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École des Hautes Études en Sciences Sociales

Ecole doctorale de l’EHESS

Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain

Doctorat

Discipline : Anthropologie sociale et ethnologie

FLETGEN MÉLISSA

Les interactions sociales au sein des


jeux de rôle en ligne massivement
multijoueur

Thèse dirigée par: Michèle Coquet

Date de soutenance : le 26/11/2019

Rapporteurs 1 Tony Gheeraert, Université de Rouen


2 Olivier Servais, Université catholique de Louvain

Jury 1 Gilles Brougère, Université de Paris XIII


2 Michèle Coquet, IIAC-CNRS
3 Tony Gheeraert, Université de Rouen
4 Olivier Servais, Université catholique de Louvain
5 Catherine Tourre-Malen, Université de Paris-Est Créteil
6 Maxime Vanhoenacker, IIAC-CNRS
1
Remerciements

Je souhaiterais commencer par exprimer ma reconnaissance envers l’ensemble


des professeurs et des enseignants-chercheurs des classes préparatoires du lycée
Georges de la Tour, de l’université Paris Diderot, de l’université Nanterre-La Défense
et de l’EHESS qui m’ont formée tout au long de mes études. Ma gratitude va aussi à
Mme Michèle Coquet pour avoir accepté de devenir ma directrice de thèse.

Il me tient à cœur de remercier Martin Paret qui sans m’avoir jamais rencontrée
a pourtant accepté de créer une illustration pour cette thèse, conçue à partir de mes
personnages et en prenant en compte mes suggestions.

Un grand merci à tous mes correcteurs qui m’ont permis d’améliorer ce travail
de recherche, en particulier Jacques et Nicolas, pour m'avoir consacré autant de leur
temps.

Par ailleurs, je tiens à remercier mes amis et ma famille, surtout ma mère,


Myriam, mon beau-père, David, et mes grands-parents, Marie-Hélène et André, qui
m’ont soutenue pendant ces nombreuses années.

Je n’oublie pas non plus tous les joueurs -et les joueuses- qui m’ont apporté
leur aide et sans qui je n’aurai pas pu réaliser ce travail. Il ne m’est pas possible de
tous les citer mais je désire néanmoins remercier plus chaleureusement Fabien,
Franck, Guillaume, Louis et Victor. J’adresse de sincères remerciements à ce dernier
qui m’a encouragée à poursuivre ma route parmi les étoiles de cet univers.

2
Mots-clefs

Genre - Identité - Interactions sociales - Jeu vidéo en ligne massivement multijoueur -


Socialisation

Résumé

L'enjeu de cette thèse est d'aborder les divers types d'interactions sociales qui se
créent entre les joueurs de jeux vidéo en ligne massivement multijoueur. La démarche
choisie vise à tenter de mieux comprendre ce type d'univers virtuel dans lequel
s'inscrivent ces échanges, et bien entendu de les étudier de manière approfondie en
ne négligeant pas les questions de genre. Ce travail de recherche s'articule autour de
plusieurs thèmes tels que la socialisation, l'identité ou encore l'apprentissage. De la
découverte du jeu et de la rencontre de l'autre jusqu'aux échanges privilégiés avec les
autres membres de la communauté à laquelle le joueur se rattache, cette thèse
propose au lecteur un voyage au sein de Star Wars The Old Republic ayant pour
objectif d'appréhender les particularités de certains échanges qui s'y opèrent mais
surtout de mettre en évidence l'importance de ce type de jeux vidéo comme espace
majeur de sociabilité.

3
Keywords

Gender - Identity - Massive Multiplayer Online Video Game - Social Interaction -


Socialization

Summary

This thesis aims to discuss the multiple social interactions that are created between
people playing MMORPGs. The chosen process is to try and better understand the
kind of virtual universe where theses exchanges take place, and of course to study
them in-depth, without neglecting gender questions. This research is constructed
around several themes, such as socialization, identity and learning. From discovering
the game, and meeting others, to the priviledged exchanges among fellow members
of a community, this thesis takes the reader to a trip into Star Wars The Old Republic
with a purpose : understand the specificities of the exchanges between players, and
especially underline the importance of video game as social space.

4
Avant-propos

• Les images extraites du jeu vidéo Star Wars The Old Republic ont été utilisées
dans le cadre de cette thèse avec l’accord de l’agence de communication
Warning Up en charge de Star Wars pour Electronic Arts.

• En vertu de l'article 10 relatif à la « libre utilisation des œuvres dans certains


cas » de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et
artistiques créée en 1886, et modifiée, révisée et complétée jusqu'en 1979, des
images relatives à des films et à des jeux vidéo sont utilisées dans le cadre de
cette thèse sans accord spécifique de leurs créateurs. Les sources sont
systématiquement mentionnées et l'utilisation de ces images est justifiée à des
fins de recherche.

• Les œuvres anciennes qui apparaissent dans ce travail de recherche,


l'illustration d'Alice de Sir John Tenniel de 1871 et le tableau l'Adoubement de
Edmund Blair Leighton datant de 1901, font partie du domaine public et sont
utilisées librement.

• Toutes les créations récentes d'artistes et de fans -illustrations, fiches de


personnages...- sont présentées à titre d’exemples représentatifs et demeurent
la propriété de leurs auteurs, qui ont tous été informés de l'utilisation de leurs
créations dans cette thèse et ont donné leur accord. Les sources ou références
pour chacune des images proposées sont accessibles librement sur Internet.

• Une exception est cependant à signaler. Bien qu'elle ait été contactée,
l'illustratrice connue sous le pseudonyme d'Isriana dont une page de bande
dessinée humoristique est utilisée dans ce travail, n'a pas répondu au message

5
qui lui a été envoyé, n'exprimant ainsi ni refus, ni accord pour l'utilisation de sa
création. Après réflexion, compte tenu de la situation, j'ai malgré tout choisi de
la conserver.

• L’illustration présente sur la page suivant la couverture a été réalisée par Martin
Paret, étudiant à l’école d’art Emile Cohl de Lyon, spécialement pour cette
thèse. Cette image représente un duel qui oppose deux de mes personnages
principaux, une Jedi et une Sith, sur Star Wars The Old Republic. La scène se
déroule sur la planète Ossus. Si l’artiste s’est inspiré d’images provenant du jeu,
cette illustration n’en demeure pas moins une création entièrement personnelle.

• Tous les graphiques utilisés sont des créations personnelles.

• Certaines photographies sont aussi personnelles, elles ont été prises dans le
respect du droit à l’image et avec le consentement des personnes qui y figurent.

• L’écriture inclusive n’a pas été utilisée pour ce travail. Par joueurs j’entends
l’ensemble de la communauté des joueurs quel que soit son sexe. Lorsqu’il
s’agit d’aborder des points sous le prisme du genre, une distinction s’opère alors
entre les joueurs -hommes- et les joueuses -femmes- par le choix de ces
termes, le contexte contribuant à ce qu’il n’y ait aucune ambiguïté.

• Les termes et abréviations d'origine étrangère, en particulier anglophones,


présents au sein de ce lexique sont utilisés par les joueurs français. Les joueurs
étasuniens ou anglais n'emploient pas nécessairement les mêmes. Voici
quelques exemples : quand un joueur en provoque un autre au cours d'un
échange, le terme « taunt » est employé en français, alors que les joueurs
étasuniens utilisent le terme « trigger ». Le « cut » en français qui désigne la

6
compétence qui interrompt celle que l’adversaire est en train de lancer, et qui
vient du verbe anglais « couper », n'est pas utilisé par les Américains, qui
emploient « interrupt ». Enfin, l'abréviation « BG » pour battleground n'est pas
usitée par les Etasuniens qui utilisent « WZ » pour warzone. Bien entendu, ces
exemples sont juste illustratifs de notre propos et non exhaustifs, par ailleurs,
notons qu'il existe aussi des nuances entre les usages des Anglais et ceux des
Etasuniens.

7
Les interactions sociales dans les jeux en ligne massivement multijoueur

Sommaire

Introduction............................................................................................................. 15
I. De la découverte du jeu à la définition de l’Autre : allié ou ennemi ................ 35
1) La question de l’apprentissage ..................................................................... 37
a) Les premiers pas en jeu : devenir joueur..................................................... 37
a.1. La découverte du jeu ........................................................................................ 38
a.2. L’espace-temps dans Swtor : un monde en soi................................................ 53
a.3. Un apprentissage progressif : questions de proxémique, de stratégie et de
transmission ............................................................................................................. 57
b) La langue ........................................................................................................ 81
b.1. La langue des gamers sur Swtor...................................................................... 81
b.2. Langue et communauté ................................................................................... 85
b.3. Les vocaux : lieux par excellence de l’usage de la langue ............................... 87
c) Structure narrative du jeu.............................................................................. 92
c.1. Thèmes narratifs rencontrés : le voyage, l’épreuve initiatique, la trahison et le
mensonge ................................................................................................................. 92
c.2. La figure de la possession.............................................................................. 105
c.3. La quête amoureuse, la sexualité, l'amitié et la filiation .................................. 109
2) L’union fait la Force mais chacun pour soi ............................................... 117
a) Approche sociologique de l’organisation de la communauté des joueurs ..
....................................................................................................................... 117
a.1. Faction, classe, alignement et les autres situations : jeu de rôle, drapeau JcJ… .
....................................................................................................................... 117
a.2. Les guildes (définition et typologie, intérêt des guildes, les interactions entre
membres et avec les alliés…) ................................................................................. 120
a.3. Construire son réseau, construire le lien social .............................................. 134
b) Compétition et performance ....................................................................... 136
b.1. Les rivalités et conflits entre joueurs .............................................................. 137
b.2. Les différences en fonction des activités : du Parsec au score, toujours un
classement ............................................................................................................. 141
b.3. Les enjeux : réputation, récompenses… ........................................................ 146
c) Les oppositions et conflits .......................................................................... 147
8
c.1. A l’échelle individuelle .................................................................................... 147
c.2. A l’échelle collective -guilde, groupe…- ......................................................... 152
c.3. Un cas particulier : le JcJ ............................................................................... 155
3) Processus de socialisation et de fictionnalisation ................................... 159
a) Le concept de socialisation ........................................................................ 159
a.1. Socialisation et médias .................................................................................. 159
a.2. Les autres joueurs comme acteurs de la socialisation ................................... 164
a.3. Appartenir au monde de Swtor : quand le réel copie la fiction ....................... 167
b) Un phénomène social .................................................................................. 174
b.1. De la notion de convergence culturelle à celle de phénomène social ............ 174
b.2. L’influence de Star Wars aux différents âges ................................................. 180
b.3. La question de l’addiction ............................................................................... 183
c) Genre et socialisation dans Swtor .............................................................. 189
c.1. Des activités genrées : aux hommes les armes, aux femmes la couture ....... 189
c.2. Des dualités au féminin et au masculin .......................................................... 193
c.3. Une diffusion de stéréotypes genrés auprès des joueurs ? ........................... 195
II. Une identité aux multiples facettes ................................................................. 205
1) Le triptyque identitaire................................................................................. 207
a) Le personnage.............................................................................................. 208
a.1. La création du personnage............................................................................. 208
a.2. La première image du joueur ......................................................................... 222
a.3. Le personnage : un individu fictif .................................................................... 233
b) Le joueur ....................................................................................................... 243
b.1. Le joueur comme protagoniste d’un vaste monde virtuel ............................... 243
b.2. Le joueur et ses avatars ................................................................................. 256
b.3. Le joueur en dehors du jeu............................................................................. 262
c) La personne sociale ..................................................................................... 266
c.1. Derrière le joueur, la personne sociale ........................................................... 267
c.2. Le choix d’un jeu multijoueur : privilégier le contact avec autrui à l’intelligence
artificielle................................................................................................................. 271
c.3. Les effets sur l’individu de l’entremêlement entre réalité et virtualité ............. 274
2) Le jeu des masques ..................................................................................... 278

9
a) Autour du masque ....................................................................................... 279
a.1. La notion de masque : approche anthropologique ......................................... 279
a.2. Le masque comme symbole .......................................................................... 283
a.3. Les fonctions instrumentales du masque dans le contenu du jeu .................. 285
b) Les usages du masque par le joueur ......................................................... 287
b.1. La protection .................................................................................................. 287
b.2. Catharsis ........................................................................................................ 288
b.3. Masque et choix de l’identité sexuée ............................................................. 292
c) Derrière le masque : les échanges permis par l’anonymat de la virtualité ...
....................................................................................................................... 293
c.1. La domination................................................................................................. 293
c.2. La triche et le « trollage » ............................................................................... 298
c.3. Les comportements déviants ......................................................................... 307
3) Le MMO comme espace privilégié d’interactions ..................................... 320
a) Pour les rôlistes et leurs personnages ...................................................... 320
a.1. Du jeu de rôle papier au jeu de rôle sur Internet ............................................ 321
a.2. Jeu de rôle et sociabilité ................................................................................. 327
b) De la rencontre virtuelle au développement de la relation hors du monde
numérique ............................................................................................................. 343
b.1. Les processus de rencontre ........................................................................... 343
b.2. La construction de la relation à autrui ............................................................ 346
b.3. Les relations « IRL » dans le virtuel (famille, amis…) .................................... 349
c) L’évolution des relations : ce que permet le jeu ....................................... 350
c.1. Critères de choix et expressions de l’attachement ......................................... 351
c.2. L’amitié ........................................................................................................... 353
c.3. L’amour .......................................................................................................... 356
III. Les relations entre les sexes : ce que le jeu révèle ...................................... 363
1) Les femmes, une minorité discriminée et désirée .................................... 365
a) Etre une joueuse .......................................................................................... 366
a.1. Discrimination et harcèlement ........................................................................ 366
a.2. Le féminin et ses stéréotypes......................................................................... 370
a.3. Les mécanismes de protection et de défense ................................................ 380

10
b) Un objet de désir .......................................................................................... 383
b.1. Convoiter ce qui est rare : derrière le personnage, la joueuse ....................... 383
b.2. Swtor, le nouveau Meetic ? ............................................................................ 385
b.3. Flirt ou recherche d’une relation ..................................................................... 388
c) Pas toujours des victimes ........................................................................... 389
c.1. Se faire passer pour une femme .................................................................... 389
c.2. Profiter d’être une femme ............................................................................... 391
c.3. Avantages et abus : du cadeau à la manipulation et à la duperie .................. 392
2) Le couple et les autres relations amoureuses........................................... 394
a) De La guerre des étoiles aux Feux de l’amour .......................................... 395
a.1. Tensions et rivalités ....................................................................................... 395
a.2. La permanence des rôles sexués .................................................................. 400
a.3. Expressions de la relation « de couple » en jeu ............................................. 406
b) Le « harem inversé » .................................................................................... 407
b.1. Concept, origine et usage pour Swtor ............................................................ 407
b.2. Les rapports de pouvoir.................................................................................. 412
b.3. Les évolutions d’une situation de « harem inversé »...................................... 414
c) Le couple : une configuration problématique ........................................... 415
c.1. Perception par les autres ............................................................................... 415
c.2. L’infidélité ....................................................................................................... 418
3) Autres types de relations entre les joueurs ............................................... 419
a) La mère et ses représentations .................................................................. 420
a.1. La « maman-chef » ........................................................................................ 420
a.2. Un statut particulier ........................................................................................ 422
a.3. Punir et consoler, résoudre les conflits… ....................................................... 424
b) Les rapports entre « frères » ....................................................................... 426
b.1. Le cas des MMORPG .................................................................................... 426
b.2. Les conditions d’existence de la fraternité...................................................... 429
Conclusion ............................................................................................................ 433
Lexiques ................................................................................................................ 441
Lexique général de Star Wars ............................................................................. 443
Lexique relatif aux jeux vidéo et au monde virtuel ............................................ 446
11
Sigles ..................................................................................................................... 459
Expressions .......................................................................................................... 464
Annexe relative à la pornographie ...................................................................... 465
Références ............................................................................................................ 467
Bibliographie......................................................................................................... 469
Filmographie ......................................................................................................... 489
Emissions.............................................................................................................. 490
Liste des jeux vidéo.............................................................................................. 491

12
« Il n'y a pas d'ignorance, il y a la connaissance. »

Extrait du Code Jedi de Star Wars.

13
14
Introduction

15
16
Tom Boellstorff, anthropologue étasunien qui a particulièrement étudié Second
Life, a affirmé que si l'étude des jeux comme discipline commence à occuper une place
de plus en plus importante dans la recherche, le manque de travaux sur les jeux vidéo
reste encore à déplorer. L'étude du jeu est marquée par l'interdisciplinarité et
l'anthropologie apporte grandement aux recherches sur ce thème grâce sa théorisation
et sa méthodologie. La culture est au cœur des jeux et l'observation participante un
moyen tout à fait approprié pour l'appréhender. Dans son article « A Ludicrous
Discipline? Ethnography and Game Studies » il écrit : « the information age has, under
our noses, become the gaming age. It appears likely that gaming and its associated
notion of play may become a master metaphor for a range of human social relations,
with the potential for new freedoms and new creativity as well as new oppressions and
inequality »1. Choisir un sujet relatif aux jeux vidéo en anthropologie apparaît comme
légitime et n'est pas rare si l'on se penche sur les formations des autres chercheurs
qui ont aussi pris cette décision. Il serait absurde de ne pas prendre en considération
mon parcours universitaire qui m'a amenée jusqu'ici. Titulaire de trois licences -en
Histoire, géographie et ethnologie- et de deux masters -en sociologie et anthropologie-
, j'ai conscience d'être influencée par plusieurs disciplines.

Mon travail se place dans la continuité d'autres recherches antérieures. Un


certain nombre d'éléments évoqués dans cette thèse ont déjà été étudiés par différents
chercheurs principalement du côté anglo-saxon mais aussi francophone. Les lectures
de Johan Huizinga et Roger Caillois ainsi que de Gilles Brougère ont enrichi ce travail
en ce qui concerne le thème du jeu. Les travaux de Nick Yee et Jeremy N. Bailenson
sur les jeux vidéo m'ont apporté de précieuses informations. Selon les aspects sur
lesquels je me suis penchée divers auteurs ont été privilégiés : Muriel Darmon pour la
socialisation, Paola Tabet et Françoise Héritier par rapport aux questions de genre,
Vladimir Propp pour les contes.

1BOELLSTORFF Tom, « A Ludicrous Discipline? Ethnography and Game Studies », Games and
Culture, Vol. 1, N°1, 2006, p. 33.
17
Vinciane Zabban a écrit un article très pertinent sur les Game Studies2. Elle
revient sur les positionnements qu'ont choisi de prendre des chercheurs en fonction
des courants auxquels ils se sont intellectuellement rattachés, se concentrant sur un
aspect et l'abordant d'une certaine façon -culturelle, technique...-. De la narratologie
au procéduralisme en passant par la ludologie, et l'interactivité, V. Zabban dresse un
état de la recherche sur les jeux vidéo. Elle explique les approches de ces différents
courants dont les noms sont assez évocateurs et qui privilégient le récit, la mécanique
même du jeu et ses règles, le côté ludique, ou encore, la dimension culturelle de cette
activité qui fait interagir le joueur à un jeu dans lequel il va s’immerger... L’auteur
évoque aussi de nombreux thèmes en lien avec ces jeux qui ont intéressé les
chercheurs : définir et redéfinir le jeu, l'économie interne de ces jeux, les profils des
joueurs, la compétition, la triche, le lien complexe entre travail et jeu... Cependant, son
article « Retour sur les game studies. Comprendre et dépasser les approches
formelles et culturelles du jeu vidéo » va au-delà puisqu'il traite aussi de la question de
la méthodologie. Elle y développe le rôle de l'immersion du chercheur, et aborde les
ethnographies qui ont été réalisées pour enquêter sur ce terrain spécifique. Selon elle,
en s'appuyant sur Christine Hine, l'équilibre entre l'immersion du chercheur dans le
jeu, au travers de l'observation participante, et la nécessité de recourir aussi à des
méthodes qualitatives qui demandent d'être hors du jeu, comme les entretiens, est
difficile à trouver. Les effets de biais ne sont par ailleurs pas à négliger. Nous avons
choisi dans le cadre de ce travail d'opter pour une complémentarité des méthodes,
aussi des rencontres et entretiens hors du jeu ont été associés à l'observation en son
sein. En somme, V. Zabban revient sur l'histoire des études menées sur le jeu par des
disciplines variées et propose des pistes pour de futures recherches. Il ne s'agit pas
ici de reprendre le travail qu'elle a effectué, ni de faire la liste exhaustive de toutes les
autres ethnographies de jeux vidéo - nous pensons à titre d'exemples à celles de
Sherry Turkkle, Olivier Servais ou Vincent Berry- il ne semble pas non plus utile de
mentionner tous les autres travaux qui ont exercé une influence sur ma thèse. L'enjeu
à travers cette courte revue de littérature est de souligner que depuis longtemps déjà
des recherches poussées ont été menées sur divers points que j'aborde dans le cadre

2ZABBAN Vinciane, « Retour sur les game studies. Comprendre et dépasser les approches formelles
et culturelles du jeu vidéo », Réseaux, N°173-174, 2012/3, p. 137 à 176.
18
de mon travail. Néanmoins, l'intérêt principal de celui-ci réside à mon sens dans
l'orientation qui a été prise de s'intéresser aux rapports de genre, encore trop souvent
négligés. Il s'agissait aussi de confronter les études menées par d’autres à mes
propres résultats afin d'observer les similitudes ainsi que les divergences, qui dès lors
mènent à de nouvelles questions pour de futures recherches.

Afin de contextualiser un peu le terrain qui a été choisi dans le cadre de ce


travail, il semble pertinent de donner brièvement quelques informations au sujet de
Star Wars The Old Republic. Ce jeu de rôle en ligne massivement multijoueur sorti sur
ordinateur -Windows- en 2011 a été développé par BioWare et édité par LucasArts et
Electronic Arts. Le jeu, et son site officiel, sont disponibles en anglais, allemand et
français. Ce jeu en ligne s’inscrit dans l’univers de Star Wars et se déroule pendant
une période fictive au cours de laquelle s’opposent principalement deux factions aux
idéologies opposées : l’Empire et la République. Nous invitons le lecteur peu familier
de l’univers à lire dès à présent le lexique Star Wars3 à la fin de cette thèse qui lui
apportera j’espère des éclaircissements quant aux principales notions qui lui sont
propres, comme la Force par exemple. Le joueur peut créer un ou plusieurs
personnages, qui devient le héros d’une histoire, voyageant sur différentes planètes et
surmontant des épreuves, affrontant des adversaires… Les joueurs peuvent s’affronter
ou jouer ensemble, en coopération. En fonction des goûts de chacun, diverses
activités sont proposées, nous les aborderons en détail ultérieurement. Comme tous
les jeux de ce type, des mises à jour sont fréquentes et des extensions sortent
régulièrement pour ajouter du contenu. Il semble nécessaire de préciser au lecteur que
ce travail ne peut prendre en considération les évolutions futures du jeu et qu’il s’est
achevé au début de l’été 2019.

Je me suis intéressée dans le cadre de ce travail de recherche à la communauté


des joueurs qui fait société. Cette société ancrée dans le virtuel est aussi soumise à
des règles qui parfois sont transgressées. L’organisation sociale et les échanges

3Afin de venir en aide aux lecteurs peu habitués aux jeux vidéo et à celui-ci en particulier, nous avons
établi plusieurs lexiques. Le premier concerne spécifiquement l’univers Star Wars. Il est suivi par celui
des sigles, le lexique et enfin les expressions rencontrées dans les jeux vidéo. Nous vous invitons à ne
pas hésiter à vous y référer en cas de besoin.
19
humains dans les jeux en ligne ne sauraient se résumer à un simple reflet, même
déformé, de ceux que l’on retrouve en dehors du monde virtuel. Cette communauté
partage des centres d’intérêt, un langage, des règles de vivre-ensemble que certains
choisissent d’enfreindre… Il s’agit d’une communauté complexe, composée de sous-
groupes en son sein dont les valeurs et les activités peuvent être diamétralement
opposées. Les échanges humains au cœur des jeux en ligne massivement
multijoueur, y compris les rapports hommes/femmes, constituent l’objet même de cette
thèse. Nous les aborderons tout au long de ce travail.

A travers la monographie d’un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur,


Star Wars The Old Republic, je m’interroge sur les spécificités des interactions
sociales, en particulier genrées, qui ont lieu dans le cadre d’un jeu vidéo ou en lien
avec celui-ci. L’étude de ce jeu en tant que terrain est un moyen de réfléchir de façon
plus générale sur les jeux vidéo de ce type, ainsi que sur le monde virtuel plus
largement. Il s’agit de se demander si les caractéristiques du jeu et ses conséquences
pour le joueur ou la joueuse ont des implications sur les échanges qu’ils vont entretenir.
En d’autres termes ce travail vise à déterminer si l’on retrouve dans ce jeu vidéo les
observations faites par d’autres chercheurs au sujet des communautés de joueurs
d’autres MMO et de leur fonctionnement, afin de les conforter ou de les mettre en
perspective, mais surtout d’aller au-delà en réfléchissant en termes de genre. Ainsi
nous pouvons nous demander en quoi les jeux vidéo en ligne de ce type constituent
un espace de sociabilité particulier, quelle(s) place(s) y occupe(nt) les joueuses et
quels sont les rapports qu’elles entretiennent avec les joueurs. La première partie de
cette thèse est assez descriptive. Elle traite de la découverte du jeu, du processus
d’apprentissage pour se familiariser avec l’univers, ainsi que des principaux types
d’interactions mis en avant par le jeu lui-même : opposition ou alliance, et enfin de
l’importance du contenu même du jeu, y compris en ce qui concerne les questions de
genre, en tant qu’outil participant au phénomène de socialisation. Les explications
données dans cette partie et relatives au jeu permettent au lecteur de comprendre son
fonctionnement et d’avoir un cadre pour la suite. Il s’agit d’avoir le décor dans lequel
la grande majorité des interactions se déroulent. Comprendre la nature de chaque
activité, et ce à quoi elle correspond, est primordial puisque les activités pratiquées ont

20
une influence directe sur les échanges entre les joueurs. La deuxième partie se
concentre sur la question de l’identité dans cet univers virtuel. L’anonymat est un
facteur déterminant dans les échanges avec autrui. Le joueur ou la joueuse ont la
possibilité de porter un masque et de dissimuler ou non qui ils sont, ce qui intervient
dans les interactions qu’ils peuvent avoir. Par ailleurs, en tant que jeu massivement
multijoueur, Star Wars The Old Republic constitue un véritable espace de rencontre et
voit naître des relations variées entre les joueurs et les joueuses qui y consacrent une
partie de leur temps. La dernière partie est entièrement consacrée aux rapports
hommes-femmes. La question de la part du féminin et de la place des femmes dans
cet univers virtuel a été centrale. Il s’agit de voir en quoi les joueuses sont aussi bien
discriminées que désirées par la communauté masculine mais aussi quels sont les
rapports dominants que l’on retrouve entre les joueurs et les joueuses. Si les relations
amoureuses et la séduction y occupent une place non négligeable, les interactions
entre les deux sexes ne s’y limitent pas… La fin de cette thèse est centrée sur de
nouveaux concepts théorisés à partir des observations et analyses issues de ce travail
de recherche. Ces propositions de concepts sont corrélées aux interactions entre les
joueurs et les joueuses, avec notamment « le harem inversé » ou encore la « maman-
chef ».

Afin de comprendre comment a été mené ce travail de recherche, une partie


consacrée à la méthodologie s'impose. Les méthodes qualitatives ont été celles que
j'ai principalement employées. Cependant, la particularité de mon terrain, puisqu'il est
virtuel, nécessite d'approfondir le choix et la mise en place de ses méthodes, mais
avant cela, il me semble important de signaler au lecteur quelle fut ma position et mon
expérience dans cet univers.

J'ai découvert les jeux vidéo enfant et si j'ignore quel est le premier jeu auquel
j'ai joué, mes souvenirs étant trop flous, celui sur lequel je me suis amusée, et qui
m'appartenait, était Pokemon Rouge sur Game Boy Color. Je me rappelle aussi
Adibou puis Adi qui étaient des jeux éducatifs. Ma première expérience des jeux vidéo
a donc été ludique et éducative. La Playstation 2 fut la première console à la maison,
j'étais alors âgée d'une dizaine d'années et je la partageais avec mon petit frère.

21
Adolescente j'ai continué à me divertir ponctuellement avec quelques jeux, plutôt sur
console, et c'est pendant cette période que j'ai joué pour la première fois à un jeu vidéo
en ligne multijoueur Guild Wars. En toute honnêteté l'informatique n'a jamais été ma
tasse de thé, et mes compétences dans ce domaine sont très limitées. Hormis pour
de rares exceptions, j'étais davantage tournée vers les jeux sur console. Ce court
paragraphe a pour but de souligner le fait qu'avant de débuter ce travail de recherche
je n'étais pas complètement étrangère au monde des jeux vidéo mais que ça ne faisait
pas pour autant de moi une « gameuse ». A l'heure actuelle, je ne suis pas une adepte
des réseaux sociaux, je ne possède pas de compte Twitter ou Instagram, je n'ai aucun
jeu sur mon téléphone portable, je ne possède ni tablette ni télévision, et je n'éprouve
aucun intérêt particulier pour les dernières technologies. En ce qui concerne Star
Wars, j'avais vu tous les films une fois et j'avais aussi joué à quelques jeux, cependant,
je n'étais pas une passionnée de la saga. Ainsi, quand j'ai commencé ce travail sur
Star Wars The Old Republic je n'étais ni particulièrement familière de l'univers Star
Wars ni vraiment habituée à jouer sur ordinateur. J'ai donc dû apprendre à évoluer
dans cet environnement, mais aussi à communiquer avec les autres joueurs, qui,
encore au moment où j'écris ces lignes, après plusieurs années, utilisent parfois des
termes qui me sont inconnus. Le choix de ce jeu m’a semblé pertinent en raison de
l’ampleur du succès de la licence Star Wars et du fait qu’il s’agit d’un jeu très peu
étudié contrairement à d’autres jeux massivement multijoueur comme World Of
Warcraft.

Les loisirs ne constituent pas une thématique ignorée des chercheurs en


sciences humaines et de nombreux ouvrages leur sont consacrés, aux jeux et aux
activités sportives en particulier. Depuis ces dernières décennies, le jeu vidéo, en tant
que source de divertissement privilégié est devenu un objet de recherche pour des
disciplines variées, mais dont la légitimité peine pourtant encore à s’imposer. Plusieurs
hypothèses explicatives peuvent être avancées quant aux raisons de ces réticences,
mais la principale tient aux spécificités du « terrain ». En effet, pour y accéder,
l’observer, rencontrer des joueurs, notamment dans le cas des jeux en ligne, le
chercheur est amené à intégrer ce monde virtuel. Ce mode d’observation participante,
nécessaire concernant l’étude des jeux vidéo, est parfois difficile à appréhender. J'ai

22
rencontré plusieurs difficultés lors de mes recherches, des simples frustrations liées
aux défaillances du matériel au harcèlement, que j'aborde de façon plus approfondie
par la suite. Cependant, j’aimerais aussi souligner un dernier aspect : les différences
entre les images stéréotypées relatives aux études menées et à la réalité de ce terrain
virtuel, qui sans doute contribuent à freiner l’octroi de leurs titres de noblesse aux jeux
vidéo pourtant devenus aujourd’hui le dixième art, riche aussi bien du point de vue
artistique que culturel ou économique. « Tu ne travailles pas tu joues », j'ignore
combien de fois j'ai entendu ce genre de propos. Etudier un jeu et les joueurs qui s'y
adonnent, dans le cadre d'un jeu massivement multijoueur de ce type, nécessite en
effet de soi-même côtoyer cet environnement. Néanmoins, cela implique des heures
d'observations, de pratiquer des activités qui ne nous procurent aucune satisfaction
voire même nous déplaisent, de « jouer » avec un cahier et un stylo à côté de la souris
et de jongler entre les deux... D'autre part, l'anonymat conféré par le jeu libère la parole
et les comportements mais s'il est enrichissant dans le cadre de ce travail de pouvoir
observer les divers échanges entre les joueurs, il n'est pas toujours évident d'être
témoin de propos homophobes, racistes, sexistes ou injurieux, en particulier lorsqu'on
en est l'objet.

Ajoutons que le fait qu’il s’agisse d’un divertissement qui soit aussi destiné aux
adultes renforce cette idée reçue : il va de soi que personne ne considère qu’on
s’amuse lorsqu’on étudie les jouets pour enfant, il n’en est pas de même en ce qui
concerne les jeux vidéo. Evidemment le chercheur peut -heureusement- éprouver de
la satisfaction en travaillant, c’est aussi le cas lorsque ses recherches portent sur les
jeux vidéo. Il ne s’agit pas d’opposer plaisir et travail. L’enjeu est de mettre en évidence
le fait que ce n’est pas parce qu’on s’intéresse à un objet d’étude relatif aux loisirs que
c’est nécessairement un divertissement permanent. Pour terminer à ce propos, bien
que le travail soit construit grâce à une méthodologie, il existe encore des réticences,
et ce n’est pas un thème de recherche toujours considéré comme « noble ». On
observe même parfois une hiérarchisation des sujets d’étude, au-delà même des
disciplines, qui aboutit à un manque de considération pour les chercheurs qui
choisissent de se spécialiser dans ces champs peu estimés, y compris de la part
d’autres étudiants ou chercheurs.

23
Sherry Turkle a écrit dans son ouvrage The Second Self : Computers and the
Human Spirit au sujet du travail de recherche dans les mondes numériques :

« Like the anthropologist who lives in an isolated village in a far-off place to get
to know its inhabitants, their ways of seeing and doing things, their myths and rituals,
their economy and artifacts, I lived within worlds new to me, tried to understand what
they are about, and tried to write about my understandings so that the worlds I studied
could come alive for others »4.

Cette thèse constitue aussi une ethnographie en ligne. La sociologue C. Hine qui a
particulièrement étudié Internet, écrit au sujet de la méthodologie que :

« ethnography provides a distinctive and very useful way of examining the


Internet, which allows us to develop an in-depth understanding of the textures of social
experience that arise as people engage withthe various technologies that comprise the
contemporary Internet »5.

Bien que ce terrain ne soit pas Internet, il demeure virtuel et des similitudes
s'observent. L'ethnographie lui semble particulièrement appropriée puisque cette
discipline est « an adaptive approach: the ethnographer chooses methods and
orientations and moves through the field according to what seems at the time to be the
most useful, and the most potentially enlightening tactic »6. Il s’agit de recourir aux
méthodes qualitatives pour observer, analyser et essayer de comprendre un ensemble
de comportements et d’interactions propres à l’univers virtuel.

L’observation participante est une des méthodes que j'ai privilégiées. Le choix
de cette méthode me semblait particulièrement pertinent. Pour reprendre les propos
de G. Brougère :

4 TURKLE Sherry, The Second Self : Computers and the Human Spirit, The MIT Press, 1984, p. 303.
5 HINE Christine, Ethnography for the Internet: Embedded, Embodied and Everyday, Bloomsbury
Publishing Plc, 2015, p. 29.
6 Ibidem, p. 177.

24
« Comment aborder un objet que l'on ne connaît que de l'extérieur? Cela
pourrait être un gage d'objectivité, à ceci près que le jeu vidéo ne se donne vraiment
à voir et sans doute à comprendre que si on le pratique. Il implique une observation
participante »7.

Cette observation ne se limite pas à ce qui se déroule en jeu et pendant le jeu mais
s'étend aux autres espaces ou échanges qui y sont liés comme les vocaux, les forums
ou même les rencontres de joueurs auxquelles j'ai participé. Les vocaux de guildes ou
de joueurs de Star Wars ont été un espace idéal pour écouter les joueurs et interagir
directement avec eux. En ce qui concerne les forums, hormis le forum officiel du jeu 8
et les nombreux forums de guildes, celui de la communauté des adeptes du jeu de rôle
sur le serveur français9 dédié à cette activité10 ont aussi été particulièrement utilisés
pour mes recherches. J’aborderai les rencontres hors du monde virtuel dans une partie
spécifique.

Plusieurs séries d’entretiens ont été menées, aussi bien des entretiens
généraux relatifs aux pratiques en jeu que des entretiens très spécifiques portant sur
des pratiques de jeu de rôle. Ces entretiens se sont déroulés soit à distance aussi bien
par écrit que de vive voix, soit en face à face, et ont aussi alimenté mes recherches. Il
est important de comprendre que les rencontres en face à face peuvent s'avérer
particulièrement compliquées. En effet, en choisissant le serveur français on est
entouré de francophones habitant plus ou moins loin. Il n'est pas évident d'organiser
une rencontre avec des joueurs localisés en Belgique, au Canada, en Islande, en
Suisse et même au Japon. Concernant les entretiens par écrit, il me semble
indispensable de rappeler que les contraintes techniques interviennent, une absence
de micro par exemple empêche toute discussion sur un vocal et la volonté de préserver

7 BROUGÈRE Gilles, « Préface », Les jeux vidéo : pratiques, contenus et enjeux sociaux, FORTIN
Tony, MORA Philippe, TREMEL Laurent (dir.), Paris, L’Harmattan, 2005, p. 9.
8 Forum officiel de Star Wars The Old Republic :

http://www.swtor.com/fr/community/forumdisplay.php?f=4
9 Il s’agit du serveur Battle Meditation devenu ensuite The Leviathan lors du regroupement de tous les

seveurs français en un seul.


10 Forum de la communauté de rôlistes de Star Wars The Old Republic :

https://swtor-rp.webrpg.info/index.php
25
son anonymat rend difficile la possibilité de communiquer par un autre moyen. Comme
précisé dans l’avertissement, les citations des joueurs ont été retranscrites telles
quelles, y compris lorsque les règles de grammaire, d’orthographe ou de conjugaison
ne sont pas respectées. Il en est de même pour les pseudonymes. Tous les joueurs
ayant participé à des entretiens ont été rencontrés en jeu, sur un vocal, ou encore lors
d’une rencontre hors du monde virtuel, à deux exceptions près. Tout d’abord, quatre
des membres de l’équipe de Game Guide, un site Internet spécialisé sur les jeux vidéo
dont Star Wars The Old Republic proposant des actualités etc., qui ont joué ou jouaient
à Swtor, ont accepté de m’accorder un peu de leur temps suite à une demande que je
leur ai faite via leur site. Le second cas est celui d’une personne employée par
Electronic Arts et en lien direct avec le jeu. Néanmoins, aucune autre information ne
sera divulguée à son sujet dans le but de préserver son anonymat. Il s’agit d’éviter
toute conséquence négative à son encontre puisque les échanges que nous avons eu
enfreignent les règles imposées par son employeur.

Les discussions informelles ont grandement enrichi ce travail. Elles constituent


même avec l’observation participante le principal mode de recueil de données de ce
travail. Il est impossible de donner un chiffre exact du nombre de joueurs et joueuses
avec lesquels j’ai interagi ou que j’ai observé au fil des années. Il dépasse
incontestablement la centaine -même plusieurs centaines- et mes échanges ou
observations ont été plus ou moins poussés selon les situations… Aborder ce point
sous cet angle n’est donc en aucun cas pertinent. Il apparaît plus intéressant
d’expliquer qu’en dehors des guildes, j’ai observé certaines sphères en pratiquant des
activités et de cette manière j’ai pu rencontrer ceux qui s’y adonnaient. Le mode
« Joueur contre Joueur », en particulier classé, mais aussi le jeu de rôle en sont de
parfaits exemples.

Plusieurs expérimentations ont aussi été menées, leurs protocoles seront


abordés au moment où elles seront évoquées. A titre d’exemple j’ai travaillé sur
l’impact pour les interactions entre joueurs et joueuses, de l’apparence et du sexe du
personnage utilisé en lien avec le sexe du joueur. J’ai aussi mené des expériences
afin de déterminer les préférences dominantes des joueurs entre la performance ou

26
l’apparence du personnage joué par une joueuse… Toutes ses expériences ont suivi
un protocole établi et ont été menées suite à l’émergence d’hypothèses issues
d’observations, en particulier sur les questions de genre. Elles ont toutes été menées
en jeu, sans que les joueurs en soient informés et conscients. Les expériences avaient
pour objectif de vérifier l’exactitude des données recueillies, en les confirmant ou de
les contredire, en les infirmant, et donc d’ouvrir de nouvelles pistes de recherche.

Concernant le matériel, j'ai d'abord débuté le jeu -et donc mon travail- sur un
vieil ordinateur de bureautique, qui une fois complètement inutilisable a été remplacé
par un ordinateur portable. Très loin d'avoir d'excellentes performances il me permet
tout de même d'accéder au jeu et de le faire tourner, bien que cela soit parfois avec
difficulté. Contrainte d'accéder au jeu en Wi-Fi, ma connexion Internet est souvent
fluctuante et il arrive que je sois déconnectée ou que je subisse des désagréments
ayant des répercussions en jeu. Afin d’interagir plus facilement avec les autres, je me
suis procurée un casque micro. J'ai d'autre part dû souscrire à un abonnement au jeu
dès que je le pouvais financièrement afin de ne pas subir de restrictions en jeu, ce qui
peut avoir des conséquences sur mes recherches dans la mesure où je ne peux plus
accéder à certaines activités pratiquées par les autres joueurs. Dès lors, il m'est
impossible de les accompagner et de les observer. Par conséquent, j'ai pu mener ce
travail dans des conditions relativement correctes qui, bien que loin d'être optimales,
ne m'ont pas pour autant empêchée d'accéder au jeu et d'échanger avec les autres
joueurs.

Une question du domaine de l'éthique s'est posée lorsque j'ai débuté mon
terrain : dois-je ou non me présenter en tant que chercheuse auprès des autres
joueurs. D'une part, il me semblait problématique d'étudier le comportement des autres
sans leur accord, même s'ils étaient anonymes. D'autre part, en dévoilant cette
information, je risquais des effets de biais, voire d'être mise à l'écart. Mon
positionnement fut donc le suivant : il m'était impossible de toute manière de prévenir
l'intégralité de la communauté des joueurs de la réalisation d’un travail de recherche
sur les interactions sociales, et sur le genre, dans les jeux vidéo en ligne massivement
multijoueur. J'ai donc décidé de ne pas divulguer cette information auprès des joueurs

27
que je rencontrais, sans pour autant spécialement la cacher. En effet, lors de
présentations j'expliquais ma situation sans préciser le sujet de ma thèse, me
contentant de dire que je m'intéressais aux loisirs et à la jeunesse. Avec le temps, si
les joueurs que je fréquentais s'intéressaient à ce que je faisais et m'interrogeaient, je
leur disais la vérité. Lorsque j'avais besoin de réaliser des entretiens, j’expliquais que
je menais des recherches en sciences sociales et je donnais davantage de détails au
besoin. Cette façon de procéder s'est avérée particulièrement bénéfique. Elle m'a
permis de côtoyer les autres joueurs, des guildes, des groupes sans qu'ils changent
leur comportement en raison de ma présence en tant que chercheuse. Lorsque
j'informais ces joueurs de mon sujet de recherche, pour satisfaire leur curiosité ou par
nécessité dans le cadre de mes recherches, les réactions étaient majoritairement
positives. Dans un contexte où les relations étaient cordiales et où j'étais considérée
avant tout comme une joueuse, les autres joueurs se sont montrés bienveillants et
plutôt satisfaits de pouvoir m'aider dans mon travail.

Mon expérience personnelle et mes choix relatifs au jeu doivent aussi être
évoqués. Dans la mesure où je devais me familiariser avec l'environnement et
rencontrer les différents joueurs, j'ai pratiqué toutes les activités proposées par le jeu.
J'ai créé de très nombreux personnages et ce, dans les deux factions. Ces
personnages ont servi à me représenter dans le jeu, m'ont permis de participer et
d'observer, et dans certains cas de mener des expériences sociales. J'ai ainsi incarné
des personnages masculins et féminins, humains ou non, de toutes les couleurs, de
diverses morphologies... En fonction des périodes et des activités pratiquées, le
personnage que j'incarnais variait. Malgré leurs différences, on constate un point
commun entre eux : tous mes personnages principaux sont des femmes. Etant moi-
même une femme j'ai préféré incarner des personnages féminins. Si mes premiers
personnages étaient destinés à infliger des dégâts à distance, ceux que j'ai le plus
joués et véritablement maîtrisés étaient des soigneurs. Ces informations qui peuvent
sembler anodines sont en réalité très importantes. Au cours de ma thèse, je traiterai
des différences qui existent entre les pratiques des joueurs et des joueuses, comme
le fait que les joueuses ont tendance à privilégier des personnages de leur sexe et à

28
jouer des personnages destinés à soigner. Il s'avère que je suis aussi en partie dans
ce cas de figure. Plusieurs éclaircissements s'imposent donc.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles je n'incarne pas de personnages


destinés à se battre au corps à corps. Au cours de ce travail, j'ai été amenée à me
demander ce qui avait motivé mes propres choix. Il se trouve que, dans tous les jeux
vidéo que j'ai pu expérimenter, j'ai toujours choisi un personnage infligeant des dégâts
à distance, et pouvant éventuellement soigner, sans que cela soit systématique par
exemple archère, sorcière... Je préfère simplement ces personnages et je suis plus à
l'aise avec leur « gameplay », c'est-à-dire la façon dont ils se jouent. Ainsi, je n'ai pas
de préférence particulière pour le soin puisque Star Wars The Old Republic a été le
seul jeu dans lequel j'ai incarné comme personnages principaux des soigneurs.
Cependant, je me suis rendue compte que j’étais plutôt douée avec une classe de soin
du jeu : j’ai donc privilégié cette classe pour les activités nécessitant des performances
élevées. D’une part, mon niveau me permettait d’être aisément acceptée dans les
groupes. D’autre part, il était plus facile pour moi de me concentrer sur mon travail,
puisque j’étais moins focalisée sur ce que j’avais à faire, et de prendre éventuellement
des notes même lors de ces activités.

En ce qui concerne l'apparence de mes personnages, aussi bien physique que


vestimentaire, hormis lors d'expériences précises, j'ai pris le parti de les faire
correspondre à l'identité que je leur ai inventée et à l'univers du jeu, ce qui est
indispensable dans le cadre du jeu de rôle. Par exemple, l'espèce Chiss étant
rattachée à la faction impériale, je n'ai pas de personnage Chiss Républicain. De
même le choix des tenues est corrélé à l'identité du personnage. Elles peuvent être
neutres ou mettre en évidence la catégorie sociale à laquelle appartient le personnage
: un Sith et un soldat n'ont pas la même allure. J'aborderai ultérieurement le rôle de
l'apparence du personnage dans les interactions entre les joueurs, aussi ces
précisions relatives à mes personnages ne sont pas dénuées d'intérêt.

Souffrant de cinétose, pratiquer certaines activités en jeu s'est avéré être très
difficile pour moi, notamment le combat spatial. Nous pourrions comparer ça à un long

29
et pénible trajet en voiture ou en bateau lorsqu'on a le mal des transports, ce qui est
mon cas. De fait, il m'est complètement impossible de jouer à certains jeux, dont les
jeux de tirs, ceux à la première personne, ou ceux dont les mouvements sont trop
rapides. Le combat spatial est une activité à laquelle j'ai consacré du temps, essayant
d'adapter ma façon de jouer afin de limiter la manifestation des symptômes les plus
violents, ce qui ne fut pas aisé et m'a empêché de faire des sessions prolongées.

Il ne serait pas honnête de ma part d'occulter la question de l'apprentissage et


de l'acquisition des compétences. J'ai fait mes premiers pas en jeu sans trop de
difficultés et je n'ai pas hésité à solliciter de l'aide lorsque j'en ai eu besoin. Comprendre
les termes employés par les autres joueurs m'a demandé un peu plus d'efforts. Star
Wars The Old Republic propose deux façons de jouer : au clavier, c’est-à-dire appuyer
sur une touche ou combinaison de touches pour activer un pouvoir, ou à la souris, un
clic sur un icône dédié à un pouvoir particulier permet de l’enclencher, la contrainte,
contrairement au clavier, étant de devoir cibler l’icône désiré avec le curseur. N'ayant
jamais joué au clavier, et éprouvant de sérieuses difficultés lors de mes tentatives,
j'utilise la souris. Jouer à la souris est souvent mal considéré, en effet, cela nécessite
plus de temps et donc nuit à la performance. Par ailleurs, j'utilise une souris
conventionnelle, qui n'est donc pas munie de touches supplémentaires servant de
raccourcis pour des compétences pré-attribuées. Malgré tout, je suis parvenue à
maîtriser rapidement une classe du jeu dont le rôle est de soigner. J’ai appris à la jouer,
à me déplacer, à utiliser ses compétences au bon moment... En incarnant ce
personnage, j'ai attiré l'attention des meilleurs joueurs et été invitée à me joindre à eux
afin de participer à des compétitions. Aussi étonnant que cela puisse paraître, mes
compétences étaient à ce moment-là réparties dans mon interface selon leur fonction,
mais surtout par couleur et par forme. Si cela vous semble correspondre à une
méthode de rangement comme une autre, pour un joueur c'est une aberration. Depuis,
l'un d'entre eux m'a proposé une autre interface afin d'optimiser mes performances,
que j'ai adoptée et que je conserve encore aujourd'hui. L'usage de certaines
compétences en jeu tient du réflexe, et nécessite d'agir rapidement, sans s'attarder
sur une quelconque réflexion. L'expérience qui vient avec le temps permet de
s'améliorer.

30
La question de la performance et du niveau du joueur est essentielle dans le
mode « Joueur contre Joueur classé ». Ce mode, sur lequel je reviendrai longuement
dans une partie consacrée à la compétition entre joueurs, a été approché par plusieurs
biais. Des saisons s’enchaînent, j’ai principalement participé à la saison 4 en groupe
en 2015, puis à la saison 6 seule la même année, mais dans une moindre mesure.
Mon objectif était de pouvoir observer et analyser les différences éventuelles dans les
pratiques et les interactions entre joueurs, selon qu’ils participaient à l’un ou l’autre,
voire les deux. J’ai pris part dans ce cadre à une centaine d’affrontements qui m’ont
apporté de précieuses données, y compris sur des aspects que je n’avais initialement
pas anticipé comme la triche. Mes recherches relatives à ce mode de jeu s’appuient
aussi sur les vidéos de joueurs que j’ai pu observer, mes échanges avec eux, ainsi
que mon observation de leurs interactions entre eux. J’ai été sollicitée pour rejoindre
plusieurs équipes souhaitant faire du « classé », j’ai accepté ou refusé certaines de
ces invitations selon les circonstances -engagements déjà pris, manque de temps etc.-
. Je n’ai donc pas rencontré de difficultés à être prise au sein d’une équipe. Les deux
équipes qui s’opposent dans un match à mort ne choisissent pas leurs adversaires, ni
leurs partenaires dans le cadre du mode « solo ». En ce qui concerne le classé en
groupe que j’ai véritablement étudié en participant à la saison 4, j’ai intégré une équipe
caractérisée par la spécificité d’être composée de membres de guildes différentes, ce
qui la rendait unique. Elle comprenait trois autres joueurs -uniquement des hommes-
et un remplaçant ponctuel. Avant de débuter le classé nous n’avions jamais joué
ensemble -ce qui est plutôt exceptionnel sachant que majoritairement les joueurs
s’entraînent au préalable, et se connaissent un minimum, ce qui n’était pas notre cas-
. Mon personnage au sein du groupe avait pour fonction le soin. Nous communiquions
entre nous grâce à un vocal. Nous jouions sur le serveur « Battle Meditation », sur
lequel j’ai passé le plus de temps, de façon hebdomadaire, uniquement en soirée et à
jours fixes connus par l’ensemble de la communauté. Ces précisions permettent de
donner le cadre dans lequel l’enquête relative à cette pratique a été menée.

Les protocoles d’enquête ont différé en fonction des besoins et de l’aspect


étudié. J’ai créé mon compte, téléchargé le jeu et fait mes premiers pas dans cet

31
univers en 2014, mais c’est à partir de 2015 et de mon inscription en thèse que ma
recherche a véritablement débuté. Au total, j’ai consacré plus de 5000 heures
connectée en jeu sur divers personnages dans le cadre de ce travail. Mon temps de
connexion et mes fréquences n’ont pas été réguliers tout au long de ses années.
Certaines périodes ont été plus intensives que d’autres, consacrées à la lecture ou à
d’autres types de recherches. Comme je l’ai évoqué précédemment, j’ai créé et
supprimé de nombreux personnages en fonction de mes besoins et afin de pouvoir
travailler sur plusieurs serveurs. Néanmoins, j’ai privilégié les serveurs francophones,
trois à l’origine qui ont par la suite fusionné et qui sont devenus « The Leviathan » en
2017.

Afin d’appréhender le fonctionnement des guildes j’ai intégré au fil des années
onze guildes différentes, toutes francophones mais sur plusieurs serveurs, pendant
des périodes variables allant de plusieurs semaines à plusieurs années. J’ai aussi
privilégié l’analyse de neuf autres guildes11 que je n’ai toutefois pas rejointes12. Au
total, dix de ces guildes étaient rattachées à la faction républicaine et les dix autres à
la faction impériale. Il est important de signaler qu’une partie de ces guildes proposait
une guilde miroir dans l’autre faction. Cependant même lorsque c’était le cas, ces
guildes privilégiaient toujours une faction. Certaines étaient orientées vers des activités
spécifiques du jeu, notamment dans le cas du jeu de rôle, et d’autres se voulaient
ouvertes à toutes les activités possibles. Chaque guilde avait ses spécificités -nombre
de joueurs actifs, organisation…- et a évolué au fils du temps ainsi qu’en fonction des
joueurs les ayant rejoint ou quitté. En moyenne ces guildes comprenaient
simultanément entre une dizaine et une vingtaine de joueurs. Ma place en tant que
joueuse faisant partie de cette communauté a été aussi bien en bas qu’en haut de la
hiérarchie interne propre à chaque guilde. Parmi ses guildes, nombreuses étaient
celles à proposer un forum et toutes disposaient d’un vocal. Ainsi mon travail sur les

11 Voici la liste des guildes intégrées par ordre chronologique : Les Titans oubliés, Sous-Quarantaine,

L’Ordre des Affranchis, Clan Berserk, Le Cartel de Nar Hekka, L’Enclave Galactique, Le Conseil des
Altruistes, Galactic Hackers, Les Artisans d’Anachore, Funky Family, Anarchie.
12 Autres guildes étudiées de façon privilégiée : Le Cénacle, Le Consortium Imperial, Le Clan Samuraï,

Last Squadron, Dark Knights, Les Guerriers de l’Eclipse, Hydra, Reward, Blvcklist.
32
guildes et les interactions des joueurs en leur sein s’appuient sur l’observation de vingt
guildes différentes.

J’ai par ailleurs participé à de multiples évènements IRL pour In Real Life, c’est-
à-dire des rencontres hors du monde virtuel entre les joueurs. J’ai donc rencontré
plusieurs dizaines de joueurs à de nombreuses reprises. Certains joueurs avaient des
personnages dans plusieurs guildes étudiées. J’ai rencontré au final en chair et en os
des joueurs et joueuses rattachés à seize des guildes évoquées13. J’ai aussi rencontré
un joueur qui ne faisait partie d’aucune de ces guildes et qui constitue mon unique
exception 14 . En effet, certains évènements IRL regroupent des joueurs qui
n’appartiennent pas aux mêmes guildes mais qui sont amis. Le nombre moyen de
participants à ces rencontres est variable. L’évènement IRL auquel j’ai participé et
ayant regroupé le nombre le plus faible de joueurs en a réuni quatre. En moyenne, ils
attirent environ une dizaine de participants. Au maximum, celui auquel j’ai été présente
et ayant regroupé le plus grand nombre de joueurs comprenait une quinzaine de
personnes. Les sorties en lien avec ces évènements ont été d’une grande diversité :
parc d’attraction, aquarium, restaurant, fête chez l’un des joueurs, visite touristique de
la ville et promenade, sorties nocturnes -discothèque, bar-… La mobilisation dépend
du lieu de la rencontre, des moyens financiers, de la distance, de l’organisation, de la
situation personnelle et de la personnalité des joueurs, en somme d’un ensemble de
facteurs. Il semble pertinent d’ajouter que je n’ai pas participé à tous les évènements
auxquels j’ai pu être invitée ayant d’autres obligations. Il est aussi important de préciser
que certains évènements se déroulent en dehors de nos frontières ou simplement
dans d’autres régions15.

Maintenant que les questions méthodologiques ont été abordées, mettre en


évidences les effets de biais possibles et les limites de ce travail s’impose. Tout
d’abord, il est important de garder en mémoire que certaines informations ne sont pas

13 Même en rattachant un joueur à une seule guilde parmi celles évoquées, lorsqu’il se trouvait dans
cette situation,
14 Il s’agit de Onze, un adepte du jeu de rôle.
15 La guilde Anarchie profite de l’été pour faire plusieurs évènements IRL dans différentes régions où

résident des joueurs. Ils font leur tour de France ou d’ailleurs -ils se sont aussi rendus en Belgique- et
partent ainsi en vacances ensemble.
33
vérifiables. Prenons un exemple, je n’ai pas rencontré hors du monde virtuel tous les
joueurs qui m’ont permis de recueillir des données sur leurs pratiques et leurs identités.
Il est tout à fait envisageable que des joueurs aient menti au sujet de leur âge ou de
leur profession. Cet aspect est à prendre en compte. Par ailleurs, mon terrain de
recherche a été principalement les serveurs français. Il est possible qu’il existe des
différences culturelles en fonction de la langue caractéristique des serveurs. Je n’ai
absolument pas étudié le serveur allemand, ne connaissant pas un seul mot dans cette
langue cela m’était impossible. Nous pouvons ajouter que cette thèse constitue une
monographie, le seul jeu vidéo étudié de manière approfondie est Star Wars The Old
Republic. Il n’a pas été possible d’entamer une démarche comparative poussée avec
d’autres jeux en ligne massivement multijoueur, la charge de travail étant beaucoup
trop importante, et le temps limité.

En dépit de son imperfection, cette thèse présente plusieurs intérêts. Elle


apporte des données sur un jeu massivement multijoueur très peu étudié. De cette
façon, elle permet de mettre en perspective les résultats obtenus par rapport à d’autres
travaux de recherche préexistants relatifs à des jeux vidéo de ce type. Cette thèse est
aussi une contribution aux travaux francophones dans ce domaine. Bien qu’au fil des
décennies les mentalités aient évolué, les stéréotypes sont encore présents dans notre
société. En fonction de divers facteurs, on y est plus ou moins confronté. Les
stéréotypes récurrents concernent la violence, l’addiction, l’isolement social, le
manque d’activité physique et ses conséquences sur la santé, mais aussi la part totale
de personnes qui jouent et l’importance de ce sujet d’étude. L’ensemble de ces
préjugés, en particulier lorsqu’ils sont en plus véhiculés par les médias, aboutit à ce
que les jeux vidéo soient perçus négativement. Il est important de rappeler que je ne
fais pas partie des précurseurs des études sur les jeux vidéo, même si elles sont
encore relativement récentes. Toutefois, c’est leur méconnaissance auprès du public
qui donne parfois cette impression. Ainsi, ma thèse pourrait, à sa mesure, poursuivre
ce travail d’information et de lutte contre ces préjugés. Toutefois son originalité
principale réside dans les questionnements relatifs au genre que j’ai abordés au cours
de ce travail. L’approche des interactions sociales dans les jeux en ligne par le prisme
du genre est encore aujourd’hui peu étudiée dans notre pays.

34
I. De la découverte du jeu à la
définition de l’Autre : allié ou
ennemi

35
36
Pablo Neruda a écrit dans J’avoue que j’ai vécu, « l'enfant qui ne joue pas n'est
pas un enfant, mais l'homme qui ne joue pas a perdu à jamais l'enfant qui vivait en lui
et qui lui manquera beaucoup ». Jouer est un besoin humain essentiel, quel que soit
l’âge et la façon de se divertir. Le jeu vidéo fait partie des possibilités de notre époque
offertes à l’individu pour pratiquer une activité ludique. Les jeux ont des règles et
peuvent faire appel à des talents ou au hasard ; il est ainsi préférable de savoir bluffer
pour jouer au poker et de savoir viser pour les jeux de quilles. Mais qu’en est-il des
jeux vidéo, et plus particulièrement de Star Wars The Old Republic ? Nous pouvons
nous interroger sur son fonctionnement et ses spécificités, sur ses règles, et sur la
façon dont le joueur va intégrer tous ces éléments. Nous pouvons aussi nous
demander comment s’organisent les échanges entre autant de joueurs, et si le jeu qui
constitue une sorte de film immersif dans lequel le joueur incarne le personnage
principal n’exerce pas une influence à travers son contenu sur le joueur sans que celui-
ci en soit nécessairement conscient, influence qui pourrait avoir des conséquences sur
ses interactions avec les autres…

1) La question de l’apprentissage

L’apprentissage est un processus indispensable pour s’épanouir dans le jeu.


Chaque jeu a ses propres mécanismes, ses règles, ses activités… Le joueur doit
prendre connaissance de ces divers aspects pour pouvoir jouer. L’individu devient un
joueur en apprenant et en pratiquant. Plusieurs méthodes sont possibles et le joueur
peut choisir celle qui lui convient le mieux. Toutefois, apprendre à évoluer dans
l’environnement du jeu n’est qu’un pan de l’apprentissage pour le joueur novice. En
effet, les adeptes des jeux vidéo emploient un vocabulaire spécifique et ceux qui
débutent doivent s’y habituer pour pouvoir communiquer plus aisément avec les
autres. Une fois que le joueur parvient à se débrouiller aussi bien avec son personnage
qu’avec autrui, il poursuit sa découverte du jeu, qui tel un conte, le fait voyager grâce
à plusieurs thèmes narratifs clefs qui ne lui sont pas inconnus...

a) Les premiers pas en jeu : devenir joueur

37
a.1. La découverte du jeu

Appréhender un jeu vidéo demande une maîtrise théorique et pratique, le


chercheur n’est pas un spectateur et il doit prendre part au jeu afin de pouvoir
véritablement appréhender certains de ses aspects. G. Brougère a écrit à ce sujet :

« Le jeu vidéo n'est pas un film que l'on peut se contenter de regarder en en
analysant les images, c'est un jeu qui implique une interaction permanente avec le
joueur, dont les différentes dimensions ne se révèlent, ne sont visibles et donc
analysables qu'en suscitant cette interaction »16.

C’est dans cette optique que le chercheur comme le joueur est amené à faire ses
premiers pas en jeu. Afin de pouvoir jouer à Star Wars The Old Republic, il suffit de
créer un compte et de télécharger le jeu sur le site internet officiel. Une fois téléchargé,
il faut alors le lancer, s’y connecter grâce à l’identifiant et au mot de passe que l’on a
choisi précédemment et alors l’aventure commence.

Tout d’abord, il est nécessaire de choisir un serveur. Un serveur est une


machine17 qui reçoit, envoie, stocke et centralise des données. Un serveur offre des
performances et une sécurité qu’il serait difficile d’avoir sur l’ordinateur personnel d’un
joueur. Un serveur peut par exemple stocker les données telles que les personnages
et les informations relatives à ceux-ci. Un logiciel client, c’est-à-dire le jeu, est quant à
lui installé sur l’ordinateur personnel du joueur. Il existe plusieurs de ces serveurs afin
notamment de limiter la population de joueurs sur chacun. Par ailleurs pour des raisons
de sécurité, avoir plusieurs serveurs est aussi un avantage, en cas de panne par
exemple. Les connexions internet jouent aussi un rôle justifiant l’intérêt de plusieurs
serveurs : cela permet en effet que le jeu soit plus fluide.

16 BROUGÈRE Gilles, « Préface », Les jeux vidéo : pratiques, contenus et enjeux sociaux, FORTIN
Tony, MORA Philippe, TREMEL Laurent (dir.), Paris, L’Harmattan, 2005, p. 11.
17 D’après Le Trésor de la Langue Française : « Organisme qui exploite un système informatique

permettant à un demandeur la consultation et l'utilisation directes d'une ou de plusieurs banques de


données ».
38
Il existe plusieurs critères de sélection du serveur. Les deux principaux sont la
localisation géographique et la langue. Dans la plupart des cas, une personne ne
connaissant que sa langue maternelle ne va pas choisir un serveur d’une autre langue
dans lequel les échanges avec les autres joueurs seraient particulièrement
compliqués18. Les locuteurs dont les langues ne sont pas représentées peuvent ainsi
être confrontés à un problème d'accessibilité. La localisation géographique quant à
elle importe essentiellement pour l’aspect social du jeu : en raison des fuseaux
horaires, en sélectionnant un serveur américain par exemple, les heures auxquelles le
joueur pourra se connecter ne seront pas forcément celles où il pourra rencontrer le
plus de monde… Le jeu n’existe qu’en trois langues, allemand, anglais et français,
c’est pourquoi les Européens non germanophones et francophones choisissent des
serveurs anglais. On peut y trouver des guildes italiennes, espagnoles, etc.

Nous avons précédemment abordé ce à quoi correspondait un serveur sur le


plan technique, cependant, il semble important d'ajouter qu'un serveur représente bien
plus. Un serveur est vivant, il existe grâce aux joueurs qui l'ont choisi et en font partie.
Chaque serveur constitue une micro-société avec ses spécificités. Lorsqu'un serveur
perd sa communauté, quelle qu'en soit la raison -migration, arrêt du jeu...-, il meurt en
quelque sorte.

A l’origine, les serveurs se distinguaient en fonction des trois activités


principales : le jeu de rôle, le mode « Joueur contre l’Environnement » ou JCE et le
mode « Joueur contre Joueur » ou JCJ.

18Il existe toutefois des exceptions notamment lorsqu’un individu en rejoint d’autres qu’il connait,
comme lors d’une migration de guilde par exemple, ou dans le cadre compétitif lorsqu’un serveur est
davantage réputé et qu’un joueur veut se mesurer à des adversaires plus coriaces.
39
Cette distinction a disparu au cours du premier trimestre 2016, et au même moment
l’écran de sélection des serveurs a été modifiée, un nouveau système a été mis en
place. Chacun des serveurs19 a conservé son nom et en ce qui concerne les serveurs
français nous avions donc, par ordre alphabétique, « Battle Meditation »20, « Darth
Nihilus »21 et « Mantle of the Force »22. En 2017, les serveurs ont fusionné selon la
langue et la localité, à l’heure actuelle il n’existe plus qu’un seul serveur français, « The
Leviathan ». Il importe de préciser qu'il est toujours possible de faire des personnages
sur plusieurs serveurs, tout comme le joueur peut décider de supprimer son ou ses
personnages à tout moment sur n'importe quel serveur. Toutefois, s'il venait à regretter

19 Un nouveau joueur qui se serait renseigné sur ces différents serveurs grâce au forum officiel ou par

d'autres moyens tels que des amis qui y jouaient ou d'autres sites Internet pouvait aisément
appréhender les différences de ces trois serveurs qui, bien que non officielles, étaient réelles.
20 « Battle Meditation » avait perdu une partie importante de sa population au fil des années mais

demeurait un serveur actif grâce, certes à des irréductibles joueurs attachés à leur serveur de départ,
mais surtout à la communauté de rôlistes qu'il abritait. En effet, la plupart des adeptes du jeu de rôle,
contrairement à nombre d'autres joueurs, n'avait pas migré vers d'autres serveurs lors de ce que nous
appellerons les grandes vagues migratoires.
21 « Darth Nihilus » était un serveur que nous pouvons qualifier de « mort », ou « vide ». Lors de notre

étude, il s'avérait qu'aux heures de fréquentation élevée on peinait à y trouver une dizaine de joueurs
connectés, et croiser un autre joueur se rapprochait du miracle. Ce serveur n'a pas survécu au temps
et aux changements.
22 « Mantle of the Force » était le principal serveur français.

40
d'avoir un personnage sur un serveur et voulait le conserver tout en jouant ailleurs, il
lui serait possible de le transférer.

T. L Taylor est une chercheuse qui a beaucoup travaillé sur le monde virtuel, en
particulier sur EverQuest. Elle explique dans un ses articles, « Does WoW Change
Everything? »23 en quoi la question de la localisation et de la langue, en lien avec les
serveurs, est importante dans les jeux vidéo en ligne massivement multijoueur. Il s’agit
d’espace où des joueurs de diverses régions, nationalités et cultures se retrouvent.
Dans World Of Warcraft des guildes se forment sur des serveurs anglophones et
regroupent des joueurs qui ont une autre langue maternelle. Les actes des membres
qui les composent, la réputation de ces guildes jouent un rôle dans le développement
et la diffusion de stéréotypes associés à un peuple ou à une culture. Il est possible que
ce phénomène se produise aussi sur Star Wars The Old Republic sur les serveurs
anglophones. Cependant, notre étude s’est principalement concentrée sur les
serveurs français, sur lesquels la langue française est la seule utilisée, à de très rares
exceptions près. Ainsi, nous n’avons pas rencontré ce type de situations.

À tout moment, un joueur peut transférer -sous quelques conditions - un


personnage d'un serveur à un autre. Néanmoins, cela a un coût -en monnaie du jeu et
en monnaie fiduciaire. Nous traiterons de l'aspect économique ultérieurement,
cependant nous devons comprendre qu'il est possible grâce à de l'argent -des euros
ou des dollars- d'acheter une monnaie virtuelle, des « pièces de cartel » 24, qui peuvent
notamment être utilisées afin de transférer un personnage. Les pièces de cartel sont
aussi offertes mensuellement aux abonnés, joueurs bénéficiant d'un statut particulier
en contrepartie d'une somme payée mensuellement pour l'abonnement au jeu, de 500
à 600 pièces environ selon le type d'abonnement, ou peuvent être obtenues en jeu

23 TAYLOR T. L., « Does WoW Change Everything? How a PvP Server, Multinational Player Base, and

Surveillance Mod Scene Caused Me Pause », Games and Culture, Vol.1, N°4, 2006.
http://tltaylor.com/wp-content/uploads/2009/07/Taylor-DoesWoWChange.pdf (consulté le 17/04/2019)
24 Le coût en décembre 2016 était de quatre euros pour obtenir 90 pièces, huit pour en obtenir 1050,

dix-sept pour 2400 ou encore trente-cinq pour 5500 pièces de cartel.


Bien qu'ils soient susceptibles d'évoluer, les tarifs n'ont pas changé sur l'année, et étaient les mêmes
l'année précédente.
http://www.swtor.com/fr/buy
41
bien qu'en faible quantité, en général 20 pièces, en réalisant certains succès25, peu
nombreux. À plusieurs reprises de 2015 à 2016 mais aussi en 2017, et pendant
plusieurs mois, le coût d'un transfert de personnage en pièces de cartel est passé de
1000 à 90. Cette réduction du coût du transfert fut considérable et rendit le transfert
de personnage abordable, permettant à tous les joueurs d'en profiter s'ils le désiraient.
L'effet de cette promotion fut l'apparition de grandes vagues migratoires de deux types,
parfois liés : l'exploration et l'exode. De nombreux joueurs ont saisi cette occasion pour
faire voyager un personnage d'un serveur à un autre, l'idée étant de découvrir
comment ça se passait ailleurs, quel était le niveau, la mentalité, la façon de jouer etc.
Si certains étaient animés par la seule curiosité, la volonté d'essayer de nouvelles
choses et de rencontrer d'autres personnes, pour d'autres, la recherche d'un nouveau
serveur était la principale motivation26.

Avant de continuer il semble impératif d’avertir le lecteur d’une dimension qu’il


doit prendre en compte pour comprendre ce travail : un jeu en ligne évolue au fil du
temps. Des extensions vont être ajoutées, des changements opérés en termes de
fonctionnement du jeu ou simplement esthétiques… Sur Swtor, au fil des années de
nombreuses choses ont changé, mais la tendance majeure correspond à une
simplification considérable du jeu à tous les niveaux. L’hypothèse principale expliquant
cette évolution est la volonté de pallier la baisse de fréquentation des joueurs en
attirant un plus large public. La progression en jeu s’en trouve véritablement facilitée
et nous pouvons donner plusieurs exemples associés aux différents modes de jeu.
Prenons d’abord le mode « Joueur contre l’Environnement ». Dans celui-ci le joueur
suit une histoire, explore diverses planètes, affronte des adversaires conçus par les
développeurs et qui ne sont pas contrôlés par des personnes. À l’origine un joueur ne
pouvait pas accéder à une zone qu’il n’avait pas auparavant explorée, il devait donc

25 Un succès est l'accomplissement d'un objectif proposé par les développeurs du jeu, par exemple
éliminer un certain nombre d'adversaires, atteindre un niveau défini...
Dans Star Wars The Old Republic, la plupart des succès permettent d'obtenir des points visibles par
tous les joueurs et donnant des informations sur le style de jeu du joueur : les activités qu'il pratique en
jeu, son niveau, son ancienneté...
Ils permettent aussi parfois d'obtenir des décorations pour les forteresses, des titres pour ses
personnages ou encore des pièces de cartel en récompense.
26 C'est en effet pendant cette période que « Darth Nihilus » fut déserté, le peu de joueurs restant ayant

décidé de le quitter ensemble après des mois de tentatives visant à le maintenir actif. Les dernières
guildes importantes partirent donc fin 2015, début 2016.
42
parcourir chaque planète pour pouvoir par la suite se rendre rapidement dans la zone
en question grâce au « taxi » qu’il avait déverrouillé -si celle-ci était desservie- ou grâce
au « voyage rapide », fonctionnalité qui permet de se rendre directement à certains
endroits sur la carte. Or, à la suite des modifications opérées, il est devenu facile de
se rendre partout et l’exploration a perdu tout son sens : tous les « taxis » sont
accessibles et il est possible de les utiliser pour se rendre dans une zone inconnue…
On peut ainsi voyager d’un point à un autre sans avoir jamais effectué le chemin entre
les deux « à pied » ou sur une monture27. Le niveau des adversaires plutôt coriaces a
été abaissé, certaines missions qui ne pouvaient être faites qu’à plusieurs sont
aujourd’hui réalisables seul. Concernant le mode « Joueur contre Joueur », le système
des compétences et les combats ont été simplifiés avec notamment un contour
lumineux qui apparait sur la compétence28 qu’il faut activer/déclencher -en cliquant ou
en utilisant un raccourci clavier- au moment où elle est la plus efficace. Il est difficile
de savoir si ces changements ont été réellement bénéfiques. En effet, certains joueurs
à contrario déçus par cette évolution ont décidé de cesser de jouer. Pour Bioware, la
société de développement du jeu, les profits risquent d'être affectés puisque des
joueurs résilient leur abonnement. Par ailleurs, en perdant des joueurs, la communauté
perd une partie de ses membres, ce qui peut aboutir aux départs d'autres joueurs, qui
vont préférer changer de jeu pour continuer de passer du temps avec leurs amis plutôt
que de rester seuls sur Swtor. Ce paragraphe souligne le fait qu’il y a un écart
considérable entre un joueur qui a commencé le jeu il y a quelques années et un joueur
qui débute maintenant, pour qui tout sera plus simple.

Mais revenons à notre sujet initial. Suite au choix du serveur, vient la création
du personnage. La création du personnage est un point capital qui mérite d’être traité
à part entière et nous l’aborderons donc de façon détaillée ultérieurement. Pour
l’instant, contentons-nous de savoir que le joueur crée un personnage dont il choisit le
nom et qui est caractérisé par une « classe » à laquelle sont rattachés un type de

27 Une monture est un animal ou un véhicule permettant dans le jeu de se déplacer plus rapidement
qu'à pied.
28 Une compétence peut être définie comme une action que son personnage est capable de réaliser

parce qu'il l'a apprise ou qu'il la connaissait déjà, par exemple utiliser une technique de combat, un
pouvoir, un objet. Certaines compétences sont partagées alors que d'autres sont propres à des classes,
ou à des spécialités.
43
combat et une histoire scénarisée propres. Le schéma ci-dessous propose un
récapitulatif des différentes classes et spécialités avec leur équivalence pour chacune
des factions.

44
Une fois ce personnage créé, l’histoire débute avec une scène cinématique.
Une cinématique est une vidéo et c'est principalement grâce aux cinématiques que
l'histoire est contée. Pour reprendre Yves Chevaldonné, « la question de la narrativité
est au centre du jeu vidéo »29. Dans la plupart des jeux vidéo, le joueur est passif lors
de ces séquences. Il devient alors spectateur. L'auteur écrit que « les fonctions
narratives principales de la cinématique sont de présenter l’univers du jeu et le
personnage, et d’assurer la transition entre deux phases de jeu. Elle permet aussi
d’expliquer certains événements, et constitue donc un élément essentiel dans la
construction du récit d’un jeu "à scénario" »30. Dans Star Wars The Old Republic,
comme dans de nombreux jeux de Bioware qui le développe, dont Dragon Age ou
Mass Effect, le joueur participe à une partie de ces cinématiques en choisissant les
réponses de son personnage. Ces cinématiques sont donc la plupart du temps
interactives, le joueur participant aux dialogues qui impliquent son personnage. Il
choisit parmi plusieurs propositions ce que fait son personnage et certains de ces choix
auront une incidence sur la suite de l’histoire. Un peu comme dans les livres dont vous
êtes le héros, le joueur se voit offrir un nombre d'options limitées qui le mèneront vers
des chemins différents. Les cinématiques concentrent donc l'histoire du jeu et les
thèmes qui la composent.

De même chaque personnage a un « alignement » qui varie selon les actes du


joueur : si son personnage est bon alors il sera « lumineux », s’il est cruel, il sera
« obscur ». L’alignement est en quelque sorte le positionnement moral ou/et éthique
du personnage. Il s’avère que dans certains cas on peut toutefois s'interroger sur
l’assignation des choix à un alignement bon ou mauvais. Par exemple, n’est-il pas
davantage clément d’abréger les souffrances d’un individu blessé, choix « obscur »,
que de l’emprisonner, le laissant en vie pour le torturer afin de lui soutirer des
informations, choix « lumineux ». Un personnage peut aussi être neutre en effectuant
parfois des choix le rapprochant de la lumière, et parfois d’autres l’en éloignant.
L’alignement n’a pas qu’un impact sur l’histoire, certains objets en jeu nécessitent un
alignement spécifique pour être utilisé. D’autre part un alignement « obscur », que le

29 CHEVALDONNE Yves, « Intertextualités : jeu vidéo, littérature, cinéma, bande dessinée. », Hermès,
La Revue, N° 62, 1/2012, p. 118.
30 Ibidem, p.118.

45
joueur peut choisir d’afficher, modifie physiquement son personnage : sa couleur de
peau, ses yeux… Ce qui n’est pas le cas pour un alignement lumineux qui lui, affiché
ou non, n’est pas visible. Il n’est pas rare que les choix moraux aient une incidence sur
l’apparence du protagoniste dans les jeux vidéo, c’est aussi le cas dans Fable par
exemple.

L’histoire ou plutôt les histoires débutent. Tout d’abord, il y a l’histoire principale,


les huit classes du jeu, quatre impériales et quatre républicaines ont un scénario
propre. A la sortie du jeu l’histoire était découpée en trois chapitres, ce qui n’est plus
le cas, ce découpage ayant disparu avec la sortie de nouvelles extensions. Les
histoires varient par ailleurs selon les classes dont nous avons parlé plus haut, allant
de missions d’infiltration avec l’agent impérial à un obscur fléau à endiguer avec le Jedi
consulaire, en passant par une histoire de vengeance avec le guerrier Sith, des
fantômes et une quête de pouvoir avec l’inquisiteur, etc. Toutes les histoires mettent
en scène l'ascension progressive du personnage principal reconnu pour ses mérites.
Le scénario de classe les amène à rencontrer divers personnages au fil de
l’avancement, à parcourir des planètes… À chacune d’entre elles est également
associé un scénario central lié à l'histoire, à la politique et à l'actualité de l'univers fictif.
Ce scénario varie selon la faction mais reste identique quelle que soit la classe du
personnage. Par ailleurs, tous les personnages d’une même faction peuvent
rencontrer en tous lieux des protagonistes qui leur proposent des quêtes. Il peut s'agir
d'éliminer un certain nombre d'adversaires, de sauver des prisonniers, de retrouver
une ou plusieurs personnes disparues, de récupérer ou de détruire des objets -armes
ou moyens de transports par exemple-. Les quêtes servent à gagner des récompenses
et des points d'expérience. Les points d'expérience se cumulent et une fois un seuil
défini atteint ou dépassé, le personnage monte de niveau jusqu’au niveau maximum31.
Tous les joueurs ne peuvent néanmoins pas atteindre le niveau maximal.

31Plus le niveau est élevé plus il devient difficile d'atteindre le pallier suivant. Le niveau maximal était
50 lors de la sortie du jeu mais a évolué au fil du temps et avec la sortie de plusieurs extensions. Il est
ainsi passé à 55 avec Rise of the Hutt Cartel traduit en L'avènement du Cartel des Hutts, puis 60 avec
Shadow of Revan ou, en français, L'ombre de Revan, il est passé à 65 avec Knights of the Fallen
Empire, souvent abrégé en « Kotfe » et enfin à 70 avec la sortie de Knights of the Eternal Throne.
46
Il existe en effet trois catégories de joueurs : les joueurs sans abonnement, les
joueurs abonnés et les « privilèges », c’est-à-dire ceux qui furent abonnés mais ne le
sont plus ou qui ont fait un achat sur le marché du cartel, donc en argent non virtuel.
Chacun des trois statuts possède des caractéristiques précises : les joueurs abonnés
sont ceux qui bénéficient de nombreux avantages alors que les autres sont soumis à
plus ou moins de restrictions32. Il n'est pas impossible de jouer sans abonnement mais
cela s’avère plus contraignant et plus long, et implique aussi de renoncer à certaines
activités. Un joueur m’a affirmé par exemple : «Vu ce que Swtor propose, j’ai pas envie
[de me réabonner], à part les restrictions PvP, et encore j’ai plein de personnages ou
je joue avec des gens abos33, ça me dérange pas. Je reste désabo comme ça me
gêne pas »34.

Précédemment nous avons mentionné l'existence des pièces de cartel, mais


aussi des crédits, qui eux, s'obtiennent uniquement en jouant et ne peuvent être
achetés avec de l'argent. Les pièces de cartel sont liées au compte, ce qui signifie
qu'on peut y accéder avec n'importe quel personnage quel que soit le serveur qui
l'abrite. Elles peuvent être utilisées afin de faire des transferts mais aussi de renommer
un personnage ou encore d'acheter des objets au « marché du cartel »35. Enfin, elles

32 . Les joueurs sans abonnement voient leurs personnages limités au niveau 50, ils ne peuvent pas
utiliser des objets d'un certain rang -élevé-, ne peuvent pas participer à plus de cinq parties « zone de
guerre » par semaine ni à plus de trois « zones litigieuses » par semaine, ils n'ont pas accès aux «
opérations », ne peuvent posséder que 200 000 crédits d’argent virtuel par personnage, ne peuvent pas
utiliser de soute , envoyer du courrier, faire des échanges et ont de nombreuses autres limitations. Les
joueurs abonnés ont quant à eux accès à tout ce que nous venons d'énumérer et de façon illimitée. Ils
bénéficient d’un coût légèrement réduit pour les objets, un gain d'expérience augmenté... Le statut «
privilège » est un statut intermédiaire. N'étant plus abonnés, ils ne conservent pas les avantages
correspondant à cette catégorie de joueurs mais l'ayant été par le passé, ils ne repassent pas non plus
complètement dans la catégorie des joueurs sans abonnement. Par exemple, ils peuvent envoyer du
courrier et des pièces jointes, mais pas des crédits, ils sont limités à 350 000 crédits par personnage,
ils peuvent échanger avec d'autres joueurs à partir du niveau 10.
33 Une façon de contourner les restrictions relatives aux zones de guerre est de jouer en groupe avec

des joueurs abonnés. Si un joueur abonné inscrit son groupe dans la file d’attente pour participer même
si le groupe comprend des joueurs non abonnés, tout le monde pourra accéder à la zone de guerre -y
compris les joueurs non-abonnés ayant dépassé leur quota hebdomadaire de parties-.
34 Propos tenus par Dylan, un jeune homme de 18 ans au moment de la discussion et qui vit dans le

centre de la France. En jeu, il a plusieurs personnages et pseudonymes. Je le connais sous celui de


Blad.
35 Le marché du cartel propose des armes, des armures, des montures, des couleurs et coupes de

cheveux, ou autres modifications d'apparence comme les tatouages, permettant de personnaliser


davantage son personnage. Il est aussi possible d'acheter des packs qui comprennent des objets -
aléatoires ou non selon le type de pack-.
47
mais il faut ensuite débourser 1 440 000 crédits pour pouvoir accéder à l'intégralité de
la forteresse, terrasse incluse. La forteresse de Yavin IV est la plus onéreuse, le coût
total étant de 13 millions de crédits ou de 11 000 pièces de cartel si le joueur préfère
conserver ses crédits, bien qu'en général, les pièces de cartel soient perçues comme
étant plus précieuses. Les forteresses ont été ajoutées avec l'extension Galactic
Strongholds en 201439. Le joueur, quels que soient son expérience et le niveau de son
personnage, peut commencer à faire du housing. Le housing est le nom qui a été
donné par les joueurs à l'activité consistant à aménager40 et décorer41 une forteresse.
Le joueur peut acheter des décorations, il peut aussi en gagner en validant des
« succès », en échanger contre des « cristaux » qui s'obtiennent en récompense, ou
encore en obtenir grâce à l'artisanat.

Mentionnée dans le paragraphe précédent, la Flotte est un espace essentiel


d’interactions entre les joueurs. Elle comprend des espaces distincts dédiés à diverses
activités. L’image ci-dessous est une carte de la Flotte à laquelle des pourtours de
couleur ont été ajoutés afin de mieux délimiter les zones que sont la réserve -en jaune-
, l’espace d’entrainement au combat -en rouge-, le marché galactique -en vert-, la
cantina -en orange- et la section forteresses et compétences d’équipage en violet :

39 Avec cette extension, seules celles de Coruscant, Dromund Kaas et Nar Shaddaa étaient disponibles.
Par la suite, celle de Tatooine a été ajoutée, puis enfin celle de Yavin IV, par Manaan.
40 Le joueur place les décorations qu'il possède sur des « crochets ». Les crochets sont des surfaces

de formes carrées ou rectangulaires, de tailles variables, qui se trouvent sur le sol, les murs et les
plafonds. Il est possible de modifier l'agencement de certains crochets et de changer de type de
crochets, par exemple d'un rectangle de taille moyenne à deux petits carrés. Chaque type de crochet a
une couleur, ce qui lui permet d'être plus aisément reconnaissable. Les plus petits sont verts, ceux de
taille moyenne sont bleus et les plus grands sont violets. Une fois l'objet placé sur le crochet, le joueur
peut aussi le faire tourner sur lui-même pour changer son orientation ou le décaler, en avant, en arrière,
à gauche ou à droite.
41 Il existe différents types de décorations : citoyenneté ; conteneur ; environnement ; mobilier ; luminaire

; monture, animal, partenaire ; personnel ; pancarte ; technologie ; trophée ; usage général. Le « mobilier
», avec des lits, tables, chaises exclut notamment les sculptures et fontaines appartenant à la catégorie
« citoyenneté ». La « technologie » est aussi une catégorie à part, avec par exemple des ordinateurs
ou des consoles. La catégorie « environnement » comprend des cristaux, des végétaux et des éléments
biologiques comme des œufs etc.
49
Chacun de ces espaces est accessible à tous les joueurs à partir du niveau 10 42.
Certains joueurs préfèrent rester dans leur vaisseau, leur vaisseau de guilde ou dans
une forteresse, leur appartenant ou non, mais d’autres choisissent de privilégier la
Flotte. Les raisons sont multiples. Le joueur peut décider de rester sur la Flotte pour
satisfaire plus facilement un besoin comme la présence de bornes de mission ou de
vendeurs. La dimension sociale est aussi un motif récurrent, croiser d’autres joueurs,
interagir avec, parfois même jouer à cache-cache ou à chat avec. Certains joueurs
s’approprient même un espace, en particulier dans la zone consacrée au mode

42À l’exception d’une zone VIP au-dessus de la cantina uniquement réservée aux possesseurs d’un
objet qu’il est possible d’acheter en jeu ou obtenu dans d’autres conditions spécifiques.
50
« Joueurs contre Joueurs » dans laquelle on retrouve systématiquement des
personnages ou même des guildes à un même emplacement. Sur le serveur Battle
Meditation par exemple, la guilde les Guerriers de l’Eclipse avait tendance à se placer
en face des bornes de mission du mode « Joueurs contre Joueurs » sur la rambarde.
Bien entendu, cela n’empêche pas la présence d’intrus ou d’indésirables à l’endroit
que s’est approprié un joueur que ce soit par ignorance ou volontairement dans le but
de provoquer, rencontrer ou encore s’afficher avec l’autre joueur.

L'artisanat est présent dans Swtor comme dans la plupart des MMO tels que
World Of Warcraft, Guildwars ou encore The Elder Scrolls Online. Chaque personnage
peut apprendre trois « compétences d'équipage », pour les joueurs abonnés, deux
pour les privilèges et une pour les joueurs sans abonnement. Il y a trois catégories de
compétences d'équipage. Tout d'abord, les compétences de collecte, le personnage
peut en évoluant dans le monde récupérer des objets, les ramasser en quelque sorte 43.
La deuxième catégorie de compétence est celle des missions. Elles consistent à
envoyer un partenaire seul en mission pour obtenir des récompenses. Selon le type
de missions44, les récompenses varient. Pour finir, les dernières compétences sont les
métiers de confection. Il s'agit de la création d'objets 45 . Par ailleurs, il est plus
intéressant d'associer certaines compétences entre elles. Par exemple, si l'on veut
faire des cristaux pour ses armes, il faut choisir « artifice » mais au-delà du métier, il
faut les matériaux, donc il est pertinent de choisir « archéologie » afin de s'en procurer
lors des aventures du personnage et « chasse au trésor », pour envoyer ses
partenaires en récupérer d'autres qui ne peuvent pas se trouver dans l'univers du jeu
directement. L'idée est de choisir des compétences complémentaires entre elles pour

43 Le piratage permet d'ouvrir des coffres contenant des crédits, la récupération concerne les métaux et
autres matériaux de ce type, l'archéologie les cristaux et enfin la bioanalyse les plantes et les cadavres
d'êtres organiques.
44 Il y a la diplomatie, l'investigation, la chasse au trésor ou encore le commerce illégal.
45 Il existe six compétences de confection, la fabrication d'armures –pour les non-utilisateurs de la Force-

, la fabrication d'armes, l'artifice, qui consiste à créer des cristaux, des sabres et des teintures, le
synthétissage, qui permet de confectionner des armures pour les utilisateurs de la Force, la biochimie
qui sert principalement à produire des « stims » et des « médipacs » et enfin la cybernétique qui permet
de réaliser des implants ou des oreillettes qui sont des pièces d'équipement. Chacune d’entre elles est
bien plus complexe, nous avons juste mentionné les éléments les plus importants. Par exemple, la
cybernétique permet aussi de construire des speeders.
51
faciliter l'avancement de l'artisanat, comme dans cet exemple où l'on collecte
directement les matériaux dont on a besoin pour confectionner des objets précis.

Selon William Sims Bainbridge, « Death is a major theme in many MMOs and
solo-player games »46. La santé et la mort du personnage sont des aspects essentiels
dès le début du jeu47. Un personnage peut se blesser en tombant, voire même mourir
si la hauteur de la chute est trop importante. Il peut aussi l'être en raison de
l'environnement, par exemple en se trouvant sous de l'acide ou dans de la lave. Enfin,
ses adversaires, qu'ils s'agissent ou non de joueurs, peuvent aussi le blesser ou le
tuer. Lorsque le personnage n'est pas en combat, sa vie remonte progressivement très
lentement toute seule ou il peut utiliser une compétence gratuite, infinie et instantanée
qui accélère le processus. En combat, selon la classe à laquelle appartient le
personnage, sa spécialité et son niveau, le personnage peut disposer de compétences
de soins qu'il peut utiliser sur lui-même pour récupérer une partie de sa vie. Il peut
aussi être soigné par un allié. Dans les zones litigieuses, pour la plupart des « boss »48,
il existe des « distributeurs de kolto » qui peuvent être utilisés pour redonner des points
de vie au groupe, le « kolto » étant dans l'univers de Star Wars un liquide médical issu
d'une plante et permettant de guérir presque toutes les blessures. Si le joueur est seul
et qu'il ne possède pas de compétences de soin, il peut toujours utiliser un
« médipac ». Un médipac est un objet qui redonne des points de vie. Il en existe
plusieurs, plus ou moins puissants et ils peuvent être utilisés à tout moment, y compris
et surtout en combat49. En fait, plus le niveau du personnage augmente plus ses points
de vie augmentent et par conséquent il lui faudra des médipacs qui permettent de
récupérer davantage de points de vie 50. Il existe aussi des objets et compétences
permettant de réduire les dégâts subis, d'en absorber ou d'en renvoyer une partie.
Dans le cas où le personnage viendrait à mourir en zone de guerre, il réapparait dans

46 BAINBRIDGE William Sims, EGods: Faith Versus Fantasy in Computer Gaming, Oxford University
Press, 2013, p. 243.
47 Tous les personnages possèdent une barre de vie, de couleur rouge. Elle correspond à une quantité

de points de vie qui diminuent lorsque le personnage est blessé. Si elle atteint zéro le personnage
décède.
48 Un boss est un adversaire plus puissant que les autres.
49 En zone de guerre, les médipacs à utiliser sont différents, ils restaurent immédiatement 35 % de la

santé maximum du personnage et ne peuvent pas être utilisés à l'extérieur de ces zones.
50 Á titre informatif, chaque personnage possède deux médipacs lorsqu'il commence le jeu.

52
une zone dédiée à cet effet et peut se rendre de nouveau dans l'espace où se déroule
l'action après quelques instants51. L'exception est l'arène dans laquelle une fois mort,
il faut attendre la manche suivante pour recommencer les combats. Dans
l'environnement, quel que soit le type d'abonnement, le personnage peut jusqu’au
niveau 10 réapparaitre à l'endroit où il est décédé. Il apparait en étant invisible, avec
seulement une partie de sa vie et a 10 secondes pour se rendre dans un endroit plus
sûr afin de régénérer sa vie. Un compte à rebours lui donne une indication du temps
restant et à la fin de celui-ci il redevient visible. Ce système permet au joueur d'éloigner
son personnage du ou des adversaires. Si on ne peut pas être réanimé sur place, il
est toujours possible de réapparaitre, avec toute sa vie, au centre médical de sa faction
le plus proche 52 . Cette option est gratuite mais peut être un peu pénible lorsque
l'endroit est éloigné. Ajoutons que le temps pour réapparaitre sur place augmente
progressivement si le personnage meurt plusieurs fois de suite. Enfin, tous les
personnages peuvent être réanimés par un allié hors combat ainsi qu’en combat mais
sous certaines conditions.

Tous les joueurs quel que soit leur profil, leur âge, leur sexe sont amenés à
découvrir progressivement le jeu et ses multiples facettes. L’apprentissage est un
processus inévitable pour ceux et celles qui s’impliquent dans le jeu. Le temps que
dure celui-ci et les procédés éventuellement utilisés pour le faciliter vont varier selon
les individus.

a.2. L’espace-temps dans Swtor : un monde en soi

En physique, la notion d’espace est associée systématiquement à celle de


temps. Un changement relatif à l’un engendre des effets sur l’autre. Dans le jeu vidéo,
la présence de « bug » peut aller à l’encontre du principe d’espace-temps. Par
exemple lorsque la texture disparaît, que le personnage ne peut plus se déplacer, qu’il

51 Notons qu’en zone de guerre, le personnage peut mourir très régulièrement sans que cela n’impacte
l'état de son équipement, qui n'est pas endommagé dans ces zones contrairement à ce qu'il se passe
lorsque le personnage est vaincu par l'environnement.
52 Á partir du niveau 10, les joueurs non abonnés ou « privilèges » possèdent un total de cinq sondes

de réanimation par personnage qu'ils peuvent utiliser quand ils le souhaitent, après quoi ils devront
utiliser un autre moyen : le retour au centre médical.
53
est coincé à un endroit précis, l’espace disparait aussi. Voici un exemple illustratif :
une partie de l’environnement a « disparu » et le personnage se retrouve coincé à
l’emplacement où il se trouve, incapable de se déplacer.

Le temps peut être affecté dans le jeu quand le joueur subit un retard serveur, même
si bien entendu, il n’y a pas de conséquence sur le temps qui s’écoule dans le monde
non virtuel. L’idée est de mettre en évidence que Swtor constitue un monde à part
entière avec ses planètes et leurs paysages, les peuples qui les habitent et leur
culture… Le joueur retrouve des aspects qui lui sont familiers mais doit aussi se
familiariser avec ceux qu’il ne connaît pas. Même concernant les règles élémentaires,
si la gravité est bien présente, le joueur à travers son personnage peut accomplir des
actes impossibles comme la téléportation.

Lorsque l'on se penche sur les interactions entre les joueurs, le temps s'écoule
de la même façon que dans le monde non virtuel. Ce n'est pas toujours le cas des
échanges entre personnages. Dans le cadre du jeu de rôle, il peut y avoir des sortes
de « création de lignes temporelles parallèles », nous pouvons citer deux cas
rencontrés lors de ce travail de recherche. Prenons le premier cas, deux joueurs vont
incarner respectivement un personnage A et un personnage B à un temps T dans
l'histoire 1. En parallèle, ces joueurs vont décider de s'amuser avec les personnages
C et D qui seront les enfants de A et B mais qui n'existent pas encore dans l'histoire 1,
et il va s'agir d'une deuxième histoire. Si les joueurs peuvent alterner selon leurs envies
54
entre les deux histoires, et qu'ils peuvent même commencer par jouer les enfants avant
de jouer les parents, l'histoire 2 est le futur de l'histoire 1. Dans ce premier cas, ces
histoires sont dissociées tout en étant liées. Intéressons-nous maintenant au second
cas, un joueur va mettre une partie de l'histoire jouée de côté pour reprendre avant
qu'un évènement Y n'ait eu lieu tout en le conservant pour plus tard et en le reprenant
par la suite. Le joueur fait en quelque sorte une parenthèse qu'il place avant
l'évènement Y. Nous pouvons donner deux exemples de ces décalages dans le temps
relatif au jeu de rôle. Naborru53 joue plusieurs personnages souvent éponymes mais
qui parfois ont même un nom différent, comme Vek'at. Or il s'agit toujours d'un même
individu mais à diverses périodes de sa vie -sur un serveur- ou dans différentes vies -
sur plusieurs serveurs-. Selon le joueur, certaines de ses histoires de rôle sont mêmes
séparées des autres, « le RP que j'avais avec astiana [personnage d’un autre joueur]
n'est pas vraiment dans la meme histoire », on peut même considérer qu’il y a
plusieurs mondes parallèles il ajoute même « ça fait très Marvel ». Il a donc choisi de
considérer les divers serveurs comme des univers bien distincts bien qu’il ne fasse pas
de jeu de rôle sur tous ces serveurs. Pour l’instant Naborru a deux histoires qui
correspondent à deux mondes chacun sur un serveur, et il serait prêt à en créer
d’autres si l’occasion venait à se présenter. Ainsi l’histoire initiale est la même jusqu’à
un point de divergence qui demeure systématiquement identique. Le personnage en
fonction de ces histoires change complètement en lien avec les expériences qu’il est
amené à vivre dans ces univers différents. Dreygan, est un bon exemple de joueur
adhérent aux parenthèses. Son personnage fut attaqué et séquestré un lundi en début
de soirée, la suite de son supplice devait se poursuivre le mardi puisque les joueurs
incarnant ses tortionnaires avaient dû se déconnecter. Toutefois, refusant de perdre
une soirée, il a choisi de jouer son personnage comme si rien ne s'était passé juste
pour quelques heures et le lendemain a repris l'évènement en cours normalement.

Ces « lignes temporelles parallèles » ne sont pas anodines et ont une incidence
sur les interactions avec les autres. Tout d'abord, elles demandent d'être parfaitement
maîtrisées. Si le joueur alterne entre un même personnage à différents moments de

53Afin de faciliter la lecture les pseudonymes des joueurs et les noms de leurs personnages
apparaissent en italique.
55
sa vie en jouant avec d'autres joueurs, il doit être très prudent et ne doit pas laisser le
futur de son personnage être modifié par autrui ou alors cela aboutit à des
incohérences et paradoxes majeurs. Cela signifie que le joueur ne laisse aucune place
au hasard et que la destinée de son personnage est déjà toute tracée. Par ailleurs,
cela implique une vision particulière du jeu puisque le personnage n'est pas réellement
façonné par son vécu : comment pourrait-il être joué en prenant en compte une partie
de son passé qui n'a pas encore été jouée ? Ce type de jeu de rôle demeure assez
rare et se joue en cercle restreint sans quoi il serait impossible pour les autres de
suivre l'histoire jouée anachroniquement... Nous pouvons ajouter que ce type de jeu
de rôle est souvent scénarisé au moins partiellement.

Outre les « lignes temporelles parallèles », le rapport au temps qu'ont les rôlistes
est parfois particulier. Le temps du jeu de rôle et le temps hors du jeu de rôle ne passe
pas à la même vitesse. Tout d'abord, lorsqu'un joueur va décrire une action, le temps
qu'il y réfléchisse et l'écrive puis envoie sa description, et que l'autre joueur la lise, un
certain laps de temps s'écoule. Ce laps de temps est différent du temps qu'aurait dû
prendre cette action en réalité, cela peut être plus rapide comme par exemple prendre
un repas, ou plus long comme esquiver un coup. D'autre part, les joueurs sont amenés
à accélérer ou stopper le temps. En choisissant d'avoir recours à des ellipses,
notamment quand les personnages dorment ou lorsque les joueurs ne souhaitent pas
jouer certaines scènes, l'histoire fait un bond en avant plus ou moins important et qui
ne correspond pas au temps réel. Le principe de ces ellipses est similaire à celles que
l'on retrouve dans les livres ou les films. Par ailleurs, lorsque les joueurs décident de
s'arrêter au cours d'une scène et de la reprendre ultérieurement, les personnages sont
en quelque sorte sur pause, le temps cesse de s'écouler pour eux. Ainsi, il tend de fait
à s'écouler plus rapidement en jeu de rôle et différemment selon les personnages
puisque tous les joueurs ne font pas des ellipses de même durée, ne s'adonnent pas
au jeu de rôle à la même fréquence... S’il est nécessaire de prendre en considération
le temps, il ne faut pas pour autant négliger la question de la spatialité.

L’univers de Swtor est une galaxie composée d’un ensemble de mondes


particulièrement diversifiés, de planètes désertiques chaudes ou glacées, de lunes

56
entièrement urbanisées ; tous ces lieux que le joueur va pouvoir explorer seront
différents, chacun avec son relief, sa faune et sa flore mais aussi son histoire. Le joueur
va ainsi découvrir tous ces espaces au cours de son voyage dans le jeu. Nous
reviendrons sur le thème du voyage par la suite.

a.3. Un apprentissage progressif : questions de proxémique, de stratégie et de


transmission

Le positionnement de son personnage, c’est-à-dire la place qu’il occupe dans


l’espace est essentiel quelle que soit l’activité pratiquée par le joueur. Lorsqu’il y a des
combats, par exemple il importe de savoir correctement se déplacer et où se placer
afin d’être plus efficace et de survivre. Quand le ou les joueurs affrontent
l’environnement, des stratégies doivent être suivies afin de parvenir à éliminer le ou
les ennemis, comme éviter une zone infligeant des dégâts, se mettre à l’abri pendant
certaines phases dangereuses... Lorsque le joueur se bat contre d’autres joueurs, il
n’y a pas de tactiques aussi complexes mais le placement reste important notamment
pour prendre en compte l’objectif qu’il faut capturer et ensuite surveiller.

Il ne faut pas oublier que le placement du personnage est primordial et diffère


selon son rôle et sa classe. Certaines classes doivent être jouées à distance alors que
d’autres doivent l’être au corps à corps, certaines nécessitent d’être mobiles alors que
d’autres sont davantage statiques. Par exemple en zone de guerre, un gardien
« tank » est une classe qui doit se placer au corps à corps pour se battre tout en veillant
à rester à une distance maximale de quinze mètres de la personne qu’il protège afin
d’absorber la moitié des dégâts qu’elle subit. Le placement importe selon le rôle pour
se battre, protéger, soigner, mais aussi pour veiller sur l’objectif qui varie selon le type
de zone de guerre…

Si l’on comprend aisément l’importance du placement lors des phases de


combat, elle l’est aussi lors du jeu de rôle. Tout d’abord un phénomène de mimétisme
est parfois observable, un ou plusieurs personnages adoptent le même
positionnement qu’un ou plusieurs autres personnages appartenant à d’autres joueurs.

57
Il arrive donc que leur placement donne l’impression d’un reflet comme dans un miroir.
Ce mimétisme n’est pas nécessairement conscient dans le jeu de rôle pour les
personnages qui le pratiquent ou pour ceux qui en sont les objets, mais les joueurs
non plus ne s’en rendent pas forcément compte. Il est intéressant d’ajouter que dans
les interactions sociales, les individus ont tendance à imiter les autres, que ce soit leur
façon de s'exprimer ou leur gestuelle. Les personnes imitées répondent positivement
sans en être conscientes. Nick Yee, Jeremy N. Bailenson et Nicolas Ducheneaut54 ont
expérimenté ce phénomène dans l'univers virtuel. Ils sont parvenus au constat suivant
: qu'il s'agisse d'un personnage ou d'une personne, les effets sur l'individu imité sont
les mêmes.

Nous vous proposons d’observer la scène suivante :

54 YEE Nick, BAILENSON Jeremy N., DUCHENEAUT Nicolas, « The Proteus effect: Implications of
transformed digital self-representation on online and offline behavior », Communication Research, N°36,
2009, p. 285 à 312.
58
Il s’agit d’une image issue d’une séance de jeu de rôle se déroulant dans une
forteresse de Nar Shaddaa, utilisée comme bureau de la société de transport G-
Express, et dans laquelle une discussion a lieu entre le patron de l’entreprise, Jothund,
une nouvelle employée Veicita à qui il explique son poste, en présence de Ty’a, la
fiancée de celui-ci qui est aussi une pilote employée par la société, et d’un couple
d’amis Kangar et Mya’ne croisés auparavant devant l’entrée des bureaux et invités à
se joindre à eux. Intéressons-nous maintenant au placement des divers
protagonistes qui forment un triangle : Veicita est assise, écoutant les explications de
Jothund, elle occupe une des deux chaises et a choisi la plus éloignée pour laisser la
seconde à quelqu’un d’autre, étant la première à s’installer. Mya’ne après avoir
demandé l’autorisation à Jothund a essayé le fauteuil du bureau qui lui semblait
particulièrement confortable et l’a aussi fait essayer à Kangar, son compagnon. La
place dans l’espace occupée par Kangar et Mya’ne est liée à celle de la chaise du
bureau. Jothund, en public reste presque en permanence debout pour de multiples
59
raisons mais la version officielle est qu’étant au bureau assis toute la journée, il préfère
rester debout quand il le peut et a très rarement des gens dans son dos, amis ou non.
Ty’a bien qu’appréciant être assise a tendance à venir se blottir dans les bras de son
fiancé dès qu’il est là, elle observe et écoute. Cette position dans laquelle se trouvent
Ty’a et Jothund est celle qu’ils prennent la plupart du temps quand ils ne se déplacent
pas et qu’ils ne sont pas seuls. Nous avons rapidement abordé le contexte de la scène
et la situation générale, le phénomène de mimétisme est survenu lorsque Kangar et
Mya’ne se sont placés dans la même position que Jothund et Ty’a. Sans s’en rendre
compte ces personnages contrôlés par des joueurs ont en quelque sorte imité le
couple qui leur faisait face, le personnage féminin s’appuyant contre le personnage
masculin qui l’enlace de ses bras. Le mimétisme le plus fréquent que j’aie pu observer
est celui d’un couple adoptant la posture et l’attitude d’un autre couple. Ce phénomène
est plus ou moins visible. Les raisons hypothétiques du mimétisme sont nombreuses.
On peut supposer qu’il y a l’imitation d’une sorte de modèle, ou bien une volonté de
rapprochement, mais étant donné qu’il s’agit d’un jeu de rôle, il faut prendre en compte
les personnages et les joueurs. Le modèle imité dans cet exemple peut-être celui du
couple incarné par les personnages de Jothund et Ty'a, par les personnages de
Kangar et Mya'ne mais il est aussi possible que ce soit le jeu de rôle qui soit imité par
les joueurs à travers leurs personnages.

Le placement des personnages donne des indications sur les rapports qu’ils
entretiennent en plus de la situation globale ; la proximité physique est révélatrice tout
comme leur positionnement. Se cacher derrière quelqu’un ou se blottir contre
quelqu’un n’est pas seulement décrit mais est aussi visible en jeu. Prenons l’exemple
de Jothund, personnage qui se considère, en raison de sa nature Sith comme
supérieur aux autres. Il privilégie les placements où il se trouve en position dominante
lorsqu’il le peut, ainsi dans une pente, il sera en hauteur par rapport à son interlocuteur.
Or, Jothund considère sa compagne comme son égal, et de ce fait, il n’hésite pas à
inverser ses placements habituels pour être à sa hauteur, prenant en compte leur
différence de taille, comme nous pouvons le voir sur cette image où les deux
protagonistes ont une discussion dans un escalier :

60
Dans certaines situations, comme sa demande en mariage, il s'agenouille même
devant elle. Par ailleurs, les personnages adaptent leur placement en fonction de
l'autre et du contexte. Par exemple, ils sont l'un à côté de l'autre en train de se déplacer
quand soudain un danger apparaît, dès lors Jothund s'avancera pour être plus en
avant que sa compagne, qui elle reculera et sera légèrement en décalé, partiellement
dans son dos, afin de lui permettre d'utiliser son arme en cas de combat sans le gêner,
tout en ne s'éloignant pas afin qu'il soit en mesure de la protéger plus facilement. C’est
la relation amoureuse, décidée par les joueurs et unissant ces deux personnages qui
expliquent leurs placements. Un autre joueur, et son personnage dans le cadre d’un
jeu de rôle, amené à les observer dans diverses situations pourrait très bien
comprendre la nature de leur relation. Un des points essentiels à retenir est bien que
le placement des personnages dans le monde virtuel puisse être représentatif des
61
liens qui existent entre les personnages et de leur type d'interaction dans le cadre du
jeu de rôle. Il s'avère qu'ils peuvent aussi dans d'autres circonstances mettre en
évidence les rapports entre les joueurs qui les incarnent.

Par ailleurs, lors du jeu de rôle, des emotes55 sont utilisées ; par exemple celle
de « dormir » est usitée afin d’allonger son personnage lorsqu’il dort, mais aussi s’il
est inconscient ou simplement couché. Le joueur doit donc se familiariser avec les
diverses emotes existantes afin de pouvoir les utiliser lorsqu’elles peuvent lui être
utiles.

La question de l'apprentissage est aussi pertinente en ce qui concerne le jeu de


rôle. Les bases sont relativement simples, assister à une scène suffit à la connaître.
Elles permettent aux joueurs de décrire les scènes, de faire parler leurs personnages
et donc de se comprendre et jouer ensemble. Les codes en jeu sont partagés par la
communauté comme par exemple l'usage d'astérisques pour décrire une action
comme on peut le voir sur l'exemple ci-dessous extrait d'une rencontre entre plusieurs
personnages :

Ty'a : Joth, je te présente mon ami Slack et son... collègue Ryno


Jothund : Enchanté messieurs
Slack : *lui tend la main* de meme
Jothund : *la serra amicalement*

Si comprendre ce qu'est le jeu de rôle et les quelques règles qui s'appliquent


lorsqu'on joue est très facile, l'apprentissage du « lore » est beaucoup plus complexe.
Le lore peut être défini comme l'ensemble des connaissances sur l'univers. Il est
nécessaire de se pencher sur la culture de l’espèce que l'on incarne par exemple pour
pouvoir bien la jouer ou sur son histoire globale... Ces connaissances sont très
variables d'un joueur à un autre. Certains possèdent un vaste savoir sur l'ensemble de
l’univers Star Wars alors que d'autres sont des spécialistes d’un thème en particulier.
Une partie des joueurs, y compris parmi les adeptes du jeu de rôle, n'a que peu de

55 Une emote est une animation graphique effectuée par le personnage et sans autre effet.
62
connaissances. Une connaissance élémentaire est tout de même nécessaire pour
pouvoir jouer. L'ignorance peut engendrer une exclusion sociale de la part de joueurs
adeptes d’un jeu de rôle rigoureux qui préfèrent éviter ceux qui ne respectent pas le
lore quelle qu’en soit la raison. Par ailleurs, le lore est parfois contradictoire ce qui
engendre de vifs débats.

Pour clore ce sujet de l'apprentissage lié au jeu de rôle, un dernier point doit
être mentionné celui de connaissances réelles qui peuvent n'avoir aucun lien avec le
jeu de rôle en tant que tel ou avec l'univers de Star Wars. Chaque joueur peut avoir
des besoins spécifiques par rapport à son personnage ou à une situation et peut être
amené à faire des recherches afin de jouer au mieux la scène. Par exemple, s'il incarne
un personnage possédant des connaissances médicales et que lui n'en possède pas,
il est possible qu'il décide de se renseigner sur les gestes de secours s'il sait qu'il
pourrait être amené à en avoir besoin.

Outre le placement, le déplacement est aussi essentiel, et son apprentissage


se fait petit à petit 56 . Plus le personnage va monter de niveau, plus il aura de
possibilités de déplacements. D'abord, il pourra utiliser une monture ou un véhicule
puis la vitesse de déplacement sera augmentée à différents niveaux. Néanmoins,
même lorsqu'il se déplace en monture, le personnage peut être attaqué et tomber de
celle-ci. Il existe des réseaux de taxi permettant d'aller d'un point A un à point B
directement en un temps très réduit et plus sûr puisque nul adversaire ne peut attaquer
un personnage se trouvant dans un taxi. Enfin, le voyage rapide est une compétence
qui permet de se téléporter d'une borne à une autre borne connue n'importe où sur la
planète ou la lune où se trouve le personnage et gratuitement contrairement au taxi.

Outre les déplacements terrestres, il faut aussi aborder la question des


déplacements dans l'espace. Des navettes font la liaison entre des stations orbitales
ou des flottes et des planètes mais le personnage, en avançant dans sa quête de

56Dès le niveau 1, le personnage se déplace en courant à moins qu'on souhaite le faire marcher, en
appuyant sur la touche "/" du pavé numérique. Les joueurs abonnés ou privilèges ont une compétence
nommée « Sprint » qui permet à son personnage d'avancer plus vite et qui est actif en continu, pour les
autres joueurs, il faut attendre le niveau 10 pour l'obtenir.
63
classe, obtiendra un vaisseau personnel qui lui permettra de voyager à travers la
galaxie. En progressant dans le jeu, le joueur aura donc une plus grande liberté de
déplacements et ira plus vite 57. Par ailleurs, nous pouvons signaler qu’un membre
d'une guilde possédant un vaisseau de guilde peut téléporter, avec leur accord, les
membres de son groupe, à l'endroit où il se trouve.

Nous avons mentionné les principaux moyens de locomotion, mais le


déplacement est plus complexe que cela en ce qui concerne les combats. Chaque
classe possède des compétences liées au déplacement, pouvant par exemple
accélérer la vitesse de déplacement, sauter sur un autre joueur, allié ou ennemi, attirer
un autre joueur, allié ou ennemi, repousser un ou des adversaires, se téléporter sur
un joueur ou sur un emplacement choisi au préalable, ralentir ou immobiliser un ou
plusieurs adversaires... Bien se placer est primordial mais pour survivre, le joueur doit
non seulement apprendre à se mouvoir mais aussi à entraver ses adversaires. Les
compétences liées au déplacement s'acquièrent progressivement et c'est par
l'expérience que le joueur va être capable d'observer l'espace et d'agir rapidement en
fonction des situations. Par exemple, immobiliser un ennemi pour l'empêcher
d'intervenir lors de la capture d'un objectif ou repousser des assaillants pour permettre
à un allié de fuir. La théorie est plus simple à appréhender que la pratique qui demande
de l'entrainement. C'est en jouant que le joueur apprend à mieux maîtriser son
personnage et à prendre en compte son environnement et ses adversaires 58.

À la suite d’une remarque de V. Berry à ce sujet, lors de mon comité de thèse


en automne 2018, et relative à l’effet d’un biais méthodologique qui apparaît puisque
l’étude du jeu vidéo et de ses joueurs exclut ceux qui l’ont abandonné car justement
ils ne parvenaient pas à y jouer, il semble nécessaire de donner quelques précisions.
Les joueurs qui décident de ne pas poursuivre l’aventure au début du jeu parce qu’ils
ne parviennent pas à en apprendre les mécanismes n’ont en général pas encore tissé

57 Notons l'existence de pass spéciaux qui octroient un déplacement à un endroit précis, comme celui
qui permet de rejoindre la Flotte de sa faction ou ceux pour les « missions héroïques ».
58 Différentes variables interviennent dans le processus d’apprentissage par exemple l’expérience des

jeux vidéo, et facilitent l’acquisition de la maîtrise de son personnage. Cet aspect ne doit pas être oublié,
cependant, même un joueur expérimenté passe par une phase d’apprentissage lorsqu’il débute un
nouveau jeu. Le temps que dure cette phase ne sera pas le même pour chaque joueur.
64
de liens solides avec les autres joueurs. Par conséquent il est plus ardu d’avoir
connaissance de cette situation et de son importance. Cependant, à partir de
recherches sur Internet, on ne retrouve pas de témoignages, de plaintes ou de
commentaires relatifs à ce phénomène. Or, des jeux ont la réputation d’être durs et les
débats pour déterminer si c’est le cas ou non fusent, par exemple Sekiro : Shadows
Die Twice sorti en 2019. Or ce n’est pas le cas pour Swtor. Star Wars The Old Republic
propose des activités à différents niveaux mais le jeu en lui-même est accessible pour
la plupart des joueurs. S’il est effectivement possible que certains éprouvent des
difficultés pour apprendre à maîtriser le jeu ou des aspects du jeu, le nombre
d’individus qui ne parvient pas à se familiariser avec ses mécanismes et choisit pour
cette raison de l’abandonner doit être extrêmement faible.

Conscients que la prise en main du jeu peut être ardue, les développeurs ont
fait en sorte que l'apprentissage soit progressif et ont mis à disposition du joueur un
didacticiel visant à lui venir en aide en cas de besoin. Il est important de garder à
l’esprit que l’accessibilité du jeu permet potentiellement d’augmenter le nombre de
joueurs. En agrandissant la communauté du jeu, les gains vont aussi accroître. Il est
donc dans l’intérêt des développeurs de ne pas restreindre la population d’un
MMORPG avec un seuil de difficulté trop élevé.

Les recherches de Lev Vygotsky sur l’apprentissage sont utiles pour aborder ce
point, notamment son concept de « zone proximale de développement » ou « zone du
développement le plus proche » selon les traductions. Il le définit comme « le
développement ultérieur des fonctions qui ne sont pas encore parvenues à maturité,
mais qui sont quand même en train de mûrir; elles donneront des fruits et passeront
au niveau du développement actuel demain » 59 . Bien qu’il s’intéresse au
développement de l’enfant, sa théorie convient tout à fait pour les adultes qui
découvrent des activités nouvelles demandant une familiarisation et un apprentissage.
Lev Vygotsky a écrit « l'étude de la zone du développement le plus proche a mené à
la conclusion suivante : l'enseignement ne doit pas s'adapter au niveau du

59VYGOTSKI Lev, « Analyse paidologique du processus pédagogique », Vygotsky, une théorie du


développement et de l'Éducation, (dir.) YVON Frédéric, ZINCHENKO Yuri, MGU Mocou, 2011, p. 145.
65
développement actuel, mais à la zone du développement le plus proche » 60 . Les
développeurs doivent prendre en considération cette dimension lorsqu’ils conçoivent
le jeu, de façon à ce que le jeu lui-même permette aux joueurs d’apprendre à évoluer
en son sein.

Lorsque l'aventure commence, une mission simple est confiée au personnage


et des fenêtres apparaissent sur l'écran pour l'inviter à consulter le didacticiel si le
joueur éprouve des difficultés. Le didacticiel est composé de textes et d'images
explicatifs. Sur le site officiel, des vidéos sont proposées sur les mêmes thématiques.
On peut y apprendre par exemple comment se déplacer, en utilisant le clavier pour
mouvoir son personnage et en bougeant sa souris pour tourner la caméra mais aussi
les bases du combat ou tout ce qui a trait à l'inventaire. La grande majorité des joueurs
n'utilisent toutefois quasiment jamais le didacticiel mais apprennent en
expérimentant61. Le jeu est au final assez simple au début. Le joueur est dans un
environnement où il ne peut pas être attaqué par d'autres joueurs ennemis. Il a peu de
compétences de combat et les acquiert au fur et à mesure, ce qui lui permet de bien
comprendre leur utilité et de mieux apprendre à les utiliser. Selon la faction et la classe
choisies, les joueurs ne débutent pas au même endroit, néanmoins toutes les planètes
de départ partagent un ensemble de point commun. Tout d'abord, elles sont petites.
Leur taille réduite évite au joueur, qui n'est pas encore familiarisé avec la boussole et
les cartes, de se perdre. Par ailleurs, les adversaires qu'on y rencontre sont assez
simples à vaincre, en particulier les premiers que l'on affronte. Jusqu'au niveau 10, le
personnage ne peut pas quitter la planète facilement62.

Lorsque le joueur se place en file d'attente pour rejoindre une partie de zone de
guerre, il attend qu'il y ait une place de disponible ou qu'une nouvelle partie

60 Ibidem, p. 145.
61 Aucun des joueurs rencontrés et interrogés à ce sujet lors de mon enquête n’avaient utilisé de
didacticiel au début du jeu. Par contre, les joueurs affirment souvent utiliser Internet pour apprendre à
mieux maîtriser un nouveau personnage, ou trouver la solution pour une activité où ils sont bloqués.
62 Il peut uniquement se rendre dans une forteresse s'il en possède la clé -qu'elle lui appartienne ou

non- ou s'il a été invité par un autre joueur. Sans aide, il lui sera impossible de quitter la planète de
départ sans avoir atteint le niveau 10, ce qui maximise les chances que le joueur ne le fasse qu’une fois
les bases du jeu bien assimilées. Ajoutons qu'une partie des activités proposées par le jeu, telles que
les zones de guerre ou les zones litigieuses, est aussi bloquée avant d'atteindre ce niveau.
66
commence 63 . Il existe plusieurs types de zone de guerre qui tombent de façon
aléatoire, des « arènes » et des « zones de guerre à objectif ». Dans le premier cas,
l'enjeu est simple, il faut éliminer l'intégralité de l'équipe adverse pour gagner la
manche, deux manches victorieuses sont nécessaires pour mettre un terme à l'arène.
Lorsqu'il y a des objectifs, les règles changent selon les zones de guerre. Un joueur
faisant ses premiers pas en zone de guerre pourrait ne pas comprendre ce qu'il doit
ou ne doit pas faire pour gagner. Les développeurs du jeu ont donc associé une page
de chargement spécifique à chacune d'entre elles expliquant succinctement avec des
images et du texte les règles pour la zone de guerre. Cet exemple illustre le fait que le
jeu est conçu pour que les joueurs ne se sentent pas perdus et n'aient pas besoin
d'aide extérieure pour comprendre. Lorsqu'ils arrivent dans la zone, ils connaissent les
bases et par l'expérience découvriront le reste, d'autant que la partie ne débute pas
tout de suite, laissant le temps aux joueurs d'une même équipe de se saluer, de
s'organiser etc. Bien sûr ils pourront toujours communiquer en cours de partie,
cependant, il est plus difficile de converser à l'écrit tout en étant en combat, d'où
l'importance du laps de temps laissé en début de partie et entre les manches.

De nombreux tutoriels sont aussi conçus par des joueurs. Les sites de référence
sont Dulfy pour les anglophones et Game Guide en français. Des articles paraissent
régulièrement selon les mises à jour pour tenir informer et aider la communauté. On
retrouve aussi diverses vidéos sur Internet ayant le même objectif. Contrairement au
didacticiel proposé par le jeu lui-même ou son site officiel, la plupart des tutoriels visent
un public de joueurs déjà expérimentés. Ils abordent une thématique récurrente qui
est la maîtrise de sa classe par la connaissance du cycle 64 mais aussi par les
statistiques à obtenir pour optimiser ses performances. Au-delà du rôle de chacun
(attaquer, soigner ou protéger), chaque classe, chaque spécialité et chaque style de
combat a son propre cycle, ou plutôt ses cycles. Il est primordial de saisir qu’il existe
en effet des variantes du cycle principal. Ajoutons à cela que la grande majorité des

63 Quand c'est le cas, une fenêtre s'ouvre sur son écran lui laissant un peu plus d'une minute pour
rentrer avant que sa place soit donnée à un autre joueur lui aussi en file d'attente.
64 Le cycle est l'ordre dans lequel il est préférable d'utiliser ses diverses compétences afin d'être plus

efficace. Par exemple, il existe des compétences qu'il vaut mieux utiliser en début de combat, d'autres
en fin de combat, d'autres encore sont liées entre elles etc.
67
joueurs ne se contentent pas d'utiliser une série de compétences systématiquement
dans un même ordre sans réfléchir mais agissent différemment selon les situations.
Contrairement aux didacticiels, les tutoriels font parfois l'objet de débats. Les débats
portent sur de multiples sujets mais le principal concerne les statistiques. Par exemple
il y a les partisans de tel équipement et les partisans de tel autre qui considèrent que
le leur et les statistiques qu'il procure au personnage apporte sans conteste de
meilleurs résultats 65 . Toutefois, ces débats surviennent uniquement grâce à la
communication entre les joueurs, elle-même potentiellement source d'informations.

En jeu, il est possible de communiquer à l'écrit avec les autres joueurs


connectés en utilisant différents canaux qui sont mis à disposition. Ils permettent
d'échanger et des questions sont fréquemment posées. En effet, les didacticiels et les
tutoriels ne permettent pas toujours d'obtenir des réponses sur des points précis ou
bien les joueurs éprouvent des difficultés à les trouver ou les comprendre. Il arrive
aussi qu'ils préfèrent demander, ce qui est plus simple que de chercher. Les autres
joueurs, ainsi sollicités, délivrent des informations utiles. L'entraide n'est toutefois pas
la norme et régulièrement, en fonction de ce qui est demandé, d’autres joueurs
réorientent plus ou moins durement l'individu, lui racontent des absurdités ou
l'ignorent. Le service client peut aussi être contacté en cas de problème que ce soit
par téléphone, par courriel ou en jeu. Les joueurs qui ne débutent pas et qui ont déjà
des amis en jeu pourront se tourner vers eux.

Comme nous l'avons vu précédemment, il existe divers types d'activités


possibles dans Star Wars The Old Republic et les développeurs ont mis en place tout
un système pour permettre aux joueurs d'apprendre à se familiariser avec le
fonctionnement du jeu. Même ce qui semble être facile doit être appris. Selon le type
d’activité et le niveau de difficulté, cet apprentissage peut être plus ou moins long.
Nous vous proposons de reprendre l'exemple du housing. Pour rappel, il s'agit d'une

65L'équipement porté par le personnage apporte des bonus qui jouent un rôle sur différents éléments,
par exemple, l'endurance augmente les points de vie du personnage, l'alacrité lui permet d'utiliser plus
rapidement ses compétences, etc. Chaque pièce d'équipement modifie donc les statistiques globales
du personnage, et c'est au sujet de ces statistiques que des débats opposent les joueurs, concernant
les paliers à atteindre, ce qu'il est préférable de privilégier.
68
activité consistant à acheter et décorer des forteresses. Cette activité en jeu, apparue
en 2014, a tout d'abord suscité un engouement en raison de son caractère
« nouveau ». La majorité des joueurs possèdent au moins une forteresse mais la
moyenne est plutôt de deux ou trois. Selon le joueur interrogé, les aspects évoqués
expliquant leur intérêt pour cette activité ne sont pas les mêmes. En fonction du but
recherché, on observe des différences majeures entre les forteresses. Les joueurs
cherchant uniquement à remplir leurs forteresses afin d'obtenir des succès ou d'avoir
un bonus lorsque la guilde à laquelle ils appartiennent essayent d'envahir une planète,
ne prennent pas le temps de vraiment la décorer. Ils vont se contenter de placer tout
ce qu'ils possèdent là où ils le peuvent. A l'inverse, ceux qui utilisent leur forteresse
pour du jeu de rôle par exemple vont aménager l'espace afin qu'il corresponde à ce
qu'ils essayent de créer. Ainsi des joueurs ont transformé leur forteresse : Barzok en
a fait un magasin de « speeders », Elmamoutcho un restaurant, mais d'autres ont
choisi d'en faire des hôpitaux ou encore des casinos comme l’exemple ci-dessous,
celui d’Infi :

Le plus souvent les intérêts pour la forteresse sont multiples. Par exemple, un joueur
qui souhaite bien décorer sa forteresse va tout de même essayer de la remplir s’il fait
des conquêtes avec sa guilde et de faire en sorte qu’elle soit pratique, en possédant
notamment des soutes -qui permettent d’y ranger des objets-. Le schéma ci-dessous
en reprend les principaux :

69
Certains joueurs louent même leur forteresse -contre de l’argent en jeu- ou les prêtent
à des joueurs souhaitant les utiliser, notamment pour du jeu de rôle. Pour décorer
l'espace, il suffit de passer en mode décoration puis de placer l'objet sur une surface
prévue à cet effet. Il est possible de modifier certaines surfaces, par exemple passer
d'un rectangle de taille moyenne à deux petits carrés. C'est à partir de là qu'une
différence s'opère : les joueurs en quête de prestige s'acharnent à trouver des idées
d'aménagement de l'espace, à combiner des décorations pour obtenir quelque chose
de beau mais aussi d'original. Des sites Internet66 proposent des images de toutes les
décorations disponibles, de la façon de les obtenir et de la place qu'elles prennent.
Des joueurs mettent en ligne des images ou des vidéos de leurs forteresses, chacun
essayant de surclasser les autres. Comprendre le fonctionnement du mode décoration
est simple tout comme aménager la forteresse, par contre le résultat esthétique
dépend de l'investissement, des moyens financiers et du talent du joueur. Cet aspect
du jeu n’est pas sans rappeler les Sims, le jeu de simulation de Will Wright, qui consiste
à créer un ou des personnages et à les faire vivre, à construire et meubler leur

66 Voici des exemples de liens de sites Internet de ce type :


http://swtorstrongholds.com/
http://tor-decorating.com/
70
demeure… Selon Charles Paulk qui a étudié ce jeu vidéo, une partie des joueurs
« have less interest in the Sims themselves than the spaces they inhabit », il cite
d’ailleurs Clelia Pearce qui qualifie les Sims de « jeu Ikea »67. La décoration intérieure
associée au jeu de rôle et à la possibilité d’établir une généalogie dans Star Wars the
Old Republic sont autant de points communs avec cet autre jeu apparu dans les
années 2000 et au succès mondial, les Sims. Il est intéressant de souligner que la
décoration d’intérieur est traditionnellement perçue comme une activité féminine, c’est
aussi le cas dans le jeu. Un joueur qui visitait ma forteresse m’a dit « c’est de bon goût,
tout passe bien, les couleurs… Après, t’es une femme ». J’aimerais attirer l’attention
du lecteur sur ses derniers mots, les stéréotypes de genre sont présents.

En ce qui concerne la maîtrise de son personnage, c'est-à-dire l'attitude et les


compétences à utiliser en combat en fonction des situations, des écarts considérables
existent entre des joueurs dont pourtant le niveau du personnage et l'équipement sont
les mêmes. S'entrainer contre d'autres joueurs en pratiquant des duels ou sur un
mannequin d'entrainement, réfléchir à des stratégies, à des placements, tout cela
permet de s'améliorer mais ce n'est pas utile pour certains joueurs qui ne prennent
même pas le temps de lire la description des caractéristiques de leurs compétences.
Des joueurs peu intéressés par le combat par exemple, ne jouant que pour découvrir
les scénarios des diverses classes, et ne destinant pas leur personnage à du haut
niveau, que ce soit contre l'environnement ou d'autres joueurs, ne prennent pas
forcément le temps d'apprendre à jouer leur personnage. Ils préfèrent donc cliquer un
peu partout, choisissant plus ou moins aléatoirement leurs compétences, et se reposer
sur leur « partenaire » -personnage non-joueur qui accompagne le joueur dans ses
aventures et l'aide en combattant à ses côtés-.

Outre l’apprentissage, les conditions matérielles du joueur interviennent dans


les écarts potentiels entre eux. Une bonne connexion Internet, un ordinateur
suffisamment puissant pour permettre au jeu de bien fonctionner, mais aussi les

67 PAULK Charles, « Signifying Play: The Sims and the Sociology of Interior Design », Game Studies,
Vol. 6, 2006 :
http://gamestudies.org/0601/articles/paulk (consulté le 05/01/2017).

71
« macros », des souris avec plusieurs boutons programmables auxquels sont
assignés un enchainement de compétences, ce qui permet un gain de temps, sont des
facteurs intervenant dans la performance des joueurs. Or tous les joueurs n'ont pas
les moyens financiers de se procurer le meilleur matériel possible. Les disparités
sociales ont par conséquent un impact en jeu. Un autre aspect à prendre en compte
est celui de l'isolement social, voire de l'exclusion qui sont dus à ces problèmes
techniques ou au matériel. Un joueur avec une mauvaise connexion Internet ne pourra
pas utiliser un vocal : sa voix sera robotisée et saccadée, les autres joueurs ne
pourront pas le comprendre, et inversement, il ne pourra pas non plus les entendre
correctement. S'il perd sa connexion Internet, il sera déconnecté du jeu et si celle-ci
est juste très mauvaise, alors il risque d'avoir des « lags » ou latences. Un lag est un
décalage entre ce qu'il se passe en réalité et ce qui apparait sur l'écran, le flux de
donnés ne parvenant pas à circuler normalement en raison de la mauvaise connexion,
tout est ralenti voir se fige. De ce fait, il est impossible au joueur de pratiquer certaines
activités. Même lorsque celui-ci est partant, observant qu'il y a une amélioration de la
connexion par exemple, les autres joueurs ne veulent pas forcément prendre le risque
de partir en opération difficile ou en zone de guerre classée avec une personne qui est
susceptible d'avoir des latences significatives à tout moment, et de les faire échouer
ou perdre. Elle est donc laissée de côté et remplacée. Au final, le joueur n'est pas
seulement potentiellement moins performant que les autres, il peut aussi se retrouver
relativement seul, et si ce n'est pas toujours par méchanceté, les railleries ne sont pas
inexistantes pour autant. Mon ordinateur a été l'objet de moqueries, un joueur m'a dit
« Tu l'as acheté chez Tati? Tu aurais dû aller chez Leader Price ! », un autre m'a aussi
demandé après une période d'absence si je jouais toujours sur une « Game Boy ».
Etant destiné à la bureautique et commençant à être un peu ancien, il est loin d'être
parfaitement adéquat pour les jeux vidéo en ligne mais n'est pas obsolète pour autant.
L'informatique est un sujet de discussion fréquent, lorsqu'un joueur souhaite changer
de matériel par exemple, ou par intérêt68.

68Notons que plusieurs joueurs ont une activité en lien avec ce domaine, qu’elle soit professionnelle,
ou relatives aux études, avec par exemple le BTS Informatique.
72
Didacticiel, tutoriel, autodidacte, apprentissage avec un ou plusieurs autres
joueurs servant de professeurs, les méthodes d'apprentissage sont nombreuses et
peuvent être combinées entre elles. Un joueur peut apprendre à jouer une classe en
autodidacte mais aussi demander des conseils et s'entrainer avec d'autres joueurs. Il
peut aussi être formé complètement par un joueur à maîtriser une autre classe qu'il ne
connaît pas du tout. C'est souvent le cas lorsque la classe et la spécialité auxquelles
le joueur est habitué sont complètement différentes de ce qu'il essaye d'apprendre à
jouer. Par exemple un ravageur, destiné à faire des dégâts, en armure lourde, qui se
bat au corps à corps et un sorcier spécialisé en soin, en armure légère, qui doit rester
à distance. Dans un cas il faut se concentrer sur ses adversaires, dans l'autre sur ses
alliés... Outre les compétences en tant que telles, le positionnement, les réflexes à
avoir, les tâches qui incombent au joueur, tout change et doit être appris, de quelque
façon que ce soit. Si la réflexion est nécessaire pour comprendre quelle compétence
doit être utilisée, à quel moment et dans quel but, une fois un certain niveau atteint,
les réflexes et l’intuition interviennent dans la réussite.

L'enseignement transmis par un autre joueur peut prendre plusieurs formes


mais se fait souvent par l'affrontement. L’instructeur donne des indications à son élève
qui doit les mettre en pratique. Il va lui dire quel est le cycle, c'est-à-dire l'enchainement
de compétences, à utiliser, ou quoi faire dans certaines circonstances, il va lui donner
des astuces relatives à sa classe... Après quoi, des duels sont lancés. Un duel est un
affrontement entre deux joueurs d'une même faction qui s'achève lorsqu'un des
joueurs capitule ou perd le combat. Le joueur perdant voit son personnage
s'agenouiller au lieu de mourir, ce qui met un terme au duel69. Lorsqu'il s'agit de duel
pédagogique, les adversaires utilisent des personnages ayant le même niveau et
essayent le plus souvent d'avoir un équipement équivalent afin que le duel soit le plus
équilibré possible. En général, ce type de duel a lieu dans des forteresses ou dans des
vaisseaux de guilde, dont un espace est souvent aménagé pour servir d'arène. Il arrive
que des joueurs mettent en place des évènements, de façon spontanée ou en les
préparant à l'avance, qui proposent à d'autres joueurs -tous ou seulement des joueurs

69Lorsque le duel est lancé une bannière apparait entre les deux adversaires, si l'un d'eux s'en éloigne
vraiment trop, cela est considéré comme une fuite et l'individu en question est déclaré vaincu.
73
choisis pour leur niveau et leur réputation- de s'affronter en duel à un même endroit.
Ils peuvent aussi se réunir sur un vocal pour discuter ensemble. Ce type
d'évènements, bien que pouvant être riche en enseignements, est en réalité destiné à
prouver qu'on surpasse les autres. Il permet de classer, non officiellement, les joueurs
entre eux, de savoir quel adversaire il est difficile ou impossible de battre, qui au
contraire est plus faible. En observant les duels, les joueurs n'y participant pas peuvent
aussi voir quelles sont les erreurs commises et comment les personnages sont joués.
Ces informations étant susceptibles de les aider lorsqu'ils les croiseront en zone de
guerre par exemple. Enfin, il ne faut pas prendre en compte les joueurs qui trouvent
qu'il est amusant de solliciter un duel avec des personnages tout juste créé sur les
planètes de départ, dont les joueurs lorsqu'ils sont débutant ignorent ce qu'est un duel
-qui peut toujours être refusé- et qui ne peuvent pas gagner contre ces adversaires
possédant un équipement supérieur, plus de compétences car souvent beaucoup plus
de niveaux. Cette pratique n'apprend bien entendu rien, hormis à refuser des duels
sollicités par d'illustres inconnus.

Toutefois, tout enseigner à un autre joueur et ensuite l'entraîner prend


énormément de temps. Cette attitude n'est pas la plus fréquente dans ce milieu de
concurrence et de rivalités. Bien qu’en général les joueurs se montrent relativement
réticents à dévoiler leurs techniques afin de ne pas avoir de rivaux, il arrive qu’un
joueur prenne sous son aile un autre joueur et le forme. Après plusieurs années
d'enquête, je n'ai vu cette situation que dans deux cas : transmettre son savoir avant
de quitter le jeu afin que la relève soit assurée, ou bien tout enseigner à un proche. On
retrouve l’idée d’apprentissage par frayage développée par Geneviève Delbos et Paul
Jorion 70. Certains joueurs font ce choix et forment des membres de leur guilde, avant
de prendre leur retraite en quelque sorte lorsqu’ils décident d’arrêter le jeu. Ils
enseignent donc tout ce qu'ils savent de façon à ce que cela serve à d'autres. Cette
décision est assez rare, la plupart des joueurs préfèrent ne rien dévoiler même
lorsqu'ils quittent défensivement le jeu, ou se contentent de donner quelques conseils
mais ne s'investissent pas dans une telle entreprise. Il est par contre beaucoup plus

70DELBOS Geneviève, JORION Paul, La Transmission des savoirs, Paris, Éditions de la Maison des
sciences de l'homme, 1990.
74
fréquent de rencontrer des joueurs qui acceptent de former leurs proches. La
transmission du savoir est alors motivée par les liens affectifs, sentimentaux ou
familiaux qui unissent les joueurs. Il est donc fréquent que les joueurs s’entraident en
particulier s’ils partagent des liens d’affinité. Pour reprendre François Sigaut
« transmettre un savoir, c’est placer quelqu’un dans les conditions les meilleures pour
qu’il puisse acquérir lui-même ce savoir, à l’aide de ses propres ressources
sensorielles et mentales » 71 . Dans ce cas, il existe des similitudes entre
l’apprentissage professionnel et cet apprentissage en jeu entre un joueur débutant et
un joueur plus expérimenté. Le joueur expert occupe en quelque sorte la place du
maître, il choisit son disciple, décide aussi de la façon de le former, et de ce qu’il lui
enseigne. En tant que détenteur du savoir, il détient une forme de pouvoir. La
hiérarchie entre les deux joueurs dépend de leur relation. Elle est d’autant plus
marquée lorsqu’ils ne sont pas proches, comme dans notre exemple lorsqu’un joueur
décide d’arrêter le jeu mais avant cela de former un membre de sa guilde qui semble
avoir les qualités requises pour le remplacer. Dans son article « L’apprentissage vu
par les ethnologues : Un stéréotype ? », F. Sigaut écrivait « l’apprentissage est un
contrat privé entre deux personnes, l’apprenti et le maître »72, c’est bien cette relation
que l’on retrouve dans ce cas de figure.

Les joueurs solitaires, ceux qui préfèrent apprendre par eux-mêmes ou qui
envisagent le fait qu'un autre joueur les aide en leur transmettant son savoir comme
étant une faiblesse, privilégient d'autres méthodes d'apprentissage, dont le tutoriel. En
regardant un tutoriel, ils ne sollicitent pas directement un autre joueur et personne ne
peut savoir s'ils l'ont ou non vu. Bien entendu, tous les joueurs n'éprouvent pas cette
sorte de honte ou de fierté, selon le point de vue, et la plupart n'hésite pas à avouer
avoir regardé un tutoriel, parfois allant jusqu'à le recommander s'ils l'ont trouvé utile. Il
est fréquent d'ailleurs que des joueurs maîtrisant déjà leur classe, par curiosité ou
parce qu'ils apparaissent dans la vidéo, décident de la regarder. En fonction des

71 SIGAUT François. « L’apprentissage vu par les ethnologues : Un stéréotype ? », CHEVALLIER Denis


(dir.), Savoir-faire et pouvoir transmettre : Transmission et apprentissage des savoir-faire et des
techniques, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1996.
https://books.openedition.org/editionsmsh/3832?lang=fr
72 Ibidem.

75
objectifs et du niveau du joueur, il peut être contraint d'apprendre seul. L'ajustement
de son équipement pour les opérations les plus ardues, lié à sa façon de jouer, à sa
classe, sa spécialité... ne peut se faire qu'en réalisant de petits changements puis en
observant les effets sur un mannequin d'entraînement. Un travail de longue haleine
qui demande beaucoup de patience.

Ajoutons que l'on croise souvent des joueurs qui décident d'apprendre
ensemble dans la perspective de moins s'ennuyer ou pour passer du temps l'un avec
l'autre. Il s'agit principalement de binômes ayant déjà de nombreux personnages et
souhaitant juste avoir la dernière classe qui leur manque. Ils ne cherchent pas
forcément à être les meilleurs mais désirent tout de même savoir se débrouiller avec
leur personnage. Il n’y a pas d’influence du sexe du joueur sur ses pratiques en lien
avec l’apprentissage. Les joueurs comme les joueuses découvrent le jeu, se
familiarisent avec ses mécanismes, et peuvent décider de jouer à plusieurs.

Si le matériel et la connexion Internet sont des éléments qui interviennent dans


les performances, ce ne sont pas les seuls. Les compétences du joueur sont aussi
primordiales. Celles-ci et son intuition peuvent parfois d’ailleurs pallier les problèmes
techniques. Dans un premier temps, la théorie et la pratique sont indispensables
pendant la phase d’apprentissage. La réflexion est nécessaire pour éviter au joueur
de faire n’importe quoi, il doit comprendre pourquoi utiliser telle ou telle compétence et
à quel moment. Cependant, arrivé à un certain niveau, lorsque tout peut se jouer en
moins d’une seconde, le joueur n’a plus le temps de réfléchir et doit agir sans perdre
de temps. Une bonne synchronisation avec les autres, l’observation de la situation
sont essentielles, tout comme le fait de savoir communiquer. Pour les opérations
difficiles ou en mode « cauchemar » et les zones de guerre classées, les deux activités
les plus dures du jeu, l'usage du vocal est considéré comme une obligation. Dans les
situations les plus tendues, il importe de se focaliser sur les informations
indispensables uniquement et de choisir la tonalité appropriée afin que le ton de la voix
serve d’indicateur à l’urgence de la situation. Le sang-froid est une qualité appréciée
des autres joueurs dans ce genre de situations. Savoir gérer son stress et ne pas
s'affoler peuvent en effet être tout aussi utiles dans la réalité que dans un jeu vidéo,

76
bien que les enjeux ne soient bien sûr pas les mêmes. Il importe aussi d'être capable
de rester concentré plus ou moins longtemps selon l'activité, les opérations pouvant
durer plusieurs heures, des pauses sont faites de temps en temps. Les capacités que
possèdent, ou non, l’individu derrière son écran sont donc à prendre en considération
lorsque l’on s’intéresse à ce qu’il se passe en jeu.

Dans son article « Les techniques du corps », Marcel Mauss aborde le thème
des techniques du corps qu’il définit de la façon suivante : « les façons dont les
hommes, société par société, d'une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps
»73. A travers divers exemples dont la nage ou le pas militaire par exemple, qui varient
en fonction des époques et des sociétés, l’auteur met en avant l’idée qu’il existe de
nombreuses façons d’utiliser son corps pour une même activité. La culture induit des
comportements pas nécessairement conscients. Pour M. Mauss, le « triple point de
vue, celui de « l'homme total » » est nécessaire pour comprendre dans son ensemble
la notion des techniques du corps. Il faut donc prendre en compte plusieurs dimensions
: physiologique, psychologique et sociologique. Il traite aussi de la question de
l’éducation liée à celle de l’imitation qui permet d’apprendre ces techniques. M. Mauss
met par ailleurs en garde le lecteur, celui-ci en effet doit intégrer que « technique »
n’est pas indissociable « d’instrument ». Selon lui, une technique doit être «
traditionnelle et efficace », et il est central qu’elle soit transmise. Dans un deuxième
temps, il propose une classification de ces techniques du corps. Elles varient selon les
sexes et l’âge. Toutefois, on peut aussi envisager une classification par rapport au
rendement ou par rapport à la « nature de cette éducation et de ce dressage ». L’auteur
illustre ses propos avec de nombreux exemples, facilitant la compréhension de son
propos. Cette biographie comprend les différentes étapes d’une vie et les techniques
qui y sont associées, à partir de la naissance, avec l’accouchement et ses positions,
jusqu’à l’âge adulte, en fonction des différents moments de la journée, comme lors du
sommeil, et de ses activités. Enfin, pour terminer, il ouvre des champs de réflexion
plus généraux. M. Mauss propose donc de considérer le corps et ses pratiques comme

73 MAUSS Marcel, « Les techniques du corps », article de 1934 publié dans Journal de Psychologie,
XXXXII, en 1936 et proposé en version électronique en ligne par Jean-Marie Tremblay en 2002 :
http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/technique
s_corps.pdf (consulté le 27/04/2017)
77
intrinsèquement lié à la société et à la culture. Il présente un nouveau concept celui de
techniques du corps.

Utiliser un clavier ou jouer à un jeu vidéo sur un ordinateur relèvent de


techniques du corps. Il importe d’apprendre à bien situer les touches sur un clavier afin
d’y positionner ses doigts, selon les sociétés les claviers sont différents, AZERTY ou
QWERTY par exemple, d’être capable de regarder son écran tout en utilisant son
clavier, et donc de ne pas avoir les yeux rivés dessus… Les cours de « Technologie »
obligatoires dès l’entrée au collège ont en partie pour finalité l’enseignement de cette
technique du corps. L’informatique y occupe en effet une place essentielle comme le
rappelle le ministère de l’éducation74. Bien qu’utiliser un logiciel de traitement de texte
diffère d’apprendre à jouer à un jeu sur ordinateur, on retrouve cette idée de se
familiariser avec un outil spécifique. La pratique permet d’acquérir un savoir-faire et
des réflexes. Le fait de changer de clavier nécessite d’ailleurs souvent un temps
d’adaptation : les touches ne sont pas situées exactement à la même place, elles
peuvent avoir un espacement entre elles différent, ou une autre taille et forme de celles
auxquelles le joueur est habitué. Son corps doit donc se réajuster au nouvel outil. Par
ailleurs, la maîtrise de cette technique du corps a une incidence sur la performance du
joueur. Un joueur qui a les yeux fixés sur son clavier pour trouver sur quelle touche il
doit appuyer afin de faire une action précise lors d’un combat va perdre du temps. Ce
temps pourra être fatal à son personnage. Face à un adversaire qui possède une
certaine maîtrise de cette technique du corps, il sera désavantagé.

Il est intéressant d’observer que de nombreux joueurs se distinguant des autres


par leur niveau élevé sont des musiciens. Les classes jouées diffèrent, par exemple
Oroborus est un sorcier dont la spécialité, « éclairs », est destinée à infliger des
dégâts, alors que Gojira est un spécialiste tank, mais ils sont tous les deux des joueurs
de JcJ, y compris classé, alors qu’un autre est un joueur de JcE. Il s'avère que les
classes et les spécialités jouées, tout comme les activités pratiquées sont variées et
aucune ne semble être prédominante par rapport aux autres. Par ailleurs, l’instrument

74 Note relative à la Technologie au collège consulté sur le site eduscol le 20/04/2019 :


http://eduscol.education.fr/sti/sites/eduscol.education.fr.sti/files/textes/1421-technologie-prg.pdf
78
joué est la basse pour Oroborus, la batterie pour Gojira ou encore la guitare pour le
dernier joueur évoqué. Ils ne sont évidemment pas les seuls joueurs musiciens, j’ai
notamment pu rencontrer de nombreux guitaristes, un pianiste… Instruments à cordes
ou à percussions, ils demandent dans tous les cas d'être réactif et d'avoir le sens du
rythme. Au début, ces deux qualités facilitent sans doute l'apprentissage. Manuel
Boutet qui s'est intéressé aux jeux vidéo a écrit que « l'activité de jeu vidéo est une
activité répétée, fréquemment et même avec soin, et [...] cela développe chez les
joueurs un souci de la situation et de sa rythmicité »75. Le rythme et la fréquence sont
importants. Ainsi les compétences du personnage remplacent les notes de musique
dont la succession aboutit non pas à un son harmonieux mais à un enchaînement
efficace. La dextérité fait aussi la différence, ce ne sont plus les touches du piano sur
lesquelles on appuie mais celles du clavier. Il est évident que tous les meilleurs joueurs
ne sont pas des musiciens. Il est cependant incontestable qu'on retrouve parmi les
meilleurs une proportion non négligeable de musiciens. Or il s’agit bien de musicien et
non de musicienne. Les joueuses rencontrées ne s’adonnent pas à cette activité. Cette
observation m’a poussée à rechercher s’il existait des disparités hommes-femmes
relatives à la musique. La lecture de L'Observatoire de l’égalité entre femmes et
hommes dans la culture et la communication de 2019 disponible sur le site du ministère
de la Culture apporte des informations très précieuses à ce sujet. On peut remarquer
le fait que les postes de direction sont presque exclusivement masculins dans ce
secteur, et que la consécration va principalement aux artistes hommes, qu’il s’agisse
des parts des femmes parmi les interprètes des cinquante plus grands succès
musicaux - chiffres donnés pour l’année 2016 - qu’à la part des femmes parmi les
lauréats et lauréates des Victoires de la musique, de la musique classique et du jazz
de 1985 à 201876. L’enquête intitulée La place des femmes dans la musique et le
cinéma en Europe, menée en 2013 par le Laboratoire de l’Egalité et Vivendi, souligne
aussi ces différences en fonction du sexe. Selon cette étude, « les femmes sont
majoritaires parmi les étudiants des conservatoires et des écoles de théâtre » ; ils
ajoutent que « pour la musique, la danse et l’art dramatique, les femmes représentent

75 BOUTET Manuel, « Jouer aux jeux vidéo avec style. Pour une ethnographie des sociabilités
vidéoludiques », Réseaux, n° 173-174, 3/2012, p. 212.
76 Observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture et la communication,

Ministère de la Culture, 2019, p. 48.


79
: 62% de l’enseignement initial ; 50% des étudiants des conservatoires nationaux
supérieurs »77. Approfondissons un peu ce point. Marie-Christine Barthaburu et Yves
Raibaud ont proposé un article à partir d’une enquête relative aux questions de genre
et à la musique s’appuyant sur un travail de terrain réalisé dans une commune à
proximité de Bordeaux dans des écoles de musique, de danse... Ils écrivent : « la
distinction des rôles sexués se fait par le choix des instruments : 100 % de garçons
pour le trombone, la trompette et la batterie, plus de 80 % de filles dans les classes de
flûtes (traversière, à bec), de harpe, de violon »78, mais surtout une séparation entre
« des activités musicales masculines et des activités de danse féminines »79 s’opère.
Selon leurs propos, la musique tend à être rattachée à la masculinité. En considérant
toutes ces recherches, il apparaît que des femmes aussi décident de pratiquer un
instrument, mais que le choix de cet instrument est souvent sexué. Par ailleurs, elles
sont moins reconnues et moins nombreuses à accéder à des postes importants que
leurs pairs masculins. Elles sont davantage poussées vers la danse ou le chant plutôt
que vers la pratique de la musique. L’absence de joueuse musicienne lors de notre
travail de terrain est donc aisée à comprendre.

Par ailleurs, nous pouvons aussi constater qu'une partie des joueurs de haut
niveau non-musiciens sont des sportifs réguliers. Il s'agit soit de sports collectifs, le
football, le rugby, le basket, soit de sports individuels tels que l'escrime ou la natation.
Certains d’entre eux enseignent aussi le sport qu’ils pratiquent et/ou arbitrent. Dans le
premier cas, on peut émettre l'hypothèse que la cohésion de groupe nécessaire dans
le cadre du sport s'avère aussi utile dans les jeux vidéo multijoueur. La quête de
l'amélioration de ses performances, l'esprit de compétition, l'importance de la
concentration se retrouvent dans le sport comme dans le jeu pour les activités telles
que le « Joueur contre Joueur classé ». Inversement, aucune joueuse rencontrée n’a
évoqué pratiquer un sport particulier, même occasionnellement. Laure Bereni,
Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard écrivent au sujet du sport

77 La place des femmes dans la musique et le cinéma en Europe, Laboratoire de l’Egalité, Vivendi, 2013,
p. 4.
78 BARTHABURU Marie-Christine, RAIBAUD Yves, « Ségrégation des sexes dans les activités musique

et danse », Agora, Presses de Sciences Po, N°59, 2011/3, p. 67.


79 Ibidem, p. 68.

80
« les pratiques sportives ont été identifiées par la sociologie du genre comme un lieu
privilégié de construction de la masculinité »80. Si les femmes sont de plus en plus
nombreuses à pratiquer des activités sportives -et pas uniquement celles considérées
comme féminines telle que la danse-, elles restent cependant encore minoritaires et
les pratiques demeurent fortement sexuées. Les auteurs d’Introduction aux études sur
le genre expliquent que « 98% des licenciés à la fédération de football sont des
hommes, 80% des licenciés en gymnastique sont des femmes »81. Ces chiffres sont
assez révélateurs et il est dès lors aisé de comprendre pourquoi il est moins fréquent
de rencontrer des joueuses qui sont aussi des sportives.

b) La langue

b.1. La langue des gamers sur Swtor

« Donc pression sur celui qui est pas prot, on enchaine le mez et ensuite on fait
des hard stun »82. Cette citation résume la stratégie relative à un affrontement d’une
équipe qui consiste à se concentrer sur le personnage n’étant pas protégé par le joueur
incarnant la fonction de « tank » tout en ayant recours à des compétences visant à
empêcher les adversaires d'agir. Quand on regarde la vidéo, on voit l'écran du joueur
qui enregistre83, on entend ce qu'il dit et ce qu'il entend. Cette pratique est fréquente
à haut niveau, et les matchs sont même parfois diffusés en temps réel. Le ton est
sérieux et les joueurs semblent particulièrement concentrés ; une stratégie est mise
en place et la phrase que nous venons de citer est son récapitulatif. L'anglais se
mélange au français, le vocabulaire usité est maîtrisé et compris de tous. Pour les
profanes et les non-anglophones, cette phrase est incompréhensible, alors qu'au
contraire, pour les habitués des jeux vidéo, et en particulier en ligne, elle fait sens. Á

80 BERENI Laure, CHAUVIN Sébastien, JAUNAIT Alexandre, REVILLARD Anne, Introduction aux
études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, coll. Ouvertures politiques, 2012, p. 156.
81 Ibidem, p. 158.
82 Voici le lien de la vidéo datant d'avril 2015 :

https://www.youtube.com/watch?v=aqXa2ElQ3so
Cette citation est extraite d'une vidéo d'une arène opposant une équipe dans laquelle je jouais à une
équipe adverse ayant décidé d'enregistrer leur partie de zone de guerre classée et ayant partagé la
vidéo.
83 Le recours à un logiciel extérieur au jeu est nécessaire.

81
l'écrit comme à l'oral, pénétrer dans le monde des jeux vidéo demande d'apprendre à
parler sa langue.

Bien que tous les joueurs ne soient pas anglophones, la plupart d'entre eux
utilisent des mots ou des abréviations anglaises à l'oral comme à l'écrit. Le lexique qui
précède l'annexe reprend la plupart des mots employés par les joueurs qui peuvent
être un peu obscurs pour les personnes peu familières de cet univers. Il est intéressant
de constater que l'usage de l'anglais est préféré à la langue maternelle même lorsque
le mot existe dans celle-ci, par exemple on utilise « un heal » plutôt que « un
soigneur », ou un « loot » plutôt qu'un butin, et plutôt l'abréviation « PvP » player
versus player que « JcJ » Joueur contre Joueur. Il serait compréhensible que l'anglais
soit favorisé dans les cas où les mots sont beaucoup plus courts. En effet, quand tout
peut parfois se jouer en moins de quelques secondes, le gain de temps est essentiel.
Cependant, comme nous pouvons le voir avec les exemples cités, même lorsqu'il y a
peu ou pas de différence notamment avec les abréviations, dans les usages, c'est
l'anglais qui est privilégié. Néanmoins, le français demeure présent et les phrases
comprennent donc les deux langues. On peut voir des annonces sur le canal général
de la Flotte du type « Need un heal pour opé HM » qui signifie « Besoin d'un soigneur
pour une opération en mode difficile ».

On pourrait penser qu'une personne ayant des bases en anglais pourrait


aisément comprendre cette langue, ce n'est pas forcément le cas. Prenons l'exemple
du « mez » et du « stun ». Le mez vient de mesmerize qui signifie hypnotiser, et le
stun est un verbe anglais signifiant étourdir. Ces deux mots traduisent un état mais
leur sens en anglais ne permet pas de comprendre ce qui les différencie. Les deux
compétences mettent en évidence le fait que celui qui subit l'une ou l'autre passe en
état d'incapacité : la victime n'a plus aucune possibilité de se mouvoir et d'agir de
quelque façon que ce soit. Le mez se distingue du stun car il peut s'achever avant la
fin si la victime subit des dégâts. Si des dégâts mettent un terme à un mez, un
personnage stun quant à lui reste en état d'incapacité même s'il est blessé entre
temps. Le mez dure aussi moins longtemps que le stun. Cette subtilité en apparence

82
insignifiante est en réalité fondamentale dans les combats. Le lexique de « gamer »
nécessite donc de s'apprendre si l'on souhaite le comprendre.

On croise de nombreux joueurs qui ne connaissent pas ce vocabulaire,


notamment ceux qui débutent, ou ceux qui sont des joueurs occasionnels. Toutefois,
un autre cas est aussi relativement fréquent : les joueurs qui utilisent des termes en
ne connaissant pas leur signification exacte ou en leur associant un autre sens. Les
définitions sont mélangées et l'usage en est erroné. Lorsque c'est le cas, cela
engendre des problèmes de communication et de compréhension entre les joueurs,
parfois même des conflits.

Il ne faut pas oublier les fautes d'orthographe, par exemple un « stunt » à la


place d'un « stun », avec l'ajout de la lettre « T » venue de nulle part mais pourtant
présente. Cette faute est récurrente, on la retrouve en jeu mais aussi sur les forums
par exemple un utilisateur nommé red_asphalt écrit : « pendant le combat j'ai un stunt
de mass a distance et un stunt de CAC »84 dans un sujet traitant des classes dans
Star Wars The Old Republic sur le site JeuxVidéo.com. On peut lire sur un autre forum
un utilisateur, aXion, se plaindre de ce problème, « lire « stunt » à la place de « stun »
ça me donne de l'urticaire »85. En ce qui concerne le vocabulaire de « gamer », cette
faute orthographique est assez répandue. Les joueurs n'ayant jamais appris l'anglais
ou ayant des difficultés avec cette langue commettent bien sûr des erreurs lorsqu'ils
emploient d'autres termes anglais. Bien entendu, tous n'ont pas non plus une maîtrise
exceptionnelle de la langue française, en jeu comme sur les sites relatifs à Swtor, on
retrouve de nombreuses fautes : d'orthographe, de grammaire, de conjugaison... Dans
les cas les plus extrêmes, il peut même être ardu de comprendre le sens de ce qui est
écrit. En effet, il m'est arrivé de par l'absence de structure cohérente, de verbe et de
ponctuation et l'utilisation de plusieurs termes erronés et sans lien utilisés ensemble
de ne pas être en mesure de comprendre ce que tentait de communiquer un autre
joueur.

84 Voici le lien du forum :


http://www.jeuxvideo.com/forums/1-18172-165138-1-0-1-0-equivalent-du-voleur-dans-swtor.htm
85 Voici le lien du forum :

http://forums.jeuxonline.info/showthread.php?t=1249513
83
Par ailleurs, il existe aussi un vocabulaire propre à Swtor, par exemple les
« zones litigieuses », les « héroïques », etc. Il est plus simple de comprendre tous ces
mots car une explication est facilement accessible en jeu grâce au didacticiel. En
jouant, on est amené à les voir et naturellement à les assimiler. Une fois que l'on a
compris de quoi il s'agissait, ces expressions ou mots sont retenus et employés. Il est
assez simple au final de connaître le lexique du jeu, et cet apprentissage est en
moyenne plutôt rapide. Contrairement au lexique « universel » du jeu vidéo, il n'existe
pas de confusion sur ce vocabulaire interne à Swtor et les joueurs savent exactement
ce à quoi correspondent les mots qu'ils utilisent. Aucun joueur par exemple n'emploie
le terme « opération » à la place de « zone litigieuse », les deux ne faisant pas
référence à la même chose. Manuel Boutet souligne dans son article « Jouer aux jeux
vidéo avec style » que le vocabulaire spécifique à chaque jeu est un aspect qui ne doit
pas être négligé. Selon lui, « cette spécialisation du vocabulaire peut être vue comme
[...] une dynamique communautaire de distinction et d'exclusion »86, ce qui signifie que
la langue partagée entre les joueurs les lie davantage et renforce la cohésion du
groupe, le sentiment de faire partie d'une même communauté.

Ce vocabulaire relatif aux jeux vidéo globalement ou propre à Swtor est


employé aussi bien par les joueurs que les joueuses. Les différences s’observent en
fonction des activités préférentielles, qui peuvent être sexuées, plutôt qu’en termes de
maîtrise générale de la langue du jeu. Les joueuses sont aussi enclines à privilégier
des expressions ou techniques spécifiques à Star Wars The Old Republic. Il existe
donc une certaine parité entre joueurs et joueuses en ce concerne les usages de la
langue. Cette maîtrise partagée, qui s’acquiert progressivement, facilite les échanges.

En débutant ce travail, j'ai dû me familiariser avec un ensemble de mots qui


m’étaient inconnus. Comme tous les nouveaux joueurs, j’ai progressivement appris
ceux propres au jeu mais pour pouvoir échanger avec les divers membres de cette
communauté de joueurs, j’ai aussi dû apprendre ce que signifiaient les mots qu’ils

86 BOUTET Manuel, « Jouer aux jeux vidéo avec style. Pour une ethnographie des sociabilités
vidéoludiques », Réseaux, n° 173-174, 3/2012, p. 219.
84
employaient. C’est en demandant, en faisant des recherches et en utilisant mes
connaissances, en anglais notamment, que je suis parvenue à les comprendre.
Reprenons quelques phrases prononcées par des joueurs et issues de la vidéo citée
précédemment : « ils m’ont OS ». OS est l’abréviation de One Shot et cette expression
est utilisée lorsqu’il y a mort suite à une seule attaque. Elle est aussi employée lorsque
la mort est très rapide comme c’est le cas dans cet exemple. « Il faut tenir l’open déjà »
signifie qu’il est indispensable de survivre au tout début de la partie, qui peut être
décisive. Autre exemple, « elle était DOT la heal » signifie que le personnage ayant
pour fonction de soigner dans l’équipe adverse -qui était en l’occurrence le personnage
que je jouais- subissait des dégâts sur la durée, DOT venant de l’anglais « Damage
Over Time ». Prenons un dernier exemple, pour l’un des joueurs, la clef de la victoire
est « [qu’] il faut juste bien switch », cette phrase est simple d’apparence. Elle n’est
suivie de rien, d’aucune explication et elle est formulée comme une évidence.
Cependant, une personne extérieure à cet univers ne peut pas comprendre de quoi il
s’agit. En réalité, le joueur souligne l’importance d’attaquer un adversaire qui ne
bénéficie pas de la protection que place le « tank » sur un de ses alliés. Il rappelle la
stratégie consistant à s’en prendre rapidement aux adversaires se trouvant dans un
état de vulnérabilité avant qu’ils ne soient protégés. Si cette dernière citation n’est pas
caractérisée par un vocabulaire particulier, elle demande de connaître le
fonctionnement des combats pour savoir à quoi fait référence le terme « switch »,
changer de.

b.2. Langue et communauté

La langue permet l’échange entre les membres de la communauté. On


comprend son importance par exemple lorsque sur des serveurs anglais on retrouve
des guildes dont le nom met en évidence l'appartenance linguistique comme
« L'empire français » ou « Czech Alliance ». Certains joueurs refusent de partir sur des
serveurs d'une autre langue par crainte de l'isolement : ne pas pouvoir trouver une
guilde française qui leur convienne et ne pas être en mesure d'intégrer une guilde dont
ils ne comprennent pas la langue. Ce cas de figure s'est présenté avec un joueur dont
le pseudonyme, éponyme de son personnage, était Diwaller. Il souhaitait partir sur un

85
autre serveur, celui sur lequel il se trouvait ne le satisfaisant pas, en l'occurrence Battle
Meditation. Cependant, il craignait de partir seul ne parlant pas un mot d'anglais. Il a
tenté pendant un certain temps de me convaincre de changer de serveur en même
temps que lui, officiellement pour avoir un traducteur, mais sans doute aussi pour ne
pas se retrouver seul. Au final, il a choisi de transférer certains de ses personnages
tout en laissant son personnage principal sur Battle Meditation.

En fonction des activités qu'ils pratiquent, certains joueurs choisissent de


délaisser l'apprentissage de termes dont ils ne feront jamais usage. Leur connaissance
de tout ce lexique est donc partielle mais elle leur permet de communiquer avec les
autres joueurs. Nous pouvons donner l’exemple d’un joueur rencontré adepte du
Galactic Starfighter, un mode de jeu de Swtor qui met en scène des affrontements
« Joueurs contre Joueurs » dans l'espace, avec des combats entre des vaisseaux. Les
vaisseaux ne possédant pas de capacités de mez et de stun, pour reprendre des
termes que nous avons vu un peu plus tôt, et lui ne pratiquant pas d'activités où il
pouvait les entendre ou les utiliser, il ne connaissait pas leur sens. Par contre il savait
ce qu’était un « spawn kill »87 ou un « VA »88 ; inversement, ce dernier terme demeure
méconnu de la plupart des joueurs puisque le Galactic Starfighter n'est pas très
populaire. Notons que ce mode de jeu semble être particulièrement sexué puisque je
n’ai rencontré aucune joueuse adepte de cette activité, ni en jeu ni sur les forums. Lors
des sorties de guilde, ou d’évènements organisés regroupant des joueurs appartenant
à plusieurs guildes différentes, aucune femme n’y a participé.

Il arrive qu'un terme profane remplace un terme officiel, et que son emploi se
généralise à tout un groupe de joueurs. J'ai mené une expérience dont le résultat me
semble vraiment intéressant. Dans la zone de guerre « Hyperporte antique », il est
possible de ramasser des orbes puis de les amener au portail contrôlé par l'équipe de
joueurs pour augmenter le nombre de points. J'ai remplacé le terme « orbe » propre
au jeu par « paillettes ». Ces orbes apparaissent à l'écran comme de petites lueurs

87 Fait d'éliminer des adversaires qui sortent tout juste de leur zone de départ ; à peine apparus, ils sont

détruits et retournent dans une zone de départ.


88 VA est l'abréviation utilisée par les joueurs de Galactic Starfighter pour désigner un type de vaisseau,

le « vaisseau armé ».
86
sphériques d'une couleur blanche bleutée qui brillent et entourent le personnage qui
les transporte. Bien que connaissant le terme exact, de façon systématique, j'ai choisi
d'utiliser le mot « paillettes » pour désigner les orbes. La grande majorité des joueurs
a compris immédiatement de quoi il s'agissait, une petite minorité a eu besoin d'un
temps de réflexion. Dans de très rares cas, un joueur habitué à m'entendre l'utiliser a
pris l'initiative d'expliquer à un autre joueur à quoi je faisais référence lorsque je parlais
de « paillettes », mais généralement, ce n'était pas nécessaire. Il s'avère que l'effet
visuel des orbes est semblable esthétiquement à des paillettes. Concernant les
réactions, l'amusement est quasiment unanime. Quelques joueurs ont tenté de me
corriger et me reprenaient dès que je prononçais le mot « paillettes ». Toutefois,
progressivement, tous les joueurs avec lesquels je jouais, ont commencé à utiliser le
terme « paillettes », y compris ceux qui à l'origine tentaient de me forcer à utiliser le
mot « orbe ». Bien qu'à l'origine, j'étais la seule à utiliser ce terme, avec le temps, son
usage s'est étendu d'abord à mes proches en jeu puis il a en quelque sorte
« contaminé » d'autres joueurs. Il apparaît donc qu'il existe une certaine flexibilité
relative au lexique de la part d’une partie des joueurs. Je ne connais pas d'autre cas
de ce type. L'hypothèse la plus probable est que ce terme ait été intégré à force de
m'entendre l'utiliser. Contrairement à la majorité des joueurs, je fais attention à l'objectif
de la partie, donc j'emploie régulièrement le mot « paillettes » alors que les autres
n'utilisent pas ou peu « orbe ». Ainsi lorsqu'ils ont besoin de les désigner, ils utilisent
le mot qu'ils entendent le plus ou répètent celui qui vient d'être employé, et donc
« paillettes ». Il est aussi possible qu'une des raisons pour lesquelles il est utilisé est
que le joueur souhaite me faire plaisir ou créer un lien avec moi en parlant la même
langue. Il est difficile de savoir si les réactions auraient été les mêmes dans le cas où
la personne à l'origine de l'emploi de « paillettes » à la place de « orbe » avait été de
sexe masculin. L'usage du vocal permet en effet de connaître le sexe de son
interlocuteur, et il est particulièrement usité entre les membres d'une même guilde,
entre amis, ou pour certaines activités dont le « Joueur contre Joueur » ou les
opérations, des activités contre l’environnement. Nous allons maintenant nous y
intéresser.

b.3. Les vocaux : lieux par excellence de l’usage de la langue

87
Il existe de nombreux logiciels qui permettent aux joueurs de pouvoir
communiquer à l'oral tout en étant en jeu89. Une fois connecté sur le logiciel, il est
important de le paramétrer. La plupart du temps le joueur utilise un casque micro, mais
il arrive qu'il ait recours au microphone de sa webcam ou laisse le son sortir sur ses
enceintes. C'est néanmoins assez rare puisque laisser le son sortir sur les enceintes
génèrent souvent des problèmes d'échos lorsque le microphone est activé : la
personne qui parle s'entend avec un petit décalage à cause du microphone de la
personne qui l'écoute. Quoi qu'il en soit, l'individu doit choisir s'il souhaite que son
micro soit activé en permanence quand il est connecté sur le vocal ou qu'il ne s'active
que lorsqu'il détecte du bruit, et le niveau de détection.

Ce choix est fondamental et peut-être modifié à tout moment dans les


paramètres. Les personnes qui choisissent de laisser leur microphone actif en continu
le font en général parce qu'elles ne vivent pas dans un environnement bruyant et
qu'elles trouvent que c'est plus simple ainsi. Elles n'ont pas besoin de cliquer sur une
touche pour l'activer, ce qu'elles peuvent considérer comme étant pénible en combat
par exemple. D'autre part, elles n'ont pas besoin de réfléchir au paramétrage des
touches. Enfin, il peut aussi s'agir d'une préférence personnelle. Les adeptes du
« push-to-talk » qui requiert d'appuyer sur une touche pour activer son micro font la
plupart du temps ce choix pour préserver leur intimité et ne pas importuner les autres
joueurs. Un bébé qui pleure, une épouse qui passe l'aspirateur, ou le bruit de la
télévision pourraient incommoder les autres joueurs présents sur le vocal.

Le vocal est un espace personnalisable. Il est possible de créer des canaux et


de les nommer, d’ajouter des images… Des autorisations et des interdictions peuvent
être mises en place par les modérateurs, c’est-à-dire ceux qui le gèrent. Ils peuvent

89 Teamspeak et Mumble puis Discord sont les plus connus et les plus utilisés par les joueurs de Swtor.
Ces deux logiciels sont à télécharger gratuitement sur Internet et à installer sur son ordinateur. Une fois
que c'est fait, il suffit de rejoindre un serveur vocal grâce à une adresse et éventuellement un mot de
passe, de se nommer et de se connecter. Bien entendu, il est aussi possible d'en créer un. Selon le
logiciel, ce que l'on souhaite et la méthode employée, c'est payant ou non. Il arrive aussi lorsqu'il s'agit
de deux amis qu'ils utilisent Skype. Ces précisions sont importantes puisqu’elles mettent en évidence
le fait qu’il n’existe pas de possibilité offerte par Swtor directement pour parler de vive voix aux autres
joueurs, il est indispensable d’utiliser un logiciel extérieur.
88
par exemple bloquer l’accès à certains canaux aux utilisateurs hormis à ceux à qui ils
en donnent les droits. L’individu choisit son pseudonyme, c’est le nom sous lequel les
autres personnes connectées le verront apparaître. Il peut aussi y associer une
illustration, comme nous pouvons le voir sur l’image suivante, où un individu a ajouté
une photographie de lui dédicacée humoristiquement à un autre joueur, pour se
moquer affectueusement de lui -qui se vantait de sa musculature- :

Cette image90 permet de voir un exemple de répartition des canaux. Le petit rond bleu
à la gauche du nom de la personne, ici Oxball, devient clair lorsqu’elle parle est reste
foncé lorsqu’elle est muette. Les canaux avec des verrous signifient qu’ils ne sont pas
accessibles à tous. En haut, l’icône de microphone barré par une croix indique qu’il est
possible de couper son micro en cliquant dessus, juste à côté, le symbole suivant
propose quant à lui de couper le son du vocal.

Il ne faut pas oublier qu’il existe d’autres formes de communication que les mots
tels que la tonalité de la voix qui traduit l’état de santé et l’état d’esprit, les soupirs, les

90 Il s’agit d’une impression écran du serveur vocal Teamspeak de la guilde Le Conseil des Altruistes.
89
rires, etc. Il n’est pas toujours nécessaire de vraiment discuter avec les autres joueurs
présents sur le vocal pour connaître leur humeur. De même, le fait de venir ou non sur
un vocal est aussi un indice de l’état d’esprit de la personne. Le comportement, sur le
vocal -tel que grommeler, s’isoler en coupant son microphone- comme en jeu -par les
emotes, ou par les actes comme par exemple, dans une zone sans risques de
combats, poser une protection de « tank » sur le personnage d’un joueur pour le saluer
ou lui rappeler qu’on ne l’oublie pas- est aussi un moyen de communiquer entre les
joueurs et n’utilise pas toujours des mots.

Les vocaux sont des espaces privilégiés de discussion. Les sujets abordés
varient selon les personnes qui dialoguent, leur proximité ou leur âge. Ils peuvent être
relatifs au jeu mais ne le sont pas nécessairement. Ils sont régulièrement corrélés à
l’occupation en jeu. Des joueurs concentrés sur quelque chose de difficile ne parlent
pas de la pluie et du beau temps, alors qu’à l’inverse, les joueurs pratiquant une activité
ne nécessitant pas d’être complètement focalisés dessus peuvent discuter de bien des
thèmes : le prix de l’immobilier dans le Nord, le dernier film au cinéma, ou encore le
quotidien.

Tamar Saguy, Diane M. Quinn, John F. Dovidio et Felicia Pratto ont travaillé sur
l'objectivation sexuelle des femmes et sur ses conséquences concernant les
interactions sociales. Les auteurs de « Interacting Like a Body: Objectification Can
Lead Women to Narrow Their Presence in Social Interactions » 91 affirment que,
d'après les résultats de leurs recherches, les femmes n'apprécient pas d’être dans une
situation de communication avec des hommes dans un contexte où leur corps est vu.
Lorsque c'est le cas, elles parlent moins que dans tous les autres cas, notamment par
exemple dans une situation où la discussion ne se déroule pas en face à face, que
seule leur tête est visible, ou bien même lorsqu'elles sont uniquement entre femmes.
L'hypothèse explicative des auteurs est que ces femmes sont influencées par les
exigences sociales et le regard masculin. Elles adopteraient un comportement qu'elles
supposent être attendu d'elles : être juste un corps, non plus une personne mais un

91SAGUY Tamar, QUINN Diane M., DOVIDIO John F., PRATTO Felicia, « Interacting like a body:
Objectification can lead women to narrow their presence in social interactions » Psychological Science,
N°20, 2010, p. 1 à 5.
90
objet, et un objet ne parle pas. L'autre suggestion des auteurs est que ces femmes se
concentreraient sur leur apparence au détriment de l'attention portée au reste, y
compris à l'échange. Lors de leur expérimentation les chercheurs ont observé les
différences entre trois contextes d'échange : audio uniquement, visuel ne laissant voir
que le visage et enfin, visuel dans une situation où les interlocuteurs se voyaient
complètement. Lorsque leur corps est vu, les femmes se focalisent sur celui-ci, elles
parlent moins si leur interlocuteur est du sexe opposé ou si elles pensent qu'il l'est.
D'autre part, elles n'apprécient pas la situation d'échange où on les voit complètement
: « among women, the percentage who disliked the body condition (61,1%) was
significantly grete than the percentage who disliked the face condition (31,5), [...] or
the audio condition (7,4%) »92. Les hommes, eux, sont plus indifférents au fait qu'on
voit ou non leur corps. Ainsi pour les échanges en vocal, le corps des joueuses n’étant
pas visible, elles ne sont pas confrontées à la question de leur apparence physique.
Leur corps et leur image ne constituent pas des freins dans leurs échanges avec les
autres joueurs. En revanche, pour les plus timides, il peut être difficile de s’imposer
dans le jeu comme à l’oral lorsqu’elles sont en minorité, ce qui est le cas le plus
fréquent étant donné le pourcentage de joueuses comparativement à celui des joueurs
pour ce type de jeux. Selon l’enquête du CNC et de l’Ifop de 2015, les jeux multijoueur
en ligne comprendraient 30,2% de joueuses et 69,8% de joueurs93.

Pour conclure cette partie, nous vous proposons un schéma récapitulatif du


vocal comme source d’informations sur autrui :

92 Ibidem, p. 3.
93 CNC, Ifop, Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français, 2015.
91
c) Structure narrative du jeu

c.1. Thèmes narratifs rencontrés : le voyage, l’épreuve initiatique, la trahison et le


mensonge

Laurent Trémel a affirmé qu’en « parallèle à une étude des formes prises par la
pratique sociale, les sociologues doivent aussi s'intéresser, spécifiquement, aux
contenus des produits (i.e. les logiciels de jeux) lui servant de support »94. Le contenu
du jeu est réellement digne d’intérêt, y compris par rapport à notre problématique

94TREMEL Laurent, « Introduction », Les jeux vidéo : pratiques, contenus et enjeux sociaux, (dir.)
FORTIN Tony, MORA Philippe, TREMEL Laurent, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 21.
92
puisqu’il est possible qu’il exerce une influence sur les joueurs, mais aussi sur les
échanges qu’ils entretiennent entre eux, point sur lequel nous reviendrons par la suite.

« Il était une fois... », ces quelques mots ont été les premiers de nombreuses
histoires. Ils ont annoncé de la magie, des fées et des dragons, des combats et des
victoires. La plupart des enfants baignent dans les contes dès leur plus jeune âge, de
ceux lus par un parent pour les endormir à ceux étudiés en classe. La popularité des
contes est toujours très forte dans notre société, au cinéma, dans l’art contemporain,
dans la publicité, ou encore dans les médias. Le conte est un récit dans lequel le héros
poursuit des aventures et surmontent des épreuves. La fonction des personnages
varie selon les versions du conte, souvent multiples, et ses étapes. Le personnage est
soit le médiateur, soit lʼagent, soit le patient, selon ses interactions avec les autres
protagonistes, positives ou négatives, aux différentes séquences principales de la
narration. Le médiateur est un protecteur ou un agresseur. Notons qu’un même
protagoniste peut voir son rôle évoluer au cours de l’histoire. Pour reprendre Vladimir
Propp « il faut considérer le conte en rapport avec son milieu, avec la situation dans
laquelle il est créé et dans laquelle il vit. [...] Sans aucun doute, le conte a généralement
sa source dans la vie »95. Star Wars est caractérisé par les principaux thèmes narratifs
des contes. Par ailleurs, on peut faire remarquer que les divers scénarios du jeu
reprennent les trente-unes fonctions définies par Propp qui peuvent être présentes
dans les contes. A titre d’exemples nous pouvons signaler que la première fonction
« l’absence » ou « l’éloignement » apparaît dans l’histoire du chasseur du primes, où
dès le début, son ami et mentor est assassiné, « l’accession au trône » qui est la
dernière fonction est possible pour toutes classes avec l’extension Knights of the
Eternal Throne.

Ancré dans la tradition orale, le conte transmet un message à travers une


histoire construite. Le conte est intéressant en tant que tel mais aussi pour les
informations qu’il apporte concernant la société, et sa culture, dont il est issu. Lors d’un

95PROPP Vladimir, Les transformations des contes merveilleux, Morphologie du conte, Paris, Points,
coll. Essais, France, 1970, p. 176.
93
entretien mené par Thierry Wendling avec Daniel Fabre, D. Fabre exprime l’idée selon
laquelle :

« Grâce au conte, l’individu entre dans le monde social et la leçon sous-jacente


est celle de la bonne voie. Jusque dans la vision dérisoire des contes facétieux, le
conte explique, à sa manière, ce qu’il faut faire pour appartenir au monde social,
villageois en général. Et puis, le conte finit plutôt bien après de multiples aventures. »96

Ainsi, le conte est riche de renseignements relatifs à celui qui le transmet mais qui
concernent aussi ceux qui l’écoutent. Les diverses versions d’un même conte peuvent
être expliquées par les influences culturelles mais aussi par la volonté du conteur qui
se permet parfois certaines libertés. Ces multiples versions doivent être mises en
perspective pour mieux comprendre le sens du conte. Les liens entre la forme et le
fond donnent au conte un ou plusieurs sens. La possibilité offerte au conteur de
modifier le conte de diverses façons en change le sens, ce qui aboutit
occasionnellement à des versions d’un même conte caractérisées par des sens
opposés. Dans leur article « Conte, mon beau conte, de tous tes sens dis-nous quel
est le vrai », Veronika Görög-Karady et Christine Seydou97 proposent l’exemple d’un
conte vili sur l’origine des couleurs des hommes. Selon les versions, la couleur de
peau blanche est soit assimilée à une caractéristique positive, obtenue comme
récompense, soit négative, associée à un mauvais comportement, et inversement pour
la couleur de peau noire. Les versions datant d’époques différentes peuvent être
expliquées grâce au contexte historique de la colonisation et plus tard de
l’indépendance. Il est aussi possible que ces versions aient coexisté et qu’elles furent
privilégiées selon l’identité du conteur et du ou des destinataires. Le conte est ainsi
riche de sens et de potentialités de transformations. Pour les auteurs, il y a en quelque
sorte « un paradoxe dans cette alliance qu’il nous révèle d’une universalité profonde
et d'une perpétuelle variabilité, d'une rigidité dans son organisation structurelle et d'une

96 WENDLING Thierry, « L’intelligence du conte. Entretien avec Daniel Fabre », Sur les chemins du
conte, ethnographiques.org, Numéro 26, juillet 2013, p. 19.
http://www.ethnographiques.org/2013/Wendling-Fabre [Consulté le 16.06.2019]
97 GÖRÖG-KARADY Veronika, SEYDOU Christiane, « Conte, mon beau conte, de tous tes sens dis-

nous quel est le vrai », Littérature, Les contes : oral / écrit, théorie / pratique, n°45, 1982. p. 24 à 34.
94
plasticité dans son expression formelle; un jeu dans la combinatoire subtile qui
s'instaure entre ses règles logiques d'organisation et le matériau qui s'offre à celle-ci
»98.

Nicole Belmont établit une comparaison intéressante entre les contes et les
mythes. D’après elle, les contes sont souvent plus complexes et davantage centrés
sur l’être humain. Elle écrit à ce sujet « le conte est plus compliqué, mais réduit ce
matériel à ses dimensions humaines »99. Les divinités laissent alors place à des héros
plus ordinaires. Selon l’auteur, le conte, tout comme le mythe, est rattaché à une
culture. La multiplicité des versions contribue à sa richesse, et il véhicule des
messages aussi bien lorsqu’il est transmis oralement que lorsqu’il l’est grâce à l’écrit.
Les contes partiels ou modifiés ne doivent pas être négligés. Destinés aux petits
comme aux grands, ils font appel à l’imagination qui est sollicitée pour visualiser
l’histoire, qu’elle soit entendue ou lue. Comme nous allons le voir, Star Wars The Old
Republic reprend les principaux thèmes narratifs des contes.

Star Wars c'est avant tout un voyage, le voyage du spectateur qui regarde
l'œuvre cinématographique, celui du lecteur qui suit une aventure fictive écrite ou
encore celui du joueur à travers les péripéties de son personnage. Pour le rôliste, le
voyage prend pour support son imagination et ses connaissances. Le voyage est un
thème important dans l'univers Star Wars. Le voyage en tant que déplacement
physique d'un endroit à un autre est mis en scène par la diversité des lieux sur lesquels
les protagonistes sont amenés à se rendre. Ces endroits ne sont pas seulement
nombreux mais ils sont aussi très différents les uns des autres, ce qui tend à accentuer
le sentiment de dépaysement et de voyage. Des dunes de Tatooine au sol glacial de
Hoth en passant par le Sénat de Coruscant, les changements sont radicaux en termes
de climat, de faune et de flore ainsi que d'aménagement du territoire. On retrouve ces
planètes dans Swtor, ainsi que bien d'autres. Si le joueur souhaite suivre le scénario,
associé à la classe de son personnage, il est obligé de se rendre sur plusieurs lunes
et planètes. L'avancement dans l'histoire est corrélé à la découverte de nouveaux

98Ibidem, p. 24.
99BELMONT Nicole, « Le conte : espace onirique, espace sémantique », Journal des anthropologues,
Anthropologie & psychanalyse, n°64-65, 1996, p. 117.
95
lieux. Il est impossible de demeurer statique ; bien sûr le personnage doit souvent
revenir à un ou deux endroits qui lui sont familiers ou le deviennent et auxquels il est
rattaché, comme l'Académie Sith ou Jedi par exemple. En ce sens, le personnage ne
peut progresser qu'en quittant l'endroit d'où il vient pour partir en quête lors d'une sorte
de voyage initiatique.

Le voyage ne peut être permis que grâce aux moyens de transport. Le vaisseau
est impératif pour traverser la galaxie et il occupe une place essentielle. On pourra
remarquer le lien entre Han Solo et son Faucon Millenium dans les films et celui du
contrebandier à son Cargo X-S dans le jeu. Les similitudes sont nombreuses et
clairement, toute la trame du scénario du contrebandier s'inspire de l'histoire de Solo.
La première partie du scénario consiste d'ailleurs à récupérer son vaisseau qui a été
dérobé et à se venger de l'individu qui en est responsable. Ainsi le début de l'histoire
de cette classe est centré sur le vol du vaisseau, le vaisseau apparaît comme
essentiel, et sa fonction seule ne justifie pas son importance. Nous pouvons faire
remarquer que le type de vaisseau est le même, un cargo servant à transporter des
marchandises, plus ou moins légales, le joueur incarnant un contrebandier, activité
qu'exerce aussi le personnage de Han Solo. Les deux premières images montrent
respectivement l’extérieur du vaisseau dans l’épisode IV puis dans Star Wars The Old
Republic 100 . Les images suivantes sont celles de l’intérieur du vaisseau du
contrebandier, d’abord dans le film puis dans le jeu, on peut y voir de nombreux points
communs, comme le canapé en demi-cercle devant une table de « dejarik », un jeu
holographique, ou la forme arrondie du couloir.

100Cette image est disponible sur le site officiel du jeu :


http://www.swtor.com/fr/holonet/classes/smuggler
96
97
Autre clin d'œil à l'œuvre cinématographique, le contrebandier est la seule classe à
avoir un partenaire Wookie, comme Chewbacca, le second et ami fidèle de Solo. Les
armes utilisées sont les mêmes, des blasters, et on retrouve aussi des tenues qui sont
très similaires à celles du film. Néanmoins, quelle que soit la classe, le vaisseau est
essentiel dans l'histoire. Il est d'ailleurs souvent obtenu en récompense, le personnage
est reconnu pour son mérite, ses accomplissements et jugé apte pour partir en quête.
Le vaisseau s’acquière comme nous l'avions précisé précédemment à la fin de la
deuxième planète, qui correspond à Coruscant pour toutes les classes républicaines,
et Dromund Kass pour toutes les classes impériales. Sans lui il est difficile de
voyager... et impossible de faire sa quête de classe, c’est un moyen de locomotion
obtenu de différentes façons à l’issue d’une quête : cadeau, vol, véhicule de fonction
accordé... Le type de vaisseau, son organisation, son apparence sont autant de
facteurs qui varient selon la classe. Les deux vaisseaux des Jedis se ressemblent tout
comme les vaisseaux des Siths sont similaires entre eux. Le pilotage, qu'il s'agisse
d'un vaisseau ou d'un speeder apparaît dès le début de l'épisode IV comme une
passion pour Luke Skywalker, que ce soit dans ses discussions avec sa famille et en
particulier son oncle ou avec les droïdes. Lors de la première apparition de Luke dans
l’épisode IV, il veut rejoindre ses amis qui viennent de recevoir des pièces de vaisseau,
son oncle lui répond : « tu iras t’amuser avec tes copains pilotes quand ton travail sera
fini ». Un peu plus tard, il s’agace parce qu’il doit rester sur Tatooine alors qu’il veut

98
rejoindre l’Académie et « décoller d’ici ». Par ailleurs, les combats spatiaux sont aussi
présents dans le jeu, comme dans les films, le père comme le fils se distinguent
d’ailleurs grâce à leur talent en tant que pilotes. Le vaisseau permet les déplacements
et cette mobilité est synonyme de liberté. Nous pouvons aussi faire remarquer que la
découverte de l’environnement est primordiale dans les jeux vidéo. Sébastien Genvo
a écrit au sujet des jeux vidéo qu’ils mettent en avant « la découverte d’un système
par l’action à travers une exploration spatiale »101. Le voyage peut être une facette de
cette exploration spatiale.

Autres lieux, autres peuples et autres cultures, Star Wars c'est aussi la
rencontre de l'autre. La diversité des espèces extraterrestres qui existent est visible à
l'écran, dans les films comme dans le jeu. Certaines sont pourtant propres à l'un ou à
l'autre, par exemple, Voss est une planète et le nom d'une espèce endémique -non
jouable- qui y vit et qui a été créé par les développeurs du jeu. Elle apparaît donc pour
la première fois dans Swtor, inversement on ne rencontre aucun Toydarien dans le
jeu. La rencontre de l'autre amène le personnage à se faire des alliés, dont certains le
suivront même dans son aventure, comme des ennemis. C'est grâce au voyage que
le personnage rencontre la majeure partie de ses partenaires. Hormis le premier
partenaire que le personnage rencontre sur la planète de départ, tous les autres se
trouvent sur une planète différente qui varie selon la classe. Le Jedi consulaire
accueille dans son vaisseau de nombreux diplomates en plus de ses partenaires.

Le voyage est enfin spirituel. Il ne suffit pas de voyager physiquement d'un


espace à un autre. Lors du passage sur Voss ce thème est particulièrement présent.
Le personnage doit respecter les croyances locales et se plier à leurs rites pour pouvoir
parvenir à ses fins. Il voyage ainsi dans le monde des esprits par exemple. L’épreuve
initiatique apparaît comme centrale. On retrouve cet aspect à plusieurs niveaux,
comme si plusieurs rites initiatiques étaient nécessaires pour que le personnage
devienne ce qu'il est destiné à être. Le Jedi fut avant cela « padawan » et le Sith,
apprenti. C'est en réussissant des épreuves et en étant reconnus qu'ils ont obtenu ce
nouveau titre. L’inquisiteur débute comme esclave espérant devenir apprenti Sith pour

101 GENVO Sébastien, « Jeux vidéo », Communications, N°8, 2011, p. 99.


99
échapper à la mort sur Korriban, et son histoire s’achève lorsqu’il devient Darth,
membre du Conseil Noir, une des plus hautes fonctions pour les Siths au sein de
l’Empire. La Force renvoie à la dimension magique qu’on retrouve dans ce thème de
l’épreuve initiatique. Le personnage en réussissant à surmonter ses épreuves parvient
à gravir la hiérarchie sociale. Il prend un apprenti, ce qu’il était au départ et dépasse
le statut de son ancien maître, parvenant à accéder au sommet. Les non-utilisateurs
sont aussi concernés avec par exemple La Grande Traque à laquelle participent les
meilleurs chasseurs de primes en quête de gloire.

La dimension religieuse est à prendre en considération. Selon William Sims


Bainbridge « there is no gods in Star Wars mythos »102. Certaines espèces de l’univers
ont des croyances et des rites, les Voss par exemple, que le joueur est amené à
découvrir dans le cadre du jeu. La Force est plutôt rattachée à la magie, même si
l’auteur met en évidence des similitudes avec le bouddhisme zen. Il écrit que
« individuals who are sensitive need rigorous spiritual training, both to be able to
control the Force and to avoid using it for evil, selfish purposes »103, la deuxième partie
n’est vraie que pour les Jedis.

Nous pouvons envisager l’écran comme une porte. La porte est un passage,
elle permet la transition entre deux espaces. Une porte peut être ouverte ou fermée
tout comme l’écran peut être allumé ou éteint. Le joueur traverse l’écran pour pénétrer
le monde du jeu. Il voyage, éprouve des sensations et ressent des émotions tout en
étant immobile et pour citer le grand voyageur que fut Nicolas Bouvier, « un voyage se
passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va
faire un voyage mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait »104. Le joueur
reste le même mais se transforme, change, se métamorphose à travers ses
personnages. Seul, il est en même temps entouré par d’autres et évolue dans un
espace propice aux échanges, un espace de sociabilité. A titre anecdotique, la page

102 BAINBRIDGE William Sims, EGods: Faith Versus Fantasy in Computer Gaming, Oxford University
Press, 2013, p. 174.
103 Ibidem, p. 174.
104 BOUVIER Nicolas, L’usage du monde, Paris, Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, 2010, citation de

l’auteur présente dans cet ouvrage et reprise sur la quatrième de couverture.


100
de connexion au jeu World of Warcraft est une porte, celle qui dans l’histoire du jeu
permet aux Orques de rejoindre un autre monde, peuplé en partie par les Humains.
Outre l’image de la porte, celle du miroir n’est pas dénuée d’intérêt. Le lien avec la
célèbre œuvre de Lewis Caroll, Aventures d’Alice aux pays des merveilles semble
pertinent. En effet, dans le roman De l’autre côté du miroir, qui est la suite des
aventures de la jeune héroïne, celle-ci accède à l’autre monde en traversant un miroir.
Notons que le titre initial était La Traversée du miroir. Les deux images ci-dessous, la
première, une illustration de Sir John Tenniel 105 et la seconde, extraite du film de
James Bobin106 mettent en scène cette traversée du miroir :

105 Cette illustration de Sir John Tenniel date de 1871, elle est parue dans Through the Looking-Glass,
and What Alice Found There de Lewis Caroll.
106 Cette image est extraite du film de James Bobin, Alice de l'autre côté du miroir, sorti en 2016. Alice

y est incarnée par l’actrice Mia Wasikowska.


101
Tout comme Alice, le joueur se rend dans un autre monde, mélange entre imaginaire
et réalité. Cependant, ce phénomène n’est pas vraiment présent dans le cadre du jeu
de rôle papier alors qu’il l’est dans le jeu de rôle qui se déroule au sein d’un jeu vidéo.
Ainsi, le jeu offre un monde propice à ce type de rêveries.

C’est lors de ce voyage et dans le cadre de ses quêtes que le personnage est
confronté à la trahison. La trahison est récurrente aussi bien du côté des Républicains
que pour les Impériaux. Nous vous proposons quelques exemples pour bien
comprendre la récurrence de ce thème. Le soldat est trahi par son escouade qui passe
à l’ennemi. Le contrebandier quant à lui l’est d’abord par un criminel qui lui dérobe son
vaisseau puis par un individu qu’il pense être un allié fiable. En ce qui concerne les
Jedis, ils sont confrontés à des trahisons involontaires dont ils n’ont même pas
conscience107. Il est intéressant de constater que le traître n’est pas toujours autrui.
Dans un des scénarios possibles 108 , c’est le personnage lui-même qui devient un
traître, complètement manipulé telle une marionnette, avec une absence totale de
contrôle de son corps et de ses pensées. Les problèmes de trahison sont encore
davantage présents dans la faction impériale. Lorsque le joueur incarne un Sith, quelle

107 Comme Maître Syo Bakarn, présent dans l’histoire du Jedi consulaire qui, étant un « enfant de
l’Empereur », n’a pas conscience de ses agissements.
108 Celui du chevalier Jedi.

102
que soit sa classe109, il sera systématiquement trahi par son maître. S’il ne semble pas
surprenant que l’Ordre Sith soit corrompu par nature et que la trahison soit monnaie
courante, on la retrouve aussi dans la quête de l’agent. Le traître c’est le personnage,
l’infiltration nécessite le mensonge et la manipulation. Ainsi lors de ses missions sur
diverses planètes ou au sein du SIS110, le personnage travaille pour l’Empire au sein
de la faction ennemie sous une fausse identité dans le but de parvenir à ses fins. Il
reste un dernier point à évoquer, les trahisons sont aussi subies. Elles ne concernent
pas forcément le héros directement. En fonction de ses choix, le joueur peut aussi lors
de certaines situations devenir l’auteur de la trahison111. Enfin, le héros assiste à des
trahisons, notamment dans le cadre de quêtes 112 dans lesquelles on observe par
exemple un père commanditer l’assassinat de sa fille, ou encore une femme, celle de
son amant, qui après lui avoir menti pour le garder auprès d’elle, préfère le faire tuer
que le voir partir. L’enjeu est de souligner que la trahison est un thème omniprésent
qui apparait à différents niveaux mais auquel le joueur est nécessairement confronté.
La trahison comme la manipulation et le mensonge que nous allons maintenant
aborder sont des ressorts narratifs, qui permettent de créer des rebondissements et
de faire avancer l’intrigue.

La manipulation se distingue du mensonge ; ces thèmes restent importants en


jeu comme dans les films. Le mensonge est une possibilité offerte au joueur lors de
certaines phases de discussions, mais il arrive fréquemment aussi qu’on lui mente, ou
qu'on lui cache des informations primordiales. Le mensonge est un moyen de
manipuler autrui. Un manipulateur va pousser un individu sans que celui-ci en soit
conscient à agir tel que lui le souhaite. Dans les films, Palpatine dissimule son identité
réelle et attire Anakin Skywalker du côté obscur, utilisant ses faiblesses pour le
corrompre. Il va ainsi en faire son instrument, son apprenti. Si l'on prend en
considération la partie précédente relative à la trahison, on comprend mieux les enjeux

109 Le guerrier Sith est trahi par son maître, puis par son partenaire qui, potentiellement, peut aussi être
son compagnon dans le cadre d’une relation sentimentale. L’inquisiteur est lui aussi trahi par son maître
puis par un autre personnage.
110 Il s’agit des services secrets républicains ou Strategic Information Service.
111 Par exemple lors de la zone litigeuse républicaine « l’Eseless », il a la possibilité de trahir la confiance

d’une diplomate et de la laisser à l’ennemi.


112 Les exemples font référence aux quêtes qui permettent d’accéder à la Grande Traque, rattachées

au scénario du chasseur de primes.


103
autour du personnage. Celui-ci est confronté à de nombreux ennemis, et certains plus
perfides se présentent et semblent être des alliés. L'univers Sith est caractérisé par ce
type de comportement, cependant, le milieu du crime et de l'illégalité dans lequel
évolue le contrebandier l'est aussi. Du début à la fin, dans la quête de classe du
contrebandier, le personnage est trahi et manipulé telle une marionnette, servant sans
le savoir d'outil à l'ennemi. Nous pouvons signaler une autre forme de manipulation
typique des Jedis : la persuasion de Force. Il s'agit d'influencer les esprits « faibles »,
certaines espèces aliens y sont toutefois insensibles. Cette compétence apparaît lors
de certains dialogues pour les Jedis uniquement en jeu. En effet, bien qu'elle soit aussi
maîtrisée par les Siths, ceux-ci préfèrent d'autres méthodes et à la place, le
personnage aura la possibilité d'étrangler, en utilisant la Force, l'individu à « convaincre
». D’une manière générale, l'usage de la violence est privilégié par les Siths. Dans les
films, dès l'épisode IV on peut voir Ben Kenobi utiliser la persuasion de Force sur un
soldat impérial, un stormtrooper, lors d'une scène qui deviendra culte en disant « ce
ne sont pas ces droïdes là que vous recherchez », accompagné d'un petit geste de la
main. Dans le même film, Dark Vador utilise un étranglement de Force sur un officier
impérial dont il désapprouve l'attitude méprisante à l'égard des Siths et de la Force. Á
aucun moment un Sith n’utilise la persuasion de Force dans les films ou dans le jeu.
Inversement, cette pratique est assez fréquente chez les Jedis. Dans l'épisode II,
L'attaque des clones, Obi-Wan, c'est-à-dire Ben Kenobi plus jeune, utilise cette
technique contre un vendeur de drogue :

« Un homme : « Je vends des bâtons de la mort, ça t’intéresse ? »


Obi-Wan : « Tu ne vends pas de bâton de la mort. »
L’homme : « Heuu je ne vends pas des bâtons de la mort. »
Obi-Wan : « Tu vas rentrer chez toi et réfléchir à ton avenir. »
L’homme : « J’vais rentrer chez moi et réfléchir à mon avenir. » »

Le recours à cette technique évite les conflits et la violence, ou sert à protéger. Bien
qu'elle soit contestable d'un point de vue moral puisque l'individu est en quelque sorte
contrôlé par autrui, aucun débat n’a lieu, comme si le fait que le but soit noble justifiait
la méthode.

104
Pour terminer, il est intéressant de faire une parenthèse relative au jeu de rôle,
puisque dans ce cas, le jeu n’est que le décor et le conteur, un joueur. Le maître du
jeu est celui qui remplit cette fonction, embarquant les autres dans une histoire sortie
de son imagination et qui reprend en général la structure et les fonctions clés des
contes.

c.2. La figure de la possession

La possession est un thème souvent abordé en sciences sociales des religions,


en particulier par les anthropologues et les ethnologues. Au sein d'un système de
croyances, elle renvoie à l'idée qu'une entité, notamment divine ou magique, peut
habiter un individu qui se voit alors « possédé » par elle. Cette entité peut être bonne
ou mauvaise, et exercer un contrôle plus ou moins important sur l'individu. La
possession est associée à des rituels permettant de la favoriser, de la réguler ou d'y
mettre un terme.

La possession renvoie donc au fait d’être habité par un autre et ce phénomène


se retrouve dans les histoires scénarisées proposées par le jeu. La personne
possédée n’est pas nécessairement une victime, l’inquisiteur Sith prend possession
de fantômes pour acquérir plus de puissance par exemple. L’effet inattendu est la
difficulté à les contenir, à garder le contrôle. L’image ci-dessous représente le
personnage accompagné des fantômes à la fin de l’histoire, l’aura noire et violette,
ainsi que les yeux roses et lumineux sont des manifestations visuelles du phénomène
:

105
La possession nécessite parfois la pratique d’un rite, et il arrive que celui-ci échoue,
c’est le cas lorsque Khem Val s’interpose pour protéger le personnage incarné par le
joueur et qu’il est ainsi possédé par un Seigneur Sith, lui-même prisonnier du corps de
Khem Val, les deux luttant pour en garder -ou prendre- le contrôle. La « maladie » qui
se répand parmi les Jedis dans la quête du Jedi consulaire, et qui affecte leur esprit,
est en réalité l’emprise d’un Dark qui prend le contrôle de ces individus. Le personnage
qu’incarne le joueur lutte contre cette « maladie » en guérissant progressivement les
individus qui sont concernés. Les « Enfants de l’Empereur » sont aussi en quelque
sorte possédés, contrôlés, ils doivent lutter pour se soustraire de cette emprise dont
ils ne sont pas toujours conscients. Il existe d’autres formes de possession, l’espèce
Killik peut comme elle l’a fait avec un partenaire de l’agent impérial, transformer un
humain en autre chose, mélange entre Killik et humain113. Il s’agit en quelque sorte
d’une forme de possession puisqu’il se sent Killik, veut protéger « son nid » auquel
d’ailleurs il est lié etc. L’agent, contrôlé par une puce qui lui a été implantée, est aussi
d’une certaine façon « possédé ». Dans le jeu, cette possession se fait donc par
différents moyens, comme des rites ou une opération. L’individu n’a pas toujours
conscience de cette possession et il peut en être à l’origine, ou bien en être le

113 Cette transformation est inscrite dans son ADN et s’observe physiquement, ses yeux étant
intégralement noirs.
106
destinataire. La possession peut réussir ou échouer, elle peut être pacifique ou l’objet
de luttes incessantes. Enfin, elle peut s’achever ou perdurer.

Hors du monde virtuel, la possession dans les sociétés africaines a été


particulièrement étudiée. Prier Dieu et associer un mal à l’attaque d'un génie n'est pas
contradictoire. D'après Laurent Vidal, la possession est très présente dans les sociétés
orales et la parole joue un rôle essentiel dans la transmission des savoirs et des rites
qui y sont liés. Le vocabulaire usité, qui mélange des termes relevant de la sphère du
sacré et du profane, doit être analysé pour comprendre le phénomène. Le rituel de la
possession est organisé de façon précise, plusieurs phases se succèdent, le « rituel
[...] met en évidence une succession réglée d'actions et d'attitudes codifiées »114. La
possession est aussi régie par des interdits, par exemple chez les Peuls, le possédé
n'a pas le droit de prononcer le nom du génie qui l'habite. Les savoirs relatifs à la
possession ne sont pas figés, ils évoluent selon les volontés individuelles, la situation...
Ainsi plusieurs versions existent des devises à prononcer au cours du rituel ou de
l'histoire des génies.

Il existe plusieurs angles d'approche du phénomène de la possession offrant


chacun des types d'analyse différents. L'approche fonctionnaliste se concentre sur les
tensions sociales, et en particulier sur les aspects liés au genre, l'approche
psychanalytique sur la dimension cathartique pour le possédé pour lequel l’initiation
est un traitement visant à guérir un trouble, l'approche symbolique se focalise sur
l'aspect culturel de la possession qui donne des informations sur la société qui la
pratique, l'approche théâtrale qui envisage la possession comme une pièce de théâtre
où le possédé est un acteur, sans oublier l'approche biologique. Paul Stoller les
évoque dans son article « Emboying Cultural Memory in Songhay Spirit Possession »,
il en propose les principaux atouts et soulignent leurs limites respectives. L'auteur se
penche sur la notion de mémoire culturelle à travers la possession et souligne
l'importance des divers sens lors de ce phénomène dans lequel le corps est aussi
important que l'esprit. Il est fondamental d'après lui d'accorder plus de valeur aux

114 VIDAL Laurent, « La Possession par les génies chez les Peuls (Niger). De la parole à l'invention du
rituel », Archives de sciences sociales des religions, n°79, 1992, p.80.
107
techniques du corps, selon lui, « possession is a commemorative ritual in wich bodily
practices (gestures, sounds, postures and movements) are never minimized... »115. La
possession est ainsi une ouverture sur la culture et l'histoire d'une société donnée.

D'un certain point de vue, des similitudes apparaissent entre les jeux vidéo et la
possession. Dans l'un comme dans l'autre, on devient temporairement autrui.
L'anonymat des jeux vidéo permet de se créer une nouvelle identité ; par ailleurs, en
incarnant son personnage et en le jouant dans le cadre du jeu de rôle, le rôliste devient
là-encore quelqu'un d'autre. Dans le cadre de la possession, la personne qui en est
l'objet s'efface au profit de l'entité qui la possède. Il est important de souligner que la
nouvelle identité est en général mieux considérée socialement, que ce soit en termes
de statut, de qualités... Jean-Marie Gibbal écrivait à ce sujet que « les possédés,
d'origine souvent très humble, incarnaient dans leur transe les rôles gratifiants des
grands génies chasseurs ou chefs de guerre, princesses ou magiciennes »116. Les
héros des jeux vidéo accomplissent de grandes choses, c'est aussi le cas dans
Swtor où le joueur pourra sauver la galaxie ou la diriger… L'identité réelle est laissée
de côté, l'individu s'en libère. Dans les deux cas, on retrouve l'idée d'exutoire. La
transe permet d'évacuer, de se défouler. Le joueur quant à lui extériorise grâce à son
clavier et à sa souris en combattant virtuellement par exemple. Le procédé est
beaucoup moins physique mais produit les mêmes effets. D'autre part, la possession
peut avoir une dimension comique, et la notion de divertissement qui peut être
présente caractérise pleinement les jeux vidéo. Pour terminer, si la possession est
envisagée par Jean-Marie Gibbal comme un moyen éventuel de conserver un
équilibre personnel, « peut-être les deux doubles mis en scène dans la possession se
complètent-ils, s'équilibrent-ils mutuellement. Ainsi l'autre intérieur, instable, fou dans
ses manifestations se stabilise-t-il, se pacifie-t-il en endossant le personnage connu
d'un génie ou d'un dieu, ancré dans le monde social et naturel » 117 . Nous

115 STOLLER Paul, « Embodying Cultural Memory in Songhay Spirit Possession », Archives de sciences
sociales des religions, n°79, 1992, p. 64.
116 GIBAL Jean-Marie, « Possession, représentation de l’autre et recherche d’identité », Archives de

sciences sociales des religions, n°79, 1992, p. 12.


117 Ibidem, p. 17.

108
pouvons émettre la même hypothèse au sujet des jeux vidéo, avec bien entendu
quelques variantes.

c.3. La quête amoureuse, la sexualité, l'amitié et la filiation

Dans le contenu même du jeu, les relations sociales et sentimentales occupent


une place essentielle. Lors de la quête de classe, le personnage rencontre différents
individus qui deviendront ses compagnons, certains de sexe masculin, d’autres
féminins. Pour chaque classe, il est possible qu’une romance naisse avec au moins
un partenaire. Toutefois, des aventures voire des relations de couple peuvent aussi
survenir avec d’autres personnages non joueurs118. Avec les partenaires119, il n’y a
aucune relation homosexuelle possible. Sur les vingt partenaires avec lesquels une
romance est envisageable -il est en effet impossible d’avoir des interactions
amoureuses avec certains partenaires-, nous pouvons dénombrer huit aliens, dont
trois qui ont tout de même une apparence humaine120. Il est important de rappeler que
les couples peuvent être mixtes car le joueur a la possibilité de choisir d’incarner un
personnage non humain. Il est intéressant de remarquer qu’il y a une plus grande
diversité dans le choix du partenaire pour les personnages masculins avec onze
possibilités toutes classes confondues, que pour les personnages féminins qui n’en
ont que neuf. On retrouve ces mêmes chiffres si on se concentre sur les factions,
l’Empire bénéficiant de plus de choix comparé à la République. Par ailleurs aucun
personnage féminin républicain n’a le choix de son compagnon, et c’est possible pour
seulement un personnage féminin impérial, celui de la classe guerrier Sith, qui peut
choisir entre deux individus. La faction impériale et les personnages de sexe masculin
sont donc favorisés dans ce domaine. Ils se voient offrir une plus grande diversité de
partenaires possibles.

118 Comme c’est le cas sur Voss pour l’agent ou sur Aldérande pour le chasseur de primes.
119 Pour rappel, un partenaire est un personnage spécifique qui n’est pas joué par un individu et qui
accompagne le personnage qu’incarne le joueur au fil de ses aventures.
120 Une partenaire possède un implant qui apparait visuellement sur son visage, et fait partie de la

catégorie des « cyborgs », une autre a des peintures faciales caractéristiques de son peuple et enfin le
partenaire mi-humain mi-Killik évoqué précédemment a les yeux noirs.
109
Á partir de ces éléments, un point s’impose sur un cas spécifique, le soldat
républicain de sexe féminin. Son partenaire potentiel est un Cathar. Cette romance
pose plusieurs problèmes. D’une part, le seul partenaire possible est un Cathar, une
espèce alien qui ressemble à des humanoides félins121. Comme on peut le voir sur les
forums, cela gêne certains joueurs. Les propos tenus par Sullexus sur le forum officiel
en témoigne : « j'avoue pour Aric, ça a un arrière-gout de zoophilie cette histoire! »122.
Les relations entre espèces différentes lorsqu’elles incluent des Cathars sont perçues
par certains comme de la zoophilie en raison de l’apparence animale de cette espèce.
De plus, un débat existe au sujet de cette espèce. Selon certaines sources, les
hommes cathars auraient un pénis muni de sortes d’épines comme celui des chats.
Voici une description dans un article écrit par Arsa'lec, un joueur, qu’on peut retrouver
sur un forum relatif au jeu de rôle sur Swtor « les Mâles sont « montés » comme des
lions, c'est a dire que leur pénis est hérissé de piques qui déchirent le vagin de la
femelle (ça explique sans doute le fait que les lesbiennes sont normale chez les
Cathars). »123. Les réponses sont multiples comme celle de Draknor « par contre, je
pleure de rire au sujet de la tuyauterie des Cathars, après avoir vu tant d'entre eux en
couple avec une humaine ! »124 ou celle de Lana « en parlant des Cathars .... Là d'un
coup je me sens mal pour ma Commandante de l'Escouade du Chaos ...
(humaine) Elle c'est quand même tappée Jorgan »125. Considérant tous ces aspects,
le fait qu'il soit le seul partenaire avec lequel il est possible de se mettre en couple
pose déjà problème. Afin que les partenaires soient plus efficaces, il est important
d'être proches d'eux. Or lors de la quête du soldat, en jouant un personnage féminin,
être amical aboutit à une romance plus ou moins contrainte. En effet, alors que je n'ai
jamais recherché à développer une relation amoureuse avec le soldat, que je suis
restée sympathique sans utiliser les phrases de séduction, lors d'une discussion, trois
choix se sont offerts à moi : l'embrasser, être embrassée, ou aller directement dans la
chambre... Si on part du postulat que j’ai véritablement fait une option de séduction

121 Les Cathars sont donc une espèce alien ayant des caractéristiques physiques semblables à celles
félins notamment concernant leur pilosité, leurs yeux…
122 Voici le lien Internet sur lequel on peut trouver cette citation :

http://www.swtor.com/community/showthread.php?p=5784507
123 Voici le lien du sujet en question :

http://swtor-rp.webrpg.info/t2553-Sexe-b-tardisation-et-reproduction.htm
124 Ibidem
125 Ibidem

110
dans une impasse artificielle. Il semblerait effectivement normal qu'il y ait une option
échappatoire à une relation amoureuse non désirée avec un partenaire, ce qui n'est
pas le cas ici.

Ce genre de situation se retrouve un peu avec le personnage de Tharan Cedrax,


partenaire du Jedi consulaire. Il s'agit du seul partenaire avec lequel on peut tenter
d'avoir une relation sentimentale mais qui choisit de délaisser le personnage
qu’incarne le joueur car il est trop attaché à quelqu'un d'autre. Or parfois, en faisant en
sorte que son personnage soit simplement gentil avec lui, notamment lors des
discussions, et si celui-ci est de sexe féminin, on se retrouve dans des situations où le
discours tenu est inapproprié compte tenu de l'attitude qu'à le personnage féminin
qu'on incarne à son égard, comme l'illustre avec humour l'image ci-dessous127 :

127L'image est disponible en ligne sur le site de Deviantart :


http://isriana.deviantart.com/art/SWTOR-Persistent-Affair-569061529

112
Une légende accompagne cette image :

113
L’amour est systématiquement présent, il est rendu possible mais n’est pas
obligatoire. L'amitié constitue une alternative à l'amour dans la plupart des cas si l'on
souhaite avoir de bonnes relations avec ses partenaires. Or dans la philosophie Sith,
c’est une faiblesse. Dark Malgus, personnage présent dans le jeu, tue sa compagne128
à cause de son attachement pour elle. Etant sa seule faiblesse, il l’élimine et sa colère
nourrit sa haine, accroissant ainsi sa puissance. On peut voir cette Twi’lek dans une
des cinématiques d’introduction du jeu qui met en scène le sac de Coruscant129. D’un
autre côté, pour les Jedis, l’amour est prohibé. Cette interdiction s’explique par le
risque que ce sentiment représente. Le danger de basculer dans le côté obscur de la
Force est rappelé sur Tython dès le début du jeu, une quête invite à dénoncer deux
« padawans » en couple par exemple. Le Code Jedi souligne dès la première phrase
l'importance d'une maîtrise de soi et de ses sentiments : « Il n'y a pas d'émotion, il y a
la paix », et revient sur le sujet à la troisième phrase « Il n'y a pas de passion, il y a la
sérénité ».

Outre les relations amicales et amoureuses, on rencontre fréquemment les


rapports de filiation. La filiation apparaît à plusieurs niveaux. Tout d’abord, le joueur
peut créer sa propre généalogie entre ses personnages. Il peut établir des liens
parentaux, avec des enfants biologiques ou adoptifs, ou fraternels. Cependant, la
filiation est aussi présente dans l’environnement autour du joueur. Parmi les
partenaires, l’alliée du chasseur de primes, considère un personnage plus âgé
membre du groupe comme son père et souhaite venger sa mort par exemple, une
autre partenaire, celle du contrebandier, est la fille d’un célèbre pirate, enfin une des
partenaires qui accompagne l’agent impérial, parle régulièrement de ses parents... Les
liens avec les membres de leur famille sont une toile de fond des discussions. On
retrouve aussi cette thématique dans les quêtes de classe ainsi que dans les quêtes
secondaires. L’inquisiteur est protégé par un ancêtre Sith, qui lui vient en aide en
l’avertissant du danger que représente son maître. Si ce fantôme veille sur le
personnage c’est parce que celui-ci est son descendant. La filiation permet de mieux

128Elle se nomme Eleena Daru.


129Voici le lien de la cinématique disponible sur Internet :
https://www.youtube.com/watch?v=xk_ZL1Ac3WY
115
appréhender l’identité du personnage, de comprendre son passé et donc son
caractère, son héritage…

Saïd Bellakhdar, dans son article « Grandir avec la Guerre des Étoiles », insiste
sur l'omniprésence du thème de l'initiation dans l'oeuvre cinématographique. Il écrit
« la place importante du trajet initiatique suivi par les héros de la saga est inversement
proportionnelle à la place accordée à l’initiation des jeunes dans les sociétés
modernes » 130 . Le chemin de Luke Skywalker et celui de son père avant lui sont
marqués par l'apprentissage, les épreuves et le dépassement de soi. Le goût de Star
Wars est transmis aux nouvelles générations ; les jeunes d’antan emmènent
aujourd'hui leurs enfants voir les nouveaux films. L'engouement est bien visible, à la
sortie du septième épisode, de nombreux spectateurs se sont rendus déguisés au
cinéma, et souvent un sabre laser à la taille. Il semble important de rappeler qu'à
l'origine l'œuvre était destinée à un public jeune et de sexe masculin. Dans cette
perspective, et en considérant les modifications corporelles auxquelles l'adolescent est
soumis, l'évolution du corps du personnage d'Anakin Skywalker qui devient Dark
Vador, soulignée par Saïd Bellakhdar, est particulièrement intéressante. Par ailleurs,
l'auteur propose une analyse du rapport au père qui figure dans la première trilogie. Il
la décrit comme « le récit d’une lutte contre cette représentation écrasante du père et
de l’ultime réconciliation avec lui » 131 . Cette opposition au père, le refus de se
soumettre aboutit à un affrontement final qui se termine par la mort du père. Dans
Swtor on retrouve ce conflit avec la figure du mentor dans plusieurs histoires.

La figure du mentor, celle du père ou de la mère, est centrale, en particulier pour


les utilisateurs de la Force. Pour les Jedis, chaque personnage incarné par le joueur
est un « padawan » placé sous la responsabilité d’un maître. En ce qui concerne les
Siths, le surveillant correspond à cette figure du mentor132. Il existe des différences
majeures entre les Jedis et les Siths concernant leur mentor. Les maîtres Jedis sont
lumineux contrairement aux Seigneurs Siths. Alors que les premiers aident et

130 BELLAKHDAR Saïd, « Grandir avec la Guerre des Étoiles. », Topique, N°94, 1/2006, p. 89.
131 Ibidem, p. 93.
132 La classe de l’inquisiteur est la seule à ne pas avoir cette figure du mentor mais il faut rappeler que

le personnage est par contre l’objet d’une filiation réelle en raison de sa parenté avec un Seigneur Sith.
116
enseignent à leurs padawans, les seconds utilisent et manipulent leurs apprentis à
leurs fins. Ils sont plus proches de l’ennemi que du père. Le surveillant constitue donc
plutôt cette figure du mentor, sorte de substitut, il doit faire le tri entre les candidats et
les préparer à la suite. Considérant les règles qui régissent l’univers dans lequel
évoluent les Jedis, il apparaît comme évident que le maître et les autres Jedis soient
essentiels pour eux. Ils sont éloignés de leur famille dès le plus jeune âge et se voient
interdire toute forme d’attachement, en particulier sentimental. Les personnes qui les
entourent sur Tython sont principalement d’autres Jedis ou padawans. Dans cette
situation qui interdit toute forme de filiation, ni union, ni enfant n’étant possible, on peut
se demander si au fond le maître ne serait pas un substitut au père. En somme, la
filiation importe réellement, par sa présence ou par son absence, tout aussi
significative.

2) L’union fait la Force mais chacun pour soi

Que ce soit dès les premiers instants ou après leurs débuts, les joueurs
s’intègrent plus ou moins à la communauté déjà existante. Il est primordial de prendre
en compte le fait que tous ces joueurs constituent un groupe social organisé. En son
sein les interactions sont omniprésentes, une partie de ces échanges est tournée vers
la compétition. L’envie de gagner n’est pas propre aux jeux vidéo et on retrouve dans
les autres types de jeu et le sport. Elle aboutit néanmoins à des rivalités entre joueurs
voulant se distinguer grâce à leurs performances. Si cette concurrence peut être bon
enfant, elle est dans certains cas la source de vifs conflits et ce, à diverses échelles.
Nous allons dans cette partie nous intéresser aux interactions entre les joueurs faisant
partie de cette communauté, qu’elles soient ou non positives.

a) Approche sociologique de l’organisation de la communauté des joueurs

a.1. Faction, classe, alignement et les autres situations : jeu de rôle, drapeau JcJ…

Star Wars The Old Republic donne la possibilité au joueur de prendre des
décisions et les choix opérés ont plus ou moins d’impact sur la suite du jeu. Avant de

117
créer un personnage, le joueur doit choisir sa faction, l’Empire ou la République. Ces
deux factions sont déjà présentes dans l’univers Star Wars, elles ont un
fonctionnement politique, des lois, des philosophies différents. Les Jedis sont
rattachés à la République et les Siths à l’Empire133. Il ne sera pas possible au joueur
d’incarner un Jedi dans la faction impériale, par contre il pourra faire un personnage
avec un alignement lumineux. Ensuite, lors de la création du personnage le joueur
choisit la classe de son personnage parmi les quatre proposées. Il en existe deux
d’utilisateurs de la force et deux de non-utilisateurs, ayant chacune leurs spécificités -
compétences, armes, rôles…-. Il est impossible de changer de faction ou de classe
une fois que le personnage est créé. Ce choix est définitif, contrairement à l’apparence,
au nom du personnage ou encore à la spécialité qu’il sera possible de modifier
ultérieurement, gratuitement ou en contrepartie d’un coût plus ou moins élevé.

Concernant « l'alignement », notion déjà abordée, il peut osciller et changer


selon les décisions prises par le personnage mais il ne disparaît jamais. Chaque choix,
qu’il soit lumineux ou obscur octroie des points. De façon extrêmement simplifiée, il
s’agit d’une vision assez manichéenne, opposant le bien, c’est-à-dire le côté lumineux,
au mal, le côté obscur. Lorsque la différence entre les deux dépasse un certain seuil
alors le personnage devient davantage lumineux ou obscur. Il existe cinq paliers par
alignement. Si un personnage a par exemple fait un choix obscur à un moment donné,
il pourra atteindre le niveau maximal d'alignement lumineux ; mais si on regarde en
détail, on verra qu'il a quelques points d'obscurité. La neutralité ne peut exister qu'en
faisant des choix obscurs et lumineux à parts égales et il est impossible de finir le
scénario de sa classe sans avoir dû faire des choix affectant l'alignement de son
personnage.

Lors des phases de dialogue, le joueur sélectionne une réponse parmi plusieurs
propositions qui sera celle donnée par le personnage à son interlocuteur en jeu, trois
la majorité du temps, sauf dans quelques situations spécifiques où il n'y en a que deux.
Lorsqu'il n'y a que deux possibilités, c'est la plupart du temps des choix opposés

133Nous invitons le lecteur à se référer au lexique Star Wars afin d’obtenir plus de précisions au sujet
de l’univers.
118
associés à un alignement, par exemple exécuter ou libérer des prisonniers. Les
discussions n'ont pas que des implications sur l'alignement du personnage, elles en
ont aussi sur sa vie. Il est possible au fil des discussions qu'il tombe amoureux d'un
partenaire, et qu'il accepte ensuite ou non de l'épouser. Donc les choix ont dans une
certaine mesure une incidence sur l'histoire scénarisée du personnage, et cela ne se
limite pas à sa vie privée. Ainsi il n'y a qu'un scénario par classe et il n'y a pas plusieurs
fins radicalement différentes. Un Jedi aussi corrompu soit-il ne peut pas devenir un
Sith et, si le scénario a prévu qu'il sauve la galaxie, alors il en sera ainsi même si le
joueur ne le souhaite pas. Par conséquent, le joueur a certes, à travers son
personnage, la liberté de choisir mais en réalité ses choix sont limités. Il n'a bien
souvent que l'illusion d'être le maître de ses décisions, et ses choix ont en fin de
compte des répercussions plutôt faibles.

En effet, le jeu propose parfois des choix qui n'en sont pas. Dans l'extension
KOTFE, l'influence des choix du personnage a été mise au centre de l'argumentaire
en faisant la promotion, comme nous pouvons le voir sur la page officielle du jeu :
« Choisissez votre voie, recrutez des partenaires pour créer votre Alliance et faites des
choix qui auront le pouvoir de changer des destinées. Soyez au cœur de votre propre
saga Star Wars™ ! » 134 . Or, le joueur se retrouve à un moment donné dans une
situation où il doit choisir avec quel partenaire partir en mission. Il s'avère que quel que
soit le partenaire privilégié, il devra partir avec l'autre ensuite. Au final, le choix n'est
pas quelle mission faire, mais par laquelle commencer, sachant qu'en réalité ça n'a
aucune conséquence. Cet exemple illustre bien l'illusion qui est ponctuellement
donnée aux joueurs de tracer leur propre route, ou à défaut, de la choisir, alors qu'il ne
fait que suivre un chemin bien balisé. Il n'est pas impossible d'avoir une plus grande
liberté d'action dans les jeux vidéo. Prenons par exemple Skyrim135. Dans ce jeu, le
joueur peut posséder une ou plusieurs demeures et y dormir -le jeu comprend un cycle
jour/nuit- pour être en forme. Après une certaine progression, et sans nullement s'y
attendre, le personnage est enlevé à son domicile pendant son sommeil. Il se retrouve
dans une cabane avec l'individu responsable et trois personnes attachées chacune

134 Voici le lien du site officiel de l'extension Knights of the Fallen Empire :
http://www.swtor.com/fr/fallen-empire/home
135 Skyrim est un jeu développé par Bethesda et sorti en 2011.

119
sur une chaise et bâillonnées. Le ravisseur exige pour le laisser partir qu'il tue
quelqu'un, lui laissant choisir sa victime. Le joueur peut questionner les personnes
attachées pour choisir l'une d'entre elle, ou en tuer une au hasard, mais en assassinant
une de ces trois personnes, toute une succession de quêtes scénarisées s'enclenche.
Néanmoins, sans que ce soit précisé d'une quelconque façon, si le joueur décide de
s'en prendre plutôt au ravisseur, responsable de toute cette situation et de le tuer, alors
un embranchement complètement différent s’opère, donnant la possibilité au joueur
de faire en sorte qu'au lieu que son personnage intègre la « confrérie des assassins »,
celui-ci la détruise. Il ne s'agit pas d'établir un comparatif classant les jeux selon la
réussite de l'impression de liberté d'action et de choix donnée au joueur, mais de
préciser qu'il importe d'avoir un regard critique. Star Wars The Old Republic donne
effectivement la possibilité au joueur de prendre des décisions qui ont des
conséquences, et certaines d'entre elles affectent vraiment la vie de son personnage
-notamment concernant sa vie sentimentale-. Il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas
le seul jeu à proposer ce mode de fonctionnement, on songera par exemple à Mass
Effect, aussi développé par Bioware, et qui n'est pas non plus celui qui offre le plus
d'embranchements en fonction des choix effectués par le personnage. Bien entendu,
tous les joueurs peuvent choisir les activités qu'ils veulent faire ou non en jeu :
participer à un évènement, à des zones de guerre136...

Pour terminer, le jeu de rôle est une activité dans laquelle les choix et la prise
de position sont déterminantes. Chaque décision oriente l'histoire fictive du
personnage dans une direction, les gens qu'ils rencontrent, les interactions qu'ils ont,
les lieux où ils se rendent... Le personnage peut être amené, en plus de choisir ses
fréquentations, à choisir ses employeurs, à intégrer un organisme, une milice etc. La
seule limite est celle de l'imagination.

a.2. Les guildes (définition et typologie, intérêt des guildes, les interactions entre
membres et avec les alliés…)

136Auparavant, il était possible de porter le drapeau jcj, qui impliquait que tout individu portant un
drapeau jcj pouvait être attaqué par un membre de la faction adverse le portant aussi. Un changement
a été opéré puisque maintenant il existe deux instances par serveur : les planètes sont dupliquées, l’une
est « Joueur contre Joueur » et l'autre non. Le joueur décide dans quelle instance il souhaite jouer.
120
Concernant l’utilisation du terme « guilde », il faut avant tout faire le
rapprochement avec le Moyen-Âge via les premiers jeux de rôle papier, tel que Lord
of The Rings, souvent abrégé LOTR. qui recherchaient délibérément le lien avec la
période médiévale. Bien que l'univers de Star Wars ne renvoie pas à cette période
historique et à ce qui s'y rattache, le terme « guilde » est utilisé en jeu.

Une guilde est une communauté de joueurs, elle possède un nom qui lui est
propre et unique par serveur, bien qu’il soit possible de trouver des guildes avec des
noms similaires grâce aux variations orthographiques. Le nom de la guilde peut être
humoristique, lié à l’univers Star Wars ou à des films, séries… La langue maternelle
n’est pas forcément celle utilisée pour le nom de la guilde. On peut donner quelques
exemples issus de divers serveurs : La légion fantôme, Le Conseil des Altruistes, Last
Squadron, l’Enclave galactique, les Reward, les Artisans d’Anachore, les Jawas sans
frontières, Les Ewoks mal rasés, le Consortium de l’ombre, les Guerriers de l’Eclipse…

Les guildes sont un espace très important d’échange. Non seulement en interne
mais aussi entre elles. Chaque membre de guilde est soumis aux règles internes de
celle-ci, définies par le ou la, voire les maître(s) de guilde, et potentiellement ses
seconds. Elle propose aux joueurs qui la composent des activités. Elle peut aussi leur
demander de porter une tenue ou des couleurs spécifiques. C’est par exemple le cas
de l’Enclave galactique, le rouge et le blanc étant portés par ses joueurs en zone de
guerre. Une guilde se caractérise donc par un ensemble d’éléments dont voici un
récapitulatif. Une guilde possède un nom et privilégie ou non des activités au sein du
jeu. L’attitude majoritaire de ses membres et leur niveau mais aussi leur style de jeu
véhiculent une image auprès des autres joueurs. Cette image peut engendrer des
alliances ou des conflits avec d’autres guildes. Cependant, une guilde peut aussi avoir
d’autres éléments caractéristiques comme une tenue similaire portée par tous les
membres. Enfin, chaque guilde possède son histoire, ses anecdotes.

Alexandre Largier s’est intéressé aux guildes et à ses caractéristiques. Il


explique qu’il s’agit d’espace d’échanges en ligne particulier que rejoignent les joueurs

121
sur la base du volontariat. La nécessité de coopérer tend à orienter les joueurs vers
des guildes, qu’il est facile d’intégrer -bien que certaines aient des exigences et un
processus de recrutement sélectif- et de quitter. Appartenir à une guilde présente de
nombreux avantages. Les joueurs peuvent jouer ensemble et ainsi affronter des
adversaires impossibles à battre seul, évoluer plus rapidement en jeu, obtenir de l’aide,
y compris parfois matérielle, et des conseils de la part des plus expérimentés… Il est
important que les joueurs appartenant à une même guilde possèdent une même vision
du jeu. Dans son article « Réseaux et dispositions organisationnelles : Une guilde de
joueurs sur Internet », Alexandre Largier explique qu’ « appartenir à une guilde permet
de trouver des partenaires à la même pratique du jeu »137. Cette affirmation est à
nuancer : dans certains cas, une guilde peut regrouper des personnes ne partageant
pas les mêmes centres d’intérêt en jeu mais ayant une autre raison suffisante à leurs
yeux pour constituer une guilde : des liens d’affinité forts, des valeurs partagées… Si
l’article d’Alexander Largier apporte des informations intéressantes, plusieurs points
évoqués sont spécifiques à la guilde qu’il a étudié dans ce cadre et ne peuvent pas
être généralisés. A titre d’exemple, selon lui « lorsque ces joueurs assidus forment un
groupe, la communication est réduite au minimum lors des phases d’acquisition
d’expérience »138, or dans Swtor, ce n’est pas du tout le cas. Les joueurs, qu’ils soient
assidus ou non, sont plutôt silencieux même s’ils font partie d’un groupe lorsqu’ils
découvrent un nouveau contenu scénarisé, qu’ils écoutent les dialogues… par contre,
lorsqu’ils cherchent simplement à monter de niveaux rapidement un personnage et le
font avec d’autres joueurs, ils échangent énormément avec eux. En effet, les phases
d’acquisition d’expérience sont souvent considérées comme ennuyeuses, aussi le
faire avec d’autres joueurs est plus agréable. Par ailleurs, il ne s’agit pas d’une activité
qui demande une concentration extrême, ce qui favorise les interactions. Si un des
joueurs est nouveau, ce sera aussi l’occasion pour lui d’interroger les plus anciens et
d’apprendre. L’auteur ajoute « à grands traits, nous pouvons dire que les joueurs
occasionnels privilégient une logique de partage et que les seconds s’inscrivent dans
une logique de compétition » 139 , là aussi des éclaircissements s’imposent et le

137 LARGIER Alexandre, « Réseaux et dispositions organisationnelles : Une guilde de joueurs sur

Internet », Sociologies pratiques, Vol. 13, N° 2, 2006, p. 126.


138 Ibidem, p. 128.
139 Ibidem, p. 128.

122
caractère du joueur est un paramètre à prendre en considération. Dans Star Wars The
Old Republic, nous avons davantage observé le phénomène inverse concernant le
thème du partage. Les joueurs récurrents avaient davantage tendance à se montrer
généreux, à faire des dons pour la guilde, à donner de l’équipement aux joueurs les
plus démunis… L’explication principale est simplement qu’ils possédaient bien plus
d’objets et d’argent en jeu que les joueurs occasionnels. Les joueurs occasionnels ne
sont pas dans une logique de partage : en jouant moins la majorité d’entre eux
obtiennent moins de gains, donc moins d’objets, de crédits ou d’autres ressources,
que ceux qui jouent beaucoup140. Ils préfèrent conserver leur équipement pour d’autres
personnages qu’ils ont créé, ou le vendre pour accumuler de l’argent. Les deux
exemples évoqués témoignent de divergences entre les pratiques des membres de la
guilde observée par Alexandre Largier dans Dark Age of Camelot, et celles des guildes
de Swtor que j’ai pu observer. Cependant, en dehors des pratiques, des différences
de résultats s’observent aussi concernant les positionnements des joueurs. D’après
l’auteur, « les joueurs assidus cherchent à avoir une guilde puissante et veulent un
recrutement intensif ». Néanmoins, intensif ne signifie pas sélectif, et il est fondamental
de distinguer les deux. Si certaines guildes cherchent à posséder un nombre énorme
de joueurs, ce n’est pas lié à la fréquence et la durée de jeu des joueurs, mais a une
orientation choisie qui ne lui est pas liée -nous aborderons la question de la typologie
des guildes dans le prochain paragraphe-. Les guildes compétitives de joueurs
intensifs privilégient un recrutement sélectif pour ne pas entacher la réputation en
baissant le niveau de la guilde… Il ne s’agit pas ici de relever tous les points sur
lesquels les résultats d’Alexandre Largier et les miens ne correspondent pas, mais de
souligner qu’il existe sans doute des spécificités liées au jeu étudié. Malgré tout, je
partage son affirmation relative à l’idée d’une « « microculture » de guilde »141, pas
systématique mais souvent présente en particulier dans celles qui mettent en œuvre
des processus afin de favoriser la cohésion de ses membres en son sein.

Il existe une multitude de types de guildes, certaines présentent un


fonctionnement et une organisation presque militaire avec la présence de grades tels

140 Cette affirmation n’est pas valable pour les joueurs de jeu de rôle qui pratiquent une activité
n’apportant aucun gain en jeu.
141 Ibidem, p. 126.

123
que capitaine, lieutenant, officier, auxquels il est impératif de se plier et où
l’insubordination sous toutes ses formes n’est pas tolérée. Les vocaux disposent de
plusieurs canaux dont un au minimum est réservé aux officiers et sur lequel se
déroulent notamment leurs réunions. Il est impossible de pouvoir y accéder sans en
avoir l’autorisation. Les activités de guilde se déroulant en jeu sont prévues à l’avance
sur des calendriers et, lors d’évènements importants, la mobilisation des membres
peut être exigée. Deux dimensions complémentaires sont, dans ce cadre,
fondamentales : obéir et commander. Á l’inverse, il existe des guildes basées sur
l’égalité des membres et l’absence de hiérarchie, dans lesquelles les décisions sont
prises en commun grâce à des votes. D’après mon observation, ces guildes sont plus
stables que les précédentes, elles perdurent et peu de conflits surviennent.
Néanmoins, leur limite est non négligeable puisqu’elles ne peuvent fonctionner
qu’avec un nombre de membres relativement réduit comparativement à d’autres
guildes qui misent sur le nombre. En effet, un autre type de guilde est la guilde à gros
effectifs. Elle est souvent mal vue parce qu’elle se caractérise principalement par son
nombre considérable de membres et donc n’a pas de véritables critères de
recrutement. L’idée est d’accepter tout le monde, sans faire d’élitisme, avec le refus
d’exclure qui que ce soit sans raisons réellement valables afin de donner sa chance à
tous. Cependant, derrière se cache souvent l’objectif d’atteindre des scores élevés
dans certains évènements grâce au cumul des points de chacun par exemple, ainsi,
le nombre pallie les faibles scores individuels. Pour cette raison, ces guildes ont une
image plutôt négative et ont des surnoms peu flatteurs, comme « guilde poubelle ».
D’autre part, il existe des guildes dites fermées qui réunissent uniquement un groupe
d’amis ou des membres d’une famille et leurs proches. Ils créent une guilde afin de
pouvoir bénéficier des avantages et de rester unis. Enfin, nous pouvons citer un dernier
type de guilde, que nous pourrions qualifier d’intermédiaire : les guildes de ce type ont
une hiérarchie, cependant celle-ci est souple ; elles proposent des évènements mais
n’imposent rien, elles acceptent volontiers les personnes qui demandent à être
recrutées mais pas toutes, et prennent la décision en se basant sur leur profil... Toutes
ces guildes ont des tailles variées -j’entends par là le nombre de membres qu’elles
comportent-. Leurs buts diffèrent aussi ; certaines veulent exceller dans un domaine,
par exemple en « Joueur contre Environnement » ou en « Joueur contre Joueur »,

124
d’autres veulent simplement se réunir entre fans de l’univers. D’autres encore ont un
projet spécifique tel que créer un commerce par exemple et axer leur démarche sur le
jeu de rôle... Il est essentiel de comprendre que les guildes constituent des
communautés internes au jeu et que les interactions sont à appréhender non
seulement en leur sein et au regard de leurs spécificités mais aussi entre les guildes,
qui peuvent être alliées ou ennemies. Les guildes sont d’autant plus importantes
qu’elles ont le pouvoir d’exclure les individus de leur communauté et grâce à la
communication qui existe entre elles, une personne peut en effet se retrouver isolée142.
L’impact est réel puisque ce genre d’attitude peut engendrer une volonté de changer
de serveur ou de nom de personnage, voire d’abandonner le jeu. Selon l’enquête
menée en 2014 par Antoine Chollet, dont la thèse portait sur les jeux vidéo en ligne et
plus précisément l’apprentissage et le management, 85% des joueurs de MMORPG
font partie d’une guilde143. Ce chiffre n’est pas pour Swtor mais il permet d’avoir une
idée de la tendance générale.

L’organisation interne est propre à chaque guilde. Sa hiérarchie plus ou moins


structurée est variable. Les joueuses comme les joueurs doivent s’y plier ainsi qu’aux
règles qui la régissent. Le sexe du joueur n’empêche pas son accès aux positions les
plus importantes. Nous avons rencontré des joueuses qui dirigeaient des guildes, et
certaines en charge de tout qui concernait le mode « Joueur contre Environnement »
et donc les opérations de haut niveau. Il est intéressant de signaler que nous n’avons
eu connaissance en revanche d’aucune joueuse ayant la responsabilité au sein de sa
guilde de ce qui concernait le mode « Joueur contre Joueur ». Au cours de mes
recherches, je suis tombée sur un sujet de projet de guilde entièrement féminine,
proposée en 2012 sur le forum officiel par une joueuse ayant choisi pour pseudonyme
Yxel. Elle souhaitait créer une guilde « avec comme objectif au final de tomber les

142 D’autres situations sont semblables telles que des cas des tricheries prouvées ou des
comportements inappropriés et mal vus par les autres joueurs. La guilde Blacklist, auparavant nommée
Clan Samurai, est connue pour ce genre de comportement.
143 CHOLLET Antoine, « Apprentissage et mobilisation de compétences managériales des joueurs de

jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) », 2015, p. 420.


http://www.biu-
montpellier.fr/florabium/servlet/DocumentFileManager?source=ged&document=ged:IDOCS:329390&r
esolution=&recordId=theses%3ABIU_THESE%3A2188&file=
125
instances HL en parlant tupperware, mascara et autres ours en peluche144...entre filles
;) »145. Une partie de la communauté qui a répondu à ce message a trouvé l’idée
amusante mais cette proposition a aussi été rejetée. Ces joueurs et joueuses se
montrent favorables à la mixité et s’opposent pour des raisons variées à l’idée d’une
guilde réservée à un sexe. Plusieurs joueuses ont d’ailleurs évoqué le fait que leur
sexe intervenait directement dans leur position au sein de la guilde d’une façon qu’elles
appréciaient. C’est notamment le cas de Flonambule qui écrit : « Je suis joueuse mais
pas interressée, suis bien dans ma guilde et j'aime les blagues un peu lourdes de mes
hommes en plus vu que suis l'une des rares femmes de la guilde me fais un peu
chouchouter donc pas de raison de partir .....:D » 146 . Cette guilde réunissant
uniquement des joueuses aurait fini par être formée mais on ignore quelle est la suite
de son histoire. En conclusion, les guildes constituent des groupes que rejoignent
aussi bien les joueurs que les joueuses.

Intégrer une guilde est important pour de nombreuses raisons. Elle permet de
rencontrer des gens avec lesquels on partage des centres d’intérêt en jeu, elle octroie
un bonus en termes de gain d’expérience… Lorsqu’un joueur décide de rejoindre une
guilde, plusieurs possibilités s’offrent à lui. Il doit avant tout choisir quel genre de guilde
il souhaite intégrer, si c’est un type de guilde en particulier ou si ça lui est égal. Le
nombre de joueurs présents et le mode de recrutement ne sont pas les seuls éléments
qui permettent de les distinguer, et il ne faut pas oublier que les interactions au sein
des guildes sont différentes selon le type de guilde. Un joueur qui supporte mal
l’autorité évitera les guildes « militaires » où une discipline stricte est imposée et les
sanctions possibles en cas d’infraction au règlement. La guilde est conçue selon la
vision et les actes de son ou ses fondateurs, dirigeants et de ceux qui la composent.
Le schéma ci-dessous met en évidence les motivations qui peuvent jouer un rôle dans
le choix de la guilde :

144 Nous pouvons faire remarquer la forte présence de stéréotypes sexués.


145 http://www.swtor.com/community/archive/index.php/t-360108.html (consulté le 20/04/2019)
146 Idem.

126
Une fois que la guilde a été choisie, le joueur doit suivre un processus pour pouvoir
l’intégrer. Ce processus diffère selon le type de guilde que le joueur souhaite rejoindre,
en particulier s’il s’agit d’une guilde spécifique ou non :

127
Si un individu a la possibilité de rechercher une guilde, il peut aussi être choisi
par elle. Ce cas de figure est assez fréquent, d’autant plus si on y inclut les guildes
ouvertes à tous, comme le montre le schéma qui suit. Lorsque les guildes sont
relativement fermées, cela peut être dû à plusieurs facteurs, comme le fait de ne pas
vouloir recruter certaines classes pour des raisons liées au jeu de rôle. Par exemple,
la guilde Le clan Serat'Sharen ne recrute que des personnages Zabrak, une espèce
de l'univers jouable. L'annonce de recrutement faite par un de leur membre, Onitenka,
sur le canal général de la flotte impériale est sans ambiguïté : « Zabrak, quelles que
soient tes compétences, tes frères et sœurs ont besoin de toi ! Rejoins le clan
Serat'Sharen et contribue à l'émancipation de tous les Zabrak (Guilde PvE, PvP sur
fond RP / me mp). » Je lui ai demandé en message privé si sa guilde recrutait
uniquement des Zabraks, et il me l'a confirmé. D'autres guildes choisissent de ne
recruter que des classes spécifiques par exemple des soldats lorsqu'il s'agit de jeu de
rôle militaire. Autre guilde, La chambre diplomatique, ne recrute pour des raisons liées
au jeu de rôle que des érudits, ou de n'accueillir que les classes dont elles ont besoin,
comme lorsqu'elles recherchent une classe sous-représentée dans leur guilde et qui
leur manque pour optimiser leur groupe afin de faire des opérations difficiles par

128
exemple. La décision de limiter le nombre de joueurs s'explique par la volonté des
joueurs de créer un type de guilde particulier, par exemple être les meilleurs, ou être
une guilde dans laquelle tous les membres s'entendent bien. La nécessité d'être
sélectif est d'autant plus importante lorsque le nombre de places est limité. Le schéma
suivant montre les diverses raisons possibles qui peuvent expliquer pourquoi un joueur
peut être choisi par une guilde, libre à lui bien entendu d'accepter ou non de la rejoindre
:

En fonction des motivations de la guilde, la façon d'inviter un individu à la rejoindre


peut-être complètement différente.

Les critères de sélection sont très nombreux, nous en avons évoqué une partie :
liens avec des membres faisant déjà partie de la guilde, réputation individuelle du
joueur etc. Il peut être demandé au joueur de répondre à un questionnaire ou d’envoyer
une demande en précisant quelles sont ses motivations pour rejoindre une guilde. Les
candidatures sont alors étudiées et acceptées ou non. Le joueur postule pour être
129
recruté, il est possible d’établir un parallèle avec le monde du travail. Un des critères
de recrutement est l’âge, bien qu’il s’agisse d’une information qui ne peut pas être
vérifiée contrairement à d’autres, comme celles relatives aux performances en jeu. T.
L. Taylor a abordé ce point dans son travail sur World Of Warcraft. Elle explique que
d’un côté les jeunes joueurs sont considérés comme sociables, qu’ils jouent sans
difficultés avec les adultes… mais à côté de ça, on observe de nombreuses remarques
négatives sur les « gamins » qu’on accuse d’être les joueurs faisant preuve de
comportements négatifs comme le vol par exemple. Elle écrit : « indeed, age is only
one component of a much longer list of qualifications guilds can seek including
particular language skills, gear, and other behavior they expect from their members
»147. Or, elle n’explique pas de manière plus poussée pourquoi l’âge peut être un
critère essentiel.

Dans la majorité des cas rencontrés sur Swtor, l’âge requis est 18 ans qui
correspond à la majorité en France. Nous pouvons évoquer deux explications
principales. Tout d’abord, en refusant en son sein des joueurs mineurs, la guilde
conserve une certaine liberté : les membres peuvent s’exprimer sans crainte d’avoir
été grossiers en présence d’un enfant ou trop jeune adolescent par exemple. Ensuite,
l’âge intervient de manière conséquente sur les interactions. Il n’y a pas de risque
d’avoir tenté de séduire une trop jeune fille venant d’intégrer la guilde si on sait qu’au
minimum elle a 18 ans. Par ailleurs, les dirigeants des guildes pensent souvent qu’ils
vont ainsi se soustraire à certains problèmes, notamment la question de l’accès du
joueur à l’ordinateur et au jeu. En tant que mineur, le joueur sera soumis à la volonté
et aux règles de ses parents, ou de son tuteur. Il pourrait être puni et ne pas avoir
accès au jeu ou être contraint de passer tout l’été chez des membres de sa famille
sans pouvoir se connecter. Si les adultes ont d’autres obligations, ils sont plus
rarement soumis à une figure d’autorité qui peut avoir une influence sur leur présence
en jeu ou non148. Concernant les propos négatifs tenus à l’encontre des jeunes joueurs
et mentionnés par T. L. Taylor, il s’agit principalement de souligner l’immaturité qui est

147 TAYLOR T. L., « Does WoW Change Everything? How a PvP Server, Multinational Player Base, and
Surveillance Mod Scene Caused Me Pause », Games and Culture, Vol.1, N°4, 2006.
http://tltaylor.com/wp-content/uploads/2009/07/Taylor-DoesWoWChange.pdf (consulté le 17/04/2019)
148 Nous reviendrons ultérieurement sur ce point au sujet des couples.

130
souvent corrélée à l’âge. Enfin, traiter un autre joueur de « gamin » lors de certaines
situations est un aussi moyen indirect d’insulter ou de piquer son interlocuteur puisque
qualifier le joueur ainsi le rabaisse.

Les guildes dans Star Wars The Old Republic ont plusieurs méthodes pour
recruter de nouveaux membres. Les annonces peuvent être publiées au sein du forum
officiel, ou sur le site de la guilde lorsqu'elle en possède un. Il est relativement fréquent
que ce soit le cas. En jeu, il est aussi possible de faire des annonces sur le canal
général. Dans ces trois cas, les guildes recherchent à augmenter leur effectif mais
peuvent toutefois être sélectives. Les invitations dites « sauvages » sont celles faites
par des inconnus sans préambule. Le joueur voit sur son écran une invitation
apparaître lui proposant de rejoindre une guilde, dont le nom est affiché. Il peut
accepter ou refuser. La plupart du temps, il ne connaît pas la personne qui la lui envoie,
ni même la guilde. Elle diffère des demandes directes car il n'y a pas d'interaction au
préalable et d'accord de la part du joueur.

Pour terminer, lorsque l’individu a enfin intégré une guilde, ce qui prend un
temps variable en fonction de la guilde, des joueurs concernés et de la méthode de
recrutement, le nouveau venu fait alors ses premiers pas au sein de sa guilde.

131
Toutefois, comme le met en évidence le schéma ci-dessus, intégrer une guilde ne
signifie pas nécessairement y rester. Le joueur peut décider de la quitter si elle ne
correspond pas à ses attentes ou s'il ne s'y plaît pas. Il peut aussi être exclu de la
guilde. Les motifs d'exclusion sont variés : comportement inapproprié, par exemple les
insultes envers un autre membre de la guilde, non-respect du règlement de la guilde,
comme le vol, ou du jeu, par exemple la triche...

Nous vous proposons maintenant un exemple illustratif. Le Clan Berserk est


une guilde à effectif réduit mais relativement ouverte. Elle est centrée sur des activités
de « Joueurs contre Joueurs » mais laisse une grande liberté aux membres qui la
composent. Elle est régie par quelques règles, peu nombreuses mais essentielles. En
jeu, la guilde possède un vaisseau équipé lui permettant la conquête, des soutes...
Elle dispose d'un site Internet149, avec un forum, un organigramme récapitulatif de la
hiérarchie interne, des vidéos, des images issues du jeu et d'un vocal. Il est intéressant

149Site Internet du Clan Berserk :


http://clan-berserk.guilde-swtor.fr/

132
de se pencher sur la question du sentiment d'appartenance à la guilde. Il n'est possible
de se sentir vraiment membre d'une guilde précise que si celle-ci a une identité propre.
L'esprit de la guilde, son fonctionnement, son type de recrutement... sont autant
d'éléments caractéristiques qui vont lui donner cette identité. La création d'une
bannière ou d'un emblème de guilde sont plutôt rares et ne peuvent pas être faits en
jeu. Le Clan Berserk possède un emblème comme nous pouvons le voir ci-dessous :

Cet emblème reprend le symbole de l'Empire, la guilde étant rattachée à cette faction.
Le C et le B en son centre sont les initiales du Clan Berserk et les quatre points
représentent les quatre chefs de la guilde. Très peu de guildes ont plusieurs chefs
égaux entre eux à leur tête, le système en jeu ne s'y prête pas. Le titre de maître de
guilde change en fonction des besoins, de la personne la plus disponible, encore
abonnée etc... Les membres de la guilde se connaissent entre eux et jouent aussi les
uns avec les autres. L'image ci-dessous est une sorte de photographie de groupe sur
laquelle figurent uniquement les membres qui composaient la guilde au moment où
elle a été prise, en janvier 2016 :

133
Les guildes constituent un espace privilégié d'interactions entre les joueurs. Les
activités qui ont lieu et qui réunissent les membres permettent les échanges qui vont
souvent au-delà du jeu.

a.3. Construire son réseau, construire le lien social

Tous les joueurs ne décident pas de rejoindre une guilde, certains préfèrent leur
indépendance, ou refusent de se soumettre à une quelconque hiérarchie d'autres sont
plus à l'aise en ne faisant partie d'aucune guilde tout en étant proche de plusieurs
d'entre elles... Ne pas intégrer une guilde ne signifie pas rester seul, et même si le
joueur en a rejoint une, il est rare qu'il ait des échanges de manière exclusive avec les
membres de sa guilde sans avoir de contacts extérieurs. Pour comprendre les
interactions avec les joueurs, il faut les envisager sous la forme de réseau.

Le réseau d'un individu est l'ensemble des personnes avec lesquelles il a un


lien et des interactions. Ces personnes ne sont pas forcément liées entre elles. Au sein
du jeu ce réseau inclut bien évidemment les membres de la guilde mais aussi les amis
qui n'en font pas forcément partie. Naturellement le joueur rencontrera d'autres
joueurs, et il se liera d'amitié avec certains d'entre eux. Le plus souvent, le joueur
possède plusieurs sphères d'amis. Il peut y avoir des sphères selon le type d'activité
134
qu'il pratique avec eux, par exemple un groupe d'amis avec lequel il fait des combats
spatiaux et un autre avec lequel il part en zone de guerre, selon la guilde de ses amis,
un joueur peut être proche de plusieurs guildes et jouer régulièrement avec elles etc...
Certaines sphères se recoupent et d'autres non et le plus souvent un ami n'appartient
pas qu'à une seule sphère.

Cependant le réseau n'est pas composé que d'individus qui peuvent être
considérés comme des proches. En effet, il comprend aussi toutes les connaissances
du joueur. Ces connaissances intègrent vraiment le réseau du joueur dès lors qu'elles
lui sont utiles et qu'il lui est possible de les solliciter ponctuellement selon ses besoins.
Il peut s'agir par exemple d'un joueur dont on sait qu'il est adepte du « Joueur contre
Joueur classé » et à qui on peut proposer de participer lorsqu'il n'y a pas assez
d'effectifs ou d'un autre maître de guilde avec lequel un évènement inter-guilde peut
être organisé.

Le concept de réseau tel que nous l'utilisons ici exclut toutes les personnes que
le joueur connaît mais avec lesquelles il n'a pas d'échange particulier. Les simples
connaissances ne sont pas intégrées à son réseau, tout comme les joueurs avec
lesquels il ne s'entend pas. Les membres du réseau d'un joueur sont ses proches,
amis, et camarades de guilde. Il inclut aussi les autres joueurs avec lesquels il a des
interactions et qui lui sont utiles. Cet aspect est fondamental. En analysant les rapports
entre les joueurs, on constate que sans lien affectif, et sans appartenir à une même
guilde, un individu ne peut intégrer le réseau d'un joueur que si cela présente un intérêt
pour celui-ci. Ce pragmatisme n'est pas nécessairement conscient.

Le réseau est un concept relatif aux liens sociaux entre les joueurs, il transparait
à travers leurs échanges. Il est aisé de connaître des pans du réseau d'un autre joueur
si on le connait bien mais il s'avère presque impossible de le connaître intégralement.
En jeu, et sur le vocal, les comportements de joueurs entre eux sont un indicateur. Il
existe de nombreux indices pour déterminer les rapports entre les joueurs, par
exemple si deux joueurs sont « amis » sur Facebook, et s'ils ont échangés leur numéro

135
de téléphone150 ou s'ils ne connaissent même pas leurs prénoms respectifs. C'est au
fil des discussions avec eux qu'il est possible d'obtenir ces renseignements

Nous aborderons les relations entre les joueurs ultérieurement. Quoi qu'il en
soit, le réseau est important et c'est souvent en associant les réseaux de plusieurs
joueurs qu'il est possible de mettre en place des activités, en particulier pour les guildes
de tailles réduites ou lorsqu'il s'agit d'évènements qui visent à regrouper beaucoup de
joueurs.

Les réseaux diffèrent d'un joueur à un autre : ils n'incluent pas les mêmes
personnes, n'ont pas les mêmes rapports avec elles et ne sont pas de même taille. Si
certains joueurs ont des réseaux vastes, d'autres au contraire ont des réseaux très
limités. Plusieurs facteurs ont une incidence sur l'étendue d'un réseau. Le caractère
du joueur est un élément primordial, le fait qu'il soit sociable va faciliter les interactions
avec les gens tandis que les joueurs introvertis ou timides ont des réseaux moins
conséquents. Le temps de jeu et les heures de connexion, ainsi que l'ancienneté
jouent aussi un rôle : plus un joueur est ancien, plus il joue, et en particulier s’il joue
aux heures de forte affluence, plus il connaîtra de gens. L'attitude qu'il adopte en jeu
et hors-jeu, sur les vocaux ou les forums, donne une image du joueur qui peut
contribuer à élargir son réseau ou avoir l'effet inverse. Enfin, un autre point à prendre
en compte est le sexe du joueur. Il s'avère que d’après mes observations, les joueuses
ont des réseaux plus étendus que leurs homologues masculins. Elles ont davantage
de contacts, ce qui peut apparaître par un plus grand nombre d’amis en jeu, ou de
vocaux en leur possession -adresses et accès-151. Ce sont d’ailleurs plus souvent les
joueuses qui servent d’intermédiaire entre des groupes ou des guildes, et elles
participent en général activement à l’organisation d’évènements sociaux.

b) Compétition et performance

150 Un joueur va par exemple se plaindre sur le vocal de l'absence d'un autre joueur et dire qu'il lui
envoie un SMS afin de l'inciter à se connecter en jeu.
151 Cette observation n’est valable que pour les joueuses récurrentes. En effet, les joueuses très

occasionnelles ou qui jouent avec leur partenaire ont tendance à ne pas être dans cette situation.
136
b.1. Les rivalités et conflits entre joueurs

A partir du moment où il y a des échanges, les interactions peuvent aussi bien


être positives que négatives et tous les joueurs ne s'entendent pas. L'attitude du joueur
va donner une image de lui ; son comportement va favoriser un rapprochement avec
les autres ou au contraire le placer en opposition. Voici un schéma qui reprend les
principaux comportements qui ont une incidence sur la perception que les autres
auront du joueur :

137
Certains de ces comportements sont à double tranchant, comme nous pouvons
le voir avec le fair-play en zones de guerre. « Les normes de loyauté et de contrôle de
la violence des jeux auxquels nous donnons le nom de "sports" »152, évoquées par
Norbert Elias dans son article « Sport et violence » ne sont pas toujours présentes et
suivies. Les réactions lors d'une « arène », où j'ai choisi de rester de côté afin que
l'affrontement, opposant trois joueurs à trois autres joueurs, soit plus équilibré, ont été
complètement opposées entre les membres de mon équipe et ceux de l'équipe
adverse. Voici l'échange qui a eu lieu avec mon équipe à l'annonce de mon choix de
ne pas participer au combat :

« Moi : je reste de côté ils ne sont que 3


Lannëa : Nan [...] tu veux nous faire perdre? :c
Hel'skoro : oui es ce que tu veut nous erdre ????????
Lannëa : …
Lannëa : Sérieux, participe »

Un peu plus tard dans la discussion, le joueur dont le personnage s'appelle Lannëa
poursuit « si on perd c'est de ta faute », et Hel'skoro enchaîne « tu veut erdre tkt on va
erdre on te remerciie en tt cas ». Après avoir vainement tenté de leur expliquer mon
point de vue, c'est-à-dire que le combat ne présentait aucun intérêt si la victoire n'était
obtenue qu'en raison d'une supériorité numérique, voilà la réponse qui m'a été faite
par Lannëa « Oui mais en attendant c'est à cause de toi qu'on perd ». Leur
mécontentement s'explique par leur volonté absolue de gagner, qu'importe si ce n'est
pas équilibré, juste ou intéressant tant que le combat s'achève par leur victoire. Les
hostilités à mon égard ont continué alors qu'inversement, l'équipe adverse m'a
remerciée, Casanova a écrit « Merci pour le fair play » alors qu'un autre joueur a fait
une emote de remerciement153. Il est intéressant de constater que généralement ceux
qui rejettent l’idée d’équilibrer les forces dans ce genre de situation utilisent

152 ELIAS Norbert, « Sport et violence », Actes de la recherche en sciences sociales, Le sport, l’Etat et

la violence, Vol. 2, N°6, 1976, p. 19.


153 Les remerciements sont plutôt rares, hormis pour le fair-play, il arrive que des joueurs en remercient

d’autres pour leur aide en jeu. Les bons soigneurs, pendant les périodes où il n’y en a peu, sont aussi
parfois remerciés pour leurs soins passés et futurs.
138
systématiquement le même argument : « les républicains eux, ne restent pas de côté »
ou s'ils sont républicains, « les impériaux eux, ils sont pas fair play ». Ainsi, à les
écouter, « les autres » ne sont jamais fair-play donc il n'y a aucune raison qu'eux-
mêmes le soient. Les « autres » sont bien entendu systématiquement tous les joueurs
de l'autre faction. Or, la plupart des joueurs ont des personnages dans chaque camp
et changent régulièrement. Faisant preuve de mauvaise foi, ils écarteront cette réalité
en signalant que les joueurs fair-play du camp adverse sont plus que rares. Les
réactions au fair-play ou à son absence sont donc parfois positives, parfois négatives
et peuvent engendrer des conflits. Lors de la saison 4154 en zone de guerre classée,
la guilde Blacklist s'était à nouveau distinguée pour son absence de fair-play. Ils ont
refusé qu'un membre de leur groupe reste de côté alors qu'un des joueurs de l'équipe
adverse avait été déconnecté après avoir eu une coupure Internet. Ils ont profité du
sous-effectif de l'équipe d’en face, composée de joueurs d’une autre guilde pour
obtenir une victoire facile. Cette attitude a engendré une animosité croissante de la
part des joueurs concernés mais aussi des personnes informées à l'encontre des
Blacklist, déjà connus pour leur comportement douteux -insultes, tricheries...-. R.
Caillois affirme que « le plaisir du jeu est inséparable du risque de perdre »155 ; certains
joueurs sont incapables d’accepter la défaite et œuvrent par tous les moyens possibles
-y compris non autorisés par les règles ou allant à l’encontre de la morale- pour
justement au final avoir la certitude de la victoire. Il est essentiel de ne pas généraliser,
et d'ajouter qu'il s'avère que d’après mes observations, plus les niveaux des joueurs
sont élevés, plus ils ont tendance à être fair-play.

Nous reviendrons ultérieurement sur les autres « mauvais » comportements


cités dans le document présenté, prenons juste en considération le fait que ces
attitudes sont génératrices de conflit. Par exemple les « ninjas », joueurs qui volent les
ressources, récompenses ou coffres légitimement destinés à un autre joueur. Ils
profitent par exemple du fait que le joueur soit occupé à éliminer le monstre qui défend

154 Le fonctionnement des saisons des zones de guerre classées est assez similaire aux saisons

sportives. La saison correspond à une période pendant laquelle les affrontements ont une incidence sur
le classement. Chaque saison propose des récompenses différentes. Les saisons ne se suivent pas
toujours, il arrive en effet qu'il y ait un laps de temps entre la fin d'une saison et le début de la suivante.
155 CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, coll. Folio

essais, 1967, p. 334.


139
le coffre pour se faufiler derrière et le prendre. Régulièrement, quand ils chapardent
en quelque sorte, des insultes sont proférées à leur encontre.

Les conflits sont fréquents, des mésententes liées aux caractères des joueurs,
à certains de leurs actes... Néanmoins, le terrain privilégié des conflits est la zone de
guerre, nous aborderons ce point par la suite. Lors des jeux de rôle, des conflits
surviennent mais le fait que deux personnages soient en opposition, voire ennemis,
n'implique pas pour autant que les joueurs qui les incarnent ne s'entendent pas. Voici
un extrait de jeu de rôle où trois protagonistes échangent après s'être crachés dessus
à plusieurs reprises156 :

« Moggach : Retire ton armure et bat toi avec tes poings si tu en es capable.
Ryno slicer : <empalle son papier sur les corne du Zabrak> C'est utile en fait.
Ni'terek : <prend le papier et lui met dans la bouche> Tiens bouffe ! <puis à
Moggach> Ca marche, viens dont secteur Duros ! »

Il importe donc de bien distinguer les personnages des joueurs pour assimiler que les
deux sont liés mais différents. Même des personnages alliés, et des joueurs proches
peuvent entrer en concurrence inconsciemment, essayant chacun d’avoir le
personnage qui souffre le plus, ce qui peut même les conduire à une escalade de
drames. Dans les scènes observées, la surenchère est allée de la dispute à la tentative
de suicide, en passant par le chantage et les menaces ou encore l’automutilation.

Outre les rapports antagonistes, une véritable pléthore de rivalités entre les
joueurs caractérise cet univers. Lorsque l'objet de cette rivalité n'est pas une personne,
cas que nous aborderons par la suite, c'est bien souvent la compétition entre eux qui
en est responsable. Cette compétition vise à déterminer lequel des deux est le
meilleur. S'estimer par rapport aux autres est une attitude omniprésente. Selon les
joueurs et les activités qu'ils pratiquent ce qu'ils vont comparer sera différent : la fortune
pour les adeptes du commerce, le nombre de points de succès pour ceux qui ont une

156La scène fut observée sur la place centrale de Nar Shaddaa, un espace clef du jeu de rôle puisqu’il
s’agit d’un lieu commun aux différentes factions.
140
âme de collectionneur, la performance au combat ou encore l'avancement en
opération... La rivalité peut apparaître entre des joueurs mais aussi entre des guildes,
en particulier lors des conquêtes pendant lesquelles les guildes s'affrontent pour la
domination, ou d'autres types de regroupement de joueurs.

Les joueuses en tant que membres d’un groupe, ou d’une guilde peuvent
participer à ces concurrences ou conflits. Elles peuvent aussi s’opposer à d’autres
joueurs ou joueuses par mésentente personnelle, esprit de compétition… Il ne s’agit
pas d’un comportement exclusivement masculin. Néanmoins, les joueuses étant
moins nombreuses, le nombre de cas de ce type est beaucoup plus faible. Ajoutons
que s’il n’est pas rare que des joueuses s’agacent, voire se montrent virulentes vis-à-
vis d’autres joueurs ou joueuses, les principales rivalités connues concernent des
guildes entre elles, ou des joueurs opposés à d’autres joueurs. Aucune joueuse ne
s’est distinguée sur les serveurs étudiés à titre individuel en raison d’un conflit l’ayant
opposé à une autre joueuse ou à un joueur. Par ailleurs, les propos les plus agressifs
observés, notamment sur le canal général, sont les faits de joueurs qui s’interpellent
ou se mentionnent en s’identifiant ou en identifiant l’autre en tant qu’homme (« il »,
« mec »). Ils utilisent aussi des expressions renvoyant à la masculinité ainsi qu’à la
sexualité hétéronormée, rapports avec la mère de son adversaire par exemple… Ces
violences verbales extrêmes sont sexuées puisque privilégiées par les joueurs et à
l’encontre d’autres joueurs. Nous reviendrons ultérieurement de manière approfondie
sur le thème de la violence et les différences genrées.

b.2. Les différences en fonction des activités : du Parsec au score, toujours un


classement

Le jeu permet de bien des façons d'établir des classements et donc d'entretenir
ces rivalités ou de les susciter. Toutefois, les classements permettent aussi de motiver
certains joueurs et les aident à progresser. Les classements peuvent être fait par les
joueurs, par exemple en ce qui concerne la fortune, ou établis par le jeu, notamment
en zone de guerre où, à la fin de chaque partie, les scores de tous les joueurs ayant
participé sont affichés. Voici un exemple de tableau de scores :

141
Il reprend sur son bordereau supérieur si la partie a été gagnée ou perdue par l'équipe
ainsi que les récompenses obtenues -crédits, points d'expérience...-. Juste en dessous
figurent les noms des personnages ayant participé, les votes reçus de la part des
joueurs alliés, chacun pouvant voter pour un membre de son groupe qu'il juge avoir le
mieux joué. L’icône qui apparaît sur l’image, un symbole « plus » à côté d’une médaille,
est celle sur laquelle on clique pour octroyer son vote à un allié. Globalement, des
règles sont faites par les joueurs concernant le destinataire du vote. En effet, quand
des joueurs jouent en groupe, ils votent de façon à ce qu’aucun des membres du
groupe ne se retrouve sans vote. Par exemple, ils votent systématiquement pour la
personne en dessous d’eux. Certaines guildes, enclines à conserver un climat de
concurrence dans une volonté de pousser ses membres à s'améliorer, ont pour règle
de voter pour le joueur au-dessus après les avoir triés en fonction des dégâts. Le fait
qu'ils soient ordonnés selon les dégâts infligés est important. Ce n'est pas le nombre
de médailles ou les objectifs mais les dégâts qui sont choisis. Or cette variable ne
concerne pas toutes les classes, les soigneurs par exemple seront dans les derniers
et pour eux, il n'est absolument pas pertinent d'être classés ainsi. Cette mentalité
concerne en effet souvent les joueurs qui privilégient des classes infligeant des dégâts,
et qui veulent savoir « qui tape le plus fort », information qu'ils trouvent aisément
puisque le chiffre suivant correspond au total de points de dégâts infligés aux

142
adversaires et à côté le nombre d'entre eux que le joueur est parvenu à tuer. La
colonne « protection » comprend tous les dégâts que le joueur a subis à la place d'un
allié. Le nombre de morts du joueur au cours de la partie est aussi comptabilisé et si
l'on place le curseur sur ce chiffre, on obtient le nombre de points de dégâts dont il a
été victime. Les soins sont ceux prodigués par le personnage et non ceux reçus. Enfin,
les points d'objectif sont obtenus en jouant les objectifs c'est-à-dire protéger un point,
ouvrir une porte etc., chaque carte ayant ses propres objectifs. La dernière colonne
est celle des médailles, que l’on obtient en accomplissant des actes, par exemple
atteindre un certain seuil de points de dégâts, en tuant seul un ennemi etc. Ce tableau
peut être ordonné pour chaque aspect de façon croissante ou décroissante et pour
son équipe, l'équipe adverse ou les deux comme sur l’image. Les lignes en vert sombre
correspondent aux alliés, la ligne en vert clair au personnage sélectionné, en
l’occurrence le mien.

En « Joueur contre Joueur classé », le classement est publié sur le site Internet
officiel de Star Wars The Old Republic157. Il distingue les zones de guerres classées
« solo » dans lesquelles le joueur se place seul dans la file d'attente et se retrouve
avec d'autres joueurs aléatoirement pour former une équipe de quatre joueurs, du
classé en « groupe » où des groupes se placent dans la file et affrontent d'autres
groupes déjà formés. Plusieurs critères doivent être choisis pour obtenir le classement.
Par exemple l'image suivante correspond au classement en solo de la saison 6 du
serveur Battle Meditation de toutes les classes :

157Classement officiel des saisons de « Joueur contre Joueur classé » :


http://www.swtor.com/fr/leaderboards
143
A chaque victoire, des points d'index sont gagnés, et à chaque défaite, perdus. Plus
l'index est élevé, plus le joueur a obtenu de victoires. C'est l'index qui permet le
classement. Les joueurs sont récompensés à chaque fin de saison et plus leur index
est élevé, plus les récompenses sont intéressantes : titre, monture, armure, cristaux
etc. Chaque saison, les récompenses changent. Ce mode de jeu se rapproche du
eSport, c’est-à-dire le sport électronique. On retrouve donc des points communs entre
ces affrontements en jeu et l’univers du sport : dans les deux cas ces compétitions
partagent « la volonté de vaincre, le culte du gagnant, mais aussi l’esprit d’équipe et
la notion de fair play » 158 . Pour reprendre Michel Nachez et Patrick Schmoll, tout
comme dans le sport, et plus généralement dans la vie, « survivre et gagner dans ces
mondes virtuels exigent des efforts, du travail, des apprentissages, et très souvent de
la coopération pour arriver au résultat, au succès »159. La philosophie qui valorise le

158 NACHEZ Michel, SCHMOLL Patrick, « Violence et sociabilité dans les jeux vidéo en
ligne. », Sociétés, No 82, 4/2003, p. 10.
159 NACHEZ Michel, SCHMOLL Patrick, « Violence et sociabilité dans les jeux vidéo en
ligne. », Sociétés, No 82, 4/2003, p. 12.
144
respect des autres et des règles, qui accorde plus d’importance au fait de perdre avec
honneur plutôt que de gagner en ayant triché est comme dans le sport, parfois loin de
la réalité.

En mode « Joueur contre Environnement », il n'y a pas de tableau de score à


la fin et pour connaître les performances de chacun, il faut avoir recours à un
« parseur ». Un parseur est l’outil qui permet de savoir la quantité de dégâts et de
soins envoyés par seconde ainsi que la durée du combat et le nombre d'actions par
minute. L'intérêt est de pouvoir mieux estimer où on en est afin d'opérer des
changements si nécessaire et d'accroître son efficacité. Les joueurs ont recours à des
sites Internet ou téléchargent un logiciel. Le parseur le plus utilisé par les joueurs de
Star Wars The Old Republic est Parsec. Il est aussi possible de lier les différents
utilisateurs pour obtenir les données de chaque membre du groupe lors d'une
opération par exemple. Si cet outil a un intérêt dans la quête d'amélioration du joueur,
elle lui permet aussi de s'estimer par rapport aux autres et joue un rôle dans les rivalités
entre joueurs. Un autre nom donné aux parseurs et très fréquemment utilisé par les
joueurs est « kikimeter ». Ce terme reprend le mot « kiki » souvent usité par les enfants
pour désigner le sexe, et « meter » mot anglais qui signifie « mètre ». Cette image de
mesurer la taille du sexe renvoie à cet usage qui est fait de comparer les performances
de chacun pour savoir qui domine. Ce terme est souvent utilisé avec humour et n'est
pas perçu comme spécialement vulgaire par la communauté mais conserve un aspect
péjoratif. Dans une partie de son article « Does WoW Change Everything? »160, T. L.
Taylor aborde le sujet des mods -interdits dans Swtor- et évoque les logiciels qui
permettent d’estimer les performances. Elle explique qu’ils sont utiles pour adapter son
jeu et affronter un adversaire avec ses alliés. Ces outils ont un double usage. D’une
part ils servent le jeu en tant qu’outil utilisé par les joueurs pour parvenir à progresser
dans le jeu et à vaincre ensemble des ennemis non joués. D’autre part, les joueurs
partagent leur performance et entrent ainsi en compétition. Or, T. L. Taylor ajoute que
ces outils ont parfois des effets négatifs comme occulter la participation de certains

160TAYLOR T. L., « Does WoW Change Everything? How a PvP Server, Multinational Player Base, and
Surveillance Mod Scene Caused Me Pause », Games and Culture, Vol.1, N°4, 2006.
http://tltaylor.com/wp-content/uploads/2009/07/Taylor-DoesWoWChange.pdf (consulté le 17/04/2019)

145
membres dont le rôle est autre que ceux pris en compte par le logiciel, ou encore qu’il
arrive que la volonté d’obtenir le meilleur score prenne le dessus sur l’objectif principal
et la tactique à appliquer, ce qui finit par nuire à l’ensemble du groupe.

La compétition occupe une place essentielle dans bon nombre d'activités.


Lorsqu'elle n'est pas mise en avant par le jeu ou son site Internet, avec par exemple
les tableaux de scores, elle l'est par d'autres moyens comme avec les parseurs. On la
retrouve aussi sur les forums161 ou dans les discussions entre joueurs.

b.3. Les enjeux : réputation, récompenses…

Toutes ces concurrences ont plusieurs enjeux, dont les récompenses. Les
joueurs de modes de jeu classés obtiennent en effet des récompenses. Par exemple
lors de la saison 6, les trois meilleurs joueurs par classe avancée tous serveurs
confondus à la fin de la saison obtenaient un titre impossible à obtenir par un autre
moyen. Les autres types de récompense s'obtiennent selon l'index comme nous
l'avons mentionné précédemment 162 . C'est le plus haut index atteint qui sert de
référence pour les récompenses 163 . Quoi qu'il en soit les récompenses peuvent
constituer un enjeu, par exemple vouloir absolument une monture qui demande
d'atteindre un certain rang pour être obtenue.

La reconnaissance et la réputation sont aussi des enjeux fondamentaux. Il est


d'ailleurs récurrent que les récompenses ne soient pas uniquement attractives en tant
que telles mais servent à s'afficher avec dans le but de montrer son niveau. Certains
joueurs décident en effet de passer leur temps sur les espaces les plus fréquentés
comme les Flottes, pour se pavaner sur leur monture, avec leur nouveau titre etc. Ils
paradent littéralement en faisant des tours de Flotte en continu. On peut émettre
l'hypothèse que ces joueurs sont motivés par un besoin de reconnaissance de la part

161Lien du sujet portant sur les "meilleurs joueurs pvp" de Mantle of The Force
http://www.swtor.com/community/showthread.php?t=541339

162 Il existe des paliers qui distinguent les catégories bronze, argent et or auxquelles sont rattachées les
joueurs selon leur index.
163 En revanche si l'index diminue, la place dans le classement du joueur chute.

146
de leurs pairs, reconnaissance qui leur fait défaut ou qu'ils souhaitent impressionner
les autres. Les meilleurs joueurs se connaissent entre eux, au moins de nom et n'ont
pas besoin de s'équiper de l'intégralité des dernières récompenses obtenues pour
prouver quoi que ce soit, car justement, ils n'ont rien à prouver. En réalité, cette attitude
est souvent perçue comme puérile et risible par les joueurs expérimentés et n'a d'effet
que sur les novices.

Le défi personnel peut aussi animer cette volonté d'entrer en concurrence avec
d'autres joueurs. La volonté de savoir ce que l'on vaut, de se comparer aux autres pour
s'estimer sans pour autant rechercher la gloire est une raison qui explique
l'engouement pour ce genre de compétition. Le désir d'affronter de bons joueurs pour
progresser ou pour se mesurer à des joueurs possédant un niveau équivalent sont
aussi des enjeux. Il s'avère que dans ces cas les rivalités ou les conflits sont des
conséquences possibles mais pas systématiques. La mentalité des joueurs concernés
et leur attitude à l'égard de leurs adversaires jouent un rôle essentiel en ce qui
concerne ces dérives. La cordialité voire la bonne entente ou même le respect peuvent
alimenter les compétitions.

c) Les oppositions et conflits

c.1. A l’échelle individuelle

Les oppositions entre joueurs peuvent apparaître à diverses échelles et prendre


plus ou moins d'ampleur. Le conflit à l'échelle individuelle oppose un joueur à un autre
joueur. Ils peuvent simplement être en désaccord ponctuellement, ne pas s'entendre
ou être ennemis. Les disputes ne sont pas inhabituelles et les motifs particulièrement
variés : un manque d'implication dans les activités de la guilde, une attitude
belliqueuse, un comportement désapprouvé, un quiproquo, des opinions divergentes...

Chaque opposition peut être réciproque ou unilatérale, et cela, quelle que soit
l'échelle. Prenons l'exemple de deux joueurs, que pour plus de simplicité nous allons
nommer A et B. Le premier n'apprécie pas du tout le second, il pense qu'il a été victime

147
de « focus » de sa part en zone de guerre. Le « focus » est un terme qui désigne le
fait de prendre pour cible un joueur et de se concentrer sur lui de façon systématique.
Le « focus » est perçu différemment selon les circonstances et la spécialité du joueur
ciblé. En effet, stratégiquement, il est souvent nécessaire d'éliminer les soigneurs.
Donc ceux qui exercent cette fonction sont la plupart du temps ceux qui subissent le
plus, et c'est considéré comme étant normal en quelque sorte. Le joueur A incarnait
alors un personnage qui n'était pas un soigneur et le joueur B avait pour personnage
principal, une tireuse d'élite, destinée donc à faire des dégâts à distance. Le sentiment
du joueur A d'être victime de persécutions de la part de ce joueur a généré chez lui
une animosité envers lui. Le joueur B n'éprouve quant à lui aucun sentiment négatif à
l'égard du joueur A et nie toute forme d'acharnement volontaire à son égard. Or, selon
ce dernier, il est impossible qu'il n'ait pas pu s'en rendre compte et ce qu'il estime être
de l'hypocrisie accentue son mécontentement vis-à-vis du joueur B. Cette discorde a
eu des conséquences. Tout d'abord, le joueur B a tenté vainement d'apaiser les
tensions, un éloignement entre les deux joueurs a été opéré à l'initiative du joueur A
qui refusait de participer à quoi que ce soit si le joueur B était aussi concerné. Cette
rancune a perduré plusieurs mois et l'ampleur initiale a diminué avec le temps.
Cependant, celui-ci n'éprouvant aucune animosité envers le joueur A, il s'agissait en
quelque sorte d'une opposition unilatérale. Le « focus » est un motif à l'origine de bien
des conflits dans les jeux en ligne massivement multi-joueurs comportant une facette
« Joueur contre Joueur ». Il n'est pas pertinent de multiplier les exemples de conflits
entre joueurs mais il importe de se souvenir que les conflits sont omniprésents dans
cet univers.

La violence dans les médias, y compris les jeux vidéo, est l’objet de bien des
débats. Selon certaines études, elle aurait une influence sur les comportements des
adultes comme des enfants, et en particulier sur leur agressivité. Or d’autres
recherches mettent en évidence le fait qu’il n’y aurait aucune corrélation entre la
violence dans le monde virtuel et celle dans le monde physique. Afin d’aborder ces
deux positionnements, nous allons nous intéresser à des travaux de différents
chercheurs.

148
Les chamailleries sont nombreuses et touchent les joueurs comme les
joueuses, à la différence près que lorsqu'une joueuse est concernée, le conflit devient
collectif et ne reste pas individuel. Que le conflit oppose initialement un joueur et une
joueuse ou bien deux joueuses, l'effet demeure le même : le conflit s'étend. Il est
important de mentionner les recherches effectuées par Bruce D. Bartholow et Craig A.
Anderson 164 sur la violence. Les auteurs ont voulu déterminer s’il existait une
différence sexuée relative à l’agressivité. Selon leurs résultats, les hommes réagissent
de manière plus agressive que les femmes :

« participants who played the violent video game later showed more agression
toward an opponent during the retaliation task than did participants who played the
nonviolent game. However, the results for men versus women offered a more complex
picture of video game effects. […] These findings suggest that young men may be
more affected by violent games than are young women »165.

Leurs hypothèses explicatives de cette différence sont les suivantes : les hommes sont
en général plus enclins à la violence que les femmes, et que les protagonistes des
jeux choisis pour leur expérience étant masculins, ils s’y sont sans doute davantage
identifiés. La question de la banalisation de la violence se pose aussi. En somme, les
joueuses deviendraient beaucoup moins agressives face à des situations violentes
présentes dans les jeux vidéo, comme dans le mode « Joueurs contre Joueurs », que
les hommes.

Par ailleurs la violence féminine est moins visible que la violence masculine car
plus souvent indirecte. Kaj Björkqvist, Kirsti M.J. Lagerspetz, et Ari Kaukiainen 166 se
sont penchés sur les différences sexuées d’expression de la violence. Ils ont pu
constater que si la violence verbale était plutôt mixte, la violence physique était

164 BARTHOLOW D. Bruce, ANDERSON Craig A., « Effects of Violent Video Games on Aggressive
Behavior: Potential Sex Differences », Journal of Experimental Social Psychology, 38, 2002, p. 283 à
290.
165 Ibidem, p. 287.
166 BJÖRKQVIST Kaj, LAGERSPEZT Kristi M.J., KAUKIAINEN Ari Olavi, « Do Girls Manipulate and

Boys Fight? Developmental Trends in Regard to Direct and Indirect Aggression », Aggressive Behavior,
Vol. 18, 1992, p. 117 à 127.
149
principalement masculine, et la violence mentale et émotionnelle était féminine. Les
hommes ont ainsi tendance à privilégier les agressions directes alors que les femmes
sont tournées vers des formes de violences indirectes. Cette violence indirecte
comprend notamment la manipulation ou encore l’exclusion sociale. Elle permet
souvent de rester anonyme, ou de blesser sans que l’intention soit clairement établie,
permettant ainsi de nier facilement. Cette violence est moins visible et souvent
négligée dans les recherches sur ces thématiques. Elle demande des compétences
sociales et verbales, ce qui explique pourquoi elle apparaît à partir de l’adolescence
mais n’est pas présente chez les enfants. L’enquête menée auprès d’enfants et
d’adolescents a permis aux auteurs de comprendre que si les formes d’agression
variaient selon l’âge, elles restaient tout de même sexuées. Ils affirment en effet :

« typical age trends in the development of aggressive behaviour. Physical


aggression seems to be more general among the boys during all age groups. Indirect
aggression, however, appears more frequently among the girls but is not fully
developed yet at the age of 8. At ages 11 and 15, it is clearly more prevalent among
girls. Direct verbal aggression […] appeared equally frequently among the genders at
the age 15 […] the boys of some cohorts displayed certain kinds of direct verbal
aggression more frequently than did the girls. Again, withdrawal seems to be a kind of
behaviour more typical for girls of all age groups »167.

Le travail de Stéphanie Rubi sur les « crapuleuses » doit aussi être mentionné. Dans
son article « Des adolescentes délinquantes », elle s’intéresse à la violence juvénile
féminine. Elle souligne les stéréotypes diffusés par les médias, le peu de données sur
ce thème -qui d’ailleurs diffèrent si l’on compare les données officielles aux diverses
études menées- et les questions de légitimité suscitées par cet objet de recherche.
Selon l’auteur, ces jeunes filles subissent une double sanction : d’abord en réponse à
leur transgression des règles sociales ou des lois, mais elles sont aussi punies pour
être allées à l’encontre des normes de genre. « Une sexualisation des actes » 168
s’opère vis-à-vis de ces adolescentes souvent définies comme étant des « garçons

167Ibidem, p. 126.
168RUBI Stéphanie, « Des adolescentes délinquantes », ERES, Les Cahiers Dynamiques, N°41, 2010,
p. 29.
150
manqués »169. La violence féminine est perçue comme étant contre-nature. Elle est
régulièrement considérée par les médias, qui occultent ses particularités, comme une
sorte de mimétisme de celle des hommes. Or la violence des adolescentes, en
particulier en milieu scolaire, est corrélée à la sociabilisation et à la sociabilité. Ces
jeunes filles envisagent la violence qu’elle soit physique ou verbale comme une
protection. Elles bâtissent leur propre réputation et ont recours à la violence pour faire
partie des « forts » et ne pas devenir une victime. Stéphanie Rubi explique que « les
adolescentes prioriseront les violences indirectes tout en agissant au besoin en usant
de violences directes. […] L’ostracisme ou l’aliénation sociale constituent la finalité des
violences indirectes et leur point commun »170. La chercheuse lie ce type de violence
à la socialisation sexuée des jeunes filles qui les oriente vers les autres au travers
d’interactions sociales. Au sein des jeux vidéo en ligne, ces différences s’observent
aussi. Néanmoins, la violence féminine est encore moins visible en raison de la faible
proportion de joueuses, en plus des méthodes choisies qui leur permettent de rester
relativement discrètes. Ces agressions n’en sont pas pour autant moins efficaces, au
contraire, le recours aux méthodes indirectes nécessite d’avoir un réseau social. Or
les joueuses possèdent bien souvent un réseau particulièrement étendu.

Les travaux récents publiés en 2019 d’Andrew K. Przybylski et Netta


Weinstein171 menés à partir d’un échantillon dépassant le millier d’adolescents et de
parents ont révélé qu’il n’y aurait aucun lien entre le contenu violent des jeux et des
comportements agressifs de la part des adolescents. Les différentes interprétations et
contradictions au sujet des effets de ce loisir sur les jeunes en particulier en ce qui
concerne la violence ont amené ces deux chercheurs à se pencher sur le sujet. En
partant du GAM, c’est-à-dire du « general aggression model », théorie selon laquelle
l’exposition répétée à la violence entraîne une augmentation des risques d’adopter soi-
même des comportements violents, ils ont émis l’hypothèse que les adolescents
habitués aux jeux ayant un contenu de ce type seraient plus agressifs que les autres.

169 Ibidem, p. 29.


170 Ibidem, p. 33.
171 Leurs travaux ont fait l’objet d’un article paru sur le site de l’université d’Oxford :

http://www.ox.ac.uk/news/2019-02-13-violent-video-games-found-not-be-associated-adolescent-
aggression# (consulté le 23/04/2019)
151
Ils ont donc mis en place un protocole d’enquête, avec ses limites certes, mais en
essayant de restreindre le plus possible les effets de biais. Ils ont interrogé les
adolescents ainsi que leurs tuteurs afin d’avoir leur témoignage sur les comportements
éventuellement violents des jeunes dont ils ont la charge. Par ailleurs, ils ont utilisé le
système PEGI172, mais aussi son équivalent nord-américain, pour déterminer si les
jeux avaient ou non un contenu violent. Ils en arrivent à la conclusion suivante : « these
results did not support our prediction that there are statistically significant links relating
violent gaming to adolescents' aggressive behaviour » 173 . Tous les tests
supplémentaires effectués concordent avec les résultats initiaux : aucune corrélation
entre les jeux vidéo violents et l’attitude agressive d’adolescents. Les auteurs
expliquent que cela ne signifie pas pour autant que les joueurs ne peuvent pas adopter
des comportements violents en jeu, avoir des réactions impulsives ou colériques par
exemple. Ils peuvent agir de façon qui pourrait être qualifiée d’antisociale ou
simplement négative vis-à-vis des autres, mais cela reste au sein du monde virtuel.

Dans le cadre de ce travail de recherche nous avons rencontré des joueurs qui
avaient des tendances belliqueuses, qui se sont montrés agressifs à l’encontre
d’autres joueurs mais uniquement dans l’univers virtuel -jeu, forum, vocaux-. Lors des
rencontres « IRL », même les joueurs n’ayant pas d’affinité ou ayant eu des litiges en
jeu n’ont pas eu de comportements agressifs que ce soit physiquement ou
verbalement. Il en est de même en ce qui concerne les joueuses.

c.2. A l’échelle collective -guilde, groupe…-

Il est possible et même très fréquent qu'à l'origine un conflit oppose plusieurs
joueurs ou qu'il s'étende. Les conflits entre guildes sont monnaie courante, notamment
lors des conquêtes qui les opposent et peuvent engendrer des frustrations de la part
des perdants ou lorsqu'un de leur membre est victime de mauvais traitements de la

172PEGI signifie Pan European Game Information.


173PRZYBYLSKI Andrew K., WEINSTEIN Netta, « Violent video game engagement is not associated
with adolescents' aggressive behaviour: evidence from a registered report », Royal Society Open
Science, 2019.
https://royalsocietypublishing.org/doi/pdf/10.1098/rsos.171474 (consulté le 23/04/2019)
152
part de joueurs appartenant à une guilde précise. En effet, bien que ce ne soit pas vrai
pour toutes les guildes, certaines font preuve de cohésion et de solidarité envers les
membres qui les composent. Par exemple, si un joueur est persécuté, il arrive que la
guilde dans son ensemble se sente attaquée et réponde aux hostilités ou exprime la
volonté de la protéger en ayant recours à la force. Le conflit n'est pas pour autant
systématique et certains joueurs servent de médiateurs dans ce genre de situations.
Toutes les guildes ne possèdent pas de joueurs diplomates ou n'ont pas la volonté
d'apaiser les tensions et des guildes s'opposent allant parfois jusqu’à former des
alliances contre un ennemi commun.

Il existe donc toute une géopolitique sur chaque serveur avec des guildes qui
s'approprient des planètes comme pendant un temps une guilde connue qui tentait de
conserver coûte que coûte Tatooine et pour se faire, forger des alliances afin de
pouvoir battre les guildes ennemies. Pour connaître les relations entre les guildes, il
est important d'avoir un bon réseau composé d'amis de guildes différentes qui
permettent d'obtenir des informations fiables. Observer les interactions sur les canaux
en jeu ou sur les forums permet aussi d'avoir une idée du type de relation entre deux
guildes.

Toutes les guildes ne sont pas enclines aux conflits, certaines sont pacifiques
ou détachées de ce genre de considération en raison du choix de leurs activités et
d'une absence de prise de position. D'autres guildes au contraire s'alimentent par les
conflits comme c'est le cas des Blacklist que nous avons déjà mentionnés. Leur
attitude globale suscite le plus souvent désapprobation ou moqueries de la part des
autres guildes et ils sont fort peu appréciés. Voici une partie de la présentation officielle
de cette guilde sur leur site Internet174, les parties en gras ont été conservées telles
qu'elles apparaissent sur le site :

« Les troll, emotes et autres trash-talk sont autorisés et même


encouragés car ils représentent un moyen de déstabiliser l'adversaire.

174Site Internet de la guilde Blacklist :


http://blvcklist.forumactif.org/t541-charte-de-guilde-presentation-bl

153
Dans la mesure où nous sommes une légion indépendante, nous nous
reservons le droit d'attaquer n'importe quel joueur en territoire hostile
(Joueur républicain ou impérial, bas level, ...)

L'enseignement dispensé chez BLVCKLIST mentionne clairement qu'on peut


adopter n'importe quelle stratégie qui nous faciliterait la victoire en zone
de guerre (farm au spawn, rage focus, tri-tag...) »

Aborder la question des conflits entre guildes implique de se pencher sur les Blacklist
qui sont à l'origine de nombreux conflits et, en lisant ce règlement, les causes sont
limpides. Cette guilde n'hésite pas à s'en prendre à des joueurs ayant un niveau
inférieur, voire très inférieure, les « bas level » qui ne pourront évidemment pas se
défendre et seront juste exterminés, et ce, même s'ils sont de la même faction. Ils
« encouragent », pour reprendre leur terme, ce que nous qualifierons de « mauvais
comportements ». Le « trash-talk » qu'ils mentionnent par exemple, pour trash-talking,
qui renvoie au fait de proférer des provocations ou des insultes à l'encontre de ses
adversaires... Nous approfondirons la notion de « mauvais comportements »
ultérieurement, pour l'instant, contentons-nous de souligner que par son attitude cette
guilde s'oppose à une bonne partie de la communauté du serveur Battle Meditation de
façon récurrente et pas uniquement à quelques guildes spécifiques. Ce qui ne
l'empêche pas bien évidemment d'avoir des guildes qu'ils apprécient encore moins
que les autres ou des victimes privilégiées.

Pour terminer sur les conflits, ajoutons qu’ils ont souvent une certaine ampleur,
aussi bien en termes de nombre de personnes impliquées que d'importance, c’est-à-
dire leur durée et récurrence. L'inscription dans le temps d'un conflit est variable,
certains perdurent alors que d'autres sont éphémères. La violence du conflit n'est
toutefois pas corrélée à sa durée. Par contre, plus le nombre d'individus y ayant pris
part est élevé, plus les potentialités pour qu'il perdure, y compris sous une autre forme,
augmentent. Il pourra par exemple en subsister une rancœur entre certains joueurs
avec des tensions palpables...

154
c.3. Un cas particulier : le JcJ

Les zones de guerre sont propices aux interactions. On y croise d'autres joueurs
alliés et ennemis. Des amitiés peuvent naître mais aussi des conflits, pas uniquement
à l'encontre des adversaires. Sur le schéma suivant on peut observer un exemple
typique de généralisation d'un conflit en zone de guerre entre deux équipes :

155
Dans la première phase un joueur va s'en prendre à un de ses adversaires par écrit
ou par des emotes, en l'injuriant ou en le tournant en dérision. Ce à quoi le joueur en
question va répondre. Le conflit s'étend progressivement dès lors qu'une troisième

156
personne y prend part, pour attaquer un des deux protagonistes, sa guilde, quelqu'un
d'autre, ou plusieurs autres joueurs voire l'équipe adverse dans son intégralité ou
même leur faction. Les joueurs prennent progressivement parti et d'autres restent
neutres. Les échanges prennent parfois plus d'importance que le jeu et il arrive que la
partie soit laissée de côté par les joueurs qui se focalisent sur le conflit. Le conflit
perdure parfois au-delà de la zone de guerre, comme nous pouvons le voir sur cette
image postée sur le forum de la guilde du Conseil des Altruistes175 par le joueur victime
de provocation injurieuse de la part d'un adversaire :

Cette image est une capture d'écran partielle avec des ajouts personnels en rouge,
exprimant son ressenti sur l'attitude de son opposant. Si le fait de tuer un ennemi est
souvent ce qui donne naissance à ce genre de situation, quand il s'agit de tensions au
sein de la même équipe, c'est le plus souvent en raison de l'incompétence d'un joueur
-réelle ou non- qui agace certains alliés.

175 Voici le lien du sujet du forum de la guilde Le Conseil des Altruistes sur lequel cette image a été
diffusée :
http://leconseil.xoo.it/t39-Les-seigneurs-noir-sont-des-rageux.htm?q=#p101
157
La violence dans les jeux vidéo est un thème qui a souvent été abordé
principalement par les médias qui les ont longtemps stigmatisés alors que les parents
les craignaient. La violence en jeu, voire même le gore, surtout lorsque le joueur voit
à travers les yeux du personnage agresseur, ce qui peut faciliter l’immersion, a généré
des inquiétudes relatives aux effets que cela pourrait avoir hors du jeu. Or il semblerait
qu’en réalité il n’y ait pas de conséquences négatives, au contraire. Michel Nachez et
Patrick Schmoll ont travaillé sur ce sujet. Ils écrivent « le jeu vidéo violent se présente
pour les adolescents comme une manière de canaliser des pulsions violentes et de
les laisser s’exprimer, ce qui entraîne un meilleur équilibre et une baisse des tensions
intérieures »176. Ils ajoutent qu’il n’y a pas de répercussions sur le comportement hors
du jeu ou encore sur la scolarité. Le jeu vidéo devient ainsi un moyen de se défouler,
un exutoire. Le psychologue Michaël Stora, spécialiste du numérique, a expliqué lors
d’une interview que d’une part, il y a un contexte justifiant cette violence, et d’autre
part, que « les images d’actualités sont largement plus violentes, parce qu’on est dans
quelque chose qui n’est pas le « faire semblant », « le faire comme si », c’est vrai »177.
Les affrontements en zones de guerre dans Star Wars the Old Republic dans lesquels
s’opposent des groupes de joueurs peuvent comme nous l’avons vu voir naître des
conflits entre eux et outre la violence en jeu des personnages, une violence écrite entre
joueurs peut aussi survenir. En jeu, les combats entre les deux groupes sont justifiés
par le fait qu’ils sont ennemis lorsqu’ils ne font pas partie de la même faction, ou qu’il
s’agisse d’une simulation d’entraînement s’ils font partie de la même faction.
L’affirmation de Michaël Stora sur l’absence de « violence gratuite » dans le cadre du
jeu vidéo semble être exacte dans le cas de Swtor178. Cette « violence gratuite » peut
par contre s’observer dans les propos inappropriés tenus par certains joueurs à l’égard
d’autres personnes. Cependant, même dans les activités violentes, et dans les
situations de conflit, des groupes se forment et des valeurs sont présentes. Si par
exemple les injures sont en général tolérées, certaines ne sont pas acceptées,

176 NACHEZ Michel, SCHMOLL Patrick, « Violence et sociabilité dans les jeux vidéo en
ligne. », Sociétés, No 82, 4/2003, p. 8.
177 http://education.francetv.fr/matiere/education-aux-medias/cinquieme/video/doit-on-craindre-la-
violence-dans-les-jeux-videos
Visionné le 02/08/2017.
178 Il est primordial de ne pas généraliser cette affirmation à tous les jeux vidéo et tous les types de jeux.

Les questions relatives aux violences gratuites peuvent être plus pertinentes dans des jeux comme
Grand Theft Auto par exemple.
158
notamment racistes, et les responsables sont exclus socialement par la communauté
lorsqu’ils ne le sont pas par les modérateurs du jeu puisqu’ils sont en infraction avec
le règlement.

3) Processus de socialisation et de fictionnalisation

Le joueur, en compagnie de ses pairs, vit une aventure proposée par le jeu et
dans lequel il prend part activement. Toutefois, le jeu n’est pas neutre : il véhicule des
idées à travers son contenu. C’est grâce au concept de socialisation que nous pouvons
analyser ce phénomène et ses implications. Au-delà du jeu, l’univers de Star Wars qui
est connu de tous les joueurs exerce aussi une influence. Cependant, c’est à travers
les questions relatives au genre que l’on observe le mieux comment le contenu même
du jeu peut transmettre des visions sexuées voire sexistes de tout ce qui a trait aux
hommes et aux femmes.

a) Le concept de socialisation

a.1. Socialisation et médias

Muriel Darmon définit la socialisation comme « l'ensemble des processus par


lesquels l'individu est construit [...] par la société globale et locale dans laquelle il vit
»179. Chaque personne qui vit dans un milieu est influencée par celui-ci et exerce une
influence plus ou moins importante sur ce milieu et sur les autres. C'est aussi vrai en
ce qui concerne les jeux vidéo. Pour Star Wars the Old Republic, il importe de prendre
en compte l'influence de tout l'univers Star Wars sur le joueur, en particulier des films
qui sont à l'origine de tout -les livres et autres supports culturels étant moins populaires
que la saga cinématographique- en plus de celui du jeu plus spécifiquement.

Par le passé, plusieurs chercheurs ont démontré l'influence qu'exerce la


télévision sur le téléspectateur. Le rôle de ce média dans la socialisation est établi.

179 DARMON Muriel, La socialisation, Domaines et approches, Paris, Armand Colin, coll. 128, 2010, p.
6.
159
Bien entendu, l’influence de la télévision est aussi pondérée, on peut penser aux
travaux menés par l’université de Birmingham, les Cultural Studies, avec notamment
Richard Hoggart ou Stuart Hall. Ce dernier s’est intéressé au processus de
communication à travers la télévision et à l’encodage ainsi qu’au décodage du
message transmis. Selon lui, la production crée un message dont l’audience est le
destinataire mais aussi la source puisque tout message est corrélé à la société qui le
produit. Le message doit être décodé par le spectateur et c’est une fois cette opération
effectuée que le contenu va exercer une influence sur l’individu. Lors d’une
présentation à un colloque en septembre 1973 à l’université de Leicester, Stuart Hall
a affirmé que : « television is a discourse »180. D’après lui, c’est la symétrie des codes
entre les phases d’encodage et de décodage qui évite tout malentendu. Lorsque ce
n’est pas le cas une distorsion survient entre le message qu’a voulu transmettre la
production télévisuelle et ce qui est compris par le spectateur. Un message ne possède
pas qu’un seul sens mais peut être caractérisé par une hiérarchisation du contenu
transmis entre un contenu dominant et d’autres subordonnés. Il arrive donc que ce soit
le contenu subordonné qui soit pris en compte prioritairement par le spectateur alors
que ce n’était pas l’objectif de la production. Le message dominant correspond à celui
que la majorité perçoit et comprend. Cependant, le code est parfois interprété
différemment, ce qui change le sens du message. La télévision constitue un média
complexe, visuel et sonore, et c’est à prendre en considération. Si les codes
linguistiques ne sont pas partagés de la même façon par toute une société -on observe
des inégalités sociales relatives à la maîtrise de la langue par exemple-, les codes
visuels le sont davantage et ils sont plus aisément compris. Les malentendus peuvent
avoir plusieurs origines, il est envisageable par exemple que le spectateur ne
comprenne pas les codes usités. Stuart Hall propose une typologie en quatre points
des manières de décoder, jusqu’à la déformation des propos. Cette parenthèse sur la
télévision est importante puisqu’il existe clairement des points communs entre elle et
les jeux vidéo.

180HALL Stuart, « Encoding and decoding in the television discourse », présentation pour le colloque
Training in The Critical Reading of Television Language, 1973, p.5.
https://www.birmingham.ac.uk/Documents/college-artslaw/history/cccs/stencilled-occasional-
papers/1to8and11to24and38to48/SOP07.pdf (consulté le 23/04/2019)
160
Du côté français, et en lien avec la théorie de Stuart Hall évoquée
précédemment et relative au contenu à la télévision, Laurent Trémel développe l’idée
que les jeux vidéo comprennent un contenu codé qui nécessite d’être décodé par les
joueurs. Ce positionnement intellectuel implique que le joueur doit posséder des
connaissances suffisantes de façon à décoder ce contenu. L. Trémel écrit à ce sujet :
« aborder [les contenus des jeux vidéo] suppose la maîtrise de codes qui ne sont pas
donnés et qui apparaissent liés, entre autres au niveau d'études »181. Les joueurs qui
ne disposent pas de la capacité à décrypter le contenu des jeux sont susceptibles de
mal l’interpréter. Il s’interroge d’ailleurs sur l’« éducation à l’image »182 qui favoriserait
l’apprentissage de ce décodage à une plus grande partie de la population.

Les jeux vidéo sont suffisamment réalistes et immersifs pour que des effets
similaires puissent s'observer. Ces effets pourraient apparaître sur un temps plus ou
moins long et intervenir sur les perceptions et croyances des joueurs. Dmitri Williams
a travaillé sur la socialisation par le jeu vidéo à travers l'exemple de la perception de
la violence, et il met en évidence une corrélation entre le temps de jeu et l'effet, plus
important lorsque le temps de jeu est élevé183. Selon lui, l'espace virtuel est un espace
comme un autre, les conséquences des messages véhiculés peuvent aussi bien être
négatives que positives. Si les recherches tendent à souligner les impacts négatifs des
jeux vidéo comme la diffusion de stéréotypes, l'auteur souligne que les jeux peuvent
aussi contribuer à lutter contre le racisme, et grâce à des messages de tolérance,
contribuer à améliorer les relations entre les hommes184.

Une parenthèse relative aux films s'impose. Leurs liens avec Star Wars The Old
Republic sont puissants. D'une part, le jeu permet à ses utilisateurs de retrouver des
lieux emblématiques, comme Tatooine, Hoth ou encore Coruscant que les spectateurs
ont pu voir dans les films. D'autre part, outre les lieux, le joueur reconnaît aussi des
espèces, par exemple les Wookies, les Twi'leks ou bien les Jawas, des animaux avec

181 TREMEL Laurent, « Introduction », Les jeux vidéo : pratiques, contenus et enjeux sociaux, FORTIN
Tony, MORA Philippe, TREMEL Laurent (dir.), Paris, L’Harmattan, 2005, p. 22.
182 Ibidem, p. 22.
183 WILLIAMS Dmitri, « Virtual cultivation : Online worlds, offline perceptions », Journal of

Communication, N°56, 2006, p. 80.


184 Ibidem, p. 84.

161
notamment les tauntauns, les wampas ou encore les banthas... Ainsi le joueur qui a
vu les films baigne dans un univers qui lui est familier que ce soit par son
fonctionnement, ses codes, et ceux qui le peuplent. L'hyperespace, une
holocommunication, un blaster sont des mots qu'il a déjà appris grâce aux films.
Cependant associer les films et Swtor en se limitant à leur univers commun serait une
erreur. En effet, le jeu s'inspire et rend hommage aux films à travers les scénarios de
classes mais aussi grâce à de multiples petits détails. Nous aborderons ces points de
façon plus approfondie ultérieurement, cependant à titre d'exemple nous pouvons
signaler que les compétences de régénération de l'Inquisiteur, et celle du chevalier
Jedi reprennent les attitudes des deux adversaires Dark Maul et Qui-Gon Jinn lors de
leur duel dans Star Wars IV Episode I, La menace fantôme. Comme vous pouvez le
voir sur l'image suivante extraite du film alors que le Jedi médite en position seiza185
le Sith se déplace, et montre des signes d’impatience qui témoigne de son envie de
reprendre le combat rapidement après qu'une barrière les ait temporairement séparés
:

Les icônes et les animations, dont des images, sont disponibles ci-dessous, sont pour
les joueurs observateurs qui connaissent les films un rappel à cette scène très
marquante :

La position seiza est une position assise, jambes repliées sous les cuisses et talons sous les fesses.
185

Ce terme est japonais et cette position est principalement utilisée dans le cadre de pratiques culturelles,
comme la cérémonie du thé, ou martiales.
162
A travers cet exemple, nous voulons souligner que le jeu est intrinsèquement rattaché
aux films dont il s'inspire et il ne faut pas donc négliger ces références aux films dans
les jeux pour comprendre l’influence que les deux peuvent avoir sur les joueurs. De
façon plus globale, on ne peut faire l’économie de s’interroger sur le profil de l'être
socialisé derrière son écran.

Il est intéressant de mentionner les travaux de Jesse Fox, Jeremy N. Bailenson


et Tony Ricciardi186 qui ont travaillé sur l'influence du personnage incarné par le joueur,
en particulier si celui-ci lui ressemble. L'environnement virtuel est un espace
d'interactions sociales dans lesquels des messages sont transmis, et plus ou moins
intégrés par ceux qui les reçoivent. Le processus d'identification intervient dans les
comportements puisque nous avons tendance à imiter ce qui nous ressemble. Au
cours de leur expérimentation, ils ont proposé aux participants de voir un personnage
courir, un personnage leur ressemblant pratiquer cette même activité et enfin un autre

186 FOX Jesse, BAILENSON Jeremy N., RICCIARDI T., « Physiological responses to virtual selves and
virtual others », Journal of CyberTherapy & Rehabilitation, Vol. 5, 2012, p. 69 à 73.
163
ne rien faire. Le lendemain, les chercheurs ont proposé une activité sportive aux
participants. Jesse Fox, Jeremy N. Bailenson et Tony Ricciardi se sont alors rendu
compte que les participants qui avaient vu un personnage leur ressemblant faire du
sport étaient plus motivés, et s'investissaient davantage que les autres. Il est dès lors
pertinent de se demander si le processus de socialisation se voit faciliter lorsque le
joueur a choisi de créer un personnage qui lui ressemble physiquement.

Dans le cadre des MMORPG il faut prendre en compte plusieurs facettes de


cette socialisation : le monde dans lequel vit l'individu, le jeu auquel il joue ainsi que
l'univers auquel il est rattaché et les personnes qu'il rencontre dans ce cadre. En
abordant la question de l'identité des individus qui jouent, nous avons vu qu'il était
difficile d'établir un profil type unique. Il importe maintenant de différencier deux
environnements similaires mais distincts qui interviennent dans cette socialisation, le
virtuel et le « réel ».

a.2. Les autres joueurs comme acteurs de la socialisation

Le psychologue Marc-Alain Descamps s'est intéressé aux phénomènes de


mode et explique que « par son renouvellement incessant, la mode est production de
nouveauté. [...] Il [le public] aime bien que la nouveauté se fasse sur un fond d’ancien.
Alors la mode, au lieu de présenter de l’intégralement nouveau, se contente de
renouveler. On prend de l’ancien et on le rajeunit »187. La mode est aussi présente
dans les MMORPG. Elle concerne l'apparence du personnage, ses vêtements, sa
monture etc. Certaines modes sont passagères et d'autres beaucoup plus pérennes.
L'attrait pour une nouvelle monture que tout le monde aura est clairement visible sur
l'image suivante :

187 DESCAMPS Marc-Alain, Psychosociologie de la mode, Paris, PUF, 1984, 2e édition, p. 25-26.
164
Cette image illustre bien les propos de M.-A. Descamps qui caractérise la mode de
« phénomène de contagion imitative »188. Le jeu en ligne est en perpétuelle évolution,
tout comme les styles vestimentaires ou les montures qu'il propose. Les développeurs
de Stwor sont toutefois régulièrement critiqués par les joueurs concernant les
nouveautés proposées : « Bioware, il y a bio dedans... Ils font que recycler », on
entend fréquemment ce type de discours lorsque les futures « nouveautés » sont
présentées. Les reproches portent sur le fait qu'un modèle est utilisé et très peu de
changements y sont apportés en réalité, un ou deux détails, une autre couleur... Cette
frustration des joueurs s'explique par leur engouement pour la mode. On retrouve des
sites Internet ou des sujets dédiés aux nouvelles tenues. Sur le site Tor-fashion189, on
peut poster une image de son personnage avec le détail de son équipement -le nom
des pièces, si une teinture a été ajoutée ou non...- et voter pour son préféré. Pour
pouvoir acheter la tenue de leur rêve, les joueurs sont prêts à se ruiner et à « farmer »,
c'est-à-dire consacrer leur temps à pratiquer des activités lucratives en jeu dans le seul
but de collecter des ressources, dans notre cas, des crédits, et ce même s'ils n'ont
aucun intérêt pour ces activités qu'ils sont souvent amenés à réitérer en boucle, par
exemple tuer des adversaires dans une zone donnée. Cette attitude est tout aussi
masculine que féminine. Un éditeur de tenue a fait son apparition en jeu afin de

188 Ibidem, p. 28.


189 http://tor-fashion.com/
165
permettre au joueur d'assigner une apparence de tenue à son personnage même si
celui-ci porte un autre équipement. Ce système permet donc d'enregistrer une ou
plusieurs tenues qui intéressent le joueur esthétiquement tout en ayant un personnage
équipé de façon appropriée. La mode concerne aussi le choix de l’espèce du
personnage. J'ai créé lorsque je me suis penchée sur le jeu de rôle dans Star Wars
The Old Republic, Ty'a une jeune femme de Mirialan. Cette espèce alien est facilement
reconnaissable à sa couleur de peau, allant du jaune au vert, et par les tatouages
faciaux arborés. J'ai pu constater à ma grande surprise lorsque j'ai débuté qu'il n'y
avait presque aucun autre personnage de cette espèce hormis un ou deux qu'on
pouvait croiser occasionnellement. J'ai joué avec ce personnage régulièrement et j'ai
pu observer l'émergence au sein de la communauté de rôlistes d'une arrivée
progressive mais massive de nouveaux personnages... mirialans. Au bout de quelques
semaines, alors qu'auparavant cette espèce était très peu représentée, on rencontrait
un Mirialan à chaque comptoir. Il est évident qu’à aucun moment je n'ai eu l'intention
de lancer une mode, cependant, le fait que mon personnage soit souvent vu par les
autres joueurs dans les espaces publics propices au développement du jeu de rôle et
qu'il ait été apprécié a abouti à un effet de mode autour de cette espèce. Des joueurs
se sont même adressés à moi pour me demander des informations relatives à celle-ci
-culture, histoire...-.

Comme nous pouvons l'observer avec l'exemple de la mode, les joueurs


exercent et subissent des influences entre eux. Cela apparaît certes dans le jeu lui-
même mais aussi dans son contexte, c'est-à-dire par les échanges entre joueurs qu'ils
concernent ou non le jeu, par exemple lorsqu’un joueur a ajouté une photographie de
profil sur le vocal de la guilde, tous les autres l’ont fait progressivement dans les jours
qui ont suivi. A travers les discussions entre joueurs qui surviennent, notamment par
l’intermédiaire d’un vocal, chacun exprime ses goûts, sans toujours d’ailleurs s’en
rendre compte. Les échanges entre joueurs n’ont pas toujours de lien avec le jeu. Il
faut envisager l’ensemble de la communauté de ce monde virtuel comme des acteurs,
actifs ou passifs, de cette socialisation.

166
a.3. Appartenir au monde de Swtor : quand le réel copie la fiction

Avant toute chose, il me semble primordial de revenir sur l'usage de ces termes.
Le terme « réel » est souvent usité comme antonyme pour « virtuel ». Cependant, ce
qui se passe dans cet univers virtuel a une incidence sur le réel. Les sentiments qui
peuvent naître, les émotions qu'éprouve le joueur sont réels. Au-delà même des
actions qui se déroulent dans le jeu, l'univers du jeu a un véritable impact sur les fans.
Le choix des termes usités suscite des réflexions et débats. Vili Lehdonvirta par
exemple, s’oppose à l’utilisation de ces termes. Il privilégie le recours à d’autres
expressions refusant les implications de l’usage de cette dichotomie du « réel » qui
s’opposerait au « virtuel ». Selon lui, « it is as if the dichotomous model did not fit
together with empirical reality very well »190. Pour ma part, je rejette l’idée que ce qui
se passe dans le monde numérique n’est pas réel. C’est pourquoi, tout au long de ce
travail, j’ai privilégié d’autres termes ou utilisé des guillemets lors de l’utilisation de ce
mot. En ce qui concerne l’usage de « virtuel », il fait référence à l’univers qui existe
derrière l’écran, celui d’images de synthèse, de pixels…

Le travail de Frédéric Vincent apporte des éclaircissements sur ce point. Dans


son article « Le sacré et le fan. Étude sur l'univers science-fictionnel de Star Wars »191,
il explique le phénomène Star Wars. Thèmes mythologiques et parcours initiatiques y
sont omniprésents, au point où l'on peut s'interroger sur la dimension sacrée de
l'œuvre cinématographique de Georges Lucas pour les fans. Si on considère comme
l'auteur que « la manifestation du sacré ne dépend pas nécessairement de l’objet en
soi mais de la relation entre l’homme et ce qu’il imagine de l’objet. On peut être ainsi
amené à comprendre la notion de sacré comme la qualité d’une chose possédant un
sens transcendant et symbolique reconnu par un ou plusieurs individus, le profane
étant tout ce qui en est dénué »192, alors il apparaît que Star Wars est sacralisé par les

190LEHDONVIRTA Vili, « Virtual Worlds Don't Exist: Questioning the Dichotomous Approach in MMO
Studies », Game Studies, Vol. 10, 2010 :
http://gamestudies.org/1001/articles/lehdonvirta (consulté le 05/01/2017)
191 VINCENT Frédéric, « Le sacré et le fan. Étude sur l'univers science-fictionnel de Star

Wars. », Sociétés, n°113, 3/2011, p. 49 à 61.


192 VINCENT Frédéric, « Le sacré et le fan. Étude sur l'univers science-fictionnel de Star

Wars. », Sociétés, n°113, 3/2011, p. 52.


167
nombreux fans de cet univers science-fictionnel. Deux trilogies, deux rites initiatiques
principaux, celui du père et celui du fils, leurs initiateurs ou instructeurs essayant de
les former à maîtriser la Force, puissance « magique » en quelque sorte, et à se
dépasser. L'un comme l'autre devront lutter contre leur part d'ombre en suivant des
chemins initiatiques différents. Pour les fans, Star Wars est un vecteur de socialisation
secondaire qui est présent dans leur quotidien : vêtements ou chaussures, peluches,
jouets, stylos sont autant de signes d’appartenance. Un joueur par exemple publie
régulièrement sur son compte Facebook les dessins qu'il fait de personnages, de
vaisseaux ou de pièces d'armure Star Wars. Sur le forum de sa guilde, il montre la
peluche qu'il a achetée d'un bantha, animal fictif propre à cet univers, ou encore la
personnalisation de la coque de son téléphone portable portant le symbole de
l'Empire193. « L'objet de culte peut être retranscrit sur l'individu lui-même »194 comme
c’est le cas pour un autre joueur rencontré qui arbore un tatouage de l'Alliance Rebelle
au poignet. L'engouement est tel qu'il ne s'agit pas juste de porter un manteau ou des
chaussettes Star Wars mais d'y inscrire son attachement sur son corps. Certains se
divertissent aussi grâce au cosplay, nous reviendrons sur cette pratique de façon
détaillée dans le paragraphe suivant. Les fans débattent de sujets variables, utilisent
entre eux des citations issues des films telles que « N'essaie pas ! Fais ou ne le fais
pas ! » phrase prononcée par Yoda à Luke Skywalker dans l'épisode V, L'Empire
contre-attaque, et régulièrement cités par les fans, comme Iragaël. De même, tous les
fans attirés par le côté Obscur connaissent le Code Sith et ceux plus lumineux, le Code
Jedi. En général, ils connaissent les deux. F. Vincent mentionne aussi le tourisme sur
les sites de tournage des films dont Matmata en Tunisie. Selon l’auteur, cet espace
est en quelque sorte « sacré » pour les fans qui y accomplissent des pèlerinages. De
fait, Star Wars n’est pas une simple œuvre culturelle, cette licence génère tout une
économie avec le marché des produits dérivés mais a aussi des conséquences
sociales. Sur le jeu, les fans sont réunis, bien entendu il n'y a pas que des fans, certains
sont juste intéressés par ce jeu sans être particulièrement attachés à l'univers. Dans
tous les cas, l'univers Star Wars, qui inclut le jeu, aura une influence sur le joueur. Il

193Lien du sujet sur lequel ces photographies ont été publiées :


http://clan-berserk.guilde-swtor.fr/fr/m/forum/t64,p1-peluche-bantha
194 VINCENT Frédéric, « Le sacré et le fan. Étude sur l'univers science-fictionnel de Star

Wars. », Sociétés, n°113, 3/2011, p. 55.


168
arrive parfois qu’un joueur devienne un fan, en particulier au contact de personnes qui
se considèrent comme tel. Dans son article « La communauté des fans d’Elvis Presley
», Gabriel Segré aborde les sujets de la transmission et de l’apprentissage, du
« devenir fan ». Selon lui, de nouvelles formes de croyances remplacent les religions,
il s’agit d’un « processus de recomposition du religieux au sein des sociétés modernes
et de sa délocalisation vers des zones profanes »195. Il n’est donc pas surprenant que
des joueurs s’attachent à l’univers Star Wars comme d’autres le font avec Elvis Presley
ou encore avec des équipes de football196.

Revenons sur le cosplay que nous avons mentionné précédemment. Le cosplay


est une activité de loisir qui consiste à se déguiser comme des personnages issus de
la culture populaire japonaise tels que des héros de manga ou de films d'animation.
Selon le dictionnaire de Louis Frédéric, « manga » est le « nom donné à tous les
dessins comiques ou caricaturaux, et par conséquent aux bandes dessinées »
japonaises197. Le terme anglais « cosplay est un néologisme, un mot-valise né de la
contraction de « costume » et de play, autrement dit « jeu de costume », en japonais
kosupure » 198 . La plupart du temps, les cosplayers conçoivent eux-mêmes leurs
costumes qui doivent correspondre à celui du personnage qu’ils incarnent. Ils adoptent
aussi les poses et manières de celui-ci, ce qui les renforce dans leur rôle. Ils se
déguisent le plus souvent lors de conventions ou manifestations. Cette pratique
relativement récente est caractéristique de certains lieux au Japon, comme Harajuku
à Tokyo. Cependant, elle a été adoptée en France comme les supports médiatiques
qui en sont à l’origine. Il importe souvent pour le cosplayer de trouver le juste milieu
pour avoir un déguisement connu sans toutefois qu’il y ait trop d’autres cosplayers qui
aient choisi le même. Chaque année des modes temporaires font leur apparition mais
il en existe aussi des pérennes, comme Star Wars. Bien que Star Wars ne soit pas
issu de la culture japonaise, cet univers inspire les cosplayers comme les comics avec

195 SEGRÉ Gabriel, « La communauté des fans d’Elvis Presley », Socio-anthropologie, 10 /2001, mis
en ligne le 15 janvier 2003, consulté le 03 octobre 2016.
196 BROMBERGER Christian, HAYOT Alain, MARIOTTINI Jean-Marc, « Allez l’O.M., Forza Juve. La

passion pour le football à Marseille et à Turin », Terrain, n° 8, 1987, p. 8 à 41.


197 FRÉDÉRIC Louis, Le Japon, Di

ctionnaire et civilisation, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2005, France, p. 703.


198 NOUHET-ROSEMAN Joëlle, « Mangamania et cosplay », Adolescence, n°53, mars 2005, p. 6

169
les personnages issus des Marvel par exemple ou d'autres séries ou films, par
exemple Star Trek. D'ailleurs, les jeux vidéo sont généralement appréciés des
cosplayers, et il n’est pas rare d’en voir déguisés en personnages issus de jeux aussi
bien japonais que d’autres nationalités. En 2015 par exemple, lors des tournois officiels
de cosplay et des Cosplay Shows de la Japan Expo de Paris, les cosplayers s’inspirant
de l’univers de League Of Legends étaient particulièrement nombreux. Les jeux
récents à la mode sont représentés et les anciens indémodables sont toujours là,
comme en témoignent les nombreux cosplayers incarnant des protagonistes de
Assassin’s Creed, ou de Kingdom Hearts. D’ailleurs, la représentante en solo de la
France pour la sixième saison de l’ECG, l’European Cosplay Gathering, pour l’année
2016 a été choisie alors qu’elle incarnait un chevalier de la mort, une classe de World
of Warcraft, jeu d’origine américaine. Il est très fréquent de croiser des gens déguisés
en personnage de Star Wars lors des conventions ou d'évènements, lors de la sortie
des films qui ont suivi les deux trilogies, et en particulier Star Wars VII, Le réveil de la
Force, de nombreux fans se sont rendus au cinéma vêtus en Sith ou Jedi, munis de
sabres laser.... Comme on peut le voir sur cette photographie personnelle, prise lors
de la Japan Expo 2015, à travers le choix du cosplay, on affiche ses goûts et lorsqu'il
est fait en famille comme c'est le cas ici, on les transmet aussi.

170
En parlant des déguisements, Saïd Bellakhdar écrivait à ce sujet dans son
article « Grandir avec la Guerre des Étoiles » : « Lors de la première sortie d'un
épisode le spectacle est tout autant dans la salle que sur l’écran. Ceux qui étaient
jeunes au début des années quatre-vingt s’y rendent aujourd’hui avec leurs enfants
comme si une transmission devait se faire aussi par ce moyen-là »199. Le cosplay Star
Wars apparaît aussi dans le jeu ou en rapport avec celui-ci. Les images suivantes
mettent en évidence ce point qui me semble important :

199 BELLAKHDAR Saïd, « Grandir avec la Guerre des Étoiles. », Topique, No 94, 1/2006, p. 89.
171
Sur l'image de gauche200 on peut observer le personnage de Satele Shan dans
Star Wars The Old Republic. Sur celle de droite, une cosplayeuse incarne cette Jedi201
portant un costume qu’elle a elle-même conçu. C'est en portant cette tenue qui a été
conçue par les développeurs de Swtor, que l'on comprend qui la jeune femme incarne
précisément. Il arrive aussi que ce soit le personnage qui devienne cosplayer en en
incarnant un autre. La guilde Dark Knight202 reprenait par exemple les personnages
de Batman. Il arrive aussi de croiser d'autres personnages issus d'autres univers fictifs
comme des super-héros, ci-dessous Wonder Woman :

200 Image extraite d’une bande d’annonce du jeu Star Wars The Old Republic.
201 Voici un lien sur lequel on retrouve cette photographie :
https://www.deviantart.com/nebulaluben/art/Grand-Master-Satele-Shan-265435341
202 Le nom de la guilde fait référence au film de Christopher Nolan sorti en 2008, The Dark Knight, qui

a pour sujet les aventures de Batman contre le Joker.


172
Les mondes fictif, virtuel et « réel » s'entrecroisent avec cette pratique du cosplay, qui
intervient dans le processus de socialisation. Nous pouvons faire remarquer que cet
entrecroisement apparaît dans d’autres domaines. Marc Augé a écrit dans son
ouvrage L’Impossible Voyage, Le tourisme et ses images :

« Il fut un temps où le réel se distinguait clairement de la fiction, où l’on pouvait


se faire peur en se racontant des histoires mais en sachant qu’on les inventait, où l’on
allait dans des lieux spécialisés et bien délimités (des parcs d’attractions, des foires,
des théâtres, des cinémas) dans lesquels la fiction copiait le réel. De nos jours,
insensiblement, c’est l’inverse qui est en train de se produire : le réel copie la
fiction »203.

203AUGÉ Marc, L’Impossible Voyage, Le tourisme et ses images, Paris, Payot, coll. Rivages
Poche/Petite Bibliothèque, 2013, p. 65.
173
S’intéressant à des lieux de divertissements et de tourisme comme Disneyland Paris
et Center Parcs, il observe le rôle des décors et ce phénomène de mise en spectacle
de l’environnement, considérant que « ce passage au tout fictionnel, qui fait sauter la
distinction réel/fiction, s’étend dans le monde entier »204.

b) Un phénomène social

Le concept d'intertextualité et celui de convergence culturelle s'appliquent


parfaitement à Star Wars. Star Wars est une œuvre multimédiatique, ce qui signifie
qu'elle a recours à différents médias. Des films à l'origine aux jeux vidéo, en passant
par les dessins animés, il s'agit d'une œuvre aux multiples supports qui ne se limitent
pas aux médias puisque les produits dérivés ne se comptent plus. Le marketing a
contribué à développer cette industrie culturelle. Star Wars, présent aux différents
âges, partout et sur une diversité de support a un impact sur l’individu à travers le
phénomène de la socialisation. Il est à considérer comme un phénomène social.

b.1. De la notion de convergence culturelle à celle de phénomène social

Henry Jenkins, spécialiste Étasunien des médias, a défini la notion de


convergence dans son ouvrage Convergence Culture Where Old and New Media
Collide, il écrit : « by convergence, I mean the flow of content across multiple media
platforms, the cooperation between multiple media industries, and the migratory
behavior of media audiences who will go almost anywhere in search of the kinds of
entertainment experiences they want » 205 . Les grandes compagnies rendent aisé
l’adaptation et les transformations d’un support médiatique à un autre, mais c’est grâce
au fans, public privilégié, qu’une franchise peut devenir « un monde » 206 , pour
reprendre l’expression de David Peyron.

204 Ibidem, p. 66.


205 JENKINS Henry, Convergence Culture Where Old and New Media Collide, New York University
Press, United States of America, 2006, p. 2.
206 PEYRON David, « Quand les œuvres deviennent des mondes. Une réflexion sur la culture de genre

contemporaine à partir du concept de convergence culturelle », Réseaux, N°148-149, 2/2008, p. 341.


174
David Peyron revient sur le concept de convergence et sur celui des mass
médias. Il souligne l’omniprésence de deux genres spécifiques, la science-fiction et la
fantasy, dans la culture de masse, en particulier et historiquement aux Etats-Unis. Le
développement du jeu de rôle et des jeux vidéo a contribué à favoriser leur
expansion 207 . Selon lui, les films Star Wars créés à l’origine par Georges Lucas
constituent un « monde, un univers vaste et cohérent […] qui laisse la place pour
d’autres développements »208. Star Wars n’est pas uniquement caractérisé par une
grande variété de types de produits dérivés mais bien aussi par une multitude de
supports tels que les romans, les jeux vidéo, les jeux de rôle ou de cartes... Cette
œuvre culte est appropriée par une partie de son public, ses fans qui font preuve de
créativité et s’en inspirent pour proposer de nouvelles histoires. La diversité de
supports, le passage facilité grâce à la convergence technologique de l’un à l’autre, et
les créations des fans contribuent à enrichir cette œuvre monde. Pour terminer, il
propose une synthèse de ce signifie la convergence culturelle :

« En optique, la convergence c’est le fait pour des rayons lumineux de [se]


rapprocher pour finir par n’en faire plus qu’un. Ici nous avons plusieurs médias,
plusieurs supports, plusieurs références, plusieurs esthétiques qui se réunissent, qui
convergent, qui se mélangent pour donner quelque chose qui est à la fois la somme
des parties mais aussi un tout, une seule entité culturelle qui forme la culture de genre
actuelle et déborde sur la culture de masse tout en ne pouvant totalement être
assimilée à elle. En liant tous ces supports, la convergence culturelle crée donc une
culture de la convergence. Une culture où les liens s’entrelacent et se réunissent, c’est
la définition même du terme convergence »209.

Yves Chevaldonné a lui aussi étudié ce sujet. Il privilégie l'expression


« intertextualité entre médias »210. Il explique que « le modèle mis en place est celui

207 David Peyron explique ainsi que le rôliste doit, dans le but de construire ses histoires rattachées à
un univers, accumuler des connaissances sur cet univers, et donc lire des ouvrages, voir des films…
208 Ibidem, p. 351.
209 Ibidem, p. 364.
210 CHEVALDONNE Yves, « Intertextualités : jeu vidéo, littérature, cinéma, bande dessinée. », Hermès,

La Revue, N° 62, 1/2012, p. 115.


175
de la licence, de l'univers que l'on décline sur différents supports »211. Ce système a
des dimensions artistiques et techniques, mais aussi économiques d'autant que le
marketing travaille à augmenter les profits financiers. Les médias se croisent et
s'entrecroisent, un livre en film ensuite adapté en jeu, comme Le Seigneur des
Anneaux, un jeu en film, par exemple Assassin's Creed ou World of Warcraft... Le
phénomène de remédiation intervient même sur les codes propres à chaque art,
en autorisant les emprunts ou en les modifiant.

Le sociologue Emile Durkheim a proposé une définition d’un fait social. Selon
lui ces faits « consistent en des manières d'agir, de penser et de sentir extérieures à
l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent
à lui »212. Le rejet des modes n’est pas sans conséquence. En refusant de suivre les
normes de son temps, l’individu prend le risque de se voir moqué ou exclu socialement.
Il est important de faire remarquer que la dimension sociale ne signifie pas
nécessairement que la société dans son ensemble soit concernée. En effet, un fait
social peut se limiter à un groupe spécifique d’individus, d’un même milieu par
exemple. L’auteur insiste sur la rigueur méthodologique indispensable pour l’étude en
sciences humaines, et met en garde contre le poids des convictions personnelles qui
peuvent nuire à la recherche.

« Le jeu vidéo est un phénomène social, mais aussi artistique […] et


culturel[…] »213. Cette affirmation de Bernard Perron, qui a concentré ses recherches
sur les jeux vidéo en particulier d’horreur, exprime l’importance de cette activité de
loisir à notre époque. Lorsqu’il est massivement multijoueur, il est aisé de comprendre
en quoi il est nécessaire de s’y intéresser. En 2014, à l’occasion du troisième
anniversaire de Star Wars The Old Republic, une infographie214 a été publiée sur le

211 Ibidem, p. 116.


212 DURKHEIM Emile, Les Règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1894.
Citation extraite du premier chapitre « Qu’est-ce qu’un fait social ? » disponible en version numérique
réalisée par Jean-Marie Tremblay, page 5 :
http://jmt-
sociologue.uqac.ca/www/projets/387_135_CH/lecon_01_faits_sociaux/durkheim_fait_social.pdf
213 PERRON Bernard, « Le lecteur de théorie du jeu vidéo », Les jeux vidéo, au croisement du social,

de l’art et de la culture, Presses Universitaires de Nancy, 2010 p. 19.


214 http://www.swtor.com/info/news/article/20141126

176
site officiel du jeu. Elle contenait diverses informations dont le nombre de joueurs
considérés215 comme étant actifs par Bioware qui correspondait à environ 1 million
d’individus. Par ailleurs, 57 millions de personnages avaient déjà été créés. Ces
chiffres apparaissent comme dérisoires à côté d’autres jeux plus populaires comme
World of Warcraft, qui la même année, dénombrait plus de 10 millions d’abonnés selon
le communiqué de presse officiel216 de Blizzard, le développeur du jeu. Si les jeux à la
mode changent, qu’ils perdent ou accueillent des joueurs au fil des extensions, que
certains disparaissent remplacés par d’autres, les jeux vidéo massivement multijoueur
n’en restent pas moins présents.

D’une part les jeux vidéo constituent un phénomène social. D’autre part, Star
Wars, en raison de l’ampleur qu’a pris cet univers dans la culture populaire, l’est aussi.
La Marche impériale de John Williams est utilisée aujourd’hui comme sonnerie de
téléphone, « Je suis ton père » fait sans doute partie des citations de films les plus
connues, on retrouve même Star Wars dans la publicité, prenons l’exemple de
Volkswagen en 2011 pour sa voiture Passat. Les hommages à Carrie Fisher, qui a
incarné le personnage de la princesse Leia, et qui est décédée en décembre 2016
témoigne de l’impact de Star Wars et de l’importance de cette communauté de fans.
Des veillées funèbres illuminées par des sabres laser217 aux cadeaux et fleurs laissés
à l’emplacement de son étoile sur Hollywood Boulevard, en passant par les hommages
de célébrités ou de personnes plus ordinaires218, la mort de l’actrice n’a pas laissé les
fans indifférents. Il serait possible d’énumérer encore longtemps les exemples mais
cela aurait peu d’intérêt.

Roger Caillois a opéré une classification des jeux. Il écrit dans Les jeux et les
hommes : « je propose […] une division en quatre rubriques principales selon que,
dans les jeux considérés, prédomine le rôle de la compétition, du hasard, du simulacre

215 Aucune information n’indique quels sont les critères utilisés par Bioware pour catégoriser un joueur
d’actif ou non -fréquence et temps de jeu…-.
216 https://blizzard.gamespress.com/fr/World-of-Warcraft#?tab=news
217 https://www.youtube.com/watch?v=MfmdZqyJNek
218 Notons les très nombreuses illustrations qui ont été créés pour lui rendre hommage et dont il est

possible d’avoir un aperçu via le lien ci-dessous :


https://creapills.com/artistes-hommage-carrie-fisher-20161228
177
ou du vertige. Je les appelle respectivement Agôn, Alea, Mimicry et Ilinx »219. Nous
avons évoqué précédemment les diverses activités possibles en jeu. Il s’avère qu’on
peut associer ces activités à des types de jeux définit par R. Caillois. Le mode « Joueur
contre Joueur », en particulier classé, renvoie indubitablement à l’agôn. Les joueurs
s’affrontent et sont récompensés en fonction de leur performance. L’enjeu est de
vaincre ses adversaires et au-delà de la victoire, pour reprendre les termes de R.
Caillois, de « voir reconnue son excellence »220. Certains joueurs s’entraînent avec
assiduité voire acharnement pour essayer d’atteindre le sommet. Si l’on se penche sur
l’aléa, sa manifestation la plus évidente dans le jeu est l’évènement estival des nuits
de Nar Shaddaa221. Pendant cette période, les joueurs tentent leur chance au casino
en dépensant leurs crédits, parfois une bonne partie de leur fortune, pour acheter des
jetons qu’ils utilisent dans les machines à sous. Chacun espère gagner des
récompenses plus ou moins rares. Les joueurs sont soumis au hasard et s’avèrent
être relativement passifs, ils appuient simplement sur la machine et attendent d’avoir
le verdict en fixant la roue qui tourne et en écoutant le bruit de la machine… Voici une
image extraite du jeu lors d’un gain important ; une boule à facette apparaît et des
confettis tombent du ciel au-dessus du personnage, ce qui est aussi visible pour les
autres joueurs présents à proximité :

219 CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, coll. folio essais,
1967, p. 47.
220 Ibidem, p. 52.
221 Nar Shaddaa est une lune dans l’univers Star Wars. Cette lune entièrement urbanisée est

particulièrement fréquentée par les contrebandiers et dans le jeu, elle comprend aussi plusieurs
secteurs dédiés aux jeux d’argent.
178
Le fait de jouer un personnage comme s’il s’agissait d’un individu à part entière
dissocié du joueur coïncide avec le jeu de rôle où l’imagination et la simulation sont au
cœur de l’activité. Le mimicry, c’est-à-dire la simulation, est donc aussi présent dans
ce jeu vidéo en ligne massivement multijoueur, comme dans beaucoup d’autres. La
dernière catégorie proposée par Caillois, l’ilinx, ou vertige, semble de prime abord
absente. L’activité de Star Wars The Old Republic qui pourrait être rangée dans la
catégorie de l’ilinx est le Galactic Starfighter. Le vertige n’est pas ressenti directement
par les mouvements physiques du corps puisque le joueur reste assis devant son
ordinateur. C’est par l’intermédiaire des mouvements du vaisseau qu’il contrôle que le
joueur va éprouver le vertige. Les mouvements échappatoires -boucles, tonneaux,
retournements…- ou les manœuvres d’évitement des obstacles créent des figures
acrobatiques susceptibles d’avoir un effet sur le joueur qui pilote. Ainsi, on retrouve
dans ce jeu vidéo des activités qui sont affiliées à des types de jeux différents, de telle
sorte qu’en fonction des intérêts des joueurs chacun puisse potentiellement y trouver
son compte. Cette somme d’activités variées contribue à étendre le public des joueurs
et faire de ce type de jeux un phénomène social.

179
Pour terminer, un dernier point doit être évoqué dans la continuité de notre
propos relatif au jeu vidéo comme phénomène social. Il s’agit d’avancer une hypothèse
explicative relative à son succès et liée au plaisir du joueur. Sébastien Genvo explique
que la réussite du personnage est souvent mise en avant au détriment de celle du
joueur. Il écrit que « de nombreux jeux consacrent en définitive non pas le joueur, mais
uniquement son avatar, lors d’une séquence « cinématique » (séquence filmique non
interactive) » 222 . Cette phrase est à nuancer. Tout d’abord, nous pouvons faire
remarquer que certaines cinématiques offrent la possibilité au joueur d’agir, nous
pouvons citer Mass Effect à titre d’exemple. Lors des cinématiques, il arrive qu’une
icône apparaisse et dont la couleur, bleu ou rouge, constitue un indicateur de réaction
possible du personnage. Le joueur a alors quelques instants pour cliquer ou non et
ainsi influencer la suite. Cependant, il ne s’agit pas là du point qui nous intéresse
véritablement. S’il est vrai que le héros ou l’héroïne mis en avant dans le scénario
proposé par le jeu est davantage le personnage que le joueur, le recours ces dernières
années quasiment systématique aux succès révèle l’importance qui est accordée aux
performances du joueur. Les succès sont obtenus lorsque le joueur a accompli les
prérequis indispensables pour les obtenir. La difficulté est variable, et les succès sont
plus ou moins présents en fonction des types jeux. Des succès peuvent permettre de
bénéficier d’une récompense en jeu, mais d’autres s’avèrent n’avoir aucun impact sur
le jeu en tant que tel, si ce n’est le prestige qu’ils apportent aux joueurs qui sont
parvenus à les obtenir. Or même dans le cas où les succès sont peu -ou pas- présents
et que c’est le personnage qui est sous le feu des projecteurs, la satisfaction du joueur
naît par procuration. R. Caillois évoque lui aussi ce type de plaisir « par l’intermédiaire
des héros de film ou de roman, ou, mieux encore, par l’entremise des personnages
réels et fraternels que sont vedettes et champions »223. Or le lien entre le personnage
et le joueur est particulier : on ne se contente pas de regarder le personnage, on
l’incarne. Son succès est le nôtre.

b.2. L’influence de Star Wars aux différents âges

222 GENVO Sébastien, « Le rôle de l'avatar dans la jouabilité d'une structure de jeu vidéo. »,
Adolescence, N° 69, 3/2009, p. 652.
223 CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, coll. Folio

essais, 1967, p. 238.


180
D’après La revue du Jouet, magazine principalement destinée aux
professionnels, les jouets Star Wars ont connu un immense succès depuis la sortie du
film de 2015. Cette année-là, Star Wars devient la deuxième licence de jouets vendus
en France 224 , elle passe première en 2016 225 et se maintient toujours en haut du
podium en 2017226. Afin d’éviter toute ambiguïté, je propose de définir le terme de
licence comme un univers de fiction (avec ses histoires, ses protagonistes, ses
particularités...) rattaché à des supports culturels tels que la littérature ou les dessins
animés, dont il est issu ou non, et qui existe sous d’autres formes, celles-ci matérielles,
comme les produits dérivés. En outre, les licences font partie intégrante du monde des
loisirs. Combien d’enfants ont joué avec des Lego Star Wars à Noël, se sont déguisés
en personnages issus de l’univers pour Carnaval ou Halloween, ou ont pris l’habitude
de regarder les dessins animés de cette licence qui passent à la télévision ? Il est
difficile de donner des chiffres, mais incontestablement, Star Wars est partout, de la
maison aux cours de récréation. Jacqueline Botterill et Stephen Kline écrivent au sujet
de Star Wars :

« Le film Star Wars, réalisé par George Lucas, a connu un énorme succès
mondial en 1977 et a inscrit un imaginaire futuriste dans la culture enfantine. [...] Star
Wars n’a pas seulement démontré que les films pour la jeunesse étaient en mesure
de toucher un public dans le monde entier, mais aussi que la vente des produits sous
licence associés à ces films pouvait les rendre fabuleusement lucratifs »227.

Cette licence connaît en effet un franc succès, qui ne se dément pas depuis plusieurs
décennies, chez les petits comme chez les plus grands et elle reste naturellement
présente de façon pérenne dans le magasin de jouets. Cet univers apparaît dans de
nombreux rayons, des Legos aux jeux de sociétés. Chaque élément appartenant à une
même licence accroît l’efficacité de l’ensemble. Ces éléments sont aussi

224 https://www.larevuedujouet.fr/article/le-marche-des-jeux-et-jouets-en-chiffres.51773
225 https://www.larevuedujouet.fr/article/le-marche-des-jeux-et-jouets-en-chiffres.52238
226 https://www.larevuedujouet.fr/article/le-marche-des-jeux-et-jouets-en-chiffres.52379
227 BOTTERILL Jacqueline, KINE Stephen, « Médias et marketing des jeux et jouets », BROUGÈRE

Gilles (dir.), La ronde des jeux et des jouets, Autrement, 2008, p. 125-126.
181
interdépendants. Ainsi pour pouvoir appréhender le succès d’une licence, il faut se
concentrer sur ses caractéristiques et non uniquement sur le jouet qui devient un
produit dérivé au sein d’un univers. Gilles Brougère, chercheur spécialiste des jeux et
jouets, explique que :

« [Les licences] s’imposent non seulement parce qu’elles sont liées à une
histoire ou parce qu’elles ont eu du succès, mais également parce qu’on les trouve
partout, jusque dans des endroits inattendus pour qui ne connaît pas nos mœurs : un
paquet de céréales, une paire de chaussettes, un cartable, un gobelet... » 228

Or il s’avère que Star Wars est une licence effectivement présente dès le plus jeune
âge et sur un ensemble considérable d’objets. Du siège auto au bavoir pour les plus
petits, en passant par le mobilier, puis aux sacs à main ou aux T-shirt pour adultes, on
retrouve des produits destinés à divers tranches d’âge et sexe. L’enjeu est de souligner
que Star Wars touche un large public. Gilles Pronovost, écrit dans Médias et pratiques
culturelles :

« La division sexuelle des intérêts et des pratiques prend souvent sa source


dans la consommation des médias, dans les habitudes de lecture, dans la forte
partition des loisirs entre les hommes et les femmes. Malgré l’importance des efforts
en matière de non-discrimination au travail et à l’école, il ne faudrait sous-estimer
l’ampleur de la division sexuelle de la culture [...] »229.

Les licences et les jouets sont des éléments de ce système, ils contribuent à son bon
fonctionnement. Il faut toutefois se garder de penser naïvement qu’ils sont les seuls
outils contribuant à sexuer ce qui nous entoure. En lien avec les questions de genre,
il est intéressant de souligner que Star Wars est une licence plutôt masculine mais
mixte. En effet, bien qu’elle soit plus populaire auprès des garçons et des hommes,
elle n’en demeure pas moins très présente chez les filles et les femmes. On peut

228 BROUGÈRE Gilles, « La ronde de la culture enfantine de masse », BROUGÈRE Gilles (dir.), La
ronde des jeux et des jouets, Autrement, 2008, p. 20.
229 PRONOVOST Gilles, Médias et pratiques culturelles, Presses universitaires de Grenoble, coll. La

communication en plus, 1996, p. 85 à 86.


182
d’ailleurs émettre l’hypothèse d’une volonté de mixité -qui augmente par ailleurs les
profits générés par la licence- assez récente. Depuis la sortie des derniers films où le
protagoniste principal est une héroïne, de nombreux produits dérivés visant un public
féminin, des poupées mannequins aux sacs à main, ont fait massivement leur
apparition. Si les films et les jeux vidéo tendent à attirer un public mixte, les produits
dérivés Star Wars ne le sont, quant à eux, pas toujours.

La socialisation primaire est celle qui concerne spécifiquement les plus jeunes,
des enfants aux adolescents. Il est important de signaler, comme le rappelle Muriel
Darmon, qu’il s’agit d’une socialisation « plurielle »230 avec de nombreux acteurs : la
famille, les proches plus largement, les camarades de classe… Les enfants sont donc
influencés par une socialisation verticale et horizontale. Ainsi, outre l’importance
médiatique de Star Wars, et le poids de cette industrie culturelle, les enfants vont aussi
être confrontés à leurs pairs : ceux qui auront un cartable Star Wars, ceux qui
regardent les dessins animés Clone Wars ou Rebels… Les adultes ne sont pas
complètement immunisés à leur environnement et subissent eux aussi des pressions
et des influences.

En ce qui concerne les jeux vidéo, il semble pertinent de faire remarquer que
de nombreux jeux Star Wars existent sur divers supports. En France, chaque jeu est
classé selon un système par âge, PEGI, qui donne des indications sur le contenu du
jeu et pour quelle catégorie de personnes il est adapté grâce à l’utilisation de
pictogrammes. Les jeux Lego Star Wars sont déconseillés au moins de sept ans, ils
s’avèrent donc tout à fait accessibles aux enfants. Inversement, les Star Wars
Battlefront qui sont des jeux de tirs et d’action centrés sur les affrontements ne sont
pas recommandés pour les joueurs de moins de seize ans. Par conséquent, les publics
cibles varient mais l’univers Star Wars demeure bien présent.

b.3. La question de l’addiction

230DARMON Muriel, La socialisation, Domaines et approches, Paris, Armand Colin, coll. 128, 2010,
p.44.
183
Lorsqu’un fan est aussi un joueur, la question de l’addiction peut se poser.
Ajoutons qu’il existe des joueurs qui consacrent beaucoup de temps aux jeux vidéo.
Dans l’optique de mieux comprendre les comportements des joueurs, et les échanges
qu’ils peuvent avoir, appréhender leurs pratiques est important. Les inquiétudes
relatives aux temps de jeu ne sont pas nouvelles aussi bien du côté des professionnels
que des familles. La question de l’addiction aux jeux a fait l’objet de nombreux écrits.
D’après Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste français membre de l'Académie
des technologies, et Philippe Gutton, lui aussi psychiatre et psychanalyste231, ce terme
n’est pas approprié pour les adolescents. D’une part assigner une telle image à des
adolescents n’est pas sans conséquences, cela effraie leurs proches. Ensuite, le
contrôle de l’impulsion est tardif chez les êtres humains et ne survient que vers l’âge
adulte232. Pour les auteurs associer « addiction » à des adolescents est donc absurde.
Enfin, lors de la crise d’adolescence, c’est aux parents d’intervenir et non aux
psychologues, et c’est à travers l’éducation et non grâce à un traitement médical qu’il
importe de venir en aide aux jeunes qui en ont besoin. L’idée d’addiction, notamment
aux jeux vidéo, chez les adolescents apparaît comme complexe, surtout au regard
d’autres discours.

En effet, le point de vue de S. Tisseron et P. Gutton n’est pas partagé par


Elizabeth Rossé-Brillaud, psychologue au centre médical Marmottan et auteure de
plusieurs articles dont « La figure de l'avatar dans la construction identitaire
contemporaine ». Elle y aborde la question de la « dépendance pathologique »233 à
travers l’analyse d’un de ses jeunes patients, Martin -qui est d’ailleurs le seul patient
qu’elle cite dans tout son article-. S’il me semble nécessaire de mentionner son travail,
c’est non seulement pour présenter l’existence d’autres positionnements sur ce sujet,
mais aussi dans le cas présent, pour revenir sur les propos qu’elle y tient. Avant toute
chose, il me semble bon de préciser qu’en aucun cas je ne nie l’existence de
problèmes d’addiction à des jeux vidéo de la part de certains joueurs, pas forcément

231 Philippe Gutton est par ailleurs docteur en Médecine, docteur en Psychologie et docteur en Lettres
et Sciences Humaines.
232 TISSERON Serge, GUTTON Philippe, « Débat : jeunes joueurs excessifs », Adolescence, N°69,

3/2009, p. 587 à 589.


233 ROSSE-BRILLAUD Elizabeth, « La figure de l'avatar dans la construction identitaire contemporaine.

», Adolescence, N° 69, 3/2009, p. 611.


184
jeunes. Je ne conteste pas non plus les conséquences que cela peut avoir sur leur vie
et celles de leurs proches. Néanmoins, à la lecture de cet article, je m’interroge sur le
fait que son auteur ait déjà joué à un jeu vidéo pour tenir des propos si éloignés de la
réalité. Par exemple, elle écrit que dans le jeu s’opère un « effacement de soi au profit
du collectif »234, or si des activités nécessitent une cohésion et un travail de groupe,
jamais le joueur ne disparaît comme absorbé par la communauté. Au contraire, l’avatar
est personnalisé, même dans les affrontements en zone de guerre où deux groupes
combattent, les performances individuelles sont affichées en fin de partie… De plus,
elle explique que les jeunes cherchent à obtenir un statut de consommateur, en
l’occurrence de jeu dans le cas présent, pour acquérir un statut, comme les adultes en
possèdent grâce au travail 235 . Ainsi, elle ne reconnaît pas à la jeunesse le statut
d’élève ou d’étudiant, qu’elle ne mentionne même pas. Sa méconnaissance du monde
virtuel transparaît aussi lorsqu’elle affirme que les jeux vidéo offre l’instantanéité de la
récompense contrairement au monde dit « réel » qui « implique l’attente et une part
d’imprévisibilité ».

Reprenons l’exemple du mode « Joueur contre Joueur classé », les joueurs


s’affrontent pendant toute une saison, qui dure plusieurs mois, et cherchent à gagner
un maximum de matchs pour monter en haut du classement, au risque, s’ils perdent
de perdre des places. Ils ignorent à chaque début de match quels sont les joueurs
qu’ils vont affronter, s’ils vont gagner, et même, si c’est en début de saison, quelles
seront les récompenses qu’ils pourraient obtenir. Cet exemple illustre le fait que dans
certaines activités, et pas des moindres, l’attente et l’imprévisibilité soient aussi de
mise dans les jeux vidéo. Par ailleurs, je pense qu’elle n’insiste pas non plus assez sur
le fait que les cas extrêmes qu’elle affirme rencontrer représente une infime minorité.
Elle mentionne des joueurs ne pratiquant « plus de sport », n’ayant pas une
« alimentation équilibrée », mais se caractérisant par un « sommeil perturbé » et un
« manque d’hygiène »236. Ce portrait est inquiétant, et le fait que l’auteur ne prenne
pas la peine d’expliquer qu’il s’agit de cas extrêmes et non représentatifs des joueurs
adolescents est problématique. Non seulement cela témoigne d’une absence de

234 Ibidem, p. 617.


235 Ibidem, p. 615.
236 Ibidem, p. 618.

185
rigueur, mais c’est aussi dangereux dans le sens où cela alimente les craintes en
mésinformant le lecteur.

Ces deux positionnements de professionnels appartenant au monde de la santé


-psychologique et psychiatrique- donnent une image d’une partie des discours que l’on
retrouve au sein de la société. Les préjugés auxquels on peut être confrontés sont
encore importants et la question de l’addiction suscite parfois de vraies craintes pour
les familles des joueurs. Il existe bien une idée reçue mettant en avant les jeux vidéo
comme étant néfastes pour les jeunes -puisque les autres tranches d’âge sont ignorés-
car ils agiraient comme des drogues qui isoleraient les individus. Or, lorsqu’il ne s’agit
pas -et c’est la plupart du temps le cas- d’un réel problème d’addiction mais
simplement d’un temps de jeu plus important, les interactions entre les joueurs vont
en être affectés de différentes manières. Un joueur qui pendant ses vacances, un arrêt
de travail en raison d’une blessure ou un congé maternité décide de consacrer plus de
temps en jeu va potentiellement interagir avec davantage d’autres joueurs. Il est aussi
possible qu’il progresse en termes de niveau et soit ensuite à même d’aider ses
proches en jeu qui y consacrent moins de temps. Ajoutons que si le joueur fait partie
d’une guilde, elle va acquérir plus de visibilité : voir régulièrement le même nom de
guilde peut favoriser sa reconnaissance par les autres joueurs, aider au recrutement…
Le temps de jeu a une influence non négligeable sur les échanges entre les joueurs.

Claudie Voisenat évoque dans son article « Comment peut-on être un troll? »
le point de vue adopté par une partie de la population qui envisage le jeu comme
violent et immoral, à l'origine de dérives telle que l'addiction, le jeu étant dès lors perçu
comme une drogue. Pour l'auteur, cette vision du jeu vidéo est bien entendu excessive,
leurs effets sont exagérés et quelques rares cas sont généralisés. Selon elle, c'est la
gestion du temps de jeu qui est au cœur du problème, associée à une méconnaissance
de la part des non-joueurs ayant une vision stéréotypée des joueurs, « au mieux,
quelqu'un qui perd son temps avec un jeu « débile », au pis, un fou qui se prend pour
un elfe »237. L'idée erronée que le jeu isole socialement l'individu est aussi un motif de

237VOISENAT Claudie, « Comment peut-on être troll ? Le joueur et ses personnages dans l’univers de
World of Warcraft », Terrain, n° 52, 2009, p. 126 à 141.
https://journals.openedition.org/terrain/13619
186
rejet du jeu vidéo. En réalité, il permet souvent de créer un nouveau réseau de
sociabilité et de rencontrer de nouvelles personnes, pas uniquement dans le monde
virtuel.

Les questions relatives à la santé de l'individu adepte de l'univers virtuel et des


jeux vidéo ne se pose pas qu'en France. L'émergence de nouveaux comportements
issus de l'utilisation de ces technologies s'illustre avec le cas des geeks américains ou
des otaku au Japon. Un otaku est un individu ayant pour centres d’intérêt l’informatique
et les jeux vidéo, les animes238, les mangas, dont il collectionne souvent les figurines
et autres produits dérivés. Sa vie sociale est principalement virtuelle. Les otaku
s’isolent donc de la société japonaise, tout en faisant partie intégrante d’un réseau,
grâce aux nouveaux moyens de communication, surtout Internet, composé d’autres
otaku. L’origine de ce phénomène serait un sentiment de mal-être chez des individus
vulnérables. Ainsi, les otaku s’enferment dans un univers, sorte de refuge, qui est le
leur. Un refus des règles qui codifient les interactions sociales les distingue aussi. Ce
phénomène, majoritairement masculin, serait lié à l'anxiété face aux pressions sociales
et familiales, à l'angoisse de la concurrence, la défiance envers les adultes et une sorte
de syndrome de Peter Pan allié à un manque de confiance en soi. Selon Nicolas Oliveri
qui a étudié ce phénomène, « le repli hors du cadre familial, scolaire ou professionnel
social provoque chez de nombreux jeunes Japonais une rupture de liens
communicationnels avec leur environnement physique proche. La reconquête d'une
sociabilité s'opère par la suite, à travers la connexion continue et perpétuelle au
réseau »239. L'auteur met d'ailleurs l'accent sur le fait que les relations qu'entretiennent
les otaku avec les autres n’existent que par l’intermédiaire des technologies, par
conséquent, en ce qui concerne la sexualité, il s’agit de cyber-sexe. De nombreux
produits qui y sont liés sont proposés aux otaku. Ils sont variés et à caractère érotique
ou pornographique. Il ne faut pas oublier toutefois que les otaku ont une autre forme
de socialisation par le biais du cyberespace. Ils font partie de communautés virtuelles
ayant des valeurs communes, une identité partagée... L'identité de l'otaku peut devenir
plurielle comme le souligne Nicolas Oliveri, « la culture numérique propose à l'otaku la

Il s’agit des films d’animation japonais.


238

OLIVERI Nicolas, « Le phénomène japonais otaku », Communication et langages, N°151, 2007, p.


239

100.
187
possibilité infinie d'être ici et ailleurs, d'être quelqu'un puis un autre. Le risque de
confrontation est ainsi écarté, au profit d'une multiplication des identités » 240 . Le
phénomène extrême est celui des hikikomori241 qui s’enferment chez eux et n’ont plus
aucun contact avec le monde extérieur, sauf via le cyberespace. De nos jours, les
otaku, comme les geeks, n’ont plus le côté négatif qu’ils avaient il y a encore quelques
années en France, et ils sont même plutôt à la mode -une chaîne télévisée a
récemment été lancée, qui s’appelle Nolife et s’adresse aux adeptes de la culture
populaire japonaise en diffusant des clips asiatiques, des programmes sur les jeux
vidéo, des reportages lors de conventions...-. Le terme otaku n’est pas usité pour un
simple lecteur assidu de manga, mais pour des personnes qui collectionnent aussi des
produits dérivés, assistent aux conventions, apprécient les jeux vidéo... Le degré
auquel la passion est vécue est en revanche peut-être moindre en France qu’au Japon,
et la socialisation plus importante. Enfin, si les individus connaissent le terme japonais,
ils connaissent aussi sa signification et l’employer pour des cas français quelques peu
différents n’est pas une « interprétation erronée » mais la marque de l’appropriation
d’un concept étranger apporté par la globalisation culturelle et la mondialisation 242.
Pour résumer, un otaku est un individu immergé dans une sous-culture caractérisée
par la place importante des mangas et films d’animation japonais, des jeux vidéo, de
l’informatique et des nouvelles technologies -surtout de communication-, ainsi qu’une
tendance à la collection des objets liés à cet univers. Il existe un immense fossé entre
une personne qui va être considéré comme otaku parce qu’elle entre dans la définition
que nous avons donnée tout en ayant à côté une vie sociale active, une activité
scolaire ou professionnelle, des occupations à l’extérieur, et un individu qui va
s’enfermer dans sa passion et son domicile s’éloignant de tout ce qui l’entoure pour
intégrer le cyberespace. Il existe en quelque sorte plusieurs niveaux. Tout otaku n’est
donc pas quelqu’un qui souffre d’un mal-être et qui cherche à s’extraire de son
environnement pour fuir son malheur et trouver satisfaction grâce à sa passion. Il n’en

240 Ibidem p. 100.


241 Au niveau linguistique, otaku est composé du kanji 宅, qui signifie « l’intérieur de la maison », auquel
est préposée la particule honorifique お. Hikikomori s’écrit 引き蘢 avec le kanji 引 qui signifie « se
retirer » et 蘢 veut dire « se cacher ».
242 Sur ce sujet plusieurs articles sont très intéressants, dont celui de Koichi Iwabuchi « Au-delà du «

Cool Japan », la globalisation culturelle », ainsi que celui de Jean-Marie Bouissou, « Pourquoi aimons-
nous le manga ? Une approche économique du soft power japonais ».
188
est pas de même pour les hikikomori. Ce phénomène est réellement symptomatique
de problèmes psychologiques, et effectivement un soutien est nécessaire. Ces deux
phénomènes font partie de la sous-culture populaire japonaise partagée par un
ensemble d’individus ayant des passions, des valeurs, des modes de vie communs.

Sur Swtor, différents types de joueurs se côtoient, certains sont des casual243,
d’autres au contraire des hardcore gamer. Mais si les parents se font parfois du souci
pour leurs enfants adeptes des jeux vidéo, ils ne sont pas les seuls à les voir d’un
mauvais œil. La perception du temps de jeu diffère grandement selon les individus, et
entre les joueurs et non joueurs. Au cours de mon travail, j’ai pu remarquer qu’il existait
une part non négligeable de femmes qui estiment que leurs compagnons consacrent
trop de temps aux jeux vidéo en ligne, ce qui peut être l’objet de conflits, voire de
rupture ou encore de diminution ou d’arrêt du jeu -temporaire ou définitif-. Le cas
d’Iragaël illustre parfaitement notre propos. Le jeu a été l’objet de vives disputes avec
son épouse, qu’on pouvait ponctuellement entendre exprimer son mécontentement à
travers des cris lorsqu’il était sur un vocal. Elle a d’ailleurs profité d’une de ses
absences pour lui supprimer ses personnages en secret. Bien que cela puisse paraître
anecdotique, l’épouse de ce joueur le considérait comme « accro » alors que lui n’était
pas d’accord et ne souhaitait pas réduire son temps de jeu, ce qui a engendré des
problèmes au sein de leur couple. Ainsi certains adultes aussi consacrent trop de
temps aux jeux selon leurs proches. Le temps et la fréquence de jeu sont des éléments
qui permettent de distinguer les joueurs, tout comme le type d’activité qui les intéresse
et qu’ils pratiquent. Pour reprendre J. Huizinga, « tout jeu peut à tout moment absorber
entièrement le joueur »244, il en est de même pour les jeux vidéo. Un joueur peut jouer
de manière intensive par période ou être focalisé par le jeu parce qu’il s’y plaît, cela
ne signifie par pour autant qu’il développe une addiction ou qu’il en souffre.

c) Genre et socialisation dans Swtor

c.1. Des activités genrées : aux hommes les armes, aux femmes la couture

243 Un joueur dit « casual » est un joueur qui ne joue qu'occasionnellement.


244 HUIZINGA Johan, Homo ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, Paris, 2017, p. 25.
189
Les armes sont fondamentales, elles ont une utilité concrète puisqu’elles sont
indispensables en jeu afin d’utiliser des compétences nécessaires au combat. L’arme
est aussi importante dans les scénarios, l’inquisiteur reçoit son sabre de son nouveau
maître puis il récupère celui de son ancêtre, obtenant ainsi son héritage retrouvé. Dans
Swtor, les Jedis confectionnent leur sabre laser, dernière épreuve qui achève leur
épreuve initiatique. Le sabre laser est l’arme des utilisateurs de la Force, quelles que
soient leur affiliation, alignement et style de combat 245 . Le type du sabre laser, la
couleur de son cristal ne sont d’ailleurs pas qu’esthétiques, ils ont une importance dans
l’univers mais dans le jeu, chacun est libre de choisir la couleur qu’il veut. Ainsi, les
Siths ont tendance à utiliser des cristaux rouges, les Jedis dits consulaires dans le jeu,
c’est-à-dire ceux qui privilégient l’usage de la Force plutôt que le sabre, des verts et
les chevaliers, préférant les combats armés au recours à la Force, des bleus.
Toutefois, le lien entre les non-utilisateurs de la Force et leur arme n’est pas à négliger.
Un compagnon du contrebandier par exemple est très attaché à ses blasters auxquels
il a d’ailleurs donné des noms.

Comme nous venons de l’expliquer les armes occupent une place importante,
elles peuvent être confectionnées par le joueur s’il décide d’apprendre les métiers qui
le permettent. Sur les quatorze compétences d’équipage, si l’on compare le sexe des
personnages non jouables qui peuvent les enseigner sur les Flottes des deux factions,
on peut en dénombrer sept qui ne sont pas mixtes. Parmi elles, une seule est
uniquement féminine : le synthétissage. Il s’agit de la confection des armures en tissu,
c’est-à-dire de la couture. Ajoutons à cela que la confection des armes est le domaine
exclusif des hommes qu’il s’agisse d’armes pour utilisateurs ou non, à distance ou au
corps à corps. La chasse au trésor et le commerce illégal sont aussi uniquement
représentés par des hommes, peut-être en raison d’une image de pirate de l’espace
plutôt masculine. Par conséquent, les stéréotypes sexués sont bien présents dans la
répartition des activités selon le sexe.

245 Certains privilégient des sabres doubles par exemple.


190
Cette division sexuée des activités rencontrées en jeu ne doit pas être négligée.
Paola Tabet dans son article « Les Mains, les outils, les armes » estime que :

« la division du travail n'est pas neutre, mais orientée et asymétrique, même


dans les sociétés prétendument égalitaires ; qu'il s'agit d'une relation non pas de
réciprocité ou de complémentarité mais de domination ; que cette domination se
manifeste objectivement et que des constantes générales régissent la répartition des
tâches, qui reflètent les rapports de classe entre les deux sexes »246

Elle s’intéresse non seulement à la division du travail en fonction du sexe mais aussi
à l’utilisation des outils. A travers des exemples de différentes activités -chasse, pêche,
cueillette… - et sociétés provenant de plusieurs régions du monde, Paola Tabet met
en évidence le monopole des hommes sur les outils et les armes. Elle rappelle que le
tissage fait partie des « activités principalement féminines »247, comme la poterie par
exemple. Pour l’auteur, « le contrôle par les hommes de la production et de l'emploi
des outils et des armes est confirmé comme étant la condition nécessaire de leur
pouvoir sur les femmes, basé à la fois sur la violence (monopole masculin des armes)
et sur le sous-équipement des femmes (monopole masculin des outils) »248. Prendre
en compte ces aspects est indispensable puisque nous retrouvons dans Swtor cette
même division sexuée des rôles. Cette division reflète et influence notre société.

Dans les paragraphes précédents, nous avons souligné l’existence de


stéréotypes sexués relatifs aux rôles qui sont véhiculés par le jeu. Il est très important
de mentionner l’étude menée par Rosanna E.Guadagno, Nicole L. Muscanell, Bradley
M. Okdie, Nanci M. Burk et Thomas B. Ward. Dans leur article « Even in virtual
environments women shop and men build: A social role perspective on Second Life
»249, ils soulignent que les joueurs et joueuses adoptent des comportements différents
et sexués qui correspondent au modèle du rôle social développé par Alice Eagly. Les

246 TABET Paola, « Les Mains, les outils, les armes », L'Homme, Tome 19, N°3-4, 1979, p.10.
247 Ibidem, p 42.
248 Ibidem, p. 50.
249 GUADAGNO Rosanna E., MUSCANELL Nicole L., OKDIE Bradley M., BURK Nanci M., WARD

Thomas B., « Even in virtual environments women shop and men build: A social role perspective on
Second Life », Computers in Human Behavior, N°27, 2011, p. 304 à 308.
191
auteurs constatent que les hommes choisissent davantage d’incarner des
personnages non humains ou du sexe opposé par exemple, mais surtout sont
nombreux à construire des choses dans le jeu. Ils sont 76,2% des joueurs de
l’échantillon ayant participé à l’enquête à s’adonner à cette activité contre seulement
56,9% de femmes250. Les femmes, quant à elles, cherchent les interactions sociales
et apprécient de faire du shopping ainsi que de modifier leur personnage. Elles sont
49,3% à s’amuser à changer l’apparence de leur personnage alors que les hommes
ne sont que 23,1% à faire de même251. Ainsi, « individuals behave in ways consistent
with traditional genre role expectations, even in non-traditional settings such as a
virtual world » 252 . Par ailleurs, les individus interrogés lors cette étude ont choisi,
comme activités en jeu leur procurant une certaine satisfaction, des activités
traditionnellement sexuées qui correspondaient à leur sexe. Par conséquent, comme
les auteurs l’expriment très bien, « even when men and women have the freedoom to
behave in a manner that is inconsistent from societal-based expectations for gendered
behavior, men and women still appear to choose to behave in ways that confirm theses
expectations »253. De fait, nous pouvons supposer que l’environnement sexué dans
Swtor renforce cette tendance à s’orienter, y compris dans le monde virtuel, vers des
rôles qui sont d’ordinaire associés à son identité genrée.

Alice H. Eagly et Wendy Wood dans leur article « Social Role Theory »
expliquent que les rôles genrés semblent refléter des attributs innés sexués et sont
perçus comme inévitables. Le processus de socialisation intervient pour préparer les
individus à intégrer leur rôle. Les stéréotypes genrés influencent donc les
comportements, et les attentes sociales jouent un rôle important dans ce processus.
Les chercheuses développent l’idée que « men, more than women, are thought to be
agentic – that is, masterful, assertive, competitive, and dominant. Women, more than
men, are thought to be communal – that is, friendly, unselfish, concerned with others,
and emotionally expressive » 254 . Une division sexuée des tâches et du travail est

250 Ibidem, p. 306.


251 Ibidem, p. 306.
252 Ibidem, p. 307.
253 Ibidem, p. 307.
254 EAGLY Alice H., WOOD Wendy, « Social Role Theory », Handbook of Theories of Social

Psychology, SAGE Publications Ltd, 2011, p. 462.


192
corrélée à ces rôles genrés et aux caractéristiques supposées des individus en
fonction de leur sexe. Par conséquent, ils intérioriseraient leur rôle comme faisant
partie intégrante de leur identité et contrôleraient leur attitude pour y correspondre au
mieux. Or c’est bien ce point qui nous intéresse dans le cadre de l’étude de Swtor.
D’une part le jeu véhicule cette division sexuée des tâches avec l’exemple cité
précédemment. Certes, il est possible de jouer des combattantes et plusieurs figures
de femmes fortes et au pouvoir sont présentes dans le jeu. Néanmoins, lorsqu’on
s’intéresse à l’artisanat, il s’agit uniquement de personnages féminins sur les Flottes
qui peuvent enseigner la couture et de personnages masculins qui eux peuvent
apprendre au personnage du joueur la confection d’armes. Ce modèle peut avoir une
incidence sur le joueur. D’autre part, à partir du moment où le joueur a intériorisé cette
idée d’une association entre un sexe et une tâche spécifique, qu’il l’a intégrée, il pourra
aussi avoir tendance à la reproduire dans le monde virtuel. Retrouver ce modèle dans
le jeu pourrait renforcer l’image qu’il a de ces rôles genrés.

c.2. Des dualités au féminin et au masculin

En établissant une comparaison 255 , on observe que l’Empire est associé à


l’obscurité et à la masculinité alors qu’au contraire, la République est rattachée à la
lumière et à la féminité. L’Empereur est un homme et le Chancelier Suprême, dirigeant
politique de la République, est Saresh une femme Twi’lek. Les militaires les plus hauts
gradés de l’Empire sont des hommes comme le Moff Pyron, le Moff Rakton, le Moff
Kilran… Or, le général Garza qui est l’interlocuteur privilégié dans la quête du soldat
républicain est une femme. Concernant les utilisateurs de la Force, on dénombre une
douzaine de Siths faisant partie du Conseil Noir, or il n’y a qu’une seule femme qui en
fait partie 256 . Le Conseil Jedi est plus mixte, d’une part parce qu’il comporte
proportionnellement plus de femmes même si elles sont tout de même minoritaires

255Comparaison établie au moment de la sortie de l'extension de Knights of the Fallen Empire, en 2016.
256Les membres du Conseil Noir sont Dark Marr, Dark Vengean, Dark Thanaton, Dark Ravage, Dark
Baras, Dark Arkous, Dark Mortis, Dark Archaron, Dark Vowramwn, Dark Decemus, Dark Hadra et enfin
Dark Acina, la seule femme. Dans la quête de l’inquisiteur Sith, le personnage remplace Dark Thanaton
au Conseil Noir à la fin de sa quête de classe, quel que soit son sexe.
193
mais surtout parce qu’il est dirigé par une femme, Satele Shan. On retrouve plus de
mixité parmi les chasseurs de primes, les contrebandiers et les Mandaloriens.

Les femmes sont globalement sous-représentées, en comptabilisant 257 le


nombre de personnages non joueurs sur les deux Flottes, on obtient 63% d’hommes
pour 37% de femmes. Cette proportion est quasiment toujours la même dans les
différents endroits des Flottes, les vendeurs d’équipement de zone de guerre sont
respectivement 62% d’hommes pour 38% de femmes, ceux pour les opérations ou les
autres activités dans lesquelles le joueur affronte l’environnement, 69% d’hommes
pour 31% de femmes et enfin, concernant les instructeurs de compétences
d’équipage, 68% d’hommes pour 32% de femmes. Elles sont davantage présentes
dans la faction républicaine qu’impériale mais restent minoritaires. Cette sous-
représentation des personnages féminins n’est pas propre à Star Wars the Old
Republic. Monica K. Miller et Alicia Summers ont travaillé sur les différences genrées
dans les jeux vidéo et elles confirment que « male characters far outnumber female
characters in video games »258. Lorsqu’il n’est pas possible de choisir le sexe de son
personnage, le personnage jouable est le plus souvent de sexe masculin, sans doute
en raison du fait que le public destinataire est avant tout masculin. Malgré tout, les
personnages secondaires non jouables sont aussi davantage des hommes que des
femmes. Ces deux chercheuses ont étudié 49 jeux vidéo à travers différents
magazines, elles ont comptabilisé 282 personnages de sexe masculin pour 53
personnages de sexe féminin, soit « 1 female for every 5.3 male characters »259.

Sur la thématique de l’alignement, il importe de s’intéresser aux vendeurs sur


la Flotte impériale comme républicaine qui proposent des objets nécessitant un
alignement pour être utilisés par le personnage. Il s’avère qu’ils sont systématiquement
de sexe féminin pour le côté lumineux et masculin pour le côté obscur. Considérant
que les femmes sont peu nombreuses, leur association à une activité, comme nous
l’avons mentionné précédemment avec le synthétissage, ou à un alignement s’en

257 Le compte a été effectué pendant l'été 2016.


258 MILLER Monica K., SUMMERS Alicia, « Gender differences in video game characters’ roles,
appearances, and attire as portrayed in video game magazines », Sex Roles, N°57, 2007, p. 735.
259 Ibidem, p. 737.

194
trouve renforcée et beaucoup plus visible. Par ailleurs, la plupart des « méchants »
sont de sexe masculin. En laissant de côté les scénarios de classe et les quêtes
annexes, et donc en se concentrant uniquement sur les principaux ennemis des
extensions : Darok et Arkous, Dark Revan, l’Empereur ou Valkorion, Arcann même s’il
est accompagné de sa sœur Vaylin, les Maîtres d’Effrois, composés de six membres
dont une seule femme… Les hommes représentent une majorité écrasante. Il est
intéressant de signaler que d’après nos observations, les joueuses ont tendance à
privilégier des personnages au sein de la faction républicaine.

c.3. Une diffusion de stéréotypes genrés auprès des joueurs ?

Si l’opposition entre les sexes biologiques nous semble universelle, les


différences sociales qui découlent de systèmes de représentations de ces sexes ainsi
que les rapports de domination entre eux apparaissent davantage comme étant
culturels. Le raisonnement en termes de genre nous aide à comprendre notre société,
et à l’envisager avec un regard différent.

Par genre j’entends « le rapport social divisant l’humanité en deux sexes


distincts et hiérarchiquement articulés en dehors desquels il semble que rien ne puisse
exister » selon la définition proposée dans le manuel Introduction aux études sur le
genre260. Il est important de ne pas confondre le genre et le sexe, et de rappeler que
« le genre révèle une logique globale qui organise la société, jusque dans ses
moindres recoins. Il ne se contente pas de désigner une appartenance à un groupe de
sexe » 261 . Notre société est marquée par cette distinction qui touche de multiples
domaines -professionnel, familial...-. Les acteurs, qui dans un même temps la
subissent, n’en sont pas nécessairement conscients. Cependant, elle est
omniprésente et joue un rôle majeur dans notre société. L’apparence, le type d’activité,
de métier, le rôle au sein de la famille sont autant d’éléments qui varient
potentiellement selon le sexe de l’individu. Il ne s’agit pas de stigmatiser ou de tomber
dans un certain nombre de stéréotypes mais plutôt de mettre en évidence l’existence

260 BERENI Laure, CHAUVIN Sébastien, JAUNAIT Alexandre, REVILLARD Anne, Introduction aux
études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, coll. Ouvertures politiques, 2012, p. 54.
261 CLAIR Isabelle, Sociologie du genre, Paris, Armand Colin, coll. 128, France, 2012, p. 9.

195
de modèles genrés intégrés dans une mesure variable selon les individus,
volontairement ou non, consciemment ou non. C’est donc par la socialisation que
lʼindividu s’imprègne et véhicule, les normes de genre et les valeurs qui y sont
rattachées. Les jeux vidéo y participent dans le sens où ils diffusent un contenu
potentiellement genré. Ajoutons que leur succès renforce leur importance dans ce
phénomène.

Comme nous l'avons vu la place des femmes dans le jeu est assez inégalitaire
et la vision du genre relativement stéréotypée. Certes, des femmes accèdent à des
positions élevées, mais surtout dans la faction républicaine. Ces femmes renvoient
d’ailleurs à des figures maternelles, même si toutes ne sont pas des mères et que
celles qui le sont ne sont pas forcément des mères modèles, nous pouvons mentionner
Satele Shan à titre d’exemple. On retrouve des femmes dans l'armée ou dans les
agences d'espionnage mais quand on se penche sur le sexe des instructeurs des
métiers de confection, on constate la dichotomie nette entre les activités féminines et
les activités masculines. La couture pour les femmes, les armes pour les hommes, à
chaque sexe un rôle. Considérant que « les représentations et les stéréotypes
influencent notre conception du monde, notre vision de soi et des autres »262, il importe
de s'en méfier. Les stéréotypes contribuent à discriminer les individus en les
cantonnant à des rôles sociaux et à des activités selon leur sexe. De plus, les femmes
apparaissent davantage comme des victimes dans leur vie sentimentale. Les
personnages féminins en fonction de leur classe, peuvent subir la trahison de leur
compagnon ou être rejetées par un homme, dans un contexte où elles ont
paradoxalement moins de partenaires possibles alors que les hommes sont plus
nombreux que les femmes. Sur l'ensemble des quarante partenaires, on dénombre
trois droïdes. Deux d'entre eux sont plutôt masculins et le dernier, Scorpion, est
féminin. Son apparence, en particulier sa morphologie féminine avec une poitrine, ne
laisse aucun doute sur le sujet. Concernant les partenaires restants, toutes espèces
confondues, il n'y a que onze partenaires de sexe féminin pour vingt-six de sexe
masculin, soit, en laissant les droïdes de côté, 30% de femmes pour 70% d'hommes.

262HOEBEKE Stéphane, Sexe et stéréotypes dans les médias, L’Harmattan, coll. Communication et
Civilisation, 2008, p. 149.
196
Il est ainsi possible pour un personnage masculin d'avoir une romance avec n'importe
quel partenaire féminin -en fonction de sa classe bien entendu-. Certes, parmi ces 70%
de partenaires masculins, on rencontre de nombreux aliens non humanoïdes, avec
lesquels le joueur ne souhaiterait pas forcément que son personnage ait une relation
sentimentale. Toutefois, nous pouvons souligner que dans d'autres jeux du même
développeur comme Mass Effect, cette possibilité est tout de même offerte au joueur
et que par ailleurs, il aurait été possible d'en faire aussi de sexe féminin, ce qui n'est
pas le cas.

La plupart des tenues sont mixtes, et voient leur apparence quelque peu
modifiée pour s'adapter au sexe du personnage, par exemple l'ajout d'un bandeau
pour dissimuler une poitrine féminine sur un haut. Cependant, dans certains jeux la
modification d'une même tenue pour s'adapter au sexe du personnage consiste à en
proposer une version dénudée et hypersexualisée destinée au personnage féminin,
comme le souligne C. Voisenat au sujet de World of Warcarft, « la même armure en
plaques qui couvre entièrement le guerrier et ne laisse pas un coin de peau visible
peut en revanche dénuder outrageusement la guerrière »263, nous avons pu observer
ce phénomène dans Guild Wars 2. Il est possible de mettre des tenues plutôt féminines
à un personnage masculin, voire de le travestir, et inversement, de masculiniser un
personnage féminin en jouant sur son apparence. Toutefois, certaines tenues sont
réservées exclusivement à un sexe. Le problème qui se pose est l'absence
d'équivalence pour certaines d'entre elles, comme la tenue d'esclave ou les tenues de
danseuse. Toutes ces tenues sont particulièrement dénudées et non seulement elles
ne peuvent pas être portées par un personnage masculin, mais en plus, aucune tenue
du même genre n'existe pour eux. De nombreuses tenues en jeu sont inspirées de
celles du film, et les suivantes sont assez semblables à celle que porte la Princesse
Leïa dans l’épisode VI lorsqu’elle est captive d’un Hutt. Voici des exemples de tenues
de ce type :

263VOISENAT Claudie, « Comment peut-on être troll ? Le joueur et ses personnages dans l’univers de
World of Warcraft », Terrain, n° 52, 2009, p. 126 à 141.
https://journals.openedition.org/terrain/13619
197
Or, on rencontre pléthore d'esclaves de sexe féminin comme masculin sur Nar
Shaddaa par exemple -bien que les esclaves femmes soient en surnombre
comparativement aux hommes-. Néanmoins, s'il est possible d'habiller son
personnage féminin -ou un partenaire féminin- en sous-vêtements libidineux
comportant davantage de dorures que de tissu, il est impossible d'en faire de même
avec un personnage -ou partenaire- du sexe masculin. Á mon sens, l'absence d'une
tenue équivalente masculine tend à véhiculer une image de femme-objet et constitue
en soi une preuve de l'inégalité homme/femme qui apparaît dans le jeu lui-même.

L. Trémel avait lui aussi rappelé dans son article « Jeux vidéo sexués » 264
qu’étant destinés principalement à un jeune public masculin, ils constituaient un
vecteur de socialisation de normes sociales sexuées et de stéréotypes. Les clichés
sexistes ne sont pas inconnus des jeux vidéo. Il est fréquent que les femmes présentes
dans le jeu soient placées au second plan… Notons à ce sujet qu’une des
protagonistes non jouables dans Swtor, une jeune femme dénommée Mako, répète
très régulièrement : « je ne suis pas un faire-valoir, je sais me battre ». L’apparence
des personnages féminins est un aspect parmi d’autres qui diffuse des normes et qui
peut être sexiste. En effet, elle renvoie à « une image de la femme très normative,

264 TREMEL Laurent, « Jeux vidéo sexués », ERES, L’école des parents, N°593, 6/2011, p.53 à 53.
198
renforcée, dans les jeux vidéo les plus récents en 3D par des modélisations du corps
conformes aux canons de beauté occidentale contemporaine »265.

Dans leur article, « The embodiment of sexualized virtual selves: The Proteus
effect and experiences of self-objectification via avatars »266, Jeremy N. Bailenson,
Jess Fox et Liz Tricase abordent le thème de l’hypersexualisation des personnages
féminins dans les jeux vidéo et de ses conséquences. Ils utilisent le concept d’effet
Proteus élaboré par Yee et Bailenson selon lequel l’incarnation du personnage joue
un rôle sur la perception du monde aussi bien virtuel que réel. Ils mettent en évidence
le fait que le réalisme associé à l'incarnation du personnage, son apparence et son
comportement, ainsi que les interactions sociales possibles auraient un effet potentiel
sur les croyances, les attitudes et les comportements du joueur même en dehors du
jeu. L'hypersexualisation des personnages féminins aurait un effet négatif concernant
la façon dont les femmes sont perçues, aussi bien par les joueurs, que par les joueuses
elles-mêmes. Elles ont le sentiment d'être perçues uniquement pour leur corps et non
en tant que personne, elles finissent par intégrer cette vision des femmes et se
focalisent sur leur apparence. Des conséquences plus graves surviennent parfois tels
que des troubles alimentaires ou des dépressions. En raison de l’effet Proteus, le
joueur intériorise tout ce qui définit son personnage et s’attend à être traité en fonction
du personnage incarné, de son identité, son apparence etc… Dans le cas d'une femme
ayant un personnage hypersexualisé, elle va s’attendre à être traitée comme un objet,
selon les auteurs. Les conséquences psychologiques tout comme physiques sont non
négligeables et il est donc primordial en raison de la popularité croissante qu’ont les
jeux vidéo surtout auprès des jeunes, y compris des filles, de réfléchir aux
conséquences sur le long terme. Lors de leur enquête et des expériences menées
dans ce cadre, ils se sont rendu compte que les violences faites aux femmes étaient
justifiées lorsqu'elles étaient faites à l'encontre de femmes hypersexualisées : « in sum,
this study has demonstrated that women can be affected negatively by the avatars
they wear. Women may be at risk for experiencing self-objectification and developing

Ibidem, p. 53.
265

BAILENSON Jeremy N., FOX Jesse, TRICASE Liz, « The embodiment of sexualized virtual selves:
266

The Proteus effect and experiences of self-objectification via avatars », Computers in Human Behavior,
N°29, 2013, p. 930-938.
199
greater rape myth acceptance, and these attitudes may influence their behaviors both
on- and offline » 267 . A mon sens, cet article est particulièrement intéressant, bien
construit et clair. Les références sont nombreuses et la bibliographie très riche.
L'expérience de terrain est originale et pertinente puisqu'il s'agit de donner à un
échantillon de personnes un avatar sexualisé ou non et d'observer les différences en
fonction de ce paramètre central au cours d'entretiens... On regrettera cependant
l'absence de résultats chiffrés, par exemple, quel pourcentage de femmes ayant un
personnage hypersexualisé étaient d’accord avec l’idée de viol consenti ? Et quel était
celui des femmes incarnant un personnage qui ne l’était pas ? D'un point de vue
méthodologique une distinction entre les joueurs et les non-joueurs dans l’échantillon
manque tout comme la prise en compte de différents paramètres tels que l’âge, les
croyances religieuses... des personnes composant l’échantillon. D'autre part, aucun
jeu n'est cité, le test se déroule en laboratoire en quelque sorte, sans terrain particulier.
La généralisation est problématique. En effet, il n’y a pas de contre-exemple ou de
nuances, de fait, toutes les femmes incarnant un personnage féminin hypersexualisé
ne vont pas devenir dépressives et anorexiques… Par ailleurs on peut se demander
si dans certains cas l’hypersexualisation n’aurait pas un effet positif tel que ne pas
avoir honte du corps féminin ou permettre de vivre des sortes de fantasmes, par
exemple s’habiller comme il serait impossible de le faire dans la réalité et éprouver une
sorte de satisfaction par procuration. Il pourrait aussi s’agir d’une forme de
transgression : profiter de vêtir son personnage comme on n’ose pas s’habiller en
raison des normes sociales et du regard des autres même si on en a envie. Si des
effets positifs existent, et que les cas aussi extrêmes demeurent peu fréquents, dans
le cas de Swtor les personnages féminins hypersexualisés sont présents de par la
volonté des joueurs qui choisissent de vêtir leurs personnages, voire leur partenaire -
personnage non-joueur accompagnant le personnage joué afin de lui venir en aide- de
sexe féminin, de la sorte. Les joueurs sont à la fois acteurs et spectateurs, actifs et
passifs. On retrouve des personnages non jouables hypersexualisés dans l’univers du
jeu comme nous l’avons dit dans le paragraphe précédent, le cas des esclaves et des
danseurs est assez frappant puisque la grande majorité d’entre eux est de sexe

BAILENSON Jeremy N., FOX Jesse, TRICASE Liz, « The embodiment of sexualized virtual selves:
267

The Proteus effect and experiences of self-objectification via avatars », Computers in Human Behavior,
N°29, 2013, p. 936.
200
féminin. Cette hypersexualisation n’a pas, à ma connaissance, provoqué d’autres
réactions négatives de la part des joueurs que l’agacement ou de la moquerie dans
des cas spécifiques. La plupart du temps elle génère une sorte d’indifférence tant elle
fait partie intégrante du décor. Elle ne choque pas et peut être considérée en quelque
sorte comme étant « normale ». Quelques joueurs ont choisi d’hypersexualiser dans
le cadre de jeu de rôle des personnages de sexe masculin mais les seuls cas de ce
type concernent des personnages homosexuels. Par ailleurs, notons que les
homosexuels sont très peu nombreux contrairement aux homosexuelles ou
bisexuelles qui représentent une partie conséquente de la population des personnages
utilisés dans le cadre du jeu de rôle. L'hypothèse explicative étant l'attractivité de ce
type de personnage pour les joueurs masculins, et la non-disponibilité de personnages
masculins adéquates -Jedis, pas célibataires, trop jeunes ou trop âgés...- dans un
contexte de surreprésentation de personnages féminins que les joueurs pourraient
vouloir mettre absolument en couple.

Pour terminer, nous pouvons considérer que certes le joueur est influencé par
cet environnement mais qu'il a le pouvoir de le modifier. Il peut décider d'apprendre la
fabrication d'arme avec un personnage féminin par exemple. S'il joue une inquisitrice
Sith alors il accèdera au Conseil noir à la fin de sa quête de classe et avant cela, en la
jouant, il aura aussi la possibilité de la faire lumineuse même si c'est une Sith, etc. Il
n'est pas contraint de suivre les tendances globales, son libre arbitre et ses choix ont
un impact sur l'univers, dans une certaine mesure.

Tout au long de cette première partie, nous avons proposé au lecteur un aperçu
de l’univers du jeu Star Wars The Old Republic. L’enjeu était de l’appréhender comme
un monde au sein duquel la communauté des joueurs évolue grâce aux personnages
incarnés. Chaque joueur doit se familiariser avec le jeu lui-même mais aussi avec les
autres joueurs, c’est le processus d’apprentissage. Les méthodes et l’investissement
relatifs à cet apprentissage diffèrent selon les individus. Par ailleurs, il ne s’agit pas
seulement d’apprendre à maîtriser son personnage, comme par exemple en se
déplaçant ou en combattant dans le jeu, mais aussi à interagir avec les autres joueurs,

201
notamment par l’intermédiaire de la langue et d’un lexique spécifique propre aux jeux
vidéo. La communication et les activités permettent aux joueurs de se lier les uns aux
autres, de former des réseaux de sociabilité, des groupes, des guildes… La
communauté des joueurs constituent en somme une sorte de micro-société avec des
règles et une langue.
Par ailleurs, l’univers Star Wars ainsi que le contenu même du jeu ne doivent
pas être ignorés. Le jeu vidéo est un outil de socialisation qui a une influence sur les
joueurs, aspect que nous avons principalement abordé sous le prisme du genre. A
travers la division sexuée des activités, la sous-représentation des personnages
féminins ou encore l’hypersexualisation de tenues leur étant spécifiquement
réservées, les joueurs sont confrontés à de multiples stéréotypes genrés véhiculés par
le contenu du jeu. Les développeurs sont eux-mêmes influencés par leur propre
culture mais prennent aussi en compte le public destinataire du jeu. Cela ne signifie
pas pour autant que le jeu et l’univers étendu de la licence Star Wars, avec ses produits
culturels variés, sont les seuls instruments de ce phénomène de socialisation des
joueurs. Les joueurs eux-mêmes sont des acteurs de cette socialisation, aspect très
bien mis en évidence avec les phénomènes de mode sur Swtor.
Qu’ils exercent ou non une influence sur les autres, les échanges entre joueurs
sont primordiaux. Il est dès lors nécessaire d’appréhender la question des émotions,
le monde virtuel étant aussi gouverné par les affects. Les rapports antagonistes
occupent une place importante des échanges. La quête de la meilleure performance
engendre des compétitions entre les joueurs. Si les rivalités peuvent être plutôt
amicales, elles peuvent aussi être à l’origine de véritables conflits. Ainsi les joueurs
sont immergés dans ce monde virtuel qu’ils ont intégré. Il en découle des interactions
avec les autres directement liées au jeu, ou sans lien avec celui-ci quand les rapports
humains ne se limitent plus au monde numérique.
Trois dimensions se distinguent : le « réel », le « virtuel », et le « fictionnel ». Le
fictionnel peut être défini comme une création imaginaire. Les livres, les jeux ou les
films Star Wars proposent des histoires se déroulant dans cet univers inventé et qui
font partie du domaine de la fiction. Le virtuel est employé pour tout ce qui se rattache
au numérique, c’est-à-dire à l’informatique. Le jeu dans son ensemble, les sites
Internet, les vocaux sont constitutifs du virtuel. Enfin le « réel » correspond au monde

202
physique tel que nous le connaissons. Dans le cas des jeux vidéo en ligne
massivement multijoueur, les frontières peuvent parfois être un peu floues. Les
personnages joués par d’autres personnes sont des êtres de pixels pourtant contrôlés
par d’autres individus, et non par l’ordinateur. De même, toutes les émotions et les
divers sentiments qui naissent dans le cadre du jeu, sont bien réels… Nous
reviendrons sur ce point ultérieurement, mais cette première partie était aussi un
moyen de commencer à appréhender ces trois aspects. C’est au cœur de ces trois
dimensions que s’exprime la notion d’identité dans toute sa complexité.

203
204
II. Une identité aux multiples
facettes

205
206
Identité religieuse, identité sexuée, identité ethnique, identité nationale… Dans
le cadre de ce travail nous avons privilégié l’identité personnelle ou plutôt les multiples
identités que peut endosser une personne grâce à ses personnages, à son immersion
dans le monde virtuel, et à sa vie hors de celui-ci. Grâce aux masques, il devient
possible de prendre d’autres visages et d’adopter d’autres comportements. Ces
comportements, en général réfrénés, surviennent en raison du sentiment d’impunité
que procure l’anonymat issue de la dissimulation de l’identité. Toutefois, ces masques
et les comportements qui découlent de leurs usages sont toujours portés par
quelqu’un, et le jeu vidéo est ainsi le théâtre d’interactions sociales, qui constituent le
sujet même de ce travail de recherche268. De ces interactions peuvent découler de
véritables relations tissées au fil du temps et nourries par les sentiments de ceux qui
jouent derrière leur écran. Amitié ou amour, ce type de jeu constitue à la fois une
source de divertissement et un espace de rencontre. Il est primordial de comprendre
que les individus interagissent aussi bien à l’intérieur qu’en dehors du monde virtuel.
L’imbrication entre les deux est présente. Il serait erroné d’envisager ces questions
identitaires, ces masques et ses relations comme inscrites dans un contexte où
s’oppose le « réel » au virtuel. Il ne faut jamais oublier que dans les jeux vidéo en ligne
de ce type, derrière les personnages joués, ces êtres pixelisés, se trouvent des
joueurs.

1) Le triptyque identitaire

Chaque individu qui se connecte en jeu ne peut le faire que par l’intermédiaire
d’un personnage, être de chair virtuel qui accomplit la volonté du joueur. Le
personnage, conçu par le joueur, constitue la première image de lui qui est aperçue
par les autres. Toutefois, le personnage n’est pas qu’une enveloppe, il est possible de
l’envisager comme possédant lui-aussi une identité propre. Il est indispensable de
comprendre ce à quoi correspond « un personnage », ce que signifie « joueur » et en
quoi il y a une distinction qui doit être opérée entre « joueur » et « personne sociale ».
L’analyse de ces trois entités permet de mieux comprendre les questions identitaires

268 Bien que le prisme du genre soit essentiel, ce travail porte avant tout sur les interactions sociales en
général. Les questions de genre sont abordées mais ne sont qu’un aspect de l’étude de ces interactions
et seront approfondies dans la dernière partie.
207
au sein des jeux en ligne massivement multi-joueurs. Nous avons choisi de
commencer en partant du terrain virtuel, donc du personnage au sein du jeu vidéo,
puis de s’en éloigner progressivement, en s’intéressant au joueur puis enfin en se
penchant sur le non-virtuel, c’est-à-dire la personne sociale.

a) Le personnage

a.1. La création du personnage

Comme nous l'avons brièvement expliqué, le joueur lorsqu'il débute va devoir


créer un personnage qu'il va pouvoir incarner tout au long du jeu. Bien que la possibilité
d'utiliser un personnage aléatoire existe, celle-ci n'est utilisée que très rarement, la
personnalisation du personnage occupant en effet une place primordiale. Même pour
les personnages dits « Kleenex », destinés à être supprimés à court terme. Outre la
faction et la classe qui doivent être choisis lors de la création du personnage et qui
vont orienter l'histoire que va suivre le joueur au cours du jeu, la création du
personnage est aussi le moment où le joueur façonne véritablement son personnage
en devenir. Il lui donne une apparence, et un nom. Plusieurs variables permettent de
créer le personnage. En jouant avec la multitude de combinaisons possibles, on
obtient des personnages qui ne se ressemblent pas les uns les autres. Néanmoins, on
retrouve fréquemment des coupes de cheveux ou des formes du visage d'un même
type, en corrélation avec les goûts que partagent les joueurs. L'apparence même du
personnage va avoir un impact sur les autres mais aussi sur le joueur qui l'incarne.
Des travaux ont souligné que les personnages incarnés séduisants attiraient
d'avantage l'attention des autres joueurs, et que les joueurs qui les contrôlent tendent
à les créer ainsi de façon à pouvoir plus facilement flirter avec les autres. Les joueurs
en manque d'inspiration peuvent recourir au générateur de noms aléatoires,
cependant, la plupart du temps, les joueurs choisissent le nom de leur personnage et
si celui-ci est déjà pris, utilise une modification orthographique afin qu'il soit validé. Par
modification orthographique, il faut comprendre l'ajout de signes diacritiques
(apostrophe, de rond en chef...). dans le nom. Ce recours est aussi utilisé lorsque le
joueur souhaite avoir le même personnage dans chaque faction, comme il est

208
impossible que deux personnages aient le même nom, même s'ils appartiennent au
même joueur, il est indispensable d'opérer une modification de ce type. L'intérêt d'avoir
un même personnage dans chaque faction est surtout important pour les rôlistes pour
des raisons pratiques, par exemple l'accès à des espaces réservés à une faction.

Concernant la personnalisation du personnage, tout d'abord, le joueur va choisir


quelle espèce il veut incarner. Toutes les espèces peuvent être jouées bien
qu'initialement certaines soient réservées à des factions, ou à des classes, par
exemple les Siths au sang pur côté impérial et les Miralukas côté républicain.
Lorsqu'un personnage atteint le niveau 50, son espèce est déverrouillée et le joueur
peut créer un nouveau personnage de cette espèce sans restriction liée à la faction ou
à la classe. Il est aussi possible d'acheter un déverrouillage directement. Par contre,
les espèces Cathar et Togruta doivent être nécessairement achetées pour pouvoir être
utilisées. Au total, il existe onze espèces jouables, toutes issues de l'univers de Star
Wars. Ces différentes espèces se distinguent les unes les autres par leurs
caractéristiques physiques -couleur de peau, des yeux, présence d’appendice,
absence de poils…- et culturelles -tatouages, bijoux, ornements…- qui apparaissent
et sont à choisir lors de la personnalisation du personnage. Bien entendu, chacune de
ces espèces a une histoire, une planète d’origine, un fonctionnement social… qui lui
sont propres mais qui n’ont pas d’incidence sur la création du personnage, si ce n’est
pour les rôlistes. Effectivement, certaines espèces sont plus attachées à une faction,
d’autres ne sont pas sensibles à la Force, d’autres encore ont des comportements
particuliers qui ne correspondent pas avec des rôles, par exemple, il est presque
impossible de rencontrer un Rattataki Jedi consulaire, considérant qu’il s’agit d’un
peuple particulièrement violent et belliqueux. Les joueurs de jeu de rôle
considéreraient un tel personnage comme une pure hérésie et le joueur qui aurait à
leurs yeux commis cet affront se verrait isolé, exclu, sans personne avec qui jouer. En
fonction des espèces, des éléments spécifiques à personnaliser sont ajoutés, telles
que les cornes pour les Zabraks, les tatouages faciaux pour les Mirialans, les
bandeaux pour les Miralukas -dénués d'yeux-, les implants pour les cyborgs... Afin de
mieux comprendre la diversité des espèces jouables, voici les images de trois de mes
personnages de sexe féminin appartenant à des espèces différentes à titre d'exemple.

209
La première espèce se nomme « Mirialan » ; d’apparence très proche des
humains leur peau va du jaune au vert, et leurs tatouages faciaux sont obtenus dès
qu’ils ont réussi leur rite de passage marquant leur transition à l’âge adulte dans la
culture traditionnelle de ce peuple. Le deuxième personnage appartient à une espèce
qui s’appelle « Twi’lek ». Les Twi’leks peuvent être de plusieurs couleurs dont le vert,
le jaune, l'orange, le rose, beaucoup plus rarement le rouge ou encore le bleu comme
dans cet exemple illustratif. Les femmes Twi'leks n'ont pas d'oreilles, contrairement
aux hommes, mais les deux possèdent des « lekkus », longs appendices dans
lesquels se trouvent leur cerveau. Généralement, ils en possèdent deux. Enfin, il est
aussi important de faire remarquer qu'ils sont tous dépourvus de pilosité quelque soit
leur sexe. Enfin, la dernière espèce présentée est celle des Cathars, humanoïdes
félins, recouvert de fourrure, leurs yeux sont aussi distinctifs.

210
Il ne semble pas pertinent de décrire l'intégralité des espèces disponibles en jeu, ces
images ont pour seul but de permettre au lecteur d'appréhender l'idée d'une variété de
paramètres, dont l’espèce, qui visent à personnaliser son personnage. Concernant les
personnages humains, nous avons pu observer qu'ils sont, et avec une majorité
écrasante, blancs, ou bronzés voire métisses. Il est extrêmement rare de croiser un
personnage typé asiatique ou de couleur noire.

Nous pouvons nous attarder un instant sur le sujet des espèces


anthropomorphes, en particulier félines, comme les Cathars que nous venons de
présenter brièvement. Serge Tisseron écrit que le personnage peut prendre « la forme
d’une créature d’apparence animale, ou mi-humain mi-animal »269. Les univers des
jeux vidéo sont peuplés d’espèces mi-humaines mi-chats avec par exemple les Khajiits
dans The Elder Scrolls ou encore les Charrs dans Guild Wars 2. Le joueur peut donc
incarner des créatures imaginaires, y compris parfois des personnages hybrides à
moitié animaux. Néanmoins, les personnages mi-chats mi-hommes représentent une
majorité écrasante de ces hybrides, loin devant les créatures humanoïdes reptiliennes
ou d'autres mammifères comme les pandas.

La lecture d’Olivier Servais est édifiante en ce qui concerne la présence animale


dans les jeux vidéo. Dans son article « Du décor virtuel à l’avatar métamorphe : les

269 TISSERON Serge, « De l'animal numérique au robot de compagnie : quel avenir pour
l'intersubjectivité ? », Revue française de psychanalyse, vol. 75, N°1, 2011, p. 150.
211
figures de l’animal dans le jeu vidéo World of Warcraft », il propose une classification
des animaux, il en dénombre six : « l’animal-décor »270, pacifique, qui fait partie du
paysage et contribue à l’ambiance, sorte d’effet de réel -pour reprendre Roland
Barthes- qui favorise l’immersion et possède aussi une dimension esthétique ;
« l’animal comme ressource »271, dont le joueur peut avoir besoin pour l’artisanat, par
exemple utiliser le cuir pour se confectionner une armure ou la viande pour se nourrir
; « l’animal prédateur »272 qui est une menace potentielle pour le personnage et qu’il
peut ou doit affronter ; « l’animal d’extension » ou la « mascotte » 273 , une sorte
d’animal de compagnie sans aucune utilité particulière qui suit le personnage et
pouvant avoir une fonction sociale en raison de son côté ostentatoire ; « l’animal
identificatoire »274 dans le cas des guildes qui choisissent un animal comme emblème
ou l’utilise même pour leur nom de guilde ; et enfin « l’animal-avatar »275, et c’est ce
point qui nous intéresse particulièrement. Il s’agit des « avatars à la morphologie
animale »276. Bien qu’Olivier Servais aborde aussi le cas des hybrides, c’est-à-dire des
créatures animales occupants plusieurs de ses fonctions -la monture, le familier et les
métamorphes-, nous ne nous pencherons pas sur ce point qui s’éloigne de notre sujet
et nous nous focaliserons sur les personnages félins.

De nombreux jeux vidéo massivement multijoueur, comme Swtor, offrent la


possibilité aux joueurs d’incarner des personnages d’une grande diversité, y compris
des espèces plus ou moins apparentées à des animaux, dont les félins. La récurrence
de personnages de ce type témoigne de l’importance de la place qu’ils occupent et du
lien qui nous lie à eux. Il est intéressant de signaler qu’il est donc permis de devenir
une créature fictive mi-humaine mi-féline, alors que rare sont celles qui s’apparentent
aux chiens, sans doute la figure du loup-garou est une des raisons qui expliquent leur
absence. Dans Star Wars The Old Republic, le joueur est ainsi libre d’incarner des
espèces aliens.

270 SERVAIS Olivier, « Du décor virtuel à l’avatar métamorphe : les figures de l’animal dans le jeu vidéo
World of Warcraft », RELIGIOLOGIQUES, N°32, printemps/automne 2015, p. 359.
271 Ibidem, p. 362.
272 Ibidem, p. 367.
273 Ibidem, p. 369.
274 Ibidem, p. 373.
275 Ibidem, p. 377.
276 Ibidem, p. 377.

212
Le sexe du personnage est aussi choisi par le joueur, en fonction de celui-ci,
les options de personnalisation diffèrent, il sera possible de sélectionner le maquillage
pour les femmes, ou la barbe pour les hommes par exemple. Pour ce qui attrait au
contenu même des options de personnalisation, si certaines options sont identiques
quel que soit le sexe du personnage, comme la couleur des yeux, de la peau ou des
cheveux, les cicatrices ou les tatouages, beaucoup d'éléments diffèrent naturellement,
par exemple la morphologie ou la forme du visage. Les coupes de cheveux quant à
elles sont en partie mixtes. Les choix au sein de ses paramètres sont tout de même
limités, et inégaux selon les espèces. En effet pour continuer sur les coupes de
cheveux, il est intéressant de signaler l'écart entre le nombre de coupes pour femmes
humaines et celui pour femmes cathares disponibles. Toutefois, il importe de préciser
que ces paramètres permettent tout de même de personnaliser son personnage
suffisamment pour que les probabilités de rencontrer un clone soit plutôt faibles, en
particulier si on prend en compte en plus du physique, l'apparence globale, et donc, la
tenue.

Le choix de la tenue du personnage n’a pas systématiquement lieu après la


création du personnage. Une tenue est un investissement, elle demande des moyens
en jeu pour se la procurer, et la perfectionner, notamment en y appliquant une teinture
qui en change la ou les couleurs. Le choix des couleurs est certes lié aux goûts du
joueur et à ses moyens, le blanc et le noir sont des couleurs rares et très onéreuses,
mais aussi au personnage et à ce qu’il veut véhiculer comme image. Les significations
et sentiments qu’inspirent les couleurs peuvent varier selon les cultures mais l’on
retrouve une certaine universalité mise en évidence par plusieurs études dont celle
Francis M. Adams et Charles E. Osgood, « A Cross-Cultural Study of the Affective
Meanings of Color ». Leur enquête a été menée auprès de lycéens dans une vingtaine
de pays, le blanc est considéré comme bon et le noir comme mauvais, mais est aussi
envisagé comme une couleur forte, de même que le rouge, perçu aussi comme une
couleur active, le bleu est majoritairement la couleur préférée 277 . Marc-Alain

ADAMS Francis M., OSGOOD Charles E., « A Cross-Cultural Study of the Affective Meanings of
277

Color », Journal of Cross-Cultural Psychology, Vol. 4, 1973, p. 135 à 156.


213
Descamps quant à lui, explique qu’en terme de symbolisme, le bleu est perçu comme
une couleur « calme » alors que le rouge est la couleur de « la passion ». D’autres
chercheurs notamment Tadasu Oyama, Yasumasa Tanaka et Yoshio Chiba se sont
aussi intéressés aux valeurs et impressions que les sociétés associent aux couleurs,
dont le rouge, « excitant », et le bleu, « calme »278. Par ailleurs, il est bon de rappeler
que le rouge est une couleur chaude, contrairement au bleu. Cette opposition entre
ces deux couleurs se retrouve dans Star Wars the Old Republic, le bleu clair est
associé à la République et le rouge à l’Empire. Par conséquent, les couleurs claires et
le blanc sont souvent utilisés pour les personnages lumineux et Républicains, alors
que les personnages méchants Impériaux portent plutôt du noir et du rouge.
Néanmoins, si le joueur choisit la ou les couleurs que son personnage va porter, ces
couleurs pourraient aussi avoir une incidence sur la façon dont il va jouer et dont il va
être perçu par les autres. Nous savons par exemple, notamment grâce aux travaux de
M. Carr Payne279, que la couleur influence la perception du poids apparent d’un objet
ou d’une personne ainsi que sa dimension, et ce, sans lien avec les goûts individuels.
Des études menées par Mark G. Franck et Thomas Gilvovich ont mis en exergue la
corrélation entre le port de vêtements noirs et l’agressivité des équipes
professionnelles de sports de contact comme le hockey sur glace et le football. Ces
équipes par exemple ont plus de pénalités, et avec le changement de couleur de
l’uniforme leur attitude change, « teams with black uniforms in the NFL and the NHL
were penalized significantly more often during the last 17 years than their rivals in
nonblack uniforms. Furthermore, those teams that switched from nonblack to black
uniforms during this time period experienced an immediate and dramatic increase in
penalties »280. D’autre part, elles sont aussi perçues par le public comme étant plus
agressives 281 . Enfin, porter du noir tend à faire choisir des activités plus violentes

278 OYAMA Tadasu, TANAKA Yasumaka, CHIBA Yoshio, « Affective dimensions of colors : A cross-
cultural study », Japanese Psychological Research, Vol. 4, 1962, p. 84.
279 PAYNE CARR M., « Apparent weight as a function of color », The American Journal of Psychology,

volume 71, N°4, 1958, p. 730.


280 FRANK Mark G., GILOVICH Thomas, « The Dark Side of Self- and Social Perception: Black Uniforms

and Aggression in Professional Sports », Journal of Pereonality and Social Psychology, Vol. 54, N°1,
1988, p. 83.
281 Ibidem, p. 83 :

« players in black uniforms are judged more harshly than those in white uniforms by nonpartisan judges
and thus are more likely to be penalized for actions that would be overlooked if performed by members
of another team ».
214
comme l’expliquent les deux chercheurs : « wearing black uniforms induced subjects
to seek out more aggressive activities, […] wearing white uniforms did not »282. A la
lumière de ces informations, plusieurs questions se posent, est-ce que les joueurs
adoptent des comportements plus violents avec leurs personnages lorsqu’ils sont
habillés de noir en particulier dans les activités en jeu qui permettent à cette agressivité
de se manifester comme les combats en zone de guerre. Nous pourrions aussi nous
interroger sur l’impact de cette couleur vis-à-vis des autres joueurs, par exemple, est-
ce qu’ils considèrent inconsciemment un personnage vêtu de noir comme plus
menaçant qu’un autre ou non ? Selon le travail de Merola cité par Jeremy N. Bailenson
et Kathryn Y. Segovia, les personnages de jeux vidéo vêtus de noir auraient davantage
de comportements asociaux que ceux habillés en blanc283. Ces recherches vont dans
le même sens que celles de Nick Yee, Jeremy N. Bailenson et Nicolas Ducheneaut284
qui se sont penchés sur la manière dont un personnage joué peut influer sur le
comportement du joueur qui l'incarne directement sans qu'une intervention avec autrui
n'ait lieu. Ils font appel à la théorie de la perception de soi qui suppose qu'une
observation à la troisième personne de soi-même a une incidence sur nos
comportements. Selon eux, le personnage exerce une influence sur le joueur. Les
vêtements qu’il porte ont aussi de l’importance. Les auteurs font appel aux recherches
de Johnson et Downing qui s’appuient sur l’expérience de Stanley Milgram : une
personne donne de fausses électrocutions à un acteur sans savoir que tout est simulé.
Lorsque le participant est vêtu en infirmier il inflige moins d'électrocution que lorsqu'il
est habillé dans une tenue semblable à celle du Ku Klux Klan.

Une parenthèse peut être faite sur la question de l’usage du rose dans les jeux
vidéo, y compris Swtor. Pour commencer, nous pourrions rappeler les propos de M.-
A. Descamps « il est vain de chercher à déterminer le sens ultime des couleurs par
des données physiologiques, ou des préférences psychologiques majoritaires, la

282 Ibidem, p. 82.


283 BAILENSON Jeremy N., SEGOVIA Kathryn Y., « Virtual Doppelgangers: Psychological Effects of
Avatars Who Ignore Their Owners », Online Worlds: Convergence of the Real and the Virtual, William
Sims Bainbridge, 2010, p. 179.
284 YEE Nick, BAILENSON Jeremy N., DUCHENEAUT Nicolas, « The Proteus effect: Implications of

transformed digital self-representation on online and offline behavior », Communication Research, N°36,
2009, p. 285 à 312.
215
réalité essentielle d’une couleur est sociale » 285 . Cette phrase, qui se rapporte
originellement à la mode vestimentaire, s’applique aussi à d’autres domaines. Il
semblerait qu’à l’origine le bleu, couleur de la Vierge, était une couleur plutôt féminine
alors que les tons roses, issus de la couleur rouge, sang du Christ, étaient davantage
associés à la masculinité 286 . Une inversion a donc été opérée depuis la période
contemporaine. Elle s’observe dès le plus jeune âge avec les couleurs des vêtements
et des jouets : rose pour les filles, bleu pour les garçons. Dorothée Charles 287 a
travaillé sur le lien entre les couleurs et les jouets, elle écrit à ce sujet : « cette
différenciation des sexes par la couleur est aujourd’hui beaucoup plus marquée pour
les filles que pour les garçons. Alors que le rose définit uniquement le sexe féminin ou
l’homosexualité, le bleu reste autant la couleur favorite des femmes que des hommes
». D’après Michel Pastoureau, le célèbre historien spécialiste des couleurs, c’est à
partir du XVIIIème siècle avec le romantisme que le rose est devenu la couleur de la
tendresse et de la féminité. Le rose est un rouge, « atténué, dépouillé de son caractère
guerrier » pour reprendre son expression, et donc devenu féminin288, il a par la suite
été aussi rattaché à l’homosexualité, point que nous aborderons par la suite.

On retrouve cette association du rose à de nombreux personnages féminins,


notamment la célèbre Princesse Peach, dans Mario289, ou encore plus récemment sur
Serah, personnage de Final Fantasy XIII et XIII-2. Le rose apparait donc sur les
vêtements, totalement ou partiellement mais il peut aussi être utilisé pour la couleur
de peau de créature non humaine comme Amy Rose, personnage de Sonic290, dont
on remarquera que le nom n’est pas anodin. Les accessoires ou les armes sont aussi
des objets qui peuvent appartenir à un personnage féminin et être roses.

285 DESCAMPS Marc-Alain, Psychosociologie de la mode, Paris, PUF, 1984, 2e édition, p.105.
286 BERENI Laure, CHAUVIN Sébastien, JAUNAIT Alexandre, REVILLARD Anne, Introduction aux
études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, coll. Ouvertures politiques, 2012.p. 135.
287 CHARLES Dorothée, « Dis moi qui tu es, je te dirai à quoi tu joues », Exposition à Paris du 14

septembre 2011 au 23 janvier 2012, Des jouets et des hommes, RMN Grand Palais, 2011.
288 PASTOUREAU Michel, « Les demi-couleurs : gris pluie, rose bonbon », Il était une fois les couleurs,

série d'entretiens avec Dominique Simonnet, publiés durant l'été 2004 par l'Express.
https://www.lexpress.fr/culture/livre/7-les-demi-couleurs-gris-pluie-rose-bonbon_819839.html
Consulté le 11/11/2019.
289 Image de gauche.
290 Image de droite.

216
Dans les univers magiques ou fantastiques, les personnages détiennent parfois des
pouvoirs qui se manifestent visuellement, et là aussi le rose est bien présent. A travers
ses exemples, on constate que les développeurs de jeux vidéo tendent à recourir au
rose comme indicateur de féminité. Cependant, dans de nombreux jeux, et en
particulier ceux massivement multijoueur, les joueurs, et les joueuses, ont la possibilité
de personnaliser leur personnage et son apparence y compris sa tenue et sa couleur
comme c’est le cas dans Star Wars The Old Republic. Les joueurs et les joueuses
n’hésitent pas eux aussi à employer le rose de manière plus ou moins importante et
stéréotypée sur leurs personnages féminins ce qui tend à renforcer le lien entre rose
et féminité.

Cependant, les personnages féminins ne sont pas les seuls concernés. Il y a


trois usages principaux de l’emploi du rose pour des personnages de sexe masculin :
créer un troll, souligner l’homosexualité ou signifier une transidentité. En raison de leur
apparence les « trolls » sont aisément identifiés. Le physique du personnage « troll »
est choisi en opposition avec les critères de beauté de notre société ainsi qu’avec la
mode. Il ressemble en quelque sorte à un clown ou à un bouffon, qui bouscule l’ordre
établi. Le choix du rose vise alors à accentuer le caractère ridicule du personnage et
en général, il est associé à une autre couleur qui le met en évidence, dans Swtor, on
retrouve souvent la combinaison rose/jaune.

217
Dans les jeux vidéo, le rose lorsqu’il est porté par un personnage masculin qui
n’est pas un troll peut être un moyen de souligner son homosexualité. Il existe plusieurs
cas de figure relatifs à cette association rose/homosexualité. Nous pouvons donner
comme exemple Ash, dans Street of Rage 3, jeu de combat sorti en 1994, dont la
tenue et les manières -il se bat en donnant des claques et des coups de postérieur,
défile comme un mannequin et prend parfois des postures suggestives- ont été
considérés comme offensantes envers la communauté LGBT ce qui a amené à la
disparition du personnage dans les versions commercialisées hors du Japon. Un autre
exemple beaucoup plus récent, puisqu’il date de 2017, est Dream Daddy, qui a connu
à un immense succès sur la plateforme Steam et a été l’objet de nombreux articles sur
Internet et dans la presse notamment dans Le Monde... Ce jeu est une histoire visuelle
de drague d’un père veuf homosexuel incarné par le joueur qui rencontre d’autres
hommes avec lesquels il peut débuter une histoire d’amour. Le personnage de Joseph,
un des protagonistes avec lequel il est possible de débuter une relation sentimentale
porte un polo rose. Néanmoins, ce qui est le plus intéressant c’est de regarder le choix
des joueurs quant à l’apparence de leur personnage qui est personnalisable. La
grande majorité d’entre eux et elles, puisque de nombreuses joueuses sont adeptes
de ce type de jeux vidéo -drague et histoire visuelle-, font porter du rose à leur
personnage. D’autre part dans la couleur rose est très présente dans l’interface même
du jeu Dream Daddy notamment sur la page de chargement ou encore l’icône de
sauvegarde, et on la retrouve dans de nombreux environnements, sur les objets qui
font partie du décor par exemple des jouets, des cupcakes... Ainsi, dans les
représentations, la couleur rose est fortement associée à la féminité et à
l’homosexualité masculine. Il est capital de faire remarquer que plusieurs jeux vidéo
proposent de choisir le sexe de son personnage et que les protagonistes avec lesquels
ils peuvent avoir une relation sentimentale demeurent les mêmes. Ainsi, en fonction
du sexe du personnage que l'on incarne et celui de son ou sa partenaire, la relation
sera hétérosexuelle ou homosexuelle. Les protagonistes ne sont donc pas forcément
homosexuels, ce qui explique que dans ce type de jeu, la couleur rose soit moins
présente pour les personnages masculins.

Un dernier cas mérite d’être abordé, celui des transgressions des normes
genrées et plus particulièrement du transgenre. Le concept de « transgenre » renvoie
218
à des personnes dont le sexe biologique à la naissance ne correspond pas à l'identité
genrée sociale. Ces personnes peuvent choisir de modifier leur corps, leur apparence
mais aussi changer d'état civil pour que les deux correspondent. Dans les jeux vidéo,
il existe quelques personnages, peu nombreux, appartenant à cette catégorie. Nous
pouvons donner comme exemples Birdo dans Mario. Si la question de l'orientation
sexuelle et de la représentation de l'homosexualité pose déjà des problèmes y compris
de censure, la transidentité est bien plus problématique en particulier dans certains
pays. La censure peut prendre plusieurs formes, le jeu peut être interdit, modifié ou
encore voir sa limite d'âge varier ce qui est le cas pour Les Sims 4, jeu de simulation
de vie, qui est interdit au moins de 18 ans en Russie en raison de la possibilité de
choisir une orientation sexuelle non hétéro à son personnage. A titre de comparaison,
en France il est déconseillé au moins de 12 ans. L'identité sexuée de Birdo est
différente selon les jeux et les pays, la plupart du temps ce personnage est considéré
comme de sexe indéterminé mais on retrouve souvent une information précisant qu'il
se considère comme une fille et a choisi un autre nom, féminin : Birdetta, Catherine...
selon les jeux. Dans l'un d'eux, Captain Rainbow, Birdo se fait arrêter par un robot, qui
le considère comme de sexe masculin, pour être entré(e) dans des toilettes pour
femmes. Le personnage de Birdo a une apparence féminine : il est de couleur rose,
porte un nœud sur la tête et parfois une bague. Afin de ne pas choquer les puritains
et les âmes sensibles, les développeurs de jeux vidéo tendent à laisser une sorte du
flou autour des personnages transgenres. Ils peuvent ainsi privilégier une version à
une autre. Il est intéressant d'observer que la couleur rose est bien présente sur ces
personnages masculins devenus féminins.

Dans Swtor, le rose n’est pas une couleur fréquente sur les personnages non
jouables, quel que soit leur sexe, par contre il est fréquent de le voir utilisé par les
joueurs pour leurs personnages dans les différents cas de figure que nous avons
évoqué précédemment et dont voici quelques exemples provenant du site Tor-
Fashion291 dédié à la mode et à la décoration d’intérieur sur ce jeu :

291 https://torf.mmo-fashion.com/

219
L’image de droite représente un personnage féminin sur lequel la couleur rose est très
présente et à gauche, un « troll ».

Par ailleurs une tenue complète pour chaque personnage est composée de sept
pièces : une pour la tête (qui regroupe notamment les casques, les masques, les
chapeaux, les bérets et les éléments décoratifs pour cheveux), une aux poignets (avec
soit des brassards soit des bracelets), ainsi que des pièces pour la taille (des
ceintures), les pieds (des chaussures allant des sandales aux bottes), les mains (avec
des gants ou des mitaines), le haut du corps (avec des manteaux, bustiers, des hauts
à manches longues ou non), et les jambes (avec les jupes, courtes ou longues, et les
pantalons ou pantacourts). Il est possible grâce à un outils qui s’appelle « éditeur de
tenue » d’enregistrer une tenue esthétique qui permet de conserver une apparence
que le joueur apprécie sans que le personnage perde en termes de statistiques,
chaque pièce d’équipement ayant des statistiques précises ou aucune selon la pièce.
On retrouve un système équivalent dans d’autres jeux, par exemple The Elder Scrolls
Online. De fait, « l’adéquation entre être et paraître » 292 relative au personnage et
mentionnée par Sébastien Genvo est inexacte dans ces cas. Il écrit, dans son article
« Le rôle de l'avatar dans la jouabilité d'une structure de jeu vidéo », que « dans les
jeux en ligne multijoueur, les personnages ayant l’armure ou l’épée la plus

292GENVO Sébastien, « Le rôle de l'avatar dans la jouabilité d'une structure de jeu vidéo. »,
Adolescence, N° 69, 3/2009, p. 652.
220
impressionnante sont usuellement ceux qui ont la plus grande puissance… ». Or, en
choisissant totalement l’apparence de son personnage, aussi bien ses armes que sa
tenue, il s’avère que l’équipement de certains personnages ne correspond pas avec
ce qu’il semble être. Un personnage habillé dans une tenue banale peut aussi bien
porter le meilleur ou le moins bon équipement du jeu. Nous pouvons signaler qu’il
existe des pièces invisibles pour certaines parties du corps permettant par exemple de
ne rien porter aux mains. Certaines tenues demandent des prérequis tels qu’un niveau
pour le personnage ou un rang de bravoure, ce qui signifie qu’il faut jouer le
personnage avant de pouvoir lui faire porter le vêtement souhaité. Néanmoins, pour
les joueurs dont le personnage créé n’est pas le premier, et qui possèdent des
ressources, sa première tenue est souvent choisie juste après la création du
personnage. Créer un personnage ne se limite pas à lui façonner un corps et lui donner
un nom, c’est aussi l’habiller et l’armer. Concernant l’arme, son apparence comme son
cristal, c’est-à-dire leur couleur, peuvent être choisis par le joueur selon ses goûts.

La diversité de tous ces paramètres permet de créer un personnage avec un


style qui lui est propre. On peut ainsi faire correspondre son personnage au scénario
de sa classe ou à l’histoire qui s’est construite via le jeu de rôle, ce qui signifie que les
vêtements permettent de créer des styles particuliers : Jedis, Siths, soldats, population
civile… L’association d’un ensemble d’éléments tels que le port ou non d’une armure,
le type d’arme -s’il y en a, ce qui n’est pas forcément le cas lors de jeu de rôle-, l’espèce
du personnage, la couleur des vêtements, son apparence globale permettent aux
autres de mieux appréhender qui il est. Les différentes captures d’écran issues du jeu,
présentes dans ce travail, et sur lesquelles figurent des personnages peuvent aussi
être observées concernant cette thématique des styles de personnages.

Pour synthétiser l'étape de la création du personnage et appréhender les autres


aspects qui vont par la suite le définir, nous vous proposons d'observer le schéma
suivant illustrant l'ensemble des éléments principaux qui permettent de constituer
l'identité du personnage :

221
Le personnage peut être caractérisé par un ensemble d’éléments qui lui donne une
identité.

a.2. La première image du joueur

Si la création du personnage est une étape si importante c’est parce que le


personnage incarné est la première image qu’on a du joueur. Lorsqu’on déambule
dans le jeu, on le fait au travers de notre personnage. Il en est de même pour les autres
joueurs. La façon dont est perçu le personnage est essentielle. Un personnage attractif
est perçu comme plus sympathique, et les personnages grands sont considérés
comme forts. L'attractivité et la taille du personnage ont un impact sur les interactions
avec les autres joueurs et la façon dont on interagit avec eux. D'après Nick Yee,
Jeremy N. Bailenson et Nicolas Ducheneaut 293 , les joueurs avec un personnage

293YEE Nick, BAILENSON Jeremy N., DUCHENEAUT Nicolas, « The Proteus effect: Implications of
transformed digital self-representation on online and offline behavior », Communication Research, N°36,
2009, p. 285 à 312.
222
attractif se montrent plus amicaux que les autres. Les chercheurs ont aussi mené une
expérience relative à l'influence de la taille du personnage, plus celui-ci est grand, plus
il bénéficie d'échanges inéquitables et décline les propositions où il serait perdant, or,
c'est l'inverse pour les personnages de petite taille. Bien entendu, les jeux en ligne qui
imposent une même taille à tous les personnages comme Star Wars The Old Republic
ne sont pas concernés par cette étude. L'enquête de ces chercheurs a abouti aux
résultats suivants : plus le personnage est grand et attirant, plus il a un niveau élevé,
les personnages petits et au physique ordinaires sont moins bons. Ces résultats
doivent pourtant être pris avec précaution, il faut en effet réfléchir au sens donné aux
caractéristiques du personnage par son créateur, à pourquoi il est ainsi. D’autre part,
les choix du joueur sont parfois limités. Certains jeux proposent d’incarner des espèces
aux morphologies variées et dont la taille ne peut être comprise qu’entre un minimum
et un maximum fixés par les développeurs. Or les personnages de niveau élevé ne
sont pas forcément ceux des espèces les plus grandes. Quoi qu’il en soit, il importe
de garder à l’esprit que les personnages que nous créons agissent sur nos
comportements et nos interactions avec les autres. Selon les auteurs 294 , les
changements de comportement s'observent en face à face hors du monde virtuel, donc
lorsque le joueur n'incarne plus son personnage, même après peu de temps en jeu.
Ils écrivent en effet « [...] an avatar’s appearance can change how people behave in
virtual environments inside the laboratory [...]. In the current work, we extended the
finding to actual online communities in which people socialize for large amounts of
time, and also show that this effect occurs outside of highly controlled experimental
settings. [...] these results imply that the design and implementation of avatars may
have an effect on shaping the emergent social norms and interaction patterns »295. La
question des effets sur les joueurs réguliers y consacrant beaucoup de temps se pose
donc.

L’apparence, le nom, la classe et par extension la faction, ainsi que les titres -si
le joueur a choisi d’en porter- et éventuellement le nom de la guilde si le personnage

294Ibidem.
295Ibidem. Disponible page 37 sur le document mis en ligne par les auteurs à l’adresse suivante :
https://www.researchgate.net/publication/228445790_The_Proteus_Effect_Implications_of_Transform
ed_Digital_Self-Representation_on_Online_and_Offline_Behavior
223
fait partie de l’une d’entre elles, sont les informations basiques qui sont visibles
lorsqu’on croise un autre personnage. Elles peuvent permettre de se donner une idée
du type de joueur. Le schéma ci-dessous met en évidence les divers signes visuels
qui sont utiles pour identifier ou reconnaître le personnage :

Comme nous l’avons vu précédemment, c’est lors de la phase de création du


personnage que le joueur choisit sa faction, sa classe, son apparence, son nom… Le
personnage est le plus souvent la première forme physique sous laquelle on rencontre
l’autre joueur. Une petite parenthèse s'impose concernant les autres éléments visibles
et qui apparaissent au-dessus de la tête du personnage, et en premier lieu, les titres.
Les titres sont susceptibles de donner une indication, pour les joueurs qui les
connaissent, sur le personnage de l'autre joueur. Il existe deux types de titres, les titres
réservés au personnage, qu'il doit obtenir pour lui-même, et ceux liés à l'héritage qui
peuvent être utilisés sur tous les personnages présents sur le serveur et obtenus par
n'importe lequel d'entre eux. Si certains titres s'achètent, d'autres sont offerts sous
certaines conditions comme être abonné pendant une période spécifique ou
224
s'acquièrent en parvenant à achever des succès. Quoiqu'il en soit, un titre est
susceptible de renseigner le type de joueur qui incarne le personnage. A titre
d'exemple, prenons le titre « Chasseur d'humains » qui s'obtient après avoir tué 50
000 joueurs en zone de guerre, ce qui implique que le joueur dont le personnage le
porte a passé beaucoup de temps à jouer au mode « Joueur contre Joueur » et n'est
pas un novice dans ce domaine. D'autres succès sont liés à d'autres modes de jeu, à
un alignement, à l'artisanat, à la richesse acquise... Les titres peuvent donc être utiles
pour identifier un personnage ou se faire une idée du type de joueur auquel il
appartient.

Si en jeu, le personnage constitue la première image qu’on a de l’autre joueur,


cette image n’est pas forcément en lien avec l’apparence réelle du joueur. Bien qu'il
arrive que des joueurs essayent de faire un personnage qui leur ressemble
physiquement, la plupart du temps ce n’est pas le cas. Par ailleurs, dans les cas où le
joueur tente de faire un personnage qui lui ressemble, celui-ci est très fréquemment
embelli. Le joueur se fait davantage tel qu'il aimerait être que tel qu'il est réellement.
D'autre part, une partie conséquente des joueurs de sexe masculin jouent des
personnages du sexe opposé. Concernant l'apparence du personnage, hormis dans
des cas particuliers, notamment pour le jeu de rôle, les personnages sont séduisants
et plaisent physiquement aux joueurs qui les incarnent. Cette surreprésentation des
personnages féminins, le plus souvent stéréotypés et sexualisés, a aussi été observée
par d'autres chercheurs : « Examinations of video games and virtual worlds reveal that
men outnumber women (Williams, Martins, Consalvo, & Ivory, 2009) and that female
representations are overwhelmingly stereotypical (e.g., kidnapped princesses in need
of rescue) and often sexualized » 296 . De nombreux joueurs évoquent le fait qu'ils
apprécient passer des heures à regarder un personnage qu'ils jugent attrayant, et
expliquent que c'est la raison principale de ce choix qui privilégie le sexe féminin au
sexe masculin lors de la création du personnage. Lawrences par exemple explique le
choix du sexe de son personnage avec l’argument suivant : « puisqu’on va y passer
plusieurs heures devant, autant choisir un « petit cul » ». Certains rôlistes choisissent

BAILENSON Jeremy N., FOX Jesse, TRICASE Liz, « The embodiment of sexualized virtual selves:
296

The Proteus effect and experiences of self-objectification via avatars », Computers in Human Behavior,
N°29, 2013, p. 930.
225
aussi un personnage féminin pour laisser libre cours à leurs fantasmes 297 . La
réciproque n'est pourtant pas vraie puisque la majorité des joueuses rencontrées
avaient pour personnage principal un personnage féminin. Par conséquent, le sexe du
personnage n'est pas un indicateur du sexe du joueur, tout comme son apparence.

Tous les choix effectués lors de la création du personnage sont fondamentaux,


y compris son apparence, que le joueur veuille se représenter ou non. C'est le
personnage qui est vu en premier par les autres joueurs, non le joueur lui-même, et
c'est à travers lui qu'ils vont se faire une idée de l'identité du joueur. Nous avons abordé
dans la partie précédente la question des guildes, le fait que le personnage la
représente en en portant le nom, et contribue ainsi à forger sa réputation par ses
actions, nous avons insisté sur l'apparence et un dernier point est essentielle : le nom
du personnage. Plusieurs chercheurs se sont penchés sur le thème du nom du
personnage, nous pouvons mentionner l’étude menée par Nicole Crenshaw et Bonnie
Nardi. Les chercheuses de l’université de Californie affirment que le nom du
personnage représente l’identité du joueur en révélant par exemple ses centres
d’intérêts. Il est par ailleurs essentiel pour interagir avec les autres puisqu’il apparaît
même en l’absence du personnage -sur le canal de discussion, par message etc.- et
qu’il peut constituer une motivation ou un frein aux échanges. Dans leur article
« What’s in an Name ? Naming Practices in Online Video Games », elles abordent le
thème de nom persistant, c’est-à-dire conservé même hors du jeu dans le monde
virtuel, et parfois en dehors de celui-ci. Le nom du personnage est choisi par le joueur,
qui peut s’inspirer de ce qu’il apprécie, de l’univers du jeu ou même d’un générateur
de nom -ce qui est le cas dans Swtor-. Il fait partie de ce qui est personnalisable et qui
tend à rendre unique le personnage. Selon N. Crenshaw et B. Nardi, les joueurs sont
attachés au nom de leur personnage. Conserver le même nom permet aux autres de
reconnaître le joueur, que ce soit sur un autre serveur ou un autre jeu, ce qui aide à
entretenir les relations avec autrui. Les joueurs n’hésitent pas à opérer des
modifications orthographiques ou à prendre leur précaution pour être certains de
conserver le nom qu’ils veulent. Dans le cadre de nos recherches, nous avons appris

297 Notons que peu de personnages féminins sont célibataires, et les rares connues sont veuves,
contrairement aux personnages masculins qui tendent à être moins enclins à s'engager dans des
relations longues, ou à être de véritables séducteurs comme Ryngo ou Nairo.
226
par exemple qu’un joueur, Calagan, dès qu’il avait commencé à jouer, avait créé autant
de personnages qu’il avait pu s’appelant tous avec le même nom légèrement modifié
afin de bloquer son pseudonyme et d’empêcher les autres de l’utiliser. Les joueurs
affectionnent le nom qu’ils ont choisi et n’apprécient guère être confondus. Ajoutons
que dans les jeux vidéo la réputation est importante. Aussi, ils préfèrent qu’il n’y ait
pas d’autres joueurs avec des noms trop similaires. Il est important de faire remarquer
que le nom du personnage ne correspond pas systématiquement au pseudonyme
utilisé par le joueur bien que cela soit fréquemment le cas298. Dans le cas où il y a une
correspondance entre les deux, c’est la plupart du temps le nom du personnage
principal qui est aussi utilisé comme pseudonyme pour le joueur. D’une façon ou d’une
autre, le nom du personnage est associé au joueur qui l’incarne, même parfois
plusieurs années après que le joueur ait cessé de jouer au jeu mais qu’il entretient
toujours des relations amicales avec d’autres joueurs -anciens ou non-. Le nom du
personnage -ou le pseudonyme du joueur- devient un nouveau surnom pour l’individu.
Ce nom peut avoir du sens, faire référence à autre chose ou être choisi pour sa
sonorité… N. Crenshaw et B. Nardi ont distingué deux types de nom : ceux qui font
allusion à un autre média -littérature, cinéma etc.-, et ceux qui correspondent au jeu
ou au personnage. Alors que dans le premier cas il s’agit de faciliter les échanges en
affichant ses goûts, dans le second, le joueur s’attache à ne pas nuire à son immersion
et à celle des autres. Il s’agit de prendre en compte le lore, l’univers du jeu. Le joueur
montre aussi bien son sérieux que ses connaissances. Certains joueurs consacrent
du temps à des recherches pour trouver le nom qui va leur plaire et véritablement
correspondre à leur personnage. A la différence du nom officiel de chacun, ce nom est
choisi -même s’il existe des limites et restrictions 299 - et permet de conserver son
anonymat tout en dévoilant ce que l’on veut. Le nom du personnage permet de
s’exprimer ou d’exprimer qui on est, en laissant une place à sa créativité, à ses
envies... Les chercheuses écrivent à ce sujet « players used character names to
develop a sincere rather than idealized, identity in order to create a consistent

298 L’utilisation des vocaux comme Discord rend fréquent les situations où le pseudonyme du joueur

utilisé sur le vocal diffère du nom de son personnage en jeu. Par ailleurs, certains joueurs qui ont
beaucoup de personnages sans en avoir vraiment un principal ou qui en changent très régulièrement
se retrouvent aussi dans cette situation.
299 Il est impossible d’utiliser un nom déjà pris, ou allant à l’encontre des règles officielles du jeu comme

un nom jugé injurieux par exemple.


227
representative identity useful in interactiong with others »300. Le nom du personnage
serait ainsi révélateur de l’identité du joueur. Pour finir, il est pertinent de signaler que
les jeux en ligne massivement multijoueur proposent des moyens de renommer son
personnage en cas de besoin, mais cela demeure souvent très onéreux, ce qui est
aussi le cas dans Star Wars The Old Republic. Voici un schéma qui regroupe les
différentes thématiques liées aux noms des personnages rencontrés en jeu :

300 CRENSHAW Nicole, NARDI Bonnie, « What’s in an Name ? Naming Practices in Online Video
Games », 2014.
https://artifex.org/~bonnie/Crenshaw_Nardi_names.pdf (Consulté le 15/04/2019).
228
A titre d’exemples nous pouvons citer quelques noms de personnages d’autres joueurs
rencontrés tels que Onze, Ouvreboite, Cyanure, Téfoutu, Indiana Jones, Indécente,
Hàdes, Myrtille, Bourbon, Valmont, Nirayuki, Lapis Lazuli, Dark Vador, Matahari,
Gojira… Les adeptes du jeu de rôle ont tendance à privilégier des noms semblables à
ceux de personnages des films ou de livres Star Wars, par exemple Handho est assez
proche de Lando ou Holdosolo de Han Solo. Le choix du nom du personnage a une
incidence sur la façon dont il est perçu. Prenons l'exemple du personnage « Dark
Satele Shan », « Dark » étant un titre qui s'obtient en jeu, de nombreux joueurs se
moquent de ceux qu'ils appellent les « Dark », c'est-à-dire les joueurs qui nomment
leur personnage avec ce titre. Par ailleurs, Satele Shan est un personnage important
de l'univers de Star Wars et du jeu. Elle y occupe une place centrale en tant que
membre du Conseil de l'Ordre Jedi. Son affiliation est sans conteste lumineuse, aussi,
ce personnage impérial nommé « Dark Satele Shan » sera évité des rôlistes, moqué
par un certain nombre de joueurs ou perçu comme un « troll », sujet que nous
aborderons ultérieurement. Une dernière remarque doit être évoquée, il semblerait que
des différences sexuées existent dans le choix du thème du nom du personnage en
fonction du sexe du joueur. En effet, les hommes ont tendance à privilégier les
pseudonymes relatifs à la nourriture ou à la boisson, les noms difficilement
prononçables et les jeux de mot contrairement aux femmes. Au cours de mes
recherches, tous les personnages rencontrés ayant ce type de nom étaient joués par
des hommes.

Nous avons abordé précédemment la question de la tenue et de l’apparence du


personnage comme aspects essentiels qui permettent aux autres joueurs d’avoir une
image du joueur qui l’incarne. Dans « The effects of clothing style upon the reactions
of a stranger », les auteurs écrivent « immediate reactions to a stranger are based on
the first impressions he creates. The clothes worn are a major element in appearance
and therefore they can be thought of as playing a significant role in impression
formation »301. Si l’apparence du personnage en jeu comme celle d’une personne
renvoie une image, elle permet aussi d’obtenir des informations sur son identité, «

301 JUDD N., BULL Ray, GAHAGAN D., « The effects of clothing style upon the reactions of a
stranger », Social Behavior and Personality: An international journal, Vol. 3, 1975, p. 225.
229
clothes' characteristics transmit information about age, sex, personality traits,
socioeconomic status, values, political ideologies, etc. They may also indicate
interpersonal attitudes, such as, aggressiveness, availability, gracefulness, arrogance,
etc. »302. Plusieurs recherches ont été menées sur l’impact de tenues provocantes sur
l’image que l’on se fait d’une personne, nous pouvons notamment citer celle de Delwin
D. Cahoon et de Ed M. Edmonds ou encore celle de Regan A. R. Gurung et de Carly
J. Chrouser. Dans la première, les auteurs révèlent que les femmes comme les
hommes ont une vision négative du mannequin habillé de manière « sexy », dans le
cadre de l’expérience, même si ces derniers la trouvent plus séduisante et excitante.
Hommes comme femmes ayant participé à cette enquête la supposent plus active
sexuellement et moins fidèle que le mannequin vêtu de manière plus conventionnelle.
Ils estiment aussi qu’il y a plus de risques qu’elle soit agressée ou violée 303 . La
seconde étude porte sur la tendance des vêtements provocants à discréditer les
compétences et la crédibilité de la femme les portant et à mener à l’objectivation304.
La théorie de l’objectivation développée aux Etats-Unis par Fredrickson et Roberts est
la suivante : les femmes ne sont perçues que comme des corps, devenant ainsi des
objets soumis au regard masculin et à son jugement. Les hommes comme les femmes
peuvent « objectiviser » autrui ou soi-même, ou être objectivisés. Toutefois, les
hommes le font davantage envers les femmes qu’envers les autres hommes ou eux-
mêmes, alors que les femmes objectivisent autant les autres femmes que les
hommes305. Une corrélation peut être établie entre la perception des autres sur un
individu et la vision de cet individu sur lui-même. Cette évaluation n’est pas sans
conséquence, divers effets peuvent ainsi survenir comme une anxiété vis-à-vis de son
physique parfois jusqu’à la dépression, des troubles alimentaires… Les vêtements
suggestifs tendent à favoriser l’objectivation. Or comme nous l’avons souligné, les
personnages dans Swtor sont souvent de sexe féminin, séduisants, et les tenues en

302 SATRAPA Andrea, BURRATTINO MELHADO Marcia, CURADO COELHO Margarida Maria, OTTA
Emma, TAUBEMBLATT Ruben, DE FAYETTI SIQUEIRA Waleria, « Influence of Style of Dress on
Formation of First Impressions », Perceptual and Motor Skills, Vol. 74, 1992, p. 159.
303 CAHOON Delwin D., EDMONDS Ed M., « Male-female estimates of opposite-sex first impressions

concerning females' clothing styles », Bulletin of the Psychonomic Society, Vol. 27, 1989, p. 280 à 281.
304 GURUNG Regan A. R., CHROUSER Carly J., « Predicting objectification: Do provocative clothing

and observer characteristics matter? » Sex Roles, N°57, 2007, p. 91 à 99.


305 STRELAN Peter, HARGREAVES Duane, « Women Who Objectify Other Women: The Vicious Circle

of Objectification? », Sex Roles, Vol. 52, N°9, 2005, p. 707 à 712.


230
jeu ont que choisissent les joueurs pour leurs personnages sont assez osées. Le
personnage est alors un objet sexualisé, l’expression des fantasmes du joueur.

Si le personnage est l'image du joueur, il ne l'est pas uniquement visuellement.


Par l'attitude du joueur au travers de son personnage, les autres joueurs se font une
idée à son sujet. On se souviendra du nom d'un personnage qui abandonne
systématiquement les parties de zones de guerre lorsqu'elles se déroulent mal pour
l'équipe dont il fait partie, ou qui insulte les autres joueurs lorsqu'il est tué. On apprend
à connaître le joueur en le voyant agir par l'intermédiaire de son personnage, le plus
souvent avant de lui parler de vive voix sur un vocal, de le rencontrer véritablement...
La réputation du joueur est inextricablement corrélée à celle du personnage auquel il
est associé, d'où l'importance de son comportement lorsqu'il incarne son personnage.
C'est la raison pour laquelle des joueurs choisissent parfois de créer des personnages
qu'ils jouent différemment sans revendiquer les incarner, pour être en quelque sorte
anonymes et donc plus libres. Toutefois, il existe toujours des moyens pour identifier
un personnage, notamment grâce à l'héritage et aux succès.

La question de l'anonymisation est essentielle. La volonté d'être anonyme avec


certains de leurs personnages n'a pas les mêmes causes selon les joueurs. Certains
aspirent à un peu de tranquillité, ou souhaitent avoir plusieurs sphères d'amis en
fonction du personnage. D'autres tentent d'échapper à leur réputation, bonne ou
mauvaise, par exemple lorsqu'ils veulent apprendre à maîtriser une autre classe que
la leur sans subir de harcèlement de joueurs frustrés qui profiteraient de l'occasion
pour se venger. Les problèmes privés, plus graves, sont aussi un motif de désir
d'anonymisation. Les moqueries, injures, voire même le harcèlement peuvent pousser
des joueurs à refaire des personnages anonymes, c'est-à-dire, sans mettre en
évidence le fait qu'il les joue, et à délaisser le personnage sur lequel il subissait ce type
de comportement. Inversement, certains joueurs choisissent de créer des
personnages anonymes non pas parce qu'ils sont des victimes mais pour en être les
auteurs. Afin d'être « anonyme », avec le personnage en question, le joueur doit être
vigilent sur plusieurs points afin d'éviter d'être identifié avec le personnage en question
aussi bien hors du jeu, par exemple, éviter d'aller sur des vocaux où sa voix pourrait

231
être reconnue, qu'en jeu, en ne faisant pas un personnage semblable à celui sur lequel
il est connu -physique, nom, vêtements...-, en affichant pas son nom d'héritage qui est
commun à tous les personnages... Le schéma ci-dessous met en évidence de façon
synthétique les causes du désir d'anonymisation et les méthodes pour ce faire :

Nous pouvons distinguer trois types de personnage selon ce critère, de l'absence


d'anonymisation à l'anonymisation la plus totale, comme nous pouvons le voir sur le
schéma qui suit :

232
Ainsi, le personnage « public » est celui connu de tous, il est associé au joueur qui
reconnaît l'incarner auprès des autres joueurs. Le personnage « privé » est un
personnage dont le joueur a averti seulement un nombre restreint d'autres joueurs qu'il
lui appartient, en insistant sur le fait qu'il ne souhaite pas que cela s'ébruite. Pour
terminer le personnage « caché » est joué par le joueur qui dissimule le fait d'être celui
qui l'incarne à l'ensemble des autres joueurs. Tous les joueurs n'ont pas de
personnages cachés mais c'est tout de même assez fréquent. Les joueurs peuvent
donc avoir plusieurs images, une avec leur personnage « public », une autre avec leur
personnage « caché » s’ils adoptent des comportements différents en fonction du type
de personnage. Nous venons d'aborder la question de l'anonymisation des
personnages en lien avec le fait qu'ils représentent les joueurs, nous poursuivrons
l'étude des autres aspects de l'anonymisation par la suite.

a.3. Le personnage : un individu fictif

A plusieurs niveaux, on peut considérer que le personnage mène sa propre


existence sur laquelle le joueur exerce certes un pouvoir de contrôle, toutefois pas
nécessairement total. Tout d'abord, lorsqu'il suit le scénario proposé par le jeu, son

233
personnage est au centre de l'histoire. Dans ce cadre, le joueur fait des choix qui
contribuent à faire avancer l'histoire et à forger l'identité de son personnage, par
exemple en le faisant plutôt « gentil » ou « méchant », en décidant de le faire tomber
amoureux ou non d'un autre personnage proposé par le jeu et avec lequel cette option
est disponible, sujet que nous avons abordé précédemment... Cependant, il opère tous
ces choix dans le cadre du jeu, selon les possibilités qui s'offrent à lui et qui sont
définies au préalable par les développeurs du jeu. Ainsi, le personnage mènerait en
quelque sorte sa propre vie grâce à l'histoire dont il est le héros en jeu. Néanmoins,
ce qui s'apparente le plus à l'idée d'une vie, d'une identité, d'une apparence dissociée
de celle du joueur et propre au personnage concerne le jeu de rôle.

R. Caillois propose comme une des catégories de classification des jeux le


mimicry ou simulacre. Il écrit : « le jeu peut consister non pas à déployer une activité
ou à subir un destin dans un milieu imaginaire, mais à devenir soi-même un
personnage illusoire et à se conduire en conséquence »306. Il s’agit là exactement du
jeu de rôle qui consiste à créer un personnage et à le jouer comme s’il s’agissait d’une
personne à part entière. Le joueur est alors un comédien et son personnage, un rôle.
Il est primordial de s’attarder sur le jeu de rôle d’une part en raison de sa dimension
ludique et de sa capacité à créer des interactions sociales. D’autre part, aborder cette
activité permet de mieux appréhender la complexité et la richesse de la question de
l’identité dans les jeux vidéo en ligne massivement multijoueur en se concentrant sur
une de ses facettes grâce au personnage.

Le jeu de rôle ne concerne qu'une faible proportion des joueurs qui jouent à Star
Wars The Old Republic qui forment malgré tout une solide communauté. L'identité du
personnage est inventée par le joueur. Il lui imagine une personnalité, un passé, des
compétences, des goûts et des aspirations... Et va en fonction de ses éléments
commencer à jouer son personnage de façon cohérente avec l'image qu'il s'en fait. La
cohérence n'est pas toujours respectée à une échelle variable. Les joueurs même
lorsqu'ils essayent de rester cohérents sont parfois complètement déconnectés de la

306CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, coll. Folio
essais, 1967, p. 61.
234
réalité sans qu'ils ne s'en rendent compte pour autant, comme lorsque leurs
personnages rentrent dans le domicile de connaissances comme si c'était chez eux
sans frapper à la porte ou sonner et attendre qu'on vienne les accueillir. Autre exemple
les attitudes et sentiments exacerbés aboutissant à des situations improbables, il est
plutôt rare que bousculer involontairement un inconnu ou faire un compliment à une
femme mènent à la mort.

En lien avec la cohérence, le caractère exceptionnel de certains personnages


est aussi à signaler et n'est pas non plus toujours bien perçu. Voici des extraits de
réactions à un sujet posté sur le forum de la communauté des rôlistes du serveur Battle
Meditation, portant sur l'idée d'une création d'un personnage de l’espèce Chiss, qui
serait utilisateur de la Force et deviendrait Jedi307 : Cristalis est le premier joueur à
répondre à ce sujet et il écrit « […] ça relèverait tout de même de l'hérésie pour ma
part […] ». Zenra, quant à lui, laisse le message suivant "Est-ce que c'est possible ?
Oui...Est-ce que c'est une bonne idée ? Non ». Il ajoute par la suite un deuxième
message :

« C'est exactement ça le problème, tout le monde veut jouer un flocon de


neige spécial308, et tout le monde se dit qu'il a une "justification du tonnerre" pour le
faire...

Un FU309 est supposé être très rare.


Un FU repéré et formé pour devenir Jedi encore plus rare.
Un Chiss est supposé être rare à croiser (dans l'espace Républicain en tout cas).
Un Chiss qui nait FU est supposé être rare...
Un Chiss qui nait FU et qui se fait pas jeter à la poubelle illico par ses parents,
encore beaucoup plus rare.

Donc voilà, un Chiss FU Jedi, c'est le croisement de ces 5 choses qui rendent

307 Site consulté en janvier 2017, et duquel tous les extraits suivants sont extraits :
http://swtor-rp.webrpg.info/t5131-Jedi-Shiss.htm
308 Il s'agit d'une référence à un titre obtenu en jeu à l'occasion d'un évènement se déroulant pour Noël.
309 FU, pour Force User, signifie utilisateur de la force.

235
normalement la chose plus improbable que de gagner le gros lot de la loterie trois
fois de suite...

Donc pas impossible, mais il faut s'attendre à voir des portes se fermer devant son
nez aussi (de la part des joueurs pointilleux ou simplement lassés de croiser des
exceptions à tous les coins de rue). Si tu te lances en connaissance de cause, bonne
chance à toi »

Kinessa poursuit dans cette lignée :

« Ça existe. Mais comme dit et répété au-dessus, c'est rare, très rare, très rare,
et c'est une hérésie. Non pas que d'un point de vue externe à ton RP, ce soit considéré
comme une hérésie (honnêtement, c'est ton RP, tu en fais bien ce que tu veux tant
que tu ne RP pas avec moi), mais parce que les Chiss sont indécemment peu
sensibles à la Force et qu'étant une race alien 310 affiliée depuis des millénaires à
l'Empire (Thrawn, my lovely Lord), si jamais un Chiss désirait rejoindre les Jedi, il serait
déjà miraculeux qu'on le laisse dépasser la première semaine de vie, et encore plus
qu'il atteigne les frontières de son propre monde natal avant d'être exécuté s'il a de la
chance. Mais ça existe […] »

Quelques rares joueurs se sont faits « avocat du diable » pour reprendre les termes
utilisés et ont défendu ce projet mais la majorité des personnes qui se sont exprimées
s'y sont montrées opposées. Cet exemple illustre le problème de la cohérence ainsi
que celui de la rareté : à ne croiser presque que des exceptions, elles en deviennent
la norme et c'est ce qui apparaît comme banal qui devient rare. Pour pouvoir travailler
sur le jeu de rôle, j'ai dû intégrer cette communauté. Pour ce faire, j'ai créé un
personnage assez simple, une jeune femme devenue pilote de vaisseau cargo en
raison de son goût pour le voyage et l'exploration, transportant aussi bien des
personnes que des biens avec pour seuls critères l'aspect légal, et moral. Son attrait
pour la découverte de nouveaux horizons et son goût pour le pilotage lui ont permis
de développer certaines compétences. Bien qu’appartenant à l’espèce Mirialan, très

310 Dans l’univers de Swtor, les joueurs ont tendance à privilégier le terme « race »
236
peu jouée au moment de sa création, elle ne respectait pas toutes les traditions de son
peuple en refusant de cacher ses cheveux notamment, mais restait marquée par sa
culture et son éducation. Curieuse mais timide, elle est bienveillante et fidèle. Ce
personnage n'est pas utilisateur de la Force, il ne s'agit pas non plus d'un combattant,
et bien que sachant utiliser un blaster, elle est incapable de manier d'autres types
d'armes ou de se battre. Elle n'a pas non plus un rang élevé socialement ou
professionnellement. Elle ne se distingue pas par sa richesse ou sa célébrité. Ty'a est
donc une personne ordinaire, avec un emploi, une vie sociale et des loisirs. Or les
personnages ordinaires sont très peu présents, d'où la réaction de certains joueurs
venus vers moi, comme Symyrr : « les rp dit Banale, sont ceux qui marque le plus ces
temps-ci. Et souvent ceux qui sont de bien meilleur qualité. […] Beaucoup veulent du
surpuissant, god mode, etc. De "l'originalité". Sauf qu'a tous vouloir etre original, ils ne
le sont plus, et ce qui est original, c'est de faire un rp plus modeste » ou encore Sénid,
qui expliquait qu’il appréciait un de mes personnages « parce qu’elle change des
persos que je côtoie habituellement. Elle a des qualités, des défauts et ça la rend
unique ». Ainsi, il est important de réfléchir à l'identité initiale de son personnage avant
de le jouer.

Le premier personnage joué n’est pas nécessairement celui avec lequel on va


poursuivre l’aventure en tant que rôliste. Pour ma part, j’ai dû passer par plusieurs
phases avant de pouvoir jouer le personnage de Ty’a et d’intégrer véritablement la
communauté des rôlistes. Avant elle, il y a eu les personnages « tests » qui ont été
des tentatives de jeu de rôle n’ayant rien donné, et qui ont été assez rapidement
délaissés. Ensuite, vint les « ébauches », les personnages avec lesquels le jeu de rôle
a débuté et qui ont permis l’apprentissage de cette activité. Enfin, et à partir de Ty’a,
j’ai conçu des personnages véritablement associés à du jeu de rôle. Ce processus
d’expérimentations de cette activité, l’idée de personnages brouillons ou avortés avant
de pourvoir pleinement pratiquer le jeu de rôle avec un ou des personnages principaux
construits sont vécus par de nombreux rôlistes lors de leurs débuts. Il est parfois
indispensable de faire des essais pour déterminer ce qui convient le mieux au joueur.

237
Lorsqu’un joueur décide de jouer plusieurs personnages dans le cadre du jeu
de rôle, il choisit en général de faire des personnages différents sans quoi il y aurait
peu d’intérêt à en jouer plusieurs identiques. Cependant, on retrouve certaines
constantes. Ces constantes entre les personnages sont variables selon l’identité du
joueur qui les a conçus. Elles sont corrélées à plusieurs éléments tels que les goûts
personnels du joueur, le hasard, l’identité réelle de l’individu ainsi que ses
connaissances et compétences. Par exemple, certains rôlistes refusent de jouer un
personnage de l’autre sexe, arguant qu’ils éprouveraient de trop grandes difficultés à
bien l’incarner. D’autres privilégient des personnages dont ils connaissent les
spécificités raciales, culturelles… afin d’éviter des types de personnages dont ils
ignorent tout.

Le concept de « Mary-Sue » doit être abordé en lien avec l'identité et les


aventures menées par le personnage. Ce terme renvoie à un personnage qui
correspondrait à une version parfaite de son créateur dans le monde fictif auquel il
appartient. Généralement, Mary-Sue est employée pour les personnages féminins et
Marty Sue ou Gary Sue pour les personnages masculins -d'autres versions existent-.
« Mary-Sue » est plus fréquemment usité. Bien que ce terme fasse souvent référence
à des personnages de fanfiction311, il ne concerne pas uniquement le monde littéraire
et on le retrouve aussi dans le cadre du jeu de rôle. Les personnages de type Mary-
Sue ont pour spécificité d'être parfaits : des talents exceptionnels, un corps et un esprit
admirés de tous, ils n'ont jamais tort, et n'échouent pas... Ce type de personnage ne
fait pas l'unanimité parmi les membres de la communauté, et si des joueurs
reconnaissent un petit côté Mary-Sue à leur personnage, de façon globale les
personnages trop parfaits tendent à agacer les autres joueurs.

Bien que chaque personnage soit unique puisque c’est son créateur qui façonne
son identité, nous retrouvons fréquemment un ensemble de points communs entre les
personnages. La tranche d’âge majoritaire des personnages -hormis pour certaines
catégories de personnages, comme les vieux maîtres Jedis…- est souvent jeune avec

311Une fanfiction est une création de fan à partir d’une œuvre déjà existante. Ces créations peuvent
poursuivre ou transformer l’œuvre originelle. Elles peuvent prendre des formes variées : illustrations,
récits, vidéos…
238
une moyenne autour de 25 ans. La plupart des personnages joués sont des
personnages féminins, avec une forte proportion d’homosexuelles ou de bisexuelles.
Selon un rôliste, Joth, « beaucoup de femmes sont jouées par des hommes comme
des objets sexuels ». Les tenues des personnages tendent à confirmer ses propos.
Tout au long des mois au cours desquels je me suis penchée intensément sur la
pratique du jeu de rôle dans Swtor, je n’ai rencontré qu’un seul couple homosexuel
masculin. L’orientation sexuelle des personnages n’est absolument pas représentative
de celle des joueurs, ou de la société dans laquelle ils vivent, mais elle peut être
envisagée comme une forme de manifestation de fantasmes, conscients ou non.

Les joueurs habitués au jeu de rôle papier ont recours à une « fiche de
personnage » qui regroupe toutes les caractéristiques essentielles de leur
personnage, il en est de même pour certains rôlistes jouant à Swtor. Voici quelques
exemples de fiches de personnage312 :

312Voici les liens des images qui suivent :


http://horphelia.deviantart.com/art/Sharas-SWTOR-Character-sheet-479650932
http://swtor-rp.webrpg.info/t4813-Les-artisans-d-Anachore.htm
239
se transformer physiquement, comme lorsque Veicita s'est teint les cheveux en blanc
avant de reprendre sa couleur naturelle, brune, par la suite. Cette modification relative
à son apparence est survenue pendant une phase dans laquelle le personnage désirait
opérer des changements dans sa vie et sortir d'une phase de dépression. Cette
transformation physique est mineure, d'autres sont plus importantes. Par exemple,
Joth a perdu un bras au cours d'un combat. Suite à cette amputation, il s'est fait poser
au bras gauche une prothèse cybernétique. Le caractère du personnage évolue aussi
selon les expériences qu'il vit, tout comme on considère que celles passées l'ont aussi
façonné. Il en est de même pour ses compétences qui peuvent s'améliorer ou
péricliter. Ty'a par exemple maintient à niveau et améliore légèrement sa compétence
de tir en s'entraînant régulièrement au blaster, y compris avec des amis, pour ne pas
prendre la main et être capable d'utiliser son arme en cas de besoin.

Le personnage va en fonction de qui il est, des situations dans lesquelles il se


retrouve et de ses échanges avec les autres personnages vivre sa propre vie. Le
joueur a un pouvoir sur celle-ci, ce n'est pas contestable. Une place est souvent laissée
au hasard. C'est le cas lorsque le joueur prend des décisions ou subit un effet selon
des lancers de dé, le « rand ». Supposons par exemple qu'une bagarre éclate et que
notre personnage se retrouve dans la mêlée, il va essayer d'en sortir, pour réaliser le
succès ou l'échec de cette action, le joueur va faire un « lancer de dé » en jeu, qui lui
donne un chiffre aléatoire compris entre 0 et 100. En général, plus le chiffre est bas,
plus c'est négatif, plus c'est élevé, plus c'est positif. Dans cette situation, considérons
qu'il fasse 52, l'action sera réussie mais avec difficultés, il pourra par exemple réussir
à sortir mais aura pris quelques coups laissant de jolis bleus ou alors, parviendra à se
faufiler hors de la mêlée mais trébuchera et tombera de tout son long juste à côté sans
se faire trop mal. Si le lancer de dé avait été de 86, le joueur aurait pu décider que son
personnage sorte indemne de la bagarre et avec classe. Inversement, s'il avait fait 28,
il se serait trouvé coincé dedans, et en plus de plusieurs contusions, aurait eu le nez
cassé. Cet exemple fictif a pour objectif de faire comprendre que le joueur doit se plier
dans une certaine mesure au résultat du lancer de dé. Quel que soit le résultat, c'est
tout de même lui qui imagine les conséquences de ce résultat en prenant en compte
tous les facteurs –la situation, les personnages...-. Par ailleurs, chaque joueur a ses

241
propres limites concernant son personnage. Dans des situations mortelles si l'action
est jouée au lancer de dé, que les résultats sont mauvais, que le personnage est
grièvement blessé et que le dernier score pour sauver son personnage est 0, certains
joueurs accepteront le décès de leur personnage, d'autres fixeront des limites comme
un coma et l'impossibilité de le jouer pendant un temps qui correspondra à une période
de guérison.

Ce seuil de ce que le joueur est prêt à accepter pour son personnage est
variable et ne concerne pas que la mort. Les blessures physiques, du petit bobo aux
graves blessures laissant des cicatrices, les brûlures, ou même la perte d'un membre
sont autant d'exemples de la variété des degrés des séquelles possibles qu'un joueur
est prêt ou non à laisser endurer à son personnage. Les souffrances psychologiques
et leurs conséquences sont aussi sujettes aux limites imposées par le joueur. Il ne faut
pas confondre les limites relatives à ce qui peut arriver à son personnage, aux limites
liées au jeu de rôle proprement dit et qui concernent le joueur. Certains joueurs
refusent en effet de jouer certaines scènes. Ils considèrent qu'elles sont vécues par le
personnage mais opèrent des ellipses. C'est en particulier le cas des scènes qui
concernent la sexualité du personnage.

La séduction et la sexualité sont des thématiques qui occupent une place non
négligeable dans le jeu de rôle. Les personnages tissent des liens entre eux en
fonction de leurs interactions. Ils éprouvent des pulsions et des sentiments. De ce fait,
un personnage a une vie sexuelle, associée ou non à une vie sentimentale. On
rencontre des personnages séducteurs, d'autres romantiques, des célibataires ou en
couple, fidèles ou non... Il est difficile d'estimer les pratiques concernant la censure ou
non de ce type de scènes au sein de la communauté, malgré tout, cette pratique est
assez fréquente et porte même un nom, le « RPQ ». De la censure totale à la scène
jouer intégralement de façon détaillée, il y a plusieurs degrés. Quoiqu'il en soit certains
joueurs sont très friands de ce type de jeu de rôle et y consacrent beaucoup de temps.

242
A la lumière de ces informations, la question de l'identification du personnage
se pose. Parfois « il » ou « elle » selon son sexe, il est aussi « je », comme le montre
le schéma suivant :

Selon les situations, le joueur utilisera un pronom ou l'autre, parfois de façon assez
chaotique, le « il » ou « elle » se mélangeant au « je ». Le personnage est cet
ensemble, il est incarné, contrôlé, par le joueur tout en ayant d'un autre côté sa propre
individualité, particulièrement pour les adeptes de jeu de rôle. Il arrive parfois qu'il y ait
des confusions pour le joueur et des difficultés à dissocier le jeu de rôle de la réalité
en particulier lorsque le personnage est façonné selon la personnalité du joueur, qui
s'identifie un peu trop à son personnage.

b) Le joueur

b.1. Le joueur comme protagoniste d’un vaste monde virtuel

Christine Guionnet et Erik Neveu reviennent sur les différences genrées liés aux
technologies et à l’informatique : « l’usage masculin de l’informatique et des écrans
suppose une plus grande maîtrise technique, des satisfactions tirées d’une capacité
de perfectionner l’outil lui-même ; il suggère une capacité plus grande de faire
243
fonctionner les ressources techniques pour construire un espace-bulle, ou pratiquer
des jeux compétitifs »313. Ils rappellent aussi que « les hommes sont deux fois plus
nombreux que leurs épouses à pouvoir donner les caractéristiques du micro-
processeur, plus nombreux à avoir une connaissance technique de leur ordinateur, à
apprendre des langages informatiques, à intervenir sur les possibilités de la
machine »314. Cependant, la maîtrise de l’informatique n’est pas nécessaire pour jouer
à des jeux sur ordinateur. Le téléchargement et l’installation sont relativement simples
et permettent aux néophytes, hommes comme femmes, de jouer sans avoir de
connaissances particulières relatives à la programmation… Par conséquent, les écarts
de maîtrise de cet outil entre les sexes n’ont pas véritablement d’incidence en ce qui
concerne l’usage des jeux vidéo sur PC. Si une partie des joueurs est plutôt ignorante
dans ce domaine, une autre possède une maîtrise plus ou moins importante en
informatique, on rencontre de nombreux joueurs qui ont ainsi eux-mêmes monté leur
unité centrale en fonction de leurs souhaits.

En France, selon l’enquête du CNC315 et de l’Ifop316 datant de 2015317, 73,3%


des Français et Françaises jouent aux jeux vidéo et 72,2% à des jeux en ligne. La
moitié des joueurs jouent quotidiennement, avec un temps de jeu principalement
compris entre trente minutes et une heure, pour 30% des joueurs, et entre une heure
et deux heures, pour 34,6% d’entre eux. Si les pourcentages de joueurs ayant des
temps de jeu extrêmement faibles ou au contraire très élevés sont bas, il importe tout
de même de faire remarquer que 10,5% de joueurs consacrent entre trois et huit
heures à cette activité. L’ordinateur est le support privilégié, devant les consoles. En
fonction des supports, les pratiques divergent. Par exemple, l’utilisation de tablette est
corrélée à un usage de courte durée, contrairement aux ordinateurs, caractérisés par
une utilisation plus longue. En général, le joueur ou la joueuse sont seuls devant leur
ordinateur et à la maison. Cependant, il est nécessaire de remarquer les écarts relatifs
aux jeux multijoueur en ligne selon le sexe. En effet, d’après cette enquête, les jeux

313 GUIONNET Christine, NEVEU Érik, Féminins / Masculins, sociologie du genre, Armand Colin, coll.
U, 2009, 2e édition, p. 256.
314 Ibidem, p. 255.
315 Le CNC est le centre national du cinéma et de l’image animée.
316 L’Ifop est l'Institut Français d'Opinion Publique, il réalise principalement des sondages.
317 CNC, Ifop, Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français, 2015.

244
multijoueur en ligne comprendraient 69,8% d’hommes et seulement 30,2% de
femmes. Star Wars The Old Republic est un jeu en ligne massivement multi-joueurs
qui permet d'évoluer dans l'univers de Star Wars. Dès lors, le fait que le public soit
principalement masculin est renforcé, d'une part en raison type de jeu, et d'autre part,
en raison de l'univers dans lequel l'action se déroule. Ce qui n'exclut toutefois pas la
présence de joueuses. En général, les joueurs adeptes de ce type de jeu sont assez
jeunes. Or, dans Swtor, le public en termes de tranches d'âge est assez varié,
justement parce qu'il inclut des fans de Star Wars qui se sont intéressés au jeu
uniquement en raison de leur attachement à l'univers. D'adolescents aux personnes
d'âge mur, on rencontre aussi bien des collégiens que des pères ou mères de famille.
En collectant des données relatives aux âges des joueurs au fil des années, le doyen
de mon échantillon prétendait avoir 84 ans et le benjamin avait 13 ans318. Il n’est pas
rare de rencontrer des joueurs ou joueuses ayant entre 50 et 60 ans, et nombreuses
sont les guildes qui comportent un senior, davantage encore sont celles qui intègrent
des adolescents mineurs. Bien entendu, les guildes familiales ont tendance à accueillir
des tranches d’âge plus étendues que d’autres types de guilde notamment celles
imposant des critères restrictifs.

Nous avons évoqué précédemment qu’une partie non négligeable des joueurs
étaient en réalité des joueuses. Dmitri Williams, Mia Consalvo, Scott Caplan et Nick
Yee 319 se sont penchés sur les questions de genre dans les jeux vidéo en ligne
massivement multi-joueurs, et en particulier sur les rôles et attitudes adoptés par le
joueur en fonction de son sexe. Le jeu semble être davantage pour les femmes que
pour les hommes un espace de sociabilité. Alors que les joueurs ont tendance à
privilégier la réussite dans le cadre du jeu, les femmes se focaliseraient plutôt sur les
relations. Les auteurs écrivent à ce sujet « males were more motivated by achievement
than female players […]. In addition, this analysis revealed that females were slightly
more socially motivated than male players »320. Il est d’ailleurs fréquent qu’elles jouent

318 N’ayant pas rencontré hors du monde virtuel le premier joueur contrairement au second, il n’est pas
possible de confirmer son âge.
319 WILLIAMS Dmitri, CONSOLVO Mia, CAPLAN Scott, YEE Nick, « Looking for gender: Gender roles

and behaviors among online gamers », Journal of Communication, N°59, 2009, p. 700 à 725.
320 Ibidem p. 710-711.

245
avec leur partenaire et commencent à découvrir le jeu avec lui. De nombreuses
femmes jouent ainsi en couple, près de 61% selon les auteurs, contre 24% pour les
hommes321. Les résultats de leur enquête révèlent que les joueurs sont plus agressifs
physiquement et verbalement que les joueuses, et que les hommes le sont encore
bien plus lorsqu’ils jouent avec leur compagne, qui elles, inversement, se montrent
beaucoup plus douces en leur compagnie. Cependant, contrairement aux idées reçues
les femmes jouent plus que les hommes, pas en ce qui concerne le nombre de jeux
mais le temps passé sur le jeu. Bien que les hommes jouent à plus de mmo, même en
prenant en compte le temps consacré à ces autres jeux, le temps total demeure en
moyenne supérieur pour les femmes par rapport aux hommes. Il y aurait aussi plus de
joueuses intensives que de joueurs intensifs. Il est toutefois intéressant de signaler
que dans les deux cas, le temps passé en jeu est sous-estimé, et surtout par les
femmes. Dmitri Williams, Mia Consalvo, Scott Caplan et Nick Yee expliquent ce point
en rappelant que le jeu vidéo est encore souvent perçu comme un univers masculin,
et qu’en ce qui concerne les activités jugées socialement appropriées pour les femmes
dans une vision traditionnelle, ce type de loisir est exclu. D’autre part, le temps passé
à jouer n’est pas consacré aux activités ménagères et aux soins pour les enfants par
exemple et la pression sociale pourrait être la cause du fait que les femmes sous-
estiment grandement le temps qu’elles passent en jeu.

En lien avec le type de joueur dont il s’agit, la vision qu’un individu a du jeu vidéo
varie. En premier lieu, nous devons le considérer pour ce qu’il est, c’est-à-dire un jeu :
une activité destinée avant tout chose à se divertir. Le jeu est donc envisagé comme
un loisir, une pratique ludique offrant à ceux qui s’y adonnent du plaisir. Johan
Huizunga a consacré son ouvrage Homo ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu à
l’étude du jeu. Il écrit aussi que « le jeu est plus ancien que la culture »322, développant
ensuite son idée, expliquant que « la culture naît sous forme de jeu, la culture, à
l’origine, est jouée »323. Les animaux comme les hommes jouent, et ce dans toutes les
sociétés. R. Caillois, autre spécialiste de cette thématique oppose le sacré au jeu,
« par le sacré, source de la toute-puissance, le fidèle se sent débordé. Il est désarmé

321 Ibidem p. 718.


322 HUIZINGA Johan, Homo ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, Paris, 2017, p. 15.
323 Ibidem, p. 75.

246
en face de lui et à sa complète merci. Dans le jeu, c’est l’opposé : tout est humain,
inventé par l’homme créateur. C’est pour ce motif que le jeu repose, détend, distrait
de la vie et qu’il fait oublier dangers, soucis, travaux »324.

Bien entendu, les sources de satisfaction vont différer selon les attentes et les
goûts du joueur. Au sein d’un même jeu, tout le monde n’apprécie pas les mêmes
choses. Alors que des joueurs vont adorer suivre le scénario conçu pour leur
personnage, d’autres vont n’y trouver aucun intérêt et privilégier les affrontements
entre joueurs par exemple.

Comme beaucoup de jeux, les jeux vidéo en ligne ont des règles. Nous pouvons
dissocier deux types de règles : celles en lien avec le fonctionnement du jeu et celles
relatives aux joueurs. Les premières constituent en quelque sorte les lois de l’univers
du jeu et sont les plus difficiles à briser, car les tricheurs sont aussi présents dans les
jeux vidéo. Certains possédant des connaissances en informatique sont en mesure
d’enfreindre ces règles établies, par exemple en modifiant la vitesse maximale de leur
personnage ou leur puissance. Dans le second cas, il s’agit de règles qui ont
principalement pour objectif de maintenir l’ordre social. En effet, les joueurs peuvent
communiquer entre eux, et donc agir ou tenir des propos inappropriés -racistes,
homophobes…-. Lorsque des joueurs ne respectent pas les règles, ils encourent des
sanctions. Ces sanctions sont échelonnées selon la gravité de l’infraction commise et
peuvent être temporaires ou permanentes. Des employés d’Electronic Arts affectés à
Swtor sont chargés de veiller au bon fonctionnement du jeu et aux respects de ses
règles. Si pour certains jouent avec légèreté pour d’autres il s’agit d’une activité très
sérieuse qui demande un investissement important, c’est en particulier le cas pour tout
ce qui a trait au contenu de haut niveau ou classé, dès lors ils tolèrent encore moins
les diverses formes de tricheries.

Au cours de ce travail, j’ai pu rencontrer des individus qui jouaient en premier


lieu afin de fuir une réalité difficile à vivre. Le jeu devient alors la porte vers un autre

324 CAILLOIS, Roger, L 'homme et le Sacré, Paris, Gallimard, 1950, p. 207.


247
monde qui permet à l’individu de s’évader. Le schéma ci-dessous présente divers
motifs à l’origine de ce besoin :

Les joueurs souffrants, que ce soit physiquement ou psychologiquement, parviennent


parfois à oublier leurs maux lorsqu’ils jouent. Cette activité ludique peut aussi leur
permettre de garder un lien avec les autres même lorsqu’ils sont seuls chez eux. Par
ailleurs, j’ai été amenée à rencontrer un joueur en situation de handicap qui ne pouvait
pas marcher. Son personnage, qui avait d’ailleurs toujours les pieds nus, était en
permanence mobile. Même lorsque son personnage devait attendre dans un espace
réduit, il courait partout où il le pouvait. Bien qu’incapable de se déplacer dans le
monde dit « réel », il était libre de le faire dans le monde virtuel, ce qui le rendait
heureux. De façon plus globale, nombreux sont ceux qui aiment oublier leurs
problèmes en jouant. Ces problèmes, plus ou moins graves, sont liés aux vies de
chacun : difficultés financières, séparation, situation familiale complexe… Toutefois,
ces problèmes ne disparaissent pas complètement et peuvent resurgir au cours d’une
conversation à un moment, de façon volontaire ou non. Enfin, le jeu, en tant que loisir,
est aussi le moyen par excellence pour combattre l’ennui comme peut l’être un livre,
une sortie, une activité manuelle ou sportive selon les goûts individuels.

248
Il semble important de faire une parenthèse sur une pratique de plus en plus
fréquente : le tourisme virtuel. L’étude de la pratique et du phénomène touristiques a
véritablement débuté dans les années 1960. Elle s’est progressivement développée et
de nombreux chercheurs de disciplines variées tels que Jafar Jafari ou Nelson
Graburn, s’y sont intéressé, voire ont consacré nombre de leurs travaux de recherche
à ce thème. Si les recherches sur les jeux vidéo et le tourisme, se multiplient et que
les connaissances s’accumulent, il n’en demeure pas moins qu’elles restent le plus
souvent dissociées. Or les jeux vidéo et le tourisme s’avèrent en réalité être liés en
raison d’un nouveau phénomène social : le tourisme virtuel. Le tourisme renvoie à
l’idée de mobilité et la pratique du jeu vidéo à celle d’une activité plutôt statique.
Semblant de prime abord contradictoires, ces deux loisirs peuvent pourtant être liés.
En effet, le joueur peut aussi être un voyageur et c’est à travers le personnage qu’il
incarne qu’il se voit offrir la possibilité de découvrir un nouveau monde ou de parcourir
le sien différemment.

L'article « Les vacances des Français depuis 40 ans » de Laurence Dauphin,


Marie-Anne Le Garrec et Frédéric Tardieu325, bien qu'un peu daté maintenant reste
pertinent pour analyser l'évolution des pratiques liées au tourisme. Les auteurs
soulignent que l'âge est un facteur qui intervient dans les départs en vacances. Les
jeunes actifs et les étudiants sont ceux qui partent le moins en raison de leur activité
et faute de moyens. Or ces spécificités sont particulièrement intéressantes pour la
suite de notre propos. Dans « Départs en vacances : la persistance des inégalités »,
Céline Rouquette explique que « quatre Français sur dix ne partent pas en vacances »
dont quatre sur cinq par contrainte326. Ces contraintes sont de plusieurs ordres et il
peut d'agir d'un empêchement ponctuel, ou non. Cependant, il s'avère que dans la
moitié des cas la raison principale qui leur rend impossible tout départ en vacances
est d'ordre financière.

325 DAUPHIN Laurence, LE GARREC Marie-Anne et TARDIEU Frédéric, « Les vacances des Français
depuis 40 ans », Le tourisme en France, INSEE, 2008, p. 31 à 40.
326 ROUQUETTE Céline, « Départs en vacances : la persistance des inégalités », Economie et

statistique, n°345, INSEE, 2001, p. 33.


249
Ainsi, en parallèle de l’augmentation des départs en vacances ces dernières
décennies327, y compris hors de nos frontières, les jeux vidéo ont eux aussi connu un
immense succès, devenant de plus en plus populaires au fil des décennies mais aussi
plus immersifs. Les améliorations technologiques et le développement des jeux, sans
oublier la dimension esthétique, a abouti à en faire le dixième art.

Dès lors il semble important de préciser que ce concept ne renvoie pas à une
seule forme de tourisme avec un profil type des personnes qui le pratiquent. Ce voyage
dans l'espace virtuel n'est pas nécessairement solitaire, il peut être choisi comme
alternative et à défaut de la possibilité de partir en vacances de façon plus
conventionnelle. Lors de mon travail de terrain, j'ai été amenée à rencontrer plusieurs
cas de figures. Une partie non négligeable de ces joueurs touristes étaient des
personnes qui ne pouvaient pas voyager pour des raisons de santé ou financières,
voire des contraintes personnelles. Il s'agissait surtout d'individus jeunes, actifs ou bien
encore étudiants, mais pas uniquement. Dans les cas de ceux contraints de rester
chez eux faute de moyens, les personnes occupaient des emplois requérant peu ou
pas de qualification et caractérisés par un faible revenu. Si les actifs privilégient leurs
congés pour s'adonner à ce type d'activité, les étudiants profitent des périodes de
vacances ne se déroulant pas avant des examens et les inactifs ont quant à eux
beaucoup plus de libertés de choix. Il s'avère qu'on remarque une certaine corrélation
entre les profils de ceux qui ne partent pas en vacances et ceux qui pratiquent du
tourisme virtuel. Toutefois, ils ne sont pas les seuls à s'adonner à cette pratique. A titre
d’anecdote, une collègue m’a raconté qu’une de ses amies avait finalement passé
toutes ses vacances fin 2018 à jouer à Red Dead Redemption II plutôt que de partir
quelque part, ce qu’elle avait prévu initialement. Elle a même constitué un dossier
album photo sur son ordinateur comprenant toutes les images qu’elle a prise en jouant.
La sortie récente du jeu et son engouement pour celui-ci l’ont en l’occurrence
détournée des vacances telles qu’elles étaient initialement envisagées.

327Les taux de départs augmentent -y compris à l'étranger- passant de 43% en 1964 à 65% en 2004
selon L. Dauphin, M.-A. Le Garrec et F. Tardieu.
DAUPHIN Laurence, LE GARREC Marie-Anne et TARDIEU Frédéric, « Les vacances des Français
depuis 40 ans », Le tourisme en France, INSEE, 2008, p. 1.
250
Le tourisme virtuel diffère en raison de ses spécificités du tourisme tel qu’on
l’envisage d’ordinaire. D’un côté, il est limité, notamment en ce qui concerne
l’expérience sensorielle puisqu’il est par exemple impossible de sentir, de goûter ou
de toucher. Cependant, il se distingue par des propriétés spécifiques telles que son
accessibilité, la sécurité, l’absence des contraintes inhérentes aux déplacements... et
surtout, la possibilité d’explorer une grande diversité de lieux étonnants.

Aborder le concept de tourisme virtuel nécessite de prendre le temps de le


définir. J’entends par tourisme virtuel la pratique d’une forme de tourisme qui se
déroule dans un espace virtuel, et en particulier au sein des jeux vidéo. Afin de pouvoir
caractériser cette pratique de touristique, il faut que l’individu adopte naturellement
certains comportements que l’on pourrait qualifier de « touristiques » et que son état
d’esprit y corresponde, qu’il en ait ou non conscience, et ce pendant une période
relativement longue même si elle n’est pas continue. Il n’est pas possible d’être en
continu devant l’écran de son ordinateur ou derrière son casque de réalité virtuelle,
mais la question du temps importe.

L’analyse des pratiques s’impose donc. Bien entendu, tous les touristes
n’expérimentent pas de la même façon leur voyage, ils ne le vivent pas de la même
manière. Toutefois, il est possible d’observer des comportements récurrents que l’on
retrouve aussi dans le tourisme virtuel. Tout d’abord, les différents types qui souvent
sont associés entre eux comme le tourisme culturel, historique ou ethnique, ou le
tourisme lié à la nature, écologique ou environnemental328, sont aussi présents dans
l’univers virtuel. Un joueur qui devient un touriste va explorer les lieux à la recherche
d’un magnifique paysage, ou visiter les monuments célèbres d’une ville. Il va prendre
des impressions écrans à défaut de pouvoir prendre des photographies, et
éventuellement les partager avec ses amis. Il peut choisir d’acheter des souvenirs
lorsque c’est possible, par exemple une tenue locale qu’il n’est pas possible de trouver
ailleurs et qu’il pourra faire porter à son personnage ou simplement conserver. Il pourra

GRABURN Nelson, « Tourism : The Sacred Journey », Hosts and Guests : The Anthropology of
328

Tourism, University of Pennsylvania Press, 1989, p. 27.


251
flâner ou organiser un itinéraire en s’aidant de sa carte, choisir de découvrir davantage
l’histoire des lieux qu’il parcourt ou non…

Il est absurde de négliger le fait qu’il existe de multiples différences entre le


virtuel et le non virtuel. La question des risques disparaît en quelque sorte, les dangers
même mortels sont uniquement encourus par le personnage. Les formalités
administratives sont inexistantes. Le coût de cette forme de tourisme est
drastiquement faible en comparaison de celui d’un voyage. Par ailleurs, les jeux vidéo
sont aussi accessibles à des catégories de personnes pour qui les autres formes de
tourisme plus conventionnelles s’avèrent être compliquées ou impossibles, notamment
les personnes en situation de handicap ou ayant des problèmes de santé. Néanmoins,
le tourisme virtuel ne présente pas que des avantages et affiche ses limites. Celui qui
le pratique ne pourra jamais goûter la cuisine locale, il ne sentira pas les odeurs qui
peuvent être propres à un endroit, ou ressentir le moindre contact physique avec les
autres, ou du vent contre sa peau. Ces différences n’altèrent pas le fait que d’une part
le tourisme virtuel est bien réel mais que les émotions qu’il provoque, comme la joie
ou l’émerveillement, le sont tout aussi.

Le voyage est d’abord spatial. Le jeu permet d’explorer les lieux connus et
méconnus de notre planète. Des libertés artistiques peuvent être prises, par exemple
les noms peuvent être changés, les échelles pas respectées… Malgré tout, il est aisé
pour le joueur de reconnaître ces espaces qu’il a déjà vus ou qu’il imagine. Les détails
visuels mais aussi sonores contribuent à renforcer l’immersion et lui donnent
l’impression d’être ailleurs. Lors du développement du jeu, un temps conséquent est
consacré à l’étude des lieux, qui sont observés, photographiés… Il ne s’agit pas
uniquement de présenter visuellement un lieu, l’enjeu est d’en faire ressentir
l’atmosphère, de permettre au joueur de s’y croire et d’une certaine façon d’y être.

De nombreux jeux et licences sont propices aux voyages, en particulier ceux


en « monde ouvert » comme Star Wars The Old Republic, c’est-à-dire qui laissent
libres les joueurs de parcourir l’espace virtuel, sans leur imposer un chemin linéaire
déjà établi qui empêcherait leurs déplacements en dehors de celui-ci. Ces jeux sont

252
de différents types : aventure avec notamment la licence Uncharted, action, infiltration
comme Metal Gear Solid V : The Phantom Pain… L’image ci-dessous est extraite de
Uncharted 4: A Thief's End jeu développé par Naughty Dog et datant de 2016 :

La scène se déroule sur l’île de Madagascar. L’idée est de souligner que Swtor n’est
pas un cas unique de jeu propice au tourisme virtuel, et qu’il n’est pas nécessaire que
le jeu soit massivement multijoueur pour que ce phénomène apparaisse.

D’autre part, les jeux vidéo peuvent proposer aux joueurs de voyager non
seulement dans l’espace mais aussi dans le temps. C’est notamment le cas des
Assassin’s Creed dont chaque jeu propose un espace et une temporalité différente,
l’Italie au XVème siècle, Paris pendant la Révolution, la Grèce antique… Dans
Assassin’s Creed Origins, c’est l’Egypte ancienne que le joueur parcourt. Et la mise à
jour Discovery Tour, accessible gratuitement pour les possesseurs du jeu, mais qu’il
est aussi possible d’acheter séparément, témoigne des pratiques des joueurs qui se
tournent de plus en plus vers le tourisme virtuel. Discovery Tour permet de parcourir
le monde de Assassin’s Creed Origins sans aucune action. Il propose des itinéraires
thématiques pédagogiques variés et apportent des informations au fur et à mesure du
chemin sur l’histoire, la culture… Le joueur peut choisir le sujet qui l’intéresse de la
planification de la ville d’Alexandrie à la crucifixion en passant par le foyer égyptien.
Dès le début de la visite sélectionnée, une voix lui souhaite la bienvenue et la durée
253
estimée du parcours est affichée, lorsque les sites clés sont atteints des explications
sont fournis, et une œuvre est présentée, souvent une pièce de collection présente
dans un musée. Ces visites correspondent en quelque sorte à un circuit avec un guide.
Si le joueur incarne un personnage prédéfini il a toutefois la possibilité de choisir parmi
plusieurs propositions. Il peut donc déambuler sous les traits d’un enfant ou d’un
adulte, d’une femme ou d’un homme, d’origine, de classes différentes. Par ailleurs, il
peut aussi devenir un aigle afin d’observer les lieux avec plus de hauteur et admirer la
vue qui s’offre à lui. Il est invité à prendre des photographies et à les partager avec les
autres joueurs. En dehors de la dimension pédagogique -des égyptologues ont été
consultés afin que le jeu soit le plus fidèle possible à la réalité historique-, ce jeu est
une invitation au voyage. Il permet de se promener, de jour comme de nuit, à pied ou
sur une monture, sur toute la carte sans être contraint de suivre une route particulière.
Voici un exemple de paysage rencontré :

Les langues entendues, les scènes observées, sont autant de détails qui enrichissent
l’univers.

Le tourisme pratiqué par les joueurs propose donc une autre forme de voyage
qui ne se limite pas à notre planète. Les jeux de rôle en ligne massivement multijoueur,
dont le plus célèbre reste World of Warcraft, sont également un moyen de voyager. Le
joueur accède à l’inaccessible, il peut traverser les dunes du désert de Tatooine dans
254
Star Wars The Old Republic, visiter les cités elfes dans The Elder Scrolls Online, ou
admirer les chaînes de montagne dans Guildwars 2. Cette pratique de tourisme se
développe dans des espaces virtuels inspirés ou non du monde réel. Les lieux fictifs
ne sont en aucun cas écartés. Les images suivantes sur lesquelles des personnages
de différents joueurs posent témoignent de la diversité des paysages dans Swtor :

Quel que soit le type d’univers, de plus en plus d’adeptes de ces jeux
particulièrement immersifs adoptent des comportements de touristes, comme prendre
un selfie de son personnage devant un paysage, ou acheter des souvenirs d’une
région visitée. L’impression écran remplace alors la photographie. La recherche d’un
dépaysement lors d’un voyage peut expliquer le succès de ces environnements
imaginés mais pas uniquement. Certains jeux sont issus d’œuvres intertextuelles. Les

255
jeux, les films, les livres sont tous rattachés à un monde affectionné et le tourisme
virtuel est un nouveau moyen d’y accéder.

Pour conclure sur cette question du tourisme virtuel, il semble important de


rappeler les avancées technologiques et plus particulièrement à la réalité virtuelle qui
pourrait offrir un avenir prometteur pour cette forme de tourisme en accentuant le côté
immersif d’une part mais aussi avec la future mise sur le marché de produits destinés
à cet effet puisque des développeurs de jeux vidéo dont Ubisoft ont décidé de se
tourner vers cette voie.

b.2. Le joueur et ses avatars

Le concept d’avatar est un des plus étudiés, en particulier aux Etats-Unis ces
dernières années, par des chercheurs de nombreuses disciplines. Mot d’origine
sanskrit, une langue indo-européenne, signifiant « descente » et faisant référence à
l’incarnation d’une divinité sur terre dans la religion hindouiste, ce terme a aujourd’hui
une nouvelle signification. Avatar est très bien défini par Jeremy N. Bailenson,
spécialiste de ces questions, et Jim Blascovich : « digital representation of humans in
online or virtual environments »329. Les chercheurs anglophones ont dissocié l’avatar
de l’ « embodied agent » qui correspond à un personnage contrôlé par l’ordinateur :
« humans control avatar behavior, while algorithms control embodied agent
behavior »330. Dans l’univers des jeux vidéo, en français, PNJ, c’est-à-dire personnage
non-joueur, remplace « embodied agent ». Les PNJ sont donc des personnages
contrôlés par l’ordinateur. Les joueurs ont tendance à utiliser le terme personnage, et
plus simplement « perso » lorsqu’ils font référence à leur avatar en jeu. L’apparence
de l’avatar n’est pas nécessairement corrélée à l’apparence de celui ou celle qu’il
représente, il n’est même pas forcément humain ou du même sexe… Des millions
d’individus utilisent des avatars à travers le monde, que ce soit dans les jeux en ligne
ou sur les forums, les tchats…

329 BAILENSON Jeremy N., BLASCOVICH Jim, « Avatars », Berkshire Encyclopedia of human–
computer interaction, William Sims Bainbridge, 2004, p. 64.
330 BAILENSON Jeremy N., BLASCOVICH Jim, « Avatars », Berkshire Encyclopedia of human–

computer interaction, William Sims Bainbridge, 2004, p. 65.


256
Un joueur possède en général plusieurs avatars, non seulement dans le jeu
mais aussi hors de celui-ci comme nous l’avons mentionné précédemment avec
l’exemple des avatars sur le forum de la guilde Clan Berserk. Pour rappel, un avatar
est une représentation d’une personne dans le monde numérique. Dans le jeu, le
personnage est l’avatar du joueur. En dehors du jeu, dans le monde numérique, le
joueur peut choisir comme avatar une image de son personnage ou tout autre chose :
une illustration de paysage, une photographie de son chat… Ainsi si un personnage
d’un jeu vidéo est toujours un avatar du joueur qui l’incarne, tous les avatars ne sont
pas forcément des personnages. L’avatar est un aspect important à traiter car il
apporte des informations sur le joueur, sur sa personnalité, ses goûts, mais aussi sur
l’image de lui qu’il choisit de véhiculer auprès des autres.

Dans Swtor, comme dans de nombreux jeux, le joueur a la possibilité de créer


plusieurs personnages pour un même compte. En général, c’est ce que font les
joueurs. D’une part, lorsqu’un joueur débute le jeu, il est fréquent qu’il ignore quelle
classe va vraiment lui convenir, il teste donc plusieurs d’entre elles pour trouver celle
qu’il préfère. D’autres apprécient avoir plusieurs personnages de classes différentes
pour découvrir tous les scénarios ou avoir plusieurs rôles en fonction des besoins, ou
simplement pour pouvoir changer de style de jeu au gré de leurs envies. Nous pouvons
ajouter que les mises à jour peuvent inciter à jouer une classe plutôt qu’une autre. En
effet, lorsque celles-ci modifient les classes et qu’un déséquilibre en termes de
puissance est observé, les joueurs sont tentés de privilégier un personnage de la
classe qui apparaît comme plus forte que les autres, classe qu’il ne jouait pas
nécessairement auparavant. Ce cas est surtout constaté en mode « Joueur contre
Joueur », où une concurrence directe oppose les joueurs.

L’article de Nicolas Ducheneaut et Robert J. Moore traite de la pluralité des


avatars appartenant à un même joueur. Ils écrivent : « players explore different facets
of their gaming life while maximizing their opportunities for group (as opposed to solo)

257
playing »331. Il importe que les principaux avatars d’un joueur lui soient associés pour
que ses performances soient reconnues comme siennes même lorsqu’il n’est pas avec
son personnage principal. Il s’agit de la question de la réputation du joueur, qui par
conséquent fait savoir qui il est. Inversement, le fait que sur un même serveur les
autres joueurs ne puissent pas forcément savoir quels avatars appartiennent à quels
joueurs permet une certaine liberté, point qui n’a pas été abordé par les auteurs, par
exemple jouer avec d’autres personnes incognito… Selon eux, « players who have
previously met will meet again under alternate identities that they don’t know about.
They will therefore have to rebuild their relationship from scratch. This potentially
weakens the social fabric of the game »332. Ils expliquent donc que le fait de jouer de
multiples personnages peut nuire à la création de liens sociaux entre les joueurs. Si
un joueur en rencontre un autre en jeu, il va identifier l’autre à son personnage. Il se
souviendra éventuellement de lui quand il le croisera à nouveau sur ce même
personnage. Cependant, si les joueurs décident d’incarner un autre personnage
inconnu de l’autre, ils pourraient participer à la même activité sans nécessairement se
reconnaître. Cette remarque bien que pertinente doit être mise en perspective. Tout
d’abord, lorsque des joueurs s’entendent bien, ils échangent les noms de leurs
personnages et s’ajoutent dans leur « liste d’amis » en jeu afin de pouvoir discuter.
Ensuite, il est fréquent que les joueurs se retrouvent sur un vocal. De la sorte, les amis
sont en contact quel que soit le personnage qu’ils utilisent. Enfin, la plupart du temps,
lorsque deux personnes apprennent à se connaître, elles se communiquent le nom de
leurs personnages principaux, ainsi elles sont plus aisément identifiables en jeu. Les
joueurs peuvent de cette façon se reconnaître plus facilement.

De nombreuses études ont pour objet la question de l’identité dans les mondes
virtuels, en lien avec l’anonymat puisque chacun décide de ce qu’il va révéler ou non
aux autres. Il importe de faire remarquer que cette révélation de soi est primordiale
pour établir des relations avec autrui. Bien entendu, selon le contexte, l’objectif… le

331 DUCHENEAUT Nicolas, MOORE Robert J., « “Let me get my alt:” Digital identiti(es) in multiplayer
games », p.1 disponible en ligne :
http://www2.parc.com/csl/members/nicolas/documents/CSCW2004-Digital_identity.pdf (consulté le
02/09/2017)
332 Ibidem, p. 3.

258
degré et le type de révélations varient. Par ailleurs, il est aussi possible de dissimuler
des informations à son sujet ou même de mentir. Hye-Seung Kang et Hee-Dong Yang
ont travaillé sur le thème de l’avatar et des identités. Les auteurs expliquent qu’il est
possible de changer d’identité dans le monde virtuel par rapport au monde « réel »,
n’importe qui peut devenir n’importe quoi. Toutefois, cette identité virtuelle n’est qu’une
facette de l’identité dite réelle de l’individu. Il est fréquent par ailleurs, qu’une personne
n’ait, au sein de cet univers de pixels, non pas une mais plusieurs identités. Ces
identités multiples sont souvent connectées entre elles, il est plus rare qu’elles n’aient
aucun lien. H-S. Kang et H-D. Yang écrivent que « the major purpose of using avatar
is to build an identity and reveal it for the sake of satisfactory communication in
cyberspace. People maintain personal relationship on cyberspaceby constructing and
disclosing their identities interactively »333. Bien que leur travail concerne avant tout
les espaces de discussions instantanées, soit avec des personnes connues -comme
Skype par exemple, où l’avatar est souvent assez réaliste-, soit avec des inconnus -
comme les tchats en ligne, où les avatars sont plus fantaisistes-, il reste tout aussi
pertinent pour les jeux vidéo. Un autre point, non abordé par ces auteurs, est celui du
mélange entre l’identité de l’avatar et celle du joueur. Nous y reviendrons un peu plus
tard.

Comme nous l’avons signalé, le personnage est un avatar privilégié du joueur.


En fonction du placement de la caméra334, ce personnage avatar est le double du
joueur ou « la matérialisation d’un compagnon imaginaire » pour reprendre
l’expression de Serge Tisseron335. Il existe aussi un lien d’interdépendance entre le
joueur et son personnage, « mon avatar est dépendant de moi pour le choix de ses
vêtements, de son apparence, du décor dont il s’entoure. Mais je suis, quant à moi,
dépendant de lui pour mettre en scène mes fantasmes à travers la rencontre avec

333 KANG Hye-Seung, YANG Hee-Dong, « The Effect of Anonymity on the Usage of Avatar: Comparison
of Internet Relay Chat and Instant Messenger », Proceedings of the Tenth Americas Conference on
Information Systems, 2004, p. 2741.
334 Le placement de la caméra a une incidence sur la façon dont le joueur perçoit l’environnement. Il

existe divers cas de figure. La vue subjective, c’est-à-dire à la première personne, permet de voir ce qui
entoure son personnage à travers ses yeux. La vue à la troisième personne, dite aussi objective, nous
fait voir son personnage, partiellement ou totalement.
335 TISSERON Serge, « L'avatar, voie royale de la thérapie, entre espace potentiel et déni. »,

Adolescence, N° 69, 3/2009, p. 722.


259
d’autres avatars »336. Sans le personnage, le joueur ne peut évoluer dans l’univers,
car c’est lui qui lui permet de voyager tout en restant assis derrière son écran. D’un
point de vue psychologique, l’avatar permet aussi au joueur de s’exprimer et de se
défouler. Si le personnage peut être un héros bienveillant, il peut être tout aussi
l’inverse. Dans Swtor, la question de l’alignement, outre l’attitude du joueur à travers
son personnage, illustre parfaitement cet exemple. S. Tisseron écrit à ce sujet dans
son article « L'avatar, voie royale de la thérapie, entre espace potentiel et déni », que
le personnage « accueille [la] part sombre, ce que la saga de la Guerre des étoiles
appelle la « face noire de la force »337. Bien des joueurs prennent plaisir à tuer, étriper,
torturer des personnages générés par ordinateur338 »339. Pour terminer, il est fréquent
que le joueur s’investisse personnellement dans les aventures vécues par son
personnage. Par exemple, si dans le scénario celui-ci est malmené, il est commun que
le joueur éprouve une certaine rancune envers le personnage non-joueur responsable
et qu’il se venge autant que cela lui est permis par le jeu. De même, en mode « Joueur
contre Joueur », un joueur se battra plus farouchement contre un autre qu’il déteste,
laissant ainsi ses sentiments s’exprimer par l’intermédiaire de l’affrontement entre les
personnages qui les représentent.

Michel Hajji et Frédéric Tordo affirment eux aussi la fonction libératrice des
jeux340. Leur travail porte principalement sur les relations entre les joueurs et leurs
avatars. Ils ont établi quatre phases relatives à l’établissement de ce lien. D’abord, le
joueur fait preuve d’empathie envers son personnage, ensuite il y a « l’identification
dans l’avatar », puis vient une phase dite « cathartique » caractérisée par la création
de personnages secondaires, et enfin « l’identification à l’avatar »341. Au cours de la
première phase, le personnage est vu comme un autre. Le lien entre le joueur et son
personnage apparaît dès sa création. C’est avec lui que le joueur débute et découvre

336 Ibidem, p. 722.


337 En réalité, l’expression usitée est le « côté obscur de la force ».
338 Il semble important d’ajouter « ou non » en cette fin de phrase, car tous les joueurs ne prennent pas

uniquement plaisir à éliminer leurs adversaires lorsque ceux-ci sont générés par ordinateur, et certains
apprécient même davantage lorsque ces ennemis sont d’autres joueurs.
339 TISSERON Serge, « L'avatar, voie royale de la thérapie, entre espace potentiel et déni. »,

Adolescence, N° 69, 3/2009, p. 723.


340 HAJJI Michel, TORDO Frédéric, « Avatars et moi ! La fonction psychologique de la multiplicité des

avatars dans les jeux vidéo », Adolescence, N° 69, 3/2009, p. 657 à 665.
341 Ibidem, p. 658.

260
le jeu. Il apprend en sa compagnie. Au début, selon le sexe du personnage, « il » ou
« elle » sont employés pour les mentionner, puis progressivement, « il » ou « elle »
devient « je ». C’est alors le phénomène de l’identification au personnage, avec une
distanciation vis-à-vis de l’avatar qui tend à disparaître. Le personnage et le joueur
fusionnent en quelque sorte. Dès lors, pour reprendre les auteurs, « l’avatar devient
véritablement [le] prolongement de soi »342. C’est lors de la phase suivante que le
joueur va créer de nouveaux personnages. Ces avatars vont lui permettre de faire des
choses qu’il ne peut pas faire avec son seul personnage, ou les utiliser pour lui, comme
pour stocker des objets. Pour terminer, lors de la dernière phase, le joueur s’identifie
véritablement à son avatar. Il s’agit d’un aboutissement après de nombreuses
évolutions. La vue subjective, déjà mentionnée précédemment, renforce cette
identification. Le lien entre le joueur et son avatar est marqué par une forme de
réciprocité, « le joueur projette des parties de lui-même dans l’avatar qu’il transforme,
et ré-introjecte le produit de cette transformation, ce qui concourt à l’enrichissement
de son Moi »343. Les spécialistes s’accordent sur l’intérêt thérapeutique de recourir aux
avatars.

En ce qui concerne la dimension symbolique de l’avatar, S. Tisseron en a


proposé une typologie dans son article « L’ado et ses avatars ». Il distingue la
symbolisation imagée, la symbolisation mimo-gestuelle, qui correspond aux
déplacements du personnage, et la symbolisation verbale, c’est-à-dire le fait de
nommer son avatar et les propos qu’on lui fait tenir. La symbolisation imagée
comprend la création du personnage, « créer un avatar confronte d’abord à la
nécessité de lui donner une apparence : sa morphologie, sa chevelure, l’aspect de son
visage, la couleur de ses yeux… tout pourra de plus en plus y être choisi, et chacun
de ces choix est évidemment le support possible d’une symbolisation » 344 , les
différences entre l’apparence réelle du joueur et celle de son avatar mais aussi la
personnalisation du personnage, comme forme de liberté et moyen d’affirmer son
existence.

342Ibidem, p. 659.
343Ibidem, p. 662.
344 TISSERON Serge, « L'ado et ses avatars. », Adolescence, N° 69, 3/2009, p. 598.

261
Pour terminer, nous devons aborder un dernier point qui concerne la possibilité
de l’emprunt d’un avatar appartenant à quelqu’un d’autre. Tout d’abord en termes de
charte d’utilisation, le joueur s’engage lors de l’installation de Star Wars The Old
Republic à ne pas laisser quelqu’un d’autre utiliser son compte. Par ailleurs, s’il est
vrai que toutes les règles ne sont pas respectées par tous, en raison du lien qui unit
un joueur à son avatar, ce phénomène est peu fréquent. D’une part, le sentiment
d’appropriation d’un personnage par le joueur qui l’a créé et incarné pendant un certain
temps limite ce phénomène. Etant donné que le personnage le représente, s’il le prête
à une autre personne temporairement, les autres joueurs ne pourront pas savoir que
ce n’est pas lui derrière l’écran. De fait, ils associeront toutes les actions du
personnage à la personne à laquelle il appartient en théorie et non à celle qui l’utilise
exceptionnellement. Par ailleurs, la possibilité de créer plusieurs personnages permet
en cas de besoin -même si ce n’est pas autorisé- de montrer le jeu à un ami grâce à
un nouveau personnage, créé dans ce but et qui ne sera pas forcément conservé par
la suite. Si ce n’est pas possible, l’utilisation d’un personnage secondaire offre aussi
une alternative.

b.3. Le joueur en dehors du jeu

Il est fréquent que le joueur soit aussi présent dans le monde virtuel hors du jeu.
Nous n’aborderons ici pas la question des vocaux déjà mentionnés précédemment. Le
forum officiel, ceux des guildes, ou encore d’autres types de communautés comme les
rôlistes sont des espaces d’interactions entre joueurs. Ils y abordent différents
thèmes : par exemple leurs avis sur les nouveautés du jeu, des demandes d’aide, les
histoires de leurs personnages, des tactiques pour des opérations, leurs
performances… Les sujets de discussion sont parfois associés non pas directement
au jeu mais davantage à l’univers, comme lors des sorties de nouveaux films Star
Wars, les joueurs s’empressent alors de donner leurs avis. Enfin, ces espaces s’ils
sont en lien avec le jeu peuvent pourtant être des lieux d’échanges sans liens avec
celui-ci.

262
Ces forums et d’autres sites Internet permettent aussi de montrer son talent
artistique avec les œuvres réalisées par les fans, dont voici un exemple avec ci-
dessous, une illustration réalisée par Lawrichai345 représentant Corso Riggs, premier
partenaire du contrebandier, et mis en ligne sur Deviant Art :

Les illustrations ne sont pas le seul type d’œuvres proposées, on peut aussi trouver
des photographies, des vidéos…

Les couvertures de magazines fictifs créées par les joueurs à partir d’images
issues du jeu, tout comme les publicités ou les affiches destinées au jeu de rôle ou
visant à amuser les autres joueurs sont une autre forme de ces créations, en voici
quelques exemples :

345 https://lawrichai.deviantart.com/art/SWtoR-Corso-Riggs-feat-Flashy-and-Sparkles-299116457
263
La première couverture comprend des images de plusieurs personnages appartenant
à des joueurs différents mais faisant tous partie d’une même guilde, le Clan Berserk.
L’auteur de cette couverture, Hija, un des dirigeants de la guilde, l’a conçue à des fins
humoristiques, en utilisant des anecdotes comme l’attachement d’un joueur, Phoenicia
pour les banthas, une espèce présente dans les films et en jeu, qu’il utilisait en
permanence comme monture et dont il avait la peluche sur son bureau. Le choix de
proposer une couverture de magazine « people », aussi bien par la présentation que
les thèmes des articles, qui apparaissent dans les titres, a renforcé l’effet comique.
Hija a surpris ses partenaires de jeu qui ignoraient son projet lorsqu’il l’a finalement
mis en ligne sur leur forum. La seconde illustration quant à elle a été conçue par un
autre joueur afin d’alimenter le contenu du site Internet de sa guilde et dans une
optique de développer un jeu de rôle. Ainsi ces créations de fan n’ont pas uniquement
une dimension esthétique, elles ont une fonction qui va au-delà de l’expression d’une
admiration pour l’univers Star Wars ou pour le jeu. Elles peuvent participer au jeu de
rôle, amuser ou encore renforcer le lien social entre des joueurs.

Henry Jenkins a étudié la production culturelle des fans de Star Wars, et en


particulier les films amateurs. Selon lui, Internet constitue une révolution qui a facilité
les échanges entre eux, mais aussi le partage de leurs créations. Malgré la législation
264
et le concept de propriété intellectuelle, les emprunts sont souvent la base des
créations des fans qui, en les utilisant avec créativité, donnent naissance à de
nouvelles histoires. De la parodie, avec notamment le pseudo documentaire
Troops de Kevin Rubio 346 , au court-métrage de fiction tel que Hoshino de Stephen
Vitale347, les fans proposent de nouveaux films Star Wars d'une grande diversité. Les
genres de ces films ne constituent pas la seule différence : le type de réalisation -Evan
Mather utilise des jouets pour réaliser ses films au lieu de recourir à des acteurs par
exemple348-, le scénario, le choix de la musique... Si ces créations audiovisuelles de
fans ont toutes Star Wars pour univers, elles sont pourtant très différentes. Par ailleurs,
le fait qu'il s'agisse de production amateure ne signifie pas que leur qualité en est
amoindrie. Nous pouvons donner l'exemple du court-métrage de Shawn Bu Darth
Maul : Apprentice349 qui s'est largement distingué. Pour Henry Jenkins « Star Wars is,
in many ways, the prime example of media convergence at work »350. Outre les films
de fans, cet univers riche est, comme nous l'avons évoqué, présent sur de nombreux
supports et produits dérivés, ces produits sont parfois utilisés par les fans pour leurs
créations, des jouets ou des déguisements par exemple. Toutes ces créations de fans
sont l'expression de leur appropriation de Star Wars. Bien entendu, elles ne sont pas
toujours bien perçues par les entreprises, ou même George Lucas, qui apprécient
exercer un contrôle sur la communauté des fans. Pour Henry Jenkins, il est primordial
de se souvenir de la relation d'interdépendance qui les lie à leurs fans, « in the end,
the media producers need fans just as much as fans need them »351. Ajoutons que
d'après l'auteur, les hommes et les femmes ne s'orientent pas vers les mêmes
créations. Celles des femmes sont souvent méconnues car elles ne respectent pas les
règles de Lucasfilm qui interdisent d'établir des relations sentimentales et sexuelles
entre les personnages, ce qui les écartent de tous les espaces officiels dédiés aux
œuvres de fans. D'autre part, selon les médias utilisés, on observe plus ou moins
d'indulgence de la part des entreprises. Du côté des jeux vidéo, elles se montrent plus

346 Troops, Kevin Rubio, sorti en 1997.


347 Hoshino, Stephen Vitale, sorti en 2016.
348 Quentin Tarantino’s Star Wars, Evan Mather, sorti en 1998 ou Les Pantless Menace, sorti en 1999.
349 Darth Maul: Apprentice, Shawn Bu, sorti en 2016.
350 JENKINS Henry, Convergence Culture Where Old and New Media Collide, New York University

Press, United States of America, 2006, p.145.


351 Ibidem, p. 168.

265
ouvertes et échangent davantage avec leurs fans, qui sont souvent invités à participer
comme dans Star Wars Galaxies.

Si ce travail s’appuie sur Swtor comme terrain privilégié, de nombreux autres


jeux vidéo Star Wars existent, y compris massivement multijoueur. Star Wars Galaxies
est un jeu plus ancien, sorti en 2003, qui a été étudié par Timothy Burke 352. Dans ce
jeu aussi le joueur incarne un personnage personnalisé dans un univers familier. Il est
confronté au système du jeu, à sa mécanique et à ses failles telles que l’équilibrage
des classes. Il peut créer des objets grâce à l’artisanat, développer l’économie par les
ventes, décorer sa maison, s’adonner au jeu de rôle… Comme dans tous les jeux de
ce type, les problèmes techniques surviennent, des patchs sont installés, et « when
the developers moved to fix one system, they frequently broke another ». L’idée est de
souligner le fait qu’être un joueur de Swtor ne signifie pas jouer uniquement à ce jeu,
ni à ce jeu Star Wars. En effet, beaucoup de joueurs de Swtor ont connu d’autres jeux
Star Wars avant d’avoir commencé celui-ci, et certains y jouent toujours à d’autres
moments. Des joueurs quittent même Star Wars The Old Republic pour de nouveaux
jeux Star Wars encore plus récents, comme Star Wars Battlefront par exemple.

Dans ces espaces, le joueur utilise son pseudonyme, celui qui renvoie à son
identité dans le monde virtuel et sous lequel il est connu par les autres. Prenons pour
exemple illustratif le forum de la guilde Clan Berserk, si Phoenicia, Hija ou encore
Calagan ont choisi le nom de leur personnage principal d’autres joueurs comme
Tensai, ont choisi un surnom. Leur avatar sur le forum n’est pas non plus forcément
une capture d’écran sur laquelle apparaît leur personnage principal, il peut s’agir d’une
image ayant un lien avec leurs centres d’intérêt par exemple, un samurai pour Tensai
-dont le pseudonyme signifie « génie » en japonais et qui fait ses études au pays du
soleil levant-.

c) La personne sociale

BURKE Timothy, « Can A Table Stand On One Leg? Critical and Ludological Thoughts on Star Wars:
352

Galaxies », Game Studies, Vol. 5, 2005.


266
c.1. Derrière le joueur, la personne sociale

Nous avons expliqué que lorsque nous parcourons l’univers pixélisé du jeu
vidéo, nous le faisons par l’intermédiaire d’un personnage que l’on incarne et nous
rencontrons ceux des autres joueurs. Ainsi, le joueur est l’individu derrière son écran,
celui qui contrôle le personnage mais qui peut sortir de l’espace du jeu. Il va pouvoir
intervenir dans l’univers numérique sur les forums, sur les vocaux… Il va être connu
en tant que joueur d’une certaine façon, notamment en fonction de son attitude et de
ses activités en jeu, avoir une réputation… Or le « joueur » est à différencier de la
« personne sociale ». La personne sociale est l’individu telle qu’il est connu en dehors
du monde virtuel, et il peut être très différent de la manière dont il se comporte et se
présente en tant que joueur. Par exemple, mon personnage principal dans la faction
impériale s’appelle Assara, mais en tant que joueuse je suis connue sous le
pseudonyme « Lilie », et en tant que personne sociale, je m’appelle Mélissa Fletgen.
Il ne s’agit pas d’une simple différence d’appellation. Un joueur peut adopter un
comportement agressif vis-à-vis des autres, les insulter, tricher, mentir… Et en tant
que personne sociale être un bon père de famille qui enseigne à ses enfants le respect
et le savoir vivre. C’est pour cette raison qu’il est primordial de prendre en
considération cette distinction personnage/joueur/personne sociale, et de ne pas se
limiter à une vision erronée d’un « virtuel » opposé au « réel ». Nous allons donc nous
intéresser aux joueurs en tant que personnes sociales dans cette partie, c’est-à-dire
aux joueurs complètement hors du jeu.

La société dans laquelle ces joueurs évoluent est la nôtre, la société française
du XXIème siècle. Certes, j'ai rencontré quelques joueurs francophones non français,
des Belges, des Canadiens et des Suisses mais ils ne correspondent qu'à une très
faible minorité au sein de la communauté353. Les joueurs français sont localisés un peu
partout en France et ailleurs, certains joueurs expatriés parviennent à jouer sur des
serveurs français malgré le décalage horaire plus ou moins important. En France

353Au cours des différentes années que j’ai consacré à l’étude de ce jeu, j’ai rencontré sur le serveur
français uniquement deux Canadiens -n’ayant aucun lien entre eux-, deux Suisses qui étaient frères, et
plusieurs Belges, certains appartenant à la même famille, d’autres sans liens avec eux... J’ai pu
dénombrer au total six joueurs Belges -dont une seule femme-.
267
métropolitaine, on rencontre des joueurs connectés un peu partout, aussi bien dans
les grandes villes et leurs environs comme Paris, Toulouse, Pau, Lyon... que dans les
zones plus rurales. Á partir du moment où le joueur bénéficie d'un accès à Internet, et
d'un ordinateur sur lequel le jeu est installé, il peut s'y connecter quel que soit l'endroit.
On retrouve bien sûr plus de joueurs dans les zones à forte concentration de
population comme l'Ile-de-France.

L'article de Samuel Coavoux, Salmuel Rufat, Vincent Berry et Hovig Ter


Minassian354 intitulé « Qui sont les joueurs de jeu vidéo en France? » apporte des
informations qui éclairent sur la diversité des profils de ces joueurs. Ils expliquent que
les jeux vidéo touchent tout le monde mais de façon différente. Les hommes jouent
plus fréquemment, à plus de jeux et sur plus de supports que les femmes par exemple.
Les deux ne jouent d'ailleurs pas au même type de jeux. Sur Swtor, les femmes sont
présentes mais demeurent minoritaires. D'une part en raison du type de jeu, un
MMORPG, et d'autre part parce qu'il est basé sur l'univers Star Wars, plutôt masculin.
D'après les auteurs, une autre différence majeure est celle de la sociabilité liée au jeu,
« les femmes pratiquent les jeux vidéo, c’est en général dans le cadre du cercle familial
et dans le salon, alors que les hommes ont tendance à diversifier les lieux du jeu (chez
eux, chez des amis, dans une salle de jeu) et les personnes avec qui ils jouent »355, ils
ajoutent « les jeux vidéo ouvrent donc une sociabilité qui pousse hors de l'espace
domestique et favorise les contacts, à contre-courant des stéréotypes sur l’isolement
et le repli sur soi des joueurs de jeux vidéo »356. Pour ce qui est des jeux de rôle
massivement multijoueur les hommes comme les femmes se construisent des
nouveaux réseaux d'amis au sein du jeu. On observe néanmoins que parmi les
joueuses, plus nombreuses que leurs homologues masculins à jouer
occasionnellement, un certain nombre d'entre elles jouent avec leur compagnon. Il
s'avère que les hommes ont aussi tendance à jouer avec leurs proches, mais pas
seulement leur compagne puisqu'ils incluent leurs amis ou des membres de leur

354 Coavoux S., Rufat S., Berry V., Ter Minassian H., « Qui sont les joueurs de jeux vidéo en France ?
», LEJADE Olivier, TRICLOT Mathieu (dir.), La fabrique des jeux vidéo, Paris, La Martinière, 2013, p.
172-177.
355 Ibidem, p.174.
356 Ibidem, p.177.

268
famille -cousins, frères et père-fils-, ce qui plus rarement le cas des femmes. Au cours
de mes recherches et en m’appuyant sur les entretiens menés ainsi que sur les
discussions informelles que j’ai eu avec les joueurs, j’ai dégagé des données relatives
à l’âge de la communauté. S'il existe des joueurs de toutes les tranches d'âge, on
retrouve dans Star Wars The Old Republic principalement des jeunes, des adolescents
de 15-16 ans aux jeunes adultes approchant la trentaine. Les 40-50 ans représentent
également une proportion non négligeable des joueurs. On rencontre par contre très
peu de femmes de cette tranche d'âge, les plus âgées ayant en moyenne autour de
35 ans. Des parents jouent à ce jeu mais en corrélation avec les tranches d'âge les
pères ont souvent des enfants plus grands, avec lesquels parfois ils jouent, que les
mères, qui ne jouent pas avec leurs enfants, ceux-ci étant encore en bas âge. Il s'agit
le plus souvent soit de femmes enceintes soit de mamans avec des enfants en bas
âge ou de jeunes enfants. Les milieux sociaux sont tous représentés, on rencontre des
joueurs venant de milieux aisés, tout comme des classes populaires. Les catégories
socio-professionnelles sont aussi nombreuses à être représentées. On rencontre ainsi
des cadres, des fonctionnaires –professeurs, militaires, policiers-, des employés, des
ingénieurs, des secrétaires, des ambulanciers, des étudiants, d'autres sont au
chômage ou en congés maladie... Les activités pratiquées pour se divertir sont aussi
variées que les activités professionnelles. En expliquant précédemment que la plupart
des joueurs ayant un niveau élevé étaient des sportifs ou des musiciens, nous avons
souligné que même les joueurs les plus investis ont d'autres loisirs. Les auteurs de
l'article reviennent eux aussi sur cet aspect : « La pratique du jeu vidéo, chez les
enfants comme chez les adultes, n’entre pas en concurrence avec d’autres pratiques
culturelles. En général, les joueurs de jeux vidéo vont autant au cinéma ou au musée
que ceux qui ne jouent pas, et sont aussi nombreux à pratiquer un sport ou un
instrument de musique ».357 En discutant avec les joueurs, on se rend compte que ces
autres activités ne sont pas négligées, un débat sur le dernier film vu au cinéma entre
deux joueurs présents sur un vocal, le rappel d'un joueur qu'il ne sera pas là tel jour
parce qu'il a un match etc. Pour finir, les auteurs soulignent le rôle des jeux vidéo en
tant « qu’important vecteur de socialisation ».

357 Ibidem, p.177.


269
Fanny Lignon dans son article « Des jeux vidéo et des adolescents : à quoi
jouent les jeunes filles et garçons des collèges et lycées ? » s’interroge sur les
pratiques sexuées vidéoludiques des adolescent(e)s. En ce qui concerne les questions
de genre, elle propose trois axes sur lesquels elle estime qu’il serait intéressant de se
pencher : la production des jeux, les représentations véhiculées par les jeux et enfin
les joueurs/joueuses. Son article traite de ce troisième aspect en s’intéressant
particulièrement au jeune public. Fanny Lignon explique qu’une évolution progressive
s’est opérée et que la communauté des joueurs comprend maintenant aussi une part
importante de joueuses dont les pratiques -temps de jeu, partenaires en jeu…-
diffèrent toutefois de celles de leurs homologues masculins. La chercheuse observe
des différences de goûts entre les filles et les garçons en matière de type de jeux et
d’univers. Si par ailleurs les adolescentes se tournent vers des jeux traditionnellement
masculins, l’inverse n’est pas le cas. L’auteur souligne donc que l’enquête mené « a
[…] confirmé la popularité des jeux vidéo auprès des 13-19 ans, en particulier auprès
des garçons, mais elle a montré aussi que si ceux-ci jouent plus que les filles, celles-
ci jouent avec davantage de jeux »358. Elle ajoute qu’il y a bien une distinction entre
des jeux de filles et des jeux de garçons, même si « la liste des jeux considérés comme
mixtes par les deux sexes est assez inhabituelle »359. Concernant les jeux de rôle en
ligne massivement multijoueur comme Swtor, ils sont privilégiés par les garçons.
Notons que World of Warcraft est positionné en huitième position des jeux préférés
des adolescents interrogés dans le cadre de cette étude, alors qu’il n’apparaît pas
dans le top dix des jeux préférés des adolescentes, où d’ailleurs aucun MMOPRG ne
figure. Il s’avère qu’effectivement, la plupart des joueuses rencontrées sur Star Wars
The Old Republic étaient de jeunes femmes. Les adolescentes sont plutôt rares alors
qu’il est fréquent de rencontrer des adolescents.

En somme, il n’est pas possible de davantage situer socialement les joueurs et


les joueuses de Swtor parce que comme nous l’avons évoqué, il n’y a pas un profil

358 LIGNON Fanny, « Des jeux vidéo et des adolescents : à quoi jouent les jeunes filles et garçons des
collèges et lycées ? », Le Temps des médias, Revue d’histoire, Nouveau Monde Editions, 2014, p.143
à 160.
Version pdf accessible en ligne, p. 12 :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00926020/document (consulté le 23/06/2019)
359 Ibidem, p. 12.

270
type des joueurs mais toute une palette de profils variés. Certes on va retrouver des
tendances, notamment concernant les tranches d’âge et le sexe, point sur lequel nous
avons déjà insisté. Cependant, avoir davantage de propriétés sociales des joueurs est
complexe. De l’ingénieur en aéronautique parisien au chauffeur livreur palois, du
mécanicien poids lourd à l’éducateur spécialisé, ou du côté des joueuses, de l’avocate
à l’étudiante en passant par la chômeuse ou à la masseuse professionnelle, les
catégories socio-professionnelles sont d’une grande diversité. Il en est de même pour
les niveaux de vie, les pratiques sociales, les autres activités de loisirs… On retrouve
des propriétaires et des personnes en colocation, un escrimeur qui joue régulièrement
avec un motard ne roulant qu’en Harley-Davidson, des citadins ne jurant que par le
béton de leur ville aux ruraux qui préfèrent leur campagne, des parents de familles
plus ou moins nombreuses aux célibataires sans enfant etc. Cette diversité s’explique
en partie par l’univers Star Wars propre au jeu qui tend à regrouper des fans de
l’univers même si d’ordinaire ils n’apprécient pas forcément les jeux vidéo.

c.2. Le choix d’un jeu multijoueur : privilégier le contact avec autrui à l’intelligence
artificielle

Les dispositifs du jeu comme les fenêtres de discussion ou emotes permettent


les échanges et favorisent les interactions entre les joueurs, qui par ailleurs dans
certains cas doivent être plusieurs par exemple pour faire une opération ou combattre
un boss de monde. Des espaces sont mêmes en partie conçus pour être des lieux de
rencontre principaux entre joueurs, dans Star Wars The Old Republic il s’agit des
Flottes et des cantinas. L’enquête du CNC et de l’Ifop, Les pratiques de consommation
de jeux vidéo des Français360, affirme que les motivations joueurs adeptes de MMO
résident en grande partie dans la convivialité de jouer avec d’autres personnes. Cette
recherche du lien social vise d’une part à rencontrer d’autres joueurs mais aussi à se
mesurer à eux. Notons que certains auteurs estiment que l’addiction envers les jeux
en ligne massivement multi-joueurs qui peut exister est souvent une addiction
sociale361.

360CNC, Ifop, Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français, 2015.
361BONFILS Philippe, « Environnements immersifs : spectacle, avatars et corps virtuel, entre addiction
et dialectique sociales. », Hermès, La Revue, n° 62, 1/2012, p. 56 :
271
Nick Yee dans son article « Motivations of Play in Online Games » s’est
intéressé à ce sujet. D’après lui, l’univers des MMORPG compte des millions de
joueurs consacrant en moyenne vingt-deux heures par semaine à ce loisir, mais tout
comme il existe divers styles de jeux, les motivations varient aussi. L’auteur distingue
trois intérêts principaux relatifs à ce type de jeu : les achèvements et succès, la
dimension sociale et l’immersion. Concernant les achèvements et succès, l’auteur y
intègre l’avancement en jeu, ses mécaniques et la compétition. Si les deux premiers
points se retrouvent dans des jeux qui ne sont pas nécessairement massivement multi-
joueurs, le désir d’affronter d’autres personnes ne peut être satisfait dans des jeux qui
ne proposent pas de joueurs adverses auxquels se mesurer. Selon Nick Yee, l’aspect
social qui est une des raisons principales à l’attractivité des jeux en ligne multi-joueurs
comprend le travail d’équipe, la sociabilité et les relations. Il distingue la sociabilité qu’il
entend comme l’intérêt à interagir avec les autres en discutant ou les aidant, des
relations qui sont plus profondes et qui émanent d’une volonté d’entretenir ce lien sur
du long terme. Enfin, l’immersion inclut, selon sa typologie, la découverte du jeu, le jeu
de rôle -pour lequel il est indispensable d’avoir d’autres joueurs avec qui jouer-, la
personnalisation et l’évasion que permet l’environnement virtuel. Par conséquent,
l’auteur met en avant dans son article les motivations principales des joueurs de
MMORPG, qui expliquent pourquoi ils ont choisi de privilégier les jeux en ligne
massivement multi-joueurs aux autres. Il observe cependant qu’une distinction genrée
existe par rapport à ces motivations : « male players scored significantly higher on all
the Achievement component than female players […], while female players scored
significantly higher than male players on the Relationship component » 362 . La
population masculine des joueurs a aussi une vie sociale en jeu, par contre, ils
n’attendent pas la même chose de ces relations et les voient différemment.

« Cette rencontre de l’autre est d’ailleurs souvent relevée comme un facteur d’adhésion voire d’addiction
sociale par les utilisateurs d’environnements immersifs de type MMORPG »
362 YEE Nick, « Motivations of Play in Online Games », Journal of Cyber Psychology and Behavior, N°9,

2007, p. 772 à 775. Article disponible en ligne sur le site de l’auteur à l’adresse suivante :
http://www.nickyee.com/pubs/Yee%20-%20Motivations%20(2007).pdf
Citation extraite de ce document p. 6.
272
Si les jeux en ligne ont longtemps été perçus comme des facteurs d’isolement
social par le grand public, et le sont parfois encore, nous constatons paradoxalement
qu’une raison essentielle attirant les joueurs vers ce type de jeux vidéo est justement
la possibilité d’interagir avec les autres. Un outil a été créé il y a maintenant plusieurs
décennies pour les recherches sur le sentiment de solitude : « UCLA363 Loneliness
Scale », que nous pouvons traduire par l’échelle de mesure de la solitude. Dans le
Journal of Personality and Social Psychology, Dan Russel, Letitia A. Peplau et Carolyn
E. Cutrona ont publié un article qui propose notamment une version améliorée de cet
outil364. Selon eux, il existe un lien entre la vie sentimentale et le sentiment de solitude,
les couples y étant moins sujets. Par ailleurs, les activités sociales limitées et le fait
d’avoir peu de relations favorisent le sentiment de solitude d’après les auteurs. Or, le
choix d’un MMORPG plutôt que d’un jeu non multijoueur tendrait à limiter ce sentiment
en laissant à l’individu, voire même en incitant, la possibilité de rencontrer et d’évoluer
avec d’autres personnes dans un cadre ludique, de créer des liens affectifs, voire
davantage, point sur lequel nous reviendrons ultérieurement.

Pour terminer, il est pertinent de rappeler que la sphère sociale occupe une
place importante dans la vie d’un individu dès l’adolescence, y compris dans le monde
virtuel. Patricia M. Greenfield, Elisheva F. Gross, Kaveri Subrahmanyam, Lalita K.
Suzuki et Brendesha Tynes ont travaillé sur les usages d’Internet par les adolescents.
Or ces jeunes pratiquent de nombreuses activités sociales en ligne et communiquent
non seulement avec leurs proches, surtout leurs amis, mais aussi avec des inconnus,
en particulier dans des espaces de discussions publics, les tchats. Dans leur article
« Teens On the Internet: Interpersonal Connection, Identity, and Information », les
auteurs expliquent que les adolescents sont anonymes dans ses espaces ce qui
entraîne des répercussions notamment relatives au thème de l’identité -se faire passer
pour quelqu’un d’autre, aborder des aspects de son identité sans gêne 365 …-. Le
monde virtuel leur permet aussi d’obtenir des informations et d’aborder des thèmes

363 UCLA signifie « University of California, Los Angeles ».


364 RUSSELL Dan, PEPLAU Letitia A., CUTRONA Carolyn E., « The Revised UCLA Loneliness Scale :
Concurrent and discriminate validity evidence », Journal of Personality and Social Psychology, volume
39, N°3, 1980, p. 472 à 480.
365 Les auteurs traitent particulièrement de l’identification, implicite ou explicite, des adolescents à une

communauté ethnique à laquelle ils se sentent appartenir en fonction de leurs origines.


273
qu’ils n’osent pas évoquer d’ordinaire. Ils écrivent : « the Internet provides a space for
adolescents to explore their identities and address their concerns - particularly
regarding sexuality and romantic relationships - in the anonymity of cyberspace »366.
L’absence de corps physique ou virtuel intervient dans les échanges et ces jeunes
utilisent d’autres systèmes obtenir des informations rapidement sur leur interlocuteur,
qui peut toujours être un partenaire potentiel de discussion ou davantage. Il s’agit de
s’identifier un minimum et d’identifier les autres. Le choix du pseudo joue un rôle
essentiel. L’identité genrée peut transparaître en utilisant des pseudonymes connotés
masculins ou féminins. Ils le sont parfois même de façon extrême, ce qui est un moyen
de compenser l’absence d’identité corporelle367. Quelques rapides observations sur
un tchat français adulte pour tout type de rencontres a confirmé leurs résultats relatifs
aux pseudonymes 368 . Du côté des hommes on peut discuter avec « bogoss », «
viril59 », ou même « amant75 », et du côté des femmes faire la connaissance de
« fleurbleue », « Petillante7 », ou encore LadyPink ». Pour entrer sur ce tchat il suffit
de choisir un pseudonyme, de préciser son âge, sa localisation et son sexe. Les
pseudonymes des hommes apparaissent en bleu et ceux des femmes en rose. Cette
parenthèse témoigne de l’attrait des interactions sociales dans le monde virtuel et des
diverses formes qu’elles peuvent prendre. A la lecture de ces informations, il est aisé
de comprendre pourquoi les jeux en ligne multijoueur connaissent un tel succès.
Certes ils diffèrent des messageries instantanées ou des tchats mais ils comprennent
bien souvent des équivalents au sein même du jeu.

c.3. Les effets sur l’individu de l’entremêlement entre réalité et virtualité

Plusieurs programmes informatiques se partagent le monde numérique, Jean-


Claude Heudin distingue les virus, les intelligences artificielles, les avatars et enfin, il

366 GREENFIELD Patricia M., GROSS Elisheva F., SUBRAHMANYAM Kaveri, SUZUKI Lalita K.,
TYNES Brendesha, « Teens On the Internet: Interpersonal Connection, Identity, and Information »,
2012, p. 23.
https://www.researchgate.net/publication/239799988_Teens_On_the_Internet_Interpersonal_Connecti
on_Identity_and_Information (consulté le 18/04/2019)
367 Contrairement au jeu où il y a un personnage comme enveloppe corporelle ou alors sur les logiciels

de discussion ou les forums dans lesquels les utilisateurs tendent à sélectionner un avatar.
368 J’ai consulté le site Chaat à plusieurs reprises en avril 2018 :

https://www.chaat.fr/
274
propose une dernière possibilité pour l’instant cantonnée à la science-fiction, les
« ghosts » ou fantômes d’humains errants dans l’univers virtuel. Il définit les avatars
comme des « "enveloppes informatiques " qui permettent aux humains de s’immerger
dans les univers virtuels du cyberspace » et les compare à des « marionnettes »369.
Dans les jeux vidéo, le personnage incarné par le joueur est son avatar.

Plusieurs études ont été menées concernant les environnements virtuels, en


particulier sur les avatars et leurs effets sur les individus. Pour commencer nous allons
aborder « l’effet caméléon ». Dans leur article « Digital Chameleons: Automatic
assimilation of nonverbal gestures in immersive virtual environments », Nick Yee et
Jeremy N. Bailenson expliquent qu’imiter son interlocuteur a pour conséquence le fait
que celui-ci vous voit d’un meilleur œil que si ce n’est pas le cas, et ce même s’il est
conscient d’être imité. Ce phénomène qui s’observe dans les interactions sociales
survient aussi entre un individu et un avatar. Dans le cadre de leur expérience, menée
en laboratoire, ils sont arrivés à la conclusion qu’un avatar imitant le participant est
plus efficace que l’avatar enregistré ne le faisant pas. Ils concluent : « in this
experiment, an embodied agent that mimicked the head movements of participants
was viewed as more persuasive and likable than an agent that utilized recorded head
movements. In addition, participants interacting with mimicking agent on average did
not turn their heads such that the agent was outside their field of view, whereas
participants interacting with recorded agents did turn their heads away from the agent
at times »370. L’attention du participant se focalise davantage sur un avatar qui l’imite
que lorsque ce n’est pas le cas. A travers le phénomène « caméléon », on peut
constater que les avatars ont un impact non négligeable sur les individus.

Une autre étude371, menée par plusieurs chercheurs, a essayé de déterminer si


le réalisme de l’avatar, aussi bien en ce qui concerne son apparence que son

369 HEUDIN Jean-Claude, Les créatures artificielles, Des automates aux mondes virtuels, Odile Jacob,
2008, p. 192.
370 YEE Nick, BAILENSON Jeremy N., « Digital Chameleons: Automatic assimilation of nonverbal

gestures in immersive virtual environments. », Psychological Science, volume 16, N°10, 2005, p. 817.
371 GARAU Maia, SLATER Mel, VINAYAGAMOORTHY Vinoba, BROGNI Andrea, STEED Anthony,

SASSE M. Angela, « The Impact of Avatar Realism and Eye Gaze Control on Perceived Quality of
Communication in a Shared Immersive Virtual Environment », Conference on Human Factors in
Computing Systems, Vol. 5, 2003, p. 529 à 536.
275
comportement, avait un impact sur la perception de la qualité de la communication.
Cette recherche a aussi été menée en laboratoire mais dans un environnement virtuel
immersif, et a été centrée sur le regard de l’avatar, en plus de son réalisme. L’échange
est perçu comme particulièrement positif lorsqu’un avatar réaliste est associé à un
modèle de regard approprié au contexte, à l’inverse ce type de regard associé à un
avatar peu réaliste a des effets négatifs, « the lower-realism avatar did not appear to
benefit from the inferred gaze model »372. Le réalisme de l’avatar a donc bien un impact
lors des échanges avec les participants.

Dans la lignée de ces travaux, nous retrouvons Jeremy N. Bailenson, qui avec
Kathryn Y. Segovia, s’est penché sur les Doppelgangers373. Ce sont des personnages
correspondant à des clones de joueurs. Ces clones auraient ainsi leur apparence mais
pas nécessairement leur comportement. Pour pouvoir utiliser le concept de
Doppelgangers, le double virtuel d’un individu ne doit plus ou pas être contrôlé par lui.
Cette perte de contrôle survient dans certaines situations, par exemple lorsqu’un
joueur prend le contrôle d’un personnage appartenant à un autre joueur grâce à une
compétence qui le lui permet -ce cas existe dans le jeu World of Warcraft mais pas
dans Swtor-. Les auteurs ont apporté des réflexions théoriques sur l’impact qu’a sur
l’individu le fait d’être confronté à un double virtuel de soi-même. A partir de la théorie
de Bandura sur l’apprentissage, selon laquelle les gens apprennent en observant les
comportements de modèles et le fait de s’identifier au modèle favorise le processus
d’apprentissage, les Doppelgangers présentent beaucoup de potentiel. Leur
hypothèse est que les informations véhiculées par des Doppelgangers seraient mieux
enregistrées par le cerveau que si elles avaient été transmises par d’autres personnes
ou personnages. Leur rôle possible dans l’éducation et l’apprentissage doit être
envisagé. Ils constitueraient de puissants modèles. Plusieurs expériences ont été
conduites par rapport aux Doppelgangers, en lien notamment avec le sport, « these
findings suggest that doppelgangers can show the rewards of exercise and can change

372Ibidem, p. 535.
373BAILENSON Jeremy N., SEGOVIA Kathryn Y., « Virtual Doppelgangers: Psychological Effects of
Avatars Who Ignore Their Owners », Online Worlds: Convergence of the Real and the Virtual, William
Sims Bainbridge, 2010, p. 175 à 186.
276
behavior as a result » 374 , et la publicité, « in sum, doppelgangers are powerful
marketing agents and can be used in advertisements to create favorable brand
impressions among consumers »375. Les auteurs se sont aussi penchés sur le rôle des
« Doppelgangers » sur la mémoire. Dans le cadre d’une expérience avec des enfants
sur des faux souvenirs via l’utilisation de « Doppelgangers » associés à la réalité
virtuelle, ils se sont rendus compte qu’il leur était possible d’implanter de faux
souvenirs : « in other words, by viewing an IVET simulation of the self, a passive
observer can develop false memories just as easily as a participant using cognitive
energy to create mental images » 376 . Cette découverte engendre dès lors des
questionnements éthiques, tout comme l’existence de Doppelgangers toujours actifs
même après les décès des personnes dont ils sont les versions virtuelles. Par
conséquent, à la lumière de ces exemples, il est indéniable que les limites entre le
monde virtuel et le monde dit « réel » sont parfois rendues floues. Les avatars ont bien
plus d’impact sur les individus qu’on peut le supposer initialement. Nous pouvons faire
remarquer qu’il y a un cas de Doppelganger dans un des scénarios proposés par Star
Wars The Old Republic, celui du guerrier Sith qui est amené à combattre une entité
ayant son exacte apparence, aussi bien physique que vestimentaire. Cette entité n’est
pas qu’un double visuel du personnage puisque sa voix aussi est la même que celle
du personnage que l’on incarne. Il semble intéressant de faire remarquer que cette
entité émane d’une étendue d’eau, l’image du miroir et du reflet trouble s’impose d’elle-
même.

374 Ibidem, p. 181.


375 Ibidem, p. 182.
376 Ibidem, p. 183.

277
Pour conclure sur la question du triptyque identitaire, voici un schéma
récapitulatif :

Une des facettes de certains individus est d’être aussi des joueurs, et c’est à travers
leurs personnages qu’ils peuvent évoluer et interagir dans l’espace du jeu. Individu,
joueur et personnages sont trois aspects essentiels à prendre en considération pour
comprendre l’identité de l’autre.

2) Le jeu des masques

Oscar Wilde a écrit « Man is least himself when he talks in his own person. Give
him a mask, and he will tell you the truth »377. Cette affirmation suscite des réflexions :
le vrai visage de l’homme n’apparaît-il vraiment que lorsqu’il porte un masque ? Le
masque ne serait-il pas ainsi son véritable visage ? Et plus simplement, qu’est-ce que
le masque, quels en sont ses usages, et en quoi en revêtir un n’est pas sans
conséquences sur son propre comportement ainsi que sur la vision que l’on donne et
que l’on a de soi. Cette partie est donc consacrée à l’étude du masque ou plutôt des

377WILDE Oscar, The Critic As Artist, 1891.


Version disponible en ligne : http://www.online-literature.com/wilde/1305/
278
masques portés dans le cadre des jeux en ligne massivement multi-joueurs ou en lien
avec ceux-ci. Elle se concentre d’une part sur l’utilisation du masque dans le jeu en se
focalisant sur le personnage, mais aussi sur les usages des « masques » par les
joueurs. C’est dans la continuité des questions identitaires qu’il semble intéressant de
se pencher sur les masques, aussi bien sur les raisons pour lesquelles ils sont portés,
que sur les conséquences que cela entraîne…

a) Autour du masque

a.1. La notion de masque : approche anthropologique

De façon très simpliste, un masque est un objet qui dissimule le visage -ou une
partie du visage- de son porteur. La plupart du temps, il représente quelque chose -
une personne, un animal, une créature mythique...-. Le masque peut être utilisé dans
un cadre ludique ; nous pouvons penser aux enfants qui aiment en porter pour se
déguiser lors de fêtes comme Halloween, avoir une fonction rituelle, c’est le cas dans
de nombreuses sociétés traditionnelles, ou encore artistique. Les arts et les masques
se retrouvent notamment dans le théâtre, par exemple dans le Nô japonais. Les sports
et les masques sont parfois aussi liés comme dans la lucha libre, le catch mexicain.
En bois, en papier, en plastique, les matériaux utilisés pour les confectionner sont
variés. Les masques sont plus ou moins ornés. Pour terminer, le masque peut aussi
avoir une fonction pratique comme les masques de protection du personnel médical.

Pierre Maranda envisage le masque comme un « fait social » 378 . Dans son
article « Masque et identité » il revient sur la notion d’identité à travers différentes
approches -philosophique, religieuse, ou encore sociologique-. Le masque peut
prendre différentes formes et n’est pas toujours un objet : il donne ainsi l’exemple des
tatouages et des scarifications qui marquent directement et de façon
« permanente »379 le corps de ceux qui les arborent. Les masques ont des implications

378MARANDA Pierre, « Masque et identité. », Anthropologie et Sociétés, Vol. 17, N°3, 1993, p. 13.
379Il est aujourd’hui possible d’avoir recours à des méthodes pour enlever un tatouage ou dissimuler
des cicatrices, notamment dues à des scarifications. Le choix des guillemets permet de mettre en
perspective le côté permanent de ces modifications corporelles qui ne sont plus forcément définitives.
279
pour ceux qui les portent, ils dissimulent ou leur octroient une identité. Pour Pierre
Maranda, les masques sont importants dans nos sociétés où chacun joue un rôle :

« Identité et adéquation de la performance sociale d’une personne se trouvent


donc intimement associées. Et masques et costumes -uniformes, maquillages
permanents ou non, modes…- marquent en les balisant le répertoire des parcours
qu’une société offre aux vies humaines qui lui donnent sa dynamique et la façonnent
en même temps qu’elle les consacre dans leur statut et les conditionne. »380

C’est l’appartenance à une société qui confère une place à l’individu qui cherche à
remplir son rôle pour être reconnu par les autres comme membre du même groupe
social. Par conséquent, « le masque porte celui qui le porte, le porte à agir de telle ou
telle manière mais surtout le porte dans son sein »381. Les enjeux relatifs au masque
sont donc nombreux et le masque ne se limite pas à sa définition en tant qu’objet
matériel.

Le masque est un objet depuis longtemps étudié par les ethnologues et


anthropologues. M. Mauss a réfléchi sur la question de l’identité personnelle et sur le
concept de « soi ». Son travail est axé sur la dimension sociale à travers les lieux et
les époques, en laissant de côté la psychologie et la linguistique. A travers plusieurs
exemples ethnographiques, il souligne d’abord le rôle du nom voire plutôt des noms,
en soulignant que l’individu est en quelque sorte un personnage au sein de sa
communauté, avec un rôle bien défini, dans de nombreuses sociétés. Les rituels et les
croyances, dont la réincarnation, sont primordiaux dans la transmission de la fonction
associée au nom, parfois porté par un ancêtre. Concernant la question des masques,
M . Mauss rappelle que « l’homme s’y fabrique une personnalité superposée, vraie
dans le cas du rituel, feinte dans le cas du jeu »382. Le masque permet de devenir

380 MARANDA Pierre, « Masque et identité. », Anthropologie et Sociétés, Vol. 17, N°3, 1993, p. 16.
381 Ibidem, p.24.
382 MAUSS Marcel, « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne celle de « moi » »,

Sociologie et anthropologie, PUF, coll. Bibliothèque de sociologie contemporaine, 4ème édition, 1968.
Version électronique de Jean-Marie Tremblay, chapitre II, page 15 :
http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/5_Une_categorie/une_categori
e_de_esprit.pdf
280
quelqu’un ou quelque chose d’autre. Selon l’auteur, « tout un immense ensemble de
sociétés est arrivé à la notion de personnage, de rôle rempli par l’individu dans des
drames sacrés comme il joue un rôle dans la vie familiale »383. Le terme latin persona
signifie masque, avec ses divers usages -théâtral, rituel…-. Selon lui, ce concept s’est
développé chez les Romains en lien avec le droit et la citoyenneté. La persona est à
la fois le personnage et l’individu lui-même. Cependant, certains n’étaient pas
reconnus comme des personnes : les esclaves. Les philosophes ont continué de
développer le concept dans la direction de personne morale en plus de l’aspect
juridique. La persona correspond donc au masque et à l’identité réelle, au personnage
et à la personne. Le Christianisme a aussi influencé notre conception de la personne.
La notion même d’individualité a donc été façonnée et a évolué au fil du temps.

L’historien Bertrand Gilles s’est intéressé aux masques vénitiens pendant la


période du XVIIIe siècle. Cet objet qui peut jouer un rôle dans le processus de
séduction est aussi un moyen pour son porteur de se protéger. Le masque dissimule
l’identité de son porteur. Il lui offre la possibilité de se déplacer incognito que ce soit
pour déambuler à travers la ville ou rejoindre un lieu de débauche. Lorsque le porteur
du masque est dans un contexte de divertissement, il peut s’adonner au jeu -de hasard
notamment- sans subir « la pression du milieu familial et du souci de l'image à donner
de soi »384. Le masque n’est pas porté dans la sphère intime et dans les lieux privés,
il échappe au contrôle des pouvoirs publics. Le gouvernement autorisait le port du
masque voire l’incitait d’une part en raison d’une fonction dite de « moralisation de la
vie sociale »385, et d’autre part à des fins politiques, « Imposé aux nobles vénitiens et
aux ministres étrangers à l'occasion de toutes les cérémonies civiles, leur usage avait
pour but de limiter les contacts entre ces deux catégories, et par là de créer une
barrière contre la circulation d'informations nuisibles à la République. La non-
connaissance de l'interlocuteur, en effet, rendait plus difficile l'échange des
confidences »386. Aujourd’hui objet d’art ou touristique, le masque vénitien réapparaît

383 Ibidem.
384 GILLES Bertrand, « Masque et séduction dans la Venise de Casanova », Dix-huitième Siècle, N°31,
Mouvement des sciences et esthétique(s), 1999, p. 423.
385 Ibidem, p. 418.
386 Ibidem, p. 417.

281
pendant le Carnaval, où chacun joue le rôle qu’il s’est attribué tel un acteur dont la
scène s’étend sur toute la ville.

Dans le monde virtuel, le « visage » du joueur est celui de son avatar. Celui-ci
lui sert de masque. Les autres ignorent quels sont les traits de l’utilisateur de l’avatar
lorsqu’il se trouve derrière son écran. Dans les jeux vidéo en ligne massivement
multijoueur, le personnage est un avatar du joueur. Il peut sourire alors que le joueur
ne sourit pas et inversement. Les expressions du personnage sont choisies par le
joueur, il peut faire semblant, mentir… Philippe Bonfils écrit à ce sujet « l’avatar peut,
par l’intermédiaire de multiples manipulations de l’utilisateur, se révéler un masque
non ressemblant de l’utilisateur tout en étant en perpétuelle transformation » 387 .
L’auteur défend l’idée que l’avatar devient un masque dans un univers oscillant entre
ce qu’il qualifie de « spectacle » et de « réalité vécue » : « dans l’espace virtuel, le
phénomène est amplifié car l’utilisateur en prenant la peau de l’avatar se transforme
en acteur d’un spectacle où les qualités graphiques et réalistes des images de
synthèse entretiennent l’ambiguïté entre « spectacle » et « réalité vécue » »388. Cette
thématique du comédien sur scène ou du spectacle n’est donc pas propre aux
masques vénitiens.

Dans son article « Avatars et identité », Fanny Georges distingue trois types
d’avatars389. « L’avatar-mouvement » est en quelque sorte un avatar invisible, il est
présent dans les jeux sans avatar, comme ceux en réalité augmentée par exemple.
« L’avatar-marionnette » correspond quant à lui à un avatar prédéfini incarné par le
joueur et auquel il s’attache progressivement même s’il ne l’a pas créé. Enfin,
« l’avatar-masque » est un avatar qui a été personnalisé par le joueur, et c’est en cela
qu’il se différencie de « l’avatar-marionnette ». Le joueur est libre de choisir son
apparence, et ne lui ressemble pas nécessairement comme nous l’avons déjà évoqué
précédemment. Il permet de satisfaire ses envies, reflète ses désirs, mais son
apparence est aussi un indicateur pour les autres, notamment de sa richesse, ou

387 BONFILS Philippe, « Environnements immersifs : spectacle, avatars et corps virtuel, entre addiction
et dialectique sociales. », Hermès, La Revue, n° 62, 1/2012, p. 55.
388 Ibidem, p. 55 à 56.
389 GEORGES Fanny, « Avatars et identité », Hermès, La Revue, N° 62, 1/2012, p. 33 à 40.

282
encore de son niveau. L’avatar est marqué par son histoire en jeu et ce qu’en a fait le
joueur. Le choix de cette appellation « avatar-masque » est très intéressant. Il reflète
l’idée que le joueur incarne un personnage qui est son visage aux yeux des autres au
sein de l’univers virtuel et ce visage de pixels cache son visage de chair.

a.2. Le masque comme symbole

Le masque est parfois un symbole, nous pouvons penser à celui des


Anonymous. A l’origine ce masque est apparu dans la bande dessinée V pour
Vendetta d’Alan Moore, puis le film sorti en 2006 et réalisé par James McTeigue.
Représentation stylisée de Guy Fawkes390 imaginée par David Lloyd, ce masque est
aujourd’hui aussi celui du mouvement Anonymous 391 . Ce masque apparaît
régulièrement lors des manifestations. Il est devenu un symbole de contestation, de
revendication, de lutte pour des idéaux. Il a marqué la culture populaire et si on connait
le personnage, rares sont les spectateurs capables de dire qui était l’acteur qui le
portait. En effet, le visage d’Hugo Weaving est en permanence dissimulé sous son
masque car ce qui importe, c’est ce qu’il représente.

Les masques, portés par les héros des comics comme Batman ou Spiderman,
mais aussi par des grands méchants au cinéma, par exemple dans les films d’horreur
Scream ou Vendredi 13, sont toujours à la mode auprès des jeunes et des moins
jeunes. Le masque permet dans ces cas de dissimiler l’identité du porteur tout en ayant
un effet sur celui qui le voit, positif ou non. Le justicier ou le vilain sont souvent
masqués. Le masque peut ainsi être l’apanage du bien comme du mal, il n’est pas
rattaché de façon unilatérale à l’un des deux. Dans Star Wars, le masque est un objet
davantage porté par les Siths. Le recours au masque à des fins de protection
n’explique pas pourquoi les utilisateurs de la force du côté lumineux ne l’utilisent pas
contrairement à ceux tournés vers le côté obscur. L’usage du masque est donc lié à
une autre raison. Dissimuler ses émotions est l’une d’entre elle : elle explique pourquoi

390 Guy Fawkes est un personnage historique anglais catholique célèbre pour son implication dans la
Conspiration des poudres de 1605 ayant pour but de faire exploser le bâtiment de la chambre des lords
et d’y assassiner le pouvoir en place -le roi et le gouvernement-.
391 Mouvement « hacktiviste » militant, tout en restant anonyme, pour la liberté d’expression.

283
les Siths choisissent de porter un masque. A cette raison s’ajoute la volonté de
dégager quelque chose de spécifique. Ce masque/casque peut aussi bien inspirer le
respect que la peur. Une comparaison avec les kabuto, casques des samurais faisant
partie de leur armure, n’est pas déniée d’intérêt. Sans négliger la fonction protectrice
du kabuto, rappelons qu’il sert aussi à effrayer l’ennemi. Par ailleurs, le kabuto permet
de connaître l’identité de celui qui le porte. Les kabuto de samurais célèbres sont aussi
connus que leur porteur : nous pouvons penser à Date Masamune et son casque en
demi-lune asymétrique. Dans Swtor, le masque de Revan est le plus connu et fait
partie des plus appréciés des joueurs. Le masque/casque cache, dissimule les traits
de celui qui le porte mais pas qui il est. Les photographies ci-dessous, prises
personnellement lors de l’exposition Samurai, l’armure du guerrier qui s’est tenue au
musée du Quai Branly en 2012, mettent en évidence les similitudes avec certains
casques/masques de Swtor 392:

Le premier fait partie de l’armure « de visionnaire vénéré » et le deuxième de celle de « Marka


392

Ragnos », Seigneur Sith célèbre


284
Toutes ces dimensions liées à la guerre ne doivent pas être négligées lorsqu’on aborde
ces masques/casques. Les Siths comme les Samurais sont des combattants. Par
conséquent, si le masque dans Swtor ne symbolise pas le côté obscur, un certain type
de masque s’y trouve tout de même rattaché et constitue un élément, qui associé à
d’autres, le représente.

a.3. Les fonctions instrumentales du masque dans le contenu du jeu

Dans Star Wars The Old Republic, le masque a de multiples usages, et le joueur
peut choisir d’en faire porter un à son personnage pour une ou plusieurs raisons. Avant
tout, il peut être utilisé comme une parure. C’est à des fins esthétiques que le joueur
choisit un masque pour son personnage. Il fait alors partie du skin393 de celui-ci. Dans
un jeu qui n’est pas multijoueur, l’intérêt de faire porter une tenue spécifique à son
personnage n’a pas toujours de répercussion sociale. En effet, lorsque la tenue du
personnage n’est vue que par le joueur qui l’incarne, les conséquences ne sont pas
les mêmes que dans le cas des jeux vidéo massivement multijoueur : les autres
joueurs voient aussi la tenue portée par le personnage, ainsi que son masque. Le
joueur peut donc se pavaner, en particulier si l’objet est rare, montrant qu’il le possède
que ce soit par chance, par richesse ou pour une autre raison.

Le skin, qui vient de l’anglais et veut dire « peau », est l’apparence d’un personnage, c’est-à-dire son
393

apparence physique mais aussi sa tenue.


285
Il peut y avoir un aspect très pragmatique à équiper son personnage d’un
masque : les statistiques. Comme évoqué précédemment, les pièces d’armure ont des
caractéristiques et il est bénéfique pour le personnage de porter celles qui lui
correspondent et augmentent ses performances. Il existe tout de même une option
pour les joueurs abonnés qui leur permet de dissimuler leur équipement crânien, en
plus de la possibilité, grâce à l’éditeur de tenue, de voir son personnage avec une
tenue enregistrée et en porter une autre en réalité. Le personnage porte donc une
tenue avec des statistiques spécifiques mais celle qui apparaît à l’écran en termes
d’apparence est une autre tenue choisie par le joueur. Dans ce cas, c’est le masque
qui est masqué.

Dans Swtor aussi le masque est un moyen de se dissimuler. Il s’agit soit de


cacher son visage soit son identité. Dans le premier cas, il est utilisé par des joueurs
ayant « raté » leur personnage. Même s’il est possible en jeu de modifier l’apparence
de son personnage -à l’exception de son sexe-, encore faut-il réunir les conditions
requises notamment financières. C’est par exemple le cas d’un des personnages de
Scav qui s’est rendu compte qu’il ne lui plaisait pas du tout, et qui honteux, a choisi de
lui mettre un casque en attendant de pouvoir lui offrir une petite opération de chirurgie
esthétique. Dans le second cas, le fait de dissimuler son identité n’est pertinent que
par rapport au jeu de rôle. En effet, le nom du personnage apparaissant au-dessus de
sa tête, les autres joueurs savent de qui il s’agit, par contre leurs personnages, face à
un individu masqué, même s’ils le connaissent seront difficilement en mesure de
l’identifier. Ajoutons que certains joueurs aiment entretenir le mystère sur l’apparence
de leur personnage, comme Naï-Koh que peu de joueurs ont pu voir sans son masque.

Il existe des trophées de diverses sortes, dont des masques. Le masque est
alors une récompense possible pour avoir réussi quelque chose qui a été estimé par
les développeurs du jeu comme étant dur à accomplir. Le masque corrompu de garde
d’effroi est un exemple, il est obtenu après avoir vaincu le boss394 Croc d’effroi du
Secteur X, et outre les avantages qu’il octroie en jeu, il représente aussi le succès de
ce défi surmonté. Certains joueurs décident de le porter afin de montrer au reste de la

394 Un boss est un adversaire plus puissant que les autres.


286
communauté qu’ils sont parvenus à affronter ce redoutable adversaire. Lors de
certaines saisons de JcJ classé, une armure, avec un masque ou un casque, est aussi
une récompense possible selon l’index obtenu par le joueur.

Pour terminer, le masque, en lien avec le scénario du jeu, peut aussi être un
objet symbolique protecteur. Dans l’histoire de la classe « Inquisiteur », le personnage
que l’on joue est amené à récupérer le « masque de Kallig ». Le fantôme du Seigneur
vient en aide au personnage, l’avertit d’un danger et le protège autant qu’il le peut. Ce
masque constitue son héritage puisque Kallig s’avère être l’ancêtre du personnage
joué dans le scénario proposé par le jeu. Le personnage ignore qu’il est le descendant
de ce Sith, et la transmission du masque est associée à la révélation de son identité.
Le masque dissimule le visage du personnage aux autres, tout en lui permettant de
découvrir quelles sont ses origines, qu’il est libre de révéler, ou non. Dans les histoires
des rôlistes, le masque peut aussi avoir une dimension symbolique. Certes, le masque
peut être une pièce d'armure portée par le personnage, il peut aussi servir à effrayer
ses adversaires ou à dissimuler son identité mais il arrive qu'il devienne aussi un objet
symbolique. Par exemple au cours d'une aventure, Jothund qui est un Miraluka et porte
en permanence un bandeau rigide sur les yeux pour cacher ses orbites vides, l'a
enlevé pour le placer sur les yeux de sa compagne afin d'être sûr qu'elle ne voit pas
une scène particulièrement violente. Ce bandeau est ainsi devenu un objet
réconfortant pour elle, un bouclier symbolique la préservant de blessures psychiques,
l'apaisant et lui donnant espoir et courage dans les moments où elle en a besoin
puisqu'elle l'a conservé avec elle par la suite. Cet exemple témoigne d'un autre aspect
important, dans le cadre du jeu de rôle, les joueurs ont la possibilité grâce à l'imaginaire
de conférer aux objets une dimension symbolique.

b) Les usages du masque par le joueur

b.1. La protection

Si nous avons jusqu’à présent envisagé le masque par rapport au personnage


ou le personnage comme masque pour le joueur, nous n’avons que survolé l’idée du

287
masque comme moyen pour le joueur de se protéger. Bien que souvent partiellement
dévoilée, ce que chacun considère comme étant sa vie privée est aussi préservée,
dont son identité sexuée. Si des hommes essayent de se faire passer pour des
joueuses afin de profiter de leurs pairs en les trompant, des joueuses quant à elle
tentent de dissimuler qu’elles sont des femmes afin d’éviter d’être ennuyées par la gent
masculine. Jouer un personnage masculin, ayant pour rôle d’infliger des dégâts, éviter
les vocaux… sont autant de moyens qu’elles utilisent pour conserver leur tranquillité.

Nous pouvons envisager que le ou les masques portés dans le monde


numérique sont simplement des masques supplémentaires à ceux portés en société.
Au quotidien, les gens sont amenés à porter des masques : au travail, dans l’espace
public, même à l’intérieur d’espace privé en présence d’étrangers… Les masques font
partie intégrante des processus de communication. Toutefois, montrer ce que l’on veut
tout en dissimulant le reste n’est pas toujours conscient. Dans leur article « Devant et
derrière le masque » Anna Paladino et Manuela Becilli expliquent que le masque s’il
cache la vérité permet aussi de fuir la réalité. Il s’avère nécessaire car c’est à travers
son usage que la compréhension de qui on est devient possible. Les auteurs écrivent
à ce sujet : « aujourd’hui, l’individu a besoin d’un masque pour se présenter aux autres,
même quand il ne reconnaît pas encore parfaitement ses vrais traits. L’usage du
masque peut l’aider à reconnaître sa propre vraie nature et en même temps à se
présenter au mieux au monde extérieur » 395 . Le masque, bien entendu, peut être
fragilisé, endommagé, et il peut aussi engendrer des complications comme lorsque
l’individu oublie son identité, focalisé sur le masque qu’il porte. Pour terminer, elles
synthétisent en affirmant que « le masque représente donc quelque chose qui cache,
préserve, dissimule, plaît, trompe, trahit »396. Cette vision du masque présente ses
aspects positifs et négatifs. Nous retrouvons sa fonction protectrice qui s’applique
aussi dans le monde virtuel.

b.2. Catharsis

395 PALADINO Anna, BECILLI Manuela, « Devant et derrière le masque. », Imaginaire & Inconscient,
N° 26, 2/2010, p. 40.
396 Ibidem, p. 40.

288
Roger Caillois a écrit au sujet du mimicry, c’est-à-dire la catégorie de jeux qui
consistent à simuler, que « le plaisir est d’être autre ou de se faire passer pour un
autre »397. Il s’agit donc aussi de s’amuser en portant un masque, en se faisant passer
pour quelqu’un d’autre. Il affirme dans Les jeux et les hommes, Le masque et le
vertige : « porter un masque enivre et affranchit » 398 . Le plaisir et la liberté sont
étroitement mêlés, sachant que d’après l’auteur la liberté est une condition sine qua
non du jeu. Selon R. Caillois, il n’est en effet pas possible de véritablement jouer sous
la contrainte. Or ce plaisir et cette liberté peuvent découler de l’usage d’un masque
dans ce cadre, en somme, de la dissimulation partielle ou totale de l’identité de
l’individu derrière son écran.

Le masque permet au joueur de se libérer de ses envies sans être freiné par
les normes sociales. Au sein de cet univers, il peut satisfaire ses envies, céder à ses
pulsions, y compris à celles qui lui sont inatteignables hors du monde virtuel. Se vêtir
de tenues fantaisistes ou hors de prix, incarner un personnage caractérisé par un
physique particulier -couleur de cheveux, tatouages, piercings…-, adopter un
comportement belliqueux et massacrer ses adversaires, ou encore simplement
voyager à travers la galaxie sont des exemples. Le jeu permet d'accéder à ce qui
d'ordinaire est inaccessible et rend possible des actions ou comportements qui sont
impossibles pour une raison ou une autre hors du jeu. Le masque est cathartique car
c'est grâce à lui que l'individu peut être libre d'agir comme bon lui semble avec pour
seules limites celles imposées par le jeu et la loi -par exemple l'interdiction de tenir des
propos racistes ou xénophobes-. Etre à demi-nu en public n'est pas considéré comme
une atteinte à la pudeur, tuer des innocents par plaisir n'est pas une aberration pour
un Sith au contraire... Or, c'est le personnage qui est le moyen pour le joueur d'agir
ainsi. Dans certains cas, la responsabilité lui est attribuée, un joueur pourra posséder
des personnages bons ou mauvais, et agir en conséquence lorsqu'il les incarne. De la
sorte, ce n'est pas lui qui est sadique ou vicieux, mais son personnage. La honte du
corps dénudé en présence d'autrui disparaît aussi, ce n'est pas le corps physique du

397 CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Le masque et le vertige, Paris, Gallimard, coll. Folio
essais, 1967, p. 64.
398 Ibidem, p.152.

289
joueur qui est montré. Ajoutons que le joueur a la possibilité de choisir un personnage
au physique attrayant, exempt des défauts qu'il trouve à son propre corps.

Le joueur n'attribue pas toujours à son personnage catalyseur la responsabilité


de ce qu'il décide de lui faire faire. Son identité de joueur et l'anonymat de son identité
hors du monde virtuel lui permettent de franchir ces barrières. Les comportements
jugés déviants dans notre société ne le sont pas forcément dans l'univers virtuel et
même lorsque c'est le cas, l'individu dissocie son identité de joueur de son identité
sociale hors du jeu. Il pourra ainsi par exemple être considéré comme un
exhibitionniste en jeu et l'assumer, parce que sa famille, ses proches, ses collègues
ignorent qu'il agit ainsi dans le monde virtuel. Par ailleurs, pour certains, le jeu n’est
qu’un jeu, et ils n’ont donc aucune difficulté à s’amuser comme bon leur semble
puisque ça n’a de toute façon pas d’incidence. Ajoutons qu'un joueur peut avoir
plusieurs identités dans le monde numérique. Le masque peut avoir plusieurs formes.
Le schéma ci-dessous reprend l’idée du jeu comme source de libération pour le joueur
grâce à l’anonymisation :

290
L’enjeu de ce schéma est de mettre en évidence l’usage des masques aussi bien dans
la vie quotidienne que dans le monde virtuel. Il existe en quelque sorte un jeu de
masques entre réalité et fiction. Alors que certains portent un masque en tant que
joueur, d’autres au contraire l’enlèvent et révèlent qui ils sont vraiment.

291
Des recherches ont été menées sur les comportements qui surviennent lors de
manifestations de foule, nous pouvons évoquer celles d’Elias Canetti notamment,
l’auteur de Masse et puissance399 ou celles plus anciennes de Gustave Le Bon. La
foule confère l'anonymat, ce qui entraîne potentiellement des comportements déviants
ou anti-sociaux, l’individu se fondant dans la masse. Gustave Le Bon écrit à ce sujet :
« la certitude de l'impunité, d'autant plus forte que la foule est plus nombreuse et la
notion d'un pouvoir momentané considérable dû au nombre, rendent possibles à la
collectivité des sentiments et des actes impossibles à l'individu isolé »400. Il arrive donc
que l'individu adopte les normes du groupe et non plus les siennes. Le monde virtuel
garantit l'anonymat et devient de fait un espace privilégié d'observation de ce type de
phénomène. Pour E. Canetti, l’homme est caractérisé par sa peur de l’autre, il craint
son contact même parmi la foule. Il s’avère que dans le monde numérique, l’individu
est protégé de tout risque de contact physique avec autrui tout en étant entouré par
les autres. Il s’agit d’une masse qui est en quelque sorte invisible mais toujours
présente.

b.3. Masque et choix de l’identité sexuée

Les questions de transidentité et de transgenre doivent être maintenant


évoquées. Jouer un personnage du sexe opposé au sien est d’une certaine façon une
forme de travestissement, en particulier dans les cas où le joueur prétend être de
l’autre sexe. Or je n’ai au cours de ce travail de recherche rencontré aucun joueur ou
joueuse souhaitant changer de sexe et utilisant le monde virtuel pour concrétiser ce
désir. Le sentiment de non-appartenance à son sexe biologique et le recours aux jeux
vidéo pour satisfaire ses besoins en utilisant un personnage du sexe de son choix n’est
pas inexistant. Si j’ai rencontré des joueurs homosexuels, ainsi que des joueuses,
n’hésitant pas à revendiquer leurs affinités sexuelles, à ma connaissance, je n’ai croisé
aucun transsexuel sur Star Wars The Old Republic. Bien entendu, proportionnellement

399CANETTI Elias, Masse et puissance, Paris, Gallimard, réédition de 1986.


400 LE BON Gustave, Psychologie des foules, première publication en 1895, édition électronique
réalisée par Jean-Marie Tremblay en 2002, p. 29.
Disponible sur :
http://classiques.uqac.ca/classiques/le_bon_gustave/psychologie_des_foules_PUF/Psychologie_des_
foules.pdf (consulté le 07/02/2019)
292
à l’ensemble de la communauté des joueurs, ils ne doivent représenter qu’une très
faible minorité. Par ailleurs, il est aussi fort probable qu’ils cherchent à préserver cette
information afin d’éviter d’être ennuyés par d’autres joueurs. De fait, il devient difficile
d’en rencontrer par le fruit du hasard. Le masque que constitue le personnage du jeu
peut donc être utilisé comme un moyen de passer d’un sexe à l’autre. Il est intéressant
de faire remarquer que certains joueurs apprécient travestir leur partenaire, leur
mettant des vêtements plutôt féminins, et en modifiant la couleur de façon à davantage
les sexuer -rose, violet…-. Les joueurs agissent de la sorte simplement pour s’amuser,
ou amuser les autres, voire, se faire remarquer, ou encore humilier leur partenaire qui
devient en quelque sorte un souffre-douleur.

Dans la suite de cette thématique, bien qu’il ne s’agisse pas de personnage


« masque », nous devons mentionner l’existence de personnages souvent appelés par
les joueurs « madame-monsieur » dont l’identité sexuée est ambiguë de prime abord.
Il peut s’agir soit d’un personnage masculin ayant des caractéristiques jugées
féminines soit d’un personnage féminin ayant des caractéristiques considérées
comme masculines. L’allure générale, incluant les vêtements et la carrure, font partie
de ces caractéristiques tout comme la coupe de cheveux et sa couleur. Lors d’une
séance de jeu de rôle, j’ai pu observer un personnage se tromper en appelant une
femme « Monsieur », la voyant de dos, avant de se rendre compte qu’il s’agissait en
réalité d’une dame. Très grande et musclée, ayant les cheveux courts, et portant une
armure, il était vraisemblable que le personnage puisse commettre cette erreur de
jugement. Par ailleurs, les informations supplémentaires transmises telles que la voix
ou des détails précis -maquillage par exemple- peuvent aussi induire en erreur ou
entretenir une ambiguïté. En général, ces physiques atypiques sont liés à l’histoire du
personnage. Dans notre exemple, ledit personnage était une mercenaire
expérimentée.

c) Derrière le masque : les échanges permis par l’anonymat de la virtualité

c.1. La domination

293
Protégé par son anonymat, le joueur peut choisir d'adopter des comportements
dans le monde virtuel qui vont à l'encontre de la morale. Le concept de
désindividualisation doit être pris en compte. Des recherches ont été menées sur les
comportements qui surviennent lors de manifestation où une foule est présente. La
foule confère l'anonymat et peut engendrer une mise à l'écart de la conscience de soi,
ce qui entraîne potentiellement des comportements déviants ou anti-sociaux. Il arrive
que l'individu adopte les normes du groupe et non plus les siennes. Le monde virtuel
garantit l'anonymat et devient de fait un espace privilégié d'observation de ce type de
phénomène. La domination et l'humiliation des autres en font partie et revêtent de très
nombreuses formes. L'une et l'autre sont souvent associées et se déroulent en public.
Ce public peut être des joueurs connus ou non, présents en jeu, sur un vocal, voire
même sur des forums. La domination d'un tiers et son humiliation par un ou des joueurs
peuvent avoir plusieurs origines. La rivalité est une des principales causes. Cette
rivalité peut être issue d'une concurrence en termes de performance, en particulier
lorsque la communauté est divisée quant à savoir lequel est le meilleur, ou dans le
cadre d'une volonté de séduire la même personne401. Une autre raison possible pour
ce type d'attitude est la mésentente entre les joueurs. On retrouve d'avantage ce
comportement entre joueurs ne s'appréciant pas, qu'entre joueurs ayant des relations
cordiales. Par ailleurs, lorsqu'il survient entre joueurs amis, il apparaît comme
beaucoup moins hostile, plus subtil, et tourné vers l'humour. Si les sentiments négatifs
vis-à-vis d'un autre joueur peuvent justifier le fait de les dominer et de les humilier, ils
ne sont pas toujours nécessaires pour s'autoriser à agir de la sorte. En effet, certains
joueurs le font simplement par plaisir, pour s'amuser ou divertir les autres. Dominer et
humilier peut constituer un acte gratuit. Enfin, cela peut aussi être en rapport avec une
vengeance, personnelle ou non.

Il existe de multiples façons de dominer et d'humilier un autre joueur. Tout


d'abord en l'affrontant, lors d'un duel ou en mode « Joueurs contre Joueurs », et en le
battant sans sembler éprouver de difficultés, obtenir des scores beaucoup plus élevés
est aussi un moyen d'exercer une domination, quel que soit le mode de jeu. La
richesse, l'équipement possédé peuvent aussi servir à surclasser son adversaire, et à

401 Nous reviendrons sur les interactions de séduction et de rivalité amoureuse par la suite.
294
le lui faire comprendre ainsi qu'aux autres. Cependant, l'humiliation réside la plupart
du temps dans les propos tenus à l'encontre d'un joueur. Les moqueries, parfois
insultantes, sont fréquentes dans ces situations qui parfois dégénèrent et virent au
conflit. A titre d’exemple illustratif, nous pouvons reprendre une discussion aperçue402
sur le canal général entre joueurs de PvP403 sur le serveur Battle Meditation :

Sakine : mytho je t'ai vu tu étais en panique


Wigrec : Parce que si je te frappe ta maman voudra plus de moi
Sakine : je te prends toi et epizeub
Wigrec : MDR, ok ok
L'ordre : ce genre du mec qui nique tout le pvp du serveur... x)
Wigrec : Epi tout le monde le prend, mais bref, ça aprle bc [parle beaucoup]
Sakine : L'ordre retourne sauter en backpead404
Djàndjøu : Perso jle prends pas moi, jsuis pas d'se bord405
L'ordre : en plus vous êtes nuls :p
Djàndjøu : L'ordre tu veux pas aller en RP stp ?
L'odre : non je revient de classé sur red eclipse c'était asser fatiguant ^^
Djàndjøu : Qui s'en fou ?
L'ordre : toi sans doute :)
Bøt : Tu fais du classé sur TRE406 et t'es si mauvais ? oO
Djàndjøu : gg407

402 La discussion a été retranscrite telle quelle, sans aucune correction ni modification à l’exception de
ce qui apparaît entre crochets pour faciliter la compréhension parfois difficile en raison des fautes de
frappe et des abréviations. Les autres propos apparaissant sur le canal pendant cette même période
mais sans intérêt par rapport au sujet n’ont pas été rapportés.
403 PvP signifie Player versus Player, on emploie aussi JcJ ou « Joueur contre Joueur ». Ce mode de

jeu consiste à avoir pour principaux adversaires d’autres joueurs. Le joueur affronte, seul ou en
coopération, des joueurs ennemis. Dans les serveurs PvP de Swtor, le joueur peut à tout moment
attaquer, et être attaqué par un joueur ennemi dans les zones partagées entre plusieurs factions. Par
ailleurs, hors des zones de guerre, des adversaires non joueurs sont aussi présents.
404 Action de marcher à reculons, dans Swtor, se déplacer ainsi est perçu comme un élément

caractéristique des mauvais joueurs ou des débutants, car la vitesse de déplacement est
considérablement réduite.
405 Epidémie est un joueur homosexuel qui le revendique. Il est de temps en temps appelé Epi par les

joueurs qui le connaissent.


406 TRE ou The Red Eclipse est un serveur anglais, plus peuplé que le serveur français Battle Meditation

et sur lequel de nombreux joueurs de PvP ont un personnage, notamment pour le mode classé afin de
se confronter à davantage d’adversaires. Les joueurs français le nomment le plus souvent Red ou Red
Eclipse.
407 « GG », qui signifie « good game » est utilisé par les joueurs lorsqu'ils considèrent que la partie a

été bien jouée. Elle est le plus souvent usitée entre les membres d'un même groupe et en cas de victoire
295
Sakine : moi aussi je m'en bat les couilles
L'ordre : mais ça intéresse plein de monde ici !
Raythok : moi xD
Djàndjøu : haaaaaaaaaaan
L'ordre : bon retournez tag408 sur votre serveur pour mineur svp ^^
Djàndjøu : @Bøt il a dit : "c'était fatigant" sous entendu il a fait fumer les cd mais pas
le dps409
Bøt : Mdr tu fais le malin mais tu es vite en PLS410

Le début de cet extrait est l'altercation entre deux joueurs Sakine et Wigrec, dans
lequel s'immisce un autre joueur, L'ordre, en faisant un commentaire, Sakine s'en
prend alors à lui, délaissant Wigrec qui après une dernière remarque n'intervient plus
par la suite. D'autres joueurs décident de participer à cet échange, en
particulier Djàndjøu, qui s'oppose à L'ordre, mais aussi Bøt. Si les critiques sont
partagées entre les protagonistes, L'ordre en est bien plus victime, puisqu'il est le seul
à faire face à autant de joueurs unanimes sur le fait qu'il soit mauvais. L'effet sur la
communauté change complètement. Il ne s'agit pas de deux joueurs qui se disputent
prétendant chacun être meilleur que l'autre mais d'un groupe qui affirme qu'un individu
possède un faible niveau. C'est en raison de ce consensus que l'on peut considérer
que s’opère une humiliation.

Il est primordial de prendre en considération le fait que ces joueurs n’ont pas
tous un comportement similaire hors du monde virtuel. Cependant, l’anonymat leur
permet de devenir qui ils veulent, ce qu’ils veulent, et ce n’est pas toujours être
vertueux en toutes circonstances. Néanmoins, nous devons souligner que les joueurs
ne sont pas nécessairement conscients d’agir de la sorte. L’humiliation n’est pas
toujours provoquée à dessein, et parfois, ils ne se rendent simplement pas compte des

mais il arrive qu'elle soit utilisée pour féliciter l'équipe adverse, et même en cas de défaite. Bien entendu,
cette expression peut aussi être utilisée de façon ironique.
408 Dans Swtor, le tag désigne le fait de se placer en file d’attente pour une activité, dans le cas présent

en « Joueur contre Joueur ».


409 « Faire fumer les cd mais pas le dps » signifie jouer de façon uniquement défensivement, trop

concentré sur sa propre survie pour pouvoir infliger des dégâts.


410 L’expression « être en PLS », c’est-à-dire en « position latérale de sécurité », qui ne nécessite pas

d’être explicitée, est régulièrement utilisée dans le jargon des joueurs.


296
implications de leurs actions. Ne prenant pas suffisamment de recul par rapport à leur
attitude, en particulier lorsqu’il y a un effet de groupe, ils peuvent être blessants et
insultants tout en se pensant simplement francs. Nous pouvons donner un exemple
entendu en vocal lors de la promotion d’un membre d’une guilde à un grade plus élevé,
les autres joueurs ont tenu des propos obscènes : « fais attention Alcan, tu en as
encore près de la bouche », puis « ça va, il met pas trop les dents ». Ces moqueries
particulièrement vulgaires et à caractère sexuel était déplacées et humiliantes pour le
joueur qui en était l’objet, même si ceux qui les ont formulées ne l’ont pas forcément
fait dans ce but.

Si des rapports de domination s'établissent parfois entre les joueurs, on les


retrouve aussi entre les personnages dans le cadre du jeu de rôle. Cependant,
plusieurs points doivent être soulignés. L'existence de domination entre des
personnages n'est pas représentative de la relation qu'entretiennent les joueurs. Il faut
ajouter que cette domination peut être tout à fait consentie, choisie, par exemple
lorsque deux joueurs décident de jouer une relation maître/esclave, comme Cynn et
Lia'ry. La domination peut prendre plusieurs formes et toutes ne sont pas perçues
comme violentes ou négatives. C'est notamment le cas entre un maître Jedi et son
« padawan » ou même dans les couples. Reprenons notre exemple principal
concernant le jeu de rôle, et le couple Jothund/Ty'a, en termes de connaissances,
d'expériences y compris sentimentales, d'évolution professionnelle, de maîtrise de la
Force et de combat, Jothund surpasse de loin sa compagne. Le personnage de
Jothund, étant joué depuis beaucoup plus longtemps, a pu acquérir ce savoir
progressivement. Il a par exemple a amélioré ses compétences de combats en
affrontant de nombreux adversaires et en participant à la guerre. L'écart d'âge,
l'espèce, la sensibilité à la Force et l'apprentissage suivi pour la maîtriser, voire même
le caractère et les spécificités de chacun sont d'autres facteurs qui expliquent une
inégalité de compétences entre les deux personnages. Après avoir sélectionné une
cinquantaine de compétences environ, particulièrement diversifiées avec par exemple,
le jardinage, l'escalade, la persuasion ou la couture, et déterminé si les personnages
les possédaient ou non, les résultats sont les suivants : 43% des compétences étaient
partagées, 45% étaient propres à Jothund et seulement 12% spécifiques à Ty'a. Par

297
conséquent, l'écart relatif aux compétences propres à l'un et à l'autre est colossal.
Néanmoins, ce qui pourrait être perçu comme une forme de domination du personnage
masculin sur le personnage féminin au sein de leur couple ne l'empêche pas de
fonctionner de manière harmonieuse sans que l'un n'écrase l'autre d'une manière ou
d'une autre... L'inégalité relative au nombre de compétences et à l'étendue des
connaissances de chaque personnage n'aboutit pas à une domination de Joth sur Ty'a
ou à une soumission de cette dernière à son époux. Leurs rapports sont équilibrés et
chacun prend la main selon les situations, c'est par exemple Ty'a qui sera la plus à
même de réconforter quelqu'un. Nous pouvons ajouter que les personnages, de par
leurs attitudes, luttent contre cette domination avec notamment les placements comme
nous l'avons évoqué précédemment. Par ailleurs, la perception du joueur influence
celle du personnage aussi, Ty'a est consciente des raisons qui expliquent leurs
différences qu'elle considère comme positives, puisqu'ils sont complémentaires, et elle
est fière de son compagnon qu'elle aime et admire. En effet, si Jothund se considère
comme supérieur à la grande majorité des gens à quelques exceptions près, dont sa
femme, bien qu'il ne le montre pas, sa femme se considère comme égale aux autres
personnes sans distinction de sexe, espèce, statut social etc… ce qui joue dans les
rapports de domination entre les personnages. Pour terminer, nous pouvons aussi
souligner que s'il n'y a pas de situations de domination entre les personnages, c'est
par la volonté des joueurs, des personnages et par leurs échanges et leurs
comportements. Ainsi en raison de sa soif d'apprendre et sachant que son compagnon
maîtrise le sujet qui la laisse perplexe, Ty'a pourra le solliciter en cas de besoin, et il
répondra à ses interrogations. Cependant, jamais il ne sera à l'origine de cette
interaction. L'enjeu de ce paragraphe est de faire comprendre que la domination est
aussi une affaire de perception, de choix, et qu'elle peut être voulue et assumée, ou
soigneusement évitée.

c.2. La triche et le « trollage »

La triche est l’infraction volontaire des règles du jeu. La triche est une tentation
qui peut être un moyen ou une fin en soi : il est possible, par exemple, de tricher afin
de gagner ou simplement par plaisir. Le plaisir réside dans la triche en tant que telle

298
mais aussi dans la satisfaction de ne pas se faire prendre, de duper les autres…
Stefano De Paoli et Aphra Kerr ont écrit un article spécifiquement dédié à la définition
de la triche dans les jeux vidéo en ligne massivement multijoueur 411. Ils proposent
d’élargir la vision de la triche afin de ne pas se limiter à une vision trop essentialiste,
recourant à divers concepts pour y parvenir dont notamment celui d’agencement de
DeLanda. Toutefois, nous avons choisi de nous limiter à une définition simple de la
triche pour ce travail. Il est primordial dès lors de signaler plusieurs distinctions afin de
ne pas assimiler des notions proches mais différentes, telles que tricherie et
cybercriminalité. Contrairement à la tricherie, la cybercriminalité ne se contente pas
d’enfreindre les règles du jeu, elle va à l’encontre des lois. Dans le cadre des jeux
vidéo en ligne, les possessions virtuelles ont souvent une valeur monétaire réelle.
L’usurpation d’identité et le vol de compte existent, malgré les procédures de sécurité
mises en place pour les limiter -telles que les questions secrètes-. Par ailleurs, les
joueurs souscrivant à un abonnement le payent ; de fait, il existe aussi des risques de
fraude via des tentatives d’hameçonnage visant à obtenir les informations bancaires
par exemple. Dans leur article « Virtual Worlds and Fraud: Approaching Cybersecurity
in Massively Multiplayer Online Games », Jeffrey Bardzell, Markus Jakobsson,
Shaowen Bardzell, Tyler Pace, Will Odom et Aaron Houssian ont écrit sur le sujet :
« both cheating and fraud involve players misusing game environments and rule
systems to achieve ends that are unfair. One primary difference between them is that
whereas cheating is defined relative to the rules of the game, as defined by the game
service provider, fraud involves violations of national and international law. In addition,
whereas cheating is limited to the games themselves, gamerelated fraud may extend
to external media, such as Web forums and email » 412 . Les auteurs se penchent
principalement sur les actes de fraudes survenant au sein du monde virtuel, les façons
de les détecter et de s’en protéger. Ils établissent un classement et n’excluent pas la
triche dans leurs recherches tout en rappelant ce qui sépare ces deux actes.

411 DE PAOLI Stefano, KERR Aphra, « L'agencement de la triche. Aborder la triche dans les MMORPG
comme un imbroglio. », Réseaux, n° 173-174, 3/2012, p. 235 à 269.
412 BARDZELL Jeffrey, JAKOBSSON Markus, BARDZELL Shaowen, PACE Tyler, ODOM Will,

HOUSSIAN Aaron, « Virtual Worlds and Fraud: Approaching Cybersecurity in Massively Multiplayer
Online Games », Situated Play, Proceedings of DiGRA 2007 Conference, p. 742.
299
La triche n’est pas toujours perçue de la même façon selon qu’on adopte le
point de vue des tricheurs, ceux qui en profitent, et celui des autres, ceux qui la
subissent, dont les développeurs du jeu. S’il est aussi possible de s’intéresser à la
triche dans sa dimension technique, sous l’angle des questions relatives au dispositif
informatique de sécurité du jeu, nous allons plutôt privilégier son aspect social. En
effet, les règles auxquelles sont soumises les joueurs et leurs avatars, qu’elles soient
physiques ou sociales, sont parfois enfreintes mais ne nécessitent pas les mêmes
compétences. Les règles physiques sont celles qui régissent le monde virtuel par
exemple la gravité, ou la vitesse de déplacement d’un personnage, elles ont été
établies par les développeurs. Il est indispensable d’avoir des connaissances
informatiques, comme en programmation, suffisantes pour parvenir à les contourner.
Les règles sociales quant à elles sont bien plus faciles à enfreindre. Dans leur article
« Playing the Game: Cheating, Loopholes, and Virtual Identity », Phillip J. Brooke,
Richard F. Paige, John A. Clark et Susan Stepney413 distinguent plusieurs formes de
tricheries dont les conspirations et les coopérations, visant à payer pour gagner. Dans
Swtor, certains joueurs, voire guildes, semblent effectivement utiliser ce procédé
échangeant par exemple des points de conquête contre des victoires en « Joueur
contre Joueur classé ». D’autres joueurs n’hésitent pas à exploiter les failles ou bugs
du jeu en particulier lors d’ajout d’un nouveau contenu et avant qu’il ne soit corrigé.
Selon la perception de l’individu ce qui est considéré comme de la triche pour l’un, et
une tactique pour l’autre.

Les développeurs et l’équipe du jeu veillent à lutter contre la triche afin de


préserver la communauté et l’idée d’une justice. La détection de ces abus est dans
certains cas permise grâce à un système spécifique, sorte d’outils anti-triche, ou bien
par le signalement provenant des autres joueurs. Il y a donc un double contrôle, par le
jeu et par les autres. Des sanctions sont encourues lors de cas de triche avérés. Le
personnel rattaché à Star Wars The Old Republic n’est pas autorisé à communiquer
des informations relatives à l’existence d’outils internes au jeu dont le but serait de
limiter les tricheries. Néanmoins, j’ai pu apprendre de façon informelle qu’il était fort

BROOKE Phillip J., PAIGE Richard F., CLARK John A., STEPNEY Susan, « Playing the Game:
413

Cheating, Loopholes, and Virtual Identity », ACM Computers and Society, 2004.
300
probable que ce type d’outils existe bien. Par rapport aux sanctions, après un
avertissement, si un autre problème est signalé et avéré concernant un même joueur,
par exemple des insultes, celui-ci en reçoit un deuxième. Au bout de trois
avertissements, son compte est suspendu pendant 24 heures, puis ensuite 48
heures… La gravité de l’acte commis va bien entendu jouer un rôle. Le compte des
sanctions disparaît au bout d’un an, toutefois, dans les cas les plus extrêmes, le
compte peut être définitivement fermé. Le joueur peut contester les sanctions qui lui
ont été infligées, une équipe analysera alors son dossier et décidera de les lever ou
non. Lorsqu’un joueur signale une tricherie, il ne reçoit aucune information sur l’issue
de l’enquête menée par le service client. S’il est vrai que des joueurs trichent, il arrive
aussi souvent que des joueurs mécontents de leur performance, jaloux de celles des
autres, de mauvaise foi ou ignorants accusent quelqu’un d’être un tricheur, par
exemple en assimilant l’usage d’une compétence possédée légitimement par un
personnage et visant à accélérer la vitesse de son déplacement à du « speed hack ».

Une parenthèse doit être faite au sujet d’une forme de triche particulière : les
« bots ». Un bot est un personnage qui au lieu d’être joué par un humain est
automatisé. Un logiciel lui a été associé afin de programmer son comportement comme
ses déplacements et actions. L’usage de bot n’est pas autorisé, il permet au joueur de
laisser son personnage sans avoir à s’en occuper et gagner en expérience, en
possessions… L’usage de bot dans les MMORPG est plus souvent employé pour le
« farm ». Il s’agit de l’activité visant à obtenir en un minimum de temps un maximum
de résultats : points d’expérience, ressources… y compris en faisant en boucle les
mêmes actions. Pour Johan Huizinga, la répétition est caractéristique du jeu : « elle
ne s’applique pas seulement au jeu considéré dans son ensemble, mais aussi à la
structure interne du jeu »414. Cependant, le côté rébarbatif de certaines activités est
parfois la raison pour laquelle les joueurs ont recours aux bots. Il est assez facile de
les distinguer des personnages joués puisqu’aucun bot n’est capable de tenir une
discussion avec un autre joueur. Les bots sont aussi utilisés par les entreprises qui
proposent de l’argent virtuel utilisable en jeu contre de l’argent réel. Ils en font la
publicité via des bots en jeu, et se procurent cet argent de la même façon. Les bots

414 HUIZINGA Johan, Homo ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, Paris, 2017, p. 27.
301
génèrent donc un ensemble de problèmes. D’une part, ils créent des inégalités entre
ceux qui y ont recours et ceux qui jouent sans tricher, devant consacrer plus de temps
pour accumuler des richesses par exemple. Ensuite, ils peuvent engendrer des
nuisances comme lorsqu’ils envoient de façon répétée des annonces publicitaires aux
joueurs sur les canaux de discussion ou par courrier. Enfin, ils déstabilisent l’économie
interne du jeu. S’ils sont utiles pour certains, dans la majorité des cas, pour les joueurs
comme pour les développeurs du jeu, ils sont perçus comme étant indésirables.
Philippe Golle et Nicolas Ducheneaut ont réfléchi sur les moyens de lutter contre les
bots et proposent de mettre en place des « captcha tests » afin de distinguer un
utilisateur humain d’un programme. Ils ont conscience qu’il est impératif que ces tests
n’interrompent pas les joueurs afin de ne pas les déconcentrer. La méthode de lutte
contre les bots doit être efficace sans nuire au plaisir de jeu, la meilleure option est
d’après eux de minimiser l’interruption en intégrant pleinement le captcha test au jeu
comme par exemple demander au personnage d’obtenir une licence pour réaliser de
la collecte ou de l’artisanat et cette licence serait un captcha test. D’autres mesures
sont possibles mais seraient moins efficaces, par exemple déplacer sans cesse
l’emplacement des ressources pour éviter que les bots puissent aisément s’en
emparer. Ils insistent sur l’idée de détecter les bots mais aussi de décourager leur
utilisation. Selon eux, la sanction doit être dissuasive, ils écrivent à ce sujet « Our
technique for deterring bots ensures that human players have no incentive to use bots
because they stand to lose too much if caught »415.

La triche a été longuement abordée dans les derniers paragraphes, cependant,


il est important de rappeler que ce qui peut être injuste n’est pas nécessairement de
la triche. Par ailleurs, ce qui est juste ou non relève d’une construction personnelle
subjective mais aussi sociale, qui varie aussi selon les sociétés. L’absence d’équité
est parfois même permise par le jeu lui-même. Prenons par exemple le cas des zones
de guerre, lors des arènes, le nombre de joueurs doit être de quatre dans chaque
équipe mais il arrive qu’il y en ait moins. Or la partie ne prend pas fin, même si une
équipe n’est composée que de deux joueurs et doit en affronter une autre de quatre.

GOLLE Philippe, DUCHENEAUT Nicolas, « Preventing Bots from Playing Online Games », ACM
415

Computers in Entertainment, Vol. 3, N°3, 2005, Article 3C, p. 9.


302
Les joueurs n’étant pas forcément fair-play, ceux de l’équipe en supériorité numérique
peuvent tous décider de se battre contre l’équipe en infériorité numérique. Ils
estimeront par exemple agir de façon stratégique pour obtenir la victoire en profitant
d’un avantage. Puisque c’est permis par le jeu, ce n’est pas de la triche bien que cela
soit injuste, en particulier lorsque les matchs à petits niveaux opposent des joueurs
avec des écarts considérables. Il est intéressant de souligner que le jeu autorise voire
valorise d’une certaine façon des comportements déviants en certains lieux lors
d’occasions particulières. Deux exemples illustrent parfaitement notre propos : le
premier est l’évènement appelé « la résurgence des rakgoules » au cours duquel un
succès consiste à contaminer volontairement d’autres joueurs d’une maladie mortelle
que le personnage peut contracter et qui le handicape, interrompant ses actions
régulièrement, le personnage ayant des sortes de crises. Il est possible pour le joueur
de se procurer un vaccin immunisant de la contamination ou la soignant. Cependant,
en créant un succès visant à propager la maladie, les développeurs incitent les joueurs
à agir dans ce sens. L’autre évènement est celui des « Gree », pendant lequel une
zone est dédiée aux affrontements entre joueurs et devient un espace propice à
diverses déviances. Pour citer Jonas Heide Smith, « there are infinite ways in wich
players may upset other players »416. La triche se différencie de la violation des normes
sociales présentes en jeu et de l’atteinte aux autres joueurs, et si certains apprécient
leur porter secours les autres préfèrent leur nuire.

D’après Espen Aarseth, auteur de l’article « I Fought the Law: Transgressive


Play and The Implied Player » 417 , les chercheurs se distinguent entre ceux qui
théorisent le jeu comme objet culturel, et ceux qui choisissent d’être des joueurs-
observateurs travaillant sur les autres joueurs, et essayant de les comprendre en
partant à leur rencontre. Selon le type de recherche, deux visions du joueur
apparaissent, dans un cas il est une partie incontrôlable lié au monde ludique, dans
l’autre il est envisagé comme un individu. Le joueur peut éprouver le besoin de se

416 SMITH Jonas Heide, « Playing Dirty - Understanding Conflicts in Multiplayer Games », in 5th annual
conference of The Association of Internet Researchers, 2004, p. 5.
http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.63.6653&rep=rep1&type=pdf (consulté le
30/07/2019)
417 AARSETH Espen, « I Fought the Law: Transgressive Play and The Implied Player », Situated Play,

Proceedings of DiGRA 2007 Conference, 2007, p. 130 à 133.


303
libérer des règles du jeu et de la vision du joueur modèle attendu par les développeurs.
La transgression est ainsi une triche ou une forme de révolte contre le jeu. L’idée de
désobéissance civile a aussi été énoncée par d’autres chercheurs, enfreindre les
règles devient dès lors une manière de protester. Concernant Swtor, je n’ai pas
connaissance de l’existence d’un tel phénomène qui aurait eu lieu avant le début de
mon travail ou au cours de celui-ci.

Dans l’univers virtuel lorsqu’il est fait référence à un de ses utilisateurs, ou


joueurs, le terme « troll » ne renvoie pas à la créature fantastique qui peuple de
nombreux contes, mais à une personne qui apprécie aborder des thèmes sujets à
polémique et se délecter des réactions des autres. Dans son article « Les interactions
sur l'Internet », Anne Revillard explique l'origine du mot "troll" dans ce contexte : « le
terme vient du vocabulaire de la pêche à la ligne : le trolling consiste à laisser traîner
sa ligne en attendant qu'un poisson morde l’hameçon » 418 . Jonathan Bishop ne
partage pas cette idée, il considère en effet que ce terme a une tout autre origine. Il
écrit dans la préface de Examining the Concepts, Issues, and Implications of Internet
Trolling, « this was reputed to be used in the US Navy pilots in Vietnam in their dog-
fighting [...]. Such a practice, of trying to provoke the opposing fighter pilots was not an
authorized operation, but was defended by pilots in order to identify their "strenghts
and weaknesses" »419. Selon lui, le premier usage aurait donc été militaire.

Certains joueurs sont connus pour être des trolls, et possèdent même leur
thème de prédilection, d’autres sont plus discrets. Jean-François Fogel et Bruno Patino
décrivent brièvement l’attitude du troll dans leur ouvrage La condition numérique :

« Le troll provoque, détourne la liberté de l'expression au sein d'une


communauté connectée en feignant le même engagement que les autres avec des
interventions provocatrices, absurdes ou de pures dérisions. Si les internautes
réagissent aussi vivement envers lui c'est qu'il agit dans un domaine où l'émotion est
présente. Le troll n'est pas un bouffon que l'on pourrait ignorer mais une personne qui

REVILLARD Anne, « Les interactions sur l'Internet. », Terrains & travaux, 2000/1, N° 1, p. 113.
418

BISHOP Jonathan, Examining the Concepts, Issues, and Implications of Internet Trolling, IGI Global,
419

2013, p. 13.
304
dégrade l'espace où les internautes vivent leurs émotions. Dans le jargon franglais des
internautes, l'exact inverse "d'être liké" c'est bien de "se faire troller" : cela revient à
passer de la valorisation de l'ego à la négation de l'ego »420.

Les joueurs étant considérés comme étant des trolls présents dans Star Wars The Old
Republic peuvent être ignorés ; il existe une fonction permettant de ne voir aucun
message envoyé à partir d’un personnage que le joueur a choisi de bloquer de cette
façon. Identifier un troll n’est pas toujours une chose aisée. En effet, il arrive que le
joueur ait du mal à déterminer si son interlocuteur est un troll ou si la teneur de ses
propos, en particulier s’ils sont absurdes, est corrélée à un autre facteur, par exemple
son âge -notamment s’il s’agit d’un enfant-, à une profonde ignorance -par exemple
pour les joueurs débutants et non habitués aux jeux vidéo- ou encore à des capacités
intellectuelles limitées.

Si les trolls sont majoritairement perçus de façon négative, tous les trolls ne sont
pas « méchants ». Par exemple, Effan’sol, un ancien joueur, appréciait titiller les
adeptes de jeu de rôle ; aussi, en soirée, sur la flotte, donc en un lieu et à un moment
où un maximum de joueurs étaient présents, il s’amusait à écrire sur le canal général
« le RP c’est le mal ». Bien entendu la communauté ne restait pas silencieuse, mais
l’atmosphère générale était plutôt bonne. Certains joueurs apprécient même les trolls
qu’ils considèrent comme drôles, et pour leur participation active à la vie de la
communauté du serveur. Un autre exemple est celui des personnages trolls qui font
référence à celui d'un autre joueur en utilisant pour son personnage un ou plusieurs
codes propres à l'autre joueur afin d'établir une forte similitude entre eux. L'imitation
plus ou moins ressemblante vise à être amusante tout en rendant hommage à un autre
joueur apprécié et respecté, comme l'illustre l'image suivante :

420 FOGEL Jean-François, PATINO Bruno, La condition numérique, Paris, Grasset, 2013.
305
Ce type de personnage troll est néanmoins à distinguer des clones. Les clones sont
des personnages strictement -ou quasiment- identiques l’un de l’autre. Les images
suivantes peuvent servir d'exemples représentatifs :

L'usage de clones peut aussi avoir pour effet des brouiller les pistes pour l'adversaire
qui peut éprouver des difficultés à identifier son adversaire et à communiquer avec les
autres joueurs de son groupe si les noms des personnages et leur apparence sont
semblables. Il peut aussi s'agir d'un choix personnel de joueurs évoluant ensemble

306
dans l'univers du jeu ou encore, avoir des motifs en lien avec le jeu de rôle et l'histoire
des personnages.

Selon les sujets abordés et le public visé, les réactions peuvent être
particulièrement violentes, sur les serveurs américains, depuis l’élection du président
actuel Donald Trump : de nombreux trolls s’amusent ainsi à lancer des débats
politiques. D’après A. Revillard qui s'intéresse aux trolls présents sur Internet, en
particulier sur les forums, les « trolls [...] adoptent un comportement provocateur dans
le seul but d'attirer l'attention sur eux pour déstabiliser le groupe. En répondant au troll,
les membres du groupe renforcent le sentiment communautaire en repoussant
l'ennemi, mais ce faisant, ils s'écartent de l'objet initial du débat »421. Cependant, cette
cohésion contre le troll n'apparaît pas toujours. En effet, lorsque le troll parvient à ses
fins, les débats opposant les divers partis prennent de l'ampleur et le sujet de
discussion initial, s'il y en a un, est oublié. La discussion prend une autre tournure au
fil des échanges, pouvant se dégrader en un conflit ouvert dans lequel fusent les
injures.

c.3. Les comportements déviants

L'anonymat, comme nous avons pu le constater, permet à l'individu au sein du


monde virtuel de s'orienter vers ce que la société considère comme des tabous, voire
des déviances, sans être gêné par une identification possible de la part des autres.
Dans Star Wars The Old Republic, la pornographie 422 existe en raison des
modifications du jeu -non autorisées- réalisées par les joueurs et de leur comportement
en jeu. Il semble important de spécifier ce que nous considérons comme étant de la
pornographie. La pornographie peut être définie sommairement comme tout ce qui est
d’ordre sexuel et qui va à l’encontre de la pudeur. Elle est présente sous plusieurs
formes. Si la pornographie se consomme la plupart du temps en privé, elle apparaît
parfois en public.

421REVILLARD Anne, « Les interactions sur l'Internet. », Terrains & travaux, 2000/1, N° 1, p. 124.
422En raison de la nature potentiellement choquante des sources relatives à la pornographie et du fait
qu’une simple recherche sur Internet permet d’en avoir un aperçu, j’ai pris la décision de ne pas les
incorporer dans ce travail.
307
Dans le cadre du jeu de rôle, les personnages peuvent évidemment avoir des
rapports sexuels. Les rôlistes concernés vont alors décider s'ils vont jouer la scène ou
avoir recours à une ellipse. Chaque joueur a ses propres limites, ses envies, son style,
si certains sont de fervents adeptes de ce type de jeu de rôle, pour d'autres, ce n'est
absolument pas le cas. La scène peut être brièvement décrite ou intégralement jouée.
Pour ce deuxième cas de figure, le style des joueurs, le contexte... vont donner le ton,
de l'érotisme à la pornographie, du « soft », au « hard ». Si rien n'interdit entre joueurs
consentants de se livrer à ce type d'activité en privé, dans des lieux et sur des canaux
où nul autre ne peut les observer, c'est prohibé en public. Lorsque des joueurs
enfreignent cette règle, ils encourent des sanctions de la part des modérateurs du jeu.
Ce type de jeu de rôle, familièrement appelé « RP cul », représente la majorité de ce
qui s’apparente ou peut être qualifié de pornographie dans Swtor. Lors d’une mise à
jour imprévue du jeu, alors que les joueurs se plaignaient d’apprendre qu’ils allaient,
dans les minutes qui allaient suivre, être tous déconnectés pendant plusieurs heures,
Kôyô a fait la remarque suivante sur le canal général, préférant appréhender cette
nouvelle avec humour, « (une pensée émue pour tous les rpq brutalement
interrompus. « Coitus interruptus » il parait que ça s’appelle ^^)423 ». Ainsi, ce type de
jeu de rôle n’est pas méconnu, y compris par les joueurs qui ne le pratiquent pas.

Des vidéos pornographiques conçues à partir d’images du jeu sont visibles sur
Internet. Des joueurs en modifiant le jeu lui-même, bien que cela soit strictement
interdit, ont ainsi pu mettre leurs personnages nus. Ils ont ensuite détourné des emotes
et mis en scène des actes donnant l’illusion de rapports sexuels entre les personnages.
Diverses vidéos existent, elles se caractérisent par des thèmes variés -rapports
homosexuels entre protagonistes de sexe féminin, d’espèces différentes, avec divers
types de morphologie, relations contraintes ou consentantes…-424. La pornographie
inspirée de Star Wars The Old Republic apparait sous d’autres formes dont des images

423 L’utilisation des parenthèses par les rôlistes est fréquente. Ils y ont recours pour signifier que ce sont

eux qui s’expriment et non leur personnage.


424 En raison de la nature de ses images, qui sont susceptibles de choquer, j’ai choisi de les mettre à la

fin de cette thèse dans une partie annexe spécifique. Il s’agit d’exemples illustratifs qui sont dignes
d’intérêt mais qui pourraient heurter la sensibilité du lecteur, cette solution m’a semblé être un
compromis approprié.
308
modifiées du jeu ou conçues, dessinées par des fans, mais aussi dans des écrits sur
des forums.

Concernant le contenu même du jeu, si dans Swtor le personnage joué peut


avoir des partenaires, l’acte sexuel n’est jamais représenté, il n’est que sous-entendu
de façon très implicite. Les personnages peuvent s’embrasser mais le joueur n’en voit
pas davantage. Le jeu mais aussi ce qui l’entoure -bandes d’annonce, couvertures…-
ne propose pas de contenu sexuel explicite, et encore moins pornographique. S. Paul
Stermer et Melissa Burkley ont travaillé sur l’influence de ce type de contenu, présent
dans certains jeux vidéo, sur les joueurs. Ils rappellent qu’avant même l’achat du jeu,
le futur joueur est submergé par son contenu hypersexualisé à travers les articles des
magazines, la publicité et même sa couverture : « sexualized content is present at
every stage of video game use. From advertisements, game covers, actual game
content, and rewards of extreme sexist behavior, video game players are bombarded
with sexualized depictions of women » 425. Les femmes seraient peu présentes ; mais
lorsque c’est le cas, elles apparaissent comme des objets sexuels, par leur apparence
ou leur posture. Elles ont des rôles genrés stéréotypés et possèdent bien peu de
compétences -lorsqu’elles en ont-. Concernant les MMORPG, étant donné qu’ils se
téléchargent en ligne, ils n’existent pas toujours en version matérielle. Néanmoins,
c’est le cas de Star Wars The Old Republic, qui, à l’origine, était payant. L’achat du jeu
octroyait une durée d’abonnement. Aujourd’hui, il existe des cartes à acheter
comprenant un code pour un abonnement à durée définie et reprenant l’image de la
couverture que voici ci-dessous :

425STERMER S. Paul, BURKLEY Melissa, « Xbox or SeXbox? An Examination of Sexualized Content


in Video Games », Social and Personality Psychology Compass, Vol. 6, 2012, p. 525.
309
Comme nous pouvons l’observer, cette image comprend six personnages dont un
droïde426, trois hommes et deux femmes. La première est Satele Shan. Cette célèbre
Jedi apparaît avec son sabre laser allumé devant elle, prête au combat. On ne peut
voir que son buste mais sa posture dissimule sa poitrine. Le deuxième personnage
féminin est Shae Vizla, une des Mandaloriennes les plus connues. Elle porte son
armure intégrale et se bat. De fait sur cette affiche, les femmes ne sont absolument
pas présentées comme des objets sexuels, que ce soit par leur apparence -tenue
vestimentaire, corps…- ou par leur posture. Par ailleurs, Satele Shan occupe sur
l’affiche une place centrale qui illustre son importance. En opposition avec le visage
de Dark Malgus, elle représente la lumière alors que le visage du Sith n’est que
ténèbres. De fait, nous retrouvons ce que nous avons déjà évoqué précédemment,
c’est-à-dire que la représentation du bien et de la République est davantage féminine,
alors qu’à l’inverse le mal et l’Empire sont plutôt masculins. Toutefois, les femmes sont

426 Un droïde est un robot technologiquement plus perfectionné.


310
bien présentes et leurs compétences mises en avant. Alors que l’une est en plein
combat, l’autre est prête à l’affrontement, le visage sévère. Il s’agit de femmes fortes,
de guerrières. En cela, l’affiche du jeu ne met en aucun cas en avant des personnages
féminins hypersexualisés, qui laisseraient supposer un certain type de contenu. Par
contre, nous pouvons voir que l’affiche souligne que le jeu est déconseillé aux moins
de 16 ans. Concernant les cinématiques du jeu, elles sont trop nombreuses pour être
toutes analysées. Néanmoins, nous avons sélectionné les deux cinématiques
d’ouverture les plus connues afin de déterminer si elles présentent ou non un contenu
relatif à la sexualité ou donnant une image stéréotypée et hypersexualisée des
femmes. L’enjeu de cette recherche était le même que pour l’affiche, il s’agissait de
vérifier que les cinématiques ne laissaient pas croire aux spectateurs que le jeu lui-
même leur offrirait ce type de contenu.

Dans la première cinématique analysée, intitulée « Espoir » 427 , la scène se


déroule sur la planète Aldérande. Des forces de l’armée républicaine tendent une
embuscade à un régiment impérial. Au cours de l’affrontement, le soldat Jace Malcom,
membre de la renommée Escouade du Chaos -que le joueur pourra intégrer en jouant
une classe du scénario « Soldat » - affronte Dark Malgus. Alors qu’il a perdu le combat
et va être exécuté, il est sauvé par Satele Shan, s’ensuivent des combats dans
lesquels la Jedi et le soldat s’entraident pour parvenir à vaincre leur adversaire.

La deuxième cinématique, « Trahison »428, est l’attaque de Coruscant, planète-


ville capitale de la République par l’Empire. Dans cette cinématique, le Temple Jedi
est envahi par les Siths, dirigé par Dark Malgus. Il affronte le maître Jedi Ven Zallow.
Cependant, les femmes sont aussi présentes dans la bataille, notamment Shae Vizla,
et Eleena Daru, compagne de Dark Malgus, mais aussi combattante, et apparaissant
ici comme telle, une arme dans chaque main.

Ces deux cinématiques comme l’affiche, reprennent des personnages de


l’univers très célèbres, hommes comme femmes. Les femmes n’apparaissent pas

427 https://www.youtube.com/watch?v=6lnA9XFYea4
428 https://www.youtube.com/watch?v=xk_ZL1Ac3WY
311
comme des protagonistes ayant pour seule utilité le plaisir des yeux de la gent
masculine ou une fonction sexuelle. S. Paul Stermer et Melissa Burkley expliquent que
dans de nombreux jeux vidéo, le contenu sexuel est obtenu comme récompense. Les
auteurs mettent en garde par rapport à ce type de contenu car selon eux, bien que les
joueurs refusent de croire que les jeux vidéo ont un impact sur leur comportement hors
du monde virtuel, c’est pourtant le cas. Le contenu sexuel a des conséquences sur la
façon dont les femmes sont perçues et traitées hors du jeu, par les hommes comme
par les femmes. Ils ajoutent que ce type de contenu a aussi un impact sur l’image que
l’on a de son propre corps. S. Paul Stermer et Melissa Burkley ont écrit « regardless
of whether the consumer was an active player or a passive observer, exposure to
sexualized video game content has been shown to increase gender stereotyping,
facilitate the accessibility of sexist thoughts, produce greater tolerance for sexual
harassment and decrease players’ body self-esteem »429. Ils expliquent que les jeux
vidéo étant plus immersifs que les autres médias, et en raison du temps long passé
dessus par les joueurs, ils ont un impact plus important que la télévision par exemple.
Lorsque la violence est associée au thème de la sexualité dans ces jeux vidéo, les
effets sont négatifs. La tolérance vis-à-vis des agressions d’ordre sexuel est plus
importante de la part des joueurs, et une banalisation de cette violence s’observe.

Mike Z. Yao, Chad Mahood et Daniel Linz ont eux aussi travaillé sur ce sujet et
sont parvenus à des conclusions similaires. D’après eux, que la fonction du sexe dans
le jeu vidéo soit esthétique, partie intégrante du jeu ou encore une récompense, qu’il
soit à peine suggéré ou très explicite, avec un personnage non-joueur ou l’avatar d’un
autre joueur, le contenu sexuel a un impact. Cet impact est d’autant plus important que
l’amélioration technique permet de le rendre plus réaliste et complexe. Par ailleurs, ce
média étant interactif et faisant davantage participer le joueur, les effets de ce type de
contenu en sont accrus, le joueur n’est pas un simple spectateur. Les personnages
féminins stéréotypés et hypersexualisés liées à du contenu relatif à la sexualité sont
perçus négativement. La femme devient un objet et hors du monde virtuel, les
comportements changent vis-à-vis de la population féminine. Selon les auteurs, « this

429STERMER S. Paul, BURKLEY Melissa, « Xbox or SeXbox? An Examination of Sexualized Content


in Video Games », Social and Personality Psychology Compass, Vol. 6, 2012, p. 529.
312
is clear evidence that playing a sexually-oriented video game primes sex-related
thoughts and increases accessibility to a negative gender schema of females as sex
object »430. Dès lors, le harcèlement, le viol, sont davantage tolérés par les joueurs.
Les auteurs affirment que « a sexually oriented video game with themes of female
“objectification” may prime thoughts related to sex, encourage men to view women as
sex objects, and increase the likelihood of self-reported tendencies to behave
inappropriately toward women in social situations »431 et s’interrogent sur ces effets
sur le temps long. De fait, Swtor ne propose pas de contenu sexuel explicite. La
pornographie n’est pas présente dans le contenu du jeu, cependant elle est parfois
créée par les joueurs à partir du jeu comme nous l’avons évoqué précédemment.

Le jeu de rôle peut aussi être un espace dans lequel les déviances prennent
une place particulière. Pour comprendre le lien entre les déviances et le jeu de rôle, il
importe de prendre en compte certaines facettes plutôt sombres de celui-ci. Tout
d'abord, en se penchant sur les autres histoires des personnages et sur leurs humeurs,
j'ai pu observer un phénomène intéressant. Si on les plaçait sur une sorte d'échelle du
bonheur, allant des tréfonds du désespoir au comble du bonheur, on verrait que les
personnages ont une forte tendance à être dans du négatif, et à descendre très bas,
sans pour autant monter très haut. Le jeu de rôle s'apparente davantage à la tragédie
qu'à la comédie. Les personnages souffrent, que ce soit psychologiquement ou
physiquement. Leurs blessures peuvent se voir en raison de leurs cicatrices ou même
de leurs prothèses pour ceux amputés. Leur santé peut aussi être fragile, avec par
exemple le personnage de Veicita, atteinte d'une grave maladie des poumons. Les
personnages doivent affronter des lourdes épreuves telles que le deuil d'un proche,
les séparations amoureuses, ou encore les conflits et les agressions, le personnage
d'Adria a par exemple failli se faire enlever. Par ailleurs, le passé des personnages est
souvent douloureux, empreint de sacrifices et d'abandon.

430 YAO Mike Z., MAHOOD Chad, LINZ Daniel, « Sexual priming, gender stereotyping, and likelihood
to sexually harass: Examining the cognitive effects of playing a sexually-explicit video game », Sex
Roles, N°62, 2010, p. 85.
431 Ibidem, p. 87.

313
Lorsque le rôliste oriente son personnage dans ce type d'histoire, les risques de
déviances sont beaucoup plus élevés. Il arrive que des joueurs se perdent dans les
méandres des horreurs fictives vécues par leur personnage, jusqu'à en devenir
incohérents. Nous avons pu observer ce phénomène avec No'ha. Le joueur incarnant
le personnage est tombé dans le pathos le plus extrême. Tout d'abord, la maison de
son personnage a brûlé avec toutes ses affaires, son vaisseau s'est ensuite crashé
puis elle a été expulsée du dortoir militaire comme sanction disciplinaire à une
infraction, perdant ainsi ses logements successifs. Puis elle s'est retrouvée
complètement seule, d'abord en s'isolant de sa famille, qui voulait la forcer à épouser
un noble et qui l'a finalement déshéritée, avant d'être isolée sentimentalement après
une rupture avec Flycass qui ne partageait pas ses sentiments, et enfin vint un
isolement social puisqu'elle a fini par être la dernière soldate en poste sur la lune... A
cela s'est ajouté la pauvreté, car par malchance, son salaire ne lui était plus versé et
pour terminer, la souffrance physique, après des combats elle a perdu un bras, puis
une jambe de nouveau sur le champ de bataille, avant de perdre la vie. Or, tous ces
évènements ont été choisis par le joueur, ne sont pas issus du hasard -lancers de dés-
ou des décisions d'autrui -comme un maître du jeu-, et ils sont par ailleurs
invraisemblables. Par exemple, en tant que militaire, No'ha ne pouvait pas être dans
le dénuement total, tout comme le fait qu'on ne repart pas au front le lendemain après
y avoir perdu un membre, pour ensuite en perdre un autre et recommencer... Cette
accumulation de malheurs a nui à la crédibilité de l'histoire. Si la situation a autant
dégénéré pour le personnage, en quelques semaines de jeu seulement, c'est pour une
raison particulière que nous allons maintenant pouvoir aborder. Le joueur avait besoin
d’être le centre de l’attention et d’être aimé, pour cela, il utilisait la pitié que les autres
pouvaient éprouver, ou encore le chantage affectif. Moins l’évolution des liens sociaux
entre les personnages lui convenait, plus la vie de son personnage se dégradait, et il
accablait autrui essayant de le rendre responsable et de le faire culpabiliser pour
obtenir ce qu’il souhaitait. Il est difficile pour ce cas précisément de déterminer si le
joueur agissait consciemment ou non, cependant voici un exemple illustratif de son
comportement. A la suite d’une première rencontre en jeu de rôle entre un de ses
personnages, Ti’ifa, et d’autres personnages -dont un que je jouais- qui s’est mal
passée en raison du caractère agressif et irrespectueux du personnage que No’ha

314
incarnait, le joueur s’est montré extrêmement affecté. D’une part, il a essayé de faire
naître un sentiment de culpabilité à plusieurs reprises : « Voila t’es la première a avoir
rendu Ti’ifa depressive >< » ou encore « Demain je dois aller bosser et je me couche
tard pour jouer avec toi et ça tu t’en fout… » mais surtout après être brutalement parti,
il est revenu pour ajouter ceci, « Je voulais juste te remercier, bordel, j’ai l’impression
que toute les personnes que je connais s’amuse a me faire passer un anniv’ naze ».
Par ailleurs, il a aussi tenté de générer chez autrui de l’empathie pour son personnage,
« La pour te dire, elle va devoir se taper le voyage en clandestin ». Insatisfait, il a aussi
menacé de cesser de jouer, « Franchement, ça me dégoute… Je vais simplement
arrêter de jouer… Et je sais pas combien de temps », puis « Oh et puis tu sais quoi ?
J’en ai marre… Si on aime pas le rp de mes persos, je vois pas pourquoi je me casse
le cul avec, je vais simplement arreter le dernier truc qui me reste dans ce jeu ». Son
mécontentement était selon lui légitime : il ne comprenait pas que c’était l’attitude de
son personnage qui avait conduit à cette situation, refusait de le modifier et se plaignait
qu’aucun de ses personnages n’ait d’amis, « je veux que au moins tout mes persos ai
UN ami », « plus putain de personne veut rp avec moi ». Or derrière le personnage,
c’était l’attitude du joueur qui posait problème : il prétendait n’avoir personne hors du
jeu, ne plus avoir d’ami après la mort d’un proche… Il est impossible de démêler le
faux du vrai mais les soucis personnels et psychologiques avaient clairement des
conséquences sur la manière de jouer notamment en jeu de rôle, du joueur et sur son
comportement vis-à-vis des autres rôlistes. Les déviances et les troubles du
comportement du personnage potentiellement liés à celles du joueur s’illustrent avec
un autre exemple, Dreygan. En environ un mois et demi, le personnage éponyme de
ce joueur a été amoureux de sept femmes différentes, et toujours prêt pour chacune à
songer au mariage, aux enfants etc… Les autres joueurs qui ont été témoins de ses
nombreux changements de compagnes, toujours présentées comme des relations
pérennes, ont considéré qu’il était maladivement instable sentimentalement. La
question des troubles de la personnalité du personnage et/ou du joueur derrière se
pose, comme No’ha, Dreygan semble souffrir d’une personnalité dite histrionique, ce
qui signifie qu’il réagit émotionnellement de manière excessive et tend à avoir besoin
d’être perpétuellement au centre de toutes les attentions. Les deux personnages sont
concernés par presque tous les symptômes. Nous pouvons ajouter que le personnage

315
de Dreygan présentait au fond une personnalité caractérisée par l’impulsivité et
l’instabilité. Or dans ces deux cas, les observations et les entretiens laissent supposer
que les troubles des personnages correspondaient à ceux des joueurs qui les
incarnaient, et qu’il n’y avait pas de dissociation entre les deux.

Lors de l'installation du jeu, le joueur doit accepter ses règles d'utilisation et de


conduite. Une partie de ces règles concerne les interactions entre les joueurs et en
particulier le harcèlement : « On qualifie de harcèlement tout mauvais usage et/ou
abus de techniques de jeu et tout harcèlement verbal visant à blesser moralement et
offenser d’autres joueurs [...] Est également qualifié de harcèlement tout
comportement ininterrompu, auquel vous ne pouvez échapper, méprisant et
spécifiquement dirigé contre vous ou votre groupe »432. Si le harcèlement est interdit,
cela n'empêche pourtant pas certains joueurs de persécuter leurs victimes, qui ne les
dénoncent pas toujours. Les méthodes de harcèlement sont assez variées, allant de
la profération d'insultes, au recours à des emotes dégradantes sur le personnage du
joueur ciblé, ou encore à de l'acharnement spécifiquement dirigé à son encontre -seul
ou accompagné- dans les modes de jeu « Joueurs contre Joueurs ». Ce harcèlement
n'est pas propre au jeu lui-même, il peut aussi apparaître sur les forums, ou encore
sur les vocaux. Ces harcèlements verbaux, ou physiques sur le personnage, sont
directs qu'il y ait ou non un public. Il faut comprendre par-là que l’harceleur nuit à sa
victime en agissant contre elle de manière ouverte. La victime peut identifier le joueur
qui l'agresse, ou aux moins certains de ses personnages, et si c'est dans le cadre du
jeu ou sur le forum officiel, elle peut le signaler afin qu'une enquête soit menée et des
sanctions potentielles prises. Voici un bref exemple de harcèlement de ce type, en
l'occurrence verbal :

Papillusiøn : casse toi


Papillusiøn : fdp433
Moi : salut
Papillusiøn : tire toi de l'arene

432 http://www.swtor.com/fr/announces/reglesdeconduite
433 Abréviation utilisée pour « fils de pute ».
316
Papillusiøn : t serieu
Papillusiøn : quitte
Papillusiøn : putin de ta race
Papillusiøn : allez quitte larene sérieu tu sers a rie
Papillusiøn : casse toi je t dit
Moi : si ça te pose un problème tu peux partir^^
Papillusiøn : ftg434
Papillusiøn : t une tchoin435
Papillusiøn : casse toi

Ce bref passage comprenant uniquement les interactions entre le joueur Papillusiøn


et moi est extrait d'une arène, donc d'un match de « Joueur contre Joueur » dans
lequel s'affrontent deux équipes de quatre joueurs. L'agressivité de Papillusiøn est
corrélée au fait que nous nous retrouvions dans la même équipe par hasard et que,
comme lui, mon personnage est spécialisé dans le soin. L'équipe adverse étant bien
équilibrée, en étant deux joueurs avec des personnages ayant pour rôle de soigner, la
nôtre s'en trouvait déséquilibrée. Cet extrait de notre échange dure moins d'une
minute. Nous pouvons supposer que la motivation du joueur était que je quitte la partie
dans l'espoir que je sois remplacée par un autre joueur dont le personnage aurait eu
une autre fonction que le soin. C'est sans doute dans ce but qu'il s'est acharné à me
harceler pendant toute la partie, puisqu'une fois qu'elle s'est achevée, le harcèlement
a pris fin. Bien que sur un laps de temps assez court, il s'agit bien d'une forme de
harcèlement.

Nous pouvons observer à travers cet exemple un autre point intéressant : la


dévalorisation de l'individu en ayant recours à des insultes visant à le féminiser, à
signifier qu'il n'est pas reconnu comme un homme. Considérant que la grande majorité
des joueurs est de sexe masculin, autrui est la plupart du temps envisagé comme un
joueur et non une joueuse. « Il » deviendra « elle » si d'une façon ou d'une autre le
joueur se rend compte, ou croit, car ce n'est pas forcément le cas en réalité, que

434 Abréviation utilisée pour « ferme ta gueule ».


435 Insulte signifiant « prostituée ».
317
finalement son interlocuteur est une femme. Les insultes sexuées et rattachées aux
femmes sont destinées à être beaucoup plus violentes que les autres. Ryan Rogers,
auteur de How Video Games Impact Players: The Pitfalls and Benefits of a Gaming
Society, a écrit à ce sujet « video games might sometimes encourage a patriarchal
hierarchy such that masculine traits, like competition, are valued and harassment that
makes a player seem less masculine is acceptable »436. Cette pratique consistant à
humilier l’autre et à porter atteinte à sa fierté en le féminisant est récurrente dans les
situations conflictuelles.

Nous ne devons pas omettre d'aborder un autre type de harcèlement, plus


sournois, celui de la réputation. L’harceleur peut en propageant des rumeurs,
notamment via les vocaux, sur le compte d'une personne nuire à sa réputation tout en
restant relativement discret et sans risquer des sanctions en jeu. Il est effectivement
souvent difficile de remonter à la source d'une rumeur et tout ce qu'il se passe sur un
vocal ne se déroule pas dans le jeu donc les modérateurs de Swtor ne peuvent agir.
Ajoutons que le harcèlement direct et le harcèlement indirect peuvent être associés.
Cependant, nous avons pu observer que le recours à un type de harcèlement plutôt
que l'autre était souvent lié à la situation. Les fausses rumeurs colportées à dessein
afin de persécuter un individu constituent une méthode davantage employée lorsqu'un
lien plus personnel et attaché à l'affect unit en quelque sorte l’harceleur à sa victime,
par exemple un joueur éconduit par une joueuse qui par vengeance répand des
rumeurs la faisant passer pour une femme aux mœurs très légères...

Le sentiment d'impunité issu de l'anonymat permet aux joueurs d'agir comme


bon leur semble, ne pensant pas toujours aux implications que ce soit pour eux ou
pour leurs victimes. Le harcèlement en jeu ne doit pas être pris à la légère. Certains
joueurs décident de fuir leur harceleur, créant un autre personnage, allant s'installer
sur un autre serveur, voire dans les cas les plus extrêmes, cessent de jouer, car le
sentiment de mal-être que peut ressentir la victime ne disparaît pas forcément une fois
le personnage déconnecté. Les conséquences d'un harcèlement sur l'individu peuvent

436ROGERS Ryan, How Video Games Impact Players: The Pitfalls and Benefits of a Gaming Society,
Lexington Books, 2016, p. 87.
318
être nombreuses : perte de confiance en soi, dévalorisation personnelle, sentiment de
rejet, d'exclusion et solitude, mal être... Bien entendu, plusieurs facteurs interviennent,
tels que le type de harcèlement et sa durée, ainsi que le nombre de personnes y
prenant part mais aussi le caractère, l'âge (...) de la victime. Ainsi la réaction de la
victime à un harcèlement est variable selon tous ces paramètres.

Le harcèlement des joueuses est aussi une réalité. Si le harcèlement en milieu


scolaire ou au travail sont des thèmes souvent traités par les chercheurs, le
harcèlement contre les femmes dans les jeux vidéo est beaucoup moins étudié. Il
importe de distinguer le harcèlement sexuel à l’encontre des joueuses de jeux vidéo
en ligne de la tolérance au harcèlement sexuel comme tendance liée à l’exposition aux
jeux violents. D’après l’étude menée par Karen E. Dill, Brian P. Brown, et Michael A.
Collins437, il existe une relation entre l’hypersexualité, la violence et l’omniprésence de
portraits sexistes des femmes, et, les violences à leur encontre dont le harcèlement
sexuel et le viol. La diffusion de ces stéréotypes genrés aurait des conséquences sur
les rapports hommes/femmes. Le harcèlement sexuel regroupe selon les auteurs
divers comportements et différents degrés, allant de la remarque dégradante à des
avances sexuelles déplacées ou d’autres actes du même type. Les victimes sont
blessées physiquement mais aussi émotionnellement. Les résultats de leur recherche
mettent en évidence le fait que les hommes, qui jouent par ailleurs davantage à des
jeux violents, sont plus tolérants que les femmes vis-à-vis de ces comportements.
Selon les auteurs, « those with more reported long-term exposure to violent video
games increased tolerance towards sexual harassment. Also, VVGE [video game
violence exposure] was significantly correlated with Rape Supportive Attitudes »438.
Cet effet serait plus prononcé lorsque les jeux violents sont des FPS, c’est-à-dire First-
Person Shooter, des jeux de tirs où le joueur est dans la peau du tireur et voit à travers
ses yeux. La question des effets sur le long terme se pose considérant qu’une courte
exposition à ce genre de contenu entraîne déjà des changements de perceptions des
violences faites aux femmes. Les auteurs insistent sur les implications de ces résultats

437 DILL Karen E., BROWN Brian P., COLLINS Michael A., « Effects of exposure to sex-stereotyped
video game characters on tolerance of sexual harassment », Journal of Experimental Social Psychology,
44, 2008, p. 1402 à 1408.
438 Ibidem, p. 1405.

319
« these experimental results on sexual harassment judgments also have real world
consequences since males are more likely than females to play violent video games,
and since men are often in positions of power »439, d’autant plus que les joueurs n’ont
pas conscience d’être influencés. Il existe bien dans Swtor une forme de violence dans
le contenu du jeu -combats, destructions…-, mais il s’agit d’un jeu de rôle et non d’un
jeu de combat ou de tirs, ce qui est à prendre en considération. Par ailleurs, comme
nous l’avons vu précédemment, la violence peut aussi être liée aux interactions entre
les joueurs et non uniquement au contenu du jeu lui-même. Cependant, le harcèlement
des joueuses est un problème différent. En effet, il arrive parfois, lorsque celles-ci sont
identifiées comme étant des femmes, qu’elles subissent les commentaires sexistes ou
les avances répétées -malgré les refus- de la part de joueurs.

3) Le MMO comme espace privilégié d’interactions

Les jeux massivement multi-joueurs constituent des espaces de rencontre et de


sociabilité entre les joueurs qui y consacrent du temps. Les dispositifs du jeu
permettent et favorisent les interactions entre les joueurs. La multiplicité des activités
nécessitant d’être plusieurs tend aussi à mettre en relation les personnages et au-delà,
les personnes qui les incarnent. Les affinités entre eux se développent souvent selon
les centres d’intérêt, comme pour les rôlistes440. Ces échanges humains en raison du
fait qu’ils surviennent dans un cadre virtuel ont des caractéristiques spécifiques, tout
comme la construction de la relation. Notons que certains joueurs s’adonnent à Star
Wars The Old Republic avec des proches : ainsi tous ne se rencontrent pas dans le
cadre du jeu, certains se connaissent en dehors et bien avant d’avoir débuté le jeu.
Toutefois, l’immatérialité de la rencontre avec l’autre n’empêche pas le développement
de la relation qui se transforme parfois avec le temps au gré des sentiments…

a) Pour les rôlistes et leurs personnages

Ibidem, p. 1407.
439

Un rôliste est un adepte du jeu de rôle, quel que soit le support. Dans les jeux de rôles en ligne
440

massivement multijoueur, tous les joueurs ne sont pas des rôlistes certains préfèrent d’autres activités
que nous avons déjà mentionné : affrontements contre l’environnement, contre d’autres joueurs etc.
320
a.1. Du jeu de rôle papier au jeu de rôle sur Internet

Afin de mieux appréhender la question des interactions relatives au jeu de rôle,


il importe de revenir brièvement sur les jeux de rôle eux-mêmes. Il est possible d’établir
une typologie qui les distingue selon trois catégories : les jeux de rôle papier, le
grandeur nature et enfin les jeux de rôles sur Internet. Les premiers sont donc les jeux
de rôle « papier », avec le célèbre Donjon et Dragons de Gary Gygax et Dave
Anderson édité en 1974. Ils sont parfois appelés jeux de rôle « sur table ». Il s’agit du
jeu de rôle le plus ancien, souvent joué par un petit groupe d’individus dirigé par un
maître du jeu. Le maître du jeu se charge du scénario et des descriptions, il sert aussi
d’arbitre, s’occupe de jouer tous les protagonistes de l’histoire non jouée par un
participant… Chaque joueur incarne un personnage et des règles permettent de définir
le cadre du jeu. Comme l’explique Olivier Caïra, les jeux de rôle papier n’aboutissent
pas véritablement à une opposition entre des perdants et des gagnants, les règles
existent -à travers des manuels- mais le maître du jeu est libre de les adapter. Par
ailleurs, le jeu n’a pas vraiment de limites : l’histoire évolue en fonction de l’imagination
des joueurs. Les règles du jeu peuvent être gênantes par moment ou même
ennuyeuses, l’idée est donc qu’elles soient fonctionnelles mais aussi épurées. A
travers un exemple il montre que le système proposé peut « s’appliquer de manière
mathématique, sans restreindre la liberté des joueurs, car le système de simulation
fonctionne ponctuellement comme un dispositif de sanctions et de récompenses »441.
Les actions du personnage décidées par le joueur ont des conséquences, aussi bien
positives que négatives selon ses choix. Les règles sont donc un outil d’encadrement
du jeu de rôle à la disposition du maître du jeu. Il arrive qu’elles soient même justifiées
par l’univers fictionnel du jeu. Selon Johan Huizinga, « tout jeu a ses règles. Elles
déterminent ce qui aura force de loi dans le cadre du monde temporaire tracé par le
jeu »442, nous reviendrons sur la question des règles et du jeu de rôle de façon plus
approfondie ultérieurement.

441 CAÏRA Olivier, « Théorie de la fiction et esthétique des jeux », Sciences du jeu, N°6, 2016.
http://journals.openedition.org/sdj/671 (consulté le 23/06/2019)
442 HUIZINGA Johan, Homo ludens, Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, Paris, 2017, p. 29.

321
Le jeu de rôle sur table a plusieurs spécificités. Tout d’abord, il nécessite que
les joueurs soient présents physiquement. Ensuite, un matériel plus ou moins restreint
est utilisé selon les parties, par exemple des feuilles de personnages et des stylos,
des dés pour déterminer la réussite ou l’échec d’une action, parfois le maître du jeu
propose une carte et attribue des pions pour les joueurs de façon à les aider à
visualiser une situation. Nous pouvons ajouter que les sessions de jeu de rôle durent
souvent plusieurs heures voire toute une nuit, d’où la présence fréquente de boissons
et de nourriture. Le jeu de rôle grandeur nature, ou GN, réunit quant à lui des adeptes
d’une immersion totale. Les participants, tels des acteurs, jouent le jeu dans un lieu
adapté, avec des costumes et des accessoires. Enfin, le jeu de rôle s’est aussi
développé sur Internet, que ce soit sur les forums, ou dans les jeux, qu’ils soient ou
non massivement multi-joueurs. L’intérêt pour le jeu de rôle ne s’étend pas forcément
à toutes ces formes, le joueur peut être un adepte de la version papier et détester le
jeu de rôle sur ordinateur par exemple.

Laurent Trémel s’est intéressé dans les cadres de recherches portant sur la
jeunesse et le jeu, à ceux qu’il appelle les « faiseurs de monde »443 : les adeptes des
jeux de rôle -et les créateurs de ces univers-. Il a enquêté sur le monde du jeu de rôle
en se penchant particulièrement sur les profils des joueurs, sur les regards critiques
qu’ils portent sur leur société et sur leur construction identitaire en lien avec le
processus de socialisation. Il s’agit selon l’auteur d’une socialisation horizontale qui
s’opère sous l’influence des pairs. L. Trémel prend en considération le passage du jeu
de rôle papier au jeu de rôle dans le monde virtuel, et ses conséquences, notamment
en termes d’échelle, et du nombre de personnes concernées.

Il existe de nombreux univers dans lesquels se déroule le jeu de rôle quelle que
soit la catégorie à laquelle il appartient. On retrouve une multitude de genres et encore
davantage de thèmes abordés dans ces jeux. Les règles et les systèmes, plus ou
moins complexes, de jeu sont assez diversifiés mais on retrouve souvent le lancer de
dé associé aux statiques du personnage pour déterminer le succès ou non d’une
action. Ce système permet de laisser une place au hasard sans frustrer le joueur qui

443 TREMEL Laurent, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimédia, Paris, PUF, 2001.
322
garde partiellement le contrôle et reste libre de ses choix qui sont fondamentaux
puisqu’ils ont des conséquences sur le destin des personnages. Les fréquences et les
durées des sessions sont tout aussi variables. Quant aux façons de jouer, elles sont
propres aux joueurs. Par exemple dans le cadre du jeu de rôle papier, certains
choisissent par moment de jouer leur personnage, et de parler comme s’ils étaient le
personnage en jouant même à modeler leur voix et adapter leur gestuelle alors que
d’autres ne le font jamais. Quelles que soit les motivations du joueur et le type de jeu
de rôle, il est immersif et lui permet d’éprouver des émotions et de les extérioriser. Le
jeu de rôle peut être orienté vers la coopération ou la compétition, les joueurs peuvent
s’entraider ou se trahir…

Joris Dorman dans son article « On the Role of the Die: A brief ludologic study
of pen-and-paper roleplaying games and their rules » revient sur la catégorisation des
joueurs selon leurs affinités en matière de jeu de rôle. On distingue en effet les
narrativistes, les ludistes et enfin les simulationnistes. L’auteur explique les différences
entre ces profils « Narrativism is obviously concerned with narrative and drama, and
playing in character. Gamism involves competition, balance and quality of rules.
Simulationalism favour realism and coherence in the way the rules reflect a fictional
reality »444. Afin d’étudier une autre facette du jeu de rôle que celle rencontrée dans
les MMORPG, j’ai rejoint une association de rôlistes, L’Antre. J’ai pu sur le terrain me
rendre compte de l’enjeu que représentent les règles et le système de jeu. J. Dorman
insistait sur l’importance d’avoir un système équilibré, même si cela n’était pas aisé.
Aux règles simples et rapides s’opposent celles réalistes et complexes, dans les deux
cas elles ont des avantages et des inconvénients. Cependant, d’après lui, les meilleurs
jeux de rôle possèdent des règles simples mais un gameplay profond.

Dans le cadre des soirées jeu de rôle organisées par L’Antre, j’ai pu constater
que le système de jeu avait un impact sur la partie et les joueurs. Un système trop
complexe est rébarbatif pour les néophytes, un système qui manque de cohérence
agace les joueurs expérimentés et un système trop simple peut manquer d’intérêt. Par

444DORMANS Joris, « On the Role of the Die: A brief ludologic study of pen-and-paper roleplaying
games and their rules », Game Studies, Vol. 1, 2006 :
http://gamestudies.org/0601/articles/dormans (consulté le 19/05/2017)
323
conséquent, concernant le fonctionnement propre du jeu de rôle, en version papier,
tout un système est mis en place par les créateurs du jeu et le maître du jeu l'applique,
en choisissant ou non de le modifier. Il peut par exemple proposer une variante pour
simplifier les règles s'il les juge trop complexes pour des novices. Les statistiques et
les compétences du personnage ainsi que les choix du joueur vont intervenir sur
l'aventure et les succès ou échecs de ses actions mais une place est laissée au hasard
grâce au lancer de dé. Dans le cadre du jeu vidéo, les joueurs peuvent décider d'un
système comme pour la résolution des combats ou les jouer en s'affrontant
directement, mais le hasard intervient toujours grâce aux lancers de dé informatisés.
Wilfried Coussieu aborde ce point dans son article « Monde ludique et simulation ». Il
écrit à ce sujet « le système narratif, les jets de dés et le chiffrage des caractéristiques
sont désormais calculés en temps réel par un algorithme informatique », et ajoute,
« dans l’univers du jeu, le magicien ne lance pas de dés pour effectuer son sortilège,
cependant l’efficacité de ce sort dépend de ce lancer de dés du joueur »445. Les actions
sont déterminées par un lancer de dé invisible mais présent. De fait, le rôle du maître
du jeu, s'il y en a un, change. Rappelons que la possible absence du maître du jeu est
un élément de distinction primordial entre jeu de rôle papier et jeu de rôle dans le cadre
d'un MMORPG. Ajoutons un autre point souligné par Wilfried Coussieu, « l’univers du
jeu apparaît au travers d’un écran ; il est ainsi perceptible en tant que phénomène : la
fiction est interactive, tout à la fois textuelle, imageante et sonore. Néanmoins, on
pourrait considérer que les MMORPG ne proposent qu’une image unique pour tous,
alors que le jeu de rôle traditionnel posséderait un canevas de « jeu de société »
impliquant l’imagination de tous les joueurs »446. Or si le cadre du jeu peut servir de
base, il ne peut pas forcément comprendre tous les éléments d'une scène et lorsqu'il
y a un maître du jeu, celui-ci peut ajouter les éléments non visibles sur l'écran afin
d'apporter des précisions. L'imagination du joueur est dès lors requise.

Les jeux de rôle papier se distinguent du jeu de rôle présent dans les jeux vidéo
en ligne par bien des aspects. S'adonner à du jeu de rôle dans un MMORPG est d’une
certaine façon plus accessible et moins contraignant en terme logistique. En effet, il

445 COUSSIEU Wilfried, « Monde ludique et simulation. L'expérience sociale dans le jeu de rôle en ligne
», Sociétés, N° 107, 1/2010, p. 49.
446 Ibidem, p.46.

324
suffit d'être chez soi, d'allumer son ordinateur, de se connecter au jeu et de se rendre
dans un lieu occupé par des rôlistes, comme une « cantina »447 par exemple. Bien que
le jeu de rôle papier ne nécessite pas forcément beaucoup de matériel, il est
indispensable d'être en présence d'autres rôlistes, ce qui implique que les parties
doivent être programmées, et qu'il faille soit se déplacer soit être prêt à les accueillir.
De même, pour les parties sur table, il faut un maître du jeu qui soit préparé à faire
vivre une aventure aux participants. Or, dans le monde virtuel, si lors d’événements
proposés au préalable un maître du jeu est bien présent, le reste du temps il n'y en a
pas. Les joueurs incarnent simplement leur personnage et s'adaptent aux situations,
chacun contribue au développement de l'histoire. Par ailleurs, notons qu'un certain
type de jeu de rôle, à contenu sexuel, assez récurrent dans les jeux de rôle sur
ordinateur, ne l'est pas dans les autres types de jeux de rôle.

Concernant le déroulé de la partie en tant que telle, alors que dans les jeux de
rôle sur table les talents d'orateur sont appréciés, c'est par l'écrit que le jeu de rôle
dans les jeux vidéo prend vie ; à l'exception de certains événements pour lesquels les
joueurs peuvent éventuellement se retrouver en vocal. Dès lors c'est l'orthographe qui
est essentielle pour une partie conséquente des joueurs, qui ne peuvent s'immerger
dans le jeu lorsqu'ils se focalisent sur les fautes plutôt que sur le contenu. Ce problème
ne survient pas dans le cadre du jeu de rôle sur table. Bien entendu, les erreurs
peuvent être volontaires si elles sont commises par le personnage, en voici un premier
exemple :

Thel : *s'interrompt dans son repas* Ché-Ekchprech... Mh *fini sa bouchée* G-


Express?

Dans cet extrait d’une scène de jeu de rôle, le joueur choisit d'écorcher le nom de
l'entreprise pour illustrer le fait que son personnage parle la bouche pleine. Nous
pouvons évoquer un second exemple :

447 Une cantina est un bar dans l’univers Star Wars.


325
Veicita : *Holomessage* Sa-salut Ty'a, c'est Vei. J'es-j'espère qu-qu-que tu vas
bi- vas bi-bi-bien et qu-que tes va- tes va-vacances se pa- se pa-pa-passent bien...
Je... Je vou-... J'esp-j'espère qu-qu-que vous pro- vous profitez un ma-max.

Dans ce cas, le joueur en coupant et répétant les mots délibérément traduit le


bégaiement de son personnage. Ainsi les talents valorisés varient un peu selon le
support du jeu de rôle. Par rapport aux sessions, le jeu de rôle sur Internet présente
l'avantage d'octroyer plus de liberté, aussi bien pour la possibilité de faire du jeu de
rôle à n'importe quel moment, que concernant la fréquence et la durée. Il est en effet
beaucoup plus simple de s'esquiver dans un jeu de rôle en ligne que sur table. A la
lecture de ce paragraphe, le jeu de rôle dans les MMORPG pourrait paraître plus
attrayant. Néanmoins, les parties sur table, lorsqu'elles se déroulent avec des joueurs
avec lesquels on a des affinités et que l'on considère comme de bons joueurs dégagent
une atmosphère conviviale et spécifique que l'on ne retrouve pas dans les jeux de rôle
en ligne tels que j'ai pu les expérimenter. La présence physique des autres joueurs
intervient dans la lutte collective contre le sommeil, les blagues peuvent détendre
l'atmosphère, la nourriture et les boissons partagées redonnent des forces. A contrario,
le rôliste des MMORPG est seul derrière son écran, il peut être interrompu à tout
moment par les enfants qui se disputent ou le chien qui vient de faire une bêtise alors
que pour les sessions organisées sur table, le cadre est le plus souvent propice à
l'immersion. En ce sens, ces deux types permettent de vivre des expériences de jeu
différentes ayant chacune des dimensions positives et négatives.

Un dernier aspect doit être pris en compte concernant la réflexion sur l'évolution
entre jeu de rôle papier et jeu de rôle dans le cadre d'un MMORPG, la relation au
personnage. Dans les jeux de rôle sur table, nous pouvons distinguer les « one shot
», des campagnes. La première catégorie comprend uniquement les aventures de
courtes durées et jouées en une fois -une soirée, une journée ou une nuit-. Toute
l'histoire va se dérouler pendant la séance et prendra fin avant le départ des joueurs.
Les campagnes par contre se déroulent sur plusieurs séances, et peuvent durer des
mois, ou des années. La relation qui naît entre le joueur et son personnage va varier
selon le type de partie. Au sein du jeu de rôle dans les MMORPG, il arrive parfois que

326
pour répondre à un besoin spécifique, un joueur créé un personnage temporaire,
destiné à être joué sur une courte durée et supprimé par la suite. Ce type de
personnage se rapproche de ceux des « one shot », en particulier lorsque pour gagner
du temps le maître du jeu attribue des personnages préexistants aux joueurs.
Parallèlement, le personnage joué en campagne est semblable au personnage
principal du jeu de rôle pour les rôlistes sur Internet.

Plusieurs éléments interviennent dans la relation entre le joueur et son


personnage, en être le créateur en fait partie. Quel que soit le support, le personnage
possède l'identité qu'on lui a construite. Cette identité est le fruit d'une réflexion à partir
des possibilités offertes par l'univers et va évoluer en fonction des aventures du
personnage. Le temps passé avec le personnage et les aventures vécues vont
renforcer le lien qui unit le joueur à son personnage. Sans même prendre en compte
un éventuel processus d'identification, le joueur s'attache à son personnage. Cet
attachement est donc en partie corrélé à l'investissement du joueur ainsi qu'à
l'immersion et à ses conséquences, notamment les émotions ressenties à travers les
aventures de son personnage. L'absence de maître du jeu et ce lien au personnage
amène parfois à des situations cocasses. Nous pouvons par exemple mentionner les
joueurs qui refusent la mort de leur personnage même si leur attitude belliqueuse
l'engendre forcément. Ainsi, on retrouve des personnages qui sont censés être morts
parfois plusieurs fois se promener comme si tout était normal ; les joueurs avancent à
leur sujet des explications abracadabrantes pour justifier leur présence, par exemple
des coups montés. La mort d'un personnage de jeu de rôle dans les MMORPG ne
signifie pas sa suppression, mais implique qu'il ne peut juste plus être utilisé pour du
jeu de rôle. Le joueur peut toutefois le jouer dans le cadre des autres activités ou alors
modifier son prénom et son apparence afin de créer un nouveau personnage à partir
de celui-ci et pour du jeu de rôle sans perdre tout ce qu'il a obtenu avec ce personnage.
Cette technique permet de conserver le niveau, l'équipement... du personnage.

a.2. Jeu de rôle et sociabilité

327
L'ensemble des joueurs d'un jeu massivement multijoueur forme une société.
Cette société est organisée et structurée par des normes sociales qui régissent les
comportements de l'ensemble des joueurs. Par ailleurs, cette société est constituée
de plusieurs communautés de joueurs, dont celle des rôlistes. S'il est possible de
s'adonner à cette pratique avec des personnes que l'on connaît hors du jeu à l'origine,
ceux qui ne peuvent le faire se tournent vers des guildes orientées « jeu de rôle »,
cherchent d'autres joueurs via des sites Internet ou les rencontre en jouant.

Dans son article « Fictions de personnages dans un MMORPG. Entre jeu de


rôle et écriture de soi, écrire une persona fiction », France Vachey se penche sur les
interactions entre les personnages, et s'intéresse donc au jeu de rôle dans les MMO.
Elle propose ainsi une étude de la communauté des rôlistes et fait le choix d'une
méthode participative assumée. Elle enquête par l'intermédiaire du personnage créé
et « joué ». L'auteur fait preuve de transparence sur le terrain en proposant les histoires
de son personnage en ligne sur Internet. L'idée était de créer la vie fictionnelle du
personnage joué et d’en produire un récit. Par ailleurs, elle décide de ne pas divulguer
son identité de chercheur dans un premier temps afin d'éviter tout biais. Il est
regrettable toutefois qu'elle ne donne aucune précision sur les réactions des enquêtés
quand elle leur annonce qui elle est et ce qu'elle fait. Si la dimension théorique
consolide son travail qu'elle enrichit avec de nombreuses références comme Johan
Huizinga ou Donald Winnicott, nous retrouvons au final peu d’éléments sur les
interactions entre les personnages et il n'y a pas de réflexions plus poussées sur ce
sujet. Or les interactions qui ont lieu dans l'univers virtuel sont riches et complexes. F.
Vachey explique que « plutôt que d’observer les relations entre les Individus-Joueurs,
nous avons fait le choix d’observer celles entre les Personnages Joués (PJ), ceux qui,
créés par un joueur, prennent vie dans un jeu de role play au sein d’un monde
persistant organisé »448. Il est primordial de comprendre que le jeu en ligne existe et
se construit comme la vie hors ligne. Le jeu de rôle est en quelque sorte au croisement
du jeu et du conte avec des histoires d’individus fictifs incarnés par leur créateur. Selon
l'auteur, « pour les rôlistes, le JdR est donc un moyen de vivre une vie imaginaire, en

448VACHEY France, « Fictions de personnages dans un MMORPG. Entre jeu de rôle et écriture de soi,
écrire une persona fiction », Sociétés, N°113, 03/2011, p. 82.
328
s’intégrant dans un groupe, s’y affirmant, trouvant sa place, prenant des risques,
participant à des événements, éprouvant toutes sortes d’émotions, bref de vivre sa vie,
en toute liberté »449. Quel que soit le support, le jeu de rôle permet à un groupe de
partager ensemble une activité sociale et créative. Cependant, l'attrait du MMORPG
pour les rôlistes est sa grande disponibilité. Il est, par ailleurs, immersif. Il leur permet
ainsi de pouvoir continuer l’aventure de leur personnage à tout moment. F. Vachey
revient sur le concept de « fictionnalisation de soi », où l’on devient le rôle principal
d’aventures qu’on s’invente. Ces histoires aideraient l’individu à apprendre et à se
construire tout au long de sa vie. D'après elle, il existe un lien entre ces fictions et la
réalité, ainsi que la faculté de l’homme à s’inventer des mondes pour comprendre sa
place dans le monde. L'auto-fiction, c'est-à-dire une fiction -donc une histoire inventée-
où le personnage principal est l’auteur -personne réelle- n'est qu'une possibilité
d'histoire et n'est pas indispensable pour que l'histoire influence aussi le joueur,
comme lui influence l'histoire. Que le personnage s'inspire ou non de soi, il est
important, selon l'auteur, de créer l’identité du personnage pour soi-même mais aussi
pour les autres joueurs qui suivent les aventures de ce personnage, de façon active
en participant au jeu de rôle, ou non, par exemple en lisant le récit des aventures sur
les forums… Pour synthétiser, nous pouvons de nouveau citer F. Vachey : « Créer et
interpréter un personnage dans un MMORPG ne constitue pas une simple création
graphique d’avatar. Il s’agit ici de lui donner une histoire, un background qui fonde sa
personnalité dans le cadre de l’histoire du jeu et celle du serveur, c’est-à-dire dans le
cadre de l’histoire de la communauté de ce serveur. Créer un personnage, le faire
vivre, c’est donc lui donner des émotions, des souvenirs, des traces mélangées de son
passé fictif, de celui du joueur et des membres de la communauté »450. Pour terminer,
nous devons évoquer l'idée de « mémoire collective » mentionnée par l'auteur, puisque
le jeu de rôle est vécu avec d’autres joueurs ainsi que ceux qui lisent les aventures
des personnages parfois issues d'une écriture collaborative notamment lorsque
plusieurs rôlistes partageant la même histoire s’associent pour l’écrire et la diffuser sur
des forums. La lecture de cet article met en évidence l'importance du jeu de rôle
comme espace de sociabilités spécifiques sur lesquelles nous allons revenir.

449 Ibidem, p. 84.


450 Ibidem, p. 88.
329
Au sein des MMORPG, les rôlistes pratiquent cette activité de plusieurs façons.
Nous pouvons distinguer les « noyaux durs » des « électrons libres ». Les noyaux durs
regroupent soit des joueurs ne s’amusant qu’en cercle fermé -guilde, amis…- soit des
joueurs qui se connaissent depuis très longtemps et possédant des personnages
ayant entre eux des liens forts, ce qui les associent nécessairement. Les électrons
libres quant à eux sont les nouveaux joueurs ou personnages qui n’ont pas encore un
réseau constitué, ou les personnages plus mobiles, indépendants qui apprécient n’être
rattachés à aucun groupe et fréquenter plusieurs groupes ou d’autres personnages du
même type.

Si nous avons choisi de nous attarder sur la pratique du jeu de rôle en lien avec
les interactions sociales au sein des jeux vidéo, et si nous avons souligné les
différences qui pouvaient exister en fonction du support, c’est parce qu’il s’agit d’un
espace de sociabilités spécifiques. Il existe plusieurs cas de figure relatifs aux rapports
entre les joueurs dans les jeux vidéo. Les joueurs peuvent se connaître au sein du jeu
mais aussi hors de celui-ci, que le jeu soit ou non à l’origine de leur rencontre.
Cependant, la plupart du temps, les interactions se déroulent simplement entre
joueurs, qui ne se connaissent qu’au travers de leur identité de joueurs et celles de
leurs personnages. Bien entendu, il est possible de rencontrer un joueur par exemple
sur un vocal en ignorant qui est son personnage, ou alors de connaître un personnage
sans savoir à qui il appartient. C’est notamment le cas lors d’échanges ponctuels et
qui ne sont pas amenés à se répéter. Les joueurs ou leurs personnages ne tissant pas
de liens entre eux, ils n’en apprennent pas d’avantage les uns sur les autres.
Cependant, dans le cadre du jeu de rôle se produisent des échanges particuliers. En
effet, deux personnages peuvent avoir des interactions sans que les joueurs en tant
que personnes n’en n’aient entre eux. Cette relation qui se limite à celle des
personnages ne survient que dans le jeu de rôle au sein des jeux vidéo.

Les rôlistes distinguent le « HRP » du « IRP », c’est-à-dire ce qui est hors jeu
de rôle, de ce qui est joué et fait par conséquent partie du jeu de rôle. Cette séparation
est fondamentale car le personnage et le joueur forment deux entités liées mais

330
distinctes. Prenons un exemple, celui du savoir. Le joueur peut avoir connaissance
d’une information que son personnage ne possède pas, comme ce fut le cas entre les
joueurs des personnages de Joth et Adria. Adria en tant que personnage ignore que
Joth, en tant que personnage lui aussi, est un Sith. Cependant, le joueur qui incarne
Adria lui le sait pour avoir déjà joué avec le créateur de Joth avec d’autres
personnages. Il y a donc un double jeu entre le personnage d’Adria qui essaye d’en
apprendre davantage dans le cadre du jeu de rôle sur le Sith, et les interactions entre
les joueurs, souvent drôles, sur le fait qu’ils savent ce que leur personnage ignore, que
l’un est un Sith et l’autre une Jedi. Il est d’ailleurs fréquent que les joueurs se
concertent « HRP » pour éclaircir des points « IRP ». Néanmoins, le personnage peut
aussi posséder des connaissances que le joueur n’a pas, dont celle des langues -en
particulier des espèces aliens ou qu’il n’est pas possible d’apprendre-. Il est intéressant
de préciser que certaines langues de l’univers du jeu ont été créés et possèdent un
alphabet, un lexique, une grammaire plus ou moins structuré… que certains fans
choisissent d’apprendre, en particulier les rôlistes.

La question des langues dans Swtor est un point particulièrement intéressant


qui a déjà été abordé précédemment concernant les interactions entre joueurs. Elle a
été l’objet de plusieurs entretiens avec des joueurs qui se sont investis dans
l’apprentissage d’une langue fictive de l’univers de Star Wars. Astael explique
comment il en est venu à apprendre le Mando’a, la langue des mandaloriens : « Alors,
je me suis fait un mandalorien, voulant être relativement bien immergé dans mon
personnage, j'ai pris la peine d'étudier un temps soit peu leurs moeurs, coutumes,
culture en règle général et donc leur langue par la même occasion451 ». Il poursuit en
soulignant que la facilité relative de cette langue et le fait qu’il puisse recourir en cas
de besoin à des aides a contribué à ce qu’il prenne le temps d’en apprendre les bases
et de les utiliser dans le cadre du jeu de rôle, « ( Je l'ai pas appris par coeur, mise à
part certaines expressions ou modalités courantes, en règle général, je RP tout en

451 Les propos rapportés dans ce paragraphe sont ceux de joueurs avec lesquels j’ai échangé par écrit,
ils n’ont été modifiés d’aucune façon.
331
ayant le site sous les yeux à côté! ) 452 », il ajoute « ( C'est pas la langue la plus difficile
niveau grammaire et conjugaison, mais le vocabulaire reste toujours un problème !
Sachant qu'il est inventé et repris de rien, y'a aucune transparence avec des langues
connues ) ». D’autres entretiens ont confirmé cette tendance -chez la plupart des
joueurs de Swtor qui utilisent ces langues- à n’apprendre que les bases et s’aider
lorsque c’est nécessaire d’aides extérieures telles que des sites Internet spécialisés,
des tutoriels, etc. comme en témoigne Octavïa : « Disons que la plupart du temps,
pour ma part je n'apprends que des expressions pour m'aider, mais quand il faut faire
des phrases construites et détaillées, je m'aides de sites ».

Ces langues ont été élaborées pour la plupart par des auteurs de livres relatifs
à l’univers étendu de Star Wars. Elles ne sont pas complètes, dans le sens où tous les
mots que nous utilisons n’ont pas été inventés pour ces langues. De fait, le joueur met
parfois son imagination à contribution pour tenter de pallier à ce problème tout en
essayant de respecter les bases linguistiques déjà en place. Vaald fait partie de ces
joueurs, il souligne que la création de nouveaux termes vient après avoir acquis les
bases et permet d’approfondir le jeu : « je me suis habitué assez rapidement aux base
et comme tout bon rôliste qui se respecte j'ai laissé place à mon imagination bien sûr
en restant dans la cohérence du moins je l'espère ». En ce qui concerne le contenu
même du jeu, certaines espèces s’expriment uniquement dans leur langue, comme
les jawas, des sous-titres accompagnent leurs propos qui ne peuvent être compris par
le joueur. Les autres protagonistes qui peuvent accompagner le personnage joué
s’expriment tous en Basic, langue fictive de l’univers Star Wars partagée par la plupart
des espèces et peuples pour se comprendre au-delà des cultures, sociétés et mêmes
espèces. Néanmoins, certains utilisent parfois leur langue dont les Mandaloriens
comme Torian Cadera, partenaire du chasseur de primes. Ainsi le joueur verra ou
entendra parfois certaines expressions de cette langue. Concernant l’écrit, nous
pouvons simplement signaler que l’alphabet du Basic est l’Aurebesh. Il est présent
dans l’environnement du jeu sur les pancartes, panneaux etc… Observons l’image
suivante :

452Le recours aux parenthèses est une pratique récurrente chez les adeptes de jeu de rôle dans les
jeux vidéo. Les parenthèses mettent en évidence que les propos tenus sont ceux du joueur et non ceux
de son personnage.
332
Il s’agit de l’entrée de la « cantina » des Pentes Glissantes sur Nar Shaddaa. On
remarquera la pancarte holographique avec les musiciens sur laquelle nous pouvons

lire « » ce qui signifie « Live Music ». Il suffit simplement de


chercher à quelle lettre correspond chaque caractère Aurebesh pour obtenir le sens.
Etant donné que le jeu a été conçu par des anglophones, cela nécessite aussi pour
ceux qui maîtrisent mal cette langue de traduire en français pour obtenir le sens.
Néanmoins, faire cet exercice ne présente aucun intérêt pour le joueur. Il s’agit juste
ici de souligner que les langues présentes dans l’univers étendu de Star Wars sont
aussi présentes dans le jeu et sous différentes formes, de l’environnement crée par

333
les développeurs avec l’Aurebesh aux pratiques des joueurs, avec des rôlistes qui
choisissent de faire s’exprimer leurs personnages dans leur langue.

Le jeu de rôle n’est pas sans poser problème puisqu’il occasionne parfois des
confusions de la part de joueurs entre la réalité et le jeu de rôle. Dès lors, il importe de
préciser que ce phénomène de confusion n’est pas généralisé à l’ensemble de la
communauté et ne concerne que certaines personnes dans des situations précises.
Par exemple, deux joueurs peuvent très bien s’entendre et leurs personnages se
détester sans que cela entache leur relation car la distinction entre le jeu et la réalité
s’opère normalement. Evidemment, des joueurs qui ne sont pas d’accord entre eux
peuvent aussi créer, volontairement ou non, des conflits ou tensions entre leurs
personnages. Cependant, il arrive que parfois le joueur mélange le jeu et la réalité en
matière de sentiments, en particulier de relations amoureuses.

Au cours de mon terrain, j’ai pu observer ce phénomène. Deux personnages


sont en couple, l’un joué par un joueur et l’autre par une joueuse. Le fait d’avoir des
personnages en couple, en particulier si la relation est jouée sur un temps long,
entraîne souvent un rapprochement entre les joueurs qui sont amenés à jouer
ensemble régulièrement. Alors que la joueuse va développer une certaine affinité avec
le joueur, celui-ci, à mesure que la relation entre les personnages va être approfondie,
va développer, comme son personnage, des « sentiments amoureux ». Les
sentiments fictifs du personnage deviennent des sentiments réels pour son créateur.
Il est capital de souligner un élément fondamental, le joueur ne tombe pas amoureux
de la joueuse en la fréquentant dans le cadre de séances de jeu de rôle, mais il
interprète l’attitude du personnage de la joueuse comme des attentions envers lui et
non son personnage, il en vient à tomber amoureux de la joueuse à travers son
personnage. Or, la joueuse n’est pas son personnage, que le personnage soit ou non
inspirée d’elle. Ce type de phénomène semble toucher d’avantage les hommes.
Inversement, il peut causer des craintes de la part des joueuses l’ayant vécu ou étant
au courant de son existence qui peuvent se montrer méfiantes vis-à-vis des joueurs
avec lesquels potentiellement une histoire sentimentale pourrait naître entre leurs
personnages.

334
Une parenthèse doit être faite sur la question du mariage entre personnages
joués dans Star Wars The Old Republic. Il est important d’apporter plusieurs éléments :
le jeu ne dispose pas d’un système qui permet de marier deux personnages incarnés
par des joueurs, ce qui n’est pas le cas dans d’autres jeux comme The Elder Scrolls
Online où le serment de Mara, la déesse de l’amour, peut unir deux personnages
joués. Dans les scénarios et quêtes de Swtor, le joueur peut en revanche choisir de
se marier à certains moments avec un nombre restreint de personnages non jouables
uniquement453. Chaque joueur peut décider au travers de sa généalogie d’unir entre
eux ses propres personnages. Ainsi, le jeu ne propose aucune fonctionnalité pour
épouser le personnage d’un autre joueur. Or dans le cadre du jeu de rôle, ce
phénomène est fréquent.

Le travail d’Olivier Servais sur le mariage dans World Of Warcraft est à prendre
en considération. Dans son article, « Cérémonies de mariage dans World of Warcraft
: transfert rituel ou institution collective ? », il souligne que la dimension religieuse,
notamment avec les classes proposées dont le prêtre et au travers des décors, occupe
une place non négligeable dans l’univers de ce jeu. Les joueurs s’adonnent à des
cérémonies diverses dont le mariage454, qui n’a toutefois pas de statut spécifique en
jeu. O. Servais a réalisé un travail poussé sur ces mariages et il souligne l’importance
que celui-ci prend pour les joueurs. Il explique qu’il existe un lien fort entre le mariage
et la religion même dans ce monde virtuel. Les mariages sont célébrés par un officiant
-souvent un prêtre- dans un lieu choisi et suivent un même schéma. On retrouve un
avant le rite et un après, l’enchaînement des activités est similaire à celui que l’on
connaît. La phase du consentement est systématique et centrale. Si le nombre de
joueurs présents est variable, le mariage demeure une activité sociale partagée avec
ses proches. Les points communs entre le mariage dans le jeu et hors du monde virtuel
s’observent aussi avec l’usage de codes traditionnels occidentaux, y compris en
matière de tenue vestimentaire : chacun est sur son trente-et-un et la mariée de blanc

453 C’est notamment le cas dans la quête de l’agent impérial sur la planète Voss dans le cadre d’une
mission ou encore avec le personnage de Theron Shan si le personnage du joueur est en couple avec
à un moment spécifique de l’histoire. Ces personnages ne sont pas incarnés par des joueurs.
454 Ce point a d’ailleurs principalement été étudié pour le jeu Second Life.

335
vêtue. Les forums et les organisateurs de mariage du monde virtuel, des joueurs et
joueuses qui se spécialisent dans cette activité moyennant argent, contribuent à
véhiculer le modèle traditionnel dans l’univers de WoW. Il est intéressant de faire
remarquer que dans le jeu, comme dans Swtor, deux factions s’opposent, l’Alliance et
la Horde. La première dispose d’un espace privilégié pour les cérémonies de mariage,
une cathédrale, la seconde n’en possède pas, aussi les joueurs se montrent plus
créatifs quant au choix du lieu. Ajoutons que la cérémonie se déroule dans un endroit
le plus souvent différent de celui de la fête qui la suit, comme c’est le cas dans notre
société. Pour finir, l’auteur lie les guildes au mariage. Selon lui, le mariage est un
évènement qui sert de cohésion entre les membres d’une même guilde, ou plus
rarement, entre deux guildes. Le mariage permet de rapprocher les membres qui la
composent, pas uniquement les mariés. Il renforce les liens et contribue à faire
partager un moment commun qui procure à chacun un sentiment d’appartenance au
groupe que constitue la guilde. Rappelons que les guildes sont un espace privilégié
de sociabilité dans les jeux en ligne massivement multijoueur. O. Servais écrit que
« dans un univers où les joueurs sont très autonomes, et où d’un "click" ils peuvent se
déguilder, c’est-à-dire quitter le collectif, il s’agit d’une modalité politico-religieuse, qui
consiste à renforcer le sentiment d’une appartenance structurellement précaire »455.
Or dans Star Wars The Old Republic, la situation est bien différente…

Le mariage est associé dans la grande majorité des cas au jeu de rôle et la
guilde n’occupe pas du tout la même place. Les joueurs qui choisissent d’unir leurs
personnages se plient bien souvent au lore de l’univers. Une partie des joueurs
concernés se renseignent même sur les modalités de la cérémonie en fonction de leur
appartenance sociale, de leur espèce... Ils contactent leurs connaissances en jeu ou
font des recherches via Internet.

455SERVAIS Olivier, « Cérémonies de mariage dans World of Warcraft : transfert rituel ou institution
collective ? », tic&société, Vol. 9, N°1-2, 2015. Consulté le 16/04/2019 :
https://journals.openedition.org/ticetsociete/1823
336
Dans le cadre de la cérémonie, ils font appel -ou non456- à un officiant. La classe
de l’officiant n’a jamais aucune importance, c’est sa fonction dans le cadre du jeu de
rôle qui importe. Afin de bien appréhender ces questions relatives au mariage, j’ai
posté différentes annonces auprès de la communauté des joueurs 457 dans le but de
réaliser des entretiens avec ceux et celles ayant participé à un mariage dans le jeu. Il
est très intéressant de constater qu’ils soient très peu nombreux à avoir assisté à un
évènement de ce type. Une joueuse, Keychka, m’a expliqué son point de vue à ce
sujet :

« Il y en a très très peu effectivement […] Peu de joueurs jouent de longues


relations aboutissant à un mariage. Et ceux y arrivant n'organise pas forcement de
mariage car de 1 c'est relou. De 2 à cause de ça beaucoup risquent de les juger en
croyant que ce sont des joueurs RPQ. Et la communauté de rôlistes FR n'est pas la
plus ouverte d'esprit à ce sujet ».

Au final, dix entretiens ont été réalisés avec des joueurs ayant participé à au moins un
mariage dans Swtor, et seulement la moitié d’entre eux ont pu me dire la classe -toutes
différentes- de l’officiant lors de la cérémonie, y compris dans un cas où le joueur
interrogé avait été celui qui avait rempli cette fonction lors du mariage. Les autres ne
s’en souvenaient plus. Par ailleurs, plusieurs joueurs ont spontanément précisé lors
de l’entretien que la classe n’avait absolument pas d’importance dans le cadre du jeu
de rôle d’où le fait qu’ils n’y prêtaient aucune attention.

De même, il n’existe pas de lieux dédiés à cette cérémonie. Les espaces dans
lesquels la cérémonie se déroule sont choisis en fonction des préférences individuelles
des joueurs ainsi que de leurs personnages, des contraintes du jeu -notamment si les
joueurs n’appartiennent pas à la même faction- et enfin de l’histoire qu’ils vivent dans
le cadre du jeu de rôle. Les mariages ont aussi bien lieu à l’intérieur qu’à l’extérieur,

456 Le rôle de l’officiant est parfois joué par l’un des deux joueurs et un personnage non-joueur est
éventuellement utilisé pour être l’enveloppe physique de l’officiant.
457 J’ai utilisé le forum de la communauté ainsi que le vocal Discord des adeptes du jeu de rôle sur le

serveur français qui réunit environ 400 joueurs en y postant deux messages espacés dans le temps afin
d’inviter les joueurs et joueuses concernés à me contacter. J’ai par ailleurs utilisé mon propre réseau
pour diffuser l’information.
337
sur des planètes ou dans un vaisseau ou encore sur une forteresse. Ces mariages
peuvent être contraints : des joueurs ont évoqué des mariages forcés pour des raisons
politiques notamment, ou cachés. Il ne s’agit donc pas toujours d’un évènement festif
qui regroupe de nombreux joueurs. Au sein de notre échantillon, le mariage regroupant
le moins de personnages présents en comprenait six, et celui ayant réuni le plus de
protagonistes plus d’une trentaine. Ainsi, bien qu’il n’y ait pas que des mariages
d’amour, la plupart d’entre eux le sont néanmoins.

Comme le fait remarquer O. Servais, on retrouve des éléments


traditionnels notamment la couleur de la robe de mariée. Au cours des entretiens
menés au sujet du mariage, il est apparu qu’il n’y ait que peu de mariées qui n’avaient
pas porté une longue robe blanche à cette occasion et systématiquement, ce choix
était justifié par le jeu de rôle. Par exemple, l’une d’elle en tant que militaire avait choisi
de porter son uniforme d’apparat. Les seuls autres cas de figure où la mariée n’était
pas vêtue de blanc concernent les mariages traditionnels Sith, où le noir et le rouge
sont privilégiés. Voici un exemple de description du mariage décrit par le joueur dont
le personnage, le Seigneur Kao'dhen, était le marié : « Alors on avait fait un rituel Sith
ou l'on a sacrifié deux Jedis pour le Coté Obscur devant la maitresse du clan, et on a
mangé chacun le coeur que l'autre a sacrifié. Et puis devant les Seigneurs Noires
consultés, on a été lié a détruire la galaxie. En gros. » Lorsque je l’interroge sur leur
tenue, il m’explique « Tout en noir. C'était pas un Mariage a la Mairie ou a l'Eglise. Mdr
».

Dans Swtor, la guilde occupe un rôle très secondaire dans une bonne partie
des cas : le mariage n’a donc pas la même fonction. Certes il existe des mariages de
personnages entre joueurs d’une même guilde, mais aussi appartenant à deux guildes
différentes, ce qui tend dans certains cas à renforcer ou symboliser les alliances et
dans d’autres à n’avoir aucun lien avec les guildes et leurs relations. Ces guildes
peuvent être ou non présentes lors de la cérémonie. Bien que notre échantillon soit
très faible, puisqu’il n’a pas été possible de réaliser d’avantage d’entretiens, il reste
toutefois intéressant d’analyser ces témoignages. Seulement trois mariages sur dix ne
comprenaient que des participants et mariés appartenant à une seule et même guilde.

338
Deux autres mariages consistaient à symboliser l’alliance entre deux guildes. Il est
probable que si certains mariages ne réunissent que des membres d’une même guilde,
ce soit avant tout lié au jeu de rôle plutôt fermé -clan Sith, unité d’élite secrète…-. Ce
qui est au centre, c’est le jeu de rôle, les personnages et éventuellement les réseaux
respectifs des joueurs -en tout cas une partie-. Le mariage renforce avant tout le lien
qui unit les personnages dans l’histoire créée par les joueurs. Il arrive parfois qu’il
symbolise l’amour des joueurs au travers de leur personnages puisqu’un des couples
de mariés avait choisi d’unir leurs personnages comme ils s’étaient eux-mêmes unis
l’un à l’autre hors du jeu. Il s’agit du seul cas de ce type de notre échantillon.

Au cours de mon travail sur Swtor, je n’ai assisté à aucun mariage unissant des
personnages d’autres joueurs. En interrogeant des joueurs appartenant à différentes
guildes, y compris des chefs de guilde, je n’ai eu connaissance que d’un seul mariage
de personnages non véritablement lié à du jeu de rôle. Il s’agissait plus d’une blague
entre deux joueurs amis458, n’appartenant pas à la même guilde et ayant réuni leurs
proches en jeu. Sur le forum de la guilde à laquelle appartient le marié, on retrouve
des images de l’évènement, accompagnées d’un texte qui relate le déroulement de la
cérémonie. Le mariage s’est déroulé sur Aldérande, une planète appréciée des
joueurs459 : le futur époux, les invités et l’officiant ont attendu la mariée qui est arrivée
vêtue d’une robe blanche. L’officiant a procédé à la cérémonie puis la fête a eu lieu
sur place : des musiciens ont joué, les invités ont dansé… Or en lisant les
commentaires sur le forum, on se rend compte du burlesque de cette cérémonie, avec
par exemple l’échange des bagues, censé être un moment sérieux et symboliquement
fort : « Le gai luron Praehiss ne rata évidemment pas l'occasion de se faire remarquer
en tentant des approches plutôt grossières vers l'agent Drinker mais c'est surtout en
sortant la bague de sa cousine de son slip qu'il provoqua l'hilarité générale ! »460. Un

458 Dont l’un est un adepte de jeu de rôle uniquement papier.


459 Aldérande est une planète aux paysages dignes d’une carte postale : montagnes enneigées et
forêts, ciel bleu et lacs, des ruines lui donnant un certain cachet… Par ailleurs elle est accessible aux
deux factions et ne demandent pas des prérequis particuliers, ce qui représente des avantages
pratiques pour les joueurs. Lors d’un sondage sur la planète préférée des joueurs appartenant à la
guilde Clan Berserk sur leur forum, elle avait été élue planète préférée parmi toutes celles du jeu -
existant au moment du sondage- à 43%. Makeb est une autre planète qui attire les joueurs.
460 Propos d’Ormir, membre de la guilde L’enclave Galactique présent lors du mariage :

http://lenclave-galactique.forum-canada.net/t338-sortie-rp-mariage-d-iraggael-et-sword
339
autre commentaire, du marié qui écrit : « J'ai aussi eu droit à une série de questions
sur les taches ménagères à effectuer, au regard des allusions faites par mon ami le
Seigneur Oroborus lors de la cérémonie officielle »461 , laisse supposer que l’officiant
a dû tenir des propos sexistes lors du mariage, sans doute pour faire preuve d’humour.
A cette exception près, les autres mariages évoqués par des joueurs de Swtor
concernent uniquement et entièrement le jeu de rôle.

Le jeu de rôle peut aussi avoir un impact sur les interactions avec l’autre joueur,
et sur la pratique même du jeu. J’ai pu constater par exemple plusieurs réactions à un
même évènement en jeu de rôle : éconduire un personnage. Dans le meilleur des cas,
la relation entre les personnages se transforme sans qu’il n’y ait de conséquences sur
les joueurs, par exemple les sentiments du personnage évoluent ou il accepte la place
d’ami même si ses sentiments n’ont pas changé. Toutefois, il arrive que face à cette
situation le personnage disparaisse, soit il n’est plus connecté ou plus joué, un motif
est parfois avancé pour justifier son absence mais pas nécessairement, soit le
personnage décède officiellement. Ce délaissement d’un personnage suite à un rejet
dans le cadre du jeu de rôle n’apparaît pas dans les parties sur table. Un joueur
n’arrête pas une campagne ou n’élimine pas son personnage parce qu’un autre a
décliné ses avances. Dans les autres activités du jeu en ligne, le joueur ne décide pas
non plus de ne plus du tout jouer un personnage parce qu’il a perdu une partie de zone
de guerre ou éprouve des difficultés à venir à bout d’une opération. Cette différence
d’attitude peut s’expliquer par la différence de vécu. Le joueur va subir le rejet de son
personnage émotionnellement, il peut en être blessé et le considérer comme une
forme d’échec personnel. Cette implication émotionnelle peut conduire un joueur à
choisir de se détacher de son personnage et à se séparer, plus ou moins brutalement,
des autres rôlistes avec lesquels il jouait.

En somme, le jeu de rôle est aussi un espace de rencontre aussi bien pour les
joueurs que pour leurs personnages, la sociabilité s'opèrant donc à deux niveaux. Les
relations des joueurs entre eux sont dissociées de celles de leurs personnages, bien

461Propos d’Iraggael, membre de la guilde L’enclave Galactique et le marié lors du mariage :


http://lenclave-galactique.forum-canada.net/t338-sortie-rp-mariage-d-iraggael-et-sword
340
que parfois cela ne soit pas le cas. Lors d'une discussion avec Joth, un rôliste, celui-
ci a évoqué son point de vue qui est partagé par une partie de la communauté : « pour
jouer un personnage longtemps et bien, je pense qu'il faut quelques traits de caractère
en commun ». Si deux joueurs ne s'entendent pas en raison de leur caractère et que
leurs personnages leur ressemblent beaucoup, il est fort probable qu'ils ne se lient pas
non plus d'amitié... Il est capital de prendre en compte un point déjà évoqué
précédemment, chaque personnage a sa propre identité, une apparence et un
caractère spécifiques. Reprenons des exemples de personnages de l'entourage de
Ty'a que j'ai utilisés pour pouvoir étudier ces aspects. Alors que Barzok est un
personnage fidèle, galant, mystérieux, peu bavard mais à l'écoute et très calme,
Dreygan quant à lui est particulièrement loquace, a besoin d'être au centre de
l'attention en permanence, et peut avoir un comportement déplacé, voire méprisant ou
violent, ce qui est accentué par son instabilité. Certains traits de caractère sont
globalement sous-représentés comme la galanterie alors que d'autres sont très
fréquents comme la jalousie.

Tous les personnages ne sont pas équilibrés, certains ont plus de défauts que
de qualités ou inversement. Néanmoins, cette brève description de ces personnages
s'appuie sur leur comportement observé face au mien. Or le point de vue d'un autre
protagoniste pourrait être sensiblement différent. La relation entretenue entre les
personnages, et leurs histoires va avoir une incidence, de même que certains
personnages adopteront une attitude spécifique selon leur interlocuteur et la présence
d'autres personnes ou non. Enfin, l'état dans lequel se trouve le personnage aura aussi
un effet, par exemple Ashley qui est alcoolique devient violente lorsqu'elle est ivre.
Ainsi le caractère des joueurs n’est pas le seul facteur qui intervient dans les liens qui
se tissent entre les personnages, et c'est la raison pour laquelle des joueurs peuvent
très bien s'apprécier sans que ce soit le cas de leur personnage et l'inverse aussi -bien
que plus rare puisque les joueurs auront tendance à s'éviter grâce à diverses
stratégies, que ce soit en faisant abstraction l’un de l’autre ou en ajoutant l’individu sur
sa liste de personnages « ignorés » afin de ne plus voir tous les messages qu’il pourrait
envoyer, qu’ils soient ou non directement adressés au joueur-. Nous pouvons
effectivement signaler que les joueurs sont souvent amis dans le jeu et même

341
éventuellement hors du jeu, comme Barzok et Za'han, lorsque leurs personnages sont
en couple dans une relation sérieuse. Lorsque ce n'est pas le cas, les relations sont
bien souvent plus éphémères, avec par exemple Alexander et Liloo.

Les relations des personnages de jeu de rôle sont extrêmement diversifiées. La


sphère des fréquentations du personnage comprend les membres de sa famille, ses
relations personnelles et intimes, ses connaissances professionnelles... Concernant la
vie familiale, nous pouvons observer que les relations jouées sont majoritairement des
relations horizontales, c'est-à-dire des fratries ou des couples, les relations
parents/enfants sont moins fréquentes. Plusieurs explications peuvent être énoncées
pour mieux appréhender cette situation. La plupart des personnages joués sont plutôt
jeunes, ils ont certes de la famille -pas toujours- mais on ne la rencontre pas ou peu,
faute de pouvoir jouer plusieurs personnages en même temps ou d'avoir des amis
prêts à jouer fréquemment un membre de sa famille. Des excuses, comme la distance
ou la perte de contact par exemple, permettent aux joueurs de justifier l'absence d'une
famille tout en restant cohérents. Par ailleurs, la création progressive du jeu de rôle
nécessite du temps pour fonder sa propre famille : trouver un partenaire, avoir des
enfants... Pour terminer, au moins au début, il est rare que des joueurs décident avant
même de débuter leur jeu de rôle de lier leurs personnages par des liens familiaux, et
il est par la suite difficile de le faire ; si le personnage est enfant unique, on ne peut
pas subitement modifier son passé pour lui ajouter une fratrie parce que l'on rencontre
de nouveaux joueurs qui pourraient incarner grâce à leurs personnages des frères ou
des sœurs...

Lorsqu'on envisage Swtor comme un espace de rencontres entre joueurs, il faut


comprendre que c'est le jeu dans son ensemble qui permet de croiser et d'échanger
avec d'autres personnes. La plupart du temps ce n'est pas tant l'espace physique en
jeu qui importe, bien que les flottes de chaque faction demeurent importantes, ce sont
le plus souvent les centres d'intérêts et les activités, mais aussi les guildes, qui
permettent aux joueurs les partageant de se côtoyer régulièrement pour
éventuellement finir par se lier d'amitié. Or, concernant le jeu de rôle, les choses sont
un peu différentes. En fonction du personnage et de son histoire, les lieux qu'il a ou va

342
fréquenter vont varier, que ce soit pour des raisons personnelles ou professionnelles,
par choix ou par contrainte. Alors que certains personnages ont une vie plutôt nomade,
caractérisée par de nombreux déplacements, et une mobilité significative en termes
de distance parcourue, de nombres de destinations atteintes et de fréquence, d'autres
seront plutôt sédentaires. S'il est toujours possible de croiser des rôlistes dans des
endroits insoupçonnés, il existe tout de même de véritables lieux de rencontre. En
effet, certains espaces du jeu sont fréquentés par la communauté comme Tython -à
proximité du Temple- pour les joueurs désireux de jouer des padawans ou des Jedis,
Korriban -près de l'Académie-, pour les Siths, et Nar Shaddaa -à la cantina des Pentes
Glissantes- pour tous les autres, qu'ils soient contrebandiers, pilotes, chef d'entreprise
etc... Il s'agit donc de lieux dans lesquels les joueurs vont amener leurs personnages
s'ils souhaitent leur faire faire de nouvelles rencontres.

b) De la rencontre virtuelle au développement de la relation hors du monde


numérique

b.1. Les processus de rencontre

Quand on rencontre un nouveau collègue ou un voisin par exemple, nos sens


nous permettent d'assimiler un prénom à son apparence, sa voix, son odeur, son
attitude etc... Au sein du monde virtuel, et en l'occurrence dans les jeux vidéo en ligne
massivement multi-joueurs, la rencontre avec l'autre se déroule en plusieurs phases
qui n'aboutissent pas forcément à une rencontre physique entre les joueurs. Bien qu'il
soit possible que certaines phases soient ignorées et n'aient pas lieu, ou encore
qu'elles surviennent dans un ordre peu conventionnel, dans la plupart des cas on peut
observer un modèle systématique. Prenons la dimension visuelle, comme le met en
évidence le schéma ci-dessous, le joueur voit d'abord le personnage qui représente
l'autre joueur dans le jeu.

343
Avec le temps, si la relation se développe, par curiosité ou grâce aux réseaux sociaux
dont Facebook, le joueur peut voir à quoi ressemble son interlocuteur. Il est primordial
de signaler que les photographies ne sont pas toujours représentatives. Elles peuvent
en effet être retouchées de façon à les améliorer et donner une image très différente
de l'apparence réelle de la personne. C'est en particulier le cas lorsque les joueurs
sont dans une relation de séduction. Lorsqu'ils habitent loin l'un de l'autre et ressentent
le besoin de se voir, la webcam est utilisée. La webcam est privilégiée dans le cadre
d'une relation sentimentale ; elle est peu usitée lorsque la relation n'est qu'amicale.
Enfin, les joueurs finissent par se rencontrer en chair et en os. Néanmoins en parallèle
un autre sens est utilisé : l'ouïe. La voix du personnage n'est pas celle du joueur.
Lorsque celle-ci est entendue pour la première fois, l'appareil qui est utilisé la modifie
plus ou moins, elle peut donc être légèrement différente d'un appareil à l'autre comme
entre le vocal, où le joueur utilise un micro, et le téléphone. La voix sans appareil, bien
que similaire, peut aussi avoir certaines nuances non perceptibles en vocal. Le schéma
ci-dessous reprend ces informations :

344
Le joueur peut grâce aux technologies entendre et voir son interlocuteur, mais il lui est
toujours impossible de connaître son odeur ou de le toucher sans être physiquement
en contact avec lui.

Toutes ces informations obtenues progressivement combinées à l'imagination


permettent au joueur de se représenter l'autre. Ces informations peuvent être vraies
mais il arrive aussi qu'elles soient fausses, mensongères comme nous l'avons évoqué
brièvement dans le paragraphe précédent avec l'exemple de la photographie.
L'individu peut chercher à se faire passer pour quelqu'un d'autre afin d'obtenir des
avantages, comme les joueurs se faisant passer pour des joueuses dans ce but, ou
de donner une autre image de soi, une image que l'on préfère à la réalité, comme les
joueuses qui embellissent leur photographie. Par conséquent, la représentation que le
joueur se fait de l'autre peut être très éloignée de la réalité. C'est seulement s'il le
rencontre hors du monde virtuel qu'il pourra s'en rendre compte.

La rencontre « IRL », qui signifie « In Real Life », englobe toutes les rencontres
physiques de joueurs, cependant, il est possible de distinguer en fonction de leur type
ces diverses rencontres. Tout d'abord, les plus fréquentes sont les rencontres de
guilde. Les membres d'une ou de plusieurs guildes se retrouvent généralement dans
un espace public et font quelque chose ensemble, le plus souvent ils vont au restaurant
au cours d'une soirée ou boire un coup, ce qui leur permet de se rencontrer les uns
les autres en face à face et d'échanger. Ce type d'évènement se déroule surtout dans
les grandes villes avec des joueurs habitant à proximité et ceux pouvant se déplacer.
La date, le lieu de la rencontre et l'activité sont décidés à l'avance par l'ensemble des
participants qui font des propositions et se mettent d'accord. Ces rencontres sont
conviviales et ont pour objectif de se voir hors du monde virtuel dans un but amical
tout en renforçant les liens entre les membres. Le nombre de participants est variable,
la plus petite rencontre entre joueurs d'une même guilde à laquelle j'ai participé
comprenait cinq personnes, la plus importante dépassait la quinzaine. Toutefois, un
autre type de rencontre « IRL » fréquent concerne les joueurs amis. En effet, quand
une affinité se développe entre des joueurs il n'est pas rare qu'ils décident de se voir.
Ce type de rencontre se déroule avec un nombre plus restreint d'individus et si les

345
joueurs se rendent compte qu'ils apprécient aussi de passer du temps ensemble hors
du monde virtuel, et qu'ils le peuvent, leurs rencontres sont amenées à se multiplier.
Ils vont se voir beaucoup plus régulièrement dans une sphère plus privée que les
rencontres entre membres d'une même guilde. Ils deviennent amis hors du monde
virtuel ce qui a un impact sur leurs activités, par exemple organiser un barbecue, aller
en vacances ensemble ou même inviter l'autre à son mariage. La dernière catégorie
principale de rencontre est similaire aux rencontres amicales à la différence qu'elle
n'excède en général pas plus de deux personnes qui sont intéressées l'une par l'autre
d'un point de vue sentimental ou charnel.

b.2. La construction de la relation à autrui

Dans la partie précédente nous avons évoqué les diverses étapes par
lesquelles passent deux joueurs entre le moment où les personnages se croisent et
celui où les individus se rencontrent en face à face. Les joueurs se dévoilent
progressivement au fil du temps. Cependant, si cette rencontre a lieu c'est bien parce
que la relation qu'ils entretiennent et qui s'est construite les y a amenés. La ou les
rencontres d'un autre joueur doivent donc être associées au lien qui les unit et qui a
pour origine le jeu. Qu'il s'agisse d'une relation amicale ou sentimentale, elle a
commencé dans le cadre du jeu et s'est développée grâce à lui.

C'est en passant du temps avec autrui que des liens se tissent et dans Swtor,
c'est le plus souvent en jouant ensemble que les individus vont apprendre à se
connaître. Nous n'écartons pas le fait que la relation puisse aussi débuter grâce au
vocal, par exemple entre joueurs d'une même guilde pratiquant des activités
différentes en jeu mais se retrouvant régulièrement en vocal. A l'oral comme à l'écrit,
la tendance à utiliser des diminutifs est très présente avec les joueurs qui nous sont
familiers, voici quelques exemples : Iragaël devient Ira, Brynhildr est appelé Bryn... Ce
phénomène survient avec les pseudos des joueurs mais parfois aussi avec les noms
de leurs personnages, par exemple Nehd incarne parfois un personnage qu'il a nommé
Cyri'na est qui est souvent appelé, par lui comme par les autres, Cyri. Nous pouvons
rappeler par ailleurs qu'il est fréquent que le pseudo du joueur soit aussi le nom d'un

346
de ses personnages. Il arrive que certains joueurs l'utilisent pour tous ou plusieurs de
leurs personnages en ayant recours à des modifications orthographiques, comme
Nabo qui possèdent plusieurs personnages « Naborru » écrit de différentes manières.
Le recours aux diminutifs est lié à de nombreux facteurs. D'une part, dans le feu de
l'action lorsque le temps est compté et qu'il est important de transmettre une
information à un joueur précis dans un laps de temps relativement court, l'usage du
diminutif peut être le bienvenu, en particulier si le pseudo du joueur est plutôt long.
Outre cet aspect très pratique, l'usage du diminutif tend à rapprocher les joueurs. Il ne
s'agit plus d'inconnus mais de joueurs qui se connaissent, ne serait-ce que
superficiellement. Si les pseudos courts n'ont pas de diminutif, par exemple Draze,
certains pseudos qui possèdent pourtant plusieurs syllabes n'en ont pas non plus
parce qu'ils n'y s'y prêtent pas comme Assara, prénom d'un de mes personnages
utilisé par d'autres joueurs, qui me connaissent uniquement à travers lui, pour
s'adresser à moi. La construction de la relation avec autrui s'établit en partie sur la
découverte de l'identité de l'autre, et connaître son nom, voire lui donner un nom, est
une étape essentielle pour initier des échanges.

Il semble important de distinguer deux phénomènes en lien avec les interactions


sociales : le besoin de reconnaissance et le besoin de popularité. Le premier renvoie
à la nécessité qu'éprouve le joueur d'être reconnu par ses pairs en raison de sa
performance, de son niveau en tant que joueur. Ce besoin de reconnaissance peut
avoir pour caractéristiques une tendance à se vanter, à souligner ses scores, à jalouser
ceux des autres ou encore à rivaliser avec d'autres joueurs. Le besoin de popularité
quant à lui est centré sur la dimension sociale, le joueur, ou pour être plus précis, la
joueuse, essaye de bien s'entendre avec l'ensemble de la communauté, d'être amis
avec tous les autres joueurs. Alors que le besoin de reconnaissance est un
phénomène plutôt masculin, le besoin de popularité est plutôt féminin. Ces deux
phénomènes doivent être pris en considération car ils ont un impact sur le type de
relation et la construction de cette relation avec autrui, par ailleurs ils peuvent
engendrer des comportements spécifiques dont notamment celui de la « sauterelle ».

347
Ce que j'ai nommé le « phénomène de la sauterelle » correspond au
changement systématique après un certain laps de temps, relativement court, de
fréquentations. L'exemple type de ce phénomène est Gowendy. Cette joueuse est
passée en quelques mois dans la guilde Last Squadron, puis Section Empire XII, le
Clan Berserk, les Oups Sorry, avant de partir pour les Deception... Ce changement
perpétuel ne se limitait pas aux guildes, Gowendy avait effectivement tendance à
s'attacher à un joueur du sexe opposé pendant un temps et avoir avec lui des
échanges orientés vers la séduction avant de brutalement jeter son dévolu sur
quelqu'un d'autre. Le schéma suivant illustre notre propos :

La métaphore de la sauterelle en mouvement sautant d'un endroit à un autre sans qu'il


soit toujours aisé de déterminer son parcours est assez représentative. Ce phénomène
peut avoir plusieurs causes comme l'insatisfaction et la recherche de quelque chose
que le joueur ou la joueuse ne parvient pas à trouver ou le besoin récurrent de faire
de nouvelles rencontres. Lorsqu'un joueur a besoin de reconnaissance, s'il ne l'obtient
pas, il peut tenter de la chercher ailleurs par exemple, pour Gowendy, la rencontre
avec un joueur se distinguant des autres par ses performances et correspondant à ses
attentes devenait son nouveau centre d'intérêt. Ce comportement n'est pas anodin car
il donne une image, plutôt négative, du joueur ou de la joueuse. Ainsi, une réputation
se façonne et n'est pas sans conséquences sur la perception qu'ont les autres de
l'individu et sur leurs interactions avec lui.

L'usage du terme IRL, In Real Life, est utile pour permettre aux joueurs de
distinguer, en jeu, ce qui s'y rattache, du reste. Par exemple, à la question relative au
métier pratiqué, hors contexte, il peut s'agir du métier du personnage de Swtor ou de
la profession du joueur, l'ajout de « IRL » permet d’ôter tout doute et d'éviter des

348
quiproquos. Les interactions du joueur en tant que personne avec les autres, ses
sentiments envers eux, les liens qui se tissent ont certes pour origine un jeu vidéo,
mais n'en sont pas pour autant irréels, tout comme les émotions ressenties grâce à la
pratique ludique. Même les joueurs adoptant des comportements déviants négatifs, et
les justifiant ponctuellement par l'excuse de « ce n'est qu'un jeu », ont tendance à
oublier que lorsqu'ils sont eux-mêmes l'objet de ce type de comportement, ne
l'envisagent pas du tout comme étant sans importance car « juste un jeu ».

b.3. Les relations « IRL » dans le virtuel (famille, amis…)

Si beaucoup de joueurs s’aventurent seuls dans le monde virtuel, d’autres s’y


plongent avec des proches. Dans Star Wars The Old Republic, nous avons rencontré
plusieurs cas différents. Les cas les plus fréquents sont ceux des fratries, des frères
et sœurs jouant ensemble comme Owen et Raffix, Lex et Pipou… Ils intègrent la même
guilde, Les Maîtres du Chaos dans notre premier exemple, ou l’Enclave galactique
dans le second. Ils s’entraident et participent à des activités communes mais ne sont
pas nécessairement systématiquement ensemble. De même, selon les cas, les temps
de jeux et heures de connexion peuvent varier. Nous avons aussi rencontré des
joueurs ayant d’autre liens familiaux comme un père et son fils, ou des cousins. Les
membres de la famille constituent un des ensembles d’individus qu’une personne peut
connaître avant de débuter le jeu et qui peuvent l’accompagner dans la découverte de
celui-ci. Outre la famille, on rencontre aussi des couples.

Si des couples se forment grâce au jeu -point que nous aborderons en détail
ultérieurement- d’autres sont antérieurs au jeu. Dans ces cas, nous rencontrons
principalement deux types de couple. Dans le premier cas, le couple joue ensemble
ponctuellement et l’un des deux y passe davantage de temps sans l’autre. Le plus
souvent, c’est la femme qui est une joueuse occasionnelle, qui s’adonne à ce loisir
pour s’amuser avec son compagnon et lui faire plaisir. Il existe dès lors un écart de
niveau entre eux et le compagnon enseigne une partie de ses connaissances à sa
partenaire. Lorsqu’elle est connectée, ils jouent ensemble seuls et le joueur par contre
possède son propre réseau de sociabilité en jeu, que sa compagne n’a pas l’occasion

349
d’établir, et avec lequel il joue en son absence. Dans le deuxième cas, le couple est
constitué de deux individus qui se définissent comme étant des joueurs. Ils y passent
un temps significatif et maîtrisent un minimum le jeu. Le couple pratique des activités
communes et de fait, ont des amis en jeu communs. Il est fréquent qu’ils jouent
ponctuellement séparément, que ce soit parce qu’ils ont des intérêts différents ou en
raison de leur emploi du temps, et il en résulte qu’ils développent en parallèle d’autres
amitiés avec des joueurs ou joueuses inconnu.e.s ou méconnu.e.s de leur partenaire.
Les couples tout comme les membres d’une même famille choisissent souvent
d’intégrer une même guilde ou de former la leur.

Enfin, deux amis, comme Fumihara et Johnwalker, ou un petit groupe peuvent


décider de jouer ensemble. Certains groupes d’amis ont même tendance à migrer
collectivement d’un jeu à un autre après un certain temps. Nous pouvons faire
remarquer que certains de ces groupes d’amis se sont même rencontrés il y a de
nombreuses années dans le cadre d’autres jeux vidéo en ligne avant de faire
connaissance hors du monde virtuel après s’être attachés les uns aux autres, le groupe
évoluant au fil du temps.

Quelle que soit la relation qui est entretenue avec des proches avec lesquels
on joue, on retrouve des similitudes partiellement déjà évoquées. Le fait d’intégrer la
même guilde ou de constituer sa propre guilde est récurrent. Par ailleurs, l’entraide est
toujours de mise. D’autre part, il est fréquent que les joueurs se réservent un
personnage qu’ils jouent toujours ensemble. Dans cette optique, les personnages sont
choisis pour former une bonne équipe par exemple deux personnages qui font des
dégâts afin de former un binôme efficace pour infliger beaucoup de dommages ou un
personnage qui soigne et l’autre qui le protège… Nous pouvons faire remarquer que
si dans le cas des groupes d’amis on excède le nombre de deux joueurs, la plupart du
temps nous avons rencontré des binômes : un père et son fils, deux frères, deux
amis…

c) L’évolution des relations : ce que permet le jeu

350
c.1. Critères de choix et expressions de l’attachement

Il semble essentiel, avant de poursuivre, de revenir sur plusieurs préjugés liés


aux jeux vidéo en ligne massivement multi-joueurs, dont certains ont déjà été évoqués
précédemment. Considérer que ce type de jeu isole le joueur de sa sphère familiale et
de ses autres proches, qu'il mène à une perte de toute forme de relations sociales ou
à des échanges uniquement superficiels sans « vrais rapports de sociabilité » est
simplement une preuve d'une profonde ignorance. Pour pouvoir appréhender la suite
de notre propos relatif à l'évolution des relations avec les exemples des amitiés et des
relations amoureuses, il est indispensable de comprendre que le jeu permet d'établir
des échanges avec autrui et de tisser des liens, sans pour autant que les autres
personnes avec lesquelles le joueur a des liens hors du monde virtuel ne soient
délaissées. Ces relations au sein du jeu qui parfois finissent par aller au-delà ne sont
qu'une facette de la vie sociale globale de l'individu. Comme nous l'avons déjà
souligné, le jeu permet aux personnes timides et manquant de confiance en elles, pour
qui il peut être difficile d'échanger avec les autres, d'avoir des personnes avec
lesquelles discuter, ce qui peut potentiellement les aider par la suite hors du monde
virtuel. Ajoutons que bien entendu, on ne peut nier qu’il existe des cas où les jeux ont
eu un impact négatif sur la sociabilité du joueur mais ils ne sont en général pas l'unique
cause du problème et ces cas sont très restreints.

Le respect et la reconnaissance des compétences du joueur interviennent dans


le développement de sentiments positifs à son égard. Cependant, l'admiration qui peut
survenir vis-à-vis d'un joueur est, dans certains cas, telle qu'elle en devient une sorte
de déification de l'autre. Au cours de mon enquête, j'ai été confrontée à ce phénomène
bien que rarement et j'en ai aussi été l'objet. Lors d'une partie de zone de guerre avec
d'autres joueurs de la guilde dont j'étais membre sur le serveur Darth Malgus, avant la
fusion des serveurs de fin 2017, un joueur, Adrienforce, au cours de la partie a
subitement donné l'heure « 21h47 » avant d'ajouter « c'est l'heure où j'ai vu Aelly
mourir pour la première fois ». Cet évènement survenu plusieurs jours auparavant l'a
profondément marqué.

351
Pour recontextualiser, mourir lors d'une partie de zone de guerre est la norme
lorsqu'on participe aux combats et que la partie est bien équilibrée. Le personnage est
souvent tué plusieurs fois au cours de la partie. Cependant, ayant été amenée à
expérimenter toutes les activités proposées par le jeu dans le cadre de ma thèse, dont
le mode « Joueur contre Joueur » y compris classé, et venant d'un serveur où le niveau
était beaucoup plus élevé, il y avait un écart considérable entre mon niveau et celui
des autres joueurs que j'affrontais, ou avec qui je jouais. De fait, il était effectivement
rare que je meure mais cela arrivait. Néanmoins, pour Adrienforce, mon personnage
était en quelque sorte immortelle ; il m'a même demandé si j'étais déjà morte avant,
comme s'il était impossible que j'y sois confrontée comme tout le monde et que nul ne
pouvait me vaincre. Cette admiration transparaissait dans les propos qu’il tenait lors
de nos échanges, comme « c’est la première fois que je croise un heal comme ça »,
ou « franchement tu joues vraiment bien ta classe », allant même jusqu’à me qualifier
de « meilleur heal du serveur ». Si ses propos ne semblaient pas être simplement des
flatteries, il est indéniable que tous ses compliments et son insistance sur le fait que la
guilde, dont il était le chef et que j’avais rejointe sur ce serveur, avait « besoin de »
moi, visaient peut-être aussi à me faire rester. Les bons joueurs contribuent à la
notoriété de la guilde et il est aussi potentiellement plus plaisant de faire équipe avec
eux que de les affronter… Nous pouvons citer un second exemple, un joueur adepte
des zones de guerre classées pendant plusieurs saisons, à tel point excellent qu'il fut
qualifié « d'alien » au cours d'une discussion avec un autre joueur qui estimait que son
niveau était tellement supérieur à celui de l'ensemble du reste de la communauté qu'il
ne pouvait pas être humain. L'admiration n'aboutit pas toujours à des rapports
amicaux, elle peut aussi entraîner des rivalités et de la jalousie mais elle reste
cependant un facteur à prendre en considération dans l'évolution des rapports entre
les joueurs.

Un indicateur de l'évolution de la relation de deux joueurs est l'utilisation du


possessif affectif. Le déterminant possessif associé au nom du personnage ou du
joueur traduit une relation au minimum amicale. Bien que d'un point de vue
grammatical ce ne soit guère approprié, l'usage du « mon » ou « ma » devant un nom
est pourtant employé par certains joueurs. Des surnoms positifs peuvent remplacer le

352
nom. Des adjectifs peuvent aussi être ajoutés après le possessif comme par exemple
« ma petite [nom de la joueuse] ». L’expression est simplement une marque
d’affection, plutôt utilisée par des joueurs envers des personnes du sexe opposé. Il
importe toutefois de prendre garde car si c'est la fonction du joueur qui est annoncée
par autrui avec un possessif, la dimension affective disparaît complètement. En
somme, si un joueur A utilise « ma » ou « mon » devant le nom du personnage ou
celui du joueur, cela peut être interprété comme le signe d'une relation privilégiée entre
eux. Cependant, si un joueur A demande par exemple « qui est mon heal ? », alors il
s'interroge sur l'identité du soigneur qui sera chargé de veiller sur lui au cours d'une
activité comme une opération où plusieurs soigneurs se répartissent des groupes afin
d'optimiser leurs résultats et de maximiser leurs chances de victoire. Dans ce type de
cas, le recours au possessif ne peut pas être interprété comme un indicateur d'affinité,
ce qui ne signifie pas pour autant que les joueurs en question ne sont pas proches.

c.2. L’amitié

Dans La politique, Aristote a écrit que les « diverses formes de sociabilité sont
l’œuvre de l’amitié, car le choix délibéré de vivre ensemble n’est autre chose que de
l’amitié »462. La communauté politique, celle de la cité, qui intéresse Aristote diffère de
celle que l’on retrouve dans le monde virtuel. L’amitié reste cependant un type de
relation qui doit être étudié.

Marie-Carmen Smyrnelis dans son article « Amitiés, des sciences sociales aux
réseaux sociaux de l'internet » s’est intéressée à l’amitié comme objet de recherche
en sciences humaines. Elle explique que l’amitié, se situant entre la sociabilité et la vie
privée, peut s’avérer difficile à étudier. Ajoutons qu’il est compliqué de proposer une
définition universelle et intemporelle, et qu’elle comporte une dimension personnelle
complexe. Un même individu a généralement plusieurs types d’amis et des types
interactions différentes avec eux. Plusieurs typologies ont été construites en
s’appuyant sur les diverses caractéristiques des liens amicaux. Ajoutons qu’au fil du
temps ces relations évoluent. L’auteur insiste sur l’importance de prendre en compte

462 ARISTOTE, La politique, Librairie Philosophique J. Vrin, 2005, p. 210.


353
les nouvelles technologies et leurs usages, avec notamment les réseaux sociaux. Pour
M.-C. Smyrnelis, l’amitié est une ouverture vers ce qui est méconnu -espace,
connaissances-. Elle ajoute :

« Le réseau d’amis, dans sa diversité (et plus largement, le réseau relationnel


dans son ensemble), apparaît comme l’expression des contradictions personnelles,
des différentes facettes de la personnalité de l’individu ; il joue un rôle essentiel dans
la construction de l’identité de l’individu, de ses attitudes, de ses choix, de son
comportement »463.

C’est aussi le cas dans l’univers virtuel, et dans les jeux vidéo en ligne massivement
multijoueur où chacun se constitue son propre réseau au gré des rencontres et des
affinités. Les réseaux sociaux et les jeux vidéo de ce type ont certes des points
communs mais n’en demeurent pas moins très différents. Il n’y a pas de course pour
avoir le chiffre le plus élevé d’amis, de question de confidentialité des publications, ni
même justement de contenu partagé. On retrouve par contre l’idée d’une
communauté.

Comme nous l’avons évoqué tout au long de ce travail de recherche, les joueurs
amenés à se côtoyer régulièrement finissent par apprendre à se connaître plus ou
moins et à tisser des relations, y compris amicales. Plusieurs facteurs principaux vont
intervenir dans ce processus, comme nous pouvons l’observer sur le schéma ci-
dessous :

463SMYRNELIS Marie-Carmen, « Amitiés, des sciences sociales aux réseaux sociaux de l'internet. »,
Transversalités, N° 113, 1/2010, p. 18.
354
Les particularités liées au jeu en tant que tel apparaissent sur le schéma en bleu/gris
à gauche, celles liées à l’identité de l’individu derrière son écran sont en bleu ciel à
droite, et ce qui correspond à un mélange des deux est en bleu canard. Ces multiples
facteurs vont jouer un rôle dans l’évolution de la relation que vont entretenir les joueurs.
Si une partie d’entre eux est rapidement connue, d’autres sont découverts avec le
temps. Certains relèvent de l’évidence, comme le sexe ; d’autres peuvent être l’objet
d’interrogation comme les opinions. Cette découverte de l’autre peut être recherchée
ou non, les informations sont susceptibles d’être demandées ou simplement
entendues par hasard, énoncées par l’individu lui-même ou encore par un tiers. En
somme, il y a peu de différences avec la façon dont naissent les relations amicales
hors du monde virtuel et dans un cadre de loisir, comme un club d’échecs ou une
association de loisirs créatifs, à un aspect près, l’absence de présence physique. Avec
le temps, les joueurs qui lient de véritables amitiés durables et qui ne se limitent pas

355
au jeu ou au monde virtuel finissent en général par se rencontrer physiquement, plus
ou moins régulièrement selon la distance et les situations personnelles.

Nous avons évoqué dans la partie dédiée à l’apprentissage l’importance du


placement des personnages. Il s’avère qu’ils ont aussi un lien avec les relations
qu’entretiennent les joueurs. T. L. Taylor écrit à ce sujet « While avatar positions can
convey fighting, they can also signal intimacy or friendship. Sometimes avatar bodies
inadvertently touch, but more often than not avatars only touch each other if the user
feels a friendship or more than casual connection with the other person » 464 . La
proximité des personnages qui apparaît à l’écran serait potentiellement révélatrice
d’une affinité entre les joueurs. Pour Swtor, plusieurs autres facteurs interviennent et
le fait que deux personnages soient proches physiquement dans ce monde virtuel ne
signifie pas systématiquement qu’ils se connaissent ou qu’ils entretiennent la moindre
relation amicale. Néanmoins, on observe effectivement que les joueurs d’une même
guilde ou les proches placent leurs personnages à proximité lors des phases d’attente
ou de discussions, dans les espaces sans dangers comme la Flotte, alors que ce n’est
pas nécessaire pour qu’ils puissent communiquer entre eux aussi bien en vocal que
sur les canaux de discussion du jeu.

L’amitié homme/femme n’est pas à négliger. Si elle n’est pas nécessairement


vécue différemment d’une amitié liant des personnes de même sexe, elle peut pourtant
être perçue de diverses manières par les autres. La suspicion d’une relation
amoureuse est fréquente, même lorsque ce n’est pas le cas et qu’il n’y a pas
d’ambiguïté entre les personnes concernées. Les taquineries peuvent alors aller bon
train, et être plus ou moins subtiles.

c.3. L’amour

Lorsque deux personnes se rapprochent sentimentalement, leurs interactions


vont évoluer y compris dans le cadre du jeu. Au sein même du jeu, le temps de jeu

464 TAYLOR T. L., « Living Digitally: Embodiment in Virtual Worlds », The Social Life of Avatars:
Presence and Interaction in Shared Virtual Environments, (dir. SCHROEDER Ralph), Springer, 2002,
p. 43.
356
passé ensemble peut s’accroître, les échanges se modifier par exemple avec les
emotes, les personnages peuvent s’enlacer, s’envoyer des baisers ou encore exprimer
leur amour, les joueurs peuvent aussi s’offrir davantage de présents. D’autre part, les
manifestations de ce rapprochement apparaissent dans les échanges oraux que les
joueurs peuvent avoir sur les logiciels vocaux lorsqu’ils jouent ensemble, que ce soit
ou non en présence d’autres joueurs. C’est ce point que nous allons plus
particulièrement aborder.

La voix exprime non seulement les sentiments, les émotions et les pensées du
locuteur à travers les mots qu’il emploie mais aussi grâce à ses intonations, à ses
pauses, à son débit ou encore à sa hauteur. De nombreuses recherches ont été
menées sur les préférences féminines et masculines relatives à la voix d’un ou d’une
partenaire potentielle. Dans l’article « Experimental evidence that women speak in a
higher voice pitch to men they find attractive », les auteurs soulignent que les hommes
préfèrent les femmes ayant une voix et des intonations aiguës, ce qu’ils associent
inconsciemment comme étant un indicateur de fertilité, et d’attractivité, y compris
physique avec l’idée de minceur et de symétrie. Ainsi, les auteurs émettent l’hypothèse
suivante « that women’s voices, and their voice pitch in particular, may signal their
mate quality »465. Nous savons tous que nous sommes en mesure de modeler notre
voix selon les contextes comme lorsque nous chantons, ou lorsque nous nous
adressons à un enfant en bas âge ou à un animal de compagnie. Cependant, nous
n’avons pas forcément conscience du phénomène qui s’opère lors de la séduction et
du fait que nous modifions aussi notre voix lors de nos échanges avec une personne
pour laquelle nous avons un intérêt particulier. Les femmes lorsqu’elles sont attirées
par un homme qu’elles désirent séduire ont une voix plus aiguë que d’ordinaire. Une
explication plausible est la volonté d’augmenter leurs chances de succès puisque les
hommes préfèrent ce type de voix, « since men show strong preferences for women’s
voices with raised pitch […] speaking with higher voice pitch to men that they find
particularly attractive may function to increase women’s attractiveness to preferred

465 FRACCARO Paul J., JONES Benedict C., VUKOVIC Jovana, SMITH Finlay G., WATKINS
Christopher D., FEINBERG David R., LITTLE Anthony C., DEBRUINE Lisa, « Experimental evidence
that women speak in a higher voice pitch to men they find attractive », Journal of Evolutionary
Psychology, 2011, p. 58.
357
potential mates » 466 . Un autre article, « Women’s own voice pitch predicts their
preferences for masculinity in men’s voices », écrit par Jovana Vukovic, Benedict C.
Jones, Lisa DeBruine, David R. Feinberg, Finlay G. Smith, Anthony C. Little, Lisa L.
M. Welling, et Julie Maina467 s’est aussi penché sur les préférences relatives à la voix.
Les auteurs affirment que les femmes ont une préférence pour les hommes ayant une
voix plutôt basse. Ils soulignent par ailleurs que les femmes ont une voix plus aiguë au
cours de l’ovulation et préfèrent les hommes qu’elles perçoivent comme très masculins
pendant cette période, la voix étant aussi un critère qui est pris en compte. Le cycle
menstruel, et par conséquent les moyens de contraception avec hormones, auraient
donc un impact sur les préférences y compris concernant la voix de leur partenaire.
David Andrew Puts a travaillé sur ce sujet. Il affirme lui aussi que les femmes
apprécient davantage les voix masculines graves, basses, surtout pendant la période
où elles sont les plus fertiles, sans doute parce qu’elles recherchent inconsciemment
de bons gènes et que la voix grave masculine est perçue positivement, et comme étant
plus attirante -en particulier pour les relations à courts termes-, « women prefer fertile-
phase sexual liaisons with low-voice-pitch males because such behavior acquired
favorable genes for the offspring of ancestral females »468. Or, il est intéressant de
préciser que les recherches de Leigh W. Simmons, Marianne Peters et Gillian
Rhodes 469 révèlent que les hommes ayant une voix grave et jugée masculine,
considérée comme attractive, ont une concentration de sperme inférieure à celle des
autres hommes. Leur semence n’est donc pas de meilleure qualité. Bien qu’ils
possèdent moins de sperme, cela reste sans conséquence sur leur capacité à
concevoir. L’hypothèse des auteurs pour de futures recherche est que le haut niveau
de testostérone et la domination auraient un effet négatif sur la production de sperme.
Le concept de domination en lien avec la voix a été l’objet de l’article « Men's voices
as dominance signals: vocal fundamental and formant frequencies influence
dominance attributions among men », rédigé par d’autres chercheurs dont David

466 Ibidem, p. 64.


467 VUKOVIC Jovana, JONES Benedict C., DEBRUINE Lisa, FEINBERG David R., SMITH Finlay G.,
LITTLE Anthony C., WELLING Lisa L. M., MAIN Julie, « Women’s own voice pitch predicts their
preferences for masculinity in men’s voices », Behavioral Ecology, Vol. 21 (4), 2010, p. 767 à 772.
468 PUTS David Andrew, « Mating context and menstrual phase affect women’s preferences for male

voice pitch », Evolution and Human Behavior, Vol. 26, 2005, p. 394.
469 SIMMONS Leigh W., PETERS Marianne, RHODES Gilian, « Low Pitched Voices Are Perceived as

Masculine and Attractive but Do They Predict Semen Quality in Men? », PLoS ONE, Vol. 6(12), 2011.
358
Andrew Puts. Selon eux, la voix grave masculine est un signal de domination dans un
contexte de compétition, « men's voices may have evolved as dominance signals, and
women secondarily evolved preferences for aspects of men's voices that conveyed
information about mate quality »470.

Toute cette parenthèse sur les voix est fondamentale pour notre sujet. Des
joueurs peuvent chercher à se séduire tout en jouant et en utilisant le vocal, et ce
phénomène, cette évolution possible de leur relation s’entend. La joueuse aura une
voix plus aiguë et le joueur une voix plus grave lorsqu’ils échangent entre eux. Ainsi,
le son même de leur voix lorsqu’ils s’adressent l’un à l’autre sera un indicateur pour
les autres personnes présentes de ce qu’il se passe entre eux. Sally D. Farley, Susan
M. Hughes et Jack N. LaFayette ont écrit un article très instructif, « People Will Know
We Are in Love: Evidence of Differences Between Vocal Samples Directed Toward
Lovers and Friends », dans lequel ils démontrent que le son de la voix indique le type
de relation que l’on entretient avec autrui, « individuals have differing vocal profiles
when speaking with friends and romantic partners, and that others are able to discern
these differences, in large part by attending to vocal cues of pitch and romantic
interest »471. Par exemple, lorsqu’un individu s’adresse à son ou à sa partenaire, sa
voix est perçue par les autres comme étant plus sexy et plus agréable. Néanmoins, il
importe de préciser qu’en ce qui concerne les couples qui sont ensemble depuis un
certain temps, c’est le phénomène de mimétisme qui prend le dessus lors des
échanges avec son ou sa partenaire, « women in our study used a deeper-pitched
voice when speaking to their romantic partners than to their friends, whereas men used
a higher-pitched voice when speaking to their romantic partners than to their friends.
This evidence of vocal convergence is parallel to behavioral mimicry research showing
that we have a tendency to mirror the postures and nonverbal behaviors of our
interaction partners »472. Les femmes prennent une voix plus grave et les hommes une

470 PUTS David Andrew, HODGES Carolyn R., CARDENAS Rodrigo A., GAULIN Steven J.C., « Men's
voices as dominance signals: vocal fundamental and formant frequencies influence dominance
attributions among men », Evolution and Human Behavior, Vol. 28, 2007, p. 344.
471 FARLEY Sally D., HUGHES Susan M., LAFAYETTE Jack N., « People Will Know We Are in Love:

Evidence of Differences Between Vocal Samples Directed Toward Lovers and Friends », Journal of
Nonverbal Behavior, Vol. 37, 2013, p. 134.
472 Ibidem, p. 135.

359
voix plus aiguë, ce qui est aussi perçu par les autres. Ces diverses recherches mettent
en lumière l’importance même de la voix dans les échanges entre les individus. Dans
le contexte des jeux en ligne massivement multi-joueurs et des rapprochements
sentimentaux qui peuvent survenir, la plupart des échanges entre les protagonistes
passant par l’oral, comprendre leurs significations est d’autant plus importante. Nous
pouvons aussi nous demander si l’absence d’interactions physiques ne tend pas à
accroître ce phénomène dans le but de compenser l’absence notable de signaux
corporels. Quoiqu’il en soit, le changement d’attitude et de voix par des joueurs et
joueuses a souvent été observé.

Envisager les personnages-le joueur-la personne sociale comme un ensemble


formant un tout cependant bien distinct peut s’avérer difficile. La notion de triptyque
identitaire répond au besoin de définir ce particularisme du jeu vidéo en mettant en
lumière les trois facettes qui le composent. De façon très synthétique, le personnage
joué est l’être de pixels incarné par le joueur au sein du jeu vidéo. C’est à travers lui,
que le joueur peut évoluer dans l’environnement. Dans Swtor, il est créé et
personnalisé par le joueur et constitue la première image, dans le jeu, qu’ont les autres
de lui. L’apparence comme le nom du personnage sont donc fondamentales, les titres
ou le nom de la guilde jouent bien entendu aussi un rôle. Le joueur est l’individu qui
s’adonne à cette activité ludique tant qu’il est dans le monde numérique, avec ses
spécificités, dont l’anonymat, qui lui permettent d’agir différemment qu’au quotidien,
en dehors du monde virtuel, en tant que personne sociale.
Plusieurs autres notions ont été abordées notamment l’avatar. L’avatar est une
représentation imagée du joueur, il peut s’agir d’un personnage ou d’une illustration,
d’une photographie… L’utilisation d’avatar ne se limite pas aux jeux vidéo mais s’étend
à tout l’univers numérique -aux forums, aux tchats, etc.-. Les clones quant à eux sont
des personnages qui ressemblent à l’identique à un autre personnage. Ils se
différencient des Doppelgangers qui sont des clones, non pas d’un personnage, mais
d’un joueur.
Le jeu de rôle, qui donne vie au personnage en tant que personne sociale à part
entière, est une activité qui regroupe une communauté active dans Swtor. Bien que

360
différente du jeu de rôle papier, on retrouve de nombreux points communs. Le jeu de
rôle permet d’une part au personnage de fréquenter d’autres personnages, mais
d’autre part, il offre aussi l’occasion aux joueurs d’échanger. La sociabilité est ainsi au
cœur de cette activité.
Cette situation se complexifie avec l’usage de masques. Ces masques
immatériels, dissimulant l’identité du joueur pour des raisons variées, procurent un
sentiment de liberté et d’impunité, donnant parfois naissance à des comportements
perçus par les autres comme « mauvais », voire même déviants. Du masque
protecteur au masque cathartique, les usages du masque sont variés. L’anonymat
confère donc la possibilité de porter un masque, ce qui n’est pas sans conséquences
sur les interactions que les joueurs peuvent avoir entre eux, avec par exemple les cas
de domination.
Dans les jeux en ligne massivement multijoueur, les autres joueurs sont donc
toujours présents. Le jeu est aussi un moyen de rencontrer d’autres personnes, avec
lesquelles des liens vont éventuellement se tisser et les relations s’approfondir. Les
MMO constituent un espace privilégié d’interactions sociales, qu’elles soient positives
ou non, du point de vue des joueurs.
Ces échanges se déroulent dans le cadre rassurant qu’est celui du jeu, où
l’individu est en sécurité derrière son écran, et familier, les structures narratives des
scénarios par exemple sont déjà connues des joueurs. Paradoxalement, le jeu
propose aussi un dépaysement et des sensations fortes. Les émotions ressenties,
l’adrénaline ou l’excitation sont bien réelles. C’est dans ce contexte sécurisant et riche
en émotions que les joueurs peuvent agir et interagir, avec le jeu lui-même, ainsi
qu’entre eux. Ce partage d’expériences fortes tend même à renforcer les liens unissant
les joueurs entre eux.
Lorsque les joueurs développent de véritables affinités, ils finissent souvent par
se rencontrer en chair et en os. Toutefois, ces rencontres sont généralement
l’aboutissement d’un processus, plus ou moins long. L’attachement entre les joueurs
est susceptible de prendre plusieurs formes, allant de l’amitié à l’amour.

361
362
III. Les relations entre les sexes : ce
que le jeu révèle

363
364
Suite à son étude d'un jeu en ligne massivement multijoueur, C. Voisenat
évoque l'importance qu'ont les échanges dans cet univers. Elle écrit : « les joueurs, de
leur côté, ont tendance à affirmer qu'ils sont accros non pas au jeu mais à la
communauté des joueurs dans laquelle ils évoluent. Selon eux, les relations qu'ils y
nouent sont bien plus importantes que les personnages qu'ils ont créés » 473 . Les
interactions entre les joueurs sont au centre de ce type de jeu et y occupent une place
essentielle. L'identité sexuée va jouer un rôle dans les échanges. Les femmes sont
confrontées aux avantages et aux inconvénients de faire partie d'une minorité. Alors
qu'elles sont l'objet de stéréotypes et de comportements déplacés, les poussant à
développer des mécanismes de protection ; elles sont aussi davantage aidées de
diverses façons, d'où les impostures dans lesquelles des joueurs se font passer pour
des femmes. Ces joueuses sont convoitées, la séduction et le désir d'une relation,
éphémère ou pérenne, sont bien présents dans les échanges. Ces échanges vont au-
delà du jeu, des couples se forment et parfois se séparent. Cependant, d'autres types
de relations existent comme les rapports « fraternels », y compris entre hommes et
femmes, ou encore les échanges avec la « maman chef ». La « maman chef »
correspond à un statut particulier acquis par une joueuse qui entretient avec des
joueurs une relation qui se rapproche en bien des points de celle d’une mère avec ses
enfants, tout en occupant une position sociale et hiérarchique reconnue -dans le cadre
des structures qui existent dans le jeu comme les guildes, ou en lien direct avec celui-
ci-.

1) Les femmes, une minorité discriminée et désirée

La place des femmes dans les jeux vidéo est complexe. Présentes dans les
images véhiculées dans le contenu même du jeu, elles le sont aussi en tant que
joueuses. Au cours de la partie qui va suivre, nous nous intéresserons à ce qu'implique
être une joueuse. Victimes de stéréotypes et souffrant de discrimination, parfois même
de harcèlements, les joueuses doivent surmonter plusieurs obstacles et développent

473VOISENAT Claudie, « Comment peut-on être troll ? Le joueur et ses personnages dans l’univers de
World of Warcraft », Terrain, n° 52, 2009, p. 126 à 141.
https://journals.openedition.org/terrain/13619
365
parfois des systèmes de défense notamment en dissimulant leur identité afin de se
protéger. Les femmes sont l'objet de bien des attentions, en particulier de la part
d'hommes en recherche de relations, qu'elles soient stables ou éphémères. Le jeu
prend des airs de site de rencontre plus ou moins efficace. Néanmoins, les femmes
ne sont pas uniquement des victimes, et si leur appartenance sexuée engendre des
inconvénients, elle leur apporte aussi des avantages dont certaines joueuses abusent.
Proies ou chasseuses, victimes ou coupables, les joueuses sont tout aussi plurielles
que les joueurs.

a) Etre une joueuse

a.1. Discrimination et harcèlement

Précédemment, nous avons évoqué le harcèlement ainsi que d’autres types de


comportements négatifs et agressifs dans le monde virtuel. Dans cette partie
antérieure, il s’agissait de les aborder de façon générale. Nous allons maintenant nous
focaliser sur ces comportements dirigés spécifiquement à l’encontre des joueuses en
tant que personnes de sexe féminin et adeptes des jeux en ligne massivement
multijoueur.

Le contexte de « domination masculine » évoqué par Marlaine Cacouault-


Bitaud et Nicole Mosconi dans leur article « Filles et garçons : pour le meilleur et pour
le pire » 474 en ce qui concerne l’école et les lieux publics se retrouve dans le monde
virtuel. Les joueuses constituent une minorité aussi bien désirée que discriminée.
Cette discrimination est liée aux stéréotypes sexistes que nous aborderons dans la
partie suivante. Par ailleurs, le harcèlement est aussi un problème qu'elles sont
amenées à rencontrer dès qu'elles sont identifiées comme « femmes ». Les
remarques déplacées ou les avances répétées malgré les refus sont fréquentes. Les
cas de harcèlements sexuels, qui s’inscrivent dans la durée et qui ont un caractère
beaucoup plus violent sont heureusement beaucoup plus rares.

474CACOUAULT-BITAUD Marlaine, MOSCONI Nicole, « Filles et garçons : pour le meilleur et pour le


pire. », Travail, genre et sociétés, N° 9, 1/2003, p. 35 à 37.
366
La discrimination des joueuses ne concerne pas uniquement celles qui jouent
seules, puisque celles en couple la subissent aussi. L’exemple le plus récurrent et
auquel peu prêtent attention est : « c’est la copine de ». Les joueuses en couple, y
compris celles qui jouent régulièrement et qui ne sont pas moins bonnes que leur
compagnon, sont rattachées à celui-ci et présentées comme compagne avant d’être
considérées comme joueuses à part entière. Alors que pour le joueur on va
sommairement le décrire en premier, en ce qui concerne la joueuse, c’est à travers
son partenaire qu’elle est identifiée. On va donc observer pour un joueur des
descriptions de ce type : « Ah [nom du joueur] ! Oui je le connais, il fait partie de [nom
de la guilde], il fait souvent [nom d’une activité] avec [nom d’un ou plusieurs autres
joueurs ou guildes], tu as dû le croiser lors de [nom d’un évènement], il aime bien rester
à [nom d’un endroit] avec son [nom de la classe jouée et rôle] », mais pour une
joueuse, ça ressemble plutôt à ça « Ah [nom de la joueuse], c’est la copine de [nom
du joueur], elle joue [nom de la classe et rôle] je crois ». L’image ci-dessous est une
partie du tableau d’une guilde, regroupant tous les membres, leur niveau, classes et
une brève description dont voici un extrait :

Le « main » est le personnage principal et le « reroll » un personnage secondaire,


alors que pour le joueur on a les informations relatives à son rôle et à sa spécialité ou
« spé » qui indique qu’il dispose d’un personnage secondaire sorcier infligeant des
dégâts sur la durée, pour la joueuse la seule information disponible est avec qui elle
est en couple. On ignore tout de la fonction de son personnage ou de sa spécialité.
Deux cas de figure engendrent l’effet inverse : soit la joueuse est une joueuse de haut
niveau connue -quelle que soit l’activité pratiquée-, soit c’est une « maman-chef »,
statut que nous aborderons dans une partie ultérieure. Cette façon de présenter les
joueurs n’est pas systématique, et généralement inconsciente, mais elle est tout de
même fréquente et discrimine les joueuses.

367
Plusieurs témoignages de joueuses victimes de harcèlements sont disponibles
sur Internet. Un joueur est intervenu sur un forum pour sensibiliser les membres de la
communauté à respecter les joueuses après qu’une de ces amies ait cessé de jouer à
Star Wars The Old Republic en raison des multiples harcèlements qu’elle subissait. Il
écrit : « My friend just told me she is quitting SWOTOR because of the abuse she's
suffering during the game. She's been playing a Republic healer-class, so she spent a
lot of time teamed up with other players. She was playing a female twi'lek, wearing one
of those tops that basically looks like a black trench coat with a red bra, and for some
reason an awful lot of people took that as reason to proposition her with sexually
explicit messages that turned verbally abusive and even violent when she turned them
down, especially if they found out about her sexuality »475.

Les réponses sont assez intéressantes à analyser. Une partie des joueurs se
base sur sa propre expérience du jeu et ne comprend pas un tel phénomène, car eux
n’en ont jamais été victimes y compris lorsqu’ils incarnent des personnages féminins.
Ils se montrent donc surpris et considèrent qu’il s’agit d’un phénomène très rare. Tout
comme les joueurs qui estiment qu’il est absurde d’harceler un autre joueur de la sorte
car il est fort probable que le joueur soit un homme étant donné le peu de joueuses
présentes en jeu. D’autres regrettent ces attitudes et invitent à les signaler afin de
sanctionner ce type de comportement. Cette fonction disponible en jeu est d’ailleurs
évoquée par des joueurs qui ne voient pas l’intérêt d’aborder un tel sujet puisqu’il suffit
à la joueuse de simplement ignorer le personnage en question, comme nous pouvons
le voir avec cet exemple « I do not understand why people would proposition a person
in SWTOR online. But seriously, this is such a lame post. All she has to do is /ignore
the idiots that do such things and keep playing. Don't bitch about it online ». Certains
joueurs ont estimé que les joueuses subissant ce type de comportement devraient
apprendre à s’y faire: « if your friend is an adult, she will learn to deal with it »476. Enfin
d’autres joueurs sont intervenus pour évoquer le fait qu’il s’agissait simplement de faire
un peu d’humour, et dans un autre registre, que la joueuse avait une part de
responsabilité étant donné la tenue portée par son personnage... Pour terminer, des

475 https://old.reddit.com/r/swtor/comments/27lsud/sexism_in_our_community/
476 Ibidem.
368
joueuses ont partagé leur expérience sur ce forum, affirmant qu’elles aussi avaient été
victimes de harcèlement sexuel sur Swtor.

Une joueuse francophone victime de harcèlement a fait part de son problème


sur un autre site, elle y écrit « Bonjour voilà depuis plusieurs mois on me harcèle parce
que je suis une fille » 477 et demande conseil. On l’invite à ignorer le personnage, ce à
quoi elle répond « Merci mais déjà fait le souci il reroll sans arret pour me mp :/ ». Le
joueur créé donc un nouveau personnage afin de la contacter dès qu’elle le signale et
qu’il n’est plus en mesure de communiquer avec elle avec le personnage bloqué. Des
joueurs l’interrogent afin de savoir comment l’harceleur a su qu’elle était une fille ; elle
explique qu’elle utilise avec des joueurs des vocaux et donc elle ne peut pas cacher
quel est son sexe. Le fait de dissimuler qu’on soit une femme quand on joue est ainsi
considéré comme une précaution que doivent prendre les joueuses. Certes, toutes les
joueuses ne sont pas victimes de harcèlement, et les développeurs œuvrent pour
sanctionner les responsables lorsque les motifs de plainte sont avérés. Néanmoins le
harcèlement sexuel des joueuses existe bien. Les réponses des joueurs sont
finalement assez variées, l’étonnement est l’émotion la plus présente, et si certains se
montrent affligés, d’autres y sont indifférents ou blâment la joueuse.

Le harcèlement prend plusieurs formes et l’harceleur peut employer diverses


méthodes. La joueuse est susceptible de le subir à l’écrit mais aussi à l’oral si elle
utilise des vocaux, ou même visuellement en jeu à cause des emotes. Pour rappel,
l’emote est une animation graphique effectuée par le personnage et sans autre effet.
Certaines emotes peuvent être détournées, comme nous l’avons vu dans la partie
relative à la pornographie, et être utilisées pour harceler. Concernant les
détournements à caractère sexuel, cela survient principalement lorsque le personnage
est statique, ce qui contraint la joueuse à déplacer son personnage, voire à regagner
un espace privé où elle ne pourra pas être ennuyée.

Le harcèlement n’est pas toujours le fait de joueurs inconnus ou méconnus, il


s’agit parfois de fréquentations, anciennes ou non, de membres d’une guilde

477 http://www.jeuxvideo.com/forums/42-18172-40866222-1-0-1-0-harcelement.htm
369
commune… Le risque de harcèlement est une réalité telle qu’une guilde, ayant essayé
de me recruter, a avancé pour me convaincre qu’au sein de leur guilde, je ne risquais
pas d’être harcelée en raison de mon sexe. Evidemment, je n’ai jamais été témoin de
la situation inverse, les recruteurs n’utilisent pas ce type d’argument avec les joueurs
qui, eux, ne sont pas confrontés à ce problème.

a.2. Le féminin et ses stéréotypes

La notion de « care » a été étudiée dans le cadre des études relatives aux
questions de genre et il a été mis en évidence que « prendre soin » est une tâche qui
incombe bien souvent aux femmes. De la mère à l'infirmière, qu'il s'agisse de s'occuper
des enfants, d'aider les malades, ou les personnes âgées, traditionnellement ce rôle
est associé aux femmes. L. Bereni, S. Chauvin, A. Jaunait et A. Revillard écrivent à ce
sujet que « femmes et hommes continuent d’exercer tendanciellement des métiers
distincts, les femmes étant concentrées dans un nombre restreint de secteurs d’activité
ayant notamment trait au care »478. Or cette séparation des activités selon le sexe de
l'individu est aussi présente en jeu. Nick Yee, Nicolas Ducheneaut, Mike Yao et Lee
Nelson ont découvert lors de leurs recherches que les rôles des personnages étaient
sexués. Alors que protéger et infliger des dégâts sont considérés comme des activités
masculines, soigner est perçu comme une activité féminine. Cependant, ils se sont en
outre rendu compte que le sexe du personnage avait un effet sur le comportement et
sur les performances. Leurs recherches menées sur le jeu World Of Warcraft ont
révélé que les soigneurs féminins étaient meilleurs que ceux du sexe opposé, et
ce, quel que soit le sexe du joueur. Par ailleurs, proportionnellement, les joueurs qui
choisissent d'incarner un soigneur sont aussi bien des hommes que des femmes. Le
mode « Joueur contre Joueur » est un domaine masculin où non seulement il y a peu
de joueuses, mais selon leurs résultats, il y aurait aussi moins de personnages
féminins. Certes, il n'est pas possible d'extrapoler ces résultats à tous les autres jeux
mais ils n'en demeurent pas moins intéressants. Les stéréotypes présents dans l'esprit
des joueurs prennent vie dans le monde virtuel. Les auteurs de « Do Men Heal More

478BERENI Laure, CHAUVIN Sébastien, JAUNAIT Alexandre, REVILLARD Anne, Introduction aux
études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, coll. Ouvertures politiques, 2012, p. 210.
370
When in Drag? Conflicting Identity Cues Between User and Avatar » écrivent à ce
sujet : « While WoW players share a strong stereotype of women preferring to heal,
our findings show that this stereotype isn’t true. We did not find a significant difference
in terms of player gender. What we did find was that players enact this stereotype
when gender-bending. Thus, the stereotype becomes true in the VW [virtual world] -
female characters heal more than male characters. These findings illustrate how
gender differences can be socially constructed, and how gender is being produced in
VWs »479.

Dans Star Wars The Old Republic, mes observations ne correspondent pas
complètement aux résultats mis en avant par ces auteurs. Au fil des années, j'ai pu
rencontrer des joueuses incarnant des personnages aux rôles variés, dont ceux de
protéger ou d'infliger des dégâts. Cependant, une majorité des joueuses privilégient le
soin. Ce phénomène est accentué en mode « Joueurs contre Joueurs », et en
particulier en classé. Plus le niveau est élevé et l'activité considérée comme
masculine, moins les joueuses sont présentes et lorsqu'elles le sont, hormis quelques
exceptions, elles incarnent un personnage soigneur. Contrairement aux résultats
obtenus par Nick Yee, Nicolas Ducheneaut, Mike Yao et Lee Nelson, dans Swtor, en
« Joueurs contre Joueurs », les personnages sont aussi bien féminins que masculins,
y compris les soigneurs. En ce qui concerne la performance, les joueurs à la tête du
classement sont des hommes qui jouent le plus souvent un personnage du même
sexe. Il est plus difficile d'estimer la proportion des joueuses adeptes du classé en
solo que celles qui y participent au sein d'un groupe, cependant nous avons des
données pour les deux cas de figure. Grâce aux classements disponibles sur le site
officiel, nous savons quels personnages sont les premiers sur chaque serveur ; en
échangeant avec le joueur qui l'incarne, on découvre s'il s'agit d'un joueur ou d'une
joueuse. Lors de la saison de classé à laquelle j'ai participé avec un groupe, parmi les

479YEE Nick, DUCHENEAUT Nicolas, YAO Mike Z., NELSON Les, « Do men heal more when in drag?
Conflicting identity cues between user and avatar », Proceedings of the SIGCHI Conference on Human
Factors in Computer Systems, 2011, p. 773 à 776.
Citation disponible à la page 4 du document en ligne :
http://nickyee.com/pubs/Yee%20(CHI%202011)%20-%20Conflicting%20Cues.pdf
371
sept premiers joueurs du serveur480, il s'est avéré que j'étais la seule à être... une
joueuse. A la fin de la saison où j'ai décidé de participer en mode solo, parmi les dix
premiers joueurs du serveur, un joueur est demeuré inconnu, ayant très peu participé,
et au sexe indéterminé. Tous les autres, à part moi, étaient des joueurs et non des
joueuses. Par ailleurs, j’ai utilisé un personnage différent pour chacune de ces saisons
mais dans les deux cas, ma fonction était identique : soigner.

Cette association entre le rôle de soigneur et les joueuses est corrélée à une
vision sexuée des tâches, et sexistes quant aux capacités des joueuses. En effet, sur
les forums, j’ai pu lire des propos de joueurs affirmant que les joueuses ne pouvaient
être bonnes que pour soigner, et prétendant qu’il n’existait pas de joueuse douée dans
d’autres rôles : « les femmes à part jouer érudit heal et piquer dans la banque de
guilde », remarque qui laisse par ailleurs entendre que les femmes sont aussi
dépensières, voire des voleuses. Lorsque des personnes sont intervenues pour
contester ces propos en insistant sur le fait qu’il existait aussi des femmes qui avaient
des personnages destinés à faire des dégâts et qui les jouaient très bien, l’individu a
ajouté « j’avais pas pris en compte les camionneuses », remettant ainsi en cause leur
féminité. Ces messages ont été supprimés par les modérateurs en raison de leur
caractère sexiste et ne sont donc plus accessibles. Les joueuses ne choisissent pas
toutes un rôle de soin mais il s’avère que c’est le cas pour une majorité d’entre elles,
ce qui est observé par les joueurs. On peut lire sur les forums « enfin les filles
majoritairement sont cantonnés à des rôles de soutien ou de classes dps à distance,
c'est rare de voir des nana lead ou tank par exemple » selon Comaeus. Une autre
personne, liselnoene, au sujet d’une guilde de filles écrit « C'est pas viable il n'y aura
que des heals. :D », avant d’ajouter « Non non je plaisante bien sur.:) » 481 . Par
conséquent, d’une part, socialement, prendre soin des autres est souvent dévolu aux
femmes. D’autre part, la vision d’une partie de la communauté des joueurs est baignée

480 Les résultats étaient disponibles en ligne sur le site officiel avant la fusion des serveurs à l’adresse
suivante :
http://www.swtor.com/fr/leaderboards/class/undefined/battle-meditation
Les captures d’écran prises à l’époque ont été utilisées, malheureusement, celle qui comprend les
informations relatives à la saison de classé « Joueurs contre Joueurs » à laquelle j’ai participé en groupe
se limite aux sept, et non dix, premiers joueurs du serveur.
481 Messages laissés sur le forum officiel du jeu :

http://www.swtor.com/community/archive/index.php/t-360108.html (consulté le 20/04/2019)


372
de stéréotypes, dans un univers qui ne s’ouvre que depuis peu au public féminin. Ainsi,
les joueuses seraient poussées à reproduire dans le monde virtuel les attentes
sociales quotidiennes sans en être pour autant conscientes.

Un autre aspect peut expliquer pourquoi les femmes choisissent ce type de


rôle : elles l’apprécient. Il est fréquent d’avoir plusieurs personnages, avec des rôles
différents, ne serait-ce que pour découvrir lequel le joueur préfère ou les histoires
scénarisées qui sont propres à chaque classe comme nous l’avons déjà spécifié.
Lorsqu’il est question de jouer avec d’autres personnes, que chacun crée ou choisit
un personnage pour jouer ensemble, il est nécessaire de se répartir les rôles pour
faciliter le bon déroulement de l’activité commune. Les goûts individuels s’expriment
et se révèlent sexués, comme les comportements. Les joueurs privilégient les classes
qui ont pour but d’éliminer leurs adversaires ; ils ont tendance en mode « Joueur contre
Joueur » à comparer leurs résultats et à rivaliser pour être premier en dégâts, à se
vanter de leurs scores de dégâts, parfois au détriment du reste, ce qui est moins
fréquent avec les joueuses, et avec les soigneurs.

Les joueurs qui choisissent de jouer des classes de soin subissent parfois les
moqueries de la part des autres. J’ai par exemple pu entendre des joueurs critiquer un
soigneur de leur guilde qui ne voulait pas jouer d’autre rôle que celui-ci, en lui disant
qu’il choisissait une « classe de tapette ». Ils ont continué de se moquer en prenant
une voix féminine ridicule pour ajouter « oh non ! Je ne veux pas taper ! ». Le joueur
s’est défendu en soulignant que ceux qui faisaient des dégâts étaient bien contents
d’avoir des soigneurs présents à leurs côtés lorsqu’ils n’avaient presque plus de vie
en combat. Le choix des moqueries, destiné à remettre en question sa virilité et
éventuellement son orientation sexuelle, n’est pas anodin. Il met en évidence
l’association dans les esprits de la fonction de soin aux femmes.

Il me semble nécessaire de faire une parenthèse relative à ma propre


expérience et à mon choix d’incarner un personnage soigneur. Dans le cadre de ce
travail j’ai expérimenté toutes les classes et tous les rôles. Lorsque j’ai débuté, mon
premier choix a été celui d’une classe destinée à faire des dégâts. C’est avec des

373
personnages de ce type que j’ai découvert et évolué dans cet univers. J’ai ensuite
incarné un personnage soigneur qui est devenu mon personnage principal pour deux
raisons. Tout d’abord, il me plaisait particulièrement et ensuite, il me convenait mieux
dans le sens où j’étais meilleure avec lui dans ce rôle que dans les autres, ce qui
facilitait d’ailleurs mon travail. Je n’ai pas été initialement incitée d’une façon ou d’une
autre à jouer un soigneur, je n’ai pas été l’objet de dénigrement lorsque j’incarnais un
personnage infligeant des dégâts qui m’aurait poussé à me reconvertir. En revanche,
il est vrai que j’ai régulièrement été sollicitée pour jouer en tant que soigneur, mais les
motifs avancés n’étaient pas en lien avec mon sexe, ils reposaient sur mes
compétences. J’ai décidé de mener une expérience sociale afin d’étudier les
comportements des autres joueurs. Cette expérience consistait à observer les
attitudes de joueurs qui me connaissaient et d’inconnus ignorant mon identité de
joueuse lorsque j’incarnais un personnage que je maîtrisais, soit féminin et attirant,
soit de sexe masculin et ne correspondant pas aux critères de beauté de notre société.
Voici les personnages utilisés :

Le personnage masculin a suscité de vives réactions. Il a été spontanément qualifié


par les joueurs de « dégueulasse », « immonde » et décrit comme « un catcheur sumo

374
avec une tête de Télétubbies ». Lorsque je l’ai utilisé, j’ai constaté que les joueurs
maintenaient leur personnage à distance, ce qu’ils ne faisaient pas avec le personnage
féminin. De même ils n’utilisaient pas d’emote d’interaction comme la danse. Le
personnage masculin a été rejeté, les seuls commentaires que l’on peut considérer
comme positifs ont été que certains le trouvaient « rigolo ». Un phénomène inattendu
est survenu : plusieurs joueurs qui savaient que j’étais une femme m’ont demandé de
cesser de le jouer et de prendre mon personnage soigneur féminin. Or, d’autres
joueurs choisissent d’incarner des personnages atypiques, voire volontairement d’un
goût douteux sans qu’une telle demande ne leur soit jamais faite de la part de leur
entourage en jeu. Pour poursuivre l’expérience, j’ai décidé de jouer un autre
personnage cette fois de sexe féminin, séduisant et dans un rôle destiné à infliger des
dégâts, que je ne maîtrisais absolument pas et avec lequel j’étais particulièrement
mauvaise. Néanmoins, à aucun moment il ne m’a été demandé de changer de
personnage. Par conséquent, le fait que je choisisse d’incarner un personnage
masculin considéré comme laid pose problème à certains joueurs, qui n’ont non
seulement pas hésité à exprimer leur mécontentement relatif au choix de mon
personnage, mais ont en plus demandé à ce que je cesse de le jouer. Ils préfèrent
même que j’incarne un personnage inutile mais joli parce que je suis une femme.

Dans la continuité de cette expérimentation, j’ai choisi de jouer un personnage


féminin ayant un physique plutôt original : une jolie jeune femme aux cheveux bleus et
avec une cicatrice lui barrant le visage en diagonale. Quand j’ai annoncé aux joueurs
avec qui je passais du temps que j’avais créé un nouveau personnage, d’une classe
différente, c’est immédiatement son apparence qui a suscité la curiosité et on m’a
répondu « j’espère que tu lui as fait une bonne tête ». Lorsqu’ils l’ont vu, leur réaction
a été très intéressante : « c’est quoi ça ? C’est quoi cette balafre ? Faut que tu enlèves
cette cicatrice ». Bien que mon personnage soit un soldat, ce qui rend pertinent la
présence d’une cicatrice, son côté inesthétique a posé problème à certains autres
joueurs. Lorsque des joueurs décident d’incarner des personnages à l’apparence
particulière qui ne correspondent pas du tout aux critères de beauté de notre société,
ça ne semble pas gêner les autres joueurs, en revanche, il est attendu que les
joueuses aient des personnages féminins beaux.

375
L’exemple du soin n’est qu’un stéréotype parmi d’autres. En vérité, il est même
secondaire, allant bien après, « les joueuses savent bien décorer la maison », ou
« elles ont toujours bon goût pour les tenues ». Les stéréotypes présents dans le jeu
sont au bien souvent les mêmes que ceux qui existent hors du monde virtuel. L'article
« Women and games: technologies of the gendered self » écrit par Pam Royse, Joon
Lee, Baasanjav Undrahbuyan, Mark Hopson et Mia Consalvo482 aborde le sujet des
stéréotypes relatifs aux joueuses. Les auteurs soulignent que la part des joueuses
présentes au sein de la communauté ne cesse d'augmenter, toutefois elles restent
bien moins nombreuses que les hommes et consacrent moins de temps à cette activité
de loisir. Il est important de signaler qu'elles ont le sentiment d'avoir, en raison des
tâches domestiques notamment, moins de temps à accorder aux jeux vidéo que les
hommes. Pour reprendre François de Singly, « l’assignation au travail domestique des
femmes est toujours d’actualité »483. L’Insee, dans son étude « Emploi du temps »
confirme le phénomène 484 . Si l’on additionne le temps de travail professionnel au
temps de travail domestique, les femmes travaillent toujours plus que les hommes. En
métropole cela représente vingt minutes quotidiennement, et elles passent environ une
heure et demie de plus à s’occuper des tâches domestiques. Si l’on pensait que le
temps de Blanche-Neige était révolu, je rappelle que Raiponce, même si elle est plus
active, se bat soit avec une poêle, soit avec ses cheveux... Pour en revenir à l'article
« Women and games: technologies of the gendered self », les auteurs expliquent que
les femmes ne partagent pas les mêmes goûts et se focalisent sur d'autres types de
jeux que les joueurs. Les « FPS », de l’anglais first-person shooter, c'est-à-dire les jeux
de tir à la première personne attirent très peu de joueuses contrairement aux jeux de
simulation de vie. Les auteurs insistent sur le fait qu'il existe une multitude d'attitudes
et de comportements de ces joueuses, il n'y a pas uniquement une différence entre
les hommes et les femmes. Les joueuses ont divers styles de jeux, centres d'intérêt,
fréquences de jeu...

482 ROYSE Pam, LEE Joon, UNDRAHBUYAN Baasanjav, HOPSON Mark, CONSALVO Mia, « Women
and games: Technologies of the gendered self », New Media & Society, N°9, 2007, p. 555 à 576.
483 SINGLY François de, L’injustice ménagère, Paris, Hachette Littératures, 2008, p. 36.
484 Étude « Emploi du temps » de l’Insee pour les années 2009-2010.

376
Pam Royse, Joon Lee, Baasanjav Undrahbuyan, Mark Hopson et Mia Consalvo
ont découvert que les joueuses récurrentes avaient tendance à assumer le fait d'être
une femme et de jouer aux jeux vidéo, ce qui était plus difficile mais en cours
d'appropriation pour les joueuses modérées, et par contre globalement rejeté par les
non-joueuses. Selon eux, les joueuses régulières apprécient aussi les combats, qui
leur permettent d'exprimer leur agressivité et de faire abstraction des normes genrées.
L'hypersexualisation omniprésente est en quelque sorte admise et ne nuit pas
forcément au plaisir de ces joueuses qui voient dans le personnage féminin une femme
forte et sexy qui le revendique, « one might say that they just want to look sexy while
they're 'kicking butt' » 485 . Nous pouvons penser au personnage de Lara Croft par
exemple. Ces joueuses ont le goût du défi et de la compétition, revendiquent leur
émancipation, et peuvent avoir une démarche féministe. Inversement, le phénomène
d'hypersexualisation et ses effets tendent à inquiéter les joueuses qui y passent moins
de temps mais aussi les non-joueuses. Dans les jeux en ligne massivement
multijoueur, la personnalisation du personnage souvent disponible permet au joueur
ou à la joueuse de choisir l'apparence de son personnage et éventuellement de défier
les normes culturelles genrées. Les joueuses modérées apprécient les jeux vidéo mais
le perçoivent comme un espace masculin, et préfèrent davantage affronter
l'environnement que les autres. Les motivations des joueuses sont tout aussi variées
que leur profil, certaines jouent pour se distraire, d'autres pour surmonter les épreuves
de la vie quotidienne ou penser à autre chose. D'après les auteurs, les non-joueuses
se montrent très critiques vis-à-vis des joueuses qu'elles pensent être moins
féminines, et qui pour elles, perdent leur temps dans une activité asociale et addictive.
Le temps est souvent évoqué comme motif de refus des jeux vidéo ; les non-joueuses
estiment en effet qu'il est préférable qu'elles le consacrent à des activités prioritaires
telles que prendre soin de leur famille, ou être en compagnie de leurs proches. Ces
non-joueuses revendiquent les compétences sociales qu'elles estiment posséder et
qu'elles jugent incompatibles avec les jeux vidéo. En conclusion, cet article met en
évidence le fait que les joueuses subissent des stéréotypes pas uniquement en jeu
mais aussi hors du jeu, y compris de la part d'autres femmes.

ROYSE Pam, LEE Joon, UNDRAHBUYAN Baasanjav, HOPSON Mark, CONSALVO Mia, « Women
485

and games: Technologies of the gendered self », New Media & Society, N°9, 2007, p. 565.
377
Une parenthèse s'impose sur le personnage de Lara Croft que nous avons
évoqué. Ce personnage provient à l'origine du jeu vidéo d'aventure Tomb Raider sorti
en 1996. Suite à son immense succès, d'autres jeux ont été développés, mais aussi
des films, une multitude de produits dérivés... Lara Croft est le premier personnage
féminin fort et compétent qui apparaît dans les jeux vidéo. Aujourd’hui encore elle se
distingue de la plupart des autres personnages du même sexe qui y sont présents.
Jereon Jansz et Raynel G. Martis dans leur article « The Lara Phenomenon: Powerful
Female Characters in Video Games » 486 soulignent l'importance du « phénomène
Lara Croft » dans un univers où les personnages sont le plus souvent des hommes
blancs qui évoluent dans un environnement violent. Dans ce loisir où le joueur est actif
et où le contenu du jeu, grâce l'immersion et à l'identification au personnage, peut
l'influencer, il importe de prendre en compte ces éléments. Les auteurs évoquent
plusieurs recherches de leurs confrères sur l'hypersexualisation des personnages
féminins, et le fait qu'elles soient dominées par des personnages du sexe opposé...
Leur propre étude menée sur une douzaine de jeux populaires va dans le même sens
puisqu'ils obtiennent environ 60% de personnages masculins et 70% de personnages
blancs. Bien que les personnages masculins demeurent plus nombreux, on observe
une hausse significative du pourcentage de personnages féminins si on compare ces
résultats à ceux avancés par Provenzo, qui avait travaillé sur les affiches des jeux
vidéo une quinzaine d'années plus tôt, et obtenait 92% de personnages masculins
contre 8% de personnages féminins représentés. Les apparences des personnages
sont toujours stéréotypées et genrées, avec des hommes musclés et des femmes
séduisantes. Jereon Jansz et Raynel G. Martis écrivent à ce sujet « Men are still
represented as hypermuscular characters and women as hypersexualized characters.
In other words, quite a few women became leaders in the games, but they continue to
be presented in a sexualized way. As a result, these powerful women are depicted as
sex objects as much as their powerless predecessors were »487. Si les femmes sont
davantage présentes, l'hypersexualisation ne diminue pas, et parfois même
s'accentue, on peut citer comme exemple l'évolution de l'apparence de Yuna,

486 JANSZ Jeroen, MARTIN Raynel G., « The Lara Phenomenon: Powerful Female Characters in Video
Games », Sex Roles, Volume 56, Issue 3-4, p. 141 à 148.
487 Ibidem, p.147.

378
personnage présent dans Final Fantasy X, sorti en 2001, puis dans le X-II, sorti en
2003, dont voici les images488 :

Lara Croft est un personnage féminin certes doué et efficace mais elle n'en demeure
pas moins « sexy » avec un petit débardeur et un mini-short, d'où le vif débat qu'elle
suscite : incarne-t-elle une héroïne du féminisme qui a contribué à faire une place aux
femmes -personnages et joueuses- dans les jeux vidéo ou n'est-elle qu'un objet sexuel
de plus ? Helen W. Kennedy a essayé de répondre à la question. Elle rappelle que
Lara Croft doit traverser des espaces dangereux, affronter des adversaires, qu'il s'agit
d'une femme d'action qui n'est ni une victime ni présente pour être la compagne d'un
autre personnage. D'un autre côté, Helen W. Kennedy la qualifie de « femme
fatale »489. Elle est pour le joueur un objet de désir qu'il observe en l'incarnant en jeu.
Le fait qu'elle n'ait pas de compagnon accentue le phénomène et laisse libre cours aux

488 Disponibles sur le site :


https://www.finalfantasyxhd.com/fr/
489 KENNEDY Helen W, « Lara Croft: Feminist Icon or Cyberbimbo? On the Limits of Textual Analysis

», Game Studies, Volume 2, issue 2, 2002, disponible en ligne :


http://www.gamestudies.org/0202/kennedy/#top (consulté le 05/01/2017)
379
fantasmes des joueurs. Au final, je pense qu'au fond Lara Craft est les deux. La
popularité de ce personnage a eu des conséquences dans le monde du jeu vidéo sur
la place des femmes. Cependant, selon le regard porté sur elle, elle peut à la fois
représenter une femme forte pour les uns et dans un même temps, être aussi perçue
comme un objet sexuel par les autres.

a.3. Les mécanismes de protection et de défense

Dans les parties précédentes nous avons traité des stéréotypes, discriminations
et harcèlements que pouvaient subir les joueuses. Nous avons mentionné la politique
du jeu qui interdit les propos sexistes, et toutes les formes de harcèlement, en
précisant que des sanctions étaient prises à l'encontre des joueurs lorsque c'était
possible. Cependant, même s’il existe des solutions pour mettre un terme à ces
comportements, de la création d'un nouveau personnage au bannissement du
coupable, les joueuses préfèrent prendre des précautions pour éviter d'avoir à vivre
ou revivre cette expérience. Une règle tacite, issue du bon sens ou de l'expérience,
existe : dissimuler son identité sexuée. L’application de cette décision, qui peut
sembler relativement simple puisqu'on est anonyme derrière un écran, demande en
réalité une certaine vigilance.

La communication écrite est pour les adeptes de l’orthographe potentiellement


traître. Accorder en genre systématiquement, lorsque l’on s’exprime en jeu, renseigne
le lecteur sur l'identité sexuée de la joueuse. De fait, celles qui veulent éviter d'être
repérées comme étant des femmes doivent faire attention à faire le contraire de ce
qu'on leur enseigne depuis l'enfance, ou à modifier toute leur phrase pour éviter d'avoir
à se retrouver dans une telle situation. Les "E" ne sont pas les seuls indices à l'écrit
qui permettent de distinguer les joueuses des joueurs. Le vocabulaire et la façon de
s'exprimer peuvent être extrêmement révélateurs : j'ai pu par exemple remarquer que
les joueuses utilisent beaucoup plus « coucou » pour saluer les autres alors que les
joueurs emploient souvent « yo », très peu usité par la gent féminine.

380
Les échanges sur un vocal laissent peu de doute en ce qui concerne le sexe de
l'individu. Certaines joueuses décident donc de jouer sans utiliser ces logiciels ou le
faire sans micro, ce qui leur permet de ne jamais avoir à parler tout en pouvant écouter.
Des excuses sont avancées pour justifier l'absence de micro -ne pas en posséder, ne
pas être en mesure de parler depuis l'endroit où la personne joue afin d’éviter de
réveiller des proches le soir par exemple...-. Certaines joueuses veillent à utiliser un
vocal avec un cercle restreint de joueurs en qui elles ont confiance et s’abstiennent de
parler en présence d'autres joueurs.

Le choix du personnage et de son apparence renseigne aussi, associés aux


autres informations évoquées précédemment, sur le sexe de celui ou celle qui
l'incarne. Les joueuses ont tendance à préférer les personnages du même sexe que
le leur, et choisissent en général leurs tenues avec soin. Ces tenues sont le plus
souvent assez séduisantes mais très rarement vulgaires. Les personnages masculins
ou hypersexualisés sont plutôt joués par des hommes. Rappelons que le rôle de
soigneur est tendanciellement plus apprécié par les femmes que les autres rôles. Les
joueuses conscientes de la situation prennent parfois des mesures pour dissimuler de
façon plus efficace leur identité, y compris dès la création du personnage lorsqu'elles
ont déjà joué à des jeux en ligne. J'ai notamment pu rencontrer une joueuse qui avait
décidé de volontairement jouer un personnage masculin au physique viril et ayant pour
fonction d'infliger des dégâts afin « d’être tranquille ».

Toutes ces techniques utilisées pour éviter de dévoiler être une femme
constituent en raison de leur existence une preuve des désagréments voire des
violences qu'elles subissent. Ces mesures plus ou moins contraignantes ne permettent
pas toujours de garder le secret de son identité sexuée, en particulier dès que certains
joueurs sont au courant. Les informations et les rumeurs sont véhiculées par les
joueurs lors de leurs échanges à l'écrit comme à l'oral.

En tant que joueuse, il me semble important d'évoquer brièvement ma propre


expérience qui pourrait servir afin d'illustrer cette partie. J'ai été témoin et même l'objet
de stéréotypes variés, que j'ai cités précédemment comme le fait que si mes

381
personnages étaient réussis ou ma maison bien décorée, c'était « normal » puisque je
suis une femme. Le bon goût vestimentaire ou le talent pour la décoration d'intérieur
ont souvent été énoncés comme des compétences féminines innées. La neurologue
Catherine Vidal a mis en évidence que « le sexe social se confond avec le sexe
biologique »490. Un mélange entre l’inné et l’acquis, le biologique et le culturel s’opère.
En l'associant naturellement à l'inné et à un sexe, le compliment initial pouvait s'avérer
parfois assez dévalorisant même s'il n'était pas formulé dans cette optique. Au fond,
bon nombre de ces stéréotypes ne sont pas spécifiques au monde virtuel, certains
propres à cet univers s'ajoutent simplement. Sans diffuser l'information relative à mon
sexe, je n'ai pas non plus œuvré pour la dissimuler le plus possible. L'utilisation de
vocal pour mes recherches aurait de toute façon rendu cela impossible. Par ailleurs,
personnellement, je préfère prendre des précautions mais je ne souhaite pas me
contraindre à appliquer des mesures drastiques pour cacher qui je suis. Les attitudes
vulgaires, déplacées, conflictuelles ou agressives de la part des autres joueurs m’ont
parfois mise mal à l’aise ou choquée. Si certaines tensions peuvent être désamorcées
par l’humour, ce n’est pas toujours le cas. En raison de mon niveau et de mes activités,
j'ai acquis une certaine notoriété. Cette notoriété 491 m'a aussi bien servie que
desservie. Elle a en quelque sorte eu l'effet d'un bouclier, me protégeant de la
discrimination que subissent certaines joueuses. Il est difficile de discriminer, ou
critiquer les performances d'une joueuse sous prétexte que c'est une femme lorsque
celle-ci est largement meilleure. Cependant, la notoriété a aussi eu des effets pervers
qui ont été particulièrement pénibles, notamment celui d'attirer l'attention et d'être
convoitée par des joueurs me désirant comme un trophée... Cette attention non
souhaitée a engendré des formes de harcèlement à plusieurs reprises au cours des
années passées à mener ce travail de recherche lorsque j'ai dû éconduire des joueurs
mécontents d'être rejetés, malgré mes efforts pour éviter de les blesser. J'ai donc pu
expérimenter contre mon gré les failles du système du jeu concernant la protection
contre le harcèlement puisque les joueurs ont eu recours aux vocaux pour diffuser des

490VIDAL Catherine, « Cerveau, sexe et idéologie », Diogène, n°208, 2004/4, p. 155.


491 Des joueurs que je ne connaissais pas m’ont abordé pour me complimenter, me féliciter, me
remercier pour les soins, et quand je leur ai demandé si je les avais déjà rencontrés, les réponses ont
été variées : « un bon joueur ça se remarque très vite », « j’ai beaucoup entendu parler de toi » ou
encore « je vais essayer de t’aider mais avec ce que t’envoies, je pense pas que tu aies besoin
d’aide »…
382
rumeurs diffamatoires, inventer et colporter des histoires mensongères, y compris à
caractère sexuel, afin de se venger en essayant de m'atteindre ou à défaut, de détruire
ma réputation. Les développeurs du jeu ne peuvent rien faire sans preuve et ce qui est
dit à l'oral n'apparaît pas en jeu, par conséquent, ils ne sont pas en mesure d'agir. Ce
type d'histoires peut prendre énormément d'ampleur et être très dur à vivre ; ces
rumeurs ne sont jamais complètement oubliées mais finissent en général, après un
certain temps, par disparaître des sujets de discussion entre joueurs et joueuses. Elles
réapparaissent parfois soudainement au bout de plusieurs semaines, mois ou années.

b) Un objet de désir

b.1. Convoiter ce qui est rare : derrière le personnage, la joueuse

A plusieurs reprises au cours de cette thèse nous avons abordé la question de


l’identité, du profil des joueurs et joueuses, ainsi que les proportions entre joueurs et
joueuses dans les MMORPG. Cependant, nous n’avons pas de chiffre officiel pour
Swtor. Après plusieurs années d’observation, j’estime la part des joueuses à un tiers
environ. Comme nous l’avons dit précédemment, les activités sont relativement
genrées, ainsi, on retrouve davantage de joueuses parmi les rôlistes qu’au sein des
adeptes du mode « Joueur contre Joueur classé ». Par ailleurs, il ne faut pas oublier
qu’une partie de ces joueuses dissimule leur identité sexuée et qu’inversement, des
joueurs tentent de se faire passer pour des joueuses, ce qui tend à complexifier les
estimations.

Les joueuses se trouvent donc en infériorité numérique, y compris sur les


vocaux, où il est fréquent qu’il n’y en ait qu’un ou deux, voire trois dans les guildes
nombreuses. La fois où j’ai pu dénombrer le plus grand nombre de femmes sur un
vocal, nous étions quatre en compagnie d’une douzaine de joueurs. Cette anecdote
donne une idée des effectifs et souligne le fait que les joueuses sont moins
nombreuses. Une partie non négligeable de la gent masculine s’intéresse aux
joueuses, et le fait qu’elles soient moins présentes renforcent leur intérêt.

383
L’intérêt masculin est souvent associé à la conquête amoureuse, sans pour
autant qu’il y ait nécessairement de sentiments. Il peut aussi être lié à l’esprit de
collection, comme on peut accumuler les personnages, les objets ou encore les
succès, ou à des rivalités et des compétitions entre joueurs. L’intérêt envers une
joueuse peut avoir pour finalité de l’intégrer à une guilde par exemple, ou de la séduire.
On rencontre un double machisme : exclusif et inclusif. Le machisme « exclusif » est
celui qui tend à exclure les femmes du milieu. Il s’agit de joueurs qui préfèrent les
éviter, refusent qu’elles intègrent leur guilde… Plusieurs motifs de rejets sont évoqués,
le plus souvent imprégnés de stéréotypes : les filles ne causent que des problèmes,
elles sont sournoises, hypocrites etc. Comaeus explique sur le forum officiel que
« franchement les guildes 100% mecs ça existe dans le top français, tout simplement
parce que les filles c'est une trop grosse source à problème alors certains n'en
recrutent plus »492. Nairolfus ajoute « je soutiens les dire de Comaeus, d'expérience,
les femmes (pas toutes hein) ont plus de propensions à créer du drama que les mecs
». Ce machisme exclusif n’apparaît pas directement en présence de joueuses, ni en
jeu, ni sur les vocaux. Il est beaucoup plus fréquent sur les forums. Inversement, il
existe aussi un machisme inclusif et c’est celui qui nous intéresse ici. Il s’agit d’inclure
davantage la gent féminine, non pas dans une optique de parité, de mixité ou
d’enrichissement mais avec pour objectif de pouvoir plus facilement les séduire.

Les joueuses sont en quelque sorte perçues par une partie de la communauté
des joueurs comme des objets de désir. Elles sont convoitées, et des tensions
surviennent entre les concurrents qui veulent les posséder, parfois comme s’il
s’agissait de jolies voitures. Il s’agit par exemple de l’avoir dans sa guilde, dont elle
portera le nom au-dessus de la tête, phénomène qui existe aussi vis-à-vis des bons
joueurs. Cependant, en matière de séduction, la situation la plus fréquente est qu’un,
ou plusieurs, joueurs tentent de faire tomber sous leur charme une joueuse et non
l’inverse. Les performances en jeu visant à impressionner, les cadeaux, l’aide apportée
mais aussi les discussions sont autant de moyens utilisés pour tenter de parvenir à
ses fins.

492 http://www.swtor.com/community/archive/index.php/t-360108.html
384
Ce n’est pas toujours le personnage qui est désiré, notamment pour le
recrutement dans une guilde, que le joueur lui-même, ou en l’occurrence dans ce cas
la joueuse qui l’incarne. Une attention particulière pourra ainsi être portée à une
joueuse qui évolue dans l’univers virtuel à travers un personnage plutôt banal, et
qu’elle ne joue pas forcément bien, alors qu’un joueur dans la même situation sera
complètement ignoré. Bien que ce soit la joueuse qui soit l’objet de toutes les attentions
et non son personnage, ce sera à travers lui ou elle, et grâce au jeu que les tentatives
de séduction s’opéreront. Par ailleurs, le personnage conserve de l’importance
puisqu’en général le flirt survient lorsque la joueuse incarne un personnage féminin, et
le joueur un personnage masculin. Dans de rares cas, la situation est différente mais
ils sont très rares.

b.2. Swtor, le nouveau Meetic ?

L’extrait suivant provient d’un échange écrit entre un joueur et moi, suite à
l’annonce que des connaissances communes dans le jeu avaient décidé d’officialiser
leur relation amoureuse :

« Sareth fenrhi : Encore un couple formé par swtor ^^


Sareth fenrhi : C’est meetic ce jeu en fait ^^
Moi : encore ?
Moi : tu en connais d’autres ?
Sareth fenrhi : L’ancien GM493 d’Adrianne, mon ancien GM, plus plein d’amis […] »

Une proportion non négligeable de joueurs et joueuses célibataires et adultes ont eu


ou ont une relation avec d’autres joueurs ou joueuses rencontrés au cours de leurs
activités ludiques sur Swtor, comme dans d’autres MMORPG. D’après l’enquête
d’Antoine Chollet réalisée en 2014, 45% des joueurs de jeux de rôle en ligne
massivement multijoueur ayant participé étaient célibataires. Parmi l’ensemble des

493 Un GM est un chef de guilde, l’abréviation vient du terme anglais « guild master ».
385
joueurs et joueuses interrogés, 25% avaient déjà eu une relation amoureuse « via une
rencontre ‘in game’ »494. Dans Swtor, le pourcentage semble être bien plus élevé…

Les sites et applications de rencontre de Meetic à Tinder, se sont multipliés ces


dernières années. Cependant, les jeux vidéo en ligne sont aussi un moyen de
rencontrer des gens, et éventuellement des partenaires. Des relations éphémères, des
« coups de cœur », au mariage, Star Wars The Old Republic n’est pas uniquement un
jeu dont la seule fonction est de s’amuser mais pour certains il est aussi un espace
privilégié de séduction. Pour tous ces couples, les phases sont souvent les mêmes :
la rencontre se déroule en jeu, et la séduction débute lorsque les deux protagonistes
jouent. Ce qui signifie que, comme pour les sites Internet ou les applications de
rencontre, les deux joueurs communiquent dans un premier temps uniquement dans
l’espace du monde virtuel.

Dans le jeu, les joueurs ignorent leur apparence respective mais peuvent dès
que les choses deviennent plus sérieuses échanger leurs photos. Il arrive que
l’apparence soit un facteur déterminant comme ce fut le cas pour Lexender, qui après
avoir reçu de la part de la joueuse qu’il séduisait plusieurs photos, a décidé de faire
marche arrière et mis un terme à leurs interactions. Il est impossible de déterminer
l’apparence d’un joueur ou d’une joueuse de Star Wars The Old Republic alors que la
plupart des lieux virtuels de rencontre proposent ou imposent d’afficher sa
photographie. Le rapprochement entre joueurs s’opère donc dans dans un premier
temps à l’aveugle, ce qui présente pour certains l’inconvénient d’avoir une mauvaise
surprise… Toutefois, cela permet à des joueurs dont le physique est souvent un
désavantage de séduire des jeunes femmes qui tombent sous leur charme et qui font
abstraction par la suite de leur apparence physique puisqu’elles éprouvent déjà des
sentiments. Par exemple, l’un d’eux m’a confié que hors du jeu il n’avait « pas la
moindre chance ».

494CHOLLET Antoine, « Apprentissage et mobilisation de compétences managériales des joueurs de


jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) », 2015, p. 420.
http://www.biu-
montpellier.fr/florabium/servlet/DocumentFileManager?source=ged&document=ged:IDOCS:329390&r
esolution=&recordId=theses%3ABIU_THESE%3A2188&file=
386
Le fait qu’un joueur et une joueuse s’attache l’un à l’autre s’observe par leur
attitude en jeu. Certains joueurs privilégient leurs heures de connexion selon celles
d’une autre personne, et essayent en permanence de pratiquer des activités ensemble
au sein du jeu. Quand le joueur apprécié -ou la joueuse- prévient de son absence
quelques jours, les joueurs gravitant autour de lui ou d’elle sont moins présents voire
même ne se connectent pas pendant cette période.

Le joueur et la joueuse peuvent se rencontrer de diverses manières au sein de


la guilde par exemple, en pratiquant une même activité, ou grâce à des connaissances
communes sur un vocal ou en jeu. Le processus de séduction débute en général
lorsque le joueur identifie l’autre comme étant de sexe féminin et éprouve un intérêt
envers la joueuse. Ce jeu de séduction peut être à sens unique ou réciproque, que le
joueur et la joueuse soit ou non en couple hors du jeu. Le joueur et la joueuse peuvent
dans un premier temps avoir une relation amicale, l’intérêt sentimental peut survenir
au bout de quelques jours, semaines ou encore années. La phase de séduction est
elle aussi variable.

Nous pourrions citer une liste conséquente de couples formés grâce à Swtor,
mais aussi grâce à d’autres jeux come WoW, mais considérant le peu d’intérêt que
cela représenterait nous nous abstiendrons. Cherie J. Todd a travaillé dans le cadre
de sa thèse Sex and gender in World of Warcraft: Identities, love, and power sur les
couples. Elle écrit : « love and romance are expressed in various ways via the internet
»495 puis un peu plus tard « Intimate and romantic attachments occur so often within
many online environments […]. As a result, some gamers meet offline and get married,
and some also choose to celebrate their union by becoming married within the game
itself »496. A l’heure actuelle, le fait de rencontrer son compagnon ou sa compagne
dans un jeu vidéo en ligne reste proportionnellement très rare et nous n’avons pas de
chiffres exacts. Nous pouvons tout de même supposer qu’il est inférieur au nombre de

495 TODD Cherie J., Sex and gender in World of Warcraft: Identities, love, and power, 2015, p. 51.
https://researchcommons.waikato.ac.nz/bitstream/handle/10289/9444/thesis.pdf?sequence=3&isAllow
ed=y (consulté le 28/04/2019)
496 Ibidem, p. 190.

387
couples qui se sont formés grâce aux sites de rencontre. Marie Bergström dans son
article « Sites de rencontres : qui les utilise en France ? Qui y trouve son conjoint ? »
explique que « Si les sites de rencontres attirent un public nombreux, ils participent
encore peu à la formation des couples. Parmi les personnes ayant rencontré leur
partenaire actuel entre 2005 et 2013, moins de 9 % l’ont connu via ce type de service.
Cela place les sites en cinquième position dans le palmarès des contextes de
rencontre, derrière le lieu de travail, les soirées entre amis, les lieux publics et l’espace
domestique (chez soi ou chez d’autres). »497. Les chiffres datent d’il y a maintenant
plusieurs années, il est donc possible que le pourcentage ait évolué.

b.3. Flirt ou recherche d’une relation

Il est évident que la grande majorité des joueurs ne décident pas de jouer à un
jeu vidéo en ligne afin de trouver des partenaires. Toutefois, le jeu leur offre cette
possibilité de faire des rencontres tout en jouant. Si certains joueurs cherchent
désespérément n’importe qui afin de calmer leur sentiment de solitude, d’autres
s’éprennent d’un joueur ou d’une joueuse sans s’en être rendu compte.

Star Wars The Old Republic n’est pas le seul MMORPG qui a permis à des
couples de se rencontrer. Lors d’un entretien avec Onidra qui fait partie de l’équipe
Game-Guide, un site Internet dédié aux jeux vidéo avec une section spécifique pour
Swtor qui propose des tutoriels, les dernières actualités du jeu, elle m’a dit avoir
rencontré son mari en jouant à World of Warcraft. Au moment de l’entretien, ils étaient
en couple depuis huit ans et avait eu un petit garçon. Sur Swtor, j’ai été témoin du
rapprochement d’un joueur et d’une joueuse, Nehd et Yuca, qui ont fini par se marier,
bien que leur couple n’ait pas fonctionné et que leur union se soit soldée par un
divorce. Ces exemples illustrent le fait que des relations sérieuses naissent des
interactions entre joueurs au sein d’un jeu vidéo même si toutes ne perdurent pas.
Plusieurs articles et documentaires ont abordé ce sujet ces dernières années tels que
« On s'est rencontrés dans un jeu vidéo » mis en ligne sur Madame Le Figaro en

BERGSTÖM Marie, « Sites de rencontres : qui les utilise en France ? Qui y trouve son conjoint ? »,
497

Population & Sociétés, INED, N°530, février 2016, p. 3.


388
2015498, ou « Et si les jeux vidéo étaient un moyen de trouver l’amour » disponible sur
le site Cheek Magazine499.

Néanmoins, la part des couples qui se forment grâce au jeu et qui finissent par
se marier ensemble est relativement faible. En réalité, la proportion de relations
éphémères est bien plus importante, mais ce qui est prédominant est le flirt. Plusieurs
raisons expliquent son succès. Tout d’abord, la légèreté du badinage n’engage à rien,
et ne nécessite pas d’éprouver de réels sentiments pour l’autre. Il peut s’agir d’une
sorte de jeu. Par ailleurs, il est aisé de faire passer un flirt pour autre chose, protégeant
ainsi d’une certaine manière les personnes déjà en couple qui s’y adonnent ou
permettant d’éviter l’humiliation d’un rejet par l’autre. Par conséquent, des propos
formulés pour flirter peuvent être présentes comme des compliments sincères, voire
comme un désir d’être simplement sympathique, sans avoir la moindre arrière-pensée.

c) Pas toujours des victimes

c.1. Se faire passer pour une femme

Le fait de se faire passer pour une femme n’est pas un phénomène


exceptionnel. Korhan, un maître de guilde, m’a affirmé que sur Star Wars The Old
Republic, cette situation était survenue à deux reprises au sein de sa guilde : « on en
a eu deux dans la guilde et on les a dégagés fissa, parce que j’aime pas les menteurs
et surtout qu’on fait plein d’IRL ». Les rencontres entre membres de la guilde hors du
jeu occupe une place essentielle dans leur fonctionnement puisqu’ils organisent ce
type d’évènement tous les mois et y consacrent une dizaine de jours en été pendant
les vacances. En août 2018, ils ont ainsi voyagé à Marseille, puis Strasbourg et enfin
Paris ensemble. Amis hors du jeu, il n’y a pas de place selon Korhan pour ce type
d’individu qu’il apparente aux « mabouls », en ajoutant « on a eu pas mal de toqués
dans la guilde, de toute les couleurs ». En effet, il explique que l’un des deux joueurs

498 http://madame.lefigaro.fr/societe/ces-couples-qui-jouent-ensemble-aux-jeux-video-261115-109756
Consulté le 31/08/2018.
499 http://cheekmagazine.fr/societe/et-si-les-jeux-video-etaient-un-moyen-de-trouver-lamour/

Consulté le 31/08/2018.
389
se faisait non seulement passer pour une joueuse mais tentait de séduire les autres
membres de la guilde et de façon dérangeante car particulièrement vulgaire : « il se
faisait passer pour une fille et nous draguait, c’était super chelou ». Korhan a exprimé
lors de notre discussion une certaine incompréhension de ce phénomène, issue
d’après lui d’une « profonde solitude » leur ayant « tapé le cerveau ». Il a insisté sur
sa surprise face à des joueurs n’en démordant pas et affirmant être des femmes, « je
vois pas trop à quel moment tu en arrives à te faire passer pour une nana, ni quel est
l’intérêt ».

Nous avons évoqué précédemment le fait que certaines joueuses se faisaient


passer pour des hommes afin de se défendre des diverses formes de harcèlement et
discrimination dont les joueuses peuvent être l’objet. Ce phénomène est en général
perçu par les joueurs de façon bienveillante, alors que l’inverse l’est beaucoup moins.
Les joueurs ne subissant pas ce type d’agressions, nous pourrions nous demander
quelles sont leurs motivations : jouer à être quelqu’un d’autre ? Transgresser le
genre ? Réaliser une sorte de fantasme ? Ou le faire par intérêt et dans ce cas quel
serait l’intérêt de se faire passer pour une femme ? La réponse à cette dernière
question est la suivante : essayer de bénéficier des mêmes avantages. Nous
aborderons dans les parties suivantes quels sont ces avantages, mais nous pouvons
d’ores et déjà annoncer qu’il s’agit principalement d’aide et de cadeaux.

Se faire passer pour une femme ne peut souvent fonctionner qu’un temps limité
sauf si le joueur parvient à ne jamais recourir au vocal ou à s’abstenir de parler en
prétextant par exemple ne pas posséder de micro. Dans l’exemple précédemment
évoqué par Korhan, le joueur ayant intégré sa guilde et prétextant être une femme
s’était inventé un handicap afin d’avoir une excuse pour ne jamais venir sur le vocal :
être sourd(e). En plus de sembler de prime abord être une bonne justification,
prétendre souffrir d’un handicap tend à susciter la compassion d’autrui500. Il est difficile

500 D’après l’étude mené par Laurence Haeusler, Thibaud de Laval et Charlotte Millot, « Étude

quantitative sur le handicap auditif à partir de l’enquête « Handicap-Santé », 11,2% de la population


française souffre d’au moins une déficience auditive, par exemple être malentendant, être sourd d’une
oreille, ou entendre des sifflements, et 0,3% d’une surdité complète Les problèmes d’audition
concernent d’avantage les hommes que les femmes et croissent avec l’âge. Ils commencent à survenir
vers 50 ans.
390
de croire que tant de joueuses sourdes, célibataires, et jeunes, soient en détresse en
jeu, et ait besoin d’être secourues par un joueur pour qu’il fasse à leur place leurs
tâches et les couvrent de cadeaux pour les consoler.

La majorité des joueurs de jeux en ligne massivement multijoueur sont au


courant de cette pratique, aussi un bon nombre d’entre eux considèrent que lorsqu’ils
interagissent avec une personne ne s’exprimant pas oralement sur le vocal et affirmant
être une femme, il existe une probabilité significative pour que cela ne soit en réalité
pas le cas. Ainsi cette personne sera préjugée être un homme par les autres, même
lorsque c’est faux. Korhan affirme concernant l’absence d’utilisation d’un vocal par des
personnes se présentant comme étant de sexe féminin « qu’en géneral ça veut dire
que c'est un mec », ajoutant que « même les nanas timides finissent par parler ».

c.2. Profiter d’être une femme

Une mise en garde s’impose, il ne sera en aucun cas question dans cette partie
de pointer du doigt les joueuses victimes de discrimination, de stéréotypes ou de
harcèlement. Aucune femme n’est coupable d’être une femme, et doit être tout aussi
libre qu’un homme, dans le cadre du jeu comme hors de celui-ci. Cependant, il reste
indéniable que le comportement de certaines joueuses nuit à leur image, et que toutes
les victimes ne sont pas des femmes.

Dans Swtor, j’ai pu rencontrer des joueuses dont l’attitude était très caricaturale.
Plusieurs profils se distinguent et parfois se superposent, ils sont désignés par des
termes fréquemment rencontrés. Tout d’abord, la jeune femme « écervelée », qui ne
présente pas de capacité de réflexion et une compréhension limitée. Les bases du jeu
sont déjà trop complexes pour elles, et elles sollicitent en permanence de l’aide. Il ne
faut pas la confondre avec la « manipulatrice » qui peut simuler des difficultés pour
parvenir à ses fins ou simplement s’amuser. L’ « incompétente chronique » parvient à
évoluer en jeu mais ne progresse que très péniblement, souvent avec l’aide d’autrui.

HAEUSLER Laurence, DE LAVAL Thibaud, MILLOT Charlotte, « Étude quantitative sur le handicap
auditif à partir de l’enquête « Handicap-Santé », série Etudes et Recherche, N°131, DREES - Direction
de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, août 2014, p. 11.
391
Ces joueuses contribuent à donner une image négative aux autres joueurs qui en
viennent à penser que les femmes ne sont pas à leur place dans cet univers
puisqu’elles ne parviennent pas à se débrouiller normalement. Les « séductrices
maladives » essayent en permanence de séduire un joueur puis un autre, changeant
de proie en fonction de leur lassitude, des rencontres etc… Nous avons déjà abordé
ce sujet avec le phénomène de la sauterelle. Enfin, trois autres profils, considérés
comme pénibles, nuisent aussi à l’ensemble des joueuses. Tout d’abord, nous
pouvons citer la « castratrice », ainsi appelée par les autres joueurs. Ce type de
joueuse manifeste un besoin excessif de tout contrôler, tout et tout le monde, elle se
montre dominatrice dans ses rapports aux autres. Son besoin de diriger tend à
l’orienter vers des guildes de type militaire où elle occupe une position hiérarchique
élevée et impose sa loi. Ses rapports aux autres sont régulièrement conflictuels. La
« chieuse » est un autre profil qui peut aussi engendrer des rapports antagonistes avec
les autres, qui s’agacent de l’entendre se plaindre, râler et manifester son insatisfaction
en permanence. Enfin, rattachée aux stéréotypes que les femmes sont des pipelettes,
la « concierge » est une joueuse bavarde qui se nourrit presque exclusivement de
potins et s’avère incapable de garder un secret. Bien entendu, des joueurs manipulent
aussi les autres, le plus grand « concierge » que j’ai rencontré était un homme… mais,
le faible nombre de joueuses présentes, et le fait qu’une partie d’entre elles adoptent
un comportement qui concorde parfaitement à des stéréotypes sexués contribue à les
diffuser auprès de la communauté des joueurs. Or, comme nous allons le voir, être
une femme permet parfois de bénéficier d’avantages.

c.3. Avantages et abus : du cadeau à la manipulation et à la duperie

De l’argent, des décorations, des montures, des tenues, des déverrouillages


utiles en jeu comme un jeton de création de personnage… La liste des cadeaux qu’il
est possible d’offrir ou de recevoir est longue. Le don n’est pas rare au sein d’une
guilde que ce soit à n’importe quel autre membre en le déposant dans une soute libre
d’accès à tous ou en le donnant directement à un membre en particulier ayant besoin
de quelque chose, en particulier s’il s’agit d’équipement, ou simplement pour lui faire
plaisir. Tous les membres de la guilde Sous-Quarantaine avait ainsi participé à l’achat

392
d’une tenue onéreuse qu’un joueur désirait ardemment alors qu’il n’avait pas les
moyens de se la payer afin de la lui offrir. La valeur du cadeau est variable, il peut
s’agir d’un objet rare ou non, difficile à obtenir ou pas, avec un prix faible ou élevé…

Hors du cadre de la guilde, il arrive qu’on fasse des cadeaux à ses proches,
qu’on les connaisse ou pas en dehors du jeu et du monde virtuel. Ces cadeaux peuvent
alors avoir une dimension symbolique, par exemple un bouquet de fleurs envoyé par
courrier avec un mot d’amour.

Très rarement des cadeaux sont offerts à des inconnus, par exemple j’ai pu voir
un joueur souhaitant se débarrasser d’objets qu’il ne parvenait pas à vendre, afin de
faire de la place dans ses soutes, faire des annonces et les donner au premier
intéressé. Parfois, des joueurs demandent des crédits -l’argent du jeu- pour un motif
quelconque et d’autres joueurs leur en donnent. Enfin, lorsqu’une activité de groupe a
lieu et que des inconnus y participent mais qu’il leur manque un objet utilisable
maximisant les chances de réussite, ou nécessaire pour la suite, des joueurs en
possédant plusieurs leur en donnent : par exemple un vaccin lorsqu’il y a des
épidémies dans le cadre d’un évènement en jeu.

Cependant, une inégalité sexuée existe en matière de cadeau : les joueuses en


sont les grandes bénéficiaires. Bien sûr elles en offrent aussi, néanmoins
comparativement, elles reçoivent bien plus. Les cadeaux sont souvent spontanés et il
est parfois difficile de les refuser. Nous pouvons signaler qu’ils peuvent mettre mal à
l’aise la joueuse qui les reçoit, sauf si bien évidemment elle souhaitait recevoir un
présent et œuvrait en ce sens.

Une partie des joueuses profite d’être des femmes pour en tirer des avantages
de manière extrême et n’hésite pas à être malhonnêtes afin de parvenir à leurs fins.
Elles tentent de manipuler les joueurs afin d’obtenir leur aide ou les ressources dont
ils disposent. Le schéma ci-dessous reprend les deux méthodes principales
employées par ces joueuses :

393
Ces deux méthodes sont parfois associées mais pas systématiquement. La première
consiste à prétendre être intéressée par le joueur, et à initier ou à participer à un jeu
de séduction avec lui. La seconde méthode vise à attirer le joueur non pas en
prétextant éprouver des sentiments à son égard mais en affirmant ne pas être capable
de se débrouiller seule en raison de trop grandes difficultés fictives en jeu, ou d’une
incompétence souvent imaginaire et née de la paresse. La joueuse dans les deux cas
utilise le fait d’être une femme et la crédulité du joueur pour se servir de lui. Les joueurs
ciblés sont souvent de jeunes célibataires. Par ailleurs ces joueuses n’hésitent pas à
mentir vis-à-vis de leur situation personnelle et par exemple à dissimuler le fait qu’elles
sont en couple et à agir de la sorte avec plusieurs joueurs simultanément ou à la suite.

Il est donc capital d’opérer une différenciation entre les joueuses qui bénéficient
d’avantages par rapport aux hommes parce que ce sont des femmes, et qui reçoivent
ponctuellement des cadeaux ou de l’assistance en jeu, de celles qui s’adonnent à des
pratiques moralement contestables en dupant les autres afin de profiter d’eux.

2) Le couple et les autres relations amoureuses

394
Les joueuses occupent une place privilégiée mais parfois difficile au sein de la
communauté virtuelle. Les relations qu’elles sont susceptibles de tisser avec les
autres, quel que soit leur sexe, sont variées. En ce qui concerne plus spécifiquement
les rapports homme/femme, nous vous proposons dans cette partie de nous
concentrer sur les échanges amoureux. L’hétérosexualité étant grandement
majoritaire, nous laisserons de côté les relations homosexuelles. Le fait d’être en
« couple » y compris dans les jeux en ligne massivement multijoueur peut s’avérer ne
pas être de tout repos. Des simples rivalités au triangle amoureux, les configurations
sont nombreuses… Nous aborderons de façon approfondie le concept de « harem
inversé », caractéristique de ce type de monde virtuel, où une joueuse est courtisée
par de nombreux prétendants. Enfin, nous verrons qu’être en couple avec un autre
joueur ou joueuse peut ne pas être bien perçu par la communauté pour diverses
raisons…

a) De La guerre des étoiles aux Feux de l’amour

a.1. Tensions et rivalités

Adepte des séries télévisées à l’eau de rose ou fervent lecteur des collections
Harlequin, bienvenue sur Swtor. Nous avons tout au long de ce travail expliqué que le
jeu était au-delà de sa fonction ludique, un espace de rencontre et d’échanges avec
les autres. Nous avons expliqué qu’au fil du temps des liens se tissaient entre les
joueurs et les joueuses, et dépassaient souvent le cadre du jeu. Les jeux en ligne
permettent de se faire de nouveaux amis mais pas seulement. Des couples se sont
rencontrés en jeu. En pratiquant des activités communes, en appartenant à une même
guilde, ils se sont fréquentés et amusés puis ont fini par se rencontrer hors du monde
virtuel… Amaranthha Cecchini, sociologue, qui s’est penchée sur les relations
amoureuses entre les joueurs sur Second Life a écrit « que l’attirance entre partenaires
ait été rapide ou se soit révélée au fil de nombreux échanges, leur rencontre ne saurait
être qualifiée d’immédiatement amoureuse »501 ; c’est la perception ou l’interprétation

501CECCHINI Amaranta, Intimités amoureuses à l’ère du numérique, Le cas des relations nouées dans
les mondes sociaux en ligne, Editions ALPHIL, 2015, p. 182.
395
des personnes concernées qui, au regard de leur situation et de leurs sentiments,
estiment qu’ils sont tombés amoureux.

De la passade amoureuse au mariage, des couples plus ou moins solides se


sont constitués. Certes, tous n’ont pas une fin heureuse, mais à côté des séparations
et divorces, d’autres couples perdurent. Les obstacles pour ces couples sont
nombreux, comme la distance par exemple, le quotidien hors du jeu… mais aussi la
concurrence. Avant de s’officialiser en tant que couple ou même alors qu’une joueuse
et un joueur sont déjà en couple, il arrive que la joueuse soit séduite par un autre
joueur, et dès lors, un triangle amoureux complique les relations entre nos
protagonistes.

Le triangle amoureux se distingue du polyamour ou du « trouple ». Il ne s’agit


pas d’un couple à trois. Et les joueurs et joueuses concernés ne sont pas forcément
amoureux de plusieurs personnes en même temps. Un triangle amoureux ne signifie
pas réciprocité des sentiments, de même le sexe des individus concernés est variable,
tout comme leur orientation sexuelle. Dans le cas de Swtor, le triangle amoureux a
toujours pour protagonistes deux joueurs épris d’une même joueuse.

Dans le cas d’une situation de triangle amoureux, il existe trois possibilités qui
ont une importance capitale pour la suite, soit les joueurs ignorent être intéressés par
la même joueuse, soit l’un des deux uniquement est au courant qu’un autre joueur est
aussi épris de la même personne que lui, soit les deux joueurs ont connaissance de
leur existence mutuelle. Afin de simplifier la lecture, les pseudonymes des joueurs se
trouvant dans les diverses situations ne seront pas mentionnés puisque cela présente
peu d’intérêt, en revanche, un schéma synthétique reprend les trois cas de figure
rencontrés :

396
Pour comprendre les interactions entre les joueurs et avec la joueuse, il est
indispensable de savoir dans quelle situation ils se trouvent. Les rapports qu’ils vont
entretenir l’un avec l’autre vont dépendre en partie de leur situation. Il est évident que
397
dans le cas 1, puisque les joueurs ignorent être attachés à une même joueuse, leurs
sentiments pour elle ne va pas avoir d’incidence sur leurs échanges entre eux. Dès
lors qu’au moins un des deux prétendants est au fait de la situation, les interactions
entre les joueurs sont différentes.

Nous pouvons distinguer quatre types principaux d’interactions entre les joueurs
qui connaissent l’existence et l’identité de leur concurrent. Le schéma ci-dessous en
propose une visualisation simplifiée :

Les deux extrêmes sont l’amitié et les conflits ouverts. La rivalité amicale ou la non-
concurrence, ainsi que le « guerre froide » sont des rapports plus tempérés. L’amitié
comme rapport dominant entre les deux joueurs est possible. Ce fut par exemple le
cas entre un joueur A et un joueur B déjà en couple avec une joueuse C dont A s’est
épris. Les deux joueurs sont devenus amis et les sentiments du joueur A envers la
joueuse C ont été acceptés par le joueur B qui s’est montré compréhensif avec son
ami, qui lui a fait de son mieux pour adopter un comportement irréprochable. La rivalité

398
amicale survient lorsqu’il y a une concurrence entre les deux joueurs sans que cela
n’entache l’amitié qui les lie. Il s’agit d’une concurrence bon enfant sans coup bas
pervers, avec dans l’esprit « que le meilleur gagne ». Dans les cas que j’ai pu observer,
l’amitié n’a pas été altérée y compris après que la joueuse ait fait son choix. La non
concurrence est beaucoup plus rare, et les joueurs font totalement abstraction de cette
situation de triangle amoureux dans leurs échanges. Il ne faut pas la confondre avec
ce qu’on peut qualifier de « guerre froide ». Les joueurs ont peu d’interactions directes,
parfois même pas du tout, par contre leur inimitié est connue et ils n’hésitent pas à se
nuire discrètement l’un l’autre en particulier auprès de la joueuse. Un petit
commentaire désagréable, une critique qui s’échappe soi-disant par mégarde sont
alors monnaie courante, et ces piques concernent aussi bien l’individu en tant que
joueur qu’en tant que personne à partir du moment où les deux individus ont
connaissance d’éléments relatifs à leurs vies respectives. Néanmoins, cela n’atteint
pas le dernier stade, le conflit ouvert. Les joueurs se haïssent et s’affrontent à la
première occasion aussi bien en jeu, que lorsqu’ils sont sur un vocal.

Il est essentiel de signaler que la joueuse est souvent tiraillée entre les deux et
que son cœur oscille de l’un à l’autre, qu’elle soit ou non déjà en couple. Les joueurs
peuvent d’ailleurs déjà être en couple, y compris avec des non-joueuses. Il arrive que
la joueuse quitte son compagnon pour partir avec l’autre joueur ou qu’elle reste avec
son partenaire si elle est déjà en couple, tout en conservant des rapports amicaux avec
l’autre joueur. Lorsque la joueuse et le joueur éconduit ne deviennent pas amis, il peut
devenir son ennemi, vexé et blessé, choisissant de lui nuire pour se venger.
Cependant, il est fréquent qu’ils perdent contact de façon plus ou moins brutale.

Si certains joueurs et joueuses sont confrontés à cette situation de triangle


amoureux une seule fois, d’autres y sont confrontés à plusieurs reprises et parfois
même de façon récurrente. Dans les cas que j’ai rencontrés, il s’agissait de deux
joueurs qui se sont retrouvés dans une situation de triangle amoureux différents
jusqu’à trois fois. Bien entendu, toutes ces situations ne sont pas révélées, aussi, il est
parfois difficile d’obtenir des informations à ce sujet.

399
Pour terminer, il est intéressant de constater que, hormis quelques très rares
exceptions, les joueuses au cœur d’un triangle amoureux incarnaient toutes un
personnage féminin et soigneur, alors que les joueurs avaient tous un personnage
principal de sexe masculin et destiné à infliger des dégâts. Cette récurrence des rôles
et des sexes n’est pas anodine et va être abordée dans la partie suivante.

a.2. La permanence des rôles sexués

Dans une des guildes que j’ai intégrée afin d’observer les interactions entre les
joueurs, une note de membre m’a été attribuée : « pvp, heal, protégée d’Alcan ». Cette
note signifie que je consacrais du temps à jouer en mode « Joueur contre Joueur »,
avec un personnage destiné à prodiguer des soins. La dernière partie de cette note
est plus surprenante. Alcan est un joueur incarnant un personnage de sexe masculin
et ayant pour rôle de faire des dégâts. Sa classe lui permet aussi de protéger un peu
les autres joueurs. Constatant qu’il ne le faisait pas, je le lui ai enseigné. Cependant,
bien que s’appliquant à s’améliorer en ma présence, il avoua ne pas y penser en mon
absence. Protéger les soigneurs est fondamental, il s’agit d’une des bases : lorsque le
soigneur tombe au combat, il ne peut plus venir en aide aux autres joueurs, et pendant
le laps de temps que dure son absence, selon la force des adversaires, la présence à
leur côté d’un soigneur (…), ses équipiers peuvent aussi mourir. Ainsi, il est normal en
raison de nos fonctions respectives que mon personnage le soigne et qu’il essaye de
le protéger. Or, pourquoi le spécifier dans la note de membre, en mettant spécialement
son pseudonyme, sachant qu’il en est de même pour les autres joueurs. Les autres
soigneurs de la guilde, uniquement des joueurs, n’ont pas eu de note similaire.

Cette note s’explique par deux facteurs distincts mais corrélés : la surprotection
masculine et l’appropriation de l’autre personnage comme joueuse. L’image du
chevalier médiéval protégeant sa dame s’impose. Le fait que le personnage tout
comme la joueuse soit de sexe féminin est à prendre en compte. Le soigneur est la
cible privilégiée des adversaires, son équipe doit donc veiller sur lui, mais lorsque c’est
une soigneuse incarnée par une joueuse, la situation est perçue différemment. Les
joueurs ont en effet tendance à réagir plus vite et avec plus d’agressivité à l’encontre

400
des adversaires. Par ailleurs, le nom de mon personnage était aussi celui qu’utilisaient
les autres joueurs pour s’adresser à moi. Alors que je lui sauvais son personnage d’une
mort qui semblait inévitable, Alcan m’a demandé si je voulais l’épouser. Cette
demande n’était pas adressée sérieusement et personnellement mais en jeu. Il tenait
à ce que nos personnages se marient. Malgré mon refus, cette idée d’épouser mon
personnage est devenue récurrente, celui-ci lui plaisait mais c’était aussi « son » heal.
La note de membre de la guilde, tout comme ce souhait d’épouser ce personnage,
s’explique par une volonté de se l’approprier. Or l’appropriation n’existe pas entre des
joueurs de même sexe.

Le schéma suivant propose une typologie des attitudes de surprotection,


qu’elles soient ou non conscientes :

Avant toute chose, il est important de rappeler que chaque personnage peut venir en
aide à un autre joueur quel que soit son rôle502. Comme nous l’avons évoqué dans le

502Un soigneur peut privilégier un personnage pour les soins, un personnage destiné à protéger, veiller
particulièrement sur lui en absorbant une partie de ses dégâts subis et enfin un personnage destiné à
éliminer les autres joueurs en s’en prenant à l’agresseur.
401
paragraphe précédent, la surprotection peut être stratégique, et donc être corrélée au
rôle de chacun (protéger particulièrement le soigneur par exemple) ou liée à un autre
facteur comme le niveau du joueur, l’objectif de la partie... La surprotection stratégique
est motivée par la volonté de réussir à affronter une situation ; elle fait abstraction des
sentiments des joueurs ou de ses envies… En ce sens elle se distingue de plusieurs
autres types de surprotection : la surprotection sociale, la surprotection affective et la
surprotection séductrice. La surprotection sociale consiste à faire davantage attention
aux membres de son groupe ou de sa guilde qu’aux autres joueurs. Il s’agit d’une
norme sociale tacite, d’une sorte de politesse en jeu : faire davantage attention aux
membres de son groupe est « la moindre des choses ». La surprotection sociale n’est
pas liée aux sentiments personnels éprouvés par le joueur contrairement à la
surprotection affective. C’est alors l’attachement envers l’autre joueur qui est à l’origine
d’une surprotection. Dans le cadre du jeu de séduction s’opère aussi une
surprotection. Enfin, nous pouvons évoquer la surprotection chevaleresque qui est
issue de principes moraux. Le joueur choisit de protéger particulièrement les plus
faibles ou les débutants qui ont davantage besoin d’aide que les joueurs plus
expérimentés.

La surprotection est un phénomène mixte, les joueurs comme les joueuses


peuvent décider de veiller particulièrement sur une personne ou un groupe spécifique.
Cependant, des différences sexuées apparaissent. Si les joueuses évoquent parfois
la surprotection stratégique, elle n’aborde pas les autres types de surprotection. Le
schéma ci-dessous représente la surprotection masculine qui se distingue entre actes
et discours, qui ne concordent pas toujours :

402
En effet, si certains préviennent à l’avance qu’ils vont tout faire pour essayer d’aider
de leur mieux une personne en particulier et qu’effectivement ils s’y attellent, d’autres
ne disent rien mais agissent uniquement que ce soit en étant toujours disponible en
cas de problème, ou en fournissant tout ce dont l’autre a besoin -équipement, argent
etc-… Pour terminer, une partie des joueurs affirme agir de la sorte mais dans les faits,
ils n’en font rien : « t’inquiète pas, je suis là pour te protéger », « avec moi, il ne va rien
t’arriver ». Ce type de discours n’est prononcé que par des joueurs, et l’absence
d’actes à la suite de ces paroles n’a aussi été observée que chez les hommes.

Pour clore cette partie, j’aimerais aborder un dernier comportement masculin


qui renvoie à l’imaginaire médiéval et à la figure du chevalier : s’agenouiller devant
« sa » dame. L’Adoubement de Edmund Blair Leighton, peintre du XIXème siècle est
une des représentations les plus célèbres d’un chevalier à genoux devant une noble
jeune femme. En jeu, il arrive, bien que ce soit plutôt rare, que des joueurs de sexe
masculin fassent s’agenouiller leur personnage devant celui d’une joueuse. Les

403
images ci-dessous permettent de visualiser la situation. La première est le tableau
peint en 1901 par Edmund Blair Leighton :

Les suivantes sont des images provenant du jeu. Elles ont été prises grâce à des
impressions écran au fil des mois et ne sont pas issues de scènes de jeu de rôle. Il
importe de préciser que les personnages qui apparaissent à genoux sont tous incarnés
par des joueurs différents de sexe masculin et que rien ne les poussait à agir de la
sorte, que ce soit au sein du jeu -le personnage doit s’agenouiller pour ramasser
certains objets par exemple-, ou d’un point de vue social, aucune suggestion ou défi
de la part d’un autre joueur ne les a incités à adopter cette attitude. Ces joueurs
savaient tous que j’étais une femme, et ils ne se connaissaient pas entre eux. Ainsi,
ils ont tous décidé spontanément sans subir d’influence extérieure de faire prendre à
leur personnage cette posture comme vous pouvez le voir sur ces images :

404
Deux motivations principales mènent ces joueurs à faire s’agenouiller leur
personnage : la séduction ou l’expression de l’admiration. Preux chevalier aux pieds
de sa dame, lié à elle par des sentiments forts et sincères, le joueur s’inspire du monde
de la chevalerie pour essayer de courtiser la joueuse. Le fait d’adopter cette position
dans ce contexte témoigne de l’intérêt qui est porté à la joueuse par le joueur. Le
second cas est plus intéressant. En effet, il est corrélé non pas à une tentative de
séduction mais est le témoignage de la reconnaissance des compétences de la
joueuse. Or ce qui est notable c’est que, si s’incliner est fréquent devant d’autres
405
personnages incarnés par des joueurs ou joueuses en signe de respect et de
salutation, le fait de s’agenouiller est beaucoup plus fort, plus rare et survient
uniquement lorsque le joueur qui s’agenouille est un homme et le personnage devant
lequel il le fait est joué par une femme. Ce constat engendre de nombreuses questions
et hypothèses explicatives : l’imaginaire européen médiéval et les stéréotypes relatifs
à cette période véhiculés au XIXe siècle, ne joueraient-ils pas un rôle lorsqu’il ne s’agit
pas d’une situation qui survient dans un cadre d’échanges destinés à séduire l’autre ?
Est-ce la rivalité masculine qui empêche cette attitude de survenir lorsque l’autre
personnage est incarné par un homme ? Après tout, on s’agenouille devant un roi mais
pas devant un pair. Ou alors, une vision sexiste et inconsciente n’animerait-elle pas
certains joueurs ? Le fait de s’agenouiller devant le personnage d’une joueuse, mais
pas devant celui d’un joueur de niveau équivalent, pourrait en effet signifier qu’on
l’admire davantage parce qu’en tant que femme, elle serait moins apte à jouer
correctement ? Cette dernière suggestion même si elle doit être émise me semble peu
probable.

a.3. Expressions de la relation « de couple » en jeu

Que le couple se soit ou non formé grâce au jeu, ceux qui le composent
adoptent parfois des comportements particuliers, qui sont visibles en jeu et témoignent
de leurs attachements réciproques. L’usage d’emotes permet « de serrer dans ses
bras » ou « d’envoyer un baiser » à un autre joueur, le placement des personnages,
collés l’un à l’autre en permanence est aussi un indicateur. Plusieurs compétences de
combat qui servent de protections ont l’apparence d’une bulle : jouer à se mettre une
bulle l’un à l’autre hors combat ou à s’attraper est aussi un signe. Bien sûr, des amis
proches peuvent aussi utiliser ce type d’emote ou jouer à se « buller », mais la
récurrence de ces comportements en particulier s’ils sont associés à d’autres souligne
un attachement affectif voire amoureux. Le fait de partager une partie de son temps
de jeu avec l’autre et de le privilégier quelle qu’en soit la manière sont aussi
révélateurs. Toutefois, les joueurs peuvent aller plus loin en assortissant leurs
personnages.

406
Les personnages joués qui sont assortis peuvent l’être aussi bien par leur
apparence, que par la complémentarité de leur rôle comme soigneur et protecteur, ou
encore grâce à leurs noms et au choix des titres en jeu qui apparaissent sous le nom
du personnage : il existe par exemple un titre « Octogone rouge » et un autre
« Octogone bleu ». Le choix des tenues des personnages, de même type sans être
nécessairement identiques, contribue aussi à les rendre plus visibles en tant que
« couple », surtout lorsqu’ils sont de sexe opposé, et en particulier lorsqu’ils jouent
systématiquement ensemble. Cependant, tous les couples n’adoptent pas toujours ces
comportements, et de simples amis peuvent tout aussi bien s’amuser à assortir leurs
personnages…

Il est important de signaler que tous les couples ne jouent pas ensemble y
compris lorsqu’ils sont en train de jouer en même temps et au même jeu. Certains
couples n’ont pas les mêmes centres d’intérêt et peuvent donc évoluer dans des
cercles différents : ils vont s’adonner à des activités distinctes, avec leurs propres amis
en jeu, vont potentiellement être dans des guildes différentes… En général, ils sont
amenés à jouer ensemble en cas de besoin, par exemple s’il manque une personne
pour pratiquer une activité et que son ou sa partenaire peut la remplacer afin de venir
en aide au groupe. Il est tout de même fréquent que les joueurs en couple consacrent
une partie de leur temps de jeu à pratiquer une activité commune, seuls ou avec
d’autres joueurs.

b) Le « harem inversé »

b.1. Concept, origine et usage pour Swtor

L’expression « harem inversé » renvoie à une catégorie de mangas dans


lesquels une héroïne est entourée par des protagonistes qui cherchent à la séduire.
Nous avons choisi de reprendre cette expression car elle correspond tout à fait à des
situations observées dans l’univers virtuel du jeu.

407
Pour comprendre ce concept, il faut se pencher sur la culture populaire
japonaise, et en particulier les mangas. Les premiers mangas auraient été créés au
IXe siècle. De nos jours, le manga occupe une place primordiale dans la culture
nippone et fait partie du quotidien des Japonais. Depuis plusieurs années en France,
la place des mangas dans les rayons des librairies n’a cessé de s’agrandir et des «
cafés manga », lieu de socialisation, s’ouvrent comme c’est aussi le cas aux Etats-
Unis. Les conventions comme la Japan Expo réunissent de plus en plus de visiteurs
chaque année et le nombre d’étudiants en japonais dans les universités explose. Ces
exemples illustrent l’ampleur de ce phénomène de globalisation culturelle. Ainsi les
mangas, les films d’animation mais aussi les jeux vidéo japonais n’ont pas pour seul
public la population japonaise. Selon Jean-Marie Bouissou, « la France est
aujourd’hui, avec la Corée du Sud, le plus important marché d’exportation du manga,
devant les Etats-Unis »503. Le succès des mangas est sans appel.

Les mangas traitent de phénomènes de société, propres au Japon ou non. Il


peut s’agir de thèmes liés à la sexualité, aux études, au travail, à l’amitié... Le concept
de « harem inversé » vient à l’origine des mangas et des films d’animation japonais,
mais aussi des jeux vidéo otome504 destinés à un jeune public féminin. Nous pouvons
citer par exemple Diabolik Lovers, Harukanaru toki no naka de, et Brothers Conflict
dont voici des affiches ou pochettes de jeu :

503 BOUISSOU Jean-Marie, « Pourquoi aimons-nous le manga ? Une approche économique du


nouveau soft power japonais », Cités, N°27, PUF, 2006, p. 12.
504 Un otome est un jeu vidéo japonais narratif, aussi appelé « histoire visuelle », dont l’objectif principal

est de tisser une romance entre l’héroïne que l’on incarne et un des personnages non jouables du jeu.
La relation sentimentale entre les personnages découle donc des choix du joueur ou de la joueuse.
408
Quelle que soit la trame narrative nous retrouvons toujours dans l’histoire une jeune
fille autour de laquelle gravitent plusieurs garçons. Tous différents, ils tentent
néanmoins de séduire la demoiselle. Leurs différences sont aussi bien physiques que
relatives à leur caractère et à leur comportement. Ils peuvent avoir des situations
sociales ou professionnelles distinctes ou identiques selon l’histoire. Les « harems
inversés » se retrouvent associés à plusieurs genres comme le fantastique, ou
409
l’historique. Nous pouvons signaler qu’il est très fréquent que le milieu scolaire soit
présent.

L’usage de ce terme dans le cadre de ce travail me semble tout à fait approprié


pour plusieurs raisons. D’une part, la situation est identique : la jeune fille du manga
est la joueuse, ce ne sont pas des vampires, des démons ou des camarades de classe
qui tentent de la séduire, mais d’autres joueurs. D’autre part, une partie des joueuses
n’est pas étrangère à la culture populaire nippone et a déjà dû rencontrer le concept
de « harem inversé » en lisant des shôjos.

Les mangas se divisent en grands genres dont les plus célèbres sont les
shônens, plutôt destinés aux garçons et dans lesquels l’action est centrale, et les
shôjos, qui s’adressent plutôt à un public féminin et dans lesquels le thème de l’amour
est prédominant. Toku Masami505 se penche, dans son article « « Shojo Manga ! Girlsʼ
Comics ! A Mirror of GirlsʼDreams », sur la catégorisation des divers types de mangas.
Elle sʼattarde en particulier sur la distinction entre les shôjos et les shônens : «
regardless of the subject depicted in the story, the main theme of boysʼ manga is how
the heroes become men by protecting women, family, country, or the earth from
ennemies. The theme of girlsʼ manga is how love triumphs by over-coming obstacles
»506. Son travail se concentre particulièrement sur les shôjos, avec l’idée qu’ils reflètent
les souhaits et les attentes des lectrices. Filles et garçons sont amenés à se tourner
vers des mangas spécifiques qui les renforcent en tant que filles ou garçons. Les
décors, les situations, les personnalités des personnages, varient complètement selon
les genres de manga.

Attardons-nous sur les shôjos. Les histoires sont majoritairement centrées sur
une héroïne adolescente, et se déroulent dans un contexte scolaire. L’adolescente est
la plupart du temps représentée dans des lieux publics, avant tout le lycée mais aussi
potentiellement le lieu où elle travaille quelques heures par semaine, comme caissière
par exemple, le centre-ville lorsqu’elle sort faire des achats ou voir des amies, et chez

505 TOKU Masami, « Shojo Manga ! Girlsʼ Comics ! A Mirror of GirlsʼDreams », Mechademia, Networks
of Desire, vol.2, 2007, p. 18-32.
506 Ibidem, p. 19.

410
elle, principalement seule dans sa chambre. Des lieux moins fréquents sont aussi
récurrents lorsqu’ils sont en lien avec une situation précise. Nous pouvons citer le parc
d’attraction lors d’un rendez-vous amoureux ou encore la plage pendant les vacances.
L’héroïne est souvent présentée comme ayant un physique « normal » mais plutôt
jolie, d’autant quʼelle pourrait se mettre en valeur. Elle a une sphère restreinte d’amies
fidèles. Son caractère va varier selon le type d’héroïne : l’intellectuelle, la timide...
Cependant, on retrouve certaines qualités presque systématiquement : la gentillesse,
l’investissement personnel pour les autres ou pour ce quʼelle entreprend, le courage...
Quant au thème principal, il va être axé autour des relations humaines, l’amitié et
surtout l’amour. Les contretemps amoureux, la crainte d’une rivale ou encore un
prétendant qui fait son apparition peu après quʼelle ait commencé à se rapprocher du
garçon qui lui plaît sont autant de topoï présents dans les shôjos. Les dessins sont
minimalistes en ce qui concerne les décors pour privilégier les visages des
personnages ou leurs positions, comme expressions de leurs sentiments et émotions.
Les planches des mangas sont rarement surchargées et les décors peuvent même
être complètement absents à certains moments, notamment lors de baiser entre les
personnages. Bien entendu ce bref résumé type d’un shôjo n’est pas un modèle
exhaustif ; un certain nombre de shôjo font intervenir la magie, proposent des histoires
qui ont lieu dans des lieux particuliers comme un temple, le domicile familial... Malgré
tout, cette proposition d’exemple permet de mettre en lumière des aspects du shôjo.
Les jeunes filles peuvent aisément s’identifier à l’héroïne étant donné que son mode
de vie est similaire au leur, ainsi que les problèmes quʼelle peut être amenée à
rencontrer : difficultés scolaires, problèmes de communication avec l’individu dont elle
est amoureuse... Les divers types de mangas sont appropriés par leurs lecteurs et
lectrices ; interviennent l’âge, le sexe et le milieu social. Ces multiples facteurs peuvent
favoriser ou freiner l’accessibilité des mangas qui ne leur sont pas spécifiquement
dédiés, mais les mangas demeurent souvent genrés.

Le schéma ci-dessous illustre le concept de « harem inversé » présent dans les


jeux de rôle en ligne massivement multijoueur :

411
Ainsi, la joueuse est l’objet de toutes les attentions amoureuses de plusieurs autres
joueurs qui tentent de la séduire.

Contrairement au triangle amoureux, le « harem inversé » comporte


nécessairement plus de deux prétendants qui se disputent le cœur de la joueuse. Les
interactions sont donc différentes. Par ailleurs, nous n’avons pas rencontré, ni entendu
parler, de l’existence d’un cas de figure inverse, où plusieurs joueuses seraient
sentimentalement intéressées par un même joueur. L’inégale répartition des sexes en
ce qui concerne les joueurs et joueuses de Swtor explique ce phénomène. Pour
terminer, notre modèle concerne les rapports hétérosexuels. Les joueurs homosexuels
constituent une minorité présente en jeu. Cependant, le fait qu’ils soient peu nombreux
est une hypothèse explicative de l’absence de situation semblable.

b.2. Les rapports de pouvoir

Dans le cas d’une situation de « harem inversé » telle qu’on la retrouve


traditionnellement dans les mangas, les séries d’animation japonaises, ou les otomes,
on observe deux types de rapports de pouvoir. Le premier cas est celui de pressions
à l’encontre du protagoniste féminin de la part des personnages masculins qui peuvent
412
même faire preuve d’une certaine violence psychologique ou physique. Nous pouvons
citer l’exemple de Diabolik Lovers qui met en scène des vampires. Ils boivent tous
lorsqu’ils le souhaitent le sang de l’héroïne sans son consentement, à plusieurs
reprises en faisant usage de la force et malgré le refus et les supplications de leur
victime. L’héroïne est maltraitée physiquement mais aussi psychologiquement. Elle est
déshumanisée, devenant du « bétail », pour reprendre le terme employé par un des
vampires. Elle n’est pas respectée comme le montre une scène au cours de laquelle
un des vampires fait irruption dans sa salle de bain alors qu’elle prend un bain, malgré
le fait qu’elle soit gênée par le fait qu’on puisse la voir nue, il essaye de la contraindre
à sortir de l’eau507.

A l’inverse, un autre rapport de pouvoir est possible : l’héroïne en tant que


décisionnaire est détentrice du pouvoir sur les autres. Certes elle est l’objet du désir,
mais c’est elle qui va choisir parmi ses prétendants, ou n’en choisir aucun. La joueuse
du jeu vidéo en ligne confrontée à cette situation de « harem inversé » est dans ce cas
de figure. Elle est le centre d’attention, les joueurs intéressés par elle tentent de la
séduire néanmoins, elle conserve le pouvoir.

Il est important de souligner les différences qui existent entre le « harem


inversé » que l’on retrouve dans la culture populaire japonaise et celui présent dans
les jeux vidéo en ligne massivement multijoueur. Tout d’abord, les prétendants qui font
la cour à une joueuse sont bien moins nombreux que ceux présents dans les fictions,
qui peuvent être parfois simultanément une douzaine. Dans le cas de Swtor, le nombre
le plus élevé de prétendants courtisant une même joueuse simultanément que j’ai pu
observer était quatre. Ensuite, la joueuse a un caractère, des expériences passées
etc… La plupart du temps les héroïnes semblent ne pas posséder de personnalité,
sont passives et candides. Enfin, dans les jeux en ligne cette situation de « harem
inversé » peut se limiter au jeu ou dépasser son cadre et exister hors du monde virtuel.
Il y a donc deux niveaux distincts.

Cette scène apparaît dans l’épisode 4 de Diabolik Lovers More, Blood, série réalisée par Risako
507

Yoshida et diffusée en 2015.


413
S’il existe des points communs entre les triangles amoureux et les situations de
« harem inversé », le nombre de prétendants concernés n’est pas la seule différence.
Les interactions sociales entre les joueurs en sont affectées. Le fait qu’il y ait plus de
deux joueurs complexifient les rapports qu’ils entretiennent les uns avec les autres.
Tous ne savent pas forcément qu’ils éprouvent un intérêt commun pour la même
personne. Néanmoins, plus le nombre d’individus impliqués augmente plus leurs
relations tendent à être compliquées. De l’amitié avec son absence de rivalité à la
haine et aux conflits ouverts, le panel des situations se diversifient.

b.3. Les évolutions d’une situation de « harem inversé »

Une situation de « harem inversé » n’est pas permanente. L’intérêt éprouvé


pour la joueuse peut se dissiper ou s’accroître notamment en fonction de l’attitude de
celle-ci puisqu’elle peut encourager ou dissuader toute tentative de séduction. Les
individus concernés ont une perception de la situation variable. Alors que certains
parviennent à en avoir une vision globale et sont capables de prendre du recul,
d’autres n’en ont absolument pas conscience. Le regard des autres est un élément à
prendre en considération puisqu’il exerce parfois une influence.

La concurrence entre les prétendants peut tout autant dissuader que motiver
les joueurs. Leur intérêt ne se manifeste pas nécessairement simultanément mais il
est fréquent que cela survienne dans une période relativement courte. Les stratégies
de conquête sont diversifiées et ces situations peuvent évoluer de plusieurs manières.
Dans la plupart des cas, à moins que la joueuse ne souhaite entretenir son harem, ce
qui arrive, elle s’intéresse à un nombre restreint de joueurs et le harem peut basculer
en triangle amoureux.

Les joueuses peuvent choisir de faire perdurer cette situation, volontairement


ou non, pour des raisons variées. Certaines ne se rendent en effet pas forcément
compte rapidement des motivations des autres joueurs qui les entourent. Il arrive donc
qu’elles interprètent mal leur comportement, par exemple en les pensant juste amicaux
et sans aucune arrière-pensée alors que ce n’est pas le cas. D’autres joueuses sont

414
parfaitement au fait de la situation, dont elles peuvent d’ailleurs être responsables en
particulier lorsqu’elles séduisent plusieurs autres joueurs pour les intégrer à leur
harem. Ces joueuses apprécient être le centre de l’attention et se sentir désirées. Elles
ne prennent pas forcément en compte les sentiments des joueurs et peuvent
davantage les envisager comme des faire-valoir utiles dans le cadre du jeu, pour leur
aide ou leur argent notamment, ou en dehors. Par conséquent, les joueuses peuvent
être passives ou actives dans ce phénomène de harem inversé, elles peuvent choisir
de le développer ou de le limiter.

Les situations de « harem inversé » observées finissent par disparaître


principalement pour trois motifs principaux : les refus, le temps ou le changement de
statut. Les joueurs éconduits ou ceux lassés d’attendre finissent par se désintéresser
de la joueuse, ce qui n’empêche pas les joueurs et la joueuse de conserver parfois
des relations amicales. Lorsque la joueuse est célibataire lors de l’apparition d’un
phénomène de harem inversé et qu’elle se met en couple avec quelqu’un,
éventuellement un joueur, qui fait ou non partie du harem, la situation de harem inversé
peut s’achever.

Il importe de préciser que les joueurs et la joueuse peuvent tout ignorer de leur
identité réelle et l’attachement ou le désir sont bien souvent extrêmement superficiels.
Dans la grande majorité des cas, ils ont quelques informations et se sont déjà entendus
sur un vocal. Plus ils sont proches, plus ils possèdent d’informations relatives à l’autre,
y compris leur apparence, grâce aux réseaux sociaux ou aux rencontres. Plus ils
recueillent des données, plus leur relation est amenée à évoluer, à se consolider ou à
s’étioler. Pour rappel, la rencontre entre les joueurs est d’abord auditive puis visuelle,
à quelques exceptions près et c’est aussi le cas dans les situations de harem inversé.

c) Le couple : une configuration problématique

c.1. Perception par les autres

415
La façon dont est perçu un couple varie selon de nombreux facteurs,
notamment si la ou le partenaire joue, si le couple s’est rencontré en jeu… Lorsqu’un
joueur est en couple avec une non-joueuse, celle-ci est souvent perçue par les autres
négativement. Il existe un stéréotype de la femme réfractaire aux jeux vidéo qui
empêche son compagnon de se divertir avec ses amis en s’adonnant à ce loisir. Elle
est donc peu compréhensive, pénible, voire castratrice selon les points de vue. Il est
intéressant de faire remarquer que le joueur en couple n’hésite pas à véhiculer cette
image et à rendre responsable sa compagne de la diminution de son temps de jeu par
exemple : elle l’y contraint. Cet aspect est parfois lié au thème du « canard ».

Un « canard »... Lorsque pour la première fois dans Star Wars The Old Republic
j'ai entendu ce terme employé pour caractériser un joueur, je dois avouer que je n'ai
pas compris... S'il était évident pour moi en raison du contexte que plusieurs joueurs
en taquinaient un autre, se moquant gentiment de lui en le traitant de "canard", je n'en
saisissais absolument pas le sens. Les « couin, couin, couin » qui apparaissaient sur
le canal de discussion et même sur le vocal ne m'aidaient pas à y voir plus clair.
Aucune de mes définitions du mot « canard » ne me permettait de l'appréhender. Ni le
Larousse, ni le Littré ne me proposaient par ailleurs une définition inconnue qui aurait
pu m'éclairer. Des recherches sur Internet m'ont donc permis d'avoir une idée de ce
dont il s'agissait. Selon le Wikitionnaire, un canard est un « homme mené à la baguette
qui cède à tous les caprices d’une femme et qui fuit toute confrontation »508 ; sur le site
de divertissement Topito, il considéré comme un « qualificatif utilisé pour désigner
l'homme dans un couple, adoptant un comportement "soumis", de façon supposée ou
réelle. Terme plus ou moins péjoratif selon qu'il est attribué par ses potes, ou bien par
les copines de sa meuf »509. Il est intéressant de faire remarquer la définition donnée
dans Le Dictionnaire de la Zone. Tout l'argot des banlieues : « homme romantique et
sentimental, amoureux »510. Il s'avère en somme qu'un canard apparaît de façon plus
ou moins négative comme un homme en couple qui, généralement par amour, s’attelle
à satisfaire les souhaits de sa compagne. Il s'avère que toutes les fois où j'ai pu
entendre ce terme, il était employé par des joueurs, et non comme un compliment.

508 https://fr.wiktionary.org/wiki/canard
509 http://www.topito.com/top-signe-canard-copine-marcher-dessus-pauvre-type
510 https://www.dictionnairedelazone.fr/dictionary/definition/canard

416
Dans le cadre du jeu, le terme « canard » est principalement utilisé dans
plusieurs cas de figure. Le premier lorsqu'un joueur a des interactions privilégiées avec
une joueuse, s'il se montre agréable avec elle ou l'aide, sans nécessairement tenter
de la séduire, les autres proches en jeu ont tendance à taquiner le joueur en question,
y compris en public. Il en est de même lorsqu'un joueur débute une relation avec une
femme, joueuse ou non. Il va alors être potentiellement qualifié de canard en fonction
de ses interactions avec elle -ce qu'il dit, ce que les joueurs entendent grâce au
vocal...-. Enfin, il y a les disparus : ceux qui une fois en couple cessent de jouer, de se
rendre aux évènements IRL et ne donnent plus de nouvelles. On observe davantage
de mécontentement de la part des joueurs dans cette situation. C'est entre eux qu'ils
accusent l'ancien joueur d'être un canard dont la compagne aurait « ses couilles dans
un bocal » pour reprendre l'expression de l'un d'entre eux. Il y a un sentiment de
trahison : les amis sont délaissés au profit d'une femme, et un rejet d'une certaine
soumission du joueur à sa compagne, un joueur rencontré par exemple a cessé de
jouer alors qu'il appréciait cette activité parce que sa nouvelle amie n'aimait pas les
jeux vidéo. C'est bien cette soumission presque totale qui tend à agacer voire à révolter
ceux qui continuent d'entretenir des rapports entre eux, même lorsqu'ils ne jouent plus.
On observe une gradation dépréciative de la connotation de ce mot selon la situation
à laquelle il renvoie. Plus le joueur apparaît comme une sorte d'esclave consentant de
sa compagne et moins il joue et entretient des liens avec ses amis du jeu, plus il va
être perçu négativement. Dans le cadre de ce travail, les trois paliers ont pu être
observés.

Une source d’ennui potentiel, voilà comment un couple peut être perçu au sein
d’un groupe ou d’une guilde. Un joueur ayant pour pseudonyme johnatreide écrit sur
le forum officiel : « Les couples se font et se défont et ça met une mauvaise ambiance
au sein de la guilde. Personnellement, je suis obligé, pour le bien de mon roster511, de
gérer énormément de soucis d'ordre privés afin que ça ne déborde pas sur le jeu »512.
Sur le même sujet de discussion un joueur, Sebcan, explique que sa compagne, après

511 Un groupe de joueur adepte des opérations, une activité regroupant au minimum huit joueurs et les
opposant dans une sorte de donjons à différents boss.
512 http://www.swtor.com/community/archive/index.php/t-360108.html (consulté le 20/04/2019)

417
l’avoir trompé, l’a quitté pour un membre de la guilde d’un autre jeu auxquels ils
jouaient. Ce type d’incident n’est pas exceptionnel, nous aborderons ce point dans la
partie suivante dédiée aux infidélités. L’idée est de souligner que si l’annonce de
joueurs officialisant leur relation en tant que couple est souvent perçue comme une
bonne nouvelle par l’ensemble des proches en jeu, ce n’est pas toujours le cas. Par
ailleurs, dans les situations où la joueuse était courtisée par plusieurs joueurs, ceux-ci
peuvent mal prendre la nouvelle.

c.2. L’infidélité

L’infidélité est un concept très subjectif. Les critères pour le définir sont variables
d’un individu à l’autre. Est-ce l’acte qui caractérise l’infidélité ? Et dans ce cas lequel ?
Un baiser, une caresse, un rapport sexuel ? Ou alors l’intentionnalité de l’acte et
l’individu avec lequel on le commet entrent ils en ligne de compte ? Un collègue, un
ami ou un inconnu… La récurrence, ou au contraire la dimension accidentelle et unique
sont-elles des facteurs pris en considération par tous ? Une liaison durable est-elle
comparable à un acte unique ? Enfin, la situation joue-t-elle un rôle dans la perception
de l’infidélité ? La consommation d’alcool à une fête par exemple… Tous ces aspects
sont importants parce que ce qui va être considéré comme une infidélité va différer
selon les individus.

Dans les jeux en ligne, il existe deux sortes d’infidélités, celle dans le cadre du
jeu de rôle et celle qui concerne non pas les personnages mais les joueurs. Nous
n’aborderons pas l’infidélité dans le cadre du jeu de rôle ; nous préciserons cependant
que certains compagnons de joueurs, ou compagnes, acceptent mal que le joueur ou
la joueuse ait un personnage en couple dans le cadre d’un jeu de rôle avec celui d’une
autre personne, en particulier si le joueur, ou la joueuse, qui l’incarne est du sexe
opposé. Avoir un personnage en couple avec celui d’un autre joueur qui n’est pas son
partenaire n’est pas une infidélité ; l’infidélité en jeu de rôle est la trahison sentimentale
ou sexuelle d’un personnage avec un autre personnage alors qu’il est déjà en couple,
que les joueurs concernés soient ou non au courant. Toutefois, il arrive que la

418
séduction entre joueurs s’opère aussi par l’intermédiaire de leurs personnages, et du
jeu de rôle, ce qui peut aboutir à des situations parfois complexes.

L’infidélité existe dans le cadre du jeu à partir du moment où les relations entre
joueurs et joueuses dont au moins l’un ou l’une est déjà en couple dépassent le stade
amical et deviennent sentimentales. Nous pouvons parler de « liaison émotionnelle ».
On observe une dépendance affective, dans le cadre même du jeu, les joueurs jouent
systématiquement ensemble, à deux ou dans le même groupe, et de façon
coordonnée, bien souvent se protégeant l’un l’autre. Les emotes, mais aussi l’attitude
des personnages, comme une proximité physique, le fait d’attraper l’autre pour le
rapprocher de son personnage, ou l’éloigner de personnages d’autres joueurs ou
joueuses, sont aussi des manifestations d’un lien fort entre le joueur et la joueuse. Sur
le vocal, ils tendent à s’isoler dans un canal de façon récurrente ou à discuter et
s’adresser l’un à l’autre par des remarques privées quand il y a plusieurs autres
personnes présentes. Ces relations débordent du cadre du jeu avec l’échange des
numéros de téléphone, l’ajout sur Facebook, puis les rencontres hors du monde
virtuel… Si de nombreux couples se créent grâce au jeu, d’autres se brisent et parfois
de nouveaux se forment, par exemple une joueuse en couple avec un autre joueur le
trompe et part avec un autre joueur. En général, la communauté critique ce type de
comportement et le nouveau couple se fait discret comme ce fut le cas pour Eleen et
son amant Trop’manger qui quittèrent leur guilde, changèrent le nom de leur
personnage et partirent même sur un autre serveur.

3) Autres types de relations entre les joueurs

La famille occupe une place essentielle dans le monde social. On la retrouve


en quelque sorte dans le jeu, ou plutôt des joueurs s’en constituent une nouvelle…
Avec le phénomène de la « maman-chef », une joueuse devient une sorte de seconde
mère dans l’univers pixelisé du jeu. Ce statut lui permet d’adopter des comportements
particuliers vis-à-vis des autres joueurs sur lesquels elle veille. Elle ne se contente pas
de les protéger, elle les sanctionne lorsqu’elle estime que c’est nécessaire ou les
console. Cependant cette image de la famille en lien avec les relations qui lient des

419
joueurs adeptes de jeux en ligne massivement multijoueur ne se limite pas à la figure
maternelle. Les rapports entre « frères » sont aussi à prendre en considération.

a) La mère et ses représentations

a.1. La « maman-chef »

Comme nous l’avons déjà mentionné, des parents jouent à Star Wars The Old
Republic avec leurs enfants. Le cas le plus fréquent est celui d’un père avec son fils.
Nous avons rencontré plusieurs mères en jeu, cependant, elles avaient toutes des
enfants trop jeunes pour jouer avec eux. Il est important de préciser que le phénomène
qui va maintenant être traité n’a pas de lien avec le statut de mère en dehors du monde
virtuel pour des joueuses qui sont dans cette situation, et ne correspond pas non plus
au cas de figure d’une mère jouant avec ses enfants à un jeu vidéo en ligne
massivement multijoueur.

Pour débuter cette partie, voici une petite histoire. Alors qu'un jour j'organisais
un évènement nécessitant la participation de plusieurs joueurs, un joueur, Vetrip, a
rejoint le groupe en jeu sans venir sur le vocal. Il a utilisé le canal de discussion du
groupe pour dire bonjour mais personne ne lui a répondu. Je me suis donc permis en
tant qu'organisatrice et chef de guilde dont la plupart des personnes présentes
faisaient partie de dire « bon alors pour commencer on dit bonjour à Vetrip ». De fait
l'un des joueurs m'a répondu « oui maman » avant de s’exécuter comme les sept
autres joueurs présents, chacun à sa manière « salut », « yo » etc... Cette anecdote
est à mon sens très intéressante pour l'acte en lui-même, similaire à celui d'une mère
qui inciterait ses enfants à faire preuve de politesse et à dire bonjour, en étant
bienveillante mais ferme, que par l’appellation « maman ». Les situations dans
lesquelles la joueuse est amenée à donner des instructions aux autres ou à les
reprendre, surtout concernant leur attitude, par exemple leur demander d'être polis ou
gentils, sont propices à l'usage de ce terme par les concernés. Cette appellation est
affectueuse et empreinte d'humour. Nous allons donc aborder un nouveau concept qui
correspond à un type de relation spécifique entre joueurs et joueuses au sein des jeux
420
en ligne massivement multijoueur et que nous avons choisi de nommer : la « maman-
chef ».

La « maman-chef » est une joueuse qui entretient des relations de type maternel
avec un ensemble de joueurs. Ces relations sont caractérisées par un certain nombre
d’éléments. La joueuse est souvent bienveillante, et sait faire preuve d’autorité. Elle
essaye d’être juste et impartiale et de protéger ses proches, en particulier les plus
jeunes, les plus faibles et les moins expérimentés. Si elle donne des instructions, elle
est aussi celle qui écoute et aide. La « maman-chef » est régulièrement amenée à
résoudre les conflits. C’est la reconnaissance par les autres de son autorité en tant
que « maman-chef », qui est corrélée au fait que son niveau en jeu est considéré
comme suffisamment bon par les autres, qui lui permet d’avoir ce statut. Le schéma
ci-dessous reprend synthétiquement ce concept :

La « maman-chef » occupe une place élevée au sein de la hiérarchie interne au jeu -


par exemple dans une guilde elle va être officier ou même chef de la guilde-. Son
caractère, son attitude, son niveau en tant que joueuse et la place qu’elle occupe dans

421
l’univers virtuel sont autant de facteurs qui interviennent pour en faire une « maman-
chef », qu’elle en ait ou non conscience, et qu’elle le souhaite ou pas.

Le statut particulier de la « maman-chef » lui accorde une position privilégiée


pour agir sur ses « enfants » que ce soit en les sensibilisant, en les influençant, ou en
leur imposant quelque chose. Avant toute chose, revenons sur la distinction entre les
trois. Sensibiliser est partager son point de vue de façon à essayer de faire prendre
conscience à son interlocuteur de sa position. L'enjeu est qu'il le prenne en
considération même si, finalement, il peut ne pas être d'accord... Prenons un exemple,
les joueurs incarnant des personnages ayant pour rôle d'infliger des dégâts ont
tendance à ne pas se poser de questions et à se contenter de « c'est rouge, je tape »
y compris dans les zones ouvertes destinées aux activités « Joueurs contre Joueurs ».
La « maman-chef » peut essayer de les sensibiliser au fait qu'il serait possible de
privilégier les adversaires de niveau équivalent ou de la faction adverse plutôt que
d'attaquer au hasard. Dans le cadre des interactions en jeu et des échanges entre
joueurs, un joueur peut exercer une influence sur un autre joueur. Cette influence n'est
pas toujours consciente. Le charisme et la maîtrise du jeu sont des paramètres qui
vont intervenir dans ce phénomène. L'influence d'un joueur sur un autre va amener
celui-ci à adhérer et à suivre le premier. Dans notre exemple, c'est en sensibilisant, en
adoptant et en encourageant le comportement voulu que la « maman-chef » va
influencer les membres de la guilde qui vont avec le temps potentiellement d'eux-
mêmes agir différemment. Le dernier point que nous n'avons pas encore abordé est
« imposer ». Un joueur dont l'autorité est reconnue, peut imposer à autrui quelque
chose. Toujours avec le même exemple, la « maman-chef » peut fixer des règles pour
la guilde qu'elle dirige interdisant de s'en prendre aux plus faibles sauf pour se
défendre de telle sorte ce type de comportement sera prohibé. En tant que « maman-
chef », la joueuse est respectée et reconnue comme figure d'autorité, et il devient plus
aisé pour elle d'inciter ou d'exiger.

a.2. Un statut particulier

422
La « maman-chef », en raison de ses caractéristiques, bénéficie d’un statut
particulier. Tout d’abord, on l’écoute. Pour reprendre les termes employés par un
joueur à propos d’une joueuse chef de guilde qui bénéficiait de ce statut, elle était
« charismatique tyrannique » et « exigeante », « avec une façon [bien à elle] de faire
respecter les règles et de s’agacer quand elles sont transgressées ». On retrouve les
aspects évoqués précédemment : figure d’autorité, capacité d’influencer les joueurs…
Selon lui, quand elle décidait de quelque chose, on la suivait, « si [elle] lance un truc
en l’air, les gens courent pour l’attraper ». J’ai effectivement pu observer que lorsqu’un
évènement est organisé par une « maman-chef », il est davantage suivi que lorsqu’un
autre joueur propose le même, y compris si celui-ci possède un grade équivalent au
sein de la guilde, et même s’il est apprécié par les autres… L’autorité de la maman-
chef est reconnue et acceptée, même par des joueurs très peu enclins à obéir à qui
que ce soit et rebelles. La « maman-chef » possède une « une âme de chef », elle est
suivie et cela s’observe dans la formation des groupes.

Les joueurs se chamaillent pour faire partie du même groupe qu’elle,


indépendamment d’une quelconque stratégie dans le jeu, et personne ne veut quitter
le sien lorsqu’il s’agit par exemple de se répartir en groupe plus équilibré. Il est fréquent
que l’affinité soit un élément essentiel dans la formation des groupes : les joueurs ne
s’associent pas uniquement en fonction des performances des autres et du rôle de
leur personnages, ils privilégient ceux qu’ils apprécient. Lorsqu’une guilde pratique une
activité et que les joueurs sont trop nombreux pour former un seul groupe, il n’est pas
rare que les membres qui composent chaque groupe évoluent au fil du temps : les
joueurs changent de personnages, certains arrêtent, d’autres les remplacent…
Cependant, s’il arrive que les joueurs modifient les membres des groupes en fonction
de ces éléments, il est par contre intéressant de faire remarquer qu’il n’est pas rare
que la « maman-chef » prenne garde à changer régulièrement de groupe de façon à
ce qu’il n’y ait pas de jaloux.

Le statut particulier de la « maman-chef » apparaît aussi dans les interactions


qui, justement, n’existent pas avec elle. Les joueurs liés à une joueuse de cette façon
ne tentent jamais de la séduire, il n’y a aucun jeu amoureux. Les échanges conflictuels

423
sont assez rares. La relation est cordiale, respectueuse. Il peut y avoir une forme
d’admiration à l’égard de la joueuse en raison de ses performances. Cependant, ce
respect n’est pas uniquement lié au niveau en jeu de celle-ci, mais à la personne telle
qu’elle est connue dans ce cadre par les autres. Par ailleurs, à plusieurs reprises j’ai
pu observer un désir de rendre la joueuse fière et d’obtenir son approbation. Elle va
par exemple donner un conseil à un joueur en jeu, qui l’appliquera et rappellera
spontanément qu’il le suit bien, attirant l’attention de la joueuse sur ce point. Il est aussi
possible de déceler derrière cette attitude un désir de satisfaire la « maman-chef ».

a.3. Punir et consoler, résoudre les conflits…

Un dernier point mérite d'être brièvement abordé car les sollicitations envers la
« maman-chef » possèdent aussi des particularités. Il s'avère que lorsque les joueurs
ont besoin d'aide pour résoudre des conflits qui les blessent, lorsqu'ils se sentent
victimes de formes de harcèlement comme des moqueries récurrentes, ils ont
tendance à s'orienter vers la « maman-chef », y compris lorsque d'autres personnes
seraient à même d'intervenir. C'est notamment le cas au sein des guildes où la joueuse
peut avoir un grade similaire à celui d'autres joueurs, et les mêmes fonctions.
Cependant, c'est vers elle que les joueurs se tournent lorsqu'ils ont des problèmes
relationnels avec les autres, qu'ils veulent exprimer leurs sentiments ou être consolés.
Nous pouvons par ailleurs faire remarquer que, plus majoritairement, il est fréquent
que les joueuses qui occupent un poste à responsabilité au sein d’une guilde aient des
fonctions sociales -accueil des nouveaux arrivants, mises en place d’évènements
sociaux regroupant ou non d’autres guildes…-. Cependant la différence majeure est
qu’avec la maman-chef, contrairement avec les joueuses de façon plus générale, les
joueurs peuvent se montrer vulnérables. Ils peuvent exprimer leurs problèmes et leur
souffrance, ce qu’ils ne font majoritairement pas dans d’autres situations et avec
d’autres joueurs ou joueuses.

Si la « maman-chef » est donc aussi celle qui va essayer de mettre un terme


aux querelles et apaiser les tensions, qui encourage et félicite les autres joueurs, elle
est aussi celle qui sanctionne. Son autorité lui permet en effet de « punir », lorsqu’elle

424
considère que c’est nécessaire, de diverses manières, par exemple en privant un
joueur d’une activité avec le reste du groupe, ou restreignant temporairement ses
droits au sein de la guilde…

Ces sanctions ne se limitent pas à la sphère du jeu mais s’étendent aussi à ce


qui y est lié -forum, vocal etc.-. Par exemple, j’ai pu observer une joueuse dans cette
situation désactiver la capacité à être entendu par les autres sur le vocal à un joueur
ayant eu un comportement inapproprié, et ce pendant un laps de temps donné. Il
pouvait ainsi entendre sans être entendu, ce qui constituait sa punition pour avoir été
grossier envers un autre joueur. Elle a ensuite rétabli cette fonctionnalité une fois
qu’elle a jugé que la punition avait été suffisante et que le joueur avait compris la leçon.
Cette sanction est donc publique, ce qui a une incidence sur les autres : le joueur sert
indirectement aussi d’exemple à ne pas suivre. Voici un autre exemple observé cette
fois sur un Discord communautaire utilisé pour des adeptes du jeu de rôle sur Star
Wars The Old Republic dont la joueuse, Keychka, a une fonction de modératrice :

425
Dans cet exemple, on retrouve l’appellation « maman » et les fonctions évoquées
précédemment. La joueuse « maman » rappelle à l’ordre, et n’hésite pas à faire planer
la menace d’une sanction si les joueurs ne se corrigent pas. Le fait que la joueuse se
permette d’agir de cette façon renforce son autorité.

b) Les rapports entre « frères »

b.1. Le cas des MMORPG

Précédemment nous avons évoqué le fait que des membres d'une même
famille, y compris appartenant à une même fratrie, pouvaient s'adonner à cette
pratique ludique ensemble. Il est fréquent d'apprendre que des joueurs sont frères ou
cousins sur Star Wars The Old Republic. Le plus souvent ils intègrent la même guilde

426
et participent à des activités communes, sans forcément systématiquement jouer
uniquement l'un avec l'autre. Plus rarement ils forment un binôme inséparable, c'est
par exemple le cas d'Owens et Rafixx. Comme on peut le voir sur l'image ci-dessous,
les deux frères ont choisi d'assortir complètement leurs personnages, les faisant porter
la même armure dans une coloris différente :

Ces deux personnages masculins sont de la même classe et ont toujours joué
ensemble, principalement en mode « Joueurs contre Joueurs ». Ils appartiennent
aussi à la même guilde -Les Maîtres du Chaos-. Énumérer la totalité des points
communs présente peu d’intérêt, l'idée est de mettre en évidence que les relations en
dehors du monde virtuel peuvent avoir une influence sur les liens et les pratiques en
jeu. Ces deux joueurs ne représentent pas un cas isolé : nous pouvons penser à Lex
qui jouait avec sa sœur Pipou au sein de l'Enclave galactique, à Elé qui jouait avec
son frère aîné et avec lequel il a fondé le Cartel de Nar Hekka etc. Néanmoins, cette
partie relative aux rapports fraternels n'a pas pour objet de traiter spécifiquement des
427
liens familiaux de ce type mais plutôt de considérer une fratrie virtuelle à laquelle
seraient rattachés certains joueurs en fonction de leurs sentiments et de leurs
comportements vis-à-vis d'autres joueurs ou joueuses.

Frédéric Forest s’est intéressé à la communauté virtuelle en travaillant


particulièrement sur Second Life513. Il développe, dans son article « La communauté
des frères branchés »514, l’idée que les rapports fraternels prennent souvent le dessus
sur les autres. Selon lui, l’égalité entre les membres et l’absence de hiérarchie corrélée
au rôle de l’anonymat favorisent l’émergence de ce type de rapport entre les joueurs.
Il ajoute que les infractions à la loi ou à la morale sont réglés par les joueurs qui
peuvent choisir d’exclure socialement un l’individu jugé fautif, le sanctionnant ainsi par
l’arrêt de toute interaction avec lui. Il est utile de signaler qu’il existe une fonction «
ignorer » dans certains jeux, dont Star Wars The Old Republic, pour ne plus recevoir
aucun message provenant de la personne en question. L’enjeu central de ces
communautés virtuelles est le dialogue et le partage. Outre les jeux vidéo en ligne, les
discussions peuvent aussi avoir lieu sur des tchats ou des forums. Selon F. Forest,
ces échanges quasi permanents et incessants servent à éviter au joueur d’éprouver
un sentiment de solitude. Le monde virtuel devient alors une sorte d’abri permettant
les interactions sociales tout en se préservant515. Il est important de rappeler que «
l’individu devant son écran "existe" avec d’autres par le biais de manifestations (sa
présence, ses messages, les images de son avatar), mais "est" seul face à son
ordinateur »516, le virtuel ne signifie pas l’irréel. En d’autres termes, bien que le cadre
soit numérique, les sentiments et les émotions sont véritablement ressentis par
l’individu. Les liens qu’il tisse avec autrui existent bel et bien. L’auteur s’interroge par
ailleurs sur les impacts psychologiques de cette multiplicité d’identités choisies aussi
bien lors de la création des personnages, que pour leur généalogie fictive ou encore
leur histoire. Il dresse ainsi le « portrait des communautés virtuelles au sein desquelles

513 Second Life est un jeu vidéo multijoueur sorti sur ordinateur en 2003.
514 FOREST Frédéric, « La communauté des frères branchés. », Adolescence, N°69, 3/2009, p. 667 à
677.
515 Il est indéniable que l’individu n’est pas toujours complètement protégé des autres. Il peut être affecté

par diverses formes d’agression à son encontre comme le harcèlement, la discrimination ou même sa
réputation. Ces réputations parfois très éloignées de la vérité peuvent porter préjudice à celui ou celle
à elles se rattachent.
516 Ibidem, p. 674.

428
prédomine une imago du type fraternel : égalité des membres dans l’anonymat,
circulation libre des propos, relations réglées par l’échange contractuel, identité définie
par l’ensemble de ses amis, etc. »517. Son article, axé sur la psychanalyse, propose
une réflexion sur différents thèmes tel que l’identité, les interactions, l’anonymat… F.
Forest insiste sur le fait que ce sont les rapports fraternels qui sont omniprésents.
Certains points sont tout de même à nuancer, par exemple en ce qui concerne les
sanctions, puisqu’elles peuvent aussi être prises par les modérateurs en cas de
transgression des règles du jeu. Ils peuvent prendre des mesures comme la
suspension du compte pendant un laps de temps, la justice n’est donc pas uniquement
gérée par la communauté. De même, une hiérarchie existe bien souvent à travers
l’organisation interne des guildes, dans lesquelles le modèle est parfois très loin de
celui de type fraternel mis en avant dans cet article. Cependant, il n’en demeure pas
moins vrai que les rapports fraternels occupent une place essentielle dans les
interactions entre les joueurs.

b.2. Les conditions d’existence de la fraternité

Un soir, à une heure tardive, alors qu’un jeune membre de la guilde se plaignait
d’avoir trop peu dormi et d’être épuisé, je lui ai conseillé d’aller se reposer. Un autre
joueur a dit en rigolant « oui maman », je lui ai répondu que j’étais trop jeune pour être
sa mère, ce à quoi l’adolescent a répondu « oui mais tu pourrais être ma grande
sœur ». J’ai avoué qu’effectivement ça aurait pu être le cas. Il a répondu satisfait que
dorénavant il m’appellerait comme ça. Cette anecdote illustre un point important : en
dehors des rapports de séductions et de l'amitié ou du phénomène de la « maman-
chef », les relations fraternelles peuvent lier des joueurs de sexe différent. Il s'avère
néanmoins que ce cas de figure demeure très minoritaire. Lors de son travail de
recherche portant sur les interactions sociales au sein des jeux de tir à la première
personne, Maria Frostling-Henningsson évoque le cas de la relation entre une joueuse,
Cherin, et un adolescent, elle décrit leur rapport ainsi : « Her relationship with him is
very special; he is almost like a younger brother for her » et ajoute « Cherin has

517 Ibidem, p. 675-676.


429
followed him in his personal development during puberty »518. Comme nous pouvons
le constater avec cet exemple, les relations fraternelles concernent aussi les joueuses
bien que cela soit plus rare.

Balzac écrivait « La base des sociétés humaines sera toujours la famille »519.
La famille repose en grande partie sur la parenté, elle a pour fondements la filiation et
l’alliance. Plusieurs idées relatives à la famille et à la fraternité apparaissent,
notamment celle du « frère de sang ». Ce rite par lequel deux amis prêtent serment
l’un envers l’autre en mélangeant leur sang pour sceller le pacte les liant à jamais est
aussi bien présent en littérature qu’au cinéma ou dans d’autres formes d’art. Pratiqué
par des enfants comme par des adultes, il revêt une dimension solennelle et n’est
jamais considéré à la légère, même lorsqu’il s’agit d’un jeu plus que d’un rite comme
c’est le cas dans notre société contemporaine. L’enjeu de ce rite est bien de créer un
lien qui unit de façon irrévocable deux personnes attachées l’une à l’autre, sans qu’il
s’agisse d’un amour romantique : ce n’est bien évidemment pas une forme de mariage
mais plutôt un moyen d’intégrer un ami à cette sphère familiale. Il devient plus qu’un
ami, on a partagé son sang avec lui. Cette question du sang versé revient dans le cas
des « frères d’armes », les autres soldats dont un militaire va se sentir proches pour
avoir surmonté ensemble les mêmes épreuves et vu le sang coulé, le leur comme celui
de leurs ennemis. Ce phénomène de « frères d’armes » tend à se manifester entre les
membres d’une même unité suffisamment proches. Or ces deux cas de figures sont
plus ou moins présents dans l’imaginaire des joueurs, ce qui peut avoir une implication
dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux. M. Frostling-Henningsson insiste sur
l’idée que « playing FPS games can be interpreted as a way of connecting to people,
connecting as ‘‘brothers in blood’’ »520. Dès lors il semble pertinent de souligner les
similitudes entre la façon dont se perçoivent et se comportent entre eux certains

518 FROSTLING-HENNINGSSON Maria, « First-Person Shooter Games as a Way of Connecting to


People: “Brothers in Blood” », Cyberpsychology & behavior: the impact of the Internet, multimedia and
virtual reality on behavior and society, 2009, p. 558.
519 BALZAC Honoré de, Le médecin de campagne, 1833, p.37.

http://www.biblioteca.org.ar/libros/168064.pdf
520 FROSTLING-HENNINGSSON Maria, « First-Person Shooter Games as a Way of Connecting to

People: “Brothers in Blood” », Cyberpsychology & behavior: the impact of the Internet, multimedia and
virtual reality on behavior and society, 2009, p. 562.
430
joueurs qui combattent ensemble dans l’univers virtuel et le contexte guerrier ou
militaire avec les « frères d’armes ».

Dans la continuité de notre propos, un joueur m’a confié au sujet d’un autre
avec lequel il était ami depuis plusieurs années en jeu que c’était son « frère » parce
qu’ils avaient ensemble « affronté les mêmes épreuves, les mêmes adversaires ». Ils
faisaient partie tous les deux du « noyau dur PVE HL » de leur guilde, c’est-à-dire du
groupe fixe qui pratiquait des opérations de haut niveau où les joueurs luttent contre
de redoutables ennemis contrôlés par l’ordinateur, mais ils avaient aussi fait du «
Joueur contre Joueur classé » ensemble. L’idée est qu’ils avaient perdu ensemble,
qu’ils avaient enduré les mêmes épreuves, échoué et persévéré jusqu’à la réussite.
En étant confrontés à ces situations, ils avaient éprouvé une palette d’émotions et de
sentiments, de l’agacement aux rires. En somme, ils avaient dû faire face à l’adversité
et leur amitié s’en est retrouvée renforcée. Ce statut de « frère » dans le monde virtuel
tend à représenter le lien qui place parfois l’autre dans une position plus importante
que celle d’un « simple » ami.

Les relations entre hommes et femmes sont le thème central de cette dernière
partie. Les joueuses occupent des places bien différentes en fonction de divers
facteurs. Beaucoup moins nombreuses que les hommes dans Star Wars The Old
Republic, comme dans la plupart des jeux de rôle en ligne massivement multijoueur,
et encore sujettes à des stéréotypes variés, elles peuvent être victimes d’attitudes
antagonistes. Harcelées ou discriminées en raison de leur appartenance sexuée, elles
en viennent à développer des mécanismes leur permettant de se protéger des
agressions de la gent masculine. Elles vont par exemple s’abstenir de révéler qu’elles
sont des femmes, éviter les vocaux… Dans ce monde virtuel où les interactions
sociales sont omniprésentes, les joueuses sont au cœur des jeux de séduction. Objets
de désir convoités, certaines n’hésitent pas à utiliser leur charme pour obtenir ce
qu’elles souhaitent...
Des échanges entre joueurs et joueuses peuvent naître des sentiments allant
au-delà de l’amitié, et des rivalités opposent parfois des individus intéressés par la

431
même joueuse, ce qui est bien évidemment susceptible d’engendrer des tensions.
L’évolution des relations s’expriment en dehors de l’univers numérique mais aussi
dans le cadre même du jeu par les comportements des personnes impliquées qui
témoignent de leur inclination l’une envers l’autre. Le triangle amoureux ou le « harem-
inversé » sont d’autres types de relations que l’on rencontre fréquemment. Toutefois,
le couple demeure tout de même la configuration finale, en règle générale. Les
ruptures et les infidélités tendent à donner une image négative des couples formés au
sein du jeu auprès d’une partie de la communauté qui tend à s’en méfier, les
considérant comme une potentielle source d’ennuis pour le groupe, ou la guilde.
Certains choisissent même d’exclure les joueuses, implicitement ou non, par crainte
des problèmes que leur venue pourrait occasionner.
L’attachement n’est cependant pas toujours amical ou amoureux, il arrive qu’il
prenne d’autres formes. C’est notamment le cas avec le phénomène de la « maman-
chef ». Ce statut caractéristique de joueuses ayant des rapports maternels vis-à-vis
d’autres joueurs n’est obtenu que dans des cas particuliers. Il leur permet d’avoir des
comportements spécifiques envers eux, par exemple les sanctionner lorsqu’elles
jugent que c’est nécessaire ou les réconforter quand ils en expriment le besoin. Pour
terminer, les relations fraternelles n’ont pas été oubliées, quel que soit le sexe des
individus concernés, y compris lorsque des joueuses sont impliquées. Ces relations
fraternelles peuvent aussi unir des joueurs et des joueuses qui n’ont aucune filiation
commune mais qui se considèrent pourtant non pas comme des amis mais comme
des frères ou sœurs.
En somme, les rapports entre les hommes et les femmes, dans ce type de jeu,
revêtent parfois des aspects moins conventionnels que ceux que l’on rencontre
d’ordinaire en dehors de l’univers numérique. Les formes que prennent les relations
entre joueurs et joueuses sont à la fois semblables et différentes de celles qu’on
observe dans le monde « réel ». Les caractéristiques de la rencontre et des échanges
qui en découlent, corrélées au jeu en tant que cadre de ces interactions avec ses
particularités tels que l’anonymat ou la dimension ludique, interviennent
indéniablement sur les membres de cette communauté ancrée dans le virtuel et leurs
liens entre eux.

432
Conclusion

433
L’écrivain et voyageur Nicolas Bouvier a écrit : « si l’on ne peut plus guère
progresser dans l’art de se détruire, il y a encore du chemin à faire dans l’art de se
comprendre »521. Le monde virtuel et ceux qui le parcourent sont encore l’objet de bien
de préjugés. Cette thèse a cherché autant que possible à les effacer ainsi que de
permettre aux lecteurs de mieux appréhender les jeux vidéo, plus particulièrement
massivement multijoueur, grâce à l’exemple étudié : Star Wars The Old Republic.

Nous avons commencé ce travail de recherche par l’analyse du processus


d’apprentissage du jeu. Le lecteur est ainsi amené à découvrir le fonctionnement et
l’univers du jeu, en suivant un cheminement semblable à celui des autres joueurs.
Evoluer au sein de cet environnement nécessite de se familiariser avec ses
mécanismes mais aussi de comprendre la langue employée par les joueurs ainsi que
les règles, y compris sociales, explicites ou non, qui régissent leurs interactions. Le
rapport aux autres apparaît donc très tôt, et avec lui, l’opposition entre alliance et
antagonisme. Alors que d’un côté les guildes constituent un outil majeur pour réunir
les joueurs, le système même de faction, la compétitivité et même certaines activités
comme le mode « Joueurs contre Joueurs », les opposent. Cependant tous ces
joueurs constituent une communauté ; celle-ci est d’ailleurs influencée par le contenu
du jeu et plus largement par la licence Star Wars ainsi que par les autres joueurs. Le
concept de socialisation a permis d’apporter des éclaircissements à ce sujet,
notamment en mettant en évidence que Star Wars est un phénomène social dont
l’impact n’est pas négligeable.

Pour comprendre les interactions, il nous a été nécessaire de nous intéresser à


la pluralité des facettes identitaires qui caractérisent les protagonistes de ce monde
virtuel. Nous avons distingué les personnages du joueur qui les incarne et de qui il est
derrière l’écran de son ordinateur en tant que personne sociale. Chacun peut porter
un masque pour devenir quelqu’un d’autre ou au contraire se défaire de celui qu’il porte
d’ordinaire pour pouvoir exprimer qui il est en réalité. Les motivations sont variées, tout
comme les comportements que les individus s’autorisent sous couvert de leur
anonymat, allant de la triche au harcèlement… Toutefois, tous ces échanges positifs

521 BOUVIER Nicolas, Chronique japonaise, Paris, Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, 2007, p. 113.
434
ou négatifs ne peuvent avoir lieu que parce que cet univers virtuel est un espace de
rencontre et de sociabilité dans lequel des relations, plus ou moins profondes, se
tissent. Elles dépassent bien souvent le cadre du jeu, en particulier lorsque l’amitié se
renforce au fil du temps ou que l’amour apparaît.

La dernière partie fut davantage consacrée aux rapports hommes/femmes. Elle


permet de mieux comprendre la place complexe occupée par les joueuses, comment
elles sont perçues par les autres et quelles sont les interactions spécifiques en lien
avec elles qui surviennent dans le cadre des jeux vidéo en ligne massivement
multijoueur. Le couple, ainsi que les autres rapports amoureux, moins conventionnels
tel que le « harem-inversé » qui fait référence à la situation où une joueuse est
courtisée par de nombreux prétendants, constituent un aspect important des relations
entre les sexes. La séduction et la romance occupent en effet une place non
négligeable dans les rapports hommes/femmes observés en jeu, ce qui n’empêche
pas que les couples de joueurs ne soient pas toujours bien vus. Ils sont considérés
par certains comme une source de problème pour la communauté. Pour terminer, les
rapports maternels, avec le phénomène de la « maman-chef », et fraternels n’ont pas
été occultés. Ils ont permis d’illustrer qu’au fond, les jeux vidéo de ce type sont le
théâtre d’une multitude d’échanges et font naître bien des sentiments dans le cœur
des joueurs comme des joueuses.

En somme, le monde virtuel est un espace de sociabilité, et les jeux en ligne


massivement multijoueur constituent des espaces de rencontre qui débordent des
limites du jeu. Quelle que soit la nature des sentiments qui naissent entre les gens, et
même si la première rencontre se fait derrière un écran, les faits sont là… Des individus
conversent, s’attachent, ou pas, vivent. Bien que les jugements de valeur persistent
sur ce mode de rencontre, tout comme les stéréotypes, ça ne leur enlève en rien leur
véracité.

A travers cette thèse, j’ai souhaité proposer une analyse des interactions
sociales au sein d’un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur. Les jeux vidéo
constituent un loisir apprécié par la majorité de la population française. Il existe de nos

435
jours une variété de supports, de types de jeux, et de pratiques. Les MMORPG ne
constituent pas les seuls jeux vidéo qui permettent les échanges entre les joueurs. Les
autres types de jeux multijoueur ou en coopération rendent aussi les interactions entre
les individus qui y jouent possibles. Par ailleurs, l’étude d’un MMORPG ne peut être
généralisée et étendue à tous les autres jeux vidéo. Nous n’avons ainsi qu’une facette
de cette activité de loisir. Cependant, elle permet de mettre en perspective les discours
récurrents, et parfois erronés, relatifs aux jeux grâce à une démarche scientifique. La
dimension « jeu de rôle » rend possible des interactions supplémentaires à l’échelle
des personnages et attire les rôlistes en plus des autres types de joueurs. Le côté
« massivement multijoueur » signifie que la communauté va être particulièrement
importante aussi bien en terme de nombre de joueurs que de la place occupée par les
interactions sociales dans l’expérience de jeu. De fait, le choix d’un MMORPG pour
étudier les rapports entre les joueurs s’est avéré légitime et d’une grande richesse.

L’enjeu était de mieux comprendre les échanges entre joueurs au sein du


monde virtuel sans se limiter à la gent masculine et de prendre aussi en considération
les joueuses. Cet angle d’approche présente l’originalité d’associer les questions de
genre à l’étude d’un type de jeu vidéo populaire et propice aux échanges entre les
individus. J’ai ainsi réalisé la monographie d’un jeu, Star Wars The Old Republic, qui
n’avait pas été l’objet de recherches approfondies alors qu’il s’agit pourtant d’un jeu
massivement multijoueur d’une licence mondialement connue et très à la mode depuis
la sortie récente des nouveaux films, en accordant une place essentielle aux questions
de genre encore trop souvent négligées. Le caractère novateur de cette thèse réside
en partie dans cette orientation genrée que j’ai choisi de prendre. Elle apporte non
seulement une étude de cas supplémentaire qui complète d’autres analyses portant
sur les jeux vidéo mais propose aussi de nouveaux concepts comme le phénomène
de la « maman-chef » et des applications de notions existantes relatives à d’autres
domaines tel que le « harem inversé » terme rattaché d’ordinaire à un genre de shojo,
manga destiné à un public jeune et féminin.

Ces apports conceptuels et l’ensemble des données supplémentaires que


comporte ce travail contribuent à enrichir notre connaissance de ce dixième art encore

436
assez récent et des pratiques des joueurs. Un des points forts de cette thèse est
l’analyse qui est faite du jeu en lui-même et de ce qui se déroule en son sein, mais
aussi de tout ce qui se joue entre les membres de cette communauté dans le monde
virtuel en dehors du jeu, et enfin, hors de l’espace numérique. Alors que les chercheurs
choisissent bien souvent de privilégier un aspect, ce qui est pertinent pour leurs
recherches, nous avons pris le parti de considérer l’ensemble car c’est de cette façon
uniquement qu’il nous a été possible de répondre à notre problématique relative aux
interactions sociales.

C’est autour de la notion que nous avons nommée « triptyque identitaire » que
s’articule cette réflexion : chaque personne sociale qui devient un joueur lorsqu’il
pratique cette activité incarne un personnage évoluant dans l’environnement du jeu.
Pour comprendre les interactions qui sont liées à ce cadre ludique, il importe de ne
négliger aucune de ces trois entités (le personnage, le joueur, la personne sociale).
Les interactions ont lieu aux différents niveaux, entre les personnages grâce
notamment au jeu de rôle, entre les joueurs, dans l’espace numérique, puis entre les
personnes sociales lorsque les affinités aboutissent à des rapports en dehors de la
sphère virtuelle, comme lors des rencontres « IRL » ou « In Real Life ».

Le monde numérique tout comme celui que communément nous appelons le


monde « réel » s’entremêlent. Les identités deviennent parfois floues. On ignore qui
est véritablement l’autre, on devient soi-même quelqu’un d’autre… Certains
choisissent de profiter de leur anonymat ou de jouer de la confusion, laissant planer
un doute sur qui ils sont ou même de se faire passer pour autrui, comme les joueurs
prétendant être des femmes, ou l’inverse. Quoi qu’il en soit, les échanges sont
omniprésents. Toutes ces questions sur l’identité prennent du sens au regard de
l’importance qu’ont les interactions sociales.

Si une multitude de facteurs interviennent dans les modalités d’échange entre


les joueurs, c’est bien leur attitude, et éventuellement leur réputation, qui jouent un rôle
dans les rapports qu’ils entretiennent avec les autres. Leur comportement, mais aussi
l’identité qu’ils mettent en avant, leur permettent de tisser ou non des liens avec les

437
autres membres de cette communauté. Le sexe est un critère qui peut occuper une
place fondamentale dans le type d’interaction qu’entretiennent entre eux un joueur et
une joueuse, en particulier en ce qui concerne les jeux de séduction et les rapports
maternels, comme nous l’avons longuement évoqué.

Pour clore cette thèse, il apparaît comme étant important d’avancer des pistes
pour de futures recherches. Il pourrait en effet être pertinent de s’interroger sur les
autres types de jeux multijoueur. Nous pourrions nous demander si les spécificités des
MMORPG favorisent davantage les interactions par rapport à d’autres genres de jeux
vidéo, pourtant aussi massivement multijoueur, par exemple les « battle royale »
actuellement à la mode comme PlayerUnknown's Battlegrounds ou Fortnite.

De futures recherches pourraient s’orienter plus spécifiquement sur les couples


formés en jeu et sur leur évolution sur un temps plus long, mais surtout de déterminer
quelle part ils représentent : celle-ci ne serait-elle pas en train de croître depuis ces
dernières années ? Une comparaison plus poussée avec les sites de rencontre et leur
popularité serait aussi la bienvenue pour mieux comprendre cette nouvelle fonction du
numérique dans la vie sentimentale des gens.

Enfin, se pencher sur les communautés au sein même de ces jeux vidéo
apporterait aussi des connaissances supplémentaires sur le sujet. Alors que certains
se regroupent en revendiquant leur appartenance, comme les guildes LGBT, d’autres
décident de rejoindre des guildes qui s’apparentent plutôt à des sectes. Des
associations aux sectes, les guildes, pourtant l’objet de travaux variés, n’ont pas fini
d’être étudiées. Si nous avons travaillé sur les guildes en tant que regroupements de
joueurs et espace privilégié d’interactions, nous ne nous sommes pas penchés sur
celles, très spécifiques, revendiquant une appartenance politique ou religieuse, ou une
orientation sexuelle, que nous n’avons pas rencontré sur le serveur français de Swtor.
Pourtant, nous avons toutefois pu observer l’existence de guildes rattachées à une
nationalité, par exemple, sur les serveurs anglophones. Par ailleurs, certaines guildes
orientées jeu de rôle correspondent en bien des points à des sectes dans le cadre de
leur jeu -et non en dehors de celui-ci-.

438
Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, une secte peut
être définie comme une « organisation d'inspiration religieuse ou mystique (voire
politique), dont les membres vivent en communauté et sous l'influence d'une ou
plusieurs personnes »522. Le maître du jeu, qui occupe souvent une position dominante
dans la hiérarchie interne de la guilde, incarne un personnage proche du gourou.
Plusieurs guildes rencontrées sont semblables dans leur jeu de rôle à des sectes : plus
ou moins isolationnistes, avec une idéologie forte, des règles strictes, une hiérarchie
clairement établie, des cérémonies et des rites… Ce fut le cas par exemple dans la
guilde L’Ordre des Gardiens Oubliés. Cette guilde de rôlistes est centrée sur un Etat
fictif, Trinitea, dont voici la description extraite de leur forum :

« Trinitea est dirigé par l'Ordre des Gardiens Oubliés, un groupuscule


d'utilisateurs de la Force préconisant un usage neutre de cette dernière. Ils font preuve
d'abnégation au profit de leur Ordre tout en dévouant un réel culte à la raison et la
nécessité qui en découle. Les Gardiens sont guidés par un Premier Maître qui a tout
pouvoir sur l’État. »523

Cet usage neutre est présenté comme « amoral »524 puisque Trinitea passe avant tout,
soi et autrui, et « peu importe la méthode, seul le résultat compte »525. Notons que tous
ceux qui rejoignent Trinitea doivent lui offrir toutes leurs possessions, et doivent se
détacher de leurs proches. L’actuel Premier Maître, quant à lui, n’a pas été élu et
détient le pouvoir à vie, sans qu’il soit possible de le destituer. Au sein de ce système
autocratique, il a conçu la législation et possède toute autorité pour modifier ou créer
d’autres lois, il attribue les titres et fonctions et contrôle aussi le pouvoir judiciaire. De
plus, toute l’organisation sociale interne repose sur une discrimination qui s’appuie sur
le fait d’être sensible ou non à la Force, puisque seuls ceux qui le sont pourront
accéder aux plus hautes sphères du pouvoir. La propagande idéologique est par

522 https://www.cnrtl.fr/definition/secte (Consulté le 24/06/2019)


523 http://rp-sw-go.forumactif.com/t43-contexte-historique (Consulté le 24/06/2019)
524 http://rp-sw-go.forumactif.com/t38-alignements (Consulté le 24/06/2019)
525 Ibidem.

439
ailleurs omniprésente : « une fois fait citoyen, ma vie a changé »526. A travers ces
quelques lignes, nous observons les nombreux points communs avec les sectes, et si
on s’appuie sur les critères de la MIVILUDES, c’est-à-dire la Mission interministérielle
de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, on retrouve plusieurs critères qui
permettent même de considérer qu’au sein de ce jeu de rôle de véritables dérives
sectaires existent. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur ces guildes sectes
comme L’Ordre des Gardiens Oubliés qui nous sert ici d’exemple illustratif et n’a été
que sommairement évoqué : est-ce que les joueurs en sont conscients ? Est-ce que
leurs rapports en dehors du jeu sont affectés par ce qui se déroule en son sein ? En
se détachant du jeu de rôle, est-ce que des sectes non fictives investissent le monde
des jeux vidéo en ligne ?

526 http://rp-sw-go.forumactif.com/t23-ch-3-les-douze-lois-trinitiennes (Consulté le 24/06/2019)


440
Lexiques

441
442
Lexique général de Star Wars

• Les factions

Deux camps principaux s’opposent au sein de la galaxie :


Empire
L’Empire est dirigé par l’Empereur, qui souhaite dominer l’ensemble de la galaxie. Le
culte de la personnalité associé à la propagande, le contrôle des moyens d’expression,
les règles strictes et les sévères sanctions sont autant de moyens lui permettant d’avoir
la main mise sur la population dans un contexte où l’esclavage est omniprésent, tout
comme la hiérarchisation de la société y compris en fonction de critères tels que
l’appartenance à une espèce ou l’affinité ou non avec la Force. Les forces militaires et
les Services secrets ainsi que les Siths veillent à contrôler et étendre leur emprise. La
planète capitale de l’Empire est Dromund Kaas.

République
La République est dirigée par un Chancelier, élu par l’ensemble des représentants des
planètes membres qui siègent tous au Sénat Galactique, situé sur la planète capitale
Coruscant. Les valeurs véhiculées par la République sont l’égalité entre les espèces,
l’équité des échanges… Les Jedis sont les alliés de la République.

• La Force et ses utilisateurs

Force
La Force est une énergie reliant tous les êtres entre eux mais plus ou moins présente
chez les individus et les espèces. Alors que certaines espèces ont une grande affinité
avec la Force comme les Miralukas, pour d’autres c’est l’inverse, comme les Chiss.
Apprendre à maîtriser la Force permet d’obtenir des capacités variées comme la
télékinésie, l’influence sur autrui, des sens plus développés… La Force est neutre, elle
possède un côté obscur et un côté lumineux selon les usages qu’on fait d’elle.

443
Plusieurs organisations en lien avec la Force existent, l’Ordre Sith et l’Ordre Jedi qui
s’opposent sont les plus connus.

Sith
Les Siths sont des utilisateurs de la Force rattachés à l’Ordre Sith dirigé par le Conseil
Noir. L’Académie Sith qui se trouve sur Korriban enseigne les préceptes à suivre, tel
que le Code Sith, et les compétences indispensables, en particulier de combat et de
maîtrise de la Force et du sabre. Les Siths se vouent au côté obscur. Une
hiérarchisation les distingue, et après avoir survécu à une première formation à
l’Académie, le futur Sith devient l’Apprenti d’un autre Sith de rang supérieur. L’ambition
et la quête de pouvoir les caractérisent souvent.

Jedi
Les Jedis sont des utilisateurs de la Force rattachés à l’Ordre Jedi dirigé par le Conseil
Jedi. Le Temple Jedi qui se trouve sur Tython enseigne les préceptes à suivre, tel que
le Code Jedi, et les compétences indispensables, en particulier de combat et de
maîtrise de la Force et du sabre. Les Jedis se vouent au côté lumineux. Une
hiérarchisation les distingue et le Padawan est l’équivalent de l’Apprenti Sith. Il est
rattaché à un maître Jedi dont il doit suivre les enseignements. Les Jedis sont tournés
vers la paix, l’harmonie, et prônent l’entraide.

• Les armes

L’univers de Star Wars comprend de nombreuses armes, voici les principales :


Blaster
Un blaster est assez semblable à une arme à feu mais n’a pas besoin de balles comme
munitions puisqu’il est équipé à la place d’un laser.

Sabre laser

Le sabre laser est une arme ne pouvant être maniée correctement que par les
utilisateurs de la Force. Un sabre laser pourrait être décrit comme une sorte d’arme
blanche dont la lame est un laser. Le laser a pour origine un cristal de la même couleur.

444
La couleur du laser est un indicateur, par exemple les Siths utilisent la plupart du temps
un cristal rouge…

• Les déplacements

Les déplacements dans l’espace se font grâce à des vaisseaux qui peuvent
constituer une Flotte, comme des navires.
Hyperespace
L’hyperespace permet de se déplacer très rapidement en voyageant plus vite que la
vitesse de la lumière.

Speeder
Un speeder est un véhicule terrestre qui n’est pas soumis à la gravité grâce à une
technologie avancée fictive. Il permet des déplacements plus ou moins rapides à une
altitude variable en fonction de son modèle.

445
Lexique relatif aux jeux vidéo et au monde virtuel

Aggro
L'aggro est un terme qui a pour origine « agressivité ». L'aggro n'apparaît que lors des
phases de combat. Lorsqu'un joueur prend ou récupère l'aggro cela signifie qu'il attire
l'attention de l'adversaire et en devient la cible.

Avatar
Un avatar est une apparence virtuelle associé à une personne, à un groupe etc...

Boss
Un boss est un adversaire plus puissant que les autres.

Bot
Un bot est un personnage joueur agissant selon un programme et non selon le joueur
directement, bien que ce soit interdit.

Buff
Un buff est une amélioration des caractéristiques du personnage obtenue grâce à une
compétence.

Bug
Un bug est une anomalie informatique. Il s'agit d'un dysfonctionnement.

Burst
Ce verbe qui veut dire en anglais « éclater » est le phénomène qui permet d’envoyer
un maximum de puissance pour infliger d’énormes dégâts sur un laps de temps très
court.

Camper
Ce terme renvoie au fait de rester dissimulé à un endroit et d’y attendre l’apparition de

446
quelque chose, le plus souvent des adversaires mais parfois des objets, par exemple
un coffre ou des ressources.

Caster
Verbe dérivé de l’anglais to cast signifiant lancer ou jeter, et désignant le fait
d’enclencher une compétence. Un laps de temps s’écoule entre le moment où le joueur
décide de l’activer et le moment où la compétence prend effet.

Casual
Un joueur dit « casual » est un joueur qui ne joue qu'occasionnellement.

Cheat
« Cheat » vient de l'anglais et signifie tricher.

Classe
La classe correspond à une catégorie à laquelle appartient le personnage et qui se
distingue d'autres catégories, les autres classes, chacune étant établie en fonction de
plusieurs paramètres, tels que le rôle, le style de combat, le type d'arme et d'armure
etc...

Craft
Le craft, terme d'origine anglaise, est la confection ou l'artisanat.

Collection
La collection est l'ensemble des objets possédés par le joueur et associés à son
compte et non à un seul personnage.

Conquête
La conquête dans Swtor correspond à l'activité de guildes en compétition pour
s'attribuer temporairement une planète précise en accumulant le plus de points,
obtenus par différents moyens.

447
Cut
Un cut est une compétence qui interrompt celle que l’adversaire est en train de lancer.

Down
De l’anglais « en bas », ce mot est employé pour faire référence à un ennemi qui a été
vaincu, le plus souvent lors d’une opération.

Event
Un event est le terme anglais qui désigne un évènement. Un évènement est une
animation spéciale et temporaire mis en place par les développeurs.

Farm
Verbe anglais signifiant « cultiver », il s’agit de l’activité visant à obtenir en un minimum
de temps un maximum de résultats : points d’expérience, ressources… y compris en
faisant un boucle les mêmes actions même si c’est peu ludique.

Flood
Le "flood" qui signifie "inondation" en anglais est l'action malveillante qui consiste à
noyer un canal de discussion afin de le saturer et de le rendre difficilement utilisable.

Focus
Le focus, terme d'origine anglaise, est l'action de se concentrer sur une seule cible.

Fofo
Un fofo signifie un forum.

Frag
Le frag correspond au fait de ne se concentrer que sur les dégâts à infliger aux
ennemis au détriment de tout le reste -l'objectif, la protection des alliés etc.-.

448
Full
"Full" signifie en anglais "plein", il est souvent utilisé pour parler de son inventaire par
exemple.

Fufu
Un fufu est un personnage furtif, et dans Swtor, cela signifie qu'il peut devenir invisible.

Gameplay
Le gameplay est la façon dont se joue le jeu.

Guilde
Une guilde est un regroupement de joueurs ayant décidé de s’associer sous un même
nom.

Heal
Un heal est un soin ou le personnage dont le rôle est de soigner, le terme est anglais.

Heal Bot
Un heal bot est un joueur ayant un personnage de type soigneur qui accompagne un
autre joueur, ou un petit groupe, et se focalise uniquement sur lui sans se soucier des
autres.

Héritage
Dans Swtor, l'héritage est un système qui lie tous les personnages d'un joueur sur un
serveur. Il permet de voir les succès obtenus, les espèces et les classes
déverrouillées, d'établir une généalogie entre ses personnages...

Index
L'index, dans Swtor, est relatif au mode « Joueur contre Joueur classé », il correspond
au score global du joueur. Il augmente si celui-ci gagne des matchs et diminue lorsqu'il
perd. Le classement des joueurs se base sur leur index.

449
Interface
Une interface est l'ensemble des éléments qui fournissent au joueur des informations,
telle que la santé de son personnage ou son niveau, et lui permettent d'accéder à des
fonctions comme ses compétences ou des menus du jeu. L'interface peut être modifiée
par le joueur selon ses besoins et sa façon de jouer.

Instance
Une instance ou phase est une zone dont l’accès est réservé à certains joueurs, par
exemple dans le cadre d’une quête. Un joueur qui entre seul dans une instance ne
rencontrera pas d’autres joueurs, il y a ainsi autant d’instances identiques que de
joueurs qui pénètrent dans cette zone.

Kick
"Kick" signifie en anglais "donner un coup de pied", ce terme est utilisé lorsqu'un joueur
est éjecté de façon brutale d'un espace -lieu dans le jeu, serveur, vocal- ou d'un groupe
-groupe, guilde-.

Lag
Le terme "lag" désigne la latence, il s'agit de la durée nécessaire à la transmission de
données entre une source et sa destination. Dans le cadre des jeux en ligne, cela fait
référence à des ralentissements ou à des images saccadées. Plus la latence est
élevée, plus l'individu derrière son écran voit le jeu avec un temps de retard important.
Les commandes saisies par le joueur mettent aussi du temps à arriver au serveur, dont
la réponse est également soumise au même délai ; le résultat est qu’un décalage
parfois gênant se produit entre une commande et le résultat de l’action à l’écran. La
latence peut être due à plusieurs facteurs dont des problèmes de connexion Internet,
mais elle peut aussi venir des serveurs.

Launcher
Launcher est un mot anglais qui signifie « lanceur ». Il s'agit d'un programme qui active
un logiciel, une application.

450
Lead
Dans Swtor, lorsqu'un groupe se forme, celui qui en est à l'origine détient le pouvoir
d'accomplir un certain nombre d'actions par exemple inviter ou exclure des joueurs du
groupe. Il peut aussi transmettre ce pouvoir à un autre membre du groupe. Le terme
« lead » désigne la possession de ce pouvoir. Il est intéressant de faire remarquer que
son usage est privilégié par rapport au terme « leader » ou « chef ». Les joueurs ont
ainsi davantage tendance à formuler "qui a le lead" plutôt que « qui est le leader ».

Loot
Le loot correspond à l’objet de récompense qu'un joueur gagne. Il peut être obtenu en
accomplissant une quête, en trouvant un coffre, ou encore en combattant un
personnage non-joueur adverse. Dans ce dernier cas, le joueur peut aussi utiliser le
terme drop qui désigne ce que le mob a laissé tomber à sa mort.

Macro
Une macro est une programmation de plusieurs actions s'enchainant selon un ordre
défini. Dans Swtor, les macros sont particulièrement usitées lors des combats :
appuyer sur une touche ou un bouton de la souris permet au personnage de réaliser
à la suite, et sans qu'il y ait de perte de temps, plusieurs compétences. Des pads de
jeu et des souris spécifiques possédant de nombreux boutons -jusqu'à une vingtaine
environ- sont souvent utilisés par les adeptes des macros. Leur usage en jeu est
pourtant prohibé.

Main
Le « main » désigne le personnage principal du joueur.

Marché du cartel
Le marché du cartel est une boutique dans Swtor permettant d'acheter via une
monnaie spécifique, les pièces de cartels, des éléments en jeu comme des vêtements,
des montures, des armes...

Marché galactique

451
Le marché galactique est l'espace de vente et d'achat entre joueurs. Il leur permet de
commercer.

Mez
Le mez vient de mesmerize qui signifie hypnotiser, il s’agit d’une compétence qui
immobilise et empêche la victime d’agir. Ce terme peut aussi être utilisé pour désigner
cet état. Un mez est de courte durée et peut être interrompu si la victime subit des
dégâts.

Mob
Un mob est un personnage non-joueur ennemi.

Mule
Une mule dans un jeu vidéo désigne un personnage dont la fonction est de servir de
moyen de stockage, afin de ne pas encombrer l’inventaire du personnage, dans les
cas où les coffres sont pleins.

Nerf
Le nerf fait référence à la diminution de la puissance de quelque chose : compétence,
classe… Il est mis en place par les développeurs d’un jeu dans l’optique d’équilibrer
des éléments jugés inégaux.

Ninja
Un ninja est un joueur qui s’approprie les ressources, récompenses ou coffres
légitimement destiné à un autre joueur.

Nolife
Nolife signifie littéralement « sans vie » si l’on traduit cette expression anglaise en
français. Ce terme est utilisé pour désigner des individus consacrant la majeure partie
de leur temps dans le monde virtuel.

452
Noob
Noob est un terme péjoratif qui désigne un joueur débutant.

Opé, ou opération
Dans Swtor, une opération est une activité de groupe destiné à huit ou seize joueurs
qui affrontent ensemble plusieurs ennemis puissants gérés le jeu.

Opti
Opti est le diminutif d’optimisation qui vise à améliorer les performances du
personnage et par conséquent du joueur, par exemple en choisissant intelligemment
son équipement.

Pad
Un pad est outil connecté à un ordinateur, comprenant de nombreuses touches
programmables permettant les raccourcis ou les macros et principalement utilisé dans
le cadre de jeux vidéo.

Pet
Mot anglais signifiant « animal de compagnie », il est en général utilisé par les joueurs
pour faire référence à une créature -animale ou non- qui les accompagne. La
différence entre le pet et le partenaire est que celui-ci, qui est un personnage non-
joueur, se bat aux côtés du joueur. Néanmoins, par abus de langage, il est fréquent
qu’un partenaire soit appelé « pet » par les joueurs.

Pexer
Pexer signifie faire monter de niveau son personnage. Le terme anglais levelling est
parfois employé.

Pick Up
Un pick-up est un joueur qui intègre un groupe de joueurs se connaissant tout en étant
inconnu d’eux. Le recours au pick-up est fréquent lorsqu’un groupe incomplet a besoin
d’un rôle spécifique pour pouvoir faire une opération.

453
Proc
Sur Swtor, le proc désigne soit :
- l’activation d’un effet -sur un objet, d’une compétence…-
- la réponse du jeu permettant l’accès à une activité pour laquelle le joueur s’était mis
dans une file d’attente.

Pop
Pop signifie apparaître soudainement, c’est notamment le cas des « mobs » d’une
zone qui même s’ils sont tués réapparaissent après un laps de temps.

Pull
Terme qui désigne le fait d’engager le combat.

Race
Au sein des jeux vidéo, ce terme désigne les différentes espèces humanoïdes ou non
qui peuplent l’univers. Ce terme n’a aucune connotation négative.

Rageux
Nom ou adjectif désignant le joueur, ou son attitude, qui a tendance à s’emporter
rapidement, à faire preuve d’agressivité, de jalousie et de mauvaise foi.

Raid
Un raid est une opération.

Random
Random signifie au hasard. Le lancer de dé est utilisé dans le jeu pour obtenir un
résultat aléatoire lorsque c’est nécessaire, par exemple pour attribuer une récompense
à un membre du groupe.

454
Regen
Regen vient de régénération qui consiste à récupérer des points de vie et de points
d’énergie.

Reroll
Un reroll est un personnage appartenant à un joueur mais qui n’est pas son
personnage principal.

Rez
Rez est un diminutif pour résurrection.

Sap
Le sap est un type de stun qui ne peut être employé que par un personnage furtif
lorsqu’il l’est et qui agit sur sa victime, si elle n’est pas en combat, pour un temps plus
long qu’un stun ordinaire.

Screenshot
Il s’agit du terme anglais pour capture d’écran.

Serveur
Un serveur est une machine qui stocke des données dans un centre.

Skill
Ce terme anglais désigne la plupart du temps le talent du joueur.

Skin
Le skin, qui vient de l’anglais et veut dire « peau », est l’apparence d’un personnage,
c’est-à-dire son physique mais aussi sa tenue.

Spam
Les spams sont des communications indésirables, des messages inappropriés, ou
répétés en boucle par exemple.

455
Spawn
Le spawn est l’endroit d’apparition des personnages.

Spé
Spé est le diminutif de spécialisation. Chaque classe propose des spécialisations
différentes dans lesquelles le style de jeu et les compétences varient.

Spoiler
Verbe qui désigne le fait d’annoncer une information importante et donc en général,
d’en gâcher la surprise.

Solo Q
Le solo Q désigne l’activité « Joueur contre Joueur classé ».

Stuck
Mot anglais qui signifie « coincer ». Il arrive en effet qu’un personnage se coince dans
le décor.

Stuff
Le stuff, de l’anglais « affaires », désigne l’équipement du personnage.

Stun
« Stun » est un verbe anglais signifiant étourdir, il s’agit d’une compétence qui
immobilise et empêche la victime d’agir. Ce terme peut aussi être utilisé pour désigner
cet état. Un stun ne peut être interrompu si la victime subit des dégâts.

Succès
Les succès sont les trophées obtenus par le joueur et pour son compte en fonction
des actions qu’il a accompli.

456
Tag
Dans Swtor, le tag désigne le fait de se placer en file d’attente pour une activité.

Tank
Tank est une classe qui consiste à protéger les autres en attirant les adversaires sur
lui.

Taunt
Taunt, qui veut dire narguer en anglais, est une provocation à l’encontre des
adversaires afin d’attirer leurs coups. Il peut s’agit de l’utilisation d’une compétence ou
entre joueurs, de railleries.

TP
TP signifie téléporter.

Troll
Un troll est une personne qui apprécie aborder des thèmes sujets à polémique et se
délecter des réactions des autres.

Try
Try, mot l’anglais signifiant essai, correspond aux nombres de fois qu’un joueur ou un
groupe a tenté de réussir une activité -battre un adversaire, terminer un raid…- jusqu’à
son succès.

Vocal
Un vocal est un logiciel permettant à des personnes de discuter sur PC en se
connectant à un serveur, Teamspeak, Mumble ou encore Discord en sont des
exemples.

Wipe
Verbe anglais signifiant effacer, il est employé lorsque tous les membres d’un groupe
sont exterminés au cours d’un combat.

457
Zone de repos (cantina, forteresse)
Les zones de repos sont des espaces dans Swtor où lorsque le joueur s’y déconnecte,
son personnage gagne un bonus d’expérience qui augmente avec le temps jusqu’à
une certaine limite.

458
Sigles

AFK = Away From Keybord


Terme anglais usité pour signaler qu’une personne n’est plus devant son écran
d’ordinateur, littéralement « loin du clavier ».

AOE = Area of Effect


Une AOE est une zone d'effet. Cet effet peut être négatif ou positif. Dans le premier
cas, le personnage peut subir des dégâts par exemple, dans le deuxième il peut au
contraire récupérer des points de vie. Les AOE apparaissent ou sont utilisées le plus
souvent lors de combats.

BG = Background
Le background correspond à l’histoire passée d’un personnage de jeu de rôle.

BG = Battleground
Il s’agit des zones de guerre dans lesquelles s’affrontent des joueurs.

CAC = Corps à corps


Classe ou personnage d’une classe qui ne se bat pas à distance mais à proximité de
son adversaire.

DOT = Damage Over Time


Le terme "DOT" est utilisé pour caractériser des dégâts répétés sur un laps de temps.

DPS = Damage Per Second ou Dégâts par seconde


Le "DPS" correspond à la moyenne des dégâts infligés par seconde.

IA = Intelligence Artificielle

459
L'I.A est l'intelligence artificielle. L'intelligence artificielle correspond à la
programmation des attitudes des personnages non jouables et de tout
l'environnement.

IRL = In Real Life


Expression utilisée pour désigner la vie hors du monde virtuel.

GG = Good Game
« GG » est utilisé par les joueurs lorsqu'ils considèrent que la partie a été bien jouée.
Elle est le plus souvent usitée entre les membres d'un même groupe et en cas de
victoire mais il arrive qu'elle soit utilisée pour féliciter l'équipe adverse, et même en cas
de défaite.

GM = Guilde Master, ou MG = Maître de guilde


Le GM ou MG est le maître de guilde. Il s'agit du joueur qui occupe la place de chef de
guilde. Qu'il en soit ou non le fondateur, il occupe la place hiérarchique la plus élevée
au sein de sa guilde.

GS = Galactic Starfighter
Le GS, en français, combat spatial est un mode de jeu présent dans SWTOR. Les
joueurs, pilotant des vaisseaux, s’affrontent dans l’espace.

HL = High Level
Ce terme renvoie à tout ce qui est considéré comme étant de haut niveau.

HM = Hard Mode
Le HM correspond à un niveau de difficulté élevé pour les activités dans lesquelles le
joueur affronte l'environnement. Sur SWTOR, le HM, donc mode difficile, est possible
pour les Zones Litigieuses, et les opérations.

HPS = Heal Per Second


Le "HPS" correspond à la moyenne de soins fournis par seconde.

460
IG = In Game
Terme utilisé pour caractériser tout ce qui se déroule en jeu.

KOTFE = Knights of the Fallen Empire


Extension de SWTOR sortie en octobre 2015.

MAJ = mise à jour


Une mise à jour est une action qui actualise le logiciel, et dans notre cas, le jeu. Elle
permet souvent de faire des modifications telles que des ajouts ou des corrections.

MMORPG = massively multiplayer online role-playing game


MMORPG signifie jeu de rôle en ligne massivement multijoueur en français. Il s'agit
donc d'un jeu de type jeu de rôle accessible grâce à Internet par un très grand nombre
d’individus se retrouvant dans un même univers qui perdure y compris en l'absence
du joueur.

NM = Normal Mode
Le NM est le mode de difficulté normale.

PGM = Pro Gamer Master


Joueur considéré comme exceptionnel, ce terme est parfois utilisé de façon moqueuse
envers un joueur qui se considère comme bon mais dont le talent n’est pas forcément
reconnu par les autres.

PNJ = Personnage Non-Joueur


Un personnage non-joueur est un personnage que le joueur ne peut pas contrôler. Les
PNJ sont en quelques sortes les habitants de l'univers dans lequel le joueur évolue.

PV = Points de Vie
Les points de vie constituent la santé des personnages. Lorsqu'ils les perdent tous, ils
décèdent. Le personnage joué comme ceux qu'ils affrontent, ou protègent, ont une

461
quantité de point de vie qui n'est pas identique. Certains facteurs modifient la quantité
du point de vie du personnage tels que l'équipement ou le niveau.

PvE = Player versus Environment, ou JcE = Joueur contre Environnement


Mode de jeu consistant à avoir pour adversaire l’IA du jeu.
Le joueur affronte, seul ou en coopération, des adversaires non joueurs.
Dans les serveurs PvE de SWTOR, le joueur ne peut être attaqué par un joueur
ennemi dans les zones partagées entre plusieurs factions, à moins de choisir d’afficher
son drapeau JcJ, l’autorisant à attaquer les joueurs ennemis le portant mais aussi
d’être attaqué.

PvP = Player versus Player, ou JcJ = Joueur contre Joueur


Mode de jeu consistant à avoir pour principaux adversaires d’autres joueurs. Le joueur
affronte, seul ou en coopération, des joueurs ennemis. Dans les serveurs PvP de
SWTOR, le joueur peut à tout moment attaquer, et être attaqué par un joueur ennemi
dans les zones partagées entre plusieurs factions. Par ailleurs, hors des zones de
guerre, des adversaires non joueurs sont aussi présents.

RP = Roleplay, ou JdR = Jeu de Rôle


Le jeu de rôle est une activité consistant à incarner le personnage joué, qui telle une
véritable personne a son passé, sa personnalité, ses goûts et envies…

SWTOR = Star Wars The Old Republic


Star Wars The Old Republic est un jeu vidéo de rôle en ligne massivement multijoueur
sorti en 2011. Il a été développé par BioWare et édité par LucasArts.

TESO = The Elder Scroll Online


The Elder Scrolls Online est un jeu vidéo de rôle en ligne massivement multijoueur
développé par ZeniMax Online Studios, et sorti en 2014.

WB = World Boss

462
Un world boss est un adversaire généré par le jeu, présent à un endroit précis et
particulièrement puissant. Il faut, la plupart du temps, être nombreux pour pouvoir le
vaincre.

ZL = Zone Litigieuse
Les zones litigieuses, dans SWTOR, sont des zones scénarisées dans lesquelles se
déroulent des combats. Ces zones sont prévues pour quatre joueurs, la coopération y
est donc importante.

463
Expressions

God mode
L'expression "God Mode", "god" en anglais signifiant "dieu", renvoie à un état dans
lequel se trouve temporairement un personnage quasiment invulnérable ou jugé trop
puissant.

Kikimeter
L'expression très imagée "kikimeter" fait référence au logiciel permettant aux joueurs
d’enregistrer leurs performances, afin d’en obtenir les chiffres exacts souvent dans le
but de s’améliorer s’ils sont jugés trop faibles, ou de comparer les résultats pour se
classer entre eux.

No name
Un "no name" est un joueur inconnu de la communauté. Ce terme est utilisé pour
caractériser ceux qui ne se sont pas distingués et n'ont pas obtenu la reconnaissance
des autres joueurs.

PvP sauvage
Le PvP sauvage est une activité dans laquelle un ensemble de joueurs des deux
factions s'affronte hors d'une zone de guerre.

Rage quit
L'expression "rage quit" renvoie au comportement de joueurs qui, de colère, quittent
brutalement le jeu, y compris s'ils sont en train de participer à une activité, par exemple
lorsqu'une zone de guerre est en train d'être perdue ou en cas de conflit avec un autre
joueur.

464
Annexe relative à la pornographie

Images du jeu Star Wars The Old Republic, modifiées afin de pouvoir dénuder les
personnages complètement, et extraites de vidéo accessibles sur Internet.

465
• Images extraites de la vidéo « Darkside Rave »

• Image extraite de la vidéo « Nazi Massassi Hitler Rap »

466
Références

467
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Alice de l'autre côté du miroir, James Bobin, sorti en 2016.

Matrix, les Wachowski, sorti en 1999.

Matrix Reloaded, les Wachowski, sorti en 2003.

Matrix Revolutions, les Wachowski, sorti en 2003.

Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir, George Lucas, sorti en 1977.

Star Wars, épisode V : L'Empire contre-attaque, Irvin Kershner, sorti en 1980.

Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi, Richard Marquand, sorti en 1983.

Star Wars, épisode I : La Menace fantôme, George Lucas, sorti en 1999.

Star Wars, épisode II : L'Attaque des clones, George Lucas, sorti en 2002.

Star Wars, épisode III : La Revanche des Sith, George Lucas, sorti en 2005.

Star Wars, épisode VII : Le Réveil de la Force, J. J. Abrams, sorti en 2015.

Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi, Rian Johnson, sorti en 2017.

Rogue One: A Star Wars Story, Gareth Edwards, sorti en 2016.

Solo: A Star Wars Story, Ron Howard, sorti en 2018.

Troops, Kevin Rubio, sorti en 1997.

Quentin Tarantino’s Star Wars, Evan Mather, sorti en 1998.

Les Pantless Menace, Evan Mather, sorti en 1999.

489
Darth Maul: Apprentice, Shawn Bu, sorti en 2016.

Hoshino, Stephen Vitale, sorti en 2016.

One day I'll become, Roman Gregoricka, sorti en 2017.

Log Horizon, deux saisons, diffusées sur la période allant de 2013 à 2015.

Emissions

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craindre-la-violence-dans-les-jeux-videos

490
Liste des jeux vidéo

Assassin’s Creed, développé par Ubisoft, série, depuis 2007.

Brothers Conflict, développé par Idea Factory, 2012.

Diabolik Lovers, développé par Idea Factory, série, depuis 2012.

Dragon Age, développé par BioWare, série, depuis 2009.

Dream Daddy, développé par Game Grumps, 2017.

Final Fantasy, développé par Square Enix, série, depuis 1987.

Fortnite, développé par Epic Games, 2017.

Guildwars, développé par Arena Net, série, depuis 2005.

Harukanaru toki no naka de, développé par iNiS, 2000.

Kingdom Hearts, développé par Square Enix, série, depuis 2002.

Les Sims, développé par Maxis, série, depuis 2000.

Mass Effect, développé par BioWare, série, depuis 2007.

Metal Gear, développé par Konami, série, depuis 1998.

PlayerUnknown's Battlegrounds, PUBG Corporation, 2017.


491
Red Dead Redemption, développé par Rockstar Games, série, depuis 2010.

Sekiro : Shadows Die Twice, développé par FromSoftware, 2019.

Star Wars The Old Republic, développé par BioWare, 2011.

Street of Rage, développé par Sega AM7, série, depuis 1991.

Super Mario, développé par Nintendo, série depuis 1985.

The Elder Scrolls Online, développé par ZeniMax Online Studios, 2014.

Uncharted, développé par Naughty Dog, série, depuis 2007.

World Of Warcraft, développé par Blizzard Entertainment, 2004.

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