brabançons : la Joyeuse Entrée (1356).

Jeanne et Wenceslas n’auront pas de descendance. Le duché de Brabant passe dans la


Maison de Bourgogne : Antoine de Bourgogne, fils de Philippe le Hardi (duc de
Bourgogne) et de Marguerite de Flandre, devient duc de Brabant en 140623.

II. Administration centrale : la spécialisation de la Curia

On assiste sous le règne d’Henri Ier à une structuration progressive de l’organisation


administrative du duché. Le développement du pouvoir des villes et l’essor économique
qui l’accompagne profite au pouvoir ducal, qui peu à peu dispose de moyens, notamment
financiers, pour assurer une consolidation du pouvoir et un contrôle du duché à travers
le renforcement de l’organisation administrative, au niveau central mais aussi au niveau
local.

22Waléran IV, duc de Limbourg, qui décède en 1279, n’a qu’une fille.
23 Marguerite de Flandre, sœur de Jeanne, et Louis de Male avaient eu une fille, Marguerite, qui avait épousé
Philippe le Hardi. Le fils aîné de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre, Jean sans Peur, sera duc de
Bourgogne et comte de Flandre. Leur second fils, Antoine, héritera du duché de Brabant.
100
Le duc est assisté dans l’exercice du pouvoir par les membres de son entourage qui
forment la Curia (Curia ducis). Celle-ci se compose de nobles, de représentants des
abbayes ainsi que de ministériaux (ministeriales). Les ministériaux sont des agents de
condition servile, qui conservent ainsi une forte dépendance vis-à-vis du duc. Cette classe
d’agents du duc connaitra un grand développement au sein de la Curia. Bien que d’origine
servile, ils exercent peu à peu des fonctions essentielles au sein de la Curia.

Au niveau « central « , le duc exerce le pouvoir et administre le duché avec l’aide de


« grands officiers » qui, comme dans les autres espaces étudiés, se distingue dans un
premier temps par la nature domestique de leurs fonctions, puis par leur spécialisation
progressive :

- le sénéchal : le sénéchal est responsable de l’ensemble de l’administration


ducale. Il se spécialise progressivement. Il se voit ainsi retirer au XIIe – XIIIe
siècle la charge des finances du duc, qui seront confiées à un nouvel agent, le
receveur (infra) ;

- le maréchal : le maréchal occupe d’abord une charge domestique, celle de


l’entretien des chevaux de l’armée ducale. Le caractère domestique est
progressivement abandonné et la fonction de maréchal devient une fonction
militaire, visant le commandement de la cavalerie du duc ;

- le receveur (XIIe-XIIIe s.) : le receveur assure la réception des recettes du


duché (revenus du domaine, rentrées fiscales, …) et il assure les décaissements
(paiement des dépenses, …). Il assure la charge de comptable au sein de
l’administration ducale.

La spécialisation de la Curia constitue un phénomène que le duché de Brabant partage


avec d’autres principautés et Etats en formation. La Curia se spécialise progressivement
à partir des XIIème- XIIIème siècles. Des organes vont ainsi se séparer de la Curia et se
développer à ses côtés. Le Conseil ducal, issu de la Curia, assistent ainsi le duc dans la
définition de ce qui pourrait être qualifié de « politique générale ». Le conseil ducal se
distingue par une composition élargie à des représentants des trois ordres : membres de
la noblesse et du clergé, mais aussi bourgeois des villes.

III. Généralisation des libertés brabançonnes

L’émancipation des communautés urbaines et rurales accède après le règne d’Henri Ier à
une nouvelle phase de développement. Les libertés qui sont concédées ou reconnues dans
une charte ne concernent plus seulement une entité urbaine ou rurale unique. Les chartes
qui sont concédées le sont aux principales villes formant le duché de Brabant. Elles
consacrent l’idée d’un ensemble territorial brabançon, doté peu à peu d’une identité
territoriale et politique propre.

A. Testament d’Henri II (1247)

En fin de règne, Henri II entend garantir la transmission du duché à son fils dans les
meilleures conditions, celui-ci (futur Henri III) étant mineur. La charte, qui prend le nom
de « Testament d’Henri II », vise à accorder un privilège général, applicable dans

101
l’ensemble des terres qui lui appartiennent en Brabant, sur ce qui pourrait être désigné
comme le « domaine » ducal24.

Ce testament généralise un certain nombre de libertés octroyées auparavant à des entités


particulières: suppression de taille, suppression de la mainmorte, introduction du
jugement par l’échevinage (jugement par les pairs), ….

B. Testament d’Henri III (1260)

Ce mouvement de généralisation des privilèges se poursuit à l’initiative du fils d’Henri II.


Henri III est en mesure d’assurer la généralisation de ces privilèges l’ensemble du
Brabant, et non plus seulement ce qui constitue le « domaine » ducal. Henri III lui-même
octroie cette charte dans le cadre de la fin de son règne, dans une situation où sa
succession pourrait être fragilisée. Il entend s’assurer de la transmission du duché à son
successeur dans les meilleures conditions.

Le testament d’Henri III prévoit notamment que les Brabançons seront traités « par droit
et sentence », c’est-à-dire en application du droit et dans le cadre d’une procédure
judiciaire au terme de laquelle elle prononcée un jugement. Il faut y voir la consécration
d’une garantie contre tout arbitraire. Le testament d’Henri II prévoit également l’abolition
de la taille et aux exactions liées à l’état servile. Les contributions extraordinaires des
Brabançons seront limitées à des circonstances déterminées, notamment le service
militaire défensif, le mariage du fils ou de la fille du duc, où encore dans le cas où le duc
entend faire armer son fils chevalier.

C. Charte de Cortenberg (1312)

Au cours des dernières années de son règne, alors que son fils est encore mineur, Jean II
décide également d’assurer la paix au sein du duché dans la perspective de sa succession.
A cette fin, il rassemble la noblesse brabançonne et les villes du duché. La Charte de
Cortenberg présente, au contraire des actes précédents, un caractère véritablement
contractuel, contenant des obligations réciproques à charge des deux parties (contrat
synallagmatique). La charte de Cortenberg reprend pourtant, comme c’est le cas des
chartes successives, des libertés antérieurement acquises, fut-ce pour en confirmer
l’octroi à l’occasion de la succession. La charte précise ou amende également certaines
dispositions antérieures. Ainsi de son article 1er : « Ni le duc, ni ses hoirs, ni ses
successeurs ne mettront plus d’impôts, n’exigeront plus de subsides, si ce n’est dans les
trois cas de chevalerie, de mariage ou de rançon ; et que, dans ces cas même, le subside
sera si sagement réparti que personne n’en sera ni blessé ni surchargé ». Ainsi de son
article 2 : « On mettra tout le pays à loi et à sentence et tous les sujets, riches et pauvres,
seront traités par loi et sentence, d’après les chartes existant déjà ou encore à
publier (…) ». Ou encore de son article 3 : « Le duc, ses hoirs ou ses successeurs
maintiendront toutes leurs franches villes dans les libertés et droits dont elles ont joui
d’ancienneté. Toutes les causes des bonnes gens des villes seront traitées d’après le droit
de chacune d’elle et, en dehors du droit on ne les traitera ni les laissera traiter ». C’est ici,
à l’article 3, le principe de non distraction du juge naturel qui est à nouveau confirmé.

24 Et donc pas tout le Brabant mais bien seulement une partie de celui-ci! Rappel de la distinction entre le
titre possédé et le pouvoir effectif. RMQ: Il est également le protecteur de certaines abbayes mais il ne les
possède pas pour autant
102
Déjà formulé antérieurement, en faveur de certaines localités, le principe est consacré
pour l’ensemble du duché. Certains articles s’avèrent beaucoup plus originaux. Les
articles 4 à 6 organise l’institution d’un « Conseil de Cortenberg ». En son article 4, la
Charte de Cortenberg prévoit donc que « De commun accord avec le pays, le duc choisira
quatre chevaliers les plus capables et les plus sages, à l’avantage du pays, trois bonnes
gens de Louvain, trois de Bruxelles, un bourgeois d’Anvers, un de Bois-le-Duc, un de
Tirlemont, un de Léau. Ces personnes se réuniront toutes les trois semaines à Cortenberg.
Elles auront pouvoir, de par le duc, de rechercher et d’apprendre si abus quelconque
existe dans les pays, soit sur l’un des points réglés par la charte, soit sur d’autres points.
Elles auront plein pouvoir de réviser toutes ces choses, de les perfectionner, d’introduire
d’autres améliorations, et de tout organiser de leur mieux, à l’avantage du duc et du pays.
Ce qu’elle feront et organiseront ainsi restera ferme et stable, sans que ni le duc, ni ses
successeurs y contreviennent en aucune manière. Les articles 4 à 6 de la Charte de
Cortenberg assurent ainsi la formation d’un organe de contrôle de l’administration du
duché dans lequel la noblesse et les villes sont représentées. L’article 7 assure la sanction
du non respect par le duc ou ses successeurs des ordonnances du conseil de Cortenberg :
« Si le duc ou ses successeurs (…) contrevient aux ordonnances du conseil, il consent à ce
qu’on ne rende plus de sentence, à ce qu’on ne lui doive aucun service, jusqu’au moment
où il aura amendé le grief et rétabli les choses dans leur état légitime ». Le duc de Brabant
consacre par cette disposition ce qui est généralement désigné sous l’appellation de
« clause de refus de service », laquelle constitue la sanction du non-respect de ses
obligations par le seigneur dans le contrat de vasselage. Le « refus de service » est ainsi
étendu aux relations entre le duc de Brabant et les villes brabançonnes. La charte de
Cortenberg est considérée comme un texte d’ordre constitutionnel : non seulement par les
libertés qu’il consacre, mais surtout par l’intégration de la clause de refus de service et
par l’institution d’un organe de contrôle de l’administration du duché dans lequel
participent les villes.

D. Joyeuse Entrée de Brabant (1356)25

Le contexte qui entoure l’octroi de la « Joyeuse Entrée » a été brièvement abordé supra.
En vue d’assurer l’unité de Brabant après son décès, Jean III organise la transmission du
duché de Brabant dans les mains de Jeanne et Wenceslas. Pour obtenir le soutien des villes
à son entreprise, lesquelles devront garantir qu’elles resteront unies et n’encourageront
pas la division. Les villes du Brabant s’y engagent par l’Acte d’union des villes de Brabant
et de Limbourg (1354).

En retour, les villes du Brabant attendent que soient confirmées les libertés, les privilèges
et les coutumes qui leur ont été octroyées précédemment. Le respect des libertés
antérieurement acquise et la reconnaissance des privilèges par un nouveau « souverain »
ne va pas de soi. En l’absence de toute « continuité de l’Etat », le prince qui accorde une
charte n’oblige qui lui-même et non ses successeurs, et ce malgré que l’octroi de libertés
et le maintien de privilèges fût parfois qualifié de « perpétuel ». Cette nécessité de
confirmation apparaît d’autant plus nécessaire dans les circonstances présentes : le
duché de Brabant, par le mariage de Jeanne avec un représentant de la Maison de
Luxembourg, passe en des mains étrangères au duché. Wenceslas n’est pas familier des
traditions brabançonnes, et il paraît opportun de voir confirmé ce qui a été obtenu des

25 Le texte de la Joyeuse Entrée de Brabant fera l’objet d’une séance de Travaux pratiques au cours de l’année

2014-2015.
103
ducs. La relation de parenté qui unit le nouveau duc avec l’empereur germanique, Charles
IV, apparaît comme une autre raison d’assurer que le Brabant puisse jouir de ses
privilèges dans l’avenir, de le garantir contre une immixtion étrangère, qui ne respecterait
pas ses particularités.

Il s’agira donc de prévoir un texte - la Joyeuse Entrée de Brabant - dans lequel seront
confirmées les libertés, privilèges et coutumes décrits dans les chartes précédentes, mais
aussi plus largement d’assurer une énumération précise de ce qui forme les « libertés
publiques » des Brabançons. Il s’agira aussi, concrètement, de garantir aux brabançons
que leurs institutions conserveront bien leur caractère en prévoyant que seuls des
Brabançons seront admissibles dans les offices publics, comme agents du duc ou dans son
conseil.

La Joyeuse Entrée, approuvée par Jeanne et Venceslas, octroie donc des garanties
fondamentales aux brabançons. D’aucuns qualifient ces garanties de
« constitutionnelles ». Il est vrai qu’un certain nombre de ces dispositions consacrent des
garanties qui s’apparentent à ce que connaissent aujourd’hui les textes constitutionnels,
et notamment la Constitution belge : dispositions relatives à l’indivisibilité et à
l’inaliénabilité du territoire, libertés fondamentales, dispositif de contrôle de l’exercice du
pouvoir, etc.

Jean III étant décédé, Louis de Male prétend ne pas avoir obtenu la compensation promise
et entreprend une campagne militaire contre Jeanne et Wenceslas (1356). L’intervention
de Louis de Male, beau-frère de Jeanne, bouleverse la situation. Au cours du conflit, les
villes du Brabant se soumettre dans un premier temps au comte de Flandre. Dès la fin de
l’année 1356, une fois Louis de Male vaincu, Jeanne et Wenceslas suspendent l’application
de la Joyeuse Entrée. Les villes du Brabant se voient reprocher leur attitude au cours du
conflit, leur complaisance à l’endroit du comte de Flandre. Ce texte fondamental ne
renaîtra qu’à l’occasion d’une nouvelle période de fragilisation du pouvoir ducal, lors de
l’avènement d’Antoine de Bourgogne, en 1406. Cette nouvelle Joyeuse Entrée sera très
proche de la précédente.

104
Chapitre X. La formation de l’Etat moderne centralisé
(espace français, XIVe-XVIe siècles)

105
I. Cadre général

Les XIVe et XVe siècles sont marqués par plusieurs crises. C’est pourtant au cours de cette
même période que la monarchie parvient à s’affirmer de façon décisive et à consolider son
autorité.

A. Crise de subsistance, peste, guerres

Ce temps des crises se présente au lendemain du règne de Philippe IV le Bel (†1314). La


fin de son règne marque une forme d’apogée : le royaume de France a affirmé sa
puissance, notamment face à la papauté, mais également face aux grands féodaux. Ces
crises sont de différents ordres :

- à partir de 1314/15, l’agriculture, qui fournit l’essentiel des moyens de


subsistance, ne permet plus de nourrir une population qui a connu un essor
démographique extrêmement important (la France de l’époque est le pays le
plus peuplé d’Europe : près de 13 millions d’habitants). Cette cris de
l’agriculture est l’origine d’une crise de subsistance : les famines apparaissent.

- à partir de 1348-49 apparaît la peste noire (1348-49) , qui fait des ravages
extraordinaires dans l’Europe du XIVème siècle (1/3 au moins de la population
occidentale aurait été décimée par la peste).

- à partir de 1338 et jusqu’en 1453, la France est opposée à l’Angleterre dans le


cadre de la Guerre de Cent ans. La France connait la guerre civile au cours du
XVIe siècle, avec le déclenchement des guerres de religion. Ces guerres sont
entraînent un accroissement de l’insécurité, des pillages, un appauvrissement
du tissu économique, des cultures, etc.

Rem. : Si les prétentions dynastiques (en relation avec la succession au


trône de France) sont traditionnellement avancées comme l’élément
déclencheur de la Guerre de Cent ans, il s’impose de mettre en avant
l’enjeu économique du conflit : l’importance de la Guyenne (Bordeaux)
pour les besoins en vin des Anglais, l’importance de la Bretagne et du
Poitou pour le sel, l’importance enfin des relations commerciales entre
Angleterre et Flandres, l’Angleterre envoyant sa laine en Flandres aux
fins d’y être tissées.

- les guerres de religion qui éclatent au XVIe siècle, causées à la suite de la


diffusion de la religion réformée, née à la suite des critiques formulées à
l’encontre de l’Eglise romaine par Luther et un peu plus tard par Calvin.

106
B. Relations avec la papauté

1. Le roi et le pape : naissance du gallicanisme politique

Jusqu’au règne de Philippe le Bel, les rois de France étaient restés prudents face à la
perspective d’une confrontation avec la papauté. A la fin XIIIe siècle, Philippe le Bel entend
affirmer son pouvoir face au pape. Le roi de France entend désormais affirmer son
pouvoir et à dénier au pape toute domination sur le roi. Deux éléments poussent
concrètement à la confrontation :

- Philippe le Bel veut faire la guerre en Flandres et il a donc besoin d’argent. Il


entend imposer une taxe aux églises de France. Toutefois, selon les principes
consacrés, seul le pape peut imposer des prélèvements à l’Eglise, et ce dans
certaines limites (ex. l’organisation d’une croisade).Le pape s’y oppose donc et
menace les évêques qui s’acquitteraient de cet impôt. Le roi ne recule pas. Il
bénéficie de plus du soutien de nombreux évêques, qui prennent de plus en
plus le parti du roi.

- Philippe le Bel cite en justice l’évêque de Pamiers devant une juridiction royale.
Il est accusé d’hérésie, de trahison et de lèse-majesté (l’évêque de Pamiers à
notamment critiqué la canonisation de Louis IX, soutenant que c’était une
erreur). Ecclésiastique, l’évêque de Pamiers devrait bénéficier du privilège du
for. En tant qu’évêque, il devrait être justiciable de la juridiction du pape lui-
même. Philippe le Bel refuse d’admettre l’application du privilège du for.

La volonté du roi de France de s’émanciper de la « tutelle » du pape se traduit par le


développement du « gallicanisme politique ». Le roi entend s’affirmer comme seul
détenteur du pouvoir dans le royaume de France, écartant toute autorité supérieure à la
sienne dans le domaine temporel (ex. : impôt).

2. L’Eglise de France et le pape : naissance du gallicanisme ecclésiastique

Peu à peu au cours du XIVe siècle, les évêques entre en confrontation avec pape et
entendent favoriser l’affirmation de l’Eglise de France émancipée de la papauté. Le
mécontentement des évêques est notamment causé par l’abus des prélèvements fiscaux
qui leur sont imposés par le pape. Ils sont l’occasion de s’affirmer face à la papauté au
cours de la crise que traverse l’Eglise pendant le Grand Schisme d’Occident, qui divise
l’Europe entre 1378 et 1417) et qui voit l’élection de deux papes en même temps, l’un
d’entre eux s’établissant à Avignon, l’autre à Rome.

Rem. : Un pape français est élu en 1305, sous le nom de Clément V. Celui-ci, en
bonnes relatons avec Philippe le Bel, s’installe à Avignon, à proximité du roi
de France. Ses successeurs s’établissent à Avignon jusqu’au pontificat de
Grégoire XI. En 1378, à la mort de Grégoire XI, le Sacré collège se divise. Après
l’élection d’Urbain VI, élu malgré l’opposition des cardinaux français, ceux-ci
élisent Clément VII quelques mois plus tard. Celui-ci s’installe à Avignon.

Face à cette crise, les évêques français se mobilisent et renforcent leur pouvoir par
rapport à la papauté. Plusieurs étapes peuvent être observées :

107
a. La soustraction d’obédience proclamée en 1398 . Les évêques entendent
écarter toute soumission au pape et exercer eux-mêmes, à travers le concile
(assemblée d’évêques), le pouvoir dans l’Eglise. Ils affirment ainsi que :
- le pouvoir dans l’église reviendrait aux évêques et non plus au
pape.

- le pape serait subordonné au concile œcuménique (qui rassemble


l’ensemble des évêques de la chrétienté).

b. La Pragmatique sanction de Bourges (1438), qui consacre la domination du


concile sur le pape, dans laquelle est affirmée :

- l’élection libre (démocratisation du fonctionnement de l’Eglise) des


évêques et des abbés.

Rem.: l’élection sera supprimée à la suite du concordat de Bologne


(1516). L’évêque, pour être désigné, devra répondre aux conditions
canoniques (prescrites par le droit canonique) et sera désigné par
le roi, le pape étant contraint, si le candidat répond aux conditions
canoniques, d’accepter cette désignation.

- la limitation des appels (recours en justice) à Rome.

La soustraction d’obédience puis la Pragmatique sanction de Bourges forment les étapes


d’un détachement de l’Eglise de France par rapport à la papauté. Le mouvement
d’émancipation de l’Eglise de France est désigné sous le nom de gallicanisme
ecclésiastique.

C. Relations avec l’Empire

Le Saint-Empire romain germanique du XIVe siècle n’est plus celui de la dynastie


ottonienne, au celui des Staufen. La fonction impériale a largement été affaiblie au profit
des princes territoriaux (cf. infra). Toutefois, l’idée que l’Empire a une vocation
universelle, vis-à-vis de tous les chrétiens, et qu’il a par conséquent vocation à dominer
les royaumes, subsiste encore.

Les jurisconsultes qui entourent le roi de France vont donc s’évertuer à trouver une
solution pour mettre fin à une théorie qui ne peut être tolérée à un moment où le
souverain entend écarter tout ce qui fait obstacle à l’affirmation et à la consolidation de
son pouvoir. Ils cherchent dans le droit romain des solutions.

Mais le droit romain est surtout envisagé avec méfiance par le roi de France. Il est surtout
un outil de légitimation du pouvoir impérial, et de la domination de celui-ci sur le reste du
monde, dans la filiation qui lie Saint-Empire à l’Empire romain. C’est la raison pour
laquelle les rois de France préfère en général en restreindre l’usage. Ceci contribue aussi
à expliquer la place restreinte qu’occupe le droit romain parmi les sources du droit dans
l’espace français.

108
Le droit romain constituera toutefois l’un des outils de la formation des règles
fondamentales destinées à charpenter l’Etat moderne.

II. Principes statutaires de l’Etat monarchique

A. Règles de dévolution de la couronne

Si le roi de France consolide son pouvoir au cours des XIVe-XVe siècles, les modalités de
la succession au pouvoir finissent par lui échapper. Se forme un ensemble de règles qui
assure la continuité de l’Etat monarchique en dehors de sa personne, et sur lesquelles il
n’aura plus de prises.

1. Principe de masculinité et de collatéralité

Il convient de rappeler que ce problème se pose assez tardivement. Sous les capétiens, le
« miracle » d’une descendance masculine en ligne directe, depuis Hugues Capet jusqu’à
Louis X le Hutin, avait permis de se passer de toute réflexion et de toute élaboration
théorique. La succession de Louis X le Hutin pose pour la première fois la question de la
succession des femmes au trône de France. Louis X, au moment de son décès (†1316), n’a
qu’une fille, Jeanne. Un fils, Jean (Jean Ier le Posthume) naîtra dans les mois qui suivent
son décès, mais mourra quelques jours après sa naissance (†1316).

L’accession des femmes au pouvoir n’est pas complètement exclue à l’époque. On voit
ainsi, en Europe comme en France,

- dans d’autres espaces européens, des femmes monter sur le trône ;

- dans certaines régions, les femmes peuvent hériter de fiefs ;

- les femmes appelées à exercer la régence.

La situation n’est pourtant pas favorable pour Jeanne : non seulement elle est mineure
(pas en capacité de régner), mais la légitimité de sa filiation est mise en doute (elle ne
serait pas la fille légitime de Louis X mais le fruit d’un adultère). Par ailleurs, le mariage
que Jeanne pourrait contracter dans l’avenir pourrait faire passer la Couronne de France
dans des mains ennemies.

Face à Jeanne se trouve un prétendant solide: son oncle Philippe frère cadet de Louis X. Il
est le deuxième fils de Philippe le Bel. Il a également pour lui un avantage non négligeable.
Il est régent du royaume depuis le décès de Louis X. Il profite de la régence pour s’imposer
et imposer son point de vue aux grands du royaume. Philippe est couronné en 1316
(Philippe V le Long).

Ce contexte défavorable contribue à imposer l’exclusion des femmes, pour consacrer le


principe de masculinité et collatéralité. La conjonction de l’adoption du principe de
masculinité et de collatéralité supposait qu’en l’absence d’héritier mâle en ligne directe,
le parent du défunt en ligne collatérale masculine devait être préféré, soit un frère du roi

109
défunt, soit un oncle du roi défunt, etc. Ce sont les qualités que rassemblait, bien
évidemment, le futur Philippe V.

Rem. : Philippe V étant décédé en 1322 sans descendance, son frère cadet, Charles,
troisième fils de Philippe le Bel, lui succède (Charles IV).

2. Exclusion de la parenté par les femmes

Les règles de dévolution de la Couronne sont appelées à être précisées au cours d’une
seconde « crise de succession », à la mort de Charles IV, en 1328. De la descendance
directe de Philippe le Bel, il reste une fille, Isabelle. S’il est acquis, de par le principe de
masculinité, qu’elle ne peut elle-même monter sur le trône, Isabelle a un fils, Edouard, issu
de son mariage avec le roi Edouard II d’Angleterre. La question qui s’impose alors est celle
de l’accession éventuelle au trône du fils d’Isabelle de France. La question est plus que
sensible, puisqu’une réponse par l’affirmative verrait le futur roi d’Angleterre devenir
également roi de France. La question est évidemment extrêmement sensible. Les
jurisconsultes, mobilisés par les opposants au couronnement d’Edouard, vont donc
s’attacher à justifier son exclusion et à ériger cette solution en règle fondamentale.

Isabelle, selon les termes de l’époque, pouvait-elle faire pont et planche. Le droit romain
pouvait venir au secours d’un problème éminemment politique. Son exclusion pouvait se
dégager de l’adage du droit romain selon lequel « nemo plus iuris ad alium transfere potest
quam ipse habet » (Nul ne peut transférer plus de droit qu’il n’en a) ou plus simplement
« Nemo dat quod non habet » (« Nul ne donne plus qu’il n’a »).

Edouard, le prétendant anglais faisait face à la concurrence du fils de Charles de Valois,


frère cadet de Philippe le Bel. Philippe de Valois est reconnu comme le successeur légitime
de Charles IV par les grands du royaume. Philippe de Valois inaugure donc la dynastie des
Valois sous le nom de Philippe VI. Après avoir revendiqué le trône du royaume de France,
Edouard accepte de se soumettre à Philippe VI, puis revendique à nouveau le trône de
France à partir de 1338, marquant le point de départ de la guerre de Cent ans.

La légitimation du règne de Philippe VI nécessite donc de nouveaux efforts. En plus de


l’usage du droit romain, les légistes vont s’évertuer à poursuivre l’entreprise de
justification de l’exclusion des femmes et de la parenté par les femmes par d’autres outils.

Un premier argument consiste mettre en avant la dimension quasi sacerdotale


(sacerdoce) de la fonction royale, liée au sacre, qui consiste à envisager le souverain
comme un « roi-prêtre », assurant la réalisation d’une mission inspirée par Dieu.

Une autre justification est tirée de la lecture d’une source du droit des Francs, la loi
salique (du peuple des Francs saliens), dont la première rédaction remonte à la fin du Ve-
début du VIe siècle. La loi salique, en son article 62, exclut que les femmes héritent de la
terra salica, la terre salique, étant le territoire attribué au peuple franc par les Romains,
dont les Francs recevait le commandement militaire. La référence à la dévolution
successorale affectant la terre salique va être précisée par Richard Lescot en 1358. Il
rédige, à la demande de Charles V (†1380), fils de Jean II le Bon, un commentaire de la loi
salique dans lequel il insiste sur l’importance de l’article 62. Le texte de la loi salique est

110
sacralisé. L’entreprise de justification de l’exclusion des femmes et de la parenté par les
femmes est son comble.

3. Loi de catholicité

Au cours du XVIe siècle apparaît un nouvelle période de fragilité de la monarchie


française, cette fois pour la dynastie des Valois. La succession masculine en ligne directe
d’Henri II est compromise, malgré qu’il ait eu plusieurs fils. Trois d’entre eux montent
successivement sur le trône : François II, Charles IX, Henri III. Mais le dernier d’entre eux,
Henri III, est sans descendance mâle. Celui qui peut prétendre au trône, s’il est fait
application du principe de masculinité et de collatéralité, est Henri de Navarre (futur
Henri IV). Henri III meurt à la suite d’un assassinat et il désigne d’ailleurs Henri de
Navarre pour successeur.

Mais Henri de Navarre appartient au parti huguenot. Il a adopté la religion réformée.


L’éventualité de son accession au trône de France perturbe profondément les élites
catholiques, haute noblesse et Parlement de Paris, qui s’y oppose de manière très nette.
En 1577, pour faire face à ce péril, le Parlement de Paris prononce le principe de l’unité
de culte, selon laquelle le roi, en France, devra être de même religion que son peuple.

Rem. : Dans l’espace allemand prévaut la règle selon laquelle les peuples suivent la
religion de leur prince. L’application de cette règle contribuera à la division du
Saint-Empire au cours du XVIe siècle.

Le problème s’accroit en 1589, au moment de la mort d’Henri III (assassiné). Les


catholiques les plus radicaux entendent imposer leur candidat, une femme, la fille du roi
d’Espagne, qui est aussi la petite-fille du roi Henri II par sa mère. Ils entendent faire primer
le principe de catholicité sur le principe de masculinité. En 1593, face à cette remise en
question d’un principe fondamental, le Parlement de Paris rend un arrêt qui à la fois
confirme le caractère inviolable de « la loi salique et des autres lois fondamentales ». Tant
le principe de masculinité (et son corollaire le principe d’exclusion de la parenté par les
femmes) que le principe de catholicité doivent être respectés. Il est affirmé que la loi
salique découle de la spécificité de la fonction royale (sacerdoce) et que la loi de catholicité
découle de la nature divine du pouvoir. Devant cette double affirmation, Henri de Navarre
choisit, cette même année 1593, d’abjurer sa foi et d’embrasser la religion catholique. Il
devient ainsi le seul prétendant légitime.

B. Le principe de continuité

Au 14ème siècle, en France, c’est le sacre qui faisait le roi. Il y a donc un certain temps qui
s’écoule pendant lequel il y a un vide du pouvoir. Si cet intervalle est court en principe, il
peut être beaucoup plus long dans le cas où le roi est mineur au moment du décès de son
prédécesseur, le sacre n’intervenant qu’à la majorité du roi. Cette période de vacance du
pouvoir peut être peut trouver une solution dans la régence, mais l’exercice de la régence
est également, pour son titulaire, un moment au cours duquel la tentation du pouvoir
peut conduire à des tensions entre régent et le successeur légitime ou son entourage.
Plusieurs idées ou solutions vont être dégagées pour consolider ce moment de
fragilisation que constitue cette période délicate entre deux règnes :

111
- la transposition de l’idée de la bi-corporalité du christ au roi. D’après les
théologiens, le christ est constitué d’un corps physique et un corps mystique,
celui qui sera ressuscité. A l’image du christ, à côté du corps physique du roi
existe un corps « mystique » du roi, abstrait, destiné à survivre au roi défunt.
L’idée du roi comme titulaire d’une fonction devient peu à peu, par cette voie,
une notion abstraite. Ce mouvement vers l’abstraction permet de contribuer à
la continuité du pouvoir, bientôt à la « continuité de l’Etat ».

- au 13ème siècle apparaît l’adage du droit privé selon lequel « le mort saisi le vif ».
Il y a une saisie immédiate des biens de la personne décédée par l’héritier sans
formalité. Cette notion contribue également à permettre de penser la
continuité.

- le roi promulgue des ordonnances :

 afin de s’assurer de réduire l’intervalle de risque, la majorité est


abaissée (fin du XIVe siècle).

 en 1403, la régence est supprimée (du moins momentanément). En cas


de nécessité, les pouvoirs du roi seront dès lors exercé par un conseil .

L’idée se dégage ainsi que « les rois ne meurent jamais » (« le roi est mort, vive le roi ! »).

C. Indisponibilité de la couronne

Si le roi voit son pouvoir se consolider au cours des XIVe-XVe siècle, il apparaît qu’il ne
peut plus non plus disposer comme il l’entend des règles de dévolution et de continuité
qui se sont élaborées peu à peu et qui constitue désormais des lois fondamentales. La
fonction royale apparaît progressivement comme un office public.

Ex. : Charles VI, qui a exclu son fils Charles de sa succession, a donné sa fille au
futur roi d’Angleterre, Henri V. Charles VI en fait son héritier. Henri V meurt en
1422, laissant un fils, Henri. Charles VI meurt la même année. Henri VI est donc
proclamé roi d’Angleterre et roi de France. Dans le même temps, le fils de Charles
VI est proclamé roi de France sous le nom de Charles VII. Les légistes de
l’entourage de Charles VII s’évertueront à consacrer, contre les décisions de
Charles VI, le principe d’indisponibilité de la Couronne, l’inviolabilité des « lois
fondamentales du Royaume », y compris par le roi.

D. Indisponibilité du domaine royal

Les légistes dégagent l’idée que le roi ne peut en principe disposer du domaine royal, il
ne peut pas en disposer selon son bon vouloir, sous réserve de quelques exceptions :

1. la distinction entre domaine fixe et domaine casuel

- domaine fixe : il s’agit de la partie du domaine royal que le roi reçoit par
héritage, dont il ne peut disposer en aucun cas ;
112
- domaine casuel : il s’agit de la partie du domaine royal acquise par le roi au
cours de son règne et dont il peut disposer dans un délai de 10 années après
son acquisition.

2. l’engagement : il s’agit de la technique qui permet au roi de donner une partie du


domaine à un créancier à titre de garantie de paiement, donc de façon en principe
temporaire.

3. l’apanage : il s’agit de la partie du domaine royal qui est transmise à un fils cadet,
par exemple en récompense de ses services.

Ex. : Philippe le Hardi reçoit la Bourgogne en apanage de son père Jean II le


Bon en 1363, à la suite de sa conduite au cours de la bataille de Poitiers
(1356).

Le problème de l’apanage est que son attribution peut faire sortir la terre qui est
attribuée à l’apanagiste pour longtemps du domaine royal. Celle-ci ne revient en
effet au roi que lorsqu’il n’y a plus aucun descendant mâle en ligne direct.

Ex. : La Bourgogne revient ainsi à Louis XI en 1477, à la mort de Charles le


Téméraire, qui ne laisse qu’une fille (Marie de Bourgogne, épouse de
Maximilien de Habsbourg, empereur germanique sous le nom de Maximilien
Ier)26.

VI. Renforcement de l’autorité royale

Les « Lois fondamentales » du royaume dont il vient d’être question contribuent à assurer
la protection de la « chose publique », de l’ « Etat ». Le roi se doit, comme cela vient d’être
souligné, respecter ces Lois fondamentales. Il n’en demeure pas moins que le roi va voir
son autorité renforcée. Apparaît ainsi une véritable religion royale, et l’affirmation de plus
en plus importante de ses prérogatives, et de son autonomie à l’égard des grands féodaux.
La période voit se dessiner la rupture avec l’époque féodale.

A. Monarchie de droit divin et affirmation de l’« imperium » du roi

Dans la mesure où le sacre ne suit pas immédiatement le décès du roi, les légistes se sont
employés à réduire l’importance juridique du sacre. Il s’agissait pour eux de restreindre
cette période de fragilité du pouvoir royal. L’affirmation du principe de la continuité
réduit l’importance du sacre et par conséquent aussi l’importance de l’Eglise (caractère
religieux du sacre) dans l’accession au pouvoir du souverain. L’accession au pouvoir du
roi ne dépend pas de l’intervention de l’Eglise.

Si le sacre perd en importance sur le plan juridique, il gagne par contre en symbolique. La
religiosité qui entoure le sacre renforce le caractère sacral de la fonction royal. La
cérémonie du sacre met en avant l’importance de la relation entre le roi et Dieu, dans cette
idée du « ministère royal » qui demeure.

26 Voy. infra, Partie III.


113
La conception du pouvoir royal évolue vers la monarchie de droit divin. Mais il faut
souligner que la sacralité de la royauté n’a plus de relation avec la papauté, depuis
l’affirmation du gallicanisme politique. Les légistes cheminent dans leur entreprise de
théorisation du pouvoir royal. Ils avancent que le roi est « empereur en son royaume »,
qu’il dispose comme l’empereur de l’imperium. Qu’il n’a donc pas de compte rendre, ni
au pape, ni à l’Empereur germanique (Saint-Empire). Mais disposer de l’imperium, être
« empereur en son royaume » a également des implications sur le plan intérieur. Cela
implique pour le roi une domination sur les grands féodaux et la capacité de s’imposer à
l’ensemble de la population, dans une relation directe. La pyramide féodo-vassalique, si
elle a permis au roi de se réaffirmer dans le cadre de la société féodale, forme néanmoins
une structure complexe qui constitue un obstacle au contrôle royal sur l’ensemble de la
population, et notamment dans l’application des lois qu’il promulgue. Il s’agit pour le roi
de s’imposer au-delà de ses vassaux, et de contrôler la population elle-même. L’ensemble
des individus formant la population du royaume de France sont appelés à devenir les
sujets du roi, dans une relation d’immédiateté.

B. Les « droits du roi »

Le roi voit ses droits étendus. Ces droits vont, dans un premier temps faire l’objet d’une
« liste » et seront donc limités.

Ainsi, sont reconnus au roi :

- le monopole de battre monnaie ;


- la maitrise de l’administration (principalement: nomination et révocation des
agents) ;
- les anoblissements ;
- le droit de grâce ;
- la légitimation des bâtards.

Par ailleurs, le pouvoir normatif du roi se développe, mais il est lui aussi limité, dans la
mesure où la coutume conserve une place prépondérante27.

Le roi s’emploie à étendre cette liste, en prétendant être le gardien du royaume, en charge
du bien public et de la paix publique. Il parvient ainsi à monopoliser à son profit le droit
de faire la guerre. De même qu’il s’évertue à imposer le monopole de la justice royale. Il
estime de même pouvoir lever des impôts et ce sur l’ensemble des sujets du royaume, en
vue de servir les objectifs qui ressortissent de sa charge.

S’agissant du développement de son pouvoir normatif, le roi s’impose donc à la


population, à ses sujets, sans qu’il lui faille, comme Louis VII en 1155 (paix générale, voy.
supra) obtenir l’approbation des grands vassaux. Il peut faire, modifier, interpréter les
lois, mais avec des limites importantes toutefois :

27 Voy. Partie II
114
- celle qu’impose la coutume, source du droit privé. Le champ de normatif du
roi se limite donc au droit public au sens large (administration, impôts,
justice, police, religion) ;

- celle de l’intérêt commun ou de l’ « utilité commune » qui découle de la


promesse du sacre. Lors du sacre, le roi promet de prendre en charge le bien
du royaume et il ne peut légiférer que dans cette limite-là.

C. Des droits illimités : l’apport de Jean Bodin

Au 16ème siècle, Jean Bodin soutient l’idée que les droits du roi ne peuvent avoir de limite,
et ce dans l’intérêt du royaume. Le roi doit concentrer tous les pouvoirs. L’idée
d’ « imperium » ne doit pas constituer le fondement des pouvoirs du roi. Ceux-ci se
justifient dans une perspective pragmatique. Le corps politique a besoin d’un pouvoir
suprême qui le guide. Ce pouvoir royal étendu est nécessaire pour assurer l’unité du
gouvernement et de la « chose publique » (res publica). Jean Bodin élabore une
théorisation du pouvoir royal qui fonde la monarchie absolue.

Cette théorisation du pouvoir royal est élaborée dans un ouvrage publié en 1576 (Les Six
Livres de la République). Il est écrit au cours d’une période marquée par les conflits
religieux qui déchirent l’Europe, et la France au premier chef.

Rem. : le massacre de la Saint-Barthélémy (massacre des protestants) a eu lieu en


1572.

La pensée selon laquelle le pouvoir doit s’imposer par l’autorité, condition de l’unité de
la « chose publique », de l’Etat, doit se comprendre dans ce contexte.

VII. Résistances et dialogue dans l’Etat monarchique : les Etats-généraux

Le renforcement du pouvoir royal n’exclut pas – au contraire – qu’il y ait des mouvements
d’opposition ou de participation au pouvoir.

A. Sentiment d’appartenance « nationale »

A partir du XIVe siècle, un lien croissant unit le roi et ses sujets. Une certaine solidarité et
une forme de sentiment d’appartenance « nationale », émerge. Toutes les composantes
sociales du royaume de France sont appelées à fonctionner ensemble. L’idée de la
contribution au gouvernement du royaume par l’aide et le conseil se développe et s’étend
au-delà du système féodo-vassalique, de la seule relation entre seigneur et vassal.

B. Persistance de la division tripartite

La division tripartite (oratores/bellatores/laboratores) subsiste, et elle va se refléter dans


l’organisation des assemblées représentatives. Mais la division tripartite qui avait été
défendue au début de l’époque féodale a subi l’évolution socio-économique. La qualité de
« laboratores », par exemple, ne signifie plus nécessairement que celui qui appartient à ce
groupe est dépendant économiquement. Les laboratores ne sont plus nécessairement des
paysans qui cultivent la terre, mais des habitants des villes. On peut par ailleurs

115
appartenir à la catégorie des laboratores et être possédant.. A l’inverse, un membre du
groupe des bellatores peut être dans une situation de précarité financière qui le place dans
une situation d’infériorité par rapport à certains laboratores. Ceci dit, une distinction forte
subsiste sur le plan juridique.

Ex. : la dérogeance, entraînant pour le noble qui « déroge » à son état, la perte de la
qualité de noble.

Les trois groupes sont désormais connus sous les dénominations suivantes : Clergé,
Noblesse, Tiers-Etat. Les trois groupes sont très inégaux en effectifs : le clergé ne constitue
pas plus de 0,5% de la population. La noblesse pas plus 1,5 %. Le reste de la population
forme le Tiers-Etat.

C. Institutionnalisation d’un dialogue entre le roi et les trois ordres

1. Origine et développement

Dans l’esprit d’un héritage féodal, à l’image du vassal vis-à-vis de son seigneur, les Etats-
généraux sont censés apporter au roi aide et conseil. Leur origine remonte au début du
14e siècle. L’acte de naissance de l’institution remonte à 1302, lorsque Philippe le Bel
organise une consultation tripartite sur les problèmes qu’il connait avec le pape Boniface
VIII. Ils réunit dans une même assemblée les trois ordres en vue d’obtenir leur soutien :
Clergé, Noblesse et Villes. En 1308 Philipe le Bel réunit une nouvelle fois le clergé, la
noblesse et les villes dans un autre contexte. Il a besoin de leur soutien pour mettre fin à
la puissance de l’Ordre du Temple (les Templiers).

Rem. : Les Templiers sont des « moines-soldats » dont la mission première est
d’accompagner les pèlerins vers les lieux saints. L’Ordre des Templiers est devenu un
ordre religieux riche et puissant. La suppression de l’Ordre des Templiers et la saisie de
ses biens permettra d’enrichir la Couronne.

Le projet de suppression de l’Ordre du Temple forme un enjeu à ce point important que


le roi éprouve la nécessité de rassembler, en plus des villes, les bourgs et villages.

Le roi convoque une assemblée de même composition dans un contexte où le roi a besoin
d’argent pour faire la guerre en Flandre. Il requiert l’aide financière des trois ordres. A
partir de 1338 la guerre de Cent Ans, puis les guerres de religion vont entrainer plusieurs
convocations de ce qui se nommera les « Etats-généraux ». Leur convocation a
manifestement toujours lieu en période de crise.

2. Fonctionnement

Les Etats-Généraux sont rassemblés sur convocation du roi, ce qui limite leur capacité à
faire valoir leur point de vue, donc l’importance de leur participation politique

L’apparition du mandat permet à l’institution de se développer. La logique féodale de


l’aide et du conseil suppose qu’il soit répondu à la convocation du roi en assistant en
personne à l’assemblée. Une difficulté se pose toutefois, dans le cas des villes, bourgs et
villages, dans la mesure où l’approche vassalique n’est pas aussi évidente. De plus, les

116
vassaux rechignent à se rendre eux-mêmes à l’invitation du roi , qui nécessite un voyage
et un séjour coûteux et parfois pénible. Aussi, l’idée du mandat va-t-elle se développer.
Par ailleurs, le système du mandat offrirait un autre avantage. La personne pourrait être
mandatée par plusieurs individus, ce qui permettrait de restreindre les effectifs
participant à l’assemblée et de rendre ses travaux plus efficaces.

A partir de 1484, la convocation individuelle fait place au système de l’élection. Le


tournant a lieu sous Anne de Beaujeu (Régente pendant la minorité de Charles VIII, entre
1483 et 1491). Elle convoque les Etats-Généraux. Chaque baillage (circonscription
administrative) va procéder à l’élection de représentants de chacun des trois ordres.

La relation entre la population et ses mandataires :

- La population qui élit les représentants rédige des cahiers de doléances


(souhaits ; plaintes). Ces cahiers, rédigés au niveau du baillage, sont
rassemblés ensuite par ordre lors de la réunion des Etats-Généraux.
Chaque ordre dispose donc d’un cahier synthétisant l’ensemble des
cahiers de son ordre issus des baillages.

- La population limite la portée du mandat : il s’agit de ne pas laisser


toute liberté aux élus. Les électeurs craignent que les mandataires
soient soumis au roi. Ils donnent donc à ces élus un mandat impératif,
c’est-à-dire un mandat dont l’objet est limité quant à son objet et quant
à sa durée (accepter ceci, à telle condition, etc). Le mandat impératif,
bien entendu, incommode le roi, parce qu’elle rend les travaux de
l’assemblées plus compliqués, et ne lui permet pas de négocier
directement avec les représentants. Quant aux élus, ils peuvent se
replier derrière la limitation de leur mandat pour éviter de céder à la
volonté du roi. Ils sont forcés de revenir dans leur baillage pour
débattre avec la population en vue d’obtenir un nouveau mandat.

3. Rôle : aide et conseil

Dans son rôle de consultation, les Etats-Généraux donne leur avis, approuve la politique
menée par le souverain (ex. : par rapport au pape Boniface VIII, par rapport à la
suppression de l’Ordre du Temple). Mais leur rôle devient surtout essentiel par la suite
par l’aide qu’ils apportent au roi. C’est essentiellement l’aide financière à laquelle il doit
être fait référence : plus l’Etat se développe et se complexifie, plus son fonctionnement
requiert des moyens financiers. Les Etats- Généraux sont appelés à approuver l’impôt. Ils
vont se saisir de ce rôle pour gagner du pouvoir. Ils y parviendront jusqu’au XVe siècle. A
partir du XVe siècle (1439/40), le roi est en mesure de se passer des Etats-Généraux pour
ordonner un nouvel impôt. Le roi parvient à affirmer son pouvoir en matière fiscale. Il va
d’ailleurs d’une manière générale se passer des Etats-Généraux, qui se réuniront de moins
en moins.

117
4. La résistance

L’affirmation du pouvoir royal finit par marginaliser les Etats-Génraux. Ils se réuniront
pour la dernière fois en 1614, avant d’être à nouveau, avant leur disparition, en 1789.Il
convient d’évoquer au moins un épisode qui illustre leur volonté de résistance au pouvoir
royal:

Au XIVe siècle, sous Jean II le Bon (†1364), en pleine guerre de Cent Ans, les Etats-
Généraux s’affirment avant de plonger dans l’inertie. Jean II étant prisonnier en
Angleterre, les Etats-Généraux, par l’entremise de l’un des principaux
représentants du Tiers-Etat, Etienne Marcel (prévôt des marchands de Paris),
tentent d’imposer la limitation des pouvoirs royaux. Etienne Marcel entend que
soient intégrés dans le Conseil du roi des représentants des Etats-Généraux. La
tentative de contrôle du pouvoir royal se solde par échec. Etienne Marcel meurt
assassiné (1358).

La réunion des Etats généraux en 1789 (convoqués en 1788) constituera bien entendu un
moment de résistance tout à fait majeur, puisqu’il conduit à la Révolution. Les Etats-
Généraux sont convoqués en 1788, la situation du royaume étant désastreuse. Les Etats-
Généraux se réunissent au mois de mai 1789. Le problème qui se pose dès l’ouverture des
Etats-Généraux, est celui des modalités des votes. Le vote sera-t-il comptabilisé par tête
ou par ordre ? L’enjeu est de taille. Si les votent sont comptabilisés par tête, le Tiers-Etat
serait en position dominante. S’ils sont comptabilisés par ordre, comme c’était l’usage au
cours des précédentes réunions, le clergé et la noblesse, rassemblés, peuvent l’emporter.
C’est cet enjeu et cette revendication du Tiers-Etat qui est exposé dans la brochure de
l’abbé Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? (cf. slide vu au cours).Dès la mi-juin 1789, le
Tiers-Etat se proclame Assemblée nationale, comme représentant l’ensemble de la
population du royaume. Elle sera dite « constituante » à la suite du Serment du jeu de
paume (par lequel l’Assemblée fait le serment de ne se séparer qu’après avoir rédigé une
Constitution). Une Constitution est rédigée dans la foulée, ainsi que la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen. La Constitution forme l’aboutissement de la résistance
au pouvoir royal, dans la mesure où elle organise la soumission du roi à la Constitution,
élaborée elle-même par les représentants de la Nation. La monarchie de droit divin fait
place à la monarchie constitutionnelle.

VIII. Le développement institutionnel

La spécialisation de l’appareil administratif se poursuit au cours des XIV-XVIe siècles.

A. Administration centrale

1. Personnes : le chancelier et les secrétaires d’Etat

a. le chancelier, dont la fonction existe depuis longtemps, exerce les plus


hautes fonctions administratives du royaume. Son rôle dans l’appareil
administratif est tout à fait primordial :

118
- il est celui qui a la maîtrise l’écrit au sein du Palais, qui rédige les
actes royaux (ordonnances, édits,…) ;

- il est celui qui assure l’authentification des actes royaux. Il les vérifie,
les examine quant au fond et quant à la forme. Il garantit la bonne
rédaction des actes et des lois en général ;

- il exerce la justice au plus haut niveau. Il représente le roi dans


l’exercice de la justice retenue ;

- il représente le roi aux Etats-Généraux, prend la parole en son nom ;

- il préside le Conseil du roi en l’absence de celui-ci.

b. les secrétaires d’Etat, dont la fonction est créée en 1547, sous Henri II :

- ils sont affectés à l’exercice de l’administration dans un espace


particulier (zones géographique) . Ils y exercent des fonctions
similaires à celles du chancelier, telles que la rédaction et
l’authentification des actes royaux, mais à un niveau moindre que les
chanceliers ;

- ils sont compétents dans tous les domaines sauf le domaine de la


justice et celui des finances.

2. organes : le conseil et son évolution

Le Conseil (Curia in consilio), dont la composition est soumise au bon vouloir du roi,
connait une nouvelle phase de spécialisation. Ses membres apportent au roi aide et
conseil, dans la tradition féodo-vassalique dont il est issu.

Il se divise, suivant une distinction entre la fonction de conseil (politique) et la fonction


juridictionnelle, c’est-à-dire l’exercice de la justice retenue du roi. Il y a un afflux d’affaires
et la création, en 1497, sous Charles VIII, d’une institution spécialisée : le Grand conseil.
Le Grand conseil est donc l’organe judiciaire qui entoure le roi et exerce la justice retenue.
Peu à peu, le Grand conseil s’autonomise et dispose de son propre personnel, spécialisé.
Il est compétent pour toutes les contestations soustraites aux juridictions déléguées dans
l’exercice de la justice retenue. Toutefois, l’exercice par un organe autonome de la justice
retenue ne satisfait pas aux besoins des particuliers, qui souhaitent voir leur affaire jugée
par le roi lui-même. Ainsi, à côté du Grand conseil est créée, dès le XVIe siècle, une nouvelle
juridiction où la justice est rendue – prétendument – par le roi : le Conseil des Parties (ou
Conseil privé). La justice n’y sera toutefois pas rendue par le roi, mais par son plus haut
représentant à la tête de l’Etat, le chancelier. Le Conseil des Parties va assurer :

- l’exercice éventuel de l’évocation de certaines affaires ;


- la cassation des décisions de justice ;
- le règlement de juge (c.à.d. le fait de mettre fin à un conflit de compétence
entre différentes juridictions).

119
B. Administration locale

L’administration locale est marquée par la multiplication et la spécialisation des


différents agents, ainsi que par le déclin de la fonction d’un agent : le bailli, qui perd peu
à peu de son importance.

1. Le déclin de la fonction de bailli

L’espace que forme le royaume de France est divisé en un nombre de plus en plus
important de bailliage. Les baillis ont de moins en moins de pouvoir, leur circonscription
étant réduite par l’effet de cette multiplication, d’autre part ils ont perdu une part
importante de leurs compétences :

- la justice est exercée par le lieutenant du bailli


- le bailli perd ses compétences financières et militaires.

Le bailli assure principalement des fonctions générales de police et de publication des


ordonnances royales ainsi que des arrêts des juridictions. Selon le mode de
communication de l’époque, avant la diffusion généralisée des imprimés, publication
signifie communication orale (proclamation). Le bailli est la courroie de transmission
entre le pouvoir central et les localités.

2. Apparition de la fonction de gouverneur de province

Une nouvelle fonction apparaît, celle de gouverneur de province. Celui-ci est d’abord
chargé de la surveillance des baillis dans son ressort et s’assure qu’au sein des différents
baillages la politique du roi ainsi que la justice du roi soit bien appliquée. Il illustre le
processus de centralisation qui est l’œuvre au cours de cette période.

C. La justice royale

1. Juridictions royales déléguées

- Apparition d’une nouvelle juridiction : le présidial. Le présidial est une


juridiction intermédiaire entre le tribunal du baillage et le Parlement. Cette
nouvelle juridiction est créée en 1552 pour décharger les Parlements, qui
connaissent un afflux d’affaires trop important.

- Les parlements. : cette période voit la création de nouveaux parlements, en plus


du Parlement de Paris. Ces institutions nouvelles sont issues des « Grands
Jours ». Organisés au cours de la première moitié du XVIe siècle, , il s’agit de
sessions au cours desquelles des représentants du Parlement de Paris se
déplacent en province pour rendre la justice telle qu’elle est rendue par le
Parlement de Paris. Peu à peu, à partir de la première moitié du 15e siècle, dans
le souci d’assurer le maintien des particularismes régionaux, de nouveaux
parlements sont installés. Ils forment la juridiction supérieure au sein d’une
province, et connaissent des appels des juridictions royales inférieures.

120
Ex.: le Parlement de Toulouse, créé en 1420 ; le Parlement de Grenoble
(Dauphiné), créé en 1453 ; le Parlement de Bordeaux, créé en 1463 ;
le Parlement de Dijon (Bourgogne), créé en 1493 ; le Parement de
Rouen (Normandie), créé en 1515 ; etc.

La formation de ces parlements de province contrebalance la tendance à la


centralisation qui se généralise au cours de cette période. Les Parlements
provinciaux ont, dans leur ressort, les mêmes compétences et la même
souveraineté que le Parlement de Paris (dont le ressort couvre toutefois un
tiers du royaume de France, ce qui expliquera l’importance qu’auront ces
décisions et son rôle comme élément d’unification du droit coutumier, voy.
infra).

En province comme à Paris, les parlements vont s’engager dans la voie de la


participation politique. Ils vont satisfaire à leur obligation de conseil via des
arrêts de règlements et des remontrances au roi.

Sur le plan juridictionnel, le Parlement (puis les Parlements) est compétent en


première instance pour connaitre de certaines causes importantes : touchant
le roi et le domaine, relatifs aux grands vassaux, cas de commitimus, c’est-à-
dire les affaires de ceux qui ont obtenu le privilège de porter directement leur
affaire devant lui, en dehors de la hiérarchie ordinaire. Le Parlement (puis les
Parlements) connait surtout de l’appel des jugements rendus par les
juridictions seigneuriales, les tribunaux de baillages ou de sénéchaussée
(ressort de justice du sénéchal, dans le Sud de la France).

Rem. : le caractère souverain des sentences rendues par le Parlement (les


Parlements) n’empêche pas qu’elles puissent faire l’objet d’une évocation par
le roi. Par ailleurs, ces décisions peuvent également faire l’objet d’une requête
en proposition d’erreur (un recours en cassation).

2. La lutte contre les juridictions concurrentes

Les juridictions seigneuriales sont peu à peu contrôlées, canalisées (par l’effet des
mécanismes de prévention, de la procédure d’appel, des cas royaux) et finissent par
disparaitre.

Il reste donc au roi à contrôler les juridictions ecclésiastiques. Ceci s’impose


naturellement au roi car il a déjà imposé sa domination sur son Eglise (gallicanisme
ecclésiastique). Il y a donc une Eglise en voie d’être contrôlée par le souverain. La justice
de l’Eglise suit logiquement le même chemin. Le roi :

- s’attaque à la compétence ratione personae et plus concrètement à la qualité de


clerc qui pourraient prétendre au bénéfice de clergie (privilège du for). Le roi
va donc contrôler davantage la qualité de clerc. Le clerc va être contraint de
faire la preuve de son état. L’apparence ne suffit plus. Il faudra que le genre de
vie du clerc soit en accord avec son état. Enfin, même si un individu a
l’apparence du clerc et si ses mœurs sont en accord avec l’état auquel il prétend,

121
il restera soumis à la justice du roi par application de la théorie des « cas
privilégiés, selon laquelle la justice du roi peut se saisir des cas qui
manifestement portent atteinte à l’ordre public (c’est-à-dire, compris de façon
extensive : toutes les violations de la loi et de la volonté royale) ;

- restreint la compétence ratione materiae : certains domaines vont peu à peu


échapper aux juridictions ecclésiastiques : matières pénales (sacrilèges,
hérésie, sorcellerie- ; matières civiles (contrats, le contrat étant souvent passés
sous le sceau du bailli en vue de leur authentification ; matières liées au
mariage, le mariage étant un sacrement mais aussi un contrat).

3. L’exercice de la justice retenue

Le principe de la justice retenue est confirmé et réaffirmé avec force. L’exercice de la


justice se décline alors sous plusieurs expressions :

- la lettre de cachet, permettant au roi de donner tout ordre qui lui paraît bon,
par exemple de faire enfermer qui bon lui semble en-dehors de toute
procédure judicaire.

Ex : On retient traditionnellement la lettre de cachet contenant ordre


d’enfermer tel individu à la Bastille. Il s’agit de l’expression par
excellence de l’arbitraire royal sous l’Ancien Régime, tel qu’on se le
représente généralement.

- la lettre de rémission, qui permet au souverain de faire échapper un individu


à des poursuites, sous certaines conditions ;

- la lettre de grâce (grâce royale) ;

- l’évocation.

- la procédure en cassation (proposition d’erreur).

122
Chapitre XI. L’espace allemand (XIVe-XVIe siècles)

123
Rodolphe de Habsbourg meurt en 1291, sans avoir pu régler sa succession et imposer son
fils, Albert de Habsbourg. Le choix des électeurs se porte sur Adolphe de Nassau. Celui-ci
est déposé quelques années plus tard, lors de la Diète qui se tient à Mayence en 1298. Le
choix des électeurs se porte cette fois sur Albert de Habsbourg. A sa mort, en 1308, les
princes élisent à nouveau un candidat dont il pense qu’il est suffisamment docile pour que
leur liberté soit préservée : Henri de Luxembourg, soit Henri VII. Le premier depuis
Frédéric II, Henri de Luxembourg entreprend le voyage d’Italie. Il est couronné empereur
par le Pape Clément V. A sa mort, en 1313, les princes se divisent sur le candidat à retenir.
Leur division entraîne une recrudescence des guerres privées. Les Luxembourg retrouve
le trône impérial un peu plus tard, en la personne de Charles de Luxembourg qui est élu
roi des Romains en 1346, et qui coiffe la couronne impériale à Rome en 1354. Charles IV
s’impose comme un souverain important. Par la Bulle d’Or, édictée en 1356, il entreprend
de mettre de l’ordre dans l’organisation des institutions, la fonction impériale au premier
chef. Charles IV meurt en 1378. La Maison de Luxembourg se maintient se le trône de
Germanie jusqu’en 1437. En 1437, l’Empereur Sigismond meurt sans descendance. L’une
de ses filles, Elisabeth de Luxembourg, a épousé Albert de Habsbourg. Celui-ci est élu roi
des Romains en 1438. Le titre royal et impérial se retrouve à nouveau au sein de la Maison
de Habsbourg, Après une période de grande fragilité, au cours de laquelle l’Empereur doit
faire face à plusieurs menaces importantes - menace turque, conflit avec le roi de Hongrie,
conflit avec le roi de France - l’Empire entre dans une nouvelle période de stabilisation
sous le règne de Maximilien Ier, à la fin du XVe siècle. Il parvient à consolider la position
des Habsbourgs à la tête de l’Empire. Son règne est notamment marqué par une
importante réforme des institutions, introduite à la suite de la Diète de Worms (1495)..
Son successeur, Charles Quint, recueille un héritage très important. A la fois duc
d’Autriche, roi des Espagnes et des terres d’Amériques, duc de Bourgogne, roi de Naples,
roi de Sicile, il est également élu roi des Romains. Il fait face aux Turcs, conduits par
Soliman le Magnifique, qui menacent les frontières du Saint-Empire. Il doit également
affronter le roi de France – François Ier – dans la péninsule italienne. Il entre enfin en
confrontation, après la publication des thèses de Luther, avec les protestants, dans une
volonté d’unité religieuse. Charles Quint finit par céder progressivement le pouvoir, en
partageant les possessions habsbourgeoises entre son fils Philippe et son frère Ferdinand.
A Philippe – futur Philippe II - reviendront les Espagnes et les Amériques, les Pays-Bas et
le royaume de Naples. A Ferdinand reviendront les possessions héréditaires
habsbourgeoises dans le Saint-Empire et la couronne impériale. Charles Quint fait élire
son frère roi des Romains en 1531. Successeur désigné de Charles Quint, Ferdinand
négocie en 1555 la Paix d’Augsbourg, par laquelle est consacré le droit pour chaque prince
de faire le choix de l’une ou de l’autre des deux religions dans son territoire, suivant
l’application du principe « cuius regio, eius religio ». Charles Quint, prenant acte de l’échec
de sa politique d’unité religieuse, abdique en sa faveur quelques semaines plus tard, en
1556. Ferdinand Ier œuvre à la pacification de l’Empire en cherchant une voie
d’apaisement entre catholiques et protestants, mais il assure aussi, tant bien que mal, dans
le prolongement de ses prédécesseurs, la défense de l’Empire contre les ennemis
extérieurs, principalement les Turcs. Ferdinand fait élire son fils Maximilien roi des
Romains en 1562. Il couronné empereur à la mort de Ferdinand, en 1564. Il mettra fin à
la guerre contre l’Empire ottoman et se distinguera par sa politique de tolérance
religieuse. L’apaisement religieux n’interviendra cependant que plusieurs décennies plus
tard, à la suite de la guerre de Trente Ans, en 1648 (traité de Westphalie).

124
Malgré sa fragilité, l’Empire s’organise et se structure de façon durable. L’empereur et les
princes voient leurs prérogatives respectives progressivement précisées. Les institutions
impériales, malgré leurs faiblesses, connaissent un certain niveau de spécialisation et de
technicisation.

I. Consécration du principe électif et l’hérédité de fait

Par la Bulle d’Or, édictée en 1356, Charles IV assure une réorganisation des institutions,
la fonction impériale au premier chef. Cet acte normatif de première importance contient
31 dispositions, pour ainsi dire toutes consacrées à l’organisation de l’élection du roi des
Romains28. Il s’agit d’assurer une stabilisation de l’institution impériale. La Bulle d’Or
s’attache à préciser les modalités de l’ élection et à trouver des correctifs aux
inconvénients rencontrés auparavant à l’occasion de l’élection :

- elle consacre le rôle des sept Princes-Electeurs, qui sont seuls appelés à
désigner le roi des Romains ;

- elle prévoit que la règle de l’unanimité doit faire place à la règle de la majorité,
le candidat devant rassembler quatre voix au moins ;

- elle règle la difficulté résultant des conflits qui interviennent à l’occasion de la


succession de l’Electeur défunt et la question de la transmission du titre
d’Electeur. La Bulle d’or prévoit sa transmission par ordre de primogéniture ;

- elle prévoit les modalités de la convocation à l’élection.

Par la Bulle d’Or, Charles IV avait ainsi réussi à s’allier les princes-électeurs. L’acte
normatif fondamental que constituait Bulle d’or confirmait de la manière la plus
solennelle le caractère électif de l’Empire. Le spectre de la monarchie héréditaire, tant
appréhendé par les princes, était ainsi écarté en droit. Cette consécration, rassurante pour
les princes puisqu’elle confirmait leur pouvoir sur la fonction impériale, eut pourtant –
paradoxalement – pour effet de faciliter l’hérédité de fait. Les électeurs auront d’autant
moins de peine à élire le fils du souverain défunt, dans la mesure où ils se sentent
confirmés dans leur qualité d’arbitres, de gardiens suprêmes de l’Empire.

II. Clarification des droits des Princes-Electeurs et des pouvoirs de l’Empereur

La Bulle d’Or octroie aux princes-électeurs des prérogatives particulièrement larges dans
leur propre principauté, de telle sorte qu’ils se distinguent à présent du reste du
Reichsfürstenstand par d’autres attributs que leur seule qualité d’électeur. La Bulle d’or
reconnait pour ainsi dire aux Electorats la qualité d’Etats souverains. Cette qualité
s’observe notamment dans l’organisation de la justice. Les décisions rendues par les cours
supérieures des Electorats ne sont pas appelables devant les juridictions impériales, sauf
le cas du déni de justice.

La Bulle d’or clarifie également les relations entre l’empereur et les Princes-électeurs en
dehors de la circonstance de l’élection au titre de roi des Romains. Elle associe les

28 Seules quatre dispositions ne concerne pas l’élection du roi des Romains. L’une d’entre elle vise à limiter
la Fehde.
125
électeurs au gouvernement de l’Empire en prévoyant leur réunion annuelle, en vue de
discuter des questions de paix intérieure et des réformes impériales.

L’empereur apparaît comme la tête d’une fédération. Son pouvoir apparaît très limité, du
moins par rapport aux Electorats. Il a pour mission de veiller à l’unité de l’Empire, donc
assurer la paix publique, en particulier en s’assurant de limiter la Fehde. Dans cette
perspective, on comprend que les prérogatives impériales concernent essentiellement la
justice et la police. Cette clarification institutionnelle permet mieux saisir ce qui distingue
le Saint-Empire du Royaume de France. Charles IV le constatera lui-même. A la fin de son
règne, en séjour à Paris, il doit bien admettre que le roi de France - Charles V le Sage - est
« empereur en son royaume », alors qu’il n’est pas lui-même « empereur » dans son
propre empire.

III. Distanciation entre L’Empire et la Papauté

La Bulle d’Or ne contient aucune mention de la nécessité de l’approbation du pape dans


la succession impériale, pouvoir dont ce dernier avait usé tout au long du Grand-
Interrègne. Ce silence est éloquent : l’Empire tend à se détacher de la papauté.

Ce mouvement se confirme lorsque Charles IV organise sa propre succession. Charles IV


propose aux Princes-électeurs l’élection de son fils Wenceslas sans en aviser le Pape.
L’insatisfaction manifestée par Grégoire XI n’empêche pas les électeurs de confirmer leur
choix. Wenceslas est sacré roi des Romains et couronné à Aix-la-Chapelle au mois de juillet
1376, avant la mort de Charles IV.

Cet éloignement de l’Empire et de la Papauté prend une nouvelle dimension au début du


XVIe siècle. Jusqu’au règne de Frédéric III, le couronnement impérial a lieu à Rome, au
sein de la basilique saint Pierre, par le Pape, le couronnement par le Pape formant une
condition sine qua non de l’octroi du titre d’empereur. Le fils de Frédéric III, Maximilien,
rompt avec la tradition. Il ne se fait pas couronner à Rome, mais il se fait reconnaitre dans
le Saint-Empire, en 1508, comme « Empereur romain élu » (electus imperator). Le dernier
empereur qui sera couronné des mains du Pape sera Charles Quint, non pas à Rome, mais
à Bologne, en 1530.

Ferdinand Ier, frère de Charles Quint, est élu roi des Romains en 1531. Comme l’élection
de Wenceslas, le projet d’élection de Ferdinand n’a pas été soumis au Pape. Dans la lignée
de ses prédécesseurs, Paul IV refuse de reconnaitre Ferdinand comme empereur. Non
seulement il n’a pas été consulté, mais il manifeste aussi sa désapprobation devant une
élection qui a eu lieu avec la participation de princes protestants. Résolument, la dignité
impériale n’est plus considérée dans sa relation avec la Papauté.

IV. Organisation administrative territoriale: les Kreise

La lutte contre la fehde, ainsi que la volonté de facilité la levée de l’impôt et le recrutement
militaire conduit, au cours de la seconde moitié du XIVe siècle, sous le règne de Wenceslas
Ier, à la division de l’Empire en Kreise (cercles). Ils sont alors au nombre de quatre :
Rhénanie, Franconie, Souabe, Bavière. Leur nombre est porté à six en 1438, puis à dix, en
1512. Maximilien Ier divise alors l’Empire en dix cercles : Autriche, Bavière, Souabe,
Franconie, Haute-Saxe, Basse-Saxe, Westphalie, Haut-Rhin, Bas-Rhin, Bourgogne.

126
L’effort d’organisation de l’Empire que traduit la création des Kreise se poursuit sous
Charles Quint. Celui-ci précise notamment les relations qui unissent le cercle de
Bourgogne au reste de l’Empire (cf. infra, ex-cursus n°5).

V. Le lieu et le temps de la participation politique : les Diètes

Jusqu’à la fin du XVe siècle, les Diètes sont irrégulières et de composition variable. Seuls
certains princes sont conviés, avec pour résultat que ceux qui ne participent pas ignorent
ou refusent de reconnaitre les décisions ou décrets qui y sont pris.

Une Diète se réunit à Worms en 1495, sous le règne de Maximilien Ier. L’Empereur a
besoin d’argent ainsi que d’un soutien militaire pour combattre les Turcs et assurer la
défense de l’Italie du Nord, convoitée par le roi de France. La Diète rassemble cinq des
sept princes-électeurs, une soixantaine de princes, des nobles de rang inférieur, et les
délégués de 24 villes.

Entre autres éléments de réforme, la Diète formalise sa propre organisation. Autrefois


dénommée Hoftag, elle adopte désormais l’appellation Reichstag. Il ne s’agit plus de voir
dans la Diète la réunion des grands de l’Empire, mais de l’ensemble des états (Stände) de
l’Empire, c’est-à-dire des groupes qui peuvent être considérés comme les acteurs
politiques dans l’Empire.

La Diète de Worms établit la composition du Reichstag, qui s’impose désormais à


l’Empereur. Celui-ci se compose, à la suite de la Diète de Worms, de trois collèges.

- le collège des princes-électeurs ;


- le collège des princes;
- le collège des villes d’Empire, qui n’ont qu’un rôle consultatif, sans pouvoir
participer au vote.29

La Diète de Worms impose également une organisation rigoureuse de son activité :


présentation de propositions, consultations, discussion au sein de chacun des collèges et
discussion en « plénière », échanges avec l’Empereur. La direction des travaux du
Reichstag est confiée à l’archevêque de Mayence. Un décret impérial, qui porte le nom de
« réces », reprend ensuite les décisions de la Diète, qui ont force de loi.

La Diète de Worms impose par ailleurs l’annualité des réunions du Reichstag.

VI. Organisation de la justice impériale

La Bulle d’Or consacre l’importance des princes-électeurs et fait des Electorats des Etats
quasi souverains. Sous réserve du cas du déni de justice (supra), l’exercice de la justice
impériale est donc limité aux principautés dont la juridiction supérieure n’est pas
reconnue comme souveraine, ainsi qu’aux entités (par ex. les villes libres d’Empire) qui
bénéficient d’un statut d’immédiateté. Face aux résistances princières, les juridictions
impériales peinent à s’imposer.

29
Elles sont confinées à un rôle consultatif jusqu’en 1648.

127
A. Reichshofgericht

Sous Charles IV, la Reichshofgericht traite trente fois moins d’affaires que le Parlement de
Paris. La Reichshofgericht, dont l’origine remonte aux Capitulations de Mayence, prises
sous le règne de Frédéric II (1235), ne connait qu’une activité intermittente. Elle est
principalement compétente pour connaitre des litiges entre les princes qui bénéficient de
l’immédiateté, et ne peuvent donc pas être attraits devant une juridiction princière.

B. Kammergericht et Reichskammergericht

Une nouvelle juridiction impériale est créée au début du XVe siècle, en 1415, la
Kammergericht. Elle est appelée à traiter les atteintes portées à la paix publique. Sa
création traduit la volonté des princes de contrôler la justice impériale. Ceux-ci obtiennent
de pouvoir en désigner les juges. Seule la désignation du président de la Kammergericht
sera laissée à l’empereur. Attachée à la cour impériale, la Kammergericht suit l’empereur
dans ses déplacements.

En 1495, à l’issue de la Diète de Worms, Maximilien décrète une paix perpétuelle (Ewiger
Landfriede), prohibant toute guerre privée dans l’Empire. Il s’agit d’assurer la sanction
de ses violations éventuelles par un traitement judiciaire. La Kammergericht devient la
Reichskammergericht. Ce changement d’appellation traduit une mutation institutionnelle
d’une certaine importance. La Kammergericht est détachée de la personne de l’empereur,
de sa curia. Elle devient une institution du Reich (Empire) et non plus du Kaiser
(Empereur). Elle ne suit plus l’empereur dans ses déplacements, mais elle se fixe en un
endroit déterminé, à Francfort (Francfort sur le Main).

La juridiction impériale est placée sous le contrôle de la Diète d’Empire. Ses membres sont
désignés par elle, la moitié d’entre eux étant des nobles, l’autre moitié étant formée de
lettrés disposant de connaissances en droit.

La Reichskammergericht connait de toutes les violations de la paix publique. Elle a donc


pour vocation d’assurer la limitation de la Fehde. La qualité du travail accompli au sein de
la Reichskammergericht entraîne un afflux d’affaires très important. Son activité contribue
au déclin de la Fehde.

C. Reichshofrat

A la fin de son règne, en 1501, Maximilien forme une nouvelle juridiction, le Reichshofrat
(« Conseil impérial aulique » ou « Cour aulique »). Cette Cour impériale, qui ne juge qu’en
dernière instance, lorsque tous les recours en appel sont épuisés, est appelée à
concurrencer le Reichskammergericht, sur lequel l’empereur n’a pas de maîtrise. Par la
création du Reichshofrat, l’empereur essaie de récupérer une partie de la justice passée
sous le contrôle des princes. Celle-ci est établie à Vienne.

128
Chapitre XII. L’espace anglais (XIVe-XVIe siècles)

129
La période des XIVe-XVe siècle est notamment marquée par la guerre contre l’Ecosse ainsi
que la Guerre de Cent ans (1338-1454), mais aussi, sur le plan intérieur, par le long conflit
de succession - la guerre dite des « Deux Roses » - qui oppose les descendants de deux des
fils du roi Edouard III (†1377), les York et les Lancastre, entre 1450 et 1485. En 1485, lors
de la bataille de Bosworth, Henri Tudor, rattaché à la Maison de Lancastre par sa mère,
vainc le roi Richard III, dernier souverain de la Maison York. En vue de mettre un terme
au conflit qui déchire la noblesse anglaise, Henri Tudor épouse une représentante de la
Maison d’York. Il monte sur le trône d’Angleterre sous le nom d’Henri VII.

Henri VII initie un mouvement de renforcement du pouvoir royal, surtout face à la haute
noblesse, divisée et affaiblie à la suite de la Guerre des deux roses. Les nouveaux
souverains revendiquent un pouvoir de droit divin. Au règne d’Henri VII, succède le long
règne d’Henri VIII (1509-1547), marqué encore par la guerre avec l’Ecosse ou les guerres
menées contre le roi de France, François Ier. La réaffirmation du pouvoir royal est plus
marquée sous le successeur d’Henri VII, Cette réaffirmation ne passe pas tant par une
volonté de domination du Parlement, avec lequel les Tudor parviennent à maintenir le
dialogue, mais elle s’affirme par une volonté de domination de l’Eglise ainsi que par le
développement d’un appareil administratif puissant et efficace.

Ce sont surtout les efforts entrepris par Henri VIII en vue de faire annuler son mariage
avec sa première épouse – qui ne lui donne pas de descendance masculine – et les
conséquences qui en résultent que retiennent les historiens. Devant le refus du Pape
d’annuler son union, Henri VIII provoque la scission de l’Eglise d’Angleterre avec la
Papauté. En 1534, s’assurant la maîtrise de l’Eglise, il en devient le chef. Issu de sa
troisième épouse, Edouard VI lui succède en 1547. Sa demi-sœur, Marie, issue de la
première union du roi, lui succède elle-même sur le trône en 155430. Enfin, Elisabeth issue
de la deuxième union du roi, monte sur le trône en 1558. Son règne sera bien plus long
que celui des deux précédents, puisqu’il prend fin en 1603.

Dans le domaine institutionnel, la période est marquée par l’affirmation croissante du


Parlement, et son sein de la Chambre des Communes, du moins jusqu’à l’avènement de la
dynastie Tudor, dont les souverains parviennent à contenir le rôle.

L’Angleterre des Tudors est marquée par un phénomène de renforcement des institutions
centrales et par leur spécialisation. Le règne d’Henri VIII se révèle comme un moment clé
dans le développement de la conception de l’Etat. Malgré que la période soit marquée par
la réaffirmation monarchique, le royaume n’est manifestement plus considéré comme le
patrimoine du souverain. L’administration se détache de la personne du roi ou de sa
Maison pour connaitre un développement autonome, favorisant la continuité de l’Etat. Le
XVIe siècle anglais apparaît comme le siècle de l’apparition de l’Etat moderne.
L’émancipation de l’Eglise d’Angleterre par rapport à la Papauté en est une autre
manifestation essentielle.

30
Edouard VI avait désigné sa cousine, Jane Grey, descendante d’Henri VII, pour monter sur le trône. Il tient à
éviter que sa demi-sœur, Marie, issue du premier mariage d’Henri VIII avec Catherine d’Aragon, fervente
catholique, monte sur le trône. Jane Grey est déposé par le Parlement quelques jours après avoir été proclamée
reine. Le Parlement reconnait alors Marie.

130
I. L’Eglise sous le contrôle du roi

Les tensions avec l’Eglise et avec la Papauté n’apparaissent pas sous Henri VIII. Mais elles
prennent sous son règne une dimension plus extrême encore que lors des règnes d’Henri
II ou de Jean sans Terre.

Sollicitant l’annulation de son mariage avec Catherine d’Aragon, qui ne lui donne pas
d’enfant mâle, Henri VIII essuie un refus de la part du Pape. Malgré ses démarches, le roi
fait face à l’opposition persistante du Pape. En 1531, l’archevêque de Canterbury étant
décédé, le roi nomme un candidat qui est favorable à l’annulation, Thomas Cranmer. En
1533, le nouvel archevêque réunit un tribunal ecclésiastique qui prononce l’annulation
du mariage. En 1534, par le Supremacy Act, le roi se porte à la tête de l’Eglise d’Angleterre.
Clément VII excommunie Henri VIII ainsi que l’archevêque de Canterbury.

L’Eglise d’Angleterre, sous la conduite d’Henri VIII, s’est définitivement dégagée de la


tutelle de Rome. Thomas Cranmer, au cours des années qui suivent, et en particulier sous
le règne d’Elisabeth, assurera le développement de la Réforme anglaise par l’affirmation
d’une religion distincte de la religion catholique romaine.

II. Pouvoir royal et évolution de l’institution parlementaire

La consécration de la place du Parlement dans l’exercice du pouvoir, sous Edouard Ier


(Model Parliament), est bientôt suivie d’une affirmation éclatante, sous le règne de son
fils, Edouard II (1307-1327). Après vingt années d’un règne très contesté, au mois de
janvier 1327, le Parlement se réunit à Londres et prononce la déposition du roi. Au-delà
de ce cas particulier, et extrême, le Parlement s’affirme de plus en plus comme un élément
incontournable dans la vie politique du royaume.

Le Parlement connait une évolution dans laquelle se distingue l’importance que prennent
les comtés et les villes. Cette affirmation se manifeste au premier chef sous le règne
d’Edouard III (1327-1377) par le souhait des villes et comtés (boroughs et shires) de
former un espace de pouvoir distinct des représentants de la noblesse et du clergé. Le
Parlement se divise ainsi en deux chambres : la Chambre des Communes (House of
Commons) et la Chambre des Lords (House of Lords). Le Parlement, organisé en deux
chambres, s’établit au Palais de Westminster en 1335.

La Chambre des Communes se manifeste sous le règne d’Edouard III par sa volonté
d’affirmation face au pouvoir royal ou à son entourage. Le règne d’Edouard III est marqué
par le déclenchement de la guerre de Cent ans (1338). S’il obtient du Parlement, pour faire
face aux besoins des campagnes militaires, les moyens de maintenir une armée de métier,
la situation change par la suite. La peste noire qui sévit en Angleterre à partir de 1348
décime un tiers de la population. Le manque de main d’œuvre entraîne une hausse du coût
du travail et une baisse des revenus de la fiscalité (prélèvement sur la production). La
situation empire encore en 1361-1362, avec la survenance d’une nouvelle épidémie de
peste. La situation du royaume provoque d’importantes tensions à la fin du règne
d’Edouard III. En 1376 éclate la crise dite du « Bon Parlement ». Le Parlement est
convoqué en vue de voter l’impôt, mais la Chambre des Communes saisit cette occasion
pour formuler des griefs à l’encontre du gouvernement royal : elle dénonce la corruption

131
de la Cour, elle entend examiner les comptes royaux. La Chambre des Communes
demande la mise à l’écart des conseillers du roi.

Le règne de Richard II connait plus de troubles encore, qui forment une autre occasion
pour la Chambre des Communes d’opposer des griefs. Ebranlé par la Révolte des paysans
(1381) et par la résistance du Parlement (de la Chambre des Communes) à la levée de
nouveaux impôts, contesté enfin par une partie de la noblesse, Richard II est déposé par
le Parlement en 1399. Résolument, le Parlement – et en particulier la Chambre des
Communes – devient un acteur incontournable – et majeur – du jeu politique. Son
contrôle sur le pouvoir royal devient tout à fait essentiel. Cette part qu’il prend se
manifeste dès la succession de Richard II. La reconnaissance du nouveau souverain – en
l’occurrence Henri de Bolingbroke, ou Henri IV (†1413) - par le Parlement, est devenue
incontournable elle-aussi.

L’importance de la Chambre des Communes grandit encore pendant la Guerre des Deux
Roses, au cours du XVe siècle. La guerre civile qui opposera les représentants et les
partisans des Lancastre et des York entraîne un affaiblissement de la noblesse, décimée
et ruinée par la guerre, mais aussi affaiblie par le déclin généralisé de la société féodale.

L’un des signes les plus tangibles de cet accroissement du pouvoir du Parlement au XVe
siècle se manifeste dans la part qu’il prend dans le processus législatif. A partir de la
seconde moitié du XVe siècle, l’élaboration de la loi ou Statute ne se conçoit plus sans que
ce soit le Parlement qui en ait l’initiative.

La réaffirmation du pouvoir royal qui a lieu sous Henri VIII s’accompagne toutefois un
affaiblissement du Parlement. En 1539, le Parlement approuve le Proclamation of the
Crown Act, aussi appelé Statute of Proclamations, qui accorde au roi, sans limite expresse,
le droit de légiférer par la voie de proclamations, lesquelles se voient reconnaitre la même
force que le Statute (loi).

Le Statute of Proclamations est abrogé lors du premier Parlement qui se réunit sous le
règne de son successeur, Edouard VI. Ses successeurs, Marie Ière et Elisabeth Ière, feront
à nouveau usage, assez largement, des Proclamations.

III. Evolution de l’organisation judiciaire

A. Court of Chancery

La Court of Chancery, apparaît comme un organe distinct de la curia regis vers 1345, sous
Edouard III. Elle s’établit à Westminster Hall.

Cette nouvelle juridiction se développe au cours d’une période qui voit le déclin de la
Court of Exchequer. La Court of Chancery applique l’Equity, un droit plus souple que la
common law. Adossée à la Chancery, l’administration du premier des ministres du roi, elle
prétend exercer un contrôle sur l’activité des tribunaux de common law et remet en cause,
si elle l’estime nécessaire, leurs décisions.

Son activité, qui connait un développement très important à partir des années 1440,
suscite une opposition croissante à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, sous

132
Elisabeth Ier. Le contrôle des jugements de common law par la chancellerie est contesté
au sein du Parlement.

B. Justices of the peace

Les justices of the peace (justices de paix) sont reconnues pour la première fois en 1361,
dans un Statute (loi) du Parlement. Les pestes et les troubles divers que connait le XIVe
siècle conduisent le roi Edouard III à nommer, au sein de chaque shire, une Justice of the
peace, qui est appelé à contribuer au maintien de l’ordre public. Composé d’un certain
nombre de knights (chevalier) du shire, la Justice of the peace est responsable de l’ordre
public dans un périmètre déterminé et est habilitée à faire arrêter et détenir les suspects
ou encore exiger des cautions. Edouard III en fait un rouage fondamental au niveau de la
justice locale.

Les Justices of the peace exercent progressivement une activité juridictionnelle, laquelle
devient prépondérante. A partir du XVe siècle, les Justices of the peace sont compétentes
pour statuer sur des délits mineurs commis dans le comté.

C. Star Chamber

La réaffirmation du pouvoir royal sous les Tudor trouve également une expression dans
le domaine judiciaire. La Star Chamber (Chambre étoilée) est une haute cour de justice
fondée par Henri VII en 1487.

La mission de la Star Chamber est à comprendre dans la volonté d’apaisement qui suit la
guerre des Deux Roses. Elle est créée dans le but d’assurer la sanction des offenses portées
par les barons contre la paix publique.

La Star Chamber applique un droit plus souple que la common law. Elle se distingue par
l’absence de jury et par une administration de la preuve simplifiée, puisqu’elle peut
statuer sur la base de la déposition d’un seul témoin.

La justice y est rendue par le roi ou son Chancelier entouré de membres de la curia regis.

133
EX CURSUS N°5

L’intégration territoriale du duché de Brabant


(XVe-XVIe siècles)

134
L’accession du Philippe le Bon au pouvoir dans le duché de Brabant marque un tournant
politique et institutionnel décisif, dans la mesure où le duché est intégré dans un vaste
patrimoine, réuni dans les mains du duc de Bourgogne. L’organisation institutionnelle des
régions appelées à former l’espace belge (à l’exception de la principauté de Liège) s’en trouve
profondément transformée. Le principat de Philippe le Bon ouvre ainsi la période dite des
« Pays-Bas bourguignons ». Le décès de Marie de Bourgogne, en 1482, marque le passage de
nos régions – notamment du Brabant – au sein des possessions héréditaires habsbourgeoises,
du règne de Philippe le Beau, fils de Marie de Bourgogne et de Maximilien de Habsbourg, à
celui Charles Quint puis de Philippe II. Bien qu’intégré dans le vaste ensemble des possessions
des Habsbourgs, l’espace belge reste un ensemble politique composite.

I. Eléments d’histoire politique (XVe-XVIe)

Par une politique habile, Philippe le Bon, déjà duc de Bourgogne et comte de Flandre, se
rend maître du comté de Namur (1429), du duché de Brabant (1430), du comté de
Hainaut, du comté de Hollande et du comté de Zélande, et de la Frise (1433), du duché de
Luxembourg enfin (1443). Philippe le Bon entend former un ensemble politique unifié et
centralisé. Cette consolidation passe notamment par la soumission de la principauté de
Liège, qui sépare le Luxembourg du duché de Brabant. Elle passe surtout par l’affirmation
de son indépendance par rapport au royaume de France, et l’affranchissement de son lien
de vassalité avec le roi.

Philippe le Bon meurt en 1467. Son fils Charles – lui succède. Celui qu’on appellera Charles
le Téméraire poursuit l’œuvre de consolidation et de centralisation des possessions
bourguignonnes entamée par son père. Le duc de Bourgogne entreprend la conquête des
terres qui séparent les « pays de Par-deçà » (Pays-Bas actuels et Belgique actuelle) à la
Bourgogne et à la Franche-Comté, les « pays de Par-delà ». La réunion des « pays de Par-
deçà » (nos régions) et des « Pays de Par-delà », former un royaume, d’un seul tenant,
entre le Royaume de France et le Saint-Empire, forme la préoccupation du règne de
Charles le Téméraire, qui multiplie les campagnes militaires pour accomplir son projet. A
la suite de son père, il soumet la principauté de Liège. Il fait l’acquisition d’une partie de
l’Alsace et d’autres domaines qui rapprochent ses pays de Par-deçà de ses pays de Par-
delà. Sur le plan institutionnel, il met en place, par les ordonnances de Thionville (1473),
des institutions destinées à mettre en œuvre sa politique centralisatrice. Il s’agit au
premier chef du Parlement de Malines, qui marque la volonté du duc de Bourgogne
d’affirmer son pouvoir souverain, et d’affranchir ses possessions de toute dépendance
juridictionnelle par rapport au royaume de France, en particulier de rompre le lien féodal
qui subsiste encore à travers le recours en appel vers le Parlement de Paris.

La politique du duc de Bourgogne, à la fois son projet centralisateur mais également sa


politique « étrangère », particulièrement coûteuse puisqu’elle nécessite le financement de
nombreuses campagnes militaires, entraînent la crispation des Etats-généraux. Ceux-ci
refusent le vote des subsides en 1475. Charles le Téméraire entreprend enfin la conquête
de la Lorraine. Il fait face à une coalition formée des troupes du duc de Lorraine René II et
des cantons suisse, soutenue par le roi de France Louis XI, qui s’emploie à faire obstacle à
l’expansion bourguignonne. Il meurt pendant la bataille de Nancy, en 1477.

135
Charles le Téméraire ne laisse qu’une fille, Marie de Bourgogne. Celle-ci doit faire face à la
fragilisation majeure que connaissent les possessions bourguignonnes à la suite du décès
du duc. Les menaces sont celles de Louis XI, qui entend assurer le retour à la Couronne de
la Bourgogne. Celui-ci entend s’appuyer sur le fait que le duché octroyé en 1363 par Jean
II le Bon à son fils Philippe le Hardi l’a été à titre d’apanage, or l’apanage revient en
principe à la Couronne de France en cas d’absence d’héritier mâle en ligne directe.

Devant la nécessité d’obtenir le soutien des pays de Par-deçà, Marie de Bourgogne réunit
les Etats-généraux. Elle est contrainte d’octroyer le Grand Privilège, qui garantit
l’abandon des initiatives centralisatrices de Charles le Téméraire, le rétablissement des
droits, coutumes et privilèges des « pays ». Le Grand Privilège garantit la participation des
Etats-généraux au gouvernement des pays de Par-deçà. Suivant le souhait des Etats-
généraux, Marie de Bourgogne épouse en 1477 l’archiduc Maximilien de Habsbourg, fils
de l’empereur Frédéric III. Le passage des pays de Par-deçà dans le giron habsbourgeois
doit leur assurer une protection contre les ambitions de Louis XI. La duchesse de
Bourgogne meurt en 1482. De son mariage avec Maximilien est né un fils, Philippe, et une
fille, Marguerite. Les possessions bourguignonnes deviennent habsbourgeoises : Philippe
le Beau recueille l’héritage de sa mère. L’héritier des possessions bourguignonnes étant
mineur, la régence est assurée par Maximilien.

Philippe le Beau accède à la majorité en 1494, mettant fin à la régence de Maximilien. Le


règne effectif de Philippe le Beau dans les Pays-Bas est de courte durée, puisqu’il meurt
en 1506. De son mariage avec Jeanne d’Aragon, fille et héritière du roi Ferdinand II
d’Aragon et de la reine Isabelle de Castille, il laisse un fils, Charles. Celui-ci étant encore
mineur, il s’agit à nouveau de pourvoir à la régence. Maximilien, grand-père de Charles,
s’impose dans un premier temps comme régent, tout en confiant le gouvernement des
Pays-Bas à sa fille Marguerite (Marguerite d’Autriche), sœur de Philippe le Beau.
Maximilien fait face à l’opposition des Etats-généraux et il finit par abandonner la régence
à Marguerite d’Autriche en 1507.

Régent des Pays-Bas jusqu’en 1507, grand-père du futur Charles Quint, Maximilien est
empereur jusqu’en 1519. Sa position lui permet de se pencher sur le règlement des
relations institutionnelles entre les Pays-Bas et le Saint-Empire. Dans le prolongement de
la réforme entreprise à la fin du XVe siècle, il crée ainsi, en 1512, un Cercle de Bourgogne,
composé des Pays-Bas, de la Franche-Comté,, qui intégrera l’ensemble des Cercles
impériaux.

Charles Quint accède à la majorité et exerce un pouvoir effectif à partir de 1515. Son
héritage est considérable. Par son père, Philippe le Beau, il hérite des possessions
habsbourgeoises dans le Saint-Empire, des Pays-Bas et de la Franche-Comté. Par sa mère,
Jeanne la Folle, il hérite des royaumes d’Aragon et de Castille (« les Espagnes »), mais aussi
des prolongements du royaume d’Aragon sur le continent américain, à la suite de
découverte du Nouveau Monde et des explorations des Conquistadores. Le règne de
Charles Quint est marqué par la préoccupation constante de consolider ses Etats.

Elu roi des romains en 1519, il est couronné une première fois empereur à Aix-la-Chapelle.
Soucieux d’inscrire son règne dans la filiation carolingienne, celle d’un empereur « vicaire
du Christ », associé à la papauté, il tient à se faire couronner en Italie. Il sera donc
couronné une seconde fois à Bologne par le pape Clément VII. Protecteur de la foi

136
catholique, Charles Quint lutte notamment contre les progrès de la religion réformée qui
se répand dans l’Empire à la suite de la diffusion des idées de Martin Luther (1483-1546)
et dans les Pays-Bas à la suite de la diffusion des idées de Jean Calvin (1509-1564).

La relation institutionnelle des Pays-Bas avec le Saint-Empire fait l’objet d’une importante
clarification. Leur statut fait l’objet d’une négociation entre l’empereur et les Etats du
Saint-Empire, au cours de la Diète d’Augsbourg, en 1548. L’accord qui est pris, qui prendra
le nom de Transaction d’Augsbourg, confirme l’intégration des Pays-Bas dans le Cercle de
Bourgogne, dont les limites territoriales sont élargies aux nouveaux territoires acquis
sous son règne, et il prévoit surtout leur intégration, avec voix délibérative, dans la Diète
impériale. Tout en favorisant leur intégration dans le Saint-Empire, Charles Quint leur
assure une certaine autonomie : la justice des Pays-Bas restera autonome par rapport aux
tribunaux d’Empire. Les Pays-Bas seront par ailleurs exemptés de l’impôt impérial.

Un an plus tard, en 1549, par la Pragmatique Sanction, Charles Quint assure le maintien
des Pays-Bas en tant qu’ensemble territorial et patrimonial unique et indivisible. Dans ce
but, les différentes coutumes successorales des principautés des Pays-Bas sont unifiées.
L’ensemble des duchés, comtés ou seigneuries qui forment les Pays-Bas se transmettent
par primogéniture masculine. La succession des femmes est admise comme subsidiaire.

Au mois d’octobre 1555, Charles Quint réunit les Etats-Généraux à Bruxelles, au Palais de
Coudenberg, pour présenter son successeur, son fils Philippe, au bénéfice duquel il
abdique ses droits sur les Pays-Bas. En 1556, Charles Quint abdique ses droits en faveur
de son fils sur les Espagnes et sur les terres d’Amérique. Quant aux droits sur possessions
habsbourgeoises dans le Saint-Empire, ils sont transmis par Charles Quint à son frère,
Ferdinand II31.

Eduqué en Espagne, peu familier des spécificités des provinces composant les Pays-Bas,
Philippe II mène une politique maladroite qui le rend impopulaire. Son accession au
pouvoir s’accompagne d’un mouvement d’espagnolisation des institutions. Les grands
nobles qui formaient l’entourage du souverain, et qui perpétuaient cette tradition au sein
du Conseil d’Etat, sont écartés. Par ailleurs, à la suite de Charles Quint, Philippe II se
distingue par sa volonté d’assurer la sauvegarde de la foi catholique et par sa répression
de l’hérésie. La conjonction du mécontentement des grands nobles et du développement
de la religion réformée créé les conditions d’une confrontation. Certains nobles prennent
le parti de la religion réformée pour mieux s’opposer au souverain.

Cette situation de tension intérieure est accentuée par la situation économique que
connaissent les Pays-Bas au cours de la seconde moitié du 16e siècle.

Philippe II, qui ne manifeste pas le même attachement que son père vis-à-vis des Pays-
Bas, n’y séjourne que de 1555 à 1559. Il n’y reparaîtra plus, confiant l’exercice du pouvoir
au gouverneur général. Le gouvernement est d’abord assuré par sa demi-sœur,
Marguerite de Parme32. Sous le contrôle de Philippe II, contrainte d’exécuter ses

31Ferdinand II, Empereur du Saint-Empire, est le frère de Charles Quint.


32Marguerite d’Autriche, épouse d’Ottavio Farnese, duc de Parme, est la fille naturelle de Charles Quint. On
ne la confondra pas avec la tante de Charles Quint, également prénommée Marguerite, également
gouvernante des Pays-Bas. Cf. supra.
137
instructions, la gouvernante générale doit donc faire face à une triple crise : économique,
politique et religieuse.

La crise connait un moment de cristallisation en 1566, avec la Révolte iconoclaste, au


cours de laquelle des groupes calvinistes saccagent des églises et brisent les
représentations des saints, considérées comme des idoles païennes. Il faut y voir le début
de la Guerre de Quatre-Vingts Ans, qui voit s’opposer une partie des provinces des Pays-
Bas à Philippe II, qui ne prendra fin qu’avec le Traité de Münster, en 1648, par lequel
l’Espagne (Philippe IV) reconnait l’indépendance des provinces du Nord des Pays-Bas,
rassemblées au sein de la République des Provinces-Unies.

Devant l’importance que prend le conflit, Philippe II remplace Marguerite de Parme par
un nouveau gouverneur général, le duc d’Albe, qui se distingue par ses qualités militaires
et qui reçoit pour mission de ramener l’ordre dans les Pays-Bas. Aux fins d’assurer la
répression, celui-ci met en place une juridiction d’exception, dont la compétence couvre
l’ensemble des Pays-Bas, le Conseil des Troubles. Mais les instructions que reçoit le duc
d’Albe ne concernent pas seulement la répression des troubles. Soucieux d’assurer l’unité
des Pays-Bas, Philippe II ne le charge pas seulement de rétablir l’unité religieuse mais
aussi d’assurer l’unification du droit criminel. Dans cette perspective, il confie au Conseil
privé l’élaborer d’une série d’ordonnances générales en matière criminelle, appelées à
s’appliquer dans l’ensemble des Pays-Bas.

Le duc d’Albe est rappelé en 1573. Luis de Requesens lui succède comme gouverneur
général. Sa mort, survenue trois ans plus tard, en 1576, conduit le Conseil d’Etat à assurer
l’interim dans l’attente d’un nouveau gouverneur. Les membres du Conseil d’Etat sont
arrêtés un peu plus tard. Les Etats-généraux exercent en fait le pouvoir gouvernant. Ils
adoptent la même année la Pacification de Gand, qui doit assurer la réunion des provinces
des Pays-Bas dans le respect de la liberté religieuse (voy. infra).

En 1577, Philippe II nomme son neveu, Alexandre Farnèse33, en qualité de gouverneur


général. Réputé pour qualités militaires, celui-ci assure la reconquête d’une large partie
des Pays-Bas. Regagnant peu à peu la Flandre et le Brabant, il parvient à reprendre Anvers.
Rappelé par Philippe II, qui préfère le voir déployer ses troupes le long des côtes, pour
assurer leur défense contre les Anglais, Farnèse est contraint de mettre un terme à
l’entreprise de reconquête.

En 1581, par l'Acte de La Haye, les provinces du Nord proclament l'indépendance des
Provinces-Unies, et la déchéance de Philippe II. Les Etats-généraux, dans la perspective
du maintien d’un régime monarchique, soutiennent d’abord l’accession au trône de
Charles d’Anjou, fils du roi de France Henri II. Ils choisissent ensuite le comte de Leicester,
un proche d’Elisabeth Ière, reine d’Angleterre, qui avait soutenu les troupes calvinistes en
leur assurant un appui militaire. L’échec des négociations conduit les Etats-généraux à
opter finalement pour le régime de la république. Les provinces du Sud retrouvent peu à
peu l’apaisement sous la Couronne espagnole. Philippe II décède en 1598.

33 Alexandre Farnèse (†1592), duc de Parme, est le fils d’Ottavio Farnese et de Marguerite d’Autriche. Avant
de rejoindre les Pays-Bas comme gouverneur, Alexandre Farnèse s’était distingué par ses qualités
militaires, notamment à l’occasion de la bataille de Lépante, contre les Turcs (1571).
138
II. Sous les ducs de Bourgogne : la formation d’institutions centrales

La formation d’institutions centrales doit être comprise comme la manifestation du


souhait des ducs de Bourgogne, Philippe le Bon puis Charles le Téméraire, de se donner
les moyens de gouverner les possessions qui ont été rassemblées au cours de la première
moitié du XVe siècle. Si cette volonté centralisatrice s’exprime dès le règne de Philippe le
Bon avec, notamment, la formation des Etats-généraux, la principale manifestation
centralisatrice des ducs de Bourgogne s’exprime surtout à travers les ordonnances de
Thionville, en 1473, par laquelle Charles le Téméraire créée à Malines un Parlement ainsi
qu’une Chambre des comptes.

Que deviennent alors les institutions brabançonnes ? La création d’une institution


distincte du duc s’impose de manière évidente. Le nouveau duc de Brabant est aussi comte
de Flandre, comte de Hainaut, duc de Bourgogne, etc. Les territoires sur lesquels le duc de
Bourgogne exerce son pouvoir sont tellement vastes désormais que l’exercice du pouvoir
dans le Brabant nécessite la formation d’une institution distincte du prince, exerçant ses
pouvoirs par délégation : un « conseil de Brabant », dont l’organisation et les compétences
sont formalisées.

A. Etats-généraux

Les Etats-généraux sont convoqués pour la première fois par Philippe le Bon. Ils se
réunissent en 1464 : des députés des Etats de Brabant, de Limbourg, de Flandre, d’Artois,
de Hainaut, de Namur, du marquisat d’Anvers, et de la seigneurie de Malines. Il s’agit pour
le duc de Bourgogne de faire reconnaitre son fils pour successeur et d’assurer le
financement de la guerre contre Louis XI.

Le Grand Privilège (1477) accorde aux Etats-généraux le droit de se réunir de leur propre
initiative, où et quand ils le souhaitent. Il consacre leur participation accrue dans
l’exercice du gouvernement. Mais ces prétentions des Etats-généraux sont écartées dès la
régence de Maximilien, qui parvient à imposer un pouvoir autoritaire. Ils seront toutefois
convoqués une fois par an au moins, et à tout le moins chaque fois qu’un problème
important se pose au souverain et qu’il a besoin d’une aide financière.

B. Le Grand Conseil de Malines

La justice ducale est l’origine, selon l’usage commun, rendue par le duc de Bourgogne au
sein de la Curia, qui suit le duc dans ses déplacements.

En 1473, par plusieurs ordonnances datées de Thionville, Charles le Téméraire créée une
institution destinée à assurer à l’unification judiciaire des pays de Par-deçà. L’institution
prend le nom de « Parlement », à l’image du Parlement de Paris, dont s’inspire le duc de
Bourgogne. Elle perd son caractère ambulatoire. Elle est établie dans la seigneurie de
Malines, qui a alors l’avantage de n’être partie ni d’aucune des grandes principautés des
pays de Par-deçà.

L’objectif de Charles le Téméraire est d’assurer la rupture du lien de dépendance


vassalique qui subsiste entre certaines entités territoriales des pays de Par-deçà et le
royaume de France. Ce vestige de la relation vassalique s’exprime à travers la voie de

139
l’appel vers le Parlement de Paris. Une dépendance juridictionnelle du même ordre – donc
un obstacle à l’affirmation d’un pouvoir souverain - subsistait entre certaines parties des
pays de Par-deçà et le Saint-Empire, la Chambre impériale (Kammergericht) étant
théoriquement compétente pour connaitre de l’appel de certaines décisions.

Il s’agit donc d’y mettre fin et d’affirmer la souveraineté du pouvoir ducal en créant une
institution souveraine, appelée à recevoir les appels de l’ensemble des juridictions des
pays de Par-deçà. Ce faisant, les ordonnances de Thionville portent atteinte aux libertés
et franchises des principautés, en particulier au principe de « non distraction du juge
naturel », qui garantit que les ressortissants d’une principauté soient traités par l’une de
ses juridictions, et pas hors de celle-ci.

Le Grand Privilège met fin à l’existence du Parlement. Celui-ci reprend la forme d’un Grand
conseil ambulatoire, qui suit le Prince. La Grand Privilège limite son champ de
compétences : le Grand conseil ne pourra plus connaitre que des litiges dans des matières
étrangères à la compétence des conseils des principautés (provinces) ou des autres
juridictions locales. Le Grand privilège réaffirme le principe de non distraction du juge
naturel. Les Etats-généraux admettent le principe d’une Cour suprême ducale qui
recevrait les appels des conseils provinciaux, mais pas davantage. Par ailleurs, les
membres du Grand conseil devront prêter serment de respecter les franchises des
principautés.

Le Grand conseil perdra son caractère ambulatoire et s’établira à nouveau à Malines sous
Philippe le Beau, par un édit du 22 janvier 1504. Mais il verra peu à peu sa compétence
territoriale se restreindre (cf. infra).

C. Chambre des comptes

Créée par les ordonnances de Thionville, la Chambre des comptes est également établie à
Malines. Institution centrale, elle remplace la Chambre des comptes de Bruxelles (duché
de Brabant) ainsi que la Chambre des comptes de Lille (comté de Flandre). Elle est appelée
à exercer un contrôle sur les recettes et les dépenses effectuées dans les pays de Par-deçà.

III. Sous Charles Quint : la spécialisation des institutions centrales

A. Le Gouvernement général

L’importance des territoires qui sont réunis sous le pouvoir des Habsbourg, par
conséquent l’absence du souverain, entraîne l’installation dans les Pays-Bas d’un agent
qui puisse le représenter. La fonction de gouverneur général apparaît après l’accession au
pouvoir de Charles Quint, lorsqu’il accède à la majorité. Elle est exercée de 1518 à 1530
par sa tante, Marguerite d’Autriche. La fonction de gouverneur général sera exercée
ensuite par Marie de Hongrie, sœur de Charles Quint. Toutefois, la fonction de gouverneur
général n’est pas exercée, sous Charles Quint, de manière continue. Ce ne sera qu’à partir
de 1559, à la suite du départ de Philippe II des Pays-Bas, que la fonction est exercée de
manière continue, sans interruption.

Celle qu’on désigne alors son l’appellation de « gouvernante », ou celui qu’on désignera
sous l’appellation de « gouverneur-général », est le plus haut représentant du souverain

140
dans les Pays-Bas en son absence. Il s’agit d’un prince du sang, de la famille du souverain.
La parenté avec le souverain est censée renforcer l’autorité du gouverneur général.

Les compétences du gouverneur général sont limitées. Le gouverneur général ne peut


prendre certaines décisions importantes, qui restent réservées au souverain. Ainsi, il ne
peut :

- convoquer les Etats-généraux ;


- octroyer des privilèges ;
- aliéner les biens de la Couronne ;
- anoblir ;
- procéder à la désignation des évêques et les abbés, ou des présidents des conseils
de justice, du personnel supérieur des conseils collatéraux, ou encore des officiers
supérieurs dans l’armée, etc.

Au-delà de ces restrictions, le gouverneur général est soumis à un contrôle étroit de la


part du souverain, avec lequel il est en relation par voie épistolaire. Celui-ci dispose
d’agents dans les Pays-Bas pour le renseigner sur l’action du gouverneur général. Par
ailleurs, son pouvoir sera limité par la création des conseils collatéraux.

B. Les conseils collatéraux

Par une ordonnance du 1er octobre 1531, Charles Quint créée trois organes qui illustrent
le mouvement de spécialisation des institutions de gouvernement à partir de la Curia
ducis : les conseils collatéraux. Ceux-ci sont au nombre de trois :

1. Le Conseil d’Etat

Il est composé de représentants de la haute noblesse. Il se présente comme l’héritier de


la curia ducis, au sein de laquelle les grands nobles, formant l’entourage du prince, était
appelé à l’assister par leurs conseils. L’institution intègre progressivement des légistes,
qui deviendront de plus en plus importants.

Le Conseil d’Etat est compétent dans le domaine de la politique générale, de la diplomatie


(traités), de la guerre. Il assure la gestion l’organisation de la Cour du gouverneur, il
propose la nomination des agents des institutions centrales ainsi que dans les juridictions,
il contrôle les administrations provinciales, etc.

2. Le Conseil privé

Contrairement au Conseil d’Etat, le Conseil privé est composé exclusivement de légistes.


Les Compétences attribuées au Conseil privé expliquent le besoin d’agents spécialisés.
Celui-ci est compétent dans le domaine législatif. Il s’occupe de l’élaboration, de la
promulgation et de l’exécution des ordonnances, ou encore de leur interprétation. Le
Conseil privé se présente également comme l’émanation de la justice du Prince, dans
l’exercice de sa justice retenue. Il exerce donc des compétences judiciaires : connaitre de

141
certains litiges dans lesquels les intérêts du souverain sont concernés, évoquer une
affaire, mais également assurer l’exercice de la grâce.

3. Le Conseil des Finances

Le Conseil des Finances assure la gestion des recettes (subsides,...) et des dépenses
publiques (paiement des salaires, frais de fonctionnement des institutions, paiement de
la solde des militaires, etc). Il assure également le contrôle des officiers-comptables ou
encore supervise le fonctionnement des douanes.

Si la création des conseils collatéraux illustre la spécialisation des institutions à l’œuvre


dans les Pays-Bas, ils forment aussi un outil de contrôle et de limitation des pouvoirs du
Gouverneur général. La composition et le rôle des trois institutions évoluera au cours des
décennies à venir. Ce sera en particulier le cas du Conseil d’Etat, dont l’importance
déclinera sous le règne de Philippe II.

IV. Sous Philippe II : le contrôle des institutions

D’une manière générale, on assiste à partir du règne de Philippe II à un renforcement de


la politique centralisatrice. Philippe II se présente peu à peu comme un souverain absolu.
L’éloignement du souverain s’accompagne de la mise en place d’institutions, au sein des
Pays-Bas eux-mêmes mais depuis Madrid, destinées à accroître le contrôle de l’activité
politique dans les Pays-Bas. Il s’agit de contrôler l’activité du gouverneur général mais
aussi de contrôler l’activité des autres institutions des Pays-Bas, notamment celle des
conseils collatéraux.

La fonction de gouverneur général devient un élément-clé de l’organisation


institutionnelle sous Philippe II. Au moment de l’abdication de Charles Quint, en 1555, le
gouvernement de Marie de Hongrie (sœur de Charles Quint) prend fin. Philippe II nomme
alors Emmanuel Philibert de Savoie, avant de nommer sa demi-sœur, Marguerite de
Parme34. Celle-ci quittera ses fonctions en 1567, lorsque le duc d’Albe arrive dans les Pays-
Bas. D’autres gouverneurs-généraux, dont le gouvernement connut une certaine longévité
ou une certaine importance, peuvent être mentionnés, comme Alexandre Farnèse, duc de
Parme, gouverneur général à partir de 1578.

Parallèlement à l’institutionnalisation de la fonction de gouverneur général apparaît peu


à peu une nouvelle fonction, celle de Secrétaire d’Etat et de guerre. Si le titre de Secrétaire
d’Etat et de guerre n’apparaît officiellement qu’en 1594, la fonction se dégage
antérieurement. La nécessité pour le souverain de désigner un secrétaire s’imposait à un
double titre. Il s’agissait de permettre au gouverneur-général, parfois peu au fait des
spécificités des Pays-Bas, de s’appuyer sur un collaborateur de confiance. Il s’agissait
aussi, pour le souverain, de s’assurer, par l’intermédiaire d’un agent qu’il maîtrise mieux,
un contrôle sur le gouvernement des Pays-Bas.

La période espagnole voit se développer les jointes. Celles-ci forment des comités
composés de trois ou quatre personnes de confiance, choisies pour leurs compétences
dans un domaine particulier, le plus souvent étrangers aux Pays-Bas. Les jointes sont

34 Cf. note supra


142
constituées en vue d’assurer le règlement d’affaires particulières, délicates, pour
lesquelles le souverain souhaite éviter le recours aux institutions existantes. L’une des
motivations de la création des jointes est notamment d’éviter de recourir aux Conseils
collatéraux. Il s’agit au premier chef d’éviter de recourir au Conseil d’Etat,
majoritairement composé de nobles, en vue de le marginaliser. Le souverain souhaite
mobiliser un personnel efficace, en nombre réduit, et si possible davantage soucieux de
faire respecter ses volontés que le personnel des conseils, nombre d’entre eux étant issus
des Pays-Bas et n’inspirant pas confiance au souverain.

L’expression la plus manifeste du souhait de contrôle des Pays-Bas par le souverain est la
création du Conseil suprême des Pays-Bas, en 1588. Il s’agit d’une institution
« extérieure » à l’espace des Pays-Bas, chargée d’assurer son contrôle depuis Madrid.
Présidé par l’un des principaux ministres de Philippe II, il compte deux conseillers, des
juristes originaires des Pays-Bas. L’institution est abolie dès 1598, lorsque les Pays-Bas
sont cédés aux archiducs Albert et Isabelle. Le Conseil suprême des Pays-Bas a pour
mission première de s’occuper de la correspondance officielle en provenance et à
destination des Pays-Bas. Il veille également au respect des prérogatives du souverain
dans les Pays-Bas et rend des avis au souverain, principalement en ce qui concerne les
nominations aux fonctions supérieures au sein des institutions centrales. L’activité du
Conseil suprême – et donc l’effectivité du contrôle qui avait motivé sa formation – sera
entravée par le Conseil des Finances. Chargé d’assurer le financement du voyage des
conseillers jusqu’à Madrid, il parvient à repousser leur départ en reportant
continuellement le décaissement des sommes nécessaires.

V. La voix des gouvernés : les Etats-généraux

Les Etats-Généraux prennent, à la faveur de la crise que connaissent les Pays-Bas sous le
règne de Philippe II, une part croissante dans le gouvernement. La part qu’ils prennent
dans le gouvernement doit être appréciée différemment selon les régions considérées.
Dès la fin du 16e siècle, les Etats-généraux se profilent comme le principal organe de
gouvernement dans les provinces du Nord, tandis qu’ils retrouvent le rôle qui leur était
dévolu dans les provinces du Sud.

En 1576, à la mort du gouverneur général de Requesens, le Conseil d’Etat assure l’exercice


du pouvoir dans l’attente de la désignation d’un nouveau gouverneur général. Le Conseil
d’Etat doit faire face à la mutinerie qui éclate dans l’armée espagnole, et aux pillages qui
s’ensuivent. Les Etats de Brabant, de Hainaut, de Flandre et de Gueldre réclament la
convocation des Etats-généraux. Le Conseil d’Etat s’y oppose. Devant l’ampleur de la crise,
les Etats de Brabant entendent réagir pour assurer la sécurité des Brabançons. Le Conseil
d’Etat leur accorde finalement le droit de lever une armée pour pouvoir s’opposer à
l’armée espagnole. Guillaume d’Orange, qui est alors l’un des nobles les plus importants
des Pays-Bas, provoque l’arrestation des membres du Conseil d’Etat35. Le pouvoir qu’y
exerce la noblesse y est de plus en plus réduit, et l’espagnolisation progressive de
l’institution conduit à sa soumission à la volonté du souverain. Le Conseil d’Etat étant dans
l’impossibilité d’exercer ses attributions, les Etats-généraux exercent en fait le pouvoir
politique. Les Etats-généraux exercent en fait. Ceux-ci s’accordent le droit de lever une
armée. Ils déploient une activité politique de plus en plus importante : envoi

35 Guillaume d’Orange était lui-même membre du Conseil d’Etat.


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d’ambassadeurs, conclusions de traités, nominations aux plus hautes fonctions dans les
institutions centrales, règlement des questions financières concernant l’ensemble des
Pays-Bas. Ils entreprennent de même des négociations en vue de la désignation du
nouveau gouverneur général, pour lui retirer ensuite ses pouvoirs et en désigner eux-
mêmes un nouveau36. Ils prennent enfin l’initiative de négociations visant au règlement
de la crise politico-religieuse qui divise les Pays-Bas. L’issue des négociations conduit, en
1576, à la Pacification de Gand.

Les actes posés par les Etats-généraux manifestent peu à peu la volonté des provinces des
Pays-Bas de s’affranchir de la Couronne d’Espagne. Les manifestations les plus
significatives en seront la proclamation par les Etats-généraux de l’indépendance des
provinces du Nord (Acte de La Haye) et la destitution de Philippe II, en 1581. Le choix d’un
nouveau régime politique en sera la prolongation.

Mais cette extension des pouvoirs des Etats-généraux doit être nuancée et précisée. Peu à
peu, les Etats-généraux des Pays-Bas ne réunissent plus que les provinces septentrionales
des Pays-Bas, celles qui sont appelées à former la république des Provinces-Unies. Entre
1579 et 1585, alors que Farnèse mène avec succès la reconquista, les provinces
méridionales cessent les unes après les autres d’être représentées aux Etats-généraux.
Dès 1579, les Etats d’Artois et de Hainaut cessent d’y être représentés. En 1581, seules les
provinces du Nord (Gueldre, Hollande, Zélande,…), le Brabant, la Flandre, et la seigneurie
de Malines y sont représentés. En 1585, seule la Flandre subsiste parmi les « pays » du
Sud. Elle-même cesse d’y être représentée en 1586. Les Etats-généraux ne rassemblent
plus alors que les provinces du Nord37. En 1588, les Etats-généraux établissent leur siège,
de manière définitive, à La Haye.

Alors que les Etats-généraux restent l’organe de gouvernement de la République des


Provinces-Unies jusqu’à la fin de l’ancien régime, les Etats-généraux retrouvent, au sein
de la partie méridionale des Pays-Bas, leur rôle traditionnel.

36 LesEtats-généraux négocient ainsi en 1576 la nomination de Don Juan d’Autriche, fils de Philippe II, dans
la fonction de gouverneur général. Ils ne le reconnaissent plus comme gouverneur général dès 1577. Ils
nomment pour le remplacer Matthias, neveu de Philippe II.
37 Ces provinces sont alors au nombre de six : Gueldre, Hollande, Zélande, Utrecht, Frise, Overijssel. Une

septième province s’y joindra en 1594 : Groningue.


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