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Mémoire de recherche

Master 1 études cinématographiques

Faculté de Lille sciences humaines et sociales : campus pont-de-bois

Tableau 1 : Alamy de David Ha�ield

Le dispositif cinématographique : Entre cinéma total et multiplication des


logiques de subjectivation, proposition d’une étude de trois épiphénomènes
technologiques dans le cadre des foires d’anticipations de 1955 à 1967.

Auteur : Elyas Chaib-eddour

Directeur de recherche : Sonny Walbrou

Année scolaire 2022-2023


Remerciements :
Je souhaite ici exprimer ma profonde gratitude envers Monsieur Sonny Walbrou pour
ses conseils avisés tout au long de cette année, ainsi que pour l’orientation qu’il aura permis à
ce mémoire de prendre. Lui, ainsi que Madame Mathilde Lejeune m’ont inspiré une passion
naissante pour le travail de recherche et m’ont aussi permis de me découvrir des capacités que
je ne me connaissais pas, c’est pourquoi je tiens à les remercier en premier. Je remercie
également et chaleureusement messieurs Benjamin Florès et Vincent Baudart pour leur soutien
inestimable tout au long de mon parcours. Leurs conseils éclairés m’auront permis de surmonter
bien des défis. Mes camarades Antoine Delsaux, Joshua Bousseau, Elric Marchal, Amael
Bouchama, Nathan Carron et Julien Croix pour le soutien et le temps passé à travailler ensemble
à la bibliothèque et aux Sarrazins, qui aura été décisive dans la rédaction de ce sujet mérite aussi
toute ma gratitude.
« Connaitre l’art [en son sens technique] d’impressionner l’imagination c’est connaitre l’art de
gouverner les foules »

- Gustave Le Bon 1

Le 30 septembre 2022, la revue Le film français titrait sa nouvelle parution


« Objectif : Reconquête » avec en photo de couverture Vincent Cassel, Pierre Niney, Pio
Marmaï, François Civil, Dany Boon, Guillaume Canet et Jérome Seydoux. L’idée affichée
est claire, le mois de septembre 2022 a été le pire depuis 1980 en termes d’entrée (7,38
millions d’après le CNC) et la volonté de Jérome Seydoux de délaisser les petits budgets
au profit des super productions est censée ramener le public en salle. Cette proposition
n’est pas la première quant à la problématique de la désertion des salles de cinéma. Il y a
eu les diffusions en direct ou différé d’Opéra, de pièces de théâtre, de concerts, de finals
d’e-sport ou bien encore avant, l’arrivée des multiplex et de leurs activités annexes collées
aux salles de cinéma (bowling, lasergame, salle d’arcade). Si le groupe Pathé annonçait
que « Les salles de cinéma ne s’adresseront pas uniquement aux clients traditionnels du
septième art, elles seront associées à un espace de co-working ainsi qu’un espace
modulable dédié aux entreprises. » 2 faisant du cinéma une annexe égale aux autres
activités du lieu, on notera également les noms donnés à d’autres multiplex, notamment
UGC Ciné-cité et Kiné-polis. En arborant les suffixes polis et cité, ces géants de
l’exploitation revendiquent l’idée que le cinéma est une expérience collective et que tout
ce qu’ils peuvent proposer d’autres n’est qu’accolade subalterne à l’art
cinématographique. Que ce soit devant un opéra ou un film, l’expérience de la salle reste
plus ou moins la même : une audience, une surface de projection plane et un projecteur.
Si les usages de cette salle se multiplient avec le temps, la salle en elle-même reste
inchangée, il y aura certes certains écrans plus grands, plus larges ou légèrement plus
incurvés que d’autres, mais la disposition reste la même. Quand on parle d’expérience du
cinéma, c’est souvent à cet ensemble aux sièges rouges et au pop-corn que l’on pense et
pour des raisons bien simples. Premièrement, l’institutionnalisation de la pratique d’aller
au cinéma et l’ergonomie de ces salles nous ont naturellement conduits à leur

1
Bon, Gustave Le. Psychologie des foules. 9e édi�on, PUF, 2013.
2
Communiqué du 1er février 2021 concernant la reconstruc�on du Pathé Capucines :
htps://pathe.com/wp-content/uploads/2021/02/Pathe-Capucines.-CP.-01022021.pdf

1
démocratisation. Il n’y’a en effet pas besoin de beaucoup plus pour profiter d’un film
classique dans les meilleures conditions, et pour qui dispose d’un minimum d’imaginaire
lié au cinéma, c’est à cela qu’il pensera. Deuxièmement, les termes « expérience » et
« cinéma » sont, par leurs polysémies et leurs utilisations dévoyées, des outils conceptuels
beaucoup trop vagues et instables. Il ne s’agit d’ailleurs pas à proprement parler de
concepts forgés par des auteurs, ce sont des définitions vaporeuses d’une pratique
commune que n’importe qui pourrait s’atteler à définir sans trop savoir comment, et que
l’on pourrait ainsi résumer en : l’expérience cinéma c’est aller en salle. Prenons donc le
temps d’interroger ces deux termes. Le CNRTL nous décrit « expérience » en tant que tel
: « Fait d'acquérir, volontairement ou non, ou de développer la connaissance des êtres et
des choses par leur pratique et par une confrontation plus ou moins longue de soi avec le
monde. » 3. À cela nous rajouterons la définition philosophique du même CNRTL : «
Connaissance acquise soit par les sens, soit par l'intelligence, soit par les deux, et
s'opposant à la connaissance innée impliquée par la nature de l'esprit. » 4. Quant à la
définition de cinéma, un problème s’impose avant même de la trouver. De quel cinéma
parlons-nous ? La simple recherche d’une définition démontre une polysémie allant de
l’outil cinématographique (la machine qui écrit avec le mouvement), à l’art (le septième),
à l’industrie, à la salle de cinéma, etc. Étant donné que nous nous intéressons avant tout à
la réception du spectateur et que la définition semblant la plus logique est celle qui se
joint le mieux au mot « expérience » pour cela nous choisirons et resterons avec, dans le
cadre de ce sujet, cette définition de la salle de cinéma : « Salle destinée à la projection et
à l'exploitation commerciale de films. ». A priori, l’expérience cinéma serait donc
l’acquisition de connaissances induites par la confrontation sensorielle ou intellectuelle à
la projection d’un film dans une salle dédiée. Cela ne nous donne toutefois pas de
définition pour le cinéma et si les éditeurs du recueil de textes d’André Bazin Qu’est-ce
que le cinéma ? 5 annonçait en avant-propos que les articles de l’auteur ne détenaient pas
en leur sein la réponse à cette question, mais autant de moyens de s’en approcher, certains
s’y sont essayés. Dans l’introduction à leur ouvrage La fin du cinéma ? un média en crise

3
Défini�on de « expérience » du CNRTL : htps://www.cnrtl.fr/defini�on/expérience
4
Idem
5
Bazin André, Qu'est-ce que le cinéma ?, Vol. 60, Le Cerf/Corlet, 1985.

2
à l’ère du numérique 6 André Gaudreault et Philippe Marion font l’état des lieux du
cinéma. Est-il mort ou encore en vie ? En se basant sur les citations de Peter Greenaway :
« Trente-cinq ans de cinéma silencieux ont disparu, personne ne le regarde plus. Cela
arrivera au reste du cinéma. Le cinéma est mort. » 7 et de Philippe Dubois : « Le cinéma
[…] est plus vivant que jamais, plus multiple, plus intense, plus omniprésent qu’il ne l’a
jamais été. » 8 Gaudreault et Marion établissent la distinction entre cinéma comme forme
et cinéma comme média. S’il est commun d’entendre des discours érigeant les films
comme un moyen de confronter ses connaissances préconçus à un nouveau discours qu’il
soit sensible ou raisonné, ces discours ne se concentre généralement que sur le film en
lui-même et évacue bien souvent la question du médium, considéré comme acquis.
Concernant cette question du média cinéma justement, sa définition est aussi sujette à
débat. La querelle des dispositifs, outre le recueil de textes éponyme de Raymond Bellour,
désigne avec amusement une querelle le confrontant à certains auteurs et notamment
Philippe Dubois. Pour Bellour, le cinéma se définit ainsi : « La projection vécue d’un film
en salle dans le noir, le temps inaliénablement prescrit d’une séance plus ou moins
collective reste la condition d’une expérience unique de mémoire que toute situation autre
de vision altère plus ou moins » 9 là où Dubois défend l’idée que toute image en
mouvement même celles que l’on retrouve dans des expositions et installations d’art par
exemple, font cinéma. Dubois, ne donnant pas de forme au médium cinéma, défend son
idée avec sa citation évoquée plus tôt. Pour le professeur de cinéma et des médias James
Lastra 10 cette querelle n’a pas lieu d’être (Il propose lors de sa conférence de renommer

6
Gaudreault André, Marion Philippe, La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Paris,
Armand Colin, Collec�on cinéma/Arts visuels, 2013.
7
Greenaway Peter, Propos rapportés par Clifford Coonan, ici traduit de l’anglais, dans « Greenaway
Announces the Death of Cinema and Blames the Remote Control Zapper », The Independent, 10 octobre
2007. Dans Gaudreault André, Marion Philippe, La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du
numérique, Paris, Armand Colin, Collec�on cinéma/Arts visuels, 2013.
8
« Présenta�on », dans Elena Biserna, Philippe Dubois et Frédéric Monvoisin (dir.), Extended Cinema/Le
cinéma gagne du terrain, Pasian di Prato, Campanoto Editore, 2010, p. 13. Dans Gaudreault André,
Marion Philippe, La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Paris, Armand Colin,
Collec�on cinéma/Arts visuels, 2013.
9
Bellour Raymond, « Le spectateur de cinéma : une mémoire unique », Trafic, 79, automne 2011, p. 37.
10
Lastra James, « What Cinema Is (for the moment…) », dans le colloque « Impact des innova�ons
technologiques sur l’historiographie et la théorie du cinéma », Cinémathèque québécoise, Montréal,
novembre 2011.

3
la double naissance des médias 11 en naissance perpétuelle des médias 12.), car puisque les
médias s’inscrivent dans un rapport à leurs appareillages et leurs imbrications dans des
contextes sociaux mouvants, ils développent par conséquent une capacité à changer, à
s’adapter. Le cinéma et l’expérience que l’on en fait sont donc affaire des médiums les
véhiculant et du contexte dans lequel ceux-ci s’inscrivent, c’est-à-dire à priori les salles
de cinéma en leurs contextes. Alors qu’il commentait les évolutions de l’industrie
imposée par les nouvelles façons de distribuer et produire les films, Thierry Frémaux,
directeur de l’institut lumière de Lyon et délégué général du festival de Cannes déclara
dans un article que « C’est en prenant à bras-le-corps les formes impures de sa propre
descendance artistique et technologique que le cinéma continuera à vivre et à
s’inventer » 13, il faudrait donc que le cinéma comprenne son histoire et son
fonctionnement. L’ensemble des éléments constitutif de la salle de cinéma dans sa forme
traditionnelle, que nous avons défini plus tôt, nous évoque le concept de dispositif (un
ensemble d’éléments hétérogènes constituant un tout et produisant un effet, un discours
sur son usager.). Pour ne pas tout de suite rentrer dans les détails, nous limitons la
définition de dispositif cinématographique à : surface de projection, projecteur,
spectateur. Parler du dispositif, c’est premièrement faire référence à Michel Foucault,
philosophe s’étant essayé à l’exercice d’une construction du concept dans les années 70,
notamment dans Surveiller et punir. Pour Foucault, le dispositif est dans sa finalité un
producteur de subjectivation et son exemple le plus célèbre est celui de la prison qui par
son architecture (en panoptique ou autre), ses législations, objectifs assumés ou non et
rôle dans la société, contribue à créer en ses usagers (surveillants, prisonniers et toute
personne pouvant s’y retrouver.) un certain comportement induit ou une idéologie. Le
dispositif peut être paradoxal, la prison pouvant être un lieu de redressement autant qu’un
lieu de punition il passe nécessairement par une phase de désubjectivation afin de mieux
atteindre son objectif. Si Foucault reconnait au dispositif le paradoxe d’être
désubjectivant afin d’être subjectivant, le philosophe Giorgio Agamben, lui, cherche à

11
Concept d’André Gaudreault et Phillipe Marion évoquant l’hypothèse qu’un média naît une première
fois technologiquement avant son avènement, c’est-à-dire, son ins�tu�onnalisa�on, sa reconnaissance
comme médium autonome par la récep�on et la produc�on.
12
Traduit par moi-même de : « Much of what follows can be considered a “friendly amendment“ de
André Gaudreault and Phillipe Marion’s ”A medium is always born twice“, with the word “twice“
removed and the word “repeatedly“ in it’s place : LASTRA James, op.cit.
13
FREMAUX Thierry, « Un art sans avenir ? » dans Lettre de l’académie des beaux-arts, n°38, novembre
2004, p.9.

4
faire évoluer la définition de Foucault en faisant du dispositif un producteur
essentiellement désubjectivant, l’intérêt pour le pouvoir étant de conserver des sujets
distraits. Pour lui, le dispositif permet à un pouvoir de se maintenir en place et donc
nécessite de mettre en place des mécanismes de contrôle social et de surveillance dont les
médias font partie. Le cinéma est donc un dispositif en ce qu’il est un « ensemble
hétérogène qui inclut virtuellement chaque chose, qu’elle soit discursive ou non. » 14 qui
est la première caractéristique du dispositif (nous verrons plus tard dans ce présent sujet
si le cinéma correspond aux deux autres critères.), mais le cinéma est avant tout un
dispositif technologique. La salle telle que nous la connaissons est le résultat de plusieurs
années d’expérimentations et de réglementations, elle dessert le cinéma institutionnalisé
et la forme d’art qu’il représente. Justement, le réalisateur et penseur Harun Farocki nous
dit dans As you see (1986) : « L’histoire de la technologie aime décrire le tracé du
développement de A à B. Elle devrait décrire quelles étaient les alternatives, et qui les a
rejetées » 15 et grâce au travail de Benoît Turquety dans Inventer le cinéma,
épistémologie : problèmes, machines nous sommes plus aptes à établir une épistémologie
de l’invention cinéma et toutes les innovations qui en découle (nous traiterons la question
de la différence invention/innovations plus tard dans notre sujet), si Turquety déplore le
manque d’histoire technologique du cinéma c’est parce que selon lui, le médium est
indissociable de ses moyens techniques de réalisation, il prend pour exemple le viseur des
caméras dans le chapitre « Viseurs, visées (le corps de l’opérateur 1 : l’œil) » et comment
cette innovation du dispositif technique qu’est la caméra a influencé le rapport du corps
de l’opérateur à la machine, par conséquent, les méthodes de cadrages et donc,
l’esthétique des films en son temps. Pourtant, nombre de salles de cinémas ont essayé de
se proposées comme substitue ou renouveau du médium cinématographique, ici les corps
des opérateurs autant que ceux du spectateur ont parfois dû s’adapter à ces nouvelles
propositions. Parmi ces nouveautés, retenons le circarama ou circle-vision 360, invention
américaine de la Walt Disney Imagineering en 1955 pour le nouveau parc Tomorowland,
s’essayant au cinéma panoramique à 360 degrés, le Panrama de l’architecte
Montpelliérain Philippe Jaulmes breveté en 1958, salle de cinéma hémisphérique avec
projection en objectif fish-eye et le Kinoautomat du réalisateur tchécoslovaque Radúz

14
Agamben Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ? Paris, Payot & Rivages, 2014, p.10.
15
FAROCKI Harun, As you see, 1986, 54’23.

5
Činčera en 1967, première salle de cinéma interactive. Si nous analyserons les spécificités
des salles plus tard dans notre sujet, nous pouvons d’ores et déjà comprendre en quoi ces
salles diffèrent du médium traditionnel et constituent des médias qui se veulent innovant,
après tout, ces salles furent toutes présentées dans le cadre de foires anticipatrices.
Annonciatrices des enjeux du futur, ces foires se veulent les oracles du monde de demain.
Chaque exposition est agrémentée de discours laissant peu de place à la spéculation mais
accordant toutefois une légère marge d’erreur, probablement dû à l’excitation que
provoque l’exercice d’anticipation. Lors du colloque Exposing the Moving Image : The
Cinematic Medium Across World Fairs, Art Museums, and Cultural Exhibition Diego
Cavallotti, Simone Dotto et Andrea Mariani nous décrivent les enjeux que représente
l’étude du médium cinématographique au sein des lieux d’exhibitions que sont
notamment les expositions universelles. Ces évènements cristalliseraient selon les
chercheurs, une volonté persistante de re-configurer les images dans le large paysage
médiatique de l’ère moderne, de plus, l’intérêt porté à ces évènements permettrait "D'une
part, [de] problématiser les formes d'exposition en tant que stratégies de légitimation et
d'institutionnalisation d'une culture de l'image en mouvement, et d'autre part, mettre en
relation le médium cinématographique et l'image en mouvement avec d'autres
caractéristiques ou fonctions culturelles et industrielles que l'exposition active
généralement." 16. Notre sujet se concentrera essentiellement sur deux foires :
L’exposition universelle de Montréal en 1967 et la section Tomorowland des parcs
d’attraction Disneyland. La première, très souvent discutée dans le colloque mentionné
précédemment est l’une des très nombreuses expositions universelles regroupant des pays
venus du monde entier, ayant pour but - officielle – de démontrés une bonne entente et
les manières avec lesquelles chaque pays répond au thème imposé par l’exposition et –
officieusement – démontrés à quel point son pays est meilleur que les autres, a le plus
beau pavillon, l’exposition la plus attractive, etc. Cavallotti, Dotto et Mariani citent
l’historien Français Pascal Ory pour expliciter les huit fonctions récurrentes de ces foires
qui les constituent en tant qu’évènements modernes qui nous permettront de les citer en
tant que tel : ces foires doivent être technologiques, commerciales, architecturales,

16
Cavallo� Diego, Doto Simone, Mariani Andrea, « Exposing the Moving Image : The Cinema�c Medium
Across World Fairs, Art Museum, and Cultural Exhibi�ons » dans Exposing the Moving Image : The
Cinematic Medium Across World Fairs, Art Museums, and Cultural Exhibitions, traduit de l’anglais par
moi-même, Mimesis interna�onal, 2020.

6
urbanistiques, artistiques, propagandesques, diplomatiques et populaires/amusantes.
Nous ajoutons à ces caractéristiques une autre définition plus simples mais nécessaire,
celle de l’historien Fernand Braudel : « Toutes les foires se présentent comme des villes
éphémères sans doute, mais des villes, ne serait-ce que par le nombre de leurs participants.
Périodiquement, elles dressent leurs décors, puis, la fête finie, elles décampent. Après un,
deux ou trois mois d’absence, elles se réinstallent. Chacune d’elles a donc son rythme,
son calendrier, son indicatif, qui ne sont pas ceux de ses voisines. » 17, à cela il ajoute
qu’elles sont des « institutions vivantes et qui s’adaptent aux circonstances. Leur rôle,
c’est de rompre le cercle trop étroit des échanges ordinaires » 18. Si les caractéristiques de
Ory viennent mettre en exergue les enjeux principaux des foires modernes, Braudel
analyse les foires dans un projet visant à déterminer en quoi le capitalisme est un système
économique avant d’être une idéologie. Ce système se serait développé sur le temps long
via des structures et des dynamismes sous-jacents aux marchés économiques ayant
développé ce qu’il qualifie de civilisation matérielle. Cette analyse nous permet d’étendre
le sujet à des foires extérieure aux expositions universelles ainsi que de les intégrer dans
la logique de système capitaliste. Notre seconde foire justement, n’est pas une foire
nomade mais sédentaire, modulable et réplicable puisqu’il s’agit de la section
Tomoroworld des parcs d’attractions Disneyland dont l’objectif est clair : imaginer le
monde de demain, tantôt axée science-fiction tantôt anticipation, les visiteurs pourront
expérimenter les technologies du futur ainsi que les merveilles de l’industrie actuelle. Au
vu des descriptions que nous venons d’établir, nous proposons le terme de « foire
d’anticipation » pour qualifier nos deux lieux d’expositions, ayant toutes deux pour but
d’esquisser ce que sera le monde de demain. Cette agglomération de l’entièreté du monde
en des espaces fabriqués évoque pour nous le concept d’hétérotopie. L’hétérotopie est un
concept encore une fois théorisé par Michel Foucault qui peut servir de base pour le
dispositif. L'hétérotopie est une utopie prenant place dans le réel, un espace physique ou
imaginaire qui a des caractéristiques contradictoires ou paradoxales, ce sont les lieux du
nulle part qui neutralise ce que l’on ne veut pas voir sauf quand nous décidons d’y aller.
Un exemple parfait d’exposition universelle en tant qu’hétérotopie serait celle de

17
Braudel Fernand, Civilisation Matérielle, Economie Et Capitalisme : XV° - XVIII° siècle – Tome 2, Les Jeux
De L’échange, Armand Colin, Le livre de poche, 1979, p.80.
18
Idem, p.79

7
Montréal en 1967 19 dont l’entièreté du terrain à été battit artificiellement à côté de l’île
Sainte-Hélène et dont le thème était celui d’« un homme et son monde » laissant le loisir
à chaque pays d’imaginer comment l’Homme allait habiter le monde de demain à l’aide
de la technologie. Ce lieu contenait en son sein tous les pays sans en être aucun et se
doublait d’une hétérochronie (pendant temporelle et caractéristique de l’hétérotopie)
puisqu’il tentait de nier son époque pour prédire les prochaines. Le but de cette
hétérotopie n’est pas d’être un lieu de transition ou de redressement, il pourrait s’agir là
d’un espace de négation des problématiques qui lui sont contemporaines justement parce
qu’il nie son temps au profit du futur en promettant d’y trouver des solutions là où les
velléités animant les conditions de possibilités d’un tel évènement semblent être plus
économique ainsi que culturelle pour les pays y contribuant. La présence du nombre
remarquable de dispositifs cinématographique lors de l’exposition n’est pas passée
inaperçue, un journaliste s’amuse de ce phénomène et remarque : « Plus les différents
pavillons annoncent qu’ils présenteront un film sur tel ou tel sujet, plus on a l’impression
que l’on passera l’été 1967 à voir du cinéma. Peut-être un pavillon projettera-t-il un film
sur ce que l’on aurait pu voir à l’Expo si on était sorti des salles obscures de cinéma ? » 20
nous verrons plus tard qu’il annonce par la suite que certains dispositifs se démarquent
du reste. Le concept d’hétérotopie liée aux foires d’anticipation, se voulant être une vitrine
des pratiques et technologies futures, nous permet de questionner les salles de cinéma en
tant que dispositifs et comment ces dernières agissent sur leurs usagers. Puisque le cinéma
n’est pas qu’une histoire de technologie, comment intégrer une analyse purement
technique aux considérations de ce qui fait du cinéma un médium institutionnel ?
Interroger le cinéma en tant qu’institution ou dispositif médiatique constitué d’un
ensemble de règles, de codes, de discours, etc, au sein de foires elles-mêmes,
représentatives d’un système dont les dynamiques sous-jacentes l’inscrivent dans un
contexte ou tout est renvoyé à sa valeur marchande, nous rappel à l’utilisation du concept
de fétichisation faite par Marx et de fantasmagorie par Benjamin. Dans Le capital Marx
nous décrit ainsi la fétichisation de la marchandise (partie prenante des foires

19
Leon Benjamin, « The space frame and the architectural screens in displacement : Inside Montréal’s
Expo 67 from the past un�l today. » dans Exposing the moving image : The cinematic medium across
world fairs, art museums, and cultural exhibitions, Mimesis interna�onal, 2020. L’auteur parle de
l’exposi�on comme hétérotopie mais n’y adosse pas le terme d’hétérochronie
20
L’heureux Robert, le 24 juin 1966, « Expo 67 », dans Le droit cahier 1 :
htps://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4214595?docsearchtext=kinoautomat

8
anticipatrices annonciatrices d’objets tous plus incroyables les uns que les autres) qui dès
lors qu’elle « entre en scène comme marchandise, elle se transforme en une chose sensible
suprasensible. » 21 son « caractère mystique […] ne naît donc pas de sa valeur d’usage » 22
mais « parce qu’ils sont produits de travaux privés menés indépendamment les uns des
autres. » 23. Cette marchandise couverte de mystère est propre au mode de fonctionnement
du capitalisme qui voile de mystère ses moyens de productions mais pour mieux
comprendre en quoi cette problématique nous intéresse, tournons-nous vers l’analyse
faite de ce concept (par Jean Guichard, professeur lyonnais autorité sur Marx en son
temps. Guichard reprend l’étymologie du terme faite par le linguiste Albert Dauzat qui
viendrait du portugais fétiço (artificiel), lui-même du latin facticius, il serait donc « une
chose ‘artificielle’, pourvue d’un ‘charme’ particulier, d’un pouvoir mystérieux,
magique » 24, ces évocations religieuses du fétiche abritant en son sein une divinité
concordent avec l’idée que « la société capitaliste est tout entière ‘fétichiste’ : les formes
apparentes qu’elle offre à nos regards sont trompeuses. » 25. Ce phénomène de
fétichisation dissimulant « le rapport social déterminé des hommes eux-mêmes » 26 pour
le substituer au rapport entre les choses s’appelle d’après Marx, la phantasmagorie 27. Ce
terme sera repris par la suite par Benjamin qui vient expliciter l’idée que les expositions
universelles sont un lieu où la marchandise, au-delà de mettre sa valeur d’usage au second
plan est ici recherché pour ce qu’elle détient de fantasmagorique, c’est-à-dire pour sa
valeur de distraction et d’aliénation initiant ainsi les prémices d’une industrie du plaisir.
La fantasmagorie ce sont donc les « artifices subtils dans la représentation » 28 cachant
une valeur d’usage au profit d’un abandon de soi pour la nouveauté que Benjamin décrit

21
Marx Karl, « 4. Le caractère fé�che de la marchandise et son secret », Dans, Le Capital, Critique de
L’économie Politique, Livre Premier, Le Procès de Production Du Capital, Quatrième édi�on allemande
sous la direc�on de Lefebvre Jean-Pierre, Presses Universitaires de France, Paris, 1993, p.81.
22
Idem.
23
Idem, p.83.
24
Guichard Jean, « L’idéologie comme connaissance des apparences », dans, Le marxisme, théorie et
pratique de la révolution, 2ème édi�on, chronique sociale de France, l’essen�el, Paris, 1972, p.245.
25
Idem.
26
Marx Karl, « 4. Le caractère fé�che de la marchandise et son secret », Dans, Le Capital, Critique de
L’économie Politique, Livre Premier, Le Procès de Production Du Capital, Quatrième édi�on allemande
sous la direc�on de Lefebvre Jean-Pierre, Presses Universitaires de France, Paris, 1993, p.83.
27
D’après les traducteurs, Marx emploi le terme Phantasmagorie là où chez Benjamin nous allons
retrouver le terme Fantasmagorie, cete dis�nc�on nous permetra de différencier l’auteur au simple
emploi du terme.
28
Benjamin Walter, « Paris, Capitale du XIXe siècle » (1935), dans Œuvres, t. III, Paris, Gallimard, « Folio
essais », 2000, p.53

9
comme « la quintessence de la fausse conscience […] cette illusion du nouveau se reflète,
comme un miroir dans un autre, dans l’illusion du toujours-pareil. De ce jeu de reflets
nait la fantasmagorie. » 29. Cette nouvelle propriété d’illusion de la nouveauté attribuée à
la fantasmagorie, Benjamin la poursuit en prévenant qu’isoler l’art de sa technique pour
y enfermer le regard dans la représentation fait office de culte mettant « d’un côté comme
de l’autre, l’existence sociale de l’homme entre parenthèses. » 30. Dans l’esprit de ces
déclarations, nous proposons donc à l’étude, plusieurs dispositifs, épiphénomènes
techniques du cinéma traditionnel en leur temps, s’étant présenté comme nouveauté
absolue dans des foires d’anticipation, afin répondre à la présente question :

Comment nos trois dispositifs en mettant en exergue les frontières poreuses soulevées
par la querelle des dispositifs nous permettent-ils d’avoir une meilleure compréhension
des logiques de désubjectivation d’une société ayant troquée la valeur d’usage à
l’artifice ?

Pour répondre à cette question, nous nous éloignerons de l’approche que fait Turquety
des machines puisque nous nous intéresserons moins en détail à la question du
fonctionnement interne des machines afin de laisser plus de place à la question de la
réception, car poser la question du dispositif nécessite de comprendre comment son sujet
est affecté par l’agencement des divers éléments le constituant. Nous naviguerons entre
les deux conceptions faites du médium cinéma dans la querelle des dispositifs de Bellour
et Dubois tout en conservant le point de vue plus contemporains et mesuré de Gaudreault,
Marion et Lastra afin d’établir un paradigme à partir duquel nous approcherons les
machines puis nous analyserons les trois dispositifs cités précédemment à l’aide
d’archives d’époques tout en interrogant la manière avec laquelle ils construisent leur
spectateur à l’aide du concept foucaldiens de dispositif. Nous conclurons en cherchant à
déterminer comment les procédés induits par nos dispositifs s’inscrivent dans un
phénomène plus large de transmission verticale de l’idéologie capitaliste sous couverts
d’aliénation et de fantasmagorie.

29
Idem. p.60.
30
Idem.p.61.

10
Table des matières
Introduction ................................................................................................................................. 1
Table des matières .................................................................................................................... 11
I) La querelle des dispositifs : du paradigme classique à l’« audio-vision
degradée »............................................................................................................... 12
1) Le cinéma institutionalisé ou l’expérience cinématographique classique ....................... 12
2) « L’audio-vision dégradée » : quand l’image déborde du cadre ou le cas du Cinéorama 17
II) Le fantasme d’un renouveau : hétérotopologie des fausses promesses ............ 23
1) : Le kinoautomat : provocation aliénante........................................................................ 23
2) : Le circarma : fantasmagorie publicitaire, Monument Valley comme si vous y étiez ... 29
3) : Le panrama : cinéma total ou totalitarisation du regard ? ............................................. 35
III) Le cinéma est mort ! Vive le cinéma ! .................................................................. 41
1) Invention ou innovation ? La marchandisation du renouveau ......................................... 41
2) Echec contextuel ou ambition aveugle ? : un cinéma totalitaire et subjuguant comme
horizon ? .......................................................................................................................... 45
Conclusion ................................................................................................................................. 51
Bibliographie ............................................................................................................................. 53
Annexe ........................................................................................................................................ 58

11
I) La querelle des dispositifs : du paradigme classique à l’« audio-vision
degradée »
1) Le cinéma institutionalisé ou l’expérience cinématographique classique

« La fortune actuelle de la no�on de disposi�f �ent au


moins autant au poids de plus en plus considérable
des réglages ins�tu�onnels qui président à l’élabora�on
des représenta�ons – comme à leur appropria�on – […]. »

- Gérard Leblanc 31

Lorsqu’il a fallu déterminer au cinéma sa puissance première, les penseurs se sont


atelés à en décor�quer le fonc�onnement. Du montage au mouvement au son, la
ques�on des possibilités d’expression étaient intrinsèquement liées à celle de la
récep�on. Si le cinéma se cons�tue en langage ou de manière plus abstraite, en réseau
de symboles, et donc qu’il transfère ou cherche à faire naitre en son récepteur, un
sen�ment ou un discours (pour ne pas parler des rela�ons d’affect propres à chacun) il
a besoin d’un support à par�r duquel il peut s’exprimer. Le médium cinématographique
classique, nous l’avons déjà décrit, a pour support la salle de cinéma tradi�onnel. Les
discours que véhicule ce médium ne sont en rien par�e prenante de l’art
cinématographique en lui-même, ces discours �endront des domaines de la poli�que
locale et culturelle et reflètera le management de ses propriétaires. C’est pour cela que
le Regal Cinema de Los Angeles et le Meliès Jean-Jaurès de Saint-E�enne reflètent des
ambi�ons de programma�ons différentes, ne proposent pas la même expérience et
donc véhiculent deux visions différentes du cinéma. Ces salles fonc�onnent pourtant de
la même manière. À ce stade de la pensée un dilemme s’impose déjà. Soit le médium
cinéma n’est que le support technique permetant aux films de transmetre leur message

31
LEBLANC Gérard, « Médias et disposi�fs : une approche compara�ste » dans Pour vous, le cinéma est
un spectacle, pour moi, il est presque une conception du monde, Creaphis, Saint-E�enne, 2007, p.73

12
soit, selon la pensée de McLuhan, il faut se rappeler que « le médium est le message »32,
c’est-à-dire que la nature du cinéma réside moins dans ce qu’il transmet que dans le
support de transmission avec lequel il le fait. Les deux manières d’approcher le cinéma
que sont ces proposi�ons sont à dis�nguer. La première sera l’étude des films en tant
que discours et donc l’étude de leur disposi�f interne et la manière avec laquelle ils
s’emparent des possibilités formelles du médium pour s’exprimer. La deuxième sera
notre approche du médium cinématographique et celui que nous comprenons dans le
terme de disposi�f cinématographique, autrement dit le support technique de
projec�on d’images. Cete concep�on du média de McLuhan est celle d’un média
télescopé ou imbriqué, c’est-à-dire qu’il con�ent en son sein autre chose
(poten�ellement média�que aussi.), et que le médium peut être lui aussi une par�e d’un
plus grand tout. Ainsi, il nous dit que « le mot écrit est le contenu de l’impression, et
l’impression est le contenu du télégraphe. » 33. Si André Gaudreault et Philippe Marion
comprennent cela comme la descrip�on d’une filia�on linéaire : « voulant qu’un média
recèle toujours en son sein le média qui va le suivre. » 34, nous interprétons les propos
de McLuhan comme la descrip�on d’un télescopage ver�cal ou chaque niveau peut être
compris en tant que disposi�f (une matriochka de disposi�f que l’on peut étudier dans
ce qu’elles ont d’individuel autant que dans leur rapport aux autres poupées.). Le
complexe cinématographique (pensons à un UGC.) peut être vu comme un disposi�f
culturel et commercial, porteur de message si analysé par le biais de l’urbanisme, de
l’architecture, etc. Il con�ent en lui plusieurs salles de cinéma. Chacune de ces salles est
différentes, parfois certaines sont spéciales (4DX, IMAX, Screen X, etc.) et peuvent être
analysés sur chacune de leurs spécificités et ce que l’on peut en comprendre. Et pour
finir, chacune de ces salles diffuse un film porteur de discours usant des spécificités du
médium comme nous l’avons déjà vu. Dans ce schéma ver�cal (Figure 1), peut se
dérouler à chaque strate un autre schéma horizontal traitant du contenu et des enjeux

32
MCLUHAN Marshall, « Chapter 1 : The Medium is the message » dans Understanding Media : The
Extension of Man, McGraw-Hill Book Company, New York, 1964, p.1
33
Idem
34
GAUDREAULT André, MARION Phillipe, « Un média nait toujours deux fois » dans société &
représenta�ons, n°9, avril 2000, p.24

13
de chaque support. C’est avec ce schéma en tête que nous analyserons la salle de cinéma
dans ce qu’elle déroule (ses moyens d’expressions propres et son rapport à la salle
ins�tu�onnalisée) ainsi que ses rela�ons aux autres strates (le film, le complexe.) ainsi
que ce qu’elle induit chez son usager. Pour que le cinéma (peu importe la strate) puisse
être un médium, il lui faut d’abord être reconnu en tant que tel. Pour Gaudreault et
Marion, un média naît toujours deux fois, « une première fois comme prolongement de
pra�ques antérieures à son appari�on et auxquelles il a été inféodé dans un premier
temps […] et il naît une deuxième fois lorsqu’il emprunte une voie au sein de laquelle les
moyens qu’il a développés ont acquis cete légi�mité ins�tu�onnelle qui reconnaît leur
spécificité. » 35. Ils poursuivent en établissant que le cinéma des premiers temps
démontre « l’appari�on d’un procédé technologique ; l’émergence d’un disposi�f par
l’établissement de procédures ; [l’]avènement d’une ins�tu�on média�que. » 36. Si la
média�sa�on du disposi�f cinéma se fait par son accession au rang de culture
autosuffisante, il nous faut en comprendre comment cete pra�que c’est ins�tu�onalisé
et ce qui en fait sa par�cularité. Roland Barthes dans un ar�cle 37, nous disait que selon
lui, l’expérience faite du cinéma était indissociable de son lieu de projec�on et de la
manière avec laquelle on y accède. Au-delà du fait qu’en séparant la salle de cinéma des
lieux qui l’entoure et qu’en décrivant l’accès à cete dernière comme progressive et
impactante, Barthes décrit déjà la salle comme une hétérotopie, l’auteur nous présente

Figure 1: proposition de schéma du télescopage médiatique

35
Ibid, p.23.
36
Ibid, p.24.
37
BARTHES Roland, « En sortant du cinéma », dans Communications, 23, 1975. Psychanalyse et cinéma,
sous la direc�on de Raymond Bellour, Thierry Kuntzel et Chris�an Metz, pp. 105.

14
ici une expérience sensorielle dictée par un ensemble de code menant à l’apprécia�on
d’une séance. Le cinéma est déjà disposi�f car tout ce qui le compose agît avant même
le film (Barthes lui-même pense à la salle plus qu’au film quand il entend cinéma) et
imposant au corps de l’auteur une situa�on « pré-hypno�que » dont l’ambiance (induite
par l’architecture) le met dans un état de rêverie et le prépare à subir le « fes�val
d’affect ». Ces affects qui ateignent le spectateur le font dans un premier temps parce
que ce, comme nous l’indique Chris�an Metz, le spectateur habitué au cinéma, a intégré
la « machinerie mentale » qui est l’autre industrie du cinéma (celle qui n’est pas
commerciale.) 38 mais aussi parce que l’architecture de la salle le met dans une posi�on
de « sous-motricité et de sur-percep�on »39 à cela, Erwin Panofsky ajoute qu’il est « sujet
d’une expérience esthé�que » 40. Ces défini�ons de l’expérience vécue par le spectateur
pointent toutes vers la salle de cinéma comme étant subjec�vante d’une manière de
consommer ou vivre le cinéma. Il est donc indéniable que la salle tradi�onnelle fait bien
par�e d’un médium ins�tu�onnalisé, construite consciemment ou non de sorte à
produire du discours mais surtout un effet sur le corps la subissant. C’est sur la base de
cete habitude du cinéma et de son disposi�f que Raymond Bellour établit sa défini�on
du cinéma, il revendique le cinéma en tant que médium : « j’entends par images en
mouvements dans les musées, le moment où dans des installa�ons, qu’elle relève du
cube noir de la projec�on ou d’image, disons, montrées dans les mille et une situa�ons
variées que nous connaissons tous. Je pense qu’on ne peut plus appeler cela du cinéma,
mais qu’il faut appeler cela du nom qu’on veut. Je n’en ai pas à ma disposi�on mais des
images en mouvement ou même des films, le problème n’est pas – film ou pas film – un
film projeté dans un espace de musée ça reste un film mais ça n’est pas du cinéma, de
mon point de vue. » 41. Pour Bellour, les images en mouvements qui ne sont pas celles
du cinéma, ne le sont pas parce qu’elles ne réunissent pas tous les facteurs du cinéma

38
Metz Chris�an. « Le signifiant imaginaire », dans : Communications, 23, 1975. Psychanalyse et cinéma,
sous la direc�on de Raymond Bellour, Thierry Kuntzel et Chris�an Metz, p.6.
39
Idem.
40
Panofsky Erwin, “Style et ma�ère du sep�ème art”, dans Trois essais sur le style (1947), traduit de
l’anglais et de l’allemand par Bernard Turle, 3ème édi�on revue et augmentée (1967), Paris, Gallimard,
“Le promeneur”, 1996.
41
Bellour Raymond, « La querelle des disposi�fs. Cinéma -installa�ons, exposi�ons », Séminaire commun
du Centre d’histoire et théorie des arts, Paris, 9 janvier 2013.

15
en tant que médium ins�tu�onnalisé c’est-à dire « La projection vécue d’un film en salle
dans le noir, le temps inaliénablement prescrit d’une séance plus ou moins collective reste
la condition d’une expérience unique de mémoire que toute situation autre de vision altère
plus ou moins » 42, il prend pour exemple une salle d’exposition dans laquelle était diffusé
un film de soixante minutes. D’après ses dires personne, pas même lui n’arrivait à le
regarder en entier car les conditions au bon visionnage n’étaient pas réunies. De plus,
l’espace n’était pas propice à un visionnage consistent marquant la mémoire. Le passage
des autres visiteurs, les sièges peu confortable, l’arrivée dans une salle de projection en
n’étant pas préparé, en ne s’étant pas conditionné à un visionnage font, selon Bellour, de
ces images en mouvement, une audio-vision dégradée. Si l’auteur constate bien que
chaque installation reconfigure son dispositif pour reproduire une miniaturisation d’un
presque procédé cinéma ayant ses propres enjeux pour un discours unique, comment
devons nous qualifier, au vu du révisionnisme de l’histoire du cinéma opéré par
Gaudreault et Gunning, les autres manières de faire du cinéma ? Ces tentatives sont-elles
moins du cinéma uniquement parce qu’elles n’ont pas eu la même institutionnalisation ?

42
BELLOUR Raymond, « Le spectateur de cinéma : une mémoire unique », Trafic, 79, automne 2011, p.
37.

16
2) « L’audio-vision dégradée » : et quand l’image déborde du cadre ? Ou le cas du
Cinéorama

« […] Qu’à la technicisation croissante de nos environnements


quotidien […] Il ne s’agit plus tant du scénario […] que du
type de relation qu’un objet donné est susceptible
d’établir avec un public donné. »

- Gérard Leblanc

L’audio-vision dégradée décrite par Bellour, l’est uniquement parce que le médium
de la salle de cinéma s’est construit en concomitance du médium filmique. Mais puisque
que le médium filmique n’est pas exclusivement celui du paradigme narratif
institutionnalisé, il faut considérer les salles de cinéma ayant essayé de construire autre
chose. S’il y a un cinéma des attractions, il y a peut-être aussi des salles des attractions.
Cette hypothèse nous pousse donc à interroger les salles de cinéma s’éloignant du schéma
traditionnel. Charles Musser se pose justement la question du moment de
l’institutionnalisation du cinéma en tant que médium dans Quand le cinéma devint-il
cinéma ? 43. Si Musser reste sur la ligne que nous connaissons de l’institutionnalisation
progressive qui s’est opérée entre 1895 et 1911 (approximativement) il distingue tout de
même ce qu’il appelle cinéma 1 et cinéma 2. Le premier serait toutes images animées
projetées dans un espace théâtral d’une sorte ou une autre là où le second serait le cinéma
institutionnalisé (il utilise ici les termes d’André Gaudreault.). Le cinéma non
institutionnalisé ne serait donc pas un médium mais il reste un dispositif alors que dire
des dispositifs jouant avec les codes d’un médium institutionnalisé dont tout le monde à
l’habitude pour en proposer une variante qui par définition ne devrait pas correspondre à
l’expérience initiale ? Ce genre de pratique peut se retrouver dès les débuts du cinéma.
Prenons par exemple le cas du Cinéorama de Raoul Grimoin-Sanson. Dans le journal Le

43
MUSSER Charles, « Quand le cinéma devint-il cinéma ? », dans 1895. Mille huit cent quatre-vingt-
quinze, n°86, 2018, pp, 8-25.

17
Gaulois du 27 avril 1900 paru en amont de l’exposition universelle de Paris, la rubrique
Bloc-Notes Parisien décrit l’arrivée imminente d’une attraction qui allait emporter la
cinématographie « loin des milieux où elle a été fixée. » 44. Le Cinéorama (ou
Cinécosmorama 45, figure 2.) est un dispositif cinématographique de projection
panoramique à 360°. Les spectateurs se situent sur une plateforme centrale autour de
laquelle se trouve 10 écrans disposés décagonalement donnant, avec la projection et la
distance entre la plateforme et les écrans, l’illusion d’un cercle. Sous la plateforme
centrale, se situe la cabine de projection et ses dix projecteurs spéciaux synchronisés et
au-dessus de la plateforme centrale une reconstitution du bas d’un ballon de montgolfière
accompagné de tous ses agrès (faisant de la plateforme centrale la nacelle dudit ballon).
Dans un souci de vraisemblance, la distance entre la plateforme et les écrans est pensée
pour l’illusion de grandeur nature 46 et les films proposés ont été colorisés (par une
certaine Mme Thuillier 47). La séance se déroule ainsi : les spectateurs arrivent par un
escalier entourant la plateforme centrale, prennent place et découvrent le décor de
l’attraction. Lorsque la plateforme est remplie, un employé de l’attraction déguisé en
capitaine d’aérostat annonce : « Mesdames et messieurs, nous allons partir du bassin des

Figure 2 : Coupe du cinéorama. Illustra�on du livre de Raoul Grimoin-Sanson, Le film de ma


vie, p.89.

44
Auteur inconnu, « le ballon cinéorama », (bloc-notes Parisien) dans Le Gaullois, n°6712, 27 avril 1900.
45
GRIMOIN-SANSON Raoul, Le film de ma vie, 1926, les édi�ons Henry-Parville, Paris. P.91
46
Auteur inconnu, « le ballon cinéorama », (bloc-notes Parisien) dans Le Gaullois, n°6712, 27 avril 1900.
47
GRIMOIN-SANSON Raoul, Le film de ma vie, 1926, les édi�ons Henry-Parville, Paris. P.125

18
Tuileries… Lâchez tout ! » 48 signifiant le début de l’attraction. Le voyage se compose
d’une introduction étant le départ des Tuileries et l’ascension du ballon, s’en suit 10 lieux
exotiques entrecoupés d’environ une minute d’écran noir chacun pendant lesquels
l’employé annonce la prochaine destination, pour finir sur la séquence du début, cette
fois-ci inversé au montage pour donner l’impression d’un atterrissage. Ce dispositif,
rétrospectivement comprit comme un échec technique par Jean-Jacques Meusy (qu’il
décrit dans l’énigme du cinéorama) grâce aux documents et discours contradictoire
l’entourant. Grimoin-Sanson ainsi que certains de ses amies les plus influents (George
Méliès pour ne citer que lui) affirment à qui veut l’entendre que l’attraction à bien eu
quelques représentations avant de fermer, mais les documents déterrer par Meusy,
notamment le Rapport général administratif et technique du Commissaire général de
l’Exposition Alfred Picard 49, sont formels : Du à la dangereuse montée de température
dans la cabine de projection, il n’y aura aucune projection publique par risque d’incendie.
La presse qui, pour reprendre l’exemple de Meusy, note « les plus petits évènements
passés ou à venir -un arrêt de 10 minutes du trottoir roulant, les programmes du jour des
kiosques à musique, etc.- n’aurait pas manqué de faire état d’une représentation même
unique, du Cinéorama. » 50. Meusy poursuit toutefois la réflexion en qualifiant le
cinéorama de première salle conçue pour le cinéma. Loin des traditionnelles salles de
café-concert et autre cabaret ou tente de fête foraine ce dispositif est travaillé pour des
spécificités cinématographiques et construit autour des problématiques de projections.
Trop en avance sur son temps cet échec technique ne réapparaîtra à priori pas avant les
années 50 et les expériences 360° de la Walt Disney Imagineering, pourtant le Cinéorama
soulève déjà nombres de questions. Si l’attraction semble miser sur l’immersion du
spectateur en rendant la frontière trouble entre la projection d’un voyage en ballon et la
re-création de l’expérience d’un voyageur en ballon, le fond du problème réside dans la
projection. Grimoin-Sanson ainsi que les différentes descriptions du procédé affirment
que les appareils d’enregistrements et de projections sont dirigés par un mécanisme de
synchronisation (présentant quelques défauts d’après Méliès qui constate un
« cisaillement en hauteur, à la jonction de tableaux voisins. » 51). Il n’y a, semble-t-il, pas

48
Idem, p.126
49
MEUSY Jean-Jacques, “L’énigme du cinéorama”, dans Archives, n°37, 1991, p.6.
50
Idem.
51
Idem, p.8

19
de preuve concernant le choix conscient du film de voyage comme solution à la
problématique de narrativisation d’un film dans un espace ouvert à 360° : Ici les
spectateurs peuvent regarder où ils le veulent sans hiérarchiser l’importance des endroits
où se posent leurs regards. Puisqu’il n’y a pas d’histoire, pas d’intrigue à proprement
parler, il n’y a pas de réalisateur qui cherche à diriger le regard. Le montage lui-même ne
cherche pas à donner une impression de vraisemblance puisqu’entre chaque lieu, un écran
noir d’environ une minute sert d’ellipse. La frontière trouble entre le film et le dispositif
immersif de l’attraction se voit probablement sauver par la suspension d’incrédulité des
spectateurs. Les dires de Jean-Jacques Meusy vont à contre-courant des propos de
Bellour. Si le cinéorama peut être compris en tant que la première salle de cinéma alors
même que son expérience ne rentre pas dans les critères bien définit de Bellour, ainsi le
cinéorama est un interstice quant à ce que peut être la salle de cinéma. En réalité, Si
l’attraction n’a pas tant choqué (outre le fait qu’elle n’a jamais vraiment eu lieu) c’est
bien parce que le spectateur de l’époque était déjà habitué aux spectacles panoramiques.
Le panorama, dont Erkki Huhtamo 52 nous dit que nous pourrions retracer la naissance en
1787 lorsque le peintre Irlandais Robert Barker dépose le brevet d’un appareil (au nom
de « Apparatus for Exhibiting Pictures » permettant d’afficher des vastes peintures dans
un bâtiment cylindrique. Cette forme-là plus basique de panorama sera vite décliné en
une multitude de possibilités et dans sa pré-histoire 53 il est déjà possible d’en trouver
plusieurs types : Les transparents de Carmontelle à partir de 1783 sont des tableaux peint
sur une bande de papier de Chine rendu visible grâce à un rétro éclairage et long de 26 à
58 mètres, l’espace par lequel la lumière entre pour rétro-éclairé les parchemins est large
de 66 centimètres et la bande passe successivement sur cette espace. La tapisserie de
Bayeux, elle, serait un contre panorama. Datant des années 1070 et d’une longueur de 68
mètres elle n’entoure pas le spectateur puisqu’elle est souvent présentée sur un
promontoire circulaire allongé autour duquel le spectateur peut librement se balader. Si
nous reprenons les transparents de Carmontelle (dont voici un exemple Figure 3 ou l’on
voit bien les manivelles permettant de faire défiler les images). Comment ne pas les
rapprocher du montage au cinéma, de la succession de plan sur un écran éclairé ? En

52
HUHTAMO Erkki, “Global Glimpses for Local Reali�es: The Moving Panorama, a Forgoten Mass
Medium of the 19th Century”, dans: Art Inquiry, Vol. IV, n° 13, 2002.
53
LAMBOLEY Claude, « Pe�te histoire des panoramas, ou la fascina�on de l’illusion » séance du 26
février 2007 de l'Académie des sciences et letres de Montpellier, bulle�n n°38, édi�on 2008, pp. 27-52.

20
Figure 3 : Présenta�on du transparent Les Quatre Saisons dans la boîte conçue pour
l’exposi�on « Le voyage en images de Carmontelle, diver�ssements et illusions au Siècle
des lumières », en 2008. Sceaux, musée de l'Île-de-France

réalité, ce procédé rappelle le défilement de la pellicule à l’intérieur d’une caméra ou d’un


projecteur et même si nous nous attardions sur un panorama tout ce qu’il y a de plus
classique (celui de Barker diront nous), nous pourrions établir que le spectateur effectue
lui-même son montage en déplaçant son regard latéralement ; en plan séquence pour un
panorama continue à 360°, en montage segmenté pour la tapisserie de Bayeux qui raconte
une histoire, etc. Faute d’exemple probant, nous pourrions aussi établir que la différence
fondamentale du montage cinématographique est qu’il apporte une dialectique au
moment du choc entre les images (le fameux effet Koulechov). Et c’est donc ainsi que
l’on retrouve le panorama dans l’essence même du cinéma, le montage tant dans sa
technique que sa théorie. Comme le rappelait Tom Gunning, l’histoire du cinéma n’est
pas une affaire de téléologie crypto-biologique 54 une approche technologique de son
histoire tel que préconisé par Benoît Turquety nous permettrait probablement de nous
éloigner des courants sémio-pragmatique et psychanalysant des années soixante-dix que
nous avons abordés plus tôt. C’est aussi pourquoi nous allons nous essayer à cette
approche technologique et matérialiste des rapports entre la production des machines et
leur réception dans la partie suivante. Pour ce faire voici comment Turquety décrit la
méthode que nous allons suivre : « Cette épistémologie [des machines] doit prendre en
compte l’ensemble de ce qu’est la machine, c’est-à-dire sa forme et sa structure, les
réseaux techniques dans lesquels elle est incluse, les imaginaires culturels qui la forgent
et qu’elle nourrit, les usages concrets des opérateurs. Mais elle doit aussi pouvoir
désolidariser la machine de ses usages concrets, historiques, pour la considérer dans ses
potentialités propres. Elle doit pouvoir envisager les usages non historiquement réalisés

54
GUNNING Tom, « cinéma des atrac�ons et modernité » dans : Cinémathèque, « Cinéma des premiers
temps », N°5, printemps 1994, p.129.

21
de la machine, ses utilisations proscrites, dévalorisées, et même jamais envisagées. » 55.
De cette approche, nous ne conserverons pas les usages des opérateurs par manque de
pertinence avec le cœur de notre sujet mais nous y ajouterons l’usage fait des utilisateurs,
que Turquety écarte de son étude. Dans le chapitre « Innovation en cinéma et son
spectateur » 56, l’auteur reproche à l’histoire du cinéma de s’être trop intéressé à son
récepteur qui serait le catalyseur de ce qui est innovation en cinéma puisque perceptible
par ce dernier (cinéma sonore, en couleur, etc.). Selon lui, cette importance donnée à
l’expérience spectatorielle réduit trop le champ des possibles d’une histoire technique du
cinéma. Pour notre sujet, nous réintroduirons cette notion afin de la joindre aux autres et
s’approcher d’une compréhension la plus totale possible des dispositifs et ne pas s’en
tenir qu’à leurs caractéristiques techniques, sensorielles ou sémantiques.

55
TURQUETY Benoit, « Pour une épistémologie des machines » dans : Inventer le cinéma. Epistémologie :
problèmes, machines, Lausanne, L'Age d'Homme, collec�on Histoire et esthé�que du cinéma, série
Travaux, p.92.
56
Idem, p.75

22
II) Le fantasme d’un renouveau : hétérotopologie des fausses promesses

Dans cette partie, nous traiterons des trois dispositifs évoqués lors de l’introduction.
Par une analyse technique puis esthétique de chacune de ces propositions, nous allons
mettre en exergue un aspect qui sera traité lors de la troisième partie : l’aliénation, la
fantasmagorie et la totalitarisation.

1) Le kinoautomat : provocation aliénante

L’exposition universelle de 1967 était, selon Malte Hagener, « un évènement


cinématographique par excellence » 57 du au nombre d’« expériences de projections
expérimentales » 58. Hagener et Léon remarque avant tout en cette exposition des écrans
qui reconfigure l’espace, du Diopolyécran à l’exposition In the labyrinth 59. Nous
évoquions lors de l’introduction les propos d’un journaliste constatant la présence d’un
nombre conséquent de films à l’exposition 67, voici la citation dans son entièreté : « Plus
les différents pavillons annoncent qu’ils présenteront un film sur tel ou tel sujet, plus on
a l’impression que l’on passera l’été 1967 à voir du cinéma. Peut-être un pavillon
projettera-t-il un film sur ce que l’on aurait pu voir à l’Expo si on était sorti des salles
obscures de cinéma ? Heureusement un pays, la Tchécoslovaquie, a décidé de présenter
quelque chose de nouveau. Appelé Kinoautomat, ce cinéma nouveau genre est basé sur
la participation directe du spectateur. A l’aide de boutons qu’il trouvera sur le bras de son
fauteuil, le spectateur pourra choisir non seulement le genre de film qu’il désire regarder
mais également la fin du film. Les mélodrames pourront se terminer par des tartes à la
crème et les comédies par des accidents d’avion ! » 60. En amont de l’exposition ce
chroniqueur pré-voit au cinéma un avenir placé sous les augures de l’interactivité et de
l’œuvre modulable à souhait. Créer par les réalisateurs de la nouvelle vague Tchèque
Radúz Činčera, Pavel Juráček, Vladimir Svitáček et l’acteur Miroslav Horníček (bien que
la paternité du projet semble être dirigé vers Činčera, nous pouvons en questionner la
véracité étant donné que la plupart des informations nous étant parvenu résultent de la

57
HAGENER Malte, « Montréal’s Expo 67 Within an Expanding Cinema History », dans Exposing the
moving image : The cinematic medium across world fairs, art museums, and cultural exhibitions, Traduit
par moi-même, Mimesis interna�onal, 2020, p.101.
58
Idem.
59
Voir annexe 1
60
L’heureux Robert, le 24 juin 1966, « Expo 67 », dans Le droit cahier 1 :
htps://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4214595?docsearchtext=kinoautomat

23
curation de l’œuvre par sa fille, Alena Cincerova.) Le kinoautomat se présente dans une
disposition classique : les sièges sont inclinés normalement et le spectateur est assis face
à l’écran. Ses particularités se trouvent sur les sièges de chaque spectateur sur lesquels
sont placés deux boutons, un rouge et un vert, et autour de l’écran où sont disposés des
diodes luminescentes (Il y a autant de diodes que sièges présent dans la salle et chacune
peut s’allumer en rouge ou en verre, chaque diode est marquée du numéro du siège
correspondant, laissant ainsi à tous la possibilité de connaitre le vote de l’autre, voir figure
4 61), et à la présence de deux écrans disposés respectivement à droite et à gauche de
l’écran projetant en 16mm combien de votes ont été effectué pour chacun des choix en
direct. Nous verrons dans la partie III que l’essentiel de la gestion du dispositif s’effectue
en fait, en cabine de projection. Il est aussi important de noter que le dispositif que nous
décrivons ici est celui présenté lors de l’exposition universelle, les différentes itérations
du kinoautomat et ses reproductions miniatures plus récentes n’ayant pas forcément pu
recréer toutes les caractéristiques ici présente. Les autres aspects techniques du procédé
sont le automat, l’ordinateur comptabilisant les votes de l’audience avant d’insérer la
bobine ayant été majoritairement choisis dans le projecteur et la présence d’un
bonimenteur sur scène n’étant autre que Miroslav Horníček, l’acteur principal du film. Le
film diffusé porte à peu de chose près le nom du dispositif et du thème de l’exposition
67 : Kinoautomat : Člověk a jeho dům / Kinoautomat : un homme et sa maison. Le film
raconte l’histoire de monsieur Novak qui, alors qu’il essaie de rentrer chez lui se retrouve

61
Image promo�onnelle du site officiel du kinoautomat : htp://www.kinoautomat.cz/o-
kinoautomatu.htm

24
confronté à un dilemme, laisser ou non sa voisine presque nue rentrer chez lui afin de
l’aider et ce juste avant que sa femme ne rentre. Lorsque le protagoniste est confronté à
un choix. Le film s’arrête, son interprète arrive sur scène pour résumer la situation et
expliquer les alternatives que peut choisir le spectateur avant de le laisser voter. La soi-
disant interactivité que le dispositif propose fonctionne donc sur différentes strates.

Il y a tout d’abord le choix fait par les spectateurs et donc, l’intrigue interactive
n’ayant en réalité aucune conséquence sur la fin du film car les embranchements narratifs
ne sont pas exponentiels et procédural mais finit et se recoupant (figure 5), d’autant plus
que tous les choix sont caractérisés par une composante morale matérialisée par les
couleurs rouge et verte des boutons sur les sièges. Laisser rentrer la voisine est le choix
immoral là où la laisser sur le palier et attendre sa propre femme est le choix moral. Frank
Kappler, journaliste pour le Life magazine apprit avec surprise que sur 112 séances, la
sienne était la seule où les spectateurs votaient majoritairement pour les choix moraux. Il
rapporte les propos de Cincera à ce sujet : « Ce que l’on fait vraiment ici c’est une étude
psychologique et sociologique à propos d’un comportement de groupe. C’est fantastique.
On apprend que les gens ne décident pas selon un code moral mais selon ce qu’ils ont
envie de voir. » 62. Ici, le désir de catharsis prend le pas sur l’obligation moral ou un
discours lié au scénario. Ce moment du choix nous emmène aux autres nouveautés
proposées.

Figure 4 : Image promo�onnelle du site officiel du


kinoautomat montrant les diodes entourant l'écran
ainsi que deux bonimenteurs animant la séance et
un des deux écrans latéraux.

Kappler Frank, « The mixed media-communica�on that puzzles, excites and involves » dans, Life
62

Magazine : Revolution in Film At Expo 67, 14 juillet 1967.

25
Alors que Mr Novak doit faire un choix, un « stop » retentit et l’image se fige. C’est
alors que Mr Novak lui-même, toujours incarné par Miroslav Hornicek entre sur scène.
L’histoire raconte que l’acteur ne parlant pas un mot d’anglais dû apprendre tous son texte
en phonétique pour le restituer sur scène. Il prit aussi le temps d’apprendre une dernière
phrase pour indiquer aux journalistes qu’il ne parlait pas anglais 63. Le bonimenteur est
donc doublement incarné. Il est l’acteur et le personnage. Son irruption en dehors de
l’écran créer un nouvel espace qui vient transgresser l’ordre spatial établit par André
Gardies 64 sort le spectateur de sa zone de confort et détourne l’attention de la première
supercherie narrative originelle. Dans le cas de l’espace investit par le bonimenteur, nous
nous situons entre l’espace cinématographique et l’espace diégétique, cet espace nous
proposons de le qualifier d’espace interstice et plus précisément anté-spectatoriel car il
n’existe que par sa reconnaissance par l’audience de sa nature d’entremetteur. C’est cet
espace qui intéressait Raduz Cincera à l’origine. Dans un interview donné à radio Prague
la fille du réalisateur tient des propos intéressants. « Autant que je me souvienne, mon
père qui faisait souvent des films inspirés par le milieu théâtral, était toujours attiré par le
lien entre la performance de l'acteur sur la scène et le spectateur ainsi que de la
problématique de ce qu'on appelle la rétroaction ou si vous voulez ‘feedback’ » 65. Les
liens entre théâtre et cinéma ayant toujours intéressé Cincera qui avait déjà réalisé un
documentaire sur la production d’une pièce de théâtre en 65 et un film expérimental
mêlant des extraits de pièce de théâtre avec des plans d’un brouillard couvrant Prague
dans Fog en 1966 mais aussi, une performance lors de l’exposition universelle de
Bruxelles en 1958 appelé Lanterna Magika dans laquelle il avait fait « usage de séquences
synchronisé entre le direct et le filmé » 66. La question de l’inter-action n’est donc pas tant

63
Alena Cincerova relate cete histoire qui lui aurait été raconté par son père sur le site officiel du
Figure 5 : proposi�on de schéma (embranchement
kinoautomat pour en faire la promo�on.
64
Gardies André, L’espace au cinéma,exponen�el à gaucheKlincksieck,
Paris, Méridiens ; finit à droite.).
1993, 222p.
65
Kinoautomat, le premier spectacle qui respecte la volonté du spectateur :
htps://francais.radio.cz/kinoautomat-le-premier-spectacle-qui-respecte-la-volonte-du-spectateur-
8608909
66
« Self-service cinema from Prague » dans, The Times, 20 May 1967, p.7, traduit par moi-même.

26
celle du spectateur et de la narration que celle du théâtre et du cinéma, l’incursion de la
diégèse filmée dans le réel ou le pont entre les deux. Si le film kinoautomat était diffusé
uniquement l’après-midi c’était pour laisser la place à un programme pour enfant le matin
dont peu de trace subsiste. De ce programme on retiendra cette question de l’incursion
dans le réel dont un journaliste nous rapporte que lors d’une séquence un personnage à
l’écran dessine un chien sur une toile de peinture qui s’anime aussitôt pour laisser place
à un chien arrivant sur scène 67. Le discours de l’œuvre relève donc plus de l’expérience
porté par le dispositif né de cette interaction que par celui du film. Le narrateur alors,
après avoir récité son texte, nous laisse entrevoir brièvement à l’image, la suite de chaque
choix.

Le split-screen que l’on peut voir dans diverses images d’archive du kinoautomat
(nous en avons vu quelques-unes déjà) présente les deux choix en les laissant jouer
quelques instants 68. Dans la version originale du dispositif on peut trouver des sources
pointant du doigt le fait que ces courts extraits de ce qui est à venir étaient diffusés sur les
interfaces latérales 16mm, toutefois on peut trouver un court enregistrement d’une
projection de 1967 où ces extraits de ce qui est à venir sont diffusés sur l’interface
principale 69. Une hypothèse serait que l’interface principale n’était utilisée que pour le
premier choix afin d’illustrer le procédé aux spectateurs avant de reléguer la tache aux
interfaces latérales. La vision est donc constamment interrompue et fragmentée, preuve
que le film ne se suffit pas à lui-même et que tout l’intérêt du dispositif réside dans sa
technique. Il ne s’agit pas uniquement du choix proposé au spectateur mais de
l’expérience collective du vote à la vue de tous, la prise en compte en direct par
l’ordinateur et l’application d’un scrutin de vote majoritaire à l’écran qui suscite
l’enthousiasme. Ces nouveautés ne proviennent pas d’une demande de l’audience,
inconscient de ces possibilités techniques le public d’alors ne réclamait guère de dispositif
de la sorte ce qui en fait une œuvre qui vient transgresser l’ordre technique établit et les
attentes du spectateur. Ce dernier, à la fois « sujet d’une expérience esthétique »

67
Idem.
68
Nous pouvons voir ce phénomène au début de cete présenta�on de la fille du réalisateur, Alena
Cincerova : htps://www.youtube.com/watch?v=MxuyMQDd39A
69
Dans le documentaire Zašlapané projekty Kinoautomat à 2 minutes 37 :
htps://www.ceskatelevize.cz/porady/10209988352-zaslapane-projekty/409235100061014/

27
(définition du spectateur de cinéma par Erwin Panofsky 70) mais aussi dans un état de «
sous-motricité et de sur-perception » (définition du spectateur de cinéma par Christian
Metz 71) font de lui un sujet passif de l’expérience esthétique proposé. Si Metz,
questionnera cette soi-disant passivité, la posture du spectateur s’inscrit dans une
réflexion plus large, que Jean-Paul Doget qualifie d’aspect « expérientielle » de la
communication artistique 72. D’après lui, une inféodation des qualités du langage à l’art
en limite les fonctions à : « Transmettre de l’information sur le monde », « exprimer des
états d’esprits subjectifs » et « exemplifier » des propriétés […] », à cela il rajoute une
dernière fonction « plus essentielle pour peu que l’on s’interroge sur ce que fait
proprement l’artiste au-delà de ses actes matériels, et cette fonction est de provoquer une
expérience vécue. ». C’est cette fonction qui nous intéresse dans notre cas, car il s’agit
bien là de ce qu’il appelle « une expérience extraesthétique ». Le film Kinoautomat ne
comporte rien d’esthétiquement signifiant et ce qui a fait son succès est bel et bien sa
nouveauté technologique, notre dispositif propose par la transgression de l’ordre
technique, une nouvelle expérience vécue pour le spectateur, dès lors, le dispositif ne fait
que vendre son artifice, la seule chose encensée est le gadget et non pas l’œuvre. Cette
nouveauté que représente l’interactivité dont l’emphase est autant mise sur l’aspect
Automat - proto-ordinateur, pinacle d’un imaginaire commun du futur qui engage bel et
bien ce cinéma dans un futurible 73 dont l’aboutissement serait un nouveau paradigme de
l’industrie moderne ou au mieux une implémentation progressive de mécanismes
d’interactions dans les œuvres audiovisuelles. En réalité, le kinoautomat dépossède donc
le spectateur de la seule proposition lui étant fait. Il choisit mais son choix n’a aucun
impact, il dépossède aussi le film de ses possibilités d’expressions puisque maintenant
soumise au dispositif. Il est aliénant pour le spectateur qui ne produit désormais plus rien
pour lui d’autre que du divertissement, ce que nous verrons rétroactivement en troisième
partie. Nous verrons aussi en quoi le kinoautomat démontre que l’interactivité ne peut

70
Panofsky Erwin, “Style et ma�ère du sep�ème art”, dans Trois essais sur le style (1947), traduit de
l’anglais et de l’allemand par Bernard Turle, 3ème édi�on revue et augmentée (1967), Paris, Gallimard,
“Le promeneur”, 1996.
71
METZ Chris�an, « Le signifiant imaginaire » dans Communications n°23 (« psychanalyse et cinéma »),
1975, pp.3-55
72
DOGUET Jean-Paul, « art et expérience vécue » dans L’art comme communication, Pour une re-
définition de l’art, Paris, Armand Colin, 2007, p.37.
73
Terme employé par Laurence Alfonsi dans Le cinéma du futur, les enjeux des nouvelles technologies de
l’image et définit comme un « futur possible ».

28
être qu’autoréflexive. Malheureusement pour le réalisateur Tchèque, le kinoautomat n’a
jamais eu le temps de s’institutionaliser quand bien même tout le monde voulait s’en
emparer. Un autre dispositif qui ne provient pas du bloc soviétique mais de la terre des
braves et des libres, qui lui aussi se vantait d’offrir une grande liberté à son sujet : le
Circarama.

2) Le Circarama : fantasmagorie publicitaire : Monument Valley comme si vous y


étiez.

En 1955, une nouvelle attraction se


met en marche dans les parcs d’attraction
Disneyland. Situé dans la section
Tommorowland, autre foire s’essayant à
l’anticipation technologique, entre la
maison du futur Monsanto Chemical et le
Hall de la chimie Monsanto Chemical
(Figure 5.), une attraction initiée pour et
par la American motors fait sensation. Il
s’agit du Circarama. Développé par la
Figure 6: Détail de la carte de Tomorowland de 1964. Au
Disney Imagineering conjointement avec centre, la seconde version du circarama America the
beautiful.
Eastman Kodak à hauteur de trois-cents
cinquante mille dollars le concept est simple : proposer une expérience de projection
d’images animées dans un rayon de 360° afin d’entourer circulairement le spectateur.
Ouvert en 1955 avec le premier parc d’attraction Disneyland, Tomorowland est une foire
d’anticipation dont l’idée était de comprendre ludiquement la manière avec laquelle nous
allions vivre en « l’an 1986 » 74.

Devant être à l’origine être un système composé de douze projecteurs disposés


circulairement au centre de la pièce et suspendu au plafond, les équipes d’ingénieurs se
sont rapidement rendu compte que cela ne fonctionnera pas. Ils ont donc décidé de réduire
le nombre de projecteurs à onze et de les disposer derrière les écrans. Pour ce faire, ils ont

74
« Mo�on Picture Exhibi�on Techniques at Dinsey’s Tomorrowland » dans Business Screen Magazine,
v.16, n°6, septembre 1955, p.39.

29
laissé un interstice entre chaque écran de 15 centimètres afin que chaque projecteur puisse
atteindre l’écran d’en face (Figure 7 et 8.), au total les écrans couvrent 13 mètres de
diamètres 75. Le nombre de projecteur et l’espace trop important entre chacun font de la
synchronisation un problème majeur à surmonter mais depuis l’époque de Grimoin-
Sanson la technologie a évolué et le problème a pu être réglé grâce au système de
synchronisation selsyn modèle 25 permettant de faire fonctionner les projecteurs et le
système audio kinovox simultanément. L’audio n’était en fait pas composé pour être
réellement synchronisé avec la vidéo, il s’agissait d’une bande sonore ayant seulement
comme lien d’y instaurer l’ambiance voulu mais il fallait faire en sorte que le tout se fasse
conjointement. L’article du Business Screen Magazine de 1955 insiste sur la question de
l’automatisation qui nous rappel déjà le kinoautomat. Ici, à la fin de chaque séance, le
circarama effectue un contrôle de chacune de ses composantes. Si l’une d’entre elle est
endommagée, une diode s’éclairera sur le panneau de contrôle pour avertir l’opérateur
qu’il faut la remplacer. Une fois que les contrôles ont été effectués, la séance suivante
peut commencer. La relative précarité de ce premier système ne permettait sans doute pas
que toutes les séances puissent se dérouler sans accros. Pour prévenir tous déchirement

Figure 8 : Photo prise depuis la cabine de projec�on par le Figure 7 : Brevet américain n°2941516A : Panoramic
Business Screen Magazine, septembre 1955. motion picture presentation arrangement du 28 juin
1960.

75
Descrip�on technique du circarama dans le Business screen magazine 1958, p.379.

30
de pellicule (les séances s’enchainant toutes la journée) chaque projecteur est équipé d’un
interrupteur automatique qui s’active si jamais un problème arrive à la pellicule. Dans
cette éventualité, le projecteur en question est désactivé, le film continue avec seulement
10 de ses écrans et une diode bleue s’éclaire sur le panneau de contrôle. L’opérateur
dispose toujours d’environ cinq à sept autres impressions de la pellicule pour pouvoir
immédiatement les remplacer. Pour ce qui est des ampoules, si le filament de l’une d’entre
elle venait à se briser pendant une projection, un système de courant alternatif servant de
batterie de secours a été mis en place au-dessus de chaque projecteur pour créer, le temps
que l’opérateur change l’ampoule, un substitut. Dans ce cas, une diode rouge s’allume sur
le panneau de contrôle.

Pour la captation, les ingénieurs ont reproduit (consciemment ou non) ce que faisait
déjà Grimoin-Sanson en son temps, et ce qui est la manière la plus logique de procédé :
Une plateforme sur laquelle sont fixés les onze caméras disposées de manière équidistante
de sorte que les images puissent se coller à la projection (figures 8 et 9). Cette plateforme
peut ensuite être installée sur un trépied, une voiture, un hélicoptère, etc. Il n’y a en réalité
pas ou peu d’autres manières de faire du cinéma entièrement panoramique. Une autre
alternative serait de capter à l’aide d’une seule caméra capable d’ubiquité (caméra
n’existant pas encore en 1955.) et de restituer la projection sur un écran capable de

Figure 10 : Illustra�on de l'appareil de prise Figure 9 : Photo de la plateforme de prise de vue du


de vue du cinéorama de Girmoin-Sanson circarama de 1955 dans le Business Screen Magazine,
dans Le film de ma vie p.97. septembre 1955.

31
retransmettre la vision de l’objectif (nous verrons que c’est plus ou moins ce que fait le
Panrama.). La première attraction Circarama, produite par la American Motors était Tour
of the West, qui consistait à faire un tour des grands espaces américain du Midwest du
grand canyon à Monument Valley. La proposition esthétique de largeur du circarama se
mariant parfaitement avec ces terres aux horizons infinis. Par la suite et à mesure que le
dispositif évoluera (passant du 16mm au 35 notamment), de nouveaux films arriveront.
Dès les années soixante, l’attraction délaissera Tour of the West au profit de America the
beautiful proposant non pas uniquement des décors naturels mais tout ce qui touche à la
puissance des États-Unis : Force industrielle, agricole, culturelle, etc. Le film contient
désormais des plans de vue aériens tournés depuis un hélicoptère. Le procédé sera réitéré
plusieurs fois, Tour of the West s’exportera à l’exposition universelle de Bruxelles 58 à
Epcott, l’exposition universelle de Montréal 67 ou America the beautiful deviendra
Canada 67’ puis O ’Canada ayant tous le même concept.

Ici, la salle est complètement reconfigurée. Les écrans étant multiples et tout autour
du spectateur, il n’y a plus de siège. Pour ne pas troubler la projection, l’entièreté du
dispositif se trouve en hauteur, il existe donc un problème de durée puisque le film (ou
« boucle » doit être juste assez court pour ne pas faire mal à la nuque de celui qui lève la
tête. Le spectateur est de ce fait libre de ses déplacements et libre de regarder l’écran qu’il
désire. Parce que les écrans sont partout, « pour les spectateurs, le problème était de savoir
dans quelle direction regarder et, pour le réalisateur, d’arriver à prévoir leurs réactions. »,

Figure 12: enregistrement de l'écran principal de Figure 11 : capta�on de l'atrac�on America the
America the beautiful beautiful en aout 1996.

32
se demandait Claude Lamboley 76? Les films indiquent quel est l’écran principal dès le
début du film en y plaçant le carton avec le titre du film et sera généralement celui
retransmettant l’avant du voyage. Nous avons réussi à retrouver le contenu de cet écran
dans America the beautiful 77, il s’agit bien là de cet écran principal comme nous pouvons
le voir sur cette vidéo d’archive datant d’aout 78 1996 si l’on en croit la description et les
commentaires semblant se recouper. Sur la première vidéo, à 10’25 on peut voir l’ancien
tribunal de Saint-Louis avec en l’arrière-plan la Gateway Arch (figure 11 et 12). On
retrouve cet exact même passage dans la seconde vidéo à 24’17 mais cette fois-ci avec
les autres écrans. Le traveling avant se dirigeant vers ces deux bâtiments célèbre de la
ville américaine en font la ligne de fuite vers laquelle se dirige la balade en voiture, il est
désormais évident que l’attraction suit tout de même une certaine logique dans la
représentation afin de ne pas perdre le spectateur ou peut-être est-ce là pour conserver son
attention autant que ne pas le projeter dans un espace ne contenant aucune logique de
direction. Cette question de la logique spatiale au sein d’un procédé 360° est
fondamentalement primordiale car le cinéma traditionnel s’est construit au cours de son
institutionnalisation une logique propre de la représentation de l’espace-temps passant
essentiellement par le cadrage et surtout le montage. Malheureusement pour les premiers
réalisateurs des procédés circulaires, puisque le spectateur peut voir de tous les côtés un
raccord perturbant ou trop brusque risquerait de le perdre. Pour palier à ça la direction
prise que nous pouvons constater dans la vidéo de captation de l’attraction passe soit par
des transitions en fondu enchainées assez lentes pour laisser le temps à l’œil de s’adapter
sois via l’écran principal effectuant souvent des raccords dans l’axe ou des transitions
d’un espace à l’autre en gardant dans le cadre un point d’intérêt architectural : si nous
reprenons l’exemple de l’arche vu plus tôt, un premier plan aérien à 24’15 nous laisse
voir le haut de l’arche, nous sommes face à elle et elle surcadre l’ancien tribunal qui est
ici loin de nous. Le cadrage dirige le regard vers ce dernier et c’est pourquoi ils se
permettent de ne pas opter pour un fondu. Le plan d’après nous emmène de l’autre côté
du bâtiment, cette fois ci nous somme face à lui et l’arche est derrière lui. Nous pouvons

76
LAMBOLEY Claude, « Pe�te histoire des panoramas, ou la fascina�on de l’illusion » séance du 26
février 2007 de l'Académie des sciences et letres de Montpellier, bulle�n n°38, édi�on 2008, pp. 27-52.
77
Ici, ce que diffusait l’écran principal : htps://www.youtube.com/watch?v=VxXsiSsOk0I&t=634s
78
Ici, une vidéo d’archive d’un visiteur de l’atrac�on :
htps://www.youtube.com/watch?v=rmv_P_wcZG4&t=768s

33
toutefois spéculer sur le fait que ces transitions ne sont effectives uniquement si le regard
est dirigé vers l’écran principal. Les problématiques liées au langage cinématographique
sont ici bien minimes si l’on compare les ambitions de projets s’essayant à la narration
en 360°. Les films des attractions Disney ou des expositions universelles ne font que de
la visite touristique et peuvent donc éviter bien des écueils posés par le cinéma circulaire.

Un autre aspect important de ces attractions est la manière avec laquelle nous y
accédons Dans leurs formes les plus répandus, il y a une animation avant le film dans une
antichambre. Une actrice prend la parole pour introduire l’attraction, son déroulement et
le film qui s’apprête à y être projeté, un compte à rebours indique quand l’attraction
commencera et le décor évoque le voyage qui arrive avec l’ensemble des drapeaux des
États-Unis d’Amérique. Dans certaines itérations de l’attraction, une exposition en lien
avec le thème du film peut attendre les spectateurs dans une troisième salle. L’attraction
se situe au milieu de tout un procédé le plaçant comme un apogée. On prépare le
spectateur à l’expérience en la plaçant dans Tomorowland (la terre du lendemain) où on
vous promet que vous y trouverez le futur au creux de la main, puis on vous installe dans
une salle où l’on vous raconte l’histoire du procédé avant de jouer à deviner à quel drapeau
correspond quel état, surement pour attendre que le dispositif soit prêt à accueillir les
spectateurs. L’attraction bien plus que le film est encore une fois élevé au rang d’objet.
Ce que l’on recherche c’est la sensation que va nous procurer le manège et l’impression
que va nous laisser la nouveauté technique. On retrouve la question de la fétichisation ou
tout un rituel est mis en place pour faire de cette expérience une consécration. On refait
tout l’historique de sa création par le grand visionnaire Walt Disney (que l’on nomme
uniquement par son prénom pour le rendre familier), on décrit à quel point le procédé est
une révolution et comment il a marqué les esprits avant de laisser au bout d’une
interminable attente le spectateur accéder au trésor de son enfance, le film des années 60
qu’il a découvert étant enfant et qu’il peut faire découvrir à son tour au sien. Si le
circarama propose de doter le spectateur d’une presque ubiquité avec ses écrans multiple.
Un architecte Français va créer un dispositif faisant tout l’inverse cherchant à transcender
la claustrophobie des salles de cinéma en éclatant les bords du cadre, intéressons-nous
maintenant à cette proposition d’accession à une hyper-perception de l’espace par une
absolue sous-motricité : le Panrama de Philippe Jaulmes.

34
3) Le panrama : cinéma total ou totalitarisation du regard ?

À la fin des années quarante, l’architecte montpelliérain Philippe Jaulmes réalise en


travaillant sur ses projets que les maquettes ne rendent pas correctement les impressions
d’échelle, de distance et de perspective. Il désire désormais remplacer la maquette par
l’image. Désirant reproduire la physiologie oculaire humaine, Jaulmes constate qu’il
n’existe pas d’outil permettant de capter le champ total de l’œil, seulement des outils
théoriques. À son époque il est quasiment impossible de recréer la vision dans son
entièreté, bien qu’une généalogie du procédé nous fasse remonter en 1897 où dans une
coupure de la revue La nature datant du premier semestre où l’on retrouve une
comparaison faite entre l’œil des poissons et l’objectif photographique, non pas sur
l’amplitude du point de vue mais sur la manière d’effectuer l’accommodation de la
lentille 79. Plus tard, en 1906 ce qui semble être la première expérience concrète est réalisé
par le physicien Robin W. Wood et telle que décrite dans une revue de recherche
scientifique 80, Wood essaye de reproduire la vision d’un poisson à l’aide d’un sceau, d’un
objectif semi-hémisphérique et d’un peu d’eau. Ce qui deviendra le fish-eye permettant à
Jaulmes d’atteindre son objectif est donc avant tout une expérience à visée scientifique
inspirée par des questions sur la vision du poisson. Hubert Corbin, John Felton, Frédéric
Jaulmes et Laurent Mannoni, en retraçant l’histoire du Panrama lors d’une conférence à
la cinémathèque Française 81 en font partir l’origine à une réflexion sur les perspectives.
Notre conception de l’image repose sur la perspective classique héritée de la renaissance
qui a permis de codifier une représentation du réel convaincante. Cette conception
correspond à un champ de vision allant de trente à quarante degrés. Pour obtenir le champ
de vision humain il faut déjà opter pour une perspective curviligne. Premier problème
rencontré, la perspective curviligne ne peut s’inscrire dans un plan de représentation plat,
elle doit nécessairement s’inscrire dans un cercle puis être retranscrite sur un plan plat,
c’est le phénomène d’anamorphose sphérique. Pour obtenir ce résultat, Jaulmes tente
d’abord de prendre des photos de boule ou de louche en argent ou par le biais d’un judas
mais ces essais n’aboutissent pas. Dès lors qu’il parvient à avoir des essais convaincants,

79
Voir annexe 2
80
Wood Robin W., Fish eyes view, and vision underwater, dans The London, Edinburgh, and Dublin
Philosophical Magazine and Journal of Science, Volume 12, 1906, P. 159-162
81
Corbin Hubert, Felton John, Jaulmes Frédéric et Mannoni Laurent, L’écran total : histoire du panrama
et autres concepts immersifs, le 18 novembre 2016 à la cinémathèque Française.

35
il dépose un premier brevet le 25 avril 1958, reposant sur ce principe : « assurer une
projection sur la concavité d’une demi-sphère qui forme écran, entourant complètement
le spectateur et correspondant à la totalité du champ de vision et réalisé cette projection
en ayant recours à un seul film et au matériel standard pour la prise de vue comme pour
la projection. » 82.

Le Panrama repose sur un procédé simple à comprendre bien que légèrement différent
des propos que viennent de nous rapporter les intervenants de la conférence de la
cinémathèque : Le Panrama n’entoure pas le spectateur, en tout cas pas comme le
circarama pouvait le faire. Il englobe sa vision en l’imitant de manière hypertrophié. Le
projecteur se situe au centre du dôme, la lumière vient ensuite se refléter sur un miroir
concave au centre de la salle (figure 13) qui réfléchit sur l’écran concave lui aussi. Les
images sont capturées grâce à une lentille fish-eye possédant une anamorphose grand
angle (annexe 3), avant de les désanamorphosés à la projection à l’aide d’une autre lentille
similaire. Subséquemment, quand la technologie le permettra, le projecteur substituera au
miroir et la salle de projection se déplacera en dessous des spectateurs (annexe 4). Les
sièges des spectateurs sont légèrement inclinés et moins nombreux que dans une salle
traditionnelle puisque la place du prince 83 est censée ne pas exister dans cette salle, le
champ de vision devant être toujours optimal pour être recouvert dans son intégralité. Au

Figure 13 : Une séance du Panrama illustré dans le midi libre. On peut voir le miroir placé au centre des spectateur.

82
Idem.
83
Jusqu’au XXème siècle et l’arrivée des modernes le théâtre s’organise autour de la figure du prince
pour qui les représenta�ons étaient pensées, le fauteuil du prince était censé être la place avec la
meilleure vue sur la scène et avec les meilleures distances avec les spectacles aux décors construits en
perspec�ves.

36
moment de ce premier brevet, les objectifs fish-eye n’existent toujours pas mais la société
kinoptic s’apprête à produire un nombre important de grands angulaires pour l’armée et
Jaulmes parvient à s’en procurer un et créer ainsi le premier modèle de Panrama. Les
premières projections sont un succès et le passage à l’exposition 67’ donne à Jaulmes
l’envie de voir plus grand. Il veut désormais passer à 12 mètres de surface projetable car
un plus grand écran peut être placé au-delà de 6 mètres de distance et à partir de là, l’œil
peut accommoder à l’infini, ce qui selon Jaulmes est la condition pour que le spectateur
« traverse l’écran » 84 pour se retrouver dans ce qu’il appelle le « cinéma grandeur
nature » 85. C’est avant tout cela que recherche dorénavant Jaulmes, il est convaincu que
l’avenir du cinéma réside dans son invention. Il nous dit lors d’une conférence au ZKM
(centre des arts et médias), de Karlsruhe en 2014 : « Avec l’invention du cinéma, naquit
le mythe du cinéma total. Sentiment d’envahissement que j’appelle volontiers ‘l’appel de
l’espace’. Comment exprimer, sans utiliser la projection sur écran hémisphérique, la
dimension fabuleuse qui nous saisit lorsqu’on entre, par exemple, dans la cathédrale
d’Amiens ? Aucune image classique ne le permet. Je crois qu’il existe un au-delà du
cadrage. La fixité fatigante de l’écran encadré contredit le désir de mobilité de l’œil. ». Il
ne s’agit plus de figurer l’espace mais de mimer le réel. Le Panrama vient donc
bouleverser les espaces établit par le cinéma jusque-là. L’espace dans lequel arrivait le
spectateur, André Gardies, le qualifiait d’espace cinématographique qu’il définissait
ainsi : « [espace] dans lequel se trouve ‘immergé ou exposé le spectateur’ et qui lui permet
de recevoir le film. On y accède à partir du moment où l’on choisit un siège dans la salle
de projection. Cet espace extrait l’individu de son quotidien en le plaçant dans une
position d’acceptation d’un dispositif, d’une œuvre. Ainsi, la localisation du spectateur
dans le dispositif de projection constitue en soi un espace de réception et de perception à
part entière, capable d’influer sur les autres espaces cinématographiques. » 86. Ces autres
espaces doivent aussi être reconsidérés puisque le rapport à l’écran n’est plus le même,
les mécanismes initiaux de la narration cinématographique devenant aussi obsolètes et

84
Idem.
85
Idem.
86
Gardies André. L'Espace au cinéma. Paris : Méridiens Klincksieck, 1993, 222 p.

37
doivent désormais inévitablement faire évoluer la formule de Christian Metz « sous-
motricité, sur-perception » 87 en immobilité et hyper-perception.

Jaulmes qualifie son cinéma de cinéma total et le définit en tant que toute production
cinématographique sur écran hémisphérique 88. Le terme évoque l’ambition de s’imposer
en tant que nouvelle institutionnalisation du cinéma puisqu’il renvoie à la définition qu’en
fait André Bazin dans le texte Le mythe du cinéma total et dont voici un résumé : « Le
mythe directeur de l’invention du cinéma est donc l’accomplissement de celui qui domine
confusément toutes les techniques de reproduction mécanique de la réalité qui virent le
jour au XIXème siècle, de la photographie au phonographe. C’est celui du réalisme
intégral, d’une recréation du monde à son image, une image sur laquelle ne reposerait pas
l’hypothèque de la liberté d’interprétation de l’artiste ni l’irréversibilité du temps. » 89.
Rappeler la définition que fait Bazin de ce mythe (qu’il qualifie en tant que tel car il
l’associe à une conception erronée de l’histoire du médium qui s’impose au fur et à
mesure comme prophétie autoréalisatrice et qui sépare les considérations esthétiques de
la technique.) c’est poser un premier problème aux considérations de Jaulmes. Il qualifie
son cinéma de total car il occupe tout le champ de vision et permettrait au spectateur de
traverser l’écran, mais dès lors que c’est le cas il doit adapter le langage
cinématographique initial pour s’essayer à autre chose. Dans l’introduction de son
ouvrage Pour un cinéma sphérique : écran total 90, Jaulmes s’interroge sur l’habitude qu’a
pris le spectateur à être confronté aux images. En défense de son projet il prétend analyser
« combien de personnes savent-elles regarder, choisir ? » 91, une première piste du
Panrama comme étant un dispositif totalitarisant apparaît car en prétendant atteindre un
cinéma total dans lequel nous pourrions nous abîmer, nous découvrons une volonté de
travailler à la place du spectateur, de ne plus proposer mais d’imposer. Le cadre est déjà
omniprésent (le pendant canadien du Panrama optant pour la technologie 70mm s’appelle
d’ailleurs l’Omnimax.). Cette volonté d’immersion, de distraction du dispositif nous
rappelle encore une fois au concept de fantasmagorie, l’acte déployé par le capitalisme

87
Metz Chris�an, « Le signifiant imaginaire » dans Communica�ons n°23 (« psychanalyse et cinéma »),
1975, pp.3-55
88
Jaulmes Philippe, Pour un cinéma sphérique : écran total, édi�ons Lherminier, Paris, 1980.
Idem p.10
89
Bazin André, « Le mythe du cinéma total », dans Qu’est-ce que le cinéma ? Paris, Cerf, 1958, p.25.
90
Jaulmes Philippe, Pour un cinéma sphérique : écran total, édi�ons Lherminier, Paris, 1980.
91
Idem p.10

38
de dissimulation de la valeur d’usage parfois inexistante au profit de la marchandise pour
la marchandise. Il est d’ailleurs intéressant de constater que Jaulmes se comporte avec le
cinéma comme un colon avec un indigène : il prétend étudier le cinéma (en tant que
langage) afin de pouvoir s’en approprier les richesses pour son œuvre personnelle. Dans
ses envolées prophétiques, Jaulmes se targue d’apercevoir un avenir ou la demande du
Panrama sera-t-elle qu’il faut impérativement s’y préparer et lui développer son propre
langage. Il poursuit avec une analyse de l’état (en son temps) du cinéma, du spectacle, de
la télévision et de leurs relations en s’y situant comme réponse aux potentielles crises du
dispositif dominant qu’il n’hésite pas à qualifier d’« atmosphère d’auto-satisfaction
92
initiatique absolument paralysante » , il poursuit en reprochant au cinéma traditionnel
d’avoir censuré les capacités médiatiques (de transmissions) du cinéma des attractions :
« De quel poids voulez-vous que pèsent ces spectacles forains qui sont faits pour amuser
les foules et qui n’ont aucun rôle dans la communication ? Tel est le langage que l’on
nous tient ! Ces idées sont courantes de nos jours et ne cessent de freiner l’essor d’un
autre cinéma. C’est ainsi que Jean Mitry ne peut imaginer d’autre esthétique du cinéma
que celle basée sur le cadre. » 93. Ici, il démontre bien que sa pensée s’obstine parfois trop
à réfléchir autour du cadre et pas ce qu’il contient. Sa doctrine du « non à l’encadrement
de l’écran » (annexe 5) a pour paradoxe que son écran en dispose aussi. Si le spectateur
le veut, il peut en atteindre les bords. Jaulmes prétend devoir repenser le langage
cinématographique justement parce que son spectateur dispose d’un « œil en liberté »94,
pour cela il propose des techniques faisant écho à ce que l’on a déjà dit pour le Circarama.
Les raccords doivent être bien travaillé pour ne pas perdre un spectateur qui ne regarderait
pas au bon endroit. Afin d’éviter cela, il propose de guider le regard afin de l’emmener là
où il faut qu’il soit. Si Jaulmes contrebalance ce discours en affirmant que ce n’est pas
obliger le spectateur que de faire cela car il a le choix et qu’il peut toujours revoir le film
pour en avoir une expérience différente. Cette manière de pensée nous évoque une
conférence de la designeuse architecturale et environnemental Miriam Bellard : La
conception d'environnement comme cinématographie spatiale : théorie et pratique 95 car
le jeu vidéo ayant dû construire le regard de son spectateur sans avoir aucun contrôle de

92
Idem. p.98.
93
Idem. pp.98-99.
94
Idem. p.62.
95
Conférence ayant eu lieu à la game developers conference en 2019.

39
la caméra a dû trouver d’autre subterfuge comme le concept de saillance que Bellard
décrit ainsi : « La saillance est un terme scientifique qui signifie attention, donc quelque
chose de saillant est quelque chose qui attire l’attention. » 96. Jaulmes, non content de se
poser des questions de compositions élémentaires avec comme contrainte, un espace de
composition plus large, se pose ainsi les questions d’un médium (le jeux-vidéo) ayant dû
abandonner ce qui faisait la particularité du cinéma, un cadre contrôlé.

Jaulmes s’inscrit dans la logique de résolution des crises par une salvation technique
de l’agrandissement mais si des procédés comme l’Imax et le cinémascope se proposait
comme un spectacle élargissant l’esthétique sans trop en changer la forme, Jaulmes lui
propose une réelle alternative. Cette dernière ne connaitra pas le succès qu’il escomptait.
Une tentative de spéculation des raisons de cet échec opterait pour une accumulation de
manque d’accointance avec le dispositif industriel : Le procédé nécessite une salle
spécifique onéreuse ainsi que des moyens de captations peu démocratisés en leur temps
et l’attention médiatique qu’il a obtenu n’a jamais dépassé celui du gadget du futur que
l’on peut attendre d’une visibilité octroyée par une foire d’anticipation.

96
Bellard Miriam, La conception d'environnement comme cinématographie spatiale : théorie et pratique,
conférence de la game developers conference, 2019, 24’42.

40
III) Le cinéma est mort ! Vive le cinéma !
« Il faut remarquer en outre que pour Leroi-Gourhan, d’une part une “mutation instantanée”
- une invention - ne tombe pas du ciel : elle se joue notamment par la réappropriation, dans
une culture différente, d’un “emprunt” trouvé ailleurs. D’autre part, et cela est crucial pour
la méthode même de la “technologie comparée”, on peut imaginer de construire l’histoire de
toute une culture par “l’observation partielle des seuls phénomènes d’invention”, car la
compréhension de ceux-ci impose ou entraine, “attire”, la compréhension nécessaire de ce
qu’il nomme “tout un réseau d’adhérences” qui solidarise l’invention et le système
technique qui la produit. Brusque, instantanée, la mutation que constitue l’invention n’en est
pas moins absolument et intégralement historique, de part en part. » 97

1) Invention ou innovation ? la marchandisation du renouveau

« Au commencement, donc, il y eut la reproduction pure et simple du mouvement,


quel que fût le sujet mobile » 98 nous dit Erwin Panofsky, qui, alors qu’il est à la recherche
des principes fondamentaux de l’art cinématographique reconnait d’ores et déjà la
question de la causalité technico-poétique en 1927 (c’est de la reproduction du
mouvement dont il s’agit là, donc par extension du cinématographe et des possibilités
formels qu’il propose et développe par la suite.), qui bien qu’étant une perpétuelle
problématique dont chaque résolution contribue à l’avancement de l’histoire générale du
cinéma, revient constamment dans les discours entourant la technique. Tom Gunning nous
rapporte que Fernand léger s’extasiait en 1922 de son visionnage de La roue d’Abel
Gance, lui ayant permis d’affirmer que le cinéma ne sert pas qu’à « ‘imiter les
mouvements de la nature [mais] faire vivre les images’ » 99. Encore une fois, le discours
est porté sur un film d’avant-garde qui n’aurait pu exister sans l’expérimentation
technique. Plus tard, l’ingénieur, réalisateur et producteur Jean Vivié nous dira en 1946
avec prudence que : « la technique cinématographique n’en est encore qu’à son premier

97
TURQUETY Benoit, « Inven�on et forme de l’histoire » dans : Inventer le cinéma. Epistémologie :
problèmes, machines, Lausanne, L'Age d'Homme, collec�on Histoire et esthé�que du cinéma, série
Travaux, p.83.
98
PANOFSKY Erwin, “Style et ma�ère du sep�ème art”, dans Trois essais sur le style (1947), traduit de
l’anglais et de l’allemand par Bernard Turle, 3ème édi�on revue et augmentée (1967), Paris, Gallimard,
“Le promeneur”, 1996, p .111.
99
Léger Fernand, « La Roue, sa valeur plas�que » (1922) dans Fonctions de la peinture, Gallimard, Folio,
Paris, 1997, pp. 55-60. [1965] cité dans : Gunning Tom, « Le Cinéma d’atrac�on : le film des premiers
temps, son spectateur, et l’avant-garde », dans 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 50 |
2006, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 07 Octobre 2022. URL :
htp://1895.revues.org/1242

41
âge, puisqu’elle n’a fait que se développer sur les bases de son principe initial, celui de la
succession d’images élémentaires du mouvement. Or, qui pourrait certifier que demain,
la mise en œuvre d’un principe entièrement différent ne viendra pas bouleverser cette
technique ? » 100. Si Vivié reconnait déjà que le principe initial du cinéma n’en est pas le
principe directeur et qu’il est amené à être précédé et bouleversé il n’en sera pas moins
repris avec très peu de justesse en 1995 par les techniciens, cinéastes et membre de la
fédération française du cinéma éducatif Jean Collomb et Lucien Patry dans un discours
remerciant les techniciens du cinéma qui d’après eux ne « peuvent que se réjouir de
l’évolution technologique qui a fait aussi évoluer l’écriture des œuvres
cinématographiques. » 101. Cette accumulation de citations - que nous aurions pu allonger
si nous en avions eu l’occasion - témoigne de la persistance des discours accordant à la
technique la primauté dès lors qu’il s’agit d’interroger les spécificités fondamentales du
médium ainsi que son avenir. Ils sont bien souvent suivis de discours, comme le font par
exemple Collomb et Patry qui non content d’édulcorer les propos de Vivié, fragmentent
l’histoire des inventions du cinéma en quatre « pics » : le son, la couleur, les écrans larges
et le numérique. Cette confusion quant à ce qui est invention et innovation dans l’histoire
d’un cinéma bien plus complexe que quatre évènements que l’on ne qualifie en tant que
tel uniquement parce qu’ils sont perceptibles par le public, permet à Turquety de renvoyer
à un cours donné par le philosophe des techniques Gilbert Simondon dans lequel ce
dernier nous dit que :

“De manière assez générale, les progrès relationnels [portant sur l’adaptation de l’objet technique au
milieu] sont des perfectionnements progressifs, continus, se faisant par essais et erreurs au cours de
l’usage ; ils résultent de l’expérience et s’additionnent : ils conservent l’allure de la relation entre
organisme et milieu. Par contre, les progrès de l’auto-corrélation [interne] demandent une résolution de
problème, une invention qui pose un système synergique de comptabilité. Cette invention peut être
amenée par le besoin des progrès relationnels, mais elle ré-engendre la logique interne du système [.
P]our cette raison, le progrès technique interne ne peut guère être continu; il se fait par sauts, par étape
discontinues […]. 102

100
Vivie Jean, Histoire du cinéma, Du cinématographe Lumière aux techniques nouvelles, Edi�ons B.P.I,
Paris, 1946. Dans Collomb Jean, Patry Lucien, Du cinématographe au cinéma, 1895-1995, 100 ans de
technologies cinématographiques françaises, Edi�ons DIXIT, Paris, 1995, p.311.
101
Ibid, p.312.
102
Simondon Gilbert, L’invention des techniques. Cours et conférences [1968-1974], préface de Jean-Yves
Château, Paris, Seuil, coll. Traces écrites, 2005, p.101. Dans, TURQUETY Benoit, « Inven�on et forme de

42
Dès lors, en observant la continuité dans laquelle s’inscrivent nos dispositifs, nous
pouvons constater que le Circarama et le Panrama font partie des soubresauts discontinus
de corrélations internes au cinéma en vue de la résolution de problèmes d’adaptation à la
vision du spectateur et son appréciation de l’espace. Ces évolutions ont probablement
mené, çà et là, à l’arrivée de nouvelles techniques que nous pourrions tracer jusqu’à la
réalité virtuelle dont les problématiques actuelles lorgnent du côté des lentilles les plus
efficaces et au coût de production les moins chers pour obtenir le champ de vision le plus
large possible sans que les bords de l’écran ne soient rendu flou par une déformation
chromatique dû à la lentille (les lentilles le plus utilisés sont les lentilles Fresnel et les
lentilles Pancakes, proposant toutes deux leurs défauts et avantages et dont les
considérations théorico-pratique actuelles nous évoquent celles de Jaulmes sur la
construction du Panrama.). Les évolutions portées par les technologies de projections
spatiales ont donc ré-engendrées la logique interne de leurs systèmes au point de rendre
les précédentes obsolètes. Qu’il s’agisse là de la réalité virtuelle ou même de la pratique
du vidéo-mapping, il est bien question dans ces deux cas de s’affranchir du cadre soit en
s’en approchant tellement qu’on ne le discerne plus, soit en le modelant à notre bon
vouloir mais dans les deux cas, la captation vidéo en prise de vue réelle et l’écran de
projection ont bien souvent complètement été abolies du processus en vue d’atteindre le
fantasme d’un écran sans cadre. Le Kinoautomat lui, a évolué dès lors que les
technologies de l’automatisation ont permis de comptabiliser les votes comme promis
originalement mais cette évolution là ne servant qu’à améliorer le rapport entre organisme
et milieu ne le constitue pas en tant qu’invention. Ses descendants n’ayant pas fait évoluer
les procédés mais les usages ne posent pas non plus la question de la technique. Le
Panrama, en cherchant à remettre en question les moyens d’expression du cinéma et en
s’affranchissant de la narration cherche à réintroduire les questions de perception de
l’espace et du temps et si Jaulmes annonçait le Panrama comme un nouvel avènement de
l’art cinématographique et Cincera espérait ouvrir les yeux du public par sa technique,
leurs pratiques d’un cinéma collectif n’ont par leurs mutations et évolutions fait que
desservir la transition de la pratique collectif du cinéma vers sa pratique individualisé et
ce, bien souvent à la solde du divertissement. Les considérations de Raymond Bellour

l’histoire » dans : Inventer le cinéma. Epistémologie : problèmes, machines, Lausanne, L'Age d'Homme,
collec�on Histoire et esthé�que du cinéma, série Travaux, p.81.

43
concernant l’aspect collectif du cinéma sont mieux résumés par Laurence Alfonsi
lorsqu’elle dit que « l’originalité fondatrice du cinéma c’est l’adéquation, l’union
indissociable entre le film et la salle de cinéma » 103, cette définition du cinéma est plus
pertinente car qualifié d’originalité fondatrice et non d’essentielle et immuable, elle nous
permet donc de conserver les pratiques individuelles dans le cadre d’une considération
étendu du cinéma qu’il nous faut alors analyser ainsi que le cadre dans lequel agissent ces
mutations individuelles de nos dispositifs qui ne sont plus nécessairement de l’ordre du
jeux-vidéo uniquement. En réalité, si le Kinoautomat originel n’est probablement ni une
invention ni une innovation - étant donné qu’il repose sur un ensemble de subterfuge et
de détournement de l’attention du dispositif technique – et bien il est une emphase des
processus de fascination envers la nouveauté, révélant cette dernière en tant que
marchandise fétichisée. Si le passage de cette pratique, du collectif à l’individuel est une
fantasmagorie, que dissimule-t-elle ? Pour la chercheuse et théoricienne en médias digital
Wendy Hui Kyong Chun, la nouveauté est devenue une habitude, une routine
endolorissante induite en partie par un marché ayant besoin de vendre toujours plus et
devant donc trouver des moyens pour réussir à faire passer comme innovation ce qui ne
l’est pas vraiment. Cette vente passe par la manière qu’ont les magasins de constamment
réagencer les étales présentant les nouveaux produits car noyés dans la masse d’autres
produits ils ne pourraient se démarquer par ce qui les rends uniques 104. L’enseigne de
vente doit elle-même créer un conditionnement spatial indiquant au client ce qui est
nouveau et qui mérite le plus d’être acheté car « le meilleur moyen de briser une habitude
est d’en changer l’environnement » 105. La marchandise est donc recouverte d’une
fantasmagorie aux apparences mouvantes et dans un espace de présentation en constante
reconfiguration pour persuader que cette nouveauté l’est plus que celle d’avant. Si
Cincera le dénonce, et Jaulmes s’enorgueillit inconsciemment de tomber dans ce piège,
si l’innovation est une réforme mineure relevant d’un processus continu et l’invention
une transformation majeure opérant de fait une discontinuité dans la lignée technique,

103
Alfonsi, Laurence. Le cinéma du futur : Les enjeux des nouvelles technologies de l’image. Edi�ons
L’Harmatan, 2005.
104
Chun, Wendy Hui Kyong. Updating to Remain the Same : Habitual New Media, MIT Press, 2017, p.2.
Traduc�on personnelle.
105
Idem.

44
comment les inventions résultantes de cette lignée technique n’éloignent-elles pas ces
dispositifs de leurs intentions originels ?

2) Echec contextuel ou ambition aveugle ? : un cinéma totalitaire et subjuguant


comme horizon ?

Une courte analyse de l’illusion que sont ces choix laissés aux spectateurs du
Kinoautomat démontre déjà que le spectateur est pris au piège par sa soif d’innovation. Il
se voit vendre une nouveauté révolutionnaire allant satisfaire son désir de catharsis -
comme l’a découvert malgré lui le journaliste que nous évoquions plus tôt 106 - mais il est
en fait pris dans une illusion de démocratie, lui laissant miroiter que son choix contribue
à une avancée collective vers la fin du film. Si certains se sont indignés de cette illusion
(le film commence par sa fin au début de la projection, Cincera fait donc un pied de nez
au spectateur naïf en lui dévoilant l’illusion du choix dès le début de la séance 107.). Le
spectateur pendant la séance est trop occupé à profiter, à jouir des plaisirs de la nouvelle
technologie, sommet d’attraction moderne le distrayant de la substantifique moelle de
l’œuvre. Cette distraction du sens au profit de la nouveauté se retrouve aussi dans
l’occupation de l’espace scénique par le bonimenteur doublement incarné puisqu’il s’agit
de Miroslav Hornicek incarnant déjà le personnage du film, monsieur Novak sortant du
film pour jouer un bonimenteur expliquant le procédé filmique au spectateur. Cette
transgression des espaces que nous pourrions qualifier de saut métaleptique 108 selon la
terminologie de Gérard Genette, sort le spectateur de sa zone de confort et détourne
l’attention de la première supercherie. Encore une fois, le discours de l’œuvre relève donc
plus de l’expérience porté par le dispositif de la salle de cinéma que par le film. Les
éléments que nous venons de passer en revue témoignent que le Kinoautomat s’ancre du
côté des installations contemporaines car il ne répond en rien ni à la demande du public

106
Kappler Frank, « The mixed media-communica�on that puzzles, excites and involves » dans, Life
Magazine : Revolution in Film At Expo 67, 14 juillet 1967.
107
Le film s’ouvre sur le bâ�ment du protagoniste en flamme, moment inévitable de la narra�on, le
spectateur ne peut y échapper malgré ses choix.
108
La métalepse est une figure narra�ve litéraire théorisé par Gérard Genete qui s’applique à tout
éléments changeant de strate narra�ve, passant par exemple de la diégèse d’une œuvre à
l’extradiégé�que. Un personnage s’adressant au spectateur et brisant ainsi le quatrième mur effectue
une métalepse.

45
ni aux habitudes de l’industrie culturelle et porte un discours non pas tant par le film qu’il
projette que par l’agencement de l’attente du public et d’un procédé nouveau servant à,
comme le décrit Laurent Goumarre lorsqu’il parle de l’art déceptif d’ « un réservoir ; le
lieu commun dans lequel s’abîme le spectateur : une entreprise d’annexion, qui affirme
que rien n’existe en dehors d’elle, puisqu’elle est capable de tout contenir, circonscrire et
par là même de tout définir sur un mode d’emprise. » 109. Cette définition totalisante qu’il
qualifie de piège semble rétrospectivement pertinente pour notre sujet puisqu’elle
correspond à la définition du dispositif foucaldien et agambenien dans ce qu’il a de
désubjectivant. Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’œuvre fût censuré par le parti
communiste tchèque en 1972 (bien après l’intérêt public et international de 1967) car le
groupe de scénariste a été déclaré « politiquement non fiable » 110. Cincera voulait en fait
traduire l’impuissance politique qu’il ressentait lors des élections de son pays afin de
dénoncer la main mise du parti communiste de l’époque sur les moyens d’expressions
politiques. Il se sert de l’interactivité comme moyen autoréflexif pour le spectateur de
réaliser les impasses de certaines élections et en tant que tel il est le seul de nos trois
dispositifs à ouvrir une brèche au sein des promesses faites par la technologie que Alexei
Shulgin, un artiste et théoricien Russe écrit sur un blog en 1996 résume de cette manière :

« En regardant des formes d'art médiatique très populaires comme les « installations interactives », je
me demande toujours comment les gens (les spectateurs) sont enthousiasmés par cette nouvelle forme de
manipulation à leur égard. Il semble que la manipulation soit la seule forme de communication qu'ils
connaissent et qu'ils apprécient. Ils suivent joyeusement les quelques options qui leur sont offertes par les
artistes : appuyer sur le bouton gauche ou droit, sauter ou s'asseoir. Leurs manipulateurs, les artistes, en
sont conscients et utilisent les séductions des dernières technologies (le futur est maintenant !) pour
impliquer les gens dans leurs jeux pseudo-interactifs, évidemment basés sur une banale volonté de
pouvoir. Mais quels beaux mots vous pouvez entendre à ce sujet : interaction, interface d'expression de
soi, intelligence artificielle, communication même. Ainsi, l'émergence de l'art médiatique est caractérisée
par la transition de la représentation à la manipulation. » 111

109
GOUMARRE Laurent, « L’art décep�f ou la co-produc�on d’un art contemporain » dans ARDENNE
Paul, BEAUSSE Pascal et GOUMARRE Laurent, Pra�ques contemporaines : l’art comme expérience, Paris,
Edi�ons Dis Voir, s.d. p.97.
110
Propos rapporté par la fille du réalisateur Raduz Cincera, Alena Cincerova dans un ar�cle de Radio
Prague Interna�onal : htps://english.radio.cz/groundbreaking-czechoslovak-interac�ve-film-system-
revived-40-years-later-8607007
111
Shulgin Alexei, (11 octobre 1996), « Art, Power, and Communica�on » sur le site Rhizome,
htps://v2.nl/ar�cles/art-power-and-communica�on

46
On retrouve ici ce que nous disions sur la fétichisation de la marchandise dans les
lieux que sont les foires d’anticipation où le futur lui-même devient un marché. Par cette
promesse du lendemain, les dispositifs peuvent se permettre d’opérer une
désubjectivation de leur sujet car, comment ne pas comparer le Kinoautomat au téléphone
lorsque Agamben nous dit que ce dernier n’est pas le moyen pour le sujet d’obtenir une
nouvelle subjectivation mais bien « un numéro au moyen duquel il pourra,
éventuellement, être contrôlé. » 112. De la même manière le spectateur du Kinoautomat
obtient moins une expérience de démocratie comme aimait à le relayer la presse de
l’époque ainsi que ses promoteurs, qu’un substrat de totalitarisme. Le spectateur du
Panrama obtient moins un cinéma total de l’espace et de la liberté qu’un cinéma qui
s’exsangue de ses capacités d’expressions au profit d’une nouvelle appréciation imagée
de l’espace qui, tout comme le Ciracarama, les deux cherchant à travailler l’espace,
doivent s’ils veulent singer le cinéma contrôler le regard du spectateur. Dans le cas du
Panrama l’ambition est peut-être louable, mais pour le Circarama, il s’agit ici d’un
procédé s’assumant comme spectacle commandé par et pour des entreprises utilisant la
visibilité des parcs d’attractions Disneyland pour se vendre. Nous avions vu que la
American Motors était la première à avoir utilisé le Circarama, mais il ne faudrait pas
oublier Bell Labs dans les années soixante, AT&T dans les années soixante-dix, Pacific
Southwest Airlines dans les années quatre-vingt et Delta Airlines pour la décennie quatre-
vingt-dix. En dehors de Disneyland on retrouve même Monsanto, Black&Decker, Fiat,
les chemins de fer fédéraux suisses et Telecom Canada. Si ces entreprises avaient
évidemment un intérêt à faire leur publicité, le film le plus prégnant de cette volonté est
America The Beautiful qui vend les mérites de l’industrie et de la culture américaine sans
aucune forme de retenues. Il suffit de regarder l’espace commentaire des vidéos YouTube
des fragments vidéo qu’il nous reste de cette attraction pour y constater un certain
nationalisme nostalgique déplorant l’état actuel du pays. Cette couche d’artifice faite pour
vendre, se retrouve dans l’analyse du film They Live de John Carpenter (1988) faite par
113
le philosophe et psychanalyste marxiste Slavoj Žižek dont il rappelle que les lunettes
du personnage principal John Nada (nada qui se traduit par « rien » en espagnol, ce qui

112
Agamben Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ? Paris, Payot & Rivages, 2014, pp.44-45.
113
Analyse �rée de son film The Pervert’s Guide to Ideology, 2012.

47
fait de lui un sujet prêt à la subjectivation.) ne sont pas seulement traductrice de
l’idéologie sous-jacente des choses mais le rappel que l’idéologie est la paire de lunette
par laquelle nous regardons déjà, renvoyant à la primauté désubjectivante plus que
subjectivante du dispositif. La métaphore des lunettes du film peut aussi nous renvoyer
au fétichisme puisque ces lunettes disposent de propriétés magiques et pensent à notre
place, cette fétichisation, Žižek l’adosse à la subjectivation inter-passive 114.
L’interpassivité est selon Žižek le pendant de l’interactivité et agirait comme la
matérialisation du concept de fétichisation au sein d’un médium qui, si je suis capable
d’interagir avec, l’est tout autant avec moi. Il prend l’exemple des panneaux publicitaires
annonçant la réaction attendue du sujet avant même qu’il ne l’ai (« ‘Waouh, quel
goût !’ » 115) ou de la diminution du temps passer à regarder des films dès lors que l’on à
accès à un large catalogue, la liste de titre étant la manifestation de l’acte de regarder.
L’inter-passivité est donc l’outil de la désubjectivation qu’opèrent nos dispositifs, les
spectateurs profitent moins de l’interactivité soi-disant proposée par le Kinoautomat ou
les grands espaces du Panrama et du Circarama que du discours leur laissant entendre
qu’ils ont maintenant la possibilité de faire un choix (lequel ?) ou de regarder là où ils
veulent (mais où ?). « L'opinion des téléspectateurs est recueillie par un appareil de vote
électronique géré par un ordinateur. » 116 nous dit le site officiel du Kinoautomat, les
opérations elles même sont donc déléguées à la machine, mais pourtant c’est en fait
l’opérateur dans la salle de projection qui insérait la bonne bobine à la fin de chaque vote,
la technologie ne permettant pas de tout automatiser. Une nouvelle supercherie mettant
bien en image le rôle de la fantasmagorie qui est l’illusion déployée par le capitalisme qui
couvre les choses et brouille les rôles, provocant ainsi une certaine aliénation (qui est bien
le phénomène produit par tous ces processus, la dépossession de soi est camouflé par ce
que nous offre supposément la machine). Cette aliénation, Jaulmes l’avait énoncé en se
posant la question du rôle des images : « Mais l’image n’est-elle pas responsable de cette
perte de contact avec le réel dont le monde actuel donne des exemples dramatiques ? La
violence et la drogue ? Le cinéma est-il ‘L’opium du peuple’ ? ou un instrument de

114
Žižek Slavoj, « Fé�chisme et subjec�va�on interpassive », traduit de l’anglais par Eustache Kouvelakis,
dans Actuel Marx, Volume 34, no°2, 2003, pp99-109.
115
Idem.
116
Descrip�on du disposi�f sur la page du kinoautomat de la cinémathèque tchèque.

48
contestation ? » 117 cette évocation marxiste en tant que « toute aliénation de soi de
l’homme à l’égard de soi-même et de la nature, apparaît dans le rapport d’autres hommes
distincts de lui, dans lequel il se place lui-même et place la nature. » 118 nous renvois donc
bien au processus désubjectivant mis en place ou voulu par les pouvoirs en place. Ce
rapport dans lequel vient se placer l’utilisateur, Lev Manovich la qualifie de manipulation
des médias en reprenant la déclaration d’Alexei Shulgin pour insister sur « la transition
de représentation à manipulation » 119. Ces dispositifs, attrayant par la nouveauté
technologique qu’ils représentaient en leurs temps, nous le savons, n’ont pas réussi à
remplacer ou révolutionner le cinéma. Ils se sont distillés dans des pratiques audio-
visuelles et vidéoludiques sans pour autant s’être encore totalement institutionnalisés, les
recherches balbutient encore à leur déterminer un usage concret et ont tendance à encore
être considéré comme subalterne au cinéma ou comme des croisements entre cinéma,
jeux-vidéo ou installations plutôt qu’adjoint. Tantôt utilisé lors d’exposition (on peut
penser à la salle située au centre du palais des beaux-arts de Lille qui lors de certaine
exposition éphémère accueille fréquemment des projections 360°), ces procédés
présentent plus de problèmes que de solutions et sont donc généralement utilisés pour
démontrer une seule et unique potentialité d’expression ou uniquement comme surface
de projection atypique. Le film interactif c’est distillé dans les bonus dvd, capsules
internet, jeux vidéo, projet Netflix ou autres. Depuis que Netflix a lancé l’option de
l’interactivité, les films en question se divisent en trois catégories : les expériences
(vendus en tant que tel) fait pour le spectacle et l’aspect ludique (You vs Wild, mouture
interactive de la série Man vs Wild se proposant comme une aventure dont tous les
procédés mettent le spectateur-acteur au centre de l’action) ; les jeux interactifs (il s’agit
ici de jeux vidéo, généralement des quizz de culture générale comme Trivia Quest se
servant de cette fonctionnalité pour étendre les propositions de la plateforme.) ; et les
films interactif classique (comme Bandersnatch proposant une réflexion sur
l’interactivité par son utilisation, tout comme le Kinoautomat.). Le théoricien et chercheur
Manuel Siabato réfléchissait encore aux enjeux de la production et de la projection en

117
Jaulmes Philippe, Pour un cinéma sphérique : écran total, édi�ons L’Herminier, Paris, 1980, p.10.
118
Marx Karl, Manuscrits de 1844 (économie politique & philosophie), édi�ons sociales, Paris, 1972, p.66.
119
Manovich Lev, (19 octobre 1996), On Totalitarian Interactivity (notes from the enemy of the people),
sur le site Manovich.net, htp://manovich.net/index.php/projects/on-totalitarian-interac�vity

49
360° 120 en 2020 qui pour lui, serait un nouveau vivier de la production audiovisuel en
cours d’institutionnalisation au vu de l’intérêt que lui porte de grandes entreprises comme
Facebook ou Google et des grands noms de la réalisation comme Ridley Scott, Kathryn
Bigelow, Alejandro G. Inarritu, etc. De plus certains festivals internationaux de grande
renommés ont créé des catégories dédiées à ce pan de la production comme Sundance,
Tribeca et la Mostra de Venise. Il ajoute que désormais il existe certains espaces dans
lesquels on peut s’essayer à ces procédés (Destination VR, Zone 360 ou Virtual Room et
DreamAway à Lille). Si la pratique semble donc à priori s’institutionnaliser, Manovich
alerte quant à leurs dérives et aux illusions inhérentes à leurs procédés. Puisque les médias
proposant une nouvelle interactivité (physique et non pas psychologique) ne font
qu’intégrer encore plus de directive camouflées par la possibilité de les toucher, il les
renvoie à sa condition (la sienne ainsi que celle de Shulgin.) de sujet post-communiste
ayant vécu sous Brejnev (par communisme il entend le communisme totalitaire.) qui lui
permet d’affirmer que l’interactivité n’est qu’une facette de l’interpellation, concept du
philosophe marxiste Louis Althusser, ayant provoqué en Zizek l’idée de l’inter-passivité.
Il devient indéniable que nos dispositifs nous renvois constamment à une compilation de
concept mettant en cause leurs rôles au sein de nos sociétés et la manière avec laquelle
elles agissent sur leurs sujets.

120
SIABATO Manuel « Enjeux Audiovisuels du cinéma 360° : cadre, hors-champ, montage, diffusion, etc.
», dans Revue Entrelacs, n°17, 2020, p.7-8.

50
Conclusion :

Nos dispositifs se constituent donc à la fois en tant que faisant partie du médium
cinéma mais aussi en tant que Médias auto-suffisant, ils ne sont pas le support d’une
forme filmique telle qu’institutionnalisée par l’industrie traditionnelle comme la salle de
cinéma est le support du médium cinématographique, ils cherchent plutôt à déployer des
moyens d’expressions propres aux technologies qu’ils développent. Ainsi, ils peuvent se
constituer en tant qu’impasse à certaines tentatives d’exploration des formes ou comme
piste de lancement à de futures possibilités et ce faisant, tissent des discours qu’ils soient
volontaires ou non au sein d’une histoire que nous avons apprise à ne pas considérer
comme une téléologie linéaire. Ces discours se déploient dans des foires d’anticipation
qui bien qu’elles se concentrent sur les aspects qui ne permettent pas sa continuation
économique et évacuent les angoisses du temps présent aux profits des solutions
techniques de demain font déjà, par cette décision, le jeu de la fascination du
renouvellement. Au sein de ce jeu on retrouve bien entendu le cinéma n’ayant su éviter
les écueils occidentaux de l’interactivité dont Manovich nous dit qu’elle est un premier
pas vers la dépossession de nos moyens, ou plutôt un transfert inconscient. Cette idée que
nos dispositifs sont bien des outils de désubjectivation et quand subjectivation il y a, elle
est interpassive en font des outils du capitalisme qui simule l’émancipation par
l’apparition constante de produits qui desservant plus au final les moyens de contrôle et
de publicités que les promesses d’émancipation. Cette pensée peut être considérée comme
dystopique, c’est ce que pense la chercheuse Ariel Rogers quand elle critique la pensée
de la désubjectivation 121 et notamment la pensée de Deleuze dans PS sur Les sociétés de
contrôle 122 et d’Agamben mais si Deleuze nous dit que « Les machines n’expliquent rien,
il faut analyser les agencements collectifs dont les machines ne sont qu’une partie » 123.
Pour notre sujet nous nous sommes essentiellement concentrés sur la manière qu’avaient

121
Rogers, Ariel. Cinematic Appeals – The Experience of New Movie Technologies. Columbia University
Press, 2013, p.92.
122
Elle le men�onne dans les notes en fin de livres, p.262.
123
Deleuze Gilles, « Contrôle et devenir » dans Futur antérieur, n°1, printemps 90, entre�en avec Toni
Negri, p.237.

51
ces machines de produire leurs spectateurs et leurs rôles au sein des agencements
collectifs desquels ils font parties. La manière avec laquelle ils proposaient au spectateur
une expérience profanant « la séance de cinéma » au profit d’un spectacle ne nécessitant
pas de le voir de bout en bout ou de le revoir pour en attraper à chaque fois de nouveaux
détails ne constituant pas, finalement, un quelconque discours en soi. Cette perte d’aura
de l’œuvre au sein d’une multiplication des procédés de vision ne fait que confirmer ce
que Deleuze pensait et nous renvois à Agamben dans sa manière de concevoir que « plus
les dispositifs se font envahissants et disséminent leur pouvoir dans chaque secteur de
notre vie, plus le gouvernement se trouve face à un élément insaisissable qui semble
d’autant plus se soustraire à sa prise qu’il s’y soumet avec docilité. » 124. Ces relations
entre les différents agencements couverts par la fantasmagorie nous poussent à proposer,
dans un autre sujet, une analyse de la manière avec laquelle l’artificialité, le factice, peut
se construire en tant qu’outil d’analyse des différents degrés d’imprégnation de l’illusion
que peut avoir fantasmagorie sur son sujet.

124
Agamben Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ? Paris, Payot & Rivages, 2014, p.49.

52
Bibliographie :

Transversal :

- Bazin André, Qu’est-ce que le cinéma ? Paris, Cerf, 1958.


- Bellour Raymond, « La querelle des dispositifs. Cinéma -installations, expositions
», Séminaire commun du Centre d’histoire et théorie des arts, Paris, 9 janvier
2013.
- Benjamin Walter, « Paris, Capitale du XIXe siècle » (1935), dans Œuvres, t. III,
Paris, Gallimard, « Folio essais », 2000.
- Metz Christian, « Le signifiant imaginaire » dans Communications n°23 («
psychanalyse et cinéma »), 1975.

Dispositifs et fantasmagorie :

- Agamben Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ? Paris, Payot & Rivages, 2014,
- Deleuze Gilles, « Contrôle et devenir » dans Futur antérieur, n°1, printemps 90,
entretien avec Toni Negri.
- Guichard Jean, Le marxisme, théorie et pratique de la révolution, 2ème édition,
chronique sociale de France, l’essentiel, Paris, 1972.
- Manovich Lev, (19 octobre 1996), On Totalitarian Interactivity (notes from the
enemy of the people), sur le site Manovich.net,
http://manovich.net/index.php/projects/on-totalitarian-interactivity
- Marx Karl, Le Capital, Critique de L’économie Politique, Livre Premier, Le
Procès de Production Du Capital, Quatrième édition allemande sous la direction
de Lefebvre Jean-Pierre, Presses Universitaires de France, Paris, 1993.
- Marx Karl, Manuscrits de 1844 (économie politique & philosophie), éditions
sociales, Paris, 1972.
- Žižek Slavoj, « Fétichisme et subjectivation interpassive », traduit de l’anglais par
Eustache Kouvelakis, dans Actuel Marx, Volume 34, no°2, 2003.

53
Sur la technique et l’histoire des techniques :

- Collomb Jean, Patry Lucien, Du cinématographe au cinéma, 1895-1995, 100 ans


de technologies cinématographiques françaises, Editions DIXIT, Paris, 1995.
- Lamboley Claude, « Petite histoire des panoramas, ou la fascination de l’illusion
» séance du 26 février 2007 de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier,
bulletin n°38, édition 2008.
- Grimoin-Sanson Raoul, Le film de ma vie, 1926, les éditions Henry-Parville, Paris.
- Huhtamo Erkki, “Global Glimpses for Local Realities: The Moving Panorama, a
Forgotten Mass Medium of the 19th Century”, dans: Art Inquiry, Vol. IV, n° 13,
2002.
- Meusy Jean-Jacques, “L’énigme du cinéorama”, dans Archives, n°37, 1991.
- Turquety, Benoît. Inventer le cinéma : Epistémologie : problèmes, machines,
Editions l’Age d’Homme, 2014.
- Wood Robin W., « Fish eyes view, and vision underwater, », dans The London,
Edinburgh, and Dublin Philosophical Magazine and Journal of Science, Volume
12, 1906.

Sur les médias :

- Chun, Wendy Hui Kyong. Updating to Remain the Same : Habitual New Media,
MIT Press, 2017.
- Gaudreault André, Marion Phillipe, « Un média nait toujours deux fois » dans
société & représentations, n°9, avril 2000.
- Leblanc Gérard, « Médias et dispositifs : une approche comparatiste » dans Pour
vous, le cinéma est un spectacle, pour moi, il est presque une conception du
monde, Creaphis, Saint-Etienne, 2007.
- MCluhan Marshall, « Chapter 1 : The Medium is the message » dans
Understanding Media : The Extension of Man, McGraw-Hill Book Company,
New York, 1964.

54
Sur le médium cinématographique :

- Alfonsi, Laurence. Le cinéma du futur : Les enjeux des nouvelles technologies de


l’image. Editions L’Harmattan, 2005.
- Barthes Roland, « En sortant du cinéma », dans Communications, 23, 1975.
Psychanalyse et cinéma, sous la direction de Raymond Bellour, Thierry Kuntzel
et Christian Metz.
- Bellour Raymond, « Le spectateur de cinéma : une mémoire unique », Trafic, 79,
automne 2011.
- Fremaux Thierry, « Un art sans avenir ? » dans Lettre de l’académie des beaux-
arts, n°38, novembre 2004, p.9.
- Gardies André. L'Espace au cinéma. Paris : Méridiens Klincksieck, 1993.
- Gaudreault André, Marion Philippe, La fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère
du numérique, Paris, Armand Colin, Collection cinéma/Arts visuels, 2013.
- Gunning Tom, « cinéma des attractions et modernité » dans : Cinémathèque, «
Cinéma des premiers temps », N°5, printemps 1994.
- Gunning Tom, « Le Cinéma d’attraction : le film des premiers temps, son
spectateur, et l’avant-garde », dans 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En
ligne], 50 | 2006, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 07 Octobre 2022.
URL : http://1895.revues.org/1242.
- Jaulmes Philippe, Pour un cinéma sphérique : écran total, éditions L’Herminier,
Paris, 1980.
- Lastra James, « What Cinema Is (for the moment…) », dans le colloque Impact
des innovations technologiques sur l’historiographie et la théorie du cinéma,
Cinémathèque québécoise, Montréal, novembre 2011.
- Musser Charles, « Quand le cinéma devint-il cinéma ? », dans 1895. Mille huit
cent quatre-vingt-quinze, n°86, 2018.
- Panofsky Erwin, “Style et matière du septième art”, dans Trois essais sur le style
(1947), traduit de l’anglais et de l’allemand par Bernard Turle, 3ème édition revue
et augmentée (1967), Paris, Gallimard, “Le promeneur”, 1996.
- Rogers, Ariel. Cinematic Appeals – The Experience of New Movie Technologies.
Columbia University Press, 2013.

55
- Siabato Manuel « Enjeux Audiovisuels du cinéma 360° : cadre, hors-champ,
montage, diffusion, etc. », dans Revue Entrelacs, n°17, 2020.

Sur l’art et le contrôle :

- Ardenne Paul, Beausse Pascal et Goummare Laurent, Pratiques contemporaines :


l’art comme expérience, Paris, Editions Dis.
- Bon, Gustave Le. Psychologie des foules. 9e édition, PUF, 2013.
- Doguet Jean-Paul, « art et expérience vécue » dans L’art comme communication,
Pour une re-définition de l’art, Paris, Armand Colin, 2007.
- Shulgin Alexei, (11 octobre 1996), « Art, Power, and Communication » sur le site
Rhizome, https://v2.nl/articles/art-power-and-communication.

Sur les foires :

- Benjamin Leon, « The space frame and the architectural screens in displacement
: Inside Montréal’s Expo 67 from the past until today. » dans Exposing the moving
image : The cinematic medium across world fairs, art museums, and cultural
exhibitions, Mimesis international, 2020.
- Braudel Fernand, Civilisation Matérielle, Economie Et Capitalisme : XV° - XVIII°
siècle – Tome 2, Les Jeux De L’échange, Armand Colin, Le livre de poche, 1979,
p.80.
- Cavallotti Diego, Dotto Simone, Mariani Andrea, « Exposing the Moving Image
: The Cinematic Medium Across World Fairs, Art Museum, and Cultural
Exhibitions » dans Exposing the Moving Image : The Cinematic Medium Across
World Fairs, Art Museums, and Cultural Exhibitions, Mimesis international,
2020.
- Hagener Malte, « Montréal’s Expo 67 Within an Expanding Cinema History »,
dans Exposing the moving image : The cinematic medium across world fairs, art
museums, and cultural exhibitions, Mimesis international, 2020.

Article et conférence :

- Auteur inconnu, en septembre 1955, « Motion Picture Exhibition Techniques at


Disney’s Tomorrowland » dans le Business screen Magazine, v.16, n°6 :
https://digital.hagley.org/BusinessScreen_1955_V16_N06#page/40/mode/2up

56
- Auteur inconnu, « le ballon cinéorama », (bloc-notes Parisien) dans Le Gaullois,
n°6712, 27 avril 1900.
- Auteur inconnu, le 20 Mai 1967, « Self service cinema from Prague » dans The
Times :
link.gale.com/apps/doc/CS119106740/TTDA?u=unilille&sid=bookmark-
TTDA&xid=3493f3c7
- Bellard Miriam, La conception d'environnement comme cinématographie spatiale
: théorie et pratique, conférence de la game developers conference, 2019 :
https://www.youtube.com/watch?v=L27Qb20AYmc&t=1491s
- Corbin Hubert, Felton John, Jaulmes Frédéric et Mannoni Laurent, L’écran total
: histoire du panrama et autres concepts immersifs, le 18 novembre 2016 à la
cinémathèque Française :
https://www.cinematheque.fr/video/978.html
- L’heureux Robert, le 24 juin 1966, « Expo 67 », dans Le droit cahier 1 :
https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4214595?docsearchtext=
kinoautomat
- Kappler Frank, le 14 Juillet 1967, « The mixed media-communication that
puzzles, excites and involves » dans Life magazine :
https://books.google.fr/books?id=zVUEAAAAMBAJ&printsec=frontcover&hl=
fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=kinoautomat&f=false
- Richter Vaclav, le 16 mai 2007, « Kinoautomat, le premier spectacle qui respecte
la volonté du spectateur. », sur Radio Prague International :
https://francais.radio.cz/kinoautomat-le-premier-spectacle-qui-respecte-la-
volonte-du-spectateur-8608909
- Willoughby Ian, le 14 Juin 2007, « Groundbreaking Czechoslovak interactive film
system revived 40 years later », sur Radio Prague International :
https://english.radio.cz/groundbreaking-czechoslovak-interactive-film-system-
revived-40-years-later-860700

57
Annexe :

1) Quelques exemples de projections expérimentales lors de l’expo 67’ (In the


labyrinth à gauche, le Diapolyécran au milieu et le circarama à droite.)

Tableau 1 : In the labyrinth, Jeffrey


Stanton pour Westland.net

2) Article paru dans la revue La nature, premier semestre 1897, p.31

58
3) Schéma de l’impression fish-eye sur des pellicules 35mm
(https://patents.google.com/patent/US4464029?oq=jaulmes+philippe)

4) Schéma pour une version plus évolué du Panrama exposé sur le site du Panrama.

59
5) Illustration présente dans L’écran Total : Pour un cinéma hémisphérique.

60

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