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Compte-rendu de lecture de Dominique Bertrand

PACAUT, Marcel, la théocratie, l’église et le pouvoir au Moyen-Âge, Paris,


Aubier-Montaigne, 1957, p. 302.

Marcel Pacaut, agrégé et docteur es lettres, enseigna à l’Université de Lyon II, en tant que
titulaire de la chaire d’histoire du Moyen-Âge et il fut à travers ses recherches un spécialiste
de l’histoire du christianisme, inscrivant ses pas dans un courant historiographique multi-
séculaire. Ses successeurs au sein de ce courant historiographique seront pour les plus connus,
J.-M Mayeur, Ch.Pietri, A. Vauchez et M. Venard qui entre 1990 et 2001auront co-dirigé une
monumentale Histoire du Christianisme.
Dans un ouvrage publié en 1957, Marcel Pacaut va s’attacher à dessiner et définir les
relations entre l’église catholique et l’état de puis l’antiquité jusqu’au début du XIVe siècle,
pour l’essentiel de l’ouvrage.

En introduction il convient de donner une définition de la théocratie :


« la théocratie est la doctrine selon laquelle l’église détient la souveraineté dans les affaires
temporelles », cette définition est celle de l’auteur.
Deux conditions sont nécessaires pour son existence et sa consistance : l’existence
d’organismes qui parurent immuables (royaumes, empires) et des « accidents » propres à
chaque période (l’ambition d’Henri IV, de Frédéric Ie et Frédéric II et celle des grands Papes,
Grégoire VII, Innocent IV et Boniface VIII).
L’expression officielle de la pensée théocratique se retrouve uniquement dans les bulles
pontificales, les décrétales, les ouvrages théologiques, des sommes canoniques et des traités et
durant des siècles, les hommes furent peux nombreux à traiter activement de ce sujet,
quelques papes, des clercs, des théologiens et des canonistes.
La doctrine théocratique a donc connu une formation progressive et une diffusion avec force
entre le milieu du XIe siècle et le tout début du XIVe siècle.
Les thèmes caractéristiques étaient la cité terrestre qui devait être d’abord régie par les lois
religieuses et morales avec un Saint-Siège qui était le souverain absolu du pouvoir spirituel et
une église qui refusait de reconnaître au pouvoir laïque une indépendance réelle.
Les périodes de crises les plus importantes se situent naturellement à partir du milieu du XIe
siècle et l’affirmation de la réforme grégorienne. Il faut noter La querelle des investitures, la
lutte du sacerdoce et de l’Empire, le heurt de Boniface VIII et de Philippe le Bel à propos
notamment de la bulle Unam Sanctam et l’opposition de Jean XXII à Louis II de Bavière au
milieu du XIVe siècle.
Maurice Pacaut dans son livre va découper l’apparition de la théocratie en trois parties.
D’abord une première partie consacrée aux premières notions, de l’antiquité à la fin de
l’époque mérovingienne.
Puis une seconde partie en lien avec les relations des papes et de l’empereur dans l’Europe
carolingienne de la fin VIIIe à la fin du Xe siècle, pour dans une troisième partie aborder
l’affirmation très forte de la théocratie grégorienne de la seconde moitié du XIe siècle au tout
début du XIVe siècle avec la mort du pape Boniface VIII.

Mais il faut naturellement revenir aux premières notions. A l’époque de l’Empire romain,
l’église représentait une communauté nouvelle avec la tradition d’Israël mais en conservant
uniquement la dimension spirituelle pour conduire les hommes au salut éternel. L’église s’en
tint à la théorie ferme de l’évangile : « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à
Dieu ». En 313 avec Constantin et Théodose 379-395 : la religion chrétienne devint
progressivement la religion officielle de l’Empire et se posait à partir de là, le problème des
relations entre l’église et l’Empire. En 390, le pape Valentinien II excommuniait par deux fois
l’empereur Théodose. Aux IVe et Ve siècle deux théories allaient au moins en partie
s’opposer. Celle de Saint-Augustin, évêque d’Hippone et théologien, qui affirmait à plusieurs
reprises la nécessaire absorption du droit naturel dans le droit surnaturel mais avec l’existence
et une distinction totale de la cité céleste vis à vis de la cité terrestre tout en considérant que
les deux pouvoirs venant de Dieu, le pouvoir spirituel était finalement par essence supérieur
au pouvoir temporel.
Dans la théorie dite « Gélasienne » du pape Gélase on dénote une contradiction. Les rois ont
une potestas, les pontifes ont une auctoritas, seul ce terme exprimant la pleine souveraineté.
Mais pour autant dans le domaine spirituel, les rois étaient « fils de l’église » et dans les
affaires politiques et temporelles, les pontifes étaient subordonnés au prince.
Ensuite après la chute de Rome et les temps barbares, le réflexe des clercs fut de se réfugier
dans les monastères. Mais le pape Grégoire le Grand (590-604) renouvela la pensée
médiévale en affirmant la primauté romaine sur le patriarche de Constantinople et un pouvoir
séculier au service du dessin divin ce qui confinait l’auctoritas à la papauté seule, c’est à dire
la pleine autorité du spirituel sur le temporel. Mais jusqu’à la chute de la dynastie
mérovingienne, les deux pouvoirs coexistaient essayant malgré tout de trouver un équilibre
avec un pouvoir temporel en situation de protection vis-à-vis du pouvoir spirituel.

Dans la seconde partie de son livre, Maurice Pacaut aborde la période carolingienne ou les
conditions des sacres respectifs de Pépin III dit le bref et de Charlemagne mettent en scène
une volonté de domination du pouvoir temporel avec un renversement de tendance à partir du
règne de Louis le Pieux et l’affirmation de la pleine souveraineté (auctoritas) de l’église.
Mais en 962, après la disparition du titre impérial pendant plusieurs décennies, le
couronnement d’Otton le Grand en tant qu’Empereur par Jean XII allait affirmer l’autorité du
pape qui seul pouvait procéder à ce couronnement et ce en récompense de la victoire de
l’Empereur contre les Hongrois.

La troisième partie du livre consacrée à la réforme grégorienne, constitue le coeur pendant


deux cent cinquante ans de l’affrontement entre les deux pouvoirs. En 1046, l’empereur Henri
III vint rétablir l’ordre à Rome et la réforme de l’église romaine était accomplie par
l’empereur dans la tradition de Charlemagne et d’Otton III. En réalité et de fait on
reconnaissait à l’empereur une fonction religieuse celle de guide suprême, donc une confusion
du temporel et du spirituel.
La majorité des clercs acceptait et souhaitait la coopération mais entendait appliquer
strictement la théorie Gélasienne, l’indépendance des deux pouvoirs.
En 1059, le pape profitant de la minorité de l’empereur Henri IV promulguait un décret
précisant que le pape serait désigné par les seuls cardinaux et l’interdiction pour les clercs de
recevoir une église des mains des laïcs.
En 1065, Henri IV devenu majeur entendait reprendre le contrôle des élections pontificales et
des désignations épiscopales. Le conflit en germes allait éclater.
Les enjeux de la lutte étaient la centralisation romaine, la primauté pontificale, la possession
de vastes domaines et l’exercice de certains droits détenus par les évêques.
Grégoire VII, un doctrinaire élu en 1075 allait engager le conflit en excommuniant et en
tentant de déposer l’Empereur.
Les éléments de la réforme grégorienne préparée depuis Léon IX mais affirmée dans le cadre
de la publication des 27 Dictatus Papae en 1075 avaient pour but d’abord au sein même du
clergé de lutter contre la simonie mais essentiellement l’affirmation de la théocratie à travers
quatre grands arguments :
- le contrôle de toutes les actions humaines pour la liberté de l’église et contre le péché
- Le fondement du gouvernement sacerdotal de pouvoir « lier et délier », reçu par Pierre et
transmis à ses successeurs.
- Le pape est le seul sur terre l’interprète de la volonté de Dieu.
- La personne du pape est inviolable et il ne peut être jugé par la loi des hommes.
Cette réforme allait provoquer la querelle des investitures et la lutte entre le sacerdoce et
l’Empire. Le concordat de Worms en 1122 mettait un terme depuis 1075 à la querelle des
investitures.
Le XIIe siècle sera une période d’hésitation doctrinale entre les tenants de la séparation des
pouvoirs comme Hugues de Saint-Victor et un Bernard de Clairvaux affirmant que le pape
avait la « plénitude du pouvoir » sur l’église et sur tous les fidèles, l’église possédant le glaive
temporel mais ne devant pas s’en servir avec la crainte de se souiller.
L’année 1159 verra le début de la lutte entre le sacerdoce et l’empire pour l’élection du pape.
Mais en 1177, lors de la paix de Venise Frédéric I° Barberousse reconnaîtra le pape
Alexandre III après sa défaite en 1176 à la bataille de Legnano.
Frédéric Barberousse considérait détenir son pouvoir « de Dieu seul par l‘élection des
princes », ce qui constituait un rejet de la doctrine théocratique.
Au XIIIe siècle, on assistera à un retour beaucoup plus marqué de la doctrine théocratique.
Le pape Alexandre III affirmera la plenitudo potestatis du pouvoir spirituel qui peut non
seulement excommunier mais aussi déposer les souverains temporels.
Plus tard, entre Frédéric II et le pape Innocent IV, le conflit va s’envenimer car le pape voudra
soumettre l’Italie à l’autorité temporelle de la papauté. La papauté intervint dans l’élection
impériale avec la volonté d’exclure les Staufen et d’attribuer la couronne du royaume de
Sicile à Charles d’Anjou.
Pour Innocent IV, la plenitudo potestatis présentait deux arguments
- Le pontife romain ,vicaire du Christ avait reçu une generalis legatio, qui s’étend à toutes
les activités humaines et donc plus de restriction à l’autorité temporelle du pape.
- Il peut lier et délier sur la terre et dans les cieux
Une doctrine totale avec une seule souveraineté.
Au milieu du XIIIe siècle, on assistera avec Thomas d’Aquin à l’épanouissement de la
doctrine théocratique.
Pour Thomas d’Aquin, la réalisation d’une société chrétienne parfaite doit passer par un état
fort et une administration qui aide les hommes à accomplir leur salut.
Mais le prince a autorité sur le temporel qu’il conduit à des fins temporelles et le prince doit
se subordonner au pape qui conduit le peuple et le prince à leur fin spirituelle dernière.
L’opposition va se manifester par l’essor d’une théorie de l’état qui se veut laïc mais au
service de la cause chrétienne. En 1245, après sa déposition, Frédéric II accusera Innocent IV
de sacerdotalis abusio potestatis.
Frédéric II reprenait ainsi la notion antique de césaro-papisme et de l’état laïc.
L’idée d’un état laïc se mettait donc en place progressivement avec la volonté du choix des
buts immédiats et des moyens pratiques et dans la seconde moitié du XIIIe siècle, on voyait
apparaître la contestation de la richesse de l’église et des arguments pontificaux.
L’apogée de cette confrontation entre les deux pouvoirs, Boniface VIII et le roi de France,
Philippe le Bel, aura lieu au tout début du XIVe siècle, en particulier à travers la publication
de la bulle Unam Sanctam.
Mais la mort de Boniface VIII en 1303 et l’élection en 1305 de son successeur, Clément V, un
pape français, modifieront de façon quasi-définitive les relations entre la papauté et les rois
de France pendant la période avignonnaise et même au-delà.

Il sera intéressant lors de l’oral de consacrer quelques minutes pour donner un éclairage
particulier à l’analyse du contenu de la bulle Unam Sanctam.

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