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Pr Abdou Rahmane THIAM Cours d’HIP Licence 2 Sciences politiques 2019-2020 Fsjp

UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES


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DEPARTEMENT DE SCIENCE POLITIQUE

COURS D’HISTOIRE DES IDEES POLITIQUES II

LICENCE 2 SCIENCES POLITIQUES

Responsable du cours : Pr Abdou Rahmane THIAM


Professeur assimilé,
Agrégé de Science politique

Année académique 2019-2020


Pr Abdou Rahmane THIAM Cours d’HIP Licence 2 Sciences politiques 2019-2020 Fsjp

Chapitre 2. La pensée politique romaine

L’étude de la pensée politique romaine ne peut sans doute pas être envisagée à la
lumière de l’influence politique et militaire de Rome au début de l’ère chrétienne. Si l’on
compare la richesse des œuvres latines avec celles des « Maitres » de la Grèce antique, le
constat semble assez sévère : ces réflexions ne font que développer et adapter aux institutions
romaines l’ensemble des questions posées par les Grecs. Il s’agit des questions de la
citoyenneté, la classification des constitutions, la recherche du meilleur régime, la conformité
des actes humains aux lois de la nature, le rôle de la philosophie en politique etc.
En effet, la cité hellénique et la réflexion politique durant cette période ne conviennent
plus soit à la nature ou au génie de certains peuples soit aux visées politiques d’autres peuples.
Il est vrai que les Grecs ont su intérioriser un sentiment national, surtout face aux attaques des
Barbares. Mais malgré ce fort sentiment d’appartenance commune, les Grecs ne vont réussir
l’entreprise de création d’un Etat. Cette situation est surtout liée à la suprématie et
l’indépendance que chaque cité grecque se voulait de conserver en tant que modèle
d’organisation politique achevée. Le rôle de la cité parait fini en tant que fait politique, d’où
l’apparition de doctrines faisant éclater le cadre de la cité comme champ de réflexion. Ces
doctrines sont porteuses de construction politique comme l’empire d’Alexandre. Ainsi, il y
aura des changements notoires dans la pratique de l’enseignement de la philosophie.
D’ailleurs, le successeur d’Aristote à la tête du Lycée, Théophraste précise « Ce ne
sont pas les lois qui déterminent les actions des citoyens mais plutôt ceux-ci qui déterminent
les lois ». On note, d’abord, selon Jean Claude Ricci, les Cyniques constituant la plus
ancienne de ces écoles dirigée par Diogène de Sinope (413-327 av J. C) qui veulent édifier un
monde politique nouveau. Ils défendent l’individualisme cosmopolite tout en cherchant la vie
la plus proche possible de l’état de nature existant avant l’apparition de la société. Ensuite, il y
a les Epicuriens ou Ecole du Jardin avec à leur tête, Epicure qui cherche à rendre la vie
humaine plus supportable par le calme et la justice (ataraxie ou paix de l’âme). Sans rejeter les
institutions de la cité, il demande simplement que celles-ci assurent à tous les hommes le
bonheur. Pour ce faire, les Epicuriens vont définir les règles d’une morale qui n’est plus
réellement naturelle puisqu’elle peut évoluer d’une classe à l’autre ou d’une époque à l’autre.
Ils sont donc des relativistes aussi bien en morale qu’en politique.
Mais la réussite des Romains est d’avoir fait entrer la raison dans l’organisation et le
fonctionnement de la vie politique. Dans ce cadre, certains historiens ou juristes latins, sans
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dévier de la réflexion classique (grecque) sur la meilleure constitution, ont joué un rôle
important dans le renouvellement de la pensée politique antique.

I. Les fondations institutionnelles de la cosmopolis romaine

Du point de vue historique, l’histoire romaine peut être située entre les IVe et Ve siècles
après J.C. Cette période est marquée par le fractionnement de l’empire en 395 en deux entités
pendant l’essor du christianisme, entrainant plus tard son déclin en 476 dans sa partie
occidentale. La République romaine (de 509 à 27 avant J.C) et l’Empire (de 27 avant J.C à
476 après JC) n’en sont pas moins le creuset d’une expérience politique nouvelle marqué par
l’essor du droit savant.

A. Le processus de dégénérescence de la civilisation romaine : de la République au


Bas-Empire
L’histoire de l’Antiquité romaine reste marquée par plusieurs séquences depuis l’âge d’or
hellénistique. On parle d’âge hellénistique pour montrer l’extraordinaire diffusion des
traditions, des arts et de la pensée des Grecs à l’ensemble des régions du monde
méditerranéen. C’est une période marquée par la fin du modèle grec des cités et le
rétablissement de grandes monarchies dont les rois sont considérés comme des monarques de
droit divins, autrement dit la source des de toutes les lois. Rome est aussi marquée par ses
conquêtes fructueuses dans toute la péninsule italienne en raison de l’organisation et la
discipline de son armée. Ce qui lui favorise un rayonnement. Il est donc important de porter
un regard sur les deux temps forts de l’histoire politique romaine : la République et le régime
impérial.

1. La République romaine

Elle correspond au temps de l’expansion militaire de Rome qui explique ses victoires
remportées contre sa grande rivale Carthage (rasée par Scipion Emilien en 146). C’est
pourquoi en deux siècles, la cité latine prend le contrôle de l’ensemble de la Méditerranée, des
régions ibériques (Espagne) à la Mésopotamie (Moyen-Orient), en passant par l’Afrique du
nord, la Macédoine, les îles grecques et l’Asie mineure. C’est également la formation d’un
système institutionnel original et équilibré dit « républicain » dont l’objectif proclamé est
d’éviter l’instauration de toute forme de pouvoir tyrannique.
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Si les premières institutions romaines sont créées au Ve siècle, elles restent cependant
fragilisées par de fortes tensions. D’abord, les patriciens qui représentent les grandes familles
(les gentes) contrôlent les principales magistratures : les fonctions des deux « consuls »
(pouvoir exécutif), celui du « préteur » (chargé de la justice) et celui du « censeur » (chargé
du maintien des bonnes mœurs). Ces derniers ont aussi accès facilement aux assemblées
délibératives comme le Sénat, l’assemblée des curies (les comices curiates) et l’assemblée
centuriate (les comices centuriates).
Ensuite, les « plébéiens » ou tribuns de la plèbe représentent le populus romanus luttent
pour faire reconnaître leurs droits. S’ils réussissent à obtenir des droits leur garantissant la
citoyenneté romaine (égalité consacrée au Ve siècle par loi des Douze Tables), la création
d’assemblées populaires, la réalité du pouvoir reste entre les mains des magistrats placés sous
le contrôle étroit du puissant Sénat, dont les membres sont tous représentants de la nouvelle
classe des riches apparue au III siècle : la nobilias (détentrice de la propriété foncière
composée de patriciens et de plébéiens. A partir de ce moment, l’on observera une certaine
stabilisation des institutions pendant deux siècles. Mais cette situation de stabilité va connaitre
des moments de crises internes. Malgré les tentatives de réformes, la République romaine va
connaître un déclin quelques décennies avant le Moyen Âge chrétien.

2. Le régime impérial

On distingue dans l’organisation traditionnelle de l’Empire le Haut et le Bas-Empire. La


date de naissance du Haut-Empire (1er-IIIe s) correspond à l’accession au pouvoir d’Octave
après la bataille d’Actium en 31 ; ce qui lui donne le titre d’augustus en 27 qui le place au-
dessus des autres magistrats. Dans ce cadre, il réforme les institutions avant de prendre le titre
d’imperator, titre militaire désignant le Chef de l’armée. Ainsi l’autorité du Sénat devient
contestée. Il résistera le temps d’un feu de paille avant de se rallier à l’empereur. Au plan
extérieur, la domination romaine en Méditerranée caractérise le Haut-Empire. Mais suite aux
brimades orchestrées par le pouvoir impérial contre les chrétiens animés d’une vision
révolutionnaire, l’Empire va connaître les premiers signes de déclin politique, notamment
l’incapacité de gérer la question de la succession impériale.
Le Bas-Empire (fin du IIIe s) ouvre l’ère de la décadence impériale. A l’extérieur, la
période est marquée par la fin de la pax romanus. Les guerres civiles et soulèvements se
multiplient. Déjà en 212, l’édit de Caracalla avait essayé de réaliser l’unité impériale en
attribuant la citoyenneté à tous les citoyens de l’Empire. Mais cela va créer des conflits
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internes, notamment avec le Germains au nord –nom donné aux barbares), les Perses
sassanides à l’est et les Maures au sud. A la fin du IIe siècle, Dioclétien réalise un
redressement des institutions grâce à la formation du gouvernement collégial
nommé « tétrarchie » et dirigé par deux Césars et deux Augustes. Cela ne va pas pour autant
empêcher les guerres.
C’est sous le règne de l’empereur Constantin au IVe siècle que les chrétiens ont une
reconnaissance de leurs droits (édit de Milan 313). Le christianisme va connaitre un essor
important jusqu’en Méditerranée, malgré la résistance de Julien (l’Apostat). Le polythéisme
romain connait un déclin au point que Théodose décide de fermer définitivement en 394 des
temples païens. Après sa mort en 395, l’empire sera divisé en deux entités :
- L’Empire d’Orient qui devient l’Empire byzantin réussit à assurer son unité jusqu’à la
prise de Constantinople par les Turcs en 1453.
- L’Empire d’Occident assailli par les invasions barbares s’émiette en royaumes avant
de disparaitre en 476 lorsque le dernier empereur est déposé.
Les idées politiques de l’Empire Romain d’occident (27 av JC – 476 ap JC) s’apprécient
dans deux phases :
- Le principat,
- Le dominat.
▪ Le principat : De 27 – 284. Le régime ne dit pas son nom, c’est un
Empire, mais on maintient la façade républicaine. Chaque année cet
empereur se fait attribuer les différents titres (tribun….)
▪ Le dominat : ici c’est plus clair, c’est une monarchie qui cette fois
s’avoue comme telle, c’est une monarchie de droit divin sous sa forme
païenne et chrétienne. Déjà sous le principat l’empereur était considéré
comme un demi-dieu soit le fils des dieux (fils de Jupiter). Cette
divinisation de l’empereur est encore plus forte sous le dominat
On voue un culte au génie de l’empereur : cette philosophie postule
que chaque être humain a un double (son génie) .Plutôt que de vouer
un culte à l’être humain on idole son génie (être surnaturel) : c’est une
influence du pythagorisme. Pythagore aménagea un ordre politique et
social surplombé par un être « supérieur » ; il y a aussi une influence du
stoïcisme.
Le stoïcisme est un mouvement philosophique né en Grèce : c’est
l’exaltation d’un ordre universel. Les stoïciens croient en l’existence
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de personnes humaines de qualité mais ils croient aussi en une égalité


.C’est une égalité de la personne humaine, mais pas une égalité sociale,
économique et politique. Il y a aussi une influence progressive du
christianisme.
Le christianisme triomphe : En 313 Constantin se convertit au christianisme (par l’Edit
de Milan autorise le christianisme) en 380 le christianisme devient la religion d’Etat de
l’empire. C’est la fin du monisme (c'est-à-dire que la Cité antique est à la fois une entité
politique et une entité religieuse). Le christianisme installe le triomphe du dualisme, c’est-à-
dire, qu’il y a d’un côté un pouvoir temporel (l’Etat) distinct d’un pouvoir spirituel (l’Eglise),
il n’y a pas de confusion possible. « Rendez à dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à
César » dit Jésus.

B. La promotion des structures juridico-administratives et de la liberté dans la


formation d’une civilisation romaine

La séquence historique entre le début de la République et la fin du Haut-Empire (sept


siècles) est très importante, de par son inspiration, dans la formation des institutions politiques
occidentales. Ce moment de l’histoire manifeste l’imagination de structures juridiques et
administratives permanents assurant la suprématie du droit, la promotion de la liberté et le
rêve d’une civilisation universelle.

1. La raison juridique ou le droit au service du bien commun

En réaction contre les velléités de despotisme des monarchies orientales et le modèle


communautaire des cités grecques, la République romaine se fixe une vision nouvelle dès sa
fondation :
- Imposer des institutions universelles s’appuyant sur la force du droit. Il s’agit de
marquer une rupture avec la dépendance de la vie des hommes à l’omnipotence des
monarques de droit divin mais aussi la spécificité organisationnelle des cités.
Désormais la vie sociale est régie par des lois précises, claires et applicables à tous.
Parallèlement, on crée des appareils administratifs qui sont chargés de protéger les
régions placées sous l’autorité de Rome.
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- L’intégration de la raison dans le fonctionnement des institutions. L’idée est de


mettre en place un ordre juridico-administratif à même de réaliser le bien commun
avec des droits reconnus universellement.
- Le rôle que le droit doit jouer dans la formation de la pensée politique antique : il
va inspirer les productions philosophiques, notamment les réflexions au Moyen-Âge,
celles des légistes ou des scolastiques. Il occupe une place de choix dans le débat sur
l’autonomie des sphères religieuses et temporelles. Le droit est au cœur des nouveaux
principes de légitimité qui s’affirment avec la formation de la pensée latine. Dans ce
cadre, la reconnaissance de la norme rationnelle est fondatrice d’un nouvel esprit
social. Elle garantit l’ordre en permettant la stabilité des relations sociales. Ce rôle du
droit est indissociable du principe de liberté.

2. La liberté romaine

La liberté n’est pas chez les Romains un simple principe moral. Il faut l’envisager dans sa
dimension politique la rendant indissociable de la citoyenneté. En effet, la libertas romaine est
définie par l’ensemble des droits civiques et personnels accordés à chaque citoyen dès le Ve
siècle. Elle est également portée par le modèle républicain dont les institutions (Consuls,
Sénat et Assemblée du peuple) pour leur équilibre peuvent à tout moment se neutraliser l’une
l’autre. Mais si la liberté reste généreuse, elle s’enveloppe toutefois d’ambiguïté dans la
mesure où une bonne partie de citoyens ne disposent de liberté politique. Néanmoins, elle
améliore le sort des Romains.

3. La cosmopolis romaine

Le droit reste au service d’une ambition universelle au-delà de sa défense de la liberté des
citoyens. Il a permis la réalisation d’une unité sous l’égide de Rome. Jusque-là, les lois, les
traditions et coutumes gardaient un caractère essentiellement local. Selon les Romains, le
droit n’a pas vocation à se limiter à l’espace de la cité. Il doit avoir une portée plus large.
C’est pourquoi dans la cosmopolis, les Romains voient l’ensemble des peuples qui, par-delà
leur différence de langue et de culture, sont rassemblées dans la communauté universelle dont
Rome entend être le cœur. Mais l’idéal républicain de la libertas sera largement contrarié, à
partir du 1er siècle de notre ère, par l’enracinement du régime impérial.
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II. Le génie de la constitution romaine : de Polybe à Cicéron

Beaucoup d’historiens ont défendu l’idée selon laquelle l’on ne peut parler de l’existence
d’une pensée politique proprement romaine car la plupart des auteurs romains n’ont fait que
renouveler les travaux des penseurs grecs à la lumière de l’histoire républicaine et impériale.
Cette inspiration s’est surtout faite par rapport à la pensée stoïcienne (mouvement
philosophique créé à Athènes par Zénon et prônant la connaissance de la nature). Favorable
au cosmopolitis, le stoïcisme va beaucoup influencer les penseurs romains, notamment
Polybe, Cicéron, Sénèque et Marc-Aurèle.

A. Les idées politiques de Polybe : de la constitution équilibrée à la


dégénérescence des régimes

Grec d’origine, Polybe est un historien, grand penseur romain considéré comme l’un
des premiers vulgarisateurs de la pensée grecque. Né vers 210 av JC, il meurt aux alentours de
126 av J.C. C’est un citoyen de Mégapolis en Grèce qui, en 168 (à 16 ans), est déporté par les
Romains lors de la conquête de la Grèce. Pendant son séjour en Italie, il fit une étude
approfondie de la politique et de l'état militaire des Romains et s'acquit l'amitié des deux fils
de Paul-Émile, surtout de Scipion l’Africain, qu'il accompagna au siège de Carthage (146) il
voyagea ensuite en Afrique, en Espagne, en Gaule. Il fut chargé par les Romains de diverses
missions près des Grecs en faveur desquels il réussit plus d'une fois à adoucir le vainqueur. II
mourut en 124, à 82 ans.
Dans sa biographie, on peut noter La vie de Philopoemen, la Guerre de Numance, une
Tactique, et une Histoire générale de son temps, en 40 livres où il menait de front l'histoire de
Rome et celle des États contemporains : cette Histoire ne s'étendait que de l'an 220 à 146 av.
J.-C., mais l'auteur présentait dans les 2 premiers livres un tableau des événements antérieurs.
A Rome il fréquente les cercles politiques de l’époque, au début du déclin de la République.
Polybe dans son livre « L’histoire » livre qui s’intéresse aux institutions romaines entre 218 et
146 av JC, récupère l’idée platonicienne du cercle, cette idée de dégénérescence (décadence
historique) des régimes politiques qu’il combine avec l’approche comparée d’Aristote sur les
constitutions. Dans ce cadre, il va donner son nom à la théorie du cercle de
Platon : « Anacyclosis ».
D’abord, Polybe met en évidence l’harmonie des institutions romaines, voire l’originalité
du régime républicain de Rome qui sous-tend sa puissance exceptionnelle. Rome a su
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construire à travers sa constitution un régime d’équilibre édifié entre ses institutions en


reprenant la typologie classique des régimes (monarchie, aristocratie et démocratie). Ainsi le
pouvoir des deux consuls renvoie au régime monarchique, celui du sénat à l’aristocratie et la
représentation politique accordée à la populas romanus à la démocratie. En d’autres termes,
Polybe déduit que la victoire de Rome sur Carthage est le signe de la vitalité des institutions et
que la Constitution Romaine est la meilleure. Pour lui c’est l’accomplissement du régime
Mixte. Il explique :
- A Rome on a un peu de royauté, avec les deux consuls, magistrats supérieurs de la
cité : ils disposent de l’Imperium et jouent un rôle politique et militaire. Polybe
considère ce pouvoir consulaire comme un pouvoir exécutif.
- On a ensuite un élément aristocratique : c’est le Sénat : Ce sont les chefs des
principales familles Romaines. Le sénat dirige les finances de l’état, c’est la plus haute
autorité, il contrôle les provinces
- L’élément populaire démocratique ce sont les assemblées populaires, ces assemblées
confèrent la magistrature, vote la loi, et font appel au peuple qu’ils protègent.
Selon Polybe, le meilleur régime est celui qui réussit à assurer l’équilibre entre les
différents pouvoirs (c’est-à-dire l’équilibre harmonieux entre la monarchie, l’aristocratie et
la démocratie) de sorte que chacun ait du soutien des autres sans qu’aucun ne puisse imposer
sa propre volonté. C’est la garantie pour que le régime ne dégénère pas vers l’omnipotence.
Ce régime républicain est gage de stabilité et de puissance. Mais il ne parvient pas à se
reproduire en raison d’un processus de dégénérescence autrement dit une succession
historique de constitutions dégénérées. Dans ce cadre Polybe précise « chaque régime
politique porte en soi les germes de sa propre décadence ».
Il explique qu’il y a d’abord dans toute société une autocratie c’est à dire des hommes
qui se regroupent entre eux et suivent le plus fort. Celui qui règne est celui qui a la force pure.
C’est à ce moment que se forment les idées du bien et du mal, du juste et de l’injuste.
L’autocrate est obligé de renoncer à ne diriger qu’avec la force et pour Polybe, ce
renoncement c’est la naissance de la royauté. Selon lui les premiers rois sont toujours bons et
simples, ceux qui suivent n’ont pas les mêmes vertus, car ils ne sont là que pas hérédité. Ici
apparaît alors la tyrannie, un retour à la force pure. Puis le tyran est chassé par un groupe
d’hommes vertueux, c’est l’aristocratie, .Puis les meilleurs finissent par se corrompre et on
tombe dans l’oligarchie. Les hommes intègres chassent à nouveau les corrompus : c’est le
moment de la démocratie.
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Pour Polybe le moteur de l’histoire c’est la liberté de parole. Mais très vite avec la
division de la société et le désordre, arrive l’autocratie pour rétablir l’ordre. Il reprend Platon,
en parlant de dégénérescence au sein de chaque régime politique. Polybe croit avoir troué le
régime mixte idéal : c’est la République romaine ! Il admire aussi le modèle de Sparte, il
récupère quelques idée d’Aristote notamment la notion d’équilibre.
Mais la pensée de Polybe reste profondément déterministe. Elle ne tient pas compte de
la complexité des équilibres internes entre les groupes et les institutions dans chaque société.
Elle idéalise le fonctionnement de la République romaine et ignore les tensions entre les
différentes familles de nobiles et les représentants de la plèbe.
En somme Polybe, Grec devenu Romain, veut prouver l’excellence de la Constitution de
Rome. A cette époque Rome est triomphante. Elle gagne la guerre contre Carthage et règne
sur toute la Méditerranée. Mais malgré la conquête, la République Romaine est minée par des
distorsions internes, des guerres civiles entre riches familles qui convoitent le pouvoir…Et
plus tard c’est chefs de tribus familiale auront pour noms César, Pompée, Marc Antoine etc. Il
y a les conservateurs et les modernistes. Ceux qui veulent revenir aux vertus des premiers
romains et ceux qui veulent modifier les lois de la République.

Dans la pratique, cela reste discutable :

- Les consuls n’ont rien à voir avec des rois


- Le peuple et les assemblées populaires ne sont pas démocratiques : ce sont des
assemblées domestiques, il y a un clientélisme extraordinaire, en fait c’est la
démagogie qui règne ;
- La seule institution que Polybe a bien décrite c’est le Sénat qui est bien l’organe
aristocratique par excellence.

Ainsi la République Romaine n’est pas un régime mixte mais une République
aristocratique qui laisse une place au peuple notamment par le biais des Tribuns de la
Plèbe qui, lorsqu’elle est en position de force, peut même faire passer des réformes
démocratiques. A l’époque de Polybe, la République commence a montrer des signes de
décadence. La famille des Scipions, ces chefs militaires prestigieux briguent le pouvoir.
Polybe voit bien qu’on est donc en marche vers l’Empire. Cicéron aussi observera cette
évolution et tentera même de l’infléchir.
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B. Les idées politiques de Cicéron

Il vit entre 106 et 43 av JC, au pire moment du déclin de la République romaine, période
de violence et d’anarchie juste avant la formation de l’Empire romain. C’est un brillant
orateur, avocat influent, il est connu par ses belles plaidoiries écrites en beau latin
déclamatoire mais c’est également un homme politique qui gravit les plus hautes sphères (le
Consulat) car il deviendra consul. Il va choisir Pompée contre César, (qui l’épargnera) et puis
parmi les successeurs de César il va choisir Octave contre Marc Antoine (qui le fera
assassiner).
Il est auteur de plusieurs traités :
- « des devoirs » qui est un traité de devoir politique,
- « le de républica » sur l’histoire de la République romaine,
- « les lois » une analyse des Constitutions et
- « de la République » sur les causes du déclin de la République romaine.
Examinons ses idées politiques :
Cicéron s’intéresse dans un premier temps à la nature humaine (loi humaine). Selon lui :
➢ elle est sociale. L’homme est donc porté à s’assembler aux autres et l’être humain
s’épanouit par sa nature et son commerce.
➢ La nature humaine est également spirituelle : « la république des esprits » ; « le
propre de l’homme, c’est sa culture ».
➢ La nature humaine est enfin divine.

Il en conclut que la nature humaine est universelle dans la mesure où lorsque


l’individu possède toutes les vertus de la nature humaine, il a la vertu de l’onestas : la bonté
morale.
Il tente de définir l’idée de devoir humain. Parmi les devoirs, Cicéron précise :
- Le 1er devoir est d’abord la vertu politique : L’intelligence et la prudence. Cicéron
dit que le grand homme ne s’expose pas à dire un jour « je n’y avais pas pensé ».
- Le deuxième devoir est la justice, elle crée la communauté de vie. Cicéron estime
qu’il y a la justice à proprement parler : « ne nuire à personne si ce n’est pour
répondre à une injustice ». C’est par exemple le respect de la propriété. Mais la
justice repose aussi sur la fides (la bonne-foi, le respect de la parole donnée dans les
contrats) : « que soit fait ce qui a été dit ».
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Il y a à côté de cette justice à proprement parler la Caritas : la bienfaisance. Aider les


autres par un acte volontaire mais au-delà de ce qu’on leur doit strictement. Pour Cicéron,
cette bienfaisance fait partie de la nature humaine. La justice et la charité ont donc pour
fonction de maintenir la communauté des hommes. Ainsi, Cicéron est un des premiers
écrivains penseurs à adapter le stoïcisme grec à Rome, notamment dans l’idée que tout
homme possède une nature humaine digne d’être reconnue. Par ailleurs, il adapte Aristote en
parlant du droit naturel : « La loi véritable est la raison quand elle est conforme à la
nature. »
Cicéron a écrit « Res Publica et Res populi » en mettant en évidence l’idée que la chose
publique est l’affaire du peuple. Pour Cicéron, l'homme d'État est un éducateur qui doit donc
lui-même recevoir une formation universelle. Il faut éduquer tout homme pour obtenir un
personnage politique. Ceci fait de Cicéron le créateur de la notion d'humanisme, au sens où
l'on parlait autrefois de "faire ses humanités", au sens de l'importance accordée à la culture de
l'esprit.
Le premier problème que se pose en effet Cicéron est celui de la culture et l'idéal est celui
d'un savoir à la fois universel et approfondi. Premier homme d'État à tenter de concilier les
exigences de la pratique politique et les résultats de la spéculation philosophique, Cicéron ne
perd jamais de vue ni son expérience concrète d'homme d'État ni son devoir d'appliquer au cas
particulier de Rome les principes qu'il déduit de sa philosophie.
Politique et philosophie sont donc deux activités très complémentaires. Il souhaite, sous
le nom de consensus universorum, le rassemblement de tous ceux qui, quelle que soit leur
origine sociale, s'accordent sur certains principes modérés. L'homme politique ne doit désirer
qu'une chose : le repos (otium) c'est-à-dire l'absence de guerres et de lutte, le refus du
pouvoir excessif dans le respect des droits de tous. Le meilleur modèle de constitution est la
constitution mixte offrant à la fois des traits monarchiques, aristocratiques et démocratiques,
à condition que tous les éléments de la Cité collaborent harmonieusement.
Cicéron rêve d'une République où quelques hommes (élites) sauront collaborer en
intervenant en cas de crise grâce à leur vertu et leur autorité. Il faut donc une République,
certes aristocratique, mais ouverte aux talents, fondée sur le respect du droit, de la raison et de
la justice, gouvernée par des philosophes éloquents et dirigée par le meilleur des citoyens, le
princeps. Pour Cicéron, la République est un rassemblement d’individus associés en vertu
d’un accord sur le droit et en vertu d’une communauté d’intérêt.
Cette multitude d’individus va devenir une communauté de citoyens partageant une loi
commune. Ainsi il rejette la tyrannie car entre le tyran et le peuple, il n’y a pas de droit
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commun. Cicéron explique que l’Etat est fondé sur le droit Il établit une classification des
régimes politiques :
- Il critique la royauté,
- Il critique la démocratie, il y a, selon lui, la liberté de tous mais uniquement en parole
ainsi cela tourne vite à la folie ou à l’anarchie.
- Le meilleur régime est l’aristocratie car c’est le juste milieu entre l’insuffisance de
l’homme et la foule.
Il va également expliquer que Rome est un régime mixte. Cicéron comprend que
l’immensité territoriale de la République Romaine va amener un changement de régime
politique dont il pressent le passage à l’Empire. L’on constate qu’il est passionnément
républicain. Il va donc imaginer une théorie qui permettrait de préserver la République. C’est
le régime du Princeps, c’est le premier citoyen, l’homme à qui la République va se confier. Il
assure la plénitude des pouvoirs au nom de la république. Le problème est qu’il n’a pas trouvé
de son vivant le Princeps. Ce rôle sera assumé par Octave, le futur Auguste. Ainsi les idées de
Cicéron seront en quelque sorte appliquées au moment de l’empire Romain.
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Chapitre 3 : Dieu ou César, la pensée politique dans le Moyen-Âge ou la


difficile sécularisation de la société.

Dieu ou César ? Une question qui peut sembler bizarre pour le profane, mais qui met
en relief le débat sur la question de la sécularisation de la société médiévale, autrement dit les
rapports entre le spirituel et le temporel. La période du Moyen-Âge, aussi appelé Moyen-Âge
chrétien, s’étend de la fin du Ve siècle, c’est-à-dire après la dislocation de l’Empire
d’Occident, jusqu’au XIVe siècle qui consacre l’apparition des premières formes de l’Etat
moderne. Il est considéré pendant longtemps comme un âge sombre miné par la violence, les
guerres, les invasions barbares, les superstitions et le dogmatisme religieux. En effet, l’essor
du christianisme (début du Ve siècle) va beaucoup impacter les idées politiques avec une
nouvelle conception de la politique qui met en relief la question centrale des rapports entre
Eglise et Etat, en somme la problématique de la sécularisation.
Mais selon Olivier NAY1, l’histoire médiévale contemporaine a permis de relativiser
ce jugement fait sur ce tableau sombre dessiné sur le Moyen-Âge. Ce qui serait d’ailleurs
réducteur de considérer, d’une part, cette époque comme une simple parenthèse de l’histoire,
notamment entre les sociétés civiques antiques et celles modernes et, d’autre part, comme un
vaste désert du point de vue des idées. Il faut noter que l’Occident chrétien a perdu ses
structures politiques héritées du monde gréco-romain (du VI au XIe siècle) qui vont laisser
leur place aux royaumes barbares (VI-VIIIe siècle). Cette période du Moyen-Âge est aussi
marqué par la tentative de restauration de l’Empire par les carolingiens au début du IXe
siècle.

I. La pensée chrétienne

La pensée chrétienne constitue un important élément de l’histoire et de la réflexion


politique dans la mesure où elle met en relief les fondements du pouvoir qui font leur lit dans
l’ordre spirituel. Cette pensée qui est au carrefour de deux héritages (A) est surtout portée par
des penseurs théologiens (B).

A. Les deux héritages de la pensée chrétienne


Il y a un dualisme qui consacre deux héritages importants de la pensée chrétienne.

1
NAY Olivier, Histoire des idées politiques, Paris, Armand Colin, 2004
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1. L’héritage judaïque
La question de la transcendance divine est au cœur de la pensée chrétienne. Cela fait
naturellement référence au Christ qui étant juif, a récupéré l’idée. Jusque-là, il y’avait un
naturalisme, autrement dit les dieux étaient dans la nature. Or, le judaïsme et le Christ
estiment que les dieux sont en dehors de la nature, plus exactement au-dessus de la nature.
En outre, on retrouve l’idée fondamentale du judaïsme, c’est-à-dire l’idée d’une nature bonne
à l’origine mais pervertie par le péché ; idée que l’on retrouvera, d’ailleurs, chez Rousseau.

2. L’héritage du stoïcisme
Le stoïcisme a introduit la très belle idée de l’existence d’une personne humaine
inaltérable et inaliénable. En d’autres termes, chaque être est unique, précieux et possède des
droits inaliénables. Encore faut-il rappeler que le stoïcisme est historiquement contemporain
de Jésus qui a exprimé à peu près la même idée mais en y ajoutant la notion d’amour du
prochain. En effet, le Christ affirme l’autonomie de la vie spirituelle de chaque être humain
mais aussi le caractère individuel du Salut (chaque homme possède une valeur absolue) et
donc aucun être humain ne peut être réduit à l’état de simple serviteur de la communauté
politique. C’est l’égalité des âmes devant Dieu, mais pas encore l’égalité dans la société :
« le Christ n’est pas Marxiste ! » On retrouve aussi, la primauté de la loi naturelle et d’un
droit universel englobant, planant en quelque sorte sur les destinées humaines. Cependant, il
n’y a pas d’émancipation ni pour les femmes, ni pour les esclaves. Ce qui constitue une limite
au caractère universel de ces droits.

B. Les pensées politiques augustinienne et thomiste du pouvoir : les


regards des théologiens

Il s’agit de la pensée de Saint Augustin (1) et celle de Saint Thomas d’Aquin (2).

1. La pensée politique de Saint Augustin

Que sait-on de la biographie de ce théologien, grand penseur du Moyen-Âge ? Né en 354


à Taghaste, Saint Augustin est mort en 430 à Hippone en Algérie. Il a connu une jeunesse
difficile avant d’être baptisé, ordonné Prêtre, puis Evêque en 392. Saint Augustin écrit une
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œuvre en rupture par rapport à ses prédécesseurs chrétiens. Jusqu'à lui, les auteurs chrétiens
présentaient l’Empire romain comme un instrument de la volonté divine ayant pour but de
diffuser la chrétienté. En ce sens, le Christ et l’Empire étaient indissociables.

Saint Augustin est la grande figure qui a fait la gloire de l'Eglise du Maghreb et, plus particulièrement, de l'Algérie. Né à
Taghaste (l'actuelle Souk Ahras) en 354, il fit une bonne partie de ses études à Madaure à l'Est de Constantine, puis à
Carthage. Sous l'influence de sa mère, Sainte Monique, après une vie passablement dissolue, il se convertit à la foi chrétienne
en 387 et devint par la suite Evêque d'Hippone de 397 à 430, date de sa mort. Il a laissé une œuvre écrite considérable de
sermons, de commentaires de l'Ecriture et de méditations. Le livre des "Confessions" en est le plus connu. De lui, le Cardinal
Newman a écrit qu'il a formé l'intelligence de l'Europe.
A cette époque, l'Empire romain se disloque. Les barbares Vandales passent d'Espagne au Maghreb, après avoir traversé
l'Europe. Leur domination durera de 428 à 534. Ils mettent à sac de nombreuses villes et persécutent l'Eglise catholique en
répandant l'hérésie arienne. Près de 5 000 clercs ou laïcs catholiques sont persécutés, déportés et certains, dont plusieurs
évêques, martyrisés. Au VI° siècle, l'empire romain d'Orient, dit byzantin, ayant Constantinople comme capitale, réinvestit
une partie du Maghreb, notamment les régions côtières. L'Eglise catholique récupère une partie de ses biens et de son
influence. Mais l'autorité de l'empereur de Byzance, contestée, se disloque progressivement.

En 410 donc, Rome est prise par les barbares et la ville est pillée. Cette situation crée une
controverse entre les païens et les religieux. Les païens attribuent la responsabilité de la chute
de Rome au Christ, en soutenant que « Si l’on a été vaincu c’est parce que l’on a abandonné
nos anciens dieux ! » Saint Augustin leur répond dans son ouvrage « La cité de dieu », livre
qui se situe entre l’Histoire et la réflexion politique. Il affirme que si l’empire s’est effondré,
c’est parce que les Romains avaient refusé de suivre les prescriptions du Christ, d’où la
punition divine.
Saint Augustin explique qu’il existe deux mondes :
➢ d’abord, la cité terrestre avec ses institutions politiques, sa morale, son histoire et,
➢ ensuite, la cité céleste. Selon lui, la communauté des Chrétiens est de passage sur
terre. Elle doit s’adapter entre ces deux exigences : la cité des hommes et la future
cité de Dieu. On retrouve ici la formation manichéenne de St Augustin (distinction
BIEN/ MAL).
Saint Augustin reprend l’idée de Saint Paul : « Tout pouvoir vient de dieu ». Toutefois, il
va expliquer que l’autorité est indispensable. Par conséquent, l’indication du titulaire de ce
pouvoir et le style de régime résultent de l’action humaine : il s’agit de l’immanence des
hommes (leurs actions sont imparfaites mais nécessaires sur Terre). Mais au-dessus, il y a la
foi en une force transcendante (la cité de Dieu ou en quelque sorte le futur Paradis des
croyants).
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Dans ce cadre, Saint Augustin cite comme seul cas de relation directe entre dieu et le
peuple : le destin d’Israël, le peuple élu qui a reçu l’alliance entre le dieu unique et lui. Ainsi
selon Saint Augustin, c’est aux hommes de décider du choix de leurs dirigeants. Ce qui
l’amène à proclamer la nécessité absolue de l’obéissance puisque l’origine du pouvoir est
divine. Cette pensée sert à légitimer l’action du pouvoir en place.
Concernant la conception de l’Histoire, Saint Augustin énonce une histoire linéaire, en
perpétuelle évolution depuis le péché initial jusqu'à la rédemption finale. Ainsi, les nations ont
en main leur destin. Ce qui permet d’expliquer et de justifier la prise de Rome par les
barbares. Rome est tombée non pas à cause de la nouvelle religion du Christ mais par la faute
des Romains et des pouvoirs publics incapables de défendre militairement Rome.
Saint Augustin estime que « sans la Justice les royaumes, empires, Etats ne sont que de
vastes associations de bandits ». De plus, il pense que le christianisme n’est pas lié à
l’Empire de Rome, qui est une forme politique transitoire et non pas éternelle. C’est une
pensée intéressante mais elle s’inspire d’idées déjà existantes. C’est cependant la première
fois que l’on pose la question des rapports entre l’Eglise et l’Etat. La conclusion qu’en tire
Saint Augustin est que ces deux puissances doivent rester autonomes : il ne peut pas y avoir
ingérence de l’une dans l’autre. Saint Augustin condamne à la fois le CESARO-PAPISME
(pouvoir mélangeant le sacré et le profane) et également le SACERDOTALISME (pouvoir
politique des religieux).

2. La pensée politique de Saint Thomas d’Aquin (1228- 1274)

Il a des surnoms célèbres : « le Docteur angélique » ou « l’Aquinac ». Il sera canonisé au


XV° siècle. Il appartient à une famille noble italienne du Moyen-Âge car c’est le petit neveu
de l’Empereur germanique, Barberousse. Il est né à Aquino en Italie du Sud et sera professeur
à Paris puis en Allemagne et, enfin, en Italie. Il s’intéresse à la théologie, la philosophie et
l’histoire politique. Il a écrit « La Somme théologique ». Ses idées politiques sont condensées
dans deux opuscules :
➢ Le DE REGIMINE JUDEORUM,
➢ Le DE REGIMINE PRINCIPUM (1265-66) (inachevé).
On va trouver une partie politique concentrée sur un commentaire des idées d’Aristote que
Saint Thomas redécouvre. Il part du principe que la cité est une œuvre de nature et de raison.
La société politique est naturelle à l’homme. Avec Aristote, il proclame que « l’homme est un
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animal politique », c’est-à-dire « zoon politikon ». Pour se développer, l’homme a besoin


d’une sécurité contre ses ennemis. Pour instaurer cette sécurité, il faut un ordre légal qui rend
à chacun ce qui lui est dû et qui permet l’abondance des ressources matérielles et spirituelles.
Pour Saint Thomas d’Aquin, il y a dans l’existence des cités une part de volonté
humaine. La société englobe les citoyens mais ils ne sont pas absorbés entièrement par la
société politique. En effet, la conception thomiste de la cité est organique et non pas
mécanique. Dans la pensée thomiste, la communauté politique est formée d’individus ou de
petites sociétés humaines qui ne deviennent pas serviles mais qui demeurent libres dans une
société plus large, plus grande. Dans ce cadre, les individus et les sociétés humaines forment
un organisme social où chaque élément possède une activité propre, selon Saint Thomas
d’Aquin.
A l’inverse, la conception mécanique ne reconnaît pas l’idée de l’activité propre des
hommes. Pour Saint Thomas, le pouvoir politique est naturel, on retrouve ici l’idée que dieu
est à l’origine du pouvoir car dieu est à l’origine de la nature. Saint Thomas utilise le
syllogisme pour convaincre de ses démonstrations. Deux de ces syllogismes sont restés
célèbres :
➢ 1er syllogisme : la société est une exigence naturelle. Pour vivre en société, il faut une
autorité supérieure ; donc l’autorité est naturelle
➢ 2e syllogisme : la nature procède de Dieu. L’autorité est naturelle ; donc l’autorité
procède de Dieu.

La réunion des deux syllogismes est le « sorite ».


L’autorité est humaine dans ses modes car ce sont les hommes qui choisissent leurs
gouvernements. C’est pourquoi il précise « Tout pouvoir vient de Dieu, mais par le
peuple ». En ce qui concerne les régimes politiques, il confronte comme Aristote, 3 formes
pures et 3 formes impures. Mais il va accentuer dans sa réflexion, le caractère moral de la
distinction en séparant :
➢ les gouvernements qui agissent avec justice (droitement) et
➢ ceux qui agissent injustement par rapport au bien commun, c'est-à-dire la réussite
de la société.
En comparatiste, son élément de comparaison est ici le caractère moral des
gouvernants. Saint Thomas a une préférence pour la monarchie pour différentes raisons :
1. Théologique : l’exercice royal du gouvernement peut être comparé à
l’organisation de l’Eglise chrétienne
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2. Philosophique : l’art imite la nature et la nature est souvent ordonnée


autour de l’unité : la société politique doit se modeler sur la nature et
chercher l’unité et le pouvoir unitaire est la royauté.
3. Historique : pour Saint Thomas, l’Histoire prouve que les
gouvernements sans roi sont la proie de discordes, de luttes, qui les
conduisent à la dégénérescence, voire la dérive. Toutefois, il met un
bémol en estimant que le « gouvernement d’un seul devient le pire des
régimes s’il se détourne du bien commun. Il faut donc un contrôle,
un frein. »
Saint Thomas d’Aquin est partisan d’un régime mixte, c’est-à-dire la combinaison
d’éléments et de formes simples. Pour lui, il est bon que les gouvernés aient une part (soient
impliqués) dans le gouvernement afin de conserver la paix sociale. Dans cette perspective,
Saint Thomas précise que « la meilleure organisation » doit combiner :
➢ l’unité d’action de la royauté,
➢ La supériorité du mérite propre à l’Aristocratie, et
➢ L’égalité des droits civiques propre à la démocratie.

Il ne sera canonisé que 3 siècles après sa mort en raison de la méfiance qu’on avait sur
lui. En effet, sa pensée politique « tout le pouvoir vient de dieu mais par le peuple »
condamne le gouvernement unique de la religion ; ce qui peut être considéré comme un
comportement laïque.

II. La pensée profane (auteurs non religieux)

Il s’agit des penseurs qui ont remis en question la théorisation affirmant l’origine
divine du pouvoir. La controverse qui irrigue la conception thomiste des rapports entre le
spirituel et le temporel n’est qu’une apparente contradiction selon Jean-Claude Ricci2. Cette
querelle se structure autour de trois orientations à l’époque.
D’abord, il y a la conception du parti impérial qui affirme que les princes reçoivent
le pouvoir temporel directement de Dieu et, par conséquent, peuvent seuls détenir ce pouvoir
sans aucune intervention du pape.

22
RICCI Jean-Claude, Histoire des Idées politiques, Dalloz, 2014
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Ensuite, il y a les sacerdotalistes (appelés alors les guelfes) qui défendent l’idée que le
pape a reçu du Christ une generalis legatio qui lui permet dans les deux domaines, spirituel
comme temporel. Le pape commande à tous les rois en vertu du pouvoir des clés.
Enfin, on distingue une troisième voie, celle défendant une position médiane, du
juste-milieu et qui est portée par certains penseurs comme Jean Quidort de Paris. Cette
dernière conception se fonde sur l’idée que, certes, la fin poursuivie par le spirituel est plus
éminente que celle visée par le pouvoir temporel mais les deux pouvoirs sont bien séparés et
autonomes par rapport à l’autre ; en matière politique, le sacerdoce est soumis au pouvoir
temporel.

A. La monarchie universelle : du rejet du sacerdotalisme ou le parti impérial

La diffusion des idées politiques des penseurs profanes s’inscrit dans le contexte de la
lutte entre l’empereur germanique et de la papauté. Rappelons que les Ducs allemands de
Bavière ont restauré l’Empire. C’est ce que l’on appellera l’Empire romain germanique.
Ces empereurs germaniques prétendent être les héritiers naturels de l’empire romain et, par
conséquent, prétendent dominer l’univers. C’est pourquoi ils vont heurter, dans ce domaine,
les intérêts de la Papauté. Ces auteurs vont être appelés « les auteurs bavarois » car ils
soutiennent les empereurs germaniques.
Ainsi, la volonté de restaurer la place du politique est ici portée par certains penseurs
comme Dante, Marsile de Padoue, Guillaume d’Occam et Jean Quidort de Paris. Ces derniers
voient dans le sacerdotalisme la source de la dégénérescence du pouvoir politique. Il est
toutefois important de préciser que malgré cette prise de position, ces auteurs ne verseront pas
dans le césaropapisme.

1. Dante (1265-1321) : le plaidoyer pour la renaissance impériale

C’est un citoyen de Florence, un grand poète qui a écrit « La Divine Comédie » contenant
un vibrant hommage de Saint Thomas d’Aquin. Il est aussi un politique qui prend parti pour
l’Empire contre la papauté. Pourquoi cette position? En effet, il est intéressé au destin de
l’Italie qui était alors divisée entre les Guelfes (favorables au Pape) et les Gibelins
(favorables à l’Empereur).
Dante va s’engager politiquement, sa pensée est à mi-chemin entre l’idéal universaliste de
l’Empire et une sorte de pré-patriotisme italien. Il est favorable à un empire universel qui,
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selon lui, est le seul moyen d’assurer la paix. A l’époque de Dante, l’idée d’un empire
universel est condamnée car des particularités nationales commençaient à apparaitre en
Europe (exemple le nationalisme en France).
En 1311, il écrit le DE MONARCHIA où il défend l’idée selon laquelle l’empire
germanique est défini comme une principauté unique qui s’étend sur toutes les personnes et,
par conséquent, nécessaire pour le bien du monde (l’Occident chrétien). Le chef de cet empire
détient une autorité préexistante à l’avènement du Christ, et donc à l’établissement de
l’Eglise. Ce qui met en relief un débat sur l’antériorité entre les deux entités. Dante affirme
qu’il y a la primauté de l’Empereur sur le Pape.
En réalité, il veut cantonner l’Eglise au seul domaine spirituel. Selon Dante, l’Empire est à
la fois un instrument politique moderne et un générateur de la paix des nations. D’ailleurs, il
précise « faute d’empire, les Etats sont livrés à la lutte incessante pour le pouvoir et pour
l’hégémonie. » L’attaque de Dante contre la théorie pontificale met en évidence son
appartenance au courant théocratique et impérial qui ouvre la voie à ce qui deviendra la
théorie du droit divin des rois « seul l’Empire est capable de maintenir la paix
indispensable au monde, l’empereur a reçu à cet effet une autorité qui lui vient
directement de Dieu. »

2. L’exaltation des prétentions césaropapistes

Il s’agit des conceptions de Marsile de Padoue (2.1) et de Guillaume (2.2).

2.1. Marsile de Padoue (1280-1341) : le pourfendeur du pouvoir pontifical

C’est un italien de Padoue qui prône :


➢ L’indépendance mais aussi la toute puissance de l’Etat,
➢ La quête de la meilleure forme de gouvernement.
Autant Dante était mesuré dans sa position autant Marsile de Padou est très hostile
(radical) à la Papauté et au pouvoir ecclésiastique (pouvoir de l’Eglise). Il proclame la
supériorité du pouvoir temporel (Etat) sur le pouvoir spirituel et va tout ramener à l’Empire.
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Son œuvre principale est le « DEFENSOR PACIS » le « défenseur de la paix ». Il apparaît ici
comme un disciple direct d’Aristote.
Dans ce cadre, il précise que « la société politique est une institution naturelle et elle
se suffit à elle-même, c'est-à-dire qu’elle trouve en elle-seule son commencement et sa fin ;
elle n’a pas besoin de l’intervention du pouvoir ecclésiastique.» La religion n’a donc pas sa
place dans la Constitution de l’Etat : l’Eglise n’est plus qu’un simple aspect de la vie civile.
Par conséquent, elle ne doit disposer d’aucun pouvoir régalien. Ainsi, l’on constate qu’il
affirme l’indépendance de la toute puissance de l’Etat. Il récupère l’idée du monisme car il
explique que l’Empire est un pouvoir qui coïncide avec la société qu’il recouvre : il régit
toutes les manifestations de la vie.
Marsile de Padoue s’attaque à l’institution de la religion et dénonce, en même temps,
le dualisme que l’Eglise introduit. Il va préconiser de mettre en place une religion d’Etat qui
a pour but d’inculquer aux hommes les valeurs de l’Etat. Certaines critiques vont identifier la
pensée de Marsile de Padoue a du totalitarisme.
Concernant la forme de gouvernement, il part de l’idée que la société politique est de
pur droit humain, il fait la synthèse entre l’apport d’Aristote et le principe romain de la Lex
régia (transfert de souveraineté du peuple vers l’Empereur). Marsile de Padoue pense que
seul un « législateur humain » a compétence pour régir la société. La question qui se pose est
de savoir qui est ce « législateur humain » ? Est- ce le peuple ? Est-ce l’Empereur ? Mais là,
Marsile de Padoue n’explique pas qui se cache derrière cette appellation. Il pense que le
peuple est une personne morale. Le pouvoir d’Etat émane du peuple. Ce pouvoir d’Etat est
pleinement souverain, il est omnipuissant comme l’était le pouvoir de la Cité grecque.

2.2. Guillaume d’Occam 1290-1349 : la querelle de la pauvreté du Christ

Guillaume d'Occam (ou Ockham) (v. 1285- 3 avril 1349) aussi surnommé le « docteur
invincible » et le « vénérable initiateur », était un franciscain philosophe logicien et
théologien scolastique anglais, considéré comme le plus éminent représentant de l’Ecole
nominaliste, principale concurrente des Ecoles thomiste et scotiste (pensée de Dun Scott).
Guillaume d'Occam fait ses études à Oxford puis à Paris. Plus tard il enseigne à Oxford avant
d’être accusé d’hérésie à cause de ses attaques contre la papauté dans Commentaire des
sentences. En 1324, il est convoqué pour s’expliquer à Avignon où siégeait le Pape Jean
XXII.
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Il consacre alors le reste de sa vie à son œuvre théologique, philosophique, ainsi qu'à des
pamphlets contre l'autorité pontificale. Guillaume d'Occam meurt vers 1349 de l’épidémie de
la peste noire qui sévissait en Europe. On associe souvent Guillaume d'Occam au
nominalisme médiéval. En effet, le terme nominalisme n’est apparu qu’à la fin du XVe siècle.
Le franciscain philosophe et logicien, quant à lui, se considère comme un terministe, c'est-à-
dire pratiquant la logique qui analyse le sens des termes.

Dans les rapports entre le sacré et le profane, Guillaume d'Occam va plus loin que Saint
Thomas d’Aquin, précisément dans l'affirmation de la séparation de la raison et de la foi.
Dans ce cadre, il précise qu’il n'y a pas de hiérarchie entre la philosophie et la théologie,
que la première (philosophie) ne peut devenir la servante de la seconde (théologie), car il
n'y a aucun rapport entre elles.

De même que la science et Dieu ne se rencontrent pas, Guillaume d'Occam considère que
le pouvoir temporel est d'un autre ordre que le pouvoir spirituel. Il accuse, à son tour, le pape
d’Avignon Jean XXII d’hérésie et de se mêler de ce qui ne le regarde pas pour l'élection de
l'empereur du Saint Empire.

Six siècles avant que commence à prendre une certaine ampleur le principe de la séparation de
l'Église et de l'État, Guillaume d'Occam aura été un précurseur de la laïcité et de la
distinction du domaine religieux face au profane (temporel), à la science et au sacré.

Guillaume d'Occam défend une philosophie nominaliste pour laquelle les Universaux
(concepts universels et abstraits comme humanité, animal, beauté...), ne sont que des mots,
des termes conventionnels, voire des représentations dont il récuse le réalisme, la réalité
substantielle. Pour lui, la connaissance s'appuie sur les choses sensibles et singulières,
l'utilisation des Universaux de la métaphysique n'est pas nécessaire. Les Universaux sont de
simples mots pour permettre à la pensée de se constituer. Il en découle le fameux principe dit
du rasoir d’Occam, selon lequel il ne faut pas multiplier les entités sans nécessité.

Ce principe de parcimonie de la pensée, de l'élégance des solutions est un des


principes de la logique et de la science moderne et fait de Guillaume d'Occam un
précurseur de l’empirisme anglais. En substance, c’est un moine franciscain qui va se ranger
du côté de l’empire car son ordre franciscain s’oppose au Pape. Selon lui, l’Eglise est une
institution humaine, et par conséquent elle n’est pas infaillible. Il est donc licite de déposer
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un pape indigne de sa fonction. Pour Occam, l’Empereur a le droit de faire déposer le Pape. A
cette époque, les papes excommuniaient les empereurs, et les empereurs déposaient le pape.

B. L’affirmation du sacerdotalisme

L’essor de la souveraineté Royale

Il y a deux dominations à vocation universelle : le combat contre l’Empire (1) et celui


contre la papauté (2).

1. Le Combat pour la primauté de l’Empire : le sacerdotalisme

Au XII° siècle et précisément en 1158, il y a eu la diète de Roncaglia. Au cours de cette


diète, les romanistes de Bologne proclament que l’Empereur est « imperium mundi ». A
partir de là, on va mettre en place une souveraineté de l’empire sur tous les souverains du
monde.
Cela intervient à un moment où les légistes français essaient de reconstituer au profit du roi
une véritable souveraineté.
La France va donc affirmer son indépendance.
Dans le cadre de ces querelles politiques, en 1204 Philippe II, roi de France se voit appelé
Auguste. C’est son biographe Rigor qui l’appelle Auguste pour rappeler le 1er empereur
Romain.
Ainsi, il signifie que Philippe II, est l’héritier des empereurs Romains.
Le roi de France ne reconnaît ainsi aucun supérieur temporel.
Le pape qui est a ce moment l’allié du roi de France, publie une décrétale ou est écrit que le
roi de France n’a pas de supérieur temporel.

On va dire que le roi de France ne tient de personne, il tient son pouvoir que de dieu et de
lui-même (car il est le fils de son père).

La concrétisation théorique est contenue dans l’expression : « le roi de France est empereur
en son royaume » selon l’adage, il ne dépend pas de l’Empereur.
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En 1214 Philippe Auguste écrase l’empereur germanique, le Roi d’Angleterre et certains


seigneurs français qui remettent en question la souveraineté française à la bataille de
Bouvines.
En 1312, règne en France Philippe le Bel, de l’autre côté, Henri de Luxembourg est élu
Empereur. Il écrit une lettre dans laquelle il se réjouit de son avènement et surtout dans
laquelle, il reprend la théorie de la supériorité de l’empire germanique. Le Roi de France
répond en affirmant l’indépendance de la France et se déclare prés à défendre la
souveraineté par les armes.

En 1377, Charles V a un règne restaurateur (milieu de la Guerre de Cent ans contre


l’Angleterre) , à ce moment-là l’empereur est Charles VII : c’est le frère de la mère de Charles
V, l’oncle du roi de France.

Il veut passer les fêtes de Noël en France. On va lui refuser la visite .On lui demande de venir
plus tard. Lors de sa venue, tout signe de supériorité de l’Empereur sera interdit pour bien
montrer que l’empereur n’est pas « le chef » en France.

o Le combat contre la Papauté

Le Pape est Innocent III, Il a reconnu que le Roi de France n’avait pas de supérieur au
temporel ce qui n’empêche pas qu’il doit être soumis au pape.

Le pape met le royaume « à l’interdit » c'est-à-dire l’église se met en panne en France, car
Philippe Auguste a répudié sa première femme et vit maritalement sans l’autorisation du pape
avec une autre femme : c’est le début des tensions .

Le Roi de France demande de l’argent au clergé français pour faire la guerre contre les
Flandres. Le pape interdit immédiatement au clergé français de donner de l’argent au Roi.
Mais le Roi va répondre économiquement en bloquant l’arrivée de matériaux précieux au
Pape Boniface VIII.
Ce dernier cède et le Roi pourra à présent ponctionner sur les biens du clergé.
De cette victoire de la royauté né le « GALLICANISME » qui proclame l’indépendance du
Roi de France, et la supériorité du royaume sur l’église.
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A l’occasion de cette lutte entre la Papauté et le Roi, on voit apparaître en 1303 le théoricien
Jean de Paris qui utilise Aristote en écrivant « du pouvoir royal et pontifical ». Il en conclut
que concernant la France, le régime qui convient le mieux selon la nature est la royauté et
la seule domination possible est celle du Roi.
Pierre Dubois décrira la même année un Empire universel à la tête de duquel règne le Roi
capétien de France !

Chapitre 4. La pensée politique moderne

La Renaissance est une période marquée surtout en Italie par la redécouverte des
penseurs de l’Antiquité. Deux réflexions majeures structurent la pensée politique en Italie au
XVI°s :
- Les réflexions sur la notion d’Etat portées pas des auteurs
philosophiques,
- D’autres sont recentrées sur une pensée critique de la Politique et de
l’Histoire.

I. La pensée sur l’Etat et le pouvoir politique : une étude pionnière de la


Science politique moderne
Il s’agit des deux grands rochers classiques de la Science politique moderne.

A. L’apport de Nicolo Machiavel (1469-1527)

Machiavel est né à Florence en 1469 et mort à Florence en 1527 : c’est un fils de la grande
renaissance florentine. Il appartient à la bourgeoisie florentine, et représente les classes
moyennes. C’est un agent public, fonctionnaire des affaires politiques, secrétaire à la
Chancellerie de Florence. Cette position lui permet l’accès aux instances de décisions. Par
ailleurs, il sera utilisé comme diplomate car il connaît bien la géopolitique de l’époque.
Entre 1496 et 1498, Florence a connu le gouvernement théocratique de Savonarole, qui a
installé une démocratie religieuse, fondamentaliste qui n’a pas tellement bon commerce.
Effectivement, il voulait réformer les mœurs florentines par un retour aux valeurs de
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l’Evangile. Au terme d'un procès où il avoua tout ce qu'on lui demandait sous la torture,
Jérôme Savonarole fut condamné par l'Inquisition à être pendu et brûlé le 23 mai 1498,
avec deux disciples. Après cette période théocratique s’est mise en place la République de
Florence
Le déclin du grand Empire romain entraine une dislocation de l’Italie d’antan, amenuisant
sa gloire. Elle devient morcelée en plusieurs principautés, de petits Etats et de Duchés. En
d’autres termes, le pouvoir politique devient émietté. Nicolas Machiavel devient, en 1498,
secrétaire à la Chancellerie de la République de Florence, sa ville natale. Il remplit de
nombreuses missions diplomatiques. Mais, en 1512, c’est la fin de la République et la
restauration des Médicis et du régime princier. Machiavel entre en disgrâce et doit s'exiler. Il
se retrouve relégué dans sa propriété, où il sera placé en résidence surveillée et un peu
inquiété. Il se met donc à écrire et développe sa pensée politique.
Il a écrit deux ouvrages majeurs fondant la science politique :
➢ 1512-1519 : « Le Discours sur la première décade de Tite Live »
➢ 1513 : un manuel du bon gouvernement : « Le Prince »
En effet, « Le Prince » est dédié à Laurent le Magnifique. Il faut bien comprendre la
situation de l’Italie de l’époque. Tous les pays de l’Europe interviennent en Italie (Français,
Espagnols, Impériaux, Suisses…). C’est aussi la période des Guerres d’Italie qui est devenue
un champ de batailles.
L’Italie est également une mosaïque d’Etats, avec des Duchés, des Républiques, des
Principauté, et des Royaumes…, tous divisés et désunis. Ce qui anime Machiavel est le désir
de rendre à l’Italie sa gloire d’antan. En d’autres termes, il veut chasser les barbares (les
étrangers) pour créer un Etat nation italien. C’est le premier sentiment nationaliste italien.
Il y a également dans son œuvre l’apparition d’une nouvelle terminologie. En réalité,
Machiavel invente la notion d’Etat, le concept de nécessité d’Etat, et généralise le mot Etat
comme institutionnalisation du pouvoir politique.
Il explique que tous les Etats qui, à un moment donné de l’histoire, ont eu une action sur les
hommes, ont été ou sont des Principautés. Dans ce cadre, il introduit une nouvelle différence
entre la République et la Monarchie. Il est ainsi le premier à parler en termes de régime
républicain.
Après un bref retour à la vie politique, en 1526, il est à nouveau écarté du pouvoir et
meurt en 1527.

1 - Les fondements de la pensée de Machiavel


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La pensée de Machiavel s'enracine :


➢ dans la tradition philosophique classique : le Politique d'Aristote, mais aussi le
Traité des Devoirs (De officis) de Cicéron, sans oublier les nombreux écrits de
l'époque médiévale (Les Miroirs des Princes) sur les vertus du bon souverain etc.
➢ dans un contexte historique : la carrière politique et professionnelle de Machiavel
(en particulier, son ambassade auprès de César Borgia) est intimement liée aux
vicissitudes historiques du temps. L'Italie de l'époque était profondément divisée,
morcelée, au carrefour d’ambitions conquérantes des Français et des Espagnols. Tous
ces facteurs ont influencé la réflexion de Nicolas Machiavel sur le pouvoir et l'Etat.

2. Les apports conceptuels

Machiavel a décrit l'exercice réel du pouvoir politique, c’est-à-dire ce que les


gouvernants font effectivement. C'est pourquoi il est considéré des fondateurs de la Science
politique moderne. Il a forgé beaucoup de concepts fondamentaux de la philosophie politique
parmi lesquels on peut noter :
➢ le Prince, entendu comme souverain, celui qui exerce le pouvoir réel ;
➢ La force, un des fondements du pouvoir politique. Elle nourrit la centralité du
pouvoir ; ce qui a manqué à l’Empire romain et provoqué sa dislocation.
➢ la Fortune, ensemble de circonstances complexes et mobiles, devant lesquelles
l'homme est impuissant s'il n'utilise, au bon moment, le bon moyen : l'occasion propice
à l'initiative audacieuse ;
➢ la Virtù (à ne pas confondre avec la vertu au sens traditionnel du terme, les qualités du
sage), qui désigne l'énergie dans la conception et la rapidité dans l'exécution, la
résolution et la ruse, le " génie politique", en quelque sorte. C'est l'art de choisir les
moyens en fonction de la fortune et de dominer ainsi les circonstances.

3. Analyse du livre de Machiavel : « Le Prince »

C’est ce livre qui est à l’origine d’une ambiguïté concernant Machiavel : l’expression
péjorative « machiavélique » synonyme de calcul immoral et pervers. « Le Prince » en fait
est une série de préceptes, c’est un manuel du bon gouvernant qui doit servir au Prince à
conserver son Etat, son pouvoir.
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On voit apparaître les qualités que doit acquérir cet homme qualités politiques qui vont lui
permettre de conserver son Etat à travers :
➢ Le réalisme : le Prince doit considérer les hommes pour ce qu’ils sont, autrement dit
l’homme n’est plus ici le centre de la politique ; il ne faut donc pas se faire d’illusion
sur la nature humaine.
Etre réaliste c’est coller à la réalité : il rejette l’idéalisme développé depuis Platon. Il
ne faut pas croire à tout ce qu’on raconte ; le Prince ne doit pas croire n’importe quoi.
Il ne doit pas s’effrayer pour rien, le ne doit pas montrer qu’il a peur, et doit rester
maître de lui.
➢ L’Egoisme : le Prince doit focaliser son attention sur lui-même, et pas sur les autres
pour acquérir une sorte de volonté individuelle, une discipline intellectuelle.
➢ Le calcul : le Prince doit être calculateur, rusé, dissimulateur, il ne doit pas être
prévisible. D’où la formule célèbre : « Mieux vaut être craint qu’aimé ». Machiavel
estime que les deux à la fois sont impossibles ; donc il vaut mieux être haï.
➢ Indifférence au bien et au mal : le Prince ne s’en soucie pas, « il vaut mieux se
résoudre au mal ». La politique doit être, à ce niveau, dégagée des contingences de la
morale. C’est là où il se démarque de la philosophie platonicienne qui recentre
l’action politique autour des valeurs éthiques et morales.
➢ Le cruauté : le Prince doit être cruel, il doit frapper l’imagination. En d’autres
termes, le pouvoir doit reposer sur la force. Cela s’explique par la formule « mieux
vaut être craint que d’être aimé ».
➢ L’habileté : la Virtu : c’est un terme que Machiavel utilise pour signifier que le Prince
doit être virtuose, habile, il doit jouer avec les hommes, il a de l’adresse. Ce n’est pas
du tout la vertu morale. Le gouvernement du prince est une tension perpétuelle dans le
but de conserver l’Etat. Le gouvernement est une création continuelle.
➢ La grandeur : le Prince est l’homme providentiel, le héros. A ce titre, il est au-dessus
du commun,
C’est ce qui l’autorise à écha0pper à la morale,0 à la religion : tous les actes de cruauté, de
cupidité, de violence lui sont permis pour conserver le pouvoir. Ainsi selon Machiavel : « la
fin justifie les moyens, tous les moyens sont bons. »
La réflexion de Machiavel a généré des expressions à connotation parfois péjorative : le
« machiavélisme ». Dans leurs critiques, certains intellectuels vont qualifier son œuvre
comme d’une immoralité complète. On va d’ailleurs écrire, par la suite, des traités appelés
« anti-machiavel »
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Frédéric II le Grand roi de Prusse au XVIII° siècle a écrit un « anti-machiavel » alors


qu’il a inventé la guerre sans déclaration et était de surcroît un véritable autocrate. Laurent le
Magnifique ne correspond pas le portrait ou profil du Prince tel que le décrit Machiavel (c’est
plutôt le duc César Borgia qui correspond au livre de Machiavel)
C’est dans « le Discours… » que vont se révéler les idées véritables de Machiavel : il
veut unifier l’Italie. (C’est un des pères du Risorgimento). Il veut renouer avec la grandeur
passée de l’Italie. Pour ce faire, il faut entreprendre la Restauration de la République. Etant un
républicain, Machiavel souhaite la liberté de l’Etat. Beaucoup critiquent Machiavel sans
l’avoir lu ou compris : le Prince doit être lu à l’envers. Chaque fois qu’il pointe du doigt une
qualité ; il la dénonce en même temps.
Au XVII° siècle, Spinoza l’a bien compris, ainsi que Rousseau au XVIII° qui a dit :
« Le Prince de Machiavel est le premier livre des républicains ». D’ailleurs, on dit que le
Prince était le livre de chevet de Napoléon, De Gaulle et Mitterrand. Les valeurs pour
Machiavel sont : la citoyenneté, la liberté, fondements de la vraie vertu républicaine. Par
exemple, il souhaite la création d’une armée nationale italienne composée de citoyens soldats
pour défendre l’unité du territoire.
En effet, le républicanisme de Machiavel est limité par l’obsession de
l’unité nationale. Il considère que les italiens peuvent et doivent se ranger derrière un Prince
s’il est capable de réaliser l’unité ; il est même prêt à soutenir une force étrangère si elle
peut faire l’unité de l’Italie. Mais l’obstacle principal à l’unité de l’Italie selon lui est la
présence de la Papauté et de l’Eglise, car il y a les Etats pontificaux : il est donc anti-
clérical et hostile à l’Eglise. D’ailleurs, on lui attribue la devise selon laquelle : « l’Italie
unie, armée, déprêtrisée ».
Derrière ces idées, Machiavel fait de la politique une science et il apporte une
méthode. La politique est amorale, areligieuse, totalement indépendante. Machiavel crée
aussi le républicanisme classique, courant qui se développera jusqu'à la Révolution française
(Spinoza, Rousseau…).

Ce « républicanisme » est ce que J. G. A. POCOCK appelle Le moment machiavélien dans son


livre La pensée politique florentine et la tradition républicaine atlantique, trad. Luc Borot, Presses
Universitaires de France, Léviathan, Paris, 1997, 584 p. Il faut se réjouir de la parution en Français
de l’un des ouvrages d’histoire des idées politiques les plus marquants de ce dernier quart de siècle.
Paru initialement en 1975, invariablement associé aux travaux postérieurs de ce qu’il est convenu
d’appeler l’école de Cambridge (Quentin Skinner, etc.), comme partageant substantiellement les
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mêmes convictions méthodologiques (“ linguistic turn ” et contextualisme) et interprétatives (le


“ révisionnisme ” républicain), ce livre s’emploie à exhumer et réévaluer le rôle joué par le modèle
civique et républicain dans l’histoire politique moderne, un rôle fondamental pour l’auteur, occulté
dans l’historiographie par le monopole du paradigme libéral et juridique.

Par « moment machiavélien », (C’est le moment ou se forge le républicanisme classique), Pocock


entend signifier deux choses : d’une part, “ le moment où est apparue la pensée machiavélienne ”,
définie résolument “ de façon sélective et thématique ” comme celui où le modèle républicain est
confronté à sa propre crise et, d’autre part, le moment désigne ce problème lui-même, comme
“ moment dans le temps conceptualisé, où la république fut perçue comme confrontée à sa propre
finitude temporelle, comme s’efforçant de rester moralement et politiquement stable dans un flot
d’événements irrationnels conçus essentiellement comme détruisant tous les systèmes de stabilité
séculière ” : On aura bien sûr reconnu ce que le vocabulaire machiavélien nomme la confrontation de
la “ vertu ” à la “ fortune ” et à la “ corruption ” ( p. XLVIII).

Ainsi une première partie du livre est-elle consacrée à la pensée florentine de l’époque de Machiavel
(1494-1530) et centrée sur les questions inhérentes à la “ réactivation de l’idéal républicain par les
humanistes civiques ”, à travers une série d’auteurs (Bruni, Savonarole, Guichardin, Giannotti). Mais
Pocock entend aussi montrer dans une seconde grande partie qu’il y a une histoire continue de ce
moment machiavélien dans la culture politique moderne, avec le legs des concepts de “ gouvernement
équilibré ” et de “ virtù ”, et la mise en avant du “ rôle des armes et de la propriété dans le
façonnement de la personnalité civique ”. Cette histoire, l’auteur la retrace dans la pensée anglo-
américaine des XVII et XVIII e siècle (à travers, en particulier, les figures de Harrington et de Sidney,
puis de Fletcher, de Defoe, etc.) puis dans les débats américains du XIX e siècle.

On ne peut s’arrêter ici dans le détail de cette grande fresque, et ce n’est pas le lieu d’entamer une
discussion sur les questions de méthode (l’identification d’un “ langage républicain ”, véritablement
homogène à travers le temps, et d’abord la légitimité épistémologique de la notion-même de langage
pour désigner l’objet d’étude de l’histoire de la pensée politique) et d’interprétation (à commencer par
celle de la pensée de Machiavel lui-même).

II. La théorisation de la souveraineté de Jean Bodin

Jean Bodin (1529-1596) est un français de la région d’Angers, juriste, avocat qui va
participer à la deuxième renaissance du droit romain. C’est un romaniste réputé qui a une
existence mouvementée, c’est-à-dire une vie pleine de contrastes. Il est aussi un économiste,
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féru de science occulte « la démonomanie des sorciers ». Il a une réputation sulfureuse.


Bodin est témoin de son temps, notamment les troubles religieux de son époque : les guerres
de religions. Catholique mais suspecté d’Hérésie, il va servir Henry III et le duc d’Anjou qui
incarne un courant pas très royaliste. Par la suite, il se range derrière le royalisme
monarchique qui tente de sauver le monarchisme contre les protestants et les ultras
catholiques.

L’œuvre de Bodin, qui est en grande partie consacrée à la pensée politique, commence par
le Methodus ad facilem historiarum cognitionem libri IV (1566), un essai de méthodologie et
de philosophie de l'histoire dont l'objet est de montrer que la principale utilité de l'histoire est
de servir au droit et à la politique.
Ce texte est suivi des Six livres de la République (1576), devenu un classique de la pensée
politique moderne. Il s’agit d’un exposé sur la nature de la République (l'Etat) dont l'être se
définit par la souveraineté. Le Iuris universi distibutio (1578) est une systématisation du droit
romain et une réflexion sur l'essence du droit.
Par ailleurs, Bodin a écrit plusieurs livres parmi lesquels : une Démonomanie des sorciers
(1580), le Colloquium heptaplomeres (1587) et, en 1578, la Réponse aux paradoxes de M. de
Malestroict touchant l'enrichissement de toutes choses et le moyen d'y remédier, et dans
laquelle il analyse la montée des prix au XVIe siècle en relation avec l'apport des métaux
précieux d'Amérique. D’ailleurs, cet ouvrage fit de Bodin le représentant éminent du
mercantilisme français.
En 1566, il écrit la « Méthode pour faciliter la connaissance de l’Histoire ». Cependant,
ce qui fait surtout sa gloire, c’est en 1576 lorsqu’il écrit Les Six livres de « la République,
c’est-à-dire les six livres de l’Etat (la République désigne ici l’Etat). Il va faire éclater la
théorie absolutiste. Il présente deux axes importants :
➢ D’abord, la conceptualisation de la souveraineté,
➢ Ensuite, la préférence pour le régime monarchique.

A. La conceptualisation de la souveraineté

Sans l’inventer, Bodin est, par contre, l’un des premiers à élaborer une théorie de la
souveraineté, c’est-à-dire la conceptualisation de l’idée. Il fait de la souveraineté, la clé de
voûte du Droit public et la condition sine qua non de l’existence de l’Etat. « La
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République (l’Etat) est un droit gouvernement de plusieurs ménages (familles) et de ce qui


leur est commun avec puissance souveraine ».
Ainsi, il distingue l’Etat de la seigneurie ou de tout autre type de pouvoir. Selon Bodin,
l’Etat n’existe que par la puissance souveraine. Dans ce cadre, la souveraineté a une
double nature :
➢ c’est la puissance absolue et perpétuelle d’une république. En d’autres termes, il
s’agit d’une puissance indépendante, qui n’est liée par rien et pas limitée dans le
temps.
➢ C’est également une puissance unique, indivisible, en somme ce qui unifie l’Etat.
Dans cette perspective, Bodin énumère les caractères de la souveraineté, autrement
dit des domaines dans lesquels l’Etat a une sorte de monopole :
➢ La Guerre et la paix,
➢ Le fait de juger en dernier ressort et de faire grâce,
➢ La nomination aux fonctions publiques de l’administration, et
➢ Le droit de faire et de casser la loi : seul l’Etat peut être une puissance
législative (marque principale de la souveraineté). C’est pourquoi à partir de
Jean Bodin, la marque principale de la souveraineté est le monopole législatif.
En pratique la justice reste très importante, en matière de souveraineté même si la loi
commence à s’imposer.

B. La préférence monarchique

Jean Bodin est favorable à l’absolutisme royal. Il fait une classification des
gouvernements, en utilisant la souveraineté comme critère de classement. On peut donc le
considérer comme un comparatiste. C’est un auteur moderne dans la mesure où il fait la
distinction entre l’Etat (siège de la souveraineté) et le gouvernement (manière d’exercer la
souveraineté) :
➢ La Démocratie : l’état dans lequel la souveraineté appartient au peuple,
➢ L’Aristocratie : la souveraineté appartient à une portion de peuple, et
➢ La Monarchie : la souveraineté appartient au prince.
Quelle que soit la forme de l’Etat, la souveraineté est toujours une puissance absolue,
perpétuelle et indivisible.
Toutefois, Bodin pense au régime mixte, en ce qui concerne les formes de
gouvernement. Exemple : un Etat démocratique a un gouvernement monarchique ou un
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gouvernement mixte. Si la forme de l’Etat est toujours unitaire, le gouvernement peut être
simple ou mixte. La forme d’Etat qu’il préfère est que l’Etat monarchique ait un
gouvernement royal légitime.
En outre, il propose une typologie (trois types) de gouvernement:
➢ Tyrannique : lorsque le prince viole le droit,
➢ Seigneurial : lorsque le prince se comporte comme le seigneur des biens et des
personnes, et
➢ Légitime : lorsque le prince obéit à Dieu et aux lois de la nation.

Ce modèle idéal assure la liberté des sujets, la garantie des propriétés, ainsi que l‘unité dans
l’Etat et l’indivisibilité de la souveraineté.
En effet Jean Bodin est considéré comme le père de la doctrine absolutiste. Sa
conception de la souveraineté et démunie de toute patrimonialité. L’Etat est bien
l’institutionnalisation du pouvoir politique, avec différenciation de ceux qui l’exercent. Il est
moins humaniste que Machiavel mais sa conception de la souveraineté est centrée sur la loi.
Bodin est aussi l’initiateur de la toute-puissance de la loi et du monopole législatif. Ainsi sa
pensée est une source d’inspiration pour des non royalistes, non monarchiques, surtout au
moment de la Révolution (souveraineté indivisible centrée sur la loi). Il était bien apprécié par
Robespierre.

III. La pensée critique

Il s’agit de la pensée qui propose une autre conception de l’Etat. Elle est principalement
portée par Thomas More et Etienne de la Boétie (A). Il faut ensuite citer d’autres théoriciens
appelés monarchomaques tels que François Hotman et Théodore de Bèze (B).

A. Thomas More et l’Utopie

Né le 7 février 1478 à Londres et mort exécuté le 6 juillet 1535 dans la même ville,
Thomas More était à la fois juriste, historien, philosophe, théologien et homme politique
anglais de la période de la Renaissance. Grand ami d’Erasme, philanthrope, il va pleinement
participer au renouveau de la pensée qui caractérise cette époque. More se distingue
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également de par l’humanisme chrétien dont il était le plus illustre représentant anglais dans
une période charnière entre le Moyen-Âge et la Renaissance.
En 1531 il est nommé chancelier d’Angleterre par Henry VIII. Il s’oppose d’ailleurs au
divorce d’Henry VIII : c’est le début de l’anglicanisme. Le fait de refuser, en tant que
catholique de prêter serment au Monarque, chef de l’Eglise, lui crée beaucoup de déboires.
Effectivement, il sera condamné à mort puis décapité en 1535, et plus tard canonisé. Thomas
More donne une vision novatrice de la politique, en relançant le genre de l’utopisme.
C’est en 1516 qu’il publie « l’utopie » : il s’agit d’un mot que Thomas More a traduit du
grec Utopos qui désigne « lieu de nulle part ». Il présente ce lieu comme un endroit où il va
développer sa manière de concevoir sa politique. L’utopie est un territoire dont la capitale
est une ville fantôme près d’un fleuve dans l’eau, avec un prince sans peuple. Le récit est
fait pas un voyageur. Cette description fait penser tantôt à l’Amérique tantôt aux Flandres.
Mais il s’agit finalement de l’Angleterre, une île dont la population est divisée en 55 cités, la
ville étant donc Londres. C’est là où l’on se demande s’il est véritablement aussi utopiste.
Dans ce livre, il fait une synthèse entre l’influence de Platon et l’influence de Saint
Augustin. Car en réalité, il y a une sorte de communisme platonicien et une grande chrétienté
augustinienne (de Saint Augustin). Ainsi, on va trouver dans l’utopie une vraie tolérance
religieuse qui est une idée moderne. Mais qu’en est-il alors des idées politiques de Thomas
More ? On relève notamment :
➢ La place importante faite à la famille : la famille chrétienne, il y a l’autorité
patriarcale Thomas More conçoit un droit de correction sur la femme et les enfants (il
est très heureux en famille) il faut une harmonie familiale. Il n’y a pas d’égalité entre
les sexes ou entre les enfants et les parents. Il accepte le divorce, si il n’y a plus
harmonie. La mariage des prêtres est également possible. Ce qui est étonnant par
contre il est très sévère pour l’adultère : crime privé puni de mort.
➢ La propriété : les utopiens sont des amis, donc il n’y a pas de propriété privée
individuelle, il y a une sorte de communisme foncier. Cela doit favoriser l’égalité.
C’est la rupture avec Aristote et le retour de Platon, et du néo-platonisme.
- organisation politique :
➢ groupes de 30 familles qui se réunissent pour élire un phylarque. 10 phylarques
désignent un Proto phylarque appelé un Tranibore. On va obtenir 200
tranibores qui constitueront le sénat de l’Utopie. Au-dessus du Sénat se trouve
le roi.
Les Magistrats : l’Utopie livre II
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Trente (30) familles élisent, tous les ans, un magistrat, appelé syphogrante dans le vieux
langage du pays, et philarque dans le moderne.
Dix syphograntes et leurs trois cents familles obéissent à un protophilarque, anciennement nommé tranibore.
Enfin, les syphograntes, au nombre de douze cents, aptes avoir fait serment de donner leurs voix au citoyen le
plus moral et le plus capable, choisissent au scrutin secret, et proclament prince, l'un des quatre citoyens proposé
par le peuple ; car, la ville étant partagée en quatre sections, chaque quartier présente son élu au sénat.
La principauté est à vie, à moins que le prince ne soit soupçonné d'aspirer à la tyrannie. Les tranibores sont
nommés tous les ans, mais on ne les change pas sans de graves motifs. Les autres magistrats sont annuellement
renouvelés.
Tous les trois jours, plus souvent si le cas l'exige, les tranibores tiennent conseil avec le prince, pour délibérer
sur les affaires du pays, et terminer au plus vite les procès qui s'élèvent entre particuliers, procès du reste
excessivement rares. Deux syphograntes assistent à chacune des séances du sénat, et ces deux magistrats
populaires changent à chaque séance.
La loi veut que les motions d'intérêt général soient discutées dans le sénat trois jours avant d'aller aux voix et de
convertir la proposition en décret.
Se réunir hors le sénat et les assemblées du peuple pour délibérer sur les affaires publiques est un crime puni de
mort.
Ces institutions ont pour but d'empêcher le prince et les tranibores de conspirer ensemble contre la liberté,
d'opprimer le peuple par des lois tyranniques, et de changer la forme du gouvernement. La constitution est
tellement vigilante à cet égard que les questions de haute importance sont déférées aux comices des
syphograntes, qui en donnent communication à leurs familles. La chose est alors examinée en assemblée du
peuple ; puis, les syphograntes, après en avoir délibéré, transmettent au sénat leur avis et la volonté du peuple.
Quelquefois même l'opinion de l'île entière est consultée.
Parmi les règlements du sénat, le suivant mérite d'être signalé. Quand une proposition est faite, il est défendu de
la discuter le même jour ; la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
De cette manière, personne n'est exposé à débiter étourdiment les premières choses qui lui viennent à l'esprit, et à
défendre ensuite son opinion plutôt que le bien général ; car n'arrive-t-il pas souvent qu'on recule devant là honte
d'une rétractation et l'aveu d'une erreur irréfléchie ? Alors, on sacrifie le salut public pour sauver sa réputation.
Ce danger funeste de la précipitation a été prévenu et les sénateurs ont suffisamment le temps de réfléchir.

A l’analyse, cela projette un système pyramidal qui peut apparaître comme une
démocratie. Mais en réalité, tel n’est pas le cas, car ne peuvent être désignés phylarques que
les chefs de famille avec une morale avérée et uniquement les lettrés. Il s’agit donc d’un
système élitiste, autrement dit une sorte d’aristocratie. En effet, les réflexions de More sont
intéressantes car il dénonce certaines choses. C’est un plaidoyer pour la paix, étant donné
qu’il dénonce la guerre, l’appétit de conquête et de richesse de l’époque. Cependant, ses
propositions sont inapplicables et pleines de paradoxes : il prône la liberté mais accepte les
esclaves… C’est pourquoi l’on considère que ce système n’est finalement pas très moderne.
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Par contre, il renoue un genre littéraire politique qui sera suivi par Campanella etc.

B. Les Monarchomaques

Ce qui les caractérise est qu’ils sont protestants, en tout cas des sympathisants de la
Réforme. Ils sont contre la Monarchie absolue catholique. Ce courant qui n’est pas homogène,
dégage des idées très libérales : ils sont considérés comme les adversaires de Jean BODIN.

1. Etienne de la Boètie

C’est un sympathisant de la Réforme, qui cherche la paix civile. Son œuvre politique
majeure a été publiée post mortem par des protestants. C’est un parlementaire (1530-1563)
qui a assisté à la première guerre de religions l’ayant horrifié. C’est un humaniste ouvert,
tolérant, hédoniste (recherchant le bonheur) Il est chargé d’une mission à Paris pour négocier
avec le pouvoir royal.
Cela lui permet de d’entrer dans le cercle des intimes du penseur, le chancelier Michel
de l’Hospital qui veut également la concorde civile, la tolérance. Il est convaincu par les
idées du chancelier. Il veut apaiser, en tant que pacificateur, les tensions. Il va mourir
brusquement C’est un ami de Montaigne. « Parce que c’était parce que c’était moi… » Il a
beaucoup traduit, mais il a également écrit le « Discours de la servitude volontaire » vers
1548, lorsqu’à Bordeaux, il y eut de violentes révoltes anti-fiscales suivies d’une rude
répression. Il a sans doute remanié l’ouvrage plus tard lorsqu’il sera professeur à la Faculté de
Droit d’Orléans.
Cette œuvre ne sera pas connue avant 1574 c’est-à-dire après la Saint Barthélemy, où
l’opposition de Monarchomaques est très forte et qu’ils vont publier cet ouvrage. Il est
imprimé à la suite d’un ouvrage polémique protestant. On a donc l’impression que ce discours
émane d’un réformé, il est rebaptisé le « Contre Un ». on relève de ce discours :
➢ Un état de justice, avec des parlementaires,
➢ Des références à l’antiquité ;
➢ Des références à la patristique (St Augustin, St Paul).

Il s’interroge sur les raisons qui poussent les hommes à accepter l’état de servitude
alors que naturellement, ils aspirent à la liberté. Le texte évolue dans le contexte du premier
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absolutisme, c’est-à-dire la fin de François Ier , début Henri II . Cela effraye les juristes, les
officiers du Roi et la noblesse car La Boétie va développer l’idée que la monarchie se
confond toujours avec la tyrannie ; ce qui pourrait faire croire qu’il est républicain. « Pour
être esclave, il faut que quelqu'un
désire dominer et qu'un d’autre accepte de servir ! » Il distingue des degrés dans les
gouvernements despotiques selon les accessions au pouvoir. Le plus grand despotisme est
lorsque l’accession est la conquête, la force.

Pour La Boétie, il ne peut exister de tyrannie sans assentiment du peuple. De ce point de vue, la servitude est donc par
essence volontaire. Le tyran est en effet toujours seul face à des millions d'hommes et il suffirait que ces millions d'hommes
cessent d'obéir pour que la tyrannie disparaisse. Le rapport de force est toujours en faveur des gouvernés. La nature nous
soumet naturellement à nos parents et à la raison mais ne nous fait esclaves de personne. Nous sommes donc esclaves parce
que nous le voulons bien. Mais vivre libre, c'est être heureux. La servitude volontaire apparaît donc comme une réalité
paradoxale, un problème qu'il s'agit de résoudre. Pourquoi donc les peuples acceptent-ils de se soumettre à un tyran ?
La première raison réside dans l'habitude. L'homme qui connaît la liberté n'y renonce que contraint et forcé. Mais on s'habitue
à la servitude et ceux qui n'ont jamais connu la liberté « servent sans regret et font volontairement ce que leurs pères
n'auraient fait que par contrainte »
La deuxième raison est que les tyrans affaiblissent leur peuple. Ils le feront par exemple en leur donnant des jeux, des
spectacles. Le tyran allèche ses esclaves pour endormir les sujets dans la servitude. Le tyran accorde des largesses à son
peuple sans que celui-ci se rende compte que c'est avec l'argent même soutiré à ses sujets que ces divertissements sont
financés.
Certains tyrans, avant de commettre leurs crimes, font de beaux discours sur le bien général et la nécessité de l'ordre public.
D'autres utilisent l'artifice de la religion pour susciter la crainte du sacrilège, utilisant la tendance de l'ignorant à la
superstition.
Enfin, la dernière raison qui permet la tyrannie est qu'une partie de la population se met à son service par cupidité et désir
d'honneurs. Certains hommes flattent leur maître espérant ses faveurs, sans voir que la disgrâce les guette nécessairement,
devenus complices du pouvoir. Ainsi se forme la pyramide sociale qui permet au tyran d'« asservir les sujets les uns par le
moyen des autres » La résistance et l'usage de la raison sont donc les moyens de reconquérir la liberté (La Boétie ne fait
aucune théorie de la révolte populaire) car des tyrans on peut dire qu'« Ils ne sont grands que parce que nous sommes à
genoux » Il n'est donc pas besoin de combattre les tyrans, il suffit de ne plus consentir à la tyrannie. « Soyez résolus de ne
servir plus, et vous voilà libres » Caractéristique de l'idéalisme humaniste, la pensée de La Boétie suppose une histoire
produite par la seule intention des hommes sans voir que la politique a aussi son autonomie et sa spécificité.

C’est une œuvre subversive mais elle est aussi très modérée, car La Boétie a autant
peur de la tyrannie d’un seul que de la tyrannie de la masse. C’est pourquoi il prône la voie
réformatrice plutôt que la révolte et la régulation du pouvoir politique par les élites dans un
cadre légal. Finalement le discours est plutôt un essai de psychologie politique. Il demande
aux uns et aux autres d’être raisonnables, rationnels.
Même s’il dénonce principalement la tyrannie, il fait une véritable réflexion sur l’Etat,
d’où il en ressort un lien contractuel (il serait favorable pour un contrat social) pour établir de
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l’harmonie. On imagine que ce contrat social investit le prince de son autorité et qu’il garantit,
en même temps, la liberté des citoyens. Le prince est investi d’une autorité librement
consentie. Il réintroduit donc le peuple sur la scène politique. Il souhaite l’avènement d’une
conscience politique, d’une morale civique. Il propose un espace de négociation avec le prince
d’où émanent la liberté du peuple et le pouvoir de l’Etat.
Pour mettre fin à la tyrannie, il suffit que tous cessent d’obéir : c’est de la
désobéissance passive (cf. Martin Luther King). Il a été récupéré par les anarchistes. C’est
l’auteur, malgré sa non-violence, le plus radical concernant la désobéissance et cela sans
complexe.

2. Les autres monarchomaques

Ce sont des protestants qui s’illustrent après 1572 et la Saint Barthélemy. Cette date est
une rupture au niveau des idées politiques. Avant la Saint Barthélemy, les auteurs protestants
tentent de justifier leur rébellion contre les guerres de religions mais seulement pour se
défendre : il s’agit de la légitime défense mais ils n’attaquent jamais le Prince.
La Saint Barthélemy a impliqué le roi Charles IX considéré comme un tyran. Les protestants
attaquent donc directement le Roi, le duc D’Anjou et la Reine. Le Roi a cassé le pacte civil. La
littérature est moins gênée pour légitimer la révolte.

2.1. François Hotman : « La Franco-gallia »

François Hotman (1524, Paris - 1590, Bâle) était un avocat français. Bien que son père
fût un catholique pratiquant, conseiller au Parlement de Paris, Hotman s'est converti au
protestantisme en 1547 et a été impliqué plus tard dans la conspiration d'Amboise. Il fut très
actif dans les complots anti-catholiques de l'époque, réfugié en Suisse. Son frère est Antoine
Hotman.
Il a effectué des interventions comme professeur de droit romain dans de nombreuses
universités et cette fonction lui a ouvert les portes des cours de Prusse, Hesse et Elizabeth
d'Angleterre. Il a voyagé à Francfort avec Calvin et on lui a confié des missions
confidentielles en provenance des chefs Huguenots allemands, pour porter à un moment
donné des crédits à Catherine de Médicis. Il est professeur de philologie à Lausanne, puis en
1556 professeur de droit à Strasbourg. Il rejoint en 1561 la cour du roi de Navarre (futur Henri
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IV). Il a été nommé par l'évêque Montluc comme professeur de droit à Valence et en 1567
dans la même qualité à Bourges.
Hotman devint conseiller d'État de Henri IV chargé du recrutement en Suisse de troupes
pro-huguenotes. Il a fini une grande partie de sa vie d’exilé en Suisse. Après la nuit de la
Saint-Barthélemy, il a pris la fuite à Genève et meurt à Bâle en 1590. Son travail de réflexion
le plus important est "Franco-Gallia" (1573) ("La Gaule Française") publié en latin en 1573
puis en français en 1574 et composé en réaction contre la Saint-Barthélemy. Il était en avance
sur son temps, et n'a trouvé aucune faveur que ce soit avec les Catholiques ou les Huguenots à
son époque.
Sa théorie a été comparée à celle contenue plus tard dans le "Contrat Social" de Jean-
Jacques Rousseau. Il a présenté un idéal d'habileté politique protestante, en proposant un
gouvernement représentatif et une monarchie élective Hotman a affirmé que la couronne de
France n'était pas héréditaire, mais élective, et que les gens avaient le droit de déposer et de
créer des rois.
Ce livre est un des éléments fondateurs de la théorie en voie de développement de la
démocratie représentative. Il s'agit du premier "programme politique" des huguenots dans
l'éventualité d'une accession au pouvoir. L'ouvrage sera très célèbre à son époque. Les
théories d'Hotman ont influencé des chefs politiques pour plus de 400 années.
En effet, le chef révolutionnaire cubain, Fidel Castro a justifié la légitimité du mouvement
dans ses discours "L'histoire m'absoudra" en 1953 de "Franco-Gallia" en citant Hotman, qui
précise « qu'entre le gouvernement et ses sujets, il y a une attache ou contrat et que les gens
peuvent se soulever dans la rébellion contre la tyrannie de gouvernement quand celui-ci viole
ce pacte. »
Par ailleurs, il a écrit une histoire constitutionnelle de la France qui permet de justifier la
monarchie tempérée (division des pouvoirs, équilibre, contre poids). Il travestit un peu
l’histoire de France pour montrer que l’histoire au XVIe siècle est devenue un enjeu politique,
scientifique, moderne : on falsifie l’histoire pour légitimer la politique.
Exemple 1 : Il énonce que chez Clovis, le roi gouverne avec les grands et le peuple :
c’est faux car ce n’est que lorsque le roi est faible, de plus ce n’est pas du tout
« constitutionnalisé ».
Exemple 2 : Les états généraux deviennent un conseil élargi permanent qui participe à la
politique, ce qui est aussi faux.
Exemple 3 : Pour Hotman, l’histoire prouve que le roi de France est élu (il déduit de
l’acclamation une élection). Au passage, l’on peut dire que cette tradition disparaîtra pour
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devenir une royauté héréditaire lorsque Henry IV est l’héritier du trône de France et
qu’il est contesté car étant protestant.
On voit bien qu’avec lui, l’on utilise l’histoire pour faire de la politique.

2.2. Théodore de Bèze « Du droit des magistrats sur leurs sujets »

Dieudonné de Bèze est né à Vézelay, dans la noblesse locale. Il latinisera plus tard son
prénom en Deodatus, avant de le gréciser en Théodore. Il bénéficia d'une excellente éducation
humaniste, principalement sous la férule de Melchior Wolmar qui ouvrit son esprit à la pensée
de la Réforme. Très doué pour les lettres, le jeune homme était, du jugement de Montaigne,
un excellent poète latin qui mena pendant quelques années à Paris (1539-1548) une existence
exclusivement vouée à la littérature. Il en reste ses fameux Poemata amoureux qu'on lui a tant
reprochés plus tard. L'imminence de la mort, lors d'une grave atteinte de peste, achève son
évolution vers la Réforme.
Condamné par le Parlement de Paris, il s'enfuit à Genève (1548), mais s'établit d'abord à
Lausanne, où Pierre Viret l'attire afin qu'il enseigne le grec à l'Académie nouvellement créée.
Il développe l’idée du magistrat inférieur. En d’autres termes, le Roi n’est plus un monarque
souverain par hérédité, il occupe une fonction publique ; c’est un magistrat supérieur, à qui
l’on peut demander des comptes, il est donc soumis à la loi.
Ainsi lorsque le Roi devient tyran (Saint Barthélemy) il appartient aux magistrats
inférieurs de récupérer le pouvoir et de diriger le pays. Ces magistrats inférieurs sont les
agents, les guides naturels du peuple, les conseillers monarchiques. L’idée centrale est que
face à un roi tyran, la résistance est possible mais elle ne peut être faite que par les
magistrats. Cela veut dire que le peuple ne peut pas se dresser lui-même contre le pouvoir,
même tyrannique.
Bèze a mis en place un filtre constitutionnel à la résistance. Car à l’époque, il y a
beaucoup de tyrannicides. Pour ne pas être débordé par la violence du peuple huguenot en
guerre, pour les maintenir dans le cadre d’une résistance constitutionnelle, il utilise les
magistrats comme acteurs de la résistance. Pour éviter la dérive violente, seuls les magistrats
peuvent s’opposer au tyran. C’est plus une résistance constitutionnelle qu’une résistance
physique. La Fronde (révolte des Parlements sous le jeune Louis XIV) se souviendra, en
effet, de lui.
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Chapitre 5. La question démocratique

"Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple" est la formule célèbre
d’Abraham Lincoln pour définir la démocratie. Cette définition est, en outre, proche de son
sens étymologique, démocratie venant du grec demokratia pouvant être traduit par
l’expression "pouvoir du peuple" (demo : peuple, kratos : pouvoir). Ce type de régime se
particularise par le fait que le pouvoir y est exercé par le peuple, ou du moins, par ceux dont la
qualité de citoyen est reconnue.
Ainsi comprise, la démocratie s’oppose à la monarchie (gouvernement d’un seul) et à
l’oligarchie (gouvernement d’un groupe particulier). Après avoir montré les origines grecques
du concept (I), il sera important de l’approfondir à travers sa définition et de montrer les
différents types de régime qu’elle peut englober (II), nous tenterons de faire un état des lieux
des débats passés et actuels sur la question (III).

I. Aux origines grecques ou la démocratie au sein de la cité

C’est surtout dans la cité d’Athènes que vont véritablement éclore les idées
démocratiques. En effet, l'instauration de la démocratie au sein de la Cité athénienne n'est pas
le fruit d'un hasard ni d'ailleurs d'un projet structuré. Plusieurs types de régimes politiques se
sont succédé à Athènes. La Cité a évolué sous un régime monarchique, puis aristocratique.
Elle a connu par la suite un régime tyrannique sous Pisistrate et de ses fils vers le milieu du
VIe siècle.
Au début du Ve siècle, la Cité d'Athènes a connu l'apogée de sa grandeur sous un
gouvernement démocratique. Cette évolution s'est effectuée sur la base de transformations
profondes, sociales et économiques, plus visible à Athènes en raison de sa particularité en tant
que Cité-type, voire un empire qui a dominé une grande partie de la Grèce antique et par la
même exercer une hégémonie politique qui a été à la base de sa puissance économique à effet
stabilisateur à l'échelle interne.
La démocratie s'installe sur la base d'une organisation juridique rigoureuse. Le
rayonnement de la démocratie est ainsi assuré. Puis la défaite dans la guerre contre Sparte
implique la remise en place du régime tyrannique. Au milieu du IVe siècle, Athènes, tout
comme les autres cités grecques, sont soumises au pouvoir des rois de Macédoine Philippe II
et son fils Alexandre le Grand.
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A. Les pré-conditions à la démocratie

La richesse fastueuse d'Athènes est fondée en grande partie sur la domination politique
qu'elle exerce sur les autres Cités. La ville de Mytilène est un exemple assez instructif à cet
égard. Athènes a réussi à mettre en place une idéologie axée sur la lutte et le devoir de
triompher sur des ennemis multiples : les barbares (à leur tête les perses), Sparte, et puis les
cités réfractaires à sa domination. Le paiement de tribut au gouvernement d'Athènes par les
autres Cités constitue à la fois une reconnaissance de la soumission à l'empire également une
contrepartie de la protection politique et militaire assurée par ce même empire athénien.
Les détracteurs du gouvernement démocratique d'Athènes trouveraient certainement des
arguments critiques, et en premier lieu le paiement de deux tributs. « Le peuple se déshonore
on faisant transporter de Délos à Athènes l'argent de toute la Grèce… La Grèce ne peut se
dissimuler que, par la plus injuste et la plus tyrannique malversation, les formes qu'elle a
déposées pour les frais de la guerre servent à adorer notre ville comme une conquête3. »
Par ailleurs, les réformes apportées par Périclès, notamment, la rémunération des activités
publiques et la mise en chantier de grands travaux, financés sur cette manne financière
considérable prélevée sur les Alliés, ont contribué à l'enrichissement puis au bien être des
Athéniens, facteurs d'une stabilité politique durable. Les Citoyens-soldats, les clérouques,
nouveaux colons ont à leur tour contribué à cette stabilité en écartant de la Cité4 « la menace
des indigents et du surnombre, ennemi-né d'une démocratie modérée, » tel que Aristote l'a
bien précisé.
Certains auteurs estiment que le régime tyrannique instauré Pisistrate et ses fils a constitué
un facteur décisif dans le processus de démocratisation d'Athènes. « Comme la dictature
franquiste en Espagne (1937-1975), ramena l'ordre public en brisant définitivement les
prétentions des Eupatrides et en muselant les revendications populaires. Il en résulta la paix
intérieure et la prospérité qui ont permis le développement d'une place de petits propriétaires
nombreux et stable et le renouvellement de la classe noble, par l'adjonction de nouvelles élites
venues des couches populaires, qui étaient indispensables à l'établissement de la démocratie5
».

3
M. Humbert, p. 110.
4
Op. cit.
5 Leca, 26.
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B. les fondements de la démocratie athénienne.

On peut distinguer :
- Les fondements idéologiques.
- Les fondements juridiques.
1. Les fondements idéologiques.
- L’ecclésia, le pouvoir souverain.
- Le démos ou l’égalité des citoyens.
- La subordination de la magistrature à la décision politique.
- l’intégration de la sphère de relations privées dans l’ordre politique.
2. Les fondements juridiques.
- Les pouvoirs de l’ecclesia.
- Les pouvoirs des magistrats.
- Le fonctionnement de la justice.

II. La démocratie repose sur une certaine conception de la souveraineté


populaire.

Il s’agit ici de mettre en évidence les théories de la souveraineté populaire (A) et de la


souveraineté nationale (B).

A/ La théorie de la souveraineté populaire

Elle est la base théorique de la démocratie. En effet, toutes les démocraties proclament
que la souveraineté appartient au peuple. Cette conception a notamment été développée par
Jean-Jacques Rousseau dans Le contrat social. Selon lui, le titulaire de la souveraineté, c’est
le peuple réel, c'est-à-dire l’ensemble des citoyens. Ainsi, chaque citoyen détient une parcelle
de souveraineté : « s’il y a 10 000 citoyens, chaque citoyen a pour sa part la dix-millième
partie de l’autorité suprême ».
L’expression de cette souveraineté passe par un droit de vote pour chaque citoyen
(suffrage universel) et un mandat impératif qui lie les élus aux électeurs, ces derniers leur
donnant des instructions, voire même pouvant les révoquer s’ils estiment que les élus
s’écartent de leur volonté.
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Cependant, Rousseau lui-même reconnaissait que la démocratie directe était


difficilement réalisable : "à prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais
existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais", arguant même qu'elle ne
conviendrait qu'à "un peuple de Dieux". La raison qu’il donne est qu’il va à l’encontre de
l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné. Autrement dit,
comme le souligne Philippe Braud dans Sociologie politique, « le gouvernement est toujours
exercé ‘’par une fraction‟ » (p. 288). Aussi, il convient de distinguer deux types de
démocratie :
➢ la démocratie directe : le peuple participe activement et directement au
pouvoir législatif (élaboration et vote des lois), mais qui ne correspond qu'à "un
peuple de Dieux" ;
➢ la démocratie semi-directe : le peuple désigne ses représentants et participe
occasionnellement à la fonction législative par le biais des référendums (vote
d’approbation à une loi), d’un droit de véto populaire (opposition à une loi) ou
d’un droit d’initiative populaire (droit de proposer des lois).

Notons également que Philippe Braud invite également à se défaire de l’idée que cette
fraction puisse être désignée librement car il existe toujours d’importants filtrages des
candidats à la candidature : le jeu des médias, des formations politiques ou encore la notoriété
ou l’argent sont des éléments à prendre en compte dans une élection.

B/ La théorie de la souveraineté nationale

Lors de la Révolution française, elle a été préférée à celle de la souveraineté populaire.


Cette théorie implique :
➢ une démocratie représentative : la souveraineté n’est pas exercée directement par le
peuple (on parle également de démocratie indirecte) ;
➢ une souveraineté nationale : aux termes de l’art. 3 DDHC, "le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut
exercer d‟autorité qui n‟en émane expressément", ce qui signifie que la Nation, entité
abstraite et indivisible, est distinguée de l’ensemble des citoyens qui la composent ;
➢ une théorie de la représentation qui considère que la volonté des représentants
équivaut à celle des représentés et de la Nation tout entière ; ils décident de ce que la
Nation décide ;
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➢ un mandat représentatif : à la différence du mandat impératif, le mandat des


représentants émane de la Nation entière et non pas des citoyens de telle ou telle
circonscription. Aussi, ces représentants ne doivent pas être considérés comme les
défenseurs des intérêts particuliers de leurs électeurs (ils ne peuvent recevoir ni
d’ordre, ni d’instruction de leur part), ils ne sont d’ailleurs pas responsables devant
eux, mais seulement devant la Nation.

C/ La typologie des régimes démocratiques

Une fois ces précisions faites, il est possible de distinguer plusieurs types de régimes
démocratiques. Dans tous les cas, ces régimes supposent nécessairement une séparation entre
pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire afin que, comme le souligne Montesquieu dans
L’esprit des lois, « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Mais il existe
plusieurs manières d’organiser les rapports entre ces pouvoirs.

a) Dans un régime parlementaire, il existe une séparation souple des pouvoirs.


Chaque pouvoir s’inscrit dans un système qui le rend dépendant des autres. Il dispose
d’un moyen de pression qui permet d’équilibrer l’ensemble :
➢ le pouvoir exécutif : il a la possibilité de dissoudre le pouvoir législatif ;
➢ le pouvoir législatif : il peut renverser le pouvoir exécutif par le vote de
motion de censure ou de défiance).

En outre, ce modèle consacre l’existence d’un dualisme de l’exécutif combinant


irresponsabilité du chef de l’Etat et responsabilité politique du gouvernement devant le
parlement.
Le régime concret le plus proche de ce modèle théorique est celui de la Grande-Bretagne.

b) Dans un régime présidentiel, il existe une séparation rigide des pouvoirs. Chaque
pouvoir est strictement séparé des deux autres par des cloisons étanches :
➢ le pouvoir exécutif tient sa légitimité de son élection par le peuple (elle ne
peut en aucun cas provenir du pouvoir législatif, par exemple le chef de
l’Etat ne peut pas être élu par le parlement) et il ne peut pas non plus
dissoudre le pouvoir législatif ;
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➢ le pouvoir législatif a l’exclusivité formelle de l’initiative des lois et ne peut


pas renverser le pouvoir exécutif.

Le régime concret le plus proche de ce modèle théorique est celui des Etats-Unis. Toutefois,
la séparation des pouvoirs s’y trouve modéré puisque le Président dispose d’un droit de véto
et peut être exceptionnellement démis de ses fonctions (procédure de l’impeachment).
L’équilibre entre les pouvoirs peut également se trouver modifié lorsqu'à certaines périodes
les orientations politiques du Congrès sont défavorables au Président (cas de Barack Obama
après les élections de novembre 2010 qui ont été remportées par les Républicains).

c) Le régime semi-présidentiel (ou semi-parlementaire) est le régime correspondant à


la France sous la Constitution de 1958. Il s’agit d’un modèle hybride à mi-chemin du régime
➢ parlementaire : le gouvernement émane de la majorité parlementaire car il est
responsable devant elle ;
➢ présidentiel : le président de la République est élu au suffrage universel direct
et n’est pas responsable politiquement devant l’Assemblée nationale.

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il est devenu courant de dénoncer "la logique
présidentialiste" de la Ve République, traduisant ainsi une critique de l'omnipotence
supposée du président de la République. Un tel jugement appelle à être nuancé pour deux
raisons :
➢ certes, le président de la République dispose de pouvoirs propres (qu’il exerce
sans contreseing ministériel) dans le cadre de la Constitution (nomination du
Premier ministre, dissolution de l’Assemblée nationale, pouvoirs exceptionnels
de l’art. 16 C), mais ces pouvoirs demeurent assez limités et sont encadrés
juridiquement ;
➢ le pouvoir réel du président de la République dépend fortement des majorités
parlementaires. En cas de victoire de son parti au Parlement, il peut être le
principal animateur du travail gouvernemental. Cependant, en cas de défaite, il
revient au gouvernement de déterminer et conduire la politique de la nation
(art. 20 C) et donc au Premier ministre d’animer le travail gouvernemental.
Mais il est vrai que le passage du septennat au quinquennat (réforme de 2000)
a fortement réduit la probabilité d’une cohabitation, ce qui pourrait augurer une
présidentialisation du régime de la Ve république. Pour cette raison, la notion
de régime semi-présidentiel (plutôt que semi-parlementaire) semble préférable.
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Il reste que parler de présidentialisme à propos du système actuel (l’idée d’un


Président tout puissant) apparaît excessif.

III. La pensée politique contemporaine sur la démocratie

Elle se partage en fait entre deux sensibilités plus complémentaires que


contradictoires. Tout d’abord, elle est marquée par le développement de philosophies dites
« procédurales ». Celles-ci ont pour ambition d’esquisser les règles et les procédures de
délibération permettant, dans la société démocratique, l’expression de la pluralité des
opinions, la compétition libre des arguments et le règlement paisible des différends.
Héritière de la pensée des Lumières, ces théories ont confiance dans la capacité des
hommes à établir des critères généraux afin de protéger leurs droits et d’assurer la paix.
Prolongeant l’idéal d’universalité de la pensée moderne, ces théories entendent restaurer une
« politique de raison » capable de dépasser les oppositions d’intérêts dans la société.
Elles affichent, cependant, une méfiance aux valeurs, des opinions religieuses et des
doctrines politiques qui constituent souvent des obstacles à la paix sociale. Cette sensibilité
est portée par des projets philosophiques diversifiés. On peut noter des auteurs comme Jürgen
Habermas, qui n’hésitent pas à refonder l’idée de contrat social.

A. La pensée habermassienne (de Jürgen Habermas)

1. Habermas et le nouvel espace public démocratique

Dans la réflexion menée sur la place du droit en démocratie, les écrits récents de Jürgen
Habermas méritent une attention particulière. Le philosophe allemand tente de fonder une
théorie de l’Etat de droit qui dépasse les tensions classiques entre les théories de la démocratie
directe et les théories constitutionnalistes. Les premières voient dans l’intervention du peuple
le meilleur moyen de réaliser la justice. Ce qui montre qu’elles accordent une confiance
absolue dans la volonté générale. Les secondes considèrent que le projet démocratique ne peut
se réaliser que dans le cadre de l’Etat de droit. Elles considèrent que la volonté populaire est
capable de nombreux excès et, pour cette raison, doit être encadrée par des procédures stables
et impersonnelles. Habermas entend montrer que la mise en œuvre de l’Etat de droit favorise
l’exercice de la délibération collective et, en conséquence, stimule la participation des
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citoyens à la démocratie. Dans trois ouvrages, Droit et démocratie (1992), L’intégration


républicaine (1996) et Après l’Etat-nation (1998), Habermas élabore une réflexion nourrie sur
le rôle du droit dans la société. Selon lui, celle-ci propose à la fois une conception
« procédurale » de la démocratie qui insiste sur le rôle des procédures juridiques dans l’espace
public et une théorie « délibérative » de la vie politique qui érige la discussion en instrument
de la participation civique.

2. Le dépassement de l’Etat-nation

Jürgen Habermas ne se limite pas à proposer un nouveau modèle de la démocratie


citoyenne. Il repense plus largement les rapports politiques nationaux et internationaux. Il
réinterroge à cet égard les deux grandes notions sur lesquelles se sont forgées les démocraties
modernes : l’Etat et la nation.
➢ L’idée de patriotisme constitutionnel : conception nouvelle de la citoyenneté
fondée strictement sur l’attachement aux droits de l’homme et citoyen. Le
patriotisme constitutionnel fait reposer l’adhésion politique du citoyen sur le
ralliement à des principes abstraits. La citoyenneté est définie par l’attachement
aux valeurs et aux règles de l’Etat de droit démocratique et non plus, comme dans
le patriotisme national, à une communauté sentimentale. Cette approche ne remet
pas en question l’existence des traditions, des coutumes ou des cultures. Celles-ci
existent et participent à la construction d’identités collectives indispensables à la
vie en communauté. Mais il n’est plus besoin selon Habermas que les identités
soient fédérées ou fusionnées en une nation. Il estime que la diversité des cultures
dans un même pays doit être reconnue, car elle peut parfaitement cohabiter avec
une communauté juridique formée par tous les citoyens adhérant aux grandes
valeurs démocratiques. Cette communauté des citoyens est forcément plus ouverte
car elle est fondée non pas sur l’histoire, mais sur la volonté de chacun de vivre
ensemble selon des règles collectives et une « culture politique partagée ».
➢ Le modèle habermassien de l’Etat post-national a le mérite de dépasser le simple
constat de la crise de l’Etat-nation et d’apporter des réponses résolument
innovantes. Selon Habermas, la mondialisation des échanges et le renforcement du
multiculturalisme posent aujourd’hui des défis insurmontables à l’Etat-nation. Au
plan interne, on relève la difficulté d’assurer l’intégration politique des
communautés qu’il était autrefois parvenu à souder dans l’élan démocratique. Sur
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le plan externe, il voit ses frontières se dématérialiser sous le coup de


l’intensification des échanges économiques et culturels. Cette situation favorise la
création d’espaces publics régionaux.

B. La pensée rawlsienne (de John Rawls)

1. Le contexte d’élaboration de la pensée rawlsienne

Deux temps forts structurent la construction de la pensée de John Rawls : la guerre du


Vietnam (a) et le paradigme utilitariste (b).

a. La guerre des Etats-Unis au Vietnam

L’œuvre de Rawls est marquée par un degré élevé d’abstraction. Elle est écrite dans un
contexte de contestation des institutions américaines, marqué par la mobilisation des jeunes,
des femmes pour instaurer une démocratie. Son ouvrage s’inscrit dans une démocratie
institutionnelle. D'ailleurs, le boxeur Mouhamed Ali disait pour remettre en question la
pertinence de la guerre « aucun vietnamien ne le traite de sale nègre », autrement dit il ne fera
la guerre qu’avec celui qui le traite de sale nègre. En le traduisant en justice, il avançait la
conception d’objection de conscience ; ce qui lui permet de gagner son procès. Ces
évènements vont dominer la scène politique. Compte tenu de l’absence de matières de
réflexions aussi bien en philosophie politique qu’en philosophie morale, les idées de Rawls
sur l’objection de conscience ou la désobéissance civile (cf. Chapitre VI) étaient vraiment des
sujets très débattus d’alors. Ainsi, la théorie de la justice fut le premier ouvrage à pénétrer
dans ces instances de conflictualité politique de l’époque. (pp 72-73).
b. Le paradigme utilitariste

L’utilitarisme est un courant théorique qui prône le bien-être du plus grand nombre. Parmi
les tenants de ce courant théorique, on peut citer Adam Smith, J. Bentham, John Stuart Mill.
Ce courant défend l’idée selon laquelle les besoins du plus petit nombre peuvent être sacrifiés
en faveur du plus grand nombre.
Cependant, John Rawls va prendre le contrepied du modèle utilitariste. Il évoque, dans ce
cadre, l’inviolabilité des droits de l’individu. En effet, Rawls estime que rien ne pourrait
justifier le sacrifice du plus petit nombre en faveur du plus grand. Dans la Théorie de la
justice, il écrit (p. 30) : « la justice interdit que la perte de liberté par certains puisse être
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justifiée par l’augmentation par d’autres. Elle n’admet pas que les sacrifices imposés à un plus
petit nombre puissent être compensés par l’augmentation des besoins du plus grand nombre. »
2. La construction des principes de justice

Il sera ici question de mettre en évidence, dans un premier temps, la position originelle et
le voile d’ignorance (a) et, dans un deuxième temps, le principe d’égale liberté, de différence
et d’égalité des chances (b).
a. La position originelle et le voile de l’ignorance

Cette position est équivalente à l’état de nature dans le contrat social. Elle est une
imagination, une sorte de position dans laquelle on n’est pas encore en société. Des personnes
sont appelées à délibérer sur les conditions de vie en société. Elles sont libres, autonomes,
indépendantes et n’étant soumises à aucune injonction divine ou humaine. Par conséquent,
elles doivent toutes s’accorder sur les principes de vie en société. Rawls affirme dans la
théorie de la justice (p. 38) : « la position originelle correspond à l’état de nature dans le
contrat social. Elle n’est pas bien-sûre comme une réalité historique ou une forme primitive de
culture. Il faut la comprendre comme étant une situation purement hypothétique définie de
manière à construire une certaine conception de la justice. »
En effet, la position originelle doit être accompagnée par le voile de l’ignorance. Ce
dernier signifie qu’aucune personne ne sait sa place dans la société, son statut social et sa
classe sociale. Les partenaires doivent ignorer leur projet de société, leur particularité. En ce
sens, le voile de l’ignorance peut même aller jusqu’à l’ignorance de sexe. En substance, les
hommes doivent, selon Rawls, tout ignorer ce qui leur permettrait d’adopter un choix neutre
ou indépendant de leurs privilèges sociaux. Rawls veut un accord neutre et d’équité.
b. Le principe d’égale liberté, de différence et d’égalité des chances

Le principe d’égale liberté qui signifie l’ensemble des règles inscrites dans la
constitution dont doit jouir tout individu faisant partie de la société. Ces libertés constituent le
droit de vote et d’éligibilité, les libertés d’expression, de réunion, d’association, de protection
etc. Il s’agit chez Rawls des principes d’inviolabilité des libertés de base. Dans cette
perspective, Rawls précise : « chaque personne doit avoir un droit égal au système total le
plus étendu de libertés de base égales pour tous compatibles avec un même système de liberté
pour tous.)
Le principe d’égalité des chances suppose que les inégalités sociales doivent être
organisées de façon à ce qu’elles apportent le plus à l’épanouissement de l’individu. Dans ce
Pr Abdou Rahmane THIAM Cours d’HIP Licence 2 Sciences politiques 2019-2020 Fsjp

cadre, l’Etat doit réguler les inégalités afin de permettre aux couches les plus défavorisées
d’atteindre un niveau considérable.
Quant au principe de différence, les inégalités doivent être organisées de façon à ce que
les plus défavorisés aient accès aux positions sociales. En d’autres termes, les positions
sociales doivent être accessibles à tous y compris les couches les plus défavorisées.
En substance, l’objet des principes de la justice est la structure sociale de base, plus
exactement les institutions sociales les plus importantes qui répartissent les droits et les
devoirs les plus fondamentaux. Ils déterminent également la répartition des avantages tirés de
la coopération. Il s’agit de la définition des règles d’accès aux biens sociaux qui doivent être
redistribués d’une manière équitable. Ainsi, Rawls expose une «société bien ordonnée » qui
présuppose un consensus sur les règles, en l’occurrence le contrat social au regard desquels
les activités des individus sont compatibles, engendrent le bien recherché (efficacité) et se
conforment à ces règles (assurer la paix sociale).
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3. Les critiques et distinctions dans les débats passés et contemporain


autour de la démocratie.

a. Au XXe siècle, deux conceptions rivales se sont affrontées :

Les démocraties populaires ou "réelles" désignent des régimes à parti unique prétendant
être des démocraties réelles et non pas seulement formelles. Elles ont quasiment disparu avec
l’effondrement de l’URSS, mais il reste encore la Chine. Quant aux démocraties pluralistes,
il s’agit de régimes multipartis, elles ont connu un fort développement notamment dans les
pays de l’Est se trouvant anciennement dans le giron de l’URSS, mais également en Amérique
latine (à la place des dictatures militaires, par exemple celle de Pinochet au Chili) ou en
Afrique.

➢ Dans la logique marxiste, la démocratie est un instrument de la classe dominante


(la bourgeoisie) pour imposer sa domination. Elle reste toutefois un instrument
original car elle ne nie pas la lutte des classes, mais en constitue l’expression, sans
en réaliser le dépassement. Par conséquent, le droit que produisent les institutions
démocratiques est un résultat momentané d’un compromis démocratique
exprimant la lutte des classes, c’est-à-dire un rapport momentané des forces
sociales. La démocratie est donc par essence fragile et instable : les partis
représentent les diverses classes existantes, le grand capitalisme essayant de
regrouper tous les représentants de la bourgeoisie contre les partis prolétariens.
Selon Marx, la démocratie bourgeoise va donc nécessairement vers une crise dont
l’issue va dépendre du rapport de forces existant. La résolution du conflit passe par
une alternative simple : soit la démocratie régresse vers un régime autoritaire (par
exemple le bonapartisme qui est une négation du conflit de classe), soit elle évolue
vers le socialisme et le communisme (vers la réalisation d’une société sans
classes). Marx appelle évidemment à la fin de la démocratie bourgeoise et milite
en faveur de l’établissement d’une démocratie "réelle", succédant à la lutte des
classes. Mais ce type de démocratie, sans partis, sans élections pluralistes, où les
dirigeants gouvernent en fonction d’un sens commun se réclamant de la grande
majorité du peuple semble suffisamment douteux pour inciter au moins à la
prudence quant à son caractère démocratique supposé « réel ».
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➢ Selon Jean-Louis Quermonne, la démocratie pluraliste répond à quatre principes


qui peuvent constituer autant d'idéaux de la démocratie des pays occidentaux :
▪ la légitimité démocratique : si le pouvoir vient d’en haut, la
légitimité vient d’en bas, ce qui signifie un certain consentement à
l’obéissance et un nécessaire respect des droits individuels ;
▪ la démocratie représentative : le gouvernement du peuple se
confond avec le gouvernement de la majorité ;
▪ le multipartisme : son enjeu est le respect des minorités, du droit de
l’opposition et des droits en matière de liberté et d’expression ;
▪ un Etat impartial.

b. Dans le débat contemporain, certaines réformes de la démocratie sont suggérées


par différents penseurs politiques.
➢ La démocratie délibérative est un concept de Jürgen Habermas (Notes
programmatiques pour fonder en raison une Ethique de la discussion, 1983)
selon laquelle une société démocratique où les décisions sont prises par la
délibération publique de tous ses membres est possible. L’accord qui se dégage
entre eux doit être basé sur la force du meilleur argument. Toute la question
reste alors de déterminer quelles sont les conditions d'un bon débat et
notamment la qualité de la procédure délibérative pour arriver à ce qu'il appelle
"une entente rationnellement motivée" (Droit et Démocratie. Entre faits et
normes, 1997), notamment la liberté des participants au débat (ils doivent être
"actifs et ouverts", "exempts de toute forme de contrainte") et du débat lui-
même (il doit être public et potentiellement ouvert à tous). Ceci, bien sûr, sans
aboutir à une définition excessivement normative du "citoyen idéal" dont l'effet
pervers peut-être la disqualification du "citoyen réel".
Pr Abdou Rahmane THIAM Cours d’HIP Licence 2 Sciences politiques 2019-2020 Fsjp

Apparue en 1960 et faisant suite à des insatisfactions liées à la démocratie représentative


traditionnelle (fait majoritaire, professionnalisation de la politique, omniprésence des experts),
la démocratie participative est une forme de partage et d'exercice du pouvoir, fondée sur le
renforcement de la participation des citoyens à la prise de décision politique. Elle vise à
associer les citoyens à la vie publique via divers instruments tels que les débats publics, les
comités de quartier ou les jurys citoyens. Cet ajout participatif à la démocratie conduit à ce
que les citoyens ne réduisent pas leur participation politique au vote électif, mais qu’ils soient
aussi les décideurs publics sur des enjeux importants. Récemment l’ouvrage de Michel
Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe (Agir dans un monde incertain, 2002) a insisté
sur la nécessité d’appréhender la décision politique en répondant au besoin éthique de statuer
sur les controverses socio-techniques issues notamment des nouvelles découvertes
scientifiques. Les décideurs doivent avoir, en cas d'erreur, la possibilité de corriger les
décisions publiques. Selon les auteurs, il serait bon de quitter le cadre des décisions
traditionnelles et d'accepter de prendre, plutôt qu'un seul acte tranché, une série d'actes
mesurés, enrichis par les apports des profanes.
Au plan institutionnel, la France a mis en place une Commission nationale du débat public qui
a pour mission d'organiser des débats publics sur des infrastructures (lignes de train à grande
vitesse, d’électricité, etc.) ou sur des choix technologiques (énergie nucléaire). La loi lui
confie mission de "veiller au respect de la participation du public au processus d'élaboration
des projets d'aménagement ou d'équipement d'intérêt national (...) dès lors qu'ils présentent
de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l'environnement ou
l'aménagement du territoire". Son rôle reste, toutefois, limité car elle n'a pas à se prononcer
"sur le fond des projets qui lui sont soumis".

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