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Prof. J. de Brouwer
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Première partie :
Les Institutions
(France, Allemagne, Angleterre)
Note : les parties du support de cours qui sont consacrées à l’espace français, à l’héritage romain et chrétien,
ainsi qu’à l’importance du rôle de l’Eglise au Moyen Age sont largement empruntées, sous une forme
résumée, de l’ouvrage de Régine Beauthier, Droit et Genèse de l’Etat, 4e éd., Bruxelles, 2011.
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Chapitre Ier
De la chute de l'empire romain au fractionnement de l’Empire
carolingien (Ve-IXe siècles)
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La compréhension des cultures institutionnelles et juridiques européennes qui sont
abordées à l’occasion du cours d’Histoire du droit et des institutions nécessite deux
préalables indispensables : saisir l’importance de l’héritage des institutions et du droit
romain, et l’importance de l’héritage de la culture et des institutions chrétiennes.
A. L'héritage romain
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2. Le droit romain
Le droit romain se distingue par son approche pragmatique du droit et par sa grande
technicité. Il répond essentiellement à des besoins pratiques, et se présente comme un
ensemble normatif autonome, dégagé de religion.
Les lois édictées par l’empereur sous le Bas-Empire, aussi appelées « constitutions » se
multiplient dans une telle proportion qu’il apparaîtra nécessaire d’assurer leur mise en
ordre. Divers projets de compilation verront le jour. On retiendra l’initiative de
l’empereur Théodose II, dont le code (Code de Théodose, 438) continuera à être appliqué
jusqu’à la chute de l’Empire romain, voire au-delà. Une place particulière doit être faite
aux Compilations de Justinien (529), dont la découverte en Italie, au XIe siècle en Italie,
exercera une influence déterminante sur l’évolution des droits européens à la fin du
moyen-âge l’époque moderne. Ces compilations sont connues sous l’appellation
d’ensemble « Corpus Iuris Civilis » et forment principalement trois ensembles : le Code
(Codex, qui complète le Code de Théodose), le Digeste (recueil d’extraits de doctrine des
jurisconsultes les plus importants), les Institutes (manuel, destiné à restaurer
l’enseignement du droit).
La communauté des chrétiens s’organise sous une forme hiérarchisée. Elle est placée sous
la responsabilité d’un surveillant qu’elle élit, l’évêque. Le surveillant de la communauté
des chrétiens de Rome, l’évêque de Rome (ou le « pape »), a lui-même prééminence sur
les autres évêques. Cette prééminence se limite alors à une autorité morale sur les
évêques.
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Par ailleurs, l’Eglise a développé son propre pouvoir de juridiction (dire le droit lorsque
le litige est en relation avec la religion). Le droit emprunte largement aux techniques et
aux formes romaines. Son développement contribue également à la survie de la romanité.
Ce qui est communément désigné sous l’appellation d’« invasions barbares » se présente
sous une forme progressive. Les premiers déplacements ont lieu à partir du IIe siècle,
lorsque certaines tribus passent le Danube. A partir du IIIe siècle, certaines tribus, comme
les Alamans et les Francs, s’installent en Gaule. En raison de leur faiblesse numérique, ces
populations étrangères aux Gallo-romains ne constituent pas un danger pour la survie des
institutions et de la culture romaines. Mais la fin du IVe siècle est marquée par de
nouvelles incursions des peuples dit « barbares », sous la poussée des Huns (370-375).
L’installation de tribus étrangères dans l’Empire, en Gaule, est alors organisée par la
conclusion de traités qui organisent le statut de « fédérés » (foederati, de foedus : traité),
notamment par leur contribution militaire à la défense de l’Empire contre de nouvelles
incursions. Chaque groupe ethnique est soumis à un roi, jouissant d’une large autonomie
et formant par ailleurs des troupes au service de Rome.
En 451, la bataille des Champs Catalauniques oppose les armées romaines et « barbares »
coalisées (parmi eux, les Francs) aux Huns de Attila. Malgré la victoire, Attila étant
repoussé, le modèle de coopération entre Rome et les tribus fédérées ne peut plus tenir
en l’état. Les tribus fédérées ont fait la démonstration de leur puissance et leur
investissement contre les nouvelles incursions paraît tellement déterminant qu’elles se
sentent en droit d’en exiger davantage. Les tribus fédérées obtiennent davantage
d’autonomie. Les Francs saliens obtiennent ainsi le gouvernement de la Belgique seconde,
l’une des plus importantes provinces de la Gaule. Childéric installe sa capitale à Tournai.
Le pouvoir du chef de tribu (roi) ne s’exerce plus seulement sur ceux qui composent son
groupe ethnique, mais il a désormais une assise territoriale.
Childéric, roi des Francs saliens, illustre la double appartenance des foederati, à la fois
groupe ethnique et groupe militaire faisant partie de l’organisation défensive romaine.
En 1653, on découvre sa tombe à Tournai : elle contient à la fois des symboles francs,
comme l’armement (par exemple la francisque), et des symboles romains (le manteau
de pourpre, symbole des généraux romains). Le contenu de la tombe sera offert par
l’empereur du Saint-Empire germanique à Louis XIV.
Childéric Ier inaugure la dynastie des Mérovingiens (du nom de Mérovée, ancêtre
mythique de Childéric). C’est surtout son successeur, Clovis, qui assurera le renforcement
de la dynastie, d’une part par une politique de conquêtes efficace, d’autre part en se
convertissant à la religion chrétienne romaine.
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1. Expansion territoriale et conversion au catholicisme
La conquête de l’Aquitaine (bataille et victoire de Vouillé en 507 sur les Wisigoths) forme
la manifestation la plus évidente de la politique de Clovis. Contrairement à la plupart des
autres rois barbares, Clovis se convertit au catholicisme en 486 (baptême à Reims par
l’évêque de Reims, saint Rémy). La population de l’Aquitaine, très majoritairement
d’origine gallo-romaine, pratique la religion catholique romaine. Elle est gouvernée par
les Wisigoths, qui sont adeptes de l’arianisme, courant de la religion chrétienne considéré
comme une hérésie. La conquête de l’Aquitaine par Clovis sera facilitée par sa conversion,
qui lui permet de favoriser les relations entre élites franques et la population gallo-
romaine.
La conversion de Clovis a une autre conséquence durable sur le plan institutionnel. Elle
permet une alliance entre les Francs et l’Eglise, qui favorise le maintien des structures
ecclésiastiques qui ont survécu au déclin puis à la disparition de l’Empire d’Occident.
2. Conception du pouvoir
Par ailleurs, le roi, suivant la tradition héritée de l’Empire chrétien, est supposé entretenir
avec Dieu des relations privilégiées. S’il n’est pas lui-même de nature divine, il possède
des « vertus divines ». Ces vertus, attribuées d’une manière plus générale à la famille à
laquelle il appartient, contribuent à asseoir son pouvoir.
Selon la tradition franque, le roi est élu par les grands du royaume. Cette élection n’est pas
complètement ouverte pour autant, puisqu’elle a pour objet de choisir un roi au sein de la
famille royale, celle qui est considérée comme disposant d’un pouvoir charismatique
particulier (la « race royale »), renforcé par la relation avec Dieu.
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Enfin, la conception patrimoniale du pouvoir a pour conséquence le partage du territoire
du royaume selon le mode de transmission des terres franques, les alodes : le royaume est
divisé entre les descendants mâles du souverain décédé.
C. Administration
1. Administration centrale
L’administration centrale est constituée par le Palais, qui regroupe les familiers du roi, les
dignitaires, les conseillers. Le Palais ne forme pas un lieu de résidence permanent. Le roi
et son entourage se déplacent pour assurer l’exercice du pouvoir par le contact avec les
populations, au cours d’une période marquée par la prédominance de l’oralité et la
carence des moyens de communication.
2. Administration locale
L’exercice du pouvoir royal sur le territoire du royaume franc suppose un contrôle sur de
vastes territoires, au cours d’une période marquée par la faiblesse des moyens de
communication. La maîtrise de ces territoires s’appuie sur le découpage administratif
hérité de l’Empire. Il est divisé en circonscriptions administratives, les « pagi » (pagus),
qui correspondent encore aux circonscriptions administratives romaines.
L’administration du pagus est confiée à un comte, auquel le roi a délégué l’exercice du ban.
Nommé par le roi, en principe révocable, il est engagé dans une relation de fidélité,
manifestée par le serment. Il exerce des fonctions administratives, financières, fiscales,
militaires et judiciaires.
Les manquements des comtes, leurs abus éventuels, seront corrigés par l’intervention de
l’évêque, qui exerce une influence de premier plan dans le même cadre géographique que
le comte, les circonscriptions ecclésiastiques étant moulées sur les circonscriptions civiles
héritées de l’Empire. L’évêque, dont la désignation est largement maîtrisée par le roi, se
présente comme un véritable agent du pouvoir royal. Considéré parfois par la population
comme davantage préoccupé par l’administration et la justice que le comte lui-même,
intermédiaire entre le comte et la population, il sera alors, en cas de défaillance du comte,
appelé à exercer les droits comtaux.
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D. Organisation de la justice
La justice telle qu’elle est organisée sous les Mérovingiens doit être mise en relation avec
ce qui caractérise l’installation des populations « barbares » au sein de la Gaule. Ces
populations, malgré leur organisation en royaume, restent largement minoritaires par
rapport à la population gallo-romaine présente avant les incursions. L’exercice de la
justice prend en considération l’appartenance ethnique et la tradition juridique de chacun
des groupes présents sur le territoire du royaume. C’est en effet le principe de
personnalité des lois (voy. infra, Partie II. Les Sources) qui domine alors : le droit
applicable par les juridictions est celui du groupe ethnique auquel appartient le
justiciable.
1. Juridictions
- Le mallus
- Le tribunal du Palais
La procédure peut être qualifiée d’« accusatoire ». Les parties ont un rôle actif dans le
cours de la justice. Alors que, dans le domaine pénal, notre système de procédure
continental se caractérise par l’importance du rôle moteur du ministère public (procureur
du roi), l’initiative de l’action en justice appartient alors à la victime. L’action en justice
initiée par la victime ou sa famille tend à obtenir le paiement de la composition, c’est-à-
dire une somme d’argent déterminée correspondant au préjudice subi. La procédure se
caractérise également par l’oralité et la publicité
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Quant à l’administration de la preuve, elle se caractérise par l’irrationalité et le recours à
la divinité. Il s’agit en premier lieu du serment purgatoire, qui requiert que le jureur
rassemble en sa faveur des forces naturelles, qu’il jure sur l’autel, sur le tombeau d’un
saint ou sur des reliques. Le jureur doit également s’assurer le concours de personnes
issues de sa communauté qui sont prêtes à confirmer sa bonne réputation. En raison des
critiques, le serment purgatoire perd en importance à partir du VIIe siècle, les cojureurs
témoignant surtout leur solidarité familiale ou leur solidarité de clan, davantage que leur
connaissance véritable de la réputation de l’accusé.
Dès les VIe-VIIe siècles se sont développés d’autres modes de preuve, connus sous
l’appellation de « jugements de Dieu ». L’intervention de la divinité devient déterminante.
Les jugements de Dieu se déclinent sous deux formes, le duel judiciaire et l’ordalie. Le duel
judiciaire se présente comme un combat au terme duquel celui qui perd doit être
considéré comme la partie qui succombe au procès. L’ordalie est un mode de preuve qui
se présente en général comme unilatéral. Seul l’accusé est concerné. La partie qui
souhaite voir reconnaitre son innocence se soumet à une épreuve physique dans laquelle
Dieu est censé manifester sa puissance, sa grâce vis-à-vis de l’innocent ou son
mécontentement vis-à-vis du coupable. On connait plusieurs types d’ordalie : l’ordalie par
l’eau bouillie, l’ordalie par le feu ou le fer rouge, l’ordalie du pain et du fromage.
Suivant la tradition franque, le royaume franc est divisé à la mort du roi en autant de lots
que d’enfants mâles. A la suite du décès de Clovis, le royaume franc se divise en trois regna
(regnum : le royaume) : l’Austrasie (Francs de l’Est), la Neustrie (Francs de l’Ouest) et la
Burgondie (centre, incorporée au royaume de Clovis en 535). Selon les périodes, en
fonction de aléas des successions, en raison notamment de l’absence d’héritier mâle dans
l’un des trois royaumes, le regnum originaire, celui de Clovis, est appelé à se reconstituer
puis éventuellement à se diviser à nouveau à la suite de la dévolution successorale. Le
royaume de Clovis est ainsi reconstitué sous le roi Dagobert († 639), qui rassemble sous
la même couronne, entre 629 et 639, l’Austrasie, la Neustrie et la Burgondie.
Chacun de ces trois royaumes est organisé sur le plan institutionnel selon les mêmes
principes. Un maire du Palais est donc en charge de la plus importante fonction
administrative dans chacun des trois espaces. On observe que, de plus en plus au cours
des règnes qui suivent celui de Clovis, les maires du Palais renforcent leurs pouvoirs,
jusqu’à en faire une charge héréditaire et jusqu’à exercer eux-mêmes les fonctions
régaliennes.
Une « dynastie » de maires du palais finit notamment par émerger en Austrasie, celle des
Pippinides. Pépin de Landen (mort en 640) est ainsi maire du palais d’Austrasie et son
successeur Pépin de Herstal, son petit-fils († 714) devient maire du palais des trois regna
à partir de 690. Son pouvoir est tel qu’il est l’arbitre de la succession au trône entre les
prétendants mérovingiens. Son fils Charles Martel († 741) lui succède comme maire du
Palais d’Austrasie et peut être considéré comme « roi de fait » des Francs. L’ascension des
Pippinides aboutit à l’accession de Pépin le Bref au trône, en 751. En 752, le dernier roi
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mérovingien, Childéric III, est définitivement écarté : il est tonsuré et envoyé dans un
monastère.
B. Fondements du pouvoir
En 751, Pépin le Bref est élu roi des Francs. Son accession au trône est suivie d’un rituel
nouveau : le nouveau roi est consacré par les évêques francs. L’Eglise franque marque
ainsi son approbation à l’accession au pouvoir de la nouvelle dynastie. Le front du
nouveau souverain est oint d’une huile sainte. L’institution du sacre, inconnue des rois
mérovingiens, inspirée de l’Ancien Testament (tradition juive) et connue des Wisigoths,
contribue à légitimer la prise de pouvoir de Pépin le Bref. Consacré par les évêques et oint
de l’huile sainte, le nouveau souverain est censé être inspiré par Dieu. Ce premier sacre
est suivi d’un second sacre, en 754, par le pape lui-même, au cours duquel ses fils Charles
et Carloman sont également sacrés. Ce second sacre renforce encore la légitimation de
l’accession au trône des Pippinides. Il scelle également l’alliance entre le roi des Francs et
la papauté. Le pape est alors menacé par les Lombards et il a besoin de la protection d’un
prince assez puissant. Pépin le Bref se voit donc attribué le titre de roi des Francs mais
aussi celui de patrice des Romains. Il est appelé à protéger le pape.
L’idée d’un Empire chrétien, renouvelant l’Empire romain d’occident et dominant les
royaumes nationaux, est théorisée par Alcuin. Les circonstances se prêtent à la
renaissance de l’idée impériale. Le pape Léon III est contesté par l’aristocratie romaine,
qui détient un pouvoir important au sein de l’Eglise de Rome. Sa situation est tellement
fragile qu’il en appelle à Charlemagne. La théocratie royale, et l’importance du ministère
confié par Dieu au souverain, celui de protéger les chrétiens ainsi que la papauté, s’en
trouvent renforcées par les événements. Dans le même temps, le pouvoir impérial de
Byzance connait un profond déclin. Le trône impérial byzantin se présente, aux yeux de
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l’Occident, comme vacant. La protection sur laquelle le pape aurait pu compter de la part
de l’empereur d’Orient fait défaut.
L’empereur Constantin VI, couronné en 780, est en conflit avec sa mère, Irène l’Athénienne, qui
tente un coup d’Etat en 790. Contesté par la noblesse comme par le clergé, il est complètement
isolé. Irène l’Athénienne lui fait crever les yeux en 797, le fait enfermer dans un monastère et
assume elle-même le pouvoir impérial.
Charlemagne est sacré empereur à Rome, dans la Basilique Saint-Pierre, le jour de Noël
de l’an 800. Le pouvoir du souverain carolingien et la théocratie royale connaissent leur
plein épanouissement.
C. Administration
1. Administration centrale
Le Palais reste itinérant, même s’il a tendance à se fixer, à la fin du règne de Charlemagne,
à Aix-la-Chapelle.
Soucieux de ne pas concentrer l’exercice du pouvoir dans les mains d’un seul
fonctionnaire – système qui leur a permis d’exercer peu à peu les fonctions du roi – les
souverains carolingiens mettent fin à la fonction de maire du Palais. Les fonctions
d’administration générale seront confiées à trois fonctionnaires :
2. Administration locale
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Le comte est le représentant permanent de l’empereur dans le pagus. A ce titre, il exerce
des fonctions d’administration ainsi que des fonctions judiciaires, militaires et fiscales.
1. Organisation
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Les missi dominici eux-mêmes participent à l’exercice de la justice à l’occasion de la
mission de contrôle dont ils sont investis. A l’occasion de leur séjour, ils rendent la justice,
entourés du comte et de sept échevins. Ils connaissent des demandes en révision des
décisions rendues par le plaid comtal ainsi que des affaires qui ont été laissées sans
jugement (déni de justice).
Enfin, la justice est rendue au sein du Tribunal royal (Tribunal du Palais). Le Tribunal
royal, présidé par le comte du Palais, est composé des dignitaires du royaume. Il connait
des affaires dans lesquelles les fonctionnaires royaux ou les grands du royaume sont
concernés, ainsi que les cas graves de désobéissance aux ordres, par exemple la désertion.
Il connait également, au deuxième degré, des affaires que les juridictions ordinaires n’ont
pas pu trancher ou ont refusé de trancher (déni de justice) ou de toute affaire dont le
requérant estime qu’elle a été mal jugée, la décision rendue n’étant pas conforme à la loi.
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1. Le règne de Louis le Pieux
Le règne de Louis le Pieux est marqué par un renforcement des relations entre le pouvoir
royal et le monde ecclésiastique. Louis le Pieux s’entoure de clercs qui s’emploient à
consolider la restauration impériale initiée sous Charlemagne. Louis le Pieux, au contraire
de Charlemagne, qui faisait systématiquement usage de son titre de roi des Francs,
n’utilise plus que la titulature impériale.
Cet objectif se traduit par le Règlement successoral de 817 (« Ordinatio imperii »). Louis
Le Pieux a alors 3 fils : Lothaire, Pépin et Louis. Contrairement à la coutume franque, le
Règlement successoral proclame l’indivisibilité de l’Empire au profit de son fils aîné,
Lothaire, qui héritera du titre impérial. Quant à Pépin et Louis, ils obtiendront des
territoires limités, qu’ils gouverneront sous le contrôle de leur frère aîné.
Le Règlement successoral de 817 heurte la tradition et provoque des tensions. S’y ajoute
la circonstance du remariage de Louis le Pieux en 819, et la naissance d’un quatrième fils,
Charles. L’organisation de la succession prévue par l’Ordinatio imperii de 817 est remise
en question. Les partisans de l’unité de l’Empire et les partisans de sa division s’opposent
dans une lutte ouverte. En 839, Louis le Pieux est contraint de proposer un nouveau
règlement en accord avec la tradition franque.
En 843, trois ans après la mort de Louis le Pieux, Pépin étant décédé, les trois frères
survivants concluent un Traité de partage, le Traité de Verdun, qui prévoit la division de
l’Empire en trois parties : Charles (dit Charles le Chauve) obtient la Francie occidentale,
Louis (dit Louis le Germanique) obtient la Francie orientale. Lothaire, le fils aîné, obtient
une bande de territoire située entre la Francie occidentale et la Francie orientale, la
Francie médiane, également appelée Lotharingie, incluant le berceau de la dynastie
carolingienne ainsi que l’Italie, cœur de l’empire. Lothaire hérite du titre impérial.
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888, aucun membre de la dynastie carolingienne ne paraît capable d’assumer l’héritage
impérial. Le seul descendant légitime, Charles le Simple, est alors âgé de neuf ans.
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b. la dilapidation du trésor royal
d. la privatisation du ban
La puissance acquise par les agents du roi, comme les comtes ou les ducs, et
la perte de contrôle qui l’accompagne, les conduits à exercer eux-mêmes les
pouvoirs issus du ban. Ils exercent pour leur compte, sans en référer au roi
ou reverser quoi que ce soit au Trésor royal, les attributions qui leur avaient
été déléguées.
f. la médiatisation du pouvoir
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cas de conflit entre le roi et l’un des grands, les vassaux de ce dernier
l’assureront de leur fidélité, contre le roi. Le roi n’a plus de pouvoir direct
sur les niveaux inférieurs de la hiérarchie. Les grands forment un « écran »
à l’exercice de l’autorité royale sur les niveaux inférieurs.
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Chapitre II. L’Angleterre anglo-saxonne et la Conquête (Ve - XIe siècles)
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La période qui s’étend du Ve siècle au XIe siècle est celle dite de l’ « Angleterre anglo-
saxonne ». Elle prend cours à partir du retrait de l’autorité romaine, en 410, à la suite des
incursions des tribus germaniques (dites « barbares »), notamment les Angles et les
Saxons. Elle se poursuit jusqu’à la Conquête normande, marquée par la bataille d’Hastings
(1066) et l’avènement de Guillaume le Conquérant.
L’implantation de l’autorité romaine dans l’espace anglais qu’on connait alors sous
l’appellation de Britannia (Bretagne), est tardive et superficielle. La romanisation de la
Bretagne est faible. Aussi, les incursions des tribus germaniques entraînent le retrait des
armées romaines dès le début du Ve siècle. En 410, l’empereur Honorius (395-423)
demande aux Romains de Bretagne d’assurer eux-mêmes leur défense. Ceux qui sont
généralement appelés « Saxons », et qui rassemblent également des Angles, des Frisons et
des Jutes, multiplient les incursions, aux Ve et VIe siècles. La rencontre entre romanité et
culture germanique n’est pas celle que connait la Gaule, dans la mesure où l’implantation
de la culture romaine y est beaucoup moins importante.
L’implantation de la religion chrétienne y est également plus faible qu’en Gaule, du moins
au IVe et Ve siècle. Le contact entre l’Eglise de la Bretagne romaine et Rome se perd dès
le début du Ve siècle. Un nouveau mouvement de christianisation de se développe à partir
de la seconde moitié du VIe siècle. Vers 600, la christianisation se répand par l’ouest, sous
l’influence des missionnaires venus d’Irlande, et par le sud, sous l’influence des
missionnaires venus du continent. En 597, saint Augustin fonde l’archevêché de
Cantorbéry (angl. : Canterbury). La christianisation est assez importante pour atteindre
l’élite anglo-saxonne. Le roi Aethelbert de Kent est baptisé en 601. Il est le premier des
rois saxons à se convertir à la foi chrétienne. Dès 655, la christianisation aura atteint
l’ensemble des souverains anglo-saxons. Le dernier des rois païens, Penda, meurt en 655.
L’importance du mouvement de christianisation est telle qu’elle entraîne l’envoi de
missionnaires anglo-saxons sur le continent, dans l’espace carolingien, à partir du VIIIe
siècle.
A. Royaumes anglo-saxons
Le royaume de Kent, avec le roi Aethelbert, se distingue parmi les royaumes anglo-saxons
au cours d’une première époque, à la fin du VIe siècle. La domination passe ensuite au
royaume de Northumbrie, et au roi Edwin, puis au royaume de Mercie, qui domine les
autres royaumes au cours du VIIIe siècle. Le roi de Mercie, Offa, est alors considéré sur le
continent, par Charlemagne, comme le plus important souverain de l’espace anglais.
Toutefois, dès la fin du VIIIe siècle, la suprématie du royaume de Mercie décline devant la
montée en puissance d’un autre royaume, le Wessex. Au IXe siècle, le roi Alfred de Wessex
(Alfred le Grand) s’impose parmi les autres rois qui se partagent la terre d’Angleterre.
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B. Invasions vikings et Danelaw
Les premières invasions scandinaves ont lieu à la fin du VIIIe siècle. L’irruption des
Vikings met fin à la puissance des royaumes anglais, jusqu’à ce que leur expansion soit
arrêtée par Alfred Le Grand, roi de Wessex (victoire de Ethandun ou Edington, 878). Les
nouvelles populations scandinaves organisent leur installation dans un vaste espace,
appelé Danelaw. L’importance politique du Danelaw fait face cependant à la montée en
puissance du royaume de Wessex au cours du IXe siècle.
C. Unification de l’Angleterre
A la fin du règne d’Alfred le Grand (mort en 899), le roi de Wessex domine le Wessex lui-
même, mais également le Sussex et le Kent. La domination du roi de Wessex s’accroit au
cours du règne du successeur d’Alfred le Grand, Edouard l’Ancien, qui combat
efficacement les Danois (autre appellation pour désigner les Vikings ou Scandinaves).
Cette politique d’expansion permet au successeur d’Edouard, Aethelstan (924-939), à la
suite de la conquête de la Northumbrie, de se considérer comme le premier souverain
saxon régnant directement sur l’ensemble de l’Angleterre.
L’unité politique de l’Angleterre est considérée comme acquise sous le règne d’Edgar dit
« Le Pacifique » (959-975), couronné à Bath par l’Archevêque de Cantorbéry (Canterbury)
en 973.
D. Conquête normande
Pour assurer la consolidation de son pouvoir, Knut le Grand, après avoir défait son ennemi
anglo-saxon, épouse la veuve d’Aethelred II, Emma de Normandie. Edouard, fils
d’Aethelred II, trouve refuge auprès du duc de Normandie, son oncle (Richard II).
Seul fils de Knut le Grand et d’Emma de Normandie, Harthaknut, ou Knut III, dit « le
Hardi », devient roi d’Angleterre en 1040. Sans descendance, il invite son demi-frère,
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Edouard dit « le Confesseur », à quitter la Normandie et à regagner l’Angleterre pour lui
succéder sur le trône (1042). Edouard, plus préoccupé par ses activités religieuses, laisse
le royaume aux mains des earls (voy. infra) . Le pouvoir royal est affaibli.
Harold est vaincu à Hastings au mois d’octobre 1066. Guillaume le Conquérant est
couronné roi d’Angleterre à Londres, en l’abbaye de Westminster, au mois de décembre
suivant. Il s’agit pour le nouveau roi de consolider son accession au pouvoir et d’asseoir
sa légitimité. Il compte notamment sur l’Eglise et ses principaux représentants,
l’Archevêque d’York et l’Archevêque de Cantorbéry. Le pouvoir normand s’assure
également la maîtrise du territoire en réaffirmant l’autorité royale dans l’ensemble du
royaume, en particulier face aux earls.
Les liens entre la Normandie et l’Angleterre finiront par se relâcher à partir du début du
XIIe siècle. L’Angleterre, peu à peu, se détache de la terre normande.
A. Qualités royales
B. Election et acclamation
L’élection apparaît comme le mode d’accession au pouvoir sous les rois anglo-saxons. Le
sacre ne constitue pas un événement nécessaire, devant intervenir pour assurer
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légitimation de la succession. Il marque plutôt un temps fort du règne, une confirmation
des qualités du roi. Toutefois, le champ de l’élection est restreint. Elle a lieu dans le cadre
de la famille royale. L’élection est suivie d’une acclamation.
C. Hérédité et sacralisation
Le caractère héréditaire est présent, dans la mesure où c’est au sein de la famille régnante
qu’a lieu la succession. Mais le principe de la primogéniture de type masculin (premier né
de sexe masculin) ne s’impose de manière tout à fait distincte qu’à partir du règne de Jean
sans Terre (1199-1216). L’accession au trône dépend essentiellement, pendant la période
anglo-saxonne, des aptitudes de celui qui va monter sur le trône. Si l’aîné ne dispose pas
des qualités requises, le plus capable parmi les membres de la famille sera préféré. En
871, Alfred – futur Alfred le Grand – succède ainsi à son frère Ethelred. Il est préféré
aux deux fils de son frère, qui ne sont manifestement pas en âge de régner. A partir de la
fin du Xe siècle, le principe de la transmission dans la descendance masculine, du père
vers le ou les fils, se précise. Seuls les fils du roi portent le titre d’atheling, qui désigne leur
qualité d’héritier présomptif. Les fils du roi décédé sont préférés aux frères, à tout le
moins ceux qui sont assez âgés – ou le seront à bref délai –pour être apte à porter les
armes.
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IV. Administration centrale
Le roi est également entouré de conseillers qui forment ensemble un groupe nommé
wiotan ou witan. Le wiotan se présente comme une institution caractéristique de la
période anglo-saxonne, héritière des traditions germaniques : l’importance du pouvoir
d’un groupe d’hommes qui entourent le roi. Désignant une « rencontre de sages », le
wiotan rassemble les personnalités importantes du royaume : proches du roi, haute
noblesse, haut clergé, principaux membres de son administration.
Le wiotan peut être conduit à s’affirmer dans les situations de crise. Ce pourra notamment
être le cas s’il y a concurrence entre prétendants ou si le roi défunt laisse un enfant
mineur. Ce sera également le cas face à l’inaptitude ou aux excès du roi. Il exerce son
pouvoir - exceptionnellement - en se prononçant pour sa déposition. Le wiotan de Wessex
dépose ainsi le roi Sigeberht en757.
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V. Administration locale
A. Shire
Le shire est administré par un ealdorman. Apparu dès le 7e ou le 8e siècle, l’ealdorman est
chargé du commandement de l’armée, du maintien de l’ordre et de l’administration de la
justice (infra). En rémunération de ses services, il reçoit une quote-part des amendes qui
sont dues au roi et bénéficie éventuellement d’une dotation foncière.
L’ealdorman ou earl ainsi que le sheriff sont assistés dans leurs fonctions par un conseil
composé des principaux nobles et représentants du clergé du shire.
B. Hundred
Subdivision du shire, le hundred est administré par un hundredman ou hundred reeve, qui
est l’agent de l’ealdorman ou du sheriff. Il exerce les mêmes compétences que ceux-ci dans
le ressort du hundred. Il est assisté d’un conseil dans l’exercice de ses fonctions.
A. Organisation de la justice
La justice est rendue au niveau du shire par la shire court, par l’ealdorman, entouré de
son conseil. Il exerce des compétences non seulement dans le domaine de la justice, mais
il est également chargé d’assurer l’exécution des lois et de maintenir l’ordre public. Il est
suppléé dans l’exercice de ses compétences administratives et judiciaires par le sheriff,
lequel préside le plus souvent les assemblées du shire.
25
La justice est également rendue au niveau des hundreds, par le hundred reeve entouré de
son conseil. Son activité peut faire l’objet d’un contrôle par le sheriff, qui préside lui-même,
occasionnellement, le hundred court.
Le roi rend également la justice, assisté par le groupe formé par le wiotan.
B. Procédure
1. Système accusatoire
2. Administration de la preuve
Le système des ordalies s’est développé sur le sol anglais, comme au sein de tous les
groupes d’origine germanique. A la suite de la conquête normande, les ordalies sont
écartées et remplacées par le duel judiciaire.
26
EX CURSUS N°1
27
La compréhension de l’évolution institutionnelle du Brabant au Moyen-Age ne peut se
comprendre qu’en prenant en considération le morcellement politique que connait l’Empire
de Charlemagne au cours des 9e-10e siècles, et la place particulière qu’occupe, dans cet espace,
la région qu’on nomme « Lotharingie ».
A son tour, suivant la coutume franque, la Francie médiane se divise à la suite du décès de
Lothaire Ier. Par le Traité de Prüm (855), chacun de ses trois fils se voit reconnaitre une
portion du territoire de la Francie médiane :
A la mort de Lothaire II, la Lotharingie fait l’objet d’un traité entre ses deux oncles, Charles le
Chauve et Louis le Germanique (Traité de Meersen, 870). Ceux-ci se partagent la Lotharingie
sans prendre en considération les droits successoraux des frères de Lothaire ou de leur
descendance éventuelle.
28
II. Origine de la Maison de Louvain
La maison de Louvain, dont sont issus les premiers ducs de Brabant, est elle-même issue
des comtes de Hainaut1, de la dynastie dite des « Régnier »2. Le comte de Hainaut Régnier
III s’oppose, vers 950, au roi de Francie orientale et futur empereur, Otton Ier. Vaincu,
Régnier est condamné à l’exil. Ses deux fils, Régnier et Lambert, essaient de reconquérir
le Hainaut (ca 970). Otton Ier finit par leur concéder des terres dépendantes du comté de
Hainaut, le comté de Mons à Régnier et le comté de Louvain à Lambert.
Comte de Louvain, Lambert (dit « Le Barbu », †1015) reçoit également, par mariage, en
dot, le comté de Bruxelles. Il assez puissant pour obtenir également l’avouerie sur les
abbayes de Nivelles et de Gembloux3 : cette alliance avec de puissantes institutions
ecclésiastiques, disposant d’importants domaines, contribue à étendre le contrôle de la
maison de Louvain sur l’espace brabançon. La puissance du premier représentant de la
Maison de Louvain se manifeste également sur le plan militaire. La bataille de
Hoegaarden, en 1013, remportée contre l’armée de l’évêque de Liège, lui assure le
contrôle de nouveaux territoires.
Les comtes de Louvain, Lambert Ier et ses successeurs, accroissent leurs possessions et
consolident leur pouvoir.
29
Chapitre III. L’espace français (Xe - XIe siècles)
30
I. L’avènement des Capétiens
La seconde moitié du IXe siècle est marquée, dans l’espace carolingien, que ce soit dans
l’espace français ou dans l’espace allemand qui sont en train de se former, par les
invasions scandinaves. L’insécurité engendrée par ces invasions fragilise le pouvoir royal.
Les « grands » du royaume de Francie occidentale se tournent vers celui qui apparaît
comme le plus apte à résister à l’ennemi. Parvenu pour la seconde fois devant Paris en
885, les Vikings sont repoussés par le comte de Paris, Eudes. Ses capacités militaires
conduisent les grands à l’élire roi de Francie occidentale en 888. L’élection reprend le pas
sur l’hérédité qui s’était affirmée comme mode d’accession au pouvoir sous les
Carolingiens. Eudes, comte de Paris, est un agent du roi. L’élection de 888 n’a pas lieu dans
le cadre de la famille carolingienne, mais en dehors d’elle. Elle manifeste avec éclat le
déclin de la dynastie carolingienne. Désormais, les grands du royaume sont en capacité de
désigner le roi. Ils assureront pourtant le retour sur le trône des Carolingiens, privilégiant,
si possible, la race issue de Charlemagne.
En 987, les grands du royaume élisent Hugues Capet. Le nouveau roi de Francie
occidentale s’efforce de consolider son pouvoir en assurant sa sacralisation. Il procède
comme les souverains carolingiens, comme Pépin l’avait fait dès 754, en faisant sacrer son
fils de son vivant. Il s’agit de garantir l’installation de sa descendance au pouvoir. Le sacre
anticipé sera pratiqué jusque sous le règne de Louis VIII, qui fait sacrer son fils Philippe
(Philippe Auguste) en 1179, quelques mois avant sa mort. Philippe Auguste ne fait pas
sacrer son ou ses fils anticipativement : cette forme de sécurisation de la succession au
trône n’apparaît plus nécessaire à partir de son règne.
Elu roi, Hugues Capet dispose pourtant d’un pouvoir fragile. En ce Xe siècle au cours
duquel se renforce le morcellement des terres et du pouvoir, qui voit s’installer le système
féodal, le roi de Francie occidentale ne se distingue pas des autres « grands » du royaume
par ses possessions et son pouvoir. Il n’exerce de maîtrise que sur cet ensemble de terres
et de droits formant le « domaine royal », sur lequel il est en mesure d’exercer le pouvoir
du ban. Ce qui distingue alors le roi des autres princes réside essentiellement dans l’effet
du sacre, qui lui confère un statut particulier et lui permet de compter sur l’appui de
l’Eglise, notamment dans l’exercice du gouvernement.
Le successeur d’Hugues Capet, Robert le Pieux (996-1031) est marqué par la lutte contre
les princes, les « grands » du royaume ainsi que contre les châtelains au sein du domaine
royal lui-même. Il s’allie avec l’empereur du Saint-Empire romain germanique pour
soumettre les princes récalcitrants. Mais la situation paraît pire encore que sous le règne
de son prédécesseur. La partie de la Francie située au sud de la Loire échappe
complètement au contrôle du roi. Dans son propre domaine, Robert le Pieux s’efforce de
soumettre ceux qui veulent échapper à son pouvoir, les seigneurs-châtelains. Ceux-ci
prétendent disposer du bannum, et ils défient le pouvoir royal. Enfin, contesté par les
siens, Robert le Pieux est conduit à mener la lutte contre ses propres fils.
Henri Ier (1031-1060), le successeur de Robert le Pieux, est confronté, plus encore que
Robert le Pieux, au mouvement d’autonomisation des seigneurs-châtelains au sein du
domaine. Sacré du vivant de son père, Henri Ier voit pourtant son pouvoir contesté, tant
par les grands du royaume que par son frère cadet. Le roi se présente davantage comme
un seigneur que comme le roi de Francie. Ses vassaux lui échappent complètement, et la
31
curia (curia regis) n’est plus fréquentée par les princes mais par des seigneurs issus du
domaine. Son pouvoir s’étend sur Orléans, Paris, Senlis, Bourges, ainsi que sur quelques
forteresses. Subsiste toutefois cet avantage qui peut constituer un appui profitable : les
relations privilégiées que le roi entretient avec l’Eglise, et la faculté dont il dispose de
nommer les évêques.
C’est sous le règne de Philippe Ier (1060-1108), fils d’Henri Ier, que la situation finit par
évoluer favorablement. Philippe Ier tire profit de la renaissance économique et du retour
progressif à la prospérité que connait alors l’espace français à partir de la fin du XIe siècle.
La relance de l’activité agricole, favorisée par un large mouvement de défrichement et le
renouveau des techniques agraires, permet d’assurer la subsistance des populations et la
formation de surplus alimentaires, qui intègrent les circuits commerciaux. Cette situation
favorable entraîne également un essor démographique et la renaissance des villes, ainsi
que la formation progressive de nouvelles entités urbaines. L’essor économique profite
au souverain, qui voit ses moyens financiers s’accroître, pour lui permettre de mener une
politique efficace. Il peut notamment assurer la rémunération de ses agents, et accroître
le domaine par l’achat de terres.
La reprise en main du pouvoir qui s’opère sous Philippe Ier se manifeste en 1077, par
l’envoi d’un premier mandement royal destiné au nord du royaume. Le mandement
consiste en un ordre bref du roi, qui n’est revêtu que de sa seule signature, et non plus,
comme au cours de la période qui précède, de tous ses fidèles. Le mandement prend la
forme d’une lettre, sur le ton du commandement. Désormais, s’agissant du nord du
royaume, le roi paraît pouvoir se passer de la manifestation d’approbation et de soutien
de ses fidèles. Ce qui se nomme la « souscription » n’est plus nécessaire. Le roi, peu à peu,
parvient à imposer son pouvoir, dans une partie de l’espace français qui dépasse le cadre
du seul domaine royal. Le règne de Philippe Ier est également marqué par des relations
tendues avec la papauté. Philippe Ier s’oppose à l’introduction de la réforme soutenue par
Grégoire VII, lequel entend notamment limiter ses droits à la nomination des évêques.
Philippe Ier est considéré comme le premier des rois dits « thaumaturges ». Le souverain,
à partir de Philippe Ier, serait doté de pouvoirs magiques, en relation avec la qualité de la
mission qui lui est donnée par le sacre. Le roi serait en mesure de soigner, par le seul
toucher, les « écrouelles ». La sacralité du pouvoir royal s’installe dans la représentation
populaire6.
Si les premiers Capétiens disposent d’un pouvoir très limité, ils parviennent du moins à
se maintenir au pouvoir et à consolider le caractère héréditaire de la succession au trône.
Ils bénéficient à cet égard de circonstances heureuses : cette succession est facilitée par la
naissance et la survie d’enfants mâles en ligne directe. Les historiens parlent ainsi d’un
« miracle capétien ». Quant à la pratique du sacre anticipé, elle vient renforcer ce que la
nature leur offre comme avantage.
6Cette croyance dans le pouvoir dont dispose le roi de soigner les écrouelles est également présente en
Angleterre au cours de la même période.
32
II. L’étendue du pouvoir des premiers Capétiens et leur administration
Jusque sous le règne de Philippe Ier, le roi de Francie (ou de France) est un souverain dont
le pouvoir effectif ne le distingue pas des autres « grands » du royaume. Il n’exerce de
pouvoir effectif que sur ce qui forme le domaine royal. Dans cet « espace de pouvoir »
réduit, il doit d’ailleurs faire face aux ambitions des seigneurs-châtelains qui, disposant
du ban, prétendent être maîtres dans leur seigneurie. Seul le sacre, qui unit le souverain à
Dieu et à l’Eglise, distingue le roi des autres grands du royaume.
Signe des temps, la curia, composée de ceux qui entourent le roi, l’assistent par leurs
conseils et sont appelés à approuver ses décisions, n’est plus fréquentée par les grands du
royaume, mais par les seigneurs du domaine qui sont demeurés fidèles au roi.
Les moyens d’administration dont dispose le roi sont pauvres. L’administration est tout à
fait embryonnaire. Au sein du Palais (Palatium), toujours itinérant, les principales
fonctions sont les suivantes :
Au niveau local, le roi peut compter sur des agents appelés « prévôts ».
A. Eléments de contexte
Les Xe et XIe siècles voient se former une société nouvelle, qui se distingue de la société
franque. Le modèle de l’homme libre qui caractérise la société franque, qui cultive sa terre,
peut prendre les armes et qui est jugé par ses pairs, décline. La répartition ethnique qui
dominait encore sous Charlemagne et Louis le Pieux fait place peu à peu à une répartition
sociale. Peu à peu la société s’organise de manière hiérarchique en trois groupes distincts :
ceux qui travaillent (laboratores), ceux qui font la guerre (bellatores) et ceux qui prient
pour le salut de leur âme (oratores). Cette division tripartite (ou tripartition) définit
chacun de ces groupes par leur fonction sociale et le genre de vie qui y est attaché. Cette
division tripartite sera soutenue et théorisée par les penseurs de l’Eglise, qui y voient la
manifestation d’un ordre harmonieux voulu par Dieu.
33
B. Division tripartie
1. Laboratores (paysans)
Le paysan perd peu à peu sa liberté. La différence entre l’homme libre et l’esclave, qui
existait auparavant, s’estompe. Cette période voit l’apparition du servage. Le paysan est
attaché à la terre du seigneur. Il est soumis à un ensemble d’exactions, les obligations dont
il doit s’acquitter au profit du seigneur. Il subit également plusieurs incapacités, qui
manifestent son attachement à la terre :
2. Bellatores (nobles)
Ceux qui ont vocation à faire la guerre se définissent peu à peu par référence à un groupe
social qui se ferme peu à peu, la noblesse. Les paysans ne peuvent plus faire la guerre. Elle
est réservée aux nobles. Au cours d’une période marquée par le déclin économique et
l’appauvrissement, l’équipement nécessaire pour « aller à l’ost » (participer à la guerre)
nécessite de l’argent. L’ost est ainsi réservé à ceux qui peuvent assurer le financement de
leur participation. Ceci ne signifie pas que les paysans ne prennent pas leur part dans la
guerre. Ils y participent, en assistant notamment les nobles, mais dans des fonctions
subalternes.
- fiscaux : les nobles paient « l’impôt du sang », ils sont donc exemptés de
prélèvements pécuniaires ou en nature ;
- militaire : les nobles ont le droit de prendre les armes pour se défendre. Ils
disposent du droit de « guerre privée », ou faide ;
- juridictionnel : les nobles sont jugés par leurs pairs, des nobles.
Engagé dans une relation de vassalité, le noble n’est pourtant pas dans la même situation
de dépendance que le serf. Le contrat de vasselage est un contrat de droit privé par lequel
34
un homme (vassal) s’engage sous la dépendance d’un autre homme (seigneur). Ce contrat
entraîne des obligations à charge des deux parties. Le seigneur doit assurer la protection
du vassal et lui attribuer un bien foncier. Le vassal doit assurer aide et conseil à son
seigneur. Il implique un lien de dépendance qui est librement consenti, au contraire de la
situation du paysan.
L’aide qu’apporte le vassal consiste en une aide militaire (aller à l’ost) ainsi qu’en une
aide financière, limitée à 4 cas (appelée pour cette raison « aide aux quatre cas ») :
L’inexécution du contrat de vasselage par l’une des parties peut faire l’objet d’une
sanction. Le vassal qui ne respecte pas ses obligations peut subir la confiscation de son
fief, soit à titre temporaire (saisie), soit à titre définitif (commise). Le seigneur qui ne
respecte pas ses obligations pourra subir, à partir du 12ème siècle, le désaveu, sanction qui
entraîne la rupture du lien vassalique et permet au vassal de devenir le vassal du seigneur
de son seigneur.
3. Oratores (clercs)
Au sommet de la hiérarchie, les clercs forment le groupe de ceux qui prient pour le salut
de l’âme de ceux qui appartiennent aux deux premiers groupes, laboratores et bellatores.
Le clerc est celui qui a subi la tonsure, obtenue de l’évêque ou de l’abbé. Bâtards et serfs
ne peuvent être tonsurés.
Certains d’entre eux, les membres les plus importants du clergé, subviennent à leurs
besoins en se faisant octroyer un bénéfice, une dotation foncière attachée à leur charge
ecclésiastique, et qui leur assure la perception de revenus.
Parce qu’ils ont la charge du salut des âmes, ils sont dispensés des obligations qui pèsent
sur les nobles ou sur les paysans. Comme les nobles, ils bénéficient de privilèges. Ils sont
exemptés d’impôts et ils sont dispensés d’aller à l’ost.
35
On distingue le clergé séculier du clergé régulier. Les membres du clergé séculier évoluent
au sein de la société, parmi la population, au sein de la « communauté des fidèles ». Les
membres du clergé régulier évoluent à l’origine en dehors de la population. Le clergé
régulier s’organise en ordres religieux, autour d’une règle, et exercent leurs activités au
sein d’une abbaye ou d’un monastère. L’un de ces ordres, le premier d’entre eux, avait été
formé par Benoît de Murcie, qui donnera son nom à l’ordre des Bénédictins.
L’abbaye de Cluny, fondée en 910, représente toute l’importance du clergé régulier à la fin
de la période carolingienne. Cluny connait un important développement au cours des Xe-
XIe siècles, si bien que de nombreuses « filiales » clunisiennes apparaissent en Europe,
sous le contrôle de l’abbaye-mère.
Elle est à l’origine, à partir du Xe siècle, du mouvement des paix et trêves de Dieu, par
lequel elle entend restreindre le droit pour les nobles d’exercer leur privilège de mener la
faide (guerre privée). Le mouvement clunisien contribuera également, très largement, à
la réforme des structures de l’Eglise et de l’organisation de la papauté à partir de la
seconde moitié du XIe siècle (cf. infra).
La puissance du clergé régulier est d’autant plus importante qu’il est sous le contrôle
direct du pape. Leur importance, et la relation privilégiée entre Cluny et la papauté
entraîne des tensions avec la hiérarchie séculière, les évêques, qui s’opposent au
mouvement des paix et trêves de Dieu, un mouvement qui fragilise la division tripartite,
puisqu’il restreint le droit pour les nobles de mener la faide, par conséquent porte atteinte
à l’harmonie sociale souhaitée par Dieu.
36
Chapitre IV. L’espace allemand (Xe - XIe siècles)
37
Le fractionnement politique que connait l’espace français se développe également dans
l’espace allemand. Le titre impérial, depuis le partage de Verdun (843), a subi l’effet des
divisions successorales. A la fin du IXe siècle, le titre est porté successivement par des
souverains issus de la dynastie carolingienne dont l’importance politique et l’assise
géographique est diminuée. La fragilisation de la fonction se manifeste dans une
succession de règnes très brefs : Guy de Spolète (roi d’Italie et empereur de 891 à 894),
Lambert de Spolète (roi d’Italie et empereur de 894 à 896), Arnulf de Carinthie (roi de
Germanie et empereur de 896 à 899), Louis l’Aveugle (roi de Provence et roi d’Italie,
empereur de 901 à 905), Bérenger de Frioul (roi d’Italie et empereur de 915 à 924). Le
titre impérial n’est plus porté lorsque disparaît Bérenger de Frioul.
Soutenu par l’Eglise, Conrad est sacré roi de Francie orientale par l’archevêque de
Mayence. Toutefois, malgré le sacre, Conrad ne parvient pas à imposer son autorité. Le
royaume est déchiré par les ambitions des « grands » qui s’affirment. Ils s’affirment à la
tête de puissances régionales importantes : duché de Bavière, duché de Saxe, duché de
Souabe. Il doit également faire face aux incursions hongroises.
Henri Ier, dit Henri l’Oiseleur, succède à Conrad Ier en 919. Sur son lit de mort, Conrad le
désigne pour son successeur en lui faisant remettre les insignes de la royauté. Duc de Saxe,
Henri Ier n’est pas issu, comme son prédécesseur, du peuple franc. Cette désignation est
acceptée par une assemblée rassemblant la noblesse de Franconie (territoire des Francs)
ainsi que la noblesse du duché de Saxe. L’approbation de la noblesse franque apparaît
toujours comme incontournable, dans la mesure où le peuple franc est le Reichsvolk. Henri
Ier, habilement, soucieux d’apaiser ses pairs, le duc de Bavière et duc de Souabe, prend
soin de ne pas se mettre trop en avant. Aussi, il ne se soumet pas à la cérémonie du sacre.
Henri Ier acquiert peu à peu une autorité auprès des « grands ». Ses succès contre les
Hongrois n’y sont pas étrangers. Il parvient par ailleurs à intégrer de nouveaux territoires
au sein de la Francia orientalis, en particulier – au détriment de la Francie occidentale –
une partie de ce qui formait antérieurement la Lotharingie. La Francie orientale pousse
ainsi ses frontières au sud jusqu’à l’Escaut.
Gagné par la maladie, Henri Ier rassemble les « grands » en assemblée en 936. Il leur
recommande de choisir (élire) l’aîné de ses fils, Otton. Celui-ci devient roi de Francie
orientale la même année. Le titre impérial réapparait enfin en 962 : Otton Ier (Otton le
Grand) est sacré empereur.
38
La dynastie ottonienne7 s’éteint en ligne directe avec Otton III, mort sans descendance.
Son cousin Henri II, duc de Bavière, lui succède. Lui-même meurt sans enfant en 1024. La
dynastie ottonienne s’éteint. La couronne impériale est ensuite coiffée par Conrad le
Salique (1024-1039). Celui-ci est élu roi de Germanie lors de la Diète de Mayence. Il est
également couronné à Mayence un peu plus tard. Il sera sacré empereur à Rome en 1028.
La dynastie des Ottoniens fait place à la dynastie des Saliens8.
I. La conception du pouvoir
Contrairement à Henri Ier, Otton entend se distinguer de ses pairs. Aussi se soumet-il au
cérémonial du sacre. Il est sacré roi de Francie orientale en 936. Soucieux de consolider
son accession au pouvoir royal, le cérémonial s’inscrit dans la filiation carolingienne. Il est
sacré à Aix-la-Chapelle, revêtu du costume porté par les empereurs Francs. Sacré par
l’archevêque de Mayence, il est ensuite acclamé par le peuple. Couronné, il reçoit enfin les
autres insignes du pouvoir royal : épée, manteau, sceptre, etc.
Dès 955, à la suite de sa victoire sur les Hongrois, à la bataille de Lechfeld, Otton se fait
désigner sous l’appellation d’ « Imperator ». Sa puissance et son prestige sont tels qu’il est
appelé à Rome par le pape Jean XII, qui a besoin d’un protecteur. Il est sacré empereur à
Rome, par le pape Jean XII. L’onction reste l’un des éléments essentiels du rituel du sacre.
La sacralisation du pouvoir est prolongée et renforcée sous Otton II et Otton III, sous
lequel elle atteint son apogée. La ritualisation du sacre et l’union du pouvoir impérial avec
l’Eglise contribuent à consolider le pouvoir des souverains ottoniens.
L’Empire est réapparu en 962 avec le consentement des princes territoriaux (ducs), qui
entendent conserver la maîtrise de la désignation de l’empereur. Le maintien de l’élection
comme mode d’accession au pouvoir impérial en est la manifestation la plus tangible. Par
ailleurs, même si les Ottoniens pratiquent l’élection et le sacre anticipés, les « grands »
continuent de faire entendre leur voix. Parallèlement à la consolidation du pouvoir
7 La dynastie ottonienne est également dite « saxonne », par référence à son origine ethnique (Saxe)
8 La dynastie salienne est également dite « franconienne », par référence à son origine ethnique (Franconie).
Le nom de « Salien » ou « Salique » dont use la dynastie franconienne apparaît au XIIe siècle est une marque
de l’importance qu’elle porte à sa filiation franque. Il rappelle, bien entendu, la tribu dite des « Francs
saliens ».
9 Le sacre devait intervenir du vivant d’Otton II, mais celui-ci meurt brutalement au mois de décembre 983.
Les Saliens à leur tour pratiquent l’élection et le sacre anticipés. Conrad le Salique,
premier représentant de la nouvelle dynastie, fait élire son fils Henri, et le fait sacrer un
peu plus tard, à Aix-la-Chapelle (1028). A son tour, peu avant sa mort, Henri III fait élire
son fils Henri (Henri IV), qui est ensuite sacré à Aix-la-Chapelle.
La fonction impériale apparait pourtant comme une institution solide sous les Saliens.
Sous le règne d’Henri III († 1056), l’idée de l’Empire et du pouvoir impérial se distinguent
peu à peu de la personne même de l’empereur.
Mais la fin du règne d’Henri III est marquée par une certaine fragilisation. Si la fonction
impériale ne paraît pas contestée, la succession d’Henri III est l’occasion pour les princes
de faire valoir leur pouvoir et d’imposer leurs conditions. Ils n’acceptent l’élection
anticipée de son fils, le futur Henri IV, qui est encore un enfant, qu’à la condition qu’Henri
IV soit un souverain juste. Les princes territoriaux s’évertuent à étendre leur contrôle sur
l’exercice du pouvoir par l’empereur.
Le pouvoir dont disposent les premiers empereurs de la dynastie ottonienne est assez
important pour qu’ils soient en mesure de contrôler la papauté. Otton Ier avait été appelé
par Jean XII pour qu’il lui vienne en aide, Rome (les Etats pontificaux) étant alors occupée
par les armées de Béranger, roi d’Italie.
La situation de faiblesse de la papauté à la fin du Xe siècle est telle que les empereurs
maîtrisent la désignation du pape. La théocratie royale développée sous Charlemagne et
Louis le Pieux est à son apogée. Le pouvoir de l’empereur le conduit à déposer le pape
également. Jean XII, après s’être engagé auprès d’Otton par un serment de fidélité, l’aurait
trahi en engageant des pourparlers avec Adalbert, fils de Béranger, ainsi qu’en se
rapprochant de l’empereur de Constantinople. Otton organise un synode à Saint-Pierre de
Rome, au cours duquel le pape est accusé de sacrilège, de simonie (cf. infra), d’adultère et
d’inceste. Sacré à Rome par Jean XII en 962, Otton le Grand dépose le pape dès 963.
40
6 ans lorsqu’il monte sur le trône, et la régence d’Agnès de Poitiers (mère d’Henri IV) vont
achever de fragiliser la position de l’empereur face au pape.
La distinction des questions temporelles et spirituelles est pour ainsi dire inexistante sous
les Ottoniens. Dans l’esprit d’une fonction impériale qui est aussi un ministère divin,
l’empereur exerce son pouvoir tant dans le domaine temporel que spirituel. Affaires
temporelles et spirituelles sont discutées au cours de synodes (assemblées de l’Eglise)
convoqués par l’empereur. Pour Henri II († 1024), l’Empire est la « maison de Dieu », et il
se considère comme son serviteur.
La nature des relations qui se développent entre les premiers Ottoniens et l’Eglise permet
aux empereurs de contrôler la nomination des évêques. Otton Ier a retiré aux princes
territoriaux (ducs) le pouvoir de nommer les évêques. Manifestation de la théocratie
impériale qui prévaut alors, l’empereur leur attribue la crosse et l’anneau, symboles du
pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.
Cette « Eglise d’Empire » qui se forme sous les premiers empereurs ottoniens contribue à
contrebalancer le pouvoir des grands féodaux (Bavière, Souabe, Franconie, Lotharingie)
mais aussi à assurer la solidité de l’administration impériale.
L’Eglise, à partir de la seconde moitié du XIe siècle, comme dans l’espace français et
suivant le mouvement initié par l’abbaye de Cluny, contribue au développement des paix
et trêves de Dieu.
41
III. Administration de l’Empire
A. Administration centrale
Le Palais est itinérant. L’administration impériale apparaît comme très peu structurée.
L’appareil administratif central est encore embryonnaire. Comme dans la Francia
occidentalis – la Francia des premiers Capétiens – il existe une curia composée des grands
du royaume, nobles laïcs et grands ecclésiastiques. Les principaux offices rappellent ceux
qui assurent le fonctionnement du Palais capétien. On y retrouve notamment le
chancelier, en charge des écrits administratifs et le sénéchal, en charge du
commandement de l’armée et du contrôle des officiers locaux.
Dans cet espace composite, les institutions communes à l’ensemble de l’Empire sont peu
nombreuses. L’une des principales institutions qui se structure au cours de cette période,
le Hoftag, ou « Diète », est appelée à assurer l’élection de l’empereur ainsi qu’à assurer le
règlement de quelques questions communes à l’ensemble des principautés composant
l’Empire.
La Diète rassemble les « grands » de Germanie (princes territoriaux). Elle se réunit en vue
du règlement des questions qui nécessitent l’accord de l’ensemble des princes
territoriaux. L’institution trouve son origine dans la réunion des anciennes tribus
composant le Royaume franc, dans la tradition franque de l’assemblée.
La Diète peut également être conduite à se prononcer sur la déposition du souverain. Elle
se prononce également sur l’intégration de nouveaux territoires, sur les éventuelles
campagnes militaires à mener en commun, etc.
La Diète n’est pas une institution permanente, fixée dans une localité. Elle se réunit, au
cours d’une journée solennelle (« tag ») dans tel ou tel lieu, selon les circonstances
(Worms en 961, Vérone en 983, Mayence en 1024, etc).
B. Administration locale
42
le pouvoir impérial dans les duchés. Il compte également dans les régions « frontalières » ,
à l’est de l’Empire, sur le markgraf, le margrave, dont l’office était déjà connu sous les
Carolingiens. Ceux-ci disposent de pouvoirs très étendus dans le territoire qui leur est
confié. Chargés du commandement de l’armée, ils sont également chargés de la perception
de l’impôt.
Mais Otton Ier et ses successeurs de la dynastie saxonne s’appuient surtout, pour assurer
le contrôle de l’Empire, sur l’Eglise, qui devient le principal auxiliaire du pouvoir.
L’Empereur confie de vastes territoires aux évêques qu’il nomme. Les relations
qu’entretiennent les premiers empereurs de la dynastie ottonienne avec l’Eglise assurent
la mise en place d’une véritable « Eglise d’Empire ». La maîtrise de la nomination des
évêques permet à l’empereur de s’appuyer sur l’Eglise pour administrer ses territoires.
Le pouvoir des évêques est appelé à renforcer la position de l’Empereur vis-à-vis des ducs
de Franconie, de Souabe, ou de Bavière.
L’administration impériale, outre le fait qu’elle s’appuie sur la nomination des évêques,
s’enrichit également de la qualité de la formation intellectuelle des clercs. La chapelle
impériale devient une pépinière de serviteurs de l’Empire. L’Eglise est, au cours de cette
période, la clé de voûte de l’administration impériale.
43
Chapitre V. Le rôle de l’Eglise (XIe-XIIIe siècles)
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I. Eglise et société féodale
L’Eglise, depuis la fin de l’Empire romain, joue un rôle décisif dans l’espace européen, tant
dans le domaine politique que culturel. Les relations entre les pouvoirs laïcs (empereur,
roi, prince) et l’Eglise consistent en une étroite collaboration, mais aussi dans des
périodes de tensions, parfois intenses. Si cette collaboration avec l’Eglise forme souvent
un instrument de gouvernement, ou un auxiliaire de l’administration, elle conduit
également à d’importantes crispations entre la hiérarchie de l’Eglise et les pouvoirs laïcs.
Les relations qui se nouent entre les empereurs ottoniens et la papauté illustrent ces
tensions. Otton Ier est sacré à Rome en 962 par le pape Jean XII, qui avait sollicité son aide
contre le roi d’Italie, Béranger. Dans les mois qui suivent, Jean XII se rapproche du fils de
Béranger, ainsi que de l’empereur de Constantinople. A la suite de ce qu’il estime être un
parjure (violation de son serment d’allégeance à l’Empereur Otton), Otton réunit un
concile qui prononce la déposition de Jean XII. Cet épisode illustre à la fois la volonté de
l’empereur de contrôler le pape mais aussi le souhait du pape d’échapper à la domination
de tout pouvoir temporel, et d’assurer son autonomie tout en se ménageant des
protections. Le pouvoir des empereurs ottoniens sur la papauté, puis des empereurs de la
dynastie salienne, s’avère pourtant bien réel jusqu’au cours du règne d’Henri III. Henri II,
notamment, fait élire le pape Benoît VIII. Les papes Clément II et Léon IX sont également
élus sous le commandement de l’empereur. Cette maîtrise de l’élection du pape n’est
pourtant pas sans difficulté. En témoigne, la désignation de Clément II, qui est aussitôt
assassiné après être monté sur le trône pontifical. La puissance des familles nobles
romaines, et spécialement la famille des Tusculani (comtes de Tusculum), qui exerçait
traditionnellement une influence décisive sur la désignation du pape, entre en
confrontation avec la volonté impériale.
L’accession au trône pontifical de Léon IX, et plus encore celle de Nicolas II, bouleversent
peu à peu la relation qui existait jusqu’alors entre l’empereur et la papauté. La domination
impériale est fragilisée. Le pape Nicolas II accède au pontificat alors qu’Henri IV est
mineur et la régente Agnès de Poitiers est trop faible. C’est dans ce contexte que Nicolas
II modifie le mode de désignation du pape. Le pape sera élu par un collège de cardinaux
(le Sacré collège) excluant toute immixtion de l’empereur.
Le cours du XIe siècle est également marqué par une vaste entreprise de réforme des
structures ecclésiastiques. L’Eglise, qui a subi les effets des temps féodaux, le
morcèlement politique et l’instrumentalisation par les pouvoirs laïcs, a perdu le pouvoir
et le prestige qui était le sien à l’époque carolingienne. Les temps féodaux ont également
entraîné peu à peu un déclin moral des structures de l’Eglise, qui ne répondent plus à ce
qui devrait être l’esprit de sa mission divine.
La papauté intègre l’esprit de réforme qui est issu du mouvement clunisien. Les moines
de Cluny ou de ses filiales rejoignent l’entourage du pape. Léon IX († 1054) accueille ainsi
le moine Humbert de Moyenmoutier († 1061), venu de l’abbaye bénédictine de
Moyenmoutier, qui contribue à la concrétisation de la réforme dite « grégorienne ». Le
mouvement de réforme qui prend cours à partir de Léon IX entend, s’agissant de
l’organisation et du fonctionnement de l’Eglise, mettre fin
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- au népotisme, qui abandonne l’octroi de charges ecclésiastique à l’entourage
des pouvoirs laïcs (famille et amis) ;
L’Eglise ne poursuit pas seulement, à partir de la seconde moitié du XIe siècle, un projet
de réforme de ses structures. Elle poursuit également un projet de réforme de la société
médiévale elle-même, en s’évertuant à introduire un changement des valeurs.
Elle appuie ainsi, à travers le mouvement clunisien, le mouvement des paix et trêves de
Dieu. La paix de Dieu vise à écarter la violence de certains lieux (principalement les
églises), à en prémunir certaines catégories de personnes (clercs, paysans, personnes
faibles) ou certains biens (nécessaires au travail). Quant à la trêve de Dieu, elle vise à
établir des périodes d’exclusion de la faide (dimanche, jours de fêtes).
La réforme qui anime la papauté et l’Eglise prend cours dès le début de la seconde moitié
du XIe siècle : elle concerne tant les relations de la papauté avec les pouvoirs laïcs que
l’esprit et les structures mêmes de l’Eglise. Elle doit son nom au pape Grégoire VII (†
1085), même si elle est initiée avant son pontificat. La part que prit Grégoire VII dans
l’opposition à l’empereur, l’importance du conflit qui l’opposa à Henri IV, a sans doute
donné à Grégoire VII une place particulière dans la mémoire de l’affirmation de la papauté.
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Constantinople. Cette rupture, ou « schisme » prend aussi, pour les catholiques, le nom de
schisme d’Orient ou de Grand Schisme d’Orient.
L’interdiction des investitures laïques est affirmée avec force par le pape Grégoire VII en
1075. Comme pour la désignation du pape, Grégoire VII souhaite voir rétablie la
procédure canonique classique : l’élection par le clergé suivie de l’acclamation populaire.
Mais l’interdiction des investitures laïques n’allait pourtant pas de soi, dans la mesure où
le roi ou l’empereur, en vertu du sacre et du ministère qui lui est conféré à cette occasion,
pouvait peut-être légitimement prétendre aux nominations dans l’Eglise, ou en tout cas
prétendre à y être associé. De manière plus prosaïque, l’interdiction affirmée par Grégoire
VII allait à l’encontre de la pratique qui s’était développée depuis longtemps, et qui avait
permis aux souverains laïcs de s’appuyer sur l’Eglise pour asseoir leur pouvoir. Elle se
heurtait en particulier à la pratique impériale. L’empereur, fort de l’affirmation du
ministère (mission divine) dans lequel se trouve la source de son pouvoir, s’appuie
largement sur la nomination des évêques pour assurer la consolidation de son pouvoir
(voy. supra). La spécificité de la politique impériale contribuera à exacerber les tensions
entre la papauté et l’Empire, plus particulièrement entre Grégoire VII et Henri IV.
La Querelle des investitures éclate quelques mois après que Grégoire VII se fut prononcé
contre les investitures laïques. Henri IV nomme trois évêques, au mépris de l’interdiction
papale. Le pape réplique dans un texte qui développe sa position en plusieurs points. C’est
le Dictatus Papae. Il y affirme avec force la primauté romaine. Il est le seul à disposer d’un
pouvoir universel, supérieur à celui des souverains. Le contrôle que prétend exercer le
pape sur l’usage du pouvoir par le souverain laïc y est extrêmement important. Elément
nouveau, il serait permis au pape de déposer le souverain et, à la suite de son
excommunication, de délier ses sujets de leur serment de fidélité.
En réaction au Dictatus Papae, Henri IV réunit une Diète qui prononce la déposition de
Grégoire VII (Diète de Worms, 1076). Un mois plus tard, le pape excommunie Henri IV et
délie ses sujets de leur devoir d’obéissance. Une partie des évêques et de princes se
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détournent alors de l’empereur, qui est fragilisé, si bien qu’il est forcé de se soumettre au
pape pour assurer le retour à l’apaisement et regagner la confiance des grands de
l’Empire. Henri IV est contraint de se rendre en Italie. Il se rend à Canossa pour demander
pardon et obtenir de Grégoire VII qu’il lève l’excommunication (pénitence de Canossa,
1077). Croyant avoir retrouvé son autorité en Germanie, Henri IV reprend la lutte contre
la papauté et chasse Grégoire VII hors de Rome. Mais lui-même, fragilisé malgré la levée
de son excommunication, fait face à l’opposition d’une partie des princes. Il est finalement
écarté du pouvoir par son propre fils, le futur Henri V, qui le force à abdiquer.
Grégoire VII, à travers le Dictatus papae, avait œuvré à l’affirmation d’une théocratie
pontificale, subordonnant au pape toute puissance séculière. La puissance séculière
devait désormais être considérée comme étant sous le contrôle du pape. Grégoire VII avait
repris la distinction entre auctoritas et potestas opérée par l’un de ses prédécesseurs, le
pape Gélase (†496), d’après le verset de l’Evangile de saint Mathieu où Jésus Christ affirme
qu’il faut « [rendre] à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu ».
L’auctoritas, pouvoir spirituel, revient au pape. La potestas, expression du pouvoir
temporel, revient roi ou à l’empereur, chacun disposant d’une autonomie dans sa sphère.
Il souligne que la charge du chef de l’Eglise est plus lourde, dans la mesure où il est
comptable de son action devant Dieu et responsable du salut de l’âme des hommes, en ce
compris celle des rois. Il affirme ainsi la primauté de l’auctoritas sur la potestas.
L’Empereur doit ainsi être considéré comme un fils de l’Eglise, et non comme un prêtre. Il
consacre une doctrine prescrivant l’autonomie du Pape et de l’Empereur dans leur sphère
respective, l’Empereur devant abandonner les questions spirituelles au chef de l’Eglise.
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III. Organisation de la justice ecclésiastique
Cette hiérarchisation que connait alors la justice ecclésiastique apparaît très en avance
sur ce que connait alors la justice laïque. Cette précocité de l’organisation de la justice
dans la sphère de l’Eglise se manifeste également par les effets de la redécouverte de la
notion romaine de mandat, qui permet l’apparition de la représentation en justice. Se
distinguant du juge, apparaît alors un représentant des intérêts de l’Eglise, le promoteur,
qui préfigure le Ministère public. La notion de représentation se manifeste également par
l’apparition de procureurs (avocats), qui représenteront et assisteront les parties.
B. Compétences
1. Ratione personae
Seules certaines catégories de personnes peuvent bénéficier, quel que soit l’objet du litige,
des avantages de la juridiction ecclésiastique, tant en matière civile qu’en matière pénale :
les clercs, les miserabiles, les écoliers et les croisés.
Les clercs, qu’ils soient membres du clergé régulier ou du clergé séculier, bénéficient du
privilège du for. A ce titre, ils ne peuvent être jugés que par une juridiction ecclésiastique.
Le privilège du for est d’ordre public. Il ne peut donc pas faire l’objet d’une renonciation
de la part de celui qui possède l’état de clerc.
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2. Ratione materiae
Il faut distinguer à cet égard entre les compétences en matière civile et les compétences
en matière pénale.
En matière civile, la compétence de l’officialité s’étend à tout ce qui concerne les biens de
l’Eglise, mais aussi aux effets des sacrements, principalement le sacrement du mariage,
l’union de l’homme et de la femme n’étant possible que sous la protection de Dieu, dans le
cadre d’un mariage catholique : validité du mariage, obligations des époux, régimes
matrimoniaux, rupture ou « relâchement » (suspension de certaines obligations) du lien
conjugal, mais aussi filiation des époux (enfants). La matière des contrats elle-même peut
faire l’objet de la compétence de la juridiction ecclésiastique, dans la mesure ou tout
contrat s’accompagne alors d’un serment, lequel porte l’engagement contractuel sous la
protection divine ou celle d’un saint. Il en est de même des testaments, dans la mesure où
ceux-ci contiennent souvent des libéralités pieuses, des manifestations de générosité au
bénéfice d’une église, d’une abbaye, etc.
En matière pénale, la compétence de l’officialité s’étend à tous les crimes contre la foi :
hérésie, sacrilège, sorcellerie, simonie, infractions à la trêve ou à la paix de Dieu, ou encore
usure (prêt d’argent accompagné d’un taux d’intérêt exorbitant, interdit par l’Eglise), ou
adultère.
C. Procédure
1. En matière civile
2. En matière pénale
A partir de 1199, à l’initiative du Pape Innocent III, apparaît une procédure de type
inquisitoire. L’initiative du procès pénal n’est plus laissée à la victime ou à sa famille,
comme dans le système accusatoire, mais peut également revenir au juge, qui peut
« poursuivre d’office », sans attendre l’intervention d’un accusateur.
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que les ordalies ou le duel. Il s’agira plutôt pour le juge d’apprécier la culpabilité au terme
d’une instruction, établie sur la base de témoignages, d’expertises, etc.
De même que la justice, le droit applicable se distingue également de la sphère laïque par
le développement précoce de l’écrit ainsi que par la structuration de la production
normative dans des compilations. L’écrit s’étant essentiellement, au cours du Haut Moyen
Age, maintenu dans l’Eglise, la production de normes passe par l’écrit et ne cesse de
croître, en particulier à partir de la réforme grégorienne. On distingue les décisions des
conciles des décisions des synodes. Les conciles sont des assemblées d’évêques. Ils sont
soit œcuméniques (rassemblant tous les évêques de la chrétienté), soit nationaux,
régionaux ou provinciaux. Les décisions du concile prennent le nom de canons ou de
décrets. Les synodes sont des assemblées d’autorités ecclésiastiques d’un diocèse. Les
décisions du synode prennent le nom de statuts. Quant aux décisions des papes, qui
connaissent une multiplication très importante depuis la réforme grégorienne, ils
prennent le nom de décrétales.
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I. Un mouvement européen.
L’Europe connait, à partir du XIe siècle, une période de renouveau économique. Cette
période nouvelle aura pour effet de bouleverser l’entité politique et économique de base
qu’est la seigneurie.
L’espace européen aurait bénéficié d’une légère hausse de température qui aurait permis
une hausse du rendement de la terre. Les périodes d’assolement de la terre seraient
devenues moins importantes, permettant une exploitation plus intensive. Cette période
voit l’apparition de nouvelles techniques agraires (assolement triennal ; usage de la
charrue pour faciliter le labour ; usage du collier pour les animaux de trait).
L’essor économique bénéficie au seigneur, du moins s’il parvient à prendre la mesure des
bouleversements en cours et s’il accepte de concéder des droits à ceux qui sont attachés
à sa terre. Dans la mesure où la productivité augmente, ce sont ses propres prélèvements
qui s’accroissent. La formation de surplus profite donc au seigneur qui, dans un premier
temps à tout le moins, s’enrichit. Des bourgs se forment autour des châteaux et
prospèrent, du moins lorsque le seigneur est assez clairvoyant pour octroyer des droits à
ces nouveaux habitants.
Profitant des bienfaits économiques et de la culture qui s’y épanouit, la ville et la vie
urbaine deviennent des objets d’admiration, voire de fascination. Un lettré anglais, Jean
de Salisbury, qui est alors secrétaire du chancelier d’Angleterre, Thomas Becket, lui écrit
en 1164 pour lui vanter les qualités de la ville de Paris. Il l’évoque comme une Terre sainte,
une nouvelle Jérusalem, marquée par la présence divine : « Vraiment Dieu est ici et je ne
le savais pas ».
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avec le seigneur. L’accession de certaines entités à l’émancipation passe parfois par la
formation de groupements solidaires qui cherchent à obtenir l’autonomie la plus
complète possible. L’obtention d’une communia entraîne la formation d’une personnalité
juridique distincte de ses membres, pour en faire un véritable acteur politique. Ces
« communes » se développent dans une partie de l’espace français ou de l’espace
allemand. Dans l’espace formant le Saint-Empire, les villes du nord de l’Italie, qui affirment
très tôt leur autonomie, s’organisent également autour d’un pacte de solidarité. Elles sont
également désignées sous l’appellation de « communes ». Dans l’espace anglais, le
mouvement communal est manifestement moins important.
La ville n’est pas une invention des XIe-XIIIe siècles. Plusieurs villes importantes s’étaient
développées sous l’Antiquité romaine et s’étaient multipliées autour des sièges des
évêchés. Le climat d’insécurité dans lequel avait été plongée la Francia occidentalis à la
suite des invasions successives puis du morcellement féodal avait entraîné un déclin des
échanges commerciaux, un isolement suivi d’un déclin des cités. On assiste, à partir des
XIe-XIIe siècles, à une renaissance des villes. A la fin du XIIe siècle, Paris connait un tel
l’essor démographique que Philippe Auguste est contraint d’étendre la ville et de
construire une nouvelle enceinte, qui remplace l’enceinte édifiée à l’époque carolingienne.
Au-delà de la seule renaissance des villes anciennes, de nouveaux centres urbains
apparaissent. Enfin, et surtout, les villes s’affirment à présent par rapport au seigneur
pour devenir peu à peu des acteurs politiques.
Le mouvement d’émancipation urbaine est également marqué par l’initiative qui est due
aux populations elles-mêmes, formant un groupe solidaire opposant ses souhaits au
seigneur. Dans l’espace français, ce phénomène est situé entre la Loire et le Rhin. Cette
solidarité s’exprime à travers un groupement uni par un serment: assurer entre les
membres du groupe une aide mutuelle en vue d’obtenir la satisfaction de leurs intérêts,
conditionnée au premier chef par la nécessité de maintenir la paix et la prospérité dans la
ville. Le serment, la conjuratio, qui unit les membres de ce groupement à ceci de
particulier qu’il forme un engagement horizontal, qui le distingue des formes du serment
connues jusqu’alors, caractérisé par l’expression d’une fidélité à un supérieur, dans un
esprit de verticalité.
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Ces groupements d’intérêts sont désignés sous l’appellation de « guildes » ou de
« corporations ». Guildes et corporation finissent elles-mêmes par se rassembler pour
former un groupe unique, appelé à représenter la ville en tant qu’entité juridique
distincte, la « communitas » ou « communia », également désignée sous le nom d’
« universitas ».
En 1076, les habitants de Cambrai s’unissent par un serment mutuel, une conjuratio, par
lequel ils s’engagent à se venir en aide mutuellement et à assurer la paix dont ils ont besoin
pour assurer leur prospérité. La commune de Saint-Quentin est reconnue dès avant 1081
par le comte de Vermandois. Louis VI le Gros établit lui-même une commune à Mantes.
Le mouvement d’émancipation urbaine est conduit non par des bourgeois, mais par la
petite aristocratie - chevaliers ou milites - qui s’est implantée dans la ville et a contribué
à son développement économique. Celle-ci entend participer à la vie politique. La petite
aristocratie des villes s’associe au seigneur et entend prendre part à l’exercice du pouvoir
dans la cité. Ils exercent les fonctions de « consuls ». A partir du XIIIe siècle, les bourgeois
accèdent eux-mêmes à la fonction consulaire. Le consulat se distingue également de la
commune par le fonctionnement collégial de son gouvernement. Il s’en distingue enfin par
le maintien d’une certaine forme de tutelle par rapport au seigneur, qui continue d’exercer
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un pouvoir dans la cité. L’émancipation n’est pas aussi complète que dans le cas de la
commune.
Certains « modèles » de charte vont connaitre une certaine diffusion. Deux exemples
seront évoqués : les Etablissements de Rouen, charte urbaine, et la charte de Lorris en
Gâtinais, charte rurale.
Les habitants de Rouen auraient bénéficié d’une première charte alors que la Normandie
est encore une terre anglaise, entre 1120 et 1130, sous le règne d’Henri Ier Beauclerc. Ce
premier texte aurait été confirmé dans le contexte de la guerre que se livrent Etienne de
Blois et Mathilde l’Emperesse11. Une charte est octroyée aux Rouennais en 1144, à la suite
de la prise de la ville par Geoffroy Plantagenêt. En 1174, Henri II leur accorde une nouvelle
charte, après sa victoire contre le roi de France (Louis VII), qui faisait le siège de la ville.
On parle pour la première fois des « Etablissements de Rouen » en 1180. En 1190, au
début de son règne, le successeur d’Henri II, Richard Ier, accorde aux habitants de Rouen
une charte par laquelle il confirme les franchises, libertés et coutumes de la communia
Rothomangensis. Enfin, les Etablissements prennent une importance particulière sous le
règne de Jean sans Terre, lorsqu’il succède à son frère en 1199. Le roi reconnait à la ville
la qualité de communia et précise le caractère autonome de la ville par une série de
dispositions concernant l’exercice de la justice.
A la suite de la commise prononcée par la curia contre Jean sans Terre, le roi de France
Philippe Auguste se rend maître de la Normandie et confirme les Etablissements de Rouen
(1204).
Lorris – qui a intégré le domaine royal en 1066, sous Philippe Ier – aurait quant à elle
bénéficié d’une première charte en 1134, sous Louis VI le Gros. Cette première
consécration des droits des habitants de Lorris est confirmée par une seconde charte, en
1155 (règne de Louis VII). La charte concédée par Louis VII est perdue à la suite de
l’incendie qui ravage Lorris au cours des années 1180, sous le règne de Philippe Auguste.
Celui-ci fait rédiger, en 1187, une nouvelle charte qui reprend le contenu de la précédente.
Chacune de ces deux chartes – les Etablissements de Rouen et la charte de Lorris – servira
de modèle à la fixation des relations entre seigneur et communauté urbaine ou rurale au-
E. Franchises
Les chartes octroient des droits et libertés qui sont rassemblés sous l’appellation de
« franchises ». Celles-ci s’articulent autour de quatre axes :
F. Organisation politique
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La relation qu’entretient le seigneur avec la ville concerne le roi lui-même. Celui-ci entend
s’appuyer sur les villes pour renforcer son contrôle sur le royaume. Se développeront
ainsi, à partir du XIIIe siècle, les « bonnes villes », qui bénéficieront d’une très large
autonomie, et relèveront directement de l’autorité royale, dans une relation
d’immédiateté, placées sous la protection spéciale du roi. Les bonnes villes sont des villes
puissantes sur le plan économique, que le roi consultera de manière régulière pour
obtenir avis et conseil sur la gestion du royaume ou sur des questions diplomatiques.
Certaines villes anciennes sont connues depuis le Haut Moyen-Age, certaines d’entre elles
par leur origine romaine, comme Cologne, Mayence ou Ratisbonne, d’autres parce qu’elles
se sont imposées à l’époque carolingienne, comme Bamberg, ou parce qu’elles sont
devenues des lieux de résidence impériale, comme Francfort sur le Main, Goslar ou Aix-
la-Chapelle. D’autres enfin se sont formées comme centre épiscopal, comme Hildesheim,
ou autour d’une abbaye, comme Fulda. Mais ici aussi la ville connait une renaissance et un
mouvement d’émancipation.
Si certaines villes obtiennent une part d’autonomie dès le début du XIIe siècle - comme
Cologne, qui obtient un sceau dès 1114 - l’émancipation urbaine est plus timide que dans
l’espace français et elles restent encore très largement sous la tutelle d’un seigneur. Le
développement et l’émancipation urbaine ne prend de l’ampleur qu’à partir du XIIIe
siècle. Le même phénomène que celui que connait l’espace français un peu plus tôt peut
être observé : les communautés urbaines s’affirment et deviennent peu à peu des acteurs
politiques.
Le nombre de villes passe, entre 1200 et 1400, de quelques centaines à près de 2000. Cette
croissance est particulièrement remarquable au cours du XIIIe siècle, au cours d’une
période où l’espace allemand s’étend au Nord et à l’Est, au-delà de l’Elbe et vers la mer
Baltique : Riga (1201), Hambourg (1216), Rostock (1218), Dantzig/Gdansk (1224), Berlin
(1244), Gieβen (1248), Koenigsberg (1255). Cette multiplication des créations urbaines
est favorisée par l’application du ius teutonicum, selon lequel les Allemands établis au-
delà de l’Elbe sont considérés comme des individus libres.
La part des habitants des villes croît rapidement, pour atteindre 20% de l’ensemble de la
population à la fin du siècle. La ville la plus peuplée de l’Empire est alors Cologne, qui
compte entre 35.000 et 40.000 habitants environ. Berlin ne compte alors pas plus de 1500
habitants.
La concession de franchises connait une croissance sans précédent à partir du XIIIe siècle.
Les seigneurs privilégient la fondation de communautés urbaines dont ils pourront tirer
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bénéfice. La création des villes est aussi envisagée comme un moyen de défense.
L’archevêque de Cologne, par exemple, entoure ses terres d’un « cordon » de cités
fortifiées. La formation des villes est donc due principalement à l’initiative des princes
territoriaux. Des quelques 1500 villes que compte l’espace allemand en 1250, 150 environ
sont formées à l’initiative de l’Empereur. Les Landesstädte sont largement plus
nombreuses que les villes d’Empire, les Reichsstädte.
B. Reichsstädten
Les villes d’Empire (Reichsstädten) sont les villes qui ne dépendent que de l’Empereur,
caractérisées par leur immédiateté. L’immédiateté, dans le contexte féodal, entraîne la
reconnaissance d’une relation vassalique entre l’empereur et la communauté urbaine.
Elle se traduit par une relation directe à l’empereur, sans intermédiaire, concrétisée, dans
l’esprit du système féodo-vassalique, par l’hommage, l’aide et le conseil au seigneur.
L’Empereur est le seigneur des habitants de la ville et leur juge. Il en est ainsi, par exemple,
de la ville de Nuremberg. Créée par Henri III (XIe siècle), elle obtient progressivement des
libertés, qui seront étendues en 1219, dans la Groβe Freiheitsbriefe que lui octroie Frédéric
II. Il est fait mention d’un conseil (Rat) à partir de 1256.
On distinguera ensuite – la distinction se clarifie au XIVe siècle – parmi les villes d’Empire
les villes libres d’Empire, ou Freie Reichsstädten (sing. : Freie Reichsstadt). Ce phénomène
d’émancipation prend cours au XIIIe siècle. Les villes libres d’Empire sont des cités
épiscopales qui se sont émancipées de leur seigneur ecclésiastique, l’évêque, et sont
passées sous protection impériale. Comme dans l’espace français, les villes sous tutelle
épiscopale sont caractérisées par l’absence de concessions et la rigueur avec laquelle le
pouvoir est exercé. L’étendue des pouvoirs de l’évêque et l’importance de son contrôle sur
la ville conduisent à la confrontation, puis à l’émancipation sous la protection de
l’Empereur.
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IV. L’émancipation urbaine dans l’espace anglais
L’espace anglais connait lui aussi, à partir du XIe siècle et surtout du XIIe siècle un
important développement urbain. Le peuplement des villes augmente, même s’il reste
inférieur au peuplement que connaissent les grandes entités urbaines continentales,
comme Paris, ou Venise. Londres voit croître sa population de 18.000 à 35.000 habitants
environ entre la fin du XIe siècle et la fin du XIVe siècle. Bristol voit sa population passer
d’un peu plus de 2000 à un peu plus de 9000 habitants. Lincoln voit sa population passer
d’un peu plus de 3000 habitants à un peu plus de 5000 habitants. Certaines villes
connaissent une croissance extraordinaire, comme Norwich, qui voit quintupler sa
population entre la fin du XIe siècle et les premières décennies du 14e siècle, passant d’un
peu plus de 5000 habitants à environ 25.000 habitants.
Le mouvement d’opposition violente qui se manifeste dans une partie de l’espace français
ou de l’espace allemand, là où le pouvoir épiscopal est tout puissant, ne se développe pas
dans l’espace anglais, de même qu’il ne se développe pas au sein du duché de Normandie.
Les évêques y ont obtenu moins de concessions que dans le royaume de France ou dans
le Saint-Empire. La tutelle des prélats sur les villes y est donc moins importante.
Si l’octroi de libertés « administratives » est moins complet dans l’espace anglais, le roi
ainsi que les seigneurs laïcs octroient néanmoins de nombreuses franchises et établissent
progressivement des organes de gouvernement urbain et des juridictions locales. Dès le
XIe siècle, Chester est dotée d’un tribunal urbain, composé de douze juges désignés parmi
les agents du roi, ceux de l’évêque et ceux du comte. Sous le règne d’Edouard le
Confesseur, Lincoln dispose de sa propre juridiction, composée de douze de ses habitants
désignés par le roi et le comte.
La ville de Londres se distingue des autres villes d’Angleterre en ce qu’elle forme l’une des
très rares illustrations dans l’espace anglais de ce qu’on désigne sous l’appellation de
« mouvement communal ».
Dès le règne de Henri Ier , le sheriff, qui assure la principale fonction administrative dans
la ville, est désigné par le roi au sein du patriciat urbain. Gilbert Becket - père de Thomas
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Beckett dont il sera question infra - est ainsi désigné parmi les bourgeois de Londres pour
exercer la fonction de sheriff.
En 1135, Etienne de Blois, dont le règne est contesté, est contraint de négocier et de
concéder des droits pour se faire accepter. On assiste à un échange de serments entre le
roi d’Angleterre et la communauté des habitants de Londres : ceux-ci s'engagent à
soutenir le roi, de leurs biens et de leurs forces, et le roi promet, en contrepartie, d’assurer
la paix dans le royaume.
En 1141, Mathilde l’Emperesse négocie à son tour avec la ville de Londres. Elle convoque
la communauté des habitants en assemblée. Londres envoie des représentants : la ville
est considérée comme une entité morale, dotée d’une personnalité juridique distincte de
ses membres, distincte également des guildes auxquelles étaient attachées les libertés
antérieurement octroyées.
A la suite de l’Anarchie, Henri II concède une charte qui confirme les libertés
antérieurement acquises. Le successeur de Mathilde l’Emperesse, dans l’œuvre de retour
à l’ordre et de pacification du royaume qu’il entreprend avec son chancelier, Thomas
Becket, multiplie l’octroi de chartes à d’autres communautés urbaines, notamment pour
clarifier la situation de certaines d’entre elles, qui avaient profité de cette période troublée
pour s’arroger certaines libertés. Des chartes de libertés sont ainsi octroyées aux villes de
Bristol, Hastings, Lincoln, Oxford, Winchester. Certaines de ces chartes, comme celle de
Winchester, abolissent des libertés qui avaient été usurpées. La charte octroyée à Londres
sert de modèle à un grand nombre de ces chartes. Les bourgeois d'Oxford pourront ainsi
« jouir de toutes les coutumes, libertés et lois qu'ils ont en commun avec les citoyens de
Londres ». La diffusion s’amplifie et les modèles de chartes s’enrichissent par leur
multiplication : les bourgeois de Gloucester obtiennent ainsi "les coutumes et libertés (…)
comme les citoyens de Londres et de Winchester en ont joui au mieux du temps du roi
Henri (son) aïeul".
L’octroi de chartes connait un nouvel élan sous le règne de Richard Ier (1189-1199). Ces
chartes sont octroyées à titre onéreux. Il ne s’agit pas seulement pour le roi d’encadrer le
développement des villes, mais d’assurer le financement de la croisade qu’il compte
entreprendre, ou des expéditions militaires qui sont engagées contre le roi de France.
Si la « loi de Londres » connait une diffusion de plus en plus large, Londres elle-même tire
parti du règne Richard Ier pour s’affirmer. En 1191, alors que le roi est parti en croisade,
la ville donne une nouvelle manifestation de son émancipation. Engagée dans le conflit
qui oppose le Justiciar12 Guillaume Longchamp, auquel le roi a confié l’administration du
royaume en son absence, au comte de Mortain (frère de Richard Ier et futur roi, connu sous
le nom de Jean sans Terre), la ville se rallie au comte de Mortain moyennant paiement.
Les habitants de Londres renversent Longchamp et reconnaissent pour nouveau Justiciar
Gautier de Coutances, évêque de Rouen. Le patriciat de Londres exerce désormais un rôle
un décisif dans la politique intérieure du royaume, en particulier dans les contextes de
troubles lorsqu’il peut endosser un rôle d’arbitre. La fonction de mayor apparaît à Londres
au cours de la même période. Le terme serait inspiré de l’organisation administrative de
la ville de Rouen. Richard Ier octroie une nouvelle charte aux habitants de Londres à son
12La fonction de justicier (ou justiciar) a été évoquée supra, chapitre II. Elle sera encore évoquée infra,
chapitre IX.
61
retour de captivité, lorsqu’il revient en Angleterre, en 1194. Il réduit les obligations
fiscales (les exactions) qui lui sont dues par les habitants.
Lorsqu’il accède au pouvoir, Jean sans Terre doit lui aussi accorder des droits aux
Londoniens. Les débuts de règne sont ainsi systématiquement marqués par la
confirmation des droits acquis antérieurement ainsi que par l’octroi éventuel de
nouveaux droits et libertés. En 1199, comme aux Rouennais, Jean sans Terre octroie aux
habitants de Londres une charte qui reconnait à leur ville la qualité de communia. Cette
charte, qui leur est concédée moyennant une importante somme d’argent, donne le droit
aux habitants de Londres de désigner eux-mêmes leur sheriff. Par une charte de 1215, il
leur accorde le droit de désigner eux-mêmes leur mayor. D’une manière générale, si
l’Angleterre connait un développement plus tardif de l’autonomie communale que dans le
royaume de France, ce mouvement d’autonomisation s’épanouit sous le règne de Jean
sans Terre. Outre les cas de Londres ou de Rouen, de nombreuses villes d’Angleterre ou
du Continent sous domination anglaise reçoivent une charte dans laquelle est reconnue
leur qualité de communia.
62
EX CURSUS N°2
63
Les règnes des ducs de Brabant Jean II et Jean III sont marqués par l’importance du rôle
que jouent les villes dans la politique du duché. La consolidation de la maison de Louvain
s’appuie également, au-delà des vertus personnelles des comtes, sur leur prise en
considération de l’intérêt à encourager l’essor des communautés urbaines. Le
développement économique des villes entraînera, par l’effet des charges fiscales,
l’enrichissement des comtes de Louvain. Ce développement économique s’accompagne
progressivement d’un développement du pouvoir politique. Les ducs de Brabant vont
devoir composer avec les villes.
- En 1160, le comte de Louvain Godefroid III passe un accord avec Godescalc, abbé
d’Affligem (abbaye d’Affligem) qui dispose de larges possessions en Brabant, dans la
région de Nivelles en vue de l’octroi de libertés à deux communautés, celle de Baisy et
celle de Frasnes-lez-Gosselies. La région de Nivelles connait alors un important
développement agricole, dont le comte de Louvain et l’abbé d’Affligem peuvent
également tirer profit. La charte prévoit que le droit applicable aux deux entités sera le
droit de Louvain. La charte organise notamment un marché et exempte les habitants
de certaines obligations serviles, comme la taille ou la mainmorte.
- En 1192, sous le règne d’Henri Ier, la charte de Vilvorde abolit la taille, prévoit que le
seul fait pour un individu de s’établir à Vilvorde pendant un an et un jour, et de jurer
fidélité au duc de Brabant, le place sous la protection de celui-ci. La charte de Vilvorde
prévoit également la pleine liberté de déplacement, et la liberté de vendre des biens
sans autorisation. Elle prévoit des obligations militaires limitées à la guerre défensive.
Elle prévoit aussi que les aides extraordinaires doivent être modiques et que les
corvées – résidu des obligations serviles - seront réduites à la récolte du foin. La charte
prévoit enfin que les bourgeois de Vilvorde ne pourront être jugés que par les échevins
13
Le comte de Louvain perçoit de droits fiscaux sur le déplacement des marchandises ainsi que sur les étals
des marchands. Ces rentrées sont appelées à compenser les recettes perdues en raison de l’abandon de la
taille ou de la mainmorte.
14
L’émancipation des villes sous Henri Ier se manifeste également par la construction de fortifications. Les
villes du Brabant sont presque toutes devenues des places-fortes.
64
de la ville et dans la ville, consacrant l’application du principe du jugement par les pairs
ainsi que le principe de non distraction du juge naturel15.
- En 1213, Henri Ier, à la suite de la défaite de Steps16, est affaibli et contraint de faire des
concessions. La ville de Léau (Zoutleeuw) en tire parti pour obtenir des libertés. La
charte de Léau forme non seulement le résultat d’une fragilisation du pouvoir du duc
mais elle illustre aussi l’apogée du mouvement d’émancipation urbaine. La charte,
après avoir confirmé l’exemption de la taille et du service militaire offensif, accorde des
privilèges commerciaux étendus : notamment l’obligation pour les marchands
étrangers à Léau d’emprunter la route publique conduisant à la ville, entraînant
l’obligation du paiement d’un droit de passage et l’institution d’un marché d’une durée
de sept jours. La charte prévoit également, dans le domaine de l’organisation de la
justice : la suppression du duel judiciaire dans les litiges entre bourgeois de la ville de
Léau et dans les litiges opposant les bourgeois de Léau et les étrangers à la ville ; le
traitement des plaintes relatives aux bourgeois de la ville par l’échevinage de la ville
(principe du jugement par les pairs) ; l’élection de six jurés qui assureront, aux côtés
des échevins de la ville, l’exercice de la justice pénale, ces six jurés n’étant pas, au
contraire des échevins, désignés par le seigneur (le duc de Brabant), mais élus par la
population bourgeoise. La charte prévoit également le droit pour les habitants de Léau
d’assurer leur propre défense, par la force et d’initiative, contre quiconque aurait fait
injure ou aurait commis une violence à l’encontre de l’un des leurs. La charte prévoit
qu’ils seront dans cette circonstance assistés par les hommes du duc. Les bourgeois de
Léau se voient reconnaitre ainsi un droit qui est apparenté à la prérogative féodale de
la faide.
15
Garantie selon laquelle son bénéficiaire ne peut être soustrait au juge qui est amené à naturellement
pouvoir le juger (celui qui réside dans sa ville et connait le droit suivant lequel ce bénéficiaire doit être jugé).
16
Bataille de Steps, au cours de laquelle l’armée du duc de Brabant est vaincue par les armées coalisées
venues en aide à l’armée de l’évêque de Liège, 1213.
65
Chapitre VII.
Le renouveau du pouvoir royal (espace français, XIIe-XIIIe siècles)
66
I. Préalable : essor des villes et renaissance intellectuelle
L’université émerge dans le Nord de l’Italie, avec l’Université de Bologne, dès 1088. Située
en terre d’Empire, l’université de Bologne contribuera à la recherche d’une consolidation
du pouvoir impérial. Dans l’espace français, l’Université de Paris ou l’Université de
Montpellier apparaissent dès la seconde moitié du XIIe siècle. Il en est de même dans
l’espace anglais. L’Université d’Oxford se développe dès la seconde moitié du XIIe siècle
également. L’Université de Cambridge apparaît quelques années plus tard, au début du
XIIIe siècle. Dans l’espace allemand par contre, on ne voit pas les universités apparaître
avant le XIVe siècle.
Le droit romain avait déjà fait l’objet d’une instrumentalisation à des fins politiques
pendant la Querelle des Investitures. Il avait été exploité en vue de la consolidation du
pouvoir impérial, ou à l’inverse en vue de la consolidation du pouvoir papal. Le roi de
France lui-même va s’en servir à son tour, mais avec une certaine méfiance. Le berceau du
droit romain systématisé par Justinien est l’Empire romain. Le droit romain paraît donc
davantage appelé à servir l’affirmation du pouvoir impérial de l’empereur du Saint-
Empire que celle du roi de France.
67
Le droit canonique lui-même fait l’objet d’une instrumentalisation politique au service du
souverain laïc. La restructuration de l’église qui a été inaugurée sous la réforme
grégorienne, principalement sa réorganisation hiérarchique, constitue une source
d’inspiration certaine. Le roi s’évertuera à réorganiser son royaume en prenant appui sur
la pratique de l’Eglise. Il en est de même de la codification, des compilations ou
rassemblements des textes normatifs, processus dans lequel l’Eglise est largement en
avance sur les pouvoirs laïcs (cf. supra). L’idée de la « représentation » en justice en est
une autre illustration : le rôle du procureur, qui représente le justiciable devant le juge
ecclésiastique, ou du promoteur, qui représente les intérêts ecclésiastiques, formeront
des sources d’inspiration en vue de réformer le fonctionnement de la justice laïque.
L’étude du droit romain qui se développe à partir de la fin du XIe siècle à Bologne
connaitra, au fil des décennies à venir, différentes approches. Dans un premier temps,
l’approche qui est privilégiée est celle d’une analyse du texte du Corpus Iuris Civilis fondée
sur l’exégèse, c’est-à-dire l’étude approfondie d’un passage du texte et des mots-mêmes
qui le composent. Cette première approche est celle de l’Ecole dite des « glossateurs ».
Les commentaires sont rédigés en marge du texte et portent le nom de « gloses ».
A partir du début du 13e siècle se développe une nouvelle approche, qui privilégiera la
formation de liens entre la connaissance du droit romain et les besoins contemporains. Il
s’agit de l’Ecole des commentateurs ou post-glossateurs, qui se développe d’abord en
France, au sein de l’Université d’Orléans, puis qui gagne l’Italie, ou cette approche prend,
avec Bartole (†1347), le nom d’Ecole bartoliste ou mos italicus (trad. : « manière
italienne »).
Rem. : une troisième école verra le jour à partir de la fin du XVe siècle en Italie, à la suite
des travaux de l’humaniste Lorenzo Valla (†1457). Elle se développera en France sous le
nom d’Ecole humaniste, ou mos gallicus (trad. : méthode française), notamment avec
Jacques Cujas (†1590)17.
A. Développement de théories
L’époque féodale ne connait pas d’emblée une organisation pyramidale. A partir du 12e
siècle, les rois de France, s’évertuent à consolider leur pouvoir en recourant à diverses
sources d’inspiration. La formation d’une pyramide féodo-vassalique constituera l’un des
moyens pour le roi d’affirmer progressivement son pouvoir sur les seigneurs, quelle que
soit leur importance.
Cette conception hiérarchique des relations de pouvoir qui s’établit peu à peu trouve son
inspiration dans la réforme grégorienne et le droit canonique. Mais le contexte
économique contribue lui aussi à favoriser la formation de cette pyramide. L’essor
économique n’a pas profité à tous les seigneurs. Certains d’entre eux, contraints par une
charte qui prévoit par exemple le montant des redevances qui leur sont dues par les
habitants des communautés auxquelles ils ont octroyé des libertés, ont vu leur revenus
Ce qui est à l’œuvre c’est donc une reformation progressive d’un réseau de dépendances
personnelles et réelles.
1. L’idée selon laquelle les Capétiens seraient issus des Carolingiens, privilégiant
l’idée d’une dynastie dans le prolongement d’une race sacrée ;
69
l’idée selon laquelle le roi doit pouvoir contrôler l’ensemble des éléments
de la pyramide féodo-vassalique. Il suggère ainsi des voies de solutions,
comme le fait de favoriser la vassalité directe, donc la relation
d’immédiateté entre le roi et le seigneur. Il développe également des règles
qui permettent au roi d’être respecté par le vassal de son vassal en cas de
conflit entre le vassal et le roi. Il sera prévu ainsi que l’arrière-vassal (le
vassal du vassal) ne pourra entrer en guerre contre le roi que lorsqu’il se
sera assuré que le roi est bien en tort.
B. Reconstruction du territoire
Au-delà des moyens théoriques qui sont développés par leurs conseillers, comme Suger,
les rois de France vont s’évertuer à reconquérir des territoires. Ils disposent à cet égard
de différents moyens juridiques.
L’un des exemples le plus remarquables est la commise prononcée par la curia du roi de France
Philippe Auguste à l’encontre de Jean sans Terre. Roi d’Angleterre, Jean sans Terre est aussi duc de
Normandie. A ce titre il est vassal du roi de France. Jean sans Terre avait outragé l’un de ses vassaux,
Hugues de Lusignan, en s’éprenant de son épouse et en l’enlevant. Hugues de Lusignan, arrière-
vassal du roi de France, saisit la cour de son suzerain (le seigneur de son seigneur). Philippe
Auguste convoque Jean sans Terre en 1202. Ce dernier refuse de se présenter devant la curia. La
curia constate que le vassal du roi a manqué à ses obligations ainsi que son refus de comparaître.
Elle prononce la commise de tous ses fiefs français. En 1204, Philippe Auguste, aux fins de rendre
la sanction effective, entame une campagne militaire et récupère la Normandie, le Maine et l’Anjou,
provoquant le début du démantèlement de l’Empire Plantagenêt.
- par les règles successorales (par l’effet des testaments ou des successions
en déshérence)
par ex. : la Provence est transmise par testament au roi de France en 1481. En 1360, le duc
de Bourgogne étant mort sans héritier, la Bourgogne revient au roi.
70
reviendra à la Couronne que lorsque la descendance de l’apanagiste est éteinte dans les
mâles.
Ex. : la Bourgogne, qui rejoint les biens de la Couronne en 1360, à la suite du décès sans descendance
du duc de Bourgogne, est donnée en apanage par le roi Jean II le Bon en 1363 à son plus jeune fils,
Philippe, qui vient de s’illustrer la bataille de Poitiers. Le duché de Bourgogne restera en dehors du
domaine jusqu’en 1477, à la mort de Charles le Téméraire.
A. Paix royales
A partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les rois de France reprennent à leur compte
l’organisation des paix et trêves que l’Eglise avait prise en charge. Dans la lignée des
pouvoirs qui étaient ceux des rois francs, le roi de France entend être à nouveau le
« vicaire du Christ, et assumer la charge d’un ministère, d’une mission de protection de
l’ordre et de la paix publique. La faide forme ainsi l’un des obstacles à l’établissement de
la paix publique. Le roi s’emploiera à la contenir.
Louis VII entend ainsi, dès 1155, imposer une paix générale à l’ensemble du royaume,
interdisant toute guerre privée pour une durée de dix ans. Cette première tentative se
heurte aux obstacles politiques de l’époque. Le roi a besoin, pour imposer sa loi dans
l’ensemble du royaume, du consentement de chacun des princes. L’applicabilité de la
norme royale sur le territoire du prince nécessite son consentement. Or, une très large
partie du territoire français est désormais intégré, depuis le mariage d’Henri II avec
Aliénor d’Aquitaine, dans l’ «Empire Plantagenêt ». L’application de la paix générale
voulue par Louis VII sera donc limitée.
Les rois de France s’évertueront à limiter la faide par d’autres moyens, moins ambitieux
mais plus efficaces :
71
établissements (l’Eglise et ses biens, les communautés villageoises ou
urbaines, marchands,…). Elle se développe sous Philippe Auguste.
B. L’exercice de la justice
Dans un premier temps, au cours des XIIe-XIIIe siècle, le souverain s’attaque peu aux
juridictions ecclésiastiques. Les efforts se concentrent d’abord sur les juridictions
seigneuriales. A l’image de la réflexion qui préside à la construction de la pyramide féodo-
vassalique, les juges royaux exploitent l’idée que « toute justice est tenue en fief ou en
arrière-fief du roi ».
Plusieurs voies procédurales vont être mises en œuvre pour assurer la supériorité des
juridictions royales sur les juridictions seigneuriales, et la formation progressive d’une
hiérarchie judiciaire :
- les cas royaux : les cas royaux sont des cas qui doivent être réservés à la seule
compétence du roi, parce qu’ils consistent dans des atteintes à la souveraineté :
atteintes au roi (sa personne), à ses biens et à ses intérêts, mais aussi à son
autorité ou à celle de ses agents. L’idée de la souveraineté est une notion qui
peut être entendue de manière très large. Son acception s’élargit avec le temps.
C. La capacité normative
La réaffirmation du pouvoir royal passe enfin par la faculté pour le roi d’imposer
progressivement des règles (normes) qui seront appliquées sur l’ensemble du territoire.
La capacité normative du souverain avait décliné puis disparu dès la fin du 9e siècle. Son
ultime expression avait été le capitulaire dit « de Verneuil », en 884, sous le carolingien
Carloman II.
Au XIIe siècle, l’ordonnance du roi nécessite, pour être appliqué dans chacune des
principautés formant l’ensemble du royaume, le consentement chacun des princes
72
formant la curia (cf. supra). Peu à peu, au cours du XIIIe siècle, le roi parvient cependant
à imposer sa loi en obtenant l’approbation de la majorité de ses barons (grands vassaux,
princes). L’aboutissement du processus a lieu à la fin du XIIIe siècle, lorsque le roi, au sein
de son Conseil, entouré de légistes uniquement, peut se passer de l’approbation des
barons. Saint Louis (†1270) et son successeur, Philippe III (†1285), parviennent à
imposer un système dans lequel les barons ne sont tout au plus que consultés, au besoin.
A. L’administration centrale
Déserté par les grands féodaux sous les premiers Capétiens, la Curia regis est à nouveau
fréquentée par eux au cours du XIIe siècle. Mais celle-ci connait peu à peu une
spécialisation des tâches, qui va conduire à intégrer des légistes, des individus formés
dans les Facultés de droit, au détriment des nobles, qui y seront marginalisés. La Curia se
divise en Curia in consilio (le Conseil) et en Curia in parlamento (le Parlement).
La Curia in consilio se dégage de la Curia vers les années 1150. Ceux qui en font partie
assistent le roi de façon permanente dans la prise de décision politique. A partir des
années 1190, la composition du Conseil change. Peu à peu, les clercs ou les bourgeois,
formés dans les facultés de droit, y remplacent les barons. C’est certainement le cas à
partir de Philippe Auguste. Les légistes jouent un rôle de plus en plus important.
Le Conseil assiste également le roi dans l’exercice de la justice. Protecteur du bien public
de par la mission qui lui est dévolue, le roi est source de toute justice. Il n’exerce pas
toutefois lui-même l’ensemble de la fonction juridictionnelle. Celle-ci est très largement
déléguée. Il n’exerce en personne, au sein du Conseil, que la justice dite « retenue ».
L’exercice de la justice retenue permet au roi d’exercer lui-même la justice, puisqu’il en
est la source. Cette maîtrise exercée sur le cours de la justice s’exprimera notamment par
l’apparition, au XIVe siècle, de la pratique de l’évocation, par laquelle le roi intervient sur
un procès imminent ou interrompt un procès en cours en se saisissant d’une affaire, celui-
ci étant donc soustrait à la juridiction déléguée qui aurait normalement dû en connaitre.
73
2. La Curia in parlamento (Parlement)
L’exercice de la justice du roi avait lieu dans le cadre de la Curia. Le roi y tranchait
essentiellement les procès féodaux. La commise prononcée contre Jean sans Terre, en
1204, en forme une illustration. L’attractivité de la justice royale, les efforts entrepris par
le roi pour assurer la formation d’une forme de hiérarchie judiciaire sur le même modèle
que la pyramide féodo-vassalique, entraînent l’inadéquation de la Curia au règlement des
litiges de plus en plus nombreux qui y sont portés. Les connaissances exigées pour
résoudre les procès dépassent les qualités qui sont celles des féodaux et requièrent
l’intervention d’individus formés en droit. Les affaires judiciaires seront donc portées, à
partir du XIIIe siècle, à un organe distinct de la Curia, la Curia in parlamento. Celle-ci
disposera principalement d’attributions judiciaires, mais elle exercera aussi des
attributions extra-judiciaires.
b. Organisation en chambres
74
- la Chambre des enquêtes, chargée de l’instruction de l’affaire et de
la préparation des décisions, qui entend les témoins, rédige un
rapport sur leur audition, etc.
c. Attributions judiciaires :
Les litiges portés devant le Parlement sont traités suivant une procédure de
plus en plus rationnelle et technique, dont témoigne la division du Parlement
en chambres. Louis IX privilégie la rationalisation de la justice en assurant
l’introduction de la procédure romano-canonique et en interdisant, en 1258,
le duel judiciaire (ou « gage de bataille ») comme mode de preuve : l’enquête
75
(l’instruction), dans laquelle l’écrit retrouve son importance, qui est inspirée
par le fonctionnement des juridictions ecclésiastiques, s’impose désormais.
Ce bouleversement de l’approche de la justice, la technicité nouvelle
qu’entraîne ces changements, conduit à l’apparition de nouveaux acteurs, qui
assisteront le justiciables et assureront leur représentation.
B. L’administration locale
1. Prévôts et bayles
A un premier niveau, le roi peut compter sur les prévôts et les bayles. Le prévôt était
connu à l’origine comme l’agent, le représentant du seigneur, dont il exerce le bannum (le
ban). La fonction perdure et le prévôt exerce les droits du roi dans les provinces. Le bayle
est un ancien agent princier ou seigneurial qui passe au service du roi lorsque celui-ci
étend son contrôle dans le Sud de l’espace français.
Les fonctions des prévôts et des bayles sont très larges : fonctions d’administration et de
police (publication des normes royales, respect de celles-ci, maintien de la paix, protection
des communautés villageoises, surveillance des marchés) ; fonctions financières
(perception des taxes, des péages,…) ; fonctions militaires (levée de l’armée) et fonctions
judiciaires (exercice de la justice du roi)
Pour éviter l’écueil de l’hérédité de la charge, qui avait porté préjudice à l’exercice du
contrôle du souverain au cours des périodes antérieures, les Capétiens mettent en place,
à partir du XIIe siècle, le système de la ferme : la charge prévôtale est mise aux enchères
et donnée à bail au plus offrant, pour une durée qui n’excède pas trois ans. La charge
prévôtale est alors à nouveau mise aux enchères.
76
2. Baillis et sénéchaux
Les attributions des baillis ont été définies par une ordonnance de Philippe Auguste de
1190. Ils sont chargés de la surveillance des prévôts, ils doivent faire rapport sur les
injustices qui auraient été commises et d’une manière générale sur l’administration dans
l’espace qu’ils contrôlent. Ils ont également d’importantes responsabilités financières
(collecte des profits de justice et des revenus royaux) et judiciaires (tenues d’assises
mensuelles pour entendre les plaintes).
Dans le Sud et l’Ouest, les Capétiens ont repris l’institution des sénéchaux existante
lorsqu’ils ont récupéré ces territoires. Ces officiers, délégués des princes territoriaux,
bénéficiaient d’une charge héréditaire. Les Capétiens s’emploieront à transformer
progressivement cette charge en fonction révocable. Les attributions des sénéchaux sont
à rapprocher de celles des baillis. A partir du milieu du XIIIe siècle, les deux fonctions sont
identiques, même si les deux appellations sont conservées.
Les conditions de recrutement des baillis et sénéchaux sont particulièrement strictes. Ils
sont en général recrutés au sein de la petite noblesse ou de la bourgeoisie, pour
contrebalancer l’influence des grands féodaux. Soucieux de nommer des agents
indépendants par rapport aux intérêts locaux, le roi veille à ne pas choisir un bailli ou un
sénéchal qui serait né dans la circonscription qu’il serait amené à contrôler, ou dans
laquelle il possèderait des biens. Le recrutement s’accompagne d’un serment. Il doit
également rendre des comptes au Parlement sur la manière dont il gère sa
circonscription.
Représentant le roi dans toute l’étendue de ses prérogatives, les baillis et sénéchaux
disposent d’attributions très larges, outre le contrôle sur l’activité du prévôt :
77
prévôts et les bayles ; ils font rentrer tous les impôts dont la perception n’est
pas confiée aux prévôts, etc ;
78
Chapitre VIII. L’espace allemand (XIIe-XIIIe siècles)
79
I. La Querelle des investitures et la réaffirmation du principe électif
L’évêque est élu par le clergé local et l’élection est avalisée par le pape. Si l’empereur – ou
son représentant – peut être présent lors de l’élection, tout au plus peut-il attribuer un
bénéfice (un bien foncier) à l’évêque.
Ce retour du principe électif se manifeste à la mort d’Henri V. Celui-ci meurt en 1125 sans
descendance directe. Le recours à la succession héréditaire reste possible. Le neveu
d’Henri V, Frédéric (fils de Frédéric de Hohenstaufen et de sa sœur Agnès, cf. slide), se
présente comme le prétendant naturel au trône impérial. Les princes lui préfère le comte
Lothaire de Supplinburg. Lothaire III n’a pas de descendance. Le principe électif en serait
d’autant plus affirmé, puisqu’à sa propre mort, il faudrait à nouveau recourir à une
élection. Celui-ci est donc élu roi des Romains en 1125, puis couronné empereur en 1133.
Henri le Superbe, duc de Bavière, est un prince puissant. Il est également, au moment de
la mort de son beau-père, margrave de Toscane et duc de Saxe. Son accession au trône
impérial en ferait un empereur puissant. Cette perspective pousse au contraire les
princes, dans le souci de contrôler l’empereur, à élire Conrad.
80
ci s’affirmera comme un empereur puissant, tant vis-à-vis des princes que vis-à-vis de la
papauté.
Frédéric Ier étant mort en 1190, au cours de la troisième croisade, son fils Henri VI lui
succède. Elu roi des Romains dès 1165, il est sacré empereur en 1191. Epoux de Constance
de Hauteville, fille du roi de Sicile, il prend possession du sud de l’Italie et se fait sacrer
roi de Sicile en 1194. Il meurt en 1197, alors qu’il s’apprête à partir à son tour en croisade.
Henri est parvenu à négocier, en 1196, l’élection de son fils Frédéric comme roi des
Romains. Mais celui qui devrait ceindre la couronne impériale n’a que trois ans
lorsqu’Henri meurt. Les grands du Saint-Empire, qui n’entendent pas confier la couronne
à un enfant mineur, font appel au frère d’Henri, Philippe de Souabe. Celui-ci est élu roi des
Romains en 1198. Au cours d’une période marquée par l’incertitude et les lutte de
factions, le Pape entend imposer son candidat, Otton de Brunswick. Philippe de Souabe
étant assassiné en 1198, Othon finit par s’imposer, sous le nom d’Otton IV. Le Pape le sacre
empereur en 1209, avant de le désavouer – puis de l’excommunier – et de prendre
finalement le parti du fils d’Henri VI, Frédéric. Ce dernier est élu roi des Romains par une
assemblée rassemblant une partie des princes de l’Empire en 1211.
Vaincu à la bataille de Bouvines par Philippe Auguste (1214), Otton IV - allié de Jean sans
Terre - est déposé par les grands du Saint-Empire. Frédéric II de Hohenstauffen - allié de
Philippe Auguste - est couronné roi des romains à Aix-la-Chapelle en 1215. Il est sacré
empereur à Rome en 1220. II est marqué, comme le règne de Frédéric Barberousse, par
une volonté d’affirmation vis-à-vis des princes comme vis-à-vis de la papauté. Frédéric II
meurt en 1250. S’ouvre alors une longue période de fragilisation de la fonction impériale.
Frédéric Ier Barberousse (†1190) entend rétablir une fonction impériale forte, non
seulement au sein de l’Empire mais également en Italie. L’Empereur doit s’imposer – et
éventuellement composer – face aux princes, face aux villes lombardes (en Italie) et face
au Pape. Cette entreprise d’affirmation impériale se prolonge, face aux mêmes acteurs,
sous le règne de Frédéric II.
Cette période de réaffirmation du pouvoir impérial passe aussi par des symboles. Frédéric
Barberousse obtient ainsi la canonisation de Charlemagne. La cérémonie, qui vise à
renforcer la sacralité de la fonction impériale, a lieu à Aix-la-Chapelle en 1165.
Frédéric Barberousse affirme son pouvoir dans l’espace allemand, en conduisant une
politique habile de coopération avec les Princes et en favorisant la formation d’une
hiérarchie vassalique (pyramide féodo-vassalique), dont la première étape consiste à
s’imposer comme seigneur par rapport aux princes, qui doivent se considérer comme ses
vassaux.
81
Cette réaffirmation du pouvoir impérial se heurte à certains princes puissants, comme
Henri Le Lion, duc de Bavière et duc de Saxe, fils d’Henri le Superbe. Dans l’espace
allemand comme dans l’espace français, le droit féodal peut constituer un instrument
politique de première importance. En 1178, un évêque dépose plainte auprès de
l’Empereur, parce que le duc de Saxe aurait aurait enlevé des biens dans son Eglise et ne
les aurait pas restitué. D’autres plaintes sont été déposées par la suite, qui font état de
spoliations commises par le duc à l’encontre de l’Eglise saxonne. Le duc ne s’étant pas
présenté devant la curia, il est poursuivi et condamné pour non-respect de ses obligations
féodales. Ses deux duchés lui sont retirés. Le duché de Saxe est partagé en deux, le titre
ducal étant confié à l’archevêque de Cologne. Quant au duché de Bavière, il est confié à
une autre famille, les Wittelsbach.
L’apaisement des relations entre l’Empereur et les princes passe également par la
création en 1180, à l’initiative de Frédéric Barberousse, d’un « ordre » des princes
impériaux, le Reichsfürstenstand, rassemblant ses vassaux directs. Tout en faisant
admettre par les princes qu’il leur est supérieur, l’Empereur reconnait leur particularité
et leur pouvoir. Il leur reconnait ainsi une autorité exclusive dans le territoire de leur
principauté et la qualité de suzerain dans leur territoire par rapport aux leurs vassaux,
dans la perspective d’un renforcement de la hiérarchie féodo-vassalique.
Les relations avec les princes comprennent également les relations avec les évêques dans
l’Empire. En 1220, l’évolution des relations entre Frédéric II et les évêques du Saint-
Empire conduit celui-ci à leur faire d’importantes concessions. Il concède, par la
Confoederatio cum principibus ecclesiasticis, d’importantes mesures visant
l’autonomisation du pouvoir des évêques. Celle-ci prévoit notamment que les biens d’un
évêque défunt ne reviendront plus à l’empereur, mais à son successeur, ou encore que les
agents impériaux n’exerceront la justice ou ne prélèveront l’impôt dans les villes
épiscopales.
En 1231, l’évolution des relations entre Frédéric II et les princes le conduit à leur octroyer
le Statutum in favorem principum, par lequel il leur garantit leur autonomie dans les
domaines de l’administration, de la justice et des douanes.
Soucieux d’accroître son pouvoir en Italie, Fréderic Ier fait face à un large mouvement
d’opposition des villes, conduites par la ville de Milan. Celles-ci se sont depuis longtemps
affirmées comme communia et entendent défendre leur autonomie. En 1158, l’Empereur
convoque une diète à Roncaglia. Celle-ci assure, en s’appuyant sur l’apport du droit
romain – sur l’intervention de plusieurs docteurs de l’Université de Bologne - le
rétablissement des droits impériaux sur les villes lombardes. Sur la base du droit romain,
la Diète reconnait la position suprême de l’Empereur et sa capacité législative. Les
docteurs de Bologne réactivent le concept de souveraineté impériale, issu du droit
romain, qui font de l’Empereur un juge et un législateur. Concrètement, les villes perdent
une partie de leur autonomie, du système d’auto-gouvernement qu’elles avaient
développé au cours des décennies qui avaient précédé. Le conseil des consuls est
remplacé par un podestat, un magistrat unique qui n’est pas issu de la commune, chargé
82
d’administrer la cité, et au service de la politique impériale. L’impôt impérial est par
ailleurs restauré.
La confrontation avec les villes du nord de l’Italie reprend avec force sous Frédéric II.
L’opposition entre partisans du Pape et des Welfs, qui prennent le nom de « Guelfes », et
partisans de l’Empereur, qui prennent le nom de « Gibelins », divise plus que jamais le
nord de l’Italie.
C. Face à la Papauté
Les règnes de Frédéric Barberousse puis de Frédéric II sont marqués par leur souhait de
réaffirmation face à la Papauté. Frédéric Ier cherche à imposer, contre la vision
grégorienne, l’idée d’un empereur qui doit être l’égal du pape. Il s’impose d’abord, dans
un premier temps, comme le protecteur de la Papauté. Il intervient pour soutenir le Pape
Adrien IV. L’empereur l’aide à reprendre le contrôle de Rome qui, suivant le mouvement
communal qui se développe en Italie, s’est émancipée de la tutelle du Pape.
La relation d’égalité qu’il entend restaurer doit avoir une conséquence concrète dans le
contrôle de l’Empire. Elle doit lui permettre d’influer sur les investitures, de telle sorte
qu’il puisse restaurer le Reichskirchensystem.
Couplée à la confrontation avec les cités guelfes, la confrontation avec la Papauté reprend
avec force sous Frédéric II. A la suite des succès militaires de l’empereur, le Pape Innocent
IV est contraint de fuir Rome en 1245. Il réunit un concile à Lyon, qui prononce la
déposition de Frédéric II. Une partie des Electeurs – les évêques – élisent alors un
nouveau roi des romains. La guerre civile s’étend de l’Italie vers l’espace allemand.
Fréderic II meurt en 1250, sans être avoir réussi à reprendre le contrôle de l’Empire.
83
III. Consécration du rôle des Diètes
Le souhait d’affirmation exprimé par l’empereur n’exclut pas la réunion de ces assemblées
au cours desquelles l’empereur cherche à obtenir le soutien des grands de l’Empire. Elles
forment également, comme à Roncaglia, une occasion pour l’empereur d’imposer à
certains acteurs politiques – ici les villes lombardes – ses volontés. Mais elles forment
aussi, comme à Constance (1183), un espace de négociation, où ces mêmes acteurs
politiques – les villes lombardes – voient leurs droits reconnus par l’empereur.
La Diète de Mayence, en 1235, forme une autre illustration de l’importance des diètes au
cours des XIIe-XIIIe siècles. Au cours de cette diète sont édictées les Capitulations dites
« de Mayence », qui formeront des règles fondamentales (constitutionnelles) pour
l’Empire. Les Capitulations de Mayence comportent 29 articles concernant :
Les efforts entrepris sous les Staufen en vue de la réaffirmation du pouvoir impérial se
heurtent à des obstacles majeurs. Si la formation d’une pyramide féodo-vassalique forme
un élément de consolidation du pouvoir impérial, celui-ci ne bénéficie pas des mêmes
conditions que le pouvoir royal en France. Il n’est notamment pas question dans l’espace
allemand de « mouvance ». Dans cet esprit, il n’est pas question non plus de voir les fiefs
qui tombés en déshérence ou qui ont fait l’objet d’une saisie définitive, revenir sous la
Couronne impériale et permettre un accroissement des possessions impériales. La
tradition du leihezwang impose à l’Empereur de « revassaliser » le fief laissé sans héritier
ou saisi.
84
La mort de Frédéric II en 1250 marque la fin de la dynastie Hohenstaufen et ouvre une
nouvelle période de fragilisation de la fonction impériale. La descendance de Frédéric
n’est pas en mesure de s’imposer18. La papauté entend réaffirmer sa domination sur la
fonction impériale et jouer un rôle dans la succession au trône. Les prétendants successifs
sont donc écartés par le pape, qui n’entend pas couronner à Rome celui ou ceux qui seront
élus rois des Romains au cours de la période qui suit. De même, les princes ne s’accordent
pas sur un candidat unique. Aussi, cette période, celle d’une disparition du titre impérial
sur lequel le pape a repris la maîtrise, est-elle généralement connue sous le nom de
« Grand Interrègne ».
Le Grand Interrègne prend fin en 1273, lorsque les princes s’accordent pour élire un
prince de moindre importance, mais qui s’est distingué par ses qualités militaires,
Rodolphe de Habsbourg (†1291). Soucieux d’éviter de laisser monter sur le trône un
prince trop puissant, ils repoussent la candidature du roi de Bohème, Ottokar II. Le choix
des électeurs ne rencontre plus l’opposition du pape, qui souhaite à présent un empereur
qui serait en mesure de conduire une nouvelle croisade19.
Les princes se mettent donc d’accord sur la personnalité de Rodolphe de Habsbourg. Ses
qualités militaires pourront contribuer à pacifier l’Empire. Son règne sera marqué par un
apaisement des relations avec la papauté et par une large campagne de protection de
l’ordre public. Rodolphe Ier s’évertuera à établir la paix générale en limitant la Fehde.
18 Le fils de Frédéric II, Conrad IV, meurt dès 1254. Lui-même n’a alors qu’un seul fils, connu sous le nom de
Conradin, qui est alors âgé de deux ans. Ce dernier mourra (exécuté) un peu plus tard, en 1268.
19 Le pape souhaite qu’une nouvelle croisade soit entreprise en Terre sainte. Un empereur, fort de sa qualité
de « vicaire du Christ », dont le pouvoir est renforcé par les liens qui l’unissent à la papauté, peut constituer
un atout pour conduire une croisade.
85
Elu roi de Germanie, ou « roi des Romains », Rodolphe ne fera jamais le voyage de Rome,
où il devrait être couronné par le Pape. La qualité d’empereur, outre les prérogatives
qu’elle offre à son titulaire, lui permet de présenter aux électeurs son successeur à
l’élection anticipée. Le titre impérial permet ainsi à son titulaire d’envisager la
sécurisation de sa succession et éventuellement d’assurer que sa descendance accède au
trône impérial à sa suite. Dans la négative, l’initiative du choix, à la mort de l’empereur,
appartiendra entièrement aux électeurs. Rodolphe ne parvient pas à imposer son fils,
Albert de Habsbourg. Les princes lui préfèreront Adolphe de Nassau.
86
Chapitre IX. L’espace anglais (XIIe-XIIIe siècles)
87
La période des XIIe-XIIIe siècles s’ouvre sur le règne d’Henri Ier Beauclerc (1100-1135), le
plus jeune des fils de Guillaume le Conquérant, dont l’apport sur le plan institutionnel est
particulièrement important. Décédé sans héritier de sexe masculin en ligne directe, sa
succession entraîne une période de troubles intérieures, connue sous le nom d’
« Anarchie ». Henri Ier n’a plus pour seule descendance légitime qu’une fille, Mathilde,
veuve de l’Empereur Henri V du Saint-Empire, remariée à Geoffroy d’Anjou, comte
d’Anjou et comte du Maine. Celle-ci est désignée par son père pour lui succéder mais elle
fait face aussitôt, dès la mort du roi, aux prétentions de son cousin – petit-fils de Guillaume
le Conquérant – Etienne de Blois (†1154). Celui-ci est soutenu par une large partie du
baronnage anglais et parvient à obtenir la couronne d’Angleterre à sa place.
L’insatisfaction causée par le règne d’Etienne au cours des mois et des années qui suivent
entraîne la division du baronnage et la guerre civile. Cette période de troubles intérieurs
prend fin lorsqu’Etienne et le fils de Mathilde, qui sera bientôt connu le nom d’Henri II
Plantagenêt, concluent, en 1153, un traité de paix (traité de Wallingford). Etienne y
reconnait Henri comme son héritier. Comme ses prédécesseurs, Henri II (1154-1189) est
couronné à l’abbaye de Westminster. Il inaugure un règne de pacification, de restauration
et de renforcement de l’autorité royale. Il entend récupérer terres et privilèges. Il s’impose
face aux barons. Roi d’Angleterre, duc de Normandie, Henri II est aussi comme héritier de
son père, comte du Maine et comte d’Anjou. Il épouse en 1152 Aliénor d’Aquitaine,
duchesse d’Aquitaine et comtesse de Poitiers, qui apporte à la Couronne d’Angleterre une
large partie de l’espace français. L’ensemble de leurs possessions formeront l’Empire
Plantagenêt, également connu sous le nom d’ « Empire angevin ». L’expansion territoriale
anglaise provoque des tensions importantes avec le roi de France. La période est
également marquée, à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, par la crispation des
relations avec l’Eglise, par d’importantes tensions familiales. On assiste également partir
de la fin du XIIe siècle et mais surtout au cours du XIIIe siècle, à une multiplication des
tensions entre le roi et les barons. L’octroi de la Magna Carta par Jean sans Terre, en 1215,
et la formation progressive du Parlement en forment les jalons essentiels. Le règne
d’Edouard Ier (1272-1307) apparaît, enfin, comme une nouvelle période de réaffirmation
royale.
En 1126, sans héritier mâle légitime, Henri Ier rassemble ses barons pour leur faire
reconnaitre sa fille Mathilde comme héritière, tant du royaume d’Angleterre que du duché
de Normandie.
Mathilde, veuve du l’Empereur Henri V depuis 1125, a vécu plusieurs années dans les
terres du Saint-Empire. Elle épouse Geoffroy d’Anjou en 1127.
Malgré leur serment, le baronnage anglais se divise lorsqu’Henri Ier meurt, en 1135.
L’accession d’une femme au trône d’Angleterre est loin d’être une évidence, même si
aucune règle ne l’exclut. Au contraire même, puisque le droit féodal prévoit le droit à la
succession des filles. Les règles de succession aux fiefs que connait l’Angleterre prévoit
qu’à défaut de successeur en ligne masculine, le fief du défunt est partagé entre ses filles.
88
Mathilde fait donc face à la défiance des grands nobles anglais et normands. Non
seulement Mathilde est une femme, mais elle a également passé plusieurs années hors des
possessions anglo-normandes, dans le Saint-Empire. Elle vient d’épouser un étranger, ce
comte d’Anjou, dont les possessions sont voisines de la Normandie, et dans lesquels les
Normands voient une menace. Le neveu d’Henri Ier, également petit-fils du Conquérant,
comme Mathilde, tire parti de la situation pour faire valoir ses droits à la couronne. Il se
délie de son serment et il est couronné par l’archevêque de Cantorbéry, en lieu et place de
Mathilde.
Mathilde l’Empereresse ne renonce pas à ses droits. Soutenue par une partie du
baronnage, elle continue à revendiquer la couronne d’Angleterre. Les deux partis se
livrent une guerre qui dure jusqu’en 1153. Par le traité de Wallingford, Etienne finit par
reconnaitre Henri, fils de Mathilde et Geoffroy, comme son héritier. Mathilde abandonne
ainsi ses propres prétentions au profit de son fils, le futur Henri II.
Jean sans Terre accède au pouvoir royal en 1199, à la mort de Richard Ier. Il est le
troisième fils d’Henri II. Mais il n’est pas le seul descendant direct d’Henri Ier à pouvoir
prétendre au trône. Geoffroy, le deuxième des fils d’Henri II, était décédé avait eu un fils,
Arthur, qui est duc de Bretagne par sa mère. Aussi, en 1199, le successeur de Richard peut
aussi bien être Arthur que Jean, dans la mesure où les règles de succession au trône ne
sont pas fixées. D’aucuns, suivant Glanville (†1190) - Justitiar d’Angleterre et auteur du
premier traité de droit anglais, le Tractatus de legibus et consuetudinibus regni Anglie –
reconnaissent les droits d’Arthur, tandis que d’autres, suivant la coutume normande – le
Très Ancien Coutumier – lui préfèrent Jean.
Aussi, le droit ne suffit-il pas à départager les candidats, et la position respective de l’un
et de l’autre, son âge et son expérience, ses éventuelles capacités militaires et financières,
ses soutiens parmi les barons comme parmi les souverains étrangers, assureront son
accession au pouvoir. Arthur n’a que douze ans, mais il peut compter sur les barons en
Anjou, en Poitou, dans le Maine, en Touraine ou en Bretagne, ainsi que sur le soutien du
roi de France, Philippe Auguste, avec lequel il a conclu une alliance. Jean peut compter
principalement sur le baronnage anglo-normand. Il bénéficie d’un autre avantage.
Soutenu en Angleterre, il est en mesure de recevoir la couronne d’Angleterre selon le
cérémonial consacré. Il est ainsi couronné à Westminster par l’Archevêque de Canterbury.
Après son couronnement, il regagne la Normandie – dont les barons lui sont acquis – et
engage des négociations avec Philippe Auguste. Par le traité du Goulet (1200), Philippe
reconnait Jean sans Terre comme l’héritier de Richard. Quant à Jean sans Terre, il
reconnait la suzeraineté du roi de France sur les possessions continentales des
Plantagenêts. Arthur, affaibli, obtient de Philippe Auguste que celui-ci renonce à toute
prétention sur la Bretagne. Il doit prêter hommage au roi d’Angleterre.
89
II. Organisation administrative
Le wiotan disparaît pour laisser la place à la curia regis, déclinaison sur le sol anglais de
la curia ducis normande. Le règne d’Henri Ier est marqué par création de nouvelles
institutions : l’Exchequer (Echiquier) et la Chancery (Chancellerie) ainsi que par la
formalisation de l’office de Justiciar. L’organisation de l’administration locale, sous la
responsabilité des sheriffs reste inchangée.
Un facteur paraît décisif pour comprendre l’évolution des institutions au cours de ces
premières décennies : l’intégration dans l’espace anglais du système vassalique. Si une
hiérarchie vassalique est rapidement établie, et favorise l’organisation et le contrôle du
royaume, les relations entre le roi et ses vassaux ne sont pas évidentes pour autant.. Des
tensions importantes apparaissent dès le règne de Guillaume le Roux. Son successeur,
Henri Ier, leur concède, au moment de son accession au pouvoir (1100), une charte de
libertés dans laquelle il s’engage notamment à limiter l’impôt.
1. Curia regis
Sous l’inspiration des usages normands, les familiers du roi, les membres de sa famille, les
membres du haut clergé ainsi que les grands nobles se réunissent désormais au sein de la
curia regis. La curia regis se distingue du wiotan par la nature du lien qui unit le roi à ses
membres. Vassaux du roi, ils lui doivent aide et conseil. L’obligation de conseil prend une
forme concrète dans leur participation à la curia.
Lieu de la décision politique, la curia est également, dans la mesure où le roi a pour
mission d’assurer la paix publique, l’organe au sein duquel est rendue la justice du roi.
Pour assurer l’exercice au jour le jour du gouvernement, le roi réunit ses familiers, en
conseil restreint, la Curia minor. Il réunit par ailleurs, plusieurs fois par an, l’ensemble des
barons et des grands prélats. On distingue ainsi la Curia minor de la Curia maior.
2. Exchequer et Chancery
90
an, à Pâques et à la Saint-Michel, à l’examen des comptes des sheriffs ainsi que ceux de
certains autres officiers royaux. Il connait également des litiges qui s’élèvent entre les
agents royaux concernés.
La même période voit l’organisation d’une administration des écrits royaux, la Chancery
(Chancellerie). Celle-ci se formalise progressivement en s’appuyant sur les membres de
la Chapelle royale.
A la fois roi d’Angleterre et duc de Normandie, Henri Ier entend faire face aux problèmes
liés à l’administration de possessions qui s’étendent de part et d’autre de la Manche. Aux
fins d’en faciliter l’administration, il crée un office permanent dans chacun des deux
espaces, le Justiciar. Le Justiciar d’Angleterre, ou Chief-Justiciar, est responsable de
l’administration royale dans l’espace anglais et il a autorité sur les agents royaux. Le
Justitiar de Normandie est responsable de l’administration royale dans l’espace normand
et il a autorité sur les agents ducaux. Délégué du roi ou du duc, chacun d’eux est en charge,
l’un dans le royaume et l’autre dans le duché, des finances et de la justice royales.
L’office de Justitiar est d’autant plus important en Angleterre que le roi séjourne très peu
sur le sol anglais. C’est le cas depuis Guillaume Ier. Il préfère se déplacer au sein de ses
possessions continentales, que ce soit en Normandie tout d’abord, puis dans le vaste
ensemble territorial que forme, à partir d’Henri II, les possessions anglaises dans
l’ancienne Francia occidentalis. Ou alors il est parti en croisade pour de longues années,
puis retenu hors de ses terres, comme Richard Ier.
La situation change à partir du règne de Jean sans Terre, lorsqu’une fois la commise
prononcée sur ses fiefs relevant du roi de France, le roi ne peut plus se déplacer librement
dans l’espace angevin. La fonction de Justitiar décline en raison de la présence du roi et de
son investissement dans le gouvernement de l’Angleterre.
Les efforts de reprise en main qui sont entrepris par Henri II à la suite de l’Anarchie
conduise le roi à un renforcement du contrôle sur l’administration locale. Par l’Inquest of
Sheriffs, en 1170, Henri II établit une commission chargée d’examiner les pratiques
locales, et il reprend en main l’office de sheriff dont il s’assure l’entière soumission. La
plupart des sheriffs sont remplacés. Les nouveaux sheriffs deviennent des agents royaux
locaux, soumis à un contrôle étroit, qui assurent un rôle d’auxiliaire administratif et
judiciaire. Ils perdent leur autonomie.
Guillaume et ses successeurs n’ont pas écarté l’organisation de la justice qui existait au
moment de la Conquête. La justice royale est conçue comme un système parallèle et
alternatif à l’organisation de la justice issue de la période anglo-saxonne. L’attractivité de
la justice royale, conçue comme particulièrement efficace, va entraîner le déclin progressif
de l’organisation judiciaire ancienne.
91
Ils n’ont pas davantage écarté les coutumes sur la base desquelles la justice était rendue
avant la Conquête. Mais l’établissement des Normands - leur installation durable -
conduit peu à peu à une situation inconfortable, dans la mesure où les coutumes
normandes entrent en confrontation avec les coutumes anglo-saxonnes. La solution
consistera à privilégier une voie médiane, celle de la formation d’un droit de compromis,
progressivement façonné par les juges royaux20. La multiplication des recours à la justice
royale s’accompagne de la diffusion du droit nouveau qui y est développé.
A. Justice locale
Les premiers souverains anglais ne touchent pas à l’organisation de la justice qui était
celle du shire ou du hundred. Les assemblées continuent de rendre la justice comme avant
la Conquête, si ce n’est que les offices de sheriff sont peu à peu attribués à des Normands.
La justice locale attire cependant l’attention d’Henri Ier, qui crée une nouvelle fonction,
celle de « seigneur-justicier». Les seigneurs-justiciers, ou plus simplement « justiciers »
(justitiar) sont principalement des membres de la Curia regis auxquels il donne mission
de contrôler l’exercice de la justice dans le royaume. Ces officiers peuvent être chargés
de diverses missions. Ils reçoivent « commission » par un writ (ordre écrit) délivré par le
roi. Peuvent être données, notamment, les commissions suivantes :
Henri II remet en mouvement les eyres qui avaient été initiées sous Henri Ier, mais en
systématise l’organisation : les eyres sont plus complètes et plus régulières. A partir de
1166, de véritables circuits i sont organisés chaque année et qui couvrent l’ensemble du
royaume.
La même année, en 1166, par l’Assise de Clarendon, Henri II réorganise les règles de
procédure à observer à l’occasion des eyres, et notamment l’administration de la preuve,
La réorganisation des eyres donne des plus en plus d’importance aux juges royaux et
permet au roi d’assurer un contrôle plus étroit sur l’exercice de la justice.
B. Justice centrale
Lieu de la décision politique, la curia est également, dans la mesure où le roi a pour
mission d’assurer la paix publique, l’organe au sein duquel est rendue la justice du roi.
En l’absence du roi, qui réside le plus souvent en Normandie et qui, lorsqu’il est sur le sol
anglais, ne cesse de se déplacer, les litiges d’ordre financier sont progressivement portés,
sous Henri Ier, devant la Court of Exchequer (Cour de l’Echiquier), qui se fixe peu à peu, de
manière permanente, à Westminster. Cette juridiction est présidée par le Justicier, assisté
de six évêques et de six barons.
93
justice, le King’s Bench (Banc du Roi), qui connaitra des affaires dans lesquelles les
intérêts de la Couronne sont concernés.
L’une des innovations les plus importantes du règne d’Henri II dans le domaine judiciaire
est l’introduction des Petty Assizes, une procédure sommaire au cours de laquelle :
- un plaignant qui vient d’être dépossédé d’un bien foncier, peut être remis en
possession s’il fait la démonstration qu’il était en possession du bien en cause
et qu’il en a été illégalement expulsé. Il s’agit de l’assise de novel disseisin ou de
recent disseisin.
- un héritier peut obtenir la possession d’un bien foncier dont s’est saisi
quelqu’un lors du décès du de cuius pour peu qu’il fasse la démonstration de sa
qualité d’héritier. Il s’agit de l’assise de mort d’ancestor ;
L’organisation des Petty Assizes s’écarte de la justice ordinaire. Henri II introduit des
actions possessoires, au cours desquelles le juge royal statue non pas sur le droit de
propriété, mais sur la seule possession. Elles se caractérisent par ailleurs par leur rapidité,
les parties étant tenues de se présenter devant les juges royaux de l’Echiquier ou les juges
en eyre tel jour déterminé.
Le XIIe siècle est marqué par d’importantes tensions entre le roi et l’Eglise ou la Papauté.
Etienne de Blois qui, reniant ses engagements, intervient à plusieurs reprises dans
l’élection des évêques ou des abbés, est en conflit avec l’Eglise d’Angleterre et avec la
papauté. Ces tensions culminent dans les relations qu’il entretient avec Thibault du Bec,
archevêque de Canterbury, qui sera par deux fois contraint à l’exil.
La confrontation entre Henri II et Thomas Becket atteint son stade ultime à la suite des
Constitutions de Clarendon (1164), par lesquelles le roi entend soumettre les clercs aux
juridictions royales. Becket s’y oppose. Appelé à comparaître devant la curia, il n’entend
pas se soumettre à la justice du roi. L’archevêque de Canterbury trouve refuge en France,
où il est accueilli par Louis VII. En 1170, sous la menace d’une excommunication, Henri II
94
consent à voir Thomas Becket retrouver son siège archiépiscopal. Mais les relations entre
le roi et l’archevêque sont loin d’être apaisées. C’est dans ce climat de tensions
persistantes que Thomas Becket est assassiné, en 1170, dans l’abbaye de Cantorbéry.
Ces tensions réapparaissent au début du règne de Jean sans Terre, après 1199. Les
désaccords qui s’étaient révélées sous le règne d’Henri II, son père, se réveillent sous son
règne.
Une partie des moines de Canterbury, auxquels revient le droit d’élire son successeur,
désignent l’un d’entre eux, leur prieur. Le roi intervient lui-même pour imposer son
propre candidat, qui est élu à son tour. Les deux archevêques élus en appellent au Pape
pour obtenir qu’il les départage. Innocent III écarte les deux candidats et il pousse les
moines de Canterbury à en élire un troisième, Etienne Langton. Celui-ci est élu en
décembre 1206.
La période de l’Anarchie avait été suivie, sous le règne d’Henri II, par une nouvelle période
d’affirmation du pouvoir royal, tant vis-à-vis des nobles que vis-à-vis de l’Eglise. De
nouvelles tensions voient le jour sous le règne de Jean sans Terre, qui sera forcé, dans un
contexte de difficultés avec la Papauté et avec le roi de France Philippe Auguste, à faire de
nouvelles concessions dans une nouvelle charte, la Magna Carta, qui introduit notamment
une forme de contrôle du pouvoir royal par les barons.
21
L’interdit constitue une sanction canonique exclut tout service religieux (messes) , de même que les
sacrements ou les sépultures religieuses.
95
A. Développement des tensions avec le baronnage
Les tensions qui traversent les relations de Jean sans Terre avec l’Eglise d’Angleterre mais
surtout avec la Papauté s’accompagnent de tensions importantes avec les nobles. Sa
soumission au Pape affaiblit le roi. En 1213, alors qu’il souhaite monter une expédition
sur le Continent pour reprendre possession de ses terres – à la suite de la commise
prononcée par la curia de Philippe Auguste – la plus grande partie des barons lui opposent
un refus. Ceux-ci estiment que l’obligation féodale de l’ost ne s’étend pas hors des îles
britanniques, pour une durée qui serait supérieure à ce qui peut leur être ordinairement
demandé. Le roi est contraint de leur promettre des concessions pour obtenir leur
soutien. Il s’engage à restaurer les anciennes libertés perdues sous Henri II, à leur
renouveler, en la complétant, la « charte des libertés » concédée sous Henri Ier Beauclerc.
Des négociations s’engagent entre le roi et les nobles, dans lesquelles le Pape lui-même
joue un rôle décisif. Elles aboutissent, au mois de juin 1215, à un accord de paix et à la
rédaction de la Magna Carta. La Magna Carta restaure les nobles dans leurs droits et
introduit une limitation des pouvoirs du roi. Le contrôle de pouvoir royal trouve une
expression concrète originale : elle institue un conseil chargé d’assurer le contrôle du
respect de ses dispositions. Cette mission de contrôle est prolongé par la reconnaissance
d’un « droit d’insurrection » de la population dans le cas où les griefs qui ont été constatés
n’auront pas été redressés.
Les dispositions de la Grande Charte ne bénéficient pas seulement aux barons. Celle-ci
contient des dispositions destinées à garantir plus spécialement les privilèges de l’Eglise.
La ville de Londres se voit garantir ces anciennes libertés et coutumes, de même que les
autres communautés urbaines et rurales. Enfin, certaines de ces dispositions – en
particulier dans le domaine de l’exercice de la justice –garantissent les droits de la
population, du moins des « hommes libres ».
Elle dispose ainsi, notamment, que les « Common Pleas » seront à nouveau jugées dans un
lieu fixe - à Westminster – et non plus par le roi en son conseil, là où il réside. Elle dispose
enfin qu’aucun homme libre ne pourra être arrêté, détenu ou banni si ce n’est par sentence
de justice.
Jean sans Terre, aussitôt la Grande Charte signée, s’emploie à la faire annuler en recourant
au Pape. Dès le mois d’août 1215, Innocent III promulgue la bulle Et si Carissimus, par
laquelle il annule la charte. La guerre reprend entre le roi et ses barons anglais. Jean sans
Terre meurt en 1216 sans qu’il ait été mis fin au conflit.
96
C. Naissance du Parlement
La succession de Jean sans Terre s’ouvre dans un contexte de crise. La position d’Henri III
(†1272), son fils, est d’autant plus fragile qu’il n’est encore qu’un enfant. Elle est
consolidée grâce à une régence efficace et grâce au soutien de l’Eglise. La Magna Carta
connait une modification substantielle, dans la mesure où il n’est plus question, dans cette
nouvelle version, du conseil qui devait être établi en vue d’assurer le contrôle de l’action
du roi, ainsi que d’autres dispositions, dont l’existence était à mettre en relation avec le
contexte du règne de Jean sans Terre.
Les années 1250 voient se développer de nouvelles tensions entre le roi et les nobles, qui
dégénèrent à nouveau en guerre civile. En 1254, à la veille d’une expédition militaire,
Henri III décide de convoquer une Curia maior dont la composition se distingue des
précédentes. En plus des barons, il convoque des représentants des comtés, les Knights of
the Shires. Face au conflit qui l’oppose à la noblesse, le roi entend élargir la base sur
laquelle il peut s’appuyer. En appelant les représentants des comtés à la Curia, il entend
contrebalancer le pouvoir des barons.
L’insatisfaction des grands nobles, causée par les besoins financiers du roi ainsi que par
la place qu’occupe, au sein de la Curia minor, les conseillers étrangers, entraîne la
Première guerre des barons. Au mois de juin 1258, sous la pression de leur chef, Simon de
Montfort, le roi réunit une nouvelle curia élargie à Oxford. Cette réunion, parfois désignée
sous l’appellation de « Mad Parliament », rassemblant des barons et des chevaliers
représentant les comtés (Knights of the Shires), conduit le roi à accepter une nouvelle
forme de gouvernement, un gouvernement « en conseil ». A l’issue du parliamentum, les
Provisions d’Oxford prévoient, entre autres dispositions, qu’une partie des prérogatives
royales seront exercées par un conseil composé de 15 membres, des barons. Les
Provisions d’Oxford prévoient également la réunion, trois fois par an, à des dates
déterminées, de la Curia maior, en vue d’assurer le contrôle de l’action du conseil.
Ces résolutions sont écartées dès 1261 par Henri III, avec l’appui du Pape Innocent IV,
entraînant la Seconde guerre des barons. En 1265, à la suite de la victoire de Lewes, Simon
de Montfort provoque la réunion d’un parliamentum à Londres, au palais de Westminster.
En plus des barons, des prélats et de la présence de deux chevaliers représentants chacun
des comtés (shires), il y convoque les bourgeois des villes les plus importantes (Londres,
York, Lincoln, …), afin de renforcer sa position et de s’assurer leur soutien.
La Deuxième guerre des barons prend fin en 1266, consacrant finalement la victoire
d’Henri III. S’il retrouve le pouvoir, le roi réunit toutefois un parlement à Kenilworth – lieu
97
de la reddition des derniers barons – qui doit assurer la pacification du royaume. Le
parliamentum désigne groupe d’évêques et de barons et les charge de préparer un acte de
réconciliation. Le résultat de leurs travaux, le Dictum de Kenilworth (1266), est marqué
avant tout par la réaffirmation du pouvoir royal. Il confirme le rejet des Provisions
d’Oxford et réaffirme que la nomination des ministres appartient au roi exclusivement. Le
roi, en échange, entre autres concessions, confirme la Magna Carta telle qu’elle avait été
revue au cours des premières années de son règne.
La réaffirmation du pouvoir royal n’entraîne pas pour autant une remise en cause des
parliamenta, ou de leur composition. En 1268, Henri III convie à nouveau un
parliamentum, rassemblant les barons, les représentants des comtés ainsi que 27
représentants des communautés urbaines et rurales.
La convocation des villes et des comtés ne devient pratique régulière que sous le règne du
successeur d’Henri III, Edouard Ier (†1307). Souverain puissant et incontesté, Edouard
Ier n’en reconnait pas moins l’importance des parliamenta. En 1295, il reconnait les
prérogatives du Parlement d’Angleterre dont il fixe les contours. Il s’agit du Model
Parliament, dont la composition se stabilise et s’institutionnalise : représentants du
clergé, représentants de la noblesse, représentants des comtés (shires), représentants de
110 communautés urbaines et rurales.
98
EX CURSUS N°3
99
I. Contexte : autonomisation et expansion
Le principat d’Henri Ier (1183-1235) se distingue par une intense politique d’expansion
territoriale et d’indépendance par rapport aux princes et aux souverains voisins. En 1183,
l’Empereur élève le landgraviat de Brabant en duché de Brabant. Le titre de duc de
Brabant est reconnu à Henri Ier par la Diète de Schwäbisch Hall (1190). Il s’oppose
pourtant à l’empereur Henri VI, le successeur de Frédéric Barberousse, puis prend le parti
du Welf Otton IV de Brunswick contre le prétendant Hohenstaufen. Il participe à ses côtés
à la bataille de Bouvines (1214). Du côté des vaincus, il se rallie finalement à Frédéric II
de Hohenstaufen.
22Waléran IV, duc de Limbourg, qui décède en 1279, n’a qu’une fille.
23 Marguerite de Flandre, sœur de Jeanne, et Louis de Male avaient eu une fille, Marguerite, qui avait épousé
Philippe le Hardi. Le fils aîné de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre, Jean sans Peur, sera duc de
Bourgogne et comte de Flandre. Leur second fils, Antoine, héritera du duché de Brabant.
100
Le duc est assisté dans l’exercice du pouvoir par les membres de son entourage qui
forment la Curia (Curia ducis). Celle-ci se compose de nobles, de représentants des
abbayes ainsi que de ministériaux (ministeriales). Les ministériaux sont des agents de
condition servile, qui conservent ainsi une forte dépendance vis-à-vis du duc. Cette classe
d’agents du duc connaitra un grand développement au sein de la Curia. Bien que d’origine
servile, ils exercent peu à peu des fonctions essentielles au sein de la Curia.
L’émancipation des communautés urbaines et rurales accède après le règne d’Henri Ier à
une nouvelle phase de développement. Les libertés qui sont concédées ou reconnues dans
une charte ne concernent plus seulement une entité urbaine ou rurale unique. Les chartes
qui sont concédées le sont aux principales villes formant le duché de Brabant. Elles
consacrent l’idée d’un ensemble territorial brabançon, doté peu à peu d’une identité
territoriale et politique propre.
En fin de règne, Henri II entend garantir la transmission du duché à son fils dans les
meilleures conditions, celui-ci (futur Henri III) étant mineur. La charte, qui prend le nom
de « Testament d’Henri II », vise à accorder un privilège général, applicable dans
101
l’ensemble des terres qui lui appartiennent en Brabant, sur ce qui pourrait être désigné
comme le « domaine » ducal24.
Le testament d’Henri III prévoit notamment que les Brabançons seront traités « par droit
et sentence », c’est-à-dire en application du droit et dans le cadre d’une procédure
judiciaire au terme de laquelle elle prononcée un jugement. Il faut y voir la consécration
d’une garantie contre tout arbitraire. Le testament d’Henri II prévoit également l’abolition
de la taille et aux exactions liées à l’état servile. Les contributions extraordinaires des
Brabançons seront limitées à des circonstances déterminées, notamment le service
militaire défensif, le mariage du fils ou de la fille du duc, où encore dans le cas où le duc
entend faire armer son fils chevalier.
Au cours des dernières années de son règne, alors que son fils est encore mineur, Jean II
décide également d’assurer la paix au sein du duché dans la perspective de sa succession.
A cette fin, il rassemble la noblesse brabançonne et les villes du duché. La Charte de
Cortenberg présente, au contraire des actes précédents, un caractère véritablement
contractuel, contenant des obligations réciproques à charge des deux parties (contrat
synallagmatique). La charte de Cortenberg reprend pourtant, comme c’est le cas des
chartes successives, des libertés antérieurement acquises, fut-ce pour en confirmer
l’octroi à l’occasion de la succession. La charte précise ou amende également certaines
dispositions antérieures. Ainsi de son article 1er : « Ni le duc, ni ses hoirs, ni ses
successeurs ne mettront plus d’impôts, n’exigeront plus de subsides, si ce n’est dans les
trois cas de chevalerie, de mariage ou de rançon ; et que, dans ces cas même, le subside
sera si sagement réparti que personne n’en sera ni blessé ni surchargé ». Ainsi de son
article 2 : « On mettra tout le pays à loi et à sentence et tous les sujets, riches et pauvres,
seront traités par loi et sentence, d’après les chartes existant déjà ou encore à
publier (…) ». Ou encore de son article 3 : « Le duc, ses hoirs ou ses successeurs
maintiendront toutes leurs franches villes dans les libertés et droits dont elles ont joui
d’ancienneté. Toutes les causes des bonnes gens des villes seront traitées d’après le droit
de chacune d’elle et, en dehors du droit on ne les traitera ni les laissera traiter ». C’est ici,
à l’article 3, le principe de non distraction du juge naturel qui est à nouveau confirmé.
24 Et donc pas tout le Brabant mais bien seulement une partie de celui-ci! Rappel de la distinction entre le
titre possédé et le pouvoir effectif. RMQ: Il est également le protecteur de certaines abbayes mais il ne les
possède pas pour autant
102
Déjà formulé antérieurement, en faveur de certaines localités, le principe est consacré
pour l’ensemble du duché. Certains articles s’avèrent beaucoup plus originaux. Les
articles 4 à 6 organise l’institution d’un « Conseil de Cortenberg ». En son article 4, la
Charte de Cortenberg prévoit donc que « De commun accord avec le pays, le duc choisira
quatre chevaliers les plus capables et les plus sages, à l’avantage du pays, trois bonnes
gens de Louvain, trois de Bruxelles, un bourgeois d’Anvers, un de Bois-le-Duc, un de
Tirlemont, un de Léau. Ces personnes se réuniront toutes les trois semaines à Cortenberg.
Elles auront pouvoir, de par le duc, de rechercher et d’apprendre si abus quelconque
existe dans les pays, soit sur l’un des points réglés par la charte, soit sur d’autres points.
Elles auront plein pouvoir de réviser toutes ces choses, de les perfectionner, d’introduire
d’autres améliorations, et de tout organiser de leur mieux, à l’avantage du duc et du pays.
Ce qu’elle feront et organiseront ainsi restera ferme et stable, sans que ni le duc, ni ses
successeurs y contreviennent en aucune manière. Les articles 4 à 6 de la Charte de
Cortenberg assurent ainsi la formation d’un organe de contrôle de l’administration du
duché dans lequel la noblesse et les villes sont représentées. L’article 7 assure la sanction
du non respect par le duc ou ses successeurs des ordonnances du conseil de Cortenberg :
« Si le duc ou ses successeurs (…) contrevient aux ordonnances du conseil, il consent à ce
qu’on ne rende plus de sentence, à ce qu’on ne lui doive aucun service, jusqu’au moment
où il aura amendé le grief et rétabli les choses dans leur état légitime ». Le duc de Brabant
consacre par cette disposition ce qui est généralement désigné sous l’appellation de
« clause de refus de service », laquelle constitue la sanction du non-respect de ses
obligations par le seigneur dans le contrat de vasselage. Le « refus de service » est ainsi
étendu aux relations entre le duc de Brabant et les villes brabançonnes. La charte de
Cortenberg est considérée comme un texte d’ordre constitutionnel : non seulement par les
libertés qu’il consacre, mais surtout par l’intégration de la clause de refus de service et
par l’institution d’un organe de contrôle de l’administration du duché dans lequel
participent les villes.
Le contexte qui entoure l’octroi de la « Joyeuse Entrée » a été brièvement abordé supra.
En vue d’assurer l’unité de Brabant après son décès, Jean III organise la transmission du
duché de Brabant dans les mains de Jeanne et Wenceslas. Pour obtenir le soutien des villes
à son entreprise, lesquelles devront garantir qu’elles resteront unies et n’encourageront
pas la division. Les villes du Brabant s’y engagent par l’Acte d’union des villes de Brabant
et de Limbourg (1354).
En retour, les villes du Brabant attendent que soient confirmées les libertés, les privilèges
et les coutumes qui leur ont été octroyées précédemment. Le respect des libertés
antérieurement acquise et la reconnaissance des privilèges par un nouveau « souverain »
ne va pas de soi. En l’absence de toute « continuité de l’Etat », le prince qui accorde une
charte n’oblige qui lui-même et non ses successeurs, et ce malgré que l’octroi de libertés
et le maintien de privilèges fût parfois qualifié de « perpétuel ». Cette nécessité de
confirmation apparaît d’autant plus nécessaire dans les circonstances présentes : le
duché de Brabant, par le mariage de Jeanne avec un représentant de la Maison de
Luxembourg, passe en des mains étrangères au duché. Wenceslas n’est pas familier des
traditions brabançonnes, et il paraît opportun de voir confirmé ce qui a été obtenu des
25 Le texte de la Joyeuse Entrée de Brabant fera l’objet d’une séance de Travaux pratiques au cours de l’année
2014-2015.
103
ducs. La relation de parenté qui unit le nouveau duc avec l’empereur germanique, Charles
IV, apparaît comme une autre raison d’assurer que le Brabant puisse jouir de ses
privilèges dans l’avenir, de le garantir contre une immixtion étrangère, qui ne respecterait
pas ses particularités.
Il s’agira donc de prévoir un texte - la Joyeuse Entrée de Brabant - dans lequel seront
confirmées les libertés, privilèges et coutumes décrits dans les chartes précédentes, mais
aussi plus largement d’assurer une énumération précise de ce qui forme les « libertés
publiques » des Brabançons. Il s’agira aussi, concrètement, de garantir aux brabançons
que leurs institutions conserveront bien leur caractère en prévoyant que seuls des
Brabançons seront admissibles dans les offices publics, comme agents du duc ou dans son
conseil.
La Joyeuse Entrée, approuvée par Jeanne et Venceslas, octroie donc des garanties
fondamentales aux brabançons. D’aucuns qualifient ces garanties de
« constitutionnelles ». Il est vrai qu’un certain nombre de ces dispositions consacrent des
garanties qui s’apparentent à ce que connaissent aujourd’hui les textes constitutionnels,
et notamment la Constitution belge : dispositions relatives à l’indivisibilité et à
l’inaliénabilité du territoire, libertés fondamentales, dispositif de contrôle de l’exercice du
pouvoir, etc.
Jean III étant décédé, Louis de Male prétend ne pas avoir obtenu la compensation promise
et entreprend une campagne militaire contre Jeanne et Wenceslas (1356). L’intervention
de Louis de Male, beau-frère de Jeanne, bouleverse la situation. Au cours du conflit, les
villes du Brabant se soumettre dans un premier temps au comte de Flandre. Dès la fin de
l’année 1356, une fois Louis de Male vaincu, Jeanne et Wenceslas suspendent l’application
de la Joyeuse Entrée. Les villes du Brabant se voient reprocher leur attitude au cours du
conflit, leur complaisance à l’endroit du comte de Flandre. Ce texte fondamental ne
renaîtra qu’à l’occasion d’une nouvelle période de fragilisation du pouvoir ducal, lors de
l’avènement d’Antoine de Bourgogne, en 1406. Cette nouvelle Joyeuse Entrée sera très
proche de la précédente.
104
Chapitre X. La formation de l’Etat moderne centralisé
(espace français, XIVe-XVIe siècles)
105
I. Cadre général
Les XIVe et XVe siècles sont marqués par plusieurs crises. C’est pourtant au cours de cette
même période que la monarchie parvient à s’affirmer de façon décisive et à consolider son
autorité.
- à partir de 1348-49 apparaît la peste noire (1348-49) , qui fait des ravages
extraordinaires dans l’Europe du XIVème siècle (1/3 au moins de la population
occidentale aurait été décimée par la peste).
106
B. Relations avec la papauté
Jusqu’au règne de Philippe le Bel, les rois de France étaient restés prudents face à la
perspective d’une confrontation avec la papauté. A la fin XIIIe siècle, Philippe le Bel entend
affirmer son pouvoir face au pape. Le roi de France entend désormais affirmer son
pouvoir et à dénier au pape toute domination sur le roi. Deux éléments poussent
concrètement à la confrontation :
- Philippe le Bel cite en justice l’évêque de Pamiers devant une juridiction royale.
Il est accusé d’hérésie, de trahison et de lèse-majesté (l’évêque de Pamiers à
notamment critiqué la canonisation de Louis IX, soutenant que c’était une
erreur). Ecclésiastique, l’évêque de Pamiers devrait bénéficier du privilège du
for. En tant qu’évêque, il devrait être justiciable de la juridiction du pape lui-
même. Philippe le Bel refuse d’admettre l’application du privilège du for.
Peu à peu au cours du XIVe siècle, les évêques entre en confrontation avec pape et
entendent favoriser l’affirmation de l’Eglise de France émancipée de la papauté. Le
mécontentement des évêques est notamment causé par l’abus des prélèvements fiscaux
qui leur sont imposés par le pape. Ils sont l’occasion de s’affirmer face à la papauté au
cours de la crise que traverse l’Eglise pendant le Grand Schisme d’Occident, qui divise
l’Europe entre 1378 et 1417) et qui voit l’élection de deux papes en même temps, l’un
d’entre eux s’établissant à Avignon, l’autre à Rome.
Rem. : Un pape français est élu en 1305, sous le nom de Clément V. Celui-ci, en
bonnes relatons avec Philippe le Bel, s’installe à Avignon, à proximité du roi
de France. Ses successeurs s’établissent à Avignon jusqu’au pontificat de
Grégoire XI. En 1378, à la mort de Grégoire XI, le Sacré collège se divise. Après
l’élection d’Urbain VI, élu malgré l’opposition des cardinaux français, ceux-ci
élisent Clément VII quelques mois plus tard. Celui-ci s’installe à Avignon.
Face à cette crise, les évêques français se mobilisent et renforcent leur pouvoir par
rapport à la papauté. Plusieurs étapes peuvent être observées :
107
a. La soustraction d’obédience proclamée en 1398 . Les évêques entendent
écarter toute soumission au pape et exercer eux-mêmes, à travers le concile
(assemblée d’évêques), le pouvoir dans l’Eglise. Ils affirment ainsi que :
- le pouvoir dans l’église reviendrait aux évêques et non plus au
pape.
Les jurisconsultes qui entourent le roi de France vont donc s’évertuer à trouver une
solution pour mettre fin à une théorie qui ne peut être tolérée à un moment où le
souverain entend écarter tout ce qui fait obstacle à l’affirmation et à la consolidation de
son pouvoir. Ils cherchent dans le droit romain des solutions.
Mais le droit romain est surtout envisagé avec méfiance par le roi de France. Il est surtout
un outil de légitimation du pouvoir impérial, et de la domination de celui-ci sur le reste du
monde, dans la filiation qui lie Saint-Empire à l’Empire romain. C’est la raison pour
laquelle les rois de France préfère en général en restreindre l’usage. Ceci contribue aussi
à expliquer la place restreinte qu’occupe le droit romain parmi les sources du droit dans
l’espace français.
108
Le droit romain constituera toutefois l’un des outils de la formation des règles
fondamentales destinées à charpenter l’Etat moderne.
Si le roi de France consolide son pouvoir au cours des XIVe-XVe siècles, les modalités de
la succession au pouvoir finissent par lui échapper. Se forme un ensemble de règles qui
assure la continuité de l’Etat monarchique en dehors de sa personne, et sur lesquelles il
n’aura plus de prises.
Il convient de rappeler que ce problème se pose assez tardivement. Sous les capétiens, le
« miracle » d’une descendance masculine en ligne directe, depuis Hugues Capet jusqu’à
Louis X le Hutin, avait permis de se passer de toute réflexion et de toute élaboration
théorique. La succession de Louis X le Hutin pose pour la première fois la question de la
succession des femmes au trône de France. Louis X, au moment de son décès (†1316), n’a
qu’une fille, Jeanne. Un fils, Jean (Jean Ier le Posthume) naîtra dans les mois qui suivent
son décès, mais mourra quelques jours après sa naissance (†1316).
L’accession des femmes au pouvoir n’est pas complètement exclue à l’époque. On voit
ainsi, en Europe comme en France,
La situation n’est pourtant pas favorable pour Jeanne : non seulement elle est mineure
(pas en capacité de régner), mais la légitimité de sa filiation est mise en doute (elle ne
serait pas la fille légitime de Louis X mais le fruit d’un adultère). Par ailleurs, le mariage
que Jeanne pourrait contracter dans l’avenir pourrait faire passer la Couronne de France
dans des mains ennemies.
Face à Jeanne se trouve un prétendant solide: son oncle Philippe frère cadet de Louis X. Il
est le deuxième fils de Philippe le Bel. Il a également pour lui un avantage non négligeable.
Il est régent du royaume depuis le décès de Louis X. Il profite de la régence pour s’imposer
et imposer son point de vue aux grands du royaume. Philippe est couronné en 1316
(Philippe V le Long).
109
défunt, soit un oncle du roi défunt, etc. Ce sont les qualités que rassemblait, bien
évidemment, le futur Philippe V.
Rem. : Philippe V étant décédé en 1322 sans descendance, son frère cadet, Charles,
troisième fils de Philippe le Bel, lui succède (Charles IV).
Les règles de dévolution de la Couronne sont appelées à être précisées au cours d’une
seconde « crise de succession », à la mort de Charles IV, en 1328. De la descendance
directe de Philippe le Bel, il reste une fille, Isabelle. S’il est acquis, de par le principe de
masculinité, qu’elle ne peut elle-même monter sur le trône, Isabelle a un fils, Edouard, issu
de son mariage avec le roi Edouard II d’Angleterre. La question qui s’impose alors est celle
de l’accession éventuelle au trône du fils d’Isabelle de France. La question est plus que
sensible, puisqu’une réponse par l’affirmative verrait le futur roi d’Angleterre devenir
également roi de France. La question est évidemment extrêmement sensible. Les
jurisconsultes, mobilisés par les opposants au couronnement d’Edouard, vont donc
s’attacher à justifier son exclusion et à ériger cette solution en règle fondamentale.
Isabelle, selon les termes de l’époque, pouvait-elle faire pont et planche. Le droit romain
pouvait venir au secours d’un problème éminemment politique. Son exclusion pouvait se
dégager de l’adage du droit romain selon lequel « nemo plus iuris ad alium transfere potest
quam ipse habet » (Nul ne peut transférer plus de droit qu’il n’en a) ou plus simplement
« Nemo dat quod non habet » (« Nul ne donne plus qu’il n’a »).
Une autre justification est tirée de la lecture d’une source du droit des Francs, la loi
salique (du peuple des Francs saliens), dont la première rédaction remonte à la fin du Ve-
début du VIe siècle. La loi salique, en son article 62, exclut que les femmes héritent de la
terra salica, la terre salique, étant le territoire attribué au peuple franc par les Romains,
dont les Francs recevait le commandement militaire. La référence à la dévolution
successorale affectant la terre salique va être précisée par Richard Lescot en 1358. Il
rédige, à la demande de Charles V (†1380), fils de Jean II le Bon, un commentaire de la loi
salique dans lequel il insiste sur l’importance de l’article 62. Le texte de la loi salique est
110
sacralisé. L’entreprise de justification de l’exclusion des femmes et de la parenté par les
femmes est son comble.
3. Loi de catholicité
Rem. : Dans l’espace allemand prévaut la règle selon laquelle les peuples suivent la
religion de leur prince. L’application de cette règle contribuera à la division du
Saint-Empire au cours du XVIe siècle.
B. Le principe de continuité
Au 14ème siècle, en France, c’est le sacre qui faisait le roi. Il y a donc un certain temps qui
s’écoule pendant lequel il y a un vide du pouvoir. Si cet intervalle est court en principe, il
peut être beaucoup plus long dans le cas où le roi est mineur au moment du décès de son
prédécesseur, le sacre n’intervenant qu’à la majorité du roi. Cette période de vacance du
pouvoir peut être peut trouver une solution dans la régence, mais l’exercice de la régence
est également, pour son titulaire, un moment au cours duquel la tentation du pouvoir
peut conduire à des tensions entre régent et le successeur légitime ou son entourage.
Plusieurs idées ou solutions vont être dégagées pour consolider ce moment de
fragilisation que constitue cette période délicate entre deux règnes :
111
- la transposition de l’idée de la bi-corporalité du christ au roi. D’après les
théologiens, le christ est constitué d’un corps physique et un corps mystique,
celui qui sera ressuscité. A l’image du christ, à côté du corps physique du roi
existe un corps « mystique » du roi, abstrait, destiné à survivre au roi défunt.
L’idée du roi comme titulaire d’une fonction devient peu à peu, par cette voie,
une notion abstraite. Ce mouvement vers l’abstraction permet de contribuer à
la continuité du pouvoir, bientôt à la « continuité de l’Etat ».
- au 13ème siècle apparaît l’adage du droit privé selon lequel « le mort saisi le vif ».
Il y a une saisie immédiate des biens de la personne décédée par l’héritier sans
formalité. Cette notion contribue également à permettre de penser la
continuité.
L’idée se dégage ainsi que « les rois ne meurent jamais » (« le roi est mort, vive le roi ! »).
C. Indisponibilité de la couronne
Si le roi voit son pouvoir se consolider au cours des XIVe-XVe siècle, il apparaît qu’il ne
peut plus non plus disposer comme il l’entend des règles de dévolution et de continuité
qui se sont élaborées peu à peu et qui constitue désormais des lois fondamentales. La
fonction royale apparaît progressivement comme un office public.
Ex. : Charles VI, qui a exclu son fils Charles de sa succession, a donné sa fille au
futur roi d’Angleterre, Henri V. Charles VI en fait son héritier. Henri V meurt en
1422, laissant un fils, Henri. Charles VI meurt la même année. Henri VI est donc
proclamé roi d’Angleterre et roi de France. Dans le même temps, le fils de Charles
VI est proclamé roi de France sous le nom de Charles VII. Les légistes de
l’entourage de Charles VII s’évertueront à consacrer, contre les décisions de
Charles VI, le principe d’indisponibilité de la Couronne, l’inviolabilité des « lois
fondamentales du Royaume », y compris par le roi.
Les légistes dégagent l’idée que le roi ne peut en principe disposer du domaine royal, il
ne peut pas en disposer selon son bon vouloir, sous réserve de quelques exceptions :
- domaine fixe : il s’agit de la partie du domaine royal que le roi reçoit par
héritage, dont il ne peut disposer en aucun cas ;
112
- domaine casuel : il s’agit de la partie du domaine royal acquise par le roi au
cours de son règne et dont il peut disposer dans un délai de 10 années après
son acquisition.
3. l’apanage : il s’agit de la partie du domaine royal qui est transmise à un fils cadet,
par exemple en récompense de ses services.
Le problème de l’apanage est que son attribution peut faire sortir la terre qui est
attribuée à l’apanagiste pour longtemps du domaine royal. Celle-ci ne revient en
effet au roi que lorsqu’il n’y a plus aucun descendant mâle en ligne direct.
Les « Lois fondamentales » du royaume dont il vient d’être question contribuent à assurer
la protection de la « chose publique », de l’ « Etat ». Le roi se doit, comme cela vient d’être
souligné, respecter ces Lois fondamentales. Il n’en demeure pas moins que le roi va voir
son autorité renforcée. Apparaît ainsi une véritable religion royale, et l’affirmation de plus
en plus importante de ses prérogatives, et de son autonomie à l’égard des grands féodaux.
La période voit se dessiner la rupture avec l’époque féodale.
Dans la mesure où le sacre ne suit pas immédiatement le décès du roi, les légistes se sont
employés à réduire l’importance juridique du sacre. Il s’agissait pour eux de restreindre
cette période de fragilité du pouvoir royal. L’affirmation du principe de la continuité
réduit l’importance du sacre et par conséquent aussi l’importance de l’Eglise (caractère
religieux du sacre) dans l’accession au pouvoir du souverain. L’accession au pouvoir du
roi ne dépend pas de l’intervention de l’Eglise.
Si le sacre perd en importance sur le plan juridique, il gagne par contre en symbolique. La
religiosité qui entoure le sacre renforce le caractère sacral de la fonction royal. La
cérémonie du sacre met en avant l’importance de la relation entre le roi et Dieu, dans cette
idée du « ministère royal » qui demeure.
Le roi voit ses droits étendus. Ces droits vont, dans un premier temps faire l’objet d’une
« liste » et seront donc limités.
Par ailleurs, le pouvoir normatif du roi se développe, mais il est lui aussi limité, dans la
mesure où la coutume conserve une place prépondérante27.
Le roi s’emploie à étendre cette liste, en prétendant être le gardien du royaume, en charge
du bien public et de la paix publique. Il parvient ainsi à monopoliser à son profit le droit
de faire la guerre. De même qu’il s’évertue à imposer le monopole de la justice royale. Il
estime de même pouvoir lever des impôts et ce sur l’ensemble des sujets du royaume, en
vue de servir les objectifs qui ressortissent de sa charge.
27 Voy. Partie II
114
- celle qu’impose la coutume, source du droit privé. Le champ de normatif du
roi se limite donc au droit public au sens large (administration, impôts,
justice, police, religion) ;
Au 16ème siècle, Jean Bodin soutient l’idée que les droits du roi ne peuvent avoir de limite,
et ce dans l’intérêt du royaume. Le roi doit concentrer tous les pouvoirs. L’idée
d’ « imperium » ne doit pas constituer le fondement des pouvoirs du roi. Ceux-ci se
justifient dans une perspective pragmatique. Le corps politique a besoin d’un pouvoir
suprême qui le guide. Ce pouvoir royal étendu est nécessaire pour assurer l’unité du
gouvernement et de la « chose publique » (res publica). Jean Bodin élabore une
théorisation du pouvoir royal qui fonde la monarchie absolue.
Cette théorisation du pouvoir royal est élaborée dans un ouvrage publié en 1576 (Les Six
Livres de la République). Il est écrit au cours d’une période marquée par les conflits
religieux qui déchirent l’Europe, et la France au premier chef.
La pensée selon laquelle le pouvoir doit s’imposer par l’autorité, condition de l’unité de
la « chose publique », de l’Etat, doit se comprendre dans ce contexte.
Le renforcement du pouvoir royal n’exclut pas – au contraire – qu’il y ait des mouvements
d’opposition ou de participation au pouvoir.
A partir du XIVe siècle, un lien croissant unit le roi et ses sujets. Une certaine solidarité et
une forme de sentiment d’appartenance « nationale », émerge. Toutes les composantes
sociales du royaume de France sont appelées à fonctionner ensemble. L’idée de la
contribution au gouvernement du royaume par l’aide et le conseil se développe et s’étend
au-delà du système féodo-vassalique, de la seule relation entre seigneur et vassal.
115
appartenir à la catégorie des laboratores et être possédant.. A l’inverse, un membre du
groupe des bellatores peut être dans une situation de précarité financière qui le place dans
une situation d’infériorité par rapport à certains laboratores. Ceci dit, une distinction forte
subsiste sur le plan juridique.
Ex. : la dérogeance, entraînant pour le noble qui « déroge » à son état, la perte de la
qualité de noble.
Les trois groupes sont désormais connus sous les dénominations suivantes : Clergé,
Noblesse, Tiers-Etat. Les trois groupes sont très inégaux en effectifs : le clergé ne constitue
pas plus de 0,5% de la population. La noblesse pas plus 1,5 %. Le reste de la population
forme le Tiers-Etat.
1. Origine et développement
Dans l’esprit d’un héritage féodal, à l’image du vassal vis-à-vis de son seigneur, les Etats-
généraux sont censés apporter au roi aide et conseil. Leur origine remonte au début du
14e siècle. L’acte de naissance de l’institution remonte à 1302, lorsque Philippe le Bel
organise une consultation tripartite sur les problèmes qu’il connait avec le pape Boniface
VIII. Ils réunit dans une même assemblée les trois ordres en vue d’obtenir leur soutien :
Clergé, Noblesse et Villes. En 1308 Philipe le Bel réunit une nouvelle fois le clergé, la
noblesse et les villes dans un autre contexte. Il a besoin de leur soutien pour mettre fin à
la puissance de l’Ordre du Temple (les Templiers).
Rem. : Les Templiers sont des « moines-soldats » dont la mission première est
d’accompagner les pèlerins vers les lieux saints. L’Ordre des Templiers est devenu un
ordre religieux riche et puissant. La suppression de l’Ordre des Templiers et la saisie de
ses biens permettra d’enrichir la Couronne.
Le roi convoque une assemblée de même composition dans un contexte où le roi a besoin
d’argent pour faire la guerre en Flandre. Il requiert l’aide financière des trois ordres. A
partir de 1338 la guerre de Cent Ans, puis les guerres de religion vont entrainer plusieurs
convocations de ce qui se nommera les « Etats-généraux ». Leur convocation a
manifestement toujours lieu en période de crise.
2. Fonctionnement
Les Etats-Généraux sont rassemblés sur convocation du roi, ce qui limite leur capacité à
faire valoir leur point de vue, donc l’importance de leur participation politique
116
vassaux rechignent à se rendre eux-mêmes à l’invitation du roi , qui nécessite un voyage
et un séjour coûteux et parfois pénible. Aussi, l’idée du mandat va-t-elle se développer.
Par ailleurs, le système du mandat offrirait un autre avantage. La personne pourrait être
mandatée par plusieurs individus, ce qui permettrait de restreindre les effectifs
participant à l’assemblée et de rendre ses travaux plus efficaces.
Dans son rôle de consultation, les Etats-Généraux donne leur avis, approuve la politique
menée par le souverain (ex. : par rapport au pape Boniface VIII, par rapport à la
suppression de l’Ordre du Temple). Mais leur rôle devient surtout essentiel par la suite
par l’aide qu’ils apportent au roi. C’est essentiellement l’aide financière à laquelle il doit
être fait référence : plus l’Etat se développe et se complexifie, plus son fonctionnement
requiert des moyens financiers. Les Etats- Généraux sont appelés à approuver l’impôt. Ils
vont se saisir de ce rôle pour gagner du pouvoir. Ils y parviendront jusqu’au XVe siècle. A
partir du XVe siècle (1439/40), le roi est en mesure de se passer des Etats-Généraux pour
ordonner un nouvel impôt. Le roi parvient à affirmer son pouvoir en matière fiscale. Il va
d’ailleurs d’une manière générale se passer des Etats-Généraux, qui se réuniront de moins
en moins.
117
4. La résistance
L’affirmation du pouvoir royal finit par marginaliser les Etats-Génraux. Ils se réuniront
pour la dernière fois en 1614, avant d’être à nouveau, avant leur disparition, en 1789.Il
convient d’évoquer au moins un épisode qui illustre leur volonté de résistance au pouvoir
royal:
Au XIVe siècle, sous Jean II le Bon (†1364), en pleine guerre de Cent Ans, les Etats-
Généraux s’affirment avant de plonger dans l’inertie. Jean II étant prisonnier en
Angleterre, les Etats-Généraux, par l’entremise de l’un des principaux
représentants du Tiers-Etat, Etienne Marcel (prévôt des marchands de Paris),
tentent d’imposer la limitation des pouvoirs royaux. Etienne Marcel entend que
soient intégrés dans le Conseil du roi des représentants des Etats-Généraux. La
tentative de contrôle du pouvoir royal se solde par échec. Etienne Marcel meurt
assassiné (1358).
La réunion des Etats généraux en 1789 (convoqués en 1788) constituera bien entendu un
moment de résistance tout à fait majeur, puisqu’il conduit à la Révolution. Les Etats-
Généraux sont convoqués en 1788, la situation du royaume étant désastreuse. Les Etats-
Généraux se réunissent au mois de mai 1789. Le problème qui se pose dès l’ouverture des
Etats-Généraux, est celui des modalités des votes. Le vote sera-t-il comptabilisé par tête
ou par ordre ? L’enjeu est de taille. Si les votent sont comptabilisés par tête, le Tiers-Etat
serait en position dominante. S’ils sont comptabilisés par ordre, comme c’était l’usage au
cours des précédentes réunions, le clergé et la noblesse, rassemblés, peuvent l’emporter.
C’est cet enjeu et cette revendication du Tiers-Etat qui est exposé dans la brochure de
l’abbé Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? (cf. slide vu au cours).Dès la mi-juin 1789, le
Tiers-Etat se proclame Assemblée nationale, comme représentant l’ensemble de la
population du royaume. Elle sera dite « constituante » à la suite du Serment du jeu de
paume (par lequel l’Assemblée fait le serment de ne se séparer qu’après avoir rédigé une
Constitution). Une Constitution est rédigée dans la foulée, ainsi que la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen. La Constitution forme l’aboutissement de la résistance
au pouvoir royal, dans la mesure où elle organise la soumission du roi à la Constitution,
élaborée elle-même par les représentants de la Nation. La monarchie de droit divin fait
place à la monarchie constitutionnelle.
A. Administration centrale
118
- il est celui qui a la maîtrise l’écrit au sein du Palais, qui rédige les
actes royaux (ordonnances, édits,…) ;
- il est celui qui assure l’authentification des actes royaux. Il les vérifie,
les examine quant au fond et quant à la forme. Il garantit la bonne
rédaction des actes et des lois en général ;
b. les secrétaires d’Etat, dont la fonction est créée en 1547, sous Henri II :
Le Conseil (Curia in consilio), dont la composition est soumise au bon vouloir du roi,
connait une nouvelle phase de spécialisation. Ses membres apportent au roi aide et
conseil, dans la tradition féodo-vassalique dont il est issu.
119
B. Administration locale
L’espace que forme le royaume de France est divisé en un nombre de plus en plus
important de bailliage. Les baillis ont de moins en moins de pouvoir, leur circonscription
étant réduite par l’effet de cette multiplication, d’autre part ils ont perdu une part
importante de leurs compétences :
Une nouvelle fonction apparaît, celle de gouverneur de province. Celui-ci est d’abord
chargé de la surveillance des baillis dans son ressort et s’assure qu’au sein des différents
baillages la politique du roi ainsi que la justice du roi soit bien appliquée. Il illustre le
processus de centralisation qui est l’œuvre au cours de cette période.
C. La justice royale
120
Ex.: le Parlement de Toulouse, créé en 1420 ; le Parlement de Grenoble
(Dauphiné), créé en 1453 ; le Parlement de Bordeaux, créé en 1463 ;
le Parlement de Dijon (Bourgogne), créé en 1493 ; le Parement de
Rouen (Normandie), créé en 1515 ; etc.
Les juridictions seigneuriales sont peu à peu contrôlées, canalisées (par l’effet des
mécanismes de prévention, de la procédure d’appel, des cas royaux) et finissent par
disparaitre.
121
il restera soumis à la justice du roi par application de la théorie des « cas
privilégiés, selon laquelle la justice du roi peut se saisir des cas qui
manifestement portent atteinte à l’ordre public (c’est-à-dire, compris de façon
extensive : toutes les violations de la loi et de la volonté royale) ;
- la lettre de cachet, permettant au roi de donner tout ordre qui lui paraît bon,
par exemple de faire enfermer qui bon lui semble en-dehors de toute
procédure judicaire.
- l’évocation.
122
Chapitre XI. L’espace allemand (XIVe-XVIe siècles)
123
Rodolphe de Habsbourg meurt en 1291, sans avoir pu régler sa succession et imposer son
fils, Albert de Habsbourg. Le choix des électeurs se porte sur Adolphe de Nassau. Celui-ci
est déposé quelques années plus tard, lors de la Diète qui se tient à Mayence en 1298. Le
choix des électeurs se porte cette fois sur Albert de Habsbourg. A sa mort, en 1308, les
princes élisent à nouveau un candidat dont il pense qu’il est suffisamment docile pour que
leur liberté soit préservée : Henri de Luxembourg, soit Henri VII. Le premier depuis
Frédéric II, Henri de Luxembourg entreprend le voyage d’Italie. Il est couronné empereur
par le Pape Clément V. A sa mort, en 1313, les princes se divisent sur le candidat à retenir.
Leur division entraîne une recrudescence des guerres privées. Les Luxembourg retrouve
le trône impérial un peu plus tard, en la personne de Charles de Luxembourg qui est élu
roi des Romains en 1346, et qui coiffe la couronne impériale à Rome en 1354. Charles IV
s’impose comme un souverain important. Par la Bulle d’Or, édictée en 1356, il entreprend
de mettre de l’ordre dans l’organisation des institutions, la fonction impériale au premier
chef. Charles IV meurt en 1378. La Maison de Luxembourg se maintient se le trône de
Germanie jusqu’en 1437. En 1437, l’Empereur Sigismond meurt sans descendance. L’une
de ses filles, Elisabeth de Luxembourg, a épousé Albert de Habsbourg. Celui-ci est élu roi
des Romains en 1438. Le titre royal et impérial se retrouve à nouveau au sein de la Maison
de Habsbourg, Après une période de grande fragilité, au cours de laquelle l’Empereur doit
faire face à plusieurs menaces importantes - menace turque, conflit avec le roi de Hongrie,
conflit avec le roi de France - l’Empire entre dans une nouvelle période de stabilisation
sous le règne de Maximilien Ier, à la fin du XVe siècle. Il parvient à consolider la position
des Habsbourgs à la tête de l’Empire. Son règne est notamment marqué par une
importante réforme des institutions, introduite à la suite de la Diète de Worms (1495)..
Son successeur, Charles Quint, recueille un héritage très important. A la fois duc
d’Autriche, roi des Espagnes et des terres d’Amériques, duc de Bourgogne, roi de Naples,
roi de Sicile, il est également élu roi des Romains. Il fait face aux Turcs, conduits par
Soliman le Magnifique, qui menacent les frontières du Saint-Empire. Il doit également
affronter le roi de France – François Ier – dans la péninsule italienne. Il entre enfin en
confrontation, après la publication des thèses de Luther, avec les protestants, dans une
volonté d’unité religieuse. Charles Quint finit par céder progressivement le pouvoir, en
partageant les possessions habsbourgeoises entre son fils Philippe et son frère Ferdinand.
A Philippe – futur Philippe II - reviendront les Espagnes et les Amériques, les Pays-Bas et
le royaume de Naples. A Ferdinand reviendront les possessions héréditaires
habsbourgeoises dans le Saint-Empire et la couronne impériale. Charles Quint fait élire
son frère roi des Romains en 1531. Successeur désigné de Charles Quint, Ferdinand
négocie en 1555 la Paix d’Augsbourg, par laquelle est consacré le droit pour chaque prince
de faire le choix de l’une ou de l’autre des deux religions dans son territoire, suivant
l’application du principe « cuius regio, eius religio ». Charles Quint, prenant acte de l’échec
de sa politique d’unité religieuse, abdique en sa faveur quelques semaines plus tard, en
1556. Ferdinand Ier œuvre à la pacification de l’Empire en cherchant une voie
d’apaisement entre catholiques et protestants, mais il assure aussi, tant bien que mal, dans
le prolongement de ses prédécesseurs, la défense de l’Empire contre les ennemis
extérieurs, principalement les Turcs. Ferdinand fait élire son fils Maximilien roi des
Romains en 1562. Il couronné empereur à la mort de Ferdinand, en 1564. Il mettra fin à
la guerre contre l’Empire ottoman et se distinguera par sa politique de tolérance
religieuse. L’apaisement religieux n’interviendra cependant que plusieurs décennies plus
tard, à la suite de la guerre de Trente Ans, en 1648 (traité de Westphalie).
124
Malgré sa fragilité, l’Empire s’organise et se structure de façon durable. L’empereur et les
princes voient leurs prérogatives respectives progressivement précisées. Les institutions
impériales, malgré leurs faiblesses, connaissent un certain niveau de spécialisation et de
technicisation.
Par la Bulle d’Or, édictée en 1356, Charles IV assure une réorganisation des institutions,
la fonction impériale au premier chef. Cet acte normatif de première importance contient
31 dispositions, pour ainsi dire toutes consacrées à l’organisation de l’élection du roi des
Romains28. Il s’agit d’assurer une stabilisation de l’institution impériale. La Bulle d’Or
s’attache à préciser les modalités de l’ élection et à trouver des correctifs aux
inconvénients rencontrés auparavant à l’occasion de l’élection :
- elle consacre le rôle des sept Princes-Electeurs, qui sont seuls appelés à
désigner le roi des Romains ;
- elle prévoit que la règle de l’unanimité doit faire place à la règle de la majorité,
le candidat devant rassembler quatre voix au moins ;
Par la Bulle d’Or, Charles IV avait ainsi réussi à s’allier les princes-électeurs. L’acte
normatif fondamental que constituait Bulle d’or confirmait de la manière la plus
solennelle le caractère électif de l’Empire. Le spectre de la monarchie héréditaire, tant
appréhendé par les princes, était ainsi écarté en droit. Cette consécration, rassurante pour
les princes puisqu’elle confirmait leur pouvoir sur la fonction impériale, eut pourtant –
paradoxalement – pour effet de faciliter l’hérédité de fait. Les électeurs auront d’autant
moins de peine à élire le fils du souverain défunt, dans la mesure où ils se sentent
confirmés dans leur qualité d’arbitres, de gardiens suprêmes de l’Empire.
La Bulle d’Or octroie aux princes-électeurs des prérogatives particulièrement larges dans
leur propre principauté, de telle sorte qu’ils se distinguent à présent du reste du
Reichsfürstenstand par d’autres attributs que leur seule qualité d’électeur. La Bulle d’or
reconnait pour ainsi dire aux Electorats la qualité d’Etats souverains. Cette qualité
s’observe notamment dans l’organisation de la justice. Les décisions rendues par les cours
supérieures des Electorats ne sont pas appelables devant les juridictions impériales, sauf
le cas du déni de justice.
La Bulle d’or clarifie également les relations entre l’empereur et les Princes-électeurs en
dehors de la circonstance de l’élection au titre de roi des Romains. Elle associe les
28 Seules quatre dispositions ne concerne pas l’élection du roi des Romains. L’une d’entre elle vise à limiter
la Fehde.
125
électeurs au gouvernement de l’Empire en prévoyant leur réunion annuelle, en vue de
discuter des questions de paix intérieure et des réformes impériales.
L’empereur apparaît comme la tête d’une fédération. Son pouvoir apparaît très limité, du
moins par rapport aux Electorats. Il a pour mission de veiller à l’unité de l’Empire, donc
assurer la paix publique, en particulier en s’assurant de limiter la Fehde. Dans cette
perspective, on comprend que les prérogatives impériales concernent essentiellement la
justice et la police. Cette clarification institutionnelle permet mieux saisir ce qui distingue
le Saint-Empire du Royaume de France. Charles IV le constatera lui-même. A la fin de son
règne, en séjour à Paris, il doit bien admettre que le roi de France - Charles V le Sage - est
« empereur en son royaume », alors qu’il n’est pas lui-même « empereur » dans son
propre empire.
Ferdinand Ier, frère de Charles Quint, est élu roi des Romains en 1531. Comme l’élection
de Wenceslas, le projet d’élection de Ferdinand n’a pas été soumis au Pape. Dans la lignée
de ses prédécesseurs, Paul IV refuse de reconnaitre Ferdinand comme empereur. Non
seulement il n’a pas été consulté, mais il manifeste aussi sa désapprobation devant une
élection qui a eu lieu avec la participation de princes protestants. Résolument, la dignité
impériale n’est plus considérée dans sa relation avec la Papauté.
La lutte contre la fehde, ainsi que la volonté de facilité la levée de l’impôt et le recrutement
militaire conduit, au cours de la seconde moitié du XIVe siècle, sous le règne de Wenceslas
Ier, à la division de l’Empire en Kreise (cercles). Ils sont alors au nombre de quatre :
Rhénanie, Franconie, Souabe, Bavière. Leur nombre est porté à six en 1438, puis à dix, en
1512. Maximilien Ier divise alors l’Empire en dix cercles : Autriche, Bavière, Souabe,
Franconie, Haute-Saxe, Basse-Saxe, Westphalie, Haut-Rhin, Bas-Rhin, Bourgogne.
126
L’effort d’organisation de l’Empire que traduit la création des Kreise se poursuit sous
Charles Quint. Celui-ci précise notamment les relations qui unissent le cercle de
Bourgogne au reste de l’Empire (cf. infra, ex-cursus n°5).
Jusqu’à la fin du XVe siècle, les Diètes sont irrégulières et de composition variable. Seuls
certains princes sont conviés, avec pour résultat que ceux qui ne participent pas ignorent
ou refusent de reconnaitre les décisions ou décrets qui y sont pris.
Une Diète se réunit à Worms en 1495, sous le règne de Maximilien Ier. L’Empereur a
besoin d’argent ainsi que d’un soutien militaire pour combattre les Turcs et assurer la
défense de l’Italie du Nord, convoitée par le roi de France. La Diète rassemble cinq des
sept princes-électeurs, une soixantaine de princes, des nobles de rang inférieur, et les
délégués de 24 villes.
La Bulle d’Or consacre l’importance des princes-électeurs et fait des Electorats des Etats
quasi souverains. Sous réserve du cas du déni de justice (supra), l’exercice de la justice
impériale est donc limité aux principautés dont la juridiction supérieure n’est pas
reconnue comme souveraine, ainsi qu’aux entités (par ex. les villes libres d’Empire) qui
bénéficient d’un statut d’immédiateté. Face aux résistances princières, les juridictions
impériales peinent à s’imposer.
29
Elles sont confinées à un rôle consultatif jusqu’en 1648.
127
A. Reichshofgericht
Sous Charles IV, la Reichshofgericht traite trente fois moins d’affaires que le Parlement de
Paris. La Reichshofgericht, dont l’origine remonte aux Capitulations de Mayence, prises
sous le règne de Frédéric II (1235), ne connait qu’une activité intermittente. Elle est
principalement compétente pour connaitre des litiges entre les princes qui bénéficient de
l’immédiateté, et ne peuvent donc pas être attraits devant une juridiction princière.
B. Kammergericht et Reichskammergericht
Une nouvelle juridiction impériale est créée au début du XVe siècle, en 1415, la
Kammergericht. Elle est appelée à traiter les atteintes portées à la paix publique. Sa
création traduit la volonté des princes de contrôler la justice impériale. Ceux-ci obtiennent
de pouvoir en désigner les juges. Seule la désignation du président de la Kammergericht
sera laissée à l’empereur. Attachée à la cour impériale, la Kammergericht suit l’empereur
dans ses déplacements.
En 1495, à l’issue de la Diète de Worms, Maximilien décrète une paix perpétuelle (Ewiger
Landfriede), prohibant toute guerre privée dans l’Empire. Il s’agit d’assurer la sanction
de ses violations éventuelles par un traitement judiciaire. La Kammergericht devient la
Reichskammergericht. Ce changement d’appellation traduit une mutation institutionnelle
d’une certaine importance. La Kammergericht est détachée de la personne de l’empereur,
de sa curia. Elle devient une institution du Reich (Empire) et non plus du Kaiser
(Empereur). Elle ne suit plus l’empereur dans ses déplacements, mais elle se fixe en un
endroit déterminé, à Francfort (Francfort sur le Main).
La juridiction impériale est placée sous le contrôle de la Diète d’Empire. Ses membres sont
désignés par elle, la moitié d’entre eux étant des nobles, l’autre moitié étant formée de
lettrés disposant de connaissances en droit.
C. Reichshofrat
A la fin de son règne, en 1501, Maximilien forme une nouvelle juridiction, le Reichshofrat
(« Conseil impérial aulique » ou « Cour aulique »). Cette Cour impériale, qui ne juge qu’en
dernière instance, lorsque tous les recours en appel sont épuisés, est appelée à
concurrencer le Reichskammergericht, sur lequel l’empereur n’a pas de maîtrise. Par la
création du Reichshofrat, l’empereur essaie de récupérer une partie de la justice passée
sous le contrôle des princes. Celle-ci est établie à Vienne.
128
Chapitre XII. L’espace anglais (XIVe-XVIe siècles)
129
La période des XIVe-XVe siècle est notamment marquée par la guerre contre l’Ecosse ainsi
que la Guerre de Cent ans (1338-1454), mais aussi, sur le plan intérieur, par le long conflit
de succession - la guerre dite des « Deux Roses » - qui oppose les descendants de deux des
fils du roi Edouard III (†1377), les York et les Lancastre, entre 1450 et 1485. En 1485, lors
de la bataille de Bosworth, Henri Tudor, rattaché à la Maison de Lancastre par sa mère,
vainc le roi Richard III, dernier souverain de la Maison York. En vue de mettre un terme
au conflit qui déchire la noblesse anglaise, Henri Tudor épouse une représentante de la
Maison d’York. Il monte sur le trône d’Angleterre sous le nom d’Henri VII.
Henri VII initie un mouvement de renforcement du pouvoir royal, surtout face à la haute
noblesse, divisée et affaiblie à la suite de la Guerre des deux roses. Les nouveaux
souverains revendiquent un pouvoir de droit divin. Au règne d’Henri VII, succède le long
règne d’Henri VIII (1509-1547), marqué encore par la guerre avec l’Ecosse ou les guerres
menées contre le roi de France, François Ier. La réaffirmation du pouvoir royal est plus
marquée sous le successeur d’Henri VII, Cette réaffirmation ne passe pas tant par une
volonté de domination du Parlement, avec lequel les Tudor parviennent à maintenir le
dialogue, mais elle s’affirme par une volonté de domination de l’Eglise ainsi que par le
développement d’un appareil administratif puissant et efficace.
Ce sont surtout les efforts entrepris par Henri VIII en vue de faire annuler son mariage
avec sa première épouse – qui ne lui donne pas de descendance masculine – et les
conséquences qui en résultent que retiennent les historiens. Devant le refus du Pape
d’annuler son union, Henri VIII provoque la scission de l’Eglise d’Angleterre avec la
Papauté. En 1534, s’assurant la maîtrise de l’Eglise, il en devient le chef. Issu de sa
troisième épouse, Edouard VI lui succède en 1547. Sa demi-sœur, Marie, issue de la
première union du roi, lui succède elle-même sur le trône en 155430. Enfin, Elisabeth issue
de la deuxième union du roi, monte sur le trône en 1558. Son règne sera bien plus long
que celui des deux précédents, puisqu’il prend fin en 1603.
L’Angleterre des Tudors est marquée par un phénomène de renforcement des institutions
centrales et par leur spécialisation. Le règne d’Henri VIII se révèle comme un moment clé
dans le développement de la conception de l’Etat. Malgré que la période soit marquée par
la réaffirmation monarchique, le royaume n’est manifestement plus considéré comme le
patrimoine du souverain. L’administration se détache de la personne du roi ou de sa
Maison pour connaitre un développement autonome, favorisant la continuité de l’Etat. Le
XVIe siècle anglais apparaît comme le siècle de l’apparition de l’Etat moderne.
L’émancipation de l’Eglise d’Angleterre par rapport à la Papauté en est une autre
manifestation essentielle.
30
Edouard VI avait désigné sa cousine, Jane Grey, descendante d’Henri VII, pour monter sur le trône. Il tient à
éviter que sa demi-sœur, Marie, issue du premier mariage d’Henri VIII avec Catherine d’Aragon, fervente
catholique, monte sur le trône. Jane Grey est déposé par le Parlement quelques jours après avoir été proclamée
reine. Le Parlement reconnait alors Marie.
130
I. L’Eglise sous le contrôle du roi
Les tensions avec l’Eglise et avec la Papauté n’apparaissent pas sous Henri VIII. Mais elles
prennent sous son règne une dimension plus extrême encore que lors des règnes d’Henri
II ou de Jean sans Terre.
Sollicitant l’annulation de son mariage avec Catherine d’Aragon, qui ne lui donne pas
d’enfant mâle, Henri VIII essuie un refus de la part du Pape. Malgré ses démarches, le roi
fait face à l’opposition persistante du Pape. En 1531, l’archevêque de Canterbury étant
décédé, le roi nomme un candidat qui est favorable à l’annulation, Thomas Cranmer. En
1533, le nouvel archevêque réunit un tribunal ecclésiastique qui prononce l’annulation
du mariage. En 1534, par le Supremacy Act, le roi se porte à la tête de l’Eglise d’Angleterre.
Clément VII excommunie Henri VIII ainsi que l’archevêque de Canterbury.
Le Parlement connait une évolution dans laquelle se distingue l’importance que prennent
les comtés et les villes. Cette affirmation se manifeste au premier chef sous le règne
d’Edouard III (1327-1377) par le souhait des villes et comtés (boroughs et shires) de
former un espace de pouvoir distinct des représentants de la noblesse et du clergé. Le
Parlement se divise ainsi en deux chambres : la Chambre des Communes (House of
Commons) et la Chambre des Lords (House of Lords). Le Parlement, organisé en deux
chambres, s’établit au Palais de Westminster en 1335.
La Chambre des Communes se manifeste sous le règne d’Edouard III par sa volonté
d’affirmation face au pouvoir royal ou à son entourage. Le règne d’Edouard III est marqué
par le déclenchement de la guerre de Cent ans (1338). S’il obtient du Parlement, pour faire
face aux besoins des campagnes militaires, les moyens de maintenir une armée de métier,
la situation change par la suite. La peste noire qui sévit en Angleterre à partir de 1348
décime un tiers de la population. Le manque de main d’œuvre entraîne une hausse du coût
du travail et une baisse des revenus de la fiscalité (prélèvement sur la production). La
situation empire encore en 1361-1362, avec la survenance d’une nouvelle épidémie de
peste. La situation du royaume provoque d’importantes tensions à la fin du règne
d’Edouard III. En 1376 éclate la crise dite du « Bon Parlement ». Le Parlement est
convoqué en vue de voter l’impôt, mais la Chambre des Communes saisit cette occasion
pour formuler des griefs à l’encontre du gouvernement royal : elle dénonce la corruption
131
de la Cour, elle entend examiner les comptes royaux. La Chambre des Communes
demande la mise à l’écart des conseillers du roi.
Le règne de Richard II connait plus de troubles encore, qui forment une autre occasion
pour la Chambre des Communes d’opposer des griefs. Ebranlé par la Révolte des paysans
(1381) et par la résistance du Parlement (de la Chambre des Communes) à la levée de
nouveaux impôts, contesté enfin par une partie de la noblesse, Richard II est déposé par
le Parlement en 1399. Résolument, le Parlement – et en particulier la Chambre des
Communes – devient un acteur incontournable – et majeur – du jeu politique. Son
contrôle sur le pouvoir royal devient tout à fait essentiel. Cette part qu’il prend se
manifeste dès la succession de Richard II. La reconnaissance du nouveau souverain – en
l’occurrence Henri de Bolingbroke, ou Henri IV (†1413) - par le Parlement, est devenue
incontournable elle-aussi.
L’importance de la Chambre des Communes grandit encore pendant la Guerre des Deux
Roses, au cours du XVe siècle. La guerre civile qui opposera les représentants et les
partisans des Lancastre et des York entraîne un affaiblissement de la noblesse, décimée
et ruinée par la guerre, mais aussi affaiblie par le déclin généralisé de la société féodale.
L’un des signes les plus tangibles de cet accroissement du pouvoir du Parlement au XVe
siècle se manifeste dans la part qu’il prend dans le processus législatif. A partir de la
seconde moitié du XVe siècle, l’élaboration de la loi ou Statute ne se conçoit plus sans que
ce soit le Parlement qui en ait l’initiative.
La réaffirmation du pouvoir royal qui a lieu sous Henri VIII s’accompagne toutefois un
affaiblissement du Parlement. En 1539, le Parlement approuve le Proclamation of the
Crown Act, aussi appelé Statute of Proclamations, qui accorde au roi, sans limite expresse,
le droit de légiférer par la voie de proclamations, lesquelles se voient reconnaitre la même
force que le Statute (loi).
Le Statute of Proclamations est abrogé lors du premier Parlement qui se réunit sous le
règne de son successeur, Edouard VI. Ses successeurs, Marie Ière et Elisabeth Ière, feront
à nouveau usage, assez largement, des Proclamations.
A. Court of Chancery
La Court of Chancery, apparaît comme un organe distinct de la curia regis vers 1345, sous
Edouard III. Elle s’établit à Westminster Hall.
Cette nouvelle juridiction se développe au cours d’une période qui voit le déclin de la
Court of Exchequer. La Court of Chancery applique l’Equity, un droit plus souple que la
common law. Adossée à la Chancery, l’administration du premier des ministres du roi, elle
prétend exercer un contrôle sur l’activité des tribunaux de common law et remet en cause,
si elle l’estime nécessaire, leurs décisions.
Son activité, qui connait un développement très important à partir des années 1440,
suscite une opposition croissante à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, sous
132
Elisabeth Ier. Le contrôle des jugements de common law par la chancellerie est contesté
au sein du Parlement.
Les justices of the peace (justices de paix) sont reconnues pour la première fois en 1361,
dans un Statute (loi) du Parlement. Les pestes et les troubles divers que connait le XIVe
siècle conduisent le roi Edouard III à nommer, au sein de chaque shire, une Justice of the
peace, qui est appelé à contribuer au maintien de l’ordre public. Composé d’un certain
nombre de knights (chevalier) du shire, la Justice of the peace est responsable de l’ordre
public dans un périmètre déterminé et est habilitée à faire arrêter et détenir les suspects
ou encore exiger des cautions. Edouard III en fait un rouage fondamental au niveau de la
justice locale.
Les Justices of the peace exercent progressivement une activité juridictionnelle, laquelle
devient prépondérante. A partir du XVe siècle, les Justices of the peace sont compétentes
pour statuer sur des délits mineurs commis dans le comté.
C. Star Chamber
La réaffirmation du pouvoir royal sous les Tudor trouve également une expression dans
le domaine judiciaire. La Star Chamber (Chambre étoilée) est une haute cour de justice
fondée par Henri VII en 1487.
La mission de la Star Chamber est à comprendre dans la volonté d’apaisement qui suit la
guerre des Deux Roses. Elle est créée dans le but d’assurer la sanction des offenses portées
par les barons contre la paix publique.
La Star Chamber applique un droit plus souple que la common law. Elle se distingue par
l’absence de jury et par une administration de la preuve simplifiée, puisqu’elle peut
statuer sur la base de la déposition d’un seul témoin.
La justice y est rendue par le roi ou son Chancelier entouré de membres de la curia regis.
133
EX CURSUS N°5
134
L’accession du Philippe le Bon au pouvoir dans le duché de Brabant marque un tournant
politique et institutionnel décisif, dans la mesure où le duché est intégré dans un vaste
patrimoine, réuni dans les mains du duc de Bourgogne. L’organisation institutionnelle des
régions appelées à former l’espace belge (à l’exception de la principauté de Liège) s’en trouve
profondément transformée. Le principat de Philippe le Bon ouvre ainsi la période dite des
« Pays-Bas bourguignons ». Le décès de Marie de Bourgogne, en 1482, marque le passage de
nos régions – notamment du Brabant – au sein des possessions héréditaires habsbourgeoises,
du règne de Philippe le Beau, fils de Marie de Bourgogne et de Maximilien de Habsbourg, à
celui Charles Quint puis de Philippe II. Bien qu’intégré dans le vaste ensemble des possessions
des Habsbourgs, l’espace belge reste un ensemble politique composite.
Par une politique habile, Philippe le Bon, déjà duc de Bourgogne et comte de Flandre, se
rend maître du comté de Namur (1429), du duché de Brabant (1430), du comté de
Hainaut, du comté de Hollande et du comté de Zélande, et de la Frise (1433), du duché de
Luxembourg enfin (1443). Philippe le Bon entend former un ensemble politique unifié et
centralisé. Cette consolidation passe notamment par la soumission de la principauté de
Liège, qui sépare le Luxembourg du duché de Brabant. Elle passe surtout par l’affirmation
de son indépendance par rapport au royaume de France, et l’affranchissement de son lien
de vassalité avec le roi.
Philippe le Bon meurt en 1467. Son fils Charles – lui succède. Celui qu’on appellera Charles
le Téméraire poursuit l’œuvre de consolidation et de centralisation des possessions
bourguignonnes entamée par son père. Le duc de Bourgogne entreprend la conquête des
terres qui séparent les « pays de Par-deçà » (Pays-Bas actuels et Belgique actuelle) à la
Bourgogne et à la Franche-Comté, les « pays de Par-delà ». La réunion des « pays de Par-
deçà » (nos régions) et des « Pays de Par-delà », former un royaume, d’un seul tenant,
entre le Royaume de France et le Saint-Empire, forme la préoccupation du règne de
Charles le Téméraire, qui multiplie les campagnes militaires pour accomplir son projet. A
la suite de son père, il soumet la principauté de Liège. Il fait l’acquisition d’une partie de
l’Alsace et d’autres domaines qui rapprochent ses pays de Par-deçà de ses pays de Par-
delà. Sur le plan institutionnel, il met en place, par les ordonnances de Thionville (1473),
des institutions destinées à mettre en œuvre sa politique centralisatrice. Il s’agit au
premier chef du Parlement de Malines, qui marque la volonté du duc de Bourgogne
d’affirmer son pouvoir souverain, et d’affranchir ses possessions de toute dépendance
juridictionnelle par rapport au royaume de France, en particulier de rompre le lien féodal
qui subsiste encore à travers le recours en appel vers le Parlement de Paris.
135
Charles le Téméraire ne laisse qu’une fille, Marie de Bourgogne. Celle-ci doit faire face à la
fragilisation majeure que connaissent les possessions bourguignonnes à la suite du décès
du duc. Les menaces sont celles de Louis XI, qui entend assurer le retour à la Couronne de
la Bourgogne. Celui-ci entend s’appuyer sur le fait que le duché octroyé en 1363 par Jean
II le Bon à son fils Philippe le Hardi l’a été à titre d’apanage, or l’apanage revient en
principe à la Couronne de France en cas d’absence d’héritier mâle en ligne directe.
Devant la nécessité d’obtenir le soutien des pays de Par-deçà, Marie de Bourgogne réunit
les Etats-généraux. Elle est contrainte d’octroyer le Grand Privilège, qui garantit
l’abandon des initiatives centralisatrices de Charles le Téméraire, le rétablissement des
droits, coutumes et privilèges des « pays ». Le Grand Privilège garantit la participation des
Etats-généraux au gouvernement des pays de Par-deçà. Suivant le souhait des Etats-
généraux, Marie de Bourgogne épouse en 1477 l’archiduc Maximilien de Habsbourg, fils
de l’empereur Frédéric III. Le passage des pays de Par-deçà dans le giron habsbourgeois
doit leur assurer une protection contre les ambitions de Louis XI. La duchesse de
Bourgogne meurt en 1482. De son mariage avec Maximilien est né un fils, Philippe, et une
fille, Marguerite. Les possessions bourguignonnes deviennent habsbourgeoises : Philippe
le Beau recueille l’héritage de sa mère. L’héritier des possessions bourguignonnes étant
mineur, la régence est assurée par Maximilien.
Régent des Pays-Bas jusqu’en 1507, grand-père du futur Charles Quint, Maximilien est
empereur jusqu’en 1519. Sa position lui permet de se pencher sur le règlement des
relations institutionnelles entre les Pays-Bas et le Saint-Empire. Dans le prolongement de
la réforme entreprise à la fin du XVe siècle, il crée ainsi, en 1512, un Cercle de Bourgogne,
composé des Pays-Bas, de la Franche-Comté,, qui intégrera l’ensemble des Cercles
impériaux.
Charles Quint accède à la majorité et exerce un pouvoir effectif à partir de 1515. Son
héritage est considérable. Par son père, Philippe le Beau, il hérite des possessions
habsbourgeoises dans le Saint-Empire, des Pays-Bas et de la Franche-Comté. Par sa mère,
Jeanne la Folle, il hérite des royaumes d’Aragon et de Castille (« les Espagnes »), mais aussi
des prolongements du royaume d’Aragon sur le continent américain, à la suite de
découverte du Nouveau Monde et des explorations des Conquistadores. Le règne de
Charles Quint est marqué par la préoccupation constante de consolider ses Etats.
Elu roi des romains en 1519, il est couronné une première fois empereur à Aix-la-Chapelle.
Soucieux d’inscrire son règne dans la filiation carolingienne, celle d’un empereur « vicaire
du Christ », associé à la papauté, il tient à se faire couronner en Italie. Il sera donc
couronné une seconde fois à Bologne par le pape Clément VII. Protecteur de la foi
136
catholique, Charles Quint lutte notamment contre les progrès de la religion réformée qui
se répand dans l’Empire à la suite de la diffusion des idées de Martin Luther (1483-1546)
et dans les Pays-Bas à la suite de la diffusion des idées de Jean Calvin (1509-1564).
La relation institutionnelle des Pays-Bas avec le Saint-Empire fait l’objet d’une importante
clarification. Leur statut fait l’objet d’une négociation entre l’empereur et les Etats du
Saint-Empire, au cours de la Diète d’Augsbourg, en 1548. L’accord qui est pris, qui prendra
le nom de Transaction d’Augsbourg, confirme l’intégration des Pays-Bas dans le Cercle de
Bourgogne, dont les limites territoriales sont élargies aux nouveaux territoires acquis
sous son règne, et il prévoit surtout leur intégration, avec voix délibérative, dans la Diète
impériale. Tout en favorisant leur intégration dans le Saint-Empire, Charles Quint leur
assure une certaine autonomie : la justice des Pays-Bas restera autonome par rapport aux
tribunaux d’Empire. Les Pays-Bas seront par ailleurs exemptés de l’impôt impérial.
Un an plus tard, en 1549, par la Pragmatique Sanction, Charles Quint assure le maintien
des Pays-Bas en tant qu’ensemble territorial et patrimonial unique et indivisible. Dans ce
but, les différentes coutumes successorales des principautés des Pays-Bas sont unifiées.
L’ensemble des duchés, comtés ou seigneuries qui forment les Pays-Bas se transmettent
par primogéniture masculine. La succession des femmes est admise comme subsidiaire.
Au mois d’octobre 1555, Charles Quint réunit les Etats-Généraux à Bruxelles, au Palais de
Coudenberg, pour présenter son successeur, son fils Philippe, au bénéfice duquel il
abdique ses droits sur les Pays-Bas. En 1556, Charles Quint abdique ses droits en faveur
de son fils sur les Espagnes et sur les terres d’Amérique. Quant aux droits sur possessions
habsbourgeoises dans le Saint-Empire, ils sont transmis par Charles Quint à son frère,
Ferdinand II31.
Eduqué en Espagne, peu familier des spécificités des provinces composant les Pays-Bas,
Philippe II mène une politique maladroite qui le rend impopulaire. Son accession au
pouvoir s’accompagne d’un mouvement d’espagnolisation des institutions. Les grands
nobles qui formaient l’entourage du souverain, et qui perpétuaient cette tradition au sein
du Conseil d’Etat, sont écartés. Par ailleurs, à la suite de Charles Quint, Philippe II se
distingue par sa volonté d’assurer la sauvegarde de la foi catholique et par sa répression
de l’hérésie. La conjonction du mécontentement des grands nobles et du développement
de la religion réformée créé les conditions d’une confrontation. Certains nobles prennent
le parti de la religion réformée pour mieux s’opposer au souverain.
Cette situation de tension intérieure est accentuée par la situation économique que
connaissent les Pays-Bas au cours de la seconde moitié du 16e siècle.
Philippe II, qui ne manifeste pas le même attachement que son père vis-à-vis des Pays-
Bas, n’y séjourne que de 1555 à 1559. Il n’y reparaîtra plus, confiant l’exercice du pouvoir
au gouverneur général. Le gouvernement est d’abord assuré par sa demi-sœur,
Marguerite de Parme32. Sous le contrôle de Philippe II, contrainte d’exécuter ses
Devant l’importance que prend le conflit, Philippe II remplace Marguerite de Parme par
un nouveau gouverneur général, le duc d’Albe, qui se distingue par ses qualités militaires
et qui reçoit pour mission de ramener l’ordre dans les Pays-Bas. Aux fins d’assurer la
répression, celui-ci met en place une juridiction d’exception, dont la compétence couvre
l’ensemble des Pays-Bas, le Conseil des Troubles. Mais les instructions que reçoit le duc
d’Albe ne concernent pas seulement la répression des troubles. Soucieux d’assurer l’unité
des Pays-Bas, Philippe II ne le charge pas seulement de rétablir l’unité religieuse mais
aussi d’assurer l’unification du droit criminel. Dans cette perspective, il confie au Conseil
privé l’élaborer d’une série d’ordonnances générales en matière criminelle, appelées à
s’appliquer dans l’ensemble des Pays-Bas.
Le duc d’Albe est rappelé en 1573. Luis de Requesens lui succède comme gouverneur
général. Sa mort, survenue trois ans plus tard, en 1576, conduit le Conseil d’Etat à assurer
l’interim dans l’attente d’un nouveau gouverneur. Les membres du Conseil d’Etat sont
arrêtés un peu plus tard. Les Etats-généraux exercent en fait le pouvoir gouvernant. Ils
adoptent la même année la Pacification de Gand, qui doit assurer la réunion des provinces
des Pays-Bas dans le respect de la liberté religieuse (voy. infra).
En 1581, par l'Acte de La Haye, les provinces du Nord proclament l'indépendance des
Provinces-Unies, et la déchéance de Philippe II. Les Etats-généraux, dans la perspective
du maintien d’un régime monarchique, soutiennent d’abord l’accession au trône de
Charles d’Anjou, fils du roi de France Henri II. Ils choisissent ensuite le comte de Leicester,
un proche d’Elisabeth Ière, reine d’Angleterre, qui avait soutenu les troupes calvinistes en
leur assurant un appui militaire. L’échec des négociations conduit les Etats-généraux à
opter finalement pour le régime de la république. Les provinces du Sud retrouvent peu à
peu l’apaisement sous la Couronne espagnole. Philippe II décède en 1598.
33 Alexandre Farnèse (†1592), duc de Parme, est le fils d’Ottavio Farnese et de Marguerite d’Autriche. Avant
de rejoindre les Pays-Bas comme gouverneur, Alexandre Farnèse s’était distingué par ses qualités
militaires, notamment à l’occasion de la bataille de Lépante, contre les Turcs (1571).
138
II. Sous les ducs de Bourgogne : la formation d’institutions centrales
A. Etats-généraux
Les Etats-généraux sont convoqués pour la première fois par Philippe le Bon. Ils se
réunissent en 1464 : des députés des Etats de Brabant, de Limbourg, de Flandre, d’Artois,
de Hainaut, de Namur, du marquisat d’Anvers, et de la seigneurie de Malines. Il s’agit pour
le duc de Bourgogne de faire reconnaitre son fils pour successeur et d’assurer le
financement de la guerre contre Louis XI.
Le Grand Privilège (1477) accorde aux Etats-généraux le droit de se réunir de leur propre
initiative, où et quand ils le souhaitent. Il consacre leur participation accrue dans
l’exercice du gouvernement. Mais ces prétentions des Etats-généraux sont écartées dès la
régence de Maximilien, qui parvient à imposer un pouvoir autoritaire. Ils seront toutefois
convoqués une fois par an au moins, et à tout le moins chaque fois qu’un problème
important se pose au souverain et qu’il a besoin d’une aide financière.
La justice ducale est l’origine, selon l’usage commun, rendue par le duc de Bourgogne au
sein de la Curia, qui suit le duc dans ses déplacements.
En 1473, par plusieurs ordonnances datées de Thionville, Charles le Téméraire créée une
institution destinée à assurer à l’unification judiciaire des pays de Par-deçà. L’institution
prend le nom de « Parlement », à l’image du Parlement de Paris, dont s’inspire le duc de
Bourgogne. Elle perd son caractère ambulatoire. Elle est établie dans la seigneurie de
Malines, qui a alors l’avantage de n’être partie ni d’aucune des grandes principautés des
pays de Par-deçà.
139
l’appel vers le Parlement de Paris. Une dépendance juridictionnelle du même ordre – donc
un obstacle à l’affirmation d’un pouvoir souverain - subsistait entre certaines parties des
pays de Par-deçà et le Saint-Empire, la Chambre impériale (Kammergericht) étant
théoriquement compétente pour connaitre de l’appel de certaines décisions.
Il s’agit donc d’y mettre fin et d’affirmer la souveraineté du pouvoir ducal en créant une
institution souveraine, appelée à recevoir les appels de l’ensemble des juridictions des
pays de Par-deçà. Ce faisant, les ordonnances de Thionville portent atteinte aux libertés
et franchises des principautés, en particulier au principe de « non distraction du juge
naturel », qui garantit que les ressortissants d’une principauté soient traités par l’une de
ses juridictions, et pas hors de celle-ci.
Le Grand Privilège met fin à l’existence du Parlement. Celui-ci reprend la forme d’un Grand
conseil ambulatoire, qui suit le Prince. La Grand Privilège limite son champ de
compétences : le Grand conseil ne pourra plus connaitre que des litiges dans des matières
étrangères à la compétence des conseils des principautés (provinces) ou des autres
juridictions locales. Le Grand privilège réaffirme le principe de non distraction du juge
naturel. Les Etats-généraux admettent le principe d’une Cour suprême ducale qui
recevrait les appels des conseils provinciaux, mais pas davantage. Par ailleurs, les
membres du Grand conseil devront prêter serment de respecter les franchises des
principautés.
Le Grand conseil perdra son caractère ambulatoire et s’établira à nouveau à Malines sous
Philippe le Beau, par un édit du 22 janvier 1504. Mais il verra peu à peu sa compétence
territoriale se restreindre (cf. infra).
Créée par les ordonnances de Thionville, la Chambre des comptes est également établie à
Malines. Institution centrale, elle remplace la Chambre des comptes de Bruxelles (duché
de Brabant) ainsi que la Chambre des comptes de Lille (comté de Flandre). Elle est appelée
à exercer un contrôle sur les recettes et les dépenses effectuées dans les pays de Par-deçà.
A. Le Gouvernement général
L’importance des territoires qui sont réunis sous le pouvoir des Habsbourg, par
conséquent l’absence du souverain, entraîne l’installation dans les Pays-Bas d’un agent
qui puisse le représenter. La fonction de gouverneur général apparaît après l’accession au
pouvoir de Charles Quint, lorsqu’il accède à la majorité. Elle est exercée de 1518 à 1530
par sa tante, Marguerite d’Autriche. La fonction de gouverneur général sera exercée
ensuite par Marie de Hongrie, sœur de Charles Quint. Toutefois, la fonction de gouverneur
général n’est pas exercée, sous Charles Quint, de manière continue. Ce ne sera qu’à partir
de 1559, à la suite du départ de Philippe II des Pays-Bas, que la fonction est exercée de
manière continue, sans interruption.
Celle qu’on désigne alors son l’appellation de « gouvernante », ou celui qu’on désignera
sous l’appellation de « gouverneur-général », est le plus haut représentant du souverain
140
dans les Pays-Bas en son absence. Il s’agit d’un prince du sang, de la famille du souverain.
La parenté avec le souverain est censée renforcer l’autorité du gouverneur général.
Par une ordonnance du 1er octobre 1531, Charles Quint créée trois organes qui illustrent
le mouvement de spécialisation des institutions de gouvernement à partir de la Curia
ducis : les conseils collatéraux. Ceux-ci sont au nombre de trois :
1. Le Conseil d’Etat
2. Le Conseil privé
141
certains litiges dans lesquels les intérêts du souverain sont concernés, évoquer une
affaire, mais également assurer l’exercice de la grâce.
Le Conseil des Finances assure la gestion des recettes (subsides,...) et des dépenses
publiques (paiement des salaires, frais de fonctionnement des institutions, paiement de
la solde des militaires, etc). Il assure également le contrôle des officiers-comptables ou
encore supervise le fonctionnement des douanes.
La période espagnole voit se développer les jointes. Celles-ci forment des comités
composés de trois ou quatre personnes de confiance, choisies pour leurs compétences
dans un domaine particulier, le plus souvent étrangers aux Pays-Bas. Les jointes sont
L’expression la plus manifeste du souhait de contrôle des Pays-Bas par le souverain est la
création du Conseil suprême des Pays-Bas, en 1588. Il s’agit d’une institution
« extérieure » à l’espace des Pays-Bas, chargée d’assurer son contrôle depuis Madrid.
Présidé par l’un des principaux ministres de Philippe II, il compte deux conseillers, des
juristes originaires des Pays-Bas. L’institution est abolie dès 1598, lorsque les Pays-Bas
sont cédés aux archiducs Albert et Isabelle. Le Conseil suprême des Pays-Bas a pour
mission première de s’occuper de la correspondance officielle en provenance et à
destination des Pays-Bas. Il veille également au respect des prérogatives du souverain
dans les Pays-Bas et rend des avis au souverain, principalement en ce qui concerne les
nominations aux fonctions supérieures au sein des institutions centrales. L’activité du
Conseil suprême – et donc l’effectivité du contrôle qui avait motivé sa formation – sera
entravée par le Conseil des Finances. Chargé d’assurer le financement du voyage des
conseillers jusqu’à Madrid, il parvient à repousser leur départ en reportant
continuellement le décaissement des sommes nécessaires.
Les Etats-Généraux prennent, à la faveur de la crise que connaissent les Pays-Bas sous le
règne de Philippe II, une part croissante dans le gouvernement. La part qu’ils prennent
dans le gouvernement doit être appréciée différemment selon les régions considérées.
Dès la fin du 16e siècle, les Etats-généraux se profilent comme le principal organe de
gouvernement dans les provinces du Nord, tandis qu’ils retrouvent le rôle qui leur était
dévolu dans les provinces du Sud.
Les actes posés par les Etats-généraux manifestent peu à peu la volonté des provinces des
Pays-Bas de s’affranchir de la Couronne d’Espagne. Les manifestations les plus
significatives en seront la proclamation par les Etats-généraux de l’indépendance des
provinces du Nord (Acte de La Haye) et la destitution de Philippe II, en 1581. Le choix d’un
nouveau régime politique en sera la prolongation.
Mais cette extension des pouvoirs des Etats-généraux doit être nuancée et précisée. Peu à
peu, les Etats-généraux des Pays-Bas ne réunissent plus que les provinces septentrionales
des Pays-Bas, celles qui sont appelées à former la république des Provinces-Unies. Entre
1579 et 1585, alors que Farnèse mène avec succès la reconquista, les provinces
méridionales cessent les unes après les autres d’être représentées aux Etats-généraux.
Dès 1579, les Etats d’Artois et de Hainaut cessent d’y être représentés. En 1581, seules les
provinces du Nord (Gueldre, Hollande, Zélande,…), le Brabant, la Flandre, et la seigneurie
de Malines y sont représentés. En 1585, seule la Flandre subsiste parmi les « pays » du
Sud. Elle-même cesse d’y être représentée en 1586. Les Etats-généraux ne rassemblent
plus alors que les provinces du Nord37. En 1588, les Etats-généraux établissent leur siège,
de manière définitive, à La Haye.
36 LesEtats-généraux négocient ainsi en 1576 la nomination de Don Juan d’Autriche, fils de Philippe II, dans
la fonction de gouverneur général. Ils ne le reconnaissent plus comme gouverneur général dès 1577. Ils
nomment pour le remplacer Matthias, neveu de Philippe II.
37 Ces provinces sont alors au nombre de six : Gueldre, Hollande, Zélande, Utrecht, Frise, Overijssel. Une